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HISTOIRE PARLEMENTAIRE
DE LA
RÉVOLUTION FRANÇAISE,
OD
JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES,
DEPUIS 1789 jusqu'en 181^^
PARIS. — TYPOGRAPHIE FÉVERAT,
Rue dn Cadran, n. <6
nr >^
HISTOIRE PARLEMEINTAIHE
RÉVOLUTION
FRANÇAISE,
ou
JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES ,
DEPUIS 1789 jusqu'en 4815,
La Narration r]es évéucmens; les Débats des Assemblées; les Discussions des
priucipalis Soci'lcs populaires, et particiilicir:iic!ii (io la Sociélé des Jaco-
l)ins; les , mcis-Verliaux de la communia de Par s, les Séances i.u Tnl)iiti;il
révoliilionii ire ; le C<iiiipte-R;'ii(i!i as |riti(ii);iiix procès p. diiqiies; le Dé. ail
des budgets annuels; le Jableaii du moiivenient niuiul, extra i des j uruaux
de cliaipie epoqu , etc.; procéJée (j'iui.- Introduction sur 1 histoire de France
jusqu'à la convoiation des Etals-Geuéraux , ,
PAR P.-J.-B. BUCHEZ ET P. -G. ROUX.
TOME DIX-HUITIÈME.
/5-
>i
PARIS.
PAULIN, LIBIIAIUE,
RUE DE SEINE-SAINT-GERSIAIiN , N° 55.
M. DCCCXXXV.
PREFACE.
Nous reprenons la continuation du sujet que nous avons commencé à
traiter dans la préface précédente. Il nous restait à vérifier la doctrine
du progrès vis-à-vis de la morale, et enfin à conclure.
Vérification morale de la doctrine du progrès.
La morale est , suivant nous et ainsi que nous l'avons démontré dans
un volume précédent, le critérium définitif qui doit être invoqué en
toutes choses. Tout ce qui lui est conforme est vrai, et doit, tôt ou tard,
régner avec elle sur l'intelligence humaine; tout ce qui lui est contraire
est condamné à périr et doit, un jour ou l'autre, être à jamais oublié.
C'est devant ce critérium sévère que nous allons juger la doctrine du
progrès ; et , nous le disons d'avance , elle sortira entière de celte dernière
épreuve, la plus difficile et la plus intelligible en même temps que les
idées nouvelles aient à subir.
Toute morale est fondée sur la définition du bien et du mal. Elle en-
seigne que le bien est un continuel sacrifice; que l'oubli de soi-même,
que la lutte et le travail sont les seuls moyens de produire quelque chose
de bon et d'utile. Elle met le bien en opposition avec le mal; elle enseigne
que le mal est souvent un plaisir; qu'on le fait le plus souvent sans
peine; que le repos même est un mal.
Quelle que soit la société que vous examiniez , dans la série de celles qui
consliiuent l'humanité, vous trouverez que la morale est telle dans ses
termes abstraits. Les définitions sur ce qui est bien et sur ce qui est maJ
>'J PREFACE.
varient dans certaines limites: mais les modes indiqués pour conquérir le
premier et fuir le second, sont toujours les mêmes.
Or, si nous transformons la doctrine du progrès en une doctrine des
actes à accomplir, que trouvons-nous?
Elle nous apprend que chaque génération doit travailler pour con-
quérir des biens dont jouiront seulement ses petils-enfans; que chaque
nation , chaque individu doit se sacriCer pour un avenir qu'ils ne ver-
ront pas; que Ip bien par conséquent <st l'oubli de soi-même, et le mal,
au contraire, ia préoccupation de ses propres intérêts, de ses [propres
plaisiîs. Elie n<;us dciuonUe commeut le travail, la lutte et l'effort sont
une condition du bien-rnire; car il existe un milieu résistant et difficile
à nansforuier : elle nous ruonlre que le mal est le repos qui immobilise
ce milieu, et pourquoi le repos est stérile : elle nous fait voir que la pa-
resse est aussi coupable que l'égoïsme actif en ce que l'une et l'autre ne
produisent riea pour l'avenir. Soûs ce rapport il faut reconnaître que la
doctrine du progrès est la science même de la morale, et qu'elle offre
une conformité parfaite avec elle, conformité que jusqu'à ce jour nulle
philosophie n'a présentée au Hiêrae degré.
Si, maintenant, nous comparons noire doctrine avec la niorale du
ciiristianisme, nous ne rencontrerons pas clés lapports moins exacts.
La morale des évangiles diffère sous deux points de vue principaux des
morales antérieures; l'un est dans la définition du bien et du mal; l'autre
dans les coîianandemens relatifs au caractère du pouvoir. Examinons
d'abord le prenàer.
Selon Jésus-Christ. de ia fraternité univer-
-elle. Dan.s lu HtH'.iélç ai:te. kukj, dans lu^iJi; cu r-uiiieu d*" if;qu«iHeil ap-
parut, iebieu. c'eiail le dévoueiaeiU aux tiroi's et aux Ibnc.ions de sa
race, de sa caste, de sa gens, de sa cité. Le Citrist appela mal l'eial de ce
monde dont il venait prêcher la réforme. Ce monde fut symbolisé sous le
nom de Salan. Le Christ donna encore le nom de mal aux appétits de la
chair; et par là il tlétiissait tout ce qui chez nuiîs tient de la bête, tous
ces instincts, toutes ces passions animales , brutes, égoïstes qui sont atta-
chées à notre organisme niatériU. il a;»pelatl les hommes à les com-
battre, et surtout à les habituer à subir le jotîg des règles sociales. A cet
égard , il augmentait la sévérité des commandeniens tlonués par les ré-
lélations antérieures. Le premier signe de la présence de l'esprit, en
'nous, le signe de son activité, est, en effet, le silence ou au moins la sub-
alternisation de ces appétits animaux. C'est par-là que l'homme diffère
PRÉFACE. Vij
de la bête: c'est par-là qu'il se montre a priori , ou autre chose que ma-
tière; c'est par le contraire (jue l'animal se montre un organisme mu
seulement à posteriori, ainsi que c'est le propre de loute existence pu-
rement matérielle.
Quant au pouvoir. Jésus-Christ transforma en ime question de dé-
vouement, ce qui avait été jist^u'à lui considéré comjiie une question
de droit , c'est-à-dire de caste ou de race. II est inutile de répéter la for-
mule par laquelle il caractérisa quel devait être lé pouvoir futur.
Compîdoiis. préseatement , la tlo triue du progrès avec ces principes
généraux; et recherchons quelle conrormité eile offre avec tux.
Cette doctriîie nous explique cette paroïe àé Jfè'siTè-Christ que lu loi
serait accompHp jvsqiik sa tleniiére lettre. Elle nous fait voir comment
la doctrine de la fraternité universelle était la seule solution convenable,
la solution commandée par les f^iîts qu'avait créés la loi antérieure. Sans
doute , il était impossible à la philosophie , ainsi quMl l'eût été à la loi du
progrès elle-même, eût-elle été connue il y a dix-neuf cents ans, il élàit
impossible de déduire du passé une telle conclusion ; car il n'est donné
à aucune science de révéler; riiais, îa révélation faite, la doctirine (\m
explique ce qui, en elle, était resté inexplicable, par cela seul, se riïontrè
la vraie doctrine.
Elle nous explique encore comment le monde cjtiî existait â la venue
du Christ , était appelé par lui lé mal ; pourquoi il disait : Mon rèijaUme
n'est pas fie ce monde. En effet, il s'.îii^issait du inonde s(iciâl â Wàirs-
forraer; d'un monde (v^p devaif faJre «jiéfjaraU'e )'es|)rif t|n.'i) miméiié*
à ses disciple* prmr f** coHsol«^i- Je B éU^blml >•? fihn? li- rèmpj^'
eèr aupréi «JViix. T'esl Hi' i'-i- niorilJH Shnr il anfron(}ait U ru'liil' )»>y-
qu'il di.';<iit : Jf mis' périr. Wtit^ j'iii mt'ài-u h inor.tit. Jplt Hè la îJJKjii!»
'•ette tradition bien ptjsitlve l7e' la prédietrôn ^riîe d^' sa HÔqèlie : dhiH
mille ans, c« monde tinira ; tradition qui , emendue ûiatériëllejnèm datlà
le dixième siècle . produisit des actes nombreux dé pénîtehce et de pè-
lerinage dont nous possédons encore les preuves écrites; et en effet,
l'histoire nous montre que ce fut alors que la société romaine finit et que
parurent les germes dont le développement devait conclure à la société
moderne.
Mais, où la conformité de la doctrine du progrès avec la morale cliré-
tienne apparaît avec le plus d'évidence, c'est lorsqu'on examine les
prescriptions relatives au mépris et à l'oubli des appétits charnels. L'or
ganisme animal de l'homme n'étant en effet autre chose (iirtui inslru-
Viîj PRÉFACE.
ment mis à la disposition de son esprit; où serait la possibilité pour cet
esprit d'agir, si au lieu de commander à cet instrument, il était com-
mandé et conduit par lui. Cet organisme est par lui-même invariable,
propre seulement à conserver l'individu et l'espèce comme chez les ani-
maux. Pour agir dans un autre sens, il a besoin d'être exercé, dressé,
instruit en quelque sorte; or, il ne pourrait jamais l'être, si le premier
principe donné à l'homme n'était pas de lui désobéir. En un mot, avant
d'enlreprendre la lutte avec le milieu qui nous environne, pour travail-
ler, il fdut commencer par lutter avec notre propre chair; il faut que
nous la modifiions par des habitudes , et que nous lui imprimions des ap-
titudes conformes à nos devoirs.
Jésus-Christ demandait aux hommes des efforts plus difficiles que ceux
qui leur avaient été commandés par les révélations antérieures. La mo-
rale de la fraternité est plus pénible que celle de la conservation du droit
de la caste ou de la gens; c'est en quelque sorte le devoir absolu. II fallait
donc que ses préceptes sur l'abnégation de la chair fussent d'autant plus
sévères que l'œuvre était plus rude. D'ailleurs , à la considérer sous son
point de vue le plus général , la chair n'est-elle pas la racine de l'égoïsme?
celui-ci n'est-il pas le représentant de toutes les inspirations de nature
purement animale? A quoi le reconnaît-on en effet? A son amour des
jouissances matérielles, à son appétence pour elles, quel que soit le
prix qu'elles coûtent aux autres ; à toutes ces passions que nous re-
marquons dans les animaux qui nous obéissent, la vanité, la paresse,
la volupté , la colère , et mille autres trop sales pour être nommées
ici. Or, il n'est rien de plus immobilisateur, de plus aniiprogressif que
l'égoïsme; il vit uniquement dans le présent et du présent; son but est
lui-même; avec lui, selon son axiome , finit le monde. Ainsi, tout ce
qui est chréden en morale, est, en science, conforme avec notre doc-
trine du progrès.
Il nous reste à parler des commandemens de Jésus sur le pouvoir.
C'est surtout en vue du progrès, que l'on comprend comment le pouvoir
ne peut point, dans une société de frères, être un intérêt, comme il le
fut lorsque sa fonction é(ait de former des inférieurs à la vie sociale en
les faisant passer par les épreuves de l'esclavage et du patronage. Dans
une société composée en majorité, ainsi que le Christ l'a voulu, d'hom-
mes dévoués, d'hommes instruits de la même morale , où le corps entier
est volontairement actif, où cliacun marche hbremenl vers un but que
tous connaissent , le pouvoir ne peut plus ressortir, comme chez les an-
PRÉFACE. ix
ciens, de la connaissance de la morale sociale, et de l'importance de la
caste ou de la gens vis-à-vis de cette morale. Il ne peut ressortir que d'un
degré de dévouement plus grand , en vertu duquel l'homme ne pense
plus à lui, mais seulement aux autres, en vertu duquel un homme pré-
fère le but ou la loi à tout , et se trouve par conséquent le plus capable
de prévoir vis-à-vis de ce but , le plus hardi à se sacrifier, et le plus pro-
pre à commander le dévouement par l'exemple qu'il en donne. Tel est
le pouvoir qu'appelle le christianisme, et tel est aussi celui dont la doc-
trine du progrès démontre la nécessité présente.
Les considérations que nous venons d'exposer relativement à la
conformité de la doctrine du progrès avec la morale , offrent certaine-
ment une démonstration suffisante de la thèse que nous poursuivons jci.
Mais peut-être cette forme ne conviendra-t-elle pas à tous les lecteurs ,
à ceux surtout chez lesquels les habitudes scientifiques sont prédomi-
nantes. Nous allons donc reproduire la même argumentation sous un
autre aspect , et en quelque sorte , sous son aspect métaphysique : nous
verrons que la solution sera la même.
Nous allons rechercher et établir quelles sont les existences réelles ,
les forces en quelque sorte qu'implique la morale : nous verrons qu'elles
sont identiquement les mêmes que nous avons nommées lorsque nous
avons défini la signification du mot progrès.
L'exécution de la morale suppose qu'il y a dans l'homme un prin-
cipe d'activité, une spontanéité, force intelligente, libre, douée de vo-
lonté, indépendante du milieu où elle est placée, qui est capable de
lutter contre les appétits de la chair, et contre toutes les impulsions et
toutes les résistances venant du monde extérieur. C'est uniquement sur
cette opposition que la morale et l'espérance de sa mise en œuvre sont
fondées. La chose est tellement évidente qu'elle est inniab'.e. Il n'existe
pas de sophisme qui puisse obscurcir un instant la certitude de ce co-
rollaire ; il n'est même pas possible de lui opposer une argumentation
quelconque, sans tomber aussitôt dans l'absurde le plus grossier et le
plus palpable. Personne, en effet, ne peut mettre en doute qu'il y ait
une morale; personne ne peut mettre en doute que celte morale ait été
exécutée, quelle n'ait fait le toiidement de la vie commune des hommes
depuis qu'il existe des traditions, tt qu'elle ne le soit encore. Toutes les
existences qu'elle indique , sont donc des réalités. Il y a donc positive-
ment dans riionirae une spontanéité spirituelle, libre, active, intelli-
gente, etc. , et un organisme, ou en d'autres termes, une chair douée
X PREFACE.
d'appétits qui sont de nature à constituer des résistances aux volontés de
l'ame. Il y a hors de riiomme un monde liumain et brut qui offre des
tentations à la chair, et qui , lorsqu'il ne dresse pas des tenlaiions , pré-
sente une inertie à laquelle le travail seul peut dtnner le mouvement
que désire l'activité spirituelle; et l'histoire fait foi que les hommes
ont en général si;halleraisé les appétils de la chair, et ont repoussé les
tentations qui tendaient à les arrêter dans ses jouissances et son im-
mobilité ; l'histoire fait foi qu'ils ont transformé par des travaux de di-
verses e«i)èces. c'esï à-dire p,r des efioris et des .sa? riii<vs, les mondes
humains et le monde brut.
Or, qrieilej» sont les existences sans iesqueiles le progrès ne pourrait
être, et desquelles il est l'œuvre en quelque sorte nécessaire? Ce sont
exactement ics menus que nous révèlent et l'enseignement; et l'exécu-
tion de la morale.
Examinons mainlenant si la morale impli(jue l'idée d'un but autre
que celui des peines et des récompenses qui sent proposées à chacun
comme conchi'-ion de ses actes; examinons si elle implique, comme le
mol progrès, l'idée d'un but social.
Qui pourrait endor.îer! cette transformation incessante de la chair,
cette transformation incessante du monde humain , c'est-à-dire de la so-
ciété, cette transformation incessante du monde brut, qu'elle commande
universellement, qu'est-ce autre c'nose que Tcenvre même du progrès?
Le résullai juge si l'idée de but social n'est pas indiquée par l'idée même
de morale. Les conséquences de la mise en exécntion de celle-ci n'ont -
elles pas été toujoins an effet la trausforinaïion ue fa société; et celles-ci
n'ont-elles lias eie opetéen successivement suus le commaniemeni de«
morales successives, de telle sorte que ia société iiiimauilaire s'est élevée
au degré de puissance où elie est parvenue aujourd'hui quant an iiombre
des assoc'és. quant à la force de résistance et d'action?
L'existence du but ue peut pas d'ailleurs être nominativement indi-
quée dans la formule morale; car le but c'est elle-même et elle-même
réalisée; c'est en se nommant, qu'elle nomme le but social. Ainsi donc,
la conformité ne ces'se d'être aussi complète que possible.
Nous pourrions considérer la démoa'^tralion poursuivie dans cette pré-
face et dans la prccr'dente comnie terminée. INTous avons parcouru en
effet tous les. termes de la question qui nous était posée; nous avons em-
ployé tous les moiîe.^ de vérilication scientifiq.ies; et il en est résulté,
nous le croyons, la preuve incontestable que Yhumamlèest profjressive.
PRÉFACE. Xj
Nous pourrions donc abandonner le soin des objections; car elles résul-
tent toutes de faits ma! observés ou d'argiimens mal compris ; et il n'est
personne <|ui , avec la faible bienveillance qui est nécessaire dans les
études philosophiques, ne fût capable de les repousser. Mais parmi
celles-là il en est une qui, bien qu'elle ait le vice de toutes les autres, est
et pendant capable de fermer les yeux de beaucoup de personnes sur les
vérités que nous cherchons à propager; nous voulons p?rler de celle que
l'on pourrait tirer de la considération du péché originel. En effet ce sont,
au premier aspect, deux assertions contradictoires que. ctlies-ci : les
hommes sont des éires déchus; l'humanité est profjressive ; et cepen-
dant elles ne le sont pas.
Il ne s'agit pas ici de recherciier ce que signifia la doclrine liu péché
originel donnée aux sociéiés antiques comme explication de la lutte du
bien contre le mal , de ce péché originel dont Jésus-Christ vint laver les
hommes par sa mort ; mais il s'agit de voir que les hommes , quoique
tombés, se sont successivement relevés par la pratique de la morale, non
pas jusqu'à effacer la souillure originelle individneliement imprimée aux
enfans qui naissaient d'eux, mais jusqu'à améliorer successivement le
milieu social au point de le préparer à recevoir l'évangile nouveau qui
devait le transformer complètement.
Nous nous adressons ici aux catholiques , et pour eux nous ajoutons à
l'observation précédente , que lorsque l'Eglise a dit que les suites du
péché originel subsistaient encore malgré le sacrifice de Jésus-Christ ,
elle a entendu parler de deux choses , d'abord de l'organisation sociale
qui était encore établie selort le système romain . c'est-à-dire selon un
système fondé sur le priiii:ipe qne les iioinuies éuient eu majorité les en-
fans du |>éch'i; el , stcondenient, que cbacuîi de nous naissait avec nii
corps dont il aurait toujours à combattre les penchant? animaux. Dans ces
deux choses certainement l'tlglise avait raison ; et l'histoire faiie df. point
de vue du progrès le prouve invinciblement.
L'Eglise avait également raison contre Pelage; et la docirine du pro-
grès eût prononcé comme elle ; car en définitive Pelade , bien qu'écri-
vant au cinquième siècle, iiiail simplemeut, le principe (jui avait présidé
à la con.stitiilion des soc.étés antérieures au clirislianisme, et sa présence
dans l'organisilion politiijne de son temps, qui était alors loulo romaine
encore. Pcla'^'e enfin donnait tout r'i la liberté de l'homme; rejelant l'uti-
lité de i'étl (c;ition morale , admettant qu'il était naturellement doué d'ap-
titudes qui le portaient au bien, etc. Il poursuivait, dans le langage de
XIJ PREFACE.
son époque, sous les apparences du spiritualisme, le problème quecher-
rhent les matérialistes et les panthéistes modernes.
Mais terminons cette discussion , car il nous suffisait de faire aperce-
voir la voie par laquelle la théorie du progrès se montre comme science
explicative du passé, et peut aborder toutes les questions dogmatiques
résolues par l'Égiise. Nous finirons par deux mots : le christianisme est
une doctrine de rédemption , et la doctrine du progrès est la philosophie
de la rédemption. — Il y a dans l'enseignement ecclésiastique deux par-
ties distinctes : celle des dogmes que l'Église a admis; celle des axiomes
établis par les théologiens. La première est respectable; la seconde n'est
qu'une science qui peut être remplacée par une science supérieure.
Conclusion pratique de la doctrine du progrès.
Le premier mot pratique de cette doctrine c'est que les sociétés sont
soumises à la loi inévitable de subir une succession régulière de révolu-
tions nécessaires du point de vue de la morale. Celte conclusion change
complètement l'idée qu'on s'est faite jusqu'à ce jour et des fonctions du
pouvoir , et de l'organisation politique elle-même.
Tous les publici'tes en effet , tous les jurisconsultes se sont proposé la
découverte d'un type absolu d'onjamsation sociale. Tous ont écrit dans
ce point de vue; et comme il n'est donné à l'homme rien de plus que de
déduire les conséquences logiques du principe révélé , ignorant d'ailleurs
et la nécessité et la méthode d'une pareille recherche, ils n'ont pu,
quel que fût le mérite individuel qu'on doit reconnaître à quelques-uns ,
ils n'ont pu faire autre chose que copier ou tenter des combinaisoris.
Ainsi les uns se sont bornés à réduire en théorie le fait poliliquede leur
temps ; les autres l'ont combiné avec des modes sociaux antérieurs; d'au-
tres ont fait entrer dans leur travail la considération des réclamations
qui couraient à leur époque : mais tous croyaient et annonçaient avoir
trouvé un système politique invariable et définitif. La même idée préoc-
cupe encore tous les publicistes de ce siècle qui ne font point partie de
notre écoîe.
Plusieurs de ces théories , ayant ainsi des prétentions absolues , ont été
appliquées; aucune d'elles ne s'est montrée suffisante , parce qu'aucune
d'elles n'avait prévu l'apparition des faits nouveaux qui ne peuvent man-
quer de se présenter.
Les hommes du pouvoir ont subi les conséquences de l'enseignement
qui leur était donné par les publicistes. Aussi, sauf quelques novateurs
PRÉFACE. Xiij
dont la liste ne serait pas longue, aucun de ces hommes na trouvé une
obéissance sûre, et la sécurité dans le gouvernement. Tous ont senti une
hostilité sourde, inexpliquée pour eux, menaçante cependant j et tel a
été, en effet, jusqu'à ce jour le signe des idées nouvelles qui germent
dans la société, et le précurseur des orages révolutionnaires. Cepen-
dant le pouvoir , imbu de la doctrine de l'immobilité, se faisait immobile
lui-même , conservateur du système établi , persécuteur des choses nou-
velles, jusqu'à ce que le torrent fit irruption et l'emportât. Qui ne voit
que la loi du progrès étant une fois reconnue , l'attention des publi-
cistes comme celle desgouvernans sera portée uniquement sur les moyens
de prévoir quels changemens sont nécessaires ? Ce sera leur devoir ; ce
sera leur intérêt.
Sans doute si les publicistes , si les gouvernans étaient des hommes de
foi, possédant le sentiment de la morale au degré d'une conviction reli-
gieuse , il leur suffirait de considérer l'état même de la société , pour
comprendre ce que cette morale exige d'eux , quelles modifications elle
commande , quels devoirs elle leur impose.
Il en fut ainsi dans les premières périodes politiques du christianisme.
L'Eglise, sans autre guide que cette foi morale , et en lui subalternisant
tous les conseils de la science qui existait alors , exerça sa fonction d'ini-
tiative de la manière la plus utile , et la plus en rapport avec ce que lui
eût conseillé la doctrine du progrès elle-même.
Mais il n'en est plus ainsi. Aujourd'hui on accorde à la science l'em-
pire qui appartient à la morale.
Or , la science est soumise à la même loi de changement et de per-
fectionnement que subissent les sociétés elles-mêmes. Nous n'appelle-
rons pas en preuve l'histoire qui a enregistré les innombrables et pro-
fondes modifications qu'elle a subies. Nous nous bornerons ici à faire
usage de la méthode de démonstration par l'absurde.
Ou la science naît a posteriori , ou elle naît a priori. Si la science naît
a posteriori , il est absurde d'admettre qu'il y ait pour les hommes une
science absolue , c'est-à-dire une science immuable. En effet , s'il en
existe une , ce serait devant Dieu seul ; elle serait immense , infinie ,
toute- puissante , simultanée comme lui. Or, que sommes -nous, nous
habitans de cette terre? Des êtres relatifs chargés d'une fonction
passagère dans un milieu passager. N'est-il donc pas absurde de supposer
que l'étude du phénomène où nous vivons puisse nous donner la con-
naissance absolue de tous les phénomènes possibles , de toutes les lois
XIV PREFACE.
possibles , de celles qui ont été , corcme de celles qui seront ? Eu consé-
quence nous disons que Terreur la pliiS grave , labsurdité la plus fatale
et la plus folie , qui puisse s'emparer d'un cerveau humain, c'est de croire
qu'une science absolue et cependant engendrée a posteriori soit pos-
sible.
Dès qu'il est prouvé que , s'il y a une science absolue , l'homme ne
pourrait pas y atteindre par lui-même ; dès qu'il est prouvé qu'il ne peut
posséder rien de plus que ces spécialités scientifiques modifiables et per-
fectibles qui sont sous nos yeux, nous demandons à quel titre un homme
vient éqnivoquer avec les commandemens de l'éternelle et immuable
morale.
Si quelqu'un nous disait que la science absolue naît a prion , nous
lui demanderions si elle est née et où elle est ? Nous lui demanderions
s'il croit qu'un homme soit capable d'un tel o priori, et dans ce cas , où
il a existé ? Nous savons que l'école éclectique prétend que Thorame est
capable par lui seul de produire des a priori ; mais tout ce qu'elle a dé-
crit sous ce nom consiste uniquement en quelques lois rationnelles,
en quelques connaissances confuses. Prenons pour exemple la philoso-
phie de M. Cousin : il éiablit que toute la connaissance de l'homme dé-
coule de quelques notions primitives , qu'il range en catégories et dont
il exprime la généralité sous ces mots : le fini , l'infini , et leur rapport,
ou en d'autres termes , le moi , le non moi et leur rapport. Or, si nous
tenons compte du mode par lequel , selon M. Cousin lui-même , l'homme
se sert de ces notions primitives pour arriver à un savoir plus étendu ,
nous verrous qu'elles ne sont , po;ir l'étude , autre chose que les bases
premières d'une analyse à l'aide de laquelle il pénètre dans Ja connais-
sance de lui-même et dans celle de ce monde. Ainsi nous sommes ra-
menés à ces moyens dont nous montrions à l'instant la faiblesse sous le
nom de mole a posteriori; et l'argumentation dont nous nous servions
se représente ici dans toute sa force. Nous n'y reviendrons pas , et nous
ne nous occuperons pas non plus ici davantage de l'éclectisme, quel
que soit le nombre des preuves que nous puissions apporter pour mon-
trer l'impuissance scientifique des catégories. iMous ne dirons plus qu'un
mot , c'est que les maîtres de cette école ne sont point d'accord sur la
nature , sur le nombre de ces notions primitives , sur leur mode de gé-
nération , etc. De quelle espèce donc serait une science absolue, dont
les bases nous sont encore inconnues ?
Quant à nous , nous pensons certes que l'ame a des propriétés , que
PRÉFACE. XV
son activité est soumise à des lois ; mais aussi nous pensons que le vérita-
ble a priori pour l'iiorame , que l'origine des découvertes scientifiques
qui ont rendu quelques savans illustres , c'est la foi morale.
Si par a priori on entendait une doctrine révélée, alors noîis deman-
dons , quelle autre révélation existe entre les hommes , que celle de la
morale.
Ainsi quelque effort que l'on fasse , il n'existe pas vis-à-vis des hom-
mes de science plus immuable que la morale; il n'existe même de
certitude dans les sciences que celle qui eu découle; et aussi la plus cer-
taine et la plus élevée est la doctrine du progrès, parce que c'est elle qui
s'y rapporte le plus directement.
II n'est pas nécessaire d'ailleurs de faire encore une fois remarquer
tjue toutes les observations précédentes sont de la pure redondance. La
thèse que nous soutenons sur l'activité progressive, qui change conti-
nuellement , et les états sociaux et les sciences, était déjà suffisamment
démontrée par tout ce que nous avions dit dans les paragraphes précé-
dens. Mais nous n'avons pas voulu passer sur une occasion où l'objection
était possible , sans laisser l'exemple du système de réponses par lequel
on est assuré de Tannuler.
Tous nos efforts aujourd'hui tendent à ce que la doctrine du progrès
soit enfin l'objet d'un examen sérieux de la pari des savans graves et
honnêtes, dont l'opinion désintéressée devient toujours, tôt ou tard, celle
de la majorité. Nous ne doutons pas qu'elle ne sorte victorieuse d'un
examen impartial de ce genre, car nous n'avons pas encore vu d'homme
l'étudier avec des intentions pures et avec intelligence, sans être con-
vaincu. C'est ce qui est arrivi à tous ceux qui coinposeiit l'école à la-
quelle nous appartenons. Or, il n'y a ici ni places, ni fortune, ni jouis-
sances, ni même de satisfaction de vanité à recueillir. Loin de là, on se
condamne à un travail sans récompense temporelle , à des efforts dispro-
portionnés avec les résultats immédiats que l'on ol)tient ; on se con-
damne enfin à subir l'iioslilité de tout le monde , et à quelque chose de
plus douloureux encore peut-être , c'est de voir de nobles idées tortu-
rées, faussées, souillées , ridiculisées quelquefois par la malveillance et
par la concurrence , car il y a des gens qui dans une doctrine ne voient
autre chose qu'une tentative pour les déplacer ; d'autrcfiis par la spécula-
tion et le vol. Or, nous avons vu déjà tout cela , et nous n'avons échappé
a aucun des inconvéniens de la littérature industrielle qui règne de nos
jours.
XVJ PRÉFACE.
Mais aucune de ces choses ne peut effrayer ceux qui sont avec nous.
Nous avons tous la conscience du grand devoir qui nous est imposé, et
de l'héritage important dont nous devons compte à Dieu et à la postérité.
Nous savons que nos efforts seuls appelleront le jour où notre croyance
deviendra enfin l'objet d'un enseignement social; et nous nous encou-
rageons en voyant tout le bien qui en résultera pour les générations
futures.
HISTOIKE PÂRLEMEINTAIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE.
SEPTEMBRE 1792. — ( suite. )
Séance du 18 septembre, au soir.
[ Un particulier fait hommage de l'invention d'un canon en bois
renforcé de plusieurs cercles de l'or et de cordes. Il propose que
chaque municipalité ait six de ces canons à sa disposition.
L'assemblée renvoie sa pétition à la commission des armes.
Un Anglais admis à la barre dénonce à l'assemblée uti vol com-
mis dans une maison occupée par lui, à Cliaillot, par deux huis-
siers et leurs satellites. Ce vol consiste en douze louis, cinq gui-
nées, ri,000 liv, en assignats et plusieurs autres effels. Le par-
ticulier se plaint de n'avoir pu obtenir justice du tribunal du
deuxième arrondissement ; il demande à être autorisé à continuer
la poursuite contre les auteurs du vol , et qu'il soit enjoint à ce
tribunal de porter un jugement sur cette affaire.
T. xviii. I
2 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
Cette péiilion est renvoyée au ministre delà juslice.
M. Kersa'mt. II ne reste qu'une nation en Europe^, dont la neu-
tralité soit bien prononcée relativement aux affaires de la France.
C'est l'Angleterre. Eh bien ! il n'y a pas de moyen qu'on n'em-
ploie pour aigrir les Anglais qui se trouvent actuellement en
France ; et vous devez savoir que le bruit de l'outrage fait à un
Anglais dans quelque partie de l'Europe retentit bientôt en An-
gleterre. Vous savez que cette nation ne souffre pas qu'on viole
impunément dans un de ses membres le droit sacré de l'hospita-
lité. Dans ce moment il n'y a pas d'obstacles par lesquels on ne
cherche à gêner les étrangers , et particuHèrement les Anglais. Il
n'y a rien que la Commune n'ait fait depuis le 10 pour irriter
ceux-ci, soit en leur refusant des passeports, soit en les inquiétant
de toutes les manières dans leur domicile. Je demande que la con-
duite de la Commune de Paris soit enfin examinée, et qu'un rap-
port de la commission extraordinaire affranchisse les étrangers
de celte odieuse tyrannie. Je demande la peine de mort contre
celui qui violerait l'asile d'un citoyen pendant la nuit : l'asile du
citoyen doit être sacré depuis le moment où le soleil se couche
jusqu'à celui où il se levé, et que l'arrestation d'un individu ne
puisse se faire que pendant le jour ; l'astre qui éclaire le monde
doit aussi éclairer la justice. Pour moi , je déclare que je regarde
ma demeure comme sacrée pendant la nuit , et que celui qui voudra
y pénétrer le paiera de sa tête. { On applaudit. )
Des citoyens de la section des Quinze-Vingts se plaignent de la
lenteur des travaux du camp. Ils demandent que le salaire des
ouvriers , porté à quarante sous par jour, soit réduit à trente , at-
tendu que les ouvriers quittent leurs boutiques pour aller gagner
quarante sous au camp.
L'assemblée ordonne le renvoi à la commission du camp.
M. Moniaut. Je demande que les travaux du camp soient di-
visés en quarante-huit parties, et que les sections de Paris soient
invitées à y aller travailler.
M. Canibon. Je demande que le pouvoir exécutif soit chargé
de donner par entreprise à des ouvriers le transport des terre»,
SËi'TEiiBiiE ( i79!2), 5
La motion de M. Gambon est appuyée, mise aux voix et
adoptée.
M. Lamarque , au nom de la commission extraordinaire , fait
lecture d'une adresse aux bataillons des volontaires de Chàlons
pour les engager à observer rigoureusement les lois de la disd*
pline et de la subordination.
L'assemblée adopte la rédaction de cette adresse , dont elle or»
donne l'impression et l'erivoi à l'armée.
Un de MM les secrétaires fait lecture d'une lettre du ministre
de l'intérieur ainsi conçue :
t Monsieur le président, je crois devoir faire connaître à
l'assemblée quelques faits qui me paraissent imporlans par leurs
résultats ou par les conséquences qu'il convient d'en tirer pour les
mesures à prendre , relatives à h sûreté.
» Le vol extraordinaire du garde-meuble n'aurait point été
commis, sans doute, s'il y eût eu une garde plus nombreuse et
surtout plus vigilante ; cependant plusieurs réquisitions avaient
été faites à ce sujet et réitérées de la manière la plus pressante ;
j'en fais joindre ici les copies certifiées.
» La garde envoyée, au lieu de factionner au dehors, s'est
tenue dans lintérieur, et c'est, parce qu'elle y était renfermée,
que les voleurs ont pu grimper par l'extérieur de la colonnade.
» Pourquoi les réquisitions liont-elles pas été suivies de plus
d'cflet? Telle est la première question à faire, ou la première
chose à réfléchir.
» Je sais que cette nuit même, après l'annonce faite hier des
dangers qu'on pouvîtit courir, les postes de l'assemblée nationale
étaient généralement dégarnis, et j'ai été prévenu à deux heures
du malin qu'on n'avait trouvé , depuis le lieu de vos séances jus-
qu'à la rue de la Féronnerie , qu'une seule patrouille de cinq ci-
toyens.
» Je n'ignore pas que le premier fait a été expliqué par l'allé-
gation du froid qui avait, dit -on, fait rentrer les hommes dans
le corps-de-garde.
» Sans examiner si l'excuse est appuyée par l'exactitude de
% ASS5:MBI.t.F, LEGISLATIVE.
ralltigaiioii , je dirai qu elle est détestable dans la discipline mili-
taire et inadmissible dans les circonstances.
» J'en coDcluerai , ainsi que des considérations précédentes,
qu'il faut à l'assemblée nationale une force armée continuellement
à sa réquisition, et capable, par sa constance et son aciiviié, de
maintenir à l'abri de toute atteinte et les représentans de la na-
tion, et son trésor et ses archives, et ses enfans; car il ne faut
pas qu'un seul individu puisse craindre d'être troublé dans son
repos par l'audace d'un seul brigand.
» Nos ennemis extérieurs jugent bien qu'un peuple entier, qui
veut se défendre, est invincible, et que, pour l'asservir, il faut
le diviser. Les moyens de divisions sont nombreux ; toutes les
passions, toutes les erreurs, en font partie, et l'égoisme, mal-
heureusement trop commun, en est le plus puissant. Le moyen de
défense est unique ; c'est la loi, parce qu'elle réunit tout sous elle ,
et donne à tout une marche constante , égale et ferme ; mais la
loi sans force est une volonlé sans action. H faut donc une force
dont la loi seule puisse disposer, pour qu'elle ne devienne jamais
arbitraire; et, dans ces niomens de troubles, à qui peut-elle être
mieux confiée qu'aux représentans du peuple ?
i Je sais que les modérés de la Constitution ont tellement abusé
du nom de la loi , que c'est s'exposer à quelque défaveur que de
s'opiniàtrer à la réclamer ; mais j'ai fait mes preuves en civisme :
il s'agit aujourd'hui de sauver le peuple , et non de le flatter.
» Je dois observer encore que le nommé d'Aubigny, dont les
vols ont déshonoré l'écharpe qu'il avait usurpée, a été relâché
dans les jours des exécutions populaires. On s'inquiète de son
impunité; on répète avec; scandale qu il aspire à être employé
dans une commission.
» Je déclare, pour mon compte, que je n'en signerai aucune
dont je ne connaisse le sujet, que je me repens d'en avoir signé
précédemment dans le conseil, non que je veuille inculper les
intentions de quiconque a choisi les personnes, mais parce qu'on
a pu se tromper avec de bonnes intentions, ainsi qu'il le paraît
par les plaintes auxquelles plusieurs de ces commissaires ont
donné lieu ; je le déclare pour infirmer, autant (|uil est en moi,
la portion de confiance que pourrait faire accorder ma signature
à ceux qui se irouveiaient capables d'en abuser.
« S'il était vrai que d'Aubigny pût espérer une commission et
osât l'annoncer, il faudrait qu'un parti de malveillans se crût bien
en force pour abuser ou duper les hommes en place; et cela
même annoncerait une coalition contre laquelle la force armée
est nécessaire pour soutenir l'empire des lois.
P. S. « J'observe à l'assemblée que la nomination qu'elle a faite
de commissaires pris dans son sein pour recevoir les dépositions
des voleurs arrêtés et donner cours à cette affaire, m'a déchargé
du soin d'en suivre les détails, qui d'ailleurs n'eussent pas ele
compatibles avec mes nombreux devoirs ; mais je dois la prévenir
que, m'élant transporté ce malin au garde-meuble, je n'ai
trouvé à la place des commissaires qu'une seule personne, â qui
ils avaient iraosmis leurs fonctions. Sans doute , ils ont fait un
bon choix , et je ne l^ais cette remarque que poui- m'acquitter de
toute espèce de responsabilité à cet égard. »
M. Thunoi. Eu éxecution du décret qui a ete rendu , les com-
missaii es de l'assemblée nationale se sont transportés hier au
garde-meuble, où ils ont travaillé depuis trois heures jusqu'à
onze. Ils ont été étonnés de n'y point voir arriver dans cet inter-
valle M. le ministre de l'intérieur. Les effets du garde-meuble
ne sont point en sûreté; personne ne veut s'en charger sous sa
responsabilité. Quant à nous, commissaires de l'assemblé, nous
ne sommes chargés de rien : il eût été à désirer que le ministre de
l'intérieur forçât la garde nationale à veiller à la garde de ce dé-
pôt précieux. C'est donc après avoir laissé faire une déprédation
manifeste, que le ministre vient vous dire qu'il n'est chargé
d'aucune responsabilité? (On murmure.) II m'en coûte d'être
obligé de dire la vérité. Personne n'est plus disposé que moi à
rendre justice aux vertus de M. Roland ; mais s'il savait ce qu'ont
fait les commissaires, sans doute il ne viendrait pas les accuser
devant vous de n'avoir pas rempli leur devoir. Oui , mpssieurs,
j'ose le dire, nous avons rempli notre devoir, et l'on sera étonne
G AiStMBLÉE LÉGiSLAilVii.
clq voir qu'en aussi peu de temps, nous ayons lait tant de choses.
Nous étions chargés de surveiller l'instruction de l'affaire , et non
de garder le garde-meuble ; c'est le ministre que ce soin regarde.
Et qu'il ne vienne donc pas vous dire qu il est déchargé de toute
responsabilité. Du resle, j'annonce à l'assemblée que nous avons
vu apposer les scellés sur la porte extérieure du garde-meuble ,
et qu'il y a une force suffisante pour le garder.
Le ministre de l'intérieur. Je suis venu faire à l'assemblée une
simple exposition de faits, et non pas inculper personne; et j'é-
tais loin de m'attendre à l'inculpation qui m'est adressée. Le fait
est que je suis passé à trois heures au garde-meuble, et qu'on
m'a dit alors que je n'y étais pas utile. J'ai cru devoir aller où
des affaires plus pressantes m'appelaient. On me reproche de
n'avoir pas été au garde-meuble. Je demande si les fonctions du
ministre de l'intérieur sont de surveiller le garde-meuble? Non ,
messieurs; j'ai une correspondance immense à entretenir avec
tous les départemens du royaume; je suis commis à la surveil-
lance de la France entière, et certes ce soin est bien plus impor-
tant que la surveillance du garde-meuble. Du reste, je suis venu
exposer la situation des choses à l'assemblée : le dépôt du garde-
meuble n'est point en sûreté, et il m'a été impossible d'avoir une
force publique suffisante pour le mettre en sûreté. (On ap-
plaudit. )
L'assemblée , satisfaite des expositions faites par les commis-
saires et le ministre , passe à l'ordre du jour.
Le ministre de la guerre fait part à l'assemblée des dépêches
qu'il a reçues de M. Dumourier.
« Monsieur le président, les dépêches de l'armée m'annencent
que 3L Dumourier a été attaqué le 17 au malin , dans son poste
des mettes, et que les ennemis ont été repousses avec perle.
M. Dumourier croit qu'il sera attaqué de nouveau le 48. « Mon
armée, dit-il, brùje de se battre; dès qu'elle verra du secours,
elle sera invincible, »
M. Kfljermarn éiait , ]p M au soir, à six lieues de M. Dumeu-
SEPTEMBRE f 1792 ). 7
pier; il a été averti par M3I. Luckner et Diimourier de se mettre
en marche.
M. Beurnonville a dii partir aussi pour opérer sa jonclion ; il
emmène avec lui, outre ses onze mille hommes, sept bataillons
complets. Voilà donc, monsieur le président, l'armée française
réunie, du moins je l'espère, et en éiat, par sa masse, de s'op-
poser avec force aux projets des ennemis de la liberté et de l'é-
galité.
Les nouvelles officielles du Rhin n'offrent rien d'intéressant.
Le camp de Chûlons continue toujours à se grossir; j'espère
que la discipline y fera promptement des progrès.
M. Gensonné, au nom de la commission extraordinaire, pro-
pose un projet de décret pour ramener l'ordre et assurer la tran-
quillité des personnes et le respect pour les propriétés.]
i9 SEPTEMBRE AU MATIN.
[Le ministre de l'intérieur. M. Palloy a été chargé, par un dé-
cret du 10 août , d'arrêter l'incendie des petits bâiimens allenans
au château des Tuileries. Au lieu de se borner à exécuter celte
mission, il a fait des démolitions considérables, et a occasioné,
au préjudice de la nation , une dépense de plus de 500,000 livres.
Il est parti pour les frontières , à la tête d'une compagnie de
vainqueurs de la Bastille , sans laisser aucun compte , et même
sans payer les ouvriers": ceux-ci réclament à grands cris le prix
de leurs journées ; et comme ils ne doivent pas patir de la faute
de l'entrepreneur, et que leurs besoins leur donnent des droits à
une indemnité, je demande à être autorisé à les payer. Je crois
maintenant devoir instruire l'assemblée qu'une cabale inexplica-
ble trouble et arrête tous les travaux publies , notamment ceux
de la salle de la Convention nationale; on parvient presque tous
les jours à exciter des insurrections parmi les ouvriers. Le même
esprit de machination fait que l'on démolit l'ancien bâtiment du
Louvre par ordre, dit-on, de la municipalité, et sans que l'on
veuille abandonner ce travail sans un contre-ordre émané d'elle.
Je n'ai pu obtenir aucun renfort pour la garde des Tuileries ni
s ASSESlBLEt; LEGISLATIVE.
celle du {jarde-nîeubie; et, malgré les réquisitions multipliées que
j'ai faites, le poste dececîépôt, réduit à un très-petit nombre
d'hommes , n'a pas été relevé depuis quarante-huit heures. Je ne
sais si c'est par défiance du ministère que son action se trouve
ainsi paralysée; mais, je l'ai déjà dit plusieurs fois, j'expose mes
principes et ma conduite à la censure la plus scrupuleuse; qu'on
me montre la possibilité de mettre dans mes fonctions plus de vi-
gilance, d'activité et de désintéressement, et je passe condam-
nation à l'instant même; qu'on articule un seul fait contre la pro-
bité des agens que j'ai choisis ; qu'on me nomme un plus honnête
homme, par exemple, que celui que j'ai chargé de la garde du
garde-meuble, M. Restout, et je n'élève aucune réclamation con-
tre ces obstacles. (On applaudit.)
M. Reboul. Déjà l'assemblée a décrété que les édifices , ci-de-
vant royaux, aujourd'hui nationaux, ne sont pas soumis à l'ad-
ininisiration municipale. Je demande que ce décret soit affiché
dans la journée partout où il y existe des édifices nationaux , et
où, soit la municipalité, soit les sections, mettent les ouvriers
sans que l'on sache pourquoi.
M. Goujon. Cet objet est du ressort du pouvoir exécutif; mais
ce ressort est sans force , et le moyen de lui en donner est de
réorganiser les autorités. Je demande que le décret d'hier soir
soit terminé et expédié dans le jour.
Cette proposition est adoptée.
Le ministre de l'intérieur. Je dois encore me plaindre de n'a-
voir pas pu parvenir, depuis quinze jours, à rassembler le nom-
bre de juges de paix nécessaire pour procéder à la levée des
scellés mis au garde-meuble et dans le château des Tuileries.
Cependant des efl^ts précieux dépérissent par ce retard. Je ne
puis rien faire sans une décision de l'assemblée.
L'assemblée décide que ces scellés seront levés dans le jour, et
nomme deux commissaires pour y assister.
On fait lecture d'une lettre par laquelle M. Camus, archiviste,
innonce que deux cent un députés à la Convention sont venus se
aire inscrire.
SEPIEMBRK ( 179i2 I. 9
M. Delaimay (d'Angers). Votre commission extraordinaire,
instriiile, par des rapports officiels, que des scélérats ont formé
le complot d'assassiner plusieurs de nos collègues aussitôt après
la cessation de leurs fonctions de députés à la législature, a cru
quil suffisait, pour prévenir cet attentat, de le dénoncer au
peuple lui-même. Elle m'a , en conséquence , chargé de vous
présenter le projet d'adresse suivant :
Adresse aux Français.
« Des hommes perfides et agitateurs provoquent les vengeances
populaires contre ceux des représentans du peuple qui ont mani-
festé des opinions qu'ils pouvaient émettre librement , même en
les supposant erronées et dangereuses. On annonce que le jour
où ils cesseront leurs fonctions est le jour qui doit éclairer ces
vengeances.
» L'assemblée nationale est loin de croire qu'un peuple bon et
juste ait conçu l'idée d'un système de désordres et d'assassinats
qui souillerait la révolution, qui serait une tache ineffaçable au
nom français, et qui détruirait à jamais la liberté et l'indépen-
dance nationale.
» Elle a reconnu dans ce projet criminel le caractère de la con-
nivence des ennemis intérieurs avec les tyrans coalisés qui espè-
rent détruire par les horreurs de l'anarchie l'inipulsion qui réu-
nit tous les Français à l'intérêt commun.
» Elle y a retrouvé les traces de ce plan désoiganisateur et
contre-révolutionnaire que suivent encore avec une insolente au-
dace les agens stipendiés de Coblentz , de la Prusse et de l'Au-
triche.
» Elle a considéré que les conspirateurs qui veulent rassem-
bler les débris épars du despotisme, et empêcher la réunion de la
Convention nationale, n'ont imaginé ce projet de meurtres que
pour répandre la terreur dans les départemens , éteindre l'esprit
public par la stupeur, et arrêter la marche des députés par l'é-
pouvante des dcsordies et des excès dont ils menacent la ca-
pitale.
jO ÂbSËUBLËE LÉGISLATIVE.
» Elle a senti que, de toutes les perfidies, la plus dangereuse,
peut-être , est celle qui tend à diminuer le nombre des défenseurs
de la révolution, en la rendant odieuse, en isolant de sa cause
les citoyens faibles et timides qui ne professent pas des principes
aussi rigoureux que les hommes forts et énergiques pour qui la
liberté est tout, et à qui elle tient lieu de tout.
» Dans ces circonstances, l'assemblée nationale a cru qu'elle
devait déjouer ces nouveaux complots, et rappeler au peuple les
principes garans éternels de la liberté publique et individuelle.
» Français, chaque citoyen a un droit égal à la proteclion de
la loi ; son influence doit garantir plus activement encore les re-
présenîans de la nation , parce que tel est le caractère d'inviola-
bilité qu'elle leur imprime , et qu'ils tiennent de la nature des
choses, qu'une seule violence, qui aurait pour prétexte leurs opi-
nions et leur conduite politique, attaquerait la liberté même jus-
que dans ses lx)ndemens les plus sacrés.
» Les représentans de la nation appartiennent au peuple en-
tier ; il n'y a plus de liberté, ni d'égalité, s'ils peuvent être dé-
pendans d'une portion quelconque du peuple, soit de celle qui se
trouve avoir la même résidence qu'eux, soit de celle qui les
nomme à la représentation nationale.
» Lahberté entière et absolue des opinions, et une inviolabi-
lité s'étendant à tous les temps et à tous les lieux , telle est une
condition essentielle de toute constitution représentative.
» Autrement , leur vœu ne serait pas celui de leur jugement ou
de leur conscience, mais le résultat de la politique ou de la
crainte. Il n'exprimerait plus la volonté générale des citoyens,
mais celle d'une collection d'individus qui , dans un point du ter-
ritoire français, s'empareraient d'une puissance momentanée.
» Toute nation où le caractère de représentans n'est pas sacré
€St nécessairement une nation sans gouvernement et sans lois,
puisque les organes des lois , puisque ceux entre les mains de
qui repose la suprême puissance de la société, ne peuvent agir
par leur volonté propre.
» Dans les temps d'insurrection, et lorsque le peuple se fève
SEPTEMBRE ( 1792 ). 11
pour opposer à la tyrannie et à l'oppression une résistance légi-
time, il peut quelquefois, entraîné parles hommes passionnés
pour la liberté , regarder l'activité des lois comme trop lente pour
lui garantir sa sûreté ; mais l'idée d'attentats contre ses propres
représentans ne pourrait lui être inspirée que par de véritables
ennemis de la nation, par des hommes qui voudraient rompre le
nœud qui unit ensemble toutes les portions de l'organisation
sociale, afin de livrer la France divisée à ses ennemis; par des
hommes qui voudraient que la représentation nationale fut avilie
auprès des citoyens et des étrangers, et que tout ce qu'elle a fait
et que tout ce qu'elle pourrait faire fût regardé comme l'ouvrage
de la violence ; par des hommes qui voudraient anéantir les effets
de la révolution du 10 août , et qui , en effet , la croira le vœu du
peuple français, si ses représentans, qui l'ont consacrée, paraissent
n'avoir agi que sous la force d'une simple portion de ce peuple?
» Mais le piège nouveau que l'on vous tend est trop grossier
pour vous séduire. Vous sentirez qu'un seul attentat à la per-
sonne ou aux propriétés de vos représentans, donnerait un pré-
texte aux ennemis de la liberté, pour frapper de nullité tout ce
qui aurait été fait et tout ce qui serait fait par une représentation
nationale quelconque; ainsi, vous sentirez que les décrets sur les
troubles religieux , sur les émigrés , sur la suppression des droits
féodaux , sur la suspension du roi et de sa liste civile ; que les
décrets même de l'assemblée constituante sur l'abolition des dî-
mes , de la gabelle et de la noblesse ; que toutes les lois sanction-
nées par l'opinion publique seraient anéanties, parce qu'on
pourrait toujours supposer que la majorité qui les a faites ne
jouissait pas d'une liberté absolue ; enfin , vous sentirez que ce
serait perdre la confiance des peuples ou des individus qui vou-
draient s'unir à vous et défendre votre cause ; que vous cesseï iez
de fojmer véritablement un corps de nation, puisqu'il n'y aurait
pas un citoyen qui pût parler en votre nom et stipuler pour vous ,
dès qu'il ne pourrait le faire avec liberté.
» François, toute vengeance populaire, tonte punition, même
d'un f nnomi public , qui n'est pas révolue des formes Icjvales , est
ItJ ASSKMBLIiL LÉGISLAIIVE.
un assassinat ; loin de servir la cause de la liberté , elle ne peut
que lui nuire; et ceux qui se livrent à ces excès trahissent celte
cause en croyant la défendre.
» Ce n'est qu'en respectant les lois , les personnes et les pro-
priétés ; ce n'est qu'en conservant la tranquillité publique , que
vous pourrez déployer vos forces , triompher de vos nombreux
ennemis, que vous mériterez l'estime des nations, et que vous
prouverez à l'Europe que vous n'êtes pas égarés par des fac-
tieux , et divisés par des partis opposés , mais que vous êtes ani-
més de la volonté ferme de maintenir la liberté et l'égalité , ou de
périr en les défendant. >
L'assemblée adopte cette adresse, et décrète que les décrets
sur l'inviolabilité seront imprimés à la suite.
On fait lecture d'une lettre du maire de Paris.
« Le calme a régné hier dans Paris. La surveillance a été très-
active , et les principaux postes ont été renforcés. »
L'assemblée décrète, sur la proposition de M. Lagrevolle, que
les commissaires de la salle seront autorisés à délivrer des passe-
ports à ceux des députés non élus à la Convention , qui désire-
ront retourner dans leur pays.
La Commune de Paris sera tenue de choisir, pour les exécu-
tions, un lieu autre que la place du Palais de la Convention (!).]
La séance fut terminée par un décret sur l'échange des pri-
sonniers. La base commune qui fut adoptée, fut d'échanger
liomme pour homme, grade pour grade. On annonça ensuite
que plusieurs Communes avaient fait arrêter les commissaires de
la municipalité de Paris.
ly SEPTEMBRE AU SOIR.
[M. Thuriot occupe le Ixiuteuil.
Un pétitionnaire vient dénoncer la Commune pour avoir fait
enlever de chez M. Chevalier 4,000 marcs d'argenterie prove-
nant des maisons des émigrés, en lui en remettant la décharge.
<) C'est la place du Carrousel qu'on appelait ainsi. (lVo(c des avieurs'}.
SEPTEMBRE ( i79!2 ). 15
M. Masuyer. Puisquii existe dans les mains de M. Chevalier
une décharge , je demande qu'il soit tenu de la remettre , afin de
voir quelles sont les personnes qui la lui ont donnée, et qu'elles
soient mandées à la barre.
M. Cambon. J'appuie la proposition de M. Masuyer, parce que
les représentans de la Commune ont violé le droit des gens, en
allant prendre chez un fonctionnaire public l'argenterie qui était
en dépôt. Je demande, en outre, que le pouvoir exécutif et les
commissaires de la trésorerie nationale présentent l'état de toute
l'argenterie portée à l'hôtel des Monnaies , soit par des particu-
liers, soit comme provenant des églises. Cette dernière, des
mains des prêtres qui l'ont assez bien gardée, aurait pu tomber
en des mains plus dures à la desserre. ( On applaudit.)
Ces propositions sont décrétées.
M. Goujon propose et l'assemblée adopte le projet de décret
suivant :
< L'assemblée nationale , après avoir entendu le rapport de
ses commissaires à la reconnaissance des scellés apposée au Car-
rousel, aux Tuileries et autres maisons ci-devant royales, consi-
dérant que le refus des commissaires de la Commune ou autres
par qui lesdits scellés ont pu être apposés, de procéder à leur
reconnaissance, ne saurait faire obstacle à une opération qu'il
importe à la chose publique d'accélérer, décrète qu'il y a ur-
gence.
« L'assemblée nationale décrète que, demain à trois heures du
soir, il sera procédé à la reconnaissance des scellés apposés au
Carrousel, aux Tuileries et autres ci-devant maisons royales,
soit par ceux qui les ont apposés, et à qui le présent décret sera
notifié, à la diligence du conseil exécutif provisoire ; soit , à leur
défaut, par le juge de section de la situation desdits établisse-
mens , le tout en présence des commissaires nommés par le dé-
cret de ce jour. »
MM. Fabre d'Églantine et Robert , en vertu d'une commission
du ministre de la justice , se présentent pour assister au tirage
44 ASSEMBLF.lî LÉGISLATIVE.
du juge de cassation qui doit remplacer M. Albarot, grand-juge
de la haute cour nationale.
Une dëputation des citoyennes de la section du Pont-Neuf ap*
porte une somme de 1 ,527 livres 10 sous , produit d'une collecte
qu'elles ont faite en faveur des veuves et orphelins du 10 août.
(On applaudit.)
Sur une dénonciation faite par M , le décret suivant est
rendu :
d L'assemblée nationale, instruite qu'au préjudice de la loi du
8 de ce mois , laquelle ordonne la libre circulation des personnes
et des choses , et sans passeport dans l'intérieur, et jusqu'à dix
lieues des frontières et des armées étrangères , les voyageurs et
les Yoituriers étaient inquiétés dans leurs voyages ; que notam-
ment la commune de Charenton avait arrêté des malles et des
voitures au préjudice de celte loi ; considérant que l'intérêt du
commerce et la tranquillité des citoyens exigent également la
pleine et entière exécution de celte loi, décrète qu'il y a ur-
gence.
» L'assemblée nationale , après avoir décrété l'urgence, décrète
que les officiers municipaux, commandans de gardes nationales,
qui, au préjudice de la loi du 8. du courant, arrêteraient ou re-
larderaient dans leurs vovages ou leurs transports les personnes
ou les choses, seront condamnés aux dommages et intérêts en-
vers les personnes qu'ils auraient troublées dans l'exercice de
voyager ou de faire transporter librement leurs meubles , effets
ou marchandises, ainsi qu'aux dommages et intérêts des voilu-
riers ou conducteurs, et qu'ils seront condamnés, en outre, par
les tribunaux de police correctionnelle , sur la dénonciation des
voyageurs, conducteurs ou voituriers qu'ils auraient troublés, à
une détention qui durera autant de jours qu'aura duré la déten-
tion ou l'arrestation des personnes ou des choses qu'ils auraient
détenues ou retardées , en contravention à la loi du 8 du cou-
rant.
> L'assemblée nationale décrète que l'archiviste convoquera les
députés à la Convention nationale pour demain 20 septembre , à
SEPTEMBRE ( 1792 ). 15
quatre heures après midi , dans la salle de l'éditice naiional des
Tuileries, qui leur est destinée. (Seconde pièce des grands ap-
parlemens, au haut du grand escalier.)
t Le maire de Paris donnera les ordres nécessaires pour faire
fournir une garde aux députés à la Convention nationale.
> Le présent décret sera affiché cette nuit. » ]
Du 20 SEPTEMBRE AU MATIN.
L'assemblée commença par s'occuper de l'affaire de M. Charles
Lameth arrêté à Barentin. Elle ordonna qu'il fût informé sur sa
conduite.
Le minisire de l'intérieur. Je viens pour prévenir les membres
de l'assemblée qui sont députés à la Convention nationale, que
la salle des Tuileries est prête pour les recevoir. J'ai cru d'autant
plus nécessaire de faire cette annonce, qu'une affiche a été faite,
au nom de quelques députés de Paris, pour inviter leurs collè-
gues à se réunir ce matin aux Jacobins pour s'y constituer. —
Comme il existe encore quelque rumeur à Versailles , je prie l'as-
semblée de m'autoriser à suspendre l'exécution du décret qui
ordonne l'enlèvement des m jnumens d'arts qui s'y trouvent.
L'assemblée déclare s'en remettre à la prudence du minisire,—
H sort au bruit des applaudissemens de l'assemblée et des spec-
tateurs.
Un membre lit une lettre du procureur-général-syndic du dé-
parlement de la Haute-Saône. Elle est ainsi conçue :
c CharupHlte, le 18 seplembre.
1 Deux prétendus commissaires de la Commune de Paris et du
pouvoir exécutif ont été arrêtés hier en notre ville : nous en-
voyons copie de notre délibéraiioa au pouvoir exécutif. Je vous
pi'ie de faire la plus grande attention à celte affaire , et de vouloir
bien m'instruire de l'effet qu'aura produit cette arrestation. Je
vous prie aussi de faire en sorte que to js ces commissaires désor-
ganisateurs soient promptement rappelés.
» Le comité de sûreté pubhque est chargé de faire un rapport
sur l'objet de cette lettre.
J(i ASSEMBLÉK LÉGISLATIVE.
Lettre du maire de Paris ^ 20 septembre.
€ Monsieur le président , Paris est tranquille, malgré les efforts
des agitateurs. Le peuple commence à n'être plus dupe des pla-
cards où l'on prêche chaque jour la discorde et l'anarchie , en
lui parlant de sa liberté et de sa souveraineté. Il sent qu'on le
pousse à sa perte, et que ces agitateurs sont payés par ses en-
nemis. La surveillance des bons citoyens redouble , et les conspi-
rateurs, ne pouvant plus se flatter de l'impunité, vont êlre obligés
de fuir. Chaque section se fait un honneur et un devoir de pro-
téger ce qui se trouve dans son enceinte. Si ce zèle continue , les
intrigues seront déjouées, et le règne des lois affermira le règne
de la liberté. » (On applaudit. )
L'assemblée ordonne l'impression de cette lettre , et sa publi-
cation par affiche dans Paris.
On lit une lettre du ministre de la guerre. Elle est ainsi
conçue :
« Monsieur le président , j'ai l'honneur de vous adresser l'ex-
trait d'une dépêche que j'ai reçue de M. Dumourier. Ce général,
après avoir rendu compte des dilïérens événemens qui ont eu lieu
dans son armée ; après m'avoir assuré que le petit échec qu'elle
a éprouvé, n'a pris sa source que dans la négligence très-natu-
relle à une armée dont tous les liens de la disciphne militaire
avaient été désorganisés et rompus , me dit : D'après ce que j'ai
fait jusqu'à présent avec une poignée de monde contre une ar-
mée formidable, vous jugez qu'il n'y a plus rien à craindre, à
présent que je suis égal en forces. En effet, M. Dumourier doit
avoir à présent près de soixante-dix mille hommes réunis, dont
plus de douze mille de cavalerie. En me rendant compte de la
journée du i4, M. Dumourier m'annonce que quand les fuyards
auront rejoint, la perte se montera à peu près à cinquante hom-
mes. L'armée, ajoute-t-il, m'a demandé elle-même la punition des
lAches et de traîtres. J'ai déjà fait raser et chasser plusieurs
fuyards et maraudeurs. Je les renvoie sans uniforme: ils ne sont
point dignes de le porter. On ne peut se dissimuler, d'après ce
SEPTEMBRE { 1792 ). 17
qui s'est passé, qu'il n'y eût dans celte armée des hommes ven-
du ; à nos ennemis ; et ce furent eux qui, en criant : Sauve qidpeut^
nous sommes iraliîs I jetèrent le désordre dans rarmée.
De tous ces faits, monsieur !e président , il me paraît que nous
pouvons coriclure que notre position actuelle est d'autant plus
heureuse que dans toutes les circonstances particulières où nos
troupes ont véritablement combattu, elles ont montré une réso-
lution digne d'éloges. Signé Servan, minislre de la guerre,
M. Merlin. J'ajoute aux détails saiisfaisans donnés par le mi-
nistre, un fait non moins important; c'est que le renfort qu'il
destinait pour Thionvilley est entré, et que les ennemis n'en ont
été instruits que sept heures après.
L'assemblée termine son décret sur le divorce. ]
Djns la séance du soir, on ordonna l'envoi aux quatre-vingt-
trois déparlemens d'une adresse de Dumourier aux volontaires
de Chàlons, dans laquelle ce général leur déclarait qu'il ne les
recevrait dans son armée qu'autant qu'ils seraient disposés à se
soumettre aux règles de la discipline militaire. On vola ensuite
des témoignages de satisfaction à la garnison de Thionville et à
Wimpffen son général, pour avoir résisté à l'attaque des Autri-
chiens. — Enfin les commissaires municipaux de Paris, inculpés
pour enlèvement d'argenterie du dépôt national de Glievalier,
parurent à la barre, et sollicitèrent des commissaires pour véri-
fier qu'ils étaient irréprochables. Leur demande fui rejeiée, et il
fut ordonné qu'ils se dessaisiraient à l'instant des sommes qu'ils
avaient enlevées. Le pouvoir exécutif fut chargé de terminer celte
affaire.
Séance du 21 septembre a dix hecres nu matin.
Ce fut la dernière du corps législatif; et c'est ici qu'il faut re-
marquer que la séance fut toujouis considérée comme perma-
nente depuis le 10 août. La permanence prononcée dans la nuit
du 9 au 10 ne fut point levée. Les journaux du temps, le Moni-
teur , portent constamment en tète de leurs comptes-rendus :
Suite de la séance permanente du 10 août. C'(\^t donc à tort que
1. x\iu. -1
48 ASSEMBLÉE LÉGISLATITE.
prei(|ue tous les historiens ont écrit que la permanence avait
cessé dans le mois d'août.
Voici comment la Législative prépara l'installation de la Con-
vention.
[M. François de Neufchâteau. Nous allons être instruits que la
Convention nationale est constituée. Je demande qu'après avoir
clos nos procès-verbaux, nous nous rendions à la salle des Tuile-
ries, où elle siège, et que nous lui servions aujourd'hui de garde.
L'assemblée adopte unanimement la proposition de M. Fran-
çois.
M. le président. Douze commissaires demandent à être intro-
duits pour vous prévenir que la Convention nationale est consti-
tuée. (On applaudit.)
Les douze commissaires entrent.
La salle retentit d'applaudissemens.
M. Grégoire de Blois. Citoyens, la Convention nationale est
constituée. Nous venons, de sa part , vous annoncer qu'elle va se
rendre ici pour commencer ses séances. (Les applaudissemens
redoublent. )
M. le président. L'enthousiasme qu'inspire votre présence vous
est garant de l'impatience avec laquelle l'assemblée législative
vous attendait; elle va se rendre auprès de la Convention pour
l'assurer de son profond respect, et de sa soumission à ses
décrets.
M. le président. L'as.semblée législative déclare que ses séances
sont terminées.
L'asseuiblée tout entière se relire et se rend auprès de la
Convention nationale.
Il est midi.
La première séance de la Convention fut ouverte à midi et
un quart, dans une des salles du palais des Tuileries. Trois cent
soixante et onze députés étaient présens, et Péiion présidait.
Mais avant d'entrer dans les annales de celte assemblée cé-
lèbre, il nous reste à faire conaaitre les événemens qui signalé-
SEPTESBRE ( 1792 ). i%
rent les derniers moniens du pouvoir de la Législative. Les séan-
ces qu'on vient de lire ont pu donner une idée des embarras
dont elle était accablée , et de l'effrayante anarcliie qu'elle avait
a combattre. Il nous faut maintenant faire l'histoire de cette pé-
riode de désordres ; et c'est ce que nous allons essayer , malgré
la pénurie des renseignemens.
MSTOIRE DE PARIS DU 7 AU 21 SEPTEMBRE.
L'impulsion donnée le 2 septembre dura pendant toute cette
période; elle tendait à deux fius, l'une de créer une résislan,ce
invincible à l'invasion étrangère , l'autre de détruire à jamais la
source des méfiances intérieures, et de la détruire en anéantis-
sant toute opposition dans l'intérieur. Ces deux directions lurent
suivies : la première forma une armée , la seconde conduisit à
l'anarchie.
Du 5 au 15 septembre, le nombre des volontaires, des gen-
darmes, des canonniers, etc., partis de Paris, armés et organi-
sés pour la frontière, fut de dix-huit mille six cent trente-cinq
{Patriote Français, n. MCXXXV). Le ministre de la guerre Ser-
van assure en effet, dans l'ouvrage que nous avons cité, que,
dans ce mois, la moyenne des départs fut de dix -huit cents
hommes par jour ; mais il faut dire par quels moyens on put réa-
liser un enrôlement aussi considérable. Chaque section s'occu-
pait de former ses compagnies ; on s'enquérait des hommes qui
habitaient le quartier, de leur position, de leurs qualités phy-
siques, de leur liberié , et lorsqu'on trouvait quekju'un sans
liens, sans intérêt autre que le sien pour rester dans la capilale ,
on le sollicitait, on le pressait de s'engager ; l'un lui donnait son
habit , un autre ses armes; beaucoup d'ailleurs s'offraient volon-
tairement. Ce fut ainsi qu'en un mois on forma une armée.
Le 5, l'affiche suivante avait été appos-^e sur les murs de
Paris :
âO ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
La Commune de Paris aux bonnes citoyennes.
€ Citoyennes, le conseil général de la Commune ne croit pas
devoir laisser voire patriotisme dans l'oisiveté; vos mains ne dé-
daigneront pas de concourir avec les citoyens au salut de leur
patrie; des tentes sont nécessaires pour le Cmip sur Paris; ces
tentes ne sont pas encore faites; le temps presse ; vous refuseriez-
vous à hâter la sûreté de la capitale ? C'est aux citoyens qu'il est
réservé de vous défendre, c'est a vous que nous réservons le
glorieux avantage d'y participer ; hàiez-vous de vous rendre
dans nos églises; allez y travailler aux effets de campement ; c'est
par-là que vous adorerez votre patrie ; c'est par-là que vous vous
honorerez ; c'est par-là enfin que vous contribuerez avec nous
au salut public. »
Aucune femme ne voulut sans doute être rangéeparmi les mau-
vaises citoyennes; aussi bientôt les églises furent remplies de
travailleuses.
Mais les travaux du camp sous Montmartre n'étaient pas pour-
suivis avec une égale ardeur. Les ouvriers manquaient malgré
le prix énorme pour le temps i2 livres) mis à la journée. La
Commune mit en réquisition les ouvriers en bàlimens, en pro-
mettant de leur payer le prix en usage pour leur journée, mais
cette mesui-e n'eut sans doute encoie aucun succès , car les
plaintes se renouvelèrent. On proposa enlin d'imposer à tour de
rôle une corvée aux sections ; mais les événemens des frontières
tirent bientôt renoncer a la formation du camp , en le rendant
inutile.
Tout ce mouvement, respectable dans son origine et dans son
but, fut cependant l'occasion de beaucoup d'actes fâcheux et irri-
laus. On saisissait les chevaux, les fers, les plombs, partout où
on les réputaii superflus; on alla jusqu'à dépouiller les cadavres
de leurs cercueils en plomb ; mais on fui obligé de renoncer
presque tout de suite à celte derniei e recherche , autant par mo-
tif de salubrité que parce qu'elle offensait le sentiment public.
D'un autre côié, dans une ville comme Paris, espèce de noonde
SEPTEMBRE ( 1792 ). 2i
OÙ tout ce qu'il y a de mauvais vient se cacher dans la foule, ces
mouvemens offrirent aux hommes qui font leur profession de
mal faire des occasions dont ils ne manquèrent pas de profiter;
ils souillèrent, par leur présence et par des actes de leur métier,
des démarches sévères et cruelles , mais que la probité des exé-
cuteurs eût pu faire excuser. Ainsi on imputa aux agens de la
Commune de nombreux détournemens d'effets saisis ; et bien
que ces accusations n'aient pas, en général, été prouvées, elles
furent trop vives, et répétées par trop de bouches, pour qu'il
soit raisonnable de n'y voir aucune apparence de vérité. Ces
choses, dans leur détail, sont de celles dont on ne parle plus
lorsque le moment est passé. Aussi nous n'avons pu recueillir sur
ce sujet que les faits qui se rapportent aux hommes qui alors
jouaientun rôle élevé, et que plus tard leur position politique fit
poursuivre. Dans le moment où nous sommes, les journaux, placés
sous la terreur des journées de septembre, n'osaient pas attaquer
unindividudès qu'il semblait tenir à la Commune. Ainsi une foule
de fiipons, déguisés en agens du pouvoir municipal, purent
agir impunément ; ils échappèrent alors, et leur obscurité le.^ sauva
dans l'avenir. Il n'en fut pas de même de certains personnages. Et
afin que l'on ne croie pas que nous nous laissons séduire pai' de
vagues accusations , afin de donner quelque authenticité à une
pièce qui figurera dans les documens complémentaires ; nous in-
sérons ici, par anticipation, un arrêté de la Commune de Paris
du 10 mai 1795.
« Le conseil-général délibérant sur les comptes ; la partie de la
responsabilité matérielle du comité de surveillance relativement
aux dépôts qui y ont été portés mûrement examinée;
» Le procureur de lu Commune entendu; considérant d'après
le rapport des commissaires, et les déclarations suljséquentes
qui sont survenues au conseil, consignées au registre et partie
imprimées, qu'il y a bris de scellés, violations, dilapidations de
dépôts, fausses déclarations et autres infidélités,
> Arrête qu'il dénoncera à la manière accoutumée l'adminis-
tration du comité de surveillance ;
^ ASSEMBLÉE LÉGISLATIF K.
» Et persistant dans son précédent arrêté , qui déclare qu'il ne
reconnaît pour administrateurs que Les citoyens Panis, Sergent,
Lenfant, Cailiy, Dufort et Leclerc, déclare qu'il charge le pro-
cureur de la Commune de dénoncer lesdits citoyens Paijis, Ser-
gent, Lenfant, Cailiy, Dui'ort et Leclerc, au juré d'accusation
pour poursuivre la peine de ces délits, à l'effet de quoi toutes
les pièces instructives lui seront remises.
> Arrête en outre que le présent arrêté sera imprimé, affîché
dass le délai de quatre jours, envoyé à la Convention nationale,
ajoutes les autorités con&titiiées et aux quarante-huit sections. »
On accusait ces individus d'avoir déiruii à dessein les procès-
verbaux dans lesquels étaient invea'ories les objets saisis à domi-
cile lors des arrestaàons ou sur les détenus, alia de pouvoir en
faire profit. Au reste, aoas aurons plus tard à revenir sur cette
affaire.
Cependant le comité de surveillance ne cessa point d'exister
après les journées de septembre ; la sanglante exécution à laquelle
il avait présidé , avait encore accru son pouvoir. Son influence
était déjà celle de la terreur; chaque jour on apprenait qu'il était
capable de tout o:3er. Ainsi , Ton sut que le 2 il avait été question
de lancer un mandat contre Roland lui-même, et l'on en concluait
que nulle qualité , nulle position n é:ait capable de lui en imposer.
Cela nous explique la préoccupation de terreur que nous avons
vue présider à tous les débats de l'assemblée législative. Le co-
mité de surveillance eut en effet à peine vide les prisons, qu'ïl
s'occupa de les remplir. Sur la proposition de Manuel , le conseil-
général avait décidé que le Chàtelet serait démoli; mais il restait
assez d'autres prisoBs; et dix jours peut-être après que le sang
avait cessé de couler, elles contenaient, dit-on, jusqu'à cinq
cents nouveaux prisonniers. Quand donc devait finir cette dicta-
ture de police et la souveraineté des mesures exceptionnelles ?
Ce qui accroissait l'incertitude» en mettant chacun en doute
sur son son , c'étaient les publications de Marat. Cet écrivain
faisait partie du coisiite, et il éiaii difficile de croire que ce qui
édîappait à sa plume ne fut pas la pensée secrète de ses collé-
SEPTEMBRE (1792). 25
gues. Ses affiches couvraient les murs de Paris; et elles n'étaient
autre chose que de lon^jues colonnes d'observations faites , avec
sa rudesse accoutumée, sur tous les hommes qui jouaient un rôle
ou se préparaient à en jouer un : journalistes, députés, géné-
raux , ministres, il n'épargnait personne. Malheureusement il ne
nous reste aucune trace de ces affiches; la seule collection qui
existât et qui ait été complète, connue sous le nom de Collection
de Dufonrnij, a été emportée en Angleterre ; nous ne pouvons
donc les connaître que par ce que nous en disent ses adversaires,
et par quelques numéros de son journal.
Disons d'abord comment Marat s'était refait un matériel d'im-
primerie. Dans la position oii il était à la Commune , il obtint
facilement la concession de quelques presses et de caractères
provenant de l'imprimerie ci-devant royale. Avec cela il se mit à
écrire. Sa verve s'exerça d'abord à l'occasion des élections ; il
déclara guerre à mort au parti qu'il appelait des Bi 'matins , et il
faisait placarder ses diatribes. Chacune de ses affiches était le
point d'un rassemblement permanent, et l'occasion de discours
et de discussions qui contribuaient à l'entretenir. Tout Paris, à
celle époque , fut mis en émoi par les publications de Marat.
Voici la première réponse qui lui fut faite ; elle constate la
date où commencèrent les dénonciations périodiques dont il
s'agit.
Appe[ à l'opinion publique.
« Nous avions cru long-temps que Marat était mort physique-
ment et dans l'opinion, ou qu'il était relégué dans quelque coin
de terre ignoré. Au moins est-il vrai que depuis un an et plus
on ne savait point à Paris le lieu de sa retraite. Camille Desmou-
lins (j) n'avait point trouvé d'autre moyen de peindre son exis-
tence qu'en lui faisant sortir un bras de terre. Eh bien ! Marat
existe ; en voici une double preuve :
(4) Nous aTons oublié de dire que Camille Desmoulins, qui fut toujours rei-
peclé par !\I;int, ainsi que Danton, étnil alors secrétaire du sceau au miuislère
fie la jui'.ice. On l:ii attribue l'iV.vnir sauvi- [)luyicor.s perîoiinps, entre autres un
prêtre aux journées de septembre. ( A'ofe det uuieurit. )
24 ASîifcMBLÉË LÉGISLAÏiVe;.
» La première nous concerne. La Sentînelle (1), ouvrage dont
le nom seul fail l'éloge, nous avait désigné pour la Convenliun
nationale; elle ava;-t ciié comme un droit qu'on ne pouvait mé-
connaître sans une sorte d'ingratitude le patriotisme pur et inal-
térable que nous avons manifesté depuis la révolution, notre per-
sévérance, notre courage à poursuivre le despotisme, de quelque
masque qu'il soit couvert. Eh bien ! Marat a fait placarder hier
une affiche où presque tous les citoyens désignés par la Senti-
nelle sont voués à la proscription. Voici l'article qui nous con-
cerne :
« Gorsas , flagorneur, soudoijé de Necker, ensuite de Bailly ,
» ensuite de La Fayette. Il se dit démocrate depuis le 10 août. »
c Marat au ministre de l'intérieur.
» Je me flatte , monsieur, que vous n'arrêterez pas plus long-
> temps mes travaux politiques. Je serais fâché d'avoir à me
» plaindre au peuple des défaites opposées à l'impression des ou-
» vrages qu'il atiend de moi sur la convocation nationale et les
» machinations des ennemis de la patrie. Je n'ignore pas que vous
» êtes accusé d'avoir monté sept presses aux frères Reignel, im-
» primeurs aristocrates , favorisant les projets de la cour. M. Dan-
» ton se chargera des 15,000 liv. dont j'ai besoin pour metire les
» presses tialionales en acliviié. — Recevez mes salutations civi-
» ques. »
€ M. Roland a cru devoir répondre à cette lettre ; il a cru même
devoir se disculper. Sur la demande des 13,000 liv. d'avances, il
observe que le vœu de l'assemblée nationale , en lui déposant
cent mille livres , était que l'emploi en fûi fait pour répandre des
ouvrages utiles et propres à former l'opinion que la malveillance
cherchait à égarer ; en conséquence , il a demandé communication
des manuscrits de M. Marat ; ces manuscrits étant très-minutes
et très-longs, la détermination du conseil, auquel il en a référé,
a été qu'il inviterait la section qui lui avait remis une délibération
à ce sujet, à faire elle-même le rapport sur ces ouvrages ; mais
M) ÏM Sentinelle éta\t réâ\(r>i(i par Louvet. (JVofe des auteurs.)
sEPJE:WBKE( 179:2 ). 25
il se trouve dispensé de prendre celte mesure, et fait passer à
M. Danton les manuscriis, puisque ce ministre, aux termes de
la lettre de Marat, doit lui délivrer les lo.OOO livres. — Sur le
deuxième chef relatif aux presses, M. Roland attoste qu'il n'en a
aucune connaissance. > ( Le Courrier des départemens du 6 sep-
tembre n.81. )
Ce même Roland était dénoncé dans les affiches de Marat , et
comme tout le monde savait l'anecdote de la demande des 15,000 1.,
tout le monde attribuait la colère de l'Ami du peuple au désap-
pointement qu'il avait éprouvé. Mais l'effet de ces placards était
tel sur la population, et la position de l'auteur si redoutable, que
le ministre fut obligé de se défendre.
Le ministre de l'intérieur aux Parisiens. — 13 septembre^
t Je suis accusé devant vous , je viens me défendre. Je sais que
l'homme en place est exposé à beaucoup de soupçons et de pro-
pos auxquels il ne doit répondre que par la continuité de ses
bonnes actions ; bien faire et laisser dire, est la maxime des gens
de bien, dans les temps ordinaires, et celle que j'ai souvent mise
en pratique ; mais il est des circonstances où il ne suffit pas de
repousser la calomnie par sa conduite , et où l'on doit encore en
faire sentir la profondeur et les conséquences. C'est lorsque cette
calomnie parait tenir à un système de diffamation imaginé pour
opérer des bouleversemeris politiques ; car alors il ne s'agit pas
seulement de la répulation ou de l'existence d'un individu, il est
question de la tranquillité publique et de ce qui tend à la com-
promettre.
» Avilir l'assemblée nationale, porter contre elle à la révolte,
exciter les craintes sur le ministère actuel, le représenter comme
traître à la patrie, répandre la défiance sur toutes les autorités
du moment et les généraux d'armées, appeler un renversement,
prétendre qu'il est nécessaire, et désigner hautement le dictateur
qu'il faut donner à la France : voilà très-évidemment le but d'af-
fiches qui paraissent sous le titre de Marat, l'Ami du peuple, aux
bons Français. Si quelqu'un en doute, qu'il lise celle publiée le
26 ASSEMBLÉE LÉGlSLATl\fi.
8 septembre, où l'on donne une prétendue lettre par laquelle on
veut faire croire aux correspondances des députés avec nos en-
nemis, où l'on traite de chiffons les décreis du corps lé{}is!aiif,
où l'on présente tous les ministres, excepté le patriote Danton ,
comme des malveillans et des machinateurs occupés à paralyser
les mesures prises pour sauver la chose publique, où l'on veut
ôter toute confiance à Ivellerman, Dumourieret Luckner, où ma
lettre à l'assemblée nationale est traitée de chef-d'œuvre d'astuce
et de perfidie , où je suis accusé de machiner avec la faction de
Brissot , où l'on dit enfin qu'il faut un président du conseil à voix
prépondérante en désignant quel il doit être.
» Que toutes ces propositions soient placardées au coin des
rues sous le voile de l'anonyme, elles n'exciteraient que le mé-
pris ; qu'elles y paraissent sous le nom d'un homme qui s'offre
au peuple comme son ami, qui a pris de la consistance dans cette
révolution, que le corps électoral compte parmi ses membres, et
que déjà plusieurs voix portent à la Convention (j'apprends
qu'il vient d'être nommé ), on s'étonne et l'on refléchit.
» Est-ce l'erreur d'un homme ardent et soupçonneux qui prend
ses craintes pour des vérités , et qui sème de bonne foi la défiance
dont il est pénétré? IV'existe-t-ii point d'ambitieux adroit, d'en-
nemi caché qui nourrit , pour son profit, l'inquiétude d'un esprit
atrabilaire, et le dirige à son gré? Avons -nous dans notre sein
des émissaires de Brunswick qui cherchent à nous alfaiblir par
des divisions intestines, ou des scéléiats qui veulent tout renver-
ser poMr s'élever sur des ruines ? Je ne puis résoudre ces ques-
tions ; mais je vois qu'il y a heu de les faire ; et que si ces émis-
saires ou ces scélérats existaient parmi nous , ils s'efforceraient
de produire la défiance et l'agitation que nous voyons exciter et
perpétuer.
* Quant à moi qui veux le bien de tous, sans acception de per-
çopne, j'étudie les faits avant d'accuser qui que ce soit au monde ;
j'appelle l'atleniion publique sur ces faits, et je vais retracer ma
profession de foi. Heureux , si c'est un testament de mort , de le
rendre de quelque utilité à mon pays.
SEPTEMBRE [ 179^2 ). t27
» INé avec quelque force <lans le caractère , j'ai dû aux bons
exemples, dont une saine éducation environna ma jeunesse, de
la diriger tout entière sur les principes les plus austères de la
morale. L'intérêt {général et le sacrifice continuel des passions,
des goûts, de tout ce qui est individuel, à cet intérêt sacré, voilà
ce qui m'a été présenté, ce que j'ai toujours eu devant les yeux
comme la base de la société et la règle invariable de quiconque
veut exister au milieu d'elle.
» Je méprise la fortune, parce que j'ai appris à être heureux
sans elle, et que je bais les moyens par lesquels on a coutume de
la fixer ; je suis sensible à la gloire, rnais je ne l'ai jamais mise en
balance avec la vertu ; j'ai besoin du témoignage de ma conscience,
je puis me passer de tout avec lui , et rien ne saurait m'en tenir
lieu. J'aime la liberté, l'égalité, avec l'enthousiasme d'un être
sensible qui les regarde comme la source du bonheur sur la
terre , avec la constance et la ténacité d'un homme refléchi qui
en a calculé les avantages. J'en ai professé les principes dèi mon
plus jeune âge; je l'ai fait avec fermeté , avec énergie, sous le
règne du despotisme ; je leur ai sacrifié mon avancement. Qu'on
prenne nia vie et qu'on lise mes ouvrages, je défie la plus cruelle
malveillance de trouver dans la première une seule action, de dé-
couvrir dans les autr£s un seul sentiment dont il ne soit permis
de s'honorer et de s'applaudir.
» J'ai passé quarante années dans une partie d'administration
où je n'ai jamais fait que du bien, parce que je n'ai voulu y trou-
ver que des moyens de soutenir le l^ible, de protéger l'artiste
indigent, de recueillir et de répandre les connaissances utiles.
Jaivu la révolution avec transport; elle répondait aux \œax
que je formais depuis long-temps pour la classe malheureuse;
elle détruisait des abus contre lesquels j'avais si souvent réclamé.
Je l'ai soutenue, pour ma part , de mon courage et de mes tra-
vaux ; ele m'a conduit au ministère. La France peut témoigner
de l'intégrité de tnon administration, de la vigueur de mes prin-
cipes, de l'uniforniité de mu conduite.
» Je iiMMuc p!>»iM !t' pouvo-r, el i( ue l'.n j'.i> i-.iiercbr.
9
-^ A:>StMBLÉE LLGJSLAllVt.
Soixante ans d'une vie laborieuse, et, j'ose le dire, l'habitude
des vertus qui embellissent la retraite, me la rendent préférable
à une existence agiiée.
» Ja; accepté deux fois un fardeau que je me sentais capable
de porter, a dont les circonstances me faisaient un devoir de me
charg^fr ; j';,(tendais la Couvenlion pour le déposer, parce que je
croyais qu'alors j'aurais rempli ma tâche, et qu'il me serait per-
mis de la terminer à celte époque où la vigueur d'un nouveau
<orps leprésentaiif promettra à la France d'heureuses destinées.
Je sais que dans le court intervalle qui reste à s'écouler, beau-
coup d'orages peuvent s'élever encore ; car c'est précisément cet
mtervalle que veulent saisir pour tout bouleverser, ou les agens
de nos ennemis, ou les ambitieux qui auraient intérêt de nous trou-
bler. C'est un moment peiilleux, et c'est parce qu'il est tel, que
peut-être je ne dois pas encore me retirer, à moins que le silence
des lois, comme je l'ai déjà exprimé, ne rende honteux de rester..
On répand des défiances sur mon administration, qu'on vienne
l'examiner ; mes bureaux sont ouverts au public ; je n'ai pas une
seule opération, comme une seule pensée, qui ne puisse être
manifestée. Croit -on (ju'un vil intérêt ait sur moi quelque em-
pire? qu'on suive scrupuleusement l'emploi de mon revenu, et
qu'on demanda aux pauvres le compte d'une partie ?
> L'assemblée a decété un million de dépenses secrètes à la
disposition du conseil ; j'ai déclaré, dans le conseil même, qu'il
me paraissait qu'aucun de nous n'en devait user qu'à la connais-
sance de tous les autres, car c'est au conseil qu'il est donné ; c'est
pour ce qui peut intéresser et servir la chose publique, et dont
nul ministre n'a de secret à faire à ses collègues ; aussi dois -je
ajouter que je ne disposerai pas d'un denier dont je ne puisse
montrer et justifier l'emploi.
» On m'accuse de machiner avec la faction Brissot. Je ne con-
nais pas plus les machinations que l'intrigue, et je ne crois pas à
cette prétendue faction. Je connais et j'estime 31. Brissot, parce
qu avant la révolution, il eu prêchait les principes dans ses ou-
vrages , comme je fnisnis dans les m-'ens ; je le vois avec plaisir,
parce que je lui recoccais aataol de pureté dame que d'esprit et
de laiens. Je n'ai pas toujours partagé toutes ses opinions , par ce
que chacun a sa manière de Toir ; je lui ai souvent reproché la
confiance ou la légèreté qui donne de Tavaniage à ses ennemis,
parœ qu'elle lui fait négliger sa propre défense . et s' ^
développement de caractère et de f-jrce v:L.v-:r;t / ■ ;^ j l;._^
une assemblée. Je respecte k l ,^ : ^ , lu'il es; com-
pesé des représeotans de la naiioo , qooiqae j'aie souvent gémi
de son défaut de vigueur qui a nécessité an supplément de révo-
lution.
»,J'ai admire le 10 ao'jt . j'^i frémi sur lesbui • . _ î- -^ *.crn-
bre ; j'ai bien juge :nce longue et trompée do peuple
et ce que la justice avaieni du produire; je n'aipoint inconsidé-
rément 1 ' ' '" ' ' ' '-.T mouvement ; j'ai cru qu'il
fa lait e\. ^k ani travaillaient à le pré-
parer étaient tror., in ou par des hommes
cruels et mai : es.
» Jai donc parie , (.. Je le devais pour ie Lien de ceux
même à qui je risque ■■^-. . [..-.;e ; car on s'expose à être blessé
en voulant retenir ceux qui sont encore dans un îransporl dont
ils seraient victimes si l'on ne parvenait à le calmer. Je n'ai su,
que plusieuTi jours après, que moi-même j'avais été désigné
comme un perfide , que le jour même du 2 septembre, le comité
secret de la ville avait lancé centre moi un mandat d arrêt. Était-
ce pour me traduire a l'Abbaye et m'y taire élargir avec des scé-
lérats! MM. Peiion, Sduierre et Danton, ont vu ce mandat au-
quel on ne donna pas de suite ; ii-ji>. - - -1 six
heures environ , deux cenb cii-^ tr. ^ v. - _^f.
ment à l'hôtel de l'intérieur eu ilï verj'r. j i
des armes, quoique la distribution d-
à mon département, et qu'il n'y en ait pouii a nia di^pu^iiioa.
Il Cot vrai qu'ils avaient ete chez le ministre de la guerre , absent
pour l'instant, ainsi que moi, puis^]ue nous étions sortis en-
semble pour nous rendre a la Commune, ou je le laissai, el d'oii
j'allai chez le ministre de lu juarine uu le coaseilde\ait se tenir.
30 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
Un homme échauffé criait à la trahison , et semblait vouloir ex-
citer les autres ; on leur répéta à tous la simple vérité , le grand
nombre l'entendit; tousse retirèrent, mais en emmenant avec
eux, comme otage et garant de ce qu'on leur avait assuré, un
sujet employé au service du secrétariat , et qu'ils ne laissèrent
aller qu'après avoir vérifié que nous avions paru à l'Hôtel com-
mun. ' i|
» Jamais je n'aurais relevé ces circonstances , si la continuité
des calomnies contre la majorité du conseil en général , et moi-
même en particuher, ne semblait annoncer le projet de faire en-
core un renversement. Il faut pourtant que le peuple soit mis à
même d'apprécier ce qu'il doit penser des soupçons qu'on veut
lui inspirer. Si ces calomnies et ces soupçons ne sont que le fruit
de l'inquiétude et de la crainte, ma franchise doit les tempérer.
J'invite ceux même qui les répandent, au plus sévère examen
de ma conduite publique et privée. Si elles tiennent à quelques
desseins pervers , de qui que ce puisse être , je ne sais y opposer
que la même franchise et la même publicité, parce que ce sont
les moyens de la vertu , et ceux dont l'emploi est le plus utile au
bien de tous ; car en supposant qu'ils m'exposent à périr, ma peite
même serait utile à la France, puisqu'elle ne pourrait résulter que
d'un complot dont elle lui dévoilerait l'existence et la mettrait à
même de prévenir les suites.
» Que des lâches ou des traîtres provoquent les assassins ! je
les attends ; je suis à ma place, j'y fais mon devoir, et je saurai
mourir. Si des frères égarés reconnaissent qu'ils sont trompés,
qu'ils viennent, mes bras leur sont ouverts ; je les appelle, je ne
crains l'œil de personne , et je ne hais que les ennemis de ma pa-
trie , ce sont ceux de l'humanité. Signé Roland. »
— Tous ces placards, qui tiraient la population en sens divers,
et en appelaient à tout instant au jugement du peuple, n'étaient
point de nature à ramener dans les esprits le calme que la si-
tuation matérielle des choses ne cessait de troubler. Dans l'assem-
blée électorale on discutait les litres des candidats avec une viva-
cité que l'on n'avait pas encore vue; les Jacobins et les Girondins
SEPTEMBRE ( 179^ ). SI
étaient déjà aux prises ; tout le monde y prenait parf . Robespierre
y était assidu et y parla beaucoup. On lui reprochait de ne plus
aller à la Commune, où il avait cessé de paraître depuis le 2.
Danton, lui-même, venait de son ministère pour appuyer les
premiers. Dans la Commune on se disputait aussi. Les sections
n'étaient pas d'accord entre elles. Pendant qu'au comité de sur-
veillance on mettait en suspicion le patriotisme de certains jour-
nalistes , la section des Quinze-Vingt déclarait qu'ils avaient bien
mérité de la patrie , et unissait dans la même approbation , Prud-
homme et Carra, Desmoulins et Gorsas. On accusait Roland;
aussitôt une section lui envoyait une députation pour lui témoi-
gner son admiration , et l'encourager à résister à ses ennemis.
Dans d'autres sections , on s'élevait contre la dictature de l'Hôlel-
de-Ville ; dans d'autres on l'approuvait.
Le corps électoral avait pris diverses décisions dont quelques-
unes durent lui servir de critérium dans la discussion sur le mé-
rite relatif des candidats. Il avait décidé d'abord de consentir à
ce que ses actes fussent jugés par t le scrutin épuratoire de la
Convention nationale, pour rejeter de son sein les membres sus-
pects qui auraient pu échapper dans la nomination à la sagesse
des assemblées primaires. » Il avait déclaré < la révocabilité
des députés à la Convention nationale , qui ont attaqué ou atta-
queraient par quelques motions les droits du souverain. » Il vou-
lait € la sanction ou la révision populaire de tous les décrets con-
stitutionnels de la Convention nationale ; — l'abolition absolue
de la royauté et peine de mort contre ceux qui proposeraient de
la rétablir ; — la forme d'un gouvernement républicain. » {Jour-
nal des débals des Jacobins, n. CCLXIV. )
On lisait, le 14 septembre, dans le Palrîote Français : Le co-
mité de surveillance de concert avec la section du Luxembourg ,
vient de découvrir un complot dont l'objet était de trahir la pa-
trie, en entretenant des correspondances avec les ennemis de
l'ext'rieur. On a trouvé chez un parlic.ilier un sac dc27,19i2 liv.
en or, et plusieurs papiers qui indiquaient assez que cet argent
n'était pas employé pour la cause de laliberlé. Oa a saisi un bi llet où
5î^ ASSE.',l(iLÎ^!': LÉGISLATIVE.
étaient ces mots : Je natimenle plus que les deux chefs. J'ai aussi
deux hommes du comilé de S... et deux au'patais pom- me rendre
compte de ce qui s y passe. Encoreune cinquantaine pour contenter
Lan... cest pour le dénoûment de lapièce qui louche à sa fin. Le
particulier a été arrêté et conduit dans les prisons de l'Abbaye. »
(Patriote Français, n. MCXXXI. ) Cet article qui était de nature
à faire soupçonner le comilé de surveillance fut inséré le même
jour dans les Annales patriotiques; ainsi le peuple était appelé à
douter du seul pouvoir qui existât encore.
Tout ce trouble mor il concluait nécessairement à un désordre
matériel. Nous en avons recueilli une seule preuve que nous em-
pruntons au Moniteur :
c J)u 14. Ce matin, plusieurs individus se sont répandus dans
la ville, arrachant avec violence des pendans d'oreilles, des mon-
tres, boucles et autres bijoux aux personnes qu'ils rencontraient,
sous le prétexte des besoins de la patrie. C'est particulièrement
dans le quartier de la Halle que ce brigandage a commencé.
M. S:mlerre, instruit à temps, s'y est aussitôt transporté et a donné
des ordres en conséquence ; le rappel a été battu , de nombreuses
et fréquentes patrouiles ont circulé pendant toute la journée dans
la villo ; et ce nouveau moyen dagitation n'a point eu de suite.
On assure que le peuple sest jeté sur plusieurs de ces brigands ,
et que trois ont eu la tête coupée. Une femme, sur le Pont-neuf,
en a tué un avec son couteau.
» Une circonstance assez singulière c'est que quelques-uns des
brigands s'étaient munis d'un ruban tricolore, pour faire croire
qu'ils étaient officiers municipaux : d'autres les accompagnaient
avec des balances, pesaient les bijoux, et donnaient des reçus du
poids de ces effets , le tout au nom de la patrie. Le peuple a
prouvé, par la prompte justice qu'il a faite de cinq de ces vo-
leurs, qu'il n'en veut qu'aux traîtres et aux fripons, et qu'il
sera difficile de diriger ses mouvemens sur les propriétés. Les
citoyens des campagnes doivent se tenir en gaide contre la spé-
culation adroite de ces filous.
» Le même jour un accident grave a excité d'abord la plus
grûûcîe ferineuiàliOQ ; ua gtàûd ûombre des personnes qui tra-
vaillent dans rëgllsê des Augustins à des objets destinés au camp
de Paris, se sont crues empoisonnées, on a réclamé les se-
cours les plus prompts , et Lieulôt il a étéreconuu que cet ac-
cident avait pour cause lu vapeur du charbon et les exhalaisons
méphitiques des cercueils de plomb. Les secours administrés
avec beaucoup de zèle ont eu le plus grand succès. »
Dans un temps ordinaire, une semblable tentative de vol, quel-
que générale qu'elle ait été , n'eût pas cause un mouvement dans
toute la population, s'il n'eût pas été un ternie croissant d'un état
qui était habituel depuis plusieurs jours. 11 ( araît trop évident
que depuis ces journées , Paris était livré à la violence , et que
la sûreté individuelle manquait entièrement de garantie. En voici
une preuve irrécusable : c'est un article du Patriote français.
€ La section de l'Abbaye, pour prévenir les horribles brigan-
dages qui se méditaient dans Paris et empêcher que les citoyens
ne deviennent victimes du désordre, a proposé à toutes les sec-
lions une confédération générale entre elles et tous les citoyens,
pour se garantir réciproquement leurs propriétés et leurs vies :
Chaque citoyen sera tenu d'avoir une carte signée de sa section,
sur certificats de voisins : il la portera toujours sur lui. Tous les
corps de garde, piquets, patrouilles auront le droit d'arrêter
tous les passans ; ceux qui ne présenteront pas leurs cartes se-
ront arrêtés; si c'est oubli , iis seront reconduits à leurs sections
qui les reconnaîtront. Les étrangers seront munis de leurs passe-
ports qui leur serviront de cartes. Aussitôt qu'un citoyen porteur
d'une carte réclamera, pour lui ou pour ses propriétés, des se-
cours , tous seront t(;nus d'y voler, et la maison , la rue , le quar-
tier, la section et toute la ville devront s'y rendre. > Patriote
français du 11 septembre, n. MCXXVIII.)
QuedisailMarat des désordres du 14? « De nouveaux complots
éclatent de toutes parts. Hier matin l'alarme a été répandue dans
Paris, par des violences exercées dans différens quartiers sur des
citoyennes, auxquelles des scélérats soudoyés déchiraient les mains
et les oreilles, en leur ari'a;'!i;int leurs bouclas f;t leurs :inn.in\ d'or.
T. XVIJI. 5
54 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
» Quelque temps après une nouvelle alarme s'est répandue
dans tous les quartiers aa sujet de plusieurs ouvrières des Gé-
leslins , attaquées d'asphyxie , et d'un plus grand nombre frap-
pées de terreur et jetées dans les convulsions par la crainte d'être
empoisonnées, que des émissaires cacliés leur ont inspirée. Bien
est-il vrai , que des conduits infects ont été ouverts aux Gélestins,
et que la fontaine s'est trouvée tarie, depuis trois jours , sans que
l'on en connaisse la cause.
» Ces alarmes paraissent avoir été combinées avec la fausse
nouvelle que le roi de Prusse, Brunswick et d'Artois se trouvent
bloqués dans Verdun.
» Le but des auteurs de ces coupables menées parait être de
porter la terreur dans l'ame des citoyens, et de troubler les élec-
tions des députés à la Convention nationale, en les abusant sur
des dangers chimériques, au dedans, et en leur inspirant une
fausse sécurité sur leurs dangers trop réels au-dehors.
» Citoyens, soyons sur nos gardes, et marchons au but d'un
pas ferme et soutenu. » {U Ami du peuple, n.DCLXXXII.)
L'audace de ces voleurs avait été en effet si grande qu'il'était,
au premier moment, difficile de croire qu'ils agissaient sans la
piomesse de quelque appui inconnu. Mais ils se passa quelque
chose de plus singulier encore. Le jour du vol du Garde-Meuble,
des hommes s'emparèrent des caves de Tuileries encore remplies
de vin et d'huile, et ils se mirent à vendre de l'un et de l'autre.
On eut quelque peine à les chasser. ( Courrier des dépariemens^
18 septembre, )
* Où ensommes-nous, dit le journal de Prudhomme? Tout
devrait bien aller ; pourquoi n'en est-il rien? D'oii vient que les
membres du conseil exécutif ne sont pas d'accord entre eux ?
D'où vient que la Commune et les quarante-huit sections s'en-
tendent si mal ? D'où vient que les commissaires municipaux ne
marchent pas dans le même sentier et à la suite des commissaires
législateurs? D'où vient que le corps électoral est en proie à des
actions qui ont influencé d'une manière si sensible le choix des
députés à la Convention? Pourquoi, dans un moment où toutes
SEPTEMBRE ( 1792 ). 55
les classes de citoyens devraient se l'ondre dans une seule ù la
vue du danger imminent où se trouve la patrie, pourquoi obser-
ve-t-on avec affectation qu'il y a des propriétaires, mais que ce
n'est pas le plus grand nombre ? Pourquoi semble-t-on vouloir
les désigner à ceux qui ne le sont pas ? Pourquoi nos prisons se
remplissent-elles si vite? Aurait-on de nouveaux projets? Pourquoi
neveilie-t-on pas mieuxsur lesagens subalternes qu'on emploie à
l'exécution de certains décrets ei qui semblent gagés pour rendre
odieux le régime de la liberté? Qu'aurions-nous à répondre à
celui qui dirait... Une désorganisation sociale prochaine s'an-
nonce et les menace , et ils ne s'en doutent pas.
> Ce que nous avons à répondre , c'est que cela n'est pas vrai :
la France ne touche point à sa décrépitude ; sa désorganisation
n'existe que dans les projets de ses ennemis ; mais , vous , qui ne
l'êtes pas, nous vous interpellons ici, Danton, Robespierre,
Roland , Brissot ; car on vous nomme , car on vous place à la
tête des différens partis , qui ont, hélas ! succédé aux factions
détruites. Vous, Danton, que Marat désigne déjà pour dictateur,
et qui ne désavouez point cet homme presque toujours hors de
mesure, serait-il bien vrai que vous ayez le désir ou l'espoir de
cumuler sur votre tète les deux pouvoirs... Piobespierre , Danton ,
e' Marat, prenez -y garde, déjà la calomnie vous désigne pour
les triumvirs de la liberté ; mais la liberté désavouerait une asso-
ciation contraire à ses principes et qui tendrait au d^spolisme , si
ce n'est à la guerre civile, ou à l'anarchie. La liberté répugne à
confier sa cause à tel ou tel autre parti ; elle n'a pas trop des ef-
forts simultanés de tout un peuple pour se défendre et triompher.
Ne vous isolez pas , et allons ensemble au même but. La pré-
sence audacieuse de l'ennemi duit suffire pour tendre les ressorts
du patriotisme...
> 0 vous donc , chefe d'opinions, rapprochez-vous les uns des
autres; sacrifiez vos différens amours-propres à l'amou!- et au
salut de la patrie. N'est-il pai houleux qu'au milieu des dangers
communs à tout l'empire on cnlemie encore parler du parti Itu-
bespierre, du paru Brissot y... Craignez que, dans cette diversité
des doctrines» le peuple ë^aré comme dans un dédale, pour s*ert
îii-er, ne fasse main-basse sur tous les endoctrineufs... L'état
présent de Paris n'est point du tout naturel. Assurément le même
peuple qui par un beau mouvement se porta au château des Tui-
leries le 20 juin , et fit grâce à Louis XVI, qui s'y présenta une
seconde fois le 10 août et le prit d'assaut, qui, la nuit du 1" au
2 septembre , et le (i du même mois , fit retomber sur la tête des
juges le sang de tous les criminels trop long-temps impunis , et
tout cela avec le désintéressement le plus héroïque ; assurément ce
peuple n'est pas le même que ce ramas d'individus qui pillèrent
les caves du château des Tuileries et en vendirent le vin , qui dans
tous les marchés et à la même heiu'e , portèrent une main brutale
sur les bijoux d'or et d'argent que les citoyennes avaient aux
oreilles et au cou ; qui voulurent égorger un coupable que la loi
n'avait condamné qu'au caican ; qui dilupidèrent le garde-meuble
national ; qui dans la vallée de Montmorency , dignes précurseurs
des Houlans, violèrent le droit d'asile et de propriété, et, le
sabre levé , exigèrent des contributions d'argent. Certainement
le peiqile, le vrai peuple, n'est point aussi dissemblable à lui-
même...
> Concitoyens des quatre-vingt-deux départemens , sachez
l'état au vrai de Paris... Paris n'est pas encore une ville pure ; il
s'en faut... L'esprit du peuple y est toujours excellent comme
partout ; il faut le voir , il Caui l'entendre répéter en chœur le re-
frain du chant de guerre des Marseillais , que des chanteurs pla-
cés devant la statue delà Liberté, dans le jardin des Tuileries, lui
apprennent chaque jour...
» Les arts languissent; mais les artistes se sonlbien montrés...
Les spectacles surtout ont manifesté un civisme rare ; ils pour-
ront en donner des leçons aux soldats de ligne...
» Quant aux femmes, la majorité est encore aristocrate...
Beaucoup des gens de commerce ont abandonné leur comptoir
pour vo!er où la patrie appelle ses enl'ans...
» Voilà Paris sous un point de vue assez satisfaisant. Le revers
de la médaille l'est un peu moins. Depuis le 10 aoiit, les bons
.SLl'TKMiîKK [ 17*;)2 I. 57
citoyens ont reparu à leurs secJioiiS espëraul y retrouver cet
esprit public qui caractérisa les premiers momens de la révolu-
tion 4789; ils l'ont en elïet reconnu dans la masse d(is assistant ;
mais l'homme instruit et modeste a de la peine à placer son mot
à la tribune assiégée , envahie par de petits intrigailleurs sans ta-
lens comme sans logique , mais fiers de leurs poumons et forts
de leur impudence : quelques prêtres ont voulu s'en mêler aussi ;
plusieurs curés ont ouvert la bouche, mais pour prêcher pour
leur chapelle; l'un a réclamé ses vases sacrés; l'autre a défendu
les grilles de l^r qui interdisent l'entrée du sanctuaire aux pro-
fanes : tout cela n'est (juc ridicule et importun. Mais des orateurs
plus dangereux s'y font écouter ; ce sont des hommes nouveaux
qu'on n'avait encore ni vus, ni entendus ; ils s'emparent de la pa-
role, et, à l'aide de quelques mots consacrés parle patriotisme et
débiles avec charlalanerie , ils corrompent l'esprit public, en
portant leur auditoir? à des arrêtés peu sages et capables d'a-
mener la désor^anisatii n. Ces gens-là sont du noml)re des émis-
saires lâchés au milieu de nous par nos voisins , pour leur servir
d'espions et d'igitaieurs. Leur mission est de porter le penpU' à
des mCiUies inéfiechies. On trouve de ces mêmes individus dans
tous les groupes populaires, devenus depuis quelques semaines
très-nombreux. Ce» gens-là insinuent à la multitude que tous les
coupables ne sont pas encore punis, et ne le seront pas de long-
tenjps si elle ne s'en mêle pas encore une fois.
» Ils ont raison; il est encore de grands criminels à frapper;
et ce serait peut-être un service rendu à la tranquillité publique
que de désigner les lieux qui les recèlent ; mais ces émissaires of-
ficieux , gagés par les scélérats sur le trône coalisés contre nous,
ne provoquent la justice du peuple que parce qu'ils la regardent
comme un pas de plus fait vers l'anaichie.
» Ce sont eux aussi qui , par des menées sourdes habilement
conduites, cherchent à indisposer les classes indigentes contre
la caste des riches. Si ce moyen perfide venait à réussir,
il serait plus expédiiif et plus certain que plusieurs armées
combinées. Nos ennemis chanteront victoire (juand on leur ap-
cS> AS;)EyBLÉK LÉGISLATIVE.
prendra que Paris est devenu le théâtre d'une insurrection contre
la propriété. Déjà les citoyens ne se rencontrent plus sans se me-
surer des yeux , sans chercher à se pénétrer et à se deviner ; déjà
on fait disparaître rargenterie. Habitans aisés de Paris, que
faites-vous ? Prenez-y garde , ces mesures de précaution calom-
nient le pauvre, et compromettent la probité du peuple... Et
vous, honorables indigens, que les malintentionnés méconnais-
sent à dessein , qu'ils apprennent de vous que la saison n'est pas
venue encore de frapper l'aristocratie des riches. Un jour viendra,
et il n'est pas éloigné, ce sera le lendemain de nos guerres ; un
jour le niveau de la loi réglera les fortunes. Aujourd'hui elle ne
peut et ne doit qu'imposer les liches en raison des besoins de la
patrie,
> Les premiers jours de septembre furent ensanglantés par
une proscription , nécessaire pour éviter de plus grands maux
auxquels n'aurait point su parer une assemblée nationale qui
n'avait d'énergie que celle qu'on lui donnait.
> A ces salutaires exécutions, on vit succéder, avec autant de
surprise que d'effroi , des arrestations arbitraires ; et ces incar-
cérations clandestines et sans écrou, effectuées au nom de la
Commune, étaient, dit-on, à la discrétion de Marat ! — Quoi!
il existe des magistrats du peuple capables d'en confier la hache
et les faisceaux aux mains de 3Iarat (1) ! Ses haines, ses ven-
geances , SCS listes de proscriptions l'ont trop fait connaître.^ Au
titre de ses placards les bons citoyens ont effacé celui d'ami du
peuple ; ils ont gémi de voir les noms d'hommes généralement es-
timés servir d'étais à la réputation croulante de Marat. Us ont vu
avec douleur celui qui s'est caché dans les momens périlleux dé-
signer aujourd'hui comme des factieux ei des scélérats ceux qui
(1 ) A l'one des deraières assemblées du conseil-général de la Commune , il fut
question uu moiuent de Marat ; M. Pétioa l'y dénonça comme un insensé; M. Pa-
nis en paria comme à'un prophète, comme d'un autre saint Siméon-Stylite.
Marat a demeuré sir semaines sur une fesse dans un cachot ,- ce sont les expres-
sions du plaisant et courageui défenseur de ?<Iarat 51M. Pétion et Panis ne sont
pas autant diA isés d'opinion qu'on le croit bien au sujet de cet homme. Prophète
n'pfntt-il pas jadis synonyme de fou ? ' 'Sotc ie Pritdhmnnie. ;
SEPTE.MBRE (17î)2). 30
ont fait lête au despotisme pendant les jours de sa puissance, lis
ont vu avec ëtounement celui qui jadis dédia des livres à Mori'
seigneur Comte d' Artois , mendier , sous le règne de l'égalité ,
4o,000 francs à un prince français (1) pour faire imprimer trois
ouvrages de sa façon. Marat, songez-y, vous voilà à la Conven-
tion nationale , le peuple a les yeux sur vous ; vous allez être jugé
à votre tour : justifiez son choix ; ne dégradez plus l'honorable
titre de législateur , et travaillez à faire de bonnes lois plutôt qu'à
provoquer des assassinats.
> Mais c'est trop long- temps nous occuper de ces scènes tragi-
ques. La justice du peuple est enfin satisfaite... Les proscriptions
d« Sylla ne souilleront point la révolution ; désormais la loi seule
décidera de la vie ou de la liberté des citoyens , et ses ministres
auront seuls le droit de la mettre à exécution. L'homme inno-
cent, le coupable lui-même dont on violera l'asile, sans l'aveu
de la loi , est autorisé à repousser la violence par la force. »
{Révolutions de Paris , n. GLXVII. )
On peut juger par cet article de la situation de Paris, et de la
renommée que Marat y recueillait. Tout le monde faisait effort
contre lui , croyant ainsi combattre un désordre nuisible dans le
présent , et destructeur s'il acquérait de la durée.
Tout le monde , en effet était alors sous la terreur de quelque
chose d'inconnu et de plus menaçant que tout ce que l'on avait
vu. L'on croyait que tous-les élémens anti-sociaux qui se cachent
dans les grandes \illes, tous les bandits dont l'existence est fon-
dée sur le mal , étaient coalisés et allaient bientôt paraître pour
s'emparer de la capitale. On n'accusait point la probité de Marat ;
mais on voyait en lui un homme exalté qui, en soulevant le peuple,
préparait, sans le savoir, sans le vouloir, l'occasion à l'anarchie
de lever la tête plus haut encore qu'elle ne le faisait.
Et que faisait cet écrivain? Il continuait ses diatribes, ainsi que
nous pouvons en juger par son journal. Si les placards étaient sem-
blables au journal , nous pouvons dire aujourd'hui que leur effet
(I) Le duc d'Orléans , sans doate, qui fut le dernier recours de Mararf, re-
poussé par Roland et par Danloii. ( ISok des aulcun:. }
iO AVStMULtli LÉMISLAIITE.
ctail moins le liiii de leur exaj^eraiiou , que de l'opiuion qu'on y
attachait, comme à l'indice officiel des intentions secrètes du
comiië de surveillance.
« Ce que j'ai prévu est arrivé. Dcnstous les coins de l'empire,
disait-il, l'intrigue, la fourberie, la séduction et la vénalité (1) se
sont l'éunies pour influencer les corps électoraux, et porter à la
Convention nationale des hommes flétris par leur incivisme , des
hommes reconnus pour traîtres ù la patrie, des hommes pervers,
l'écume de l'assemblée constituante et de l'assemblée actuelle....
» Français, qu'altendez-vous d'hommes de cette trempe? Ils
achèveront de tout perdre, si le petit nombre des défenseurs du
peuple appelés à les combattre n'ont le dessus, et ne parviennent
à les écraser ; si vous ne les environnez d'un nombreux audi-
toire, si vous ne les dépouillez du talisman funeste de l'inviolabi-
lité, si vous ne les livrez au glaive de la justice populaire, dès
l'instant qu'ils viendront à manquer à leurs devoirs
» Citoyens! qui fondez tout votre espoir sur la Convention na-
tionale, souvenez-vous que la lionté de ses opérations dépend
uniquement de l'énergie que vous montrerez pour être libres.
Si vous êtes déterminés à tout braver pour le devenir, vous le se-
rez enfin sous peu de jours*: votre audace seule peut étouffer
tous les complots et couper le fi! de toutes les machinations tra-
mées pour vous remettre sous le joug. {UAmi du peuple ^
n. DCLXXXII, 15 septembre.)
« Citoyens, publiait-i! le 19, nous sommes trahis de toutes
parts. Tous les projets désastreux de La Fayette sont renoués et
poursuivis avec une ardeur opiniâtre. La levée du camp de
Maulde en est un exemple alarmant. » (Suit une longue énumé-
raiion d'accusations contre les divers commandans de corps d'ar-
mée à la frontière.) « Ainsi, conlinue-t-il, jusqu'à ce jour, nous
avons été trahis par les ministres, les corps administratifs, les
officiers généraux , les commissaires des guerres , et la majorité
(t) Roland, l'automate ministériel, a prodigué l'or à pleines mains pour faire
nommer tous les ccrivailleurs brissotins possibles. J'en donnerai la liste.
( iVofe de Marat. )
sLriL.\:iiKE [ I7'J2 j. il
pourrie de i'asî>eniblée nationale, centre de toutes les trahisons.
Nous le sommes actuellement par nos états-majors, et peut-être
par le ministre de la jjuerre. Servan n'est-il qu'inepte? C'est ce
que je ne veux point décider encore.
t Poursuivons.
» L'horrible complot d'exterminer les amis de la liberté est
renoué ; il éclate de toutes parts. Enlanté dans les conciliabules
nocturnes du royalisme expirant, il parait avoir son foyer dans
la commission extraordinaire et dans le cabinet du sieur Roland,
ministre de l'intérieur; il paraît étendre ses ramifications dans
nos armées, dans les cliques aristocraiiques d^s sections de la
capitale ; il paraît se mûrir dans l'ombre du mystère, jusqu'à ce
qu'il soit prêt à être consommé.
» Amis de la patrie , suivez le fil des faits.
» Pour consommer votre perte , il faut avant tout vous plon-
ger dans une fatale sécurité, vous enlever vos défenseurs, et
vous séduire par les marques d'une fausse [lilié qu'ils font éclater
en faveur des ennemis de la révolution.
> Depuis long-temps, Roland l'endormeur (1), conjuré avec
les traîtres de l'assemblée nationale, vous verse l'opium à pleines
mains.
» N. B. — La femme Roland, ministre de lintérieur sous son
directeur Lanihenas, espérant invalider les dénonciations de
VAmi du peuple et démentir des faits, a eu '.'impudeur d'insi-
nuer que mes écrits ne sont pas de moi, mais de quelque mé-
chant qui usurpe mon nom , et qui pourrait bien être payé par
Brunswick. Ce petit tour de bâton ministériel ne lui réussira pas ,
et voici pourquoi : c'est que, ne voulant pas voler l'argent de
Brunswick et «les Capots fugitifs dont ce général défend la cause,
je conjure tous les amis de la patrie de solliciter un décret qui
mette à prix la tête des Capets et des Brunswicks. Que dites-
vous de mon ingratitude , dame Roland ?
(I) Roland n'est qu'un frère coupe-choux que sa femme mène par l'oreille;
c'est elle qui est le ministre de l'intérieur sous la main de son directeur, l'illuminé
Lanthenas , agent secret de la faction Guadet-Brissot. ( iSote de Marat. )
42 ASSEMBLÉE LÉGlSLATlVt.
» Citoyeîis, comparez ces nouvelles alarmantes à l'opium du
bulletin de l'assemblée , aux déceptions du conseil provisoire , et
jugez dans quelles mains sont remises vos destinées.
» Un mol à la femme Roland.
» Vous êtes priée de ne plus dilapider les biens de la nation à
soudoyer deux cents mouchards pour arracher les affiches de
VAmi du peuple.
» Citoyens , vous êtes requis , au nom de la patrie , de corriger
ces mouchards, s'ils ont l'audace de reparaître.
» PIÈGE REDOUTABLE.
> Le projet des membres gangrenés de la législature actuelle
est de placer la Convention nationale dans la salle du manège des
Tuileries , dont les tribunes ne contiennent que trois cents spec-
tateurs , et qui se trouveraient toujours remplies de trois cents
mouchards des pères conscrits contre-révolutionnaires et des
ministres corrompus.
> Il importe que la Convention nationale soit sans cesse sou§
les yeux du peuple , afin qu'il puisse la lapider, si elle oublie ses
devoirs. Ainsi , pour la maintenir dans le chemin de la liberté, il
faut indispensablemenl une salle dont les tribunes contiennent
quatre mille spectateurs. Cette salle devrait être faite ; je de-
mande qu'on y travaille sans relâche.
» Marat. » — {L'Ami du peuple, n. DCLXXXIII.)
— Cependant le bruit se répandait dans Paris qu'il y aurait un
nouveau massacre dans les prisons le 20septembre. Nous ignorons
s'il avait un fondement réel ; mais , pour l'autoriser, il suffisait
des discours qui avaient lieu dans certaines sections, quelquefois
sur la plac<î publique , et du style hardi et menaçant des arti-
cles que nous venons de lire.
Il y eut alors un soulèvement dans le conseil-général de la
Commune , et dans son assemblée du 18 au soir, il prit un arrêté
par lequel il cassait le comité de surveillance, et déclarait qu'à
SEKIEMBRE ( Î7î)â ). 45
l'avenir nul membre étranger au conseil , ainsi que l'était Marat ,
ne pourrait faire partie de ce comité. En même temps , il rédi-
gea la proclamation que nous allons voir.
COMMUNE DE PARIS. — Proclaniatioii (lu 19 Septembre.
t Citoyens , les membres du conseil-général de la Commune
n'ont point été effrayés du nouveau genre de responsabilité que
leur a imposé l'assemblée nationale; fiers de leur conscience,
fiers de votre opinion qu'ils ont toujours cherché à mériter, cer-
tains que vous les aiderez vous-mêmes à partager celte responsa-
bilité , à la prévenir, ils n'ont pas balancé à s'en charger. Ce n'est
pas vous, citoyens , que le conseil-général redoute; ce ne fut ja-
mais vous. Mais quand de lâches ennemis du bien public cher-
chent à vous agiter en tout sens, quand ils sèment au milieu de
vous de fausses alarmes, quand ils se répandent en motions in-
cendiaires , il est du devoir de vos magistrats de vous rappeler à
votre propre dignité, au respect que vous vous devez à vous-
mêmes. Citoyens , le calme ne peut naître que de l'exécution des
lois , de leur observation religieuse ; et celles autour desquelles
nous vous demandons de vous presser avec nous , sont celles que
l'humanité, la justice et la raison sollicitent, que votre propre
intérêt vous prescrit, que votre gloire et l'honneur de la nation
vous commandent. Loin de vous, citoyens, ces suggestions per-
fides et sanguinaires qui vous porteraient à souiller vos mains ;
loin de vous toute espèce de violation de la loi : jurons tous , au
contraire, et n'oublions jamais ce serment sacré, jurons de
via'mtenïr la liberté et l' égaillé, la sûreté des personnes et des pro-
priétés, et de protéger, de tout notre pouvoir, les personnes déte-
nues maintenant en priso7i, ou de mourir à notre poste; jurons de
respecter et faire respecter le cours et l'activité de la loi; jurons,
et que ce serment solennel fasse enfin pâlir nos ennemis , en dé-
jouant leurs projets exécrables.
» Le conseil -général arrête que la présente proclamation sera
imprimée, affichée et envoyée aux quarante-huit sections.
» Signé, î^ouL.v. v'tre-vrêshicni : TA!-!?r'N. secrcfnire-nrrfjicr. »
i4 ASSL.VlBLliK I ÉGJbLAJlVt;.
I/asseniblée nationale , à son tour, encouragée par cette dé-
marche, décréta, !e 20 septembre, des mesures pour le réta-
blissement de la tranquillité de Paris. Ce décret ne fut publié
que dans le Moniteur du 25; dans le compte -rendu de la
séance du 20 , il n'en est fait , soit dans ce journal , soit dans
d'autres, aucune mention ; en sorte qu'il fut publié sans qu'au-
cune discussion l'eût fait connaître. Était-ce par crainte qu'il fut
tenu secret jusqu'au moment où on aurait obtenu de la Commune
la démarche du 18; est-ce néjjlifj^ence de la part des journaux?
JVo'JS l'ignorons. Seulement nous notons le fait comme très-extra-
ordinaire , et à cause de cela même nous insérons ici le décret.
C'est une pièce qui peint le moment.
Décret rendu dans la séance du jeudi 20 septembre , pour le réta-
blissement de l'ordre et la sûreté individuelle des citoyens dans
la ville de Paris.
t L'assemblée nationale, considérant que l'époque de la réu-
nion de la (yonveniion nationale doit être marquée par le retour
de l'ordre et de l'union des citoyens et le concours de tous les
pouvoirs pour le maintien de la tranquillité;
» Que cette époque est aussi celle où les malveillans vont re-
doubler d'efforts pour rompre l'uniié du gouvernement et dés-
organiser toutes les sections de l'empire; que le but de ces cou-
pables manœuvres est d'appeler la résurrection du pouvoir royal
par l'excès des désordres qu'elles provoquent , de dissoudi e la
puissance nationale, et dé faire renaître le despotisme des hor-
reurs même de l'anarchie ;
» Considérant , enfin, qu'il est instant de prendre les mesures
les plus efficaces pour déjouer ces funestes complots , décrète
qu'il y a urgence.
> L'assemblé nationale , après avoir décrété l'urgence , décrète
ce qui suit :
TITRE i". — Des mesures de sûreté et de tranquillité publique
pour la ville de Paris.
» Art. I". Les citoyens domiciliés à Paris depuis plus de huit
jours serofii lehus > daus h délai de vln^ïi-qualre heures après là
publication Uù présent décret, de se faire enregistrer dans ia sec*
lion de leur domicile.
> II. Ils seront également tenus de déclarer le lieu de leur ha-
bitation ordinaire , l'époque de leur arrivée à Paris , les divers
changemens de leur domicile à Paris et leui- occupaiion journa-
lière. Le registre contiendra, à chaque article, une énonciation
sommaire desdites déclarations.
» lU. Il sera délivré à chaque citoyen un extrait de cet enre-
gistrement, sur une carte signée par le président et les secré-
taires de sa section.
» IV. Les citoyens seront tenus de présenter leur carte civique
à la première réquisition des officiers de police et commandans
de la force armée.
» V. Tout citoyen qui ne pourra pas représenter sa carte, sera
conduit à la section dont il se réclamera; et s'il n'est pas reconnu
par elle, il pourra être détenu dans une maison d'arrêt pendant
l'espace de trois mois.
» VI. Ceux qui auront fait de fausses déclarations, ou qui se-
ront surpris avec de fausses cartes , pourront être détenus pen-
dant l'espace de six mois.
» VU. Les étrangers arrivant à Paris seront tenus de faire,
dans les vingt-quatre heures de leur arrivée , la déclaration pres-
crite par l'art. II, et de se conformer aux dispositions du présent
décret. Les personnes qui les logeront seront personnellement
responsables de l'exécution du présent article, sous peine d'une
amende qui pourra être portée au double de leur contribution
mobiiiaire.
» VIII. En cas de changement de domicile , les citoyens seront
tenus, dans le même délai , de se faire inscrire dans la section où
ils prendront leur nouveau donn'cile, et dans le cas oîi ils ne sor-
tiraient pas de l'arrondissement de la même section , de faire
énoncer sur l'article du rejfisirequi les concerne, l'indication de
leur nouvelle habitation.
» IX. Il sera procédé à la réélection de tous les membres com-
46 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
posant la municipalité de Pai-is et le coiiseil-gënéral de la Com-
mune, dans les formes et suivant le mode prescrit par la loi du
mois de mai 1790.
» X. Ces élections seront commencées dans le délai de trois
jours après la publication de la loi, et continuées sans inter-
ruption,
» XI. La municipalité se conformera aux dispositions de la loi
du mois d'août dernier, sur la police de sûreté générale.
» XII. Les mandats d'arrêt, dans les cas où la loi lui permet
de les décerner, seront délibérés et signés par le maire et quatre
officiers municipaux.
» XIII. La municipalité sera tenue de donner connaissance à
l'assemblée nationale , dans le délai de trois jours après la pro-
nonciation de chaque mandat d'arrêt, des motifs qui l'auront
déterminé et des informations qui auront été faites.
» XIV. L'accusateur public près le tribunal criminel établi à
Paris , en vertu de la* loi du 17 août dernier, est spécialement
chargé de la poursuite de tous ceux qui ordonneront ou signe-
ront des arrestations arbitraires.
» XV. Le ministre de la justice est aussi spécialement chargé
de surveiller l'exécution du précédent article , et d'enjoindre à
l'accusateur public de poursuivre les auteurs de semblables ar-
restations , s'il négligeait de le faire.
» XVI. Indépendamment de la peine de six années de gêne,
portée par le Code pénal contre les auteurs d'une arrestation ar-
bitraire, les signataires d'un pareil ordre, et ceux des fonction-
naires publics chargés de les poursuivre et qui auront négligé de
le faire , seront condamnés solidairement aux intérêts civils dus
aux personnes ainsi arbitrairement détenues.
» XVII. L'asile du citoyen est déclaré inviolable , même au
nom de la loi, durant la nuit; en conséquence, nulle perqui-
sition ne pourra être faite dans la maison d'un citoyen , d'un so-
leil à l'autre, hors le cas d'un coupable surpris et poursuivi en
flagrant délit.
» XVIII. Hors le cas prévu par l'article précédent» tout ci-
SEPTEMBRE ( 1792 ). /(T
toyen dont on voudrait violer l'asile est autorisé à résister à une
telle violence par tous les moyens qui sont en son pouvoir, et les
auteurs d'une pareille tentative seront poursuivis , à la requête
de l'accusateur public, comme coupables d'attentat à la liberté
individuelle.
» XIX. Dans les villes où le corps législatif tiendra ses séances,
l'ordre pour faire sonner le tocsin et tirer le canon d'alarme ne
pourra être donné sans un décret du corps législatif. En cas de
contravention au présent article, ceux qui auront donné cet ordre,
ou qui auront sonné le tocsin et tiré le canon d'alarme sans ordre,
seront punis de mort.
TITRE II. — De l'organisation provisoire d'une force armée.
» Art. l". Indépendamment du service ordinaire que doivent
faire les sections armées de Paris, il sera formé, immédiatement
après la publication du présent décret dans chacune desdites
sections, une réserve de cent hommes armés, équipés et prêts à
marcher. Cette réserve sera placée dans une seule maison ou
corps-de-garde , et, autant qu'il se pourra , au centre de chaque
section de Paris.
» II. Chaque section est autorisée à composer cette réserve de
la manière qui lui paraîtra la plus convenable et la plus analogue
à sa population.
» III. De quelque manière que les réserves des sections armées
soient composées, il leur sera fait , aux frais de la nation , les
mêmes fournitures de bois, chandelle, ustensiles, etc., et les
mêmes distributions de vivres, toutes les vingt-quatre heures,
que si lesdites réserves étaient campées.
» IV. Ces réserves, principalement destinées à maintenir l'or-
dre public, devront aussi occuper les postes extérieurs néces-
suires à la défense commune, toutes les fois que cette disposition
sera jugée nécessaire par le général de la division militaire cen-
trale ; mais dans ce cas-là , une moitié seulement desdites réserves
marchera, soit au camp , soit dans les postes désignés pour cha-
que seciioa, et Taulre rnoîiié restera dans iHriièrieur pour k
mainlien de Tordre.
B V. Les réserves, de quelque manière qu'elles soient compo-
sées, seiont commandées, aliernativement et à tour de rôle, par
les capitaines des sections armées.
» VL Les lusils destinés par les sections à armer leur réserve,
seront marqués au numéro de la section, et ne pourront être
déplacés, sous peine d'une amende de 5G livres, et du rempla-
cement de larme déplacée.
» VIL Les réserves ne pourront être requises, soit en tout,
soit en partie, pour le service intérieur ou pour le service exté-
rieur, que par l'iuiermédiaire du maire de Paris, et sur les or-
dres donnés au commandant-général des sections armées, qui
demeurera responsable de leur transmission et de leur exécution.
» VIIL II sera ajouté, à chaque réserve des sections armées,
douze cavaliers au moins, et trente cavaliers au plus, suivant la
force de chaque section armée, montés, armés et équipés, dont
une moitié seulement sera de service chaque nuit.
» IX. Les sections choisiront dans leur sein ces cavaliers. L'ol^
Hcier qui devra !e j commander sera choisi par les cavaliers. L'i/i-
demnité accordée à ces citoyens pour les dédommager et les
mettre en étal de s'entretenir, sera égale à la solde accordée à
la gendarmerie nationale , et ils auront au camp et au grand
corps-de-garde de la réserve les mômes distributions.
j X. Toute autre troupe que les sections armées et les réserves
indiquées ci-dessus, qui serait levée ou lormée, soit dans le dé-
partement de Paris , soit dans toute autre partie de l'empire , et
qui se trouverait dans l'enceinte de Paris ou dans l'arrondisse-
ment de la division militaire centrale, sera sous les ordres immé-
diats du général de la division , et soumise à la discipline et à
l'ordre prescrit pour les troupes employées à l'armée.
» XL Les troupes désignées dans l'article précédent ne feront
point partie de la force armée destinée au maintien de l'ordre
public dans Paris, et ne pourront y être employées que sur la
réquisition dos représentans do !a nation.
SEPTliMBRK ( 1792 ). 49
> XII. Le pouvoir exécutif provisoire rendra coiîipie, dans
trois jours, de l'entière exécution du présent décret, dont une
expédition sera adressée à chacune des sections de Paris. »
Club des jacobins.
Les séances de ce club furent, pendant l'espace de temps que
nous venons de parcourir, moins iniéressantes que d'habiiude.
Les principaux membres de celte société faisaient ailleurs de la
politique active et n'avaient pas le temps d'y venir discourir. Pas
un mot au-delà de ceux qui seront consignés ici ne fut dit sur les
journées de septembre ni pour les approuver, ni pour les blâmer.
On s'occupa beaucoup du mouvement des armées, de recrute-
ment, d'armement, un peu delà future Constitution à laquelle la
Convention était appelée à travailler. Il y eut quelques débats
sur la meilleuie forme de gouvernement ; on parla vivement
contre le fédéralisme ; on criticjua le système américain; on re-
marqua que tout l'ancien côlé droit était de celle opinion ; on énu-
méra les avantages de la centralisation; on annonça, et ce fut
Chabot qui le dit, qu'il y aurait dans l'assemblée nationale trois
punis distincts, l'un pour la séparation du royaume en grandes
divisions, l'autre en tiès-petiles divisions, le troisième pour conser-
ver l'étal aclueliement existant. Mais d'ailleurs nous n'avons re-
marqué dans ces discussions rien qui méritât d'cire conservé.
Nous nous bornerons à recueillir qutl(iues débats qui furent ani-
més par des questions de personne.
A la aéance du 1, Chabot prit la parole en faveur de la candi-
dature de Marat. Cet écrivain venait de publier sa fameuse liste
de dénonciation dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs, et
les mots de Chabot nous paraissent mériter d'être recueillis, parce
qu'ils nous font connaître l'opinion des Jacobins sur l'Ami du
peuple.
« Je suis monté a la tribune , dit Chabot, pour vous parler des
candidats ou plutôt d'un seul candidat ; je parle de Marat. Jen ai
déjà pai lé à plusieurs personnes qui ont levé les épaules à ce seul
T. xviu. 4
90 ASSEUBLÉK LKGISLATIVK.
nom. Eh bien ! moi, je déclare que je lui donnerai ma voix ; à ces
per sonnes qui n'ont pas grande foi dans ses talens, je réponds qu'il
a eu du courage, et un courage peu commun, celui de se montrer
toujours le même depuis le commencement de la révolution. Mais
ce n'est pas cette classe d'hommes qu'il s'agit de convertir à Marat,
c'est lu classe des hommes modérés qui disent qu'il est un incen-
diaire ; je dis que c'est précisément parce qu'il est incendiaire qu'il
faut le nommer. En Ang'eterre , toutes les fois qu'un membre de
la Com:nune se montre fortement incendiaire contre le parti mi-
nisitériel , la cour clierche à se l'attacher t-n l'achetant, et bientôt
il devient constitutionnel. Ce que la cour i^iit en Ang'eteiie par
la corruption, nous devons lehiire en France pour le bien public.
» ie dis plus ; je dis que M irat est peut-être le seul politique
que vous aurez à la <>onvention nationale. J'ai dîné avec lui le
jour qu'on port.» le décret d'accusation contre lui ; ce fut moi qui
lui en portai la nouvelle; je puis vous assurer qu'il la reçut avec
tout le courage imaginable.
» H a la tête chaude dans le même sens que je l'ai, c'est-à-dire
que c'est le cœur qui est chaud ; car les modérés sont sujets à se
méprendre à cette différence, et je vous réponds que c'est une des
têtes les plus froides qui existent. On a reproché à Marat d'avoir
été sanguinaire, d'avoir, par exemple, contribué peut-être au
massacre qui vient d'éti e fait dans les prisons ; mais en cela il
était dans le sens de la icvolution ; car il n'était pas naturel, pen-
dant que les plus vaillans patriotes s'en allaient aux frontières, de
rester ici exposés aux coups des prisonniers à qui on promettait
des armes et la liberté pour nous assassiner.
» On dit qu'il a été sanguinaire parce qu'il a demandé plus
d'une fois le sang des aristocrates , le sang des membres cor-
rompus de l'assemblée constituante. Mais il est connu que le plan
des aristocrates a toujours été et est encore de faire un carnage
de tous les sans-culottes. Or, comme le nombre de ceux-ci est à
celui des aristocrates comme 99 est à 1, il est clair que celui qui
demande que l'on tue 1, pour éviter qu'on ne lue 99, n'est pas un
sungiiinaire.
SEPTEMBRE (1792). 31
• Il n'est pas non plus incendiaire, car s'il a proposé de don-
ner aux sans -culottes les dépouilles des aristocrates, il ne peut
pas être accuse d'avoir voulu les inceiuîier. Quant au syslèuie du
partage des terres qu'on lui impute, il a une trop mauvaise idée
des mœurs de ses concitoyens pour faire jamais une telle propo-
sition , car le partage des terres et des propriétés ne peut avoir
lieu qu'au milieu d'hommes parfaitement purs et tous vertueux ;
or, Marat, je le dis encore, est bien trop éloigné d'a\oir une idée
assez avantageuse de ses contemporains pour faire une pareille
proposition.
9 J'ajoute encore pour tous les modérés que quand tous les
reproches qu'on lui ferait seraient vrais , comme on le représente
comme un désorganisaieur, il faudrait l'attacher à l'organisation ;
je dis donc que par cette raison les modérés doivent le porter à
h Convention...
