Skip to main content

Full text of "Histoire parlementaire de la Révolution française; ou, Journal des Assemblées nationales, depuis 1789 jusqu'en 1815, contenant la narration des événemens, les débats des Assemblées, et particulièrement de la Société des Jacobins les procès-verbaux de la Commune de Paris, les séances du tribunal révolutionnaire le compte-rendu des principaux procès politiques, le détail des budgets annuels, le tableau du mouvement moral extrait des journaux de chaque époque etc., précédëe d'une introduction sur l'histoire de France jusq'à la convocation des États-Généraux"

See other formats


:-tt*'^> 


^^  m^ 

î,  *'• 

t^ 

^%ImWÊÊ     '^ 

•N» 

w 

4%f                 -JE* 

Jl 


i^^^.-i 


-  '  ,ii%   ^iw#^ 


5?? 


V<rf^' 


'^  y^ 


-■"■  ^ 


^.if ,  --T. 


'wv^n^^- 


~^^^^:^.     -,  > 


fc. 


A^-^^^ 


Ç-A»^,*^.      --*   C 


7? 

S.                  .;;^ 

1     ;)■■- 

S 

:ÉS'? 

V'VN 


â^f^ 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witin  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/liistoireparlemen24buGli 


HISTOIRE  PARLEMENTAIRE 


REVOLUTION   FRANÇAISE, 

ou 

JOURNAL  DES  ASSEMBLÉES  NATIONALES, 
DEPUIS  1789  jusqu'en  1815. 


PARIS.  —  TYPOGRAPHIE  D'EVERAT, 
Rue  du  Cadran  ,  n.  16. 


MB<H)^9>Vv 


HISTOIKE  PARLEMEiNTAIRE 


DE    LA 


REVOLUTION 

FRANÇAISE, 


ou 


JOURNAL  DES  ASSEMBLÉES  NATIONALES, 

DEPUIS  1789  jusqu'en  1815, 

<.0.\TE.\i.M 

aesDudgets  annuels;  le  Jableau  du  mouvement  moral    extrait  HpsiniimsnJ 
PAR  P.-J.-B.    BUCH£Z  ET    P.-C.   ROUX. 


TOME  VINGT-QUATRIÈME. 


PARIS. 
PAULirV,  LIBUAIRE, 

RUE     DE    SEINE-SAINT-GERMAIiN,    N°  55. 

M.DCCC.XXXVI. 


^  fc 


PREFACE. 


Nous  avons  inséré  dans  ce  volume  deux  pièces  qui  méritent  d'être 
examinées  avec  soin  par  tous  ceux  qui  veulent  savoir  quelles  étaient  les 
conclusions  définitives  que  recliercliait  l'esprit  révolutionnaire,  et  vé- 
rifier dans  une  application  ia  valeur  et  les  tendances  de  cet  esprit.  Nous 
voulims  parler  du  plan  d'éducation  nationale,  et  du  projet  de  code 
pénal  qui  occupent  les  feuilles  suivantes.  Ces  deux  projets  doivent  aussi 
attirer  l'attention  des  hommes  voués  à  l'étude  de  ces  matières;  car  ils 
répondent  à  deux  problèmes  qui  n'ont  pas  encore  aujourd'hui  obtenu 
de  solution.  Nous  ninsisterons  pas  pour  montrer  la  supériorité  des  tra- 
vaux que  nous  réimprimons  sur  un  grand  nombre  de  ceux  que  l'on  a 
publiés  à  l'époque  où  nous  sommes  :  elle  est  évidente.  En  effet ,  dans  le 
premier,  on  formule  nettement  la  différence  qui  sépare  l'éducation  qui 
fait  l'homme  et  le  citoyen ,  de  l'instruction  qui  enseigne  les  méthodes 
professionnelles.  On  considère  la  première  comme  devant  être  imposée 
à  tous  les  enfans,  et  la  seconde  comme  devant  seulement  être  mise  à  la 
portée  de  tous.  Dans  le  projet  de  code,  on  établit,  en  même  temps  qu'un 
système  de  peines ,  un  système  de  réhabilitation.  Or,  nulle  proposition 
moderne,  que  nous  sachions  au  moins,  ne  présente  ni  une  pareille  con- 
naissance du  sujet,  ni  une  semblable  généralité ,  ni  une  égale  netteté  dans 
les  moyens.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  non  pins  pour  faire  remar- 
quer que  dans  ces  travaux  respirent  les  habitudes  de  l'esprit  catholique 
français.  Bien  qu'il  n'y  soit,  en  nom,  présent  nulle  part,  bien  que  l'auteur 
sans  doute  eût  des  intentions  toutes  contraires,  il  ne  nous  a  cependant 
apporté  rien  de  plus  qu'une  imitation  du  système  à  l'aide  duquel,  dans 
les  temps  antérieurs,  on  faisait  des  hommes  et  des  chrétiens  en  leur  ap- 
prenant à  distinguer  le  bien  du  mal  j  à  l'aide  duquel  on  avait  établi 
une  sanction  temporelle  de  la  loi  en  créant  des  pénitences  pour  les 
coupables,  et  des  moyens 'de  réhabilitation  pour  ceux  qui  avaient  fait 
œuvre  de  repentir.  Les  Jacobins ,  ainsi  que  nous  l'avons  expliqué  bien 
des  fois,  ne  savaient  pas  d'où  venait  le  sentiment  révolutiormaire  qui 
les  animait;  ils  avaient  cru  du  clergé  ce  que  celui-ci  croyait  et  disait  de 
lui-même ,  à  savoir  que  son  organisation  et  sa  discipline  étaient  abso- 
lument catholiques  et  absolument  chrétiennes;  et  par  suite  il  leur  avait 
paru  impossible  de  réfonner  celte  organisation ,  et  nécessaire  de  la  dé- 

T.    XXIV. 


VJ  PRÉFACE. 

liuire  el  de  supprimer  le  sentiment  reii'.iieux  qu'elle  disait  rijj^onreuse- 
ment  représenter  ;  mais  les  Jacobins  avaient  reçu  l'éducation  commune 
tfue  l'église  donnait  à  tous  ses  enfans,  et  par  là  ils  avaient  été  placés  au 
point  de  vue  de  l'unité  sociale.  Or,  de  ce  point  de  vue ,  ils  ne  pouvaient 
manquer  de  reconnaître  que  le  premier  intérêt,  celui  sans  lequel  il  n'y 
en  a  plus  d'autres ,  est  de  conserver  la  société  elle-même  ;  que  cttte  fin 
ne  peut  être  obtenue  que  par  la  conservation  de  l'esprit  social;  que 
celle-ci  est  le  résultat  d'une  éducation,  une  et  universelle  comme  son 
but ,  qui  saisit  chaque  génération  au  moment  où  elle  arrive  à  la  vie ,  et 
la  rend  héritière  des  devoirs  et  dessemimens  de  ses  pères,  comme  elle 
l'est  du  fruit  de  leurs  travaux.  Ils  voyaient  de  plus  que  la  société  n'avait 
vis  à-vis  des  individus  aucun  droit  si  elle  n'avait  accompli  ce  premier 
devoir,  qu'en  un  mot,  elle  ne  pouvait  punir  le  mal  si  elle  n'avait  pas 
enseigné  à  tous  à  le  reconnaître. 

Ce  qui  prouve  que  cette  conception,  cette  disposition  à  raisonner 
ainsi  sur  les  premières  conditions  de  l'existence  de  la  société,  est  une 
inspiration  des  sentimens  catholiques,  c'est  que  jamais  on  n'a  rencontre 
une  pareille  largeur  de  vues  chez  les  hommes  d'origine  protesianie , 
soit  qu'ils  fu>sent  croyans,  soit  qu'ils  fussent  incrédules:  à  cet  égard, 
'  nous  pourrons  citer  les  lois  sur  l'instruction  publique  que  le  dernier 
ministère  a  présenté  ou  fait  accepter  aux  chambres.  On  ne  trouve  là 
rien  de  plus  (pie  l'intelligence  des  choses  individuelles  :  on  s'y  occupe 
beaucoup  d'mstruction,  mais,  de  l'enseignement  de  la  morale  sociale, 
aucunement  ou  le  moins  possible.  Il  n'existe  à  peu  près  qu'un  article 
dans  la  dernière  de  ces  lois  où  l'on  puisse  reconnaître  que  nous  som- 
mes autre  chose  qu'une  nation  de  littérateurs  et  de  sophistes  :  c'est  celui 
où  un  certiticat  de  moralité  est  imposé  aux  entrepreneurs  d'instruction. 
Enfin  on  ne  voit  en  aucun  lieu  ce  sentiment  qu'il  est  si  important  d'in- 
spirer à  la  jeunesse  :  à  savoir  que  la  société  est  l'origine  et  le  but  de 
toutes  nos  capacités ,  de  tous  nos  mérites  et  de  tous  nos  efforts.  Nous 
ne  pousserons  pas  plus  loin  cet  examen  sur  un  sujet  qui  a  déjà  été  traité 
plusieurs  fois  dans  nos  préfaces;  et  sans  autre  transition,  nous  allons 
exposer  quelques-unes  de  nos  idées  principales  sur  les  deux  problèmes 
importans  de  l'éducation,  et  de  la  codification  pénale  et  rémunératoire. 

Suivant  nous,  le  vice  capital  de  presque  tous  les  projets  de  lois  sur  l'é- 
ducation, c'est  que  l'on  s'y  est  attaché  particulièrement  à  régler  la  dis- 
tribution, la  hiérarchie  des  écoles,  en  un  mot  toute  la  partie  admini- 
strative, et  jamais  la  matière  même  de  l'enseignement.  On  s'est  occupé 
toujours,  et  le  plus  souvent  comme  si  la  question  eilt  été  là  tout  entière, 
d'organiser  le  mécanisme,  d'ordonner  les  moyens ,  de  fonder  une  mé- 
thode; mais  jamais,  ou  presque  jamais  ;  du  but  à  atteindre  par  ces 
moyens.  On  n'a,  en  un  mot,  jamais  formulé  ce  but;  ou,  en  d'autres 
termes,  on  n'a  jamais  établi  un  catéchisme  national  qui,  dans  l'ordre 
temporel ,  fût  équivalent  et  répondît  à  celui  que  l'Eglise  professe  dans 
l'ordre  spirituel.  Nous  devons  reconnaître  cependant  que,  dans  plusieurs 
des  plans  (jui  furent  publiés  vers  l'époque  où  notre  histoire  est  parvenue, 
et  notamment  dans  celui  de  Lepelletier,  quelques  paragraphes  sont  con- 
sacrés à  fixer  la  matière  de  l'éducation;  mais  cet  important  problème 
est  traité  comme  accidentellement ,  et  mêlé  avec  les  questions  admini- 
stratives .  et  placé  au  môme  rang  :  en  sorte  que  ce  qui  forme  le  but 
même  de  la  loi,  ce  qui,  une  fois  réglé,  doit  rester  immuable,  est  con- 
fondu avec  les  moyens ,  c'est-à-dire  avec  ce  (jui  est  transitoire  el  va- 
riable. 

