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University of Ottawa
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HISTOIRE PARLEMENTAIRE
REVOLUTION FRANÇAISE,
ou
JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES,
DEPUIS 1789 jusqu'en 1815.
PARIS. — TYPOGRAPHIE D'EVERAT,
Rue du Cadran , n. 16.
MB<H)^9>Vv
HISTOIKE PARLEMEiNTAIRE
DE LA
REVOLUTION
FRANÇAISE,
ou
JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES,
DEPUIS 1789 jusqu'en 1815,
<.0.\TE.\i.M
aesDudgets annuels; le Jableau du mouvement moral extrait HpsiniimsnJ
PAR P.-J.-B. BUCH£Z ET P.-C. ROUX.
TOME VINGT-QUATRIÈME.
PARIS.
PAULirV, LIBUAIRE,
RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIiN, N° 55.
M.DCCC.XXXVI.
^ fc
PREFACE.
Nous avons inséré dans ce volume deux pièces qui méritent d'être
examinées avec soin par tous ceux qui veulent savoir quelles étaient les
conclusions définitives que recliercliait l'esprit révolutionnaire, et vé-
rifier dans une application ia valeur et les tendances de cet esprit. Nous
voulims parler du plan d'éducation nationale, et du projet de code
pénal qui occupent les feuilles suivantes. Ces deux projets doivent aussi
attirer l'attention des hommes voués à l'étude de ces matières; car ils
répondent à deux problèmes qui n'ont pas encore aujourd'hui obtenu
de solution. Nous ninsisterons pas pour montrer la supériorité des tra-
vaux que nous réimprimons sur un grand nombre de ceux que l'on a
publiés à l'époque où nous sommes : elle est évidente. En effet , dans le
premier, on formule nettement la différence qui sépare l'éducation qui
fait l'homme et le citoyen , de l'instruction qui enseigne les méthodes
professionnelles. On considère la première comme devant être imposée
à tous les enfans, et la seconde comme devant seulement être mise à la
portée de tous. Dans le projet de code, on établit, en même temps qu'un
système de peines , un système de réhabilitation. Or, nulle proposition
moderne, que nous sachions au moins, ne présente ni une pareille con-
naissance du sujet, ni une semblable généralité , ni une égale netteté dans
les moyens. Nous ne nous arrêterons pas non pins pour faire remar-
quer que dans ces travaux respirent les habitudes de l'esprit catholique
français. Bien qu'il n'y soit, en nom, présent nulle part, bien que l'auteur
sans doute eût des intentions toutes contraires, il ne nous a cependant
apporté rien de plus qu'une imitation du système à l'aide duquel, dans
les temps antérieurs, on faisait des hommes et des chrétiens en leur ap-
prenant à distinguer le bien du mal j à l'aide duquel on avait établi
une sanction temporelle de la loi en créant des pénitences pour les
coupables, et des moyens 'de réhabilitation pour ceux qui avaient fait
œuvre de repentir. Les Jacobins , ainsi que nous l'avons expliqué bien
des fois, ne savaient pas d'où venait le sentiment révolutiormaire qui
les animait; ils avaient cru du clergé ce que celui-ci croyait et disait de
lui-même , à savoir que son organisation et sa discipline étaient abso-
lument catholiques et absolument chrétiennes; et par suite il leur avait
paru impossible de réfonner celte organisation , et nécessaire de la dé-
T. XXIV.
VJ PRÉFACE.
liuire el de supprimer le sentiment reii'.iieux qu'elle disait rijj^onreuse-
ment représenter ; mais les Jacobins avaient reçu l'éducation commune
tfue l'église donnait à tous ses enfans, et par là ils avaient été placés au
point de vue de l'unité sociale. Or, de ce point de vue , ils ne pouvaient
manquer de reconnaître que le premier intérêt, celui sans lequel il n'y
en a plus d'autres , est de conserver la société elle-même ; que cttte fin
ne peut être obtenue que par la conservation de l'esprit social; que
celle-ci est le résultat d'une éducation, une et universelle comme son
but , qui saisit chaque génération au moment où elle arrive à la vie , et
la rend héritière des devoirs et dessemimens de ses pères, comme elle
l'est du fruit de leurs travaux. Ils voyaient de plus que la société n'avait
vis à-vis des individus aucun droit si elle n'avait accompli ce premier
devoir, qu'en un mot, elle ne pouvait punir le mal si elle n'avait pas
enseigné à tous à le reconnaître.
Ce qui prouve que cette conception, cette disposition à raisonner
ainsi sur les premières conditions de l'existence de la société, est une
inspiration des sentimens catholiques, c'est que jamais on n'a rencontre
une pareille largeur de vues chez les hommes d'origine protesianie ,
soit qu'ils fu>sent croyans, soit qu'ils fussent incrédules: à cet égard,
' nous pourrons citer les lois sur l'instruction publique que le dernier
ministère a présenté ou fait accepter aux chambres. On ne trouve là
rien de plus (pie l'intelligence des choses individuelles : on s'y occupe
beaucoup d'mstruction, mais, de l'enseignement de la morale sociale,
aucunement ou le moins possible. Il n'existe à peu près qu'un article
dans la dernière de ces lois où l'on puisse reconnaître que nous som-
mes autre chose qu'une nation de littérateurs et de sophistes : c'est celui
où un certiticat de moralité est imposé aux entrepreneurs d'instruction.
Enfin on ne voit en aucun lieu ce sentiment qu'il est si important d'in-
spirer à la jeunesse : à savoir que la société est l'origine et le but de
toutes nos capacités , de tous nos mérites et de tous nos efforts. Nous
ne pousserons pas plus loin cet examen sur un sujet qui a déjà été traité
plusieurs fois dans nos préfaces; et sans autre transition, nous allons
exposer quelques-unes de nos idées principales sur les deux problèmes
importans de l'éducation, et de la codification pénale et rémunératoire.
Suivant nous, le vice capital de presque tous les projets de lois sur l'é-
ducation, c'est que l'on s'y est attaché particulièrement à régler la dis-
tribution, la hiérarchie des écoles, en un mot toute la partie admini-
strative, et jamais la matière même de l'enseignement. On s'est occupé
toujours, et le plus souvent comme si la question eilt été là tout entière,
d'organiser le mécanisme, d'ordonner les moyens , de fonder une mé-
thode; mais jamais, ou presque jamais ; du but à atteindre par ces
moyens. On n'a, en un mot, jamais formulé ce but; ou, en d'autres
termes, on n'a jamais établi un catéchisme national qui, dans l'ordre
temporel , fût équivalent et répondît à celui que l'Eglise professe dans
l'ordre spirituel. Nous devons reconnaître cependant que, dans plusieurs
des plans (jui furent publiés vers l'époque où notre histoire est parvenue,
et notamment dans celui de Lepelletier, quelques paragraphes sont con-
sacrés à fixer la matière de l'éducation; mais cet important problème
est traité comme accidentellement , et mêlé avec les questions admini-
stratives . et placé au môme rang : en sorte que ce qui forme le but
même de la loi, ce qui, une fois réglé, doit rester immuable, est con-
fondu avec les moyens , c'est-à-dire avec ce (jui est transitoire el va-
riable.
Or, s'il est vrai que toute nationalité existe par un but d'activité com-
mune qui cnit, dans une même tendance, les efforts et les sacrifices
des générations passées à ceux des générations à venir, n'est- il pas al>-
surde, soit, comme dans les projets de lois présentés dans ces der-
l'HÉFACE. Vij
iiicres années à la Icgislaliire, de laisser au hasard l'enseignement de
(•e but; soit, comme dans les projets publiés dans la révolution, de
confondre le but avec la métliode? Est-il d'usage, en bonne logique ,
de mêler le principe avec les conséquences; et pense-t on qu'il n'en
résulte pas de singulières errenrs? C'est ce qui est arrivé en effet.
J.e sujet de l'enseignement a été traité comme une affaire puremeni.
administrative; on a ajouté, on a retranché, on a corrigé, et de là
il est résulté une totalité contradictoire propre à porter dans l'in-
telligence des élèves une anarchie contre laquelle ils n'ont aujour-
d'hui de recours qu'en allant chercher un criieriuni, soit dans les
souvenirs que leur a lais-és le catéchisme catholique, soit dans quel-
(pie doctrine philosopbi(iue. De toutes paris aujourd'hui on se récrie
sur les singulières aberrations intellectuelles, sur le désordre, sur
l'anarchie morale dont oa est témoin! mais la cause n'eu est pas
ailleurs que dans le détestable système d'enseignement que la société
entretient. Sans doute, vous donnez aux jeunes gens quelque instruc-
tion ; mais ouest le but proposé à leur activité? Vous aurez beau réfor-
mer l'administration de vos écoles, la remanier de mille manières,
peut-être accroifrez-vous encore un peu la dose du savoir superficiel
q.ie l'on possède communément , mais vous ne diminuerez pas les
chances de cette aberration spirituelle dont vous vous plaignez; bien
plus, il n'est pas un de vous qui, en tentant cette réforme, puisse se dire
à lui-même , en présence de Dieu , qu'il est certain de bien faire , qu'il
est certain d'obtenir seulement quelcjue chose du résultat qu'il cherche,
j^t pourquoi? c'est que vous ne pouvez pas vous-mêmes recourir à un
j)iincipe pour éclairer votre jugement; c'est que vous avez conslam-
ment fait une question de moyen là où il y avait en outre une question
de but. Nous allons examiner ces deux choses à part comme elles doi-
vent l'être : selon nous il y a l'objet de plusieurs lois là où l'on n'a tou-
jours voulu en faire qu'une.
La première de ces lois devrait déterminer le but et la matière de l'é-
ducation nationale. Elle devrait élre , dans le sujet qui nous occupe, à
l'égard de toutes les dispositions législatives subséquentes , ce cpi'une
déclaration des devoirs et des droits est au reste d'une constitution,
c'est-à-dire immuable, et souveraine à l'égard des maîtres, des élèves et
des législateurs eux-mêmes; et l'on trouvera que l'opinion que nous
avançons ici n'a rien d'exagéré , si l'on veut bien se demander ce que
c'est que de l'éducation.
Nous ne croyons pas qu'on puisse contester la définition suivante :
l'éducation est le moyen de conserver spirituellement la société. Elle
consiste donc dans l'enseignement du but commun d'activité , c'est-à-
dire de la loi d'existence nationale à laquelle tout le monde doit obéis-
sance, et que personne ne peut changer. En concluant de ces formules,
en les définissant elles-mêmes, ou plutôt en exprunaut >out ce qu'elles
contiennent , on comprend ce que c'est que la matière de l'éducation ,
et l'on arrive facilement à la posséder. En effet, il ne suffit pas de faire
apprendre la formule sèche de l'activité sociale , il faut enseigner tout
le détail des devoirs qu'elle contient ; il faut les faire comprendre , les
faire aimer, et même les prouver. L'enfmt doit avoir une connaissance
générale du but de la création, du but de la société; de ce qui est bien
et de ce qui est mal vis à-vis de ce but. Il doit en même temps recevoir
une instruction telle (jue, plus tard, sans en recevoir aucune autre,
il soit capable de supporter, sans être ébranlé, l'adversité et toutes les
tentations mêmes de la fausse science et des mauvaises expériences. En-
fin, il faut que, dans ses premières années, l'homme recueille un sen-
timent qui le mette à môme d'user de sa liberté toujours pour le bien .
Viif PRÉFACE.
et de ne jamais douter sur l'expiication morale des choses qu'il est des-
tiné à rencontrer sur sa route.
Or, nous le croyons fermement, et c'est une question sur laquelle
nos lecteurs sentiront qu'il est impossible de se tromper; nous croyons
qu'il n'est point très-difficile de déterminer les bases générales d'un en-
seignement où la morale soit présente partout , soit comme solution, soit
comme conséquence, et qui contienne cependant une instruction incom-
parablement plus solide que celle que l'on distribua aujourd'hui dans les
hautes classes; enseignement parfaitement intelligible pour les petits
enfans, et qui cependant serait le thème de celui qui se continuerait
dans un âge plus avancé. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans les dé-
tails qu'exigerait l'exposition de cette matière; les lecteurs qui sont au
courant de nos idées nous comprendront ; et d'ailleurs on en trouvera
un spécimen abrégé dans Y Européen de 1831. Les découvertes faites
dans les temps modernes en géologie, en physique , etc. ; les décou-
vertes de la philologie, celles même opérées dans l'histoire, lorsqu'elles
sont liées et expliquées par le mot progrès , donnent aux généralités
des sciences une signification morale qui en rend la mémoire facile, et
en même temps profondément propre ù préparer les hommes aux sa-
crifices d'une vie vraiment sociale.
Il est certain que l'éducation ainsi traitée , est nécessairement reli-
gieuse. Cependant nous dirous pour ceux qui craindraient dans ce cas
la nécessité de reconnaître la domination intolérante d'une seule secte
religieuse , qu'un tel enseignement n'emporte pas par exemple l'obli-
gation de reconnaître absolument l'un des dogmes qui, aujourd'hui,
partagent le christianisme. Sans doute, en définitive, il conclura à
l'unité; sans doute il fera, sans employer aucune négation directe,
mais seulement par la supériorité des sentimens qu'il inspirera , que
les hommes abandonneront toutes les doctrines religieuses qui sont au-
dessous de l'état actuel de la civilisation; mais cela ne sera point im-
médiat, et ce ne sera point un mal. La violence n'y aurait nulle part,
la perfection du sentiment social en serait l'unique cause. Qui pourrait
repousser une pareille espérance et craindre un semblable résultat? à
coup hûr, ce ne sont point ceux qui aiment leurs semblables; car ceux-
là savent que l'égalité morale est la seule qui soit possible parmi les
hommes , et que la fraternité qui en est la conséquence , est l'ancre
à laquelle se ï-attache le salut des sociétés modernes.
Mais est-il de toute certitude que l'éducation ne soit possible, ou plu-
tôt, n'existe qu'à condition d'être religieuse? Pour nous et pour tout
iiomme qui a réfléchi , c'est un axiome liors de doute : et pour soutenir
cette affirmation nous ne citerons pas la longue expérience du passé, eu
disant que jamais il n'en exista d'autre; nous n'invoquerons pas l'expé-
rience du présent, en répétant que c'est parce que l'on a voulu se placer
en dehors de cette vérité que l'on n'a réussi à rien ; nous nous borne-
rons à quelques raisonnemens fort courts: nous dirons qu'on ne peut
commander un devoir ou un sacrifice ( car ua devoir est toujours un
sicrifice ) à un individu qu'au nom d'un devoir que la société elle-même
tout entière doit remplir; qu'on ne peut commander un devoir à la société,
qu'au nom de l'humanité ; et que de celle-ci on ne peut pareillement rieu
exiger que du point de vue d'un but imposé au monde tout entier par
la loi de création. Rien, dans tout cela, ne peut rester vague , soumis
aux indécisions du raisonnement; tout doit être positif et arrêté, et ce
positif, ou ne le trouve nulle part ailleurs que dans la révélation : tel
est le côté social du sujet que nous examinons. Voyons-en le côté indivi-
duel : tout homme inévitablement, si brute qu'il soit , vous demandera
d'où il vient et où il va ; el la réponse à ces deux questions deviendra le
critérium de sa conduite. Or, hii direz- vous qu'il vient de la matière.
PREFACE. iX
et retourne à la matière ; alors vous lui enseignerez en même temps
qu'il est un être sans but, par suite sans critérium certain ; et assuré-
ment ainsi vous ne produirez pas un membre dévoué à la société ,
mais bien plutôt un être constamment en révolte contre ses lois et con-
tre toute obligation. Nous avons mainlenaiit beaucoup d'hommes de
cette espèce ; mais nous n'en possédons pas encore de complets ; la per-
fection dans ce '!;enre n'est pas atteinte , car il n'en est pas qui n'ait
reçu quelque enseignement du catéchisme et n'en manifeste encore l'in-
fluence. Les incrédules de nos jours pèchent encore plus par la science
que par le sentiment ; et cependant déjà leur moralité est loin dêlre ir-
réprochable. Plusieurs d'entre eux pourront nier publiquement ce que
nous affirmons ici; mais, bien certainement, il n'en sera pas un qui,
dans son for intérieur, ne reconnaisse la vérité de nos assertions, il
faut , dans l'intérêt individuel même, qu'une autre rfponse soit faite
aux assenions que nous avons posées ; il faut que la vérité lui soit en-
seignée; car la vérité est que la société et le monde ont un but. Il faut
qu'il apprt-nne le devoir , à peine d'être ou toujours misérable, ou tou-
jours nuisible et toujours puni.
Si donc il n'y a point d'éducation sans religion , le législateur doit
avoir le courage de le dire, et ce serait un beau spectacle et un magni-
fique enseignement pour la France et pour l'Europe que celui d'une
chambre où se discuterait une loi sur l'éducation conçue telle qu'il est
nécessaire qu'elle so;t. Hors de la route où nous sommes , il est impos-
sible de formuler autre chose que de ['instruction ; et c'est parce que
l'on n'a ni osé ni voulu y Jentrer, qu'on a produit tant de projets
irréalisables, ou tant de règlemens sans puissance. Donner seulement
de l'instruction sans l'éducation , c'est donner le moyen sans le but;
traiter avec un soin si particulier , et donner un rang si haut , un rang si
aristocratique, à l'instruction , comme on le fait aujourd hui , c'est dé-
clarer que la supériorité entre les hommes n'émane pas de la morale
ou de l'accomplissement du devoir, mais de l'élégance des manières, du
bien-dire, du savoir-faire et de l'habileté. Or , c'est là un mensonge aussi
absurde qu'anii-social, indigne du k'gislateur; ce n'est cependant que la
paraphrase d'un discours que M. Guizot a piononcé celte année à la
tribune de la chambre des députés. Le ministre fut applaudi.
La question de l'éducation est intimement liée à celle de la pénalité.
Il est compléiement irrationnel de produire un code des peines et des ré-
compenses autrement que du pi'inî de vue de l'éducation donnée, et
avant qu'elle soit formulée ; en effst, l'un n'est que la sanction de l'en-
seignement contenu dans l'autre. Nous soutenons de plus qu'il eût été
impossible de prime abord et à l'origine de rédiger le premier si la se-
conde n'eût pas existé. Cependant cette inconséquence s'est com-
mise, et elle est même en pleine vigueur , en ce moment , dans notre
pays. Dira-t-on que les articles de notre Code répondent à la déclara-
tion de principes mise en tête de quelqu'une de nos constitutions , et de
plus aux dispositions de notre Code civil. Mais nous ferons observer
qu'à ce conjpte on trouverait beaucoup d'articles qui ne répondent à
rien de nettement formulé dans celles-ci. Dira-t-on que le Code sanc-
tionne les principes de la morale universellement enseignée ? îMais alors
pourquoi ne point enseigner nous-mêmes cette morale? et si elle ne peut
l'être que religieusement, pourquoi repousser l'éducation religieuse?
Qui tient l'écoie où l'on apprend cette morale? Ce n'est point la société ;
et alors, comment peut-elle être assurée que celle-ci soit enseignée à
tous ceux auxquels elle destine son Code? Il y aurait, à cet égard,
de nombreuses consiJéralions à faire valoir; mais elles nous entraîne-
raient loin du but que nous nous proposons, et la plupart d'entre elles sont
d'ailleurs assez usuelles pour qu'il suffise d'eti donner l'occasion pour
X PREFACE.
les rappeler toutes à l'esprit du lecteur. Nous préférons exposer nos
idées sur le système même selon lequel il nous semblerait utile de rédi-
ger le Code pénal.
La codification pénale, selon nous, doit être considérée comme l'un
des moyens ou comme le complément de l'éducation nationale. L'une
et l'autre nous paraissent parties d'un système qui doit être un. Le
devoir de punir est aussi obligatoire pour la société que le devoir d'en-
seigner, etces devoirs sont moins relatifs aux intérêts présens, soit d'exem-
ple , soit de sécurité , qu'à ceux de la conservation sociale elle-même,
qu'à ceux de l'avenir. Dans cet ordre de questions , la sympatbie mo-
derne s'est principalement enquise des moyens de réformer le coupable;
dans le calcul de la pénalité, elle s'est spécialement attachée au mode le
plus propre à améliorer celui-ci. Or , sur le terrain où nous nous pla-
çons, toutes ces considérations disparaissent; le criminel , du moment
où il est déclaré tel , n'appartient plus qu'à l'exemple même que la so-
ciété doit réclamer de lui ; bien plus , ce n'est que par l'exemple qu'il
donne, qu'il peut lui même se racheter et parvenir à la réhabilitation.
La peine est un enseignement , et doit par conséquent être calculée dans
cet unique but : en sorte que plus le crime annonce de dépravation, plus
il emporte avec lui de séduction, plus il doit être durement réprimé.
En procédant de ces principes, nous avons conçu un système de codi-
fication pénale dont nous allons exposer les généralités. Ce sera , en
outre , la meilleure manière de faire apprécier le point de vue d'où
nous examinons la question.
Selon nous, le Code. pénal devrait être divisé en trois parties. La pre-
mière détaillerait les diverses obligalii>ns rigoureuses dont l'observation
est un devoir pour chacun, et autant que possible les raisons sociales et
individuelles de chacune de ces obligations. La seconde présenterait une
suite d articles où seraient exposés les motifs multiples qui peuvent en-
traîner l'homme à une action mauvaise ou blâmable. Enfin la troisième
contiendrait le tableau des divers manquemens et de la hiérarchie
des peines. L'application de celles-ci serait calculée autant sur la na-
ture, sur le danger et sur la facilité du délit ou du crime, que sur le
motif qui l'aurait fait commettre.
Il est certain qu'un Code de cette espèce serait difficile à formuler ,
et qu'il exigerait, sans doute, de nombreux remaniemens avant d'at-
teindre une perfection convenable. IMais il nous semble qu'il aurait l'a-
vantage d'un enseignement parfait ; qu'il aurait de plus celui d'atteindre
tous les délits et de les frapper selon leur gravité réelle. Aujourd'hui,
par exemple , le vol, soit qu'il ait été provoqué par la misère, soit qu'il
l'ait été par la dépravation de la paresse et du jeu , peut être également
puni.
Dans notre hypothèse , il n'en serait p'us ainsi , et l'on ne .serait pas
obligé de laisser au libre arbitre des magistrats, et quelquefois à leur
sympathie, le soin ou l'inconvénient d'amoindrir Ja rigueur de la loi.
La position du juge et celle du législateur sont bien différentes. Le pre-
mier s'enquieri principalement du cas individuel ; le second est unique-
ment préoccupé du cas général ; c'est une réforme sociale , une correc-
tion des mœurs qu'il se propose en vue d'un avenir. Le magistrat , au
contraire, ne voit et ne doit voir que le fait particulier ; il peut être tente
par quelque sympathie pour un homme, là où l'autre n'a vu qu'un en-
seignement à l'occasion d'un crime , là où une rigueur extrême lui a
[laru nécessaire pour mettre un terme à un danger. C'est , selon nous ,
un vice que, dans l'application de la pénalité , quelque chose soit laissé
au libre arbitre du juge; et cette faculté nouvelle que l'on a cru néces-
saire d'accorder à nos tribunaux, ne nous paraît exprimer autre cliose
que le sentiment de la nécessité de tenir compte des motifs qui ont dé-
J'KEKACE. XJ
terminé le crime. Antrement ce serait une absurdité j car ce serait sup-
poser des passions à la justice , et h-s autoriser.
Il nous est impossible, dans le court espace qui est à notre disposi-
tion , de dépasser le cadre des généralités que nous venons d'exposer.
Nous ne pouvons même essayer de donner quelques exemples du rap-
port que nous concevons entre le délit, ses motifs, et la pénalité. Nous
ne pouvons non plus entrer dans la considération de la nature des pei-
nes , pour y combattre cette disposition si commune ilans le public à
avoir plus de pitié du criminel que de la société, et de la victime elle-
même , pour flétrir le sentiment égoïste qui fait le fond de cette dispo-
sition. Il faut nous bâter; nous dirons cependant encore quelques
mois du complément d'un Code pénal, à savoir du système rémunéra-
toire.
Les bonnes actions peuvent se passer de récompense. Telle est la na-
ture du dévouement qu'il ne calcule januâs ; et il ne doit en effe» jamais
calculer; néanmoins, ce serait , selon nous, une excellente inotilution
que celle qui attribuerait aux magistrats qui ont la peine de punir, le
jugement des bonnes actions.
Ce serait un grand perfectionnement de la législation sur l'éducation
(|ue l'établissemeEit d'un code des récompenses. Tous les gouvernemens
ontétabli quelque chose de semblable : ainsi les décorations, les croix,
les médailles n'ont pas d'autre but. IMais, nulle solennité, nulle publi-
cité , nulle règle , ne donne de sanction à ces signes de la reconnaissance
publique; souvent c'est le Ciiprice qui les donne ; souvent c'est une
monnaie avec laquelle on satisfait des exigences , ou on achète des amis.
Il serait nécessaire, pour que ces signes eussent toute leur puissance ,
<iu'ils fussent doimés à la suite d'une enquête et d'un jugemenl pu-
blic; car, alors , ils auraient une nalité ([ue personne ne leur concède
aujourd'hui. Encore y aurait-il à chercher s'il n'existe pas un mode
meilleur que celui qui récompense le mérite en flattant une mauvaise
passion , la vanité.
HISTOIRE PARLEMENTAIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE.
DOCUMENS COMPLEMENTAIRES
AU MOIS DE
JANVIER 1793.
MORT DE LEPELLETIER DE SAIM-F ARCEAU. SES FUNE-
RAILLES. '^— SES OEUVRES POSTHUMES.
Michel Lepelletier était né à Paris le 29 mai 1760. d'Éiienne-
Michel Lepellelier de Saint-Farfjeau, président à mortier. Il suc-
céda à son père dans celte char^je. Si nous voulions écrire sa
biographie, nous aurions à raconter une foule de traits qui hono-
rent sa mémoire ; mnh les actes de sa vie politique sont les seuls
qui doivent nous occuper, et ceux-là soîit conr.i{TnPs dans ni^tre
histoire de l'assemblée constituante , et dans cel! e de la Conven-
tion. Il mourut assassiné à l'âge de trente-deux ans.
Nous terminerons cette courte ncitice par ce passa^^e d'un de
T. XXIy. i
DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
ses écrits, qui caractérise la solidité et la vigueur de ses opinions
politiques. Il s'adressait au département de l'Yonne dont il avait
été nommé président enj uin 1790.
« Loin de nous cet engourdissement politique, ce poison des-
» trucieur de toute énergie, le froid modérantisme alliage
j) monstrueux de la servitude et de la liberté, sentiment mixte,
j système faux dans les temps de crises, que Solon punissait de
» mort dans Athènes, qu'en France tous les partis flétrissent par
» le mépris, impuissant pour la chose publique, fatal à celui-là
> même qui l'adopte , et dont les demi-moyens , épuisés bien
» avant le terme de la carrière, nous la font voir toute jonchée
» des débris de tant de réputations échouées , de tant de héros
» avortés, qui n'ont pu fournir la carrière de la révolution tout
» entière. »
Voici les pièces officielles de sa mort et de ses funérailles.
PROCÈS-VERBAL
DE l'assassinat DE MICHEL LEPELLETIER.
L'an mil sept cent quatre-vingt-treize , an deuxième de la ré-
publique, le dimanche vingt janvier, environ six heures du soir,
sur l'avis donné au commissaire de police de la section de la Butte-
des-?»Ioulins , par le citoyen Février, restaurateur, demeurant
maison Égalité , numéro cent seize, qu'un particulier, noaimé
Paris, avait porté un coup de sabre au citoyen St.-Fargeau , dé-
puté à la Convention , dans une des salles dudit citoyen Février,
lequel mus a dit ne pouvoir déclarer davantage , se réservant de
faire sa déclaration chez lui où il requiert notre transport ; à quoi
obtempérant, sommes transportés à l'instant à la maison Egalité,
chez ledit citoyen Février, n uméro cent seize , dans une chambre
à l'entresol , ayant vue sur le jardin de la Révolution , en pré-
sence des citoyens Duclos et; Odiot , commissaires de ladite sec-
tion ; dans laquelle nous a^ ons trouvé couché sur un matelas , à
JANVIER (4793). 5
terre, le citoyen Louis-Michel Lepelletier, député à la Conven-
tion nationale , lequel nous a déclaré qu'étant dans une salle du
citoyen Février, restaurateur, un particulier, à lui inconnu , lui
a demandé s'il avait voté pour la mort du roi : que lui ayant ré-
pondu qu'oui , et qu'en cela il avait fait son devoir, à l'instant il
a tiré son sabre et lui a dit en lui en portant un coup : Scélérat,
voilà ta récompense. Lecture faite audit citoyen Lepelletier de sa
déclaration , il a affirmé qu'elle contient vérité , et a signé avec
lesdits citoyens commissaires susnommés et ledit citoyen Février
avec nous. Signé à la minute : Louis-Michel LFPEtLiiTiER , Fé-
vrier, Dlclos, OdIOT et TOUBLANC.
Examen fait en présence des citoyens commissaires susnommés
de la plaie faite suivant la déclaration dudit citoyen Lepelletier,
nous avons remarqué qu'elle est du côté gauche, au ventre , et
ensanglantée. Lecture faite, il a , avec lesdits citoyens commis-
saires , signé avec nous; et au moment de prendre la plume, le-
dit citoyen Lepelletier a déclaré être hors d'état de pouvoir signer.
Signéàla?mnute:BvcLOs, Odiot et Toublanc.
Et à l'instant est comparu Dominique Février, restaurateur,
demeurant dans la maison où nous sommes , lequel nous a dit et
déclaré qu'étant à son comptoir dans une de ses salles en bas ,
il entendit un particulier parlera M. de Saint-Fargeau {qui est
la même personne qui se plaint sûns le nom de Louis-Michel Le-
pelletier), qui était dans une salle voisine; qu'à l'instant il en-
tendit dans la salle un mouvement extraordinaire ; qu'il est sorti
précipitamment de son comptoir, a couru dans celte salle où il
a reconnu qu'un homme, qu'il connaît sous le nom de Paris,
était en face dudit citoyen Saint-Fargeau , ayant un s:ibre nu à
la main, et l'extrémité d'icelui dans le corps dudit citoyen Saint-
Fargeau; qu'il a saisi ce particulier au bras par-derrière, dans
l'intention de l'arrêter; mais que cet homme étant plus fort que
lui , s'est échappé de ses bias et a fui ; qu'ensuite ledit citoyen
Saint-Fargeau lui dit: Ne faites pas ilr bruit , je crois que jç
4 documeNs complémentaires.
suis blessé; ayez^moi un chirurgien. Pourquoi il Ta monië dans
Ja chambre où nous sommes j nous a requis ensuite et nous dé-
pose le sabre dont ledit Paris était armé , lequel il a laissé tomber
à terre dans la salle au moment de sa fuite. Observe le déclarant
que ledit Paris est de taille d'environ cinq pieds cinq pouces ,
qu'il était vêtu d'une capote de drap à poil de couleur grise , que
c'est la seule désignation qu'il peut nous en faire. Lecture faite
audit citoyen Février de sa déclaration , il a affirmé qu'elle con-
tient vérité , et a signé avec les citoyens commissaires ; et nous
observe qu'il avait , au même moment qu'il fut nous requérir, fait
appeler plusieurs personnes de l'art pour visiter ledit citoyen
Saint-Fargeau. Signé à la minute : Février , Duclos , Odiot et
TOUBLANC.
Et de suite avons entendu le citoyen Pierre Bras-d'Or, profes-
seur en chirurgie , demeurant rue du Hasard , numéro six, le-
quel nous a dit et fait rapport qu'il a été requis de se transporter
maison Égalité , où il s'est transporté aussitôt , et a trouvé dans
la chambre où nous sommes le citoyen Suint-Fargeau , ainsi que
nous l'y avons trouvé nous-mêmes ; qu'en le visitant il a aperçu
une plaie à la région iliaque gauche , immédiatement au-dessus
de la crête de l'os des iles, où il a aperçu une partie saillante
hors de la plaie , laquelle partie il a reconnu être une portion de
l'épiploon, qu'ill'a fait rentrer dans le ventre avec la plusgrande
facilité, que la plaie par laquelle cette partie s'échappait pouvait
avoir une longueur correspondante à environ deux travers de
doigt, qu'il y a porté son doigt , lequel s'y est enfoncé de toute
sa longueur, au moyen duquel doigt il a reconnu que le trajet
de cette plaie était fort libre ; qu'ensuite il l'a pansée en appli-
quant une compresse dans la vue de contenir l'épiploon ci-devant
réduit et qui sortait avec la plus grande facilité. Après quoi ledit
citoyen Saint-Fargeau a été saigné. Du reste ne peut pronosti-
quer le citoyen Bras-d'Or, d'après ce qui vient d'être rapporté ,
si l'accident aura des suites , et a signé avec lesdits citoyens com-
missaires susnommés, et nous affirmant que son rapport est fait
JANVIER (1793). o
en son ame et conscience. Signé à la minute : Bras d'Or, Duclos,
OdIOT et TOUBLANC.
Et de suite avons entendu le citoyen Léonard Champigny, né-
gociant, demeurant ordinairement à Cahors , déparlement du
Lot, de 'présent logé à Paris , peiite rue et hôlel Sl-Roch, sec-
tion de Molière et La Fontaine ; lequel déclare qu'étant à dîner
dans la première salle du citoyen Février, il a aperçu cinq ou six
particuliers étant au comptoir qui , à ce qu'il présume , étaient
à payer leur écot; que l'instant d'après un de ces particuliers
est entré dans la salle voisine , qu'il a entendu quelque bruit ,
que sur le moment le citoyen Février s'est transporté dans ladite
salle pour vraisemblablement y mettre le holà ; ajoute le décla-
rant qu'il a entendu dire : Malheureux , que faïs-iu là? mais qu'il
ignore par qui ces mots furent prononcés. Lecture faite audit ci-
toyen Champigny de sa déclaration , il a affirmé qu'elle contient
vérité, et a signé avec nous et les citoyens commissaires susnom-
més. Signé : Champigny, Duglos , Odiot et Toublanc.
Et de suite avons entendu Jean-Jacques Violette, commission-
naire pour les vins , demeurant ordinairement à fliàcon , logé à
Paris , rue du faubourg Poissonnière , numéro sept , lequel dé-
clare qu'étant à dîner chez le citoyen Février, il entendit dans
une salle voisine de l'endroit, s'écrier: Ali! malheureux, que
fais-lu là ? mais qu'il ne sait par qui ces mots ont été prononcés ;
qu'ensuite il a vu passer le citoyen St-Fargeau qu'il ne connais-
sait pas alors, que l'on conduisit dans la chambre où nous som-
mes, où lui-même est monté. Lecture faite audit citoyen Violette
de sa déclaration , il a affirmé qu'elle contient vérité , et a signé
avec nous et lesdils citoyens commissaires susnommés. Signé ;
Violette , Duclos , Odiot et Toublanc.
Et de suite avons entendu Sain tin Sainetelele , marchand or-
fèvre, demeurant ordinairement à Reims, logé en celte ville,
rue du faubourg Poissonnière , numéro sept , chez le citoyen
6 BOCUilËNS COMPLÉMENTAIRES.
Violette , lequel déclare qu'étant à dîuer avec ledit citoyen Vio-
lette chez le citoyen Février, il entendit dans une salle voisine
prononcer les mots : Ak ! malheureux , que fais-tu là ? mais qu'il
ignore par qui ces mots furent prononcés ; qu'il a vu ensuite
passer le citoyen Saint-Fargeau qu'il ne connaisait pas, que l'on fit
monter dans la chambre où nous sommes , où lui-même est aussi
monté. C'est tout ce qu'il a dit savoir, et a signé avec nous et les-
dits citoyens commissaires susnommés. Signé , Sainetelete ,
DucLOs, Odiot et ïoublanc.
Et de suite avons entendu Jean Devaux, vivant de son bien,
demeurant rue du Mail , hôtel d'Angleterre , lequel nous a dé-
claré qu'étant à dîner chez le citoyen Février, à la table voisine
de celle du citoyen Saint-Fargeau et en face de lui, sans le connaî-
tre ; que lui déclarant était à lire les affiches , lorsqu'un particu-
lier à lui inconnu est arrivé et a dit au citoyen Saint-Fargeau : Fous
avez donc voté pour la mort du roi? Que lui déclarant a continué
sa lecture sans aucun soupçon ; qu'il a vu aussitôt ce particulier
porter un soufflet audit citoyen Saint-Fargeau et l'a attrapé au
Iront ; que le citoyen Saint-Fargeau s'est levé vivement et s'est
trouvé en face du particulier dont il s'agit. Que lui déclarant a
vu le sabre à la main dudit particulier, lequel était levé en l'air ;
mais qu'il n'a pas vu porter le coup qui a blessé le citoyen Saint-
Fargeau ; que le citoyen Février est arrivé et a saisi les bras par
derrière du particulier dont il s'agit, mais que ce particulier
s'est débattu et a fui. Lecture faite^ au comparant de sa déclara-
tion , il a affirnîé qu'elle contient vérité, et a signé avec nous et
lesdits citoyens commissaires susnommés. Signé : Jean Devaux ,
DucLOs , Odiot et Toublanc.
Nous commissaire de police susdit et soussigné , de l'avis des-
dits citoyens commissaires de section , nous avons ordonné que
le sabre à nous déposé par le citoyen Février resterait déposé
en nos mains comme pièce à conviction , pour être représenté
quand il sera ordonné , et que nous donnerions à l'instant un
JANVIER { 1795). 7
mandat d'amener contre ledit Paris pour être conduit devant
nous , y être interrogé , et ensuite ordonner ce qu'il appartien-
dra. Fait et rédigé les jour et an que dessus , huit heures du soir ;
et ont îesdils citoyens commissaires signé avec nous. Sujné:
DucLos , Odiot et Toublanc.
Pour copie conforme à la minute étant en notre possession.
Certifiée par nous commissaire soussigné , avertissant de l'enre-
gistrement si l'on entend en faire usage , sans lequel la présente
deviendrait nulle. A Paris , le quatre mai mil sept cent quatre-
vingt-treize, l'an deuxième de la République. Toublanc.
Ordre, marche, et détails de la cérémonie décrétée i^ar la Con-
vention nationale -pour les funérailles de Michel Lepelletiery
représentant du peuple français, assassiné pour avoir voté la
mort du tijran.
Le corps , exposé nu sur le ht où le citoyen a rendu les der-
niers soupirs, avec les draps ensanglantés, et le sabre dont il a
été frappé placé à côté , a été présenté à la vue du peuple sur la
piédestal de la place des Piques , orné de draperies blanches , de
festons de chêne et de cyprès. On montait à ce piédestal par deux
escaliers , sur les rampes desquels étaient des torchères ou can-
délabres.
Au moment où la marche fut rassemblée sur la place , la mu-
sique exécuta des airs funèbres.
Marche. T Un détachement de cavalerie, précédé de trompet-
tes avec sourdines.
a*» Sapeurs.
3" Canonniers sans leurs canons.
4° Détachement de tambours voilés.
5° Déclaration des droits de l'homme , portée par des citoyens.
6° Volontaires des six légions, et vingt-quatre drapeaux.
7° Détachement de tambours.
8" Une bannière sur laquelle était écrit le décret de la Conven-
8 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
lion qui ordonne le transport du corps de Lepelletier au Pan-
théon.
9" Élèves de la patrie.
iO" Les commissaires de police , le bureau de conciliation , les
juges de paix , les présidens et commissaires de sections , le tri-
bunal de commerce , le tribunal criminel provisoire , les six tri-
bunaux du dëparlemeat , le corps électoral , le tribunal criminel
du département , la municipalité de Paris, les districts de Saint-
Denis et du bourg de l'Égalilé, le département, le tribunal de
cassation.
il" Figure de la liberté portée par des citoyens.
Î2° Détachement de tambours.
13" Les faisceau de quatre-vingt-quatre départemens, porté
par des fédérés.
14° Le conseil exécutif provisoire.
'lo° Détachement de la garde de la Convention nationale.
16° Les vêtemens ensanglantés portés au bout d'une pique,
avec festons de chêne et de cyprès.
17° Convention nationale , les députés marchant sur deux co-
lonnes de deux.
18° Au milieu des députés , une bannière où étaient écrites les
dernières paroles de Lepelletier : Je suis satisfait de verser mon
sang pour ma patrie ; j' espère qu'il servira à consolider la libellé
et l'égalité , et à faire connaître ses ennemis.
19° Le corps porté par des citoyens, tel qu'il avait été exposé
sur la place des Piques.
20" Autour du corps , des canonniers , le sabre nu à la main ;
ils étaient accompagnés d'un pareil nombre de vétérans.
21° Musique de la garde nationale, qui exécutait, pendant la
marche , des airs funèbres.
22° Famille du morl.
25° Groupe de mères conduisant des enfans.
24° Détachement delà garde delà Convention.
^5° Tambours voilés.
26° Volontaires des si.\ légions €t vingt-quatre drapeaux.
JAiNVlEK (1793). U
27° Tambours voilés.
28° Fédérés armés.
29° Sociétés populaires.
50° Cavalerie et trompettes avec sourdines.
De chaque côté, il y avait une haie de citoyens armés de pi-
(lues , pour former une barrière qui soutenait les colonnes ; ces
citoyens tenaient leurs piques horizontalement à la hauteur des
Jianches do rnain en main.
La Convention , arrivée sur la place des Piques , se rangea au-
tour du piédestal.
Le citoyen chargé des cérémonies a remis au président de la
Convention une couronne de chêne et de fleurs ; alors le prési-
dent, précédé des huissiers de la Convention et de la musique
nationale, fit le tour du monument et monta sur le piédestal pour
déposer sur la tête de Lepelletier la couronne civique : pendant
ce temps, un fédéré prononça un discours ; le président descen-
dit, et le cortège se mit en marche.
Le cortège partit dans cet ordre de la place des Piques à
huit heures , !e 24, et passa par les ruesSaint-Honoré , du Pioule,
Ponl-JVeuf, Thionvilly (ci-devant Dauphine), Fossés-Saint-Ger-
main, la Liberté (ci-devant Fossés-Monsieur-le-Prince), place
Sainl-3Iichel, d'Enfer, Saint-Thomas, Saint-Jac<iues , place du
Panthéon.
Stations. Première , devant la salle des séances de la société des
amis de la liberté et de l'égaliié.
Deuxième , vis-à-vis l'Oratoire.
Troisième, sur le Pont-Neuf, en face de la Samaritaine.
Quatrième, devant la salle des séances des amis des droits de
l'homme?
Cinquième , au carrefour de la rue de la Liberté.
Sixième , place Saint-Michel.
Septième, au Panthéon.
Arrivé au Panthéon , le corps a été déposé sur l'estrade pré-
parée pour le recevoir. La Convention nationale se rangea au-
tour ; la musique nationale , placée dans la tribune , a e.\écuté un
iÔ DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
chœur religieux , après lequel le frère de Lepelletier a prononcé
un discours, dans lequel il a annoncé que son frère avait laissé
un ouvrage presque achevé sur l'éducation nationale, qu'il pu-
blierait , et a fini son discours par ces mots : Je voie, comme mon
frère, la mari des tyrans.
Les représentans du peuple se rapprochèrent du corps , se
promirent union et jurèrent le salut de la patrie : un grand chœur
à la hberté termina la cérémonie.
Les deux pièces qui suivent, et que nous avons annoncé de-
voir réimprimer à titre de documens complémentaires à la fin
du mois de janvier, sont du nombre de celles que notre histoire
ne peut se dispenser de recueillir. Ce n'est pas sans de graves
raisons que nous donnons une place à des documens aussi éten-
dus; il n'a fallu rien moins que la réputation de l'auteur et l'es-
pèce de consécration imprimée à son héritage politique par une
mort glorieuse , pour nous déterminer à cette réimpression. Ces
deux écrits de Lepellelier sont d'ailleurs beaucoup estimés par
tous ceux qui se sont occupés de collections révolutionnaires , et
il n'en est , pour ainsi dire , aucune où ils ne figurent. Si la nôtre
ne les contenait point, elle présenterait une lacune, et ce dernier
motif, joint à ceux qui précèdent, a achevé de justifier à nos
yeux l'emploi de quelques feuilles qui sépareront le mois de
janvier du mois de février.
ANNÉE 1793. il
PROJET DE LA LOI
DU CODE PÉNAL.
PREMIERE PARTIE.
DES PEINES.
TITRE PREMIER. — Dcs peines en général.
Art. 1. Les peines qui seront prononcées contre les accusés
trouves coupables par le jury sont de deux sortes.
Les peines afflîctives.
Les peines infamanles.
2. Les peines affliciives sont : le cacliot, la gêne, la prison,
auxquelles sera toujours jointe l'exposition aux regards du peuple.
5. Les peines infamantes sont : pour les hommes , la dégrada-
tion civique; pour les femmes , !e carcan.
4. Les peines affltcdves les plus graves , !o cachot et la gêne,
se termineront par un temps de peines moindres. Ainsi la peine
du cachot sera suivie d'un temps de gêne et d'un temps de pri-
son ; la peine de la gène sera suivie d'un tein;)s de prison; le tout
dans les proportions qui seront fixées ci-après.
o. Toute peine afflictive sera infamante.
TITRE II. — De la peine du cncliol (i).
Art. 1. Le condamné qui subira cette peine sera attaché dans
(1) Celte peine est proposée pour remplacer la peine de raort, non pas dans
les cent quinze cas contre lesquels la condamnaliou à morJ existe dans nos an-
12 DOGUMENS CO ÉLÉMENTAIRES.
un cachot , sans jour ni lumière , avec une chaîne el une ceinture
de fer ; il portera des fers aux pieds et au:: mains.
Il n'aura pour nourriture que du pain et de l'eau.
Il lui sera donné dé la paille pour se coucher.
Il sera toujours seul.
Il ne pourra avoir communication avec autres personnes que
les geôliers et les commissaires de la maison de peine.
2. Il sera procuré du travail au condamné deux jours par se-
maine pendant la première moitié du temps qu'il doit passer au
cachot ; trois jours par semaine durant la seconde moitié.
Les jours de son travail , le condamné sortira de son cachot ; il
travaillera dans un lieu éclairé, ses chaînes lui seront ôtées , mais
il ne pourra soriir de l'enceinte de la maison , ni communiquer
avec les autres prisonniers.
Sur le produit de son travail, un tiers sera appliqué à la dé-
pense commune de la maison.
Sur une partie des deux autres tiers, il lui sera permis de se
procurer une nourriture meilleure et plus abondante.
Le surplus sera réservé pour être remis au condamné au mo-
ment de sa sortie, après que le temps de sa peine sera expiré.
5. Un jour, chaque mois , la porte du cachot sera ouverte. Le
condamné sera exposé dans son cachot , avec ses chaînes , aux
yeux du public en présence d'un geôlier; son nom, la cause de
sa condamnation et le jugement rendu contre lui, seront écrits
extérieurement sur la porte de son cachot.
4. Les femmes qui subiront cette peine ne porteront point de
chaînes ni de fers.
5. La peine du cachot sera terminée par une seconde époque
dont la durée sera égale à la moitié de la première.
Cette seconde époque se partagera en deux parties égales.
Pendant la première, le condaumé subira la peme de la gène.
Pendant la deuxième, celle de la prison.
ciennes lois, mais pour les crimes auxquels l'assemblée nationale pourrait appli-
quer la peine de mort si elle était conservée , tels que les attentats à lèse-natiOD ,
assassinats, poisons et incendies.
ANNÉE 1795. i5
Ainsi , lorsque le jugement portera : Condamné à la peine du
cachot pour douze ans, le condamné subira pendant huit ans la
peine qui vient d'être décrite; il passera à la gène les deux an-
nées suivantes, et enfin il subira la peine de la prison les deux
dernières années.
6. La durée de cette peine ne pourra être moindre de douze
années, ni s'étendre au-delà de vingt-quatre , dans lesquelles se-
ront compris le temps de gêne et celui de prison , dont le cachot
doit être suivi conformémgit aux dispositions et aux proportions
qui viennent d'être établies ci-dessus.
TITRE III. — De la peine de la gêne.
Art. 1. Le coupable qui aura été condamné à celte peine sera
enfermé seul dans un lieu éclairé.
Il sera attaché avec une chaîne et une ceinture de fer, pieds et
mains libres.
II lui sera fourni, pour nourriture, du pain et de l'eau aux dé-
pens de la maison , le surplus sur le produit de son travail.
Il lui sera donné de la paille pour se coucher.
2. Tous les jours il lui sera procuré du travail.
Deux jours par semaine , les condamnés à cette peine pourront
se réunir ensemble pour un travail commun , mais sans sortir de
l'enceinte de la maison. Ces jours-là leurs chaînes leur seront ôtées.
Les autres jours, ils travailleront seuls, chacim dans le lieu de
sa détention.
Le produit de leur travail sera employé ainsi qu'il est expliqué
ci-dessus à l'article 2 du titre précédent.
5. L'un des deux jours du travail commun , après que les con-
damnés seront rentrés dans le lieu de leur détention, ils pourront
communiquer avec des personnes autres que les geôliers et les
commissaires de In maison , toutefois en présence d'un geôlier et
avec la permission d'un commissaire. Tous les autres jours , les
condamnés ne pourront communiquer, ni ensemble , ni avec les
personnes du dehors.
4. Une fois par mois , îe lieu de la gêne sera ouvert, et le con-
|4 D0CUMEN3 COMPLÉMENTAIRES.
damné sera exposé aux regards du public avec ses chaînes et en
présence d'un fjeôlier.
Son nom , la cause de sa condamnation et le jugement rendu
pontre lui , seront écrits extérieurement au-dessus de la porte du
lieu où il sera détenu.
5. Les femmes qui subiront celte peine ne porteront point de
chaînes.
6. Lorsque cette peine sera prononcée seule et ne sera pas une
suite de la peine du cachot, sa durée,ne pourra être moindre de
quatre années, ni s'étendre au-delà de quinze ans, dans le nom-
bre desquels sera comprise une année de la peine de la prison
dont la peine de la gène sera toujours suivie.
TITRE IV. — De la peine de la prison.
Art. i. Le coupable qui aura été condamné à celte peine
sera enfermé, seul, sans fers ni liens.
Il aura un lit pour se coucher.
Il lui sera donné pour nourriture du pain et de l'eau aux d;'-
pens de la maison , le surplus sur le produit de son travail.
2. Il lui sera fourni tous les jours du travail dans l'enceinte de
la maison. Les condamnés à celte peine pourront se réunir pour
un travail commun.
Les hommes et les femmes travailleront dans des enceintes
séparées.
Le produit de leur travail sera employé comme il est expliqué
ci-dessus.
3. Une fois par semaine, le condaniné pourra communiquer
avec des personnes autres que les geôliers et les commissaires , en
présence toutefois d'un geôlier , et avec la permission d'un com-
missaire; mais il ne paraîtra qu'enfermé dans sa prison.
4. Un jour chaque mois la prison sera ouverte, et le condamné
sera exposé aux regards du public en présence d'un geôlier. Son
nom, la cause de sa condanmaiion , et le jugement rendu contre
lui , seront écrits extérieurement au-dessus de la porte de sa
prison.
ANNÉE 1793. i^
5. Lorsque cette peine sera prononcée seule , et ne sera pas
une suite de la peine du cachot ou de celle de la gêne , la durée
de cette peine ne pourra pas être moindre de deux années , ni
s'étendre au-delà de six ans.
En conséquence , et pour l'exécution des dispositions précé-
dentes , il sera fait choix dans chaque département , soit dans la
ville, soit près de la ville où le tribunal est fixé, d'une enceinte
propre à réunir l'établissement des cachots, des lieux dejjêne,
et des chambres de détention.
La municipalité de ladite ville sous l'inspection et l'autorité du
directoire du département, sera chargée de pourvoir à la sûrelé,
salubrité, police intérieure, régie et administration de ladite
maison , à la nourriture , aux besoins des condamnés , et à Ipur
soulagement en cas de maladie ou d'infirmité; de leur fournir un
travail proportionné à leurs forces et à leur industrie ; de faire
l'emploi du produit dudit travail conformément aux précédentes
dispositions ; enfin de veiller à ce que les geôliers et gardiens
remplissent leurs fonctions avec humanité et exactitude.
Expresses défenses seront faites aux gardiens des condamnés
de les maltraiter et de leur porter aucun coup , sous peine de
destitution.
Les condamnés seront toujours conduits, pour subir leur ju-
gement, dans la maison de peine du département dans l'étendue
duquel le crime aura été commis. Seront toutefois exceptés de la
présente disposition les délits de lèse-nation qui auraient été
commis hors du royaume ; ceux qui auront été condamnés pour
ces délits seront conduits da-.is la maison de peine du dépar-
tement dans l'enceinte duquel siégail le corps législatif, lorsqu'il
a déclaré qu'il y avait lieu à accusation contre les prévenus
desdits crimes.
TITRE V. — De l'exposition des condamnés aux regards du peuple.
Art. 1. Quiconque aura été condamné soit à la peine du ca-
chot, soit à la peine de la gêne, soit à celle de la prison, sera préa-
lablement placé sur un échafaud au milieu de la pl^ce publique.
16 DOCUMENS C0MPL1ÉME>"TA!RES.
2. Il y sera altaché à un poteau , chargé des mêmes fers qu'il
doit conserver dans le cachot , si c'est à c^tte peine qu'il est con-
damné , ou de ceux qu'il doit porter dans la gêne , si la peine de
gêne est celle qu'il doit subir.
3. Au-dessus de sa tête sur un écriteau , seront inscrits en {jros
caractères son nom , la cause de sa condamnation , et le jugement
rendu. contre lui.
4. Il demeurera ainsi exposé aux regards du peuple pendant
trois jours consécutifs , six heures par jour , s'il est condamné à la
peine du cachot.
Pendant deux jours consécutifs, quatre heures par jour, s'il
est condamné à la peine de la gêne.
Un seul jour et pendant deux heures , s'il est condamné à la
peine delà prison.
5. Le condamné sera exposé publiquement dans le même ap-
pareil, et durant le môme nombre de jours ci-dessus prescrits,
tant dans la ville oii le jury d'accusation a été convoqué , que dans
celle où est située la miùson de peine dans laquelle il doit être
conduit.
G. Si la maison de peine est située dans la ville où le jury
d'accusasion a été convoqué , l'exposition aura lieu tant dans la-
dite ville que dans celle où a été convoqué le jury de juge-
ment {{).
TITRE VI. — De la peine de la décjradaûon civique.
Art. 1. Le coupable qui aura été condamné à cette peine,
sera conduit au milieu de la place publique de la ville où siège le
tribunal criminel qui l'aura jugé. Le greffier du tribunal lui adres-
sera ces mots à haute voix ; Votre pays vous a trouvé convaincu
d'une action infâme. La loi et le tribunal vous dégradent de la
qualité de ciioijen français.
(!) Ce cas a lieu lorsque le crime a été commis dans l'étendne du district où
siège le tribunal.
D'après le décret des jurés, le jury de jugement ne peut pas être convoqué
dans ce district; mais la procédure est renvoyée à nu tribunal criminel du dé-
partement voisin.
ANMÉE 1795. 17
Le condamné sera ensuite mis au carcan , au milieu de la place
publique ; il y restera pendant deux heures exposé aux regards
du peuple : sur un écriteau seront tracés en gros caractères , son
nom, le crime qu'il a commis, le jugement rendu contre lui.
2. Dans le cas où la loi prononcera la peine de la dégradation
civique , si c'est une femme ou une fille qui est convaicue de s'être
rendue coupable desdits crimes , !e jugement portera : Telle est
condamnée à la peine du carcan.
3. Toute femme ou iille qui aura été condamnée à cette peine,
sera conduite au milieu de la place publique de la ville où siège le
tribunal criminel qui l'aura jugée.
Elle y sera mise au carcan , et restera pendant deux heures
exposée aux regards du peuple.
Sur un écriteau seront tracés en gros caractères , son nom , le
crime qu'elle a commis ; et le jugement rendu contre elle.
TITRE VII. — Des effets des condamnations.
Art. 1. Quiconque aura été condamné à l'une des peines éta-
blies dans les titres précédens , sera déchu de tous les droits atta-
chés à la qualité de citoyen actif, ou rendu incapable de les ac-
quérir.
Son témoignage et son affirmation ne seront point admis en
justice.
Il ne pourra être rétabli dans ses droits, que dans les délais et
sous les conditions ci-après.
2. Quiconque aura été condamné aux peines du cachot , de la
gêne ou de la prison , indépendamment des déchéances portées
en l'article précédent , sera inhabile , pendant la durée de sa
peine , à l'exercice d'aucun droit civil.
5. En conséquence il lui sera nommé par le président du tri-
bunal criminel qui aura prononcé son jugement, un curateur
pour gérer et administrer ses biens.
4. Ses biens lui seront restitués à l'instant de sa sortie , et le
curateur lui rendra compte de son administration et de l'emploi
utile de ses revenus.
T. xxiv, , 2
18 DOCUMENS COMPLÊlffiNTAIRES.
5. Pendant le temps de sa détention , il ne pourra être remis
au condamné aucune portion de ses revenus.
6. Seulement il pourra être prélevé sur ses biens , les sommes
nécessaires pour élever et doter ses enfans , ou pour fournir des
alimens à sa femme et à ses enfans , à son père ou à sa mère ,
s'ils sont dans le besoin.
7. Ces sommes ne pourront être prélevées sur ses biens , qu'en
vertu d'un jugement rendu par le triljunal criminel , à la requête
des demandeurs , avec l'avis du curateur, ou sur les conclusions
du commissaire du roi.
8. Les commissaires et gardiens de la maison de peine ne per-
mettront pas que les condamnés reçoivent , pendant la durée de
leur détention, aucun don, argent, secours, vivres ou aumônes,
attendu qu'il ne peut leur être accordé de soulagement que sur
le produit de leur travail {i).
Il seront responsables de l'exécution de cet article, sous peine
de destitution.
TITRE vni. — De l'influence de l'âge du condamné sur la nature et
la durée des peines du cachot, de la gêne et de la prison.
Art. 1. Lorsqu'un accusé, déclaré coupable par le jury, aura
commis le crime pour lequel il est poursuivi, avant l'âge de seize
ans accomplis , les jurés décideront dans les formes ordinaires
de leurs délibérations la question suivante :
Le coupable a-t-il commis le crime , avec ou sans discerne-
ment ?
2. Si les jurés décident que le coupable a commis le crime sans
discernement , il sera acquitté du crime ; mais le tribunal crimi-
nel pourra , suivant les circonstanances , ordonner que l'enfant
sera rendu à ses parens , ou qu'il sera conduit dans la maison de
correction pour y être élevé et détenu pendant tel noml^re d' an-
Ci) Celte disposition paraîtra bien nécessaire , si l'on est instruit que , sur les
galères , tout forçat qui a quelque patrinaoine ou des parens aisés qui lui four-
nissent de l'argent, est bien traité , bien nourri, bien vêtu, et reçoit toute sorte
d'égards de la part des gardiens, toujoui's favorablement disposés pour un pen-
sionnaire ulile.
ANNÉE 1795. 19 '
nées que le jugement déterminera , et qui toutefois ne pourra
excéder l'époque de la majorité de l'enfant.
5. Si les jurés décident que le coupable a commis le crime
avec discernement , la peine prononcée par la loi contre ledit
crime, sera abrégée d'un tiers quant à sa durée ; elle sera en
outre commuée à raison de l'âge du coupable ; savoir : la peine
du cachot et de la gêne dans la peine de la prison , si le coupable
était âgé de moins de quatorze ans accomplis lorsqu'il a commis
le crime ; et la peine du cachot dans la peine de la gène , si le cou-
pable avait moins de seize ans accomplis.
Par exemple , l'enfant de moins de quatorze ans accomplis ,
qui, en raison de son crime, aurait encouru la peine de dix-
huit années de cachot , subira en raison de son âge douze an-
nées de prison. Celui qui aura encouru douze ans de gêne, su-
bira huit ans de prison.
Quant à l'enfant de plus de quatorze ans, mais de moins de
seize accomplis, qui aurait encouru la peine de douze années de
gêne, il subira cette peine pendant huit ansj; et s'il a encouru la
peine de dix-huit années de cachot, il subira douze années la peine
de la gêne.
4. Nul ne pourra être condamné à la peine du cachot , après
l'âge de soixante ans accomplis ; mais celte peine sera commuée
pour un temps égal, dans la peine de la prison.
Les condamnés qui auraient commencé à subir leur peine
lorsqu'ils sont parvenus à cet âge , en fourniront la preuve au
tribunal cri.ninel qui aura prononcé leur jugement ; et sur leur
requête , le tribunal ordonnera qu'ils soient transférés à la gêne,
pour achever d'y remphr le temps de leur condamnation.
5. Nul ne pourra être condamné à la gène , après l'âge de
soixante-dix ans accomplis ; mais cette peine sera commuée pour
un temps égal dans la peine de la prison.
Les condamnés qui auraient commencé à subir leur peine lors-
qu'ils seront parvenus à cet âge , en fourniront la preuve au tri-
bunal criminel qui aura prononcé leur jugement; et, sur leur
requête , le tribunal ordonnera qu'ils soient transférés à la pri-
20 DOCUMENT COMPLÉMENTAIRES,
son, pour achever d'y remplir le temps de leur condamnation.
6. Tout condamné qui aura atteint l'âge dé quatre-vingts ans ,
quelle que soit la nature de la peine qu'il ail encourue , sera mis
en liberté par jugement du tribunal criminel, rendu sur sa re-
quête, s'il a subi au moins cinq années de sa peine.
S'il avait subi moins de cinq ans de détention , il sera mis en
liberté dans les mêmes formes, aussitôt que ces cinq années se-
ront accomplies.
7. Nul ne pourra être condamné à plus forte peine que celle
de cinq années de prison , après quatre-vingts ans accomplis. Si
la peine prononcée par la loi, à raison du crime commis, excède
cinq ans de prison , la condamnation sera restreinte à ce terme ,
en considération de l'âge du coupable.
TITRE IX. — De la récidive.
Art.1. Quiconque aura été condamné à une peine afflictiveou
infamante, encore que ledit jugement ait été rendu par contumace,
s'il est convaincu d'avoir , depuis le jugement, commis un crime
emportant peine infamante , mais non afflictive , sera , à raison
de la récidive , condamné à la peine de deux années de prison.
2. Quiconque aura été condamné à une peine afflictive ou in-
famante, encore que le jugement ait été rendu par contumace,
s'il est convaincu d'avoir depuis ce temps commis un crime em-
portant peine afflictive , subira ladite peine ; et après l'expiration
du temps de cette seconde condamnation, le condamné sera trans-
féré pour le reste de sa vie au lieu qui sera incessamment fixé
pour la déportation des malfaiteurs (1).
5. Nul ne pourra être déporté s'il est âgé de soixante-dix ans
accomplis.
TITRE x. — De l'exécution des jugemens rendus contre nn accusé
contumace.
Art. I. Lorsqu'un accusé contumace aura été condamné à
(f) Les comités de constitution , de mendicité et de législation criminelle, se
sont concertés avec le ministre de la marine sur la nécessité de faire choix d'un
I ieu où les malfaiteurs et les inçndians dangereux puissent être déportés.
ANNÉE 1793. 21
l'une des peines établies ci-dessus , il sera dressé dans la place
publique un poteau , auquel on appliquera un écriteau indicatif
du nom du condamné, du crime qu'il a commis , et du jugement
rendu contre lui.
2. Cet écriteau restera exposé aux yeux du peuple pendant trois
jours consécutifs, si la condamnation emporte la peine du cachot.
Pendant deux jours consécutifs , si la condamnation emporte
la peine de la gêne.
Pendant un jour, si la condamation emporte la peine de la dé-
gradation civique ou celle du carcan.
3. Lorsque la condamnation prononcée contre un accusé con-
tumace emportera peine afflictive, ledit écriteau sera exposé
en la forme qui vient d'être prescrite, dans les villes où , d'après
les dispositions du titre V ci-dessus , l'exposition du condamné
aurait lieu si le condamné était présent.
Lorsque ladite condamnation emportera peine infamante,
mais non afflictive , ledit écriteau sera exposé seulement dans la
place 'publique de la ville où siège le tribunal criminel qui aura
prononcé ledit jugement (i).
TITRE XI. — De ta réhabilitation des condamnés.
Art. 1. Tout condamné qui aura subi sa peine pourra de-
mander à la municipalité du lieu de son domicile une attestation
à l'effet d'être réhabilité.
Savoir : les condamnés aux peines du cachot , de la gêne , de
la prison , dix ans après l'expiration de leur peine.
Les hommes condamnés à la peine de la dégradation civique ,
les femmes condamnées à celle du carcan , après dix ans, à com-
pter du jour de leur jugement.
L'indication de l'île dont il aura été fait choix pour cet établissement , et les
mesures qui y sont relalives, seront mises incessamment sous les yeux de l'assem-
blée nationale.
L'Angleterre a pratiqué avec succès ce moyen de purger la société des hu-
meurs vicieuses dont elle peut être infectée.
(OLes effets des condamnations contre un accusé contumace sont décrétés
dans la loi portant établissement de jurés.
^ DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
2. Huit jours , au plus , après la demande, le conseil-général
de la commune sera convoqué , et il lui en sera donné connais-
sance.
5. Le conseil-général de la commune sera de nouveau convo-
qué au bout d'un mois j pendant ce temps , chacun de ses mem-
bres pourra prendre sur la conduite de l'accusé tels renseigne-
mens qu'il jugera convenables.
4. Les avis seront recueillis par la voie du scrutin , et il sera
décidé à la majorité si l'attestation doit être accordée.
5. Si la majorité est pour que l'attestation soit accordée, deux
officiers municipaux, revêtus de leur écharpe, conduiront le
condamné devant le tribunal criminel où le jugement de condam-
nation aura été prononcé.
Ils y paraîtront avec lui dans l'auditoire en présence des juges
et du public.
Après avoir fait lecture du jugement prononcé contre le con-
damné , ils diront à haute voix : Un tel... a expié son crime en su-
bissant sa peine; maintenant sa conduite est irréprochable; nous
demandons , au nom de son pays, que la tache de son crime soit
effacée.
6. Le président du tribunal , sans délibération , prononcera
ces mots : Sur l'attestation et la demande de votre pays , la loi et
le tribunal effacent la tache de votre crime.
Il sera dressé du tout procès-verbal , et mention en sera faite
sur le registre du tribunal criminel , en marge du jugement de
condamnation,
7. Celle réhabilitation fera cesser, dans la personne du con-
damné , tous les effets et toutes les incapacités résultantes des
condamnations.
8. Si la majorité du corps municipal est pour refuser l'atlesia-
lion , le condamné ne pourra fermer une nouvelle demande que
deux ans après , et ainsi de suite de deux en deux ans (1), tant
que l'attestation ne lui aura pas été accordée.
(J) Au boat de fleux ans, un nouveau conseil de la commune aura été élu , en
ANNÉE 1795. 25
L'usage des lettres de grâce , de rémission , d'abolition , de
pardon , de commutation de peine, est aboli.
Toutes les peines actuellement usitées , autres que celles qui
sont établies ci-dessus , sont abrogées.
DEUXIÈ3IE PARTIE.
DES CRI^IES ET DE LEUR PUNITION.
TITRE PREMIER. — Cr'wies Cl attentais contre la chose publique.
Lorsqu'un Français , chef de parti , à la léte de troupes étran-
gères, ou à la tête de citoyens révoltés, aura exercé des hostili-
tés contre la France, après qu'un décret du corps législatif l'aura
déclaré ennemi public, chacun aura le droit de lui oter la vie;
s'il est arrêté vivant , il sera condamné à être pendu.
PREMIERE SECTION. — Dcs crimcs contrc la sûrelé extérieure de l'état.
Art. 1. Toutes machinations et intelligences pratiquées avec les
puissances étrangères ou avec leurs agens , pour les engager à
commettre des hostilités , ou pour leur indiquer les moyens d'en-
treprendre la guerre avec avantage, seront punies delà peine du
cachot pendant douze ans , dans le cas où lesdites machinations
et intelligences n'auront été suivies d'aucune hostilité.
2. Si les manœuvres mentionnées en l'article précédent sont
suivies de quelques hostilités , ou si elles sont liées ù une conspi-
ration formée dans l'intérieur du royaume, elles seront punies
de la peine de vingt-quatre années de cachot.
3. Toutes agressions hostiles , toutes infractions de traités ten-
dantes à allumer la guerre entre la France et une puissance étran-
gère, seront punies de la peine de vingt années de cachot. *
Tout agent subordonné qui aura contribué auxdites hostilités,
soit en exécutant , soit en faisant passer les ordres de son supé-
rieur légitime , n'encourra pas ladite peine.
Le ministre qui en aura donné ou contresigné l'ordre, ou le
sorte que des préventions personnelles ne pourront pas opposer UQ obstacle per-
manent à la demande du condamne.
M DOCUMENS COilPLËMKN TAIKES.
commandant qui , sans ordre du ministre , aura fait commettre
lesdites hostilités ou infractions, en sera seul responsable et
subira la peine portée au présent article.
4. Toiit Français qui portera les armes contre la France sera
condamné à vingt-quatre années de cachot.
5. Toutes manœuvres , toute intelligence avec les ennemis de
la France , tendantes , soit à faciliter leur entrée dans les dépen-
dances de l'empire français , soit à leur livrer des villes , forte-
resses, porîs , vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à
la France , soit à leur fournir des secours en soldats , argent, vi-
vres ou munitions, soit à favoriser d'une manière quelconque
le progrès de leurs armes sur le territoire français, ou contre nos
forces de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers,
soldats et des autres citoyens envers la nation française , seront
punis de la peine de vingt-quatre années de cachot.
6. Les trahisons de la nature de celles mentionnées en l'article
précédent , exercées en temps de guerre , envers les alliés de la
France agissant contre l'ennemi commun , seront punies de la
même peine.
DEUXIEME SECTION. — Des ciimes et délits contre la sûreté intérieure de l'état-
Art. 1. Tout complot et attentat contre la personne du roi, ou
de celui qui , pendant la minorité du roi, exercera les fouctions
de la royauté, ou de Théritier présomptif du trône, seront punis
de la peine de vingt-quatre années de cachot.
2. Toutes conspirations et complots tendans , sous des pré-
textes de religion ou de réformation du gouvernement, ou par
toutes autres insinuations , à troubler l'état par une guerre ci-
vile , en armant les citoyens les uns contre les autres , ou contre
l'exercice de l'autorité légitime, seront punis de la peine de vingt
années de cachot.
5. Tout enrôlement de soldats , levées de troupes , amas d'ar-
mes et de munitions pour exécuter les complots et machinations
mentionnés en l'article pi écédent ;
A.NNiit; 1795. 25
Toute attaque ou résistance envers la force publique agissant
contre l'exécution desdits complots ;
Tout envahissemerit de ville , forteresse, magasin, arsenal,
port ou vaisseau , sera puni de la peine de vingt-quatre années de
cachot.
Les auteurs, chefs et instigateurs desdites révoltes, et tous ceux
qui seront pris les armes à la main , subiront les peines portées
au présent article.
4. Les pratiques et intelligences avec les révoltés , de la nature
de celles mentionnées en l'article 5 du titre premier, seront pu-
nies des peines portées auxdiîs articles.
5. Tout commandant d'armée ou corps de troupes , d'une
Hotte ou d'une escadre, d'une place forte pu d'un poste , qui en
retiendra le commandement contre l'ordre du roi ;
Tout commandant qui retiendra son armée sous ses drapeaux ,
lorsque le licenciement en aura été ordonné , soit par le roi, soit
par un décret du corps législatif, et après que lesdits ordres ou
décrets lui auront été légalement notifiés , sera coupable du
c! ime de révolte , et condamné à la peine de vingt années de
cachot.
TROISIÈME SECTION. — Des crinics contre la Constitution.
Art. j. Tous complots ou attentats pour empêcher la réunion,
ou pour opérer la dissolution d'une assemblée primaire ou d'une
assemblée électorale, seront punis de la peine du cachot pendant
douze années.
2. Si des troupes de ligne investissent le lieu des séances
desdites assemblées, ou pénètrent dans son enceinte sans l'auto-
risation ou la réquisition desdites assemblées , le ministre ou
commandant qui en aura donné ou contresigné l'ordre, leschefe
ou soldats qui l'auront exécuté, seront punis du cachot pendant
quinze années.
5. Toutes conspirations ou attentats pour empêcher la réunion,
ou pour opérer la dissolution du coips législatif;
26 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Tout attentat contre la liberté individuelle d'un de ses mem-
bres, seront punis de vingt-quatre années de cachot.
Tous ceux qui auront participé auxdites conspirations ou
auxdits attentats , par les ordres qu'ils auront donnés ou exé-
cutés, subiront la peine portée au présent article.
4. Si des troupes de ligne approchent ou séjournent plus près
de vingt mille toises de l'endroit où le corps législatif tiendra ses
séances, sans que le corps législatif en ait autorisé ou requis l'ap-
proche ou le séjour ; le ministre qui en aura donné ou contre-
signé l'ordre , le commandant en chef et le commandant parti-
culier de chaque corps desdites troupes seront punis de la peine
de douze années de gêne.
o. Quiconque aura commis l'attentat d'investir d'hommes ar-
més le lieu des séances du corps législatif, ou de les y introduire
sans son autorisation ni réquisition , sera puni de la peine de
Vingt années de cachot.
Le ministre ou coaimandant qui en aura donné ou contresigné
l'ordre, les chefs et soldats qui l'auront exécuté, subiront la
peine portée au présent article.
6. Toutes conspirations ou attentats ayant pour objet d'inter-
vertir l'ordre de la succession au trône, déterminé par la consti-
tution, seront punis de la peine de vingt années de cachot,
7. Si quelque acte était publié comme loi , sans avoir été dé-
crété par le corps législatif, de quelque forme que ledit acte soit
revêtu ;
Tout ministre qui l'aura contresigné sera puni de la peine de
vingt années de cachot.
Et si ledit acte n'est pas extérieurement revêtu de la forme
constitutionnelle , prescrite par le décret du sept octolire mil sept
cent quatre vingt-neuf, tout fonctionnaire public, commandant
et officier qui l'auront fait exécuter ou publier , seront punis de
la peine de douze années de gêne.
Le présent article ne porte aucune atteinte au droit de faire
publier des proclamations et autres actes réservés par la Consti-
tution au pouvoir exécutif.
ANNÉE 1793. 27
8. En cas de publication d'une loi lalsiliée , le ministre qui
l'aura contresignée, s'il est convaincu d'avoir altéré ou fait altérer
le décret du corps législatif volontairement et à dessein , sera
puni de quinze années de gêne.
9. Si quelque acte portant établissement d'un impôt ou d'un
emprunt , était publié sans que ledit impôt ou emprunt ait été
établi en vertu d'un décret du corps législatif sanctionné par le
roi ;
Tout ministre qui aura contresigné ledit acte , ou donné ou con-
tresigné des ordres pour percevoir ledit impôt, ou pour recevoir
les fonds dudit emprunt , sera puni de la peine du cachot pen-
dant vingt ans.
Tous agens quelconques du pouvoir exécutif qui auront exé-
cuté lesdits ordres, soit en percevant ledit impôt, soit en rece-
vant les fonds dudit emprunt , seront punis de la peine de douze
années de gêne.
10. Si quelque acte ou ordre émané du pouvoir exécutif
créait des cor[)S , ordres politiques , ou agens pour leur conférer
un pouvoir que le corps constituant a seul le droit de déléguer,
ou rétablissait des corps, ordres poliiiques , ou agens que la
Constitution aurait détruits;
Tout ministre qui aura contresigné ledit acte ou ledit ordre
sera puni de la peine de vingt années de cachot.
Tous ceux qui auraient participé à ce crime , soit cm acceptant
lesdits pouvoirs, soit en exerçant lesdiies fonctions , i^'cront punis
delà peine de la .^/me pendant six ans.
H. Si quelque acte ou ordre émane au pouvoir exécutif dé-
truisait les corps établis par la Constitution ;
Tout minisire qui aura contresigné ledit ordre ou ledit acte
sera puni de vingt ans de cachot.
Il2. Si par quelque acte on ordre émané du pouvoir executif
un fonctionnaire public quelconque était illégaio.nent desti'ué, le
ministre qui aura contresigné l'ordre seia puni de la gène
pendant douze aimées.
15. S'il émanait du pouvoir exécutif un acte portant nomi-
28 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
nation , au nom du roi , d'un emploi qui suivant la Constitution
ne peut être conféré que par l'élection libre des citoyens, le mi-
nistre qui aura contresigné ledit acte sera puni de la gène pen-
dant douze années.
Ceux qui auraient participé à ce crime , en acceptant lesdits
emplois ou en exerçant lesdites fonctions, seront punis de la peine
de six années de gêne.
14. Toutes machinations , ou violences , ayant pour objet d'em-
pêcher la réunion ou d'opérer la dissolution de toute assemblée
de commune et municipale , de tout corps administratif ou judi-
ciaire établis par la Constitution , seront punies de la peine de
six années de gêne , si lesdites violences sont exercées avec ar-
mes , et de trois aunées de prison , si elles sont exercées sans
armes.
4o. Tout ministre qui sera coupable de crime mentionné en
l'article précédent , par les ordres qu'il aura donnés ou contre-
signés , sera puni de la peine de douze années de cachot.
Tous chefs, commandans et officiers qui auront contribué à
exécuter lesdits ordres , seront punis de la même peine.
16. Tout miaistre qui , en temps de paix , aura donné ou con-
tresigné des ordres pour lever ou entretenir un nombre de trou-
pes de terre supérieur à celui qui aura été déterminé par les
décrets du corps législatif, ou pour augmenter le nombre propor-
tionnel des troupes étrangères fixé par lesdits décrets , sera puni
des douze ans de gêne.
17. Toute violence exercée par l'action des troupes de ligne
contre les citoyens , sans réquisition légitime et hors des cas ex-
pressément prévus par îa loi, sera punie de la peine de douze an-
nées de cachot.
Le ministre qui en aura donné ou contresigné l'ordre, les
commandans , officiers et soldats qui auront exécuté ledit ordre,
ou qui sans ordre auront commis lesdites violences, seront punis
de la niême peine.
Si par l'effet de ladite violence quelque citoyen perd la vie, la
peine sera de vingt années de cachot.
ANNÉE 1793. 29
18. Tout attentat contre la liberté individuelle , base essen-
tielle de la Gonslitution française, sera puni ainsi qu'il suit :
Tout homme, quelle que soit sa place ou son emploi, autre
que ceux qui ont reçu de la loi le droit d'arrestation , qui don-
nera , signera , exécutera l'ordre d'arrêter une personne vivant
sous l'empire et la protection des lois françaises, ou l'arrêtera
effectivement , si ce n'est pour la remettre sur-le-champ à la po-
lice , dans les cas déterminés par la loi , sera puni de la peine de
six années de gêne.
19. Si ce crime était commis en vertu d'un ordre émané du
pouvoir exécutif, le ministre qui l'aura contresigné sera puni
de douze ans de gêne.
20. Tous geôliers et gardiens de maisons d'arrêts , de justice,
de correction , ou de prison pénale, qui recevront ou retiendront
ladite personne, sinon en vertu de mandats, ordonnances, juge-
mens, ou acte légal, seront punis de la peine de six années de
gêne.
21. Quoique ladite personne ait été arrêtée en vertu d'un acte
légal , si elle est détenue dans une maison autre que les lieux lé-
galement et puljjiquement désignés pour recevoir ceux dont la
détention est autorisée par la loi ;
Tous ceux qui auront donné l'ordre de la détenir, ou qui l'au-
ront détenue , ou qui auront prêté leur maison pour la détenir ,
seront punis de la peine de six années de gêne.
Si ce crime était commis en vertu d'un ordre émané du pou-
voir exécutif , le ministre qui l'aura contresigné sera puni de la
peine de douze années de cachot.
22. Tout fonctionnaire public qui par un acte illégal attentera
à la propriété d'un citoyen , ou mettra obstacle au libre exercice
d'aller, d'agir, de parler et d'écrire, d'imprimer et de publier
ses écrits, droits assurés par la Conbtilution à tout individu, ex-
cepté dans les cas où un texte précis de la loi limite l'exercice
desdits droits , sera puni de la peine de six années de gêne.
Si lesdits attentats étaient commis en vertu d'un acte ou d'un
30 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
ordre émané du pouvoir exécutif , le minisire qui aura contresi-
gné ledit ordre sera puni de douze années de cachot.
25. Quiconque aura volontairement et sciemment brisé le ca-
chet et violé le secret d'une lettre confiée à la poste , sera puni
de la peine de la dégradation civique.
Si le crime est commis, soit en vertu d'un ordre émané du
pouvoir exécutif, soit par un agent du service des postes, le mi-
nistre qui en aura donné ou contresigné l'ordre, quiconque l'aura
exécuté, ou l'agent du service des postes qui, sans ordre , aura
commis ledit crime , sera puni de la peine de douze ans de gêne.
24. S'il était émané du pouvoir exécutif quelque acte ou quel-
que ordre pour soustraire un de ses agens, soit à la poursuite
légalement commencée de l'action en responsabilité, soit à la
peine légalement prononcée en vertu de ladite responsabilité, le
ministre qui aura contresigné ledit ordre ou acte, et quiconque
l'aura exécuté , sera puni de la peine de douze années de cachot.
QUATRIÈME SECTION. — Délits des particuliers contre le respect et l'obéissance
dus à la loi et à l'autorité des pouvoirs constitués pour la faire eiécuter.
Art. 1. Lorsqu'un ou plusieurs agens préposés , soit à l'exécu-
tion d'un décret du corps législatif, soit à la perception d'une
contribution légalement établie, soit à l'exécution d'un jugement,
mandat, d'une ordonnance de justice ou de police, lorsque tout
dépositaire quelconque de la force publique, agissant légalement
dans l'ordre de ses fonctions , aura prononcé cette formule :
Obéissance à la loi ;
Quiconque opposera des violences et voies de fait sera cou-
pable du crime d'of/ense à la loi; il séria puni de la peine de deux
années de prison.
Si la résistance est opposée avec armes , la peine sera de qua-
tre années de prison.
2. Lorsque la résistance aux agens ou dépositaires de la force
publique , désignés en l'article précédent , sera opposée avec at-
troupement, et que les officiers civils de la municipalité ou du
canton auront été contraints de requérir l'action de la force pu-
ANNÉE 1793. 51
blique contre lesdites personnes attroupées; lorsqu'il leur aura
été fait les sommations déterminées par les lois , si l'attroupement
continue , les chefs de \ émeute, et ceux qui seront arrêtés sur-
le-champ les armes à la main , ou en état de résistance , seront
punis de la peine de la gêne pendant six années.
3. Lorsque lesdites résistances et allroupemens n'auront pas
cédé à la force publique de la municipalité ou du canton , et que
l'administration du district aura requis l'action de forces plus
considérables; après qu'il aura été l^it auxdites personnes at-
troupées les sommations déterminées par les lois , si l'attroupe-
ment continue , les coupables seront constitués en sédition.
Les chefs des séditieux, et tous ceux qui seront arrêtés sur-le-
champ les armes à la main , ou en état de résistance , seront punis
de douze années de gêne.
4. Lorsque lesdites résistances et attroupemens n'auront pas
cédé à la force publique requise par l'administration du district ,
et que l'administmlion du département aura été contrainte de
requérir l'action de forces plus considérables; après qu'il aura
été fait aux séditieux attroupés les sommations déterminées par
les lois , si l'attroupement continue , les coupables seront consti-
tués en rébellion : les chefs des rebelles, et ceux qui seront ar-
rêtés sur-le-champ les armes à la main, ou en état de résistance,
seront punis de la peine de douze années de cachot.
o. Les coupables des crimes d'offense à la loi , d'èmcule, de
sédition, de rébellion, qui auraient commis personnellement des
homicides , incendies et autres actes de violence , seront punis des
peines qui seront décrétées ci-après contre chacun de ces crimes,
quand même ils n'auraient pas été arrêtés sur-le-champ , ni les
armes à la main , ni en étal de résistance.
G. Quiconque aura outragé , verbalement ou par gestes , un
fonctionnaire public au moment où il exerçait ses ix)nctions, sera
puni de la peine de la dégradation civique.
S'il portait l'outrage jusqu'à le frapper, la peine sera de deux
années de prison.
7. Quiconque par force aura délivré ou tenté de délivrer des
52 DOCUME>'S COMPLÉMEXTAIRES.
personnes détenues légalement, quiconque les aura délivrées par
adresse , sera condamné à la peine de la prison pendant deux
années.
8. Si ladite violence est exercée avec attroupement ou avec ar-
mes, les auteurs, instigateurs et complices dudit attroupement,
ou lesdites personnes armées, seront punis de quatre ans de
prison.
9. Si ladite tentative est exercée avec attroupement et armes,
la peine sera de six années de gêne.
CINQUIEME SECTION, — Crimes des fonctionnaires publics dans l'eiercice
des pouvoirs qui leur sont confiés (<).
Art. 1. Tout agent du pouvoir exécutif ou fonctionnaire pu-
blic quelconque , qui aura employé ou requis l'action de la force
publique, dont la disposition lui est coniiée, pour empêcher l'exé-
cution d'une loi ou la perception d'une contribution légitime-
ment établie , sera puni de la peine de la gêne pendant dix an-
nées.
Tous les agens subordonnés qui auront contribué à l'exé-
(t) Il n'y a point d'articles dans le Code pénal centre les délits qui peuvent être
commis, soit par les corps déli'oérans, soit par les membres qui les composent,
dans l'acte même de la délibération.
Voici les principes des deux comités sur cette question vraiment difficile.
Il faut distinguer l'acte qui émane du corps délibérant, et la délil)ération oa
opinion individuelle des membres qui composent le corps.
Quant à l'acte du corps délibérant, s'il est infecté de quelque vice, la Consti-
tution a établi un moyen de répression : l'acte sera cassé par l'autorité supé-
rieure , et soa anéantissement arrêtera les mauvais effets qu'il pouvait produire.
Si l'acte est de telle nature qu'il soit dangeretu pour la chose publique de lais-
ser subsister le corps dont il est émané, la Gonstitutiou indique encore les formes
avec lesquelles le corps entier doit être cassé , et alors chacun des membres qui
le composent, sans être condamné ou flétri individuellement, se trouve destitué
par le fait, mais sous ce seul rapport, qu'il faisait partie d'un corps politique qui
a cessé d'êire.
A l'égard de l'opinion individuBlle des membres qui composent le corps déli-
bérant , vos comités ont pensé qu'elle ne pouvait jamais servir de base à une ac-
tion criminelle.
Quelquefois il y aurait de la difficulté à prouver quels étaient ceux qui ont as-
sisté à la délibération, et ceux qui étaient absens.
Quels sont ceux qui ont été de l'avis qi.i a passé, et ceux qui étaient d'un avis
contraire, car la signature des membres présens atteste seulement le vœu de la
majorité, mais ne constate pas leur opinion.
ANNÉE 1795. 55
cution desdiis ordres, seront punis de la peine de six années de
prison.
2. Tout agent du pouvoir executif, toiu fonctionnaire public
quelconque, qui aura employé ou requis l'action de la force pu-
blique, dont la disposition lai est confiée, pour empêcher l'exécu-
tion d'un jugement, mandat, ou ordonnance de justice, ou d'un
ordre émané d'officiers municipaux de police , ou de corps admi-
nistratifs , ou pour empêcher l'action d'un pouvoir légitime , sera
puni de la peine de six années de prison.
Le supérieur légitime qui, le premier, atira donné lesdits or-
dres, en sera seul responsable, et subira la peine portée au pré-
sent article (1).
3. Si par suite , et à l'occasion de la résistance mentionnée aux
deux articles précédens, il survient une émeute, sédition ou ré'
hellion, l'agent du pouvoir exécutif ou le fonctionnaire public,
désignés auxdits articles, en sera responsable ainsi que des meur-
tres , violences et pillages auxquels cette résistance am-ait donné
lieu , et il sera puni des peines prononcées contre les chefs des
Il faudrait recevoir pour dénonciateurs et pour témoins les collègues lucmes
des accusés; et en ce cas il y aurait de l'immoralité à les entendre s'ils parlent,
et de l'impossibilité à les faire parler s'ils se taisent.
Comment constater par une procédure si les différenles nuances qui ont dis-
tingué chaque opinion rentrent dans la liberté légitime de déclarer son avis, ou
dans la licence criminelle qui caractérise le délit :^
En un mot, si Topinant a été seul de son avis, ou en minorité, aucun mal
politique n'en résulte, et aucun acte émané du corps ne relève le scandale de sou
opinion.
Si l'opinant a été en majorité, et que l'acte ait été conforme à l'avis qu'il a
proposé, l'acte et le corps peuvent être annulés, ainsi que nous venons de le dé-
Tclopper, et le mal est arrêté par cette répression constitutionnelle.
Il est bien entendu que ces principes s'appliquent au seul fait de la délibération;
et tout membre d'un corps délibérant qui intriguerait ou agirait criminellement
liors la délibération, serait dans le cas d'être poursuivi et puni.
Cette question est très-importante et susceptible d'un développement très-
étendu.
(1 ) Pour le délit porté en l'article premier, les agens subordonnés sont rrs-
ponsables , parce que des décrets ou des contributions ordonnées par le corps lé-
gislatif sont notoires pour tous Français.
Quant à des jugemens, arrêtés et ordonnances de corps particuliers, les sub-
ordonnés ne sauraient pas juger la légalité de leurs fdimes; et le supérieur seul,
en ce cas, peut répondre des ordres qu'il a donnés.
T. XMV. 5
34 DOCUJIENS COMPLÉMENTAIRES.
émeutes, séditions ou rébellions ^ meurtres , violences et pillages.
4. Tout dépositaire ou agent de la force publique qui, après en
avoir été requis légitimement, aura refusé de faire agir ladite force,
sera puni de la peine de trois années de prison.
5. Tout fonctionnaire public qui , sous prétexte de mandement
ou de prédications , exciterait les citoyens par des discours pro-
noncés dans des assemblées , ou par des exhortations rendues
publiques par la voie de l'impression, à désobéir aux lois et aux
autorités légitimes , ou les provoquerait à des meurtres ou à des
crimes, sera puni de la peine de la dégradation civique.
Si, par suite et à l'occasion desdites exhortations prononcées ou
'imprimées, il survient quelque émeute, sédition, rébellion, meur-
tres , pillages ou autres crimes , le fonctionnaire public désigné
au présent article en sera responsable et subira les peines portées
contre chacun desdits crimes.
6. Tout fonctionnaire public révoqué ou destitué légitimement,
tout fonctionnaire public électif el temporaire, après l'expiration
de ses pouvoirs , qui persévérerait à exercer ses fonctions , sera
puni de la peine delà dégradation civique.
Si par suite et à l'occasion de sa résistance , il survenait quel-
que émeute , sédition , rébellion , il en sera responsable et puni
des peines prononcées contre les auteurs et instigateurs desdits
crimes.
7. Tout fonctionnaire public qui sera convaincu d'avoir ,
moyennant argent , présens, ou promesses, trafiqué de son opi-
nion ou de l'exercice du pouvoir qu'il tient de la loi , sera puni de
la peine de la dégradation civique.
8. Tout juré, après les récusations consommées, totit juge cri-
minel, tout officier de police en matière criminelle, qui sera con-
vaincu d'avoir, moyennant argent, présens ou promesses , tra-
fiqué de son opinion, sera puni de la peine de quinze ans de gène.
9. Tout fonctionnaire public qui sera convaincu d'avoir dé-
tourné les deniers publics dont il était comptable, sera puni de
la peine de douze années de gêne.
10. Tout fonctionnaire ou officier public qui sera convaincu
ANNÉE 1793. 35
d'avoir détourné ou soustrait des deniers, effets, actes, pièces
ou titres dont il était dépositaire , à raison des fonctions publi-
ques qu'il exerce et par l'effet d'une confiance nécessaire, sera
puni de la peine de dix ans de gêne.
il. Tout geôlier ou gardien qui aura volontairement fait éva-
der ou favorisé l'évasion de personnes légalement détenues , et
dont la garde lui était confiée, sera puni de la peine de dix ans
de gêne.
12. Tout fonctionnaire ou officier public, tout préposé à ia
perception de droits et contributions publiques, qui sera con-
vaincu du crime de concussion , sera puni de la peine de six an-
nées de prison.
13. Tout fonctionnaire ou officier public qui sera convaincu
de s'être rendu coupable du crime de faux dans l'exercice de ses
fonctions sera puni de la gêne pendant quinze années.
SIXIÈME SECTION. — Crimes contre la propriété publique.
Art. 1. Quiconque, hors des hôtels des monnaies et ateliers
où sont employés les préposés à la fabrication nationale , sera
convaincu d'avoir fabriqué de la monnaie, encore que ladite
monnaie soit au même litre, poids et qualité que celle ayant
cours , sera puni de six années de gêne.
2. Toute personne qui sera convaincue d'avoir fabriqué une
monnaie inférieure en titre, poids ou qualité à la monnaie ayant
cours , sera punie de la peine de quinze années de gêne.
5. Tous contrefacteurs de papiers nationaux ayant cours de
monnaie seront punis de la peine de quinze années de cachot.
4. Tous contrefacteurs du sceau de l'état , du timbre national ,
du poinçon servant à marquer l'or et l'argent , et de toutes mar-
ques apposées au nom du gouvernement sur toute espèce de
marchandises, seront punis de la peine d't douze ajnccs de gêne.
5. Toute personne , autre que le dépositaire comptable , qui
sera convaincue d'avoir dérobé d'une manière quelconque des
deniers publics ou effets apparlenans à l'état , sera punie de la
peine de dix ans de gêne.
56 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Sans préjudice des peines plus graves portées ci-après contre
les vols avec effraction ou violences , si ledit vol est commis avec
lesdites circonstances.
6. Quiconque, méchamment et à dessein, aura incendié des
maisons, édifices, magasins, arsenaux, vaisseaux et autres pro-
priétés appartenantes à l'état , sera puni de quinze années de
cachot.
7. Quiconque pillera ou détruira autrement que par le feu les
propriétés ci-dessus mentionnées, sera puni de la peine de six
années de gêne ; et si ledit crime est commis avec attroupement,
de douze années de ladite peine.
Titre ii. — Crimes et délits contre les particuliers,
PREMIERE SECTION. — Crimes et attentats contre les personnes.
Art. 1. En cas d'homicide commis involontairement par un
accident qui ne soit l'effet de la négligence ni de l'imprudence de
celui qui l'a commis, il n'existe point de crime, et il n'y a lieu à
admettre aucune action criminelle ni civile.
2. En cas d'homicide commis involontairement, mais par l'ef-
fet de l'imprudence ou de la négligence de celui qui l'a commis, il
n'existe point de crime, et il n'y a lieu à admettre aucune action
criminelle ; mais il sera statué par les juges sur les dommages et
intérêts et sur les peines correctionnelles , selon les circonstances.
5. En cas d'homicide commis volontairement avec cause légi-
time ou excuse pcremptoire, il n'existe point de crime, et il
n'y a lieu à admettre aucune action criminelle ou civile.
4; L'homicide est commis avec cause légitime lorsqu'il est au-
torisé par la loi et commandé par une autorité légitime pour la
défense de l'état et pour le salut public.
o. L'homicide est commis avec excuse péremptoire lorsqu'il
est nécessité par la légitime défense de soi-même ou d'autrui.
6. Hors les cas déterminés par les articles précédens , tout
homicide commis volontairement envers quelques personnes avec
quelque arme, instrument, ou par quelque moyen que ce soit,
ANNÉE 1793. 57
sera puni ainsi qu'il suit , selon le caractère et les circonstances
du crime.
7. L'homicide commis sans préméditation sera puni de la peine
de douze années de cachot.
8. Lorsque quelque circonstance atténuera la gravité du crime
mentionné en l'article précédent, sans toutefois que ladite cir-
constance rende le fait légitime ou entièrement excusable , ledit
crime d'homicide non prémédité avec circonstances atténuantes
sera puni de la peine de dix années de gêne,
9. Si l'homicide non prémédité est commis dans la personne
du père ou de la mère , légitime ou natui'el , ou de tout autre as-
cendant légitime du coupiihle, la peine sera de seize années de
cachot, et il ne pourra y avoir lieu à atténuation.
iO. Si l'homicide non prémédité est commis par un père ou
une mère dans la personne de son fils ou de sa fille , naturel ou
légitime, ou par tout ascendant dans la personne de ses descen-
dans légitimes, ou par un mari dans la personne de sa femme,
ou par une femme dans la personne de son mari , la peine dudit
crime sera de quinze années de cachot , et en cas d'homicide non
prémédité avec circonstances atténuantes , la peine sera de douze
années de gêne.
H. L'homicide commis avec préméditation sera puni de la
peine de seize années de cachot.
12. La durée de la peine de l'homicide prémédité sera aug-
mentée de trois années , par chacune des circonstances suivantes
qui s'y trouvera réunie.
La première , lorsque le crime aura été commis par deux ou
plusieurs personnes.
La deuxième, lorsqu'il aura été commis avec armes à feu, per-
çantes ou tranchantes.
La troisième , lorsqu'il aura été accompagné de mutilations ou
de tortures.
La quatrième ^ lorsqu'il aura été commis dans la nuit.
La cinquième^ lorsqu'il aura été commis, soit dans un grand
chemin, rue ou place publique, soit dans l'intérieur d'une maison.
58 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
13. L'homicide commis volontairement par poison sera puni
de la peine de vingt années de cachot.
14. L'homicide commis sciemment et à dessein par l'incendie
de maisons habitées sera puni de vingt ans de cachot.
io. La durée des peines prononcées par les quatre articles pré-
cédens sera augmentée de quatre .années , lorsque le coupable
aura commis lesdits crimes envers les personnes mentionnées en
l'article 9 ci-dessus.
16. La durée desdites peines sera augmentée de trois années,
lorsque le coupable aura commis lesdits crimes envers les per-
sonnes mentionnées en l'article 10 ci-dessus.
17. Ne pourra toutefois, pour aucun des crimes d'homicides
mentionnés en tous les articles précédens, la durée des peines
excéder vingt-quatre années, quel que soit le caractère de l'homi-
cide, le nombre des circonstances aggravantes qui puissent s'y
trouver réunies , et envers quelles personnes il ait été commis.
18. L*homicide, quoique non consommé, sera punissable dans
les cas suivans.
19. L'homicide prémédité, lorsque l'attaque à dessein de tuer
aura été effectuée.
20. L'homicide par l'incendie de maisons habitées, lorsque le
feu aura été mis auxdites maisons.
21. L'homicide par poison, lorsque l'empoisonnement aura été
effectué, ou lorsque le poison aura été présenté, ou lorsque le
poison aura été mêlé avec des alimens ou breuvages spécialement
destinés , soii à l'usage de la personne contre laquelle ledit atten-
tat aura été dirigé, soit à l'usage de toute une famille, société,
ou d'habitans d'une maison, soit à l'usage du public.
22. Toutefois , si avant l'empoisonnement effectué , ou avant
que l'empoisonneinent des alimens ou des breuvages ait été dé-
couvert, l'empoisonneur arrêtait l'exécution du crime, soit en
supprimant lesdits alimens ou breuvages, soit en empêchant
qu'on en fasse usige , les peines portées contre ledit crime ne se-
ront pas encourues.
25. Dans les dix cas Bienlionnés aux quatre articles précédens,
ANNÉE 1793. 59
le crime sera punissable; mais lorsque personne n'aura perdu la
vie par l'effet desdits attentats , la durée de la peine sera abré-
gée de quatre années.
24. Tout homicide commis par un acte de violence voioniuire,
mais sans intention de donner la mort, sera puni de la peine de
dix-huit années de gène.
La durée de ladite peine sera augmentée de quatre années, si
le crime est commis envers les personnes mentionnées eu l'arti-
cle 9 ci-dessus.
De deux années , s'il est commis envers les personnes men-
tionnées en l'article 10 ci-dessus.
2o. Quiconque aura volontairement et à dessein , par breuva-
ges, violences et par tous autres moyens, fait périr le fruit
d'une femme enceinte, ou procuré son avorlement , sera puni de
douze années de cachot.
26. Toutes les dispositions portées aux articles d, 2, 3, 4 et 5
précédens , relatives à l'homicide involontaire et à l'homicide lé-
gitime ou excusable, s'appliqueront également aux blessures
faites, soit involontairement, soit avec cause légitime ou excuse
péremptoire.
27. Les blessures faites involontairement, mais qui ne porte-
ront pointles caractères qui vont être spécifiés, seront poursuivies
par action civile , et pourront donner lieu à des dommages et in-
térêts et à des peines correctionnelles sur lesquelles il sera statué
par les juges , selon la nature des violences et les circonslancec>
qui les auront accompagnées.
28 (1). Les blessures faites involontairement et qui porteront
(t)La spécification des crimes de violences est incomplète.
Le supplément se trouvera dans le travail relatif à la police correctionnelle.
Il a été impossible de les comprendre dans le Code pénal , parce que ces d;;-
lits peuvent varier dans leurs circonstances dune manière trop étendue pour
être spécifiés avec la précision nécessaire à la loi que doivent appliquer les juges
sur un fait déterminé par le verdict des jurés.
Les violences sont plus ou moins punissables , suivant que les blessures sont
plus ou moins dangereuses; suivant qu'il a fallu plus ou moins de temps pour
leur guérison ; suivant qu'elles ont mis la vie de In personne malirailée plus ou
moins en péril ; suivant qu'elles ont altéré plus ou moins sa santé et ses forces.
40 D0CU31ENS COMPLÉMENTAIRES.
les caractères qui vont être spécifiés seront poursuivies par action
criminelle et punies des peines déterminées ci-après.
29. Lorsque par l'effet desdites blessures la personne mal-
traitée aura eu un membre cassé, la peine sera de trois années
de prison.
30. Lorsque par l'effet desdites blessures la personne mal-
traitée aura perdu l'usage absolu, soit d'un œil, soit d'un
membre , ou éprouvé la mutilation de quelques parties de la tête
ou du corps, la peine sera de quatre années de gêne.
51 . La peine sera de six années de gêne , si la personne mal-
traitée s'est trouvée privée de l'usage absolu de la vue par l'effet
desdites violences.
3:2. La durée des peines portées aux trois articles précédens
sera augmentée de deux années , lorsque lesdites violences au-
ront été commises dans une rixe, et que celui qui les aura com-
mises aura été l'agresseur.
33. La durée des peines portées auxdits articles 29, 30 et 31 ,
sera augmentée de deux années, si lesdites violences ont été com-
mises envers les personnes mentionnées en l'article 9 ci-dessus ;
et d'une année, si elles ont été commises envers les personnes
mentionnées en l'article iO.
34. La durée des peines portées aux articles précédens contre
les auteurs des i.tlessures sera augmentée de trois années , lors-
que les violences qui y sont mentionnées auront été commises de
dessein prémédité.
Et dans le cas où la peine de la détention est prononcée par les-
dils articles, elle sera convertie dans la peine de la prison, et sa
durée sera également augmentée de trois ans.
33. La durée des peines portées aux articles précédens sera
augmentée de deux années lorsque lesdites violences auront été
commises :
II faut laisser aux juges de la latitude pour apprécier toutes ces circonstances;
et l'on ne doit pas s'imaginer que le renvoi de ces délits à la police correction-
nelle les laisse impunis.
Us pourront élre réprimés par de forts dommages et intérêts , et par de lon-
gues et pénibles détentions. •
ANNÉE 1705. 41
Soit par deux ou plusieurs personnes ;
Soit par une personne armée contre une personne sans armes;
Soit par un homme îirré de dix-huit ans accomplis et de moins
de soixante ans accoiTiplis, envers un enfant de moins de quatorze
ans accomplis, ou envers une femme, ou envers un vieillard âgé
de plus de soixante-dix ans accomplis.
56. La castration commise par violence ou envers un enfant
au-dessous de quinze ans accomplis , sera punie de douze années
de gêne (1),
57. Le viol sera puni de quatre années de la peine de la gêne.
58. La peine du crime mentionné en l'article précédent sera
(le huit années de gêne, lorsqu'il aura été commis dans la per-
sonne d'une fille âgée de moins de quatorze ans accomplis , ou
lorsque le coupable aura été aidé dans son crime par la violence
et les efforts d'un ou de plusieurs complices (2).
59. Quiconque sera convaincu d'avoir enlevé par violence ou
séduction un enlanîde l'un ou l'autre sexe au-dessous de quinze
ans accomplis, hors de la maison des personnes sous la puissance
desquelles est ledit enfant, ou de la maison où lesdiles personnes
In Ibnt élever, sera puni des peines prononcées ci-dessus contre
les divers attentats à la liberté individuelle.
40. Quiconque aura volontairement substitué un enfant à un
autre enfant, sera puni de la peine de douze années de prison.
41. La peine dudit crime sera de dix années de gêne, s'il est
commis dans la personne d'une fille de quinze ans accomplis, à
l'effet d'en abuser ou de la prostituer.
42. Quiconque falsifiera ou détruira la preuve de l'état d'un en-
fant, sera puni de la peine de douze années de prison.
(1) Il faat bien que les lois aient le courage de tout dire, puisque les hommes
n'ont pas honte de tout faire.
Le crime mentionné en cet article n'est pas chimérique.
L';ippàt de l'intérêt le rend fréquent en Italie.
En France, les passions de la jalousie et de la vengeance en ont fourni plus
d'un exemple.
(2) L'adultère, crime dont lo mari seul peut intenter la poursuite, et qui est
punissable surtout par des déchéances de conventions matrimoniales et par des
détentions, se retrouvera dans le travail de la police correctionnelle.
4!â DOCU ENS COMPLÉMENTAIRES.
43. Toute personne engagée dans les liens du mariage, qui en
contractera un second avant la dissolution du premier, sera punie
de la peine de huit années de prison.
44 (1). Quiconque sera convaincu de s'être battu tn combat
singulier, après un cartel donné ou accepté, ou par l'effet d'une
rencontre préméditée , sera puni ainsi qu'il suit , soit qu'il résulte
ou non quelques blessures dudit combat.
45. Le coupable sera attaché à un poteau sur un échafaud
élevé dans la place publique ; il y demeurera exposé aux re-
gards du peuple pendant deux heures , revêiu d'une armure com-
plète.
46. Ladite exposition aura lieu dans les villes qui sont détermi-
nées du titre IV des peines ; et toutes les autres dispositions por-
tées au même titre seront également observées.
47. Le coupable sera ensuite conduit à la maison publique où
sont gardés les insensés et les furieux, la plus voisine de la ville
dans laquelle aura été convoqué le jury d'accusation ; il y demeu-
rera enfermé pendant deux années.
48. Les effets de cette peine seront les mêmes que ceux qui
suivent la peine de la prison et qui sont déterminés au titre VIIl
des peines.
49. La réhabilitation des condamnés pourra avoir lieu dans les
mêmes délais et les mêmes formes que pour ceux qui ont été con-
damnés à la peine de la prison, suivant ce qui est prescrit au
titre X des peines.
50. Si l'un des combattans perd la vie par l'effet dudit combat,
le survivant subira la peine de douze années de cachot.
DEUXIÈME SECTION. — Crimes et délits contre les propriétés.
Art. i. Tout vol simple , c'est-à-dire tout vol qui n'est pas ac,
compagne de quelques-unes des circonstances qui vont être spé-
cifiées ci-après , sera poursuivi et puni par voie de police correc-
tionnelle.
(t) L'usage des duels a survécu à l'institution antique et aux vertus de la che-
valerie. Il en était l'abus , de même que la cheYalerie errante en était le ridicule.
ANNÉE 1795. 43
2. Le vol caractérisé sera puni ainsi qu'il suit :
5. Tout vol commis à force ouverte et par violence envers les
personnes, sera puni de dix années de prison.
La durée de la peine du crime inenlionné en l'article précédent
sera au^jmenlce de deux années, par chacune des circonstances
suivantes qui s'y trouvera réunie.
La première, si le crime a été commis la nuit.
La deuxième , si le coupable ou les coupables dudit crime
étaient porteurs d'armes à feu , ou de toute autre arme meur-
trière.
4. Ne pourra néanmoins , la durée de la peine dudit crime ,
excéder quinze années à raison desdites circonstances, en quelque
nombre qu'elles y soient réunies.
a. Si le vol à force ouverte et par violence envers les personnes,
est commis, soit dans un grand chemin, rue ou place publique,
soit dans l'intérieur d'une maison , la peine sera de douze années
de cachot.
(). La durée de la peine dudit crime mentionné en l'article pré-
cédent, sera au^jmentée d'une année par chacune des circon-
slanccs suivantes qui s'y trouvera réunie.
La première, si le crime a été commis !a nuil.
La deuxième, s'il a été commis par deux ou plusieurs per-
sonnes.
La troisième, si le coupable ou les coupa!)lcs étaient porteurs
d'armes à feu , ou de toute autre arme meurli ière.
La quatrième, si le coupable s'est introduit d;ins l'intérieur de
la maison on du lo.jjement où il a commis le ciime à l'aide d'ef-
fraction r;;ilc par lui-même ou par ses complices aux portes et
clùuu'os, soit de ladite maison, soit dudit lofjement, ou à l'aide
de fausses clefs, ou en escaladant les murailles, toiis ou autres
Emprunter ce ridicule pour eu faire la punition de l'abus, est un moyen plus
rc^prcssif que CCS pein'js cipitales prononcées vain-ment contre ce crim^ psr un
roi tout-puissant, peines atroces et ineffi-aces tout ensenil.lo, qui, pas une seule
fois, n'ont emiicclié do le corametlre, et qui si rarL'zr.cnt (!ut été appliquées
contre ceux qui s'en étaient rendus coupables,
44 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
clôtures extérieures de ladite maison , ou si le coupable est com-
mensal ou habitant de ladite maison , ou reçu habituellement
dans ladite maison pour y faire un travail ou un service salarié.
7. Toutefois la durée de ladite peine ne pourra excéder quinze
ans, à raison desdites circonstances, en quelque nombre qu'elles
s'y trouvent réunies.
8. Tout autre vol commis sans violence envers des personnes, à
l'aide d'effracuon faite , soit par le voleur, soit par son coïpplice,
sera puni de huit années de gêne.
9. La durée de la peine dudit crime sera augmeatée de deux
ans par chacune des circonstances suivantes qui s'y trouvera
réunie.
La première , si l'effraction est faite aux portes et clôtures ex-
térieures de batimens , maisons ou édifices.
La deuxième , si le crime est commis dans une maison actuel-
lement habitée ou servant à l'habitation.
La troisième , si le crime a été commis la nuit.
La quatrième , si le coupable ou les coupables étaient porteurs
d'armes à feu , ou de toute autre arme meurtrière.
10. Ne pourra toutefois la durée de la peine dudit crime ex-
céder quatorze années à raison desdites circonstances, en quel-
que nombre qu'elles s'y trouvent réunies.
11. Lorsqu'un vol aura été commis avec effraction intérieure
dans une maison par une personne habitante ou commensale de
ladite maison , ou reçue habituellement dans ladite maison pour
y faire un service ou un travail salarié, ladite effraction sera pu-
nie comme effraction extérieure, et le coupable encourra la peine
portée aux articles précédens , à raison de la circonstance de l'ef-
fraction extérieure.
12. Le vol commis à l'aide de fausses clefs sera puni de la
peine de six années de gêne.
15. La durée de la peine mentionnée en l'article précédent
sera augmentée de deux années par chacune des circonstances
suivantes qui se trouvera réunie audit crime.
ANNÉE 1793. 45
La première si le crime a été commis dans une maison actuel-
lement habitée ou servant à l'habitation.
La deuxième, s'il a été commis la nuit.
La troisième , s'il a été commis par deux ou plusieurs per-
sonnes.
La quatrième si le coupable ou les coupables étaient porteurs
d'armes à feu , ou de toute autre arme meurtrière.
14. Ne pourra toutefois la durée de la peine dudit crime excé-
der douze années à raison desdites circonstances , en quelque
nombre qu'elles s'y trouvent réunies.
lo. Si le vol à l'aide de fausses clefs a été commis dans l'inté-
rieur d'une maison par une personne habitante ou commensale
de ladite maison , ou reçue habituellement dans ladite maison
pour y faire un service ou un travail salarié , le crime sera puni
comme un vol avec effraction intérieure, et le coupable encourra
la peine établie par les articles 8, 9 et 10 ci-dessus, à raison de
ladite circonstance de l'effraciion intérieure.
16. Toutes les peines et dispositions portées aux articles pré-
cédens contre le vol à l'aide de fausses clefs s'appliqueront égale-
ment à tout vol commis en escaladant des toils, murailles ou tou-
tes autres clôtures extérfeures de bàtimens , maisons et édifices.
17. Lorsqu'un vol aura été commis dans l'intérieur d'une mai-
son par une personne habitante ou commensale de ladite maison,
ou reçue habituellement dans ladite maison pour y faire un ser-
vice ou un travail salarié, ledit crime sera puni des mêmes pei-
nes prononcées par les articles précédons contre ceux qui auront
volé en escaladant lesdites maisons ou à l'aide de fausses clefs.
18. Toutes les dispositions portées aux articles G, 11, lîiet 17
ci-dessus, contre les vols faits par les habitans et commensaux
d'une maison , s'appliqueront également aux vols qui seront com-
mis dans les hôtels-garnis, auberges, cabarets, cafés, bains et
toutes autres maisons publiques. Tout vol qui y sera comiiiis par
les maîtres desdites maisons ou par leurs domestiques envers
ceux qu'ils y reçoivent, ou par ceux-ci envers les maîtres desdi-
tes maisons, ou toute autre personne qui y sera reçue, sera ré-
46 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
pute vol commis par un commensal, et puni, selon les circonstan-
ces qui s'y trouveront réunies, des peines portées aux quatre
articles ci-dessus mentionnés.
Toutefois ne sont point compris dans la présente disposition
les salles de spectacles , établissemens , édifices publics , boutiques
ou ateliers.
19. Lorsque deux ou plusieurs personnes non armées, ou une
seule personne portant arme à feu ou toute autre arme meur-
trière , se seront introduites sans violences personnelles, effrac-
tions, escalades , ni fausses clefs, dans l'intérieur d'une maison
actuellement habitée ou servant à l'habitation, et y auront com-
mis un vol , la peine sera de six années de gêne.
20. Lorsque le crime aura été commis par deux ou plusieurs
personnes , si les coupables ou l'un des coupables étaient por-
teurs d'armes à feu ou de toute autre arme meurtrière, la peine
sera de huit années de gêne.
2L Si le crime a été commis la nuit , la durée de chacune des
peines portées aux deux précédens articles sera augmentée de
deux années.
22. Tout vol commis dans un enclos fermé , où le coupable se
sera introduit en violant la clôture , sera puni de la peine de cinq
années de gêne , si l'enclos ne tient pas immédiatement à une
maison actuellement habitée ou servant à l'habitation ; et de six
années de gêne, si l'enclos tient immédiatement à ladite maison.
23. Un enclos ne sera réputé fermé que lorsqu'il sera entouré
soit d'un mur, soit d'une palissade , qui dans leur moindre hau-
teur porteront six pieds d'élévation à partir du sol extérieur, soit
d'un fossé ayant au moins dix pieds d'ouverture , et revêtu dans
sa profondeur d'un ou de deux côtés d'un mur ou d'une pahssade
portant au moins six pieds de hauteur à partir du fond dudit
fossé.
L'enclos ne sera point réputé fermé s'il y existait, au moment
du vol , une brèche ou ouverture, porte non scellée ou non fermée
à clef, ou enfin si dans quelques-unes de ses parties la clôture est
au-dessous des proportions déterminées par le présent article.
1
ANNÉE 1793. 47
24. La durée de ladite peine sera augmentée de d«ux années par
chacune des trois circonstances suivantes qui s'y trouvera réunie.
La première , si le crime a été commis la nuit.
La deuxième , s'il a été commis par deux ou plusieurs per-
sonnes.
La troisième, si le coupable ou les coupables étaient porteurs
d'armes à feu , ou de toute autre arme meurtrière.
25. Ne pourra toutefois la durée de ladite peine excéder neuf
années à raison desdiles circonstances, en quelque nombre qu'elles
y soient réunies, pour le vol dans un enclos tenant iinmédiale-
menl à une maison actuellement habitée ou servant à l'habita-
tion ; et de huit années pour le vol commis dans un enclos séparé
de ladite maison.
2G^. Tout vol de charrues, bestiaux, chevaux, poissons dans
les étangs, rivières ou viviers, marchandises ou ellets exposés,
soit dans la campagne, soit sur les chemins, ventes de bois, ports,
foires, marchés , boutiques et autres lieux quelconques sur la foi
publique, sera puni de !a peine de quatre années de prison.
27. La durée de ladite poine sera augmentée à raison de trois
circonstances, et dans les mêmes proportions établies pour le
crime précédent , sans toutefois que la durée de ladite peine puisse
excéder huit années à raison desdites circonstances, en quehjue
nombre qu'elles s'y trouvent réunies.
28. Quiconque volera dans la campagne la dépouille des ar-
bres fruitiers , ou de toute espèce , soit de production d'un ter-
rain en culture, soit de récolte coupée ou sur pied, ou des ba-
liveaux et arbres de futaies dans les bois et forêts, ou des plants
faits de main d'homme, sera puni de la même peine prononcée
contre le crime mentionné aux deux articles précédens, et la du-
rée de ladite peine sera augmentée à raison des mêmes circon-
stances, et dans les mêmes proportions.
29. Quiconque se sera chargé d'un service ou d'un travail sa-
larié, et aura volé les effets ou marchandises qui lui avaient été
confiés pour ledit service ou ledit travail, sera puni de quatre an-
nées de gêne.
48 DOCUMliNS COMPLÉMENTAIRES.
Î-. 50. La peine sera de six années de gêne pour le vol d'effets
confiés aux coches , messageries et autres voitures publiques ,
par terre et par eau , commis par les conducteurs desdites voi-
tures ou par les personnes employées au service des bureaux
desdites administrations.
51. Tout vol commis dans lesdites voitures par les personnes
qui y occupent une place sera puni de la peine de quatre années
de prison.
3î2. Tout vol qui ne portera aucun des caractères ci-dessus spe'-
eifiés, mais qui sera commis par deux ou par plusieurs personnes
sans armes, ou par une seule portant arme à feu, ou toute autre
arme meurtrière, sera puni de la peine de quatre années de
prison.
53. Lorsque le crime aura e'té commis par deux ou plusieurs
personnes, et que les coupables ou l'un des coupables étaient
porteurs d'armes à feu ou de toute autre arme meurtrière, la
peine sera de quatre années de gêne.
54. Si le crime a été commis la nuit , la durée de chacune des
peines portées aux deux précédens orlicles sera augmentée de
deux années.
oo. Quiconque sera convaincu d'avoir détourné à son profit ,
ou dissipé, ou méchamment et à dessein de nuire à autrui,
brûlé ou détruit d'une manière quelconque des effets, marchan-
dises, deniers, titres de propriétés, écrits ou actes emportant
obligation ou décharge , et toute auue propriété mobiliaire qui
lui avaient été confiés gratuitement , à la charge de les rendre ou
de les représenter, sera puni de la dégradation civique.
36. Toute banqueroute faite Irauduleusement et à dessein de
tromper Its créanciers Icgitinies , sera punie de six années de
gène.
37. Ceux qui auront aidé ou favorisé lesdites banqueroutes
frauduleuses, soit en divertissant les effets, soit en acceptant
des transports!, ventes ou donations simulées, soit en souscrivant
tous autres actes qu'il- savent être fiits en fraude des créan-
ANNÉE 1793. 49
ciers légitimes , seront punis de la dégradation civique dans la
place publique.
58. Quiconque, sciemment et à dessein de nuireà autrui, aura
furtivement déplacé ou supprimé des borr.es ou pieds corniers
contradictoirement placés ou reconnus pour établir des limites
entre différens héritages, sera puni de la peine de deux années
de cachot.
39. Quiconque sera convaincu d'avoir volontairement, par
malice , vengeance, et à dessein de nuire à autrui, mis le feu à
des édifices , bâiimens non habités , magasins , navires ou ba-
teaux , forêts , bois-taillis , récoltes en meule ou sur pied , ou à
des matières combustibles disposées pour communiquer le feu
auxdits édifices, navires, bois ou récoltes, soit que l'incendie ait
été ou non ia suite de ces tentatives, sera puni de la peine de
douze années de cachot.
40. Quiconque sera convaincu d'avoir volontairement, par
malice ou vengeance , et à dessein de nuire à autrui, détruit ou
renversé , par quelque moyen violent que ce soit, des bâtimens,
maisons, édifices quelconques, digues et chaussées qui retien-
nent les eaux , sera puni de la peine de six années de gêne.
41. La peine du crime mentionné en l'article précédent sera
de neuf ans de gène silesdites violences sont exercées avec at-
troupement et à force ouverte.
42. Quiconque sera convaincu d'avoir volonti^irement , par
malice ou vengeance , et à dessein de nuire à autrui , dévasté des
récoltes sur pied , des plants faits de main d'hommes , sera puni
de la peine de quatre années de gène.
43. La peine du crime mentionné en l'article précédent sera
de six années de gêne si lesdites violences ont été exercées avec
attroupement et à force ouverte.
44. Quiconque sera convaincu d'avoir volontairement , par
malice ou vengeance , et à dessein de nuire à autrui , empoisonné
des chevaux ou bêtes de somme, moutons , bcbiiaux , poissons
conservés dans des étangs ou réservoirs , sera puni de la peine
de quatre ans de gêne.
T. xxiv. 4
SO DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
4o. Quiconque, volontairement, par malice ou par vengeance,
et à dessein de nuire à autrui , aura brûlé ou détruit , d'une ma-
nière quelconque , des litres de propriété, billets, lettres de
change , quittances , écrits ou actes opérant obligation ou dé-
charge , sera puni de la peine de quatre années de gêne.
46. Lorsque ledit crime aura été commis avec attroupement
et à force ouverte, la peine sera de six années de gêne.
47. La même peine sera encourue par toute espèce de pil-
lages et dégâts de marchandises , d'effets et de propriétés mobi-
lières , commis avec attroupement et à force ouverte.
48. Quiconque sera convaincu d'avoir extorqué , par force ou
par violence, la signature d'un écrit ou acte emportant obligation
bu décharge, sera puni de la peine de quatre années de gêne.
49. La peine sera de six ans de gêne lorsque le crime men-
tionné en l'article précédent aura été commis par deux ou plu-
sieurs personnes réunies.
50. Quiconque sera convaincu d'avoir, méchamment et à des-
sein de nuire à autrui, commis le crime de faux, sera puni ainsi
qu'il suit.
51 . Si ledit crime de faux est commis en écriture privée, la
peine sera de quatre années de gêne.
52. Si ledit crime de faux est commis en lettres de change et
autres effets de commerce ou de banque, la peine sera de six
années de gêne.
55. Si ledit crime de faux est commis en écritures authenti-
ques et publiques , la peine sera de huit années de gêne (1).
54. Quiconque aura commis ledit crime de faux , ou aura fait
usage d'une pièce qu'il savait être fausse, sera puni des peines
portées ci-dessus contre chaque espèce de faux.
55. Quiconque sera convaincu d'avoir, sciemment et à dessein,
vendu à faux poids ou à fausse mesure , après avoir été précé-
(1) Les peines contre les offlciers publics qui se seraient rendus coupables du
crime de faux dans l'exercice de leurs fonctions sont portées aux titres des délits
des fonctionnaires publics.
ANNÉE 1793. fi\
demment puni deux fois par voie de police , à raison d'un délit
semblable , subira la peine de quatre années de gêne.
06. Quiconque sera convaincu du crime de faux témoignage
en matière civile sera puni de la peine de six années de gène.
57. Quiconque sera convaincu du crime de faux témoignage
dans un procès criminel sera puni de la peine de quinze ans de
gêne.
TITRE III. — Des complices des crimes.
Art. 1"^", Lorsqu'un crime aura été commis , quiconque sera
convaincu d'avoir, par dons ou promesses , ordres ou menaces ,
provoqué le coupable ou les coupables à les commettre ;
Ou d'avoir, sciemment ou dans le dessein du crime , procuré
au coupable ou aux coupables les moyens , armes ou instrumens
qui ont servi à son exécution ;
Ou d'avoir, sciemment et dans le dessein du crime, aidé et
assisté le coupable ou les coupables, soit dans les faits qui ont
préparé ou facilité son exécution , soit dans l'acte même qui l'a
consommé ;
Sera puni de la même peine prononcée par la loi contre les
auteurs du crime.
2. Lorsqu'un crime aura été commis, quiconque sera con-
vaincu d'avoir provoqué directement à le commettre, soit par
des discours prononcés dans des lieux publics , soit par des pla-
cards ou bulletins affichés ou répandus dans lesdits lieux , soit
par des écrits rendus publics par la voie de l'impression , sera
puni de la même peine prononcée par la loi contre les auteurs
dudit crime.
3. Quiconque sera convaincu d'avoir reç-u gratuitement, ou
acheté , ou recelé tout ou partie d'effets volés , sachant que les-
dits effets provenaient de vol , sera puni de la peine de deux an-
nées de prison si le vol a été commis avec quelques-unes des
circonstances spécifiées au présent Code.
Il sera poursuivi et puni par voie de police correctionnelle si
le vol provient d'un vol simple.
52 bOCUMENS COMPLéMËNTAîRES.
4. Quiconque sera convaincu d'avoir caché ou recelé le cada*
vre d'une personne homicidée , encore qu'il n'ait pas été complice
de l'homicide , sera puni de la peine de quatre années de prison.
Pour tout fait antérieur à la publication du présent Code , si
le fait est qualifié crime par les lois existantes actuellement , et
qu'il ne le soit pas par le présent décret ; ou si le fait est qualifié
crime par le présent Code , et qu'il ne le soit pas par les ancien-
nes lois, l'accusé sera acquitté ;
Sans toutefois rien préjuger, par le présent article , pour les
faits qui seront du ressort , soit de la police municipale , soit de
la police correctionnelle, soit de la police constitutionnelle.
Si le fait est qualifié crime par les lois anciennes et par le
présent décret , l'accusé qui aura été déclaré coupable sera con-
damné aux peines portées par le présent Code.
ANNÉE 1793. 55
PLAN
D'EDUCATION NATIONALE/^^
La Convention nationale doit trois monumens à l'histoire ; la
Constitution, le Code des lois civiles, l'éducation publique.
Je mets à peu près sur la même ligne l'importance comme la
difficulté de chacun de ces grands ouvrages.
Puissions-nous leur donner la perfection dont ils sont suscep-
tibles! Car la gloire des conquêtes et des victoires est quelquefois
passagère ; mais les belles institutions demeurent, et elles immor-
talisent les nations.
L'instruction publique a déjà été l'objet d'une discussion inté-
ressante ; la manière dont ce sujet a été traité honore l'assem-
blée et promet beaucoup à la France.
J'avoue pourtant que ce qui a été dit jusqu'ici ne remplit pas
l'idée que je me suis formée d'un plan complet d'éducation. J'ai
osé concevoir une plus vaste pensée ; et, considérant à quel point
l'espèce humaine est dégradée par le vice de notre ancien système
social^ je me suis convaincu de la nécessité d'opérer une entière
régénération , et , si je peux m'exprimer ainsi , de créer un nou-
veau peuple.
Former des hommes , propager les connaissances humaines ,
telles sont les deux parties du problème que nous avons à ré-
soudre.
La première constitue l'éducation , la seconde l'instruction.
(I) Ce plan fut lu à la CoQveDtioa par Robscpicrre, le 13 juillet \Ti5.
( Note des auteurs. )
M DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Celle-ci , quoique offerte à tous, devient, par la nature même
«les choses , la propriété exclusive d'un petit nombre de membres
de la société, à raison de la différence des professions et des talens ;
Celle-là doit être commune à tous , et universellement bien-
faisante.
Quant à l'une , le comité s'en est occupé , et il vous a présenté
des vues utiles ; pour l'autre , il l'a entièrement négligée.
En un mot , son plan d'instruction publique me parait fort sa-
tisfaisant; mais il n'a point traité l'éducation.
Tout le système du comité porte sur celte base : l'établisse-
ment (le quatre degrés d'enseignement, savoir : les écoles pri-
maires , les écoles secondaires , les instituts , les lycées (1).
Je trouve dans ces trois derniers cours un plan qui me paraît
sagement conçu pour la conservation , la propagation et le per-
fectionnement des connaissances humaines. Ces trois degrés suc-
cessifs ouvrent à l'instruction une source féconde et habilement
ménagée, et j'y vois des moyens tout à la fois convenables et ef-
ficaces pour seconder les talens des citoyens qui se livreront à la
culture des lettres , des sciences et des beaux-arts.
Mais avant ces degrés supérieurs , qui ne peuvent devenir uti-
les qu'à un petit nombre d'hommes , je cherche une instruction
générale pour tous, qui est la dette de la République envers
tous : en un mot, une éducation vraiment et universellement na-
tionale; et j'avoue que le premier degré que le comité vous pro-
pose , sous le nom d'écoles primaires , me semble bien éloigné de
présenter tous ces avantages.
D'abord , je remarque avec peine que jusqu'à six ans l'enfant
échappe à la vigilance du législateur , et que cette portion impor-
tante de la vie reste abandonnée aux préjugés subsistans et à la
merci des vieilles erreurs.
A six aos , la loi commence à exercer son influence , mais cette
influence n'est que partielle, momentanée; et par la nature
(J) Voyez le plail de Condorcet idséré dans un volume précédeut.
(iNofe des aufcurs.)
ANNÉE 1793. S?î
même des choses , elle ne peut agir que sur le moindre nombre
des individus qui composent la naiion.
Suivant le projet, il doit être établi environ vingt à vifigl-cinq
mille écoles primaires, c'est-à-dire à peu près une école par lieue
carrée.