» Les chauds patriotes doivt^nt également l'y porter ; car,
quoique la députation de Paris s'annonce sous les meilleurs aus-
pices , et que j'espère bien que le reste des choix répondra à ceux
qui sont déjà faiîs, il ne faut pas se flatter que les départemens
vous envoient tous des Piobespierre , des Danton , des Collot-
d'IIerbois, des Manuel et des Billaud de Varennes. Je dis donc
que, quand nous serions sûrs d'ètn' cinquante enragés à la Con-
vention nationale, ce ne devrait pas être un motif pour négliger
d'y faire entrer le cinquante et unième. Je dis doue que les chauds
patriotes doivent encore y porter Marat. »
M. Tascliereau. « Je pense, comme M. Chabot, que les pa-
triotes doivent porter Marat à la Convention ; je voudrais même
engager Camille Desmoulins à parler pour cela. » {Journal du
club. n. CCLXl. )
Dans If même numéio du journal des Jacobins, à la suite du
compte-rendu de la séance du 7 dont nous venons de donner un
extrait, est une note du rédacieiir même du journal , relative à
Marat. Un extrait inexact de cette note ligure parmi les pièces
justificatives de l'histoire de la révolution par Touîongeon ( t. I.
pag. 178 des pièces justificatives ). Cette note y est rapportée
'^2 AïïiEMbLËE LÉGlSLAllVi..
comme extraite d'un discours prononcé par Voidel à la tribune
des Jacobins, ce qui lui donne un caractère de gravité qu'elle n'a
plus aussitôt que l'on sait que c'est une récrimination faite par le
rédacteur même du journal (Deflers), dont le patriotisme avait
été plus d'une fois suspecté; quoi qu'il en soit , voici cette note ;
I Note du rédacteur.
» Inculpé par Marat dans un libelle placardé sur les murs de
Paris , j'ai cru devuir à la sti icte équité de ne pas prendre la pa-
role après M. Chabot, au sujet de ce caudiJat. Je crois devoir
aux mêmes principes d'insérer ici la pétition que j'ai présentée au
corps électoral à ce sujet, et que j'auiais prononcée devant Marat
si j'eusse pu obtenir la parole que j'ai demandée inutilement pour
cela. »
(Ici Deflers s'adresse aux citoyens électeurs, et annonce
qu'il va répondre en racontant sa vie depuis 1777, comparative-
ment à celle de Marat depuis 1789 ; alors, il dit coiument il oc-
cupa une charge financière dans la maison de la comtesse d'Ar-
tois, et comment il fut détenu pendant six semaines après l'af-
faire du Chanip-de-Mars ; puis il continue : )
< Voilà, citoyens électeurs, celui que 31arat, le prétendu Ami
du peuple, a l'impudeur de traiter de vil intrigant dénoncé comme
mackinaieur. J'ai rempli la première et la plus pénible portion de
la lâche que m'étais imposée ; je vous ai parlé de moi ; je passe à
la seconde et j'accuse Maiat , le prétendu Ami du peuple, d'inci-
visme , de mauvaise loi et d'immoralité.
» Lié d'intérêt avec les personnes qui depuis 1789 ont été dans
la plus intime relation avec cet homme, je peux, mieux que per-
sonne, fournir les preuves de ce que j'avance ici. Eh bien! fort
de ces preuves, fort de ma conscience, fort du mépris profond
que j'ai voué de tout temps aux calomniateurs, je m'adresse à
Marat et lui dis : Quelle idée aurais-tu d'un homme qui, le2o no-
vembre 1790, aurait refusé de recevoir en paiement pour une
très-petite portion de sa solde ( il s'agissait de 50 liv. ) non pas
des assignats qui, à cette époque, perdaient.*» pour 100, mais
SEPTEMBRE (1792). O.V
des coupons d'assi^^nats qui ne perdaient rien ? Quel idée aurais-
tu d'un homme qui aurait renvoyé avec mépris cette monnaie na-
tionale? réponds ei prononce ta condaninalion, car j'ai des té-
moins à produire si tu as l'impudence de nier le fait.
» Quelle idée aurais- tu d'un homme qui, débiteur envers un
bienfaiteur, et sachant que son ctéancier aurait mis opposition
entre les mains d'un citoyen dépositaire de ses fonds, aurait été
proposer à (;e dépositaire de nier le dépôt? réponds et piononce
ta condamnation, car le créancier est le citoyen Saint-Sauveur;
le patriote Legendre est le dépositaire que tu as cherché à cor-
rompre, et toi tu es le vil corrupteur.
> Quelle idée aurais-tu d'un homme qui, se croyant proscrit
et oblijjé de vivre dans les caves, recevmit, pendant plus de deux
ans, les soins les plus tendres d'un citoyen peu fortuné et de sa
femme , et qui, pour récompense de ses soins et de ses sact ifices,
éloignant l'homme par une commission feinte, profilerait de son
absence pour lui enlever et sa l^mme et ses meubles? léponds et
prononce ta condamnation , car c'est le citoyen Maquet qui par
ma bouche t'accuse de ces vols qu'il dénonça en présence de mille
témoins prêts à se présenter. »
— Il est probable que Marat n pondit devant l'assemblée élec-
torale dont d'ailleurs il était membre ; mais il n'écrivit rien quant
à la dernière accusation. .
— La seconde discussion des personnes qui eut encore lieu et
qui occupa, en grande partie, trois séances, roula sur l'abbé
Fauchet. Dcsfieux vint rappeler que ce député avait, après le
iO août, été demander au comité de surveillance un passeport
pour M. de Narbonne, et il proposa sa radiation. L'abbé Fauchet
monta à la tribune, convint à peu près du fait, disant qu'il lui
avait été demandé par une personne s'il serait possible d'avoir du
comité de surveillance un passeport pour l'ex-ministre ; qu'il lui
avait répliqué qu'il serait plus facile d'obtenir un mandat d'ar-
rêt. Il avait raconté en riant le fait au comité de surveillance; et
«ur celte anecdote on avait fondé la grande dénonciation. On ré-
o4 ASSEMBLAS LÉCISLATITE.
pondit à l'abbé Fauchet; quelques-uns prirent sa défense ; enfin
la discussion tomba.
Ainsi la société des Jacobins était devenue morne pendant le
travail des élections , par l'absence de ses principaux membres,
KUe ne reprit de l'intérêt que lorsque la Convention eut pris
séance.
Coup o'œiL sur les événemens militaires pej^dant le jiois
DE SEPTEMBRE.
Nous reprenons notre nairaiioa militaire où nous l'avons lais-
sée (i) et nous la commencerons par quelques détails sur la
prise de Verdun.
Celle ville était dominée de plusieurs côtés; ses torlifications
étaient en mauvais état ; el!e ne possédait aucun de ces ouvrages
avancés, aucun de ces ouvrages de campagne destinés à empêcher
les approches , a ks rendre leuies et difficiles. En un mot, les
environs de la place étaient nus comme eu pleine paix. Les Prus-
siens puJ eût dune , après, lavoir sommée ait nom du roi de
Fi'ance, teniei' aussitôt le bombardement, il commença le 51, à
Il heures du soir, et il durait encore dans l'après-niidi du !*■■ sep-
tembre. Quelques maisons avaient été écrasées , quelques autres
endommagés; plusieurs pièces de canon étaient démoulées, et
l'on n'avait pas d'alïùls de rechange ; on manquait aussi de canon-
niers. Depuis vingt-quatre heures ils avaient été employas tous
sur les remparts , car ils formaient utî corps si peu nombreux
qu'il pouvait à peine fournir un homme par pièce ; aussi étaient-ils
excédés de fatigue: enfin l'on se voyait meriacé d'une escalade,
dont on avait lout à craindre n'ayant pour la repousser qu'une
population elirayée et une garnison insiitiisante. Le Conseil dé-
fensif s'assembla donc pour chercher les moyens de suspendre
l'atiaqne. Il délibérait , lorsqu'un parlementaire envoyé par le
duc de Brunswick se prcseiila pour offrir de nouveau une capi-
tulation , et provisoirement une saspension d'armes qui fut ac-
(I ) Voyez page 22bMome XVII.
SEPTEMBRE [ 1792 ). 5o
ceptée. Le feu cessa anssiiôt de paît et d'autre , cependant le
conseil resta assemblé.
C était à lui que , d'apiès une instruction toute nouvelle et qu6
la défiance contre l'arniée avait inspirée au gouvernement, ap-
partenait le jugement de la question. Le commandant de la place
n'y avait que voix consultative; il était soumis à son autorité.
Dans ce cas , la décision du conseil lut telle qu'on devait l'attendre
d'une popuiatioa eflrayée. En vain, Beaurepaire chercha à leur
inspirer des senlimens plus courajfeux; en viiin , tout en conve-
nant que la place ne pouvait tenir qite quelque jours, leur parla-
t-il du salut de la France , de l'utilité d'arrêter pendant ces quel-
ques jours, l'armée ennemie, de leur devoir comme Français
qui leur ordonnait de se sacrifier pour l'indépendance de leur
patrie : on ne l'éconta pas; enfin désespéré: Messieurs , leur dit-
il, j'niJMré d<; ne me rendre (jue mort; survivez à votre honte,
puisffue vous le pouvez : quant à moi, jidcle à mes sermcns , voici
mon dernier mot, je meurs libre i et il se fit sauter la cervelle.
Cette action , dit-on , fut vue d'un œil étonné, stupide ; on enleva
le cadavre; M. de Neyon commandant en second remplaça Beau-
repaire, et le conseil « Considérant que l'ennemi par sa posi-
tion , bombardant continuellement la ville , incendiait les maisons;
que les canonniers ne pouvaient l^iire un service actif, puisque
chaque pièce n'avait qu'un homme pour la servir ; qu'il était plus
avantafjeux pour la nation française de conserver une garnison
de trois mille cincf cents hommes , qui d'après la capitulation of-
ferte, pouvait sortir avec les honneurs de la f^uerre; considérant
enfin l'état de désespoir de la ville qui demandait à capituler, a
arrêté que M. JN'eyon, nouveau commandant de la place, écrirait
au duc de Brunswick qu'il acceptait les difl'érens articles offerts
par S. A. S. » En effet la fjarnison sortit avec armes cl !)0{îages.
Cependant l'acle de Beaurepaire eut un {jrand retentissement
en France. Il fut célébré avec enthousiasme. Le 14, l'assemblée
nationale décréta, qoe son corps serait dépose au Panthéon, et
que son tonjbeau porterait cette inscription : // aima mieux
mourir que de mpituler avec les tyrans. Ce ne fut pas tout , le
o6 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
président au nom de l'assemblée écrivit une lettre de condo-
léance à sa veuve. On assura une pension à sa famille. Les jour-
naux remarquèrent que le courajjeux Beaurepaire était un
homme du liers-élat , simple commandant du bataillon de Maine-
et-Loire, tandis que le traître Lavergne qui avait livré Longwy
sortait de la caste nobiliaire.
Pendant que Longwy et Verdun capHuIaient, le corps d'émi-
grés qui appartenait à l'armée du prince de Hohenlolie insuliait
Tliionville. Il paraît que c'était un paiti pris dans l'armée d inva-
sion de lâter la population et la garnison des places en essayant
de les effrayer à l'aide d'un bonibardement. Les émigrés se pré-
parèrent à imiter ce qui avait si bien réussi aux Prussiens ; mais
une sortie vigoureuse commandée par Wimpfen rendit cette ten-
tative impossible, et ils furent obligés de procéder à un siège ré-
gulier, qu'ils poursuivirent avec d'autant plus de sécurité, qu'en
ce moment on tirait de l'armée de la Moselle un corps assez con-
sidérable appelé par ordre du pouvoir exécutif à couvrir la Cham-
pagne. Kellermann était chargé de le commander.
Au moyen des troupes venues de l'armée du Rhin , le général
Kellermann se trouvait à la tête de vingt-quatre baiaillonsd'infan-
terieelde trente-cinq escadrons, formant quatorze mille quatre
cents hommes d'infanterie, et quatre mille neuf cents chevaux. Il
\int camper leo ùToul; le 7 il se porta à Void entre Bar-le-Duc et
Toul ; le 8 , le gros de l'armée était à Ligny , le 1 1 à Saint-Dizier.
Il hésitait sur sa maiche, attendant des instructions du général
Dumouricr, ignorant les projets de l'ennemi, et poussant des re-
connaissances dans diverses directions. Enfin, il reçoit une lettre
de Luckner qui l'invitait à se rendre à Hevigny, afin d'être à
portée de Dumourier; mais bientôt une autre lettre du maréchal
lui annonça qu'il avait la certitude que les Prussiens allaient se
porter sur Bar. Incertain entre ces deux avis , Kellermann se dé-
cida à se poster à Viti^-le-Français , position moyenne, qui lui
permettait d'être en deux marches sur celui des deux points qui
serait menacé. L'événement prouva aussitôt que ce parti était le
meilleur. Une lettre du général Dumourier l'instruisit de la vraie
SEPTEMBRE ( 1792 ). ^7
marche de l'ennemi, et le 18, il était ù Dampiene-le-Château, à
rexirême droite de Dumourier, à trois lieues en airière de
Sainte-Menéhouîd.
Il faut maintenant détailler les mouvemens du général Dumou-
rier. Il ava.t assemblé , le 30 août, au camp de Sedan, un con-
seil de guerre, dans lequel tous les avis s(; léjnirenl pour mar-
cher rapidement à travers la foret de l'Aigonne vers Cliàlons ou
Reims^ si la première de ces villes était déjà au pouvoir de l'en-
nemi , auquel cis on se couvrirait de la Marne , dont on tenterait
de défendre le passage, en attendant tous les renforts annoncés
qui, après leur arrivée, pourraient donner les moyens de mar-
cher à l'ennemi et de le repousser.
Le général Dumourier, qui avait écouté en silence, congédia le
conseil sans lui faire part de ses résolutions. Il avait reflichi que
reculer, c'était abandonner une vaste étendue de pays sans uti-
lité, laisser l'ennemi libre, lui ôier toute crainte, accroître son
audace , décou; ager ses troupes , démoraliser et peut-cire empê-
cher les renforts qu'on lui promettait, tout perdre en un mot.
Il pensa à se donner le semblant de l'offensive et à disputer le
terrain pied à pied, dans des positions où la d fficullé du sol ren-
drait le nombre et l'expérience inutile, et ou une petite armée
pouvait couvrir et tenir en échec un grand espace de terrain. II
choisit en conséquence l'Argonnepour champ de bataille. Il tint
cependant son projet secret.
La forêt de lArgonne est une lisière de bois qui s'étend depuis
environ une lieue de Sedan , courant sud-est et noid-ouest jusqu'à
Passavant, à une lieue de Sainte-Ménéhould ; d'autres parties de
bois entremêlées de plaines, passant dans la direction de Revigny,
courent vers Rar-le-l)uc; mais lArgonne proprement dite ne
s'étend que jusqu'à Passavant, ce qui lui fait une longueur de
treize lieues. Sa largeur est très-'négale : dans des parties , elle a
jusqu'à trois et quatre lieues de profondeur; dans d'autres, elle
n'a qu'une lieue et même une demi-lieue.
Ll!e sépare le territoire riche et fertile nomn)é auti-efois le
pays des Trois-Évêchés, d'avec la stérile Champagne-Pouilleuse.
jf8 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
Elle est coupe'e par des montagnes, des rivières, des ruisseaux,
des étangs, des marais, qui la rendent impénétrable pour une
marche d'armée, excepté dans cinq clairières qui ouvrent des
routes pour entrer des Evêchés en Champagne. Le premier dé-
bouché est le Chêne-Populeux ; il est tout ouvert et il y passe un
chemin qui va de Sedan à Rhétel. Le second est la Croix-aux-
Bois, deux lieues plus à l'ouest, qui forme un chemin de char-
rettes ('ans la forêt, qui va de Buquenai à Vouziers. Le troisième
est Grand-Pré, à une lieue et demie de la Croix-aux-Bois, par
lequel passe îe chemin de Steaai à Reims. Le quatrième, à deux
lieues et demie de Grand-P;é, conduit de Varennes à Sainte-
Ménéhould et se nomme La Chaiade. Le cinquième, à un peu
plus d'une lieue ouest , est le grand chemin de Verdun à Paris,
par Sainte-Ménehou!d ; il se nomme les Illeites.
Celait ceKe position de treize lieues d'étendue qu'il s'agissait
de défendre ; ei si l'on parvenait à lelenir les tnncinis dans les
défilés de celte forêt, jusqu'à la fin de la ^aison , aux approches
de l'hiver, i!s éfa'cnt forcés fie retourner sur leurs pas, et leur
campagne était manquée. Di'lon avec cinq mille hommes devait
occuper les lilcttes et une position à la Cha!;ide. Dumouiier,
avec son corps d'armée se réservait le poste de Grand-Pré. Un
corps détaché aux ordres de Chazot, devait occuper le passage
de la Croix-aux-Bois. Celui du Citéne-Populeux, le plus à lex-
irémiié nord de la forêt devait être laissé ouvert momentané-
ment faute de troupes suffisantes. Mais le général Beurnonville
recevait ordre d'être le 14 à Rhétel avec la plus grande partie
des troupes du camp de Maulde ; et le général Duval arriva le 7,
avec environ cinq mille hommes. Dix-huit cents hommes par-
faitement équipés et armés, avec quatre pièces de canon, y fu-
rent envoyés par la viile de Reims.
Le plan ainsi arrêté, il s'agissait de g^vgner les positions con-
venues par des marches don! le but et l'intention ne fussent point
pénétrées par l'cnnenii. Il faîhùt manœuvrer devant lui, sur un
lerrein déjà resserré j)ar ses avant-postes. Slcnaisuria Meuse,
était occupé par Clairfait: et les positions qu'il fallait saisir dans
SEPTEMBRE { 1792 ). Hê*
les défilés de l'Argonne étaient toutes plus près des ennemis que
de Tarmée française. Ici commence celle campàjjne qui fait
époque dans l'histoire militaire de la France, et qui décida en
vingt jours des desiinées de l'Europe.
Deux routes conduisaient de Sedan à Grand-Pré et aux lUettes;
l'une, plus sûre, mais plus longue, en longeant la forêt par sa
lisière de l'est : cette roule avait le désavantage d'indiquer nos
projets à l'ennemi , et de lui donner le temps de devancer l'armée
dans tous les posti s qu'elle allait occuper ; l'autre, plus courte et
plus hasardée , en passant entre la Meuse et la lorét , laissait
cependant encore le temps au corps commande par Clairfait, en
avant de Slenai et sur la rive gauche de la Meuse, de prévenir
Dumourier dans la position de Grand-Pré. Mais, au-dessus de
Slenai et sur la rive droite de la Meuse , existe un camp fameux
dans les guerres anciennes, Boiienne, posiiion forte et dès long-
temps reconnue; et Dumourier jugea que, si C'airlail éiait at-
taqué avec des démonstrations décisives et assurées, il se hâte-
rait de repasser la Meuse et d'aller l'occuper. Il n'éiait pas
probable qu'une avant-garde détachée tût Fimprudence d'atten-
dre, avec une rivière à dos, l'allaque de toute l'armée française.
Selon les lois de la prudence, elle devait s'empresser de meure
la rivière entre die et les assaillans. Alors Dumourier avait les
passages libres; il gagnail une marclre sur les Autrichiens, et
était assuré de les devancer dans les défilés de l'Argonne. Ce
qu'il avait piévu arriva. L'avant-garde autrichienne, allaquée
vivement le 51 par le général Dillon , avec six mille hommes,
repassa la Meuse et alla occu^i^er le camp de Bouenne. Dillon ,
cependant, menacé par cfes forces supérieures , se replia, et re-
vint le même jour, en re<îescendanl la 3Ieuse, camper à Moiison ,
où il titiendii l<s ordres de Dumourier. Ceferulant celui-ci envoie
le général Chazolau Chène-Poj uleux,el ()arl lui-même de Sf dan
le 1" ieptcmbre, et le 4 il occupe, avec douze mill« hommes,
le camp dit de Grand Pré, c'est à-dire une posiiioii cnt e l'Aisne
ei l'Eure, ayant sa gauche à Grand-Pié, et sa droite à Marque.
Dillon le précéda dans ce mouvement; le 5, il campa à Curnay,
flO ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
à droite de Marque; le 4, il partit de ce point, et, par une
marche rapide par de mauvais sentiers, traversant plusieurs
fois la ligne des vedelies ennemies, il {jagna , en moins de deux
jours, les Grandes-Illeites , qui lui étaient assignées. Là , il trouva
le général Galbaud, qui y était poslé depuis le 5 , avec deux ba-
taillons et une partie de la garnison de Verdun. Celle marche du
gonéral Dillon reçut à cette époque de très-grands éloges. A
peine arrivé, il s'occupa de se couvrir par des ouvrages de cam-
pagne. Il envoya enlever, dans les vil'age* en avant de sa posi-
tion, les fourragps et les vivres préparés par ordre des Prus-
siens, et fil battre la campagne par des partis de cavalerie, qui
escarmouchèrent plusieurs fois avec l'ennemi. Ainsi, tous les dé-
filés de l'Argonne étaient occupés au plus tard le 7 septembre,
par bitm peu de troupes, il est vrai, puisque toutes les forces de
Dumouticr, soit celles qui étaient sous son commandement im-
médiat, soit celles qui étaient sous les ordres des généraux
Duval, Cliazot et Dillon, ne s'élevaient qu'à vingt-cinq mille
hommes, dont six mille de cavalerie. Mais il ne s'agissait que de
gagner du temps. On attendait, en effet, Kellermann, Beur-
nonville et des bataillons de Soissons.
A celte époque, Dumourier lança la proclamation suivante :
« Citoyens, l'ennemi fait des progrès sur le territoire des
hommes libres, parce que vous ne prenez pas la précaution
de faire battre vos grains, de les porter sur les derrières,
pour qu'ils soient sous la protection des troupes françaises,
d'appoi ter au camp de vos frères les fourrages et les pailles qui
vous seraient payés comptant par vos compatriotes, qui respec-
tent voire propriété. Vous donnez à nos cruels ennemis le moyeu
de subsister au milieu de vous, de vous accabler d'outrages et
de vous remettre dans l'esclavage! Je vous annonce que, si les
Prussiens et les Autrichiens s'avancent pour traverser les défilés
que je garde en force , je ferai sonner le tocsin dans toutes les
paroisses , en avant et en arrière des forêts d'Argonne et de Ma-
zarin ; à ce son terrible, que tous ceux d'entre vous qui ont des
armes à feu se portent chacun en avant de sa paroisse, sur la
ÎKPtKMBRK ( 1792 ). &l
lisière du bois, depuis Chevières jusqu'à Passavant,- que les
autres, munis de pelles, de pioches et de haches, coupent le
bois et entassent des abattis pour empêcher les ennemis de pé-
nétrer! Je requiers, au nom de la loi et au nom de la pairie,
tous les administrateurs de département, de districts, tous les
officiers municipaux, de donner les ordres sur leur responsabi-
lité, pour l'exécution des différens objets de celte proclamaiion.
Quiconque y mettra obstacle sera dénoncé à l'asseinllée natio-
nale comme lâche et pajjure ; mais, comme cette mesure s -rait
trop lente, je déclare qu'en cas que j'y sois forcé, j'emploierai
tous les moyens mihtaires que j'ai dans les mains, pour faire
exécuter ce que je crois nécessaire au salut de la patrie. »
11 faut croire que celte proclamation ne fui pas sans influence;
car nous verrons que , dans quelques jours , les armées ennemies
commencèrent à manquer d'approvisionnemens, tandis qu'ils ne
cessèrent d'abonder dans le camp français, bien qu'à chaque in-
stant, en quelque sorte, il s'accrût de nouvelles troupes.
Pendant ce temps, le général Harville était chargé de former
une armée pour protéger Reims; le général Labourdonnaye d'en
former une autre sur la frontière de Flandre; et au camp de
Soissons, le général Lapoipe terminait l'organisation des batail-
lons au fur et à mesure de leur arrivée, et les faisait filer, soit
sur l'Argonne, soit sur Reims, soit sur la Flandre. Enfin, à
Meaux, on avait établi un camp intermédiaire, où les volontaires
qui arrivaient de Paris recevaient leur première organisation,
pour être envoyés de suite à Chàlons; en même temps, on
étudiait le terrain des bords de la Marne, afin d'y choisir une
position capable de résister, si les défilés de l'Argonne ve-
naient à être forcés. Ainsi l'activité du ministre de la guerre n'é-
tait pas au dessous des circonstances, et la popuL.tion aussi
était animée d'une ardeur militaire qui abrégeait toutes les dif-
ficultés. Mais revenons aux événemens qui se passaient dans l'Ar-
gonne.
Le duc de Brunswick sortit enfin dun repos qui est resté in-
expliciible pour ses amis et ses ennemis. Le 9 septembre, il
ÇK3 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
poussa sur Grand-Pré une reconnaissance qui fut repo'issée.
Alors, jugeanl qu'il y auiuii de l'imprudence à enlieprendre de
chasser de vive foi ce l'arméo IVançiise de celle position , il prend
la résolution : • la tourner par la Croix-aux-Bois cl VouzLers,
d'où ^es iroupes pourront ensuite se diriger à son gré sur Keims
ou sur Cliàlons. Le général Dumourier, prévoyant de son côté
une prochaine agression, demande le 12 septembre, au général
Di Ion, un secouis de deux mille cinq cents hommes, qui arri-
vent le 15. Le même jour, il retira vers lui une partie des trou-
pes q .i gardaient le Chêne-Populeux et la Croix-aux-Bois, lais-
sant dans le premier, qui était le plus éloigné, qualre bataillons
et deux escadrons, sous les ordres du général Bouquet, et dans
le second, sans doute parce qu'il était le plus près, seulement
cent hommes couvons par un abattis. Cependant une reconnais-
sance, poussée le 15 dans la direction et en avant de la Croix-
aux-Bois, et conduite par le général Miranda, lui apprit que
l'ennemi se portait en force sur ce point. Il y eut à Morihomme
un engngemenl très-vif avec l'ennrmi , qui fut repoussé. En effet,
le même j(jur, les Autrichiens de Clairfait se saisissaient ou défilé
de la Croix-au\ Bois et chassaient sa faible garnison. In>iruil de
cet accident, Dumourier envoya sur-le-champ le général Chazot
avec sept bataillons, cinq escadrons et onze pièces de canon ,
pour débusquer l'ennemi. Les Auiiichiens, attaqués le 14 à six
heures du malin, furent, en effet, après un combat irès-meur-
itrier, obligés de battre en retiaite. Le princ<; de Ligne fui tué
^ans celle affaire. Mais bientôt le général Clairfait revient lui-
même à la tète de douze mi'le hommes , et le général Chazot ,
dans rimposjibilité de résister, abandonne le terrain , et repasse
l'Aisne en desordre , pour se retii er a Youziers. En même temps ,
un corps d'émigrés aitatjuail la tiouée du Chêne-Populeux, d'où
ils étaient vigoureusement repoussés par le général Bouquet.
Mais celui-:;i , instruit de l'occupation de la Croix-aux-Bois par
l'ennemi , et cra-gnant d'elle pris à revers et coupé, se replie, à
la faveur de la nuit , sur Aitigni , y passe l'Aisne, et se relire par
Suippe sur Cliàlons, où il arriva le 17.
SiSPTEMBRE (1792). 65
Lps positions dont nous venons de parler étant prises , le gé-
néra! Clairfaii n'avait plus qu'à passer l'Aisne pour resserrer, sur
ses d. I rièrcs, le général Duniourier dans son camp d^ G.and-
Pré, tandis que le duc de Brunswick aurait embrassé le froctdu
général français, qui, eafermé eiilre l'Aire et l'Aisne avec son
aimée, réduite à quinze mille hommes au plus, sans subsistan-
ces, sans communication avec ses magMsii s et les renforts qu'il
attendait, n'auiait eu d'autre parti à prendre que de mettre bas
les armes : mais les Auiricliiens et les Prussiens ne se départaient
pis de 1( ur lenteur liab tuelle.
Le général Dumourier ne se diss'mulail pas le danger où il se
trouvait; mais il sentit que ce n' éiait que par une activité ex-
trême , et en changeant brusquement son plan de défense et son
champ de bataille, qu'il pouvait sauver son armée. En consé-
quence, il prend la résolution de traverser aussitôt la rivière
d'Aisne et de s'en couvrir, en se postant sur les hauteurs d'Autri ,
afin d'empêcher les coalises, s'il en a le temps, de couper sa re-
traite sur Sainie-Méneiiuuld et Cliàîons. En conséquence, il en-
voie ordre au général Ghazoï de paitir à minuit de Vouziers
pour se rendre a Vaux-les-Mouron , alin d'y joindre l'arijiée le
lendemain lo sepiembre. Il dépêche up courrier au général
Beurnonville , à Rhétel , pour lui prescrire de partir au moment
où il recevra sa lettre, (Je forcer ta. marche, de côtoyer l'Aisne
jusqu'à Attigni, et de se diriger ensuite sur Vouziers etSainte-
Jléncljould , où il opéreia sa jonction. H inande à Kcllermaiju ,
qui était à Uévigni, de prendre aussi sans délai la route de Sainte-
Ménéhould. Deux autres courriers sont dépêchés, l'un au général
Sparre, au camp de Psotre-Dame-de-rÉpine, devant Chàlons,
avec ordre d'y réunir touie l'infanterie et toute la cavaleiie dis-
ponibles pour couvrir cette ville; l'autre au g(neral d'Harvilie,
pour tirer de Soissons, Épernai et Reims, toutes les troupes
possibles, tn renforcer le corps à ses ordies, et s'établir entre
Suippe cl Ponl-Faverger, -^ùn Je couvrir Reims. Enfin , Dumou-
rier réel Mie de toutes parts des renforts, surtout en cavalerie ,
ioforme Dillon de su prochaine arrivée à Sainte-Ménéhould, et
64 AâSEMBLËE LÉGlSLATlVfi.
lui recommande de surveiller avec soin les débouchés des lUeites,
de Passavant ei de la Chalade.
Après avoir préparé en secret, le 44, son décampement pour
la nuit suivante, la nuit venue, les postes avancés sur la rive
droite de l'Aire, laissent leurs feux allumés , traversent la rivière
et rompent les ponis après eux. A minuit, on commence à dé-
tendre le camp en silence, et on le quille à trois heures du malin,
le io. On passe l'A'sne, et on se met successivement en bataille,
la droite à Aulrui, pour soutenir l'an ière-garde , qui finit de
passe r la rivière à huit heures du matin. Ce mouvement ne fut
pas inquiété. Alors Dumourier rassuré fait prendre les devans à
son aruUerie ^ers Dauimartin-sous-Hum , où il projette de cam-
per, et la fait suivre par l'armée, qu'il précède, afin de réjjler
l'emplacement du camp. Au moment où il le trace, vers dix
heures du matin, des fuyards surviennent en foule, assurant la
défaite de l'armée, poursuivie vivement par les Allemands. Le
général , apercevant les symptômes d'une déroute dont il ignore
la cause , court à toute bride entre Autri et Cernai , où il
trouve le général 31iianda achevant d'arrêter la fuite de l'infan-
terie. Le prince de Hohenlohe-Ingetfingen, s'etant aperçu de la
retraite des Franças, avait passé l'Aire, et s'était avancé jusqu'à
Senai , d'où il avait poussé de !a cavalerie au-delà de l'Aisne,
pour harceler la queue de nos colonnes. A la vue des hussards
ennemis, les troupes de la division Chazoï , qui débouchait par
Vaux, ayant cté saisies dune terreur punique, s'éta ent précipi-
tées à travers la colonne de l'armée où elles jetèrent la confusion,
qu'une char.jje brusque de hussards augmenta encore. Heureu-
sement les généraux Duval et Slengel avaient conleriu leurs
troupes et repoussé l'ennemi, qui emmena néanmoins quelques
prisonniers, deux pièces de canon et des bagages; sans la fer-
meté de ces généraux, douze cents hussards eussent dissipé l'ar-
mée. Cependant près de deux mille hommes de toutes armes
s'eiifuienl au camp des lllettes, à Khéîel, à Reims, à Chàlons, à
Viiri, puoiant partout la déroute de la totalité de l'armée, et
que les Prussiens vont arriver sur leurs pas ; nouvelle qui répand
SEPTEMBRE ( 1792 ) . jj3
la consternatiou et retarde de toutes parts l'arrivée des renforts.
Mais Dillon fit arrêter les alarmistes qui s'étaient enfuis auprès
de lui, et les renvoya le lendemain à Dumourier, qui les dé-
pouilla de leurs armes et de leur uniforme, leur fit raser les
cheveux et les sourcils, et les chassa comme des làciies-
L'ordre commençait à se rétablir, le campement se formait,
lorsqu'une nouvelle terreur se manifeste subitement à six heures
du soir. L'artillerie attelle et se met en mouvement pour gngner
les hauteurs ; les troupes se mêlent , fuient ; on crie sauve qui
peut ! C'est avec peine que les officiers-généraux parviennent par
leur présence et par leurs exhortations à apaiser cette rumeur
sans sujet. Le lendemain 16, l'ordre étant rétabli, l'armée vient
camper entre Maffrecourt et Sainte-Menehould, sur des hauteurs
un peu en arrière de Valmy.
Pendant que ces ëvénemens se passaient dans le corps d'armée
de Dumourier, Beurnonville s'était mis en marche, selon l'ordre
qu'il en avait reçu. Arrivé à Aure le 16, il poussa une reconnais-
sance, et, apercevant une armée qui marchait sur Sainte-Mene-
hould, il s'imagina que c'était celle du duc de Brunswick; il se
hâta donc de se replier sur Chàlons. Enfin, un aide-de-camp de
Dumourier vint le retirer de son erreur, et il opéra sa jonction
le 18.
Le même jour, 18, l'armée entière du duc de Brunswick, qui
s'était concentrée sur les positions occupées par Clairfait, s'é-
branle, passe l'Aisne à Vouziers; et suivant sur la lisière cham-
penoise de l'Argonne , à peu près la même route que Dumourier
avait parcourue pour se rendre à Saiiite-3Ienehould, vient camper
à 31assige en avant de Maison-Champagne. Les émigrés s'éta-
blirent près de Suippe. Ainsi l'ennemi avait tourné les premières
positions de Dumourier, il se trouvait en ce moment même placé
entre lui et la Champagne ; il avait presque enfermé les Français
dans l'Aigonne; car il était maître de lui couper la grande route
de Chàlons. Une seule route restait libre , c'était celle de Vitry ,
et c'était aussi par là qu'on communiquait avec Kellermann. Le
roi de Prusse qui suivait son armée crut l'armée française per-
T. xvm. 5
66 ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
due, puisqu'il était sur ses derrières , et il pensa qu'elle tenterait
tout pour se faire un passaj^e sur Chàlons. Tel n'était pas cepen-
dant le pî'ojel de Dumourier ; il voulait temporiser, retenir l'en-
nemi autant que possible, le suivre s'il prenait la route de Chà-
lons et de Paris. D'ailleurs il se trouvait à la tête de forces assez
considérables pour que l'ennerai ne fût plus libre de ses mouve-
Diens. En effet la jonrtion de Beurnonville et de Kellermann,
avait porté son armée à cinquante-trois mille hommes; et il savait
en outre qu'entre Chàlons et les Prussiens il y avait divers corps
dispersés , il est vrai , mais qui formaient encore ensemble vingt-
trois mille hommes.
Le camp que Dumourier occupait , et qu'il s'était appliqué à
disposer le plus convenablement pour la défense, était situé à
une lieue en avanî de Sainte-Menehould à droite du chemin qui
mène à Chàlons ; c'esi ui plateau pou é'evé au-dessus des prai-
ries qui bordent son front. La droite de celte position est appuyée
à l'Aisne qui descend de Sainte-31enehould; la gauche se termine
à un étan/j et à des prairies marécageuses.
Une vallée étroite sépare ce camp de la hauteur de l'Hyron et
de ce'le de la Lune, (jui laissa son nom au camp des Prussiens.
L'espace compris entre ces deux hauteurs est un bassin de prai-
ries d'où sortent épais c[ue!qucs tertres isolés. Le plus élevé est
celui du moulin de Valmy. Deux rivières qui tombent dans l'Aisne
au-dessus et au-dessous de Sainie-Menehould, à deux lieues de
distance , l'Auve au sud , au nord la Bionne, ceignent cet espjce.
Le quartier général fut établi à Sainte-Menehould , et se trouvait
au centre, à distance égale de l'armée et de la division de Dillon
aux mettes. Dans cette position extraordinaire, les deux corps
franc iis adossés faisaient, en avaiU et en arrière, front à l'en-
nemi qui , lui-même , avait derrière lui le pays qu'il venait en-
vahir , tandis que l'armée de Dumourier, faisait face à la France.
Tout l'avantage de C3lte situation était en définitive pour les
Français. L'année austro-prussienne ne pouvait marcher en
avant eu laissant une force aussi considérable sur ses derrières ,
et si elle conservait quelque temps celte position , elle ne pouvait
tEPTKMBRE ( 1792 ). 67
manquer d'être affamée. Il ne paraît pas cependant que ce fut
d'après une prévoyance de ce genre, que le roi de Prusse sede-
lennina à allaquer : ce fut !a pensée que les Français se prépa-
raient à se retirer sur Chàlons. On avait remarqué dans l'armée
française plusieurs mouvemens causés par des déplacemens de
corps; la nouvelle était venue qu'un corps considérable était ar-
rivé près de Cîiàlons. On conclut de lu que déjà un corps s'était
échappé du pié^e, ainsi qu'on le disait, où les révolutionnaires
étaient tombés, et que l'armée tout entière se préparait secrèle-
ment, comme à Grand-Pré, à opérer sa retraite. L'ordre de
marcher en avant fut donc donné par le roi lui-même.
En conséquence le 20, à trois heures du matin , l'avant-garde
prussienne vint donner sur celle de Kellermann qui était établi à
Hausefetqui se replia aussitôt sur la hauteur qui le dominait, sur
le plateau d'Hyron où elle fut renforcée. Cependant maître du
villjge de Hans, l'ennemi laissant rilyron à sa gauche lila en
avant pour tourner la position et vint occuper celle di' la I^une, se
plaçant ainsi à cheval sur la route de Chàlons ; mais arrivé là , il
se Irouva séparé de la hauteur de l'Hyron, par le petit plateau
de Valmy où Kellermann était en persoi^ne dès cinq heui't-s du
matin, et où il avait lait établir près du moulin une batterie de dix-
huit pièces. Un brouillard épais , couvrit jusque vers sept heures
les mouvemens des deux armées. Mais le brouillard s'éiant levé ,
le feu commença de part et d'autre. Les Prussiens avaient en
ligne cinquante-huit bouches à feu en quatre batteries, trois de
canons , une d'obusiers.
Le feu se soutint avec vivacité sans être fort meurtrier, jusqu'à
dix heures du matin. Alors il arriva qu'un coup de canon tua le
cheval de Kellermann, cl en uM'ine tenjps des obus (|ui crevèrent
au milieu du dépôt des munitions des Français, lircni sauter deux
caissons d'artillerie dont l'explosion tua et estropia beaucoup de
monde. Dès lors, le désordre se mil parjni le charrois, et les
conducteurs s'enfuirent avec leurs caissons, ce qui ralentit bien-
tôt le feu faute de munitions. Au même instant, sans (ju'on pût
en connaître les moteurs, une partie de liufanlerie faisait uu
GS ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
mouvemenl rétrograde, manœuvre fâcheuse, clans un moment
d'autant plus critique, que l'eDHenii, après plusieurs démonstra-
tions qui avaient pour objet de donner le change, laissant sa ca-
valerie en bataille pour soutenir son infanterie , formait celle-ci
sur trois colonnes, dont celle de droite se portait sur la gauche
du mamelon de Valmy, et les autres sur la direction du mou-
lin. Kellermann, voyant ce mouvement, forme lui-même son
infanterie sur trois colonnes correspondantes d'un bataillon
de front, avec défense de tirer, afin de pouvoir tomber à la
baïonnette sur l'ennemi , au moment où il monterait la hauteur,
et, par une heureuse inspiration, il crie Vive la nation! Ce cri aus-
sitôt répété d'un bout de la ligne à l'autre et prolongé pendant
un quart d'heure, électrise les troupps, et fait succéder l'allé-
gresse et la confiance à la morne inquiétude qui auparavant les
dominait. Cependant, les colonnes prussiennes foudroyées par
l'artillerie commencèrent à flotter et enfin se replièrent précipi-
tamment sans attaquer. On recommença à se canonner des deux
parts d'unehauteur à l'autre. Vers six heures, les Prussiens recom-
mencèrent leur mouvement du matin. On leur opposa les mêmes
dispositions; les mêmes cris témoignèrent de l'impatience de
combattre de près ; mais le feu de l'artillerie eut le même succès
que le matin. A sept heures la canonnade cessa. Les Français
eurent à peu près neuf cents hommes tués ou blessés ; la perte
des Prussiens fut évaluée à un nombre à peu près semblable.
Telle fut la fameuse canonnade deVaImy.
Dès l'instant où le général Kellermann se crut débarrassé des
attaques de l'ennemi , il songea à aller camper au- de là de l'Auve,
de manière à menacer la droite de la position occupée par l'en-
nemi sur la hauteur de la Lune; en conséquence, après avoir laissé
le général Stengel avec quelques troupes pour allumer des feux
sur la ligne, afin de donner le change, il opéra le mouvement
qu'il avait projeté. Cependant le duc de Brunswick s'était pen-
dant la nuit préparé à attac[uer de nouveau le plateau de Valmy,
mais il s'arrêta en voyant les Français se mettre en bataille sur
sa droite. Vers les sept heures , ceux-ci commencèrent à canonner
SEPTEMBRE ( 1792 ). 60
les Prussiens par le flanc. Cela les détermina à se replier sur le
cabaret de la Lune où ils élevèrent une redoute. C'était s'avouer
vaincus , et en effet dès ce moment les Prussiens cessèrent de
prendre l'offensive. Nous verrons ailleurs les suites politiques de
cette affaire.
Pendant que les Prussiens attaquaient sur la route de Châlons,
les Ilessois campés derrière Clermont avaient attaqué Dillon aux.
Grandes-Illettes. L'attaque de ceux-ci fut plus malheureuse que
celle des Prussiens, car ils furent poursuivis jusque dans les jar-
dins de Clermont la baïonnette dans les reins (1).
(1) Nous avons emprunté cette narration au Tableau historique de la guerre
de la révolution , par Servan, ministre de la guerre , aux Mémoires d'un homme
d'état, au Compte-Rendu du génénil Dillon , enfin à {'Histoire de la révolution,
parToulongeon. INous avons, en outre , le plan de toutes les opérations sous les
yeui. Les auteurs que nous avons copiés sont tous d'accord sur les faits ; seule-
ment Toulongeon s'est trompé sur quelques dates. ( Kote des auteurs. )
DOCUMENS COMPLEMENTAIRES
AU
MOIS DE SEPTEMBRE 1792.
Il nous a paru indispensable soit pour rendre celte collection
plus complète qu'aucune autre qui ail été faile , soit pour ne laisser
échapper aucun documenL historique imporlant, soit pour donner
à nos iecieurs tous les moyens nécessaires pour porter un juge-
ment fondé sur Fépoque que r:0us venons de décrire, il nous a
paru indispensable de rapporter les meilleures des brochures
contemporaines, écrites par les témoins des terribles scènes de
septembio. ?S'ou(jaret fut le premier, nous le croyons, qui forma
une collection de ce genre ei ia fil imprimer en l'an V (1797
vieux style) sous le titre de Hisloire des prisons de Paris; celte
collection, quoique volumineuse, est loin d'être aussi complète,
sous le rappoii historique, que le sera la nôtre. L'éditeur se
laissa entraîner par la passion de j^laider contre l'époque de la
terreur, et par le mode d'intéresser par le dramatique des scènes.
Aussi ne coniient-e:le pas les pièces les plus iriportanies, ni les
renseignemers historiques qui méritent le plus de foi. Elle est
trop mélangée d'anecdoies où l'imaginaiion a la part principale;
et elle porte lellemenl le caciiet d'un plaidoyer, qu'elle repousse
la confiiince, — En 1825, 3IM. Berville cl Barrière, ont publié
à leur tour un volume de mémoires sur les journées de septem-
bre. Ils le composèrent d'un petit nombre de brochures contem-
poraines, et de quelques extraits. Mais le même esprit qui ani-
mait IN'ogaret dicta si ce n'est le chuix des brochures, au moins
les préfaces, les notes et les exirails. Un vernis général d'exagé-
ration est répandu sur tout le livre ; et en même temps , la citation
des textes lui donne une grande apparence de vérité; en sorte
I
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 71
que, depuis cette publication , la plupart des historiens ont été
entraînés dans les mên:ies excès.
De là résulte pour nous, selon la pensée qui préside à cette
histoire , et qui consiste à dégager les faits révolutionnaires de
toutes les passions qqi ont pu les obscurcir, il en résulte la né-
cessité de réimprimer ces pièces, de compléter les extraits, et
d'écîaircii'letout par radjonction de quelques pièces et de quel-
ques extraits. Ainsi notre collection sera plus complète qu'aucune
autre, sous le rapport historique.
Nous commencerons par la brochure de l'abbé Sicard. L'événe-
ment qu'il raconte fit commencer le massacre. On remarquera
que, dans quelques points, son récit diffère du nôtre; mais l'on
remarquera aussi que c'est dans les choses qui ne lui sont pas
personnelles.
A la suite nous imprimerons la brochure de Journiac Saint-
Méard qui était détenu à l'Abbaye, elle peut donner une idée de
la manière dont les jugeniens étaient prononcés.
Nous placerons après un extrait de la relation de Maton-de-la-
Varenne, qui était détenu à ia Force. Celle-ci peut être considérée
comme une pièce rare.
Nous continuerons par une extrait de la brochure ayant pour
titre La vérité loul cniiere, etc. , par Méhée fils, secrétaire-gref-
fier de la Commune du 10 août; mais nous n'en supprimerons
que ce qui n'est point historique , que ce que l'on pourrait appeler
la partie purement littéraire. Cette brochure est devenue une
pièce rare; nous l'avons vainement cherchée dans les bibliothèques
publiques; et nous en devons la communication a M. Maurin , au-
quel nous devons, d'ailleurs, tant sous d'autres rapports. Enfin
nousiermineronsparlinsettion de diverses petilftspièces, dont une
doit être signalée comme fort rare : c'est celle qui a pour titre :
Histoire des hommes de proie, ou les crimes du comité de swveil'
lance, elc. Elle est curieuse surtout en ce qu'elle raconte l'his-
toire intérieure de ce comité ; elle n'est guère exacte qu'en cela ,
ainsi que nos lecteurs pourront le voir en consultant notre propre
narration,
72 DOCTOIEXS COMPLÉMENTAIRES.
RELATION
PAR M. L'ABBE SICARD,
Insliluteur des sourds et muels , à un de ses amis , sur les dangers
qu'il a courus les 2 et o septembre 1792 (1).
Les malheureux événemens des 2 et 3 septembre , dont j'étais
une des victimes désignées , occupent dans mon souvenir une
place trop importante, pour que je ne sois pas toujours prêt à
en faire le récit le plus exact. Mais vous ne vous contentez pas,
ami trop sensible , de ce que je vous en ai rapporté dans l'inlimité
de la confiance, vous voulez en avoir l'his'oire par écrit. Je dois
trop à votre bon cœur pour vous rien refuser. Je vais donc écrire
cette histoire si déshonorante pour notre siècle, et dont la posté-
rité concevra difficilement toutes les horreurs.
Le serment de la Constitution civile du clergé, exigé de tous
les fonctionnaires publics ecclésiastiques, avait jeté dans le sanc-
tuaire le germe d'une division fatale. L'assemblée constituante,
en décrétant l'obligation de ce serment, laissait les fonctionnaires
libres de le prêter ou de le refuser. Le refus, au terme de la loi,
valait une démission. Quelques-uns le prêtèrent. Le plus grand
nombre s'y refusa et fut dépossédé. La loi laissait le choix entiè-
rement libre ; et cependant on donna aux uns le titre de bons
citoyens ; les autres furent appelés réfraciaires.
Dans le mois d'août 1792, la même assemblée crut devoir
commander un second serment qui fut appelé le serment de la
liberté et de l'égalité. Le premier n'était point dans mes principes
religieux, et on ne l'exigea pas de moi. 3Iais quand j'appris que
l'on avait décrété un second serment , purement civil , je crus de-
(<) Ce récit fut publié pour la première fois dans un recueil périodique qui
paraissait sous le litre à' Annales religieuses.
JOURNÉES DK SEl'TEMBUi: ( 17î)2 ). 75
voir en offrir la prestation que j'accompagnai d'un don civique de
deux cents livres.
C'était l'instant où la municipalité de Paris remplissait les pri-
sons des malheureuses victimes dont elle avait projeté le massa-
cre. Plusieurs sections arrêtèrent, par ses ordres, tous les prê-
tres appelés réfractaires , et ceux qu'on savait avoir quelques
liaisons avec eux. Toutes les haines se réveillèrent, et nul homme
de bien ne fut à l'abri de la suspicion.
Je n'avais qu'un seul ennemi dont je tairai le nom et l'intrigue,
et qui me devait plus d'un bienfait. Il n'attendait que le moment
de me perdre; il se réunit à quelques factieux dont le 9 thermi-
dor a puni les nombreux attentats; il obtient un mandat contre
moi , et l'on vient l'exécuter le 26 août 1792.
C'était le moment où j'allais faire la leçon des sourds et muets ;
j'étais occupé à ma correspondance, quand je vois entrer dans
mon cabinet un menuisier du voisinage, nommé Mercier , accom-
pagné d'un officier municipal, tous deux suivis d'environ soixante
hommes , armés de fusils , de sabres et de piques. Mercier m'an-
nonce qu'il vient , de la part de la Commune , pour me mettre en
état d'arrestation. Je l'écoute de sang-froid, et lui demande s'il
m'est permis de prendre les lettres que je viens d'écrire pour les
envoyer à la poste. Mercier répond qu'il se saisit de mes lettres
et qu'il faut môme que je vide mes poches pour lui donner tout
ce qui s'y trouve; qu'il va procéder à mettre le scellé sur tous
mes effets. Je demande s'il me sera permis d'emporter mon bré-
viaire, et je prends en môme temps un volume de pluS;, intitulé :
Relicjion chrétienne médilée dans le véritable esprit de ses maximes.
Mercier m'arrache ce livre des mains , et faisant effort pour en
lire le titre, il dit à chaque mot : € C'est contre-révolutionnaire ;
» il faut faire meniion daas le procès-verbal que Sicard a voulu
» prendre ce livre et l'emporter à la place de son bréviaire. > Le
menuisier fouilla dans toutes les armoires , en homme du mé-
tier, jusqu'à ôier tous les fonds , soupçonnant qu'il y eût quelque
écrit digne de sa censure.
Enfin quatre heures s'étanl passées à l'examen et au scellé de
74 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
mes effets , je suis mené avec tout cet appareil militaire au comité
de ma section : c'était celle de l'Arsenal. Le comité était complet.
Plusieurs membres , en me voyant arriver , ne purent se défendre
d'une secrète joie. On me fait asseoir à l'écart; on se regarde,
et le rédacteur du procès-verbal demande tout bas au président ■,
Que dirons-nous pour motiver son arrestation ? — // n'y a qu'à
dire, répondit le président, qu'il faisait des rassemblemens de prê-
tres chez lui. Personne ne m'adressa la moindre parole. Mercier
seul est interpellé pour savoir qui me conduirait à la mairie?
Celui-ci répond qu'il a du monde à diner et qu'il ne peut revenir
que fort lard. On rit de son scrupule, et on l'invite à ne revenir
qu'à sa commodité. Sicard , ajoute-t-on , est fait pour attendre.
On se relire et on me laisse sous la garde de quelques sans-
culottes.
On revient à cinq heures pour m'amener au comité d'exécution.
On me propose de prendre une voiture pour éviter les désagré-
mens d'être conduit par des soldats. Je réponds à Mercier que
si la honte est pour moi je veux la subir tout entière ; que si elle
est pour eux, je ne dois pas les y soustraire.
Nous marchons donc à pied vers la mairie, précédés et suivis
de baionneites.
L'un des deux officiers ayant affaire dans une maison près la
place de Grève, l'autre l'y suivit, et je me trouvai seul avec mes
gardes lorsqu'un de ces volontaires, étonné de voir ainsi mener
en prison un homme dont l'extérieur tranquille n'annonçait rien
de crimijiel, me demanda mon nom. Il ne l'eut pas plus tôt en-
tendu , qu'il leva les yeux et les mains vers les cieux , en s'écriant :
« Quoi! c'est vous que l'on conduit en prison, vous, l'ami de
l'humanité, le père, bien plus que l'instituteur des pauvres
sourds et muets ! Et de quoi vous accuse-t-on ? Quel est donc
votre crime ? Ah ! permeitez-moi d'aller admirer vos travaux
quand vous serez rendu à votre famille que votre détention va
désoler. > Je supprime les plus flatteurs éloges que ce bon vo-
loniaire me piodigua, m'appelani, au gré de son enthousiasme ,
je digne successeur de l'abbé de l'Épée , l'émule de Locke, de
journI^.es de septejibre (1792). 75
Gondillac, et m'honorant de divers autres titres illustres qui flat-
laienl moins mon cœur que l'intérêt même que cet inconnu pre-
nait à mon sort, ajoutant: < Et c'est vous, homme rare et pré-
cieux , que l'on emprisonne ! > Lorsque mes deux satellites en
chef revinrent, ils me traduisirent à la mairie. Je fus introduit
dans une salle basse où se tenait le comité d'exécution. Là, au-
tour d'une grande table, des hommes à chevelure jacobite rece-
vaient les prisonniers qui se succédaient dans cet antre , pour
être inscrits et dépouillés des clefs de leurs secrétaires scellés par
les exécuteurs de leurs ordres. On me fait signe de m'asseoir
dans un coin. Mercier dit à l'un d'eux : « Voilà l'abbé Sicard que
nous vous amenons; nous en aurions bien d'autres à traduire, si
nous avions de plus grands pouvoirs. — De plus grands pouvoirs ,
répond cet homme , vous n'y pensez pas ! Vous en donner de
plus grands serait borner ceux que vous avez déjà. Oubliez-vous
donc que vous êtes les souverains , puisque la souveraineté du
peuple vous est confiée et que vous l'exercez en ce moment?
Amenez-nous donc tous ceux que vous pourrez découvrir. »
J'étais à jeun, et il était six heures du soir, lorsqu'un piquet
d'hommes eut ordre de me mener à la salie du dépôt. Je passai
dans la salle d'enregistrement où mon nom causa la même sur-
prise aux soldats de mon escorte. Enfin je monte à celte grande
salle, qui, dans le temps où l'hôtel de la mairie était occupé par
le premier président du parlement , servait de grenier a foin.
Avant que d'entrer, les petits morceux de papier qui servaient de
sinels à mon bréviaire furent considérés avec une singulière at-
tention. On les rapprochait ; on lâchait d'y trouver quelques mots
conlre-révoluiionnaires ; enfin n'y trouvant rien, on me jeta dans
cette grande salie remplie d'une foule d'hoiiimes de toutes les
classes, renfermés là sans savoir pour quelle faute. J'avance quel-
ques pas au milieu d'eux, et aussitôt, un vieillard respectable,
le curé de Saint-Jean en Grève, s'élance dans ujes bias, et, ou-
bliant ^a propre arreslalion, il ne paraît occupé que de la mienne.
Plusieurs détenus m'enviionnent; j'en reçois les mêmes témoi-
gnages d'intérêt. Je retrouve parmi eux plusieurs connaissances
76 DOCUME.NS COMPLÉMENTAIRES. j
et quelques amis. Leur société m'offre les ressources de l'amitié la
plus dévouée. La nuit arrive ; je partage le lit de paille du respec-
table vieillard. J'essayais à peine ce lit de repos, lorsqu'on amène
deux prisonniers chers à mon cœur, et employés à mon institu-
tion. L'un éiait un prêtre, mon instituteur adjoint, nommé Laii-
renl, l'homme le plus doux, le plus vertueux et le plus coura-
geux. L'autre éiait un surveillant laïc, nommé Labrouche, que
son amitié pour moi avait rendu suspect, t Me voilà donc associé
à votre persécution , comme je l'étais à vos principes , mon cher
maître, me dit l'abbé Laurent; que je me trouve heureux d'avoir
été jugé digne de souffrir persécution pour une si belle cause ! »
Cependant les sourds et muets mes élèves, auxquels j'avais été
ravi, ne pouvaient se consoler de cet enlèvement. Ils vinrent le
lendemain matin à ma prison, me demander la permission de me
réclamer à la barre de l'assemblée. Massieii (1) , en me voyant
renfermé et gardé comme un criminel , fit , en présence des gar-
des de la prison, des signes d'un intérêt si touchant , qu'il les at-
tendrit tous. 11 me remit une copie de la pétition qu'il allait faire
à l'assemblée. En voici le précis :
c Monsieur le président, on a enlevé aux sourds et muets leur
instituteur, leur nourricier et leur père. On l'a enfermé dans
une prison, comme s'il était un voleur, un criminel. Cependant
il n'a pas tué , il n'a pas volé ; il n'est pas mauvais citoyen. Toute
sa vie se passe à nous instruire , à nous faire aimer la vertu et la
patrie. 11 est bon, juste et pur. Nous vous demandons sa liberté;
rendez-le ix ses enfans , car nous sommes ses fils. Il nous aime
comme s'il était notre père. C'est lui qui nous a appris ce que
nous savons. Sans lui , nous serions comme des animaux. Depuis
qu'on nous l'a ôté, nous sommes tristes et chagrins. Rendez-
nous-le; vous nous ferez heureux. »
Cette lettre, portée à la barre par Massieu , fut lue par un se-
crétaire et couverte d'applaudissemens. Un décret fut rendu, qui
(4) Tons ceux qui connaissent mes leçons connaissent les talens distingués de
ce jeune sourd et muet, aussi intéressant par les diverses conceptions de son es-
prits que par les affections de son cœur. ( A'ote de l'abbé Sicard. )
JOCRNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 77
ordonnail au ministre de l'intérieur de rendre compte au plus tôt
à l'assemblée des motifs de l'arrestalion de l'insliluleur des sourds
et muets.
Un jeune homme, appelé Duhamel, nommé depuis un de mes
adjoints, alla se joindre aux sourds et muets à la barre, s'offrit
en otagre, et demanda à pouvoir se constituer prisonnière ma
place. Ce trait de courage fut très-applaudi.
Cependant les jours se passent sans que le décret rendu en ma
faveur reçoive aucune exécution. Nous louchions au 2 septembre,
quarante-huit heures avant le terrible discernement qui devait se
faire daus la prison de la mairie. Manuel, alors procureur de la
Commune , est annoncé : il est aussitôt entomé de la plupai t des
prisonniers qui espéraient savoir de lui quelque chose de positif
sur leur destinée. Voici le discours perfide que leur tint ce scélé-
rat : « Je viens, messieurs, vous apporter des paroles de paix et
de consolation ; dans trente-six heures , vous recevrez de la mu-
nicipalité le détail des mesures d'exécution de la loi de la dépor-
tation, à laquelle sont condamnés tous ceux qui n'ont pas fait le
serinent civique, et douze heures après vous serez libres, et vous
aurez quinze jours pour vous préparer à votre voyage. Mais il
faudra que chacun prouve qu'il est prêtre; car l'avantage de sor-
tir en ce moment de la France est une faveur que bien des gens
enviraient. »
Quelques détenus , se montrant sensibles à l'honnêteté préten-
due d'un tel discours, en furent improuvés par le plus grand
nombre, qui n'osèrent trop se fier aux paroles d'un Manuel.
Nos momens s'écoulaient dans la paix et la tranquillité de nos
âmes. Nos enireiiens, exempts du moindre sentiment haineux,
et n'ayant pour but que notre propre réforme, roulaient sur la
morale, sur nos devoirs, sur l'espérance que nos principes,
comme nos intentions, sciaient un jour mieux connus, et qu'on
leur rendrait alors plus de justice. Chacun faisait ensuite des
projets pour l'avenir. Je résolus, si l'on me déportait, de me re-
tirer dans une ville capitale, où l'on me pressait d'aller londer un
établissement pour les sourds et muets. Je l'écrivais à un de mes
78 DOCUME.NS COMPLÉMENTAIRES.
amis. Il éiait question de faire passer celte lettre; elle fut arrêtée
à la porte. L'officier de garde me dit en la lisant : f Que cette
lettre ne pouvait passer ; qu'il ne pouvait être permis à aucun
Français d'à'! • porter à des étrangers une découverte quelcon-
que. — Oh ! lui dis-je, si vous saviez ce que c'est que celle dé-
couverte ! c'est l'art d'instruire Ips pauvres sourds et muets. —
Oh ! si ce n'est que cela , me répondit-il, votre lettre peut passer
et vous pounez partir. »
L'annonce de Manuel se réalisa en partie. Nous reçûmes la
publication de la loi de déportation avec les mesures d'exécution
arrêtées par la municipalité. Douze heures se passent encore.
L'en ne parle plus que des préparatifs du départ et des moyens
de se rendre son exil plus lolérable. Trois conuiiissaires se pré-
sentent le samedi , veille du 12 septembre , pour prendre les noms
de ceux qui vont être mis en liberté. On les entoure , on les
presse. C'est à qui donnera son nom pour le faire inscrire sur la
fatale liste. Un de mes adjoints, Laurent, est le premier. Je
causais avec un nouvel ami que je m'étais fait dans les prisons j
lorsqu'on vient me reprocher ma lenteur à me faire inscrire. Je
m'avance, et je donne mou nom. On l'écrit; il me vint alors à
l'idée d'ajouter que je suis l'instituteur des sourds et muets. On
me dit que je ne puis sortir ce jour-là avec les autres j et l'on
efface mon nom. Le surveillant Labrouche veut donner le sien;
on lui demande s'il est employé dans mon insiitulion, et sur sa
réponse affirmative , on refuse de l'Inscrire.
Que milait-il penser d'une exception aussi extraordinaire ? Je
crus que les motifs de mon arrestation n'étant pas encore com-
muniqués à l'assemblée, j'étais retenu jusqu'à ce qu'ils le fussent.
Tous mes camarades, devenus mes amis, nie quittèrent en m'em-
brassant. Tous me téii.oignerenl leur douleur de nie laisser. Un
d'eux surtout me donna les plus grandes marques de tendresse.
Rien ne rapproche tant que l'idée d'infortune. « Nos écux âmes,
me dit il , s'etaif-nt collées t'uue à l'autre ; elles s'étaient touchées
par tous les points. Je viendrai vous revoir, ajoutait-il. Mon
JOURNÉES DÉ SEPTEMBRE (1792). 79
cœur demeure auprès de vous ; nous ne pouvons plus vivre sé-
parés. »
Toute la prison devint en un instant un vrai désert. J'y étais
resté seul avec le surveillant Labrouche et un ancien avocat au
parlement de Paris, nommé Mari'in de Marivaux. Cette salle
énorme me parut couverte d'un voile funèbre, et rien ne fut
plus triste pour moi que cette affreuse solitude.
Mais bientôt elle devait être remplie par de nouvelles victimes.
La nuit du 1" au 2 septembre , je vis arriver vingt-quatre pri-
sonniers qui prirent la place de ceux qui m'avaient quitté. Je
crus que mes camarades avaient obtenu leur liberté et qu'ils s'é-
taient retirés chez eux.
Quelle fut ma surprise! quand, le lendemain , ceux qui ve-
naient régulièrement visiter leurs amis dans la prison revinrent
pour les voir. « Vous les trouverez chez eux, disais-je à tous
ceux qui se présentaient; on vint hier au soir les mettre en
liberté. — Ils ne sont pas chez eux, me répondirent-ils, nous en
venons. — Peut-être ont-ils été transférés dans une autre prison.»
Ils étaient en effet à l'Abbaye. On revint m'en apporter la fâ-
cheuse nouvelle. J'en fus consterné.
Cependant le ministre de i'intéi ieur avait fait demander à Pé-
tioD, alors maire de Paris, les moiils de mon arrestation. 11
avait répondu que cela ne le regardait pas; qu'il fallait s'adres-
ser au comité d'exéculion. Le comi'.é répondit à son tour que
les scellés ayant été apposés sur mes papiers, on n(; pouvait ren-
dre compte de ces motifs. C'était un prétexte imaginé pour justi-
fier le refus. On n'ignorait pas à la mairie que l'assemblée légis-
lative voulait me sauver, si mes accusateurs ne pouvaient rien
prouver contre u;oi ; et l'on voyait bien que les motifs de mon
arrestation ne seraient pas trouvés suffisans. L'assemblée géné-
rale de la section de l'Arsenal avait d'ailleurs rendu la veille un
arrêté qui invitait toutes les autorités constituées àme faire subir
la loi dans toitle son étendue, * attendu qu'il était prouvé que
j'étais un fauteur de la tyrannie; que j'entretenais correspon-
dance avec les tyrans coalisés ; (|u'il fallait se hâter de me dcsti-
80 BOCCMENS COMPLÉMENTAIRES.
tuer et de me remplacer par le savant et modeste Salvan. > Il fut
dit, en outre , que cet arrêté serait porté sur-le-champ à tous les
guichetiers des prisons, à la Commune , etc.
On doit se rappeler qu'au moment ou l'on vint opérer la trans-
lation des prisonniers de la mairie à l'Abbaye, je fus excepté du
nombre des transférés. Il est évident que l'on voulait alors me
sauver. 3Iais l'arrêté, rendu par trois scélérats de la section de
l'Arsenal, dans la nuit qui précéda le 2 septembre, avait changé
toutes ces bonnes dispositions. Ma perte venait une seconde fois
d'être jurée. Déjà on se disposait à l'affreux massacre ; nous tou-
chions au moment fatal. On nous apporte à dîner, il était deux
heures; on entend tirer le canon d'alarme, chacun des prison-
niers s'en étonne, un trouble subit agite toutes les âmes; tout y
jette l'épouvante et l'horreur. Un de nous, inquiet, agité, se porte
vers une fenêtre ; il dislingue plusieurs soldats dans la cour de la
mairie. Il leur demande la cause de ce canon d'alarme : < C'est,
lui dit-on, la prise de Verdun par les Prussiens. > C'était une
fausseté; Verdun ne fut pris que quelques jours après. Tout le
monde sait aujourd'hui que le canon d'alarme devait, dans ce
jour de sang, être le signal du massacre. Tous les assassins
avaient ordre de commencer les égorgemens au troisième coup.
A l'instant même, des soldats avignonnais et marseillais se
précipitent en foule dans notre prison. Ils renversent les ta-
bles , nous saisissent et nous jettent dehors, sans nous donner le
temps de prendre nos effets. Réunis dans la cour, ils nous annon-
cent qu'on va nous conduire à l'Abbaye, où nos camarades avaient
été transférés la veille. Ils nous proposent de nous y rendre en voi-
ture ou à pied; Mariïn de Marivavx demande d'y aller en voilure.
J'étais perdu, avant d'y arriver, si j'avais préféré tout autre
moyen. On fart venir six voitures; nous étions vingt-quatre pri-
sonniers. Ici tous les détails deviennent précieux ; c'est à la ré-
union desnioindres événemens que j'ai dû ma vie. J'allais laisser
mes camarades prendre les premières places de la première voi-
lure , et il importait à mes jours de choisir la première. Martin
de Marivaux me fit monter; il prit la deuxième place, puis un
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 81
autre la troisième. Nous occupions le fond ; Labrouche, sur-
veillant de mon institution, piit la quatrième; deux autres
prisonniers montèrent après lui. Nous voilà six dans celle pre-
mière voiture ; les autres prisonniers remplissent les cinq autres.
On donne le signal du départ , en recommandant à tous les co-
chers d'aller très-lentement, sous peine d'être massacrés sur
leurs sièges , et en nous adressant mille injures : les soldais qui
devaient nous accompagner, nous annoncent que nous n'arrive-
rons pas jusqu'à l'Abbaye; que le peuple, à qui ils vont nous li-
vrer, se fera enfin justice de ses ennemis et nous égorgera dans
la route. Ces mots terribles étaient accompagnés de tous les ac-
cens de la rage et de coups de sabres , de coups de piques , que
ces scélérats assénaient sur chacun de nous. Les voitures mar-
chent : bientôt le peuple se rassemble et nous suit en nous insul-
tant. « Oui , disent les soldats, ce sont vos ennemis, les complices
de ceux qui ont livré Verdun ; ceux qui n'attendaient que votre
départ pour égorger vos enfans et vos femmes. Voilà nos sabres
et nos piques ; donnez la mort à ces monstres. >
Qu'on imagine combien le canon d'alarme, la nouvelle de la
prise de Verdun et ces discours provocateurs durent exciter le
caractère naturellement irascible d'une populace égarée, à la-
quelle on nous dénonçait comme ses plus cruels ennemis. Celte
multitude effrénée grossissait, de la manière la plus effrayante,
à mesure que nous avancions vers l'Abbaye par le Pont-Neuf, la
rue Dauphine et le carrefour de Bussy. Nous voulûmes fermer
les portières de la voiture ; on nous força de les laisser ouvertes,
pour avoir le plaisir de nous outrager. Un de mes camarades re-
çut un coup de sabre sur l'épaule ; un autre fut blessé à la joue;
un autre au-dessus du ne/. J'occupais une des places dans le
fond ; mes compagnons recevaient les coups qu'on dirigeait contre
moi. Qu'on se peigne, s'il se peut, la siluaiion de mon ame
pendant ce pénible voyage.... Le sang de mes camarades com-
mençant à couler sous mes yeux , sans défense, au milieu d'une
populace excitée par ceux même qui semblaient proposés à no-
ire garde , je croyais à chaque instant que nous allions être mas-
T. xvin. (j
82 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
sacrés. Eh! quelle raison y avait-il pour que cela ne fût pas?
Qui pouvait s'y opposer?
Ènlin ndiis arrivons à l'Abbàye ; les é{îorgeurs nous y atten-
daient. Celait par nous qu'ils avaient ordre de commencer. La
cour était pleine d'une foule imrtierise : on entoure nos voitures;
un de nos camarades croit pouvoir s'échapper, il ouvre la por-
tiëre et s'élance du inilieu de la foule ; il est aussitôt égorgé. Un
second fait le même essai ; il fend la presse et allait se sauver ;
mais les égorgeurs tombent sur cette nouvelle victime et le sang
coule encore. Un troisième n'est pas plus épargné. La voilure
avançait vers la salle du comité; un quairième veut é,';a!ement
sertir, H hfynl un coup de sabre qui ne l'empèclie pas de se re-
tirer et de chercher un asile dans le comité (1). Les égorgeurs
imaginent qu'il n'y a plus rien à faire dans cette piemière voiture;
ils ont tué uois prisonniers, ils ont blessé le quaiiième, ils ne
croient pas qu'il y en ait un de plus, et ils se portent, avec la
même raige, sor la seconde voilure.
Revenu de cette stupeur dans laquelle le massacre de mes ca-
marades m'avait jeté , je ne vois plus à mes côtés les monstres qui
assouvissaient leur fureur et leur rage sur d'autres inforlimés.
Je saisis le nioment; je m'élance de la voiture, et je me précipite
dans les bras des membres du comité. Ali! messieurs, leur dis-je,
sauvez linmalheûreux. Les commissaires me rejettent. Allez-vous-
en, me disent-ils, voulez-vous tious faire massacrer? J'étais perdu
si l'un d'eux ne m'eût reconnu. Ah! s'écrie-t-il , c'est l'abbé Si-
card. Eh! comment élïez-vous là? Entrez , nous vous sauverons
aussi lông-lemps ijue nous pourrons. J'entre dans la salle du comité,
où j'aurais été en sûreté avec le seul de mes camarades qui s'était
sativé; mais unei^mme m'avait vu entier. Elle court me dénon-
cer aux égotgeurs. Ceux-ci continuaient leurs massacres. Je me
crus oublié pendàînt quelques minutes; mais voilà qu'on frappe
. I) Le comité dont il est ici quesiioa n'était ni le tribunal qui siégeait sous les
guichets, ui lecumité d'exécution doul l'abbé Sicard a parlé plus haut (page 74);
mais un comité qui, chargé des affaires civiles de la section des Quatue-Nalions,
tM^ait dans ce moment ses séances dans cette redoutalMe enceinte. ÇJSote des aut.)
4
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 4792). 83
rudement à la porte et que l'on demande les deux prisonniers.
Je me crois perdu ; je tire ma montre et je la présente à l'un
des conimiss^iires. Vous la reineltrez,\ini\\s-le, cm preniier sourd
et muet qui viendra vous demander de mes nouvelles. Jetais bien
sûr que cette montre irait à sa destination. Je connaissais l'atta-
chement de Massieu (1); c'était le nommer que de faire celte re-
commandation.
Le commissaire refuse la montre. // n'est pas temps de prendre
ainsi votre parti, le danger n'est pas encore assez pressant, me
dit-il, je vous avertirai.
Cependant les coups bientôt redoublèrent à la porte; on est
prêt de l'enfoncer. Je présente une seconde fois ma montre avec
la même prière. A présent, me dit le eomiiiissaire, à la bonne
heure; je la remettrai à celui que vous dites.
La remise de ma montre était une espèce de testament de mort.
11 ne me restait plus rien à laisser à mes amis. Je me mis à ge-
noux et je fis à Dieu le sacrifice de ma vie.Apeineeus-je fini mon
offrande, je me lève et j'embrasse mon dernier camarade : Ser-
rons-nous, mourons ensemble , la porte vu s'ouvrir, les bourreaux
sont là, lui-dis-je, nous n'avons pas à vivre cinq minutes. Eni\n la
porte s'ouvre. Quels hommes se précipitent sur nous! Quelle
rafïc! Leur fureur les égare quelques momens, J'étais au milieu
des commissaires, vêtu comme eux, peut-élre moins agité et
l'ame plus trantjuillc Ils s'y trompèrent d'abord ; mais un pri-
sonnier qui s'éiait échappé, et que les Ilots de cette horrible
horde avaient transporté dans la salle, est reconnu. Je le suis
aussi , deux hommes à piques s'écrient : « Les voici ces deuxb...
que nous cherchons. » Aussitôt l'un prend ce prisonnier aux che-
veux, et l'auire enfonce à linstant su pique contre sa poitrine et
le renverse mort à mes côtés; son sang ruisselle dans la salle, et
le mien allait couler ; déjà îa pique était lancée, qujind un homm.ç.,
dont le nom doit m'êlre si cher, averti par ses enfans qu'on mas-
sacrait à l'Abbaye et qu'on parlait de l'abbé Sicard, accourt,
fend la foule, et, se piécipilant entre la pique et moi, découvre
(1) L'él^Te si cher à nicn cœur, déjà nommé. (Noie de l'abbé Sicard. )
84 DOCUMENS C0MPLÉMEJXTAIRR9.
i!>a poitrine : «Voilà , dil-il au monstre qui allait m'égorger, voilà
la poitrine par où il faut passer pour aller à celle-là. C'est l'abbé
Sicaid, un des hommes les plus utiles à son pays, le père des
sourds et muets : il faut passer sur mon corps pour aller jusqu'à
Iui„ >
Ces mots , prononcés avec l'accent du courage et du patrio-
tisme, firent tomber la pique des mains du meurtrier. Mais ce
n'était là qu'un danger évité. La rage était sur tous les visages,
et je n'aurais fait (jue retarder ma perte , quand je m'avisai d'un
moyen qui pDuvait l'accélérer, si la Providence m'avait inspiré
moins de sang-froid et de courage.
Presque tous les égorgeurs étaient dans la cour intérieure sur
laquelle donnaient les croisées du comité. C'était ceux-là qu'il
fallait gagner ; ils étaient pour moi les seuls arbitres de la mort
et de la vie. Je monte sur une croisée, et là demandant un mo-
ment de silence à une troupe effrénée, je la harangue ainsi:
< Mes amis, voici un innocent ; le ferez- vous mourir sans l'avoir
entendu ? — Vous étiez , s'écricrent-ils , avec les autres que nous
venons de tuer ; donc vous êtes coupable comme eux. — Ecoutez-
moi un instant, rcp!iquai-je ; et si, après m'avoir entendu, vous
décidez ma mort , je ne m'en plaindrai point. Ma vie est à vous.
Apprenez plutôt qui je suis , ce (jue je fais , et puis vous pronon-
cerez sur mon sort. Je suis l'abbé Sicard. > ( Ici plusieurs spec-
tateurs s'écrient : « C'est l'abbé Sicnrd , le père des sourds et
muets, il faut l'écouter \ * ) ie continue: « J'instruis les sourds
et muets de naissance ; et comme le nombre de ces infortunés est
plus grand chez les pauvres que chez les riches , je suis plus à
vous qu'aux riches. » Je suis interrompu par une voix qui s'écrie :
« Il faut sauver l'abbé Sicard , c'est un homme trop utile pour le
faire périr. Sa vie tout entière est employée à faire de grandes
œuvres; non, il n'a pas le temps d'être conspirateur. » Tous
répètent ces dernières paroles, et tous ajoutent à la fois : « 11 faut
le sauver, il faut le sauver !
Aussitôt les égorgeurs , qui attendaient derrière moi l'effet de
mon discours, me prennent dans leurs bras et me portent au mi-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). $5
lieu de cette troupe de meurtriers qui tous m'embrassent cl me
proposent de me reconduire en Iriomplie chez moi. Comment se
peul-il que je me refusasse à cette proposition qui me rendait
aussitôt à la vie et à la liberté? Un scrupule de justice m*enga/;e
à préférer une prison nouvelle. Je dis à mes juges , qui voulaient
être mes sauveurs , qu'une autorité constituée m'avait l'ait pii-
sonnicr, que je ne pouvais cesser de l'être que par un jugement
légal d'une autorité constituée. On me pressa , je résistai ; on me
ramena au comité ; j'y trouve cet énergique patriote, cet horloger
courageux qui me fit un rempart de son corps. Je lui deniande
son adresse et son nom, et aiissitôt, sans l'en prévenir ( sa mo-
destie ne l'aurait pas permis ), j'écris au président de l'assemblée
la lettre suivante :
« Monsieur le président , l'assemblée nationale n'apprendra
pas sans douleur le massacre de plusieurs citoyens qui, détenus
depuis p'usieurs jours à la chambre d'an et de la .mairie, étaient
transférés à celle de l'Abbaye-Saint-Germain-des-Prés. Je m'em-
presse de faire entendre la faible voix de ma reconnaissance en
faveur du citoyen courageux à qui je dois la vie : C'est Monnot,
horloger, rue des Petits-Augnsiins.
» Dix-sept infortunés avaient été égorgés sous mes yeux. La
force publique n'avait pu les sauver, et j'allais périr comme eux.
Le brave Monnot s'est placé devant moi ; il a ouvert sa poitrine
et a dit:
» Voilà, concitoyens , la poitrine qu'il faut frapper, avant d'aller
jusqu'à celle de ce bon ciloijen. Vous ne le connaissez pas, mes
amis! F'ous allez, le respecter, i aimer, tomber aux pieds de cet
homme sensible et bon, quand vous saurez son nom. C'est le suc-
cesseur de l'abbé l'Epée, l'abbé Sicard. Le peuple ne se calmait pas;
il croyait qu'on voulait, sous mon nom, sauver la vie d'un traître.
J'ai osé m'avancer moi même, et, monté sur une estrade, parler
au peuple , n'ayant pour toute défense que le courage de l'in-
nocence et ma confiance ferme dans ce peuple t'garé.
» J'ai dit mon nom et mes fonctions. Je me suis prévalu de la
protection spéciale de l'assemblé? nationale en faveur de l'insti-
^C DOCUMJiNS COMPLÉMBMAIRtS
tution des sourds et muets et du chef de celte institution. Des ap-
plaudissemens réitérés ont succédé à des cris de rajje. J'ai été mis,
par le peupie lui-même, sous ia sauve^jarde de la loi , ei accueilli
comme un bienfaiteur de l'humanitë par tous les commissaires de
la section des Qualros-IN'ations, qui doit être glorieuse d'avoir des
Monnol dans son sein.
> Permettez, monsieur le président, que je confie à l'assem-
blée nationale le témoignage de ma reconnaissance pour donner
à une action aussi généreuse la plus grande publicité possible.
Une nation chez laquelle des citoyens tels que ceux à qui je dois
la vie , ue sont pas rarf,s, doit être invincible. ^Uconter de pareils
actes d'héroïsme;, est remplir un devoir; les sentir, sans pouvoir
exprimer l'admiration (ju'ils excitent, et ne jamais les oublier,
c'est l'état de mon ame, plus satisfait de vivre avec de pareils ci-
toyens , que d'avoir échappé à la mort. Je suis , etc.
« A l'Abbaye Saint-Cierniaia.le 2 septembre 1792. »
Celte lettre fut apportée v,\i président de l'assemblée législa-
tive par un des concierges de l'Abb^ive. Elle fut lue publiquement,
et suivie d'un décret qui déclarait que Monnot, pour avoir sauvé
l'instituteur des sourds et muets, avait bien mérité de la patrie.
On m't nvoya trois copies de ce décret : une pqur mon libérateur,
une poui' le cosnité de la sectio;.' , une pour moi.
(jÇ coipité était alors rassemblé. On massacrait gousses fenêtres,
dans les cours de i' Abbaye, tous le§ pi jspnrij^ç^^s qu'pn allait cher-
cher dans la grande prison ; et les njenibrcs du comité délibé-
raient tranquillement ctsaps se troubler sur les affaires publiques,
et sans faire aucune attention aux cris des yictimes dont le sang
ruisselait dans la cour. On apportait sur la table du comité les
bijoux , 'es portefeuilles, les mouchoirs dégouttans de sang, trou-
vés dans les poches de ces infortunés. J'étais assis autour de celle
njême table ; on me vit IVcmir à celle vue. Le président ( le ci-
toyen Jourdan) témoigna le même sentiment. Un des commis-
saires nous adressant la parole: Le sanc^ des ennemis, nous dit-il,
est, pour les yeux des patriotes, l'objet qui les flatte le plus. Le
i
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 87
président Jourdan et moi ne pûmes retenir un mouvement d'hor-
reur.
Un de ces boiiireaux, les bras retroussés, armé d'un sabre
fumant de sang , entre d^ns l'enceinie où délibérait ce comité.
€ Je viens vous demander pour nos braves iVères d'armes qui
égorgent ces aristocrales, s'écrie-l-i!, les souliers que ceux-ci ont
à leurs pieds. Nos braves frères sont nu-pieds, et ils parlent de-
main pour les fronlfères. ^ Lesdelibérans se regardent, et ils ré-
pondirent tous à la Ibis : « Rien n'est plus juste ; accordé. • ,
A celle demande en succède une autre : « Nos braves frères
travaillent depuis long-temps dans la cour, s'écrie un autre égor-
geur qui entre iout essoufflé au comité ; ils sont fatigués , ieur^
lèvres sont sèches ; je viens vous deniander du vin pour eux. »
Le comité arrête qu'il leur sera délivré un 6on pour vingt-quafre
pots de vin.
Quelques minutes après, le même lioniine vient renouveler la
même demande; il obtient encore un autre bon. Aussitôt entre
un marchand de vin , qui vient se plaindre de ce que l'on donne
la pratique aux marchands étrangers quand jl y.^ qyelq^a bonn^
fêle. On l'apaise en lui permettant d'envoyer aussi cje son via
aux braves frères qui iravaïUaïcnl dans la çpur.
On annonce un commissaiio de la Cqiiimune, qui, par §oa
ordre, parcourait les différentes seclions. Il entre et adreise ces
mots au comité : « La Commune vous fait dire qije si vous avez
besoin de secours, elle vous en enverra. — Non, lui répondirent
les commissaires, fout sç passe bien chez nous. — Je viçns , ré-
pliqua-l-il, des Carmçs et i\Qs antres prisons , tout s'y passe éga-
lement BIEN. »
Ct'ite réponse expi;(|uera ij ceux qui pourraient l'ignorer en-
core , (|uelle part prenait aux événcmens de celte affreuse
journée la Commune de Paris.
La nuit étant déj:i foriavancéc, je demandai au comité la permis-
sion de me retirer. On ne savait trop ou m'envoyer. Le concierge
de l'Abbaye offrit de me donner a^ije chez lui. Je préférai d'élre
mis dans une petite [-lison qu'on nonanait le violon . et qui était
SS ftOCDMENS COMPLÉME>TAraES.
à côté de la salle du comité. Ce fut encore ici une marque sig^na-
lée de la protection divine; car si je m'étais reiiré chez le con-
cierge, j'aurais péri comme deux autres infortunés qui y allèrent
sur mon refus, et qui y furent massacrés.
Quelle nuit que celle que je passai dans cette prison ! Les mas-
sacres se faisaient sous ma fenêtre; les cris des victimes, les
coups de sabre qu'on frappait sur ces têtes innocentes, les hur-
lemens d'S égorjjeurs, les applaudissemens des témoins de ces
scènes d'/iorreur, tout retentissait jusque dans mon cœur. Je
distin(juais la voix même de mes camarades qu'on était venu
chercher la veille à la maiiie. J'entendais leurs questions et leurs
réponses; on leur demandait s'ils avaient fait le serment ci-
vique : aucun ne l'avait fait. Tous pouvaient échapper à la n.orl
par un mensonge; tous disaient en mourant : t rs'ous sommes
soumis à vos lois, nous mourrons tous fidèles à votre Constitu-
tion ; nous n'en exceptons que ce qui regarde la religion et in-
téresse nos consciences. »
Ils étaient aussitôt percés de mille coups, au milieu des vocifé-
rations les plus horribles. Les spectateurs criaient , en applaudis-
sant : Five la nation ! et ces cannibales faisaient des danses abo-
minables autour de chaque cadavre.
Vers les trois heures du malin , quand il n'y eut plus personne
à égorger, les meurtriers se ressouvinrent qu'il y avait quelques
prisonniers au violon ; ils vinrent frapper à la petite porte qui
donnait sur la cour. Chaque coup était pour nous une annonce
de mort : nons nous crûmes perdus. Je frappai doucement à la
porte qui communiquait à lu salle du comité, et en frappant je
tremblais d'être entendu par les massacreurs qui menaçaient
d'enfoncer l'autre porte. Les commissaires nous répondirent
brutalement qu'ils n'avaient point de clef. 11 fallut donc attendre
patiemment notre affreuse destinée.
Nous étions trois dans cette prison ; mes deux camarades cru-
rent apercevoir, au-dessus de notre tête, un plancher qui nous
offrait un moyen de salut. Mais ce plancher était très-haut; un
seul pouvait y atteindre en montant sur les épaules des deux au-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 89
très. L'un d'eux m'adressa ces paroles : « Un seul de nous peut
se sauver là-liaul : vous êtes sur la terre plus utile que nous : il
faut que ce soit vous. Nous allons de nos deux corps vous foi nier
une échelle; » ils s'élevèrent l'un sur l'autre.
« Non , dis-je à ces généreuses victimes , je ne profiterai pas
d'un avantage que vous ne partajjeriez pas. Si vous ne pouvez
vous sauver par la voie que vous m'offrez, je saurai mourir a\cc
vous. Il faut ou nous sauver ensemble ou mourir tous ensemble.!
Ce combat de générosité et de dévouement dura quelques mi-
nutes; ils me rappelèrent les sourds et muets que ma mort ren-
dait orphelins; ils exagérèrent même le peu de bien que je pouvais
faire encore, et me forcèrent à profiter du stratagème innocent que
leur amitié généreuse avait imaginé. Il fallut céder à de si pres-
santes sollicitations, et consentir à leur devoir la vie, sans pou-
voir contribuer à sauver la leur. Je me jeiai au cou de ces deux
libérateurs ; jamais il n'y eut de scène plus touclianle. Ils allaient
mourir infailliblement; ils me forcèrent à leur survivre. Je monte
doncsurlesépaulesdu premier, puissur celles du second, et enfin
sur le plancher, en adressant à mes deux camarades l'expression
d'une ame oppressée de douleur, d'affection et de reconnais-
sance.
Mais le ciel ne voulut pas me rendre la vie au prix de celle de
mes deux sauveurs; j'aurais été trop malheureux. Au moment
où la porte allait enfin céder aux efforts de nos égorgeurs, au
moment où j'allais les voir périr sous mes yeux, on entend dans
la cour les cris accoutumés de vive la nation I et le chani de la
Cannagnote. C'étuient deux prêtres qu'on était allé arracher de
leurs lits, et que l'on amenait dans cette cour jonchée de cada-
vres. Les égorgeurs se ralliaient tous à ce signal de meurtre et
de carnage. Ils vouliient tous avoir part au massacie de chaque
victime. Ceux-ci oublièrent noire prison.
Je descendis du haut de mon plancher, pour associer de nou-
veau mes craintes et mes espcrances à celles de mes généreux
compagnons. Qu'elle fut longue cette nuit affreuse qui vil couler
tant de sang innocent !
9$ BOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
La troupe effrénée des massacreurs iuterrogeait les deux vic-
times amenées sur ce (héàlre de carnage. Elles répondaient avec
la même douceur, le même calme , le même courage déjà remar-
ques dans les autres. « Vois, disait-on à chacun, Ct-ile montagne
de cadavres de ceux qui n'ont pas voulu se soumettre à nos lois;
fais le serment, ou à l'instant tu vas en augmenter le nombre. —
Donnez-nous le temps de nous préparer à la mort. Permettez-
nous de nous confesser entre nous; voila la seule grâce que nous
vous demandons. Nous sommes aussi soumis que vous à toutes
vos lois civiles ; nous serions bien mauvais chrétiens si nous n'é-
tions de bons citoyens; mais le serment que vous nous proposez
n'est pas seulement un serment civil, c'est un renoncement à des
articles essentiels de notre croyance religieuse. Nous préférons
la mort au crime dont nous nous rendrions coupables en le prê-
tant.
» — Eh bien ! qu'ils se confessent, ces scélérats, répondirent
tout d'une voix les égorgeurs; aussi bien nous n'en avons aucun
autre aujourd'hui poui* amuser les voisins : qu'ils se confessent;
ils donneront le temps aux curieux du quartier de se lever et de
venir nous voir faire justice de ces co<yîa«s. En altendaut, nous
déblaierons la cour. Allez chercher des charretiers, envoyons à
la voiiie tous ces aristocrates , ils infL-cteraient celte cour. »
Aussitôt l'ordre est donné; des charretiers arrivent; on charge
les voilures de tous les cadavres , et on les emporte hors la porte
Saint-Jacques, bien avant dans la campagne, au pied de la pre-
mière croix de fer, où l'on creusa une large fosse pour les en-
terrer tous.
Mais la cour de l'Abbaye se trouvait ruisse'er de sang, tel que
le sol encore furuant oii l'on vient d'égorger plusieurs bœufs à la
fois.
Il fallut la laver : la peine fut extrême. Pour n'avoir plus à
y revenir, quelqu'un proposa de faire apporter de la paille ; de
faire dans !a cour L:ne sorte de îit, au-dessus duquel on mettrait
tous les habits de ces infortunés, et qu'on les ferait venir là pour
les V égorger : l'avis fut trouvé bon ; mais un autre se plaignit
I
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 4792). 91
que ces aristocrates mouraient trop vite ; qu'il n'y avait que les
premiers qui eussent le plaisir de frapper ; et il fut arrêté qu'on
ne les frapperait plus qu'avec le dos des sabres ; qu'on les ferait
courir ensuite entre deux haies d'égorgeurs, comme cela se pra-
tiquait jadis envers les soldais que l'on condamnait aux verges.
On arrêta aussi qu'il y aurait autour du lieu des bancs pour les
dames et des bancs pour les messieurs ( car il y avait alors des
messieurs et des dames). Une sentinelle fut mise à ce poste pour
que le tout se passât dans l'ordre.
Tout ceci je l'ai vu de mes yeux et je l'ai entendu. J'ai vu les
dames du quartier de l'Abbaye se rassembler autour du lit qu'on
préparait pour les victimes , y prendre place comme elles l'au-
raient fait à un spectacle.
Enfin, vers les dix heures, les deux prêtres disent qu'ils sont
prêts à mourir : on les amène. Ici je n'ai pi us rien vu. Eh ! com-
ment aurais-je eu le courage de porter mes regards sur une scène
aussi déchirante ? Toute celte jouinée se passa à aller chercher
Idans la ville les prêtres que les scélérats venaient dénoncer, et à
les massacrer. Toujours autour de ces victimes , les mêmes hur-
lemens, les mêmes chants, les mêmes danses. La nuit ne fut pas
....
plus calme ; je la passai dans les mêmes craintes qui m'avaient
agité pendant les jours précédens. * Comment, disais-je à mes
compagnons , la ville de Paris , qui doit être informée de ces hor-
reurs, ne se lève-t-elle pas tout entière pour venir les empê-
cher? » Les malheureux ne me répondirent plus ce jour-là que
par des mots sans suite , avec un air et des yeux égarés. Ils
étaient devenus fous. L'un d'eux me donna son couteau , en me
demandant la mort, comme la plus grande grâce; l'autre enira
dans une pièce attenant à In salle oii nous étions, se déshabilla ,
et avec son mouchoir et ses jarretières il essuya de so pendre lui-
même. Son égarement même le sauva ; i! ne put y réussir.
Pendant que tout cela se passait, on ouvre à grand bruit la
porte de noire prison et on y jelte une nouvelle viclime. Quelle
viciime, grand Dieu ! «'était un de mes camarades de la mairie
92 DOCUMENS COMPLÉMEKTAIRES.
que je croyais mort (M. l'abbé S"'). Il avait été transféré le
i" septembre avec so'xante autres, et, par un prodige inconce-
vable, traîné avec ces inl'oriunés au milieu de la cour pour y
être massacré comme eux, il s'était trouvé, sans savoir comment,
au rang des égorgeurs, autour des égorgés, et profilant du dés-
ordre qui régnait sur ce th:^àtre exécrable , il s'était glissé jusque
dans le comité où il avait demandé la vie avec cet accent du dés-
espoir qui péiièire jusque dans les cœurs les plus durs. On ne
lui répondit qu'en le renfermant avec nous. Quelle entrevue,
quel moment pour tous les deux!... J'avais appris, par le con-
cierge, le massacre de tous les prisonniers avec lesquels je savais
qu'il était. J'avais entendu frapper à mort les soixante; il était
de ce nombre. Chacun de nous avait pleuré la mort l'un de
lauire. En le voyant je crus revoir tous mes autres amis. Ce fut
lui qui m'apprit la fin héroïque et glorieuse du rfspeciable curé
de Saint- Jeao-en-Grève, de ce vieillard vénérable qui répondit
avec tant de courage aux bourreaux qui l'interrogea ent sur sa
foi, et qui prêtera la mort au serment qu'on lui proposait; qui
demanda pour grâce unique, et en faveur de la faiblesse de son
âge, la mort la plus prompte, et qui l'obtint. On se disposait à
lui couper la têie, quand il adressai ses bourreaux ces paroles
touchantes: * De quoi allez-vous me punir, mes enfans? Que
vous ai-je fait? qu'ai-je fait à la patrie dont vous croyez être les
vengeurs? Le serment que je n'ai pu faire n'eût rien coûté à
ma conscience, et je le ferais en ce moment même, si, comme
vous le croyez, il était purement civil; je suis aussi soumis que
vous aux lois dont vous vous croyez les ministres. Qu'on me
laisse excepter de ce serment que vous me pro[>osez, tout ce qui
regarde la religion , et je le i^rai de grand cœur , et personne
n'y sera plus fidèle. »
Le plus féroce de la troupe saisit le vieillard aux cheveux , le
renverse sur lu borne et le frappe à la tète d'un coup de sabre.
Un auire détache du tronc celle tête si respectable. Ainsi com-
mença le massacre de cette foule de victimes , à qui 3Ianuel , dix
jours avant, était venu annoncer la liberté. Tel fut le récit que
iûURNÉeS DE SEPTEMBRE (179ï2). 9S
me fit mon ancien camarade , échappé comme par miracle à celle
sanglante tragédie.
La cour de l'Abbaye était encore couverte de cadavres ; on
donna des ordres pour les transporter ailleurs. Mais pendant
que ce transport se faisait, un autre prêtre fut amené et égorgé
aux cris mille fois répétés de Vive la nation! C'était le mardi
matin. Mes ennemis de la section de l'Arsenal avaient envoyé
leur fameux arrête à la Commune; et celle-ci avait sans doute
donné des ordres pour que l'on me massacrât. Déjà dans la cour
on s'occupait de l'exécution de cet ordre; mais on était fatigué,
on voulait dîner; il fut réglé qu'on viendrait à quatre heures
pour me couper la tête. Mes camarades , car on m'en avait donné
plus d'un dans la matinée, mes camarades entendirent ce propos
et me le répétèrent. Ils entendirent que Ion demandait au char-
retier pourquoi il ne transportait pas un cadavre qu'il avait d'a-
bord mis sur sa charrette. < Vous devez me donner celui de
l'abbé Sicard à porter à quatre heures ; je porterai le tout en-
semble. »
En entendant ces propos , je me vis perdu; je me procurai
une feuille de papier et j'écrivis à un d«'puté, mon ami intime,
la lettre suivante : l'original m'en a été rendu.
J'ai souligné les passages qui furent raturés et supprimés à la
lecture qui en fut faite à l'assemblée même.
« Ce mardi 4 septembre 1792 , IV' de la liberté.
f Ah! mon cher monsieur, que vais-je devenir après avoir
échnppé à la mort, si vous ne venez me sauver la vie , en m'ôiant
de cette prison , autour de laquelle des cannibales furieux covi-
mettenl en un instant mille massacres ? Pi'isonnier drpuis sept
jours, il y a trois jours que j'entends autour de ma fenêtre de-
mander ma tête à grands cris, et menacer de briser les faibles
volets de ma fenêtre qui me séparent d'eux, si les commissaires
de l'Abbaye, qui ne savent plus comment faire pour conserver
ma frêle exislance, ne me livrent ù leur rage. Ces commissaires
me conseillent d'aller me réfugier dans le sein de l'assemblée ua-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 95
mune de me mettre en liberté. Ce décret n'eut aucun succès. Ce-
pendant les heures se passaient, et je voyais arriver celle qu'on
avait fixée pour mon niassicre.
Trois heures sonnent, et je devais périr à quatre. J'ignorais si
ma lettre était parvenue à sa destination. Je songe alors que j'ai
quelques autres amis dans l'assemblée. Je me procure une demi-
feuille de papier ; je la divise en trois morceaux el j'écris trois
billets. J'en adresse un au président (Hérault de Séchelles) ; un à
M. Lafont-Ladebat, qui avait montré tant de lalens, tant d'hon-
nêteté , tant de courage, pendant la tenue de l'assemblée législa-
tive, et dont j'avais été le collègue aux acadéniies de Bordeaux,
et l'ami particulier (1) ; un autre à la mère de deux jeunes per-
sonnes dont j'avais dirigé les premières études , et qui me chéris-
saient, l'une comme le frère le plus tendre, les deux autres
comme leur père. Ce trois billets étaient les derniers adieux d'un
infortuné qui se voyait traîné ù la mort ; te dernier cri d'un mou-
rant qui appelait à sou secours les âmes sensibles dont il savait
qu'il était tendrement aimé.
L'assemblée ne tenait plus ; mais un huissier honnête el com-
patissant était encore dans la salle. On lui remet mon billet. Il
court à l'instant chez M. le président, qui se rend aussitôt au co-
mité d'instruction publique. M. Lafond-Ladebat ne pouvait rien.
Il songe à Chabot; il va chez lui , lui peint l'aliVeuse situation où
je suis, lui dit combien est court le temps de me sauver, et, ce
qu'il n'eût jamais demandé à ce monstre pour lui-même, il lui
demande la vie pour son ami Sicard. La femme à qui j'avais écrit
aussi, et dont le noia ue peut qu'embellir cette triste histoire,
madame d'Entremeuse, était absente; l'aînée de ses deux filles
reçoit mon billet, s'évanouit; mais ht danger que court l'abbé
Sicard, son père, son ami, la rappelle à la vie : elle vole chez
M. Pa^torel, député, de qui j'étais connu (!2) ; elle na pas le cou-
(r Déporté après le 18 fniclidor, et depuis lealré en France. Edouard de
Lafont-Ladeba; , luu de ses fils, est dief de division au niinislrri' de l'intérieur.
?iote des auteurs.)
(2) M. le marquis de Pastoret , aujourd'hui pair de France. (Idiote des auteurs.)
96 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
ra{je de parler; elle tombe sans connaissance, mon billet à la
main. On le lit. M. Pasloret quille son dîner, cl va au comité
d'instruction dont il ëlait mendjre. Il fait, avec Hérault de Sé-
chL-lIes et Romme, qu'on y avait appelés, un arrêté qui ordonne
une seconde fois à la commune de voler à mon secours. Par cet
arrêté , le comité me réclamait comme une de ses propriétés les
plus inlérressanies. Je ne dois pas oublier l'effet qu'avait produit
sur le cœur de la joune Éléonore d'Entremf use le billet que j'é-
crivais à sa mère. Elle en a été frappée de mort. Hélas! après
avoir laP{}ui plus d'un an dans des douleurs inexplicables, elle a
péri à l'âge de dix-neuf ans , me laissant des regrets éternels. Le
souvenir de tant de vertus réunies à tous les charmes de la jeu-
nesse me suivra jusqu'au tombeau, et répandra sur la triste vie
que je dois à celte ame si pure, si belle, si sensible et si tendre,
une amertume qui me la rendrait insupportable, si je n'avais la
conviction que cette jeune personne n'a quille cette déplorable
vie que pour aller recevoir, dans une meilleure , le prix de ses
venus.
L'arrêté du comité d'instruction publique est envoyé à la Com-
mune, qui, à la réception du décret dont j'ai parlé, avait drjà
passé à l'ordre du jour. Elle allait y passer encore, et l'arrêté
n'auiail pas eu plus de succès que le décret, s'il ne se fût trouvé
dans le conseil un homme de Bordeaux, nommé Guiraut, qui de-
manda à être chargé de l'exécution du décret et de l'arrêté. C'eût
même élé trop tard (car alors il était six heures du soir), si à
([uatre heures, époque fixée par les égorgeurs pour me couper
la tète , une pluie d'orage n'eût dissipé les groupes et ne m'eût
préservé de leur fureur.
A sept heures je vois rouvrir les portes de ma prison : c'était
un autre libérateur qui , en verlu du décret de rassemblée légis-
lative et de l'arrêté du comiié d'instîuction publique, venait me
rendre à la liberté et allait me présenter à l'assemblée nationale.
Il me prit sous le bras, et, sous sa sauvegarde, je passai au mi-
lieu de ceux qui, depuis trois jours, égorgeaient tant de victimes
dans celte cour consacrée autrefois à la méditation et au silence.
JOURNÉES D£ StlTiiMBRii ( 179â ). 97
Toutes les massues qui servaient à assommer, les sabres, les pi-
ques , tous les instrumens de mort étaient en l'air. Je pouvais
éprouver mille morts en traversant ces haies de cannibales fé-
roces, mais l'éciiarpe municipale les rendait immobiles. Dans ce
moment Cliaoot était dans la tribune de l'église de l'Abbaye; tâ-
chant d'intéresser en ma faveur ceux qui avaient demandé ma tète.
Je monte en voiture avec l'officier municipal et avec Monnot, ce
Monnot dont le nom , consacré par ma reconnaissance , ira sans
doute à la postérité avec ceux des martyrs de ces jours d'exécrable
mémoire. J'arrive à l'assemblée nationale; tous les cœurs m'y
attendaient; des applaudissemens universels m'y annoncèrent.
Tous les députés se précipitèrent à la barre, où j'étais, pour
m'embrasser. Les larmes coulèrent de tous les yeux quand , in-
spiré seulement par le sentiment le plus impérieux, je prononçai ,
pour remercier tous mes libérateurs, le discours que je ne pou-
vais conserver, puisqu'il fut l'expression soudaine de ma recon-
naissance. Il fut recueilli par le Moniteur du temps et dans tous
les autres journaux. Sicard.
(1) Au citoîjen Sîcard, inslitiUeur des sourds et muets.
Citoyen , le récit des dangers que vous avez courus dans les
journées des 2 et 5 septembre est si intéressant pour l'histoire
qu'il est important que rien ne manque à son authenticité. Je
vous prierai donc d'y joindre cet arrêté de la section de l'Arse-
nal que vous ne faites qu'indiquer; et, «je ne me trompe , il est
encore plusieurs autres anecdotes que je vous ai entendu raconter
de vive voix, qui ne seraient pas indifférentes pour l'histoire de
ces jours malheureux, et dont vous ne devez pas priver les lec-
teurs des Annales religieuses. C'est par la voie de ce journal que
j'ose vous adresser mes réclamations.
Je suis fraternellement , etc.
0) Celle relation ayant i)aru dans les Annales religieuses, M. l'abbé Sicard
reçut, quelques jours api fa, la lettre suivante qui le détermina à joindre quel-
ques éclaircissemens et quelques détails au récit qu'il avait écrit. (A'o/e des aut, )
T. XVI II. 7
98 DOCUMEMS COMPLÉMENTAIRES.
Réponse du citoyen Sicard à la demande qu'on lui a adressée
dans le numéro précédent.
On me demande une copie fidèle dé l'arrêté de la prétendue
section dite de l'Arsenal de Paris , cité dans la relation de évé-
nemens des 2, 5 et 4 septembre 1702.
Je dois dire, avant tout, comment cette copie m'est parvenue,
et tout ce que j'ai su depuis relativement à celle œuvre des té-
nèbres.
Sorti des prisons de l'Abbaye et rendu à la liberîé, mon pre-
mier soin fut d'aller à la Commune de Paris pour faire lever les
scellés qui, le jour de mon arrestation, avaient été apposés sur
mon appartement. On imaginera sans peine combien j'étais em-
pressé de me rendre au vœu de mes élèves et d'aller reprendre
des travaux si chers à mon cœur. Des commissaires me furent
accordés ; l'on en nomma deux autres de la section pour la même
opération. L'un de ces derniers fut précisément celui qui avait
apporté à la Commune et à la prison de l'Abbaye le fameux arrêté.
Cet homme avait assisté plusieurs fois à mes leçons; il m'avait té-
moigné le plus grand intérêt et la plus grande estime. On ne con-
cevrait pas comment, avec quelque honnêteté, cet homme avait
pu accepter une mission aussi infâme, si l'on ne savait que la fai-
blesse fait le mal avec la même facilité que le fait la méchanceté,
et qu'elle n'est pas moins cruelle. Gel homme, en me revoyant,
se jette à mon cou, et m'avoue lui-même sa faute, « J'ai été,
me dit-il , le complice de vos assassins. Il n'a pas tenu à moi que
l'homme que j'estimais le plus ne fût enveloppé dans le massacre
général qui a fait verser tant de sang. J'ai porté moi-même à la
prison où vous attendiez la mort Varrété qui provoquait sur votre
tête la hache des égorgeurs, et j'avais été cent fois témoin des
miracles de bienfaisance que vous opériez tous les jours dans votre
école. Mais je me voyais perdu si j'eusse refusé de servir la haine
des persécuteurs des prêtres, et je n'ai pas eu le courage de ré-
sister. Demain je vous remettrai une des copies de Varrêté.
Il procéda à la levée des scellés. J'allais jouir du bonheur d'êlrç
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792). 99
rendu à mes élèves. « Gardez-vous bien , me dit ce commissaire,
qui connaissait la rage de mes persécuteurs d'alors , gardez-vous
bien de suivre le mouvement de voire aine; ne logez pas encore
chez vous; on ne peut vous pardonner d'être échappé au fer des
assassins. On viendrait, jusque dans votre retraite , vous en punir
en vous égorgeant. >
Je suivis cet avis. Je me retirai dans une section éloignée, chez
le bon citoyen LacoîH^e, artiste distingué dans l'horlogerie, plus
distingué encore par son courage et ses vertus. On l'avait vu ,
pendant ma détention , quand il y avait tant de danger à réclamer
«n prêtre, aller, au péril de sa vie, redemander l'instituteur des
sourds et muets. On admirera sans doute encore que ce soit un
horloger qui vienne à mon secours et qui m'offre un asile où je
trouvai, auprès du couple le plus vertueux, toutes les consola-
lions dont mon ame flétrie avait tant de besoin. C'est là que je
reçus la première visite de cet élève précieux , que j'avais nommé
mon légataire, au moment oîi , près de recevoir le coup mortel,
je remis pour lui ma montre au commissaire. Quelle entrevue !
Massieu dans les bras de son père, de son instituteur, de son
ami ! Massieu! cette ame brûlante réunie à la mienne; nos
deux cœurs battant l'un contre l'autre !.... Ce malheureux jeune
homme avait passé sans nourriture et sans sommeil tous les jours
des dangers de son maître. Un jour de plus il mourait de douleur et
de faim Quel moment que celui où il me revit, après avoir
tant pleuré sur mon sort Quels signes il me lili Quelle
scène pour ceux qui en furent les témoins ! Qui n'en eût été
attendri!
Le commissaire de l'Arsenal tint sa parole. Il m'appoita la co-
pie collationnée de l'arrêté ; la voici :
Assemblée générale du i" septembre 1792.
« Sur les représentations faites par plusieurs membres :
» 1" Que le sieur abbé Sicard , instiluleur- des sourds et muets ,
arrêté comme jnêire mseiinenlé, était sur le point d'être élargi ,
attendu riitililé<lonî on préleivl qu'il est dans .son institution;
160 wjcLMENs compl£;mentaires.
» 2<» Que son élargissement serait d'autant plus dangereux ,
qu'il possède l'art coupable de cacher son incivisme sous des
dehors patriotes , et de servir la cause des tyrans en persécutant
sourdement ceux de ses concitoyens qui se montrent dans le sens
de la révolution ;
» L'assemblée a arrêté qu'elle formerait les demandes sui-
vantes :
> i° Que la loi soit exécutée dans toute son étendue, vis-à-vis
du sieur abbé Sicard ;
» 2° Qu'il soit remplacé par le savant et modeste ahhé Salvan ,
second instituteur des sourds et muets (héritier, comme plusieurs
autres, de la sublime méthode inventée par l'immortel abbé de
l'Epée), assermenté et agréé de l'assemblée nationale ;
» Enfin qu'il soit porté des copies du présent arrêté au pouvoir
exécutif, au comité de surveillance , au conseil de la Commune et
au greffe de la prison, par MM. Pelez et Perrot , commissaires
nommés à cet effet. Signé Boula , président; Rivière , secrétaire. »
Je ne pouvais me méprendre sur l'auteur de cette pièce, dans
laquelle on avait pris tant de précautions pour que je ne pusse
échapper à la mort. Il m'avait été signifié, un mois auparavant,
un dire sur lequel étaient ces pi'opres expressions : « M. Sicard
ne doit pas être si difficile à accorder ce qu'on lui demande. Il
ne doit pas oublier que, n'ayant pas fait le serment civique, il
pourrait être remplacé par le savaxt et modeste Salvan, hé-
ritier , comme lui , DE la SUBLIME MÉTHODE IXVEXTÉE PAR l'iM-
MORTEL ABBÉ DEl'EpÉE, ASSERMEXTÉ. >
Je montrai cet écrit à mon digne coopérateur Salvax , dont
l'honnêteté m'était si connue. Indigné de voir son nom dans celte
pièce homicide, il alla s'en plaindre à celui que nous soupçonnions
l'avoir rédigée. L'accusé nia fortement de l'avoir jamais connue;
mais depuis cette époque , on en a retrouvé la minute écrite tout
entière de sa main dans les papiers du comité révolutionnaire de
la section , sans le trouver écrit sur aucun des registres. C'est
que, dans ce temps-là, une poignée de scélérats, quand la
séance générale des sections était terminée , faisaient des arrêtés
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 101
au nom de toute l'assemblée , et les faisaient exécuter sans qu'ils
fussent connus que de ceux qui les avaient faits , et de ceux qui
en étaient les malheureuses victimes. Celui-ci n'eût jamais été
connu , sans l'extrême bonhomie de l'homme qui l'avait porté à
la prison , et la maladresse de l'auteur qui oublia d'en soustraire
la coupable minute.
J'ai oubhé , dans ma relation des 2, 5 et 4 septembre, quelques
traits qui méritent d'être connus. Quelqu'un à qui je les ai racon-
tés plus d'une fois désire que je les publie ; les voici :
J'ai dit que les dames du quartier de l'Abbaye se rendaient en
foule aux scènes d'horreur qui se passaient dans cette malheu-
reuse enceinte. On imagine quelles dames c'étaient. Eh bien !
ces mêmes dames firent demander au comité où j'étais , qu'on
leur procurât le plaisir de voir tout à leur aise les aristocrates
égorgés dans la cour du comité. Pour faire droit à la demande,
on plaça un lampion auprès de la tête de chaque cadavre , et aus-
sitôt les da77ies jouirent de cette exécrable illumination. Au milieu
de la nuit, B... de V... (Billaud de Varennes) apprend que les
ëgorgeurs volent les prisonniers après les avoir tués ; il se rend
dans la cour de l'Abbaye , et là , sur une estrade , il parle à ses
ouvriers :
* Mes amis! mes bons amis! la Commune m'envoie vers vous
pour vous représenter que vous déshonorez cette belle jour-
née. On leur a dit que vous voliez ces coquins d'aristocrates
après en avoir fait justice. Laissez, laissez tous les bijoux, tout
l'argent et tous les effets qu'ils ont sur eux, pour les frais du
grand acte de justice ijue vous exercez. On aura soin de vous
payer, comme on en est convenu avec vous. Soyez nobles, grands
et généreux comme la profession que vous remplissez. Que tout,
dans ce grand jour, soit digne i>v peuple dont la souveraineté
vous est commise. »
Manuel, quelques minutes avant, au milieu de !a rue de
Sainte-Marguerite, en face de la grande prison, et au moment
où les massacreurs avaient commencé, avait parlé ainsi à ce
même peuple : * Peuple français, au milieu des vengeances légi-
m
100 DUCIMEN COMl'LÉMtMAlRKS.
» 2" Que son élar{;isseient serait d'aulani plus dangereux ,
qu'il possède l'art coupale de cacher son incivisme sous des
dehors patriotes , et de stvir la cause des tyrans en persécutant
sourdement ceux de ses mcitoyens qui se montrent dans le sens
de la révolution ;
» L'assemblée a arrêt* qu'elle formerait les demandes i>ui-
vantes :
» i° Que la loi soit exiutée dans toute son étendue, vis-à-vis
du sieur abbé Sicard ;
» 2» Qu'il soit reniplai'par le savant et modeste abbé Salvan ,
second instituteur des >)Uids et nmets (héritier, comme plusieurs
autres, de la sublime méiode inventée par l'immortel abbé de
l'Epée) , assermenté et aféëdc l'assemblée nationale ;
» Enfin qu'il soit poiieles copies du présent arrête au pouvoir
exécutif, au comité de srveillance , au conseil de la (loinniune et
au greffe de la prison, p" MM. Pelez et Perrol, commissaires
nommés à cet effet. 8i{;nÔ0LLA , président; IUmèke, secrétaire.»
Je ne pouvais me mi [Bndre sur l'auteur de cette pièce, dans
laquelle on avait pris i.t de précautions pour que j(? ne pusse
échapper à la mort. II iiivait été si{;niKé, un mois auparavant,
un dire sur lequel étaioi ces propres expressions : « .M. Sicard
ne doit pas être si difHce à accorder ce qu'on lui demande. Il
ne doit pas oublier que, l'ayant pas fait le serment civique, il
pourrait être remplacl iR le sava>t et modeste Salva.-s, hé-
ritier, COMME LLi, Dl, A sublime MÉTHODE I.NVE.NTÉE l'AR l'iM-
UORTEL ABBÉ DE l'Éi'I II ASSERMENTÉ. »
Je montrai cet écrit mon digne coopérateur Salvan , dont
l'honnêteté m'était si caoue. Indigné de voir son nom dans celle
pièce homicide, il alla s'« plaindre à celui que nous souj
l'avoir rédigée. L'accusnia fortement de lavoir js
mais depuis cette épo(|e, on en a retrouvé la
entière de sa main danies papiers du comil
la section , sans le trover écrit sur aucui
que, dans ce temps-l; une poignée
séance générale des scœns était termi
•ii^
M»
ICA
t*
OLRNÉES DE SEPTEMBRE { 4792 ). iô5
MON AGONIE
DE TRENTE-HUIT HEURES,
Ou Récit de ce qui m'est arrivé, de ce que j'ai vu et entendu
pendant ma détention dans ta prison de t'Abbatje Saint-Ger-
main, depuis le 22 août jusqu'au A septembre 1792, par M. de
JOURGMACSAINT-MÉARD, ci-dcvaut Capitaine- commandant des
chasseurs du régiment d'infanterie du roi.
Avertissement placé par l'auteur en tête de ht quinzième édi-
tion (4). — Accablé de questions et comblé de marques d'ihtérêt
depuis ma sortie de prison , je ne peux mieux répondre aux unes
et aux autres qu'en retraçant ce qui s'est passé sous mes yeux et
autour de moi; qu'en publiant les exécutions sanglantes dont j'ai
failli être une des malheureuses victimes.
La principale raison qui me détermine à cette publicalioir, est
de faire voir que, si le peuple est impétueux et irrésistible lors-
qu'il se croit trahi , il ne faut point pour cela désespérer de sa
justice.
Je n'entrerai point dans le détail des causes qui , depuis
M. Necker, de désastreuse mémoire, jusqu'à ceUx qui n'ont
subtilisé la confiance de la nation que pour la tromper , ont con-
tribué à faire couler le sang des Français : assez d'autres l'ont
fait et le feront encore ; je me contenterai de prouver à mes con-
citoyens qu'avec le calriiede l'innocence, soutenu par la présence
d'esprit et une pleine confiance dans la justice du peuplé , on est
sûr de dérober sa tête à ses vengeances.
J'ai eu le temps de remarquer que quelqués-ûns de me;^ com-
pagnons d'infortune n'ont pu proférer une parole pour leur jus-
tification, et peut-être ce silence à-i-ii causé leur mort, qu'une
contenance ferme et des réponses franches auraient pu détour-
ner : aussi, ma narration ne servît-elle qu'à sauver un seul
homme, si de pareils événemens pouvaient jamais se renouveler,
(1) Cet ouyrage a eu cinquaute-scpt éditious. (Note des auteurs.)
104 «OCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
je serais assez payé de ce que j'ai souffert et du sentiment dou-
loureux avec lequel j'ai tracé cet écrit (1).
MON AGONIE DE TRENTE-HUIT HEURES.
Quatorze heures du comité de surveillance de la Commune.
Ce comité me fit arrêter le 22 août ; je fus emmené à la mairie
à neuf heures du matin, où je restai jusqu'à onze heures du
soir (2). Deux messieurs, sans doute membres de ce comité^ me
firent entrer dans une salle ; un d'eux , accablé de fatigue , s'en-
dormit. Celui qui ne dormait pas me demanda si j'étais M. Jour-
gniac Saint-Méard.
Je répondis oui.
< Asseyez-vous : nous sommes tous égaux. Savez-vous pour-
quoi on vous a arrêté ?
» — Un de ceux qui m'ont conduit ici m'a dit qu'on me soup-
çonnait d'être le rédacteur d'un journal anti-constitutionnel.
» — Soupçonné n'est pas le mot; car je sais que le Gautier,
(OLe 15 septembre 4792, onze jours après ma sortie de l'Abbaye . je fis pré-
sent à Desenne , libraire au Palais-Royal , du manuscrit de mon Agome : il la mit
en vente. Le 20 du même mois, deux jours après, il fut obligé d'en faire une se-
conde édition ^ et son succès fut si rapide, que, malgré douze contrefaçons qui
ont paru à Paris , il en a fait paraître quinze éditions , dont.la dernière , à laquelle
il ajouta mon portrait , parut le 20 juin. Tous les journaux de Paris sans excep-
tion, et plusieurs des départemens, ainsi que toutes les brochures qui parurent
dans ce temps, en ont fait l'éloge, et je ne crois pas dire trop en disant qu'à l'é-
poque du i" mai 1793, il s'en est vendu à Paris deux cent quatre-vingt mille
exemplaires.
Je fus curieux de savoir ce qu'en pensait l'ami du i^uple, Marat: je lui en
donnai six exemplaires. Quelques jours après je retournai chez lui , et je le priai
de me dire franchement son avis ; il me [répondit qu'il l'avait lue avec le plus
grand intérêt , mais qu'il était seulement fâché que j'eusse cherché à apitoyer le
public sur le sort du mercenaire Reding, et que j'eusse parlé de la bénédiction
que nous donna l'abbé Lenfant. (Aote de Saint Méard.)
(2) Je fus arrêté par le sieur !\Iiquette et par le sieur Pommier, qui fut fusillé
ensuite à l'armée de Moreau. Il avait servi d'abord au régiment du Roi, où il
avait été nommé président du club révolutionnaire des soldats. Ils étaient accom-
pagnés de dix ou douze soldats, qu'ils renvoyèrent lorsque je les assurai que mon
intention était de me soumettre à la loi. Ils me dirent qu'ils n'avaient emmené
avec eux une force aussi considérable que parce qu'on leur avait assuré que j'é-
tais dans l'intention de faire une vigoureuse résistance. (A'ofe de Saint-Méard. )
JOURNÉES DB SEPTEMBRE ( 1792 ). 105
qui passe pour être rédacteur du Journal de la cour et de la ville,
est un homme de paille.
» — On a surpris votre facilité à croire, monsieur ; car son
existence physique est aussi facile à prouver que sa qualité de
rédacteur.
» — Je dois croire
» — Rien que la vérité ; car vous êtes juste, puisque vous êtes
juge : d'ailleurs , je donne ma parole d'honneur...
» — Eh ! monsieur, il n'est plus question de parole d'honneur.
» — Tant pis , monsieur, car la mienne est bonne.
> — On vous accuse d'avoir été sur les frontières , il y a dix
ou onze mois ; d'y avoir fait des recrues que vous avez conduites
aux émigrés : à votre retour on vous a arrêté , et vous vous êtes
sauvé de prison.
» — S'il m'était permis de penser que ce fût une dénonciation
sérieuse, je ne demanderais qu'une heure pour prouver que je
ne suis pas sorti de Paris depuis vingt-trois mois. Et si....
» — Oh ! je sais , monsieur, que vous avez de l'esprit , et que,
par votre astuce, vous trouveriez...
» — Permettez-moi de dire que le mot astuce est de trop; il
n'est question que d'absurdités ; car nous ne parlons que des
dénonciations qu'on a faites contre moi,
» — Connaissez-vous M. Durosoi , rédacteur de la Gazette de
Paris ?
» — Beaucoup de réputation , mais pas autrement ; je ne l'ai
même jamais vu.
» — Cela m'étonne , car on a trouvé dans ses papiers des let-
tres que vous lui avez écrites.
> — On n'en a trouvé qu'une ; car je ne lui en ai écrit qu'une,
par laquelle je lui annonçais l'envoi d'un discours que je fis aux
chasseurs de ma compagnie, à l'époque de l'insurrection de la
garnison de Nancy, et qu'il fil imprimer dans la Gazette de Paris.
Voilà l'unique correspondance que j'aie eue avec lui.
» — Cela est vrai ; et je dois même vous dire que cette lettre
n^ vous compromet pas.
i06 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
» — Aucune de mes lettres , aucun de mes écrits , et aucune
de mes actions ne peuvent me compromettre.
» — Je vous ai vu chez madame Vaufleury; je vous ai vu aussi
avec M. Peltier, rédacteur des Actes des Apôtres.
» — Cela doit être , car je vais souvent chez cette dame , et je
me promène quelquefois avec Peltier.
> — N'êtes- vous pus chevalier de Saint-Louis?
> — Oui , monsieur.
t — Pourquoi n'en portez-vous pas la croix?
» — La voilà ; je l'ai toujours portée depuis six ans.
» — C'en est assez pour aujourd'hui... Je vais rendre compte
au comité que vous êtes ici.
î — Faites-moi le plaisir de lui dire aussi que , s'il me rend
justice, il me renverra libre; car je ne suis ni rédacteur, ni re-
cruteur, ni conspirateur, ni dénonciateur. »
Un moment après , trois soldats me firent signe de les suivre.
Quand nous fûmes dans la cour, ils m'invitèrent à monter avec
eux dans un fiacre qui partit après avoir reçu l'ordre de nous
mener à V hôtel du faubourg Saint- Germain.
Dix jours à l'Abbaye.
Arrivé à V hôtel indiqué par mes compagnons de voyage, qui
se trouva être la prison de l'Abbaye , ils me présentèrent , avec
mon billet de logement, au concierge qui, après m'avoir dit la
phrase d'usage ; il faut espérer que cela ne sera pas long , me fit
placer dans une grande salle qui servait de chapelle aux prison-
niers de l'ancien régime. J'y comptai dix -neuf personnes cou-
chées sur des lits de sangle : on me donna celui de M. Dangre-
mont à qui on avait coupé la tête deux jours auparavant.
Le même jour, et dans le moment que nous allions nous mettre
à table, M. de Chantereine (1), colonel de la maison constitution-
nelle du roi, se donna trois coups de couteau, après avoir dit;
« Nous sommes tous destines à être massacrés Mon Dieu,
je vais à vous ! » Il mourut deux minutes après.
(1) Inspecteur du Garde Meuble de la couronne. {Note des auteurs. )
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 107
Le 23. — Je composai un mémoire dans lequel je démasquai
la turpitude de mes dénonciateurs ; j'en envoyai Ja copie au mi-
nistre de la justice, à ma section , au comité de surveillance, et
à tous ceux que je savais prendre intérêt à l'injustice que j'éprou-
vais.
Vers cinq heures du soir. — On nous donna pour compagnon
d'infortune M. Durosoi, rédacteur de la Gazette de Paris. Ausshôt
qu'il m'entendit nommer, il me dit , après les complimens d'u-
sage : « Eh ! monsieur, que je suis heureux de vous trouver !...
Je vous aime depuis long-temps , et je ne vous connais cependant
que par l'affaire de Nancy : permettez à un malheureux , dont la
dernière heure s'avance , d'épancher son cœur dans le vôtre. >
Je l'embrassai. Il me fit ensuite lire une lettre qu'il venait de re-
cevoir, et par laquelle une de ses amies lui mandait :
« i\Ion ami , préparez-vous à la mort ; vous êtes condamné, et
demain Je m'arrache l'ame , mais vous savez ce que je
vous ai promis. Adieu, j
Pendant la lecture de cette lettre , je vis couler des larmes de
ses yeux ; il la baissa plusieurs fois, et je lui entendis dire à
demi -voix : i Hélas ! elle en souffrira bien plus que moi. » Il se
coucha sur mon lit , et , dégoûtés de parler des moyens qu'on
avait employé pour nous accuser et pour nous arrêter, nous nous
endormîmes. Dès la pointe du jour, il composa un mémoire pour
sa justification , qui, quoique écrit avec énergie et fort de choses,
ne produisit aucun effet favorable, car il eut la tête tranchée le
lendemain à la cjuilloline.
Le i2o. —Les commissaires de la piison nous permirent enfin
de nous procurer le journal (1) du soir.
(1) Un nouveau prisonnier nous en porta plusieurs, un entre autres intitulé
le Courrier français, dans lequel je lus ce que mes lecteurs peuvent très-bien se
dispenser de lire.
« MM, Saint-iléard et Beaumarchais ont été arrêtés : le premier était auteur
» du journal scandaleux qui paraissait sous le litre de Journal de la cour cl de la
» ville. Il a été capitaine au régiment du Roi; et, ce qu'il y a de ninarqu;ible,
» c'est qu'il est propriétaire de la terre que le fameux Montaigne possédait près
» de Bordeaux. M. Saint-Méard jouit de plus de 40,000 livres de rentes. »
Je pardonne à ce fabricant de nouvelle* de m'avoir donné celte terre, quoi-
lOS ••CDMENS COMPLÉMENTAIRES.
On avait placé dans la sacristie de la chapelle, qui nous servait
de prison, un capitaine du ré{jiment des gardes suisses, nommé
Reding qui, lors de l'affaire du 10 août, reçut un coup de feu
dont il eut le bras cassé ; il avait en outre reçu quatre coups de
sabre sur la tête. Quelques citoyens le sauvèrent , et le portèrent
dans une hôtel garni d'où on fut l'arracher pour le constituer
prisonnier à l'Abbaye où on lui remit le bras pour la seconde
fois. J'ai été étonné bien souvent dans le cours de ma vie , mais
jamais autant qu'en regardant une sorte de garde-malade : je
reconnus en elle une personne avec laquelle j'avais été intimement
lié pendant douze ans.
Les particularités de cette anecdote incroyable n'ayant rien
de commun avec ma narration , je passe à l'ordre de mon récit.
Le 26, à minuit. — Un officier municipal entra dans notre
chambre pour inscrire nos noms et le jour que nous avions été
arrêtés. Il nous fit espérer que la municipalité enverrait le len-
demain des commissaires pour faire sortir ceux contre lesquels
il n'y avait que des dénonciations vagues. Cette annonce me fit
passer une bonne nuit , mais elle ne se réalisa pas ; au contraire,
le nombre des prisonniers ne fit qu'augmenter.
Le 27.— Nous entendîmes le bruit d'un coup de pistolet qu'on
lira dans l'intérieur de la prison ; aussitôt on court précipitam-
ment dans les escaliers et les corridors ; on ouvre et on ferme
avec vivacité des serrures et des verrous ; on entre dans notre
chambre où un de nos guichetiers, après nous avoir comptés,
nous dit d'être tranquilles, que le danger était passé. Voilà tout
qu'elle appartienne à M. de Ségur, et plus de 40,000 livres de rentes , quoique je
n'eu aie jamais eu la moitié, même avant la révolution. — Je fais plus; je ne
suppose pas qu'il ait eu de mauvaises intentions jusque-là : mais je ne peux pas
croire qu'il en eût de bonnes , quand il a choisi le moment où j'étais sous le
glaive de la loi pour publier que j'étais journaliste anti-constitutionnel; car, quoi-
qu'il fût ci-devant journaliste feuillant (c'est-à-dire très-consiitutionnel), il sa-
vait que le sieur Gautier était rédacteur du journal en question. Enfin comment
s'accordera-t-il, sur la fortune considérable qu'il m'a donnée . avec fauteur des
Eévohitions de Paris , qui assure que je travaillais à ce journal pour gagner ma
vie? — S'il avait ajouté à cette balourdise, que je n'avais jamais travaillé pour
la faire arracher à personne , il aurait dit une vérité , et je lui aurais pardonné le
mensonge. ( Note de Saint-Meard, <
JOURNÉES DK SEPTKMBHE ( Î792). i(i9
ce qu'a voulu nous dire sur cet événement ce brusque et taci-
turne personnage.
Le 28 et le 29. — Nous ne fûmes distraits que par l'arrivée
des voitures qui amenaient à chaque instant des prisonniers.
Nous pouvions les voir d'une tourelle qui communiquait dans
notre chambre, et dont les fenêtres donnaient dans la rue Sainte-
Marguerite. Nous avons payé bien cruellement par la suite le
plaisir que nous avions d'entendre et d'apercevoir ce qui se pas-
sait sur la place, dans la rue, et surtout vis-à-vis le guichet de
notre prison.
Le 50 , à onze heures du soir. — On fit coucher dans notre
chambre un homme d'environ quatre-vingts ans ; nous apprîmes
le lendemain que c'était le sieur Cazolte, auteur du poème d'O-
livier, du Diable amoureux, etc. La gaieté un peu folle de ce
vieillard, sa façon de parler orientale, fit diversion à notre ennui.
Il cherchait très-sérieusement à nous persuader, par l'histoire de
Gain et d'Abel , que nous étions bien plus heureux que ceux qui
jouissaient de la liberté. 11 paraissait très-fàché que nous eussions
l'air de n'en rien croire; il voulait absolument nous faire convenir
que notre situation n'était qu'une émanation de l'Apocalypse, etc.
Je le piquai au vif en lui disant que , dans notre position , on était
beaucoup plus heureux de croire à la prédestination qu'à tout
ce qu'il disait. Deux gendarmes, qui vinrent le chercher pour
le conduire au tribunal criminel, terminèrent notre discussion.
Je ne perdais pas un instant pour me procurer les attestations
qui pouvaient me servir à prouver les vérités que j'avançais
dans mon mémoire. J'étais aidé par un ami, mais par un ami
comme il n'y en a plus, qui, pendant que mes compagnons
d'infortune étaient abandonnés des leurs, travaillait jour et nuit
pour me rendre service. Il oubliait que dans un moment de fer-
mentation et de méfiance, il pouvait courir les mêmes risques
que moi ; qu'il se rendait suspect en s'intéressant à un prison-
nier suspecté : rien ne le retenait; cl il m'a bien prouvé la vérité
de ce proverbe : L'adversité est la pierre de touche des amis.
C'est, en grande partie, à ses soins et à son zèle que je suis re-
ilO DOCUMEXS COMPLÉMENTAIRES.
devable delà vie. Je dois au public, à moi-même et à la ve'rité,
de nommer ce brave homme : c'est M. Teyssier, négociant, rue
Croix-des-Petits-Champs.
Les demiei's Jours du hîois d'août me rappelèrent la cruelle
situation où je m'étais trouvé à l'affaire de Nancy. Je faisais tra-
vailler mon imagination pour comparer les risques que je courais
avec ceux que j'avais courus les mêmes jours , lorsque l'armée ,
composée des régimens du Roi, de Mestre-de-Camp, de Châ-
teauvieux et de quelques bataillons de gardes nationaux , me
nomma son général, et me força de la conduire à Lunéville ,
pour enlever aux carabiniers le général 3Ialseigne.
Le 1" septembre. — On fit sortir de prison trois de nos ca-
marades, qui furent bien moins étonnés de leur délivrance qu'ils
ne l'avaient été de leur arrestation , car ils étaient les plus zélés
patriotes de leurs sections (1). On en fil sortir quelques autres
des chambres voisines, notamment 31. de Jaucourt , membre de
l'assemblée législative, qui, quelque temps avant, avait donné
sa démission de député.
Commencement de mon agonie de trente- liuit heures.
Le dimanche 2 septembre. — Notre guichetier servit notre
diner plus tôt que de coutume ; son air effaré , ses v'eux ha-
gards, nous firent présager quelque chose de sinistre (2). A deux
heures il rentra : nous l'entourâmes ; il fut sourd à nos ques-
tions ; et après qu'il eut , contre son ordinaire , ramassé tous les
couteaux, que nous avions soin déplacer dans nos serviettes, il fit
sortir brusquement la garde-malade de l'officier suisse Reding.
A deux heures et demie. — Le bruit effroyable que faisait le
peuple fut épouvantablement augmenté par celui des tambours,
qui battaient la générale, par les trois coups de canon d'alarme,
et par le tocsin qu'on sonnait de toutes parts.
(0 Les sieurs Saint-Felis, Laurent et CbignarJ. Ces deui derniers ne sortirent
que le dimanche 2 septembre. Ils forent réclamés psr leurs secrtons.
(2; >'ommé Bertrand. Il avait été aboyeur à l'Opéra pour faire approcher le*
voitures. {'Sote$ de Saint-Méard.j
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792 ). 114
Dans ces momens d'effroi , nous vîmes passer trois voitures
escortées par une foule innombrable de femmes et d'hommes
furieux, qui criaient : A la Force ! à la Force (1) / On les conduisit
au cloître de l'x^bbaje, dont on avait fait des prisons pour les
prêtres. Un instant après nous entendîmes dire qu'on venait de
massacrer tous les évêques et autres ecclésiastiques qui , disait-
on, avaient été parqués dans cet endroit.
Vers quatre heures. — Les cris déchirans d'un homme qu'on
hachait à coups de sabres nous attirèrent à la fenêtre de la tou-
relle ; et nous vîmes , vis-à-vis le guichet de notre prison , le corps
d'un homme étendu mort sur le pavé; un instant après on en
massacra un autre, ainsi de suite (2).
Il est de toute impossibilité d'exprimer 1" horreur du profond
et sombre silence qui régnait pendant ces exécutions; il n'était
interrompu que par les cris de ceux qu'on immolait , et par les
coups de sabre qu'on leur donnait sur la tèle. Aussitôt qu'ils
étaient terrassés , il s'élevait un murmure , renforcé par des
cris de vive la nation ! mille fois plus effrayans pour nous que
l'horreur du silence.
Dans l'intervalle d'un massacre à l'autre , nous entendions dire
sous nos fenêtres : • Il i;e faut pas qu'il en échappe un seul; il
faut les tuer tous, et surtout ceux qui sont dans la chapelle, où
il n'y a que des conspirateurs. » C'était de nous qu'on parlait, et
je crois qu'il était inutile d'affirmer que nous avons désiré bien
des fois le bonheur de ceux qui étaient renfermés dans les plus
sombres cachots.
Tous les genres d'inquiétudes les plus effrayans nous tour-
mentaient et nous arrachaient à nos lugubres réflexions : un mo-
(0 Nous ne savions pas encore que ces mots, a la Force! étaient l'avertis-
sement qu'on donnait quaud on envoyait des victimes à la mort.
(2) Après (ju'on rut massacré tous les prêtres renfermés dans le cloître, on com-
mença le massacre des prisonniers par tuer cent cinquanle-six soldats suisses , en-
fermés à l'Abbaye, dont pas un n'a été sauvé. Vint ensuite le tour des autres pri-
sonniers. On coîiimença [lar M. de ^lontmoriu et par le sieur Tlii?rry, valet de
chambre du roi. On appliquait à certains prisonniers une torche ardente sur le
visage lorsqu'ils sortaient du Kuichet pour être massacrés. Ou prenait cette pré-
caution pour que le peu|)l'^ ne les reconuûl pas. ( Notes de Sainl-Meard. )
\\2 fiOCUMEJXS COMPLÉMBrtTAlRBS.
ment de silence dans la rue était interrompu par le bruit qui se
faisait dans l'intérieur de la prison.
A cinq heures. — Plusieurs voix appelèrent fortement M. Ca-
zotte ; un instant après nous entendîmes passer sur les escaliers
une foule de personnes qui parlaient fort haut, des cliquetis
d'armes , des cris d'hommes et de femmes. C'était ce vieillard,
suivi de sa fille, qu'on entraîuait. Lorsqu'il fut hors du guichet,
cette courageuse fille se précipita au cou de son père. Le peu-
ple touché de ce spectacle, demanda sa grâce et l'obtint.