Or,  s'il  est  vrai  que  toute  nationalité  existe  par  un  but  d'activité  com- 
mune qui  cnit,  dans  une  même  tendance,  les  efforts  et  les  sacrifices 
des  générations  passées  à  ceux  des  générations  à  venir,  n'est- il  pas  al>- 
surde,  soit,  comme  dans  les  projets  de  lois  présentés  dans  ces  der- 


l'HÉFACE.  Vij 

iiicres  années  à  la  Icgislaliire,  de  laisser  au  hasard  l'enseignement  de 
(•e  but;  soit,  comme  dans  les  projets  publiés  dans  la  révolution,  de 
confondre  le  but  avec  la  métliode?  Est-il  d'usage,  en  bonne  logique , 
de  mêler  le  principe  avec  les  conséquences;  et  pense-t  on  qu'il  n'en 
résulte  pas  de  singulières  errenrs?  C'est  ce  qui  est  arrivé  en  effet. 
J.e  sujet  de  l'enseignement  a  été  traité  comme  une  affaire  puremeni. 
administrative;  on  a  ajouté,  on  a  retranché,  on  a  corrigé,  et  de  là 
il  est  résulté  une  totalité  contradictoire  propre  à  porter  dans  l'in- 
telligence des  élèves  une  anarchie  contre  laquelle  ils  n'ont  aujour- 
d'hui de  recours  qu'en  allant  chercher  un  criieriuni,  soit  dans  les 
souvenirs  que  leur  a  lais-és  le  catéchisme  catholique,  soit  dans  quel- 
(pie  doctrine  philosopbi(iue.  De  toutes  paris  aujourd'hui  on  se  récrie 
sur  les  singulières  aberrations  intellectuelles,  sur  le  désordre,  sur 
l'anarchie  morale  dont  oa  est  témoin!  mais  la  cause  n'eu  est  pas 
ailleurs  que  dans  le  détestable  système  d'enseignement  que  la  société 
entretient.  Sans  doute,  vous  donnez  aux  jeunes  gens  quelque  instruc- 
tion ;  mais  ouest  le  but  proposé  à  leur  activité?  Vous  aurez  beau  réfor- 
mer l'administration  de  vos  écoles,  la  remanier  de  mille  manières, 
peut-être  accroifrez-vous  encore  un  peu  la  dose  du  savoir  superficiel 
q.ie  l'on  possède  communément ,  mais  vous  ne  diminuerez  pas  les 
chances  de  cette  aberration  spirituelle  dont  vous  vous  plaignez;  bien 
plus,  il  n'est  pas  un  de  vous  qui,  en  tentant  cette  réforme,  puisse  se  dire 
à  lui-même ,  en  présence  de  Dieu ,  qu'il  est  certain  de  bien  faire ,  qu'il 
est  certain  d'obtenir  seulement  quelcjue  chose  du  résultat  qu'il  cherche, 
j^t  pourquoi?  c'est  que  vous  ne  pouvez  pas  vous-mêmes  recourir  à  un 
j)iincipe  pour  éclairer  votre  jugement;  c'est  que  vous  avez  conslam- 
ment  fait  une  question  de  moyen  là  où  il  y  avait  en  outre  une  question 
de  but.  Nous  allons  examiner  ces  deux  choses  à  part  comme  elles  doi- 
vent l'être  :  selon  nous  il  y  a  l'objet  de  plusieurs  lois  là  où  l'on  n'a  tou- 
jours voulu  en  faire  qu'une. 

La  première  de  ces  lois  devrait  déterminer  le  but  et  la  matière  de  l'é- 
ducation nationale.  Elle  devrait  élre  ,  dans  le  sujet  qui  nous  occupe,  à 
l'égard  de  toutes  les  dispositions  législatives  subséquentes ,  ce  cpi'une 
déclaration  des  devoirs  et  des  droits  est  au  reste  d'une  constitution, 
c'est-à-dire  immuable,  et  souveraine  à  l'égard  des  maîtres,  des  élèves  et 
des  législateurs  eux-mêmes;  et  l'on  trouvera  que  l'opinion  que  nous 
avançons  ici  n'a  rien  d'exagéré ,  si  l'on  veut  bien  se  demander  ce  que 
c'est  que  de  l'éducation. 

Nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  contester  la  définition  suivante  : 
l'éducation  est  le  moyen  de  conserver  spirituellement  la  société.  Elle 
consiste  donc  dans  l'enseignement  du  but  commun  d'activité ,  c'est-à- 
dire  de  la  loi  d'existence  nationale  à  laquelle  tout  le  monde  doit  obéis- 
sance, et  que  personne  ne  peut  changer.  En  concluant  de  ces  formules, 
en  les  définissant  elles-mêmes,  ou  plutôt  en  exprunaut  >out  ce  qu'elles 
contiennent ,  on  comprend  ce  que  c'est  que  la  matière  de  l'éducation , 
et  l'on  arrive  facilement  à  la  posséder.  En  effet,  il  ne  suffit  pas  de  faire 
apprendre  la  formule  sèche  de  l'activité  sociale ,  il  faut  enseigner  tout 
le  détail  des  devoirs  qu'elle  contient  ;  il  faut  les  faire  comprendre  ,  les 
faire  aimer,  et  même  les  prouver.  L'enfmt  doit  avoir  une  connaissance 
générale  du  but  de  la  création,  du  but  de  la  société;  de  ce  qui  est  bien 
et  de  ce  qui  est  mal  vis  à-vis  de  ce  but.  Il  doit  en  même  temps  recevoir 
une  instruction  telle  (jue,  plus  tard,  sans  en  recevoir  aucune  autre, 
il  soit  capable  de  supporter,  sans  être  ébranlé,  l'adversité  et  toutes  les 
tentations  mêmes  de  la  fausse  science  et  des  mauvaises  expériences.  En- 
fin, il  faut  que,  dans  ses  premières  années,  l'homme  recueille  un  sen- 
timent qui  le  mette  à  môme  d'user  de  sa  liberté  toujours  pour  le  bien . 


Viif  PRÉFACE. 

et  de  ne  jamais  douter  sur  l'expiication  morale  des  choses  qu'il  est  des- 
tiné à  rencontrer  sur  sa  route. 

Or,  nous  le  croyons  fermement,  et  c'est  une  question  sur  laquelle 
nos  lecteurs  sentiront  qu'il  est  impossible  de  se  tromper;  nous  croyons 
qu'il  n'est  point  très-difficile  de  déterminer  les  bases  générales  d'un  en- 
seignement où  la  morale  soit  présente  partout ,  soit  comme  solution,  soit 
comme  conséquence,  et  qui  contienne  cependant  une  instruction  incom- 
parablement plus  solide  que  celle  que  l'on  distribua  aujourd'hui  dans  les 
hautes  classes;  enseignement  parfaitement  intelligible  pour  les  petits 
enfans,  et  qui  cependant  serait  le  thème  de  celui  qui  se  continuerait 
dans  un  âge  plus  avancé.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  les  dé- 
tails qu'exigerait  l'exposition  de  cette  matière;  les  lecteurs  qui  sont  au 
courant  de  nos  idées  nous  comprendront  ;  et  d'ailleurs  on  en  trouvera 
un  spécimen  abrégé  dans  Y  Européen  de  1831.  Les  découvertes  faites 
dans  les  temps  modernes  en  géologie,  en  physique ,  etc.  ;  les  décou- 
vertes de  la  philologie,  celles  même  opérées  dans  l'histoire,  lorsqu'elles 
sont  liées  et  expliquées  par  le  mot  progrès ,  donnent  aux  généralités 
des  sciences  une  signification  morale  qui  en  rend  la  mémoire  facile,  et 
en  même  temps  profondément  propre  ù  préparer  les  hommes  aux  sa- 
crifices d'une  vie  vraiment  sociale. 

Il  est  certain  que  l'éducation  ainsi  traitée ,  est  nécessairement  reli- 
gieuse. Cependant  nous  dirous  pour  ceux  qui  craindraient  dans  ce  cas 
la  nécessité  de  reconnaître  la  domination  intolérante  d'une  seule  secte 
religieuse ,  qu'un  tel  enseignement  n'emporte  pas  par  exemple  l'obli- 
gation de  reconnaître  absolument  l'un  des  dogmes  qui,  aujourd'hui, 
partagent  le  christianisme.  Sans  doute,  en  définitive,  il  conclura  à 
l'unité;  sans  doute  il  fera,  sans  employer  aucune  négation  directe, 
mais  seulement  par  la  supériorité  des  sentimens  qu'il  inspirera ,  que 
les  hommes  abandonneront  toutes  les  doctrines  religieuses  qui  sont  au- 
dessous  de  l'état  actuel  de  la  civilisation;  mais  cela  ne  sera  point  im- 
médiat, et  ce  ne  sera  point  un  mal.  La  violence  n'y  aurait  nulle  part, 
la  perfection  du  sentiment  social  en  serait  l'unique  cause.  Qui  pourrait 
repousser  une  pareille  espérance  et  craindre  un  semblable  résultat?  à 
coup  hûr,  ce  ne  sont  point  ceux  qui  aiment  leurs  semblables;  car  ceux- 
là  savent  que  l'égalité  morale  est  la  seule  qui  soit  possible  parmi  les 
hommes ,  et  que  la  fraternité  qui  en  est  la  conséquence ,  est  l'ancre 
à  laquelle  se  ï-attache  le  salut  des  sociétés  modernes. 