Ici commence à se faire sentir une première inégalité ; car les
enfans domiciliés dans la ville, bourg, village où sera située l'é-
cole primaire, seront bien plus à portée des leçons, en profite-
ront et bien plus souvent, et bien plus constamment : ceux , au
contraire , qui habitent les campagnes et les hameaux ne pourront
pas les fréquenter aussi habituellement , à raison des difficultés
locales, des saisons, et d'une foule d'autres circonstances.
Cet inconvénient n'aura pas lieu seulement à l'égard de quel-
ques maisons éparses et séparées : un très-grand nombre de
communes et de paroisses vont l'éprouver.
Il ne faut qu'un calcul bien simple pour s'en convaincre.
Il existe dans la République quarante-quatre mille municipa-
lités; on propose l'établissement de vingt à vingt-cinq mille éco-
les primaires : il est clair que la proportion majeure sera à peu
près de deux paroisses par école. Or, personne ne peut douter
que la paroisse où l'école sera placée aura de grands avanta-
ges par la continuité, la commodité de l'instruction, et pour la
durée des leçons.
Une bien plus grande inégalité va s'établir encore à raison des
diverses facultés des parens ; et ici les personnes aisées , c'est-à-
dire le plus petit nombre , ont tout l'avantage.
Quiconque peut se passer du travail de son enfant pour le
nourrir, a la facilité de le tenir aux écoles tous les jours, et plu-
sieurs heures par jour.
Mais quant à la classe indigente, comment fera-t-el!e? Ctl en-
fant pauvre, vous lui offrez bien l'instruction; mais avant il l'ii
faut du pain. Son père laborieux s'en prive d'un morceau pour le
lui donner; mais il faut que l'enfant gngne l'autre. Son temps est
enchaîné au travail , car au travail est enchaînée sa subsistance.
Après avoir passé aux champs une journée pénible, voulez-vous
56 DOCUMEXS COMPLÉMENTAIRES.
que , pour repos , il s'en aille à l'école éloignée peut-être d'une
demi-lieue de son domicile? Vainement vous établiriez une loi
coërciiive contre le père , celui-ci ne saurait se passer journelle-
ment du travail d'un enfant qui , à huit, neuf et dix ans, gagne
déjà (jueîque chose. Un petit nombre d'heures par semaine , voilà
tout ce qu'il peut sacrifier. Ainsi l'établissement des écoles, telles
qu'on les propose , ne sera, à proprement parler, bien profitable
qu'au petit nombre de citoyens indépendaus dans leur existence,
hors de l'atteinte du besoin : là ils pourront faire cueillir abon-
damment par leurs enfans les fruits de l'instructioG ; là il n'y aura
encore qu'à glaner pour l'indigent.
Cette inégale répartition du bienfait des écoles primaires est
le moindre des inconvéniens qui me frappent dans leur organisa-
tion. J'en trouve un bien plus grand dans le système d'éducation
qu'elles présentent.
Je me plains qu'un des objets les plus essentiels de l'éducation
est omis : le perfectionnement de l'être physique. Je sais qu'on
propose quelques exercices de gymnastique : cela est bon ^ mais
cela ne suffit pas. Un genre de vie continu, une nourriture saine
et convenable à l'enfance , des travaux graduels et modérés , des
épreuves successives , mais continuellement répétées , voilà les
seuls moyens efficaces de donner au corps tout le développement
et toutes les facultés dont il est susceptible.
Quant à l'être moral , quelques instructions utiles , quelques
momens d'étude, tel est le cercle étroit da;;s lequel est renfermé
le plan proposé. C'est l'emploi d'un petit nombre d'heures; mais
luut le reste de la journée est abandonné au hasard des circon-
stances ; et l'enfant, lorsque l'instant de la leçon est passé, se
trouve bientôt rendu , soit à la mollesse du luxe, soit à l'orgueil
de la vanité, soit à la grossièreté de l'indigence, soit à l'indisci-
pline de l'oisiveté. Victime malheureuse des vices , des erreurs ,
de l'infortune, de l'incurie de tout ce qui l'entoure, il sera un
peu moins ignorant que par le passé, les écoles un peu plus
nombreuses , les maîtres un peu meilleurs qu'aujourd'hui ;
mais aurons-nous vraiment formé des hommes, des citoyens,
ANNÉE 1795. 57
des républicains : en un mot, la nation sera-t-elle régénérée?
Tous les inconvéniens que je viens de développer sont insolu-
bles, tant que nous ne prendrons pas une grande détermination
pour la prospérité de la Ré[>ublique,
Osons faire une loi qui aplanisse tous les obstacles, qui rende
faciles les plans les plus parfaits d'éducation , qui appelle et réa-
lise toutes les belles institutions; une loi qui sera faite avant dix
ans, si nous nous privons de l'honneur de l'avoir portée ; une loi
louie en faveur du pauvre, puisqu'elle reporte sur lui le superflu
de l'opulence; que le riche lui-même doit approuver, s'il réflé-
chit ; qu'il doit aimer, s'il est sensible. Cette loi consiste à fonder
une éducation vraiment nationale, vraiment républicaine, égale-
ment et efficacement commune à tous, la seule capable de régé-
nérer l'espèce humaine, soit pour les dons physiques, soit pour
le caractère moral ; en un mot, celte loi est l'établissement de
l'institution publique.
Consacrons-en le salutaire principe; mais sachons y apporter
les modifications que l'élat actuel des esprits et l'intérêt industriel
de la République peuvent rendre nécessaires.
Je demande que vous décrétiez que, depuis l'âge de cinq ans
jusqu'à douze pour les garçons, et jusqu'à onze pour les filles,
tous les enfans , sans distinction et sans exception , seront élevés
en commun , aux dépens de la République ; et que tous, sous la
sainte loi de l'égalité, recevront mêmes vêtemens, même nourri-
ture , même instruclion , mêmes soins.
Par le mode d'après lequel je vous proposerai de répartir la
charge de ces établissemens, presque tout portera sur le riche ;
la taxe sera presque insensible pour le pauvre; ainsi vous attein-
drez les avantages de l'impôt progressif que vous désirez d'éta-
bhr; ainsi, sans convulsion et sans injustice, vous effacerez les
énormes disparités de fortune dont l'existence est une calomnie
publique.
Je développe en peu de mots les avantages , les détails et les
moyens d'exécution du plan que je vous soumets.
Tous les enfans receviont le bienfait de l'instilution publi-
58 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
que durant le cours de sept années , depuis cinq ans jusqu'à
douze ans.
Cette portion de la vie est vraiment décisive pour la formation
de l'être physique et moral de l'homme.
Il faut la dévouer tout entière à une surveillance de tous les
jours , de tous les momens.
Jusqu'à cinq ans on ne peut qu'abandonner l'enfance aux soins
des mères ; c'est le vœu , c'est le besoin de la nature : trop de dé-
tails , des attentions trop minutieuses sont nécessaires à cet âge ;
tout cela appartient à la maternité.
Cependant je pense que la loi peut exercer quelque influence
sur ces premiers instans du l'existence humaine. Mais voici dans
quelles bornes je crois qu'il faut renfermer son action.
Donner aux mères» encouragemens , secours, instruction;
les intéresser efficacement à allaiter leurs en fans ; les éclairer
par un moyen facile, sur les erreurs et négligences nuisibles,
sur les soins et les attentions salutaires ; rendre pour elles
la naissance et la conservation de leurs enfans , non plus une
charge pénible , mais au contraire une source d'aisance et l'objet
d'une espérance progressive ; c'est là tout ce que nous pouvons
faire utilement en faveur des cinq premières années de la vie : tel
est l'objet de quelques-uns des articles de la loi que je propose.
Les mesures indiquées sont fort simples^ mais je suis convaincu
que leur effet certain sera de diminuer d'un quart, pour la Répu-
blique , la déperdition annuelle des enfans qui périssent victimes
de la misère, des préjugés et de l'incurie.
A cinq ans , la patrie recevra donc l'enfant des mains de la na-
ture ; à douze ans , elle le rendra à la société.
Cette époque, d'après les convenances parliculièi-es et l'exis-
tence politique de la France , m'a paru la plus convenable pour
le terme de institution publique.
A dix ans, ce serait trop tôt, l'ouvrage est à peine ébauché.
A douze ans, le pli est donné, et l'impression des habitudes est
gravée d'une manière durable.
A dix ans, rendre les enfans à des parens pauvres, ce serait
ANNÉE 1795. 59
souvent leur rendre encore une charfje ; le bienfait de la nation
serait jncomplet.
A douze ans , les enfans peuvent gagner leur subsistance ; ils
apporteront une nouvelle ressource dans leur famille.
Douze ans est l'âge d'apprendre les divers métiers, c'est celui
oii le corps , déjà robuste , peut commencer à se plier aux travaux
de l'agrictilture. C'est encore l'ùge où l'esprit déjà formé peut,
avec fruit, commencer l'étude des belles-lelaes, des sciences, ou
des arts agréables,
La société a divers emplois : une multitude de professions,
d'arts industriels et de métiers appellent les citoyens.
A douze ans, le moment est venu de commencer le noviciat de
chacun d'eux ; plus tôt , l'apprentissage serait prématuré ; plus
tard , il ne resterait pas assez de cette souplesse , de cette flexibi-
lité, qui sont les dons heureux de l'enfance.
Jusqu'à douze ans , l'éducation commune est bonne , parce
que jusque-là il s'agit de former, non des laboureurs, non des
artisans , non des savans , mais des hommes pour toutes les pro-
fessions.
Jusqu'à douze ans , l'éducation commune est bonne , parce
qu'il s'agit de donner aux enfans les qualités physiques et mo-
rales, les habitudes et les connaissances qui , pour tous, ont une
commune utilité.
Lorsque l'âge des professions est arrivé, l'éducation commune
doit cesser, parce que, pour chacune, l'instruciion doitèttc dif-
férente; réunir dans une même école rap[)ieniissagc de toutes
est impossible.
Prolonger l'institution pid^liquo jusrpi'à la fin de l'adoles-
cence est un beau songe; quelquefois nous l'avons rêvé délicieu-
sement avec Platon; quelquefois nous l'avons lu avec enthou-
siasme réalisé dans les fastes de Lacédémone ; quelquefois nous
en avons retrouvé l'insipide caricature dans rios collèges; mais
Platon ne faisait que des philosophes ; Lycurgue ne faisait que
des soldais; nos profpsçeurs ne faisaient que des écoliers. La ré-
publique française, dont la splendeur consiste dans le commerce,
60 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
l'industrie et l'agriculture, a besoin de faire des hommes de tous
les états : alors ce n'est plus dans les écoles qu'il faut les renfer-
mer , c'est dans les divers ateliers , c'est sur la surface des cam-
pagnes qu'il faut les répandre ; toute autre idée est une chimère
qui, sous l'npparence trompeuse de la perfection, paralyserait
des bras nécessaires, anéantirait l'industrie, amaigrirait le corps
social, et bientôt en opérerait la dissolution.
Je propose que , pour les filles , le terme de l'institution pu-
blique soit fixé à onze ans ; leur développement est plus précoce ,
et d'ailleurs elles peuvent commencer plus tôt l'apprentissage des
métiers auxquels elles sont propres , parce que ces métiers
exfgent moins de force.
Dans un moment , je parlerai de l'éducation supplémentaire
offerte à tous les jeunes citoyens sans exception. Je parlerai aussi
des cours d'études auxquels un petit nombre pourra se trouver
porté par son goût, ses facultés, ou son talent.
Mais tout cela est pour l'adolescence ; nul n'y sera admis avant
douze ans ; tout cela est la suite de l'institution publique : il faut
d'abord pour tous que le cours entier de l'institution ait été par-
couru.
Je reviens maintenant au mode d'en organiser les établis-
semens.
Dans les villes pour chaque section ; pour chaque canton dans
les campagnes, d'ordinaire, une seule maison d'institution pourra
suffire. Il en sera établi plusieurs si la population l'exige ; chaque
établissement contiendra quatre à six cents élèves.
Je propose cette division , parce qu'elle concilie deux avan-
tages : d'un côté elle diminue les frais, qui sont moindres dans une
seule grande maison que dans plusieurs maisons séparées ; et
cependant elle ne met pas une trop grande distance entre les
enfans et leurs familles ; le plus grand éloignement sera au plus
de deux ou trois lieues : ainsi les parens pourront souvent et faci-
lement revoir le dépôt qu'ils auront confié à la patrie, et l'austé-
rité de l'institution républicaine ne coûtera pas un regret à la
nature.
ANNÉE 1793. 6i
Ici s'élève une question bien importante.
L'institution publique des enfans sera-t-elle d'obligation pour
les parens , ou les parens auront-ils seulement la faculté de pro-
fiter de ce bienfait national ?
D'après les principes , tous doivent y être obligés.
Pour l'intérêt public , tous doivent y être obligés.
Dans peu d'années, tous doivent y être obligés.
Mais , dans le moment actuel , il vous semblera peut-être con-
venable d'accoutumer insensiblement les esprits à la pureté des
maximes de notre nouvelle Constitution. Je ne vous le propose
qu'à regret ; je soumets à votre sagesse une modification que
mon désir intime est que vous ne jugiez pas nécessaire. Elle con-
siste à décéter que, d'ici à quatre ans, l'institution publique ne
sera que facultative pour les parens. Mais, ce délai expiré, lorsque
nous aurons acquis , si je peux m'exprimer ainsi , la force et la
maturité républicaines , je demande que quiconque refusera ses
enfans à l'institution commune soit privé de l'exercice des droits
de citoyen pendant tout le temps qu'il se sera soustrait à remplir
ce devoir civique, et qu'il paie, en outre, double contribution
dans la taxe des enfans , dont je vous parlerai dans la suite.
Il vous sera facile de placer ces établissemens dans les édifices
appartenant à la nation , maisons religieuses , habitations d'é-
migrés et autres propriétés publiques.
Je voudrais encore qu'à défaut de cette ressource les vieilles
citadelles de la féodalité s'ouvrissent pour cette intéressante des- ,
tination. De toutes parts on murmure et l'on réclame contre
l'existence de ces châteaux et de ces tours , monumens odieux
d'oppression. Au lieu de les détruire , employons utilement leur
masse antique.
Dans un canton, composé communément de six à huit paroisses,
la nation pourra choisir entre plusieurs , tout en dédommageant
le propriétaire ; elle se procurera encore à peu de frais un local
étendu ; elle fera sortir des mains de simples citoyens des palais
qui offensent l'œil sévère de l'égalité; et ce dernier sacrifice ser-
vira, malgré lui peut-être, le triste châtelain , aciueilemenl op-
62 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES,
pressé de sa colossale demeure , depuis que l'affranchissement
des campagnes a lari la source de son opulence.
D'après les calculs que j'ai faits , il m'a semblé qu'un maître
pour cinquante enfans suffirait.
D'abord on pourrait croire que c'est une trop forte charge
pour une seule personne ; mais j'ai imaginé qu'il serait facile de
classer les enfans de telle manière que les plus âgés , ceux de dix
et de onze ans, par exemple , pussent soulager le maître dans ses
fonctions, surveiller les plus jeunes, aider pour les répétitions.
Je trouve beaucoup d'avantages à établir dans la petite troupe
enfantine ces espèces de grades ; ils seront propres à faciliter
l'exécution de tous les détails et y maintenir une exacte discipline.
Chaque maître aura sous lui un égal nombre d' enfans de diffé-
rens âges ; il sera indépendant des autres maîtres, comme aussi
son autorité se bornera aux enfans qui lui seront confiés ; il ne
sera responsable qu'aux administrations publiques et à l'établis-
sement spécial de surveillance, dont je vais parler dans un mo-
ment.
Je ne fais qu'indiquer rapidement; je ne développe poi:;i le
mode de créer et d'organiser les établissemens, la nomination , la
distribution des instituteurs cl institutrices, l'ordre intérieur de la
maison : tous ces détails seront l'objet de règlemens particuliers.
Je me hâte d'abordtr une question plus intéressante de mon
travail , je veux dire le système de l'éducation qui sera suivi dans
le cours de l'institution pubHque.
Ici j'écarte toute théorie abstraite ; j'abandonne les recherches
savantes sur la nature de l'homme , sur la perfectibilité morale et
physique doal il est susceptible , sur l'origine e^. les causes de ses
affections, de ses passions, de ses vertus, de ses vices. Que des
observateurs, que des métaphysiciens méditent ces grandes ques-
tions , j'avoue que je n'aime que les idées simples et claires. Je
cherche une bonne méthode bien usuelle , de bons moyens bien
familiers , de bons résultats bien évideus : qu'ici rien ne soit in-
génieux, mais que tout soit utile. J'ai toujours pensé qu'en poli-
tique , en législation , eu économie sociale , des conceptions trop
ANNÉE 1793. 63
fines , trop déliées et , si je peux m'exprimer ainsi , trop parfai-
tes , sont d'un médiocre usage. Il faut opérer des effets géné-
raux , il faut produire en masse , et si je parviens à réaliser l'exis-
tence d'une somme d'avantages bien sensibles pour la société
tout entière et pour les individus en particulier, je croirai avoir
bien servi l'humanité et mon pays.
N'oublions pas quel est l'objet de celte première éducation com-
mune à tous , égale à tous.
Nous voulons donner aux enfans les aptitudes physiques et mo-
rales qu'il importe à tous de retrouver dans le cours de la vie,
quelle que soit la position particulière de chacun. Nous ne les
formons pas pour telle ou telle destination déterminée , il faut les
douer des avantages dont l'utilité est commune à l'homaie de tous
les états : en un mot , nous préparons , pour ainsi parle.", une ma-
tière première que nous tendons à rendre essentiellement bonne,
dont nous élaborons les élémens de telle sorte qu'en sortant de
nos mains elle puisse recevoir la modification spéciale des diver-
ses professions dont se compose la République.
Tel est le problème que nous avons à résoudre. Voici de
quelle manière je pense que nous pouvons y procéder utilement.
Nos premiers soins se porteront sur la portion physique de
l'éducation.
Former un l)on tempérament aux enfans, augmenter leurs
forces , favoriser leur croissance , développer en eux vigueur,
adresse, agilité; les endurcir contre la fatigue, les intempéries
des saisons , la privation momentanée des premiers besoins de la
vie, voilà le but auquel nous devons tendre; telles sont les habi-
tudes heureuses que nous devons créer en eux ; tels sont les avan-
tages physiques qui , pour tous en général, sont un bien précieux.
Les moyens pour remplir cet objet seront faciles dans le sys-
tème de l'institution publique. Ce qui serait impraticable pour
des enfans envoyés à l'école deux heures par jour, quelquefois
deux heures seulement par semaine, et tout le reste du temps hors
de la dépendance d'une commune discipline , se réaUse ici sans
effort.
64 DOCUilENS COMPLÉMENTAIRES.
Gontinuellemect sous l'œil et dans la main d'une active surveil-
lance , chaque heure sera marquée pour le sommeil , le repas, le
travail , l'exercice , le délassement ; tout le régime de vie sera in-
variablement réglé ; les épreuves graduelles et successives seront
déierniinées ; les genres de travaux du corps seront désignés ; les
exercices de gymnasiique seront indiqués ; un rc^glement salu-
taire et uniforme prescrira tous ces détails , et une exécution con-
stante et facile en assurera les bons effets.
Je désire que, pour les besoins ordinaires de la vie , les enfans,
privés de toute espèce desuperfluité, soient restreints à l'absolu
nécessaire.
Ils seront couchés durement ; leur nourriture sera saine , mais
frugale ; leur vêtement commode , mais grossier.
Il importe que pour tous l'habitude de l'enfance soit telle,
qu'aucun n'ait à souffrir du passage de l'institution aux divers
états de la société. L'enfant qui rentrera dans le sein d'une famille
pauvre retrouvera toujours ce qu'il quitte ; il aura été accoutumé
à vivre de peu , il n'aura pas changé d'existence. Quant à l'enfant
d'un riche, d'autres habitudes plus douces l'attendent, mais
celles-là se contractent facilement. Et pour le riche lui-même , il
peut exister dans la vie telles circonstances où il bénira l'àpre
austérité et la salutaire rudesse de l'éducation de ses premiers ans.
Après la force et la santé , il est un bien que l'institution pu-
blique doit à tous , parce que pour tous il est d'un avantage ines-
timable , je veux dire l'accoutumance au travail.
Je ne parle point ici de telle ou telle industrie particulière;
mais jentends, en général, ce courage pour entreprendre une
lâche pénible, cette action en l'exécutant, cette constance à la
suivre, cette persévérance jusqu'à ce qu'elle soit achevée , qui ca-
ractérise l'homme laborieux.
j^; Formez de tels hommes, et la République , composée bientôt
de ces robustes élémens , verra doubler dans son sein les produits
de l'agriculture et de l'industrie.
Formez de tels hommes , et vous verrez disparaître presque
tous les crimes.
ANNÉE 1793. 65
Formez de lels hommes , et l'aspect hideux de la misère n'af-
fligera plus vos regards.
Créez dans vos jeunes élèves ce goût, ce besoin, cette habi-
tude de travail , leur existence est assurée , ils ne dépendent plus
que d'eux-mêmes.
J'ai regardé cette partie de l'éducation comme une des plus
importantes.
Dans l'emploi de la journée tout le reste sera accessoire, le
travail des mains sera la principale occupaiion.
Un petit nombre d'heures en sera distrait ; tous les ressorts qui
meuvent les hommes seront dirigés pour activer l'ardeur de notre
laborieuse jeunesse .
Les pères de famille, les élèves, les maîtres, tous , par la loi
que je vous propose, seront intéressés à produire dans les ateliers
des enfans la masse la plus considérable de travail qu'il sera pos-
sible ; tous y seront excités par leur propre avantage.
Les uns , parce qu'ils y trouveront la diminution de la charge
commune; les autres , parce qu'ils y verront l'espérance d'être
honorés et récompensés; les enfans enfin, parce que le travail
sera pour eux la source de quelques douceurs toujours propor-
tionnées à la tâche qu'ils auront remplie.
Il est une foule d'emplois laborieux dont les enfans sont sus-
ceptibles.
Je propose que tous soient exercés à travailler à la terre ; c'est
la première, c'est la plus nécessaire, c'est la plus générale des
occupations de l'homme ; partout d'ailleurs elle offre du pain.
On peut encore leur faire ramasser et répandre les matériaux
sur les routes ; les locahtés, les saisons, les manufactures voisines
de la maison d'institution offriront des ressources pariiculières.
Enfin un parti plus général ne serait peut-être pas impraticable.
Je voudrais qu'on établît dans les maisons nièiiie d'insîiiution
divers genres de travaux auxquels tous les enfan.^ sont propres ,
et qui , distribués et répartis dans tous ces élablisseinens , gros-
siraient sensiblement pour la Ilépublique la masse annuelle des
productions manufaolurièies.
T. XXVI. o
66 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
J'appelle sur cette vue importante d'économie politique l'at-
tention et le génie des citoyens intelligens dans les arts. J'offre
un programme à remplir sur cet objet, et je demande que la na-
tion promette une honorable récompense pour tous ceux qui in-
diqueront un genre d'industrie facile , qui soit propre à remplir la
destination que je vous propose.
Régler sa vie , se plier au joug d'une exacte discipline , sont
encore deux habitudes importantes au bonheur de l'être social.
Elles ne peuvent se prendre que dans l'enfance ; acquises à cet
âge , elles deviennent une seconde nature.
On calculerait dilTicilement à quel point une vie bien réglée et bien
ordonnée multiplie l'existence, moralise les actions de l'honame ,
fait entrer dans sa conduite tout ce qui est bien , et la remplit
tellement d'actes utiles , qu'il n'y reste plus de place , si je peux
parler ainsi, pour tout ce qui est vice ou désordre.
Je n'attache pas un moindre prix à l'habitude d'une austère
discipline. Souvenons-nous que nous élevons des hommes desti-
nés à jouir de la liberté, et qu'il n'existe pas de liberté sans obéis-
sance aux lois. Ployés tous les jours et à tous les instans sous Je
joug d'une règle exacte, les élèves de la patrie se trouveront tous
formés à la sainte dépendance des lois et des autorités légitimes.
Voyez ce jeune soldat avant qu'il ne s'engage , et relrouvez-le
après qu'il a servi quelque temps : ce n'est plus le même
homme ; ce changement est pourtant l'ouvrage de quelques mois
de discipline militaire. Combien ce moyen ne sera-t-il pas plus
efficace, étant dirigé sur les organes souples et flexibles de l'en-
fance , modifié avec philosophie et mis en œuvre avec habileté et
intelligence?
Sans l'éducation commune et nationale, il est également im-
possible de créer les deux habitudes importantes que je viens de
développer. Deux heures d'école ébaucheraient à peine l'ou-
vrage ; l'indépendance du reste du jour en effacerait jusqu'à la
trace.
Sans l'éducation nationale , il vous faut renoncer à former ce
que j'appelle les mœurs de l'enfant, qui bientôt, par ce plan,
ANNÉE 1793. (57
vont devenir les mœurs nationales ; et par là je veux dire la so-
ciabilité , son caractère , un langage qui ne soit point grossier,
l'attitude et le port d'un homme libre, enfin des manières fran-
ches, également distantes de la politesse et de la rusticité. Entre
citoyens égaux d'une même république, il faut que ces divers
avantages de l'éducation soient répartis à tous : car, on a beau
dire, ces nuances, lorsqu'elles existent, créent d'incalculables
différences, et établissent de trop réelles inégalités entre les
hommes.
Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble que toutes les ha-
bitudes dont j'ai présenté jusqu'ici l'énumération sont une
source féconde d'avantages pour les enfans et pour l'état ; ce
sont les vrais fondemens d'une salutaire éducation ; sans elle il
n'existe pas d'éducation. Si dans l'enfance nous ne les donnons
point à tous les citoyens, la nation ne peut pas être profondé-
ment régénérée.
De toutes ces habitudes, il n'en est pas une seule dont j'entre-
voie la source dans le système du comité.
Créer des habitudes est un objet entièrement étranger à son
plan : il offre à tous d'utiles leçons ; mais pour former des hom-
mes, des instructions ne suffisent pas.
J'aborde maintenant l'enseignement , cette partie de l'éduca-
tion , la seule que le comité ait traitée , et ici je marcherai d'ac-
cord avec lui.
Quelles sont les notions , quelles sont les connaissances que
nous devons à nos élèves? Toujours celles qui leur sont nécessai-
res pour l'état de citoyen , et dont l'utilité est commune à toutes
les professions.
J'adopte entièrement, pour l'institution publique, la nomen-
clature que le comité vous a présentée pour le cours des écoles
primaires : apprendre à hre, écrire, compter, mesurer, recevoir
des principes de morale, une connaissance sommaire de la consti-
tution^ des notions d'économie domestique et rurale; développer le
don de la mémoire en y gravant les plus beaux récits de l'histoire
des peuples libres et de la révolution française ; voilà le nécessaire
6è DOCUMENS COilPLÉMEKTAIRES.
pour chaque citoyen; voilà l'inslruciion qui est due à tous.
Je me contenterai d'observer que , sans multiplier davantage
ces objels d'étude, je désire que l'enseignement en soit un peu
plus étendu et plus approfondi que dans le plan du comité; je
voudrais reporter quelque chose de l'instruction destinée par le
comité pour les écoles secondaires dans mon cours d'institu-
tion publique.
Le comité dans les écoles primaires n'avait préparé cette sub-
stance morale, pour l'enfance, que jusqu'à l'âge de dix ans. Je
prolonge jusqu'à douze l'institution publique, et ces deux années
comportent une nourriture plus solide et plus abondante.
Jusqu'ici j'ai développé le système de diverses habitudes dont
la réunion forme le complément d'un bon cours d'éducation; et
cependant je n'ai pas encore prononcé le nom de cette habitude
morale qui exerce une si souveraine influence sur toute la vie de
l'homme : je veux dire la religion ; sur cette matière délicate, il
est plus aisé d'exprimer ce qui est mieux que ce qui est pos-
sible.
C'est d'après le principe que l'enfance est destinée à recevoir
l'impression salutaiie de l'habitude que je voudrais qu'à cet âge
il ne soit point parlé de religion , précisément parce que je
n'aime point dans l'homme ce qu'il a toujours eu juqu'à présent,
une religion d'habitude.
Je regarde ce choix important comme devant être l'acte le plus
réfléchi de la raison.
Je désirerais que , pendant le cours entier de l'institution pu-
blique, l'enfant ne reçût que !es instructions de la morale univer-
selle , et non les enseignemens d'aucune croyance particulière.
Je désirerais que ce ne fût qu'à douze ans , lorsqu'il sera ren-
tré dans la société , qu'il adoptât un culte avec réflexion. Il me
semble qu'il ne devrait choisir que lorsqu'il pourrait juger.
Cependant , d'après la disposition actuelle des esprits, surtout
dans les campagnes , peut-être pourriez-vous craindre de porter
le mécontentement et le scandale même au milieu de familles
simples et innocentes , si les parens voyaient leurs enfans séparés
I
ANNÉE 1793. 69
jusqu'à douze ans des pratiques extérieures de tout culte reli-
gieux. Je soumets cette difficulté de circonstances à la sagesse
de vos réflexions ; mais j'insiste , dans tous les cas , pour que
cette partre d'enseignement n'entre point dans le cours de l'édu-
cation nationale , ne soit point confiée aux instituteurs nationaux,
et qu'il soit seulement permis {si vous jugez celte condescendance
nécessaire) de conduire à certains jours et à certaines heures les
enfans au temple le plus voisin , pour y apprendre et y prati-
quer la religion à laquelle ils auront été voués par leurs familles.
Telles sont les bornes dans lesquelles se lenferme le plan de
l'institution publique. Je peux le résumer en deux mots :
Donner à tous les habitudes physiques et les habitudes mora-
les, les instructions et les connaissances qui, étant acquises
dans l'enfance, influent sur tout le reste de la vie , qu'il importe
à tous d'acquérir, qui ont une commune utilité pour tous, à
quelque profession qu'ils se destinent , et qui doivent produire
une masse sensible d'avantages pour la société, lorsqu'elle en
aura également pourvu tous les membres qui sont destinés à la
composer. Au surplus, ce plan tracé à la hâte a besoin d'être
perfectionné. De meilleurs esprits, des philosophes plus profonds,
pourront suppléer à ce qu'il a de défectueux. La temps et l'ex-
périence l'enrichiront. Mais j'observe que ce qu'il a d'utile, que
son principal avantage , c'est celte susceptibilité de recevoir un
perfectionnement graduel et progressif ; c'est un cadre dans le-
quel toute vue utile , toute institution bienfaitrice à l'enfance
peut se placer d'elle-même.
Jamais, dans les écoles primaires , nous ne trouverons qu'une
instruction imparfaite. Leur vice radical, c'est de ne s'emparer
que de quelques heures et de livrer à l'abandon toutes les autres.
On concevra en vain des théories ingénieuses ; en vain , pour
former, pour instruire l'enfance, établira-t-on des méthodes
parfaites : tour, cela , avec des écoles primaires, manquera tou-
jours par l'exécution ; avec un tel moyen il est impossible de
produire autre chose (\ue des effets ou nuls, ou partiels, ou
profitables à un très-petit nombre d'individus.
70 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Dans l'institution publique, au contraire, la totalité de l'exis-
tence de l'enfant nous appartient; la matière, si je peux m' ex-
primer ainsi, ne sort jamais du moule ; aucun objet extérieur ne
vient déforiîier la modification que vous lui donnez. Prescrivez,
l'exécution est certaine; imaginez une bonne méthode , à l'instant
elle est suivie ; créez une conception utile , elle se pratique com-
plètement , continûment et sans efforts.
J'ai adopté un moyen que je crois très-efficace pour donner à
nos établ/ssemens d'institution publique la perfection dont ils
sont susceptibles,
C'est de publier des programmes.
Dans mon projet de décret je vous en présente l'aperçu.
Il m'a semblé facile de diviser les différens élémens dont l'en-
semble complète notre cours d'éducation. Les uns concernent la
formation de l'être physique ; les autres ont rapport à la for-
mation de l'être moral.
Sur chacun de ces programmes , les citoyens seront invités à
travailler et à concourir.
Ouvrez vos trésors pour récompenser sur chaque partie les
meilleurs ouvrages ; et celte munificence même enrichira la Ré-
publique.
Je pousserai encore plus loin cette idée, et j'ose attester que
la société et l'humanité pourraient recueillir d'importans avan-
tages de l'établissement permanent de prix annuels proposés à
quiconque aura conçu une pensée utile sur l'éducation et ajouté
un bon article au code de l'enfance.
Jusqu'ici je n'ai considéré le sujet que je traite que sous le
rapport de l'éducation: maintenant je vais vous le présenter sous
un autre aspect bien important, celui de l'économie politique.
Diminuer les nécessités de l'indigence , diminuer le superflu
de la richesse , c'est un but auquel doivent tendre toutes nos ins-
titutions; mais il faut que la justice comme la prudence règle
notre marche. On ne peut s'avancer que pas à pas ; tout moyen
convulsif est inadmissible ; la propriété est sacrée , et ce droit a
ANNÉE 1793. 71
reçu de votre premier décret une nouvelle et auiheutique ga-
rantie.
La mesure la plus douce comme la plus efficace de rapprocher
l'immense distance des fortunes , et de corrifjer la bizarre dispa-
rité que le hasard de la propriété jette entre les citoyens , se
trouve dans le mode de répartir les charges pultliques. Soulager
celui qui a peu , que le poids porte principaloment sur le riche ,
voilà toute la théorie , et j'en trouve une bien heureuse et bien
facile application dans la nouvelle charte qui va résulter de l'éta-
blissement de l'institution publique.
En deux mots , l'enfant du pauvre sera élevé aux dépens du
riche, tous contribuant pourtant daus uneju,^le proportion, de
manière à ne pas laisser à l'indigent même l'humiliation de re-
cevoir un bienfait.
Un calcul simple va étabUr ce résultat jusqu'à l'évidence.
Je propose que, dans chaque canton , la dépense de la maison
d'institution publique , nourriture , habillement , entretien des
enfons, soit payée par tous les citoyens du canton , au prorata de
la contribution directe dechacun d'eux. Pour rendre la proportion
plus sensible, je prends l'exemple de trois citoyens.
Je suppose l'un ayant tout juste les facultés requises autrefois
pour être citoyen actif, c'est-à-dire payant la valeur de trois
journées de travail , que j'évalue à trois livres.
Je suppose à l'autre un revenu de mille livres, qui lui produit
deux cents livres d'imposition.
Enfin je donne à l'autre cent mille livres de rente, pour les-
quelles il paie une contribution de vingt mille livres.
Maintenant j'évalue par aperçu la taxe pour l'éducation com-
mune des enfans à une moitié en sus de la contribution directe.
Quelle sera la portion contributoire de ces trois citoyens?
L'homme aux trois journées de travail paiera , pour la taxe
des enfans , une livre dix sous.
Le citoyen qui a mille livres de revenu y contribuera pour
cent livres.
7a DOCUMENS COMPLi'.MEiNTAlHES.
Et celui qui est riche de cent mille livres de rente mettra pour
sa part dans la taxe dix mille livres.
Comme vous voyez , c'est un dépôt commun qui se forme de
la réunion de plusieurs mises inégales : le pauvre met très peu,
le riche met beaucoup; mais lorsque le dépôt est formé , il se par-
tage ensuite également entre tous ; chacun en relire même avan-
lage, l'éducation de ses enfans.
L'homme aux trois journées de travail, moyennant sa surtaxe
de trente sous , se verra affranchi du poids d'une famille souvent
nombreuse; tous ses enfans seront nourris aux dépens de l'état;
avec ce falLle sacrifice de trente sous, il pourra avoir jusqu'à
sept enfans à la fois, élevés aux frais de la République.
J'ai cité l'homme aux trois journées, et cependant ce citoyen
était dans la classe ci-devant privilégiée , il était doué de Vactiviié:
quelle foule innombrable ne profitera pas , d'une manière encore
plus sensible, de la bienfaisance de cette loi, puisque toute la
classe des citoyens ci-devant inactifs , au moyen d'une taxe
moindre que trente sous, jouira du même avantage?
Il est de toute évidence que , depuis la classe des citoyens ci-
devant inactifs, en remontant jusqu'au propriétaire de mille hvres
de rente , tout ce qui se trouve dans l'intervalle a intérêt à la loi.
Même pour le propriétaire de mille livres de rente, elle est
utile; car il n'est aucun citoyen qui , jouissant de ce revenu, ne
s'abonne volontiers à cent livres par an pour la dépense de l'édu-
caîion de tous ses enfans. Ainsi tout le poids de la surcharge por-
tera uniquement sur ceux qui possèdent plus de mille livres de
rente.
Ainsi , plus des dix-neuf vingtièmes de la France est intéressé
à la loi ; car certainement il n'y a pas plus d'un vingtième des
citoyens dont le revenu excède cent pistoles.
Dans toute cette partie nombreuse de la nation , je ne vois de
lésés que les célibataires, ou les personnes mariées et sans enfans;
car ils retirent zéro. Mais je doute que leurs plaintes vous tou-
chent: ceux-ci ont moins décharge que le reste des citoyens.
D'après ce système , vous voyez qu'il n'y a que le riche dont la
AK.NÉE 1795. 75
taxe se trouverait plus forte que ce qui lui en coûterait pour
élever sa famille. Mais dans sa surcliarjje même , j'aperçois un
double avant:!{je: celui de retrancher une portion du superflu de
l'opulence , celui de faire tourner cette surabondance maladive
au soulagement des citoyens peu fortunés , j'ose dire au profit de
îa société tout entière, puisqu'elle lui fournit les moyens de
fonder une institution vraiment digne d'une république, et d'ou-
vrir la source la plus féconde de prospérité, de splendeur et de
régénération.
J'ose le demander , où sera maintenant l'indigence? Une seule
loi bienfaitrice l'aura fait disparaître du sol de la France.
Jetez les yeux sur les campagnes ; portez vos regards dans l'in-
térieur de ces chaumières; pénétrez dans les extrémités des
villes , où une immense population fourmille , couverte à peine de
haillons; connaissez les détails de ces utiles familles: là même le
travail apporterait l'aisance; mais la fécondité y ramène encore
le besoin. Le père et la mère, tous deux laborieux, trouveraient
facilement dans leur industrie ce qui leur faut pour vivre ; mais
ce pain gagné péniblement n'est pas pour eux seuls, des enfans
nombreux leur en arrachent une partie , et la richesse même
qu'ils donnent à l'état repousse sur eux toutes les horreurs de la
misère.
Là, par l'injustice vraiment odieuse de notre économie sociale,
tous les sentimens naturels se trouvent dépravés et anéantis.
La naissance d'un enfant est un accident. Les soins que la
mère lui prodigue sont mêlés de regrets et du mal-être de l'in-
quiétude. A peine les premières nécessités sont-elles accordées à
cette malheureuse créature ; car il faut que le besoin qui partage
soit parcimonieux: l'enfant estmal nourri, mal soigné, mal traité;
et souvent parce qu'on souffre, il ne se développe point, ou il se
développe mal; et à défaut de la plus grossière culture, cette
jeune plante est avortée.
Quelquefois même , le dirai-jc, un spectacle plus déchirant m'a
navré; je vois une famille affligée , j'approche ; un enfant venait
d'expirer, il était là. . . Et dabord la nature arrachait à ce cou-
74 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
pie infortuné quelques pleurs ; mais bientôt l'affreuse indigence
lui présentait cette consolation plus amère encore que ses larmes...
C'est une charge de moins.
Utiles et malheureux citoyens, bientôt peut-être cette charge
ne sera plus pour vous un fardeau; la Uépublique bienfaisante
viendra l'alléger un jour ; peut-être rendus à l'aisance et aux
douces impulsions de la nature, vous pourrez donner sans regret
des enfans à la patrie. La patrie les recevra tous également, les
élèvera tous également sur les fonds du superflu de la richesse , les
nourrira tous également, les vêtira tous également ; |et lorsque
vous les reprendrez tout formés de ses mains , ils feront rentrer
dans vos familles une nouvelle source d'abondance, puisqu'ils y
apporteront la force , la santé , l'amour et l'habitude du travail.
Quelque considérable que dût être la taxe des enfans , ce ne
serait pas un motif suffisant pour se priver des avantages d'une
aussi belle institution , puisque cette taxe ne grèverait que le ri-
che ; tandis que les parens dont la fortune est médiocre paieraient
au dessous de ce qu'il leur en coûterait chez eux pour élever leurs
enfans.
Mais cette charge ne sera pas énorme si vous adoptez quel-
ques autres dispositions que je vous propose.
D'abord , le produit du travail des enfans viendra au soulage-
ment de la dépense de la maison: tout enfant au-dessus de huit
ans, c'est-à-dire plus de la moitié des élèves, peut gagner sa
nourriture. Il n'y aura que les enfans de cinq, six et sept ans qui
seront en pure charge ; ceux-^là recevront sans rien mettre. Qui-
conque a vu des lieux où fleurit l'industrie sait qu'on connaît
l'art d'employer fort utilement des enfans de huit ans et au-
dessus.
Tout consiste à établir un ordre sage , et à bien monter la
machine.
Ici tous les intérêts concourent à multiplier auprès des maisons
nationales d'institution des objets de travaux à la convenance des
enfans.
Les citoyens du canton s'occuperont, s'empresseront d'en ap-
ANNÉE 1793. 75
peler les occasions, puisque la masse des produits diminuera
d'autant la charf^e qu'ils supportent.
L'ardeur des enfans sera animée par des encouragemens qu'un
règlement sage présentera à leur émulation.
Les maîtn s eux-mêmes recevront des recompenses lorsque
les enfans confies à leurs soins auront emporte le prix du travail.
Je crois qu'il est encore une autre ressource dont nous pour-
rons grossir les fonds destinés à nos établissemens.
Quelques enfans auront des revenus personnels.
Tant qu'ils seront au nombre des élèves de la nation, toute dé-
pense cesse pour eux: qu' est-il besoin que ces revenus, épargnés
chaque année, grossissent leurs capitaux pour le moment où ils
seronten âge de jouir de leur bien ? N'est-il pas plus naturel que,
pendant le temps où la nation prend soin d'eux , leurs revenus
soient appliqués à la dépense commune?
Notre droit positif se joint ici à la raison pour indiquer cet
emploi.
Les pères et mères , par droit de garde , jouissaient des revenus
do leurs enfans mineurs; mais l'entretien des enfans en était la
con'iiion et la cliarge: alors la ciiarge passerait à lu patrie; il
[>aiaît juste et convenable qu'elle jouisse aussi des avantages.
Voici donc comme je propose de doter nos établissemens d'in-
stitution nationale:
i" Le produit tin travail des enfans;
2° Les revenus personnels des enfans qui y seront élevés , pen-
dant tout le temps dé leur éducation;
ô° Le surplus sera fourni par les produits d'une taxe imposée
sur /o»s les citoijens du canton, chacun dans la proportion de ses
facultés.
Je n'ajoute plus qu'une observation pour terminer cet aperçu :
c'est que les intéressés devant eux-mêmes administrer, ainsi que
je vais le développer dans im instant, la plus sévère économie
sera apportée dans les dépenses.
Les dépenses se borneront au juste nécessaire.
Aucun domestique ne sera employé dans les maisons d'institu-
76 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
tion : les enfans les plus ajjés donneront aux plus jeunes les se-
cours dont ils pourront avoir besoin; ils feront, chacun à leur
tour, le service commun; i!s apprendront , tout à la fois, à se
suffire à eux-mêmes , et à se rendre utiles aux autres.
Il n'existera donc, à proprement parler , que trois articles de
dépense :
Les appointeraens des instituteurs et institutrices , le vête-
ment, la nourriture des enfans.
Je propose de fixer les appointemens des instituteurs à quatre
cents livres , et ceux des institutrices à trois cents , en leur don-
nant, pour leur nourriture, double portion de celle des enfans
les plus âges.
Quant aux vêtemens , les étoffes les plus communes y seront
employées , et vous pourrez concevoir que les frais n'en seront
pas considérables.
Tous les citoyens du canton ayant un intérêt commun à l'éco-
nomie , chacun y mettra un peu du sien ; l'un y mettra son étoffe,
l'autre le métier qu'il fait, les mères de famille leur travail;
tous se partageront la tâche à l'envi , et ainsi la charge deviendra
plus légère pour tous.
A l'égard de la nourriture, les ahmens les plus simples et les
plus communs , à raison de leur abondance , seront préférés.
Il sera fait un éiat de ceux qui conviennent à la santé des en-
fans ; et, dans le nombre déterminé, on choisira toujours celui
que le climat et la saison offrent à moins de frais. Je crois que le
vin et la viande en doivent être exclus : l'usage n'en est point né-
cessaire à l'enfance; et pour vous présenter un aperçu de l'utile
parcimonie qu'on peut apporter dans les frais de nourriture des
jeunes élèves , je vous citerai un fait que tous les journaux du
temps ont publié. * Dans le grand hiver de 1788, le curé de
Sainte-Marguerite , à Paris , employa avec le plus grand succès
une recette composée d'un mélange de plusieurs espèces d'ali-
mens ; il fit vivre fort sainement une multitude immense de mal-
heureux, et la portion d'un homme fait n'allait pas à trois sous
par jour. »
ANNÉE 1793. 77
Maintenant il ne me reste plus qu'à vous exposer de quelle
manière je conçois que doit être organisée l'administration des
nouveaux établissemens d'institution publique.
Quels autres que les pères de famille du canton pourraient re-
cevoir celte marque honorable de la confiance publique ?
Qui pourrait y apporter un intérêt plus direct ?
Où trouverions-nous une surveillance plus éclairée?
Les pères de famille ont, tout à la fois , et le droit et le devoir
de couver continuellement des regards de la tendresse et de la
sollicitude ces intéressans dépôts de leurs plus douces espé-
rances.
Mais aussi aux pères de famille seuls est dû cet honneur ... Le
célibataire ne l'a pas encore mérité.
Je propose que, tous les ans, les pères de famille du canton
réunis choisissent, pour chaque maison d'éducation nationale
qui y sera établie , un conseil de cinquante-deux pères pris dans
leur sein.
Chacun des membres du conseil sera obligé de donner dans
tout le cours de l'année sept jours de son temps , et chacun fera
sa semaine de résidence dans la maison d'institution , pour suivre
la conduite , et des enfans et des maîtres.
De cette manière , il y aura pour tous les jours de l'année un
père de famille chargé de la surveillance : ainsi l'œil de la pater-
nité ne perdra pas de vue l'enfance d'un seul instant.
Le père de famille surveillant aura pour fonction de s'assurer
de la bonne qualité et de la juste distribution des alimens , de
maintenir l'exécution des réglemens pour l'emploi des différentes
heures de la journée , d'activer le travail des mains , de dresser
l'état des lâches que chaque enfant aura rempUes, d'entretenir la
propreté si nécessaire à la bonne santé des élèves, de les faire
soigner s'ils sont malados, afin de tenir constamment les enfans
et les maîtres dans la ligne étroite des devoiis qui seront tracés
aux uns et aux autres.
Une fois tous les mois le conseil des cinquante-deux pères de
famille s'assemblera, et chacun y rendra compte de ses observa-
78 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
tions , des plaintes ou des éloges dont sa semaine de surveillance
lui aura fourni l'occasion.
Je crois utile que quelques membres des autorités constituées
soient présens à celte séance , pour qu'ils puissent sans délai
porter remède aux abus dont ils acquerraient la connaissance.
Pour l'administralion pécuniaire, pour la recette et pour la dé-
pense , le conseil des cinquante-deux pères formera un comité
de quatre membres , pris dans son sein , dont les fonctions se-
ront de régler tous les achats pour le vêtement , la nourriture et
l'entretien de la maison ; de prescrire , suivant les saisons , la
nature des alimens qui seront fournis aux enfans ; de détermi-
ner les genres de travaux corporels auxquels ils seront em-
ployés ; de fixer le prix de leurs tâches ; afin de tenir tous les
registres.
Chaque mois ils' présenteront leurs comptes au conseil des
cinquante-deux pères de famille , et le double en sera adressé
aux autorités constituées.
Telle est l'administration, tout à la fois simple et active,
que je propose pour chaque établissement d'éducation. Avt-c
ces précautions , avec cette surveillance , avec cette économie de
l'intérêt personnel , nous pouvons être assurés que la taxe, tou-
jours légère pour le pauvre et pour le propriétaire d'une fortune
médiocre , ne sera jamais excessive même pour le riche. Au sur-
plus , en fait de taxe publique, c'est moins sa mesure qui ap-
pauvrit un état , que sa mauvaise répartition ou son emploi ; or
ici les caractères les plus heureux d'une saine économie politique
se réunissent, puisque la taxe proposée n'a d'autres effets que
de placer une somme de surperfiu pour la verser sur le besoin.
La somme d'une dépense qui existait auparavant , celle de la
nourriture et de l'entretien des enfans, est changée ; mais alors
tous mettaient également , c'était une charge supportée par tête ;
aujourd'hui , dans mon système , elle devient proportionnelle
aux facultés. La pauvreté n'y met presque rien, la médiocrité
reste à peu près au même point, l'opulence y met presque tout.
Eu Angleterre , la seule taxe des pauvres monte à soixante
ANNÉE 1793. 79
millions, en Angleterre, dont le territoire et la population ne
formeraient à peine qu'un tiers de la France.
Là, une contribution aussi énorme est employée pour guérir
une maladie du corps politique. En France , la taxe des enfans
opérera des effets plus généraux et plus salutaires, puisqu'elle
renouvellera tous les élemens de l'état ; qu'elle épurera , pour
ainsi parler, tous les germes nationaux , et qu'elle portera dans
la république les principes impérissables d'une vigueur et d'une
santé toute nouvelle.
Ce mot de taxe des pauvres me fait concevoir une pensée à la-
quelle je crois quelque moralité.
Nous regardons comme une dette de la société l'obligation de
nourrir les vieillards et les infirmes hors d'état de gagner leur
vie ; déjà vous en avez reconnu lé principe , cl vous vous occupez
des moyens a'exécution. Pourquoi élever fl'spendieusement de
nouveaux édifices? Formons une réunion doubiemenl uiile : je
voudrais que les vieillards à la chnrge des communes d'uu canton
trouvassent leur asile dans une partie des établissemens destinés
à l'institution publique.
Là, presque sans frais , ils partageraient une frugale nourri-
ture; là, presque sans frais, ils recevraient les assistances journa-
lières qui leur sont nécessaires : les enfans les plus âgés et les plus
forts seraient successivemenl employés à l'honneur de les servir.
Quelle utile institution ! Quelle leçon vivante des devoirs so-
ciaux !
Il me semble qu'il existe quelque chose de touchant et de re-
ligieux dans le rapprochement du premier et du dernier Age , de
l'infirmité caduque et de la vigueur de l'enfance.
Ainsi le saint respecl pour la vieillesse, la compassion pour le
malheur , la bienfaisante humanité , pénétreront dans l'ame de
nos élèves avec leurs premières sensations , s'y graveront pro-
fondément ; leurs habitudes mf'mes deviendront en eux des
vertus.
80 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
Tel est , representans , l'aperru rapide du plan que je vous
soumets.
Jusqu'ici il me semble que tous ceux qui ont traité cette ma-
tière se sont appliqués uniquement à former un système d'in-
struction publique : moi, j'ai cru qu'avant l'inslruclion il fallait
fonder l'éducation publique.
L'une est profitable à plusieurs , l'autre est le bien de tous.
Celle-là propage des connaissances utiles , celle-ci crée et mul-
tiplie des habitudes nécessaires.
Bientôt dans mon plan l'instruction publique aura sa place dé-
signée , c'est une décoration partielle de l'édifice ; mais l'éduca-
tion publique est la base fondamentale sur laquelle l'édifice en-
tier est assis.
L'institution publique , comme je la conçois , sans nuire aux
ans ni à l'agriculture , leur prépare au contraire une nouvelle
prospérité; elle leur emprunte quelques années de l'enfance, mais
pour leur rendre bientôt des bras plus vigoureux et doués encore
de toute la flexibilité du premier âge.
Ainsi la population recevra de puissans encouragemens.
Ainsi les mères, par leur propre intérêt, seront ramenées au
plus doux des devoirs , à celui d'allaiter elles-mêmes leurs enfans.
Ainsi, jusqu'à cinq ans, l'eni^nce sera mioins abandonnée à
une pernicieuse incurie ; des encouragemens et quelques lumières
conserveront à la République une foule inno!iibra!)le de ces êtres
malheureux, que la nature constitua pour vivre, et que la négli-
gence condamne , chaque année , à péril".
Ainsi , depuis cinq ans jusqu'à douze , c'est-à-dire dans celte
portion de :a vie si décisive pour donner à lêlre physique et mo-
ral la modification, l'impression, l'hubiiude qu'il conservera
toujours, tout ce qui doit composer la République sera jeté dans
un moule républicain.
Là , traités tous également, nourris également, vêtus égale-
ment, enseignés également, l'égalité sera pour les jeunes élèves,
non une spécieuse théorie , mais une pratique continuellement
effective.
ANNÉE 1793. gl
Ainsi se formera une race renouvelée , laborieuse , réglée ,
disciplinée , et qu'une barrière impénétrable aura séparée du
contact impur des préjugés de notre espèce vieillie.
Ainsi réunis tous ensemble, tous indépendans du besoin , par
la munificence nationale, la même instruction, les mêmes con-
naissances leur seront données à tous également ; et les circon-
stances particulières de l'éloignement du domicile, de l'indigence
des parens ne rendront illusoire pour aucun le bienfait de la pa-
trie.
Ainsi la pauvreté est secourue dans ce qui lui manque ; ainsi
la richesse est dépouillée d'une portion de son superflu : et sans
crise ni convulsion , ces deux maladies du corps politique s'atté-
nuent insensiblement.
Depuis long-îemps elle est attendue , celle occasion de secourir
une portion nombreuse et intéressante de la société ; les révolu-
tions qui se sont passées depuis trois ans OTit tout fait pour les
autres classes de citoyens, presque rien encore pour la plus né-
cessaire peut-être, pour les citoyens prolétaiies, dont la seule
propriété est dans le travail.
La féodalité est détruite , mais ce n'est pas pour eux ; car ils
ne possèdent rien dans les campagnes affranchies.
Les contributions sont plus justement réparties ; mais , par
leur pauvreté même , ils étaient presque inaccessibles à la charge :
pour eux , le soulagement est aussi presque insensible.
L'égalité civile est rétablie , mais l'instruction et réducation
leur manquent: ils supportent tout le poids du litre de citoyen;
ont-ils vraiment aptitude aux honneurs auxquels le citoyen peut
prétendre?
Jusqu'ici l'abolition de la gabelle est le seul bien qui ait pu les
atteindre, car la corvée n'existait déjà plus, et momentanément
ils ont souffert par la chertédes denrées, par le ralentissement du
travail, et par l'agitation inséparable des tempêtes politiques.
Ici est la révolution du pauvre mais révuliii'on douce et
paisible, révolution qui s'opère sans alarmer la propriété, et
sans offenser la justice. Adoptez les enfans des citoyens sans pro-
T. XXI v. Q
8:2 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
priété, et il n'existe plus pour eux d'indigence. Adoptez leurs
enfans, et vous les secourez dans la portion la plus chère de leur
être. Que ces jeunes arbres soient transplantés dans la pépinière
nationale ; qu'un même sol leur fournisse ses sucs nutritifs;
qu'une cuiture vigoureuse les façonne ; que, pressés les uns contre
les autres, vivifiés comme par les rayons d'un astre bienfaisant,
ils croissent , se développent , s'élancent tous ensemble et à
l'envi sous les regards et sous la douce influence de la pair je.
L'enfant est parvenu à douze ans ; à cet âge finit pour lui
l'institution publique : il est temps de le rendre aux divers tra-
vaux de l'industrie.
L'en séparer davantage, ce serait nuire à la société.
Mais jusque là la société a payé sa dette rigoureuse envers lui,
elle lui a conservé tout ce qu'il reçut de la nature, elle en a uiéme
perfectionné les dons dans sa personne : il est susceptible de tout ,
le sol est fertilisé pour toute espèce de productions. Le jeune
élève a les habitudes physiques et morales nécessaires dans tous
les états , il a les connaissances d'une commune utilité aux ci-
toyens de toutes les professions : en un mot, il a la préparation ,
la modification générale qu'il lui importe d'avoir reçue , soit
pour le bien-être particulier de sa vie , soit pour constituer iiti-
lenient une des portions élémentaires destinées à composer la
République.
Cependant , à cet âge placé entre la jeunesse et l'enfance , la
paii ie ne peut pas cesser toute surveillance : des soins sont en-
core dus à l'adolescence , parce qu'ils lui sont encore nécessaires ;
cl ici se présentent à nous des questions dont l'intérêt est vrai-
ment digne de l'altenlion du législateur.
Au sortir de l'institution publique, l'agriculture et les arls mé-
caniques vont appeler la plus grande partie de nos élèves , car
ces deux classes constituent la presque totalité de lanaliott.
Une irès-peiite portion, mais choisie, sera destinée à lacj,J-
ture dçà arts agréables et aux études qui tiennent à l'esprit.
Yoyufts quels sont les devoirs de la société envers les Uft» çt
les autres.
ANNÉE 1793. 85
Quant aux premiers, l'apprentissage de leurs divers métiers
n'est pas du ressort de la loi. Le meilleur maître , c'est l'intérêt ;
la leçon la plus persuasive, c'est le besoin. Les champs, les ateliers
sont ouverts; ce n'est point à la République à instruire chaque
cultivateur et chaque artisan en particulier ; tout ce qu'elle peut
faire , c'est de surveiller en général le perfectionnement de l'a-
griculture et des arts , surtout d'en développer les progrès par
des encouragemens efficaces et par les lois d'une saine économie.
Laisserons-nous pourtant à un abandon absolu ces deux classes
nombreuses de jeunes citoyens devenus artisans et laboureurs ?
ou plutôt la société ne doit-elle pas continuer encore envers eux
les soins de quelque culture morale?
Voici ce qui m'a paru utile et en même temps praticable,
La semaine appartient au travail, les en détourner serait ab-
surde et impossible ; mais aux jours de délassement , à certaines
époques qui seront déterminées, il est bon, il est convenable que
la jeunesse retrouve des exercices du corps. Quelques leçons,
des fêtes, des rassembicmens qui appellent son attention , inté-
ressent sa curiosité, excitent son émulation. Ainsi les heureuses
impressions qu'aura reçues l'enfance ne s'effaceront point ; et
sans rien dérober du temps nécessaire aux travaux , le repos ces-
sera d'être oisif, et le plaisir lui-même présentera' des instruc-
tions.
Vos comités , dans un travail vraiment philosophique , vous
ont offert des moyens d'appeler dans des solennités civiques la
jeunesse sortie des premières écoles.
Ici donc s'achève mon plan par celui de vos comilés , je n'a-
jouterai rien de neuf, et vos moraens sont précieux.
Voici mon projet de décret :
ARTICLES GÉNÉRAUX.
Art. i . Tous les enfans seront élevés aux dépens de la Repu-
bUque, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à douze pour les garçons ,
et depuis cinq ans jusqu'à ouae pour les filles.
84 DOCUMENS COMPLÉMENTAIRES.
2. L'éducation nationale sera égale pour tous; tous recevront
même nourriture , mêmes vêtemens , même instruction , mêmes
soins.
5. L'éducation nationale étant la dette de la République eu-
vers tous , tous les enfans ont droit de la recevoir, et les parens
ne pourront se soustraire à l'obligation de les faire jouir de ses
avantages.
4. L'objet de l'éducation nationale sera de fortifier le corps des
enfans, de le développer par des exercices de gymnastique , de
les accoutumer au travail des mains, de les endurcir à toute es-
pèce de fatigue, de les plier au joug d'une discipline salutaire,
de former lear cœur et leur esprit par des instructions utiles, et
de leur donner les connaissances qui sont nécessaires à tout ci-
toyen, quelle que soit sa profession.
5. Lorsque les enfans seront parvenus au terme de l'éducation
nationale , ils seront remis entre les mains de leurs parens ou tu-
teurs, et rendus aux travaux des divers métiers et de l'agricul-
ture , sauf les exceptions qui seront spécifiées ci-après , en fa-
veur de ceux qui annonceraient des talens et des dispositions par-
ticulières.
6. Le dépôt des connaissances humaines et de tous les beaux-
arts sera conservé et enrichi par les soins de la République ; leur
étude sera enseignée publiquement et gratuitement par des
maîtres salariés par la nation. Leurs cours seront partagés en
trois degrés d'instruction: les écoles publiques ;, les instituts, les
lycées.
7. Les enfans ne seront admis à ces cours qu'après avoir par-
couru celui de l'éducation nationale.
Ils ne pourront être reçus avant l'âge de douze ans aux écoles
publiques.
Le cours d'étude y sera de quatre années; il sera de cinq dans
les instituts , et de quatre dans les lycées.
8. Pour l'étude des belles-lettres , des science^ et des beaux-
rtrts, il en sera choisi un sur cinquante. Les enfans qui auront
été choisis seront entretenus aux frais de la République auprès
ANNÉE 1705. 80
des écoles publiques pendant le cours d'éludé de quatre ans.
9. Parmi ceux-ci, après qu'ils auront achevé ce premier cours,
il en sera choisi la moitié, c'est-à-dire ceux dont lestalens se se-
ront développés davantage; ils seront également entretenus , aux
dépens de la République , auprès des instituts pendant les cinq
années du second cours d'étude.
Enfin moitié des pensionnaires de la République qui auront
parcouru avec plus de distinction le degré d'instruction des ins-
tituts sera choisie pour être entretenue auprès du lycée , et y
suivre le cours d'étude pendant quatre années.
iO. Le mode de ces élections sera déterminé ci-après.
H. Ne pourront élre admis à concourir ceux qui , par leurs
facultés personnelles, ou celles de leurs parens, seraient en état
de suivre , sans les secours de la République , ces trois degrés
d'instruction.
12. Le nombre et l'emplacement des écoles publiques, des ins-
tituts et des lycées, le nombre des maîtres et le mode de l'instruc-
tion seront déterminés ci-après.
DE L'ÉDUCATION NATIONALE.
Art. 1. Il sera formé dans chaque canton un ou plusieurs éia-
blissemens d'éducation nationale , où seront élevés les enfans de
l'un ou de l'autre sexe, dont les pères et mères, ou, s'ils sont
orphelins , dont les tuteurs seront domiciliés dans le canton.
Pour les villes, les enfans de plusieurs sections pourront être
réunis dans le même établissement.
2. Lorsqu'un enfant aura atteint ITige de cinq ans accomplis,
ses père et mère , ou , s'il est orphelin , son tuteur , seront tenus
de le conduire à la maison d'éducation nationale du canton, et
de le remettre entre les mains des personnes qui y sont pré-
posées.
5. Les pères et mères ou tuteurs qui négligeraient de remplir
ce devoir perdront les droits de citoyens , et seront soumii; à une
86 DOCL'MENS COMl'LÉMËN'i AIRES.
double imposition directe pendant tout le temps qu'ils soustrai-
ront Tenfent à l'éducalion commune.
4. Lorsqu'une femme conduira un enfant âgé de cinq ans à
Fëtablissement de l'éducation nationale, elle recevra de la Répu-
blique, pour chacun desquatrepremiers enfans qu'elle aura élevés
jusqu'à cet âge , la somme de cent livres , le double pour chaque
enfant qui excédera le nombre de quatre jusqu'à huit, et enfin
trois cents livres pour chaque enfant qui excédera ce dernier
nombre.
Aucune mère ne pourra refuser l'honneur de cette récompense ;
elle n'y aura droit qu'autant qu'elle justifiera par une attestation
de la municipalité qu'elle a allaité son enfant.
5. Il sera rédigé avec simplicité , brièveté et clarté, une instruc-
tion indicative des attentions, du régime et des soins qui peuvent
contribuer à la conservation et à la bonne santé des enfans pen-
dant la grossesse des mères, le temps de la nourriture, du se-
vrage , et jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de cinq ans.
G. La Convenlion invite les citoyens à concourir à la rédaction
de cette instruQlion , à adresser leur ouvrage à son comité d'ins-
truction publique.
L'auteur de l'instruction qui aura été jugée la meilleure, et
adoptée par la Convention , aura bien mérité de la patrie, et re-
cevra une récompense de vingt-quiitre mille livres.
7. A la tête de cette instruction , sera imprimé l'article ci-
après.
8. Les officiers publics chargés de recevoir les déclarations des
mariages et des naissances seront tenus de remettre un exem-
plaire de cette instruction à chaquo personne qui se présentera
devant eux pour déclarer son mariage.
9. Tous les enfans d'un canton ou d'une section seront, autant
qu'il sera possible, réunis dans un seul établissement ; il y aura
pour cinquante garçons un instituteur, et pour pareil nombre de
tilles une insiilutrice.
Dans chacune de ces divisions , les enfans seront classés de
manière que les plus âgés seront chargés de srtrveiller et de faire
ANNÉE i795. 87
répéter les plus jeunes, sous les ordres de l'inspecteur, de l'insti-
tuteur ou de l'institutrice, ainsî qu'il sera expliqué par le règle-
ment.
10. Durant le cours de l'éducation nationale, le temps dts en-
fans sera partagé entre l'étude, le travail des mains et les exer-
cices de la gymnastique.
li. Les garçons apprendront à lire, écrire, compter, et il
leuï* éëra donné les premières notions du mesurage et de lar-
pentage.
Leur mémoire sera cultivée et développée ; on leur fera ap-
prendre par cœur quelques chants civiques et le récit des traits
les plus frappans de l'histoire des peuples libies et de celle de la
révolution française.
Ils recevront aussi des notions de la constitution de leur
pays, delà morale universelle et de l'économie rurale et domes-
tique.
là. Les filles apprendront à lire, à écrire, à compter. Leur
mémoire sera cultivée par l'étude des chants civiq'jcs , et quel-
ques traits de l'histoire propres à développer les vertus de leur
sexe.
Elles recevront aussi des notions de morale et d'économie do-
mestique et rurale.
13. Là principale partie de la journée sera employée par les
erifanâ de l'un et de l'autre sexe au travail des mains.
Les garçons seront employés à des travaux analogues à leur
âge, soit à rariiass^»r, à répandre des matériaux sur les routes ,
soit dans les ateliers des manufactures qui se trouveraient à por-
tée dés maisons d'éducation nationnle , soit à des ouvrages qui
pourraient s'exécuter dans l'intérieur même de la maison : tous
seront exercés à travailler à la terre.
Les filles appreiidront à filer, à coudre et à blanchir; elles
pourront être einployées dans les ateliers de manufacîuros qui
seront voisines, ou ù des ouvrages qui pourront s'exécuter dans
l'intérieur de la maison déduraiion.
^ DOCLMliNS COIII'LÉMEM AIRES.
14. Ces différens travaux seront distribués à la lâche, aux en«
fans de l'un et l'autre sexe.
La valeur de chaque lâche sera estimée et fixée par l'adminis-
tration des pères de famille, dont il sera parlé ci-ap;ès.
do. Le produit du travail des enfans sera employé ainsi qu'il
suit:
Les neuf dixièmes en seront appliqués aux dépenses de la mai-
son ; un dixième sera remis à la fin de chaque semaine à l'enfant,
pour en disposer à sa volonté.
16. Tout enfant de l'un et l'autre sexe, âgé de plus de huit
ans, qui dans la journée précédente, si c'est un jour de travail,
n'aura pas rempli une lâche équivalente à sa nourriture, ne
prendra son repas qu'après que les antres enfans auront achevé
le leur , et il aura la honte de manger seul ; ou bien il sera
puni par une hunîiliation publique qui sera indiquée par le rè-
glement.
17. Les moyens et les jours de délassement seront employés
à des exercices de gymnastique , qui seront indiqués par le rè-
glement. Les garçons seront formés en outre au maniement des
armes.
18. Aucun domestique ne sera employé dans les maisons d'é-
ducation nationale. Les enfans les plus âgés, chacun à leur tour,
et sous les ordres et l'inspection des instituteurs et institutrices,
rempliront les diverses fonctions du service journalier de la mai-
son , ainsi qu'il sera expliqué par le règlement.
19. Les enfans lecevront également et uniformément , chacun
suivant leur âge , une nourriture saine , mais frugale ; un habille-
ment commode , mais grossier ; ils seront couchés sans mollesse :
de telle sorte que, quelque profession qu'ils embrassent, dans
quelques circonstances qu'ils puissent se trouver durant le cours
de leur vie , ils apportent l'habitude de pouvoir se passer des
commodités et des superfluités , et le mépris des besoins factices.
20. Dans Tinlérieur, ou à portée des maisons d'éducation na-
tionale, seront placés, autant qu'il sera possible, les vieillards ou
ANNÉE '1793.' 89
iiifiimes hors d'étal de gagner leur vie, et qui seront à !a charge
de la commune.
Les enfans seront employés chacun à leur tour, suivant leur
force et leur âge, à leur service et assistance.
21. Les étabhssemens de l'éducation nationale seront placés
dans les édifices publics, maisons religieuses ou habitations d'é-
migrés, s'il en existe dars le canton ; s'il n'en existait point, les
corps administratifs sont autorisés à choisir un local convenable
dans les châteaux dépeiidans des ci-devant fiefs, après avoir toute-
fo's payé aux propriétaires la juste et préalable indemnité. Enfin ,
à défaut de ces ressources, il sera pourvu autremeMù la forma-
tion la plus économique (et par devis) de ces établissemens.
22. Chaque instituteur recevra un traitement de 400 livres,
et chaque institutrice 500 livres ; ils auront en outre le logement
et double portion de la nouriiiure des enfans les plus âgés.
25. Les dépenses des établissemens d'éducation nationale se-
ront supportées ainsi qu'il suit :
Les récompenses fixées par l'ariicle 4 ci-dessus en faveur des
mères qui ont allaité leurs enfans et les auront élevés jusqu'à l'âge
de cinq ans, ainsi que les traitemens en argent des instituteurs
et institutrices, seront à la charge de la République.
Quant aux frais d'établissement et d'entretien des maisons d'é-
ducation nationale, à la nourriture et au vêtement des enfans, et
antres dépenses de la maison , il y sera pourvu : 1» par le produit
du travail des enfans, s^mf la retenue du dixième, dont il est
autrement disposé par l'article 16 ci-dessus; 2° les revenus per-
sonnels qui pourraient appartenir aux enfans élevés dans lesdites
maisons seront employés à la dépense commune pendant tout le
temps c|u'ils y demeureront; 5" le surplus sera acquitté, comme
charge locale, par toutes les personnes domiciliées dans le can-
ton ou section, chacun au marc la livre de ses facultés présumées,
d'après la cote de ses impositions directes.
24. Pour régir et surveiller chaque élablissement d'éducation
nationale, les seuls pères de lamille domicilies dans !e canton ou
90 DCMJUMEiVS COMPLÉMENTAIRES.
section formeront un conseil de cinquante-deux personnes choi-
sies parmi eux.
Chaque membre du conseil sera tenu à sept jours de surveil-
lance dans le cours de l'année, en sorte que chaque jour un père
de famille sera de service dans la maison d'éducation.
Sa fonction sera de veiller à la préparation et à la distribution
des alimens des enfans, à l'emploi du temps et à son partage
entre l'étude, le travail des mains et les exercices, à l'exactitude
des instituteurs et institutrices à remplir les devoirs qui leur sont
confiés, à la propreté et à la bonne tenue des enfans et de la mai-
son , au maintien et à l'exécution du règlement j enfin à pourvoir
à ce que les enfans reçoivent, en cas de maladie, les secours et
les soins convenables.
Le surplus et le détail des fonctions du père de famille sur-
veillant seront développés par le règlement.
Le conseil des pères de famille commettra en outre une admi-
nistration de quatre membres tirés de son sein pour déterminer,
selon le temps et les saisons, les alimens qui seront donnés aux
enfans , régler riiabillement , fixer les genres de travail des mains
auxquels les enfans seront employés , et en arrêter lé prix.
L'organisation et les devoirs, tant du conseil général des pè-
res de famille que de l'administration particulière , seront plus
amplement déterminés par un rëj^lemënt.
2o. Au commencement de chaqiie année , le cbtiseil des jières
de famille fera passer au département l'état des enfans qui au-
ront été élevés dans la maison d'éducation nationale de leur can-
ton ou section et de ceux qui sont morts dans le coûtant de l'an-
née précédente.
Il enverra pareillemeiit l'état ou produit du trardil dés ëtifans
pendant l'année.
Les deux états ci-dessus dénoncés seront doubles : Tim pour les
garçons, et l'autre pour les filles.
Il sera accordé par le département une gratification de 300 li-
vres à chacun des instituteurs de la maison dans laquelle il sera
mort, pendant le cours de l'année ^ un moindre nombre d'ewfâns
ANNÉE 1795. 91
comparativement aux autres rraisons situées dans le département,
et en oljservant les proportions du nombre des enfans qui y ont
été élevés.
Pareille gratification sera accordée à chacun des instituteurs de
la maison dans laquelle le produit du travail des enfans aura été
le plus considérable , comparativement avec les autres maisons du
département , et en observant aussi les proportions du nombre
des enfans qui y auront été élevés. Les dispositions précédentes
auront lieu pareillement en faveur des institutrices des filles.
Le département fera imprimer chaque année le nom des mai-
sons, celui des instituteurs et institutrices qui auront obtenu cet
honneur. Ce tableau sera envoyé au corps législatif et affiché
dans chacune des municipalités du département.
Pour la parfaite organisation des écoles primaires , il sera pro-
cédé au concours, ù la composition des livres élémentaires qui
vont être indiqués, et à la solution des questions suivantes.
LIVRES ÉLÉMENTAIRES A COMPOSER.
1" Méthode pour apprendre ai:X enfans ù lirejà écrire, à comp-
ter, et pour ieur donner les notions les plus nécessaires de l'ar-
|)eniage et du mesUiage.
2" Principes sommaires de !a constitution, de la morale, de
l'économie domestique et rurale ; récit des faits les plus remar-
(|uabî(,'s de riiistoiic des peuples libres et de la révoluiion Iran-
çaise ; le tout divisé par leçons propres à e:tercer la n^émoire des
enfans, et à développer en eux le fjerme des vertus civiles et des
sentimens républicains.
!2" Hèffiement gt^neral de discipline pour être obserré dans tou-
tes les maisons d'éducation nationale.
4" Instruction à l'usaj^e des instituteurs et inslilutrices, de leurs
obligations , des soins physiques cju'il doivent prendre des enfans
(|ui leur sorti confiés, et des njoyens moraux qu'ils doivent em-
ployer pour éioutïiT en eux le germe des défauts et des vices,
developpei" celui des vertus et dccouvrir celui des taiens.
92 bOCUUENS COMPLÉMENTAIRES.
Le comité d'instruction publique spécifiera par un progframme
l'objet (le ces différens ouvrages.
Tous les ciloyens sont invités à concourir à la rédaction de ces
livres élémentaires , et à adresser leurs travaux au comité d'ins-
truction publique.
L'auteur de chacun de ces livres élémentaires qui aura été jugé
le meilleur et adopté par la Convention aura bien mérité de la
patrie, et recevra une récompense de quarante mille livres.
QUESTIONS A RÉSOUDRE.
1° Quelle est la forme d'habillement complet des enfans de
l'un et de l'autre sexe, le plus commode et le plus économique?
Il sera présenté deux modèles, l'un pour l'habillement des
garçons, l'autre pour celui des filles.
L'auteur du modèle qui sera adopté par la Convention recevra
une récompense de trois mille livres.
2° Qoels sont les divers genres d'alimens les plus convenables
aux enfans, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à douze ans, et en
même temps les plus économiques ?
Les receltes qui seront indiquées par les citoyens devront ,
autant qu'il sera posaible, être variées et multipliées; ils auront
égard aux productions qui sont les plus communes selon la saison
et les différens climats de la République. Elles contiendront
également, pour chaque espèce de climats, les quantités qui fe-
ront par jour la portion de l'enfant , en graduant les quantités
indiquées suivant les différens âges.
5° Quels sont les soins et attentions physiques propres à con-
server et à fortifier la santé des enfans ? Quels sont les exercices
de gymnastique les plus propres à favoriser leur croissance , dé-
velopper leurs muscles et leur donner force, adresse et agilité?
4" Quels sont les divers genres de travail des mains auxquels
on peut le plus commodément, le plus utilement employer les en-
fans dans l'intérieur des maisons d'éducation nationale , lorsqu'ils
ne seront pas occupés à des travaux au dehors ? Et quelle est la
ANNÉE 1793. 93
méthode la plus simple de partager les tâches et de reconnaître
chaque jour facilement l'évalualion de chaque enfant ?
Les citoyens qui présenteront les solutions les plus satisfaisan-
tes sur les trois questions précédentes , et dont les ouvrages au-
ront été adoptés par la Convention , recevront , pour chacune des
trois questions résolues, une récompense de vingt-quatre mille
livres.
94 CONVEN-HON NATIONALE.
FEVRIER 1793.
Depuis le jour de son ouverture jusqu'au 21 janvier 1793, la
Convention nationale a concentré de plus en plus son action sur
un seul point. Sa route trace une ligne non interrompue entre le
décret par lequel la royauté fut abolie et le jugement de
Louis XVI. Pas un incident parlementaire, pas un événement
extérieur qui ne se rattache à cette ligne , ou comme un obstacle
apporté par les uns, ou comme un moyen calculé par les autres.
Peu à peu le drame se dégage de toute circonstance accessoire;
peu à peu les fatalités qui mènent cette tragédie sortent des en-
traves épisodiques , et marchent droit au nœud véritable, qui !f\s
arrête à peine un instant. La solennité des quatre appels nomi-
naux; l'infatigable volonté qui les exécute sans relâche; le pres-
sentiment universel en France et en Europe dont ni l'appel au
peuple, ni la demande d'un sursis ne peuvent diminuer en rien
l'inexorable rigueur, et qui dicte d'avance le décret, tout an-
nonce qu'un fait providentiel s'accomplit. Et certes, jamais au-
cun fait de cet ordre ne se fit reconnaître à des signes plus évi-
dens , ne fut environné d'un appareil si redoutable.
Un moment d'intermittence succède à ce long effort. Fermée
jusqu'ici et comme tendue en elle-même , maintenant la Conven-
tion va répandre au dehors son inépuisable activité. Tout la sol-
licite à la fois , les nécessités intérieures et les nécessités exté-
rieures. Il faut qu'elle constitue la nation ; il faut qu'elle organise
les ministèies, l'administration et l'armée; il faut qu'elle assure,
par des réglemens sur les subsistances, la sécurité des individus ,
pendant qu'elle assurera par la guerre la sécurité nationale.
L'Europe coalisée, la fanjine, des émeutes dans la capitale, des
FÉVRIER (1793). 9S
symptômes de guerre civile à Lyon , dans le Var , dans la Bre-
tagne, et, dans son propre sein, des déchiremens qui préludent au
ôl mai , telle est la situation des affaires , lorsque la Convention
a terminé le procès du roi ; nous allons voir comment, dès le mois
de février , elle répond aux exigences qui la pressent et aux dan-
gers qui la menacent.
Le l*""" février elle déclare la guerre au roi d'Angleterre et au
stathouder de* Provinces- Unies. Le même jour elle entend un
rapport sur les fiuances, et crée pour huit cent millions d'assi-
gnats. Le 2, elle organise le ministère de b guerre; le 4, elle y
nomme le géuéral Beurnonville. Le G, elle adopte un projet sur
la nomination des ofliciers de marine. Le 14 , elle organise le mi-
nistère de ce départemeai. Le lo et le 16, elle entend la lecture
d'un projet de constitution. Le 18, elle confie à Monge le mi-
nistère de la marine. Le 22, elle termine ses travaux sur l'orga-
nisution de l'armée.
Voilà les actes principaux. Quant aux mesures administratives
et gouvernemtntales, nous devons renoncer à les énumérer. Les
subsistances , l'état des provinces , les émigrés , des dénonciations
innombrables , une foule de détails en urgence, d<^^^s lectures d'a-
dresses qui at"fluent chaque jour de tous les poiats delà Uépu-
bliquCt sont autant de matéiiuux qui viennent se heurter péie-
mêle sous la main de la Convention, et qui nécessitent presque
tous un rapport , une discussion et un décret, pour que l'ordre et
la lunùère se fussent.
£t cependant l'asseniblée est bieià Loin de ce calme, de cesaug-
froid intérieur qui semblent indispensables pour l'exptditiott de
si nombreuses et si grandes affaires. Plusieurs fois les discordes
qui fermentent en elle sont excitées i'jsqu' à la fuieuj' par les pro-
vocations les plus directes. Tantôt c'tst une dëputatiou des dé-
fenseurs de la République qui vient demander la rappark du
décret contre U^s massacres tic septembre ; tantôt c'est u«c discus-
sion sur le fédéralisme à la suite des nouvelles du déparleiuent du
Yar. Ici la société des llalles rappelle que le comité, de surv^-
lamce de la Commune ne rend pas se« comptes ; plu» loi» c'est
96 CONVENTION NATIONALE.
un rapport de Duhcm sur l'arreslaiion de Guermeur , Tun des
commissaires de !a Commune du 10 août envoyés dans les dc-
partemens après les jou-nées de septembre : ce dernier avait fait
partie du comité de surveillance, dont il avait signé la fameuse
adresse , et il était incarcéré depuis le 22 septembre dans les pri-
sonsdeQuimper. Enfin, tprès la pétition sur les subsistances pré-
sentée le 12 février , cette question est un sujet perpétuel décolères
violentes que les émeutes du 25 achèvent de pousser à bout.
Nous ne pouvons que donner une faible idée du mouvement
révolutionnaire qui agite en ce moment la Convention et la
France, et qui ne tardera pas à ébranler l'Europe. Les pièces
historiques de ce temps, ces feuilles où étaientenregistrées au jour
le jour et déposées toutes vivantes, les craintes, les haines, les
menaces, les séditions, dominées d'un côté par les débats de
l'assemblée souveraine, et de l'autre parle cri national: Aux
armes! sont seuls capables de nous peindre cette tempête. Voici
comment un homme doué d'une vive sympathie , acteur lui-même
dans ces scènes , réproduit l'image terrible de la révolution à l'é-
poque du mois de février.
« L'ancien monde touche à son terme ; il va bientôt achever
de se dissoudre : un second chaos doit précéder la création nou-
velle; il faut que les élémens de la nature sociale se mêlent, se
combattent , se confondent pour foire éclore enfin la société véri-
table : c'est la guerre universelle qui va enfanter la paix de l'uni-
vers ; c'est l'entière dissolution des maux qui va créer la vertu
des nations ; c'est le malheur de tous qui va nécessiter le bonheur
général.
• Nous sommes au moment le plus terrible de la crise de l'hu-
manité. J'ai cru que la philosophie qui l'a préparé pouvait l'adoj-
cir, et rendre moins doulouieux ce second enfantement de la
nature; mais la philosophie, dont l'invocation est sur toutes les
lèvres, n'a point encore d'empire dans les âmes : on en sent le
besoin partout ; on n'en trouve la réalité nulle part. Rien de plus
opposé à la philosophie que ces têtes dominantes , et prétendues
législatives, qui n'ont pas même les élémens des mœurs ni les
FKVRIER (1793). 97
principes du sens commun. Avec le matérialisme, on a la morale
des brûles; avec l'irréligion, on a la dissociabilité même; avec
l'irréflexion habituelle , on a l'impuissance de faire des lois sta-
bles et de créer un gouvernement ; avec toutes les passions sans
frein , on a tous les maux sans remède.
» Ainsi nous touchons à l'exlrémilé des choses humaines. Voici
ce que devait enfanter le vieux despotisme mourant de la peste
des crimes dont il a vicié , infecté , épuisé la moralité des nations.
La philosophie a dit a la France : < Lève-toi, et ne souffie pas
» plus long-temps les tyrannies et les infamies du trône ; » la
France s'est levée. La philosophie crie la même chose à tous les
peuples; les uns entendront sa voix, les autres non. La guerre
décidera tout. ÎMais pourquoi donc lu guerre, et celle guene hor-
rible qui se divisera, dans chaque pays, en intestine et en étran-
gère , qui rongera les enirailles des nations, en même temps
qu'elle les armera les unes contre les autres, ei qui meîtra en
conflagration l'étal social dans toutes ses parties et dans ions ses
élémens? Pourquoi? Parce qu'avec toutes ces grandes clameurs
de philosophie, il n'y a point de philosophes en France, il n'y
en a point dans l'Europe, il n'y en a point dans l'univers. Je
parle de ceux qui affectent ce beau nom, qui se montrent sous
ses auspices ; car ceux qu'on ne voit jamais et qui ne font rien
pour le bonheur public sont comme s'ils n'étaient pas. Regar-
dez donc , regardez, s'il vous est possible, ces hommes qji s'ap-
pellent amis de la sagesse, et reculez d'horreur : ce sont des
monstres d'une violence effrénée , d'une immoralité infâme ; une
insatiable fureur de domination les possède. Ils ont faim de toutes
les tyrannies , et soif de tous les crimes : voilà les pères de la li-
berté. Oui , certes , ils l'enfanieront par la nécessité où ils auront
mis l'humanité de la produire pour exterminer ce dernier despo-
tisme de !a licence et de i'/mpiété, qui vont largement i-emplacer
tous les despotismes des cours et des su; < rslilions. Non , domi-
nateurs cannibales de l'opinion, vous ne dévorerez pas jusqu'à
la racine, la raison et la liberté du genre humain ; il verra bicn-
T. XXIV. 7
98 CONVENTION NATIONALE.
tôt que toute cette 0{;rerie qui le porte à s'entre-déchirer et à
fouler aux pieds toutes les vertus est votre ouvrage ; il appel-
lera la religion fraternelle , l'évangile de l'égalité , le Dieu des
douces raœurs, au secours de l'iiumanité aux abois ; elle renaîtria
de ses débris ; et vous serez alors confondus par sa majesté
sainte , et vous mourrez de son bonheur . . .
» L'état actuel de la religion en France est un état de crise
extrême , et la révulsion des consciences , pour repousser l'op-
pression, sera terrible. JN'e croyez pas cependant, citoyens,
que cette révulsion inévitable ramène jamais la royauté ni au-
cune autre domination arbitraire : l'évangile est le seul code re-
ligieux qui établisse sur leurs fondemens divins la liberté et
l'égalité de tous les hommes : i a eié contredit jusque dans son
essence par l'alliage uompeui- qu'on a voulu faire des maximes
tyranniques de domination avec ses douces maximes de frater-
nité universelle. Le christianisme est , par nature , républicain :
l'église est l'asseaiblée des frères ; les pasteurs sont soumis aux
mêmes lois divines que les lidèles ; ils ne peuvent qu'interpréter
la volonté générale , et remplir la mission qu'ils tiennent de cette
commune volonté. Encore (et c'est le comble delà liberté, qui ne
se trouve et ne peut se trouver dans aucun gouvernement tempo-
rel) chacun reste-t-il maiire absolu de suivre ou de ne pas suivre
ces lois, qui ne s'adressent qu'aux consciences : en sorte que les
pasteurs , obligés de se conformer aux règles saintes s'ils veulent
remplir leurs obligations et conserver la libre direciion des
âmes, ne peuvent exercer que l'empire volontaire de la confiance
publique et la divine autorité de la vertu. Quand le nom de la
liberté retentit dans toutes les parties du monde ; quand ce sen-
timent inné se réveille énergiquement dans tous les cœurs; quand
cette grande idée d'indépendance se réveille partout pour rendre
l'homme à sa dignité intime et à sa majesté native , croyez-vous
que la religion qui élève le plus fi aternellement et le plus univer-
sellement le genre humain vers le ciel , et jusqu'à la divinité , ap-
pellera des misérables despotes pour venir de nouveau compri-
mer, avilir, tyranniser la nature humaine, que cette même
FÉVRIER (1793). 99
religion fait profession de croire rehaussée tout entière par la
fraternité de Dieu même? Non . . .
» Cependant, considérez l'effroyable aveuglement des athées
qui veulent dominer en France, et persécuter, avec une tyrannie
qui se montre chaque jour plus insolente et plus féroce, cette re-
ligion si propice à la libération du genre humain. Gomment les
nations voisines et lointaines que nous voulons appeler à la li-
berté générale, et qui ne prennent pas, qai ne prendront jamais,
non plus que l'immense majorité de la nation française, l'athéisme
atroce et libidineux , pour la sainte et sage philosophie ; com-
ment, quand elles sont témoins ou instruites des inimaginables
excès de brutalité que ces monstres se permettent contre Dieu et
les hommes souverains qui l'adorent (oui, souverains, eniendez-
vous, vils et monstrueux tyrans? oui , souverains ; la souveraineté
appartient partout à la majorité des hommes) ; comment ces na-
tions pourraient-fcUes, par la raison même qu'elles veulent aussi
être libres, ne pas frémir d'horreur de ce qu'on leur présente,
sous le nom divin de la liberté, le despotisme le plus diabolique
qui ait jamais existé sur la terre ? elles accueilleront la hberlé
avec transport ; mais elles se battront contre l'athéisme avec exé-
cration
» Ainsi, nous irons, citoyens, ponant chez louîeiles nations,
d'une main, le flambeau divin de la liberté, de l'autre la torche
impie de la discorde. Nous aurons des revers et des succès ; les
secousses au-dedans et au-dehors seront épouvantables; et ce-
pendant nous triompherons, car la cause de la liberté défendue
par un grand peuple, épousée par le fonds des nations, et favo-
risée par l'auteur de la nature, qui veut manifestement à cette
époque renouveler, régénérer, recréer le genre humain, ne peut
manquer d'obtenir le triomphe. Mais c'est apiès l'épuisement des
horreurs, des extrêmes infamies, des abominations et des désola-
lions finales, que rhumanité,"ayant conquis la liberté contre tout
ce .qu'il y avait d anciens oppresseurs dans le monde , écrasera de
toute la puissance de la nature les nouveaux monstres qui dévo-
raient la liberté même à mesure qu'on en faisait la t^onquête.
iOO CONTENTION NATIONALE,
Les lois, les lois véritables, les fidèles expressions de la volonté
générale naîtront enfin ; le besoin de la vertu éleclrisera toutes
les âmes ; la nécessité des saintes mœurs élèvera toutes les con-
sciences ; la religion de la fraternité universelle réunira tous les
cœurs; le cuke pur d'un Dieu père, d'un Dieu frère , d'un Dieu
ami, ralliera toutes les nations, et la divinité, source unique de
tout bien , de toute vertu , de tout bonheur, régnera seule sur le
genre humain. » [Journal des Amis^ de Fadchet, samedi 16 fé-
vrier 1795.)
Tel était le présent , et tel était l'avenir aux yeux de Claude
Fauchet, esquissant la position morale de la France et les desti-
nées du genre humain. On sent que l'auteur était lui-même en-
gagé au plus fort de cette mêlée; sans compter, en effet, ses luttes
de la veille, à l'heure même où il tenait la plume, il était dénoncé
à la Convention pour défendre dans son diocèse le mariage des
prêtres catholiques. Aussi l'indignation personnelle dont il était
animé le rendait-elie éminemment propre à sentir le miheu poli-
tique, et aie reproduire en des formes palpitantes que l'historien
ne peut suppléer.
Maintenant que nos lecteurs connaissent l'aspect général des
événemens , nous allons en placer les détails sous leurs yeux dans
l'ordre qui nous a paru le plus propre à en faciliter l'intelligence
et l'appréciation. Nous divisons les travaux de la Convention na-
tionale en trois chapitres. Dans le premier, nous transcrivons la
partie organique ; dans le second , la partie révolutionnaire ; dans
le troisième, nous réunirons les affaires des départemens. Nous
ferons ici uv.e courte notice sur chacun de ces trois chapitres.
Partie organique. Elle se composera du projet de constitution ;
de la loi sur l'organisation de l'armée ; du décret qui organise le
ministère de la guerre , et de celui qui organise le ministère de la
marine.
Le projet de constitution fut présenté par Condorcet. Le rap-
port dont il fit précéder cette lecture est une brochure de cin-
quante-quatre pages en petit texte. Il est Jans la collection de
M. Lallement, mais la constitution elle-même ne s'y trouve pas.
FÉVRIER (1793 ). 101
Obligés de choisir entre deux pièces également volumineuses, car
nous ne voulons pas grossir inutilement notre histoire, nous nous
sommes décidés à insérer le texte du projet et à laisser le rap-
port. Indépendamment de la supériorité qu'ont les formules lé-
gislatives sur les commentaires philosophiques , tant par leur
netteté que par leur concision et leur rigueur, nous avons eu un
motif de ce choix plus grave que ces considérations. Ce projet est
le dernier mot du système social girondin, et, à ce titre, il est
une des pièces les plus importantes qu'il nous soit imposé de re-
cueillir. Le rapport lui-même ne sera pas complètement absent
de notre histoire. Nous en réimprimerons une analyse fort
exacte composée par Condorcet pour les lecteurs de la Chrmiique
de Paris.
Ce fut Dubois de Crancé qui , à la suite d'un nouveau rapport
sur l'organisation de l'armée, présenta la loi dont les derniers ar-
ticles furent adoptés à la séance du 22 février. Lu veille de ce
jour, la Convention nationale, pour récompenser ce magnifique
travail, éleva Dubois de Crancé à la présidence. Le rapport et la
loi n'existent ni dans la collection de M. Lallement ni dans celle
de Bossange. Nous avons dû conserver intégralement ces deux
pièces, qui intéressent au plus haut degré l'histoire des institutions
militaires modernes.
L'organisation du ministère de la guerre, et celle du ministère
de la marine , furent décrétées sur Ii proposition de Barrère.
Partie révolutionnaire. Nous suivrons dans ce chapitre l'ordre
même des débats de l'assemblée. 11 renfermera la déclaration de
guerre et les mesures financières et administratives calculées pour
ce but , l'envoi des commissaires dans les départ emens ; les dé-
putstions à la barre de l'assemblée, dont les principales sont re-
latives aux massacres de septembre et aux subsistances ; les dé-
nonciations et les actes conventionnels qu'elles provoquent ; des
réglemens de police contre les vagabonds et les émigrés , voilà à
peu près le texte des discussions souvent orageuses et toujours
animées qui rempliront ce cadre. Au nombre des personnages
célèbres détloncds , mis en accusation , ou renvoyés absous , sont
i02 CONVENTION NATIONALE.
le général Beurnouville, le général Arthur Dillon , le général An-
selme, le général Félix Wimpfen. A chacune des séances où ces
faits auront lieu, nous aurons soin d'augmenter les débats parle-
mentaires des renseignemens précieux que la presse et les clubs
nous fourniront. Il en sera de même pour les divers mouvemens
occasionnés par les subsistances. L'introduction de ce chapitre
sera un coup d'œil diplomatique destiné à montrer les relations
delà France avec l'Europe, et à faire comprendre les motifs qui
la forcent à déclarer la guerre à la Grande-Bretagne et à la Hol-
lande.
Dépar'temens. Ce chapitre contiendra sinon le texte , au moins
l'esprit des adresses envoyées à la Convention par les départe-
mens au sujet du 21 janvier. Il renfermera en outre une analyse
du rapport sur ia reddition de Verdun, de celui sur Porentrui ,
de ceux sur les troubles de Lyon et sur les actes fédéralistes du
département du Var. Nous y reproduirons aussi les discussions
intéressantes auxquelles ces difFérens objets donnèrent lieu.
Nous conipiélerons l'histoire du mois de février par deux cha-
pitres où seront classés les faits extra-parlementaires. Dans l'un ,
nous ferons entrer les séances de la Commune de Paris, celles du
club des Jacobins , et les articles de journaux que nous n'aurons
pu grouper autour des débats de la Convention ; dans l'autre,
nous ferons le récit des opérations militaires.
CONVENTIOIV NATIONALE.
PARTIE ORGANIQUE.
Analyse du rapport de Condorcet sur le projet de constitution,
présenté à la Convention nationale dans les séances du io et du
16 février (1).
Ce qui paraît distinguer surtout la constitution proposée à la
Convention, c'est une attention scrupuleuse à conserver les droits
Cette notice est rédigée par Condorcet lui-même; elle se trouve dans les nq-
jnéros XLVIII et XLIX de la Chronique de Paris, ( JSofe des auteurs.)
FÉVRIER ( 1793 ). 103
de l'égalité naturelle, à donner à l'exercice immédiat de la sou-
veraineté du peuple la plus {grande étendue possible.
Ainsi tous les habitans du territoire sont admis au titre de ci-
toyen français; ni les professions qui entraînent une dépendance
personnelle , ni la pauvreié ne sont plus des motifs d'exclusion.
Tous les citoyens âgés de. vingt- cinq ans sont éligibles à toutes
les places conférées par le choix des citoyens.
Les professions diverses séparent les hommes en différentes
classes , leur volonté les distribue inégalement sur la surface du
territoire : il faut donc qu'il ne résulte de la loi aucun avantage
d'une profession sur une autre , aucune inégalité d'influence en-
tre les portions différentes du même territoire.
Les pouvoirs nationaux ne doivent être soumis ni à l'influence
d'une société; ni à celle d'une ville, mais dépendre du peuple seul,
et du peuple tout entier.
La constitution d'Angleterre est faite pour les riches , celle
d'Amérique pour les citoyens aisés, la constitution française de-
vait l'être pour tous les hommes.
La différence des tem[)S , des circonstances , surtout le progrès
des lumières , ont dû amener cette progression.
Dans tous les pays libres on a craint, et avec raison, l'in-
fluence de la pojmlace ; mais donnez à tous les hommes les mêmes
droits , et il n'y a plus de populace.
La constitution nouvelle est représentative quant à la légis-
lation, à l'administration: elle est démocratique pour les lois
constitutionnelles et pour la censure des lois oppressives ou in-
justes émanées de ses représenians.
Elle est représentative pour tout ce qui ne peut être ni bien
fait, ni fait à temps que par une assemblée ; pour ce qui , sans
aucun danger pour la liberté, peut être confié à des roprésen-
tans ; elle est immédiatement déiiiocratique pour tout ce qui peut
être fait à la fois par des assemblées séparées, pour ce qui ne
peut être délégué sans exposer les droits du peuple.
Les élections se font immédiatement par les citoyens. On a
cherché une méthode qui permît de faire concourir a une même
i04 CONVENTION NATIONALE.
élection un nombre quelconque d'assemblées séparées. Cette mé-
thode n'exigera des citoyens qui donnent leurs suffrages que des
opérations très-promptes, très-simples et très-faciles ; et le ré-
sultat exprimera plus fidèlement le vœu réel de la majorité que
celui des méthodes d'élire adoptées jusqu'ici.
Cette méthode conserve beaucoup plus d'égalité entre les vo-
tans. Elle a permis de rendre très-courte la durée de toutes les
fonctions, et on n'a mis aucune borne à la rééligibihté. C'est à la
fois respecter davantage les droits des citoyens , et encourager
les fonctionnaires à mériter la confiance publique.
Les membres du corps législatif sont élus par départemens ,
d'après la population seulement, ce qui est encore un hommage
au principe de l'égalité.
Les citoyens de tous les départemens élisent les membres du
conseil national ; on a cherché à donner à ce conseil peu de pou-
voir et beaucoup d'activité ; il n'est pas le rival , mais l'agent du
corps législatif.
Il choisit parmi les administrateurs de chaque département
un commissaire chargé de correspondre avec lui , de lui rendre
compte.
Il serait absurde que les agens de l'administration générale de
l'état fussent privés de ce moyen d'agir, et de prendre des in-
formations nécessaires.
Mais cette absurdité était la suite d'une autre beaucoup plus
grave , celle d'avoir mis un roi à la télé du gouvernement.
La fréquence des élections , et pour les places du conseil et
pour celles des administrations , ôte à cette institution jusqu'à
l'apparence du moindre danger ; et il faut avouer que si l'on pre-
nait autant de précautions contre des fonctionnaires fréquem-
ment renouvelés que contre des fonctionnaires permanens ,
on aurait tous les inconvéniens de la mobilité , et aucun de ses
avantages.
Des admiûiâtrations de départemens , de grandes communes
divisée? en sections , dans chacune desquelles on plac« un figent
FÉVRIER ( 1795). 405
municipal, remplacent l'ancienne division en départemens , dis-
tricts et municipalités.
Les tribunaux civils sont remplacés par un jury, et on impose
l'obli^jation de ne s'y présenter qu'après s'être soumis à la déci-
sion d'arbitres librement choisis.
Les jurés, soit pour le civil , soit pour le criminel , seront
immédiatement choisis par le peuple.
Un jury national qui sera convoqué auprès du tribunal d'un
des départemens remp'ace la haute-cour nationale.
L'assemblée nationale peut ordonner la mise en jugement,
mais les citoyens ne sont privés en aucun cas du droit de n'être
accusés que par un jury soumis à toutes les formes de la loi.
Des censeurs judiciaires, siégeant successivement dans les dé-
partemens, remplacent le tribunal de cassation.
Ainsi l'ordre judiciaire offre plus de simplicité, d'économie et
de respect pour les droits des citoyens que celui qui existe en ce
moment.
On propose d'abolir la peine de mort pour les délits privés. La
guerre ne peut être déclarée que par une décision du corps lé-
gislatif prise par un scrutin signé.
Dans les cas importans où l'on croit utile de rendre public le
nom des votans , on a substitué un scrutin signé aux voiaiions à
haute voix ; par là on en conserve tous les avantages et on en évite
tous les inconvéniens.
Le peuple pourra , dans tous les temps , demander la réforme
de la constitution. Une convention nationale en dressera le plan
pour le soumettre à l'acceptation des citoyens ; mais elle sera
bornée à cette seule fonction. Les autres pouvoirs conserveront
leur action, et jamais leur réunion dans les mêmes mains ne
pourra effrayer les amis de la liberté.
Nous nous bornons i celte courte notice. Le projet de consti-
tution , le rapport qui expose les motifs des dispositions princi-
pales , vont paraître et seront soumis à l'opinion des citoyens.
Jamais il n'a existé de constitution où l'égalité ait été si en-
tière» où le peuple ait conservé ses droite àmi une «i grande
106 CONVENTION NATIONALE.
étendue ; on ne voit pas , à la vérité , comment les intrigans, sans
autre talent que celui de la bassesse et de l'audace, pourraient
parvenir à y jouer un rôle.
Immédiaiement après la mort de Charles I" , on présenta au
long parlement un plan de constitution conforme aux principes
de l'égalité naturelle, aux droits de la liberté civile et religieuse.
Cromwel se réunit aux membres corrompus du parlement pour
en persécuter les auteurs, parce qu'il sentait que, si la république
anglaise avait une fois une constitution , il lui deviendrait impos-
sible d'établir la tyrannie ; il eut l'air de les aider à perpétuer
leurs pouvoirs , mais c'était pour préparer le sien.
PROJET DE CONSTITUTION.
DÉCLARATION DES DROITS NATURELS , CIVILS ET POLITIQUES
DE l'homme.
Le but de toute réunion d'hommes en société étant le maintien
de leurs droits naturels , civils et politiques , ces droits doivent
être la base du pacte social ; leur reconnaissance et leur déclara-
tion doivent précéder la Constitution qui en assurera la garantie.
Art. i. Les droits naturels, civils et politiques des hommes
sont la liberté , l'égalité, la sûreté, la propriété, la garantie so-
ciale et la résistance à l'oppression.
2. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui n'est pas con-
traire aux droits d'autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de
chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres
membres de la société la jouissance de ces mêmes droits.
5. La conservation de la liberté dépend de la soumission à la
loi qui est l'expression de la volonté générale. Tout ce qui n'est
pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être
contraint à faire tout ce quelle n'ordonne pas.
4. Tout homme est libre de manifester sa pensée et ses opi-
nions.
5, La liberté de la presse ( et tout autre moyen de publier ses
pensées ) ne peut être interdite , suspendue ni limitée,
FÉVRIER (1795). 107
6. Tout citoyen doit être libre dans l'exercice de son culte.
7. L'éj^alité consiste en ce que chacun puisse jouir des mêmes
droits.
8. La loi doit être égale pour tous, soit qu'elle récompense,
ou qu'elle punisse, ou qu'elle réprime.
9. Tous les citoyens sont adnjissibles à toutes les places , em-
plois et fonctions publiques. Les peuples libres ne peuvent con-
naître d'autres motifs de préférence que les talens et les vertus.
10. La sûreté consiste dans la protection accordée par la société
à chaque citoyen pour la conservation de sa personne , de ses
biens et de ses droits.
11. Nul ne doit être appelé en justice , accusé , arrêté ni dé-
tenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes
qu'elle a prescrites.
Tout autre acte exercé contre un citoyen est arbitraire et nul.
12. Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exé-
cuieraient ou feraient exécuter ces actes arbitraires , sont cou-
pables et doivent être punis.
15. Les citoyens contre qui l'on tenterait d'exécuter de pa-
reils actes ont le droit de repousser la force ; mais tout citoyen
appelé ou saisi par l'autorité de la loi, et dans les formes prescri-
tes par elle, doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la ré-
sistance.
14. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait
été déclaré coupable, s'il est jugé indispt^nsab'e de l'arrêter, toute
rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne
doit être sévèreme- 1 réprimée par la loi.
lo. Nul ne doit être puni qu'en vertu d'une loi établie , pro-
mulguée artérourement au délit et légalement appliquée.
IG. La loi qui punirait des délits couimis avant qu'elle existât
serait un acte arbitraire. L'effet rétroactif donné à la loi est un
crime.
17. La loi ne doit décerner que des peines strictement et
évidemment nécessaires à la sûreté générale ; elles doivent être
proportionnées au délit et utiles à la société.
i08 CONVENTION NATIONALE.
18. Le droit de propriété consiste ea ce que tout homme
est le maître de disposer à son gré de ses biens » de ses capitaux,
de ses revenus et de son industrie.
19. Nul genre de travail , de commerce et de culture ne peut
lui être interdit ; il peut fabriquer, vendre et transporter toute
espèce de production.
20. Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais
il ne peut se vendre lui-même ; sa personne n'est pas une pro-
priété aliénable.
21. Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa pro-
priété sans son consentement, si ce n'est lorsque la nécessité pu-
blique , légalement constatée , l'exige évidemment, et sous la con-
dition d'une juste et préalable indemnité.
22. Nulle contribution ne peut être établie que pour l'utilité
générale et pour subvenir aux besoins publics. Tous les citoyens
ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représen-
tans, à l'établissement des contributions publiques.
23. L'instruction est le besoin de tous , et la société la doit éga-
lement à tous ses membres.
24. Les secours publics sont une dette sacrée de la société , et
c'est à la loi à en déterminer l'étendue et l'application.
25. La garantie sociale de ces droits repose sur la souveraineté
nationale.
26. Cette souveraineté est une, indivisible, imprescriptible et
inaliénable.
27. Elle réside essentiellement dans le peuple entier , et chaque
citoyen a un droit égal de concourir à son exercice.
28. Nulle réunion partielle de citoyens et nul individu ne peu-
vent s'attribuer la souveraineté, exercer aucune autorité et rem-
plir aucune fonction publique sans une déclaration formelle de la
loi.
29. La garantie sociale ne peut pas exister là oîi les limites des
fonctions publiques ne sont pas clairement déterminées par la loi,
et où la responsabilité de tous les fonctionnaires publics n'est pas
asfurée.
FÉVRIER (1793). i09
30. Tous les citoyens sont tenus de concourir à cette garantie ,
et de donner force à la loi lorsqu'ils sont appelés en son nom.
31. Les hommes réunis en société doivent avoir un moyen légal
de résister à l'oppression.
32. Il y a oppression , lorsqu'une loi viole les droits naturels ,
civils et politiques qu'elle doit garantir.
Il y a oppression , lorsque la loi est violée par les fonctionnaires
publics dans son application à des faits individuels.
Il y a oppression , lorsque des actes arbitraires violent les
droits des citoyens contre l'expression de la loi.
Dans tout gouvernement libre le mode de résistance à ces dif-
férens actes d'oppression doit être réglé par la constitution.
35 Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de
changer sa constitution. Une génération n'a pas le droit d'assujettir
à ses lois les générations futures ; et toute hérédité dans les fonc-
tions est absurde et tyrannique.
CONSTITUTION FRANÇAISE.
La nation française se constitue en république une et indivisi-
ble, et fondant son gouvernement sur les droits de l'homme,
qu'elle a reconnus et déclarés, et sur les principes delà liberté,
de l'égalité et de la souveraineté du peuple, elle adopte la consti-
tution suivante.
TITRE I. — De la division du territoire.
Art. 1, La République française est une et indivisible.
2. La distribution de son territoire actuel en quatre-vingt-cinq
départemens est maintenue.
3. Néanmoins les limites des départemens pourront être chan-
gées ou rectifiées sur la demande des administrés ; mais en aucun
cas la surface d'un département ne pourra êtie réduite au-des-
sous de lieues carrées , ni portée au-dessus de lieues
carrées.
4. Chaque département sera divisé en grandes communes ; les
communes, en sections municipales , et en assemblées primaires.
110 CONVENTION NATIONALE.
5. Cette distribution du territoire de chaque département en
grandes communes , se fera de manière qu'il ne puisse y avoir
plus de deux lieues et de demie de l'habitation la plus éloignée
au centre du chef-lieu de la commune.
6. L'arrondissement des sections municipales ne sera pas le
même que celui des assemblées primaires.
7. II y aura dans chaque commune une administration subor-
donnée à l'administration du département , et dans chaque sec-
tion une agence secondaire.
TITRE II. — De l'état des citoyens, et des conditions nécessaires
'pour en exercer les droits.
Art. 1. Tout homme âgé de vinp,t-un ans accomplis, qui se
sera fait inscrire sur le tableau civique d'une assemblée primaire,
et qui aura résidé depuis une année, sans interruption , sur le
territoire français, sera citoyen de République.
2. La qualité de citoyen français se perd par la naturalisation
en pays étranger, et par la peine de la dégradation civique.
3. Tout citoyen qui aura rempli les conditions exigées par
l'article premier pourra exercer son droit de suffrage dans la
portion du territoire de la République où il jusiiliera une rési-
dence actuelle de trois mois sans interruption.
4. Nul citoyen ne pourra exercer son droit de suffrage pour
le même objet dans plus d'uue assemblée primaire.
5. Il y aura deux causes d'incapacité iibsolue pour l'exercice du
droit de suffrage ; la première , l'imbécililé ou la démence , con-
statée par un jugement; la seconde, la condamnation légale aux
peines qui emportent la dégradation civique.
6. Tout citoyen qui aura résidé pendant six années hors du
territoire de la République, sans une mission donnée au nom de
la nation, ne pourra reprendre l'exercice du droit de suffrage
qu'après une résidence non interrompue de six mois.
7. Tout citoyen qui , sans avoir eu de mission , se sera ab-
senté pendant une année du lieu où il a son domicile habituel ,
FÉVRIER (1795). 11 1
sera tenu de nouveau à une résidence de trois mois avant d'être
admis à voter dans son assemblée primaire.
8. Le corps législatif déterminera la peine qu'auront encou-
rue ceux qui se permettraient d'exercer le droit de suffrage dans
tous les cas où la loi constitutionnelle le leur interdit.
9. La qualité de citoyen français et la mujorité de vingt-cinq
ans accomplis , sont les seules conditions nécessaires pour l'éligi-
bilité à toutes les places de la République.
10. En quelque lieu que réside un citoyen français, il peut être
élu à toutes les places et par tous les départemens, quand bien
même il serait momentanément privé du droit de suffrage par
défaut de résidence.
TITRE m. — Des assemblées primaires.
SECTION I. — Orgaaisatioa des assemblées primaires.
Art. l.Les assemblées primaires où les Français doivent
exercer leurs droits de citoyens seront distribuées sur le terri-
toire de chaque département; et leur arrondissement sera réglé
de manière qu'aucune d'elles n'ait moins de quatre cent cinquante
membres ni plus de neuf cents.
2. Usera fait dans chaque assemblée primaire un tableau par-
ticulier des citoyens qui la composent.
5. Ce tableau formé , on procédera dans chaque assemblée
primaire à la nouiinalion d'un bureau , composé d'autant de
membres qu'il y aura de fuis cinquante citoyeus inscrits sur le
tableau.
4. Cette élection se fera par un seul scrutin , à la simple plu-
ralité des sufli-ages. Chaque volant no portera que deux per-
sonnes sur son bulletin, quel que suit le nu.iibrc des menibres
qui doivent former le buieau.
5. Dans le cas néanmoins où, par le résultat de ce sci'uiin , l'é-
lection des membres du bureau serait incomplète, il sera fait,
pour la compléter, un nouveau tour de scrutin.
H2 CONVENTION NATIONALE.
6. Le doyen d'âge présidera i'asseml)lëe pendant cette pre-
mière élection.
7. Les fonctions des membres du bureau seront 1° de garder
le registre ou tableau des citoyens ; 2° d'inscrire sur ce registre ,
dans l'intervalle d'une convocation à l'autre , ceux qui se présen-
teront pour être admis comme citoyens; 3" de donner à ceux qui
veulent changer de domicile un certificat qui atteste leur qualité
de citoyen; 4° de convoquer l'assemblée primaire , dans les cas
déterminés par la constitution; o° de faire au nom de l'assemblée,
soit à l'administration du département , soit au bureau des as-
semblées primaires de la même commune, les réquisitions néces-
saires à l'exercice du droit de censure.
8. Les membres du bureau seront proclamés suivant l'ordre de
la pluralité des suffrages que chacun d'eux aura obtenus. Le
premier remplira les fonctions de président ; les trois membres
qui viendront immédiatement après lui , celles de secrétaires; et
le reste du bureau , les fonctions de scrutateurs. Ils seront, dans
le même ordre , les suppléans les uns des autres , en cas d'ab-
sence de quelques-uns d'entre eux.
9. A. chaque convocation nouvelle d'une assemblée primaire , il
ne sera pas permis de s'occuper d'aucun objet avant que le bu-
reau n'ait été renouvelé. Tout acte antérieur à ce renouvellement
est déclaré nul. Les citoyens qui composaient l'ancien bureau
pouiront néanmoins être réélus.
40. Le bureau ne sera point renouvelé lorsque les séances de
l'assemblée seront simplement ajournées et continuées, tant que
l'objet pour lequel elle aura été convoquée ne sera pas terminé.
il. Nul ne pourra être admis à voter pour la première fois
dans une assemblée primaire sur le labieau de laquelle il ne se-
rait pas inscrit s'il n'a présenté au bureau , huit jours avant l'ou-
verture delà tenue de l'assemblée, les titres qui constatent son
droit ; l'ancien bureau en rendra compte à l'assemblée, qui déci-
dera si le citoyen présenté a rempli ou non les conditions exigées
parla constitution.
FÉVRIER (1793). -îlô
SECTION II. — Fonctions des assemblées primaires.
Art. 1. Les citoyens français doivent se réunir en assemblées
primaires , pour procéder aux élections déterminées par la con-
stitution.
• 2. Les citoyens français doivent également se réunir en assem-
blées primaires pour délibérer sur des objets qui concernent
l'intérêt général de la République, comme 1" lorsqu'il s'agit
d'accepter ou de refuser un projet de constitution , ou un chan-
gement quelconque à la constiiuiion acceptée ; 2° lorsqu'on pro-
pose la convocation d'une Convention nationale ; 5° lorsque le
corps législatif provoque, sur une question qui intéresse la Répu-
blique française entière , l'émission du vœu de tous les citoyens ;
4" enfin lorsqu'il s'agit soit de requérir le coips législatif de
prendre un objet en considération, soit d'exercer sur les actes de
la représentation nationale la censure du peuple, suivant le mode
et d'après les règles fixés par la constitution.
3. Les élections et les délibérations des assemblées primaires
qui ne seront pas conformes , par leur nature, par leur objet , ou
parleur mode, aux règles prescrites par la loi constitutionnelle,
seront nulles et de nul effet.
SECTION III. — Règles générales pour les élections dans les aKemblées.
Art. i. Les élections se feront au moyen de deux scrutins, dont
le premier, simplement préparatoire, ne servira qu'à former une
liste de présentation , et dont le second , ouvert seulement entre
les candidats inscrits sur la liste de présentation , sera définitif et
consommera l'élection.
2. Pour le scrutin de présentation , aussit«)t que l'assemblée
aura été formée, les membres reconnus, le bureau établi et l'ob-
jet de la convocation annoncé , chaque votant recevra au bureau
un bulletin imprimé, sur lequel on aura i iscrii son nom en
marge.
3. Le scrutin sera ouvert à l'insiant même , et ne sera fermé
que dans la séance du lendemain a quatre heures du soir. Chaque
T. XXIV. 8
d14 CONVENTION NATIONALE.
citoyen écrira , ou fera écrire sur son bulletin , un nombre de
noms égal à celui des places à élire, et viendra pendant cet inter-
valle le déposer au bureau.
4. Dans la séance du second jour, à quatre heures, le bureau
procédera à la vérification et au recensement du scrutin, en lisant
à haute voix le nom de chaque vofant et les noms de ceux qu'il
a inscrits sur son bulletin.
5. Toutes ces opérations se feront publiquement.
6. Le résultat du scrutin de chaque assemblée primaire, arrêté
et proclamé par le bureau , sera envoyé au chef-lieu du dépar-
tement, où le recensement des résultats du scrutin de chaque as-
semblée primaire se fera publiquement par les administrateurs.
7. La liste de présentation sera formée de ceux qui auront ob-
tenu le plus de voix , en nombre triple des places à remphr.
8. S'il y a égalité de suffrages , le plus âgé sera préféré dans
tous les cas ; et s'il n'y a qu'une place à remplir, le plus âgé sera
seul inscrit sur la liste.
9. Le recensement des résultats des scrutins faits dans les as-
semblées primaires commencera le huitième jour après celui
qui aura été indiqué pour l'ouverture de l'élection ; et les scrutins
des assemblées primaires qui ne seraient remis à l'administration
du département que postérieurement à cette époque ne seront
point admis.
10. La liste de présentation des candidats ne sera point défini-
tivement arrêtée immédiatement après le dépouillement des ré-
sultats du scrutin des assemblées primaires. L'administration du
département sera tenue de la faire imprimer et publier sans
délai. Elle ne sera considérée d'abord que comme un simple
projet, et elle contiendra V la liste des candidats qui ont obtenu
le plus de suffrages, en nombre triple des places à remplir; 2° un
nombre égal de suppiéans, pris parmi ceux qui auront recueilli
le plus de voix après les candidats inscrits les premiers , et en
suivant toujours entre eux l'ordre de la pluralité.
M. Dans les quinze jours qui suivront la publication de cette
première liste , l'administration du département recevra la décia"
FÉVRIER ( 1793). H 3
ration de ceux qui, y étant inscrits soit au nombre des candidats,
soit au nombre des suppléans, déclareraient qu'ils ne veulent ou
ne peuvent pas accepter; et le quinzième jour la liste sera défini-
tivement arrêtée, en remplaçant ceux des candidats qui auront
refusé, d'abord par ceux qui seront inscrits au nombre des sup-
pléans, et successivement par ceux qui après eux auront obtenu
le plus de suffrages, en suivant toujours entre eux l'ordre de la
pluralité.
12. La liste de présentation, ainsi définitivement arrêtée, et
réduite au nombre triple des sujets à élire , sera envoyée sans
délai par l'administration du département aux assemblées pri-
maires ; l'administration indiquera le jour où les assemblées pri-
maires devront procéder au derr.it.i' scrutin d'élection ; mais sous
aucun prétexte ce terme ne pourra être plus éloigné que le se-
cond dimanche après la clôture de la liste de présentation.
15. L'assemblée réunie pour le second et dernier scrutin ,
chaque votant recevra au bureau un bulletin à deux colonnes ,
divisées chacune en autant de cases qu'il y aura de sujets à nom-
mer.
L'une de ces colonnes sera intitulée: première colonne d'é-
lection; l'autre, colonne supplémentaire.
14. Chaque votant inscrira , ou fera inscrire sur la première
colonne autant d'individus qu'il y aura de places à élire; et en-
suite, sur la colonne supplémentaire, un nombre de noms égal à
celui inscrit sur la première colonne. Ce bulletin ne sera point
signé.
15. Les suffrages ne pourront porter que sur les individus in-
scrits sur la liste de présentation.
16. Dans chaque assemblée primaire on fera séparément le
recensenu-rsl des suffrages portés sur la première colonne d'é-
lection, et sur la colonne supplémenlaire.
17. Ces résultats seront envoyés au chef-lieu du département,
et n'y seront reçus que jusqu'au huiiiènie jour après celui qui
aura été indiqué pour l'onverluie du second scrutin.
18. L'administration du département procédera pid)!iquement
ilG CONVENTION NATIONALE.
au recensement général des résultais du scrutin envoyés par les
assemblées primaires. On recensera d'abord, particulièrement et
séparément , le nombre des suffrages donnés à chaque candidat ,
sur les premières colonnes de nomination, et ensuite sur les co-
lonnes supplémentaires.
19. Si le résultat des suffrages portés sur la première colonne
ne donne la majorité absolue à personne , on réunira la somme
de suffrages que chaque candidat aura obtenus dans les deux co-
lonnes; et la nomination de tous les sujets à élire , ainsi que leurs
suppléans , sera délermioée par l'ordre de la pluralité.
20. Si un ou plusieurs candidats réunissent la majorité absolue
par le recensement des suffrages portés sur la première liste ou
colonne de nomination, leur élection sera consommée, et l'on
n'aura recours à l'addition des suffrages portés sur les deux co-
lonnes que pour les candidats qui n'auront pas obtenu la majo-
rité absolue dans la première colonne, et pour les places vacan-
tes après le premier recensement.
21. Les suppléans seront d'abord ceux qui , sur la première
colonne, ayant obîenu une majorité absolue, auront eu le plus
grand nombre de suffrages après les sujets élus ; ensuite ceux
qui , après les sujets élus , auront eu le plus de suffrages , par la
réunion des deux colonnes , quand bien même ils n'auraient ob-
tenu que la pluralité relative.
22. Le même mode sera suivi pour les nominations à une seule
place : mais en ce cas , 1" lors du scrutin de présentation , cha-
que volant n'écrira qu'un nom sur son bulletin ; 2° la liste de
présentation , formée d'après le scrutin , contiendra les noms de
treize candidats et d'autant de suppléans , jusqu'à ce qu'elle
ait été réduite à treize, et déiiniiivement arrêtée, conformément
aux articles 10 et 11 ; 5° lors du scrutin d'élection , chaque vo-
tant écrira ou fera écrire le nom de l'individu qu'il préfère , sur
la première colonne ; et sur îa colonne ^supplémentaire , le nom
des six autres individus ; 4° si , lors du recensement général des
suffrages , portés sur la première colonne, l'un des candidats a
réuni la majorité absolue» il sera élu ; si personne n'a obtenu la
lÉVKlER ( 1793 ). ' il7
majorité absolue on réunira lessuffrages portés en faveur de chaque
candidat sur les deux colonnes : celui qui en aura obtenu le plus
sera élu ; elles six candidats qui auront le plus de suffrages après
lui seront les suppléans dans l'ordre de la pluralité.
23. Lors du recensement du dernier scrutin , les bulletins où
l'on aurait donné un ou plusieurs suffrages à des citoyens qui ne
seraient pas inscrits sur la liste de présentation, ainsi que ceux
qui ne contiendraient pas sur chaque colonne le nombre de suf-
frages exigés ci-dessus , seront annulés.
24. Le même citoyen pourra être porté , à la fois , sur plu-
sieurs listes de présentation , pour des places différentes.
25. Il y a néanmoins incompatibilité entre toutes les lonctions
publiques et temporaires. Nul citoyen ne pourra accepter une
fonction nouvelle sans renoncer, par le seul fait de son accepta-
lion , à celle qu'il exerçait auparavant.
SECTION IV. — De la police intérieure des assemblées primaires.
Art. i. La police intérieure des assemblées primaires appar-
tient essentiellement et exclusivement à rassen)blée elle-même.
2. La peine la plus forte qu'une assemblée primaire puisse
prononcer contre un de ses membres , après le rappel à l'ordre
et la censure, sera l'exclusion de la séance.
5. En cas de voies de fait et excès graves ou de crimes com-
mis dans l'intérieur de la salle des séances , le président pourra ,
après avoir été autorisé par l'assemblée , décerner des mandats
d'amener contre les prévenus , et les faire traduire par-devant
l'officier chargé de la police de sûreté.
4. Les citoyens ne pourront se rendre en armes dans les as-
semblées primaires.
sECTioir V. — Formes des délibérations dans les assemblées primaires.
Art. 1. L'assemblée fonnée, le président fera connaître l'ob-
jet de la délibération , réduit à une question simple , à laquelle on
puisse répondre par oui ou pur non ; et , à la fin de la séance, il
ajournera l'assemblée à huitaine, pour porter sa décision.
118 CONVENTION NATIONALK.
2. Pendant l'ajournement , le local où l'assemblée primaire se
réunit sera ouvert , tous les jours , aux ciloyens qui voudront
s'y réunir pour discuter l'objet soumis à leur délibération.
3. La salle sera aussi ouverte, tous les dimanches, aux citoyens
qui voudront s'y réunir , et le bureau comnieitra l'un de ses
membres , qui sera chargé de donner lecture aux ciloyens des
différens actes des autorités constituées, qui seront adressés aux
assemblées primaires , et qui sera également chargé de maintenir
l'ordre et le calme dans ces réunions pariicuHères et confé-
rences des citoyens.
4. Lorsque l'assemblée seraréunieau jour indiqué pour émet-
tre son vœu , le président rappellera de nouveau l'objet de la
délibération , et exposera la question , sur laquelle on doit répon-
dre par oui ou par non.
Le bureau fera afficher, dans l'intérieur de la salle, un placard
contenant l'exposé sommaire de la question soumise à l'assem-
blée , et, sur deuxcoîonnes, les mots oui, ou non , avec l'explica-
tion précise de la volonté que chacun de ces mots exprime.
o. Chaque votant écrira , ou fera écrire sur son bulletin , oui,
ou non, et le signera, ou fera signer en son nom , par l'un des
membres du bureau , avant de le déposer dans l'urne.
6. Le scrutin ne sera fermé que dans la séance du soir du se-
cond jour, à quatre heures; et pendant cet intervalle, chaque
citoyen sera libre de se présenter à l'heure des séances qui lui
conviendra le mieux pour émettre son vœu.
7. Le dépouillement du scruiin sera fait à haute voix, et les
membres du bureau qui rempliront les fonctions de scrutateurs
proclameront le nom de chaque votant en même temps que son
vœu.
8. Lorsque toutes les assemblées primaires d'un seul départe-
ment délibéreront ensemble sur le même objet , le résultat du
vœu de chaque as\enjblée, par oui ou par non, sera envoyé à
l'administration du département, où le résultat général sera con-
staté dans les détails et suivant les formes prescrits pour les élec-
tions.
FÉVKiJiK ( 1793 ). H9
9. Dans le cas où toutes les assemblées primaires de la Répu-
blique auraient été convoquées pour délibérer sur le même ol)jet,
le résultat général des vœux des citoyens de chaque département
sera adressé par chaque administration, dans un pareil délai de
quinzaine , au corps législatif, qui constatera et publiera ensuite,
dans le même délai , le résultat général du vœu de tous les ci-
toyens.
10. Les différens actes où les formes ci-dessus prescrites n'au-
ront pas été observées seront nuls.
11. Les assemblées primaires seront juges de la validité ou de
l'invalidité des suffrages qui seront donnés dans leur sein.
12. Les administrations de dé[iartenient prononceront sur les
nullités résultantes de l'inobservation desdites formes ci-dessus
prescrites dans ces diveis actes des assemblées primaires , lors-
qu'elles auront procédé à des élections purement locales et parti-
culières à leur département, à la charge d'adresser leurs arrêtés
au conseil exécutif, qui sera tenu de les confirmer ou de les révo-
quer, et , sauf le recours , dans tous les eus, au corps législatif.
13. Lorsque les assemblées piimaires délibéreront sur des ob-
jets d'intérêt général , ou qu'elles procéderont à l'élection des
membres du corps législatif ou desdits fonctionnaires publics qui
appartiennent à la République entière , les administrations de
département pourront seulement adresser au corps législatif leurs
observations sur les nullités des divers actes des assemblées pri-
maires , et le corps législatif prononcera définitivement sur leur
validité.
TiTiîE IV. — Des corps adminîslratifs.
SECTION 1 — De l'organisation et des fonctions des corps administratifs.
Art. i. Il y aura dans chaque départeiient un conseil adini-
nistraiif, dans chaque commune une municipalité, et dans chaque
section de commune une agence inférieure subordonnée à la mu-
nicipalité.
2. Le conseil administratif du département sera composé de
dix-huit membres.
l±Q CONVENTION NATIONALE.
3. Il y aura un directoire de quatre membres.
4. L'administration de chaque commune sera composée de
douze membres et du maire, qui en sera le président.
5. L'agence secondaire de chaque section sera confiée à un seul
citoyen , qui pourra avoir des adjoints.
6. La réunion des agens secondaires de chaque section , avec
l'administration municipale, formera le conseil général de com-
mune.
7. L'adminislraiion de commune sera subordonnée à celle du
département.
8. L'organisation des municipalités et de leur agence dans les
sections, les fonctions particulières qui leur seront attribuées, et
le mode de leur élection par les citoyens réunis en assemblées de
sections , seront déterminés par une loi indépendante de lu Con-
stitution.
9. Les citoyens de chaque commune , assemblés dans leurs sec-
tions, ne pourront déhbérer que sur les objets qui intéressent
particulièrement leur section ou bien leur commune ; ils ne peu-
vent , en aucun cas , administrei* par eux-mêmes,
10. Les administrateurs des départemens sont essentiellement
chargés de la répaitition des contributions directes, de la surveil-
lance des deniers provenant de tous les revenus publics dans
l'étendue de leur territoire , de l'examen des comptes de l'admi-
nistration des communes , et de déhbérer sur les demandes qui
peuvent être faites pour l'intérêt de leur déparlement.
il. Les administrateurs, dans toutes les parties de la Répu-
blique, doivent être considères comme les délégués du gouverne'
ment national pour tout ce qui se rapporte à l'exécution des lois
et à l'administration générale , et comme les agens particuliers
de la portion de citoyens résidant dans leur territoire pour tout
ce qui n'est relatif qu'à leurs intérêts locaux et particuliers.