Vers sept heures. — Nous vîmes entrer deux hommes , dont
les mains ensanglantées étaient armées de sabres; ils étaient
conduits par un guichetier qui portait une torche et qui leur indi-
qua le Ut de l'infortuné Reding. Dans ce moment affreux je lui
serrais la main et je cherchais à le rassurer.Un de ces hommes (1)
fit un mouvement pour l'enlever ; mais ce malheureux l'arrêta en
lui disant d'une voix mourante : « Eh ! monsieur, j'ai assez souf-
fert ; je ne crains pas la mort ; par grâce, donnez-la-moi ici. > Ces
paroles le rendirent immobile ; mais son camarade, en le regar-
dant et en lui disant : < Allons donc, » le décida. Il l'enleva, le
mit sur ses épaules et fut le porter dans la rue, où il reçut la
mort... J'ai les yeux si pleins de larmes que je ne vois plus ce
que j'écris.
Nous nous regardions sans proférer une parole , nous nous
serrions les mains , nous nous embrassions... Immobiles, dans un
morne silence et les yeux fixés , nous regardions le pavé de notre
prison, que la lune éclairait dans l'intervalle de l'ombre formée
par les triples barreaux de nos fenêtres... Mais bientôt les cris des
nouvelles victimes nous redonnaient notre première agitation et
nous rappelaient les dernières paroles que prononça M. Chante-
reine en se plongeant un couteau dans le cœur : « Nous sommes
tous destinés à être massacrés... »
A minuit, — Dix hommes , le sabre à la main, précédés par
(1) Je suis parvenu à le connaître depuis que je sais sorti de prison. Il y a ap-
parence qu'il avait de bonnes intentions ; car je sais qu'il a sauvé la vie à un jeune
homme de Besançon, priwMinier dans la chambre où j'étais. (Aofe de St-Mèard.)
JOURNÉES DK SEPTEMBRE { 17^^;. 113
deux guichetiers qui portaient des torches, entrèrent dans notre
prison et nous ordonnèrent de nous mettre chacun au pied de
nos hts. Après qu'ils nous eurent comptes, ils nous dirent que
nous répondions les uns des autres , et jurèrent que , s'il en échap-
pait un seul , nous serions tous massacrés sans être entendus par
M. le président. Ces derniers mots nous donnèrent une lueur
d'espoir, car nous ne savions pas encore si nous serions entendus
avant d'être tues.
Le lundi 3, à deux lieures du malin. — On enfonça à coups re-
doublés une des portes de la prison : nous pensâmes d'abord que
c'était celle du guichet qu'on enfonçait pour venir nous massa-
crer dans nos chambres, mais nous fûmes un peu rassurés quand
nous entendîmes dire, sur l'escalier, que c'était celle d'un cachot
où quelques prisonniers s'étaient barricadés. Peu après , nous ap-
prîmes qu'on avait égorgé tous ceux qu'on y avait trouvés.
^ dix heures. — L'abbé Lenfant , confesseur du roi , et l'abbé
de Chapl-llastignac» parurent dans la tribune de la chapelle qui
nous servait de prison et dans laquelle ils étaient entrés par une
porte qui donne sur l'escalier. Us nous annoncèrent que notre
dernière heure approchait et nous invitèrent à nous recueillir
pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique, qu'on
ne peut déiinir, nous précipita tous à genoux , et , les mains join-
tes , nous la reçûmes. Ce moment , quoique consolant, fut un des
plus!... que nous ayons éprouvés. A la veille de paraître devant
l'Etre Suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous
présentions un spectacle indéfinissable. Làge de ces deux vieil-
lards, leur position au-dessus de nous, la mort planant sur nos
tètes et nous environnant de toutes parts , tout répandait sur celte
cérémonie une teinte auguste et lugubre ; elle nous rapprochait de
la Divinité ; elle nous rendait le courage ; tout raisonnement était
suspendu, et le plus froid et le plus incrédule en reçut autant
d'impression que le plus ardent et le plus sensible. Une demi-
heure après, (es deux prêtres fiuent massacrés, et nous enten-
dîmes leurs cris!...
Quel est l'homme qui lira les détails suivans sans que 8.*.s veux
T. xviii. 8
il4 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
se remplissent de larmes , sans e'prouver les crispations et les fré-
missemensde la mort ! Quel esl celu.; dont les cheveux ne se dres-
seront pas d'horreur !
Notre occupation la plus importante était de savoir quelle se-
rait la position que nous devions prendre pour recevoir la mort
quand nous entrerions dans le lieu du massacre. Nous envoyions
de temps à autre quelques-uns de nos camarades à la fenêtre de
la tourelle pour nous instruire de celle que prenaient les malheu-
reux qu'on immolait , et pour calculer, d'après leur rapport ,
celle que nous ferions bien de prendre. Il nous rapportaient que
ceux qui étendaient leurs mains souffraient beaucoup plus
long-temps, parce que tous les coups de sabre étaient amortis
avant de porter sur la tête ; qu'il y en avait même dont les mains
et les bras tombaient avant le corps, et que ceux qui les pla-
çaient derrière le dos devaient souffrir beaucoup moins... Eh
bien! c'était sur ces horribles détails que nous délibérions...
Nous calculions les avantages de celte dernière position , et nous
nous conseillions réciproquement de la prendre quand notre tour
d'être massacrés sei-ait venu... ! !
Fers midi. — Accablé, anéanti par une agitation plus que sur-
naturelle, absorbé par des réflexions dont l'horreur est inexpri-
mable , je me jetai sur uu Ut et je m'endormis profondément .Tout
me l^it croire que je dois mon existence à ce moment de som-
meil. « Il me sembla que je paraissais devant le ledoutable tri-
bunal qui de\^it me juger ; on m'écoutait avec aileîUion , malgré
le bruit affreux du tocsin et des cris que je croyais entendre.
Mon plaidoyer fini , on me renvoyait libre. » Ce rêve fit une im-
pression si bienfaisame sur aion esprit, qu'il dissipa totalement
mes inquiétudes, et je me réveillai avec un pressentiment qu'il
se réaliserait. J'en racontai les particularités à mes compagnons
d'infortune, qui furent étonnés de l'assurance que je conservai
depuis ce moment jusqu'à celui oiije comparus devant mes ter-
ribles juges.
Adeux /ieures.— Ou fit une proclamation que le peuple eut l'air
d'écouter ayec défaveur ; un instant après , des curieux , ou bien
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (4792). 115
peut-être des gens qui voulaient nous indiquer des moyens de
nous sauver, placèrent une échelle contre la fenêtre de notre
chambre; mais on les empôciia d'y monter en criant : A hns! à
bas ! c'est pour leur porter des armes.
Tous les tourmens de la soif la plus dévorante se joignaient
aux angoisses que nous éprouvions à chaque minute. Enfin notre
guichetier Bertrand (4) parut seul, et nous obtînmes qu'il nous
apporterait une cruche d'eau (2). Nous la bûmes avec d'autant
plus d'avidité qu'il y avait vingt-six heures que nous n'avions pu
en obtenir une seule gouite. Nous parlâmes de cette négligence
à un fédéré , qui vint avec d'autres personnes faire la visite de
notre prison: il en fut indigné au point, qu'en nous demandant
le nom de ce guichetier, il nous assuia qu'il allait l'exterminer.
Il l'aurait Ixiil , car il le disait ; et ce ne fut qu'après bien des sup-
plications que nous obtînmes sa grâce.
Ce petit adoucissement fut bientôt lioublé par des cris plaintifs
que nous entendîmes au-dessus de nous. Nous nous apeicûmes
qu'ils venaient de la tribune; nous (^n avertissions tous ceux qui
passaient sur les escaliers. Enliu on entra dans cette tribune, et
on nous dit que c'était un jeune officier qui s'était fait plusieurs
blessures , dont pas une n'était mortelle , parce que la lame dy
couteau dont il s'était "servi, étant arrondie par le bout, n'avait
pu pénétrer (ôi. Ola ne servit qu'à hâter le moment de son sup-
plice.
(1) C'était la faute des circonstances et non la sienne , ni celle du concierge , le
citoyen Lavaqueric qui , pendant qne j'ai élé détenu à l'Abbaye , a rempli les de-
voirs que l'humanité impose à un hounèle iiomme.
(2) C'est dans ce moment qu'il nous dit qu'on avait empêché des personnes
malintentionnées de nous porter vin^t-huit sabres, qu'on les avait saisis, et qu'on
les avait déposés au corp.s-de-{;arde. il nous dit aussi que M. Manuel était dans la
chambre de ^I. Lavr.quiric, le coiiciii'gc, qu'il rei^aniait les écrous des prison-
niers, et qu'il avait firit bien des croix à coté de leurs noms.
(5) Ce jeune officii r se nonunait Boisragon. (Quelques antres prisonniers se
tuèrent dans leurs chambres, enti-e autres, un qui se brisa le crâne contre la ser-
rure de la porte de sa prison. Le sieur Loiireur, qui av;iit été notre compagnon
de malheur dans la chapelle, et qu'on avait changé de chambre deux ou irois
j ours avant les j(»urnérs des "i, .ï el 4 septeml)rc, m'a raconté ce l'ait (jui s'est pas«
en sa présence. f Vo/f.s de Snhtl- Meard. ;
iiG pOCLilJSNS COMPLÉMENTAIRES.
A huit heures. — L'agitation du peuple se calma , et nous en-
tendîmes plusieurs voix crier : « Grâce , grâce pour ceux qui
restent! » Ces mois furent applaudis, mais faiblement. Cepen-
dant une iueur d'espoir s'empara de nous ; quelques-uns même
crurent leur délivrance si prochaine, qu'ils avaient déjà mis leur
paquet sous le bras ; mais bientôt de nouveaux cris de mort nous
replongèrent dans nos angoisses.
J'avais formé une liaison particulière avec le sieur Maussabré
qu'on n'avait arrêté que parce qu'il avait été aide-dc-camp de
M. de Brissac. Il avait souvent donné des preuves de courage ;
mais la crainte d'êlre assassiné lui avait comprimé le cœur. J'étais
cependant parvenu à dissiper un peu ses inquiétudes lorsqu'il
vint se jeter dans mes bras, en disant : « Mon ami , je suis perdu ;
je viens d'entendre prononcer mon nom dans la rue. » J'eus beau
lui dire que c'était peut-être des personnes qui s'intéressaient à
lui ; que d'ailleurs la peur ne guérissait de rien ; qu'au contraire
elle pourrait le perdre : tout fut inutile. Il avait perdu la tête au
point que, ne trouvant pas à se cacher dans la chapelle, il monta
dans la cheminée de la sacristie , où il fut arrêté par des grilles
qu'il eut même la folie d'essayer de casser avec sa tête. Nous
l'invitâmes à descendre ; après bien des difficultés, il revint avec
nous ; mais sa raison ne revint pas. C'est ce qui a causé sa mort
dont je parlerai dans un moment.
Le sieur Émard qui , la veille , m'avait donné des renseigne-
mens pour faire un testament olographe, me fit part des motifs
pour lesquels on l'avait arrêté. Je ies trouvai si injustes, que,
pour lui donner une preuve de la certitude où j'étais qu'il ne
périrait pas, je lui fis présent d'une médaille d'argent, en le
priant de la conserver pour me la montrer dans dix ans
S'il lit cet article , il lui rappellera sa promesse. Si nous ne nous
sommes pas vus, ce n'est pas ma faute; car je ne sais où le trou-
ver, et il sait où je suis.
A onze heures. — Dix personnes , armées de sabres et de pis-
tolets , nous ordonnèrent de nous mettre à la file les uns des au-
tres , et nous conduisirent dans le second guichet placé à côté de
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 117
, t, - 'I •■ :,.,.;
celui où était le tribunal qui allait nous juger. Je in'approcliai
avec précaution d'une des seniinelles qui nous {^ardaient , et je
parvins peu à peu à lier une conversntion avec lui. Il me dit,
dans un baragouin qui me fil comprendre qui! était Provençal
ou Languedocien, qu'il avait servi huit : ns dans le réginient de
Lyonnais {{). Je lui parïai -patois; cela parut lui faire plaisir, ef
l'iniérêl que j'avais de lui plaire me donna upe éloquence gas-
conne si persuasive, que j.'^ parvins à l'intéresser ou point d'ob-
tenir de lui ces mots qu'il est impossible d'apprécier quand on a
été dans le guichet où j'ëfais. « Né té cougneiclù pas, mé perlant
, .. . ■*-■. . ■;, , . ;i '■! î;, '" ■ ■ .-■:■'' -V ';-. ^- •; "• ^
nepeinUpas que siasque un treste; an contrairi, le cresi unbqun
gouyat (2). > Je cherchai dans mon imagination tout ce qu'elle
pouvait me fournir pour le confirmer dans cette bonne opinion;
j'y réussis ; car j'obtins encore qu'il me laisserait entrer dans le
redoutable guichet pour voir juger un prisonnier. J'en vis juger
deux, dont un fournisseur de la bouche du roi, qui, étant accusé
d'être du complot du 10, fut condamné et exécuté; l'autre qui
pleurait, et qui ne prononçait que des mots entrecoupés, était
déjà déshabillé, et allait partir pour ia Force lorsqu'il fut reconnu
par un ouvrier de Paris , qui attesta qu'on le prenait j)our un
autre. Il fut renvoyé à un plus amplement informé. J'ai appris
depuis qu'il avait été proclamé innocent.
Ce que je venais de voir fut un trait de lumière qui m'éclaira
sur la tournure que je devais donner à naesiraoyens de défense.
Je rentrai dans le second guichet où je vis quelques prisonniers
qu'on vouait d'amener du dehors. Je priai mon Provençal de me
procurer un verre de vin. Il al'ait le chercher, lorsqu'on lui dit
de me reconduire dans la chapelle où je rentrai sans avoir pu dé-
couvrir le motif pour lequel on nous avait fait descendre. J'y
trouvai dix nouveaux prisonniers qui remplaçaient cinq des nôtres
(■ .i. i.' ; ii :i i:
<v(><- . i ■l'«J(;{i( 'j': ' ■-■' -''■'"•'' - ■
(1) Maillard m a dit que c'était un fédéré natif de Vi!1e-Neuve-Ies-Avtgnon , et
qu'il était parti pour les frouticrcs quelques jours après les journées des 2, 3 et
4 septembre. {yoir,de Samt-Méard.i
d[2j ÏVaduc/ion. — Je ne te connais pas; mais pourtant je ne pense pas que tu
SOIS un traître; au contraire, je crois que tu es un bon enfant. (iVote des auteurs.)
118 DOCLMENS COMPLÉMENTAIRES.
précédemment jugés. Je n'avais pas de temps à perdre pour com-
poser un nouveau mémoire ; j'y travaillais , bien convaincu qu'il
n'y av.it que la fermeté et ia franc hise qui pouvaient me sauver,
lorsque je vis entrer mon Provençal qui, après avoir dit au gui-
ciietier : € Bade la porte, à la tournante salement, et atténs mé
en defore [l), » ^'approcha de moi , et me dit après m'a voir tou-
ché Ja main :
t Béni pér tu. Ba//ui Ion bhi (jué mus daniandal: heu... ^2). »
J'en avais bu plus de la moitié, lorsqu'il mit la main sur la bou-
teille", et ine dit : « Sacrisdi, moun a}nic, coumé ij bas; nen boli
pér y ou; à ta santal. . . . » H but le reste. « Né^}oii((i p^as du-
inoûra dans tu loun tén ; nié rappélé-té dé té que té d'm. Si ses
un caloulin ou bé un conspirateur d'au castéldé mousuBctotj sias
flambai ; mé si né sias pas un trésle, nage pas po ; té réspouiidi dé
la Sisle.
k — Ehl moun amie, seuij bien suri dé n'esta pas accusât (/^
bkVX:.- '-' , .' , ... , ' ' '
tout aco ; me passi per esta un tantinet anstoucraie.
'» — Quoij ré quaco ; los juges sabenl bé qui a d'ounestes gens
pér-toût. Lou présiden es un hoiinéste lioumme, que n'es pas un
sot.
» — rasei iné lua piaiei dé pré^a los juges de m'escouta; ne
dàmandi qua'co.
» — Lou siras, t'en respoundi. Arça adissias , amie, d'au cou-
{A)Traiaction. — Ferme ta porte seulement à la clef, et attends -moi en de-
hors. ( ?iote de Saint-Miari.)
v1) a Je viens pour loi. Voilà le vin que tu m'as demandé : Bois... Sacre,
» mon ami, comme îu y vas; j'en veux pour moi : à tasijnté Je ne peux pas
» demeurer long-temps avec toi : mais rappelle-toi ce que \e te dis. — Si tu es
» uu préire ou un conspirateur du chiàteau de 51. Veto, tu es flambé; mais si lu
T n'es pas un traître, n"aie pas peur j je te réponds de ta \ie.
» — Eb 1 mon ami , je suis bien sûr de n'être pas accusé de tout cela ; mais je
» passe pour être un peu aristocrate. — Ce n'est rien que cela; les juges savent
» bien qu'il y a des bonnétcs gens partout. Le président est un honnête homme
» qui n'est pas un sot.
» — Faites-moi le plaisir de prier les juges de m'écouter; je ne leur demande
» qne cela.
■ » — Tu le seras; je t'en réponds. Or çà, adieu, mon ami; du courage. Je vas
> m'en retournera mon poste; je tâcher, i de faire venir ton tour le plus tôt qu'il
» me sera possible. Embrasse-moi; je suis à toi de bon cœnr. »{N. de St-Méard.)
nn ?9 n; s.ip ?-'iT)Oi.,'«*'iSTîtî.x. i»6 ;9Ti-a} flî' MC>
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). H9
ragé ; m'en bau à nionposte ; iaqueretj dé fa béné toun tour lou pu
ieu que sira poussibie. Embrasse-mé ; seuy à tu dé boiin co. >
Kous nous embrassâmes , et il sortit.
Il faut avoir été prisonnier à l'Abbaye , le 5 septembre 1792,
pour sentir l'influence qu'eut cette petite conversation sur mes
espérances, et combien elle les ranima.
Vers minuit. — Le bruit surnaturel qu'on n'avait pas discon-
tinué de faire depuis trente- six heures, commença à s'apaiser ;
Jp u,r ^ '• ■ -c i,\
nous,.pensâiîîes que nos juj^es et leur pouvoir executit (1), ex-
cédés de faiigue, ne nous jugeraient que lorsqu'i's auraient pris
quelque repos. Nous étions occupés à arranger nos lits, lorsqu'on
fit une nouvelle proclamation qui fut huée généralement. Peu après
un homme demanda la parole au peuple, et nous lui eniendîmes
dire très-distinctement : « Les prêtres et les conspirateurs qui res-
tent, et qui sont là, ont graissé lapa te des juges; voilà pourquoi
lis ne les jugent pas. » A peine eut-il ^ch^yé de parler , qu'il noi^s
sembla entendre qu'on l'assommait. L'a^iiaiion dq peuple devint
d'une véhémence effroyable. Le bruit augmentait à chaque in-
stant, et la iérmentalion était à son comble, lorsqu'on vint cher-
cher M. Défontaine, ancien garde-du-corps , dont bientôt après
nous entendîmes les cris de^nbrl (2) ; peu après on arracha encore
de nos bras deux de nos camarades , ce qui me ti,t pressentu- que
mon heure fatafe approchait (5).
0) C'est ainsi qu'on nommait les lueurs.
(2)bn vint aussi chercher un officier supérieur de la nouvelle maison du roi,
de la part d'un des commissaires de la Commune, éjni était dans one chambre
ai|-dessus de la uùtre. >'jus demupdamc^ la même faveur, mais inutikmeat.
(5) ].<; premier fut M. \'au(:iraud , ancien officier kux gardes-françaises, qu'on
tiVaitrtiis en prison \n.nc qu'on n'avait pas trouvé, dans la maison de campagne
qu'il haJHtait, son fils, que le comité de surveillance de la Conmmne avait donné
ordre d'irrètcr. Trois ou quatre heures avant sa mort, il était aile à la fenêtre de
la tourelle, pour voir ce qui se passait vis-à-vis le guicliet. Il rentra en criant et
en s'arracliant les cheveux. Il nous dit qu'il \enjit de voir massacrer son fils. Il
est mort pénétré de cette aflieuse i;lée, qui s"est trouvée fausse. J'ai appris depuis
que, comuic il était hi-gue , les moyens de défense qu'il Bt valoir parurent sus-
pects, tl fut condawmé parce qu'il eut lair effaré et embarrassé. Il passa aux yeux
des juges pour un des conspirateurs du ihdleau des Tui'thes , qui étaient irrévo-
cablement proscrits. ( ISolcs de SaintMéard.)
120 DOCDMEiNS COMPLÉMENTAIRES.
Enfin le mardi, à une heure du matin , après avoir souffert
une agonie de trente-sept heures , qu'on ne peut comparer même
à la mort ; après avoir bu mille et mille fois le calice d'amertume,
la porte de ma prison s'ouvre : on m'appelle ; je parais. Trois
hommes me saisissent et m'entraînent dans l'affreux guichet.
Dernière crise de mon agonie. , -j
A la lueur de deux torches , j'aperçus le terrible tribunal qui
allait me donner ou la vie ou la mort. Le président, en habit gris,
un sabre à son côté , était appuyé debout contre une table, sur
laquelle on voyait des papiers, une écritoire, des pipes et quel-
ques bouteilles. Cette table était entourée par dix personnes , as-
sises ou debout , dont deux étaient en veste et en tablier ; d'autres
dormaient étendus sur des bancs. Deux hommes , en chemises
teintes de sang, le sabre à la main, gardaient la porte du guichet;
un vieux guichetier avait la main sur les verrous. En présence du
président , trois hommes tenaient un prisonnier qui paraissait
âgé de soixante ans.
On me plaça dans un coin du guichet; mes gardiens croisèrent
leur sabre sur ma poitrine et m'avertirent que, si je faisais
le moindre mouvement pour m'évader, ils me poignarderaient.
Je cherchais des yeux mon Provençal, lorsque je vis deux
gardes nationaux présenter au président une réclamalion de la
section de la Croix-Rouge en faveur du prisonnier qui était vis-
à vis de lui (1). Il leur dit « que ces demandes étaient inutiles
pour les traîtres. » Alors le prisonnier s'écria : « C'est affreux ;
votre jugement est un assassinat. » Le président lui répondit :
» J'en ai les mains lavées; conduisez M. Maillé (2)... » Ces mots
prononcés , on le poussa dans la rue , où je le vis massacrer par
l'ouverture de la porte du guichet.
{\) rn d'eux était ivre, et les propos qu'il tint ont peut-être causé la mort de
M. de Maillé, qui aTait été blessé au château des Tuileries, le 10 août. I! fut dé-
noncé par un ancien chirurgien de sa maison en qui il avait mis toute sa con-
fiance. ( JN'ofe de Saint-Méard. )
(i) Je crus m'apercevoir que le président prononçait cet arrêt à contre-cœur :
JOUÏlNéES DE 5EPTEMP.UE ( 171>2 K 12t
Je me suis trouvé souvent dans des positions dangereuses , et
j'ai toujours eu le bonheur de savoir maîtriser mon anie ; mais
dans celle-ci ! l'effroi , inséparable de ce qui se passait autour
de moi , m'aurait fait succomber sans ma conversation avec le
Provençal, et surtout saus mon rêve qui me revenait toujours à
l'imagination.
Le président s'assit pour écrire, et, après qu'il eut apparem-
ment enregistré le nom du malheureux qu'on expédiait, j'en-
tendis dire : A un autre.
Aussitôt je fus traîné devant cet expédilif et sanglant tribunal,
en présence duquel la meilleure protection était de n'en point
avoir, et où toutes les ressources de l'esprit étaient nulles , si elles
n'étaient pas fondées sur la vériié. Deux de mes gardes me te-
naient chacun une main , et le troisième par le co'iet de mon habit.
Le président m adressant la parole : « Votre nom , votre pro-
fession ? >
Un de nos juges: « Le moindre mensonge vous perd. »
— < L'on me nomme Jourgniac Saint-Méard ; j'ai servi vingt-
cinq ans en qualité d'officier, et je comparais à votre tribunal
avec l'assurance d'un homme qui n'a rien à se reprocher, qui ,
par conséquent, ne mentira pas. »
Le président : « C'est-ce que nous allons voir ; un moment (1). ..
Savez-vous quels sont les motifs de voire arrestation ? »
— « Oui , monsieur le président (2), et je peux croire , d'après
la fausseté des dénonciations faites contre moi , que le comité de
surveillance de la Commune ne m'aurait pas fait emprisonner,
sans les précautions que le salut du peuple lui commandait de
prendre.
. -.1
plusieurs Trieurs étaient enfrés dans le puichet, et y causaient beaucoup de fer-
mentation.
(1) Il regarda les écrous et les déuoDcialions, qu'il Ht ensuite passer aux ju<;es.
(2) A mougrand dép'aisir, on détournait souvent l'attention du président et
des juges. On leur parlait à l'oreille, on leur portait des lelfrei ; une enire autres
qu'on remit au président, et qu'on avait trouvée dans la poche de M. Valcrois-
sant, maréchal-de-canip , adressée à M. Serran, ministre de la guerre.
,' ÎSoles de Saint-Méard. )
m
v^^
120 fui'!!,. idiini.Mi- > I AIRES.
Enfin le mardi, à une eure du matin, après avoir souffert
une agonie de trenle-sepaeures, qu'on ne peut comparer même
à la mort ; après avoir bunille et mille fois le calice d'amertume,
la porte de ma prison s'nvre : on m'appelle ; je parais. Trois
hommes me saisissent et l'entraînent dans l'affreux guichet.
Derniit crise de mon agonie. i
A la lueur de deux torhes , j'aperçus le terrible tribunal qui
allait me donner ou la vioiu la mort. Le président, en habit giris,
un sabre à son côté , «Ma appuyé debout contre une table, sur
laquelle on voyait des paiers, une écriloire, des pi[>es et quel-
ques bouteilles. Cette • '• •'•'■• entourée par dix personnes , as-
sises ou debout , dont ni en vesleet en tablier ; d'autres
dormaient étendus sur (h bancs. Deux hommes, en chemises
teintes de sang , le sabre àa main, gardaient la porte du guichet ;
un vieux guiclietior :i\ > 'm sur les verrous. En présence du
président , trois homi.. ^ ..u.. ni un prisonnier qui paraissait
âgé de soixante ans.
On me plaça dans un ca du guichet ; mes gardiens croisèrent
leur sabre sur ma puiine et m'avertirent que, si je faisais
le moindre mouvement pur m'évader, ils me poignarderaient.
Je cherchais des yeux ion Provençal, lorsque je vis deux
gardes nationaux preneur au pré:>ident une nclamulion de la
section de la Croix-Roij;jen faveur du prisonnier qui était vis-
à vis de lui (1). 11 leur c * que ces demandes étaient inutiles
pour les traîtres. » Alors prisonnier 5' écria : * C'est aff
votre jugement esi m ••^nt. » Le président^
» J'en ai les mains la\ ium./. M. Maillé
prononcés , on le )X)uss:i ans la rue , où je le^
l'ouverture de la porte dtçuichet.
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'1*1
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àfBtti
laar^ti
(i) Un d'eux était irre, et Ipsropos qu'il tint 01
M. de Maillé, qui avait été hl -aiu rha(enu des Tu
nonce par un anrion chinirL'icdc sa maison en
fiance. ; iV«
M Je rnisTnappiTPvnir fiMi président pror
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 125
avait pas crus capables de discerner l'innocent d'avec le coupable.
Voilà , messieurs , des certificats qui prouvent que je ne suis pas
sorti de Paris depuis vingt-trois mois. Voilà trois déclarations des
maîtres de maison chez lesquels j'ai logé depuis ce temps , qui
attestent la même chose. »
On était occupé | les examiner , lorsque nous fûmes inter-
rompus par l'arrivée d'un prisonnier qui prit ma place devant le
président. Ceux qui le tenaient dirent que c'était encore un prê-
tre qu'on avait déniché dans la chapelle. Après un fort court in-
terrogatoire, il l'ut envoyé à la Force. Il jeta son bréviaire sur la
table , et fut entraîné hors du guichet où il fut massacré. Cette
expédition faite , je reparus devant le tribunal.
Un des juges : « Je ne dis pas que ces certificats soient faux ;
mais qui nous prouvera qu'ils sont vrais ?
« — Votre réflexion est juste , monsieur ; et pour vous mettre
à même de méjuger ayçc connjiissance de cause, faites-moi con-
duire dans un cachot, jusqu'à ce que des commissaires, que je
prie M. le président de vouloir bien nommer , aient vérifié leur
validité. S'ils sont faux , ^'e mérite la mort. »
Un des juges (1) qui, pendant mon interrogatoire, parut s'inté-
resser à moi, dit à demi-voix : « Un coiipable ne parlerait pas avec
cette assurance. »
Un autre juge : « De quelle section éles-vous?
« — De celle de |a Haile au Blé. »
Un garde national j gui n'était pas du nombre des juges : « Ah !
ah ! je suis aussi de celte section. Chez qui demeurez- vous?
€ — Chez M. Teyssier, rueCroix-des-Peiits-Chatnps. »
Le garde national : « Je !e connais; nous avons même fait des
affaires ensemble j et je peux dire si pe certificat est de lui... » 11
le regarda et dit : « Messieurs , je certifie que c'est la signature
du citoyen Teyssier. »
Avec quel plaisir j'aurais sauté au cou de cet ange tulélaire!
(t)Les traits de sa figure sont gra\ es dans mon cœur; tt si j'ai le bonlicnr de
le rencontrer, je l'embrasserai, et je lui témoignerai ma reconnaissance avec bien
du plaisir. , , Aotc de Saint-Meard. )
'124 bOCtJME?(S CO-MPLF.MElVTÀlilËS.
Mais j'avais des choses si importanîes à Iraiter, qu'elles me dé-
tournèrent de ce devoir; et a peine eut-il achevé de parler, que
je fis une exclamation qui rappela l'attention de tous , en disant :
« Eh! messieurs, d'après le témoignage de ce brave homme]
qui prouve la fausseté d'une dénonciation qui pouvait me con-
duire à la mort , quelle idée pouvez-vous avoir de mon dénon-
ciateur? »
Le juge qui paraissait s'intéresser à moi : « C'est un gueux; et
s'il était ici , on en ferait justice. Le connaissez-vous ?
t —Non, monsieur; mais il doit l'être au comUé de surveil-
lance de la Commune, et j'avoue que si je le connaissais , je croi-
rais rendre service au public, en l'avertissant, pur des affiches,
de s'en méfier comme d'un chien enn*gé. »
Un des juges : « On voit quevous n'êtes pas faiseur de journal ,
et que vous n'avez pas fait des recrues. Mais vous ne parlez pas
des propos aristocrates que vous avez tenus au Palais-Royal,
chez des libraires.
ï — Pourquoi pas? Je n'ai pas craint d'avouer ce que j'ai
écrit ; je craindrai encore moins d'avouer ce que j'ai dit, et même
pensé. J'ai toujours conseillé l'obéissance aux lois , et j'ai prêché
d'exemple. J'avoue en même temps que j'ai profité de la permis-
sion que me donnait la Constitution, pour dire que je ne la ju-
geais pas parfaite , parce que je croyais m'apercevoir qu'elle nous
plaçait tous dans une position fausse. Si c'est commettre un crime
d'avoir dit cela, alors la Constitution elle-même m'aurait tendu
un piège , et cette permission qu'elle me donnait de faire con-
naître ses défauts , ne serait plus qu'un guet-apens. J'ai dit aussi
que presque tous les nobles de l'assemblée constituante, qui se
sont montrés si zélés patriotes, avaient beaucoup plus travaillé
pour satisfaire leurs intérêts et leur ambition , que pour la pa-
trie ; et quand tout Paris paraissait engoué deleur patriotisme ,
je disais: Ils vous trompent. Je m'en rapporte à vous, mes-
sieurs , l'événement a-t-il justifié l'idée que j'avais d'eux ? J'ai
souvent blàrné les manœuvres lâches et maladroites de certains
personnages qui ne voulaient que la Constitution, rien que Ta
JOURNÉES DK SEiTEiiisKi: ( !7yi2 ). 123
Coastitutioa, toute la Constitution, li a long-temps que je pré-
voyais une (jrande catastrophe, résultat nécessaire de celle Cons-
titution , révisée par des égoïstes qui, comme ceux dont jai déjà
parlé, ne travaillaient que pour eux, et surtout du caractère des
inlrigans qui la défendaient. Dissimulation, cupidité, et poltro-
nerie étaient les attributs de ces cliarlaians. Fanatisme, intrépi-
dité et franchise , formaient le caractère de leurs ennemis. 11 ne
fallait pas des lunettes bien longues pour voir qui devait l'empor-
ter. »
L'attention qu'on avait à m'écouter , et à laquelle j'avoue que
je ne m'attendais pas, m'encourageait, et j'allais faire le résumé
de mille raisons qui me font préférer le régime républicain à celui
de la Constitution ; j'allais répéter ce que je disais tous les jours
dans la boutique de M. Desenne, lorsque le concierge enira tout
effaré, pour avertir qu'un prisonnier se sauvait par une chemi-
née. Le président lui dit de faire tirer sur lui des coups de pisio-
let ; mais que ,, s'il s'échappait, le guichetier en répondait sur sa
tète. C'était le malheureux Mausabré. On tira contre lui quel-
ques coups de fusil, et le guichetier, voyant que ce moyen ne
réussissait pas, alluma de la paille. La fumée le fit tomber à moi-
tié étouffé ; il fut achevé devant la porte du guichet.
Je repris mon discours, en disant: t Personne, messieurs,
n'a désiré plus que moi la réforme des abus... Voilà des bro-
chures que j'ai composées avant et pendant la tenue des états-gé-
néraux ; elle prouvent ce que je dis. J'ai toujoiiis pensé qu'on
allait trop loin pour une Constitution, et pas assez pour une répu-
blicpie. Je ne suis ni jacobin ni feuillant. Je n'aimais pas les piin-
cipes des premiers , quoique bien plus conscquens et plus francs
que ceux des seconds, que je détesterai jusqu'à ce qu'on ait
prouvé qu'ils ne sont pas la cause de tous les maux que nous
avons éprouvés. Enfin nous sommes débarrassés d'eux... »
Vil juge, d'un air hnpulienlé : * Vous nous dites toujours que
vous n'éies pas ça , ni ça : qu'ctes-vous donc ?
> — J'étais franc royaliste. »
Il s'éleva un murmure général qui fut miraculeusement apaisé
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124 f COMPLF.MENTAIhES.
Mais j'avais des chospsi importantes à Iraûer, qnVIles me dé-
tournèrent de ce flevojj et à peine eut-il achevé de parler, que
je fis une exclamation ai rappela ratlenlion de tous , en disant :
< Eh! messieurs, d'affes le témoignaf^e de ce brave homnie,
qui prouve la fausseté Tune dénonciation qui pouvait me con-
duire à la mort, «fuellidée pouvez-vous avoir de mon dénon-
ciateur? »
Le juge qui paraissa 9 intéresser à moi : * C'est un f}ueux; et
s'il était ici, on en feraijuslice. Le connaissez-vous?
e — Non, monsieur mais il doit l'ôtre au rom-té de surveil-
lance de la Commune ,!l j'avoue que si je le connaissais , je croi-
rais rendre service au ablic, en l'averiissanf, p:ir des affiches,
de s'en méfier comme \un chien enrtfjé. »
Vn des juges : « On lit que vous n'êtes pas faiseur de journal ,
et que vous n'avez pa<^it des recrues. Mais vous ne pai lez pas
des propos nristocratJ '711" vous avez tenus au Palais-Royal,
chez des lihroires.
< — Pourquoi pas^ïe n'ai pas craint d'avouer ce que j'ai
écrit ; je craindrai cm^p moins d'avouer ce que j'ai dit , et même
pensé. J'ai loujours ccseillé l'obéissance aux lois , et j'ai prêc lié
d'exemple. J'avoue eniême temps que j'ai profilé de la permis-
sion que me donnait! Constitution, pour dire que je ne la jn-
fjeais pas parfaite, paie que je croyais m'apercevoir qu'elle nous
plaçait tous dans une psiiion fausse. Si c'est commettre un crime
d'avoir dit cela, nlor^a (Constitution elle-même m'aurait tendu
un P'^fî'^' ^^ ^^^^'^ ! mission qu'elle me donnait de faire con-
naître ses défauts, iverait plus qu'un guet-apens. J'ai dit aussi
cfue presque tous If s »bles de l'assemblée constituante, qui se
sont montrés si zélé-i airiotes, avaient beaucoup plus travaillé
pour satisfaire leurs itérêts et leur ambition, que pour la pa-
trie; et quand tout l*'is paraissait enf;oué de leur patriotisme^
je disais: Ils voik Dmpent. Je m'en rapporte^
sieurs, l'événemerf 1-il justifié l'idée que j|i
souvent b'àmé les ntnœuvres lâches et Bial
personnaj^ps qui nr lulaient que la Const
ii ■
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JOURNÉES DK SEPTEMBRE { 1792 ). 127
le plaisir qu'ils avaient de me voir , et plantèrent un mai dans ma
cour. Je sais que ces détails doivent vous paraître bien minutieux ;
mais, messieurs , mettez-vous à ma place , et jugez si c'est le mo-
ment de tirer parti de toutes les vérités qui peuvent m'être avan-
tageuses. Je peux assurer que pas un soldat du régiment d'infan-
terie du Roi (1), dans lequel j"ai servi vingt-cinq ans, n'a eu à se
plaindre de moi ; je peux même me glorifier d'être un des offi-
ciers qu'ils ont ie plus chéris. La dernière preuve qu'ils m'en ont
donnée n'est pas équivoque, puisque deux jours avant l'affaire
de Nancy, moment où leur méfiance contre les officiers était à
son comble , ils me nommèrent leur général , et m'obligèrent de
commander l'armée qui se porta à Lunéville pour délivrer trente
cavaliers du régiment de Meslre-de-Gamp , que les carabiniers
avaient faits prisonniers , et pour leur enlever le général Mal-
seigne... »
Un des juges. « Je verrai si vous avez servi au régiment du Koi.
Y avez-vous connu M. Moreau?
> — Oui, monsieur : j'en ai même connu deux; l'un , très-
grand, très-gros et très-raisonnable; l'autre, très-petit, très-
maigre, et très »
Je fis un mouvement avec la main, pour désigner une tête
légère.
Le même juffe. « C'est cela même ; je vois que vous l'avez
connu. >
Nous en étions là, lorsqu'on ouvrit une des portes du guichet
qui donne sur l'escalier, et je vis une escoîte de trois hommes
qui conduisait M. Margue...., ci-devant major, précédemment
mon camarade au régiment du Roi, et mon conjpngnon de
chambre à l'Abbaye. On le plaça , pour attendre que je fusse
jugé, dans l'endroit où l'on m'avait mis quand on me conduisit
dans le guichet.
Je repris mon discours.
1 Après la malheureuse affaire de Nancy, je suis venu à Pa-
(1 ) Tin di's jugrs me marcha sur le pied pour m'averlir apparemiiieut que j'allais
me comproriietire. 3'étais sûr du conlraire. ^ iN'off de Saml-Mèarri . )
l^S DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
ris , où je suis resté depuis celte époque. J'ai été arrêté clans mon
appartement, il y a douze jours. Je m'attendais si peu à Télre,
que je n'avais pas cessé de me montrer comme à mon ordinaire.
On n'a pas mis les scellés chez moi, parce qu'on n'y a rien
trouvé de suspect. Je n'ai jamais été inscrit sur la liste civile. Je
n'ai sijjné aucune pétition. Je n'ai eu aucune correspondance ré-
préhensible. Je ne suis pas sorti de France depuis l'époque delà
révolution. Pendant mon séjour dans la capitale, j'y ai vécu
tranquille; je m'y suis livré à la gaieté de mon caracière, qui,
d'accord avec mes j)rincipes, ne m'a jamais permis de me mêler
sérieusement des affaires publiques, et encore moins de faire du
mal à qui que ce soit. Voilà , messieurs , tout ce que je peux dire
de ma conduite et de mes principes. La sincérité des aveux que
je viens de faire doit vous convaincre que je ne suis pas un homme
dangereux. C'est ce qui me fait espérer que vous voudrez bien
m'accorder la liberté que je vous demande , et à laquelle je suis
attaché par besoin et par principes. »
Le président, après avoir ôlé son chapeau, dit : « Je ne vois
rien qui doive faire suspecter monsieur ; je lui accorde la liberté.
Est-ce votre avis ? »
Tous les juges, c Oui ! oui ! c'est juste. »
A peine ces mois divlm furent-ils prononcés, que tous ceux
qui étaient dans le guichet m'embrassèrent. J'entendis au-dessus
de moi applaudir et crier bravo! Je levai les yeux, et j'aperçus
plusieurs têtes groupées contre les barreaux du soupirail du
guichet ; et comme eiles avaient les yeux ouverts et mobiles, je
compris que le bourdonnement sourd et inquiétant, que j'avais
entendu pendant mon interrogatoire , venait de cet endroit.
Le président chargea trois personnes d'aller en dépuiation
annoncer au peuple le jugement qu'on venait de rendre. Pendant
cette proclamation , je demandai à mes juges un résumé de ce
qu'ils venaient de prononcer en ma faveur ; ils me le promirent.
Le président me demanda pourquoi je ne portais pas la croix de
Saint-Louis, qu'il savait que j'avais. Je lui répondis que mes ca-
marades prisonniers m'avaient inviié à l'ôter. Il me dit que l'as-
JOURNÎCES DE SEI'ÏEiJaiUi ( 1792). 129
semblée nationale n'ayant pas défenda encore de la porter, on
paraissait suspect en faisant le contraire. Les trois députés ren-
trèrent, et me firent mettre mon chapeau sur la tête; ils me
conduisirent hors du guichet. Aussitôt que je parus dans la rue,
un d'eux s'écria : Chapeau bas citoyens, voilà celui pour le-
quel vos juges demandent aide et secours. Ces paroles prononcées,
le pouvoir exécutif m en\e\3i, et, placé au milieu de quatre tor-
ches, je fus embrassé de tous ceux qui m'entouraient. Tous les
spectateurs crièrent : Vive la nation! Ces honneurs, auxquels je
fus très-sensible, me mirent sous la sauvegarde du peuple, qui,
en applaudissant , me laissa passer, suivi des trois députés que le
président avait chargés de m'escorler jusque chez moi. Un d'eux
me dit qu'il était maçon, et établi dans le faubourg Saint-Ger-
main; l'autre, né à Bourges, et apprenti perruquier. Le troi-
sième, vêtu de l'uniforme de garde national, me dit qu'il était
fédéré. Chemin faisant , le maçon me demanda si j'avais peur.
Pas plus que vous , lui répondis-je. Vous devez vous être aperçu
que je n'ai pas été intimidé dans le guichet; je ne tremblerai pas
dans la rue. « Vous auriez tort d'avoir peur, me dit-il , car ac-
tuellement vous êtes sacré pour le peuple; et si quelqu'un vous
frappait, il périrait sur-le-champ. Je voyais bien que? vous n'é-
tiez pas une de ces chenilles de la liste civile; mais j'ai tremblé
pour vous, quand vous avez dit que vous étiez officier du roi.
Vous rappelez-vous que je vous ai marché sur le pied? — Oui ;
mais j'ai cru que c'était un des juges. — C'était parbleu bien moi ;
je croyais que vous alliez vous fourrer dans le haria, et j'aurais
été fâché de vous voir faire mourir; mais vous vous en êtes bien
tiré ; j'en suis bien aise , parce que j'aime les gens qui ne boudent
pas. » Arrivés dans la rue Saint-Benoît , nous montâmes dans un
fiacre qui nous porta chez moi. Le premier mouvement de mon
hôte, de mon ami, fut, en me voyant, d'offrir son portefeuille
à mes conducteurs qui le refusèrent, et qui lui dirent, en pro-
pres termes : t Nous ne faisons pas ce métier pour de l'argent.
Voilà votre ami; il nous a promis un verre d'eau-de-vie; nous le
boirons et nous retournerons à notre poste. » Ils me d^mandè-
T. XVIII. Q
150 DOCLMENS COMPLÉMENTAIRES.
rent une allesiation qui déclarât qu'ils m'avaient conduit chez
moi sans accident. Je la leur donnai, en les priant de m' envoyer
celle que mes juges m'avaient promise, ainsi que mes effets (1)
que j'avais laissés à l'Abbaye. Je fus les accompagner jusqu'à la
rue, où je les embrassai de bien bon cœur. Le lendemain , un des
coiumisïaires mapporta le cerlitîcat dont voici la copie :
c Nous , commissaires nommés par le peuple pour faire jus-
tice des traîtres détenus dans la prison de l'Abbaye, avons fait
comparaître, le 4 septembre, le citoyen Jourgniac Saint-Méard,
ancien ofiicier décoré, lequel a prouvé que les accusations por-
tées contre lui étaient fausses, et n'être jamais entré dans aucun
complot contre les patriotes : nous l'avons fait proclamer inno-
cent en présence du peuple, qui a applaudi à la liberté que nous
lui avons donnée. En loi de quoi rous lui avons délivré le présent
certificat, a sa deaiande : nous invitons tous les citoyens à lui
accorder aide et secours. S gné, Pom... Ber.... »
» A r Abbaye, fan IV'= de la liberté, et le I" de l'égalilé. »
Après quelques heures de sommeil , je m'empressai de remplir
les devoirs que l'amitié et la reconnaissance m'imposaient. Je fis
imprimer une lettre par laquelle je fis part de mon heureuse dé-
livrance à tous ceux que je savais avoir pris quelque part à mon
malheur. Je fus le même jour me promener dans un jardin pu-
blic ; je vis plusieurs personnes se frotter les yeux pour voir si
c'était bien moi ; j'en vis d'autres reculet^ d'effroi, comme si elles
avaient vu un spectre. Je fut embrassé, même de ceux que je ne
connaissais pas ; enfin ce lut un jour de fêle pour moi. Mais ce
qu'on m'a dit depuis , ce qu'on m'a écrit , et ce que jai lu im-
primé , m'a fait calculer combien l'effet de mon emprisonnement
pouvait ra'êire défavorable dans l'esprit de ceux qui ne me con-
naissent pas et surtout dans un moment où l'on croit, où l'on
(t) D'après la réclamation qu3 j"en ai faite depuis, "STSl. Jourdenil elle Clerc,
administrateurs au département de survellance, ont eu la complaisance de me
promettre , par écrit, un ordre nécessaire pour la remise desdits effets ; je ne l'ai
pas encore reçue, non plus que mes effets; mais je dois croire que je ne perds
rien pour attendre.
(?iote de Saint-Méard , composée plusieurs jours après le manuscrit.)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 151
condamne, où l'on exécute si précipitamment. J'ai cru qu'il
m'importait de produire un contre-elfel. J'ai fait connaître la
vérité.
A mes ennemis.
J'avais promis, dans le tableau des événemens terribles que je
viens de retracer, exactitude et vérité (1) ; j'ai rempli ma promesse
avec scrupule. Les détails dans lesquels je suis entré prouvent
sans doute que mon intention a été de n'en omettre aucun, parce
qu'il n'en est point qui ne soient inléresians dans celte effrayante
époque dont les circonstances seront écrites en caractères de sang
sur les pages de notre histoire; ils fourniront sans doute à d'au-
tres des réflexions sur les causes qui font provoquée : moi je n'ai
écrit que celles que m'ont inspirées h douleur et l'eifioi.
Étranger à toute espèce d'intrigue, ennemi de ces ténébreux,
complots qui avilissent la dignité de l'homme , qui déshonorent
le caractère français, dont la loyauté fut toujours l'heureux par-
tage , j'étais entré pur dans cette terrible prison , c'est ma fran-
chise qui m'a sauvé.
Je sais cependant que la justice qu'on m'a rendue, dans un
moment où elle pouvait être distribuée par le hasard , a donné de
riiumeur à mes ennemis, dont ma douloureuse agonie n'a pu
éteindre la haine que fe n'ai pas méritée. Je sais qu'au moment
où je prononçai dans la tribune de ma section le serment prescrit
a tous les citoyens , ils publiaient , dans un des cafés du Palais de
la Révolution, que j'avais fait celui de ne jamais le prêter.
Eh ! messieurs , messieurs , rappelez-vous que jamais personne
(t) je no certifie pas que ce qu'on m'a dit au comité et au guicriet, ainsi que
mes réponses, (•oient rapportés mot ponr mot; :n;iis j'altcste que le sens des
ptirases y esl de la plus ffrainic exacliludc. On sera sans doute étonné que, dans
un Diomeni aussi critique, j'aie parié à mon inlcrrog.i.oire avec autani de suite;
mais l'élonneniciit cessera quand on saura que j'iivais appris |iar cœur ce (|ue
j'avais le projet de dire, et que j'avais niénie prié quatre de mes (r<miarados din-
for une, €nlre::ulns .MM. deBra.ssac, de me faiie répéier leà mojensdedérensa
quej"iill,iis prononcer. D'ailleurs mon parti éiait pris ; j'étais, pour ainsi dire,
idenlifié avec l'idée de la mort ; je ne la craignais ni ne la voyais,
' ISote de Saint-Ménrd. "
iôti DOCLMEMS COMPLLMEMTAIRES.
n'a vécu pins avant que moi dans la mort ; rappelez-vous que,
pendant irentc-liuit heures, les couteaux et les haches ont été
levés sur moi. L'instant qui nous sépare de la vie a-t-il quelque
chose d'aussi douloureux? Vous m'avez fait bien du mal, je vous
le pardonne de bon cœur; mais je vous supplie, au nom de vo-
ire patriotisme , de me laisser terminer en paix le reste de ma
résurrection.
Je conviendrai , si vous voulez , qu'un décret de l'assemblée
législative, en m'ôtant plus de la moitié de mon patrimoine, dont
les miens et moi jouissions depuis très-long-temps , a pu me don-
ner un peu d'humeur. Mettez-vous à ma place un instant, et
dites-moi de bonne foi si vous auriez éprouvé ce déficit avec
plaisir ?
Au surplus, dans le moment oii j'écris ces lignes , je suis réel-
lement consolé , parce que j'ai réfléchi que la suppression des
rentes seigneuriales est favorable à ceux de mes ci-devant tenan-
ciers peu fortunés que j'ai toujours aimés , ainsi que les autres,
et qui ne me paient pas d'ingratitude , j'en suis persuadé. Amu-
sez-vous de ma narration ; je vous abandonne l'écrit et Vauteur,
comme auteur; mais plus de noirceurs, elles produisent des ef-
fets trop fmiestes.
iN'e croyez pas cependant que je vous demande grâce. Fidèle
observateur des lois pendant tout le couis de ma vie, je ne déso-
béirai pas à celles qu'a dictées la souveraineté nationale. J'ai tou-
jours chéri ma patrie , je me joindrai à ceux qui veulent mettre fin
à ses malheurs. Si vous me voyez écarter de ces principes, dénon-
cez-moi. Mais dites vrai, et surtout rappelez-vous que, si j'avais
été coupable, on ne m'aurait pas arrêté dans mou appartement
douze jours après le 10 août 17î)2; que si j'avais le projet de mal
faire , je ne lesterais pas à Paris, et que si je faisais mal, je ne me
mettrais pas en évidence , je me tairais.
A Paris, l'an 1" de la république, le 15 seplerabre 1792.
Lazark., cï-devaut Jolrgmac Saim-Méard.
.Ve varielur.
JOURNÉES T>E SKPTEMCRK (1792). 155
MA RKSIJUUECTIOIX,
PAR MATON-DE-LA-YARENNE.
Ouvrage publié en 1795.
Étranger aux clubs, aux pétitions, aux caixiles , aux motions
et anx places ; uniquement occupe des lettres et de la jurispru-
dence, fort de ma v(;rtu et de mon amour pour le bien puljlic,
j'étais loin de prévoir que je serais inscrit sur les listes l'atales , et
qu'on en voulait à ni(>s jours. L'événement dont je vais parler lit
cesser ma dangereuse sécurité.
Des renscignemens dont j'avais besoin dans une affaire à la-
quelle je m'intéressais, m'avaient fait passer laprès-midi du 24
d'auguste i7{)i2 tant à la mairie (|u'à la Commune, où j'avais
parlé au secrétaire {Tallicn ) , lorsqu'en revenant chez moi sur
les neuf heures , je vis la porte cochère investie par des gardes
nationales. Avant d'entrer, je demandai à un voisin de quoi il
s'agissait; il me répondit que c'était moi dont on faisait la re-
cherche. J'éprouvai d'abord un mouvement de saisissement et
d'effroi. Cependant» après m'étre recueilli, croyant que j'étais
sans doute l'objet de quelque méprise, je moulai chez moi où
tout était ouvert, éclairé , et rempli d'hommes armés et non ar-
més. — < Que voulez-vous, leur dis-je? — Monsieur, me répon-
dironl-ils fort poliment, nous sommes envoyés par la section du
Théûtre-Français pour faire une visite chez vous. — Sans doute
que vous êtes porteurs d'ordres écrits? Kxhil)ez-Ies. » — Je fus
satisfait sui-le-cliamp. (^es ordres portaient que, tout fût examiné
dans mon domicile; que les scellés fussent mis sur mes papiers,
s'il y avait lieu, et qu'on s'assurât ensuite de ma personne. —
< Faites votre devoir, leur dis-je après celte lecture : ma con-
science! est iranqnille. — Nous avons rempli une partie de notre
mission (avant que j'arrivasse on avait fouillé juscpH! sous l( s lits,
pour voir si je ne cachais point des prêtres), et nous devons
i54 DOCUMEiMi COMPLÉMENTAIRES.
convenir que vous n'êîes aucunement compromis. Il n'y a plus
qu'une légère explication à venir donner à la mairie , et celte
affaire ne sera rien : mais vous ferez bien de souper auparavant.»
— Pendant que j'avaiais un œuf, on rédigea un procès-verbal
portant littéralement : Nous n'avons découvert chez le sieur de
la Varenne rien d'opposé à ia révolution et de relatif à la journée
du 10; mais nous y avons trouvé, au contraire, tous écrits at-
testant son patriotisme. — Puis, après avoir fait rafraîchir ceux
qui m'étaient venu faire la visite que je décris, je me reiidis à
pied au comité de surveillance de la mairie, avec l'un d'eux , qui
y porta plusieurs liasses de mes papiers , la plupart relatifs à un
don patriotique que j'avais été chargé de faire, et ma clientèle.
Jlon conducteur, que j'aurais pu quitter en chemin, si j'avais
eu quelque chose à craindre, m'introduisit d'abord dans un petit
cabinet où se trouvait un homme en écharpe. Un air de respect
pour la sublimité de ses fonctions, le ton d'importance qu'il af-
fectait de prendre, ûoa expressions basses qui décelaient sa peti-
tesse; des r<'gards qu'il jetait dédaigneusement sur moi ; une tête
à cheveux presque raz ; d'une amplitude et d'une rotondité risi-
bles Voiià l'esquisse du personnage : j'ai su depuis qu'il s'ap-
pelait I-eclerc.
Je l'informai de ce qui venait de m'arriver, et le priai de m'in-
terroger, en lui annonçant que mes affaires me rendaient néces-
saire chez moi le lendemain; que ma santé, d'ailleurs, ne me
permettait pas de passer une nuit ; je le déterminai à prendre
lecture du procès-verbal , et demandai ma liberté en offrant une
camion personnelle ou pécuniaire , s'il l'exigeait. — t Je ne le
puis, me dit-il; il y a contre vous une dénonciation.» — J'insistai,
et je voulus qu'il appelât quelques-uns de ses collègues pour dé-
libérer sur ma demande. Un jeune homme, nommé Parrein,
contre lequel j'avais, dans plusieurs plaidoyers, prouvé les plus
grandes bassesses, se présenta. Alors je me retirai. Un instant
après , il traversa l'antichambre où j'attendais , et m'annonça que
ma pétition était rejelée. Je rentrai auprès de Leclerc pour lui
l'aire de nouvelles observatlou'? ; mais je n'obtins de lui que cette
JOURNÉES DK SEPTEMBRE (1792). i55
réponse, à laquelle il mit toute sa ridicule gravité : < Retirez-
vous; les membres du comité de surveillance ont délibéré. > —
On me montra sur-lc- champ une espèce de cuisine où il n'y avait
d'autres sièges que le carreau et quelques planches. Je commen-
çais à me résigner, lorsqu'un homme me dit de le suivre. Après
avoir traversé une cour dans un corps de logis dont j'ignorais
l'existence, je passai au milieu de plus de cent hommes à figures
rébarbatives, armés de sabres, piques et fusils, et dont les
propos menaçans me firent craindre pour ma vie; puis j'arrivai
à un escalier sale et étroit qui me conduisit à une espèce de gre-
nier rempli de personnfs de tous états, qu'on avait arrêtées
comme moi, et qui n'avaient pour se coucher que de la paille
presque en poussière. La fi ayeur glaça d'abord mes sens , et
j'eus des pressentimens sinistres. Je m'y livrais , lorsqu'un des
particuliers qui étaient venus faire la perquisition dans mon do-
micile, touché sans doute des honnêtetés qu'il avait reçues, vint
me réclamer, me fit descendre avec lui, et me plaça, pour
le reste de la nuit , dans un cabinet où éiaient un garçon
d'environ trente ans, horloger, rue du liarlay, capturé pour
avoir apostrophé le maire Pélion, qui passait dans le quartier;
la mère de ce jeune homme, et une anciepne maîtresse d'école,
qui me dit s'appeler Baiaillol, dont quelques brefs du pape,
trouvés chez elle, avaient causé l'arrestation. On leur promit,
comme à moi, qu'ils seraieiU entendus le lendemain matin. Une
lampe , deux chaises de paille , une porte renversée par terre , et
un lit de sangle formaient le mobilier de ce misérable réduit, où
mes compagnons d'inl^rtune étaient consignés depuis environ
quatre jours et «juatre nuils. Nous nous conso'àmes réciproque-
ment; apiès quoi, vaincus par le sommeil, nous essayâmes de
nous y abandonner.
Le jeune homme, qui est mort deux ans après des suites de la
révolution qu'ont opérée sur lui les événemens que j'ai à racon-
ter, se coucha sur la porte ; sa mère et moi nous nous jetâmes
enseml)le et sans façon sur le lit de sangle, où je lâchai inutile-
ment de m'assoupir ; la maîtresse d'école resta sur une chaise.
156 DOCUMENS COJIPLÉMENTAIRES.
En réfléchissant sur ce qui m'arrivait , je me persuadai qu'il v
avait un projet de me traduire, sous quelque prétexte , devant le
redoutable tribunal du 17 d'auguste (1). Je ne pouvais me dissi-
muler ni le nombre de mes ennemis, ni leur rage; car dans le
mois de mai précédent, j'avais publié pour deux infortunés
(Lami-Eveîte et Dunuand, condamnés à l'échafaud, auquel j'ai
réussi à les soustraire) , un mémoire vigoureux ayant pour titre :
Crime du comilé des recherches de l'assemblée constituante, et de
plusieurs faussaires créés et salariés far lui.
Le lendemain , on vint me dire que Panis et Sergent , chefs du
comité, avaient la plus grande influence sur le sort des personnes
arrêtées , et qu'il fallait m'adresser à eux. Je leur écrivis ; on
m'annonça en réponse qu'ils viendraient l'un et l'autre sur les
huit heures du soir. Il fallut me résigner ; mais mon espoir fut
vain , et je passai encore une nuit comme la précédente. Pendant
le cours de la journée, on avait amené avec nous un homme
qu'on avait désarmé avec affectation, et qui nous fut retiré dès
qu'on s'aperçut que je l'avais reconnu pour un espion ; une jeune
femme d'environ dix-huit ans, nommée Laborde, qu'on avait
enlevée parce qu'elle avait refusé de dire ce qu'était devenu son
mari, officier de paix; un sexagénaire respectable, qu'on
nomma M. Broussin ; et un particulier d'environ quarante ans ,
trouvé porteur d'une petite canne à crosse semblable à celle de
CoUenot d'Angremont, décapité quelques jours auparavant, soup-
çonné en conséquence d'être un de ses complices. On nous ôta
bientôt ce dernier, pour l'envoyer à la prison de l'Abbaye, où
l'on m'a assuré qu'il avait perdu la vie dans les fatales journées
des 2 et 3 septembre suivant.
Trente-six heures ainsi passées m'avaient excédé de fatigue.
Le dimanche , je priai avec les plus vives instances tous les mem-
bres de la Commune et du comité qui traversaient la galerie de
"ràe faire interroger, ou de me renvoyer sous caution. Leclerc,
(t) Supprimé par un décret àu\" décembre 4792 , et remplacé par celui créé
le 10 mars 1793, où Robespierre a fait condamner tant d'innocens.
(ISote de Malon-de-la-Varen-ne)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 437
au visage burlesquement sévère , était toujours là pour les ren-
dre inutiles : je les renouvelai surtout auprès de son collè{jue
Charlray, qui me promit, avec beaucoup de sensibilité, de faire
en sorte que j'allasse le soir coucher chez moi. Vers les trois
heures après midi, il expédiait un ordre en conséquence, lors-
qu'on annonça l'arrivée de Panis : il me dit de m'adresser à lui.
Je le joignis aussitôt, non sans quelque répugnance, car je
n'ai jamais aimé demander la moindre chose aux sots. J'invo-
quai auprès de lui quelques litres qui devaient me faire espérer
une prompte justice. Cet homme, qu'un cœur dur, une figure
ignoble et une ignorance crasse (I) auraient dû laisser végéter
dans son ancienne misère, et qui est cependant parvenu à la
Convention , me vit sans pilié souffrant , persécuté sans cause lé-
gitime, crachant le sang, et rejeta ma demande , comme il avait
dédaigné les justes représentations des personnes qui avaient été
chez lui solliciter ma liberté.
Le mauvais succès de la tentative que je venais de faire auprès
de lui ne m'empêcha pas de l'attendre encore, sous la surveil-
lance d'une sentinelle , dans l'espèce d'antichambre qui avoisinait
son cabinet, toujours dans l'espérance de vaincre son inflexibi-
lité meurtrière. Pendant ce temps, j'y vis une jeune personne
que sa femme de chambre appelait à voix basse madame la prin-
cesse, et (jui était arrêtée depuis deux jours ; un fédéré marseil-
lais qui portait dans ses yeux la soif du carnage, et qui disait :
« Triple nom d'un D... ! je ne suis pas venu de cent quatre-vingts
lieues pour ne pas f cent quatre-vingts têtes au bout de ma
pique. » (Eu effet, il massacra aux prisons dans les journées des
2 et 5 septembre, dont je parlerai.) Un gendarme qui tenait ce
(I) Elle est démontrée par ses écrits l)urlesqucs. J'ai maintensnt sous les yeui
svs Prémires aux patriotes de 1792, où il parle d'écrits de}>oue,de noirs de
l'enfer aristorralique , du gueuseries rcrbales, d'infernalilé^, de souffle infect qui
corrompt d'exrellens faits: d'apprendre à virre à la vertu, de subir le salaire,
de l'avoir fait, de tigres qui viennent jouir à nous torturer dans nos frbes , de
bourreaux du civisme. Ces démontantes tirades sont revêtues de sa signature,
après laquelle il se qualifie défenseur public , ou homme de loi, modérant ici le
cours d'une srrlératefse inouïe (Ao/e de ]\Iaton-de-la-V(iienne.)
138 DOCUMEiNS COMPLÉMENTAIRES.
langage : « H y a environ huit jours que les prisonniers ont man-
qué de la sauter, gare que ça n'arrive »; le nommé Tuhan , valet
de bureau, qui lirait : « Voilà qu'on apprête la mort aux traî-
tres; il faut qu'il n'en échappe pas un j»; le sanguinaire Marat,
qui épiuit ses viciiuies ; enfin plusieurs autres qui en désignaient
aussi pour i'égoigement prochain, et qu'il n'est pas encore
tejnps de faire connaître. Glacé d'effroi , je revenais accablé de
douleur auprès de mes compa{>iîons d'infortune , lorsque je fus
reconnu par un noiiané Rossignol, habitant du faubourg Suint-
Antoine, qui me dit que, « pour le coup, il me tenait, qu'il al-
lait bien se venger de ce que je l'avais foit rester dans les prisons,
et que j'allais lui payer le mal que je lui avais fait. » Il faut que
mes lecieurs sachent en quoi consistait ce mal, et celui qu'il m'a
fait lui-môme. i
Un assassinat prémédité avait été cotuiiiis , le 27 janvier 1791 ,
en la personne d'un particulier à qui je m'intéressais, et le mi-
nistère public en av;iit rendu plainte. Parmi les nombreux accu-
sés, figuraient un (piidaui, garçon boucher, et Rossignol , depuis
si ridiculement devenu général d'armée. Je plaidai pour la partie
civile, et malgré les efforts de ce même Parrein, que j'ai précé-
demment cité, et qui était aussi incriminé, je parvins à faire
rendre, le 50 mai suivant, un jugement (exécuté depuis) qui
prononça la peine de mort contre le boucher, et un plus ample-
ment informé contre Rossignol et autres. Ce même homme, que
j'avais défendu avec tant de chaleur, a perdu la vie sous les poi-
gnards le 51 décembre 1792.
On n'est plus étonné maintenant des menaces de Rossignol.
Parvenu depuis plusieurs jours, et je ne sais comment, à la
Commune provisoire , il pouvait les effectuer d'une manière ter-
rible. C'est aussi ce qu'il a foit le lendemain.
Le reste de la journée n'eut rien de remarquable que les diffé-
rentes allées et venues de Caron-Reaumarchais , qu'on avait ar-
rêté le 25 ou le 21 , et qu'on envoya à l'Abbaye. Sur le soir, on
nous amena une fille d'environ trenîe-six ans, qui, je crois, se
nomm-iit Lebrun ; elle nous assura qu'on s'était emparé d'elle sur
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 1792 ). 139
son refus de dire où s'était réfugié un comte qui demeurait avec
elle.
Trois nuiis passés sans fermer l'œil, el deux jours pendant les-
quels je n'avais pu me procurer qu'une nourriture irès-iîisuffi-
sante , m'avaient jeté dans un état de dépérissement dont ceux
qui me connaissent peuvent seuls se faire une juste idée. La pa-
tience m'échappa; j'assaillis tous les personnages qui passaient
ave^ des éch;îrpes, et leur dis qu'il y avait de la barbarie à rete-
nir ainsi quelqu'un sans l'entendre. Un de ceux à qui je m'adres-
sais me reconnut, et me dit, avec des expressions fort obligean-
tes, qu'il lisait encore la veille un de mes mémoires, et que, s'il
cccasionait la perte de ma liberté , je devais m'en applaudir.
Quelques instans après , on mit en liberté cette même Batalliot ,
qui avait passé six nuits sur une chaise , et l'on envoya à l'hôtel de
la Force la dernière venue.
Accablé de lassitude , je recommençais à me plaindre haute-
ment du déni de justice que j'éprouvais, loisqu'un gendarme
vint m'appeler, tenant un papier à la main, et m'annonça qu'il
m'allait conduire en prison. Je demandai à voir l'ordre dont il
était porteur ; il me le montra sans difficulté. Voici les termes
<le cette nouvelle lettre de cachet, qui était signée Rossignol,
Cally : « Le concierge de l'hôtel de la Force recevra, jusqu'à
nouvel ordre, le sieur Maton-de-la-Varenne , se disant homme
de loi , etc. , etc. >
En voyant la*^gnature de Rossignol , l'indignation el la colère
s'emparèrent de moi. Furieux, je me rendis au comité de sur-
veillance , qui était presque attenant au cabinet où j'éiais , ci je
déduisis à un municipal mes griefs contre cet homme. Depuis ses
menaces de la veille , j'avais fait prendre dans mon cabinet un
exemplaire du jugement que j'avais fait rendre contre lui : je le
remis à l'officier dont je parle , en le priant de s'en servir en ma
faveur. 11 me répondit, avec beaucoup de douceur, que j'avais
raison, alla au comité faire lecture du jugement, mais ne put
faire révoquer l'ordre, ainsi qu'il vint me l'annoncer lui-même.
140 D0CUMEA3 COMPLÉMENTAIRES.
Je demandai alors à paraître pour me l'aire entendii e ; on me re-
fusa encore cette justice.
Ne pouvant plus opposer de résistance utile, je demandai au
gendarme un quart d'heure qu'il m'accorda, et que j'employai à
recevoir les consolations du vénérable Brpussin. La nuit, il m'a-
vait avoué qu'il était prêtre insermenté , mais qu'il n'avait été
arrêté que comme soupçonné d'avoir des relations avec Duro-
zoy (1), auquel il n'avait jamais parlé, et qu'il portait par pru-
dence une perruque. Sur ce que je lui avais demandé s'il avait
laissé ignorer sa qualité à la section où il avait d'abord été con-
duit , il m'avait répondu qu'il devait la confesser, même au péril
de sa vie, et qu'il l'avait laissé écrire sur ie procès-verbal. Voici
les dernières paroles qu'il me dit à l'oreille en m'embrassant (au
moment où je les lapporie mon cœur est encoî'C déchiré , et je
verse des larmes sur le sort de ce malheureux ecclésiastique ) :
« La charité chrétienne ne peut nous empêcher de voir qu'on a
choisi bien des victimes ; mais souvenez-vous qu'il ne tombera
pas un cheveu de nos têtes que la Providence ne l'ait permis
pour noire plus grand bien. Adieu, nous ne nous rejoindrons
peut-être que dans l'élernité. » A ces mots , je le quittai sanglo-
tant, poui- aller gagner un fiacre que le gendarme avait fait
avancer dans la cour de la mairie. J'y montai sur les trois heures
après midi , avec une parente qui ne m'avait quitté que la nuit
pendant la détention dont je viens de rapporter les circonstances,
et nous partîmes pour l'hôtel de la Force, jusqu'où elle voulut
m'accompagner. ®
Les divers propos qui avaient frappé mes oreilles à la mairie
me fiiisaient tellement craindre un massacre prochain dans les
prisons, que, chemin faisant, je conjurai ma parente d'employer
sans délai toutes mes connaissances , et de solliciter elle-même
pour ma prompte liberté. Pendant que je l'entretenais de mes
craintes, nous arrivâmes au quai Pelletier, qui était couvert
d'une multitude considérable de personnes rassemblées pour voir
(1) Rédacteur de la Gazette de Paris , décapité le 24 d'augoste 1792.
(Kote de Maton-de~la~Varennf.^
JOLRNÉKS DU SEPÎEÎIBKK ( 1792 ). 141
passer l'abbé Sauvade, le libraire Guiilot et Yimal, condamnés à
mort pour la fabrication des faux assignais de Passy. Déjà nous
avions presque entièrement dépassé le quai , et nous allions tra-
verser la Grève, où nous apercevions la guillotine, lorsque deux
hommes , nous voyant dans un fiacre avec un gendarme et nous
jugeant des malfaiteurs , se dirent : — « Il faut guillotiner ceux-
là, en attendant les autres. » — Cette motion arriva jusqu'à moi.
Avant qu elle fût connue du peuple , je parvins , de concert avec
le gendarme, à faire prendre au fiacre une autre rue^ et j'arrêtai
devant l'hôtel de la Force, dont le fatal guichet s'ouvrit pour me
recevoir. C'était le lundi 27 d'auguste 1792.
J'ai maintenant à tracer des scènes d'horreur auxquelles la
postérité refuserait de croire, si elles n'étaient attestées par toute
la génération actuelle.
Après avoir laissé inscrire mon nom sur ce même registre qui
contenait l'écrou de Rossignol pour une acciisaiion d'assassinat,
je demandai à être placé au quartier dit de la Dette, comme le
plus sain et le plus commode. On s'empressa de me satisfoire ;
car j'étais connu du concierge (Bault) pour avoir rendu des ser-
vices essentiels à plusieurs prisonniers, et l'on fit porter pour
moi un lit de sangle à la chambre de la Victoire.
En y entrant, je fus accueilli très-civilement de six prisonniers
qui l'occupaient, du nombre desquels él;iit Constant, qui avait
quitté son métier de perruquier pour faire le sauvage , et avaler
des cailloux , tant au palais alors nommé Koyal , qu'à la foire
Saint-Germain. Une indécence qu'il avait commise sur ses tré-
teaux avec une femme presque nue, qu'il voulait faire passer
pour sauvage comme lui, les avait fait traduire à la police cor-
rectionnelle, où ils avaient été condamnés chacun à une déten-
tion de deux années , dont il leur restait encore six mois à subir.
Il s'était fait aimer du concierge par sa douceur, et avait été placé
à la Délie , où il gagnait beaucoup d'argent à coiffer et raser.
Je reconnus aussi un de mes cliens, nommé Durand, à qui mon
malheur arracha des larmes : il me força d'échanger mon lit con-
tre le sien, (jui était bien meilleur, et eut pour moi les attentions
142 t)OCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
les plus marquées jusqu'à l'instant où nous fûmes séparés, ainsi
qu'on le verra.
La réflexion , l'espoir que je mettais dans le zèle de mes amis ,
et , plus que tout cela , un bon dîner, m'ayant rendu un peu de
calme, je dt -ndis au jardin pour y prendre l'air jusqu'à la fer-
meture. J'y vis une infinité de personnes qui avaient eu un rang
distingué , et j'y reconnus principalement le chevalier de Saint-
Louis de la Chesnaye , avec lequel sa qualité de trésorier du Mu-
sée de Paris, dont j'étais membre, me donnait des liaisons depuis
dix ans ; de Rulhière et de Saint-Brice; les abbés Bertrand, ci-
devant conseiller au grand-conseil , frère de l'ex-ministre Lebar-
bier-de-Blinières , vicaire épiscopal; Flost, curé de liaisons,
près de Conflans-l' Archevêque ; un autre, député à l'assemblée
constituante; un valet de chambre de Louis XVI, nommé Lori-
mier-de-Chamiily, décapité depuis sous Robespierre, et Guil-
laume l'aîné, coiaire, tous arrêtés, soit pour la journée du 10
août, soit comme dénoncés pour leurs opinions. Nous nous don-
nâmes mutuellement des consolations, et nous promîmes que le
premier qui recouvrerait sa liberté userait de tout son crédit pour
la procui er aux autres.
Remonté à ma chambre, où nous fûmes tous enfermés sous
des verrous et des serrures énormes, je me mis au lit et réflé-
chis jusqu'au lendemain matin à tout ce que je devais faire pour
hâter mon élargissement. Dès la pointe du jour, j'écrivis à plu-
sieurs de mes amis qui m'avaif^ni dans tous les temps offert leurs
services; j'écrivis aussi à Panis, à Danton, alors ministre de la
justice, puis député à la Convention , puis décapité le 16 germinal
(o avril 1794); à Charpntier, son beau-père, limonadier, quai
de l'École; à Camille Desmoulins, secrétaire du sceau, puis dé-
puté. Mes amis, un surtout chez qui j'avais dîné le jour de mon
arrcïtation, répondirent que les circonstances orageuses où nous
nous trou\ ions leur faisaient craindre de se compromettre. Dan-
ton promit de s'occuper de mon affaire et n'en fit rien ; son beau-
père lui parla ou ne lui paila point de moi, quoiqu'il eût pour-
tant bien promis de me recommander. Le sensible Desmoulins ,
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 145
contre lequel j'avais fait prononcer en 1790 des condamnations
tout-à-fait désagréables, et que je devais croire mon ennemi,
s'éleva au-dessus de tout ressentiment; il ne vit en moi qu'un
homme de bien persécuté, et fit tous ses efforts auprès de Panis
pour que je fusse interrogé ou relaxé. La peine de mort qu'il a
subie depuis avec Danton , ne m'empêche pas de faire connaître
la générosité dont il a usé envers moi. Quant à Panis, il déclara
à la personne qui lui remit mes lettres ne vouloir plus recevoir
désormais de sollicitations. Puissent les larmes qu'il a fait verser
à tant de familles tomber en gouttes brûlantes sur son cœur!
puisse le remords déchirer son ame , s'il en a une !
Je passais ainsi mes jours dans la prison , occupé d'une corres-
pondance continuelle. Un désagrément que je sentais bien vive-
ment, était celui de ne pouvoir ni fermer mes lettres , ni en rece-
voir de cachetées, ni voir aucun être du dehors. Quoique nous
ne pussions avoir aucune communication externe sur les affaires
publiques, il n'en transpirait pas moins parmi nous que tous les
prisonniers de la capitale étaient menacés d'un massacre pro-
chain. Les abbés Bertrand et Flost combaliaient ce bruit; ce
dernier surtout disait, en parlant des nombreux ecclésiastiques
insermentés qu'on avait arrêtés : « Si Dieu a permis que nous
fussions relégués ici, ce n'était pas pour nous livrer à la mort. »
Ce raisonnenjent d'un homme pieux, prononcé avec cette onc-
tion qui va au cœur, tempérait les craintes, et chacun rappelait
son courage. Mais une nouvelle qui nous parvint le ôî d'auguste
au soir pensa nous le faire perdre, Pélion , qui était aiors, ainsi
que Marat, le dieu du jour, était venu sur les cinq heures à l'as-
semblée législative, accompagné de sa municipalité, et l'un des
membres y avait tenu ce langage atroce : i Nous avons fait arrê-
ter les prêtres perturbateurs; nous les avoîis mis dans une mai-
son particulière, et dans deux jours le !^ol de la république en
sera purgé. » i'^n effet , les 2 et 5 scpieuibre ils fur-, ni massacrés.
Mais n'anticipons pas.
Déjà mon emprisonnement durait depuis environ quatre jours,
quand je reçus une lettre par laquelle on m'annonçait qu'on allait
144 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES,
sérieusement s'occuper de moi , et qu'on espérait m'embrasser
le soir même. Le lendemain matin, on se plaignait dans une autre
lettre de la lenteur qu'on mettait à me rendre justice; et faisant
allusion à Rossignol , qui m'avait envoyé en prison , on me mar-
quait que le rossignol ne chante pas toujours, (En effet, celui
dont je parle ne chante plus ; et , s'il est accessible aux remords ,
il s'en abreuve actuellement.) Quelques instans après, on me re-
mit un billet de ma mère , ainsi conçu :
€ Le secrétaire du maire ( Jozeau , ancien avocat) m'a dit qu'il
fallait que vous fissiez, pour la municipalité, un mémoire par le-
quel vous représenterez qu'il est de toute nécessité que vous pa-
raissiez mercredi au tribunal de Sainte-Geneviève , etc. Vous
écrirez aussi à M. Sergent une leitre pour que j'aie la permis-
sion de vous pnrler (elle ne l'a pas eue); tranquillisez-vous; pre-
nez patience , eî soyez sûr qu'on ne néglige rien ni devant Dieu,
ni devant les hommes : surtout soignez votre santé. »
Je travaillai donc sur-le-champ à un mémoire où je détaillai les
circonstances de mon arrestation : c Aux moyens sur lesquels je
fonde ma demande en liberté, y disais-je , se joint un intérêt non
moins puissant. J'ai été volé avec effraction le 10 juin dernier.
Le procès s'inslruit actuellement contre un nommé Lapointe, au
cinquième arrondissement, où je suis assijrné pour le mercredi
5 septembre prochain. Faut-il que je sois ruiné et que le coupa-
ble triomphe, parce que je ne suis pas libre?... »
Ce Lapointe, dont les noms palronimiques étaient Louis-
Claude, avait d'abord été garçon limonadier. Après avoir été
impliqué dans plusieurs procès comme voleur, puis enfermé à
Bicélre, il recouvra sa liberté en promettant de dénoncer les
brigands. Il fut réincarcéré pour le vol du garde-meuble de la
couronne , et redevint libre aux mêmes conditions. Il fut encore
emprisonné le 7 juillet 1792, pour un vol avec effraction qui me
fut fait, et parvint à sortir de la Force le 5 septembre suivant,
en disant aux massacreurs qu'il n'y était que parce qu'il me de-
vait 120 livres. Enfin, le 8 messidor dernier (26 juin 1794), il
a subi sur la place de Grève la punition due à ses crimes.
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 17î^ ). 145
Je reviens à mon mémoire. Un de mes anciens confrères se
chargea de le faire valoir à la Commune le samedi 1" si^plembre.
Ses affaires, qui l'empochèrent de s'y reudre, el les èvénemens
des j jurs suivans, rendirent iuuliîe ma jusle réclamation.
Ici mon cœur se navre, mes yeux s inondent de lai mes, la
douleur me suffoque, et la plume me tombe des mains. Plai-
(Tnons la nation juste et généreuse qui a pu laisser commettre des
crimes jusqu'alors inconnus dans l'hsloire du monde.
J'ai dcj.i dit que toute commun caiion verbale avec les per-
sonnes tlu dehors nous était inieidite, et que toutes les lellies
qui entraient et sortaient de la prison étaient ouvertes par le
concierge. Aucune nouvelle extérieure ne devait donc parvenir
jusqu'à nous. C'^pendant, soit que l'envie d'(n fabriquer, ou la
crainte en eùl créé, soit qu'un des (juicheiiers en eût indiscrète-
ment conlié quelqu'une, en descendant au jardin le dimanche
2 septembre, sur les sept heures du matin , j'entendis un prison-
nier qui disait à un autre que le Chàtelet avait manqué d'élie
forcé pendant la nuit, el qu'on y aurait fait un afficux massacre,
s'il n'était survenu des forces suffijanles pour en empêcher. Ce
rapport , ainsi que je l'ai su quand j'ai été libre, était faux : il ne
me laissa pas moins alors en proie à une agitation que j'eus soin
de ne communi(juer à personne.
Bientôt après, nous apprîmes que Verdun était ass'égé, et
quon demandait des troupes pour voler à sa défense. Alors,
beaucoup de jeunes gens qui étaient détenus, soit pour des
amendes pronon; ées contre eux par la police correctionnelle ,
suit pour des délits qui n'entraînent point la peine capitale, pii-
reni la résolution d'offrir leurs bras, et d'expier par une cam-
pagne glorieuse, ou par l'elfusiou de leur sarg, les I^utes qu'ils
avaient (ommiscs. Je voulus bien rédiger leurs inleiitions dans
un memoiie qu'ils firent passer aussitôt à l'assemblée nationale.
Vers les deux heures après midi, un giaml hoinmi assez mal
vèiu \iiil (In dehors houver le nommé Joiiiville, durgé ce jour-
là du guichet qui donne sur la rue des Ballets, et lui parla à l'o-
reille. Celui-ci parut un instant stupéfait de ce qu'il ven .il dap-
T. xviu. iO
446 DOCUMENâ COMPLÉMENTAIRES.
prendre; puis il repondit assez huut : « Qu'ils viennent, s'ils le
veulent, les massacrer ; par ma foi, je ne serai pas si bête que
d'aller me faire tuer pour les prisonniers. » Je n'ai appris ce fait
que depuis ma liberté. La personne de qui je le liens est incapa-
ble d'en imposer ; elle venait pour m'apporler des nouvelles qui
ne m'ont point été transmises, et entendit la réponse de Joinville
à 1 homme dont je viens de parler : ce qui lui causa pour moi les
plus vives alarmes.
Un nommé Maigncn, qui attendait depuis quinze ou seize
mois le ju/jement de son procès, manquant de tout, s'était avisé
d'élever une cuisine dans le jardin , avec des pierres provenant
d'une démolition qu'on avait faite. Il avait obtenu du concier^je,
sans doute, la permission de faire entrer sa femme tous les ma-
tins dès l'ouverture, pour apporter les provisions et préparer les
alimens. Leur qualité avait achalandé la cuisine, et presque lous
les prisonniers du quartier de la Délie, sans en excepter les plus
riches, s'y fournissaient. Ce jour, contre la coutume, les vivres
étaient entrés en petite quantité, et manquaient déjà à l'heure
où les distributions ne faisaient ordinairement que commencer.
Nous ne sûmes à quoi attribuer cela.
Sur les trois heures, un fjendarme qui était entré , je ne sais
pourquoi, dans notre quartier, dit à l'un d'enlre nous, qui nous
en informa aussitôt, qu'on venait de massacrer, vers le Pont-
Neuf, sept personnes qu'on avait envoyées de la mairie à la pri-
son de l'Abbaye, et que la veille, des femmes à demi-ivres di-
saient piib'iquement sur la terrasse des Feuillans aux Tuileries,
en parlant des détenus : « C'est demain qu'on leur f... l'anie à
l'envers dans les prisons. » Ces propos, et ce qu'on était venu dire
à l'oreille de Joinville, font voir qu'on avait projeté les massacres
des prisonniers.
Sur les sept heures , on en appelait très-fréquemment , et ils
ne reparaissaient plus. Chacun raisonnait à sa manière sur cette
sii-{^ularilé; mais nos idées devinrent plus calmes, lorsque nous
vînmes à nojs persuader que le besoin de forces avait fait ac-
cueillir le mémoire que j'avais rédigé le matin pour l'assem-
JOURNÉES DE SEPlEMBIlE (1792). 14T
blée naiionale , et qu'on délivrait en conséquence tous ceux qui
n'étaient point prévenus de délits graves. C'était parlicuiièrenîent
l'opinion de nos compagnons d'infortune de Kulhière et de la
Chenaye , avec lesquels je causais encore , lorsqu'à huit heures
on nous enferma tous. Hélas ! ils ce prévoyaient pas le sort fu-
neste dont ils étaient menacés.
Relégués dans nos chambres , nous entendions sans cesse ou-
vrir le guichet qui donne sur le jardin, et le guichetier Baptiste
\im\l tantôt dans l'une, tantôt dans l'autre, chercher des pri-
sonniers qui en sortaient avec mille démonstiaiions de joie; ils
s'adressaient pi incipaîement alors à ceux qui n'avaient que des
affaires de police correctionnelle, ce qui bannissait les craintes
que nous avions eues dans la Journée.
Un dîner, que la disette de vivres avait rendu fort frugal, et
une promenade de tout l'après-midi, m'avaient donné de l'appé-
lii : le bon Durand fouilla toute la chambre pour nous trouver de
quoi souper. Un morceau de pain d'une grosseur très-médiocre,
que nous partageâmes entre sept, et un verre de vin qui se
trouva dans une bouteille , furent toute notre ressource. Je pre-
nais le parti de la résignation , et j'allais me mettre au lit , lors-
que j'aperçus dans le jurdin un jeune homme nommé Duvoy,
qu'on n'avait point encore enfermé. Toute fierté étant inutile, je
lui demandai s'il pouvait me donner de quoi souper; alors il se
cramponna aux barreaux de notre fenêtre, tt me présenta deux
œufs, que l'impossibilité de me piocurer du feu pour les faire
cuire me fît refuser.
J'essay:iis de trouver le sommeil, lorsque la porte de ma
chambre s'ouvrit avec un bruit effroyable, et qu'on en lit sortir
Delange, détenu correclionnellemcnl. Un instant après, il fut
suivi d'un vieilhird de soixante-treize ans, îiommé Bcrgei-, qu'on
retenait de nièmc depuis dix-huit mois , et qui fut réempiisonné
en i'éOi, sous le nom de Dupont.
Les autres chambres de notre corridor s'ouvraient aussi sans
cesse. Nous étions encore cinq dans la mienne; tous, exci pté
moi , se livraient à l'espoir consolant d'être élaigis avant le jour,
i48 BOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
lorsiju'on vint chercher Duran'l. Celui-ci se tenait tout habillé
sur son lit, pour ne pas se faiie aitcntlie. li me serra la main ,
me promit de me donner de ses nouvelles, et sortit. Nous disiin-
{jiîâmes en même temps la voixdeDelan{]e, qui, après avoir ob-
tenu sa liberté, voulait absolument remonter à la chambre pour
y prendre ses effCiS , et surtout un petit chien caniche blanc qui
faisait tout son amusement. Ses soUicItaiions furent sans succès,
parce qu'on voulait empêcher les pi isonniers d'être informés des
scènes affreuses qui se passaient déjà.
Pendant qu'on vidait ainsi les chambres, nous aperçûmes de
la nôtre un nommé Caraco, qui , cra'gnant sans doute , à cause
de la n.lure de son délit, de ne point obtenir l'élargissement
que, suivant le bruit commun, on accordait aux autres, montait
le long des piliers de la (ja!erie, inhabités depuis l'incendie de la
Force, et gagnait les toits pour dtscendre ensuite dans la rue,
où il fut massacré. Duvoy tenta aussi de s'évader : mais heureu-
sement son peu d'agilité l'empêcha de réussir; je dis heureuse-
ment, car il s'est tiré d'affaire; il s'en est fait depuis une autre.
Vers minuit, un nommé Barat, qui, par la situation de son
local , était à portée d'entendre ce qui se passait, appela Gérard,
mon camarade de chambre, et lui dit ceci, que je n'oublierai ja-
mais : » Mon ami , nous sommes morts ; on assassine les piison-
nicrs à mesure qu'ils comjja! aissenl ; j'entends leurs ciis. » A
peine Gérard eut-il appris cette fatale nouvelle, qu'il nous dit:
t Notre dernière heuie est venue; nous n'avons plus aucune res-
source. » J'avais quitté mon lit pour être plus à portée d'obser-
ver et d'écuuier ; je répondis à Gérard (et je m'efforçais de penser
ainsi) que le bruit venait du peuple du faubourg Saint-Antoine,
qui fjisail ses cnrôlemens pour marcher au secours de Verdun,
et qui traversait sans doute les rues pour se retdre auparavant à
l'Hôlcl-de-Ville.
A une heure du malin , le guichet qui conduisait à notre quar-
tier s'ouvrit (le nouveau. Quaire hommes en uniforme, tenant
chacun un sabre nu et une torche ardente, montèrent à notre
coràdor, précédés d'un guichetier, et entrèrent dans une cham-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 149
bre aflcnanle à la rôlre, pour faire perquisition dans une cas-
sette qu'ils brisèrent. A peine furent-ils descendus, qu'ils s'arrê-
tèrent sur la j^alrrie, où ils mir«^nt à la question un nomme
Cuissa , pour savoir où était Lamotle, qui , sous prétexte d'un
trésor cache dont il offrait de donner la connaissance, avait,
quelques mois auparavant, disaient-ils, escroque une somme de
300 livres à l'un d'entre eux qu'il avait fait venir exprès dîner
avec lui. Le ma heureux qu'ils tenaient, et qui a perdu la vie
celte nuit-là, leur réponduil tout tremblant qu'il se souvenais
Lien du fait, mais ne pouvait leur dire ce qu'était devenu le pri-
sonnier. Résolus de trouver ce Lamotle, et de le confronter à
Cuissa, i's montèrent avec ce dernier dans d'autres chauibres, où
ils firent de nouvelles recherches qui, suivant les apparences ,
furent inutiles, puisqu'ils dirent entre eux : « Allons le chercher
dans les cadavres; car il faut, nom de D... , que nous sachions
ce qu'il est devenu, j»
J'entendis en même temps appeler Louis Bardy, dit l'abbé
Bardy, qui fut amené et massacre sur l'heure, ainsi que je l'ai
su. Il était accusé d'avoir, de concert avec sa concubine, assas-
siné et coupe en morceaux , cinq ou six ans auparavant , son frère,
auditeur en la chambre des comptes de Montpellier, et déjouait la
science de tous ses juges par la subtilité, l'adresse, l'éloquence
même de ses réponses , et par les incidens qu'il faisait naître.
On peut se peindre la frayeur où m'avaient jeté ces mots ;
t Allons le chercher dans les cadavres. » Je ne vis plus d'autre
parti à prendre que celui de me résigner à la mort. Je fis donc
mon testament, cpie je terminai par cette phrase: < Je demande
comme une grâce à ceux qui me dépouilleront, je les somme
même, par le respect dû aux morts, et au nom des lois qu'ils
violent par des assassinats dont un jour la nation leiu' demandera
compte, de faire passer à leurs adresses mon testament et la
lettre qui y est jointe. »
A peine quittais-je la plume , que je vis de nouveau paraître
deux hommes aussi en uniforme , dont l'un , qui avait un bras et
une manche de son habit couverts de sang jusqu'à iépaule, ainsi
iS$ liOCVi^LSS COMPLÉMFJÎTAIRBS.
que son sabre, disait: « Depuis deux heures que j'abats des
membres de droite et <le gauche, j^ suis p'us fuligué qu'un ma-
çon qui bal le plaire depuis deux jours. >• Ils parlèrent ensuite
de Ru bière, qu'ils se promirent de faiie passer par tous les de-
grés de la plus cruelle souffrance; ils jurèrent p:ir d'affreux ser-
mens de couper la tète à celui d'enii e eux qui lui donnerait un
coup de pointe. Le maihf^ureux militaire leur ayant été livré, ils
l'emmenèrent en criant force à la loi, puis le mirer t nu, et lui
appliqiièr.mt de toutes leurs forces des coups d ' plat de sabre qui
îe dépouillèrent bientôt jusqu'aux enirailles , et firent ruisseler le
sang de tout son corps. Enfin, après une demi-heure décris
terribles et une lutte des plus courageuses contre ses assassins,
il expira.
Trois quarts d'heu-e après, c'esî-à-dire environ sur les quatre
heores du mntin , on vint chercher Baudin de la Chenaye, qu'on
força de s'h b.ller. Comme sa chambre émit au-dessous de la
mienne et que nos croisées étaient ouvertes, j'entendis le guiche-
tier lui dire, lorsqu'il vofilait prendre son chapeau : < Laissez-le
là ; vous n'en avez plus besoin. > 11 sortit et marcha avec la fer-
meté du philosophe au milieu des deux brigands dont j'ai parle
p'u^ haut , et arriva au bureau du concierge , où il subit une es-
pèce d'interrogatoire, après lequel l'interrogant ordonna qu'on
le conduisît à l'Abbaye; ce qui voulait dire : Assommez-le. 11
passa donc le fatal guichet d'entrée , et jeta un cri d'épouvante
en apercevant un monceau de cadavres, se couvrit les yeux et le
visage avec s^s mains , puis tomba percé de coups.
Il était, ainsi que le préci'dent, accusé d'avoir trempé dans
l'affaire du 10. Hélas! il était innocent. Soixante ans de vertus,
qui ont toujours été héréditaires daus sa famille, semblaient lui
promettre une meileure fin. Depuis sa morî, qui a fait a mon
cœur une plaie incurable, Jai su qu'une visite sévère faite dans
ses papiers n'avait rien offert q»'i pût faire regarder son empri-
sonnement comme légitime, et nue Terreur de ses meurtriers a
été constatée par un certificat délivré à sa respectable veuve. J'ai
appriî d'elle, en allanî lu' porter quelques paro'cs de consoh-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). IM
tion, qu'un nommé Toussaint, ci-devant domesiique d'un ancien
procureur au parlement, nomme Cliàlelain, s'est vanté d'avoir
élë un des juges à l'hôtel de la Force dans la nuit du 2scpirmbre,
et d'avoir condamné à mort ce même la Chenaye, aux sollicita-
tions duquel il doit une pension dont il jouit encore.
Une infinité de détenus des dilférens corps de logis de la pri-
son, tels que René-François Genlilliomme, Siaudé, dit l'AIlc-
niand, André Roussey, l'abbé de la Gardttie , Simonot, de
Louze de laNeuf\ille, Etienne Deroncières et autres, curent
successivement le même sort que l'infortuné la Clicnayc. Je
craignais à chaque ouverture de guichet d'entendre prononcer
mon nom et de voir entrer Rossignol. Le trouble de mes sens ne
m'empêcha cependant pas de penser aux moyens de me soustraire
à la fureur des assassins , s'il éiaii possible. Je quittai ma robe de
chambre et mon bonnet de nuit pour me vêtir d'une grosse che-
mise fort sale, d'une mauvaise redingote, sans gilet, et d'un
vieux chapeau rond que, dans la crainte de ce qui anivait, je
m'étais fait apporter deux jours auparavant. J'imaginai qu'ainii
couvert, je ne serais pas soupçonné d'être du nombre des victi-
mes qu'on devait immoler. On verra que cette précaution ne m'a
point été inutile.
Sur les cinq heures, on vint chercher les abbés de Blinières et
Bertrand. Un homme qui était dans le jardin cria, A l'Abbaye;
mais un fédéré qui était au guichet dit qu'il ne fallait point leur
faire de n)al. J'ignore quel a été le sort du premier; mais je sais
que le second s'est tiré d'affoire; car je l'ai revu plus d'une an-
née après.
A six heures et demie , on se présenta une seconde fois
à la chambre des deux ecclésiastiques , pour eu iaire sortir le
notaire (Guillaume l'aîné), qui l'habitait aussi. Tous les événe-
mens dont il avait été témom depuis la fermeture de la veille lui
ayant fait croire sa vie dans le plus grand danger, il hésita d'ou-
vrir sa porte, cju'il avait l»ariicadec ou fermée en dedans. Alors
les hommes qui l'assaillaient se répandirent en blasphèmes, le
Iraitèrenl d'ennemi de la nation, do scélérat, el allèrent cher-
iâ2 DOCUMEXS C0MPLÉ.yE?rTAlRE8.
cher du renfort. A pe'ne ctaieni-i's disparus, que, maigre le
saisissement où j'eiais moi-même, je lui observai par ma fenêtre,
et sans pouvoir être vu de lui , qu'il venait de comnieiti-e une
grande imprudence en résistant.» th ! monsieur, me rêpondilil,
ignorant sans duute à qui il parlait, on n'assassine pas les gens
sans les entendre. » Ceux qu'on éiait allé cheiclier arrivèrent en
même temps; il leur ouvrit sa pofte, et ils se saisirent de lui.
J'ai été inquiet sur son sort pendant plus de quinze jours ; enfin,
j'ai su qu'il avait êtc relaxe.
Ap'ès toutes les horreurs qu'on vient délire, plusieurs des in-
dividus qui, suivant le Imgage usité entre eux, faisaient justice
des traîtres, se répandirent sur notre galrrie, et diient qu'il
fallait iàclier les aut'es. Un cri de vive In nai'wnl que fit entendre
le premier, Decombe de Saint Génies, autjuel on a rendu la
liberté, ftit la réponse des prisonniers qui restaient, et Benjamin
HujeMa-Vertu, l'un d'eux, fut emmené sur l'heure presque en
triomphe.
On a vu que toutes les chambres de mon corridor avaient été
vidées, à l'excep'jon de la mienne. Nous y étions encore quatre
qu'on semblait avoir oubliés , et nous adressions en commun nos
prières à l'Elernel pour quil nous liiàt du péril. Pendant que
nous étions dans celle situation , m'IIe fois plus horrible que la
mort, le guichetier Baptiste vint nous visiter seul , nous parla
des meurtres sans nombre qu'il avait vu commettre, nous dit
qu'il nous avait sauvés, en protestant que nous étions emprison-
nés pour batteries; qu'on avait voulu le tuei' lui-même à cause
de nous, que nous n'avions plus rien à craindre, et qu'il répon-
dait de nos personnes. L'assurance qu'il nous avait sauvés me
parut un moyen imaginé par lui pour exciier notre générosité;
car je l'avais vu exécuter, tout en tremblant et sans oser répon-
dre, les ordres qu'il recevait. Néanmoins je lui pris les mains et
le conjurai de nous faire sortir, en lui promettant de lui donner
ou faire donner cent louis, s'il me conduisait chez moi ou chez
quelqu'un de mes parcns. Un bruit partant des guichels le fit re-
tirer précipiiamment.
JOUnNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 1.^3
Nous entendîmes aussitôt, et nous aperçûmes même de nos
croisées, près desquel'es nous ëiionscoucliës à p!al-ventre, pour
n'être point vus, douze ou quinze hommes armés jusqu'aux
dents, el la plupart couverts de san^j, qui tenaient conseil à voix
basse dans le jardin. < Remontons dans toutes les chambres , di-
sait l'un d'eux , et qu'il n'en reste pas un ; point de piiié ! »
A ces mots, je tirai de mon gousset un canif que j'ouvris. Je
m'interrogeais sur IVndroit où je devais nj'en frapper, lorsque je
réfléchis que la lame était trop petite pour m'en percer mortelle-
ment sur l'heure, el que ce serait me livrer d'avance à des lour-
mens auxquels je pouvais échapper. La religion vint à mon se-
cours ; je pi'is la résolution d'attendre lévénement; j'excitai mes
compagnons d'infortune, surtout Gérard, à nous jeter entre les
bras de la Providence.
Entre sept et huit heures, quatre hommrs armés de bûches et
de sabres vinrent nous déclarer qu'il fallait les suivre. Un d'eux,
haut d'environ six pieds, el dont l'uniforme me parut celui d'un
gendarme, tira à quartier Gérard; ils causèrent à voix très-
basse , et firent des gestes qui me firent soupçonner une corrup-
tion. La conversation finit par ces mots du prisonnier : « Comme
vous voyez, mon camarade, je n'ai été arrèië que pour avoir
souffleté un aristocrate, » L'accusation pour laqi;elle il était dé-
tenu était, malheureusement pour lui, d'une bien plus dange-
reuse conséquence : je ne crois pas devoii- en rendre compte.
Pendant le colloque dont je viens de parler, je cherchais par-
tout des souliers pour quitter les pantoufles de palais que je por-
tais. Forcé de renoncer à ma recherche , je descendis avec les
autres, et vêtu comme je l'ai dit précédemment. Constant, dit le
Sauvage, Gérard el un troisième dont le nom échappe à ma mé-
moire, étaient libres de tout leur corps ; quant à moi , quatre sa-
bres étaient croisés sur ma poitiine. Mes camarades obiini enf
leur élargissement sans paraître au bureau du concierge. Moi, je
lus traduit devant le personnage en écharpequi y siégeait. Il éiail
boiteux, assez grand el fluet de taille, il m'a reconnu el pailé
sept ou huit mois après. Quelques personnes m'out m'assure
iâé DÔCUMENS COMPLÊME.NTAffiES.
qu'il était fils d'un anciea procureur, et se nommait Clippy. En
iraveisanl la cour dite des JVoun ices, je la vis pleine d'tgoigeurs
que pérorait Pierre Manuel, alors procureur de la Commune,
puis député à la Convention , à laquelle il a donné sa démission,
puis enfin justement frappé de mort le 14 novembre 179i. Ar-
rivé au tiibuiial terrible, j'y fus interrogé ainsi : t Comment
vous nomme-l-ûn? Quelle est votre qualité? Depuis qu;ind étes-
vous ici? 1 Mes réponses furent simples, c Mon nom est Pierre-
Anne Louis Maton-de-la-Varenne ; je suis ancien avocat , et détenu
depuis Luit jours, sans savoir pourquoi; j'espérais ma liberté
samedi dernier : les aflaires publiques l'ont retardée.
Je m'abstins de parler de Rossignol; car j'étais au milieu de
tous ses camarades du faubourg , qui m'eussent immolé à son
ressentiment, et dont un disait derrière moi sans me connaître :
€ Va , monsieur de la peau fine, je vas me régaler d'un verre de
ton sang. » Le soi-disant juge du peuple cessa ses questions pour
ne pas perdre de temps ; mais il ouvrit le registre de la prison,
et après l'avoir examiné, il dit: < Je ne vois absolument rien
contre lui. > Alors toutes les figures se déridèrent, et il s'éleva
un cri de vive la nation! qui fut le s'gnal de ma dclivrance.
Ce fut dans ce moment que je semis plus vivement qu'eu au-
cun autre la grandeur du péril auquel j'échappais, et qu'une pâ-
leur très-voisine de l'évanouissement se fit remarquer sur mon
visage. Je fus enlevé sur-le-champ, et conduit hors du guichet
par des hommes qui me soutinrent sous les aisselles, en m'assu-
rant que je n'avais rien à craindre, et que j'étais sous la sauve-
garde du peuple.
Je traversai ainsi la rue des Ballets, qui était couverte de cha-
que côié d'une triple haie de gens des deux sexes et de tous les
àgos. Parvenu au bout, je reculai d'horreur en apercevant dans
le ruisseau un monceau énorme de cadavres nus souillés de boue
et de sang , sur lesquels il me fallut prêter un serment. Un égor-
geur était monté dessus et animait les autres. J'articulais les pa-
roles quils exigeaient de moi, quand je fus reconnu par un de
mes anciens ciiens qui, sans doute, passait par hasard. Il répondit
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 155
de moi, m'embrassa mille fois, et apitoya en ma faveur les massa-
creurs mnmes. Son nom est Colange, Napolitain, fabricant de
cordes à violon , rue de Charonne.
On voulut d'abord me mener boire et manger au comilé de
Suint-Louis; je refusai , en disant qu'échappé à la mort, je de-
vais aller consoler plusieurs personnes qui pleuraient peui-éire
ma perte; mes raisons furent goûtées; je demandai un fiacre à
cause de ma faiblesse; api es avoir passé à pied une partie de la
rue Saint-Antoine , où je fus rencontré et embrassé encore par
trois personnes, il en passa un dont on fit descendre ceux qui
l'occiip lient , et j'y montai avec mes conducteurs, dont le nom-
bie s'augmenta tellement en chemin, que le siège du cocher, les
portières , l'impériale et le derrière en étaient couverts,
Mrs lecteurs se rappelleront que je faillis perdre le tête à la
guiîlot'ne, le 27 d'auguste, en traversant le quai Pelletier sous la
conduite d'un gendarme. Il semble qu'un génie malfaisant était
acharné à ma perte , et voulait que je tombasse sous le fer des
assassins, à la place de Grève, soit en allant en prison, soit en
revenant dans mes foyers. Au coin du même quai, un homme
qui, à mon extérieur défait, et au désordre de mes vêlemens,
me prit pour un conspirateur ou pour un criminel d un autre
genre, saisit la bride d'un des chevaux du fiacre , et s'écria , en
excitant contre moi Tindignaiion publique : c 11 ne faut pas qu'il
aille plus loin : a&sonimons-lc ici. » A peine avait-il achevé, qu'un
sabre fut levé sur lui par un jeune homme qui se tenait à une
portière; il aurait été pourfendu jusqu'à la ceinture, sans un
mouvement qu'il fit assez à temps pour éviter le coup.
Cet événement ne fit qu'augmenter l'espèce de pompe de ma
marche triomphale, pendant laquelle je me rappelai ces paroles
du psaliniste : Circunidedenuii me dolores moriis. Sans cesse
j'entendais des cris de félicitalion autour de moi. « Citoyens, di-
sait l'un , voi'à un patriote qu'on avait renfermé pour avoir trop
bien parlé pour la naliou. —Voyez ce malheureux , disait un
autre : ses pareas l'avaient fait mettre aux oubliettes pour s'em-
parer de ses biens. ^ En même tenops, chacun se pressût autour
1S6 DOCUJIËNS COMPLÉMENTAIRES.
de la voiture pour me voir, et l'on m'embrassait sans cesse par
les portières.
Au milieu de ces accueils, qui, en épuisant ma sensibilité,
anéantissaient mes forces pliysiqurs, j'ai rivai en face de la rue
P!ancl)e-3Iibray. Mes conducieui's m'annoncèrent que j'allais tra-
verser le Poni-au-Change pour voir sur sa culée les cadavn sdcs
scélérats dont on avait fait justice au Chàielet , et ensuite dans la
cour du Pillais, ceux des piisonniers de la Conciergerie. Alors
je rappelai ma présence d'esprit pour di^mander à ne point voir
ce spettJc'e hideux , qu'il me serait impossible de supporter une
seconde fois. Ma prière fut écoutée, et nous enfilâmes le pont
Notre-Dame, d'où, par les rues adjacentes, nous parvînmes à
celle de la Barillerie, où demeurait mon père. Mon arrivée chez
lui causa la plus vive émotion à nra mère. J'éprouvai aussi quel-
ques instans de saisissement, après les(|ue!s je sentis ses joues
collées sur les miennes, qu'elle arrosait de larmes. C'était le
3 septembre.
Après avoir ainsi passé environ une heure à la maison pater-
nelle, où ceux qui m'y avaient conduit n'avaient voulu accepter
qu'un simple rafiaîchissement, la ciainie où j'étais qu'on ne vînt
m'y reprendre me détermina à m'aller retirer dans un lieu sûr.
LA VERITE TOUT ENTIERE
Sur les vrais acteurs de la journée du 2 septembre 1792, et sur
plusieurs journées et nuits secrètes des anciens comités de gou»
vernement.
Exurgat tenebris.
Vous n'êtes plus un parlement, m'entendez-vous? Je vous dé-
clare que vous n'êtes plus un parlement : fi, fi! par honte, retirez-
vous, faites place à d'autres! le Seigneur a choisi d'autres instru-
mens, s'écriait Olivier Ci'omwel, s' adressant au long parlement
d'Angleterre ; puis saisissant de sa main un membre par son
manteau : « 2« es, lui dit-il, un coureur de filles y » à un autre ;
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 157
€ Tu es im adulière , b à un troisième : « Tu es un ivrogne et un
gourmand. — Toi un voleur, à un qualriènie. {Voyez David
Jliune, maison Stuart.) Il dit, fait chasser en masse par ses sol-
dais le long parlemenl , ferme la porte de lu chambre tl prend la
clef.
Tel fut aussi le lan{;age, telle allait être la conduite de Maxi-
milien Rubespitrre envers les représentans du peuple français, si
la Convention rappelée à son énergie si long-temps comprimée,
n'avait, d'un mouvement unanime et spontané, brisé le nouveau
protecteur.
Aux talens militaires près, on ne peut nier qu'il n'y ait eu une
grande rassemblance entre ces deux ennemis de l'égalité , tant
dans leur caractère de dissimu'ation flegmatiquement calculateur,
que dans les moyens nouveaux qu'ils avaient suivis pour attein-
dre leur projet de domination.
Le parlement anglais, qui s'était long-temps glorifié de ré-
sister à lu violence , fut dissous par un acte de la plus criante op-
pression. La Gonveniion nationale, après avoir éprouvé des
lacunes et des amputations fréquentes, allait périr de la même
mort , sans le secours de quelques passions personnelles et ri-
vales, qui ont animé et secondé le souvenir de ses devoirs et de
sa mission oubliée , où froissée par la terreur.
Cromwel résolut d'amuser les Ang'ais avec la forme d'une ré-
publique, et de les familiariser par degrés avec un gouvernement
arbitraire. Il ordonna donc, après avoir ôté au peuple ces véii-
tabîes délégués, que cent quaranle-quaire personnes, choisies par
lui-même, seraient revêtues du pouvoir souverain ; les objds de
son choix étaient de la plus basse extraction et joignaient à une
faible conception, la plus gran Je ignorance. Il avait prévu que
durant une telle adminisiraiion, il gouvernerait seul, ce qui ar-
riva effectivement, puisquil congédia même ce nouveau parle-
ment, quoique composé de valets; quelques-uns s'obstinaient à
vouloir siég°r ; Cromwel leiir envoya Witlic ( le Henriot d'alors),
avec un détachement de soldais. Celui-ci leur ayant demandé ce
qu'ils faisaient là , ils réplifjuèictit quils clier<-huii:nt le seigneur.
15S DOCL'ME.NS COMPLÉMENTAIRES.
F'ous pouvez aller le chercher ailleurs , leur cria While , car à met
connaissance , le seigneur n'a pas élé ici depuis bien des années ;
et ils disparurent.
Après avoir enlevé au peuple ce simulacre conservateur de ses
derniers droits, Gromwei se débarrassa de tous ceux qui l'envi-
ronnaient, même de ses amis et des satellites exécuteurs de ses
volontés, régna triomphant de ses spoliations, fit la paix, la
guerre à sa volonté , et traita personnellement avec les puissances
étrangères qui reconnurent son autorité.
Ainsi parlant de vertu, de probité, de justice, Robespierre
usurpa sur une nation qui venait de punir son roi du crime hé-
réditaire de la monarchie, une puissance de souveraineté, que
n'avait jamais osé et que n'aurait jamais pu exercer la race capé-
tienne. Il fonda comme Grom^vel , son empire sur Vasinocratiet
en composant le tribunal révolutionnaire, les commissions, les
états-majors des armées de créatures affreuses, fanatiquement
cruelles, et passivement obéissantes aux arréis de sang prononcés
par leur maître; jamais aucun sen:iment tendre ou bienveillant
ne parut toucher son ame féroce : il avait toujours été sombre
et sévère, et c'est l'état de l'ame de tous les tyrans. Tibère et
Louis XI étaient sombres aussi ; quand on est mal avec soi-même,
on ne peut paraîiie content avec les autres ; la gaieté, la sérénité
n'appartiennent qu'à la vertu inléricure : devenu de plus en plus
violent, il regardait comme un crime impardonnable de con-
tester ses opinions despotiques et royales. Le pouvoir de vie et
de mort parut êire le résuluu et le comble de ses vœux; il goûta
le plaisir délicieux pour un tyran oriental, d'envoyer à l'échaf-
faud les hommes qui l'avaient offensé, de les voir passer sous ses
yeux devant sa porte , et traîner comme en réparation des ou-
trages faits à son orgueil implacable.
Sous le prétexte de centralisation des pouvoirs, il avait saisi,
accaparé tous les droits du peuple; sous le prétexle de gouver-
nement révolutionnaire, d'un geste, d'un signe, comme Jupiter,
il envoyait à la mort ceux qui lui déplaisaient , et jouait dans sa
main , la vie et la fortune de tout le peuple français; les cabinets
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). ifc'9
de la coalition avaient tellement senti combien l'autorité de cet
homme était saillante et unique dans la Convention, qu'il v avait
des émissaires envoyés pour traiter avec Robespierre seulement,
refjardanl comme nui le reste des représenians de la république.
Mais comment , se demande-t-on , un individu parvint-d à pou-
voir impunément commettre tant de forfaits?
Si Robespierre fut si long-temps tyran suprême, c'est qu'il
trouva des valets dociles et dévoués à l'exécution de ses volontés
criminelles. Tibère, sans Sejan, Néron, sans Narcisse, eussent
été moins funestes à l'humanité, et, livrés à leurs remords, pe,ut-
ôlre s'arrêlant dans la route du crime, seruient-iU devenus hon-
nêtes {jens. Un observateur du cœur humain a dit que les mauvais
princes étaient souvent les moins médians de leur cour.
Robespierre fut puissament aidé, peut-être même poussé par
certains hommes survenus tout à coup à la suite de la république,
comme des oiseaux de proie à la suite d'une bataille pour prélever
tous les bénéfices de la révolution , sans en avoir jamais éprouvé
les peines ni les périls. Ainsi les comités de sûreté générale et de
salut public, investis tout à coup par la Convention nationale,
d'un pouvoir au-dessus d'elle-même, surpris par les circonstan-
ces, escobarilés et conservés pur l'intrigue, se sont trouvés, à
cette époque dictatoriale , occupés par des hommes couverts de
taches inciviques et alliés à l'ancùen régime, par les nœuds les
plus impurs; ce fut sans doute pour Danton et Canjlle Desmou-
lins, ces artisans infortunés de la révolution, une réflexion pé-
nible et humiliante, de se voir inopinément lancés à la mort par
unAïuar, trésorier de Fiance; un Barrcre, commensal de 5ai'n/t'«e
d>i Langes; un Vadier, royaliste soldé; un VouUand, secrétaire
desFcuillans, etc., etc., qui, trouvant opportun le moment de la
représaillo, ont mis à exécution en I79i, au nom de la république
française , les décrets rendus en 1789 contre Danton et Caujille ,
au nom de Capel, par Boucher d'Argis; et ont ainsi vengé la mo-
narchie vaincue, parla mort des hommes courageux qui avaient,
le 10 août, jeté le trône dans la poussière.
Oui , c'est la monarchie qu'ils ont vengée; car ils ont hérite de
160 DOCmiENS COMPLÉMENTAIRES.
ses forfaits, et recueilli sa succession; car enfin ils ont régné.
Et n'est-ce pas régner que s'emparer à perpétuité de fondions
suprêmes? n'est-ce pas assassiner la démocratie, dont l'esseiice
est la transition rapide des fonctionnaires, que d'avoir, à l'issue
de la tyrannie héiéditaire, usurpé des pouvoirs plus monstrueux
de vie et de mort ; de s'être érigé en dictature inamovible , cl de
s'en être servi pour égorger les fundateursde la république?
N'est-ce pas favoriser l'aristocratie, que de lui donner le spec-
tacle ravissant de la mort des défenseurs de la libei té?
Tu sentais bien ces principes, ô Danton! lorsque lu disais ces
paroles dignes de ton ame énergique et généreuse : Quand les
accusations frappent sur des lionimes qui d'abord ont rendu des
services à la patrie , onne peut les incarcérer provisoirement, jus-
qu'à la preuve des délils maiériellement acquise. Il faut consacrer
ce grand principe : qu'un patriote doit avoir trois fois tort avant
qu'on puisse sévir contre lui. »
Ces vérités sublimes, si odieusement violées dans ta personne ,
vengent déjà ta cendre , et lui garantissent la reconnaissance des
réjjublijains.
C«iie digression peut d'abord paraître étrangère aux faits que
j'ai à reiracer ; mais il est surtout à propos de se représtnler les
crimes de la tète de Robespierre, au moment où la queue de ce
monstie clierclie à se rattacher à son iionc venimeux. L'expé-
rience de 1 oppression est pour les peuples la meilleure leçon de
liberté ; et lu boussole la plus sure qu'ait à suivre la Cou\enlion
nationale, pour se diriger à travers les écueils qui lui restent à
gauchir ei éviter , est de se rappeler qu'elle a été forcée, pour re-
couvrer son existance , de faire pour ainsi dire une insurrection
et de se lever en masse contre un homme qui avait posé la pre-
mière base de sa puissance sur l'abaissement de S(^s collègues.
Je te Siilue, révolution sublime du 9 thermidor, je te dois ma
vie nouvelle , mon existence miraculeuse : je le dois un plus
grand bienfait, la faculié d'exprimer ma pensée, de la confier à
mes pairs, d'exhumer du tombeau les vérités que les tyrans re-
tenaient ensevelies : c'est sous te? auspices que je vais restituer à
JOUr.NKES DE Sl'-PTE:MBftE ( 1792). 101
la vérité la nuit du 2 septembre, rendre à César ce qui est ù Cé-
sar , et à Billaud ce qui appartient à Billaud.
C'est 3Iarat , c'est Danton , c'est Panis , qui ont machiné cette
journée sanglante, vociférait sans cesse une des factions guilloti-
nées ; aujourd'hui que Marat est traduit au Panthéon , que Dan-
ton y est attendu , qu'il est reconnu que la mort de cet impré-
voyant plébéien n'est autre chose que la quiitance de Bïllaud-
Vareimes, le vulgaire curieux et inquiet remue les cadavres sous
lesquels il croit la vérité cachée : il écoute , il veut deviner : mais
la calomnie toujours prête est là , qui par l'organe de Cambon le
caissier des factions , crée des auteurs afin d'empêcher qu'on ne
se rapproche des véritables ; ce croisement incubèrent de versions
diverses épaissit, et dérobe la lumière fugitive. Ce n'est plus
3Iarat, ce n'est plus Danton, disent les amis des opérateurs sep-
tembrisies et les opérateurs eux mêmes ; mais c'est encore Panis
et c'est de plus Tallien et Fréron.
Quand je considère combien les détails d'événemens à peine
éloignés de nous de la distance de deux années sont peu connus
ou mal connus : combien ce qui est échappé à la controverse des
partis est défiguré : peut-être un jour , me dis-je , si nos neveux
demandent quels furent les inventeurs des fusillades , des conspi-
rations de prisons, ignoreronl-ils que ce furent Barrère, Billaud,
Collot: peut-être, s'ils étudient la langue française dans les dic-
tionnaires de Carrier ou d'Audouin , croiront -ils que déporter y
de notre temps, voulait dire noyer; et prendront-ils les massa-
cres et les assassinats pour de simples méprises.
Il est donc du devoir d'un ami de la vérité de livrer à la guillo-
tine de l'histoire les individus qu'on ne peut séparer des f;uts,
dans la crainte qu'on n'attribue à une nation généreuse ce qui est
l'ouvrage de quelques monstres qui ont égaré la main de quel-
ques-uns de ses membres. En vain ils voudraient associer à leuis
forfaits la multitude innocente ; eux seuls sont la source respon-
sable des ilols de sang qui ont failli submerger la république.
Sans répéter les complimens fallacieux faits quotidiennement
au peuple en masse par ceux qui le tuent ou qui le mangent, ou
T. xviii. H
10:2 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
peut, sanspopulacité, affirmer que le Français collectivement
ne peut pas plus contempler le crime que le commettre.
Des moralistes hypoconUres effrayés de quelques périodes
de la révolution, ont cru voir dans ses accidens la solution du
problènîB discuté par Hobbes et Jean-Jacques , de l'Homme bon ,
ou de l'Eomme méchant ; plusieurs n'ont pas craint d'affirmer
qu'un des pi oduits nets de la régénération française est la preuve
démontrée de cette dernière proposition (l'Homme méchant).
D'autres plus indulgens envers l'espèce humaine , mais moins
respectueux envers ses associations , se sont plu à répéter avec
Montaigne: « Clie ilpopolo est un animal sellé, bridé, attendant
te premier cavalier qui voudra le grimper. » Quelques autres, plus
insolens encore , érigent en doctrine les argumens de Charron ,
paraphraseur du philosophe bordelais, qui a osé dire: « Levul-
» gaire est une bête étrange ù plusieurs têtes , inconstant , va-
> riable, sans arrêt, non plus que les vagues delà mer; il s'é-
> meut, il s'accoise, il approuve, et réprouve en un instant, il
j n'aime la guerre ni la paix pour sa fin ; avec un sifflet ou son-
> nette de nouveauté on l'assemble comme les mouches au son
> du bassin : il soiitient, fovorise les brouillons et remueurs de
» ménage , préfère ceux qui ont la tète chaude et les mains fré-
» tillanies à ceux qui ont le sens rassis et qui pèsent les affaires :
> toujours gronde et murmure contre l'état , tout bouffi de mé-
» disance : ou très-bassement et vilement il sert d'esclave, ou
» sans mesure il est insolent et tyranniquement il domine : il ne
> peut souffrir le mords doux ou tempéré , ni jouir d'une liberté
> réglée; ingrat envers ses bienfaiteurs, la vérité dit qu'il n'en
B échapperait pas un de ceux qui procureraient le salut du peu-
> pie, comme sont les histoires célèbres de j\Ioyse et tous les
» prophètes, de Socrate, Aristide, Phocion, Licurgus, Dé-
> moslhène, Thémistocle, »
Quoique en bonne logique il fût suffisant pour réfuter Montai-
gne d'observer que ce scepticien était seigneur de castel, en cette
quahté contempteur du peuple, aristocrate et de plus girondin :
que Charron docteur en théologie, bénéficier, courtisan de roi
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792). 163
et de reine , était très-suspect en matière politique, je croirai
plus concluant de rappeler que la responsabilité des fautes po-
pulaires appartient à ceux qui les provoquent , qui les (iirigent ;
que la bonté ou la méchanceté de l'homme a pour principes et
pour régulateurs ses premiers besoins ; qu'à Philadelphie par
exemple le peuple n'ayant plus de traîtres ni de dominateurs à
punir , n'étant pas obligé d'aller à la queue pour avoir une chan-
delle ou des œufs , parce que la liberté indéfinie du chandelier et
du fruitier qui ne sont point terjifiés par l'Hébertisme et le Ro-
bespierrisme , éveille l'industrie, multiplie les approvisionnemens
et le mets par la concurrence à la portée du pauvre qui peut
manger et so vêtir ; qu'à Philadelphie , dis-je, le peuple doit être
et est effectivement moins inquiet et plus tranquille, ayant moins
de causes d'exaspération , envers un gouvernement de qui il re-
çoit protection et non oppression , la vie et non la mort.
Ces réflexions reçoivent une de leurs applications aux causes de
la journée affreuse que je vais décrire : elle a deux points de vue
caractéristiques qu'il est important de saisir ; d'un côté mouve-
ment aveugle, (mouvement populaire) de l'autre mouvement
dirigé ; c'est ce second point de vue qui n'a point encore été pré-
senté , mais qui va l'être par les faits qui seuls peuvent le faire
apercevoir.
Lecteur prends place : écoute et vois : les masques tombent, la
lumière paraît , les ténèbres fuient, je lève le rideau , tu vas voir
le 2 septembre.
Je n'ai point entendu dire ce que je raconte. Témoin forcé ,
j'ai vu ces scènes sanglantes où la mort hideuse, armée de sa faux
terrible, régnait et moissonnait aveuglement sans distinguer ni le
sexe, ni surtout l'innocence d'avec le crime ; j'ai vu des victimes
sans défense lutter et se débattre contre ce passa^j^e subit de la
vie au néant.
J'ai vu avec horreur Gorsas et Brissot célébrer , pendant un
certain temps, ce que l'homme, je ne dis pas sensible, mais
l'homme juste devait blâmer : avec quelle horreur plus grande
les ai-je vus depuis, prêter méchamment à leurs ennemis leurs
â'.i
102 DOCOfiS COMPLÉMENTAIRES.
peut, sanspopulacitë, ffirmcr que le Français collectivement
ne peut pas plus conieiiiler le crime que le coninieltre.
Des moralistes hyixoudres effrayés de quelt|ues périodes
de la révolution, uni m voir dans ses accidens la solution du
problème discuté par Ifcbeset Jean- Jacques, de l'Homme bon,
ou de L'Homme niécha'.; plusieurs n'ont pas craint d'aflirmer
qu'un des pi oduils nt 'de la régénération française est la preuve
démontrée de celle d«ïière proposition (lllomnie mécliaoi).
D'autres plus indulj;er envers l'espèce humaine, mais moins
respectueux envers sesassociaiions , se sont plu à répéter avec
Montaigne: « Clie il jnolo est un animal sellé, bride, aitendant
le premier cavalier qui )udra le grimper. » Quelques autres, plus
insolens encore , ériget çq doclriue les argumens de Charron ,
paraphraseur du phittophe bordelais, qui a osé dire: < Levul-
> gaire est une bélelrange à plusieurs létes, inconstant, va-
> riable, sans arrèi,ion plus que les vagues delà mer; il s'é-
» meut, il s'accoise, Jipprouve, et réprouve en un instant, il
» n'aime la guerre ni >. paix pour sa fin ; avec un sifflet ou son-
> nette de uouveauté>p l'assemble comme les mouches au son
> du bassin : il soutiel, favorise les brouillons et remueurs de
» ménage, préfère c€X qui ont la tète chaude et les mains fré-
) tillanies ù ceux i]ui>ut le sens rassis et qui pèsent les affaires :
» toujours gronde etaurmure contre l'état, tout bouffi de mé-
» disance : ou irès-ljisement et vilement il sert d'esclave, ou
> sans mesuie il est isolent et tyranniquement il domine : il ne
» peut souffrir le iiilUs doux ou tempéré , ni jouir d'une liberté
» réglée; ingrat envœ ses bienfaiteurs, la vérité dit qu'il n'en
> échapperait pas unie ceux qui procureraient le salut du peu-
» pie, comme sont s liisioires célèbres de 3Ioyse et tous les
» prophètes, de Sofaie, Aristide, Phocion, Licurgus, Dé-
» mosthène, Théniisjcle. »
Quoique en bonneogique il fût suffisant pour réfuter]
gne d'observer que c^cepticien était seigneur
quaUlé contempteur u peuple, aristocr^
que Charron docieuen théologie, hi
eieiAMM
'»tl-
an.
lifij
'jOURiSÉES DE SEPÎtMBKE ( 1792). IG5
dépendant l'une de l'autre, de ressemblant dans leurs mouve-
mens.
Le peuple opprimé , trahi depuis long- temps venait d'obtenir
le 10 août réparation des outrages et des crimes multipliés d'un
roi parjure. Des citoyens nombreux ventilent de périr sous ses
fenêtres : le génie de la république présidait au combat; la vic-
toire demeure aux patriotes, le trône est renversé, le tyran est
mis aux fers ; mais ses forfaits sont impunis ; les chevaliers du
poignard ordonnaieurs du carnage sont échappés, les soldats
suisses sont seuls atteints : misérables et aveugles instrumens du
despotisme, ils avaient été abandonnés des officiers qui les com-
mandaient, et seuls ils payèrent de leur vie les crimes dont ils
n'avaient été que les exécuteurs machines.
Nous n'avons frappé que des automates , se disait chacun en
revenant du champ de bataille : < j'aurais bien donné cinquante
» soldats suisses pour un seul chevalier du poignard, » médit un
garde national; un cri universel répète que la vengeance nationale
est éludée: déjà l'on s'apitoie sur le sort des soldats suisses; mais
la colère du peuple émoiissée à l'égard de ces malheureux, s'ai-
guise davantage encore par le regret d'avoir laissé échapper les
vrais coupables.
On se rappelle qu'un moment auparavant le royalisme impur
avait été sur le point d'étouffer à jamais la liberié; on incarcère
tous ceux que leurs actions audacieuses luisaient reconnaître
complices du tyran. Les prisons sont remplies, encombrées. Le
tribunal du 17 août est institué. Laporie, intendant de la liste ci-
vile, Brakman, major des Suisses, sont envoyés à l'échafaud : la
fermentation paraît se calmer un moment. Montmorin va être
jugé; ses crimes sont prouvés jusqu'à l'évidence morale, mais ils
échappent à la loi qui n'atteint que le matériel : il est acquitté.
Le peuple le fait remettre en prison. Cette nouvelle impunité
échauffe, irrite; on s'agglomère dans les places publiques, on
s'étonne de voir que les hommes qui venaient d'assassiner le peu-
ple sans forme de procès, pai-vienneni, à l'ombre des formes
lentes et juridiques, à se soustraire au châtiment. La mort des
166 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
citoyens expirés sous les ruines du trône, se représente aux es-
prits. Déjà le Français est républicain, il délibère dans le forum;
il discute, il agite, il juge.
Arrive ici le dimanche 2 septembre. Ce jour consacré au repos
ramène dans l'esprit 'tiu peuple oisif les idées de la vengeance
différée.
Le matin se publie dans Paris une proclamation par laquelle
on invite les patriotes à voler à l'instant au secours de leurs frères.
On y déclare qu'il n'y a pas un moment à perdre , que nul pré-
texte ne peut être allégué, pas même celui d'être sans armes;
que Verdun est pris, et que l'ennemi marche à grands pas vers la
capitale.
Vers l'heure de midi on tire le canon d'alarme. Bientôt le toc-
sin sonne de toutes parts. On bat la générale. La terreur s'em-
pare de tous les eiprits, on court aux armes, un cri général se
fait entendre : Votons à L'ennemi. Mais nos ennemis les plus
cruels ne sont pas à Verdun. Ils sont à Paris, dans les prisons.
Plusieurs voix répandent ce bruit, d'autres le répètent, l'accré-
ditent. Nos femmes, nos enfans laissés à la merci de ces scélé-
rats, vont donc être immolés, disent quelques hommes : eh bien!
ajoutent d'autres, frappons avant de partir courons aux pri-
sons
Ce cri terrible, j'en atteste tous les hommes impartiaux (1 ), re-
tentit à l'instant d'une manière spontanée, unanime, universelle,
dans les rues , dans les places publiques , dans tous les rassem-
blemens, enfin dans l'assemblée nationale même.
Mais si ce cri parut sortir naturellement des circonstances ; s'il
est vrai qu'après avoir renversé le trône qui l'opprimait , le peu-
ple Français eût à s'attendre à la représaille implacable de tous
les trônes; si après avoir brisé la principale clef qui retenait la
voûte de l'Europe , il eût à craindre d'être écrasé lui même par
(t) C'est pour les hommes impartiaux que j'écris , et non pour caresser les
aristocrates ; c'est ceux ci que je poursuis dans leurs repaires, que j'atteindrai
dans leurs déguiseœens, dans la squalleur simulée de Granet, comme dans la
perruque hypocrite de Billaud et dans la baronnie de Vieux-Sac.
(iVofe originale,)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 167
la chute des rois ; toujours est-il essentiel à remarquer que cer-
tains hommes mirent dès-lors à proiit ces sentimens de terreur
pour les faire servir au crime , et que là précisément naquit l'in-
génieuse invention des conspirations de prison, enfantée dès-lors
par les mêmes, qui depuis revêtus d'un plus grand pouvoir, su-
rent si bien les réaliser et les embellir.
J'allais à mon poste sur les deux heures et demie , je passais
rue Dauphine, j'entends tout à coup des Huées. Je regarde, j'a-
perçois quatre fiacres à la suite les uns des autres, escortés par
des gardes nationaux de dépariemens (des fédérés marseillais
et bretons).
Ces fiacres renfermaient chacun quatre individus ; c'étaient des
gens arêtes dans les visites domiciliaires précédentes : ils venaient
d'être interrogés à la inairie par Billaud-Varennes substitut du
procureur de la Commune, qui les envoyaii :i l'Abbaye, pour y
être provisoirement déposés. On s'ameute , les cris redoublent :
un des prisonniers sans doute aliéné, échauffé par ces murmures,
passe son bras à travers la portière et donne un coup de canne sur
latêted'undes fédérés qui accompagnaient; celui-ci, furieux tire
son sabre, monte sur le marche -pied de la voiture , et le plonge
à trois reprises dans le cœur de son agresseur. J'ai vU jaillir le
sang à gros bouillons, t II faut les tuer tous, ce sont des scélé-
» rats , des aristocrates ! » s'écrient les assistans ; tous les fédérés
mettent le sabre à la main et égorgent à l'instant les trois com-
pagnons de celui qui venait d'être immolé ; j'aperçus dans ce
moment un jeune homme velu d'une robe de chambre blanche,
s'avancer hors de la même voiture ; sa physionomie intéressante,
mais pâle et éteinte, annonçait qu'il était très-malade, il avait
rassemblé ses forces chancelantes, et déjà atteint d'une blessure,
il criait encore grâce , grâce, -pardon! mais en vuin : un coup mor-
tel le réunit au sort des autres.
Celte voilure, qui était la dernière, ne conduisait plus que des
cadavres ; elle n'avait pourtant pas été arrêtée pendant le carnage
qui avait duré l'espace dn deux minutes. La foule augmente,
crèscit cunclo ; les hurlemens redoublent , on arrive à l'Abbaye ;
166 DOCUMIS COMPLÉMENTAIRES.
citoyens expirés sous lesruines du irône, se représente aux es-
prits. Déjà le Français e. républicain, il délibère dans le forvm;
il discute, il agite, il jug.
Arrive ici le dimanche^ septembre. Ce jour consacré au repos
ramène dans l'esprit Mipeuple oisif les idées de la vengeance
différée.
Le malin se publie dis Paris une proclamation par laquelle
on invile les patriotes à vierà l'instant au secours de leurs frères.
On v déclare qu'il ny\ pas un moment à perdre , que nui pré-
texte ne peut être aliéjié, pas même celui d'être sans armes;
que Verdun est pris, eque l'ennemi marche à grands pas vers la
capitale.
Vers l'heure de midi a tire le canon d'alarme. Bientôt le toc-
sin sonne de toutes pas. On bat la générale. La terreur s'em-
pare de tous U'S esprits on court aux armes, un cri général se
fait entendre : Voluns d'ennemi. Mais nos ennemis les plus
cruels ne sont pas à V^dun. Ils sont à Paris, dans les pr'uons.
Plusieurs voix répandei ce bruit, d'autres le répèlent, l'accré-
dileni. Nos femme», i6 eofans laissés à la merci de ces scélé-
rats, vunl donc êtn* iinolés, disent quel(|ues hommes : eh bien!
ajoutent d'iiiirts, Irjqons avant de partir courons aux pri-
sons
Ce cri terrible, j'en aesle tous les hommes impartiaux (i), re-
tentit à l'instant d'uno lanière spontanée, unanime, universelle,
dans les rues, «lans Itplaces publiques, dans tous Us rassem-
blemens, enfin dansl'isemblée nationale même.
Mais si ce cri parut irtir naturellement des circonstances; s'il
est vrai qu'après avoirenversé le trône qui l'opprimait, le peu-
ple Français eût à s'attidre à la représaille implacable de tous
les trônes; si après uur brisé la principale clef qui retenait la
voûte de l'Europe , il €t à craindre d'être écrasé lui même par
(t) C'est pour les homniiimparliaux que j'écris , et non pour caresser k»^
aristocrates: c'est ceux ci <p je poursuis dans leurs repaires,
dans leurs déguiseniens, dis la squalleur siriiulce de
perruque hypocrite de Bi'lid et dans la baronnie de Vie
*:•'
r«
JOURNÉES DE SEPTEMBKE ( 1792 ). i6î>
Il écrivit , un instant après , une lettre au président de l'assem-
blée nationale législative. Je remarquai linconséquence de celte
démarche précipitée , je lui ôtai la lettre et lui ordonnai au nom
de son salut, de suspendre tout acte qui pourrait le déceler.
Le moment de crise terrible où il venait de se trouver l'avait
empêché de voir l'événement ; je lui appris que ses compagnons
n'étaient plus ; il regarda l'instant d'après la cour , et vit leurs ca-
davres étendus : « Hélas , me dit-il , ma vie est un miracle !
Il était cinq heures du soir : arrive Billaud-de-Varennes, subs-
titut de la Commune ; il avait son écharpe, et le petit habit puce
et la perruque noire qu'on lui connaît ; il marche sur les cada-
vres , fait au peuple une courte harangue , et finit ainsi : « Peu-
» pie, tu immoles tes ennemis , tu fais ton devoir. » Cette oraison
cannibale anime; les tueurs s'échauffent davantage, ils deman-
dent à grands cris de nouvelles victimos; comment étancher cette
soif de sang croissante, inextinguible? Une voix part d'à côté de
Billaud : c'était celle de ce Maillard, depuis connu sous le nom
de Tappe-Dur : « il n'y a plus rien à faire ici , allons aux Carmes. »
Ils y courent, et cinq minutes après je vis amener les morts traî-
nés par les pieds dans les ruisseaux. Un tueur (je ne puis dire un
homme) vêtu très-grossièrement et qui avait apparemment la
commission spéciale d'expédier l'abbé Lenfant, craignait d'avoir
manqué sa proie, il prend de l'eau, en jette sur les cadavres cou-
verts de sang et de poussière, frotte leurs figures ensanglantées ,
les retourne, et croit s'assurer enfin que l'abbé Lenfant est
parmi eux.
L'expédition des Carmes est terminée, ou avancée ; une bande
de massacreurs revient couverte de sang et de poussière ; ces
monstres sont fatigués de carnage , mais non rassasiés de sang :
ils sont hors d'haleine, ils demandent à boire du vin, du vin ou la
mort. Que répondre à cette volonté irrésistible? le comité civil
de la section leur donne des bons de 24 pintes, assignés sur un
hiarchand de vin voisin. Bientôt ils ont bu, ils sont saoulés et
contemplent avec complaisance les cadavres jonchés dans la cour
de l'Abbaye.
170 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Que faisons-nous ici? s'écrie la même voix (du même Maillard
revenu des Carmes,) e allons à l'Abbaye, il y a du gibier là. »
Il dit : les lueurs répètent en chœur : « allons à l'Abbaye, » et ils
y volent armés de leurs piques et de leurs sabres ensanglantés.