Mais  est-il  de  toute  certitude  que  l'éducation  ne  soit  possible,  ou  plu- 
tôt, n'existe  qu'à  condition  d'être  religieuse?  Pour  nous  et  pour  tout 
iiomme  qui  a  réfléchi ,  c'est  un  axiome  liors  de  doute  :  et  pour  soutenir 
cette  affirmation  nous  ne  citerons  pas  la  longue  expérience  du  passé,  eu 
disant  que  jamais  il  n'en  exista  d'autre;  nous  n'invoquerons  pas  l'expé- 
rience du  présent,  en  répétant  que  c'est  parce  que  l'on  a  voulu  se  placer 
en  dehors  de  cette  vérité  que  l'on  n'a  réussi  à  rien  ;  nous  nous  borne- 
rons à  quelques  raisonnemens  fort  courts:  nous  dirons  qu'on  ne  peut 
commander  un  devoir  ou  un  sacrifice  (  car  ua  devoir  est  toujours  un 
sicrifice  )  à  un  individu  qu'au  nom  d'un  devoir  que  la  société  elle-même 
tout  entière  doit  remplir;  qu'on  ne  peut  commander  un  devoir  à  la  société, 
qu'au  nom  de  l'humanité  ;  et  que  de  celle-ci  on  ne  peut  pareillement  rieu 
exiger  que  du  point  de  vue  d'un  but  imposé  au  monde  tout  entier  par 
la  loi  de  création.  Rien,  dans  tout  cela,  ne  peut  rester  vague ,  soumis 
aux  indécisions  du  raisonnement;  tout  doit  être  positif  et  arrêté,  et  ce 
positif,  ou  ne  le  trouve  nulle  part  ailleurs  que  dans  la  révélation  :  tel 
est  le  côté  social  du  sujet  que  nous  examinons.  Voyons-en  le  côté  indivi- 
duel :  tout  homme  inévitablement,  si  brute  qu'il  soit ,  vous  demandera 
d'où  il  vient  et  où  il  va  ;  el  la  réponse  à  ces  deux  questions  deviendra  le 
critérium  de  sa  conduite.  Or,  hii  direz- vous  qu'il  vient  de  la  matière. 


PREFACE.  iX 

et  retourne  à  la  matière  ;  alors  vous  lui  enseignerez  en  même  temps 
qu'il  est  un  être  sans  but,  par  suite  sans  critérium  certain  ;  et  assuré- 
ment ainsi  vous  ne  produirez  pas  un  membre  dévoué  à  la  société , 
mais  bien  plutôt  un  être  constamment  en  révolte  contre  ses  lois  et  con- 
tre toute  obligation.  Nous  avons  mainlenaiit  beaucoup  d'hommes  de 
cette  espèce  ;  mais  nous  n'en  possédons  pas  encore  de  complets  ;  la  per- 
fection dans  ce  '!;enre  n'est  pas  atteinte ,  car  il  n'en  est  pas  qui  n'ait 
reçu  quelque  enseignement  du  catéchisme  et  n'en  manifeste  encore  l'in- 
fluence. Les  incrédules  de  nos  jours  pèchent  encore  plus  par  la  science 
que  par  le  sentiment  ;  et  cependant  déjà  leur  moralité  est  loin  dêlre  ir- 
réprochable. Plusieurs  d'entre  eux  pourront  nier  publiquement  ce  que 
nous  affirmons  ici;  mais,  bien  certainement,  il  n'en  sera  pas  un  qui, 
dans  son  for  intérieur,  ne  reconnaisse  la  vérité  de  nos  assertions,  il 
faut ,  dans  l'intérêt  individuel  même,  qu'une  autre  rfponse  soit  faite 
aux  assenions  que  nous  avons  posées  ;  il  faut  que  la  vérité  lui  soit  en- 
seignée; car  la  vérité  est  que  la  société  et  le  monde  ont  un  but.  Il  faut 
qu'il  apprt-nne  le  devoir ,  à  peine  d'être  ou  toujours  misérable,  ou  tou- 
jours nuisible  et  toujours  puni. 

Si  donc  il  n'y  a  point  d'éducation  sans  religion ,  le  législateur  doit 
avoir  le  courage  de  le  dire,  et  ce  serait  un  beau  spectacle  et  un  magni- 
fique enseignement  pour  la  France  et  pour  l'Europe  que  celui  d'une 
chambre  où  se  discuterait  une  loi  sur  l'éducation  conçue  telle  qu'il  est 
nécessaire  qu'elle  so;t.  Hors  de  la  route  où  nous  sommes ,  il  est  impos- 
sible de  formuler  autre  chose  que  de  ['instruction  ;  et  c'est  parce  que 
l'on  n'a  ni  osé  ni  voulu  y  Jentrer,  qu'on  a  produit  tant  de  projets 
irréalisables,  ou  tant  de  règlemens  sans  puissance.  Donner  seulement 
de  l'instruction  sans  l'éducation , c'est  donner  le  moyen  sans  le  but; 
traiter  avec  un  soin  si  particulier ,  et  donner  un  rang  si  haut ,  un  rang  si 
aristocratique,  à  l'instruction  ,  comme  on  le  fait  aujourd  hui ,  c'est  dé- 
clarer que  la  supériorité  entre  les  hommes  n'émane  pas  de  la  morale 
ou  de  l'accomplissement  du  devoir,  mais  de  l'élégance  des  manières,  du 
bien-dire,  du  savoir-faire  et  de  l'habileté.  Or ,  c'est  là  un  mensonge  aussi 
absurde  qu'anii-social,  indigne  du  k'gislateur;  ce  n'est  cependant  que  la 
paraphrase  d'un  discours  que  M.  Guizot  a  piononcé  celte  année  à  la 
tribune  de  la  chambre  des  députés.  Le  ministre  fut  applaudi. 

La  question  de  l'éducation  est  intimement  liée  à  celle  de  la  pénalité. 
Il  est  compléiement  irrationnel  de  produire  un  code  des  peines  et  des  ré- 
compenses autrement  que  du  pi'inî  de  vue  de  l'éducation  donnée,  et 
avant  qu'elle  soit  formulée  ;  en  effst,  l'un  n'est  que  la  sanction  de  l'en- 
seignement contenu  dans  l'autre.  Nous  soutenons  de  plus  qu'il  eût  été 
impossible  de  prime  abord  et  à  l'origine  de  rédiger  le  premier  si  la  se- 
conde n'eût  pas  existé.  Cependant  cette  inconséquence  s'est  com- 
mise, et  elle  est  même  en  pleine  vigueur  ,  en  ce  moment ,  dans  notre 
pays.  Dira-t-on  que  les  articles  de  notre  Code  répondent  à  la  déclara- 
tion de  principes  mise  en  tête  de  quelqu'une  de  nos  constitutions ,  et  de 
plus  aux  dispositions  de  notre  Code  civil.  Mais  nous  ferons  observer 
qu'à  ce  conjpte  on  trouverait  beaucoup  d'articles  qui  ne  répondent  à 
rien  de  nettement  formulé  dans  celles-ci.  Dira-t-on  que  le  Code  sanc- 
tionne les  principes  de  la  morale  universellement  enseignée  ?  îMais  alors 
pourquoi  ne  point  enseigner  nous-mêmes  cette  morale?  et  si  elle  ne  peut 
l'être  que  religieusement,  pourquoi  repousser  l'éducation  religieuse? 
Qui  tient  l'écoie  où  l'on  apprend  cette  morale?  Ce  n'est  point  la  société  ; 
et  alors,  comment  peut-elle  être  assurée  que  celle-ci  soit  enseignée  à 
tous  ceux  auxquels  elle  destine  son  Code?  Il  y  aurait,  à  cet  égard, 
de  nombreuses  consiJéralions  à  faire  valoir;  mais  elles  nous  entraîne- 
raient loin  du  but  que  nous  nous  proposons,  et  la  plupart  d'entre  elles  sont 
d'ailleurs  assez  usuelles  pour  qu'il  suffise  d'eti  donner  l'occasion  pour 


X  PREFACE. 

les  rappeler  toutes  à  l'esprit  du  lecteur.  Nous  préférons  exposer  nos 
idées  sur  le  système  même  selon  lequel  il  nous  semblerait  utile  de  rédi- 
ger le  Code  pénal. 

La  codification  pénale,  selon  nous,  doit  être  considérée  comme  l'un 
des  moyens  ou  comme  le  complément  de  l'éducation  nationale.  L'une 
et  l'autre  nous  paraissent  parties  d'un  système  qui  doit  être  un.  Le 
devoir  de  punir  est  aussi  obligatoire  pour  la  société  que  le  devoir  d'en- 
seigner, etces  devoirs  sont  moins  relatifs  aux  intérêts  présens,  soit  d'exem- 
ple ,  soit  de  sécurité ,  qu'à  ceux  de  la  conservation  sociale  elle-même, 
qu'à  ceux  de  l'avenir.  Dans  cet  ordre  de  questions ,  la  sympatbie  mo- 
derne s'est  principalement  enquise  des  moyens  de  réformer  le  coupable; 
dans  le  calcul  de  la  pénalité,  elle  s'est  spécialement  attachée  au  mode  le 
plus  propre  à  améliorer  celui-ci.  Or ,  sur  le  terrain  où  nous  nous  pla- 
çons, toutes  ces  considérations  disparaissent;  le  criminel ,  du  moment 
où  il  est  déclaré  tel ,  n'appartient  plus  qu'à  l'exemple  même  que  la  so- 
ciété doit  réclamer  de  lui  ;  bien  plus ,  ce  n'est  que  par  l'exemple  qu'il 
donne,  qu'il  peut  lui  même  se  racheter  et  parvenir  à  la  réhabilitation. 
La  peine  est  un  enseignement ,  et  doit  par  conséquent  être  calculée  dans 
cet  unique  but  :  en  sorte  que  plus  le  crime  annonce  de  dépravation,  plus 
il  emporte  avec  lui  de  séduction,  plus  il  doit  être  durement  réprimé. 
En  procédant  de  ces  principes,  nous  avons  conçu  un  système  de  codi- 
fication pénale  dont  nous  allons  exposer  les  généralités.  Ce  sera ,  en 
outre ,  la  meilleure  manière  de  faire  apprécier  le  point  de  vue  d'où 
nous  examinons  la  question. 