12. Sous le pi'emier de ces rapports , ils sont essentiellement
subordonnés aux ordres et à la sui veillance du conseil exécutif.
15. Le corps lé.;;islatif déterminera pur des lois particulières
FÉVKIEU ( 1795). 121
les règles et le mode de leurs fonctions sur toutes les parties de
l'administration qui leur est confiée.
44. Ils ne pourront s'immiscer, en aucun cas , dans la partie de
l'administration générale confiée par le gouvernement à des agens
particuliers, comme l'administration des forces de terre et de
mer et la régie des établissemens , arsenaux , magasins , ports et
constructions qui en dépendent , sauf la surveillance qni pourra
leur être attribuée sur quelqu'un de ces objets , mais dont l'éten-
due et le mode seront déterminés par la loi.
iS. Le conseil exécutif choisira , dans chaque administration de
département , parmi les membres qui ne seront pas du diieitoire,
un commissaire national chargé de correspondre avec le conseil
exécutif, et de surveiller et requérir l'exécution des lois.
16. Les administrateurs du dépai lement ont le droit d'annuler
les actes des sous-administrateurs, si ces actes sont contraires aux
lois.
17. Ils peuvent également, dans le cas d'une désobéissance
persévérante des sous-administrateurs , ou lorsqu'ils compromet-
tront la sûreté et la tranquillité publique, les suspendre de leurs
fonctions, à la charge d'en instruire, sans délai, le conseil exé-
cutif, qui sera tenu de lever ou de confirmer la suspension.
18. Le conseil exculif sera tenu , lorsque les administrateurs
du département n'auront pas usé du pouvoir qui leur est délégué
dans l'article ci-dessus, d'annuler directement les actes dessous-
administrateurs, et il pourra improuver la conduite des uns et
des autres , et les suspendre de leurs fonctions, s'il y a lieu.
19. Il sera rendu compte au corps législatif, par le conseil exé-
cutif, des suspensions des divers administrateurs qu'il aura pro-
noncées ou confirmées, en exécution des aiiiclts préctdcns, et
des motifs qui l'auront détermine.
20. Les adiiiinistraieurs ne peuvent, eu aucun cas, suspendre
l'exécution des lois, les modifier ou y suppléer par des disposi-
tions nouvelles, ni rien entreprendre sur l'action de la justice et
le mode de son administration.
21. Il y aura dans chaque déparlement un trésorier corres-
122 CONVENTION NATIONALE
pondant avec la trésorerie nationale , en ayant sous lui un caissier
et un payeur.
Ce trésorier sera nommé par le conseil administratif du dé-
partement; et ses commis, présentés par lui, seront agréés par
le même conseil.
22. Les membres des administrations de département et des
administrations inférieures ne pourront être mis en jugement
par-devant les tribunaux , pour des faits relatifs à leurs fonctions,
qu'en vertu d'une délibération du directoire du département,
pour les administrateurs qui leur sont subordonnés ; et du con-
seil national exécutif, pour les membres de l'administration du
département, sauf le recours, dans tous les cas, à l'aulorité su-
périeure du corps législatif.
SECTION II. — Du mode d'élection des administrateurs de départemens.
Art. 1. L'élection des administrateurs de département sera
faite immédiatement par les citoyens de chaque département
réunis dans les assemblées primaires , et suivant le mode prescrit
dans la section III du litre III.
2. En cas de vacance par mort , démission ou refus d'accep-
ter, dans l'intervalle qui s'écoulera enlre les élections, le citoyen
(iOmmé sera remplacé par l'un des suppléans, en suivant entre
eux l'ordre de la pluralité des suffiages.
5. La moitié des membres des corps administratifs sera renou-
velée tous les deux ans, trois mois après l'époque fixée pour
l'élection du corps législatif.
4. Les deux premiers membres élus à chaque élection for-
meront le dii-ectoire.
TITRE V". — Du conseil exécutif de la République.
SECTION I.
Art. 4. Le conseil exécutif de la République est composé de
sept ministres et d'un secrétaire ;
2. Il y aura, \° un ministre de législation;
2° un ministre de la guerre.
FÉvRiEu (1793). Iii5
5° Un ministre des affaires étrangères ;
4° Un ministre de la marine;
5° Un ministre des contributions publiques ;
6° Un ministre d'agriculture, de commerce et de manufac-
tures;
7° Un ministre des travaux, secours, établissemens publics et
des arts.
3. Le conseil exécutif sera présidé alternativement par cha-
cun des mimstres, et le président sera changé tous les quinze
jours.
A. Le conseil exécutif est chargé d'exécuter et de faire exécuter
toutes les lois et décrets rendus par le corps législatif.
5. Il est chargé de l'envoi des lois et décrets aux administra-
tions et aux tribunaux , de s'en faire certifier la réception et d'en
justifier au corps législatif.
6. Il lui est expressément interdit de faire aucunes lois, même
provisoires, ou de modifier, d'étendre , ou dinterpréter les dis-
positions de celles qui existent, sous quelques prétexte que ce
soit.
7. Tous lesagens de l'administration et du gouvernement dans
toutes ses parties sont essetitieilement subordonnés au conseil
exécutif; mais l'administration de la justice est seulement sou-
mise à sa surveillance.
8. Il est expressément chargé d'annuler les actes des admi-
nistrateurs, qui seraient contraires à la loi, ou qui pourraient
compromeilre la irancjuillité publique ou !a sûreté de l'état.
9. îl peut suspend; e de leurs fonctions les membres des corps
administratifs ; mais à la charge d'en rendre compte sans délai au
corps légibla'.if.
10. En cas de ijrévaricatiun de leur part, il doit les dénoncer au
corps législatif, tjui décidera s'ils seront mis en jugement.
H . Le conseil a le droit de destituer, de rappeler, de remplacer
les agens civils et militaires qui sont nommés par lui ou par les
administrateurs qui lui sont subordonnés; et en cas de délit de
d24 CONVENTION NATIONALE.
leur pan, d'ordonner qu'ils seront poursuivis par devant les tri-
bunaux qui doivent en connaître.
12. Le conseil est charjé de dénoncer aux censeurs judiciaires
les actes et jugemens par lesquels les juj^es auraient excédé les
bornes de leurs pouvoirs.
43. La direction et l'inspection des armées de terre et de mer,
et généralement tout ce qui concerne la défense extérieure de l'é-
tat , est délégué au conseil exécutif.
Il est chargé de tenir au complet le nombre d'hommes qui sera
déterminé chaque année par le corps législatif; de régler leur
marche et les distribuer sur le territoire de la République, ainsi
qu'il le jugeia convenable ; de pourvoir à leur armement, à leur
équipement et à leur subsistance ; de faire et passer pour cet ob-
jet tous les marchés qui seront nécessaires; de choisir les agens
qui doivent les seconder, et faire observer les lois sur le mode de
l'avancement militaire, et les lois ou réglemens pour la discipHne
des armées.
14. Le conseil exécutif fera délivrer les brevets ou commissions
aux fonctionnaire publics qui doivent en recevoir.
lo. Le conseil exécutif est chargé de dresser la liste des récom-
penses nationales que les citoyens ont le droit de réclamer d'a-
près la loi : cette liste sera présentée au corps législatif qui y sta-
tuera à l'ouverture de chaque session.
16. Toutes les affaires seront traitées au conseil , et il sera tenu
un registre des décisions.
17. Chaque ministie agira ensuite dans son département en
conformité des arrêtés du conseil , et prendra tous les moyens
d'exécution de détail qu'il jugera les plus convenables.
18. L'établissement de la trésorerie nationale est indépendant
du conseil exécutif.
19. Les ordres généraux de paiement seront arrêtés au conseil
et donnés en son nom.
20. Les ordres particuliers seront expédiés ensuite par chaque
ministre dans son département , sous sa seule signature et en re-
FÉVRIER (1793). 425
latant dans l'ordre l'arrêlé du conseil et la loi qui aura autorisé
chaque nature de dépense.
21. Aucun ministre en place ou hors de place, ne peut être
poursuivi en matière criminelle pour fait de son administration
sans un décret du corps législatif qui ordonne la mise en juge-
ment.
22. Le corps législatif aura ie droit de prononcer la mise en
jugement d'un ou de plusieurs membres du conseil exécutif dans
une séance indiquée pour cet objet unique.
23. Il sera fait un rapport sur les faits , et la discussion ne
pourra s'ouvrir sur la mise en jugement, qu'après que le mem-
bre inculpé aura été entendu.
24. En prononçant la mise en jugement, le corps législatif dé-
terminera s'il y a lieu de poursuivre la simple destitution, ou la
forfaiture.
2'). Dans le cas où le corps législatif croira devoir poursuivre
la destitution , il sera rédigé dans le délai de trois jours, un acte
énonciatif des faits qui ne pourront être qualifiés.
-i6. Un jury national unique sera convoqué dans la huitaine, it
prononcera ensuite sur les faits non qualifiés : il y a, ou il n'y a pas
lieu à destitution. Et le tribunal, d'après la déclaration du jury,
prononcera la destitution du membre du conseil ou le renvoi dans
ses fonctions.
27. Si le corps législatif ordonne la poursuite de la forfaiture,
le rapport sur lequel le décret aura été rendu et les pièces qui lui
auront servi de base, seront remis à l'accusateur national, dans
le délai de vingt-quatre heures, et le jury national d'accusation
sera convoqué dans le même délai.
28. Dans tous les cas, soit de simple destitution , soit de for-
faiture, le décret de mise en jugement contre un membre du con-
seil exécutif emportera de droit la suspension de ses fonctions
jusqu'à la prononciation du jugement. Et pendant l'instruction,
il sera remplacé par l'un des suppiéans choisis par la voie du sort
dans le conseil.
29. Le corps législatif, en prononçant la mise en jugement d'un
126 CONVENTION NATIONALE.
membre du conseil exécutif, pourra ordonner, s'il le juge con-
venable, qu'il sera gardé à vue.
50. Les décrets du corps législatif, sur la mise en jugement
d'un membre du conseil exécutif, seront faits par scrutin signé,
et le résultat nominal des suffrages sera imprimé et publié.
51. La destitution d'un membre du conseil aura lieu pour les
cas d'incapacité ou de négligence grave.
52. En cas de mort , de démission , ou de refus d'accepler, les
membres du conseil exécutif seront remplacés par leurs sup-
pléans, dans l'ordre de leur inscription.
53. En cas de maladie et d'après l'autorisation du conseil , ils
pourront appeler momentanément à leurs fonctions l'un de leurs
suppléans à leur choix.
SECTION II. — Du mode d'élection du conseil exécutif.
Art. 1 . L'élection des membres du conseil exécutif sera faite
immédiatement par tous les citoyens de la République dans leurs
assemblées primaires.
2. Chaque membre du conseil sera nommé par un scrutin sé-
paré.
3. Pour le scrutin de présentation , chaque votant désignera
dans son bulletin le citoyen qu'il croira le plus capable.
4. Le résultat des scrutins de chaque assemblée primaire sera
envoyé à l'adminisiralion du département où le recensement se
fera dans les formes et dans les délais prescrits par la section III
du titre El.
5. Ce recensement fait, l'administration du département pu-
bliera le nom des treize candidats qui auront obtenu le plus de
suffrages , pourvu qu'ils en aient recueilli au moins cent.
6. Il sera fait une liste subsidiaire des huit candidats qui auront
obtenu, après les treize premiers, le plus de suffrages; ces deux
listes énonceront le nombre de voix que chacun d'eux aura re-
cueilli.
7. Les listes des départemens, qui ne contiendront pas le nom-
FÉVRIER (1795). 127
bre de treize candidats, ayant réuni plus de cent suffrages, de-
meureront incomplètes et seront néanmoins valables.
8. Ces listes seront adressées au corps administratif dans le
délai de huitaine ; il les fera imprimer et les enverra à tous les
départemens.
9. Six semaines après la publication des listes de chaque dépar-
tement , le corps législatif formera une liste définitive de présen-
tation de la manière suivante.
10. Il supprimera sur la liste de chaque département les can-
didats qui auraient déclaré ne pouvoir ou ne vouloir pas accepter,
et il les remplacera par des candidats pris dans la liste subsidiaire
de leur département, suivant l'ordre de leur inscription.
11. La préférence sera réglée dans la formation de la liste dé-
finitive de présentation entre les candidats portés sur chaque liste,
par le nombre de départemens dont ils auront obtenu le vœn, et
en cas d'égalité , par le nombre de voix qu'ils auront recueillies.
12. La liste définitive de présentation ponr chaque place du
conseil sera composée de treize candidats.
15. Les assemblées primaires seront convoquées par le corps
législatif pour procéder, un mois au plus tard après la publication
de celte liste , au scrutin d'élection.
14. Chaque votant portera sur son bulletin à deux colonnes,
savoir : sur la première, le candidat qu'il préfère, et sur la se-
conde , les six candidats qu'il jugera dignes de le suppléer.
15. Le recensement des résultats du scrutin des assemblées
primaires de chaque dcpartenjent sera fait par l'administration
du département, imprimé, publié et envoyé, dans le délai de
hiiitaino, au corps It'jjisbtif.
If), Dans la quinzaine npi-ès l'expiration de ce délai , le corps
législatif proclamera le résultat généra! des scruîins des départe-
mens.
17. Le candidat qui obtiendra la majorité absolue par le recen-
sement général des suffrages individuels portés sur la première
colonne sera élu. Si aucun des candidats n'obtient cette majorité,
elle se formera par la réunion et l'addition des suffrages portés
i28 CONVENTION NATIONALE.
sur les deux colonnes. Celui qui en aura obtenu le plus sera élu.
18. Il sera fait des six candidats qui auront eu le plus de suf-
frages après le citoyen élu une liste de suppléans destinés à le
remplacer.
19. Les dispositions générales sur les élections, exprimées dans
la section III du titre III, seront applicables à tous les cas parti-
culiers qui ne sont pas prévus dans les articles précédens.
20. Les membres du conseil seront élus pour deux ans; la
moitié sera renouvelée tous les ans , mais ils pourront être réélus.
21. Les assemblées primaires se réuniront tous les ans , le pre-
mier dimanche du mois de janvier, pour l'élection des membres
du conseil, et toutes les élections se feront à la fois et dans les
mêmes séances pour toutes les places du conseil , quoique par un
scrutin séparé pour chacune.
22. Après la première élection , les quatre membres du conseil,
qui devront être renouvelés les premiers , sortiront par la voie du
sort , et les trois membres qui ne seront pas sortis , ainsi que le
secrétaire , seront renouvelés à l'élection suivante.
SECTION III. — Des relations du conseil exécutif avec le corps législatif.
Art. 1. Le conseil exécutif est tenu, à l'ouverture de la ses-
sion du corps législatif, de lui présenter chaque année l'aperçu
des dépenses à faire dans chaque partie de l'administration , et le
compte de l'emploi des sommes qui y étaient destinées pour l'an-
née précédente ; il est chargé d'indiquer les abus qui auraient pu
s'introduire dans le gouvernement.
2. Le conseil exécwtif peut proposer au corps législatif de pren-
dre en considération les objets qui lui paraîtraient exiger célé-
rité ; il ne pourra néanmoins, en aucune manière, ouvrir son
avis sur des dispositions législatives que d'après l'invitation for-
melle du corps législatif.
5. Si, dans l'intervalle des sessions du corps législatif, l'intérêt
de la République exige sa prompte réunion , le conseil exécutif
sera tenu de le convoquer.
4. Les actes de correspondance , entre Iç corps législatif et le
FÉVRIER (1793). i2î)
conseil exécutif, seront signés du président du conseil et du se-
crétaire.
5. Les membres du conseil exécutif seront admis dans le sein
du corps législatif lorsqu'ils auront des mémoires à lire ou des
éclaircissemens à donner. Ils auronl une place marquée.
6. Le corps législatif pourra aussi appeler un membre du con-
seil pour lui rendre compte de ce (jui concerne son adminisiraiion,
et donner les éclaircissemens et les instructions qui lui seront de-
mandés.
TITRE VI. — De la trésorerie nntionale et du bureau de comptabilité.
An. i . Il y aura trois commissaires de la tréso! erie nationale ,
élus comme les membres du conseil exécutif de la République et
en même temps, mais par un scrutin séparé.
2. La durée de leurs fonctions sera de trois années, et l'un
d'eux sera renouvelé tous les ans.
3. Les deux candidats qui auront obtenu le plus de suffrages
après celui qui aura été élu seront ses suppléans.
4. Les commissaires de la trésorerie seront chargés de surveil-
ler la recette de tous les deniers nationaux , d'ordonner le paie-
ment de toutes les dépenses publiques , de tenir un compte ou-
vert de dépense et de recette avec tous les receveurs et payeurs
qui doivent compter avec la trésorerie nationale, et d'entretenir
avec les trésoriers des départemeiis et les administrations la cor-
respondance nécessaire pour assurer la rentrée exacte et régu-
lière des fonds.
5. Ils ne pourront rien payer, sous peine de forfaiture , qu'en
vertu d'un décret du corps lé^jislatif jusqu'à concurrence des
fonds décrétés par lui sur chaque objet, d'après une décision du
conseil exécutif, et sur la signature du mini!stre»le chaque dépar-
tement.
6. Us ne pourront aussi, sous peine de forfaiture, ordonner
aucun paiement, si l'ordre de dépense, signé par le ministre du
département que ce genre de dépense concerne, n'énonce pas
T. XKIV. 9
ioO CONVENTION NATIONALE.
la date de la décision du conseil exécutif et des décrets du corps
législatif qui ont ordonné le paiement.
7. Il sera nommé trois commissaires de la comptabilité natio-
nale, de la même manière, à la même époque et suivant le mode
prescrit par Ips commissaires de la trésorerie nationale.
8. Ils seront éffalemenl nommés pour trois ans ; l'un d'eux sera
renouvelé chaque année , et ils auront aussi deux suppléans.
9. Les commissaires de la comptabilité seront chargés de se
faire remettre , aux époques fixées par la loi, les comptes des di-
vers comptables appuyés des pièces justificaîives , et de poursui-
vre l'apurement et le jugement de ces comptes.
iO. Le corps législatif formera chaque année pour cet objet
une liste de deux cents jm es.
il. Pour l'apurement et le jugement de chaque compte, il sera
formé sur cette liste un jury de vingt et une personnes, parmi les-
quelles le comptable aura droit d'en récuser sept, et le conseil
exécutif sept autres,
12. Si les récusations ne réduisent pas le nombre du jury à
sept , les jurés non récusés se réduiront à ce nombre par la voie
du sort.
15. L'un des comiiûssaires de la comptabilité sera chargé de
présenter les pièces à chaque juré , de lui faire toutes les obser-
vations qu'il jugera convenables , et de donner tous les ordres né-
cessaires pour le mettre en état de porter sa décision.
14. La première élection des commissaires de la trésorerie et
de la comptabilité nationale sera faite à la fois suivant les mêmes
formes que pour une place unique quant à la formation de liste
de présentation ; mais dans le scrutin de nomination, chaque vo-
tant insérera huit noms sur son bulletin , trois dans la première
colonne et cinq dans la colonne subsidiaire. Les suppléans com-
muns aux trois commissaires seront au nombre de cinq ; la même
règle sera suivie pour la première élection des trois commissai-
res de la comptabilité.
I
FÉVRIER (1793). 131
TITRE VII. — Du corps législatif.
SECTION I. — De l'organisation du corps législatif, du mode d'élection des
membres qui le composent.
Art. 1. Le corps législatif est un, et sera composé d'une seule
chambre ; il sera renouvelé tous les an?.
2. Les membres du corps législatif seront nommés par les ci-
toyens de chaque déparlement réunis en assemblées primaires ,
dans les formes et en suivant le mode prescrit par la section m
du titre m.
3. Les assemblées primaires se réuniront, pour cet objet, le
premier dimanche du mois de mai de chaque année.
4. Le nombre des députés que chaque département enverra au
corps législatif sera fixé par la seule base de la population, et à
raison d'un député par cinquante mille âmes. Le nombre des sup-
plëans sera égal à celui des députés.
5. Les nombres rompus donneront un député de plus à chaque
département, lorsqu'ils excéderont virgt-cinq mille âmes; et l'on
n'y aura aucun égard lorsqu'ils n'excéderont pas ce nombre.
6. Tous les dix ans , le corps législolif annoncera le nombre
de députés que chaque déparlement doit fournir, d'ap! es les états
de population qui lui seront envoyés chaque année ; mais dans
cet intervalle, il ne pourra être fait aucun changement à la repré-
sentation nationale.
7. Les députés de chaque département se réuniroîit le premier
lundi du mois de juillet, au lieu qui aura été indiqué par un dé-
cret de la législature précédente, ou dans le même lieu de ses der-
nières séances, si elle n'en a pas indiqué un autre.
8. Si pendant la première quinzaine ils ne sont pas réunis au
nombre de plus de deux cents , ils ne pourront s'occuper d'aucun
acte législatif ; mais ils enjoindront aux membres absens de se
rendre à leurs fonctions sans délai.
9. Pendant cet intervalle, les séances se tiendront sous la
présidence du doyen d'âge ; çt dans le cas d'une pécessilé ur-
J52 CONVENTION NATIONALE.
gente , l'assemblée pourra prendre des mesures de sûreté géné-
rale, mais dont l'exécution ne sera que provisoire, et qui cessera
après le délai de quinzaine , si ces mesures ne sont confirmées par
une nouvelle délibération du corps législatif, après sa constitu-
tion définitive.
10. Les membres qui ne se seront pas rendus dans le délai d'un
mois, seront lemp'acés par leurs suppléans.
il. La première quinzaine expirée, en quelque nombreque les
députés se trouvent réunis, ou aussitôt qu'ils seront au nombre
de plus de deux cents, et après avoir vérifié leurs pouvoirs, ils
se constitueront en assemblée nationale législative; et lorsque l'as-
semblée aura été organisée par l'élection du président et des se-
crétaires, elle comaif.ncera l'exercice de ses fonctions.
d2. Les fonctions du président et des secrétaires seront tem-
poraires, et ne pourront excéder la durée d'un mois.
io. Les membres du corps législatif sont inviolables; ils ne
pourront être recherchés, accusés, ni jugés en aucun temps,
pour ce qu'ils auront dit ou écrit dans l'exercice de leurs fonc-
tions.
14. Ils pourront, pour fait criminel , être saisis en flagrant dé-
lit; mais il en sera donné avis sans délai au corps législatif; et la
poursuite ne pouira être continuée qu'après que le corps législa-
tif aura décidé qu'il y aura lieu à la mise en jugement.
15. Ho; s le cas du flagrant délit, les membres du corps légis-
latif ne pourront être amenés devant les officiers de police , ou
mis en état d'arrrsiaiion, avant que le corps législatif n'ait pro-
noncé sur la mise en jugement.
SECTION II. — Des fonctions du corps législatif.
Art. 1. Au corps légidaîif seul appartient l'exercice plein et
entier de la puissance législative.
2. Les lois constitutionnelles et leur réforme sont seules excep-
tées des dispositions de l'arii ;le précédenr.
5. Les actes émanés du corps législatif sa divisent en deux clas-
ses : les lois et les décrets.
FÉVRIER (1793). 135
4. Les caractères qui distinguent les premiers , soni leur géné-
ralité et leur durée indéfinie. Les caractères qui disiinguenl les
seconds, sont leur application locale ou particulière, et lu néces-
sité de If ur renouvellement à une époque déterminée.
5. Seront compris sous la dénomination de lois tous les acies
concernant la législation civile , criminelle et de police , les régle-
mens généraux sur les domaines et élablissemens nationaux , sur
les diverses branches d'administration générale ec des revenus pu-
blics, sur le titre, le poids, l'empreinte et la dénomination des
monnaies, sur la nature et la répartition des impôts, et sur les
peines nécessaires à établir pour leur recouvrement.
a. Seront désignés sous le )iom particulier de décrets, les actes
du corps législatif, concernant :
1° L'éiablissement annuel de ïa force de terre et de mer ; la
permission ou la défense du passajje des troupes étrangères sur
le territoire français, et l'introduciion des forces navales étran-
gères dans les ports de la République ; la fixation annuelle de la
dépense publique; la quotité derimpôl direcl , et le tarif de l'im-
pôt indirect.
2° Les précautions urgentes de tùrelé et de trancjuillité; la dis-
iribuiion annuelle et momentanée des secours, des travaux pu-
blics ; toute dépense imprévue et cxtriiordinaire ; les ordres pour
la fabrication des monnaies de louie espèce, et les mesures lo-
cales ou particulières à un départenieril, à une Commune, ou à
un genre de travaux, tels que la confection d'une grande route,
l'ouverture d'un canal.
3" Les déclarations de guerre, la raîification des traités, et tout
ce qui a rapport aux étrangers.
4" L'exercice delà responsabilité des membres du conseil, des
fonctionnaires publics, et l:i poursuite et la mise tn jugement des
prévenus de complot ou d'atieniai cunlre la sùr( te générale delà
République, la discipline iniérieuicde l'assemblée législative, et
la disposition de la force armée ((ui sera établie; d;ins la ville ou
elie licndia ses séances.
7. Les mesures exlraordinuircs de anclë générale et de Iran-
134' CONVENTION NATIONALE.
quillité publique, ne pourront avoir plus de six mois de dure'e ; et
leur exécution cessera de plein droit, à cette époque, si elles ne
sont pas renouvelées par un nouveau décret.
SECTION III. — Tenue des séances, et formation de la loi.
Art. 1. Les délibérations du corps législatif seront publiques,
et les procès-vei baux de ses séances seront imprimés.
2. Les lois et les décrets seront rendus à la majorité absolue
des voix.
5. La discussion ne pourra s'ouvrir que sur un projet écrit.
4. Il n'y aura d'exception à cet article que pour les arrêtés re-
latifs à la police de rassemblée, à l'ordre et à la marche des déli-
bérations , et aux résolutions qui n'auront aucun rapport à la lé-
gislation et à l'administration génfraiede la République.
o. Aucune loi et aucun décret ne pourront être rendus qu'après
deux délibérations , dont la première déterminera seulement l'ad-
mission d ! projet et son renvoi à un nouvel examen , et la seconde
aura lieu pour l'adopter ou le rejeter définitivement.
6. Le projet de loi ou de décret sera remis au président par le
membre qui voudra le présenter ; il en sera fait lecture; et si l'as-
semblée n'adopte pas la question préalable, sur la simple lecture ,
il sera imprioié, distribué, et ne pourra être mis en délibération
que huit jours après la distribution , à moins que l'assemblée n'a-
brège ce délai.
7. Le projet, après la discussion sur les fonds , sur les aihen-
demens et sur les articles additionnels, pourra et; e rejeté, ajourné,
renvoyé à une commission , ou adnn's.
8. D.ins le cas où le projet serait admis, il sera renvoyé à l'exa-
men du bureau qui sera organisé ainsi qu'il sera établi ci-après.
9. Le îiui'eaa sera tenu de faire son rapport dans le délai de
quinzaine, et il aura la faculté d'abré,;er ce délai, autant qu'il le
jugera convenable.
iO. I! pourra préf.enier, soit le même projet, soit un nouveau
projet sur le même objet ; mais s'il présente un nouveau projet
ou des amendemens , et des articles additionnels au projet ad-
itiviuiiK { i/Uô '). 155
mis ; ce ne sera que huit jours après la distribution et l'impression
de ces propositions nouvelles , qu'il pourra y être délibéré.
11. L'assemblée pourra néanmoins accorder la priorité au
premier projet qui lui aura été présenté, sur celui du bureau, si
elle le juge convenable.
12. Toute proposition nouvelle, soit article additionnel, soit
projet de décret, ne pourra être adoptée et décrétée, qu'après
avoir été admise, renvoyée au bureau, et qu'elle aura subi l'é-
preuve d'un nouveau rapport, conformément aux articles précé-
dens.
15. Le corps législatif pourra , lorsqu'il le croira utile à la
chose publique, abréger les délais fixés par les articles 9 et 10 ;
mais cette délibération ne pourra être prise qu'au tcrutin et à la
majorité des voix.
14. Si l'urgence est adoptée , le corps législatif fixera îe jour
de la délibération , ou ordonnera qu'elle sera prise séance te-
nante.
15. L'intitulé de la loi ou du décret attestera que ces formalités
ont été remplies , par la formule suivante :
Loi, proposée le admise et renvoyée au bureau, le
rapportée et décrétée le conformément à c<,' qui est p.rescrit
par la Constitution; ou, en venu de la déiibéraiiou d'urgence
du
16. Toute loi ou décret qui aurait été rendu sans que ces for-
malités aient été remplies, n'aura pas force de loi , et ne pourra
I ecevoir aucune exécution.
SECTION IV'. — Formation du bureau.
Art. 1. li sera formé, tous les mois, dons le sein du corps lé-
gislatif, un bureau composé de treize membres, et (jui sera chargé
de faire un rappoit sur tous les projets de lois ou do décrets qui
auront été admis et qui lui seront renvoyés.
2. Tous les mois, on tirera au sort treize départemens ; chaque
députaiioK des départemens sortis par la voie du sort, nommera
au scrutin, un de ses membres pour composer le bureau.
156 CONVENTION NATIONALE.
Variante. 2. Cette nomination se fera par un double scrutin de
présentation ou de révocation.
3. Le tirage au sort n'aura lieu qu'entre les départemens qui
ne seront pas encore sortis.
Variante. 3. La liste de présentation sera de vingt-six noms.
4. Au bout de six mois , le tirage se renouvellera, mois par
mois , entre tous les départemens.
Variante. 4. Le scrutin d'élection se fera par un bulletin a une
icule colonne. Chaque membre de l'assemblée portera, sur sou
bulletin, les treize candidats qu'il préférera ; et la nomination sera
déterminée par la plinalilé dos suffrages.
5. Les départemens qui sortiront une seconde fois, ne pour-
ront nommer les méaies membres.
Variante. 5. Les membres qui auront été nommés au bureau ,
nepourron! plus être nommés pendant la durée de la législature.
6. Chaque bureau conservera les rapports des projets admis,
qui lui auront été »;nvoyés dans le courant du mois pour lequel
il aurait été formé.
TITRE VIII. — De la censure du peuple sur les actes de la représen-
tation nationale , et du droit de pétition.
Art. i . Lorsqu'un citoyen croira utile ou nécessaire d'exciter
la surveillance des représentans du peuple sur des actes de con-
stitution , de législation ou d'adminisiration générale; de provo-
quer la réforme d'une loi existante , ou la promulgation d'une loi
nouvelle , il aura le droit de requérir le bureau de son assemblée
primaire de la convoquer au jour de dimanche le plus prochain ,
pour délibérer sur sa proposition.
2. Cette proposition sera rédigée dans l'acte de réquisition ,
réduite dans les termes les plus simples, et séparée des motifs
(jui ont pu l'appuyer.
3. Cette réquisition , pour avoir son effet, devra être revêtue
de l'approbation et de la signature de cinquante citoyens résidant
dans l'arrondissement delà même assemblée primaire.
4. Le btîreau à qui cetîe réquisition sera adressée, vérifiera
FÉVRIER { 1795). 157
sur le tableau des membres de l'assemblée primaire , si les signa-
taires de la réquisition ou de l'apprcbalion ont droit de sulfraj^e;
et en ce cas , il sera tenu de convoquer l'assemblée pour le di-
manche suivant.
o. Ce jour-là, l'assemblée formée , le président donnera lecture
de la proposition ; la discussion s'ouvriia à l'instant , et pouria
être continuée pendant le cours de la semaine ; mais la décision
sera ajournée au dimanche suivant.
6. Au jour indiqué , îe scrutin sera ouvert par oui ou par pon,
sur la question : Y a-i-il , ou n'y a-t-il pas lieu à délibérer?
7. Si la majorité des voîans est d'avis qu'il y a lieu à délibérer,
le bureau sera tenu de requérir la convocation des assemblées
primaires , dont les chel's-lieux sont situées dans l'airondisse-
njent de la même commune , [)Our délibérer sur l'objet énoncé
dans la réquisition.
8. Le bureau sera tenu de joindt e à sa réquisition , un procès-
verbal soumaire de ia délibération de son assemblée, <t une co-
pie collationnée de la demande du citoyen qui a provoqué la
délibération.
y. Sur celte réquisition , les membres des bureaux des assem-
blées primaires, à qui elle sera adressée, convoqueront leurs
assemblées dans les délais prescrits, et en adresseront les résul-
tats au bureau qui le premier aura fait la réquisition.
10. Si la majorité des voians, dans les assembiéis (irimaires
de la coumiune , déclarai qu'il y a lieu à délibérer sur la proposi-
tion, le bureau adressera à l'adminisiraiion du déparieinent , le
procès-verbal de ses opérations, et le résultat général des scrutins
des assemblées primaires de la commune qui lui auront été adres-
sés; il requerra en même temps l'adminisiraiion , d;; convoquer
les assemblées pi-imaires du deparienuml , pour délibérer sur ia
même proposition.
11. La convocation générale ne pourra être refusée : elle aura
lieu dans le délai de quinzaine , et les assemblées primaires deli-
bér^ronidans les mêmes formes, v[ adresseront à l'ailministra-
tion du département le résultat de leurs délibérations.
158 CONVENTION NATIONALE.
12. Le dépouillement et le résultat sera publié et affiché
dans le chef-lieu des assemblées primaires du département.
13. Si la majorité des assemblées primaires décide qu'il y a
lieu à délibérer, l'administration du déparlement adressera au
corps législatif le résultat de leur délibération, avec renoncia-
tion de la proposition qu'elles ont adoptée , et le requerra de
prendre cet objet en considération.
14. Cette réquisition sera sans délai imprimée, distribuée à
tous les membres , affichée dans l'intérieur de la salle, et ren-
voyée à des commissaires , pour en faire leur rapport dans hui-
taine.
15. Après le rapport des commissaires, la discussion s'ouvrira
sur la question proposée : elle sera continuée et ajournée à huit
jours ; et il sera statué , au plus tard dans la quinzaine suivante,
sur la question de savoir s'il y a ou s'il n'y a pas lieu à délibérer
sur cette proposition.
16. On votera sur celte question par un scrutin signé , et le
résultat nominal des suffrages sera imprimé et envoyé à tous
les départemens.
17. Si la majorité des voix se dciciile pour l'affirmative , le
corps législatif renvena la proposition adoptée à des commis-
saires, pour lui présenter un projet de décret dans un délai qui
ne pourra pas excéder ceîui de quinzaine.
18. Ce projet de décret sera ensuite mis à la discussion , rejeté
ou admis ; et dans ce dernier cas , ivnvoyé au i)urea'i , suivant les
règles générales prescrites pour la formation de la loi.
19. Si la majorité des voix rejette la proposition , en déclarant
qu'il n'y a pas lieu à délibéier, le résultat nominatif du scrutin
sera également envoyé à tous les départemens ; dans tous les cas,
soit que le corps législatif admette la proposition ou la rejette, la
délibération sur la qîieslion préalable pourra être motivée, et
sera envoyée à tous les départemens.
20. Si la révocation du décret qui a prononcé sur \\ question
préalable, ou de la loi qui aura été faite sur le fond de la propo-
sition , esl demandée par les assemblées primaires d'ua autre
FÉVRIER (1793). 139
département , le corps législatif sera tenu de convoquer sur-le-
champ toutes les assemblées primaires de la République , pour
avoir leur vœu sur cette proposition.
2t. La question sera réduite et posée dans le décret de la Con-
vention, de la manière suivante :
Y a-t-il lieu à délibérer, oui ou nom , sur la révocation du dé-
cret du corps législatif, en date du.... qui a admis, ou rejeté, la
proposition suivante.
22. S'il est décidé à la majorité des voix, dans les assemblées
primaires, qu'il y a lieu à délibérer sur la révocation du décret,
le corps législatif sera renouvelé , et les membres qui auront voté
pour le décret ne pourront être réélus, ni nommés membres du
corps législatif, pendant l'intervalle d'une législature.
23. La disposition de l'article précédent, concernant les mem-
bres qui auront voté pour le décret , n'aura pas lieu si la censure
n'est exercée, et la révocation demandée , qu'après l'intervalle
d'une année à compter du jour de la prononciation du décret
et de la loi.
24. Si , dans l'intervalle qui peut s'écouler entre le décret et
l'émission du vœu général des assemblées primaires , il y a eu
une nouvelle élection du corps législatif, et si plusieurs des mem-
bres qui auront voté pour le décret ont été réélus, ils seront
tenus, immédiatement ;!près que le vœu général sur la révocation
du décret auia été constatée , de céder leur place à leurs sup-
pléans.
2o. Si le renouvellement du corps législatif a lieu , en vertu de
l'article 23, l'époque de la réélection annuelle sera seulement an-
ticipée : le nouveau corps législatif finira le temps de la législaiuro
qu'il aura remplacée , et ne sera renouvelé lui-même qu'à l'é-
poque dos élections annuolios déterminées par la loi.
20. Après le reiiouvellement du corps législatif, la nouvelle lé-
gislature, dans la quinzaine qui suivra l'époque de sa constitution
en .'issemblée délibérante, sera tenue de remettre à la discussion
la question de la révocation du décret , dans la forme prescrite
par les articles 15, IG et suivans; et la décision qu'elle rendra sur
HO CONVENTION NATIONALE.
cet objei , seia également soumise à l'exercice du droit de cen-
sure.
27. Seront soumis à l'exercice du droit de censure toutes les
lois et généi-alement tous les actes de la législation , qui seraient
directement contraires à la constitution.
28. Seront formellement exceptés les décrets et les actes de
simple administration , Us délibérations sur des intérêts locaux
et partiels, l'exercice de !a surveillance et de la police sur les
fonctionnaires , et les mesures de sùreié générale , lorsqu'elles
n'auront pas été renouvelées.
29. L'exécution provisoire de la loi sera toujours de rigueur.
50. Le corps législatif pourra, toutes les fois qu'il le jugera
convenable, coniulter le vœu des citoyens réunis dans leurs as-
semblées primaires, sur des questions qui iuiéresseroni éssen-
liellenienl la République cniièf e. Ces questions seront réduites à
la simple alternative par oui ou par non.
31. Indépendamment de l'exercice du droit de c-nsuie sur les
lois, les citoyens ont le droit d'adresser individu- llemeni ou col-
lectivement des pétitions aux autorités constituées, pour leur in-
térêt personnel et privé.
52. Ils seront seulement assujettis, dans l'exercice de ce droit,
à l'ordre progressif établi par la constitution eutie les diverses
autorités constituées.
55. Les citoyens ont aussi le droit de provoquer la mise en
jugement des fonctionnaires publics, «ncas d'abus de pouvoirs
et de violation de la loi.
TiTRb; IX. — Des Conventions nationales.
Art. 1. Une con\ention nationale sera convoquée loulis les
fois qu'il s'agira de réformer l'acie constitutionnel, de changer ou
modifier quelques unes de ses parties, ou enfirr d'y ajouter
quelques dispositions iioiivellf s.
2. Le corps législatif sera chargé de cette convocation , lors-
qu'elle aiira été jug.ie nécessaire par la majorité des citoyens de
la République. 11 désignera la ville où la convention se réunira et
FÉVRIER (1793). iU
tiendra ses séances ; mais ce sera toujours ù la distance de plus
de cinquante lieues delà ville où le corps iéjjislaiif siégera.
3. La convention et le corps législatif auront le droit de
changer le lieu de leurs séances ; mais la distance des cinquante
lieues sera toujours observée.
4. Dans la vingtième année après l'acceptation de l'acte con-
stitutionnel, le corps législatif sera tenu d'indiquer une conven-
tion , pour revoir et perfectionner la Constitution.
5. Chaque citoyen a le droit de provoquer l'appel d'une con-
vention, pour la réforme de la constitution ; mais ce droit est
soumis aux formes et aux règles éiablies pour l'exercice du droit
de censure.
6. Si la majorité des votans dans les assemblées primaires
d'un département réclame la convocation d'une convention na-
tionale, le corps législatif sera tenu de consulter sur-le-champ
tous les citoyens réunis dans les assemblées primaires ; et si la
majoriié des votans adopte l'affirmative, la convention aura lieu
sans délai.
7. Le corps législatif pourra aussi, lorsqu'il le jugera né-
cessaire, proposer la convocation d'une convention nationale;
mais elle ne pourra avoir lieu que lorsque la majorité du peuple
français aura approuvé cette convocation ; et les membres de la
législature ne pourront, en ce cas, être élus membres de la con-
vention nationale.
8. La convention sera formée de deux membres par dépar-
temens , ayant deux suppléans. Ils seront élus de la même ma-
nière que les membres des législatures.
9. La convention ne pourra s'occuper que de présenter au
peuple un projet de constitution , perfeciionué et dégagé des dé-
fauts (pie l'expérience aurait fait connaître.
10. Toutes les autorités établies continueront leur action, jus-
qu'à ce que la nouvelle constitution ait été acceptée par le peuple,
suivant le nioJe réglé par la constitution existante, et jusqu'à ce
que les nouvelles autorités aient été formées et mises en activité.
a. Si le projet de réforme de la constitution est rejeté, dans
142 CONVENTION NATIONALE.
le courant des deux premiers mois qui suivront l'époque où le
vœu du peuple aura été conslaté, la convention sera tenue de
présenter aux suffrages des citoyens les questions sur lesquelles
elle croira devoir connaître leur vœu.
12. Le nouveau plan formé d'après l'expression de ce vœu,
sera présenté à l'acceptation du peuple dans les mêmes formes.
15. S'il est rejeté, la convention nationale sera dissoute de
plein droit, et le corps législatif sera tenu de consulter sur-le-
champ les assemblées primaires , pour savoir s'il y a lieu à la con-
vocation d'une convention nouvelle.
14. Les membres de la convention ne peuvent être recher-
chés, accusés, ni jugés en aucun temps, pour ce qu'ils auront
dit ou écrit dans l'exercice de leurs fonctions ; et ils ne pourront
être mis en jugement , dans tout autre cas , que par une décision
de la convention elle-même.
15. La convention, aussitôt après sa réunion, pourra régler
l'ordre et la marche de ses travaux , comme elle le jugera conve-
nable ; mais ses séances seront toujours publiques.
16. En aucun cas, la convention ne pourra prolonger ses
séances au-delà du terme d'une année.
TITRE X. — De l'administraùon de la justice.
SECTION I. — Règles générales.
Art. 1. Il y aura un code de lois civiles, de lois criminelles, qui
seront uniformes pour toute la République.
2. La justice sera rendue publiquement par des jurés et par
des juges.
5. Ces juges seront élus à temps et salariés par la République.
4. Ils ne peuvent être renouvelés qu'aux époques déterminées
par l'acte constitutionnel.
5. Les fonctions judiciaires ne peuvent, en aucun cas, et sous
aucun prétexte , être exercées , ni par le corps législatif , ni par
le conseil exécutif, ni par les corps administratifs et municipaux.
(), Les tribunaux et les juges ne peuvent s'immiscer dans l'exer*
FÉVRIER (1793). 145
cicedu pouvoir législatif; ils ne peuvent interpréter les lois ni les
étendre, en arrêter ou suspendre l'exécution, entreprendre sur
les fonctions administratives, ni citer devant eux les administra-
teurs pour raison de leurs fonctions.
7. Les juges ne pourront être destitués que pour forfaiture lé-
galement jugée, ni suspendus que par une accusation admise.
SECTION II. —De lajastice civile.
Art. i. Le droit des citoyens déterminer définiiivement leurs
contestaliofjs par la voie de l'arbitrage volontaire, ne peut rece-
voir aucune atteinte par les actes du pouvoir exécutif.
2. Il y aura au moins un juge de paix dans chaque commune.
3. Les juges de paix sont chargés spécialement de concilier les
parties; et dans le cas où ils ne pourraient y parvenir, de pro-
noncer délinitivement et sans frais sur leurs contestations.
4. Le nombre et la compétence des juges de paix seront dé-
terminée par le corps législatif; ei néanmoins ils ne pourront ja-
mais connaître de la propriété et des matières criminelles , ni
exercer aucune fonction de police ou d'administration.
5. La justice de paix ne pourra jamais devenir un élément ou
un degré de la justice contentieuse.
G. Dans toutes les contestations autres que celles qui sont du
ressort de la justice de paix , les citoyens seront tenus de les sou-
mettre d'abord à des arbitres choisis par eux.
7. En cas de réclamation contre les décisions rendues par les
arbitres, en vertu de l'article précédent, les citoyens se pourvoi-
ront devant le jury civil.
8. Il y aura dans chaque département un seul jury civil :
il sera composé d'un directeur du jury, d'un rapporteur public,
d'un commissaire natioual et de jurés. Le nombre des officiers
du jury pourra être augmenté par le corps législatif, suivant les
besoins des départemens.
9. Le tableau des jurés civils de chaque département sera
formé de la manière suivante :
144 CONVENTION NATIONALE.
i° Dans chaque assemblée primaire on élira , tous les six mois,
un juré sur cent citoyens insciits sur le tableau.
2° Cette élection sera faite par un seul scrutin et à la simple
pluralité relative.
5° Chaque votant signera son bulletin ou le fera signer en son
nom par l'un des membres du bureau , et n'y portera qu'an seul
individu , quel que soit le nombre des jurés que son assemblée
primaire devra nommer.
10. Tous les citoyens résidansdans chaque département seront
éligibles par chaque assemblée primaire.
11. Chaque assemblée primaire enverra à l'administration du
département la liste des citoyens qui auront recueilli le plus de
voix, en nombre du double dos jurés qu'elle doit nommer; et
l'administration , après avoir formé le tableau des jurés, le fera
parvenir sans délai au directeur du jury.
12. Tout citoyen qui aura été inscrit deux fois dans un tableau
de jurés , ne pourra être tenu d'en exercer de nouveau les fonc-
tions.
15. Le choix des jurés sera fait sur le tableau général du
département par les parties. En cas de refus , ce choix sera fait
par le directeur du jury , pour les parties qui refusent. En cas
d'absence , ce choix sera fait par le commissaire national pour
les parties absentes.
14. Le directeur, le rapporteur, le commissaire national et
leurs suppléans seront nommés immédiatement par les assem-
blées primaires du département , dans les formes et suivant le
mode prescrit pour les nominations individuelles.
lu. Les fonctions principales du direcieur du jury seront de
diriger la procédure ; celles du rapporteur, de faire l'exposé des
affaires devant le jury ; et celles du commissaire national seront;
1° De requérir et de surveiller l'observation des formes et des
lois dans les jugemens à rendre, et de faire exécuter les jugemens
rendus.
2" De défendre les insensés , les interdits , les absens, les pu-
pilles , les mineurs et les veuves.
FÉVRIER (1793). 145
SECTION m. — De la justice crimioelle.
Art. i . La peine de mort est abolie pour tous les délits privés.
2. Le droit de faire grâce ne serait que le droit de violer la
loi : il ne peut exister dans un gouvernement libre , où la loi est
égale pour tous.
3. En matière criminelle, nul citoyen ne peut être jugé que
par les jurés, et la peine sera appliquée par les tribunaux cri-
minels.
4. Un premier jury déclarera si l'accusation doit être admise
ou rejetée. Le fait sera reconnu et déclaré par le second jury.
5. L'accusé aura la faculté de récuser, sans alléguer de moiifs,
le nombre de jurés qui sera déterminé par la loi.
6. Les jurés qui déclareront le fait ne pourront, en aucun
cas , être au-dessous du nombre de douze.
7. L'accusé choisira un conseil ; et s'il n'en choisit pas , le
tribunal lui en nommera un.
8. Tout homme acquitté par un jury ne peut plus être re-
pris ni accusé à raison du même fait.
9. Il y aura pour chaque tribunal criminel un président,
deux juges et un accusateur public. Ces quatre officiers seront
élus à temps par le peuple.
10. Les fonctions de l'accusateur public seront de dénoncer au
directeur du jury , soit d'office , soit d'après les ordres qui lui
seront donnés par le conseil exécutif ou par le corps législatif:
1° Les attentats contre la liberté individuelle des citoyens ;
2° Ceux commis contre le droit des gens;
3° La rébellion à l'exécution des jugemens et de tous les actes
exécutoires émanés des autorités constitui es ;
4° Les troubles occasionnés et les voies de fait commises pour
entraver la perception des contributions, la libre circulation des
subsistances et autres objets de commerce ;
5° De requérir pendant le cours de l'instruction , pour la re'-
gularité des formes ; et avant le jugement , pour l'application de
la loi;
T. XilY, 10
146 CONVENTION NATIONALE.
6° De poursuivre les délits sur les actes d'accusation admis
par les premiers jures ;
7° De surveiller tous les officiers de police du département ,
qu'il sera tenu d'avertir en cas de négligence , et de dénoncer,
dans le cas de fautes plus graves , au tribunal criminel.
SECTION IV. — Des censeurs judiciaires.
Art. 1. Il y aura des censeurs judiciaires qui iront, à des épo-
ques lixes , prononcer dans chaque département de l'arrondis-
sement qui sera désigné à cet effet, 1° sur les demandes en cas-
sation contre les jugemens rendus par les tribunaux criminels et
les jurys civils; 2° sur les demandes en renvoi d'un tribunal à un
autre pour cause de suspicion légitime; 3° sur les règlemens de
juges, et sur les prises à partie contre les juges.
Ils casseront les jugemens dans lesquels les formes auront été
violées, ou qui contiendront une contravention expresse à la loi.
2. Les censeurs seront nommés pour deux années. Ils seront
élus par les asseuiblées primaires de chaque département, dans
la forme établie pour les nominations individuelles. Ils seront
communs à toute la République.
5. Chaque division de censeurs ne pourra être composée de
moins de quatre membres et de plus de sept ; et ils ne pourront
jamais exercer leurs fonctions dans le département qui les aura
nommés.
4. Ils ne connaîtront point du fond des affaires; mais, après
avoir cassé le jugement, ils renverront le procès, soit au tribunal
criminel, soit au jury civil qui doit en connaître.
5. Lorsqu'après deux cassations le jugement du troisième tri-
bunal criminel ou jury civil sera attaqué par les mêmes moyens
que les deux premiers, la question ne pourra plus être agitée de-
vant les censeurs sans avoir été soumise au corps législatif, qui
portera un décret déclaratoire de la loi auquel les censeurs seront
tenus de se conformer.
6. Les commissaires nationaux et les accusateurs publics
FÉVRIER (1793). 147
pourront, sans préjudice du droit des parties intéressées, dénon-
cer aux censeurs les actes par lesquels les juges auraient excédé
les bornes de leur pouvoir.
7. Les censeurs annuleront ces actes s'il y a lieu ; et dans le
cas de forfaiture , le fait sera dénoncé au corps législatif par les
censeurs qui auront prononcé.
8. Le corps législatif mettra le tribunal en jugement s'il y a
lieu , et renverra les prévenus devant le tribunal qui doit con-
naître de cette matière.
9. Dans le cas où les parties ne seseraient pas pourvues contre
les jugemens dans lesquels les fornîes ou les lois auraient été
violées, les jugemens auront à l'égard des parties fcrce de chose
jugée; mais ils seront annulés pour l'intérêt public sur la dénon-
ciation des commissaires nationaux et des accusateurs publics.
Les juges qui les auront rendus pourront être poursuivis pour
cause de forfaiture.
lU. Le délai pour se pourvoir devant les censé:! r; ne pourra
en aucun cas être abrégé ni prorogé pour aucune cause parti-
culière , ni pour aucun individu.
M. Dans le premier mois de la session du corps législatif,
chaque division de censeurs, après avoir remis le résultat de ses
travaux, sera tenue de lui envoyer l'étal des jugemens rendus, à
côté de chacun desquels seront la notice abrégée de l'affaire et le
texte de la loi qui aura déterminé la décision.
12. Dans le cours du mois suivant , le corps législatif se fera
rendre compte du travail dns censeurs, des abus qui pourront
s'être introduits dans l'exercice de leurs fonctions , et des moyens
de perfectionner la législation et l'administration de la justice.
^ ù. La justice sera rendue au nom de la nation . Les expéditions
exécutoires des jugemens des trii^unaux Ci'imineis, des jurys ci-
vils et des juges de paix seront conçus ainsi qu'il suit:
La république française^ à toiis les citoyens Le juré civil
ou klnbunal d a rendu le'jucjemenl suivant.
Copie du jugenicnl elle nom des juges.
La république française mande et ordonne, etc. etc.
i48 CONVENTION NATIONALE.
15. La même formule aura lieu pour les décisions des censeurs,
qui perleront le nom d'actes de cemure judiciaire,
SECTION V. — Du jury national.
Art. 1 . 11 sera formé un jury national toutes les fois qu'il s'agira
de prononcer sur les crimes de haute trahison. Ces crimes seront
expressément déterminés par le code pénal.
2. Le tableau du jury national sera composé de trois jurés par
chaque département, et d'un nombre égal de suppléans.
5. Ils seront élus, ainsi que les suppléans , par les assemblées
primaires de chaque département , suivant les formes prescrites
pour les élections.
4. Lejury national se divisera en jurés d'accusation et en jurés
de jugement.
5. Il ne sera formé qu'un seul jury national lorsqu'il s'agira
de prononcer sur la simple destitution d'un membre du conseil
exécutif de la République.
6. Les juges du tribunal criminel du département dans l'éten-
due duquel le délit aura été commis rempliront auprès du jury
national les fonctions qu'ils exercent pour le jury ordinaire.
7. Lorsqu'il s'agira d'un délit de haute trahison commis hors
du territoire de la République , ou de la forfaiture encourue par
un fonctionnaire public hors du même territoire , le corps légis-
latif choisira par la voie du sort, entre les sept tribunaux crimmels
tes plus voisins du lieu du délit , celui qui devra en connaître.
8. La même règle sera observée lorsque des motifs impérieux
d'intérêt public ne permettront pas que le jury national se ras-
semble dans le département où le délit aura été commis.
SECTION VI. — Des moyens de garantir la liberté civile.
Art. 1. Les citoyens ne peuvent être distraits des juges que
la loi constitutionnelle leur assigne.
2. Toute personne saisie en vertu de la loi doit être conduite
devant l'officier de police, etnulnepeut être mis en état d'arresta-
tion ou détenu , 1° qu'en vertu d'un mandat des officiers de po-
FÉVRIER (1795). 149
lice ; 2" d'une ordonnance de prise de corps d'un liibunal ; 5" d'un
décret d'arrestation du corps législatif; 4° ou d'un jugement de
condamnation à prison , ou détention correctionnelle.
3. Toute personne conduite devant l'officier de police sera
interrogée sur-le-champ , ou au plus tard dans les vingt-quatre
heures, sous peine de destitution et de prise à partie.
4. S'il résulte de l'examen de l'officier de police qu'il n'y a
aucun sujet d'inculpation , la personne détenue sera remise aus-
sitôt en liberté ; et s'il y a heu de l'envoyer à la maison d'arrêt,
elle y sera conduite dans le plus bref délai , qui, en aucun cas ,
ne pourra excéder trois jours.
5. Le directeur du jury d'accusation sera tenu de le convoquer
dans le délai d'un mois au plus tard , sous peine de destitution.
6. Les personnes arrêtées ne peuvent être retenues , si elles
donnent caution suffisante , dans tous les cas où la loi n'a pas
prononcé une peine afflictive ou corporelle.
7. Le corps législatif fixera les règles d'après lesquelles les
cautionnemens et les peines pécuniaires seront graduées d'une
manière proportionnelle qui ne viole pas les principes de l'éga-
lité , et qui ne dénature pas la peine.
8. Les personnes détenues par l'autorité de la loi ne peuvent
être conduites que dans les lieux légalement et publiquement dé-
signés pour servir de maison d'arrêt , de maison de justice ou de
prison.
9. Nul gardien ou geôlier ne peut recevoir ni retenir aucun
homme qu'en vertu d'un mandat , ordonnance de prise de corps ,
décret d'accusation ou jugement , et sans que la transcription en
ait été faite sur son registre.
iO. Tout gardien ou geôlier représentera la personne du dé-
tenu à l'officier civil ayant la police de la maison de détention
toutes les fois qu'il en sera requis par lui.
il. Lorsque la personne détenue ne sera pas gardée au secret,
en vertu d'une ordonnance du juge inscrite sur le registre , sa
représentation ne pourra être refusée à ses parens et amis por-
ISO CONVENTION NATIONALE.
leurs de l'ordre de l'officier civil , qui sera toujours tenu de l'ac-
corder.
12. Toute autre personne que celle à qui la loi donne le droit
d'arrestation qui expédiera , signera , exécutera , ou fera exé-
cuter l'ordre d'arrêter un citoyen ; toute personne qui , dans le
caS'd'arrestation autorisé par la loi , conduira , recevra ou retien-
dra un citoyen dans un lieu de détention non publiquement et
lé^^alement dési^jné , et tout gardien ou geôlier qui contreviendra
aux dispositions des articles précédens , seront coupables de
crime de détention arbitraire , et punis comme tels.
13. La maison de chaque citoyen est un asile inviolable. Pen-
dant !a nuit , on ne peut y entrer que dans les seuls cas d'incen-
die, ou de réclamation de l'intérieur de la maison ; et pendant le
jour, outre ces deux cas , on pourra y entrer en vertu d'un or-
dre de l'officier de police.
14. La liberté de la presse est indéfinie. Nui homme ne peut
êtrs recherché ni poursuivi pour raison des écrits qu'il aura fait
imprimer ou publier, sur quelque matière que ce soit , sauf l'ac-
tion en calomnie , de la part des citoyens qui en sont l'objet con-
tre l'auteur ou l'imprimeur.
lo. Nul ne pourra être jugé, soit parla voie civile, soit par la
voie criminelle, pour fait d'écrits publics, sans qu'il ait été re-
connu et déclaré par un jury : 1" s'il y a déht dans l'écrit dé-
noncé; 2° si la personne poursuivie en est coupable.
16. Les auteurs conservent la propriété des ouvrages qu'ils
ont fait imprimer ; mais la loi ne doit la garantie , après l'impres-
sion , que pendant leur vie seulement.
TITRE XI. — De la force publique.
Art. 1. La force publique est composée de tous les citoyens
en état de porter les armes.
2. Elle doit être organisée pour défendre la République contre
les ennemis extérieurs , et assurer au-dedans le maintien de l'or-
dre et l'exécution des lois.
3. Il pourra être foimé des corps soldés , tant pour la défense
fÉvRîER (1793). 451
de la République contre les ennemis extérieurs , que pour le ser-
vice de l'intérieur de la République.
4. Les citoyens ne pourront jamais agir comme corps armé ,
pour le service de l'intérieur, que sur la réquisition et l'autorisa»
lion des officiers civils.
5. La force publique ne peut être requise par les officiers civils
que dans l'étendue de leur territoire. Elle ne peut agir du territoire
d'une commune dans une autre sans l'autorisation de l'adminis-
tration du département, et d'un déparlement dans un autre
sans les ordres du conseil exécutif.
0. Et néanmoins, comme l'exécution des jugemens et la pour-
suite des accusés ou des condamnés n'a point de territoire cir-
conscrit dans une république une et indivisible, le corps légis-
latif déterminera par une loi les moyens les plus prompts
d'assurer l'exécution des jugemens et la poursuite des accuses
dans toute l'étendue de la République.
7. Toutes les fois que des troubles dans l'intérieur détermine-
ront le conseil à faire passer une partie de la force publique d'un
département dans un autre, il sera tenu d'en instruire sur-le-
champ le corps législatif.
8. Toutes les parties de la force publique employées cor.lie
les ennemis du dehors agiront sous les ordres du conseil exé-
cutif.
9. La force publique est essentiellement obéissante ; nul corps
armé ne peut délibérer.
10. Les commandans en chef des armées de terre cl de mer ne
seront nommés que par commission; et en cas de guerre, ils
la recevront du conseil exécutif. Elle sera révocable à volonté:
sa durée sera toujours bornée à une campagne, et elle devra
être renouvelée tous les ans.
1 1. La loi de discipline militaire aura besoin d'être renouvelée
chaque année.
12. Les commandans de la garde nationale seront noniiriés
tous les ans par les citoyens de chaque commune, et nul ne
pourra commander la garde nationale de plusieurs communes.
CONVENTION NATIONALE.
TITRE xii. — Des conlrïbulïons publiques.
Art. \. Les contributions publiques ne doivent jamais excéder
les besoins de l'état,
2. Le peuple seul a le droit, soit par lui-même, soit par ses
représentans , de les consentir, d'en suivre l'emploi et d'en dé-
terminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.
3. Les contributions publiques seront délibérées et fixées
chaque année par le corps législatif, et ne pourront subsister
au-deià de ce terme si elles n'ont pas été expressément renou-
velées.
4. Les contributions doivent être également réparties entre
tous les citoyens , en raison de leurs facultés.
5. Néanmoins, la portion du produit de l'industrie et du tra-
vail qui sera reconnue nécessaire à chaque citoyen pour sa sub-
sistance ne peut être assujettie à aucune contribution.
6. Il ne pourra être établi aucune contribution qui, par sa
nature ou par son mode, nuirait à la libre disposition des pro-
priétés, aux progrès de l'industrie et du commerce, à la circu-
lation des capitaux , ou entraînerait la violation des droits re-
connus et déclarés par la Constitution.
7. Les administrateurs des départemens ou des communes ne
pourront ni établir aucune contribution publique, ni faire aucune
répartition au-delà des sommes fixées par le corps législatif , ni
délibérer ou permettre, sans y être autorisés par lui, aucun em-
prunt local à la charge des citoyens des départemens ou de la
commune.
8. Les comptes détaillés de la dépense des départemens mi-
nistériels , signés , certifiés par les ministres , seront rendus pu-
blics chaque année au commencement de chaque législature.
î). Il en sera de même des états de recette des diverses contri-
butions et de tous les revenus publics.
40. Les états de ces dépenses et recettes seront distingués
suivant leur nature , et exprimeront les sommes touchées et dé-
pensées, année par année, dans chaque département.
FÉVRIER (4793 ). 153
11. Seront également rendus publics les comptes des dépenses
particulières aux départemens et relatives aux tribunaux, aux
administrateurs , et généralement à tous les établissemens pu-
blics.
TITRE XIII et dernier. — Des rapports de la rêpubluiue française
avec les nations étrangères, et de ses relations extérieures.
Art. 1. La république française ne prendra les armes que
pour le maintien de sa liberté , la conservation de son territoire
et la défense de ses alliés.
2. Elle renonce solennellement à réunir à son territoire des
contrées étrangères, sinon d'après le vœu librement émis de
la majorité des liabitans , et dans le cas seulement où les contrées
qui solliciteront cette réunion ne seront pas incorporées et unies
à une autre nation , en vertu d'un pacte social exprimé dans une
constitution antérieure et librement consentie.
3. Dans les pays occupés par les armes de la république fran-
çaise, les généraux seront tenus de maintenir, par tous les moyens
qui seront à leur disposition , la sûreté des personnes et des pro-
priétés, et d'assurer aux citoyens de ces pays la jouissance en-
tière de leurs droits naturels, civils et politiques. Ils ne pourront,
sous aucun prétexte et en aucun cas, protéger de l'autorité dont
ils sont revêtus le maintien des usages contraires à la liberté, à
l'égalité naturelle et à la souveraineté des peuples.
4. Dans ses relations avec les nations étrangères , la république
française respectera les institutions garanties par le consentement
exprès ou tacite de la généralité du peuple.
o. La déclaration de guerre sera faite par le corps législatif, et
ne sera pas assujettie aux formes prescrites par les autres délibé-
rations ; mais elle ne pourra être décrétée qu'à une séance indi-
quée au moins trois jours à l'avance par un scrutin signé , et
après avoir entendu le conseil exécutif de la République.
G. En cas d'hostilités imminentes ou commencées, de menaces
ou de préparatifs de guerre contre la république française , le
i^ CONVENTION NATIONALE.
conseil exécutif est tenu d'employer, pour la défense de l'état, les
moyens qui sont remis à sa disposition , à la charge d'en prévenir
le corps législatif sans délai. Il pourra même indiquer, en ce cas,
les augmentations de forces et les nouvelles mesures que les cir-
constances pourraient exiger.
7. Tous les agens de la force publique sont autorisés, en cas
d'atiaqiie , à repousser une agression hostile , à la charge d'en
prévenir sans délai le conseil exécutif.
8. Aucune négociation ne pourra être entamée, aucune suspen-
sion d'hosiilités ne pourra être accordée , sinon en vertu d'un dé-
cret du corps législatif, qui ne pourra statuer sur ces objets
qu'après avoir entendu le conseil exécutif.
9. Les conventions et traités de paix, d'alliance et de com-
merce, seront négociés, au nom de la république française, par
des agens du conseil exécutif, et chargés de ses instructions ; mais
leur exécution sera suspendue , et ne pourra avoir lieu qu'après
la ratification du corps législatif.
iO. Les capitulations et suspensions d'armes momentanées,
consenties par les généraux , sont seules exceptées des articles
précédens.
Rapport sur l'organisation de l'armée.
( Séance du 7 février. )
Dubois-Crancé , rapporteur. Citoyens, vous avez renvoyé à
votre comité de la guerre les bases d'organisation d'une force ar-
mée à opposer, celte campagne , aux efforts des despotes coali-
sés contre la république française. Les moraens pressent pour dé-
créter cette organisation, que, d'après les considérations qui vous
ont été présentées par votre comité de défense générale , vous
avez portée à cinq cent deux mille huit cents hommes. Je vous ai
garanti, au nom de ce comité, que vous aviez tous les cadres né-
cessaires ; je viens aujourd'hui vous dire que le zèle des Français
a été si aciif l'an dernier, au moment de l'invasion de l'ennemi ,
que , si votre armée, telle qu'elle est composée , se trouvait coin-
FÉviUER (1795). 455
p!ète, vous auriez sur pied plus de huit cent mille hommes. II est
donc indispensable ou de décomposer l'organisation des bataillons
et de les réduire a moitié, ou de licencier une partie de ces ba-
taillons en portant les autres au complet.
Votre comité de la guerre ne peut vous laisser ignorer que
plus les bataillons sont forts, pourvu qu'il soient maniables, plus
ils ont d'ensemble dans la manœuvre , et plus ils opposent de ré-
sistance à l'ennemi; s'ils sont en ligne, leur front est plus impo-
sant, leur feu mieux nourri, et leur flanc ne peut être dépassé par
la ligne opposée ; s'ils marchent en colonnes , leur impulsion a
plus de force , leur résistance à la cavalerie a plus de profondeur,
leurs échecs sont moins sensibles et leur victoire plus décisive.
D'après ces principes incontestables , votre comité n'a pas hésité
de vous proposer de ne pas réduire au-dessous de sept cent cin-
quante le nombre d'hommes qui doivent composer les bataillons,
d'autant que les compagnies de grenadiers étant presque toujours
détachées, et un corps ne pouvant être parfaitement complet ,
chaque bataillon sur trois rangs n'aura qu'environ deux cents
hommes de file. Ce principe posé, voilà l'état présent de l'orga-
nisation de la force publique en France. Depuis la réforme des
rcgimens suisses, il reste quatre-vingt-dix-huit régimens de ligne,
chacun de deux bataillons qui , à sept cent cinquante hommes par
bataillon , devraient au complet faire une masse de cent quarante*
sept mille hommes. D'après les derniers états de revue , il ne s'en
trouvait que cent douze mille huit cent soixante-dix-huit; déficit,
trente-quatre mille cent vingt-deux hommes. On compte cinq
cent dix-sept bataillons de volontaires , dont cent trente-cinq
n'ont pas fourni l'étal de leurs forces ; les trois cent quatre-vingt-
deux autres avaient en masse , au 1" décembre dernier, deux
cent treize mille six cent cinquante hommes , ce qui ftiisait cinq
cent cinquante-neuf hommes par bataillon ; en supposant le même
calcul pour les cent trente-cinq bataillons dont l'état n'est pas
connu , ils donneraient en suppléoîent soixante-quinze mille qua-
tre cent soixante-quatre hommes.
Total de la force effective des cinq cent dix-sept bataillons ,
iS6 CONVENTION NATIONALE.
deux cent quatre-vingt-neuf mille cent quatorze hommes. Ce-
lui des régimens de ligne étant de cent douze mille huit cent
soixante-dix-huit hommes , la force effective des régimens de
ligne et bataillons de volontaires nationaux , au 1" décembre , se
trouvait donc être de quatre cent un mille neuf cent quatre-
vingt-douze hommes.
Mais depuis cette époque , la guerre , la rigueur de la saison ,
le denûment absolu , le désir des volontaires de revoir leurs
foyers, ont occasionné de grands changemens dont la nuance
n'est pas encore connue et ne peut l'être que par de nouveaux
états de revue. Votre comité s'arrête ici pour vous présenter des
réflexions générales.
Dans l'état des choses, il me semble que l'effectif de l'infanterie
soit de ligne, soit volontaire, non compris les troupes légères ,
était , au mois de décembre , à peu près au taux de proportion
que vous avez fixé pour l'infanterie , en déclarant que la Répu-
blique entretiendrait à sa solde , cette année, cinq cent deux mille
huit cents hommes de toute arme ; et cependant vos troupes de
ligne avaient un déficit de trente-quatre mille cent vingt deux
hommes, qui vraisemblablement est de plus de quarante mille en
ce moment. Vos bataillons de volontaires , loin d'être au complet
de huit cents hommes fixé par la loi, n'étaient, en novembre der-
nier, qu'à cinq cent cinquante-neuf hommes l'un dans l'autre; et
ceux qui ont quitté leurs drapeaux depuis cette époque en ont
singulièrement diminué le nombre. Il y a tel bataillon auquel il
ne reste pas cent hommes. Si l'on ajoute à ce déficit celui de la
cavalerie, des troupes légères et de l'artillerie , il en résulte que
vous avez à faire une levée de trois cent mille hommes, dont cent
mille hommes de troupes de hgne et deux cent mille de volontai-
res , quoique vous ayez en officiers et états-majors différens des
cadres pour huit cent mille hommes. Il est donc indispensable ,
tant pour l'intérêt de nos finances que pour simplifier l'admini-
stration de la guerre , les opérations militaires , et s'assurer le
complet de l'armée , de profiter de ce grand vide pour détruire
les abus, de donner une ordonnance facile, mieux réglée, plus
FÉVRIER (1793). 157
imposante à cette masse , et de l'approprier enfin au régime na«
tional qui doit faire la base de la félicité publique.
Il est temps , pour achever d'extirper jusque dans la racine les
vestiges de l'ancien régime, que parmi les défenseurs de la pa*-
trie il n'existe plus d'autre distinction que celles que le bien du
service commande; il est temps de ramener tout au grand prin-
cipe d'égalité qui veut qu'aucun administrateur ne le soit que par
le choix libre des administrés.
Votre comité pense que , sans oublier les récompenses qu'au-
ront méritées ceux qui , sur la foi souvent illusoire de l'ancien
gouvernement , mais sacrée pour vous , se sont dévoués à l'état
militaire , le premier acte de reconnaissance digne des représen-
tans du peuple , digne de nos braves troupes de ligne , est de les
considérer toutes, dès aujourd'hui, comme volontaires natio-
naux , de les réunir avec leurs frères d'armes, et de n'en faire
qu'un seul et même faisceau contre les ennemis de la patrie. Ne
croyez pas , citoyens , que votre comité militaire se soit laissé en-
thousiasmer par une mesure qui , quoique conforme aux prin-
cipes, pourrait être dangereuse dans les circonstances d'une
guerre terrible à soutenir; il croit , au contraire , avoir saisi l'in-
stant qui réunit ie mieux toutes les convenances.
1° Vous avez trop senti l'inconvénient de tant de corps diffé-
rens, isolés, inconnus môme pendant longtemps, dont plu-
sieurs chefs avaient plus de zèle que de connaissances militaires ,
dont l'administraiion était tellement compliquée , que ni le minis-
tre, ni les généraux eux-mêmes n'ont pu , pendant une partie de
la campagne , en suivre les détails.
2° Il est donc indispensable que tout corps en activité soit com-
plet , sinon la République solderait une foule d'éiats-majors inu-
tiles , très-dispendieux ; l'administration ne cesserait pas d'être
compliquée, exposée à de ruineuses dilapidations , et nos géné-
raux ne sauraient jamais sur quoi compter, soit pour le nombre
effectif des hommes qui seraient à leurs ordres , soit pour sub-
venir à leurs besoins. Or, puisque nous avons plus de six cents
bataillons presque tous à moitié, et même moins, il est indispen-
458 CONVENTION NATIONALE.
3able, quelque mesure que l'on prenne , d'en réformer une partie
pour oblenir les moyens de compléter les autres.
o*^ Les bataillons de ligne étant les plus complets, les plus
exercés au métier des armes , ceux qui , à raison de leur engage-
ment, ont contracté plus positivement l'obligation du service,
doivent naturellement être conservés dans leur entier ; mais si
vous laissez encore subsister la différence qui existe entre ces
corps et ceux de volontaires , le comité pense que le recrutement
des quarante mille hommes nécessaires n compléter les cent
quatre-vingt-dix-huit bataillons de ligne sera très-difficile, peut-
être même impossible ; car vous ne pouvez , sans violer les prin-
cipes , incorporer dans la ligne des volontaires qui , sur la foi de
vos décrets, ont adopté un régime différent; et ce n'est pas au
moment où vous avez votre cavalerie à augmenter, des troupes
légères nombreuses à former, cinq cents bataillons de volontai-
res à compléter, que vous devez espérer de trouver encore qua-
rante mille hommes de bonne volonté pour compléter vos ba-
taillons de ligne , si vous n'en faites pas disparaître h s forn:cs
qui peuvent contrarier le vœu et les droits des citoyens.
4" La réunion d'un bataillon de ligne avec deux bataillons de
volontaires que vous propose le comité , pour en faire un seul et
même corps , ne désorganise rien que des états-majors ; mais le
fond de chaque bataillon, en officiers et soldats, reste le même;
mais celte opération ne tend qu'à ressei'rer les liens de la frater-
nité, donne des exemples d'instruction et de discipline aux uns,
de civisme pur et de dévouement à la patrie aux autres ; elle forme
des demi-brigades de trois bataillons avec une compagnie d'ar-
tillerie et six pièces de canon , mode extrêmement simple pour
les généraux, qui ne calculent jamais, dans leurs opérations,
que par bataillons , demi-brigades , les brigades et divisions.
Enfin, celte opération donne toute facilité au complètement des
troupes; car il devient indifférent désormais aux volontaires
d'appartenir à tel ou tel bataillon , puisqu'ils auront tous même
dénomination , même régime. Les généraux, consultés sur tous
ces objets, ont répondu presque unanimement qu'ils n'y voyaient
FÉVRIER (4790). im
que des avantages, et d'autant moins d'inconvéniens , que pour
des postes avancés, il était indispensable deUnêler des troupes de
ligne avec les volontaires, pour assuier l'exactitude du service ,
et que la campagne dernière , ils avaient constamment mis de
brigade ensemble les bataillons de ligne et les bataillons de vo-
lontaires.
On a dit : Égalisez les forces ; pour égaliser les droits ; amal-
gamez un bataillon seulement de volontaires avec un bataillon de
ligne. Je réponds qu'en suivant ce système , au lieu de détruire ,
ainsi que se l'est proposé votre comité, tous les vestiges de l'an-
cien régime , on les fortifierait , on en doublerait l'action et les
dangers. Un bataillon de ligne est tellement dans la main de ses
officiers, qui ont sur lui l'influence d'un long exercice d'autorité ,
de grade en grade , qu'il est bien plus susceptible du mouvement
qu'ils commanderaient ; nul doute que le bataillon de volontaires
qui y serait amalgamé, ayant moins d'ensemble, moins d'esprit
de corps , étant mélangé d'hommes qui n'ont pas toujours le pa-
triotisme pur pour guide , ne fût complètement subjugué par l'es-
prit de la troupe de ligne. Ce serait donc des volontaires que vous
feriez soldats de ligne , et non des soldais de ligne que vous feriez
volontaires; et dès lors plus de recrutement, ni pour les volon-
taires , ni pour la ligne.
Narbonne a proposé à l'assemblée législative de mettre en ré-
gimens les bataillons de volontaires , ei de leur donner, sous
celte formation , les mêmes droits qu'aux régimens de ligne , en
assimilant les troupes de ligne au régime qui serait établi pour
les volontaires. Je réponds à celte proposition que les régimens
de ligne étant tous divisés en bataillons de garnison et bataillons
de campagne, souvent à plus de; cent lieues de distance l'un de
l'autre, il est impossible de les réunir en ce moment sans un
danger réel pour la patrie ; que le but de cette opération ne pou-
vait être que de maintenir toujours dans ce qu'on appelait ligne ,
et qui conservait ainsi sa dénomination et ses formes, cet esprit
de corps distinct de celui des volontaires.
Mais , dit-on , celte réunion détruira la discipline ; de quelle dis*
160 CONVENTION NATIONALE.
cipline parle-t-on ? Est-ce de celte obéissance aveugle que La
Fayette commandait à ses sbires?... Non, la discipline fondée
sur la justice , commandée par Teslime et la confiance , subor-
donnée à des lois qui atteignent le coupable , de quelque grade
qu'il soit , ne sera pas détruite , car elle est dans le cœur de
presque tous les hommes , elle est la sauvegarde des bons contre
les méchans ; son observance intéresse la vie et l'honneur du
corps entier, et jamais un acte de justice , quelque rigoureux
qu'il fût , n'a occasionné de révolte ; mais cette discipline , &i dis-
cordante aujourd'hui avec les principes dont l'exercice n'est sou-
vent que le résultat des caprices d'un chef , a besoin d'être mo-
difiée , et si nous sentons tous l'insuffisance des bonnes lois à ce
sujet , il est utile , il est nécessaire, que l'esprit des volontaires
prédominant dans la hgne en corrige l'àpreté. D'un autre côté,
nos volontaires eux-mêmes , dont les torts ne sont dus souvent
qu'à leur inexpérience , ont besoin du contact des principes de
lactique, d'ordre, de police et d'administraiion qui sont établis
dans la ligne; ce mélange n'est donc qu'utile , et n'a rien de dan-
gereux.
On craint le trop grand ascendant de volontaires dans la nomi-
nation aux emplois : eh ! tant mieux , car il est temps d'écarter
jusqu'au soupçon d'aristocratie. Mais doute-t-on que ces volon-
taires feront alliance avec les soldats de ligne? que, parle plus puis-
sant des intérêts, ils ne donnent la préférence à ceux qui , aussi
braves et plus instruits , seront les dépositaires de leur vie et de
leur honneur devant l'ennemi ? Parcourez nos bataillons , et vous
verrez que tous ceux qui avaient une teinture de l'art militaire
ont été choisis pour officiers ; vous verrez des commandans de
bataillon qui n'étaient que de simples soldats. Ce ne sont pas
des honneurs que nos volontaires recherchent, c'est de llioîineur,
et lorsqu'ils choisiront avec connaissance de cause , soyez sûrs
qu'ils préféreront les meilleurs guides. D'ailleurs , les intérêts de
la troupe de ligne sont tellement ménagés dans le plan qui vous
est proposé , que tous les avantages sont rigoureusement en sa
faveur.
FÉVRIER (1793). 161
D'abord , le tiers des emplois vacans de tout grade, sur la to-
talité des trois bataillons , est donné à l'ancienneté ; et l'on sent
de quel avantage est ce système , pour d'anciennes troupes con-
tre des corps de nouvelles levées. Quant aux places destinées au
choix , ce choix se fera par bataillon ; chacun agira isolément et
pour sou compte ; enfin , la faculté donnée aux électeurs d'un
bataillon de choisir dans] les autres est encore à l'avantage de
la ligne , puisqu'il est vraisemblable que les volontaires cher-
cheront parmi leurs frères d'armes les plus sages , les plus in-
struits, pour les commander. Ainsi, dans ce nouvel ordre de
choses, la troupe de ligne n'a rien à perdre et a tout à gagner.
Faites donc attention qu'un bataillon de ligne n'avait droit
qu'aux emplois vacans dans son bataillon , et que ce droit était ré-
duit par la loi au quart des sous-lieutenans, et aux deux tiers des
emplois supérieurs : par la nouvelle organisation , ayant droit
par l'ancienneté au tiers de tous les emplois vacans dans trois
bataillons , c'est comme si on lui restituait la totalité des emplois
de son bataillon. Ensuite ce bataillon nommera, sans concurrence
des deux autres , les deux tiers des emplois qui vaqueront dans
son sein; et, en troisième lieu, les individus de ce bataillon
jouiront , dans les deux autres bataillons , de l'avantage d'y être
appelés par le choix , à raison des talens et de la confiance qu'ils
inspireront. Est-ce là priver de braves gens de leurs droits? est-
ce porter dans leur sein une influence dangereuse et nuisible à
leurs intérêts? est-ce là désorganiser?
On cite les choix du peuple, les erreurs des corps électoraux:
j'en gémis il y a long-temps. Mais quelle comparaison à faire
entre huit cents électeurs inconnus les uns aux autres , pressés
de faire des choix , environnés de sourdes perfidies, et une masse
d'hommes toujours ensemble, qui se connaissent à fond, qui
recherchent le caractère de leur camarade jusque dans ses actions
privées, et qui , placés devant l'ennemi , savent quo leur vie et
leur honneur dépendent des choix qu'on veut faire ?
On fait valoir jusqu'à la rivalité de la gloire , et 1 avantage de
l'émulation entre des corps dilférens, pour appuyer le système
T. XXIV. jl
i6â CONVENTION NATIONALE.
de non-réunion : quel égarement ! Cette rivalité de gloire a-t-elle
besoin de la désunion de nos frères d'armes ? n'existera-t-elle pas
de brigade ù brigade , d'armée à armée? Et ne serait-ce pas plu-
tôt en atténuer l'effet , la rendre nuisible, que de la maintenir de
bataillon à bataillon d'un régiment différent ?
Mais, dit-on encore, ce serait décourager le militaire, et lui
présenter la perspective d'une réforme à la paix , qui le livrerait
aux horreurs de l'indigence, après avoir rendu à la patrie les
plus signalés services. J'avoue que, si cette assertion était fondée,
elle serait d'un grand poids ; mais il ne dépendra pas de votre
comité que la République ne soit point taxée d'ingratitude. Quoi-
qu'un soldat de la patrie ne fasse que son devoir en la servant ,
il n'est pas juste que l'homme qui lui a consacré une partie de la
vie traîne l'autre dans la misère ; il n'est pas juste que celui qui
a versé son sang pour elle , quel que soit le court espace qu'il y
a employé , reste sans récompense; enfin , il n'est pas juste que
la veuve ou les enfans d'un soldat mort au champ d'honneur
restent sans secours , dans le deuil et l'infortune.
Les cinq premiers articles du projet du décret que je propose
au nom du comité lèvent toutes ces inquiétudes. Pas un officier,
pas un soldat ne craindra la réforme ; pas un ne craindra de vi-
vre estropié et misérable ; pas un ne mourra sans emporter la cer-
titude que la nation essuiera les pleurs de sa famille : le comité
propose davantage. Une pension est une récompense fugitive ,
qui meurt avec le titulaire , qui ne dispense pas de l'ennui d'une
grande inaction , et que le caprice d'une assemblée ou des besoins
pressans de la nation peuvent suspendre ou détruire.
Il vous propose d'accorder au pensionnaire la faculté d'ache-
ter un bien national , et de donner en paiement la pension qui lui
appartiendrait , sur le pied du rachat, à 40 pour cent. Il donne
le même avantage aux veuves et aux enfans d'un soldat mort des
coups de l'ennemi. Or, il ne peut appartenir à un soldat estropié
moins de 210 livres ; c'est donc une propriété de 2,400 livres
dont la nation le gratifie s'il la préfère à sa pension. Où est
maintenant l'individu qui , ayant consacré sa vie au service de la
I
FÉVRIER (1793). Î65
nation , croira pouvoir encore conserver dans son cœur des sujets
d'inquiétudes ou de murmures ?
Eh ! que l'on ne dise pas que celte magnificence est illusoire.
Je suppose que la jjuerrenous moissonne cent mille soldats, pères
de famille (cela est impossible): eh bien, le prix de ce sang,
compris celui des officiers, nous coûterait trois cents millions;
ce n'est qu'une faible partie du bien des émigrés, que Cambon
vous a évalués à trois milliards, que sans la bravoure de nos sol-
dats nous n'aurions pu conserver , pas plus que la liberté ; et nous
faisons la fortune de cent mille familles. Je crois que cette opé-
ration de finance en vaut bien une autre.
Enfin, on a craint que les soldats de ligne ne voulussent chas-
ser leurs officiers, pour , à l'instar des volontaires , n'en avoir plus
que de leur choix. Je réponds que les soldats de ligne ont depuis
long-temps cet exemple sous les yeux, et , dans le cours de la ré-
volution, plusieurs même y ont été contraints; mais depuis que
les COI ps sont épurés, depuis que la campagne est ouverte, on n'en
a presque point vu d'exemple : doit-on présumer que ces mouve-
mens se renouvelleraient au moment où , rentrés dans tous leurs
droits, les soldats de la République ne verront plus un intrus
muni d'un brevet du bureau de la guerre se placer à leur lête?
J'ai prouvé que le recrutement ne peut s'opérer dans l'état où
est notre armée ; que le seul moyen de lever cette insurmontable
difficulté est de jjationaliser l'armée en la soumettant au même
régime; que le seul moyen de diriger l'esprit de la ligue vers le
but que tout républicain doit se proposer est de détruire l'in-
fluence de l'esprit de corps, en lui en opposant un contraire par
la réunion de deux bataillons de volontaires avec un de ligne ; j'ai
prouvé qu'il ne résulte de ce plan aucune désorganisation maté-
rielle pour le fond de l'armée, mais, au contraire, plus d'ensem-
ble dans les manœuvres. Je demande maintenant à tous les hom-
mes sensés et patriotes s'ils doutent que ce plan convienne à
tous les soldats de la Répidilique qui , partageant les mêmes tra-
vaux, verront égaliser la solde, les grades et le mode d'avance-
ment.
164 CONVENTION NATIONALE.
Il était injuste que les places de colonels „ d'officiers généraux,
fussent en partie données à la faveur , et toutes exclusivement
dévouées à une section de l'armée , et que les chefs de bataillon
de volontaires n'y eussent aucun droit ; la fusion que je propose
anéantit cette distinction , et restitue à chacun des droits com-
muns. Eh ! n'est-il pas temps de décharger l'administration de la
guerre de la responsabilité morale des individus qui doivent com-
mander aux autres , et d'en confier le choix aux troupes elles-
mêmes? rs'est-il pas temps que ceux qui exposent chaque jour
leur vie pour la défense de la patrie aient seuls droit aux em-
plois vacans? N'est-il pas temps qu'on ne voie plus un fils de
citoyen actif, qui n'a rien fait pour son pays , obtenir du ministre
le droit de commander des hommes qui ont tout fait pour lui , et
qui vont être victimes de son impéritie? On dit que ce n'est pas
en présence de l'ennemi qu'il faut désorganiser l'armée. Non ,
sans doute , mais est-ce désorganiser l'armée que de confondre
les intérêts de ses membres divisés jusqu'ici , de leur restituer
leurs droits? Certes, d'ailleurs, ces changemens sont décrétés
pour l'avenir, ils n'auront aucun effet rétroactif.
Français , votre plus belle gloire est de conserver votre liberté,
et d'être égaux. Chérissez-vous les distinctions militaires? Com-
mencez par être soldats , méritez l'estime et la confiance de vos
camarades , ils vous en donneront le prix : ainsi le veut l'égalité
des droits, ainsi lèvent laRépubfique.
De la cavalerie de ligne.
La nuance qui existe entre les régimens d'infanterie de ligne
et les volontaires nationaux n'ayant aucune application aux au-
tres armes , votre comité a pensé ne devoir vous proposer que
les augmertations nécessaires à rapporter aux taux que vous avez
fixé pour ceux de ces corps qui en sont susceptibles. Et d'abord ,
la cavalerie française doit être portée à cinquante-cinq mille hom-
mes effectifs ; mais cette arme est composée de plusieurs élé-
mens essentiels : elle consiste : i° en vingt-quatre régimens de
cavalpfie proprement dite , deux régimens de carabiniers et
FÉVRIER (1795). 16d
trois régimens de cavalerie nationale formés à Paris , à l'École-
Militaire : total , vingt-neuf régimens. Le comité vous propose
de porter à quatre escadrons ceux de ces régimens qui n'en ont
que trois; qui, au complet de cent soixante-six hommes chacun,
en deux compagnies, fourniront cent seize escadrons, formant
une masse de dix-neuf mille sept cent vingt hommes. La Répu-
blique entretient dix-huit régimens de dragons à trois escadrons
chaque. Votre comité vous propose de les porter à quatre esca-
drons de chacun cent soixante-dix hommes. Total, soixante-
douze escadrons , et douze mille deux cent quarante hommes.
Cavalerie légère.
La cavalerie légère est composée de douze régimens de chas-
seurs et huit régimens de hussards ; ils sont organisés à quatre
escadrons. Ces corps ont servi la dernière campagne avec la plus
grande distinction, et tous les généraux en demandent l'augmen-
tation. Votre comité vous propose de les porter à six escadrons.
Cent vingt escadrons légers , à cent soixante-dix hommes , en
donneront vingt mille quatre cents. La cavalerie des légions
créées par différens décrets monterait à environ dix mille hom-
mes si elles étaient complètes , mais elles ne le sont pas ; votre
comité vous propose d'ordonner que ces légions se composent en
huit nouveaux régimens de chasseurs, et de fondre leur infan-
terie dans les bataillons légers ; c'est un moyen de simplifier.
Une administration déjà très-compliquée, est de rendre ces corps
aussi utiles qu'ils le désirent , et en assimilant ces troupes aux ré-
gimens des chasseurs, c'est leur donner un bel exemple à suivre
et un puissant motif d'émulation.
Total de toute espèce de cavalerie, soixante-deux mille trois
cent soixante hommes.
Enfin , l'appel fait de la gendarmerie des déparlemens vous a
fourni un corps de cavalerie de sept mille vingt hommes.
Infanterie légère.
Vous avez quatorze bataillons de chasseurs qui, ù sept cents
166 COJNV£riiTION NATIONALE.
hommes sur l'ancien pied , vous donneront neuf mille huit cents
hommes.
Les légions et corps francs , formés en conformité des décrets
de leur création, doivent se porter, en infanterie, à trente-
cinq mille hommes.
Et, il faut le dire, les états fournis par le ministre n'en por-
tent pas l'effectif au quart.
Enfin , il existe dans différens départemens environ cinquante
petits corps de cent à cent cinquante hommes , même des com-
pagnies de vétérans , qui ont manifesté beaucoup de zèle pour
la défense de la patrie.
Votre comité a pensé que les troupes légères n'agissaient que
par détachemens et suivant les circonstances et les efforts de
l'ennemi ; il ne conviendrait peut-être pas de ne supprimer ou de
n'incorporer que ceux de ces corps qui ne pourraient se complé-
ter. Cette classe d'hommes est précisément celle que la guerre
consomme le plus , parce qu'elle est toujours agissante , toujours
au feu ; mais aussi son utilité est de la plus haute importance. Une
armée ne peut être environnée de trop d'éclaireurs ; vos enne-
mis en ont des nuées, et votre comité a pensé qu'il convenait de
leur opposer une force de ce genre égale à celle qu'ils peuvent
mettre en campagne. Celte masse d'infanterie légère sera de cin-
quante-cinq mille hommes environ ; ce n'est pas trop pour ré-
partir sur tous les points qui pourraient être attaqués ; et votre
comité a cru trouver d'autant plus d'avantage à la conserver que,
pour avoir réellement en activité les cinq cent deux mille huit
cents hommes que vous avez jugés nécessaires à la défense des
frontières , il est indispensable de porter les combinaisons de cha-
que arme à un cinquième environ au-dessus de son effectif pré-
sumé.
Cependant , comme il est difficile de croire que tous ces corps
se compléteront, comme il est indispensable de s'assurer une
force dont les généraux puissent disposer, nous vous proposons
d'incorporer par bataillons l'infanterie des légions et des autres
corps francs qui en seront susceptibles , avec les quatorze batail-
FÉVRIER. (1793). 167
Ions d'infanterie légère , dans la même forme que nous vous l'a-
vons proposé pour l'infanterie de ligne ; cela vous assurera d'a-
bord trente mille hommes de troupes légères à pied, bien
organisées , et vous verrez ensuite ce qu'il sera convenable de
faire pour mettre en activité le zèle de ceux qui se présenteront :
car il vous restera encore les cadres de beaucoup de bataillons
de volontaires nationaux qui ne demanderont pas mieux que de
s'organiser de cette manière.
Artillerie.
Si vous adoptez le plan que vous propose votre comité , de
créer dans chaque demi-brigade une compagnie de canonniers
volontaires (et la plupart sont déjà sur pied), cette portion de
canonniers , destinés à soulager le corps de l'artillerie , monte à
quatorze mille sept cents hommes.
Il ne reste donc plus, pour atteindre le but que vous vous êtes
proposé, que de compléter les sept régimeas d'artillerie existant,
ainsi que les compagnies de mineurs et d'ouvriers.
Le déficit sur douze mille hommes , dont est composé ce corps,
est d'environ mille huit cents hommes. Votre comité vous propose
d'autoriser les recrutemens de ces hommes dans les troupes qui
ont déjà fait la guerre, soit de ligne, soit de volontaires, afin
que ce corps soit le plus en mesure possible pour ne rien perdre
de la distinction qu'il a si bien méritée.
Récapitulation des troupes de différentes armes.
Cent quatre-vingt-seize bataillons de Hgne, formant la totalité
de nos régimens de ligne, incorporés avec trois cent quatre-vingt-
douze bataillons de volontaires, et sur les mêmes bases , donne-
ront une masse d'infanterie de 40^,756 hommes.
Cent quatre-vingt-seize compagnies de ca-
nonniers à attacher aux cent quatre-vingt-
seize demi-brigades d'infanterie feront . . 14,700
L'artillerie , telle qu'elle est, est composée
A reporter 477,456 liomines.
168 COKVENTION NATIONALE.
Report 477,436 hommes.
maintenant, mais portée au compIet,de. . . 12,000
'•'■' Troupes légères à pied , composées des
quatorze bataillons d'infanterie légère , des
légions qui ont été décrétées , des corps et
compagnies franches existantes 53,000
Cavalerie légère , composée de douze ré-
gimens de chasseurs, huit de hussards de la
cavalerie des légions 50,400
Cavalerie de ligne , composée de vingt-
neuf régimens de cavalerie , et dix-huit de
dragons , portés tous à quatre escadrons. . 51,960
Gendarmerie à cheval , tirée des dépar-
lemens 7,020
Total 591,816 hommes.
Cet appel , quoique excédant le taux fixé , ne compromet
point la fortune publique , puisque le ministre ne doit faire payer
que l'effectif des corps ; mais , ce qui compromettrait essentielle-
ment la nation , ce serait que les cinq cent deux mille huit cents
hommes que vous avez décrétés, ne se trouvassent pas en effectif
au poste que la pairie leur assignera.
États-majors.
Les principes et l'expérience s'accordent à démontrer que, soit
pour la célérité des manœuvres et leur intelligence , soit pour la
surveillance de toutes les parties de police et d'administration des
armées, il faut, indépendamment des états majors-généraux , un
lieutenant-général par division, et un maréchal-de-camp par bri-
gade ; il faut également par division un adjudant-général, faisant
les fonctions de maréchal des logis , deux adjoints pour aides, et
un commissaire des guerres. 11 résulte de cette disposition, aussi
sage que simple , que, de quelque manière que les circonstances
obligent d'emplacer les troupes de la République, qu'elles soient
toutes en campagne , ou qu'elles occupent des places de guerre,
FÉVRIER { 1795 ). 169
elles sei'out toujours accompagnées des a-gens supérieurs destinés
à l'exécution de toutes les opérations, au maintien de la police
et à la surveillance de leurs besoins. Une armée, quelque brave,
quelque nombreuse qu'elle soit, n'est imposante, n'est terrible
à l'ennemi , qu'autant que tous les fils correspondans de son mé-
canisme , depuis le caporal jusqu'au général , arrivent par une
succession hit;rarcliique de pouvoirs et sans interruption , vers le
centre qui gouverne tout; qu'un de ces fils se détraque , l'ensem-
ble des mouvemens est interrompu , le désordre perce de toutes
parts , les obstacles s'accumulent; c'est en vain que le général le
plus expérimenté fatigue sou imagination , veut forcer de talens :
ii perd le fruit de ses veilles , de ses agitations , et il voit sans
retour s'évanouir les plus brillantes espérances dans le gouffre
de l'anarchie.
Voilà pourquoi , dans la campagne dernière , avec d'énormes
dépenses , nos soldats ont manqué de tout ; voilà pourquoi nos
succès ont été subitement suspendus : je sais que d'autres causes
y ont concouru ; mais en vain, avertis par le passé, vous cher-
cherez le remède à tant de maux , si vous n'êtes pas convaincus
qu'une fausse économie dans la distribution des agens qui doi-
vent maintenir l'ordre est la première source des plus cruelles
dilapidations, et finirait par dissoudre l'armée et livrer la France
à nos ennemis.
Corps du génîe^
Le comité vous propose d'autoriser le ministre à compléter le
corps du génie de tous les hommes qui se sont distingués dans les
ponts et chaussées, en leur tenant compte, pour leur avance- '
ment, des années de service qu'ils y ont employées pour l'utilité
publique ; d'admettre au concours , et d'après examen de leurs
connaissances en pratique et en théorie , tous les citoyens dont
les fondions seront les plus analogues à celles de ce corps.
170 COiNVENTlON ]SATIONALE.
Loi sur i organisation des armées, discutée et votée du sept au
vingt-deux février.
TITRE I. — De l'infanterie de ligne.
SECTION 1.
Art. 1 . A dater de ia publication du présent décret, il n'y aura
plus aucune distinction ni différence de régime entre les corps
d'infanterie appelés régimens de ligne et les volontaires na-
tionaux.
2. L'infanterie que la République entretiendra à sa solde sera
formée en demi-brigades composées chacune d'un bataillon
des ci-devant régimens de ligne , et de deux bataillons de volon-
taires. L'uniforme sera le même pour toute l'infanterie: il sera
aux couleurs nationales , et ce changement se fera au fur et à me-
sure que l'administration sera obligée de renouveler l'habille-
ment. Chaque demi-brigade sera distinguée par un numéro sur
le bouton et les drapeaux.
5. La première demi-brigade sera composée du premier ba-
taillon du premier régiment d'infanterie, et de deux bataillons
de volontaires le plus à sa portée, et , autant que faire se pourra,
du même département.
La seconde demi-brigade sera composée du deuxième bataillon
du premier régiment d'infanterie, et de deux bataillons de vo-
lontaires les plus voisins, et, s'il est possible, d'un même dépar-
tement. Le reste de l'armée suivra le même mode de réunion ,
de manière que , par ordre de numéros , les cent quatre vingt-
seizo bataillons de ligne, unis à trois cent quatre-vingt-douze ba-
taillons de volontaires , formeront cent quatre-vingt-seize demi-
brigades d'infanterie. A la paix , les demi-brigades prendront le
nom des départemens auxquels elles seront attachées.
4. Les soldats composant aujourd'hui les régimens de ligne ,
étant engagés , sont tenus de remplir leurs engagemens jusqu'à
la paix. Les volontaires ne pourront jamais être liés que pour
une campagne.
FÉVRIER (1795). 171
5. Chaque demi-brigade sera composée ainsi qu'il suit.
Ètat-major.
Un chef de brigade , trois chefs de bataillon , deux quartiers-
maîtres trésoriers, trois adjudans-majors , trois chirurgiens-ma-
jors, trois adjudans sous-officiers , un tambour-major , un capo-
ral-tambour, trois musiciens, dont un chef, trois maîtres tailleurs,
trois maîtres cordonniers.
Chaque bataillon sera composé de neuf compagnies, dont une
de grenadiers et huit de fusiliers. Chaque compagnie de grena-
diers sera composée d'un capitaine , un lieutenant , un sous-lieu-
tenant, un sergent-major, deux sergens, un caporal-fourrier,
quatre caporaux , quatre appointés , quarante-huit grenadiers ,
deux tambours : total trois officiers et soixante-deux grenadiers.
Chaque compagnie de fusiliers sera composée d'un capitaine, un
lieutenant, un sous-lieutenant, un sergent-major, trois sergens ,
un caporal-fourrier, six caporaux, six appointés , soixante-sept
fusiliers, deux tambours: total trois officiers, quatre-vingt-six
fusiliers.
Il sera attaché à chaque de.ni-brigade six pièces de canon du
calibre de quatre avec tous les attirails nécessaires; et pour le ser-
vice de ces pièces , il sera formé par chaque demi-brigade une
compagnie de canonniers volontaires composée comme celle des
grenadiers, excepté que le nombre de canonniers sera porté à
soixante-quatre hommes, non compris les officiers et sous-offi-
ciers.
Complet d'une demi-brigade en officiers , sous-officiers et sol-
dats , deux mille quatre cent trente-sept hommes, avec six pièces
de canon de quatre.
Complet de l'infanterie de ligne, cent quatre-vingt-seize demi-
brigades, quatre cent soixante-dix-sepl mille six cent vingt-deux
hommes, avec mille cent soixante-seize pièces de campagne.
(). Les officiers et sous-officiers qui se trouveront réformés
par la présente organisation conserveront leur traitement ac-
tuel et feront le service attaché à leur grade comme adjoints
i72 CONVENTION NATIONALE.
jusqu'à leur remplacement, lequel aura lieu à la première vacance
dans le grade dont ils étaient pourvus , et par préférence à tous
autres.
7. La solde sera la même , ainsi que le traitement de guerre
pour tous les individus composant l'infanterie française , chacun
suivant son grade ; et l'on prendra pour base la plus forte paie
de chaque grade.
Il n'y aura plus qu'une classe de capitaines , dont les appointe-
mens seront portés uniformément à deux mille deux cents livres,
pied de paix , sans préjudice du traitement de guerre; mais ceux
qui jouissent d'un plus fort traitement le conserveront jusqu'à ce
qu'ils aient monté en grade.
8. La Convention nationale ajourne la réunion des bataillons
de volontaires avec ceux de ligne jusqu'à ce qu'elle en ait au-
trement ordonné : provisoirement les corps resteront organisés
comme ils sont ; mais la Convention ordonne au ministre de la
guerre de lui présenter au preniier mars prochain le tableau de
cette réunion et du mode d'exécution , afin qu'elle connaisse les
cadres qu'il est utile de conserver et compléter , ce tableau de-
vant servir de base au recrutement.
9. A dater du quinze mars prochain, toute l'infanterie française
sera payée sur le nouveau pied , et jouira du nouveau mode d'a-
vancement; mais les bataillons ne rouleront qu'entre eux, jusqu'au
moment de leur réunion en demi-brigades.
10. Le ministre de la guerre fera imprimer dans le plus court
délai, et distribuer aux membres delà Convention nationale, et à
tous les officiers des éiats-majors des armées , la liste des colonels
et maréchaux-de-camp en activité , avec la date de leur ancien-
neté de service, afin que chaque militaire puisse connaître le rang
que lui assure son ancienneté, aux termes de la loi. Ls ministre
tiendra la main à ce que les rangs d'ancienneté de service de
chaque officier et sous-officier dans les différens corps soient
toujours affichés au corps de garde du chef-lieu des bataillons.
11. Jusqu'au moment de la réunion des bataillons de ligne
avec ceux de volontaires en demi-brigades, il ne sera pourvu à la
FÉVRIER { 1793 ). if5
nomination d'aucun emploi de colonel ou chef de brigade dans
ces corps.
SECTION II. —Du mode d'avancement.
Art. i. Dans tous les grades, excepté celui de chef de brigade
et celui de caporal , l'avancement aura lieu de deux manières :
savoir, le tiers par ancienneté de service à grade égal , roulant
sur toute la demi-brigade, et les deux tiers au choix dans le ba-
taillon où la place sera vacante.
2. On commencera par le tour d'ancienneté ; à titre égal entre
les deux concurrens , la place appartiendra au plus âgé.
5. Lorsqu'un emploi de colonel en chef de brigade sera vacant,
il appartiendra toujours à l'ancienneté parmi les chefs de batail-
lon de la demi-brigade , d'abord au plus ancien de service, en-
suite au plus ancien de grade , et toujours alternativement.
4. Les quartiers-maîtres-trésoriers , adjudans-majors , adju-
dans sous-officiers, seront à la nomination du conseil d'admini-
stration de la demi-brigade , et pourront être choisis indiffé-
remment dans les trois bataillons.
5. Les caporaux seront choisis , à la majorité absolue, parmi
tous les volontaires du bataillon , mais seulement par les volon-
taires de la compagnie où la place sera vacante.
6. La nomination aux emplois pour le choix se fera de la ma-
nière suivante :
1» Pour nommer un chef de bataillon , les électeurs seront,
dans le bataillon où l'emploi sera à nommer , tous les membres
qui le composent.
2° Pour les places de capitaine , lieutenant, sous-lieutenant et
sergent , les électeurs seront tous les membres de la compagnie
où le grade sera vacant , et qui y seront subordonnés.
3° L'appel sera fait en présence du commandant, par le ser-
gent-major de chaque compagnie. Les électeurs écriront ou
feront écrire à l'instant de l'appel, par qui ils voudront, leur bil-
let de préseniation , et le remettront eux-mêmes plié dans une
boîte fermée.
474 CONVENTIOiN NATIONALE,
i" Le scrutin sera toujours dépouillé sur-le-champ par les trois
plus anciens soldats qui sauront lire et écrire, et en présence des
électeurs.
o° L'élection sera faite par les individus présens aux drapeaux.
Ceux qui seront de service pourront envoyer leur billet de pré-
sentation sifjné d'eux ou de deux témoins.
6° Les candidats pourront être choisis, absens comme présens,
sur toute la demi-brigade.
7° Les candidats à présenter seront toujours au nombre de
trois pour une place vacante, et seront pris dans le grade immé-
diatement inférieur à celui qui sera vacant : savoir, pour une place
de sergent, parmi les caporaux, pour une sous-Iieutenance,
parmi les sergens ; pour une lieutenance , parmi les sous-lieute-
nans, pour une compagnie parmi les lieutenans , et pour les chefs
de bataillon, parmi les capitaines,
8" Il y aura un scrutin épuratoire ; et ce scrutin sera fait à la
majorité absolue des suffrages par les individus du grade égal à
celui qui sera vacant, et du même bataillon , qui choisiront , pour
remplir cette place , celui des trois candidats qui auront été pré-
sentés par le corps , et qu'ils jugeront le plus méritant.
9° Pour nommer un chef de baiaillon, le scrutin épuratoire
sera fait par le chef de brigade eî les deux autres chefs de batail-
lon, s'ils sont présens; à défaut de l'un d'eux, il sera remplacé
par un capitaine nommé ad hoc par les capitaines du bataillon où
la place sera vacante , et qui ne pourra être un des candidats pré-
sentés.
7. Il est expressément défendu à tout militaire de se trouver en
armes à aucune élection , sous peine de perdre son droit d'élec-
tion pendant un an , et de huit jours de prison.
8. Lorsqu'un sujet aura été présenté trois fois de suite par ses
camarades , et qu'il n'aura pas été nommé , s'il est présenté une
quatrième fois, il le sera sans concours d'aucun autre candidat,
et la place vacante au choix lui appartiendra de droit,
9. Les procès-verbaux de chaque nomination seront inscrits
sur un registre ; le double en sera envoyé au ministre de la guerre,
FÉVRIER (1795). 175
qui fera expédier des brevets portant pour date celle du jour de
la nomination.
10. Les élus aux places vacantes seront reconnus par les corps
dans les formes accoutumées , le lendemain de leur nomination ;
et, à dater de ce jour, ils en feront les fonctions, et jouiront de
tous les émolumens qui y seront attachés.
11. Les chefs de corps tiendront !a main à ce que les élections
se fassent dans la huitaine qui suivra la vacance d'une place au
choix. Quant aux places à l'ancienneté, ils les feront remplir, à
l'instant de la vacance, par ceux à qui elles appartiendront de
droit , et en rendront compte au ministre, le tout à peine d'être
personnellement responsables des indemnités dues à ceux qui au-
raient été privés de leurs emplois.
12. Les emplois de généraux de brigades, ci-devant maréchaux
de camp, seront donnés aux chefs de brigade ou à ceux qui
avaient ci-devant le grade de colonel en activité de service sur
toutes les armées de la République ; savoir, le tiers à l'ancienneté
de leurs services , et les deux tiers au choix du ministre de la
guerre, qui rendra compte au corps législatif, chaque mois, des
promotions qu'il aura faites.
13. La même forme ci-dessus sera observée pour les promo-
tions du grade de générd de brigage à celui de généra! de divi-
sion, ci-devant lieutcnant-généial.
14. Les généraux en chef n'auront qu'une commission tem-
poraire : ils seront choisis, par le conseil exécutif, parmi les gé-
néraux de division , sous la ratification expresse de l'assemblée
nationale.
TITRE III. — Cavalerie et dragons.
Art. 1. Les vingt-neuf régimens de cavalerie, compris ceux
créés à l'École-Militairo, et les dix-huit régimens de dragons, se-
ront portés a quatre escadrons par régiment , à raison de cent
hommes par compagnie, dont dix à pied; provisoirement, les
escadrons resteront fixés à cent soixante-dix hommes.
2. Pour opérer la nouvelle fornriation, tous les officiers et
17G CONVENTION NATIONALE.
sous-officiers du quatrième escadron seront choisis par le minis-
tre , chacun dans son grade respectif, parmi ies officiers et sous-
officiers des trois escadrons existans, ainsi que le quart en cava-
lerie ou dragons.
5. Après la nouvelle formation effectuée, Tavancement aux
grades militaires se fera , dans la cavalerie et les dragons , dans
la même forme indiquée pour l'infanterie , respectivement aux
différens grades ; il ne sera d'ailleurs rien dérogé aux institutions
établies, concernant la cavalerie et les dragons, par les précédens
décrets.
TITRE III. — Cavalerie légère.
Art. 1. Les douze régimens de chasseurs à cheval, et les huit
régimens de hussards seront porlés de quatre à cinq escadrons,
sur le même pied que la cavalerie de ligne.
2. Il sera attaché à chacun de ces régimens un lieutenant-colo-
nel de plus , à raison de l'augmentation de deux escadrons.
3. Il sera formé de la cavalerie de toutes les légions qui sont
au service de la République, ainsi que des corps francs à cheval,
huit nouveaux régimens de chasseurs à cheval , sur le même pied,
le même uniforme que les douze régimens qui existent, et à la
même paie ; mais les individus qui composeront ces nouveaux
corps n'en prendront l'uniforme qu'à mesure qu'on sera obligé
de renouveler leur habillement et équipement. Le ministre est
chargé d'opérer cette formation dans le plus court délai, et d'en
rendre compte à la Convention. Après la nouvelle organisation
de la cavalerie légère consommée, l'avancement aux grades mi-
litaires aura lieu dans ces corps dans la môme forme qui a été
indiquée pour l'infanterie , sans déroger néanmoins aux lois con-
cernant les troupes lé3ères, par tout ce qui n'a point de rapport
au présent décret.
titre rv. — Infayiterie légère.
Art. 1. Les quatorze bataillons d'infanterie légère recevront la
même formation que l'infanterie de ligne: en conséquence, le
FÉVRIER (1795). 177
ministre de la guerre formera en bataillons les corps francs à
pied et les troupes d'infanterie des légions, et il fera l'incorpo-
ration de deux de ces bataillons avec un bataillon de chasseurs ,
par ordre de nume'ro. Trois bataillons ainsi réunis formeront
une demi-brigade d'infanterie légère , qui aura même organisa-
tion et même paie que l'infanterie de ligne. Après la formation
de ces demi-brigades , elles jouiront du même mode d'avancement
que l'infanterie de ligne.
2. Le ministre de la guerre est autorisé à employer, dans la
formation de demi-brigades d'infanterie légère, ceux des batail-
lons de volontaires existans qui désireraient faire ce service à dé-
faut des bataillons des légions.
5. S'il reste à employer des corps qui n'auraient pas trouvé
place dans la nouvelle organisation des armées , le ministre en
rendra compte à la Convention, pour qu'elle avise aux moyens
de rendre leurs services utiles à la République.
TITRE v. — Artillerie.
Art. 1. Il ne sera rien changé à l'organisation du corps de
l'artillerie; mais il aura la faculté de se recruter, pendant que la
guerre durera , dans tels corps qu'il jugera convenable de gré à
gré, et par des individus de bonne volonté, sous l'agrément du
général commandant la division.
2. Les lieutenans d'artillerie continueront d'être choisis dans
l'école des élèves établie à Châlons , au concours , abstraction
faite de la moitié des places de lieutenans , accordées par la loi
aux sous-officiers.
A l'égard des autres grades d'artillerie dans les régimens et
compagnies de mineurs et d'ouvriers ou artillerie à cheval, on y
parviendra suivant le mode établi pour l'infanterie.
3. La solde des canonniers sera portée au même taux que celle
de l'infanterie , sans préjudice aux augmentations proportion-
nelles dont ce corps jouissait précédemment suivant les différens
grades, demanière que le canonnier, qui jouissait par jour d'un
T. xyiv, 12
J78 CONVENTION NATIONALE.
SOU de paie de plus que le soldat de ligne, ne perde pas cet avan-
tage, et ainsi de suite pour les traitemens différens.
4. Les compagnies d'artillerie à cheval seront portées au nom-
bre de vingt, conformément à leur première organisation.
TITRE VI. — De la genclm^mme.
Arlicle unique. Les corps de gendarmerie nationale , de cava-
lerie et d'infanterie employés à l'armée resteront provisoi-
rement composés ainsi qu'ils le sont , et seront recrutés par des
gendarmes de leurs départemens respectifs ; en cas de vacance
d'emploi , les remplacemens se feront dans la même forme pres-
crite pour les autres corps soit d'infanterie, soit de cavalerie,
suivant leur espèce d'arme , à dater de la publication du présent
décret.
TITRE VII. — Du (jénîc.
Art. i. Le ministre de la 'guerre est autorisé à compléter le
corps du génie militaire, soit par des ingénieurs géographes, soit
par des ingénieurs des ponts et chaussées, et le service qu'ils ont
fait dans leur état leur sera compté comme service militaire; en
cas d'insuffisance , le ministre est autorisé à choisir parmi des
citoyens dont les fonctions sont les plus analogues à celles du
corps du génie, d'à près un examen de théorie et de pratique fait
par une commission que le ministre nommera ad hoc.
2. Dans les places qui se trouveraient dépourvues du nombre
d'ingénieurs suffisant pour le service , le ministre est autorisé à
nommer desadjoints en nombre suffisant, sur la présentation des
chefs du génie , et à leur attribuer un traitement analogue à leur
genre d'utilité.
TITRE VIII. — Élats-majors.
Art. 1. Il y aura par chaque armée un général en chef, un
général divisionnaire, et deux brigadiers généraux d'avant-garde ,
un général divisionnaire et deux brigadiers généraux de réserve,
un brigadier général chef d'état-major, quatre adjudans généraux
FÉVRIER (179ÔV i79
et huit adjoints pour le bureau , un commissaire géne'ial et deux
commissaires ordinaires, un quartier général.
2. Chaque division, composée de quatre demi-brigades , sera
commandée par un général divisionnaire , ayant sous ses ordres
deux brigadiers généraux, un adjudant-général, deux adjoints et
un commissaire des guerres.
5. Le tiers des adjudans généraux aura le grade de chef de
brigade; les deux autres tiers, celui de chef de bataillon.
4. Les adjudans généraux chefs de bataillon seront choisis par
le ministre parmi les capitaines de l'armée qui auront au moins
deux ans de service en cette qualité, ou parmi les chefs de ba-
taillon ou d'escadron en activité.
5. Les adjudans généraux chefs de bataillon monteront au
grade de chefs de brigade , le tiers par ancienneté, et les deux
tiers au choix du ministre.
6. Les adjudans généraux chefs de brigade rouleront avec tous
les chefs de brigade des armées de la République pour l'avan-
cement au grade de brigadier général, conformément à l'article
il de la deuxième section du titre premier.
7. Les commissaires des guerres resteront provisoirement or-
ganisés comme ils le sont; leur surveillance étant purement admi-
nistrative, ils seront toujours nommés par le ministre de la guerre,
mais ils ne pourront être choisis que parmi les élèves commis-
saires ou les quartier-maîtres de l'armée.
8. Les adjoints à l'état-major n'ayant qu'une commission tem-
poraire, et devant être subordonnés aux adjudans généraux,
seront pris indistinctement dans tous les grades de l'armée, jus-
qu'à celui de chef de bataillon exclusivement; ils recevront à
titre de gratification cent livres par mois ; ils conserveront leur
traitement et leur rang dans le corps auquel ils appartiendront
et seront choisis par les adjudans généraux près desquels ils
seront employés , avec l'agrément du chef de l'état-major gé-
néral.
iO. Les aides de camp resteront au nombre fixé pour chaque
grade d'officier-général auquel ils sont attachés ; les généraux en
180 CONVENTION NATIONALE.
chef pourront cependant, s'ils en ont besoin, avoir deux aides de
camp capitaines de plus que ceux qui ont été fixés par les pré-
cédens décrets.
dO. Ceux qui sont maintenant en activité jouiront du traitement
qui leur est assigné par les précédentes lois ; mais pour obtenir
de l'avancement , ils seront tenus de se faire employer dans un
des corps de l'armée , et alors ils se conformeront à l'article sui-
vant.
H. A l'avenir les généraux ne pourront choisir leurs aides de
camp que parmi des officiers employés dans l'armée , et 'de
même que les adjoints à l'état-major , leur commission sera tem-
poraire. Ils conserveront leur rang et leurs droits à l'avancement
dans les corps auxquels ils seront attachés , et recevront cent
francs par mois de gratification indépendamment du traitement
attaché à leur grade; dès qu'un aide de camp cessera d'être em-
ployé en cette qualité, il reprendra sa place dans son corps.
12. Il ne pourra jamais sortir plus de deux sujets d'un ba-
taillon , ni plus d'un par escadron , soit pour être aide de camp ,
soit pour être adjoint à l'état-major général; le troisième qui en
sortirait perdrait son rang et son emploi dans le bataillon , et il
serait à l'instant pourvu à son remplacement. Ceux des adjoints
à l'état-major qui se trouvent maintenant dans ce cas seront tenus
de rentrer dans leur corps.
15. Tous les appointemens et traitemens de guerre resteront
dans l'état où ils ont été déterminés, suivant les différons grades,
pour tout ce à quoi il n'a pas été dérogé par la présente loi.
14. Tous les agens de l'administration des vivres, des hôpitaux
et de tous les détails concernant les armées seront à la nomi-
nation du ministre qui en remettra, les états à la Convention na-
tionale.
lo. La Convention nationale se réserve de récompenser les ac-
tions d'éclat et les services imporlans rendus à la République.
I
FÉVRIER (1795). i8l
Loi fjid constitue les gardes nationales en état de réquisition per-
manente.
La Convention nationale déclare ù tous les Français que les
despotes coalisés menacent la liberté. En conséquence elle dé-
crète :
Art. \. Tous les citoyens français , depuis l'âge de dix-huit
jusqu'à 40 ans accomplis, non mariés ou veufs sans enfans, sont
en état de réquisition permanente jusqu'à l'époque du complé-
ment du recrutement effectif de trois cent mille hommes de
nouvelle levée, décrétée ci-après.
2. Le conseil exécutif, et subsidiairement les généraux des ar-
mées de la République , pourront requérir lesdils citoyens ; les
généraux , en rendant compte au conseil exécutif, le conseil exé-
cutif à la Convention, du nombre de ceux qui auront été requis
et des départemens à qui les diverses réquisitions auront été
faites.
Loi sur la levée de trois cent mille hommes, et sur le mode àsui^
vre pour opérer cette levée.
Art. l.La Convention nationale fait l'appel de trois cent mille
hommes, qui se réuniront dans le plus court délai aux armées de
la République.
2. La répartition des citoyens à marcher se fera de la manière
suivante:
o. Au nombre des trois cent mille hommes à lever , on ajou-
tera celui des hommes classés pour la marine , plus celui des vo-
lontaires nationaux présumés aux drapeaux , lesquels seront es-
timés à deux cent cinquante par bataillon ; le nombre total ré-
sultant de cette opération sera réparti entre les départemens ;
en raison de leurs populations.
4. On déduira du nombre correspondant pour chaque dépnr-
tement celui des hommes classés jusqu'à cinquante mille, plus
celui de deux cent cinquante hommes pour chaque bataillon ,
i82 CONVENTION NATIONALE.
fournis parles divers départemens , le restant sera le nombre des
citoyens à lever dans chaque département , conformément au
tableau ci-annexé.
5. Dans les départemens maritimes , ou dans ceux qui four-
nissent au service des classes, on aura également égard au nom-
bre d'hommes classés pour le service des vaisseaux de la Répu-
blique.
6. Dans les vingt-quatre heures après la réception de la loi ,
les directoires de département feront la répartition des hommes
à fournir par les districts de son arrondissement dans le même
délai.
7. Les corps administratifs, dans cette répartition, auront égard
au nombre d'hommes qui auront déjà été fournis soit par les
districts , soit par les communes , dans le cas néanmoins où ces
mêmes hommes se trouvent dans ce moment dans les armées de
la République.
8. Le directoire de département enverra un commissaire par
district , et requerra chaque district d'en envoyer un par canton ,
pour suivre et surveiller dans les diverses communes les opé-
rations relatives à la levée.
9. Aussitôt que les officiers municipaux auront reçu l'état des
hommes que leur commune devra fournir , ils en donneront con-
naissance aux citoyens , qui seront convoqués à cet effet.
10. Il sera ouvert, pendant les trois premiers jours qui suivront
cette première notification , un registre sur lequel se feront in-
scrire volontairement ceux qui voudront se consacrer à la défense
de la patrie.
il. Dans îe cas où l'inscription volontaire ne produirait pas le
nombre d'hommes fixé pour chaque com.mune , les citoyens se-
ront tenus de le compléter sans désemparer, et pour cet effet ils
adopteront le mode qu'ils trouveront le plus convenable à la plu-
rahté des voix.
i% Quel que soit le mode adopté par les citoyens assemblés
pour compléter leur contingent, le compiément ne sera pris que
FÉVRIER (1793). 185
parmi les garçons et veufs sans enfans, depuis l'âge de dix-huit
ans jusqu'à quarante accomplis.
15. Les officiers municipaux, après avoir donné connaissance
aux citoyens assemblés du nombre de volontaires que leur com-
mune doit fournir, feront lecture des articles de la présente loi ,
ainsi que de celle relative aux pensions, retraites et gratifications
auxquelles les défenseurs de la patrie auront droit de prétendre à
la fin de la guerre.
14. Les directoires de département feront réimprimer, sans dé-
lai, un nombre suffisant d'exemplaires de la partie de ces diverses
lois relatives aux objets ci-dessus , pour en faire passer à chaque
municipalité de leur arrondissement.
lu. Les citoyens qui se sont fait remplacer lors des levées
précédentes concourront avec les autres citoyens à la levée ac-
tuelle.
16. Tout citoyen qui sera appelé à marcher à la défense de la
patrie, conformément à ce qui est dit dans les articles précédens,
aura la faculté de se faire remplacer par un citoyen en état de
porter les armes âgé au moins de dix-huit ans, accepté par le
conseil-général de la commune.
17. Ceux des citoyens qui se feront remplacer seront tenus
d'armer, d'équiper et habiller à leurs frais les citoyens qui les
remplaceront; et ils en seront responsables jusqu'à ce qu'ils aient
été reçus au corps qui leur sera désigné.
18. Aucun citoyen ne pourra se dispenser de se rendre à l'as-
semblée convoquée en vertu de cette loi.
19. Les citoyens qui , sous quelque prétexte que ce soit , ne se
rendraient pas à cet appel , ne seront pas dispensés de concourir
avec les cantons , d'après le mode adopté par l'assemblée.
20. Ne seront point compris dans l'appel général pour celte
levée , savoir :
1" Ceux que des défauts de conformation mettent hors d'état
de porter les armes ;
2° Les administrateurs composant les directoires de départe-
ment et de district;
184 CONVENTION NATIONALE.
5" Les procureurs-généraux-syndics ;
4° Les secrétaires-généraux de district ;
5° Les maires et officiers municipaux , et procureurs de com-
mune;
6° Les membres des tribunaux civils et criminels , le greffier,
les commissaires nationaux, les juges-de-paix;
7° Les receveurs de district ; '
8° Les receveurs et directeurs d'enregistrement ;
9° Les ouvriers employés à la fabrication des armes et des
poudres.
21. Aussitôt que le nombre des citoyens demandés à chaque
commune sera complet , les noms des citoyens prêts à marcher
seront proclamés , insérés dans le procès-v erbal de l'assemblée ,
dont il sera délivré un extrait à chacun d'eux.
22. Les officiers municipaux sont tenus de présenter les ci-
toyens de leur commune qui devront marcher aux agens mili-
taires que le ministre de la guerre enverra , conformément à
ce qui sera dit ci-après, lesquels constateront, suivant l'usage,
qu'ils sont en état de servir, dresseront leur signalement et don-
neront un double du tout , signé de l'an d'entre eux , aux officiers
municipaux.
23. Les officiers municipaux enverront, immédiatement après
la réception des citoyens de leurs communes , deux minutes du
procès-verbal et de leur décharge , savoir : l'une au prccureur-
syndic, et l'autre au procureur-général.
24. Le procureur de chaque département fera passer, dans le
plus court délai , au ministre de la guerre et à l'agent militaire
supérieur chargé de surveiller cette levée, copie de toutes les
pièces ci-dessus mentionnées et certifiées véritables.
TITRE II. — Habillement j équipement, armement et subsistances.
Art. 1. Il sera mis à la disposition du ministre de la guerre les
sommes nécessaires pour habiller, équiper et armer les trois
cent mille citoyens dont la levée est ordonnée par le titre 1".
2. Les receveurs de district feront provisoirement les frais né-
iÉvuiiiR(1793). 185
cessaires pour l'habillement, l'équipement et armement des ci-
toyens qui devront marcher.
5. Le ministre de la guerre sera tenu de rembourser succes-
sivement les avances faites à cet effet par chaque receveur de
district.
4. Les municipalités, et à leur défaut les directoires de district
ou de déparlement , sont tenus , sur leur responsabilité , de
pourvoir, dans la huitaine du jour delà proclamation des ci-
toyens à marcher, à l'entier habillement et fourniment desdits
citoyens.
5. A cet effet , les municipalités et corps administratifs requer-
ront, pour l'intérêt public, les citoyens connue pour avoir un
uniforme, et préférablement choisis dans la classe aisée, de li-
vrer de suite leur habit, veste et culotte uniformes, à peine de
200 livres d'amende en cas de refus.
G. Les municipahlés et corps administratifs ne pourront re-
quérir les citoyens de fournir leur uniforme, conformément à
l'article précédent, qu'en nombre égal à celui des citoyens de leur
commune, canton ou district, qui devront marcher, et qui ne se
trouveront point habillés.
7. Les habits fournis d'après les réquisitions autorisées par les
articles V et VI du présent titre seront de suite remboursés à
ceuK qui les exigeront par le receveur du district, et d'après les
estimations qui en auront été faites par un expert nommé par les
municipalités, et, à leur défaut, par le directoire de district ou
celui de département.
8. Dans le cas où les citoyens à marcher se trouveraient déjà
revêtus d'un uniforme complet, et pourvus de leur fournilure,
soit en tout, soit en partie, l'esiimiuion en sera faite par-devant
le directoire de district, par un expert qu'il nommera à cet effet,
et ils en seront de suite remboursés, s'ils l'exigent, et d'après
l'estimation , par le receveur du district.
9. Les municipahlés , les directoires de district et de départe-
ment seront tenus de requérir de suite tous les cordonniers de
leur domicile et arrondissement de travailler pour les citoyens
186 CONVENTION NATIONALE.
qui devront marcher jusqu'à ce qu'il soit vérifié qu'ils emportent
avec eux deux paires de souliers neufs , du modèle ordinaire , y
compris celle qu'ils auront aux pieds.
40. Il sera fourni sur-le-champ un chapeau neuf à chaque ci-
toyen destiné à partir, du prix de 6 à 7 liv., conforme à celui ar-
rêté pour les troupes , et ce, par les municipalités ou autres ad-
ministrateurs.
41. Les sommes allouées pour ces différentes dépenses seront
délivrées aux officiers municipaux, sur la demande qu'ils en feront
aux administrateurs, aussitôt après les nominations et réceptions
de citoyens à marcher.
42. Dans tous les cas, les officiers municipaux ou administra-
teurs seront responsables du bon emploi des sommes qui leur
auront été confiées et de la bonne qualité de toutes les fourni-
tures.
13. Les officiers municipaux qui seront chargés de l'habille-
ment , équipement , etc. , tiendront une note exacte des dépenses
faites pour l'achat des étoffes et les frais de façon de toutes ces
diverses parties ; et l'état général , signé d'eux , sera envoyé aux
administrations de département et de district, qui, après l'avoir
examiné et visé, le feront passer au ministre pour servir de pièce
de comptabilité.
14. Les fournitures et habillemens délivrés a chaque homme
seront soumis à la réception des agens militaires. En cas de con-
testation sur leur qualité ou bonne façon , elle sera jugée par des
experts nommés concurremment par l'administration du district
et les agens militaires.
15. S'il existe dans une commune des fusils qui aient été tirés
des arsenoux ou salles d'armes de la République , ils seront em-
ployés à l'armement des citoyens désignés pour marcher.
16. l-.es officiers municipaux et officiers des gardes nationales
sont personnellement responsables de l'exécution immédiate de
l'article ci-dessus.
17. Les administrations de département et de district, ainsi que
les agens militaires, sont à cet effet chargés de se faire rendre
FÉVKIEK {1795). 187
compte des armes que chaque commune a reçues des arsenaux
ou salles d'armes de la République, et de vérifier les reçus que
les officiers municipaux ou de garde nationale ont dû remettre
aux gardes d'artillerie ou autres agens publics.