A peine deux minutes étaient écoulées que l'on amenait les cada-
vres égorgés; déjà plusieurs, tramés dans les ruisseaux, venaient
d'èlre réunis au monceau de la cour de l'Abbaye , lorsque se
forma, comme par inspiration, une commission dite populaire,
dont les journaux rendirent compte le lendemain et qu'ils appelè-
rent un tribunal équitable. La Chronique et Brissot lui donnèrent
des éloges. Voici cependant quelle était sa composition , et quelle
fut à peu près la conduite de ses membres :
Douze escrocs présidés par Maillard, avec qui ils avaient pro-
bablement combiné ce projet d'avance, se trouvent, comme par
hasard, parmi le peuple : et ià, bien connus les uns des autres,
ils se réunissent au nom du peuple souverain, soit de leur audace
privée, soit qu'ils eussent reçu mission secrète d'une autorité su-
périeure; ils s'emparent des registres d'écrou, ils les feuillettent
et les parcourent : les porte-clefs tremblent, la femme du geôlier,
le geôlier s'évanouissent : la prison est environnée d'hommes fu-
rieux : l'on crie, les clameurs augmentent, la porte est assaiUie,
elle va être forcée lorsqu'un des commissaires se présente au gril-
lage extérieur, et demande qu'on l'écoute; ses signes, ses gestes
obtiennent un moment de silence, les portes s'ouvrent, il s'avance
le livre des écrous à la main ; il se fait apporter un tabouret, monte
dessus pour se mieux faire entendre : t Mes camarades, mes amis,
> s'écrie-t-il, vous êtes des bons patriotes, votre ressentiment est
> juste , et vos plaintes sont fondées. Guerre ouverte aux enne-
» rais du bien public; ni trêves, ni ménagemens, c'est un combat
» à mort : je sens comme vous qu'il faut qu'ils périssent , mais si
» vous êtes des bons citoyens vous devez aimer la justice. Il n'est
» pas un de vous qui ne frémisse de l'idée affreuse de tremper
ï ses mains dans le sang de l'innocence. » Oui, oui, répond le
peuple : « eh bien ! je vous le demande , quand vous voulez , sans
» rien entendre, sans rien examiner, vous jeter comme des tigrés
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 1792 ). 171
» en fureur, sur des hommes qui sont vos frères , ne vous exposez-
» vous pas au regret tardif et désespérant d'avoir frappé l'innocent
» au lieu du coupable. » Ici l'orateur est interrompu par un des as-
sistans qui, armé d'un sabre ensanglanté, les yeux étincelans de
rage, fend la presse, et le réfute en ces termes : « Dites donc, mon-
» sieur le citoyen, parlez donc, est-ce que vous voulez aussi nous
» endormir ; si les sacrés gueux de Prussiens et d'Autrichiens
») étaient à Paris, chercheraient-ils aussi les coupables? ne frappe-
» raient-ils pas à tort et à travers ;, comme les Suisses du 10 août;
i> eh bien ! moi je ne suis pas orateur , je n'endors personne, et
» je vous dis que je suis père de famille, que j'ai une femme
» et cinq enfans que je veux bien laisser ici à la garde de ma
» section , pour aller combattre l'ennemi ; mais , je n'entends pas
» que pendant ce temps-là, les scélérats qui sont dans cette pri-
» son, à qui d'autres scélérats viendront ouvrir les portes, aillent
> égorger ma femme et mes enfans ; j'ai trois gaiçonsqui seront,
» je l'espère, un jour plus utiles à la patrie, que les coquins que
» vous voulez conserver ; au reste il n'y a qu'à les faire sortir,
» nous leur donnerons des armes , et nous les combattrons à nom-
» bre égal : mourir ici , mourir aux frontières , je n'en serai pas
» moins tué par des scélérats, et je leur vendrai chèrement ma
» vie ; et, soit par moi , soit par d'autres, la prison sera purgée de
» ces sacrés gueux-là. »
Il a raison, répèle un cri général : point de grâce, il faut en-
trer ; on se pousse , on s'avance : « Un moment , citoyens , vous
> allez être satisfaits, » dit le premier orateur : « voici le livre
» des écrous , il servira à donner des renseignemens : l'on pourra
» ainsi punir les scélérats, sans cesser d'être justes ; le président
» Hral'écrou en présence de chaque prisonnier, il recueillera en-
» suite les voix et prononcera. • A chaque phi ase, on entendait de
toutes parts : < Oui , oui, fort bien ! il a raison ! bravo ! bravo ! »
à la fin du discours , plusieurs voix d'hommes apostés: crièrent :
€ M. Maillard , le citoyen Maillard , président c'est un brave
» homme, le citoyen Maillard président. » Celui-ci aux aguets de
celte nomination , jaloux d'un pareil riiinislère, entre aussitôt en
à
m
m i
'fi
DOCLMENS COMPLHENTAIRLS.
fonctions, et dit qu'il va travailler e bon citoyen. La commission
sor{{anise, les compagnons de Millard l'environneni ; ils con-
viennent entre eux dune formule d iierrogatoire irès-briève, qui
ne devoit consister que dans l'identë des noms et prénoms; iU
arrêtent que pour éviter toute scènviolente dans l'intérieur de
la prison, on ne prononcera point 1. mort en présence des con-
damnés; qu'on dira seulement, A i Force,
On finissait de régler ces forniali» très-succinctes , lorsqu'une
voix se fait entendre par la fenéirele la salle de délibération, et
s'annonçant comme chargé du voeulu peuple , dit : t H y a des
> Suisses dans la prison, ne pi ' '>' temps à les interroger,
» ils sont tous coupables, il m . ii échapper un seul;» et
la foule de crier : « C'est jn^ie, *>t juste, commençons par
> eux. » Le liibuual aussitôt pronooe unanimement : A la Force.
Maillard président va leur annomr It-ur sort. Il se présente 3
eux. < Vous avez , leur dit-il . ■ 'e |)euple au 10 août, il
> demanle aujourd'hui vengeai; ; . ...il aller à la Force. » Les
malheureux tombent tous à ses genux et s'ëcrienl : Grâce, grâce!
« Il ne s'agit, 1 répond flegmatiqueient .Maillard, «que de vous
> transférer à la Force, peut-èireensite vous fera-t-on grâce. » Mais
ils n'avaient que trop entendu lr '- ■ •' ux de la multitude quiju-
raiidj^es exterminer : aussi lej -!s d'une commune voix:
« Eh ! monsieur, pounjuoi nous rompez-\ous ? nous savons
> bien que nous ne sortirons d'ici ae pour aller ù la mort. > Pa-
raissent au même temps deux égoreurs du dehors, l'un garçon
buulanger, l'aut/e .Marseillais, qui ur disent du ton le plus in-
flexible : « Allons, allons, décidez-'ïus, marchons. » Alors ce ne
fut plus que des lamentations, de gémissemens horribles. Au
milieu de ce spectacle déchirant pur tout autre que .Maillard,
s'élève la voix d'un des commiss;res qui environnaient ces in-
fortunés, et leur dit : « Eh bien! v -^ ! -ne quel est celui de
» vous quisort le premier?., i Tou^ -• > de s'enfoncer dans
la prison, de se serrer mutuellemen de se cramponner les unsaus
autres, s'emhrassant et poussant m ( Ti> plaintifs et douloureux
à l'aspect de la mort inévitable. L'eiprointe du désespoir rendait
!.r-w -
^i
■r
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 175
plus inléressante encore la figure de quelques vieux vétérans ;
leurs cheveux blancs inspiraient le respect ; et leurs regards ,
semblables à celui de Coligny , paraissaient retenir les assassins
qui étaient le plus près d'eux : mais la fureur de ceux qui étaient
sur le derrière, et qui ne pouvaient rien voir, augmentait encore.
Des hurlemens redoublés demandent des victimes. Tout à coup
un de ces malheureux se présente avec intrépidité. 11 avait une
redingote bleue, paraissait âgé d'environ 30 ans. Sa taille était
au-dessus de l'ordinaire, sa physionomie noble, son air martial.
II avait ce calme apparent d'une fureur concentrée; « Je passp
» le premier, » dit-il du ton le plus ferme, «je vais donner
î l'exemple : nous soldats ne sommes pas les coupables, nos chefs
» seuls le sont, cependant ils sont sauvés, et nous nous pé-
» rissons, mais puisqu'il le faui, adieu » Puis lançant avec
force son chapeau derrière sa tête , il crie à ceux qui étaient de-
vant : tPar où faut-il aller? montrez-le-moi donc ! » On lui ouvre
les deux portes : il est annoncé à la multitude par ceux qui l'é-
taient venu chercher ainsi que ses camarades , il s'avance avec
fierté. Tous les opérateurs se reculent, se séparent brusquement
en deux. Il se forme autour de la victime un cercle des plus
acharnés , le sabre , la baïonnette , la hache et la pique à la main ;
îe malheureux objet de ces terribles apprêts fait deux pas en ar-
rière, promène tranquillement ses regards autour de lui , croise
les bras, reste un moment immobile ; puis aussitôt qu'il aperçoit
que tout est disposé, il s'élance lui-même sur les piques et les
baïonnettes, et tombe percé de mille coups.
Les derniers soupirs de l'infortuné mourant sont entendus de
ses malheureux camarades qui répondent par ties cris affi-eux;
déjà plusieurs avaient cherché à se cacher sous des tas de paille
qui se trouvaient dans une des salles de leur prison, lorsque douze
des plus forcenés massacreurs du dehors viennent les prendre
l'un après r.îutre, et les immolent successivement comme le pre-
mier. Un seul a le bonheur d'échapper, déjà saisi par son habit,
atteint d'un premier coup , il allait subir le même sort que les
autres, lorsqu'un Marseillais s'élance, se fait passage à travers
1
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'A'
172 UOtll£IS£» COMPLÉMENTAlRtS.
fonctions, et dit qu'ila travailler en bon citoyen. La commission
s'organise, les compjnons de Maillard l'environnent; ils con-
viennent entre eux d'ae formule d'interrogatoire très-briève, qui
ne devoit consister qu dans l'identité des noms et prénoms; ils
arrêtent que pour évèi' toute scène violente dans l'intérieur de
la prison , on ne pionoceia point la mort en présence des con-
damnés ; qu'on dira ailement, A la Force.
On finissait de regi* ces formalités très-succinctes, lorsqu'une
voix se fait entendre fr la fenêtre de la salle de délibération, et
s'annonçant comrno targé du vœu du peuple , dit : « U y a des
> Suisses dans la piisa, ne perdez pas de temps à les interroger,
» ils sont tous coupahs, il ne doit pas en échapper un seul ; » et
la foule de crier : «7est juste, c'est juste, commençons par
> eux. » Le tribunal assitôt prononce unanimement : A la Force.
3Iaillard président v;leur annoncer leur sort. U se présente à
eux. « Vous avez , 1er dit-il, assassine le peuple au 10 août, il
> demantie aiijourd'iu vengeance, il faut aller à la Force. » Les
malheureux tombent us à ses genoux et s'écrient : Grâce, grâce!
€ Il ne s'agit, » répon flegmatiquement Maillard, * que de vous
> transférer à la F< Il r(«>eut-èire ensuite vous fera-t-on grâce. > Mais
ils n'avaientque trop (tendu les cris furieux de la multitude qui ju-
rait de les extermitKr aussi répliquèrent-ils d'une commune voix:
« Eh ! monsieur, ptr({uoi nous trompez-vous ? nous savons
> bien que nous no s'iirons d'ici que pour aller à la mort. » Pa-
raissent au même t( us deux égoigeurs du dehors, l'un garçon
boulanger, l'aut/c Al.'seillais , qui leur disent du ton le plus in-
flexible : « Allons, a!bs, décidez-vous, marchons. » Alors ce ne
fut plus que des laimiations, des gémisseraens horribles. Au
milieu de ce spectacldéchirant pour tout autre que Maillaid,
s'élève la voix d'un es commissaires qui environnaient ces in-
fortunés, et leur dit v Eh bien! voyons donc quel est celui de
» vous qui sort le prei*r?.. i Tous lesSuissesde s'enfoncer dans
la prison, de se serrerautuellement, de se cramponner les uns aux
autres, s'emhrassanM poussant des cris plaintifs et douloureux
à l'aspect de la mort iévitable. L'empreinte du
nal^
r-
^^
iMn.ai
ktmàm
Isk
Mivièilvat
^'
*''^ ■» ;». .
• •
JOURNÉES DR SEPTEMBRE ( 1792 ). i75
Un des assistans l'interrompt , et dit brusquement : « Mon-
» sieur le président, les crimes de M. de Montmorin sont con-
» nus ; et puisque son affaire ne nous regarde pas , je demande
» qu'il soit envoyé à la Force. » — « Oui , oui , à la Force ! « criè-
rent les juges. « Vous allez donc être transféré à la Force, » dit en-
suite le président. « Monsieur le président, puisqu'on vous appelle
ainsi, réplique M. Montmorin du ton le plus ironique, monsieur
le président , je vous prie de me faire avoir une "voiture. — Vous
allez l'avoir, lui répond froidement lUaillard. Un de ceux qui
étaient là fait semblant de l'aller chercher, sort et revient un in-
stant après dire à Montmorin : « Monsieur, la voiture est à la
porte : il faut partir, et promptement. » Montmorin réclame alors
des effets, un nécessaire, une montre , etc. , qui étaient dans sa
chambre. On lui répond gu'ils lui seront renvoyés. » H se décide
à aller trouver la fatale voiture qui l'attendait.
Telle fut la fin d'un homme qui, quoique gâté par les préjugés
de la naissance et de la fortune, avait cependant assez de qualités
personnelles pour mériter un tout autre sort, si une ambition
aulique et démesurée ne l'eût entraîné à conspirer contre son
pays.
Après la mort de Montmorin , on demande une seconde lecture
de la liste des prisonniers ; le nom de Thierry, et plus encore la
qualité de valet de chambre du roi, fixe l'attention de la com-
mission. Un membre prend la parole et reproche à Thierry
qu'on venait d'amener quelques faits de royalisme : il l'accuse
surtout de s'être montré le 10 août, tiu château des Tuileries,
armé d'un poignard. Thierry nie; il prétend hardiment t qu'il
» a toujoui'S été honnête homme , que loin de conspirer contre
1 son pays, il eût été le premier à le défendre contre ses ennemis ;
• que s'il s'est trouvé auprès du roi le 10 août, c'est que son
» service l'y appelait , et qu'il avait fait son devoir. » Maillaid le
somme de déclarer dans quel poste du Château il se trouvait au
moment du combat. Il répond « (ju'il ne se rappelait pas pré-
> cisémenl l'endroit ; qu'il était à ses affaires , qu'au surplus il
» devait être traduit devant un tribunal légalement institué, et
476 DOCDMENS COMPLÉMENTAIRES.
> que là il répondrait. » — c Vous ne nous persuaderez jamais,
» monsieur, > lui dit un membre, <> que vous n'êtes point un aris-
> tocrate : vous approchiez trop près du veto ; vous allez nous
» dire que vous étiez obligé de faire ce qui vous était ordonné ;
» moi je vous répondrai : Tel maître, tel valet ; en conséquence, je
» demande au président qu'il vous fasse transférer à la Force. »
Maillard prononce : A la Force , et Thierry n'est plus.
Viennent ensuite Bocquillon et Buos juges de paix. « Vous
» êtes accusés par le peuple d leur dit aussitôt Maillard « de vous
» être réunis à des collègues aussi infâmes que vous, pour for-
» mer au château de Tuilei'ies un comité secret , destiné à venger
» la Cour delà journée du 20 juin, et à en punir les auteurs. »
< Il est vrai » répondit Bocquillon d'un visage calme et serein ,
» que je me suis trouvé à ce comité; mais je|défie qu'on me
> prouve que j'aie participé à aucun acte arbitraire. * Ala Force!
à la Force ! s'écrièrent les membres ; le président prononce : Boc-
►quillon et Buos ne sont plus.
Vigne de Gusay, prévenu d'avoir participé à la conduite des
troupes qui avaient fusillé au Champ-de-Mars : Protot et Valvia
accusés d'avoir volé la nation en émettant de faux billets de qua-
rante sous de la maison de secours, non numérotés et sans hypo-
thèque, fui ent de même envoyés à la Force d'après le prononcé
de Maillard , et au nom du peuple souverain.
Peut-être, sur l'étiquette des personnages que l'on vient de
voir passer à la Force ^ va-t-on s'imaginer que le crime seul a
péri ; sans doute , beaucoup de coupables ont payé de leur vie de
véritables forfaits ; mais le plus grand tort qu'ont fait à la morale
publique ces massacres alfreux , c'est que des actes d'une illéga-
lité aussi cruelle, loin de tourner au profit de l'exemple, seule
fin des supplices, honorent presque les victimes au lieu de les
flétrir ; et laissent à leurs adhérens le droit de réclamer leur mé-
moire, comme celle de l'innocence martyrisée.
J'ai oublié de rappeler un forfait de plus commis par les soi-
disant chargés du peuple souverain. Avec quelque rapidité ue
se fissent les opérations, ces messieurs avaient encore If» temps
jourmlEs dk skptkmbre i;1792). 177
et la précaution, au lieu d'orner les victimes, de les dépouiller au
vif. Ils commençaient par leur enlever portefeuilles , montres ,
bagues^ diamans, assignats ; puis mettaient toutes ces défroques
tant dans leurs poches que dans des corbeilles et cartons ; et j'ai
les deux preuves suivantes qu'ils se sont tout approprié.
1° Deux commissaires furent envoyés par la section de Quatre-
Nations pour réclamer, à la prière de ses parens, un prisonnier
qui n'avait aucune note royaliste; ils parvinrent, après bien de la
peine , à le faire élargir; mais s'étant aperçus qu'il n'était dressé
aucun procès- verbal des effets précieux enlevés aux condamnés,
ils se permirent d'en faire l'observation à ces prévôts spoliateurs ;
ceux-ci très-gênés d'être devinés par des yeux dénonciateurs
voulurent d'abord biaiser, éluder; bientôt ils élevèrent le ton
d'une manière tellement torse et oblique, que le peuple, trompé
sur l'objet de la discussion, et prenant les commissaires de la
section pour des prisonniers , allait les égorger ; lorsque ceux-ci
baissant la voix et adoucissant les reproches d'une probité intem-
pestive , filèrent promptement , et revinrent comme des échap-
pés.
2° Le comité civil de la section , chargé de se faire rendre
compte , n'a rien pu découvrir de toutes ces dépouilles très-pré-
cieuses, quoique les prisonniers de l'Abbaye particulièrement
fussent la plupart des gens de qualité très-opulens.
La commission se divisa sur les deux heures du matin , et se
distribua les autres prisons de Paris.
Il restait cependant encore quelques prisonniers à l'Abbaye;
la lassitude des opérateurs leur fit abandonner ce poste pendant
quelques heures; ils vinrent se reposer au comité qu'ils avaient
choisi pour le théâtre de leurs orgies , se faisant donner à boire,
à boire, et passèrent ainsi la nuit dans des ruisseaux de vin. Ils
retournèrent le malin à la prison de l'Abbaye, et tuèrent ce qui
restait, d'intervalle en intervalle.
J'ai dit comme Billaud-Varennes était venu la veille à la cour
de l'Abbaye ; Manuel était , de son côté , venu à la prison vers les
huit heures du soir, à la lueur des flambeaux. 11 avait harangué
T. XVIII. 12
J78 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
ia commission populaire, mais ses yeux exprimaient plus le ca-
ractère de la contrainte, que de la joie sanglante qui animait
ceux (\e Billaud.
Billaud-Varennes revhu le leiidemaiii matin o septembi-e , vers
midi , au comité de la section ; il pai'lait , monté sur les marches
de l'escalier, lorsqu'un nommé Khulières, prisonnier de l'Ab-
baye, déjà percé de plusieurs coups de pique, courait nu dans
la cour , tombant , se relevant : je l'ai vu faire encore quelques
pas cliancelans, et lutter pendant plus de dix minutes contre la
mort qui iatleignit enfin. Voici les paroles abrégées, mais textuel-
lement fidèles de Billaud- Varennes aux massacreurs : « Respec-
» tables citoyens , vous venez d'égorger des scélérats ; vous avez
» sauvé la patrie; la France entière vous doit une reconnaissance
9 éternelle; la municipalité ne sait comment s'acquitter envers
» vous ; sans doute le butin et la dépouille de ces scélérats (mon-
j trant les cadavres) appartiennent à ceux qui nous en ont délivrés ;
» mais sans croire pour cela vous récompenser, je suis chargé
> de vous offrir à chacun vingtcjuatre livres , qui vont vous être
> payées sur-le-champ. (Applaudissemens nombreux des égor-
» geurs.) Respectables citoyens, continuez voire ouvrage ^ et la
j> pairie vous devra de nouveaux hommages. »
Nota f/cHe que Billaud- Varennes est celui qui, en sa qualité de
substitut de procureur de la Commune, avait, dans la matinée
des jours précédens, interrogé, à la mairie, les détenus par suite
des visites domiciliaires , notamment la femme Lamballe ; et qu'ils
avaient été distribués dans les diverses prisons.
Après le discours que je viens de rappeler , Billaud- Varennes
entre au comité et le charge de donner les 24 livres qu'il vient de
promettre aux opérateurs. Le comité, qui ne possède aucun fonds
lui deiuande les moyens de satisfaire aux engagemens qu'il vient
d'imposer. Il répond laconiquement de faire une liste , et s'en va
sans donner d'autre solution , et laissant le comité tremblant et
effrayé de cette terrible responsabilité envers les opérateurs.
En effet, à peine était-il sorti que ceux-ci fondent en masse
et demandent à grands cris la somme qui leur vient d'être allouée
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 179:2). J79
par Billaud-Varennes. Jamais position ni spectacle ne furent plus
horribles.
L'un a un sabre, une baïonneite ensangianlëe; l'autre une
pique cassée et couverte de cervelle humaine; un autre a arrache
un cœur palpitant qu'il porte au bout d'une hallebarde brisée;
l'autre a coupé des parties viriles, qui lui servent à faire aux
femmes des plaisanteries outrageantes. Voilà les trophées, les
justifications abominables sur lesquelles ils fondent leurs réclama-
lions menaçantes. « Croijez-voiis que je n'ai (jagné que 24 livres y
disait hautement un garçon boulanger , armé d une massue , j'en
ai tué plus de quarante pour ma part. » Deux femmes furent ren-
contrées le matin , tenant à la main de la soupe et de la viande
dans un potage: « Oh allez-vous donc? leur dit leur voisine. —
Je portons à déjeuner, répondirent-elles, à nos hommes qui tra-
vaillent à l'Abbaije. — Ya-t-il encore de la besogne ? leur demande
un tueur qui venait de cuver son vin dans la cour. — S'il n'y en
a plus, il faudra bien en faire > répliquèrent ces deux femmes.
Inquiet de satisfaire ces réclamans fui ieux, le comité s'occupe
de dresser i\ l'instant la liste de chacun d'eux , leur dit que l'ar-
gent esta la municipalité, et les engage à aller le toucher eux-
mêmes; ils y consentent et partent munis de la liste. Point d'ar-
gent au comité de surveillance de la Commune. Ils attendent en
vain jusqu'à onze heures du soir : à minuit ils reviennent jurant,
sacrant, écumans de rage, et menaçant le comité collectivement
de lui couper solidairement la gorge, s'ils ne sont à l'instant
payés. Point de réplique à cette décision impérative ; un membre
du comité veut user de la voie de représentation, mais le sabre
est levé sur sa tête ; ils se trouve muet ; en un mot, c'est la bourse
ou la vie qui leur faut. A cet argument irrésistible un membre du
comité, marchand de drap, dem mde la permission de courir
chez lui chercher de l'argent; elle lui est accordée; il revient in-
continent, et avance à ses risques la moitié du traitement des
égorgeurs.
Voilà donc le comité provisoirement débarrassé de ces mons-
tres poui" la nuit ; mais, apics avoir m\é lu boisson immodérée
180 DOCUMENT COMPLÉMENTAIRES,
de quaranle-huit heures continues , ils reviennent de grand nialia
chercher l'autre moitié. Deux commissaires les conduisent fra-
ternellement à la Commune; j'ai appris qu'ils avaient été défini-
tivement payés par le ministre Rolland, et j'affirme qu'on ne les
a point revus.
Le 3 septembre matin, Billaud-de-Varennes est entré au con-
seil-général de la Commune, tenant amicalement par la main un
massacreur couvert de sang, et l'a présenté comme un brave
homme qui avait bien ïrami//é , suivant son expression.
Voilà une esquisse très-faible de ce qu'un seul honmie a pu
recueillir, mais surtout de ce qu'il a pu voir par lui-même, des
horreurs du 2 septembre. Dans le récit des faits abrégés, mais
vrais, l'on distingue d'un côté, vengeance aveugle et naturelle
du peuple ; de l'autre, une soif inextinguible de sang, de la part
des tigres qu'on ne peut ranger dans la classe du peuple , ni
Kiéme dans celle des hommes; d"un autre côté, enfin, on re-
marque un 01 die et une direction très-suivis. Je laisse au lecteur
à saisir le ifl. C'est à lui seul à faire les réflexions dont l'historien
doit s'abstenir, et qu'il ne pourrait épancher sans encourir, au
moins , le soupçon de partialité.
Felhemesi. ( Anagrame de Méhée fils.)
JOURNÉES DE SKPTEMBRK ( 1792 ). 181
HISTOIRE
DES HOMMES DE PROIE,
ou
LES CRIMES DU COUSITÉ DE SURVEILLANCE,
PAR ROCH MARCANDIER(I).
Yerba volant, scripta manent.
Les sinistres ëvénemens dont Paris a été le ihéâtie , les scènes
de sang qui se sont passées dans son sein ont jeté l'effroi et la
consternation dans l'anie des citoyens honnêtes et sensibles; et
il n'appartient, j'ose le dire, qu'à des assassins ou à ceux qui
sont pi'êts à l'être, de se rappeler sans frémir les crimes qui ont
été commis pendant les cinq premiers jours de septembre 1792.
Les générations futures se refuseront à croire que ces forfaits
exécrables ont pu avoir lieu chez un peuple civilisé , en pi-ésence
du corps législatif, sous les yeux et par la volonté des dépositaires
des lois , dayis une ville peuplée de luiit cent mille liabilans , restés
immobiles et frappés de stupeur, à l'aspect d'une poignée de
scélérats soudoyés pour commettre des crimes (2).
({ ) Cette brochure est un recoeil de toutes les légendes qui eurent cours sur les
journées de septembre ; elle est marquée du cachet de l'exagératioa la plus ou-
trée. On pourra s'en assurer si l'on veut en comparer quelques récits avec notre
propre narration ; nous avons cru néanmoins devoir la réimprimer, soit parce
qu'elle contient des détails importans, sur l'intérieur du comité de surveil-
lance, soit parce qu'elle contient toutes les exagérations dont se sont servis la
plupart des liislorieus avant nous, et que nous-mêmes nous n'avons pu accueillir
dans notre histoire , parce qu'elles ne nous ont paru rien nmins que conformes
à la vérité. Mais . nous devons mettre toutes les pièces sons les yeux de nos lec
leurs. Voici maintenant quelques mots de biographie sur Marcandier.
RochMarcandier avait été secrétaire de Camille Desmoulins; il fut condamne
à mort le 24 messidor an II, par le tribunal révolutionnaire de Paris, comme
étant l'un des princip:iux meneurs fédéralistes, et pour avoir imprimé dans le vé-
ritable Ami du Peuple , dont il était auteur, que <' la Convention n'était plus
qu'un noyau de sédition, un conciliabule d'anarchistes, un assemblage mon-
strueux d'hommes sans caractèr(w» elc. (Note des auteurs.)
(2) Le nombre des assassins n'excédait pas trois cents, encore faut-il y com-
182 bÔCUMElNS COMPLÉMENTAIRES.
Les promoteurs de l'anarchie, les agitateurs du peuple, en un
mot, les partisans du crime ne cessent de nous dire qu'une grande
conspiration devait éclatera Paris dans les premiers Jours de sep-
tembre. Personne, hélas ! ne leur conteste cette vérité que l'événe-
ment a justifiée d'une manière aussi atroce que cruelle ; mais pour
connaître les conspirateurs ei de quelle nature était leur conspi-
ration, il faut remonter à la source.
En établissant une chaîne de faits , il ne faudra point une pé-
nétration surnaturelle pour se convaincre que ces massacres sont
l'ouvrage de cette faction dévorante qui est parvenue à la domi-
nation par !e vol et l'assassinat.
Quelle que soit l'horreur que m'inspirent ces journées de sang
et d'opprobre , je les rappellerai sans cesse aux Parisiens , jusqu'à
ce qu'ils aient eu le courage d'en deinander vengeance. Quel-
que pénible el douloureuse que soit cette tâche, je la rempliiai
avec constance, car il me semble que !e plus sûr moyen d'arrêter
l'anarchie est (ie mettre ses parties honteuses à découvert, et
de la montrer au peuple dans toute sa laideur.
Je dirai donc la vérité sans ménagement pour personne ; Je ra-
conterai les faits sans les pallier. Si je fais par hasard quelques
digressions , ce ne sera que pour mieux faire sentir combien il
est important de demander compte aux membres du comité de
surveillance du sang qu'ils ont fait répandre et des richesses
qu'ils ont dévorées.
Descendons maintenant dans cette caverne , et tâchons , s'il est
possible , d'y porter la lumière.
Avant la journée du 10 août, l'administration de police était
composée de Perron , Sergent et Viguier. La situation de la ville
de Paris paraissant exiger une surveillance plus active et plus
étendue, le conseil-général de la Commune créa un comité de
douze commissaires. Ces nouveaux administrateurs arrivés à la
mairie, expulsèrent de l'administration de police Perron et Vi-
guier; n^ais Panis et Sergent furent exceptés. Us restèrent avec
prendre les quidam, qui dans l'intérieur du gnichet s'étaient constitués les juges
des détenus. (iSote de Marcandier^
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 185
les autres membres composant le nouveau comité établi sur les
ruines de l'ancienne police.
Sôil par répugnance, ou , ce qui est plus vraisemblable, pour
écarter d'abord toutsbiipç on d'intrigués, Panis et Sergent h'bpé-
raient que rarement avec leurs collègues. ''
Panis prétextait des incommodités ei des taiigues , ils ne pa-
raissail à la mairie que pour nrendie une connaissance succmcle
de ce qui s'était passé en son absence , du nombre des personnes
qui étaient arrêtées et des dépôts arrivés (1) ; il s'en retournait
ensuite en rudoyant tous ceux qui se trouvaient sur son passage.
Sergent montrait un peu plus de vigilance et d'aptitude au tra-
vail , et il avait moins de rudesse dans ses manières. 11 passait çp
revue avec une exactitude et un scrupule remarquables les bkpuxt,
montres , c liâmes de montres, bagues, or et argent, assignatst,
généralement tous les objets qui peuvent ilailer l'œil curieux d'un
bomme de goût, d'un véritable amateur. A la vue d'objets si sé-
duisans, il était difficile à un homme ami des belles choses de
tenir long-temps à celte rude épreuve. Aussi ne larda-t-il point
à donner un exemple de là fragilité humaine ; le malheureux sue-
comba à la tentation. A l'exemple de notre premier père qui,
entraîné par la gourmandise, se perdit en portant une main fu-
race sur le fruit défendu. Sergent se perdit par un autre larcin ;
non content de la quote pprl qui lui était dévolue dans les dépôts,
il se fit présent de deux montres d'or ornées de leurs chaînes et
d'une agate du plus grand prix (2).
Les dépôts faits au comité de surveillance provenaient d'effets
enlevés aux Tuileries et chez les j)ersounes : rrétéos, telles que
Lapone et Septeuil , ainsi que beaucoup d'autres qui a:\'aieilt
(0 Le» partisans des mas-'acres ne diront pas, sans doute, que les diamuDs et
les l)ijoiix, etc., des persooijes ."rrétées, étaient sçuspects ! Cependant qn s'em-
parait nvec soin des peisf)nnes et des clioses. C' seul fait suffit, ce me serulile ,
pour donner la cit'f des massacre s. Quand on demande aux aii-.rcliibt*s«^t»r-
quoi lec;)inil(î d'! surveiliaiice faisais ealever les propiiétés avec les p^so^f^,
ils ne savent que repoudre. (Aote de Marcandiçr.)
(2) De là lui vient le surnom à' Agate. (Piote de Marcan^^'rl^
184 DOCLMENS COMPLÉMENTAIRES.
abandonné leurs maisons et leurs richesses à l'époque des visites
domiciliaires, qui ont précédé les massacres.
Chaque dépôt devait être accompagné d'un procès-verbal qui
énonçât la nature et l'état des objets déposés ; mais pour voler im-
punément il fallait employer des moyens extraordinaires. Dès-
lors on travailla à soustraire les procès-verbaux , et à jeter la
confusion et le désordre parmi ceux dont la soustraction était
trop difficile.
Les procès-verbaux auraient dû être dans une seule main ,
avec indication précise, sur un registre, du lieu où se trouvaient
les objets déposés; voilà du moins, ce qu'auraient fait des admi-
nistrateurs sages et bien intentionnés; mais des brigands, des
voleurs capables de tous les crimes, ont dû prendre u^e autre
marche et mépriser le vœu impératif de la loi ; voici la route tor-
tueuse que ces hommes de proie ont suivie pour arriver à leur but.
Plusieurs commissaires du comité de surveillance, avaient ob-
servé à différentes reprises , que leurs pouvoirs ne les autori-
saient qu'à rechercher les conspirateurs et les contre-révolution-
naires avec leurs papiers et leurs correspondances ; que le
conseil-général ne leur avait point conféré le pouvoir d'être dépo-
sitaires ; en conséquence , il fut décidé que l'on en référerait au
conseil-général , afin qu'il déchargeât le comité de surveillance
de cette responsabilité. On convint d'assembler le comité pour
délibérer sur cet objet; l'assemblée se tint vers les derniers jours
d'août, dans le bureau principal du comité de surveillance, où
vinrent Panis et Sergent , accompagnés de Marat qui n'avait au-
cun droit , aucun caractère pour s'y trouver, attendu qu'il n'était
point administrateur ; mais il y avait du butin à partager , il n'en
fallait pas davantage pour provoquer la réunion des hommes de
proie.
L'objet fut à peine soumis à la délibération , que Panis inter-
rompit ses collègues en les assurant qu'il avait trouvé un moyen
aussi simple que prompt de terminer la chose, et de tirer le co-
mité de surveillance d'embarras. On écoute : le fripon propose
d'adjoindre au comité, d'abord son intime Marat * et quatre a
JOURNÉES DE SEl'TEMUUE { 1792 ). 185
» cinq autres dont il répondait comme de lui même; d'après
» cela, ajoutait-il, il n'y a nulle inquiétude à avoir sur les dé-
» pots ; on mettra tout en ordre. >
Ceux qui n'avaient pas les mêmes desseins que Barrabas
Panis , trouvèrent cette adjonction illusoire et ridicule, La majo-
rité observa , qu'il n'y avait point plus de sûreté pour l'avenir ,
qu'il y en avait eu par le passé, que par la proposition de Bar-
rabas, ils se trouvaient toujours sujets à une responsabilité so-
lidaire; qu'en conséquence, pour leur tranquillité personnelle
et l'honneur du comité, il fallait demander au conseil général
qu'il remît à d'autres le soin et la conservation des dépôts ; d'ail-
leurs, ajoutaient-ils encore, il est hors des principes et fort étranger
à notre mission de conjmuniquer des pouvoirs d'administrer , sans
la participation du conseil-général , à des hommes qui ne sont
pas nommés par le peuple membres du conseil-général.
Ces observations faites en présence de Marat , annonçaient une
sévérité de principes qui ne pouvait que déplaire à Barrabas et à
Sergent. Ces deux inséparables larrons entrèrent dans une colère
horrible contre les administrateurs pusillanimes qui s'avisaient de
parler principes dans un moment où il ne s'agissait que de dé-
ployer les grands moyens de faire rapidement fortune.
Panis avait l'air d'un frénétique ; il leur reprocha qu'ils n'étaient
point à la hauteur de la révolution; Marat, l'œil rouge de sang,
menaça de les traîner dans la boue s'ils n'agissaient au gré de son
ami Barrabas. Sergent était un peu plus calme ; il avait l'air sup-
pliant, et il semblait leur dire : terminons ces débats, vivons en
bonne intelligence , mais les commissaires se tinrent constamment
au-dessous de la révolution, et ne voulurent pas des adjoints de
Barrabas.
Cette séance fort orageuse se termina par un présent que
Marat exigea dps commissaires, et qu'ils eurent la faiblesse de
lui permettre d'enlever , ce furent quelques presses et des carac-
tères de l'imprimerie ci-devant royale, dont ils n'avaient pas
le dioit de [disposer. Aussi fut -il reconnaissant. Ce premier
acte de faiblesse lui donna des espérances pour l'avenir, il ne
186 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
les traînera point dans la boue comme il les en avait menacés.
Il est essentiel de rappeler ici , que le comité de surveillance
était composé de douze membres , non compris Panis et Sergent,
ce qui faisait quatorze ; huit s'opposèrent à l'adjonction et les
quatre autres hommes de proie décidés (I) , se rangèrent au sen-
timent de Barrabas et de Sergent.
Par le refus motivé des commissaires, d'accéder à la proposi-
tion de Barrabas, reialive à radjonciion qu'il avait proposée,
son plan de rapine se trouvait absolument bouleversé, son but
était manqué; cependant il voulait,;) quelque prix que ce fût,
s'adjuger tous les dépôts et n'en pas laisser le moindre vestige.
Ce vaste projet ne pouvait s'accomplir que par la soustraction
des procès-verbaux , et la ténacité des commissaires élait un ob-
stacle qu'il n'avait pas prévu. Il était heureusement à la hauteur
de la révolution ; il ne s'agissait que d'avoir avec lui des gens
dont il pût répondre comme de lui-même. Aidé de son bon génie
qui lui inspira ce qu'il fallait faire , il leva soudain tous les obsta-
cles ; voici comment il dressa ses batteries :
Il avoit d'abord rejeté la mesure proposée par les commissai-
res, tendant à demander au conseil-général qu'il remît en d'au-
tres mains la conservation des dépôts; après y avoir mûrement
réfléchi, il trouva dans cette proposiiiou le moyen d'arriver à
son but.
Le 50 août à l'insu des commissaires , il se retire auprès du
conseil-général , c'était un instant avant la levée de la séance; Ip
moment élait favorable , il y avait peu de monde ; il prend la pa-
role, non pour parler dans le sens des opposans à l'adjonction,
mais , pour les dénoncer et les calomnier : « La majorité des mem-
(<) Ces brigauiis sans pudeur qui ont vendu leurs suffrages à Barrabas, se
nomment Duffori, Leclerc, Lenfant et Cailiy, placardés par la Commune et dé-
noncés à l'accusateur public ainsi que Barrabas et Sergent , pour raison des lar-
ciBs qu'ils eut curamis dans leur admiuistralion. Malgré les preuves multipliées
de leur forf.>i!ure, cette baucîe de voleurs r^'ste impimie; l'ac usaleur public
n'ose les poursuivre. Cette fiiiblesse des organes de la loi con'.re les spoliateurs
des deniers du peupk' , répond victorieusement à ceux qui soutiennent que nous
ne sommes pas dans l'anarchie. (iN'ofe de Marcandier.)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 1792 ). 187
bres du comité de surveillance sont ineptes , dit-il , ils ne mar-
chent pas; le j)lus grand désordre règne dans le comité. » Il ter-
mine la diatribe par demander que le conseil-général l'autorise
à s'adjoindre des membres, pour composer un comité à sa façon,
de gens dont il répondrait comme de lui-même. C'était une tour-
nure astucieuse par laquelle il revenait, malgré les commissaires,
au point d'où il était parti.
Le conseil-général prend aussitôt un arrêté conforme à la de-
mande de Barrabas; muni de cet arrêté , le voilà maître de tout.
Jusqu'à cette époque il avait affecté dans ses discours les grands
airs du désintéressement , et dans le cours de la discussion qui
eut lieu relativement à Tadjonclion , il disait à ses collègues , que
jamais il n'était entré dans les magasins où étaient les dépôts,
qu'il ne les connaissait pas. Le coquin ! l'imposteur! il les avait
tous vus, et déjà il avait fait enlever par des commis affidés,
nombre de procès-verbaux dont il tenait note exacte , pour sa-
voir combien il en restait et quels étaient ceux sur lesquels il lui
importait de mettre la main.
Dans les premiers temps , comme je l'ai observé ailleurs , Bar-
rabas et Sergent, son émule , affectaient de ne paraître que mo-
mentanément au comité; mais depuis le 15 août jusque après les
massacres , l'un et l'autre y vinrent régulièrement tous les jours ,
et ne désemparèrent plus que pour passer à la Convention cou-
verts de sang et chargés de vols. Les magasins de dépôts étaient
les salles mêmes des bureaux du comité de surveillance ; c'étaient
notamment dans ce bureau où étaient déposées les malles , boî-
tes, cartons, etc. , etc. 11 y avait en outre dans celte salle, une
ou deux grandes armoires qui étaient remplies d'objets pn'cioux.
Seulement on avait placé dans une chambre haute quelques ob-
jets peu dignes des hommes de proie , tels (jue pistolets, sabres ,
fusils, cannés ù sabre, etc.; Barrabas connaissait donc les dé-
pôts, il les avait donc vus, puisqu'il entrait chaque jour et à toute
heure dans les salles où ils étaient renfciines ; mais en adnivttant
qu'il les eût ignores, ce qui suit montrera qu'il ne larda point à
faire tirie intime connaissance avec eux.
■JcSS DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Le 31 août , en vertu de l'arrêté du 30 qu'il avait surpris au
conseil-général , i! mit les scellés sur le principal bureau du co-
mité de surveillance , où étaient précisément les dépôts précieux
qu'il avait dit ne pas connaître. 11 profita de l'absence des com-
missaires, et fit en sorte que les scellés furent apposés par lui
seul , et il les leva de même sans leur participation. Barrabas po-
sant et levant les scellés lui seul^ sans le concours d'aucuns té-
moins... quelle source féconde de reflexions! Quelle matière à
conjectures, surtout quand on se rappelle que Barrabas était jadis
avocat au Chàtelet , et qu'en celte qualité il ne pouvait ignorer
les lois (1). D'intelligence avec son digne ami Sergent, ils pri-
rent encore une mesure également hardie qui acheva de les rendre
maîtres absolus du bulin. Us couronnèrent l'œuvre en s'empa-
rant d'une quantité d'autres procès-verbaux qui, jusqu'alors,
n'étaient point tombés en leur puissance.
Des commissaires de section avaient déposé à la mairie des
procès-verbaux et des effets en tout genre , enlevés chez les per-
sonnes qi;e l'on jetait par centaines en prison (car dans ce mo-
ment les sections se mêlaient aussi du métier ; il y eut même des
arrestations faites par des quidam qui n'avaient point de mis-
sion). Plusieurs membres du comité de surveillance ayant vu,
ce qui s'appelle vu de leurs propres yeux , que Barrabas exerçait
un brigandage illimité, résolurent d'y mettre un frein. Au fui hI
à mesure que les procès-verbaux arrivaient, ils avaient la pré-
caution de les envoyer au bureau centi al , pour que les commis
prissent le soin de les mettre en ordre et que le chef de ce bu-
reau en répondît ; mais , avec l'arrêté du 30, que Barrabas inter-
prétait toujours suivant ses intérêts, il renversa encore cette
nouvelle barrière. Toujours à la hauteur de la révolution , il mit
les scellés sur le bureau cential comme il les avait mis sur le co-
mité de surveillance, chassa de ce bureau les commis qui ne nié-
(1) C'est sans doute cette espièglerie qui a donné lieu à l'arrêté de la Com-
mune en date du \0 mai , par lequel il est dit qu'à compter de septembre , il y
a eu bris de scellés, riolation, dilapidation de dépôts, fausses déclaraiions et
antres infidélités. (Note de Marcandier.)
JOCRNÉES DE SEPTEMBRK (1792). 189
ritaient pas tous de l'être, puisqu'il donna lui-même un certificat
de civisme à celui qui était à la tête du bureau central après l'en
avoir expulse. Dès-lors il ne restait plus avec lui que des hommes
sûrs dont il pouvait répondre comme de lui-même. De ce nom-
bre, étaient les administrateurs Leclerc , Lenfant , Gailly et Dut-
fort , trop intéressés au brigandage pour s'aviser jamais d'entraver
les opérations de Barrabas ; la certitude d'être admis au partage,
leur faisait contempler d'un œil complaisant les entreprises les
plus révoltantes , les attentats les plus horribles. D'un autre côté ,
le Prussien Marat, fiaîchement sorti de sa caverne, Jourdeuil le
grippe-sous, Duplain le banqueroutier et Deforgues autre fripon,
n'étaient pas gens non plus à contrarier Barrabas. On conçoit
donc aisément que cette monstrueuse association , dont l'en-
semble rappelait l'idée de tous les vices et de toutes les turpitu-
des, ne pouvait enfanter que de grands crimes, et c'est ce qui
est arrivé. Ce fut dans celte caverne que furent préparés les
massacres de septembre , ce fut dans cet abominable repaire que
fut prononcé rarrét de mort de huit mille Français, détenus la
plupart sans aucun motif légitime, sans dénonciation, sans au-
cune trace de délit , uniquement par la volonté et l'arbitraire des
voleurs du comité de surveillance.
Quelques jours avant les massacres, des membres du comité,
effrayés de cette violation des principes , touchés du spectacle
affreux d'une multitude de citoyens enfermés à la mairie, qui ré-
clamaient contre leur arrestation , et demandaient à grands cris
qu'on leur en fît connaître les motifs; ces commissaires, dis-je,
voulurent consacrer le jour et la nuit à les interroger, pour re-
mettre en liberté ceux qui étaient retenus sans griefs, et envoyer
en prison ceux qui étaient dans le cas d'être traduits devant les
tribunaux.
Dans le nombre de ces détenus , il y en avait plusieurs qui
('taient réclamés par leurs sections ; mais ils étaient riches , et aux
yeux de Barrabas c'était un crime qu'il ne pardonnait pas. Ils
ne furent point interrogés, il les envoya en prison sans aucune
formalité ; il éiaii nuisible à ses intérêts qu'oii les interrogeât ,
490 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
car, en remplissant celle formalité, il aurait fallu des motifs pour
les retenir, et ceux contre lesquels il n'y en avait pas recou-
vraient de droit leur liberté. Alors il fallait nécessairement leur
remettre leurs richesses; au lieu qu'en les faisant massacrer sans
rédaction de p; ocès-verbal , sans interrogatoire , il ne restait au-
cune trace ni des personnes ni des choses ; il fermait la porte à
toutes les réclamations , ce qui le laissait fort à son aise pour se
mettre impunément en possession de l'hérédité vacante, ou, pour
me servir d'une expression ti iviale , il était à même de pêcher en
eau trouble.
Le 2 septembre , on apprend que la ville de Verdun est prise
par les Prussiens qui , ajoutent les colporteurs de cette nouvelle,
s'y sont introduits par la trahison des V^erdunois, après une ré-
sistance simulée de leur paît. Aussitôt on lire le canon d'alarme,
la générale bat et le tocsin sonne. Des municipaux à cheval cou-
rent sur les places publiques, confirment celle nouvelle , font des
proclamations pour exciter les citoyens à marcher contre l'en-
nemi.
Au premier coup de tocsin , chacun se demandait avec raison
pourquoi, au moindre danger, on se complaisait à jfter ainsi l'a-
larme dans Paris, et à frapper de terreur tous ses habitans. Loin
d'entretenir dans leur ame cette mâle énergie qui convient à des
guerriers et assure le gain des batailles, n'était-ce pas en effet un
moven puis^nnl d'énerver leur courage? Mais ceux qui ne con-
naissaient pas le secret des conjurés furent bientôt instruits par
leur propre expérience. 0 jour de deuil et d'opprobre! C'étoit
à ce signal que devaient se réunir les assassins qui se portèrent
aux prisons; c'élaii !e prélude du plus affreux carnage.
Les brigands distribués par bandes se portent aux prisons ; aux
unes ils fracturent les portes, aux autres ils se font livrer les
clefs et s'emparent des victimes que le comité de surveillance y
avait amoncelées pendant quinze jours.
Ces assassins armés de sabres et d'instrumens meurtriers, les
bras retrousses jusqu'aux coudes, ayant à la main des listes de
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 1792 ). 191
proscription dressées quelques jours auparavant, appelaient no-
minativement chaque prisonnier.
Des membres (lu conseil-fjénéral, revêtus de l'echarpe trico-
lore, et d'autres particuliers s'établissaient au guichet dans l'in-
térieur de la prison. Là était une table couverte de bouteilles et
de verres, autour étaient groupés les prétendus juges et quelques-
uns des exécteurs de leurs sentences de mort. Au milieu de la
table était déposé le registre d'écrou.
Les assassins allaient d'une chambre à l'autre, appelaient cha-
que prisonnier à tour de rôle , puis le conduisaient devant le tribu-
nal de sang qui lui faisait ordinairement cette question : Qui ètes-
vous? Aussitôt après que le prisonnier avait décliné son nom, les
cannibales en écharpe inspectaient le registre , et après quelques
interpellations aussi vagues qu'insignifiantes, ils les remettaient
entre les mains des satellites de leurs cruautés, qui les condui-
saient à la porte de la prison, où étaient d'autresassassinsqui les
massacraient avec une férocité dont on chercherait en vain des
exemples chez les peuples les plus barbares (1).
A la prison de l'Abbaye ils étaient convenus entre eux que
toutes les fois que l'on conduirait un prisonnier hors du guichet
en prononçant ce mot: à la Force, ce serait ré(iuivalent d'une
sentence de mort. Ceux qui remplissaient à la Foice le même
emploi, c'est-à dire le métier de bourrtau, étaient convenus de
même qu'en prononçant ce mot : à l'Ablmije, cela voudrait dire
qu'il fallait donner la mort au prisonnier , qu'il était condamné.
Ceux qui étaient absous par le sanglant ti ibunal, étaient mis en
lii ertéet conduits à quelque distance de la prison , au milieu des
cris de vive la nation (2) /
<i) h'Agoniedetrente-lmit heures de Jouruiac Saint-Méard, détenu ii PAb-
haye, nous dunoe sur celle prison des détails que le passe sous silence, parce
qu'ils sont déjà connits et qu'on peut les lire daus son éciit. (i\. de Marrandier.)
(2} Peu furent mis eu libertc*. Le ciloyeu Bonneville, peintre, me raconta
qu'étant allé h l'Abbaye pour récl;imer trois personnes ; k-s soi-disant juges se ré-
crièrent sur le uoiubre trois; c'est beJucoup, disaient-ils. Mais ih sont inno-
cens , répliqua Bonneville. Attendez, continua le président .-je vais donner un
08 à ronger à ceux qui sont à la porte, et je voua satisferai ensuite. Ce fut l'abbé
\9à DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
L'assemblée législative députa plusieurs de ses membres, qu*elle
chargea de rappeler à ia loi les brigands qui s'en écartaient
d'une manière aussi atroce; mais que pouvait le langage de la
raison et de la morale sur des assassins altérés de sang, et la plu-
part plongés dans la plus crapuleuse ivresse? Cette mesure était
insuffisante; toute harangue devenait vaine, attendu que pour
dompter des tigres il lallait de la force armée, il fallait que l'as-
semblée sortît tout entière, et qu'elle vînt former autour de cha-
que prison un rempart inexpugnable. Ils repoussèrent par des
menaces tous les avis et les conseils de paix qui leur étaient por-
tés. L'abbé Fauchet, évéque du Calvados, membre de la députa-
lion , fut menacé , injurié, et peu s'en est fallu que de la menace
on n'en vînt aux coups ; il vit l'insiant où les assassins allaient les
comprendre au nombre de leurs victimes. Il se relira, et vint
rendre compte à l'assemblée qui était elle-même dans la stupeur
et l'avilissement, menacée d'une dissolution toiale par l'infâme
Robespierre, qui exerçait une tyrannie sans bornes dans Pa-
ris (1).
Les prêtres renfermés dans l'église des Carmes , furent tous
massacrés à l'exception d'un seul; on les faisait sortir les uns après
les autres et souvent deux ensemble. D'abord les assassins les
tuèrent à coups de fusil ; mais sur l'observation d'une multitude
de femmes qui étaient là présentes , que celte manière était trop
bruyante, on se servit de sabres et de baïonnettes. Ces malheu-
de Rastiguac qui fut massacré en cet instant, et les trois personnes que Bonne-
ville demandait lui furent rendues. (Note de Marcandier.)
i. i ) Voyez l'accusation du député Louvet contre Robespierre , publiée dans les
premiers temps de la conyention ; la Conduite que ce faux patriote a tenue à l'é-
gard de l'assemblée législative, y est montrée au grand jour. On voit un con-
spirateur audacieux , qui voulait asseoir la dictature sur les débris de la repré-
sentation nationale; cependant Robespierre ne cesse de parler de ses vertus ci-
viques , de son désintéressement, et si on veut l'en croire, personne n'est moins
ambitieux que lui. Ce misérable quitta la place d'accusateur-public au tribunal
criminel de Paris , pour vivre, disait-il , dans la retraite ; il avait imprimé qu'il
n'était point intrigant, qu'il ne voulait aucune place, qu'il n'en accepterait au-
cune , et tout à coup il fut se nicher dans le conseil-général de la Commune et
de-là au Capitole ; du Capilole, quel saut fera-t-il?... Consultez l'bistoire , elle
vous nppi'endra ce que devenaient les ennemis du peuple romain. (IW de Marc. )
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 493
reuses victimes se prosleinaient nu milieu de la cour et se recueil-
laient un insiantj abandonnés de la nature entière, sans appui,
sans consolation autre que le léuioijjnage de leur conscience, ils
élevaient les yeux et les mains vers le ciel, et semblaient conju-
rer lÉire-Suprème de pardonner à leurs assassins. Le seul qui
échappa à leur fureur s'était caché dans un lieu dérobé; deux
gardes nationales l'aperçoivent ; ce p'êlre vénérable courbé
sous le poids des années, les cheveux blanchis par la vieillesse,
tombe à leurs genoux, les yeux bagnes de larmes, il invi que
leur appui, il leur parle d'humanité. Ce beau sentiment ne leur
était pas imonnu ; ils ne s'étaient glissés parmi les assassins que
dans l'espérance de leur arracher quehjues victimes; mais, hé-
las! en lui sauvant la vie ils s'exposaient de tomber à sa place.
Cependant, leur résolution fut aussi piompte que le péril était
imiuineut. « Pienez mon fusil, lui dit l'un d'eux, et suivez-nous,
» en traversant la cour ensemble, nous crierons i^iiie /a »a/ion/
» les assassins croiront que vous êtes de l'expédition ; » ce stra-
tagème heureux mille vieillard hors de tout soupçon; il traversa
la cour et sortit de la foule sans être connu.
Et vous, partisans de ces massacres , conjurés féroces qui n'a-
vez cessé de tromper la multitude crédule, direz-vous qu'il était
imi)Ossib!e d'arrêter le bras des assassins? Direz-vous qu'il n'était
point en votre puissance de les réprimer? Vous avez dit aux dé-
partemens, par l'orgime imposteur de vos commissaires, que
vous n'aviez pu arrêter la co'.ère du peuple. Malheureux! vous
prostituez le nom du peuple, vous ne l'invoquez que pour le dés-
honorer et couvrir vos turpitudes et vos crimes! Était-ce donc
lepiuple qui commettait ces forfaits exécrables? Non, il gémis-
sait en silence ; c'est vous, administrateurs féroces, qui, d'intelli-
gence avec le conseil-général de la Commune et le ministre Dan-
ton, avez tout préparé, tout fait exécuter. C'est vous qui avez fait
commeitre tous ces crimes par un petit nombre d'alïidés, afin de
vous enrichir des d('pouilles sanglantes de vos nombreuses vic-
times; c'est vous qui avez fait de Paris le coupe-gorge du riche,
te préparé la misère du peijple en l>i'!'^:anf tons les lions sociaux,
T. xvm. 1"»
194 DOCUMENT COMPLÉMENTAIRES.
en tarrissant tous les canaux de la circuiaiion , en délrulsant la
confiance publique si nécessaire , si indispensable à la prospérité
commune et au bonheur de tous.
S'il n'était pas prouvé qu'à vous seuls appartient l'opprobre des
premiers jours de septembre, je vous rappellerais deux faits que
vous ne pouvez nier. Je vous rappellerais ce paiement de 850 liv.,
iait par ordre du conseil-général , au marchand de vin qui four-
nissait vos assassins à la Force pendant leur horrible exécution ;
je vous rappellerais le comité de surveillance , louant la veille du
massacre les voitures qu'il destinait, et qui ont servi à conduire à
|a carrièie de Charenton les cadavres de septembre.
Mais tous ces crimes sont attestés par des milliers de témoins,
et s'ils ne l'étaient pas, on aurait encore le droit de vous punir de
votre inaction criminelle.
Pourquoi, après vous être emparé de tous les pouvoirs, n'en
avez-Yous point fait usage pour tempérer la fureur des assassins?
Quel mouvement vous êtes - vous donné ? Quelle mesure avez-vous
prise pour arrêter l'effusion du sang? Lorsque des citoyens ac-
cablés de douleur se sont présentés au conseil-général pour es-
quisser ce tableau hideux etdéchiiant , que leur a-t-on répondu?..
Juste ciel! je frémis d'y penser. Plusieurs de ces tigres ont ap-
plaudi. Le commandant général a-t-il été requis de donner les or-
dres à la garde nationale? Non, et ce fait est prouvé. Sanlerre
osa dire qu'il avait requis la force armée; mais tout dément son
assertion. Roland, le seul Roland , l'objet des calomnies et des
persécutions de tout ce qu'il y a de vil, d'assassins et de voleurs
en France, fut l'unique dans Paris qui osa lever une têtealtière,
et rappeler à leur devoir les autoi ités perfides et criminelles qui
encourageaint les massacres par leur immobilité.
Si la force armée eût été requise, ne se serait-il point trouvé
dans la garde nationale un nombre suffisant de bons citoyens pour
repousser, pour anéantir même une poignée d'assassins qui,
par la seule crainte du châtiment que la justice inflige au crime,
se seraient hâtés de prendre la fuite au moindi-e mouvement ré-
pressif?
JOURNÉES DK SKPTKMÏ'.UK ( 1792 ). lîV)
Je présume plus favorablement des Parisiens. Il n'est pas per-
mis de prétendre que la garde nationale tout entière amaii aban-
donné lâchement la vie de plusieurs milliers d'hommes, que son
devoir et ses sermens, d'accord avec les principes de l'humanité
et de l'éternelle justice, lui commandaient de défendre.
Si la garde nationale eût été requise , si on l'eût commandée
au nom de la loi , que des chefs perfides et sanguinaires s'appli-
quaient à paralyser, combien elle eût été forte et courageuse; elle
se serait levée tout entière ; mais , cette garde nationale, dont la
masse est resiée pure au milieu de tous les genres de corruption
et de brigandage , n'a-l-elle pas craint qu'on l'accusât d'avoir agi
sans réquisition (1)? n'a-t-elle pas craint qu'en voulant punir le
crime, on l'accusât elle-même de s'être rendue criminelle; retenue
par ces motifs , elle est restée immobile.
J'ai vu la place du Théâtre-Français couverte de soldats que
le tocsin avait rassemblés, je les ai vus prêts à marcher, et tout à
coup se disperser, parce qu'on était venu trait reusemeut leur an-
noncer que ce n'était qu'une fausse alerte, que ce n'était rien. Ce
n'était rien , grands dieux ! Déjà la cour des Carmes et celle de
l'Abbaye étaient inondées de sang, et se remplissaient de cada-
vres. Ce n'était rien !
J'ai vu trois cents hommes armés, faisant l'exercice dans le
jardin du Luxembourg, à deux cents pas des prêtres que l'on
massacrait dans la cour des Carmes ; direz-vous qu'ils seraient
restés immobiles si on leur eût donné l'ordre de marcher contre
les assassins?
Aux portes de l'Abbaye et des autres prisons, étaier.t des
(4) Celle crainte mal fondée prend sa source dans l'ignorance de nos droits et
de nos devoirs. La déclarali )n des droits , quelque inlerpréialion qu" on lui
donne, ne dit pas d'attendre la réquisition des autorités quand le danger prosse ;
souvent les magislrals ressemblent à ces médecins négiigens, qui apportent au
malade le remède après la mort. C'est au moment, et non après le péril , que
nous nous devons des secours réciproques et une assistance mutuelle Par exem-
ple, lorsque l'incendie commence quelque part, tout le monde s'y porte pour
en arrêter les progrès, on n'attend pas de réquisition. Lors des massacres de sep-
tembre lescit'jjens attendaient le signal des magistrats, tandis qu'ils aur icnt du
fondre le pistolet et le sabre à la main sur les massacreurs et les tailler en pièces.
(yote (le Morrnndter.)
IfM) DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
épouses épîorées redemandant à {grands ci'is leur époux , qu'une
lin tragique venait de séparer d'elles ; d'autres avaient la dou-
leur de les voir massacrer à leurs pieds.
'Le même carnage, les mêmes atrocités se répétaient en même
temps dans les prisons et dans tous les endroits où gémissaient
les viciimes du pouvoir arbitraire; partout on exerçait des cruau-
tés toujours accompagnées de particularités plus ou moins
douloureusement remarquables.
Au séminaire de Saint-Firmin, les prêtres que l'on y retenait
en charte privée attendaient paisiblement, comme les autres prê-
tres détenus aux Carmes, que la municipalité de Paris leur indi-
quât le jour de leur départ, et leur délivrât des passe-ports (1 )
pour sortir de France, aux termes d'un décret tout récent qui
leur faisait cette injonction en leur accordant trois livres par jour
pendant leur voyage ; il est incontestable qu'il n'a tenu qu'aux
autorités du jour que ce décret eût son exécution avant les mas-
sacres; mais les prêtres détenus étaient désignés et réservés
pour ce jour. Ils furent mutilés et déchirés par lambeaux. A
Saint-Firmin, ils trouvèrent plaisant d'en précipiter quelques-
uns du dernier étage sur le pavé.
A l'hôpital général de la Salpêtrière, ces monstres ont égorgé
treize femmes , après en avoir violé plusieurs.
A Bicêtre, le concierge, voyant arriver ce ramas d'assassins,
voulut se mettre en mesure de les bien recevoir , il avait braqué
deux pièces de canon , et dans l'instant où il allait y mettre le
feu il reçut un coup mortel ; les assassins vainqueurs ne laissè-
rent la vie à aucun des prisonniers.
(1) Les coquins qui se servent du peuple comme d'un inslrument servile,
(ju'ils briseraient bienlôt s'ils pouvaient s'en passer, n'ont pas manqué dans leurs
populaires flagorneries , de présenter l 's cinq jours de septembre C( mme un
grand acte de jus'ice exercé par le peuple esclusivemeat sur les coupal)les. On
titait pinirtant si éloigné de croire que les prêtres étaient coupables, qu'il ue fut
pas question un seul instant de faire U procès à aucun ce ceux qui étaient sé-
qu strés à Saint-Firmin et aux Cannes. Leur déteniion n'élait que provisoire ;
elle devait cesser au momeot (.ù , munis de passe-porU, ils auri'.ieut pu sortir de
France. C'était uniquenieut , disail-ou , une mesure de sùre'.é que l'on preuait à
leur égard, alin que le décret ne fut point illusoire. On n'avait donc jamais
pensé qu'ils fussi-nt coupables. (ï^otr de Marcamlier.)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 4792 ). 197
A la prison du Chàtelet même carnage, même tërocilé; rien
n'échappait à la rage de ces cannibales , lout ce qui était prison-
nier leur parut digne du même traitement.
A la Force ils y restèrent pendant cinq jours. Madame la ci-
devant princesse de Lamballe y était retenue; son sincère at-
tachement à l'épouse de Louis XVI était tout son crime aux yeux
de la multitude. Au milieu de nos agitations elle n'avait joué
aucun rôle, rien ne pouvait la rendre suspecte au peuple, à
qui elle n'étailconnue que par des actes multipliés de bienfaisance.
Les écrivains les plus féroces, lesdéclamateuisles plus fougueux
ne l'avaient jamais signalée dans leurs feuilles.
Le 5 septembre on lappelie au greffe de la Force, elle com-
parait devant le sanglant tribunal composé de quelques particu-
liers. A l'aspect effrayant des bourreaux couverts de sang, il
fal'ait un courage surnaturel pour ne pas succomber. Fieffé ,
greffier de la Force , nommé par la Commune, lui fait quelques
questions; elle ranime ses forces abattues, et répond de maîiière
à prouver que sa détention est l'effet de la prévention la plus
cruelle (1).
Les exécuteurs féroces attendaient leur victime à la porte, im-
patiens de ne point la voir paraître» ils l'appelleni plusieurs fuis ;
elle larde, on l'appelle encore; enfin les assassins se présentent,
ils s'en emparent et l'entraînent au supplice.
Plusieurs voix s'élèvent du milieu des spectateurs et deman-
dent grâce pour madame de Lamballe. Un instant indécis, les
assassins s'arrêtent ; mais bientôt après elle est frappée de plu-
sieurs coups, elle tombe baignée dans son sang et. elle expire.
Aussitôt on lui coupe la tête et les mamelles, son coi ps est
ouvert, on lui arrache le cœur; s;x lète fut ensuite portée au
bout d'une picjue et promenée dans Paris , à quelque distance on
traînait son corps.
(1) Fieffé m'assui», en me monlraul l'esjjèce d'iaterrr.gatoire qu'il avait lait
subir à niadanic do Lanil)allfi , qu'il n'y avait absolument amun grief contre elio;
fl'autres dirent (|iie d'Orléans lui payait une rente considérable , et qu'en la fai-
sant assassiner la rente était éteinte. 'iSokdr MdyffinJ'Kr.)
Jii8 DOCUilEiSS COMPLÉMEXTAIRES.
Les tigres qui venaient de la déchirer ainsi , se sont donné le
plaisir barbare d'aller au Temple, montrer sa tète et son cœur à
Louis XVI et à sa famille ( i ).
Tout ce que la férocité peut produire de plus horrible et de
plus froidement cruel fat exercé sur madame de Lamballe.
Il est un fait que la pudeur laisse à peine l'expression propre à
le décrire; mais, je dois dire la vérité toute entière et ne me
permettre aucune omission. Lorsque madame de Lamballe fut
mutilée de cent manières différentes , lorsque les assassins se fu-
rent partagé les morceaux sanglans de son corps, l'un de ces
monstres lui coupa la partie virginale et s'en fit des moustaches,
en présence des specîateurs saisis dhorreur et d'épouvante.
A la Conciergerie était une femme connue sous le nom de bou-
quetière du Palais-Royal , elle était condamnée à perdre la vie.
La procédure instruite contre elle était viciée de plusieurs nul-
lités qui la rendaient sujette à cassation. Le tribunal de cassation
avait prononcé, et renvoyé, afin d'instruire de nouveau devant
un tribuial qui devait en connaître. Le chef d'accusation porté
contre elle était certain , il est vrai ; par un mouvement de fureur
jalouse elle avait fait de son amant un nouvel Abeilard, et cette
amputation cruelle avait causé sa mort. On l'amène au guichet ;
soudain elle est frappée , elie tombe étant encore en vie ; on se
sert d'un mauvais couteau pour lui couper les mamelles. Après
cette barbare et douloureuse incision, on lui passe dans la ma-
trice un bouchon de paille qu'on ne lui ôte que pour la fendre
d'un coup de sabre ; elle expire dans ce tourment cruel au milieu
de celte dissection effroyable, en frappant les airs de cris lamen-
tables; et loin que ce genre de supplice inconnu jusqu'à nous,
touchât les spectateurs, ils encourageaient les assassins par des
applaudisseaiens répétés , par des bravos féroces. On remarqua,
i , Ils poussèrent plusloiu l'eicès do leur barbare jouissance. Ils furent chez
une femme de cbau-bre de Marie-Antoinetie ; une jeune personne de dix-liuit
aosfe présente à eus: à peine aperçoit-elle la tète de madame de Lamballe^
qu'elle tombe évanouie , eî il fut impossible de lui arracher une seule parole ;
elle resta buit jours dans cette situation déplorable , au bout desquels elle raou-
ra!, , \ofe de Marco.nâkr,"^
JOURNÉES 1)£ SEPTEMBRE (1792 ). 199
dans la cour du palais, un individu tenant un jeune enfant par la
main , il le conduisait sur les cadavres, et lui en fit mordre plu-
sieurs , afin d'apprendre à cet enfant à devenir barbare et san-
guinaire. 0 nature ! quels monstres as-tu vomis sur la terre !
M. 3Iontmoiin, gouverneur de Fontainebleau, accusé et détenu
dans celte prison , avait été jugé et déchargé d'accusation par le
tribunal du 17 août sur la déclaration du juré de jugement. Des
hommes apostés à l'audience, des scélérats altérés de sang vou-
lurent le massacrer en présence des juges; Osselin, président du
tribunal le prend sous sa sauvegarde, il le reconduit en prison
et l'écroue de nouveau. Le tribunal en réfère à l'instant au mi-
nistre de la justice et au comité de législation de l'assemblée ;
le comité fut d'avis que M. Montmorin, légalement acquitté , de-
vait être mis en liberté ; mais en considérant les suites funestes
que pouvait avoir la fureur délirante des antropophages attrou-
pés devant la prison, le comité pensa qu'il était prudent, pour
la sûreté personnelle de M. Montmorin, de le tenir en prison jus-
qu'à ce que la fureur fut calmée; mais Danton pensait autre-
ment, en dînant à l'hôtel de l'intérieur avec Roland et les autres
ministres, il prolesta que M. Montmorin serait puni; cependant
il était légalement acquitté de l'accusation intentée contre lui , et
la loi défend d'exercer aucune nouvelle poursuite pour le même
délit, fùt-il prouvé, quand le délinquant a été acquitté ; mais
Danton, le Néron de nos jours, ce tigre altéré du sang de ses
concitoyens, voulait que M. Monlmori» fût massacré; en effet,
ce fut la veille du massacre qu'il tint cet horrible langage, et
M. Montmorin fut le premier qui tomba sous le fer des assas-
sins qui se portèrent à la Conciergerie; criblé de coups et cou-
vert de blessures , il se releva plusieurs fois et fut mourir à l'ex-
trémité de la cour, à une dis lance assez éloignée de l'endroit où
il avait reçu le premier coup.
La menace de Danton de faire punir un homme que la loi avait
absous, et qu'en sa qualité de minisire de la justice i! aurait dû
défendre, me rappelle la conduite qu'il a tenue à l'égard d'un de
sesparens; les plus difficiles à convaincre ne pourront se dissi-
20U DOCUUUNS COMPLÉMKNTAIRES.
miiler, par la narration des faits, que Danton était le chef su-
prêiiie des assassins.
A Sainie-Pélagie était renfermé un sieur Godot, autrefois re-
ceveur des traites au port Sainl-Paul. Ce pariiculier, parent de
Danlon, était consîilué prisonnier à la requête de la fenne-^dné-
rale, envers l;ique!le il était débiteur d'une somme de 500,000 li-
vres par suite d'exactions diais sa recette, et pour diverses opé-
rations cauteleuses qu'il avait faites avec des escrocs de tout
genre qu'il s'était associés ; Originairement il éiail détenu à la
Concierfferie , d'où il fut tran féré. Godot se disposait à présen-
ter une requête au tribunal saisi de son affaire , afin d'obtenir sa
liberté provisoire. Six jours avant le massacre, Danton lui fit
dire à Sainte-Pélagie, qu'il fût tranquille, qu'il ne fallait pas pré-
senter de requête, que sous peu de jours il aurait sa liberté dé-
finitive. En effet, le jour du crime irrive, Godot est mis en liberté,
comptable envers la nation d'une somme énorme (celle somme
par les décrets se trouve réversible au Trésor public), il court
tranquillement tout Paris, tandis qu'à ses côtés et sous ses yeux
il a vu massacrer tous les autres prisonniers. Je ne prétends pas
dire qu'il fallait ajouter encore cette victime aux autres; loin de
moi ce vœu barbare, j'ai trop en horreur les assassinats, le sou-
venir affreux des massacres me déchire le cœur ; niais je ne puis
penstT à ces jours de carnage sans voir dans ce fait la preuve des
foifaiis de Danton; car, si les victimes n'eussent été marquées
d'avance, comment Godot aurait-il pu échapper, tandis qu'ù
ses côtés et sous ses yeux il a vu égorger ;!e ma' heureux prêtres
pour avoir refusé de prêter un sei ment qu'on voulait leur arra-
cher par la violence, et qu'une loi fonnelle et récente leur
laissait le droit de refuser (1).
Il suffît de rapprocher la menace de Danton de l^ire punir
M. Montmorin, légalement acquitté, de l'avis qu'il donne à son
(i) Les prêtres qui avairni refusé leur serment étaient déjà punis parla pri-
vatinn rie leurs liénefices; toute autre pe ne qu'on aurait \ouiu leur iiiflifier de-
venait une véMlable persécution. Je ne saurais mieux ciuiiparer la conduite que
l'on a tenue depuis à leur égard qu'à larévocaiion de l'édit de Nantes.
lYofc df Marcandier.)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792). 201
parent que dans peu de jours il sera libre : il ne faut pas, dis-je,
de réflexion bien profonde pour se convaincre que Danton et ses
satellites s'étaient arrogé le droit de vie et de mort sur les pri-
sonniers, que d'une main ce moderne Sylla dirigeait la hache des
assassins, et de l'autre signait des lettres de grâce à sps protégés.
La preuve de ce fait se fortifie davantage encore, quand on se
rappelle Camille Desmoulins, secrétaire du sceau, disant à qui
voulait l'entendre la veille du massacre, que, de concert avec
Danton et dÉglaniine, secrétaire du département de la justice,
ils avaient pris de grandes mesures qui sauveraient la France.
Que serait-ce donc pour confondre Danton et lui arracher le
masque hypocrite dont il se couvre , si j'allais rappeler qu'à
l'exemple des ministres de l'ancien régime, qu'il accusait sans
cesse de vols et de rapines , il est sorti du minislère sans rendre
ses comptes à la nation, comme Monlmorin, Latour-Dupin, Les-
snrt, et tant d'autres ennemis du peuple qui n'en rendaient au-
cun.
Que serait-ce, si pour prouver qu'il est l'ennemi juré du peuple,
j'alais rechercher sa conduite dans la Belgique, ses intelligences
aver; Dumourier dont il faisait l'éloge à la Convent'on , dans l'in-
stant même où ce général perfide conspirait ouvertement contre
la liberté publique.
Que sera' t-ce si j'approfondissais lesdéclaraiions'de Miaczinsky,
coup:ib'e sans doute, mais dont on s'est bien gardé de prolonger
la vie, de crainte d'obtenir des révélations utiles à la patrie.
Que serait-ce si, jetant les yeux sur les débris enflammés de la
ville de Lyon, je trouvais dans une lettre écrite par Danton à
Dubois-Crancé, le résultat des conseils atroces qu'il lui donne
de réduire cette ville en cendres, afin de régner sur ses débris
fumans, comme cet empereur qui naguère, lors de l'insurrection
des Belges, e'crivait au général Dalton de brûler la Belgique, ajou-
tant qu'il aimait mieux régner sur des villes incendiées que sur
fies peuples rebelles; quelle différence les Lyornais pouji'ont-
ils fuire d(isorinais d'un empereur autrichien d'avee un député
semblable à Danton /
20^ DOCCMENS COMPLÉMENTAIRES.
Que serait-ce si le peuple français, frappé d'aveuglement jus-
qu'à ce jour, allait enfin reconnaître que Danton est un conspi-
rateur féroce, l'assassin du peuple de Lyon; que linvilaiion bar-
bare qu'il fait à Dubois-Grancé, de s'ouvrir un passage à travers
les décombres de cette cité opulente, n'est autre chose qu'un
projet concerté de faire périr sur l'échafaud les plus riches
commerçans de cette ville, afin de s'emparer de leurs trésors?
Suffit-i'ià ce monstre d'avoir désavoué cette lettre déjà réahsée?
Suffit-il que Barrère ait douté qu'elle fût de Danton , pour que
la France soit obligée de les en croire l'un et l'autre sur parole?
Que seraii-ce si, je reprochais à Danton que les chevaux, qu'il
attache à son char ont été volés dans les écuries ci-devant royales,
tandis qu'ils devaient être vendus au profit de la nation.
Que serait-ce si , remontant à la source de sa fortune, je dé-
couvrais au peuple un homme noyé de dettes avant le 10 août
1792, et, immédiatement après cette époque , renonçant à toute
pudeur, étaler en public un faste insultant à la misère commune,
et chez lui un luxe asiatique.
Que serait-ce si, l'interpellant de déclarer comment , et par
quels moyens sa fortune s'est subitement accrue et d'une ma-
nière incalculable , avec quel or il a acquis des domaines considé-
rables et avantage sa femme de sommes énormes , lui qui n'au-
rait pu, il y a u:i an , lui apporter en dot qu'une longue liste de
créanciers; que serait-ce, dis-je , si Dantou, interpellé sur tous
ces faits en présence du peuple, ne pouvait rien répondre de
plausible? Mais laissons à part les rapines et revenons aux mas-
sacres.
En même temps que Danton donnait des lettres de grâce à son
parent, d'Églantine eu ilounait aussi à sa servante, qui était dé-
tenue à la Conciergerie. 11 lavait accusée de vol, et véritablement
elle lui avait déroiié quelques effets; mais l'accusation qu'il di-
rigea contre elle, lui servit à couvrir une infâme escroquerie,
dont il s'était rendu coupable envers une jeune personne qu'il
avait eue pour maîtresse.
Camille-Desmoulins, de son côté, fit sortir de la Force, la veille
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 205
du massacre, un prêtre de ses amis ; pourquoi misérables , puis-
que vous étiez les dispensateurs de la vie de nos concitoyens^
n'avez-vous sauvé que ces trois individus? Si vous eussiez fait
usaj';e de votre puissance pour sauver tous les autres , on eût
jeté avec horreur, sans doute, mais enfin, on eût essayé de
jeter un voile sur les larcins de tout genre dont Paris entier vous
accuse.
Panis , Duplain et Leclerc , ne voulurent pas non plus que
cette époque sanglante devînt funeste à leurs amis. A l'exemple
de Danton, qui exerçait une dictature anticipée ditns Paris, iis
partagèrent ce pouvoir suprême avec lui. Un sieur Daubigny,
convaincu par la section des Tuilleries d'avoir volé plusieurs ob-
jets d'or et d'argent massife, chandeliers d'or, etc., fut mis en
liberté le2 septembre à huit heures du malin, en vertu d'un man-
dat de délivrance, signé Panis, Duplain et Leclerc; Marat, l'ami
et le complice des assassins et des voleurs , accordait sa protec-
tion spéciale à ce Daubigny , qui en était bien cligne sous tous les
rappoiis ; il fut le visiter le jour ou la veille du massacre à la
Force lî).
Je souffre d'être contraint de placer Manuel au rang des as-
sassins de septembre, et d'avoir contre lui un fait qui prouve
(|u'il était initié à ces mystères d'iniquité; je ne puis concevoir,
comment l'auteur de La Police dévoilée a pu s'associer aux for-
faits d'une poli ;e plus révoltante et plus atroce que celle dont il
nous avait fait connaître les attentats ; mais il n'est pas de mon
sujet d'épargner personne. Le jour du carnage au matin il fui à
l'Abbaye, où Beaumarchais était détenu après avoir passé trois
jours entre les griffes des vautours du comité de surveillance; il
le remit en liberté. Vous m'avez cru votre ennemi, lui dit-il, vous
reconnaîtrez plus tard le contraire.
J'ai entendu des êtres immoraux , incapables d'aucuns de ces
beaux senliuieus dont les honmies s'enorgueillissent et s'hono-
rent , faire éclater une joie barbare au récit de ces atrocités , et
(I) Celait est aiillienlique, il est prouvé par la décLiratiou du coucierge, ap-
puyée de la vérificatioti do '•es rf^isfres. ( Noie de M(n\ap.(!a'r. )
204 bOCL'HENS COMPLÉllEMT AIRES.
faire une apologie pompeuse du bou ordre dans lequel tout
s'était passé. (J).
II est vrai que nombre de prisonniers prévenus de vol et d'as-
sassinat ont été mis à morl; mais ce n'éiait pas directement contre
eux que les conjurés voulaient diriger leurs coups; ils ne furent
le prétexte du massacre que pour confondre parmi eux les dé-
tenus pour leurs opinions, dont la fortune et les richesses étaient
ensevelies au comité de surveillance. Et bien encore, qu'il y ait
eu des voleurs et des assassins dans les prisons, que devient ce
passage de notre Déclaraiion des Droits : Nul n'est présumé coupa-
ble avant la condamnation? Que devient cette maxime révérée
même par les Parlemens et sous le despotisme des rois : il vaut
mieux faire grâce à cent coupables que d'immoler un innocent!
Celui qui périt au milieu d'une émeute a plutôt l'air d'une vic-
time que d'un coiip.ble ; et fùt-il souillé de tous les crimes, il
est à peine immolé que sa mort l^it oublier sa vie ; mais , je le
répèle, s'il n'y avait eu que des voleurs et des assassins dans les
prisons, on eût laissé à la justice son libre cours, c'étaient les
citoyens détenus pour leurs opinions que la liordebarbare voulait
faire massacrer; c'c^laient les riches quils voulaient dépouiller,
('etie triste vérité est consignéed'unemanièrebien frappante,
dans une lettre adressée par les administrateurs du comité de sur-
veillance à tous lesdépartemens, dans laquelle on lit celte phrase,
qui ne serait pas autrement tracée par la griffe d'un Léopard.
t Le peuple a mis à mort les conspirateurs féroces qui étaient dans
» ses prisons , nous invitons nos frères des départemens à suivre
» cette mesure de salut public (2). >
On voit par cette lettre que les brigands du comité de surveil-
lance ne font aucune mention des prisonniers prévenus de vol et
d'assassinat, et qu'ils appellent exclusivement l'attention des dé-
H) Quel l)nn ordre, qu^iud ou y peuse! Lanievette, Dunau et Delaanny, trai-
teur, rue du Ttiéàtre-Français, accusés de faLrication et d'émission de faux assi-
gnats, trcuvèn nt le moyen de s'échapper. (INofe de Marcandier.)
(2) Celle provocation au meurtre é!ait signée Pnnis, Sergent, ^larat, Pierre
Dupliiix , Leclerc , Guermeure, etc., ce deinier signataire fut choisi pour porter
cftte le'tre dans les départemens, et répandre la doctrine du comité de septembre.
JOURNÉES DK SEPTEMBRE ( 179i2 ). 205
partemeiîs sur des hommes qu'ils qualifient de conspirateurs fé-
roces; sur des hommes arbitrairement arrêtés et détenus sans
preuves, sur des hommes que le peuple ne connaissiit pas et
dont il i{Tiiorait même l'existence et l'incarcéraiion ; on vo't enfin
qup, pour rendre leurs crimes moins abominables aux yeux des
Fiançais et de l'Europe eniièie, ils voulaient que leurs fières
des déparlemens les partageassent avec eux et imiiassenl leur
exemple, afin d'avoir la ressource de dire que c'était une insur-
rection. OCains de noire siècle ! vous avez été trompés dans votre
atlente; les Français vous ont en horreur, les Parisiens s'éclairent
et vous maudissent, en attendant l'heureux jour où la loi, tiiom-
phant de l'anarchie, appesantira son glaive vengeur sur la tête
des coupables.
Le premier septembre, les administrateurs du comité de sur-
veillance eurent grand soin de tapisser les rues de placards in-
cendiaires, dans lesquels ils semèientleur doctrine et leurs prin-
cipes, afin de disposer les esprits en faveur des massacres, ainsi
qu'à la dictature que Marai osa proposer quelques jours après.
Le 2 septembre, pendant le carnage, on les vit se porter avec
rapidité d'un bout de Paris à un autre; ils circulèrent dans les
prisons; des subalternes à leurs gages faisaient ce qu'ils ne pou-
vaient exécuter par eux-mêmes.
Un particulier nommé Chanay, confident de Panis et mou-
chard par excellence, portait promptement leurs ordres et venait
ensuite leur rendre compte. Cela va bien, lui entendit-on dire,
c'est fait d'un tel, j'ai sauvé tel autre , j'ai fait échapper la prin-
cesse de Tarente (1), elle peut aller rejoiudie le prince de Poix.
Ce fut ce môme Chanay qui arrêta le ci-devant prince de Poix,
et qui l'emmena à la mairie dans la caverne de Barrabas ; ce fut
Il fut arrêté à Quimper, en s'acquillant de cette atroce mission. Les habitans de
Quimper l'ont gardé prisonnier pendant plusieurs mois; < n parlait déjA do le
guillotiner; mais la Convention interrompit le cours de la juslico, en décrétant
queGuermeure serait mis en liberté; c'est en prostituant ainsi les décrels que
la faction des hommes de proijc conserva un suppôt lidélc qui avait bien mérite'
des voleurs et d( s assassins. (-Sote de Marcandier.)
(\) E\\o était d('(enue;i l'Ahlwve. '\oir de Mnrcandirr.^
:2})G iH)CL'«î':.\.s compléjienta.uks.
cet insigne voleur qui le mit en liberté. On imagine biiii que ce
n'est qu'à force d'argent , en lui volant sa bourse, qu'il lui laissa
la vie; car Barrabas est trop cupide et trop cruel pour avoir lâ-
ché sa proie sans intérêt ; cet odieux scélérat est incapable d'au-
cune action dont rimiiianité n'ait point à rougir. J'ai entre les
mains le récit d'un administrateur, écrit par lui-même, qui dé-
montre que le prince de Poix ne s'est évadé que du consentement
^t par les moyens que Panis et Sergent lui ont fournis.
« Chanay vint m'avertir un soir (c'est l'administrateur qui
> parle) comme j'éiais occupé dans le principal bureau du co-
» mité, que le ci-devant prince de Poix y arrivait; il mit même à
» côté de moi un carton qu'il dit appartenir à cet individu. Mes
» yeux se fixèrent sur la porte à chaque fois qu'on l'ouvrait pour
s voir entrer ce prisonnier. J'entendis des hommes de l'escorte
« de Chanay dire à la porte : Il est là. Je ne le vis point entrer;
» je me persuadai à la fin qu'on l'avait conduit au fond du corri-
j> dor, dans le bureau de Panis , que l'on nommait le comité se-
» cret. Le lendemain, Chanay me dit, en m'abordant d'un air
y de surprise affecté, que l'on ne retrouvait point le carton qu'il
I avait mis à côté de moi la veille, qu'on l'avait volé et qu'on l'a-
> vait apporté de chez le prince de Poix. Panis cria au voleur à
» celte prétendue nouvelle. Le lendemain ou surlendemain , on
» rapporte que le prince de Poix ne se trouve point dans les pri-
» sons où il devait se trouver. Panis cria que des membres du
ï comité l'avaient mis en liberté, tandis qu'il n'était pas entré
j dans leurs bureaux, mais dans celui de Panis, où Sergent
» travaillait ; cette circonstance m'inquiéta. J'ouvris un registre
» sur lequel un commis inscrivait le texte des procès- verbaux ;
» j'y vis celui de l'arrestation et envoi du ci-devant prince de Poix
> en prison; Je questionnai ce commis qui balbutia, en disant
7> qu'il ne savait pas qui lui avait fait inscrire cet article sur son
-B registre, et que c'était par erreur qu'il l'avait inscrit. >
Il suffit que !e ci-devant prince de Poix ne soit entré que dans
îa caverne de Barrabas , où Sergent travaillait , pour qu'il ne
soit pas nécessaire d'aller chercher plus loin quels sont les nu-
JOURNÉES r>Ë SEPTEMBRE ( 1792). 20Ï
teurs de son évasion. La réponse du commis est une chétive et
misérable excuse dont personne ne peut être dupe.
Combien de crimes, de perfidies et de turpitudes entassés les
uns sur les autres ! Eh bien ! ce n'était point encore assez pour
ces féroces brigands d'avoir fait déchirer par lambeaux huit
mille Français dans l'espace de cinq jours ; d'avoir dit à ceux-ci :
Payez , vous serez libres ; à ceux-là , ne craignez rien des pro-
scriptions ; allez en paix, vos péchés vous sont remis. Les pri-
sons furent à peine vidées par les massacres , qu'elles se rem-
plirent aussitôt de personnes arrêtées par des mandats de Marat
et des autres membres du comité de surveillance.
Manuel, qui n'était que dans le premier secret, fut effrayé de
ces nouvelles arrestations. Il se rendit aux prisons avec ses sub-
stituts ; ils virent que, parmi les nouveaux détenus, il y en avait
plusieurs qui l'étaient sans écrou et sans procès-verbal d'arresta-
tion. Ils interrogèrent ces nouveaux prisonniers. L'un dit : J'ai
eu dispute avec Marat, il y a dix ans, en Angleterre; l'autre,
c'est Jourdeuil, huissier, que j'ai convaincu de friponneries. II
paraît que ces mons[res arrêtaient également ceux qui pouvaient
révéler leurs turpitudes comme ceux qui avaient de la fortune.
Le 14 février dernier, Barrabas, qui se voyait inculpé de
toute part, voulut donner une preuve de son désintéressement et
de sa probité. Il dit à la Convention , qu'en sa qualité d'adminis-
trateur, il avait conservé à la nation une somme de 1,800,000 li-
vres, dont il n'existait point de procès-verbal. Cela est vrai; mais
il s'est bien gardé de dire pourquoi il n'y avait point de procès-
verbal; car alors, en faisant cet aveu, il donnait la clef de tous
ses larcins; il se montrait criminel à tel point, qu'il n'y avait
plus qu'à le conduire à l'échafaud.
Quant à moi, qui ai juré guerre éternelle aux assassins et aux
voleurs, je ne garderai aucun ménagement envers Barrabas, et
c'est sous ce double rapport que je continue de narrer les faits
qui le concernent.
Dans les jours et nuits qui précédèreiit les massacres , il y eut
im grand nombre de mandats d'arrêt signés Panis cl Sergent,
208 \ DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
et auxquels les autres commissaires n'eurent absolument aucune
part. Ces expédiions secrètes se faisaient à leur insu, chez
des personnes iiès-riclies que l'on arrêtait comme suspectes.
Des comiuis affides, surtout Clianay, kur homme de cuntiance,
servaient à (aire ces captures. On conçoit, d'après celle marche
ténébreuse, dans celte guerre des voleurs contre les riches,
qu'il n'était pas de riniérét des hommes de proie de dresser le
moindre procès- verbal. Or, il n'est pas surprenant que l'on ne
sache pas encore exactement le nombre des vicliiries du comité
de surveillance. Dans cet état de choses, que Barrabas ait con-
servé à la nation 1,800,000 livres dont il n'existait point de pro-
cès-veibal, qu'y a-l-il d'étonnant?
S'il ne s'est point approprié cette somme , il est présumable
qu'il a craint d'être découvert , ou bien il a pu croii e qu'en fai-
sant un acte qui annonçât quelque probi'.é, ce serait un voile jeté
sur les autres larcins, un nîoyen d'écarter les soupçons, une
sorte de fin de non-iecevoir qu'il pourrait opposer à ceux qui
auraient le courage de le dénoncer.
Pendant que les membres du comité de surveillance surveil-
laient et dirigeaient les assassins , et qu'ils étendaient une main
furace sur les richesses de leurs victimes , une autre scène non
moins sanglante se piéparail à Versailles. Le couseil-géneral de
la Commune avait détaché une iorce de mille hommes qui était
allée à Orléans s'emparer des prisonniers de la haute cour natio-
nale pour les amener à Paris, sous prétexte de les faire juger.
A la tète de cette force armée était le brigand Lazonwky et
deux conimissaires civils, Fournier l'Américain et Dubail , en-
voyés par la Commune. Il n'y avait point de décret qui permît à
la (^loiumune d'envoyer à Orléans cliL'rcher les piisonuiers : c'é-
tait une infraction manifeste à tous les décreis. Mais cette Com-
mune, qui n'en respectait aucun, celte Commune dévorante,
despote et tyrannique , non contente de tout prendre, de tout
envahir et de ne rien resiituer, voulait encore imposer son j.jug
au reste de la France.
A i'ariivée d? Lazvuvvkv à Orléans, les habitans de cette
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 209
ville ne virent en lui qu'un chef de bandits, qui, sans aucune
aiJtorisalon légale, venait s'emjaier dun clc|;ôl qui était en
leurs mains le gage précieux de la confiance publique. D'aburd ,
ils voulurent repousser la so!daies(iue révoliee par la force
des armes ; mais on entra en pourparler : les esprits se calmè-
reni, i'agitaiion cessa, et les Orléanais consentirent à remettre
les prisonniers entre les mains de Lazonwky.
Dans ces entrefaites, l'assemblée législative, pénétrée de la
plus profonde indignation , décréta que les prisonniers d'Orléans
seraient conduits à la citadelle deSaumur, et non à Paris; puis,
pur un second décret, elle proclama indigne de porter les armes
et ordonnait le désarmement de quiconque refuserait d'obéir à
ce décret.
Les législateurs ne se dissimulaient pas que, si l'on ramenait
dans une ville accoutumée au carnage des hommes que tous les
genres de calomnies et de diffamations avaient poursuivis jusque
dans leurs cachots, c'en était fait de leurs jouis; ma'gré qu'il en
soil, leur sage prévoyance fut en défaut; Lazonwky, délégué
par les assassins, se tint en lévolle ouverte contre les décrets.
Il s'achemine vers Paris. Sur sa route, il met en liberté les
assassins de Siinoneau, maire dÉtampes, qui étaient condam-
nés, les uns à la peine de moit, les autres aux fers, suivant
qu'ils avaient pris plus ou moins paît à cet assassinat.
Le 8 septembre, dans le courant de l'api ès-midi , il arrive à
Versailles avec les prisonniers. Au moment de les déposer à la
prison, une bande d'assassins à portée se présente, et s'élance
av( c la férocité du tigie sur les prisonniers, qui étaient assis sur
des planches dans plusieurs charrettes, et en un instant ils furent
percés de mille coups et déchirés par lambeaux.
M . Cossé-Brissac, commandant en chef de la garde de LouisXVI^
fut coupé en pièces, ici éiait une de ses cuiss(S, là une de ses
jambes, plus loin lun de ses bras, à que'que dislance le reste
de son corps, et plus loin on roulait si tète. Le lendemain de
cetie boucherie, on voyait encore dans les rues de Versailles les
membres épars de ces infortunés.
T. xviu, 14
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208 >CUMENS COMPLÉMEMAlRIiS.
et auxquels les aires commissaires n'eureol absolument aucune
pari. Ces expcdons secièies se faisaieni à leur insu, chez
des personnes iii-riclies que l'ou arrctail comme suspectes.
Dtrs comiiiis aHidi, surloui Lhanay, K ur homme de cuntiance,
servaienl à faire ts captures. On conçoit, d'après celle maiclie
ténébreuse, danscelie yuerre des voleurs contre les riches,
qu'il n'était pas d l'ioiérét des hommes de proie de dresser le
moindre procès- vbal. Or, il n'est pas surpreiiaut que l'on ne
sache pas ene n- iaciemeul le nombre des victimes du comité
de surveillance. Dos cet ëiat de choses, que Barrabas ail con-
servé à la naiinii .800,000 livres dont il n'exisiaii point de pro-
cès-verbal, qu'y a-il d'étonnant?
S'il ne sesi pM approprié celle somme , il est prt-sumabie
qu'il a craint d t ij découvert, ou ben il a pu croiie qu'en fai-
sant un acte qui aoonvàt quel(|ue probiié, ce serait un voile jeté
sur les autre» lajios, un moyen d'écarter les soupçons, une
sorte de lin de n«-recevoir qu'il pourrait opposer à ceux qui
auraient le eoui a^ de le dénoncer.
Pendant que b membres du comité de surveillance surveil-
laient et diri{;eaul les assassins , et qu'ils éteodaieut une main
furacc sur les riie&ses de leurs victimes, une autre ^cèoe non
moins j>aii{jlaMi<' s préparait a Versailles. Le conseil -général de
la Commune .1^1. détaché une iorce de mille hommes qui eiaii
allée à Orléans s oparer des prisonniers de la haute cour natio-
nale pour les aiixer à Paris, sous prétexte de les fM^JUEfn
A la tète de kl. force armée était le bri{;and
deux co;ijmi>Mit'i civils, l'ournier l'Américain
voyés par la (^;uune. Il n'y avait point de d<
la Coiumune d croyer à Orléans chercher U
tait une inl'racii xmanifeste à tous les déc
mune, qui n ( u isjieciait aucun, celte
despote cl lyiuumue, non conUii]
envahir et de ne en restituer, v|
au re.sio de la Fr«^.
A i';iniv ;iv,kv
ton»*
JOURNÉES Dîi SEPTE.VIBKIi ( 1702;. 211
dacs la troupe qu'il conduisait à Orléans , plusieurs étaient par-
lis à dessein d'assassiner les pjisonaiers.
Le 8 septembre, à six Iseures du soir, je rencontrai une
femme (je me trompe, c'était une furie) ; elle me communiqua
une leilre de son (ils , qui ëîaii aile à Oi léans , sous les ordres de
Lazonwky. Voici mot pour n;ot les termes de cette lettre :
« Nous avons trouvé les piisonniers tous gras et bien porians,
> surtout le scélirat de Lessart et le coquin de Brissac; j'espère
» vous en porter une cuisse pour la manger en fricassée de
» puulet. »
Si j'essayais de décrire l'impression douloureuse que fit sur
moi la lecture de ce paragrafilie, ce serait en alfuiblir les traits.
Je ciois de même inutile de dire que les prisonniers d'Orléans
étaient tous riches, et que la majeuie partie des richesses qu'ils
avaient alors devint la proie des assassins.
Hommes de proie , en faut-il davantage pour prouver à la
France que ces crimes sont votre ouviage, et que tous ces cada-
vres vous appariiennent? Que signifient ces mandais de déli-
vrance donnés à vos parens et à vos amis? Que signilie votre
présence dans les pi isons à l'instant des massacres? Que vous
aviez tout préparé; que vous dirigiez les assassins, lorsque, d'un
autre côté, vous reudiez nuls les moyens de répression ; que vous
parlageàl(S les pouvoirs, alin de faire égoigtr lel liojnme dont
vous convoitiez la fortune, en même temps que vous mettiez en
liberté lel autre qui était digne d'être associé à votre infamie et à
vos larcins.
Que Us anarchistes, amis du brig.mdage dont ils partagent les
fruiis, fassent un dernier effort pour atténuer les conséquences
accabLintes et les preuves irrésistibles qui résultent de tous ces
faits; qu'ils s'épuisent, s'ils le veulent, en dé( lamaiions et en
mensonges pour piolorger l'égarement du peuple , et distraire
ses regards par des dénonciations vagues ou coiitri^uvécs, alin
qu'il ne saitache point à la poursuite des auteurs de c< s furfaiis ;
que les plumes vénales, les écrivains meicenaires, satjs cesse
occupés à corronjpre les sources de l'opinion publique, impri-
212 DOCCilEiNS COMPLÉMENTAIRES.
ment, contre le cri de leur conscience, que ces massacres ont
été commis par des étrangers; que le frocard Chubot,
Grand orateur lire de cet ordre de saiofs,
Que le grand Sérapb.que a uaiiime capucin,
vienne nous dire à la lecture que c'est une insurrection , rien ne
m'empêchera d<; vous répéter sans cesse qu il n'y a point là d'in-
suiTcclioii ; que pour donner ce nom aux cinq jours de septem-
bre, il faudrait que ce fût l'action libre et volontaire du [leuple
entier, un mouvement subit et spontané de la masse, et dans cet
état de chose même ce serait toujours des massacres, lien que
des massacres exécutés par les ordres et sous la direction des au-
torités, (jui serùieiit toujours coupables de n'avoir pas essayé de
lesemjiècher ; mais pour(iuoi cette réfutation de Chabot ?
Les jours du prcitije sont passés; personne ne croit miinte-
nant que ce sont des étrangers (|ui ont sonné le tocsin pour lall.'ep
les septembriseurs, que ces vils scélérats étaient eux-mêmes des
etrangeis ; si quelques vagabonds sans patrie, sans famille, sesont
mêlés aux assassins , il faut en accuser ceux qui leur en ont mon-
tré l'exemple.
Cl si en vain que les hommes de proie ont attaché pendant un
an avec dos poignards, un bandeau sur les yeux des parens et
des amis de ctux qiii's quahfieni sans preuves de conspirateurs
féroces, le vuile est tombé ; les conspirateurs féroces, ce sont ces
hommes de sang (|ui ont piéparé fioidtment , et renouvelé parmi
nous les lion eurs d'une Saini-Bai ihelemi ; les conspirateurs fé-
roces , ce sont ceux qui lançaient à pleines mains les mandats
d'orrct , en sautant de pied joint par - dessus toutes les lois; les
conspiiaieurs léroces et cent fois dignes de mort, ce sont ceux
enfin qui opéraient dans les ténèbres du comité de surveillance,
et qui attiraient sur Paris la haine de toutes les nalioi.s.
Lu supposant, contre toute véiité, uniquement pour le besoin
de leur cause , que l'on pût pailler l'horreur de ces massacres en
les imp-iiant à des étrangers , il ne serait pas moins vrai de dire
qucdepaifcil^aticntatsnedevaieni pas ètreimpuîi!s(l) ;que!s(iue
(O On s que les csiassios ctaienl gagés ô ^ francs pendant le jour, et 2t
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 213
soient les instigateurs et !os complices, il fallait les reclicrclier et
les poursuivre jusqu'à lécliafaud ; cependant depuis trois ans
aucune recherche n'a été faite contre les coupables, ce qui
prouve que l'on craint de les découvrir ; que dis-je , ils sont con-
nus, on les nomme, leurs noms exécrables passent de Louche en
bouche, du nor I au midi de la Franc ; on les accuse, et la Con-
vention se tait ; est ce faiblesse? est-ce complicité? je m'abstiens
de (irononcer; passons ù l'appel nominal des chefs les plus
connus;
Danton, ex-ministre de la justice , député de Paris à la Con-
vention nationale ;
Camille Desmoulins, secrétaire du sceau, député de Paris à la
Convention;
D'Eglantine, secrétaire du déparlement de !a justice, député
de Paris à la Conveniion ;
Panis, membre du comité de surveillance, député de Paris a
la Convention ;
Sergent, membre du comité de surveillance, député de Pans
à la Convention ;
Manuel , alors procureur de la Commune , ex-député à la Con-
vention j
Pierre Duplain, membre du comité de surveillance, ju{je au
tribunal révolutionnaire ;
Joiirdeuil , membre du comité de surveillance , juge au tri-
bunal révolutionnaire ;
pendant la nuit. Pliisietirs se présenlèrent au c^nspit-généritl de la Commune
pour demander leur salaire; outre ce paieriieut, la dépouille de leurs \iclimes
était ;!C(|uise et confisquée à leur profit, c'était leur crsuel. Barrai as doit se
souvenir qu'à celle occ;iS'on il jeu grand débat en sa présence îu comité, entre
deux assassins qui le choisirent pour arbitre; il s'; gissait d'une montre d'argent
que deux brigands se disputaient : l'un invoquait la loi du premier occupant ;
l'au're dis il, j'ai tué le prisonnier porteur de ce.te n onlre, cile esl à moi ; enfin,
pour terminer cette querelle, ils vinrent trouver Panis qui , après une discussi n
contradieloirc entre les parties liliganles, ji'gea l'affaire en dernier ressort; voici
le dispositif de s')n jugement : Vous êtes tous deux de bons patriotes, il fau s'ac-
comm.der, vendez la montre et vous partagerez le produit; si vis deux coquins
étaient desétrangers, il faut convenir que Barrabas usa à leur égard d'une bien
grande indulgence. (A'ofc de Marcandier.)
fl4 DOCU.'JENS COMPLÉMENTAIRES,
Cuermeure , membre du comiie de surveillance ;
Leclerc , membre du comité de survoiliance ;
Lenfanl^ membre du comité de survei-lance ;
Cailhj, membre du comité de surveil'ance;
Dufforl, mpmbi e du comité de surveillance.
Je les dénonce nominativement en présence du peuple de Paris,
ù la nation française, comaie les cliefs suprêmes des assassins et
des voleurs, je les dénonce à la nature entière comme les plus
imp'r.cah'cs ennemis de I humanité, comme le plus impur fléau
dont le ci( 1 irrité :iil jamais accablé la terre; qu'ils osent m'accu-
serde les avoir calomniés, j ■ les provoque à descendre avec moi
aux pie 's des tribunaux, et je m'enga^je à monter à leur place à
léchafaud s'ils peuvent me prouver que je suis un calomniateur.
Lisle des assassins el voleurs suballemes.
Chaieau , oiseleur , sur le quai de la Ferraille ; ce t'gre a tué
quatre-vingt-sept piisonniers à l'Abbaye; il revint chez lui reidu
de fatigue , en regrettant beaucoup de n'avoir plus assez de force
pour continuer.
Boudiev, boulanger, rue du Four, près la Croix-Rouge; il
cessa de massacrer aux Carmes, parce que son sabre se brisa
en deux morceaux.
Duval, le jeune, neveu du traiteur de ce nom, rue de Bouche-
ries, cinq pour sa part aux couvens des Carmes ; après cette bril-
lante expédition, il partit pour l'année du nord en qualité de
volontaire, puis déserta en empoiiant son fubil, qu'il a vendu;
puis, par arrangement, il fut rejoindre l'armée du >"ord.
Kermann , tailleur , maisoa de Lerouge , fruitier , rue de Tour-
non , assassin aux Carmes.
Sauvage , marchand de vin , rue Mazariae ; cet ex-laquais a fait
tuer à lAbbave un évêquc qu'il avait servi autrefois, etqui, pour
l'aider à s'étabiir marchand de vio , lui avait donné o a 6,000 liv;
de son propre aveu, il a égorgé tr- ize personnes à l'Abbaye.
-- Nota. — Je ne publie en ce moment qu'un r.b: égé de la
liste; c'est pour répondre à ces fripons du premier ordre , qui
JOURNÉES DB SEPTEMBRE { 1792 ). 2i5
feif^nent de croire que les massacres ont été commis par des étran-
gers. En altendant que j'imprime le nom des autres, l'accusateur
public du tribunal révolutionnaire peut instruire sur les faits , il
y a ample matière.
DECLARATI03Î
DD CITOYEN
ANTOINE-GABRIEL-AIMÉ JOURDAN,
ANCIEN PRESIDENT DU DISTRICT DES PETITS-AUGUSTINS
ET DE I.A SECTION DES QUATRE-NATIONS.
<" Floréal an III (I).
Préface de l'édition Baudoin.
« Parmi les manuscrits vendus avec la bibliothèque de 31. le
marquis Garnier, pair de France, se trouvait un recueil de
pièces relatives aux journées de septembre. Ce recueil est ter-
miné par la lettre suivante qui en fait connaître l'origine , l'objet
etl'auiheniiciié. C'est un devoir pour nous de copier cette lettre
très-fidèlement et dans son entier ; la voici :
<r Paris, ce 7 Tcndéraiaire an IX de la république française.
» Guenot, membre de la commission des contribuliom , au
pre.iiier consul.
» Citoyen consul ,
» C'est à vous qu'il appartient de reciieillir tous les matériaux
> propres à transmetue à la postérité et aux naiiotis étrangères,
» une histoire impartiale delà nation française dégagée de tout le
(t) Nous tirons ce'te pièce de la collrction drs mcmoircssiirla révolution 'Van
çiisc ,iinpriiiice(heznaudoin (i !<• livraison. JonriK-esde s:p!e;i;l)îe. Paris, 183)
Nous la rciniprimons cn.icre, avec la prcf;Ke des rdili-urs, MM. Ri,Tvilie et B;ir-
rière.) (.JSoic du auteurs.)
216 DOCUïIENS COMPLÉMENTAIRES.
> ferment des passions qui y ont eu trop de part. C'est à tous les
» bons Fiançais aimant sincèrement leur patrie, atlachës à cette
> révolution , mais détestant les crimes qu'elle a enfantés, à
» vous procurer ces matériaux : je veux acquitter cette dette
> pour ce qui me concerne.
» En i792, j'élais administrateur des domaines et finances de
» h Commune de Paris , je l'étais également des contributions.
> En acceptant celle place pénible , j ai piis la ferme résolution
» de rendre des comptes, de les rendre fidèles, de les appuyer
» de foutes les piè;es justificatives.
» Un des é'émensde ce comple général , est celui des journées
» des 10 août, 2, 5, 4 septembre et jours suivans 1792. J':ii eu
> le courage, même la hardiesse, d'y joindre les pièces juslifica-
» lives originales.
» Ces pièces ont été brûlées par ordre du comité d'exe'cution ,
» qui a reçu ce compte séparé : je m'y attendais, mais il impor-
» tait à mon honneur d'en conserver des doubles authentiques
> pour, dans d'autres temps, justifier ma conduite; j'ai risqué
» mon existence pour les conserver. Je les ai enfouifs: elles
> ont revu le jour lorsque la mort a cessé de planer sur la tète
» des bons citoyens.
» C'est à vous, citoyen consul, que je veux faire hommage
> de ces pièces ; mais à vous seul.
> Déjà avancé en âge, sans postérité masculine, je puis c^ain-
» dre l'abus de ce dépôt. Sous un gouveriiemcnt sage il doit
> éclairer, jamais nuire; vous seul pouvez en faire usage de mar
ï nière à remplir ce double but. Je le remettrai entre vjs mains,
» comme une preuve éclatante de la confiance que vous inspirez
s à juste titre. Veuillez bien m'indiquer le jour et l'heure aux-
» quels il vous plaira de le recevoir.
» Salut et profond respect. »
ï Ce manuscrit qui appartenait à M. le marquis Garnier, n'était
qu'une copie des comptes et des pièces dont il s'agit ; mais les
fonctions qu'avait remplies M. Garnier . l'importance qu'il at-
/OURNSeS de SEPTË5flBRE (1795). 217
tachait aux rcclierclies h'storiques ou liticraircs, le soin avec !a-
qiiel celle copie avait été faite, ne laissent aucun cloute sur son
exaclilude.
» Ce recueil contient : 1° l'ëtat des sommes pnyp'es par In tréso-
rier de la Commune de Paris, pour les dépenses faites pondant
les mois d'août, septembre, octobre et novembre 17!)2. Nous
donnerons plus bas les articles les plus curieux de cet important
document (1).
> 2° la déclaration qu'on va lire. Cette pièce inédite estsans con-
tredit un des témoi{][na{jPs les plus {graves que puisse rrcueillir
l'histoire contre les auteurs et les actenrs de ces horribles scènes,
et cela mê ne nous imposait l'oblgaiion d'indiquer l'origine d'un
semblable écrit. Nous ajouterons qu'il reçoit un grand degré d'au-
thenticité de la relation précédente, écrite par l'abbé Sicard. »
Déctaradon du citoyen AiUoine-Gabriel-Aîmé Jourdan.
La section de l'Unité, ci-devant des Qualre-Naiions, m'ayant
invité de !ui faire part de ce que je sais touchant les trop fa-
meuses journées du 2 septembre 1792 et suivantes, je vais ré-
pondre à ses désirs; mais j'annonce que je ne parlerai que des
faits dont j ai été témoin oculaire.
J'étais, à cette funeste époque, président de comité civil et de
surveillance des Quatre-Nations. L'invasion des Prussiens qui
s'avançiient sur Chûlons avait jeté l'alarme dans P;iris. Cent
mille habilans de celte vaste cité se préparaient à marcher contre
l'rnnemi, et à le chasser hors du territoire français. Les comités
de la section des Quatre-Nations étaient en permanence. Le di-
manche 2 septembre, sur une heure après-midi, je proposai à
nos collègues de nous arranger pour que moitié de nous allât dî-
ner, tandis que l'autre moitié tiendrait le comité, afin que les af-
: I) Nous réimprimeruns également cet et^t.
( ISote des auteitm de Tllisloire parlemenlaire.)
218 DOCLMENS COMPLÉÎIENTAIRES.
faires publiques ne souffrissent point de retard. Je ne sortis qu'à
trois heures.
A mon retour, j'appris que, pendant mon absence, on avait
massacré plusieurs particuliers qui avaient été amenés des pri-
sons de la mairie dans quatre fiacres.
Je n'entrerai pas dans les détails de ces premières horreurs.
Je ne les ai pas vues; mais la section possède encore actuellement
dans son sein la plus grande partie de mes anciens collèg^ues, qui
furent témoins de ce qui se passa : entre autres le citoyen Mon-
not , rue di?s Petits-Augustins , qui fit un rempart de son corps à
l'ijbbé Sicard, instituteur des sourds et muets (1); le citoyen
Maiilot, peintre, rue Saint-Benoît, qui sauva un particulier de
Metz , nommé Dubalay, qui me connaissait et qui se réclama de
moi. Le citoyen Maillot eut recours à une ruse aussi adroite que
généreuse, et parvint, pendant quatorze heures, à dérober ce
pjrliculier aux recherches des assassins, quoiqu'il fût continuel-
lement sous leurs yeux ; et il finit par le soustraire à leur rage en
leur présence (2).
Sur les sept heures du soir, tout était assez calme. Je profitai
de ce moment pour vaquer à des affaires qui m'étaient persou-
nelles et très-urgentes. Je re\ins sur les neuf heures. En entrant
C<) Voyez, dans la Relation de l'ab'ié Sicard, ce qu'il a dit lui même de ce
beau trait de dévoiement. {IS'oie de MM. Berrille et Barrière. )
(2)(ï>"ou>ne devons pas oub'ier derapiielor un trait décourage et de présence
d'esprit bien rare. Pendî^nt cu'on niassncrait à lAtbaye, un horloger deman 'e
d s poiivo rs à sa secîioa pour aller réclamer deux jeunes gens. Il se rend dans
l'anlre des .issassins, marche dans le sang et sur d.'s membres palpitans. « Es-tu
la- de vivre ? » lui dit un bourreau en le prenant au collet. Le désir de faire une
bonne action donne des forces à cet homme est niable. » Je demande à prrler an
président. » On le 1 lisse entrer. « Que viens-tu faire ici? — Je viens réclamer
deux jeunes gens de ma secli'in. Voilà mes pouvoirs. — Qui sont-ils? — Tel et
tel; vivent-ils? — Oui... Pourquoi sont-ils ici? — Pour une faute légère, une
querelle qui n'.i pas eu de suite. — Ea réponds-tu? — J'en réponds fur ma léte.
— Eh bien, voilà du pnpier, signe; mais prends garde à toi. » On examine les
registres, et très-heureusement l'acte d'écrou ne porlait point cause d'ans ocra-
tie: Cîr le répondant aiirait péri. Les prisonn-ers arrivent. — Tiens, 'ui dit le
président, les voi à. Va-''en. » Extrait de VEspion de la rérolulion fmnra'se.
o Ce trait bocora'oîe console un peu de tant d'autres traits saii^uiiiair s, et ré"
concilie, pour un moment avec l'humanité.» (A'ote de MM. Berville et Barrière.)
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 219
dans la cour de l'église de TAbbaye , je vis une multitude d'bom-
mes €1 de femmes rassembles. J'entendis des cris répétés de vive
la nation! au milieu desquels s'élevaient des hurlemens épouvan-
tables. Ce vacarme éiait occasioné par des prisonniers que l'on
lirait de l'Abbaye, que l'on amenait pour élre massacrés dans la
grande cour du jardin , et que , chemin faisant , on lardait de
coups de sabres.
la porte du comité était dans celte grande cour du jardin.
J'avance pour m'y rendre. On me laisse passer lil)remenl sous la
porte ch irretière qui sépare les deux cours. En entranl dans
celte cour, j'y aperçois une troupe de gens armés, à moi incon-
nus, qui massacraient impitoyablement toutes les malheureuses
viciimes qu'on leur amenait. La cour était jonchée d'environ une
cenlaine de cadavres. Mais ce que j'aperçus de p!us horrible,
c'étaient dfs cadavres qui entouraient des tables couvertes de
bouteilles de vin. Les verres dégouttaient le sang dont étaient
fumantes les mains des cannibales qui buvaient dedans.
Pour parvenir au comiié, il fallait monter cinq mai ches. Elles
étaient également couvertes de cadavres sur lesquelles je fus forcé
d'en)janiber. Je trouvai au comité plusieurs de mes collèjjues
stupefî<s d'horreur et d'effroi. Je leur aidai, non pas à faire le
bien , m^is à empêcher le mal le plus qu'il était possible. Nous
trouvâmes les moyens de sauver plusieurs infortunés.
Sur le minuit, les sensations douloureuses et horribles que
j'éprouvais à chaque instant, jointes à la vapeur du sang humain
qui me poita au cerveau , furent cause que je me trouvai mal.
Je cherchai en vain un flacon ou de l'eau. Comme je demeurais
à deux pas, au coin de la rue Taranne, je sortis pour aller chez
chez moi , à l'effet d'y prendre quelque soulagement.
Lorsque je me présentai sous la porte charretière, j'y trouvai
un po- te d'environ douze gaides nationaux que je n'avais pas re-
marqués en entrant. Ils me couchèrent en joue. Je fus plus sur-
p:is q'/cffrayé; la ciainl<' de la mort ite pouvait avoir d'action
sur moi; je n'étais nialheureuâcmenl que trop familiaiisé avec
elle. J'avarrni sur ces gardes nationaux, je soulevai avec sang-
220 DOCUMËNS COSIPLÉMENTAIRES.
froid leurs fusils, f t je les élevni au-dessus de ma tête. Jerfcon-
Dus celui qui les commtindait : c'cUiit le sieur Lepiince, ancien
perruquier, et qui, je crois, éiail officier de police. Je lui de-
mandai s'il ne me connaissait pas : < Oui , me dit-il , je sais que
vous ét( s noire président ; mais notre consigne es! de laisser en-
trer lous les hommes et de n'en laisser sortir aucun. — Qui vous
a donné une pareille consi{TfnL? — Le commandant du bataillon.
— Je suis bien étonné qu'il vous ait donné de le's ordres, sans
en avoir pailé au comité. Où est-il? Cliercliez-le. — Nous ne l'a-
vons pas vu depuis qu'il nous a placés ici , il y a cinq ou six
heures. IVous sommes excédés d'horreurs et de faiijue. »
Je rentrai dans la grande cour; je cherchai le commandant de
bataillon, je ne le trouvai pas. Je revins aupiès du citoyen Le-
prince. t Je n'ai pas aperçu, lui dis-je, le commandant de ba-
taillon; il est vraisemblablement à l'assemblée générale (elle se
tenait dans la grande église). Laissez- moi passer; si je le ren-
contre, je vous ferai relever le poste. »
L'on me Ht passage. J'allai dans l'église ; j'y fis deux fois le
tour de l'assemblée , je n'y vis point le commandant de bataillon.
Mon malaiseaugmentant, je me décidai à me rendre chez moi.
En sortant de l'église, je fus arrêté dans la cour par une haie
de spectateurs, qui regardaient passer une victime que l'on traî-
nait à la mort, en la tirant par les pieds et en la hachant à coups
de sabres.
Je vis alors deux Anglais , un de chaque côté de la haie , vis-à-
vis l'un d(î l'autre. Ils tenaient des bouteilles et des verres. Ils
offraient à boire aux massacreurs , et les pressaient en leur por-
tant le verre à la bouche. J'entendis un de ces massacreurs, qu'ils
voulaient faire boire de force, leur dire : < Lh ! f ! laissez-
nous tranquilles; vous nous avez fait assez boire; nous n'en vou-
lons pas davantage, b Je remarquai , à la lueur de quelques flam-
beaux qui entouraient la victime , que ces deux Anglais étaient
en redingote ; elles descendaient jusqu'aux talons. Celui à côté
de qui j'étais me parut étie un homme d'environ trente-huit ans,
de la taiKe d'environ cinq pieds quatre à cinq pouces , d'une com-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792). 221
plexion jjrasse ; sa redin^jote était d'un vert clair, tiran t sur {'olive ;
l'autre Anglais était plus mai{;re. Sa redingote me parut d'une
couleur foncée, lirant sur l'ardoise. Je reconnus que c'étaient des
Anglais, parce que je les entendis parler entre eux, et quoique
je ne sache pas leur langiie, je la connais assez pour la distinguer
de toute autre, et en reconnaître l'accent. Je rentrai chez nioi,
où je pris quelques eaux spiritueuses. Je passai le reste de la
nuit dans un état cruel, qui continua pendant environ six se-
maines, et qui al)0utit à un coup de sang ou d'apoplexie, dont
je me ressentirai toute la vie.
Le lendemain, je m'efforçai pour retourner au comité. Dans
le cours de la matinée, sept ou huit massacreurs vinrent me de-
mander leur salaire, t Quel salaire? * leur dis-je. Le ton d'indi-
gnation avec Uquel je leur fis cette deman.ie les déconcerta.
« Nous avons passé, dirent-ils, notre journée à dépouiller les
morts; vous êtes juste, monsieur le président, vous nous donne-
rez ce qu'il vous plaira. » Le citoyen L , un de mes collè-
gues , était à (ôié de moi ; je lui proposai de donner un petit écu
à ces monstres pour nous en débarrasser. < Ce n'est pas assez ,
me répondit le citoyen L ; ils ne seraient pas conlens. »
Au même instant entra le citoyen Billaud-Yarennes, alors offi-
cier nmnicipal; il nous lit un grmd discours pour nous prouver
l'utilité et la néct^ssilé de tout ce qui s'était passé. Il finit par nous
dire qu'en venant à notre comité, il avaii rencontré plusieurs des
ouvriers (ce sont ses expressions) qui avaient travaillé dans cette
journée, lesquels lui avaient demandé leur salaire; qu'il leur
avait promis qiiC nous leur donnerions à chacun un louis. Je me
levai alors avec vivacité, et je lui dis : < Où vou'ez-voiis (jue nous
prenions ces sommes? Vous savez aussi bien que nous que les
sections n'ont aucuns fonds à leur disj osition ! » Il fut interdit
pendant un moment, ensuite il médit qu'd falLit nous adresser
au ministre de l'inléiieur, (pii avait des fonds destir.és à cet olijcf.
Le citoyen L... m'observa qu'il devait allt r dîner chez le mi-
nistre de l'intérieur, ei il m'ofliit do lui en parler. Jaccoptai sa
proposition , et je lui donnai sur-le-champ, par rcrit , une auto-
2â2 l>OCLyEN'S COMPLÉMENTAIRES.
risation pour demander au niinislie une somme de 3,000 francs ,
de re;riploi de laquelle la seclion des Qualre-Naiions jusîiîlciait.
Le citoyen L... me rappoi ta que le ministre lui avait repondu
qu'il n'avait pas de fonds destinés pour de semblables objets:
qu'il fallait s'adresser à la municipalité.
Les soi-disant ouvriers étant revenus, je leurs fis part de la ré-
ponse du ministre; ils allèrent le lendemain malin à la municipa-
lité où ils ne purent parvenir à être entendus que sur les huit à
neuf heures du soir. On leur dit ( suivant leur rapport ) qu'il était
bien étonnant que la seclion des Quatre-Naiions refusât de les
payer ; qu'elle avait des fonds pour cela.
Ces j<ïens revinrent au comité; je venais de lever dans l'instant
la séance, et nous sortions. Ils étaient furieux, et je vis l'instant
où nous allions être massacrés. Heureusement le citoyen C...,
l'un de nos collègues , nous sauva la vie, en leur donnant d'abord
des assignais qu'il avait sur lui, et en les invitant à le suivre chez
lui, pour leur donner le surplus de ce qu'ils demandaient.
Vraisemblablement ces ouvriers dirent aux auîres ouvriers,
qui avaient travaille dans les autres prisons, que l'on donnait un
louis dans le comité desQuatre-Nations. Le lenilemain, un nom-
bre considérable vint noua demander aussi son salaiie. Craignant
qu'il ne nous en résultât quelque aventure sinistre, je pris mon
parti , et j'allai à la Commune pour m'expliquer avec les offi Jers
municipaux. Je ne pus jamais entrer dans la grande salle, tant
elle était pleine de monde. Je crus devoir m'adresser au citoyen
Tallien , qui éiait alors secrétaire de la municipalité. Je lui expli-
quai le motif qui m'amenait. Il me répondit que cela ne le regar-
dait pas, mais le comité d'exécution. J'avoue que je ne pus
m'empécher de tressaillir à ce mot (ïcxccuiïon. Le citoyen Tal-
lien s'en aperçut : « Ce n'est pas , dit-il , ce que vous pouvez pen-
ser , c'est un comité qui a été établi pour payer les dépenses or-
données par la municipalité. » Il m'offrit un de ses commis pour
m'y conduire.
Ariivé à ce coiiiité, qui éiait composé de (|uatre ou cinq meui-
brcs , je lui demandai quel était le parti qu'il voulait que nous
JOURNÉES DE SEPTEJlliRE (1792). 22S
prissions ; que nous étions assiégées par une muhiiude de ces ou-
vriers qui nous menaçaient haulement; qu'enfin nous hen'ons
forces d'abandonner le coniilé de la section. Le président me de-
manda si l'on n'avait pas ti ouvé des assignats et de l'aigent sur
ceux qui avaient été tués. < Quoi ! m'écriai-je, faudra-t-il que ces
vicliuies infortunées paient encore leur bourreau? Mali quand
nous voudrions disposer de ces sommes, nous ne le pouijions
pas, parce qu'elles ont été mises dans un sac, sur lequel nous
avons apposé le sceau de la section , et une douzaine de ces {jens-
là y ont joint leurs cachets. » Le président me répliqua que ces
{jenx-là étaient de irès-honnétes gens; et il ajouta que la veille
ou l'avant-veille, un d'entre eux s'était présenté à leur comité en
veste et en sabots tout couvert de sang ; qu'il leur avait présenté
dans son cliapc'au vingt-cinq louis en or, qu'il avait trouvé sur
une personne qu'il avait tuée; que le comité d'exécution avait
été si louché de cet acte de probité , qu'il avait donné à cet
homme dix écus pour acheter une redingote, et, parlant par
respect , une paire de souliers.
Un des commissaii'cs qui était à gauche du président me dit :
< Est-il vrai qu'il y a eu des personnes sauvées aux Quatie-Na-
tions? — Oui, il y en a eu quelques-unes. — Combien? — Pas
autant que j'aurais voulu. — Que dites-vous? Savez-vous que si
ces sceléraisavaient eu le dessus, ils nous auraient tous égorgés?
— J'ignore ce qu'ils auraient voulu faire; mais tout ce que je
sais, c'est que lorsque mon ennemi est à terre , je lui tends la
main pour le relever et je ne l'assassine pas. — Oh ! oh ! mon-
sieur, avec vos beaux sentimens, apprenez que cfs gens-là sa-
vaient le nombre de leurs victimes, et (jue s'il leur en n)anque
quelques-uiies, la tète du président des Qualre-Ps'ations leur en
répond. — J'entends... Eh bien! j'ai juré de mourir, s'il le faut,
à mon poste; mon poste est le fauteuil du connté de lu section
des Quaire-N.itions, l'on m'y trouvera toujours; mais, si l'on
vient pour m'y assassiner, ne croyez pas que je me laisse égorger
comme un mouton, ainsi que tous ces inforluiés; soyez assuré
que ce ne sera pas impunément. » En disant ces mois, je portai
224 DOCDMENS COMPLÉMENTAIRES.
les mains sur des pistolets qui étaient dans mes {joussets. Le pré-
sident chercha à me cahner et finit par me dire que nous pouvions
leur renvoyer tous ces ouvriers, et que le comité d'exécution
verrait à s'iinanjjer pour les satisfaire... A'ors je me retirai.
Je linis ici nja déclaration; le surplus n'aurait rapport qu'aux
comptes, ils ont été rendus dans le temps; la section les possède
avec les pièces justificatives.
ôlais qu'il me soit permis de faire quelques observations qui
résultent de ma déclaration.
L'on ne peut se dissimuler que la journée du 2 septembre ne
soit beaucoup plus flétrissante pour la France que celle de la
Saint-Bariliélemi. Du moins cette dernière était l'ouvrage de la
cour d alors, au lieu que celle-ci parait être l'ouvra'je du peuple.
11 est donc de Ihunneur du peuple IVançais d'être lavé d'une
pareille tache. Je ptésume que ma déclaration en découvre les
moyens et indi(|ue le fil de celle trame infernale. Il y a tout lieu
de croire que c'est le gouvernement anj^Iais qui a été le moteur
et l'insiiguteur de toutes les horreurs qui ont couvert la France
de deuil.
Rappelons-nous que, dans les commencemens, le peuple an-
gl.iis était enthousiaste de notre révolution. Le cabinet de Lon-
dres avait à craindre que les Anglais ne voulussent nous imiter.
Il était donc de sa politique d'être en guerre avec nous et de nous
y mettre avec l'univers entier. Le plus difficile était d'avoir le
consentement du peuple angl.iis , afin d'en obtenir des subsides.
Rappelons-nous aussi que c'est au moment où l'on ypprit à Lon-
dres la journée du 2 septenibie, que le peup'e anglais demanda
la guerre contre nous. Il y a donc tout lieu de soupçonner qi;e le
cabinet de Loi:dres avait suscité cette journée ; ce soupçon se
tourne en une espèce ('e certitude, si l'on fait attention à ces
deux Ang'ais dont j'ai parlé dans ma déclaration ; je ne suis cer-
tainement pas le seul qui les ai vus. Il sera facile d'interroger a
ce sujet la plupai 1 des citoyens et citoyennes qui habitent autour
de l'Abbaye, et qui étaient dans la cour de l'église, le 2 septem-
bre, sur les onze heures du soir ou minuit. L'on pourrait encore
JOURNÉES DE SEPTEMCUE ( JT'Jiâ ). 225
interroger le limonadier el le marchand de vin qui demeuraient
rue Saint-Benoît, vis-à-vis de la porte de l'Abbaye. Je présume
que ce sont eux qui ont fourni à ces Anglais le vin et les liqueurs
qu'ils faisaient boire aux massacreurs : peut-être dira-t-on que
le crime de deux particuliers isolés ne prouve pas que le gouver-
nement anglais soit leur complice. Ce serait très-mal connaître le
cabinet de Londres et son exécrable politique. Ne perdons pas
de vue que c'est précisément à celte époque qu'il parvint à sou-
lever le peuple en lui inspirant de l'horreur contre nous. D'ail-
leurs , de tout temps , tous les moyens lui ont été bons. Mais il
est encore un autre fait dont tout Paris a eu connaissance , et qui
coïncide parfaitement avec celui dont j'ai parlé. Après l'exécu-
tion de Louis XVI, un Anglais remit un mouchoir blanc au
bourreau pour le tremper dans le sang du roi. Peu de jours
après , ce mouchoir fut arboré au haut de la tour de Londres.
Aussitôt le peuple anglais devint semblable aux éléphans que l'on
rend furieux en leur montrant une couleur rouge. 11 demande à
grands cris l'anéaniissement de la France. Si l'on rapproche ces
deux faits, ils formeront une espèce d'identité qui peut amener
à découvrir la vérité. Il sera facile de découvrir quel est cet An-
glais qui a donné son mouchoir au bourreau ; peut-être est-il un
de ceux qui excitaient les massacres dans la nuit du 2 septembre.
Pourquoi le bourreau acceptat-il ce mouchoir? pourquoi le
trempa-l-il , et pourquoi le rendit-il? C'est aux autorités consti-
tuées à suivre et à découvrir celle trame. Je suis convaincu
qu'elles sont aussi jalouses que moi de l'honneur de la patrie, et
qu'elles découvriront, aux yeux de l'univers et de la postérité,
la source d'où sont découlés tous ces crimes alfreux ; elles puri-
fieront le peuple français d'une tache qui sans cela serait indélé-
bile. Signé , JouRDAN.
T. xvin. 45
î2i26 DOCtMIilVS COMPLéMENïAlRES.
ÉTAT
Des sommes payées par le trésorier de la Commune de Paris, pour
le compte du conseil-général , pour dépenses occasionées par la
révolution du iO aoûi 171)2.
EXTRAIT CONFORME (1).
{2o août 1792.) Ordonnance du 24 août , signée Levasseur et
FaJet, adn.inistrateuis des travaux publics, pour payer au sieur
Menu le prix duii oàb!e pour ia destruction de la statue de
Lou'sXV, place Louis XV\ suivant le cenificat des commissaires
de la sectiun des Champs-Elysées , ci 100 liv.
(7 septembre.) Cerlifîcai des commissaires Lemonier et Ecoflon,
fait au comité permanent de !a section de la maison commune ,
du 27 août , qui constate que Jean-Louis Biillard a conduit à la
maison commune, sur ime petite charrette à bras , l'argenterie
trouvée en l'éghse Suint-Gervais, ainsi qu'il résulte de leur pro-
cès-\Lrbal du 21 août ; ledit certificat visé le 27 août par Payen
et Grenier, cominissaires du conseil-géncral ; la peine dudit Bail-
Jard taxée à six iivies par un bon du 28 août, de Jolly, secré-
taire, et Lemonier, commissaiie de la maison comnmne, ledit
bon visé par Sergeiii, audiieur de police, ci 6 liv.
Mandai pour deux hommes de peine occupés au transport des
effets déposés au greffe et mis dans le magasin actuel, ci. 8 liv.
Le 19 août, payé au citoyen James, au pied d'un mémoire de
dépenses faites pour l'expédition de Saint-Germain-en-Laye , les
17 et 18 août 171)2, relativement à l'arrestation de MM. Mon-
(l}Lcs détails qa'on va lire sontexiraitsdu coinple-reudu dont il est parlé dans
l'avaut- propos et dans l'averlibsement de la page 139 ( 215 de V Histoire parle-
meniaire ). Ou n'a cité que les articles de dépenses les plus renaarquables, et
ceux surtout qui ont un rapport direct avec les massacres d? septeiibrc: des
documens plus é endus auraient trop surchargé cet extriit : il suffit qu'on y voie
toutes les atrocités de cptîe époque réduites aux formes méthodiques et froides
de la comptabilité. (Ac(<' des éditeurs de la collection Baudoin. )
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ^1792). 227
tesquiou et l'abbé Bremcon, ci -devant chanoine de Noire-
Danie 1051. 19 s.
Pour dépenses, tant dans l'cxpédiiion des Suisses
de Couibevoie que dans celle de M. Dubul de Lon{>-
champ, des 15 au lUaoùt 10 1
Total 116 »
Mandat du 23 août, signé Guérard , Roncel et Duval-Destaing,
payé à Collet pour trois voilures aiieiëes de trois chevaux, ve-
nant de Chantilly, chargées des dépouilles de M. de Condé,
sous la conduite du sieur Duval-Desiaing, cl 117 liv.
Mandat du 22 août, signé Huguenin, président , pour payer
5 livi es à chacun des quatorze citoyens qui ont travaillé à la dé-
charge des fusils et autres objets venant de Chantilly, ci. 70 liv.
Note, signée Huguenin, président, visée par Tallien, pour
une poulaide, deux bouteilles de vin, salade et pain, payée à
Brard, ci 5 liv. 11 s.
Autre idem , du 18, payée à Brard pour souper par lui servi
dans la salle de la Reine, de la paît de M. le président,
ci 5 liv. 8 s.
Bon du 18 août, signé Tallien, payé à lui-même pour acquisi-
tion d'un coFfre-Fort, pour assurer la conservation des dépôts
qui lui sont confiés, ci. 30 liv.
Ordre de Si^ault, officier municipal, pour remboursera De-
lore deux flambeaux pour une proclamation , ci 5 liv.
Ordre du 15 août, A. signé L...., président, pour fournir
seize chevaux, pour la proclamation du décret qui rend aux cr-
toyens pasaifs le droit de citoyens actifs. Payé à la veuve Binet ,
ci G4 liv.
Mémoire de madame Michel , mirchande de rubans, rue aux
Feis, n° 50, pour fourniture par «lie laite d'après les cidres quj
lui ont été donnes les II et 12 août, par Léonari Bourdon, prc-
sideni; Lullier, secrétaire; Lullier, président; Ta'.lien, secré-
taire; ledit mémoire réglé à huit cent soixante-lieize livres par
Huguenin, président, et Bernard, secrétaire: 351 aunes, ruban
228 DOCCMENS COMPLÉMENTAIRES.
tricolore , à 4o sous 789 liv.
280 cocardes de laine , à 6 sous 84
Total 875
Mémoire de la même , pour fourniture de dix pièces de ruban
à 45 sous l'aune 270 liv.
80 cocardes de laine à 6 sous (lesdiles fournitures
faites d'après l'ordre de Tallien, du 21 août) 24
Total 294
Arrêté du conseil-général de la Commune , qui ordonne d'à- .
vancer six mille livres pour les troupes qui se rendent à Orléans
en conséquence d'un décret de l'assemblée nationale , ladite
somme payée à Fournier, ci 6,000 liv.
Autorisation du conseil-général du 48 août, signé Iluguenin ,
président; Bernard, secrétaire, pour payer six cents livres à
compte d'un mémoire de dépenses faites par Lafrance, traiteur
et restaurateur, pour les Suisses prisonniers au Palais- Bourbon,
à raison de lo sous par homme, ci 600 liv.
Bon , signé Iluguenin , président ; Tallien , secrétaire , payé à
Péironne, à la suite d'une invitation signée le 10 août, par Hu-
giienin, président; Martin, secrétaire; ladite invitation foite par
l'assemblée générale pour avoir tous cimetières ou charniers à
l'eflei d'y déposer les corps mor:s, ci 56 liv.
Mandat du 19 août, signé Renu , pour une voiture qui a con-
duii de la maison commune à la Force les femmes de mesdames
Lambaile et de Tourzel, et quia été gardée depuis midi jusqu'à
quatre heures, ci 5 liv. 5 s.
Mandat du 11 août, signé Wisnick, juge de paix, pour une
course de fucre qui a co::duit au bureau central un homme pa-
raissant enléihaigie, payé à 31orel, ci 5 liv.
Mandat du 25 août , signé Leclerc , capitaine de canonniers
du balail'on le Petit-Saint-Antoine, cerliflé par Hubert, com-
m mdant , au profit de B'.ondeaux , pour quatre chevaux qui ont
conduit les canons aux Tuileries dans la journée du 10 août,
ci 24 Uv.
JOURNÉES Dli SEPTEMBRE ( 1792 ). 229
(io septembre.) Arrêté du co!îseiî-f;cncral de la Commune, du
15 septembre, signé Meliée, sccrclairc-greffier, qui met à la
disposition de citoyens Talbot et de l'Epine dix miile livres,
pour les distribuer aux diflérens entrepreneurs du Tempie , d'a-
près leur mémoire délaillé et cerlilié , à la charge par eux de re-
présenter l'état général de leurs paieuiens et de les faire approu-
ver par le conseil-général , ci iO,000 liv.
(17 seplembre.) Pour deux voitures qui ont conduit au Temple
quarante matelas et quarante couvertures , ci G liv.
Bon du 26 août, signé Sénéchal, Grndé, maire de Longju-
meau; Lejeune fils, caporal du poste des sans-culotles , visé
Léonard Bourdon et Taliien , payé à Jugé, aubergiste à Lon{]ju-
meau , pour le souper de huit personnes du bataillon des sans-
culottes, faisant partie du détachement d'Oiléans, ci. . . 9 liv.