Selon  nous,  le  Code. pénal  devrait  être  divisé  en  trois  parties.  La  pre- 
mière détaillerait  les  diverses  obligalii>ns  rigoureuses  dont  l'observation 
est  un  devoir  pour  chacun,  et  autant  que  possible  les  raisons  sociales  et 
individuelles  de  chacune  de  ces  obligations.  La  seconde  présenterait  une 
suite  d  articles  où  seraient  exposés  les  motifs  multiples  qui  peuvent  en- 
traîner l'homme  à  une  action  mauvaise  ou  blâmable.  Enfin  la  troisième 
contiendrait  le  tableau  des  divers  manquemens  et  de  la  hiérarchie 
des  peines.  L'application  de  celles-ci  serait  calculée  autant  sur  la  na- 
ture, sur  le  danger  et  sur  la  facilité  du  délit  ou  du  crime,  que  sur  le 
motif  qui  l'aurait  fait  commettre. 

Il  est  certain  qu'un  Code  de  cette  espèce  serait  difficile  à  formuler  , 
et  qu'il  exigerait,  sans  doute,  de  nombreux  remaniemens  avant  d'at- 
teindre une  perfection  convenable.  IMais  il  nous  semble  qu'il  aurait  l'a- 
vantage d'un  enseignement  parfait  ;  qu'il  aurait  de  plus  celui  d'atteindre 
tous  les  délits  et  de  les  frapper  selon  leur  gravité  réelle.  Aujourd'hui, 
par  exemple ,  le  vol,  soit  qu'il  ait  été  provoqué  par  la  misère,  soit  qu'il 
l'ait  été  par  la  dépravation  de  la  paresse  et  du  jeu ,  peut  être  également 
puni. 

Dans  notre  hypothèse ,  il  n'en  serait  p'us  ainsi ,  et  l'on  ne  .serait  pas 
obligé  de  laisser  au  libre  arbitre  des  magistrats,  et  quelquefois  à  leur 
sympathie,  le  soin  ou  l'inconvénient  d'amoindrir  Ja  rigueur  de  la  loi. 
La  position  du  juge  et  celle  du  législateur  sont  bien  différentes.  Le  pre- 
mier s'enquieri  principalement  du  cas  individuel  ;  le  second  est  unique- 
ment préoccupé  du  cas  général  ;  c'est  une  réforme  sociale ,  une  correc- 
tion des  mœurs  qu'il  se  propose  en  vue  d'un  avenir.  Le  magistrat ,  au 
contraire,  ne  voit  et  ne  doit  voir  que  le  fait  particulier  ;  il  peut  être  tente 
par  quelque  sympathie  pour  un  homme,  là  où  l'autre  n'a  vu  qu'un  en- 
seignement à  l'occasion  d'un  crime ,  là  où  une  rigueur  extrême  lui  a 
[laru  nécessaire  pour  mettre  un  terme  à  un  danger.  C'est ,  selon  nous , 
un  vice  que,  dans  l'application  de  la  pénalité  ,  quelque  chose  soit  laissé 
au  libre  arbitre  du  juge;  et  cette  faculté  nouvelle  que  l'on  a  cru  néces- 
saire d'accorder  à  nos  tribunaux,  ne  nous  paraît  exprimer  autre  cliose 
que  le  sentiment  de  la  nécessité  de  tenir  compte  des  motifs  qui  ont  dé- 


J'KEKACE.  XJ 

terminé  le  crime.  Antrement  ce  serait  une  absurdité  j  car  ce  serait  sup- 
poser des  passions  à  la  justice ,  et  h-s  autoriser. 

Il  nous  est  impossible,  dans  le  court  espace  qui  est  à  notre  disposi- 
tion ,  de  dépasser  le  cadre  des  généralités  que  nous  venons  d'exposer. 
Nous  ne  pouvons  même  essayer  de  donner  quelques  exemples  du  rap- 
port que  nous  concevons  entre  le  délit,  ses  motifs,  et  la  pénalité.  Nous 
ne  pouvons  non  plus  entrer  dans  la  considération  de  la  nature  des  pei- 
nes ,  pour  y  combattre  cette  disposition  si  commune  ilans  le  public  à 
avoir  plus  de  pitié  du  criminel  que  de  la  société,  et  de  la  victime  elle- 
même  ,  pour  flétrir  le  sentiment  égoïste  qui  fait  le  fond  de  cette  dispo- 
sition. Il  faut  nous  bâter;  nous  dirons  cependant  encore  quelques 
mois  du  complément  d'un  Code  pénal,  à  savoir  du  système  rémunéra- 
toire. 

Les  bonnes  actions  peuvent  se  passer  de  récompense.  Telle  est  la  na- 
ture du  dévouement  qu'il  ne  calcule  januâs  ;  et  il  ne  doit  en  effe»  jamais 
calculer;  néanmoins,  ce  serait ,  selon  nous,  une  excellente  inotilution 
que  celle  qui  attribuerait  aux  magistrats  qui  ont  la  peine  de  punir,  le 
jugement  des  bonnes  actions. 

Ce  serait  un  grand  perfectionnement  de  la  législation  sur  l'éducation 
(|ue  l'établissemeEit  d'un  code  des  récompenses.  Tous  les  gouvernemens 
ontétabli  quelque  chose  de  semblable  :  ainsi  les  décorations,  les  croix, 
les  médailles  n'ont  pas  d'autre  but.  IMais,  nulle  solennité,  nulle  publi- 
cité ,  nulle  règle ,  ne  donne  de  sanction  à  ces  signes  de  la  reconnaissance 
publique;  souvent  c'est  le  Ciiprice  qui  les  donne  ;  souvent  c'est  une 
monnaie  avec  laquelle  on  satisfait  des  exigences ,  ou  on  achète  des  amis. 
Il  serait  nécessaire,  pour  que  ces  signes  eussent  toute  leur  puissance , 
<iu'ils  fussent  doimés  à  la  suite  d'une  enquête  et  d'un  jugemenl  pu- 
blic; car,  alors ,  ils  auraient  une  nalité  ([ue  personne  ne  leur  concède 
aujourd'hui.  Encore  y  aurait-il  à  chercher  s'il  n'existe  pas  un  mode 
meilleur  que  celui  qui  récompense  le  mérite  en  flattant  une  mauvaise 
passion ,  la  vanité. 


HISTOIRE  PARLEMENTAIRE 


DE    LA 


RÉVOLUTION 


FRANÇAISE. 


DOCUMENS  COMPLEMENTAIRES 

AU   MOIS  DE 

JANVIER    1793. 


MORT    DE     LEPELLETIER    DE   SAIM-F ARCEAU. SES     FUNE- 
RAILLES. '^—  SES    OEUVRES   POSTHUMES. 

Michel  Lepelletier  était  né  à  Paris  le  29  mai  1760.  d'Éiienne- 
Michel  Lepellelier  de  Saint-Farfjeau,  président  à  mortier.  Il  suc- 
céda à  son  père  dans  celte  char^je.  Si  nous  voulions  écrire  sa 
biographie,  nous  aurions  à  raconter  une  foule  de  traits  qui  hono- 
rent sa  mémoire  ;  mnh  les  actes  de  sa  vie  politique  sont  les  seuls 
qui  doivent  nous  occuper,  et  ceux-là  soîit  conr.i{TnPs  dans  ni^tre 
histoire  de  l'assemblée  constituante  ,  et  dans  cel!  e  de  la  Conven- 
tion. Il  mourut  assassiné  à  l'âge  de  trente-deux  ans. 

Nous  terminerons  cette  courte  ncitice  par  ce  passa^^e  d'un  de 

T.    XXIy.  i 


DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

ses  écrits,  qui  caractérise  la  solidité  et  la  vigueur  de  ses  opinions 
politiques.  Il  s'adressait  au  département  de  l'Yonne  dont  il  avait 
été  nommé  président  enj  uin  1790. 

«  Loin  de  nous  cet  engourdissement  politique,  ce  poison  des- 

»  trucieur  de  toute  énergie,  le  froid  modérantisme alliage 

j)  monstrueux  de  la  servitude  et  de  la  liberté,  sentiment  mixte, 
j  système  faux  dans  les  temps  de  crises,  que  Solon  punissait  de 
»  mort  dans  Athènes,  qu'en  France  tous  les  partis  flétrissent  par 
»  le  mépris,  impuissant  pour  la  chose  publique,  fatal  à  celui-là 
>  même  qui  l'adopte ,  et  dont  les  demi-moyens ,  épuisés  bien 
»  avant  le  terme  de  la  carrière,  nous  la  font  voir  toute  jonchée 
»  des  débris  de  tant  de  réputations  échouées ,  de  tant  de  héros 
»  avortés,  qui  n'ont  pu  fournir  la  carrière  de  la  révolution  tout 
»  entière.  » 

Voici  les  pièces  officielles  de  sa  mort  et  de  ses  funérailles. 


PROCÈS-VERBAL 

DE  l'assassinat  DE  MICHEL  LEPELLETIER. 