18. Au défaut d'armes appartenant à la République, les citoyens
de chaque commune seront armés de fusils de guerre apparte-
nant, soit aux communes, soit aux particuliers.
i9. Les communes ou particuliers qui auront délivré des ar-
mes aux citoyens seront remboursés immédiatement de leur va-
leur sur les sommes remises à cet effet dans les caisses des re-
ceveurs des districts.
20. Le prix de ces armes sera déterminé par des experts
nommés concurremment par les agens militaires et les direc-
toires de district, et il ne pourra, dans aucun cas, dépasser
42 livres , prix fixé pour les fusils neufs conformes au modèle
de 1777, et armés de leurs baïonnettes.
21. Les procès-verbaux de réception seront envoyés par les
administrations de département au ministre de la guerre, pour
servir de mode de comptabilité.
2;2. Aucune commune ou citoyen ne pourra se dispenser, en
exécution de Tarticle lo du présent titre, de faire connaître les
fusils en leur possession , sous peine de confiscation de l'arme
qu'ils n'auront pas déclarée, et d'une amende du triple de la
valeur d'un fusil uniforme, c'est-à-dire de 126 Uvres.
23. Les officiers municipaux seront personnellement respon-
sables pour leurs communes.
24. Les administrateurs de département et de district, et les
agens militaires , sont chargés d'employer tous les moyens de
réquisition et d'autorité, comme aussi de faire toutes les re-
cherches nécessaires pour l'exécution des articles ci-dessus con-
cernant l'armement des citoyens à marcher.
2o. Les citoyens destinés à marcher sont à la solde de la na-
tion du jour de leur inscription , et recevront la paie de 20 sous
par jour, sauf les retenues prescrites par les décrets, et seule-
188 CONVENTION NATiONALE.
ment jusqu'au jour de leur départ ordonné par les agens mili-
taires.
26. Les agens militaires sont chargés de faire payer à chaque
homme, dans les formes ordinaires, ce qui lui revient, déduction
faite de toute retenue.
27. Tous les citoyens en route pour rejoindre , d'après les
ordres qu'ils en auront reçus des agens militaires, recevront pen-
dant toute leur route trois sous par lieue et l'étape , ainsi que les
volontaires qui, ayant quitté leurs drapeaux , soit par congé soit
sans congé, rejoindront avant le 1" avril.
28. Pour procurer la prompte et entière exécution des ar-
ticles ci-dessus, le ministre de la guerre fera passer dans chaque
district de la République le nombre d'oîficiers et sous-officiers
qu'il jugera nécessaire pour suivre les détails de la levée; il nom-
mera en outre un commissaire ou agent supérieur par dépar-
tement , qui dirigera et surveillera toutes les opérations en se
concertant avec les administrations.
TITRE m. — Du complément des troupes achevai et d'artillerie.
Art. 1. Les troupes à cheval de la République seront portées
au complet [de cent soixante-dix hommes , par escadron fixé par
les décrets , par des hommes de bonne volonté pris dans les ba-
taillons d'infanterie de toute dénomination.
2. Les régimens d'artillerie seront pareillement complétés par
des hommes de bonne volonté pris dans l'infanterie.
3. Toute autre augmentation, soit dansles troupes à cheval, soit
dans l'artillerie , s'effectuera au moyen de la levée ordonnée par
le titre I" de la présente loi.
4. Si le nombre de trois cent mille hommes levés en consé-
quence du titre l*^"" est supérieur aux besoins , l'excédent sera
réparti de la manière que le ministre jugera la plus utile.
Le conseil exécutif provisoire est chargé d'envoyer le présent
décret aux administrateurs de département par des courriers
extraordinaires, et il rendra conipte à la Convention nationale de
son exécution tous les huit jours. Les adminislralions de district
FÉVRIER (1793). i89
et de département sont tenues défaire connaître à fur et à mesure,
les premiers à celles de départemens , et celles-ci au ministre de
la guerre, les mesures qu'elles auront prises pour rexécution de
la présente loi.
Étal des hommes à fournir par chaque département y en raison de
sa population, déduction faite du nombre d'hommes déjà fournis ,
et restés sov^ les drapeaux.
L'Ain, 5,iG0; l'Aisne, 1,600; l'Allier, 2,240; Hautes-Alpes,
5,280 ; Basses- Alpes , 5,280 ; Ardèche , 2,040 ; Ardennes , 5,040;
Arriège, 4,600; l'Aube, 4,o80; l'Aude, 2,560; Aveyron , 2,400.
Bouches-du-Rliône , %ASO.
Calvados, 2,720; Cantal , 5,000 ; Charente , 4,640; Charente-
Inférieure, 5,440; Cher, 5,120; Corrèze, 2,880; Côte-d'Or,
4,560 ; Côtes-du-Nord , 6,000 ; Creuse, 2,889.
Dordogne, 5,280; Doubs, 5,680; Drôme, 2,640.
Eure, 5,440; Eure-et-Loir, 2,000.
Finistère, 4,160.
Gard , 4,000 ; Haute-Garonne , 5,520 ; Gers , 1 ,920 ; Gironde ,
6,060.
Hérault , 5,4i0.
lUe-et- Vilaine , 5,120; Indre, 5,760; Indre-et-Loire, 4,520;
Isère, 5,680; Jura, 1,600.
Landes, 2,880; Loir-et-Cher, 2,880; Haute-Loire, 2,6i0;
Loire-Inférieure , 5,760 ; Loiret , 5,040 ; Lot , 5,440 ; Lot-et-Ga-
ronne, 1,920; Lozère, 6,080.
Maine-et-Loire , 5,000 ; Manche, 5,920; Marne, 5,920; Haute-
Marne, 5,440: Mayenne, 5,700; Meurthe, 5,529; Meuse , 5,420;
Morbihan, 4,000; Moselle, 5,040.
Nièvre, 5,680; Nord, 4,000.
Oise, 4,800; Orne, 5,700.
Paris , 1 2,800 ; Pas-de-Calais , 5,520 ; Puy-de-Dôme , 7,280 ;
Hautes-Pyrénées , 2,480 ; Basses-Pyrénées , 2,080 ; Pyrénées-
Orientales, 620.
Haut-Rhin, 5,760; Bas-Rhin , 5,600; Rhône-et-Loire , 6,520.
J90 CONVENTION NATIONALE.
Haute-Saône, 5,160; Saône-et-Loire, 3,920; Sarthe > 5,G80 ;
Seine-et-Oise , 2,800; Seine-Inférieure; 2,480; Seine-et-Marne,
5.200; Deux-Sèvres , 0,920 ; Somme, 5,360.
Tarn, 1,840.
Var , 2,000 ; Vende'e , 3,o20 ; Vienne , 3,440 ; Haute-Vienne ,
3,680; Vosges, 3,920.
Yonne , 3,760.
Décret pour l'organisation du mhûslère de la guerre.
Séance du 2 février.
Art. 1. Le ministre actuel de la guerre sera change; en con-
séquence il sera fait demain , par scrutin , une liste de candidats,
sur laquelle il sera procédé lundi , par appel nominal, à l'élection
d'un nouveau ministre. '
2. Il y aura un seul ministre de la guerre.
3. Le ministre de la guerre aura six adjoints , qui travailleront
directement avec lui dans les divisions déterminées ci-après, et
qui lui rendront compte de toutes leurs opérations.
4. Le premier adjoint sera chargé des appointemens et solde
de l'armée de ligne, des volontaires nationaux, de la gendarme-
rie nationale , des compagnies de vétérans et des invalides ;
Du traitement des officiers généraux , aides-de-camp , adjudans
généraux, commissaires des guerres, adjudans de place, et em-
ployés de toute espèce, à la réserve de ce qui concerne l'artille-
rie et le génie.
Le second adjoint sera chargé de masses et fournitures de vi-
vres, fourrages, habillemens, campemens, remontes, casernc-
mens , chauffages , hôpitaux , et autres de toute espèce , ainsi que
les marchés qui leur sont relatifs, les étapes et les convois mi-
litaires.
Le troisième adjoint sera chargé de l'artillerie , des fortifica-
tions , et de tout ce qui a rapport au matériel , au personnel , aux
trailemens et appointemens concernant cette partie.
Le quatrième adjoint s'occupera de tous les détails relatifs à
l'inspection , police , discipline , contrôle et manœuvres des trou-
FÉVRIER (1793). 191
pes, des cours martiales, des crimes et délits militaires, des
commissaires des guerres , de la gendarmerie nationale, de la col-
lection et de l'envoi des lois militaires.
Le cinquième adjoint s'occupera de l'expédition des ordres de
service aux officiers généraux , ainsi que la correspondance avec
les officiers généraux , les commandans temporaires et les corps
administratifs , du mouvement et du logement des troupes , des
projets de rassemblement et d'embarquement, âes garnisons,
des vaisseaux, des rassemblemens et détails relatifs aux volon-
taires nationaux.
Le sixième adjoint s'occupera des promotions et brevets de
vétérans , de la nomination aux emplois , de l'avancement et du
remplacement des officiers de tout grade, des congés, des reliefs
et retraites, de l'expédition des brevets de pension, de l'admis-
sion aux invalides et des écoles militaires , ainsi que des autres
objets qui n'auraient pas été prévus dans la distribution précé-
dente.
5. Le comité de la guerre sera divisé en six sections. Chaque
section sera composée de cinq membres , qui correspondront à
chaque section du département de la guerre ; en conséquence il
sera adjoint au comité de la guerre six nouveaux membres.
G. Les six adjoints seront nommés par le ministre et agréés
par le conseil exécutif. Le ministre fera connaîlre à la Conven-
tion nationale son choix et l'approbation du conseil exécutif,
dans le délai de trois jours , à compter de celui de la nomination
qu'il aura faite.
7. Les adjoints seront responsables chacun en leur partie.
Ils ne pourront être destitués qu'en vertu d'un arrêté du conseil
exécutif.
8. Les adjoints sont autorisés à expédier des copies certifiées
véritables, des ordres et missives des ministres, signés de lui et dé-
posés dans les archives du département de la guerre. lis auront
aussi la signature des ordres nécessaires à l'exécution des ordres
donnés par le ministre.
9. Tout ce qui concerne les marchés, fournitures et approvi-
d92 CONVENTION NATIONALE.
sionnemens des armées est renvoyé au comité des marchés pour
présenter incessamment un projet de décret. (Plusieurs articles
concernant les formalités pour les marchés sont renvoyés à ce
comité. )
10. Il sera présenté dans trois jours un projet d'organisation
provisoire du ministère de la marine , analogue à celui qui vient
d'être décrété pour celui de la guerre.
11. Les comités de défense générale et de constitution présen-
teront incessaiiiinent un projet de réorganisation provisoire du
ministère appelé de l'intérieur.
Décret pour l'organisation du ministère de la marine.
Séance du i 4 février.
Art. 1. n y aura un seul ministre de la marine.
2. Le ministre de la marine aura six adjoints qui travailleront
directement avec lui, dans les divisions déterminées ci-après , et
qui lui rendront compte de toutes leurs opérations.
ù. L'adjoint de la première division sera chargé des ports ,
constructions, radoubs et refontes, armemens, désarmemens,
instructions et mouvemens des forces navales , de l'infanterie et
de l'artillerie, de la marine, des batteries , des côtes, de l'in-
spection et correspondance , des fonderies et manufactures d'ar-
mes , bâtimens civils et travaux de Cherbourg.
L'adjoint de la deuxième division sera chargé des approvi-
sionnemens et munitions navales et des vivres , de l'inspection et
du martelage des bois , de la destination des ingénieurs et con-
tre-maîtres dans les forêts, des nouveaux procédés et inventions
qui ont rapport à la marine, projets de dépenses générales,
chiourmes , hôpitaux ambulans et sédentaires.
L'adjoint de la troisième division sera chargé des nomina-
tions, promotions, expéditions des brevets de tous grades civils
et militaires entretenus, mouvemens des troupes de la marine,
infanterie et artillerie, officiers de santé, de l'admission à la
demi-solde, réimpressions, dépôts et envois des lois relatives à
la marine, et des parties non prévues dans les autres articles.
FÉVRIER (1793). 193
L'adjoint de la quatrième division s'occupera des classes de
gens de mer , police des ports de commerce et de la navigation
marchande, du contrôle des rôles d'équipuges, mouvemens des
bâtimens de commerce, des parcs et pêcheries, des écoles d'hy-
drographie , phares, toues et balises , des levées et conduites des
gens de mer , et de la tenue du double des matricules , des ma-
telots classés, novices et ouvriers , et du contentieux des prises,
des lettres de marque, de la correspondance des tribunaux de
commerce et des autorités constituées , pour tout ce qui aura rap-
port aux différens détails.
L'adjoint de la cinquième division s'occupera de la comptabi-
lité de la marine et des colonies , de la distribution et répartition
des fonds de la marine et des colonies , de la correspondance gé-
nérale , relative à la comptabilité , tant dans les porls que dans les
colonies, de la comptabilité arriérée, comptabilité des gens de
mer, prises et caisses des invalides.
L'adjoint de la sixième division s'occupera des colonies occi-
dentales et orientales, des comptoirs et établissemens sur les
côtes d'Afrique et dans l'Inde, ainsi que des établissemens au-
delà du cap de Bonne-Espérance , de la nomination des officiers
miUtaires entretenus , de l'emploi des officiers civils , des trou-
pes et artillerie des colonies , de leur contrôle et de l'examen des
projets relatifs aux colonies, exclusivement.
4. Au moyen de ces dispositions, l'adnjinislration des invalides
delà marine étant divisée, le litre d'ordonnateur sera supprimé.
o. Le comité de la m;irine sera divisé en six sections ; chaque
section sera composée de cinq membres qui correspondront à
chaque section du département de la marine : en conséquence,
il sera adjoint au comité de la marine des nouveaux membres
pour compléter le nombre nécessaire à cette nouvelle division.
6. Les six adjoints nommés par le ministre, et agréés par le
conseil exécutif, le ministre fera connaître à la Convention na-
tionale son choix, et l'approbation du conseil executif dans le
délai de trois jours, à compter de celui de la nomination qu'il
aura faite.
T. XXIV. 13
i94 CONVENTION NATIONALE.
7. Les adjoints seront responsables , chacun dans leur pariie ;
ils ne pourront être destitués qu'en vertu d'un arrêté du conseil
exécutif.
8. Leur traitement sera de 10,000 livres.
9. Les adjoints sont autorisés à expédier des copies certifiées,
des ordres et missives du ministre signés de lui , et déposés dans
les archives du département de la marine ; ils donneront , sous
leur signature et responsabilité individuelle, tous les ordres de
détails nécessaires à l'exécution des ordres généraux donnés par
le ministre.
40. Les chefs de bureau et les commis seront nommés par le
ministre , sur la présentation des adjoints.
11. Les adjoints sont tenus d'habiter l'hôtel de la Marine.
12. Le ministre de la marine et ses adjoints seront tenus ,
sous leur responsabilité , de pourvoir, par tous les moyens pos-
sibles , sans aucun délai , aux approvisionnemens et aux fourni-
tures nécessaires au service des ports et arsenaux et forces nava-
les de la République.
15. Tout ce qui concerne lés marchés, fournitures et appro-
visionnemens de la marine est renvoyé au comité des marchés ,
pour présenter incessamment un projet de décret.
14. Le bureau des consulats fera partie du ministère des af-
faires étrangères.
PARTIE REVOLCTIONNAIRE.
Coup d'œ'il diplomatique. — Histoire de la rupture de la France
avec l'Angleterre.
La Convention s'était déclarée pouvoir révolutionnaire dans
tons les pays où les armées françaises pénétreraient. Elle avait
voulu détourner de la coalition les puissances restées neutres ,
en leur rendant redoutables les extrémités de la guerre. Mais la
condamnation de Louis XVI et le prosélytisme rapide des prin-
cipes nouveaux rendirent universelle la ligue contre la France,
FÉVRIER (1795). 195
Au moment où la seconde campagne allait s'ouvrir, la Républi-
que avait à combattre toutes les puissances de l'Europe , et ne
comptait pas un allié.
Les intérêts monarchiques s'étayaient principalement de con-
sidérations religieuses et morales , soulevant les peuples étran-
gers contre une nation criminelle. Un événement récent témoi-
gnait combien ces calculs avaient déjà remué de ))assions. A
Rome , le 15 janvier, le consul Bàsseville ayant voulu substituer
sur la porte de son hôtel l'écusson républicain à l'écusson royal,
le peuple s'attroupa, pilla son hôtel, et le consul lui-même fut
mortellement blessé au bas-ventre d'un coup de rasoir. Dans
cette émeute, où l'on entendait les cris de Vive le pape, vive lare-
ligion! le palais de l'école française de peintures fut aussi saccôgé
et brûlé, et plusieurs élèves y périrent massacrés.
Mais , au lieu de décourager ou d'intimider la Fr;.nce , les aus-
pices sous lesquels les hostilités allaient recommencer sur toute
l'étendue de ses frontières ne servirent qu'à exaller leisentiment
national. L'esprit général du temps dicîa les premières lignes
d'une adresse de l'armée en réponse à celle de la Convention sur
la mort de Louis XVL t Nous vous remercions , disent les soda!s,
de nous avoir mis dans la nécessité de vaincre. > Gonime le re-
marque un historien (Toulongeon, t. II. p. i'io), « la nation
entière sentit que la responsabilité du coup s'étendait à e'ie, et
qu'il fallait être la première des nations, sous peine d'être la der-
nière, ï
En déclarant la guerre à la Grande-Bretagne , la Convention
ordonna que les pièces diplomatiques écl;angées depuis le 12 mai
1792 seraient livrées à l'impression. Cette volumineuse corres-
pondance prouve seulement que les griefs articulés par l'Angle-
terre contre le gouvernement français n'avaient aucun fonde-
ment. Mais c'est ailleurs que dans ces né,^;ociations oflicieiles qu'il
faut chercher les motifs pour lesquels le cabinet anglais mit une
si grande habileté à se faire déclarer la guerre. « Les principes
révoluiiunnaires de la nouvelle république ne servirent que de
prétexte ; car trois ans après , à la première suspension d'armes,
196 CONVENTION NATIONALE.
les conférences enlamées, malgré ces principes, ne furent rom-
pues que sur des difficultés relatives à des cessions territoriales. »
( Toulongeon , loc. cit. )]
La politique astucieuse de Pitt diriga les événemens de ma-
nière à ce que l'autorité royale , l'influence ministérielle et l'o-
pinion tory, ouvertement prononcée contre toute réforme, prissent
en Angleterre une prépondérance de plus en plus absolue. Trois
sociétés, l'une des Amis du peuple, l'autre sous le titre de Société
constitutîonneile , l'autre sous celui de Société des amis de la ré-
volution de 1688, s'étaient établies à Londres. Ces sociétés s'oc-
cupaient activement des moyens d'obtenir les améliorations que
réclamaient depuis long-temps les institutions de leur pays , et
témoignaient aux révolutionnaires français de vives sympathies.
Déjà, vers la fin d'avril i792, lordGrey, membre de club des ilmis
du peuple, avait soutenu contre Pitt la nécessité d'une prochaine
réforme parlementaire.
Les désordres et les excès qui se passaient en France étaient ,
entre les mains des torys , un argument trop utile pour que le
chef de celte opinion n'abandonnât entièrement Louis XVI à la
pente fatale qui l'entraînait, si toutefois il n'aidait à la rendre plus
rapide. Certains historiens sont tombés, selon nous, dans une exa-
gération ridicule lorsqu'ils ont attribué la révolution française
aux manœuvres et à l'or de l'Angleterre. Mais on exagérerait
aussi en sens contraire si l'on avançait que les intrigues de Pitt
ne se mêlèrent jamais à nos discordes intestines pour les exciter ou
les aigrir.
Ce qu'il y a de certain , c'est que les mêmes hommes qui vou-
laient le maintien de lu paix avec la France , les Fox , les Shéri-
dan , les Grey, les chefs en un mot du parti whig , furent ceux
qui s'intéressèrent le plus au sort de Louis XVI. Ils sommèrent,
au nom de l'humanité , le ministre d'intervenir. Malgré une
adresse aa roi, votée dans ce sens par la chambre des communes,
Piit éiuda obstinément toute démarche directe en faveur du mo-
narque français , prétendant qu'une intervention de ce genre se-
FÉVRIER ( 1795 ). 197
rail inopportune et stérile. Au reste il était sur le point d'attein-
dre son but.
La mission de Chauvelin avait commencé dès les premiers
mois de 1792; il avait été précédé par Talleyrand, porteur
d'une lettre confidentielle de Louis XVI au roi d'Angleterre.
Sans entrer daus les détails des efforts, tantôt combinés, tan-
tôt séparés, de ces deux diplomates pour maintenir la neutra-
lité anglaise , nous arrivons sur-le-champ à l'époque où la rup-
ture devient imminente : les griefs de Pitt se réduisaient à trois
points principaux, savoir : 1° l'ouverture de l'Escaut; 2° le dé-
cret de fraternisation du 19 novembre, par lequel la Convention
se déclarait pouvoir révolutionnaire dans tous les pays où ses
armées pénétreraient ; 5° les projets qu'on supposait à la France
contre la Hollande. Il avait été répondu , au nom du pouvoir exé-
cutif, qu'à l'égard du premier grief, la France s'aliendail que
l'Angleterre garderait le même silence qu'elle avait gardé en 178o,
lorsque la même question avait été agitée hostilement par l'em-
pereur Joseph II; sur le second grief, que l'exécution du décret
du 19 novembre était d'une justice incontestable à l'égard des
peuples sous la domination des puissances ennemies de la France ;
mais qu'à l'égard des pays neutres , il était clair que l'intention
de la Convention n'avait jamais été de s'engager à faire de la
cause commune de quelques individus étrangers celle de toute
la nation française ; enfin , qu'il serait à désirer, au sujet de la
Hollande, que le ministère britannique ne se fût jamais plus mêlé
du gouvernement intérieur de cette république, qu'il avait contri-
bué à assevrir, que la France ne voulait s'en mêler actuellement.
Ces explications ne furent pas acceptées ; cl , le 27 novembre,
en réponse à une note de Chauvelin , qui prenait le titre de mi-
nistre plénipotentiaire de France, lord Granville exprima dans
les termes les plus formels qu'il ne lui reconnaissait d'autre ca-
ractère public que celui de ministre de sa majesté très-chrétienne.
Cependant on ne voulait pas rompre encore; d'un côté on con-
tinuait avec Chauvelin des communications extra-officielles, de
l'autre on faisait des ouvertures à Dumourier.
198 CONVENTION NATIONALE.
« Le ministre de France à la Haye, M. de Maulde, arriva en
toute hâte , dans les premiers jours de janvier, à Paris , où se
trouvait alors Dumourier; il lui dit que , si on désirait garder la
neutralité avec la Hollande et l'Angleterre , rien n'était plus fa-
cile ; qu'à la vérité les ministres des deux cours ne voulaient ni
reconnaître Ja Convention , ni traiter avec le ministre Lebrun ;
mais que le grand-pensionnaire de Hollande , Van Spiegel , et
l'ambassadeur d'Angleterre, mylord Auckland, l'avaient chargé
d'annoncer qu'on traiterait volontiers avec Dumourier. En même
temps l'agent secret Benoît, qui arrivait de Londres , dit au mi-
nistre Lebrun , de la part de Talleyrand , de Talon et autres émi-
grés constitutionnels qui avaient des relations avec le ministère
anglais , que Pitt et le conseil de Saint-James ne demandaient pas
mieux que d'assurer la neutralité, pourvu que le général Dumou-
rier fût chargé de la négociation , et passât en Angleterre pour
ia terminer.
ï Les ministres Lebrun et Garât furent d'abord les seuls du
conseil exécutif dans la confidence de cette ouverture, Dumou-
rier vit aussitôt le parti qu'il pourrait en tirer; comme il jouissait
d'un certain crédit dans les comités et dans le conseil, il obtint
que l'affaire y fut portée, avec la proposition de l'envoyer lui-
même en ambassade extraordinaire à Londres. Mais les ministres
Ciavières, Pacha et Monge s'y opposèrent par principe d'inimitiés
et de jalousie , selon Dumourier (1) , mais plutôt parce que déjà
il causait de l'ombrage, et qu'on redoutait son ambition. Du-
mourier s'étant concerté avec Lebrun et Garât , il fut convenu
qu'on suivrait l'affaire sans bruit , qu'il n'en serait plus question
dans îe conseil , et qu'on attendrait qu'elle fût dans toute sa ma-
turité pour la faire réussir. On renvoya M. de Maulde à la Haye
avec une lettre pour mylord Auckland, dans laquelle on leur
annonçait que Dumourier se trouverait à Anvers le 1'''^ février,
et que !ù s'ouvriraient les conférences. M. de Maulde était aussi
(<) La plupartde ces faits sont tirés des Mémoires mêmes de Dumonrier par le
rédacteur des Mémoires que nous citons. ( Note des auteurs. )
FÉVRIER (1793). 199
chargé de pourparlers confidentiels. » {Mémoires d*un homme
d'éto^ t. II. p. 95 et 94. )
Ces combinaisons étaient en pleine préparation lorsqu'arriva
le 21 janvier. A la nouvelle de la mort de Louis XVI, Ghauvelin
dut quitter Londres dans les vingt-quatre heures , et le territoire
anglais dans huit jours. La seule réponse au renvoi du ministre
français ne pouvait être que la déclaration de guerre. Piit allait
enfin achever d'exploiter, dans les intérêts de l'aristocratie an-
glaise, des événemens qui lui avaient déjà permis de faire sus-
pendre la liberté individuelle et la liberté de la presse ( procla-
mation du 21 mai 1792) , et dont il s'était récemment autorisé
( proclamation du 1'='' décembre de la même année) pour obtenir
un bill sur les étrangers, qui investissait le gouvernement du droit
de renvoyer hors du royaume ceux qu'il jugerait à propos d'ex-
pulser. Maintenant la classe riche ne pouvait que se soumettre
aux extensions d'autorité royale que le ministère exigerait pour
garantir la sûreté intérieure, et consentir les taxes qu'il lui plai-
rait d'imposer. Mais pour cela , il fallait que la France prît
l'initiative de la guerre. La fermentation du peuple anglais s'é-
tait accrue à tel point depuis la révolution du 10 août, qu'on aper-
cevait à Londres tous les symptômes d'un grand mouvement. Pitf,
hésitant de déclarer la guerre à la France, avait fait sonder les dis-
positions du peuple , et un cri général d'opposition s'était élevé.
Une inscription affichée sur les murs du palais du roi avait appris
à Georges lll que le signal de la guerre serait celui de sa chute.
Tout fut calculé pour porter les conseils de la France à prendre
l'initiative de l'agression , afin de leur imputer aux yeux des
Anglais tout l'odieux des hostilités. Tandis que Talleyrand était
accueilli , protégé, et avait même encore des entretiens avec les
ministres, Ghauvelin était renvoyé avec morgue; et « au mo-
ment même où la France était travaillée par les intrigues de Pitt,
on écrivait, presque sous sa dictée, à des membres influens de la
Convention , et notamment à Brissot , que la déclaration de
guerre serait le signal de !a révolution anglaise , que tout était
disposé à cet effet. » {Mémoires d'un homme d'état, loc. cit.)
200 CONVENTION NATIONALE.
Tels furent les pièges tendus par le ministre anglais au comité
diplomatique de la Convention. Ce fut à ces inspirations que céda
Brissot lorsqu'il vint, le 1" février, proposer la déclaration de
guerre. Toulongeon, à qui nous avons emprunté une grande par-
lie de notre notice , fait la réflexion suivante , par laquelle nous
terminerons : « Si quelque chose eût été capable de justifier les
épouvantables excès auxquels l'exaspération porta bientôt le
parti dominant en France , c'était la conduite de l'Angleterre et
celle des cours coalisées ; mais la postérité saura un jour, mieux
qu'on ne le sait aujourd'hui , que ces excès furent plus encore
que justifiés, c'est-à-dire motivés, excités, créés par une secrète
et coupable politique plus criminelle encore que les passions
de la haine et de la rivalité. » Ces prévisions sont en partie véri-
fiées par la citation précédente.
CONVENTION NATIONALE. — SÉANCE DU i^' FEVRIER.
Présidence de Rabaut-Saint-Étienne.
Brissot. Citoyens , vous avez renvoyé à votre comité de sûreté
générale la nouvelle pièce relative à Ja conduite de l'Angleterre
avec la république française.
Citoyens, la cour d'Angleterre veut la guerre; vous ne pou-
vez plus en douter. Le tableau de sa conduite , que votre comité
vous a présenté le 12 janvier dernier, et qu'il serait inutile de répé-
ter ici , a dû vous préparer à cet événement. On pouvait encore es-
pérer à cette époque que la raison ramènerait le ministère anglais
aux principes de la justice; que , convaincu de la futilité de ses ré-
clamations, de l'injustice de ses procédés et de ses vexations envers
les Français , et craignant le courroux d'une nation qu'il trompe,
et qui pourrait à chaque instant ouvrir les yeux à la lumière ; on
pouvait espérer, dis-je , que ce ministère abandonnerait les chi-
canes, et concourrait de bonne foi , avec le conseil exécutif pro-
visoire de la France , à maintenir la paix entre les deux nations.
FÉvRiE<n ( 1795). 201
Celle espérance, que chérissaient les hommes qui ne voient qu'a-
vec horreur une guerre entre deux peuples libres, celte espé-
rance n'est plus; les vues hostihs du cabinet de Londres sont
maintenant à découvert. Un masque perfide de neutralité les
voilait encore; votre fermeté républicaine a fait tomber ce mas-
que. Georges méditait secrètement, et depuis long-temps, la
guerre contre votre liberté ; car quel tyran vous la pardonnera
jamais? Il a corrompu l'opinion de la nation , il a effrayé le com-
merce, il a ordonné au parlement, il a menacé ses ministres;
et sûr de cette coalition , le moment est arrivé où il croit pouvoir
impunément déployer ses forces contre votre liberté. Il déclare
la guerre, en ordonnant à votre ambassadeur de«ortir de l'An-
gleterre sous huit jours; il vous la déclare, en donnant publique-
ment des marques de sa douleur sur le sort de ce conspirateur
que vous avez justement condamné au supplice ; il vous la dé-
clare, en demandant au parlement, à la nouvelle de cette mort,
une addition considérable de forces de terre et de mer.
Périsse plutôt l'Angleterre que de voir la république française
se consolider, tel est, n'en douiez pas, Français, le vœu barbare
du roi de la Grande-Bretagne; tel est le sens énergique de l'ou-
trage qu'il a fait à votre ambassadeur et des armemens qu'il or-
donne.
S'il ne vous a pas sur-le-champ et funestement déclaré la
guerre, c'est que son ministère n'a pas secondé avec assez d'ac-
tivité les ordres de sa vengeance ; c'est que ses forces ne sont
pas encore préparées pour détruire votre commerce, enlever
vos colonies, ravager vos campagnes; c'est que, par un raffine-
ment de machiavélisme, il veut éviter l'apparence de l'agression,
il veut pouvoir vous en accuser auprès de la nation anglaise; il
veut, en un mot, populariser, nationaliser cette guerre. Certes,
si le peuple anglais ne se fût pas laissé entraîner à l'impulsion de
son ministère; s'il eût examiné avec quelque attention les calom-
nies répandues ù grands frais contre nous , il n'aurait vu dans les
forfaits qu'on nous reproche que les crimes de quelques indivi-
dus; il n'aurait vu dans la France qu'un esprit, qu'un vœu;
202 CONVENTION NATIONALE.
dans notre révolution , que la conquête légitime de nos droits ;
dans notre régime républicain, que le régime le plus sur pour
maintenir la liberté et l'égalité ; il n'aurait vu enfin dans le sup-
plice de Louis qu'un grand acte de justice ; et, convaincu de ces
vérités, le peuple anglais dirait à son roi : Les Français veulent
être républicains, ils ont aboli la royauté, puni leur roi, ils
avaient droit de le faire. Leur déclarer la guerre pour les en
punir serait un acte d'injustice et la violation du droit des na-
tions, du droit sacré de leur indépendance. Les Français ne nous
combattent pas parce que nous avons un roi. De quel droit les
combattrions-nous parce qu'ils n'en ont point? Nous pouvons
continuer d'être frères, quoique sous un régime différent.
Telle est la pensée, citoyens, qui s'est sans doute emparée de
la plus grande partie des esprits en Angleterre , en voyant les
actes d'hostilité du roi Georges; pensée qui, sans la terreur des
baïonnettes , se serait déjà manifestée dans un pays où la raison
est cultivée parmi toutes les classes; et partout où la raison
se cultive, la république française re peut être long-temps sous
un anaihème populaire; et voilà pourquoi celte guerre contre
la France, qu'on est parvenu, par tant d'intrigues et de dépenses,
à rendre populaire en Angleterre; voilà pourquoi, dans peu de
temps, elle n'y sera qu'un objet d'horreur et d'exécration.
Sans doute, le sang qui va se verser rejaillira sur la tête de ces
ministres perfides, qui ne craignent pas de sacrifier des nations
entières aux petits calculs de leur ambition ; de ces minisires qui
spéculent sur la fin ou le discrédit de nos assignats, comme sur
le terme de notre liberté. Ils ignorent donc qu'une hypothèque
immense leur sert de base; ils oublient donc que les Américains
furent liljres long-temps après la mort de leur propre monnaie?
Ces ministres ne finiront pas leurs jours au sein de la tranquil-
lité , comme ce Norlh et ses complices, dont on crut punir suffi-
samment, par une disgrâce ministérielle , le forfait atroce de la
guerre d'Amérique. La nation anglaise, une fois éclairée par notre
exemple, fera justice aussi de ces conspirateurs en place. La co-
médie de l'éternel procès de Hastings ne se renouvellera plus, et
4
FÉVRIER (1795). 203
les ëchafauds serviront encore une fois aux Sirafford et aux Laud
du régime actuel , comme aux simples brigands.
11 est une idée qui doit électriser vos âmes, citoyens: ce n'est
pas pour vous seuls que vous allez combattre , c'est pour toutes
les n^ons de l'Europe. Une partie de vos ennemis même recueil-
lent déjà les fruits de votre intrépidité ; car les rois craignent
maintenant de vexer, d'imposer même leurs peuples. Trois mil-
lions d'hommes en Irlande vont être affranchis , parce que vos
principes ont touché leurs rivages.
C'est l'Europe entière, ou plutôt ce sont tous les tyrans de
l'Europe que vous avez maintenant à combattre et sur terre et
sur mer.
Il faut que le commerçant oublie son commerce pour n'être
plus qu'armateur ; que le capitahsle consacre enfin ses fonds à
soutenir nos assignats, à subvenir au besoin du numéraire; que
le propriétaire ei le laboureur renoncent à toute spéculation et
portent l'abondance dans nos marchés ; il faut que tout citoyen
soit prêt à marcher comme un soldat romain, c'est-à-dire, non-
seulement avec ses armes, mais avec des provisions pour un
temps donné ; et par-là vous déjouerez les calculs de vos ennemis
sur le vide de vos magasins. Il faut que tous les Français ne fas-
sent qu'une grande armée; que toute lu France soit un camp. Il
faut se préparer aux revers, s'accoutumer aux privations. L'ins-
tant approche où ce sera un crime pour tout citoyen d'avoir deux
habits si un seul de nos frères soldats est nu.
En déclarant que la France est en guerre avec le gouvernement
anglais, c'est déclarer qu'elle l'est avec le stathouder, qui est plutôt
le sujet que l'jillié du cabinet de Saint-James; qui , se prêtant à
toutes ses passions , a , dans le cours de la révolution , favorisé
les émigrés et les Prussiens , vexé les Français , traité avec inso-
lence le gouvernement; et j'en atteste ici l'cloignement des fabri-
cateurs de faux assignais arrêtés en Hollande : et ce stathouder
qui mainterani, pour soutenir la guerre du cabinet de Londres,
joint ses vaisseaux aux vaisseaux anglais, favorise les ennemis en
traversant notre importation des grains.
204 CONVENTION NATIONALE.
D'après toutes ces considérations, votre comité diplomatique
vous propose le projet de décret suivant :
Décret sur la déclaration de guerre contre le roi d'Angleterre et le
statliouder de Hollande. ^
La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de
son comité de défense générale, sur la conduite du gouverne-
ment anglais envers la France ,
Considérant que le roi d'Angleterre n'a cessé, principalement
depuis la révolution du 10 août 1792, de donner à la nation fran-
çaise des preuves de sa malveillance et de son attachement à la
coalition des têtes couronnées;
Qu'à cette époque , il a ordonné à son ambassadeur à Paris
de se retirer , parce qu'il ne voulait pas reconnaître le conseil
exécutif provisoire , créé par l'assemblée législative ;
Que le cabinet de Saint-James a discontinué à la même époque
de correspondre avec l'ambassadeur de France à Londres, sous
prétexte de la suspension du ci-devant roi des Français ;
Que, depuis l'ouverture de la Convention nationale , il n'a pas
voulu répondre à la correspondance accoutumée entre les deux
états , ni reconnaître les pouvoirs de cette Convention ;
Qu'il a refusé de reconnaître l'ambassadeur de la république
française, quoique muni de lettres de créance en son nom ;
Qu'il a cherché à traverser les divers achats de grains , armes
et autres marchandises commandés en Angleterre , soit par des
citoyens français , soit par des agens de la république française;
Qu'il a fait arrêter plusieurs bateaux et vaisseaux chargés de
grains pour la France, tandis que, contre le tenu du traité
de 1786, l'exportation en continuait pour d'autres pays étran-
gers;
Que, pour traverser encore plus efficacement les opérations
commerciales de la République en Angleterre , il a fait prohiber
par un acte de parlement la circulation des assignats ;
Qu'en violation de l'article 4 du traité de 1786, il a fait rendre
par le même, dans le cours du mois de janvier dernier , un acte
FÉVRIER (1793). 20S
qui assujettit tous les citoyens français, résidant ou venant en
Angleterre, aux formes les plus inquisitoriales , les plus vexatoi-
res et les plus dangereuses pour leur sûreté ;
Que dans le même temps, et contre le tenu de l'article l^' du
traité de paix de 1786 , il a accordé une protection, des secours
d'argent aux émigrés , et même aux chefs des rebelles , qui ont
déjà combattu contre la France ; qu'il entretient avec eux une
correspondance journalière et évidemment dirigée contre la révo-
lution française, qu'il accueille pareillement les chefs des rebelles
des colonies françaises occidentales ;
Que dans le même esprit, sans qu'aucune provocation y ait
donné lieu , et lorsque toutes les puissances maritimes sont en
paix avec l'Angleterre , le cabinet de Saint-James a ordonné un
armement considérable par mer et une augmentation à ses forces
de terre ;
Que cet armement a été ordonné au moment où le ministère
anglais persécutait avec acharnement ceux qui soutenaient en
Angleterre les principes de la révolution française, et employait
tous les moyens possibles , soit au parlement , soit au-dehors ,
pour couvrir d'ignominie la république française , et pour atti-
rer sur elle l'exécration de la nation anglaise et de l'Europe en-
tière ;
Que le but de cet armement destiné contre la France , n'a pas
même été déguisé dans le parlement d'Angleterre ;
Que, quoique le conseil exécutif provisoire de France ait em-
ployé toutes les mesures pour conserver la paix et la fraternité
avec la nation anglaise , et n'ait répondu aux calomnies et viola-
tions des traités que par des réclamations fondées sur les prin-
cipes de la justice et exprimées avec la dignité d'hommes libres ,
le ministère anglais a persévéré dans son système de malveil-
lance et d'hostilité , continué les armemens , et envoyé une esca-
dre vers l'Escaut, pour troubler les opérations de la France dans
la Belgique;
Qu'à la nouvelle de l'exécution de Louis , il a porté l'outrage
envers la république française au point de donner ordre à l'am-
^6 CONVENTION NATIONALE.
bassadeur de France de quitter sous huit jours le territoire de la
Grande-Bretagne ;
Que le roi d'Angleterre a manifesté son attachement à la cause
de ce traître, et son dessein de la soutenir par diverses résolu-
tions prises au moment de sa mort, soit pour nommer les géné-
raux de son armée de terre , soit pour demander au parlement
d'Angleterre une addition considérable de forces de terre et de
mer , ordonner l'équipement de chaloupes canonnières ;
Que sa coalition secrète avec les ennemis de la France , et no-
tamment avec l'empereur et la Prusse , vient d'être confirmée
par un traité passé avec le premier dans le mois de janvier
dernier;
Qu'il a entraîné dans la même coalition le stathouder des Pro-
vinces-Unies ; que ce premier , dont le devoûment servile aux
ordres des cabinets de Saint-James et de Berlin n'est que trop
notoire, a, dans le cours de la révolution française, et malgré la
neutralité dont il proteste, traité avec mépris les agens de France,
accueilli les émigrés , vexé les patriotes français, traversé !< uis
opérations, relâché, malgré l'usage reçu et malgré la demande
du ministère français, des fabricatenrs de faux assignats; que,
dans les derniers temps , pour concourir aux desseins hostiles de
la cour de Londres , il a ordonné un armement par mer , nommé
un amiral, ordonné à des vaisseaux hollandais de joindre l'esca-
dre anglaise , ouvert un emprunt pour subvenir aux frais de la
guerre , empêché les exportations pour la France , tandis qu'il
favorisait les approvisionnemens des magasins prussiens et autri-
chiens ;
Considérant enfin que toutes les circonstances ne laissent plus
à la république française d'espoir d'obtenir par la voie de négo-
ciations amicales le redressement de ces griefs , et que tous les
actes de la cour britannique et de Hollande sont des actes d'hosti-
lités, et équivalent à une déclaration de guerre;
La Conveniion naiionale décrète ce qui suit ;
Art. i. La Convention nationale déclare, au nom de la nation
française, qu'attendu les actes rauItipUés d'hostilités et d'agrès-
FÉVRIER (1793). 207
sions ci-dessus menlionnés , la république française est en guerre
avec le roi d'Angleterre et le staihouder des Provinces-Unies.
2. La Convention nationale charge le conseil exécutif provi-
soire de déployer les forces qui lui paraîtront nécessaires pour
repousser les agressions et pour entretenir l'indépendance, la
dignité, les intérêts delà répuljlique française.
5. La Convention nationale autorise le conseil exécutif provi-
soire à disposer des forces navales de la Képublique ainsi que
l'intérêt de l'état lui paraîtra l'exiger, et elle révoque toutes les
dispositions particulières ordonnées à cet égard par les précédens
décrets.
— Le décret est porté à l'unanimité. Sur la proposition de
Fabre-d'Eglantine , et après une courte délibération , on décide
qu'il sera fait une adresse au peuple anglais, au nom de la na-
tion française , et que les Anglais et les Hollandais qui se trouvent
en France sont sous la protection de la loi.
Bapport sur la situalion des finances, et sur la création de huit
cent millions en assignats.
Cambon, au nom du comité des finances. Citoyens , la guerre
que le ministre anglais vous force de soutenir pour le maintien
delà liberté diffère essentiellement de celles que nous avions
autrefois avec le même gouvernement. Il ne faut pas se dissimuler
qu'on vous opposera tous les moyens financiers et tous les
moyens de forces de la Grande-Bretagne.
Le ministre des despotes ne cesse de répéter qu'il ne s'agit pas
moins que de couper à la République tous les secours de l'é-
tranger en fait de subsistances, de l'entraîner dans des dépenses
énormes, de déprécier les changes, notre crédit, d'épuiser nos
finances , de nous conduiie à la dernière émission d'assignats ;
enfin de nous faire tomber dans l'impuissance absolue de sou-
doyer nos armées : d'où ils concluent que les soldats de la liberté
se disperseront , que leur soulèvement sera inévitable, etconsé-
quemment que la France entière sera dans la plus grande con-
fusion, et à la merci des armées étrangères.
208 CONVENTION NATIONALE.
Qu'ils connaissent peu l'esprit de liberté qui nous anime , et le
désintéressement de tous les Français ! D'ailleurs notre réponse
ù toutes ces espérances sera la publicité de notre bilan ; lui seul
doit les faire trembler. Déjà vous avez annoncé à l'Europe que
vous aurez sur pied cinq cent deux mille hommes de troupes de
terre ; vous avez décrété aujourd'hui que vous emploirez toutes
vos forces de mer, que vous ne négligerez rien pour assurer votre
liberté et égalité, et pour l'établir chez nos voisins qui nous at-
taquent. Je me bornerai dans ce moment à vous rendre compte
de l'état de vos finances , de la nécessité où vous vous trouvez de
faire une nouvelle création d'assignats. Je ne vous présenterai
pas le tableau des dépenses extraordinaires que peuvent néces-
siter les circonstances : tous les Français doivent les connaître, et
tout le monde doit savoir que nous n'avons rien à épargner pour
conserver notre indépendance, sans laquelle nous serions ruinés. Je
me bornerai à vous présenter quelles sont les ressources qui
vous restent pour repousser les ennemis de la souveraineté du
peuple : elles sont telles, j'ose le dire , que nous parviendrons à
épuiser toutes celles que les despotes ont réunies contre nous ;
elles ont un avantage inappréciable de pouvoir être employées
sans intermédiaire des agens de finances, sans avoir recours à ces
emprunts usuraires qui ruinent et la génération présente et la
génération future ; elles sont telles, qu'elles pourront nous dis-
penser, au moins pendant trois ans, d'avoir recours à des contri-
butions extraordinaires : ainsi, si nous sommes obligés de quitter
nos affaires et d'abandonner nos foyers pour aller combattre les
ennemis de la pairie , nous ne serons point dans le cas d'exiger
des contributions extraordinaires.
Les ressources de la République sont de deux espèces : les re-
cettes ordinaires et extraordinaires. Il est essentiel , pour former
votre opinion sur les ressources que nous pouvons avoir , que je
vous présente le tableau des recettes ordinaires et extraordinaires
de 1792. i:
Les recettes ordinaires se divisent en contributions directes et
indirectes, et revenus des biens nationaux.
FÉVRiEU{1793). ' 209
Les recettes extraordinaires sotit le produit de l'allënaiion des
fonds territoriaux appartenant à la nation par la création suc-
cessive des assignats.
Sous l'ancien régime les contributions que nous appelons di-
rectes , parce qu'elles sont versées directement des mains des
contribuables dans le trésor public, ne pouvaient s'élever, malgré
les efforts du despotisme, qu'à !213 millions. C'est un fait convenu
dans tous les anciens étals de finances. Eh bien ! cette Répu-
blique qu'on représente dans l'anarchie, qu'on dit sans cesse être
aux abois, qu'on représente sans ressources et sans hommes, a
payé, dans l'année i792, 20(3 millions de contributions directes.
Conséquemment le peuple a payé volontairement ce que le des-
potisme avait peine ù obtenir. Et cette leçon servira à nos en-
nemis; elle leur prouvera que les Français veulent absolument être
libres, et qu'ils font tous les sacrifices qui sont en leur pouvoir
pour obtenir leur indépendance; elle nous prouvera que, si les
administrateurs faisaient leur devoir , il nous serait facile d'at-
teindre l'estimation du produit des contributions directes, puis-
que, malgré le retard qu'on a mis dans la confection des rôles,
le peuple s'est imposé d'acquitter plus des deux tiers de ce pro-
duit.
Voici le détail des contributions directes qui ont été versées à
la trésorerie depuis le premier janvier 1792 jusqu'au premier
janvier 1793. Contributions directes de 4791 , foncières, mo-
bilières, et patentes, 141,212,497 livres; mêmes contributions
pour l'année 1792 , dont les rôles ne sont faits qu'en partie,
4,926,661 livres; contributions directes de 1790 et autres années
antérieures, 17,557,972 liv.; contribution patriotique, 41,832,745
livres. Ce dernier article de recette est très-important ; il vous
donne la preuve que, si nous avions besoin de recourir aux con-
tributions extraordinaires , nous trouverions aisément des res-
sources dans la nation pour pouvoir subvenir au déficit qui
pourrait se trouver dans la rentrée des contributions directes.
Avec de l'ordre nous devons espérer une plus grande per-
ception dans l'année 1793, en provoquant I\ rentrée de l'ar-
T. xxiv. 1 1
210 CONVENTION NATIONALE.
riëré , qui monte à Gi8 millions. C'est vers ce but que doivent
tendre toutes nos sollicitudes , et porter notre surveillance sur
les ministres et les administrateurs , pour qu'ils veillent à la ren-
trée de cet arriéré. Un point essentiel pour y parvenir, c'est de
conserver les administrations qui existent , puisqu'elles ont été
renouvelées après la révolution du 10 août; c'est en leur accor-
dant de la confiance, en les encourageant, en leur représentant
les besoins de la patrie, que nous pouvons obtenir la rentrée de
ces fonds , qui nous sont nécessaires cette année pour faire les
plus grands efforts contre nos ennemis , et les mettre dans l'im-
possibilité de recommencer une seconde campagne. La nation
nous secondera ; elle fera un effort pour acquitter l'arriéré , et
alors on pourra dire : En 1793 la nation s'est levée en finance ,
comme elle s'est levée armée au mois d'août i792.
Les contributions indirectes sont composées du produit des
postes , des douanes , du timbre et de l'enregistrement , des mes-
sageries et des loteries; elles ont rapporté en 4792, savoir: l'ar-
riéré des postes , des douanes , du timbre et des messageries de
1791 : 16,625,671 livres ; et pour l'exercice de 1792: 70,74<),o22
livres. Le produit des contributions indirectes a été beaucoup
plus rapproché de l'estimation qu'on en avait faite , puisqu'il
n'offre qu'un déficit de quatre millions, ce qui provient d'un
plus grand ordre dans les administrations qui ont éprouvé moins
de secousses et de variations; nous pouvons augmenter les re-
cel tes de 1795 par les impositions indirectes , sans grever le
peuple , en perfectionnant la perception du droit du timbre et
d'enregistrement , et par une augmentation de droit sur les mu-
tations, en compensation des droits de lods que nous avons sup-
primés. Votre comité des finances vous présentera incessamment
un plan sur cet objet, et je crois pouvoir vous annoncer une
augmentation de trente millions sur cette partie, si nous par-
venons à le décréter bientôt.
Les fruits des domaines nationaux forment une recette de 60
millions; ils ont été cependant d'un produit plus considérable,
et on peut l'estimer environ 80 niillions ; mais il a été impossible
FÉvuiEu ( 1795). :2fl
de le préciser, parce que, les iniérêts des sommes d ues par les ac-
quéreurs des domaines nationaux ét«nî payés ensemble avec les
capitaux , les assignats en provenant se sont trouvés confondus ,
et ont été annulés et brûlés ; nous parviendrons peut-être à ob-
tenir un ordre de comptabilité qui distinguera le produit des
fruits et iniérêts des biens nationaux du produit des capitaux de
ces mêmes biens, afin d'en former un compte séparé et im
article de revenu fixe. Les revenus des biens nationaux augmen-
teront considérablement en 1795, par le produit des biens des
émigrés. Déjà cette recette , que nous faisons verser depuis le
mois d'octobre dernier dans une caisse à trois clefs, s'élève, dans
une augmentation très-progressive , à environ 14 ou 15 millions.
Le premier mois a produit 500,000 liv. ; le second 2,500,000
liv. ; le troisième 5 millions; et le quatrième produira environ
8 à 9 millions. A peine commençons-nous à voir se développer
cette partie de la fortune publique , sur laquelle nous n'avions au-
cun renseignement. S'il faut en croire les aperçus qu'on nous a
fournis , le revenu des émigrés doit produire une ressource de
120 à 150 millions pour 1795.
Les recettes de 1792 ont été composées de divers objets
qui ne sont que d'une rentrée éventuelle ; elles ont produit,
par la vente du tabac, 12,0&i,287 livres; par celle des sels
5,219,452 liv. ; par l'arriéré de comptabilité, par la rentrée de
diverses créances dues au trésor public, et par le produit des
cloches et argenteries des églises , 44,715,715 livres : total
598,999,452 liv. En 1795 nous pourrons avoir une recette par
la vente du tabac et du sel qui restent invendus; et, si nous met-
tons une grande surveillance, par la rentrée de l'arriéré de comp-
tabilité, nous pourrons nous procurer des secours très-considé-
rables. Celte partie n'a jamais été connue ni du corps constituant,
ni du corps législatif, et ce n'est qu'en remuant cette fange finan-
cière que nous voyons sortir l'espoir d'en tirer quelques produits.
Il règne, depuis plus d'un siècle, un désordre affreux dans cette
partie; il est d'une telle nature que personne ne peut présenter
un aperçu approximatif de ce qui est dû à la nation. Cedésordre
âiâ, CONVENTION NATIONALE.
provient en grande partie de la division des administrations.* on
a créé un bureau pour liquider l'ancienne compagnie des Indes ,
et un bureau pour procurer !a rentrée de ce qui est du pour les
achats de grains faits en 1789. La trésorerie nationale est ciiar-
gée de poursuivre la rentrée de ce qui est dû au trésor public.
Chaque département ministériel doit avoir des arriérés de comp-
tabilité dont personne ne poursuit la rentrée; il existe un bureau
de liquidation pour l'arriéré de la régie des fermes, un autre
pour celle des domaines ; et dans toutes les chambres des comp-
tes , on y retrouve des arriérés très-considérables , dont personne
ne poursuit la rentrée. Je ne crains pas de le dire , ces diverses
sommes réunies pourront se montrer à 2 ou 500 millions ; elles
n'étaient portées, dans les comptes du corps législatif, que
pour 31 millions en arriérés de comptabilité et 100 millions de
mauvaises dettes. II ne faut pas se flatter que ce capital rentre en
entier dans le trésor public , il a été dilapidé en partie , ou aban-
donné par des faveurs ministérielles , et ce n'est qu'avec une
surveillance très-active et après des poursuites judiciaires que
nous pourrons espérer d'en obtenir le recouvrement. Cependant,
si nous parvenons à simplifier les formes judiciaires dans toutes
ces réclamations, nous pourrons procurer une recette , en 1793,
de 20 à 50 millions. Déjà, depuis la réunion de la Convention, et
depuis le décret qui a réuni à un centre commun les caisses épar-
ses , la trésorerie a reçu 10 à 12 millions. Cet objet mérite toute
votre attention , et le comité des finances vous propose un projet
de loi qui , en simplifiant les formes judiciaires , donnera un
mouvement salutaire à celte partie de la richesse publique.
La recette de 1792 a été composée des versemens de la caisse
de l'extraordinaire à la trésorer ie nationale en assignats provenus
des diverses créations qui ont été décrétées. Cette receltc pro-
vient du produit de l'aliénation des capitaux qui étaient entre les
mains de cette caste privilégiée qui, portant le Christ d'or à la
main , arrachait îe produit de la sueur des peuples, et qui ont été
réservés pour opérer la plus belle révolution du monde ; nous
les avons employés à assurer la liberté et l'égalité, et à nousren-
j
FÉVRIER (i 795). 213
âvc tous frères el égaux. C'était la doctrine que les prêtres volup-
tueux prêcliaicnt ; leurs vœux doivent être remplis, puisf{ue leurs
biens ont servi à réaliser ce qu'iis annonçaient depuis tant de
siècles. {On rit.j
Celte partie de recelte se divise en deux classes : savoir, le ver-
sement pour remplacer le déficit sur l'eàlimation de recettes or-
dinaires, 1 o2, 06^,190 liv. : et ceux pour les dépenses extraor-
dinaires 786,110,948 liv, , de sorte que l'aliénation des capitaux,
pour pourvoir aux dépenses de 1792 , s'élève à 958,179,141 liv.
Les dépenses de 1795 ne peuvent pas se calculer ; si nous som-
mes victorieux , elles peuvent diminuer; si noiis sonmies vaincus,
elles pourront être très-considérables; il s'ajjit, dans ce moment ,
de prendre des mesures pour pouvoir les acquitter, il faut donc
avoir recours à cette terre en friche qu'on nous a conservée , et
créer de nouveaux assignats ; ne nous dissimulons pas , citoyens ,
que, sans cette ressource, nous serions esclaves. Louis XIV a
ruiné la France en combattant des despotes avec lesquels il pou-
vait avoir la paix ; aujourd'hui nous sommes sans alliés ; toutes
nos ressources sont dans notre union. Ah ! la République ne peut
être tranquille que victorieuse , ou réduite à la misère et à la
perte de milliers de Français ; il faut donc que le despotisme
périsse, ou bien que nous disparaissions de la surface de la terre.
Nous ne pouvons pas avoir recours à des contributions extraor-
dinair-LS, ce serait surcharger le peuple ; nous ne pouvons pas
non plus ouvrir des emprunts , car les gens à portefeuille qui
calculent sur la misère publique nous diraient : A qui voulez-
vous que nous prêtions ? à la République française ? nous ne la
connaissons pas. Il n'existe aucun gouvernement. Lorsque la
constitution sera terminée, si elle nous convient , nous verrons
de vous prêter. 11 faut donc avoir recours à nos assignats, et tou-
jours à nos assignats , et renoncer à ce^ sangsues publiques.
Il me sera facile de vous prouver la nécessité où nous nous
trouvons d'en créer dans cet instant, et de vous prouver, ainsi
qu'à toute l'Europe , que nos assignais ont un gage certain et
disponible, qui sera réalisé en douze ans. Voici le calcul qui est
214 CONVENTION NATIONALE.
extrait du compte rendu par la trésorerie nationale en date du
2G janvier dernier.
Le riiontant des assignats qui ont été crées est de 3,100,000,040
liv. Il en avait été fabriqué et employé 3,069,450,040 liv. ; de
sorte qu'il ne restait de disponible que o0,o50,000 liv. Une par-
tie de ces assignats a été employée au remboursement de la dette
ancienne. On peut évaluer ce remboursement à 8 ou 900 millions.
Le 10 janvier dernier, vous avez décrété qu'il serait versé à la
trésorerie nationale une somme de 165,420,601 liv. en assignats,
sur laquelle il avait été versé , le 18 janvier dernier, 118,050,000
liv. ; de sorte qu'il restait encore à verser 47,370,601 liv. Vous
n'avez en fabrication, ou dans la caisse à trois clefs, que 30,550,000
liv. Il faut nécessairement décréter 16,820,601 liv. pour exécu-
ter le versement déjà décrété , et vous aurez encore le rembour-
sement des dépenses extraordinaires payées en janvier à rem-
placer à la trésorerie nationale. Il est donc instant et nécessaire
de décréter une nouvelle créai ion d'assignats.
Sur les 3,069,450,040 liv. , montant des assignats qui ont été
émis et employés , il en était rentré 682 millions par le produit
des fruits et capitaux des domaines nationaux , lesquels ont été
annulés et brûlés, de sorte que le montant des assignats qui étaient
en circulation le 26 janvier dernier était de 2,387,460,040 1.
Il n'est pas inutile de remarquer que depuis deux années
qu'existent les assignais on en a déjà remboursé 682 millions ;
que plus de la moitié des premières créations a déjà disparu ;
ainsi loos ceux qui sont de bonne foi , tous ceux qui veulent lire
les comptes , doivent voir que les assignats sont d'une solidité que
rien ne peut altérer, excepté la contre-révolution ou le retour
des anciens pontifes , qui voudraient s'approprier toute la fortune
publique.
Après vous avoir présenté le montant des assignats créés, émis
ou brûlés , il faut que je prouve à la France et à l'Europe entière
que le gage qui leur est affecté n'est pas un gage frivole ni chi-
mérique, mais un gnge disponible, qui sera réalisé dans douze ans.
Dans sept à huit jours , vous aurez un compte détaillé des fi-
FÉVRIER (1793). 215
nances que vous avez demandé aux agens du pouvoir exécutif.
En attendant , j'aurai recours au compte qui fut rendu, au
mois d'avril dernier, par les mêmes agens à l'assemblée nationale
législative. A celte époque , le montant des biens nationaux ven-
dus, ou qui étaient en vente, s'élevait à 2,445,638,257 liv. , sa-
voir : le produit des biens nationaux qui étaient vendus au pre-
mier novembre 1791 : 1,498,289,924 liv.; les intérêts qui étaient
dus ou payés à cette époque sur lesdits domaines , à raison de
cinq pour cent par an , montaient à 30 millions ; le produit pré-
sumé des biens nationaux , dont la vente était ordonnée , qui
n'étaient pas vendus au premier novembre 1791, calculé d'après
les procès-verbaux d'estimation et une plus-value à la vente, éva-
luée à trois cinquièmes , d'après les calculs faits sur les biens na-
tionaux vendus, montaient à 727,548,ol3 liv. Sur cette somme,
on peut estimer que les ventes déjà faites se portent de 350 à
360 millions ; vous en aurez les états dans sept à huit jours.
Plusieurs disti icls , sans doute , avaient oublié de comprendre
dans leur estimation la valeur des domaines ci-devant de la cou-
ronne et de l'ordre de Malte ; cette omission , d'après les ren-
seignemens qui furent fournis au corps législatif, et qui, dans le
département de Paris , s'élevaient à environ 23 millions , fut es-
timée d'un produit de 70 millions ; enfin il y avait des biens ci-
devant jouis par ces ordres religieux qui se décoraient des ru-
bans bleus , des rubans verts et de tous les colifichets de l'ancien
régime, d^s biens appartenant' aux congrégations séculières et
aux fabriques dont la vente était ajournée , mais qui depuis fut
décrétée ; ils furent estimés à 100 millions.
Depuis cette époque, le corps législatif a ordonné plusieurs
autres ventes de domaines nationaux , savoir : 1° Celle des pa?ais
épiscopaux sous une indemnité de dix pour cent sur leur traite-
ment aux évêques modestes qui en jouissaient ; cet objet a été es-
timé à 15 millions ; 2<> des maisons et couvens qui étaient occupés
par les religieuses, estimés devoir produire 60 millions; 5" des
biens ci-devant jouis par l'ordre de Malte et par les collèges, es-
timés devoir produire 400 millions ; 4° les coupes des réserves de
216 ■ . CONVENTION NATIONALE.
bois et futaies , et une partie des bois épais , jusqu'à la somme de
200 millions ; 6° les intérêts dus ou payés par les acquéreurs des
biens nationaux vendus^ et les produits des fruits et revenus de
ceux qui sont en vente ont augmenté, depuis le mois d'avril 1791
jusqu'à ce jour, d'environ oO millions , de sorte que le total des
biens nationaux mis en vente par le corps législatif depuis le mois
d'avril dernier jusqu'à la fin de sa session se porte à 72o millions ,
lesquels, joints aux 2,443,658,237 liv. qui étaient en vente d'après
les états qu'il avait arrêtés le mois d'avril dernier, portent à
5,170,658,357 liv. le gage disponible qui est affecté aux diver-
ses créations d'assignats déjà décrétés , qui ne se montent qu'à
5, iOO, 000, 040 liv. Ils ont donc un excédent de gage de
70,658,197 liv. A la vérité , il a été expédié 50 millions des re-
connaissances de liquidations qui ont été données en paiement
des domaines nationaux, de sorte que le gage surpasse de 20 mil-
lions les assignats qui ont élé créés.
En vous proposant aujourd'hui de faire une nouvelle création
d'assignats , il faut vous proposer en même temps de mettre en
vente de nouveaux domaines nationaux , sans quoi leur gage ne
i.erait plus disponible, et ils n'auraient point une époque dé-
terminée pour remboursement. Je vais vous présenter quelles
sont vos ressources , et les capitaux dont vous pouvez disposer.
J'espère qu'elles vous tranquilliseront, ainsi que tous les Français,
et qu'elles épouvanteront nos ennemis.
Elles consistent : 1° en la valeur de bois et forêts, dont la vente est
ajournée , estimés 1 ,200 millions ; 2° en la valeur des biens ci-de-
vant affectés à la liste civile , estimés 200 millions ; 5° en la valeur
du bénélice à espérer dans la revente des don;aines engagés, esti-
mée 100 millions ; 4° en la valeur du rachat des lentes foncières
et droits féodaux appuyé du titre primitif, ponant concession de
fonds , objet que le corps législatif avait estimé devoir produire
208 millions, et qui se trouve réduit, par la suppression des droits
féodaux, à 50 millions ; 5° le système que vous avez adopté d'ac-
céder au vœu de réunion librement manifesté des pays occu-
pés par les peuples que vous avez rendus libres, vous a procuré
FÉVRIER (1795). 217
une ressource dans la vente des biens oaiionaux qui s'y trouvent
situés ; elle peut être estimée à oO millions pour le département '
du Montblanc, les districts de Louvez et de Vaucluse, nouvelle-
ment réunis à la République , et qui n'ont été compris dans au-
cun compte.
Cette première indemnité que vous retirez des peuples aux-
quels vous portez la liberté et l'é^jalité sera encore augmentée par
le produit des biens des émigrés et ecclésiastiques situés dans
les districts de Villefranche et de Nice , réunis depuis hier à la
grande famille. Citoyens , il vous reste encore une ressource qui ,
dans tous les comptes rendus au corps législatif, n'était présentée
qu'en aperçu , et que votre comité des lioauces ne vous avait pré-
sentée , dans le mois de novembre dernier, que comme un pro-
duit d'environ 2 milliards, (lu'il avait même réduit à un milliard ,
afin de ne pas flatter vos étals de recettes ; ce sont les biens des
ennemis de la patrie et de la souveraineté du peuple , de ceux
qui ont quitté leurs foyers et se sont armés contre leurs conci-
toyens pour défendre des privilèges ; aujourd'hui cette ressource
n'est plus un aperçu , elle commence à être connue : elle est une
juste indemnité aux dépenses que ces ennemis de la patrie nous
ont occasionnées ; aussi la portons-nous dans l'état des ressour-
ces ; et pour vous présenter son évaluation , je ne ferai que lire le
passage du compte qui vous a été rendu par le ministre Roland.
Le G janvier dernier, il dit, page 195 : « H m'a para avanta-
geux pour la République de connaître le nombre des mauvais ci-
toyens qui ont abandonné leur pairie : j'ai en conséquence adressé
une circul;.'irc aux autorités supérieures dans le mois de septem-
bre dernier; mais, n'ayant reçu d'elles que des rapports insufli-
sans , je me suis adressé aux di;stricls ; et , outre le nombre et la
quaUté des émigrés, je leur ai demandé des renseignemens sur
la nature et la valeur de leurs biens, de manière à procurer un
tableau complet sur cett^ partie de l'administration.
» J'avais associé l'a liour-propre des admiPiistrateurs des dis-
tricts au succès de mes demandes; je leur avais dit qu'autant je
m'empresserais de faire connaître à la Convention nationale
218 CONVENTION NATIONALE.
l'exactitude des uns , autant je serais exact à lui dénoncer l'in-
souciance des autres ; mais ces moyens n'ont pas répondu entiè-
rement à mes vœux : deux cent dix-sept districts sur les cinq
cent quarante-six dont la République est composée n'ont fait
aucune réponse ; les autres m'ont envoyé des états plus ou moins
parfaits; j'en ai fait faire le dépouillement; j'ai fait un capital
aux immeubles estimés ; j'en ai également assigné un aux biens
estimés, mais suffisamment désignés par leur nature et leur éten-
due pour donner lieu à une appréciation rapprochée ; et il en ré-
sulte que le nombre des émigrés compris dans les listes que j'ai
ici sous les yeux s'élève à seize mille neuf cent trente , et que
l'évaluation des immeubles séquestrés arrive à 2,760,5 î 8,592 1.
Si l'on peut maintenant faire la comparaison des districts qui
n'ont point envoyé d'états avec ceux dont nous avons les tableaux,
et supposer que la proportion soit la même , nous dirons que la
totalité des émigrés de la République est de vingt-neuf mille , et
que la valeur de leurs biens est de 4,800,000,000. Je dois faire
observer à la Convention que, si l'on suppose de l'exactitude dans
les soins que les municipalités ont eus de former les listes des
émigrés possesseurs d'immeubles, elles n'ont pas également re-
cueilli les noms de ceux qui ne possédaient rien. Le nombre de
ceux-ci est fort considérable , et ce n'est pas trop le hasarder que
de le porter à quarante mille au moins, de manière que la tota-
lité des émigrés français serait de soixante-dix mille à peu près.
Quoique nous portions l'estimation des im.meubles séquestrés à
4,800,0(X),000 , tout ne sera pas bénéfice pour la République : il
faut distraire les dettes des émigrés ; cet objet sera très-consi-
dérable , et , quelque soin qu'apportent les corps administratifs
dans la vérification qu'ils en feront , quoique j'aie moi-même, par
une circulaire, prévenu les machinations qui se préparaient dans
les tribunaux , on doit s'attendre à voir consacrer un grand nom-
bre de créances qui ne devront leur existence qu'à la collision et
à la fraude. Malgré ces inconvéniens et ces réductions , je ne
crains point d'avancer que le produit des biens des émigrés,
parvenu dans les coffres de la République, excédera la somme
FÉVRIER (1793). 219
de 5 milliards. On aura d'autant moins de peine à croire à cette
rentrée que je n'ai point fait état dans mes évaluations du mobi-
lier des émigrés ; et cet article , d'après des données sûres , doit
excéder 200 millions. »
Votre comité des finances croit devoir vous observer , rela-
tivement au compte rendu par Roland , qu'il lui a paru qu'on
devait y joindre une somme considérable pour le montant des
contrats que les émigrés avaient sur la nation et sur divers par-
ticuliers ; vous aurez encore à y comprendre la valeur des biens
des princes possessionnés qui nous doivent une indemnité cor-
respondant aux dépenses qu'ils nous occasionnent ; il a cru de-
voir vous observer que , quoiqu'il n'ait pas des renseignemens
positifs sur la valeur des biens des émigrés , il en a qui viennent
à l'appui des calculs présentés par Roland , puisqu'il a reçu des
étals en règle des divers départemeas qui excèdent de beaucoup
la valeur des biens nationaux qin y étaient situés; ainsi, si les
biens appartenant au ci-devant ordre du clergé, y compris les
forêts, ont fourni un capital de 4,200,000,000 , on doit espérer
de réaliser les 3 milliards annoncés par le ministre Roland. Cette
ressource considérable nous servira utilement pour payer les
frais de la guerre ; il importe esseniieliement de la réaliser et d'en
hàler la vente. Ainsi les anciens privilégiés, qui avaient conservé
des propriétés énormes en repoussant la déclaration des droits ,
nous ont fourni les moyens de maintenir la souveraineté natio-
nale et d'établir la liberté et l'égalité qu'ils méprisent. Ainsi , en
s'armant contre nous, ils ont servi la cause du peuple en nous four-
nissant les moyens de repousser nos ennemis. Cette leçon pourra
être utile aux despotes ligués contre nous pour nous asservir : ils
y verront sans doute que , si nous sommes vainqueurs , leur chute
est inévitable; que les peuples qu'ils asservissent, dégagés de
leurs préjugés , abandonneront alors leur cause et , s'unissant
avec nous , augmenteront nos forces par leurs bras qu'ils arme-
ront et par les ressources financières que nous trouvons dans les
biens usurpés par les privilégiés.
Vous aurez encore une autre ressource que nous ne vous pré-
220 CONVENTION NATIONALE.
senterons que comme un aperçu , mais qui ne doit pas larder à se
réaliser. Elle est fondée sur la loyauté des peuples que nous ren-
dons libres. Tous vous devront une indemnité. Déjà les peupies
chez lesquels nos armées sont entrées nous l'ont promise : les ba-
bilans du département du Montblanc, du district de Vaucluse et
de Louvez, du pays de Nice et de Viilefraache s'en sont acquittés
en se réunissant avec nous , les autres ne larderont pas à s'aper-
cevoir qu'ils ne pourront maintenir leur liberté s'ils ne s'empres-
sent de réaliser les biens nationaux qui étaient au pouvoir de leurs
privilégiés ; car les révolutions ne peuvent pas se foire avec des
contributions , parce qu'elles pèsent sur la partie indigente et la-
borieuse du peuple ,• elles ne peuvent pas se l'aire avec des em-
prunts, parce que personne ne peut prêter à un peuple qui, vou-
lant être libre , n'a pas encore de gouvernement. Ainsi , s'il ne
reste d'autres ressources aux peuples chez lesquels nos armées
ont porté la liberté , pour conserver ce bien précieux , que dans
la vente des biens nationaux , ils ne tarderont pas à les réaliser
pour s'acquitter envers nous. Les peuples libres ne promettent
pas en vain comme les despotes. Les Américains en sont un exem-
ple frappant : ils se sont empressés de nous rembourser en ecus
les sommes que notre gouvernement leur avait prêtées , et ils ont
négligé le bénéfice qu'un agiotage sur le système de nos assi-
gnats leur aurait pu procurer. Déjà les représontans provisoires
des Belges , malgré l'influence des castes privilégiées qui domi-
naient dans ce pays, vous ont fourni une ressource de 64 millions
pour être employée à l'armement et entretien d'une armée de
quarante mille hommes qu'ils voulaient vous fournir.
Nous ne pouvons point vous dire à quelle somme se montera
l'indemnité qui vous sera donnée ; elle est subordonnée aux évé-
nemens de la guerre ; elle ne nous est pas nécessaire pour servir
de gage à la création des assignats que votre comité m'a chargé de
vous proposer ; mais il était intéressant de l'annoncer au peuple
français, afin de lui prouver que nous ne sacrifions pas ses inté-
rêts en portant la liberté chez nos voisins.
Il résulte de l'aperçu que je viens de vous présenter que le
FÉvui£ii(1793). ââl
montant du (jage ({riG vous pouvez affecter aux creatîôas des as*
sijjnats qui vous seront nécessaires s'élève , non compris l'in-
demnité des peuples que nous rendrons libres, à 4,(^0,000,000.
Si ù cette somme nous joignons ce qui est dû en contribu-
tions arriérées , l'arriéré de comptabilité et les biens nationaux
que la liberté et l'indépendance des cultes indiquent, qu'on dit
n'èlre pas encore temps de meure en vente , mais qui peut-être
pourront se réaliser après que la constitution sera achevée, vous
devez être tranquilles sur les moyens qui vous restent pour con-
tinuer la guerre qu'on vous force de soutenir.
C'est d'après cet aperçu que votre comité s'est déterminé à
vous proposer de créer pour huit cents millions en assignats , qui
vous sont nécessaires pour les dépenses de cette campagne. Outre
cette création, il vous restera encore un capital de trois milliards
huit cents millions qui vous serviront pour continuer la guerre ,
si elle est prolongée, ou pour acquitter les dettes anciennes con-
tractées par le despotisme.
La postérité ne sera pas peu étonnée de voir un peuple luttant
contre les elTorts du despotisme , combattant tous les despotes
ligués, étant obligé de faire des dépenses énormes pour affer-
mir son indépendance , s'occuper, dans ces momens de calamité,
du remboursement d'une dette contractée par le despotisme, en
acquittant soixante-douze millions par an , en payant exactement
les rentes des capitaux empruntés et une quantité énorme de
pensions à des personnes à qui la révolution a fait perdre leur
état. Avec une telle conduite, il n'y a que le Hnancier , il n'y a que
les agioteurs, qui puissent avoir le nioindre doute sur la loyauté
française. Si elle est comparée avec la conduite que les despotes
emploient pour .se procurer des fonds , on les voit occupés à chan-
ger l'hypothèque qu'ils avaient affectée à leurs créances, à con-
Iraclei' des emprunts, pt à créer du papier monnaie , sans fournir
aucun gage , ruiner les peuples q-u'ils gouvernent par des impo-
sitions extraordinaires; et pourquoi tant d'efforts ? pour venir
nous asservir! D'oprès la différence de nos procédés, il ne peut
exister aucun doute qu'avec de l'ordre nous devons sortir triom-
222 CONVENTION NATIONALE.
phans de la lulle que le despotisme nous a intentée. Ke nous
dissimulons pas que nous sommes obligés de faire une guerre à
mort : nous devons donc nous décider à faire les plus grands sa-
crifices. Il faut les attaquer dans le germe de leurs ressources.
Ils espèrent obtenir des contributions ; attaquons leur commerce,
et nous leur en ôterons les moyens. Sans contribution , il ne doit
plus rester de crédit à nos ennemis : et peut-être ce matin , en
attaquant le Stathouder , avez-vous porté une atteinte mortelle à
ce crédit factice qu'ils affectent de soutenir.
La déclaration de guerre que vous avez faite à la Hollande
est l'opération financière la plus meurtrière que vous ayez faite
contre nos ennemis ; car c'est en Hollande que l'empereur, le roi
de Prusse et l'impératrice de Russie ont eu recours pour faire des
emprunts, afin de salarier leurs cours; c'est la Hollande qui,
par des opérations commerciales, soutient le crédit public de
l'Angleterre. Eh bien , si vos arméts victorieuses entrent dans
Amsterdam, toutes leurs ressources financières sont détruites,
et vous forcerez ces despotes à reconnaître l'égaiité des droits et
la souveraineté du peuple !
Si nous examinons le genre de guerre qu'ils auront à soutenir,
nous trouverons que , quand bien même ils auraient des succès ,
ils ne peuvent que tourner à leur désavantage: car si, comme
les Prussiens et les Auiricliiens^ ils parvienaent à pénétrer dans
la terre de la liberté , ils seront obligés de diviser leurs forces
pour contenir un peuple qui veut être libre, et ils auront à com-
battre vingt-cinq millions d'hommes qui se porteront en masse
pour les repousser ; au lieu que , si nos armes ont du succès ,
nous trouverons partout des hommes qui s'uniront à nous, et
qui, en nous fournissant leurs bras pour la défense commune,
nous aideront à planter l'arbre de la liberté, et augmenteront
nos ressources financières.
Après avoir établi la nécessité de créer des assignats , je vais
vous présenter de quel genre de coupures sera formée celte fa-
brication. Déjà vous en avez ordonné la fabrication par vos dé-
crets ; votre comité a cru devoir vous proposer d'y affecter
FÉVRIER (1795). 223
40 millions en assi^^nats de 10 sous, et GO millions en assignats de
lo sous, dont la fabrication a été ordonnée le 24 octobre dernier ;
loO millions en assignats de 50 livres sur les 500 millions dont la
fabrication a été ordonnée par la loi du 14 décembre dernier;
300 millions en assignats de 400 livres sur les 600 millions dont
la fabrication a été ordonnée le 22 novembre dernier ; 75 millions
en assignats de 2o sous, et 75 millions en assignats de 50 sous ,
dont la fabrication a été ordonnée par la loi du 25 décembre 1791 ,
et qui , par la loi du 27 juillet dernier , devaient servir aux échan-
ges des assignats de plus forte valeur.
Votre comité a cru devoir vous proposer ce changement de
destination , d'après les observations qui lui ont été faites par les
commissaires de la trésorerie nationale que, sur les 69 millions
qu'ils ont expédiés dans les départemens en assignats destinés
aux échanges, il est encore dû 65 millions: de sorte qu'il paraît
que personne ne demande plus d'assignats de petites coupures,
puisque les échanges se font très-lentement. D'ailleurs, en affec-
tant ces assignats aux dépenses journalières , la répartition en
sera la même, et nous ne serons point exposés aux risques con-
sidérables qu'entraîne une pareille comptabilité, et à i'inaciion
d'un capital si considérable dans les caisses des receveurs de
districts.
Enfin, votre comité, craignant que la fabrication des assignats
de 50 livres et de 400 livres n'éprouvât quelques retards, et que
le service public ne pût se faire d'une manière convenable avec
des assignats de 10, 15 et 25 sous, à cause de leur volume, a
cru devoir vous proposer de décréter un supplément de fabrica-
tion de 100 millions en assignats de 10 livres, qu'il affecte à celte
nouvelle création. C'est d'après ces bases que je suis chargé de
vous proposer un projet de décret pour ordoni^er h vente dos
biens des émigrés , des biens ci-devant affectés à la liste civile ,
et d'une partie des bois et forêts jusqu'à la concurrence de
200 millions. Enfin , votre comité a pensé qu'il était essentiel
d'ordonner aux administrations de départemens et de districts
d'envoyer incessamment les états estimatifs des biens des émi-
â24 CONVENTION NATIONALE.
grés , que le ministre de rinîériéur a demandés inutilement, afin
qu'au premier rapport vous puissiez avoir une connaissance par-
faite des biens des émigrés, servant de gages aux assignats ; il a
pensé que vous deviez aussi exiger des administrateurs des doua-
nes, régie et enregistrement, de vous envoyer des doubles des-
dits éiats , afin que, si une administration négligeait son devoir,
l'autre pût y suppléer.
Votre comité a aussi pensé qu'il était essentiel pour le crédit
public de coi;;prendre dans la loi que je suis chargé de vous
proposer le compte des assignats émis et brûlés, du gage dispo-
nible qui leur est affecté; afin qu'en lisant la loi tous les Fran-
çais puissent connaître l'état de situation de nos finances , la pu-
blicité de nos opérations devant être la seule arme que nous
devions employer pour faire taire la calomnie.
— A la suite de ce rapport, Cambon présente un projet de
décret, qui est adopté , ainsi qu'il suit :
La Convention nationale , apiès avoir entendu le rapport de
son comité des finances sur les états de situation des diverses
caisses de la trésorerie nationale , à la date du 25 janvier courant,
fournis par les commissaires de ladite trésorerie, desquels il résulte :
1" Que, sur les 5,100,000,010 liv., montant des diverses créa-
lions en assignats déjà décrétés , il eu avait été fabriqué et em-
ployé 3,0G9,000,0i0 liv. , de sorte qu'il ne restait de disponible
que 30,550,000 livres ;
2" Qi:e, sur les i6o,420,60î liv. en ass"gnats qui, d'après ia loi
du 10 janvier courant, doivent être versées dans la caisse de la
trésorerie nationale, ii en avait été versé 118,050,000 !iv. , de
sorte qu'il restait encore à verser 47,570,601 liv. ;
5" Que, sur les 5,009,450, OiO liv., montant des assignats qui
ont été émis et employés, ii en était rentré 682,000,000 par le
paiement des fruits et capitaux des domaines nationaux , lesquels
ont été annulés et brûlés, de sorte que le montant des assignats
qui étaient en circulation se portait à 2,387,460,040 liv. ;
Considérant la nécessité qu'il y a d'assurer dès à présent les
moyens de satisfaire aux versemens déjà décrétés, et aux dépen-
•*•
FÉVRIER (1793). 22o
ses qu'exigent les mesures à prendre contre les ennemis de la
République ;
Considérant que , pour maintenir le crédit des assignats, il faut
leur affecter un gage certain et disponible ;
Considérant que ce gage qui montait , suivant les états arrêtés
par l'assemblée nationale au mois d'avril dernier, à 2,44o,638,237
livres , a été augmenté de 725,000,000 [)ar la vente décrétée de-
puis cette époque :
1° Des palais épiscopaux ;
2° Des maisons ci-devant jouies par l'ordre de Malte et par
les collèges ;
3° Du montant de la coupe des quarts de réserve et futaies, et
d'une partie de boisépars , jusqu'à concurrence de 290,000,000;
4° Du montant des intérêts sur les sommes dues par les acqué-
reurs des domaines nationaux vendus , et du produit du fruit de
ceux invendus , de sorte que le m&nlant du gage disponible des
assignats s'élève à 3,170,058,237 liv.;
Considérant que ce gage peut encore être augmenté :
1" De 1,200,000,000, par la valeur des bois et forêts dont la
vente est ajournée ;
2° De 200,000,000 , par celle des biens affectés à la liste ci-
vile;
5" De 100,000,000, par la rentrée du bénéfice à faire sur la
reprise des domaines engagés ;
4° De 50,000,000 , par le produit du rachat des rentes fon-
cières et droits féodaux appuyés de titres primitifs portant con-
cession de fonds ;
5" De 30,000,000 , par la valeur des biens nationaux situés
dans le département du Mont-Blanc , et dans les districts de Lou-
vez et Vauclusc , nouvellement réunis à la République ;
G" Par le produit de la vente des biens des émigrés, qui, d'a-
près le compte rendu par Roland , ministre de l'intérieur, peut
être estimé 3,000,000,000 , déduction faite des dettes à acquitter ;
7" Et enfin , par le momant de ''indemnité qui Sfira due à la
T. XXIV. 15
226 CONVENTION NATIONALE.
République par les peuples auxquels les succès des armes fran-
çaises auront procuré la liberté et l'égalité , décrète :
Art. i. Il sera créé 800,000,000 en assignats destinés à four-
nir, tant aux besoins extraordinaires de la trésorerie nationale
qu'au paiement des dépenses de la guerre , et à celui des créan-
ces au-dessous de 10,000 liv. , qui continueront d'être rembour-
sées suivant les formes et dans les termes décrétés le 13 mai der-
nier, ou au remboursement des seizièmes dus aux municipalités ,
pour acquisition des domaines nationaux, d'après les lois ren-
dues et suivant les formes qui ont eu lieu jusqu'à ce jour.
2. La présente création sera composée :
De 40,000,000 en assignats de dix sous, dont la fabrication
a été ordonnée par la loi diiSi^ octobre dernier; de 60,000,000
en assignats de quinze sous , dont la fabrication a été ordonnée
par la môme loi; de 73,000,000 en assignats de vingt -cinq
sous , à prendre sur les 100,000,000 dont la fabrication a été
ordonnée par la loi du 23 septembre 1791 , et qui étaient desti-
nés par la loi du 51 juillet dernier à servir aux échanges ; de
73,000,000 en assignats de cinquante sous, à prendre sur les
100,000,000 , dont la fabrication a été ordonnée par la même
loi , et qui étaient aussi destinés à servir aux échanges ; de
100,000,000 en assignats de dix livres , qui seront fabriqués par
supplément à la fabrication ordonnée le 2i octobre 1792 ; de
130,000,000 en assignats de cinquante livres , à prendre sur les
500,000,000 dont la fabrication a été ordonnée par la loi du 14
décembre dernier ; de 500,000,000 en assignats de quatre cents
livres à prendre sur les 600,000,OIX) dont la fabrication a été
ordonnée par la loi du 21 novembre dernier :
Total 800,OCO,000.
5. La comptabilité des assignats de la présente création sera
soumise aux mêmes formalités que celle des précédentes.
4. La circulation des assignats pourra être portée à la somme
de 5,100,000,000. La Convention nationale charge son comité
des finances de lui présenter, dans la quinzaine, un projet de loi
pour diminuer la masse des assignats en circulation.
FÉVRIER (1795). 227
5. Pour augmenter le .jia{;e disponiijîe des diverses créations
d'assignats, il sera mis en vente les biens des émijjrës , laquelle
sera faite dans les formes adoptées pour les domaines nationaux,
la suspension ordonnée par le décret du étant levée; les
biens nationaux ci-devant affectés à la liste civile, et subsidiaire-
raent 200,000,000 de biens nationaux , en bois et forêts, en pré-
férant les parties des bois épars , et réservant les grandes masses
par addition aux 200,000,000 dont la vente a été ordonnée par
la loi du 51 juillet derriier.
6. Les directoires de département feront procéder, sans délai,
par l'intermédiaire des directoires de district, à l'inventaire et
estimation des biens saisis aux émigrés. Ils le feront passer, sans
délai , à l'administration des domaines nationaux , qui sera tenue
d'en présenter, le 1" avril prochain , un état général à la Con-
vention.
7. Les administrateurs des droits de timbre et des domaines
feront aussi procéder par leurs préposés à l'inventaire desdits
biens; ils en présenteront aussi, le l*"" avril prochain, un état
général et délaillé à la Convention. ]
SÉANCE DU 2 FÉVRIER.
Sur le rapport de Fabre-d'Églantine au nom du comité de dé-
fense générale , la Convention rend le décret suivant:
1 1" 11 sera nommé parla Convention nationale neuf commissai-
res pris dans son sein. Ces commissaires se porteront sur la fron-
tière du Nord et de l'Est, pour y vérifier l'état des places fortes,
et les faire mettre dans un état de défense respectable le plus
promplement possible ; sont autorisés à prendre tous les moyens
de sûreté générale qu'exigeront l'utilité et le salut de la chose
publique (et ils feront toutes les réquisitions nécessaires à cet
eflxit ), à destituer tous agens civils et militaires qui leur paraîtront
manquer de civisme, de zèle ou de capacité.
ï 2' Ces neuf commissaires seront divisés en trois sections de
trois membres chacune : l'une de ces sections embrassera dans sa
mission la ligne qui s'étend depuis Besançoîx jusqu'à Landau ;
228 CONVENTION NATIONALE.
une autre, celle qui s'étend depuis Sarrelouis jusqu'à Givet ; une
autre , celle qui s'étend depuis Charles-sur-Sanibre jusqu'à
Dunkerque.
» 3° Chaque section de commissaires s'occupera uniquement de
la fortification, de l'approvisionnement et généralement de la dé-
fense intérieure et extérieure des places ; elle emploiera à cet
effet les moyens les plus prompts , les plus utiles , et ordonnera
par des délibérations prises en commun , signées des trois com-
missaires , qui seront envoyées à la Convention nationale à me-
sure qu'elles seront mises à exécution.
«4° Les commissaires sont autorisés à prendre à cet effet des
ingénieurs et autres gens de l'art, ainsi qu'ils le jugeront conve-
nable, et selon le besoin qu'exigeront la nature, la multiplicité et
la célérité de leurs opérations. »
SÉANCE DU 5 FÉVRIER.
Un des secrétaires foil lecture d'une lettre des citoyens de
Bruxelles , qui dénoncent le général Berneron , commandant à
Bruxelles, comme suspect d'invicisme, et effrayant la liberté par
les mêmes voies que le gouvernement autrichien. La Convention
renvoie la dénonciation aux commissaires de la Belgique.
On fait lecture de la liste proposée par le comité de défense
générale des commissaires destinés à parcourir les départemens.
Marnt. Je réclame contre la nomination de Lidon ; je ne par-
lerai pas de son caractère, qui seul pourrait le faire rejeter ; je me
bornerai à vous observer qu'il ne mérite ni la confiance de la
nation ni celle de la Convention , et qu'un homme qui dans l'af-
faire du ci-devant roi a volé pour l'appel au peuple n'est pas
digne de représenter l'assemblée dans un département. ( Des
violons murmures interrompent. — Une grande partie de l'as-
semblée se lève et demande que Marat soit envoyé à l'Abbaye. )
Masuyer. Par respect pour elle-même , je demande que l'as-
semblée ne s'occupe pas d'un fou tel que Marat , et qu'elle passe
à l'ordre du jour.
Boyer-Fonfrède. Si les outrages de Marat pouvaient nuire à la
FÉVRIER (1795). 229
réputation d'un individii , je crois que la Convention nationale
devrait faire justice de son insolence, mais
Benlabole. Je demande que le membre qui s'est permis de
traiter d'insolente l'opinion d'un membre de l'assemblée soit
rappelé à l'ordre.
Boijer-Fonfrède. Desprémenil s'étant permis plusieurs invec-
tives contre ses collègues, l'assemblée constituante passa à l'ordre
du jour motivé sur le profond mépris qu'inspirait l'individu : je
demande qu'aujourd'hui la Convention nationale passe à l'ordre
du jour par le même motif.
Cette proposition est adoptée.
Plusieurs membres se plaignent de n'avoir pas entendu , et
réclament une seconde épreuve. Chabot demande la parole
coiiire le président; l'assemblée la lui refuse et maintient son
décret.
Biroleau. Je demande que ce soit l'assemblée elle-même qui
nomme ses commissaires et un comité.
Cette proposition est adoptée.
Le présïdeni. Citoyens , ia Convention nationale vous a ea-
tendus ; elle examinera votre demande.
N Je convertis en motion la demande des pétitionnaires,
et je demande qu'elle soit décrétée. ( On murmure. )
Prieur. Je demande l'impression de l'adresse qui vient de vous
être présentée, et l'envoi aux déparlemens. Personne ne s'est
clcvé contre la probité dePache; on a simplement dit que l'im-
mense administration dont il est chargé est au-dessus de ses
forces , et l'jissemblée elle-même a consacré cette vérité en don-
nant sept adjoints au ministre de la guerre.
Ferai. Si l'on décrète l'impression de celte adresse , je de-
niande que l'on décrète aussi celle des notes que les différens
généraux de la République vous ont fait parvenir contre Pache.
Lccoînlre Pnijraveau. Décréter l'impression de celte adresse
serait prévariquer; adopter la demande qui y est contenue , et
qui a été convertie en motion , serait une inconséquence : je vais
;2Ô0 CONVENTION NATIONALE.
le prouver j on ne doit envoyer dans les départemens que des
ouvrages propres à y entretenir le patriotisme.
Plusieurs membres de l'une des extrémités. Et les ouvrages que
Roland y a fait passer !
Lecoinic. J'ai écouté attentivement l'adresse ; el'e contient des
éloges du ministre et n'est point propre à donner des éclaircis-
semens sur la conduite de Pache , qui est reconnu ou prévari-
cateur ou stupide.
L'assemblée pa^se à l'ordre du jour.
Une députation du conseil général de la commune de Paris,
des commissaires des 48 sections et des défenseurs réunis des
M départemens se présente à la barre ; elle demande d'abord
que l'exergue des monnaies de la République cesse d'êire un des-
pote; elle réclame ensuite contre le décret de rassemblée consti-
tuante qui déclare l'argent un objet mercantile ; elle demande
que la Convention prononce la peine de mort contre ceux qui
donneront aux monnaies nationales une valeur inférieure à celle
([ui leur est attachée par la loi. Ces citoyens renouvellent , au
nom de ceux qui les ont députés , le serment de vivre libres ou
de mourir.
L'assemblée décrète l'impression de leur adresse.
Le corps municipal de Paris présente une pétition sur la né-
cessité d'accorder le contre-seing à tous ses membres.
Gardien, au nom de la commission des douze , fait un rapport
sur les onze ex-députés à la législature détenus en vertu des
mandats d'arrêt de la commission des douze, il propose le dé-
cret d'accusation contre Marivaux et Lamy , et de renvoyer les
autres devant le tribunal criminel de Paris pour se justifier.
L'i>ssemblée décrète d'accusation Marivaux et Lamy ;
Déclare qn'il n'y a pas lieu à inculpation contre les ÎO autres
ex-dépulés, et qu'en conséquence ils seront mis en liberté.
On procède à l'appel nominal pour la nomination d'un mi-
nistre de la guerre. — En voici le résultat :
Sur 600 votans, la majoiité est de 501 voix. Beurnonvil'.e en a
réuni o56 , et a été proclamé ministre de la guerre. Le reste des
FÉVRIER (1793). 231
voix a été partagé entre Achille Ducliâtelet, qui en a eu 210;
Alexandre Beauharnaij, 16; ServanlO; Dumourierl; Lacuée 1 ;
Valence 8 , etc.
La séance est levée à cinq heures.
SÉAKCE DU O FÉVRIER.
Sur le rapport de Cussy, membre du comité des finances, le
décret suivant est porté :
Décret relatif à la nouvelle empreinte des monnaies.
« La Convention nationale, oui le rapport de son comité des
finances, décrète ce qui suit :
» Art. 1 . Les monnaies d'or et d'argent de la Répablique fr-an-
çaise porteront pour empreinte une couronne de branches de
chêne : la légende sera composée des mots : République française,
avec désignation en chilfies romains; la valeur de la pièce sera
iuacrite au niiiieu de la couronne.
» 2. Le type adopté par le décret d'avril 1791 sera conservé
bur le revers de ces monnaies; le faisceau, symbole de l'union,
surmonté du bonnet de la Liberté; le coq, symbole de la vigi-
lance, continueroiii d'êlre placés des daux côtés du type; la lé-
gende sera composée des mots : Rccjne de la Loi ; l'exergue con-
tiendra le millésime de l'année en chiffres arabes.
I o. Le cordon des pièces de 6 liv. sera inscrit des deux mots :
Liberté, Écfcdiié. Les pièces de 24 livres continueront d'être
marqiites d'un sin^pie cordon.
» 4. Il ne sera fabriqué provisoirement que des pièces de 6 hv.
en argent, et des pièces de 24 livres en or. »
Lacouibe Sainl-Michel est nommé comuiissaire pour aller dans
le déparlement de la Corse. Après une vive discussion et deux
épreuves consécutives, Varlet est envoyé commissaire dans le
département du iSord. Ceux qui avaient attaqué Varlet à cause
de ses opinions modérées proposent de lui adjoindre Gasparin
et Jean Debry ; celle proposition est adoptée.
Tallicu fait un rapport en son iiom et ei) cciui de Leg^ndrc,
252 CONVENTION NATIONALE,
chargés tous les deux, par le comité de sûreté générale, de se
transporter à Forges-les-Eaux , pour y constater l'identité d'un
individu qui s'y était suicidé avec Paris, assassin de Lepelletier.
Le rapporteur affirme cette identité, et l'appuie, entre autres,
sur les deux pièces trouvées dans le portefeuille de cet individu :
La première est un extrait des registres de la paroisse Saint-
Rocb , à Paris , délivré le 28 septembre dernier, duquel il résulte
que Paris était né le 12 novembre 1765. La seconde est le congé
de licenciement de la garde du ci-devant roi, en date du l^"" juin
1792. Au dos de ce brevet est écrit de sa main ce qui suit :
€ Mon brevet d'honneur.
> Qu'on n'inquiète personne. Personne n'a été mon complice
dans la mort heureuse du scélérat Saint-Fargeau. Si je ne l'eusse
pas rencontré sous ma main, je faisais une plus belle action : je
purgeais la France du régicide, du pairicide, du parricide d'Or-
léans ; qu'on n'inquiète personne , tous les Français sont des
lâches auxquels je dis :
Peuple dont les forfaits jettent parlent l'effroi ,
Avec calme et plaisir j'abandonne la vie.
Ce n'est que par la mort qu'on peut fuir l'iufamie
Qu'imprima sur vos fronts le sang de TOtre roi.
» Signé j de Paris l'aîné, garde du roi assasshié par les Fran-
çais (1). »
séance du 6 FÉVRIER.
Barrère. Je viens vous présenter, au nom du comité d'instruc-
tion publique et de la commission des monumens, un projet de
décret que vous accueillerez avec une extrême satisfaction, car il
concerne les arts et les artistes. Il concerne le recueil des chefs-
(J ) Sur la foi de ce rapport , on crut géiiéralement à cette époque que Paris
s'était suicidé. Voici ua témoignage authentique qui prouve le contraire : c'est
une note de Félix Lepelletier, qui figure dans les pièces justificatives qu'il a ré-
unies dans son édition des couvres de son frère.
t D'après ce rapport des députés Tallien etLegendre, il paraîtrait certain
que le garde du roi Paris se serait tué le 1" février i7yô, à Forges-les-Eaus ,
lÉvKitn (1795). 235
d'œuvre des sciences, et la formaiion du 3Iu£éum national, et
des élablissemecs pareils que vous vous proposez de former dans
chaque dépaitement de la Répuljli(jue. Il ne doit pas plus y
avoir une capitale des ans qu'une capitale politique dans un pays
libre.
Depuis près de trois ans , une commission généreuse et </ra-
nou loin de Rouen. Cependant je vais ajouler ici beauconp de faits qui inGrnient
les assertions de ce rapport.
j> D'abordjà la fin de 17y3, rencontrant sur la (errasse des Tuileries les députés
Hérault de Séthelles et Saint-Juot, ils me racontèrent qu'on avait manqué la nuit
même de prendre l'assassin de mon frère : « 11 était à ?santerre , me dirent-ils.
» On sait la maison où il étuit caché, et l'on ccnnait jusqu'à la place du unir
7) par-dessus lequel il s'est sauvé. » Ils me garant'reut l'authenticité de ce qu'ils
ul'ijpprenaient On doit concevoir mon étounement; mais cela me rappela
que, deux mois après le préteni'u suicide de Paris, à Fcrges, un officier muni-
cipal de celte coiiamune, venu à Paris, me laissa apercevoir quelques doutes siir
la réalité de la mort de Paris. J'étais si persuadé alors de l'exactitude du rapport
des dépulos Tallieu et Legendre, ayant vu moi-même au comité de sûreté géné-
rale les brevet et extrait de baptême rapportés par etix, disait-on, de Forges,
que je ne fis pas grande attention au dire de l'officier municipal. Je fis part moi-
même à Saiut-Just et à Hérault de Sécliclles de cette ancienne particularité.
» Mais voici qui est bien plus fort ; les accées s'écouleat : en 1804, je me trouve
en eiil à Genève, sons le consulat de Bonaparte. Après un an de séjour dans
cette ville , je reçois une lettre sans signature, dans laquelle on me disait : a Pre=
» nez garde à vous , monsieur ; l'homme qui a tué votre frère est ici. » Un mois
après, une lettre de la même écriture me dit : <f Tous n'avez pas fait cas de mes
3) avis. Prenez donc garde à vous! Vous ne m'avez pas cru ni fait aucune dé-
» marche. Eh bien i Paris loge chez un tailleur de cette ville. »
» Lorsqu'un an avant, étant de retour à Paris de deux années de d porlation
à l'île de Rhé, j'eus occasion de parier beaucoup de mon frère avec le ministre
d'état Regnault de Saint-Jean-d'Angely (qui, fils du baiili de la terre de Saint
Farge-îU , avait été élevé pour ainsi dire avec nous, et quo je n'avfiis pas vu de-
puis l'assemblée constituante), il me questionna beaucoup sur la mort de mon
frère. Je lui exposai les raisons qui me faisaient penser que Paris n'était pas mort,
et croire à qiK Ique mystère difficile à expliquer; j'ajoutai qu'aucun gouverne-
ment, depuis le comité de salut public, n'avait mis un grand zèl? à le pénétrer.
Il me dit cts paroles : « Je vous assure que si vous aviez quelque noi>vc lie trace
j) de l'existence de cet liomuie , Bonaparte ferait mettre beaucoup de soius à s'en
» assurer. »
» Il était doue naturel que j'instruisisse M. Regnaud de ce que je venais de dé
couvrir à Genève, et je le lui écrivis. AuJsilôt des ordres très-prompts de Bona-
parte arrivèrent à la préfecture pour s'i'.ssurcr du nommé Paris. Le préfet de
Genève était alors 51. de Baranle, père de celui qui aujourd'hui est membre de
la chambre des pairs; mais il était absent. Les ordres arrivèrent à M. Fabri ,
conseiller de préfecture, qui n'eut rien de plus pressé, et sans me rien dire , que
de faire beaucoup de bruit et d'instruire ia municipalité. Paris , averti à temps,
décampa. Ce ne fut ^^u'après son évasion que M. Fabri m'envoya chercher et me
234 CONVENTION NATIONALE.
tuite, composée d'hommes de lettres, d'artisfes , de savans et de
membres de trois assemblées nationales que la France a formées
s'est occupée avec le soin le plus constant de rassembler dans
plusieurs dépôts , au Louvre , aux Augustins et aux Capucins ,
les chefs-d'œuvre de sculpture, peinture, bibliographie et autres
productions rares des sciences et des arts.
Les recherches faites ont produit mie riche et précieuse collec-
fit part des ordres qu'il ayait reçus. J'écrivis à M. Regcaud de Saint- Jean-d'An-
gel y, en faisant quelques observations sur la manière dont les choses s'étaient pas-
sées à Genève.
a Ordres itératifs de Bonaparte arrivèrent bientôt, portant qu'il fallait trouver
Paris à toute force , le faire poursuivre, et des menaces aux autorités si elles ne le
représentaient pas. M. de Barante était de reiour. II me fit prier de passer chez
lui, où m'élant rendu, il entra avec moi dar^s les détails suivans. Yoici ce qu'il
me dit positivement ; « Il est trcs-cerlain que l'assassin de M. votre frère était
)i caché ici ; mais il s'est sauvé et a pissé en Suisse. Au reste, à l'appui de ce fait,
M je vais vous dire , monsieui-, uue autre anecdote. Lorsque vous arrivâtes à Ge-
3 nève , il y a un an au mois d'août , quelque temps après , ayant donné un dîner
y> pour l'anniv.^rsaire de la cré^ition de la Piépublique , M. Bouvier, officier de
» génie de la place , dit à ma table et fort haut : Parbleu , il arrive dans ce monde
» de singulières rencontres : la ville de Genève renferme dans ce moment le
» frère de Michel Lepclletier et paris, son assassin....— Comment, monsieur,que
a dites-vous là? en étes-vous sur ? lui dis-je.... — Oui, monsieur le préfet, très-
» sur ; car dans ma jeunesse j'ai souvent tiré d^s armes avec ce Paris ; je le con-
» nais bien, je l'ai vu ici; et pour M. Félix Lepelletier, vous savez mieux que per-
» sonne qu'il y est, et en exil. — Monsieur, lui dis-je, vous n'auriez pas dùm'an-
» noncer ainsi de telles choses.... a
» Tel fut le récit fidèle que me fit M. de Barante, et il ajouta : « Je vous avoue
» que ce dîner s'étant prolongé fort tard, et ayant parlé de beaucoup d'autres
B choses, j'oubliai le récit de M. Bouvier. Au reste rassurez-vous, ce Paris est
» passé eu Suisse , et vous n'avez à craindre aucun danger. — Dangers 1 lui dis-je,
3 monsic-ur : ah ! si j'avais su positivement le lieu oii était ce monstre , j'eusse
a éié le saisir de ma main , je l'aurais traduit en prison ou devant vous. »
)) Jl uie pria de calmer le gouvernement; il était assez singulier de voir un
préfet rétlamer linterventioa d'un exilé près de l'autorité qui le persécutait, lui
eiiié 1
» Il parait donc démontré par tous ces faits que Paris ne s'est pas tué à For-
ges-les-taux. Pourtant il y eut un honioie tué dans une auberge, dans son lit,
par lui ou par un autre , mais que Tallien et Legendre prétendirent être le garde
du roi Paris. Il ont rapporté comme ayant été trouvés sur lui son brevet de la
gai'de royale et sou extrait de baptême. Sur le premier, Pàrisavait écrit, dit-on, ce
qui est consigné dans le rapport. Cependant Paris n'était pas mort; et un homme
a été tué, et l'on a trouvé sur cet homme les papiers de Paris Quels mys-
tères î
» En 1814, après la restauration, un de mes parens qui avait été absent de la
Francs, me parlant de mon frère , me dit que Paris, soa assassin , était mort en
1813 en Angleterre.... » (Aote des ailleurs.')
KÉVRfEK ( 1795 ). 2^3
lion. C'est avec très -peu de dépenses que la commission a re-
cueilli de grandes valeurs , et conquis sur l'ignorance des moines
des tableaux précieux. Un tableau original de Rubens a été trouvé
couvert de la poussière et de la rouille du temps dans un grenier
obscur de Saint-Lazare. Ce tableau est estimé plus de deux cent
mille livres. — II n'y a eu pour la dépense de la nation que des
frais de restauration , de transport, de remplacement, quelques
autres frais de dépôt, de garde et de réparations et autres me-
nues dépenses de détails qui sont arriérées depuis l'établissement
de cette commission intéressante. Elle ne présente elle-même que
les frais économiques de bureau et ie salaire d'un commis unique
pour l'écriture. L'économie fut toujours l'apanage des hommes
laborieux et des savans , comme la fortune fut rarement la coni-
pagne des artistes.
Aussi je viens vous dire un mot de ces hommes aussi iniéres-
sans par leur patriotisme que par leurs talens et leur infortune.
C'est sur les fonds de 500,000 fr. accordés tous les ans par l'as-
semblée constituante pour l'encouragement des sciences et des
arts que nous vous proposons de faire payer provisoirement, à
titre d'avance , les 13 ou 20 mille livres qui sont dues pour les dé-
penses de la commission des monumens pendant trois années
consécutives. Mais vous n'apprendrez pus sans surprise que, sur
cette somme de 300,000 livres accordées chaque année, il n'y a
eu qu'environ 40,000 livres distribuées à titre d'encouragement.
Cependant les artistes sont dans un état malheureux. C'est dans
les révolutions des empires que les arts sont oubliés ou mécon-
nus ; c'est dans les mouvemens de l'anarchie révolutionnaire que
le génie des arts sommeille ou s'enfuit. Vous avez fait des lois ter-
ribles contre l'émigration des Français qui vont compléter d'as-
sassiner leur patrie; faites aujourd'hui des lois bienfaisantes qui
arrêtent l'émigration des arts et des artistes maltraités , persé-
cutés dans leur mère patrie , à Rome , à côté des chefs-d'œuvre
qu'ils vont imiter. Les artistes doivent trouver en France un asile
assuré et des secours généreux. Les artistes manquent de tra-
vail, leurs talons sont dans le découragement, et le père de fa-
23(> CONVliNTlON NATIONALE.
mille a le désespoir du besoin. Demandez donc un compie public
au ministre de l'intérieur des sommes d'encouragement distri-
buées dans cette classe précieuse de bons citoyens. Sachons quels
hommes ont reçu des secours delà patrie, et des encouragcmeus
de ceux qui les distribuent. Occupons-nous de répandre sur les
pères de famille , si intéressans , une somme que les représen'ans
du peuple leur ont destinée. C'est la part du talent, c'est le pa-
trimoine des arts qui doit être distribué avec une juste profusion,
dans ce moment où les arts dépérissent s'iis ne sont aidés, ou
s'enfuient s'ils ne sont retenus. Prouvez à l'Europe qu'aucun
genre de gloire n'est étranger à une nation éclairée et libre. —
Voici le projet de décret.
Art. 1. La Convention nationale, ouï le rapport de son co-
mité d'instruction publique, décrète que provisoirement, et à titre
d'avance, les dépenses faites jusqu'à ce jour pour les travaux de
la commission des monumens , frais de bureaux et appointemens
du commis, seront prises sur la somme de 500,000 liv. assignée
pour l'encouragement des arts et des sciences par le décret du
9 septembre 1791. A cet eiTel, les é.ats des dépenses seront visés
et ordonnancés par le ministre de l'intérieur.
2. En exécution de l'article VII du décret du 9 septembre
1791 , le ministre de l'intérieur enverra dans la quinzaine à la
Convention nationale, et rendra public par la voie de l'impression
l'état des gratifications et encouragemens qui ont éié distribués
pour les arts et les sciences ; charge son comité de l'inslruciiou
publique de lui faire incessamment un rapport tant sur l'emploi des
fonds destinés aux encouragemens des arts, que sur l'éiablisse-
liient des fonds nécessaires pour la suite des travaux de la com-
mission des monumens, et le remplacement des sommes accor-
dées à la commission , à titre d'avance , par rarlicle précédent ,
sur le fonds de 500,000 Uv.
Ce projet de décret est adopté.
Carra lit un rapport relatif à Arthur Dillon , fait au nom du
comité de la gueire par Merlin de Douai, actuellement absent
par commission.
î-ÉvRi£R(1793). 25^
Le rapporteur justifie ce général de son ordre du 13 août, en
observant qu'il est prouvé qu'il ne l'a écrit que d'après de fausses
relations de la révolution du 10 ; mais dès que les commissaires
de l'assemblée l'eurent instruit des faits, il s'empressa d'abjurer
cette erreur d'un moment. Il retrace ensuite la courageuse ré-
sistance de ce général aux ordres de La Fayette ; sa campa{jne
brillante de la côte de Bienne , qu'il défendit avec dix mille
hommes contre les armées combinées. Il propose le décret sui-
vant :
La Convention nationale, après avoir entendu son comité de la
guerre, rapporte le décret du 18 août 179iî, par lequel le lieute-
nant-général Arthur Dillon a été déclaré avoir perdu la confiance
de la nation , et décrète qu'il n'y a lieu contre lui à aucune incul-
pation.
Billaiid-Varennes. Je combats ce projet de décret. Il ne man-
querait plus que de proposer de remettre ce général contre-révo-
lutionnaire à la tête des armées. Il s'est opposé à l'insurrection lé-
gitime du peuple. Il a juré serment de fidélité au roi alors que les
trahisons de Louis étaient manifestes.
L'assemblée décide qu'il y a lieu à délibérer.
Bourdon, de l'Oise. On a habilement saisi un moment où les
patriotes ne sont pas en force {Plusieurs voix de l'extrémité
gauche : Oui, oui. — Des ris s'élèvent dans la partie opposée.)
Legendre. Je demande l'ajournement de cette délibération à
demain.
Duliem. Ils ont fait un dîner chez Arthur Dillon.
Bourdon. L'ajournement à demain.
Billaud, Tallien, Duliem, Châles, Legendre, Bobespierre jeune,
Maure, se levant tous ensemble: L'ajournement à demain!
l'ajournement.
L'ajournement est rejeté ù une grande majorité.
Le président. Je vais nioitre aux voix !e projet de décret.
Duliem. La division ! Je demande que la seconde partie du
projet de décret ne soit pas mise aux voix. Il est impossible de
2Ô8 CONVENTION NATIONALE.
déclarer qu'il n'y a lieu à aucune inculpation contre cet liomnie-là.
Robespierre jeune. Il a , autant qu'il était en lui, provoqué la
défection de l'armée ; il a invité les corps à délibérer, à voter con-
tre la révolution.
Le président. La division étant de droit , en vertu du règle-
ment , J8 vais mettre aux voix la première partie de l'article.
Duhem interrompt la délibération pour proposer une rédac-
tion. — Mais déjà la grande majorité de l'assemblée est levée pour
décréter l'article.
Le président prononce que le décret par lequel il a été déclaré
qu'Arthur Dillon a perdu la confiance est rapporté.
Duhem. Il est inouï qu'on n'écoute pas la voix d'un membre
qui demande à proposer une rédaction {Plusieurs voix : Par-
lez.) Eh bien ! voici ce que je propose. Je demande qu'il soit dé-
crété que la Convention nationale pardonne au cjénéral Arthur
Dillon.
Bourdon. En ajoutant : En faveur de sa campagne de la côte de
Sienne.
Maure. Comment pourrez-vous punir des officiers quand vous
pardonnerez aux chefs ?
Bourdon. Il y a des officiers qui sont encore destitués pour
avoir souscrit à cet ordre, et vous décréteriez qu'il n'y a lieu à
aucune inculpation contre le général qui l'a donné C'est une
abomination.
L'assemblée passe à l'ordre du jour sur la rédaction proposée
par Duhem.
Châles. Je demande maintenant h question préalable sur la se-
conde partie de larticle proposé , portant qu'il n'y a lieu à aucune
inculpation, etc.
Carra. Cette seconde partie a été insérée dans le projet de dé-
cret peur le disculper des inculpations dirigées contre lui, àl'occa-
sion de sa fanfaronnade à l'égard du prince de Hesse-Cassel , qui
était indiscrète , il est vrai , mais dent il se justifia bien en battant
les Hessois. M^is j'avoue que le décret que vous venez de rendre
dit tout.
FÉVRIER ( 1793 ). 259
N La seconde partie est al^solumcnt iniUile. C'est un
pléonasme.
Carra. Je la retire de la dëiibéralion. J
Dubem rapportait un fait vrai en s'écriant : « Ils ont dîné
chez Arthur Dillon. » Plusieurs journaux, entre autres lesRévo-
lulïons de Paris et la feuille de j\Iarat , nous donnent là-dessus
des détails que nous allons recueilhr.
Le n. CLXXXVII de Prudhomme renferme un assez lonjj arti-
cle sur ce scandale. « Il y avait à ce diner tiente de nos léjjisla-
leurs républicains, dont plusieurs de la Montagne : Bazire , Cha-
bot , Fabre-d'Églantine , Beurnonvil'e, Merlin , Camille Desmou-
lins avec sa charmante femme, Carra, Delmas du comité mili-
taire ; e(c. — Le décret en faveur de Diilon prouve la vérité de
l'ancien proverbe latin : Omne animal capiturescâ.i Le journaliste
dit que le luxe de ce diner fut porté jusqu'à l'indécence, et que
« jamais Choiseul, dans tout son faste, ne donna un pareil re-
pas, i» Il ajoute que ce n'est pas le premier que Biilon a olfei-t € à
nos législateurs, z»
Voici ce que dit Marat : « Les patriotes qui n'ont que leurs fonc-
tions à remplir ont de grands reproches à se faire de ne pas as-
sister régulièrement aux séances, et de n'en attendre presque ja-
mais la fin. U serait à désirer que l'on trouvât un moyen de les y
contraindre. On parle d'établir six censeurs chargés de noter les
membres qui ne seront pas rendus à onze heures. Ce projet est
très-beau, mais j'ai grand'peur qu'il n'en soit comme de celui du
journal de la Montagne , et cela avec d'autant plus de fondement
que tous les citoyens qui y prennent place sont loin d'avoir les
mœurs rëpubhcaines. Qui croirait que plusieurs d'entre eux, no-
tamment Desmoulins et Chabot , bien connus pour avoir un esto-
mac aristocratique , si leur cœur est patriote , ont clé diner chez
Diilon le jour même où il s'était rendu à la Convention pour in-
triguer et se faire réhabiliter ? On dit que ce n'est pas la première
fois , et qu'ils mettent à la tête de leurs devoirs celui de courir les
240 CONVENTION NATIONALE.
bons dîners. Si pareille platitude leur arrive , j'Invite les amis de
la patrie à m'informer du jour et du lieu , j'irai, à la tête des fem-
mes de nos braves sans-culottes , relancer ces sybarites , et de la
belle manière. j> ( Journal de la République française, n. CXVII. )
Nous transcrivons du n. CLXXXVIII des Révolutions de Paris
Une réclamation de Camille Desmoulins.
« Camille Desmoulins à Prudhomme : Citoyen , rien ne vous
coûte tant que de dire du bien des patriotes de la Montagne, et
surtout des députe's de Paris. Rancune tenante contre le corps
électoral qui vous a fait le passe-droit de ne pas vous nommer, il
faut pourtant vous résoudre à insérer V errata que je vous adresse.
Ayant pris l'engagement de livrer, par semaine , à vos abonnés
trois feuilles d'impression de satire petit-romain, vous êtes bien ex-
cusable de n'avoir pas fait l'enquête et la contre-enquête sur cha-
que dénonciation ; et dans le doute , vous faites bien de crier
haro sur le fonctionnaire public. In suspicione btratote ; tel est le
grand principe de la liberté de la presse, dont le laticlave ne m'a
point fait me départir ; mais quand vous avez articulé un fait faux,
si vous refusez V errata qu'on vous demande , là cesse votre pré-
tendue impartialité et commence la calomnie.
» J'aurais cru que ce qu'il importe à mes commettans de savoir
est si on opine, et non si on dîne bien ou mal ; et, en vérité, austère
Prudhomme, voilà bien du bruit que vous faites dans votre dernier
numéro pour une dinde aux truffes mangée, dans le carnaval, chez
un général qui a sauvé la France à la côte de Bienne. Vous dites
que jamais Choiseul ne donna un pareil dîner ; je ne sais pas com-
ment Ghoiseul donnait à dîner, mais je me souviens d'avoir fait
chez vous-même, citoyen auteur, un dîner aussi somptueux , je
vous le jure, que celui du citoyen général , et ce que j'en dis n'est
pas pour vous le reprocher. J'iidresse la même réponse à Marat,
qui est venu faire également charivari à ma porte sur mon esto-
mac arisiocrate , et que Chabot accuse de lui avoir servi une fois
un repas de général d'armée , quoique Marat parle encore plus
souvent de ses haricots que vous ne parlez de votre riz à l'eau.
Que n'ai-je encore mon journul ! je ferais un beau chapiire sur
FÉVRIER (4793). 241
certains Curias qui apprennent au public qu'ils étaient vierges à
vingt et un ans ( allusion au portrait de Marat par lui-même, cité
par nous dans le tom. XXIII), et qui montrent avec ostentation
leurs pommes de terre , comme Brissot montrait au comité de
surveillance de la Commune la paillasse sur laquelle il était couché.
Plût au ciel que \e jésuite piémontais dormît sur le duvet et sur des
feuilles de rose , et qu'il ne fût pas le premier levé et le dernier
couché de la République ! Pitt dormirait bien moins si Brissot
dormait davantage. II aime bien mieux les fourberies de Xéno-
phon , qui , dans son roman de Cyrus , met ces paroles dans la
bouche du grand-père Astyage : « Et quoi ! mon fils , n'y a-t-il
» pas de mardi-gras chez les Perses? — Jamais , répond Cyrus. —
» Par Jupiter et par Vesta ! comment vivent-ils donc ? >
i Mais voyez comme vous êtes mal instruit , et quelle foi on
peut ajouter à vos mémoires. Vous dites qu'il y avait trente dé-
putés à dîner ; la vérité est qu'il y en avait cinq; vous mettez de
ce nombre Merlin , qui était à Bruxelles ou à Mayence à se battre
aux avant-postes ; ce qui montre que vous êtes fort peu au cou-
rant de ce qui se passe à la Convention ; comme on a vu que vous
connaissiez bien peu les Jacobins , quand vous avez dit que Le-
pelletier n'y avait mis le pied de sa vie ; il est également faux que
Beurnonville fût de ce dîner, et il serait à souhaiter qu'il ne vît
pas plus mauvaise compagnie que celle des cinq montagnards qui
s'y trouvaient ; il y aurait moins à craindre de trahisons épou-
vantables ; et si le vin , qui fait aller droit le mulet , comme dit
Pline , fait aller les hommes de travers , il faut convenir pourtant
qu'il est bien des gens qui sont mulets en ce point, et que le vin
empêcherait de broncher, s'ils avaient bu avec les Jacobins et
les Cordelieis.
» Que savez-vous ,'si ce n'est pas pour celte raison que quel-
ques députés patriotes sont allés dîner chez Dillon , qui est , sans
contredit, notre meilleur officier ? Comme il était permis aux
docteurs en Sorbonne de lire les livres à ïindcx, il peut bien être
permis à Chabot et à moi de dîner avec les généraux à Ïi7idex;
vous étiez au corps électoral , et il doit vous souvenir que lors-
T. XXIV. i6
242 CONVENTION NATIONALE.
que je fus discuté avant mon ballottage avec Kersaint, un membre
m'a^'ant reproché mes dîners avec Suleau et Peltier, il lui fut ré-
pondu par Danton en une seule phrase qui me fit nommer à la
presque unanimité. Quand je me souviens de saint Paul et de
saint Augustin ; j'ai toujours regret qu'il n'y ait point au pied de
la Montagne et à l'entrée des Jacobins un ou deux bancs pour les
conversions célèbres. Quelle impolitique de donner Magellan à
l'Espagne, ou le prieur Eugène à l'Autriche !
» Mais le sens pr incipal de votre paragraphe est celui-ci : « On
» se doute bien que les dîneurs ont appuyé le lendemain de tou-
> tes leurs forces pour faire blanchir Dillon. » Eh bien ! point du
tout, citoyen Prudhomme, et ce qui vous paraît sans doute in-
concevable, c'est que j'ai voté trois fois contre Dillon. Maintenant
que deviennent vos lamentations sur le gouvernail de la Républi-
que confiée à des estomacs de vautour? que devient votre proverbe
omne animal capitur escà ?
» Où en serions-nous, citoyen Prudhomme, si à mon tour
j'épluchais vos numéros? Voyant dans quels principes votre jour-
nal est rédigé depuis six mois, savez-vous que j'ai eu la pensée
d'aller aussi vous demander à dîner pour vous ramener aux bons
principes? mais j'ai réfléchi qu'on peut faire un bon républicain
du royaliste Cazalès ou Custine, Wimpfen ou Dillon, mais que
convenir un brissolin est une chose impossible, et j'ai abandonné
votre girouette à tous les vents qui soufflaient du côté droit et
de la Tamise. — Ce 14 février^ Camille Desmoulins »
SÉANCE DU 7 FÉVRIER.
Real, au nom du comité des finances. Citoyens, assurer les
subsistances de Paris , maintenir sur les marchés l'abondance des
grains, des farines, et à un prix modéré, fut toujours un des
principaux soins de l'administration municipale de Paris, et un
article important dans l'état de ses dépenses.
La différence entre le prix des achats de grains et farines faits
FÉVRIER (1795). 245
par la municipalité , pour l'approvisionneinent de Paris, et lu
revente de ces subsistances sur le carreau de la halle et aux bou-
langers, a produit, en 4792, un déficit qui, joint aux frais de
régie, s'élève a la somme de 5,875,950 livres.
Pour faire face à ce déficit , et en prévenir de nouveaux , la
municipalité était réduite à la dure nécessité , ou d'augmenter le
prix du pain, ou d'avoir recours à une coatribution extraordi-
naire.
La première mesure a répugné à des magistrats choisis par le
peuple; ils ont rejeté unanimement l'idée de hausser le prix du
pain dans un moment oii les denrées de première nécessité étaient
déjà si chères. C'eût été aggraver le sort de la classe la moins
aisée et la plus nombreuse des citoyens de Paris, qui a fait tant
de sacrifices pour la révolution.
Le conseil général de la Commune a donc voté pour une con-
tribution extraordinaire.
Il a demandé d'être autorisé à imposer une somme de 4,000,000 1.
pour couvrir, 1° le déficit de 5,873,930 livres; et 2° la somme
de 124,070 livres destinée à faire face aux non- valeurs dans la
rentrée de celte contribution et aux frais de perception.
Il a demandé encore que cette contribution portât sur le rôle
foncier et sur le rôle mobilier; que la contribution additionnelle
au rôle foncier fût d'un sou six deniers pour Hvre du principal,
et que la contribution au rôle mobilier fût graduée de manière
qu'en exemptant la classe la moins aisée elle atteignît modéré-
ment la classe moyenne , et pesât plus fortement sur les grandes
fortunes.
Le directoire du département a approuvé ces différentes me-
sures, par son arrêté du 20 janvier dernier.
Votre comité des finances, chargé de l'examen de cette affaire,
a pensé que la contribution de quatre millions était nécessaire,
et que le mode proposé était juste.
Voici le projet de décret :
La Convention nationale , après avoir entendu le rapport de
son comité des finances, sur la demande faite par la municipalité
2i4 CONVENTION NATIONALE.
de Paris, et approuvée par le directoire du département, d'être
autorisée à lever une contribution extraordinaire de 4 millions ,
pour couvrir, 1° le déficit de 5,875,930 livres provenant, soit de
l'excédant du prix des grains et farines achetés par la munici-
palité pour l'approvisionnement de Paris , sur la revente qui en
a été faite en 1792 sur le Carreau de la halle et aux boulangers,
soit des frais de régie; 2° la somme de 124,070 livres, destinée à
faire face aux non-valeurs dans la rentrée de cette contribution,
et aux frais de perception , décrète :
Art. i. La municipalité de Paris est autorisée à imposer une
somme de 4 millions , en établissant une contribution addition-
nelle aux rôles de contributions foncière et mobilière de la Com-
mune de Paris, pour i791 , suivant le mode ci-après fixé.
2. La contribution additionnelle au rôle de la contribution
foncière sera d'un sou six deniers pour la livre du principal de
celte contribution.
Cette contribution additionnelle portera sur les maisons et
propriétaires imposés sous le nom de domaine national , ou de
la Commune de Paris, qu'autant qu'il sera constaté qu'elles ont
été acquises par des particuliers, et n'aura lieu qu'au prorata du
temps de leur jouissance.
5. Il sera imposé sur le rôle de la contribution mobilière, à
partir d'un revenu présumé de 900 livres, sans aucune des dé-
ductions prescrites par les articles 19, 20, 23 et 24 de la loi du
13 janvier 1791, une cote additionnelle, comme suit, pendant la-
dite année.
Celui dont le revenu présumé sera de 900 à 3,000 i ivres ex-
clusivement sera taxé aux 3 centièmes de son revenu présumé;
sa taxe sera égale à sa cote d'habitation.
Celui dont le revenu présumé sera de 3,000 à 9,000 livres
paiera une taxe égale à sa cote d'habitation , plus une moitié de
ladite cote.
De 6,000 livres à 10,000 livres , deux cotes d'habitation.
De 10,000 à 15,000, deux cotes et demie.
De 15,000 à 20,000, trois cotes.
FÉvuiiiR ( 1705 ). 245
De 20,000 à 25,000, trois cotes et demie.
De 25,000 à 50,000, quatre cotes.
De 30,000 à 40,000, cinq cotes.
De 40,000 à 50,000, six cotes.
De 50,000 à GO, 000, sept cotes.
De 60,000 à 72,000, huit coies.
De 72,000 à 85,000, neuf cotes.
De 85,000 à 100,000, dix cotes.
De 100,000 à 150,000, douze cotes.
De 150,000 et au-delà, quinze cotes, ou le vingtième du re-
venu présumé.
4. Les percepteurs des contributions seront tenus de percevoir
les contributions additionnelles en même temps que le surplus
des contributions publiques , aux mêmes conditions que le prin-
cipal, et de faire mention , tant sur leurs quittances qu'à la marge
des rôles qui leur seront fournis , do ce qu'ils auront reçu.
5. Ils joindront à leurs bordereaux de recette ordinaires un
bordereau particulier de l'état de recouvrement de la contribu-
tion additionnelle.
G. La municipalité de Paris est autorisée à prélever sur le pro-
duit des contributions publiques de 1791, et dans les caisses des
percepteurs de cette ville, la somme d'un million pour fournir
aux subsistances de Paris jusqu'à ce que les rôles prescrits parle
présent décret soient mis en recouvrement.
7. Les récépissés que les administrateurs municipaux des sub-
sistances fourniront aux percepteurs seront reçus pour comptant
à la trésorerie nationale jusqu'à concurrence d'un million.
8. Le produit de ces contributions additionnelles sera versé
en entier à la caisse publique sur les premiers deniers qui en
proviendront ; la trésorerie nationale se rembouriera du million
prélevé sur les contributions de 1791 , et rendra aux administra-
teurs leurs récépissés.
9. A l'égard du surplus du produit desdites contributions, il
restera en dépôt à la trésorerie nationale. La municipalité de
Paris ne pourra le retirer qu'en suite de l'autorisation du direc-
!246 CONVENTION NAÏlONVLE.
toire du département ; le directoire ne l'y autorisera que lorsque
la municipalité lui aura présenté l'état détaillé de ses dettes et dé-
penses, conformément aux lois des 5 avril et 17 juin 1791 , et
que les administrateurs municipaux du département des domaines,
finances et subsistances lui auront rendu le compte de leur ad-
ministration , vérifié et arrêté par le conseil général de la Com-
mune.
10. Dans le cas où, par la rentrée desdites contributions addi-
tionnelles, il se trouverait un excédant au-delà des quatre millions
imposables , le directoire du département veillera à ce que cet
excédant soit remplacé en moins imposé , sur les rôles de 1793 ,
au profit des contribuables qui auront fourni à la contribution.