Bon, signé Desroches et Gendé, maiic de Longjumeau, Lie-
lard, payé à Jugé, aubergiste à Longjumeau , pour le souper de
huit hommes de la section du Punceau , rainant partie du déta-
chement parti pour Orléans, ci 9 liv.
(17 seplembre.) Bon, signé Co'.ivé , Gendé, maire de Long-
jumeau, visé Léonard Bourdon et Taliien, pour !e souper de
deux personnes de la section du faubourg Montmartre , liiisant
partie du détachement' parti pour Orléans, ci. , 1. îiv. 14 s.
Certificat, signé Dunouy , chargé des détails par le comman-
dant , visé Léona! d Bourdon et Taliien , qui atteste qu'il a été dé-
pensé chez M. Gendé, maire à Longjumeau, pour nourriture et
logement de plusieurs sections du détachement de Pasis, qui te
portent à Orléans, quatre-vingts livres treize sous »|ui doivent
être remboursés parla municipalité de Paris, conformément
à l'ordre donné par 31M. Bourdon-Lacrosnière et Taliien ,
ci 80 liv. 15 s.
Mandat de Leloup père , membre du conseil-général , pour la
nourriture et l'hébergement de six Suisses chez le sieur Marteau,
aubergiste, rue de la Mortellerie, au Barillet d'or. ... 18 liv.
A Mazoyer, guichetier, qui a été cliaigé de retirer les divers
effets trouvés sur les individus morts et qui ont <'lo remis à
230 ^ DOeUMtNS COMPLÉMENTAIRES.
BDI. G... , C... et N... , membres du conseil-général de la Com-
mune 2i liv.
A Breton, pour une voiture qu'il a fournie IS
AChernot, pour deux voilures 30
A Jean Naudia, pour une voiture iS
Total 84
Mandat de Mou. ..-Ne... , commissaire de la Commune à l'effet
de procéder à l'inhumation des cadavres apportés des différentes
prisons aux cimetières deCfamart, 3Iont-nouge et Vaujjirard;
pour voilures prises par lui dans l'après-diner du 3 et la journée
du 4 septembre, payé 9 liv.
Mandai si^jné Mie..., 3Iou...-N... , commissaires, Mar...,
président, lesdits commissaires nommés par le conseil-général à
l'effet de se transporter aux différens cimetières pour y faire
prendre toutes les précautions letdanies à la consommulion des
cadavres apportes des f)risons, et rotamment y faire porter la
chaux nécessaire, deiix heures et demie de liacre, ci. . . 4 liv.
Certificat du 4 septembre, signé Coût..., Desc... , Desv. ,
Ge..., commissaires. Le Bre... , président, et Coulom..., se-
crétaire-greiller adjoint , qui atteste que Parrain fils a chargé dans
sa voilure, à neuf heures du malin, sur le Pont-au-Change,
vingt cadavres, et qu'il les a décharges , à trois heures après-
midi, à Clamari dans le cimetière ; la voiture estimée à neuf francs,
le 6 septembre par Chel. , commissaire, ci 9 liv.
Arrêté du conseil-général du 6 septembre, signé Coulo...,
secrétaire-greffier, pour avancer à C..., pour salaire des per-
sonnes qui ont travaillé à conserver ia salubrité de l'air, les 3,
4 et o septembre ; et de ceux qui ont présidé à ces opérations
dangereuses , suivant son mémoire y annexé, lequel mémoire
contient les noms de V... , P... , C... et R..., commissaires nom-
mée par l'assemblée générale de la section du Finistère , ceux des
ouvriers qui y ont travaillé, les fournitures qui ont été faites, et
le paiement de trois des (}uatre commissaires de la section du Fi-
nistère, ledit mémoire taxé par V..., président; Co... , secré-
iOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ;. 231
taire-adjoint , et payé à Gh..., ci 1,463 !iv.
Mandat du 4 septembre , si/jné N..., Je,.., La... , commis-
saires de la Commune, visé Me..., au profit de CM... Pet...,
pour prix du temps qu'ils ont mis , lui et trois de ses camarades,"
à l'expédition des prêtres de Saint-Firmin pmdant deux jours,
suivant la réquisition qui est faite auxdits commissaires par la
section des Sans-Cuiottes, qiiî les a mis en ouvrage, ci. . 48 liv.
Mandat fait au comité de ia section clés Quaire-Natiôris, signiS
Aube,.., Delac... , Pré..., commissaires, Jo... , secrétaire, âù
profit de Jol..., pour voitures qui ont fait citîq voyages pour
transporter les corps des décèdes en !'enc!os dé la ci-devant ab-
baye de Saint-Germain-de-Prés , tant dariS (a jou'i née du 2 sep-
tembre que dans la nuit du 2 au 3 sepiembre, ci 50 liv.
Mandat de la commission d'exécution, chargée par le conseil-
général de la Commune, fait au comité d'exécution, le 3 sep-
tembre, signé Ni..., président, au profit de Je... , un des com-
missaires de ladile commission, pour acquitter les citoyens qui se
sont employés depuis ce matin au cliargement des voitures des
cadavres des prisonniers , ci 50 liv.
Arrêté du conseil-général du 8 septembre, signé de Coulom-
beau, secrétaire-greffier, adjoint, au profit de MM. Bcnoist,
Pifler, Lécureuil, Cornet, Lauverjat et Legraniî, g(;nclai'mes de
Paris , payé à Benoist, maréchal des logis , pour frais du voyage
aux eaux de Forges , où ils ont arrêté M. de La Rochefoucauld ,
Cl 4o liv.
A un peintre qui a effacé les armes sur les colliers des chevaux
du ci-devant prince de Condé, ci 5 liv. S s.
Mandat du 14 septembre, signé Legoye , commissaire sup-
pléant, Spieiler et Lelèvre , commissaires, au profit de Fran-
çois Portrait, qui a fourni à ia section armée de l'Observatoire
deux chevaux pour conduire une pièce de canon, qui est partie
le 3 septembre à neuf heures du matin, et est rentrée le 4 à onze
heures , ci 15 liv.
Mandat du comité militaire du 10 septembre, A. Demarccnai,
président, Gilles et Travers, commissaires, pour secours à la
252 DOCUMENT CO.MPLli.MfcNTAlRES.
femme Joi^jny , rue des Prouvaires, section du Contrai-Social ,
se trouvant seule avec deux enfans , son mari qui les faisait vivre
ëiaut parti pour les frontières , ci 2o liv.
Arrêté du conseil-genëral du 8 septembre, au profit de ma-
dame Moreau , native de la Ville-3Iomble, département de Paris,
victime du pouvoir arbitraire, et meurtrie par les fers qu'elle a
portés injustement, comme secours provisoire, pour se rendre
au sein de sa famille, ci 50 liv.
Arrêté du conseil-général du 31 août , signé Cculombeau , se-
crétaire, pour payer ù madame Cbabaud pour trois cents aunes
de ruban à 4o sous l'aune 675 1. » s.
Pour cent trente-six cocardes de laine à 4 1. 16 s.
la douzaine 54 8
Total 729 1. 8 s.
3Iandat du 2 août, signé Tessier, Sigault, Mille et Coulom-
beau, au profit de Julien Martin , pour avoir transporté des sacs
d'argent à la maison commune ; ces sacs contenaient vingt mille
quatre cents livres, et ont été déposés entre les mains de
M. Tallien, ci i liv.
Jlandat du 5 septembre, signé Simon, Michonis, au porteur .
pour vingt-un? heures qu'il a été employé avec son carrosse pour
conduire les deux commissaires pris parmi le peuple présent à la
séance, pour se transporter à Bicêtre et à la Salpétrière , à l'effet
de calmer les citoyens, ci 25 liv. 12 s.
Pour avoir pris le 15 à la seclicm deux prisonniers voleurs de
bardes et autres effets au château des Tuileries, qu'il a conduits
à la maison commune , et de là renvoyés au jury d'accusation du
tribunal du i" arrondissement, et aux prisons de la Force,
ci 5 1'^-
Pour avoir été envoyé par le conseil-général avec un collègue,
le 15 août, à la section de Bonne-Nouvelle, pour y prendre huit
commissaires, à l'effet de se transporter dans une maison oii
l'on disait qu'on avait recelé quantité d'effets précieux du Châ-
teau, et notamment une vierge d'or de la grandeur d'un enfant.
JOURNÉES DE SEPTEIIBUE [ 1792 ). 255
et où ils n'ont trouvé qu'une vierge de cuivre doré d'or moulu ,
qu'ils ont portée au conseil-général, ci 9 liv.
Pour avoir, le 16, donné à un malheureux qui lui a remis un
grand bougeoir de vermeil à longue queue , qu'il avait trouvé
dans les appartemens du roi , et que le commissaire a déposé sur
le bureau du président , ci 3 liv.
Pour avoir été envoyé le 30 par le conseil-général à la bar-
rière de Clichy, pour sauver quatorze personnes à cheval, char-
gées d'une mission importante, munies de passeports signés
Sergent, Rossignol et Santerre , que cependant on avait arrê-
tées , désarmées, démontées, déshabillées , et qu'on voulait égor-
ger, et qu'il n'a pu faire rentrer avec lui dans Paris que vers les
cinq heures du malin, en abandonnant armes et chevaux ,
ci 12 liv.
( 11 octobre. ) Ordonnance du 1" octobre, signée Fa.. .Ja.. .,
et Le. . . , au profit de Chr. . . , entrepreneur des carrières, pour
journées des ouvriers employés tant à dépouiller les cadavres qui
ont été apportés dans le lieu appelé le Tombisoire, au petit Mont-
Rouge, que pour les descendre par un puits de service dans la
carrière existante sous cet emplacement ; les transporter ensuite
à bras dans la partie de celle carrière qui a été disposée à usage
de cimetière pour le gouvernement, et pour faiie les fouilles
nécessaires pour l'inhumation desdits cadavres , les couvrir de lits
de chaux pour prévenir les effets de la putréfaction ; pour four-
nitures faites aux ouvriers pendant le travail, et augmenlaiion
de salaire qu'il a été nécessaire d'accorder auxdits ouvriers à
cause des dangers qu'ils ont courus lors de cette inhumation ;
enfin pour fourniturt^s de chaux , ci 120 liv. 5 s. 6 d.
(19 octobre. ) Arrêté du conseil-général du 10 octobre, signé
Huguenin, président, Coulombeau, secrétaire, au profil de Boy,
pour indemnité de la perle de son portefeuille et de ses effets,
en revenant de l'expédition d'Orléans , pour le transport des pri-
sonniers, ci loOliv.
Mandat du 10 septembre, signé Moulin-Neuf, commissaire de
la commune, nommé par le conseil-général pour l'inhumation des
234 DOCUMENT COMPLÉMENTAIRBS.
corps apportés des différentes prisons aux cimetières de Clamart
et de Vaugirard, au profit de Ruelle, pour voiture de vlngt-iin
tombereaux de chaux de chacun quarante minots , ci. 94 1. 10 s.
Ceriifîcat du 12 septembre, signé Gre. . . ., officier muni-
cipal, vise le 12 septembre par de Bi. . . . , vice- président , au
profit de Toussaint Leteilier, Guillaume Androt et Pierre, qui
ont travaillé pour charger sur des voitures les corps qui étaient
au Pont -au - Change ; kdit travail a été taxé par Coulom-
beau à 18 liv.
Mandat du 5 septembre, signé Ni , Pu , ofliciei*-
municipal, au profit de Noiste, marchand fripier, pour fourriU
tured'un gilet, veste et pantalon, pour un citoyen qui a travaille
à porter les cadavres de la conciergerie, ci 20 liv.
(H octobre.) Maniât du lo septembre, signé Venineux ,
Langlois, officiers -municipaux, au profit de David, serrurier,
pour l'ouvei lure de cinq malles trouvées dans un chariot qui a
paru suspect au peuple, ci 12 liV.
Anôté du conseil-général du 2! septembre, signé Boula, pré*
sident, Tallien , secrétaire, au profit du sieur Collin, pour le dé-
dommager du retard à lui causé par l'àrrestaiiori de sa voiture,
ci m iiv.
Arrêté du conseil-général, signé Boula, président, Coulohî-
beau, secréiaire, pour paiement du travail de onze ouvriers qui
ont déchargé et rechargé un chariot amené à la maison cotii-
mune, ci . 21 liv.
Mandat du 19 septembre, signé Bonnay, commissaire âil CÔÛ-
sei!-général , au profit de Picard qui a été employé avec sa voi-
ture , quatre chevaux et deux hommes , à l'enlèvement de l'ar-
genterie de l'église de la Madeleine-la- Ville-l'Évêque, ci. . 12 î.
Idem du 20 septembre, signé dudit, au profit de François
Marie , pour solde de ce qui lui est dû comme employé au dé-
ménagement des maisons des émigrés, ci 51 liv.
Idem , au profit d'Antoine Portier, pour solde de ce qui lui est
dû comme employé au déménagement des maisons des émlgréS,
ci 31 liv.
JOURNÉES DE iKPTEMBRB ( 1792 ). 235
Mandai du 14 septembre, signé Caretie et Boulanfjer, com-
missaires , pour secours aux femmes méphiiisées aux Celestins ,
ci 16 liv. 9 s.
Mandat du 1" octobre, signé Codieu , officier -municipal,
pour un fiacre qu'il a employé pour porter à la Monnaie l'aigen-
terie, et de là au Trésor national, suivant l'arrêté du 29 septem-
bre, ci 3 liv.
3Iandat du 5 septembre, signé Vasseur, membre du conseil
général de la commune, au profit de d'Élevé, marclrmd tapissier,
pour l'indemniser des peines et soins qu'il a eus de p. ^er un bu-
reau et des chaises pendant chaque jour, à compter du 22 août
jusqu'au 1" septembre, à l'amphiihéàtrede la place Saint-3Iuriin,
pour y servir à recevoir les enrôlemens volontaires ordonnés par
arrêté du conseil général du 21 août , ci 10 liv.
Mémoire du citoyen Lefévre, certifié par Léonard Bourdon ,
pour alimens que ce dernier lui a ordonné de fournir dans la jour-
née du 10 août, ci 4 liv. 10 s.
Mémoire de Cornu, limonadier, cerlifié par Tallien, secré-
taire-greffier, pour rafraichissemens fournis depuis le 22 août
jusqu'au 17 septembre, ci 99 liv. 17 s.
Ordonnance du 24- octobre au profit de Benoist fils , charpen-
tier, préposé par la section des Quinze-Vingis , pour l'etilèvement
des monumens restés de l'ancienne féodalité dans l'éiendue de
ladite section , ci loSliv. 8 s.
256 DOCUMliNS COMPLÉMENTAIRES.
PIÈCES OFFICIELLES
RELATIVES AU
MASSACRE DES PRISONNIERS D'ORLÉANS,
A VERSAILLES,
LE 9 SEPTEMBRE 1792(1).
MAIRIE DE VERSAILLES.
Procès-verbal des événemens des 8, 9 eî 10 septembre, à l'occasion
des massacres des prisons d'Orléans et des prisonniers détenus
dans les prisons de cette ville.
Du 8 septembre 1792 , l'an IV' de la liberté et le i" de l'égalité.
M. le maire donne lecture d'une lettre de M. Roland , ministre
deTinlérieur, adressée aux administrateurs du département qui
la lui ont fait passer ; elle est ainsi conçue :
« On m'annonce , messieurs , que les prisonniers d'état , ci-de-
» vaut détenus à Orléans, doivent arriver dimanche matin à Ver-
» sailles , et je vous prie de faire toutes les dispositions pour qu'ils
» puissent être déposés en stireté dans les prisons de notre ville,
» et en même temps pour qu'il soit pourvu tant au logement et a
» la subsistance de ces prisonniers, qu'à celle de la nombreuse
» {jarde qui leur sert de cortège et des commissaires de Paris
" chargés de veiller à leur conservation ; le nombre total de ces
> personnes étant à peu près de quinze cents, vous sentez la né-
» cesbité de prendre sur-le-champ les mesures convenables à cet
t égard.
» Je ne puis trop recommander à votre sollicitude , messieurs ,
» les précautions les plus sages pour préserver de tous événemens
(l)Ces pièces sont extraites littéralement du registre des assemblées du conseil-
général de la coaimune de Versailles, pour l'imuée 1 792. ( Acte des auteurs. )
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792). 237
» les personnes qui , étant sous le glaive de la loi , méritent tous
» les égards de l'humanité. »
Plusieurs membres font observer que les journaux font mention
d'un décret par lequel l'assemblée nationale ordonne expressé-
ment l'exécution de celui qui porte que les prisonniers d'état se-
ront conduits à Saumur ; que vraisemblablement le ministre avait
écrit sa lettre avant d'avoir connaissance de ce nouveau décret.
Pour lever toute incertitude , le conseil-général envoie un ex-
près aux administrateurs du district d'Etampes et aux commis-
saires civils chargés de veiller à la conservation de ces prison-
niers.
Et à tout événement le conseil-général s'occupe de l'établisse-
ment d'un local suffisant pour les recevoir, et des moyens de les
mettre à l'abri des effets de la haine publique.
Plusieurs propositions sont faites et discutées, il en résulte
l'arrêté suivant :
« Le conseil-général, considérant que Versailles renferme en
ce moment cinq à six mille hommes arrivés des diverses parties
du département pour se former en bataillons de voloritairf s; que,
depuis plusieurs jours, des hommes pervers cherchent , par des
instigations perfides, à égarer le civisme de ces citoyens, pour
les porter à des exécutions sanglantes ; que si , jusqu'à ce moment,
les magistrats sont parvenus à déjouer ces manœuvres odieuses,
il est à craindre que l'arrivée des prisonniers d'étal ne fournisse
l'occasion de les renouveler avec plus de succès ;
» Considérant que les maisons de justice et d'arrêts sont rem-
plies ; qu'il n'existe dans la ville aucun local propre à recevoir les
prisonniers ; ((ue, hors les murs et à peu de distance, il en est un
qui, par sa position et par sa construction, offre à la fois les
moyens de retenir les prisonniers et les moyens de les garantir ;
que, par son nom même, il aura encore l'avantage de satisfaire,
en quelque sorte, l'animadveision populaire et d'atténuer le sen-
timent do la haine en faisant naître des idées de mépiis;
» Oui le procureur de la commune ;
» Arrête que IVIM. Fadriel, Devienne, Gauchez, Sirot etPa-
238 BOCUMEiNS COMPLÉMENTAIEBS.
COU, iront à l'instant visiter les bàtimens de la Ménagerie et y
faire les disposiiions convenables pour recevoir les prisonniers et
loger une partie de la garde qui les accompagne. »
Le courrier airive avec une réponse des commissaires civils
ainsi conçue :
« Messieurs , nous avons reçu la lettre que vous nous avez fait
l'honneur de nous écrire. Très-pressés pour y répondre , nous en
référons à M. le ministre de l'intérieur, auquel nous vous prions
de faire parvenir tout de suite ce paquet, lequd vous instruira
de tout ce que vous aurez à faire. »
Celle réponse laissant l'assemblée dans la même incertitude
sur la véritable destination des prisonniers, elle dépêche un
aide-de-camp auprès du ministre.
Et elle arrête que , dans les cas où les prisonniers seront ame-
nés à Versailles , les citoyens en seront prévenus par une procla-
mation.
Si^né HippoLYTE RicHAUD, maire; Couturier, procureur de
la commune, et Broc, vice-secrétaire-greffier.
Du 9 dudit mois.
A huit heures du matin , le département fait passer à la maison
commune la réponse du ministre. Elle porte très-posiiivemeot que
les prisonniers d'état arriveront aujourd'hui à Versailles; qu'ils
sont accompagnés de deux mille hommes armés et chaigés de
veiller à leur conservation.
Cette lettre annonce aussi que le ministre va prendre les mesu-
res nécessaires pour que leur séjour ne soit pas de longue durée.
MM. les corainissuires chargés de faire préparer deslogeraens
à la 3Iénagerie disent qjje tout y est disposé.
A neuf heures, des officiers de l'escorte arrivent; ils disent
qu'ils ont laissé les prisonniers et le détachement à deux, lieues de
la ville; plusieurs d entre eux sortent pour aller visiter le local
de la Ménagerie.
li s'agit alors d'exé<iuter l'arrêté pris hiej" pour annoncer l'ar-
rivée aux citoyens.
TOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 4792 ). 239
Le comité de rédaction présente un projet de proclamation ;
l'assemblée l'adopte en ces termes :
< Citoyens et frères d'armes,
» On transfère d'Orléans les prisonniers d'état que la haute-
» cour nationale doit juger.
♦ Ou leur avait assigné Saumur pour résidence; ils sont con-
» duits à Versailles et y arrivent aujourd'hui.
» Le devoir nous ordonne impérieusement de garder ce dé-
» pot ; la cité de Versailles méritait qu'on le lui confiât , puisque la
» tranquillité n'a pas cessé de régner dans ses murs.
» Nous ne croyons pas devoir rappeler à des hommes libres
» que ces prisonniers appartiennent à la loi et qu'ils sont sous la
» sauvegarde publique.
1» Français ! la loyauté des citoyens de Versailles , ainsi que celle
» des braves légions qui s'y réunissent pour aller défendre la
» liberté et l'égalité, nous répondent que ce dépôt sera conservé. »
Il était dix heures. M. le maire et les officiers du détachement
ainsi que les officiers de la garde Jiationale, montent à cheval
pour publier cette proclamation.
Pendant ce temps , l'assemblée est avertie qu'il se forme un
rassemblement sur la route, lequel fait craindre po.jr les prison-
niers. Cet avis est aussitôt rendu à M. le maire qui, :nec les offi-
ciers qui l'accompagnent, va au-devant deTcscorle, dnns l'inten-
tion de diriger la marche, s'il est possible, de manière à éviter
le passage de la ville.
A une heure, le conseil-général reçoit de M. le maire la lettre
suivante :
« Mes chers collègues ,
» Le cortège arrive à Jouy ; il est impossible , aveu les chariols,
les canons, les caissons, de passer pai- les derrières, comme nous
l'avions piojeli-; ils veulent passer par Vor.sailles; rassembhz les
administrations, je vais faire les disposiiions les meilleures pour
faire ce passage aussi sûremen» (|ue possible. >
Le conseil-général se rend sur-le-champ au département , ac-
240 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
compagne d'un détacliemenl de la garde nationale. Le district est
aussitôt appelé. On fait lecture de la lettre de M. le maire.
L'assemblée, sachant que l'escorte est composée de deux mille
hommes et d'une forte artillerie , demeure persuadée que les pri-
sonniers sont à l'abri du danger. Elle arrête seulement que trois
magistrats, un de chaque corps, iront, avec un détachement de
la garde nationale, au-devant de l'escorte jusqu'à la grille de
Monlreuil , pour ensuite la conduire jusqu'à celle de l'Orangerie.
MM. Lairufe, Deplane et Trufet sont chargés de celle mis-
sion ; ils sortent à une heure et demie.
A deux heures, l'assemblée est instruite que les prisonniers
ont bientôt traversé la ville; qu'il y a sur le passage une grande
affluence de personnes de tout sexe et de tout âge; qu'il ne pa-
raît pas, jusqu'à ce moment, que l'on veuille se porter à des
excès contre eux; que le peuple se coniente de les accabler de
huées.
A deux heures trois quarts, arrive le sieurs Pille, appariteur
de police; il annonce que les prisonniers viennent d'être massa-
crés dans la rue de l'Orangerie ; que M. le maire a failli d'être la
victime de son dévouement ; qu'il a couvert de son corps les pri-
sonniers en criant à la foule égarée de respecter la loi ; qu'il s'est
évanoui et a été porté dans une maison.
L'assemblée jeite un cri de douleur ; elle arrête qu'il sera écrit
à l'instant à l'Assemblée nationale et au ministre de l'intérieur pour
leur apprendre cet événement. Les membres sortent ensuite pour
rétablir l'ordre, s'ii est possible.
Signé IL Richaud , maire; Couturier, procureur delà
commune, et Brou, vice-secrétaire-greffier.
Du 10 dudit mois, le matin.
M. le maire et plusieurs officiers municipaux ont fait le récit
des malheureux événemens arrivés hier.
L'assemblée, Cv^nsidéranl qu'il est important d'en constater les
détails, arrête que le secrétaire- greffier en dressera procès-verbal
pour être inséré à la suite de celte séance; ce qui a été exécuté
aiuiii qu'il suit :
JOURNÉES DE SEPTEMBRE { 1 7i)2 ). 241
Proces-verbal des évcncinensduO , dressé d'après lerùcil de M. le
maire cl de plusieurs officiers municipaux .
31. le maire, ayant proclamé l'arrivée des prisonniers détat,
reçoit lavis qu'il se forme sur la roule un rassemblement qui
donne de l'inquiétude. Il dirigée aussitôt sa marche vers Jouy.ac-
compajjné des offii iers du détachement de l'escorte et de plusieurs
officiers de la {jarde nationale; il rencontre à moitié chemin l'a-
vant-garde et les commissaires de la commune de Paris. Les
derniers lui disent qu'ils attendront les prisonniers à l'entrée de
la ville ; il continue le chemin jusqu'à Jouy ; il parle au maire de
ce bourg; il s'informe s'il n'y a pas un chemin pour aller à la
Ménagerie sans passer par Versailles ; on lui répond que oui ,
mais que ce chemin n'est pas praticable pour l'artillerie et les
chariots. Les Parisiens disent qu'il faut passer par Versailles ;
que l'escorte est assez forte pour résister à un attroupement de
vingt mille hommes.
M. le maire écrit la lettre dont il fut fait hier lecture aux ad-
ministrations réunies; peu de temps après, un aide-de-camp lui
apporte une réponse du président.
Alors l'escorte prend la route de Versailles; près d'entrer dans
la ville, M. le maire «bserve au commandant qu'au lieu de faire
marcher la cavalerie devant et derrière, il serait peut-être mieux
de la ranger .sur deux files, aux deux côtés des thariois, afin de
soutenir lu double file de linfanierie; le commandant répond que
cela est inutile, qu'il esl sûr de son monde.
On anive à Versailles : à laPjtte-d'Oio était une compagnie de
(ïrenadiers qui se retourne pour ouvrir la marche.
L'cscnric prend la rue des Chinii rs, l'avenue de Paris, la
place (1 Aiincs et la rue de la Surintendance; j:isqu'à cette der-
n;ère rue , le peuple ne faisait cntendi c (|ue des cris de vive la
nalioii, et de furies liiices contre les |irisoiinicrs.
Coniiîin l'iigiiaiion para", suit fins \iveon approchant de !a rue
de la Surintendance, M. le maii:o veut aller se nieitr'^:\ côté des
T. r.viii. |(j
242 toOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
prisonniers ; on lui observe que le peuple se tranquilliserait plus
tôt en le voyant devant entre les commandans.
^.M. le maire et l'avant-garde passent la .orille de l'Orangerie ;
cfn cne que les chariots des prisonniers sont arrêtés par la multi-
tude. M. le maire revient au galop avec le commandant en second
de la troupe parisienne. Ils trouvent le premier chariot un peu
plus Las que Ihôtel de la Guerre; la foule l'entourait et menaçait
les prisoniiicrs. M. le maire s'adresse aux plus échauffés : Ne
vous dcsiionorez pas, laissez agir la justice, elle vous vengera des
traîtres; il peut y avoir des innocens. Plusieurs répondent : Nous
avons confiance^ çn vous , vous êtes le maire de Versailles; mais
vous êtes trop bon pour les scélérats; ils méritent la mort.
M. le maire donne l'ordre de faire marcher les chariots; alors
on lui dit : Livrez-nous au moins Brissac et Delessartj nous vous
laisserons emmener les autres ; autrement ils périront tôt ou tard;
nous irons à la Ménagerie; si 7ious les laissions aller, on les sau-
verait encore.
Pendant ce temps , la multitude avait fermé la grille de l'Oran-
gerie, de manière que l'avant-garde était toujours séparée du
reste de l'escorte. M. Deplane, administrateur du district, veut
la faire ouvrir ; on le menace, il est forcé de se retirer.
M. le maire descend de cheval; il parvient à faire ouvrir la
grille ; la foule augmente et veut la refermer ; il s'y oppose de
toutes ses forces , il se met entre les deux battans ; on veut l'en
arracher ; il donne l'ordre à un officier de la garde nationale d'al-
ler avertir les administrations; il se sent enlever par des hommes
qui crient : « C'est le maire, sauvons le maire. » On le porte
chez le suisse ; on veut le retenir pour qu'il se remette, f Ce n'est
pas mon poste, » s'écrie-t-il , et il sort. La grille était fermée de
nouveau, un sapeur l'ouvre avec sa hache; M. le maire rentre
dans la ville, et aussitôt la grille se retrouve fermée.
Le danger croissait de plus en plus : un moment de station
pouvait devenir fatal aux prisonniers ; l'ordre avait été donné
pour que les voitures descendissent la rue de l'Orangerie, afin
de mettre les prisoRriers, jusqu'à la nuit, soit à la maison corn-
JOURWÉES DE SEPTEMBRE (1792). 243
mune, soit dans une autre maison de la viile. M. le maire ne pou-
vant plus se servir de son cheval à cause ds la foule , s'empresse
de parvenir à pied à la tête des chariots; plusieurs hommes l'ac-
costent en lui disant : « Il est impossible d'arrêter dans cette cir-
constance la vengeance publique. » Un homme bouillant de co-
lère le suivait en criant : Ali! monsieia\ si vous saviez le mal que
ces gens-là ont fait à moi et à ma famille, vous ne vous opposeriez
pas, ils méritent le plus grand supplice. M. Trufet s'était placé
près d'un chariot ; il exhortait les hommes de l'escorte à remplir
leur devoir, à se serrer de manière que les séditieux ne pussent
pas parvenir près des prisonniers.
M. le maire arrive aux Quatre-Bornes, où le premier chariot était
arrêté par une foule d'hommes, parmi lesquels un grand nombre
avaient les sabres levés pour frapper les prisonniers. M. le maire
se jette au devant des sabres , il s'écrie ; « Quoi ! vous qui devez
> être les défenseurs de la loi , vous voulez vous déshonorer au-
» jourd'hui?Ce ne sont pas les prisonniers, que je ne connais
» pas, qui m'intéressent le plus, c'est vous, c'est votre honneur;
» citoyens, laissez agir la loi. i On ne l' écoutait pas; les hommes
approchent de plus près les prisonniers, ils ont le sabre levé , ils
vont frapper... M. le maire se précipite sur le chariot, il couvre
de son corps les prisonniers qui s'attachent à son habit, tandis
que des hommes veulent l'enlever de ce chariot. Il veut parler ,
les sanglots étouffent sa voix ; il se couvre la tête , on l'enlève, il
voit le massacre, il perd connaissance ; on le transporte dans une
maison ; il reprend ses sens; il veut sortir ; il est retenu ; il dit que
s'il est des hommes qui se déshonorent, il veut lui mourir pour
la loi. t C'est en vain , lui dit-on , que vous voulez les sauver , il
n'estplustemps !...'> Il sort... un spectacle d'horreur frappe tous
ses sens. Le sang, la mort, des cris plaintifs, des iuirlemens af-
freux , des membres épars....
Jamais on ne vit tant de fureur et de cruauté : tous les pri-
sonniers sont frappés presque au même instant; quehjucs-uns
parviennent à se sTuvrr dans la foule, les autres sont mis en
pièces.
244 bOCDMENS COMPLÉMENrAIRES.
M. le maire est ramené à la maison commune, où bientôt une
scèiic liorTibIcmfnl degoûiaiUe succcde à celle qîii vi( ni d'avoir
Il If. Ces huniiciiles icinls de san^f, l'œil égare, viennent déposer
les bj:»iix, les asiijnais, les ((Tels de cenx qu'ils ont éi';ot'{jés.
lis poileiil comme en liioniplic des membres encore pa'piians;
ils en laissent su!" les bureaux. 0 c reurs! ô conlradiLtiuns liu-
jiiaities! On aperçoit dans la joie baibare de ces lionimes qu'ils
croient avoir lait une aciion uiile; ils ont pu tremper leurs mains
dans le sang de leurs semblables, ils se croiraient déshonorés
s'ils s'appropriaient quelques cHets.
Plusieurs oflicicrs municipaux cl notables ne peuvent tenir à
ce spectacL' ; ils sont forcés de se retirer ; quelques autres , avec
le vice-secrélaire-{jreffier, reçoivent les elfels ensanglantés , et ils
en<Jressent un é(at.
Mais ce jour devait être pour Versailles un jour de sang. On
vient dire que la mulliiude se porte aux maisons de justice et
d'arréls. M. le maire et les ofliciers municipaux présens sortent
pour aller, les uns à la maison d'arrêts, les autres à la maison de
justice.
M. le maire passe au département. Emp!oiera-t-on la force ou
seulement lu peisuasion? Plu>.iL'urs membres craignent que la
force ne fasse couler beaucoup de sang sans empêcher l'événe-
inenl; d'autres observent que la force n'ariiverait pas à temps;
qu il faut sur-le-champ partir pour arrêter, s'il se peut, par des
exhortations les actions sanguinaires.
M. le maire part aussitôt avec M. Germain, président du dé-
pai tement , et quelques autres personnes ; ils aii ivent dans la
première cour de la maison de justice : la fuule était si grande
qu'ils ne peuvent pc.iétrer; ils aperçoivent dans le (ovA des sa-
bres levés; ils apprennent que déjà on avait tué les prisonniers
qui étaient aux cachots.
M. le maiie parvient, en passant par le derrière et par une
saile nouvellement faite, sur le carré où l'on l^aisaii sortir les pri-
sonniers pour les sacrifier. Il paiIe aux homicides, il arrête un
instant Uur Ixireur; ils le font descendre au milieu d'eux et des
JOCRNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792). 243
cadavres, afin qu'il soit mieux enlcndu. Là , il rrprëscnto com-
bien il (St affreux de dccidrr a'nsi de la v-e ou de la mort
d'hommes non jufîés. « Vous pouvez, leisr dii-il, sacrifier des
innocens et délivrer des coupuLIes : vous faites un métier in-
fâme! Que crai{înez-vous ? Ne connaissez-vous pas le civisme et
raclivité du tribunal criminel? Je viens d'envoyer ciierclitr à
Saint Germain M. A...., président de ce tribuna'. » M. le maire
parvient enfin à faire cesser le carnaj^e ; les homicides le suivent
jusqu'à ia maison commune, en criant : vive la nation! vive le
maire de Versailles !
La même scène se p issait à la maison d'arrêts, maîjjrc les vives
représeniaiions de M. le substitut du procureur de la Commune,
de M. Maux , juge du tribunal de distric! , et de MM. Gauchcz ,
Amaury et du procureur de la Commune qui s'y sont rendus suc-
cessivement.
Sept à huit hommes faisaient l'exomen du registre des écrous ,
et, sur celle seule pièce, ils jugeaient à mon ; ensuite, ils pre-
naient ks caries indicatives des noms et des nuincros, donnaient
l'ordre au concierge d'amener tel prisonnier, It qiK I , arrivé dans
la cuisine du concierge, était aussitôt poussé dehors, où il était
assommé. C'est ainsi que treize prisonniers ont péri.
11 y avait un quart tJ heure que la muUiîude ne cherchait plus
de victimes, lorsque quelqu'un a parlé de ileux détenus, Vabie,
ancien gardedu roi, et Claude, Suisse. Lafmeur s'est ranimée:
le subsiitul du procureur de la Commune et M. 3Iaux recom-
mencent leurs exhortations; anivcnt le maire et deux ofliciers
municipaux de Bougi\al, qui réclament le sieur Vubre; ils par-
viennent à le faire nielti c en liberté ; mais rien ne peut sauver le
sieur Claude.
Plubieiu-s personnes demandaient le sieur Vallet ; M. le substi-
tut du procureur de la Commune et 31. Maux font connaître par
l'écrou qu'il n'est détenu que pour fait de police muni< ipale ; des
volontaires lui ouvrent la prison, l'embrassent, cl lui font crier
vite In nation !
Tels sont les détails que l'assemblée a entendus dans le sikace
246 DOCCMENS COMPLÉMENTAIRES.
de la douleur. S'il éîait possible que quelques idées consolantes
pussent naîlre pendant un récit aussi déchirant , ce serait celle
que , parmi tous ces hommes qui se sont souillés par tant d'as-
sassinats , il n'en a pas été reconnu pour être habilans de cette
ville; qu'ainsi, s'il y en avait, du moins étaient-ils en très-petit
nombre.
L'assemblée a arrêté qu'il sera pris des renseignemens pour
connaître le nombre des prisonniers d'état qui ont été tués, le
nombre de ceux qui ont échappé ; que l'on constatera la mort ou
la délivrance des personnes détenues dans les maisons de justice
et d'arrêts.
Le vice-secrétaire-greffîer fait lecture d'un procès-verbal
dressé ce matin à six heures, en présence de M. Claude Four-
nier, comniandant-f;énérai de volontaires parisiens et marseillais
venant d'Orléans , et en présence de plusieurs autres officiers de
ce détachement ; lequel procès-verbal constate que six grands
sacs de toile grise renferment des chapeaux, des sacs de nuit et
autres effets; plus, quinze ports-manteaux, un sac de nuit, un
paquet de dilTérens effets renfermés dans une serviette ouvrée,
ont été remis auxdits officiers qui s'en sont chargés pour les
déposer au lieu qui leur sera indiqué par le ministre de la jusiice.
Le vice-secrétaire lit ensuite l'état des effets des prisonniers
d'état portés à la maison commune par différens particuliers.
Du même jom-, à trois heures après midi.
Arrivent à la maison commune environ deux cents hommes
armés de fusils, de baïonnettes , de sabres et d'épées; plusieurs
disent qu'ils prétendent aujourd'hui vider les prisons ; que M. Gil-
let, accusateur public, demande des officiers municipaux pour
être témoins.
M. le maire court à la maison de justice : MM. Amaury, Sirot
et Pacou le suivent , en faisisnt des exhortations à cette troupe
d'hommes armés.
A huit heures du soir, l'assemblée s'étant formée, M. le maire
et plusieurs officiers municipaux ot;! rapporté ce qui venait de
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). Î47
se passer aux maisons de justice et d arrêts ; il a été arrêté que le
récit en serait consigné dans les registres de la manière sui-
vante :
f M. le maire et les autres officiers municipaux étant arrivés à
la maison de justice, font, avec M. Gillet , tous leurs efforts pour
faire changer de résolution à la multitude. Les représentations,
les prières, les cris, les Lrmes, rien ne touche ces hommes
égarés. M. le maire fuit celte scène d'horreur. Comme il passait
entre les deux files qui, les sabres levés, attendaient leurs victi-
mes, quelqu'un lui demande pourquoi il s'en va. « V^oulez-vous
» encore, répond-il, m'obliger d'être le témoin de vos atrocités?
» — Mais, reprirent plusieurs, cela s'est fait à Paris; c'est une
> justice : il faut, avant de partir aux frontières, purger l'inlé-
» rieur des traîtres et des scélérats. »
Alors ces hommes en choisirent quatre parmi eux qui se firent
représenter le registre des écrous. Tous les détenus pour assas-
sinats ou vols avec effraction furent poussés dans la cour et im-
molés au môme instant : les autres furent relâchés.
M. le maire était revenu à la maison commune; peu de temps
après , il reçoit avis que l'on se porte à la maison d'arrêts. Il y
court le cœur navré; il pénètre avec peine dans la cour, à cause
de la foule. Deux lignes de volontaires aiguisaient leurs sabres
sur le pavé ; ils voulaient , disaient-ils , onze à douze prisonniers ,
parmi lesquels sont des prêtres réfraclatres.
M. le maire se jette au milieu d'eux, et, avec l'ôccent de la
plus profonde indignation , il leur adresse les reproches les [)lus
véhérnens. Pour celte fois , cette horde égarée écoute le langage
de l'honneur; ils s'écrient : Vive le maire de Versailles! l'em-
brassent et le conduisent à lu maison commune. M. Maux, juge,
profite de cette disposition favoiable pour faire tendre, en forme
de barrière, devant la maison de justice, un ruban tricolore. Il
a été respecté.
Signé, II. RicHALD, maire; Couturier, procureur de
la Commune, et Brou, vice-secrêlaire-greffier.
248 DOeCMÏNS complèmentàiuks.
Du i I septembre 1792, l'an i" de la république.
SÉANCE DU soin.
M. Gauchez donne les renseignomens qui sont à sa connais-
sarce sur le nombre des prisonniers déiat qui ont elc massacres
et sur ceux qui ont ëcliappé.
M\I. lieuriier, Devienne et lui étaient à la Ménagerie; un
aide-de-camp vient les avenir que leurs soins sont inutiles. Ils
accourent et trouvent la place jonchée de cadavres mutilés ; on
leur en désigne deux pour être ceux de 3DI. Brissac et Deles-
sart ; ils étaient méconnaissables.
Quinze à vingt hommes s'approchent de ces trois officiers mu-
iii(;ipaux et les forcent d'assister à la recherche de ce qui est dans
les poches d'habits. Bientôt M. Gauchez reste seul; il est le té-
moin d'une espèce de règlement proclamé par ces hommes en-
core furieux : il portait que celui qui volera sera tué.
M. Gauchez fait mettre dans un chariot tous ces cadavres, et
leur fait donner la sépulture dans le cimetière de la paroisse
Saint- Louis, en présence du public; ils étaient au nombre de
quarante-quatre; tous leurs vètemens sont transportés', dans le
même chariot , sur la place de !a Loi , et brûlés publiquement.
Le soir, deux citoyens annoncent qu'ils ont chez eux deux des
prisonniers échappés au massacre, dont l'un est blessé griève-
ment. On donne dos ordres pour leur transport à l'inlirmerie;
3Paais ils ont voulu en sortir pendant la nuit même ; on ignore le
lieu de leur retraite : ils ont caché leurs noms.
Trois autres ont également échappé : l'un a été conduit à la
maison commune; il a dit depuis qu'il étuit officier à la suite du
régiinenl de Perpignan. Les deux autres s'étaient réfugiés chez
un citoyen ; il paraît qu'ils étaient officiers de régimcns : on
ignore leurs noms.
Aujourd'hui MAL Gauchez et Bernard ont été chargés de les
conduire à Paris , au comiîé de surveillance de l'assemblée na-
tionale. Arrivés à ce comiié , on délibère ; mais bientôt on s'aper-
JODftNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 249
çoit que ces trois officiers ont profilé de l'ouverture d'une porte
cl se sonl évadés.
Le vice-secrélaire-{jrerfier lit ensuite la liste des personro qui
ont été tuées dans les maisons de jusiice et dairèis, et de celles
qui ont elé mises en liberté.
(Suit l'état des personnes détenues à Versailles dans la maison
de justice du déparlement de Seine-et-Oise, qui ont clé mises à
mort ou é'argies par le peup'e , dans les journées des 0 et 10 sep-
tembre I7iJ2.) Signé, Brou , vke-secr claire- greffier.
Pour extrait conforme au registre des assemblées du conseil-
général de la commune de Versailles, pour Tannée 1792.
Versailles, le 26 mars 1823.
Le maire de Versailles , le marquis de La Sonde.
EXTRAIT
DES
PROCÈS-VERBAUÏ DE LA COMMUXE DE PARIS,
DU A AU 10 SEPTEMBRE 17lfc2 (I).
Séance du mardi A septembre, au malin, l'an I"" de la république.
M. Darnaudry, président, occupe le fuuteuil.
La rédaction des procès -verbaux des ^ et o septembre est
adoptée sans réclamation.
Le secrétaire fait lecture des pièces arriérées, et le conseil
prend plusieurs arrêtés en conséquence.
Un membre du conseil lait lecture dune lettre adressée iî
(1) Guidés lonjniirs par la perspe de rendre ce recueil p'us complet qn'aiicnn
antre, nous a^ons cru devoir imprimer l-s procrs-vnltanx de la Cumniiitie rient
noir n'îivlons pas iiicore fait nu n ion paimi ceii\ qni sp rapporcnlaux jourié s
de spptenil)re. De cette manière, nos ledcniN pojs dernnl lotit ce qui r. sic d'of-
fltitl Mir celte tcrrilile ép<M|iie. Lneilrait de ces iirncés-vcrliaiix pvait déjà ^"^
public dans le vo'u-ne des mémoires de MM. Rar^i^l•e(l Iiervil:c sur ic> mas* acres
de septeaibre ; mai'! . comme rous lavons déjà dit , il semble avoir été fait uni-
230 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
M. Navarre, marchand de toiles, rue Saint -Honoré, à Paris,
douze sous de port. Le cachet est rempreiniedes armes gravées
sur une pièce de monnaie d'un prince de l'empire ; le timbre n'est
pas reconnaissable , mais la lettre , vérifiée à la poste par le com-
missaire , est certifiée venir de Bruxelles.
L'intérieur de la lettre est en caractères carrés imitant l'impres-
sion faite à la main. Elle est conçue en ces termes :
€ Il faut, mon cher, faire, pour mercredi ppocliain , ce dont
nous sommes convenus. La canaille est bien disposée, nous devons
en profiter. — Adieu, au revoir très-prochain.
> Vive le roi (1)! »
Le citoyen honnête à qui celte lettre est adressée en a donné
communication au commissaire de la Commune qui en a fait faire
lecture.
Le conseil-général a cru voir dans cette lettre un indice frap-
pant de l'affreux projet des enpemis de la liberté et de l'égalité,
de tous les chevaliers du poignard qui , comptant sur la scéléra-
tesse de la plupart des geôliers et concierges , voulaient faire ou-
vrir les prisons aux malfaiteurs , et s'unir à eux , moyennant un
mot de ralliement, pour égorger en une nuit tous les patriotes
de la capitale, et se venger, par de lâches assassinats, de la glo-
rieuse victoire remportée sur eux le 10 août.
11 est arrêté que cette lettre sera imprimée, figurée comme
elle est , avec une note des présomptions qu'elle a fait naître au
conseil.
Un membre demande que l'impression soit retardée jusqu'à ce
quement dans un bui àc parti. Sans doute, il serait oiseux d'imprimer d'immenses
pages , souvent sans intérêt ; mais il fiUait au moins en tirer iaipartialemenl tout
ce qui se rapportait à l'iiibloirc; c'est ce que nous avons fait ; nous n'avons laissé
de coîé que les affaires purement administratives.
ISf)us ajouterons à la suite de cette collection un arrêté du conseil-général , en
date du 25 août, que uuus avons découvert trop tard pour en faire mention à sa
pla:e; il nous a paru curieux particulièrement parce qu'il nous ré\è\e l'opinion
de h majorité de la Commune sur la religion et le clergé. ( iSote des auteurs. )
())Ici sont Ogurés, d'un côté une croix et une crosse, et de l'autre un poignard
et des balances, ( IVofe des auteurs. )
JOURNÉBS DE SEPTEMBRE ( 1792). èSl
que le citoyen Navarre ait été entendu, et qu'on sache Vil ne
pourrait pas donner des lumières à cet égard. On le fait chercher,
mais il est à la campagne.
On fait lecture d'un décret de l'assemblée nationale qui or-
donne de délivrer deux pièces de canon et un caisson, qui se trou-
vent à l'Arsenal , aux canonniers des vainqueurs de la Basiille.
Renvoi au commandant-général provisoire pour l'exécution de
ce décret.
On lit une lettre de M. le maire qui représente les inconvéniens
du refus des passeports.
Plusieurs membres demandent la libre circulation , en se sou-
mettant aux arrêtés pris à cet égard.
Le conseil -général, considérant que l'intérêt du commerce et
la circulation nécessaire des subsistances ne permettent pas de
mettre trop long-temps des obstacles à la sortie de Paris,
Le procureur de la Commune entendu ,
Arrête : 1° que dès ce moment , toute personne qui aura rem-
pli toutes les condiiions prescrites par la loi , et les précédens ar-
rêtés de la Commune pour les passeports , lettres de voiture, sû-
reté des convois, pourra sortir librement de Paris ;
2° Que l'on pourra, sans avoir besoin de passeports, circuler
dans l'intérieur du département : les ouvriers pour le camp
seront munis d'un. . . portant un timbre ou un cachet ;
5* Que le présent arrêté sera imprimé , affiché et envoyé aux
quarante-huit sections.
Pour lever toutes les difficultés relativement aux passeports
donnés par le ministre de la guerre.
Le conseil-général arrête que le ministre de la guerre demeu-
rera seul chargé, sous sa responsabilité, de la délivrance de tous
les passeports en faveur des personnes qu'il emploiera pour tous
les genres de service relatifs à son administration , et que des lai-
sez-passer seront délivrés par les comités des sections aux ou-
vriers, chefs et sous-chefs employés pour le service du camp et
pour les approvisionnemens de la capitale ; arrête que le pré-
sont sera envoyé aux municipalités voisines, avec invitation de ne
2o2 DOCCMENS COMPLÉMENTAIRES.
pas opposer d'obslacles aux porteurs de passeports fti forme rlu
minisire; à l'efl'el de quoi le minisire de la (juerre sera invité
d'adresser aux barrières et aux municipalités une empreinte de
son sc( au , pour serv r de pièce de comparaison à celui qui sera
empreint sur les passeports.
Sur la demande d'un pétitionnaire à la tête d'une dépulation
de la section dite de Marseille, et sa dénonciation du mauvais
esprit que manifestent plusieurs personnes qui sont ôép enrôlées
tant dans l'infanterie que dans la cavalerie, et notamment dans
les légions de la Mort et de la Liberté ; il est arrêté que ceux qui
s'enrôleront ou sont déjà enrôlés, de quelque arme qu'ds soient,
seront tenus de faire preuve de civisme depuis i790, et d'en ob-
tenir des ceriifîcals dans leurs sections respectives, comme ausâ
de se munir, avant leur départ, d'un certificat qu'ils ont prêté le
serment décrété par l'assemblée nationale le 11 août et le 4 sep-
tembre 1792. Il est arrêté en outre sur ce même objet que le corps
des hussards de la Mort sera dispersé dans tous les bataillons in-
distinctement. Envoi de cet arrêté aux quarante-huit sections.
Le conseil-jjénéial, livré à une solliciluJe perpétuelle sur tout
ce qui inté esse les propriétés et la tranquillité des citoyens,
nomme MM. Guéraut et Enissart, à l'effet de se transporter au
collège de Boncourt, pour proléger M. Laube, procureur dudit
collège, dont les jours paraissent menacés.
Une députai ion de la section de Popincourt exprime le vœu de
ses concitoyens qui brûlent de partir pour l'armée. Ils demandent
des armes et des habits ; renvoyé pour cet objet à M. le com-
mandant-général.
Le conseil-général les autorise à nommer leurs officiers. La
compagnie, formée par la section des Tuileries, est admise à
prêter le serment. Le conseil - général arrête que ladite section
leur distribuera les armes et les habits qu'el'e a en sa posses-
sion, et qu'il leur sera fourni un chariot et quatre chevaux de
l'hôte! de Noailles.
Sur la demande de permettre aux gens les moins coupables,
détenus à Bicétre , de s'enrôler pour l'armée , le conseil-général
JODRNÉES DE SEPTESIBRE ( 1792). 2o3
passe 5 l'ordre du jour, molivë sur ce que If s citoyens français,
admis à Ihonneur de servir la pati'ie, doivent être sans taclie.
Arrcle néanmoins que si quelques détenus à BLclre é aient re-
connus innocens, et qu'ils voulussent s'enrôler, ils seraient admis
à jouir de cette faveur comme tous les autres citoyens.
Le consoil-géudral autorise M. Barras , ù^é de soixante-dix-
neuf ans, à se servir provisoirement de ses chevaux, sur l'enjja-
gcmcnl formel qu'il contracîe de les donner à toute réquisition,
si le bien du service l'exige.
Un c'toyen propose, et le conseil arrête, que les seciions sont
autorisées à dresser l'état de toutes les armes qui se trouvent chez
les arquebusiers et quincaillers , et à en fixer le prix d'aprôs l'txa-
men des factures.
jMM. Guidamour et Nouet sont nommés commissaires députés
à l'Hôtel des Invalides, à l'effet d'inviter ces braves défenseurs
de la patrie à rentrer dans la noble carrière qu'ils ont parcourue
avec honneur, et de se charger de guider et modérer le courage
de notre bouillante jeunesse.
Deux commissaires sont nommés pour se rendre à la caserne
des gardes franc uses pour prendre connaissance de leur situation,
se transporter de là chez le ministre de la guerre pour lui rendre
compte de leurs observations, et se concerter avec lui sur tout ce
qui les concerne.
La section des Arcis demande que les jeunes commis de tous
les bureaL.x de la capitale soient remplacés par des conmiis plus
âgés, et (ju'ils marciient à l'ennemi.
Le conseil-général passe à l'o dre du jour, motivé sur un diîcret
de l'assemblée nationale qui les exemple de marcher, et sur l'ar-
dent patriotisme ([ui porte un assez grand nombre de citoyens à
prendre les aimes.
La 29' division de gendarmerie à cheval sollicite du conseil les
moyens de partir à l'mstant. Deux commissaires, MM. Benoît et
F..., sont noumiés pour se concerter avec M. le commandant-
général, et leur iaire four.iir les pistolets, mousquetons et che-
vaux qui se trouvent dans !< s fe lions.
y
2d4 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES,
Sur la demande d'une députalion de la sec'ion des Gravilliers,
le conseil arrête que tous les ouvriers en fer s'occuperont exclu-
sivement de la fabrication des piques; invile les sections à s'occu-
per sérieusemcnl de l'exécuiion de cet arrêté.
MM. Héracle, Deschamps et Lamarque, commissaires nom-
més pom* remplacer des démissionnaires, sont reçus à prêter le
serment civique et prennent séance.
D'après la lecture d'une lettre du ministre de la guerre, le con-
seil arrête la libre circulation du salpêtre et l'envoie aux moulins
à poudre.
Arrête , en outre , que les cartouches seront remplies à moitié
de poudre fine; que les invalides seront chargés de la moitié de
la fabrication des cartouches , et que le concierge de l'Arsenal est
autorisé à faire transporter à l'Hôtel des Invalides toute la poudre
nécessaire.
On fait lecture d'un décret de l'assemblée nationale sur la pro-
tection à accorder à 31. l'abbé Sicard , homme cher autant que
précieux à l'humanité , et qui , par son génie , a su créer des sens
aux sourds-muets, en étendant les moyens de feu M. l'abbé de
l'Épée, son maître.
31. le procureur de la Commune entendu, le conseil-général
arrête que M. Moudon sera payé d'une somme de 209 livres pour
le montant d'armes fournies à la Commune.
Le conseil-général arrête que les travaux de bâtiment seront
suspendus quand le besoin l'exigera , et que les ouvriers qui en
seront retirés recevront la même paie pour les travaux du camp
que pour ceux auxquels ils sont employés ordinairement ;
Arrête que tous ceux dont le civisme est douteux seront exclus
de l'éiat-major du camp sous Paris;
Arrête que les grilles de fer des églises supprimées seront em-
ployées à la fabrication des piques, ainsi que le fer qui se trouve
au Temple et dans toutes les démolitions ordonnées par la na-
tion ;
Que los seciions surveilleront, par des commissnires nommés
ad hoc, toutes les opérations;
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 2o5
Que les citoyens sont invités à faire porter aux Invalides et
à l'Arsenal toutes leurs vieilles ferrailles pour faire des gar-
gousses.
Le conseil-général adjoint M. de i'Épieu, Moissard, Lamarque
et Baudicr aux deux commissaires du comité d'exécution.
Le conseil-général , profondément affligé des nouvelles qu'on
lui appoi'te encore de l'Abbaye, y envoie deux commissaires pour
y rétablir le calme.
MM. Delvoix , Vatry et Dourdon sont nommés commissaires
pour se transporter au greffe du palais et en enlever toutes les
armes qui ont servi de pièces de conviction dans les procès ter-
minés.
Le conseil-général applaudit au civisme des municipalités de
Saint-Cloud et d'Arches , qui présentent deux cent cinquante ci-
toyens pour voler à la défense de la patrie ; il consigne au procès-
verbal la mention honorable de leur conduite, et renvoie à M. le
commandant-général provisoire les mesures nécessaires à pren-
dre pour leur prochain départ.
Arrête qu'il sera donné des laissez-passer aux ouvriers pour le
camp.
Renvoyé au comité militaire pour le mode de paiement des ci-
toyens enrôlés.
Le conseil-général arrête que toutes les mesures militaires sont
renvoyées au ministre de la guerre sous sa responsabilité.
La demande des invalides de faire une levée dans leur corps
pour aller défendre la patrie est renvoyée au ministre delà guerre.
Les commissaires pour le camp sont autorisés à faire couler
des boulets de quatre au nombre de trente mille.
Arrête que les commissaires des guerres sont autorisés à faire
la visite des pièces de canon qui sont dans les sections et à les
faire mettre dans le meilleur état possible.
Arrête que la commission du camp de Paris sous Paris est
autorisée à consentir, de concert avec le pouvoir exécutif , la con-
struction des afIViis de canon dont on anira besoin.
Arrêté qui accorde la parole au commissaire du camp sousPa-
236 j)OCUiiE:<s complémentaires.
ris toutes les fois qu'il se présentera dans le sein du conseil-ge'-
ncral.
D*âprès la lecture d'une ielirc des commissaires à riiôiel de h
Force, le conseil envoie encore six commissaires pour lâcher
d'arrêter les bras vengeurs qui frappent les criminels.
S'tfjué Darnal'dery et Coulombeau.
Séance du mardi 4 seplembre au soir.
M. Balin occupe le fauteuil.
Sur une péliiion de la section du Luxembourg, le conseil-gé-
néral arrête que MM. les commissaires de section pourront faire
des visites chez les épiciers et tous les marchands d'objtls propres
à la chasse, pour recevoir d'eux une déclaration amicale de la
quan'iié de poudre et ds p'omb qu'ils peuvent avoir dans leurs
magasins, en dresseront procès-verbal dont ils feront part à la
Commune.
Madame Farey est autorisée à se retirer par-devant la section
de la maison commune pour obtenir des secours dont elle a «m
besoin urgent, se trouvant chargée de famille , et son mari étant
paiti pour les frontières.
Ladite section est invitée à prendre en grande considération la
demande de la dame Farey.
Le conseil-général arrête qu'il sera accordé un laissez-passer à
MM. les officiels muiiicipaux, à la garde nationale, aux citoyens,
citoyennes de Passy ei de Garche qui ont accompagne ce malin,
jusqu'à Pai is , leurs parens et amis qui sont partis pour la fron-
tièic.
M, Malot, capitaine des canonniers, a remis sur le bureau une
cassette de fei-bianc renferuianl plusieurs effets et espèces en or.
Plusieurs membres du conseil se pLignent vivement de l'igno-
rance profoiîdvi où sont la plupart des seciions des arrêtés de la
Commune et du peu du soin qne l'on prend pour les leur faire
parvenir.
11 est décidé qne tous Icsorrêté^ qui intéressent réellement les
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 257
sections seront imprimi'S, et qu' Is seront envoyés tous les trois
jours d ns les sections par des ordonnances.
Sur la presiaiion d'un serment particulier d'oublier l'incivisme
des si{fnataires de la pétition des vingt mille et des huit mille, cl
de les regarder comme des frères, l'asseiiib'ée passe à l'ordre du
jour, motivé sur ce qu'il est bi^-n dans le cœur de tous les citoyens
de cous rvcr les p-'opriélés et de défendre l.-s personnes, mais
non pas de fraterniser aveuglément avec des hommes qui propa-
geaient lo' royalistne du lou; leur pouvoir, non plus que de don-
ner dans un tolérantisuie capable de perdre la chose publique.
Un piriiculicr dépo-je sur le bureau un calice d'argent et sa pa-
tène appartenant aux Bragd ,ncs émigrés. Un prêtre insermenté
l'a remis à son fi ère qui, n'en voulant pas rester chargé, le remet
à la Commune.
La section des Gravilliers annonce pour la seconde fois que
M. Truchon , l'un de ses commissaires, a pcidu sa confiance ;
elle se p'aiut qu'il n'ait pas déposé son écharpe ; elle nomme
M. Petit pour le reujplacer.
Il s'élève des contestations assez vives à ce sujet. Quelques
membres, rendant justice au mérite et au ci\isme de M. Truchon,
prétendent qu'il ne doit pas être destitué. Quelques autres , éten-
dant plus loin leurs vu(S-. s'elfoicent d'éiablii" un nouveau mode
de représentaiiun, général et indépendant des sections, et de
inetti e en pi incipe qu'un commissaire de section est le représen-
tant de toutes.
M. le procureur de la Commune prend la parole et ramène ;\
la véiité, en prouvant qu'une place qui lient à la conliance doit
être perdue quand la confiance n'existe plus.
M. Petit, remplaçant de M. ïruchon, est admis ù prêter le
serment civique , et prend séance au conseil.
M. Truchon annonce qu'il rendra compte de difl^renles com-
missions duiit il isi chargé.
Arrêté que les sections seront invitées à compléter le nombre de
leurs commissaires au con«;eil-général.
T. Wlll. jj
2^ DOCDMENS COMPLÉMENTAIRE».
Rapport des commissaires à lapposilion de scellés dans la pri-
son de la Concier/jerie.
Autorisalion aux comm'ssaires de la scciion du Pont-Neuf de
lever lesdits scellés, de faire la desciiplion de tous les effets et
papiers , afin de mettre le nouveau concierge à portée d'exercer
sa place.
Lecture d'une lettre du minislre de la justice, qui demande
compte des motifs de l'arrestation du concierge de la prison de
la Conciergerie.
M. le procureur -syndic demande la parole. Il peint avec son
énergie ordinaire l'horreur de la position d'un prisonnier dans
les prisons de Paris, et surtout au Chàtelet , il dit qu'en voyant
sortir des crimimjls de cet o. lieux séjour pour marcher au sup-
plice, il a toujours été tenté de les en féliciter.
]| demande qnc le Chàttict soii démoli , et que ce soit par ad-
judication pour que la Commune ne soit pns encore obligée de
pnver les fiais de dénioliiion , comme à la Bastille. La proposi-
tion est appuyée, mise aux voix et ai rctée.
Arrête en outre qu'il sera imprimé un placard pour inviter les
citoyens artistes à indiquer les moyens de rendre lis prisons sa-
1 ubrcs.
Le conseil arrête que 3L Henry ne mérite pas la confiance du
ministre de la guerre ; déclare qu'il a surpris sa religion pour une
mission particulière, ei qu'en conséquence des dénonciations dont
il est l'objet, il sera mis en étal d'arrestation sur-le-cbamp.
Sur le renvoi que fait la section de la Maison-Commune de la
demande de la dame Farey,
Le conseil-général arrête qu'elle recevra des secours provi-
soires dès l'instant que le trésorier de la Commune aura rendu
compte des fonds qu'il a entre les mains.
Arrêté que 3L le commandant-général provisoire est autorisé
à faire déposer à la maison-commune tous les fusils de calibre qui
se trouvent dans les sections, d'après les visites domiciliaires; et
qu'en vertu du décret de l'assemblée nationale qui ordonne à
tous les citoyens qui ne s'enrôlent pas pour l'armée de remettre
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792),
aux sections leurs fusils de calibre, M. le comniandant-gëneTal
pourra faire auxdiles sections telles demandes que les circon-
stances exigeront. Signé Coulombeau.
Séance c/m 5 , à detu heures du matin.
M. Guiraut occupe le fauteuil.
Un particulier, arrêté comme suspect, ayant dit se nommer
Claude Maçon, et ayant signé Claude Sujot, est mis en état d'ar-
restation , jusqu'à ce qu'il ait vérifié par ses papiers ce qu'il a
avancé dans son interrogatoire au sujet de l'exactitude de sa con-
duite, et que le maître chez lequel il dit avoir travaillé en qualité
de charpentier ait répondu de sa conduite.
Le nommé Pelletier, gendarme du palais, amené à la barre, est
interrogé sur les violences qu'd s'csi peruiises à l'égard des deux
commissaires prêts à partir pour les départemens, et sur les
moyens qu'il a employés pour empêcher leur départ. Les mau-
vais tiaiiemens sont avérés pai- plusieurs citoyens. Il est envoyé
en état d'arrestation à la geôle pour vingt-quatre heures seule-
ment, et Ibrcé de déposer son uniforme. Signé Coulombeau.
Séance du ^ septembre i792 , Van /«•■ de la république française,
à dix fleures du malin. '
M. Pélion, maire, occupe le fauteuil.
L'assemblée applaudit à la proclamation de M. Billaud-Varen-
nes à l'instant de son départ pour l'armée.
Le conseil-général arrête qu'elh; sera imprimée, affichée et
envoyée aux quarante-huit sections.
Une nonibi euse dépuiaiion des Invalides se présente dans l'as-
semblée; l'orateur peint l'impatience qui dévore les concitoyens
de partir pour l'armée; le feu du courage anime ses gestes ex-
pressifs; l'amour de la patrie rend à ces braves guerriers tout le
courage de la jeunesse.
Le secrétaire leur fait part de la délibération qui a été prisa
pour les mettre à la tète de notre bouillante jeunQsse. Ils ne de-
:260 DOCUMF?ÎS COMPLÉMENTAIREi,
mandent point de commandement , disent-ils, point d'autres hon-
neurs que (Je voler à l'ennemi;
Ils deniantlcni des habits et des armes; de lon^js applaud'sse-
mens couronnent leur demande.
Ils sont renvoyés par-devant M. le commandant pour s'orga-
niser à l'instant.
Sur quel(|ues demandes des sœurs de l'Hoiel-Dieu et des En-
fans-Trouvés , il est arrêté que MM. Goudrehau et Benoit se irans-
porleront auxdils hôpitaux, pour en jager ces dames à continuer
leu!S bons soins aux enfans et aux malades.
MM. Moulin, Birrey, Jobert, Roussel, sont nommés pour se
joindre à des députés de l'assemblée nationale qui doivent pro-
téger les criminels de haute trahison, détenus à Orléans et qui
doivent arriver à Paris.
Sur la demande d'une députation de la section de Mirabeau,
le conseil-général arrête que M. Cahier sera élargi.
Le consjil général arrête que MJI. Leclerc, Favannes et
Charles, sont autorisés à procéder, conjointement avec les com-
missaires de la section des Sans-Culottes , à la vérification et
levée des scellés apposés à Saint-Firmin et à Saitit-Kicolas.
Le conseil-généial arrêie que M. le commandant-général est
autorisé à faire relever les postes des barrières , et à n'y laisser
que quatre hommes et un caporal pour vérifier les { asseporls des
voyageurs.
Les ouvriers pour le camp seront munis d'une carte et d'un
cachet qui leur servira de laissez-passer.
Les canonniers des vainqueurs de la Bastille défilent dans la
salle au bruit des applaudissemens. Us sont prêts à partir pour
le camp ; passant devant le président , ils lèvent la nmin en gar-
dant un silence majestueux, et ils expriment par ce serment muet
leur dévouement à la patrie.
Le conseil-général , conformément à son arrêté qui nomme
vin»l-quatre cominissaires pour se rendre dans les diflérens dé-
partemens, afin de pourvoir à tout ce qui intéresse le salut
public.
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 17f)2 ). 261
Délègue à M. Billaud-Varennes , substitut du procureur de !a
Commune, tous les pouvoirs dont il croira avoir besoin, et
avoue tout ce que sa sagesse lui dictera dans l'importante mission
dont il est chargé.
Le conseil-général, le procureur de la Commune entendu,
Arrête que les ateliers du sieur Pandroue, sellier, rue de
Seine-Saint-Germain, seront fermés; et, attendu qu'il n'a pos
de patente, autorise le procureur de la Commune à prononcer la
confiscation de tous !es objets qui s'y trouvent.
MM. 3Iariin et Daugeon, commissaires nommés pour les dé-
partemens, sontautor ses à partir sur-le-champ, et à choisir telle
vo'ttire qu'il leur plaira, ch z le sieur Pandroue.
M. Panis , administrateur et membre du comité de surveillance,
est invité à se rendre dans le sein du conse.l pour donner des ren-
seignemens sur les plaintes amères qu'un membre du conseil a
portées contre lui.
Un citoyen de la section des Halles vient dénoncer au conseil
un nommé Tulon, complice de Dangremont.
La section du marché des Innocens amène une feiiime chez
laquelle on a posé les scellés lors de la visite domiciliaire, parce
qu'on n'a pas trouvé son mari : le conseil la renvoie par-devant
ladite section , pour déduire ses moyens de défense.
Le si(;ur Soudain est nommé gardien des scellés et de tous les
effets qui se trouvent actuellement au Cliàîelet.
Signé Coulombeau.
Séance du mercredi 5 septembre, six heures du soir.
M. L'Huilier occupe le fauteuil.
Un infortuné nommé Lauzanne, qui a langui pendant qua-
rante mois dans les hôpitaux , et souffert les traitemens les plus
cruels pour une plaie profonde à la jambe, réclame , par l'organe
du secrétaire, un secours provisoire de cent vingt livres. Le con-
seil-général, toujours prêt à recueillir les plaintes des malheu-
reux , accorde d'abord cette somme; mais, sur l'observation
d'un membre que le temps des eaux est passé » pf qup cent vinj^t
2(S DOCUMEXS COMPLÉMENTAIRES.
livres ne peuvent pas iui être d'un grand secours dans son état,
le conseil airète qu'il entrera aux Incurables.
■ Sur la demande faite par la section du Bon-Conseil, arrête que
l'administration municipale fera afficher, dans le plus court
délai, l'état dis subsistances de la ville, ainsi que de toutes les
mesures qu'elle a prises et qu'elle se propose de prendre pour
faire évanouir toute crainte à ce sujet.
Arrête, en outre , que les administrateurs des différens dépar-
temens (municipaux) seront tenus de rendre compte, par écrit,
des décisions qui auront été l'objet de leurs délibérations; de les
soumettre à la sanction du conseil-général ou à sa critique s'il y a
lieu.
M. le procureur de la Commune entendu ,
Le conseil-général arrête qu'il sera nonmid samedi un percep-
teur des finances du département.
Le ci-devant valet de chambre du prince royal, nommé Vil-
letlc, n'clame la faculté de faire son service auprès du prince.
Sur cette demande, le conseil-général passe à l'ordre du jour,
motivé sur ce que le sieur Cléry , actuellement en place , conserve
sa confiance.
Des citoyens, voisins des couvons dits du Petit-Calvaire, de
Sainl-Aure, du Précieux-Sang , demandent, par l'organe du se-
crétaire, qu'il soit nommé des commissaires du conseil pour por-
ter à ces religieuses l'ordre de sortir de leur maison sous quinze
jours , parce qu'ils craignent que ces associations , conservées
contre le vœu de la loi, n'excitent quelque fermentation dans le
quartier. Le secrétaire observe que ces religieuses ne cessent de
répéter qu'elles ce doivent obéir qu'à la volonté de Dieu , et qu'il
est instant de leur manifester cette volonté par celle de la loi.
Le conseil-général arrête la mention honorable à la conduite
dvique du citoyen Bâche, père de cinq enfans, dont deux le sui-
vent aux frontières, et arrête en outre que non-seulement sa
place au bui-eau des passeports lui sera conservée, mais encore
qu'il jouira des appoinlemens de celte place comme s'il l'occu-
pait, afin de procurer l'existence à son épouse et à ses trois en-
/OVRNÊES DE SEPTEMBUE { 17î^ ). 263
fans , lesquels appoinieniens seront payés chaque mois à ladite
dame.
M. Rossignol étant excédé de fatigues, et même malade, de-
mande qu'on aille le relever à la prison qu'on croit éire celle de
la Force; ce défaut de désignation dans sa lettre fait que MM. Ma-
rino et Toulao , nommés couiuiissaires, ne peuvent remplir leur
mission.
M. le procureur de la Commune observe au conseil que M. Le«
moine, secrétaire-greflicr adjont de la municipalité, ayant donné
sa di'mission, l'expédition des alïaires se trouve relardée à rai-
son du défaut de signataires, qu'il est urgent de nomnicràlaplace
de M. Lemoine, et il piopo>e Claude Cou'oailjcau, cfoyen com-
misiairede la sect ondes Droiis-de-1 Homme. Celte nomination
ayant clé mise aux voix et a(l( ptce l'unanimité, ilapréiéà
l'instant le seruicnt requis par la lui du iA août 1792.
MM. Maillet, Tresse-ïondant, Breion et Journée, sont nom-
més pour la surveillance et la police du Temple.
31. Cuchois est nomnié coiuniissaire pour se rendre a la Con-
ciergerie, et y assurer l'ordre et la tranfjuillité.
Une députafion de la section du Louvre vient dénoncer les
abus de tous genres qui ont lieu à rÉcole-31i!ilaire. La légion qui
y est casernée s'y livre à' toute sorte de débauches. Les liiles pu-
bliques y sont accueillies en tous temps. Les chevaux y sont des
journées entières sans boire ni manger. Deux commissaires sont
Eommés, et partent à linsiant pour rétablir l'ordre et pour s'as-
surer des personnes qui peuvent êirc punissables.
M. Gilles est nommé pour présider à l'organisation d'un ba-
taillon de fédérés. Si^fué Coelombeau.
M. Laveau occupe le fauteuil.
Sur la demande de M. Thibault, marchand de vin , rue de la
Tannerie, il est nommé un commissaire pour prendre des rensei-
gnemens sur plusieurs personnes qui doivent coucher cette nuit
dans sa maison.
Le conseil-général arrête que MM, de la Barre et Lavoiepierre
264 DOCDMENS COMPLÉME-NTAIRES.
sont autorisés à faire transporter aux Invalides tous les plombs
qui peuvent se trouver dans les différentes sections; employer
toutes les personnes de i'hôlel à faire des carloudies, moitié en
poudre fine et la balle apparente , collée sur du papier ; se trans-
porter dans toutes les é{jlises pour faire enlever les cercueils de
plomb , faire ramasser lous les plombs qui se trouvent sous la
main de la nation, dans quelque lieu qu'ils puissent être, et à
faiie toutes les recherches à ce sujet, comme aussi de tirer de
l'Atsenal et de faire transporter aux Invalides toutes les poudres
nécessaires , et se procurer tous les moules ii balle dont ils au-
raient connaissance.
Le conseil-{jénéral arrête que la recherche des armes est ren-
voyée par-devant les municipaliiés qui doivent en connaîire.
Le conseil-général, sur la demande de la section de l'Arsenal,
autorise M.AL Lecamus ei Baudouin à faire transporter à Sainte-
Pélagie les prisonniers de l'hôtel de la Force, détenus actuelle-
ment à Saini-Louis-la-Culiure.
Ils se feront fournir les chariots dont on se sert ordinairement
pour transférer les prisonniers, et se feront accompagner de
telle force armée qu'ils jugeront convenable.
Séance du 6 septembre , à dix heures duinalin.
M. Verdier occupe le fauteuil.
Une dépufation delà section des Droits-de-niomme demande
à être autorisée à garder les fusils de calibre qu'elle a trouvés
dans les visites domiciliaires, afin d ' pouvoir armer les citoyens
de cette section, qui, au nonibre de plts de deux cents, sont
prêts à pai tir pour l'.irmée.
ï\i'nvoyé au commandant-général prov'soire.
Trois citoyens de la section des Arcis viennent réclamer con-
tre l'enlèvement, qu'on a fat chez eux, d'un fusil qi.i ava I été
donné à chacun iVeu\ , pour récompense et pa'enient de leur
travail à la maison-commune, lors du déchargement des armes
à feu.
Le conseil arrête que: comme ils ne partent pas pour l'armée
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 26o
il leur sera donné à chacun une pique, et que le prix de leur fu-
sil leur sera remis.
La section est invitée à fjire mention, dans son procès-verbal ,
de la bonne conduite de ces citoyens.
Un grand nombre d'ouvriers en tentes viernf nt se plaindre
de ce qu'on ne leur donne pas d'ouvrage. Le conseil arrête que
M. Coulange, entrepreneur des lentes, viendra rendre compte
de sa conduite.
Sur une pétition de la section des Thermes, relativement au
camp sous les murs de Paris;
M.VL Jacob et Lanier sont nommés commissaires adjoints à
ceux qui l'orment la commission du camp; ils sont inviiés à se
concerîeravec la section des Thermes pour accélérer les travaux
du camp.
Le conseil-général ayant or.!onné la délivrance des passeports
d'après l'esprit de ses arrêtés précéJens , et la libre ciiculation
dans l'étendue du département de Paris ;
Arrête que >L le commandant-général provisoire est autorisé
à duninuer la force armée qui monte aux barrières , et à n'y lais-
ser qu'un sous-officier avec quatre hommes, lesquels suffiront
pour vérifier si les voyageurs et voitures sont dans les termes de
la loi .
Tous les citoyens sont invités à se joindre à cette garde si l'on
osait entreprendre de la forcer.
M. le commandant-général mettra cet arrêté à l'ordre.
Le conseil rapporte la partie de son ariclé pi'is le 4 septembre
au matin, en ce qui concerne la carte nuinie d'un cachet au tim-
bre, dont les ouviiers pour le camp devaient être poi leurs ; ar-
rête que tous ces ouviiers , ayai)l des ch'jfs d'aiclicr à leur lèie ,
passeront librem nt.
On a faii lecture d'une lettre de M. le maire qui annonef que
les exécutions se continuent à la Force. Aussitôt le conseil députe
vers lui pour l'inviter à se rendre à la maison-commune et délibé-
rer sur les moyens de faire cesser l'effervescence, arrête en ou-
tre qu'il sera fait une proclamation à ce sujet.
DÔCUMEÎÎS COMPLÉMENTAIRES.
Le conseil-gënéral arrête qu'il sera délivré un mandat sur lé
trésorier de la ville, de la somme de mille quatre cent soixante-
trois livres, pour le salaire de toutes les personnes qui ont lia-
vaillé, au péril de leur vie, à conserver la salubrité de l'air dans
les journées des 2,5,4 et o septembre dernier, ainsi que de ceux
qui ont présidé à ces opérations aussi importantes pour la so-
ciété que dangereuses pour eux.
Le receveur-trésorier de la ville se remboursera de ces avances
sur les sommesprovenant des effets de toutes espèces qui se trou-
vent dans les prisons, et dont M. le procureur-syndic est chargé
de presser la vente.
Le comité de la section des Sans-Culottes demande à être au-
torisé à faire enlever les grilles de l'église paroissiale de Saint-
Médaid, pour luhriipier des piques. Le conseil passe à l'ordre
du jour, uiolivé sui ce (jue les d( crcis de l'asseudjlee nationale
poiient l'orinel!e:nent que les églises coiiservéej pour le service
divin resteront dans l'état où el.'es se trouvent.
Séance suspendue à deux heures.
Les membres du conseil, M. le maire à leur tête, se transpor-
tent à l hôiel de la Foi ce pour i appeler à l'exécuiion de la loi, qui
proiége les personnes et les propriétés. Signé Coulombeau.
Séance du jeudis septembre au soir.
M. Bernard occupe le fauteuil.
M. Sergpnt monte ù la tribune; il développeles moyens odieux
que l'on emploie pour calomnier le peuple ; il peint sa bonlé, sa
générosité, sa justice au milieu même de ses plus terribles ven-
geances ; il se plaint de ce qu'on répand le bruit atroce d'un pro-
jet de piller les magasins et les gens riches ; il s'étend avec com-
plaisance sur les preuves que le peuple à données si souvent de
son respect pour les propriétés. Il avance ce principe si vrai et si
fécond par ses heureuses conséquences en politique, que pour
rendre quelqu'un vertueux , il faut paraître croire à sa vertu.
Se résumjinî . i! conclut à ce que le conseil-général arrêté une
JODRNÉES DE SÊ^TEMBUÏt (1790). i^T
adresse ou proclamation conçue de manière que le peuple sente
ses venus et craigne de les ternir.
M, Sergent est înviié à rédiger lui-même cette adresse , et à en
faire part sur-le-champ au conseil.
Deux commissaires sont envoyés pour s'assurer de deux fa-
Lricaieurs de faux assignats qu'un citoyen vient dénoncer.
31. Panis, adininisiraleur de police, se présente au conseil-gé-
néral pour répondre aux inculpations dont on a lâché de le noir-
cir; sa jusiificalion satisfait le conseil qui lui témoigne n'avoir
aucun doute sur la pureté de sa conduite.
Arrêté que les travaux du Temple seront suspendus pendant
quarante-huit heures; que M. Paillet sera mandé pour rendre
compte de sa gestion et de l'eujploi des fonds qui lui ont été
remis.
Un meml.re du conseil avertit que plusieurs Suisses, de ceux
qui ont prèle le serment civique ce matin en place de Grève, et
que le peuple a désiré voir répartis dans toutes les sections, orit
clé re'^uscis par plusieurs ; qu'ils sont dans la salle et qu'ils ont le
plus grand besoin de repos.
Le conseil-général arrête que les sections Sont invitées à rece-
voir, dans leur sein, les Suisses qui leur seront piéscntés, de
leur donner l'hospitalité comme à des infortunés dont l'innocence
est reconnue, comme à des frères d'armes qui ont juré dans ce
jour de maintenir la liberté et l'ég'ililé. Bientôt ils par liront pour
l'armée; ils ne désirent que de verser leur sang pour la défense
d'un peuple sensible et bon , qui aime mieux faire des heureux
que de punir.
Le domaine delà ville remboursera les frais (jue pourront faire
les sections à cette occasion.
Le conseil-général, considérant combien il est important d'a-
voir du fer pour forger des piques, dans limpossibilité où l'on
est d'avoir assez de fusils pour armer tous les citoyens que l'a-
mour de la libe.'té et l'horreur pour Ir-s tyrans entraînent aux
frontières, arrête que les grilles de la place des Fédérés , qui ne
268 DOCUMEXS COMPLÉMENTAIRE»,
contribuent en rien à la dëcoiaiion de la place, seront enleve'es
pour èire converties en piques;
^ Que. tous les barreaux de fer qui se trouvent aux Tuileries
sont inutiles ; ensemble les grilles et le fer des églises supprimées,
tomes les barres de fer provenant des démolitions du Temple et
de kius b's édifices nationaux seront enlevés.
3131. Fort et Talbot sont nommés commissaires, à l'effet de
dresser tous les procès verbaux nécessaires pour constater la to-
la'iié par quintaux; diîstribuer par pesées égales lesdits fers à
chaque section, qui en donnera son reçu et fei-a fabi'iquer le nom-
bre de piqui s que la matière pourra lui fonrnii-. Le tout dans le
plus court délai et au meilleur marché possible.
Une femme, chargée d'un enfant, demande les moyens de
constater si son mari existe encore ; on l'a assurée qu'il avait eu
la tête coupée le 10 août , et elle ne peut jouir des biens de son
mari pour entretenir son enfant sans avoir constaté la mort du
père.
Renvoyé au comité de surveillance.
Le conseil-général arrête que six commissaires se transporte-
ront à l'instant sur la place de Grève, pour passer en revue les
volontaires de la section de Marseille qui sont prêts à voler à
l'ennemi.
L'orateur de la députation est accueilli avec des applaudisse-
m.ens universels. La mention honorable de son discours et du
p'jti ioiisme des citoyens de la section de Marseille est consignée
au procès-verbal.
L\ section du Mail présente au conseil une délibération pir la-
quelle il est proposé de mettre en oubli les listes de signataires
des pétitions anti-civiques, et de regarder ces citoyens comme
frères. Le conseil-général passe à l'ordre du jour, motivé sur le
dan;jer qu'il y aurait d'admettre parmi les patriotes des citoyens
dont le civisme a été plus que douteux jusqu'au 10; la députation
' est admise aux honneurs de la séance.
Le conseil-général , le procureur de la Commune entendu , ar-
rête que, vu les dangers auxquels est exposée la patrie , et le
JOURNÉES Dt SEPTEMBRE (1792). 2(59
besoin d'armer promptemenl les ciioyens: louie espèce de for-
maliié prescrite pour kspaieniens <jue du:t l'aire le Iréioiierdela
municipalité pour les approvisionneniens de guerre est abolie, et
qu'à compter de ce jour, il paiera sur la sijjnalurre du maire, de
deux administrateurs de la force armée et de la police, les bons
qui seront lires sur lui.
Que, vu la disclie des fonds dans la caisse de la municipalité ,
les administrateurs de police et membres du comité de surveil-
lance metliont à la disposition du caissier de la force armée ,
une summe prise sur les espèces et la valeur des effets saisis chez
les éi!ii[jréi, ainsi que les sommes qui proviendront des effets
non réclamés qui se liouvenl en dépôt et avec le scellé dans les
prisons ;
Laquelle somme sera employée , sur le vu des susdits ad-
ministrateurs , pour des munitions de guerre, sans qu'ils aient
besoin d'en obtenir la délivrance par des arrêtés des bureaux de
vil!e< t du corps municipal, dont la lenteur ne peiilqu'étre infini-
ment nuisible à la chose publi(|ue.
Les admiiisiraleurs de police et de la force armée feront l'em-
ploi de tous les fonds sous leur responsabilité.
Nuit du G au 7 septembre.
Il a été amené quelques particuliers qu'on soupçonnait avoir
des conr.ai.-sancts relativement à la fabrication de faux ass-'j-nats
et faux billets de confiance; ils n'ont donné aucune lumière, el
ont été renvoyés.
Séance du vendredi 7 septembre 1792 , l'an I" de la république,
M. Tessier occupe lel^uteuil.
Le conseil-général arrête que tous les effets déposés dans dif-
férentes prisons seront réunis dans un seul et même lieu , afin
d'éviter toute dilapidation.
Sur la demande faite d'inviter les sections à remplacer les mem-
bres du conseil qui sont nommés électeurs, passe à l'ordre du
jour.
^0 POÇÇMENS COMPLÉMENTAIRES.
Sur la demande d'un officier de gendarmerie, d'envoyer au
Giiàteîct des commissaires pour y rétablir l'ordre troublé par
quelques nialveillans qui n'avaient pas respecté les scellés ,
M.ïï. Richardon et Rigollot sont nommés pour remplir celle
mission.
M. Pétion occupe le fauteuil.
M. le maire-président prend la parole, et rend compte dc5
moyens employés par les ennemis du bien pubi'c pour faire re-
garJer avec horreur les citoyens de Paris; il assure qu'on fait
courir des listes de proscription pour effrayer ceux qui résident
dans cette ville immense, et en éloi^jn^r tous les étrangers. Il
propose de faire une adresse aux qualre-vinjjt-deux départi mens
pour développer les principes qui dirigent la très-grande majo-
rité des citoyens , et les assurer fornifllement que dans tous les
temps les individus et Us personnes seront respectés daiîs clUC
ville.
Celle motion est fortement appuyée et couverte d'applaudisse-
mens ; il est arrêté à l'unanimité que M. le maire se chargera de
rédiger l'adresse.
Le conseil-général arrête que les assemblées générales des sec-
tions vérifieront les preuves de civisme de tous les anciens gardes
de la maison du ci-devant roi , et qu'elles en feront passer le cer-
tificat à la maison-commune.
Un membre se plaint de l'élection de HDI. Thouret et Pasto-
ret, ainsi que de quelques autres royalisles-feuillans , réviseurs
de la Constitution , nommés à la Convention nationale par le dé-
paitemenl. Il demande qu'il soit fait une adresse aux quatre-
vingt-deux départemens , pour faire sentir le danger de pareils
choix.
Sur celte demande , le conseil-général passe à l'ordre du jour,
motivé sur ce que la plus grande liberté doit régner dans les élec-
tions, et sur ce que la ville de Paris irait directement contre ses
intérêts , si elle paraissait prétendre à la moindre influence dans
ce qui concerne les diflérens départemens de l'empire.
JOURNÉES DE SEPTESIBRE ( 1792 ). 27|
Une députnlion de ciioycns casernes à la Nouvelle-France de-
mande que l'un d'entre eux, prévenu de vol, sot promp'emcnt
puni. M. le maire prend la parole, et après avoir applaudi à leur
délicalesse, il examine l'affaire sous tous les rapports et conclut
en disant que le délit doit être juj^é par une cour martiale.
Le conseil-{îénéral arrête qu'il fera une pétition à l'assemblée
nationale à l'effet d'obtenir que les porls dé lettres soient dimi-
nués de moitié pour les sous-officiers et soldats qui sont aciuil-
lement dans nos armées , et que cette disposition soit étendue à
tout le temps de la guerre.
M3I. Rivallier, Fontaine, Thomas et Favanne sont nommés
commissaires à l'effet d'examiner les différentes plaintes contre
la conduite de M. Panis.
Séance du 7 septembre apres-mïdi.
M. Boula occupe le fauteuil.
Le conseil {jénéral autorise M.ïï. Lecier et .. à se transporter
à la maison de Saini-Fijiuin , pour procéder, conjuinlemcnl avec
MM. les commissaires de la section des Suns-Culoiies , à la vérili-
catiun et levée de scellés qui y ont été apposés, pourvoir aux ré-
clamations relativement aux effets qui s'y trouvent, dresser pro-
cès-verbal du tout, et en rendre compte au conseil.
Arrêté que l<s sections seront invitées à ne délivrer de passe-
ports que sur la représentaiion de quittances de toutes les impo-
sitions, et d'en fuire mtniion sur les passeports.
Sur la demande de la section des Tuileries, arrête qu'elle est
autorisée à mettre le scellé sur les papiers do M. liurelle, à le
mettre en état d'arrestation s'il y a lieu , et à saisir le di ap dont
elle a un besoin pressant.
Les commissaires qui sont à l'hôtel de la Force sont autorisés
à arrêter les comptes de dépense et à les présenter au conseil.
L'airêié du conseil pour l'enlèvement des grilles de la place
Royale à l'effet d'en fabriquer des piques, est rapporté.
, Sur la demande de la section Monlniartre , M. Illarchand, dé-
â7â DOCDMENS COMPLÉMtRTArREg.
tenu à Saînle-Pcla{jie, est mis en liberlé par un arrêté du conseil-
général.
Séance levée à minuit.
Séance du 8 septembre 1792, l'an \" de la république, au malin.
M. Pëiion occupe le fauteuil.
Le cunseil-;;én rai arrèle que les comités des srclions, ccnjoin-
temenl avec ?ii.M, les capitaines des compagnies, seront inviles à
déterminer tous les cit(»yens, conl'ormémenl au texte de la loi , à
donnf^r tous les lîisils de calibre (ju'ils peuvent avoir, quand
mêiue i!s s'enrô eraienl pour le camp sous Paris.
Arrêté que tous les commissaires qui ont apposé les scf liés,
dans quelque endroit que ce puisse être, seront tenus d'en faire
leur déclaration dans les quarante-huit heures à l'aduiinistration
des domaines nationaux , à l'efl^t, par celte adminislraiion, faire
droit aux réclamations et faire rendre les effets s'il y a lieu.
La sect on des Sans-Culoites est autorisée à remeilre à
M. Legendre son argenlerie saisie par procès- verbal de ladite
section.
M. le maire prend la parole. /
Il expose l'insuffisance du local oîi l'assemblée nationale tient
ses sé.incps; les avantajies que la nation relirerait de la vente des
terrains des Capucins ei des Feuillans. l! s'étonne de ce que les
rois ayant toujours habité dans des palais, les représenlans du
souverain soient resseirés dans un manège ; il propose d'adresser
une pétition à l'assemlike nationale à l'effet de l'inviter à clnjUr
un local convenable dans les Tuileries pour tenir ses séances.
Cette motion est applaudie. M. le maire est invité à faire la pé-
tition, et à se mettre à la tète d'une dépuiaiion de douze mem-
bres qui se rendront à l'assemblée nationale.
Les commissaires nommés à cet effet sont 3DL Pétion , Ma-
nuel, Toulan, Coulon, La'sné, Le Maire, d'AuJibert-Cuille,
Godichon, Delaunay, Deschan)ps, Joibertan et Miet.
Séance suspendu? l'i trois heure?.
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( 1792 ). 275
Séance du samedi 8 au soir.
M. Laveau occupe le fauteuil.
Le citoyen Jean-François Damour, homme de loi, demeu-
rant quai de Gèvres , n° 21 , dépose sur le bureau une somme de
200 livres , pour subvenir aux dépenses nécessitées par les cir-
constances actuelles , et il contracte l'engagement de payer une
somme de 800 livres par année , et ce par trimestre , dont 400 liv.
seront remis à l'assemblée nationale pour les frais de la guerre ,
200 livres à la Commune pour subvenir aux frais communaux ,
et 100 livres à la section des Arcis pour subvenir aux besoins des
citoyennes dont les maris ont péri dans la journée du 10 août.
Le conseil-général, après avoir applaudi à cette offre civique ,
a arrêté que mention honorable en serait faite au procès-verbal ,
et qu'extrait du présent sera délivré au citoyen Damour.
t Je soussigné, secrétaire-greffier de la Commune, reconnais
avoir reçu du citoyen Damour un assignat de 200 livres , déposé
ce jourd'hui sur le bureau du conseil-général pour subvenir aux
besoins communaux.
» Dont quittance civique à la maison commune de Paris, ce
8 septembre 1792, l'an IV^de la liberté, V" de l'égalité. »
Le conseil-général, considérant que l'ardeur du patriotisme en-
traîne en ce moment au-devant de l'ennemi tous les citoyens
français ; que les ouvriers de toutes les professions s'empressent
à l'envi de marcher et à composer nos légions citoyennes, pour
aller anéantir les ennemis de la liberté et de l'égalité ;
Applaudissant au zèle de tous les Français et aux sentimens
qui leur dictent cette grande démarche digne d'un peuple qui
veut demeurer libre ,
Observe néanmoins aux citoyens qu'un déplacement trop pré-
cipité et trop considérable , nuirait également et au commerce et
aux moyens de fournir aux premiers besoins de nos braves dé-
fenseurs ;
Arrête que les serruriers, charrons, cordonniers, taillandiers
et autres ouvriers des étals ou professions de première nécessité,
T. XVIII. iS
â74 DOÇUIfËNS eOMPLÉHElXTim£8.
sont invités à rester à Paris, jusqu'à ce que les magistrats, ho-
norés de la confiance de leurs concitoyens , fassent entendre le
tocsin de la nécessité publique , qui leur indiquera le moment où
tous les bras devront frapper à la fois pour abattre les têtes des
tyrans.
Les sections sont invitées à réunir tous leurs efforts pour
l'exécution du présent arrêté , et, à cet effet, elles exigeront à
l'avenir, de tous ceux qui s'enrôleront , qu'ils soient munis d'un
certificat qui prouve quel est réellement leur état.
Ordonne que le présent arrêté sera imprimé , affiché et envoyé
aux quarante-huit sections.
31. le commandant-général est autorisé à pourvoir au caserne-
ment des volontaires de la section du Ponceau.
Lecture d'une lettre de M. Billaud-Varennes , en date du 6 ;
il donne des détails satisfaisans sur le patriotisme et l'ardeur
guerrière de nos braves soldats-citoyens ; il se plaint de l'inertie
du général Luckner.
Le conseil-général arrête que tous les citoyens-soldats qui se
présenteront aux bureaux des diligences pour se rendre aux ar-
mées , obtiendront la préférence sur tous les citoyens qui se se-
raient fait enregistrer avant eux.
Le conseil-général arrête que le nom de Thermes-de-Julien ,
qu'a porté jusqu'à ce moment la section , sera changé en celui de
Beaurepaire ; que le nom de place de Sorbonne sera changé en
celui de Beaurepaire ; qu'il sera apposé sur l'angle de la place un
marbre portant une inscription du trait héroïque du brave Beau-
repaire, dans la forme déterminée par l'assemblée générale de
la section. Arrête aussi que le nom odieux de Richelieu que porte
la rue sera effacé, et qu'on y substituera celui de Beaurepaire;
que la rue de Sorbonne portera ^dorénavant celui de petite rue
Beaurepaire.
Le procureur de la Commune présente ses vues pour la ré-
pression des filles de mauvaise vie.
Le conseil applaudit à son zèle.
Séance suspendue à onze heures du soir.
JOURNÉES HE SEPTEMBRE ( 1792 ). ^5
Séance du dimanche 9 septembre 1792.
M. Boula occupe le fauteuil.
Une députation de la section du Roule se présente ; l'orateur
émet son vœu pour le salut du peuple : Fraternité , union , sur-
veillance continuelle, énergie , activité, inflexibilité surtout dans
les principes , et guerre ouverte aux traîtres , aux hypocrites et
aux modérés; voilà, dit-il, ce qui doit caractériser et la section
du Roule et les quarante-sept autres sections de Paris.
Le conseil-général arrête la mention honorable de cette adresse
au procès-verbal, et invite la députation aux honneurs de la
séance.
Une députation de la section de la Cité exprime ses sentimens
fraternels à l'égard des Suisses qui lui ont été envoyés, et qui
sont devenus Français par leur serment civique et par leur enrô-
lement dans la compagnie des citoyens qui vont partir pour les
frontières.
Elle demande que le conseil-général fasse armer et habiller ces
braves mihtaires. Arrêté que M. le commandant-général provi-
soire prendra les mesures les plus promptes pour satisfaire à
cette demande.
Le citoyen Tallien a été proclamé procureur de la Commune,
le citoyen Lavau premier substitut, e( le citoyen Léonard-Bour-
don second substitut.
Le secrétaire fait lecture d'une lettre de M. Pétion, dans la-
quelle, annonçant qu'il est nommé à la Convention nationale, il
donne sa démission de la place de maire , et exprime toute sa
sensibilité pour les preuves de confiance qu'il a reçues de ses con-
citoyens.
Le conseil-général arrête que M. le maire sera invité à rester
en place jusqu'à ce que la Convention nationale ouvre ses
séances.
Lecture faite du procès-verbal, la rédaction mise aux voix a
été approuvée , et le citoyen Boula , président , a levé la séance à
minuit.
276 DOCUMENS COMPL^.MENTAIRES.
Séance du 10 septembre 1792.
M. Boula occupe ie fauteuil.
Une dépulaiion de la section du Ponceau , actuellement des
Amis-de-Ia-Patîie, vient déclarer ilërativement que M. Dufort a
perdu sa confiance et qu'elle lui retire absolument de ses pouvoirs.
Le conseil-jjénéral arrête qu'il sera mis à la disposition du
ministre de la guerre cent mille cartouches pour le camp de
Soissons.
La dame Le Comte est amenée à la barre par la garde natio-
nale d'Écouen. Elle est prévenue d'accaparement de blé et de
l'avoir vendu en échantillon. Interrogée sur ces délits, elle nie
absolument tout ce qu'on lui impute; elle est envoyée provisoi-
rement en état d'arrestation à la geôle.
Les sieurs Pucce et Fourneau , prévenus d'avoir volé le prêt de
la compagnie de cavalerie casernée à l'École Militaire, sont ame-
nés à la barre ; renvoyés par devant les tribunaux , ils sont con-
duits, sous la garde du commandant du poste de la Ville, aux
prisons de la Conciergerie , pour y être provisoirement en état
d'arrestation.
Le commandant du poste vient bientôt rendre compte que les
prévenus ont été à couvert de toute atteinte par la loyauté du
peuple et sa soumission à la loi ; qu'ils sont rendus à la Concier-
gerie , et qu'ils seront jugés demain dans la journée.
Nomination de commissaires pour se transporter aux prisons ,
à l'effet de constater la mort des prisonniers depuis la journée
du 10.
Arrêté qu'il sera ouvert un registre au secrétariat de la muni-
cipalité où seront inscrits les noms des morts et des témoins,
ainsi que l'état des effets trouvés dans lesdites prisons.
Les commissaires sont MM. Agy et Delaunay pour le Châte-
let, Danger et Moneuse à l'hôtel de la Force.
Le conseil-général de la Commune, considérant que les muni-
cipalités ont , d'après le texte précis de la loi , le droit de consta-
ter les naissances, mariages et décès; voulant remédier, autant
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 277
qu'il est en son pouvoir, aux troubles que pourraient apporter
dans les familles les meurtres commis en la personne des détenus
dans les maisons différentes d'arrêt , de détention , de justice et
de réclusion qui sont sous sa surveillance, si leur mort n'était
constatée par une autorité reconnue et d'une manière légale;
Voulant pareillement que les effets mobiliers, linge, bardes,
bijoux et sommes de deniers trouvés sur les prévenus et déposés
dans les comités de section , soient remis à ceux qui ont droit de
les réclamer ;
Le procureur de la Commune entendu,
Arrête : 1° que les greffiers, concierges, geôliers et gardiens
desdites prisons seront tenus de se transporter au comité de la
section dans l'étendue de laquelle se trouve une des maisons ci-
dessus désignées, d'y déposer les registres et renseignemens
qu'ils pourront avoir, tant sur les prisonniers morts que sur
ceux q»i se sont évadés desdites prisons.
Art. 2. Lesdits comités de section dresseront, en présence
d'un des membres du conseil-général , et d'après les déclarations
tant des greffiers , concierges , gardiens et geôliers desdiles pri-
sons, que sur les dépositions de citoyens qui auraient été té-
moins, et dont ils recevront le serment , des procès-verbaux (jui
constateront lesdits décès.
Alt. 5. Les procès-verbaux ainsi dressés seront déposés en
minute, dans les vingt-quatre heures, au secrétariat de la Com-
mune.
Art. 4. Le sfcrétaire-greffier ouvrira un registre sur lequel
sera porté l'extrait du procès-verbal de chaque décès, et con-
tiendra la mention des noms , surnoms, âge, qualité, profession
ou état, pays de naissance et demeure, soit des personnes décé-
dées, soit des citoyens qui attesteraient leur mort.
Art. S. Le secrétaire-greffier sera tenu de délivrer, et sans
frais, autant d'extraits qu'il en sera demandé par les parens ou
personnes qui pourraient y avoir droit.
Art. G. A l'égard des effets mobiliers, tels que linge , bardes ,
bijoux ou sommes de deniers trouvées sur les détenus , ne pou-
278 DOCUMliNS COWPLÉMENTAlRIiS
vant être considérés que comme propriétés particulières , et sur
lesquelles la Commune n'a aucun droit ;
Le conseil-général arrête pareillement que lesdits objets res-
teront déposés dans les comités desdites sections , pour, d'après
les renseignemens donnés sur les véritables propriétaires d iceux,
élre remis sur bonne et suffisante désignation aux parens , héri-
tiers ou ayant-cause des personnes décédées , le tout en présence
d'un d'un commissaires du conseil-général, procès-verbal préa-
lablement dressé desdites remises.
Arrête également que le présent arrêté sera imprimé , affiché
et envoyé aux quarante-huit sections.
Le conseil-général de la Commune , prenant en considération
la demande faite par l'assemblée générale de la section des
Droits-de-l'Homme , autorise MM. Pointard et Hardy, commis-
saires par elle nommés à cet effet, à se faire délivrer par le
concierge de l'hôtel de la Force , ou par tout autre gardien ,
cinquante -huit matelas pour coucher les citoyens -soldats de
Monialban, qui ont accompagné les prisonniers amenés d'Or-
léans à Versailles ; charge lesdits commissaires de faire rétablir
les matelas dans la maison d'arrêt , lorsqu'ils ne seront plus né-
cessaires.
Ordonne audit concierge, sur le vu du présent arrêté , et sur
la décharge desdits commissaires , de remettre ladite quantité de
matelas.
Les citoyens venant d'Orléans demandent à être campés , et
offrent le travail de leurs mains et tous les efforts du zèle le
plus ardent pour l'avancement des travaux.
Un détachement du régiment de Berwick-cavalerie et des vo-
lontaires d'Orléans qui ont accompagné la garde nationale de
Paris pour le transport des prisonniers, demande la nourriture
et le logement jusqu'à leur départ.
Renvoyé au commandant-général et à la commission militaire
pour en faire leur rapport.
MM. Thomas et Bonomé sont nommés commissaires pour visi-
lOBilNÉES DE SEPTEMBRE { 1792 ). Ô7Ô
ter un paquet de lettres saisies sur des prisonniers d'Orléans ,
et en dresser procès- verbal.
Le conseil-général arrête que quatre citoyens du détachement
d'Orléans seront présens à cette opération.
Le conseil-général , considérant combien il est imposant de ne
pas laisser encombrer les prisons en y retenant indistinctement
et les criminels qui doivent tomber sous le glaive de la loi , et de
simples prévenus de fautes légères , arrête que deux commis-
saires du conseil-général se transporteront , accompagnés de
commissaires de sections et de leur secrétaire-greffier, dans
chacune des prisons de Paris , à l'effet d'interroger tous les dé-
tenus, de connaître la nature des délits dont ils sont prévenus,
ou constater leur innocence ; en faire le rapport aux tribunaux
qui doivent en connaître, pour, par eux, statuer ce qu'il appar-
tiendra dans le plus court délai ; et pour accélérer celte mesure,
arrête, en outre, que le tribunal de police procédera incessam-
ment à l'interrogatoire des prisonniers de Sainte-Pélagie et de la
geôle;
Arrête que l'article 6 de l'arrêté du 10 de ce mois est rap-
porté. Le conseil-général déclare que tous les effets des prison-
niers morts ou évadés depuis le 2 dudit mois jusqu'à ce jour,
appartiennent à la nation.
M. Thomas , nommé commissaire pour l'examen des effets
trouvés sur les prisonniers d'Orléans , écrit au conseil que des
affaires indispensables ne lui permettent pas de remplir celte
mission. M. Véron est nommé pour le remplacer.
Arrêté que les sommes trouvées dans la caisse du séminaire de
Saint-Firmin et dépendances seront versées au trésor de la mai-
son commune.
Arrêté de la Commune, en date du 23 août 1792 , sur le clergé.
« Le conseil-général , considérant qu'au moment où le règne
de l'égalité vient enfin de s'établir par la sainte insurrection d'un
280 DOCLMEJMS COMPLÉMEMAIRES
peuple justement indigoé par la longue oppression dont il a été
la victime, cette égalité précieuse doit exister partout;
> Considérant que les cérémonies religieuses actuellement ob-
servées pour les sépultures étant contraires à ces principes sa-
crés , il est du devoir des représentans de la Commune de tout
ramener à cette précieuse égalité que tant d'ennemis coalisés
s'efforcent de détruire ;
> Considérant que, dans un pays libre, toute idée de super-
stition et de fanatisme doit être détruite et remplacée par les
sentimens d'une saine philosophie et d'une pure morale;
» Considérant que les ministres du culte catholique étant payés
par la nation, ils ne peuvent, sans se rendre coupables de pré-
varication , exiger un salaire pour les cérémonies de ce culte;
» Considérant, enfin, que le riche et le pauvre étant égaux
pendant leur vie, aux yeux de la loi et de la raison, il ne peut y
avoir de différence entre eux au moment où ils descendent au
tombeau ;
» Le procureur de la Commune entendu , le conseil-général
arrête :
^ 1° Conformément aux lois antérieures , tous les cimetières
actuellement existans dans l'enceinte de la ville , seront fermés et
transportés au-delà des murs;
> 2° A compter du jour de la publication du présent arrêté,
toutes les cérémonies funèbres faites par les ministres du culte
catholique seront uniformes;
» 3" Il ne pourra y avoir plus de deux prêtres à chaque enter-
rement , non compris les porteurs du corps;
> 4° Toute espèce de cortège composé d'hommes portant des
flambeaux ou des cierges est interdit ;
» o" La nation accordant un salaire aux ministres du culte ca-
tholique , nul ne peut exiger ni même recevoir aucunes sommes
pour les cérémonies religieuses funèbres ou autres ;
» 6° A compter de ce jour, toute espèce de casuel, même vo-
lontairement payé , est supprimé ;
> 7° l'out prêtre qui aura exigé ou reçu aucune espèce d'ho-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 281
norjrtres pour les baptêmes, mariages, enterremens ou autres
cérémonies , encourra la destitution ;
» 8° A compter de ce jour également, toutes espèces de ten-
tures de deuil , soit à la porte du défunt , soit à celle du temple,
soit même dans l'intérieur, sont supprimées ;
» 9° La voie publique appartenant à tous, nul n'en peut dis-
poser pour son usage particulier ; en conséquence , tous conduc-
teurs d'enterremens et autres cérémonies extérieures d'un culte
quelconque, ne pourront jamais occuper pour leur cortège qu'un
seul côté de la rue , de manière que l'autre côté reste entière-
ment libre pour les voitures et pour les citoyens se rendant à
leurs affaires ;
» 10° 11 sera néanmoins fait une exception à l'article ci-dessus
pour les honneurs funèbres rendus aux citoyens morts pour la
défense de la liberté;
» 11° Toute espèce de prérogative ou privilège étant abolie
par la Constitution , nul ne peut avoir dans un temple une
place distinguée ; en conséquence, les œuvres et autres endroits
où se plaçaient les marguilliers , fabriciens ou confrères, sont
supprimés ;
» 12° Les curés et vicaires ne pourront exiger, pour les ex-
traits de baptêmes , sépultures ou mariages , que le rembourse-
ment du timbre ;
» 15° Le présent arrêté sera imprhné, affiché, envoyé aux qua-
rante-huit sections , et notifié à tous les curés de Paris. » (Registre
du 10 au 31 août, fol. 560 à 365.)
9Êlt tôttHÈHi ûMPltamixiMi.
EXTRAIT DES PIÈCES
RECUEILLIES PAR TOULONGEON
DANS SOIS HISTOIRE DE FRANCE
DEPUIS LA RÉVOLUTION (1).
Mon frère trouva deux hommes qui , tout couverts du sang
répandu par leurs mains , pouvaient encore être accessibles aux
sentimens d'humanité. Ces hommes ont sauvé mon frère. Je ne
me les rappelle pas sans reconnaissance. Je liens de mon frère ,
lui-même, les particularités de leur conduite, et je les rapporte
fidèlement.
Le tribunal , étabh en prison pour le procès prétendu des pri-
sonniers, avait envoyé à la mort tous ceux qui jusque-là y avaient
comparu. Mon frère fut appelé. Un de ceux qui le conduisaient,
frappé de sa sécurité, le fixa avec surprise et s'écria: « Vous
> avez l'air d'un honnête homme ! Un coupable aurait une autre
» contenance! »
— Je ne suis coupable de rien.
— Pourquoi donc êies-vous ici ?
— Je l'ignore. Personne n'a pu me le dire, etje suis convaincu
que j'ai été pris par erreur.
— En êtes-vous sûr ?
(0 Ce fragment , extrait des Mémoires contemporains, devient historique par
la vérité du tableau. Ce récit prouve que ces meurtriers n'étaient ni des gens éga-
rés par fanatisme , ni emportés par des passions violentes , mais des hommes
préposés pour accomplir, comme exécuteurs de ces œuvres, une sentence collec-
tive portée par un tribunal secret , prononcée dans les ténèbres , où le nom des
juges devaient rester enseveli. Le crime, ou plutôt les crimes, avaient été crui
si nécessaires, que l'on voulut à tout pris qu'ils fussent commis en même temps;
personne n'osant les ordonner ni les avouer, on s'assura de bras obscurs auxqnelc
on ne pût rattacher aucun nom , afin d'être certain de l'impunité nécessaire aux
autres forfaits déjà médités, et qui devaient bientôt couvrir la France.
( Note de Toulongeon. )
JOURNÉES DE SEPTEMBRE ( i 792 ) . ^^
— Très-sûr.
— En ce cas, ne craignez rien. Prenez courage: parlez d'un
ton ferme à vos juges, et comptez sur mon secours, entendez-
vous ? Nous vous sauverons , aussi sûrement que je m'appelle
Michel.
— Je n'ai pas la moindre crainte ; mais je puis vous répondre
que vous serez bien récompensés.
— Ne parlez pas de cela , reprit l'homme en secouant la tête.
Le bonheur inattendu de rencontrer un zélé protecteur parmi
ces assassins , procura à mon frère le calme nécessaire pour sup-
porter l'horrible aspect de ses juges. Arrivé à la barre de ce tri-
bunal de sang, interrogé par le bourreau qui présidait, sur son
nom et sa qualité , il déclina son nom , et ajouta qu'il était
Maltais.
3Ialtais! Maltais! d'où cela vient-il? Qu'est-ce que
c'est qu'un Maltais , s'écrièrent cent voix ensemble?
Il veut dire qu'il est de Malte, s'écria hautement le conducteur
de mon frère : Malte est une île. Vous ne savez pas cela? J'ai
connu bien des gens qui en venaient , et on les appelait Maltais.
Ah! c'est une île, dit un autre? le prisonnier est étranger.
— Oui , il est étranger ; que serait-il sans cela, imbécile?
— A la bonne heure ! Ne vous fâchez pas, citoyen.
Rappelez à l'ordre, président, rappelez à l'ordre, crièrent-ils
tous. Dépêchons-nous!
Le président demanda à mon frère de quoi il était accusé.
Mon frère répondit qu'il l'ignorait , et que personne n'avait pu le
lui dire.
Il ment, il ment! s'écria-t-on.
Silence, citoyens, reprit l'honnête Michel d'un ton d'auto-
rité ; laissez parler le prisonnier. S'il ment, son affaire sera bien-
tôt faite; mais vous ne le condamnerez pas, j'espère, avant de
l'avoir entendu ?
Non, non , non ; écoutons ; Michel dit vrai : écoutons ; silence.
Continuez , président.
— Pourquoi êtes-vous arrêté, reprit alors le président?
284 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
— Parce que j'yi eu le malheur d'aller voir une personne au
moment qu'on rarrêtail. On me prit avec un autre qui avait eu
le même malheur , et on nous mena à la Commune. Mon cama-
rade , commissaire de la section , fut bientôt mis en liberté. Mes
amis ont fait des démarches pour procurer aussi la mienne ; on
leur a toujours répondu qu'elle allait être ordonnée , et je ne puis
concevoir ce qui a pu y mettre obstacle.
— Ètes-vous bien certain , reprit le président , que votre écrou
ne porte aucune charge ?
— Je ne puis croire qu'il en porte aucune ; mais en tout cas ,
je ne suis pas en peine de me justifier.
Qu'on apporte le registre, dit le président.
Le geôlier le lui présenta ; il n'y trouva ni charges, ni motifs :
il fit passer la feuille entre les mains des juges, et proclama à
haute voix que le prisonnier avait dit vrai.
Il faut , cria Michel, que la nation le déclare innocent.
La motion fut soutenue par un oui général. Cette acclamation
unanime fut suivie à l'instant d'une formelle déclaration du tri-
bunal, sur l'innocence du prisonnier; on me donna la liberté. La
sentence fut applaudie aux cris de vive la nation ! Michel , avec
son camarade, qui avait témoigné presque autant d'intérêt que lui,
prirent mon frère sous les bras, le firent sortir, et le procla-
mèrent innocent, dans le lieu même des massacres.
Les barbares exécuteurs étaient là rangés sur deux lignes et
tout prêts à frapper, quand le mot innocent atteignit leurs oreil-
les. Ils entourèrent mon frère, le portèrent en triomphe avec des
transports de joie , et l'embrassèrent tour à tour avec des mains
et des visages teints de sang. Il fut contraint de se prêter de
bonne grâce à ces effroyables caresses. Ses deux vigoureux con-
ducteurs eurent de la peine à l'en tirer , en répétant qu'il avait
besoin de repos, et qu'il serait cruel de le retenir plus long-
temps. Après l'avoir dégagé de la foule , Michel lui demanda s'il
avait des parens chez qui il désirât être conduit. Il répondit qu'il
avait une belle-sœur , qu'il allait la joindre , mais qu'il se sentait
assez fort pour pouvoir y aller seul. En même temps il le remer-
JOURNÉES DE SEPTEMBRE (1792). 285
cia , et lui offrit ce qu'il avait d'assignats , comme un gage léger
de son extrême reconnaissance. Michel refusa le présent, et per-
sista à le suivre.
Nous répondons de vous , dit un des deux. Nous ne pouvons
vous quitter que vous ne soyez en sûreté. Vos assignats , nous
n'en voulons pas. Le plaisir de vous sauver vaut mieux. Allons-
nous-en chez votre belle-sœur. Où demeure-t-elle ?
— Rue du Chaume.
— La pauvre femme sera bien contente et bien surprise !
— Oh ! certainement , elle sera ravie.
Vous ne devineriez jamais, monsieur, reprit l'honnête Michel,
ce que mon camarade et moi nous disions : si vous nous permet-
tiez de vous accompagner chez votre belle-sœur, ce serait une
grande jouissance pour nos cœurs, que de voir une si touchante
entrevue.
— Vous êtes trop bons , mes chers amis ; mais il est tard , et
vous avez besoin de sommeil.
— Oh ! monsieur , un tel spectacle nous reposerait.
— Je serais bien content de vous y voir ; mais ma belle-sœur
est si timide, elle est d'une si mauvaise santé , que des étrangers,
à cette heure, l'alarmeraienl considérablement. La vue du sang
qui couvre vos habits pouiTait lui faire du mal, et vous ne le
voudriez pas.
— Non, certainement. Mais quand vous lui direz que nous
vous avons sauvé la vie, elle sera bi^n aise de nous voir. Comptez
sur nous : nous ne l'effraierons pas. Donnez-nous cette satisfac-
tion ; elle ne vous coûtera pas tant que l'argent que vous nous of-
friez, et elle nous fera plus de plaisir.
Mon frère fut obligé de se rendre. Tls l'accompagnèrent chez
mon beau-père, où madame B*** et mes enfans demeuraient de-
puis le 10 août. La joie de ma famille fut extrême, en revoyant
mon frère : ils l'avaient tous cru pei'du.
Madame B"*, préparée à la visite qui l'attendait, y consentit
sans répugnance. Son cœur était trop pénétré par la joie et lu
gratitude, pour devenir accessible à d'autres senlimens. Elle ne
BOCUMENS COMPLEMENTAIRES.
vit dans ces hommes , couverts de sang , que les libérateurs de
mon frère, et elle les reçut comme ses bienfaiteurs. Ils furent
singulièrement touchés de cette réception et de la joie que ma-
dame B*** et sa famille n'exprimaient que par des larmes.
Michel et son ami, enchantés de ce tableau debonlieur, qu'ils
regardaient comme leur ouvrage, se disaient l'un à l'autre : C'est
nous , c'est nous , mon cher ami, qui avons conservé la vie de ce
brave homme !
Tous les deux versèrent des larmes , et sans doute que cette
émotion fut accompagnée de renrords. La douce humanité reprit
un moment son empire sur des cœurs naturellement bons , mais
corrompus par le fanatisme et l'exemple ; et ils ne purent sans
doute réfléchir, sans horreur, sur les scènes sanglantes aux-
quelles ils avaient pris part.
Ils eurent la discrétion de ne pas prolonger leur visite au-delà
d'un quart d'heure. Ils prirent congé de mon frère, en le remer-
ciant mille fois de la jouissance qui leur avait causée.
MEMOIRES
SUR
LA REVOLUTION;
PAR D.-J. GARAT.
Qaod maximom Tinculam est ad bonam mentem, promisisti virum bonum.
Sacramento rogatus es. Deridebit; si quis tibi diierit, aïolleni esse mililiam et
facilem : Dolo te decipi ; eadem bonestissimi hujus et illius turpissimi auctora-
meati, verba sunt, uri , vinciri, ferroque necari. Ab illis qui inanus arenae lo-
caat et edunt ac bibunt quae per sanguinem reddant . cavelur ut isla vel invili
patiantur ; a te, ut volens libensque patiaris. Illis licet arma submitlere, miseri-
cordiam populi tentare : tu neque submittes, nec vitam rogabis : recto tibi inyic'
toque morieudum est.
MÉMOIRES DE GAPtAT. 2S9
AVERTISSEMENT
DE GARAT (1).
Le jour même où Philippe Dumont me dénonça à la Conven-
tion , je me présentai au comité de sûreté générale : j'y fus en-
tendu trois jours après. J'avais lieu de croire que quelques mem-
bres du comité avaient à mon égard des préventions favorables ,
que d'autres en avaient qui m'étaient contraires. Quand j'eus
parlé , l'impression de l'évidence sur tous fut la même. Là je re-
connus que nous commencions à vivre sous la justice.
On m'invila à écrire ce que j'avais dit ; et j'ai écrit l'ouvrage
que je présente à la Convention , à la nation et à la po^tériié.
11 ma été impossible de me séparer des événemens : je ne vou-
lais écrire qu'un mémoire; j'ai écrit presque une histoire.
C'est la première fois , peut-être , qu'on a écrit l'histoire d'une
(1) Nos lecteurs seront sans doute assez étonnés de trouver dans ce volume des
pièces autres que celles qui se rapportent aux faits déjà écoulés, et de rencontrer
uuo brochure qui se rapporte surtout à Tannée \ 793 ; nous leur devons donc une
cxpiicutiou.
iSolre intention est de commencer l'Iiistoire de la Convention avec le volume
suivant; et nous nous trouvions en même temps obligés de donner, sur les jour
nées de septembre, un certain nombre do pièces qui nous paraissaient indispen-
sables. Mais il s'est trouvé que des pièces qui, dans un autre caractère d'impres-
sion formaient la valeur de plusieurs volumes, n'ont présenté, dans le caractère
employé par nous, que celle de quelques feuilles. Il nous a fallu clicrcher le
moyeu de combler le vide qui restait.
Or, il y ivait une brocbure que, do toute nécessité , nous étions obligés de
réimpritner plus tard, brochure rare et hors de prix dans le commerce, brochure
qui éclaircit au plus buut degré l'histoire de la lutte entre la Gironde et la Mon-
tagne : c'était l'œuvre de Garât.
Nous avons cru pouvoir l'insérer d'avance ; et nous y trouverons même cet
avantage, que, nos lecteurs connaissant le secret des deux partis dont la lutte
s'est terminée au 31 mai, notre propre narration sera abrégée de tous les éclair-
uisseraens qu'autrement il nous eût fallu donner. < ^ole des auteurs. )
t. T. XYHl. ly
290 DOCUME.NS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
puissance absolue, sous le icfjne et sous les yeux de celte puis-
sance même. Je l'ai luit sans aucune ciuinle; j'ailends que l'on
nriipprenne si c'éiait sans aucun danger.
0 i liouveia ici Ijoaucoup de ifetails. Voltaire dit que les con-
temporains en sont a\i Jes; j'ajouterai <jue 'a poslecilé mcuie en a
besoin pour bien compreudie Us résjdta s.
J'ai toujours ('lé occipd, durant mon ministère, à calmer
les |a .viuns. l.ors(|ue après lani de rav;ij;rs elles commercent à
tomber d'épuisement, je n'ai pas pu écrire pour en i éveiller Its
fur»u s.
I' sort de tout cet rcrt un résulîal bien honorable pour la
Cunveniion, et bien las^uranl poui- h r^ai ou : c'cat qu'au mi-
lieu de laiil de pas iuiis et de i.mt diiciions atroces, tous les
nioye; s di- coi rupiiitii \crs<;s ;mtour de iio;is par l'Eiirope, n'ont
p:is pu iaire uu seul Uaiire parmi huit cents rcpréseniaus du
peup'e.
!Nous étonnerons les tièc'cs par les horreurs qui se sont <;om-
nrses au milieu de nous ; roiis les tionneions encore p.ir nos
vt nus. iùii »|ui Si ru a jan a s incon»pi'Lli^»sibl« pour ceux (p.i
no: t pus observe l'cNpiii huma n, c'est le cuuiruste iuoi/i de nos
prin(ij)eij et de nos lulics. Av< c niuiiis de v( rtiis ei une miilU ure
lojj'tpie nousat:rions o\iie |)resque tous les crimes et tous Ifsdes-
asln&; c'islp esipie to.ijjursce qai était absurde qui nous a
conduite à ce <pii eiaii hon.b'e.
Comme j acli; vais d'iinpriim r cet ouvra;;e, les Mémoires de
madame Uol.iid ont p;n u : je n'ai pas voulu li.s lire; j'ai craint
d'avoii" des reproches à a h'esser à lu mémoire d'une lenune (|U',
par isa mort, a donné »e besuin d'Iutuon r ttjute sa vie. Le muinent
arrivera, sans doute, où la \eriié descendra sans nuî'gcs au Uii-
itcu de nous, pour juger lis vivant et les moits. Je ne me per-
meitrai d'; jouter ici qu'un teul mol : deul ou trois au moii.s i\es
amis de madauie Roland ùaveut (pie, tandis qu'elle écrivait côîiire
hioi , j'agissais pour €l!e'; elle l'a su dle-méme.
On annonce déjà plusieurs réponses à cet écrit; avant de I a-
voir là i on est décide a le relater : plus on éciiftii pUis on l^ia
MÉMOIRES DK GARAT. 291
parnîtrc la vcrifé avec tous ses détails « t tout son fclat. Cette dis-
position à écrire e^l un cnfjajjenieui de ne pas proscrire.
Lcd uns ont dit que riiii[)ression de celle brccîiure me coût it
vin;;t mille livns; d'au res, quM e m'en lapporiaii \'wg\ mile.
Elle ne me coijte cl ne me lappoi te i ieu : j'ai don.né mon manu-
sciil à J. J. Smis.
\
MEMOIRES
SUR LA REVOLUTION
ou
EXPOSÉ DE MA CONDUITE
DANS LES AFFAIRES
ET DANS LES FONCTIONS PUBLIQUES (1).
Humilis res est stuUitia, abjecla, sordida, servilis, mullis affec-
tibus et s.EVissiMts subjecta. Hos tara graves dominos, interdnm
altePD's iiiiperantes, interdum pariter, dimitlit a te sapienlia , quœ
sola libertas est. Uoa ad hanc fort via , et quidem recta. ÎS'on aber-
rabis : vade certo gradu. Si vis tibi omnia subjicere , te subjice ra-
lioni.
Je ne connais point du tout le représentant du peuple Philippe
Dumont, qui m'a dénoncé à la Convention nationale dans la
séance du 19 ventôse ; sa dénonciation me prouve que je lui suis
beaucoup moins connu encore. J'ai le droit de lui faire plus d'un
reproche ; je ne lui ferai que des remercîmens ; et ils seront sin-
cères. Quand des accusations atroces et absurdes sont faites de
toutes parts par des hommes si publiquement avilis, qu'on ne
peut leur répondre sans se dégrader, ou doit remercier l'homme
prévenu qui, en prêtant son organe aux mêmes accusations, rend
honorable le débat ou plutôt l'examen qui souvre enti e l'accusa-
teur et l'accusé.
Dans une révolution où tant de révolutions se sont succédé,
il serait très-po5sible d'être innocent, et d'avoir perdu les preuves
de son innocence. Les preuves de mon innocence subsistent; et
(1) Cette broci)ure, imprimée en i7d4 , n'a eu,qu'nne seule édition.
( ?ioU des auteurs. >
294 DOCUMEWS COMPLÉMENTAIRES { 1792-1793).
il ^uL■Ai ((ij<^ j'.ii sauvées ei conservées, en plaçmi p'us près de
ma léle la ImcIic (jiii y e^t icsu-e ^i lon;;-teiiip» su p rKliio.
J*;.i éic connu avant la révolution comme homme de Ipllr's;
dumnila révolution comme membre de l'assemblée con-»liiuaiiiei
Comme minisire de la jusiice el de l'iniéiieur, comme comniii-
saire de linslruciion publi<|ue.
Tous îes honmif s de ititres n'ont pas péri : j'appelle sur ma
vie 1 iiéraiie les tén»oijna{;es de ceux qui vi\ent encore. Je l'iii
pas^ée pie^que tout enlièie à la campagne, loin des (|uei elles et
dt^s iuliijue$, livré tout entier à des travaux qui faisaient mon
boiihrur: avec quelques titres, peut-être, à ce qu'on appdait
des rt c /inpenses , je n'ai été d'aucune académie, je n';.i jamais
eu aucune pen^ion.
Durant rassemblée consliîuqinle, je n'it'i presque jamais paru à
13 tribune, mais fili é<M'it Ions les jours dans le Journal de Paris.
Ceitr ttui le, pendant que je récii\a"s, a eu de iiombreux et de
violens enujiiiia : celaient tous ceux de la révoîui on. Jamais
ceux là ne m'aocordcroiit d'amnistie : ils peuvent | ardoimer aux
écrixûins qui ont eu une mora'e saine et des principes bornés de
liberté : ils peuvent pa/ donner aux écrivains qui, en proc.'duiant
l'ég'jlité, l'ont proclamée avt'C les excès qi.i la ruinent; mars à
l'écrixaii! qui a eu des piincipes d'égalité Irès-élendus, el une
morale très-pure, ils ne lui pardonneront jamais.
Dans l'assemblée constituante, je n'ai jamais été ni président,
ni. secrétaire, ni memhre d'aucun comité. On convenait (\uii je
n'étais pas sans vies et sans ta'.ens; on doit croire que j'àur.jis
eu quel(|ues-unes de ces distinctions tiint recherchées, si ^e n'a-
jais pjas été sans anibi>ion et sans intrigue.
En cessant d'éi:e membre de l'assemblée nationale, je cessai
d'écrire leJoinnal de Paris. Ou me laissa le choix de mon succes-
seur : je choisis (>ondorcet. J'étais bien siir qu'il éclipserait mes
lalens; mais j'étais siir aussi qu'il soutiendrait et propageiail njes
principes.
Auîiioîs d'dtril 1792, j'allai en Angleterre à la suite de lam-
hassade de la Fiance ; comme ex-consliiuaul » je ne pouvais pas
MÉMOIRES DK GARIT. 295
avoir de lllrs; je rendis quelques services, et ne voulus avoir
aucun intiieuient.
C'était (c premier moment de la {^^uerrc où îa France, trali'c
de touus paris, paraiss:iit vaii eue. Avec les nouvelles dis dés-
astres de nos aiiiiéis, se répandait à Londirs une proclaniaiion
des{j()uverneuis delà Bil{;(|ue, où îei principes et lese\e;.emf;is
de nuire i<:vo!ulion étaient dclijurés d'une manière aiioce, mais
avec aasez d'adresse, pour iroinpcr ceux qui ju(;ent une révolu-
tion par ce qu'iTe prodiiil, et non par ce qu'elle doit un jour
produire. Je fi > une réponse ; elle fut traduite sur mon manuscrit,
et imprimée d'abord ea anfjiais: à mon reloiir en France, au
mois de juin , je la fis imprimer à Paris. Elle eut un succès assez
éclataiit en A' {j'elerr e et en France ; et je rappelle ici ce souv( oir
non comnje doux à mon amour-propre , mais comme doux à
mon patriotisme.
Lors(iu'au mois de septetnbre suivant, les électeurs de la
France nommaient ses nouveaux représenians, I^uvet, qui, par
la Sentinelle, avait exercé une influence heureuse sur l'opinion
publique, plaç» mon nom parmi les noms d'un pett nombre de
patriotes, qu'il indiquait au choix des é'ecteiirs de P.^ris. Marat
q'ii, dans le même temps, cou\rait les murs de Paris de p'acards
et <le s:m{ï, en réponse ^.I.ouvet , me s-jjnala comme un roijajUle
dégiiiaé On sait avec quelle facilité , à cette époque , ceux contre
lesquels Alirat avait écrit, étaient proscrits; celui qui écrivit,
et celui qui proscrivait, c'était iMarat. Je ne lis point de lemercî-
meni à Louvel, dont r<slime me toucha, et je ne fis point de ré-
ponse à Marpt, qui pouvait tuer, mais qui ne pouvait pas nuiie.
J'étais occupé , depuis deux ou tiois ans, d-' quei'ques vues sur
l'art social , sur le sysicmc représentatif, sur les formes à donner
à un {jouvernement répuîli aiii cinz un {jiatid peuple : j'attachais
de l'importance à c<'s vues, parce (jiic je le* dt vais à des uiéditu-
lions suivies avec consiance, et que je les avais soumises à des
anal\ses r'jj.tnreuses. Je le-, croyais neuv(sel vrai s, eij'<iais
sûr (pi'd (S m'étaient propres. Après le 10 août, tout ce (jin' je
fjesiiaisau monde, c'était de me nieUre dans un coin peur réa'^
!âW6 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
liser ses vues , pour les écrire , pour les soumettre à la nation et
à ses représentans : mais ce qu'il y a de plus difficile à un homme
entièrement dénué de fortune, c'est de se retirer dans un coin ;
il faut qu'il g.^gne jour par jour de quoi vivre ; il est condamné à
la scène, au théâtre. Aucun malheur n'a fait descendre plus sou-
vent dans mon ame ce sentiment affreux qui étouffe tout, le dés-
espoir. Je m'étais ouvert à Condorcet, qui avait des relations
avec les comités de gouvernement et avec le conseil exécutif:
Condorcet s'occupait à me faire donner une mission assez facile
à remplir , pour me laisser le loisir de suivre l'exécution de mon
plan de travail. En attendant , j'acceptai la rédaction de l'article
Convention dans la Gazelle nalionalc. J'y ai rédigé les premiè-
res séances de la Convention : qu'on y jette les yeux ; on verra
que j'écrivais sur les choses et sur les hommes avec cette indé-
pendance, avec ces scrupules de la vérité, qui vous font des en-
nemis ardens, et des amis ca:mes et froids.
C'est alors, c'est-à-dire le 9 octobre, que je fus nommé ministre
de la justice.
Je fus désigné pour cette (lace, et j'y fus porté principalement
par Condorcet , par Rubaud de Saint-Éiienne et par Brissot.
Ce fut un véritable nialheuc pour moi de renoncer à mes espé-
rances de travaux solitaires; mais j'ai toujours pensé qu'un vrai
citoyen n'a pas le droit de pactiser avec la république; qu'il doit
la servir comme elle lèvent, et non comme il veut; que le refus
d'une fonction , dont on ne se sent pas intérieurement incapable ,
est une lâche désertion de son poste de citoyen. Je me dévouai
donc à des fonctions qui contrariaient tous mes goûts, qui rom-
paient toutes mes habitudes , tous les entretiens de mon esprit
avec lui-même; qui me jetaient dans des tourbillons de passions
dont j'étais bien résolu d'être la victime plutôt que l'instrument et
le complice; qui élevaient mon courage, mais en me frappant de
pressenlimens sinistres. Je renonçai à tout pour n'être qu'uri mi-
nistre , et , pendant plus de dix mois que je suis resté dans les af-
faires , je n'ai pas lu dix pages d'un livre , je n'ai pas écrit dix li-
gnes ({ui ne fussent pas relativpsauxévénemens et à mes fonctions.
MÉMOIRES DE GARAT. 297
J'étais trop attentif à ce qui s'était passé, et à ce qui se passait,
pour n'être pas sûr qu'un grand combat allait s'engager entre les
deux côtés de la Convention nationale ; et j'avais trop étudié la na-
ture de l'esprit de parti, dans l'histoire des républiques anciennes
et modernes, pour ne pas savoir que des partis, qui cherchent mu-
tuellement à se détruire , s'accusent réciproquement de vouloir
détruire la république ; que , lors même que les accusations sont
fausses , elles se font pourtant de bonne Ixji ; que les tons nais-
sent des combats des opinions; le soupçon du crime des torts,
et le crime , enfin , lui-même , des soupçons. Accoutumé par le
fjenre de mes études à mettre tout en doute , jusqu'à ce que des
faits certains me montrent l'évidence , et , nommé ministre de la
justice , je jurai, au fond de mon ame , de tenir immuablement la
balance dans mes mains, et de mourir plutôt que de permettre à
aucune prévention et à aucune passion de la faire incliner d'au-
cun côté.
Je dois pourtant faire ici un aveu qui , d'après les événemens et
les accusations élevées contre moi, surprendra beaucoup de gens,
mais qui ne surprendra beaucoup que ceux qui ne me connais-
sent pas du tout.
Si j'avais été disposé à recevoir des préventions pour l'un des
deux côtés de la Convention , je les aurais plutôt reçues pour le
cô/é (/roif. De ce côté, j'avais un très-grand nombre de connais-
sances et quelques amis ; dans le côté gauche, je n'avais pas un
seul ami et j'avais très-peu de connaissances; les opinions poli-
tiques, le caractère et le langage des meml)res du côté dro'it avaient
avec mon caiacferei aVeciiiès opinions et avec mon courage, in-
finiment plus 'cie ôësl* 'analogies qui forment si i);.turel!ementles
liaisons. Je ne voyais pas là un sc']I houime pour (|ui j'eusse la
plus légère répugnance, et à qui je pusse en croire pour moi.
Jen remarquais plusieurs dans le côté gauche sur qui je ne pou-
vais jeter les yeiix sans les détourner avec une sorte d'horreur,
et (jui ne pouv;iient les fixer sur moi (pi'avec inquiétude.
C'étaient là mes AFrECTioxs personnelles; mais des ai factions
ne devaient pas diriger la ronduiie d'im homme public.
DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795 ).
J'étais persu:idé que, dans !e cd'é gnuche, le nombre drs
hornuM'î» hien inieniionric>él;tii , sans co.i)j)iir.jiion , le pins noin-
br.iix ; que les fin-eiiis, même les piasd-nj^Tenscs pour la lé-
puMiijne, croyaient voler pour elle; qu'il y avait quelques
lionimcs alroces, et pas un iraîlre; qu'il fallait méi:a{j<'r les p;i§-
sionsau lieu de les iiiiier, parce que , en les mdf)a(jfiinl , on pou-
vait se men;i{jeî' aussi le letiips de lesenchaînei- djis ui e eons(ilu-
lion sa/je ei (lans un {jouvernenura puissant, au lif u qu'en Ie§
irriiarî on ini tait ieuis excès, on éiend.di leur empire, on retar-
dait , on perdait prut-ètre à jasnais le mcnent d'instiiuer un {;ou-
vei nement orjjanisé avec sa{;essa ei {;ran.!eur» un };<)UV( rnenicnt
qui proli'{j;e!"iit de l.>uies les forces de I;) répi.blique, la sùiele
des individus et la librrié de la nation , contre les complots des
ambitieux et contre h a fui < urs de la niuliiiude. L'esprit de paiij
me paraissail bien moins danjjercux d «ns les représentaus que
dans un niini.sire, parce que les opinions et les pussions des rc-
presentars trouvent des passions et des opinions opposées, au
lieu (jue la force qui exécute ne trouve pas une autre force qui
l'arrête.
C'est dans ces dispositions que je paraissais toujours au milieu
de la Convention nationale, lois(prel!e m'accordait la parole avec
une biciveillance que je méritais e^ja'emenl des deux côtés, puis-
que mes sentimens les lunoraient éjjalenient tous les deux ; pîj's-
que, au milieu de tant de passions qisi menaçai* ni la répubiiqi e
el la France, j étais piofondemenl convaincu que la plus ai dente
cl la plus universfliede toutes, daijs les deux côtés, c'était l'amour
et surtout \ enijiuusiasme qu'tmava t pour la république.