L'an  mil  sept  cent  quatre-vingt-treize ,  an  deuxième  de  la  ré- 
publique, le  dimanche  vingt  janvier,  environ  six  heures  du  soir, 
sur  l'avis  donné  au  commissaire  de  police  de  la  section  de  la  Butte- 
des-?»Ioulins ,  par  le  citoyen  Février,  restaurateur,  demeurant 
maison  Égalité  ,  numéro  cent  seize,  qu'un  particulier,  noaimé 
Paris,  avait  porté  un  coup  de  sabre  au  citoyen  St.-Fargeau  ,  dé- 
puté à  la  Convention  ,  dans  une  des  salles  dudit  citoyen  Février, 
lequel  mus  a  dit  ne  pouvoir  déclarer  davantage ,  se  réservant  de 
faire  sa  déclaration  chez  lui  où  il  requiert  notre  transport  ;  à  quoi 
obtempérant,  sommes  transportés  à  l'instant  à  la  maison  Egalité, 
chez  ledit  citoyen  Février,  n  uméro  cent  seize ,  dans  une  chambre 
à  l'entresol ,  ayant  vue  sur  le  jardin  de  la  Révolution ,  en  pré- 
sence des  citoyens  Duclos  et;  Odiot ,  commissaires  de  ladite  sec- 
tion ;  dans  laquelle  nous  a^  ons  trouvé  couché  sur  un  matelas ,  à 


JANVIER  (4793).  5 

terre,  le  citoyen  Louis-Michel  Lepelletier,  député  à  la  Conven- 
tion nationale ,  lequel  nous  a  déclaré  qu'étant  dans  une  salle  du 
citoyen  Février,  restaurateur,  un  particulier,  à  lui  inconnu  ,  lui 
a  demandé  s'il  avait  voté  pour  la  mort  du  roi  :  que  lui  ayant  ré- 
pondu qu'oui ,  et  qu'en  cela  il  avait  fait  son  devoir,  à  l'instant  il 
a  tiré  son  sabre  et  lui  a  dit  en  lui  en  portant  un  coup  :  Scélérat, 
voilà  ta  récompense.  Lecture  faite  audit  citoyen  Lepelletier  de  sa 
déclaration ,  il  a  affirmé  qu'elle  contient  vérité ,  et  a  signé  avec 
lesdits  citoyens  commissaires  susnommés  et  ledit  citoyen  Février 
avec  nous.  Signé  à  la  minute  :  Louis-Michel  LFPEtLiiTiER ,  Fé- 
vrier, Dlclos,  OdIOT  et  TOUBLANC. 

Examen  fait  en  présence  des  citoyens  commissaires  susnommés 
de  la  plaie  faite  suivant  la  déclaration  dudit  citoyen  Lepelletier, 
nous  avons  remarqué  qu'elle  est  du  côté  gauche,  au  ventre  ,  et 
ensanglantée.  Lecture  faite,  il  a ,  avec  lesdits  citoyens  commis- 
saires ,  signé  avec  nous;  et  au  moment  de  prendre  la  plume,  le- 
dit citoyen  Lepelletier  a  déclaré  être  hors  d'état  de  pouvoir  signer. 
Signéàla?mnute:BvcLOs,  Odiot  et  Toublanc. 

Et  à  l'instant  est  comparu  Dominique  Février,  restaurateur, 
demeurant  dans  la  maison  où  nous  sommes  ,  lequel  nous  a  dit  et 
déclaré  qu'étant  à  son  comptoir  dans  une  de  ses  salles  en  bas  , 
il  entendit  un  particulier  parlera  M.  de  Saint-Fargeau  {qui est 
la  même  personne  qui  se  plaint  sûns  le  nom  de  Louis-Michel  Le- 
pelletier),  qui  était  dans  une  salle  voisine;  qu'à  l'instant  il  en- 
tendit  dans  la  salle  un  mouvement  extraordinaire  ;  qu'il  est  sorti 
précipitamment  de  son  comptoir,  a  couru  dans  celte  salle  où  il 
a  reconnu  qu'un  homme,  qu'il  connaît  sous  le  nom  de  Paris, 
était  en  face  dudit  citoyen  Saint-Fargeau  ,  ayant  un  s:ibre  nu  à 
la  main,  et  l'extrémité  d'icelui  dans  le  corps  dudit  citoyen  Saint- 
Fargeau;  qu'il  a  saisi  ce  particulier  au  bras  par-derrière,  dans 
l'intention  de  l'arrêter;  mais  que  cet  homme  étant  plus  fort  que 
lui ,  s'est  échappé  de  ses  bias  et  a  fui  ;  qu'ensuite  ledit  citoyen 
Saint-Fargeau  lui  dit:  Ne  faites  pas  ilr  bruit ,  je  crois  que  jç 


4  documeNs  complémentaires. 

suis  blessé;  ayez^moi  un  chirurgien.  Pourquoi  il  Ta  monië  dans 
Ja  chambre  où  nous  sommes  j  nous  a  requis  ensuite  et  nous  dé- 
pose le  sabre  dont  ledit  Paris  était  armé ,  lequel  il  a  laissé  tomber 
à  terre  dans  la  salle  au  moment  de  sa  fuite.  Observe  le  déclarant 
que  ledit  Paris  est  de  taille  d'environ  cinq  pieds  cinq  pouces  , 
qu'il  était  vêtu  d'une  capote  de  drap  à  poil  de  couleur  grise ,  que 
c'est  la  seule  désignation  qu'il  peut  nous  en  faire.  Lecture  faite 
audit  citoyen  Février  de  sa  déclaration ,  il  a  affirmé  qu'elle  con- 
tient vérité ,  et  a  signé  avec  les  citoyens  commissaires  ;  et  nous 
observe  qu'il  avait ,  au  même  moment  qu'il  fut  nous  requérir,  fait 
appeler  plusieurs  personnes  de  l'art  pour  visiter  ledit  citoyen 
Saint-Fargeau.  Signé  à  la  minute  :  Février  ,  Duclos  ,  Odiot  et 

TOUBLANC. 

Et  de  suite  avons  entendu  le  citoyen  Pierre  Bras-d'Or,  profes- 
seur en  chirurgie  ,  demeurant  rue  du  Hasard ,  numéro  six,  le- 
quel nous  a  dit  et  fait  rapport  qu'il  a  été  requis  de  se  transporter 
maison  Égalité ,  où  il  s'est  transporté  aussitôt ,  et  a  trouvé  dans 
la  chambre  où  nous  sommes  le  citoyen  Suint-Fargeau ,  ainsi  que 
nous  l'y  avons  trouvé  nous-mêmes  ;  qu'en  le  visitant  il  a  aperçu 
une  plaie  à  la  région  iliaque  gauche  ,  immédiatement  au-dessus 
de  la  crête  de  l'os  des  iles,  où  il  a  aperçu  une  partie  saillante 
hors  de  la  plaie  ,  laquelle  partie  il  a  reconnu  être  une  portion  de 
l'épiploon,  qu'ill'a  fait  rentrer  dans  le  ventre  avec  la  plusgrande 
facilité,  que  la  plaie  par  laquelle  cette  partie  s'échappait  pouvait 
avoir  une  longueur  correspondante  à  environ  deux  travers  de 
doigt,  qu'il  y  a  porté  son  doigt ,  lequel  s'y  est  enfoncé  de  toute 
sa  longueur,  au  moyen  duquel  doigt  il  a  reconnu  que  le  trajet 
de  cette  plaie  était  fort  libre  ;  qu'ensuite  il  l'a  pansée  en  appli- 
quant une  compresse  dans  la  vue  de  contenir  l'épiploon  ci-devant 
réduit  et  qui  sortait  avec  la  plus  grande  facilité.  Après  quoi  ledit 
citoyen  Saint-Fargeau  a  été  saigné.  Du  reste  ne  peut  pronosti- 
quer le  citoyen  Bras-d'Or,  d'après  ce  qui  vient  d'être  rapporté , 
si  l'accident  aura  des  suites ,  et  a  signé  avec  lesdits  citoyens  com- 
missaires susnommés,  et  nous  affirmant  que  son  rapport  est  fait 


JANVIER  (1793).  o 

en  son  ame  et  conscience.  Signé  à  la  minute  :  Bras  d'Or,  Duclos, 

OdIOT  et   TOUBLANC. 

Et  de  suite  avons  entendu  le  citoyen  Léonard  Champigny,  né- 
gociant, demeurant  ordinairement  à  Cahors  ,  déparlement  du 
Lot,  de  'présent  logé  à  Paris ,  peiite  rue  et  hôlel  Sl-Roch,  sec- 
tion de  Molière  et  La  Fontaine  ;  lequel  déclare  qu'étant  à  dîner 
dans  la  première  salle  du  citoyen  Février,  il  a  aperçu  cinq  ou  six 
particuliers  étant  au  comptoir  qui ,  à  ce  qu'il  présume  ,  étaient 
à  payer  leur  écot;  que  l'instant  d'après  un  de  ces  particuliers 
est  entré  dans  la  salle  voisine ,  qu'il  a  entendu  quelque  bruit , 
que  sur  le  moment  le  citoyen  Février  s'est  transporté  dans  ladite 
salle  pour  vraisemblablement  y  mettre  le  holà  ;  ajoute  le  décla- 
rant qu'il  a  entendu  dire  :  Malheureux ,  que  faïs-iu  là?  mais  qu'il 
ignore  par  qui  ces  mots  furent  prononcés.  Lecture  faite  audit  ci- 
toyen Champigny  de  sa  déclaration  ,  il  a  affirmé  qu'elle  contient 
vérité,  et  a  signé  avec  nous  et  les  citoyens  commissaires  susnom- 
més. Signé  :  Champigny,  Duglos  ,  Odiot  et  Toublanc. 

Et  de  suite  avons  entendu  Jean-Jacques  Violette,  commission- 
naire pour  les  vins  ,  demeurant  ordinairement  à  fliàcon  ,  logé  à 
Paris  ,  rue  du  faubourg  Poissonnière ,  numéro  sept ,  lequel  dé- 
clare qu'étant  à  dîner  chez  le  citoyen  Février,  il  entendit  dans 
une  salle  voisine  de  l'endroit,  s'écrier:  Ali!  malheureux,  que 
fais-lu  là  ?  mais  qu'il  ne  sait  par  qui  ces  mots  ont  été  prononcés  ; 
qu'ensuite  il  a  vu  passer  le  citoyen  St-Fargeau  qu'il  ne  connais- 
sait pas  alors,  que  l'on  conduisit  dans  la  chambre  où  nous  som- 
mes, où  lui-même  est  monté.  Lecture  faite  audit  citoyen  Violette 
de  sa  déclaration  ,  il  a  affirmé  qu'elle  contient  vérité  ,  et  a  signé 
avec  nous  et  lesdils  citoyens  commissaires  susnommés.  Signé  ; 
Violette  ,  Duclos  ,  Odiot  et  Toublanc. 