11. Le ministre de l'intérieur fera afficher tous les trois mois ,
dans Paris , l'état comparatif du prix des grains dans toute la
Képublique.
— Villers et Lanjuinais s'opposent à ce décret.
Cambon. Le système du comité est le plus juste , car il offre
aux infortunés les secours qu'ils léclament , et fait payer aux ri-
ches la protection que leur accorde la loi. Il est le plus économi-
que , car il ne lèse point le trésor public. Il est le plus sage et le
plus conforme à nos principes , car c'est par de telles mesures
que vous réaliserez l'égalité, que quelques hommes voudraient
faire passer pour une chimère. Voilà, citoyens, des avantages qui
doivent vous déterminer sur la priorité; je la demande pour le
projet du comité.
Plusieurs voix de l'extrémité gauche. Aux voix , aux voix!
Fermiez la discussion.
La priorité est accordée au projet du comité , et il est adopté
tel qu'il a été présenté. ]
SÉANCE DU 8 FÉVRIER. — Présidence dé Rabaut.
[Un des secrétaires fait lecture de plusieurs adresses d'adhésion
au décret qui a ordonné la mort de Louis.
On admet à la barre une députation des défenseurs de la Ré-
F "VRiER (1795). 347
publique une et indivisible , réunis en société aux Jacobins de
la rue Saint-Honoré , à Paris.
Le citoyen Roiissillon, commissaire rédacteur, électeur de la
section de Marseille, orateur de la députation. Représentans du
peuple, après quatre ans de trahisons de la part d'une cour per-
fide et de mandataires infidèles, Paris s'est levé pour la seconde
fois : le courage des citoyens et des fédérés a terrassé le despo-
tisme , et le roi assassin est descendu du trône pour monter à l'é-
chafaud.
Nous espérions que cette leçon terrible ferait trembler les en-
nemis de la liberté ; mais ils n'en sont devenus que plus auda-
cieux : une main sacrilège a enfoncé le poignard dans le sein d'un
de nos représentans; d'autres sont encore menacés : nous jurons
de venger sa mort dans le sang de tous les ennemis du peuple.
Tous les tyrans se liguent contre nous ; et c'est dans le moment
que nous allons les combattre que vous avez rendu un décret
qui ordonne de poursuivre les prétendus auteurs des journées
des 2 et 3 septembre ; poursuivez donc aussi les auteurs des
massacres du Champ-de-Mars , de la Chapelle et de Nanci; pour-
suivez donc aussi les infâmes auteurs des pétitions contre-révo-
lutionnaires.
Pieprésentans , ces journées sur lesquelles on affecte de s'api-
toyer éternellement ne sont point telles qu'on se plaît à le ré-
pandre. Le peuple ne savait-il pas que , pendant que le traître
Louis allait effectuer une seconde évasion , les scélérats détenus
à dessein dans les prisons , les tribunaux contre-révolutionnai-
res, devaient en sortir tout-à-coup, se joindre aux chevaliers
du poignard , et égorger les patriotes? Pouvait-il surtout l'ou-
blier dans le moment où il voyait s'avancer contre lui soixante
mille esclaves appelés par son ancien tyran ?
Le premier mouvement de ceux qui s'armèrent pour aller à
la rencontre des satellites de Brunswick fut de mettre leurs
femmes et leurs enfans à l'abri de toute atteinte : ils se portèrent
aux prisons, punirent les conspirateurs, et mirent en liberté les
248 CONVENTION NATIONALE.
innocens : libres après cela de toute inquiétude , ils marchèrent
fièrement à l'ennemi.
Voilà les ëvénemens qui ont donné lieu aux aristocrates et aux
modérés de calomnier le peuple de Paris.
Représentans ,' ceux qui font un crime au peuple des premiè-
res journées de septembre sont les mêmes qui applaudissaient à
celle du 17 juillet. Ils seraient déplorables ces événemens dans
un temps calme ; mais au sein d'une révolution orageuse , à la
suite d'une insurrection sanglante , ne peut-on donc les excuser?
Si la morale les réprouve, la politique les justifie, et il en sera
ainsi toutes les fois qu'au lieu de faire pour, on fera contre le
peuple qui, dans sa juste vengeance, peut se tromper.'; et comme
l'a dit un de vos membres , Isnard , les vengeances populaires
sont un supplément au silence des lois. Et nous aussi , qu'on ac-
cuse de cannibalisme, nous pleurons de bonne foi les innocens,
n'y en eût-il qu'un seul; et s'il en a péri , est-ce au peuple qu'il
faut s'en prendre?.... Non , il faut toujours reprocher les écarts
du peuple à ceux qui les provoquent , en investissant les traîtres
d'un brevet d'impunité.
Mais quels sont donc ceux que l'on voudrait poursuivre ? Est-
ce le peuple de Paris et les fédérés ? Vous auriez alors Jiuit cent
mille hommes à punir. Est-ce une poignée de brigands soldés,
comme le prétendent les aristocrates et les modérés ? Dans cette
hypothèse , le peuple serait encore complice , puisque par son
silence il aurait adhéré à leurs exécutions.
Celte procédure ridicule qu'on veut intenter contre les auteurs
des journées de septembre n'est qu'un échafaudage contre-ré-
volutionnaire, bâti par les ennemis de la Piépublique; c'est pour
leur arracher le masque que nous venons à votre barre vous
demander le rapport du décret qu'ils vous ont surpris ; vous le
devez au peuple , encore plus à votre gloire ; et si ce que nous
vous disons ne suffisait pas , nous citerions un rapport que vous
a fait le ministre de la justice, qui a pensé comme nous.
Ce décret a déjà donné lieu à une procédure dans la ville de
Meaux. Plusieurs de nos fières sont dans les fers et prêts à per-
FÉNRIER ( 1793 ). 349
dre la vie. Cinquante pères de famille ont abandonné leurs fem-
mes et leurs enfans pour se soustraire aux persécutions des li aî-
Ires qui, au nom de la loi, veulent assassiner le peuple. Nous
devons obéir à la loi , sans doute ; mais si elle est mauvaise , nous
avons le droit de réclamer contre elle , et d'invoquer la loi su-
prême, qui est le salut du peuple.
Nous demandons donc que vous ordonniez que nos frères de
Meaux soient mis en liberté , en vous observant qu'il existe une
loi qui annuité toutes les procédures faites et à faire pour cause
de révolution.
Le 'président à la députalion. Les défenseurs de la patrie seront
toujours ceux qui donneront l'exemple de l'obéissance à la loi.
La Convention se fera rendre compte de votre pétition ; si vos
réclamations sont justes, vous ne pouvez douter qu'elle n'y fasse
droit.
Albitle, Bourbolle, PouUier, Bentabole.et quelques autres
membres demandent le rapport du décret.
On réclame l'ordre du jour.
Saint-André. Une grande révolution ne peut s'opérer que par
un grand mouvement. On y trouve à côté des actes les plus écla-
tans de générosité , de grandeur d'ame , des traits qu'il faut au-
trement qualifier. De grands maux accompagnent alors de grands
biens. Mais si l'on ne tirait le rideau sur les premiers, jamais une
révolution ne serait possible ; jamais un grand peuple ne pour-
rait remonter à la liberté. La France, esclave depuis des siècles,
courbée sous le joug de ses rois et de ses prêtres , a voulu briser
ce joug avilissant; mais elle n'a pu le briser sans une commotion
violente. Montrez-vous grands et généreux ; faites par esprit de
patriotisme ce que les réviseurs firent par esprit d'aristocratie.
Ils accordèrent une amnistie dans laquelle les contre-révolution-
naires de Nîmes, de Montauban , etc., trouvèrent l'impunité de
leurs assassinats médités, réfléchis, préparés avec lenteur. Avec
combien plus de raison ne devez-vous pas pardonner à des hom-
mes dont les mains se sont, il est vrai , souillées de sang, mais
dont les intentions étaient pures. Ce n'est pas que je regarde de
250 CONVENTION NATIONALE.
sang-froid ces tableaux déchirans , qui font gémir i'humanitë »
la philosophie ; mais, plutôt que d'enlever des pères à leurs enfans,
des enfans à leurs pères , ne vaut-il pas mieux couvrir leurs fau-
tes d'un voile de générosité ? Vous donnerez par là une grande
preuve des sentimens philantropiques qui vous animent. Alors ,
après cette indulgence , vous arriverez à toute la sévérité des
principes. Vous direz : Nous avons pardonné ce que la révolu-
tion exigeait ; mais à présent toute tête pliera sous le joug de la
loi. Je demande le rapport du décret.
Lanjuinais. Je n'ignore pas les provocations au meurtre qui se
répètent souvent dans les lieux d'où vient cette pétition , et qui
nous sont transmises par des journaux plus ou moins fidèles ; je
comprends bien l'extrême latitude de ces mots que les pétition-
naires ont osé prononcer à votre barre : Nous jurons de massa-
cre}' les ennemis du peiiple, et cependant je viens m'élever contre
leur demande. La justice , la sûreté de l'éiat , votre honneur,
enfin le salut de la République , exigent qu'elle soit rejetée.
Il s'est élevé des nuages sur la nature de ces affreuses exécu-
tions de septembre. On a dit que c'était l'effet d'émeutes popu-
laires. Je vous demanderais l'amnistie si je le croyais, si je fai-
sais à ce bon peuple de Paris , auquel on ne peut reprocher que
trop de faiblesse , l'outrage de croire qu'il a commis ces affreux
massacres. Mais il est trop connu que ce fut un complot de cinq
à six tyrans , exécuté par quelques brigands stipendiés ; un com-
plot inutile à la liberté. Il faut que les tyrans proscripteurs,
comme les rois tyrans , périssent sur l'échafaud , ou qu'ils fuient
loin d'une terre qu'ils ont déshonorée aux yeux de la postérité,
aux yeux de toute l'Europe. Il est connu que les listes furent
dressées par des hommes en place; on sait par quels ordres
les victimes furent amoncelées dans les prisons ; on sait que les
bourreaux salariés recevaient cent sous par têtej et des registres
de sections, des registres de la Commune portent en ligne de
compte le prix de ces forfaits. On dit qu'en comprenant le mas-
sacre de Versailles, il a péri huit mille personnes lâchement assas-
sinées dans les 2, 5, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 septembre. Vous avez en-
FÉVRIER (1795 ). 5.')1
tendu à voire tribune l'affreuse lettre du comité de surveillance
de Paris aux municipalités , lettre que j'ai reçue comme officier
municipal , et dont le sens était : Nous avons tué, tuez; nous avons
massacré, massacrez; vous avez entendu deux de nos membres
avouer cette lettre , et se proclamer les héros ou les assassins de
septembre.
Il est donc vrai que ce furent non pas des émeutes, mais des
vengeances particulières; non pas des violences inopinées, mais
des complots , mais des proscriptions. ( Interruption de la mon-
tagne, tumulte.)
J'entends les injures qu'on m'adresse, et je ne m'y arrête pas;
ma vie entière y répond. Que pensera-t-on de vous, si vous
n'osez les poursuivre? On croira, et avec raison , que vous n'êtes
pas libres; et le style de l'adresse justifiera ces discours, sans
parler des circonstances qui ont précédé ; on dira que vous avez
foulé aux pieds la justice et les lois : les mêmes massacres se ré-
péteront ou pourront se répéter impunément dans toutes les par-
lies de la République; l'audace des coupables redoublera, et vous
resterez déshonorés.
Comment a-t-on pu comparer le crime des massacreurs à
l'acte des signataires de ces fameuses pétitions des huit mille et
des vingt mille? Quel renversement de morale! Je les blâme
aussi ces pétitions ; j'en ai signé de bien différentes dans le même
temps; mais la loi assurait l'impunité à ceux qui les ont signées:
d'ailleurs , la comparaison est mauvaise en tous sens. Ces huit
mille et ces vingt mille sont sans cesse persécutés et obligés de se
cacher ; plusieurs ont péri dans ces horribles massacres ; et de
là cette solitude des sections de Paris , qui n'offrent qu'un vain
simulacre, et vous trompent sous le nom collectif des habilans
de Paris. On ne pardonne pas à l'erreur d'une signature que la
loi tolérait: est-ce là une raison pour pardonner les massacres de
milliers de citoyens? Une émeute générale , une insurrection est
une guerre; le droit semble rester au vainqueur; les meurtriers
alors doivent quelquefois rester impunis; mais de lâches mas-
sacres, des proscriptions, sont des forfaits dont les auteurs doi-
252 CONVENTION NATIONALE.
venl être punis, à moins que l'empire de la loi ne soit détruit
par la licence de l'anarchie.
Quelque jugement qu'on doive porter des massacres de sep-
tembre, il faut laisser un libre cours à la procédure : si une
multitude est coupable, vous punirez du moins les instigateurs,
les infâmes conspirateurs , les chefs de l'entreprise. Attendez ,
non pas à rapporter, mais à modifier votre décret, s'il y a lieu
à connaître les charges; attendez que le ministre de la justice,
qui devait vous en rendre compte chaque huitaine, ait rempli le
devoir que lui impose la loi. Le bruit public et la démarche des
pétitionnaires vous annoncent qu'il y a déjà des charges assez
graves.
Il faut les connaître ; il faut ordonner que les procédures con-
tinuent, jusqu'à celle qui se fait par jurés exclusivement; et d'a-
près un rapport, nous jugerons quels furent les inventeurs, les
directeurs des proscriptions, et quels sont ceux qui doivent être
jugés; autrement, vons aurez manqué à l'un de vos premiers
devoirs; il n'y aura de sûreté pour personne, et il peut en résul-
ter le déchirement de la République.
Je demande donc, quant à présent, l'ordre du jour pur et
simple sur la pétition.
On demande que la discussion soit fermée.
Après deux épreuves successives , il est décidé qu'elle sera
continuée.
Chabot. Je ne vous parlerai pas des scènes sanglantes du
2 septembre d'après des journaux infidèles, ainsi que l'a fait
Lanjuinais. Je n'en parlerai ni comme complice, ni comme pro-
vocateur, comme on m'en a calomnié, comme on l'a imprimé,
mais comme témoin oculaire; et sous ce rapport, je dois dire
que le nombre des victimes a été exagéré; que Lanjuinais s'est
bien trompé en le portant à dix mille; et si je dois dire tout ce
j'ai sur le cœur, je dirai qu'un de nos anciens collègues en est
peut-être le seul coupable ; je dirai que Manuel semblait légiti-
mer ces massacres par sa présence. Quant à moi, que l'on a
montré comme un des héros de ces journées déplorables, je
FÉVRIER (1793). 2o3
dirai que, quand il fallut sauver les Suisses, les grenadiers des
Filles-Saint-Thomas et la ci-devant famille royale, j'exposai plu-
sieurs fois ma vie ; je m'offris en victime aux fédérés, et je leur
dis : € Promenez mon cadavre dans les rues des faubourgs , les
sans-culottes se rassembleront sous ce drapeau , pour vous ai-
der à renverser la tyrannie... » Vous voulez connaître les auteurs
des massacres des premiers jours de septembre, et plût à Dieu
que vous le pussiez! S'il follait les attribuer à des journalistes ,
ce ne serait pas aux jacobins, mais à Gorsas, qui les avait annon-
cés la veille, qui avait dit que la Commune de Paris avait sauvé
la patrie en sonnant le tocsin qui fut le signal des massacres;
qui, trois jours après ces massacres, les avait vantés. Je dirai
ce qu'il m'a confié au comité de sûreté générale, que Manuel et
Pétion lui avaient conseillé de les vanter ; qu'ils lui avaient en-
voyé l'article qu'il avait inséré dans son journal. Si ces massacres
nous ont fait exécrer du cabinet de Saint-James et des autres
cours, c'est que des journalistes les ont dénaturés; c'est qu'ils
les ont présentés sous les couleurs les plus hideuses. Je vous
dirai que, si vous ne voulez connaître que les auteurs et provo-
cateurs de ces massacres , je n'en suis pas éloigné ; mais com-
ment y parviendrez-vous? Vous devez entendre tous les com-
plices, tous les témoins; et j'atteste, moi, qu'à l'Abbaye il y
avait plus de dix mille baïonnettes. Je vous dirai que j'ai louché
la main à plus de cent cinquante fédérés , que je les ai baignés
de mes larmes pour les en détourner.
Il faudra donc arrêter tous ces citoyens , aller les chercher
dans les armées, dans les camps, en présence de l'ennemi, car
moi, j'en ai vu partir pour les frontières, aller se battre avec
courage, et laver leurs mains dans le sang de l'ennemi. Eh bien,
ordonnerez-vous des poursuites contre ces héros de Jemmapes
qui ont sauvé la patrie? Flétrirez-vons la mémoire de ceux qui
sont restés sur le champ de bataille? Je dirai plus , je ne sais pas
pourquoi on a réveillé ces scènes sanglantes; est-ce pour faire
respecter la Convention nationale ? Mais non , je vous l'ai déjà
dit , ce n'est pas par là que vous vous attirerez le respect du peu-
254 CONVENTION NATIONALE.
pie. Croyez que cet acte de ngueur serait d'un funeste exemple
pour les peuples qui voudraient s'insurger contre leurs tyrans.
Dans une révolution , on ne sait d'abord où s'arrêter ; et quand
on la commence , chacun doit craindre de porter sa tête sur un
échafaud ; et dans ce moment où le peuple anglais fermente,
n'est-ce pas lui dire : Arrêtez, car si dans une juste révolution
vous vous égarez un moment, vos representans pourront vous
condamner à perdre la vie? Au reste, citoyens, je vous rappelle
ce que vous a dit Albitte : Les ennemis de la révolution ont pro-
fité de votre décret , non pour poursuivre les auteurs et provoca-
teurs des meurtres des premiers jours de septembre, mais pour
inquiéter des citoyens sur des faits postérieurs à ces terribles
journées.
Je sais qu'il a été commis quelque désordre à Meaux ; mais
pour en emprisonner les auteurs , on a pris pour prétexte qu'ils
avaient égorgé dans le 2 septembre. Le décret surpris à votre re-
ligion fera poursuivre ceux qui aiment la liberté , im\s qui un
insîant ont été dans l'erreur. Les ennemis du bien public
trioii:p!ieront de voir élever uns constitution sur les cadavres des
patriotes ; et vous présenterez une constitution populaire à des
ennemis nés de cette même constitution. Citoyens, je puis être
égaré par m&s craintes ; mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elles ne
m'ont jamais trompé. Comme les oies du C:)pitole, je crie pour
sauver la patrie. Citoyens , je vous laisse avec ces réflexions , et
je conclus à l'amnistie.
BaiUeul. Je vais dire simplement et en peu de mots ce que j'ai
toujours pensé sur les massacres du 2 septembre. J'aurais voulu
qu'on eût jeté un voile épais sur ces scènes sanglantes ; ce n'est
pas que je les approuve , je les ai en horreur autant que per-
sonne. Je les ai considérées comme pouvant être une suite de la
révolution du 10. Je crois qu'on doit considérer ces événemens
- sous deux rapports : il faut distinguer ceux qui les ont amenés ,
qui les ont dirigés, et ceux qui en ont été les inslrumens aveugles.
On vous a dit que ces massacres avaient été faits par des hommes
qui, le 10 août, avaient combattu contre la tyrannie.
FÉVRIER (1795). 255
Chabot. J'atteste que les Marseillais y étaient.
Bailleid. Il est certain qu'il y a eu des hommes égarés. Pour le
bien de la paix , à cause des services qu'ils peuvent rendre à la
patrie ou qu'ils lui ont déjà rendus, il faut jeter un voile sur le
passé ; mais les hommes qui ont concerté ces assassinats sont de
grands coupables ; la justice doit les frapper de son glaive. La
Convention doit ordonner au ministre de la justice de poursuivre
les chefs; car méditer le crime de sang-froid , c'est une chose qui
ne peut être pardonnée. J'ajoute une réflexion. La loi n'est pas
entièrement respectée ; et des hommes, sous prétexte de patrio-
tisme , commettent des désordres. Je demande que, rappelant le
décret par lequel vous avez déclaré que les lois que vous n'aviez
pas abrogées seraient exécutées, vous nommiez une conmîission
de six mcnjbres qui présenteront le tableau des lois qui doivent
être exécutées , et que ce tableau soit envoyé dans toute la Képu-
blique. (On murmure.) Je ne parlerais pas de cette mesure si
tout était tranquille. Il est temps que le mouvement révolution-
naire cesse ; il est temps que tous les citoyens sachent que tout ce
qui devait disparaître n'est plus ; il est temps enfin que la loi re-
çoive son exécution. Je conclus et je demande qu'il soit sursis aux
poursuites contre ceux qui sont présumés avoir fait les massacres
du 2 septembre, mais que la procédure continuera de s'instruire
contre les auteurs et les provocateurs de ces assassinats.
Durai. Il n'est aucun de nous qui ne soit ptnétré do l'impor-
tance de la mission qui nous a été confiée par le peuple français.
Nous avons écé envoyés ici, non pour des affaires particulières ,
mais pour donner une constitution à la France, et pour punir le
tyran qui s'était parjuré mille fois. Ce dernier devoir a été rem-
pli , il nous reste à faire la constitution ; et tandis qu'il nous faut
du calme, ou a jeté au milieu de nous un ferment de division ,
cette malheureuse affaire des 2 et 5 septembre. Ou a cherché à
imputer les crimes à quelques membres de la Convention ; on les
en a présentés comme les auteurs et les instigateurs. Je crois
donc que, pour faire cesser toute espèce de dissension , il l^ut
jeter un voile épais sur ces événemens. Je suis étranger à Paris ,
2o6 CONVENTION NATIONALE.
je ne me suis jamais permis aucun acîe de violence , ainsi je puis
parler sur cette matière à front découvert. On n'a pas assez con-
sidéré l'éiat de Paris à l'époque du 2 septembre. Cette ville se
leva alors tout entière pour marcher à l'ennemi. Vous savez
qu'alors Paris était le lieu de rassemblement d'un grand nombre
d'hommes ; vous savez que les uns y étaient pour faire la contre-
révolution , les autres pour défendre la cause de la liberté ; vous
savez que dans la journée du 10 aoiit la tyrannie n'avait pas été
entièrement vaincue, et qu'il se tramait encore des conspirations.
Vous savez que le principal lieu où s'ourdissaient ces trames était
aux prisons.
Plusieurs voix. La preuve de cela.
Diiroi. On me demande la preuve de ce que j'avance : je la
trouve dans les déclarations que fit ce criminel exécuté sur la
place de Grève ; je la trouve dans les signes que portaient tous
les prisonniers pour se faire reconnaître des conspirateurs du
dehors. (On murmure.) Si cela n'est pas vrai, du moins le bruit
en a couru , et cela sert d'excuse. De plus, à cette époque , il fal-
lait marcher à l'ennemi. Chacun craignait de laisser sa femme,
ses enfans dans un endroit où on méditait de les massacrer.
Toutes ces circonstances inquiétaient le peuple , et le rendent ex-
cusable. Je conclus donc à ce que la Convention couvre d'un voile
ces déplorables journées , et que nous nous occupions de la con-
stitulion.
N Tandis que nous délibérons sur les massacres du 2 sep-
tembre, les Prussiens s'avancent. Vous serez responsables...
Lecointre, de Versailles. Président, fermez la discussion.
Lidon. Ceux qui voulaient, il n'y a qu'un instant, que la dis-
cussion fût continuée , demandent actuellement qu'elle soit
fermée.
Salles. On vous a présenté des vues sages, qui méiitent de fixer
l'attention de l'assemblée. Je demande que les idées de Bailleul
soient examinées.
Lamarque. Je réponds à Salles que c'est précisément parce que
les propositions qui ont été faites sont importantes qu'elles de-
FÉVRIER (1793). 257
mandent une profonde méditation. On ne connaît pas les faits ;
et ce n'est pas par des délibérations prises à la hâte, et sans un
rapport préalable de votre comité, que vous parviendrez à les
connaître. Je demande le renvoi au comité de législation.
Lorsqu'on voit constamment les mêmes manœuvres dans ce
côté ( il désigne le côté à la gauche de la tribune ) ; lorsqu'on se
rappelle que ceux qui votèrent pour l'amnistie des massacres
d'Avignon étaient de ce côté ; lorsqu'il paraît constant que ce
côté veut renouveler le système qu'il a toujours suivi (Le côté
désigné par Lamarque est dans une grande agitation ; plusieurs
membres s'avancent avec précipitation vers le bureau ; ils parlent
avec chaleur, et font des gestes violens. — On demande à grands
cris que Lemarque soit rappelé à l'ordre. )
Le président. Trois propositions ont été faites: l'amnistie pure
et simple, ou seulement pour ceux qui n'ont été que les instru-
mens des massacres , et enfin la suspension de la procédure et le
renvoi au comité de législation.
Legendre. Les auteurs des massacres du 2 septembre sont
ceux qui ont livré Longwy et Verdun. (Bruit, murmures.)
On demande la priorité pour la proposition de Lamarque ;
elle est accordée.
Bourdon, de l'Oise. Je demande, par amendement , l'adjonc-
tion du comité de sûreté générale.
iV. . . Je demande la division.
Le président. La division est de droit ; ainsi , je vais mettre
aux voix la première partie de la proposition de Lamarque , qui
est la suspension provisoire de la procédure.
Plusieurs voix à la droite de la tribune. La question préalable!
Bourdon, de l'Oise. La question préalable est une ineptie.
Le président met aux voix la question préalable; il prononce
qu'il y a lieu à délibérer.
Salles. Je propose, p;ir amendement, qu'il sera sursis à l'exé-
cution du jugement , et non pas aux poursuites. ( De violentes ru-
meurs s'élèvent dans une grande partie de la sallo.)
T. XXIV. i7
258 CONVENTION NATIONALE.
Louis. C'est le fond de la question que vous traitez. Il n'y a
point de privilège ici . . . La discussion est fermée.
Salles. Vous êtes tous d'accord que les chefs de ces massacres,
que les auteurs et les provocateurs de ces scènes affreuses doi-
vent être punis. {Plusieurs voix de l'exlrémilé gauche: Non!
non ! — On murmure dans la partie opposée. )
Salles. Si on demande le renvoi au comité , ce ne peut être que
pour savoir si les coupables seront punis , car personne ne veut
que les criminels, s'il y en a , restent impunis. (Murmures.) Si
vous étiez dans d'autres intentions , ce serait un piège que vous
tendriez à . . . ( Mêmes rumeurs. ) Qu'il me soit permis de vous
observer que le renvoi au comité de la question sur la famille
des Bourbons a fait éluder votre décret , je ne veux pas que la
même chose arrive. Je demande donc, par amendement , que la
procédure soit continuée, mais qu'il soit provisoirement sursis au
jugement.
iV. . . Ce n'est pas le jugement que l'on craint , mais la procé-
dure; c'est l'information qui inquiète les citoyens qui se trouvent
en face de l'ennemi : on vous a dit que vous alliez tendre un
piège ; mais c'est le préopinant lui-même qui vous a tendu un
piège , en proposant un amendement qui détruit le fond de la
question.
On demande que la discussion soit fermée sur les amende-
mens.
Grangeneuve. On parle de piège ; mais quel est celui qui le
tend? Est-ce celui qui craint l'effet d'une procédure, ou celui
qui veut que l'information continue? {Oui! oui! s'écrient quel-
ques membres à l'extrémité gauche. — On murmure à la droite.)
Grangeneuve. Je suppose que la Convention est dans l'inten-
tion de venger les horreurs du 2 septembre. (îl s'élève de violons
murmures à la gauche. )
Julien, Albitie. Président, faites-lui proposer son amende-
ment.
Grangeneuve . Je demande que la Convention décrète, afin que
toute la France le sache , qu'il n'est pas permis ici de motiver un
FÉVRIER (1795). 259
amendement qui contrarie les défenseurs des provocateurs des
massacres du 2 septembre. ( De violentes rumeurs s'élèvent dans
le côté gauche. — Une vive agitation s'y manifeste. — Chabot ,
Fabre-d'Églantine , Duhem, se précipitent vers la tribune. —
Ruamps , dans le milieu de la salle, parle avec chaleur ; on en-
tend ces mots : Grangeneuve , tu as voulu faire égorger dans les
prisons de l'Abbaye ton collègue Jouneau , pour te venger de
lui.
Grangeneuve. Ruamps , tu es un scélérat.
Un grand nombre de membres sejevant dans différentes parties
de la salle : Président , faites donc cesser ce scandale.
Grangeneuve. Il y aurait un piège à suspendre la procédure ,
parce qu'on ne peut juger sans preuves, ni punir sans jugement.
Plusieurs voix : Ce n'est pas là un amendement.
Grangeneuve. Le plus sûr moyen de faire évanouir les preu-
ves , c'est de suspendre l'information. Les innocens doivent dési-
rer que la procédure se continue. On m'a dit que j'étais un des
auteurs de ces assassinats; eh bien, pour ma justification, je
veux la continuation de la procédure ; je la demande pour d'au-
tres membres de la Convention qui ont été au moins indirecte-
ment désignés. Par exemple, le bruit a couru que ces horreurs
avaient été méditées dans l'hôtel du ministre de la justice ; il ira-
porte à ce ministre que ce fait s'éclaircisse. (11 s'élève de violens
murmures dans une très-grande partie de la salle. ) Je ne dois pas
avoir une demi-liberté , mais une liberté entière pour émettre
mon opinion. Lorsque vous avez décrété que les auteurs de ces
scènes affreuses seraient poursuivis , vous n'avez fait que rani-
mer le zèle endormi des tribunaux ; aujourd'hui on vous propose
d'arrêter le cours de la justice. (Mêmes murmures.)
Julien. Je demande à faire une motion d'ordre.... Que Gran-
geneuve propose son amendement.
Grangeneuve. Je demande qu'attendu que la Convention ne
peut s'ériger eu tribunal , la proposition de Salle soit adoptée.
On demande que la discussion soit fermée.
Duhem. Nous demandons la parole pour des faits importaus.
260 CONVENTION NATIONALE.
On insiste pour que la discussion soit fermée.
L'assemblée ferme la discussion.
On invoque la question préalable sur tous les amendemens.
Le président. Je vais mettre aux voix la question préalable sur
l'amendement de Salles , reproduit par Grangeneuve.
Le président prononce que cet amendement est écarté.
On réclame à droite. Plusieurs membres affirment qu'il y a du
doute ; ils demandent l'appel nominal.
Cbâles parle au milieu du tumulte.
Lidon. Président, imposez silence à un piètre qui nous me-
nace de nouveaux massacres.
L'assemblée entière est dans l'agitation. — Barbaroux veut
parler ; le trouble augmente; enfin il obtient la parole.
Barbaroux. Je m'oppose à l'appel nominal ; il ne peut servir
qu'à nous faire perdre du temps. Je demande que le ministre de
la justice soit entendu avant que vous preniez une délibération ;
il est au comité de législation ; il a la procédure entre ses mains.
Boyer-Fonfrède. Je ne sais pas pourquoi on s'oppose au renvoi
au comité, qui doit faire un rapport dans trois jours. Si les rai-
sons de ceux qui s'y opposent sont bonnes aujourd'hui , elles le
seront dans trois jours.
Plusieurs voix : Fermez la discussion.
Garan-Coulon. Il faut consulter l'assemblée pour savoir s'il y
a du doute.
L'assemblée consultée décide qu'il n'y a pas de doute.
Le président. Je mets aux voix la première partie de la mo-
tion de Lamarque, qui consiste dans la suspension de la pro-
cédure.
La Convention décrète que la procédure sera suspendue.
Plusieurs membres élèvent des doutes sur le résultat de la dé-
libération ; ils réclament une seconde épreuve.
La délibération renouvelée donne le même résultat. — Le pré-
sident prononce que la proposition est adoptée.
La dernière partie de la proposition de Lamarque est ensuite
mise aux voix et décrétée.
KÉvuiEu ( 1795 ). 261
Quelques voix de la patiie droite ; 1! y a encore du doute ; l'ap-
pel nominal.
Le président. Il n'y a pas de doute, le décret est prononcé,]
SÉANCE DU 10 FÉVRIER. — Présidence de Bréard.
La section des Halles envoie une députaiion qui présente une
pétition relative à la reddition des comptes du comité de surveil-
lance de la commune , dont étaient membres Panis , Sergent et
Tallien.
La Convention décrète que le ministre des contributions pu-
bliques rendra compte dans trois jours de l'exécution du décret
du 26 janvier dernier.
Dubois-Crancé. Jamais Tallien n'a été membre du comité de
surveillance de la commune.
Panis. Je suffoque d'indignation. Je ne conçois pas comment
on s'acharne à nous demander des comptes. Nous n'avons point
décomptes à rendre. (On murmure.) Nous n'avons jamais eu un
denier, un assignat en dépôt. Lors de la révolution du 10, j'a-
perçus parmi nous beaucoup de gens inconnus. Je demandai
qu'on mît de l'ordre dans la gestion. Je suis sûr qu'on n'a rien
dérobé, ou du moins très-peu de chose. Le trésorier était un
homme d'une probité reconnue. On a dit qu'il y avait un manque
de 20,000 livres. Il est possible que dans le tourbillon des évé-
nemens il se soit glissé un fripon sous le masque du patriotisme ;
mais on ne croira jamais que mes collègues et moi , connus par
trente ans de probité, nous ayons pris une montre. Par exemple,
nous avons dit au trésorier: conslatez avec les commissaires des
sections et ceux de la Commune les effets qui manquent, alors on
agitera la question de la responsabilité, et on verra si nous, qui
n'avons jamais eu rien en dépôt, nous devons payer ce déficit. II
était absurde , il était abominable de dire que je ne voulais pas
rendre mes comptes ; il y a dans la commune des aristocrates qui
sont payés pour faire le procès aux patriotes.
Marat. C'est un coup monté.
Lamarque. Il est aisé de voir que c'est bien moins l'intérêt de
262 CONVENTION NATIONALE.
la commune, l'intérêl de la République , que celui des plus petites
passions, dont vous venez d'entendre la voix. li est temps, citoyens,
de faire cesser ces misérables dénonciations , avec lesquelles on
corrompt chaque jour l'esprit public , et on fait croire dans les
départemens que nous sommes désunis. Nous avons toujours
voulu que l'union régnât dans la!Convention : au surplus il n'y
avait point de pétition à présenter; car il n'y avait rien à décréter
à cet égard. Si nos collègues n'ont pas rendu leurs comptes ,
qu'on les poursuive par-devant les tribunaux compétens pour
cela ; mais nous, passons à l'ordre du jour.
Lanjumaîs. Lorsqu'il s'agit de l'honneur , ce sont les faits qui
jugent les personnes. En viiin nous voudrions donner des am-
nisties, les faits parlent plus haut (Deviolens murmures
couvrent la voix de l'orateur. )
Carrier. Où sont-ils ces faits ?
Poultîer. C'est pour les contre-révolutionnaires comme toi ,
Lanjuinais, qu'il faut des amnisties.
Lanjumaîs. Il y a des lois qui obligent les comptables à
rendre des comptes. L'honneur de la Convention est la justice;
l'honneur des individus est une cooduite claire; que les faits
soient connus , et peut-être les prévenus seront justifiés. Vous
avez rendu, il y a quinze jours , un décret dont vous venez d'or-
donner de nouveau l'exécution. Je demande donc l'ordre du jour
motivé sur ce décret.
Fréron. Les membres du comité de surveillance ont conservé
800,000 livres qui n'étaient point consignées dans les procès-ver-
baux. Certainement s'ils eussent été capables de détourner
quelques objets, ce n'aurait pas été ceux dont il existe des procès-
verbaux.
L'assemblée passe à l'ordre du jour pur et simple.
' Une députation de la section du Finistère communique à la
Convention un arrêté par lequel cette section offre à la nation les
propriétés foncières des citoyens qui la composent , comme un
nouveau caulionnement des assignais déjà en circulalion, el des
FÉVRIER (1793). 265
800 millions qui viennent d'être décrétés. Elle demande en outre
que la Convention communique cette mesure salutaire à toutes
les municipalités. ( De vifs applaudissemens s'élèvent dans toutes
les parties de la salle. )
La Convention décrète la mention honorable de l'acte de dé-
vouement , l'insertion de l'adresse au bulletin.
Garât ministre de la justice, consulte la Convention sur cette
question :
Depuis l'aboliticn des droits de citoyen actif , tous les citoyens
français sont-ils tenus de se faire inscrire sur la liste des jurés , et
quelle sera la peine à infliger à ceux qui négligeront cette for-
malité? ( Renvoyé au comité de législation. )
Le même ministre donne connaissance d'une lettre de l'accu-
sateur public auprès du tribunal de Paris , qui observe que l'af-
faire de Blanchelande ne peut être portée au tribunal des jurés,
vu l'impossibilité de se procurer les témoignages et renseignemens
nécessaires , et demande qu'on permette au tribunal de pro-
noncer une troisième prorogation à la session de mars. (Renvoyé
au comité de législation.]
SÉANCE DU 12 FÉVRIER. — Présidence de Bréard.
[ Les députés des quarante-huit sections de Paris qui s'étaient
présentés hier pour faire une pétition relative aux subsistances
sollicitent de nouveau et obtiennent l'admission à la barre.
L'orateur de la députaiion. Citoyens législateurs , ce n'est pas
assez d'avoir déclaré que nous sommes républicains français , il
faut encore que le peuple soit heureux ; il faut qu'il ait du pain ,
car où il n'y a pas de pain , il n'y a plus de lois , plus de liberté ,
plus de République. Nous venons donc vous présenter de nouvel-
les vues sur les subsistances , approuvées par l'unanimité de nos
commettans ; nous vous les apportons pour que vous leur impri-
miez, en les adoptant ^ ua grand caractère. Nous venons, sans
crainte de vous déplaire , jeter la lumière sur vos erreurs et vous
montrer la vérité. Un orateur vous a dit , à cette tribune : « Si
264 CONVENTION NATIONALE,
VOUS dccrélez des entraves à la circulation des subsistances, vous
décrétez la famine, i Mais mettre un frein aux abus est-ce en-
traver des subsistances ?
Vous vous êtes plaints des mouvemens du peuple sur l'aug-
mentation du prix des subsistances, plusieurs les ont attribués à
l'agiotage infâme des monopoleurs ; ceux-là avaient raison ; ce-
pendant ils n'ont pas été écoulés ; d'autres ont indiqué , comme
remède à ces abus, la surveillance des municipalités. Eh! com-
ment voulez-vous que des municipalités marchandes se surveil-
lent, se dénoncent elles-mêmes? Nous regrettons qu'un de vos
membres , rangé du côté des prétendus philosophes , se soit écrié
qu'il était affligeant pour la liberté de voir arracher les grains
aux cultivateurs ; il a crié à la violation de la propriété ; mais on
n'arrache pas ce que l'on paie à un prix raisonnable. Ils ne voient
donc pas , ces prétendus philosophes , ces amis de la liberté ab-
solue du commerce des grains , qu'en arrachant le pain du pau-
vre ils n'enrichissent que d'avides spéculateurs ? Et qui ignore
que dans le commerce des grains il existe des abus qu'il faut ré-
primer, si l'on ne veut pas que le peuple meure de faim ? Quel-
ques-uns se sont bornés à proposer de faire des proclamations
propres à éclairer le peuple ; mais est-ce avec des proclamations
qu'on peut apaiser ceux qui ont faim?
Citoyens législateurs , levez bien plutôt le voile, contemplez la
misère affreuse d'une infinité de familles qui pleurent dans la so-
litude et qui vous demandent d'essuyer leurs larmes. Vous avez
décrété la libre circulation des grains , mais la cessation des abus
a échappé à votre sollicitude. On vous a dit qu'une bonne loi sur
les subsistances est impossible : c'est donc à dire qu'il est impos-
sible de régir les états quand les tyrans sont abattus. Citoyens ,
vous êtes ici constitués pour notre salut ou pour notre pertç ;
vous voudrez sans doute notre salut. Eh bien , vous n'aurez rien
fait pour notre salut tant que vous ne frapperez pas les écono-
mistes qui abusent des avantages de la loi pour s'enrichir aux dé-
pens du pauvre. Lh ! qui doute de l'existence de la mort quand
toutes les sources de la vie sont épuisées ? On vous a dit qu'une
FÉVRIER (1795). 1^65
bonne loi sur If s subsistances est impossible , c est-à-dire qu'il
faut désespérer de votre souveraine sagesse.
Nous , députés des quarante-huit sections de Paris , nous qui
vous parlons , au nom du salut de quatre-vingt-quatre départe-
mens , nous sommes loin de perdre confiance devant vos lumiè-
res. Non , une bonne loi n'est pas impossible ; nous venons vous
la proposer, et sans doute vous vous empresserez de la consa-
crer. Encore une fois vos principes sur les subsistances ont-ils
atteint votre but? Sommes-nous mieux après votre loi qu'aupa-
ravant, quand le peuple crie à la famine au milieu de l'abon-
dance, et qu'on ne lui présente aucune consolation ? Écoutez-
nous , mais ne vous prévenez pas. Les mesures qne nous venons
vous proposer, par addition à la loi du 9 de'cembre, sont celles ci :
1° La peine de six années de fers pour toute administration qui
sera administration marchande ;
2^ Une mesure uniforme pour les grains dans toutes les parties
de la République, de manière que l'on n'y connaisse plus pour
toute mesure que celle du quintal du poids de KX) livres.
5° Que jamais, sous peine de six ans de fers pour la première
fois , et de mort pour la seconde , il ne soit permis à aucun agri-
culteur, ou marchand , de vendre un sac de blé froment , et du
poids de 250 liv. , plus de 2o liv. le sac;
4° Que la Convention ordonne que son décret du 2 de ce mois
qui charge les directoires des départemens de surveiller les ma-
gasins de la République soit notamment exécuté dans les pays
limitrophes de la République où il sera permis aux ministres de
faire leurs achats de grains.
Un aulrc membre de la députation. Comme vice-président de
la commission des subsistances , je suis chargé , au nom de mes
commeltans , au nom de tous nos frères des départemens
(Une violente rumeur s'élève dans toutes les parties de la salle,
et se prolonge pendant quelques instans.)
Lotivet. Y a-tril en France deux Conventions, deux représen-
tations nationales?
Le président. Aucun citoyen n'a le droit de s'annoncer comme
266 CONVENTION NATIONALE.
mandataire de ses frères des déparlemens s'il n'en a reçu des
pouvoirs. Vous vous êtes annoncé comme mandataire des ci-
toyens des départemens , où sont vos pouvoirs ?
Le pétitionnaire. Je n'ai pas de pouvoir des départemens. (L'agi-
tation recommence.)
Le président. Vous avez commis une grande imprudence. La
Convention a entendu votre pétition ; elle pèsera dans sa sagesse
ce qu'elle doit aux sections de Paris, ce qu'elle doit aux citoyens
de toute la République; elle sera juste envers tous, et ne sera
injuste envers personne. Vous avez les honneurs de la séance.
{Non, non, s'écrie-t-on de toutes parts.)
Plusieurs membres demandent que les commissaires des sec-
tions de Paris soient admis , excepté celui qui , n'ayant point de
pouvoirs , a parlé au nom des quatre-vingt-cinq départemens.
Plusieurs voix : A la bonne heure.
Marat. Je m'oppose à cette mesure , et je demande la parole.
Les mesures qu'on vient de vous proposer à la barre pour ré-
tablir l'abondance sont si excessives , si étranges , si subversives
de tout bon ordre; elles tendent si évidemment à détruire la libre
circulation des grains, et à exciter des troubles dans la Républi-
que , que je m'étonne qu'elles soient sorties de la bouche d'hom-
mes qui se prétendent des êtres raisonnables et des citoyens h-
bres, amis de la justice et de la paix. Les pétitionnaires qui se
présentent à votre barre se disent commissaires des quarante-huit
sections de Paris. Pour avoir un caractère légal , ils auraient dû
avoir le maire de Paris à leur tête. Je demande d'abord qu'ils
soient tenus de justifier de leurs pouvoirs. Un des pétitionnaires a
parié au nom des départemens ; je demande qu'il justifie de sa
mission. Ne vous y trompez pas, citoyens, c'est ici une basse in-
trigue. Je pourrais nommer ici des individus notés d'aristocratie;
mais les mesures que je propose serviront à les faire connaître et
à couvrir de honte les auteurs. Je demande que ceux qui en au-
ront imposé à la Convention soient poursuivis comme perturba-
teurs du repos public. ( Oui , oui... Âppwjé, s'écrie-t-on de tou-
tes les parties de la salle. )
FÉVRIER ( 1795). 267
Lehardy. Citoyens, il est temps enfin que vous signaliez ce
grand caractère dont le peuple souverain vous a revêtus; il est
temps que vous vous serviez de votre toute-puissance pour fou-
droyer tous les hommes qui n'ont que le masque du patriotisme ;
il est temps que vous fassiez rentrer dans l'ordre cette fourmilière
de désorganisateurs qui ;, semblables à la vermine , pullulent de
toutes parts ; qui, semblables à la tête de l'hydre, se reprodui-
sent sans cesse sous différentes formes. Il existe un plan affreux
qui ne tend à rien moins qu'à avilir la Convention et à faire re'-
gner une faction par le trouble et l'anarchie. (Murmures.) Je prie
qu'on ne m'interrompe pas.
Je dis que les pétitionnaires ne peuvent pas être admis aux
honneurs de la séance ; ils ont employé des expressions insul-
tantes et menaçantes , ils vous ont dit que le peuple était debout ,
et que les quatre-vingt-cinq départemens l'étaient aussi contre
vous ; j'ajoute encore un fait, c'est que ce matin, à la pointe du
jour, on colportait , dans la ville de Paris , une adresse dans la-
quelle on disait: t Les sans-culottes vont demander du pain à la
Convention , qui leur en refuse. » N'était-ce pas prêcher l'insur-
rection ? et c'est à de tels hommes qu'on veut accorder des hon-
neurs qui ne doivent être le partage que des bons citoyens qui
sont soumis aux lois ! Je demande qu'ils ne soient pas admis.
Carra. Citoyens , plus la République a besoin de ressources et
de consolation , plus elle a besoin de repos et de calme , plus la
Convention s'empresse d'organiser toutes les parties de l'admi-
nistration, et d'assurer les succès et les triomphes que sa raison,
sa fermeté , son courage, celui des soldats de la République, de
tous les bons Français nous préparent ; plus on cherche à tout
désorganiser, plus on cherche à jeter le trouble par le système
des fausses nouvelles , des fausses alarmes : et les citoyens qui
sont ici , ne sont que les instrumens passifs de nos ennemis , qui
emploient toutes ces manœuvres ; qui , jaloux et mécontens de
voir que nous arrivons à notre but, de voir que nous allons don-
ner une constitution républicaine à la France; que nous allons
organiser l'armée; et celte organisation leur déplaît, parce qu'elle
268 ' CONVENTION NATIONALE.
est morale et politique , font agir des hommes que l'on prend par
les mots de patriotisme , de bien public , et remplissent leur but
si désiré de retarder vos utiles travaux. Je dis donc que les pé-
titionnaires qui se sont laissés égarer ne doivent point être admis
à la séance , et que celui qui a osé dire avec une insolence ex-
trême qu'il parlait au nom des quatre-vingt-cinq départemens
doit être décrété d'accusation à l'instant même. {Plusieurs voix :
Oui , oui , appuyé ! )
Buzot. Citoyens , J'appuie la proposition de Marat , non que
je doute qu'il ne sache parfaitement lui-même que les citoyens
qui sont à la barre ont les pouvoirs qui leur sont demandés , et
qu'ils sont bien véritablement commissaires des sections de Pa-
ris ; car hier, lorsqu'ils ont demandé à paraître , et qu'ensuite
ils se sont retirés à la salle des conférences , la députation de Pa-
ris, et Marat lui-même, sont allés les trouver, et dès-lors ils
ont pu savoir quels étaient les particuliers qui voulaient se pré-
senter, qui ont employé même , pour y parvenir, une espèce de
violence qui , je me plais à le dire, 'a été apaisée par les soins de
Blarat. Il a aussi pu entendre certains propos que je neveux point
relever ici , parce qu'il ne s'agit point ici d'inculpation personnelle.
Je viens à la question.
Les citoyens eux-mêmes me disent qu'ils ont leurs pouvoirs ;
ils ne demandent qu'à les faire connaître, et moi je le demande
aussi ; car nous devons nous souvenir que Pitt, en Angleterre ,
fit brûler les papiers d'un homme célèbre, et punir ensuite tous
les auteurs de cet incendie. Craignons devoir régner parmi nous
cet affreux machiavélisme. Les citoyens qui sont à la barre sont
au reste très-excusables; car dans les temps malheureux où nous
sommes , certes il est bien permis aux pauvres de faire entendre
leurs voix devant les représentans du peuple , chargés de veiller
à ses plus chers intérêts. Aussi n'est-ce pas de leurs réclamations
que vous devez vous plaindre, mais des erreurs dans lesquelles on
lésa fait tomber ; erreurs criminelles qu'on ne cesse de répandre ;
et lorsqu'on veut s'opposer à leur propagation funeste , on est
aussitôt taxé d'aristocratie , et les plus hommes de bien sont en
FÉVRIER (1795 j. 269
danger. Il faut qu'ils exhibent leurs pouvoirs; car il est temps de
connaître les auteurs de ces manœuvres.
Souvenez-vous, citoyens , de ce discours de Vergiiiaud : « Le
pain est cher, dit-on ; la cause en est au Temple ; eh bien ! un
jour on dira de même : le pain est cher, la cause en est dans la
Convention nationale. » Ce temps est venu , citoyens; ne l'ou-
bliez pas , et voyez que c'est avec les subsistances qu'on voudrait
égorger la liberté pubhque.
Citoyens , je ne sais presque plus où nous en sommes , ni où
l'on nous conduit : car lorsque dans nos comités même on ac-
cueille des dénonciations appuyées sur des pièces fausses qui ten-
dent à compromettre des hommes vraiment estimables, et que
vous n'en êtes pas même avertis , dites-moi si , dans ces momens
de troubles qu'on veut exciter peut-être , il est un seul homme
qui puisse se reposer sur l'espérance que l'avenir justifiera sa
mémoire. Ceci me conduit à une pensée très-naturelle : c'est
qu'il existe un projet de tout désorganiser ; et je ne puis cepen-
dant à cet égard que vous communiquer mes craintes ; car je ne
croirai jamais que les citoyens de Paris , qui ont donné tant de
preuves de désintéressement et de patriotisme , viennent se plain-
dre à cette barre, lorsque naguère vous avez accordé quatre
millions pour leurs subsistances, lorsque le pain coûte beaucoup
moins cher dans cette ville que dans nos déparlemens. Citoyens,
je le dis aux habitans de Paris , il ne faut pas s'abuser sur ce qui
se passe. Je le dis aux citoyens dts départemeriS : si les citoyens
qui vont dans les sections se laissent plus long-temps tromper
par les hypocrites en patriotisme, Paris , qui a été le berceau de
la liberté, en deviendra le tombeau.
Il est donc nécessaire de savoir comment ces pétitionnaires ont
été entraînés à cette démarche, qui est contraire à leuis vérita-
bles intérêts , qui tend à les priver du nécessaire Oui, Pari-
siens, ne vous y trompez pas, votre sol ne produit rien; c'est
le nuire qui vous nourrit ; et si vous arrêtiez la circulation des
grains, vous péririez de misère, tandis que nous serions dans
l'abondance. C'est pour vous que cette libre ciroiilaiion a éic dé-
270 CONVENTION NATIONALE.
crétëe ; c'est vous qui devriez la proclamer, et c'est vous qui de-
mandez qu'on la proscrive.
Ce projet n'a pu être suggéré que par les ennemis de la patrie.
Je demande qu'on découvre toute cette intrigue, que ces citoyens
soient interrogés sur les motifs qui les ont amenés à la barre ,
sur les hommes qui les ont poussés par leurs discours; je de-
mande surtout que ce particulier qui s'est présenté au nom des
départemens , et que sans doute les départemens ne connaissent
pas , soit arrêté , car il pourrait être un chef de parti.
Mazuyer. Il n'est personne qui puisse se dissimuler la vérité
des réflexions faites parles préopinans. Je suis convaincu que les
citoyens pétitionnaires n'ont été qu'égarés par ces prétendus pa-
triotes , qui ne le sont que depuis le 10 août , après avoir été jadis
très-arisiocrates , et qui trompent le peuple en se montrant à ses
yeux excessivement patriotes ; et, pour appuyer mes réflexions,
je vais vous citer un fait: c'est que la pétition qui vous a été lue
à la barre est l'ouvrage d'un ci-devant garde de Monsieur , très-
rude aristocrate avant le 10 août. Les motifs de celle machina-
tion sont au reste très-compliqués: les uns la font agir pour se
décharger de l'impôt progressif établi par votre décret qui a ac-
cordé quatre millions pour procurer à un prix modéré des sub-
sistances aux habitansles moins aisés de Paris ; d'autres , par des
vues bien plus dangereuses encore , n'emploient cette manœu'
vre que pour retarder les travaux de la Convention , et l'occuper
de besoins factices , quand elle doit tourner ses regards vers la
défense de la République à l'extérieur.
Quant au citoyen qui s'est dit le mandataire des quatre-vingt-
cinq départemens, ce n'est qu'une imprudence de sa part, et
voici sur quoi elle est fondée : il existe effectivement à Paris une
seconde Convention nationale , et c'est sur quoi j'appelle toute
votre attention ; il existe à Paris une société qui ne ressemble
point aux sociétés populaires ; mais c'est une réunion de citoyens
se disant défenseurs de là République, avec laquelle les sections
de Paris communiquent officiellement, par délibérations et par
commissaires, et qui se croient autorisés à stipuler les intérêts des
FÉVRIER ( i793 ). 27i
départemens. Le pétitionnaire a donc pu être induit en erreur,
et je ne pense pas que la Convention puisse pour une erreur se
porter envers lui à des mesures rigoureuses ; mais j'invite la Con-
vention à porter des regards attentifs sur cette société, qui , si elle
existait plus long-temps et exerçait les prétendus droits qu'elle se
reconnaît, renverserait tous principes de représentation nationale.
J'appuie les propositions qui vous ont été faites; mais il en est
une préliminaire que je dois présenter : c'est de mander à la
barre le maire de Paris, pour qu'il vous donne des renseigne-
mens sur l'existence de cette société. (Appuyé. )
On demande que la discussion soit fermée. — Elle ne l'est pas.
Barrère demande la parole. — Plusieurs membres appellent
Barrère à la tribune.
Le président. II ne doit pas y avoir ici de privilège, c'est Doul-
cet qui a la parole.
Doulcet. Je ne regrette point que la discussion soit prolongée ,
car elle prouverait aux citoyens de bonne foi qu'ils ont été l'in-
strument d'une intrigue bien coupable et bien criminelle. On a
proposé que les pétitionnaires ne fussent point admis à la séance :
j'appuie cette proposition , et voici pourquoi : c'est que ces com-
missaires, égarés par les funestes suggesiions des enneniis inté-
rieurs et extérieurs , qui sans cesse disent , écrivent et impriment
que la Convention nationale ne peut faire le bien du peuple; c'est
que ces commissaires, dis-je, se sont présentés d'une manière
illégale, et se sont servis d'expressions outrageantes , qui ne de-
vaient pas souiller cette enceinte. Quant au citoyen qui a osé dire
qu'il parlait au nom des quatre-vingt-cinq départemens , comme
si quelqu'un , excepté les membres de la Convention nationale,
élus librement par tous les citoyens, pouvait se dire le manda-
taire du peuple , je demande que ce citoyen ;, m.oins criminel qu'é-
garé, mais qui cependant a dit assez pour être suspect , soit mis
en état d'arrestation et interrogé par le juge de paix.
Je demande de plus que vous arrêtiez votre attention sur ce
qu'a dit Mazuyer : il a dit une vérité grande ;, terrible , effrayante
pour vous , si vous n'aviez point tant de courage , et pour le peu-
272 CONVENTION NATIONALE.
pie , qui veut que vous le sauviez : il vous a dit qu'il existait à
Paris deux Conventions nationales ; il est vrai qu'il existe en cette
ville un simulacre de représentation nationale, composé d'hom-
mes inconnus , qui se disent des départemens , et qui n'en sont
pas ; car dans les départemens il n'y a que des citoyens amis des
lois , il n'y a point de stipendiés de Coblentz. Je demande donc
que vous portiez votre attention sur cette association mon-
strueuse.
Plusieurs voix : La priorité pour la proposition de Doulcet.
BiUaud-Varennes. Je demande que la première proposition qui
a été faite , et qui a pour objet de faire déposer sur le bureau les
pouvoirs des citoyens qui se sont dits les députés des quarante-
huit sections de Paris , soit décrétée.
Cotte proposition est adoptée.
Plusieurs voix : Et la connaissance des personnes qui ont si-
gné les pétitions.
Leprésidenl. La pétition n'a que cinq signatures; les voici :
Lezaut-Slialioussay , président; Heudelet, vice-président ; Cou-
"pel, secrétaire; Moidel, vice-secrétaire, et Pelletier, commis-
saire de la section du 3Iarais (1).
Voici les pouvoirs de celui qui s'est dit député des quatre-
vingt-cinq départemens.
« Extrait du procès-verbal de la société Fraternelle , réunie
à celle des Dëvenseurs une et indivisible des quatre-vingt-cinq
départemens, séante aux Jacobins de Paris, rue Saint-Honoré ,
le jeudi 7 février. La société , après avoir entendu la lecture d'une
pétition des quarante-huit sections de Paris à la Convention na-
tionale sur l'objet des subsistances , après lui avoir donné de
justes applaudissemeus , a arrêté qu'elle y donnait son adhésion.
Signé , Mitier fils , président ; Balois , fds aîné , vice-président ;
BiLON , DoLivET et Gennie , secrétaires.
(< ) La plupart des journaux s'accordent à donner des signatures différentes de
celle-ci : le nom du président est Plaisant-la-Houssaye ; celui du secrétaire est
Poupel; celui du vice-sccréliiire, Boidel; et celui du commissaire du Marais,
Pelissier. La colleclion de Bo'^sange a conservé ces niras tels que le Moniteur les
donnait. ( Aot<' des aiiicurs.)
FÉVRIER ( 1795 ). 275
Thurîot. Je fais observer à la Convention que trente sections
seulement ont donné leur adhésion à cette pétition , de manière
qu'on nous présente l'ensemble de Paris votant, lorsqu'il est
clair à mes yeux que la masse de Paris n'a pas voté. Ainsi je de-
mande ...
Piusietu's voix : II faut arrêter les deux orateurs.
Ban-ere. Je demande qu'on adopte la proposition faite , et que
je renouvelle , de refuser aux pétitionnaires les honneurs de la
séance; voici mes motifs : 1^ c'est qu'ils se sont annoncés comme
représentant les quarante-huit sections, tandis que trente seule-
ment ont délibéré; 2° c'est qu'ils sont venus présenter la péti-
tion des riches avec la livrée des pauvres; d'un autre coté, ils
sont en révolte contre la loi , car la pétition qu'ils ont présentée
est évidemment contraire et deslructiv.î de la belle loi que vous
avez méditée pendant trois semaines sur la libre circulation des
grains. Cette péjiiion tend à mettre le trouble dans la Républi-
que, à arrêter les subsistances et à empêcher la liberté publi-
que de s'établir. Voilà les motifs sur lesquels je fonde le refus des
honneurs de la séance ; et certes , si les honneurs de la séance
ne sont pas des lionneurs publics , s'il est égal d'admettre dans
cette assemblée l'homme qui vient combattre la meilleure loi,
certes , on peut insulter chaque jour la représentation nationale.
J'insiste sur ce qu'il y ait un décret exprès qui refuse aux péti-
tionnaires les honneurs de la séance.
Plusieurs membres réclament auparavant l'arrestation des
deux orateurs. — La proposition de Barrère est adoptée.
Barrère. Ce n'est que pour faciliter les délibérations que j'ai
divisé mon opinion, et que je n'ai énoncé que la première partie.
J'appuie la proposition qui tend à mettre en état d'arrestation
l'homme qui s'est permis de dire qu'il portait la parole au nom
des 85 departemens. Je ne demande pas contre lui le décret
d'accusation , car il faut laisser la chance à l'erreur ; mais je
demande qu'il soit interrogé par le juge de paix de la section des
Tuileries, afin que l'on sache ce qu'il est.
T. xxiv. IS
274 CONVENTION NATIONALE.
Jean-Baptîste Louvet. Je demande que provisoirement on fasse
fermer ia barre , car les pétitionnaires en sortent.
Marat. Je demande que les pétilionn aires soient tenus de dé-
clarer leurs noms, qualités et demeures, car je sais qu'il y a parmi
eux des aristocrates infâmes.
La proposition de Mara t est décrétée.
Marat. Citoyen président, donnez des ordres pour les faire
arrêter, car ils s'en vont.. . Vite...
Les pétitionnaires donnent leurs noms.
Marat. Je demande qu'ils se nomment tout haut.
Plusieurs pétitionnaires sortent.
Jean-Baptiste Louvet et Marat demandent que l'on fasse fermer
l'issue de la barre.
TImrîot, Je m'oppose à cette proposition ; elle est contraire à
la dignité de l'assemblée.
La proposition est rejetée.
Ze président. On demande que celui qui s'est dit représentant
des quatre-vingt-cinq départemens soit mis en arrestation.
Clioudieu. Je m'y oppose. Ce n'est pas un délit que rassemblée
reproche à ce particulier, mais d'appartenir à une société qu'elle
a déjà reconnue en admettant une de ses députations à la barre ,
et en décrétant mention honorable des sentimens patriotiques
qu'elle a exprimes. Je demande maintenant comment il se fait
qu'un citoyen qui se dit député de cette société {Murmures.
— A l'ordre , à L'ordre. ) Je demande que la Convention nationale
entende une seconde lecture de ses pouvoiFS.
Salles. Le fait avancé par Choudieu est vrai ; mais voici dans
quel sens : des citoyens se sont présentés plusieurs fois à la
barre, et ont pris le titre de défenseurs de la République. J'ob-
serve que ce titre n'a pas été saisi par la Convention dans le sens
que le pétitionnaire vient de le donner tout à l'heure. Ces pre-
mières députations ne se sont jamais dites représentant les 8j
départemens. Si elles l'avaient fait , les principes qui viennent
d'être exposés à la tribune l'auraient été alors, et l'assemblée
aurait fait ce qu'elle doit faille maintenant.
FÉVRIER ( 1795 ). 275
Pour conn''iîlre le nœud do celte intrigue , il faut que le péti-
tionnaire qui a parlé au nom des 80 déparlemens soit entendu ;
il faut qu'il nomme ceux qui l'ont mis en avant.
Lamarque. Citoyens, il est contraire aux principes de la repré-
' sentation d'un peuple libre , et bien dangereux pour la liberté pu-
blique , que la Convention depuis son existence ait toléré dans
Paris une société qui a pris le litre de représenlans de la Répu-
blique. Ce qui a en quelque sorte légalisé cette société, c'est que
des administrations, égarées par vos décisions, ont cru devoir en-
voyer à Paris des citoyens des départemens pour défendre la
Convention nationale , en leur donnant môme une espèce de ca-
ractère de représentation fédérative armée. Tel a été le résultat
des déclamations insensées de quelques-uns de vos membres sur
la prétendue non-liberté des opinions. Maintenant quel est donc
le délit du pétitionnaire? Est-ce de tenir à cette société ? est-ce
d'avoir employé telle ou telle expression? Sous ce premier rap-
port, je crois, par cette seule raison qu'il est membre de cette so-
ciété , que vous ne pouvez pas le mettre en état d'arrestation.
(Murmures.) Sous le second rapport, ce citoyen n'a point dit
qu'il était représentant des 83 départemens. {Plusieurs voix:
Oui, oui, il l'a dit.) Il a simplement dit : Je suis charge au nom
de mes commetlans et au nom de tous mes frères des dépar-
temens.... (Violens murmures. )
Thurioi. La Convention nationale est trompée sur un fait; car
elle croit que cette dépulation se présente de la part des défenseurs
de la République. Voici une lettre, que je reçois du président de
cette société , qui prouve le contraire.
« Citoyens représentans, nous nous sommes procuré ce matin
la pétition républicaine des 48 sections de Paris qui a pour objet
les subsistances ; noire société n'y a donné aucune adhésion ,
puisqu'elle n'y a pas été lue, mais bien à la société Fraternelle des
deux sexes, qui, à cause des réparations que l'on fait à la salle
des Jacobins , y tient ses séances. >
Je dois dire comme vérité à la Convention que les pouvoirs
paraissent avoir été donnés par la société Fraternelle des deux
276 CONVENTION NATIONALE.
sexes, et par des défenseurs des 85 départemens ; mais qu'on n'y
prend nulle part !a qualité de représentant de !a nation.
Salle. Le comité des subsistances désirerait que l'on fît au pé-
titionnaire cette interpellation : De quel comité de subsistances
êles-vous vice-président ? Je dois ajouter un fait : c'est qu'un de
nos collègues vient de me dire, en présence de Fonfrède , qu'un
des pétiiionnaires vient d'écrire les pouvoirs qu'il a exhibés. Je
demande que ce prétendu représentant déclare s'il avait des
pouvoirs.
Laforce. La Convention devrait s'apercevoir déjà qu'elle rem-
plit les vues des pétitionnaires , et que la séance est perdue. Je
demande au surplus le renvoi de cette affaire à un comité, avec
charge d'en rendre compte à l'assemblée.
Le président annonce que le pétitionnaire demande la parole
pour un fait. [Plusieurs voix : Non , non . )
Duprat. Je demande qu'il soit entendu; nous ne pouvons pas
prononcer sur la liberté d'un homme sans l'entendre.
L'assemblée décrète que le pétitionnaire sera entendu.
Le pétitionnaire. Citoyens, profondément affligé du temps que
je vous ai fait perdre , je vous déclare franchement qu'une incon-
séquence de ma part a causé tout ceci. Voici le fait. Je suis com-
missaire de la section Poissonnière, pour me réunir avec ceux des
autres sections de Paris, car il y en ade toutes les sections. Depuis
quatre mois, nous sommes occupés de différons objets concernant
les subsistances. Je n'ai point assisté à la rédaction de la pétition
qui vient devons être présentée; mais j'ai assisté aux articles ad-
ditionnels. J'ai délibéré et j'ai été nommé vice-président depuis
huit jours; c'est en cette qualité que je me suis présenté au-
jourd'hui. Ce matin, arrivés dans cette enceinte, nousnoussommes
entretenus avec un de vos membres ; il nous a dit qu'après la lec-
ture de celte pétition il faudrait demander que la Convention
s'occupât , toute affaire cessante , de faire une loi sur les subsis-
tances pour la République entière. Citoyens , on a dit que le
président de notre comité , qui lisait la pétition, ne dirait pas cet
ajouté, qu(3 ce serait le vice-président; et par conséquent j'ai dit
FÉVRIER (1795). 277
au nom de mes frères des dëparlemens : voilà le l'ait; je le confesse;
je subirai toutes les peines que vous voudrez bien m'infliger.
Plusieurs voix: Le nom du membre qui a parle au pétitionnaire?)
Le péiiiionnaire. On m'a dit qu'il s'appelle Saint- Just; mais je
r.e le connais pas.
Saint-Just monte à la tribune.
Thuriol. Je demande que le pétitionnaire déclare s'il a com-
munique la pétition entière à Saint-Just, car il en impose encore
à l'assemblée.
Saint-Jusi. Quand je suis entré ce matin dans cette assemblée,
on distribuait une pétition des 48 sections de Paris, dans laquelle
je suis cité d'une manière désavantageuse. Je fus à la salle des
conférences, où je demandai à celui qui devait porter la parole
si j'avais démérité dans l'esprit des auteurs de la pétition : il me
dit que non ; qu'il me rej^ardait comme un très-bon patriote. Je
lui demandai les moyens qu'il voulait proposer : une personne
me présenta du blé noir dans sa main , et me dit qu'il y en avait
beaucoup de cette espèce débarqué au port Saint-Nicolas. Je lui
dis: Quelle que soit votre position , je vous invite à ne point agir
avec violence : calmez-vous et demandez une loi générale. Si la
Convention ajourne votre proposition, alors je demanderai la pa-
role et je suivrai le fil des vues que j'ai déjà présentées. Citoyens,
je n'ai point dit autre chose.
Marai. Je demande que les deux orateurs soient renvoyés au
comité de sûreté générale, et qu'on passe à l'ordre du jour.
Osselin. Hier presque tous les députés de Paris se sont rendus
avec moi à la salle des conférences, pour calmer l'agitation qui
troublait rassemblée. Nous avons entendu le citoyen qui a pré-
senté la pétition nous dire que c'était une pétition faite, non-
seulement par les quarante-huit sections de Paris , mais par les
quatre-vingt-cinq départemens de la Piépublique. Je demande
si c'est de ma part une erreur, ou bien si mes collègues ne l'ont
pas entendu comme moi. ( Oui, oui.) Je demande que le pétition-
naire qui a eu l'insolence de prendre le masque de représentant
de la République, masque trompeur qu'il faut faire tomber à la
278 CONVENTION NATIONALE.
face de l'univers , soit interrogé à l'instant au comité de sûreté
générale. {Plusieurs voix : Fermez la discussion.)
La discussion est fermée.
L'assemblée adopte la proposition d'Osselin à l'unanimité.
La presse girondine s'occupe fort peu de la pétition sur les
subsistances ; les divers journaux de cette opinion en disent à
peine quelques mots dans leur compte-rendu de la séance du 42.
La presse dé l'opinion jacobine revient au contraire plusieurs
jours de suite sur cet événement, et ne le laisse qu'après l'avoir
éclairci. Prudhomme expose ainsi les faits :
« Lundi 11, les pétitionnaires firent demander audience; le pré-
sident de la Convention leur fit répondre que l'assemblée , occu-
pée du grand objet de l'organisation de l'armée , ne pouvait les
entendre, et qu'il les invitait à rapporter leur pétition le dimanche
suivant ; mais les commissaires dirent qu'ils n'étaient pas des pé-
tïùonnaires du dimanche , qu'ils ne venaient pas présenter une
pétition individuelle , mais tracer le tableau des besoins de , Paris
et son vœu le plus pressant. Bréard , président , persista dans
son refus. Alors les commissaires députés, ou plutôt le président
de la députation (Plaisance de la Houssaye) , écrivit à la Conven-
tion que si la députation était repoussée les quarante-huit sec-
tions étaient debout. L'assemblée, qui ne voulait point se distraire
du grand objet de la délibération , se contenta de passer à l'ordre
du jour motivé.
î Cette nouvelle mit en fureur un certain nombre de commis-
saires. Des propositions attentatoires à la dignité de la Conven-
tion étaient faites par quelques-uns d'entre eux : des députés ne
purent rien gagner sur ces esprits exaltés, et furent qualités de
moc/ér es. Enfin, pour éviter des scènes indécentes, ils emme-
nèrent la députation au comité d'agricuUure, qu'ils convoquèrent
sur-îe-champ. Le comité eut assez de complaisance pour deman*
FÉVRIER (1793). 279
dcr à la Convention que les commissaires fussent entendus le len-
demain ; ce qui fut accorde. »
— Ici Prudhomme raconte la scène du lendemain. Il dit que
les pétitionnaires parurent au nom de la ville de Paris , et que ce-
pendant le maire n'était pas à leur tête. Celte remarque tombe
d'elle-même , car il n'y avait pas en ce moment de maire à Paris.
Chambon avait donné sa démission le 3 février, et Pache ne fut
élu que le 44. Après avoir exposé la séance, l'auteur de l'article
ajoute : « On a examiné de plus près les membres de cette
députnîion ; le président a été reconnu aristocrate. D'autres se
sont trouvés d'anciens gardes du roi , un des rédacteurs de la pé-
tition est un ci-devant garde de Monsieur, qui a fait le patriote
depuis le 10 août, tandis qu'il éîait aristocrate forcené avant cette
époque. Le mandataire des fédérés des quafre-vîngt-cinq dépar-
temens, nommé Hendelet, a été mis en état d'arrestation et inter-
rogé au comité de sûreté générale ; rien n'a déposé contre sa
loyauté et son civisme ; on a vu seulement que c'était un cerveau
exalté susceptible d'impressions étrangères. » {Révolutions de Pa-
ris, n.CLXXXyUl.)
On a vu , dans le Lullelin de la séance , que Marat fut l'un des
premiers à se déclarer contre les pétitionnaires. I! les improuve
plus explicitement encore dans sa feuille, et il en consacre plu-
sieurs numéros à donner des éclaircissemens sur le but probable
de cette démarche, sur la personne de ceux qui l'ont faite, sur
1 époque oii elle a été préparée , et sur les individus qui en ont
donné la première idée. Nous allons recueillir la partie significa-
tive de ces renseignemens.
Dans son n. CXXI, Marat fait cette réflexion : « Il est notoire
que la Convention, non plus que les législatures précédentes,
n'a jamais été occupée de délibérations importantes au salut pu-
blic sans qu'elle ait été troublée par des alarmes ou des émeutes
sur les subsistances. Et, pour m'en tenir à des exemples récens,
je citerai les atiroupemens dans les dépariemens de Seine-et-
Loire et du Lo'ret, occasionnés parle dénûm.cnt des marchés ,
et annoncés à la Convention au moment où elle délibérait sur l'é-
280 CONVENTION NATIONALE.
poque à fixer pour le ju{îementde l' ex-monarque, époque que la
faction criminelle s'efforçiiit d'éloigner; je citerai les alarmes ré-
pandues par les députés de ia Commune de Paris au sein de la
Convention au moment où elle allait délibérer sur la guerre avec
l'Angleterre ; je citerai les inquiétudes répandues par les dé-
putés des sections de Paris au sein de la Convention, au mo-
ment où elle va délibérer sur la nouvelle organisation de nos ar-
mées. >
Marat.^fait voir ensuite comment son esprit est passé du doute
au soupçon, des probabilités à la certitude, à l'égard des mau-
vais motifs des pétitionnaires. Il termine ses inductions par ces
mots : f Ainsi que tout patriote éclairé , l'ami du peuple ne peut
donc regarder la pétition que comme ayant été suggérée par les
ennemis de la patrie , par des meneurs qui ont surpris la bonne
foi des sections elles-mêmes , aujourd'hui que l'absence des plus
chauds patriotes, appelés pour le service de la patrie, soit au sein
de la Convention , soit au corps électoral, soit sur les frontières,
les livre aux discours hypocrites et aux menées artificieuses d'une
foule d'intrigans couverts du masque du faux civisme. » — Pas-
sant aux individus, Maral dit que le sieur Plaisanl-la-Houssaye
a été secrétaire-rapporteur, ou plutôt grippesou de l' ex-avocat-
général Fleury, et que ce vil concussionnaire mettait à contribu-
tion les pauvres plaideurs auxquels son maître rendait la justice.
, Il dit que le sieur Pelissier est un ex-commissaire royal chassé de
Bretagne pour malversations aristocratiques. Il signale Bouland,
ex-garde-du-corps de Capet dit Monsieur, et le sieur Jujgni, ci-de-
vant féodiste du chapitre de Saint-Marcel. Il dénonce ces intrigans
aux sections comme indignes de les représenter, et leur affirme
que, si elles suivent les menées de PIaisanl-la-Ho,ussaye et de Pou-
pel , elles reconnaîtront bientôt qu'ils sont en relation avec les
brissotins , et que c'est Clavière qui tient les fils de l'intrigue. »
Dans son numéro CXXII , Marat fait une longue adresse aux
sections sur le même objet, et la termine ainsi : « J'aime à croire
que les bons citoyens de toutes les sections de Paris, tous péné-
trés des bons principes , de l'amour de l'ordre ei du respect dû
FÉVRIER ( 1795). 281
aux représentans du souverain, s'empresseront de désavouer
des faussaires qui les faisaient parler en inse^isés et en fac-
tieux. j>
Dans son numéro CXXV, il dit : « La seclioq Poissoncicre a
déclaré que le sieur Hendelet, l'un de ses membres, celui qui a
compromis le plus la dépuîaiion des commissaires en parlant au
nom des quatre-vingt-cinq déparremens, est indigne de sa con-
fiance ; eî!e lui a retiré tout de suite les pouvoirs qu'il avait obtenus
d'elle , en arrêtant qu'il ne pourra être nommé à aucun emploi
à la disposition de la section. Plusieurs sections ont improuvé
également leurs commissaires de s'être laissé séduire par les in-
trigans qui ont rédigé !a péiilion insensée.
€ Voici quelques anecdotes sur le sieur Poupel , qui faisait les
fonctions de secrétaire. En novembre i789, Poupel fut nommé,
conjointement à l'abbé Bouillon , commissaire du district des Ja-
cobins, acîueilement section des Piques. 11 é;ait chargé de la dis-
tribution des secours à donner aux indigens ; mais la caisse re-
mise entre ses mains pour cet objet se trouva bientôt dissipée, et
il fut chassé du district. Les curieux peuvent, pour leur édifica-
tion, compulser le procès-verbal qui en fut fait dans le temps.
Dès lors Poupel a été chassé du bataillon du district par suite de
ses malversations. Les bons citoyens de la seciion dont il se dit
commissaire assurent qu'il n'a pu être nommé que par intrigue,
et en se présentant au mo nient où il ne se trouvait que des aris-
tocrates à l'assemblée ; tous s'accordent à lui donner un certificat
de coquinisme.
» Jeudi soir, le sieur Bouland, que j'ai dénoncé comme rédac-
teur de la pétition , s'est présenté chez moi pour m'assurer de la
pureté de son civism.e ; il s'ttt éternellement réclamé de Fréron.
Or, voici le certificat que Fréron, mon collègue, vient de lui
donner.
« Frappé d'un c'écret de prise de corps et poursuivi par La
I Fayette, après le massacre du Champ-de-3Iars , je cherchai un
» asile chez le sieur Bouland, que j'avais eu occasion de voir quel-
» quefois, et qui jouait le patriote. Je me rendis à travers champs
282 CONVENTION NATIONALE.
i- à sa maisonnette du faubourg Saint-Marcel, en prenant toutes
> les précautions possibles pour n'être ni vu ni saisi. Il me reçut
* assez froidement. Il sortit sur le soir, et rentra peu après , en
» annonçant qu'il était bien fâché de ne pouvoir me donner asile;
» que la section des Gobelins était informée que je m'étais retiré
> chez lui , et que sa maison devait être investie pendant la nuit.
> Elle ne le fut pas toutefois ; c'est ce qu'il est essentiel d'observer
» avant tout. Au moment de prendre congé, Bouland feignit de
î prendre grand intérêt à mon embarras , et me pressa de lui
> dire où j'avais dessein de me retirer : je lui répondis à Che-
» vreuse , chez mon beau-frère , La Poipe. Je le priai de m'ac-
D compagner jusqu'au bureau des voitures; il y consentit. A
> peine avions-nous fait cent pas, qu'il voulut m'abandonner au
» milieu de la rue. Je craignais quelque trahison de sa part, et
* comme il était nuit , je le pressai de m'accompagner au bu-
» reau ; il se rendit à mes instances. Prêt à monter en voiture, il
» me demanda de nouveau si j'allais à Chevreuse , et il me pria
» de lui donner exactement l'adresse de la retraite où je me ren-
» dais, afin qu'il pût m'instruire de ce qui se passait. Ses procé-
» dés m'avaient inspiré beaucoup de défiance ; je ne fus point à
» Chevreuse , et bien m'en prit ; car le lendemain , dans la nuit ,
» la maison de mon beau-frère fut investie par la gendarmerie,
> et fouillée de la cave au grenier. Or, observez bien que je n'a-
> vais dit à personne au monde qu'à Bouland que j'allais chercher
» retraite à Chevreuse. * — Tel est le certificat de civisme que
Fréron donne à Bouland.
Dans son numéro CXXVl , il insère la lettre suivante, où se
trouvent l'histoire même de la pétition et celle du principal me-
neur.
« Paris, le 14^ janvier 1793. Citoyens, la lecture de voire
journal d'hier me fournit naturellement l'occasion de vous écrire,
pour vous instruire des intrigues infernales qui se pratiquent dans
la section du Panthéon Français, qui serait une des meilleures
sections de Paiis si ciie n'éluit dans ce moment-ci le patrimoine
des inlrigans, puisqu'ils s'en vantent tout haut.
rÉVRiER { 1795 ). 285
» La pétition sur les subsistances dont vous parlez a été fabri-
quée dans cette section. On s'en est occupé dès le mois de sep-
tembre dernier. Elle a été appuyée par les nommés La7idrm, ex-
moine, dont le frère est émigré , et d'Amour, son compagnon de
chambre en hôtel garni, place Maubert , maison d'un fruitier,
lesquels ont une existence absolument ignorée des citoyens de
ladite section. Ils sont véhémentement soupçonnés d'y être en-
voyés pour désunir les citoyens , faire prendre des arrêtés con-
traires aux vrais principes, exciter les braves sans-culottes de
cette section , qui sont en très-grand nombre, à en venir à des
voies de fait , comme il est arrivé ces jours derniers , où un bon
citoyen manqua de perdre la vie. C'est déjà vous faire pressentir
le caractère d'un de ces deux intrigans, nommé Landrin. En ef-
fet , il est impossible de peindre l'astuce et la perlidie de cet
homme, qui a la facilité de la parole, et la trouve comme il veut
avec le masque du patriotisme. Il fait plus. Pour se rapprocher
encore mieux des braves sans-culottes qui ne sont pas assez in-
struits pour se méfier de ses manœuvres , il se déguise toujours
en indigent , en portant un habit dont les coudes et le dessous des
bras sont à jour ; et vous entendez , citoyen , que les gestes ne
sont pas épargnés aux motions. C'est avec de telles menées qu'il
parvient à faire des braves sans-culottes tout ce qu'il veut, qu'il
leur a persuadé à tel point que les vrais patiiotes étaient des cha-
pelains, des aristocrates, que s'ils voulaient faire tête à cet
homme perfide, le sang coulerait dans la section. Cet homme,
après avoir été la cause de la scène que je viens de raconter,
leur a ensuite prêché l'humanité , la paix et la concorde , et
les braves sans-culottes ont applaudi. Jugez, citoyen, ce qu'ont
souffert les vrais patriotes. C'est encore cet homme dangereux
et perfide qui fit la motion d'accompagner le président et le se-
crétaire de la section, en armes, à la Convention dans le cas où
ils seraient mandés pour cause des nominations à haute voix; ce
qui prêta à la calomnie de Roland , que la section avait pris l'ar-
rêté ; ce qui n'était pas vrai, attendu que Landiin n'avait pas dans
ce temps l'influence qui! a aujourd'hui
284 CONVENTION NATIONALE.
> Ce fait vient parfaitement à l'appui des propos indécens de
ces soi-disant députés des sections de Paris et des déparlemens ;
il explique en même terïips Fenigme sur la conduite du vertueux
Roland. C'est encore cet intrigant qui, dans les cafés et les lieux
publics, déclamait contre la constitution civile du clergé, propos
contre-révolutionnaire, dont il s'est défendu dans la section,
lorsqu'on lui en a fait le reproche, avec son astuce familière , en
disant que les opinions étaient libres. Quand les patriotes lui re-
prochent d'avoir employé son esprit à diviser, il répond que cela
l'amuse. Plusieurs citoyens, qui l'aitesteront même s'il le faut,
l'ayant un jour rencontré avec d'Amour, son compagnon de
chambrée, et le nommé Gobert, autre intrigant, pour ne pas dire
quelque chose de plus, les ont entendus se dire entre eux qu'ils
allaient f la section sens dessus dessous, ce qu'ils n'ont pas
manqué de faire ; car depuis que ces intrigans sont dans la sec-
tion elle est dans un état de guerre civile , ei tout cela amuse fort
le sieur Landriu , puisqu'il s'en vante. Il vient encore de faire
casser le comité de la section créé au 10 août , et composé d'ex-
ccllens patriotes, qu'il a fait destituer par ses calomnies, eliem-
placer par ses créatures, appuyées par les sans-culottes. Enfin,
cet homme perfide, qui fait l'indigent dans la section , a été ren-
contré plusieurs fois dans la rue assez bien couvert , comme ceux
à qui les assignats ne coûtent pas grand'peine à gagner ; ce qui
démontre jusqu'à l'évidence que la liste civile n'a fait que chan-
ger de mains , puisque l'on emploie encore aujourd'hui les
mêmes moyens, soit pour égarer l'opinion publique, soit pour
diviser les citoyens, et les mettre aux prises les uns avec les
autres. — Citoyen , par le portrait que je vous ai fait de Landrin,
de cet homme insidieux et méchant, vous croirez sans doute con-
venable et prudent de ne pas me nommer. Sifinc , le citoyen
J. N. L. *
Nous terminerons ce post-scriplum à la séance du 12 par la
lettre que la députaiion de Paris jugea nécessaire d'adresser à ses
comraettans sur la pétition pour les subsistances. Nous emprun-
tons cette pièce au journal de Robespierre, 2^ trim., n. VI.
FÉVRIER ( 1795 ). 285
Les députés du déparlement de Paris à leurs commettans.
« Citoyens, les circonstances graves où nous sommes nous
font une loi de vous donner des avertissemens salutaires : un
événement qui vient de se passer à la Convention nationale les
provoque impérieusement.
» Au moment où la Convention nationale s'occupait de la pu-
nition du tyran , vous savez quelles manœuvres furent employées
pour exciter parmi nous des troubles que votre sagesse et votre
civisme surent prévenir; il s'agit aujourd'hui de repousser les
despotes ligués contre nous ; ne doutez pas que les mêmes enne-
mis de la liberté ne recommencent les mêmes manœuvres : leurs
projets sont perfides, leurs moyens sont séduisans, leurs pré-
textes sont spécieux ; le plus imposant de tous c'est celui des sub-
sistances publiques. Malheur à l'homme barbare qui entend par-
ler des besoins du peuple sans chercher à le soulager; mais mal-
heur surtout à l'homme perfide qui ne feint de compatir à sa
misère que pour le tromper et pour l'asservir ! Les principes que
nous avons constamment professés nous donnent le droit de dire
que nous ne pouvons être rangés dans la première classe de ces
ennemis du peuple ; il nous appartient donc de démasquer la
seconde.
» Nous avons vu , dans une démarche faite mardi dernier par
des orateurs qui prétendaient parler au nom des sections de Pa-
ris, et même des quatre-vingt-quatre départemens, l'erreur de
quelques patriotes et la malveillance des inlrigans qui abu-
saient de leur bonne foi. Au premier moment où nous enten-
dîmes parler d'une pétition sur les subsistances, nous avons dû
croire que l'intention de ses auteurs était au moins de présenter
des vues utiles et de les faire adopter ; et , nous devons le dire ,
depuis que des illusions funestes se sont dissipées, depuis que la
Convention nationale s'est élevée , par la punition du tyran, à la
hauteur de sa mission, nous sommes convaincus qu'il n'est pas
de moyens propres à soulager les citoyens indigens que la majo-
rité ne soit disposée à saisir avec empressement. Nous pouvons
CONVENTION NATIONALE.
ajouter qu'elle vient d'en donner une preuve récente , en établis-
sant une contribution sur les riches seulement, pour prévenir la
hausse du prix du pain à Paris. Mais quand nous vîmes les pé-
titionnaires se faire annoncer par une lettre menaçante écrite au
président de la Convention , nous conçûmes de violons soupçons :
la nature des propos dont ils affectaient de faire retentir les lieux
voisins de la salle , leur obstination à vouloir être admis sur-le-
champ, malgré un décret de l'assemblée, les confirma. ObUgés
de nous rendre auprès d'eux pour les calmer, nous vîmes , parmi
des citoyens animés sans doute d'un zèle pur, quelques hommes,
qui semblaient les maîtriser par la force de leurs poumons , re-
pousser avec emportement les observations les plus raisonnables;
nous entendîmes même autour de nous des invectives qui nous
étaient adressées. L'un affirmait que nous étions des ennemis du
peuple, l'autre poussait l'extravagance jusqu'à nous menacer de
faire révoquer la dépulation de Paris. Tandis que, guidés par
l'amour de la paix, nous cherchions les moyens de faire entendre
les pétitionnaires , les mêmes hommes et leurs affidés remplis-
saient les cafés voisins de déclamations injurieuses contre pla-
. sieurs d'entre nous dont le patriotisme ne vous fut jamais suspect.
Le lendemain ils sont admis à la barre ; la nature de certaines
propositions , qui semblaient avoir été exagérées à dessein ; les
expressions démesurées dont on affecta de se servir, le ton insul-
tant et frénétique dont l'orateur prononça son discours , le main-
tien indécent que plusieurs des prétendus pétitionnaires affectè-
rent de garder en présence de la Convention nationale, le men-
songe absurde proféré par l'un d'eux qu'il pariait au nom des
quatre-vingt-quatre déparîemens, tout nous dévoila la basse in-
trigue qu'une main cachée avait ourdie pour compromettre le
nom des quarante -huit sections, auxquelles elle est aussi étran-
gère qu'aux quatre-vingt-quatre départemens. Nous crûmes fa-
cilement au fait avancé publiquement que les moteurs de cette
démarche n'étaient que des aristocrates déguisés , attachés à l'an-
cien régime par d'anciennes habitudes. 11 nous sembla que l'on
n'avait proposé celte pétition que pour la faire repousser, et
FÉVRIER (1793). 287
chercher dans cet ëvénemenl un nouveau prétexte de troubles ,
de divisions et de calomnies. Tous les représentans lidèles du
peuple , et il eu existe beaucoup sans doute , suivront une mar-
che différente ; ils ne négligeront aucun moyen de faire triom-
pher la cause de l'humanité souffrante, en dépit des avocats per-
fides qui ne la plaident que pour la compromettre. Leur devoir
n'est pas de pousser le peuple au désespoir par des alarmes exa-
gérées , pour le forcer à recevoir à la fois des fers et du pain ,
. mais de le secourir par les moyens qui sont en leur pouvoir.
Leur devoir n'est pas seulement de donner du pain au peuple ,
comme de la pâture aux plus vils animaux. Les despotes aussi
donnent du pain à leurs sujets, pour leur propre intérêt; nous,
représentans de la nation , nous voulons , nous devons lui assu-
rer encore la liberté, la paix, l'abondance, qui sont le fruit des
lois justes, sages et bienfaisantes, la jouissance des droits sacrés
de l'homme, et toutes les venus républicaines qui font à la fois
le bonheur et l'ornement de la vie humaine. Mais, pour arriver
à ce terme heureux , il faut, dans ces circonstances critiques,
que nous soyons encore secondés par le caractère énergique et
raisonnable de ce même peuple, dont le calme imposant a jus-
qu'ici déconcerté tous les complots de nos ennemis communs.
Est-ce au moment où la cause du patriotisme commence à triom-
pher au sein de la Convention nationale? est-ce au moment où il
faut repousser les attaques des despotes qu'il faut compromettre
la cause de la liberté par une précipitation funeste et insensée?
A Dieu ne plaise que nous voulions décrier le patriotisme
abusé : nous respectons la vertu , même dans ses erreurs poli-
tiques; mais en général défiez-vous de ces amis naturels de la
royauté, de ces patriotes nouveaux qui hier conspiraient con-
tre vous, et qui aujourd'hui vous caressent pour vous perdre
plus sûrement. Ils se répandent dans les assemblées, pérorent
beaucoup mieux que les patriotes simples et les braves sans-
cnlottes, qui n'ont d'autre art que l'amour de la patrie et de
la libellé. Ils s'insinuent même dans certaines sociétés popu-
laires pour leur tendre des pièges. Les pièces du procès du ty-
288 CONVENTION NATIONALE*
ran vous prouvent qu'il entretenait dans leur sein des agens
pour les trahir. Avant de croire au civisme bruyant de certains
personnages connus jusqu'ici par leur haine pour la liberté, ou
absolument inconnus dans la révolution , ce qui est quelquefois
la même chose , exigez d'eux autant de preuves de civisme dés-
intéressé qu'ils exigeaient autrefois de preuves de noblesse.
Soyez en garde contre la perfidie de nos ennemis. Il ne serait
pas extraordinaire que les mêmes hommes qui causent la dé-
tresse publiq e fussent les plus empressés à l'exagérer, pour
l'augmenter; qu'ils cherchassent quelquefois à donner aux récla-
mations de l'humanité souffrante un caractère de violence qui
les rendît toujours suspectes.
Il n'est pas impossible que ceux qui se sont toujours efforcés
d'anéantir les principes de la liberté prennent le parti de les ou-
trer diiûs certaines occasions où ils ne peuvent s'appliquer, pour
les décréditer ou pour en faire un prétexte de désordre et d'"a-
narchie; il ne serait pas impossible que ceux qui ont toujours
cherché à avihr le peuple voulussent pousser son mécontente-
ment jusqu'à l'excès , et égarer sa vertu même , pour persuader
au monde que la portion de la société opprimée par le despo-
tisme n'est faite que pour servir et pour ramper. Ne vous éton-
nez pas si ceux qui cherchent à déshonorer les défenseurs des
droits de l'humanité et les amis de la morale publique par les dé-
nominations nouvelles d'agitateurs , de désorganisatein^s , créent
eux-mêmes de véritables agitateurs , pour donner une base à
leurs calomnies, et voudraient tout désorganiser pour imputer au
peuple leurs propres attentats. Ne vous étonnez pas s'ils s'effor-
cent, en certains cas, de pousser le patriotisme duns les extrêmes,
pour réhabiliter l'honneur du feuiliantisme, pour ressusciter le
modérantisme et môme le royalisme. Ne vous étonnez pas si ceux
qui ont blasphémé contre cette immortelle cité, pour armer con-
tre elle les autres dëpartemens , comme si les Parisiens n'étaient
pas des Français, comme si Paris n'était pas une ville commune à
la nation entière, cherchent encore à troubler Paris, pour trou-
ver un prétexte larçlif à leurs impostures, honteusement démea-
FÉVRIER (1793). 289
lies par votre héroïque patience , et pour ressusciter le projet de
démembrer la République. Détruire Paris , citoyens , voilà le but
de tous les ennemis de l'égalité quels qu'ils soient ; c'est à Paris
que s'adressaient en 1790 les menaces insensées du perfide Bouille;
c'est vers Paris que marchait Brunswick et le despote prussien ,
quand vos phalanges citoyennes volèrent à leur rencontre ; c'est
contre Paris que les chefs d'une coupable intrigue appelaient na-
guère les fédérés, avec qui Paris avait renversé le trône du
tyran ; c'est sous les ruines de Paris que tous les despotes cher-
chent à ensevelir les droits de l'humanité et la liberté du monde.
Il est encore un art affreux, connu de tout temps des tyrans ha-
biles , et dont l'expérience des perfidies humaines a dévoilé les
secrets aux francs amis de la liberté : c'est d'arrêter la marche de
la révolution et de paraître la précipiter ensuite, suivant les cir-
constances ; tantôt d'endormir le peuple , tantôt de l'agiter à con-
tre-sens ; c'est de décréditer les amis passionnés du bien public ,
et de paraître enchérir ensuite sur leur zèle par des propositions
funestes , déguisées sous de spécieux dehors , pour leur donner
à ses yeux cet air de modérantisme qu'ils ont reproché eux-
mêmes à tous les intrigans. L'histoire des républiques anciennes
nous offre plusieurs exemples de ce genre de scélératesse ; et les
tyrans ne désespèrent pas de les imiter avec succès. Il serait assez
adroit de placer un jour les défenseurs de la liberté entre les ven-
geances de l'aristocratie et le désespoir du peuple, ou plutôt,
pour ne parler que de ce qui est possible en France et à Paris ,
de déguiser les sicaires de la royauté ou de l'aristocratie sous le
manteau de l'indigence et sous la livrée honorable de la pau-
vreté. « Il est vrai , comme le disait dernièrement un représen-
tant du peuple à la tribune de la Convention (1) , il est vrai que
le peuple a respecté, même dans ses justes vengeances , ceux de
ses mandataires qui ont le plus insolemment trahi sa cause ; les
coups des assassins viennent d'être dirigés contre ceux dont les
âmes brûlaient du saint amour de la patrie. » Paris n'est point
(0 Danton.
T. XXIV. 19
290 CONVENÎION NATIONALE.
purgé de cette horde de brigands ëtrangers et français, qui furent
rassemblés dans nos murs pour arracher le tyran à la justice des
lois , et pour assassiner la liberté en immolant les fidèles repré-
sentans du peuple. Les affreux projets de la tyrannie ne sont pas
ensevelis dans le tombeau du dernier roi ; il y aurait de la folie à
croire que leur espoir soit éteint aussi long-temps que les des-
potes combattent pour leur cause. L'aristocratie, irritée, aiguise
encore les poignards fumans du sang de Michel Lepelletier, et
n'attend peut-être que l'occasion de cacher ses coups dans les té-
nèbres ou dans la confusion. Voilà un aperçu du plan de conspi-
ration tramé par les ennemis de notre liberté.
» Citoyens, souvenez-vous que vous l'avez sauvée jusqu'ici par
votre patience encore plus que par votre courage. Ne souffrez
pas que quelques intrigans vous ravissent en un jour le prix de
tant de sacrifices et de tant de vertus. Nous ne vous conseillons
pas de dormir dans une stupide sécurité , ni de rien perdre de
l'énergie républicaine, par laquelle vous avez triomphé de la ty-
rannie ; mais de persévérer dans l'attitude imposante et calme
qui a confondu tous vos ennemis. Un peuple digne de la liberté
n'idolâtre point ses représentans ; il les surveille , et respecte en
eux sa propre dignité, dont ils sont entourés. Ses réclamations
sont toujours imposantes , parce qu'elles ont le caractère de la
justice et de la raison. Les coups qu'il porte à la tyrannie sont
toujours sûrs, parce qu'ils sont préparés par le calme, dirigés par
la sagesse et commandés par la nécessité. Il est modéré , parce
qu'il est fier ; il est doux, parce qu'il est fort ; il est patient, parce
qu'il est invincible. Il supporte les inconvéniens inséparables
d'une grande révolution ; il ne s'étonne pas, il ne se désespère
pas à la vue des maux que cause, pendant quelque temps, la lutte
des préjugés contre les principes , et des vices de ceux qu'il a
choisis contre les devoirs qu'il leur a imposés ; et tous les biens
que la liberté enfante sont le prix de sa constance et de sa modé-
ration. L'abondance ne règne point dans nos murs , où le patrio-
tisme indigent s'est épuisé par ses propres sacrifices : la sagesse
des lois, le zèle des bons citoyens, la défaite des tyrans , la chute
FÉVRIER (4793). 291
des fripons doivent la ramener. En allendanl ceue heureuse
époque; la ruine du despotisme, le règne de légalité, le t; iomphe
des principes de réternelle justice reconnus, la gloire d'avoir
opéré des prodiges qui changeront la face du monde et qui éton-
neront la postérité : voilà une partie de nos dédommagemens.
Union , vigilance, activité, courage, et les glorieuses destinées de
notre patrie seront accomplies.
» Max. Robespierre , Danton , Collot-d'Herbois , Billaud-
Varennes, Camille Desmoulins, Marat, Lavicomterie ,
Legendre, Raffron, Panis, Robert, Fréron, Fabre-d'E-
glantine , Beacvais , Robespierre jeune , David , Boucher
Saint -Sauveur, Laignelgt, L.-J. Égalité. »
suite de la séance du 12 février.
I Duhem fait , au nom du comité de sûreté générale , un rap-
port sur l'arrestation et sur l'emprisonnement , dans le départe-
ment du Finistère, de Royou, dit Guermeur, commissaire
chargé, à l'époque du mois de septembre 1792, par le conseil
exécutif et par la municipalité de Paris, de recherches d'armes et
de munitions de guerre dans les départemens composant la ci-
devant Bretagne.
Le rapporteur propose 1° d'ordonner l'élargissement du com-
missaire ; 2" de mander à la barre les administrateurs qui ont or-
donné son arrestation. ( Un mouvement violent éclate à la droite
de la tribune au moment où le rapporteur fait entendre cette
dernière conclusion. ) ]
« Bailleul. Je demande que le rapporteur lise toutes les piè-
ces ; la Convention nationale reconnaîtra qu'on demande la li-
berté d'un assassin et la punition d'administrateurs fidèles à leur
devoir.
» Le président. On demande que les pièces soient lues.
» L'assemblée décrète qu'elle entendra la lecture des pièces. La
première que le rapporteur lit à rassemblée est une lettre des
292 CONVENTION NATIONALE.
administraieurs du département du Finistère à la Convention na-
tionale, en date du 2 septembre 1792. Les administrateurs font
part à la Convention des mesures de sûreté qu'ils ont cru de-
voir prendre à l'égard d'un nommé Claude-Michel Royou, dit
Guermeur, connu dans le département pour avoir habité la ville
de Pont-Labbé, se disant commissaire du conseil exécutif,
chargé de la recherche des armes de toute espèce pour les ba-
taillons des volontaires nationaux, i Les pouvoirs que nous a
» présentés le citoyen Royou, disent les administrateurs,
» n'étaient signés que de quelques membres du conseil exécutif
> et du secrétaire du conseil ; la signature du citoyen Roland ,
> ministre de l'intérieur, était biffée.
> A cette pièce était jointe la copie de l'arrêté pris par le dé-
partement du Finistère à l'occasion du citoyen suspect.
e Les administrateurs , vu l'acte du conseil exécutif provisoire
9 signé des citoyens Servan , Danton , Monge , portant une si-
» gnalure biffée du citoyen Roland, lequel acte confère au ci-
» loyen Royou le titre de commissaire national à la recherche
» d'armes dans le département du Finistère ; vu un passe-port
» délivré à ce citoyen par la commune de Paris , considérant que
» les pièces acquièrent un caractère suspect par le manque du
» sceau du conseil exécutif qui n'y est point apposé, par la ra-
» diation de la signature du citoyen ministre de l'intérieur, Ro-
» land , arréteat que le citoyen Royou restera provisoirement en
» état d'arrestation , et que copie collationnée de toutes les piè-
» ces sera envoyée à la Convention nationale. »
» La deuxième pièce lue par les rapporteurs est ainsi cocçue :
« Pouvoirs donnés au même par le comité de police de surveillance
» de la municipalité de Paris.
» Nous , administrateurs du département de police, et mem-
» bres de la commission de surveillance générale instituée par
» la commune de Paris pour veiller au salut de la capitale, con-
> sidérant les dangers imminens qui la menacent, et persua-
» dés que tous nos frères s'empresseront de nous porter tous les
FÉVRIER { 1795). 295
» secours qui seront en leur pouvoi •, nous avons cru nécessaire
» d'envoyer dans les divers dëpartemens des citoyens d'un pa-
» Iriotisme connu , qui pussent éc'airer le peuple et l'engager à
» prendre les mesures les plus promptes pour sauver la patrie
» des dangers qui l'environnent ; en conséquence , nous autori-
» sons le citoyen Guermeur, chef de l'un de nos bureaux et ad-
» ministraieur adjoint de la police, à se transporter sur-le-champ
» avec le fédéré breton Jézégabel dans tous les départemens de la
» ci-devant province de Bretagne, et même dans ceux circonvoi-
» sins, à l'effet d'y faire, en notre nom , les perquisitions de fu-
» siis , canons et autres armes qui pourraient se trouver dans les
» différentes villes , à visiter les divers magasins de vivres , mu-
» nitions et fourrages. Requérons en conséquence tous nos con-
» frères, les dépositaires de l'autorité publique, les gardes na-
» tionales , et en général tous les citoyens , de lui donner aide et
I» assistance dans toutes ses opérations, et même, en cas de be-
» soin , de lui prêter main-forte ; les prions surtout de lui facili-
» ter tous les moyens de faire parvenir le plus promptement
* possible à Paris les recrues de canonniers et autres troupes
» nationales , ainsi que le transport d'armes ou munitions , dé-
» clarant le mettre, ainsi que ses compagnons de voyage, sous
» la sauvegarde de la loi ; et nous engageons à tirer vengeance
» de toute violence qui pourrait être commise envers eux , et de
» l'opposition qu'on mettrait à l'exécution de la présente com-
» mission. Fait à la mairie, le 4 septembre 1792, l'an 4" de la
» liberté et le 1^^ de l'égalité. Signé Dufort , Sergent , Marat,
» /'^mi dit pcup/e ; Jourdeuil , Lenfant, Leclerc, P.-J. Du-
» PLAIN, PaNIS, DeFORGUES.
» Donnons encore pouvoir au citoyen Guermeur de faire per-
» quisition des chevaux, d'arrêter ceux qui appartiendraient aux
* émigrés, et de les faire conduire à Paris. S'ujnc Panis P.-J. Du-
* PLAIN, Marat, l'Ami du peuple; Leclerc , Lenfant. » ( P/m-
sicurs voix : Décret d'accusation contre tous les signataires. )
« Leliardij. Il est essentiel de connaître toutes ces pièces , j'en
demande l'impression et l'envoi aux départemens. »
CONVENTION NATIONALE.
» Le rapporteur conlinue la lecture ; il fait celle du pouvoir
donne au citoyen Guerineur par le conseil exécutif provisoire , à
l'effet de se transporter à Brest et à Lorient pour la recherche
des armes.
» Lesage. Je demande , président , que vous fassiez exécuter le
décret qui vient d'être rendu , et qu'on nous fasse lecture des pro-
cès-verbaux des effets trouvés sur Guermeur.
» Cliouclieux. Il y> une conspiration pour faire perdre le temps
de l'assemblée. (De grands murmures s'élèvent. Plusieurs voix :
J'appuie la proposition de Lesage.)
» Tkuriot. Président, consultez l'assemblée sur l'élargissement
du détenu. (De nouvelles réclamations s'élèvent.) — Le président
maintient le décret , et le rapporteur continue la lecture.
» Le premier témoin dépose avoir entendu dire au prévenu
que Roland , Brissot , Vergniaud , Guadet , étaient des hommes
détestables ; que Marat et Robespierre étaient des patriotes par
excellence. (Un violent mouvement éclate dans l'assemblée.)
» Marat. Oui, oui, c'est vrai. (Mouvement d'indignation.) (1)»
( I ) La partie de cette séance que nous avons noise entre guillemets est extraite
par nous du journal le Uépuhlicain /"ranrais, n° XCI, à l'exception de la pièce
intitulée : Pouvoir dit, comifé de police , etc., que nous avons voulu transcrire
en entier. Le Moniteur donne les pièces à la suite l'une de l'autre dans un ordre
différent de celui dans lequel elles ont été lues, et il ne renferme aucune des in-
terruptions de l'assemblée pendant cette lecture. Nous avons préféré ne donner
qu'une analyse de documeus fort peu intéressans en eux-mêmes, et conserver le
drame parlementaire. — Le journal auquel nous avons emprunté cette analyse
commence le mardi 15 novembre 1792, et non pas le jeudi 13, ainsi que M. Des-
cbiens la avancé dans sa Bibliograptiie, pag. 505. Ce qui a pu tromper 3L Des-
chiens, c'est que le second numéro renferme le prospectus. Cette feuille porte
pour épigraphe :
Magnus ab intégra nascitiir wdo,
Orbique incipiunt magni procedere menses. (Virg.)
Elle est in-/b/io, imprimée sur trois colonnes. On lit au bas de la quatrième
page l'avis suivant: « Ce journal, dont la partie de la Convention est extraite du
travail du citoyen F. Guiratjd, inventeur de l'art logotypographique, paraîtra
tous les jours. Le prix de l'aboncement, franc de port, est, pour Paris, à l'an-
née , 60 liv, ; six mois , 32 liv. ; (rois mois , 1 8 liv. Pour la province , à l'année ,
72 liv. ; six mois, 48 liv.; trois mois, 21 liv. On s'adressera pour l'abonnement
à la citoyenne Lamolte, rue de Richelieu, n° 14. » Ce journal s'intitule le Répu-
blicain universel \usqa&a numéro 29; au numéro 40 il prend !e titre de Répu-
blicain français. ( iSote des auteurs.)
kÈwRiER (1793). 295
On achève la lecture des pièces.
[ Lesage. Cette affaire vous occupe déjà depuis long-temps.
Il est impossible qu'elle ne donne pas lieu à une discussion très-
longue encore. Vous devez avant tout organiser l'armée. Je de-
mande donc l'ajournement et l'impression de toutes les pièces.
( Plusieurs voix à droite : Et l'envoi aux départemens; il faut con-
naître le style de la commune de Paris. )
L'impression est décrétée.
Thurioi. Je demande que le citoyen détenu soit mis provisoire-
ment en liberté.
On réclame l'ordre du jour.
La proposition de passer à l'ordre du jour est mise aux voix.
L'épreuve paraît douteuse. — On recommence l'épreuve.
Le président. Sur six secrétaires, quatre sont d'avis que
l'épreuve est douteuse ; deux sont d'avis qu'il n'y a pas lieu à
délibérer. Je suis de ce dernier avis ; mais quatre doivent l'em-
porter sur trois. { Quelques murmures. — Plusieurs voix : D n'y a
pas de doute. )
Marat demande la parole. — De vives altercations s'élèvent
entre lui , Panis et quelques autres membres placés à la droite de
la tribune. — Le tumulte et l'agitation se prolongent.
On demande l'appel nominal.
Marat insiste pour avoir la parole. — S'adressant à quelques
membres de la partie droite qui l'interrompent... Taisez-vous,
malheureux, laissez parler les patriotes... Taisez'vous, contre-rc-
vulutionnaires... S'adressant avec des gestes violens à un mem-
bre qui s'avance vers lui : Tais-loi, trésorier de France.
Lasource. Je ne m'oppose point à l'appel nominal , à une seule
condition : comme il va nous faire perdre beaucoup de temps , et
que nous devons nous occuper d'organiser l'armée , je demande
que la séance ne soit levée qu'à 7 heures.
Boissieu. Dans le doute , le citoyen doit être mis en liberté.
Charlier. Je demande le décret d'accusation contre Roland et
sa clique... ( Plusieurs voix : Bien vu... — Appuyé.)
Châles. J'ai demandé la parole pour une motion d'ordre. Du-
296 CONVENIION NATIONALE.
hem a fait lecture d'un grand nombre de pièces ; on en a de-
mandé l'impression, etsubséquemment la liberté provisoire du ci-
loyen détenu. Ici j'invoque le grand principe de la liberté indivi-
duelle. Aucun citoyen ne peut être mis en arrestation s'il n'y a
contre lui un décret de prise de corps. Je me borne, en vertu de
la loi positive et de la déclaration des droits de l'homme , à de-
mander que ce citoyen soit élargi. La Convention ne doit pas ou-
blier qu'il y a quelques jours elle a décrété l'élargissement d'un
journaliste bien plus coupal)le.
Lecointre-Puijraveau.Ce serait de la part de la Convention une
étrange inconséquence si elle mettait un citoyen en liberté lors-
qu'après la lecture des pièces elle a déclaré n'être pas assez ins-
truite. C'est une absurdité, car si ce citoyen se trouvait coupa-
pable , il serait impossible de le retrouver. Vous devez passer à
l'ordre du jour. Si cette observation ne suffit pas pour vous faire
tenir à votre rè<;lement , j'ajoute que j'ai été frappé dans la lec-
ture des pièces de l'article relatif à Camus (1).
Marat. C'est un fou envoyé par la députation du Finistère (2).
Un député de ce déparlement. Je prends acte de la calomnie de
Marat.
Tkuriot. Il est nécessaire de relever un fait pour l'honneur de
Camus lui-même, ( On murmure. ) Le vol était fait depuis deux
jours...
Plusieurs voix. L'ordre du jour.
Marat. Maintenez la parole à Thuriot , président. S'adressant
aux membres de l'extrémité droite qui interrompent : Vous êtes
des gredinSy des aristocrates, des coquins... (De longs murmures
couvrent ces apostrophes.)
(0 Voici cet article : « Le citoyen Maufra déclare avoir entendu dire à Guer-
meur qu'avant de partir pour Paris il avait, avec ses collègues du département
de police , signé un ordre contre Camus , archiviste de l'assemblée , fondé sur le
refus de ce dernier d'exécuter les ordres donnés relativement au pillage qui de-
vait avoir lieu à Paris au Garde-Meuble national. » (Le liépublicain français,
loc. cit.) {Noie des auteurs.)
(2) Au lieu de ces mots , il y a dans le Républicain français : « Marat. C'est un
faux de la députation di* Finistère. » ( Piotç des auteurs.)
FÉVRIER (1795). 297
Thuriot. Voici le fait : Camus était en patrouille au moment
du vol du Garde-Meuble. Il aperçut des gendarmes en surveil-
lance ; il fut étonné de les voir ainsi placés ; il les fil enlever. La
Commune qui les avait placés le trouva mauvais , mais il n'y eut
pas de mandat contre Camus. J'insiste sur l'élargissement du dé-
tenu. ( De nouveaux murmures repoussent celte proposition. )
La discussion est fermée.
Plusieurs voix. Aux voix l'ordre du jour.
Legendre. Lorsqu'il y a du doute, c'est en faveur du détenu.
(Murmures à la droite.) Je réclame l'exécution d'une loi. ( Nou-
veaux cris ; Atix voix l'oi'dre du jour. ) Je demande la parole....
Le président. Je ne puis vous l'accorder , et je n'obéirai qu'à la
volonté de l'assemblée.
Legendre. Président , si vous me refusez la parole , donnez-la
donc à ceux qui veulent faire le procès à la révolution... Oh ! le
peuple les connaît déjà tous. ( Le tumulte recommence. )
Duhem. Je demande la parole pour un fait : Le détenu a offert
de donner caution ; on n'a pas voulu lui rendre sa liberté. ( Lne
voix à la droite : Qu'est-ce que cela prouve?
Marat se tournant vers l'interlocuteur. Tais-toi, conspirateur.
Duhem. Siégeons-nous ici dans une assemblée de contre-révo-
lutionnaires?
Marat. Faites vider les tribunes j il y a là un insolent qui man-
que aux députés.
Douket, Président , je demande la parole contre vous si vous
ne réduisez au silence ceux qui vous la dérobent audacieusement.
Duhem. Il faut déclarer que la loi du 9 octobre n'a été présen-
tée par Gensonné que pour sauver les contre-révolutionnaires.
Le président remet aux voix l'ordre du jour.
L'épreuve paraît encore douteuse aux secrétaires. Il s'élève de
nombreuses et violentes réclamations contre le bureau. —
L'épreuve est recommencée , et l'assemblée passe à l'ordre du
jour à une grande majorité. ]
^^ CONVENTION NATIONALE.
Le n° CXXIII du journal de Marat commence ainsi le compte-
rendu de la séance que l'on vient de lire : « Depuis quinze jours
le vertueux Pétion n'a pas mis le pied à l'assemblée , et Ver-
gniaud , Guadet , Brissot, Gensonné, Barbaroux, Salles n'y ont
paru que quelques instans ; où sont-ils donc ces meneurs de
la bande infâme des suppôts du royalisme et des ennemis du
peuple ? Dans d'obscures tavernes , à machiner contre la patrie
avec les émissaires des généraux , les ministres vendus , les chefs
des ennemis de la liberté, peut-être même avec les agens secrets
des puissances conjurées contre la France libre. Tandis qu'ils
conspireut dans des conciliabules, leurs acolytes conspirent
dans le sénat contre les citoyens les plus zélés et les meilleurs
patriotes. Hier le comité de sûreté générale fit un rapport sur
le patriote Guermeur, etc. »
SÉANCE DU 14 AU SOIR.
[ Une députation du second bataillon du département de l'Aude,
employée dans l'armée du Var, est admise à la barre, et pré-
sente une dénonciation contre le général Anselme. Les pétition-
naires l'accusent d'une foule de dilapidations et de prévarications
de tous genres ; ils joiguent à leur dénonciation un mémoire et
des pièces justificatives sur la conduite du général.
Tallien. Depuis long-temps il vient de toutes parts des dénon-
ciations contre le général Anselme : vous ne pouvez plus dou-
ter qu'il ne soit coupable. Je demande qu'il soit rais à l'instant
en état d'arrestation.
GûupUleau. Les commissaires que vous avez envoyés à Nice
sont prêts à vous faire leur rapport. Je demande que vous les
entendiez avant de prendre aucune mesure à l'égard du général
Anselme.
La proposition de Goupilleau est adoptée.
Un péiiùonnaire. L'objet de ma pétition est de vous dénoncer
de nouvelles prévarications dans la fabrication des assignats. Cha-
FÉVIUER (1795 ).
que acte d'administration de Lamarche est une prévarication ;
ses crimes ne peuvent rester impunis parce qu'il est protégé par
le ministre Clavière. Il y a peu de temps que nous l'avons dé-
noncé pour avoir laissé égarer t20,0OÛ livres d'assignats. Ces jours
derniers, î)0,000 livres en assignats de iO livres ont encore dis-
paru de ses bureaux. Sitôt que Lamarche fut nommé à la place
qu'il occupe , les employés connus par leur probité et leur fi-
délité l'urent renvoyés. Nous portâmes nos plaintes au ministre
Clavière; il ne nous rendit point justice ; nous demandons une
nouvelle organisation de l'administration des assignats , et qu'elle
ne soit plus confiée à un seul homme. — Renvoyé au comité des
assignats.
Les commissaires envoyés à Nice font le rapport de leur mis-
sion.
Collot-d'Herbois , parlant au" nom de ces commissaires , con-
firme la plupart des faits énoncés par les députés du second ba-
taillon de l'Aube.
A la suite de ce rapport , CoUot propose de mettre en état
d'arrestation le commissionnaire - ordonnateur Férus et An-
selme.
Cette proposition est décrétée.
Osselin. Rien n'est plus instant que de terminer la loi sur les
émigrés ; ils rentrent en foule en France ; et par le moyen des
certificats qu'ils obtiennent, à force d'argent, des administrateurs
coupables, eux et leurs biens échappent à la loi. Je demande
d'être entendu demain.
Tliuriot. Il faut ajouter à la loi sur les émigrés une disposi-
tion qui fasse sortir de France tous ceux qui s'y trouvent , et
cette disposition est facile : c'est d'exciter la surveillance de tous
les citoyens. Je demande qu'il soit accordé une récompense de
100 livres à celui qui aura dénoncé un émigré ou un prêtre com-
pris dans la loi de déportation , et qui les aura fait arrêter.
Diilicm. Je ne m'oppose point aux motions qui sont faites, je
les appuie toutes ; mais les lois existantes ne sont pas exécutées.
Je connais un émigré de Lille qui est venu iiacer le camp des
300 CONVENTIOW NATJONALe.
Autrichiens, ei forcer, le sabre à la main , les habitons des cam-
pagnes à travailler aux retranchemens des ennemis. Par l'inci-
visme des administrateurs , il est rentré dans 6,rt00,000 de bien.
Je demande que les commissaires que la Convention envoie dans
les divers départemens soient autorisés à requérir les corps ad-
ministratifs de faire exécuter les lois relatives aux émigrés.
Cliambon. En appuyant la motion de ïhuriot , j'en fais une au-
tre : je demande la peine de mort contre les administrateurs qui
délivreront de faux certificats de résidence.
Dupont. Je dénonce l'inertie du tribunal criminel de Paris. De-
puis deux mois il est saisi d'une dénonciation que lui a faite le
comité de sûreté générale contre le nommé Guyotdu Molaus,
gentilhomme poitevin , arrêté au bourg de l'Égalité ; il ne paraît
pas que la procédure soit commencée. On a trouvé sur le ci-de-
vant les preuves de son émigration , comme la cocarde blanche ,
et son engagement au service des princes. Je demande que le
ministre de la justice soi! tenu de rendre compte de la suite de la
procédure.
Cette proposition est décrétée. ]
COMMUNE DE PARIS.
« 14 février. Les quarante-huit sections ont fourni 15,191 vo-
lans. Pache, ex-ministre, a réuni 11,881 voix ; Rœderer, 4,118;
Roland , ex-ministre , 494 ; Fréteau , 430 ; Lecomte , 10 ; Tar-
get, M; Cailleux, 12; Lameinière, 14; Momoro , 27; Dor-
messon, 46; Luillier, 169; voix perdues, 936. — Le citoyen
Pache a été proclamé maire de Paris à neuf heures du soir, et à
dix heures et demie il est arrivé à la Commune ; il a prêté ser-
ment et occupé de suite le fauteuil. » ( Journal de Paris du lo/e-
trier. )
CONVENTION. — SÉANCE DU 15 FÉVRIER.
[ Le ministre des affaires étrangères écrit qu'un grand nombre
FÉVRIER ( 1793 ). ^ 301
d'officiers étrangers sollicitent du service dans les troupes de la
République ; ce qui les empêche de se rendre en France , c'est
l'incertitude du sort qui les y attend. Le ministre demande que
la Convention prononce s'il ne conviendrait pas de les faire jouir
du grade qu'ils quitteront pour servir sous les drapeaux de la
République.
Cette lettre est renvoyée au comité militaire.
Les commissaires de la Convention dans le département du
Rhin écrivent de Strasbourg qu'ils ont suspendu de ses fonctions
Denac, payeur des guerres , et qu'ils ont confirmé l'arrêté du
département du Bas-Rhin qui suspendait le séquestre mis sur
les biens de l'ordre de Malte , dépendant du prieuré d'Alle-
magne.
Le ministre de l'intérieur transmet une pétition de la veuve du
citoyen Biteau, massacré à Orchies, qui sollicite des secours.
Sur la proposition de Mallarmé, la Convention accorde un se-
cours provisoire de 500 livres à la veuve Biteau , et renvoie au
comité pour proposer la pension qu'il convient d'accorder à cette
citoyenne.
Le ministre de l'intérieur soumet à la décision de la Conven-
tion cette question : Les -prêtres non assermentés qui sont sortis
de France, munvi d'un passe-porty mais avant que la loi de déporta-
tion fût sanctionnée, doivent-ils être considérés comme émigrés?
Renvoyé au comité de législation.
Le président. Brissot a la parole par décret.
Brissot. Citoyens , je me croirais coupable si j'abusais , dans
les circonstances critiques où nous sommes, du temps précieux
de l'assemblée, pour l'employer à des réclamations qui me se-
raient purement personnelles. Aussi n'est-ce pas sous ce point
de vue que vous jugerez le fait que je vais vous dénoncer. 11 existe
au comité de sûreté générale une lettre signée Brissot de War-
wille , adressée , à ce qu'on prétend, à La porte, et contenant
tous les sentimens d'un royaliste. Je déclare que cette lettre n'est
pas de moi; que l'écriture n'a aucune ressemblance avec la
mienne ; que la signature Brissot est falsifiée. Où ce faux a-t-il
302 CONVENTION NATIONALE.
été commis? Les faits parlent d'eux-mêmes. Cette lettre, trouvée
dans les papiers du comité de surveillance de la Commune, fut
apportée à la commission des Vingt-Quatre , chargée de les exa-
miner. Le rapprochement de la signature WattevAUe , qui était
au bas de la lettre , avec le nom de WaniUe que j'avais porté ,
fit d'abord examiner la pièce avec attention par les membres du
comité ; ils furent bientôt convaincus que cette lettre et cette si-
gnature appartenaient à Wattewille , rédacteur de la Gazette de
France. Elle fut donc mise à l'écart. Je ne sais par quel étrange
motif cette lettre s'est retrouvée au bout de trois mois au comité
de sûreté générale , avec le mot de Brissot mis devant Watte-
wille , changé en Warville , qu'on a légèrement barré. Là-des-
sus s'est élevé contre moi un système de diffamation. Cette lettre
a été communiquée à un journaliste, qui l'a imprimée. Je laisse à
l'assemblée à juger la conduite d'un comité qui a voulu profiler
de ce faux pour perdre un collègue, un citoyen ; d'un comité qui
a pris un arrêté pour l'envoyer aux sociétés populaires , et l'im-
primer dans tous les journaux. Mais un faux a été commis ; mon
devoir est de le dénoncer. C'est par un faux commis dans un
écrit de Sidney qu'il a été condamné à la mort. Je demande donc
que le comité de sûreté générale soit tenu de déposer la lettre au
tribunal criminel du département de Paris , pour être informé
contre l'auteur et les complices du faux.
Bazïre. Je demande la parole pour rétablir les faits, que , sui-
vant son usage, Brissot a tronqués en présence de l'assemblée.
Cette lettre ne vient point du comité de surveillance de la Com-
mune ; elle a été trouvée dans les papiers de Laporte par les com-
missaires de l'assemblée nationale Gobier et Audrein , en pré-
sence de Legendre, juge de paix de la section des Tuileries.
Elle a été apportée de là à la commission extraordinaire , qui n'y
attacha pas beaucoup d'importance, parce que la signature,
bien évidemment de Brissot de Warville, était raturée. Depuis
la dissolution de cette commission, la lettre a passé au comité de
sûreté générale , qui s'est convaincu que les trois mots Brissot de
Warville sont de la même écriture , de la même encre, écrits le
FÉVRIER (1793). 303
même jour. Ces trois mots ont été raturés aussi de la même
main , c'est-à-dire par celui qui a mis en tête n° 3 el le paraphe.
Quoi qu'il en soit, Brissot a avancé que le comité de sûreté gé-
nérale a pris un arrêté pour la faire imprimer dans les journaux.
Elle n'a été donnée à aucun journaliste, ei Marat, qui l'a impri-
mée , doit se rappeler ... (De nombreux murmures couvrent la
voix de l'opinant.) Le comité de sûreté générale avait seulement
arrêté , et cet arrêté n'était qu'une mesure de précaution , qu'on
irait comparer cette écriture au comité diplomatique , où il en
existe de Brissot. Tout ce que je confesse , tous les torts des
membres du comité de sûreté générale et les miens , c'est qu'en
lisant cette lettre , en y reconnaissant le ton , les allures et le style
d'un intrigant, il nous a paru qu'elle devait être de Brissot. (De
violens murmures s'élèvent dans une très-grande partie de la
salle. )
Plusieurs voix. Et le faux est de vous !
Bernard , de Saintes. Je viens d'entendre Brissot vous dire
que là , en parlant du comité de sûreté générale, avait été ajouté
le mot de Brissot... Plusieurs voix ; Il n'a pas dit cela. D'autres :
Il l'a dit.)
Roux-Fosîllac. Le comité de constitution attend la parole pour
nous présenter une constitution républicaine. Ne nous occupons
pas d'affaires personnelles ; renvoyons au tribunal criminel, et
passons à l'ordre du jour.
Bernard. Brissot a manqué de mémoire ou de véracité. Je lui
rappelle qu'aussitôt que la lettre fut déposée au comité de sûreté
générale, il fut invité à venir en prendre communication. Il fut
convaincu que les trois mots de sa signature étaient de la même
main. {Brissot. Cela est absolument faux.) Il se borna à dire que
la lettre n'était pas de lui.
Lasource. Bazire a dit que le comité de sûreté générale n'avait
point pris de détermination pour faire imprimer la lettre. Je sais
qu'il n'y a pas eu d'arrêté consigné dans les registres. Mais on a
délibéré au comité de faire publier la lettre dans les journaux.
(Bazire. Cela n'est pas vrai.) Gela est vrai. Je parlai alors de
504 CONVENTION NATIONALE.
celle leltre à quelques-uns de nos collègues. J'interpelle Duval ,
qui fail un journal , et qui avait la lettre , mais qui n'a pas voulu
l'imprimer avant que la signature fût constatée. [Duval. Je de-
mande la parole. ) Marat l'a imprimée , et comment l'aurait-il
eue si l'intention du comité n'avait pas été qu'elle le fût ? Je dé-
clare qu'en sortant je demandai au comité si telle était son in-
tention , et que Bazire me répondit que oui.
Charles Duval. Je dois à la vérité de déclarer que le membre
du comité de sûreté générale qui me remit la lettre me dit que
le comité ne s'était déterminé à la faire imprimer que lorsqu'elle
aurait été constatée sur une autre lettre de Brissot.
Lamarque. J'ai entendu , pendant que Brissot parlait , beau-
coup de membres demander, avec leur chaleur ordinaire (On
murmure. ) , le renouvellement du comité de sûreté générale.
Plusieurs voix : Oui , oui , le renouvellement du comité.
Marat. Il ne le sera pas; il est bon de surveiller des coquins
tels que vous. (Nouveaux murmures. )
Après quelques minutes d'agitation , la Convention décrète la
proposition de Brissot, et passe à l'ordre du jour. ]
SÉANCE DU 20 FÉVRIER.
Nous avons à extraire de cette séance un incident auquel
donna lieu le projet de constitution. Il y avait à peine trois jours
qu'il avait été lu , à peine était-il imprimé et distribué que déjà il
était en butte à de nombreuses attaques ; il avait surtout très-mal
réussi auprès des jacobins ; ils le regardaient comme propre à
donner la plus grande influence aux riches. Ainsi que nous le
verrons plus loin dans l'analyse de leurs séances , ils nommèrent
un comité chargé de leur en présenter une plus conforme aux
principes républicains. Les journaux tournaient aussi de ce côté
une polémique menaçante. Dans son n° CXXVI, après une série
d'épigrammes à sa manière , Marat conclut ainsi : < La nouvelle
constitution ne mérite pas d'être mieux analysée ; je m'en tiendrai
donc à cet aperçu. J'observerai seulement que les vices mons-
trueux qui ja déparent ont fait mettre en question si les membres
FÉvRiEP. ( 1793). 505
de la faction criminelle qui l'ont rédigée, ont eu dessein de jeter
la nation dans le découragement en lui présentant cet essai in-
forme , au lieu d'un travail précieux qui devait couronner ses
espérances. Mais il est plus simple de dire que les fripons ont
travaillé pour eux-mêmes. — Au demeurani, c'est delà montagne
que sortira la cousîituiion, et malgré cet essai puéril et perfide,
l'attente du peuple ne sera point trompée. » Marat pousse la
plaisanterie jusqu'à insérer dans ce même numéro des bouls-
rimés de Fabre-d'Églanline sur la nouvelle constitution. Nous
nous bornons ici à cette mention de l'attaque, nous réservant de
la faire connaître en déîail par le bulletin du club des jacobins ,
et de faire connaître aussi les réponses des girondins. Nous pas-
sons à la séance de la convention.