La preuîière atteinte que leçut c( lie bienveillance {jénérale à
mon éyard, c? in» après le discours que je prononçai à la Con-
vention, sur une question dans laquelle j'étais f<»rcé de rappeler
les journées des 2 el 3 septembre. Je pariai dans le tumulte de
bcaiiconp Je passions que je réveillais, el on comprit m.d ce qu'on
avait h;.)! emip de ma! à (niendre. Le diïcours fut iuqnin»épar
ordre de la Convention, et principalement sur !a motion d Du-
;'0S, qui, ^1 l'insiani mêuie, saisit toute la question que je traitais»
fut tordip i\(* m«s sonlim'^ns qu'il par^fjoa , n 1rs flf'frnrîit , par
(les (ilu{;&s ('cl; tans, contr»- la iiK-pii-v ii.cioy:ib!«' (|iii !ts deliju-
lait el qui les ropoiiSiait. Apiè* riiipro^>i<»n du discours, roux
qui !e liiicnt, nièuie :jvec des prcveutons, reconnurenl el dés-
axouèrcMil leur erreur; mais la mauvaise fi.i el la haine se servi-
rent de celle erreur d'un instant, de cvlie iuipre^sion fausse rc-
ruH au milieu d un tuiuulle, et c'est encore sur elle quMles
fendent aujourd'hui une lîeleuDj accusalioiis les plus> afàcuses et
les p'us al»ui des contre moi,
Is disent donc (et j.* suis condamné à le redire!), ils disent
que j'ai fait rapi-l<»f>ie (!es m iss:ici<'S des 2 ei 5 sepiendjre! I s le
disent , «t i's oublient que le discours fut iinpiim;, que rédition
tout entière n'a pas di<>paru dans des flammes allumées par les
h ines qui me poursuivent! Ils le disent, et ils ne sorj^cni pas
que je puis remettre ce discouis sous les yeux de la France en-
tière, (pii h';.ura alors que pour eux seuls l lion eur (jue mérite en
effet tout apo'.ogs ç des journeçs des ^ et 5 sep euibre! Quelle
paSi>ion que la haine ! elle cuns^ni à acheter que!<iues insiaus de
jouissance par des sièc'es d infamie.
Français, et vous leurs léj'fihla leurs, vous représenlans de h
France, S' >u}.}ez que la justice lendue au^ citoyens iirépiocha-
Lles cl la justice faite des foriclionuaires cuiipuble>,ç^ldan«>l src-
publi |ues la plus forte, l'unique {;araulie du ny,^^ d« s lois, de la
murale el de lous les Liens de l'existence tocii»le. J a;'peile «lonc
vos regards les plus sévères surmui qui ai rempli, par vuustt au
milieu de vous, des fondions inipoiianles.J entends réclamer de
toutes parts de lindulgence pour lesfout'S commises durant h s
jours rev('lulionnaire»; jec tnnais bien la néccviiéel la justice de
cette espèce d'iudulgcnce ; mais je veux lacco.der ei je ne veux
pas la recevoir, enie.sdez Les maximes dont je veux biin me re-
lâcher envers hs autres, n^ais dont je ne veux pas , el dont je ne
pounais pas me r. làch.r envers moi-iuème. La loi le plus pio-
lomlrmenl yi avee au fond dç mon ame , tal cel e (jui me crie que
les dtvuir.i les plus sacres de l'humiiie sonlceuxqui lelienienvers
l'humauité; on est homme avant d'être républicain, et il ne faut
300 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES { 1792-1793).
vouloir !a république que parce que c'est la république qui pelit
rendre l'humanité plus sacrée et les hommes plus faciles à la
pitié et à la miséricorde. Si donc, sous quelque prétexte que ce
soit, sous le prétexte de république et de révolution, il m'est ar-
rivé de parler , je ne dis pas avec éloge , je ne dis pas avec indiffé-
rence, mais sans horreur de l'effusion du sang humain, faites
tomber sur ma tête la hache de vos lois, et que votre indignation,
que je redoute davantage , me poursuive de l'échafaud sous la
tombe et dans la mémoire des siècles.
Lorsque je parlai des journées des 2 et 5 septembre devant les
représentans de la France , il y avait déjà plus de deux mois que
ces massacres avaient été exécutés; l'Assemblée législative, qui
n'avait pu les empêcher, non plus que le massacre de Versailles,
n'avait rien fait pour les punir ou pour en préparer la punition ;
la Convention nationale, qui lui avait succédé, gardait le même
silence; les tribunaux étaient muets et immobiles; la nation en-
tière avait frémi , et elle se taisait. On n'en parlait que trop dans
toute l'Europe ; mais la voix de l'Europe n'était plus entendue en
France; Roland seul, au milieu de l'Assemblée législative, et
le 5 septembre, avait laissé entrevoir une opinion, mais sans
rien proposer ; et tant d'horreurs semblaient ensevelies dans un
silence universel qui ne pouvait ni les couvrir ni les effacer.
Quand une assemblée nationale, revêtue par le genre de sa
mission de pouvoirs sans limites, montrait tant de circonspec-
tion , ce n'était pas à un ministre, on le sent trop, d'en avoir ou
d'en montrer moins. La question que j'eus à traiter dans mon
discours, et que je traitai, ne fut donc point et ne put pas être
celle de savoir si on poursuivrait les auteurs des massacres des 2
et 3 septembre ; quels que fussent à cet égard mon sentiment
comme homme et mon opinion comme ministre, je devais les ren-
fermer dans mon ame et dans ce silence gardé par tout le monde.
Mais des circonstances de ces journées des 2 et 5 septembre
sortit une autre question sur laquelle un minidre de la justice
ne pouvait pas {jarder le silence , et sur laquelle la Convention na-
tionale pouvait seule donner une décision.
MÉMOIRES DE GARAT. SOI
Les auleurs des massacres avaient, dans toutes les prisons,
élargi les prisonniers qu'ils n'avaient pas égorgés. La vertu même,
s'ils la soupçonnaient d'être née dans un château ou de s'être ap-
prochée d'un autel , ne trouvait pas grâce à leurs yeux ; mais des
voleurs et des assassins , si on ne leur imputait pas d'autres
crimes, leur paraissaient des patriotes, et ils les rendaient à la
patrie.
Une foule de ces malheureux , après avoir souffert pendant
plusieurs nuits et plusieurs jours toutes les horreurs du dernier
supplice, toutes les angoisses de la mort, étaient sortis des pri-
sons à travers les flots de sang; on les reconnaissait dans les
rues et dans les places , et le commissaire du pouvoir exécutif
auprès du tribunal criminel du département de Paris, m'écrivit à
ce sujet dans les termes suivans :
« lie tribunal est très -incertain sur le parti qu'il doit prendre
relativement aux prisonniers sortis de la maison de justice, par la
suite des évéaemens des 2 et 3 septembre dernier ; beaucoup de-
vaient être jugés dans la session de ce mois. On en rencontre un
grand nombre dans les rues de Paris ; doit-on les arrêter? doit-
on instruire contre eux la contumace, ou faut-il enfin garder le si-
lence? »
Voilà les seules questions qui me furent présentées , les seules
que je présentai moi-même à la Convention , les seules dont je
voulus préparer la solution , et sur lesquelles je fis des propo-
sitions.
Cependantonacru,ou, sans le croire, on a répandu que j'avais
agité la question de poursuivre et de mettre en jugement les auteurs
des massacres des 2 et 5 septembre, et qu'après avoir foit l'apo-
logie de ces massacres, après les avoir couverts de mon indul-
gence et de mes éloges, j'avais conclu à ce qu'on en respectât les
iiuteurs, ù ce qu'on les laissât jouir en paix de leurs forfaits.
Ce n'est pas sur celle question que j'étais interrogé , ce n'est
pas cette (|uestion que j'ai pu traiter, et cependant on suppose
que c'est cette question que j'ai résolue, et d'une manière
atroce !
SÔè DOCUMENS COMPLÉMENTAIKES (1792-1793).
Remarquez niêii»e comme le con-m'ssaire s'( nonce sur les 2 Pt
o sepitiiibie; il les appoile les événkmems. Ace nom (jeneial
d'é\dnt'mons, qui ne specilie el ne caiaclcrise rien, qu'on peut
donner à des ovi-nemens {jlor'eux commeà descvënemens af-
freux, il n'ajoule pas une seule quali(icaii(>n, pas la plus légère
indication de ce qu'il en pense. Celte circonstance, à Dieu ne
pLise <pie je la relève pour en faire un reproche au commissaire
près le tribunal ; non, je remarque cette circonstance parce qu'elle
hionlre sans équivoque quel était, à celte époque, l'étal de l'opi-
htbn publitiue sur ces événemens que personne n'osaii qualifier;
cl parce qu'on en appréciera mieux ce que j'en ai dit , moi, en rap-
prochanl ce que j'en ai dil de ce que les aiUres n'osaient en dii-e.
Mais, avant tout, voyons si dans les seules questions que j'ai
eu à traiter, l'humanité a des reproches à me laire sur ce que j'ai
dit comme ministre de la justice.
Blalheureusement ces questions étaient neuves; comme les
événemens qui y donnaient lieu étaient inouïs dans les annales des
peuples et iiëi crimes, rien ne me guidait dans une route que
j'étais oblijé dé me tiacer à travers tant d'intérêts, d'opinions el
de passions, c'est- à-dire de précipices; je posai quelques principes;
ils n'étaient pas familiers, ils efiaiouchèrent.
Voici quels furent mes résultats :
Comme il fallait a{jiiêr la question relative aux prisonniers
élargis dans la supposition la plus defavorab e pour eux , dans la
supp )sition où ils étaient coupables, je les séparai en deux
classes ; je mis dans la première ceux qui n'avaient pu commeitre
que des délits légers, et dans la seconde, ceux qui pouvaient
être coupables de crimes graves, comme vol avec effraction,
meurtre et assassinat.
Je ne ni'anèlai pas beaucoup à examiner ce qu'on devait de
sévérité ou de gracé aux pren)iers ; ie spectacle horrilile des mas-
sacres dont ils avaieitit été témoins, et qui les avaient menacés
eux-mêmes, avait été une peine cent fuis p!us terrible que celle
qu'auiail pu leur faire subir h justice; et puisque la justice et la
puisiauce ualioiiale n'avaient pu leur sauver des suf plioes qu'il*
à^MÔIRES DÉ GAHIT. 505
n*âvaîpht pÉ érifîbui'ns, celait bien le moins qu'elles leur rendis-
seul \es peines qu'ils avaient luéi ilées.
La qiie.siion relaiiveaieni aux prisonniers de la seconde classe
me préaei.lail b en pliis de difficultés.
Le nom seul d'un assas/in m'a toujours pénétré d'une borreur
si invincible, qu'anivé à celte seconde classe où des assassins
devaient ètie compris, il me fut impossible de parler pour eux en
mon nom, au nom d'un ministre de la justice. Cesi ce sentiment,
que je ne fins surmonter , qui me donna l'idée dé faire compa-
raîire, en queUpie soi le, les deux classes au milieu des législa-
teurs de la iMMnce, et de leur faire tenir à toutes les deux un lan-
gà(je conforme à ce que chacune deibs pouvait se croire de droits
â la piiié et à la miséricorde de la n iiion. Voici comment par-
laient les coupables de la seconde classe :
« Notre ciinje est le plus grand de tous ceux que îles hommes
pui>se)it commeilre envers de» hommes, ti la |)lus grande aussi
de loulès les [)eine:> y a été attachée par vos lois, la Uioit. Mais
la pe'ne de mort en quoi consiste-telle? Est-ce dans le coup qui
donne la mort? Non; c'est dans l'appaieil (jui la prépaie, qui
l'annonce, <pji la montre, qui l'approche de l'èire vivant. Toute
la pein. de mort est dans ses horreurs, et tôulé^ Ses Uorieurs la
précèdent : tontes disparaissent au moment où le coup mortel est
fi'a[»pé. Nons l'avons donc suiâe cette peine; car les uns , pendant
plusieurs heures , les autres , (lendant plusieurs jours , nous nous
somiues vus menacés, environnés de toutes ses horreurs: pen-
dant pluaieurs j jurs , nous avons soul'f ri toutes les (i-anses , tout
le supplice de L mort, Voudriez-vous les faire recommencer pour
nous? Cilojens lejis!ateuis, il y a eu des législateurs qui oiit
pen^é, il y en a |)aruii vojs (jui pensent que la peine de mort est
trwp Cl ueLe , qu'elle fait trop frémir et trop souffrir l'humanité,
pour (|ue la .société ait le druit de la piononcer. Eh bien ! lorsque
le di uil de l'aire subir une seule fois la p> i iC de mort est au moins
duuuux , crv>iriez-vous avoir le droit de nous la faire subir deux
foi»? Sous l'ancien iegime même; sotis be régime dont chaque
loi était une injure et une c;>'^'^"i'é pour la plus grande partie do
504 DOCL'Mb.^S COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
l'espèce humaine; sous ce régime, dont les Jois pénales étaient
l'éioces, s'il arrivait qu'un coupable, en si.bissant le supplice,
échappât à la mort, sa vie était respectée : les lois et la justice
ne croyaient plus avoir rien à demander à un homme qui avait
passé sous la main des bourreaux ; quoiqu'il vécût encore , on le
regardait comme ayant subi la peine de mort, comme recom-
mençant une nouvelle vie, comme étant, pour ainsi dire, un
autre homme. Citoyens, vous êtes les législateurs d'une grande
république , et dans ce moment vous êtes nos juges suprêmes :
comment pourriez-vous prononcer que nous devons encore être
punis suivant la rigueur de vos lois, lorsqu'on ne vols parle
PAS MÊME DE CEUX QUI, en noîîs délivrant, nous ont fait souffrir
les supplices auxquels ils nous dérobaient, de ceux qui nous ont
fait sortir des prisons à travers les flots de sang qu'ils ont faif
couler sous nos yeux? Non, vous ne consternerez pas la justice
et l'humanité pur un contraste si désolam pour elles. Vous met-
trez tout en oubli ou rien. C'est la justice même qui demande
quelquefois qu'on jette sur ses yeux le voile qui doit l'empêchei*
de voir : les peuples de la terre qui ont le mieux connu la vertu
et la société , ont donné de tels exemples. »
Ainsi je faisais plaider leur cause à des hommes qui , en s'a-
vouant criminels, fondaient la demande de leur grâce sur les dou-
leurs et les supplices par lesquels ils avaient déjà expié leurs crimes.
En les faisant parler eux-mêmes, je restais juge de la force
des raisons que je leur prêtais , et parmi ces raisons il y en avait ,
je le confesse, qui me paraissaient invincibles.
J'étais profondément persuadé, comme je le suis encore, que
la jusice nationale doit une protection toute puissante aux pri-
sonniers les plus coupables, jusqu'à ce qu'elle les frappe elle-
même; et que, puisqu'elle n'avait pu protéger ceux-là, elle de-
vait se relâcher de son droit de les punir; que , puisqu'elle n'avait
pu empêcher la hache des scélérats de menacer si long-temps
leur tête, elle devait en détourner la hache des lois, et, en faute
elle-même, en quelque sorte, réparer son impuissance par sa
miséricorde.
MÉMOIRES DE GARAT. ÔO"i
Loin de rougir de ces sentimens , loin de craindre qu'ils ne
répandent sur ma vie, sur mon ministère et sur ma mémoire
quelque honte , je me plais à les reproduire ici comme émanés
de ce qu'il y a de plus pur dans ma raison , et de meilleur, de
plus sensible dans mon ame. O vous, hommes justes, mais bons,
vous qui honorez l'espèce humaine par votre amour pour elle ,
vous chez qui la pitié et l'humanité sont des affections tendres et
pieuses, diles si je vous ai offensés ou blessés par ces sentimens
nés chez moi , de ma facilité à m'émouvoir devant le tableau de
tout ce qui souffre et gémit sur la terre?
Mais tout excès est un mal ; et dans l'ordre social , qui fonde
souvent sa bienfaisance sur ses sévérités, la pitié, si touchante
dans un homme privé, dans un homme public peut avoir des
suites cruelles.
M'est-il donc arrivé de consulter plus mes affections que mes
fonctions, et de vouloir être plus humain que ne doit l'être un
ministre de la justice ?
Hélas ! ce n'était pas moi qui devais faire le décret que je de-
mandais, et quand j'aurais élé entraîné trop loin, par un senti-
ment d'humanité , devant les législateurs d'une grande nation ,
une pareille faute ne serait peut-être pas indigne de toute indul-
gence devant cette nation et devant ses législateurs.
Mais cette faute même je ne l'ai pas commise.
Après avoir senti ce que , dans des circonstances si extraordi-
naires, la justice devait à la pitié et à la nature, j'ai senli, avec
npn moins de force, ce qu'elle devait à la sûreté sociale. Cette
même voix qui me parlait avec tant de force pour des malheu-
reux qui avaient tant souffert, cette voix sacrée de l'humanité me
criait que les hommes, qui ont pu tremper uue fois leurs mains
dans le sang de leurs semblabl(;s, par ce seul acte ont effacé en
eux tous les traits, ont étouffé tous les sentimens de la nature,
et que l'homme a été tué, en quelque sorte, dans l'assassin
comme dans sa victime. Quand il serait vrai , me disais-je, que le
remords les eût assez punis pour les i-ondre :\ h venu , la société
T. xviii. 20
305 DOCDMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793).
voit toujours leur crime qui ri;fFraie , et elle ne voit point dans
leui- ame ce remords qui devrait la rassurer.
Déterminé par cette considération de lintérét public , la loi
suprè.ne des sociétés, par cet intérêt qui commande tous les
sa ;rifices, parce qu'il produit tous les biens , je proposai de dis-
penser celle classe de pr sonniers élargis de la peine de mort ,
mais de substituer pour eux, à cette peine , celle de la dépor-
tation.
J'offris en même-temps de soumettre aux comités de la Con-
vention un plan nouveau de déportation.
En faisant celte uflVe , j'avais deux buts ; l'un , qu'il fallait mon-
trer et q:i3 j'énonçais, c'était de faire décréter un genre de dé-
portation dans lequel une nation n'enverrait pas ses criminels
chez les naiions voisines , et ne punirait pas des crimes par des
crimes.
L'autre but, je voulais ie tenir secret ; mais , caché dans ma
C3oscionce, il y poriait une espérance douce et profonde.
A sa naissance môme, je voyais la république française déjà
m:;nacée de cet esprit et de ces combats de parti qui ont désolé
et ensanjîanté toutes les ré.iubliques; et je pensais que, s'il y
avait un grand systcne de déportation bien organisé d'avance, à
1 iisue des quei-elles et des combats de partis, les vainqueurs se
contenteraient de déporter les vaincus; que la mort toujours pré-
sente pour la donner, ou pour la recevoir, ne ferait pus de tous
lei combats d'opinions dei combats à mort; que le sang versé par
to Tens sur les écliafauds n'allumerait pas, de génération en gé-
nération , une soif de sang que rien ne pourrait éteindre ; qu'au
milieu des orages qui agrandissent lésâmes, les genres de périls
et de peines , qui les rendent atroces , seraient écartés ; et qu'en-
fin l'inimanité, respectée jusque dans la violence des haines de
partis, deviendrait le sentiment le plus habituel et le plus indes-
tru aible de toutes les araes dans la république française. H élas !
voilà les pensées qui m'occupaient ; on a vu ce qui est arriv é.
Si j'avais été législateur, peut-être j'aurais posé et discuté
d'autres questions; comme ministre de la juslico , je devais etje
MÉMOIRES DE GARAT. 307
voulais me borner à celles-là : j'écartai même avec attention celles
qui se présentaient et voulaient entrer de toutes paris dans mon
discours.
J'observerai cependant qu'une seule fois , dans cette discussion,
et dans l'endroitoii je (élisais parier des prisonniers, qui plaidaient
leur cause et non la cause publique, je mis dans leur bouche
quelques mots qui rappelaient le silence général gardé sur les
auteurs des massacres : qu'on relise ces mots; je les ai marqués
en caractères italiques; et qu'on dise ce qu'ils font soupçonner
en moi, ou de l'horreur des massacres, ou de leur approba-
tion.
J'observerai encore , qu'après avoir mis les mots suivans dans
la bouche des prisonniers élargis, vous mettrez tout en oubli
ou RIEN, je conclus, prenant la paro'e en mon nom, à ce qu'on
ne mît pasfouf e»ou&/i, puisque je conclus contre eax à la déport
tatïon; et je fondais cette conclusion sur ce que des ho n n^s, qui
avaient pu commettre une fois de si grands crimes, ne pouvaient
jamais laisser une sécurité eniière à la société.
Puisqu'en partant de l'alternative proposée, au nom des pri-
sonniers, je ne voulais pas pour eux d'amnistie , il était donc na-
turel de penser que je n'en voulais pas non plus pour les hommes
atroces qui ne leur avaient renJu la liberté qu'après leur avoir fait
soufirir mille morts : puisque je jugeais qae, pour un seul meur-
tre, expié par de si luiigs supplices, on devait subir encore la
peine de la déportation , on devait bien croire que, pour des as -
sassins qui avaient passé plusieurs nuits et plusie jrs joursà égor-
ger, et qui n'avaient subi aucune peine encore, pas même celle
de la crainte, je ne devais pas désirer plus d'initi'gence et de
clémence : puisque enfin je prononçais comme !a nature tout
entière prononce, qu'un homme qui a pu verser une seule fois
le sang de l'homme, doit être à jamais pour la société, où il a
commis ce forfait, un objet d'effroi et d'épouvante; on devait
bieu croire, cela était facile, que des monstres, qui s'étaient
baignés dans des flots de sang, me paraissaient bien plus faits
encore pour répandre l'épouvante et l'horreur.
508 ROCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1795).
Toutes ces conséquences étaient trop immédiates pour ne pas
se présenter d'elles-mêmes. Il m'était défendu de parier, et ce-
pendant, pour qui aurait voulu, je me faisais assez entendre.
Mais non ; on ne voulait pas entendre ce que je pensais, et ce
qui était si clair ; et ce que je ne pensais pas, on voulut le voir
dans des conséquences non-seulement forcées et fausses , mais
dëmcmies par ce que je disais formellement.
Jusqu'ici les lecteurs un peu attentifs ont pu s'étonner plus
d'une fois ; mais c'est ici qu'on va entrer dans unétonnement dont
on aura peine à revenir.
Ces massacres, commis au milieu d'une grande ville, d'un
peuple immense et d'une foule d'autorités constituées, je les avais
faii sortir des orages , des désordres , du bouleversement insépa-
rables d'une grande insurrection, et de lu on a conclu que, puis-
que j'avais beaucoup loué l'insurrection , j'avais aussi beaucoup
loué les massacres.
Qu'il est facile de combattre de si grandes absurdités ! mais
qu'il est cruel d'avoir à se justifier de tant d'horreurs! Quelle
récompense de tout le bien qu'on a voulu faire, et du peu de bien
qu'on a fait !
Mais du moins ici ma défense personnelle va être liée à de plus
grands objets et à de plus grands intérêts ; elle va être liée à des
éclaircissemens devenus nécessaires sur l'époque à la fois la plus
glorieuse et la plus ignominieuse de la révolution ; elle va être
liée à des éclaircissemens devenus également indispensables sur
l'exercice du droit d'insurrection ; elle va être liée à la défense et
des magistrats de Paris et des législateurs de la France à cette
époque ; elle va être liée à la défense de la nation française ,
compromise elle-même et déjà citée, par la voix de l'humanité ,
devant le tribunal des nations et des siècles.
On nie donc que les massacres des 2 et 5 septembre aient été
une suite de linsurrection du 10 août ! Et on ne voit pas , qu'en
croyant justifier l'insurrection, qui n'a pas besoin de cette justi-
fication, on couvre d'un opprobre ineffaçable devant le genre
humain , tout ce qui existait alors de Français dans Paris , la na-
1
UCMOlftES DE GAIIAT. Ô09
tion française lout entière , qui n'a pas encore fait punir des
forfuitssi inouis, qui n'a pas encore demandé, avec ia punition
des auteurs des massacres, celle des magistrats lâches ei des lâ-
ches législateurs, qui ne coururent pas tous aux lieux des massa-
cres pour les empêcher, ou pour être massacrés les premiers !
Mais j'écarte les considérations , les présomptions : le fait , que
j'ai affirmé, est prouvé par lui-même, par toutes ses circon-
stances.
A quelle époque avaient été remplies les prisons , qui avaient
peine à contenir les victimes qu'on y amoncelait? après le 10
août et durant les premiers jours de l'insurrection. C'est alors
qu'on vit les arrestations se faire de toutes parts : dans les mai-
sons, dans les rues, dans les places, dans les jardins, partout
on arrêtait; les fiacres et les gendarmes ne pouvaient suffire à
transporter et à jeter les arrêtés dans les prisons. Par qui étaient
décernés et signés ces milliersde mandats d'arrêt? Par les officiers
municipaux que l'insurrection avait créés , qu'elle avait portés
des sections à la Commune. Sur qui tombaient ces mandats d'ar-
rêt principalement, et sur qui préleudait-on les faire exclusive-
ment tomber? Sur tous ceux qu'on accusait, justement ou injus-
tement, d'avoir été les partisans du Château, d'être les enneaiis
du gouvernement républicain , qu'on voulait élever sur les débris
fumans du trône ? Qu'étaient ceux que les couteaux ou les haches
cherchaient et choisissaienlavecleplus de fureur dans les prisons?
Des prêtres, des nobles; les mêmes qui avaient été arrêtés le
jour de l'insurrection et les jours qui le suivirent. Enfin, qui a
été ou accusé ou soupçonne d'avoir conçu le dessein de ces exé-
crables journées, d'avoir éguisé les couteaux, d'avoir armé les
assassins, d'avoir donné le signal, d'avoir protégé et récompensé
l'exécution ? Quelques-uns de ces mêmes officiers municipaux
qui avaient concouru à faire l'insurrection , et à qui l'insurrection
avait donné l'écharpe et le glaive. Marat surtout : cela est prouvé
de lui, et son nom seul serait une preuve. C'est lui, c'est cette
créature monstrueuse (|ui, né médiocre, et voulant être le pre-
mier en quelque chose , s'est mis a la tête de tous les crimes ; c'est
510 DOCDMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
lui qui , le premier et long-temps seul, a proclamé les meurtres
et les assassinais comme c!es ins:run;ers nccessaires des révolu-
lions ; c'est lui qui a été pour la Fi aEce libre le génie du mal ; et
un instant on l'a adoré! O désespoir! ô ténèbres profondes de
rinlclligence humaine ! 0 que de forfaits peuvent être conçus ,
consacrés et imités dans ces ténèbres!
Le fait que j'ai énoncé est donc certain ; il est évident ; tout le
démontre; et seul il peut faire comprendre à la génération qui
en a été témoin , aux générations qui leiitendronl raconter , com-
ment a pu être faite cette grande plaie à l'humanité, au milieu
d'un peuple oii toute lumière et toute pitié n'étaient pas éteintes,
où la terreur n'avait pas encore prosterné toutes les âmes , où
des magistrats intègres commandaient à la force armée, cù des
législateurs éclairés parlaient du haut d'une tribune élevée aux
lois et à la liberté !
Pétion ('lait maire. Manuel était procureur de la Commune.
Tous 'es dtux je les ai connus; 31anuel était loin d'être un bar-
bare; Pétion portait un cœur humain. A côté d'eux siégeaient à
la Commune beaucoup d'hommes qui , comme eux , avaient hor-
reur du sang, qui, comme eux, pensaient qu'il fallait vaincre le
despoiisme et l'aristocratie, mais qu'il était horrible d'égorger
les despotes même et les aristocrates dans les prisons. Dans ces
jours , dont la liberté doit porter éternellemeni le deuil , il exis-
tait un conseil exécutif, qui s'assemblait, ou qui devait s'assem-
bler. L'insurrection , qui avait foudroyé le trône , n'avait pas
foudroyé l'assemblée législative ; elle tenait ses séances. On ve-
nait, au milieu de ses séances, lui dire : On a égorgé dans les
prisons; on venait lui dire : On égorge dans les prisons; on venait
lui dire : On va égorger encore dans les p-isons. Comment donc
l'assemblée législative, le conseil exécutif, le maire et le procu-
reur de la Commune ; comment tout ce qui avait une autorité et
un sentiment d'humanité , n'a-t-ii pas arrêté ce sang qui a coulé
pendant plusieurs jours , et presque sous les yeux de tout le
mun.ie? Ils l'ont vuuiu tous; ils iunl tenié. Ils no l'ont donc pas
pu? *Uuis comment, par quoi, par qui éuient réduiis ù cette
llÉMOIRtS DE GARAT, 511
désastreuse impuissance tant de repi éscntans de la puissance na-
tionale , tant d'organes des lois, tant de dépositaires de la force
publique, tout ce qu'il y avait d'autorités ccnstiiuées? Eh! com-
ment l'expliquer autrement, que par l'insurrcclion qui, en
frappant une autorité perfide et coupable, s'était mise au-dessus
des autorités le plus pures et les plus fidèles, et prolongeait des
pouvoirs qu'elle n'aurait dû exercer que dans un seul instant et
dans un seul acte? Comment l'expliquer autrement, qu'en se
rappelant que parmi les ordonnateurs et les chefs de l'insun ec-
tion étaient de ces hommes qui peuvent tout, parce qu'ils osent
tout, et qui , en affranchissant la naiion , croyaient avoir acquis
le droit d'affranchir leurs passions les plus féroces? Comment
expliquer le massacre de Versailles, exécuté quelques jours après
ceux de Paris avec les mêmes caracières et la même dup'icaé,
qu'en avouant que les législateurs, les ministres elles magisttals
de la naiion n'ava:ent pu reprendre encore les rênes des desti-
nées de la France, et que l'insurrection seule commandait encore
aux événemens? Comment expliquer enfin ce silence universel
gardé si long-temps sur ces journées au milieu d'une horreur
universelle; ces blâmes timides et ménagés dans la bouche d'îs
hommes les plus purs et le plus humains , et ces approbations
éclaiantes données par des hommes qui n'étaient pas des sciiîé-
rats, mais qui étaient dans le délire, et qui avaient créé des mots
nouveaux pour célébrer des forfaits inouïs ?
Mais nos déclarations des droits, dit-on, mais nos lois , lYiais
nos livres , depuis 1789, disent que l'insurrection est une chose
sainte: il est vrai; que s'ensuit-il? Que tout ce que j'ai atlribué
à l'insurrection, j'ai voulu le faire regarder comme aussi légi-
time, comme aussi sacré qu'elle-même? Une pareille consé-
quence est si affreuse que, pour qu'on pût me l'attribuer sans
crime , il faudrait que je l'eusse tirée formellement : il s'en faut
beaucoup qu'elle se déduise d'elle-même du mot insurreclion , et
de l'idée qu'on doit ailachcr à ce mot. Si on aKache à ce mot des
idées (iiiej-i n'yait iclie pas, iiqu'«n ne doit pas y aliaclier, que
puis-je, moi, que gcuiir profondcmini,aYcc les cœurs siii-plcsct
512
DOCCMËNS COMPLÉMENTAIRES { 1792-1795 ).
les esprits droits , de l'abus horrible et perpétuel qu'on a fait de
tous les mots , pour prêter et pour commettre des crimes ?
Frapper l'usurpateur des droits d'un peuple et son oppresseur,
c'est une action sainte , et I'insurrection est sainte aussi , quand
elle ne fait que cela.
Mais ce n'est pas à ce seul acte qu'on donne le nom d'iNSCR-
RECTION.
On appelle insurrection le mouvement par lequel tout un
peuple , ou une partie d'un peuple pour le tout, s'élève contre
des pouvoirs établis qui ont violé leurs engagemens et franchi
leur limites. Ou on veut obtenir des réparations et de meilleures
garanties, ou on veut les détruire et les changer. Dans tous les
cas, tout ce qu'on fait pour obtenir quelqu'une de ces fins, et
tout le temps qui s'écoule entre le moment où les pouvoirs an-
ciens commencent à être récusés, et le moment où les insurgés
se retirent jurant et rendant obéissance à des pouvoirs nouveaux,
tout cela appartient à I'insurrection.
On voit que, par sa nature, Yimurrection est une crise vio-
lente , et que cependant sa durée peut être plus ou moins longue.
Quand elle est légitime, elle punit des usurpations ou des vio-
lations ; mais elle a pris elle-même , par la violence , l'exercice
d'une puissance qui n'a ni règles ni limites. En recouvrant tous
les droits, elle fait taire toutes les lois ; en punissant des autorités
coupables, elle met toutes les passions hors du joug des autori-
tés; et à moins qu'une nation n'ait une extrême simplicité de
mœurs, et des habitudes profondes d'une vie très-réguhère , les
époques des insurrections, destinées à châtier de grands crimes ,
sont aussi les époques où les grands crimes se commettent.
La FIN d'une insurrection légitime est sainte; mais il est rare
que ses moyens soient très-PURS, et quand elle se prolonge trop ,
c'est presque toujours par des forfaits.
Brutus , après avoir frappé César d'un coup mortel , jeta son
poignard: les autres conjurés gardaient le leur, et voulaient
tuer encore. Brutus fut regardé comme une homme faible : de-
puis son nom a été Iç seul que tous les siècles ont cité avec amour
MÉMOIRES DE GARAT. 515
et respect ; et s'il ne rendit pas la liberté à sa patrie, trop indigne
alors de la recouvrer , il est devenu comme le génie créateur et
conservateur de la liberté de tous les peuples , que le joug de
tous les vices n'a pas préparés à celui des tyrans.
Ainsi j'ai toujours pensé sur les insurrections : ce ne sont pas
là trop les idées d'un homme qui croit que tout ce qu'on peut
faire dans une insurrection est légitime : la haine et la calomnie
seules, je le répète, peuvent attribuer une semblable doctrine à
un homme , hors du seul cas où il l'aurait professée expressé-
ment : et quelle idée donc devrait-on prendre des haines qui me
poursuivent , si, dans ce même discours , où on prétend trouver
cette doctrine , j'ai expressément professé une doctrine absolu-
ment opposée? Je n'ai qu'à citer : c'est ce discours même qui est
ma meilleure apologie. Voyez d'abord dans quels termes je lie
les massacres des 2 et 5 septembre à la prolongation des mouve-
mens insurrectionnels du 10 août.
< Si CES AFFREUX ÉvÉNEMExs u'out pas été Ic produit de l'in-
surrection, comment donc n'ont-ils pas été prévenus ; comment
n'ont-ils pas été arrêtés; comment ne sont-ils pas DEJA punis;
comment tant de sang a-t-il coulé sous d'autres glaives que ceux
de la justice, sans que les législateurs, sans que les magistrats du
peuple, sans que tout le" peuple lui-même ait porté toutes les
forces publiques aux lieux de ces sanglantes scènes? »
Voyez comment je m'exprime à ce même sujet dans un aver-
tissement imprimé en même-temps que le discours :
« En rejetant sur l'insurrection les massacres de 2 et 3 sep-
tembre , j'ai été loin de vouloir atténuer de si grands forfaits ;
mais ce qui est bon , et ce qui est horrible, peuvent arriver
dans le même temps, par les mêmes causes; et les massacres
ont été exécutés, parce que les mouvemens de l'insurrection du-
raient encore. Eh ! que faudrait-t-il penser d'une nation au milieu
de laquelle de telles cuoses se seraient passées durant le règne
des lois? Qu'on y réfléchisse bien, et qu'on réponde à cette
question. >
Ailleuis, dans le corps même du discours, et comme si j'avais
314 DOCDMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1795).
prévu que je devais être attaqué bientôt par la calomnie en dé-
lire, que bientôt elle m'accuserait d'avoir dit, qu'il ne peut être
commis aucun attentat dans une insurrection , ou que tous les
attentats commis dans une insurrection doivent être couverts et
consacrés par elle ; voici ce que je disais réellement à ce sujet, et
que peut-être on aura peine à croire en le lisant , en le con-
frontant avec les maximes barbares , que des barbares ont prê-
tées à un homme qui a passé sa vie à cultiver les affections les
plus douces et la philosophie la plus pure.
Je vais copier; qu'on daigne lire :
« Mais, dans les insurrections même, il peut avoir été commis
de TELS ATTENTATS, et CCS attentats peuvent laisser après eux de
TELS DANGEUs pour l'ordrc social rétabli, qu'il est impossible à
une nation de fermer les yeux sur les uns, et de ne pas s'occu-
per à prévenir les autres. Il est des lois tellement inséparables de
la nature des hommes, qu'elles les suivent et les obli{jeni par-
tout, dans les cités et dans les forêts , durant la paix et durant la
GUERRE, durant les lois et durant les lnsurrectioxs. »
Est-ce positif? Est-ce clairet net? Gomment concevoir actuel-
lement les accusations?
On n'est pas au terme encore de cette longue suite d'étonné-
mens : d'ordinaire on est étonné une première fois , et la seconde
ou la troisièrne on ne l'est plus. L'étonnement est une impression
passagère; mais ici le contraste entre ce qu'on m'a fait dire, et
ce que j'ai dit, est tellement continuel, il va toujours tellement
croissant , qu'à peine l'étonnement tombe qu'il renaît à l'instant
avec une nouvelle force. On va voir si j'en dis trop.
Je m'étais imposé la loi que tout m'imposait, de ne pas traiter,
de ne pas toucher même la question de poursuivre et de mettre
en jugement les auteurs des massacres ; mais j'étais obligé de rap-
peler ces journées de sang que j'aurais voulu de tout le mien ef-
facer des événemens d'une révolution sur laquelle j'ai toujours
fondé les plus belles espérances du genre humain : mais il aurait
fallu iivoii- ou un' aine bien insensible, pour ne recevoir aucme
éiijuUL»n tn révtillaut le souvenir de ces journées , ou une amc
MEMOIRES DE GARAT. 515
bien forte pour contenir les émotions qu'on aurait reçues ; et ni
une pareille insensibilité , ni une pareille force n'appartiennent à
mon ame.
Je n'ai pas seulement rappelé ces journées dans mon discours;
Je les ai décrites. D'autres avaient jeté sur elles un voile; ce voile,
inoi , je l'ai levé.
Quand on raconte un événement, c'est un art bien commun
dans ceux même qui n'ont aucun talent , et c'est un instinct bien
naturel dans ceux même qui n'ont aucun art, de choisir les cir-
constances les plus propres à l'effet qu'on veut produire, d'écar-
ter ou d'atténuer celles qui le contrarient, de rapprocher et de
faire prédominer celles qui le favorisent. Vous, chez qui Ihuma-
nilé est le premier sentiment, comme elle doit être la première
vertu pour tous les hommes, lisez et prononcez si , en vous pei-
gnant ces massacres , mon ame n'a pas été d'accord avec vos
âmes; si je vous ai pénétré d'horreur pour ces massacres, ou
pour moi qui vous les peignois.
« Il serait affreux de s'en ressouvenir, vous ne le permet-
triez pas, citoyens législateurs, et je ne le pourrais pas non plus,
si cela n'était nécessaire pour déterminer un grand acte de la jus-
tice nationale. Tout à coup, et lorsque les tocsins et le canon
d'alarme éveillaient paitout le courage, en annonçant que le
danger était partout , on court aux prisons. Les portes n'en sont
pas brisées ; elles s'ouvrent : des hommes , qui cachent leurs
noms, et qui, en violant toutes les lois, en prennent quelques
formes, se font présenter tous les écrous et tous les prisonniers.
En DEUX ou trois interrogatoires, en deux ou trois réponses,
toute cette espèce de procédure est accomplie ; l'arrêt de vie ou
de mort est prononcé. Les exécuteurs sont là à côté des juges ;
des mains des uns les condamnés passent sous la hache des autres.
Là, les juges et les bourreaux, le tribunal et l'échai'aud, la vie
et la mort, tout est tellement rapproché que tout paraît se con-
fondre. Tandis qu'un prisonnier est jugé, vin}}! autres sont exé-
cuter; les cris, les nURLEllENS DE CtUX Qu'ON ÉGORGE, ÉTOUF-
FENT LA Yoix DE CELUI QUI SE JUSTIFIE ; Cl ccux qui sunt cpur-
516 DOCL'MENS <^OMPLÉlIfcNTAlRËS ( 1792-1795 ).
gnës , se sauvent à travers les cadavres entassés de ceux qui ont
été frappés sous leurs yeux, i
0 que mes ennemis et mes détracteurs , ô que ceux qui ont
juré ma mort, et ceux, plus atroces encore, qui ont juré ma
honte, seraient réjouis, si une main aussi puissante pour ma
perte que leur volonté est active , pouvait tout à coup anéantir
tous les exemplaires de mon discours, ou effacer de tous les
exemplaires ces lignes, qui , par le tableau seul des journées des
2 et 5 septembre, ont dénoncé et dévoué ces journées à l'exé-
cration de toutes les générations du genre humain ! Mais à l'in-
stant même où il fut prononcé, ce discours, par ordre des législa-
teurs de la France , a été imprimé dans les presses nationales ; il
doit être déposé aux archives de la république ; là ne se glisse-
ront point les furtives mains des calomniateurs pour l'altérer ,
pour y mettre ce qui n'y est pas , pour en ôter ce que j'y ai mis.
Dans ce dépôt sacré , et que toutes les forces publiques protègent,
il demeurera aussi intact, aussi pur que les sentimens qui l'ont
dicté : et de là il protestera éternellement contre les affreuses
passions qui l'ont défiguré et calomnié ; il dira que le ministre de
la justice , accusé d'avoir fait l'apologie des massacres des 2 et
5 septembre devant les législateurs de la république naissante ,
est le premier qui ait parlé de ces massacres avec toute l'horreur
qu'ils méritaient, en face de la France et de l'Europe, en face
peut-être de quelques-uns même de ceux qui en étaient les
auteurs.
De toutes les passions du cœur humain , la haine est celle qui
s'éteint, qui se calme même le plus difficilement dans l'ame où elle
est entrée une foisavec toutes ses fureurs ; ellenepeut plus revenir
à l'équité , parce qu'elle a perdu tous les moyens de voir la vérité.
Elle marche audacieusement et en paix avec sa conscience dans
les voies de l'iniquité et de l'homicide ; elle est livrée aux spec-
tres , et c'est pour c«la qu'elle devient une furie. Comme elle ne
voit plus ni les choses sous leur véritable forme, ni les hommes
sous leurs véritables traits, plus l'innocence, qu'elle poursuit ,
prendra d'éclat, et plusses yeux seront blessés : les tortures
MÉMOIRES DE GARAT. 317
qu'elle voudrait faire souffrir, elle les éprouve , et elle les prend
pour les preuves des crimes qu'elle forge et qu'elle impute : elle
a beau voir que chaque attaque est pour elle une confusion , elle
attaquera encore, sans prévoir qu'elle va être écrasée d'une con-
fusion plus ignominieuse.
Je l'entends me dire : Pourquoi vous contenter de peindre ces
journées sous des couleurs propres à les rendre odieuses. Votre de-
voir n'était pas de les peindre, mais de les apprécier : pourquoi
n'avez-vous pas énoncé et prononcé formellement votre opinion?
Je pourrais répondre: le tableau d'un crime, tracé avec
assez d'énergie pour le faire abhorrer de tous ceux qui n'en ont
pas été les complices, est le plus terrible juijement qu'on puisse
prononcer contre le crime et contre les criminels : un juge-
ment, énoncé par une proposition, peut partir d'une ame que le
crime laisse sans indignation et sans émotion; un jugement énoncé
par des peintures qui remettent toutes les circonstances et loule
l'horreur du crime sous les yeux , ne peut avoir été porté que par
une ame émue , agitée , tourmentée encore par les souvenirs de
ce qu'elle flétrit et condamne.
Je pourrais répondre : tout mon discours est plein des appré-
ciations les plus positives, des déclarations les plus formelles et
les plus réiléiées du jugement que vous paraissez regreiier de
n'avoir pas entendu sorlir de ma bouche en termes froids et tran-
quilles; prêt à retracer cesévénemens, j'ai exprimé toute la vio-
lence que je devais faire à la sensibilité de mon ame , pour racon-
ter ce que des hommes atroces avaient pu exécuter; je n'en ai
parlé qu'en les qualifiant fXévénemens affreux, de grands for-
faits.
Mais voici une autre réponse.
Parles premiers mois que j'en ai dit, j'ai énoncé, j'ai prononcé,
et delà manière la plus solennelle, et mon jugement personnel
sur les 2 et 5 septembre , et le jugement qu'en porteront tous les
peuples et tous les siècles; ces premiers mots que j'en ai dit, les
voici : « Le cri de l'humanité indiGiVée et gémissante a sans doute
déjà prononcé, sur les événemons des 2 et a septeni])re. le juge-
318 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-17^^5).
ment qui sera répété par toutes les nations et par tous les
SIÈCLES. > Oui, dans ce discours, où l'on prétend que j'ai fait
l'apologie des 2 et 5 septembre, ces paroles sont les premières
que je prononçai sur ces journées. Oui , je le jure, j'ai le texte
sous les yeux , et j'ai copié fidèlement ces paroles du texte même
du discours.
Quels résultats effrayans présentent les tristes et douloureuses
discussions dans lesquelles on m'a forcé d'entrer.
J'ai voulu rejeter sur les tempêtes de l'insurrection qui boule-
versent tout un instant , des événemens horribles , que tous les
despotes et tous les oppresseurs de la terre attribuaient à la li-
berté et à une nation magnanime exposée depuis cinq ans aux
regards et à limitation du monde : et on a prétendu qu'en fai-
sant sortir ces forfaits inouïs du délire et du désordre d'une in-
surrection trop prolongée, j'avais voulu les faire adopter par
cette nation , et les compter parmi les actions glorieuses oa né -
cessaires de la révolution !
Un peuple chez lequel tout était encore incertain et menaçant,
où les mouvemens révolutionnaires, au lieu d'aller expirer dou-
cement dans une activité réglée et féconde, faisaient naître inces-
sament des mouvemens plus impétueux et plus destructeurs, j'ai
voulu l'avertir des dangers extrêmes des insurrections , j'ai voulu
lui dire, et sans aucun détour, qu'il s'en faut bien que dans une
insurrection tout soit sacré comme sa fin, que les plus grands
attentats naissent facilement de toute part dans celle suspension
des lois ordinaires; et on a publié que j'avais posé comme un
dogme révolutionnaire, que les atrocités coinmises durant
une insurrection sont aussi saintes que la fin que l'insurrection
se propose ! |
A l'occasion d'hommes présumés coupables, mais déjà châtiés
par un spectacle et par des dangers plus aflreux que lessuppUces,
jai ofl^rt un plan de déportation qui tendait à faire supprimer
la peine de mort, au moment où les partis qui se formaient dans
la lépublique allaient jeter les yeux sur la hache des lois comme
sur l'instrument de leurs victoires et de leurs vengeances ; et o» j
MÉMOIRES DE GARAT. 319
m'a traité comme un homme qui aurait abandonné la cause de
rhumanitc pour se dévouer à un parii!
Moi connu , au moins par un amour assez éclairé de la liberté,
et des moyens qui peuvent la faire prospérer, j'ai tracé des jour-
nées des 2 et 5 septembre des tableaux qui font frémir ; et on a
imprimé que je les avais représentées comme des jours auxquels
la liberté doit accorder une place honorable dans ses fastes! Je
les ai couvertes d'horreurs, ces journées, en mon nom, au nom de
toutes les nations et de tous les siècles, au nom de l'humanité
géniissanle et indignée, et on a dit, on a répété que j'en avais fait
l'apologie et l'éloge!
J'ai imploré la pitié et la miséricorde de la nation pour des
septenibrisés , pour des malheureux à peine échappés aux cou-
teaux ; et ou a cru , ou on a feint de croire que je parlais poui- les
hommes atroces dont les couteaux avaient égorgé tant d'inno-
centes victimes, pour les septembriseurs !
Quel amas incompréhensible ou d'erreurs ou d'impostures, et
peut-être d'impostures et d'erreurs !
Ont-elles été un peu accréditées? J'ai lieu de croire et même
d'être certain que non : mais ce n'est pas leur fausseté avérée qui
les a empêchés de s'établir dans l'opinion publique : ce n'est pas
une connaissance exacte de mon discours , c'est mon caractère
connu qui les a repoussées : l'ouvrage n'a pas justifié l'auteur,
l'auteur a plutôt justifié l'ouvrage; et certes, il m'est plus doux ,
il m'est plus consolant desavoir mes écrits défendus par ma per-
sonne, que ma personne par mes écrits.
Mais enfin, si ces mensonges n'ont pu pénétrer nulle part,
leur rumeur s'est partout fait entendre; et dans ces instans où
toutes les passions élèvent plus haut leur poussière, où le jour
le plus pur est éclipsé , où tout se couvre de ténèbres, les doutes
mômes , et les doutes les plus insensés, méritent qu'on les dis-
sipe. C'est lorsque les hommes, soit pour le bien , soit pour le
mal , sont tant les uns pour les autres , qu'il importe extrêmement
qu'ils se connaissent très-bien. Le soupçon involontaire qui pour-
rait rester à un honnête homme sur mon compte , pourrait être
320 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
cause que dans une de ces grandes occasions , qui ne sont plus
rares, il n'eût aucun empressement , ni à être juste à mon égard,
ni à recevoir de moi un acte de justice ; et voilà comme tous les
liens du nœud social se relâchent et se rompent. Je le proteste ;
ce motif d'intérêt public, autant que d'intérêt personnel, est le
seul qui ait pu obtenir de moi ces longs développemens donnés à
une justilication dont il m'a été impossible de croire avoir un
grand besoin.
Je vais expliquer en peu de mots, et pour le même motif, par
quel concours singulier de circonstances extraordinaires, une
pareille rumeur a pu être suscitée à l'occasion d'un discours qui
respire partout l'horreur du sang, l'umour de l'humanité, le
respect du régime légal , et la vraie théorie de la justice sociale.
Il faudrait fuir dans les forêts , si , hors des cas rares où le hasard
rassemble des causes dont chacune est inattendue , et dont la
réunion est bizarre , on pouvait être accusé d'avoir été barbare
et sanguinaire , précisément pour avoir été humain , et pour
avoir voulu ajouter à l'humanité d'une grande nation. Ces expli-
cations, quand elles ne sont pas des suppositions gratuites, mais
des faits bien observés, bien démêlés, bien aperçus jusque
dans les secrets de leurs dépendances et de leurs liaisons , font
toucher à ces ressorts invisibles qui remuent les opinions et qui
poussent les événemens; ce genre de connaissances , cette espèce
de logique appliquée , non pas aux idées , mais aux actions , est
partout la plus rare ; dans une république elle est la plus néces-
saire ; et , je le répète encore , pour avoir le courage de conti-
nuer ma défense , il me faut l'espérance qu'elle sera utile encore
à d'autres qu'à moi.
Dans le seia même delà Convention nationale, lorsque j'y
parlais des journées des 2 et 5 septembre, siégeaient des hom-
mes , dont les uns étaient soupçonnés d'avoirété les provocateurs
et les ordonnateurs des massacres, dont les autres leur donnaient
une approbation haute et publique : il y en avait d'une autre
part qui, ayant en horreur les massacres, et ceux qui avaient pu
les arranger et les proléger, tenaient cette accusation en réserve»
MÉJIOIRËS DE GARAT. 321
pour la lancer comme la foudre , dans l'occasion, sur des rivaux
de puissance ou d'influence. Aux premiers mots que je pronon-
çai sur les journées des 2 et 3 septembre , à ces mots qui expri-
maient et qui appelaient les imprécations de l'Iiumanitë tout
entière contre ces journées, ceux qui en étaient, au moins, les
protecteurs , crurent que je venais proposer de les poursuivre :
un murmure s'éleva ; et je jiosai les questions et mes principes
au milieu d'un bruit confus. Lorsqueensuite, du milieu de ce bruit
et de mes paroles qu'il couvrait , on entendit sortir les mots de
pitié , de miséricorde , de jubilé politique , ceux qui avaient leurs
projets contre les auteurs des massacres crurent que c'était pour
ces forfaits que je venais demander une amnistie ou une approba-
tion ; elle murmure alors passa d'un côté de l'assemblée à l'autre,
ou plutôt il fut dans les deux côtés. Le commencement de mon
discours fut donc trop bien entendu par les uns, et tout le dis-
cours beaucoup trop mal parles autres. Mais de ce que quelques
membres du côté droit crurent avoir des reproches à me faire ,
quelques membres du côté {gauche en prirent acte pour me don-
ner des éloges : ils accueillirent avec empressement la méprise
qui donnait à leurs suffrages sanguinaires la sanction du suf-
frage d'un minisire de la justice qui ne passait pas pour un bar-
bare, et qui, dans plusieurs de ses écrits, en couvrant d'ignomi-
nie et d'horreur les vains sophismes de l'aristocratie, avait plus
d'une fois réclamé les droits imprescriptibles de l'humanité en
faveur des aristocrates mêmes.
Il fallait une autre méprise pour les rendre toutes plus difficiles
à reconnaître et à réparer ; et elle a eu heu.
De tous les côtés je me suis entendu attribuer cette phrase :
« Les 2 et 5 septembie sont des jours surlesévénemens desquels
il faut peut-être jeter un voile. > Celte phrase a été prononcée,
en effet, par un ministre, au milieu de la représentation natio-
nale.
Si cesmots étaient sortis de ma bouche, j'aurais eu, sans doute,
des motifs trop puissans pour les prononcer, et je ne les dés-
avouerais pas; les choses sur lesquelles on veut jetei- un voile ne
T. XVIII. 21
522 DOCUMENS COiMPLÉMENTAlRES{ 1792-1793).
soEt pas des choses auxquelles on donne son approbation ou ses
doges ; il s'en fai;! Lien. L'Assenibioe législative a jeté sur la g'a-
cière d'Avignon les voiles sacrés d'une loi ; et l'aristocratie en dé-
lire a pu dire seale que l'Assemblée législative avait consacré
la glacière. Hors des tourbillons et des lorrens impétueux des
passions et des événenjeris qui, après avoir tout englouti d'un
c^lé, menacent de tout engloutir de l'autre, il est facile de poser
les questions de morale, comme si on avait toujours à choisir en-
tre le mal et le bien, entre le bien et le mieux. Mais au milieu des
affaires et des hommes, au milieu surtout des révolutions, trop
souvent il ne reste de choix à faire qu'entre un malqui est très-
grand , et un mal qui serait affreux , qu'il faut éc irter à tout prix;
et alors le plus haut degré de la sagesse , le sacrifice le plus gé-
néreux de la vertu , celui qui doit lui coûter davantage , c'est de
renonce.", en quelque sorte, usa pureté, c'est de se couvrir de
taches appai-enies aux yeux du monde, pour faire un bien im-
mense, mais invisible à tous les regards, puisqu'il consiste en des
malheurs qu'on a prévenus. Telle était, je le crois, la position de
celui qui a prononcé la phrase qui m'a été attribuée, et qui n'est
pas ilemoi; elle est de Roland : c'est lui qui, parlant au milieu
de l'Assemblée législative, le 5 septembre , débuta, sur les mas-
sacres , par ces mots : Hier fut un jour sur les événemcns du-
quel il faut peul-êlre jeter un voile. Hélas ! je suis loin d'envier
et de disputer à la mémoire de Roland l'eslimeet l'amour que lui
gardentet que lui doivent ceux qui ont été les témoins de sa ligide
probité; ceux avec lesquels il a été prosciit par les mêmes enne-
mis. Mais qui pourrait me blâmer de sentir avec amertume cette
injuste acception de personnes qui m'allnbue à moi comme un
crime ce qui appartient à Roland, et ce qui en lui a passé pour
sagesse et vertu?
Quelle étendue j'ai donnée à des explications si claires, à une
justification si facile! Je l'ai senti, cette extrême clarté, cette fa-
cilité extrême a dû rendre fade et accablante une discuss ion si
longue; mais puisque j'y étais condamné une fois, j'ai tâché que,
sous aucun prétexte , ni moi ni le public nous n'entendissions plus
MÉMOIRES DE GARAT. ,>25
parler de celte imputation également révoltante et par sa nature ,
et par l'excès de son absurdité, et par l'excès de son iniquité;
que si ces hommes dont l'esprit et le cœur sont faits de ma-
nière qu'ils ne se lassent jamais de ce qui est ridicule et de ce qui
est horrible, y reviennent encore, je le déclare donc, il ne m'ar-
rivera jamais plus de leur répondre, à moins que, du milieu de
celle foule de mes ennemis qui se partagent les rôles , dont les
uns soufflent et dont les autres parlent, il n'en sorte un pour se
mettre en évidence avec un nom qui ne soit pas un opprobre,
avec une logique qui ne soit pas un délire, et avec des intentions
qui ne soient pas celles de nous donner un roi.
Je puis consentir à défendre ma vie contre les erreurs involon-
taires de mes concitoyens et des juges de ma république, je ne puis
pas consentir à défendre la pureté de ma vie contre des infâmes ,
et ma mémoire contre des gens qui ne peuvent pas sortir de leur
obscurité par leur ignominie même.
Sous Robespierre même et sous Billaud , n'ayant que très-peu
de doutes sur le sort qui m'attendait , je ne marchais jamais que
pourvu de tous les moyens de disposer proniplemeal moi-même
de mon sort. Il m'était consolant d'en avoir les moyens et de les
avoir bien choisis ; mais, après mûre delibéraiiou , je m'étais dé-
cidé à n'en pas faire usage. Les principes de Socrate sur la sou-
mission qu'on doit aux lois et à l'ordre social , dans la personne
même des juges les plus iniques, m'avaient toujours paru une
exagération de la vertu et de la magnanimité; à ce moment où
je les discutais de nouveau , et pour moi-même, ils ne me paru-
rent plus que sublimes et sacrés. Au milieu de lant dhorreurs
que, depuis huit mois, la nuit ne couvrait de ses ténèbres que
pour les voir renahre avec le jour, je ne trouvais pas non plus
qu'elle y iijoutût des circonstances bie n fâcheuses, celte prome-
nade de quelques heures, à laquelle on pouvait montrer ù tout
\m peuple comment l'innocence apprend à mourir à ceux que
l'iniquilé envoie à la mort. O toi qui arrêtas la main avec laquelle
tu traçais le tableau des progrès de l'esprit humain pour porter
sur tes lèvres le breuvage mortel , d'autres pensées et d aulres
5:24 DocusiENs complémemtaires ( 1792-1793 ).
sentimens ont incliné ta volonté vers le tombeau dans ta dernière
délibération ; tu as rendu à la liberté éternelle ton ame républi-
caine, par ce poison qui avait été partagé entre nous comme le
pain entre les frères! Tu n'es plus ! et je vis pour être accusé par
des hommes qui invoquent ton nom comme moi , mais qui n'ont
pas , comme moi , voulu ajouter à tous les dangers qu'ils couraient
des dangers plus grands encore, pour dérober aux bourreaux
une tête qui manquera long-temps à la France et à l'Europe!
Aujourd'hui que ceux qui élèvent les accusations ne sont plus
ceux qui prononcent les jugemens ; aujourd'hui que ceux qui
portent le titre auguste de représentans d'un grand peuple sa-
vent tous qu'on ne représente réellement un peuple libre que lors-
qu'on est, contre toutes les passions personnelles et étrangères,
l'incorruptible organe des règles universelles et immuables de la
justice et de la raison ; aujourd'hui que les juges sont encore nom-
més par les représentans , mais ne sont qu'à la nation , qu'ils re-
çoivent des législateurs des lois et n'en reçoivent pas leur con-
science, leur conviction et leur volonié; aujourd'hui, enfin , que
toute la puissance de la république menace surtout ceux qui vou-
draient égarer son glaive; aujourd'hui l'innocence, quand même
elle n'aurait pas foulé aux pieds toutes les craintes , tous les bruits
des chaînes et des haches, ne pourrait concevoir aucune alarme.
En m' obligeant à rendre compte de ma conduite , on m'a fourni
seulement l'honorable occasion d'exposer quelques titres à l'es-
time de la nation, d'ouvrir tout entière une ame dans laquelle
le silence cachait quelques biens et quelques vertus peut-être.
Mais , encore un coup , je veux parler à la république, à ses lé-
gislateurs , à ses juges ; il n'y a pas de loi sociale , il n'y a pas de
principe de morale qui puisse obliger un honnête homme à ré-
pondre à d'imbéciles détracteurs , à des fous , à des hypocrites
conjurés ensemble dans les pamphlets, dans les placards, dans les
aboiemens des carrefours, et le tout pour écraser quelques misé-
rables succès d'un talent qui ne s'est jamais vendu ni à l'aristocra-
tie ni à la royauté, ni aux Feuillans ni aux Jacobins, ni au côié
gauche ni au côté droit, ni à ses tnneniis ni à ses amis. Quand
MÉMOIRES DE GARAT. 325
ma vie tout entière est employée à combattre des erreurs fu-
nestes au genre humain , les hommes, à qui je ne demande rien ,
me doivent au moins, ce me semble , de me dispenser de con-
fondre de plats mensonges et de lâches menteurs. Ah î si j'avais
été capable d'écouter d'autres voix que celle de ma raison, de con-
sulter d'autres intérêts que ceux de la vérilë et de la république,
tant de dangers ne m'auraient pas incessamment environné dans
ma marche solitaire ! J'aurais été menacé d'un côté , mais je ne
l'aurais pas été de tous les côtés; en blessant des passions j'en au-
rais flatté d'autres , et la ligue de celles contre lesquelles je me
serais serré m'aurait couvert de ses phalanges contre la ligue de
celles dont je me serais éloigné. Je connaissais aussi bien que d'au-
tres ce conseil donné par J\[achiavel aux politiques , à qui il veut
ôter toute conscience : sovez grandement ennemi et grandement
AMI ; je n'ai voulu être que grandement juste. Comme cela a bien
tourné pour moi et pour les autres!... Mais c'est à ma pensée,
c'est à mes souvenirs que je parle ; j'oublie que je n'ai pas encore
expliqué les faits importans de mon ministère , que je n'ai pas en-
core exposé ma conduite; je m'en souviens, et je tâcherai de ne
plus l'oublier.
Les journaux ont rapporté très-diversement les chefs d'accusa-
tion que Philippe Dumont a énoncés contre moi ; mais je vais les
copier dans les journaux qui en ont le plus rapporté , et les plus
graves. J'ai répondu au premier ; il portail sur les 2 et 5 sep-
tembre; voici les autres : l" D'avoir fait l'apologie des pillages
commis au mois de février 1795 ; 2° d'avoir trompé la Convention
nationale par les rapports que je lui fis sur les mouvemens du
10 mars et des jours suivans ; 3° d'avoir favorisé , avec Pache et
Boucholte, les journées du 31 mai et du 2 juin.
Philippe Dumont, qui n'est pas mon seul ennemi, a été pourtant
mon seul dénonciateur, et, àl'inslant même où il a élevé la voix pour
m'accuser, plusieurs députés ont pris la parole pour me défendre.
Ce mouvement les honore, car rien ne he à moi ceux qui ont
parlé, que leur respect pour la vérité.
En me dénonçant, Philippe Dumont n'a rappelé aucune de mes
m
'j^
*,
*^_«
5t6 OOCl.HE>» C01t»LElUtAJ&U^17*Jâ-1795).
paro!«, aurr ' — - - t accnséiBrfleiéptqiii
piutô; que SI : atoir qoefelaiiQMfit.
ble, mais aimera croire qut l'être : et , à TiBaUBt méaei
deux de ses collègues , lotis leiteax membret ém cooiite de sa-
lut public à Tepoque du 5i ' aiiesié à ma drrharyi €t
qui' ' ' Jtr vu , f t ce qoi t JMliit
ant*. . "le» dcnoodttioat qw, et
éclatant, ont un munieal au aios de Inoaipbe, U dcMocÀ-
tionde Philippe [)uniofit, m«^naa prenirr Bioaeot , a doac bit
peu de fortune. Je oe I
battue sur l" '
tant, sur If 3i
de pein*^, liordee de tart
fjnoR!» deYO\afi;equi, de loir :
liez, TOUS teodenl la r
dooct'urs à l'amertan)*
Il m Mt dillicili- •(•■
mon apolope de» ,
rilede comprendre ce qn'd a vulu dire. Il serait beaa qu'un mi-
nuire de h jusiice eût fait tour tour, et toujours dans le saoc-
tatire des lois - ■ * -letpihfQiylMiiéirap) '
ina«sacres. J .i; _.rtr ta Hrilloire, et J y ^. :
beaucoup de choses qui ne mot |»as trèsn^iiié ; mais si je pou-
\^is croire ce que Philippe Duioot meracoote de moi plus que
ce que je puis en savoir, ce que aurais vu de plus étonnant dans
I histoire s»Tail peu de chose nrore auprès de ce que j'aurais
fa il moi-m(^ine.
Beaucoup de fuens piiUni, leans avec bassesse , dans les po-
ches, et de petites sommes; k aeires de fj^ndes sommes, et
avec fifraodeur, dans les trésa et daas le sanf; des nations:
mais, en général , s'il est r '" noir des motifs de trouver
beaux les pillages qu on ù il est difficile de trouver
beaux les pilla,<{es <|uc font
La morale des voleurs n. i cet qjard , aussi sévère ,
auî«i pure que celle des plu» U'iu* loà gens.
js encore qn'elle étM <
»ur le point le pinti
r*' iiv b vie, semée de tant
r*s. il est donc det compa-
ct sans qne vont les appe>
-ice mêle bien des
lences!
i bilippe Dumont de
lévrier, car il m'est difi-
MÉMOIRES DE GARAI. 5)27
Machiavel dit : Une faut pas que celui qui gouverne soit hon-
nête homme; mais il faut qu'il ait grand soin de le paraître. Ce
soin n'est pas cornnjunément celui qu'on né{jl'{je, et les doux par-
lies même du précepte de MachiavI ne laissent pas que d'être
assez ponctuellement remplies. Au dite de Philippe Dumont, il
y en a une au moins que j'aurais violée complètement : j'aurais
pris bien peu de soin de paraître honnête homme. Aurais-]e
suivi , par hasard , l'inverse du précepte de Machiavel? et, au
lieu de paraître honnête homme sans l'être, l'aurais-je été sans
vouloir le paraître? Cela n'est pas tiès-vraisend)lable; car si un
coquin a de bonnes raisons de vouloir paraître honnête homme,
un honnête homme ne peut pas avoir les mêmes raisons de vou-
loir paraître un coquin.
J'oubliais que nous sommes en révohition; j'oubliais que,
dans cette révolution , un grand principe a été mis en avant par
de grands génies , le partage des biens ; j'oubliais que, pour es-
saxer les mesures d'exécution de ce principe profond et vaste,
des gens qui n'avaient rien ont pris tout à ceux qui avaient quel-
que chose et ne leur ont rien laissé, ce qui est un partage très-
égal et très-fraternel. Ne serait-il donc pas possible que j'eusse
voulu associer mes pensées législatives aux conceptions rares
avec lesquelles l'Ami du peuple éluh familiarisé, et dont Sa'nl-
Just s'approchait tous les jours par tous les progrès de son esprit?
Mais non il faut que j'aie eu toujours, sur toutes ces belles
choses quelques scrupules et quelques faiblesses ; je n'ai jamais
été à la HAUTEUR, au pas, toujours je suis resté en arrière. Il est
donc assez évident que je n'ai mérité ni cet excès d'honneur ni cette
indignité.
Par toutes ces raisons , je me juge dispensé de prouver que je
n'ai pas fait l'apologie des pillages.
Mais si je me tiens quitte sans aucune inquiétude de celte
preuve, il y a sur les pillages du mois de février une explication
que Philippe Dumont désire peut être de recevoir de moi, et que
je désire bien plus encore de lui donner. Un dccret m'ordonnait
d'en faire rechercher et poursuivre les auteurs. A celle époque
528 DOCUMliNS COMPLÉMENTAIRES (47912-1793 ).
où tous les évënemens se pressaient et devenaient chaque jour
plus menaçans, où toutes les séances étaient des tumultes, di-
verses circonstances m'empêchèrent de rendre compte à la Con-
vention de ce que j'avais fait pour l'exéculion de son décret ; mais
jamais décret ne fut plus scrupuleusement, plus rigoureusement
et plus hâtivement exécuté de ma part. On peut en voir les
preuves dans la note où je renvoie le récit de tout ce que je fis et
de tout ce que j'écrivis pour l'exécution de ce décret.
Philippe Dumont a énoncé très-vaguement les reproches qu'il
m'a faits relativement aux comptes que j'ai rendus à la Convention
sur les mouvemens qui agitaient Paris et qui menaçaient la Con-
vention elle-même ; il n'a donné aucune précision aux faits dont
il m'accuse; je vais l'aider à dresser mon acte d'accusation. Le
coupable^ qu'il soit accusé ou accusateur, a besoin des ténèbres,
et les ténèbres sont dans le vague des faits et des idées; l'inno-
cence, au contraire, n'a besoin pour vaincre que de combattre
au grand jour, et c'est la précision qui, tirant les idées et les faits
du chaos, semble dire : Que la lumière soit. L'innocence accusée a
aussi son héroïsme, et poursuivie par un puissant de la terre
elle lui criera :
Chasse la nuit qui nous couvre les yeux ,
Et combats contre nous à la clarté des deux.
Il y a quatre époques où je puis être accusé d'avoir parlé à la
Convention nationale sans lui dire tout ce que je savais , ou sans
savoir tout ce qui était : 1° L'époque du 10 mars; 2° l'époque qui
suivit de près, et qui au fond est la même de mes recherches et
de mon compte-rendu sur un comité dit d'insurrection; o" l'épo-
que du 27 mai, où je parlai au milieu de la Convention , que l'on
disait être assiégée ; 4" l'époque des journées des 51 mai et 2 juin,
que l'on prétend que j'ai favorisées de concert avec Pache et
Bouchotte, dont on prétend que je suis l'un des auteurs.
Avant d'entrer dans aucun examen de la part que j'ai pu avoir
dans les divers événemens de ces quatre époques , il est nécessaire
de rappeler les circonstan es générales communes à ces quatre
époques à la fois, et qui ont été les causes de tous les événemens.
MÉMOIRES DE GARAT. 529
Presque tous les peuples de la terre se sont représentés un
temple des destinées, et dans ce temple des dieux bons ou mé-
chans qui disputent et combattent entre eux pour savoir qui fera
les décrets sur le sort des humains. L'allégorie est frappante et
trouve partout des applications. La Convention nationale, dès ses
premières séances , fut divisée en deux partis ou en deux côtés.
Un tableau des causes de ces divisions, de leurs progrès , de
leurs éclats, répandrait ici une lumière qui , aptes avoir éclairé
ma conduite, porterait plus loin sa réverbération ; mais je l'efface
après l'avoir tracé ; je le réserve pour le moment où je me pré-
senterai peut-être devant le tribunal des siècles , plus encore eu
juge qu'en accusé.
Je dois me borner ici aux résultats.
Au bout de deux ou trois mois, mais surtout après le jugement
et le châtiment du dernier roi, les débats delà Convention n'é-
taient plus des discussions sur les principes; c'étaient des que-
relles sur les personnes. De proche en proche , les soupçons et
les haines gagnant toutes les âmes et tous les esprits, nul ne
resta entièrement impartial pour se rendre médiateur; nul n'eut
cette force de la modération et de la neutralité, la plus rare de
toutes, parce que les passions ont pris le parti de la déshonorer
et de la mépriser sous le nom de faiblesse. C'était un côté tout
entier qui combattait contre l'autre côté tout entier. On eût dit
que c'étaient deux assemblées dressant tous les jours devant la
république chacune un acte d'accusation contre l'autre ; eh! quels
faits étaient énoncés de part etd'autredans ces actes d'accusation!
Le côté droit disait au côté gauche :
« Les législateurs d'une grande république doivent être pleins
de respect et d'amour pour l'humanité, et ce n'est pas à vous,
couverts de tout le sang versé dans les 2 et 3 septembre, qu'il
appartient de donner des lois à la France. Les législateurs d'un
empire , que les richesses de son sol , le génie de ses habitans ,
et le commerce de l'univers appellent aux biens et aux prospérités
de tous les genres, doivent regarder la propriété comme une des
bases les plus sacrées de tout l'ordre social ; et la mission donnée
«I:*
V
iiH
528 DOCLMt;>S COPLÉMEN I AIRES (1792-1793 ).
où tous les événemense pressaient et devenaient chaque jour
plus inenaçans, où iou« les séances étaient des tumultes, di-
verses circonstances m'fipéclièrent de rendre compte à la Con-
vention de ce que javaifait pour l'exécution de son décret ; mais
jamais di'cret ne fui pU scrupuleusement, plus rigoureusement
et plus hâtivement exculé de ma part. On peut en voir les
preuves dans la note oùe renvoie le récit de tout ce que je lis et
de tout ce que j'écrivis our l'exécution de ce décret.
Philippe Dumont a (bncé très-vaguement les reproches qu'il
m'a faits relativement aL comptes que j'ai rendus à la Convention
sur les mouvemens qui giiaient Paris et qui menaçiiient la Con-
vention elle-même; il n donné aucune précision aux faits dont
il m'accuse; je vais l'aicr à dresser mon acte d'accusation. Le
coupable, qu'il soit accié ou accusateur, a besoin dos ténèbres,
cl les ténèbres sont dai le vague des faits et des idées ; l'inno-
cence, au contraire, a besoin pour vaincre que de combattre
au grand jour, et c'est i précision qui, tirant les idées et les faits
du chaos, semble dire -.hie la lumière soit. L'innocence accusée a
aussi son héroïsme , eDuursuivie par un puissant de la terre
elle lui criera :
Cbassc la lit qui nous couvre les yeux ,
tt coml)at5 dire nous à la clarté des deux.
Il y a quatre époque où je puis être accusé d'avoir parlé à la
Convention nationale îds lui dire tout ce que je savais, ou sans
savoir tout ce qui était 1» L'époque du 10 mars; 2° l'époque qui
suivit de près, et qui a fond est la même de mes recherches et
de mon compte-rendu ur un comité dit d'insurrection; 3' l'épo-
que du 27 mai, où je p-Iai au milieu de la Convention , que l'on
disait être assiégée ; i" époque des journées des 51 mai et 2 juin,
que l'on prétend quq'ai favorisées de concert avec Pache et
Bouchotte , dont on prend que je suis l'un des auteurs.
Avant d'entrer danaucun examen de la part que j'ai pu avoir^
dans les divers événenms de ces quatre époques , il es
de rappeler les circoilan es générales communes
époques à la fois, et q\ ont été les causes de toi
HÉMOIRES DR GARAT. 531
dre.Qunnd il vousa laissés gouverner parles ministres que vous
lui donniez, il vous a paru assez fidèle : vous n'avez commencé à le
trouver traître que lorsqu'il a trompé, avec la nation, votre am-
bition ; votre vœu secret ne fut jamais d'élever la France aux ma-
gnifiques destinées d'une grande république, mais de lui hiisser
un roi que vous auriez accusé et proié^é tour à lour, qui eût élé
votre prisonnier, et dont vous auiiez été les maires du palais.
Ainsi par vous le roi aurait eu un faniôme de trône, la nation un
fantôme de liberté, et la seule chose réelle aurait été votre domi-
nation et votre tyrannie. Hommes lâches , qui croyez que des ar-
tifices sont la science des hommes d'état, apprenez que les vrais
républicains marchent avec rapidité et avec intrépidité dans les
voies larges qu'ils se sont ouvertes; et que les politiques astu-
cieux sont ceux qui, comme vous, serpentent leiitement dans les
voies obliques qu'ils ont tracées et contournées. Quand le tyran a
paru devant la justice nationale, dont nous étions, vous et nous ,
les organes, nous avons lancé sur lui la mort; et vous, qui vou-
liez vous réserver sa vie, dont vous aviez besoin pour vos com-
plots , en disant comme nous la mort , pour partager notre
gloire, vous avez ajouté I'appel au peuple, pour sauver le tyran,
que vous feigniez de condamner. Par ce seul acte , hommes d'é-
tat, dignes en effet de Borgia et de son précepteur, vous nous
faisiez abhorrer comme des barbares, vous vous faisiez adorer
comme les justes par excellence , et vous appeliez la guerre ci-
vile pour déchirer la France et la diviser en des étals fédérés ,
dont vous auriez été les uniques législateurs, les consuls, les
éphores, ou les archontes. Vous le plaignez peu le sang des ré-
publicains , qui a coulé par torrens dans cette guerre contre l'Eu-
rope, désirée par tous les vœux du Château, et allumée par vos
motions. Mais le sang qui a coulé dans les prisons, pour la sû-
reté et par la colère du peuple, vous voulez, à tout prix le ven-
ger : c'était le sang des aristocrates. Que signifient ces ci is que
vous jetez sans cesse, que nous voulons attaquer les propriétés,
sinon que vous voulez avoir autour de vous et contie no s une
armée de propriétaires, qce vous ne paierez point, et qui vous
552 DOCUMt;>S COMPLÉMENTAIRES (1792-1795).
paiera? Que signifient ces cris que vous jetez sans cesse, que
vousdelibérezsous les couteaux, que trois cents lëgi^laleurs sont
trois cents assassins qui en veulent aux jjurs de trois cents au-
tres législateurs? Pisistiate fit plus que crier aux assassins, il
poignarda ses mules et lui-même, et le lendemain, Pisistrate ,
entouré de gardes, fut le tyian de sa patrie. Hommes d'état,
vous voulez la liberté , tout au plus,, sans lëgaliié; et nous, que
vous appelez barbares, parce que nous sommes aussi inflexibles
que les droits et les litres du genre humain, nous voulons l'éga-
lité, parce que sans elle nous ne pouvons pas concevoir la liberté.
Hommes d'état, vous voulez organiser pour les riches la républi-
que, qui périrait bientôt au milieu des richesses; et nous, qui ne
sommes pas des hommes d'état, mais les hommes de la nature ,
qui n'avons aucun art et aucune science , mais l'instinct et l'é-
nergie de toutes les vertus , nous cherchons des lois qui fassent
sortir le pauvre de la misère, et les riches de l'opulence, pour
faire de tous les hommes , dans une aisance universelle , les ci-
toyens heureux et les défenseurs ardens d'une république éter-
nelle et universellement adorée. Hommes d'état, c'est cette mul-
titude par vous méprisée ou redoutée , c'est le peuple qui a
commencé et qui a continué la révolution ; c'est par le peuple et
pour lui que nous voulons l'achever. Prenez garde ; le peuple
peut bien être tiompé quelque temps par ses oppresseurs , mais
ses passions mêmes s'arment promptement et violemment pour
ses amis les plus passionnés. Tremblez de nous contraindre à ap-
peler les excès du peuple à la défense de ses droits et de nos
jours. Vous périrez; elle sang des citoyens de toutes les parties
de la république coulerait bientôt par flots mêlé au sang des lé-
gislateurs de tous les côtés. Si vous n'êtes pas des traîtres et des
conspirateurs , fléchissez votre orgueil devant l'image de tant de
maux qui menacent la patrie. *
Qu'on lise les discours, les journaux et les brochures du
temps , et on s'assurera que c'est là un résumé plutôt atténué et
adouci qu'exagéré des accusatons intentées par le côté droit
contre le côté gauche, et par le côté gauche contre le côté
MÉMOIRES DE GARAT. 553
droit ; ce qu'on imprimait on le disait, et cent fois on me l'a dit
de part et d'autre.
Je me suis surtout souvent rappelé , et toujours avec effroi ,
deux entretiens que , dans l'intervalle de cinq à six jours , j'ai
eus, l'un avec Robespierre, et lauire avec Salles.
Tous les deux, on le sait, avaient été, comme moi, de l'as-
semblée consiiluante. Pendant trois années, et tous les jours,
nous avions, presque dans toutes les questions, voté dans le
même sens; mais jamais je n'avais eu aucune espèce de liaison
avec aucun des deux.
Je veux pourtant dire ici quelle éiait alors mon opinion sur
tous les deux, d'après l'idée que j'avais pu prendre, dans l'as-
semblée constituante, de leur esprit et de leur caractère.
Tous les deux , je les croyais sincèrement et ardemment atta-
chés à la révolution. A tous les deux je leur croyais de la pro-
bité; et j'attache à ce mot , non l'idée d'un homme qui fait tou-
jours le bien, mais l'idée d'un homme qui veut et croit toujours
le faire. Si j'avais pu avoir des doutes sur la probité et sur le pa-
triotisme de l'un des deux , d'après deux ou trois circonstances
publiques, j'aurais eu des doutes sur Salles plus que sur Robes-
pierre ; mais je n'en avois sur aucun.
Avec un esprit très-actif, et une imagination très-agitée par
les affaires et par les principes de la révolution , Salles ne me pa-
raissait avoir aucun talent réel.
Dans Robespierre , à travers le bavardage insignifiant de ses
Improvisations journalières, à travers son rabâchage éternel
sur les droits de l'homme, sur la souveraineté du peuple, sur
les principes dont il parlait sans cesse, et sur lesquels il n'a ja-
mais répandu une seule vue un peu exacte et un peu neuve , je
croyais apercevoir, surtout quand il imprimait, les germes d'un
talent qui pouvait croître, qui croissait réellement, et dont le
développement entier pourrait faire un jour beaucoup de bien,
ou beaucoup de niai. Je le voyais, dans son style, occupé à étu-
dier et à imiter ces f(;rmps de la langue qui ont de l'élégance , de
la noblesse et de l'éclat. D'après les formes mêmes qu'il imitait ,
354 DOCUMEKS C01ÎPLÉMENTA1RBS( 1792-1795).
et qu'il reproduisait le plus souvent, il m'était facile de deviner
que toutes ses éludes, il les faisait suriout dans Rousseau. J'es-
pérais qu'en prenant Rousseau pour modèle de son style, la lec-
ture continuelle qu'il en faisait aurait aussi quelque influence
heureuse sur son caractère.
Mais, et dans Salles et dans Robespierre, ce que j'avais vu le
plus distinctement, c'est cette fausseté d'esprit si commune dans
ceux qui traitent de grandes questions , et qui peut être si fatale
dans ceux qui traitent les grandes questions politiques.
Le sentiment (jui perçait le plus dans Robespierre, dont il ne
faisait même aucun mystère, et qui, avec quelques attaques
haidies contre des intrigans, lui avait valu dans les groupes
de Paris le titre d'incoiruptible ; ce sentiment , c'est que le dé-
fenseur du peuple ne peut jamais avoir tort; c'est qu'il trahit le
peuple, s'il met aucune borne et aucune mesure dans ses prin-
cipes ; c'est que dans tout ce que fait le peui)le, et dans tout ce
qu'on dit pour lui, tout est vertu et vérité, rien ne peut être ex-
cès, erreur et crime. L'intolérance, si naturelle à l'esprit hu-
main , est toujours prête à porter de pareils seniimens dans les
combats d'opinions de tous les genres ; mais ils sont inséparables
surtout des combats des opinions religieuses, et des combats des
opinions politiques populaires.
Quand on fait pour Dieu et pour le peuple, on ne croit jamais
faire ni trop ni mal : et c'est ce qui a dressé tant de bûchers dans
les querelles religieuses, et tant d'échafauds dans les querelles
politiques.
Dans Robespierre et dans Salles dominait ce tempérament
atrabilaire qui tourmente ceux qui l'ont, et d'où sont sortis,
dans tous les siècles, les tempêtes <iui ont bouleversé le monde
moial. Les esprits de ce genre ne peuvent laisser le genre hu-
main en paix que lorsqu'ils sont mis de bonne heure dans les
chaînes d'une religion menaçante, ou dans les chaînes d'une lo-
gique très-exacte et très-sévère. Il faut qu'ils soient des fous ou
des scélérats, des saints ou de grands philosophes.
Dans les siècles religieux, il leur arrive souvent, après avoir
HÉMOIRES DE GARAT. 335
commis quelque crime, dont ils sont eux-mêmes épouvar.iés,
d'aller pour toute leur vie se mettre à gt noux dans des deseï is et
dans des cavernes, où leur iina^jination profonde et tremblante
creuse incessamment les abîmes de l'enfer. Les cloîtres, en en-
sevelissant beaucoup d'hommes de ce genre, ont rendu, à cet
égard , de grands services au monde.
Dans les siècles où il y a une philosophie, ils s'y dévouent
comme à une religion; ils portent très-loin i'alteniion et le rai-
sonnement; mais le raisonnement est trop souvent altéré pour
eux dans ses sources mêmes , dans les sensations; et c'est pour
cela que , dans les objets où leurs sensations ne sont pas corrom-
pues, ils ont du génie; que, dans tous les autres, ils délirent
méthodiquement et sans retour.
Je ne serais pas étonné que Robespierre eût quelque religion ;
mais jamais homme, sachant écrire des phrasf^s éléga les et
belles, ne fut plus étranger à une bonne logique. Pour lui , les
meilleures raisons, c'étaient ses soupçons.
Un jour que je l'invitais à réfléchir sur quelques idées que je
lui présentais, et qui lui auraient épargné tous ces crimes qui
ont dressé tant d'échafauds et le sien , il m'a répondu ces pro-
pres paroles : « Je n'ai pas besoin de réfléchir, c'est toujours à
mes premières impressions que je m'en rapporte. » Les premières
impressions étaient toujours, dans un pareil tempérament et
dans de tels événemens, celles de la haine, du soupçon , de la
terreur, de l'orgueil et de la vengeance : et c'est de ces sources
que sont sortis les lx)rfails qui ont inondé la république du sang
des républicains, et non pas d'un plan de tyrannie, qu'un
homme, tombé de degré en di gré dans une si lâche et si effroya-
ble scélé atesse, n'a jamais pu a^oir la grandeur de former.
Voilà aussi l'exemple et la leçon dont nous avons le plus de be-
soin : non, Robespierre n'a jamais voulu anéantir la n'publique;
mais il la couvi ait de crimes et de sang , et il croyail vn préparer
la force et les prosporilés; ce n'était pas un ambitieux lyran,
c'était un monstie. Aihénis, jusqu'à Philippe, échappa à tous
les tyrans; mais eLe fut presque toujours tyrannisée par les pas-
336 DOCCMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-i793 ).
sions folles et atroces de ses citoyens. Voilà , je le répète , la leçon
dont on a besoin dms une grande démocratie; et en convertis-
sant les exemples de démence et de forfaits des républicains en
projets et en systèmes d'usurpations et de tyrannie, nous per-
dons le seul fruit que nous pouvons retirer de tant de désastres.
J'ai parlé des deux hommes ; je vais parler des entretiens que
j'ai eus avec eux.
Celui que j'eus avec Robespierre , je le lui avais demandé : il
me fut accordé avec insolence ; et quoique naturellement un pa-
reil ton ne me trouve pas facile et souple , je le reçus avec re-
connaissance : le grand intérêt public, dont les soins m'absor-
baient tout entier, me laissait à peine apercevoir ce que , pour
aucun autre intérêt , je n'aurais pu souffrir.
C'était avant le 10 mars.
A peine Robespierre eut compris que j'allais lui parler des
querelles de la Convention : Tous ces députés de la Gironde,
me dii-il , ce Brissot , ce Louvet, ce Barbaroux, ce sont des con-
tre-révolutionnaires , des conspirateurs. Je ne pus m'empêcher
de rire, et le rire qui m'échappa lui donna tout de suite de l'ai-
greur. — Vous avez toujours été comme cela. Dans l'assemblée
constituante, vous étiez disposé à croire que les aristocrates ai-
maient la révolution. — Je n'ai pas été tout-à-fait comme cela.
J'ai pu croire tout au plus que quelques nobles n'étaient pas
aristocrates. Je l'ai pensé de plusieurs , et vous-même vous le
pensez encore de quelques-uns. J'ai pu croire encore que nous
aurions fait quelques conversions parmi les aristocrates mêmes ,
si des deux moyens qui étaient à notre disposition , la raison et
la force , nous avions employé plus souvent la raison , qui était
pour nous seids, et moins souvent la force, qui peut être pour
les tyrans. Croyez-moi , oublions ces dangers que nous avons
vaincus, et qui n'ont rien de commun avec ceux qui nous mena-
cent aujourd'hui. La guerre se iîiisait alors entre les amis et les
ennemis de la liberté; elle se fait aujourd'hui entre les amis et
les amis de la république. Si l'occasion s'en présentait , je dirais
à Louvet qu'il est par trop fort qu'il vous croie un royaliste ;
MÉMOIRES DE GAR4T. 537
mais à vous , je crois devoir vous dire que Louvet n'est pas plus
royaliste que vous. Vous ressemblez, dans vos querelles, aux
molinistes et aux jansénistes, dont toute la dispute roulait sur la
manière dont la grâce divine opère dans nos âmes, et qui s'ac-
cusaient réciproquement de ne pas croire en Dieu. — S'ils ne sont
pas royalistes , pourquoi donc ont-ils tant travaillé à sauver la
vie d'un roi? Je parie que vous étiez aussi, vous , pour la grâce ,
pour la clémence. — Il ne s'agit pas ici de mon opinion , que je
ne craindrais pas de vous faire connaître. Il est très-probable
qu'elle n'aurait pas épargné la peine de mort à un homme
chargé de si grands crimes; mais mon opinion ne ressemblait à
aucune de celles qui ont été proposées à la tribune. Quant à la
clémence, c'est le sentiment le plus naturel aux républicains et
aux vainqueurs , et un ennemi qu'on a tué fait souvent plus de
mai qu'un ennemi qu'on laisse vivre. — Cela est bien subtil. —
Cela ne me paraît que vrai. — Vous blâmez donc ce décret de
mort que vous êtes allé notifier au Temple? Mon discours vous
paraît donc bien affreux? — J'aurais pu ne pas trouver le dé-
cret bon , et le notifier encore ; mais si je l'avais trouvé injuste ,
j'aurais donné à l'instant ma démission , et je ne serais pas allé
au Temple. C'est votre discours qui a fait incliner rapidement la
balance de la justice nationale du côté de la mort ; et c'est le dis-
cours de Barrère qui, après avoir compté tous les poids, les a
fixés du même côté. Voulez-vous que je vous dise sans restriction
tout ce que je pense de votre discours? — Oui. — De tous ceux
qui ont été prononcés dans la même affaire, c'est, sans aucune
comparaison, celui qui m'a le plus frappé. L'idée qui sert de
base et de fondement à toutes les autres est inattendue; elle
frappe d'élonnement le jugement de celui qui lit ou qui écoute :
le style en est hardi et élégant, plein de mouvemens et d'heu-
reuses transitions : il y a là un talent rare ; mais la logique m'en
paraît, je l'avoue, très-extraordinaire et fausse. Vous prouverez
très-bien qu'on pouvait tuer légitimement Gapet au 10 août dans
le Château ou dans la loge du logographe , où il s'était réfugié :
c'était le droit de la guerre; mais le droit de mort que douue lu
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55S DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (179^-1793 ).
guerre ne s' étend pns au-delà du combat : à l'instant où le com-
bat cesse, le droit cesse aussi. Il n'y a que les Tarlares qui
croient avoir le droit de passer If s prisonniers au fil de I epée, et
que les sauvages des foréls du Nouveau-3Ionde qui croient avoir
le droit de les manger. Votre discours pourra être un modèle
d'éloquence, mais il sera aussi un exemple de mauvaise logque;
il faut ajouter à votre principes d'autres principe encor e , pour
démontrer que la loi qui a dressé l'ëchafjud de Capet est un
grand acte de justice nationale de la part de la France; et pour
le monde , un grand exemple, un exemple plus légal, plus né-
cessaire, plus utile que celui de Charles II. — Eh ! qu'importe
quel principe rendait la mort du tyran juste et nécessaire; vos
Girondins, votre Biissot et vos appelans au peuple ne la vou-
laient pas. Ils voulaient donc laisser à la lyrannie tous les moyens
de se relever. — J'ignore si l'inleniion des appelans au peuple
était d'épargner la peine de mort à Capet : l'appel an peuple m'a
toujours paru imprudent et dangereux ; mais je conçois com-
ment ceux qui l'ont voté ont pu croire que la vie de Capet pri-
sonnier pourrait éire, au milieu des ëvénemens , plus utile que
sa mort; je conçois comment ils ont pu penser que l'appel au
peuple éiait un grand moyen d'honorer une naiion républicaine
aux yeux du monde entier, en lui donnant l'occasion d'exercer
elle-même un grand acte de générosité par un acte de souverai-
neté. — C'est assurément prêter de bell-s intentions à des me-
sures que vous n'approuvez pas et à des hommes qui conspirent
de lou'es paris. — Et où donc conspirent-ils? — Partout. Dans
Paris, dans toute la France, dans toute l'Europe. A Paris, Gen-
sonné conspire dans le faubourg SaiiU-Antoine, en allant de
bouiiipie en boutique persuader aux marchands que, nous au-
tres palrioles, nous vouons piller leurs boutiques; la Gironde a
formé depuis long-temps le projet de se séparer de la Fiance
pour se réunir à l'Angleterre, et les chefs de sa dépuiatiun sont
eux-mêmes U s auteurs de ce plan , qu'ils veulent exécuter à tout
prix : Gcnsonné ne le cache pas; il dit, à qui veut l'ciitendre,
qu'ils ne sont pas ici des représentons de la nation , mais des plé-
MÉMOIRES DE GARAT. 559
nipotentîaires de la Gironde. Biissot conspire dans son journal,
qui est un locsin de^juerre civile : on sa t qu'il est allé en Ai gle-
lerre , et on sait aussi pourquoi il y est allé; nous n'i^'norons pas
ses liaisons intimes avec ce ministre des affaires éiraDjjères,
avec ce Lebrun , qui est un Liégeois et une créature de la maison
d'Autriche; le meilleur ami deBrissut, c'est Clavière, et Cla-
vièrea conspiré partout où il a respiré. Rabaud, traître comme
un protestante! comme un philosoplie qu'il est , n'a f as éié assez
ha! ile pour nous cacher sa conespondance avec le courtisan et
le traître Monlesquiou : il y a six mois qu'ils travaillent ensemble
à ouvrir la Savoie et la France aux Piémontais. Servant n'a été
nommé général de l'armée des Pyrénées que pour livrer les
clefs de la France aux Espagnols. Enfin, voilà Dumourier qui
ne menace plus la Hollande, mais Paris; et quand ce chailutan
d'héroïsme est venu ici, où je voulais le faire arrêter, ce n'est
pas avec la Mont; gne qu'il a dliié tous les jours, mais bien avec
les minisires et avec les Girondins. — Trois ou quatre fois chez
moi , par exemple. — Je sui> bien las de la révolution ; je suis
malade : jamais la patrie ne fut dans de plus grands dangers , et
je doute qu'« lie s'en tire. Eh bien ! avez-vous encore envie de
rire et de croire que ce sont là d'honnêtes gens, de bons républi-
cains? — Non, je ne suis plus tenté de rire; mais j'ai peine à
retenir les larmes qu'il faut verser sur la patrie, lorsqu'on voit
ses législateurs en proie à des soupçons si affreux sur des fon-
demens si misérables. Je suis sur que rien de ce que vous soup-
çoimez n'est réel ; mais je suis plus sûr encore que vos soupçons
sont un danger très-réel et irès-grand. Tous ces hommes, à peu
près, sont vos ennemis; mais aucun, excepté Dumourier, n'est
l'ennenii delà républitpie; et si, de toutes par'ts, vous pouviez
étouffer vos haines, la i'épub!i(|ue ne courrait plus aucun dan-
ger-.— J\"allez-vuus pas me proposer de refaire la motion de lé-
vêq'ie Lamoujclie? — Non ; j'ai assez profilé des k'çons au moins
que vous m'avez données; et les trois assemblées nationales ont
pris la peine de m'aj-iprendre que les meilleurs patr.oles haissi nt
encore plus leurs ennenris qu'ils n'aiment leur patrie. Mais j'ai
540 DOCUMENS COMPLÉMENrAmïi&( 179^-1793).
une question à vous faire, et je vous prie de vous recueillir avant
de me répondre. IN'avez-vous aucun doute sur tout ce que vous
venez de me dire? — Aucun. — Je le quittai et me retirai dans
un loDg étonnement et dans une grande épouvante de ce que je
venais d'entendre.
Quelques jours après, je sortais du conseil exécutif; je ren-
contre Salles, qui sortait de la Convention nationale. Les circon-
stances devenaient de plus en plus menaçantes ; tous ceux qui
avaient quelque estime les uns pour les autres , ne pouvaient se
voir sans se sentir pressés du besoin de s'entretenir de la chose
publique.
Lh bien ! dis-je à Salles en l'abordant , n'y a-t-il aucun moyen
de terminer ces horribles querelles? — Oh! oui, je l'espère;
j'espère que bientôt je lèverai tous les voiles qui couvrent encore
ces affreux scélérats et leurs affreuses conspirations. Mais vous,
je sais que vous avez toujours une confiance aveugle, je sais que
votre manie est de ne rien croire. — Vous vous trompez ; je crois
comme un autre, mais sur des présomptions , et non pas sur des
soupçons ; sur des faits attestés , et non pas sur des faits imagi-
nés. Pourquoi me supposez-vous donc si incrédule? est-ce parce
qu'eu 1789 je ne voulus pas vous croire, lorsque vous m'assuriez
que Necker pillait le trésor , et qu'on avait vu les mules chargées
d'or et d'argent sur lesquelles il faisait passer des millions à Ge-
nève? Cette incrédulité, je l'avoue, a été en moi bien incorrigi-
ble ; car aujourd'hui encore je suis persuadé que INecker a laissé
ici plus de millions à hd , qu'il n'a emporté de millions de nous à
Genève. — Necker était un coquin ; mais ce n'était rien , auprès
des scélérats dont nous sommes entourés ; et c'est de ceux-ci
dont je veux vous parler, si vous voulez m'enlendre. — Très-
volontiers ; et pour être plus tranquilles nous allâmes nous ren-
fermer dans la salle du conseil exécutif, où il n'y avait plus per-
sonne. — Je vais tout vous dire , car je sais tout ; j'ai deviné
toutes leurs trames. Tous les complots , tous les crimes de la
Monlague ont commencé avec la révolution : c'est d'Oiléans qui
est le chef de cate bande de brigands ; et c'est l'auteur du roman
MÉMOIRES DE GARAT. 54i
infernal des Liaisons dangereuses qui a dressé le plan de tous les
forfaits qu'ils commettent depuis cinq ans. Le traître La Fayette
était leur complice, et c'est lui qui, en faisant semblant de déjouer
le complot dans son origine, envoya d'Orléans en Angleterre
pour tout arranger avec Pitt , le prince de Galles et le cabinet de
Saint-James. Mirabeau était aussi là-dedans : il receviiit de l'ar-
gent du roi pour cacher ses liaisons avec d'Orléans , mais il en
recevait plus encore de d'Orléans pour le servir. La grande af-
faire pour le parti d'Orléans, c'était de faire entrer les Jacobi-js
dans ses desseins. Ils n'ont pas osé l'entreprendre directement;
c'est d'abord aux Cordeliers qu'ils se sont adressés. Dans les Cor-
deliers à l'instant tout leur a été vendu et dévoué. Observez bien
que les Cordeliers ont toujours été moins nombreux que les Ja-
cobins , ont toujours fait moins de bruit : c'est qu'ils veulent bien
que tout le monde soit leur instrument, mais qu'ils ne veulent
pas que tout le monde soit dans leur secret. Les Cordeliers ont
toujours été la pépinière des conspirateurs : c'est là que le plus
dangereux de tous, Danton, les forme et les élève à l'audace et
au mensonge, tandis que Marat les façonne au meurtre et aux
massacres : c'est là qu'ils s'exercent au rôle qu'ils doivent jouer
ensuite dans les Jacobins ; et les Jacobins, qui ont l'air de mener
la France, sont mene's eux-mêmes, sans s'en douter, parles
Cordeliers. Les Cordeliers, qui ont l'air d'être cachés dans un
trou de Paris, négocient avec l'Europe , et ont des envoyés dans
toutes les cours qui ont juré la ruine de notre liberté : le fait est
certain ; j'en ai la preuve. Enfin , ce sont les Cordeliers qui, après
avoir englouti un trône dans des flots de sang, se préparent à
verser de nouveaux flots de sang pour en faire sortir un nouveau
trône. Ils savent bien que le côté droit, où sont toutes les vertus,
est aussi le côté oîi sont tous les vrais républicains ; et s'ils nous
accusent de royalisme , c'est parce qu'il leur faut ce prétexte pour
déchaîner sur nous les fureurs de la multitude; c'est parce que
des poignards sont plus faciles à trouver contre nous, que des
raisons. Dans une seule conjuration , il y en a trois ou quatre.
Quand le côlé droit tout entier sera égorgé, le duc d'York arri-
5iâ DOCUMliNS COilPLÉMEiXTAlHES ( 179î2-4795).
vira pour s'asseoir sur le trône; el d'Orléans, qui le lui a pro-
mis, l'assassinera; d'Orléans sera assassiné lui-même par Murât,
Danton el Hobespierre , qui lui ont fait la même promesse ; et les
Iri.mvirs se paria(;eiorit la Fiance couverte de cendres et de
sang, jusqu'à ce que le plus habile de tous, et ce sera Danton ,
assassine les deux autres, et rèyneseul, d'abord sous le lilrede
dictateur, ensuite, sans déjïuisemenî, sous celui de roi. Voilà
leur plan , n'en doutez pas : à force d'y rêver , je l'ai trouvé; tout
le prouve et le rend évident : voyez comme toutes les circonstances
se lient et se tiennent : il n'y a pas un foii dans la révolution qui
ne soit une partie et une preuve de ces horribles complots. Vous
êtes étonné, je le vois : serez-vous encore incrédule? — Je suis
étonné, en effet; mais, dites-moi, y en a-t-il beaucoup parmi
vous, c'est-à-dire de votre côté, qui pensent comme vous sur
tout ce'a? — Tous ou presque tous. Condorcet m'a fait une fois
quelques objections; Sieyes communique peu avec nous; Ra-
baud, lui, a un autre plan qui, q:e!quefoisse rapproche, el quel-
quefois s'éloigne de mien : mais tous les autres n'ont p:.s plus de
doute que moi sur ce que je viens de vous dire; tous sentent la
nécessité d'agir promptement , de mellre promptement les fers au
feu pour prévenir tant de crimes et de malheurs, pour ne pas
perdre tout le fruit d'une révolution qui nous a tant coulé. Dans
le côté droit, il y a des membres qui n'ont pas assez de confiance
en vous; mais moi, qui ai été voire collègue, qui vous ponnais
pour un honnête homme, pour un ami de la liberté, je leur as-
sure que vous serez pour nous, que vous nous aide.''ez de tous les
moyens que votre place met à votre disposition. Est-ce qu'il peut
yoiis rester la plus légère incertitude sur tout ce que je vous ai
dit de ces scélérats?— Je serais trop indigne de l'estime que
vous me témoignez , si je vous laissais penser que je crois à la vé-
rité de tout ce plan que vous croyez être celui de vos ennemis.
Plus vous y mettez de faits , de choses et d'hommes , plus il vous
paraît vraiseuiblable à vous, et moins il me le paraît à moi. La
pliipa tdii> faits dont \ouiî conipoaez le tissu de ce plan, ont eu
un but qu'on n'a pas besoin de leur prêter, qui se présente de
MÉMOmbb DE GARilT. M.>
lui-même ; et vous leur donnez un but qui ne se présente pas de
lui-même, qu'il faut leur prêter. Or, il faut des preuves d'abord
pour écarter une explication naiurel'e, et il faut d'autres preuves
ensuite pour faire adopier une explication qui ne se présente pas
naturellenient. Par exemple , tout le monde croit que La Fayette
et d'Orléans étaient ennemis , el que c'était pour délivrer Paris,
la Fr;mce et l'assemblée nationale de beaucoup d'in([uiétudes,
que d'Orléans fut enjjagé ou obli[jé par La Fayeile à s'éloigner
que que temps de la France; il fautétabir, non par assertion,
mais par preuves, 1° qu'ils n'étaient pas ennemis; 2° qu'ils
étaient complices; 5" que le voyage de d'Orléans en Angleterre
eut pour objet l'^^xécuiion de leurs complots. Je sais qu'avec une
manière de raisonner si rigoureuse, on s'expose à laisser courir
les crimes et les ma heurs devant soi, sans les aiieindre et sans
les arrêter par la prévoyance: mais je sais aussi qu'tn se livrant à
son imagination , on fait des sysièmes sur les événemens passés et
sur les événemens fuiurs; on perd tous les moyens de bien dis-
cerner et apprécier les événemens actuels; et en rêvant des mil-
liers de forfaits que personne ne tiame , on b'ôte la faculté de
voir avec certitude ceux qui nous menacent; on force des enne-
mis qui ont peu de scrupule, à la tentation d'en commettre aux-
quels ils n'auraient jamais pensé. Je ne doute pas qu'il n'y ait
autour de nous beaucoup de scélérats : le déchaînement de tou-
tes les pissions les fait naître, et l'or de l'étranger les soudoie.
Mais , croyez-moi , leurs projets sont aflVeux, et ils ne sont ni si
vastes, ni si grands, ni si compliqués, ni conçus el menés de si
loin. Il y a dans tout cela beaucoup plus de voleurs et d'assassins
que de profonds conspirateurs. Les véritables conspirateurs con-
tre la république , ce sont les rois de l'Europe et les passions des
républicains. Pour repousser les rois de l'Europe et leurs régi-
mens , nos armées suffisent , et de reste : pour empêcher nos pas-
sions de nous dévorer, il y a un moyen, mais il est unique;
hàlez-vous d'organiser un gouvernement qui ail de la force et qui
mérite de la coi ii nce. Dans l'éiat où vos querelles laissent !e
gouvernement , une démocratie même d'î vingt-cinq millions
544 BOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795).
d'anges serait bientôt en proie à toutes les fureurs et à toutes les
dissensions de l'orgueil : comme a dit Jean-Jacques , il faudrait
vingt-cinq millions de dieux , et personne ne s'est avisé d'en ima-
giner tant. Mon cher Salles, les hommes et les grandes assem-
blées ne sont pas faits de manière que d'un côté il n'y ait que des
dieux, et de l'autre que des diables. Partout où il y a des hommes
en conflit d'intérêts et d'opinions, les bons mêmes ont des pas-
sions méchantes, et les mauvais mêmes, si on cherche à pénétrer
dans leurs âmes avec douceur et patience , sont susceptibles
d'impressions droites et bonnes. Je trouve au fond de mon ame
la preuve évidente et invincible de la moitié au moins de cette
vérité: je suis bon, moi, et aussi bon, à coup sûr, qu'aucun
d'entre vous ; mais quand au lieu de réfuter mes opinions avec de
la logique et de la bienveillance, on les repousse avec soupçon et
injure , je suis prêt à laisser là le raisonnement , et à regarder si
mes pistolets sont bien chargés. Vous m'avez fait deux fois mi-
nistre , et deux fois vous m'avez rendu un très-mauvais service :
ce sont les dangers qui vous environnent, et qui m'environnent,
qui peuvent seuls me faire rester au poste où je suis. Un brave
homme ne demande pas son congé la veille des batailles. La ba-
taille, je le vois, n'est pas loin ; en prévoyant que des deux côtés
vous tirerez sur moi, je suis résolu à rester. Je vous dirai à cha-
que instant ce que je croirai vrai dans ma raison et dans ma con-
science : mais soyez bien avertis que je prendrai pour guides ma
conscience et ma raison , et non celles d'aucun homme sur la
terre. Je n'aurai pas travaillé trente ans de ma vie à me faire une
lanterne , pour laisser ensuite éclairer mon chemin par la lan-
terne des autres.
Salles et moi nous nous séparâmes en nous serrant la main, en
nous embrassant comme si nous avions été encore collègues de
l'Assemblée constituante.
Mon opinion sur les deux côtés de la Convention nationale,
dès les premières pages de cet exposé , a dû être pressentie : mais
comme celte opinion était établie sur des observations , et non
pas sur des passions, sur des faits, et non pas sur des rêves ;
MÉMOIRES DE GARAT. 545
comme la plus grande partie du mal que les hommes se font a sa
cause première dans la manière dont ils se jugent ; comme l'Eu-
rope , qui n'a entendu parler du côté droit que par le côté gau-
che, et du côté gauche que par le côté droit , ne peut pas trou-
ver le mot de tant d'énigmes sur la nation française et sur la na-
ture humaine ; je crois devoir prononcer ici mon opinion tout
entière sans détour , sans voile , même sans ménagement. Quand
on ne veut pas faire de la vérité une vengeance, on est sûr de
n'en pas faire une injure ; et les législateurs les plus dignes de ce
titre auguste, sont ceux qui reconnaissent la vérité pour la légis-
latrice du monde.
Parmi les membres de ce côté droit, dont le supplice a cou-
vert la vie et les talens d'une gloire ineffaçable , quelques-uns
étaient chers à mon cœur, plusieurs m'étaient très-connus : j'a-
vais rencontré assez souvent Brissot dans le monde : et au milieu
de ces esclaves superbes et frivoles , à qui leur parure et leur
faste cichaient leur abaissement , nous nous étions communiqué
quelques-unes de ces pensées des âmes libres , et quelques-unes
de ces espérances des philosophes. Il cherchait des idées dans les
livres et dans les langues plus que dans son esprit; il écrivait plus
qu'il ne méditait: sa passion pour la vérité, plus ardente que
profonde , l'entraînait fréquemment dans ces querelles où il n'est
question d'abord que de quelque doctrine , où il n'est question
ensuite que de quelques personnes : mais, au milieu d'une grande
activité et d'une grande pauvreté, ses mœurs m'avaient toujours
parues simples et pures, et son ambition, la liberté et le bonheur
des peuples. Ce sentiment était en lui une religion plus encore
qu'une philosophie; quoiqu'il aimât beaucoup la gloire, il aurait
consenti à une éternelle obscurité pour être le Penn de l'Eu-
rope , pour convertir le genre humain en une communauté de
Quakers, et faire de Paris une nouvelle Philadelphie. Et c'est là
l'homme qu'on a fuit mourir comme un intrigant , comme l\n
CONSPIRATEUR !
Au mois de juillet 179!2, à ce moment où la liberté naissante
se débattait contre les complots sentis, mais invisibles, de l'une
346 DOCUMENS CGiiPLÉMK;NfAIRBS( 4792-1793).
dos autorités constituées, je fis avec Brissot , avec Gensonné, avec
Guadé, avec Torné, avec Ducos, avec Cundorcet, avec Anio-
nelle, avec Ker.vainl, plusieurs de ces diners où les patriotes se
concertent, tandis que, dans d'autres dîners, les tyrans et les
esclaves conspirent. Là tous les cœurs , tous les vœux , tous les
projets étaient républicains. On ne voyait pas seulement que la
constitution était violée; on voyait encore qu'elle donnait à l'un
des pouvoirs les moyens de la violer toujours. La nécessité d'a-
voir une autre consiituiion pour sauver la liberté et de n'avoir
pas de roi était convenue pas tous : les avis éiaient divers sur
les mesures si difficiles à bien choisir et à bien suivre. Le mien
était qu'il ne fallait pas faire de petites attaques; qu'il fallait n'en
faire aucune , ou en faire une très-grande ; qu'on en faisait trop
ou trop peu ; qu'on faisait prendre à la multitude l'habitude de
ces mouvemens qui la dépravent, et qui lui font croire qu'elle est
le peuple; qu'on donnait au roi les moyens de se revêtir des ap-
parences dun opprimé , tandis qu'il n'était qu'un traître; et
qu'enfin, si l'msurreclion devait éclater, l'Assemblée légslative
elle-même devait en prendre l'étendard et la direction, environ-
ner le château d'une armée appelée par un décret, mettre les
scellés sur tous les papiers, et la main sur toutes les preuves de
la trahison.
Ces vues n'étaient pas adoptées ; ce qui m'étonnait peu : mais,
je l'avoue, les mesures que je vois suivre, m'auraient prodgieu-
sement étonné si je n'avais appi is, par les ex( mples de toutes les
histoires, combien les meilleurs esprits deviennent mobiles, incer-
tains , lorsqu'ils sont ébranlés de tous les côtés par des événemens
dont ils ne pénètrent par les c^iuses , et dont les résultats peuvent
être affreux ; si je n'avais su qu'au milif u des tempêtes , les pilo-
tes les plus habiles , lorsqu'ils craignent de mal d riger le gouver-
nail, l'abandonnent çt mettent leur espérance dans les vents et
dans les flots prêts à les engloutir. Ceux pour qui j'avais le plus
d'es'ime et d'amitié étaient ceux à qui je montrais avec le plus
d'ingénuité mon opinion sur leur conduite. J'ai eu des raisons de
croire qu'ils ne m'en estimaient et qu'ils ne m'en aimaient alors
MÉMOIRES DE GARAT. 347
que davantage; et c'est d'eux-mêmes , je crois, que j'appris que
Merlin de Thionville ouvrait des avis semblables au mien : eu lui
cela ne paraissait alors que valeur, inlrdpidilé miliiaire ; mais il y
a des occasions où il n'y a que les avis magnanimes qui soient des
avis sensés.
C'est dans le côté droit de la Convention qu'étaient presque
tous les hommes dont je viens de pailer ; je ne pouvais y voir un
autre génie que cdui que je leur avais connu. Là je voyais donc ,
et ce républicanisme de sentiment qui ne consent à obéir à un
homme que loi sque cet homme parle au nom de la nation et comme
la loi ; et ce républicanisme bien p!us rare de la pensée qui a dé-
composé et récomposé tous les ressorts de l'organisation d'une
société d'hommes semblables en droits comme en nature; qui a
démêlé par quel heureux et profond artifice on peut associer
dans une grande république ce qui paraît inassociable, l'égaliié
et la soumission aux magistrats; l'agitation féconde des esprits et
des âmes, et un ordre constant, immuable; un gouvernement
dont la puissance soit toujours absolue sur les individus et sur la
multitude , et toujours soumise à la nation ; un pouvoir exécutif,
dont l'appareil et les formes, d'une splendeur utile, réveillent
toujours les idées de la grandeur de la République , et jamais les
idées de la grandeur d'une personne.
Dans ce même côté droit je voyais s'asseoir les hommes qui
possédaient le mieux ces doctrines de l'économie politique qui en-
seignent à ouvrir et à élargir tous les canaux des richesses parti-
culières et de la richesse nationale; à composer le trésor public
avec scrupule des portions que lui doit la fortune de chaque ci-
toyen ; à créer de nouvelles sources et de nouveaux fleuves aux
fortunes particulières par un bon usage de ce qu'elles ont versé
dans les caisses de la République ; à protéger, à laisser sans li-
rai les tous les genres d'industrie , sans en favoriser aucune ; à re-
gaidi r les grandes propriétés non comme ces lacs stériles qui ab-
sorbent et gardent toutes les eaux que les montagnes versent dans
leur hein , mais conjme des réservoirs nécessaires poui- mu tiplier
et pour accroît! e les gennes de !a fécondité universelle, pour
348 bOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1795 ).
les épancher de proche en proche sur tous les lieux qui seraient
restés dans le dessèchement et dans la stérilité : doctrines admi-
rables qui ont porté la liberté dans les arts et dans le commerce
avant qu'elle fût dans les gouvernemens ; mais propres par leur
essence à l'essence des républiques; seules capables de donner un
fondement solide à l'égalité , non dans une frugalité générale tou-
jours violée , et qui enchaîne bien moins les désirs que l'industrie,
mais dans une aisance universelle , mais dans ces travaux dont la
variété ingénieuse et la renaissance continuelle peuvent seules ab-
sorber, heureusement pour la liberté, cette activité turbulente
des démocraties qui , après les avoir long-temps tourmentées , a
fait disparaître les républiques anciennes au milieu des orages et
des tempêtes dont leur atmosphère était toujours enveloppé.
Dans le côté droit étaient cinq à six hommes dont le génie pou-
vait concevoir ,ces grandes théories de l'ordre social et de l'or-
dre économique, et un grand nombre d'hommes dont l'intelligence
pouvait les comprendre et les répandre : c'est là encore qu'étaient
allés se ranger un certain nombre d'esprits naguère très-impé-
tueux , très-violens , mais qui, après avoir parcouru et épuisé le
cercle entier de leurs emportemens démagogiques , n'aspiraient
qu'à désavouer et à combattre les folies qu'ils avaient propagées;
c'est là, enfin, que s'asseyaient, comme les hommes pieux s'age-
nouillent aux pieds des autels, ces hommes que des passions dou-
ces , une fortune honnête et une éducation qui n'avait pas été né-
ghgée, disposaient à honorer de toutes les vertus privées la ré-
pubhque qui les laisserait jouir de leur repos, de leur bienveil"
lance facile et de leur bonheur.
En détournant mes regards de ce côté droit sur le côté gauche,
en les portant sur la Montagne, quel contraste me frappait!
Là je voyais s'agiter avec le plus de tumulte, un homme à qui
sa face couverte d'un jaune cuivré donnait l'air de sortir des ca-
vernes sanglantes des antropophages , ou du seuil embrasé des
enfers ; qu'à sa marche convulsive , brusque , coupée , on recon-
naissait pour un de ces assassins échappés aux bourreaux , mais
non aux furies, et qui semblent vouloir anéantir le genre humain,
MÉMOIRES DE GARAT. 349
pour se dérober à l'effroi que la vue de chaque homme leur in-
spire. Sous le despotisme qu'il n'avait pas couvert de sang comme
la liberté , cet homme avait eu l'ambition de faire une révolution
dans les sciences ; et on l'avait vu attaquer, par des systèmes au-
dacieux et plats les plus grandes découvertes des temps modernes
et de l'esprit humain. Ses yeux, errans sur l'histoire des siècles,
s'étaient arrêtés sur la vie de quatre ou cinq grands extermi-
nateurs, qui ont changé les cités en déserts, pour repeupler
ensuite les déserts d'une race formée à leur image ou à celles des
tigres ; c'est là tout ce qu'il avait retenu des annales des peuples;
tout ce qu'il en savait et qu'il voulait imiter. Par un instinct sem-
blable à celui des bêtes féroces, plutôt que par une vue profonde
de la perversité, il avait aperçu à combien de folies et de forfaits il
est possible d'entraîner un peuple immense dont on vient de bri-
ser les chaînes religieuses et les chaînes politiques : c'est l'idée
qui a dicté toutes les feuilles, toutes ses paroles, toutes ses ac-
tions. Et il n'est tombé que sous le poignard d'une femme ! et
plus de cinquante mille de ses images ont été érigées sur le sein
de la République.
A ses côtés se plaçaient des hommes qui n'auraient pas conçu
eux-mêmes de pareilles atrocités , mais qui , jetés avec lui , par
un acte d'une extrême audace , dans des événemens dont la hau-
teur les étourdissait et dont les dangers les faisaient frémir , en
désavouant les maximes du monstre, les avaient peut-être déjà
suivies, et n'étaient pas fâchés qu'on craignît qu'ils pussent les
suivre encore. Ils avaient horreur de Marat, mais ils n'avaient
pas horreur de s'en servir. Ils le plaçaient au milieu d'eux , ils
le mettaient en avant, ils le portaient, en quelque sorte, sur leur
poitrine comme une tète de Méduse. Comme l'effroi que répan-
dait un pareil homme était partout, on croyait le voir partout
lui-même; on croyait, en quelque sorte, qu'il était toute la Mon-
tagne, ou que toute la Montagne était comme lui. Parmi les
chefs, en effet, il y en avait plusieurs qui ne reprochaient aux
forfaits de Marat que d'être un peu trop sans voiles.
Mais parmi les chefs mêmes (el c'est ici que la vérité me sépare
350 bOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (47t)2-i793).
de l'opinion de beaucoup d'honnêtes gens ) ; parmi les chefs
mêmes étaient un grand nombre qui, liés aux autres par les évë-
nemens bemcoup plus que par leurs sentimens, tournaient des
regards et des regrets vers la sagesse et vers l'humanité ; qui au-
rait nt eu beaucoup de vertus et qui auraient rendu beaucoup dé
services à l'instant où on aurait commencé à les en croire capa-
bles. Sur la Montagne se rendaient , comme à des postes mili-
taires, ceux qui avaient beaucoup la passion de la liberté et peu
la théorie; ceux qui croyaient l'égalité menacée ou même rompue
par la grandeur des idées et par 1 élégance du langage; ceux qui,
élus dans les hameaux et dans les ateliers , ne pouvaient recon-
naître un républicain que sous le costume qu'ils portaient eux-
mêiues; ceux qui , entrant pour la première fois dans la carrière
de la révolution, avaient à signaler cette impétuosité et celte
violence par laquelle avait commencé la g'oire de presque tous les
grands révoluiionnaires; ceux qui, jeunes encore et p!us faits
pour servir la république dans les armées que dans le sanctuaire
des lois , ayant vu naître la république au bruit de la foudre ,
croyaient quec'était toujours au bruit de la foudre qu'il fallait la
conserver et proinulguer ses décrets. A ce côté gauche allaient
encore chercher un asile plutôt qu'une place plusieurs de ces dé-
putés qui , ayant été élevés dans les castes proscrites de la no-
blesse et du sacerdoce, quoique toujours purs, étaient toujours
exposés aux soupçons, et fuyaient au haut de la Montagne l'ac-
cusation de ne pas atteindre à la hauteur des principes: là allaient
se nourrir de leurs soupçons et vivre au milieu des fantômes, ces
caractères graves et mélancoliques qui , ayant aperçu tiop sou-
vent la fausseté unie à la politesse, ne croient à la vertu que lors-
qu'elle est souibre, et à la liberté que lorsqu'elle est farouche:
là siégaient queltiues esprits qui avaient pris dans les sciences
exactes de la raideur en même temps que de la rectitude , qui ,
fiers de posséder des lumières immédiatement applicables aux
ans mécaniques, aux artisans, étaient bien aises de se séparer
parleur place, comme parleur déduin, deces hommesde lettres,
de ces philosophes dont les lumières ne sont pas si promptement
MÉMOIRES DE GARAT. 531
Utiles aux tisserands et aux forgerons , et n'arrivent aux individus
qu'après avoir éclairé la société tout entière: là enfin devaient
aimer à voler, quels que fussent d'ailleurs leur esprit et leurs
talens , tous ceux qui , par les ressorts trop tendus de leur ca-
ractère, étaient disposés à aller au-delà plutôt qu'à rester tn-deçù
de la borne qu'il fallait marquer à l'énergie et à l'élan révolu-
tionnaire.
Tv lie était l'idée que je me formais des élémens des deux côtes
de la Convention nationale.
A juger chaque côté par la majorité de ses élémens, tous les
deux , dans des gf^nres et dans des degrés dilïérens , devaient me
paraître capables de rendre de grands services à la république:
le côté droit pour org.miser l'intérieur avec sagi sse et avec gran-
deur ; le cô é gauche pour faire passer de leurs âmes dans l'ame
de tous h s Français ces passions républicaines et populaires si
nécessaires à une nation assiiillie de toutes parts par la meute des
rois et p ir la soldatesque de 1 Europe.
Dans le côté droit je voyais plus le génie de la Répub'ique ;
dans le côté gauche j'en voyais plus la passion. Je ne me dissi-
mulais point du tout que le génie seul était capable de sauver et
de créer la Riipubli(pie qui n'était encore que décréiée , et que les
passions, si elles étaient ou seules ou dominantes, étaient capa-
bles de la perdre : aussi ce côté gauche, qui n'était jamais l'objet
de mes soupçons, l'éiait-il continuellement de mes appréhensions.
Là , en effet , je voyais quelques chefs mettre hautement les
atrocités parmi les mesures révo ulionnaires : le grand nombre
livré à ces mouvemens q Ton er: traîne si aisément à tous les excès
lorsqu'on donne aux excès un nom qui les consacre ; et un esprit
général toujours prêt à faire consster son devoir et sa gloiie,
laîilôt à allumer le, fureurs de la multiiudp , tantôt à s'en laisser
domner. On avait donné à ce côté le nom de la Monlacjne , et je
disiis souvent qu'il ne fallait l'appeler que le volcan: c'était un
volcan en effet d'où se précipitaient en torrens toutes les passions
embrasées par l'apparition subite d'une grande République au
milieu dugeme humain, par une révolution qui , en restituant
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r et
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(.«f.
MÉMOIRES DE GARAT. 3o5
sonnelles, c'est ce sacrifice continuel du moi humain qu'on ne
fait {juèrc qu'au dieu inconnu qu'on vient de découvrir et à la pa-
trie qu'on a adorée dès le berceau. A l'instant où les passions
personnelles furent dans les deux côtés de la Convention, les
torts ne furent plus d'un seul côté, mais des deux. Si je ne l'a-
vais pas vu moi-même et plusieurs fois, je ne le croirais pas: il a
été fait par des hommes de bien à des hommes airoces des in-
culpations qui n'étaient ni vraies ni vraisemblables.
Pour discerner les choses , il ne faut en être ni trop près ni
trop loin. De trop près la vue se confond , de trop loin la chose
disparaît. Il y a eu dans les luttes de la Convention nationale des
circonstances que les spectateurs éloignés n'ont pu voir avec les
yeux les plus perçans , et que les combatians eux-mêmes n'ont
pu distinguer, précisément parce qu'elles se passaient entre eux
et en eux. Je n'étais pas fail pour mieux voir, niais j'étais mieux
placé, plus au vrai jour. Il y a donc eu quelques secrets des es-
prits et des cœurs qui n'ont pu m' échapper : ce sont quelquefois
des nuances, mais de ces nuances qui donnent aux choses tout
leur caractère , et aux événemens toute leur force. Par exem-
ple, les deux côtés se sont réciproquement et continuellement
accusés de conspirer contre la république ; ils se sont renvoyé la
conspiration de d'Oi léans, de Dumourier, toutes les conspirations
qu'il était possible de craindre ou d'imaginer, comme dans une
dispute, qui a cesse d'être polie, des esprits émus d'orgueil et de
colère se renvoient les qualifications de fou , d'opiniâtre. On di-
sait d'un législateur qu'il était un conspirateur, aussi facilement
que d'un écrivain qu'on n'aime pas , qu'il est un sot. Pourquoi
des deux parts une accusation si grave éiait-elle faite avec si peu
de preuves?
Voici ce que j'ai cru en apercevoir.
Si le côté droit avait accusé simplement le côté gauche de bar-
barie et d'ignorance, de mettre la fureur à la place de l'énergie,
de confondre les passions do l'homme qu'il faut réprimer, avec
ses droits qu'il faut établir ; de conduire le riche à la pauvreté et
le pauvre à l'indigence, par la folle idée de IT'gaiilé des fortunes,
T. WIW, "2",
554 DOCUMENS COMPLEMENTAIRES ( 4792-1793).
qui n'a jamais produit que!'cgal;té de misère; d'exposer enfin la
république par les excès du républicanisme : loin de perdre le
côté gauche par ces reproches , on eût donné plus d'éclat , peut-
être, à sa popularité et à son influence; on l'eût rendu plus cher
lï cette multitude qui n'est pas !a nation , mais dont les cris se
font entendre de toutes parts , tandis que la véritable voix de la
nation se fait si rarement entendre. Ces reproches suffisaient,
du reste , pour déshonorer des législateurs aux yeux de tout ce
qui raisonne et pense sur la terre: mais, à l'époque où nous
étions, il fallait en France, et surtout à Paris, une autre accu-
sation pour les perdre , il fallait celle de conspirer contre la ré-
publique.
Si le côté gauche avait accusé simplement le côté droit de vou-
loir mettre l'orgueil et la puissance des taiens à la place de l'or-
gueil et de la puissance du trône; de vouloir contenir les droits
de l'homme dans une enceinte trop resserrée pour les passions ;
d'établir le nouvel art social sur des principes dont l'ignorance
ne peut pas avoir facilement l'intelligence ; de fonder l'économie
politique sur des lois qui ne mettraient la nation entière dans
l'aisance qu'après avoir mis les propriétaires aisés dans une
grande prospérité ; de chercher enfin un régime dans lequel
tous ies mouvemens des individus et du corps social seraient li-
bres et hardis , mais non ardens et impétueux : avec de tels re-
proches on eût pu armer encore quelques furieux contre le côté
droit, niiis il n'y aurait pas eu là de quoi fomenter une insur-
rection dans la multitude même de Paris : il fallait une autre ac-
cusation , il fallait l'accusation de conspirer contre la république.
Au commencement ces accusations n'étaient , peut-être , ou
que des soupçons de la haine , ou que des injures atroces de la
colère emportée hors de toutes les bornes : elles finirent par être
une conviction profonde des esprits ; et alors je tremblai pour la
Convention et pour la république.
Des hommes qui s'accusaient réciproquement du plus grand
des attentats , loia de se croire obligés à quelque ménagement
les un^ envers les autres , regardaient la ruine et la mort de leurs
MÉMOIRES DF. GARAT. S35
ennemis comme leur devoir le plus sacré: les uns ne parlaient
que de se lever contre d'ambitieux dominateurs, les autres que
de remettre le glaive de la république ù des juges capables de
discerner et de frapper de mort les anarchistes et les royalistes.
Pendant long-temps la question de l'ordre du jour fut de savoir
lequel des deux côtés organiserait le tribunal et le composerait ;
ce qui , dans le sens de plusieurs , au moins , était la question de
savoir , qui enverrait à l'échafaud, et qui y serait envoyé; en at-
tendant que les formes des massacres judiciaires ou des justices
légales fussent décidées , on ne parlait dans les rues, dans les
groupes et dans les tribunes que de sauver la patrie ; le nom
sacré de Brutus était invoqué par des hommes qui ne respiraient
que l'assassinat: chaque jour on annonçait un massacre pour le
jour suivant , et ces menaces ne partaient pas toujours des Ja-
cobins, elles se faisaient aussi quelquefois contre eux, etc, etc.
Ce n'était pas là des choses à dénoncer; elles se disaient publi-
quement, hautement; on ne s'en cachait pas, on s'en vantait :
c'était depuis long-temps le ton général des discours dans les so-
ciétés populaires, dans les sections, dans certaines feuilles.
Hélas ! les hommes les plus purs seraient effi-ayés de remonter à
la première et véritable source de ces fureurs du langage qui
représentaient les fureurs des âmes! Dès l'origine de cette
éclipse presque totale de toutes les lumièr-es de la raison et de
tous les senlimens de l'humanité , j'avais été profondément per-
suadé que toutes ces tempêtes avaient leu^s causes dans les divi-
sions de la Convention nationale ; que s'il était possible de les
faire cesser , tout cesserait avec elles ; que si on pouvait au moins
les faire suspendre, tout serait suspendu ; qu'au dehors les scé-
lérats qui pouvaient être capables de concevoir quelque grand
attentat, étaient par eux-mêmes incapables de l'exécuter; que
tout fléchirait aisément et proniptement sous l'autorité de la Con-
vention nationale réunie ; que dans son sein seul pouvaient se
former les orages (|u'on pût redouter pour elle et pour la
France.
J'étais également persuadé que dans le sein de la Convention
5o(> DOCUMENS COMPLéMËNTAlRES (1702-1793).
ces hommes affreux dout il fallait toîjjours attendre toutes les
atrocités, et jamais de bons scnlimens, n'étaient pas ceux qu'il
liallait le plus redouter : que les plus redouîab'es étaient ceux qui ,
pouvant faire de grandes choses et de grandes foutes, se voyaient
outragés dans toutes leurs intentions , quoiqu'ils en eussent d'ex-
cellentes; à qui on ne parlait que de leurs crimes , dont on n'avait
pas la preuve, lorsqu'ils demandaient à s'associer aux bonnes
actions; qu'on menaçait de la guerre, lorsqu'ils offraient la paix;
et qui , confondus injustement avec des scélérats , pouvaient s'en
servir un instant pour écarter une fois pour toutes de leur léte
la hache dont on leur parlait dans chaque discours et dans cha-
que feuille.
Telles étaient les idées dont je me faisais comme autant de
phares pour diriger nia conduite dans ces ténèbres qui envelop-
paient tout, et au milieu desquelles erraient toutes les haines,
toutes les terreurs et toutes les fureurs.
Le but que je m'étais marqué, et dont je ne me suis jamais
écarté , c'était de chercher à éclairer le soupçon , à tempérer la
haine; et pour cela, ce n'était pas l'adresse et la politique que
j'employais, c'était la morale et la vérité adoucies par l'expres-
sion de la bienveillance. Sans cesse je cherchais à réunir ou chez
moi ou ailleurs les membres qui exerçaient ou pouvaient exercer
alors la plus grande influence sur les deux côtés , et dont la
réunion aurait amené celle de leurs partis. En ne se voyant que
dans l'Assemblée, ils ne se voyaient que dans l'arène; et il y a
bien peu de paix qui se fassent sur les champs de bataille. Les
dîners que je donnais étaient fréquemment calomniés aux Jaco-
bins; mais j'avais compté sur la calomnie , et ce n'était pas d'elle
que j'attendais qu'elle remarquerait que mes dîners ne ressem-
blaient pas au moins à ceux où on ne voyait que des Jacobins et
à ceux où on ne voyait que des Girondins. Obligé par mes fonc-
tions mèaies d'avoir continuellement des entretiens, tantôt avec
des membres du côlé droit , tantôt avec des membres du côté
gauche , je ne disais pas à ceux du côté gauche , le côté droit est
anstucrale et royaliste; je ne disais pas à ceux du côté droit :
MÉMOIRES DE GARAT. 357
le côlé gauche n'est peuplé que de conspirateurs et d'anarchistes ;
je leur disais à tous : les deux côtés se liaissent mortellement, et
tous les deux aiment la répubrique ; l'un des deux, à mon avis,
connaît mieux les principes de tordre social , mais tous les deux
veulent l'ordre qu'ils conçoivent; aucun n'est ni anarchiste par sijS'
tème, ni royaliste par projet, mais l'anarchie peut durer, elle
royalisme peut s' établir par les combats des deux côtés.
Je puis appeler ici en témoignajje tous les membres , de qud-
que parli et de quelque opinion qu'ils aient été, avec qui j'ai pu
avoir des entretiens sur ces grands intérêts de la république ;
mais entre ceux qui n'ont pas été tués , il en est un avec lequel
j'ai eu un entretien qui m'a laissé un souvenir plus ineffaçable,
parce qu'il fut plus long , et aussi parce qu'il eut !ieu en présence
d'un homme dont on m'a soupçonné , moi , d'être le complice :
Pache. Le député que j'interpelle ici , c'est Thibault : je m'en
rapporte à sa mémoire et à sa conscience; qu'il dise comment
devant Pache, à qui il parla lui-même en homme loyal et coura-
geux, j'ai parlé de ces députés poursuivis par la Commune de
Paris; qu'il dise si en fiiisani des reproches à leurs passions, je
n'ai pas rendu d'authentiques témoignages à leurs vertus répu-
blicaines !
Je ne parlais pas seulement aux membres des deux côtés
de la Convention des événemens dans lesquels ils étaient eux-
mêmes acteurs , et dans lesquels nous pouvions être tous vicii-
mes; les faits que nous avions sous les yeux me rappelaient ceux
qui étaient dans ma mémoire, et j'en tirais des rapprothemcns et
des exemples pour en faire sortir de grandes leçons. Je leur
prouvais par une fonle de citatio-s historiques que l'esprit de
parti, qu'il est si difficile de bannir entièrement de chez les peuples
libi'es , estbien plus funeste aux peuples qui ne sont p.'is constitués
encore qu'aux peuples qui le sont déjà. Chez les derniers, leur
disiis-je, par son action et par sa réaction , l'esprit de parti tend
les ressorts du gouvernement ; chez les autres, il empêche les
ressorts de se former, de s'engrener, de prendre leurs habitudes
d'attraction et de répulsion. En Angleterre, par exemple, les
OOS BOCUMEWS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795 ).
partis du ministère et de l'opposition ne sont pas seulement dans
le parlement ; ils sont dans les trois royaumes : mais chaque parti
sait ce qu'il veut, et ce que veut l'autre; le parti de l'opposition
tend évidemment à agrandir la puissance législative ; le parti mi-
nistériel tend évidemment à agrandir la puissance executive. Tout
s'arrange autour de ces deux centres d'action ; les partis mêmes,
en quelque sorte, sont constitués, leurs luttes mêmes sont orga-
nisées. Tantôt l'un gagne du terrein, et tantôt l'autre; mais comme
d'aucune part les bornes ne sont posées très-distinctement et très-
haut , il y a une certaine enceinte dans laquelle les deux partis
peuvent avancer et reculer , sans que la constitution soit violée •
le moment où eile le serait réellement et fortement , serait pour la
lil.-erté le signal d'un combat et d'un triomphe : car, quoiqu'il y
ait deux partis pour la constitution, il n'y en a qu'un pour la li-
berté ; tous les Anglais veulent être libres. Sans cette agitation ,
dont les heureuses secousses sont peut-être nécessaires au climat
el au tempérament profondément mélancolique des Anglais ,
sans cette espèce de jeu où lu crainte et l'espérance les remuent
et ne les tourmentent pas, lis regarderaient moins à leur constitu-
tion, ils l'observeraient et la connaîtraient moins; les Anglais s'ob-
serveraient et se connaîtraient moins eux-mêmes. Là l'esprit de
parti, qui empêche peut-être la constitution de se perfectionner,
la maintient donc, et il verse dans tout !e corps de la nation les
lumières , sinon les plus vives , au moins les plus indispensables. •
Voyez , au contraire, les effets terribles que produit l'esprit de
parti lorsqu'il jette de profondes racines dans une république
avant qu'elle ait un gouvernement : ouvrez l'histoire de Florence
par ]\Iachiavel , et vous frémirez. Là, comme la constitution n'est
pas formée encore, et que les citoyens se sont divisés en y tra-
vaillant, il n'y a dans les querelles aucun point fixe, distinct,
innnuable : les partis ne s'attachent pas à des pouvoirs diiférens
de la consiitu'ion ; ils s'acharnent les uns contre les autres. On ne
combat plus bientôt pour savoir quel principe ou quel ressort
doit prédominer, mais pour savoir quelle famille dominera.
Quand l'une est exterminée, ou a fait sa paix, la guerre recom-
MÉMOJllES Dt G.AKif. 359
mence entre d'autres familles. Personne ne connaît les vues de
ses ennemis : peu de gens connaissent leurs propres vues : on
n'en a point ; ou n'a que des passions : mais précisémei.t parce
qu'on n'a point de vues on s'en prête réciproquement, et ce sont
toujours les plus horribles , c'est-à-dire, les plus criminelles en-
vers la république. Comme les partis succèdent perpétuellement
à des partis, comme ils se divisent el se subdivisent, !e moment ne
tarde pas d'arriver où il n'y a plus d'union même entre les mem-
bres d'une même faction : la nation entière est dissoute; les par-
tis mêmes sont dissous : on n'aperçoit que les individus errans les
uns à côté des autres avec frayeur et fureur, jetant les uns sur
les autres des rejjards iremblans et menaçans : on ne poite plus
l'arme des batailles , le glaive , mais l'arme des assassinats, le poi-
gnard. Toute vérité et toute morale ont disparu ; chaque parole
est un mensonge, chaque action est un vice ou un crime. Le gé-
nie même trompé par son guide le plus fidèle, l'expérience, re-
garde la justice comme une chimère, et il trace des préceptes
profonds , il rédige des corps de doctrine pour l'imposture et
pour la tyrannie : celte malheureuse république ne peut plus
trouver un asile contre elle-même que dans le tombeau du des-
potisme : ce tombeau s'ouvre, elle s'y précipite el s'y trouve bien.
Ce malheur, ajoutais-je, qui dans Florence n'a élé que pour
l'Italie , et qui dans la France serait pour le genre humain , vous
effraie-t-il trop peu, parce qu'il vous paraît éloigné, et aussi
parce que vous croyez au bon génie et à la bonne fortune de la
France? Voyez à côlé de vous un danger qui vous touche et vous
presse : j'en trouve encore la prophétie dans celte même histoire
de Florence : Usez avec moi cette page, je l'ai marquée pour vous
la lire à tous.