Et  de  suite  avons  entendu  Sain  tin  Sainetelele  ,  marchand  or- 
fèvre, demeurant  ordinairement  à  Reims,  logé  en  celte  ville, 
rue  du  faubourg  Poissonnière ,  numéro  sept ,  chez  le  citoyen 


6  BOCUilËNS  COMPLÉMENTAIRES. 

Violette ,  lequel  déclare  qu'étant  à  dîuer  avec  ledit  citoyen  Vio- 
lette chez  le  citoyen  Février,  il  entendit  dans  une  salle  voisine 
prononcer  les  mots  :  Ak  !  malheureux ,  que  fais-tu  là  ?  mais  qu'il 
ignore  par  qui  ces  mots  furent  prononcés  ;  qu'il  a  vu  ensuite 
passer  le  citoyen  Saint-Fargeau  qu'il  ne  connaisait  pas,  que  l'on  fit 
monter  dans  la  chambre  où  nous  sommes ,  où  lui-même  est  aussi 
monté.  C'est  tout  ce  qu'il  a  dit  savoir,  et  a  signé  avec  nous  et  les- 
dits  citoyens  commissaires  susnommés.  Signé ,  Sainetelete  , 
DucLOs,  Odiot  et  ïoublanc. 

Et  de  suite  avons  entendu  Jean  Devaux,  vivant  de  son  bien, 
demeurant  rue  du  Mail ,  hôtel  d'Angleterre ,  lequel  nous  a  dé- 
claré qu'étant  à  dîner  chez  le  citoyen  Février,  à  la  table  voisine 
de  celle  du  citoyen  Saint-Fargeau  et  en  face  de  lui,  sans  le  connaî- 
tre ;  que  lui  déclarant  était  à  lire  les  affiches  ,  lorsqu'un  particu- 
lier à  lui  inconnu  est  arrivé  et  a  dit  au  citoyen  Saint-Fargeau  :  Fous 
avez  donc  voté  pour  la  mort  du  roi?  Que  lui  déclarant  a  continué 
sa  lecture  sans  aucun  soupçon  ;  qu'il  a  vu  aussitôt  ce  particulier 
porter  un  soufflet  audit  citoyen  Saint-Fargeau  et  l'a  attrapé  au 
Iront  ;  que  le  citoyen  Saint-Fargeau  s'est  levé  vivement  et  s'est 
trouvé  en  face  du  particulier  dont  il  s'agit.  Que  lui  déclarant  a 
vu  le  sabre  à  la  main  dudit  particulier,  lequel  était  levé  en  l'air  ; 
mais  qu'il  n'a  pas  vu  porter  le  coup  qui  a  blessé  le  citoyen  Saint- 
Fargeau  ;  que  le  citoyen  Février  est  arrivé  et  a  saisi  les  bras  par 
derrière  du  particulier  dont  il  s'agit,  mais  que  ce  particulier 
s'est  débattu  et  a  fui.  Lecture  faite^  au  comparant  de  sa  déclara- 
tion ,  il  a  affirnîé  qu'elle  contient  vérité,  et  a  signé  avec  nous  et 
lesdits  citoyens  commissaires  susnommés.  Signé  :  Jean  Devaux  , 
DucLOs ,  Odiot  et  Toublanc. 

Nous  commissaire  de  police  susdit  et  soussigné ,  de  l'avis  des- 
dits citoyens  commissaires  de  section  ,  nous  avons  ordonné  que 
le  sabre  à  nous  déposé  par  le  citoyen  Février  resterait  déposé 
en  nos  mains  comme  pièce  à  conviction ,  pour  être  représenté 
quand  il  sera  ordonné  ,  et  que  nous  donnerions  à  l'instant  un 


JANVIER  { 1795).  7 

mandat  d'amener  contre  ledit  Paris  pour  être  conduit  devant 
nous ,  y  être  interrogé ,  et  ensuite  ordonner  ce  qu'il  appartien- 
dra. Fait  et  rédigé  les  jour  et  an  que  dessus ,  huit  heures  du  soir  ; 
et  ont  îesdils  citoyens  commissaires  signé  avec  nous.  Sujné: 
DucLos  ,  Odiot  et  Toublanc. 

Pour  copie  conforme  à  la  minute  étant  en  notre  possession. 
Certifiée  par  nous  commissaire  soussigné  ,  avertissant  de  l'enre- 
gistrement si  l'on  entend  en  faire  usage ,  sans  lequel  la  présente 
deviendrait  nulle.  A  Paris ,  le  quatre  mai  mil  sept  cent  quatre- 
vingt-treize,  l'an  deuxième  de  la  République.  Toublanc. 


Ordre,  marche,  et  détails  de  la  cérémonie  décrétée  i^ar  la  Con- 
vention nationale  -pour  les  funérailles  de  Michel  Lepelletiery 
représentant  du  peuple  français,  assassiné  pour  avoir  voté  la 
mort  du  tijran. 

Le  corps ,  exposé  nu  sur  le  ht  où  le  citoyen  a  rendu  les  der- 
niers soupirs,  avec  les  draps  ensanglantés,  et  le  sabre  dont  il  a 
été  frappé  placé  à  côté ,  a  été  présenté  à  la  vue  du  peuple  sur  la 
piédestal  de  la  place  des  Piques ,  orné  de  draperies  blanches ,  de 
festons  de  chêne  et  de  cyprès.  On  montait  à  ce  piédestal  par  deux 
escaliers ,  sur  les  rampes  desquels  étaient  des  torchères  ou  can- 
délabres. 

Au  moment  où  la  marche  fut  rassemblée  sur  la  place ,  la  mu- 
sique exécuta  des  airs  funèbres. 

Marche.  T  Un  détachement  de  cavalerie,  précédé  de  trompet- 
tes avec  sourdines. 

a*»  Sapeurs. 

3"  Canonniers  sans  leurs  canons. 

4°  Détachement  de  tambours  voilés. 

5°  Déclaration  des  droits  de  l'homme ,  portée  par  des  citoyens. 

6°  Volontaires  des  six  légions,  et  vingt-quatre  drapeaux. 

7°  Détachement  de  tambours. 

8"  Une  bannière  sur  laquelle  était  écrit  le  décret  de  la  Conven- 


8  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

lion  qui  ordonne  le  transport  du  corps  de  Lepelletier  au  Pan- 
théon. 

9"  Élèves  de  la  patrie. 

iO"  Les  commissaires  de  police ,  le  bureau  de  conciliation ,  les 
juges  de  paix ,  les  présidens  et  commissaires  de  sections ,  le  tri- 
bunal de  commerce ,  le  tribunal  criminel  provisoire ,  les  six  tri- 
bunaux du  dëparlemeat ,  le  corps  électoral ,  le  tribunal  criminel 
du  département ,  la  municipalité  de  Paris,  les  districts  de  Saint- 
Denis  et  du  bourg  de  l'Égalilé,  le  département,  le  tribunal  de 
cassation. 

il"  Figure  de  la  liberté  portée  par  des  citoyens. 

Î2°  Détachement  de  tambours. 

13"  Les  faisceau  de  quatre-vingt-quatre  départemens,  porté 
par  des  fédérés. 

14°  Le  conseil  exécutif  provisoire. 

'lo°  Détachement  de  la  garde  de  la  Convention  nationale. 

16°  Les  vêtemens  ensanglantés  portés  au  bout  d'une  pique, 
avec  festons  de  chêne  et  de  cyprès. 

17°  Convention  nationale ,  les  députés  marchant  sur  deux  co- 
lonnes de  deux. 

18°  Au  milieu  des  députés ,  une  bannière  où  étaient  écrites  les 
dernières  paroles  de  Lepelletier  :  Je  suis  satisfait  de  verser  mon 
sang  pour  ma  patrie  ;  j' espère  qu'il  servira  à  consolider  la  libellé 
et  l'égalité ,  et  à  faire  connaître  ses  ennemis. 

19°  Le  corps  porté  par  des  citoyens,  tel  qu'il  avait  été  exposé 
sur  la  place  des  Piques. 

20"  Autour  du  corps ,  des  canonniers ,  le  sabre  nu  à  la  main  ; 
ils  étaient  accompagnés  d'un  pareil  nombre  de  vétérans. 

21°  Musique  de  la  garde  nationale,  qui  exécutait,  pendant  la 
marche ,  des  airs  funèbres. 

22°  Famille  du  morl. 

25°  Groupe  de  mères  conduisant  des  enfans. 

24°  Détachement  delà  garde  delà  Convention. 

^5°  Tambours  voilés. 

26°  Volontaires  des  si.\  légions  €t  vingt-quatre  drapeaux. 


JAiNVlEK  (1793).  U 

27°  Tambours  voilés. 

28°  Fédérés  armés. 

29°  Sociétés  populaires. 

50°  Cavalerie  et  trompettes  avec  sourdines. 

De  chaque  côté,  il  y  avait  une  haie  de  citoyens  armés  de  pi- 
(lues ,  pour  former  une  barrière  qui  soutenait  les  colonnes  ;  ces 
citoyens  tenaient  leurs  piques  horizontalement  à  la  hauteur  des 
Jianches  do  rnain  en  main. 

La  Convention ,  arrivée  sur  la  place  des  Piques ,  se  rangea  au- 
tour du  piédestal. 

Le  citoyen  chargé  des  cérémonies  a  remis  au  président  de  la 
Convention  une  couronne  de  chêne  et  de  fleurs  ;  alors  le  prési- 
dent, précédé  des  huissiers  de  la  Convention  et  de  la  musique 
nationale,  fit  le  tour  du  monument  et  monta  sur  le  piédestal  pour 
déposer  sur  la  tête  de  Lepelletier  la  couronne  civique  :  pendant 
ce  temps,  un  fédéré  prononça  un  discours  ;  le  président  descen- 
dit, et  le  cortège  se  mit  en  marche. 

Le  cortège  partit  dans  cet  ordre  de  la  place  des  Piques  à 
huit  heures ,  !e  24,  et  passa  par  les  ruesSaint-Honoré ,  du  Pioule, 
Ponl-JVeuf,  Thionvilly  (ci-devant  Dauphine),  Fossés-Saint-Ger- 
main, la  Liberté  (ci-devant  Fossés-Monsieur-le-Prince),  place 
Sainl-3Iichel,  d'Enfer,  Saint-Thomas,  Saint-Jac<iues ,  place  du 
Panthéon. 

Stations.  Première ,  devant  la  salle  des  séances  de  la  société  des 
amis  de  la  liberté  et  de  l'égaliié. 