[Aniar. Je demande la parole pour une motion d'ordre. Vous
avez entendu , citoyens, un projet dont on vous a donné lecture,
au nom du comité de constitution....
Plusieurs voix. Il ne s'agit pas de cela.
Marat. Président , maintenez la parole à l'orateur.
Amar. J'ai un délit à dénoncer. Après la lecture que vous avez
entendue, vous avez ordonné l'impression du plan de constitution
que ses auteurs avaient signé. Eh bien! ce n'est pas sans éton-
nement que dans l'imprimé de ce plan , qui vient de nous être
distribué, on a remarqué que l'imprimeur Baudouin a ajouté le
projet de l'établissement dts deux chambres dans le corps lé-
gislatif. Le délit que je dénonce existe dans la page 103; on y
trouve ces mots : Second mode de discussion pour le corps légis-
latif.
Art. 1 . L'assemblée législative se divisera en deux sections
pour la discussion.
2. Cette discussion dans les sections sera publique , et aucune
délibération ne pourra y être prise.
5. La discussion Unie , les deux sections se réuniront en une
assemblée pour la discussion générale,
T. XX !v, â()
306 CONVENTION NATIONALE.
Je demande que Baudouin soit mandé à la barre séance
tenante, pour qu'il nous rende compte des motifs qui l'ont en-
gagé à imprimer des articles qui n'ont point été lus à la Con-
vention nationale.
Un grand nombre de membres appuient cette proposition.
Julien. J'appuie la demande de mander l'imprimeur ; c'est le
seul moyen de faire connaître contre qui vous devez sévir , si
c'est contre l'imprimeur ou contre le comité de constitution ;
dans ce dernier cas je demanderai que ce comité soit déclaré
avoir trahi la confiance de la Convention nationale.
Ducos. J'ignore entièrement par qui a été commise cette ad-
dition ; mais je crois important, pour ne pas laisser s'établir dans
la République des impressions défavorables au comité de consti-
tution, de déclarer qu'on s'est cirangeiijent trompé dans celte
addition d'articles , qui ont ou n'ont pas été lus à l'assemblée.
(Murmures.)
Plusieurs voix. Ils n'ont pas été lus.
Ducos. J'ignore s'ils ont en effet été lus. (Nouveaux mur-
mures.) Mais dans ce qu'on appelle un grand corps de délit,
dans ces articles, sur lesquels j'ai jeté les yeux , je n'ai point vu les
deux chambres , ainsi qu'on l'a prétendu, mais seulement la di-
vision du corps législatif en sections. (De violens murmures s'é-
lèvent dans l'extrémité {jauche. )
Je rends à ceux qui m'interrompent la justice de croire qu'ils
ne sont pas d'une ignorance assez crasse poar confondre les deux
chambres avec la division du corps législatif en deux sections.
(Mêmes murmures.)
Le 'président. Je rappelle à ceux qui ne parlent que dans le
bruit qu'ils troublent inutilement l'assemblée.
Ducos. Je rappellerai à la Convention qu'un pareil proj;;t fut
présenté à l'assemblée constituante par les ennemis des révi-
seurs , et qu'alors c'est dans les réviseurs eux-mêmes que ce pro-
jet trouva les plus forts antagonistes.
Les comités ont toujours eu le droit de faire imprimer à la
suite de leurs projets de décret des appendix. On reproche au
FÉVRIER (1793). 8W
comité de constitution d'avoir usé de ce droit. Je ne suis point
de cet avis. On croit voir dans les articles dont il est question les
deux chambres, les Lameih , les crimes de lèse-nation Je ne
le crois pas non plus. Je demande l'ordre du jour.
Brival. Je demande que Baudouin soit mandé à la barre. Il
dénoncera les coupables.
Barrèie paraîi à la tribune et demande la parole comme mem-
bre du comité de constitution. — Saint-André la réclame. — Un
grand nombre de voix appellent Barrère à la tribune. — L'as-
sembléo lui accorde la parole.
Barrère, Je sortais du comité , et j'entrais dans la Convention
nationale, au moment où l'on faisait au comité de constitution le
reproche qu'elle vient d'entendre. L'objet le plus sérieux des mé-
ditations a été la recherche des moyens d'arrêt que l'expérience
a fait connaître si nécessaires dans une grande assemblée, dont
il est toujours à craindre les mouvemens irréfléchis , l'enthou-
siasme ou la précipitation.
Dans le cours de la discussion sur cet objet important, trois
modes ont été présentés par les divers membres du comité. Je
n'ai point eu le mérite d'en proposer aucun ; mais tous ont été
discutés et approfondis. L'un d'eux, qui a obtenu la majoiiiédes
^ffrages au comité, c'est celui qui est placé dans le litre du corps
légisiatif. Quant aux auties trois modes de foimation de la loi,
il a été observé qu'ils ne pourraient être mis que dans une note, ou
dans les variantes à la suite de la constitution , et que ces projets
prcsenteraieiit la preuve que le comité n'a fait que chercher le
meilleur mode possible d'arrêter sa délihéralion.
Je li'ai plus qu'un mol à dire à tous ceux qui veulent san.^ cesse
soupçonner, accuser, quand il s'agit de raisonner et de réfléchir.
A Rome, Galilée fut forcé par l'inquisition de demander pardon
d'avoir découvert le mouvement de la terre. En France, ii est
encore de ces hommes qui oseront proposer qi;e le comité de
constitution dei;iande pa;don d'avoir trouvé le moyen d'organi-
ser !a (iémocratie, d'éiabhr une véritable République, ( t défaire
exercer les droits du peuple par le peuple lui-même. {L'ora-
308 CONVENTION NATIONALE.
leur est interrompu par des cris répétés : A l'ordre du jour!...
l'ordre du jour!) Je demande que Marat soit entendu contre le
comité.
On demande de plus fort Tordre du jour dans plusieurs parties
de la salle,
Marat insiste pour la parole. — Les cris à l'ordre du jour! con-
tinuent. — Marat prend la parole.
Marat. Je demande à parler contre.
Lanjuinais. Sans doute les objections de Marat seraient le plus
bel éloge que pAt recevoir la constitution
Clwudieu. Jo demande que l'opinant soit rappelé à l'ordre, pour
avoir insulté un membre de la Convention nationale.
Lanjuinais. J'ai le droit de m'exprimer de la sorte sur un
homme contre lequel mille sortes d'inculpations sont dirigées, et
sur la conduite duquel le comité , qui était chargé de vous faire
un rapport , ne vous a pas encore entretenus.
Plusieurs voix de l'extrémité gauche. Quelle insolence!
Rappelez eut homme-là à l'ordre avec censure. — D'autres : A
l'Abbaye !
Lanjuinais. Je rappellerai à la Convention que trois pages du
rapport deCondorcet, lesquelles ont été parfaitement entendues,
sont entièrement employées à énoncer et discuter les articles qui
viennent d'être dénoncés. Je rappelle en outre que ces variante
ne sont, à proprement parler, que la rédaction des propositions
qu'on a dû saisir dans le rapport, et conire lesquelles on n'a point
réclamé. Je demande que l'on passe à Tordre du jour.
Choudieu, Delmas, Julien. Nous demandons la parole contre
Tordre du jour.
Marat. La liberté des opinions est consacrée. On ne peut faire
un crime au comité de constitution d'avoir imprimé le deuxième
et troisième mode qui est à la suite de son projet; mais on peut
l'inculper d'avoir annexé d'une manière furiive des articles non
lus à la Convention , sous prétexte que ces articles étaient annon-
cés dans un rapport préliminaire. Vous ouvririez la porîe à tous
les abus si vous abandonniez î^ vos comités une semblable exleO'
FÉVRIER (1793). 309
sion de pouvoirs. Je demande que les articles dont il est ques-
tion soient retranches de l'imprirné qui vous est distribué, par
un décret formel.
Plusieurs voix. Oui , oui : la priorité pour cette proposition.
La discussion est fermée.
On demande de nouveau l'ordre du jour,
Julien. Il est impossible que cette affaire en resle là.
Darligoyte. Il faut absolument prendre un parti.
Marat. La question préalable sur l'ordre du jour.
Une cinquantaine de voix. La question préulable !
Choudieu. Je demande la lecture du décret du 1(5 février, qui a
ordonné l'impression.
Julien. Vous n'avez ordonné l'impression que du plan dont vous
avez entendu la lecture, ma's vous n'avez pu consentir à celle de
toutes les idées de voire comité. Une telle mesure entraînerait la
publication de beaucoup d'erreurs.
On réclame de nouveau l'ordre du jour.
Julien. Vous ne passerez pas à l'ordre du jour... Vous ne vou-
lez pas égarer l'opinion publique ; elle doit être iutacie el pure.
Choudieu. Nous allons être d'accord. Les exenjpiaircs ne doi-
vent point passer aux départemens.
Duroi. Je demande le rapport du décret du 16 février. { Le tu-
multe recommence. )
Barrere. Je demande la parole pour un faii.
Il y a un fait vrai : c'est que les trois modes de formation de la
loi n'ont pas été lus à l'assemblée; el sous ce rapport, il est pos-
sible que l'assemblée, rigoureusement attachée à l'exécution de
son décret , retranche de l'envoi aux départemens les modes qui
n'ont pas élé lus. J'observe cependant «m'ils ont été annoncés dans
le rapport du comité fait par Condorcet. La pa;;e 21 de ce rap-
port, page que je viens de relire à l'assi^mblée, prouve que les
trois modes devaient être rûinis au [irojet, puisqu'ils ont été
analysés.
Mais aussi il y a un autre f;:it vrai , c'est que le comité a bien
le droit , d'après un de vos décrets, de publier, par la voie de
510 ÇOiSVEWnON JNAÏIONALE.
l'impression, les divers projets, les diverses vues présentées pour
la constitution de la Fiëpublique. Or, le droit que vous doiincz à
tous les citoyens, aux Anglais, aux Allemands , à tous les étran-
gers , ne peut être contesté au coinilé lui-même. Ainsi , dans
tous les exemplaires qui ont été distribués aux membres de la
Convention, personne ici n'a le droit de se plaindre. La plainte
serait même une infraction à vos décrets. Ainsi , si le vœu de l'as-
semblée est que les départemens ne reçoivent officiellement que
ce qui a été lu à la tribune , cette précision rigoureuse peut être
décrétée, en disant que ies trois modes de formation de la loi, pla-
cés aux deux dernières pages , ne seront pas envoyés.
La proposition de Barrère est mise aux voix et décrétée.
La Convention procède à l'appel nominal pour l'élection des
trois nouveaux secrétaires. Les suffrages y sont réunis en faveur
de Mallarmé , Julien et Charlier : ils sont proclamés secrétaires.
La séance est levée à minuit.]
SÉANCE DU 22 FÉVRIER. — Présidence de Dubois-Crancé.
Le 21 au soir Dubois-Crancé avait été élevé à la présidence.
Sur trois cent quatre-vingts volans , il avait réuni deux cents suf-
frages, et Gensunné cent vingt. Le n" CXXXÏI du journal de
Marat coniiaence par ces réflexions. « Les patrioîes ont nommé
Dubois-Crancé au fauteuil. Bréard l'a quiité avec l'eslime de tous
les amis de !a justice ; la manière impar;:ole avec laquelle il l'a
occupé lui a mérité beaucoup d'éîoges. »
LecurédeChant-du-Boul, département uuCaivados, dénonce
à la Convention les persécutions qu'il a éprouvées à l'occasion de
son mariage.
[Lecoinire.le demande le renvoi au comité de sûreté générale
delà dénonciation du curé. Ces persécutions sont les suites d'une
instruction pasloral'3 de l'évêque Fauchet , distribuée avec pro-
fusion dans ce département. Dans cette instruction , Fauchet
défend à tous les curés de se marier , et interdit ceux qui leur
donneroïit la bénédiction nuptiale.
FÉVRIER ( 1793 ). 311
iV Je ne vois pas pourquoi Fauchet, qui a des maîtresses,
voudrait empêcher les autres de prendre une feainie.
Leliardij. Je demande le nnvoi au comité de législation , pour
faire son rapport sur toutes les instructions pastorales distribuées
dans tous les départemens.
Cette proposition est adoptée.
Julien Dubois. Je demande que le traitement des évêques soit
réduit à 4,000 livres.
Julien de Toulouse. Je demande l'oi-dre du jour , et la question
préalable sur cette proposition.
La question préalable est décrétée.
Le ministre des contribulioiis annonce qu'il a accepté la dé-
mission de Lamarche, directeur de la fabrication des assignats.
Tallien. Je demande que Laniarche soit mis en état d'arres-
tation dans son domicile, et que demain le comité fasse son
rapport.
Celle proposition esl adoptée.]
La lettre pastorale de Claude Fauchet qui donna lieu à la dé-
nonciation qu'on vient de lii-e exprime avec fermeté , mais aussi
avec douceur et prudence , la doctiine catholique touchant le
mariage indissoluble des fidèles et le célibat des prêtres. L'auteur
y prend les titres suivans : « Ciaude Fauchet, par la grâce de
Dieu, et la volonté du peuple, dans la communion du saint siège
apostolique, et dans la chariié du genre humain, évêque du Cal-
vados, aux pi;steurs et aux fidèles du diocèse, salut et bénédiction
au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. » Tous les journaux, sans
distinction d'opinion , s'élevèrent contre lui en cette circonstance.
Cela prouve, selon nous, qu'ils n'avaient pas lu sa lettre, ou qu'ils
n'entendaient rien à la grave question qui y était traitée. L'ano-
nyme auquel le Moniteur prête l'apostrophe , Fauchet qui a des
maîircsses, etc. , est Maure, député de l'Yonne, ainsi que nous
l'apprend le BuUelin des Amis de la vcriié. Faucheî, dans bon
Journal des Amis , ne répond à cette attaque qu'en insérant une
512 CONVENTION NATIONALE.
lettre de Durand-Maillane sur la matière en discussion. Nous
transcrivons cette lettre , ce qui nous dispensera de réimprimer
le mandement de Fauchet, brochure assez considérable. Nous en
extrairons cependant la prière qui le termine ; elle est en français
et en latin.
« Pribe pour la nation française et pour toua les frères de
l'univers.
» Dieu tout-puissant, qui disposez de nous avec des ménagemens
infinis pour notre liberté , et qui , par la voix du peuple exac-
tement recueillie , faites retentir les accens de voire raison éter-
nelle; vous appelez enfin efficacement, par l'action de votre grâce
et de votre miséricorde, à la fraternité évangélique le genre
humain, étranger si long-temps à la société véritable: nous vous
supplions de consommer votre œuvre pour le bonheur et le salut
universel des frères. Dans votre bf)nté propice, rendez la nation
française digne de servir de modèle au monde entier. Dirigez-la
dans les principes de la liberté parfaite , en sorte qu'elle ne re-
connaisse plus d'autre dominateur que vous, souverain père des
hommes , et d'autre maître que le Verbe incarné Jésus-Christ
votre fils, qui vit et lègne avec vous en l'unité divine , dans les
siècles des sièles. Ainsi soil-il. »
Dans le n" IX du Journal des Amisj Fauchet introduit ainsi son
lecteur à la lettre de Durand-Maillaiie.
Sur la liberté du culte calholique.
( « Laurent Lecoinire , très-zélé patriote, mais dont le zèle n'a
p:is la riicsure de la liberté civile, et encore moins de la liberté
religieuse, a dénoncé fort amicalement ma lettre pastorale qu'il
ne connaît pas. La question sur la liberté de l'enseignement re-
ligieux a été renvoyée à cette occasion, d'une manière générale,
au comité de législation , qui s'en ociiupait déjà , d'après plusieurs
autres dénonciations semblables. Rien n'est plus propre à fixer
les idées sur cet objet que cette sage lettre de Durand-Maillane :
FÉVRIER ( i 793 ) . ôlô
il n'est ni prêtre ni ëvêque ; il est citoyen éclairé , philosophe
vertueux, véritable républicain; il croit que les évêques et les
prêires peuvent avoir aussi ces qualités morales et civiques , et
concourir efficacement à les multiplier clans la nation. » )
Lettre de Durand-Maillank, dépiiic des Bouclies-du-Rliône à la
Convention iiationale, au mumlre de la justice, le G février
1793, l'an II de la république française.
« Citoyen ministre, comme simple citoyen , je devrais prévenir,
autant qu'il serait en iuoi, les maux que je crains pour ma patrie;
comme député à la Convention nationale, ce devoir est devenu
pour moi une loi sévère , et c'est pour m'en acquitter que je viens
vous entretenir d'une matière sur laquelle i! est assez diflicile de
ne pas se tropjp' r, et plus dangereux encore de cummeiîie une
erreur. li faut être aussi zélé que je le tuis pour le bien pnljjic
pour parler ce langage à un ministre reriipli de lumières et de
connaissances; mais c'est parce que vous êtes autant éclairé
qu'instruit que j'aime à vous présenter des vérités beaucoup trop
ignorées, dont je crois votre Uiinistère chargé pour les intérêts
de la nation. Voici de quoi il s'agit.
» Vous avez été comme moi dans l'assemblée constituante;
vous y avez vu naître et se former ce qu'on y a , assez njal à pro-
pos, nomrné la constitution civile du clergé : elle a purgé le mi-
nistère ecclésiastique de tous ses abus sans porter aucune atteinte
à son activité toute spirituelle , elle a délivré la France du joug
de la chaiiceileric romaine, de la domination du pape sur les moi-
nes , ei même de son influence sur les prélatures , les églises ,
par ses bulles ei ses exemptions; ce qui s'est fait de la manière
la plus sage, <iu.>ique sévère, sans altérer ni la foi ni la commu-
nion romaine.
» Ce n'est que par celte <lernière mesure et pi;r tous les
avantages quiÉkécèdent, qu'on est enfin parvenu à persuader à
tous les bons esprits que ces reformes et ces cliaugemens n'ont
absolument fait que le bien même de j'église catholiqu;' , comme
celui de l'état, ce qu'il est essentiel de bien remarquer.
314 CONVENTION NATIONALE.
» Chargé par les deux comités réunis de constitution et ecclé-
siastique du rapport sur !a nouvelle forme du mariajje à intro-
duire en France dans les nouveaux principes de sa constitution,
relativement aux divers cultes et aux droits des citoyens , je dé-
veloppai un de ces principes très-important , qui fut convenu dans
les deux comités. li n'a pas été possible d'en faire l'application
dans l'assemblée constituante ; à peine fut-il permis de publier,
par mon rapport imprimé et distribué , que , daiis le mariage ,
le contrat n'avait rien de commun avec le sacrement; ce qui
a suffi néanmoins pour préparer à l'assemblée législative les
moyens de décréter, à la fin de sa session , la loi sur le nou-
veau mode de constater les naissances, mariages et décès des ci-
toyens.
» C'était là tout l'objet de mon rapport , et il a été rempli par
la loi du 20 septembie 1792, sinon dans les mêmes termes du
projet qui l'accompagnait , du moins dans les mêmes vues , qui,
bien considérées , sont les vues mêmes de l'Evangile , dans le sens
de ces tant célèbres paroles proférées par son divin auteur, pour
prévenir les abus qu'en ont faits les ecclésiastiques : Redde Cœsari
quod esl Cœmris, et Dei Deo.
» Par une autre loi en la même date , l'assemblée législative a
décrété les clauses, les modes et les effets du divorce.
» Cette dernière disposition a été souvent proposée dans l'as-
. semblée constituante , qui ne l'a jamais accueillie , qui ne Ta pas
même renvoyée à aucun comité pour lui en faire le rapport ; ce-
pendant il y a tout lieu de croire qu'elle a été traitée et fixée par
l'assemblée législative , d'après les mêmes principes qui ont servi
de fondement à la loi , sur la manière de constater l'état civil des
citoyens, c'est-à-dire d'après la distinction capitale du contrat
d'avec le sacrement de mariage.
> En sorte donc qu'étant décidé constiiutionMIement que la
loi ne considère îe mnriage que comme coato:i^Rvil, les régie-
mens qui ont été faits eu conséquence pour constater, soit le
mode des naissances , mariages et décès, soit les clauses, le mode
FÉVRIER (1793). 515
et les effets du divorce, n'ont ab:5olument de rapport avec le ma-
riage que comme contrat civil.
» D'où il s'ensuit que ni le principe établi dans !a constitution ,
ni les lois qui en ont été les conséquences , n'ont aucune relation
au mariage considéré comme sacrement.
» Si donc il n'existe aucune loi qui prive les ministres de l'é-
glise catholique de leur autoiité spirituelle, ni des droits qu'elle
leur donne d'exercer leur ministère comme ils l'ont toujours
exercé, pour le bien et le salut des âmes, sans se mêler en aucune
sorte des droits, ni de l'état civil des chrétiens qui suivent leur
culte ; tandis qu'au contraire, par la consliiution civile du clergé,
qui n'a été ni abrogée ni même modifiée , quoiqu'on ait beaucoup
crié contre elle et sans trop de fondement, comme je me réserve
de le prouver; tandis, dis-je, que, par cette constitution, l'au-
torité spirituelle de l'église lui a été laissée tout entière , il est
clair que, par rapport au sacrement de mariage, et dans son ad-
ministration , les évêques et les curés ont absolument les mêmes
droits et les mêmes pouvoirs qu'ils avaient auparavant ; avec cette
seule différence qu'étant défendu par la loi civile de recourir à
Rome pour aucune provision ni dispense, c'est aux évêques,
aussi puissans que le pape à cet égard , à les accorder dans tous
les cas où ils le jugeront eux-mêmes nécessaiie.
ï Ainsi donc, comme ministres et dispensateurs des sacremens,
c'est toujours à eux, et à eux seuls, à les administrer selon les
lois de leur culte , que personne n'est forcé d'embrasser; c'est à
eux à juger de l'aptitude ou de l'indignité spirituelle et intérieure
de ceux qui les demandent. Tout ce qu'ils font à cet égard n'inté-
resse en rien la société. Les citoyens n'ont point à s'en plaindre
comme citoyens; et puisque comme catholiques i!s désirent de
participer aux sacremens de Téglise, ils cesseraient de l'être ou
de vouloir i'èlre s'ils n'obéissaient aux lois de la religion qu'ils
professent.
» Ce n'est que sous ce point de vue que les deux comités ecclé-
siastique et de constitution envisagent la dislinclion du contrat
d'avec le sacrement de mariage, et ce n'est pas autrement qu'on
3 lu CONVENilOiN ^ÀllOXALE
peut l'envisager maintenant dans l'application qui en a été faite à
l'éiat civil des Français par les deux lois du 20 septembre 1792
sur le mode des naissances , etc., et le divorce.
I II s'ensuit donc évidemment que, le mariage n'étant considéré
que comme contrat civil par la loi civile, celle-ci n'a rien à voir
au-delà. Tout ce qui est spirituel ou religieux lui est comme
étranger , et ses ministres ou ses organes , chargés d'en mainte-
nir l'exécution , au lieu d'avoir à se plaindre de ce que les minis-
tres de la religion catholique administrent les sacremens comme
ils le jugent convenable pour le ] lus grand bien spirituel desFran-
çais qui veulent rester soumis aux lois de l'église, ils doivent plu-
tôt empêcher qu'on ne les trouble dans l'exercice de cette auto-
rité spirituelle, ou plutôt de cet office tout intérieur et tout reli-
gieux , conformément aux lois mêmes de l'assemblée constituante
et aux explications authentiques qu'elle en a données elle-même.
En agir autrement, ce serait non-seulement s'écarter de ces lois,
mais encore porter atteinte à la sainte liberté des cultes et des
consciences.
i Ces principes ainsi établis et entendus , il est dans l'ordre et
la justice de notre gouvernement qu'il laisse les évêques et les cu-
rés entièrement libres dans l'administration des sacremens, soit
de mariage , soit de baptême , selon les lois de l'église , à l'égard
des Français qui se présentent à eux pour les recevoir. Et en
effet, nous ne sommes plus, comme dans l'ancien régime, esclaves
des préjugés; par la liberté nouvelle des cultes, nous ne devons
plus attacher ni honte ni dommage pour le citoyen que les mi-
nistres de leur religion écai te' ont de leurs mystères. Là ce sont
ou ce doivent être !à aujourd'hui de vrais mystères pour le gou-
vernement comme pour h société , qui ne doit jamais voir que le
citoyen dans chacun de sos membres, telle que soit la religion
qu'il trouve bon de suivre et tel que puisse être son culte. Nous
devons dire : la loi civile suffit à tous les Français pour la con-
servation et lu défense de leurs droits civils ; cette loi est souve-
raine, elle est uniforre; il n'est aucun pouvoir, supérieur ou
contraire , qui puisse y mettre obstacle. Mais par là même ,
FKvr.iER (1793). 317
quand deux ëpoux auront fait constater leur mariage à ia munici-
|)aiilé , qu'ils auront acquis par ce contrat, et pour eux-mêmes,
et pour leurs enfans, tous les droits des citoyens, ils n'ont plus
rien à exiger de la loi civile ni de sa proieclion poui' des préten-
tions spirituelles et religieuses que cette loi même a déclaré lui
être étranjjères ou qu'elle a voulu comme ignorer ; c'est aux mi-
nistres de la religion, dont ces deux époux veulent suivre les rè-
gles, à juger s'ils méritent de participer à ses bienfaits ou, comme
je l'ai dit , à ses mystères , parce que tout cela est ou est censé
toujours intérieur ou du ressort invisible de la conscience.
» S'agit-il donc de demander à un curé la bénédiction nup-
tiale? Celni-ci la leur donne s'il les en trouve dignes, sans s'in-
quiéter d'autre chose que. de leurs dispositions intérieures et reli-
gieuses ; les deux époux ou les deux parties peuvent donc la
demander celte bénédiction, pour l'intérêt de leur conscience,
avant comme après la formation du contrat devant la municipa-
lité. Cela e5t ou doit être tout autant indifi^rent à la loi civile que
le contrat doit l'être à la loi ecclésiastique , parce que , encore une
fois, dans la liberté des cultes la loi civile ne connaît que des ci-
toyens, comme la loi spirituelle de chaque culte ne connaît spi-
rituellement que ceux qui veulent bien s'y soumettre.
» Il est donc indifférent à la société de quelle manière on en
use dans ce culte ou dans cet autre pour les cérémonies reli-
gieuses qu'on y pratique à l'égard des deux époux qui désirent
d'en être favorisés.
» Dans ce sens , le seul qui , en conciliant tous les droits et tous
les devoirs, soit conforme aux lois nouvelles dans celte matière,
les ministres catholiques peuvent refuser la bénédiction nuptiale
ou le sacrement de mariage à deux époux ou deux parties qui,
étant parens îiux degrés prohibés ^nr les lois de l'église, n'en
auraient pas obtenu dispense de l'évêque, lequel est tenu de l'ac-
corder gratuitement.
» Les mêmes ministres peuvent également user de quelque
publication dans l'intérieur de leurs tenip'cs pour découvrir les
empêchement spjrimels qui pourraient se rencontrer dans le
518 CONVENTION NATIONALE.
mariage des deux parties qui leur demandent la bénédiction nup-
tiale pour leur union sacranienlaie. Cette publication n'intéresse
en rien la société ni la loi civile , dont l'exécution est toujours né-
cessaire , même la publication à l'hôtel - de - ville pour procurer
aux deux époux l'état et les droits de citoyen , tant pour eux
que pour leurs enfans.
» lis peuvent, dans les mêmes principes ou sous la même dis-
tinction , exiger des parties les preuves nécessaires de leur état
pour constater ou consigner l'acte de leur administration dans un
registre à eux sur papier tiniple; ce qui ne sera jamais d'aucun
effet aux yeux de la loi civilo pour l'éîat et les droits civils des
mariés, mais qui, pour l'ordre, est nécessaire ou utile dans le
régime spirituel.
* Par les mêmes raisons , rien n'empêche les curés de tenir re-
gistre sur papier simple des baptêmes et des sépultures ecclé-
siastiques de leurs paroissiens ; cela même leur est nécessaire
pour la preuve des empôchemens spirituels , dont la loi civile
ne peut les eiî;pêcher de s'enquérir si elle veut conserver à cha-
que citoyea la forme libre de son culte ; et c'est constamment
son vœu.
» Enfin , les mêmes ministres , par une conséquence nécessaire
de la même disûnclioa, peuvent refuser de .bénir le mariage,
soit d'un prêtre, soit d'un religieux, soit d'un divorcé, parce
que tous cpux-là qui peuvent valablement se marier, seion la loi
civile, par le contrat devant la municipalité, ne peuvent recevoir
le sacrement de mariage suivant les lois de l'église , qui n'ont pas
encore levé la défense qu'elles leur font de rompre les liens spi-
rituels qu'ils ont solennellement contractés.
» Sans doute qu'au premier temps calme qui suivra les tem-
pêtes inévitables dans une révolution comme la nôtre, l'église de
France pouî voira aux nouveaux besoins par des lois nouvelles ;
elle fera rég'er ou réglera eile-inéme ce qui regarde ie mariage
des prêtres, des religieux, le divorce, les dispenses, les degrés
surtout d'empêchement spirituel, de parenté, etc.; mais en at-
tendant, je ne vois pas qu'elle puisse s'écarter des principes tels
FÉVRIER (1793). 519
que je viens de les expliquer; ils sont les mêmes que ceux que
j'ai établis dans mon preniier rapport sur le mariage , et que l'on
a suivis dans les deux lois du 2 septembre 1792, sur l'état civil
des citoyens et sur le divorce.
» C'est donc avec un grand éîonnement que , d'une part , j'ai
appris par le ministre Roland lui-même, dans son dernier compte-
rendu, qu'il a tancé des évoques et des curés pour avoir con-
tinué l'usage de Iei;rs publications de bans de mariage dans
l'intérieur de leurs églises , ce qu'ils ont cru avec raison pou-
voir faire , d'après l'assurance que la Constitution même leur
donne de toute l'intégrité et l'indépendance de leur mini.-;tère
spirituel ; co::;me en effet celîe publication , dans l'intérieur de
leurs églises, n'a et ne peut avoir pour objet que la décou-
verte des empêche nens spirituels à l'administraîiûn du mariage
comme sacrement , ce qui n'intéresse point la République ;
que, d'autre part, au directoire du département de la Sarllie,
on a livré à toute !a rigueur de la justice et du ministère public
un évêque qui , conséquemment à la môme distinction , avait
arrêté dans son conseil que les curés de son diocèse n'accor-
deraient point le sacrement du mariage aux parties divorcées qui
passent à un autre mariage. Peut-être cet évêque n'aurait pas
dû donner à son mandenient prohibitif une rorme aussi retentis-
sante que ceiie qu'employaient ses prédécesseurs ; cependant dès
qu'elle ne s'adresse qu'aux curés et vicaires, et que ses effets se
bornent à l'intérieur des églises, et dans l'unique objet d'empê-
cher l'abus du sacrement, il n'y a" absolument rien de contraire
aux lois de la République. L'église n'en a point fait encore sur
ceitc niiiîiè.e, et, jusqu'à ce qu'elle s'en soit expliquée, les évê-'
(|ues et les curés de France ne peuvent pas plus marier un di-
vorcé que ceux de Rome, avec qui la communionne sera jamais
rompue tant qu'on suivra à cet égard les mêmes lois générale-
merit établies dans l'église.
» D'autres évêques, attachés trop littéralement à la loi du
20 septembre 1792, sur l'élai civil des citoye;is , ont cru que les
curés ne pouvaient désormais donner la bénédiction nuptiale ou
320 CONVENTION NATIONALE.
adminisirer le sacrement de mariap^e qu'après le contrat qui en
aurait été passé devani la municipalité , et non avant.
» C'est encore une erreur condamnée par les mêmes principes
et contraire de plus à la liberté des consciences ; car il peut ar-
river que certains catholiques se fassent une peine d'aller à la mu-
nicipalité avant que d'aller à l'église , et il est très-indifférent à la
République que le contrat qui doit légitimer les époux et leurs
enfans précède ou suive la bénédiction nuptiale et ecclésiastique ;
la preuve , c'est qu'elle n'en a fait aucune disposition ou défense
dans sa loi du 20 septembre 1792, d'où l'on peut tirer cette con-
séquence , qu'il est permis de faire tout ce que la loi ne défend
pas.
» Mais, comme en faisant ce qui n'est pas prohibé par la loi on
ne doit pas user de sa liberté au préjudice d'autrui, il y aurait peut-
être à craindre, dans le cas proposé, que les mariés, après avoir
reçu ie sacrement du mariage à l'église , ne voulussent plus al-
ler à îa n)r;nicipali(é déclarer ou exprimer le même engagement, ce
qui rendrait alors leur état et celui de leurs enfans illégitime aux
yeux de la loi ; mais outre que cela ne peut arriver que passagè-
rensent dans les circonstances présentes, où les affaires de l'église
ne sont pas encore jugées eu fixées comme elles doivent l'être
pour le bien généra! des fidèles et de la religion ; car on est bien
loin en France de se croire dans !e schisme , comme certaines
gens , par ignorance ou par malice, cherchent à le faire accroire ;
outre , dis-je , cette considération , on peut à cet égard ou laisser
aux citc-ycns leur liberté tout entière, à cause de l'intérêt pré-
cieux et doux qui les attache au contrat , ou employer contre leur
insouciance nuisible à l'état de leurs enfans une mesure de police
telle que la légiiimilé de ces enfans fût sauvée ou ne souffrît pas
du fanatisme de leurs père et mère ; n;ais celte mesure même se-
rait dans les circonstances, ou insuffisante , ou imprudente ; et,
soit à cause de îa liberté qui est sacrée dans tous ses rapports ,
iurloul quand il s'y mêle de la conscience, soit parce que la loi
ne dii rien à cet égard , j'estime au contraire qu'il est et sera
toujours très-sage de laisser à chacun , d'après les distinction^
FÉVRIER (1793). 321
établies, la faculté de recevoir la Ijénédiction nuptiale à l'église
avant comme après le contrat devant la municipalité.
» Toujours, encore, par une suite des mêmes distinciions
qu'on ne doit jamais perdre de vue pour la solution des difficul-
tés qui s'éièvent tous les jours dans l'exécution des lois nouvelles
du 20 septembre dernier, les curés ont le même droit ou plutôt
le même discernement à faire dans l'administration du baptême ,
quoique , depuis que les parrains ne font plus le catéchisme à
leurs filleuls , leur usage, comme leurs qualités, n'intéresse plus
dans la discipline de l'église.
^ Voilà, citoyen minisire, ce que j'ai cru devoir mettre sous
vos yeux dans la place éniinente que vous occupez et si digne-
ment. Je ne crois pas que celte matière soit plutôt du ressort du
ministre de l'intérieur que du vôtre, comme ministre de la jus-
tice ; et certes, dans la crise où l'état se trouve, il me paraît très-
essentiel de prévenir par tous les moyens le nouveaux troubles
que pourraient causer les malentendus entre les patriotes eux-
mêmes; c'est-à-dire entre les prêtres soumis aux lois de la Ré-
publique et les républicains, intéressés les uns et les autres à se
réunir contre les ennemis communs ; et les troubles sont comme
annoncés par les exemples que j'ai cités et où cette sagesse pour-
rait opérer tout doucement par l'instruction le plus grand bien.
» Certains de nos collègues croient pouvoir guérir radicale-
ment tous ces maux en révoquant la constitution civile du clergé,
qui selon eux en est la seule cause ; mais qu'ils se trompent bien
lourdement! Les choses sont telles dans les déparlemens, que
tout est perdu si l'on y touche. Le temps viendra bientôt, sans
doute, où les esprits pourraient à cet égard souffrir quelque chan-
gement ; mais ce temps heureux n'est point ariivé , et il faut l'ai-
tendre ; jusqu'alors calons nus voiles à la tempête, et allons au
port par tous les chemins.
» Quoi qu'il eu puisse être, nos législateurs seraient bien mal-
adioits si, par la libellé môme des cultes qu'ils protègent , ils
croient se débarrasser de tout ; le [)auvre, le malheuieux, tiendra
toujours à celui qui le console par l'espérance d'un meilleur
T. XXIV. 21
522 CONVENTION NATIONALE.
sort; et ce culte, qui date de loi.:, sur vingt-cinq millions d'ames,
vingt-trois millions et plus le suivent dans la Pi<^pub!ique. La Pié-
publique elle-même a aussi grandement besoin de ses préceptes
pour l'amélioration de nos mœurs ; et il importe au gouverne-
ment lui-même d'attacher li Tautorité, à i'obseivation des lois,
l'intérêt même dos consciences. Ce fut la politique des païens, que
la nature elle seule instruisait. « Les pères des nations , dit Rous-
seau , faisaient honneur aux dieux de leur propre sagesse. »
1 J'ajoute que dans l'espîit et les vues propagantes de notre
Convention, c'est déjà de la part de plusieurs de ses membres un
très-grand tort d'avoir comme proposé des systèmes absolument
irréligieux , ce qui seul est capable de nous aliéner toutes les na-
tions voisines, bien plus croyantes encore que la nôtre. J'ose
même assurer que si ces opinions plus absurdes encore qu'im-
pies prévalaient dans la Convenîion jusqu'à la compromettre par
quelque décret , les ciîoyens français , qui ont vu avec satisfaction
les réformes de l'asseaiblée constituante tomber sur les abus ec-
clésiastiques comme sur les autres (ce qui, en les rassurant en-
tièrement pour l'avenir, n'a servi qu'à les attacher davantage à
la révolution), cesseraient de mettre le même intérêt à une liberté
qui leur ôterait celle de leur culte ; et le nombre de ceux-là , qui
certainement pensent le mieux , est plus grand qu'on ne se l'ima-
gine peut-être ; ils disent , et avec toute sorte de raisons , que la
religion catholique comporte tr ès-bien , et plus qu'aucune autre,
l'égalité, la liberté des hommes; mais que Çicéron lui-même
nons apprend qu'il n'y a d'homme véritablement libre et heureux
que celui qui , maître de ses passions , a lieu d'attendre pour ses
vertus une récompense digne d'elles.
j> Signé, Durand-Maillane , député à la Conventionnationale. »
CONVENTION NATIONALE. — SÉANCE DU 23 FÉVRIER.
Isnard présente un projet de proclamation au peuple fiançais ;
il est adopté en ces termes :
FÉVRIER ( 1793). 323
La Convention nationale au peuple français.
« Français , tel est le malheur d'un peuple qui s'est donné des
rois, qu'il ne peut en secouer le joug sans entrer en guerre avec
les tyrans étrangers.
i»A peine vous proclamâtes votie souveraineté, que l'empereur
et le roi de Prusse armèrent contre vous; aujourd'hui que vous
avez proclamé la république, tous les despotes ont résolu votre
ruine. Ceux qui ne vous out pas déjà forcés à la guerre ne tem-
porisent peut-être que pour mieux vous tromper; et il n'est que
trop vrai que la France iibre va lutter seule contre i'Europe es-
clave. Eh b;en! ia France triomphera si sa volonté est ferme et
constante. Les peuples s^nt plus forts que les armées. Ceux qui
combattirent pour établir leur indépendance lurent toujours
vainqueurs. Rappelez-vous les révolutions de la Hollande , de la
Suisse, des Etats-Unis.
» Les nations libres trouvent des ressources dans les plus gran-
des extrémités. Rome réduite au Capitole ne s'en releva que plus
terrible. Voyez ce que vous avez fait vous-n;émes lorsque les
Prussiens ont souillé votre territoire. Toujours l'enthousiasme de
la hberté triomphe du nombre; la fortune sourit à l'audace, et
la victoire au courage. Nous en app^^lons à vous , vainqueurs de
Marathon, de Salamine et de Jemmapes. République naissante!
voilà tes modèles et le présage de tes succès ; lu étais réservée à
donner à l'univers le spectacle le plus étonnant. Jamais cause pa-
reille n'agita les hommes et ne fut portée au tribunal de la guerre.
Il ne s'agit pas de l'interèi, d'un jour, ma;s de celui des siècles...
de la liberté à un peuple, mais de celle de tous...
» Français , que la grandeur de ces idées enflamme ton cou-
rage; écrase tous les tyrans plutôt que de redevenir esclave! Es-
clave !... Quoi ! des rois î'OU veaux s'engraisseraient encore de ton
or, de tes sueurs et de ton sang!... Des parlemens impitoyables
disposeraient à leur gré de ta fortune et de ta vie !... Un clergé
lunatique décimerait de nouveau tes moissons!... Une noblesse
insolente te foulerait encore du pied de l'orgueil!... L'égalité
324 CONVENTION NATIONALB.
sainte, la liberté sacrée coïKjaise par tant d'efforts, te seraient
ravies!... Ce bel empire, héritage de tes ancêtres, serait dé-
membre ! Quoi! plus de patrie, plus de Français!... Etlagé-
néraiion présente serait destinée à ce comble d'ignominie! Elle
aurait à rougir aux yeux de l'Europe et de la postérité !... Non ;
nous disparaîtrons de la terre, ou nous y resterons Français , in-
dépendans. Allons,. . que tous les vrais républicains s'arment
pour la patrie ; que le fer et l'airain se changent en foudres de
guerre et nos forêts en vaisseaux ; que la France, comme on l'a
dit, ne soit qxCun camp, cl la 7ialion une armée ; que l'artisan quitte
son atelier ; que le commerçant suspende ses spéculations. Il est
plus pressant d'acquérir la liberté que les richesses ; que les cam-
pagnes ne retiennent que les bras qui leur sont nécessaires.
Avant d'améliorer nos champs , il faut les affranchir. Que ceux
qui ont quitté leurs drapeaux rougissent de laisser flétrir leurs
lauriers ; que le jeune homme surtout vole à la défense de la Ré-
publique ; il est juste qu'il combatte avant le père de famille ; et
vous, mères tendres, épouses sensibles, jeunes Françaises, loin
de retenir dans vos bras 1rs citoyens qui vous sont chers , excitez-
les à voler à la victoire. Ce n'est plus pour un despote qu'ils vont
combattre, c'est pour vous, vos enfans , vos foyers... Au lieu
de pleurer sur leur départ, entonnez, comme les Spartiates, des
chants d'aiiégresse ; et , en attendant leur retour, que vos mains
leur préparent des vêiemens et leur tressent des couronnes.
» Amour de la patrie, de la liberté, de la gloire , passion con-
servatrice des républiques, source d'héroïsme et de vertu , em-
brasez les âmes !... Jurons tous sur le tombeau de nos pèr( s et le
berceau de nos enfans, jurons par les victimes du 10 août , par
les ossemens de nos frères, encore épars dans les campagnes,
que nous les vengerons ou mourrons comme eux.
» Quant à vous, hommes opulens, qui, plus égoïstes que ré-
publicains , ne soupirez qu'après le repos, pour obtenir bientôt la
paix , aidez-nous à vaincre. Si, amollis par l'oisiveté, vous ne pou-
vez supporter les fatigues de la guerre , ouvrez vos trésors à l'in-
digence et présentez des défenseurs qui vous suppléent. Tandis
FÉ vKiiiB ( 1 7 *J3 ) . 3î25
que vos frères triomphaient dans la Belgique et aux Alpes ,
qu'aux prises avec les frimas , la faim et la mort , ils gravissaient
des montagnes , escaladaient des remparts, vous dormiez dans les
bras de la mollesse , et vous refuseriez des secours pécuniaires !
L'or est-il donc plus précieux que le sang? Si votre civisme ne
vous engage pas à des sacrifices , (jue votre intérêt du moins vous
y force. Songez que vos propriétés et votre siireté dépendent des
succès de la guerre. La liberté ne peut périr sans que la fortune
publique soit anéantie et la France bouleversée. Si l'ennemi
triomphe, uialheur à ceux qui auront di^s torts envers la patrie!
Riches , remplissez vos devoirs envers elle si vous voulez qu'elle
soit généreuse envers vous ; trop souvent on n'est victime que
parce qu'on a refusé d'être juste. Quelles que soient vos opinions,
notre cause est commune; nous sommes tous passagers sur le
vaisseau de la révolution ; il est lancé ; il faut qu'il aborde ou qu'il
se brise ; nul ne trouvera de plancliv dans le naufrage. Il n'est
qu'un moyen de nous sauver tous; il l^ut que la masse entière
des citoyens forme un colosse puissant qui, debout devant les na-
tions, saisisse d'un bras exterminateur le glaive national et, le
promenant sur la terre et les mers , renverse les ar/nées et les
flottes.
» Sociétés populaires , remparts de la révolution , vous qui tn-
fantàtes la liberté et qui veillez sur son berceau, créez-lui des
défenseurs ; par vos discours , vos exemples, iujprimez un grand
mouvement et élevez les amcs au plus haut degré d'enihou-
siasme.
» Guerriers qui , à la voix de la patrie , allez vous rendre dans
les camps, nous ne chercherons point à exciter votre courage.
Français et républicains , vous êtes pleins d'honneur et de bra-
voure ; mais nous vous recommandons, au nom du salut public,
l'obéissance à vos chefs et l'exacte discipline ; sans discipline ,
point d'armées, point de succès ; sans elle, le courage est inu-
tile et le nombre impuissant ; elle supplée à tout , et rien ne la
supplée.
» Vous, vainqueurs de Vulmy, do Spire et d'Aigounc, laisse-
326 CONVENTION NATIONALE.
rez-vous périr une patrie que vous avez une fois sauvée? Non ,
vous les vaincrez ces nouvelles phalanges que vomil le Nord , et
l'Anglais aussi sera vaincu sur rélénient, théâtre de sa puissance.
Qu'ils voient sur les vaisseaux de la République nos braves ma-
rins ! L'armée navale, aussi brûlante de patriotisme que l'armée
de terre, doit marcher coinme elle de victoires en vicloiresj Dé-
barrassée d'une vile noblesse, elle est invincible. Majineconimer-
çante, sous le règne du despotisme qui t' abreuvait d'himiilia-
tions, lu enhnins Jean-Bart , Diiqiiêne, Duguay-Trou'm; que ne
feras-tu pas sous le règne de l'égaiite! Ne borne plus les com-
bats de mer à l'explosion du canon ; l'homme libre qu^on atiati
que doit se battre avec rage. Nos gi-enadiers enlèvent les batte-
ries avec la baïonnette; on a vu de nos hussards combattre à
cheval sur des remparts ; toi , tente les abordages , la hache à la
main ; qu'ils tombent sous tes coups ces fiers insulaires , despotes
de l'Océan.
» Matelots, soldats, qu'une émulation salutaire vous anime,
et que des succès égaux vous couronnent. Si vous êtes vaincus,
la France devient la risée des nations et la proie des tyrans.
Voyez ces féroces vainqueurs se précipiter sur elle. Ils outra-
gent... , ils dévastent..., ils égorgent... , ils ne trouvent pas assez
de victimes pour assouvir les mânes de Capet... A la lueur de Pa-
ris incendié, regardez ces échafauds dressés parla vengeance,
et où des bourreaux traînent vos amis et vos frères... Votre dé-
faite couvre la terre de deuil et de larmes. La liberté fuit ces
tristes contrées , et avec eile s'évanouit l'espérance du genre hu-
main. Long-temps après que vous ne serez plus, des malheu-
reux viendront agiter leurs chaînes sur vos tombeaux, insultera
vos eendrrs. Mais si vous êtes vainqueurs, c'en est fait des ty-
rans; les peuples s'embrassent; et, honteux de leur longue er-
reur, ils éteignent à jamais le flambeau de la guerre ; on vous
proclame les sauveurs de la patrie, les fondateurs de la Républi-
que, les régénérateurs de l'univers ; la nation qui vous doit vous
comble de bienfaits.
» Et vous , qui mourrez au champ d'honneur, rien n'égalera
FÉVRIER (1793). Otl
votre gloire. La pairie reconnaissante prendra soin de vos fa-
milles , burinera vos noms sur l'airain , les creusera dans le mar-
bre , ou plutôt ils demeureront gravés sur le frontispice du grand
édifice de la liberté du monde. Les générations, en les lisant,
diront : « Les voilà , ces héros français qui brisèrent les chaînes
de l'espèce humaine , et qui s'occupiaent de notre bonheur lors-
que nous n'existions pas... »
« Heureuse France! telles sont les hautes destinées qui s'ou-
vrent devant loi. Loin de l'étonner de leur grandeur, parcours-
les avec héroïsme ; que rhi»toire ue trouve dans ses fasles rien
qui ressemble à tes triomphes. Efface tout à coup la gloire
des républiques de la Grèce et de Rome. Fais plus en une année
sous le règne de la liberté , (jue lu n'as fait en quatorze siècles
sous le règne des rois. Que l'éiranger ne parle de la république
qu'avec respect, et d'un citoyen français qu'avec admiration.
» Pour nous, fermes à noire poste, nous promettons de don-
ner l'exemple du civisme, du courage;, dadévoûinent. Nousimi-
" lerons, s'il le faut, ces bénateurs roujains qm attendirent la mort
sur leur chaise curub'. On vous dit que nous sommes divisés ;
gardez-vous de le croire ; si nos opinions diffèrent , nos senlimens
sont les mémei. En variant sur les moyens, nous tendons au
même but. Nos délibérations sout bruyantes : et comment ne
pas s'animer en discutant d'aut-si grands intéréis? C'est la pas-
sion du bien qui nous agite à ce point ; riiais une fois le décret
rendu , le bruit finit , et la loi res'e.
» Peuple, compte sur tes représeniaus; quels que soient les
événemens, ils luiteruni avec force contre îafori une et b^s hommes.
Jamais ils ne uansigeiont eu ion nom avec la tyrannie. Lorsque
r.ous avo!is été constitués en Convention , nous avons cru enten-
dre la voix de la patrie qui nous criait : « Va , et rends-moi li-
bre ; assuie mon bonheur futur aux dépens de ma tranquillité
présente. Si, pour cesser d'éire esclave, il faut vaincre l'Europe,
parle, je lutterai coniie elle; ci surtout, quels que soient mes
dépenses, mes fatigues , mes périls , ne me donne une paix dé-
finitive qu'avec une entière indépendance. »
528 CONVENTION NATIONiU.E.
» O patrie ! nous avons liiêté l'oreille à ce sublime langage ,
il reste empreint dans nos cœurs, il servira de règle à notre con-
duite , et tu seras sauvée. »
— Le commissaire de police de la section de Marseille, à Paris,
demande d'être autorisé à lancer un mandat d'amener contre le
député Barbaroux , qui se trouve chargé par des dépositions
dans une affaire suivie à la requête de l'accusateur public du tri-
bunal criminel de Paris. Il avait été dénoncé par le comité de sû-
reté générale pour avoii', lors de la question de l'appel au peuple,
voulu environner la Convention de Marseillais armés. Discussion
à ce sujet. Renvoi au comité de législation pour un prompt rap-
port.
SÉANCE DU î24 FÉVRIER.
[Roljnd, ex-ministre de l'intérieur, prie la Convention d'exami-
ner les comptes de son adminisiraiion. Il attend que la Conven-
tion ait prononcé pour pouvoir quitter Paris, afin de soigner sa
santé.
Lesage. Je demande la parole pour un fait qui intéresse la
tianquillité de Paris. Citoyens , la ville de Paris paraît livrée aux
plus grandes inquiéiudes; ses alarmes paraissent venir du man-
quement de subsistances. (Il s'élève des rumeurs dans l'extré-
mité gauche.)
Tliuriot. Je fais une motion d'ordre ; je demande que Lesage
ne soit point entendu ; qu'il aille....
Lesage. Je demaside d'être entendu.
Tliuriot. Au comité.
Lesage. C'est un fait qui m'est personnel.
DevîUa, Vous n'êtes pas administrateur de Paris ; vous voulez
jeter le trouble dans cette ville et dans la Convention.
Thuriot, Tallien s'avancent dans le milieu de la salle, et de-
mandent avec chaleur que la parole soit ôiée à Lesage
Le président. Je vais consulter l'assemblée pour savoir si la pa-
role sera continuée à Lesage.
L'assen;b!ée décrète que Lesage S!.n-a entendu.
FÉVRŒK ( 1795 ), ôt^3
Lesage. J'ai pensé que le fail dont j'avais connaissance devait
être communiqué à rassemblée. Je disais que les boulangers de
Paris paraissent ne pas avoir sultisammenl de pain pour tous les
citoyens, et que les citoyens étaient dans l'alarme, que les es-
prits étaient ajjilés Il me paraît difficile que Paris , qui est
environné de départemens dans lesquels il y a abondamment du
blé , en manque iui-méme. (Plusieurs voix : Il n'en manque pas.)
Une chose certaine , c'est qu'au moment où je vous parle, on se
dispute le pain à la porte des boulangers. Je demande si l'on
peut imputer à mauvais esprit de donner connaissance de ces
foits à la Convention ; je vous demande s'il n'est pas inip -rtant
que la Convention sache si Paris manque de subsistances ; je de-
mande , et c'est là ma conclusion , que le maire et le procureur
de la commune soient mandés à l'instant pour rendre compie de
l'éiat des subsistances de Paris.
r/iWj-io/.Gomuiej'ai suivi toutes les révolutions qui se sont fai-
tes à Paris, je puis vous ati ester que de toutes les armes em-
ployées par les crisfocrates, celle des subsistances a été la prin-
cipale. J'ai été alarmé , comme le Lesage , des bruits qui s'étaient
répandus ; j'ai couru partout pour reconnaître ce qu'il y avait de
réel. Aujourd'hui encore, j'ai été chez le ministre de l'intérieur;
je trouve qu'il y a beaucoup d'imprudence de publier à celte tri-
bune qu'il se répand des inquiétudes sur les subsistances de Pa-
ris. C'est dans les comités qu'il faut se conceiteî- sur les appro-
vi.sionnemens , afin de ce pus présenter au peuple un tableau
alara)anl qui ne serait pas exact. Paris a la farine nécessaire;
il y a peut-être quelque embarras dans l'administration ; les mal-
veillans en profilent pour répandre des alanries ; ceux qui n'ont
besoin que de deux pains eu prennent quaire. ( Plusieurs voix à
la gauche : Voilà le fait. ) C'est un moyen qu'emploient tous les
amis du roi pour exciter des mouvemeiis, pour faire une com-
ujoiion et écraser le peuple; mais ils ont beau faire, nous le
sauverons. (Oui, oui, s*écrie-t-on de toutes les parties de la
salle. — L'orateur se tournant vers la droite. ) Eh bi«n, pus'pie
vous voulez le sauver, prenez la mesure efficace qu'on a picsen-
330 CONVENTlOiV NATIONALE.
lée ; avancez une somme à Paris : si vous ne le faites , je dirai
que vos alarmes ne sont que pour seconder les conlre-révo'.u-
lionnaires. (De violens murmuies s'élèvent dans la partie droite.
— Oui^ oui, s'écrient quelques membres de la gauche. ) Je de-
mande que les comités de sûreté générale et de commerce se con-
certent avec la municipalité de Paris et le ministre de l'intérieur,
sur les approvisionnemens de Paris , et qu'ils nous rendent
compte de l'état des subsistances de cette ville.
Lasoiirce. G'eit pour rendre compte d'iin fait que je demande
la parole. On vous a dit que les citoyens de Paris voulaient la
taxation des denrées. {Plusieurs voix : Cela est faux. ) On vous a
dit qu'il y avait un mouveaient dans Paris. [Les mêmes voix :
Non , non. ) Voici le fait. J'ai trouvé à la porte de la salle envi-
ron oOQ citoyennes; elles m'ont dit venir présenter une péti-
tion ; je leur en ai demandé l'objet. C'est pour vous demander le
rapport du décret qui permet de vendre l'argent. Elles sont con-
venues avec moi que la taxation des subsistances affamerait Paris.
Elles sont disposées....
Tallien. J'ai des faits importans à faire connaître à l'assemblée.
Ces jours derniers des hommes couraient dans les faubourgs
et publiaient que Paris allait manquer de pain ; voilà pourquoi
il se trouve phjs de monde à b porte des boulangers que de cou-
tume ; on veut un mouvement , j'en ai des preuves. Avant-hier,
je me présentai à un groupe de femmes; elles se concertaient
pour vous présenter une pétition à l'effet d'obtenir la taxation
du savon. Je tâchai de les détourner de leur projet, je ne pus
rien gagner sur elles. Il ne me fut pas difficile d'apercevoir que
ce n'étaient pas des patriotes, mais desinstrumens que les aristo-
crates faisaient agir. J'écrivis au maire de Paris ; il me rappela
ce qui est souvent arrivé. Pour exciter du trouble , on met en
avant les femmes ; on les (n'a ciier, ensuite paraissent les hommes,
qui font le mouvement. On en prépare un, me dit le maire, je
le vois , j'en suis persuadé. Ce mutin j'ai vu le maire ; j'ai parlé
au comité des subsistances ; on m'a assuré que les inquiétudes
sur les subsistances étaient mal fondées... Un fait qu'il faut que la
FÉVRIER ( 1795). 331
Convention sache, c'est que depuis que Pache a été élu maire de
Paris , on n'a cessé de l'abreuver de dégoûts ; c'est que ce sont
ceux qui lui ont fait quitter le ministère, qui le poursuivent en-
core. (Plusieurs voix, à droite : Prouvez le fait.) On me demande
des preuves, en voici : dans une séance du conseil-géni^ral , un
hoDime que j'ai cru pendant long-temps patriote fit la motion que
Pache ne pût occuper la place de maire avant d'avoir rendu ses
comptes, et cet homme est lié avec ceux qui se sont constamment
montrés les ennemis de Pache, qui l'ont persécuté tout le temps
qu'il a été au minisière.
Un autre fait. On est venu m'éveiller ce matin à sept heures;
on m"a dit qu'il y avait un mouvement dans le faubourg Saint-
Antoine. Hier les aveugles des Quinze-Vingts ont décidé de vous
présenter une pétition , et dans ce moment les administrateurs
de cet établissement font aligner les aveugles sur deux lignes , et
leur font dire : Nous allons à la Convention demander du pain.
Faites atteniion, ciioyens, que ces administrateurs qu'on vous
dit éire si patriotes , ont choisi , pour faire présenter celte péti-
tion , le ujomeni où Ion vous dit qu'il n'y a pas de pain chez les
boulangers. Je demande que vous adoptiez la proposition de
Thurioi, ei (jue la tribune ne retentisse plus des mots de disette,
de manque de pain : cela ne peui, avoir qu'un très-mauvais effet.
Leprésident. Je reçois en cet instant une lettre, par laquelle des
citoyennes deuiandent à cire entendues pour déposer dans le
sein de la Convention leurs alarnies sur les subsistances.
^]alllieu. J(î demande que les pétitionnaires soient admises.
Je tiens d'ua b!)ulangf r, chez lequel j'ai envoyé , que ce matin
il a fait i}eu\ fournées de plus qu'à l'ordinaire, et que si l'on
manque de pain cela vient de ce ()ue les personnes qui aupara-
vant ne jirenaieni que quatre livres de pain, en avaient pris huit
cemaiia. La cause première de cette disette apparente est dans
les inquiétudes mal fondées qui ont été répandues.
L'asseiiiblée ferme la discussion.
La proposition de Thuiiot Cot adoptée en Ct:s fermes :
La Convention nationale décrète que les comités dagriculture.
33ïi CO.NVJiiMlOiN iMAHONALE.
de sûreté générale et des finances se réuniront à l'instant , en-
tendront le ministre de l'intérieur, les administrateurs du dépar-
lement, et le maire et procureur de lu commune de Paris, sur
l'état de l'approvisionnement des subsistances pour cette ville , et
des mesures prises pour qu'elle n'en manque pas, et les charge
d'en rendre compte à la Convention.
Un député extraordinaire du déparlement de la Vienne pré-
sente une pétition sur la détresse de la classe industrieuse du peu-
ple, et demande des secours pour établir à Poitiers des ateliers.
Cette pétition est renvoyée au comité des ponis et chaussées.
Une dépuiation des citoyennes blanchisseuses de Paris, est ad-
mise à la barre.
Un des secrétaires fait lecture de leur pétition ; elle est ainsi
conçue :
» Législateurs , les blanchisseuses de Paris viennent dans îe
sanctuaire sacré des lois et de la justice déposer leurs sollicitu-
des. Non-seulement toutes les denrées nécessaires à la vie sont
d'un prix excessif, mais encore les matières premières cjui ser-
vent au blanchissage sont montées à un tel degré , que bientôt la
classe du peuple la moins fortunée sera hors d'état de se procu-
rer du linge blanc, dont elle ne peut absolument se passer. Ce
n'est pas la denrée qui manque, elle est abondante; c'est l'accapa-
rement et l'agiotage qui la font renchérir. Vous avez fait tomber
sous le glaive des lois la tête du tyran, que le glaive des lois s'ap-
pesantisse sur la tète de ces sangsues publiques. Nous deman-
dons la peine de mort contre les accapareurs et les agioteurs. »
Le président. Citoyennes , la Convention s'oc<;upera de l'objet
de vos sollicitudes ; mais un des moyens de faire hausser le prix
des denrées est d'efl'rayer le commerce , en criant sans cesse à
l'accaparement, etc. L'assemblée vous invite à assister à la séance.
Des citoyennes de Paris, réunies en société fraternelle dans le
local des ci-devant Jacobins, demandent, par l'organe d'une dé-
putaiion , comme moyen de faire diminuer le prix des subsistan-
ces le rapport de la loi qui déclare l'argent commerçuble.
Diihem. Les comités de coiomerce , d'agriculture et des finan-
FÉVRIER (1793). 53S
ces se sont occupés des moyens de diminuer le prix des matières
premières de nécessité indispensable. TIs sont en ce moment en
conférence avec le ministre des contributions publiques et les
corps administratifs. Je demande qu'ils fassent leur rapport de-
main. — Cette proposition est adoptée.
Le président leur répond que l'assemblée s'occupe en ce mo-
ment , <laus ses comités, de l'objet des subsistances. Il invite la
députation aux iionneurs de la séance.
Fabre, de l'Hérault. Les comités des finances, d'agriculture et
de sûreté générale se sont réunis, ont entendu le ministre de l'in-
térieur, le maire, le procureur de la Commune, le présidente!
le procureur-généralsyndicdu déparlement de Paris. Il résulte
des reiiseignemens par eux donnés que les subsistances de Pa-
ris sont assurées pour deux mois; qu'il y a actuellement, î>oitdans
les nia[;asins, soit à la halle , soit aux environs de Paris , des fa-
riiics ariivées et prêtes à être consommées pour un mois. Mais la
municipalité a besoin , pour soutenir le prix du pain à douze sous,
d'une nouvelle avance qui pourra être répartie en sous addition-
nels sur limpoï^iiion de 4793. Les comités vous feront incessam-
ment un rapport sur cet objet.
Voilà, citoyens, les détails rassurans que vos comités m'ont
diarjft' de vous donner.]
JOURNÉE DU 2o FÉVRIER.
€ La journée du 125 février vient de ramener de nouveaux ora-
ges ; elle en présage de plus grands encore. Il n'est plus question
en ce moment d'acte constitutif ni d'armées. Hélas! d'autres
soins nous forcent à une diversion cruelle, et absoibent toute
l'attention des amis de la patrie et de la liberté.
» Des synjptomes d'un caractère elïrayant nous menaçaient
depuis quelques jours d'un événement sinistre; une disette fac-
li.e, semblable à celle de 1781), se manifestait à Paris depuis
quelques jours. Le débit du piiin éprouvait des lenteurs et la
554 CONVENTION NATIONALE.
difficulté d'en avoir avait déjà coùîé bien des larmes à plus d'une
citoyenne. Le savon, qu'on se procurait encore il y a un mois à
14 et 16 sous la livre, était monté à 52 sous , et déjà plusieurs
blanchisseuses gémissaient sur le défaut d'ouvrage et l'impossi-
bilité de continuer leur état. Déjà des plaintes amères s'étaient
fait entendre dans lestribr.nes du conseil-général de la Commune.
Allez vous plaindre à la barre de la Convention, avait-il ré-
pondu.
» Le conseil fut suivi. Dimanche, parmi les pétitionnaires,
plusieurs crièrent : Du pain et du savon! Ces cris étaient ap-
puyés hors de la salle par des groupes nombreux et très-animés.
La Convention écoute tout cela avec assez de froideur , et ajourne
à mardi pour y faire droit. Loin de calmer et de satisfaire, cette
déterminuiion aigiit encore davantage, et en quittant la barre,
les femmes, dans les couloirs de la sa!le, disent tout haut à qui
veut les entendre : On nous ajourne à mardi ; mais nous , nous
nous ajournons à lundi. Quand nos enfans nous demandent du
lait , nous ne les ajournons pas au surlendeinain.
» Les autorités constituées auraient pu suppléer par l'activité
de leurs opérations à l'incuri? du corps législatif. Que ne s' abou-
chaient-elles avec le pouvoir exécutif à onze heures du matin , au
lieu de se réunir à quatre heures après midi, et de suite que
n'allaient-elles trouver le comité de sûreté générale ? Là , combi-
nant leurs démarches respectives, on eût pris une mesure, la
seule peut-être convenable dans cette circonstance critique; nous
vouions dire une visite faite par les magistrats du peuple dans
les principaux magasins et dépôts, pour se procurer sur les lieux
des renseignemens matériels touchant le prix des denrées , telles
que le savon , la chandelle , le sucre ; les livres de commerce et
les factures eussent été confrontés avec la vente en détail de ces
différens objets; une taxe, justifiée assez par l'urgence du mo-
ment, eût satisfait 'e peuple, et mis les gros marchands et les
détailleurs, malheureusement enveloppés dans la même pro-
scription , à l'abri du ressenti ::ent de la multitude égarée par des
meneurs de tout genre. Une proclamation, et surtout une baisse
FÉVRIER ( 1793). 335
subite clans le prix des dearées les plus indispensables nous
eussent sauvé la journée du 25.
» La fausse disette du pain des jours précédens fut le prélude
de cette journée: dès six heures du matin , il y avait des groupes
de femmes à la porte de tous !es boulangers, où des commissai-
res de section présidaient à la distribution , qui se fit assez paisi-
blement. A huit heures on se porta chez les/îpiciers et les chan-
deliers. La rue des Cinq-Diamans et celle dés Lombards furent
assiégées les premières, et avant neuf heures le droit d'asile était
déjà violé dans plusieurs endroits à la fois. Des hommes allaient
en avant , et disaient aux épiciers : Avez-vous du sucre , du café,
du savon , etc. ? Nous vous prévenons de débiter toutes ces mar-
chandises au prix qu'on vous dira , si vous voulez que nous res-
pections vos propriétés.
» Il y avait peu d'hommes, du n.oins à l'extérieur , parmi les
femmes qui voulaient entrer en foule.et toutes à !a fois dans cha-
que boutique et dans les magasins. On visita ceux-ci les pre-
miers; plusieurs femmes avaient des pistolets à la ceinture, et
na s'en cachaient pas. Parmi ces femmes-îà , on a vu beaucoup
d'hommes déguisés qui n'avaient pas même pris la précaution de
se faire la barbe. On se fit délivrer le sucre à 20 et 2o sous la
livre, la cassonnade à 8 et 10 sous, le savon et la chandelle à
12 sous. Ce n'est pas à dire qu'on paya toujours la taxe qu'on
avait arbitrairement imposée; beaucoup de marchandises furent
enlevées sans bourse délier ; quelques-uns de ces acheteurs don-
nèrent ce qu'ils avaient sur eux; plusieurs avaient les poches
très-bien garnies. Un épicier de la rue Haint-Jacques, seul pour
le moment (la!>s son comptoir, b'arma d'un couteau pour défen-
dre sa propriété; il f^n eût été mauvais marchand, si sa femme,
f( nant ses deux enfans par la main , ne fût accourue à ce moment.
Ce spectacle désarma les assisîans. Un autre , île Saint-Louis ,
distribua sa marchandise sans vouloir être payé, à la condition
de n'en délivrer qu'une livre à chaque personne. Croi-a-l-on
qu'il fut accusé de ne pas donner le poids?
» On remarqua que plusieurs femmes fort bien ajustées, en
336 CONVENTION NATroNALE.
chapeau et en rubans , se mêlèrent à des groupes et profitèrent
(le la bagare pour faire leurs provisions. Ce qu'il y a de plus
inouï, c'est que la plus petite boutique de détailleur fut traitée
comme le plus gros magasin. On ne fit grâce à personne, ou à
presque personne (quelques épiciers jacobins furent respectés).
Dans plusieurs endroits , on fit main-basse jusque sur les denrées
dont l'usage est peu connu du peuple ; on acheta 30 sous la livre
de cannelle et de vanille , qui vaut 120 livres ; — 20 sous le bleu-
indigo, qui vaut 30 livres; — 20 aussi la livre de gérofle, de thé ;
le moka fut à 10 sous tant qu'on en trouva ; on pilla l'eau-de-vie,
l'esprit de vin et autres liquides, dont plusieurs des acheteurs se
souviendront, car ils voulurent goûter de tout ce qu'ils se fai-
saient vendre. Dans un temps qui n'est pas celui de l'abondance,
la plupart des marchandises, telles que le beurre et le miel, etc.
furent gaspillées , foulées aux pieds ; personne r/'en profita.
i II faut rendre justice à beaucoup de manouvriers, à beaucoup
d'ouvrières; les uns répugnèrent à ne pas payer , comme ils le
voyaient faire, la taxe convenue ; les autres, plus délicats encore,
s'en tenaient au rô'e de simples spectateurs : nous entendions
des maris dire à leurs femmes , des mères répéter à leurs enfans :
t Je te casserais un bras si tu étais capable de te mêler ù tout
j ce monde. Nous ne mangeons pas de ce pain-là. II vaut encore
» mieux se passer de sucre que de s'on procurer de cette façon.
» D'iionnétes blanchisseuses nous dirent qu'elles aimeraient
» mieux demander l'aumône que de blanchir leur linge avec du
» savon vo!é. »
> jN'oublions pas de rappeler, à la décharge du peuple, qu'il
était mélangé, comute il l'est toujours iors des plus pelhs mouve-
mons,mais cette fois-ci plus qu'à l'ordinaiie, de quantité d'émis-
saires gagés par les listes civiles de presque toute l'Europe; on
reconnut et on arrêta plusieurs valets de prêtres et de ci-devant,
plusieurs co! respondans d'émigrés, quelques émigrés mêuie ,
et autres gens de même trempe, toujours là pour conmiander ou
encourager le désordre.
» Pendant ce temps-là que faisaient les clubs civils et militai-
FÉVRIER (1793). 537
res du peuple ? La Convention vers les trois heures s'en occupa
comme d'un événement qui se serait passé à cent lieues d'elle.
Le conseil-général de la Commune parut n'avoir connaissance
qu'à onze heures d'une anarchie commencée à huit. Le maire
et le procureur de la Commune, croyant que ce n'était qu'une af-
faire d'un moment, se présentèrent à quelques groupes, et en
furent mal reçus. Comme son prédécesseur, la multitude con-
signa Pache pour être le témoin de ce qu'il n'avait pas su em-
pêcher. Le conseil-général recevait à toute minute des nouvelles
plus affligeantes l'une que l'autre. Grand brouhaha , beaucoup
de mots, et on leva la séance... Les magistrats du peuple vont
dîner tandis que toute la ville est au pillage. On pillait même sous
leurs yeux dans un magasin qui lait face à i'Hôtel-de-Ville. »
{Révolutions de Paris, n. CXG. )
Nous suspendons ici la narration de Prudhomme , parce que
ce qui reste est l'analyse de !a séance du conseil municipal , dont
nous transcrirons le texte.
Dès le 24, le conseil avait été averti par Santerre que, la
veille, le nommé Etienne, dit Languedoc, dont il a été si sou-
vent question dans notre histoire lors des attaques de Marat
contre les libellistes et les mouchards de La Fayette, avait été
arrêté rue du Jour , dans l'hùlel où demeurait Paris , l'assassin
de Lepellotier. u Cet homme, disait Santerre, ci-devant abbé ,
a eu pour récompense de ses libelles fayétisles une sous-lieute-
nance accordée par Lajard, puis il s'est fait patriote; il a été
nommé à l'armée major-général à Bruxelles , et chargé des pla-
ces , en sorte que les Autrichiens avaient là un homme qui les
servait. » Santerre ajoute que Lareguit, « aussi abbé et écrivain
pour La Fayette , ayant volé les vases sacrés de la Bastille , puis
fait chevalier de Saint-Louis, puis gouverneur du Louvre par la
reine , puis déposant dans l'aflaire du 2;) juin , puis fait capitaine
par Lajard , est aussi à Paris , et un nombre d'autres sembla-
bles. »
T. xxrv. 22
538 CONVENTION NATIONALE.
CONSEIL- GÉNÉRAL DE LA COMMUNE. — SÉANCE DU 2u FÉVRIER.
« Les troubles qui s'étaient manifestés le matin dans Paris
ont provoqué la convocation du conseil-général de la Commune.
11 s'est réuni vers deux heures après midi.
» Le commandant de garde à la maison commune vient an-
noncer que l'on se porte aux magasins des épiciers , et invite le
conseil à prendre des mesures pour le maintien des propriétés.
Le conseil fait sur-le-champ passer au commandant-général
l'ordre de faire marcher à l'instant la force armée vers les ras-
semblemtenvS , pour les disperser et rappeler aux bons citoyens
le serment qu'ils ont fait de protéger les personnes et les pro-
priétés.
t Le maire se rend au conseil , et lui rend compte de la con-
duite qu'il a tenue pendant la journée. Les mouvemens qui se
sont manifestés, a-t-il dit, étaient évidemment dirigés par les in-
stigations contre-révolutionnaires.
B II donne lecture du décret par lequel la Convention nationale
autorise la municipaliié à prendre toutes les mesures nécessaires
pour rétablir l'ordre , même à faire battre la générale. Le com-
mandant annonce que le rappel qui se bat depuis quelque temps
fait beaucoup d'effet ; en conséquence l'on surseoit à l'ordre de
battre la générale.
» Un adjudant de la section des Droits de l'Homme vient dé-
clarer que le rappel a été battu inutilement, et que les citoyens
ne se rendent pas à leur poste. 11 demande de la force pour main-
tenir la sûreté des personnes et des propriétés. Quatre officiers
municipaux parlent à lu tète de deux fortes patrouilles.
» Vingt-quatre commissaires sont nommés pour se rendre
dans les quarante-huit sections, et se concerter avec les assem-
blées générales sur les moyens de ramener l'ordre et la tran-
quillité.
î Les administrateurs au département de police écrivent au
conseil qu'ils ont donné ordre d'éclairer les maisons pendant la
FÉVRIER (1793). 359
nuit, pour que le trouble ne s'accroisse pas à la faveur de l'ol)-
scurite'.
» Le conseil arrête qu'il restera en séance permanente jusqu'à
ce que la tranquillité soit établie. On forme la liste de ceux qui
se sont rendus à leur poste.
» Le citoyen Baffet , graveur, député de la section de Beaure-
paire, dénonce que l'on pille tous les épiciers de la seciion. (Les
iribunes : Tant mieux ! Une femme : A la porte 1 cest un accapa-
reur.)
» Un commissaire de la section du Contrat-Social annonce que
les épiciers de son quartier , d'après leurs factures , sont forcés
de délivrer le sucre à plus de moitié perte. (Les tribunes : Tant
mieux!)
» Le président rappelle les tribunes à l'ordre, et instruit
ces députations des mesures prises par le conseil pour rétablir
l'ordre,
> Un officier de paix annonce que des agitateurs , répandus
dans divers quartiers de Paris, excitent le peuple, et l'engagent
à aller chez les épiciers et les chandeliers. Ils se proposent d'aller
demain chez tous les marchands sans distinction.
» L'on amène plusieurs personnes qui ont été arrêtées. Le
conseil les renvoie au département de police , et arrête que les
commissaires de police enverront à ce déparlement tous ceux qui
seraient arrêtés.
i Garin , administrateur des subsistances , annonce le décret
par lequel la Convention nationale accorde une avance de 7 mil-
lions. Il assure que le pain ne manquera pas ; que c'est la crainte
qui fait la disette; qu'il a vu, en parcourant Paris, plusieurs
femmes qui ne sont ni mariées , ni mères de famille , qui peuvent
à peine consommer deux livres de pain, chargées de six pains de
quatre livres. Il invite les citoyens à l'ordre et à la paix , sans les-
quels il n'y a point d'abondance. Il jure que les subsistances ne
manqueront pas ; que les boulangers ont cuit deux tiers de plus
qu'à l'ordinaire; que celte augmentation ne provient que de la
540 coisvËiNnoN nationale.
crainle de manquer de pain, crainte répandue par les malveillans
pour arrêter les subsistances qui viennent du dehors.
» Cuvillier, l'un des coinmissaires envoyés dans les sections,
rend compte de sa mission, et annonce que dans la section des
Graviiliers il a vu Jacques Roux, prêtre, et membre du con-
seil , occupé à justifier la conduite de ceux qui s'étaient attroupés
pour se faire délivrer des marchandises qu'ils avaient arbitraire-
ment taxées.
» Jacques Roux , qui venait d'arriver au conseil , monte à la
tribune et dit qu'il a toujours professé les vrais principes, et que,
dût-il être appelé le Marat du conseil-général , il n'en départira
jamais.
» Un membre demande que Jacques Roux soit tenu de signer
la déclaration qu'il vient de faire.
> Un autre l'interpelle de déclarer pourquoi il n'était pas à son
poste dans les moniens du danger. (Il s'élève du tumulte.) Les
circonstances ne permettant pas de s'occuper de personnalités ,
le conseil-général a passé à l'ordre du jour sur iout ce qui con-
cernait Jacques Roux.
» La plupart des commissaires envoyés dans les sections, de
retour au conseil, rendent compte de leur mission.
» Partout les résultats sont les mêmes , partout on demande
une loi sévère contre les accapareurs.
< Une députation de la section de Boaconseil communique un
arrêté de l'assemblée de cette section , conçu en ces termes :
« L'assemblée, pénétrée de la plus vive douleur des événemens
> qui ont eu lieu dans la journée, arrête à l'unanimité que des
» membres choisis"[dans son sein se retireront par-devtrs la muni-
> cipalité et le comm.andant-général , pour les informer de l'in-
» dignation de l'assemblée générale de leur négligence et de leur
» apathie dans des circonstances qu'ils auraient dû prévoir et
» prévenir ; que les mômes membres se retireront par-devers la
» Convention nationale, pour l'informer de la douleur qu'ont
» ressemie tous les citoyens de la section de Bonconseil, des
K milheureux événemens de ce jour; l'inviter à prendre les me-
FÉVRIER ( 17i^5 ;. 541
» sures les plus rigoureuses pour punir ceux dcni la négligence a
» compromis l'honneur des citoyens de Paris , tandis qu'ils au-
ï raient dû employer toute leur auioriléà faire respecter iesper-
V sonnes et les propriétés. »
» Des députés de la section des Piques se sont présentés au
conseil pour demander compte de la négligence qu'il a apportée
au maintien de l'ordre public, en n'envoyant un ordre qu'à sept
•ieures du soir, tandis que tous les habitans de Paris savaient, dès
hier soir, que les malveillans devaient ce malin troubler la tran-
quillité et violer les propriétés.
> Le conseil-général a donné aux députes de ces sections com-
munication des arrêtés qu'il a pris pour rétablir le caime , et les
invite à ne pas douter de sa sollicitude pour le rétablissement de
la tranquillité publique.
» Sur la proposition du maire, le conseil a adjoint quatre de
ses membres au comité de police.
» La section des Droits de l Honime témoigne , par l'organe de
ses commissaires, la douleur qu'éprouvent tous les bons citoyens
des événemens de cette journée, et demande que le conseil nomme
une députation pour se rendre demain à la Conventio:^ naiionale
pour lui demander la diminution des denrées de première néces-
sité, et le soulagement de la classe indigente, vérit ible au;ie de
la liberté et de l'égalité.
» Le conseil répond qu'il s'empressera de se réunir aux sec-
tions ausîitôt que le vœu de la majorité lui sera connu.
» Le conseil-général a arrêté la proclamation suivante :
« Citoyens, votre calme a déjoué tous les projets des malveil-
» lans ; votre conduite précédente a confondu toutes les calomnies
» que les agitateurs ont répandues dans les départemens. Par
» quelle fatalité cédez-vous maintenant à des instigations per-
» fides ? Ne croyez-vous pas que les royalistes, désespérés de la
» fîère attitude que vous gardiez , ont eu assez d'adresse pour
» vous la faire perdre? N'en doutez pas, citoyens, ce sont vos
î plus mortels ennemis qui vous égarent aujourd'hui ; ils vous
» alarment sur vos subsistunces, quand vous avez la certitude de
34!â CONVENTION NATIONALE.
» n'en point manquer. Pour faire cesser la cherté des objets de
* votre consommation , ils vous conseillent des actes arbitraires ;
» ils savent, les perfides , que le plus sûr moyen d'amener la di-
» sette est d'empêcher la liberté du commerce et la libre circu-
» lation des denrées. Se peut-il , citoyens , que vous soyez tom-
> bés dans un piège aussi grossier? Réfléchissez aux circon-
» stances où nous sommes ; c'est à l'approche d'une campagne ,
» lorsque toutes les frontières de îa République sont menacées
ï d'une nouvelle invasion, lorsque tous les amis de la liberté ne
» devraient avoir qu'une seule détermination , celle de voler à
> l'ennemi ; c'est lorsqu'il s'agit du salut de la République , que
i» vous oubliez vos intérêts les plus chers pour violer les lois que
» vous avez juré de défendre !
» Citoyens , revenez de votre erreur funeste ; ralliez-vous pour
» protéger les personnes et les propriétés ; songez aux dangers
» qui menacent la patrie ; ne les augmentez pas par des démarches
» inconsidérées, qui vous feraient perdre le fruit d'une révolution
ï qui vous a coûté tant de sacrifices , et qui fera votre bonheur si
» vous ne détruisez pas vous-mêmes votre ouvrage. »
» A minuit , le comité de la section de Beaurepaire informe le
conseil qu'un rassemblement considérable menace la boutique
d'un épicier, rue Saint-Jacques ; il demande de la force armée.
Renvoyé au commandant-général.
» Une demi-heure après, Santerre, de retour depuis huit heu-
res du soir de Versailles, où il était allé pour organiser un escadron
de cavalerie , fait annoncer que cet attroupement est dissipé.
» Sur la section de Marseille on a saisi plusieurs particuliers
sans carte, un entre autres chargé de deux pains de sucre, et qui
n'avait que 20 sous dans sa poche.
> Environ quarante personnes ont été arrêtées, parmi les-
quelles se trouvent, dit-on, des hommes ci-devant titrés, des
abbés , des domestiques d'aristocrates , une jadis comtesse dé-
guisée, qui distribuait des assignats, etc.
» Le calme élant rétabli , le conseil suspend la séance à deux
heures. »
FÉVRIER ( 1793 ). 543
CLUB DES JACOBINS. — SÉAJSCE DU 25 FÉVRIER.
Présidence de Dillaud-Farennes.
Marat. « Citoyens , les mouvemens qui viennent d'éclater ont
une cause fort naturelle ; c'est le prix excessif des denrées de
première nécessité ; ces mouvemens ont été préparés dans les
sections abandonnées depuis quelque temps à une foule d'in-
irigans qui y font les motions les plus incendiaires. Ces mou-
vemens sont l'ouvrage des contre-révolutionnaires , dont leprqjet
est de reporter Roland» leur dieu, au ministère de l'intérieur; et
pour y déterminer le peuple, ils crient dans les carrefours: lorsque
vous aviez Roland, vous ne manquiez pas de pain.
» La rareté du pain a encore une autre cause: il existe une
coalition entre les boulangers qui veulent avoir l'approvision-
nemeut des subsistances. Certes, si tous les boulangers étaient
d'excellens patriotes, on pourrait leur confier le soin de l'appro-
visionnement de Paris , sous la condition toutefois qu'ils ne dé-
pendraient pas seulement du comité des subsistances, car la sur-
veillance d'une autorité qu'il est si facile d'influencer ne suffirait
pas pour garantir de la famine. Les fonds que la municipalité a
demandés sont moins pour subvenir aux besoins actuels que
pour couvrir les malversations du comité des subsistances, qui
n'a pas encore rendu compte de son administration. » (Applaudi.)
N.... « Je me suis transporté rue Saint-Honoré près de la rue
des Poulies , et j'ai remarqué dans les mouvemens actuels les
mêmes manœuvres que celles pratiquées autrefois par La Fayette.
On force les citoyens à entrer dans les boutiques , et alors une
patrouille les enveloppe et les maltraite. Une femme a reçu un
coup de sabre sur le sein. (Cri d'indignation.) On se plaint que les
accapareurs ne marchent pas à l'armée: effectivement on ne
prend que des sans-culottes; les riches auraient-ils un privilège
d'exemption? je n'ai pufaire entendre ma voix. On criait: A bas
les baïonneltes ! »
Anthoinc. c Le hasard a voulu que je passasse dans la rue Jean-
544 CONVKiNTlOK NATIONALE.
de l'Epine ; j'ai vu des citoyens à la porte d'un magasin d'épi-
ceries ; ils atipndaient leur tour avec la plus grande tranquillité,
ei enîportaieni du sucre à vinjjt-cinq sous. J'ai remarqué que le
peuple ne s'y portnit que pour profiter de l'occasion , et parce
qu'il avait besoin de celte denrée pour sa consommation. — Dans
un iiiagaiiin ruedelaBjurdonnaie , il ne s'observait aucun ordre,
<'i plusieurs personnes sortaient avec des pains de six àhuit livres
qu'elles n'avaient pas payés et qu'elles revendaient. >
Un militaire. « J'ai entendu battre le rappel , je me suis rendu
rue des Poulies , j'y ai trouvé beaucoup de monde ; un citoyen
récalcitrant a colleté un homme armé, une boutique a été pillée;
on a dit qu'il n'y avait dans la force armée que des fayélistes.
C'est une calomnie, puisque j'y étais, et certes je ne suis pas
layétiste. *
iY.... t II va des opinans qui veulent nous faire croire que le
peuple est criminel ; je soutiens qu'il n'est pas criminel, et (jùc la
(action brissoline est seule coupable. » (App'audi.)
N... t J'ai observé en plusieurs endroits des hommes déguisés;
il.^ étaient poudrés et mal vêtus ; ils disaient aux femmes : Il faut
prendre la marchandise sans la payer , et trancher la tête des
épiciers. >
Plusieurs citoyens des tribunes ont crié : Cela n'est pas vrai.
L'orateur a ajouté que plusieurs femmes emportaient !e sucre
s.:ns le payer. Il a reçu un second démenti qui lui a fait aban-
donner la tribune. (Grand tumulte.)
Diibois-Crancé. « Je rappelle l'assemblée à sa dignité , et je
lappello le peuple français à son caractère : c'est lui qui a fait la
révolution , c'est lui qui doit la soutenir et la consolider. Que
veut-on dans ce moment? Ou veut plonger la nation française
duus l'anarchie, parce qu'on sait bien que si nous sommes réunis
il n'est aucune puissance qui puisse nous asservir. L'Europe en-
tière, ne se croyant pas assez forte pour attaquer la France, en-
tretient au milieu de nous une fouîe de factieux pour y entre-
tenir des troubles et des désordres.
* Les besoins ne sont pas réels; les émigrés sont cachés parmi
FÉVKIJtK ( 175JÔ }. 543
VOUS, déo;uisés en saus-culoltes et prêchant la liberté. Ce sont ces
mêmes hommes qui poussent le pstip'e de Paris à des excès, sous
le prétexte de la disetie (lt;s sabsistances. Allez à ia Halle , elle
rejjorye de farine. Les anarchisies ont senti qu'il suffirait de
foire prendre à nue moitié de Paris une double provision pour
faire manquer de pain l'autre luoilié. Quoi ! ce peuple, qui s'est
disputé en 1700 pendant six mois le puin nécessaire à son exis-
tence , se livrerait au désespoir pour quelques momens d'en-
gouement? Ces événemens sont ioin de nous , ils ne peuvent se
reproduire. 11 est constant que rn;)provisionnerflent de Paris est
assuré jusqu'à la récolte. Grâces au décret qui a ordonné le ver-
sement de sept millions payables par les riches seulement , la
Convention a senti qu'il était temps de faire vivre les pauvres aux.
dépens du riche. (Applaudi.) Que !e peuple cesse donc d'avoir
des inquiétudes , et l'abondance renaîtra ; les subsistances ne
manquent pas à Paris. Le mouvement avait été préparé. Il y a
(juinze jours que je sais que le peuple devait être en a;jitation , et
je l'ai appris par les papiers publics ; lurd Grenville hii-même l'a
annoncé au parlement ti'Augieterre.
» S'il est vrai que le peuple a fait la révolution, s'il a vaincu tous
les obstacles, il doit sentir que c'est par sa persévérance , par
son courage , qu'il peut assurer son bonheur. 11 ne s'agit plus
d'un effort; le peuple de Paris voudrait tout perdre au moment
de tout jjagner. » (Applaudi.)
Dujournij. « On ne manquera pas de calonmier les jacobins.
On leur attribuera les troubles qui ont lieu aujourd'hui. Je de-
mande qu'on fasse la j en)a!que dans le procès-verbal que nos
frères ei nos sœurs des tribunes sont à leur poste. >
C « Ce n'est point le peuple qui s'agite de son propre
mouvement , c'est un ministre qui avec l'argent qu'il a volé à la
nation fomente tous ces troubles. Il a imaginé de mettre Paris en
combustion pour faire dire par ses alfidés: Voyez-vous? depuis
que Pache, que les jacobins ont choisi, est maire de Paris , la po-
lice ne s'observe plus. Je demande qu'on fuisse une adresse pour
éclairer les citoyens sur la vraie cause de ces troubles. »
546 CONVENTION NATIONALE.
Robespierre. « Comme j'ai toujours aime l'humanité et que je
n'ai jamais cherché à flatter personne, je vais dire la vérité. Ceci
est une trame ourdie contre les patriotes eux-mêmes. Ce sont les
intrigans qui veulent perdre les patriotes; il y a dans le cœur du
peuple un sentiment juste d'indignation. J'ai soutenu au milieu
des persécutions et sans appui que le peuple n'a jamais tort ; j'ai
osé proclamer cette vérité dans un temps où elle n'était pas en-
core reconnue, le cours de la Révolution l'a développée.
j Le peuple a entendu tant de fois invoquer la loi par ceux qui
voulaient le mettre sous le joug , qu'il se méfie de ce langage.
» Le peuple souffre ; il n'a pas encore recueilli le fruit de ses
travaux; il est encore persécuté par les riches , et les riches sont
encore ce qu'ils furent toujours, c'est-à-dire durs et impitoyables.
( Applaudi. ) Le peuple voit l'insolence de ceux qui l'ont trahi ; il
voit la fortune accumulée dans leurs mains ; il sent sa misère ; il
ne sent pas la nécessité de prendre les moyens d'arriver au but ,
et lorsqu'on lui parle le langage de la raison, il n'écoute que son
indignation contre les riches , et il se laisse entraîner dans de
fausses mesures- par ceux qui s'emparent de sa confiance pour
le perdre.
î II y a deux causes: la première, une disposition naturelle dans
le peuph à chercher les moyens de souiagcr i:.a misère , dispo-
sition naturelle et légitime en elle-même ; le peuple croit qu'au
défaut de lois prolectrices, il a le droit de veiller lui-même à ses
propres besoins.
> Il y a une autre cause. Cette cause, ce sont les desseins per-
fides des ennemis de la liberté, des ennemis du peuple, qui sont
bien convaincus que le seul moyen de nous livrer aux puissances
étrangères est d'alarmer le peuple sur ses subsistances, et de le
rendre victime des excès qui en résultent. J'ai été témoin moi-
même des mouvemens. A côté des citoyens honnêtes nous avons
vu des étrangers et des hommes opulens revêtus de l'habit res-
pectable de sans-culottes. Nous en avons entendu dire: On nous
promettait l'abondance après la mort du roi , et nous sommes
plus malheureux depuis que ce pauvre roi n'existe plus. Nous en
FÉVKiER (1795). 547
avons entendu déclamer, non pas contre la portion intrigante et
contre-révolutionnaire delaConvention, qui siège où siéjjeaientles
aristocrates de l'assemblée constituante, mais contre la montagne,
mais contre la députation de Paris et contre les jacobins , qu'ils
représentaient comme accapareurs.
» Je ne vous dis pas que le peuple soit coupable , je ne vous dis
pas que ses mouvemens soient un attentat ; mais quand le peuple
se lève , ne doit-il pas avoir un but digne de lui? mais de cîiétives
marchandises doivent-elles l'occuper? Il n'en a pas profité , car
les pains de sucre ont été recueillis par les mains des valets de
l'aristocratie; et en supposant qu'il en ait profité, en échange de
ce modique avantage, quels sont les inconvéniens qui peuvent en
résulter? Nos adversaires veulent effrayer tout ce qui a quelque
propriété; ils veulent persuader que notre système de liberté et
d'égalité est subversif de tout ordre, de toute sûreté.
» Le peuple doit se lever , non pour recueillir du sucre , mais
pour terrasser les brigands. (Applaudi.) Faut-il vous retracer
vos dangers passés? Vous avez pensé être la proie des Prussiens
et des Autrichiens; il y avait une transaction, et ceux qui avaient
alors trafiqué de votre liberté sont ceux qui ont excité les trou-
bles aciueis. J'articule à la face des amis de la liberté et de l'éga-
lité, à la face de la nation , qu'au mois de septembre, après l'af-
faire du 10 août, il était décidé à Paris que les Prussiens arri-
veraient sans obstacles à Paris, j
Colîot-d'Herbois , qui a succédé à Robespierre, a professé les
mêmes principes, et a attribué tous les troubles prétextés par les
subsistances à sa wojc-sfé Roland, qui veut anéantir Paclie, et qui
serait très-petite, a-t-il dit, si elle était mise à côté dece vertueux
maire de Paris. 11 a ajouté: « Roland est tellement coupable qu'il
ne peut disputer avec personne de scélératesse. Je me suis pro-
curé la preuve qu'il a placé 12 millions en Angleterr e. Continuons
de démasquer les brissotins, et allons droit à Roland. Je déclare
que dimanche prochain je demanderai l'acte d'accusation contre
cet ex-ministre, et je m'appuie sur dix chefs dont un seul suffit
pour qu'il porte sa tèlc sur l'échafaud. »
548 co-NVhMioA inauokale.
^K
CONVENTION NATlONALt;. — SEANCE DU "J-O FEVRIER.
Le comsiiencemeni de la séance fut consacré à !a leclure d'un
rapport par ïullien sur les ëvéncmens de Lyon. iSous analyse-
rons ce rapport dans notre histoire des dëpartemens. — Saladin
rendit compte ensuite qu'un préîre arréîé coinme il disait la
messe, et qui convenait qu'il avait émigré, avait été rendu à la
liberté par te tribunal du district d'AmieriS. li demanda (|ue la
Convention cassât leju{}emenl du tribunal du district d'Amiens,
et ordonnai, que les ju^es seraient mandés à la baire. On dis-
cuta d'abord sur cette proposition, puis Bazire vint dire quel-
ques mots sur les mouvemens de Paris.
[/. F. Goii])Uleau. Ce n'est pas seulement dans le département
de la Somme que les prêtres déportés semblent sortir de dessous
terre pour souiller de nouveau le sol de la ilépublique. Je suis
d'un département mariiioie où les amis de ces conspirateurs les
aident à rentrer avec dos t liaioupes. Le déparienitnt a aussi or-
donné des visites domiciliaires qui ont produit la d-icouverle de
50,000 livres en numéraire caché dans une cavt-. Je demande
que tous les corps administratifs soient auloristis à i'aïva des visi-
tes dans tous 'es lieux suspectés de receler des prêtres ou des
émigrés.
Buzot. La question présentée par Saladin est très-délicate.
Elle demande l'examen d'un comité. Quant à celle de Goupil-
leau , elle est déjà renvoyée à celui de législation. Je demande
que ce comité vous présente un rapport sur ces deux questioa;».
(On murmure.)
Robespierre. Nous ne faisons pas assez d'allention , ce me sem-
ble, aux circonstances graves dont nous somnîes environnés,
puisque dans cet instant nous ne considérons qu'un fait isolé, et
que nous balançons à prendre une mesure même insuffisante.
Remarquez que c'est au moment où nous avons à nous défendre
contre tous les tyrans, coalisés contre nous, que les contre-ré-
volutionnaires cherchent à les seconder à l'intérieur. C'est à ce
système de conspiration que tiennent les troubles déjà excités ,
ff.vkm:k (1795 }. 549
et ceux qu'on veut occasionner sur ies subsistances ; c'est à ce
même système qu'est liée la rentrée des ennemis que nous avons
chassés de notre sein , et qui , sous l'é^jide des corps constitués,
rentrent pour le déchirer. D'après cela, je demande si vous pou-
vez balancer à punir une contravention formelle à une loi qui
défend aux ennemischasséspar la patrie de rentrersur son terri-
toire. Vous ne pouvez hésiter à réprimer cet attentat sans accor-
der un privilège d'impunité à tous les conspirateurs qui vien-
draient encore nous trahir. La circonstance actuelle vous impose
évidemment des mesures plus grandes, plus rigoureuses contre
les émigrés. Toutes celles que vous avez prises sont illusoires;
j'en atteste la facilité avec laquelle les émigrés rentrent tous les
jours dans le sein de la pairie. Les exceptions tuent continuelle-
ment le principe. La source du mal est dans cette loi sur les émi-
grés , loi incohérente, dont les dernières dispositions ont anéanti
les premières que votre sagesse avait adoptées. Vous n'avez pris
aucunes mesures contre les directoires qui connivéraient avec les
émigrés, avec les prêtres. Déjà plusieurs de ces ennemis, sous
l'égide de quelques administrateurs, ont osé se remettre en pos-
session des biens qui appartiennent à la nation et aux braves dé-
fenseurs de la patrie qui vont pour elle prodiguer leur sang aux
frontières. Il est donc nécessaire de i evoir celte loi , d'en retran-
cher toutes les exceptions ; il faut des mesures pénales contre les '■
directoires en connivence avec les émigrés. Je demandr^ que vous '
adoptiez le projet de Saladin, et <{u'nll;mî ensuite à la source du
mal, vous revoyiez cette i':i, qui ne peut pm-aîie suffisante qu'à
ceux qui professent un.- indulgence coupable pour les conspira-
teurs, indulgence funeste au peuple, qui doit avoir , en revenant
de défendre la patrie , l'espoir d'être dédommagé de ses fatigues
et de ses blessures.
Lanjuinais. La loi supplémentaire à celle des émigrés est pré-
parée ; on vous la présentera ntiand vous !e voudrez ; mais à l'é-
gard de la proposition de Saladin , il n'est pas douteux que le re-
mède doit se trouver dans la ligne judiciaire , et non dans la ligne
administrative. On prétond que la loi a été violée : je le crois aussi ;
5S0 CONVENTION NATIONALE.
mais je m'oppose à ce que la Convenlion casse ainsi le jugement ,
car ce serait aussi une contravention à la loi. Je demande le ren-
voi de la dénonciation et des pièces au ministre de la justice , avec
injonction d'en rendre compte sous dix jours. { On murmure. )
Et quant au mandat contre les juges , si vous croyez qu'ils aient
prévariqué , je l'appuie ; mais si vous voulez une loi , décrétez le
renvoi au comité de législation.
Pétion. On vient de vous donner lecture d'un arrêté...
Plusieurs voix de l'extrémité gauclie. Fermez la discussion.
Pétion. La discussion ne peut pas être fermée ; la question n'est
pas posée. On a mêlé des idées générales à un fait particulier
qui vous a été dénoncé.
De violens murmures couvrent la voix de l'orateur. Tous les
membres de l'extrémité gauche se lèvent à la fois, et demandent
avec chaleur que la discussion soit fermée. — L'assemblée dé-
cide qu'elle sera continuée.
Pétion. On a saisi cette occasion pour demander que des visites
domiciliaires fussent failes chez tous les citoyens. (Des murmu-
res se font entendre dans l'extrémité gauche.)
Citoyens, sans avoir recours à cette mesure, il existe une loi
qui permet aux officiers miuîicipaux de faire des recensemens ,
et c'est alors qu'ils peuvent éclairer leurs doutes et découvrir les
coupables. J'entends sans cesse parler des hommes qui ne con-
naissent pas la loi. Citoyens, le patriotisme ne suffit pas toujours ,
il faut encore arriver au but, la loi à la main; car si les législa-
teurs méconnaissent les premiers les lois, comment voulez-vous
qu'elles soient respectées par les autres citoyens?
J'entends dire que nous somities un corps révolutionnaire:
avec ces mois , on peut devenir un corps despotique , un corps
arbitraire ; avec ces mots , on peut opprimer le peuple , on peut
tuer la liberté. (Mêmes murmures de l'extrémité gauche.) Quand
on vient à cette tribune parler principes, en échange on reçoit
ou des déclamations, ou des injures. (Les murmures conti-
nuent. )
Il n'est personne ici qui entende favoriser les émigrés ; il n'est
FÉVRIER (1793). 351
personne ici qui ne désire une bonne loi sur les émigrés ; mais
une bonne loi sur cet objet est une chose si difficile à l'aire. ( Une
cinquantaine de membres, par une exclamation simultanée : Ah,
ah , ah ! — Une voix : Oui , quand on a une indulgence coupable
pour les contre-révolutionnaires. ) Il me .semble que celte vérité
est démontrée par tous les efibrts que l'assemblée n'a cessé de
faire pour rendre exécutable sa loi.
Ici, la seule question est de savoir si vous manderez les juges
de ce tribunal à votre barre : s'il s'agit du jugement qu'ils ont
rendu, vous ne pouvez pas en connaître, vous ne pouvez que le
dénoncer au pouvoir exécutif. Si vous ne voulez pas suivre celle
marche, il en est une autre : c'est de mander ces juges à votre
barre , et après les avoir entendus , vous prononcerez s'il y a lieu
ou non à les décréter d'accusation ; mais s'il s'agit de casser leur
jugement, je demande le renvoi au pouvoir exéculif.
Barrère, Je pense au contraire que ia mesure proposée par
Saladin est celle que vous devez adopter. S'il ne s'agissait ici que
d'une violation de kî loi , j'appuierais la pi'oposition de Pelion;
mais ici il y a violation des fonctions législatives. El rcînanjuez ,
citoyens, que dans un moment où vous avez confié aux adminis-
trations une partie de la fortune publique, vous devez stricte-
ment maintenir la démarcation des pouvoirs.
Je denjande que la proposition de Saladin soit adoptée , car si
ers juges restaient impunis , votre territoire seiait bientôt in-
feclé d'une foule d'ennemis delà patrie.
Un grand nombre démembres : Aux voix ! . . . que la discussion
soit fermée!. . .
L'assemblée ferme la discussion.
La proposition de Saladin est décrétée en ces tennes :
a La Convention nationale déclare nuls et comme non avenus
tous lesji:gemens qui auraient été ou seraient rendus par les tri-
bunaux de district sur les faits d'émigration ; leur fjii défense
de connaître desdits faits ; mande à sa barre les juges du tribunal
du district d'Amiens , qui ont concouru au jugement du 120 fé-
vrier, et les directeurs du jury. »
ô)2 COfSVENTION NATiÔNALB.
Le président rappelle la proposition de Goupiileai!.
Lanjuinais. Je demande i'ordre du jour, motivé sur l'existence
de la loi.
GoupUleaii. La loi dont veut parler Lanjuinais ne regarde que
les municipalités : celle que je propose est pour les corps admi-
nistratifs.
La proposition de Goupilleau, amendée par Chambon, est
adoptée , et le décret rédigé en ces termes :
î La Conv uion nationale décrète que les directoires de dé-
partement , de district, et les corps municipaux sont autorisés à
nommer des commissaires pris, soit dans leur sein, soit dans les
conseils-généraux de leur administration , lesquels commissaires
se feront accompagner de la force publique pour se transporter
dans toutes les maisons suspectées de receler des individus mis
par lu loi dans la classe des émigrés , ou des prêtres déportés. »
Bnzire. Citoyens , le comité de sûreté générale m'a chargé de
vous prévenir qu'il existait à Paris quelque fermentation ; mais
cette fermentation , quand on l'examine de sang-froid , n'est pas
bien importante ; il est aisé de voir que c'est un dernier effort de
l'aristocratie, qui a saisi le moment où quelques craintes se sont
manifestées sur les subsistances pour exciter du trouble à Paris.
Le comité, après avoir entendu le maire, le procureur-général-
syndic du département et le ministre de l'intérieur, use char{;i;
de vous présenter le projet de décret suivant :
t La municipalité est autorisée à prendre toutes !os mesures
nécessaires pour rétablir l'ordre dans Paris, même de faire bat-
tre la générale, si les circonstances l'exigent. »
Je vous obsc rve que, sans un décret de l'assemblée, la munici-
palité n'a pas ie droit de faire battre la générale à Paris.
Le décret proposé par Bazire est mis aux voix et porté à l'una-
nimité. En autorisant !a mmicipaliié à prendre toutes les mesures
nécessaires pour coriif^nir les maiveillans , la Convention la charge
de lui rendre compte chaque jour de l'état de cette ville , jusqu'à
ce qu'il en soit autrement ordonné.
Fabre (de riJérrivli. ) Tb'e" . vos comités ont délibéré à Tunani-
févr:er (1793). 555
mité de vous proposer de faire une avance à la Commune de
Paris; ils ne vous la proposèrent pas hier, afin d'avoir le temps
de conférer avec le maire de Paris pour en déterminer la quo-
tité. Il résulte des renseignemens que nous a donnés le maire
que vous avez fait à la Commune une avance d'un million sur
les sous additionnels que vous lui avez permis d'ajouter à sa con-
tribution. Il s'agit aujourd'hui d'ajouter aux trois millions restans
sur les sous additionnels de 1792 quatre nouveaux millions à
prendre sur ceux de 1795. Votre comité vous propose de faire
cette avance à la Commune.
Fabrelit un projet de décret qui est adopté en ces termes :
Art. 1. La trésorerie nationale versera, à titre d'avance, à la
caisse de la municipalité de Paris , les trois millions restant des
quatre millions accordés par le décret du 7 février, préàenl mois,
pour les subsistances.
2. La contribution additionnelle relative aux subsistances , dé-
crétée pour 1792, aura pareillement lieu pour l'année 1793, et
dans la forme prescrite par le décret du 7 février.
3. Les quatre millions à quoi est fixée cette contribution seront
versés , dès à présent , à titre d'avance, par le trésor pubhc, à la
caisse de la municipalité.
Déperet. C'est ainsi qu'on dilapide les finances de l'état.
Chambon. Je demande le rapport du décret.
Plusieurs autres membres dans la partie droite. Oui, le rap-
port! . . . C'est infâme! . . . C'est une faveur marquée pour une
seule ville.
L'assemblée décide de passer à l'ordre du jour.
Déperet. Eh bien , je demande l'envoi du décret aux quatre-
vingt-cinq départemens.
Plusieurs voix : Appuyé... Aux voix la proposition !
Salles. Je l'appuie , et je la motive. Tous les citoyens ont le
droit de connaître l'emploi que nous faisons des contributions
publiques.
Chazal. Si nous voulons jeter une pomme de discorde dans la
République , j'appuie comme Salles la motion He Déperet.
T. xxiv, 23
554 CONVENTION NATIONALE.
Carra. L'ordre du jour sur cette impolitique, incivique, ma-
licieuse et astucieuse motion !
Garrau. L'ordre du jour !... Aux voix l'ordre du jour!... Ce
n'est pas la première fois que Salles fait des motions de ce (»enre
pour propager le désordre et les divisions.
L'assemblée décide de passer à l'ordre du jour. ]
SÉANCE DU 26 FÉVRIER.
Bréard, Thuriot et Cambacérès font décréter que les lois rela-
tives aux passe-ports seront exécutées jusqu'à ce qu'il en ait été
autrement ordonné , et que toutes dispositions contraires à ces
lois demeureront abrogées. — Le commandant général de la
garde nationale de Paris, Santerre, communique les précautions
qu'il a prises pour ramener la tranquillité dans cette ville. La sec-
lion de BoEConseil témoigne son indignation des attentats commis
contre les propriétés. Barrère s'élève avec force contre les au-
teurs du pillage qui a eu lieu chez les marchands. * Tant que je
> serai représentant du peuple , s'écrie l'orateur, je ferai imper-
» turbablement la guerre à ceux qui violent les propriétés , met-
ï tent le pillage et le vol à la place de la morale publique , et'cou-
» vrent ces crimes du masque du patriotisme. » II propose le
décret suivant , qui est adopté.
I La Convention nationale décrète ce qui suit :
« Art. 1. Le comité général lui rendra compte, dans la séance
de demain , de ce qu'il connaît relativement aux troubles arrivés
hier dans Paris , et des mesures employées pour les faire cesser,
et pour découvrir les auteurs et instigateius.
> 2. Le maire et la municipalité de Paris , et le procureur de
la Commune sont mandés à la barre, pour rendre compte, dans
la séance de demain , à midi , des mesures qu'ils ont employées
pour prévenir les troubles et la violation des propriétés commises
hier à Paris, et des moyens pris pour en arrêter les progrès et
en faire saisir les auteurs et instigateurs.
» 3. 11 sera fait incessamment, dans toutes les sections de Paris,
un recensement de toutes les personnes sans état et sans aveu,
en atlendant que l'assemblée prenne h oi sujet les iricsures de sû-
reté générale et les moyens de rendre ces personnes utiles à !a
défense de la République.
» 4. Le comité d'î législation présentera sur-le-champ son pro-
jet de décret sur la peine à infliger aux personnes qui les re-
cèlent.
> 5. Les comités de commerce , d'agriculture et des finances
présenteront, dans trois jours, les mesures les plus propres à
réprimer l'accaparement , l'agiotage , et pour diminuer la masse
des assignats. »
Salles. Je n'ai rien à ajouter aux excellentes raisons que Bar-
rère vient d'énoncer pour prouver qu'il faut que les auteurs et
instigateurs des troubles soient recherchés. Je viens seulement
dénoncer un de ces conseillers , c'est Marat. Voici ce que , dans
son numéro d'hier , Marat écrivait :
I Quand les lâches mandataires du peuple encouragent au
crime par l'impunité, on ne doit pas trouver étrange que le
peuple , poussé au désespoir, se fasse lui-même justice. Laissons
là les mesures répressives des lois : il n'est que trop évident
(ju'elles ont toujours été , et seront toujours sans effet.
» Dans tout pays où les droits du peuple ne sont pas de vains
titres consignés fastueusement dans une simple déclaration , le
pillage de quelques magasins , à la porte desquels on pendrait les
accapareurs, mettrait fin aux malversations. » (L'assemblée pres-
que entière paraît frappée d'indignation. )
Un grand nombre de membres se levant à la fois. Oui , oui, le
décret d'accusation.
Marat s'élance à la tribune. — Quelques spectateurs applau-
dissent.
Le président. Je rappelle les citoyens qui nous écoutent au
respect qu'ils doivent à l'assemblée et à ses lois ; et je déclare
que je ferai sortir des tribunes quiconque donnera des signes
d'approbation ou d'improbalion.
Pénières. Je demande à hre le numéro de 3Iarai.
Marat. Je demande que ce soit un secrétaire qui lise.
3o6 CONVfiNTiON NATIONALE.
Clioudieu. C'est au dénonciateur lui-même à se charger de l'o-
dieux de sa dénonciation ; je déclare que je ne lirai pas.
Quelques voix d'une des extrémités. Que Marat lise lui-même.
(On murmure. )
Pénière fait lecture du numéro entier de Marat (1). ]
Journal de la République française ^ par Marat.
* Il est incontestable que les capitalistes , les agioteurs , les
monopoleurs , les marchands de luxe , les suppôts de la chicane ,
les robins , les ex-nobles , etc. , sont tous , à quelques-uns près,
des suppôts de l'ancien régime , qui regrettent les abus dont ils
profilaient pour s'enrichir des dépouilles publiques. Comment
donc concourraient-ils de bonne foi à l'établissement du règne
de la liberté et de l'égalité ? Dans l'impossibilité de changer leur
cœur, vu la vanité des moyens employés jusqu'à ce jour pour
les rappeler au devoir, et désespérant de voir le législateur pren-
(0 Le Moniteur se contente d'indiquer la lecture du numéro de Marat; le
Républicain français le renferme tout entier. Nous l'insérons aussi, tant à cause
de ia gravité même de l'accusation dont il fut l'objet , que parce qu'il contient une
dénonciation contre Beurnonville , que nous devions reproduire. — La séance
du 21 s'était passée sans que personne eût remarqué la feuille de Marat ni songé
à faire le rapprochement qui sert de teite à la discussion du 26. Ce fut le Patriote
français qui donna l'éveil. Dans son numéro du 26, où se trouve consigné le récit
des évéuemens de la veille , Girey-Dupré cite le passage de Marat qui invitait au
pillage,ttmet ainsi les Girondins, qui ne lisaient guère le Journal de la Républi-
que française , en position de diriger contre le rédacteur l'attaque la plus sérieuse
qu'il eût encore subie.
Marat consacre plusieurs numéros de son journal à récriminer contre ses en-
nemis ; Bancal et Carra sont ceux envers lesquels il montre le plus d'acharne-
ment. iSous transcrivons de soa numéro 136 les argumens par lesquels il a ex-
pliqué le passage incriminé.
e Indignéde voir les ennemis de la chose publique machiner éternellement con-
tre le peuple ; révolté de voir les accapareurs en tout genre se coaliser pour le ré-
duire au désespoir par la détresse et la faim ; désolé de voir que les mesures prises
par la Convention pour arrêter ces conjurations n'atteignent pas le but; excédé
des gémissemens des infortunés qui viennent chaque matin me demander du pain,
en accusant la Convention de les laisser périr de misère, je prends la plume pour
ventiler les meilleurs moyens de mettre enOn un terme aux conspirations des en-
nemis publics et aux souffrances du peuple. Les idées les plus simples sont celles
qui se présentent les premières à un esprit bien fait , qui ne veut que le bonheur
général sans aucun retour sur lui-même : je me demande donc pourquoi nous
ne ferions pî!S tourcer contre des brigands publics les moyens qu'ils emploient
KÉVIUER (1795/. ÔDÎ
dre de {jrandes mesures pour les y lorcer, je ne vois (|iie la des-
truciion totale de cette engeance maudite qui puisse rendre la
tranquillité à l'état, qu'ils ne cesseront poiut de travailler tant
qu'ils seront sur pied. Aujourd'hui ils redoublent de zèle pour
désoler le peuple par la hausse exorbitante du prix des denrées
de première nécessité et la crainte de la famine.
» En attendant que la nation , fatiguée de ces désordres révol-
lans, prenne elle-même le parti de purger la terre de la liberté de
cette race criminelle, que ses lâches mandataires encouragent au
crime par l'impunité , on ne doit pas trouver étrange que le peu-
ple dans chaque ville, poussé au désespoir, se fasse lui-même
justice. Dans tous pays où les droits du peuple ne sont pas de
vains titres consignés fastueusement dans une simple déclaration,
le pillage de quelques magasins , à la porte desquels on pendrait
les accapareurs, mettrait bientôt fin à ces malversations, qui ré-
duisent cinq millions d'hommes au désespoir, et qui en font périr
pour ruiner le peuple et détruire la liberté. En conséquence, j'obseiveque, dans
un pays où les droits du peuple ne seraient pas de vains titres, consignés fas-
tueusement dans une simple déclaration , le pillage de quelques magasins, à la
ptTte desquels on pendrait les accapareurs, mettrait bientôt fui à Itnrs malver-
sations 1 Que font les meneurs de la faction dps hommes d'état ? ils saisissent avi-
dement cette phrase , puis ils se hâtent d'envoyer des émissaires parmi les fem-
mes attroupées devant les boutiques des boulangers, pour les pousser à enlever,
à prix coûtant, du s;ivon , des chandelles et du sucre, de la boutique des épiciers
détaillistes, tandis que ces émissaires pillent eux-mêmes les boutiques des pau-
vres épiciers patriotes ; puis ces scélérats gardent le silence tout le jour, ils se con-
certent la nuit dans un conciliabule nocturne, tenu rue de Rohan, chez la catia
du contre-réfolutionnaire Valazc, et ils viennent le lendemain me dénoncer à la
tribune comme provocateur des excès dont ils sont les premiers auteurs. Au
demeurant, la lecture de ma feuille a démontré jusqu'à l'évidence l'absurdité de
la dénonciation. Affligé de l'insuffisance de tous les moyens employés jusqu'à ce
jour pour arrêter le brigandage des accapareurs, qui réduisent le peuple au dés-
espoir en suçant jusqu'à la dernière goutte de son saug, j'ai cherché le meilleur
moyen de mettre un terme à ces malversations, et j'ai observé que le plus effi-
cace serait le pillage de quelques magasins, à la porte desquels on pendrait les
accapareurs. A qui ai-je adressé cette observation? aux députés du peuple, qui
ne savent que bavarder sur ses maux, sans jamais en présenter le remède. Or, la
preuve que je n'ai pas cru que ce moyen répulsif fût fait pour nous , c'est que j'y
ai fait la remarque expresse qu'il ne s'adaptait pas à nos faibles conceptions , et
qu'il ne pouvait être mis en usage que dans des pays vraiment libres, où les droits
du peuple ne sont pas de vains titres , consignés fastneusement dans une simple
déclaration. » ( Note des auteurs.)
ôo8 (JONVKNTiOK NATIONALE.
des milliers de misère. Les députés du peuple ne sauront-ils
donc jamais que bavarder sur ses maux sans en présenter jamais
le remède?
> Laissons là les mesures répressives des lois ; il n'est que trop
évident qu'elles ont toujours été et qu'elles seront toujours sans
effet ; les seules efficaces sont des mesures révolutionnaires. Or,
je n'en connais aucune autre qui puisse s'adapter à nos faibles
conceptions , si ce n'est d'investir le comité actuel de sûreté gé-
nérale , tout composé de bons patriotes , du pouvoir de recher-
cher les principaux accapareurs et de les livrer à un tribunal
d'état formé de cinq membres pris parmi les hommes connus les
plus intègres et les plus sévères, pour les juger comme des traî-
tres à la patrie.
i Je connais une autre mesure qui irait bien plus sûrement au
but : ce serait que les citoyens favorisés de la fortune s'associas-
sent pour faire venir de l'étranger les denrées de première né-
cessité , les donner à prix coûtant , et faire tomber de la sorte
cehii auquel elles sont portées aujourd'hui, jusqu'à ce qu'il fût
ramené à une juste balance; muis l'exécution de ce plan suppose
des vertus introuvables dans un pays où les fripons dominent
et ne jouent le civisme que pour mieux tromper les sots et dé-
pouiller le peuple. Au reste , ces désordres ne peuvent pas du-
rer long-temps ; un peu de patience , et le peuple sentira enfin
cette grande vérité , qu'il doit se sauver lui-môme. Les scélérats
qui cherchent, pour le remettre aux fers, à le punir de s'être
défait d'une poignée de traîtres , les 2 , 3 et 4 septembre , qu'ils
tremblent d'être mis eux-mêmejs au nombre des membres
pourris qu'il jugera nécessaire de retrancher du corps politique.
» Infâmes tartufes, qui vous efforcez de perdre la patrie sous
prétexte d'assurer le règne de la loi, montez à la tribune me dé-
noncer, ce numéro à la main , je suis prêt à vous confondre.
^■^ ' » A L'Ami du peuple.
f»lqn
»
Citoyen, l'affaire étant pressante et Jmportante , permet-
tez-ruoi d'aller tout droit au fait.
FÉVRIER (1795). 559
» Tout changement de minisire doit avoir pour objet d'ame-
ner une meilleure administration, comme tout changement
d agens ministériels doit supposer un meilleur choix.
» Quatre commissaires étaient chargés, sous le précédent mi-
nistre de la guerre , de donner des ordres ou de recevoir les
soumissions pour la fourniture de l'habillement des troupes.
» Beurnonville en a nommé huit avec un administrateur en
tête , malgré que cette fourniture doive être complète à peu de
chose près, puisque Beurnonville a annoncé à la Convention na-
tionale qu'il existait en magasin pour 50 ou 40 millions d'effets.
» Les quatre anciens administrateurs , qui ne doivent exercer
(|ue jusqu'au 1" mars prochain, ont-ils bien ou mal géré? C'est ce
que j'ignore ; je ne les connais pas. Quant à leurs successeurs,
ils me sont très-connus. Je vais donc décliner leurs noms ; de là je
passerai à leur signalement commercial, politique et de parenté.
» D'abord il faut savoir qu'ils ont deux patrons.
» Siriac, secrétaire de Beurnonville,
» Et Mottet, employé depuis long-temps au bureau de la
guerre.
Les neuf administrateurs nommés sont :
i. Dorly, général. 6. Labranche.
2. Soubeyran. 7. Painier.
5. Després. 8. Bresse.
i. Mauruc. 9. Un commis de Maillot .
o. Osselin.
» Observons que ces neuf administrateurs ne sont en prin-
cipe que prête-noms de Malus et d'Espagnac; Maillot, Labitte,
Gerdret, Sabatier-Després et Gevaudan, ne sont là que pour
accaparer, en faveur des administrateurs, leurs mannequins,
toutes les fournitures nécessaires à la République.
Généalogie et signalement des protecteurs et des administrateurs.
r> Le protecteur Siriac , secrétaire de Beurnonville, est le beau-
frère de Gevaudan ; Gevaudan est l'associé de Soubeyran, et Sou-
beyran administrateur.
3t)0 CONVKMION NATIONALB.
» Gevandan, le proif'gé, ainsi que Soubeyran, de l'ex-minislre
Lajard, leur compatriote, est chargé du transport de l'artillerie.
» 3îcttet est en liaison avec Malus et d'Espagnac.
» L'administiateur général Dorly est connu par sa conduite
contre-révolutionnaire au camp de Soissons.
» Soubeyran, jeune homme de vingt ans, associé de Gevandan
et beau-frère de Siriac, est fournisseur depuis l'ex-ministre La*
jard : les plaintes el dénonciations auxquelles ses fournitures ont
donné lieu, ne sont point encore jugées.
» Després est le nouveau prête-nom de Sabatier, lequel Saha-
tier a été fournisseur dans l'ancien régime, où il s'est considéra-
blemeni engraissé.
t Maurucest petit protégé de Doumerle, est un ancien commis
do Gerdret et son prête-nom; Gerdret est l'associé de Frion,
fournisseur pour les tentes j Frion est beau-frère de Mottet,
commis au bureau de la guerre.
» Osselin est encore un commis de Gerdret et son prête-nom.
» Liibranchf^, deLodève, se trouve placé par Sabatier-Després.
» Pennier est un fournisseur en liaison avec Gerdret.
» Bresse est un commis de Labitte, et Labitte est un ancien
fournisseur en liaison avec Gerdret.
» Le commis de Maillot, dont le nom m'est inconnu, se trouve
placé là par Maillot.
» Ami du peuple , une généalogie semblable , une affiliation
que le hasard ne peut avoir combinée, en un mot, une chaîne
d'intrigans pareils, qui se tiennent comme des hanDetons,"ne peu-
vent suggérer d'autre idée, si ce n'est que les neuf administra-
teurs chargés d'ordonner et de surveiller les achats relatifs à
l'habillement des troupes ne sont là que pour servir de prête-
noms à de grands malversateurs. Ce sont les associés d'anciens
fournisseurs connus qui cherchent à se tenir derrière le rideau ;
et où pourrait aboutir la chaîne de ces fripons qu'à Dumourier et
à la faction criminelle qui dominait naguère, et qui cherche en-
core à dominer la Convention?
> Pesez mes sujets d'alarmes pour la chose publique, et gi
FÉVKJtR ( 1793 ). 361
vous pensez comme trtoi qu'en politique, en morale ei en surveil-
lance révolutionnaire, toute parenté, relation de commerce,
rapports d'intérêts et paironnoge, doivent élever une barrière din-
compatibililé entre des fournisseurs et des adn)inislrateurs, les
fonctions de ces derniers étant d'ordonner les achats, d'en con-
sentir le prix, d'en vérifier les qualités et de les solder au nom
de la République, donnez l'éveil aux amis de la patrie; aidez-les
à écarter ce fléau et à dompter ce monstre amphibie, dont la dé-
cuple gueule s'apprête à nous engloutir.
» Par un volontaire de Saint-Hérault.
» A Mnrat.
» Paris, le 28 février 1795, l'an 2 de la République.
> Tu m'as dénoncé dans ta feuille du \ï février sous le nom de
Chabnnne , comme un vil înlngani , comme un coquin noté ; je ne
t'en veux pas. Tu es trompé, c'est le fait des journalistes. Tu dis
que je suis de la faction Brissot; je n'ai jamais parlé à Brissot ni
à ses amis ; je n'ai jamais été d'aucune faction ni attaché à
aucun parti ; je suis bon républicain , c'est-à-dire bon jacobin ,
j'aime la liberté, je me passionne pour elle, et non pour des
hommes.
» L'adresse que j'ai lue à la barre de la Convention nationale,
au nom de ma section , a été rédigée par quatre commissaires et
adoptée par elle à l'unanimité ; à la vérité les noms de Punis, Ser-
gent et Tcdlien ne s'ij trouvaient point ;\c ne les ai prononcés que
sur l'interpellation de plusieurs membres de la Convention que je
ne connais point ; j'ai eu de la peine à me décider à les nommer,
j'ai cru remplir mon devoir en le faisant , j'aurais craint de man-
quer à l'assemblée en ne le faisant pas. Je n'ai nommé ces trois
membres que parce qu'ils m'avaient été désignés par plusieurs
commissaires de sections chargés d'examiner les comptes de la
Commune du iOaoût. Quoique tu aies été membre du comité de
surveillance, je ne t'ai point nommé, parce qu'il paraît que tu n'as
jamais été comptable. Voilà la vérité. Un fait encore certain ,
c'est que je n'ai jamais été chassé des jacobins ; les occupa-
362 CONVKNilON NATIONALE.
lions de ma place m'ont empêché de suivre les séances de cette
société.
» Quant à la manière dont je suis eniré à la direction générale
de liquidation , elle n'est pas exacte dans ta feuille, c'est Camille
Desmoulins j dont j'ai lait le contrat de mariage, qui a engagé
Mirabeau à me faire avoir la place que j'occupe, et c'est à cette
sollicitation que Mirabeau l'a demandée pour moi à Dufresnc-
Saint-Léon. Cette place était à cette époque de 2,400 liv. , et non
de 4,000 liv. , ainsi que lu l'as dit dans ta feuille.
» Voilà encore la vérité. J'ai cru de mon devoir de te la faire
connaître , afin que tu voies d'un autre œil ma section et moi ,
ton bon concitoyen, Chavard, citoyen de la section des Halles.
» Observation de i'Ami du peuple.
» Il est notoire que c'est Brissot , Buzot , Guadet , Ghambon ,
Lehardy, Marragon , Biroteau , Gensonné , Louvet , etc. , qui ont
engagé Chavard à dénoncer Tallien , Panis , Sergent. On les a
entendus crier en chœur: Marat, Marai.C'e&l donc là encore une
trame de la députation de Paris. Après cela, que Chavard nous
persuade, s'il le peut, qu'il n'est pas un agent secret de cette fac-
tion contre-révoluiionnaire. Et que penser de la justice de ses
réclamations? »
[Marat. II est tout simple qu'une faction criminelle... lil désigne
les membres à droite de !a tribune. De longs murmures l'inter-
rompent.) Je dois à l'assemblée la vérité toute nue , elle leur fait
peur; mais on l'entendia, malgré leurs cris.... 11 est tout simple
qu'une horde ennemie de la liberié , cette horde qui avait con-
spiré pour sauver le tyran , qui voulait appeler la guerre civile
dans la République, ne voyant plus de salut pour elle que dans
une contre- révolution , vienne me dénoncer à celle tribune, et
demander un décret d'accusation contre moi puar avoir usé de
la liberté des opinions , et avoir proposé , dans un de mes ouvra-
ges , de laisser au peuple le seul moyen qui , dans le silence des
lois , puisse U sauver. (Un mouvement d'indignation se manifeste
dans l'assemblée presque entière. )
FÉVRIER ( 1793). 365
PUisieun voix. En faut-i! davantage?.... Aux voix le décret
d'accusation !
Marat. Les mouvemens populaires qui ont eu lieu hier à Pa-
ris sont l'ouvrage de celte faction criminelle et de ses agens.
C'est el!e qui envoie dans les sections des émissaires pour y fo-
menter des troubles. Vous avez vu , il y a cinq ou six jours , des
citoyens séditieux de Paris venir vous demander des mesures dé-
sastreuses ; et lorsque les patriotes ont voulu vous dénoncer ces
manœuvres coupables , les émissaires de la faction Roland les ont
éloignés de vous , et parce que, dans l'indignation de mon cœur,
j'ai dit qu'il fallait piller les magnsins des accapareurs, et pendre
ceux-ci à leur porte , seul moyen efficace de sauver le peuple
(Nouveau mouvement d'horreur.) on ose demander contre moi
le décret d'accusation !
Une grande partie des membres. Aux voix le déciet d'accu-
sation !
Bancal. Je demande qu'on ne laisse pas sortir Marat avant
que le décret d'accusation ait été porté.
Marat descend de la tribune en riant. — îl laisse entendre ces
paroles : Les cochons ï.,. Les imbéciles!...
Lepaux. On vient de vous dire que RoUmd et sa faction étaient
les auteurs de la disette qui a paru se manifester à Paris. Je vais
à cet égard vous citer un fait. 11 a été envoyé à la société popu-
laire de cette ville une prétendue adresse de la société populaire
d'Angers, par laquelle on lui foisait parvenir un morceau de pain
noir provenant du blé que Roland y avait fait passer. Or, la vé-
rité est que jamais Roland n'a envoyé de blé à Angers.
Leliardij. Il est temps de savoir si la Convention, prenant l'atti-
tude qui lui convient , saura prononcer entr e le crime et la vertu.
II est temps de savoir si ia moitié de la Convention est composée
de scélérats : ainsi Marat est coupable d'attaquer chaque jour la
souveraineté du peuple dont il se dit l'ami
Duroi. Je demande qu'avant tout on décrète les propositions de
Barrère. (On murmure.)