< Les Florentins pourvurent à leur défense, et les principaux
citoyens armèrent pour leur compte. De ce nombre étaient les
Albizùel les Ricci, deux familles jalouses qui voulaient, chacune
ù l'exclusion de l'autre, parvenir seules aux magistratures: elles
n'avaient encore laissé voir leui s haines que dans les conseils, où
elles aimaient à se contredire ; mais , toute la ville se trouvant en
360 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795 ).
armes, elles furent sur le point d'en venir aux mains, parce
qu'un faux bruit s'éiant répandu qu'elles marchaient l'une contre
l'autre , elles y marchèrent en effet, chacune des deux se croyant
attaquée. >
Dans ces horribles convulsions, les deux côtés me paraissaient
menacés, mais c'est pour le côté droit surtout que je tremblais,
son danger étant le plus prochain puisque les forces du côté en-
nemi étaient ici même; c'était de ses lumières aussi que j'atten-
dais le plus de prudence ; c'est à ses n;embres que j'adressais sans
cesse et mes observations et mes supplications.
Combien de fois j'ai conjuré Brissot, dont le talent se fortifiait
dans ces combats, de modérer l'usage de sa force pour irriter
moins ses ennemis! Combien de fois j'ai conjuré Guadetde re-
noncer quelquefois au moins aux triomphes de celte éloquence
qu'on puise dans les passions, mais qui les nourrit et les en-
flamme!
Pour renverser le trône , leur disuis-je, vous avez vous-mêmes
ou excité ou excusé les mouvemcns et les emporleniers da la
multitude de Paris; elle en a pris l'habitude; il faut la lui faire per-
dre ; mais on ne perd pas une habitude aussi vite qu'on la prend ;
et si vous menacez continuellement les mêmes passions que na-
guère vous avez continuellement protégées, parce que vous êtes
devenus sages, la multitude croira que vous êtes devenus traîtres :
ce n'est pas le (buet à la main qu'il faut approcher les coursiers
fougueux qui doivent recevoir le frein. Quand il n'y a aucim vé-
ritable gouvernement, il ne faut pas être surpris si la multitude
ne se laisse pas goiiverner; imposez-lui doucement et fortement
le joug des lois, et criez moins à l'anarchie ; gardez-vous surtout
do montrer sans cesse la hache des lois à des hommes parmi les-
quels il y en a peut-être de scvléraîs, mais parmi lesquels, sans
aucun doute, il y en a plusieurs qui ont en ce moment dans Paris
pins de puissance que les lois et ia justice. N'exagérez pas leurs
crimes , car vous ferez croire qu'ils n'en ont point commis : ne
confondez pas avec eux ceux (jui sont très-innocens , quoiqu'ils
soient très-moniagnards, car vous ferez croire que tous sont in-
MÉMOIRES DE GARXT. 361
nocens. Il y a une vérité terrible , et que pour cela même il faut
bien connaître et méditer beaucoup ; c'est que dans les grandes
démocraties, et surtout à leur naissance, la muUiiude prête bien
plus volontiers sa confiance, son amour et sa force à ceux qui lui
parlent le langage des passions dont elle est enivrée, qu'à ceux
qui lui parlent le langage de h raison , qu'elle ne comprend pas :
entre le défenseur de ses droits et celui de ses excès, c'est à ce-
lui-ci qu'elle donnera la préférence. Ne provoquez donc pas sans
nécessité un combat prêt à s'engnger pour des intérêts qui ne
sont pas ceux de la liberté et de la république , et dans lequel vos
ennemis vont déployer contre vous des armes que vous-même
avez aiguisées dans d'autres temps.
A Gensonné , qui n'a jamais cessé de croire à la pureté de
toutes mes intentions , cl que, malgré l'opiniâtreté trop naturelle
à son caractère, plus d'une fois j'ai fait incliner vers ma manière
de voir les circonstances et la marche qu'elles prescrivaient , je
tenais un autre langage.
Je lui disais :
e Vous croyez être certain que la France tout entière se lèvera
pour voler à votre défense : mais songez donc que vos forces ,
dans cette supposition même , sont disséminées dans toute la
France , et que celles de vos ennemis sont réunies dans Paris.
Dans un instant on peut vous frapper , et il faudrait des mois
pour rassembler vos défenseurs. Quoi ! les Jacobins sont contre
vous ; quoi ! la Commune de Paris est contre vous ; et vous voulez,
dans Paris, ouvrir un combat contre des ennemis puissans dans
la Commune et aux Jacobins? Avez-vous oublié que tous les
genres de forces sont dans les mains de la Commune , et qu'il y
en a plusieurs qu'elle tient de vous ? C'est sur votre motion ,
Gensonné, que l'assemblée législative lui a accordé le mandat
d'arrêi; et, par l'exercice de cette force terrible, qu'elle vous
doit, elle peut jeter dans les prisons ou enchaîner par la terreur
ceux qui seraient tentés de préférer le côté droit au côté gauche,
et Gensonné à iMaiat. La force armée de Paris est à la disposi-
tion de la Commune; c'est assez dire qu'elle n'est pas à la dispo-
362 DOCUMENS COilPLÉMliiVf AlKES ( 1792-1795 ).
silion de la Convention ; c'est assez dire qu'elle sera contre vous
si vous appelez des combats que vous pouvez refuser , ou au
moins relarder. Toutes ces forces ont été données à la Commune
contre les rois; aujourd'hui qu'il n'y a plus de rois, où est votre
sagesse de lui laisser toutes ces forces? Retirez-lui les pouvoirs
énormes que vous lui laissez avec tant d'imprudence , ou n'ayez
pas l'imprudence, bien plus danjjereuse encore, de donner le
signal des batailles à des ennemis dont elle est l'aliiée. Qu'avez-
vous voulu faire, mais qu'avez- vous fait réellement, lorsque
vous avez envoyé Marat au tribunal révolutionnaire ? Vous avez
voulu procurer un triomphe à la république et à la justice; et
vous avez mis réellement la justice et la république dans la honte
et dans le deuil : vous avez procuré un triomphe à Marat. Soyez
sûr que la république, à aiesure qu'elle s'élèvera sur ses fonde-
mens , eflacera avec indignation de la liste de ses fondateurs les
hommes affreux qui ont voulu l'établir sur des crimes : dans ce
moment elle n'a pas assez de force pour s'épurer , et en précipi-
tant trop cette opération périlleuse , vous pourrez la détruire.
Phocion aimait autant que Démosihène la gloire et la liberté de sa
république; il était bien plus capable d'en conduire les armées à
la victoire; et cependant il réprimait et arrêtait l'ardeur des
Athéniens, excités sans cesse par Démosthène à déclarer la guerre
à Philippe. L'expérience ne tarda pas à faire voir lequel de Dé-
mosthène et de Phocion avait raison. Les hommes sages de l'Eu-
rope pénétreront sans peine les motifs de vos ménagemens pour
des législateurs trop peu dignes de partager ce titre glorieux avec
vous, et ils vous blâmeraient si, pur une précipitation trop grande
à exercer quelques actes de la justice nationale, vous mettiez la na-
tion et la justice elle-même en péril. Cicéron, dont le nom est sou-
vent par vous invoqué, poursuivit Calilina et ses complices sans
reîàch;^ et sans misé.icorde jusqu'à la mort qu'il leur lit donner
comme sous ses yeux. Mais Calilina et ses complices ne désho-
noraiciit pas seulement la république, ils conspiraient contre
elle; Cicéron en avait les preuves dans ses mains : il fallait ou les
tuer ou laisser égorger le sénat et incendier une partie de Kome.
MÉMOIRES DE GARAT. 565
Mais voyez avec quelle prudence , qui serait traitée de faiblesse
ou de làclielé par des hommes moins sages, ce même Cicéron se
conduit avec son collègue au consulat , collègue qu'il s'est fait
donner lui-même, quoiqu'il le connût pour un homme sans
mœurs, sans probité, et plus digne à tous égards d'être le com-
plice de Catilina que le collègue de Cicéron. Voyez comment,
pour assoupir les vices les plus dangereux de ce collègue, Cicé-
ron caresse jusqu'à son ambition; comment ce grand homme se
sert des vices mêmes d'un gueux élevé aux dignités suprêmes
pour en faire un instrument utile un moment à la république.
» Mon cher Gensonné, voilà pour moi le modèle d'un homme
d'élat dans un homme de génie et dans un hoaime de bien. On
peut faire de superbes phrases sur la vertu de Caton qui était
plus inflexible ; mais il n'y a rien de plus beau que les phrases de
Cicéron , et il n'y a rien de sage et d'utile comme sa conduite. Je
trouve très-bon qu'on tâche d'imiter les mouvemens passionnés
de l'éloquence de Cicéron ; mais je voudrais aussi qu'on imitât la
pi'udence et l'habileté de sa conduite. Songez, mon ami, que la
république de France est née avant les vertus qui sont nécessaires
à sa durée; songez que jusqu'à présent nous possédons plus les
bons principes que les bonnes mœurs , et que les principes même
sont plus proclamés qu'ils ne sont connus ; songez que si la guerre
éclate entre les législateurs qui ont foudroyé le trône, et les lé-
gislateurs qui ont une théorie plus profonde de la république,
dans l'état actuel >des esprits , les quatre-vingt-dix-neuf centièmes
de la nation ne se touineront pas du côié de ceux qui répandent
des lumières, mais du côté de ceux qui ont lancé la foudre. On
vous donnera peut-être un jour des larmes et de statues ; mais si
vous ouvrez des combats qu'il dépend de vous , je le crois, d'é-
viter, on peut commencer par vous faire monter à l'échafaud.
Songez enlin , que dans le conseil exécutif vous avez des amis ,
et que vous laissez le conseil exécutif comme il ne devait être que
sous un roi, sans aucune force; que dans la Commune vous
avez des ennemis, et que vous laissez la Commune comme elle
ne devait être que sous un roi, avec une force toute puissante.
364 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795).
Quand vous disposez si mal les choses, c'est une espèce de dé-
mence de croire que les événemens puissent vous être favora-
bles. »
Ce que je disais à Gensonné avec tous les épanchemens, avec
tous les développemens d'un homme qui parle à un homme qu'il
aime et pour qui il craint, je l'ai fait entendre assez clairement à
la Convention nationale elle-même.
Dans une séance du soir où le conseil exécutif rendait compte
de quelques troubles, je dis sans aucune ambiguiié, que le con-
seil exécutif ne pouvait être responsable des événemens, puisqu'il
n'était dépositaire d'aucun des moyens, d'aucune des forces avec
lesquelles on s'en rend maître, on leur commande et on les dirige.
Gensonné se leva à l'instant pour faire la motion démettre la ré-
quisition de la force armée dans les mains du conseil exécutif;
Robespierre, que je vois encore se précipitant du haut de la
Montagne à la tribune , demanda la parole comme pour sauver la
liberté , le peuple et les droits de l'homme. La querelle allait de-
venir terrible : Gensonné ne se sentit pas assez fort pour la sou-
tenir avec avantage : il retira sa motion qui à peine avait été en-
tendue. Je ne sais si les journalistes discernèrent ces mouvemens
et leuis intentions ; je ne sais si les journaux en ont rendu compte ;
je ne sais s'il existe des témoins qui ont vu ce fait , et qui en ont
gardé la mémoire : mais ce fait est vrai , et j'en ai souvent
parlé à beaucoup de ceux qui tiennent note des événemens à me-
sure qu'ils passent.
C'est par le même motif que , sentant tous les jours davantage
que le conseil exécutif n'était pas un pouvoir, le premier j'ai pro-
posé de le supprimer; le premier j'ai invi é la Convention à di-
riger elle-même, par ses comités, toutes les forces de Paris et
toute l'exécution des lois de la république.
Cette proposition, contre laquelle s'élevèrent alors tous les
préjugés sous le nom de principes, je la lis avant le mois de fé-
vrier. Je la reproduisis plusieurs fois devant le comité de défense
générale. Alors la majorité de la Convention était bonne , et ses
décrets étaient dictés par la sagesse. Celle même majorité qui
MÉMOIRES DK GARVT. 3(35
faisait de bonnes lois, aurait donc composé de bons comités de
gouvernement : la force aurait été retirée à la Commune ; loutes
les destinées et de la Convention et de la république auraient dé-
pendu de la majorité de la Convention ; et ses malheurs ei les nô-
tres ne sont pas venus de ce que sa majorité a exercé la puissance
sans bornes que je voulais qu'on lui donnât, ils sont venus de ce
que la Convention ou la majorité, ce, qui est !a même chose,
n'ayant pas pris alors cette puissance , elle l'a laissé prendre à
une minorité qui l'a exercée d'abord parla Commune, ensuite
par elle-même , ensuite par une demi-douzaine de membres des
comités qui opprimaient tout, et qui ne voulaient pas s'appeler
comités de gouvernement.
Telles étaient mes opinions , tels étaient mes sentimens , mes
vœux, mon langage. Il est possible que je me sois trompé sur
tout : j'observerai cependant que j'étais sans passions, sans inté-
rêt personnel, et que mes yeux étaient continuellement fixés sur
le jeu des intérêts, des passions et des événemens.
Voilà ce que j'ai pensé ; voici ce que j'ai fait.
Depuis long-temps les menaces des deux côtés , différentes
par leur nature , mais semblables par leur violence , devenaient
de jour en jour plus terribles : c'étaient comme deux armées dont
la résolution était prise d'en venir aux mains, et qui cherchaient
pour la saisir la circonstance et la position la plus favorable.
La soirée du 9 au 10 mai"s parut précipiter les événemens pour
les conduire à un dénoûmenl affreux.
Les nouvelles de la défection de Dumouricr , arrivées le jour
même, avaient rempli les imnginaiions d'impressions sinistres ; on
profitait d'une trahison pour semer le soupçon de mille autres,
pour les rendre toutes vraisemblables, parce qu'il y en avait une
de viaie. Les liaisons anciennes de Dumourier avec Brissot et
avec les députés de la Gironde, étaient depuis long-temps rempla-
cées par des rcssentimens que couvraient à peine les égards
qu'un général d'armée devait à des lé{5islateurs, et (|ue des lé-
gislateurs devaient à un général par qui irioujphail la république.
Mais leurs ennemis voulaient les croire toujours unis jiour les
3(56 DocuaENs complémentaiiies (1792-1795 ).
perdre ensemble et pour les unir réellement dans la môme pro-
scription : l'indignation que Dumourier méritait dans la Belgique
on l'excite donc à Paris contre Brissot et contre les députés de la
Gironde.
Je remarquais ces dispositions ; je m'attendais à quelques mou-
vemens; j'en surveillais la naissance et la direction.
A sept heures à peu près, à la maison de la justice où j'étais,
j'entends retentir et se promener par les rues un tumulte confus
de chants d'une joie féroce et de cris d'une fureur menaçante : je
sus bientôt que c'était une troupe armée qui , après s'être enivrée
dans un repas fait à la section de la Halle , allait défiler dans la
salle des Jacobins. Mon premier sentiment fut le besoin de me
réunir à mes collègues.
Je cours d'abord chez Clavière, que je ne trouve point chez
lui ; et je me rends ensuite au département des affaires étrangè-
res , où je trouve Lebrun , Bournonville , Brissot et Gensonné :
Clavière se réunit bientôt à nous. Là , nous prenons des mesures
pour savoir , avec quelque certitude , ce qui se passe , et nous dé-
libérons sur la conduite que nous devons tenir nous-mêmes. La
Convention éiait assemblée pour discuter le plan d'organisation
d'un tribunal révolutionnaire : le plan proposé par le côté gauch ;
était repoussé avec horreur par le côté droit. Les mouvemens sé-
ditieux qui se faisaient sentir dans quelques rues pouvaient avoir
une intention plus criminelle encore, mais il était naturel de pen-
ser que leur but était de forcer les opposans à donner leurs voix
à l'établissement et aux formes extraordinaires du nouveau tri-
bunal : des moyens semblables ont été employés trop souvent
durant toute la révolution , et de bons décrets même ont passé par
ces indignes moyens.
Des rapports qui nous arrivent de plusieurs côtés et qui s'accor-
dent ensemble, nous apprennent que lorsque des troupes ont dé-
filé dans la salle des Jacobins ;, du milieu de la file un homme s'est
détaché, et qu'il est monté à la tribune; que dans un lan;;age
plein de fureur, et avec l'accent d'un Africain ou d'un Berga-
raasque, il a fait des propositions atroces; qu'il a proposé de di-
MÉMOIRES DE CARAT. o67
viser la troupe qui défilait en deux parties, dont l'une irait à la
Convention vtnger le peup'e en punissant de mort ses mandatai-
res infidèles, et l'autre au conseil exécutif ég;orger tous les mi-
nistres , faire maison neile : que des applaudissemens s'élevaient
déjà, que de sabres s'agitaient en l'air pour donner des suflrages
homicides à ces exécrables motions , lorsque un membre de la so-
ciété a changé la motion de tuer les députés et les ministres en
celle de les arrêter et de les emprisonner : qu'à l'instant où cette
seconde proposition allait être mise aux voix, Dubois de Crancé
était arrivé aux Jacobins, et, s'élevant contre les deux motions
avec l'horreur et l'effroi que toutes les deux devaient exciter, les
avait fait rejeter par ceux-là mêmes qui venaient de les applaudir ;
que cependant plusieurs de ces furieux étaient sortis sans dépo-
ser leur fureur, et qu'on avait lieu de craindre qu'ils ne l'eussnt
portée ailleurs.
Je proposai deux partis.
L'un, de nous rendre au conseil exécutif , d'y établir une
séance permanente , d'y appeler les autorités constituées de Paris
qui avaient la réquisition de la force armée , et de leur faire don-
ner devant nous les ordres que nous jugerions nous-mêmes les
plus propres à garantir de tout attentat lesjours sacrés des repré-
sentansdu peuple et la.sûrelé publique; l'autre , de nous rendre
dans le sein même de la Convention , de faire appeler par elle le
maire de Paris, le président du département , et le commandant
de la force armée, et de donnera des mesures de police la gran-
deur, la force et la majesté des déterminations législatives.
Aucune de ces deux propositions ne fut adoptée; la première,
parce qu'on soupçonnait les chefs des autorités constituées de
complicité avec les scélérats, et que, dans ce cas , avec tous les
moyens de nous tromper, ils nous auraient eu seulement pius
près des coups qu'on pouvait vouloir frapper ; la seconde, parce
que les membres désignés aux couteaux n'étaient point dans la
Convention , et que de toute la nuit il n'y avait là pour eux au-
cun risque.
Le bruit se répandait qu'on allait fermer les barrières, sonner
5G8 DOCUMEKTS COMPLÈMEINTÀIRES ( 1792-1795 ).
les tociins et tirer le canon d'alarme : il n'était pas vraisemblable
que tout cela se fit s'il n'y avait pas un grand complot , et si dans
ce complot n'était pas la Commune. Nous décidâmes que je me
rendriiis à la Commune à l'instant même. Lebrun y vint avec moi;
en y allant nous passâmes par les environs de la Convenîion na-
tionale et des Jacobins ; tout y était dans un profond silence : le
seul bruit qu'on entendait dans les rues était celui de la pluie qui
tombait, etde quelques patrouilles rares qui marchaient lentement.
Le conseil -général de la Comnmne était assemblé et bruyant :
il l'était presque toujours.
Nous appelâmes te maire , et lui demandâmes compte de tout
comme au chef de la police. Le maire nous apprit qu'il venait de
se présenter à la Commune une députation des Cordeliers et de
la section des Quatre-Naiions, pour demander la fermeture des
barrières , le tocsin et le canon d'alarme : qu'on l'avait repoussée
sans vouloir même entendre ses propositions; et que le conseil-
général venait d'écrire une circulaire aux sections pour les inviter
à redoubler de vigilance et de vigueur, pour leur remettre sous
les yeux la loi qui prononçait la peine de mort contre ceux qui
feraient sonner les tocsins et tirer le canon d'alarme. Pachenous
lut la lettre. Nous lui fîmes assez comprendre que les soupçons
s'attacheraient à lui, s'il s'exécutait aucun des attentats dont on
était menacé. Pache nous assura plusieurs fois qu'il y avait beau-
coup des mouvemens, mais qu'il était sûr qu'il n'y avait aucune
conspiration ; et que les mesures de force étaient prises de telle
manière , qu'il était impossib'e qu'aucune grande violence fût
commise durant la nuit. Nous retournâmes aux affaires étran-
gères porter ces assurances, que le calme profond qui régnait
de toute part dans Paris garantissait de plus en plus : nous n'y
retrouvâmes ni Bournonville, ni Biissot , ni Gensonné.
Nous avions dans tous les points importans de Paris des obser-
vateurs qui venaient nous rendre compte à chaque instant de ce
qui se passait. Les rapports tantôt nous inquiétaient, tantôt nous
rassuraient: mais tout annonçait qu'aucun événement n'éclate-
rait dans !a nixh.
MÉilOÏRES DK GARAT. 569
Cependant, toulàcoup, un aide de camp de BournonviUe
entre prëcipiiamrnent dans le cabinet de Lebrun, nous assure
que le tocsin sonne dans plusieurs sections , nous apprend que
BournonviUe est sorti de l'Iiôiel '-^ la guerre , où il pouvait courir
trop des risques, et nous invile tous, mais surtout Glavière à
chercher un heu de sûreté. Lebrun se détermina à l'inslant à
rester chez lui , Glavière à aller demander un lit à un de ses amis
dans un autre quartier que le sien : il n'avait pas sa voiture; je le
pris dans la mienne ; je le conduisis de la rue Gerutii à la rue des
Saints-Pères, au faubourg Germain.
Nous venions de '.raverser une assez grande pariie de Paris ,
les rues, les ponis, où la multitude, lorsqu'elle est en mouve-
ment, se précipite et s'agite avec le plus de tumulte et le plus de
fureur : rien ne se remuait, tout était en silence. A mon retour
chez moi j'ordonnai à la voiture d'aller lentement pour mieux
regarder : j'arrêtai même quelques minutes sur le pont ci-devant
Royal , sur le Garrouse! , à l'entrée de la place ci-devant Ven-
dôme. Aucun bruit de tocsin, aucun cri de sédition ne se faisait
entendre. Rentré à l'hô el de la jjstics je veillai jusqu'à quatre
heiires et demie avec Guhier , alors secrélaii'8-géiiérul de la jus-
tice : des hommes en qui nous avions confiance allaient de toutes
parts , et nous rapportaient de toutes paits qu'ils n'avaient rien
entendu et rien vu.
Voilà ce que je vis , ce que j'appris, ce que je lis dans cette
nuit dont les ténèbres ont enfanté tt avorté , dit-on , tant d autres
crimes qui ne sont jamais parvenus à nia connaissance. G'en était
bien assez de ceux que j'avais connus.
Le lendemain , je crois , j'eatrelins la Gonvenlion des événe-
mens de celle nuit. Ma conduite, précisément puice qu'elle avait
peut-être quelque chose d'honorable, fut ce qui m'occupa le
moins dans ce rapport : je ne me crus pus obligé non plus de dire
que j'avais pissé une partie de la nuit avec Brissot et Gensonné;
que c'était avec eux que j avais concerté mes déniarclks; et cette
discrétion, on on coaviv-udra, n'était pas d'un enr.cmi du côté
droit de la Gonvenlion. Deux choses me paraiôsaiçiu ceri.iiaeà et
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3C8 DOCUMEiCS CPPLÈIIENTAIRES (1792-1793).
les tocsins el tirer le taon d'alarme : il n'était pas vraisembbble
que tout cela se fit s'il ly avait pas un grand complot , et si dans
ce complot n'ttait pas i Commune. xS'ous décidâmes que je me
rendrais à la Commune l'instant même. Lebrun y vint avec moi;
en y allant nous passtn» par les environs de la Convention na-
tionale et des Jacobii.stout y était dans un profond silence : le
seul bruit qu'on eut iidtdans les rues était celui de la pluie qui
tombait,eldequtl(ju( patrouilles raresqui marchaient lentement.
Le conseil-{ïén('ral dla Commune était assemblé et bruyant :
il l'était presque ti'
Nous appelâmes i' jiiie, cl lui demandâmes compte de tout
comme au chef de h pice. Le maire nous apprit quil venait de
se pi éscnler à la Cumiane une députaliun des Cordeliers et de
la section des Qualri -ations, pour demander la fermeture des
barrières, le tocsin ( t Icanon d'alarme : qu'on l'avait rej)0ussée
sans vo iloir nièinr nindre ses propo.-'ilions; et que le conseil-
général venait d'é. i ii t- le circulaire aux sections pour les inviter
à redoubler de vijjilaiii el de vigueur, pour leur remettre sous
les yeux la loi qui j)i uonvaii la peine de mort contre ceux qui
feraient sonner les luciis cl lircr le canon d'alarme. Pache nous
lui la lettre. Nous lui ("les assez comprendre que les soupçons
s'attacheraient à lui , s' s'exécutait aucun des attentats dont on
était menacé. Pach;,- n )i assura plusieurs fois qu'il y avaiL beau-
coup des mouvcmejis , lais qu'il était sûr qu'il n'y avait aucune
conspiration; et que I( mesures de force étaient prises de telle
manière, qu'il était i|)0S3ib'e qu'aucune grai.de violence fût
commise durat;i la nui IS'ous retournâmes aux affaires étran-
gèi Ci porter ces assuiaces, que le calme profond qui réf
de toule part dans Par garantissait de plus en plus : m
retrouvâmes ni Bounioiille, ni Biissot , ni Gensonné.j
Nous avions dans loules points imporlans de Parj
valeurs qui venaiei.i nos rendre compte à chaquj
qui se passait. Les ra|>f rts tantôt nous inquiet
rassuraient: mais toutjtnuonçait qu'aucun cj
rail dans lauuil.
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II.
MÉMOIRES DE G.iR\T. " 374
faits que je viens d'énoncer, et qui me sont personnels. — Dans
ces faits, que j'abandonne aux observations de ceux qui les liront,
je ne remarquerai qu'une seuic "irconslance : depuis j'ai été ac-
cusé d'élre lié avec les ennemis du côté droit de la Conveniion ;
et cependant celte nuit destinée, dit-on, à la perte des membres
de ce côté, ce n'est pas avec leurs ennemis que je la passe , c'est
avec deux de ses membres, et les deux, peut-être, qui étaient
les plus exposés, puisqu'ils étaient les objels des haines les plus
violentes! Brave Bournonville, toi que cherchaient surtout des
assassins en crédit (Ronsin) , des assassins qui sur ma dérion-
ciaiion au comité de défense générale furent arrêtés un instant,
si lu respires encore , si les lignes que je trace ici peuvent te par-
venir quelque part, c'est ton témoignage que j'aime surtout à
invoquer! Dis si parmi tes collègues, et celte nuit, et dans tous
les autres instans du danger, j'ai été celui en qui tu as eu le moins
de confiance? Je ne disais pas comme toi, en parlant de Pache,
l'homme noir ; mais nos âmes, toutes les deux confiantes, s'unis-
saient chaque jour par des seniimens plus intimes; et devant
Pache, qui ne me montrait que de bons seniimens, qui ne me
paraissait rien haïr , pas même ses ennemis, et rien aimer que sa
famille et la démocratie, j'ai toujours été en examen et en ob-
servation. Brave Bournonville, ce n'est pas pour cet instant fu-
gitif des passions que j'écris, c'est pour tous les insians, c'est
pour les temps et pour la vérité que le temps manifeste toujours!
A l'instant où la voix et la plume te seront rendues, confonds
donc mes paroles si elles sont mensongères , et si mes paroles
sont la vérité elle-même, confonds mes ennem's.
Cette confiance que m'accordait B^nonville , on voit que Cla-
vière, qui devait moins en avoir, me l'accordait aussi : ma voi-
ture est le premier asyle qu'il cherche , et c'est moi qui le mène
dans un autre asyle. J'avais eu des querelles avec Clavière , mais
il sa.aii bien que je me serais fait égorjjer vingt fuis piulôt que
de peruu'ltre au fer d'un assassin d'approcher de lui.
Le lendemain, les Jacobins les plus furieux ne parlaient que de
changer tout le ministère : tous les ministres sans doute en au-
572 DOCLML.NS COM PLÉMEN TA I n ES ( 171^-1795 j.
raient été assez contens; mais c'est une assez bonne preuve que
les furieux n'eiaient pns irès-conlens des ministres. S'il étail pos-
sible que malgce le calme immuable, que malgré l'éiernel repos
de la physioiîomie et de l'ame de Pacbe, Pache pût avoir alors
des intelligences secrètes avec les furieux, i! put leur raconter,
en effet, combien j'étais leur ennemi , combien j'avais d'horreur
pour eus , et de confiance dans les vertus républicaines de ceux
pour qui ilsnij'uisaient des po'gnards.
Un homme qui avait eu une pareille conduite ne pouvait pas
faire un rapport infidèle; les faits que j'ai rapportés, et qui
étaient prouvés, étaient les plus graves; ils l'étaient plus ipie
ceux qu'on a soupçonnés, et sur lesquels on n'a point lappoiié
de preuves.
J'ai dit tout ce que je savais, tout ce que savaient mes collè-
gues : mon devoir était de n'en pas dire plus que je n'en savais:
voudi ait-on prétendre que c'était aussi mon devoir d'en savoir
plus que je n'en disais?
Avec tous les moyens même d'un gouvernement qui aurait été
revêtu d'une grandi puissance, entouré d'une grande confiance,
n'aurait-il dune pas été trop possible à des scélérats, qu'on disait
répandus dans toutes les sections, d'y cacher beaucoup de crimes
aux regaids du gouvernement et de tous ses agens?
Mais où étaient la puissance, la confiance et les agens qu'on
donnait alors au ministre de l'intérieur? A mon entrée dans ce
minisière, je n'y trouvai pas un seul moyen et un seul ageiit de
surveillan(e. El lorsque, quelque tenqos apiès, je voulus orga-
niser un svslème dobseï vaiion pour les departemens et pour
Paris, le premier lémoig^w^e de reconnaissance que je reçus
pour celle organisation, qui avait peut-ôire quelque grandeur et
quelque utilité, ce fut, sur la dénonciation de Collot-d'Herbois,
un deri'et qui me traduisait à la barre, et qui me mettait en ar-
restation. C'est l'exécution de ce uiéme plan d'observation, qui
a valu à mon successeur Paré quatre mois de prison au secret,
au bout desquels mois 1 1 le prédécesseur et le successeur devaient
ailer expirer ensemble sur l'echafaud.
MÉMOIRES DE GARAT. 375
Loin de s'ëfonner qu'il fût échappé quelque cIios;î à mes ob-
serv:ilions, luisqueje n'avais aucun instrument pour observer,
lorsque je n'avais que mes y^ux pour regarder (Jans tout Paris,
la merveille serait donc qu'il ne m'eût rieu échappé. Depuis, j'ai
appris en elïet des choses qu'alors j'igjnorais : J'ai appris qu'à la
section de lUnité, par exemple, il avait été arrêté (les registres
en l'ont loi) que je serais mis en éiat d'arrestation cette nuit
même. On voit que, par la nature du gouvernement contre lequel
je ne cessais de réclamer , quand j'aurais été ou ai rélé ou égorgé
je l'aurais su.
Ce qu'il y avait eu de réel dans les mouvenaens de celte nuit
du 9 au 10 mars , était fait pour ébranler violemment les esprits :
ce que l'iiiiagination y ajoutait, les ébraiilait duvantage encore:
on regardait de tous les côtés pour voir les criminels , qu'on ne
voyait pas aussi distinctement que les criines. On avait des soi^p-
çons, on les perdait : on rendait des décrets, on les rapportait;
et queIqi;efois on avait peine à savoir ii un décret avait été rendu
ou non. Un décret melFournier en eîat d'arrestation : Fournier
est interrogé à la barre, rehixé et admis , je crois, aux honneurs
de la séance. Je reçois, revêtu de toutes les formes et de toutes
les signatures, un décret qui m'ordonne de faire arrêter Défieux
et Lazouski. Les gendarmes le mettaient déjà à exécution , par
des ordres que pour la preinière fois j'avais donnés sans l'inler-
médiaire de la police, lorsque arrive dans mes bureaux un décret
qui déclare que celui que je faisais exécuter n'avait pas été réel-
lement rendu.
Un décret est rendu le 15 mars, qui « m'ordonne de faire
» mettre sur-le-champ eu état d'arrestation les membres du co-
» mité dit d'insurrection, de faire mettre les scelles sur leurs pa-
> piers particulieis, ainsi que sur les papiers et registres dudil
» comité. »
Quel était ce comité? où tenait-il ses séances? quels en étaient
les membres ?
Le décret ne m'en disait rien : les motions sur lesquelles il avait
été rendu ne mf l'apprenaient point.
374 DOCUMENS COllPLÉMENTAJRES ( 1792-1795).
J'inlerrog^e tout le monde : au lieu d'une réponse précise , on
m'en foit cent de vagues, de différentes, de contradictoires : je
demande par lettres des renseignement au département , au
maire : leur réponse est qu'ils ne connaissent point de comité dit
d'insurrection. Les uns me disaient, il est partout; les autres, il
n'est nulle pari : et qu'il ne lût nulle part ou qu'il fût partout, les
difficultés et l'enibarras étaient pour moi les mêmes.
J'avais lu dans un arrêté des Gordéliers, qu'ils voulaient per-
suader aux 48 sections de Paris la nécessité de former un comité
d'insurrection ; mais la nécessité pour les Cordeliers d'en former
un , ne pouvait pas être pour moi une preuve qu'il y en eût un
de formé : j'y aurais vu plutôt une p» ésomption qu'il n'y en avait
pas de formé encore.
Cependant, quand on n'est ni un tyran, ni un ministre de la
tyrannie , et qu'il s'agit de faire beaucoup d'arrestations, ce qu'il
faut savoir, sans aucune ambiguïté, sans aucune incertitude,
c'est QUI IL faut arrêter : cependant dans une démocratie qui n'a
aucun gouvernement encore, lorsqu'on est menacé d'une insur-
rection ou d'une révolte, le moyen le plus sûr d'en réaliser et d'en
accélérer l'explosion, c'est de faire des arrestations qui ne seraient
pas l'exécution d'une loi très-précise et très-claire, ou, ce qui est
la même chose, d'un ordre très-formel, très-nominal des législa-
teurs revêtus de pouvoirs sans bornes.
Dévoré d'inquiétudes et de funèbres pressentimens , profondé-
ment persuadé qu'en cherchant le danger où il n'était pas , on le
laissait ou plutôt on le faisait croître où il éiait, je recueille de
toutes parts tous les renseignemens possibles, et sur les troubles
qui agitaient Paris, et sur les foyers d'où partaient les convul-
sions , et sur les hommes dont les uns préparaient sourdement ,
dont les autres provoquaient hautement les fureurs de la multi-
tUiie : et ies rtsuiiats de toutes mes observations , des plus mi-
nutieuses comme des plus générales, je les présente dans un
rapport à la Convention nationale.
Dans ce rapport, je déclare, et dès les premiers mois, qu'au-
cune de mes recherches n'avait pu me faire parvenir à une société
MÉMOJKES HK (;AhAt. •>7.')
OU rassemblement qui fût dit^ c'est-à-dire appelé comité d'in-
surrection. Il n'y eut à cet éj^ard dans mes paroles aucune tergi-
versation. J'articulai le rësuiiat de mes perquisitions très-nette-
ment, très-franchement : et aujourd'hui que les faits, en se
développant d'une manière si terrible, ont jeté tant de lumières
sur leurs véritables causes , il est démontré pour tout le monde ,
qu'à ce moment, qu'au 15, 14, io et 16 mars, il n'y avait nulle
part dans Paris un comité dit dinsurrection.
Il y eut des choses dont je parlei ai, non pas en tergiversant,
mais avec circonspection ; et on verra tout à l'heure pourquoi et
comment.
Je m'attachai principalement dans mon rapport à Kxer l'atten-
tion de la Convention nationale sur elle-même, à lui faire regar-
der ses divisions intérieures comme le plus grand de tous les
dangers pour elle-même , pour la France , pour le genre humain ,
à qui elle était donnée en exemple et pour le bien et pour !e mal.
D'autres , peut-être , auraient regardé cette partie du rapport
comme très-délicate, très-dangereuse à traiter; muis ce n'était
pas là pour moi les charbons ardens : ce fut sur cela que je
m'arréiai ou que je me répandis avec le plus de confiance et le
plus d'épanchenient. Je sentais bien que je parlais devant une
assemblée qui agitait les destinées de ma patrie et de la terre :
mais celte assemblée, dont la puissance éLait redoutable, et la
mission auguste, je la voyais composée de beaucoup d'hommes
chers à mon cœur; et je cherchais à faire entrer la voix de la vé-
rité dans leurs âmes par 1rs accens de l'amitié. Je demandais une
autre vertu encore à des hommes à qui les plus haute s vertus
étaient si naturelles. Si vos âmes, leur disais-je, pouvaient tout à
coup s'ouvrir les unes devant les autres, vous verriez dans toutes
la religion et la passion de la République : cette République que
vous adorez tous , aimez-la tous assez pour lui sacrifier les haines
et les ressentimens nés chez vous du culte même que vous lui
rendez : ni les répubiques , ni les relijjions ne sont détruites par
des traîtres et par des ennemis ; elles le sont , les unes par des
partis, les autres par des sectes. Les mouvemens du dehors ne
376 DOCCMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
seraient rien , ils n'exisferaieni \)?.s , si les moiivemens de !a Con-
vfnlion ne icsexcilaienl et ne les appelaient : ici la tr. bison n'est
ntjlle put; n.a^s la haine peut la voir p:iriout, et la haine peut
furmer des complois atroces contre des complots imaginait es.
Au sujet des mouvemens du dehors, je citai ce Varlet, qui à
peine avait vingt ans, et qui depuis quatre ans se montrait dans
toutes les séditions : j'afftciais suriout d'insisier beaucoup sur
une réunion de dix à douze personnes qui avait lieu tiès-souvent
au café Corazza. Parler d'un café, loisq l'on cherchuii un comité
d'inturreclion , parut alors ou une pueiilité pi esque niaise, ou
une p* rfidie ciichée sous un air de simplicité. J'avais pourtant
ajouté : ces personnes se réunissenl au café Coi-azza, au sortir des
séances des Jacobins : j'avais pourtant prononcé quelques noms
qui auraient dû faite penser, et qui n'auraient pas dû laite i ire;
comme les noms de Gusman, de Défieux et de ce Proli, que,
là même , je dis être un fils naturel de Kaunitz, et qui était alors
l'ami de Hob spierre. J'avais pourtant ajouté: queiqites membres
de la Convention nationale s'y rendent aussi, et si elle le désire , je
les nommerai : lu Convention ne j-arut pas le désirer. J'aurais
nommé (Ihabot piincipalemeiit et Coliol-d Herbois. Depuis, Col-
lot m'a noiilié qu'il m'avait compris lui, etqu'i. n'avait pas souri
de pitié, comme beaucoup d'aulrfs, à mes pitoyables discours.
Entîn, ces longs et fastidieux détails sur le café Gorazza atta-
chèrent à mon rapport un long souvenir mêlé de ridicule et de
ressentiment. Et au 51 mai, lorsqu'au bruit du tocsin et du canon
d'iiUirme, je me réunissais dans la Gonvenlion aux députés qui
venaient prendre leurs postes, Lanjuinais, l'un de ceux dont la
vij était la plus menacée, s'approcha;,! de moi , non avec colère,
mais avec déî ision, me cria : Eli bien! Garai, c'est le café Corazza?
Que pouvais-je alors répondre? 11 ne s'agist-ait plus de savoir où
s'attroupaient secrètement les monstres ; ils entraient dans le
sanctuaire des lois , le déparlement était à la barre , et l'Huilier
qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, n'a cessé de demander
ma tête, prolest.ait pieusameut que cette insurrection étuit toute
morale.
MÉMOIRES DE GARAT. 377
Les paroles et l'accenl de Lanjuinais élnient d'un homme dont
l'ame élaii déjà tiès-élevce pat- h graiidf ur disdan;;ers, el dans
celle séance el dans les suivantes lous les mois qui lui échap-
p:iîent prouvaient que la vertu et le malheur Ênnt Us sources du
beau el du sublime. Lanjuinais , si sa mémoire a conservé comme
la mienne ce souvenir, confirmera ce que je raconte; et sprès
une année de crimes el de calamités, telle qu on n'en découvre
pas dans toute l'Iiisloire de l'espèce humaine une auire qu'on
puisse comparer , une des consolations que je compte pour mon
ame, c'est de me faite entendre aujouid hui à l'ame de Lanjui-
nais : je vais donc lui répondre à travers les douze mois de sang
et de ruines qui nous sépurenl de sa question : Oui, Lanjuinais,
c'eut le café Corazza ; vous l'avez i{;noré peut-être dans les ca-
vernes où vous avez cherché un a>ile; m;.is ici, dans le triomphe
insolent des factieux , des bourreaux et des échafauds , ce secret
a été révélé par tout le monde : oui, c^est le café Corazza. Dans
les âmes de lous ceux qui étaient mêlés aux comLats des deux
côtés de la Convention, fermentaient toute s les passions qui de-
vaient faire éclater la révolte; mais au café Caruzza conféi aient
presque journellement ceux qui préparaient de loin, qui arran-
geaient la révolte pour l'organiser dans des formes qui ressem-
bleraient à l'insurrection du 10 août. Gusman , Défieux, Proli ,
Chabot, Colloi, étaient les plus assidus à ces conférences, et
Collot , Chabot , Pi oli , Défieux , Gusman , ont été 'es principaux
auteurs^deia révolte du 51 mai et du 2 juin. On imiîa du lOaoïit
jusqu'aux sinjjeries; et de même que Pétion au 10 août fut mis
en charlre privée par les insurgés. Chabot, au 51 mai, fut tenu
en chartre privée à l'évéché par les révoltés. Que d'autres jouis-
sent d'un affreux triomphe, lorsque les expériences des malheurs
rendent un témoignage tardif à la vérité qui a été méconnue et
outragée dans leur bouche; je gémis, je suis consterné et je
m'anéantis dans le néant de la prudence et de la prévoyance hu-
maines !
Tandis que je cherchais partout un comil à dit d'insurrection,
et que je le demandais un jour au comité de défense générale,
37S lOCLME.NS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
composé en grande partie des membres du côté droit , un mem-
bre de ce comité me dit: Je m'étonne que vous cherchiez avec
tant de peine et si peu de fruit le comité d'insurrection, il est dans
les sections de Paris, il est dans les Jacobins.
Je fus étonné, je l'avoue : je ne l'aurais pas été du tout si on
m'eut dit que les germes, les fermens et les instrumens des in-
surrections étaient dans les Jacobins et dans les sections : je sa-
vais qu'en penser, et on savait ce que j'en disais : mais qu'un
membre de la Convention et du comité de défense générale m'as-
surât , au milieu de beaucoup de ses collègues , que par le comité
dit d'insurrection, dont je devais sceller les papiers et les regis-
tres, dont je devais arrêter les membres, c'était la société popu-
laire des Jacobins et les sections de ia Commune de Paris qu'on
m'indiquait; je ne pouvais le comprendre; je ne pouvais revenir
de ma surprise : je pensais que c'était là une de ces assenions
échappées à la chaleur et à l'irréflexion de la parole.
Le même jour , ou le lendemain , je reçois un paquet ; dans ce
paquet était un billet de quelques lignes et plusieurs feuilles d'un
journal. J'ouvre le billet et j'y lis ces mots :
« J'envoie au citoyen Garât un journal où il verra le foyer où
» se prépara le complot d'assassinat des membres de la Conven-
» tion. Ou c'est l'évidence, ou rien ne sera évident. Je rappelle
» au citoyen Garât que la postérité est là qui l'attend pour le ju-
» ger sur sa conduite dans cet événement. Une foule de preuves
I sont sous sa main. >
Je parcours les feuilles, et j'y trouve les extraits de quelques
discours improvisés avec une grande violence aux Jacobins, par
Lejeune, par Garnier, par BeuiaboUe, par Legendre.
Je commence à croire qu'on veut sérieusement me faire pren-
dre les Jacobins , et un grand nombre de membres de la Conven-
tion nationale pour le comité, dit d insurrection, dont il m'était
ordonné de faire mettre les membres en état d'arrestation.
Ti'ès-peu de jours après paraît une brochure d'un membre de
la Convention , qui ne devait plus me laisser aucun doute là-des-
UÉMUIRËS fiE GARAT. 379
sus: il désignait formellement les Jacobins, leur rue, le lieu de
leurs séances.
Le membre du comité de défense générale, c'était Guadet; l'au-
teur du billet, c'était Brissot; et l'auleur de la brochure Louvet.
De ces trois représentans du peuple, les deux premiers ont
péri indignement sur l'échafaud ; le dernier n'a échappé aux as-
sassins que par une suite de miracles.
O vous qui survivez à tant d'innocentes victimes, qui réunissez
sur vous l'intérêt que tous les siècles attacheront à leur mort, et
celui qu'ils attacheront à vos dangers et aux malheurs de la ré-
publique naissante, c'est donc avec vous seul que je puis entrer
aujourd'hui dans l'examen d'une opinion que tous les trois vous
avez partagée! Je l'ai aperçue et sentie comme il convenait celte
réserve délicate qui , dans l'histoire de vos malheurs, vous a em-
pêché d'adresser un seul reproche à un homme contre lequel des
circonstances, jamais éclaircies, pouvaient vous inspirer beau-
coup de ressentimens. Je vous conjure donc , et avec la certitude
que vous ne rejetterez point ma prière , je vous conjure de ne
vouloir pas vous servir de tout ce que vous avez souffert, pour
ajouter une autre autorité que celle de la raison à ce que vous
avez pensé ; songez que dans la personne même de quelques
hommes, dont la vieet'la mort ont révélé et inspiré de nouvelles
vertus au cœur humain, de grandes douleurs ont servi à consa-
crer suHiïa terre de grandes erreurs; songez que, plus qu'un
autre, vous êies obligé, pour le reste de vos jours, à ne rien
croiîe qui ne soit vrai , à ne rien dire qui ne soit digne de vos au-
gustes malheurs ! La plainte que j'aurais cru la plus légitime, ja-
mais je ne vous l'aurais adressée quand vous étiez dans l'itifor-
tune: je combatirai ({uelques-unes de vos opinions aujourd'hui
que vous êLes dans la puissance : le monde entier, le genre hu-
main et toutes ses destinées appartiendi aient à l'erreur , aux res-
sentimens, aux vengeances et au génie de la disiruclion , si , de
temps en lenips, il ne se rencontrait sur la terre des anies assez
éclairées et assez généreuses pour calmer les passions même de
la vertu.
380 BOeUMENS COMPLÉMFNTAIRES (1792-1793).
Je le demande donc et à Louvet, et à tous ceux qui jettent les
yeux sur ces li{;nes, quand la Convention naliona'e me parlait
d'un comité dii d'insurrection , pouvais-je entendre qu'elle me
parlait de !a société des Jacob'ns? Quand les choses auraient élë
synonymes, en quelque sorle, les moisaloîs l'éiaient-ils? La so-
ciéié d(S Jacobins avait-elle chargé ce titre, qui dès-lors é(ait
assez lerrible, en celui de comité d'insurrection? et ses amis ou
ses ennemis lui donnaient-ils un autre nom que ce nom de Jaco-
bins, sous lequel les uns croyaient la rendre assez digne de res-
pect , les autres assez digne de Imine?
Si, à cette époque, il est arrivé quelque chose de semblable
dans Paris, je <;onfesse que je l'ai profondément ignoré.
Quand ce changement de dénomination eût été réel dans quel-
ques lieux et pour quelques personnes , en élait-ce assez pour en
faire la désignation d'un décret, d'un ordre de sceller des regis-
tres, et dairèler un grand nombre d'hommes? N'aurait-il pas
fallu encore qu'un tel changement de mots eût été universelle-
ment connu et convenu? Enlin, si c'était là l'intention du décret,
pourquoi ne pas l'énoncer par ces mots qui se présentaient si na-
turellement : le comité d'insurrection dit société des Jacobins 't Ce
décret arriva aux bureaux de la justice le 14 mars, je crois, vers
les dix heures du soir. Je suppose que dans la nuit j'eusse fait
mettre en état d'arrestation tous les membres des Jacobins ; et
parmi eux Robespierre, Danton, Legendre, Benlabolej^Fréron,
Garnier, Tailien, Camille des Moulins , etc., etc., croit-on , je le
demande, qu'une insurrection terrible ne se serait pas élevée sur
l'horizon de Paris avant le soleil? Et peut-on croire que cette in-
surrection n'aurait pas paru un peu pins légitime que celle du
51 mai? Le sang eût coulé par torrens; et alors, ce n'est pas à
ceux qui l'avaient provoqué qu'on aurait attribué tous ces crimes
et tous ces désastres; on les aurait imputés au ministre insensé
qui , lorsqu'on lui ordonnait d'arrêter les membres du comité
d'insurrection , aurait imaginé de faire arrêter les membres de la
société des Jacobins.
Mais, que dis-je, arrêter? et quelles forces m'étaient confiées
MÉMOIRES UK GAhAi. 581
pour h'we de semblables arrestations? Qui peiii ignorer qu'à
celte époque les décrets d'arrestations , surtout ceuK qui exi-
geaient quelque déploiement de force armée, ne s'exécutaient
et ne pouvaient s'exécuter que par la Commune de Paris, Pa-
che et Chaumelte auraienl-ils fait arrêter les Jacobins et la Mon-
tagne ?
Je le croyais aussi aux Jacobins, non pas le comité, mais le
génie ou plutôt le démon de l'insurrection, mais, s'il était déjà
nécessaii e d'en arrêter les registres et les membres , d'en i^rmer
les portes, une telle motion, à cette époque, exigeait assez de
courage et de magnanimité pour être digne des représenians les
plus intrépides de la France. Pourquoi donc celte motion ne
fut-elle pas faite par Guadet , par Louvet , par Bi issol , qu'on ne
peut pas accuser d'avoir manqué de la bravoure que doit avoir
un lé[;islaieur révolutionnaire? Quand, dans ces derniers jours,
la motion de fermer les Jacobins a dû et a pu être faiie, a-t-on
craint de prononcer leur nouî , où est-ce sans prononcer leur nom
qu'on est allé poser le rocher de la République à l'entrée de celte
caverne, où des cyclopesà demi-nus amassaient tous les vents,
forgeaieiit tous les l'oudres sous lesquels était prèle à disparaître
la République étonnée et tremblante? Mais, puisque après lant
d'oi)pression et de silence, nous sommes aiiivcs à ces temps
dont parle Tacite, où on peut seniir tout ce qu'on veut, et dire
tout ce qu'on sent, j'ajouierai qu'au 15 mars 1795, des menjbres
delà Conveiition, quels qu'ils lussent, en faisant la inoiion de
mettre les scellés sur les registres des Jacobins, ci d'en faire ar-
rêter les membres, n'auraient fait qu'accélérer , par une horrible
convulson , le moment do cette révolte qu'on a appelée linsur-
rectioii du 51 mai. La démocratie naissante chez un grand peuple
<Jui a vécu des siècles sous les rois, a des vices qui paraiisenldes
vertus , jusqu'à ce qu'on soit universelleuienl épouvanté de leurs
excès. El avant d'an iver à ce comble des fureurs et des horreurs
qui conige d'une manière si terrible ceux qui jcsieni, ce n'est
qu'en faisant entrer la dcmociatie avec des ménagcmens pjol'unds
sous le régiuie sévère d'un gouvernement puissant, qu'on iem-
."582 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (179:2-1793).
pêche d'êlre élernellement une dëmajifogie i'olle , atroce et des-
tructrice. Combien de fois je Yvi dit à Brissot! Plusieurs fois ii a
paru in'ëcouier avec recueilkment, avec émotion; le lendemain
je voyais dans sa feuille qu'il ne m'avait pas entendu.
C'est une chose inévitable, quand les passions conduisent les
événemens, que les événemens, à leur tour, irritent et enflim-
ment les passions. Ce sont de grands drames, en quelque sorte,
qui se jouent sur la terre, et dans lesquels les événemens enfantés
par les passions, et les passions développées par les événemens,
accélèrent et précipitent leur marche vers des catastrophes où les
principaux acteurs périssent, où l'action s'arrête sur la scène
inondée de sang, jusqu'à ce que d'autres personnages soient en-
traînés par d'autres passions à d'autres drames, et par d'autres
drames à des dénoûmens éj^alement funestes.
A la suite du 10 mars, une mesure que les circonstances ren-
daient nécessaire, et qui fut prise par la Convention, jeta dans
son sein et dans le sein de la France , de nouvelles causes de dis-
sension. On voulut lever de nouvelles forces , on voulut qu'elles
fussent proportionnées à la grandeur de la république, de ses
moyens , de sa cause, et pour exécuter cette levée de nouveaux
défenseurs avec plus de rapidité , on arrêta que des représentans
du peuple iraient dans tous les départemens jeter, non pas le cri
d'alarme , mais le cri de patriotisme , de guerre et de gloire.
Le plus grand nombre de ceux à qui on donna cette éclatante
mission furent choisis dans la Montagne : et ces choix qui prou-
vaient peut-être, sa puissance, l'affaiblirent.
La Montagne dégarnie ne put plus disputer la majorité.
D'un autre côté, un très-grand nombre de ces députés monta-
gnards, en se répandant dans toutes les parties de la République,
y trouvèrent des esprits aigris contre eux, des âmes aliénées:
ils attribuèrent cette réception à la correspondance des membres
du côté droit avec leurs départemens ; et ce qui était vrai peut-
être de quelques uns, on l'affirma de tous.
Dans leurs lettres, les députés montagnards ne se plaignirent
pas seulement d'avoir été mal reçus, ils accusèrent le coté droit
MÉMOIKES DE GARAT. 385
de leur avoir ôté les moyens de remplir la mission dont le succès
était nécessr.ire à la défense et au salut de la République.
Le ressentiment , qui eut toute la violence qu'il reçoit des inté-
rêts personnels, eut donc aussi les moyens d'éclater sous les
dehors imposans des intérêts de la patrie.
La moniagne devint furieuse, et elle était faible. On redouta
d'elle quelque entreprise terrible.
Dès-lors les Jacobins furent plus menaçans , la Commune plus
hardie, et les sections plus orageuses : à la Commune et aux Jaco-
bins , quoiqu'il y eût des scélérats et des hommes de bien , il n'y
eut qu'un esprit ; dans les sections il y en avait deux : le bon
s'essayait à prendre la prédominance ; mais le mauvais la répre-
nait toujours. On était trahi , et les furieux faisaient croire aisé-
ment que dans la Convention les habiles étaient les complices des
traîtres; et les habiles , qui auraient dû comprendre combien il
importait pour leur salut, et pour le salut de la chose publique,
d'être prudens et sages, étaient indignés.
De toutes parts on se parlait à l'oreille, on se faisait des con-
fidences, ou de quelque grand complot, ou de quelque grand
acte judiciaire qu'on préparait.
Enfin, le bruit se répandit d'un complot plus criminel que
tous les autres , et arrête dans le lieu même où étaient les magis-
trats et les forces chargées de surveiller et de réprimer tous les
crimes.
Alors Barrère proposa la commission des douze , et l'influence
du côté droit en élut dans son sein tous les membres.
Il le faut avouer : elle était tout-à-fait révolutionnaire, dans le
bon sens de ce mot, l'idée d'une commission destinée à réprimer
dans une république naissante les excès de la démocratie , à con-
tenir la révolution pour la maintenir , à l'arrêter pour l'achever.
Mais dans les maladies du corps politique, comme dans celle du
corps humain, c'eijt lorsqu'il y a une grande force dans le remède
qu'il faut l'administrer avec une grande pru lence. Un seul coup
bien porté pouvait réprimer toutes les fureurs, plus-eurs coups
frappés avec précipitation pouvaient rendre toutes les fureurs
584 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795).
plus audacieuses. Djns le premier cas, on fait sentir que l'auto-
riié et la libsrté c'est la même chose; dans le second cas, on fait
crier que l'énerjjie du gouvernement est de la tyrannie.
La liste des douze montra beaucoup de vertus ; elle ne montra
pas , aux yeux de leurs amis même, autant de sagesse.
Par ses [iremières opérations, la commission jeta dans les pri-
sons de l'Abbaye le président d'une section, et le premier
substitut du procureur de la Commune; elle manda Chaumette ;
elle menaça Pache.
Avec le bruit de ces arrestations , se répandit^e bruit de la for-
mation d'un autre tribunal que ce!ui qui venait de renvoyer Ma-
rat en triomphe, et le bruit encore que la Convention nationale
allait être épuré par le glaive des lois , puisqu'elle n'avait pu être
épurt'e par un scrutin.
Les douze laissèrent échapper peut-être quelques-unes de
ces menaces ; ceux qui et dent menaces les exagérèrent : ils cru-
rent à l'attaque pour se créer les moyens de la défense.
Dès- lors on n'appela plus la commission les douze, mais les dé-
cemvirs; et avec ce mot, qui souleva , il y a trois mille ans, le
penj)!e de Rome, on soulevait la multitude de Paris.
Je lus appelé par la commission : j'écrivis sous ses yeux , et je
signai tout ce que je savais de ce qui s'était passé à la Maire,
Tout ce que je reçus de dénonciations , de soupçons , d'alarmes.
Je les lui communiquai, sans atiendie qu'elle m; l s demandât.
Le 26 mai, à une heure et demie de la nuit , on vient me dire à
rintérïeur, qu'un grand mouvement se prépare à la porte Saint-
Bernard ; que des femmes sont à la tête, mais que des hommes
armés les aiîcomnagnent. Je fais partir à l'instant deux gendarmes
pour m'assur^ r du fait, et je me rends moi-même à la commis-
sion des douze ; je n'y trouve que Rabaud Pommier qui va cher-
cher son fièie : Rabaud de Saint-Etienne vient me joindre une
demi-heure aprè^ au comité de sa'ul public. J'étais sur dès-lors,
par le rap.poit des gendarujes , que ie mouvement de la porte
Saiî.l-B^rnard néiait lien ; mais j'étais trop sûr aussi que des
mouvemens plus réels allaient suivre celte rneuuce. J'étais lié
MÉMOIRES DE GARAT. 385
avec Rabaud de Saint-Éiienne ; j'aimais sa personne , j'estimais
sa philosophie. Je savais qu'une imagination fertile et brillante le
disposait à voir entre les faits et les faits plus de liaison et de
rapports qu'il n'y en avait quelquefois ; mais je savais aussi qu'il
aimait la vérité; qu'il avait exercé sa raison à la discerner et à la
reconnaître.
Là j'eus avec Rabaud de Saint-Etienne une conversation très-
longue et très-intime. Je ne lui dissimulai point que je trouvais
beaucoup d'imprudence et de danger à laisser à la Commune la
disposition de toutes les forces de Paris, et à faire arrêter l'un des
officiers municipaux presque dans son sein : oubliez-vous, lui dis~je,
que nous sommes dans des temps où l'on ose tout ce qu'on peut y
et où l'on a de beaux noms pour honorer tout ce que l'on ose? Oa
m'a montré à la commission un passage affreux d'une feuille
d'Hébert, que je n'ai jamais lu : mais ce passage qui est affreux,
ne l'est pas plus que cent passages de ce Marat, qu'un tribunal
vient de renvoyer la tête couronnée de lauriers , au rang des lé-
gislateurs. Sans doute si nous étions sous le règne des lois, Marat
devrait être au moins où vous avez mis Hébert; mais croyez
qu'il est trop dangereux de mettre Hébert à l'Abbaye, quand
Marat esta la Convention. La multitude, quand elle couronne
l'un de lauriers , ne pourra souffrir que l'autre soit dans les chaî-
nes. Il y a quelques jours, les gens raisonnables, les sages et
bons amis de la liberté, prenaient le dessus dans les sections ;
depuis ces arrestations, les hommes violens, les furieux ont re -
pris leurs emportemens et leur ascendant. Je trouve autant que
personne très-nécessaire que force reste à la loi ; mais pour que
la force reste à la loi, il faut que la loi commence par avoir la force.
Vous l'avez donnée à la Commune; retirez-la-lui donc, si vous
ne voulez pas que force, aulieu derester à la loi, reste à la Com-
mune. Nous avons accoutumé les esprits à l'idée d'une liberté il-
limitée de la presse; nous avons ri à l'Assemblée constituante
quand le peuple a été invité, par son ami,ix pendre huit cents
d'entre nous aux arbres des Tuileries; et tout à coup, lorsque
nous n'avons encore aucune bonne loi sur cet objef , sur Icijuel
T. \vin.
^')
586 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
nous avons débité cent folies, vous arrêtez un homme , parce que
cet homme a imprimé une feuille, qui n'est pas plus atroce que
cent autres, dont les atrocités nous ont fait plus rire qu'elles ne
nous ont fait horreur. Avant de faire de grands actes de gouver-
nement, il faut avoir un gouvernement ; et ce moment, où vous
êtes en majorité, serait mieux empbyé, ce me semble, à orga-
niser en Silence, et sans jeter l'alarme dans le camp ennemi, la
puissance exécutrice avec laquelle vous mettrez aux pieds de la
loi ou sous ses pieds, tous les brouillons et tous les scélérats.
Rabaud de Saint-Etienne me protesta qu'il s'était opposé de
toutes ses forces à l'arrestation d'Hébert; que comme moi il l'a-
vait jugée dangereuse; depuis, Fonfrède et Vigier m'assurèrent
qu'Hébert avait été arrêté également contre leurs avis. Je laissai
Rabaud de Saint-Etienne très-persuadé que , lorsqu'on n'a point
la force , il faut déployer l'autorité avec succès et avec majesté.
Le lendenuin matin je tins le même langage à Fonfrède , qui ,
quoique beaucoup plus jeune et beaucoup plus impétueux, me
parut également pénétré de la vérité de ces observations.
Ce jour-là même, c'est-à-dire, le 27 mai , de grandes scènes
devaient éclater et amener contre la république de grands mal-
heurs , contre moi d'horribles calomnies.
En sortant du conseil exécutif , entre quatre et cinq heures de
l'après-miJi, je n'avais rien vu iiulour de la Convention qui an-
nonçât du mouvement, et qui fit craindre aucun attentat : à six
heures et demie , à peu près , je dînais , j'étais seul avec mon ne-
veu : l'un d( s citoyens, dont les observaiions me rendaient compte
de l'état de Paris , à celte époque, et l'un de ceux dont la cor-
respondance était constamment favorable à tout ce qui était en fa-
veur du côté droit, vient me dire tout en alarme que la Conven-
tion est dans le plus grand danger, qu'elle est ass'égée par une
foule immense et par une force armée ; qu'on a crié autour des
canons, aux armes; (ju'on parle d'égorger les appelans au peu-
ple , et que tout annonce un combat et un carnage. Je n'étais
point appelé par la Convention , mais lorsqu'on me parle d'un
MÉMOIRES DE GARAT. ôS7
grand danger qu'elle court, je crois que c'est dans son sein qu'est
mon posie , et je m'y rends.
En traversant les Tuileries, j'aperçois des groupes, mais ni
en très-grand nombre, ni très-nombreux, ni très-lumultueux.
Au grand escalier et à la porte du salon de la Liberië, je vois
une foule très-grande et très-agitée , qui se presse autour de la
porte, mais sans aucune arme, au moins visible.
En entrant dans les cours du palais national , je vois au-dessus
des canons les mèches allumées, et une force armée assez consi-
dérable, qui longeait et se promenait le long de la façade du
palais, en face du Carrousel. A cette vue je ne doutai point que
la Convention ne fût assiégée en efft^t; et tant derégulaiitédans
un mouvement si criminel me fit croire que le mouvement avait
des chefs.
Je rencontre Liddon , qui me dit qu'il a e\x beaucoup de peine
à se faire un passage, et qu'il a été menacé. Liddon allait à la
commission des douze; j'y monte avec lui; et en même temps
arrivent et montent avec nous, Piiche, qui élait mandé, Des-
tournelle et quelques membres de la Commune. Là il y eut entre
quelques officiers municipaux et un ou deux membres des douze ^
de ces paroles qui enflani;nent plus les passions qu'elles n'expli-
quent les choses. Il y eri avait une que je voulais principalement
savoir, et savoir sans aucun doute : c'était par les ordres de qui
avait été appelée la foi ce armée que j'avais vue le long du palais,
et à la disposition de</ui elle était. Liddon me protesta qu'il n'en
savait rien; Pache me lit entendre qu'il avait signé la réquisition,
mais qu'il n'avait pas été libre de la refuser, llabaudde Saint-
Etienne, qui avait l'air épuisé de fatigue, eiqui prenait un bouil-
lon , ne répondit rien à ma question, parce qu'il avait à répon-
dre à d'autres interrogations qui lui étaient f ailes en môme
temps.
Cependant on venait nous rapporter que la fermentation crois-
sait à chaque instant au-ledans de la Conven lion et au-dehors.
Pache se rend à la barre, et je me dcteriuine à entrer d.ms la
Convantioo , pour mieux juger de son étal dans sou in lérieur.
388 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (4792-1793).
En traversant les cours, nous passions le long de la file de la
force armée ; j'entendis plusieurs de ceux qui étaient sous les ar-
mes dire en riant : Ah! ah! voilà ces vilaines écharpes. Un peu
plus loin j'entends ces propres paroles : Commeni Garai peut-il
aller avec ces coquins ! A l'extrémité de la force armée il y avait
quelques hommes qui n'étaient pas sous les armes, et un plus
grand nombre de femmes. Là les officiers municipaux ne reçurent
plus d'injures ; ils reçurent des bénédictions. Lu on disait: Voilà
nos bons pères quipassenl.
Avant de pénétrer dans la Convention , nous nous arrêtâmes
un instant avec des membres du comité des inspecteurs de la
salle : toujours je demandais des éclaircissemens sur la nature et
les intentions de cette force armée, unique chose, parmi toutes
celles que j'avais vues, que je pusse redouter beaucoup pour la
Convention; et avant d'entrer dans la salle, les éclaircissemens
que je reçus furent complets ; il ne put plus me rester aucun
doute là-dessus.
A peine j'entre dans la Convention , qui avait l'air d'un champ
de bataille où deux armées sont en présence, qu'on demande
pour moi la parole que je ne demandais point.
Qu'est-ce qu'on voulait savoir de moi , et que devais-je dire?
Je n'en savais rien.
Sans réflexion , par des mouvemens Irès-indélibérés, et dirigés
uniquement par cette force secrète qui porte nos idées et nos pa-
roles sur les objets et sur les senlimens dont nous sommes pro-
fondément occupés , je parle d'abord à l'assemblée des causes les
plus prochaines de l'agitation qui régnait; je lui présente, comme
la première et la plus puissante , le bruit répandu d'un complot
formé à la Mairie de faire égorger les vingt-deux , et de publier
qu'ils avaient émigré ; j'assure à la Convention que, en effet, des
propositions atroces ont été faites à la Mairie, une première fois ,
en l'absence du maire ; qu'elles ont été reproduites une autre fois
en sa présence; mais qu'il les a repoussées avec indignation, et
qu'elles ont été couvertes de toute l'horreur qu'elles méritaient.
Je conjure la Convention de considérer que des propositions exé-
MÉMOIRES DE GARAT. 589
crables^ mais rejetées avec exécration , ne sont pas plus un com-
plot affreux qu'une motion affreuse n'est une loi détestable;
j'insiste surtout pour qu'on ne répande pas l'horreur d'une pro-
position atroce sur l'homme précisément par qui elle a été prin-
cipalement repoussée.
J'affecie ensuite de parler en même temps de la puissance de la
Comnmne et de l'arrestation d'Hébert; jétais'sùr par là de reveil-
ler , dans l'esprit de beaucoup de membres du côté droit , les
souvenirs de beaucoup de vérités que je répétais sans cesse.
Ce n'était pas à un ministre à dire, sansaucun voile, qu'il fal-
lait réformer l'organisation de la Commune; on eut cru qu'il at-
tentait aux droits du peuple et de l'homme, et , pour paraître un
agent de la tyrannie , il n'aurait pas même eu besoin du nom de
ministre.
Ce n'était pas à un ministre à dire , sans aucun ménagement, à
la Convention : Ce sont vos propres décrets qui ont élevé auprès de
vous ce colosse qui vous menace. Mais voici ce que je lui disais à ce
sujet, et on va voir que, si je le lui disais avec beaucoup de mé-
nagement , je le lui disais aussi avec assez de clarté.
« Citoyens, je conjure la Convention nationale d'écouter ce que
je lui dis avec bienveillance; il est impossi -le d'avoir des inten-
tions plus pures. L'une des causes de toutes les fermentations ac-
tuelles, c'est l'opinion qui s'accrédite que la Commune de Paris
veut marcher, rivale d'autorité et de puissance ,. avec la Conven-
tion nationale ; et on en regarde, on en cite, comme des preuves,
les troupes et les contributions qu'elle lève comme elle juge con-
venable; et, en effet, lever des contributions, lever des troupes,
ce sont là de véritables actes de souveraineté. Mais j'ai peur ,
citoyen président, que la Convention nationale iv'Arr oublié elle-
même la succession de ses décrets et leurs résultats! C'est elle,
c'est la Convention nationale qui a donné , en exemple et en mo-
dèle à tous les corps administratifs de la France , le fameux ar-
rêté du déparlement de l'Hérault. Eh bien! cet arrêté, c'est un
véritable acte de souveraineté ! Par cet arrêté, le département de
l'Hérault a levé six mille hommes, a levé six millions. La corn-
590 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1795).
mune de Paris , en exerçant les actes souverains qui n'appartien-
nent esseniiellement qu'à la Convention, n'a donc point usurpé
de pouvoirs , elle n'a fait qu'exercer ceux qu'elle a reçus de la
Convention elle-même. »
C'est imméd atement après ces paroles que je parle de l'arres-
tation d'Hébert.
Je déclare que je n'ai aucune connaissance personnelle de ce
substitut du procureur de la Commune; mais que Pache et d'Es-
tournelle m'ont assuré que, dans ses fonctions de subsiiiut, ils l'ont
vu irréprochable. Je déclare que je ne connais point ses feuilles du
Père Duchesne, que je ne les lis point, que je trouve ce langage
indigne dun homme, et, par conséquent, d'un magistrat, que
j'ai naturellement une grande aversion pour tous ces écrits où
ion parle de liberté dans un langage qui n'est pas celui
de la plus pure morale. Ici, comme j'allais rapprocher les
excès du Père Duchesne de tant d'autres excès du même genre,
de lant d'autres provocations sanguinaires, dissimulées par des
légis'ateurs en faveur de la liberté indéfinie de la presse, el pro-
tégée par des légis'ateurs même, en faveur Je suis interrompu
par un grand mouvement et par des voix qui criaient : // fait
l'éloge du Père Duchesne Je laisse passer le mouvement et je
reprends la parole en ces termes, ayant vis-à-vis de moi Marat,
qui était debout au bas du président et des secrétaires :
t II faut que mes paroles aient été bien mal comprises... A-t-ea
pu croire que j'entreprenais l'apologie ou la défense de ces in-
fâmes écrits où on propose le meurtre comme un moyen d'assu-
rer el de consolider la liberté ; où , pour rendre le peuple libre ,
on veut le rendre furieux Et moi aussi j'ai fait un journal;
j'en ai écrit un durant des époques de la révolution où toutes les
passions étaient déjà portées aux plus grands excès. Je n'y ai pas
écrit une ligne que je ne doive me féliciter d'avoir écrite quand je
serai sur les bords de ma tombe Toutes les pages y respirent
au moins la morale d'un ami de l'humanité. Cette morale sortait
tous les jours de ma plume , parce quelle était dans mon cœur, f
Après ces considérations générales sur les causes de l'état où
UÉMUIRRS DE GARAT. 391
on était, j'arrive à cet e'iat même, je le décris comme je venais de
le voir en parcourant tous les entoiirs de la saile. Je dis, en
propres termes , que la porte placée à {^auclie du président pou-
vait élre obstruée et fermée par une foule de citoyens que j'y ai
vu amoncelés ; mais qu'à celle qui est à sa droite, et par laquelle
je viens de passer , les entrées et les issues en sont libres et faciles.
Je renouvelle une proposition que j'avais déjà faite à la commis-
sion des douze; je propose que la Convention tout ent'ère, les
membres du côté gauche mêlés à ceux du côté droit, se présente
au peuple , et je garantis que le peuple s'ouvrira avec respect de-
vant elle pour lui faire un passage et deux remparts; en assurant
qu'il n'y a aucun danger, je m'offre, au cas qu'il put y en avoir,
à m'y exposer le premier , c'est-à-dire que j'offre ma vie en ga-
rantie de mes paro'es.
C'est la même proposition qui , renouvelée et exécutée au 2
juin, où la représentation nationale était réellement assiégée, eut
le succès que j'en avais promis, la fit respecter et honorer un
instant au milieu des canons et des baïonnettes, et aurait eu un
autre succès encore si la représentation nationale n'était pas ren-
trée dans le lieu de ses séances.
A chaque mot de ce discours improvisé au milieu d'une assem-
blée livrée à toutes les passions du soupçon et de la haine , je
m'abandonnais aux épanchemens des affections les plus tendres
de mon ame. « Je ne vous invite point, disais-jeaux deux côtés, à
déposer ici toutes vos haines dans un moment de réconciliaiion.
Une telle proposition serait puérile et presque ridicule; mais je
vous conjure tous, au nom de la république que vous aimez éga-
lement, de considérer que toutes ses destinées sont dans vos
mains, et qu'un seul éclat de vos passions peut la perdre ; une
seule goulie de sang versée dans cette enceinte en ferait verser
des lorrens dans la république. >
Combien il était facile de le prédire , hélas ! et combien l'ac-
complissement a passé toutes les prédictions !
Tandis que je parlais, j'entendais dire du côté gauche : Ce sont
ces douze qui sont douze scélérals; c'est celle commission qui est
392 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1795).
une commission comme celles du cardinal Richelieu. Il s'en fal-
lait beaucoup que ce fût là mon opinion , et , pour qu'on ne le
crût pas, je voulus à l'instant même la combattre.
« Je vais finir, ajoulai-je, par quelques considérations sur la
commission des douze. En conférant avec tous ensemble , et avec
chacun d'eux en particulier, avec cette confiance, avec cette inti-
mité qui ouvre les âmes et en laisse échapper les secrets , j'ai cru
voir en eux un mélange extraordinaire de soupçon contre les
hommes qu'ils n'aiment pas ; de terreur dont leur imagination
est frappée pour la chose publique ; de désir de se montrer avec un
grand courage; de paraître rendre à la république un grand service,
et que c'est tout cela qui les a jetés dans des erreurs qui me sont
incompréhensibles. Ce sont des hommes de bien ; mais la vertu
même a ses erreurs, et ce ne sont pas les nioins dangereuses.
Vous savez, citoyen président, vous qui êtes aussi membre de
cette commission des douze ; vous savez que c'est ainsi que je
vous ai parlé à vous-même, l.e langage que je tiens ici ne doit pas
vous paraître nouveau , et l'estime que je vous témoigne ici n'est
pas une estime simulée avec un but honnêteet pour calmer des res-
sentimens qu'on cherche à étouffer ; non, c'est un sentiment vrai
et sincère de mon cœur. »
Quand la calomnie a perdu contre moi toute pudeur, il ne
m'est pas ordonné seulement de dire tout ce qui me justifie; il
doit m'être permis encore de dire ce qui m'honore. J'ajouterai
donc qu'à l'instant où j'entrai dans la Convention on vint me dire
que le côté gauche allait faire feu sur le côté droit , et tomber sur
lui b sabre à la main. Je ne le crus point du tout ; mais il était pos-
sible de ne pas le croire et de le craindre ; et , dans cette crainte ,
ce fut au côté droit que j'allai me placer , et non pas au côté
gauche. Les membres du côté droit étaient loin de soupçonner
alors qu'un homme qui partageait si peu leurs passions voulait
pourtant partager leur sort. Cependant j'ai lieu de penser qu'il
y en avait quelques-uns qui ne le soupçonnaient pas seulement,
qui le savaient ; mais...
C'est ce discours, dont l'unique objet et le but unique furent
MÉMOIRES DE GAKAT. 393
de calmer les haines et les violences, qui a surtout allume contre
moi les plus violentes haines; c'est dans ce discours où Ton voit
un soin si scrupuleux à dire toutes les vérités, sans en dissimuler
et sans en exagérer aucune , à prononcer formellement celles que
la passion cache , à renfermer dans leurs bornes précises celles
que la passion exagère; c'est ce discours qui a fait élever contre
moi les calomnies les plus folles.
Dès le lendemain , dans une multitude de feuilles , je fus dé-
noncé à la république comme le complice de tous ceux qui avaient
conspiré, qui conspiraient et qui conspireraient contre elle; parce
que je m'étais rencontré avec le maire, on affirma que j'étais venu
avec lui; parce que la nuit précédente, je crois, une patrouillle
arrêta ma voiture comme j'allais à la Commune, on affirma que
j'y étais allé pour concerter et le siège de la Convention et le dis-
cours où j'avais voulu prouver qu'elle n'était pas assiégée ; parce
que j'avais présenté avec quelque facilité des idées qui m'occu-
paient sans cesse, et avec quelque chaleur d'expression des sen-
limens qui remplissaient mon ame, on en conclut et on assura
que mon discours était étudié. Des hommes , dont la situation et
les dangers m'occupaient nuit et jour , mirent en usage, pour me
décrier , pour me flétrir , toutes ces liaisons d'idées et de faits qui
me paraissent si incompréhensibles à un esprit calme et froid, et
qui sont si natuielles à des esprits passionnés , toute cette logique
désastreuse avec laquelle ont été dressés ensuite les actes d'accu-
sation qui les ont conduits eux-mêmes à l'échafaud!
Eh ! que voulaient-ils donc que je disse lorsque eux-mêmes
avaient demandé pour moi la parole? Voulaient-ils que je disse
que les propositions atroces rejetées à la mairie y avaient été arrê-
tées? Mon esprit ne pouvait pas confondre deux choses si distinc-
tes; et je n'étais pas dévoré des passions avec lesquelles on les
confond et on veut les faire confondre. Voulait-on que je disse que
l'auteurd'une feuille abominable devait être jeté, sans aucune for-
malité préalable, dans les prisons? J'avais trop suivi la révolution
dans toutes ses époques pour ignorer (|ue des écrits aussi sangui
naires, au moins, avaient été non-seulement tolérés, n)ais proie-
594 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
gés, et en parlant je voyais sous mes yeux et parmi les lëjps-
laleurs un homme qui donnait tous les jours les exemples et les
modèles de ces exécrables écriis; ce n'élait pas la détention trop
méritée de l'arrêté qui me touchait , c'était le danger des arres-
tateurs que je connaissais beaucoup mieux qu'eux ; et je croyais
le danger très-grand, lorsqu'une arrestation pour un fait de ce
genre était fcite, la première fois dans la personne d'un membre
d'une Commune à laquel'e on laissait une autoi iié si opposée à
tous les principes , et une force si favorable à tous les grands at-
tentats. Je n'avais le droit ni de rien condamner ni de rien propo-
ser, et je ne proposais, je ne condamnais rien ; mais tout me
persuadait que de très-honnêtes gens, que des legis!aieurs,irré-
prociiab'es dans toutes leurs intentions, étaient entraînés à des
mesures imprudentes, fatales ; et j'aurais cru être, j'aurais été le
plus vil des hommes, le plus coupable des ministres, si je n'avais
montré ou indiqué à ce sujet mes vues et mes appréhensions.
Voulail-on que je disse que la Convention nationale était assiégée
et que les membres du côté droit ne pouvaient sortir de son en-
ceinte sans'tomber sous le fer des assassins? Tout ce que mes
yeux avaient vu , tout ce que mes oreilles avaient entendu, tout
ce que mon ame avait senti, m'assurait le contraire; et la convic-
tion était en moi à ce degré où nous garantissons une conviction
de notre vie, convaincus encore que notre vie ne court aucun
danger.
Ici il y a un fait qui , je crois , n'a jamais été publiquement
ëciairci, et qui doit l'être.
Autour de la Convention , le rassemblement , sans aucunecom-
paraison , le plus nombreux était celui de la force armée. J'avais
bien voulu savoir ce qu'elle était , et pour qui elle était ; et , quoi-
qu'avec peine , j'étais parvenu , non pas à croire , mais à savoir ,
avec une entière certitude , que cette force armée avait été de-
mandée spécialement et avec désignation des sections , par ia
commission des douze : les noms mêmes des sections , d'oîi elle
était tirée, garantissaient qu'elle était là, non pour assiéger la Con-
vention , mais pour protéger la Convention et le côté droit ; je le
MÉMOIRES DK GARAT. 595
savais , et je n'en dis rien : on n'a point cherché à en deviner la
raison. Lorsqu'on a imaginé tant défaits, on n'a pas même songé
à observer ctlui-Ià. Eh bien! je ne suis que trop force à le dire
aujourd'hui : je gardai sur cela le silence, parce que j'éta'S trop
sûr que, si j'avais nommé h s sections qui avaient fourni cetle force
armée , leur nom aurait alors exciié les alarmes el les fureurs de
beaucoup de membres de la Montagne. Celle réserve ne put pas
être d'un ennemi du côté droit de la Convention.
Parmi tant de gens qui pensaient et se conduisaient par leurs
soupçons, il est impossible que je n'aie pas eu aussi quelquelcis
des soupçons moi-même. Je le confesse donc, il s'en est présenté
un quelquefois à mon esprit, et il ne m'a pas été toujours facile
de le rejelei'. J'ai conjecturé quelquefois que des men.bresde la
commission des douze , voyant le côté droit sans cesse menacé
dans les discours des sociétés populaires, aux Jacobins et à la
Commune, ne furent pas fâchés que l'on crût le danger beaucoup
plus réel et beaucoup plus grand qu'il n'était; qu'ils aidèrent à
donner plus de consistance et de force au bruit que la Couvent ion
était assiégée; qu'ils laissèrent prendre la force armée qui la dé-
fendait pour une force armée qui l'a cernait ; et qu'ils crurent lé-
gitime cette politique, par laquelle ils appelaient et mettaient dans
leurs mains une force a^ec laquelle ils protégeraient leurs jours,
ils prêteraient aux lois et à la justice une main assez vigoureuse
pour étouffer les démagogues et l'auarchie.
Si quelqu'un a eu ce but , je proteste que jamais personne ne
me l'a communiqué.
Je déclare encore que , suivant toutes les apparences , j'aurais
refusé d'en devenir l'instrument.
Plus d'une fois, dans le cours de la révolution, j'ai vu des
hommes cjui avaient de la morale, appeler au secours des princi-
pes les plus purs et à l'exécution des mesures les plus légitimes ,
des moyens dans lesquels i'artilice combinait le mensonge avec la
vérité, et pour' déjouer et punir plus sûrement des ennemis cou-
pables , leur prêtaient des crimes qu'iU n'avaient pas commis. Je.
596 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (ITDi-l 795).
l'ai vu ; et tout ce que j'ai pu faire , c'est de fermer, non pas les
yeux , mais la bouche.
Peut-être y a-t-il des circonstances terribles , où la bonne
cause, la cause même du genre humain, s? trouve dans l'alterna-
tive ou de rester exposée , ou de se sauver par de pareils stratagè-
mes ; pfiul-être y a-t-il quelque vérité dans ce que me disait un
jour un de nos plus célèbres révolutionnaires : Vous avez un grand
vice en révolution, c'est de ne vouloir pas vous prêter à une scéléra-
tesse, quand le bien public l'exige. Il riait parce qu'il ne croyait
dire qu'un mot plaisant ; et moi je m'abîmai dans des réflexions
désolantes, parce que je sentis que le mot était profond. Mais
enfin , ce vice qu'il me reprochait, a toujours été en moi incorri-
gible. Toujours j'ai pensé que les moyens et les instrumens doi-
vent être de la même nature que le but ; et que le mal qui peut
faire un instant le bien, le détruit bientôt ou le corrompt au moins
pour des siècles. C'est de cette source que se sont versées et dans
nos évenemens et dans nos lois , et déjà dans nos habitudes tant de
causes de désordres, d'erreurs et de malheurs, dont la liberté de
la France aura tant de peine à se dégager, et qui défigureront
long-temps encore aux yeux des nations , cette image sainte de
la liberté qui devrait être adorée de tous les mortels à l'instant où
on lève les voiles qui la couvrent. Si donc j'avais reçu de sem-
blables confidences, j'aurais dit: Cherchez un autre ministre: je
puis convenir à votre but; je ne puis pas convenir à vos moyens.
Hélas! je frémis de le dire ; je frémis de le penser. 3Iais il est
possible qu'un ministre qui aurait eu en ce moment moins de res-
pect pour la vérité , aurait détourné par le mensonge ce débor-
dement de crimes et de sang qui a tout ravagé pendant une an-
née entière : la vérité et la vertu peuvent seules faire constamment
le bonheur du genre humain; mais elles stipulent pour ce qui
doit être éternel comme elles: et l'exécution des lois qu'elles
imposent peut déchaîner un instant les passions et les forfaits ,
comme l'exécution des lois de la nature, qui tendent au maintien
de l'harmonie universelle, déchaîne quelquefois les ouragans
qui engloutissent les vaisseaux et ensevelissent les cultivateurs
MÉMOIRES DE GARAT. 597
SOUS les débris de leurs cabanes. II se peut donc que j'aie eu le
tort de ne pas altérer la vérité en faveur des passions qui auraient
été les moins malfaisantes ; mais le grand tort sera toujours à
ceux qui s'étaient arrangés de manière que pour écarter les
malheurs il fallait faire triompher des passions et mentir devant
les lois à une grande nation : mais je n'ai pas eu au moins le tort
de dissimuler la vérité qu'il importait le plus de faire entendre
aux deux côtés : je n'ai pas eu le tort de leur avoir laissé ignorer,
de ne leur avoir pas dit sans cesse que ce n'était pas au -dehors
que pouvaient naître pour eux les grands dangers , mais dans
leur sein. El les catastrophes, en se développant, vont apprendre
si je n'avais pas des motifs de revenir incessamment à ce que je
disais à cet égard.
Jusqu'à présent j'ai été obligé de discuter longuement un petit
nombre de faits : dès ce moment j'en vais rappeler un grand
nombre avec rapidité: les uns sont trop publics pour avoir be-
soin d'être prouvés , et pour les autres, quelques témoins qui
existent sont bientôt interpellés. Pour les plus importans , j'ai
une preuve que mes ennemis n'ont pu et qu'ils ne pourraient
pas m'arracher , même en m'arrachant la vie. Cela est fâcheux
pour eux: mais si tout s'arrangeait commodément pour quelques
hommes dévorés de haine , le monde leur appartiendrait sans
retour ; et ceux qui n'ont jamais voulu y faire que du bien , se
presseraient trop de le quitter.
La commission des douze , qui n'avait pas voulu requérir im-
médiatement elle-même la force armée des sections de la butte
des Moulins, de Lepelleiier et du Mail, en avait ordonné la réqui-
sition au maire: c'était avertir la Commune d'appeler aussi ses
forces , de donner le signal aux sections qui lui étaient plus dé-
vouées. Dès celte nuit même des pétitionnaires de plusieurs sec-
tions se réunissent à la barre de la Convention , pour demander,
comme on commande , la libcrlédes patriotes détenus, et la sup-
pression des douze. Si la Convention nationale n'avait pas été di-
visée en deux partis presque égaux en nombre^ un pareil ton eût
été réprimé à l'instant, comme un attentat à la majesté de la re-
398 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793).
présentation nationale. Mais le côië gauche vit sa force dans ce
ion, et n'y vit pas l'injure faite à tous; et le prëàdenî , qui
n'était plus Fonfrède, mais Hérault de Séchelle, répondit à
l'outrage fait à la nation par cet outrage fait à la raison humaine :
la force du peuple et la raison c'est la même chose. La vie , et sur-
tout la mort de Hérault de Séchelle réveillent des souvenirs plus
honorables pour son nom , et qu'il me sera plus doux de ré-
veiller un jour ; mais quand un trait de sa vie politique l'accuse,
je ne puis non plus que l'accuser. La suppression de la commis-
sion des douze fut mise aux voix sans qu'on lui eût permis de se
faire entendre , et le décret de sa suppression fut prononcé par
le président , sans qu'il fût prouvé du tout que le décret eût été
rendu : dans les paroles tout était violation de la raison , dans les
actes tout était violation des lois et des formes , sans lesquelles
les lois n'existent pas.
Cependant du choc confus de toutes les passions peut sortir
quelquefois une cause et un moment de repos, comme des
chances d'une loterie désastreuse peut sortir un lot qui répare
quelques-uns des maux que fait la loterie. La suppression des
douze, souillée de tant d'irrégularités, quand la nouvelle s'en
répandit dans Paris, produisit un instant de bons effets. Les
membres de la Montagne, qui cessèrent d'avoir des craintes,
cessèrent aussi d'en donner. A la Commune et dans les sections
les plus turbulentes on entendit parler de paix et de repos: le
maire , dont la physionomie n'est pas très-mobile , ne s'empreint
pas beaucoup des affections de son ame, respirait un contente-
ment doux , comme un homme qui sort de crainte pour la chose
publique et pour lui-même.
Il paraîtra étrange de le dire , mais il est très-vrai pourtant
que les agitateurs , que ces hommes si dangereux auxquels les
douze avaient voulu se rendre redoutables, furent les seuls qui
se monirèren affligés de sa suppression. Elle leur enlevait tous
ces mots d' oppression , de tyrannie, de droits violés , tous ces lër-
mens populaires avec lesquels il est si aisé de soulever les flots
mobiles d'une démocratie qui n'a point de gouvernement encore.
UÉMOIRES DE GAR\T. 599
Si j'avais pu croire à la solidité d'un bien opéré par la subversion
de tous les principes , j'aurais conçu aussi l'espérance du retour
de la paix publique. Malheureusement les députés du côlé droit
voyaient très-peu ce qui se passait dans Paris , et sentaient très-
vivement ce qui se passait à la Convention. Ils ne s'occupèrent
donc toute la nuit que du projet de faire rapporter le lendemain
des décrets rendus avec tant d'irrégularité, ou qui même, peut-
être, n'avaient pas été rendus. Il y avait du danger dans ce projet;
le danger le fit embrasser avec enthousiasme : on prononça des
discours qui eurent de l'énergie et de la grandeur : du haut de la
tribune on vit l'Histoire qui prenait des notes pour les siècles. La
sagesse qui proposait à demi-voix un autre avis ne parut qu'une
pusillanimité qui avait honte d'elle-même : le décret de suppres-
sion des douze fut rapporté.
Condorcet ne se leva point pour le rapport du décret.
On crut avoir obtenu un triomphe., et on venait, pour ainsi
di re , de décréter le 31 mai et le 2 juin.
A peine le rapport du décret est connu dans Paris , que les agi-
tations qui avaient tté un instant assoupies se réveillent plus me-
naçantes. Les tribunes les plus turbulentes des sections sont occu-
pées paices hommes dont la voix contagieuse produit un orage avec
quehjues paroles. Dans jes groupes où deux ou trois cents hommes
artificeux sèment habilement des terreurs, et où deux ou trois
crédules et emportés les recueillent, les répandent et les muhi-
plient, on ne s'eniretientque d'arrestations faites depuis le réta-
blissement des douze , et de nouvelles arresiationsqui vont se faire
encore en plus grand nombre. L'un dit, que toute la députaiion
de Paris va être envoyée à l'Abbaye, d'autres, que le plan est d'ex-
terminer toute la Montagne. Hébert, à qui on n'aurait pas dû ou-
vrir sa prison , puisqu'on ne lui ôtait pas toutes les craintes et tous
les moyens de faire croire qu'il était menacé , reparaît à la Com-
mune, où on entoure son front d'une couronne, que modestement
il dépose sur le front du buste de Bru! us ; il s'élance à la tribune
des Jacobins , où il jette le cri de la vengeance contre les douze,
qu'on suppose occupés du besoin et des moyens de se venger.
400 DOCUMENS COMPLéMENTAlRES ( 4792-1793 ).
Le maire ^^ent me montrer de grandes inquiétudes : j'en
prends et j'en conçois d'affreuses ; je les porte toutes au comité
de salut public ; et l'un de ses membres , Barrère , va les commu-
niquer à l'instant au comité de sûreté générale.
Le lendemain ( 29 mai) , entre onze heures et demie et minuit ,
on vient me dire qu'une assemblée s'est formée à l'Évêché,
qu'elle s'est occupée de mesures qu'elle appelait de salut public,
et qu'elle venait de nommer dix commissaires. Je cours au comité
de salut public lui donner cet avertissement, et chez le maire
pour l'interroger sur la nature et sur l'objet de cette assemblée.
Le maire était au lit, je le fis réveiller pour me recevoir. Par
quels hommes celte assemblée de l'Evêché était-elle composée?
Quelle était leur mission ? De qui l'avaient-ils reçue? Que pou-
vaient être ces hommes qui , à côté de la Convention nationale et
de ses comités, à côté du conseil exécutif, du département, de
la Commune et des sections, s'enquéraient des moyens de salut
public? Tout ce que le maire put répondre à ces questions, c'est
que l'assemblée de l'Évéché élait un composé de membres du
corps électoral, de membres de sociétés populaires, et de com-
missaires de plusieurs sections : mais il m'assura , et du ton d'un
homme qui le savait avec certitude, que cette assemblée, qui lui
donnait aussi des inquiétudes , s'était elle-même reconnue et dé-
clarée incompétente pour prendre aucune mesure d'exécution ;
qu'elle ne se considérait que comme une réunion de citoyens oc-
cupés ensemble de la chose publique. Je ïepréseniai au maire
qu'une pareille assemblée exigeait toute la surveillance des pre-
miers magistrats de la police, et qu'il devait instruire le ministre
de l'inîérieur de tout ce qui s'y passerait jour par jour, heure
par heure : le maire m'en donna l'assurance, et je retournai au
comité de salut public lui rendre compte de cette conversation.
Je dois observer ici que je me présentai au local où la com-
mission des douze avait tenu ses séances, et que je n'y trouvai
personne : j'ignore si elle était assemblée, mais elle avait trans-
porté ailleurs ses séances , et ne m'en avait point prévenu.
Le jour suivant tout paraissait assez tranquille, et le maire,
HÉMOIRES DE GARAT. 44)1
que je n'avais point vu, ne m'avait rien fait dire : la nuit je me
retirais du comité de salut public ; il était près de deux heures;
je reçois un billet anonyme conçu à peu près en ces termes : Je
sors de l'Évêché : à sept heures la République sera en deuil. Je
fais réveiller le premier secrétaire des dépêches de l'intérieur ,
Le Tellier ; il va à i'insiant chez Pache, qui me fait diie qu'il est
vrai que l'assemblée de l'Évêché avait arrêté qu'il serait pris des
mesures d'exécution , mais qu'elle n'avait rien arrêté sur la na-
ture des mesures, et qu'il jugeait impossible que rien de dan-
gereux fût entrepris du reste de la nuit et du jour. Tout était
calme en effet dans celte nuit, et rien n'en pouvait troubler le
repos, à moins que la Commune ne fût un réceptacle de con-
jurés , et le maire leur chef.
Avant neuf heures du malin, le maire était chez moi: lime
réitéra les mêmes assurances qu'il m'avait fait transmettre: les
sept heures qui devaient être si fatales , suivant le billet anonyme,
étaient écoulées, sans que rien de sinistre eût été tenté.
Mais dans ce même enlreiien le maire m'avoua que l'assem-
blée de l'Evêché prenait d'autres caractères; que 08 sections y
avaient envoyé des commissaires revêtus de pleins-pouvoirs ré-
volutionnaires , et qu'ils allaient se réunir aux Jacobins pour dé-
hbérersur ce que leur commandaient les circonstances. En me
pailant ainsi , Pache se montrait à moi au désespoir de ces mou-
vemens; il les attribuait tous au rélabhssement de la commission
des Douze.
Accablé de fatigue et de besoin de sommeil , dévoré d'inquié-
tudes , je me transporte tour à tour au comité de salut public ,
où Pache m'avait précédé , et à la commission des Douze qui
m'avait appelé à la maison de Breteuil , où elle avait transporté
ses carions. Je n'y trouve que Vigier et un autre membre de la
commission dont je ne puis me rappeler le nom : je ne sais s'il
a éié assassiné comme Yi{jier, ou s'il a échappé aux assassins.
Mais le résultat de l'entreiien que j'eus en ce moment avec eux ,
je l'ai écrit, je l'ai imprimé , il était destiné à être publié devant
la république , lorsque ces deux représenlans du ppuple vivaient
T. XVIII, 20
AQi DOCUMENS C0MPLÉME?«TA1RES ( 4792-1793 ).
encore : je le rapporte dans les notes de cet exposé , et on y verra
qu'aucun de ceux à qui J3 pouvais parler avec quelque suite ne
pouvait garder de soupçon sur mon compte.
Dans ce même jour , dans l'un des jours précédens ou suivans
( je ne puis fixer la date avec certitude ) , le chef de la première
division de riniëiieur , Cliampagneux, me porte un très-grand
nombre d'exemplaires d'un placard dans lequel Robespierre, Ma-
rat, Danton, Chaiimetieet Paclie, qu'on y appelait YEscobarpoU-
lique , sont accusés de tenir à Cliarenton des conciliabules noctur-
nes , où , protégés par une force armée imposante, ils délibèrent
sur les moyens d'organiser de nouveaux massacres du mois de
septembre. Je porte à l'instantle placard au comitéde salut public,
et, pour le lui communiquer, je saisis le moment où ni Danton ni
Lacroix n'étaient au comité. Le comité arrête sur un registre se-
cret, je crois, que tous les exemplaires du placard seraient re-
tirés, que le secret serait exigé de celui qui me l'avait fait re-
mettre, et que je prendrais des renseignemens à Cliarenton
même. Je n'y connaissais personne: il y avait très-peu de per-
sonnes à qui on put confier de pareilles recherches: Cham-
pagneux y connaissait un citoyen dont il me garantissait
Ihonnèteté et la prudence : il lui écrit , et la réponse fut infini-
ment plus propre à dissiper qu'à confirmer les horribles accusa-
tions du placard. L'ami de Champagneux s'engagea à nous com-
muniquer tous les renseignemens, s'il apprenait quelque chose
de nouveau. Ces derniers faits sont aussi personnels à Cham-
pagneux qu'à moi , et ils seront attestés comme par moi par cet
excellent citoyen, à qui j'ai ouvert plus d'une fois toute mon
ame et sur tous les événemens, et sur leurs causes; par cet
homme dont l'infatigable travail a beaucoup honoré le ministère
de Roland, son ami, et qui se dévouait au mien avec un zèle éga-
lement infatigable ; qui n'a acquis que par la plus injuste per-
sécution une célébrité qu'il aurait dû obtenir de la reconnaissance
publique.
Moi, mes amis, les observateurs de l'esprit public, que j'avais
institués à cette époque , nous étions continuellement en obser-
MÉMOIRKS DE GARAT. 403
valion : je voulais voir ie moindre mouvemenl, entendre la
moindre parole.
Le jeudi 50 mai , un citoyen m'écrit qu'il a été dit à la tribune
de sa section, qu'on venait d'arrêter définitivement, à l'assemblée
de l'Évêché, que cette nuit même on fermerait les barrières , ou
sonnerait le tocsin , on tirerait le canon d'alarme. A peine j'ai
lu le billet, je vais le lire au comité de salut public, et j'annonce
que je vais en faire lecture à la Convention nationale qui était
assemblée. Lacroix de l'Eure , qui , dans celle soirée, ne quitta
pas un instant le comité de salut public , où , d'ordinaire, il n'é-
tait pas si assidu , prend la pirole : il représente que sur un billet
qui rapporte ce qu'on a débité à la tribune d'une section , il ne
faut pas aller jeter l'alarme au milieu de la Convention natio-
nale ; qu'il faut avant tout se bien assurer des faits , et appeler
au comité de saint public les autorités constituées , responsables
de la sûreté publique , le département et le maire. Le comité se
range à cet avis; lui-même mande, par un. billet, le procureur-
général-syndic, et je vais chercher le maire à la Commune.
Il y arrivait en ce moment, il montait le {jrand escalier, suivi de
dix à douze hommes dont les gilets montraient autant de pistolets
qu'ils avaient de poches.
Le maire se penche vers mon oreille , et me dit à voix basse
ces paroles , qu'on ne sera pas étonné que j'aie retenues :
J'ai eu beau m'y opposer , je n'ai pas pu les en empêcher ; ils
viennent de déclarer, par un arrêté, que la Commune de Paris et
le département qu'ils représentent , sont en état d'insurrection. Je
lui réponds : Le comité de salut public vous mande dans son sein,
et je vous attends. 11 entre au conseil général. Là, il publie ce
qu'il vcnoit de m'apprcndre , et il y déclare , plus formellement
encore, que l'insurrection n'avait été arrêtée que contre son avis
et malgré tout ce qu'il avait f^it pour s'y opposer. J'entends des
applaud'ssemens qui ébranlaient la salle, des cris et des frémis-
semens de joie ; je me crus dans la Tauride.
A l'instant où il avait cessé de parler , le maire monte , et seul,
dans ma voilure.
404 DOCUMENs compm'vMentaires (1792-1793).
Dans la route je ne cesse de lui retracer les tableaux affreux
des malheurs que celte nouvelle me fait présager , de lui faire
considérer surtout que dans le moment où nous sommes en
guerre avec toute l'Europe, une grande convulsion dans la ville
où sont tous les établissemens nationaux , peut arrêter tout ce
qui fournit aux besoins des flottes et des armées. Au milieu de
tant d'autres présages sinistres, c'était celui qui me frappait le
plus , parce que c'était le plan qu'on devait supposer à la ligue
des tyrans et des esclaves de l'Europe. En exprimant les mêmes
craintes et la même douleur, le maire déplorait et je déplorais
avec lui ces horribles querelles des passions, qui seules avaient
rendu de si grands attentais possibles ; et nous arrivons au co-
mité de salut public.
Le procureur-général-syndic du département , l'Huillier , et
deux membres du directoire, y étaient déjà. Des aveux ou plutôt
des déclarations qu'ils faisaient tous , un résultat sortait sans au-
cune ambiguïté : c'est que le département de Paris était déjà , par
son approbation et par ses engagemens, dans ce qu'il appelait
l'insurrection.
Paclie était loin de parler comme l'Huillier. 11 rendait compte
des faits sans approbation et sans blâme, sans abattement et sans
emportement;, avec tristesse et gravité.
Comme on délibérait , je me lève et je déclare que je vais ren-
dre compte de tout à la Convention : Vous n'êtes point du comité
de salut public, me dit Lacroix ; c'est à lui, dans de telles cir-
constances, à porter la parole par l'organe de l'un de ses mem-
bres. On le charge de la porter , et il vient dire , une demi-heure
après , qu'il n'avait pas pu parler ; que la séance était levée quand
il s'était présenté.
Les membres du déparlement et le maire réitèrent souvent au
comité de salut public l'assurance que, tant qu'ils seront à leur
poste , aucune violence ne sera commise dans cette insurrection ;
c'est là que pour la première fois j'entendis sortir de la bouche de
l'Huillier ce mot d'insurrection morale, qu'ils écrivirent le len-
demain sur quelques-unes de leurs banderoles : et c'était l'Iluil-
MÉMOIRES DE GARAT. 405
lier qui s'insurgeait moralement contre Vergniaud et contre Con-
dorcet !
11 ne pouvait pas y avoir de sommeil pour moi dans ces tem-
pêtes de la république ; je n'avais besoin d'être réveillé ni par le
tocsin ni par le canon d'alarme; ei le 51 mai, avant cinq heures
du matin, j'étais dans les cours du palais national, qui étaient
presque désertes encore.
Le premier homme que j'y rencontrai, ce fut Danton.
J'en fis la remarque, et cette remarque attacha sur lui tous mes
regards et toutes mes observations.
Qu'est-ce donc que tout cela? lui dis-je , en m'approchant de
lui ; ne pouvez-vous me l'apprendre? Qui remue les ressorts, et
que veut-on? — Bah! ce ne sera rien, me répond Danton: U
faut les laisser briser quelques presses , et les renvoyer avec cela.
— Ah ! Danton , je crains bien qu'on ne veuille briser autre chose
que des presses. — Eh bien ! il faut ij veiller. — Vous en avez les
moyens bien plus que moi.
J'entre à la Convention qui se réunissait, ou il n'y avait que
quelques membres encore : je lui dis le peu que je savais, et ne
pus lui dire tout ce que j'ignorais. Cambon , qui ne savait que les
mêmes choses que moi, n'en put dire ni plus ni moins. Mais
l'Huillier entrait à la barre, et dans ce jour c'était à lui qu'appar-
tenait beaucoup la parole. On sait comment il parla devant la
représentation nationale ; on sait ce qui fut foit et ce qui fut pré-
paré dans celte journée. On connaît la motion pleine de noblesse
et de prudence de Vergniaud ; cette motion si propre à faire ran-
ger autour de la Convention nationale, pour en uéfëudre l'inté-
grité, cette même force armée mise sur pied pour l'entamer.
Tous ces faits, que leur publicité et leur authenticité ont fait
connaître à tout le monde, sont réservés au pinceau de l'his-
toire.
Le lendemain (i"' juin) dans Paris tout paraissait rentré dans
le respect des lois et de la Convention nationale ; mais dans le
comité de salut public entraient et sortaient incessamment les
membres du con)iié d'insurrection ; les légis'ateurs étaient con-
40C DOCL'ilENS COyPLÉMEMAIRES ( 1792-1793).
trainls à délibérer avec les violateurs de toutes les lois. Lorsqu'il
restait si peu de pouvoir au comité de salut public , dans lequel
était alors tout le gouvernement national , dont la très-grande
majorité était très-irréprochable, très-pure, on comprend qu'un
ministre n'était propre qu'à décrier toutes les propositions qui
passeraient par sa bouche: cependant je ne quittais pas le co-
mité , je ne perdais pas une occasion de lui présenter les vues qui
me paraissaient les plus propres à combler les abîmes dont la na-
tion et sa représentation étaient entourées.
Une de ces vues parut un instant relever les araes honnêtes et
leurs espérances.
Quelque épais que fussent encore pour moi les nuages qui ca-
chaient les causes particulières de ces mouvemens, il y en avait
une généiale à laquelle j'attribuais toutes les autres, sans laquelle
j'éiais sûr qu'aucune autre n'oserait agir avec tant d'audace ; c'é-
tait la division de la Convention nationale en deux côtés , et les
haines allumées entre les membres des deux côtés le plus in-
fluens. Je me rappelais que dans Athènes des haines semblables,
nourries entre deux citoyens puissans, Aristide et Thémistocle,
mettaient à chaque instant la république à deux doigts de sa
perte: que, lors même que Thémistocle ouvrait un bon avis,
Aristide, qui le jugeait bon, le combattait pourtant et le faisait
rejeter parce qu'il était de Thémistocle : je me rappelais que cet
homme vertueux , qui ne pouvait pas faire le mal sans l'avouer ,
s'écria un jour, pressé par sa conscience : ô Athéniens , vous ne
pourrez être tranquilles et heureux que lorsque vous nous aurez
jetés Thémistocle et moi dans le baratre ( fosse profonde où l'on
jetait les condamnés). Ce cri de la conscience d'un homme de
bien, qui s'accusait avec tant de magnanimité, arrivé jusqu'à m(M,
à travers les siècles , m'avait fait naître l'idée d'une résolution
magnanime pour quelques représenians du peuple français. Je
proposai que des deux côtés de laConveution, ceux dont les
haines mutuelles étaient les plus connues, ceux dont les querelles
personnelles avaient divisé b représentaiion d'un seul peuple en
deux partis , s'offrissent d'ciix-uièraes à soi tir de la Convention ,
MÉMOIRES DE GARAT. 407
pour la laisser poursuivre ses travaux qu'ils interrompaient, à se
mettre en oiage de la paix publique, à aitendre dans ce magni-
fique ostracisme le règne des lois et les jugemens de la nation ,
qui n'aurait plus à prononcer que des bénédictions sur les uns et
sur les autres. Plusieurs membres du comité de salut public,
Delmas , Cambon , Barrère, parurent émus de cette idée que je
leur présentais avec émotion : Danton se leva les larmes aux yeux
et s'écria : Je vais la proposer à la Convenlion , et je m'offre le
premier à aller en otage à Bordeaux. J'écrivis à l'instant quelques
pages pour réveiller, avec cette proposition , les affections élevées
et généreuses qui devaient la motiver et l'appuyer. Mais Barrère
fut le seul qui la lit à la Convention , Lanthenas fut le seul qui se
leva pour s'offrir à l'exil ; et j'ai su depuis que cette idée em-
brassée au comité avec enthousiasme, mais communiquée impru-
demment à la Gonveùlion, avant de la faire entendre avec la so-
lennité de la tribune, fut couverte de mépris et de risée par
Robespierre , comme un piège tendu aux patriotes. Tels ont été
en effet les pièges que j'ai toujours tendus, et ce n'est pas
dans ceux-là que des hommes tels que Robespierre pouvaient
tomber.
11 n'existait dans Paris aucune force qui pût empêcher la jour-
née du 2 juin ; toutes les forces de Paris étaient mises en réqui-
sition pour la produire.
Elle éclata.
Ce n'est pas ici le moment de dire comment je la vis et com-
ment je la jugeai.
Tandis que la Convention nationale était assiégée , le conseil
exécutif était prisonnier. Un instant Lebrun , Grouvelle et moi
nous voulûmes respirer l'air dans l'une des petites cours du pa-
lais national : on vint nous avenir avec des sabres et des pistolets
qu'il était indispensable de repasser le guichet.
Quand l'arrestation des députés proscrits fut arrachée, je dois
ici ce témoignage à la vérité, et a ceux qui ne craignirent pas
d'exposer alors pour elle leur liberté et leurs jours, la conster-
nation ei rjudignulion furent les senii/uens de presque toutes les
468 bOCDMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
ames dans le comité de salut public et dans le conseil exe'culif :
les changemens de temps ne changeront rien à ma manière de
déposer sur des faits qui sont passés, mais qui n'ont pas pu
changer. Breard, à qui un accès de goutte permettait à peine de
se traîner , sortit de la Convention pour venir nous dire qu'elle
était en proie aux scélérats : Cambon , se tournant vers Bou-
cholte, lui adressa ces propres paroles : Ministre de la guerre,
nous ne sommes pas aveugles ; je vois très-bien que des employés
de vos bureaux sont parmi les meneurs et les chefs de tout ceci,
Barrère ne cessait de dire : // faudra voir si c'est la Commune de
Paris qui représente la République française, ou si c'est la Conven-
iio7i ; Delmas et Treilliard étaient, je crois, tous les deux malades ;
mais depuis, leur sentiment, le même que celui de leurs col-
lègues , a été aussi nettement et aussi énergiquement exprimé.
Lacroix paraissait embarrassé , mais comme on l'est d'un
tiiomphe qui n'a pas beaucoup de gloire, et qui peut avoir
beaucoup de dangers; Danton en paraissait inquiet et honteux ;
Bouchoite, qui parle infiniment peu , ne parla point du tout ; je ne
vis paraître Pache ni au comité ni au conseil. Quoique je ne visse
pas du tout clair dans ce qui se passait , et que je conçusse beau-
coup de soupçons dans ces ténèbres , je m'exprimais sans beau-
coup de retenue et de circonspection ; le moment des ménage-
mens était passé , celui où il fallait se taire ou mourir n'était pas
encore arrivé ; je parlais de la même manière , et à ceux en qui
je me confiais , et à ceux de qui je me défiais. Ce soir-là même ,
et sur la table du conseil exécutif, j'écrivis ma démission. Ma
résolution était prise de ne pas rester dans une place où rien ne
me donnait les moyens d'empêcher le mal, et où tout m'en
faisait paraître le complice.
Le lendemain, tous mes amis me conjurèrent de retarder au
moins ma démission. Ducos et Condorcet purent seuls l'obtenir
de moi. Ce qu'elle avait de dangereux pour moi seul ne m'aurait
pas retenu ; ils pensèrent que je pourrais encore ou prévenir de
plus grands malheurs en resiant, ou surveiller des hommes à qui
nous soupçonnâmes dans ce moment, toutes les vues criminelles.
MÉMOIRES DE GARAT. ' 409
Je fus entouré d'espions, je le devins moi-même de Danton et
de Lacroix. Je suivis, autant qu'il me fut possible, tous leurs
pas j j'épiai et je recueillis, autant qu'il me fut possible, toutes
leurs paroles. Pendant quelques 'jours je crus être sur les traces
d'une grande conspiration contre la République. Ducos, Barrère,
Cambon, Condorcet, Treilhard, même Alquier, si je ne me
trompe, reçurent les confidences et de mes observations et des
soupçons que je fondais sur elles. Entouré, comme je l'ai dit,
d'espions, qui ne me quittaient plus, je voulus bien qu'ils me
suivissent jusqu'à la porte de Gensonné et jusqu'à la porte de
Vergniaud , que j'allai voir dans leur état d'arrestation. Malheu-
reusement je ne les trouvai pas assez seuls pour leur communi-
quer sans réserve tout ce que je pensais sur les mesures à prendre
pour les faire sortir avec la République des dangers qu'ils cou-
raient avec elle.
Le généreux et infortuné Ducos , que je chérissais presque
autant que mes neveux, craignait de me voir , de peur d'attacher
sur moi toutes les haines qui persécutaient ses amis, et qui de-
vaient le faire bientôt mourir avec eux ; mais si cette délicatesse
était touchante en lui , il eût été indigne à moi d'en accr^pler les
ménagemens ; et durant ces jours, plusieurs fois il a dîné chez
moi ; une fois avec Mathieu , représentant du peuple. Mathieu
peut dire de quoi nous fûmes occupés durant le dîner.
Je ne puis avoir aucun besoin des témoignages que peut me
rendre Pache ; et j'ignore jusqu'à quel point il peut être disposé
à accorder ou à refuser ceux que lui demandera la vérité ; mais
si la volonté de Pache se trouve d'accord avec son devoir, ce que
je désire pour lui bien plus que pour moi , Pache peut dire aussi
comment le 3 juin, lorsqu'il vint dans la matinée à l'intérieur,
je lui parlai et de ce qui s'était passé la veille à la Convention , et
de ce qui allait se passer dans les départemens. Le maire de Pa-
ris parut troublé, et il ne l'est pas facilement; j'aime à croire
que ce fut par le tableau que je lui traçai des maux que je pré-
voyais pour la France.
Je commençais à m'assurer , par la vérification de quelques
410 DOCUMENs coMPLÉMjb:«TAiRiss( 179:2-1795).
faits, par la réduction à leur mesure de quelques autres, que
mes soupçons sur Danton et sur Lacroix, s'ils étaient très-fon-
dés, étaient aussi très-exagérés.
Mais si on n'avait pas à craindre tous les crimes de la trahison,
les événemens, à mesure qu'ils se développaient, faisaient redou-
ter toutes les horreurs de la guerre civile. Quelques déparie-
mens s'armaient, s'ébranlaient ; et, suivant la nature des iniérèis
et des passions, on craignait ou on espérait des mouvemens dans
tous. Des députés mis en état d'arrestation le 2 juin, les uns
s'étaient enfuis et étaient allés chercher des vengeurs ; les autres
étaient restés sous la main de leurs ennemis avec autant de sou-
mission que s'ils s'étaient crus sous la main de la loi. Ttl était
l'é'at des choses; et voici quels étaient, dans cet état des choses,
mes pensées , mes résolutions et mes démarches.
Si, par un mouvement unanime, ou d'une très-grande majo-
rité, les déparlemtns de la République française avaient pu se
lever, marcher vers Paris, demander avec la voix sainte et ma-
jestueuse du vrai peuple, la liberté des Représentans arrêtés,
leur réintégration dans le sanctuaire des lois, le silence de toutes
les passions, et le châtiment de ceux qu'elles avaient entraînés à
des altentuts ; cette grande démarche nationale aurait sans doute
ajouté à la gloire de la nation française dans l'Europe ; elle eût
donné l'autorité et la clarté d'un fait positif et immortel à des
principes de l'art social trop vastes ou trop profonds pour être
universellement saisis, tant qu'ils restent sans apphcation dans la
théorie ; elle auraii sauvé la France , elle aurait sauvé Paris, qui
a autant souffert que le reste de la République, et qui a eu de
plus le malhtur d'avoir été le centre d'où sont partis tous les
crimes.
Je ne d^ule pas que cette grande idée n'ait été celle qui a fait
naître , après le 51 mai , le projet de faire mouvoir tous les dé-
partemens; mais sa grandeur, qui a séduit ceux qui l'ont conçue,
est aussi ce qui la rendait un peu chimérique : il était trop impos-
sible que tant de départemens fussent à la fois mus et dirigés par
un même esprit, surîoul lorsque cet espiit était celui d'une
ilLJtfOlRliS Dli GARAI. 411
haute sajjesse ; il était trop impossible que , dans un même de-
parlement, le même esprit animât tous les citoyens, surtout
lorsque pendant près d'une année entière on avait semé la divi-
sion entre les administrateurs et les administrés , entre les riches
et les pauvres ; il était trop difficile enfin que de tant de mou-
vemens, qui demandaient de l'impétuosité , il se composât un seul
mouvement qui s'avançât vers Paris avec ordre et régularité.
Cependant les mouvemens, s'ils avaient été unanimes, pou-
vaient tout sauver, et les mouvemens, s'ils étaient partiels , pou-
vaient tout perdre. Dans le premier cas, la guerre civile était évi-
tée; dans le second cas, elle était allumée.
Le but qu'on se proposait ne pouvait donc être atteint que par
une espèce de miracle ; et ceux qui devaient se marquer ce but ne
mirent aucun concert , aucun ensemble dans leurs mesures. Je
parle des députés proscrits dans Paris.
Pour remplir leurs vues avec quelque succès , il fallait ou que
tous courussent dans les déparlemens, ou que tous restassent à
Paris. Tous ensemble dans les déparlemens , ils auraient exercé
une influence plus éten'iue et plus imposante; par leur nombre
seulement , par le nombre auquel les imaginations attachent tou-
jours une idée de grandeur et de majesté, ils auraient écarté
d'eux tout ce qui donne l'air d'une fuite, ils se seraient entourés
de la considération d'une retraite, et dans quelque lieu qu'ils se
fussent retirés tous ensemble, là aurait été le mont sacré.
Tous ensemble à Paris ils auraient pu faire trembler encore
les ennemis qui les auraient tenus sous les couteaux, et la France
n'aurait plus voulu voir la Convention nationale que dans un ca-
chot. S'il avait fallu frapper pour la première fois tant de légis-
lateurs, en un seul jour, juges et bourreaux auraient reculé,
frappés eux-iucnKS d'elfroi , et se seraient écriés : Non , nous
H oserons jamais loucher la Représentation nationale. C'est par leur
nomi)re bien plus encore que par leur innocence et par leurs ver-
tus que les soixante et trei/.e ont été défendus.
Mais des députés mis en état d'arrestation le 2 juin, les uns al-
lant jeter le cri deguerre dans les déparlemens, les autres gardant
412 DOCUMENS COMPLÉMKNTAIRES { 179iJ-1795).
leur prison, comme Socrate, lorsqu'ils pouvaient s'échapper; la
conduite de ceux-ci concourut à donner l'air d'une révolte à la
conduite des autres , et les mouvemens de ceux qui cherchaient
des forces et des armes étant imputés comme un crime à tous ,
il était bien difficile d'obtenir de l'ardente soif de la vengeance
qu'elle respectât la vie de ceux qu'elle avait chargés de chaînes.
Tant d'inconsidéralion dans des déterminations d'une si haute
importance est une preuve bien éclatante, ajoutée à tant d'au-
tres, qu'ils étaient unis les uns aux autres par les mêmes prin-
cipes, par la même manière d'aimer et de servir la république ,
mais qu'ils n'étaient unis par aucun complot , même contre des
ennemis si atroces ! Héias ! leur mémoire n'a aucun besoin de
cette preuve de leur innocence ; mais leur conservation , leur
vie et celle de tant de milliers de citoyens , dont l'échafaud a été
dressé après le leur, avaient besoin d'une conduite plus habile-
ment concertée, ou plus heureusement inspirée.
Ma conduite dans de pareilles circonstances , aussi difficile à
bien tracer que la leur , était , je le crois , plus réfléchie ; mais
elle n'a pas mieux réussi à les sauver, et on verra bientôt à com-
bien peu , dans plusieurs momens , a tenu mon salut , si on peut
appeler mon salut le peu qui me reste d'une vie si indignement
diffamée par tous les partis, si horriblement tourmentée.
En me condamnant à rester encore dans le ministère, je me
marquai trois buts , auxquels on m'a vu toujours tendre.
Le premier , d'employer tous les moyens dont je pourrais m'a-
viser, et que l'on ne m'enlèverait pas, à convertir les mouve-
mens des départemens en négociations entre les corps adminis-
tratifs et les comités du gouvernement, pour empêcher l'explosion
de la guerre civile ; le second , de hâter l'acceptation de la consti-
tution à laquelle on travaillait très-hâtivement , et de préparer
les esprits , dans Paris par mes conversations , dans les départe-
mens par un mémoire que je leur adresserais, à saisir le mo-
ment où la constitution serait solennellement proclamée , pour
proclamer avec elle une amnistie accordée par les vainqueurs aux
vaincus, et par les vaincus aux vainqueurs, qui en avaient plus
MÉMOIRES DE GaRAT. 413
besoio encore ; le troisième , de veiller ici sur toutes les disposi-
tions sanguinaires que je pouvais craindre contre quelques déte-
nus , pour les combattre de toute ma puissance.
Quant à ce que j'ai fait pour arriver au premier but, j'inter-
pelle ici tous les membres vivans du comité de salut public de
cette époque; tous attesteront, je n'en fais aucun doute, que je
leur ai parlé sans cesse de réconciliation et de réunion , des torts
et des vertus républicaines de tous, de la nécessité d'un oubli
universel de tout le passé, et jamais de combats à livrer, de
victoire à remporter, de chàtimens même légers à faire subir.
Mais sur cela ce n'est pas seulement des législateurs que je puis
appeler en témoignage ; tous les faits ne sont pas demeurés ren-
fermés dans le secret du comité, il y en a d'essentiels, dont une
partie, au moins , a paru au grand jour de la Convention natio-
nale , et ces portions si publiques , si solennelles de ma conduite,
garantissent l'ensemble auquel elles appartiennent.
A peine le Calvados fut en mouvement , je reçus d'une com-
mission , par laquelle tous les mouvemens étaient dirigés, deux
ou trois lettres ; dans l'une on me parlait de ma vertueuse neutra-
lité, et on me demandait des grains; dans une autre on m'écri-
vait : Tremble, les bannières du Nord et du Midi sonl déployées ,
elles marchent sur Paris ; tremble , ceux qui affament seront traités
comme ceux qui assassinent. Les lettres étaient signées Caille et
Fourgon. Je tremblais, mais c'était pour ceux qui écrivaient de
pareilles lettres, et je ne les portais ni à la Convention ni au co-
mité, je n'y faisais non plus aucune réponse. Mais au comité ,
oii l'on prenait déjà des mesures pour faire marcher des troupes
contre le Calvados , je représentais incessamment combien il
était indispensable de les faire précéder par des négociateurs ,
combien Userait beau et heureux de tout terminer par des me-
sures pacifiques qui étoufferaient non-seulement la guerre , mais
les querelles et les haines qui l'avaient amenée.
Après avoir essayé tout le pouvoir du raisonnement , j'affir-
mais, avec cet acceiit d'une persuasion sincère qui passe dans les
âmes comme une passion , que les voies conciliatrices auraient un
414 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES { 1792-1795).
succès infaillible, que la guerre civile près d'éclater dorme une
puissante éloquence à celui qui parle pour en écarter les horreurs,
et que si on voulait enfin m'envoyer dans le Calvados , je me
chargeais d'en revenir avec la paix.
On me disait que dans le Calvados j'étais détesté , qu'on m'y
arrêterait, que quelque coquin pourrait faire quelque chose de
plus encore; et qu'un ministre de l'intérieur devait rester à Paris.
Je répondais que j'étais sûr que Guadet et Barbaroux étouffaient
pour moi dans leur ame des sentimens d'estime qu'il me serait
facile de réveiller ; qu'il était impossible qu'en me voyant aller à
eux , le choix seul qu'on aurait fait de moi ne leur garantît la
réalité des intentions pacifiques , et que toutes les parties de la
république où il pouvait la servir, étaient également le poste
d'un ministre de l'intérieur.
Il fut convenu au comité et au conseil que j'irais dans le Cal-
vados , mais après que la Convention en aurait été prévenue , et
ne s'y serait pas opposée.
Saint-Just assistait à cette délibération. Quand la décision fut
prise , il s'offrit à aller avec moi dans le Calvados, Je ne puis pro-
noncer si, à ce moment, il était déjà assez formé à l'artifice et à
la bassesse pour vouloir dégrader en lui la dignité d'un législa-
teur à servir d'espion à un ministre , ou s'il eîit en effet quel-
qu'un de ces bons sentimens qui traversent quelquefois l'ame des
méchans sans y laisser aucune trace; mais il sortit alors de sa
bouche un mot qui paraîtra bien étrange lorsqu'on le comparera
à sa conduite postérieure , un mot que je me suis toujours rap-
pelé à chacun de ses rapports , à chacune de ses atrocités : Je
'pense absolument comme vous , me dit Saint-Just, je crois qu'on
peut mener les hommes avec un cheveu. Trois mois après, pour
les mener, il ne croyait pas qu'on pîit couper assez de têtes.
Thomas Lindet assistait aussi à cette délibération en qualité,
autant que je puis m'en souvenir , de député de l'Eure ou du Cal-
vados. C'est lui qui fit le rapport à la Convention; et (j'y étais) il
le fit en homme loyal qui croyait la mesure bonne, et qui voulait
la faire adopter; mais Lacroix de l'Eure , qui ne voulait pas tran-
MÉMOIRES DE GARAT. 4i5
siger avec ses ennemis, qui voulait les perdre, sous de beaux
semblans d'intérêt pour moi, fît rpjeter avec hauteur par la
Convention le projet de l'envoi d'un ministre dans le Calvados.
Un délai avait été accordé aux administrateurs des départe-
mens qui avaient levé l'étendard pour le déposer, pour rentrer
sans aucun danger dans l'association générale , et je voyais arri-
ver l'expiration du délai comme l'expiration de toutes mes espé-
rances pour écarter la guerre civile. Je me détermine, sans en
prévenir le comité, à demandera la Convention elle-même la pro-
longation du délai ; et , pour disposer les âmes à cette bienveil-
lance facile que de bonnes nouvelles répandent dans les grandes
assemblées, je fais précéder la demande du récit de plusieurs
avantages obtenus sur nos ennemis extérieurs, que ma corres-
pondance m'avait appris , mais dont il ne m'appartenait pas d'être
le rapporteur. Les nouvelles furent parfaitement accueillies, la
demande , je le crus un instant , allait l'être. Mais à peine Robes-
pierre l'eut entendue , et eut aperçu le succès qu'elle allait avoir,
il se lève en colère, il la repousse avec indignation; il termine
son discours par ces paroles qui ont long-temps retenti dans mon
ame plus indignée encore que la sienne : Fous n'avez que trop
long-temps usé de la clémence ; vous devez et vous voulez sauver la
république, il faut laisser tomber la hache des lois sur les têtes
criminelles.
Rempli de douleur et de funestes pressentimens , au sortir de
la Convention , j'errais avec mon neveu sous les aibres des Tui-
leries. Je vois passer Legendre et Carrier. Je ne connaissais le
premier alors que par quelques grands mouvemens de son ame ;
l'autre , que je connaissais pour un homme privé de toute délica-
tesse d'idées et de langage, n'avait pas encore épouvanté le
monde de ses atrocités. Je cours à eux, et je leur confie toute la
situation de mon ame , tout ce que je présage d'horrible de l'excès
des rigueurs auxquelles Robespierre entraîne la Convention.
Carrier m'interrompit à chaque parole ; Legendre , au contraire,
interrompait Carrier , voulait m'entendre et m'écoulait avec la
réflexion d'un ame émue. Il me fut aisé de deviner que Legendre
416 DOCDMENS eOMPLÉMENTAlRES (1792-1793).
sentait tout ce que je sentais moi-même. Carrier, lui, m'épar-
gna la peine de deviner quelque chose, et je veux ici rapporter
dans toute sa stupide férocité un mot sorti de sa bouche à cet
instant où le système exterminateur n était pas établi encore
comme un régime légal; un mot qui peut ajouter, peut-être, à
l'horreur du nom de Carrier : Non, non, dit-il, il faut que Bris'
sol et Gensonné talent de la guilloline; H faut qu'ils la dansent.
O France ! ô ma patrie ! et c'était là un de tes législateurs , à l'ins-
tant où tu t'élevais aux destinées d'une république!
Le Calvados , par la présence des représentans du peuple qui
s'y étaient rendus , était l'objet de ma principale attention ; mais
Lyon et Bordeaux fixaient aussi continuellement mes regards;
chaque jour je faisais quelque nouvelle tentative pour faire pren-
dre au comité de salut public de justes notions des dispositions
véritables de ces deux villes si importantes, et des dispositions
qu'il convenait de prendre à leur égard pour prévenir les mal-
heurs dont elles étaint menacées.
Je ne pouvais pas me dissimuler que dans Lyon l'aristocratie
et le royalisme , couverts des couleurs nationales , tramaient des
complots d'une grande profondeur. Biron , né dans les castes de
la noblesse féodale, mais fait, parla justesse de son esprit, par
la grandeur naturelle de son ame , par l'insouciance même de son
caractère, pour trouver très-iidicules toutes ces chimères de
l'orgueil , pour la défense desquelles le sang coulait par torrens
sur la terre ; Biron , dès le mois de février , m'avait écrit de Lyon
même : c Le royalisme et l'aristocratie ont ici un foyer plus pro-
fond et' des canaux plus étendus qu'on ne pourrait l'imaginer. >
A l'instant où je l'avais reçue , j'étais allé lire cette lettre au co-
mité de sûreté générale.
Mais j'avais d'autres renseignemens encore sur Lyon , et je les
tenais de deux hommes dans lesquels j'avais autant de confiance
que dans Biron ;, et qui, tous les deux, avaient séjourné à Lyon
plus long-temps que lui.
L'un était Gonchon , homme populaire , à la manière même du
peuple, orateur long-ttmps fameux du faubourg Saint-Aatoine ,
MÉMOIRES DE GARAT. 417
qui, en menant souvent la multitude de Paris, ne l'avait jamais
égarée, parce que c'était pour elle et non pour lui qu'il l'avait
toujours menée , homme à passions plus encore qu'à principes ,
mais qui, n'ayant que les passions de la nature, ne pouvait être
la dupe ni d'un aristocrate sous le masque révolutionnaire , ni
d'un révolutionnaire, dont le {jlaive, comme la faux de la mort ,
donne aux hommes l'égalité des tombeaux.
L'autre était Lenoir de la Roche, homme très-instruit et pen-
seur, éclairé de la lumière des autres et de la sienne, fait pour
juger les hommes par les principes , et les principes par l'obser-
vation et l'expérience des hommes , l'un des membres de l'as-
semblée constituante, et qui en aurait été l'un des oracles, si
on avait pu lui faire prendre la parole.
Je n'ai point su que Lenoir de la Roche et Gonchon se soient
même rencontrés à Lyon ; mais il était impossible de se rencon-
trer plus entièrement dans ce que l'un et l'autre m'écrivaient dans
le même temps de l'état des esprits et des âmes dans cette ville.
Le résultat de leur correspondance à tous les deux , c'est que
ce n'était point contre la liberté qu'étaient soulevées les sections
de Lyoni mais contre les brigandages et les cruautés commises ,
en son nom , par ce Chaiier qui avait pris Marat pour modèle , et
qui en était la charge ; c'est que les riches manufacturiers de
Lyon , qui ne pouvaient pas être des Brutus , seraient de très-
bons et de très-généreux citoyens , si la république , dont le
premier devoir est de protéger puissamment toutes les vies et
toutes les propriétés, assurait aux Lyonnais qu'ils ne seraient
point tués, parce qu'ils sont riches , et leurs familles dépouillées
de toutes leurs richesses, parce qu'ils ont été tués; c'est qu'enfin
les plus artificieux royalistes, quoique plus nombreux à Lyon
que partout ailleurs, à cause du voisinage de la Suisse et des
émigrés , n'y pouvaient attirer personne d'important dans leur
perfide système , qu'en présentant à des hommes réduits au dés-
espoir les forces et les garanties que la république leur devait et
ne leur offrait pas.
On conçoit que lorsque Saint-Jusl, Coulhon et Robespierre
T. xviir. '■27
418 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
furent entrés au comité de salut public, pour l'iniérêt des Lyon-
nais, pour celui de mes conespondans et pour le mien, je ne de-
vais communiquer de pareils rensei{jnemens qu'avec beaucoup
de circonspection ; je les communiquais pourtant, et comme les
plus exacts, suivant moi comme les plus vrais de tous ceux qu'on
recevait en niême temps.
Lorsque les Lyonnais firent des propositions , parmi lesquelles
il y en avait un très-grand nombre de justes, de raisonnables,
j'étais loin de désirer qu'on traitât avec eux de puissance à puis-
sance ; je sais sentir tout ce qui est dû à la majesté d'une nation ,
et tout ce que ceux qui la représentent doivent lui faire rendre;
mais je n'aurais pas pu concevoir, dans un gouvernement répu-
blicain , ce despotique orgueil qui fait qu'on refuse une chose pré-
cisément parce qu'elle est demandée, si je n'avais vu, par mille
exemples, que les âmes étroites et dures croient s'agrandir et
satisfont leur orgueil personnel en étendant non la bienfaisance,
qu'ils jugent une iiiiblesse, mais la sévérité de la puissance dont
ils sont les représentans.
Je dis un jour au comité de salut public , et presque tous ses
membres y étaient : « On a rendu le gouvernement révolution-
naire , pour diriger et contenir par l'action dune volonté et d'une
force unique ces milliers de mouvemens disparates et désordon-
nés que la révolution fait naître. Eh bien! servez-vous donc de
cette force, qui doit être absolue , pour conserver et non pour
détruire ; servez-vous-en pour établir provisoirement dans Lyon
une force gouvernante, qui ne sera ni celle des sections, ni celle
de la commune de cette ville; qui sera la vôtre, c'est-à-dire celle
de la Convention, celle de la nation. Comprimez tous les partis,
pour les empêcher de se déchirer, et pour vous dispenser de
punir les attentats que vous n'aurez pas prévenus. »
Je ne suis si, en m'écoutant parler , Couthon se vit déjà dans
Lyon, exerçant une puissance qui mettait tout à ses genoux;
mais la persuasion avait l'air de passer dans son ame ; elle y était.
Il allait soutenir ma proposition, lorsque Robespierre, prenant
la parole : J'entenfls, dil-il ; vous nous proposez de déli-uire une
MÉMOIRES DE GARAT. 419
Commune patriote; c^est contre les principes, et le gouvernement ré-
volutionnaire est fait pour les maintenir et non pour les anéantir.
Tout se lut devant ces paroles et devant les principes.
Qu'on se rappelle comment ces mêmes hommes ont traité de-
puis et ces mêmes principes et une Commune qui ne leur avait
été moins chère !
Si on avait embrassé alors celte mesure , si on l'avait exécutée
avec douceur et dignité, les sections, puissamment défendues con-
tre l'intolérable oppression de la Commune, se seraient badues
contre les royalistes avec l'intrépiJiié qu'elles déployèrent le
29 mai. Cette cité superbe , que la France présentait à l'admira-
tion et à l'envie de l'Europe, subsisterait, et les milliers de ci-
toyens qui ont été foudroyés sur les débris de ses monumens
respireraient encore pour la république. O Dieu ! que de maux ,
faciles à prévenir, ont fait fondre sur nous le délire de l'orgueil
et des ressentimens dans trois ou quatre hommes ! 0 France !
combien , pour que l'exercice de ta souveraine puissance soit
pour toi la source de tous les biens, et ne soit pas la source de
toutes les calamités, combien il l'importe de faire tomber les élec-
tions sur des esprits cl sur des âmes dignes d'être les représen-
tans et les représentans de la raison humuioe !
Malheur à celui qui, en défendant sa propre innocence, craint
de la compromettre , et ne saisit pas l'occasion de rendre d'ho-
norables témoignages à tous ceux dont la conduite lui a paru
digne d'estime! Malheur à celui qui étouffe dans son ame le cri
de la vérité qui s'élève en faveur de celui qui a des enneiais puis-
sans ! Parmi les représentans du peuple , dont la conduite à Lyon
a pu être connue de moi , je me croirais trop lâche et trop cou-
pable si je ne citais ici avec honneur Pioberl Lindet. 11 fut choisi
pour celle mission, parce qu'on espéra qu'il l'exercerait avec
tous les ressentimens que pouvaient avoir al'umé dans son an;e
des brochures où il était atrocement diffamé, et qui avaient été
écrites par des partisans de la cause des sections ; R >bert Linilet,
en effet , se montrait quelquefois beaucoup trop sensible à ces
diffamations; mais sa colère la plus ardente, ses emporlemens les
4^0 D0CU3IENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1795).
plus furieux , je les avais vus souvent s'abaisser et expirer devant
des vérités et des senlimens de morale présentés à sa conscience ;
et à Lyon , ainsi que dans le Calvados, où il fut envoyé à son re-
tour, s'il a pensé à ses ressenlimens , c'est pour jouir de loul)]!
qu'il en faisait; il s'est conduit partout avec cette modération que
la raison seule et la morale imposent aux passions sauvap^es de
l'espèce humaine.
De toutes les cités de la république , objets de mes continuelles
inquiétudes, on conçoit que Bordeaux, où j'ai passé les plus
heureuses années de ma jeunesse , où je comptais beaucoup d'a-
mis et pas un seul ennemi, éiait celle qui m'inspirait les inquié-
tudes les plus cruelles.
Quand une députation de la Gironde vint prononcer à la barre
de la Convention, et afficher sur les murs de Paris, les plaintes
et les menaces de ce département indigné , la parole fut portée ,
et les placards écrits par un hom.'ne avec qui j'avais eu les liaisons
les plus intimes , Duvignau.
Un autre, peut-être, dans mon poste, observé comme je l'é-
tais, aurait craint avec lui des rapprochemens : moi, je les re-
cherchai ; j'avais trop besoin d'épancher toutes les terreurs et
toutes les douleurs de mon ame dans le sein d'un homme qui
était mon ami , et qui venait parler pour une ville dont j'ai con-
servé des souvenirs aussi chers que ceux du lieu de ma naissance :
trois ou quatre fois il dîna chez moi , et une fois nous fumes
seuls. Je mis en usage toutes les puissances réunies de la vérité
et de l'amitié, pour lui faire connaître au vrai l'elat des choses
et des personnes , pour lui donner de justes notions de la nature
des dangers qui éiaient très-grands, mais qui n'étaient pas ceux
dont les fantômes obsédaient la ville de Bordeaux. Sa persuasion
à lui , et il la prenait pour une conviction , c'est que Robespierre
et la Commune de Paris étaient ligués pour ériger un trône à
d'Orléans, qui avait promis à Robespierre de le faire son minis-
tre perpétuel, et à la Gommane de convertir la représentation
nationale en une représentation municipale qui ferait, des seuls
représenlans de Paris, le corps législatif de toute la France. Un
MÉMOIRES Dli GARAT. 4:21
jour, suffoquant d'indignation et ies yeux noyés de larmes, Du-
vignau me dévoila ce complot sur lequel il ne lui restait aucun
doute.