Deuxième ,  vis-à-vis  l'Oratoire. 

Troisième,  sur  le  Pont-Neuf,  en  face  de  la  Samaritaine. 

Quatrième,  devant  la  salle  des  séances  des  amis  des  droits  de 
l'homme? 

Cinquième ,  au  carrefour  de  la  rue  de  la  Liberté. 

Sixième ,  place  Saint-Michel. 

Septième,  au  Panthéon. 

Arrivé  au  Panthéon ,  le  corps  a  été  déposé  sur  l'estrade  pré- 
parée pour  le  recevoir.  La  Convention  nationale  se  rangea  au- 
tour ;  la  musique  nationale ,  placée  dans  la  tribune ,  a  e.\écuté  un 


iÔ  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

chœur  religieux ,  après  lequel  le  frère  de  Lepelletier  a  prononcé 
un  discours,  dans  lequel  il  a  annoncé  que  son  frère  avait  laissé 
un  ouvrage  presque  achevé  sur  l'éducation  nationale,  qu'il  pu- 
blierait ,  et  a  fini  son  discours  par  ces  mots  :  Je  voie,  comme  mon 
frère,  la  mari  des  tyrans. 

Les  représentans  du  peuple  se  rapprochèrent  du  corps ,  se 
promirent  union  et  jurèrent  le  salut  de  la  patrie  :  un  grand  chœur 
à  la  hberté  termina  la  cérémonie. 


Les  deux  pièces  qui  suivent,  et  que  nous  avons  annoncé  de- 
voir réimprimer  à  titre  de  documens  complémentaires  à  la  fin 
du  mois  de  janvier,  sont  du  nombre  de  celles  que  notre  histoire 
ne  peut  se  dispenser  de  recueillir.  Ce  n'est  pas  sans  de  graves 
raisons  que  nous  donnons  une  place  à  des  documens  aussi  éten- 
dus; il  n'a  fallu  rien  moins  que  la  réputation  de  l'auteur  et  l'es- 
pèce de  consécration  imprimée  à  son  héritage  politique  par  une 
mort  glorieuse ,  pour  nous  déterminer  à  cette  réimpression.  Ces 
deux  écrits  de  Lepellelier  sont  d'ailleurs  beaucoup  estimés  par 
tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de  collections  révolutionnaires ,  et 
il  n'en  est ,  pour  ainsi  dire ,  aucune  où  ils  ne  figurent.  Si  la  nôtre 
ne  les  contenait  point,  elle  présenterait  une  lacune,  et  ce  dernier 
motif,  joint  à  ceux  qui  précèdent,  a  achevé  de  justifier  à  nos 
yeux  l'emploi  de  quelques  feuilles  qui  sépareront  le  mois  de 
janvier  du  mois  de  février. 


ANNÉE   1793.  il 

PROJET  DE  LA  LOI 

DU   CODE  PÉNAL. 


PREMIERE    PARTIE. 

DES  PEINES. 

TITRE  PREMIER.  —  Dcs  peines  en  général. 

Art.  1.  Les  peines  qui  seront  prononcées  contre  les  accusés 
trouves  coupables  par  le  jury  sont  de  deux  sortes. 

Les  peines  afflîctives. 

Les  peines  infamanles. 

2.  Les  peines  affliciives  sont  :  le  cacliot,  la  gêne,  la  prison, 
auxquelles  sera  toujours  jointe  l'exposition  aux  regards  du  peuple. 

5.  Les  peines  infamantes  sont  :  pour  les  hommes ,  la  dégrada- 
tion civique;  pour  les  femmes ,  !e  carcan. 

4.  Les  peines  affltcdves  les  plus  graves ,  !o  cachot  et  la  gêne, 
se  termineront  par  un  temps  de  peines  moindres.  Ainsi  la  peine 
du  cachot  sera  suivie  d'un  temps  de  gêne  et  d'un  temps  de  pri- 
son ;  la  peine  de  la  gène  sera  suivie  d'un  tein;)s  de  prison;  le  tout 
dans  les  proportions  qui  seront  fixées  ci-après. 

o.  Toute  peine  afflictive  sera  infamante. 

TITRE  II.  — De  la  peine  du  cncliol  (i). 

Art.  1.  Le  condamné  qui  subira  cette  peine  sera  attaché  dans 

(1)  Celte  peine  est  proposée  pour  remplacer  la  peine  de  raort,  non  pas  dans 
les  cent  quinze  cas  contre  lesquels  la  condamnaliou  à  morJ  existe  dans  nos  an- 


12  DOGUMENS   CO    ÉLÉMENTAIRES. 

un  cachot ,  sans  jour  ni  lumière ,  avec  une  chaîne  el  une  ceinture 
de  fer  ;  il  portera  des  fers  aux  pieds  et  au::  mains. 

Il  n'aura  pour  nourriture  que  du  pain  et  de  l'eau. 

Il  lui  sera  donné  dé  la  paille  pour  se  coucher. 

Il  sera  toujours  seul. 

Il  ne  pourra  avoir  communication  avec  autres  personnes  que 
les  geôliers  et  les  commissaires  de  la  maison  de  peine. 

2.  Il  sera  procuré  du  travail  au  condamné  deux  jours  par  se- 
maine pendant  la  première  moitié  du  temps  qu'il  doit  passer  au 
cachot  ;  trois  jours  par  semaine  durant  la  seconde  moitié. 

Les  jours  de  son  travail ,  le  condamné  sortira  de  son  cachot  ;  il 
travaillera  dans  un  lieu  éclairé,  ses  chaînes  lui  seront  ôtées ,  mais 
il  ne  pourra  soriir  de  l'enceinte  de  la  maison ,  ni  communiquer 
avec  les  autres  prisonniers. 

Sur  le  produit  de  son  travail,  un  tiers  sera  appliqué  à  la  dé- 
pense commune  de  la  maison. 

Sur  une  partie  des  deux  autres  tiers,  il  lui  sera  permis  de  se 
procurer  une  nourriture  meilleure  et  plus  abondante. 

Le  surplus  sera  réservé  pour  être  remis  au  condamné  au  mo- 
ment de  sa  sortie,  après  que  le  temps  de  sa  peine  sera  expiré. 

5.  Un  jour,  chaque  mois ,  la  porte  du  cachot  sera  ouverte.  Le 
condamné  sera  exposé  dans  son  cachot ,  avec  ses  chaînes ,  aux 
yeux  du  public  en  présence  d'un  geôlier;  son  nom,  la  cause  de 
sa  condamnation  et  le  jugement  rendu  contre  lui,  seront  écrits 
extérieurement  sur  la  porte  de  son  cachot. 

4.  Les  femmes  qui  subiront  cette  peine  ne  porteront  point  de 
chaînes  ni  de  fers. 

5.  La  peine  du  cachot  sera  terminée  par  une  seconde  époque 
dont  la  durée  sera  égale  à  la  moitié  de  la  première. 

Cette  seconde  époque  se  partagera  en  deux  parties  égales. 
Pendant  la  première,  le  condaumé  subira  la  peme  de  la  gène. 
Pendant  la  deuxième,  celle  de  la  prison. 

ciennes  lois,  mais  pour  les  crimes  auxquels  l'assemblée  nationale  pourrait  appli- 
quer la  peine  de  mort  si  elle  était  conservée ,  tels  que  les  attentats  à  lèse-natiOD , 
assassinats,  poisons  et  incendies. 


ANNÉE  1795.  i5 

Ainsi ,  lorsque  le  jugement  portera  :  Condamné  à  la  peine  du 
cachot  pour  douze  ans,  le  condamné  subira  pendant  huit  ans  la 
peine  qui  vient  d'être  décrite;  il  passera  à  la  gène  les  deux  an- 
nées suivantes,  et  enfin  il  subira  la  peine  de  la  prison  les  deux 
dernières  années. 

6.  La  durée  de  cette  peine  ne  pourra  être  moindre  de  douze 
années,  ni  s'étendre  au-delà  de  vingt-quatre  ,  dans  lesquelles  se- 
ront compris  le  temps  de  gêne  et  celui  de  prison  ,  dont  le  cachot 
doit  être  suivi  conformémgit  aux  dispositions  et  aux  proportions 
qui  viennent  d'être  établies  ci-dessus. 

TITRE  III.  — De  la  peine  de  la  gêne. 

Art.  1.  Le  coupable  qui  aura  été  condamné  à  celte  peine  sera 
enfermé  seul  dans  un  lieu  éclairé. 

Il  sera  attaché  avec  une  chaîne  et  une  ceinture  de  fer,  pieds  et 
mains  libres. 

II  lui  sera  fourni,  pour  nourriture,  du  pain  et  de  l'eau  aux  dé- 
pens de  la  maison ,  le  surplus  sur  le  produit  de  son  travail. 

Il  lui  sera  donné  de  la  paille  pour  se  coucher. 

2.  Tous  les  jours  il  lui  sera  procuré  du  travail. 
Deux  jours  par  semaine ,  les  condamnés  à  cette  peine  pourront 
se  réunir  ensemble  pour  un  travail  commun ,  mais  sans  sortir  de 
l'enceinte  de  la  maison.  Ces  jours-là  leurs  chaînes  leur  seront  ôtées. 

Les  autres  jours,  ils  travailleront  seuls,  chacim  dans  le  lieu  de 
sa  détention. 

Le  produit  de  leur  travail  sera  employé  ainsi  qu'il  est  expliqué 
ci-dessus  à  l'article  2  du  titre  précédent. 

5.  L'un  des  deux  jours  du  travail  commun ,  après  que  les  con- 
damnés seront  rentrés  dans  le  lieu  de  leur  détention,  ils  pourront 
communiquer  avec  des  personnes  autres  que  les  geôliers  et  les 
commissaires  de  In  maison  ,  toutefois  en  présence  d'un  geôlier  et 
avec  la  permission  d'un  commissaire.  Tous  les  autres  jours  ,  les 
condamnés  ne  pourront  communiquer,  ni  ensemble ,  ni  avec  les 
personnes  du  dehors. 

4.  Une  fois  par  mois  ,  îe  lieu  de  la  gêne  sera  ouvert,  et  le  con- 


|4  D0CUMEN3  COMPLÉMENTAIRES. 

damné  sera  exposé  aux  regards  du  public  avec  ses  chaînes  et  en 
présence  d'un  fjeôlier. 