Lesage. Je demande que la discussion soit fermée contre
ôt)4 COMVE.NKON NATIONALK.
Marat , et qu'on n'entende plus que ceux qui voudront le dé-
fendre.
Plusieurs voix. Et qui osera défendre 3Iarat?
Lejeune. Sans êîre ami de Marat, on peut détendre la liberté
de la presse.
Tlnrïon. Je demande la parole pour défendre Marat , c'est-à-
dire la liberté des opinions.
Marat. Je ne veux point de défenseur. Obseivtz que c'est ici
une manœuvre de la cabale qui poursuit la déptiUilion de Paris.
Ils veulent m'écarler de l'assemblée, parce que je les importune
en dévoilant leurs complofs. Quant au décret d'accusation , vous
ne pouvez le rendre contre moi, puisque vous avez décrété la li-
berté des opinions. Je demande au contraire un décret qui envoie
les hommes d'état aux Petites-Maisons.
N Je demande ce décret contre Marat.
Buzot. Je demande la parole pour Marat.
Carra. Pour rendre au peuple la justice qui lui est due, foules
ces mesures ne sont pas propres sans doute ; il faut des mesures
hardies , et hier je vous en ai proposé une , mais on doit bien se
fjarder de donner au peuple des conseils positifs de pillante : or,
c'est ce qu'a fait Marat , en disant : < Dans tout pays où les droits
de l'homme ne sont pas de vains tiîres consignées fastueusement
dans une déclaration, le pillage de quelques magasins, à la porte
desquels on pewlrait les accapareurs, mettrait fin aux malversa-
lions. » io défie quelque logicien que cesoil de me prouver que,
de ce passage , on ne doit pas en conclure que, d'après les droits
de l'homme, le pillage soit permis. Je ne cherche point à plaire
à aucun parii , je ne vois que celui du bien public ; mais je dois
dire , parce que je le dois à ma conscience et au peuple , que Ma-
rat me paraît avoir provoqué le pillage , et la liberté de la presse
ne peut l'excuser. Je ne donne point à Marat l'intention foimelle
d'avoir voulu faire le mal ; mais il a été au moins égaré, et je
dois dire que son égarement est continuel. Marat est crédule, et
par ses emporiemens il fait tort à ses amis; il jette de la défaveur
sur la Montagne (Désignant les gradins de l'extrémité gauche de
FÉVRIER ( 17i;5). 365
la salle) , où je connais d'excellens patriotes. Je demande le ren-
voi au comité de législation, qui est saisi de plusieurs pièces contre
Marat.
Marat. Je dois observer à l'assemblée que le commentaire per-
fide de Carra ne tendrait rien moins qu'à conduire à l'échafaud
les meilleurs patriotes. Je soutiens que ce que j'ai écrit n'est
qu'une opinion ventilée que j'avais droit d'énietire. Les perfides
ennemis de la liberté ne la réclament que pour opprimer les pa-
triotes, etîbs placer sous le glaive des contre-révolutionnaires. Ils
sont les auteurs des troubles de Paris qui leur servent de prétextes
pour demander contre moi le décret d'accusation.
Lesage. Je demande que l'on n'entende que ceux qui voudront
défendre Marat.
Buzot demande la parole.
Marat. Je suis assez fort pour me défendre moi-même.
Buzot. Je ne rappellerai pas à l'assemblée qu'elle a rejeté une
loi contre les provocateurs au meurtre : plusieurs événemens ont
prouvé combien cette loi est nécessaire. Je me borne à ce qui fait
l'objet de la discussion. Je dis qu'un grand inconvénient attaché
aux décrets d'accusation portés avec précipitation , c'est qu'ils
sont souvent illusoires ; que ne s'ensuivrait-il pas contre la Con-
vention, si elle décrétait d'accusation M. Marat. (Des mur-
mures se font entendre dans l'extrémité gauche. — On entend
plusieurs voix : Cest vous qui êtes un monsieur ; ce sont ceux
qui logent dans les hôtels des princes) , et que M. Marat fût ac-
quitté par le jury de Paris? ( Mêmes murmures. ) Quand le jury
de Paris a déchargé do ïouie accusation Lacoste, DuCresne-
Sûint-Léon et d'autres personnes de ce genre, ne pourrait-on
pas espérer la même faveur pour M. Marat? D'ailleurs la loi n'est
pas positive. Et n'avez-vous pas entendu dire à cette tribune qu'il
fallait quelquefois suivre les lois révo'ulionnaires et s'écarter de
celles de la justice? Que Marat ait rédigé son journal de telle
manière ou de telle autre, ce n'est pas là ce qui doit nous affli-
ger, mais bien les tripots où Marat va puiser les maximes qu'il
débite ensuito à deux sous !n feuillo : c'est dans ce svstèmn de
566 CONVENTION NATIONALE.
calomnies, dirigé contre ceux à qui on ne peut reprocher que
d'être de purs patriotes ; c'est dans les manœuvres de ces hommes
qui veulent faire régner l'anarchie, parce que l'anarchie conduit
à la royauté. (Quelques murmures.) Je ne suis entré dans ces dé-
tails que pour vous prouver que Marat est excusable : il n'a écrit
dans son journal que ce qu'on a dii à cette tribune, que ce que
vous avez déjà entendu.
Marat. Que ce que vous avez fait vous-même. ( De violens mur-
mures s'élèvent à la droite de la tribune , et dans une partie du
côté opposé.)
Plusieurs voix de l'extrémité gauche. L'ordre du jour.
Thirion. J'ai la parole en faveur de Marat.
Marat. Je demande qu'on envoie aux Petites-Maisons les liom-
mes d'état qui ont provoqué contre moi le décret d'accusation.
Thomas. Tais-toi , imbécile.
Boyer-Fonfrède. Je demande à proposer contre Marat la peine
du talion.
Collot-d'Hei'boîs. Président , mettez aux voix le projet de Bar-
rère.
ChàtiWineuf-Randon. Allons, aux voix le projet de Barrère,
qui est infiniment sage ; et qu'on ne s'occupe plus des per-
sonnes.
Buzot. Président , obtenez-moi du silence.
Albiite. J'ai à faire une motion d'oidre. Dix mille émigrés sont
maintenant dans Paris, pourquoi M. Buzot ne montre-t-il pas
contre eux autant de colère que contre Marat? (Des rumeurs s'é-
lèvent dans l'extrémité droite de la salle. — Une voix : Marat est
plus dangereux que les émigrés.)
Saint- André. Fermez la discussion.
Les murmures continuent dans la droite.
Le président, s adressant à celte partie de la salle. Vous perdez
la chose publique par vos murmures.
Plusieurs membres, s' élevant avec vivacité, apostrophent le pré'
sident. C'est vous qui tuez la pairie par votre partialité.
FÉVRIER (1793). 367
Le p'ésklent. Je fais lous mes eflorîs pour maintenir la parole
à l'orateur.
Buzot. Je dis que le décret (l'accusation est impolitique et dan-
f^ereux : impoliiique, parce que, :i la faveur de la liberté illimitée
de la presse, Marat serait acquitté de toute accusation ; dargc-
reux, parce qu'il donnerait de l'importance à un homme qui n'a-
{jit pas par lui-même, mais qui est l'instrument d'hommes per-
vers (Des murmures parlant de l'extrémité gauche couvrent
la voix de l'orateur.)
Plusieurs voix. Voilà encore des calomnies de Buzot. (Rumeurs
dans la partie opposée.)
Buzot. Je dis que vous devez passer à l'ordre du jour sur le
projet présenté par Barrère, parce qu'il est insignifiant, et que
la Convention , en prenant de ces mesun s insignifiantes , peut
perdre la pairie. Quant à ce qui concerne Marat, je demande le
même décret que vous avez rendu contre lui, il y a que'que
temps , sur la proposition de Fonfrède.
Plusieurs voix de la partie gauche. En voi'à assez La dis-
cussion feruiée !
L'assemblée ferme la discussion.
Lacoste. Je demande que le projet de B.irrère soit mis aux
voix.
Valazé. Je m'oppose à celte proposition ; c'est le décret d'ac-
cusation qui doit d'aboni être mis aux voix, parce que, lorsqu'il
s'agit d'un décret d'accusation, il faut que la Convention, en pro-
nonçant, se rappelle les motifs quila déterminent.
Boijer-Fonfrcdc. Je demande la question préalable sur le dé-
cret d'accusation , et que la Convention se borne à déclarer à la
France entière que, hier, Marat a prêché le pillage, et que, hier
soir, on a pillé. (De violentes rumeurs se font entendre dans
r<-xlrémité gauche.)
Penihes. Je demande que Marat soit déclaré fou, et que, par
mesure de sûreté générale , il soit enfermé à Charenlon , d'où il
pourra sortir lorsque la révolution sera finie. (Mêmes murmures
dans l'extrémité gauche. )
368 CONVENTION NATIONALE.
Salles. Je demande
Plusieurs voix à gauche. La discussion esl fermée. Aux voix le
projet de Barrère !
Salles. Aux termes du code pénal, celui qui a conseillé le
crime commis doit être puni comme complice : or , Marat est
convaincu d'avoir provoqué le pillage qui a eu lieu hier, je de-
mande donc qu'il soit décrété d'accusation.
Les murmures recommencent dans l'extrémité gauche; ils se
prolongent pendant plusieurs insians. — Une soixantaine de
membres réclament à grands cris l'ordre du jour. — Aux voix
le décret d'accusation ! s'écrie-t-on avec la même chaleur dans^la
partie opposée.
Après quelques débats , la proposition de passer à l'ordre du
jour est mise aux voix et rejetée.
Bancal, J'ai la parole.
Plusieurs voix à gauche. La discussion est fermée.
Bancal. Je demande que , suivant en cela l'usage établi par la
constitution américaine , la Convention , délibérant aux deux
tiers des voix , décrète : 1° que Marat sera expulsé provisoire-
ment de son sein ; (Violens murmures à gauche. )
2° Qu'il soit enfermé , afin que l'on examine s'il est fou. ( Mê-
mes rumeurs. )
Collot. Je demande que Bancal soit lui-même déclaré fou , pour
nous avoir proposé de délibérer en vertu de la constitution amé-
ricaine.
Bazire. On nous parle sans doute de la constitution américaine
pour nous amener au gouvernement fédéralif , objet de l'ambi-
tion de ces messieurs.
Bancal. Ce que Je dis est assez intéressant pour que vous l'é-
coutiez. ( Mêiues murmures.) Je demande le silence, qui est dû à
tout représentant du peuple. (Mêmes murmures.)
Fréron. Je demande ia queslion préalable sur le décret d'ac-
cusation , et la pr iorilé pour le projet de Barrère,
Bancal. Jedcisiande , 5"
FÉVRIER (i793). 369
Plusieurs voix de C extrémité (jauche. Aux voix donc le projet
présenté par Bar rère!
Bancal. Je demande qu'il soit constaté aujourd'hui par les mé-
decins
Thïrion. Que Bancal est fou (Des cris à Cordre s'élèvent
contre l'interlocuteur. )
Bancal. Je demande que , comme fou dangereux , Marat soit
reclus
Thureau. Ce sont de pareils discours , ce sont ces platitudes
qui avilissent la Convention.
Une autre voix de la gauche. Oui , ce sont là les avUisseurs.
Bancal. Je demande que la Convention nomme des commis-
saires pour examiner les papiers de Marat. Tout est
Marat. Vous avez dans la Convention deux commissaires à qui
j'ai livré tous mes papiers. Tallien en est un. (On rit à droite.
— Des cris : A l'ordre , h l'ordre du jour, s'élèvent dans l'extré-
mité gauche. )
Thir'ion. Si l'on ne veut pas m'enîendre
Marat. Non.
Thïrïon. Je veux qu'il soit constaté que je me suis présenté
pour défendre un accusé, et quoique cet accusé soit Marat ^ le
rôle de défenseur est assez honorable
Les cris continuent : Aux voix l'ordre du jour !
L'assemblée décide , à une grande majorité, qu'elle ne passe
pas à l'ordre du jour.
Fèrau. Je propose de passer à l'ordre du jour, mais de char-
ger le ministre de la justice de faire faire les poursuites de droit,
et d'en rendre compte.
Choudicu. Je demande la priorité pour cette rédaction.
Le président. Je vais mettre aux voix les propositions dans l'or-
dre où elles ont été faites. C'est le décret d'accusation qui a été
d'abord proposé. Je vais ic mettre aux voix.
Marat. Je ne puis être jugé par mes ennemis.
Tallien. Je soutiens que l'assemblée n'a pas le droit de le dé-
créter d'accusation.
T. XXIV. 24
570 CONVENTION NATIONALE.
Boileau. Je demande qu'on aille aux voix sur le décret d'ac-
cusation par appel nominal , afin que l'on connaisse les amis de
Marat , et les lâches qui craignent de le frapper.
Bazire. Fjh bien, oui, l'appel nominal!.... on connaîtra les
contre-révolutionnaires.
Marat. J'ai la parole. L'assemblée ne peut refuser de m'en-
tendre.
Plusieurs voix. Il est accusé , il a le droit de parler.
Marat. Je croyais , messieurs , qu'il y avait un peu de pudeur
dans cette assemblée ; je n'y trouve ni pudeur, ni justice. (Il s'é-
lève de violentes rumeurs. — Plusieurs membres de la partie
droile se lèvent avec des gestes qui annoncent l'indignation. ) Je
croyais, messieurs.... (Mêmes murmures. — Auxvoïx le décret
rf'accMsafion.' s'écrie-t-on.) Eh bien! je provoque moi-même le
décret d'accusation contre moi pour vous couvrir d'infamie
Les hommes sages à qui vous livrerez ma têle compareront le
passage de ma feuille avec votre décret d'accusation , et diront
que vous ne savez pas lire. Je le demande , décrétez-moi d'ac-
cusalion ;..., mais en même temps décrétez comme fous tous
ces messieurs, les hommes d'état. (Désignant les membres pla-
cés dans la partie droite. ) Ah ! les hommes d'état !
Aux voix le décret d'accusation ! s'écrie-t-on dans plusieurs
parties de la salle.
Tallien. Je demande la parole contre le décret d'accusation.
Bazire. C'est un décret de contre-révolution.
TalHen, avec vivacité , demande à le combattre. (Il s'élève de
violens murmures dans la partie droite. — A l'ordre. Vous n'a-
vez pas la parole ! s'écrient un grand nombre de membres. — J'ai
demandé la parole; j'ai droit de l'avoir; et, frappant sur la tri-
bune , je l'aurai Je parlerai. (Les murmures continuent et
se prolongent. )
Jusqu'ici on ne s'est occupé que de Marat.
Valazé. La discussion est fermée. JMettez aux voix le décret
d'accusation.
Tallien. Et l'on ne s'est pas occupé de la chose publique.
FÉVRIEH ( 179Ô ). 571
Valazé. On s'est occupé de la tauvpr.
Marat. C'est un homme d'étal qui parle (Désigtiai.l du
doigt Valazé. ) Aboyez donc ce trésorier de France.
Tallien, Je demande à prouver que vous ne pouvez pas d('cré-
ler un de vos membres d'accusation (x^Iurmures. ) avant qu'un
tribunal ait fait une procédure
Plusieurs voix. La discussion est fermée.
Tallien. La discussion n'est pas fermée, je
Des cris aux voix /.... aux voix ! se font entendre avec force
dans presque toutes les parties de la salle.
Tallien. Je ne demande pas la parole si l'on veut mettre aux
voix le projet de Férau ; mais le décret d'accusation , vous n'a-
vez pas le droit de le porter.
Le président. On avait demandé la priorité pour le décret d'ac-
cusation.
Tallien. Président, je la demande pour le projet de Férau,
mais pour la première partie seulement.
Ossclin. Je demande qu'auparavant le délit soit constaté.
Marat. Ce sont les honmies de l'appel au peuple qui veulent
assassiner l'ami du peuple.
Salles. Je demande le décret d'accusation en vertu du Code
pénal.
Férau. Voici ma rédaction :
« L'assemblée nationale, considérant qu'aux termes des lois,
toute provocation au crime qui est suivie d'effet est soumise à
l'action de la justice , passe à l'ordre du jour, et charge le minis-
tre de la justice de rendre compte des poursuites qui auront été
faites contre les auteurs et instigateurs des événemens qui ont eu
lieu hier. »
Aux voix cette rédaction ! s'écrie-t-on dans la partie gauche.
Maulde. J'ai une autre rédaction à proposer.
« La Convention , délibérant sur la dénonciation qui lui a été
faite d'un écrit de Marat relatif aux troubles, et aux pillages et
taxations de denrées, qui ont eu lieu hier dans la ville de Paris ,
renvoie ladite dénonciation aux tribunaux ordinaires , charge le
372 CONVENTION NATIONALE.
ministre de la justice de faire poursuivre les auteurs et instigateurs
de ces délits , et d'en rendre compte tous les trois jours à la Con-
vention. »
Marat. C'est une sélératesse, je
Vergniaud. Je soutiens que la priorité doit être accordée à cette
dernière proposition. La Convention ne peut pas décréter d'ac-
cusation celui qui est accusé d'avoir provoqué au pillage, et lais-
ser impunis ceux qui ont pillé.
L'assemblée accorde la priorité à la rédaction de Maulde , et
l'adopte à une très-grande majorité. ]
— Des lettres du commandant général de la garde nationale,
Santerre, et du maire de Paris , Pache, annoncent le retour de
la tranquillité. — Discours très-étendu prononcé par Carra, pour
demander la création d'une commission chargée de rechercher
tous les financiers et autres qui auraient fait des gains illicites ,
et la clôture de la bourse de Paris.
SÉANCES DU 27 ET DU 28 FÉVRIER.
La séance du 27 ne présente de remarquable que l'incident
soulevé par l'excessive politesse du président (Dubois-Crancé)
envers la municipalité de Paris (Pache, Chaumelte et Real). Ré-
pondant aux nouvelles assurances du retour de la tranquillité
dans la capitale, que ces magistrats apportaient à la Convention,
le président leur dit qu'ils seraient témoins du zèle avec lequel
l'assemblée s'occupait des intérêts du peuple s ils voulaient bien
accepter les honneurs de la séance. Ces mots excitèrent un grand
tumulte , et plusieurs voix parties du côté droit crièrent à Du-
bois-Crancé : î Descendez du fauteuil ; vous avilissez la Conven-
tion.... A bas le président ! »
A la séance du 28, Renier proposa , et l'assemblée décréta les
articles suivans, additionnels à la loi sur les passe-porls.
« La Convention nationale, ajoutant à son décret du 26 de ce
mois , concernant le rétablissement des passe-ports , décrète ce
qui suit, après avoir entendu le rapport de son comité de légis-
lation :
FÉvftiEii ( 1793 ). 375
> Art. l'-'^ Tous citoyens absens de leur domicile, non munis
de passe-ports postérieurs au mois d'août dernier, et qui se
trouvent actuellement dans des villes chefs-lieux de déparlement
et de district ou de tribunaux, seront tenus, sous les peines por-
tées par la loi du 28 mars 17912, de se présenter dans les vingt-
(juatre heures qui suivront la promulgation de la présente loi,
soit à la municipalité, soit au comilé de la section dans l'étendue
de laquelle ils se trouveront résider momentanément , pour y
l'aire prendre leur signalement, et y déclarer leurs noms, âge,
profession et demeure.
> Cette déclaration, signée par la partie, si elle le sait faire,
et certifiée soit par le citoyen dont le déclarant tiendra son loge-
ment, soit, à son défaut, par deux autres citoyens connus, sera
remise par extrait au déclarant , et lui tiendra lieu pour cette fois
de passe-port et d'assurance pour sa liberté individuelle , en se
conformant aux lois.
» 2. Cette disposition aura également lieu pour tous citoyens
qui, ayant actuellement quitté leur domicile sans passe- ports
postérieurs au mois d'août dernier, se trouveront, soit en des
lieux autres que ceux ci-dessus désignés, soit en voyagej ou
tournée.
*^ » Néanmoins, et à leur égard, le délai de la déclaration à faire
■^devant la municipalité du lieu où ils se trouveront sera de trois
jours à dater de la promulgation de la présente loi. »
Cambon parut ensuite à la tribune demandant une loi contre
les provocateurs au pillage des propriétés.. Sa proposition fut
renvoyée au comité de législation. Rhul fit la motion que les
biens des princes étrangers possessionnés en France fussent mis
en vente; celte motion resta sans effet. Osselin fit adopter plu-
sieurs articles d'une loi sur les émigrés. Nous ferons connaître
celle loi lorsqu'elle sera achevée.
574 CONVENTION NATIONALE.
DÉPARTEIHENS.
Pendant tout le mois de février, les départemens ne cessèrent
d'envoyer à la Convention nationale des lettres d'adhésion à la
mort de Louis XVI. Le texte de ces adresses ne présente guère
que des amplifications qu'il serait oiseux de recueillir. Quant à
leur grand nombre et aux sentimens qui s'y trouvaient expri-
més , nous ne pouvons mieux faire que de citer un passage du
Patriote Français. L'aveu d'un journaliste directement iutéressé
à compter les dissidences, car il avait appuyé l'appel au peuple
plus chaudement qu'aucun autre, prouvera beaucoup mieux le
fait dont il s'agit que le dépouillement le plus exact ne saurait
faire. Voici ce passage :
« Quelle qu'ait été la diversité des opinions dans le jugement
de Louis le dernier, c'est se montrer bon citoyen que de soute-
nir le jugement que la Convention nationale a prononcé au nom
de la nation. L'appel au peuple, invoqué par une foule de pa-
triotes, n'était pas un moyen de sauver le tyran, mais un moyen
d'environner son jugement de toute la majesté de l'opinion pu-
blique. Si cette opinion continue à se déclarer avec la même éner-
gie, les républicains n'auront pas à regretter qu'on n'ait pas eu
recours à l'appel au peuple. Depuis le supplice de Louis , à peine
s'est-il passé un jour sans que l'assemblée ait reçu un grandi
nombre d'adresses qui adhèrent à cet acte de justice natiSftiale. '
Nous devons en faire mention une fois pour toutes, afin d'éviter ^^
les répétitions. » {Patriote Français, n. MCCLXXXII.)
Dans noire sommaire du mois de février, nous avons annoncé ■
que ce chapitre renfermerait le rapport sur la reddition de Ver-
dun , les affaires du département du Var, celles de Porentrui , et
l'historique des troubles de Lyon. Relativement aux dissensions
qui avaient éclaté à Porenirui , il nous suffira de dire que, des
deux partis qui divisaient la Rauracie, l'un voulait la réunion à la
France, l'autre prétendait ériger une république à part. Sur le
rapport de Guyton-Morvaux , à la séance du 10, la Convention
nomma liois commissaires pour aller apaiser ces divisions, et
FÉVRIER (1795). 576
organiser ce pays. Ces commissaires furent Laurent, Monnotet
Ribes.
Rapport sur la reddition de Verdun. — Mesure du déparlement du
Yar, dénoncée par Cambon [séance du 9 février).
Le rapport sur la reddition de Verdun fut fait par Cavaignac,
au nom du comité de sûreté générale et de surveillance. Nous ci-
terons la partie qui conceine les femmes ; le reste sera suffisam-
ment indiqué par le décret de la Convention.
€ Du nombre de ceux qui , avant la reddition , ont excité le
peuple à former des attroupemens séditieux, et de ceux qui,
après la reddition, ont manifesté leur joie sur les succès des Prus-
siens par quelque acte répréhensible , sont ces femmes qui fu-
rent offrir des bonbons au roi de Prusse.
» Jusqu'ici ce sexe, en général, a hautement insulté à la li-
berté. La prise de LoDgwy fut célébrée par un bal scandaleux.
Les flammes qui embrasaient Lille éclairaient aussi des danses et
des jeux.
» Ce sont les femmes surtout qui ont provoqué l'émigration
des Français; ce sont elles qui , d'accord avec les prêtres, entre-
tiennent l'esprit de fanatisme dans toute la République, et ap-
pellent la contre-révolution.
> Cependant, citoyens, c'est aux mères que la nature et nos
usages ont confié le soin de l'enfance des citoyens , cet âge où
leur cœur doit se former pour toutes les vertus civiques. Si vous
laissez impuni l'incivisme des mères, elles inspireront à leurs
enfans, elles leur prêcheront d'exemple la haine de la liberté
française et l'amour de l'esclavage.
» Il faut donc que la loi cesse de les épargner, et que des
exemples de sévérité les avertissent que l'œil du magistrat les
surveille , et que le glaive de la loi est levé pour les frapper si
elles se rendent coupables. »
Décret, t La Convention nationale, après avoir entendu le
rapport de son comité de surveillance sur la reddition de Ver-
dun,
376 COiNVliJNriON «ATIOjNALE.
» Considérant les circonstances dans lesquelles se sont trouve's
les habitans de celte ville , décrète ce qui suit :
> Art. 1. La Convention nationale rapporte les décrets qu'elle
a rendus relativement aux babiians de Verdun , et déclare qu'ils
n'ont pas démérité de la pairie.
» 2. Les membres du directoire du district et ceux de la muni-
cipalité, les citoyens Lépine, Georgia et Clément Pons exceptés,
ont encouru la peine de la destitution , sont déclarés inéligibles
pendant tout le temps que durera la guerre.
» 5. Il y a lieu à accusation contre les gendarmes nationaux
qui résidaient à Verdun , et qui ont continué leur service sous les
Prussiens.
I 4. La Convention nationale décrète d'accusation Brunelly,
ci-devant adjudant-major de Verdun ; Leignon , lieutenant-colo-
nel; Desnos, ci-devant évêque; Lacorbière, ci-devant doyen de
la cathédrale; Dépréville, ci-devant vicaire-général; Nicolas-
Louis Fournier; Coster; Guilain; Lefebvre; Jlartin, ci»devant
prieur de Saint-Paul; Qucaux ; Herbillon, ci-devant curé de
Saint-Médard ; Baudot , ci-devant curé de Saint-Pierre ; Le-
roux, ci-devant curé de Saint-Pierre-Lechery ; Bauget, ci-de-
vant vicaire de Saint-Sauveur; Marguerite Robillard; Collox ;
Bousmard; Pichon ; Drech ; Lamèle, juge de paix; Barthe,
avoué; Grimoard ; Martin et Gossin, ci-devant chanoines.
> o. L'information faite par les commissaires municipaux pro-
visoires, et les pièces qui y sont jointes, seront envoyées sans
délai aux tribunaux compéiens , pour le procès être fait et par-
fait aux accusés qui y sont dénoncés , notamment à ceux qui se
portèrent en attroupement à l'hôtel de la commune pour presser
la capitulation , et aux femmes qui furent au camp de Bar ha-
ranguer le roi de Prusse , et lui offrir des présens.
» 6. Tous les ci-devant chanoines de la cathédrale et de la col-
légiale, religieux et autres ecclésiastiques non fonctionnaires pu-
blics , et non compris dans le décret d'accusation , qui , sous la
domination prussienne , sont rentrés dans leur ancien bénéfice
ou monastère , sortiront hors du territoire de la République ,
iÉVRiisR (1795;. 577
dans le délai de trois jours à compter de la publication du pré-
sent décret ; il leur est défendu d'y rentrer à peine de mon.
» 7. Les membres du district, ceux de la municipalité, seront
mis en liberté.
s 8. Le pouvoir exécutif rendra compte à la Convention de
l'exécution du présent décret. »
{Canibon. J'ai à rendre compte à l'assemblée d'un l^it impor-
tant, sur lequel il est nécessaire qu'elle prononce, si elle veut
sauver les deniers publics. Je vais vous donner leclure d'une
lettre écrite par les commissaires de la trésorerie au comité des
finances, et d'un arrêté qui y est joint. L'assemblée verra qu'au
mépris de la loi du 24 novembre , les administrateurs du dépar-
tement du Var ont ordonné aux receveurs de districts de verser
une somme de i50,0(X) livres dans la caisse du département,
pour servir à l'entretien d'un bataillon destiné à se rendre à Paris,
aux ordres et à la disposition absolue de la Convention nationale.
Voici cet arrêté :
Extrait des registres des trois corps administratifs de Toulon,
département du Var, du S janvier 1795.
A la réquisition des commissaires nommés par la société pa-
triotique, tous les corps administratifs et judiciaires résidant à
Toulon ont été convoqués et réunis dans un temple ; le peuple
présent, le procureur-général-syndic entendu, il a été délibéré
ce qui suit :
L'assemblée, considérant que depuis trop long-temps la Con-
vention nationale n'opine plus avec liberté ; que des factieux sont
parvenus à égartr une portion du peuple de Paris, qui enchaîne
ses opérations , et substitue sa volonté particulière à celle de tous
les Français en influençant des décrets qui doivent être l'ex-
pression de la volonté générale ; considérant que des mouve-
mens convulsifs se renouvellent partout ; qu'ils se reproduisent
sous toutes les formes , qu'ils retentissent même dans nos murs;
que le système des ennemis de !a France est connu ; que c'est par
l'iûiroduclion de l'anarchie qu'ils attendent l'anéantissement de
378 CONVENTION NATIONALE.
la liberté ; qu'il faut que tout ait un terme ; qu'il est dans le
grand caractère de la France méridionale , qu'il est dans la na-
ture des âmes républicaines qui y vivent , d'aller au milieu de
Paris y étouffer, sous les ordres de la Convention, jusqu'au
germe de la perfidie et de la trahison , arrête ce qui suit :
Il sera formé, dans le plus court délai, un bataillon de cinq
cents hommes divisés en six compagnies au plus , et composé
de gens d'élite, tous originaires et résidant dans le département
du Var, pour se rendre à Paris, aux ordres et à la disposition
absolue de la Convention nationale. Ils seront levés dans tous les
districts proportionnellement à leur population.
Nul ne sera reçu s'il n'est fort et robuste , s'il n'a l'âge de dix-
huit à quarante-cinq ans.
Il sera ouvert dans chaque municipalité un registre d'inscrip-
tion pour recevoir les noms des hommes qui voudront s'enrôler
pour former ce bataillon , qui sera destiné pour la garde de la
Convention. Ce registre restera ouvert pendant trois jours. Il
sera annoncé tous les jours par une publication. Tous les hom-
mes qui se présenteront à l'inscription seront munis d'un certifi-
cat de bonne conduite de l'étal-major de la garde nationale dans
laquelle ils servent , et d'un certificat de civisme de la société
patriotique établie dans le lieu où ils résident (s'il s'en trouve).
Le conseil-général de la commune scrutinera les citoyens ins-
crits, et admettra , à la majorité des suffrages, ceux qui se desti-
neront à cette grande entreprise.
Ils seront payés et traités jusqu'à Paris , sans distinction de
grade , sur le pied de 10 sous par jour en assignats, et une seule
ration de bouche leur sera fournie indistinctement pour toute
étape.
Il sera attaché à ce bataillon deux pièces de quatre. Les volon-
taires seront armés de fusils et de sabres par les municipalités
qui les enverront, et équipés, pour le restant, aux frais de la
République.
Le directoire du département est autorisé , sous la responsabi-
lité réunie des corps administratifs et judiciaires, à faire arrêter
FÉVRIER (1793). 579
dans les caisses publiques la somme de 150,000 livres sur les
premiers deniers de recette exigible. Il sera fait des mandats par-
tiels sur les divers receveurs ; lesdits mandats seront payés sans
délai , et à défaut , les receveurs contraints dans les vingt-qua-
tre heures.
Le bataillon se mettra en marche pour Paris dans les premiers
jours de février. Les hommes qui ne seront pas arrivés au jour in-
diqué ne seront plus admis, et les hommes en remplacement
seront irrévocablement nommés par une commission des corps
administratifs et judiciaires.
Usera envoyé une expédition du présent arrêté à la Conven-
tion nationale, au pouvoir exécutif provisoire, aux districts et
municipalités du département, eiaux sociétés patriotiques. Il sera
donné avis de la présente résolution aux quatre-vingt-trois autres
départemens de la République , par une lettre invitative à suivre
le même exemple. Il sera de plus écrit une lettre énonciative de
nos dispositions à nos frères des quarante-huit sections de Paris.
Fait et arrêté en conseil-général de tous les corps administra-
tifs et judiciaires réunis, le peuple présent, à Toulon, le 8 jan-
vier 1793.
Cambon. Comme les commissaires de la trésorerie ont reçu cet
arrêté comme pour comptant, ils se sont adiessés au comité des
finances pour savoir quelle conduite ils doivent tenir à cet égard.
A'^otre comité n'aurait pas hésité un moment de vous demander
la destitution de ce corps administratif s'il n'eût considéré que
la simple violation de la loi ; mais il a pensé qu'il serait plus utile
à la République, dans un moment où la Convention a ordonné
la levée de cinq cent deux mille huit cents hommes , de décré-
ter que ce bataillon en fera partie.
Jean-Bon Saint-André et Aubry parlent contre l'arrêté du dé-
partement du Var ; Chambon et Buzol le justifient ; Cambon reUt
sa proposition. Elle est décrétée en ces termes :
« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de
son comité des finances , décrète que tous les gardes nationaux
qui, sur l'invitation des corps administratifs, se sont organisés
580 CONVENTION NATIONALE.
dans l'intention de se rendre à Paris , continueront d'être soldés
sur le même pied que les autres bataillons , et seront à la dispo-
sition du conseil exécutif.
» Ordonne que les corps administratifs qui ont fait des dépen-
ses pour l'armement , équipement et solde desdits gardes natio-
naux, feront passer, dans le délai de quinzaine, l'état desdites
dépenses au ministre de la guerre;, qui, après vérification, déli-
vrera les ordonnances nécessaires pour les rembourseinens. > ]
Nouvelle mesure du département du Var, dénoncée aussi par
Cambon [séance du 21 février; présidence de Bréard).
Cambon lit une lettre du ministre de l'intérieur par intérim ,
Garât, annonçant que le département du Var a arrêté les fonds
de toutes les caisses de son arrondissement , destinés pour la tré-
sorerie nationale, sous prétexte qu'il a demandé une somme de
5 millions pour achats de grains j l'orateur conclut à ce que le
procureur -général -syndic de ce département soit mandé à la
barre. Anliboul et Biroteau excusent la conduite de ce départe-
ment, à cause du dénuement de subsistances où il se trouve.
[ Prieur. Ce n'est pas assez d'avoir sans cesse à la bouche les
mots d'unité , d'indivisibilité de la République. Si c'était la pre-
mière fois que les départemens, et celui du Var entre autres,
eussent manifesté cette tendance au fédéralisme et à la violation
de vos lois , je ne m'opposerais pas à l'indulgence qu'on réclame
en ce moment. Rappelez-vous que le département du Var a dé-
libéré, sans y être autorisé par la Convention, d'envoyer une
force armée vers Paris. ( On murmure. ) On me reproche de la
haine contre ce département; non , je n'ai point de haine ; et ne
sais-je pas tous les services qu'il a rendus à la patrie? Mais au-
jourd'hui , sous prétexte que la Convention neitw a pas fait par-
venir les secours qu'il lui demandait , il ose s'emparer des fonds
publics. Je le déclare, si cette conduite est tolérée , la Républi-
que n'est plus qu'un vain nom. ( On murmure. )
iV ... Les assassins du 2 septembre n'ont point été mandés à
la barre.
FÉVRIER (1793). 581
Saint' André. Il est impossible à tout Français animé de
l'amour de son pays , et qui veut l'unité et l'indivisibilité de la
République , de ne pas rendre hommage aux principes dévelop-
pés par Prieur. Si ces principes ne sont pas respectés, il faut
renoncer à avoir une représentation nationale. Ce n'est pas d'au-
jourd'hui que ces administrations empiètent sur l'autorité souve-
raine; et ce sera peut-être, lors de la discussion de la Constitu-
tion, un point à débattre, s'il ne faut pas restreindre l'autorité et
l'étendue de ces administrations. ( Lepaiix. Pour mettre la Com-
mune de Paris à sa place, cela s'entend. — Murmures dans la
partie gauche. ) L'administration du Var mérite que vous lui fas-
siez sentir toute votre indignation. Je demande que le ministre de
l'intérieur soit appelé pour rendre compte des motifs qui l'ont
empêché de casser l'arrêté du département du Var.
Lanjuinais. Je ne viens point défendre ici le département du
Var...
Bourdon. Je demande que la discussion soit fermée.
Lanjuinais. J'ai des propositions nouvelles à faire.
Le président consulte l'assemblée , et dans le doute accorde la
parole à Lanjuinais.
Lanjuinais. Je ne viens point défendre la conduite des admi-
nistrateurs du département du Var. Ces administrateurs sont en
faute ; certes il faut les réprimer, mais il ne faut tirer ici aucune
conséquence sur les principes constitutionnels, pas plus que des
excès commis à Paris on n'en a dû tirer sur le gouvernement mu-
nicipal. ( On murmure. ) La question n'est pas ici de savoir si la
délibération doit être cassée ; il n'y a pas à cet égard deux voix
dans la Convention ; il s'agit de savoir si on mandera le procu-
reur-syndic, si on appellera le ministre. A quoi servira le man-
dat ? le procureur-syndic viendra ; il vous expliquera les grands
motifs qui peuvent , non pns justifier, mais excuser, je le crois,
l'arrêté. Qu'aurez -vous fait? Vous aurez, pendant plusieurs
mois, privé une administration d'un fonctionnaire très -utile;
quand on a été Irès-induIgent pour certaines fautes , il ne faut
pas être très-rigoureux pour d'autres. Le ministre ne doit pas être
382 CONVENTION NATIONALE.
appelé : je connais bien les torts du ministre de la justice ; mais
ce n'est pas dans ce sens ; on doit m'entendre ! Ici sa conduite ne
mérite que des éloges ; il a cru que dans un temps où les liens du
gouvernement sont relâchés les mesures de douceur réussiraient
mieux que les voies de rigueur. Je demande qu'on casse l'arrêté
et que l'on charge le comité des finances de présenter un projet
de décret pour les secours à accorder au département du Var.
Thnriot. !1 faut ajouter que les receveurs de districts feront
passer sans délai à la trésorerie leurs recettes , et que le comité
des secours fera incessamment son rapport sur les secours à ac-
corder aux départemens qui en ont besoin.
Boussîon. Et que la trésorerie nationale fera passer sans délai
aux départemens les secours qui leur ont déjà été accordés.
La discussion est fermée.
La proposition de Lanjuinais , amendée par Tliuriot et Bous-
sîon , est adoptée.
La Convention nationale , après avoir entendu le rapport de
son comité des finances , décrète :
Art. F''. Qu'elle casse et annule les arrêtés pris par les corps
administratifs du département du Var pour arrêter les fonds qui
doivent être versés à la trésorerie nationale ; leur fait défense d'en
prendre de pareils à l'avenir; ordonne que les receveurs des dis-
tricts de ce département feront passer sans délai à la trésorerie
nationale tous les fonds provenant de leur recette.
IL La Convention nationale charge son comité des finances et
des secours d'examiner s'il doit être accordé des secours au dé-
partement du Var, et de faire sans délai un rapport sur toutes
les demandes de la même nature qui lui ont été renvoyées.
On demande l'ordre du jour sur les autres propositions faites.
Quelques voix. Il faut mander le procureur-général-syndic à
la barre.
Boyer-Fonfrhde. J'observe qu'il y a un an des administrateurs
du même départem.ent ont été pendus pour avoir refusé de pren-
dre une mesure pareille à celle contre laquelle on s'élève en ce
1
FÉVRIER ( 1795 ). 585
moment. Il faut faire attention aux circonstances dans lesquelles
l'administration du Var vient de se trouver.
Marat. Je m'oppose à l'ordre du jour... Je demande la parole.
J'ai vu beaucoup de malversations faites avec les fonds que
vous avez mis à la disposition du minisire de l'intérieur. Les ad-
ministrateurs du département du Var n'ont pris la résolution
de se pourvoir eux-mêmes de grains que parce qu'ils n'ont pu
tirer aucun secours de Roland. Je demande l'appel du procureur-
général-syndic à la barre, non pas pour lui faire sentir le poids
de l'indignation nationale , mais pour vous faire rendre compte
dss motifs urgens qui l'ont forcé de recourir à ces mesures ex-
traordinaires. L'assemblée a besoin de ces lumières précieuses,
(se tournant à la droite de la tribune) et vous n'aurez pas sans
doute l'i.nipudeur de vous y opposer.
Boijer-Fonfrede. Je ne serai pas arrêté par le reproche d'impu-
deur de la part de Marat. Je prie l'assemblée de remarquer la
position i'npëricuse où se sont trouvés les administrateurs du dé-
parlement du Var. C'est au milieu des cris d'une multitude d'ou-
vriers qui leur demandaient du pain qu'ils ont été forcés de pren-
dre cette mesure. Je demande qu'après le décret qui vient d'être
rendu l'assemblée ne s'arrête pas aux propositions subséquentes
qui ont été faites. Si elle ne veut pas exposer à des troubles l'un
des boulevarts de la République, l'un des principaux arsenaux
de la marine, un lieu où vingt mille ouvriers sont rassemblés, il
faut qu'elle passe à l'ordre du jour.
L'assemblée passe à l'ordre du jour.
Le président. Je viens de recevoir une lettre d'un homme qui
doit être cher à l'assemblée...
Marat. Mais, citoyen président, c'est sans doute pour ne pas
avoir saisi ma proposition que l'assemblée a décidé de passer à
l'ordre du jour... (Murmures.)
Le présidenl. Du frère de Michel Lepelleiier, qui demande à
être admis à la barre.
Marat. Je veux que le procureur-général-syndic soit mandé à
Ô84 CONVENTION NATIONALE.
la barre , non pas pour être censuré , mais pour donner des ren-
seîgnemens.
Le président. Voici sa lettre :
t Citoyen président, voulez-vous bien consnlter l'assemblée
pour savoir si elle veut m'ad mettre pour lui offrir moi-même le
buste de Michel Lepellelier mon frère? »
Marat. Je demande le rapport du décret par lequel vous venez
de délibérer de passer à l'ordre du jour.
Plusieurr. voix. Faites donc taire Marat.
Marat. J'en demande le rapport...
L'assemblée décide que Lepelletier sera admis à la barre dans
une des prochaines séances.
Marat. Passer à l'ordre du jour!... Ah! on voit bien, mes-
sieurs (se tournant vers la droite ), que vous dînez encore chez la
feniiiie Roland... (De violens murmures couvrent la voix de l'opi-
nant.) Je fais la demande formelle que le procureur-général-syn-
dic soit mandé à la barre. ( Les murmures continuent. )
Duliem. Si c'était un patriote on le tiendrait en prison pendant
six mois, comme on a fait de celui du département du Finistère.
Marat. C'est vrai... (s'avançant précipitamment vers la tri-
bune. ) Au nom du salut public, monsieur le président, il faut
porter la lumière sur les malversations de Roland. ( Brouhaha
dans la partie droite. ) C'est une abomination !... Je demande le
rapport du décret.
Louis. J'observe que dans tous les cas les administrateurs du
département du Var ont tort; car si le ministre de l'intérieur,
chargé par un décret de la distribution des secours pour les
grains , ne répondait pas à leurs réclamations , c'est à la Con-
vention qu'ils devaient s'adresser.
Marat. Le rapport du décret.
L'assemblée décide , à une grande majorité , qu'il n'y a pas
lieu à délibérer sur le rapport du décret.
CoUol. Je demande que le comité de sûreté générale, qui est
saisi d'inculpations très-graves contre le procureur- général-syn-
dic du département du Var, fasse incessamment son rapport ; non
FÉ\RIRR (1795). 38u
qu'elles soient plus {jraves que celle dont vous venez de l'absou-
dre, mais parce que voire comité vous rappellera enfin à celte
sévérité dont vous n'auriez jamais dû vous départir, et vous ti-
rera de celte indulgence si funeste dans les républiques.
Duhem. Il vaut mieux rapporter les décrets par lesquels vous
venez de passer à l'ordre du jour sur une mesure très-importante
qui était proposée.
Le président. L'assemblée a déjà rejeté votre proposition.
Duhem. J'observe, président
Le président. Duhem , vous n'avez pas la parole.
Duhem. Je dis que... le rapport du d«'cretest indispensable...
(Murmures à la droite de la tiibune.)
Le président. Je rappellerai à l'ordre tous ceux qui parleront
sans avoir la parole.
Duhem, continuant au ^nilieu des murmures. Je résisterai à
toute espèce de tyrannie... . Voi?s avez dissous l'empire Si
tous les départemens frontières imifaient celui du Var C'est
infâme
Plusieurs voix. Rappelez donc Duhem à l'ordre.
Duhem. Je demande, encore un coup, le rapport du décret.
L'assemblée ne peut pas passer à l'ordre du jour... C'est infâme...
(Les murmures elles ciis à l'ordre conlinuenl.)
Le président. Il m'est impossible de rappeler à l'ordre ceux qui
ne veulent pas l'entendre.
Duhem. J'ai raison... Vous avez dissous l'empire...
Marat. Voilà ce que nous devons au ministère de Roland.
Robespierre jeune. Je demande que le conseil exécutif soit im-
prouvé pour n'avoir pas commencé par casser et annuler l'arrêté
du département du Yar.
Duhem. C'est une infamie
Un grand nombre de voix. L'ordre du jour.
L'assemblée passe à l'ordre du jour, et le silence se i établit. ]
Troubles de Lijon. ( Séance du 2o février.)
Avant-propos. Les troubles qui ensanglantèrent Lyon pendant
T. x>iv. o;;
586 CONVENTION NATIONALE.
les années 1793 et 1794, et qui dégénérèrent si vite en une guerre
civile pleine de désastres, éclatèrent à l'occasion des visites domi-
ciliaires commencées dans la nuit du 4 au 5 février 1795. Préala-
blement à tout exposé historique , nous allons faire connaître à
nos lecteurs la source et la nature des documens où nous puiserons
les matériaux des premiers événemens.
Il existe à ia Biblioihèque royale une brochure anonyme de
G4 pages, inîitulée : Histoire de la révolution de Lyon, ser-
vant de développement et de preuve à une conjuration formée en
France contre tous les gouvernemens et contre tout ordre social.
Ce livre a été donné par M. Beuchot , auteur du Journal de la
Librairie, et actuellement bibliothécaire de la chambre des dépu-
tés; on lit sur la première page , de la main du donateur, volume
rare et inconnu. Nous avons lu cette brochure d'un bout à l'autre,
et nous nous sommes convaincus que c'était un pamphlet oratoire
du genre le plus faux et le plus exagéré. Passant aux pièces jus-
tificatives, qui forment un post-scriptum de 176 pages petit-
texte, nous n'avons rien trouvé qui en garantît l'authenticité,
l'auteur de la brochure n'ayant dit nulle part ni comment , ni
pourquoi ces pièces avaient été à sa disposition. Pour faire le
plus peiit usage de ce document, il était indispensable que nous
fussions renseignés: 1° sur la personne de l'auteur; 2" sur les
circonstances qui avaient mis entre ses mains les lettres particu-
lières et les procès-verbaux dont il avait composé son volumi-
neux dossier ; 5° sur les causes qui avaient fait de sa brochure un
livre rare et inconnu. M. Beuchot a bien voulu résoudre nos dif-
ficultés. L'auteur de la brochure est M. Guerre, avocat de Lyon ;
ce fut à la suhe des journées du 29, 50 et 51 mai 1795 que les
insurgés, maîtres de la ville, s'emparèrent des registres du con-
seil-général de la commune, de ceux des sections , de ceux du
club central , et saisirent au domicile des jacobins vaincus une
foulai de pupitrjj qu'il fui libre u chacun de compulser. M. Guerre
puisa àceue source. Son livre, publié au moment du siéye, ne put
pas sortir de la ville, parce que les communications étaient inter-
rompues, et lorsque Lyon eut été pris, tous ceux qui possédaient
FÉVRIER (1795). 387
quelques exemplaires de ce livre s'eiupressèrenl de les détruire :
voilà ce qui fait que cette brochure est rare et inconnue. Ceux
même qui voulurent courir le i isque de la conserver en arra-
chèrent la première paj^e, de sorte que le petit nombre de^ exem-
plaires qui survivent n'ont point de titre. M. Beuchot, qui était à
portée d'être bien informé, et à qui nous devons ces explications,
nous a dit que la brochure avait été imprimée et mise en vente par
Maire et Mars, libraires associés, et que IMars avait été guillotiné
pour ce lait (1).
Ces éclaircissemens infirment beaucoup, à notre avis, la valeur
des documens réunis par M. Guerre. Les contradicteurs naturels
de ce plaidoyer royaliste-constitutionnel, les chefs des jacobins
de Lyon n'ont pu répondre, car ils ont été mis à mort par les
vainqueurs , et les histoires des ennemis aussi acharnés légiti-
ment toute espèce de soupçons. En conséquence, nous n'appor-
terons eu témoignage aucun extiait de cette brochure, que sous
les réserves du doute, et en les soumettant à la critique historique
la plus sévère.
Afin que nos lecteurs puissent juger combien notre méfiance
est fondée, nous citerons la pièce cotée n" CXXXIV. Elle est
intitulée: Lettre adressée à Cliaiier d'Oberstad, /e 22 mai 1705,
ihnbrcc de Re'mhausen, taxée vingt sob , el arrivée le lendemain de
l'arrestation de Cliaiier. Rien n'y manque, comme on voit , ni
l'adresse, ni le timbre, ni la date, ni le jour de l'arrivée. A ces
précautions excessives on reconnaîtrait presque un faussaire ;
mais la conviction est complète lorsqu'on lit celte singulière épîlre,
écrite à Ghalier par un émigré qui lui raconte une victoire de la
coalition sur les armées de la République , lesquelles savent
vaincre el courir. Celle lettre, évidemment fabriquée pour faire
croire au royalisme de Chahcr, se terniinr' ainsi : « Tâchez tou-
(1) En parcourant at'entivement le Journal de Lijon . nous avons trouvé à la
fin du n° 121 (51 juillet 17^3) un avis qui contient quelques-uns de ces détails,
el uous donne la date précise de la publication de la brochure. Elle est annoncée
dans cet avis par l'intitulé que nous avons transcrit, après lequel viennent ces
mois : « Prix : ?> livres , au bureau du Journal de Lijon, allée des Images, et
«hez Miiirc et Mars, libraires, rue Merciér^j. a ( Ao(e des nukun.)
588 CONVENTION NATIONALE.
jours de vous couvrir du voile du patriolisme pour mieux nous
servir. Votre projet a été fortement goûié du prince , au sujet de
ce que vous savez : si cela réussit, nous serons trop heureux de
pouvoir trouver un honnête homme comme vous, etc., etc..
Signé, Mis... de S"^ V... » Si une accusation du même genre, et
presque à l'aida des mêmes moyens, n'avait été tentée contre Ro-
bespierre au moment de sa chute , nous ne comprendrions pas
une telle ineptie. Chalier conserva intacte la réputation d'un
homme probe ; il fut jusqu'à sa mort un fanatique révolution-
naire dans le genre de Marat. Que l'on compare à la lettre précé-
dente le récit de son supplice, tel que nous le transcrivons du
journal de ses ennemis, t Lyon, 17 juillet 1795. Le trop fameux
Chalier a subi son suppHce à six heures du soir. (11 avait été con-
damné le i6 par le tribunal criminel des insurgés.) Il a déployé
jusqu'au dernier moment une audace qui rend plus étonnant que
jamais le caractère de cet homme, méchant par nature , brigand
satîs intérêt, et le premier auteur de tous les troubles de Lyon.
Condamné à quatre heures du matin , il a passé le reste de la
journée à faire son testament. Au moment du supplice , il alla
faire ses adieux aux autres prisonniers, et marcha d'un pas ferme,
à pied, au pas du tambour, jusqu'au supplice, en regardant tour
à tour les spectateurs , l'hôtel commun et l'cchafaud. Il embrassa
son confesseur, baisa le crucifix ; le couteau fatal manqua quatre
fois ; le quatrième coup était encore insuffisant, il fallut l'achever
avec un couteau. Sa tête sanglante fut exposée sur l'échafaud.
Quelques claf|uemens de main furent étouffés par l'indignation
que fit éprouver le mauvais succès de l'instrument. On le plai-
gnit Aurait-il plaint ceux dont il demandait chaque jour la
mort? Il essaya le premier dans Lyon cette sainte guillotine, dont
il demandait la permanence!... » {Journal de Lyon par Carrier,
n. ex.)
Les girondins avaient un organe public à Lyon, le journaliste
Carrier. Les renseignemens que sa feuille nous fournira méritent
la confiance qui s'attache à tout témoignage contemporain, pourvu
qu'il ait reçu en temps utile une grande publicité, et qu'il ait ainsi
FÉYRIliK(17y5). 589
provoqué des débats conlradictoires. Vers le comniencemeul de
lévrier, Carrier était allé à Paris réclamer des secours auprès de
ia Convention pour soutenir son journal ; il en avait confié la ré-
daction à J.-L. Fain , qui commence à signer la feuille à partir
du 2 mars ; tous les articles que nous reproduirons sont de lui.
Les jacobins eurent, au moins pendant quelque temps, un jour-
nal intitulé le Surveillant. Cette indication nous est fournie par
une lettre attribuée à Lausse! (1), car la feuille en question ne
ligure dans aucune bibliographie, et sans doute il n'en existe pas
vestige. Les actes du conseil-général de la commune jusqu'au
29 mai 1795, les opérations du club central, telles que nous les
présenterons, ses correspondans de Paris, seront donc nos seuls
élémens de la contre-partie authentique des versions girondines.
Nous passons au récit des événemens. Lyon était une ville que
sa proximité des frontières indiquait aux émigrés comme leur
rendez-vous le plus commode, soit qu'ils voulussent quitter le ter-
ritoire, soit qu'ils voulussent y rentrer pour tenter quelque ma-
nœuvre contre-révolutionnaire. Ce motif en faisait également le
centre d'une correspondance active entre les royalistes du dedans
et les royalistes du dehors. Dès le mois de janvier il s'y était ras-
semblé un grand nombre de prêtres réfractaires. L'opinion gi-
(0 Là dessus, M. Guerre renvoie au n" 3 de ses pièces justificatives. Nous y
trouvons la lettre suivante :
a Frngmcns d'une lettre de l'ahbè Laussel à Chalier. officier municipal.
0 Monsieur et cher ami, je vous envoie le n» 4 du Surveillant, que vous me
renverrez avec vos observations sur l'article inséré , septième colonne, contre la
municipalité.
» Tâchez de prendre vos arrangemens afin de pouvoir venir nae voir dans mon
ermitage aux fêles de la Toussaint. Si vous nie marquez le jour où il vous sera
loisible de partir, je vous enverrai un bnn che al et un patriote pour vous ac-
compagner....
r> Ma sœur me charge de vous assurer de ses respects. Quoi qu'où ait pu et
qu'on puisse vous dire à cet égard , que cela ne vous é'oigne pas de notre de-
meure; nous aurons bien des explications à vous donner dans le sileace des lon-
gues soirées. ÎS'ous serions désolés de laisser des impressions défavoraliles dans
l'esprit de ceux qui sont dignes de notre es.ime ; pour lei autres , que nous ira-
porte? »
Cette lettre n'a point de date. Comme l'invitation de Laussel semble l'indiquer,
elle serait du mois d'octobre 1792.' ( Piote des auteurs.)
â9i) CONVENTION NATIONALE.
londine était en majoritë dans celte ville , à cause des riches ma-
nufacturiers qui l'habitaient et de l'influence que donnait à cette
classe la lonj^ue possession des magistratures municipales. L'es-
prit audacieux de la Conver.-tion , et dernièrement la mort de
Louis XVI, avaient même inspiré à la bourgeoisie lyonnaise une
haine de Ja re'volution qui n'admettait plus de tempérament, et
qui en faisait l'alliée de toutes les passions royalistes et de toutes
les entreprises dont ces passions prendraient l'initiative. Une por-
tion assez considérable de la classe ouvrière était animée de sen-
timens bien différens ; mais elle n'était rien sans des chefs , et
ceux-ci étaient en bien petit nombre. Le conseil-général de la
commune, élu sous la terreur du 10 août et des massacres de sep-
tembre, se composait de jacobins. L'ame de ce parti était Chalier,
président du tribunal, et aussi du club central; au second rang,
venait Laussel, procureur de la Commune, ex-prétre, à qui la
brochure de M. Guerre reproche un commerce incestueux avec sa
sœur qu'il épousa depuis (i).
Les troubles de février furent précédés de quelques mesures
du conseil-général de la Commune, à l'occasion des certificats
de civisme. Les notaires, royalistes pour la plupart, en furent
le principal objet. Voici ce que nous lisons dans la feuille de
Carrier, rédigée pai' J.-L. Fain [Journal de Lyon, ou Moniteur
du déparlemenl de Rhône-et-Loire ) n. du 29 Janvier.
« Conseil-général de la commune. Dia)anche , 20 janvier, le con-
seil-général fit refus aux citoyens André , Lasnier, Tournilhon
fils et B llouard , notaires , du certificat de civisme exigé par une
délibération antérieure pour l'exercice de leurs fonctions; le con-
seil -araissait disposé à rac<;order aux autres, comme le porte
la délibération dudit jour, quand dimanche, 27 courant, à la
séance du matin , le citoyen Laussel , procureur de la commune,
dénonça au conseil qu'jl lui avait été oflert une somme de
42,000 liv., réduite à 8,000 liv., pour l'engager à u-anifesîerson
vœu en faveur des vingt-six notaires. Cette manière de demander
un certificat de civisme était trop peu délicate pour ne pas la
i\) Voir la note ci dfrrière, p. S8S,
FÉVRIER (4795). ' :t)l
faire suspecter; aussi y eut-il une vive discussion à ce sujet, et
l'affaire, n'ayant pu être terminée dans celle séance, fut ajour-
née à celle du soir.
> On allait reprendre la discussion du matin , quand on vint
remetire au citoyen président une adresse bien pitoyable, bien
lamentable, bien notariée enfin, par laquelle MM. les notaires
prétendent qu'ils n'avaient d'autre intention , en remettant celte
somme au procureur de la commune , que de l'inviter à la ver-
ser dans la caisse fraternelle. Ah ! messieurs les notaires , comme
vous en imposez ! Cette pièce originale était signée Dusurgey, an-
cien sijndïc, et Desgranges, ci-devant second syndic. Ces mes-
sieurs ont encore de la peine à se défaire de leur ancienne ma-
rotte. Le conseil a passé par-dessus tous les égards dus à deux
ri-devant syndics, et, regardant cet acte conmie pièce de convic-
tion , a prononcé l'interdiction , à la réserve des citoyens Bres-
sot , Cliaral , Caillot et Delompnes , que le conseil a autorisés à
exercer provisoirement jusqu'à ce que le département ait ouvert
le concours pour le notariat. » — Le conseil-général revint sur
celte dernière exception dans sa séance du 50 janvier, et décida
(lu'aucun notaire ne serait autorisé à exercer provisoirement.
Visites domiciliaires. « Lyon, 6 février 1795. — On a comuiencé
celle nuit et on continue ce inatin dfâ vibilos doiiiiciliaires. Depuis
plusieurs jours, la municipalité, in.^i; aile de dif[é;entci, circon-
stances qui avaient alarmé sa surveillance, était sollicitée d'ailleurs
de prendre cette mesure indispensable pour assurer la tranquil-
lité de la ville et éiouffer la fermentation sourde qui semblait pié-
sager les plus gsands troubles. Le ciîoyen Santemouche, ofHcier
municipal , avait été , jeudi dernier, attaqué par quatre brigands.
Cette attaque, faite de nuit à un fonctionnaire public revêtu de
son écharpe, confirmait les complots doht on avait déjà quelques
soupçons. Des placards incendiaires affichés à pi.isieurs n^prÏL- s
et dans plusieurs endroits, et notamment à l'arbre de la libe; té,
sur la place des Terreaux, attisaient le feu de la guerre civile.
Lundi soir (4 février), un grand nombre de citoyens vinrent com-
niimiquer leurs craintes au conseil -général d-? la commune, et
592 CONVENTION NATIONALE.
sollicitèrent de promptes mesures pour empêcher les progrès de
cette raachinaiion. Aussitôt, sur la réquisition du citoyen Laus-
sel, procureur de la commune, !e conseil -général se constitua
en assemblée permanente. Les notables furent convoqués à bas
bruit , et la visite commença. Un grand nombre de personnes sus-
pectes ont été arré!é»'S ; des prêtres, des ci-devant abbesses , et
entre autres, beaucoup de lilous et plusieurs bandes de vo-
leurs, dont quelques-uns ont été pris sur le fait au moment où le
rappel battait dans les sections. Le commandant de bataillon du
Port-du-Temple et })lusieurs officiers du même bataillon ont été
an êtes avec les preuves d'un complot formé contre les magistrats.
Pour donner une idée des placards qui ont nécessité cette mesure,
voici un extrait d'un de ceux que ion a trouvés sur l'arbre delà
liberté des Terreaux , et qui a été détaché et porté à la munici-
paliîé. — « Le crime est donc consommé , et le couteau meur-
» trier a tombé sur la tête de notre roi ! Voilà donc comme on
» récompense les monarques qui veulent rendre leurs peuples
» libres ! Français, vous qui donniez jadis l'exemple de la fidé-
j lité, de l'équité et de l'humanité, que sont devenus ces titres ?
» Je déclare, à la face du ciel et des hommes , que Louis XVI est
» mort innocent , que tous ceux qui l'ont condamné au supplice
» ont porté un jugement inique; et vous, peuple injustement
» trompé... , etc.. > {Journal de Lyon, numéro du 6 février. )
> La visite domiciliaire s'e^t terminée mardi soir. La plus
grande tranquillité règne dans la ville. MM. Palerne , Savy, ïo-
lozan, Imbert, Gonflaus, Miege et Dareste, ont été arrêtés et
sont détenus à la maison comamne. Le conseil-général est en
permanence; une grande partie des personnes arrêtées ont été
relâchées après examen. — Citoyen > , fiez-vous à vos magistrats :
iis veillent pour vous, jouissez de leur ouvrsge, et ne décon-
certez pas leurs projets. » [Journal de Carrier, numéro du 7 fé-
vrier. )
J.-L. Fain avait ajourné les détails pour en donner de sûrs:
son numéro du 9 février renferme un long article dont la plus
grande partie est une amplilication de son récit précédent. La fin
FÉVRIER ( 1795 ). 593
de cet article annonce que les ëvénemens se sont compliqués de
circonslauces nouvelles et plus fâcheuses. — « On disait que dans
la société des Amis de la lilierié (1) ou ^vait foit ia moi ion de
placer la guillotine sur le pont Morand et d'établir mi tribunal
populaire, dont les ariéis seraient aussilôl exécutés que rendus.
Plusieurs notables , membres de la société centrale , démeniirent
celte assertion ; une députation se tranapoiia aux prisons et
dressa un pî ocès-verbal qui constate que l'insirument de mort
est épars dans plusieurs greniers, divisé par pièces, couvert de
poussière , et que l'on n'a fait aucune tentative pour s'en empa-
rer ; ce procès-verbal , signé du gieiiier des pi-isons , du geôlier,
des guichetiers et des gendarmes nationaux, a été rapporté au
conseil. Le citoyen maire s'est absenté depuis ce temps de
l'Hôtel-de-Ville sous prétexle d'indisposition. Le conseil-géné-
ral de la commune allait déclarer que le citoyen JN'ivière-Chol
avait perdu sa confiance ; mais cette déclaration a été ajournée
jusqu'à l'examen de sa correspondance avec l'administration du
département. La société des Amis de l'égalité s'est plainte d'avoir
été calomniée par le citoyen niaire , et une pétition , souscrite de
cinq à six mille signatures, a déclaré qu'il avait perdu la con-
fiance des citoyens. »
iO février. * Le citoyen Nivière-Chol , maire, adonné sa dé-
mission ; le conseil- général l'a dénoncé à l'accusateur public , en
vertu de la loi qui déclare traître à la patrie loul fonctionnaire
public qui abandonnera son poste tant que la patrie sera ea dan-
ger. » ( Journal de Lyon , n. XXXU . )
La rumeur de la conspiration du club central, conspiration que
le journaliste nous donnait tout à l'heure comme un un dit que
démentaient des témoignages dignes de foi et même des procès-
verbaux autlienti(iues, cette rumeur s'accrédite maintenant, et
J.-L. Fain commence à y croire. 11 parle de nombreuses émigra-
tions qu'on ne saurait attribuer aux visites domiciliaires, < faites
(1)11 y avait doux sociétés populaires à Lyon, Vuaedilc club Central, l'autre
club de la Grtnde-Côte ; la première était jacobine, la seconde étqit girondiae.
En ce moment elles achevèrent de rompre. ( iNote des auteurs. )
594 CONVENTION NATIONALE,
avec ordre » et qui ne s'expliquent que par des bruits sinistres.
« On parle de motions sanguinaires faites dans la société cen-
trale ; on parle d'une séance à huis clos, d'un serment fait par les
membres présents de ne rien révéler de ce qu'ils entendraient.
On parle d'un projet de pillage de six heures... Chalier, on te
calomnie , j'aime à le croire ; démens ces bruits, que tu ne peux
ignorer. J'aime ton énergie, j'admire ton ame incorruptible, ton
impartialité sévère, piemier devoir d'un magistrat ; mais toi , qui
punis les infracleurs des lois , prêches-en le respect à tes conci-
toyens; lâche le glaive, prends la balance. » {Journal de Lyon ^
n. XXXIII.)
18 février. Dans la soirée de ce jour, les discussions éclatèrent.
Plus de huit mille suffrages , sur neuf mille votans , conféraient
de nouveau à Nivière-Ghol la charge de maire. Le dépouillement
du scrutin fut achevé le 18 à sept heures, et aussitôt le mouve-
ment commença. Taliien fit un rapport sur ces troubles dans la
séance du 2o février ; sa narralion fut beaucoup attaquée par le
Journal de Lyon d'abord , et ensuite par les feuilles girondines
de la capitale , qui adoptèrent la version de J.-L. Fain de préfé-
rence à celle de Taliien. Puisque ce dernier est principalement
accusé en cette circonst:incG de parler plutôt en correspondant
du club central et du conseil-générjl de la co.'nmune qu'en rap-
porteur impartial , nous pouvons regarder son récit comme le
témoignage même des Jacobins de Lyon; celui des Girondins est
dans la feuille de J.-L. Fain. Après avoir lu et comparé les deux
pièces, nous trouvons qu'elles diffèrent plus dans la forme que
dans le fond. Les faits sont à peu près identiques; ils nous pa-
raissent même plus graves dans \e Journal de Lyon que dans le
rapport de Tailien. Nous allons prendre dans l'historique tracé
par J.-L. Fain, sous l'inspiration du moment, ce qu'il y a d
conforme aux griefs articulés par le rapporteur du comité de
surveillance de la Convention nationale , et certaines circonstan-
ces ignorées sans doute de celui-ci , car il en eût fait, s'il les avait
connues, ses premiers chefs d'accusation , tandis qu'il ne les men-
tionne pas. Puis nous donnerons le texte de ce rapport, en l'an-
FÉVRIER ( 1793). o9o
notant de toutes les critiques qu'y fit le suppléant de Carrier dans
sa feuille du 4 mars.
Narration de J.-L. Fa'm. Le ioui'naliste commence par pein-
dre la joie qui suivit l'élection de Nivière-Ghol ; il raconte ensuite
que la foule accourut chez ce citoyen pour le ieliciler, et que de là
elle se porta sur les Terreaux... c Un rassemblement nombreux
couvrait !a place du Grand-Collège, oii demeure Chalier ; on di-
sait que le soir même , à la séance de la société soi-disant patrio-
tique, il avait annoncé le triomphe de son rival en accompaj^nant
son récit d'imprécations et de menaces. Toutes les maisons étaient
illuminées ; les fenêtres de Chalier ne l'étaient pas. Quelques
voix, pius indi()[nées de l'andace de cet homme coupable, di-
saient : A bas la tête de Chalier, montons chez lui. — Non, s'écrient
d'autres, respectons les personnes, les propriétés; si Chalier
est un coupe-iête, ne le soyons pas; nous ne sommes pas des
Chaliers. Deux citoyens seulement montent chez lui pour l'invi-
ter à illuminer ; personne ne répond; ils redescendent, et au-
cune violence ne se fait. On se porte dans la salle du club; tout
est fracîîssé , les bancs sont brisés , les registres , les papiers ,
entassés dans une manne; on les porte au département... L'im-
partialité nous fait un devoir de présenter une observation. On
accuse les membres de la société centrale de former des projets
attentatoires à la sûreté des personnes et des propriétés , et c'est
cette société même dont on viole la propriété ! Jusqu'à présent on
ne peut accuser cette société exaltée que de projets alarmans,
car il n'y a pas de voie de fait de prononcée... On entend crier
sur la place ; « On a enfermé nos l'rères dans la salle du centre. »
La foule se porte sur la rue du Garet; les avenues étaient occu-
pées par des {;aides ; ils fondeiit sur ces hommes désarmés , les
dispersent ; des coups de feu se font entendre; un ne dit pas que
personne ait péri... « Poiut de clubs! ont crié quelques voix dans
cette 5:oirée d'ivresse et d'alaimes. Citoyens, vous vous égarez,
point de Chalier, mais desctulis...» Diffoientes sections s'étaient
déclarées en permanence. La municipalité députa à ces assem-
blées pour les inviter, au nom de la loi , à se dissoudre ; refus for-
596 CONVENTION NATJONALE.
mel. Des commissaires sont envoyés à l'arsenal pour faire sortir
des canons et pour demander aux citoyens armés de cette sec-
tion en vertu de quel ordre ils s'étaient rendus en armes à l'ar-
senal : refus de leur part de répondre. Ordre aux députés de se
retirer. Deuxième dépuiaiion de la part de la municipalité et du
district de la ville , réunis à la tête de deux cents hommes armés.
A leur approche , la garde de la section de l'arsenal crie : « Halte-
là, en joue !» Ils arment leurs fusils. «Au nom de îa loi, s'écria un
officier municipal, vous ne devez ni ne pouvez nous refuser l'en-
trée, » Et en même tf>mps il relève l'un des fusils et passe outre.
Les députés sont entourés d'hommes armés. « Nous ne connais-
sons, leur dit-on, ni lois , ni autorités constituées. > Ils se retirent
et dressent procès-verbal... Comme il ne restait plus autour de
la municipalité que le poste ordinaire , un attroupement s'avance
en criant : « A bas la municipalité , la tète de Chalier et de Laus-
sel ! » La garde du poste ne peut pas contenir les attroupés ; ils se
précipitent dans l'IIôtel-de- Ville ; la municipalité descend , fait
bonne contenance. Plusieurs officiers municipaux sont insultés,
frappés ; l'écharpe de l'un deux est déchirée. Un détachement de
troupes de ligne arrive à propos; l'attroupement se disperse,
ainsi qu'un autre qui s'occupait à clouer devant l'arbre de la li-
berté la statue de la liberté et le buste de Jean-Jacques (enlevés
de la salle du club central. ) Une nouvelle perquisition se fait dans
la salle du club ( ce même club que naguère on avait saccagé ) ;
deux particuliers qui s'y étaient cachés sont arrêtés et conduits à
la municipalité ; l'un deux était le domestique d'un émigré ; on
fouille ses papiers, on y trouve plusieurs libelles concernant
Louis XVL » {Journal de Lijon, 19 et 20 février.)
Rapport sur les troubles arrives à Lyon. ( Séance du 25 février.
[ Tallien. Citoyens, vous avez renvoyé à votre comité de sû-
reté générale les diverses pièces relatives aux troubles arrivés
dans la ville de Lyon , troubles qui ont été partout rapportés de
la manière la plus infidèle , et dont je vais vous faire le récit exact.
Vous savez, citoyens, que la ville de Lyon a toujours été le
FÉVRIER {47ii3). 397
refuge des conlre-révolutionnaires; qu'à diverses époques il s'y
est élevé des mouvemens très-violens , qui ont toujours précédé
ou suivi de très-près ceux dont Paris a souvent été le théâtre. II
restait cepf^ndant un espoir aux amis de la liberté , lorsqu'ils con-
sidéraient le patriotisme des sans-culottes, qui là, comme dans
toutes les autres parties de la République , sont les défenseurs
les plus ardens de la liberté , et qui toujours veillent pour déjouer
les complots des ennemis de la patrie. L'immense étendue de
celte cite, sa nombreuse population, sa position topographique,
son éloignement de Paris, la mauvaise composition , la coupable
indolence des anciens administrateurs, n'avaient pas peu contri-
bué à faire de cette ville le point de réunion de tous ces hommes
qui, imbus de préjugés et regrettant les chimères de l'ancien ré-
gime, allaient là entretenir leurs espérances et en attendre ou ea
préparer même le succès. Ci-devant nobles, ci-devant financiers
du haut parage , prêtres réfractaires , méconlens du nouvel ordre
de choses, tous se rassemblaient à Lyon. Ils y trouvaient ce
que, dans leur langage, ils appelaient la bonne compagnie. Les
plaisirs, le luxe de Paris les y suivaient ; ils se trouvaient là dans
leurs élémens; les émissaires des cours étrangères avaient moins
loin pour conférer avec eux. Tout allait pour le mieux, lorsque
la révolution du 10 août vint déconcerter tous les projets contre-
révolutionnaires. La source de la liste civile fut tarie , les corres-
pondances interceptées; les administrations renouvelées : alors
tout changea de face ; les plus notés d'entre les réfugiés émigrè-
rent ; les prêtres réliaclaii es lurent déportés , et le calme parut
un instant se rétablir. Los premiers commissaires envoyés par la
Convention nationale étaient parvenus à concilier les esprits et à
détruire les germes de diiscnsion que les malveillans ne cessaient
d'exciter. La cessation de travaux , le renchérissement d'un grand
nombre des denrées, la misère à laquelle se trouvaient réduits
plusieurs milliers d'ouvriers, donnaient des inquiétudes aux ad-
ministrateurs. La discussion qui avait lieu dans la Convention
nationale, au sujet du ci-devant roi, ne contribuait pas peu à ra-
nimer les espérances des ennemis de l'ordre public. La nouvelle
398 CONVENTION NATIONALE.
de la condamnaiion et de l'exécution du tyran , ai'rivëe au même
moment, fut reçue diversement. Les sans-cuIottes s'empressèrent
d'adhérer à votre décret, les aristocîates murmurèrent; mais ils
n'étaient pas en force; la municipalité les surveillait, et ils fu-
rent obligés de concentrer leur rage et de se venger par quel-
ques misérables pamphlets. On les méprisa d'abord et on n'y fit
pas beaucoup d'attention ; mais bieniôi , se prévalant du silence
des magistrats, ils levèrent la tête d'une manière plus auda-
cieuse.
La mort de Lepeileiier devint pour eux un motif de joie qu'ils
ne purent dissimuler. Son lâche assassin fut même célébré dans
un libelle intitulé : Un vertueux Français à la Convention natio-
nale , et dans lequel on remarquait ce passage : « Tremblez , bri-
gands , et souvenez-vous que les inlàmes assassins de Charles
Stuart ont péri misérableuicnt , ou sont tombés sous les coups
des vrais Anglais j le même sort voiis attend. »
L'arbre delà liberté de la place des Terreaux était chaque jour
couvert d'écrits aussi incendiaires (1).
La ville de Lyon n'était pas le seul refugo des royalistes. A
MoRtbrison , on proposa d'incendier les maisons de deux députés
à la Convention nationale , qui avaient voté la mort du tyran, les
citoyens Dupuis et Javoque. La porte du domicile du père de ce
dernier a même été teinta de sang pendant la nuit.
Les officiers municipaux de Lyon étaient souvent insultés,
même lorsque , revêtus du signe de la loi , ils remplissaient leurs
fonctions. Quelques-uns furent attaques pendant la nuit, et plu-
sieurs fois même ils lurent exposés à des dangers.
(1) ff Tous ces écrits se réduisent à deux : j'en ai lu et j'en ai cité un (voir plus
haut). Quelles mains ont pu le planter? Une garde vigilante observe nuit et
jour l'arbre de la liberté ; mais d'ailleurs , s'il ne faut que des placards pour pré-
senter une ville comme insurgée, ne serait-il pas facile aux artisaas de pamphlets
d'en fabriquer eux-mêmes ? Trois semaines ei plus se sont écoulées depuis que ,
par un geiire de récréation riouveau , les £an?.-cuIoîtes , armés de piques, allèrent
afficher sur cet arbre leur décl.iration de guerre aux modérés. 11 est coastant
que cette affiche est restée er-tièri- peudsnt pluï de trois semaines ; et celle que
j'ai citée, l'adresse sur la mort de Louis Capet, a été décollée bien entière et
sans fracture. Cette observation prouve assez que la colle ne partait pas de la
même main. » {Journal de Lyon, numéro du 4 murs.) (Aote des auteurs.)
FÉVRIER (1793). 599
Le 30 janvier, la municipalité fit arrêter l'ex-contrûleur-géné-
ral Lambert, qui depuis plusieurs mois était caché chez un né-
gociant nommé Berlier. On trouva chez lui une correspondance
qui prouvait ses relations habituelles avec des émigrés , et qui in-
diquait les moyens qu'il employai i pour procurer de faux certifi-
cats de résidence et des passe-ports pour sortir du territoire de
la République. Les circonstances de cette arrestation réunies à
la fermentation sourde qui existait dans les esprits, et un grand
nombre d'hommes inconnus qu'on remarquait depuis quelque
temps dans la vil'e, donnaic-nt de vives inquiétudes aux magistrats
chargés et jaloux de iiiainlenir la tranijuillilé publique. Le con-
seil-général de la comnmne s'était occupé dans diverses séances
des moyens de dissiper l'ora-je qui paraissait piêl à éclater. En-
fin , après une longue et miire délibération , il se détermina , le 4
de ce mois , à ordonner des visites domiciliaires. Ce moyen était
violent , mais le danger était pressant , et le salut d'une grande
cité commandait cette nsesure rigoureuse.
Les ordres fuient donnés pour le leudeiîiain , et les dispositions
avaient été &i sagement concertées, que dans un espace de deux
heures l'opération fut terminée [i). Tout se passa dans le plus
grand ordre. Les propriétés furent respectées ; aucun bon ci-
toyen ne fui inquiété ; aucune réclamation fondée ne s'est élevée
contre cette mesure de sûreté, exigée impérieusement par les
circonstances. Plus de trois cents personnes suspecKs furent ar-
rêtées. Le tribunal municipal resta assemblé pendant quarante-
huit heures, et ne désempara qu'après les avoir toutes entendues :
cent cinquante environ furent renfermés ; la liberté fut rendue
aux autres.
Tout paraissait terminé, et il n'était pas un bi.n citoyen qui
(I) « J'iguore si cette observation est uuc erreur du rapporleur ou du rap-
port; je s:iis seuleinotil qu'il est incir;;lei!ier.t iaiptjssihlo de \isitcr iiao ^ille
comme Lyon en deux lieures ; et d'ailleurs !e procès-voi i)al nièiiie énonce que la
visili- conunença à cinq lieuies du nwtiu ei ue fut leruiinnu qu'à six iicures du
soir; mais on ne parle pas du supplémeul du visile qui eut lieu daus la unit sui-
vante, où douze personnes furent arrèlées. » {Journal de Lyon, loc. rit.)
(Aote des auteurs.)
400 CONVENTION NATIONALE.
n'applaudît à cet acte de justice, lorsque tout à coup l'on fait
courir le bruit que le peuple se rassemble, qu'il veut se porter
aux prisons, que la guilloli îo a cic enlevée, et quelesévénemens
les plus sinistres semblent devoir terminer cette journée. Cepen-
dant le conseil-général de la commune était en permanence. Le
maire Nivière-Chol , nommé depuis peu de temps , n'avait pas
partagé l'opinion des visites domiciliaires. Il se rend au départe-
ment , lui communique ses craintes , et sans avoir vérifié les faits,
s'appuyanl sur une lettre anonyme, sur des rapports infidèles et
captieux , il requiert une force armée considérable, ordonne aux
gardes nationaux qui environnaient la maison commune de se
retirer , et les fait remplacer par des troupes de ligne lant à pied
qu'à cheval , et même par de l'artillerie (1). Ce grand appareil
militaire, déployé dans le moment le plus inattendu, jette la
consiernation parmi les citoyens. Chacun se deman le quel peut
être le motif de ces dispositions extraordinaires , et tout le monde
l'ignore. Le conseil-généraldela commune mande le maire pour
rendre compte de sa conduite. Il bégaie, ne répond que par des
faux-fuyans , et ne motive la résolution qu'il a prise que sur des
ouï-dire et des terreurs paniques. Néanmoins on fait vérifier les
faits. Des commissaires de la municipalité sont envoyés dans les
divers quartiers de la ville , et partout ils trouvent le plus grand
calme. Ils se transportent aux prisons de Roanne , ils interro-
gent le concierge sisr le fait du prétendu enlèvement de la guillo-
tine ; celui-ci répond que qui que ce soit ne l'a demandée ; qu'elle
n'a pas non plus été montée, et que par conséquent elle n'a
(O Les motifs de Mvière-Cbol pour en agir ainsi provenaient de la conspira-
tion déjà mentionnée par nous. Sur ce passage du rapport de Tallien , J.-L. Fain
s'écrie: c Mais cette séance (celle de la conspiration) est-elle avérée? Chalier
a-t-il ou n'a-t-il pas demandé quatre cent cinquante têtes? Le maire et d'autres
membres de la municipalité n'étaient-ils pas désignés? Les cartouches n'ont-
elles pas été distribuées? Si ces faits sont avérés, si ce plan horrible, dont
tous les détails ne sont pas encore connus , n'a pas été démenti , blâmez donc une
mesure que vous ne permettez pas de blâmer lorsque vous l'avez prise. Quelles
étaient cependant ces circonstances? Quelques étourdis avaient brisé des plan-
ches ; c'est pour cela que huit mille hommes ?ont convoqués par des courriers
extraordinaires. ]^Iais je me respecte ; les réflexions m'entraîneraient trop loin. »
{lournal de Lyon, loc. cit.) ( Kote des ailleurs.')
'
FÉVRIER (1793). 401
pu être éprouvée d'aucune manière ; et pour les en convaincre ,
il les conduit dans divers lieux de la prison où les morceaux
étaient séparément renfermés, de manière que par un excès
même de précaution ils ne pouvaient être rassemblés que par
ceux qui avaient habitude de le faire.
Les commissaires font leur rapport. Le conseil-général invite
les corps armés à se retirer, ce qui est effectué à l'instant. Dès
ce moment le maire ne piraît plus à la Maison commune; en vain
le conseil-général le somnie-t-il de se rendre à son poste , il ne
paraît pas pendant deux jours , et termine par envoyer le 7 sa
démission , non au conseil-général de la commune, mais au dé-
parlement.
Tels sont, citoyens , les premiers événemens dont Lyon a été le
théâtre. Je vous en ai fait le récit exact puisé dans les procès-ver-
baux qui vous ont été envoyés par le conseil-général de la com-
mune. J'observe ici que les autres autorités constituées ne nous
ont rien fait parvenir. Ces faits parlent sans doute assez par eux-
mêmes sans qu'il soit besoin que votre comité y ajoute de lon-
gues réflexions.
Vous avez dû sentir tous combien était irrégulière et pusilfti-
nime la conduite tenue par le maire dans celte importante cir-
constance. Et en effet , quelle inconsidération de la part d'un
magistrat du peuple de requérir une force armée considérable
sans avoir consulté le conseil-général, dont il est le chef, sans avoir
pris la précaution de l^ire vérifier si les rapports, si les bruits
répandus avaient quelque fondement! Je veux bien encore accor-
der que ces craintes chimériques eussent quelque espèce de réa-
lité , le maire ne devait-il pos rester à son poste, et concerter
avec ses collèjj[ues les moyens d'empêcher ce qu'il redoutait? Il
nous en coûie iiop de penser que le maire de Lyon ait eu des
intentions perfides ; mais au moins nous devons dire qu'il n'a pas
fait ce qu'il devait , et que sous tous les rapports sa conduite est
Irès-blàmable : et elle i(> paraît encore bien plus lorsqu'on !a com-
pare à celle de ce conseil- général, dont tous les membres restent,
sans désemparer pendant six jours, se répandent dans tous les
T. XXIV, î20
402 CONVENTION NATIONALE.
quartiers de la ville, invitent les citoyens au calme, et s'occupent
avec un zèle constant et non interrompu des moyens de maintenir
l'ordre public, que tant de malveilians voulaient troubler. Les poi-
gnards des assassins aux gages de l'aristocratie étaient suspen-
dus sur leurs têtes ; les évënemens subséquens l'ont prouvé ; mais
rien ne les effraie , ils s'oublient eux-mêmes pour sauver leurs
concitoyens. La conduite de ces courageux magistrats sera sans
doute approuvée par la Convention nalionuîe.
Citoyens, ce rapport était terminé, lorsque des nouvelles très-
alarmantes nous sont arrivées. Au moment où nous vous parlons,
la contre-révolution s'opère à Lyon. Les aristocrates, que l'on
disait ici avoir quitté la ville par la terreur que leur avaient in-
spirée les visites domiciliaires , viennent de se montrer avec plus
d'audace que jamais. Le club central vient d'être détruit , ses ar-
chives enlevées, ses effets brûlés sur la place publique. Le feu a
même été mis à l'arbre de la liberté, qui aurait été réduit en cen-
dres sans le courage des patriotes, qui , épars et poursuivis par
les poignards, se sont cependant laliiés pour sauver ce fanal
des bons citoyens (1). La statue de la liberté et le buste de Jean-
Jacques ont été enlevés et cloués avec un méprisant dédain à
l'arbre de la liberté.
Le tribunal du district a été obligé d'interrompre ses séances;
ses membres ont été forcés de se réfugier à !a Maison commune.
Les postes de l'arsenal et de la poudrière sont entre les mains
des contre-révolutionnaires (2). Un courrier de l'armée, qui était
chargé de dépêches pour Paris , a été empêché de continuer sa
route; on lui a refusé des chevaux. Nivière Chol, cet homme
qui avait si lâchement abandonné son poste au moment où hii-
(t ) t Le feu n'a pas été mis à l'arbre de la liberté ; c'est une imposture, quoique
certifié par un placard signe Laussel. » (Journal de Lyon, loc. cit.)
(2) « Les portes de l'arsenal et de la poudrière n'étaient pas entre les mains
des révoltés; c'est encore une imposture. » {Journal de Lyon, loc. cit.) — Ici
J.-L. Fain est en contradiction avec lui-même , car dans l'extrait que nous avons
fait de son récit, il affirme très-positivement, et dans le plus graud déiail, que
l'arsenal était gardé par le batailion armé de cette section , lequel répondit à
deux députations de la Commune, qu'il ne connaissait plus ni lois ni autorités
constituées. (Note des auteurs.)
FÉVRIER ( 1795 ). 405
même annonçait nn (îrand danger , vient d'être réélu par les aris-
tocrates, qui , pour la première fois, sont allés dans leurs sections
et en ont exclu les sans-culottes. Enfin tout annonce que cette
ville est en ce moment dans le plus grand danger. Aucunes nou-
velles officielles ne vous sont parvenues. Toutes les autorités
constituées se taisent , et peut-être le sang a déjà coulé dans cette
ville.
Empressez- vous, citoyens, de voler au secours des patriotes
opprimés , donnez-leur les moyens de terrasser les ennemis de
la révolution dont ils sont environnés. Craignez que cette étin-
celle contre-révolutionnaire ne se communique aux autres parties
de la Républi'jue. Dans le moment où nous allons de toutes parts
être attaqués par les ennemis extérieurs, il faut anéantir ceux
de l'intérieur; car vous ne pouvez pas vous dissimuler (pie tous
ces mouvemens n'aient entre eux un<; extrême coDnexilé; ce sont
les agens des cours de Londres , de Berlin , de Madrid , de
Vienne, qui partout excitent ces désordres; ce sont leurs ma-
chinations infernales qu'il faut détruite avant d'entrer en cam-
pagne. Déployez une grande sévérité contre tous ces hommes qui
ne respirent que pour renverser la liberté et réédifier sur ses dé-
bris le trône du despotisme. Il en est temps encore; parlez, et
bientôt ces vils insectes seront renflés diins le néant, d'où ils n'au-
raient jamais dû sortir. A votre voix , nos généreux frères d'ar-
mes marcheront pour disperser ces hordes impures de biigands
qui infectent notre territoire.
Tallien termine son rapport par un projet de décret que l'as-
semblée adopte en ces termes :
« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de
son comité de sûreté générale, sur les troubles arrivés à Lyon ,
décrète :
» Art. i. Il sera, séance tenante, nommé trois commissaires
pris dans le sein de la Convention nationale, lesquels partiront
dans le jour pour se rendre dans le plus bref déh.i à Lyon, h
l'effet d'y rétablir l'ordre.
» 2. Les commissaires seront revêtus des mêmes pouvoirs ac-
404 CONVENTION NATIONALE,
cordés aux autres commissaires de la Convention nationale»
» 3. Le conseil executif fera sur-le-champ passer à Lyon des
forces suffisantes pour y protéger le rétablissement de l'ordre.»]
CLUB DES JAGOBIIVS ET BULLETIN MUNICIPAL.
En outre des deux matières de cet intitulé, nous avions annoncé
que notre quaîrième chapitre du mois de février renfermerait
un paragraphe consacré à la presse. Tous les extraits de journaux
susceptibles d'être recueillis ayant été placés par nous avec les
séances de la Convention , nous n'avons rien à y ajouter.
Trois sujets principaux occupent les séances des Jacobins pen-
dant le mois: l'organisation de l'armée; la question de savoir si
les assemblées primaires retireront leur mandat aux députés qui
ont voté l'appel au peuple; le projet de constitution présenté par
Gondorcet à la Convention nationale.
Le projet du Dubois-Crancé excita le plus grand enthousiasme.
Dans la séance du 8 février, la société arrêta de faire tirer mille
exemplaires de ce plan d'organisation mihtaire pour qu'ils fussent
distribués aux volontaires des troupes de ligne.
La question des appelans, c'est ainsi que l'on désignait ceux
(|ui avaient voté l'appel au peuple, fut souvent et chaudement
disciuée. Le passage suivant extrait du Patriote Français ,
n. MCCICIII, nous apprend que le club des Cordeiiers avait
eu l'initiative de celte motion : « La doctrine des meneurs Cor-
deiiers varie avec les événemens. Cinq à six factieux rassemblés
dans un coin bien ignoré de la République, et s'inlitulant une so-
ciété, s'avisent, dans leur délire, de proposer la révocation des
députés qui ont voté rapj)el au peuple ; et aussitôt on discute
gravement celte révocation aux Jacobins , où naguère on traitait
les révocations de blasphème , d'attentats à la souveraineté, parce
qu'il était question de leurs i^voris, les massacreurs du 2 sep-
lenjbre. » A la séance des Jacobins du 17 février {Journal du
Club, n. CGCLYII), Ricaud, de Marseille, annonça que les Ja-
FÉVRIER (1793). 405
cobins de cette ville avaient fait un scrutin épuratoire, « en chas-
sant à coups de bâton les coquins de leurs sociétés. (Applaudi.) »
Il annonça de plus que Barbaroux r-.vait écrit à 3Iarse;llt', et qu'il
avait, « comme un lâche, demandé pardon de ses perfidies. La
société de Marseille, ajoute Ricaud, convaincue que ceux qui ont
voté l'appel au peuple sont les ennemis déclarés de la Répu-
blique, a formé le projet de les rappeler. (Vifsapp'audissemens.) i
Après Ricaud, Ilassenfratz monta à la tribune, et dit : « Déjà la
section du faubourg Montmartre vient d'arrêter, dans une de ses
séances, de rappeler deux députés parjures qui n'ont pas voté
pour la mort de Louis Cnpet. Je demande que la société invite les
quarante-sopt autres sections à suivre l'exemple df' la section du
faubourg Montmartre, et à donner ainsi l'impulsion à tous les
autres départemens de la République. » Cette proposUion fut
adoptée. Saint-André prit aussitôt la parole. Il combattit cet ar-
rêté au no.m des principes. Faisant d'ailleurs toutes les conces-
sions à l'égard des députés qui avaient trahi leurs devoirs. < Si
les départemens, s'écria-t-il, avaient le droit de rappeler leurs
députés , il en résulterait qu'ils seraient subordonnés à leurs com-
mettans, qui conserveraient sur eux une souveraineté contraire à
la liberté des opinions. La mesure qui vous est proposée est une
vraie mesure de fédé/ alisme ; elle tend à concentrer la souve-
raineté dans chaque département, ^ ïhuriol parla aussi dans ce
sens, et la société rapporta son arrêté. A la séance du 27, Des-
fieux rouvrit la discussion sur cette matière. Il dit que la majo; ité
des sociétés affiliées demandait le rappel des députés infidèles à
la cause du peuple , 'et qu'il fallait mettre à l'ordre du jour, non
pas la question , mais le mode du rappel et la peine qu'on devait
leur infliger. Robespierre s'éleva contre le rappel, et il fitarrêtei-
qu'on écrirait là-dessus une adresse ^cnt la rédaction lui fut con-
fiée. Voici son discours :
Robespierre. « Si nous décidions sui-le-champ celte question,
si la pétition de fllarseille nous entraînait dans des mesures incon-
sidérées, que résulterait-il de l'exécution de celte idée? Je ne
parle pas du danger d'occuper les citoyens d'éieeiions nouvel'es.
406 CONVEMION NATIONALE.
lorsqu'il faut s'occuper du danger de la patrie. Nous avons à pas-
ser au creuset de l'anaiyîe et de la discussion la constitution dont
les inirigans nous ont tracé le plan insidieux. Nous avons à faire
les préparatifs nécessaires pour résister à tous les despotes de
l'univers. Je demande si , dans ce double embarras, nous devons
nous engager dans une nouveile arène de cabale et d'intrigue !
» Que résulterait-il du changement des députés ? la Conven-
tion nationale en serait-elle plus pure? En résulterait-il que les
députés élimines seraient remplacés par des députés plus dignes
de la confiance publique ? Si l'on suivait les principes , il est évi-
dent qu'ils seraient remplacés par les suppléans. Or, la même
inli igue qui a nommé de mauvais députés , a nommé de mauvais,
suppléans ; ei remarquez que les suppléans ont déjà toute ia dupli-
cité , toute la perfidie de ceux que l'on veut chasser. Tous les
aristocrates l'ont cause commune ; ils sont tous ligués contre les
patriotes.
> Un autre désavantage naîtrait de la mesure proposée : c'est
que ceux qu'on veut chasser sont des intiigans connus, et ils se-
raient lemplacés par des iatrigans encore couverts du masque du
pairiolisme. Remarquez bien que les mandataires infidèles ne,
sont inconnus que parce qu'ils ont l'art de cacher leur perfidie
sous Its couleurs du civisme.
» Il résulte de ces données que le système du rappel distrairait
l'attention publique des grands dangers qui doivent l'occuper sans
partage. En formant de n(»uvelles assemblées primaires ,. on se-
conderait les vues secrètes dfs intrigans, qui veulent y jeter toutes
les semeiices de la discorde , et y allumer tous les brandons de la
guerre civile. Le liioyen de déjouer leurs coiiiplois et de les ré-
duire à 1 iuipossibiiité de nuire, c'est de les démasquer entière-
ment et de les marquer du sceau de l'ignominie.
» Lhs sociétés populaii'es doivent s'ai-nier de la censure ; les
patriotes armés du sceptre de l'opinion briseront aisé.::ent le
sceptre du despotisme et de l'intrigue. Que les sociétés populaires
chassent de leur sein les députés infidèles. Prouvons qu'il y a une
coalition criminelle entre les intrigans et les cabinets étrangers.
FÉVRiliR (1795). 407
Faisons apercevoir que Brissot s'est exprimé sur la mort du tyran
des Français comme Pitt ei ses partisans de Londres. Prouvons
que les mêmes hommes qui excitent des (roubles affament le
peuple, qu'ils disposent de tous les trésors de la République, dont
ils tiennent les destinées dans leurs mains.
t Je conclus que le comité de correspondance doit déclarer aux
sociétés affiliées que nous partageons leurs principes, que nous
sommes animés du même esprit qu'elles, mais qu'au lieu de de-
mander le rappel des députes infidèles , nous croyons devoir les
flétrir de la censure civique , et les livrer à la honte de la nullité
et de l'impuissance de nuire. » (Journal des débals des Jacobins ,
n. CCCLXIII.)
Le projet de constitution, ainsi que nous l'avons dit ailleurs,
lut immédiatement attaqué par les Jacobins. Dès la séance du 16,
ils avaient déjà passé en revue le travail de Condorcet. Entre ce
club et les journaux f^irondins il s'engajj;ea une polémique toute
personnelle; on échangea force épi^rammes et force injures. Les
montagnards ne pardonnaient pas à Gensouné de les avoir com-
parés aux oies du Capitule. Depuis quelque femps ils l'avaient
surnommé, à cause de son accent nyzillard , le canard de la Gi-
ronde ; et comme c'était lui qui avait lu la plus grande partie de
la constitution , cela rie contribuait pas peu à augmenter le chapi-
tre des plaisanteries. Marai en av:iit le fou rire. Il intitule im de
ses numéros : le Canard de la Gironde mamjc par les oies du
Capitole.
A la séance du 17, Antoine dit : * La constitution qu'on nous a
présentée est un chef-d'œuvre de ridicule, pour ne pas dire de
• perfidie ; à la veille d'une guerre générale, il faut un point fie
réunion auprès duquel tous les Français puissent se rallier. Je
demande que dans quinze jours voue comité de constitution vous
présente son plan qui sera discuté ici, ensuite présenté à la tri-
bune de la Convention , où il passera s'il esi bon, car la majorité
des législateurs veut une bonne con^iilulion. »
Couilion. « Je ne juge pas encore le projet dans ses détails; il
faut que je médite sérieusement sur les articles (lui le coniposent ;
408 CONVENTION NATIONALE.
mais voici ce que j'ai pensé irrévocablement. La déclaration des
droits m'a paru d'une abstraction affectée ; les droits naturels n'y
sont pas assez clairement exposés ; le principe de la résistance à
l'oppression est posé d'une manière inintelligible et absurde. Une
constitution doit être le catéchisme du genre humain ; il faut
qu'elle soit à la portée de tout le monde Je voudrais qu'aussi-
tôt après qu'on aura distribué aux membres de la Convention les
projets qui auront été lus, il s'ouvrît ici pendant une huitaine une
discussion , et qu'après le développement des grands principes
qui doivent être la base de cet important ouvrage, il fût ordonné
à notre comité de se clore pour cravailler sans distraction , et de
ne pas désemparer sans avoir présenté un projet qui serait im-
primé à l'imprimerie nationale , conformément au décret rendu
à cet égard , et envoyé à tous les départemens et aux sociétés affi-
liées. Il en serait fait lecture à la tribune de la Convention na-
tionale, et la Montagne ferait tous ses efforts pour lui faire
obtenir la priorité , à moins qu'un député n'en présentât un
meilleur. » Après une courte discussion , l'arrêté de la société
fut conforme a la proposition de Coulhon. {Journal du club y
n. CCGLVll.)
A la séance du 18 , le président nomma les membres qui com-
posaient le comité de constitution ; c'étaient : Saint- André , Ro-
bert , Thuriot, BentaboUe, Robespierre, Billaud-Varennes, An-
toine, Saint-Just. On proposa de leur adjoindre Dubois-Crancé,
Collot-d'Herbois , Anacharsis Clooiz et Coulhon. Cette proposi-
tion fut adoptée; et, sur la motion de Desfieux, tous les citoyens
furent invités à payer à ce comité le tribut de leurs lumières.
A la séance du 22 , GolIot-d'Herbois dit : « Vous avez nommé
un comité de constitution, et vous l'avez chargé de vous présen-
ter dans quinze jours un plan de cunsiiiulion f assurément la
tâche est pénible, et le temps est court , puisque ceux qui se di-
sent nos maîtres, qui se croient plus savans que nous, ont été
cinq mois à faire une constitution qui sera sacrée sans doute pour
le peuple français, car il n'y touchera pas. (Vifs applaudisse-
mens.)
fFÉvRiEu (i795). 409
» Il se pourrait bien que dans quinze jours nous ne pussions
remplir vos vœux. Je voudrais qu'on ne s'amusât pas à discuter,
à analyser la constitution dans toute sa latitude, mais seulement
à poser les bases de l'édifice de la liberté , et que les orateurs
soient circonscrils dans l'arrondissement de ces bases. Nous ne
vous présenterons pas une constitution dans quinze jours, mais
au moins une déclaration des droits de l'homme , fondée sur les
vrais principes de la liberté et de l'égalité. 11 ne faut point de con-
seil exécutif, il deviendrait trop {jros et gras; il ne faut qu'un
atelier exécutif, qu'un atelier obéissant, où tous les ouvriers
soient attachés à la besogne.
» Chez Beurnonville on est en pleine aristocratie, personne
n'en doute ; ceux qui chez Pache fiiisaient les patriotes tiennent
aujourd'hui un langage toul-à-fait aristocrate ; ils avaient les
cheveux noirs, aujourd'hui ils sont frisés à loiile creinlc. Crs hom-
mes-là sont comme les jardiniers chinois, qui cherchent toujouis
à aplatir les arbres ; mais les arbres poussent malgré les jardi-
niers , et c'est ce qui arrive au peuple français.
> La constitution est écrite dans le cœur des bons citoyens qui
ont l'ait la journée du JO août. Il n'y avait pas là de savans. C'est
à nous à mépriser toutes les attaques que nous font les brisso-
tins, faiseurs de journaux et d'épigrammes. Laissons leur leur
existence scientifique, et travaillons au bonheur du peuple ; nous
déjouerons aisément leurs complots aussi intéres-^és que puérils.
Ils veulent laisser subsister l'ancien régime sons un nom diffé-
rent. Que m'importe !e nom ? que m'iriiporte si je n" vois plus le
parlement, le clerg('', si tous les abus, si tous les piéjugés qui
pesaient alors sur la Fi'ance reparaissent sous une :Mitrc forme?
Depuis le premier chapitre de leur plan de constitution jusqu'au
dernier, on voit percer la défiance du choix du peuple. Ils savent
bien que le peuple ne les choisTî pa«, ft c'r'^st pour cela que, pnr
des formes divergentes, ils voudraient rapp^^ler .-^on atteniion.
Pour choi-ir, il ne f.iul pas tant de façons : le peuple sait bien ce
qu'il doit aimer, ce qu'il doit hoir.
» Les intrigans ont laissé subsister le mol de talens ; ils veulent
410 CONVENfïON NATIONALE.
des talens , et nous , nous ne voulons que des vertus. Laissons-
les avec leurs laieos, ils nous mèneraient trop bien. Les brisso-
tins ont un talent supérieur, c'est de savoir fouiller dans les
poches de leurs voisins , et ce n'est pas là un titre pour obtenir des
places. Attachons-nous à lasouveraineié du peuple, toujours mé-
connue. Les mots sont présens , mais la chose est absente. Je
vous demande ce que c'est qu'un commettant qui prie ses dé-
légués de prendre telle chose eu considération. Allons aux bases
de la constitution : ce sont les vertus républicaines, elles forment
la constitution, comme les départemens forment la République. »
{Journal du club, n. CCChlX.)
— Parmi les nombreux incidens qui viennent interrompre les
discussions à l'ordre du jour dont l'imalyse précède, nous devons
mentionner de fréquentes dénonciations contre Beurnonville. A
l'exception de la séance du 25 février que nous avons placée dans
la journée de ce nom (voir plus hawt) , 1^ club s'occupa fort peu
des subsistances. Les troubles de Lyon y eurent un grand reten-
tissement. Taliien paraphrasa le rapport qu'il on avait fait à la
Convention. Collot-d'Herbois monta à la tribune après lui. Ses
dernières paroles attestent que la municipalité lyonnaise avait agi
sous la direction des Jacobins de Paris ; elles annoncent en même
temps l'énergie avec laquelle ce proconsul futur du département
de Rhône-et-Loire allait bientôt procéder contre les rebelles.
« Si la municipalité de Lyun est coupable, dit CuUot-d'Herbois ,
c'est à nous qu'il faut s'en prendre. Nous lui avons conseillé les
visites domiciliaires, ei moi-même je me déclare son complice. »
(Dans ce moment, Delmas se disposait à sortir. L'orateur s'é-
cria : <^ Delmas, reste ici, il s'agit du salut de la patrie. » Applau-
dissemens.) ÇoUot-d'Herbois continue aiasi : « Si dans ces visites
domiciliaires les principes avaient été violés, je serais le premier à
les dénoncer ; mais on n'a à reprocher aux officiers municipaux
que l'excès de l'indulgence. Les jolies femmes les ont attendris,
et il n'est resté en état d'arrestation que les aristocrates mon-
strueux, tels que Lambert et autres; tout le fretin, tout le petit
poisson a été mis en liberté Lyon est devenu le premier poste
iévkiek(1795). 4M
de !a contre-révolution , c'est là qu'il faut combattre nos ennemis.
C'est au moment que nous avons besoin d'ëlectriser les âmes
qu'on veut étouffer l'espiii public, énerver le courage des forts et
décourager les faibles. Demain, il faut nous réunir en force à la
Moniagne, et périr s'il le hul, pour faire approuver la munici-
palité, et nommer quatre commissaires à i'effet de requérir l'ar-
mée de Kellermann s'il est nécessaire. » {Journal du club,
n. CGCLXIl.) *
Bullelin municipal.
l^'^ février. Plusieurs sections se plaignent du renchérissement
du pain, annoncent dt;srassen)blenieas qui menacent les boulan-
ge! s, et demandent que le corps municipal prenne des mesures
propres à ramener le calme. Une discussion s'élève sur la ques-
tion de savoir s'il convient de porter le pain de quatre livres au
prix de treize sous ou de le maintenir au prix actuel; après de
vifs débats, « le corps municipal arrête: 1° de renvoyer cette
question aux sections elles-mêmes; 2" de leur adresser ïavîs au
peuple rédigé par le citoyen Garin , afin de les mettre en état de
délibérer avec une connaissance exacte des motifs qui plaident
pour et contre l'augmentation. Signé, Cuambon, maire; Méhé ,
(jrcffier-adjoint. »
5 février. On lut dans <:etie séance une lettre de Santerre où il
proposait deux moyens économiques dont tous les journaux du
temps firent des gorges chaudes. « Pour ma part, écrivait San-
tene, je propose deux moyens : le premier est que les citoyens
aisés et ijui aiment le Lien général remplacent le pain, deux jours
la semaiij(;, par du vu » t des pommes de terre, ce qu'ils peuvent
fane et non pas les pauvres , les ouvriers ni les enîans. Cela fera
une économie, je suppoie, de la moitié de la consommation dePa-
iis , et produira eu deux jouis quinze cents sacs de farine. Le
deuxième est que dès aujourd'hui chaque citoyen se défasse vo-
lontairement de son chien i:;utik'. Paris contient en chiens et en
chats inutiles de quoi absorber !a nourriture de quinze cents hom-
412 CONVENTION NATIONALE.
mes, lesquels, à deux sous par jour, forment trois mille pesant, et
font dix sacs de farine perdus. »
4 février. On lit une lettre datée de Weissembourg le 26 jan-
vier, l'an dernier du brigandage, signée Gréhum, et adressée au
procureur de ia Commune, par laquelle il est enjoint à ce dernier,
au nom de Monsieur, régent, et du futur roi Louis XVII , de
faire arrêter et écrouer les Conventionnels, les Jacobins, « et
pareillement arrêter et enchaîner un ci-devant d'Orléans, reconnu
fils d'un valet d'écurie, pour attendre tous leur jugement de
mort. » Presque tous les journaux reproduisent intégralement
celte lettre. Le conseil-général y vit un complot vaste, ce sont les
termes de son arrêté , et l'envoya au département de police et au
comiié de sûreté générale. — Dans cette séance le pain fut taxé
à douze sous les quatre livres.
9 février. La section delà Butte-des-Moulins dénonce à la mu-
nicipalité des assemblées de paroisse qui se sont tenues dans i'é-
glise de Saint-Roch les 2o janvier, 2 et 3 février, à l'effet de.
continuer le culte divin, tel qu'il a eu lieu jusqu'à ce jour; elle
considère que le nouvel ordre qu'on vent établir dans cette église
tend à former un schisme entre les prêtres salariés par la nation
et ceux qui le seraient par cette prétendue administration , et
en même temps entre les citoyens qui s'occupent principalement
de la chose publique, et les zélés catholiques de Saint-Roch. Elle
dénonce en outre un bureau où l'on recuit les souscriptions
volontaires pour le culte divin. — Le conseil-général arrête que
cette dénonciation sera communiquée au procureur de la Com-
mune.
13 février. Le citoyen Danjou instruit le conseil qu'ayant as-
sisté à l'enlèvement des effets en or et en argent provenant de
l'église du Temple pour être poi tés à la monnaie , on y a remar-
qué une pièce d'argent sur laquelle était écrit : Denier qui a été
le prix du sang de N. S. J.-C. La valeur intrinï^èque de cette
pièce, a-t-il dit , est d'environ dix-huit sous; il serait important
de vérifier si elle a été frappée du temps de l'empereur Tibère ;
alors on pourrait la vendre fort cher à des antiquaires: — Elle a
FÉVRIER (1793). 4lS
éié envoy(^e à la commission des ans et des monumens. Quant
aux ossemens vermoulus des saints et des saintes, comme des
onze mille vierges, ils ont été brûlés.
— Jusqu'à la fin du mois, les séances du conseil-général furent
consacrées à des détails de police sur les subsistances. Nous
avons déjà donné tout entière celle du 25. Le sëSinces qui sui-
virent ne présentent de remarquable que les fréquentes inter-
ruptions jetées par le public des tribunes au sein des délibérations
municipales. Ce sont des apostrophes continuelles, des cris à bas!
ou des applaudissemens. Il s'établit quelquefois des dialogues
entre le conseil, les pétitionnaires et les tribunes; en voici un
exemple. Le 26 février, Pache occupait le fauteuil ; arrivent dos
femmes qui demandent d'abord du pain, la taxe du pain, ensuite
la taxe du savon, de la chaiidelle et du sucre. Elles se plaignent
de ce que la force armée leur en a imposé le matin , et réclament
la liberté de plusieurs de leuis caniarades qui ont été mises au
violon. < C'est l'aristocraiie marchande, dit l'une d'elles, qui
nous perd. » Les tribunes applaudissent ; elles sont rappelées à
l'ordre. Le maire repond aux pétitionnaires, et s'adressant à
l'orateur. « Par exemple , dit-il , t.i on taxait le travail de votre
mari, que diriez-vous? en seriez-vous contente? » (11 se fait du
bruit.) La pétitionnaire ne comprend rien à tout cela, et répèle sa
motion ; les tribunes l'appuient, et proposent des taxes sur toutes
les marchandises de première nécessité.
A la séance du 28 on lui un ordre du jour de Santerre contre
les grenadiers de la garde nationale , bien digne par sa forme de
figurer à côté de sa motion contre les chiens et les chats, t Une
classe d'hommes méchans et pusillanimes, dit Santerre, voudrait
avec des bonnets et des moustaches rétablir une caste dange-
leuse; le règne de l'égalité ne peut endurer cette distinction que
vis-à-vis des ennemis aux frontières, ou que la loi n'ait prononcé:
en conséquence, ordre d'arrêter toute patrouille de grenadiers,
de les désarmer et de les conduire à la police pour y être jugés. »
A la lecture de cet ordie dv. jour, Il-jberi, ayant remarqué à la
porte de la salle un factionnaire à moustaches et coiffe d'un
414 CONVENTION NATIONALE.
bonnet de grenadier, requit qu'il fût relevé à l'instant, et le fit
remplacer par un volontaire delà section du Théâtre-Français.
SITUATION DES ARMEES.
■ •
Au 1" janvier ITO.^, les armées de la République comptaient
220,000 hommes à reffeciif. Au 1" février, elles en comptaient
330,000, fournissant 200,000 hommes dans le rang. Ainsi que
nous l'avons vu dans le p.'écédent voiunie, Dubois-Crancé fit un
rapport , le 25 janvier, établissant que, !a France allant avoir à
combattre tous les rois de l'Europe , il était nécessaire d'organi-
ser d'avance une force armée de CfjO.OOO hommes, afin de'jpou-
voir entretenir !es armées sur les frontières à un compte de
400,000 hommes d'abord. Ce rapport était basé sur un mémoire
remis au comité de défense générale par le général Grimoard. Ce
mémoire est terminé par des vues nouvelles qui furent évidem-
ment la première conception àv, système militaire que la Conven-
tion ne tarda pas à appliquer, et dont l'Empire fit sa fortune.
Nous transcrivons ce passage important. « Le moyen le plus
simple de suppléer autant que possible à l'art par le nombre est
de faire une guerre de masses, c'est-à-dire de diriger toujours
sur les points d'attaque le plus de troupes et d'artillerie qu'on
pourra ; d'exiger que les généraux soient constamment à la tête
des soldats pour leur donner l'exemple du dévouement et da cou-
rage, et d'habituer les uns et les autres à ne jamais calculer le
nombre des ennemis , mais à se jeter brusquement dessus à coups
de baïonnette, sans songer ni à tirailler, ni à faire des manœuvres
auxquelles les troupes françaises actuelles ne sont nullement
exercées, ni même préparées. Cette manière de combattre, si
analogue à l'adresse, à l'impéiuosiié et au caractère naturels de
la nation, ne peut que lui donner la victoire en déroutant les ar-
mées étrangères. »
Maintenant la Constitution militaire était décrétée , et , par une
loi du 21 février, trois cent mille gardes nationaux étaient mis en
FÉVRIER ( 1795 ). 41 S
réquisition permanente ; Paris seul y était compris pour trente
mille hommes. Il y avait à peine vingt-quatre heures que le décret
sur le recrutement était rendu que déjà la section de la Réunion
envoyait défiler dans la Convention son contingent de deux cent
vingt-huit hommes.
Mais ces dispositions , quelque bien combinées qu'elles fussent,
quelque énergie de dévouement que la nation mît à les exécuter,
devaient trouver des difficultés sans nombre , tant dans les résul-
tats de l'administration de Pache que mm la iranison imminente
du général Diimourier et dans l'inhabileté du général Custine.
Tandis que les armées coalisées s'étaient renforcées de toutes
parts, les armées françaises, au contraire, avaient suivi une pro-
gression inverse, et, après toutes leurs victoires, leur position
était beaucoup plus critique qm; pendant l'invasion des Prus-
siens. Au moment où le ministre Pache quitta le département de
la guerre , le 2 février, la dissolution des années paraissait plus
vraisemblable que la réussite d'aucune mesure tondant à recom-
pléter les corps. Elles manquaient de vètemens , d'équipemens ,
d'armes, de muniiions de guerre et de bouche, de moyens de
transport, d'hôpitaux, de recrues; leur délabrement était au
comble. Nous allons tracer l'histoire de leurs opérations.
Armée du Nord.
Nous avons laissé (tom. XXIII, pag. 548) l'histoire de cette ar-
mée au moment où elle venait d'établir ses cantonnemens , et où
Dumourier la confiait aux ordres de Miranda. L'ennemi parais-
sait avoir fixé ses qiiartiers derrière l'Erfft, vers Juliers, mais
on était si mal servi par les espions , appelés alors des obseï va-
leurs , que leur rapport portail la force de l'ennemi de vingt-
trois à cjuatrc-vingt liJUe hoiimi;'S , sans qu'il fût possible de
poser un terme probable cnîre ces deux données. Le point d'Aix-
la-Chapelle fut nn objet de contestation entre les conmiissaires de
la Convention et les généraux. I^es représentans attachaient une
grande importance révolutionnaire et d'opinion à tenir Aix-la-
Ghjipelle, que l'on voulait municipaliser. Cette considération pré-
416 CONVENTION NATIONALE,
valut sur celle du désavantage que présentait l'occupation d'une
grande ville sans défense avec une armée trop peu supérieure.
En conséquence , le 17 janvier, on porta pour couvrir celte gau-
che des cantonnemens , une partie de l'avant-garde en avant de
Rureraonde, et on occupa Seinkirken et Wassemberg, Dalhein.
Cependant les Autrichiens se renforçant vers Cologne , Miranda
fit reconnaître des points de défense et fortifier des passages de la
Roër ; celte rivière de peu de défense séparait seule les deux ar-
mées.
On était tranquille à Paris d'après les assurances de Miranda ,
qui , mal informé , n'évaluait toujours les troupes autrichiennes
qu'il avait devant lui, qu'à dix-huit ou vingt mille hommes, tan-
dis qu'elles étaient du double , outre les troupes hollandaises qui
s'y étaient réunies presque secrètement , n'ayant marché que par
pelotons détachés sur différentes routes et à des époques éloi-
gnées. Le rapprochement des postes avancés occasionnah jour-
nellement des combats de détails ; ceux de Wassemberg et Ars-
bek (2 février) furent les plus remarquables. Ces postes furent
pris ,*ptrdus et repris entre deux corps d'environ mille hommes
de chi;que côté.
Miranda ordonna alors le siège ou plutôt le blocus de Maes-
trichî. Celte opération marque l'époque du changement de for-
tune ; elle ouvre la série des revers qui se succédèrent rapide-
ment durant celte campagne. Jïaestricht était occupé par une
garnison hollandaise. Dès le mois de janvier, quoique la guerre
n'eût pas encore été déclarée aux Provinces-Unies , Dumourier,
sentant l'importance de ce poste et s'aulorisant des exemples
donnés dans les (-uerres antérieures, où le plus fort s'était assuré
deMaestiicht sous l'engagement de le rendre à la paix, avait
songé à s'en emparer avec quinze mille hommes; il était impos-
sible à Miranda de l^ire le siège dans les règles et de le pousser
avec vigueur. La place était bloquée le 6 février; la tranchée avait
été ouverte le 21. La prise du fort de Stephenvertz par Moreau,
alors offî.ier supérieur d'infanterie, et celle du fort Saint-Michel,
vis-à-vis de Wenloo, auraient pu faciliter les travaux de Miranda.
FÉVRIER (1793). 417
Mais, faute de monde , le bombardement était pousse avec mol-
lesse et traînait en longueur. Sur ces entrefaites , les ennemis
ayant attaqué et forcé la ligne des cantonnemens sur la Roër, on
fut obligé de lever le siège de Maestricht le o mars.
Le siège de Maestricht se rattachait au plan de campagne que
Dumourier avait conçu. Tandis que son armée , dispersée sur la
Meuse, paraissait à peine en état de soutenir une défensive péni-
ble contre les préparatifs des Prussiens et des Autrichiens réunis,
il imagina et résolut l'invasion et la conquête de la Holhinde. En
cela, il poursuivait un but personnel qu'il a depuis fait connaître
dans ses mémoires.
Quelques réfugiés hollandais avaient formé un comité à An-
vers ; d'après leuis assertions , leur parti parut très-considérable
ù Dumourier, surtout à Amsterdam, à Harlem , à Dordrecht et
en Zélande, où ce comité proposait une irruption ; le général eut
l'air d'adopter ses idées, mais il avait un projet^ selon lui, bien
plus sûr et bien plus vaste : il voulait s'avancer avec un corps
d'armée sur le Moerdick , en masquant les places de Breda , Ger-
truidemberg , Klundert et Wilemstads sur la gauche , tenter le
passage de cette espèce de bras de mer appelé le 3Ioerdick pour
arriver à Dordrecht, où , une lois débarqué, il se trouvait dans le
cœur de la Hollande et ne pouvait plus rencontrer d'obstacles en
marchant par Rotterdam , La Haye, Leyde et Harlem, sur Ams-
terdam. Il prenait alors à revers toutes les défenses de la Hol-
lande; en même temps le général Miranda , occupé avec une
partie de l'armée à masquer et à bombarder Maestricht, lorsqu'il
aurait su ie général Dumourier débarqué à Dordrecht, devait
laisser continuer le siège de 3Iaesiriclit par le général Valence, et
marcher avec vingt-cinq milh: hommes sur JNimègue, où le géné-
ral Dumourier l'aurait rejoint par Ulrecht.
Une fois maître de la Hollande , le général Dumourier ne voyait
plus d'obstacles à l'accomplissenient de ses projfts; il donnait
une constitution aux Piovinces-Unips et à la Belgique réunies; il
en écartait les commissaires de la Convention ; il s'assurait des
possessions holiandaises dans l'Inde, il en renforçait hsgarni-
T. XXIV. i27
418 CONVENTION f-ATlONALE.
sons, il décidait les Anglais à la neutralité, les Autrichiens à une
suspension d'armes , la France à une alliance avec les nouvelles
conquêtes , et , devenu le sauveur et le souverain régulateur des
destinées des dix-sept provinces des Pays-Bas , si la Convention
hésitait un moment d'accepter ses propositions , il marchait sur
Paris pour écraser les Jacobins et établir une constitution à son
gré , et mettre dans la personne du duc de Chartres la maison
d'Orléans sur le trône de France. Tel est le plan que Dumourier
a consigné dans ses mémoires.
D'après les ordres qu'il avait donnés, on avait tiré, dès le
i6 janvier, tout ce qu'il y avait de troupes disponibles dans le
département du Nord ; les garnisons de Bruges , Ostende, Gand
et Dendermonde avaient marché sur Anvers et avaient été rem-
placées par d'autres troupes venues de l'intérieur.
L'armée destinée à l'expédition consistait en vingt bataillons ,
environ mille chevaux , peu d'artillerie et quelques troupes lé-
gères belges et baiaves , en tout à peu près quatorze mille hom-
mes divisés en quatre corps.
L'avant-garde, commandée par le général Berneron, était com-
posée de deux bataillons nationaux , deux bataves , cent hussards
belges, cent cinquante cavaliers de la légion du Nord, cinquante
dragons français, quatre-vingts dragons bataves et trois cents
chasseurs.
La colonne de droite, aux ordres du général d'Arçon , habile
ingénieur, ayant sous lui le colonel Westermann , était de neuf
bataillons de volontaires , deux incomplets de gendarmerie, cent
cinquante hussards.
Le colonel Leclerc commandait la division de gauche, forte de
neuf bataillons de volontaires et de cent cinquante hussards.
L'arrière-garde , conduite par le colonel Tilli , consistait en un
bataillon de volontaires , un de Bataves , deux cents Belges, cent
cavaliers français et cent hussards belges.
L'armée entra sur le territoire hollandais le 17 février, et
s'établit dans des cantonnemens très-serrés de Berg-op-Zoom à
Bréda. Le général Dumourier partit le 22 d'Anvers avec l'ariil-
MARS (1793). 419
lerie et les dernières li oupes. Le général Berneron devait se por-
ter sur la Merck entre Oudenbosck, Steenberg et Bréda, et déta-
cher le lieutenant -colonel Daendels avec huit cents hooames
d'infanterie et cent de cavalerie sur Roovaert , le Moerdich et 1^
Swahve, pour y rassembler et y retenir tous les bàlimens et ba-
teaux qui s'y trouveraient. Ce mouvement ayant été renvoyé
au 22, l'ennemi , sans doute prévenu, retira ses navires et ses ba-
teaux sur le bord opposé, etôla ainsi les premiers njoyeris de pas-
sage aux Français, qui s'emparèrent de Bréda le 24 février, et
de Klunderl le 26. Là se terminent les actes militaires de l'armée
du Nord pendant février 1793.
L'armée du Rhin occupait toujours ses cantonnemens. Les
commissaires de la Convention , depuis leur arrivée à 3Iayence ,
s'étaient emparés de tous les pouvoirs. Réduit à un rôle secon-
daire, Gusline psétexta le besoin d'aller visiter les postes et les
places le long du Rhin j mais cette inspection ne pouvait être de
longue durée. Il supposa des affaires pressantes qui l'appelaient
à Paris, et il obtint du pouvoir exécutif la permission de s'y ren-
dre dans les premiers jours de mars.
MARS 1793.
Nous entrons dans le mois où furent déci élées toutes les gran-
des mesures du régime conventionnel. Après quatre années de
continuelles alarmes , après les exécutions satglantes du tribunal
criminel du 17 août et les massacres de septembre; après cette
foule d'événemens qui frappent tant d'existences ei semblent avoir
comblé , de tout ce que les vicissitudes sociales ont de plus re-
doutable, l'espace qui sépare la prise de la Bastille du 21 jan-
vier 1793, on croirait que les bornes de la crainte et celles de la
menace ne peuvent plus êire reculées. Mais il n'en est point
420 CONVENTION NATIONALE.
ainsi: à inesure que la révolution s'avance, ces bornes marchent
devant e'ie.
En assistant aux manifestations de cette force fatale qui sauva
la nation par les dévouemens populaires, et qui châtia si impi-
toyablement les prêtres , les nobles , les riches, les philosophes ,
les littérateurs, tous ceux enfin dont la direction et dont l'ensei-
fjnement avaient presque anéanti notre nationalité , on se de-
nmnde avec effroi où s'arrêtera le fléau. Ce n'est rien que de sa-
voir combien la révolution a eu de journées violentes, et combien
ces jourr.ées préparèrent de funérailles ; ce n'est rien que de sa-
voir l'histoire des émeutes , des insurrections , de la guerre civile :
dans tout cela, en effet, la révolution montre, pour ainsi dire,
ce qu'elle a de naturel et d'extérieur ; elle n'est plus que le drame
des passions humaines. Ceux qui veulent la comprendre de
manière à !a seniir comme les contemporains eux-mêmes, doi-
vent en chercher les terreurs autre part. Elles sont dans les mots
que la révolution a créés , ou auxquels elle a donné un sens nou-
veau ; dans celte langue qu'il est impossible d'entendre si l'on ou-
blie un instant qu'elle personnifie tout ce qu'elle nomme. Les
brigands, ladiseite, le tocsin, la trahison, le club, la guillotine,
sont des personnifications vivoiites. li y a une ame et une volonté
dans les mots Convention , Commune , section , jacobin , corde-
lier, et lorsque viennent ceux de tribunal révolutionnaire et de
comité de salut public, on dirait que la terreur ne s'était encore
qu'essavée en des formes empruntées et qu'elle apparaît mainte-
nant sous sa figure véritable.
Le mouvement moral que nous avons à reproduire présente
une telle détresse chez les uns, une telle résignation chez les au-
tres, une audace si froide et si résolue chez ceux qui ordonnent
et gouvernent , qu'une fatalité aussi indifférente pour ses minis-
tres que pour ses victimes domino incessamment à nos yeux tou-
tes les scènes dont la France est agitée. Nous ne saurions trop
je répéter, cette fatalité se témoigne surtout (jans la langue de
l'époque. Les Girondins et les Jacobins parlent de la révolution
comme d'une force de l'ordre brut. Les premiers intitulent à
MARS (1795). 421
celte heure leurs articles principaux : tliermomeire de Cesprit pu-
blic, les seconds disent plus que jamais qu'il faut être à la hau-
teur. Il n'y a pas une dénomination poliiique qui ne suit ou ne
puisse devenir un instrument de proscription ; tous les termes
trop vagues ou trop faibles par lesquels on désignait naguère la
foule des indifférens qui u'avaienl point de parti, ou qui hési-
laieni dans des nuances difficiles à qualifier, sont remplacés par
le nom commun de suspect.
Les séances de la Convention, pendant le mois de mars, ren-
ferment visiblement le germe de toutes les catastrophes qui se
succéderont jusqu'au 2 avril 179i, jour où Danton et ses amis
comparaîtront devant le tribunal révoiutionnaire. On lit son ar-
rêt de mort dans la manière embarrassée dont il répond à ceux
qui l'interpellent sur ses dernières relations avec Dumourier.
Tout, jusqu'aux exagérations évidentes de son zMe réveillé en
sursaut, ti'ahit dans ce pfrsonnage de sérieuses îuéoccupaiions
personnelles. Le 9 thermidor ne s'annonce point encore. Qnant
au 31 mai, il commence déjà. Ce ne sont plus enîre la Giron-
de et la 3Iontagne des disputes bruyantes , des colères qui se
satisfont par des injures et des altercations. Un pouvoir formi-
dable tel que les uns et les autres le veulent existe dans l'assem-
blée. Ce pouvoir se manifeste par l'énergie des décreis qui sont
rendus contre les ennemis de la révolution. Les deux partis lut-
tent pour s'en emparer; ils s'acharnent sur ce glaive nu, et
certes, ce n'est point pour ie briser après l'avoir arraché à leurs
antagonistes que les Girondins réunissent aujourd'hui leurs ef-
forts L'aspect général de la Convention , la guerre entre le côté
droit et le côté gauche, et la cause (jui maintient la majorité, et
par elle le pouvoir, sont très-exaclemvnt résumés dans la séance
où les quarante-huit sections viennent demander ù l'assemblée si
elle croit pouvoir sauver la patrio. Gnmon df'clare que l'on en
est arrivé au point où il est impof-sib!- aux njembres do l'assem-
blée de se réunir sincèrement et de morcher d'accord ; Boyer-
Fonfrède rappelle que tous les décrets qui tiennent à l'intérêt
généra! do la patrie et à 'a g!c>ire d"S armées ont él(î rendus à
422 CONVENTION NATIONALE.
Tunaniuiitë. Les actes du pouvoir conventionnel sont dans les
mesures suivantes.
Le i" mars la trahison ou l'ignorance des généraux amendes
revers de la Belgique et du Palaiinat; le o , une lettre des com-
missaires auprès de l'armée du nord annonce l'évacuation d'Aix-
la-Chapelle, et la cessation du bombardement de Maestricht.
Quelques membres veulent que cette lettre soit renvoyée , sans
être lue, au comité de défense générale. Billaud-Varennes s'écrie :
€ Il ne faut rien cacher au peuple ; c'est à la nouvelle de la prise
de Verdun qu'il s'est levé, et qu'il a sauvé la patrie, i La lettre
est lue aussitôt. Le 7 mars, Barrère fait un rapport sur les actes
d'hostilité de l'Espagne , et la guerre est déclarée à cette puis-
sance. Le 8 mars on apprend la levée du siège de Maestricht, et
la retraite sur Vaîenciennes ; un décret envoie quatre-vingt-seize
commissaiies dans les sections de Paris pour engager les habi-
tans à prendre les armes et à voler aux frontières. Le 9 , l'as-
semblée décrète qu'il sera formé un tribunal criminel extraor-
dinaire, sans appe! ni recours au tribunal de cassation , chargé
du jugement de tous les délits relatifs à la révolution. Sur la mo-
tion de Lacîoix , d'Eure-ei-Loir , un décret oidonne à ceux des
conventionnels qui rédigent des journaux d'opîer entre la qua-
lité de représentant du peuple et celle de journaliste. Le 18,
on prononce la peine de mort contre quiconque proposerait des
lois agraires , et le principe d'un impôt progress'f est décrété.