Je laissai tomber les mouvemens de son ame que je connaissais
pour très-passionnée, mais pour très-mobile.
Pour le faire sortir de son imagination, je rappelai une suite
de faits très-réels, que lui-même ne pouvait contester; quand je
l'eus fait rentrer dans le monde qui était sous nos yeux , je lui
exposai le véritable état des choses ; il en frémit avec moi , mais
ce fut d'une autre espèce de terreur ; il laissa tomber d'autres
larmes , mais elltrs coulaient et sur la république prête à périr
sans avoir un seul ennemi véritable , et sur son ancien ami dépo-
sitaire calomnié de tant de vérités évidentes, qu'il ne pouvait ni
faire triompher ni faire comprendre. Pour nous rattacher davan-
tage au même sort , pour nous donner un moyen très-naturel de
concerter nos démarches dans une correspondance suivie, je lui
offris , et il accepta une de ces missions d'observateur dans les
dépariemens, que je créais alors.
Si GoUot d'Herbois, lorsqu'il me lit arrêter pour celte institu-
tion, m'avait connu un pareil observateur, comme je serais resté
écrasé sous les foudres de son éloquence! Oui, il est des occa-
sions, et j'en ai fait l'expérience indubitable, où ce qu'on a fait
de mieux précisément est ce qui peut servir le mieux à vos en-
nemis pour vous envoyer à l'échafaud, couvert d'une éternelle
infamie.
J'ignore avec quelles dispositions Duvignau arriva et parla à
Bordeaux ; quand les vents des passiocs et de l'esprit de parti
soufflent en tous les sens avec tant de violence, il est impossible
de rien garantir des âmes aussi mobiles et aussi passionnées, et,
quoique doué d'excellentes qualités , pour éviter le seul reprodie
de faiblesse, Duvignau était homme à se précipiter dans tous les
excès.
Ajirèsle 51 mai et le ri juin, et lorsqu'on annonça (jue Bordeaux
allait faire marcher une force armée, j'étais à peu près sur , d'a-
près les dispositions générales de la France, que cette force ar-
422 DOCUMENS COMPLÉMENTAIUES ( 1792-1793 ).
mée ne se formerait pas; que, si el!e se formait, faible par le
nombre, incertaine dans sesvu(s, dénuée de tous hs grands
approvisionnemens, elle serait vingt fuis arrêtée avant d'arriver
seulement à la Loire, et que tous les résultats de ces mouvemens
convulsifs seraient d'exposer à d'affieux supplices les hommes
qui les auraient excités, et qui presque tous étaient ou mes ca-
marades de collège, ou mes amis de jeunesse. J'allais envoyer à
Bordeaux mon neveu, qui voyait toutes ces choses, non d'après
moi, mais comme moi, qui avait eu des liaisons plus récentes,
plus intimes, plus tendres encore, avec plusieurs des membres
de la commission populaire de Bordeaux , et principalement avec
Serre, de qui il était aimé comme on l'est par un frère ou par un
père ; avec Serre , que la force de son caractère et de son ame
dévouait entièrement au parti qu'il avait embrassé, mais peu fait,
par la fermeté de sa raison , pour le délire des partis dont je
l'avais vu moi-mcme l'ennemi tiès-déclaré durant l'Assemblée
législative; avec Serre qui, sans ambiùon et sans passions per-
sonnelles, se mettait à la tête de tous les dangers, pour se sacri-
fier , s'il le fallait, aux amis qu'il avait dans la députation de la
Gironde.
Je renonçai à ce projet lorsqu'on parla d'envoyer deux re-
présentans du peuple à Bordeaux, et je ne m'occupai plus qu'à
concourir, autant que je le pourrais , à faire tomber le choix sur
des hommes que îa ville de Bordeaux écouterait avec la confiance
due à la raison , à limpartiaiité et à la sagesse. J'ai lieu de croire
que je fus le premier à désigner Trtilliard et Mathieu à ceux qui
pouvaient les présenter à la Convention : je ne pouvais que beau-
coup espérer d'eux, et peut-être beaucoup craindre pour eux-
mêmes : je craignais, en effet, qu'ils ne fussent froissés entre
tous les excès, parce qu'ils ne donnaient dans aucun; qu'ils ne
fussent pris dans la Gironde pour des montagnards, et à la Mon-
tagne pour des Girondins: je ie disais alors, et tout le monde a
pu savoir depuis que c'est précisément ce qui est arrivé.
La situation d'un minisire, à celle époque, était étrange et
cruelle! il éiail obligé, en quelque sorie, de comploter le bien
MÉMOIRES DE GARAf. 423
comme en complote le mal , de tendre à l'exécution des inten-
tions les plus pures par des voles couvertes et obliques; et ce
qu'il avait fait , ou ce qu'il avait voulu faire de bon , caché sous
les nuages dont il l'enveloppait , le laissait chargé de tout le mal
qui se faisait malgré lui , le faisait entrer en partage de toutes les
haines inspirées par des hommes qui étaient pour lui-même les
objets de sa plus grande horreur.
Dans le même temps que , suivant mes moyens, j'e'tais occupé
sans relâche à écarter de Lyon, de Bordeaux, du Calvados les
fléaux dont ils étaient menacés, moi-même j'étais représenté dans
tous ces lieux comme un des fléaux de la république: ce placard
sur les orgies sanguinaires de Charenton, dont j'avais empêché
l'affiche, mais que j'avais remis au comité de salut public, était
réimprimé à Lyon , et à tous les noms qui y étaient déjà lors-
qu'on m'en remit les exemplaires à Paris, on y ajoutait le mien ;
à Bordeaux même, à Bordeaux, où mon cœur espérait avoir
laissé des souvenirs plus ineffaçables de ce que je suis et de ce que
je ne puis pas être, à Bordeaux, la commission populaire, dans
ces proclamations , me peignait comme le ministre et comme l'un
des chefs des anarchistes, des factieux, des bourreaux; dans les
départemens du Nord et du Midi circulait une lettre imprimée,
dans laquelle j'étais. dénoncé à toute la république comme usur-
pateur et co-partageant du pouvoir suprême avec Dai.ton, Ro-
bespierre et 3Iarat ! Aii;si , celte association ridicule autant
qu'affreuse des noms de Garât et de Marat, l'un des artifices de
l'aristocratie expirante, pour faire confondre celui qui honorait
toujours, et celui qui éclairait quelquefois la révolution, avec
celui qui ne pouvait la couvrir que d'horreurs, de ruines et de
sang ; cette association , si propre à laisser à nu l'esprit de diffa-
mation qui la faisait, était appelée au secours des hommes qui, à
tant d'égards, devaient être considérés comme les héroïques dé-
fenseurs de la révolution , de la morale et de la république ! Dans
le Calvados, les discours qui rcteniissaicnt à toutes les oreilL'S
me défiguraient tellement aux yeux d'une femme capable de
résolutions magnanimes, qu'elle aiguisait le même poiguard pour
î:24 DOCLMEi\S COMPLliMËNTAlKES ( 1792-1793).
l'un des hommes les plus affreux de tous les siècles et pour moi !
On pratiquait déjà cet art, auquel nous avons vu faire sous nos
yeux de si effroyables progrès, cet art qu'avaient pratiqué aussi
les tyraus de la Grèce, de Rome et de la Judée, lorsqu'ils fai-
saient couler le sang des philosophes, dignes des hommages de
tous les siècles, conl^jndu avec !e sang des esclaves, dont la vie
avait été aussi criminelle que la condition était abjecte ; lorsqu'ils
faisaient expirer sur des croix des âmes toutes célestes au milieu
des larrons !
Instruit de toutes ces injustices, qui peut-être, étaient des ini-
quités, et qui, peut-être, n'étaieut que des erreurs de cet esprit
de parti , dont les égaremens sont plus incalculables encore que
les fureurs, j'en étouff^iis dans mon ame déchirée les impressions
de crainte de perdre le courage et la constance nécessaires pour
réaliser ce qui me restait d'espérances.
La plus grande de ces espérances, celle qui me paraissait la
moins difficile à remplir, après que les mouvemens des départe-
mens, qui n'avaient pu être prévenus, avaient éié étouffés , était
celle de faire proclauier une amnistie mutuelle et générale dans
cette grande solennité oîi la nouvelle Constitution serait acceptée.
Ici , autour de moi, je pressais toutes les âmes vers cet acte de
justice et de restauration universelle par tous les aiguillons de ce
sentiment de la gloire , dont la puissance agit sur presque toutes
les âmes , tandis que celle de la vertu n'agit , dans toute sa force ,
que sur un petit nombre d'ames très-privilégiées. Voyez, disais-je
aux chefs de la Montagne, combien il sera glorieux pour votre
parti, après avoir fait la Constitution, qu'on vous accusait de ne
vouloir pas l^ire , de saisir le moment de son acceptation , pour
ouvrir les prisons à tous vos ennemis , pour les recevoir à la fois
dans la Convention et dans vos bras , pour faire voir à toute la
France que le triomphe de ces hommes , qu'on lui a peints si
souvent comme des assassins, ne lui aura pas coûté une seule
goutte de sang ! Ces discours , je dois le dire , faisaient des im-
pressions, mais je ne pouvais voir jusqu'à quel point ces im-
pressions seraient efficaces. J'y revenais sans cesse et partout,
MÉAIOIRES DE GARAT. 425
pour en entretenir , pour en étendre et pour en assurer les
effets.
Un jour je devais dîner à la mairie ; j'y arrive lard , et comme
on était déjà à table. Là étaient Danton , Legendre , Pache et sa
famille, Bouchotte et quelques membres, je crois, de la Com-
mune. A un certain silence que jette mon arrivée pai mi les
convives , je conjecture que je venais d'élre l'objet de quelque
entrelien. Je savais quel était mon ordre du jour , et cela me
faisait soupçonner quel pouvait être C ordre du jour sur mon
compte. Bien persuadé que je ne faisais pas naître une conversa-
lion, mais que je la renouais, je commençai à parler bientôt de
la constitution, qui était achevée, de son acceptation, qui ne
pouvait pas être douteuse , et je continuai à peu près en ces
termes : « Le plus grand bienfait de cet ouvrage ne doit pas être
» de constituer la république, il doit être de la pacifier. En ju-
» rant de lui obéir, il faut jurer de pardonner à ses ennemis;
y c'est à ce moment que commencera réellement l'ère de la rë-
» publique ; et à ce moment, il faut que nous prenions tous de
» nouvelles âmes ; il faut que nous commencions une nouvelle
» vie. De tous les côtes on s'est accusé de crimes dont on n'était
» coupable d'aucun côté ; mais si l'on veut prendre des ven-
» geances, elles seront des crimes; ces crimes enfanteront de
» nouvelles vengeances, ces nouvelles vengeances de nouveaux
» crimes encore , et nous roulerons dans ce cercle de sang sans
» pouvoir en sortir de long-temps. Ce n'est pas en mon nom que
» je vous parle ainsi , et ce n'est pas à mes paroles que je veux
» que vous accordiez de l'autorité, je vous parle au nom de tous
» les siècles, et j'en ai bien étudié l'histoire. »
Pendant que je parlais, et avec émotion , quatre ou cinq vi-
sages étaient abaissés et fixés sur leurs assiettes ; Legendre au
contraire et Danton , la poitrine et la Icte élevées et tournées vers
moi , m'écoulaient avec ces regards qui expriment une commu-
nication et une intelligence parfaites entre l'ame de ce'ui qui
commande l'attention , et l'ame de ceux ()ui la donnent. Si nous
avions clé seuls, je n'en doute pus, Danlon, Legendre et moi
426 fiOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793 j.
nous nous serions serres dans les bras les uns des autres. Mais
Danton et Le{jendre avaient observé, comme moi , que les ëma-
tiuns n'étaienl pas à beaucoi;p près unanimes ; et Danton couvrant
de ce qu'il y avait de sauvage dans sa voix ce qu'il y avait de sen-
sible dans son cœur : * Hé bien î me dit-il , Garât , si vous voulez
» que cela ail lieu , laissez donc là votre ennuyeuse modération ;
» hâtez-vous de prendre toutes les mesures pour envoyer partout
» cette constitution, pour la faire partout accepter ; faiies-vous
» donner de l'argent, et ne Tépargnez pas; la République en
> aura toujours assez. »
S'il ne tient qu'à cela, lui répliquai-je, reposez-vous-en sur
moi. Je sais que penser de la constitution qu'on nous donne ; mais
son acceptation me paraît Tunique moyen de sauver la répu-
blique, et je vous garantis sur ma tête qu'elle sera acceptée.
A côté de moi était quelqu'un dont l'extrême attention à cet en-
trelien avait lieu de m'étonner beaucoup , et qui m'adressa ces pa-
roles, que j'ai dû bien retenir pour beaucoup déraisons: Ci-
toyen, il faut êire généreux à ses dépens; mais non pas aux
dépens de la république. Je déclare que ce n'était ni Pache, ni sa
mère, ni sa fille, ni son gendre, ni Bouchotte. Je déclare encore
qu'on ne peut exiger de moi que je le nomme, parce que, dans
aucun cas , il ne serait possible de le lui imputer à crime.
Après diner, Legendre, que je ne connaissais que pour l'avoir
vu deux ou trois fois en passant, s'approcha de moi avec con-
fiance { t bienveillance. Il me parla de Lyon , où il était allé en
mission , de ce qu'il y avait vu , de ce qu'il y avait fait , de ce qu'il
y cvait dit : il s'épanchait avec moi ; et ce fut pour moi une nou-
velle preuve que les vœux que j'avais exprimés à table étaient
aussi les siens ; car on ne raconte ainsi son ame, pour ainsi dire,
qu'à ceux avec l'ame desquels la nôtre a senti quelque analooie.
I! était très-utile de disposer quelques esprits dans Paris
parmi ceux qui avaient le plus d'influence à ces pardons réci-
proques dps torts ou des attentats ; mais l'essentiel était de pré-
parer tout le peuple français à tu sentir lu nécessité, à en faire la
demande dans les assemblées primaires de ce ton impérieux de
MÉMOIRES DE GARAT. 4S7
la souveraineté auquel il faut obéir, alors même qu'on est léfjis-
laieur, sous peine de n'être qu'un rebelle : c'est l'effet que je
voulais produire par un écrit que j'adressais aux dëpariemens de
la république , mais que je ne pouvais guère composer que durant
les nuits , les journées entières étant absorbées par les détails im-
menses et accabians de l'administration.
A l'instant où l'approbation , donnée au 31 mai et au 2 juin,
parut générale dans Paris, et que l'indignation, qui n'était pas
étouffée encore par la terreur , était générale dans la république,
on demandait aux ministres, et on exigeait surtout de celui de
l'intérieur , qu'ils adressassent des circulaires aux départemens ,
pour représenter ces journées sous les aspects les plus favorables,
pour les inscrire parmi les jours heureux et glorieux de la ré-
publique.
Jamais ma plume ne voulut écrire de lettres qui auraient fait
circuler de pareilles apologies. Je défendis à tous les chefs de bu-
reau de l'intérieur de rien insérer dans la correspondance qui eût
trait à ces journées, et je dois dire qu'ils avaient tous peu besoin
qu'on leur recommandât de n'en pas faire l'éloge.
Mon silence n'était pas difficile à entendre, et je ne voulais pas
toujouîs le garder.
Au comité du salut public, les instances devenaient chaque jour
plus pressantes; elles devenaient presque menaçantes. Je répon-
dais toujours : On écrit rapidement pour les passions; quand on
veut écrire pour la vérité, il faut du temps j laissez-moi faire : je
saisirai le bon moment pour paraître, et je crois écrire des choses
utiles à TOUS.
L'inquiétude que donnait mon silence faisait tant de progrès
que Danton, qui avait démêlé l'espèce de sentiment que je por-
tais dans les affaires, et qui en avait ét(' touché; que Danton ,
qui ne voulait pas me perdre, mais qui voulait moins se perdre
encore , avait dénoncé mon silence dans une séance des Jacobins :
Le miuislrc Bulaud, dit Danton , inondait la France d'écrits con-
trc-révolnlionnaires: le ministre Carat a une autre manière de per-
dre l'opinion publi/pie ; il ne faitpasun seul écrit. La phrase avait
428 DOCUMENS COMPLÉilEiNTAmES (1792-1793).
tout-à-fait une tournure de tribune ; elle fut applaudie à tout
rompre , et ce soir-là même , je crois , les Jacobins nommèrent
des commissaires chargés de l'examen de ma conduite. Le lende-
main, Danton me dit : Diabled'lwmnie! fat été obligé de vous dé-
noncer aux Jacobins. Je lui répondis sans aucune amertume : Je
sais que vous m'avez dénoncé, et je crois que vous y avez été
oblicjé.
Si mon silence paraissait coupable, j'avais lieu de craindre que
mon ouvrage ne le parût un peu davantage , et cependant je le
poursuivais toujours. La grandeur des objets et le cadre étendu
dans lequel j'en présentais le tableau à la république , lui don-
naient de l'étendue : je remontais à l'origine de toutes les que-
relles pour mieux voir et pour mieux montrer leur nature dans
leurs sources : je distinguais et je marquais les époques qui avaient
accru par degrés leur violence : j'appréciais le caracîère et l'in-
fluence qu'avaient portés dans ces querelles les tribunes de l'As-
semblée nationale, la société des Jacobins et la Commune de
Paris, les feuilles, les joui naux les plus renommés ; je traçais,
comme en ayant été presque toujours le témoin , les récits des
grands événemens qui avaient jeté le désordre et l'alarme dans
la république ; je pesais dans les balances de ma raison et de ma
conscience, les graves inculpations faites réciproquement par les
deux côtés de la Convention nationale : je faisais évanouir, comme
des fantômes enfantés par la peur ou par la haine , ces accusa-
lions de royalisme , répandues de toutes parts , dans un moment
où la république n'était pas seulement la passion de toutes les
âmes , mais leur délire : je combattais , comme une autre chi-
mère plus absurbe et plus dangereuse, le fédéralisme, mot pris
dans une acception entièrement contraire à celle qui lui appar-
tient , et qui , lorsqu'il exprime quelque chose de réel , peint
une forme de gouvernement entièrement opposée aux actes par
lesquels on avait voulu réunir et conjurer tous les départemens
de la république contre la tyrannie dont tous accusaient la Com-
mune de Paris; je m'arrêtais, avec tous les sentimens d'intérêt et
de douleur dont une ame humaine puisse être pénétrée, sur la
MÉMOIRES DE GARAT. 4!^
situation des représentansdu peuple détenus à Paris ; je récusais
pour eux ce tribunal révolutionnaire à la formation et aux formes
duquel ils s'étaient tous opposés, dont ils avaient déjà décliné
non-seulement la compétence, mais l'existence; je demandais
pour eux à la nation un tribunal composés de jurés et déjuges
envoyés de tous les départemens, et rassemblés sous des formes
vraiment judiciaires , très-loin de Paris , non à Bordeaux , non à
Lyon , non à Caen , mais dans quelque ville ou dans quelque
hameau qui n'aurait aucunement figuré dans les querelles; en
faisant à leurs passions tous les reproches que je croyais qu'ils
avaient mérités, en repoussant avec tous les ménagemens dus à
l'oppression qu'ils souffraient les injustes accusations qu'ils
avaient élevées contre moi , j'affirmais que la lumière du jour
n'était pas plus claire que leur innocence, et je donnais la démis-
sion de mes fonctions de ministre , pour remplir, comme très-
instruit de tous les faits , les fonctions de leur défenseur officieux
devant le nouveau tribunal national.
A mesure que j'écrivais, j'envoyais les feuilles à l'imprimerie
nationale du Louvre : déjà cent vingt-huit pages étaient impri-
mées ; six mille exemplaires in-S" et six mille exenjplaires in-4°
étaient tirés de ce qui était imprimé ; il n'y avait guère à compo-
ser qu'une feuille et demie, dont j'avais achevé à peu près la
copie.
Malheureusement on savait que j'imprimais ; on savait que
l'ouvrage n'était pas très-court, et quelques gens qui prenaient
quelque intérêt vif à la chose furent curieux de savoir ce que
contenait l'ouvrage avant qu'il fût achevé. J'appris bientôt , et
d'une manière certaine , que ces personnes s'étaient procuré
des exemplaires des feuilles tirées, et les avaient lues : jamais
elles ne m'en ont rien dit.
Mais dès ce jour je me sentis entouré de pièges, j'entendis
murmurer ou gronder autour de moi des accusations qui, pour
me faire tomber la plume des mains, voulaient faire tomber ma
tête.
Il y avait eu à dix à douze lieues (IcParjs quelques mouvemens
430 DOCLMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793 ).
de vieilles dévoies exirêtnement légers : on vint me dire que c'é-
tait très-grave; qu'il fallait Caire partir à Tinsiant un courrier
avec des lettres aux administrations injonclives de mesures sé-
vères. Les lettres furent écrites : le courrier partit. Il n'alla pas
loin : sous prétexte qu'en courant dans le faubourg Saint-Antoine
il avait crié : Je vais à l'année de Jésus, il est arrêté. Les lettres
fermées du sceau d'un ministre de la république sont ouvertes:
on me les rapporte dans cet état; on n'y avait pas trouvé ce
qu'on espérait que j'y aurais mis.
Tout le monde le sait, le ministre de l'intérieur n'était aucu-»
nement chargé ni de la fourniture ni de la surveillance des sub-
sistances de Paris : c'était le devoir et le droit de la Commune,
qui avait créé pour cela dans son sein un bureau des subsistances,
présidé par le maire.
Je n'y avais eu et je n'avais pu y avoir que deux espèces de
participation.
Deux ou trois fois, j'avais demandé quelques millions à la
Convention pour cette dépense , et plusieurs députés , je l'ai su ,
m'en avaient fait un crime auprès de leurs départemens. Je
connaissais bien tout ce qu'on pouvait penser et dire d'un tel
abus, et je le disais moi-même en demandant les millions; mais
cet abus, on l'avait souffert avant: on l'a souffert depuis , et s'il
y a jamais eu un moment où il ait été dangereux de le supprimer,
c'est au moment où je parlais.
La seconde participation que j'ai eue, c'est celle d'apostiller
les réquisitions de grains faites pour la Commune de Paris, afin
de leur donner comme une sanction de la république.
Cependant l'approvisionneur en chef, un certain Garrein,
parce qu'il est ou qu'il feint d'être dans l'embarras, imagine de
faire retomber sur ma tête la responsabilité qui devait peser tout
entière sur la sienne.
Je reçois de ce Garrein une lettre dans laquelle il m'écrit : c II
va falloir que le peuple sache et qu'il prononce lequel de nous a
mis sa subsistance et sa vie en péril. » J'adr-esse à l'instanl au
maire un billet dans lequel je lui dénonce celte insigne extrava-
MÉMOIRES DE GARAT. 431
gance, et dans lequel je le préviens que je vais la dénoncer à la
Convention. Une heure peut-être ne s'était pas encore écoulée,
arrivent chez moi le maire, toujours très-calme; Garrein, avec
l'air repentant et presque soumis, s'excusant sur ce qu'il n'avait
presque pas le temps de lire les lettres quil signait. On m'en-
gage à tout oublier. Pour prouver conibien j'oublie l'injure , je
remets la lettre même qui la contenait. Deux jours apr es , Gar-
rein étale dans tout Paris un placard rouge de la hauteur de plus
d'un mètre, dans lequel il répète de mille manières la même
absurdité, et dans les propres mois de la lettre que je lui avais
rendue. Le peuple ne lut point Garrein; on ne le crut point; les
coniilés de la Convention se préparaient à m'en faire justice, et
il fallut creuser quelque autre précipice sous mes pieds.
Depuis long-temps on avait fait entrer dans 1( s torrens des
préjugés et des erreurs qui ravageaient l'espérance de toutes les
prospérités de la république naissante, l'idée et le projet d'un
maximum pour le prix de toutes les marchandises, et surtout
pour les grains ; que ce délire eût pris naissance dans quelqu'un
de ses départemetis où, avec sa main-d'œuvre, le peuple avait
peine à atteindre au prix du pain, je l'aurais compris; mais qu'il
commençât à Paris, où, à quelque prix que les grains fussent
vendus, le peuple, par un elfet de la munificence nationale,
achetait toujouis le pain au même prix, et toujours à un prix
excessivement bas , c'est ce que je ne pouvais comprendre. On
connaissait parfaitement mes principes sur toutes ces questions
d'économie, et on n'avait aucun besoin de les interroger, de les
sonder : le parti de ceux qui voulaient un maximum était pris
aussi delifiitivement , et il n'était bon à rien d'ouvrir sur cela des
discussions, comme si on avait voulu chercher la lumière.
Cependant on me fait entendre qu'il est important de discuter
la question du maximum entre les membres de quelques auto-
rités constituées ; et le jour et l'heure d'une conférence sont fixés
à l'intérieur.
Quelque parti que j'eusse pris, il y avait quelque blàme que
je ne pouvais éviter ; et comme dit le grand-maître de Florence ,
452 DOCUMENS COMPLEMENTAIRES ( 1792-1793 ).
» les bons chasseurs sont ceux qui cernent tellement l'animal in-
» nocent qu'ils relancent, que, de quelque côlë qu'il veuille
ï prendre la fuite, il tombe, ou sous les feux des carabines, ou
» sous les dents des chiens , ou dans les flots d'un lac. »
Si je refusais la conférence , c'eût été le service public que j'au-
rais refusé; si je votais pour le maximum, j'aurais trahi mes
principes, et j'aurais couvert leur violation de mon suffrage et
de ma responsabilité ; si je combattais le maximum, à la pre-
mière occasion , on me dénonçait au peuple comme un ministre
perfide qui avait voulu faire la contre-révolution par la famine.
Cétait là le piège le plus profond; je le vis, et je m'y jetai.
Tandis que tous les autres se rangeaient du parti du maximum,
seul je le combattis et je prédis, ce qui n'était pas difficile, tous
les malheurs qu'il amènerait à sa suite.
I! devait y avoir le lendemain, aux Jacobins, pour le même
sujet, une réunion plus nombreuse de foiiciionnaires publics :
on m'insinua que je ferais i.ien de m'y trouver. Pour le coup je
ne crus plus de mon devoir de me laisser aller à cette seconde
insinuation. J'avais assez affilé le poignard avec lequel on pouvait
m'égorger , je ne me crus plus obligé de le repasser encore sur la
pierre; et plus de soin en effet n'était pas nécessaire pour me perdre
par ce seul moyen. A peu de jours de là, et dans une circonstance
dont j'aurai à parler tout à l'heure, du haut de la tribune natio-
nale, en fixant le gesle sur moi et les regards sur toute l'assem-
blée , un orateur courroucé s'écria : « Demandez à ce ministre
ï perfide s'il ne s'est pas opposé à la loi bienfaisante du maxi-
» mum qui a assuré le pain au peuple. Demandez-lui si cette loi
j> est partie de ses bureaux? » (Celui qui faisait cette question,
pour la beauté du discours et pour la véhémence du genre accu-
satif, savait que la loi était partie; il s'en était assuré.) Lors-
qu'on avait tant de moyens de me perdre, dans un temps où il
en fallait si peu, celui-là était toujours ceui qu'on me réservait.
Le dép.rtement. Héron et la Commune posaient ainsi ma ques-
tion de vie et de mort : A-t-il fait tout ce quil était possible de
faire pour que Paris fût hiev fourni de grains? Une question, dit-
MÉMOIRES DE GARAT. 453
on, en logique, est résolue quand elle est bien posée ; iasoluiion
de celle-là n'eût pas coûté un seul raisonnement au tribunal ré-
volutionnaire.
Ce moyen était donc excellent, mais il n'était pas assez prompt;
et avant qu'on pût le mettre en usage , mon mémoire aux dépar-
temens pouvait paraître. On chercha donc queique moyen de
m'expédier plus vite. Un homme, dont l'exécution était rapide
comme la foudre , s'en chargea.
Gollot d'Herbois était envoyé en mission ; il vient à sept heures
et demie de l'après midi demander à l'intérieur l'une des voitures
dont le ministre avait la disposition. Mon usage le plus ordinaire
était de dîner entre cinq et six heures, et ce jour-là j'étais allé
prendre mon seul repas de la journée dans mon ancien apparte-
ment de la rue de Bourgogne, où, parmi d'autres douceurs, je
trouvais celle de croire quelques instans que je n'étais plus mi-
nistre. CûUol d'Herbois trouve très-mauvais qu'un ministre dîne
quand il a dîné lui ; il se met également en fureur et contre moi
qui ne me trouvais pas à l'intérieur, et contre Ghampagneux
qui s'y trouvait. De sa voix, de son geste, de ses expressions gros-
sières et furieuses, il répand l'épouvante; il parcourt plusieurs
bureaux pour chercher ce qu'il ne trouvait dans aucun, et pour
semer dans tous la même terreur.
On vient m'avertir de ce qui se passe, et je quitte tout pour al-
ler assister à celte scène, que ma présence ne pouvait pas termi-
ner. En me parlant, les injures de Gollot d'Herbois ne furent pas
moins violentes, elles furent peut-être un peu plus oratoires
« Roland n'est plus ici h , me dit-il, en se mettant à quatre ou cina
pas de moi pour l'attitude et pour le déploiement de l'action -
« mais son esprit y respire encore ; il est en vous. — Eh ! mon
• Dieu, lui répondis-je, Roland dirait peut-être que c'est l'esprit
» de Gollot d'Herbois qui y est entré avec moi. Mais en tout, par-
» toutoîi je suis, et oîj je veux être quelque chose, ou il n'y a
» aucun esprit, ou c'est le mien qui y est. » Plus Gollot d'Herbois
se livrait à ses eniportemens , plus je me commandai de calme et
de sang-froid. Je fus même poli. 11 avait menacé Ghampa^^neux ;
T.xviii. 28
434 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
il ne me menaça point, et il fit bien. L'homme qui, dans l'ordre
social, en menace un autre d'une autre force que de celle de la
loi, fait rentrer à l'instant dans l'état de nature, et comme dans
les forêts, lui et celui qu'il menace. Il me promit de me dénoncer
le lendemain à la Convention : il me tint parole.
J'étais curieux de voir comme il s'y prendrait pour m'imputer
à crime d'être allé dîner à six heures. 31ais quoique ce fût mon
seul crime d'abord , il m'en avait trouvé un autre dans les bureaux
de l'intérieur. Celui de mes attentats sur lequel il espérait mettre
la main : c'était mon mémoire aux départemens : c'est pour le
chercher qu'il avait couru de bureaux en bureaux, portant par-
tout les mains et les regards. Faute de celui-là , qui n'y était pas
encore, il s'arrêta sur un autre imprimé dont on faisait les pa-
quets et les envois: c'était une suite de questions adressées aux
directoires des districts sur l'état de l'agriculture , de l'industrie
et du commerce dans les divers cantons de la France ; sur la
nature du climat , du terrain , des eaux , des animaux ; sur la po-
pulation génér aie ; sur les proportions dans lesquelles se trouve
la population des hommes, des femmes, des enfans, des ado-
leacens, des hommes d'un âge mûr , des vieillards ; sur ces singu-
larités de l'organisation physique, à la trace desquelles des ob-
servateurs tels que Pavv, Poivre et d'autres, ont dévoilé des
secrets importans sur les mélanges des races ; sur la manière
dont des formes et des couleurs imprimées primitivement au
nord se conservent long-temps encore au midi. Ces questions fai-
saient partie de l'exécution d'un plan conçu pour avoir en moins
d'un an et demi un étal véritable de la France, sous tous les rap-
ports où il importe à des législateurs et à des administrateurs de
la considérer; plan qui avait occupé inutilement sous les rois des
ministres qui avaient de grandes vues, et qu'il était digne de la
république d'exécuter à sa naissance et dans les orages même qui
accompagnaient ses premières créations.
Le parti que tira Collot d'Herbois de ces questions , pour me
faire paraître un instant très-criminel aux yeux d'une auguste
assemblée, est vraiment une chose digne de remarque, el qui
' '- MÉMOIRES DE OARAT. 455
mérite qu'on en tienne noie pour Thisloire de l'esprit humain
dans les grandes assemblées.
Collot fait lecture d'une question aicsi énoncée : Les assignats
perdent-ils ? et combien ? El il s'écrie suffoquant de colère : Les
assicjnats perdent-ils! N'est-ce pas un crime de le croire possible,
et le ministre qui fait une pareille question' ne veut-il pas faire la
contre-révolution?
Pour varier les tons et les impressions qu'il faisait, pour pas-
ser du sévère au plaisant, il lut ensuite l'une des questions' sur
les siagularités de l'organisation physique ; celle-ci telles i) eux
communément sont-Us 'bleus au noirs? he rire part de tous les
côtés ; il éclate et circule dans toutes les tiibunes. Rien n'est si
niais qu'une pareille question , et parce que cela est niais , je suis
coupable. •.i.f)'>^ •;
Une fallait plus à Collot d'HerboiS, jiour achever de me perdre,
qu'un autre trait un peu plus fort, qui fût à la fois ridicule ièt
immoral : il obtient un grand silence, et, mes questions â là
main, il y lit celle-ci : « A quel âge ordinaireiiieat les femmes
» cessent-elles d'être fécondes? A quel âgé les filles sont-elles
» nubiles? » A ces mots de filles nubiles, pronorncés comme un
comédien le pouvait faire , on n'y tient plus ; mon arrestation et
ma traduction à la barre sont mises aux voix et à l'instant
décrétées. '' 2'ini 'lu^ .!ij;Lfii:M -. tmi;;-..
On vient m'en avertir en grande hâté; je n'attends pas que dés
gendarmes ou des officiers municipaux viennent me chei'cher,
et je suis rendu à la barre presque aussitôt que le décret est
rendu.
Danton était président ; il me notifie le décret comme à un
homme placé sous la main inexorable de la justice nationale.
Je comparaissais devant une assemblée composée de restes dfes
membres du côté droit, qui croyaient avoir à me reprocher en
partie leur défaite, leur humiliation et leur oppression ; et de la
Môrttagn** qui me voyait accusé par les chefs qui assuraient et ac-
complissaient en ce moment son triomphe. Je n'étais l'homme
d'aucun parti ; il était difficile que dans aucun de=5 deux je trou-
456 DoeoMENS complémentaires (1792-1795).
vasse un seul défenseur. Aussi ëtais-je loin d'appeler sur moi des
regards qui me fuyaient, en évitant d'avoir l'air de m' avoir
aperçu, qui me laissaient dans la solitude que j'avais méritée par
mes vues et par ma conduite isolée de tous et de tout, excepté
de l'intérêt général , de l'intérêt de la vérité , de l'intérêt de l'hu-
manité et de la république.
Dans ce premier moment , un seul homme osa s'approcher de
moi à la barre, et tandis que les autres n'osaient m'avoir vu , il
osa me parler : c'était un membre du côté droit.
Mais lorsque prenant la parole, je racontai la visite un peu
extraordinaire que j'avais reçue la veille de Collot d'Herbois
pendant mon dîner et après le sien , alors trois de ces hommes
dont l'ame est trop courageuse et appartient trop aux mouve-
mens de la nature pour souffrir qu'une grande injustice se fasse
en leur présence sans qu'ils la combattent, se levèrent presque
tous les trois ensemble, et, sans parler de mon innocence, ils
couvrirent des ridicules qu'elles méritaient les dénonciations de
l'accusateur.
Cependant Collot d'Herbois était monté à la tribune, pour me
lancer de nouveau les foudres de son éloquence, et sa puissante
dialectique, prompte à saisir d'une manière terrible toutes les
circonstances du moment, tirait parti d'un pâleur qu'un accès de
migraine répandait sur mes traits , pour y trouver la pâleur et
la preuve évidente du crime. Il était très-douleux encore, si je
serais renvoyé libre à l'intérieur et à mes fonctions , ou si je serais
envoyé à la Conciergerie ; et j'en atteste l'éternelle vérité, tel était
l'empire absolu et facile que j'exerçais alors sur toutes les émo-
tions de mon ame , que durant toute cette scène j'étais moins oc-
cupé à écarter un dénoùment funeste, qu'à observer le jeu
vraiment bizarre et fatalique des passions, des esprits et des
événemens.
, Dans les paroles que j'avais prononcées , je n'avais eu garde de
parler de la cause secrète et seule réelle de cette grande querelle.
Celui qui présidait , c'est-à-dire, Danton , qui m'avait parlé sans
cesse de mon ouvrage, et à qui il ne pouvait plus rester aucun
MÉMOIRES DE GARAT. 457
doute sur l'esprit dans lequel je l'écrivais, Danton était de tous
les membres de l'assemblée, celui qui savait le mieux pourquoi
on me persécutait et de quoi j'étais coupable sans qu'on m'en
accusât. Il était aussi de toute la Montaf^ne celui, peut-être,
dont la publication de mon ouvrage pouvait le plus mettre la
sûreté en péril : mais en me défendant j'avais di( , et à dessein ,
beaucoup de choses qui ne pouvaient être compiises que par
Danton ; dans la scène générale il y en avait une particulière qui
se passait entre le président de la Convention et le malheureux
ministre exposé à la barre : j'avais rappelé quelques circonstances
où Danton avait obéi à ces cris de la conscience et de l'humanité
qui élè\ent si fort une ame au-dessus des intérêts, des combi-
naisons et des cruautés révolutionnaires; et les traits invisibles
que je dirigeais vers son ame y arrivèrent tous. Il quitte le fau-
teuil pour la tribune : il prend la parole , il me déclare innocent,
en me déclarant en même temps, de par la nature, incapable de
m'élever jamais à toute l'énergie et à toute la hauteur révolution-
naire. Le décret d'arrestation est rapporté , et la liberté m'est
rendue.
Avant de sortir de la Convention , je passai près du président,
qui m'arrêta pour me dire : Écrivez donc une circulaire toute
simple, et jetez votre ouvrage littéraire au feu; gardez cela pour
l'histoire.
Les trois quarts au moins de l'assemblée, à cette époque, du-
rent croire que Danton avait parlé sur moi à charge et îi décharge ;
lui-même le crut peut-être , ou du moins voulut le faire croire.
Quant à moi, le témoignage que je lui sus le plus de gré de
m'avoir rendu , fut ce reproche solennel de faiblesse ([u'il me fit
devant toute la république; j'avais la /'rti<>/c'.sse, en effet, de ne
vouloir entrer, par aucune espèce d'approbation , ni exprimée ni
lacite , dans les voies par lesquelles on faisait marcher la révolu-
tion depuis le 51 mai ; c'était un certificat bien authentique que
me signait le président de la Convention , et par lequel il décla-
rait à toute la France que je n'avais pas eu assez de grandeur ré-
volutionnaire pour entrer dans ces hautes mesures. Si j'y étais
458 bocuMtJNs coiii'LÉMiiiSTAiKi!;s( 179:2-1795).
entré, en elïet, si j'avais voulu seulement écrire et signer deux
pages, qufcls ennemis aurais-je pu craindre en ce moment, et
quels éloges auraient été trop éciatans pour moi? Ce reproche
de faiblesse m'a été fait taniôipar le côté droit, tantôt par le côté
gauche, tantôt par les deux côtés à la fois; et c'est précisément
parce qu'il m'a été fait de tous les côtés que de tous les côtés je
l'accepte comme un témoignage qui m'est témoigné par tous de
la force que j'ai eue de résister aux passions qui étaient partout,
et qui, par leur manière accoutumée de juger, ne pouvaient
trouver de l'énergie qu'à ce qui s'abandonnait, comme elles, à
leur violence. Un temps viendra, et ce temps n'est pas loin , où
ce témoignage, dont je preiids acte, où ce témoignage , le seul
peut-élre sur lequel les deux côtés aient été unanimes, sera le
titre le plus sohde de ma plus complète justification aux yeux de
tout ce qui pense sur la terre , aux yeux de ce qui n'aura été mêlé
par rien à ces querelles des passions.
Si j'avais pu conserver encore sur les hommes quelques-unes
de ces opinions décevantes que j'ai si long-temps gardées ; si
j'avais pu croire encore qu'un écrit dans lequel les événemens où
tant d'hommes sont intéressé étaient appréciés par des juge-
mecs aussifroids, aussi impai tiaux que des équations algébriques;
si j'avais pu, dis-je, me persuader encore qu'un pareil écrit n'eût
pas soulevé tout le monde dans l'assemblée, j'en aurais parlé, de
la barre même, à la Convention nationale tout entière; je lui au-
rais proposé d'en entendre la lecture, et quel qu'eût été le sort
qu'on m'eût fait alors subir, celte manifestation de mon ame,
aux^yeux de la représentation nationale et de la nation , aurait été
pour moi un véritable triomphe , alors même qu'elle m'aurait
conduit à l'échafaud. Mais il était tiop certain qu'une pareille
proposition, si je m'étais avisé de la faire, aurait été renvoyée au
comité de salut public ; il était trop évident que le seul parti
possible qui me restât à prendre sur mon ouvrage, c'était ou de
le.sacrifieren silence ou d'avoir le courage de le communiquer au
comité de salut pubiic, et d'essuyer sur ce conùlé de gouverne-
ment le pouvAJÎr ,Éie ila yéri.ié>.4it§ avec les seuls niénagemens
MÉMOIRES DE GÀKAT. 459
qu'elle peut recevoir du désir sincère de la rendre utile à tous.
C'est à ce dernier parti que je m'arrêtai ; l'ouvrage était beau-
coup trop long pour que tout le comité en entendît la lecture, le
comité de salut public nomma deux commissaires ; ce furent Ro-
bespierre et Saint-Just. Le jour et l'heure furent fixés ; Saint-Just
ne se trouva point au rendez-vous.
Je lus donc l'ouvrage entier, et dans une seule séance, à
Robespierre seul.
Nous allâmes nous placer dans un petit cabinet du pavillon où
le comité de salut public et le conseil exécutif tenaient alors leurs
séances. Tout semblait nous assurer que rien de ce qui serait dit
dans cet élroit cabinet ne pourrait être entendu que de ceux enire
qui allait avoir lieu cet entretien ; mais les bonnes actions qu'on
a voulu rendre secrètes ont quelquefois des témoins comme les
crimes qu'on a voulu dérober à tous les yeux ; et des mots im-
portans de celte conversation ont été entendus et retenus par un
homme dont je n'ai pas appelé le témoignage; il me l'a offert de
lui-même.
La lecture fut longue ; mais elle parlait à toutes les passions de
celui qui l'écoutait, et sa patience parut bien plus souvent fati-
guée que son attention. A chaque instant il lui échappait des mots
qu'il ne m'échappait pas de recueillir, parce qu'ils peignaient
tous, dans une rare perfection, la confiance et l'insolence avec
laquelle un parti triomphant se revêt des maximes et de la langue
de l'esprit public.
Dans le début de l'ouvrage, j'annonçais à la république que
j'allais l'entretenir des divisions de la Convention nationale , des
catastrophes qu'elles avaient amenées Robespierre m'inter-
rompit. < Quelle catastrophe y a-t-ileu, me dit-il? Quant aux di-
visions, il n'y en a plus, le 51 mai les a terminées. »
En parlant des 2 et 5 septembre , je peignais, dans quelques
phrases assez énergiques peut-être, les horreurs de ces journées.
« On a menti , me dit-il , quand on a imprimé que j'y ai eu quel-
que part; mais il n'a péri là que des aristocrates, et la postérité
que vous invoquez, loin d'élre épouvantée du sang qu'on a ré-
iiO DUCUJItNS COMPLÉMENTAIRES {'179^-1793).
pandu , prononcera qu'on a trop ménagé le sang des ennemis de
la liberté ! »
Je me rappelai que c'est là presque mot pour mot une réponse
de Sylla dans le dialogue où 3Iontesquieu le met en scène avec
Eucraie , et je frémis de voir comment des âmes barbares pro-
fitent des productions du génie.
Dans tout le cours de l'ouvrage , je parlais continuellement des
partis , des causes qui les avaient fait naître, de leur esprit. « Un
parti, me dit Robespierre, suppose un corrélatif; quand il y en a
un , il y en a deux au moins. Où avez-vous vu donc parmi nous
des partis ? Il n'y en a jamais eu ; il y a eu la Convention et quel-
ques conspirateurs.
Cette idée de n'être qu'un chef de parti le choquait extrême-
ment, et la prétention en moi de juger les événemens et les
hommes avec vérité, parce que, nayant tenu à aucun parti, je
pouvais les juger avec impartialité ; cette prétention le révoltait
bien davantage encore. Dans tous ces passages, les convulsions
de ses joues se multipliaient singulièrement, et prenaient plus
d'accélération et plus de fréquence.
Je m'étais appliqué, comme une espèce de devise, une image,
un emblème superbe qui m'avait beaucoup frappé à la tète de la
petite logique de Wolff. Dans une gravure , Wolff représente la
terre comme elle est presque toujours, livrée aux orages de
toutes les passions qui promènent sur sa surface leurs tempêtes;
au-dessus , et dans la région où n'atteignent point les orages , du
milieu de l'espace pur sort un bras qui ne tient a aucun corps ;
à ce bras est suspendu une balance dont les plateaux sont immo-
biles dans leur égalité , au-dessus de la balance , sur une bande-
roUe , sont écrits ces mots : Discernit pondéra rerum.
Pourquoi , me demanda Robespierre , ce bras ne tient-il à au-
cun corps? — Pour représenter qu'il ne tient à aucune passion.
— Mais tant pis, la justice doit tenir à la passion du bien pu-
blic, et tout citoyen doit rester attaché au corps de la répu-
blique.
Une page de cet écrit i oulait sur Robespierre lui-même ; c'est-
MÉMOIRES DE GARAT. 441
à-dire ; sur un de ses discours. Ce discours était beaucoup loué :
je louais beaucoup surtout des engagemens qu'il y avait pris ,
d'oublier toutes les offenses personnelles, de ne conserver de res-
sentimens que contre les torts qui seraient faits à la république.
Les âmes généreuses ont de ces sentimens dans le moment d'un
triomphe ; les lâches en ont à l'ouverture d'un combat qu'ils re-
doutent ; et les vertus que Robespierre avait promises au moment
du péril , je voulais , en l'enchaînant par ces éloges, les lui impo-
ser au moment du triomphe. Pendant toute cette partie de la lec-
ture, il tint sa main posée sur ses yeux ; elle me cacha les impres-
sions qui auraient pu se manifester sur son visage.
Il y avait dans cet ouvrage un morceau très-élendu sur les Ja-
cobins : il était écrit au moment de leur plus haute puissance :
on le croirait écrit depuis le 9 thermidor. Robespierre eut beau-
coup de peine à l'entendre jusqu'au bout. — Vous ne connaissez
point du tout, me dit-il, les Jacobins. — Il est vrai que je n'y
vais jamais ; mais je lis très-exactement les comptes de leurs
séances. — Ces comptes sont faux. — Us sont rendus par des Ja-
cobins. — Ces Jacobins sont des traîtres.
Quand il entendit que je m'offrais pour être l'un des défen-
seurs officieux des députés détenus , un sourire , moitié gai ,
moitié amer, se plaça sur ses lèvres, et ne les quitta plus tant
que dura le morceau. Ils riraient bien eux-mêmes, me dit-il, s'ils
pouvaient vous entendre ou vous lire. Eux vous auraient fait
guiUotiner très-officieusement. — Cela se peut; mais pour juger
de ce que je dois aux autres , je n'attends pas que je puisse savoir
ce qu'ils jugent me devoir. En tout, je crois qu'ils auraient peu
guillotiné. — Peu est bon. — J'aperçus clairement qu'il ne dou-
tait pas qu'il ne fût compris dans ce peu, et que cela lui paraissait
beaucoup.
Le raorceau le plus important de l'ouvrage, celui qui devait
imprimer son caractère à tous les autres, celui qui pouvait pro-
duire les effets politiques les plus considérables sous la plunie
d'un ministre de la lépublique, témoin et partie dans les événe-
442 DOCUMEMS COUPLÉMENTÂlRbS ( 1792-1793 ).
mens, c'était le tableau que je traçais, elle jugement que je por-
tais du 2 juin.
C'était là que Robespierre m'attendait. Voici ce qu'il entendit.
« Le comité révolutionnaire, élevé dans Paris au-dessus de
» toutes les lois , voulait en dicter une aux législateurs de la ré-
» publique, et l'insurrection , qui s'était comme reposée un jour,
» le lendemain, le dimanche (iîjuin) se relève avec plus de fu-
» reur. Une force armée beaucoup plus considérable, et dans
> laquelle on remarquait des soldats inconnus aux citoyens, en-
» vironne la Convention nationale de plusieurs enceintes héris-
» sées de fer. Cent bouches de feu, en se déplaçant sans cesse,
» en roulant autour du palais national avec un retentissement fu-
» nèbre , semblent chercher la position la plus propre à vomir la
» flamme et la mort. Les gardes les plus farouches sont ceux
» que des consignes, données par des autorités inconnues, ont
» postés le plus près des législateurs et du sanctuaire. C'est dans
» cet appareil , qu'on croirait destiné au supplice des représen-
» tans de la nation, qu'on leur demande une loi. Étrange con-
» tradiction ! Et si elle n'avait pas des exemples dans l'histoire
» des siècles, contradiction incompréhensible! On veut recevoir
» une loi de ceux à qui on la commande , en les entourant de me-
» naces et d'épouvante ! La Convention veut sortir de celte en-
> ceinte où les représenlans de la souveraineté nationale sont
> emprisonnés : elle se promène entre deux haies de piques et
» de baïonnettes, recevant des salutations respectueuses et fra-
» ternelles de ces mêmes soldats , armés pour leur arracher un
» décret. Le décret , qui mettait en état d'arrestation trente-deux
» représentans du peup'e , fut prononcé. Était-ce une véritable
* loi, était-ce une expression delà volonté générale?
ï Ce n'est pas moi qui ferai ce mensonge à ma conscience et
> à la république.
» La loi est l'expression réelle ou probable de la volonté géné-
» raie ; la volonté est le dernier acte d'une délibération , dans la-
» quelle il n'est entré pour motif que des idées , des raisonne-
» mens, et ce qu'on croit la raison.
MÉMOIRES D£ GARÂT. 443
..,(ji Si on ayait prétendu que la volonté des représentans de la
> république fût déterminée par la raison , quel besoin aurait-on
» eu d'une insurrection?
» Je ne dirai point, parce que je ne le crois pas, que la mort
» lût suspendue sur les têtes qui votaient ; non , je ne crois point
B qu'on voul.iit les frapper de mort ; mais on voulait les frapper
» de terreur, et la terreur tue la volonté, sans laquelle il n'y a
» ni délibération, ni loi. >
Quand l'ouvrage, écrit tout entier dans le même sens que ce
morceau, fut entièrement lu , Robespierre se leva , et d'une voix
altérée : Vous faites, me dit-il, le procès à la Montagne et au
51 mai. — A la Moniagne? Non ; au contraire, je la justifie, et
complètement, des inculpations les plus graves qui lui ont été
faites. Quant à quelques-uns de ses membres et au 51 mai, j'en
dis ce que j'en pense. — Vous jetez une torche allumée au mi-
lieu de la république. — J'ai voulu , au contraire, jeter de l'eau
sur les flammes prêtes à l'envelopper. — Un ne le souffrira pas.
— Si le comité de salut public juge qu'il est dangereux que mon
ouvrage paraisse, il est impossible qu'il paraisse, et je donnerai
moi-même des ordres pour que les deux éditions soient livrées
aux iiummes.
Deux jours après l'ordre fut donné, et il fut exécuté.
Heureusement j'avais les dernières épreuves de l'in-So. Je sen-
tais combien il m'était dangereux de les girder ; mais je pres-
sentais aussi combien un jour il me serait important de les avoir
gardées ; elles ont échappé à toutes les recherches : je les ai
encore.
Gouget-Deslandres , l'un des citoyens parmi les hommes
éclairés qui , dans ces tempêtes de la république, ont été le plus
constamment dévoués, non pas aux passions de quelques mem-
bres du côté droit, mais aux principes et aux vertus de celte
partie delà représentation nationale; Gouget-Deslandres, qui
se trouvait par hasard à la [lorte du cabinet où j'étais avec Ro-
bcîspieiic , entendit les derniers mots de noire débat qui , tout
nalurel'emenl, durent être prononcés plus haut que les autres.
444 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES { 1792-1793 ).
Ce fut encore à lui que, quelques jours après, l'un des gar-
çons de bureau du comité de salut public alla dire qu'il avait sur-
pris quelques paroles de Robespierre sur mon compte, et que
j'étais un homme 'perdu.
Je n'étais pas assez aveugle pour ignorer les dangers que je
courais ; mais je n'étais pas non plus assez indigne de mes fonc-
tions, tant que je restais ministre, pour ne pas m'occuper du dan-
ger que couraient les reprësentans du peuple jetés dans les pri-
sons. J'étais persuadé qu'avec eux pouvait éire sauvée ou perdue
une très-grande partie de la république.
Leur danger , chaque jour , devenait plus pressant : tout ce
que je recueillais me faisait comprendre qu'on se raffermissait
dans l'horrible projet de les mettre en jugement. Robespierre
seul en aurait eu l'audace , mais non le courage ; Saint-Just, Col-
lot et Billaud pouvaient lui donner ce courage affreux.
A cette époque, oîi j'avais lieu de croire que la chose se déli-
bérait, mais qu'aucune détermination n'était prise encore, un
député de la Montagne et de Paris , que je connaissais peu, mais
en qui j'avais aperçu plus d'une fois des senlimens d'humanité ,
même envers ses ennemis, Robert, vient à l'intérieur. Je l'entre-
tiens des circonstances et des dispositions que l'on annonce; il
en paraît épouvanté comme moi. Tous les deux nous demeurons
persuadés que la chose dépend entièrement de Robespierre : que,
s'il demande du sang, le sang sera versé ; que, s'il n'en demande
point , personne n'osera en demander. Cette persuasion me dé-
termine ù une dernière tentative auprès de cette ame enivrée
d'orgueil et de tous les désirs de la vengeance. Je prie Robert de
tenter tous les moyens de m'obtenir un entretien de Robespierre.
Robert part à l'instant, et vient me dire que l'entretien est ac-
cordé pour la matinée même.
Robespierre me reçoit en effet chez lui ; mais non pas seul : j'y
trouvai Chabot.
Tout cet entretien mériterait, peut-être, d'entrer dans un
grand tableau d'histoire , il pourrait jeter de nouvelles clartés
sur le cœur humain : je n'en rapporterai ici que les résultats.
MÉMOIRES DE GARAT. 445
De deux espèces de générosités très-différentes, dont le cœur
humain est capable , l'une qui prend sa source dans des affec-
tions tendres, et l'autre qui prend sa source dans l'orgueil; la
dernière, j'en étais trop sûr, était la seule à laquelle il fût pos-
sible de porter l'ame de Robespierre : je lui présentai donc d'a-
bord la séduction de cette espèce de triomphe et de grandeur : je
vis à l'instant qu'il mettait lui son orgueil, son triomphe et sa
grandeur, à écraser impitoyablement ses ennemis.
Je cherchai à le toucher par une autre affection de son ame ,
par la peur : je lui représentai que, si on commençait à tuer quel-
ques députés, tous seraient bientôt menacés du même sort, et
que ceux qui feraient monter à l'échafaud, y monteraient bientôt
eux-mêmes. Je vis à l'instant que lui ne croyait trouver sa sûreté
que dans la destruction de tous ceux qui lui inspiraient des
craintes.
Repoussé dans toutes mes attaques comme par un mur d'ai-
rain : Est-ce que la Convention souffrira, lui dis-je, qu'ils soient
jugés par ce tribunal, érigé contre toutes leurs réclamations? —
// est assez- bon pour eux. — Quel mot !
Chaboi , je dois celte justice à sa mémoire , Chabot qui, durant
toute la conversation, se promenait, souriant toujours à Robes-
pierre, et souriant quelquefois à moi à la dérobée, osa dire et
soutenir qu'il fallait un autre tribunal. Je proposai de le former
de jurés élus par les déparlemens, et de le faire siéger ailleurs
qu'à Paris. Chabot trouvait que cela serait grand et beau.
Je ne dois pas omettre qu'à ce moment la pensée de ces hom-
mes affreux n'osait se porter encore qu'à l'idée de la mort de
deux représentans du peuple, de Rrissot et de Gensonné.
La liaison des évenemens et des objets m'entraîne ici et me
force à intervertir les temps, pour parler d'une autre démarche
du même genre faite pour les mêmes détenus, auprès d'un autre
homme.
Après s'être affermi dans l'idée de faire assassiner judiciaire-
ment deux représentans du peuple , on commença à parler d'en
faire juger, c'est-à-dire, d'en faire assassiner viugl-deiix.
é46 DOCUMENS f.OMPT.ÉMENTiIRES {1792-1795}.
Je ne pouvais pas me persuader que parmi tous ceux qui, de-
puis le 51 mai, conservaient une grande popularité, il n'y en eût
quelqu'un qui ne conservât encore un peu d'humanité; et j'allai
chez Danton : il était malade ; je ne fus pas deux minutes avec
lui sans voir que sa maladie était surtout une profonde douleur
et une grande consternation de tout ce qui se préparait. Je ne
pourrai pas les sauver, furent les premiers mots qui sortirent de
sa bouche, et, en les prononçant, toutes les forces de cet homme,
qu'on a comparé à un athlète, étaient abattues, de grosses
larmes tombaient le long de ce visage dont les formes auraient
pu servira représenter celui d'un Tartare: il lui restait pourtant
encore quelque espérance pour Vergniaud et Ducos.
J'entends ici les ennemis de Danton , et même les amis de la
vérité , qui me demandent si Danton ne pleurait pas alors sur des
victimes que lui-même avait mises sur la route de l'échaufaud, et
sous la main des bourreaux? Depuis l'instant où je vis que la voix
de l'humanité pouvait se faire entendre puissamment au cœur de
Danton, je l'ai vu très-souvent, je l'ai vu surtout dans le temps
où c'était un grand danger de le voir , et je me sens pressé dii
besoin d'en parler , de dire à mes contemporains et à la poslé-
rilé, ce que j'ai su et ce que j'ai vu d'un homme dont la vie et
la mort occuperont l'histoire , et dont la vie serait peut-être
éternellement un problème , si ce problème n'était résolu par sa
mort.
11 y avait trois ans que j'entendais parler de Danton , et je ne
l'avais jamais vu, lorsque je fus nommé son successeur au mi-
nistère de la justice. Condorcet me conseilla de le voir comme un
homme facile à attacher aux bons principes, et qui pouvait les
servir ou leur nuire beaucoup. L'espérance des gens qui obser-
vaient et qui réfléchissaient , désignait Danton , à celte époque ,
comme l'intermédiaire par lequel le génie qui devait organiser Ja
république pouvait communiquer avec les passions qui l'âvaienf
enfantée.
La célébrité de Danton avait commencé aux Cordeliers , qu'il
avait rendus plus célèbres.
MÉMOIRES DE GARAT. 447
Les grandes places de la révolulion étaient déjà prises dans le
système de la liberté associée à un trône : Danton, qui voulait
une grande place encore , conçut le premier le projet de faire de
la France une république.
Il y a deux roules à prendre pour tout grand changement po-
litique dans un état: ou on change l'opinion, qui change ensuite
les pouvoirs et les institutions , on en ébranle , on renverse les
institutions et les pouvoirs, et l'opinion change ensuite. La pre-
mière route est longue , et on la parcourt avec lenteur ; la se-
conde est moins une route qu'un précipice qu'il faut franchir :
cela n'exige qu'un saut et qu'un instant. C'est celle-ci qui conve-
nait à l'audace, à la paresse, au caractère ardent et indolent de
Danton.
Il commença donc par tout troubler , par tout défaire ; et lors-
que presque tout le monde était anarchiste, avec des vues plus
grandes, et qui exigeaient plus toutes les passions du peuple,
Danton fut plus anarchiste que tous les autres.
Jamais il ne disputait de petits succès à personne, et cela était
cause que tout lui servait d'aide pour s'en faire de grands.
II y avait en lui je ne sais quoi , qui faisait qu'on s'arrangeait
autour de lui, pour être ses moyens, pour attendre l'ordre: il
était, s'il est permis de se servir de ce mot , un grand-seigneur
de la sans-culotterie.
Au premier abord, sa figure et sa voix étaient terribles ; il le
savait, et en était bien aise, pour faire plus peur en faisant moins
de mal.
Quand une fois Mirabeau fut bien corrompu , les plus grands
moyens de corruption de la cour se tournèrent vers Danton ; il
est possible qu'il en ait reçu quelque chose, il est certain que,
s'il eut un marché , rien ne fut déliv.'é de sa part, et qu'il resta
fidèle à ses comj lices les républicains.
Après le 20 juin, tout le monde faisait de petites tracasseries
au château , dont la ptiissance cioissait à vue d'(jeil ; Danton arran-
gea le U) août , et le château fut foudroyé.
448 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
C'est là la véritable motioQ et le véritable décret qui ont créé la
république.
Ces jours de gloire touchent au 2 et 3 septembre , et Danton a
été accusé de participation à toutes ces horreurs. J'ignore s'il a
fermé ses yeux et ceux de la justice quand on égorgeait; or
m'a assuré qu'il avail approuvé comme minisire ce qu'il détestait
sûrement comme homme; mais je sais que, tandis que les hommes
de sang auxquels il se trouvait associé, par la plus grande vic-
toire de la liberté , exterminaient des hommes presque tous inno-
cens et paisibles , Danton , couvrant sa pitié sous des rugissemens,
dérobait à droite et à gauche autant de victimes qu'il lui était
possible à la hache, et que des actes de son humanité, à celte
même époque, ont été relatés comme des crimes envers la révo-
lution , dans l'acte d'accusation qui l'a conduit à la mort.
Porté presque dans le même temps au ministère et à la Con-
vention, Danton connaissait trop la révolution et les hommes pour
ignorer que rester ministre n'était qu'un moyen de se perdre, et
il renonça à un pouvoir exécutif qui mettait les infortunés qui en
étaient membres sous le pouvoir de qui voulait les écraser.
Quel vaste champ de pensées et de gloire, au contraire, pré-
sentait la Convention aux législateurs chargés de constituer une
nation de vingt-cinq millions d'hommes en république!
Danton n'avait fait aucune étude suivie de ces philosophes qui,
depuis un siècle à peu près, ont aperçu, dans la nature de
l'homme, les principes de l'art social; il n'avait point cherché,
dans ses propres méditations, les vastes et simples combinaisons
que l'organisation d'un vaste empire exige ; mais sa capacité na-
turelle , qui était très-grande et qui n'était remplie de rien , se
fermaiinaiurellement aux notions vagues, compliquées et fausses,
et s'ouvrait naturellement à toutes les notions d'expérience dont
la vérité était signalée par les caractères de l'évidence.
Il avait cet instinct du g; and qui fait le génie, et cette circon-
spection silencieuse qui fait la raison.
Jamais Danton n'a écrit et n'a imprimé un discours; il disait :
Je » Vrrl.f point. C'est co qui est arrivé dans divers siècles , à quel-
MÉMOIRES DE GAR\T. A49
ques hommes extraordinaires qui , en passant sur la terre , y ont
laissé des paroles et des disciples , et n'y ont point laissé d'ou-
vrages; ils ont senti sans doute ce que devait être un slyle pour
être digne d'eux, et que ce slyle ils ne l'avaient point.
Les grands modèles de l'éloquence ancienne lui étaient presque
aussi inconnus que les vues de la philosophie moderne; mais ces
mots de l'antiquité échappés du sein des grandes passions et des
grands caractères ; ces mots qui, de siècle en siècle, retentissent
à toutes les oreilles, s'étaient profondément gravés dans sa mé-
moire; et leurs formes, sans qu'il y songeât , étaient devenues
les formes des saillies de son caractère et de ses passions.
Son imagination, et l'espèce d'éloquence qu'elle lui donnait ,
singulièrement appropriée à sa figure, à sa voix et à sa stature,
était celle d'un démagogue ; son coup d'œil sur les hommes et
sur les choses subit, net, impartial et vrai, avait cette prudence
solide et pratique que donne la seule expérience.
Il ne savait presque rien , et il n'avait l'orgueil de rien deviner;
mais il regardait et il voyait.
A la tribune il prononçait quelques paroles qui retentissaient
long-temps; dans la conversation , il se taisait, écoutait avec in-
térêt lorsqu'on parlait peu , avec étonnement lorsqu'on parlait
beaucoup; il faisait parler Camille et laissait parler FabredÉglan-
line.
Tel était l'homme pour qui ses amis avaient une espèce de
culte, et pour qui ses ennemis auraient dû avoir tous les ménage-
mens, puisqu'ils étaient nécessaires à la république.
Mais ses ennemis , pour qui il était l'homme le plus redoutable,
ont toujours cru qu'il était pour la république l'homme le plus
dangereux. Toutes les fautes de son parti lui étaient attribuées
parce qu'il ne les avait pas empêchées; on lui créait une puissance
énorme pour le diffamer et le perdre. Marat n'était qu'un furieux,
Robespierre qu'un dictateur oratoire, et parce que Danton était
seul capable de réaliser un grand projet d'ambition, on le voyait
toujours occupé de ce projet.
T. XVIM. 5'j
450 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-i79D ).
Danton se voyait trop menacé par la peur qu'il faisait pour ne
pas s'occuper de sa défense.
Dans le temps même que le côté droit avait la majorité, il de-
mandait à hauts cris un gouvernement, frémissant presque éga-
lement et du mal que ses ennemis pouvaient faire à lui et à son
parti, et du mal que son parti et lui pouvaient faire à ses enne-
mis; pourvu que sa sûreté et celle de ses amis fussent garanties,
il lui paraissait égal que toutes les passions fussent étouffées sous
la force publique , ou qu'elles fussent sacrifiées par la prudence
des chefs de parti.
Il se crut, il se vit et il fut toujours menacé ; et pour se sauver,
lui et les siens, il franchit toutes les barrières, tous les Rubiconds
de la morale sociale ; il chercha son asile et ses défenseurs dans
des mesures détestables, parce que c'étaient les seules, par la na-
ture des choses que lui présentait son parti; chef de l'insurrec-
tion de la démocratie , il en provoqua tous les excès , il en alluma
les passions effrénées et le délire. Par lui furent demandés le tri-
bunal révolutionnaire, l'armée révolutionnaire, les comités révo-
lutionnaires , les quarante sous payés aux seciionnaires ; il frappa
de tous les côtés avec son trident , et toutes les tempêtes furent
soulevées. Un instant il parut au comité de salut public, le 51 mai
et le 2 juin éclatèrent; il a été l'auteur de ces deux journées;
plusieurs les voulaient , seul il a pu les faire, tous ont pu les souf-
frir.
A peine il vit ses ennemis écartés, il se dépouilla de la puis-
sance et s'occupa des moyens de sauver ceux qui , malheureuse-
ment, étaient déjà perdus; ils étaient livrés à Robespierre et à
Billaud. Billaud et Robespierre accoururent au gouvernement
lorsqu'il n'y avait plus de combats à livrer, mais des échafauds
à dresser.
Observez depuis ce moment la marche de Danton dans la Con-
vention nationale; vous le verrez occupé à se tracer une route
oblique , dans laquelle il pût trouver en même temps son salut
et celui des ennemis sur lesquels il venait de remporter un
triomphe qui faisait bien plus sa douleur que sa joie. Il jette des
MÉMOIRES DE GARA.T. 41)1
cris de vengeance qui ébranlent les voûtes du sanctuaire des lois,
et il insinue des mesures par lesquelles toutes les vengeances
peuvent être avortées : ses transports, ses fureurs démagogiques
ne sont plus qu'une hypocrisie ; le besoin et l'amour de l'oidre ,
de la justice et de l'humanité sont les véritables seniimens de
son cœur : il se montrait barbare pour garder toute sa popula-
rité, et il voulait garder toute la popularité pour ramener avec
adresse le peuple au respect du sang et des lois.
Quand le sort réservé aux vingt-deux , parut inévitable , Dan-
ton entendit déjà, pour ainsi dire, son arrêt de mort dans le leur;
toutes les forces de cet athlète triomphaut de la démocratie suc-
combèrent sous le sentiment des crimes de la démocratie et de ses
désordres: il ne pouvait plus parler que de la campagne; il étouf-
fait, il avait besoin de fuir les hommes pour respirer. A Arcis-
sur-Aube, la présence de la nature ne put calmer son ame qu'en
la remplissant de résolutions généreuses et magnanimes ; alors
il revint portant dans son cœur la conspiration qu'il avait for-
mée réellement dans le silence des champs et de la retraite.
Tous ses amis y entrèrent.
Je n'étais pas son ami , et j'étais trop surveillé pour ne pas
rendre trop suspects ceux que je verrais souvent; mais tous sa-
vaient bien que je serais l'ami d'une pareille conspiration , et que
je lui prêterais tous les bons secours dont on me laisserait ca-
pable.
C'est à cette époque que j'eus avec Danton plusieurs entre-
liens, dans lesquels j'appris à prendre conHance dans tous les
bons sentimens de son ame que j'avais souvent soupçonnés. C'est
alors qu'il me parla souvent avec désespoir et avec candeur des
querelles de la Gonveniion , des fautes de tous et des siennes, et
des catastrophes qu'elles avaient amenées ; c Vingt fois, me di-
> sait-il un jour, je leur ai offert la paix ; ils ne l'ont pas voulue;
» ils refusaient de me croire , pour conserver le droit de me per-
> dre; ce sont eux qui nous ont forcés de nous jeter dans le
» sans-culotisme qui les a dévorés, qui nous dévorera tous, qui
» se dévorera lui-même. »
4o2 D0CU3IENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793).
Le but et le plan de la conspiration de Danton, quoiqu'on prît
assez de soin de la cacher, étaient très-clairs tous les deux.
Le but était de ramener le règne des lois et de la justice pour
tous, celui de la clémence pour les ennemis; de rappeler dans le
sein de la Convention tous ceux de ses membres qui en avaient
été écartés , en leur accordant et en leur demandant amnistie ;
de soumettre aux examens les plus approfondis des représen-
tans de la France, de la France elle-même et de l'Europe, cette
constitution de 1795, rédigée par cinq à six jeunes gens dans cinq
à six jours , et qui devrait être le chef-d'œuvre des forces ac-
tuelles de l'esprit humain , puisqu'elle doit être le premier modèle
d'une démocratie de vingt-cinq millions d'hommes; d'offrir la
paix aux puissances de l'Europe, en continuant à les battre; de
relever le commerce et l'industrie de leurs ruines par une liberté
sans limites, les arts et les sciences de leurs débris par des en-
couragemens magnifiques; d'anéantir toutes les barrières qui
séparent les départemens des départemens , toutes les inquisi-
tions qui cherchent dans des portefeuilles et sur des cartes les
preuves d'un civisme qui ne peut être réel que dans des âmes
affranchies de toute inquisition , de regarder comme les uniques
cartes de sûreté de la république de bonnes lois , un bon gouver-
nement, nos armées et leurs victoires.
Les mesures d'exécution de la conspiration de Danton , c'était
de préparer un heureux changement dans les esprits par des
feuilles telles que celle de Camille Desmoulins, d'ouvrir des
communications et des intelligences entre le côté gauche et ce
qui restait de membres du côté dioit de la Convention, pour
faire cesser cette division qui les livrait tous au despotisme de
deux comités ; de ne regarder comme attachés sans retour au
système exterminateur, que Collot, Saint-Just et Billaud ; de
tenter de séparer d'eux Barrère, en parlant à ce qu'on lui
croyait d'humanité; Robespierre, en parlant à ce qu'on lui con-
naissait d'orgueil et d'attachement pour la liberté ; d'ajouter sans
cesse aux moyens de force et de puissance du comité de salut
public, parce que l'ambition , qui n'aurait plus à faire de vœux
MÉMOIRES DE GARAT. À^Ô
pour elle-même , pourrait enfin en faire pour le bien de la répu-
blique, et que si, au contraire, elle continuait à faire servir de
nouvelles forces à de nouveaux crimes, sa puissance, devenue
plus odieuse par sa {grandeur même , se porterait aux forfaits
avec celte insolence et cette effronterie qui sont toujours les der-
niers excès et le terme de la tyrannie : d'ouvrir, enfin , ou par
des mouvemens gradués, ou pi^r un mouvement inattendu, im-
pétueux, au renouvellement total ou partiel des deux comités,
pour faire entrer d .ns le gouvernement par une heureuse irrup-
tion les vues grandes, généreuses et vraiment nationales qui
avaient tramé la conspiration.
Voilà de cette conspiration , qui a conduit tant de citoyens à
l'échafaud , ce que j'en ai pu voir ou savoir ; et si , dans les com-
munications intimes des hommes, il existe pour eux quelque
moyen de discerner la sincérité de l'imposture, les intentions
magnanimes des inleuiions petites et personnelles, l'unique am-
bition de Danton, à cette époque, fut de réparer, par un bien
immense et durable fait au genre humain , les maux terribles et
passagers qu'il avait faits à la France ; d'étouffer, sous une dé-
mocratie organisée avec une haute et profonde sagesse , le délire
et les désastres de la sans-culotterie ; de faire expii er la révoiu-
lion sous un gouvernement républicain assez puissant et assez
éclatant pour rendre éternelle l'alliance de la liberté et de l'ordre;
d'assurer le bonheur à sa patrie; de donner la paix à l'Europe,
et de s'en retourner à Arcis-sur-Aube, vieillir, dans sa paresse,
au milieu de ses enfans et de sa ferme.
C'est à cette hauteur de senlimens et de vue qu'avait été éle-
vée l'ame de Danton par cette même conspiration qui avait élevé
le talent de Camille à côté des pensées profondes et sublimes de
Tacite; et ceux qui en seront étonnés déclareront, parleur élon-
nement , qu'ils ignorent ce que peuvent dans une ame qui n'a pas
cessé d'appartenir aux affections tendres de la nature, les repro-
ches de la conscience pour embrasser la vertu comme l'autel où
tout s'expie, et ce que peut une seule vue inspirée par la venu
pour créer ou pour agrandir le génie. En mourant pour la cause
4o4 DOCUIIENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793).
de rhumanité , on vit Danton porter et fixer un regard prolongé
au cîèl , qu'il éiait digne de regarder : et quelles qu'aient été ses
fautes, la vérité lui rendra dans tous les siècles deux témoigna-
ges : il a foudroyé le trône, et il est mort sur l'échafaud pour
avoir voulu arrêter l'effusion du sang humain qui coulait par tor-
rens sous la main des bourreaux et sur les fondemens de la répu-
blique.
Toutes mes espérances pour une réconciliation générale étaient
perdues avant l'acceptation de l'acte constitutionnel, marquée
pour l'époque d'un renouvellement des choses et des hommes.
Dans cette même journée , où l'on n'aurait dû exposer aux re-
gards que des emblèmes de paix et d'amour, où l'on n'aurait dû
faire flotter dans les airs que des signes qui auraient exprimé et
appelé une justice et une charité universelles , où l'olivier aurait
dû être le rameau placé entre les mains de tous les envoyés des
assemblées primaires et de tous les représcntans de la nation;
dans cette même journée, j'avais vu la marche triomphale de la
république ouverte par des hommes qui n'auraient jamais dû
figurer que dans les solennités des cannibales ; j'avais vu le ta-
bernacle où était porté le testament nouveau entouré de foudres
et de pt êtres homicides; j'avais vu tout ce qu'il y a de plus pro-
stitué dans la débauche de Paris traîné sur un char de victoire et
sur des canons , pour représenter des républicaines et des mères
vertueuses ; enfin , dans ce concours tumultueux, que mon ame
couverte de deuil n'avaii pu suivre que de côté et de loin, et dont
la confusion peignait si bien celle de toutes les passions , j'avais
distingué que les cris n'exprimaient jamais la joie que lorsqu'ils
exprimaient les fureurs de la vengeance : je pleurai sur la répu-
blique , et je ne songeai plus qu'à me démettre d'une place que
je ne pouvais plus garder sans crime , puisqu'il ne pouvait plus
me rester aucune ces espérances pour lesquelles seines je l'avais
gardée.
Je ne pouvais ni ignorer, ni me dissimuler tout ce qu'une pa-
reille démarche, daas un pareil moment, allait me faire courir
de dang;'rs; il y avait long-temps que j'avuis appris dans mon
MÉM0iKE6 1)E GARAT. 4d«>
SéDèque , qui l'avait appris clins la cour de iXéron , que l'on con-
damne ceux de qui l'on se sépare; un des membres du comilé de
salut public , qui ëiait plus sûr de faire des vœux pour ma vie ,
que de ne pas voler pour ma mort , médisait : Tu jettes ton bou-
clier; le comité de salut public, dont le grand caractère a été
d'ëriger solennellement en maxime et en loi , ce que les tyrans
les plus effrontés de la terre n'ont pratiqué qu'en le cachant dans
Jes abîmes de leur politique, le comité de salut public avait dé-
claré tous ceux qui se démettraient suspects , c'est-à-dire , coupa-
bles : je donnai ma démission , et j'allai attendre mon sort , sans
rien tenter pour m'y dérober, sans sortir même de Paris.
A peine je suis hors du conseil exécutif, une députaiion des
Jacobins va demander mon arrestation au comité de salut pu-
blic ; quelques jours après il se fait ou on fait un grand rassem-
blement d'ouvriers des carrières de Montmartre et de Mont-
Rouge, qui vont demandera la fois à la Commune du pain et
l'emprisonnement de plusieurs citoyens : l'un des orateurs place
mon nom parmi les noms proscrits, et Chaumette, en l'enten-
dant, s'écrie : Cela va sans dire. Menacé de tous les côtés, telle
était l'indifférence que le mépris de tout me donnait pour tout ,
que je jure n'avoir pas même songea faire aucune revue de mes
papiers : toutes mes précautions , en ce genre , se bornèrent à
brûler quelque billets qui étaient dans mes gilets , et qui la plu-
part m'avaient été écrits par Biron et par le fils infortuné du mal-
heureux Custine.
Vers le 15 ou Ki septembre. Garât, ci-devant caissier de la
trésorerie nationale, arrive de notre pays commun : il se pré-
sente de son propre mouvement à sa section (du Mont-Blanc) où
on l'arrête. On trouve dans son portefeuille une lettre à mon
adresse ; on l'ouvre : elle était écriie par une religieuse , il est
vrai , par une de mes sœurs ; mais cette religieuse est un ange.
A deux heures après minuit, le comilé révolutionnaire du Mont-
Blanc, escorté de fusiliers, se transporte dans mon appartement
à bx section du Bonnet-Bouge • on s'empare d'une demi-douzaine
de mes carions , on appose les scellés sur tout le reste de mes
4oG DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
papiers , on me signifie que je suis arrêté, et qu'il faut me trans-
porter à l'instant à la section du Mont-Blanc. Le lendemain mon
neveu et une autre personne qui vient me voir avec lui , sont ar-
rêtés et retenus dans la même prison que moi. Pendant cinq jours
et presque cinq nuits on lit un à un les papiers de tout genre qui
remplissaient mes cartons , et durant l'examen, des membres du
comité révolutionnaire vont à chaque instant dans les bureaux du
ministre de la guerre, s'éclairer des lumières de Mazuel, d'Au-
douin et de Vincent. Pour faire subir un interrogatoire à un ex-
ministre , il fallait tout ce qui pouvait se trouver de plus parfait
dans un comité révolutionnaire ; et pour cela uniquement y arri-
vait tous les soirs un homme qui était en même temps membre
du tribunal révolutionnaire. Le comité faisait trembler tout le
monde, et cet homme faisait trembler le comité : j'ai oublié son
noiij. La première fois que je compaïus devant ce magistrat, un
de ses collègues du comité , s'approchant de mon oreille, me dit :
Vous allez être interrogé par le plus grand scélérat de la terre.
J'aurais pu me douter qu'on n'aurait pas fait choix du plus hon-
nête homme. Il faut être juste envers tout le monde : s'il était un
coquin , il n'était pas un sot. Il est impossible de fouiller avec plus
de dextérité dans toute la viedun homme, de manière à conver-
tir les circonstances les plus innocentes en crimes que la haute
justice du moment dispensait des preuves d'une justice commune.
Tous les examens approfondis, tous les interrogatoires clos, la
section me renvoie par-devant !a police de la municipalité.
Que de gens auraient cru qu'un pareil renvoi devait me com-
bler de joie! J'allais comparaître devant Pache, c'est-à-dire,
pour beaucoup de gens, devant un de mes complices !
Ce complice-là je le trouvai un peu froid et sérieux. Les pre-
miers mots qui sortirent de sa bouche ;, en voyant un de ses col-
lègues du pouvoir exécutif traîné devant lui par un comité révo-
lutionnaire, furent ces mots tout-à-fait dans le genre judiciaire et
policiel : Nous ne sommes pas compélens pour cette affaire. II te-
nait ia loi à la main , et il était les propbèies : j'en savais assez
aussi pour ne pas disputer là de compétence. Tout le monde se
MÉJIOIRES DE GARAT. 4o7
lavait les mains. J'étais impatient de savoir quel Sanhédrin pro-
noncerait enlin ce qu'il fallait faire de moi. Je fus traduit devant
le comité de sûreté générale de la Convention.
On n'avait pas chassé encore de ce comité deux ou trois mem-
bres très-justement suspects d'impartialité et d'humanité; ils
furent assez intrépides pour plaider ma cause , et je reçus une
faveur inouie; on me donna un gendarme que j'ai gardé pendant
quatre mois à peu près.
Je ne me séparerai pas entièrement dans ce récit du comité ré-
volutionnaire de la section du Mont-Blanc , sans avoir acquitté ,
envers deux de ses membres , par un souvenir de reconnaissance,
un grand témoignage d'estime qu'ils me donnèrent : le fait est,
peut-être, aussi assez singulier pour mériter une place dans les
anecdotes de cette époque, où la vertu cherchait souvent sa sû-
reté dans les fonctions et sous le couslume du crime. Une heure
tout au plus s'était écoulée depuis mon arrivée à la section du
Mont-Blanc , tous les autres membres du comité s'étaient retirés ,
il n'en était resté que deux. Je les surprends se regardant entre
eux, et me regardant ensuite tous les deux avec intérêt. Cet in-
térêt , comme on peut le croire , n'attira pas toute ma confiance.
L'un était du nombre de ceux qui m'avaient arrêté, et jusqu'à ce
moment je ne l'avais pas distingué des autres ; il prend la parole:
Ek bien ! me dit-il, citoyen Garât, quand est-ce que vous croyez,
que tout ceci finirai — Quoi! tout ceci? — Mais l'état des choses où
nous vivons. — (Je ne répondais pas très-vite; je regardais plus
que je ne répondais. ) Vous pouvez, me dirent-ils tous les deux,
parler avec confiance : la vie que nous menons ici est un enfer;
nous sommes les plus malheureux des hommes : notre unique
consolation , c'est de pleurer ensemble ( et tous les deux pleu-
raient réellement devant moi); si on nous voyait, il y en a trois ou
quatre ici qui nous feraient incarcérer sur-le-champ : on nous
épie , et du moindre mot que nous disons en faveur de quelqu'un,
on nous en fait un ciime. Oh ! mon Dieu ! quand est-ce que tout
ceci finira ! — Il ne me restait presque plus de doute sur la sin-
cérité de leur intérêt et de leur douleur ; et je pris le parti de les
^ifî^h-^^
»^m':.m.
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4o8 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRtS ( 1792-1795 ).
consoler, de leur donner des espérances que je n'avais plus moi-
même, pour relever leurs âmes conslernées, et leur donner le
courajje dont ils avaient besoin pour faire quelque bien dans cet
horrible ministère. Braves gens, permeilez-moi de vous nom-
mer : je crois le règne de la justice assez établi pour que vos
noms parviennent à l'estime publique sans être recueillis encore
sur des listes de proscription : l'un est Bourrel, apothicaire, rue
du Mont-Blanc; l'autre Ptolomée.
Quand je n'eus plus mon gendarme, je parus plus libre, et
c'est depuis ce moment que mu mort fut arrêtée ; c'est depuis ce
moment que les membres du conseil-général de la Commune,
qui avalent le plus de crédit, allaient répétant de toutes parts
que vingt-neuf chefs d'accusation étaient rédigés pour me tra-
duire au tribunal ; c'est depuis ce moment (|ue Héron qui était,
comme on sait, bien informé, assurait que mon affaire devaital-
Icr avec celle des subsistances ; c'est depuis ce moment qu'en
plein conseil-général du département, Montmoro me dénonçait
comme un contre-révolutionnaire, plus pervers que tous les Gi-
rondins ensemble, et que des membres de ce même départe-
ment pressaient incessamment le comité de sûreté générale de
me faire arrêter et traduire au tribunal; c'est depuis enfin que,
trouvant une occasion commode, et saisissant une analogie qui se
présentait naturellement, il fut décidé qu'on me prierait de mon-
ter dans la voiture destinée pour le 11 thermidor ù trois ou quatre
ex-ministres coupables comme moi et de la même manière, et à
cinq ou six ex-géf^éraux.
Après le 9 , le sal^t des autres paraissait assez assuré; Biilaud
ne voulait pas que le mien le fût , cl on n'a pas oublié qu'H n'en-
tendait pas (jue par 1 » révolution du 9 thermidor sa puissance et
celle de Fouquier - Tinville fussent aftaiblies. iQueiqucs-un» des
membres nouveaux , qui ëtaienl ealrés dans le coaiïtâ , avaient eu
l'idée de me faire nommer commissaire <le l'ijislruclion publique :
si vous parlez de cet liomme-Ià, dit Biilaud, moi, je parierai
de lui à la Convention. La terreur n'était plus dans les lois,
mais elle était encore dans ic« anjes : ceux qui m'avaient pro-
fl! sut u:
rifiir,«,iiik
\jniÊpÈmt
MÉMOIRKS DE GARÂT. 459
posé eurent peur pour moi, et peut-être pour eux-mêmes.
Telle a été mon existence pendant plus d'un an.
Je ne pouvais recevoir aucune consolation pour les maux qui
fendaient de toutes parts sur la république, et qui éiaienide telle
nature qu'on ne pouvait en espérer le terme que dans cet accrois-
sement projjressif qui conduisait tout rapidement au désespoir.
Quant aux danfjers et aux malheurs qui m'étaient personnels,
j'ai pu recevoir des adoucissemens de plus d'un genre. C'en était
un pour moa cœur, de savoir avec certitude, que des hommes,
qui avaient été assez aveugles pour m'imputer leurs malheurs,
avaient abjuré celle injustice lorsqu'ils m'avaient vu préférer au
triomphe de leurs ennemis toutes les persécutions et l'attente
journalière de l'échafaud. Je n'avais jamais eu à détruire aucune
erreur de ce genre, ni dans Ducos, ni dans Condorcet. A l'in-
stant où Condorcet avait été obligé de chercher un asile, je lui
en avais fait offrir un à côté de moi , à l'hôtel même de l'inté-
rieur, et jamais je n'aurais cru employer à un plus digne usage,
ni une maison, ni un ministre de la république. Cette violation
d'un décret eût été pour moi la plus sainte exécution de toutes les
lois. Lorsque plusieurs mois après ce philosophe, l'honneur de
la représentation nationale, fut obligé de sortir du réduit sacré
où une ame digne de la sienne l'avait dérobé à cette population
immense d'espions et de bourreaux qui avait partout des yeux et
des oreilles , je lui fis proposer encore de se rendre à une maison
que je possède à dix lieues de Paris, et où d'avance tout serait
disposé pour le recevoir. L'éloignement du lieu , la grande dif-
ficulté de passer d'un département à l'autre sans passeport, ren-
dant l'exécution de ce projet trop périlleux , je m'occupai à lui
procurer un autre asile plus près de celui qu'il avait été forcé
d'abandonner ; et c'est dans le moment où nous concertions les
mesures que l'infortuné alla tomber dans les mains qui don-
naient la mort à tous ceux qui ne se la donnaient pas eux-mêmes.
Jusqu'aux derniers momens de Ducos, j'ai entretenu des re-
lations avec lui par la femme du général La Marlière, qui ne sor-
tait plus de la Conciergerie , où son mari attendait «ussi les bour-
460 DOCLMENS COMPLÉMENrAlRES( 1792-1795).
reaux. En allant à la mort, Ducos et Fonfrède me firent dire par
elle qu'ils portaient un cœur p!ein d'estime et d'amitié pour moi ,
et que, si on me laissait vivre, ils me recommandaient leur mé-
moire. Ah ! sans doute , elle est recommandée à tout ce qui a un
sentiment de justice et d'humanité sur la terre ! Mais ce legs sacré
ne trouvera personne qui l'exécutera avec plus de piété et plus de
religion que moi !
Ceux qui voulaient noircir des victimes si pures, avant de les
égorger, n'eurent garde de m'appeler en témoignage dans l'in-
fâme simulacre de leur procédure et de leur jugement ; et eux
eurent assez de générosité pour ne pas appeler un témoin qu'on
aurait fait monter à côté d'eux à 1 instant oîi il aurait parlé.
Ciavière, qui se souvenait bien plus encore de mon respect
pour la vérité et pour le malheur que de nos querelles , quand il
eut écrit pour sa défense un mémoire , dont il croyait pouvoir se
servir encore , m'en fit donner communication par son frère , et
son frère téûioignera comment il fut reçu par moi ; il dira s'il
trouva ma porte et mon ame fermées par cette terreur qui isolait
toutes les âmes.
Lorsque Lebrun monta sur le fauteuil de mort, son premier
cri fut mon nom , et sa dernière espérance fut de me faire en-
tendre de ses juges. Je courus malade et accompagné de mon
gendarme. A peine je suis entré dans la salle , où l'on réunissait
les témoins, et où passaient incessamment une foule de malheu-
reux , dont les uns allaient chercher leur arrêt de mort , dont les
autres , qui venaient de l'entendre , allaient chercher l'échafaud,
je suis entouré d'autres témoins , dont j'étais plus connu qu'ils ne
l'étaient de moi; presque tous me pressent de me retirer, de me
dérober à une catastrophe à laquelle je ne pouvais tenter d'arra-
cher Lebrun que pour en être frappé avec lui. J'en étais con-
vaincu comme eux , et un instant, je le confesse, la nature, qui
se rejette en arrière devant tout péril que le courage et la vertu
ne peuvent pas combattre , délibéra en moi pour décider si je
resterais pour déposer devant les tigres , ou si je fuirais celte
caverne où je croyais voir fumer le sang de tant de victimes. Ma
MÉMOIRES DE GARAT. 4(31
détermination fut de rester. Je restai le matin jusqu'à ce que
l'audience fût levée; je restai le soir jusqu'à ce que les jurés,
avant d'avoir entendu un seul des témoins appelés par Lebrun,
eussent déclaré que leur conscience était suffisamment éclairée.
J'étaitsùr, en restant, de tout faire contre moi et de ne rien
faire pour Lebrun ; mais quand les hommes ne peuvent rien pour
se sauver, le devoir de verser un seul sentiment de consolation
et de douceur dans la mort devient aussi sacré que celui de dé-
fendre mutuellement leur vie : et ce furent là le sentiment et le
principe de morale qui me retinrent comme cloué dans l'antre de
Polyphême, en attendant que mon tour vînt d'être dévoré.
Pour désirer de conserver la vie au milieu de tant d'horreurs ,
il m'était nécessaire de penser que ma conservation ne serait pas
inutile à cette nation traitée par quelques-uns de ses représen-
lans comme elle ne l'avait jamais été par ses despotes ; et cette
pensée, je la trouvais dans le projet dont j'étais sans cesse occupé
de laisser sur ma tombe une histoire de ce que j'avais vu dans la
révolution. Pour ne pas étouffer au milieu des scènes sanglantes
qui se passaient sous mes yeux , il me fallait encore essayer au
moins d'arracher aux bourreaux quelqu'une des victimes qui
tombaient tous les jours sous leurs coups, et je n'ai pas à me re-
procher d'avoir laissé échapper une seule occasion de jeter le cri
plaintif de l'humanité au milieu de tant de barbares.
Une fois , au moins , j'ai dû au hasard, à la rencontre la plus
fortuite, le bonheur de sauver la vie à un Anglais qu'on allait
mener à l'échafàud, comme espion de Pitt, et qui avait été
obligé de fuir l'Angleterre pour avoir professé quelques-uns de
ces principes d'une générosité universelle qu'on punit partout
comme des crimes, lorsqu'on ne les dédaigne pas comme des
rêves. Hélas ! cet excellent homme , dont je suis obligé de taire le
nom , ignore qu'il me doit la vie, et il ignore encore qu'une lettre
qu'il m'a écrite de Bàle a servi à des imposteurs pour m'accuser
d'entretenir des correspondances avec les ennemis de la répu-
blique. C'est (piand toutes les passions sont déchaînées (pu' lous
les événemens devienneui comme fortuits, et que la fortune o( le
462 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (17912-1793).
hasard semblent devenir, pour le bien et pour le mal , les divini-
tés aveugles qui dirigent les destinées humaines.
Telle a été ma conduite ; je l'ai exposée : les vérités évidentes
n'ont pas besoin d'un autre genre de démonstration.
Quant à ceux de mes ennemis qui voudraient me juger sur
leurs haines, et non pas sur mes torts, plus je leur ferais sentir
que je n'ai pas de torts , plus ils sentiraient qu'ils ont des haines :
ce n'est pas pour eux que j'ai dû écrire.
Tandis que les uns cherchaient à m'effrayer par leur colère,
d'auties ont eu l'air de me rassurer, en me menaçant de leur in-
dulgence. En rappelant les accusations qui m'ont été faites, ils
ont parlé de quelques talens qu'ils croient apercevoir en moi , et
qu'il faut, ont-ils dit, conserver à la chose pnblique.
Quel langage de tous les côtés dans des républicains !
Aurions-nous donc changé de régime pour mettre à la place
delà justice des grâces ou des vengeances? Ignore-t-on que, s'il
y a des hommes sur lesquels on peut prendre beaucoup de ven-
geances injustes, il en est à qui on ne peut faire aucune grâce?
Ignore-t-on qu'une république est perdue lorsqu'elle reçoit les
services des talens qui l'ont trahie, lorsqu'elle pardonne à ce qui
la corrompt, en faveur de ce qui lui est utile? Qu'un despote dont
on a consolidé la puissance lorsqu'on a amusé ses esclaves, laisse
vivre après ses crimes un joueur de flûte ou de harpe , je le con-
çois : là tout est fait pour les jeux et pour les crimes, et les actes
même de la justice ne sont guère que des crimes et des jeux.
Mais moi , je ne puis avoir aucune espèce de talent propre à une
république, où j'ai celui de démêler quelquefois, dans les opi-
nions humaines , ce qui est erreur et ce qui est vérité , de peindre
quelquefois la vertu avec ces charmes qui lui sont propres et qui
effacent ceux des passions. Si donc celui qui possède ce genre de
talent en voyant plus distinctement qu'un autre la vérité, l'a
étouffée sous d'artificieux mensonges ; si, en présentant la vertu
à l'amour et au culte des mortels , il est devenu le coaq^lice de
quelques scélérats , et de ministre de la république qu'il était le
ministre de quelques conspirateurs , que parle-t-on pour lui d'in-
MÉMOIRES DE GARAT. 463
dulgence et de grâce? Il a failli , sans se tromper ; il a viole tous
ses devoirs en connaissant toute leur sainteté : il est sans excuse,
on doit être sans miséricorde. Qu'il périsse; la clémence pour lui
sera dans la mort qui le dérobera à son infamie.
Et comment a-t-on pu croire qu'en le conservant uniquement
pour ses talens, ses talens pussent être conservés , qu'ils pussent
encore être utiles? Quel ascendant victorieux aurait la vérité
dans la bouche ou sous la plume d'un homme à qui on aurait
pardonné d'avoir trompé sa patrie.^ Que prouverait-il par les
hommages qu'il rendrait à la vertu, sinon qu'on peut l'honorer
par ses expressions , et la trahir par ses actions? Qui sait com-
bien les doutes répandus sur la sincérité de ce peintre éloquent
delà vertu, de Sénèque, sur l'accord de sa morale et de ses
mœurs, de ses principes et de sa vie, ont répandu de doutes sur
la réalité de la vertu elle-même? En dégradant un philosophe,
l'infâme Suilius et ses infâmes échos ont beaucoup dégradé la
philosophie e le-môme : et c'était là peut-être leur but principal
et leur plus chère espérance. Croyez-moi, vous auriez beûu
faire grâce à la vie d'un philosophe coupable , en faveur de son
talent, son talent périrait en recevant cette grâce; son talent
étoufferait de honte sous l'affront de votre clémence, et sa vie,
sa personne dont vous ne iaites aucun cas , serait la seule chose
qui vous resterait de lui.
Quant à moi, il faut que vos erreurs, que vous ne pouvez
guère garder, me fassent une injustice bien complète, bien for-
melle, ou que votre justice m'honore. Avec moi, vous n'avez pas
deux paitis à prendre ; et si vous persistez à m'outrager de votre
indulgence, moi, pour relever mon ame que vous voudriez
abaisser, je prendrai votre indulgence pour votre iniquité, et
prêt à suffoquer sous l'injure d'un p.irdon , je respireiai à l'aise
et avec hauteur sous l'oppression dont vous seriez coupable :
alors, si en effet il existe en moi quelques talens, je serai sûr
d'en trouver toute la puissance, et je l'exercerai.
Celte manière de me faire grâce ne serait donc qu'une manière
de me perdre, et elle réussirait bien peu.
464 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (1792-1793).
A l'un de ceux qui avaient juré , et avec solennité , le sacrifice
de leurs plus justes ressentimens , il est échappé un mot , par le-
quel sa passion se débarrassait au moins de tous les voiles qui
pouvaient la gêner. Il faisait circuler un de ces libelles où j'ai été
si indignement et si platement diffamé. Mais tout cela est faux,
lui dit-on; et qu'importe, répond-il, pourvu que cela le perde?
L'aveu est naïf, et il est clair que, pourvu qu'on pût me perdre,
il importerait peu à ce représentant du peuple que ce fût par le
mensonge ou par la vérité. Moi , je ne ferai point le serment de
renoncer à une vengeance très-légitime; mais son nom, je le
tairai , et il me semble que cela est assez généreux.
Je voudrais seulement qu'il prît la peine de m'apprendre quel
moyen il choisirait pour me perdre , et dans quel moment il me
tiendrait pour perdu. Pour que sa passion fût satisfaite, il fau-
drait que lui et moi nous portassions le même jugement de ce
qui m'arriverait, grâces à ces soins; car, si, dans une situation
où il me croirait perdu, moi, je me croyais sauvé, sa méprise
serait grande et sa haine un peu déçue.
Son esp'Jrance est-elle de me perdre en me faisant perdre la
place que j'occupe? Qu'il se réjouisse, je ne suis plus commis-
saire de l'instruction publique, je remets, par ces mots mêmes,
au comité d'instruction publique et à la Convention , le titre et
les fonctions qui m'ont été confiés. Je ne suis plus rien. Me
croit-il perdu? Il doit le croire; on m'a supposé un grand amour
pour les places et pour les traitemens. Faiseurs de journaux , de
pamphlets, de placards, tous excellens citoyens, comme le
prouvent leurs noms et les titres de leurs écrits, ont imprimé,
affiché que j'accumulais trois ou quatre places, et quant au trai-
tement , on m'en donnait bien plus que de places encore : il n'y a
eu de doute que pour savoir si c'était S0,000 livres de revenu
que je me faisais, ou 100,000. On voit que la table d'or était
bien dressée, et qu'il ne me restait plus qu'à écrire dessus un
traité et un éloge de la pauvreté.
Je confesse que j'étais content de mes richesses , et que je ne
demandais pas pUis de fortune ni aux dieux ni aux hommes : il
MÉMOIRES DE GARAT. 4(JO
faut pourtant que l'on connaisse au juste quels ont été ces traite-
mens que l'on a eu peine à dénombrer. Comme commissaire de
l'instruction publique, j'ai dû avoir, on le sait, le traitement de
tous les commissaires, douze mille liv. par an. Si quelqu'un sur
la terre, caissier, banquier, trésorier ou autre, veut dire que,
sous quelque prétexte que ce soit, il m'a fait toucher un denier
de plus, qu'il se lève, je lui donne la parole comme président de
celte discussion. Ces trailemens nombreux se réduisent donc à un
seul : el si on veut soutenir encore que j'en ai eu un nombre, il
faut traiter la question, traitée quelquefois par les géomètres
métaphysiciens , savoir : si un est nombre ou ne l'est pas. Je suis
un peu métaphysicien , infiniment peu géomètre : je laisse la
question à traiter aux savans auteurs des pamphlets : la vérité ne
peut échapper à des esprits qui la cherchent avec tant de sagacité
et tant d'amour.
La mode s'est établie avec la république de rendre compte de
sa fortune passée, présente et presque future. J'aime assez cette
mode, si elle devient un usage ; car si un fripon est assez habile
pour cacher ce qu'il a pris, tous les fripons sont assez habiles
pour découvrir ce qu'ils cachent : les fripons sont très-bons cen-
seurs les uns des autres. Pour les honnêtes gens ils donneront
des exemples qui, peut-être, seront quelquefois suivis. Il y a
donc tout à gagner à cette mode , et je m'y range.
Je suis fils d'un médecin basque qui a exercé la médecine en
Espagne et en France : mon père, qui passa pour très-habile
médecin dans les deux royaumes , ne fut pas assez habile pour se
faire, dans l'une ou dans l'autre, la plus petite fortune : il mou-
rut sans avoir rien retranché et sans avoir rien ajouté, je crois,
à son mince patrimoine : il était trop honnête homme pour faire
des dettes , et trop généreux, trop désintéressé pour laisser quel-
que chose.
J'avais le titre d'avocat à Bordeaux, et j'avais de plus vingt-
cinq ans, sans que ma majorité m'avertît que je n'avais aucun
moyen de vivre qui me fût propre , et que je devais en chercher.
Je vivais a côté d'un fièro qui m'empêchait d'y songer. Toujours
T. xviij. 50
466 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES (i 792-1793).
un Virgile dans une poche , et un Locke ou un Montesquieu dans
l'autre , j'errais dans des c;îrnpa{7nes couvertes de richesses et de
beautés; j'oubliais que j'étais sur la terre, parce que Senon, Flo-
rac, Ustarits ressemblaient à l'Elysée ; je n'apprenais point que j'é-
tais parmi des hommes, parce que mes entretienscontinuels étaient
avec ces {jénies qu'on a appelés les enfans des dieux. Cependant
il fallait, comme on dit , prendre un parti : on va jug^er si jt^ pris
celui qui pouvait me conduire à la fortune : je vins à Paris faire
des articles du Mercure et des discours d'académie.
Trouvant partout des îiinîset du bonheur, ma fatale étoile me
condamnait à oublier toujours que j'étais né pauvre , et que je
restais comme j'étais né.
Tout devait changer avec la révolution de France, qui chan-
gera le monde : je commençai à espérer en 1789, que des idées,
qui ne m'avaient guère occupé jusqu'alors, que comme beau
idéal, pourraient se réaliser sur la terre ; jespérais que des rê-
veries délicieuses pourraient devenir des pensées utiles, et qu'a-
près avoir fait mon bonheur , elles pourraient entrer dans le
concours de toutes les vues qui allaient préparer le bonheur du
genre humain. Mais je savais et je n'oubhais pas, au milieu de
ces espérances enivi'antes, combien les vérités importantes et
étendues sont difficiles à découvrir, combien les vérités décou-
veites sont difficiles à démontrer , combien les vérités démontrées
par une analyse rigoureuse sont difficiles à présenter aux
hommes avec cette clarté qui les dispense d'une longue attention,
et avec ce charme qui les récompense d'une attention passagère.
Je comprenais donc parfaitement combien la mission que je me
donnais, et il faut que je parle comme je sentais, combien Ja
mission (|ue je croyais avoir reçue de la nature était difficile à
remplir, combien elle exigeait de temps et d'indépendance en-
tièi'e. Pour me procui'er les moyens de fortune qui devaient
m'assurer cette indépendance et ce temps, je me condamnai,
pour près de trois ans , au genre de travail qui contrariait le plus
et toutes mes mauvaises habitudes, et toutes mes bonnes quali-
tés. Je me chargeai de la rédaction de l'article Aasemblée natio-
MÉMOIRES DE GARAT. 467
nale dans le Journal de Paris. Le prix de ce travail , que je ne
touchai en très-grande partie qu'à sa fin, est la plus grande for-
tune, elle est la selle que j'aie faite jusqu'à ce jour. Elle se mon-
tait à ireute-deux mille livres à peu près.
J'ai acheté avec cet argent une maison et un jardin à dix lieues de
Paris, à Auvernau, lieu sur lequel se fixa tout de suite mon choix,
parce que j'y trouvai très-peu d'hommes et beaucoup de rochers.
L'expérience éclaire , comme on sait , ou comme on dit ; elle
m'apprit bientôt qu'un jardin ne nourrit son maître que dans /es
Géorgiques de Virgile et dans les Saisons de Thompson. Si j'a-
vais pu gagner avec le Journal de Paris quelques mille Uvres de
plus, il y avait à côté de mon jardin quelques terres excellentes et
pas très-chères, qui auraient suffi pour m'établir là comme un
colon ; ce regret et ce vœu m'échappaient quelquefois dans mes
conversations : le vent de l'amitié les porta à l'oreille d'un
homme de lettres et de son frère, que je ne connaissais pas du
tout, (Legrand, auteur des Fabliaux et d'un excellent Voijage
en Auvergne) et tous les deux se réunirent pour faire et pour me
prêter vingt-six mille livres , avec lesquelles j'ai acheté les terres,
objets de mon ardente ambiiion. Ces hommes généreux ne le
voulaient pas , je les ai forcés à recevoir l'intérêt légal de leur
argent.
Voila mon bilan : voilà mon actif et mon passif.
Si on me trouve quelque chose de plus, qu'on le prenne, et
qu'on ne m'en laisse que l'infamie et les supplices que doivent
subir les dilapidaleurs des deniers de la république.
Quant à l'avenir, j'ai dans mes portefeuilles une Histoire de
l'aniiquilé très-avancée, et quelques autres ouvrages pour les-
quels j'ai déjà traité avec quelques imprimeurs. J'ignore encore
ce qu'ils doivent me rapporter ; mais toutes mes transactions sur
mes ouvrages seront publiques ; et puisque j'ai été un instant mi-
nistre , je consens et avec joie à être toute ma vie comptable de
la république.
On a dit qu'il y a des hochets pour tous les âges ; il y en a
aussi pour tous les caractères : et tel homme, peu ébloui de l'ë-
4«iH DOCUMENS COMPLiîMEMTAmES{ 4792-1795).
clat des richesses , peut se regarder comme perdu , lorsqu'il perd
les postes qui lui donnaient le moyen de donner des places à ses
amis , pour s'en faire des créatures, et à sa famille , pour établir
son ambition sur des fondemens plus étendus et plus solides.
Mais pour sentir une pareille perte, il Ixiudrait que j'eusse voulu
me donner une pareille jouissance. Dans l'administration de la
justice, je n'ai nommé qu'aux places que j'y ai trouvées vacantes ;
et il n'y en a eu que deux, je crois ; dans l'administration de l'in-
térieur , toutes les places étaient remplies par des amis de Ro-
land; je les ai tous non-seulement conservés, mais défendus
contre le parti triomphant et proscrivant, qui m'ordonnait de
choisir d'autres coopérateurs. Je ne savais ce que ce courage
pouvait me valoir, et qu'il ne serait aperçu que par ceux qu'il
indignait; mais pourvu que le bien que je faisais fût consigné
dans ma conscience, je ne me souciais pas d'afficher le compte de
ma morale sur les murs et sur les colonnes de tout Paris. A la
commission de l'instruction publique, dans l'état où je l'ai trouvée,
un grand nombre de réformes étaient indispensables. Excepté un
seul homme, avec qui j'avais des liaisons, homme excellent de
cœur et d'esprit , d'Esrenaudes , tous les autres choix ont été
adoptés par moi , mais faits par la renommée ; et lorsqu'on a dis-
puté à Ginguenéet à moi ce faible mérite de l'adopiion , nous
avons gardé le silence ; il nous a suffi qu'on ne pût pas en enlever
les avantages à notre administration.
Quant à ma famille , je me suis entendu reprocher souvent de
ne rien faire pour elle , et jamais d'en faire trop. Un de mes ne-
veux a subi dix mois d'une détention rigoureuse, et je n'ai pas pu
lui en sauver dix minutes ; dénoncé par un mauvais chanteur , il
a expié par une année de prison le crime de faire retentir dans
un gosier français les chants les plus doux , les accens les plus
passionnés de la mélodie iialienne, et d'être en musique un uUrà
révolutionnaire. J'avais deux neveux dans les armées de la répu-
blique quand j'étais au ministère : l'un aux Pyrénées, l'autre au
Rhin. Celui-ci a fait toutes les campagnes de la guerre. En ou-
vrant à la l)aionne(te les rangs ennemis , lui et ses camarades ont
ilËMOlRKS DE GARAT. ^i:^^
souvent chanté les couplets républicains et guerriers dont il était
l'auteur, et ce jeune Tyrtée, qui n'élait pas boiteux, est toujours
resté simple soldat. Depuis mon entrée dans les administrations.
j'ai eu toujours auprès de moi et à mes côtés un autre neveu.
Fonfrède était son parent, Ducos son ami de cœur, tous les dé-
putés de la Gironde ses amis. Tous ces amis, excepté moi, s'é-
taient chargés de son avancement : il s'avança, en eftet, aux.
affaires étrangères jusqu'à une place de près de mille écus, et la
seule place qu'il ait eue de moi , est celle de secrétaire de section,
place très-subordonnée dans la commission dont j'étais le chef,
et dont toutes les places étaient à ma disposition. Mon espérance
pour lui est qu'il n'occupera jamais de place dans la répu-
blique , mais qu'il en prendra une parmi les hommes dont les ta-
lens, les écrits et les vertus servent et honorent l'humanité.
A-t-on cru me perdre, en me faisant perdre des places qu'on
imagine, peut-être, que je regardais comme des carrières pour
cette unique ambition , pour cette dernière passion des grandes
âmes, pour la gloire? Sans doute, il y a eu des temps malheu-
reux, où un administrateur, qui pouvait beaucoup auprès d'un
despote qui pouvait tout , concevait légitimement le projet et
l'ambition de rendre son nom cher et immortel dans un grand
empire, d'embrasser dans ses pensées tous les besoins, et dans
ses vœux tous les vœux d'un peuple, pour les remplir et pour
les rendre à jamais respectables par des lois que les caprices
même du despotisme craindraient de renverser : celte alliance du
génie d'un seul homme à la puissance d'un seul homme, a été
long-temps la seule espérance des nations ; c'est elle qui a revêtu
d'une gloire qui ne périra point dans les révolutions, les noms
des Sully, des Turgot; et dussent ces grandes ombres en mur-
murer; dussent se soulever contre moi de grands révolution-
naires que j'estime et que je chéris, j'inscrirai encore parmi les
noms de ces ministres immortels, le nom de N'^ckei'.
Elle était assez belle pour la plus grande ambition , celte gloire
qui brillait à la fois de l'éclat du talent , et de l'éclat de la puis-
sance, qui, en se faisant estimer des sages qui rajipréciaient , se
470 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793 ).
faisait adorer de la multitude , dont elle changeait les destinées :
cependant elle n'occupait que la seconde place dans l'opinion de
ceux qui aspiraient aux divers genres de gloire , et qui eu étaient
les dispensateurs. C'est pour le philosophe qui avait reculé les
bornes de l'esprit humain , et pour le poète qui avait étalé des
chefs-d'œuvre sur la scène qu'était la première gloire. Les puis-
sans de la terre connaissaient ces sentimens que l'homme de
lettres supérieur renfermait et conservait dans son ame, et ils ne
pouvaient les lui arracher ni par leurs bienfaits, ni par leur hau-
teur. Le nom de Smiths efface les noms de tous les ministres de
la Grande-Bretagne , et la gloire de tous les ministres de Fi ance
s'éclipse devant la gloire de Montesquieu.
De quel homme aspiiant à quelque célébrité de talent, pour-
raient donc être aujourd'hui l'ambition , ces places de l'adminis-
tration qui, lors même qu'elles sont les premières, sont heureu-
sement si peu de chose dans les institutions de la république, et à
côté de la représentation nationale ? Semblable à l'ouvrier dont
la main met en jeu les ressorts d'une machine dont Huighens on
Galilée sont les inventeurs , la main de l'administrateur de la ré-
publique opère ; son génie n'a rien à concevoir ; son devoir et son
serment sont d'exécuter avec autant de scrupule une loi qu'il juge
mauvaise, qu'une loi qu'il juge excellente ; et tandis que tous les
autres citoyens énoncent avec une liberté généreuse toutes leurs
opinions , lui seul est presque toujours obligé de taire toutes les
siennes : en l'élevant à ce poste honorable , il semble qu'on ait
effacé en lui les droits de l'homme et du citoyen , il semble qu'on
ait arrêté sa pensée , pour ne lui permettre de se mouvoir que
par la pensée des autres. Qu'on les bénisse ces victimes dont la
patrie a besoin , et qui s'immolent tous les jours à la patrie ;
mais qu'on les choisisse avec convenance, pour qu'elles-mêmes
ne soient pas trop malheureuses, et pour que la république ne
perde pas trop de talens. Aujourd'hui les premières places de
l'administration ne demandent que des hommes probes , labo-
rieux, ayant peu d'idées à eux , pour qu'ils n'en soient pas trop
préoccupés , qui n'aient aucune connaissance et aucun sentiment
MÊJ101hli& D£ GARAT. 471
de cette gloire que les siècles dispensent, pour qu'ils puissent
être touchés et consolés par ces soumissions qu'on affecte encore
devant une place, lorsqu'on n'attend pas davantage de l'insulte
faite à celui qui l'occupe.
Tels sont les hommes estimables auxquels il faut désormais
faire occuper ces places: on voit qu'en les occupant j'étais con-
damné à trop de sacrifices. La république est depuis long-temps
la plus grande de mes pensées et de mes espérances; mais elle
n'a pas eu à m'offrir de place qui ne fût au-dessous de mon am-
bition.
Qu'on se rie, j'y consens, de ce sentiment de moi-même que
l'injustice des hommes me force à produire ; qu'on le couvre de
ce ridicule que la vanité de tous sait si bien répandre sur l'or-
gueil d'un seul ; personne ne pourra juger avec plus de dédain
que moi les misérables productions arrachées à mes besoins bien
plus qu'émanées de mes conceptions. Les titres de mon orgueil,
si on veut ainsi l'appeler, n'existent nulle part encore; si je pé-
rissais, tous périraient avec moi. Mais qu'il soit insensé, ou qu'il
ait des motifs légitimes, ce sentiment de mon ame, il suffit qu'il
existe pour m'en donner un autre : c'est que loin de perdre quel-
que chose en perdant des places, si je les conservais je me per-
drais tout entier.
Peut-être a-t-on entendu me perdre tout entier , mais d'une
autre manière : mes forfaits sont si grands, ils sont de nature à
trouver parmi les hommes , sinon une justice , au moins des juges
si inexorables ! et puis la peine de mort a paru si dangereuse à
abolir encore! et la déportation qu'on a mise à sa place, pour
certain cas, est une peine si commode etsi prompte, qui concilie
si par fjiiement tous les intérêts ! Il est très-possible qu'on ait
pensé à me perdre , en me faisant monter sur un vaisseau ou sur
un ëchafaud. Plus d'un avertissement secret et non secret m'en
a été donné par des gens qui , peut-être, n'auraient pas été
fâchés que je me déportasse moi-même. Mais en tout, je suis
curieux, et, quoi qu'on dise de ma douceur, sur les choses qui
valent la peine qu'on prenne un parti, assez opiniâtre. Je veux
472 DÔCUMENS COMPLÉMENTAIRES ( 1792-1793).
voir, lant qu'on me laissera des yeux, comment tout ceci pour moi
et pour les autres ira à un terme ou à une fin.
Si je dois être condamné, je ne demanderai pas, comme dans
quelques anciennes républiques, qu'on me laisse le choix du sup-
plice; mais dans le cas où je devrais être déporté, il sera égal à
mes ennemis que je sois jeté dans la Sibérie ou à 3Iadagascar : et
à moi, né sous le ciel du midi , la chaleur du soleil m'est si né-
cessaire ! un ciel rempli et resplendissant de sa clarté m'est si
doux à contempler ! Si quelque pilié reste encore à mes ennemis
pour un être si faible , et dont ils vont disposer avec tant de
puissance , je les conjure de me faire descendre sur cette grève
enflammée de Madagascar, où il me suffira de faire quelques pas
pour trouver un domicile sous l'ombre d'un bananier. Comme
le Socraie en délire, si je rencontre un tonneau, et qu'on ne
m'ôte pas mon soleil, je puis encore trouver le bonheur, je
pourrai encore bénir la douceur naissante des lois de ma répu-
blique.
Sera-t-on moins miséricordieux que je ne l'espère, et cette
peine horrible dont Robespierre et Billaud ont fait pour tant de
Français un supplice qu'ils ont subi avec tant de magnanimité et
tant de gaieté, est-elle celle qui me serait réservée? Je crois avoir
été assez l'apôtre de la vérité , je ne suis pas très-pressé d'en de-
venir le martyr. Ce que disait un philosophe de l'antiquité est
peut-être vrai ; il est peut-être égal de vivre ou de mourir : cette
grandeur d'indifférence ou de stoïcisme n'est pas un sentiment
naturel à mon ame : je n'ai jamais cherché à l'acquérir ; j'aurais
trop craint de tarir dans mon cœur cette source de ravissemens
qu'y a toujours portés le spectacle de la nature et le sentiment de
l'existence, sentiment divin, répandu avec tant d'abondance et
de variété sur tous les êtres, qui trouve tant d'ingrats et qui m'a
toujours trouvé si reconnaissant, si disposé à entonner le canti-
que de la vie avec tout ce qui sent , tout ce qui se meut et tout ce
qui chante sous les cieux !
Cependant il est impossible d'avoir vu, pendant une année en-
tière, la mort tombant sur tant de têtes innocentes, et toujours
MÉMOIRES DE GARAT. 473
suspendue sur la sienne , sans avoir réfléchi sérieusement à la
manière dont on pourrait être conduit au pied de l'échafaud,
à la manière dont on y monterait, et aux seniimens qu'on trou-
verait dans son ame à ce dénoûment de la vie. Si des expériences
suffisamment réitérées n'avaient appris ces détails à mes enne-
mis, s'ils me les demandaient avec quelque instance, je leur di-
rais comment on devrait s'y prendre pour faire sortir de quelque
section une voix imposante et majestueuse qui s'étonnerait de ce
que je ne suis pas encore mis en jugement; comment dans un re-
nouvellement des comités une haine bien violente, bien procla-
mée contre moi, serait un litre pour y entrer; comment dans un
rapport mon nom serait mis, non pas à la suite de quelques
hommes peut-être réellement coupables , mais à la tête ; com-
ment, dans une prosopopée éloquente et même pathétique, on
ferait parler les mânes des victimes égorgées, pour faire égorger
en leur honneur une autre victime au moins aussi innocente : je
me croirais en état de tracer parfaitement l'itinéraire de ma route
à l'échafaud.
Je suis plus sûr encore des dispositions dans lesquelles cet ac-
cident trouverait ou mettrait mon ame; plus d'une fois mes lèvres
ont louché à ce calice; il a perdu pour moi son amertume. Om-
bres généreuses et adorées, vous que les puissances de la terre
ont fait périr sous les ignominies, sous les verges des licteurs et
sous les haches des bourreaux, pour avoir fait entendre à leurs
passions les oracles de la raison et de la sagesse , en m'exposant
à votre mort pour m'être proposé, dans de grandes circonstances,
quelques-uns de vos exemples , mon ame s'est approchée aussi
de votre grandeur. Elles m'ont été révélées dans nos sanglantes
catastrophes , les sources sacrées où vous avez puisé cette magna-
nimité facile qui vous a fait pleurer sur vos bourreaux , et sou-
rire à la ciguë et à la hache. J'ai senti ce témoignage puissant
d'une conscience éclairée que ne peut infirmer le genre humain
tout entier trompé et armé contre la vertu et contre la vérité ;
j'ai touché à ces transformations qui , au milieu de tous les sup-
plices, dérobent une ame pure à toutes les douleurs, qui ne lui
.«»:.».
^.
'i
ik- \
474 DOCL'MENS COMPLÉMENTAIRES { 1792-1795).
permettent de seniir que la {grandeur de révënement qui s'accom-
plit en elle pour rendre sur la terre la vertu plus auguste et plus
touchante, qui lui présentent, dans le tableau rapproché de tous
les siècles, ce culte d'amour, de larmes et d'admiration, que les
peuples désabusés doivent lui rendre un jour. En m'élevant à
l'échafaud , ouibres chéries et vénérées , placé entre vous et lu
terre , que je verrais encore , je croirais vous voir m'accueillir au
milieu de vous , comme une victime de vos leçons et de vos exem-
ples, je croirais entendre mon nom prononcé avec le vôtre au
milieu des bénédictions que le genre humain s'honorera toujours
de vous dispenser; ei le dernier soupir de mon ame serait encore
une action de grâce à cette cause inconnue de toutes les existen-
ces , qui m'a donné une intelligence pour discerner la vérité,
et un cœur pour l'embrasser avec amour !
En supposant que c'est aux bourreaux qu'on eût songé à con-
fier le suin de me perdre, j'ai donc lieu de croire qu'on pourrait
me donner la mort, mais qu'on ne pourrait me la faire sentir, ^
que , par mon supplice, dont je serais le témoin , on parviendrait
seulement à me faire assister à mon inauguration parmi ces gé-
nies révérés dont j'ai reproduit quelquefois les images sous les
pinceaux de l'histoire , et que leur dévouement à la vérité a con-
duits à la mort et à l'immortalité.
Quand l'ame s'est enivrée de c^ hautes espérances dans la
contemplation d'une mort sublime, il est difficile de redescendre
à l'espérance de vivre, et d'y trouver quelque charme. Je dois
pourtant le dire , ma plus ferme persuasion , c'est qu'aucun as-
sassin, de quelque litre auguste qu'il soit revêtu, excepté ceux
qui peuvent m'aitendre dans le tournant d'une rue, ou au coin
d'un bois, n'osera toucher à ma vie; et ce n'est pas par moi
qu'elle sera le mieux défendue ; elle sera le mieux défendue pai'
l'amour que mes ennemis ont de leur propre vie, et par le soin
qu'ils en prennent.
Le trait qu'ils lanceraient sur moi les percerait eux-mêmes
d'un coup mortel ; et ils iraient tomber à peu de distancé du jour
où ils auraient vu couler mon sang.
ini^
fC*'
MÉMOIRES DE GARAT. 475
Il est beau de proclamer les principes qui peuvent seuls met-
tre les hommes en sûreté et le genre humain en paix : mais pour
en être protégé , il ne suffit pas de les proclamer, il faut les res-
pecter : il ne suffit pas de les respecter envers ses amis et pour
soi-même; il faut les respecter conire soi-même et envers ses en-
nemis. Les vrais principes sont des articles d'un traité de paix
dicté par la raison aux passions et aux erreurs qu'elle ne peut dé-
truire. Être bienfaisant et juste envers ce qu'on aime, et ce dont
on est aimé , n'est pas une vertu ; les tigres même et les loups le
sont : la véritable vertu , la seule vertu sociale est cette force
éclairée, qui ne se précipite ni du côté de l'amour ni du côté de
la haine, mais qui, marchant toujours les balances du raisonne-
ment et de la justice à la main, arrête les passions par la pré-
voyance, résiste aux affections personnelles par la vue et par le
sentiment de l'ordre général , (t ne s'avance jamais qu'en posant
des barrières ou des fanaux partout où elle aperçoit des pré-
cipices.
Le temps où on pouvait tromper les honnêtes gens sur mon
compte est passé. Les passions, de quelque espèce qu'elles aient
été, quelque but de bien public qu'elles se soient proposé, ont
fait depuis un an à la France des maux si inouïs, qu'elles-mêmes
en sont épouvantées. Nul ne peut plus attendre aucun bien réel
que delà sagesse, de la modération et de la vérité. La vérité
commence à percer de toutes parts. Il existe des houimes capa-
bles de la discerner à travers tous les nuages de sang dont elle a
été enveloppée , capables de la présenter avec ces traits précis et
éclatans qui assurent son triomphe en lui donnant son évidence.
11 n'existe pas sur la terre de puissance capable d'anéantir ou
d'obscuicir les vérités que j'ai consignées dans ces pages que je
publie aujouid'hui : puisqu'elles sont éciites, elles sont iujpéris-
sables : toutes se tiennent , et elles tiennent à tout ce qui a été. Le
sceau que je leur ai imprimé sera plus ineffaçable que celui de
toutes les républiques et de toutes les chancelleries. Ma personne
est encore sous la main des hommes ; ma mémoire n'y est plus.
Des hommes qui ne pouvaient me pardonner de les croire les uns
476 DOCUMENS COMPLÉMEiMAIRES (179!2-1795 ).
elles autres les amis de la république , se sont embrassés pour la
sauver ensemble, et ce que tous appelaient ma faiblesse est de-
venu la sagesse de tous. Je ne me suis pas trompé, puisqu'ils ont
reconnu leurs erreurs : je suis justifié, puisqu'ils se sont pardon-
né. Il est un tribunal , mais c'est le seul devant lequel nous de-
vons en ;ore tous paraître , c'est celui de la postérité. L'esprit de
parti, qui n'est pas lesprit des siècles, cherchera encore à faire
arriver ses dépositions erronées ou fallacieuses à ce tribunal ;
mais elles périront dans ces routes du temps que la vérité seule
traverse dans toute leur étendue ; elles ne seront point entendues
ou elles n'influeront point sur les jugemens que la postérité pro-
nonce et qu'elle grave sur les tombes qui ont enseveli dès long-
temps tous les partis ; et puisque mon nom est attaché à des
événemens qui seront l'entretien , l'effroi et la leçon des siècles ,
la postérité gardera quelque estime à Ihomme qui a passé au mi-
lieu de tous les partis, et qui n'a jamais embrassé que celui delà
république et de l'espèce humaine, froissées entre les partis de
tous les genres ; qui n'a jamais ni demandé ni désiré aucune
place, et qui n'a jamais refusé les fonctions les plus entourées de
dégoûts et de dangers ; qui, en blessant toutes les passions qu'il
voulait éclairer et desarmer , les a presque toutes contraintes à
l'aveu de la pureté de ses intentions ; que les deux côtés ont éga-
lement accusé d'être faible, parce qu'il a eu la force de résister
également aux emportemens de tous les côtés, et que rien ne
doit paraître faible comme la raison, à des esprits enivrés par
toutes les passions ; qui enfin , depuis les premiers instans de la
révolution, entièrement dévoué à elle, toujours prêt à la sceller
de son sang et jamais du sang des autres , n'a jamais formé
qu'un vœu , le vœu de la voir achevée par les progrès de la rai-
son, comme elle a été commencée.
MEMOIRES DE (URAT. A7't
NOTES DE GARAT.
Voici les détails que j'ai promis sur l'exécution du décret contre les pillages.
Le décret est arrivé dans les bureaux du département de la justice, le 1" mars
à sept heures du soir.
Ce même soir j'en ai envoyé des expéditions au directoire du département, à
la municipalité, au tribunal criminel. —Cette même nuit le décret fut imprimé,
et le lendemain deux exemplaires furent envoyés au département, à la munici-
palité, aux quarante-huit sections, aux quarante-huit juges de pais, aux six tri-
bunaux de district, à tous les directeurs de jurés, au tribnnal d'appel de la police
corectionnelle, au tribunal de commerce, à Taccusateur public, auquel j'écrivis
pour lui recommander la plus grande activité. Le 4 mars, le tribunal criminel
de Seine-et-Oise en reçut aussi des exemplaires. — Le 3 et le 4 du même mois,
l'accusateur public me présente des difficultés sur la manière d'informer contre
un journal et contre un député; je lui rappelle les lois et je lui aplanis les diffi-
cultés. Je n'attends pas qu'on m'instruise de la marche de la procédure et de ses
progrès; je m'en enquiers; et je m'assure que plusieurs dircteurs de jures ?gis-
sent sur les faits de pillage, et que les maisons d'anét renferment plusieurs pré-
Tenus. — Le 17 mars, l'accusateur public me communique une lettre du juge de
paix de la section du Théâtre-Français, qui n'avait reçu qu'une s ule déclara-
tion, d'où il ne sortait aucune lumière, et il m'interroge encore sur la marche
qu'il doit suivre. Je le renvoie aux lois, où il trouvera sa marche tracée, et je lui
laisse voir l'étonnement où il me met en me laissant voir tant d'incertitude, d'hé-
sitations et de tàtonnemens.
Le morceau qu'on va lire est copié d« mémoire que j'adressais
aux départemens.
cr En sortant de chez moi , le maire de Paris se rendit au comité de salut pu-
blic; bieutôlje l'y suivis, et bientôt aussi je me rendis à la commission des douze
qui m'avait appelé; je n'y trouvai que deux de ses membres, Vigier et im autre
dont Vigier doit se rappeler, et dont je ne me rappelle pas le nom. Tous les
membres de cette commission pouvaient croire avoir à se plaindre de moi , et
Vigier n'était pas celui qui était le moins animé de l'esprit qui avait provoqué
les actes que j'avais condamnés. Mais au milieu de si grands intérêts et de si grands
événeniens, les âmes qui ne sont pas étrangères à toute vertu se pressentent, se
devinent; quelques torts mutuels qu'elles croient avoir à se reprocher, elles s'ou-
vrent, elles se confient les unes aux autres; quelque opposition qu'il y ait dans
quelques-uns de leurs sentmiens, elles s'allient et s'embrassent dans les mêmes
intentions. Je n'ai point oublié cet entretien; ceux aven qui je l'eus ne peuvent
pas non plus l'avoir oublié : nous ne pouvons avoir oublié avec- quel épanchement
nous nous parlâmes , nous qui ne nous étions pas rencontres quatre fois en notre
vie. Ils doivent se souvenir combien de fois je leur dis, en leur communiquant
tout ce que je savais et tout ce que je conjecturais , que le décret qui les avait
supprimés avait été indispensable ; que le rapport de ce décret avait f;iit renaître
les simlèvemens que le décret avait contenus : que la suppression très-prompte
des douze me semblait encore l'unique moyen d'arracher aux agitateurs les flam-
beaux de discorde que le peuple allait recevoir de leurs mains. Je me souviens
aussi combien tous les deux se montrèrent à moi disposés à tous les sacrifices
personnels, combien de fois ils me répétèrent qu'ayant agi toujours a\ec les
motifs les plus purs, ce n'était pas d'avoir été cassés qu'ils se plaignaient, mais
de l'avoir été sans être entendus. Eh bien ! leur dis-je, faites-vous donc entendre
pour que vous soyez supprimés promptement. >otre rapport , me répondit l'un
d'eux, sera fait lundi. Lundi , lui répliquai-je, il ne sera peut-être (lus temps;
nous ne sommes pas siirs d'aller jusqu'à limdi. Cela n'était que trop vrai. »
FIN DES MÉMOIRES DE GARAT ET DU DIX-HUITIÈME VOLUME.
TABLE DES MATIÈRES
DU DIX-HCITIEME VOLUME.
PRÉFACE. — Vérification morale de la doctrine du progrès.
SEPTEMBRE 4792. (Suite.) — Assemblée législative; séance du 18 sep-
tembre au soir , p. 1 . — Lettre de Roland à l'assemblée; il expose les
circonslances qui ont rendu facile le vol du garde-meuble, et de-
mande des précautions contre le retour de pareils attentats , p. 3. —
Séance du 19; Roland à la barre, p. 7. — Adresse aux Français dé-
crétée sur la proposition de la commission extraordinaire; elle a pour
but de signaler les dangers dont quelques scélérats menacent la vie des
députés ; les décrets sur l'inviolabdité des représentans seront impri-
més à la suite , p. 9 , 12. — Séance du 1 9 au soir ; décret pour le main-
tien et l'exécution de la lui du 8 septembre, relative à la libre circula-
tion des personnes et des choses , p. 14. — Séance du 20 au malin;
l'assemblée ordonne une information sur la conduite de Charles La-
melh arrêté à Barenlin ; Roland annonce que la salle des Tuileries est
prèle pour recevoir la Convention nationale. — Le procureur-syndic
de la Haute Saône écrit que « Deux prétendus commissaires du pou-
voir exécutif ont été arrêtés à Champlitte, p. i5. — Lettre de Petion
sur l'état de Paris ; Servan communique une dépêche de Dumourier ,
p. 16. — Dernière séance de l'assemblée législative , p. 17.
HISTOIRE DE PARIS DU 7 AU 21 SEPTEMBRE. — Double fin de l'impul-
sion donnée le 2 septembre , la formation d'une armée et l'anarchie.
— Formation de l'armée , p. 19. — Affiche de la Commune qui in-
vite les citoyennes à se réunir pour faire les tentes nécessaires au
camp Sur Paris, p. 20. — Réquisition des ouvriers; saisie des che-
vaux, des fers et des plombs, ibid. — Vols imputés au comité de
surveillance de la Commune, p. 21. — Comment Marat se refit un
matériel dimprimei ie , p. 23. — Article de Gorsas sur la réappari-
tion de Marat ; il reproduit un placard de V^mi du peuple par lequel
ce dernier demande 15,000 francs à Roland, p. 23. 25. — Lettre de
TABLE DES MATIÈRES. 479
Roland aux Parisiens; apologie de sa conduite; son opinion sur les
événemens, p. 23, 30. — Ad es du corps électoral , de la Commune et
des sections; reproche fait à Robespierre de ne plus reparaître à la
Commtine depuis le 2 septembre, p. 30, 31. — Article du MoniUur
sur le vol commis en plein jour et en pleine rue le i 4 septembre , p. 32.
— La sectiou de l'Abbaye propose aux autres sections une confédéra-
tion générale pour se garantir leurs propriétés et leurs vies , p. 33. —
Article de Marat sur ces désordres, p, 33. — Article de Prudhomrae
sur le même objet ; il interpelle Danton, Roland, Robespierre et Bris-
sot, et les somme de sacrifier leurs différens amours-propres à l'amour
et au salut de la patrie, p. 34. — Réflexions sur Marat ; divers extraits
de son journal , p. 39 , 42. — Bruit d'un nouveau massacre comploté
pour le 20; la Commune casse le comité de surveillance, p. 42. — Pro-
clamation de la Commune sur la nécessité du calme et sur les moyens de
l'obtenir, p. 43. — Décret de l'assemblée légi-ilative pour le rétablisse-
ment de l'ordre et la sûreté individuelle desciioyens dans Paris, p.44, 49.
CLDB DES JACOBINS. Cliabot parle en faveur de la candidature de Ma-
rat; il est appuyé par Taschereau , p. 49, 5i. — Note contre Marat
par le rédacteur du journal des Jacobins ( Toulongeon l'attribue faus-
sement à Voidel.) , p. 51 . — Discussion sur l'abbé Faucliet, dénoncé
par Desfieux , p. 53.
CODP d'œIL sua LES ÉVÉXEMEXS MILITAIRES PENDANT LE MOIS DE
SEPTEMBRE. — Siège de Verdim, p. 54. — Mo t de Beauiepaire,
p. 55. — Wimpfen fait une sortie contre un corps d'émigrés qui ve-
naient sommer Thion ville , p. 56. — Etat de l'armée de Kellemiann;
analyse de ses opérations , ibid. — Mouvemens du général Dumou-
rier; description de la forêt de l'Argonur;, p, 57. — Opérations qui
précé.lèrent la bataille de Valmy , p 58. — Mouvement des Prussiens,
p. 6\. — Dumourier cliange brusquement son plan de défense et son
champ de bataille, p. 63. — Position des deux armées, p. 65. —
Bataille de Valmy, p. 67.
DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES AU MOIS DE SEPTE3IBRE 1792. —Ré-
flexions sur la nature de ces documens , p. 70. i
RELATION adressée par l'abbé Sicard, instituteur des sourds et muets,
à un de ses amis , sur les dangers qu'il a courus les 2 et 3 septembre
1 92, p. 72. — Letiredans laquelle on prie le ciloijen Sicard de com-
pléter son récit, p. 97. — Réponse de l'abbé Sicard à cette lettre,
p. 98.
M0.\ AGONIE DE TRENTE-HUIT HEURES, OU récit de ce qui nCest ar-
rivé, de ce que y ai vu et entendu pendant ma détention dans la pri-
son de l'ahhaye Saiut-Germain , depuis Je 22 août jusqu'au i sep-
tembre 1792, par M. Jouruiac Saint-Méard, ci-devant capitaine
commandant des chasseurs du régiment d'infanterie du roi, p. 103.
MA RÉSURRECTION , PAR MATON-DE-LA- VAREN.NE , OUVrage publié
en 1795, p. 135.
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480 TABLE DES MATIERES.
LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE , sur les vrais auteurs de la jonrnée do 2 sep-
tembre 1792, et sur plusieurs journées et nuits secrètes des anciens
comités de gouvernement , par félémhesi ( Méiiée fils ) , p. 156.
HISTOIRE DES HOMMES DE PROIE , OU les Cfimes du Comité de surveil-
lance, par Roch Marcandier, p. 181.
DÉCLARATION DU CITOYEN Autoine-Gabriel-Aimé Jourdan , ancien
président du district des Pelits-Augustins et de la section des Quatre-
Nations, p. 215.
ÉTAT des sommes payées par la trésorerie de la Commune de Paris, sur
le compte rendu du conseil-général pour dépenses occasionées par la
révolution du 10 août 1792 , p. 226.
PIÈCES OFFICIELLES relatives au massacre des prisonniers d'Orléans à
Versailles , le 9 septembre 1792 , p. 236.
EXTRAIT DES PROCÈS VERBAUX DE LA COMMUNE DE PARIS, du 4 au
19 septembre 1792, p. 249, 272. — Arrêté de la Commune en date
du 23 août 1792 , sur le casuel des prêtres et sur le culte, p. 272.
EXTRAIT des pièces recueillies par Toulongeon dans son Histoire de France
de|)uis la révolution , p. 2X2.
MÉMOIRE SUR LA RÉVOLUTION, PAR D. S. GARAT, p. 287 . — MassacrCS
des 2 et 3 septembre, p. 296. — Entretien avec Robespierre et avec
Salles, p. 331 . — Visite de Collot-d'Herbois à l'intérieur, p. 433. —
Tentative auprès de Robespierre pour sauver les Girondins, p. 444.
— Entretien avec Danton, et jugement de ce révolutionnaire, p. 4i6,
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