Le 21 , Dumourier écrit qu'il a été battu à Nerwinde , et le 22,
l'assemblée charge son comité de défense générale de lui pré-
senter l'organisation d'un co site de salut public. Le 25 celte
organisation est décrétée , et le 26 les membres qui doivent le
composer sont nommés. Dans cette même séance le désarme-
ment des suspects est ordonné. Enfin , le 29 , le ministre Gohier
instruit l'assemblée de l'installation du tribunal révolutionnaire.
Celte énumération rapide ne comprend que les mesures ca-
pitales. Le mois tout entier se passe en des décrets révolution-
naires, et si nous avions voulu indiquer ceux qui concernent
Lyon, Arles, la Vendée, nous aurions dépassé de beaucoup les
MARS ( 1793 ). 41ï
bornes d'un sommaire. 31aintenant que la marche convention-
nelle est suffisamment tracée, nous passons à celle de la Com-
mune de Palis , et à l'esprit des sections.
Les seniimens de la Commune de Paris éclatent dans la jour-
née du 8 mars. Au moment où les quatre-vingt-seize commis-
saires de la Convention portent dans les sections les nouvelles
désastreuses de l'armée, la Commrme arbore un drapeau noir
sur les tours de Notre-Dame ; elle fait fermer les théâtres , battre
le rappel, et publier une proclamation qui commence ainsi: « Aux
armes, citoyens! aux armes! Si vous tardez tout est perdu. »
Les démarches des sections sont de plus en plus assidues et
de plus en pl-js vigoureuses. C'est sur leur initiative que sont dé-
crétés les moyens extrêmes. Le 3 mars , elles demandent la pro-
hibition delà vente du numéraire, et la peiue de mort contre
les contrevenans. Le 9, elles ont déjà répondu à l'appel de la
Commune; quinze mille hommes sont organisés, mais les sec-
lions veulent qu'en partant les défenseurs de la patrie aient la
certitude que les traîtres seront punis. En conséquerice , elles
réclament la création d'un tribunal révolutionnaire, et une taxe
sur les riches. Le 12, la section du faubourg l^issonnière de-
mande la destitution de Beurnonville, et la mise en accusation du
général Dumourier et de son état- major. Pendant la vive discussion
qui s'ensuit un député girondin dénonce et lit un arrêté de la sec-
tion Bon-Conseil (Mau-Conseil), portant c]v.o. la Convention na-
tionale sera invitée à traduire au tribunal révolutionnaire Brissot,
Pciion, Buzot, Guadet, Vergniaud, Gensonné, Barbaroux ,
Gorsas , Clavière , Rebecqui , Lanjuinais , etc. Le 26 , la section
de la Réunion demande etobîient le désarmement des suspects.
Le 28, Pache , au nom des quarante-huit sections, vient appeler
l'alteniion de l'assemblée sur l'ambition et l'incivisme de quel-
ques généraux , sur le peu d'énergie du conseil exécutif, et sa-
voir si la Convention croit pouvoir sauver la patrie.
Les sentimens et les résolutions dps Gii'ondins, au milieu de
ces préparatifs redoutables, sont exprimés dans im avis que
nous lisons en léle du Patriote- Français , numéro du H mars,
424 CONVENTION NATIONALE.,
le lendemain du décret qui interdisait aux députés d'être jour-
nalistes. Voici cette pièce :
t Avis. Les droits de riiomme ne sont plus, toutes les lois
naturelles sont foulées aux pieds : une nuit a renversé l'ouvrage
de quatre ans, la liberté individuelle, la liberté de la presse;
une faction qui veut régner au milieu des ténèbres , a défendu à
des dépuiés philosophes d'éclairer leurs concitoyens. La loi , car
il y a encore des lois pour les hommes vertueux , la loi ne per-
met plus à Brissot de travailler à la rédaction de ce journal. Je le
rédigerai seul; j'appelle sur ma tête toute la responsabilité, sur
mon cœur tous les poignards. J. M. Girey. »
Il ne faut pas croire cependant que tous montrassent une fer-
meté égale à celle dont fit preuve le collaborateur de Brissot. La
terreur avait saisi plusieurs journalistes ses confrère',. Kico!as
Bonneville divague. Voici ce que nous lisons dans son Bulletin
des amis de la vérité , numéro du 16 mars : « C'est un océan d'in-
trigues, des tourbillons, des sifflemens, des orages et partout
ruines, destructions, brigandages; on veut se partager le gâ-
teau , les dépouilles du peuple ! que de partis , ici et là ! ici ,
Proscrivant à grands cris les meilleurs citoyens.
Us marchent tout couverts du sang de leurs victimes.
» Et on le souffre î — Il y a au moins dans ce parti-là quel-
que énergie, de la suite; et je les ai toujours épargnés; car ils
me paraissent capables de tout, même du bien ! — J'ai donné
aux autres une massue de plomb pour écraser l'anarchie, en la
portant au foyer de l'intrigue, pour écraser quelques hommes ;
elle s'y est fondue! — Qu ils capitulent, puisqu'ils veulent capi-
tuler! je me tais. >
Ce qui prouve, au reste, que les meilleurs esprits et les âmes
les plus éprouvées, parmi les chefs eux-mêmes de la Gironde,
se troublèrent aussi, c'est i|ue pas un deux ne sut ni voir, ni
comprendre, ni juger la position. Le fameux discours de Ver-
gniaud à la séance du 13 mars , discours plein de verve et de cha-
leur oratoire, n'et au fond qu'un échafaudage puéril pour dé-
MARS (1795). 425
montrer que les circonstances présentes sont l'ouvrage de quel-
ques conjures, et pour généraliser la situation dans un comité
insurrecteur dirigé par Desfieux. Or, en supposant qu'il existât
un semblable comité, lui attribuer ce qui se passait , c'était pren-
dre pour la cause des événemens le plus mince de leurs effets.
Gomme sous la constituante, comme sous la législative, le mou-
vement révolutionnaire était toujoars une réaction contre des
dangers réels ou imaginaires; il naissait toujours à posteriori. La
crainte de la disette avait occasionné les émeutes récentes de fé-
vrier. Au plus fort de l'ébranlement qu'elles avaient produit
étaient venus les messages de l'armée , semant des bruits de
trahisons, de déroutes , de désertions innombrables , et les nou-
velles de l'intérieur annonçant la guerre civile. Un désir ardent
de faire cesser à tout prix les discordes qui déchiraient la patrie,
de vaincre et de disperser la coalilio >. étrangère, et d'opérer
ainsi le salut de la France, s'empara alors du piHiple de la capi-
tale. Ce désir donna l'impulsion aux pouvoirs constitués, daiis
l'ordre même, et dans le degié qui les établissnient en relation
plus ou moins immédiate avec les masses: de telle sorte que les
sections s'émurent par le peuple, la municipalité par les sec-
tions, et la Convention nationale par tou-j.
En même temps que le sentimeut populaire né de péî ils actuels
et imminens s'exprimait régulièrement p;ir rors|;ane, des magis-
tratures inférieures, il s'exprimait irrcgulièrcmeni par des
agens de désordre, qu'ils fussent ou des furieux poMssés à bout,
ou des fripons. Mais ces liommes-l:'i , bieiî loin de provoquer ou
de diriger, profitaient à peine un instant d'une ferme .lation qui
n'était nullement leur ouvivige, pour y commettre des violences,
aussitôt condamnées et réprimées |)ar les bonnes inlentioiis de la
foule.
Nous avons très-attentivement ixaiwiné toutes les pirxes de la
révolution du 10 mars 1795. La coî-spiraiiou dont les Girondins
se plaigniieni demeure pour nous un fait extrèHiemcnt d'u-
teux, et qui, eùi-il existé, ne sciait (\n\\n incident misc'rable,
perdu au sein de ce mouvement nulioud (jui i é[)u .dii aux d.ui-
426 CONVENTION NàTIONALE.
gers intérieurs et extérieurs , par la volonié de glacer d'effroi
tous les ennemis de la France. La même cause qui fit décréter
le tribunal révo!utionn:!ire, le comité de salut public, et le dé-
sarmement des suspects, permit à ui:e bande d'individus de bri-
ser les presses de Gorsas et celles de la Chronique de Pains ; elle
permit à certains autres de déclamer dans un café et d'y former
des complots; mais placer ces individus et leurs actes sur le
premier plan de riiistoire ; attirer et concentrer les regards sur
un Desfieux, sur un Lazowski, sur un Warlet, espèce de ma-
niaque qui colportait de carrefour en carrefour une tribune am-
bulante d'où il haranjjuait les passans, fut, de la part des Gi-
rondins, la preuve qu'ils ne sentaient point le milieu, que, par
conséquent, ils ne pouvaient pas le reproduire, et que, désor-
mais à !a merci des détails, ayant perdu la vue de l'ensemble, ils
marchaient rapidement à leur perte.
C'est la conclusion que nous autorisent à porter la netteté avec
laquelle se dessine maintenant la situation générale de la Répu-
blique , l'intelligence et l'empressement avec lesquels les Jaco-
bins s'y dévouent. Parce (jue du sort de l'armée dépend le
sort de îa Franco, parce que les revers militaires sont les motifs
directs qui excitent à cette heure le patriotisme du peuple, et lui
font solliciter le régime de la terreur, nous commencerons par
raconter les désastres de l'armée du Nof?!. L'exposé des causes
nous a paru le meilleur moyen d'introduire nos lecteurs à l'ex-
posé des elfets. Pour cela nous diviserons le mois de mars en
deux chapitres : dans le premier sera contenu le récit des der-
nières opérations de Dumoarier ; dans le second le mouvement
révolutionnaire de l'intérieur.
CAMPAGNE DE BELGIQUE.
Nous avons terminé le nmis précédent par l'histoire des ar-
mées en janvier et en février. Nos lecteurs connaissent déjà les
f|?rojets stratégiques et politiques du général Dumoarier. Ils n'ont
(mars (1795). 4â7
pas oublié qu'il visait, pour lui-même, au protectorat de la ré-
publique batave , et qu'il réservait au duc de Chartres une mo-
narchie constitutionnelle en France. Nous l'avons laissé au mo-
ment où il se rendait maître de Bréda et de Klundert. Nous
transcrivons du Tableau historique de la guerre de la révolution
de France , par les généraux Servant et Grimoard , le récit des
opérations subséquentes et !a critique dont ils les accompagnent.
« Devenus maîtres de Gertruidemberg le o mars, les Français
assiégèrent Willemstadt en même temps qu'ils continuaient à
bloquer Berg-op-Zoom et Steenbergen. Le général Dumourier
avait établi son quartier à Roowaert, et fait pratiquer sur les
dunes des huttes en paille pour les soldats, qui appelaient ce
cantonnement aquatique le camp des castors. On était parvenu
à équiper vingt-trois bâlimens et à les rassembler dans l'anse de
Roowaert. Le véritable point d'attaque était encore ignoré de
l'ennemi, qui rassemblait toutes ses ressources de défense à
Gorcum. On avait aussi pré[)aré les moyens de faire exécuter
à la division de droite !e passage du Biesbos ; mais les nouvelles
fâcheuses de ce qui se passait sur la Meuse obligèrent le général
Dumourier d'abandonner ses succès et tous ses arrangemens pour
les poursuivre, afin de se rendre à l'armée de la Belgique, pour
laquelle il partit le 10 mars, après avoir laissé provisoirement
au colonel Thouvenot , chef de l'étal-major , la direction de l'ar-
mée employée contre la Hollande.
» Dès le 30 janvier, le prince Frédéric de Brunswick , frère du
duc, était entré dans le duché de Glèves, avec un corps de
vingt-cinq mille Prussiens et Hanovriens ; après avoir coopéré
avec l'armée autrichienne à reprendre la Gueldreet Ruremonde,
il avait marché par Grave, d'où il était arrivé le 12 mars, sur
Bois-le-Duc, pour aider les Hollandais à reprendre les places
que les Français leur avaient enlevées. Le général Deflers s'était
jeté dans Bréda , le colonel Tilli dans Gertruidemberg, et le reste
de l'armée s'était retiré sur Anvers. A Gertruidemberg et Bréda,
les Français, obligés de capituler, obtinrent les honneurs de la
guerre et évacuèrent ces places les 6 et 7 avril.
428 CONVENTION NATIONALE.
» Pendant ce lemps le prince de Saxe-Gobourg était arrivé à
Cologne pour prendre le commandement en chef de l'armée au-
trichienne. Le général Clairfait avait réuni trente mille hommes
entre le Rhin et l'Erfft, sur lequel il prit son quartier général,
et poussé des déiachemens à Juliers et sur la droite de cette ville ,
versRnremonde et Weiiloû. Le général Beaulieu, avec son ar-
mée , et quelques débris de celle du duc de Saxe-Teschen , était
dans le Luxembourg; il occupait Saint-Hubert, et son quartier
général était à Bastogne. Le prince de Hohcnlohe-Kirchberg
éiait dans Trêves avec un petit corps d'armée , et avait fait occu-
per la ville et la principauté de Saarbrijck. Vingt-cinq mille Au-
trichiens, tirés des états héréditaires, se rendaient par Wurlz-
bourg, sur le Rhin, entre Cologne et Wese!, pour agir de
concert avec le prince Frédéric de Brunswick, que nous venons
devoir marcher au secours des Hollandais. Tous ces prépara-
tifs n'avaient pu tirer les Fiançais de la plus parfaite sécurité.
Ainsi l'armée ennemie tout entière avait passé la Roër, qu'ils
n'avaient encore nul point de rassemblement indiqué.
» Le 1" mars, les Autrichiens commencèrent leur mouvement
de grand matin ; trois de leurs colonnes tombèrent sur l'avant-
garde française et la forcèrent dans les retranchemens d'Al-
denhoven. Les hussards hongrois emportèrent les hauteurs; le
général Stengel y rétablit le combat , mais il fut repoussé. Vers
le soir, le prince de Wirlenjberg attaqua les Français dans leurs
retranchemens d'Eschweiller, en avant d'Aix-ia-Chapelie, en les
tournant par la droite; le lendemain, il les repoussa à Aix-la-
Chapelle, où ils ne purent se soutenir. Le général Dampierre fut
contraint de se replier avec précipitation sur Liège; sa retraite
entraîna celle du général Lanoue, posté à Hervé. Les troupes fu-
rent cependant ralliées sur les hauteurs de Saumagne, où le gé-
néral Valerce vint les rejoindre et où oti arrêîa l'ennemi , qui fut
obligé de se relin r. Ainsi, les allies repoussèrent successivement
tous les différens corps de l'armée française, de Visé, de Maes-
tricht, de Liège, de Tongres, de Ruremonde, jusqu'à Saint-
Tron, où l'armée resta , le 6 et le 7, pour donner quelque repos
MARS (1795). 429
aux troupes et attendre la rentrée des corps détachés. Le 8, î'ar-
niée française se porta sur Tiilemont, et, le 9, en arrière de Lou-
vain , pour y rester en observation et couvrir la Belgique en at-
tendant l'arrivée du général Dumourier, qui eut lieu le 13.
» Les troupes qui formaient la droite des cantonnemens sur la
Meuse avaient marché par Hui sur Namur; elles formèrent un
corps sur la droite de l'armée à Judoigne ; ce corps , commandé
par le général Neuilli , devait contenir ceux aux ordres du géné-
ral Beaulieu et du prince Ilohenlohe, s'ils tentaient de tourner
la droite de l'armée.
» Les Français réunis avaient devant eux le canal de Malines ;
la réserve, avec un petit coips de cavalerie, était en avant de
Bautersem; l'avant-garde à Cuniptiche, et un petit corps déta-
ché en avant occupait Tiriemonf. Celte position avait pour objet
de réunir les troupes et les parcs d'artillerie de campagne. L'en-
nemi occupait les villages entre Tirlemont et Tongres. L'armée
réorganisée se trouvait forte d'environ quarante niille hommes.
Le 8 mars , le général Dumourier avait reçu l'ordre d'abandon-
ner l'expédition de !a Hollande pour venir se mettre à la tête de
l'expédition de la Belgique. Il laissa le commandement au général
de Fiers, partit le 9, alla donner divers ordres à Bruges et dans
cette partie, arriva le M à Anvers, le 12 à Bruxelles, et joignit
le 15 , en avant de Louvaiu , sou armée , dont il changea la posi-
tion.
» Il étendit son front jusqu'à Hongaerde à sa droite , il fît re-
trancher Diest et y porta sa gauche ; le général Dampierre oc-
cupa Hongaerde; le général Neuilii, Lumai, en avant de Hon-
gaerde. Le générai La Marlière , qui s'était replié de Kuremonde
en même temps qu'on évacuait les forts de Stephenswerdt et de
Saint-Michel, aviiit laissé un poste à Aerschot pour communiquer
avec Diest; il se porta ensuite à Lier pour éclairer La Campioe,
par où le prince Frédéric de Brunswick pouvait venir piendre
l'armée à revers ; ces corps avancés avaient encore pour objet de
commuiii(|uer avec les troupi s laiss( es au Moerdick. Le colonel
Westermann fut placé à Turnhout pour couvrir leur retraite.
430 CONVENTION NATIONALE.
communiquer par Herenlals avec le général La Marlière, et par
lui avec la grande armée.
»^Le matin du 15, l'avant-garde des Autrichiens, qui avait
passé la Meuse à Maestricht et à Liège à la suite des Français,
surprit Tirlemont et força quatre cents hommes qui y étaient
postés de se retirer. Les corps avancés, aux ordres des généraux
Dampierre et Miaczinski , se replièrent alors sur l'armée ; le gé-
I néral Neuilli reprit sa position sur Judoigne , et Dampierre s'éta-
blit en arrière de Meldert ; le général Champmorin , qui arrivait,
remplaça la division de 3iiaczinscki sur les hauteurs d'Oplinter.
Le soir, l'armée t.e porta en avant de Camptiche , derrière son
avant-garde.
» Les Autrichiens tenaient tout le pays entre les deux Géetes
( deux rivières ) et Tirlemont avec une forte avant-garde. Le 16 ,
le général Dumourier les attaqua ; Tirlemont fut repris par le
général Valence , à la tête des grenadiers , par le côté de la Géete
et le chemin d'Hongaerde ; l'ennemi, dépassé à sa droite par un
corps de troupes aux ordres du général Miranda, qui s'était porté
sur les hauteurs d'Oplinter, se hâta de se retirer derrière la Géete
où il occupa les hauteurs entre la chaussée de Saint -Tron et
Ower-Winden. L'ennemi négligea le village de Goidzenhowen ,
mais il sentit l'avantage de ce poste à l'instant où il fut occupé en
force par l'avant-garde du général Valence, aux ordres du général
La Marche. La possession de ce poste fut disputée avec acharne-
ment par les deux partis; le mouvement du corps commandé par
le général Neuilli , arrivant de la droite pour prendre la position
de Neer-Heilissem , décida la retraite des impériaux derrière la
petite Géete ; ces deux succès ayant rendu la confiance à l'armée,
le général Dumourier crut devoir en profiler pour hasarder une
action décisive. En conséquence , il se porta en avant et étendit
son front , la droite à Goidzenhowen , aux ordres du général Va-
lence , et le centre à ceux du duc de Chartres, vers la chaussée de
Tirlemont. Le général Miranda commandait la gauche, qui se re-
pliait en potence d'Oorsinael aux hauteurs d'Oplinter. Le géné-
ral Neuilli appuyait sa droite à Neer-Heilissem; le général Dam-
MARS (1793). 451
pierre e'iait posté à Esmael, en avant du centre, et le général
Miaczinski avec sa cavalerie au pont de la Géete, vis-à-vis
d'Orsmael.
i> Le front des deux armées offrait un développement de près
de deux lieues ; celle des Français de Goipzenliowen aux hau-
teurs de Wommersom et d'Oplinter, et celle des Autrichiens de-
puis les hauteurs du village de Racourt jusqu'au-deià de Halle
dans la plaine de Leau. L'avant-garde de ceux-ci était aux ordres
de Tarchiduc Charles ; la premièie avec partie de la seconde à
ceux du généial Colloredo; l'infanterie de la seconde ligne et les
dragons de Gobourg avaient à leur tête le général prince de Wir-
temberg ; deux divisions de cavalerie et quelque infanterie com-
mandées par le général major Siipshitz avaient pour objet de dé-
fendre la plaine de Leau; le corps de réserve était aux ordres du
général Glairfait ; la petite Geeie couvrait le Iront de cette ligne
et séparait les deux armées.
» La première colonne (x^rmant ia droite de l'armée française,
composée de l'avant-garde , aux ordres du général La Marche,
débouchant par le pont de Neer-Heilissem , devait se porter dans
la plaine , entre Landen et Ower-Winden , pour déborder la
gauche de l'ennemi et l'inquiéter sur ce flanc. La deuxième co-
lonne, composée de l'intanterie de l'armée des Ardennes, com-
mandée par le général Le Veneur, débouchant aussi par le même
pont, soutenue par un gros corps de cavalerie, devait se porter
avec rapidité sur la tombe [tumulus] de 31idel-Winden , et atta-
quer le village d'Ower-Winden , qui ne paraissait pas devoir ré-
siater au canon de douze placé sur la tombe. La troisième co-
lonne, aux ordres du général NeuilU, débouchant aussi par le
même pont, devait attaquer en même temps le village de Neer-
Winden par sa droite. Ces trois colonnes formaient l'attaque de
droite, commandée parle général Valence.
»' L'attaque du centre , conduite par le duc de Chartres, était
composée de deux colonnes ; l'une , sous les ordres du général
Dietmann , passant un ruisseau sur le pont de Laer, devait tra-
verser rapidement le village et se porter directement sur le front
4o2 COiNVENTION NATIONALE.
de celui de Neer-Winden ; l'autre , commande'e par le {général
Dampierre , devait , après avoir passé au pont d'Esmael, se por-
ter sur la gauche de Neer-Winden.
» L'attaque de gauche, aux ordres du général Miranda , était
composée de trois colonnes ; la première , dirigée par le général
Miacziiiski , passant la petite Géete à Ower-Winden , devait atta-
quer devant elle en se portant sur Neer-Lauden ; la seconde, aux
ordres du général Ruault, passant la rivière au pont d'Orsmael,
devait attaquer par le grand chemin de Saint-Tron à Liège ; la
troisième, commandée par le général Champmorin, devait pas-
ser la grande Géete au pont de Bingen, et se jeter dans Leau.
> Au point du jour, les diverses colonnes se mirent en mouve-
ment, et à neuf heures la droite commença à passer la petite
Géete. A la gauche, le général Miranda délogea d'abord les trou-
pes légères ennemies du village d'Orsmael ; il s'établit là ensuite
de part et d'autre un grand feu d'artillerie, pendant lequel la
troisième colonne se porta sur la ville de Leau, s'en empara et s'y
maintint. En même temps le général Valence , après avoir passé
le pont de Neer-Heilissem , attaqua les Autrichiens dans le village
de Piacour, et les en chassa. Cet avantage assura le passage de
l'avant-garde, et avec ce renfort le général Valence poussa les
ennemis et déborda leur aile gauche , ce qui permit aux colon-
nes commandées par les généraux Neuilli et Le Veneur de passer
la petite Géete et de s'emparer du poste d'Ower-Winden ; en
avant de ce village est un monticule nommé la tombe de Midel-
Winden , qui commande les trois villages voisins et assure l'avan-
tage à celui qui en reste le maître : l'infanterie française s'en
était d'abord emparée, mais n'y ayant pas été renforcée, les Au-
trichiens le reprirent ; on les y réattaqua , et ce poste fut disputé
pendant toute l'action.
» La colonne du général Neuilli, après avoir emporté le village
de Neer-Winden, au lieu d'y rester commit la faute de le dépas-
ser et de s'étendre dans la plaine ; alors le général Clairfait, ayant
reçu de la droite des renforts que les succès de cette aile per-
mettaient d'affaiblir, fit attaquer Racour, la tombe de Midel-
1
jiARs(1793). 455
Winden et Neer-Winden , et, en emportant ces trois points es-
sentiels, mit l'armée française dans la position la plus dange-
reuse. Les Allemands occupaient alors les hauteurs ; leur front
était hérissé d'artillerie , leur centre et leur gauche couverts par
les villages de Racour et de Neer-Winden , et chacun de ces pos-
tes soutenu par une colonne formidable d'infanterie et de cava-
lerie ; l'armée française , au contraire , était sur la pente du ter-
rain , ayant la petite Géete à dos.
. > A en croire le général Dumourier, il réussit à reprendre les
villages de Racour et de Neer-Winden, perdit de nouveau ce der-
nier, le reprit et l'abandonna rempli de morts et de mourants.
Selon le prince de Gobourg , au contraire , les Français furent
repoussés au village de Racour, et quoique le général Dumou-
rier fît tous ses efforts pour le reprendre , et qu'il eût fait en
même temps évancer une colonne vers le centre pour s'emparer
de Neer-Winden, il fut délogé de ces deux points, et les Autri-
chiens en restèrent les maîtres. La nuit mit fin au combat, qui
dura onze heures.
» Quoi qu'il en soit, le général Dumourier, qui se serait bien
gardé de convenir de toutes les fautes qui pouvaient lui être re-
prochées dans cette journée, et qui, dès l'instant où il fut atta-
qué dans les villages dont il s'élait emparé , dut s'apercevoir de la
supériorité de l'ennemi et de l'impossibilité de le chasser des po-
sitions respectables où il se maintenait , dut en même temps sa-
voir ou soupçonner les mauvais succès de su gauche, surtout en
disant, comme il le fait, que le l^u y avait cessé dès midi , men-
songe avéré , puisque l'attaque recommença à la gauche vers
deux heures et finit à sept ; mais il fallait trouver une excuse à sa
défaite, et il n'hésite pas à en rejeter le blâme sur la division aux
ordres du général Miranda ; en conséquence, il la fait débander,
fuir jusque derrière Tirlemont, sans pouvoir être arrêtée et re-
portée ou à Wommersom ou àOplinier. Il accuse aussi le général
fliiranda lui-même d'avoir refusé de se servir de huit bataillons
qui se tiouvaienl à Tirlemont pour reprendre ses positions du
matin; ce qui est faux , car les divisions des généraux Ruault et
T. xxiv. 28
4oi CONVENTION NATIONALE.
Champmorin se retirèrent, le 18, sous le feu de l'ennemi sans
avoir été entamées, la droite à Oplinter, la gauche à Neer-Linter,
pji elles étaient le 18 au spip. Quant au général Miranda, après
avoir rallié les troupes derrière Tirlemont, il réoccupa pendant
la nuit Wommersom, et y soutint je lendenjain 19 les efforts de
l'ennemi pendant sept heures.
» Ainsi l'armée française ayant, le 19, sa droite et son centre
engagés et tournés, les ennemis étant déjà maîtres des hauteurs
de Wommersom, d'où leur artillerie dominante foudroyait les
troupes qui se trouvaient sur la chaussée de Tirlemont, il fallut se
décider à la retraite; les Français alors repassèrent la petite Géete
assez en désordre, et l'armée se forma, la droite à Goidzenhowen,
la gauche à Hackendoven.
» Cette bataille, dont les vrais détails ont été trop peu connus,
et les suites infiniment funestes, fut livrée et disposée contre
toutes les règles de l'art militaire. La première faute fut de dé-
placer l'armée de devant Louvain , où l'avait portée le général
Miranda lorsque les ennemis la chassèrent des bords de la Roër
et de la Meuse: en effet, quel devait être le but principal et uni-
que? celui de protéger et de défendre la Belgique ; et quelle était
la position la plus avantageuse, après l'événement malheureux
qui venait d'arriver, pour remplir cet objet? celle en avant de
Louvain , par la raison que la prise de Louvain et de Malines
donnait aux ennemis les moyens de reconquérir la Flandre hol-
landaise, et forçait les Français de se sauver à toutes jambes, et
prêtant le flanc, par Mocs et par Afli, derrière Bruxelles pour se
soutenir, sans aucune certitude encore d'y réussir, et après avoir
abandonné un pays immense.
» La seconde faute fut de vouloir livrer bataille dans un mo-
ment où il y avait plus d'inconvénient à la perdre que d'avantage
à la gagner; où l'on était très-inférieur à l'ennemi, n'ayant au
combat que trente-deux mille hommes contre cinquante-deux
mille ; où on attendait des renions, et il en arriva la nuit même
de l'action ; où l'ennemi enfin était posté très-avantageusement
sur des hauteurs: les Français, au contraire, occupaient une
MARS (1795). 455
mauvaise position. Mais le rapport sur la bataille de Neer-Win-
den fait par le général Miranda à la Convention nationale le
29 mars 1793 , rapport qui se trouve parfaitement d'accord
avec les ordres par écrit du génénd Dumourier el la relation du
prince Cobourg, répandent le plus grand jour sur celte journée.
» Le 18, à la pointe du jour, les troupes aux ordres du géné-
ral Miranda emportèrent les villages de Orsmael et de Bingen
avec 1; urs ponts, occupés par les ennemis. A dix heures et demie,
le général Dumourier manda le général Miranda, qui en reçut
l'ordre par écrit sur ce qu'il devait faire, et l'avertissement ver-
bal de sa détermination à livrer la ba'aille. Surpris de cette nou-
velle, le général Miranda, qui n'avait reçu aucun ordre pour faire
une reconnaissance sur la gauche, qui voyait devant ses colonnes
une rivière et point de pont à y jefer, demanda à son chef s'il
connaissait à peu près la force des ennemis. — Je les crois forts
de cinquante-deux mille hommes, et nous de trente-cinq mille.
— Et vous croyez pouvoir réussir à déposter le* ennemis dans
une pareille position? — Mais on ne voulait pas de réflexion, et
le général Miranda, qui s'en aperçut, retourna à son poste, y ou-
vrit le paquet qui contenait ses ordres, et en donna en consé-
quence.
» A deux heures après midi les colonnes se mirent en mouve-
» ment, et, à trois, l'attaque com ;iença à la gauche. Quatre co-
» lonnes passèrent sur le point d'Orsmael et par la chaussée, une
■D autre par le pont de Leau. La posiîion de l'ennemi était si
» avantageuse par le terrain, par le nombre et par la formidable
» attillerie qui le couvrait, que l'infanterie, avant d'avoir pu ap-
» prêcher ses lignes , avait été obligée de repousser !a cavale; ie ,
» les troupes légères qui occupaient le village, et d'essuyer la feu
» des batteries croisées avant de pouvoir gravir l^s |jaut( urs sur
» lesquelles était postée l'infanterie ennemie sur deux lignes. Les
)' Français prirent d'abord les villages el repoussèrent la cava-
» lerie; mais le feu de l'artillerie ennemie lit un tel elTei sur ieuis
» colonnes, qui, à cause du terrain coupé, ne pouvaient se dé-
» ployer, que l'infanterie, après les plus vifs efforts et avoir es-
456 CONVENTION NATIONALE,
» suyé une perte considérable , ne put pas de'poster celle de l'en-
î neini qui était sur les hauteurs, couverte de toute son artillerie,
» tandis que celle des Français, démontée et perdant ses chevaux
ï dans les chemins où elle se trouvait engorgée ou embourbée ,
ï ne put être mise avantageusement en batterie. L'infanterie fran-
> çaise fut donc obligée de se replier, après trois heures et demie
» de combat, derrière la petite Géete, en cherchant à reprendre
» la position qu'elle occupait avant l'attaque. Dans cette retraite,
I) il y eut quelque désordre , mais qui ne peut être attribué ni aux
» généraux, ni aux troupes, si ce n'est par le général Dumou-
» rier, dont l'impéritie égale la malveillance envers le général
» Miranda.
j Pour prévenir néanmoins la confusion dans laquelle l'infan-
» terie se retirait , le général Miranda fit porter sur les hauteurs
» de Wommersom cinq bataillons qui arrivaient de Louvain, le
» 18 au soir, et fît arrêter les troupes derrière Tirlemont pour
» les rallier plus facilement. A minuit , il les ramena aux portes
» par ordre du général en chef , persuadé qu'il voulait recom-
» mencer l'action à la pointe du jour, ce qui était insensé.
j Le lendemain 19, le même général occupa, à quatre heures
» du matin , les hauteurs de Wommerson , où il fut attaqué à neuf
» heures , et d'où il se retira vers Tirlemont sur les cinq heures
> du soir, après sept heures de combat (1). Il reçut là de nou-
» veaux ordres pour traverser la ville dans la nuit et prendre la
> position de Cumptich, derrière Tirlemont, avec le reste de
» l'armée, qui, le lendemain 20, continua sa retraite, et vint oc-
ï cuper devant Louvain la position de Bautersem, d'où elle était
» partie si mal à propos pour aller se faire battre à Neer-Winden.
» Afin de couvrir la retraite , le général Miranda prit une posi-
)) tion à Pellenberg, où il fut attaqué très-vivement, le 2:2, par
» des forces infiniment supérieures, auxquelles néanmoins il ré-
» sisia toute la journée , les repoussa à plusieurs reprises, leur fit
(1) « On voit par ce récit combien sont calomnieuses les assertions du général
Dumourier contre le général IMiranda et les troupes sous ses ordres. »
( Kote de MM. Giimoard et Servan. )
MARS (1795). 457
1» essuyer une {grande perte, et leur échappa pendant la nuit,
» après avoir donné à l'armée le temps d'effectuer sa retraite ;
ï action de laquelle le général Dumourier se garda bien de par-
» 1er (1). » Ainsi , il est démontré qu'il livra et perdit la bataille
de Neer-Winden par inconséquence et ignorance; que celte dé-
faite entraîna la perte de la Belgique ainsi que des places con-
quises sur les Hollandais , et que, malgré ses efforts pour rejetei"
ces revers sur ses subordonnés, on ne peut accuser que lui.
» Dumourier avait envoyé le général Neuilli avec dix mille
hommes vers Judoigne,. pour empêcher les détachemens autri-
chiens de pénétrer dans cette partie ; et si les ennemis se por-
taient en force sur lui , il devait se retirer sur Bruxelles par la
forêt de Soignes. Le lieutenant-général Harleville eut ordre de
mettre une garnison de deux mille cinq cents hommes dans le
château de Namur, et de se tenir prêt à marcher avec le reste
de ses forces, selon les mouvemens du générai autrichien baron
de Beaulieu , qui s'avançait par llui avec environ dix mille
hommes.
> La garnison française de Diest l'avait évacuée le 20, pour se
replier à Malines avec les troupes qui occupaient Aerschot, ce qui
avait découvert la gauche dts Français, et permis auxenncmis, qui
s'étaient portés eu avant de Tirlemont , de les attaquer le 22 à
Pellenberg. Le même jour, le général Dumourier concerta avec
le colonel Mack, qui jouissait de la confiance du prince de Co-
bourg, l'évacuation de la Belgique et des mesures qui tendaient
à se procurer l'appui des Autrichiens pour soutenir l'insurrec-
tion qu'il méditait contre le gouvernement français. Le 25, Du-
mourier replia son armée à Cortenberg , entre Bruxelles et Lou-
vain , et la porta , le lendemain 24 , en avant de Bruxelles , la
(t) Ce^i est un extrait du rapport de Miranda à la Convention. Les auteurs du
Tableau historique des guerres de la révolution disent que ce rapport eut lieu ;i
la séance du 2!) mars. IS'ons ne trouvons dans le conipte-remiu du Monikur
qu'une simple indication. Ce journal nous apprend qu(\ sur la niolioa de Cliar-
lier, il fut dccréfé que la correspoiidance avec les frénéraux sur l'expédition d j
Belgique et de la IIoll:indc serait imprimée. Sans doute «jue le rapport de Mi-
randa était une des pièces de ci Ite conespon^ÎLinrc. {ISole des auteurs.)
438 CONVENTION NATIONALE.
droite à Saint-Peterswoluie, et !a gauche à Wilvorden. Le 25,
elle traversa Bruxelles et tiiarcha à Halle, le 26 à Eaghien , et le
27 à Aih , où le (jénëraî Duniourier prit ses dernières mesures
avec le colonel Mack. Le lendemain 28, il passa l'Escaut à Tour-
nai, campa sur la rive gauche de cette rivière en lace d'Antoin.
Le 29, il envoya une division occuper le camp de Maulde, et le
50, il la suivit avec le reste de l'armée, qui campa à Bruille et
près de Saint-Amand, où le quartier-général fut établi. Le corps
du général Neuiili et d'autres troupes se repliaient en même
temps par Mons sur Valenciennes. Quant au prince de Gobourg,
après être resté trois jours entiers dans son camp de Louvain
avant de se porter sur Bruxelles, il s'était borné, sans doute
d'après les arrangemens pris, à ne faire observer que par de fai-
bles avant-gardes les Français, qui regagnèrent alors paisible-
ment leur territoire. Ainsi que l'on vient de le voir, le général
Leveneur occupait le camp de Maulde avec l'armée des Arden-
ues; celle du Nord était à Bruxelles, de l'autre côté de l'Escaut,
et celle de la Belgique appuyée aux trois places fortes de Lille ,
Valenciennes et Condé. Sans être sûr de ces places, le général
Dumourier ne pouvait espérer de faire réussir son plan de tra-
hison ou d'insurrection; aussi médiiait-il sur les moyens de s'eii
emparer, au iiioment où la Convention décrétait, le 31 mars et le
V avril, le départ du ministre de la guerre et de quatre com-
missaires pour aller examiner sa conduite et ie faire arrêter. En
vain donc avait-il donné des ordres au général Miaczinski et au
colonel de Taux, son propre aide-de-camp , pour s'eniparer de
Lille, Douai , Cambrai , Péronne et des commissaires de la Con-
vention qui se trouveraient dans ces villes ; le générai! et l'aide-de-
camp furent arrêtés, conduits à Paris, emprisonnés^ et peu après
décapités. Les tentatives sur Condé et Valenciennes ne furent pus
moins infiuiclueuses. Le 2 avril on vint avertir le général Dumou-
1 ier de l'arrivée du ministre de la guerre et des quatre commis-
saires , qui ne tardèrent pas à se présenter chez lui à son quartier
des Boues de Saiat-Amand, où ils le trouvèrent entouré de son
étal-inajor. Après beaucoup de pourparlers, les commissaires
jiAiis (1795 ). 459
ayant communiqué au {jënëral !e décret de la Convention qui le
mandait à Paris, celui-ci refusant de s'y soumeilre, ils lui signi-
fièrent la suspension de ses fonctions, et ordonnèrent de l'arrêter;
mais le général Dumourier s'adressani en allemand à des hus-
sards qui venaient d'entrer, ils arrêtèrent le ministre de la guerre
et les quatre commissaires (1) , et les conduisirent sui--le-cliamp
coiïinlé otages à Tourmii au générai Clairfait, qui les envoya au
quartier-généî-al du prince de Cobourg, lequel les fit partir pour
l'Autriche, où on les mil en prison. Tandis que 'e général Clairfait
se portait à Tournai , îe prisice de Cobourg, avec le gros de ses
troupes, se dingea sur Mons.
» Le général bamourier, plus célèbre par ses intrigues que par
ses exploits , venait de lever le rriascjue ; mais il ne put assurer lé
ài'Ccès dé ses démarches ; le méjnis et la haine furent h; fruit de.
SCS comp'ols, et il ne lui resta, après l'inutile promulgation d'un
manifeste publié le 5 avril, tendant à débaucher les troupes, que
le parti honteux de fuir ; encore manqua-t-il d'én-e assassiné le
4 avril en se saiivaul, et il n'eii;j)urtaduiis sa fuite »jue î;i iépula-
tion d'un ambitieux et d'un factieux , duni ou puuvait même con-
lesier les talehs militaires.
(i) Les commissaires étaient Camus, Quinct(e, Laraarquo, Bancal et flarnot
l'aillé. Voici de quelle manière Caiims ri'nii coniUo de l"eiilrevue : « Vous ci>a
naissez ie dncrei de la Convculioii nUionale qui vcus orJoiuic d,' vous rendre à
sa barre; voulez-vous l'exécuter? — INon. — Voiis désobéissez;! ia loi. — Je suis
jîtcessaire à mon armée. — Par cette désobéissance vous vous rcudez coupable...
— Allons, eusuile... — rsous vi;uloiis, ;=n-. termes du décret, mettre les scellés sur
vos iiapiers. — Je ne le souifiirai p;'S: et en mèuîc temps il dorna des ordres
pour (ju'on mît ses japiers en sûreté. — Quels sont les uoms des ofliciers ici pré-
seas? — lis les donneront eus-nicmes. — Jem'a;;peUe Devanx; j" m'a])pelle De-
nise, etc. — V'uici, dit Dnniiurier, les demors !l-s Fcrnif{. — Uni d'elles dit à
ileiîii-voix : C'est affreux ! — INons mettrons les scellés sur ienrs papiers. — Point
du tout; tout cela ne leud qu'à cnUaver mes opérations; c'est nue iuquisiiion.
— Vu volrj déso' éissance à la loi , uous vous déclarons que vous éles suspendu
i\c vos fimctions. — Les officiers pi ésens : Suspendu '.... INous le sommes tous...
On veuî nous enlever Dumouricr l... Duniourier, notre pèrel Dumourier, qui
nous mène à la victoirci — Ditmoitricr. — Allons donc, iiest ti-nips que cela fi-
nisse; je vyis vous faire arrèler. Lieutenant, ap;'elez les l;uss:irds. » Sur-I "-cîiamp
il entre vingt-cinq hussards.» — aArrétez ces n;essieurs. lion cher Beuiuon\ille,
en lui prenautla maiu, vous serez arrêté aussi. Messieurs, vous me servirez d'o-
tages. » ( ISote des auteurs. )
440 CONVENTION NATIONALE.
» Observations. Aussitôt que la guerre eut été déclarée avec la
Hollande, le général Dumourier, dans le but dont nous avons déjà
parlé, résolut d'envahir les Provinces-Unies; première faute qui
en entraîna beaucoup d'autres. Pour remplir son projet, il ras-
sembla à Anvers un corps d'environ quinze mille hommes, qui
affaiblit l'armée dans un moment où il aurait fallu la renforcer.
Il disposa ensuite les différent corps de troupes à ses ordres, de
manière à les lier à son opération de Hollande et à son grand
plan d'insurrection, seconde faute, qui permettait aux Autrichiens
de porter une partie de leurs forces, alors assez nombreuses, sur
l'extrémité de la droite des Français, et presque sur les derrières
de la ligne d'opération. Le général Dumourier agit ensuite
comme s'il avait été assuré que tous les Bataves s'insurgeraient
contre le stathouder ; troisième faute, puisque, d'après un espoir
mal fondé, il porta ses tentatives vers le Moerdick, avec la pré-
tention de traverser ce bras de mer sur vingt-trois bateaux qui
pouvaient à peine porter quinze cents hommes à la fois, au lieu
d'opérer par Nimègue, où il n'aurait eu qu'une rivière à passer,
où il se serait trouvé sur la gauche des Hollandais , et lié de plus
près aux opérations sur la Roër. Revenu ensuite à la tête de l'ar-
mée de Belgique eî des autres corps qui agissaient avec elle, au
lieu de concentrer ses forces et de les réunir, il voulut livrer une
bataille avec des forces très-inférieures à celles des ennemis , et il
choisit le moment où ils occupaient une position avantageuse ;
quatrième faute , d'où s'ensuivit la perte de la bataille , une re-
traite faite avec assez peu d'ordre, et l'invasion de la Belgique de
la part des coalisés. Enfin voyant son plan chimérique de la Hol-
lande conquise , de la Belgique insurgée en sa faveur, n'être qu'un
rêve, il s'aboucha avec les généraux ennemis pour tâcher de
faire, d'accord avec eux, ce qu'il n'avait pu exécuter à lui seul ;
cinquième faute, qui entraîna sa perte et jeta la France dans des
crises désastreuses, en la livrant à tous les dangers d'une invasion
sur la plupart des poinis de ses frontières.
> On fait aussi des reproches assez graves au prince de Co-
bourg: le premier, d'avoir reçu la bataille, au moment où il se
MARS ( 1793 ). 441
trouvait à la tête d'une armée victorieuse devant une armée infé-
rieure en nombre et déjà battue ; le second , de n'avoir pas su
profiter des succès de son aile droite, pour venir appuver sa
droite vers Tirîemont , et sa gauche à la petite Géete, versNeer-
Heilessem ; le troisième, étant maître deRacour, de ne s'être pas
emparé du pont deNeer-Iîeiiessem, dont il se trouvait alors plus
près que les Français, et dont la destruction aurait rendu la re-
traite du général Dumourier impraticable ; le quatrième , de n'a-
voir rien tenté après la bataille pour détruire l'arrièrc-garde fran-
çaise, qui était le seul corps qui se tînt encore ensemble, et qui
n'était pas soutenu. »
MOUVEMENT RÉVOLUTIOIVIVAmE DE L'INTÉRIEUR.
Nous divisons ce chapitre en deux paragraphes : dans le pre-
mier, nous placerons les séances de la Convention, aj»\uant à
chacune d'elles les séances de la Commune , celles des Jacobins,
et les articles de journaux, selon que ces divers matériaux nous
paraîtront nécessaires à éclaircir ou à compléter l'histoire du
mouvement révolutionnaire. Dans le second , nous nous occupe-
rons des départemens; Orléans, Lyon et la Vendée fixeront par-
ticulièrement notre attention. Nous terminerons le mois par le
bulletin de l'armée du Rhin.
CONVENTION NATIONALE.
Les quatre premières séances du niois de mars furent remplies
par des débats peu importans. Le i" mars, Biroteau ayant dé-
noncé le comité de surveillance, Thuriot fit passer à l'ordre du
jour. Le 2, Canibon fit décréter que les généraux français, en
entrant sur le territoire batave , proclameraient la liberté de ce
peuple et sa souveraineté. Le 3, une doputaiion des quarante-
huit sections demanda la prohibition de la venie du numéraire et
la peine de mort contre les conlrevenans. Le 4, on dénonça la
442 CONVENTION NATIONALE.
municipalité de Coulommiers pour avoir refusé d'adhérer au
décret de moit contre Louis XVI. Des citoyens de Bordeaux de-
mandèrent une imposition extraordinaire sur le superflu des ri-
ches. Enfin , sur ie rapport de Duhem , la mise en liberté de
Royou dit Guermeur fut décrétée. Pendant ces quatre séances , il
fut rendu un grand nombre de décrets par lesquels la réunion
de plusieurs pays voisins était acceptée.
Les émeutes de février étaient calmées ; comme nous l'apprend
le Patriote français du 2 mai , les épiciers et autres négocians de-
vaient s'assembler ce jour même pour rédiger une pétition rela-
tive au dernier pillage. Les Jacobins, que leurs adversaires accu-
saient d'en être les instigateurs , venaient de publier une adresse
ainsi conçue :
Adresse des amis de la liberté et de V égaillé , séant aux Jacobins ,
% à Paris , aux sociélés affiUées.
t Frères et amis, le génie du peuple français plane sur l'uni-
vers; et nos armées trijinphanles propagent dans les contrées
étrangères ces principes sacrés que nous défendons en France ,
depuis la naissance de notre révolution, contre tous les factieux
et contre tous les intrigans. Mais nos conquêtes intérieuies sont
moins rapides que celles de nos frères du dehors. Les despotes
de l'Europe succombeiU sous leurs efforts victorieux, et l'aris-
tocratie , secondée par l'intrigue et par l'hypocrisie , relève en-
core au milieu de nous une téîe menaçante. Les émigrés rebel-
les, retirés, au mépris des lois, dans ie stin de la patrie qu'ils
»nt déchirée, se liguent avec une coalition dangereuse pour nous
l'avir le bonheur et li iibe; té que nous présentons au monde. Le
peuple irionjphL-, et il souffre; il souffre avec une modération
plus héroïque que son courage , et on cherche à troubler son iui-
posante tranqîjiiliié. Il reste calme, et il est avili, calomnié par
ceux qui cherchent à le tromper et à l'agiter. Le moment oii les
vils champions de la royauté devraient cacher leurs fronts char-
gés d'opprobre Coi ccli^i <jii ib osent outrager et menacer en-
MAiis (1795). 445
core les imperturbables défenseurs de la République et de l e-
{jaiité.
» Vous connaissez les macocuvres <>mp!oyées depuis quelque
temps ^par nos ennemis pour exciter des troubles dans toute l'é-
tendue de la France. JParis vient d'en ressentir quelques elTets.
Nous vous devons un compte exact de cet événement , que les
organes ordinaires de l'incivisme et de l'imposture ne manque-
ront pas de dénaturer.
» Quatre années de misère, quatre mois d'outrages conliDuels
n'avaient pu altérer un moment la tranquillité du peuple de Pa-
ris. En dépit dej efforts que les eunenjis de lu liberté avaient
faits pour l'agiter duraat la discussion de l'affaire de Louis Cu-
pet; malgré l'or de Pilt, malgré les assignais et les intrijjues des
protecteurs de Louis Capet en France, maigre l'atroce assassi-
nat de Michel Lepciîetier, le peuple parisien avait environné d'un
calme profond et les juges et l'échafaud du tyran. Les défenseurs
de la royauté ne renoncèrent point à leurs coupables projets; la
horde des émigrés , des assassins et des étrangers qu'ils avaient
réunis à Paris, ne désertèrent point cette ville. Pitl lui-même
avait ajmoricé publiquement que dans quinze jours des troubles
éclateraient à Paris ; et , dans la tribune même de la Convention
nationale, un autre homme, dont nous ne prononcerons pas le
nom , et dont nous avons déjà parlé trop souvent , pour nous dé-
terminer à épargner la tête de Louis nous annonçait officieuse-
ment que sa mort entraînerait de grandes calamités. Cette pro-
phétie n'a point encore clé accomplie; mais on vit, au temps
m:;rqué, les symptômes d'un mouvement se manifester dans O'Am
grande cité. La disette des subsistances en était le prétexte. On
répandit le bruit que les farines allaient manquer à Paris; et le
pain manqua momentarémont chez k-s bou'aîigei'S, autant par la
terreur panique qui portait les citoyens à s'approvisionner plus
amplement, que par la manœuvre des artisans de cette trame ,
qui l'accuparèrent. Lesfayélistcs, les aristocrates, les intrigans,
déguisés sous la livrée du patriot'stne et trème de ia pauvreté
se sont répandus en même temps dans les lieux publics, décla-
444 CONVENTION NATIONALE.
mant , avec un zèle hypocrite, sur la misère trop réelle du peuple
et sur les accaparemens et sur l'agiotage non moins certains. Pour
déterminer une explosion , on fit prononcer à la barre de la Con-
vention nationale , par un orateur plus que suspect , une pétition
dont le style et l'exagération décelaient les véritables instigateurs
de cette démarche. Tous les bons citoyens, tous les députés patrio-
tes, se réunirent pour déconcerter cette intrigue; les députés du
département de Paris firent afficher à ce sujet une adresse éner-
gique et instructive à leurs commettans; nos séances furent con-
sacrées à éclairer le public sur cette manœuvre ; nous avions
refusé formellement de prêter notre saile aux prétendus pétition-
naires , qui nous demandèrent la permission d'y venir délibérer,
pour nous compromettre; nous prîmes l'arrêté d'engager les
sections de Paris à rester en permanence, pour assurer le m;iin-
lien de la tranquillité publique. Elles adoptèrent celle mesure, et
les complots des malveillans qui semblaient la menacer échouèrent
complètement pour cette fois. Depuis quelques jours, les signes
de la fermentation qui s'annonçait avaient disparu , et les amis de
la liberté étaient rassurés ; mais les auteurs de cette machination
ne cessaient de conspirer dans les ténèbres, et trois jours après
on vit paraître des attroupemens de femmes, dont le motif était la
cherté du savon , du sucre et des autres denrées. Les émissaires
de l'aristocratie se mettent à leur tête ; on se porte , dans diffé-
rens endroits de la ville, chez les épiciers; on se fait délivrer le
sucre à un prix beaucoup au-dessous du prix actuel; plusieurs
même emportent la denrée sans payer. La profonde perversité
de nos ennemis nous a fait craindre un moment que le désordre
ne s'étendît et ne se prolongeât. Nos alarmes ont redoublé lors-
que, pour la preiuière fois, nous entendîmes dans nos tribunes
publiques des spectateurs trompés ou apostés répondre à nos
conseils pacifiques en nous appelant agioteurs et accapareurs.
Nous n'en persistâmes pas moins à défendre les principes et les
véritables intérêts du peuple, et nous eûmes la satisfaction de
voir le peuple applaudir à notre zèle; et dès -e lendemain du jour
où l'émeute avait coramencé, grâces à l'esprit public qui domine
MARS (1793). 443
dans cette cité , ù la vigilance de la municipalité et du départe-
ment, au patriotisme ardent du maire et du commandant-géné-
ral , tout était rentré dans l'ordre.
ï Tel est, frères et amis, le récit fidèle de ce qui vient de se
passer à Paris. Vous pourriez croire que cet événement n'était
pas assez grave pour devenir l'objet d'un entretien particulier
avec vous , s'il n'était lié à des desseins sinistres et à cet affreux
système de calomnie qu'une faction dangereuse cherche à ressus-
citer dans ce moment pour diviser la nation et anéantir les socié-
tés populaires.
» Mais déjà les mêmes bouches qui, à la tribune de la Con-
vention nationale, ont plaidé la cause du tyran et vomi tant de
blasphèmes contre les défenseurs de la République, renouvellent
leurs impostures liberticides contre les Jacobins, contre le peuple
de Paris, contre les députés patriotes de la Convention, devenus
aujourd'hui la majorité; déjà des représentans (1), oubliant cet
auguste caractère , n'ont pas rougi de nous accuser hautement
de ce mouvement , auquel nous nous sonjm.es opposés de tout
notre pouvoir, et que nos seuls adversaires ont pu provoquer.
Déjà les chefs de cette funeste coalition et leurs complices s'ef-
forcent de propager ces diatribes par leurs journaux inciviques,
par leur correspondance contre-révolutionnaire.
» Nous ne nous abaisserons pas jusqu'à nous en justifier ; vous
pourrez facilement prononcer entre nous et des hommes accou-
tumés à persécuter le patriotisme et à trahir la cause publique.
Mais nous ne devons pas vous dissimuler des circonstances im-
portantes qu'ils se garderont bien de relever. Il faut vous infor-
mer qu'à la tête des femmes attroupées, parmi lesquelles se
ti'ouvaient fort peu d'hommes , encore moins de patriotes trom-
pés, étaient les domestiques des aristocrates connus, des émi-
grés même cachés sous le costume respectable des sans-culot-
tes, et dont plusieurs sont maintenant arrêtés et livrés aux tri-
bunaux; nous devons vous informer que des émigrés ont été
aperçus dans les galeries des Jacobins, cherchant à soulever le
H) Tels que Buzot , Salles , Lehardi de Rouen.
446 CONVENTION NATIONALE.
public contre nous; que, dans ce îemps-Ià même, l'un d'entre
eux, l'un des conspirateurs de Nîmes, le nommé Lescombiez, a
été arrêté près de la salle de la Convention nationale , où il avait
osé s'introduire ; que les instigateurs de l'émeute déclamaient
hautement , dans les promenades publiques , contre les Jacobins,
contre la Convention nationale en général, contre les députés de
la Montagne ; que , dans certains groupes , ils ont osé attribuer
la misère du peuple à la mort de Louis XVI , et que quelques-
uns ont poussé l'audace jusqu'à faire entendre ce cri sacrilège
et extravagant : Vive Louis XVII! Il faut vous dire enfin que les
gros magasins des accapareurs ont été respectés ; que les bou-
tiques des patriotes ont pbtenu ia préférence; que les marchands
jacobins ont été les plus maltraités, et que tels boutiquiers fayé-
tistes et aristocrates n'ont jamais montré un visage plus serein
qu'au moment où l'on disposait d'une partie de leurs marchan-
dises. Aussi le véritable peuple n'a-t-il pris aucune part à cette
émeute. Les braves sans-culottes, les honorables indigens l'ont
généralement improuvée. Une circonstance très-remarquable ,
c'est que les quartiers où le civisme est le plus ardent, le peuple
moins aisé et plus nombreux , n'en ont pas ressenti les effets.
Dans le faubourg Saint-Marceau , aucun marchand n'a été in-
quiété. C'est en vain que des perturbateurs , à la tête des femmes
venues des quartiers éloignés , se sont portés au faubourg Saint-
Antoine : ils n'ont pu entraîner les bons et vigoureux citoyens qui
l'habitent. Voilà le peuple de Paris.
ï Le peuple de Paris sait foudroyer les tyrans , mais il ne visite
point les épiciers. Le peuple de Paris, uni aux fédérés des qua-
tre-vingt-trois départemens , a renversé le trône ; il avait renversé
la Bastille deux ans auparavant , mais il n'a point assiégé les
comptoirs de la rue des Lombards. Quand les oppresseurs de
l'humanité ont comblé la mesure de leurs crimes, et que le peu-
ple irrité sort de son repos majestueux, il ne s'amusa point à
écraser de petits accapareurs , mais il fait rentrer dans la pous-
sière tous les despotes , tous les traîtres et tous les conspirateurs.
Il établit solidement l'édifice de la prospérité publique sur les
MARS ( 1795 ), 447
bases de la justice et de ia raison. Qu'iis sont vils ces petits im-
posteurs qui osent le calomnier, parce qu'iis le trahissent , parce
qu'ils redoutent cette opinion publique imposante qui les en-
toure dans une immense cité qui les observe et qui est le rendez-
vous naturel de tous les Français ! Qu'elles sont méprisables ces
âmes de fiel et de boue que la sainteté de leur mission , que les
sublimes destinées de la France, que la grandeur des prodij^es
que le génie de la liberté enfante autour de nous et pour nous
ne peut élever, un seul instant , au-dessus de leur bassesse natu-
relle! Malheureusement, il est encore trop d'hoinnies qui leur
ressemblent ; mais lorsque dans vos départemens vous entendrez
des royalistes ou des Feuillans déguisés balbutier encore leur
triste et astucieux jargon, dites-leur que tous les troubles qui
compromettent la liberté ne peuvent être imputés qu'à ceux qui
jusqu'ici ont protégé tous ses ennemis et poursuivi tous ses dé-
fenseurs; à ceux qui ont prodigué tant de coupables artifices
pour sauver le tyran ; à ceux qui ont ouvertement pris sous leur
sauvegarde les émigrés qui infesient aujourd'hui la République,
et qui affluent surtout à Paris ; à ceux qui, tandis que nous pres-
sions la condamnation de ce même roi conspirateur ei paijure,
dont ils étaient les avocats , appelaient contre nous nos frères des
départemens , et désignaient la portion la plus saine de la Con-
vention nationale à la vengeance de leurs concitoyens ; à ceux qui
outrageaient Michel Lepelletier à la tribune pour la même cause
précisément qui a dirigé contre son sein le poignard parricide
des satellites de la royauté; à ceux qui, forcés d'accompagner
au Panthéon ce glorieux martyr de la liberté, recommencent à
conspirer contre ses comp^^gnons d'armes, et ne rougissent pas
de les outrager avec une nouvelle impudence ; à ceux qui , dans
la ville de Lyon , patrie et domicile du vertueux Roland , vien-
nent de dissoudre les sociétés populaires , de profaner l'arbre de
la liberté, d'outrager les patriotes; à ceux qui à la volonté de
nuire en réunissent tous les moyens; à ceux qui , après avoir gou-
verné la France sous le nom de Roland , disposent encore de ses
bureaux , qu'ils ont composés ; qui tiennent entre leurs mains et
448 CONVENTION NATIONALE.
le trésor national , et les subsistances , et tous les moyens d'acca*
parement , et tous les ressorts de l'agiotage ; qui font cause com-
mune avec les banquiers , avec les riches égoïstes , avec les aris-
tocrates , contre les amis de l'égalité ; à ceux qui , après avoir
aggravé la misère publique, peuvent trop facilement en abuser
pour troubler l'état à leur gré; à ceux dont la dévise est ; grâce
aux tyrans , la mort aux patriotes. Dites -leur que l'on ne croit
pas deux fois aux calomniateurs confondus et aux traîtres dé-
masqués; dites-leur qu'on connaît la perfide politique de ces
chefs de faction , qui , de tout temps , eurent pour système de
couvrir leurs propres forfaits en les imputant aux patriotes; à
qui il ne reste aujourd'hui d'autre ressource que de faire ou-
blier leurs anciennes impostures par des impostures nouvelles ;
qui ne peuvent se faire absoudre d'avoir voulu déchirer la Répu-
bUque qu'en la déchirant en effet. Ajoutez que la liberté , indé-
pendante, et de la sotte crédulité des uns , et de la basse méchan-
ceté des autres , et des écarts de l'imagination de tel homme , et
de la profonde perfidie de tel autre, triomphera des derniers ef-
forts d'une faction distinguée de toutes celles qui l'ont devancée
uniquement par l'extrême lâcheté avec laquelle elle épuise le plus
vil de tous les moyens , celui du mensonge et de la calomnie.
Mais il s'agit d'avancer d'un demi-siècle la félicité du monde et
d'assurer celle de nos enfans et la nôtre ; il s'agit de cimenter la
République au moment où elle étend ses Hmites ; si nous voulons
parvenir à ce but , unissons-nous pour défendre la tranquillité
publique contre les troubles que les intrigans nous suscitent, la
liberté contre les conspirations qu'ils renouvellent , l'esprit pu-
blic contre les écrits pernicieux dont ils travaillent sans cesse à
l'empoisonner.
» Au reste , soyez sûrs que nous sommes toujours les Jaco-
bins de 4789, les Jacobins du iO août, les Jacobins des jours non
moins sacrés où le tyran fut jugé , où la mort du tyran enfanta
la République. Si vous en doutez , venez voir, venez observer les
Jacobins et leurs adversaires. Venez jurer une nouvelle alliance
contre les tyrans et contre les intrigans ; et dès ce moment tous
MARS (1795). 449
les ennemis de la liberté pâliront devant vous, comme ils pâlis-
saient devant les fédérés qu'ils avaient eux-mêmes appelés con-
tre nous. »
Cette adresse avait été rédigée par Robespierre. A peine avait-
on fait trêve un instant aux émotions des derniers jours de fé-
vrier, que des nouvelles fâcheuses arrivées de l'armée le ô et
le 4 mars ébranlèrent de nouveau Paris. Les Girondins, qui
croyaient déjà au retour du calme, furent surpris par ces nouvel-
les et en attribuèrent les effets sur la population à des complots
sinistres tramés par les Jacobins ; ils entreprirent même de faire
peser sur leurs ennemis la responsabilité des événemeus militai-
res en insinuant que, si le recrutement ne marchait pas, c'était eux
qu'il fallait en accuser. Voici un article du Patriote français , daté
du 4 mars , où ces accusations , la dénonciation du complot et la
critique de l'adresse des Jacobins mettent à découvert le système
de polémique adopté par les Girondins en face des circonstances
inattendues dont leur position allait se compliquer :
a II serait curieux de savoir quels moyens ont pris nos muni-
cipaux, qui savent si bien motionner pour l'anarchie et pour le
pillage, quels moyens ils ont pris pour accélérer le recrutement
des troupes à Paris. Le petit nombre des enrôlés serait déchirant,
si l'on n'en connaissait la cause ; mais comment veut-on qu'un
père, que des enfans quittent leurs familles, quand ils ne sont
pas sûrs que demain leurs boutiques ne seront pas pillées ? Voilà
donc les effets de ces prédications insensées qui se font aux Ja-
cobins et dans d'autres lieux ! Ne parle-t-on pas ouvertement
d'un comité d'insurrection , qui prépare de nouvelles scènes dont
on cite cl les membres et !e lieu du rassemblement? Ne ciic-
t-on pas les débats du corps électoral sur les qualités nécessaires
dans un citoyen pour être propriétaire : comme s'il était néces-
saire d'avoir dautre titre que la propriété même ? Ne voit-on pas
des scélérats menacer insoiemment du décret d'accusation le plus
vertueux des ministres? tandis qu'ils élèvent aux nues et les
T. XXIV. 29
450 CONVENTION NATIONALE,
hommes qui assassinent, et ceux qui, gorgés d'or, ne veulent
rendre aucun compte.
» Robespierre a la aux Jacobins une adresse sur les causes du
dernier pillage, La platitude de cette adresse est due sans doute
au désespoir qu'a montré Robespierre de ce que son peuple
s'amusait à de si cliétives expéditions (c'est son mot). Quand Iç
peuple se lève, disait-il aux Jacobins, est-ce pour s'amuser à
piller du sucre? De plus grands projets doivent l'occuper; les
têtes des coupables doivent rouler dans la poussière. Je lui ai dé-
noncé ces coupables : ce sont ceux qui négocièrent l'année der-
nière avec Brunswick. — Et l'on dira que Robespierre ne pro-
voque pas son peuple à l'assassinat, ainsi que son chef Marat !
Et l'on dira qu'il ne veut pas un pendant au 2 septembre ! {Pa-
triote français, n. MGGGI. )
SÉANCE DU 5 MARS.
[ On annonce une lettre des commissaires dans la Belgique.
Quelques membres en demandent le renvoi au comité de dé-
fense générale.
Billaud-Varennes. H ne faut rien cacher au peuple. C'est à la
nouvelle de la prise de Verdun qu'il s'est levé et qu'il a sauvé la
patrie.
Un secrétaire fait lecture de celte lettre , datée de Liège. Les
commissaires annoncent que les cantonneniens placés du côté
d'Aix-la-Chapelle ont été forcés par une armée ennemie. Nos
volontaires se sont repliés et ont évacué la ville d'Aix-la-Chapelle
dans la journée du lendemain ; alors l'armée ennemie s'est divisée
en trois colonnes : l'une de ces colonnes s'est portée vers Maés-
tricht, dont le siège a été levé par le général Sîii anda. Le général
Valence a fait toutes les dispositions convenables, mais l'absence
d'un grand nombre d'officiers généraux et de chefs de corps le
met dans le plus grand embarras.
Bourdon. Je demande que tout chef et officier actuellement
absens de leurs postes soient tenus de s'y rendre le plus lot pos-
sible , sous peine de destitution.
MARS (1793). 4SI
CJioudieu. Il arrive tous les jours à Paris des volonlaires qui
sont à la solde de leurs déparlemens , et qui , par conséquent,
ne sont pas à la disposition du ministre de la guerre. Par exem-
ple, il vient d'arriver ici des volonlaires du département de la
Loire-Inférieure, et le ministre ne sait pas même où ils sont. Je
demande que vous décrétiez que tous ces volonlaires sont à la dis-
position du ministre delà guerre, et qu'ils soient sur-le-champ
envoyés aux frontières. (Un grand nombre de membres siégeant
dans la partie gauche de la salle se lèvent pour appuyer cette
motion. ~ De violens murmures se font entendre dans la partie
opposée.)
Lanjuinaïs. Je demande l'ordre du jour sur la proposition de
Choudieu ; et, pour appuyer ma demande , je dénonce à la Con-
vention un fait : c'est qu'il existe à Paris un comité appelé comilc
d'insurreclion. J'ai su ce fait par un volontaire même qui m'u dit
qu'étant avec ses camarades à l'assemblée électorale, on leur a dit
de se rendre au comité d'insurrection ; ce comité est présidé par
un membre de l'assemblée électorale; et l'on disait aux membres
qui s'y trouvaient : < Prenez garde, si vous n'êtes pas purs , vous
serez escamotés en sortant. » Je demande donc l'ordre du jour,
motivé sur ce qu'il est certain qu'il existe à Paris un foyer de
trouble et d'insurrection. (Murmures dans une partie de la salle.)
Barbaroux. Je suis bien étonné que Choudieu , qui était di-
manche au comité de la guerre lorsque le ministre de la guerre
s'y est rendu et nous a déclaré que le général Santerre lui avait
dit qu'il se fomentait des troubles dans Paris ; je suis bien étonné,
dis-je , qu'il vienne vous dire que Paris est tranquille , et qu'on
ne doit avoir aucune inquiétude sur sa situation.
Choudieu. Eh bien î puisqu'on me force de parler, je vais vous
dénoncer une intrigue. Le fait qui vous est allégué a été démenti
par la lettre que vous a adressée Santerre , par laquelle il vous
annonce que le calme est parfaitement rétabli. ( Une voix : Cela
n'est pas une raison. ) Le ministre de la guerre est venu di-
ujanche soir au comité de la guerre nous dénoncer des troubles
dans Paris , mais le coup était monté ; il s'était trouvé ce jour-là
452 CONVENTION NATIONALE.
au comité un grand nombre de membres qui, sur les observa-
lions du ministre , ont cru qu'il fallait former une force armée
pour protéger Paris. Buzot vous a déjà dit que sans une force
armée nous ne pouvions faire de bonnes lois. Pour nous , qui
croyons qu'il n'y a pas de bonnes lois que celles qui sont soute-
nues par le peuple, nous n'avons pas voulu d'une garde natio-
nale comme la voulait La Fayette ; et voilà pourquoi je suis venu
vous demander de faire disparaître une monstruosité dans la
composition de la force armée , dont une partie est à la solde des
départemens, et dont le ministre lui-même ignore la destination.
Voilà pourquoi je demande que tous les volontaires qui sont à
Paris soient à la solde de la République, et que dans trois jours
le ministre de la guerre rende compte des ordres qu'il aura don-
nés pour leur départ.
Buzot. Je demande l'ajournement de cette proposition , et je
la motive sur des faits. J'observe qu'il existe un décret qui met
à la disposition du ministre de la guerre toutes les troupes de la
République , et je crois qu'il suffirait d'en réclamer l'exécution.
Mais la présence des volontaires des départemens , qu'on veut
sur-le-champ éloigner de Paris, y est-elle nécessaire? Je dis que
oui. Car il est constant que le dernier attroupement qui a eu lieu
à Paris a été en partie apaisé par les volontaires brestois, à
qui le ministre de la guerre et Santerre lui-même ont donné des
éloges pour leur bonne conduite. Il est constant que le ministre
est venu nous dénoncer des inquiétudes sur le danger de voir se
renouveler le pillage ; il est constant que Paris ne peut opposer
une résistance convenable aux malveillans si les citoyens des dé-
partemens ne le secondent. Ces volontaires vous demandent une
autre organisation. Il est pressant que tout rentre dans l'ordre
ici ; il est pressant que la garde nationale parisienne ait à sa tête
un commandant choisi par le peuple, et qui ait sa confiance; il
est pressant que l'ancienne municipalité, qui n'en est pas une,
soit remplacée par la nouvelle. Je prétends que le foyer de l'a-
narchie est dans cette prétendue municipalité , j'en atteste les
journaux mêmes de ses séances. Lorsque tout sera ainsi mis à
M/iRs (1795). 453
sa place , alors je voterai pour que les volontaires qui sont à Paris
aillent aux frontières ; mais jusque-là , il faut avoir de la force à
opposer aux brigands. Les citoyens de Paris sont las de cet état
de choses. Il est impossible que , s'il dure encore quelque temps,
l'herbe ne croisse pas dans les rues de Paris. Il dépend de vous
d'éloigner tous les maux qui menacent celle ville; que l'ordre
règne ici , que les autorités constituées fassent exécuter la loi,
alors les citoyens viendront ici ; ils y apporteront leurs richesses.
et l'abondance renaîtra avec le bonheur.
Thuriot. Citoyens , j'ai toujours combattu pour les intérêts de
Paris, combinés avec l'intérêt de la patrie , et j'espère que Paris
se souvient que je travaillais pour lui lorsque Buzot n'y pensait
pas. Gardez- vous de vous rendre à des propositions qui tendent
à perdre la ville dont on a l'air de prendre les intérêts. (De vio-
iens murmures s'élèvent à la droite de la tribune. ) N'aJmirez-
vous pas que des hommes que nous avons été obligés de faire
arrêter pour ces écrits incendiaires aient dit, comme Buzot,
que l'herbe croîtrait dans les rues de Paris? Mais quelles qu'aient
été les calomnies répandues contre eux , les menaces jetées en
avant pour les effrayer, les habitans de Paris ont toujours con-
tinué leurs sacrifices. Gardez-vous de croire à ces propositions
concertées avec ceux qui regrettent la mort du ci-devant roi.
(Nouveaux murmures. ) Comment ces amis de l'ordre , ces amis
de la patrie, osent-ils s'élever, sous prétexte qu'on calomniel'a-
ristocratie? Nous prouverons, par l'instruction de la procédure
criminelle que vous avez ordonnée sur les derniers mouvemens
relatifs à la cherté des denrées, que des Anglais, des émissaires
des émigrés, des aristocrates étrangers et intérieurs ont fomenté
les mouvemens qui ont eu lieu ces jours derniers. [Uiie voix: Et
Marat n'y songeait pas? ) Je suis loin d'approuver les écrits incen-
diaires qui ont pu s'accorder plus ou moins avec ces mouvemens.
Si l'on était vrai, on conviendrait que j'ai fait tout ce que j'ai
pu , que je me suis porté partout pour les empêcher. Les papiers
publics l'attestent; mais calomniez toujours, puisque c'est votre
jouissance. Je vous en laisse la saiisfaciicm...
454 CONVENTION NATIONALE.
Barbaroux. Je demande la parole. (Des murmures s'élèvent
dans une des extrérailés et dans la tribune qui domine le côte
gauche. — Tous les membres placés dans la partie droite se
lèvent avec des gestes animés et demandent la censure contré
les interrupteurs. )
tshard. Je demande la parole polir une motion d'ordre.
Le président. Je rappelle les tribunes au respect qu'elles doi-
vent à l'assemblée ; je rappelle la Convention à sa propre dignité.
Isnard s'élance à la tribune.
Plusieurs voix. La parole est à Thuriot.
Isnard: Comme représentant du peuple, ayant la parole, j'ai
le droit d'être entendu en silence. (Une violente agitation se ma-
nifeste, au milieu de laquelle Billaud-Varennes , Desmoulins,
Robespierre jeune , s'opposent à ce qiie Isnard soit entendu. ) —
tsnard , ratevant la voix : Je prends acte de la non-libéhë d'oJDÎ-
nion. Moniteur , écrivez... Découvrant sa poitrine. S'il faut périr
ici, nous périrons. (L'agitation redouble. — Le président se
couvre , le tumulte diminue. Tous les membres se découvrent
et s'^àsseyent. Enfin le calme est rétabli.)
Le président j découvert. L'assemblée ne peut avoir qii'uiie opi-
nion, celle de donner un grand exemple à la Képublique, en
s' occupant de ses seuls intérêts. Toutes les fois qu'il s'agit ici
des personnes, il y a du trouble. Je devais donner la parole à
Isnard , en vertu du règlement. Je la lui maintiendrai.
Laînarque , s' avançant au milieu de la salle. Je demande la pa-
role nontré Isnard. (Murmures.)
Isnard. Je disais à l'assemblée que , comme repf-ésenlant du
peuple, j'avais droit d'être entendu en silence, et que, usant de
ce droit (Les interrnpiions recommencent ) je prévenais
rassemblée que si j'étais interrompu, je ferais inscrire et consta-
ter au procès-verbaî cette interruption, et que moi, moi qui ,
comme vous, ai des commettans, je leur dirais qu'un tel jour, a
telîe heure, tels et tels ont manqué à la représentation nationale:
(Nouveaux murmures.) A présent je dis qu'il n'y a plus de repré-
sentation nationale dans une assemblée dont tous les membres ne
MARS (1795). 4o5
jouissent pas de la plus grande liberté ; je dis que l'assemblée
vient de donner un exemple de ce défaut de liberté.
Un membre, je ne sais lequel, car tous sont égaux à mes yeux,
a demandé la parole. lia été accueilli parles murmures indécens
des membres de ce côté. Les tribunes ont pris part à ces mur-
mures; niîiis faut-il s'en étonner? Ne sont-elies pas autorisées à
croire bien faire, quand elles suivent l'exemple de leurs repré-
sentans? Non , ce n'est pas leur faute, mais c'est la vôtre, à vous
qui , par un zèle inconsidéré pour la liberté, êtes prêts à la per-
dre. O mes concitoyens ! je ne suppose à personne des intentions
coupables; je me suis tu longtemps sur les débats qui agitent
cette assemblée et sur les véritables causes de ces débats , mais
il n'est pius possible d'y tenir. {Une voix dans l'extrémité gau-
clic: Ëli bien, allez-vous-en.) Je me demande chaque jour 'si
nous sommes ici la Convention nationale ou une machine à dé-
crets dans les mains d'une faction ; je me demande si Paris est la
reine des cités, ou n'est qu'une cité comme les autres de la Ré-
. publique. Il est tenqjs de déchirer le voile. Il laut que ceci
finisse ; il faut que ce soit la Convention qui tienne les rênes de
i'einpire, et non tel où tel individu ; il faut que chacun de nous
apporte ici sa part de lumières, de travail, de counige. Qui-
conqiie ne ie ifer.i pas sera coupable du crime de lèse-liberié. Je
viens remplir cetie lâc!;è, (',us-é-je la teindre de mon sang
{ÉUlaiid. C'est Lepeîletier PouUier. C'esf. nous qu'on as-
sassine.) Vous êtes comptables à la France, au moîide entier, de
la conduite (pie vcus tiendrez. Jusqu'à ce jour, il faut le dire, il
faui h; dise hautement iÛartigoytc. Ce n'est pas là une mo-
tion d'ordre.) Ou nous devons être libres, ou nous devons nous
en aller. ( Quelques voix à la gauche de lasaïle : Eh bien ! partez.
— Des niurniures d'iiiiprobntiou s'élèvi i-t avec force dans une
grande partie de l'assemblée. — Plusieurs membres s'adressant à
Isnard : Nous partirons livcc vous.)
Julien. Je demande qu'Isnard soit rappelé à l'ordre pour avoir
calomnié. (Les murmures d'une partie de l'assemblée interrom-
pent l'interlocuteur.)
4o6 CONVENTION NATIONALH.
Robespierre jeune. Le discours d'Isnard est le discours d'un
vrai conspirateur.
Isnard. On se forme une bien fausse idée de !a iiberté qui doit
régner dans une Convention. Moi je soutiens qu'il suffît d'une
seule interruption, d'une seule huée, de la millième partie de ce
que vous venez de faire, pour que la vérité d'une influence
étrangère soit démontrée... (On murmure.) Écoutez ces vérités,
qui sont plus sérieuses que vous ne pensez : la liberté des peu-
ples;.... et vous, peuple, écoutez aussi. (Ris et murmures dans
l'extrémité gauche.) Tant qu'on voudra me faire sortir de cette
tribune à force de me molester, je m'obstinerai à y rester. Ci-
toyens, la liberté des peuples est toujours placée entre deux
écueils , le despotisme d'un côté, de l'autre l'anarchie. Vous avez
dompté le despotisme , mais je vous vois prêts à tomber dans le
gouffre de l'anarchie si vous ne changez pas de conduite: voilà
les vérités que j'avais à vous dire. Je demande que jamais, à cette
tribune, on ne se permette des personnalités directes, et que
ceux qui s'en permettront soient envoyés à l'Abbaye , et que le
ministre de la justice poursuive devant le tribunal criminel les
auteurs et instigateurs des derniers pillages.... {Plusieurs voix :
Cela est décrété.) Puisque cela est décrété , je demande que le
ministre de la justice fasse son rapport à cet égard , parce que les
trois jours qui lui avaient été donnés, je crois, pour l'exécution
du décret, sont passés. J'invite en outre tous mes collègues à
prendre enfin cette attitude de sagesse et de courage qui peut
seule sauver la patrie.
Thuriot. Je fais observer à la Convention que la motion d'Is-
nard présente deux points : l'instruction, elle est décrétée; et le
compte du ministre, il est décrété. Lorsque j'ai vu Isnard mon-
ter à la tribune, j'ai cru que sa motion d'ordre allait porter con-
tre le tumulte qui empêcherait les représentans de manifester
leur opinion. [Plusieurs membres. Eh bien! il l'a fait.) Si Buzot
n'avait pas fait aussi des épisodes, s'il avait combattu avec les
principes , la question eût été facile à décider.
Il faut distinguer entre les volontaires payés des deniers de la
MARS (1795). ;, 4-j7
République, et ceux qui ne le sont pas. 11 y a beaucoup de bons
citoyens qui, cédant à des impressions mensongères, sont venus
ici pour être utiles. Il y a notamment un corps de Brestois qui
voulait, comme la ville de Brest, la mort du tyran. H est venu,
persuadé qu'il y avait dans la Convention un parti qui s'y oppo-
sait : ce corps l'a déclaré lui-même. Ainsi ont changé les fédérés
des autres départemecs venus avec des idées l'ausses. Ceux qui
les ont fait mouvoir s'en repentent aujourd'hui; mais enlin, ou-
blions ces torts , car en révolution il faut des sacrifices. On avait
aussi trompé le bataillon de Marseille, et vous verrez lorsqu'il
sera de retour dans ses foyers ses véritables sentimens. Vous
n'avez qu'une mesure si.'ïiple qui est dictée par la loi. De deux
choses Tuoe : ou les corps armés qui sont ici veulent élre utiles,
ou ils ne le veulent pas. A l'égard de ceux qui viennent des ports
do mer, il serait nuisible de leur donner une autre direction;
mais les autres, il serait absurde de dire qu'ils pourront rester à
Paris pour faire leur volonté , n'y faire rien que leur volonté.
( Louvet. Je demande à dénoncer les assassins.) Les vrais assas-
sins, ce sont les assassins de la nation, ce sont les journalistes
soudoyés pour corrompre l'opinion publique. Je demande qu'on
donne trois jours au bataillon de Brest pour déclarer s'il veut re-
tourner dans cette ville ou rester à la disposition de la nation, et
que si dans trois jours il n'a pas fait de déclaration, le conseil exé-
cutif soit autorisé à l'employer.
Mareij. Lorsque Choudieu a demandé quêtons les hommes ar-
més venus des départemens à Paris fussent mis à la disposition
du conseil exécutif, il a fait une proposition inconvenante , car il
y en a f)lusieurs qui ne sont point payés par la République. Les
trois cent cinquante hommes du département du Finistère ne se
sont rendus à Paris par aucune impulsion étrangère. Ce sont vos
propres décrets qui les ont appelés; car, dès le commencement
de la session , vous avez décrété le principe d'une force armée.
Au nombre des trois cent cinquante Brestois , se trouvent pres-
que en totalité ces mêmes hommes qui, avec les 3Iars*ilkNS, ral-
lièrent à la première décharge les patri<5les du 10 août. Et voilà
4^ CONVENTION NATIONALE.
Tes hommes sur lesquels on répand la calomnie ! (De violeiites ru-
meurs s'élèvent dans la partie {gauche. Plusieurs membres à la fois :
Jamais nous ne les avons calomniés.)
ïaliien. Je demande à repousser cette atroce et perfide insi-
nuation. Citoyens, cette division de trois cent cinquante hommes
s'est arrêtée à Paris tant pour se reposer de cent trente lieues de
fatigues, que pour remplir un devoir reli{3;ieux. Une section de
Paris, qui a pris le nom du Finistère, avait donné à ce bataillon
une oriflamme qui a été portée dans le département. Le départe-
ment du Finistère les a chargés d'une oriflamme pour la section.
Cette division ne demande pas mieux que de servir la Répu-
blique ; mais je m'oppose à ce que vous attentiez à la liberté in-
dividuelle. Je demande , par amendement à la proposition de
Choiidieu , que cette proposition ne s'applique point aux volon-
taires qui, comme ceux du Finistère, n'ont contracté aucun enga-
gement.
Barbaroux. La question me paraît très-facile à décider; il suf-
fit de s'arrêter sur les faits. Y a-t-il des malveillans, des voleurs
à Paris? oui, et les malheureuses journées des 25 et 26 février
ne nous en ont-elles pas convaincus ? Y a-t-il des contre-révolu-
tionnaires? Vous nous le dites dans tous vos rapports ; et il est
certain qu'on y a facilité la rentrée d'un grand nombre d'émigrés.
Y a-t-il à Paris des anarchistes? Vous n'en disconvenez pas sans
doute ; car l'anarchie nous entoure et menace sans cesse de nous
dévorer. Une seule vérité consolante se présente à nos esprits :
c'est que, malgré les efforts des mauvais citoyens, elle n'a pas
encore pérleire dans les départemens , ou que si elle s'y est pias-
sagèremenit rhanii^estee, elle est sur le point d'être partout anéan-
tie , excepté peut-être à Paris. C'est dans ces circonstances qu'on
vous propose de renvoyer de Paris tous les hommes qui , par
leur patriotisme et leur courage, y ont rendu des services signa-
lés à ià liberté. Les volontaires qu'on nous propose d'expulser
n'ont-ils pas la semaine dernière fait cesser le brigandage? n'ont-
ils pas reçu les éloges et les remercîmens du général Santerre ,
du ministre de la guerre et de toutes les autorités qui les ont em-
MARS ( 1793 ). ' 459
ployés? Que veulent dire les calomnies perpétuelles contre ces
citoyens des départemens et ces plaintes sur les calomnies qu'on
prétend que nous débitons contre Paris? — Certes, c'est vous
(se tournant vers l'extrémité gauche de la salle) , c'est vous seuls
qui calomniez Paris ; car il n'est pas possible que les Parisiens
n'aiment pas leurs frères qiii ont combattu avec eux pour renver-
ser le despotisme. Ne pressez donc pas le départ de ces volon-
taires jusqu'à ce que vous soyez certains que l'anarchie a disparu
de cette cité. Je demande l'ajournement des propositions de Chou-
dieu et ïhuriot.
Saint-André. Dans loiit ce que vous ont dit Buzot, Barbaroux
et autres préopinans, je n'ai remarqué que des assenions inu-
tiles, fausses , contradictoires, et une divagation perpétuelle des
principes. C'est au milieu de ces chaos où nous ont plongés ces
différens orateurs , qui ont écouté bien plus leurs passions que le
sang-froid de la raison et de la logique, que vous avez à décider
sur une question assez importante, puisqu'elle touche aux prin-
cipes de la force armée. De quoi s'agit-il ? de pourvoir à la sûreté
de Paris , sans priver nos arrnées de renforts utiles. Il se trouve
à Paris , comme dans toutes les villes populeuses , des hommes
dont l'intérêt particulier est de faire le mal général : ces hommes
doivent sans doute être réprimés ; eh bien ! il faut les réprimer.
Mais y a-t-il à Paris une force suffisante , indépendamment d( s
volontaires iqui réclament nos armées? Si cette force existe, si le
nombre des bons citoyens est dans une proportion assez forte
pour contenir les mauvais, les volontaires des autres départemens
y sont inutiles. Or, je trouve la preuve de ce fait dans les discours
mêmes des orateurs qui m'ont précédé.
Buzot vous à dit que la grande majorité de Paris est compo-
séc de bons citoyens et d'hommes bien inteniionnés; si donc, de
l'aveu même de ces orateurs, il existe à Paris une force considé-
rable composée de bons citoyens, il ne faut plus, pour réprimer
les anarchistes, que le calme imposant de la Convention natio-
nale et l'autoriK! de la loi. Jr; p.'appellorais donc point de forces
étrangères ù Paris ; car je suis persuadé, au conltaire, que plu»
4'jO convention nationale.
on appelle de forces dans une ville, plus on diminue l'e'nergie et
la confiance des citoyens. Montrez la croyance des citoyens bien
intentionne's , assez forts pour maintenir l'ordre , et cette masse
se montrera digne de soutenir les lois; elle ne lardera pas à avoir
le sentiment de sa force ; la confiance appelle la confiance : en-
voyez donc aux frontières les bataillons organisés qui se trouvent
ici. Les citoyens volontaires ne demandent pas mieux que de se
signaler contre les ennemis de l'état , et vous leur fermeriez la
carrière de l'honneur, vous les retiendriez ici dans l'inaction,
quand ils veulent aller cueillir des lauriers et concourir , avec nos
frères qui sont aux frontières , à l'établissement de la liberté uni-
verselle! J'ai entendu dire que nous abreuvions de dégoûts et de
calomnies les volontaires des départemens. Certes je ne crois pas
que ceux qui croient que ces braves volontaires sont appelés à
d'autres destinées qu'à celle de végéter dans Paris, et qui vou-
draient les voir bientôt cueillir à Maestricht les lauriers de la
gloire , puissent être accusés de calomnier les citoyens des dé-
partemens. Moi jussi je suis député d'un département très-éloi-
gné de Paris. Je suis loin de calomnier les départemens méridio-
naux auxquels j'ai l'honneur d'appartenir ; je sais qu'ils sont
pleins de zèle et de courage, mais c'est pour cela que je ne veux
pas que les soldats qu'ils fournissent à la patrie périssent ici
dans l'oisiveté, dans la mollesse et les sales plaisirs auxquels sou-
vent ne résistent pas mémo les hommes connus par leur moralité,
au milieu de l'exemple de la corruption générale qui les envi-
ronne ; certainement ces braves volontaires, s'ils m'entendaient,
me diraient : Vous avez bien jugé de nous, vous avez bien ap-
précié les sentimens qui nous animent.
Vous devez vous occuper maintenant de recruter les armées.
Paris doit fournir un contingent considérable. Si vous donnez à
cette ville une force étrangère considérable , quelle sera la con-
séquence naturelle qu'en tireront les citoyens? ne sera-ce pas de
dire : Puisfju'on nous envoie des forces, Paris est donc un poste
de danger , nous ne devons pas le quitter ; nous marcherons avec
les bataillons qui sont parmi nous, diront-ils , ou nous resterons
MARS (1795). 4G1
avec eux ; si on les laisse dans l'oisivité au centre de la Républi-
que, nous n'avons donc pas besoin de marcher aux frontières.
C'est ainsi que l'oisiveté engendre l'oisiveté , comme le courage
enjjendre le courage.
On parle d'anarchistes, on prétend qu'il en existe, même
parmi vous. Ces inculpations déshonorent la Convention. Non,
il n'est personne ici qui veuille l'anarchie : c'est une horreur et
une atrocité de le prétendre, et ceux qui répètent constamment
celte calomnie devraient être un objet d'exécration publique.
{ Murmures à la droite de la tribune. — Albite apostrophant
cette partie de l'assemblée : C'est vous qui voulez le désordre. —
Saint-André reprend: Oui, nous voulons tous l'ordre. — Un cri
unanime se fait entendre de toutes les parties de la salle : Oui !
oui ! )
Garrau. Ce ne sont pas cependant les hommes de l'appel au
peuple qui voulaient l'ordre. ( Murmures. )
Saint-André. S'il était possible que l'anarchie désolât la Répu-
blique , elle serait la suite des erreurs , de la faiblesse de la Con-
vention nationale. J'ai entendu parler d'un corps qui n'est pas à
la solde de la République, et qui est cependant armé , qui a un
point de raUiement , des drapeaux et des chefs. Je rends hom-
mage aux intentions de ceux qui le composent; mais voyez quels
malheurs, quelle anarchie serait la suite de cet owbli des prin-
cipes , si par une souscription une société ou des individus pou-
vaient lever des corps armés, et les entretenir à leur solde. Ne
serait-ce pas l'anarchie et le désordre réalisés ? ne nous trouve-
rions-nous pas dans cet état ou chaque pahie du tout, isolée,
pourrait s'armer contre la partie voisine ? ou plutôt un gouver-
nement fédératif et féodal remplacerait la République indivisi-
ble que vous avez décrétée : c'est ainsi qu'en vous exlravasant
dans les puérilités et les sophismes , vous tendez vous-mêmes aux
troubles et à l'anarchie. Je demande que la Convention natio-
nale, sans s'arrêter à toutes les diatribes qui ont souillé la tri-
bune dans cette séance , passe à la discussion sur la proposition
462 CONVENTION NATIONALE.
(le Ghoudieu , et qu'elle la décrète avec l'amendement de Thu-
riot, relativement aux bataillons brestois.
Louvet et Forquedey sont à la tribune. — L'assemblée ferme
la discussion.
Boijer-Fonfrède demande la division de l'ajournement et pro-
pose le projet qui suit : « La Convention nationale , considérant
qu'il est instant de pourvoir à la défense des côtes, décrète que
les corps armés envoyés à Paris par les départemens maritimes ,
et aux frais des administrés , y retourneront pour défendre la
patrie; et que les voloniaires qui les composent seront comme
les autres citoyens en état de réquisition permanente. »
Clioudieu. Voici ce que je propose ;
Art. l'^''. La Convention nationale décrète que tous les batail-
lons qui sont arrivés à Paris sur la réquisition des départemens
sont, dès ce moment, à la solde de la République et à la disposi-
tion du conseil exécutif. (Plusieurs cris s'élèvent dans l'exlrémilé
droite : La question préalable!) Laissez-moi au moins achever
mon projet de décret.
2. Les bataillons des départemens maritimes seront de préfé-
reifce employés sur les côtes.
Louvet. Citoyens , quand vous rendrez ce décret , vous ne
pouvez être déterminés que par celte raison principale et peut-
être unique qu'il y a dans Paris une force suffisante pour em-
pêcher les désordres de toute espèce , le pillage et même les as-
sassinats que des malveillans prêchent chaque jour. Il faut donc
prendre des mesures pour que la municipalité ne vienne plus à la
barre vous dire que , si vous ne décrétez pas telle chose, il y
aura le lendemain , à telle heure , une insurrection.
Billaud- Varennes. C'est une imposture. — Plusieurs autres
membres de l'extrémité gauche. Ce sont les impostures ordinaires
de ces messieurs.
IjQuvet. Surtout vous devez faire qu'après une telle délibéra-
tion , un pillajje prévu la veille ne s'effectue pas le lendemain sans
résistance pendant une journée entière. Je propose donc l'amen-
dement suivant.
MARS (1793). 465
« La Convention nationale déclare tous les membres des au-
torités constituées établies à Paris solidairement et individuel-
*
lement responsables des atteintes qui pourraient être portées à la
liberté individuelle et aux propriétés. » (Quelques rumeurs s'élè-
vent dans une partie de la salle.)
Garrau. Je demande la question préalable sur l'amendement
de Louvet, attendu qu'il y a des lois existantes sur cet objet.
(Murmures à la droite de la tribune. — Faites-les donc exécuter.
— L'orateur se tournant du côté d'où pai tent ces interruptions.)/
Est-ce parce que le siège de Maëstricht est levé que ces mes-
sieurs m'interrompent aussi insolemment? (Nouveaux murra»-
res.) J'entends dire que le siège de Maëstricht n'est pas levé,
mais suspendu. Mais ne dirait-on pas qu'il suffit d'un événement
fâcheux....
TaUien. D'un succès des Prussiens.
Garrau. Pour qu'on vienne renouveler ù cette tribune les ca-
lomnies depuis long-temps imaginées coutre la ville de Paris et
une partie des membres de la Gonjeniion.
L'assemblée consultée décide, à une grande majorité, qu'elle
passe à l'ordre du jour, sur l'amendement proposé par Louvet ,
motivé sur les lois existantes.
La proposition de Fonfrède est décrétée.
On lit la lettre suivante.
f Le ministre de la guerre au président de la Convention.
» Paris, leô mars.
» Citoyen président, je crois devoir vous prévenir que je suis-
instruit par une lettre, que je reçois du général Valence, que les.
Prussiens se sont portés eu force sur la Roër, au nombre de
vingt-cinq à trente mille hommes, pour secourir Maëstricli, et
que ce mouvement des ennemis a engagé le général Miranda à
cesser par prudence le bombardement de cetle place. Cet évé-
nement, peu important en lui-même, pourra seulement nous-
iorcer à l'attaquer dans les formes et nous retarder un peu plus
long -temps. Telle est la nouvelle ù laquelle on pourrait attacher
464 CONVENTION NATIONALE.
j^us d'importance qu'elle ne mérite , et sur laquelle j'ai cru de-
voir fixer l'opinion de l'assemblée. Signé, Beurnonville. »
— Camboulas, après avoir annoncé que les ennemis de la li-
berté ont réussi dans les îles de la Martinique et de la Guade-
loupe , fait déclarer toutes les colonies en état de guerre, et pres-
crire différentes mesures à ce sujet.
Lasource propose d'excepter des peines contre l'émigration
des enfans sortis avec leurs père ou mère , avant l'âge de dix-
huit ans pour les garçons, et de vingt et un pour les filles. Osselin
appuie cet amendement. Thuriot vote pour que l'ùge des garçons
soit fixé à seize ans, et à dix-huit pour les filles. Robespierre l'aîné
combat la proposition et demande que l'exception ne s'étende
pas pour les garçons au-delà de quatorze ans , ainsi que le portç
un article déjà décrété. L'assemblée maintient cet article. Sur la
proposition de Mathieu , il est décrété que les filles émigrées qui
rentreront à l'âge de quatorze ans seront déportées , et qu'en
cas de récidive elles seront punies de mort. ]
SÉANCE DU 7 MARS. — DÉCLARATION DE GUERRE A l'eSPAGNE.
A la séance du 6 , les nouvelles de l'armée du nord étaient de-
venues alarmantes. Les commissaires écrivaient que cette armée
était dans une position très-fâcheuse ; que la vil'e de Liège , qui
contenait de grands approvisionnemens et des trésors, était me-
nacée de tomber au pouvoir de l'ennemi ; que le général Valence
ralliait les fuyards, mais que si le général Dumourier n'arrivait
pas, on ne pouvait répondre des événemens. Le 7 on déclara la
guerre à l'Espagne.
Barrère , au nom du comité de défense générale : « Citoyens ,
un ennemi de plus pour la France n'est qu'un triomphe de plus
pour h liberté. Voilà les paroles qu'il faut adresser à ces froids
amis de la Uépublique qui se laissent abattre par la nouvelle de
la retraite d'un avant-poste, et par le retard d'une victoire. Le
voile dont s'est enveloppé depuis long-temps le gouvernement
espagnol vient enfin de se déchirer. Sa politique obscure et in-
MARS (17f)3). 46o
certaine est connue ; les intrigues de la cour de Saint-James ont
triomphé à Madrid , et le nonce du pape a aiguisé les poignards
du fanatisme dans les états du roi catholique.
» Pressé par les demandes réitérées de notre ambassadeur, il
feignait de garder une indifférence éloignée de son caractère, et
proposait une neutralité contre une ligue donl il goûtait secrète-
ment les principes. Il parlait de paix et de médiation dans le ca-
binet de Madrid , tandis qu'il multipliait au loin les agressions
politiques , et faisait sous nos yeux des armemens de terre et de
mer.
» La cour d'Espagne veut la guerre ; la cour d'Espagne n'a pas
cessé de la vouloir. Nous avions pensé que cette puissance , à qui
la nature avait commandé le bon voisinage , en respecterait les
droits. Nous avions le droit d'attendre que l'habitude des liaisons
commerciales, un ancien traité d'alliance, des relations d'uiihlé
réciproque, la ramèneraient à des principes de justice ou à des
mesures de prudence ; nous espérions que, n'étant plus au siècle
de PhiUppe II, ce gouvernement reconnaîtrait l'injustice de ses
procédés et de ses vexaiioDS envers les Français , et que le roi de
l'Espagne i^natisée, ou le dominateur des premiers amis secrets
de l'indépendance , aurait la sagesse de ne pas se mêler aux ré-
volutions de la liberté. Aussi il n'est pas de moyens compatibles
avec la dignité nationale qui n'aient éié employés auprès de cet
ancien allié avant d'ouvrir le tiibunal de la guerre. Il fallait sans
doute , avant que de planter l'étendard terrible sur le sommet
glacé des Pyrénées , épuiser tous les procédés conciliateurs et
pacifiques. Ce n'tst pas qu'il soit plus malheureux pour la France
de compter un ennemi de plus : la république naissante triom-
phera du despotisme de l'Europe; mais une nation doii à une
autre d'attendre que son gouvernement s'éclaire, ou que l'opi-
nion lui fasse connaître une cause qui lui est étrangère ou dan-
gereuse.
» Cette espérance qu'avait conçue notre ambassadeur n'existe
plus. Votre courageux décret sur l'affaire de Louis a fait dispa-
raître le voile de neutralité perfide qu'affectait la cour de Char-
T. XXIV. 30
46G CONVENTJON NATIONALE.
les. Vous devez enfin lui déclarer la guerre ; c'est cette cour qui
l'a déjà commencée en Amér'kjue et en Europe; différer cette
déclaration, ce serait méco*iiaîire les injures faites à la France,
ce serait donner à l'Espagne l'avantage de déterminer le moment
des agressions hostiles.
> Les griefs de lu République contre le gouvernement espa-
gnol ont pour théàire les deux hémisphères; pour cause, la haine
de notre lévoiution; pour but, l'anéantissement de notre liberté
et raffermissement du royalisme.
» C'est ce gouvernement qui a sourdement préparé et fomenté
a révolte des noirs de Saint-Domingue, en trafiquant avec les
nègres du Word, en échangeant des armes , des canons, des mu-
nitions de guerre et de bouche contre lor et l'argent, les meu-
bles précieux et les déniées que les nègres avaient pillés dans les
habitations qu'ils avaient jusqu'alors fertilisées.
> C'est par les instigations de ce gouvernement, c'est par la
collision des gouverneurs, que les Espagnols ont tiaité, à Axa-
wow, avec une barbarie dont on ne retrouve les traces qu'au
Mexique, des Français malheureux qui demandaient un asile;
qu'ils les ont chassés de leur territoire , et qu'ils ont vendu aux
nègres des blancs qui s'étaient mis sous leur protection , et qui
ont été ensuite maï>sacrés vec impunité sous leurs yeux.
» C'est par \es suggestions barbares de ce gouvei nement que
les Espagnols de Saint-Domingue ont refuse constamment aux
Français poursuivis les secours qu'ils leur demandaient avec in-
stance , secours que les Espagnols s'en^pressaient d'accorder aux
révoltés.
» En Europe nos griefs contre ce gouvernement sont plus
connus et plus multipliés : je n'ai plus besoin de vous raconter les
vexations éprouvées en Espagne par les citoyens français , voya-
geurs domiciliés, ou commerçans; de vous rappeler les longues
discussions élevées relativement auxhmites des deux états; il nous
suffit de présenter les griefs pris des offenses m ultipliees faites à
la souveraineté nationale , le refus de reconnaître la libei lé du
ci-devant roi dans l'acceptation de la royauté conslitulionneHe;
MARS {1795). 467
îe cordon de troupes déployées le long des Pyrénées, quand
nous ne pensions pas même à nous dé(ier de cet allié ; l'audace
du gouverncn;ent espagnol d'entretenir aupiès des émigrés
l'ambassadeur Fernand Nunès, la protection et les secours ou-
vertement donnés à nos rebelles et aux prêtres fanatiques ; le re-
fus de retirer des frontières ces forces, dont le séjour porte at-
teinte aux anciens traités et à la conliance qui doit i égner entre
les deux peuples.
» Qu'avait fait la nation française à ce gouvernement ingrat,
devenu aujourd'hui son cruel ennemi? 11 lui avait prodigué ses
trésors et ses flottes, lorsqu'une mésintelligence qui pouvait de-
venir funeste au commerce espagnol éclata entre les gouverne-
mens de Londres et de Madrid. L'intervention de la France pré-
senta à ses anciens alliés un secours de quaiaate-cinq vaisseaux,
armés tout à coup dans nos ports, au milieu des dépenses et des
orages de notre révolution : tout rentra dans l'ordre des négo-
ciations paisibles ; et l'Angleterre dut céder alors que l'Espagne
acceptait l'intervention armée et les secours de l'assemblée na-
tionale constituante, qui, à cette époque, fixait les leg.irds et
les respects de l'Europe.
> L'Espagne dut à la France la conservation de ses riches co-
lonies, que la perfidie du cabinet anglais cherchait à lui ravir sous
de misérables prétextes, à une époque où l'on ne croyait pas à la
possibilité de l'intervention française ; et cependant rEsj)agne est
aujourd'hui l'alliée de son ennemi naturel.
» Ici la fuite de Varennes jette un voile sur nos relations diplo-
matiques, et déjà, avant l'acceptation de la constitution royale,
l'indignation des Franç;iis avait dénoncé une cédule du t20 juil-
let 1791 , cédule humiliante *-t vexaioire, qui (il maltraiter, jet^r
dans les cachots et chasser arbitrairement de l'Espagne un grand
nombre de Français, tandis qu'un serment impie effrayait hs
coeurs soupçonnés de baltre en secret pour leur patrie, exijjeait
d'eux une abjuration sacrilège, et ne laissait i>ur ce territoire in-
(jui.sito! ial que les Français qui renonçaient à l'être.
» A la vue de celle injure grave, la France aurait dû sans
468 CONVENTION NATIONALE.
doute punir le gouvernement espagnol de tant de malveillance et
d'injustice ; cependant nos autorités constituées respectaient le
traité que les agens de l'Espagne violaient sans cesse ; la munici-
palité de Perpignan refusait de protéger la désertion des troupes
espagnoles , tandis que l'Espagne accueillait nos déserteurs ; la
municipalité de GoUioure rendait, de son propre mouvement, un
vaisseau qu'elle avait droit de retenir, tandis qu'à Saint-Sébastien
et à Saint-Salvador les lois de la navigation étaient violées à
l'égard des Français. Enfin , un décret restituait aux agens espa-
gnols les recrues que le zèle des administrateurs de deux dépar-
lemens avait retenues dans la citadelle du Saint-Esprit, tandis
que la cour espagnole vexait les Français et inquiétait nos com-
merçans et les consuls.
» Telle a été la conduite conciliante , franche et loyale de la ré-
publique française ; cependant , on ne peut se dissimuler les in-
tentions hostiles de l'Espagne, malgré les protestations contraires.
La libre acceptation de la royauté constitutionnelle est-elle for-
mellement et itéralivement méconnue dans les réponses de la
cour d'Espagne, cette cour annonce qu'elle veut conserver reli-
gieusement ses traités avec nous. Lui oppose-t-on une négocia-
tion séparée avec les cantons suisses pour les aliéner de la
France, la cour nous destine une note officielle pour calmer nos
inquiétudes sur l'envoi d'un ambassadeur en Suisse. Se plaint-on
d'un cordon de troupes déployé inutilement le long de nos fron-
tières , elle explique avec empressement le cantonnement de ces
tioupes espagnoles ; notre agent est traité convenablement à Ma-
drid , et le ministre d'alors assure que sa cour était bien éloignée
de songer à armer contre la France si la France ne l'attaquait
pas. Se plaint-on de la cédule du 20 juillet 1791 , la cour d'Espa-
gne invoque la lettre des traités et feint d'opposer à tous les
étrangers sans distinction une rigueur qui ne frappe réellement
dans l'exécution que sur les Français. ïnvoque-t-on les traités , la
cour d'Espagne ne peut pas consentir à donner à ce qu'on ap-
pelait le pacte de famille la forme d'un traité national. Alliée, ou
plutôt complice de notre cour, elle hésite sans cesse de devenir
MARS (1793), 469
ralliée de la nation. C'était l'influence du génie malveillant de
Florida Blanca.
3» La France a-t-elle montré assez de patience et de modéra-
tion? Au lieu de témoigner son mécontentement , elle garde en-
core le silence : elle veut maintenir la paix avec une puissance
qu'elle croyait ne pouvoir pas se laisser entraîner ù une ligue
aussi dangereuse à son existence qu'à sa tranquillité.
> Mais la conjuration contre notre liberté était ourdie depuis
long-temps dans toutes les cours d'Europe. Voilà le véritable
motif de tant de mensonges diplomatiques, de tant de perfidies
ministérielles. La cour de Madrid prenait part, depuis le mois
de juin 1791 , à toutes les dispositions hostiles dont la France
était l'objet ; elle méditait secrètement la ruine de notre indépen-
dance , et se coalisait obscurément avec les puissances despoti-
ques comme elle.
» A peine la liberté française est-elle en danger au milieu des
conspirations du trône et de l'invasion concertée de nos frontiè-
res , le cabinet de Madrid ne reconnaît plus de caractère à l'en-
voyé de France. Ebloui par la coupable gloire de servir la cause
des tyrans , il paraît se rattacher à leur ligue sacrilège. Ses pré-
paratifs militaires menacent nos frontières des Pyrénées ; ses
vœux ardens suivent la marche insolente et rapide de Brunswick,
mais les succès inouïs de la République naissante la ramènent
bientôt à des idées plus modérées. Secondée par sa lenteur ordi-
naire , elle transforme son impuissance réelle en preuve de lion
voisinage, et présente ses premiers préparatifs comme une me-
sure purement défensive. Un niinislre , conduit par l'expérience
et la sagesse , est appelé : il a senti le besoin d'une alliance sin-
cère avec la France , et , se défiant des intentions perfides de
l'Angleterre , il répond ou il allègue , pour la neutralité, aux au-
tres puissances, que sa cour, par son éloi finement, est dispensée de
prendre pari à cette grande querelle.
> Cependant, le principal ministre est renvoyé. Les intrigues
de tous les cabinets de l'Eiirope redoublent aussitôt (ractiviié vn
voyant la nullité d'un jeune ministre succéder à l'expérience de
470 CONVENTION NATIONALE.
d'Aranda. Le cabinet de Saint-James y joint son astucieuse in-
fluence , et l'on voit tout à coup de grands préparatifs se former
dans les ports de l'Espagne comme au pied des Pyrénées.
» L'envoyé de Fiance exige, si l'on veut renouer les négocia-
tions, que les corps de troupes qui n'étaient pas encore rendus à
leur destination s'arrêtent. Cette promesse est faite, mais éludée
par plusieurs de ces corps militaires. L'envoyé se plaint de cette
inexécution avec cette fermeté qui convient au représentant de
la République. De nouveaux ordres sont donnés , mais leur tar-
dive arrivée n'a pu arrêter l'embarquement des milices provin-
ciales destinées pour la Catalogne.
ï Est-ce négligence ou lenteur? est-ce probité diplomatique ?
Le dénouement va le prouver.
» Notre envoyé se plaint de tous ces armemens et de l'activité
donnée à tous les ports ; il s'en plaint comme de moyens pré-
curseurs de la guerre , et non pas cautions de lu neutralité tant
vantée. Le cabinet de Madrid répond sans cesse que ce n'est là
qu'un état de défense et de sûreté pour son territoire; il va
même jusqu'à annoncer que c'est à cause des défiances qu'il a
des préparatifs maritimes de l'Angleterre qu'il fait à son tour
armer dans ses ports.
» Ce n'était là qu'un jeu de la politique, et ce fut alors qu'on
vit un jeune ministre, qu'on ne croyait pas encore façonné à la
honteuse dissimulation des cabinets, le disputer eu machiavé-
lisme au cabinet de l'Angleterre, se jouer de ce qu'il y a de plus
sacré, promettre de s'engager même, au nom de son maître', à
la neutralité , au désarmement et à l'envoi de commissaires, faus-
ser ensuite sa parole et se déshonorer par de vains subterfuges.
Il faut citer ici un exemple de cette infâme politique. Deux no-
tes officielles sont notifiées au ministre espagnol ; ie conseil exé-
cutif y demandait énergiquement lu retraite des troupes et la
neutralité. Le ministre parait d'abord y accéder ; il se plaint seu-
lement de ce que les notes ne sont pus signées , et il semble ne
faire dépendre son accession que de la signature : la correspon-
dance officielle qui les accompagnait en garantissait bien Tau-
MARS ( i7!)5 ). 471
thenticité ; cependant , l'envoyé français veut encore détruire ce
mauvais prétexte : les notes reviennent sif^nées du conseil exé-
cutif, et la mauvaise foi diplomatique cherche de nouveaux sub-
terfuges. Ici se présente une scène qu'il est utile aux nations
d'entendre, afin qu'elles jugent une lois leurs gouvernemens , et
que l'Espagne s'éclaire enfin sur ses chefs.
» Le ministre espagnol se récrie d'abord sur l'affectation du
conseil exécutif à parler de la nation espagnole dans les deux no-
tes officielles comme si l'Espagne , ajoute-t-il , avait adopté vos
principes. « Cette expression de nai ion est incompatible avec la
souveraineté du roi d'Espagne, j Tel est donc l'état d'avilisse-
njent et d'humiliation où un des plus grands peuples de l'Europe
se trouve réduit par les rois , puisqu'ils ne lui permettent pas
même de soupçonner son existence ! «Le gouveruemeot français,
répond l'ambassadeur, ne pouvait qu'employer un langage con-
forme à ses principes. — Il est étrange, continue le ministre
espagnol, que les notes officielles partent de la république
française, comme si déjà elle avait été reconnue par la cour
d'Espagne, au lieu de se borner à l'expression du gouverne-
ment français. — Cette expression, reprend notre envoyé, com-
prend implicitement celle de la république française, puisque
notre gouvernement actuel est républicain , et que le conseil exé-
cutif, qui est son organe , ne peut se dispenser de parier au nom
du gouvernement dont il tient ses pouvoirs. » Il aurait pu leur
rappeler aussi que le gouvernement espagnol fut le premier à
rcconnaiiie la république anglaise, et à envoyer un ambassa-
deur auprès de Crom>vel.
» L'aiiibassadeur de France insiste; il observe que la republi-
(jue française est reconnue par le roi de IVaples, pac un autre
Hourbon. « L'exemple du roideNaples, émané d'un roi d'un
ordre intérieur, n^pond le jeune ministre , ne suffit pas à un
monarque comme celui d'Espagne; dès que vous aurez obtenu
la reconnaissance de quelque puissance du premier ordre , ifa
majesté catholique ne refusera pas la sienne. »
j> Le voilà donc avéré cet orgueil insolent du despotisme, qui
472 CONVENTION NATIONALE.
ne reconnaît pas même l'ëp^alité entre les rois. Les mots de repu-
bliques blessent leurs oreilles superbes , et ils prétendent ne les
laisser exister que quand ils les auront reconnues.
T Citoyens , si les rois pouvaient être reconnus par des hom-
mes libres , ce serait à nous de reconnaître les rois ; ce serait à
la république française à sanctionner ou à rejeter leur existence.
j La république française n'est pas reconnue! Ne dirait -on
pas que les pays gouvernés par les rois sont leur patrimoine,
qu'ils parlent seuls au nom des peuples et décident de leur des-
tinée ? Ne dirait-on pas que la liberté et l'égalité avaient besoin
d'être reconnues autrement que par des triomphes et par l'assen-
seniiment de tous les hommes?... Mais tel est le vœu insensé de
tous les rois ; tel est le véritable sens des diverses objections fai-
tes par le gouvernement espagnol aux diverses propositions de
neutralité sincère et de désarmement respectif.
» Si le roi d'Espagne ne vous a pas déclaré plus tôt la guerre ,
c'est qu'il a des troupes moins actives que ses vengeances , et
qu'il est forcé à une lenteur inséparable des armemens mariti-
mes. S'il n'a fait que répondre à votre envoyé qu'il ne s'occupait
plus de ses notes officielles , c'est qu'il a cherché à éviter l'appa-
rence d'une agression dès long - temps préparée ; c'est qu'il vou-
drait pouvoir vous accuser auprès du peuplé espagnol pour
nationaliser la guerre, s'il le pouvait, comme les Pitt, les
Grenville l'ont pratiqué à Londres.
» Déjà le gouvernement espagnol a associé à ses projets de
vengeance royale tous les corps ecclésiastiques; les prêtres exci-
tent publiquement la crédulité du peuple à renouveler les crimes
des Vêpres Siciliennes. Les inquisiteurs vont se transformer en
militaires, et les couvents offrent de faire marcher des milliers de
moines pour cette croisade impie contre la liberté ; déjà le fana-
tisme religieux prépare ses largesses , ses prières et cette popu-
lation monacale aussi lâche qu'inutile; il va renouveler aux yeux
de l'Europe le ridicule exemple de cette guerre de moines que
virent nos ancêtres, et de ces processions qu'ils prenaient pour
des armées. C'est ainsi que tout se prépare pour la révolution
MARS (1795). 475
monastique, qu'f doit être le premier pas vers l'affranchissement
de l'Espagne. Que le gouvernement de Madrid s'éclaire donc sur
les peuples qu'il gouverne avec des moyens aussi extraordinaires.
Les lumières répandues dans plusieurs classes de citoyens y ont
déjà étouffé l'ignorance et une foule de préjugés. L' Aragon se
souvient de son antique liberté ; le peuple , comprimé dans les li-
sières de la superstition et du royalisme, a conservé son caractère
primitif; il a toujours ce même penchant démesuré pour tout ce
qui tient au courage et à l'élévation de l'ame. Que la liberté lui
apparaisse , et il s'élancera vers elle avec cette énergie qui lui
est si naturelle. Il faut à la nation espagnole de grandes entre-
prises et une immense perspective de gloire; elle la verra dans
la conquête de son indépendance et de ses droits, comme ses rois
l'ont vue dans la conquête des trésors du Mexique. L'habitude
qu'elle a de ne plus relever que du trône depuis l'iibaissement
des grands sera bientôt remplacée par la conquête de la liberté.
Qu'il tremble ce gouvernement astucieux et versatile , qui a
trompé les alliés de l'Espagne par de fausses espérances de neu-
tralité, et qu'il apprenne des Français libres que c'est du sein de
l'Andalousie que viennent de sortir récemment les expressions
énergiques du mécontentement espagnol , précurseur des révo-
lutions : « Quand ce seraient les Maures qui nous gouverne-
raient une autre fois , nous ne pourrions pas être plus malheu-
reux qu'avec cette maison de Bourbon. »
» Citoyens , que la guerre soit donc déclarée à l'Espagne. Si
l'agent de la république française n'a pas clé outrageusement
chassé de son territoire , comme un autre l'a été de l'île anglaise ,
n'oublions pas qu'on a refusé hautement de l'entendre et de ré-
pondre aux note^ officielles. Le ministère de la raison rendu
inutile nécessite celui des armes ; elles seront victorieuses le
long de l'Èbre et du 3Iançanarès , comme elles le sont sur les
bords de la Meuse et du Ilhiii.
> Si nous avions eu l'armée que vous avez décrétée contre
l'Espagne, si ceux qui étaient chargés de l'organiser et de l'ap-
provisionner n'avaient fait tout ce qu'il fallait pour l'anéantir des
474 CONVENTION NATIONALE.
son origine , si nous n'avions pas donné au gouvernement es-
pagnol une confiance trop longue dont ii n'était pas digne, nous
aurions eu le long des Pyrénées une force disponible qui aurait
assuré la neutralité de la cour de Madrid , arrêté l'Angleterre
dans ses projets hostiles, et défendu à l'Espagne de se constituer
en puissance navale , car l'Angleterre n'a eu l'audace de l'agres-
sion qu'en s'appuyant sur les galions de l'Espagne et les flo-
rins de la Hollande. Il est donc indispensable que vous ordon-
niez sur-le-champ que le conseil exécutif fasse passer dans les
Pyrénées le matériel nécessaire à une armée qui nous donne
tous les moyens d'agression; il faut que les Bourbons disparais-
sent d'un trône qu'ils ont usurpé avec lea bras et les trésors de
nos pères, et que le plus beau climat, le peuple le plus magna-
nime de l'Europe reçoive la liberté , qui semble faite pour lui.
» Et vous , citoyens libres de la France méridionale , que vos
alarmes cessent, que votre courage se relève : l'armée des Py-
rénées s'organise sur un pied formidable. Uniss?z-vous à nos lé-
gions patriotiques; vous apprendrez au gouvernement espagnol
que la république française n'est pas un ennemi à dédaigner, et
qu'elle ira porter dans son sein tous les germes de la liberté , de
l'égalité et de la tolérance, qu'ils n'ont jamais connues. Le des-
potisme vous insulte et vous menace ; mais le despotisme est
vieux en Europe, et il fut lâche dans toutes les contrées. Le
souverain de l'Espagne sommeille , allez le réveiller, et aussitôt
le fanatisme qui soutient les prêtres et les rois sera détruit ; le
colosse du gouvernement espagnol sera abattu, et de nouvel-
les sources d'industrie et de commerce vous dédommageront des
sacrifices que vous aurez faits à la liberté.
» Le rsord est défendu par des armées victorieuses contre les
tyrans de Vienne et de Berlin. Que vos braves légions nous dé-
fendent des fanatiques et des esclaves d'Aranjuez. Descendez
de ces rochers qui , produisant du fer et des soldats, furent tou-
jours les boulevarts de la liberté du genre humain. La gloire
vous attend au-delà des monts ; allez faire trembler à Madrid le
despote coalisé avec les 8nn«'mis de la République ; les Pyrenéeij
MARS (171)5). 475
ne peuvent être une barrière que contre des esclaves ou des
moines.
» En allant venger vos frères, rappelez-vous que, lorsqu'un
des despotes de la France eut placé un de ses peliis-Iils sur le
trône espagnol, il s'écria dans son orgueil ; // n'y a plus de Py-
rénées. Portons la liberté et l'égalité en Espugne par nos vic-
toires, et nous dirons alors avec plus de vérité , il n'y a plus de
Pyrénées j et nous le dirons pour le bonheur du monde. »
L'-^ comité propose de déclarer la guerre à l'Espagne, et la
Convention !a décrète à l'unanimité.
Real fait rendre un décret sur les pensions et traitemens de
la ci-devant liste civile. — Décret qui déclare incompatibles les
fonctions de notaire avec celles d'avoué, greffier et receveur.
— Un autre décret abolit la faculté de tester , et porte que tous
descendans auront une portion égale dans les biens des ascen-
dans. — A la séance du soir , Gensonné fut élu président ; Isnard,
Guylon-Morveau et Grangeneuve furent élus secrétaires.
FIN DU VINGT-QUATRIÈME VOLUME.
ERBATÀ du XXIJl' ro/umc— Pages 419-420, sapprimez depuis séa>ce du
29 JAifviER jusqa'à séance du 30 janvier.
TABLE DES MATIÈRES
DU VINGT-QUATRIÈME VOLUME.
PRÉFACE. Considérations sur l'éducation et sur la codification pénale et
rémunérative. .
HISTOIRE PARLEMENTAIRE. -DoCUrneuS ^^'^^f ^^^X^'/r!
■lanvierms, -Notice sur Michel Lepelletier , p. < -Procès >er
bad l'assassinat de Lepelletier, p. 2. - Description de ses fune-
railles p. 7. - projet de code pénal, p. A\. - Des peine^ en
général! p. ^^. -De la peinedu cachot, ,U. -1>«^^ P-« ^^^^
eéne p ^5. -De la prison, p. U. -De l'exposition, p. 15. -De
fa dégradation civique, p. 46. - Des effets des condamnations , p. T.
_ De l'influence de l'âge sur la nature et la durée des peuies , p. 48.
-De la récidive, p. 20. - Des contumaces, p. 20. - De la réhabi-
litation des condamnés . p. 24 . - Des crimes et de leurs punitions ,
D 23 — Des crimes contre la chose publique , p. 23. — Crime con-
gela sûreté de l'état, p. 23. - Crimes contre la Constitution
D 25 - Crimes des fonctionnaires publics, p. 52. - Crimes contre
îi propriété publique,p.35.-Crimesetdélitsco^reles^rs^^^^^^^^
p 36. - Crunes et délits contre les propriétés , p. 42. - Des compu
ces ,p. 51. -PLAN D'ÉDUCATION NATIONALE, p. 55- - DehnitlOU
de îéducation et de l'instruction, p. 55. - I>f "^;«V2 -ntra-
tion , p. 5T. - Objet de l'éducation , p. 63. - Budget et acUn.nistra-
tion des écoles , p. 75. — Projet de décret , p. 85.
FÉVRIER 4795. introduction, p. 94. - Article de Fauchet ^ur^a situa-
tion à cette époque , p. 96. - Division de la njatière du mois , p. 400,
478
TABLE DES MATIÈRES.
— CONVENTION NATIONALE , partie Organique, p. 402. — Analyse
du rapport de Condorcet sur le projet de constitution, p. 402. --
Projet de constitution, p. 406. — Rapport sur l'organisation de l'ar-
mée par Dubois-Crancé , p. 154. — Loi sur l'organisation de l'ar-
mée , p. 470. — Loi qui constitue les gardes nationales en état de
réquisition permanente, p. 48t. — Levée de trois cent mille hom-
mes, p. 484 . — Décret pour l'organisation du ministère de la guerre,
p. 490. — Organisation du ministère de la marine , p. 4 92. — Histoire
de la rupture delà France avec l'Angleterre, p. 494. — Brissot pro-
pose la déclaration de guerre , p. 200. — Rapport sur la situation
des finances, p. 207. — Céation de huit cent millions d'assignats,
p. 224. — Evaluation du montant des biens nationaux non vendus,
p. 223. — Nomination des commissaires de la Convention auprès des
armées , p. 227. — Séance du 3 février, p. 228. — Réclamation de
Marat contre l'un des commissaires proposés, p. 228. — Une députa-
tion se présente au nom des fédérés ou défenseurs des quatre-vingt-
quatre départemens. Ils font le panégyrique dePache, et demandent
que l'assemblée déclare qu'il conserve l'estime de la Convention
{phrases omises), p. 228. — Beurnonville est nommé ministre de
la guerre, p. 230. — Empreinte nouvelle des monnaies, p. 234. —
Tallien annonce que l'assassin de Lepelletier s'est suicidé , p. 234 . —
Note qui prouve cependant que Paris vivait enrore sous l'empire ,
p. 232. — Formation du muséum national , p. 232. — Discussion sur
le général Dillon, p. 237. — Réflexions de la presse sur cette séance ;
dénonciation de Desmoulins et de Chabot , p. 259. — Réponse de
Desmoulins, p. 240. — Rapport sur les subsistances de Paris,
p. 242. — Taxe progressive sur les riches à Paris , p. 244. — Adresse
de Roussillon, au nom des défenseurs de la République , demandant
le rapport contre les septembriseurs, p. 247. — Discussion à la suite,
p. 249. — La Convention suspend l'effet du décret, p. 260. — Dé-
putation qui demande la reddition des comptes du comité de surveil-
lance, p. 261. — Réponse de Panis, p. 264. — La section du Fi-
nistère offre à la nation les propriétés foncières des citoyens qui la
composent, p. 262. — Séance du 42; députation des sections de Paris
à l'occasion des subsistances, p. 263. — IMot d'un membre de cette
députation , p. 256. — Discussion orageuse à la suite , p. 236. — Les
pétitionnaires sont renvoyés devant le comité de sûreté générale ,
p. 277. — Éclaircissemens donnés par la presse sur celte séance,
p. 278. — Adresse de ladéputation de Paris à ses commeltans , faite à
cette occasion, p. 283. — Suite de la séance (/u 42; rapport de
Duhem pour la mise en liberté d'un commissaire du comité de sur-
veillance de septembre; lecture des pouvoirs de ce commissaire,
p. 291 , 293. — Arrestation du général Anselme comme concussion-
naire , p. 299. — Pache élu maire de Paris , p. 500. — Réclamation
de Brissot sur une dénonciation faite contre lui , p. 501. — Discus-
sion à l'occasion d'un passage du projet de constitution , p. 304. —
TABLE DES MATIÈRES. 471)
Dénonciation de Fauchet, évêque de Calvados , p, 340. — Motifs de
cette dénonciation, p. 5H. — Prière pour la nation française, par
Fauchet, p. 312. — Article sur la liberté du culle catholique,
p. 312. — Lettre de Durand Maillane sur le même sujet , p. 315. —
Adresse au peuple par !a Convention, p. 323. — Discussion sur les
troubles de Paris, p. 328. — Députalion de blanchisseuses à la barre,
p. 332. — Journée du 23 février , p. 333. — Séance de la Commune
de Paris , p. 558. — Séance des Jacobins, p. 3^3. — convention. —
Proposition et décrets, contre les émigrés, p. 348. — Discussions re-
latives à la journée du 25 février, p. 353, 334. — Dénonciation con-
tre iVIarat , p. 535. — Après une discussion orageuse , décret contre
Marat, p. 372. — Loi sur les passeports, p. 373. — État des dépar-
temens, p. 374. — Effet de la mort de Louis XVI , p. 374. — Rap-
port sur la reddition de Verdun, p. 375. — Mouvement girondin à
Toulon, p. 577. — Troubles de Lyon , p. 383. — Notice sur un ou-
vrage dont il n'existe plus que trois ou quatre exemplaires , intitulé :
Histoire de la révolution de Lyon, sur le journal de Lyon, etc.,
p. 386, 389. — Séance de la commune de Lyon, p. 390. — Visites
domiciliaires à Lyon, p. 391 . — Discussion pour l'élection du maire,
p. 595, 594. — Rapport sur ces troubles par Tallien, p. 590. —
Commencement d'insurrection à Lyon , p. 402. — Décret de la Con-
vention , p. 403. — Club des Jacobins de Paris , p. 404. — Bulletin
municipal, p. 4H. — Situation des armées , p. 414.
MARS 1793. — Coup d'œil sur les événemens du mois, p . 419, 42C. —
Décret qui ordonne aux députés journalistes d'opter entre leurs fonc-
tions législatives et celle de journalistes , p. 424. — Campagne de
Belgique, p. 426. — Bataille de Neer-Winden, p. 455. — Rapport
de Miranda sur cette bataille , p. 435. — Evacuation des Pays-Bas ,
p. 437. — Intelligences de Dumouriez avec l'ennemi , p. 437. —
Il fait arrêter et livrer à l'ennemi les commissaires de la Conven-
tion, p. 439. —Notice sur les intrigues de Dumourier, p. 440.
— Mouvement révolutionnaire de l'intérieur, p. 441 . — Adresse des
Jacobins au peuple , p. 442. — Critique girondine de celte adresse ,
p. 449. — Convention, nouvelles fâcheuses de Belgicjue, p. 430. —
Choudieu propose de décréter le départ des fédérés réunis à Paris,
p. 431 . — Les Girondins s'y opposent , p. 451 . — Vive discussion
sur ce sujet , p. 452 , 462. — Ce départ est décrété , p. 465, — Dé-
claration de guerre à l'Espagne , p. 474.
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