Son  nom  ,  la  cause  de  sa  condamnation  et  le  jugement  rendu 
pontre  lui ,  seront  écrits  extérieurement  au-dessus  de  la  porte  du 
lieu  où  il  sera  détenu. 

5.  Les  femmes  qui  subiront  celte  peine  ne  porteront  point  de 
chaînes. 

6.  Lorsque  cette  peine  sera  prononcée  seule  et  ne  sera  pas  une 
suite  de  la  peine  du  cachot,  sa  durée,ne  pourra  être  moindre  de 
quatre  années,  ni  s'étendre  au-delà  de  quinze  ans,  dans  le  nom- 
bre desquels  sera  comprise  une  année  de  la  peine  de  la  prison 
dont  la  peine  de  la  gène  sera  toujours  suivie. 

TITRE  IV.  —  De  la  peine  de  la  prison. 

Art.  i.  Le  coupable  qui  aura  été  condamné  à  celte  peine 
sera  enfermé,  seul,  sans  fers  ni  liens. 

Il  aura  un  lit  pour  se  coucher. 

Il  lui  sera  donné  pour  nourriture  du  pain  et  de  l'eau  aux  d;'- 
pens  de  la  maison  ,  le  surplus  sur  le  produit  de  son  travail. 

2.  Il  lui  sera  fourni  tous  les  jours  du  travail  dans  l'enceinte  de 
la  maison.  Les  condamnés  à  celte  peine  pourront  se  réunir  pour 
un  travail  commun. 

Les  hommes  et  les  femmes  travailleront  dans  des  enceintes 
séparées. 

Le  produit  de  leur  travail  sera  employé  comme  il  est  expliqué 
ci-dessus. 

3.  Une  fois  par  semaine,  le  condaniné  pourra  communiquer 
avec  des  personnes  autres  que  les  geôliers  et  les  commissaires ,  en 
présence  toutefois  d'un  geôlier ,  et  avec  la  permission  d'un  com- 
missaire; mais  il  ne  paraîtra  qu'enfermé  dans  sa  prison. 

4.  Un  jour  chaque  mois  la  prison  sera  ouverte,  et  le  condamné 
sera  exposé  aux  regards  du  public  en  présence  d'un  geôlier.  Son 
nom,  la  cause  de  sa  condanmaiion  ,  et  le  jugement  rendu  contre 
lui ,  seront  écrits  extérieurement  au-dessus  de  la  porte  de  sa 
prison. 


ANNÉE  1793.  i^ 

5.  Lorsque  cette  peine  sera  prononcée  seule ,  et  ne  sera  pas 
une  suite  de  la  peine  du  cachot  ou  de  celle  de  la  gêne ,  la  durée 
de  cette  peine  ne  pourra  pas  être  moindre  de  deux  années  ,  ni 
s'étendre  au-delà  de  six  ans. 

En  conséquence ,  et  pour  l'exécution  des  dispositions  précé- 
dentes ,  il  sera  fait  choix  dans  chaque  département ,  soit  dans  la 
ville,  soit  près  de  la  ville  où  le  tribunal  est  fixé,  d'une  enceinte 
propre  à  réunir  l'établissement  des  cachots,  des  lieux  dejjêne, 
et  des  chambres  de  détention. 

La  municipalité  de  ladite  ville  sous  l'inspection  et  l'autorité  du 
directoire  du  département,  sera  chargée  de  pourvoir  à  la  sûrelé, 
salubrité,  police  intérieure,  régie  et  administration  de  ladite 
maison  ,  à  la  nourriture ,  aux  besoins  des  condamnés ,  et  à  Ipur 
soulagement  en  cas  de  maladie  ou  d'infirmité;  de  leur  fournir  un 
travail  proportionné  à  leurs  forces  et  à  leur  industrie  ;  de  faire 
l'emploi  du  produit  dudit  travail  conformément  aux  précédentes 
dispositions  ;  enfin  de  veiller  à  ce  que  les  geôliers  et  gardiens 
remplissent  leurs  fonctions  avec  humanité  et  exactitude. 

Expresses  défenses  seront  faites  aux  gardiens  des  condamnés 
de  les  maltraiter  et  de  leur  porter  aucun  coup ,  sous  peine  de 
destitution. 

Les  condamnés  seront  toujours  conduits,  pour  subir  leur  ju- 
gement, dans  la  maison  de  peine  du  département  dans  l'étendue 
duquel  le  crime  aura  été  commis.  Seront  toutefois  exceptés  de  la 
présente  disposition  les  délits  de  lèse-nation  qui  auraient  été 
commis  hors  du  royaume  ;  ceux  qui  auront  été  condamnés  pour 
ces  délits  seront  conduits  da-.is  la  maison  de  peine  du  dépar- 
tement dans  l'enceinte  duquel  siégail  le  corps  législatif,  lorsqu'il 
a  déclaré  qu'il  y  avait  lieu  à  accusation  contre  les  prévenus 
desdits  crimes. 

TITRE  V.  — De  l'exposition  des  condamnés  aux  regards  du  peuple. 

Art.  1.  Quiconque  aura  été  condamné  soit  à  la  peine  du  ca- 
chot, soit  à  la  peine  de  la  gêne,  soit  à  celle  de  la  prison,  sera  préa- 
lablement placé  sur  un  échafaud  au  milieu  de  la  pl^ce  publique. 


16  DOCUMENS   C0MPL1ÉME>"TA!RES. 

2.  Il  y  sera  altaché  à  un  poteau ,  chargé  des  mêmes  fers  qu'il 
doit  conserver  dans  le  cachot ,  si  c'est  à  c^tte  peine  qu'il  est  con- 
damné ,  ou  de  ceux  qu'il  doit  porter  dans  la  gêne ,  si  la  peine  de 
gêne  est  celle  qu'il  doit  subir. 

3.  Au-dessus  de  sa  tête  sur  un  écriteau ,  seront  inscrits  en  {jros 
caractères  son  nom ,  la  cause  de  sa  condamnation ,  et  le  jugement 
rendu. contre  lui. 

4.  Il  demeurera  ainsi  exposé  aux  regards  du  peuple  pendant 
trois  jours  consécutifs ,  six  heures  par  jour ,  s'il  est  condamné  à  la 
peine  du  cachot. 

Pendant  deux  jours  consécutifs,  quatre  heures  par  jour,  s'il 
est  condamné  à  la  peine  de  la  gêne. 

Un  seul  jour  et  pendant  deux  heures  ,  s'il  est  condamné  à  la 
peine  delà  prison. 

5.  Le  condamné  sera  exposé  publiquement  dans  le  même  ap- 
pareil, et  durant  le  môme  nombre  de  jours  ci-dessus  prescrits, 
tant  dans  la  ville  oii  le  jury  d'accusation  a  été  convoqué ,  que  dans 
celle  où  est  située  la  miùson  de  peine  dans  laquelle  il  doit  être 
conduit. 

G.  Si  la  maison  de  peine  est  située  dans  la  ville  où  le  jury 
d'accusasion  a  été  convoqué ,  l'exposition  aura  lieu  tant  dans  la- 
dite ville  que  dans  celle  où  a  été  convoqué  le  jury  de  juge- 
ment {{). 

TITRE  VI.  —  De  la  peine  de  la  décjradaûon  civique. 

Art.  1.  Le  coupable  qui  aura  été  condamné  à  cette  peine, 
sera  conduit  au  milieu  de  la  place  publique  de  la  ville  où  siège  le 
tribunal  criminel  qui  l'aura  jugé.  Le  greffier  du  tribunal  lui  adres- 
sera ces  mots  à  haute  voix  ;  Votre  pays  vous  a  trouvé  convaincu 
d'une  action  infâme.  La  loi  et  le  tribunal  vous  dégradent  de  la 
qualité  de  ciioijen  français. 

(!)  Ce  cas  a  lieu  lorsque  le  crime  a  été  commis  dans  l'étendne  du  district  où 
siège  le  tribunal. 

D'après  le  décret  des  jurés,  le  jury  de  jugement  ne  peut  pas  être  convoqué 
dans  ce  district;  mais  la  procédure  est  renvoyée  à  nu  tribunal  criminel  du  dé- 
partement voisin. 


ANMÉE  1795.  17 

Le  condamné  sera  ensuite  mis  au  carcan ,  au  milieu  de  la  place 

publique  ;  il  y  restera  pendant  deux  heures  exposé  aux  regards 

du  peuple  :  sur  un  écriteau  seront  tracés  en  gros  caractères ,  son 

nom,  le  crime  qu'il  a  commis,  le  jugement  rendu  contre  lui. 

2.  Dans  le  cas  où  la  loi  prononcera  la  peine  de  la  dégradation 
civique ,  si  c'est  une  femme  ou  une  fille  qui  est  convaicue  de  s'être 
rendue  coupable  desdits  crimes  ,  !e  jugement  portera  :  Telle  est 
condamnée  à  la  peine  du  carcan. 

3.  Toute  femme  ou  iille  qui  aura  été  condamnée  à  cette  peine, 
sera  conduite  au  milieu  de  la  place  publique  de  la  ville  où  siège  le 
tribunal  criminel  qui  l'aura  jugée. 

Elle  y  sera  mise  au  carcan  ,  et  restera  pendant  deux  heures 
exposée  aux  regards  du  peuple. 

Sur  un  écriteau  seront  tracés  en  gros  caractères ,  son  nom ,  le 
crime  qu'elle  a  commis  ;  et  le  jugement  rendu  contre  elle. 

TITRE  VII.  —  Des  effets  des  condamnations. 

Art.  1.  Quiconque  aura  été  condamné  à  l'une  des  peines  éta- 
blies dans  les  titres  précédens ,  sera  déchu  de  tous  les  droits  atta- 
chés à  la  qualité  de  citoyen  actif,  ou  rendu  incapable  de  les  ac- 
quérir. 

Son  témoignage  et  son  affirmation  ne  seront  point  admis  en 
justice. 

Il  ne  pourra  être  rétabli  dans  ses  droits,  que  dans  les  délais  et 
sous  les  conditions  ci-après. 

2.  Quiconque  aura  été  condamné  aux  peines  du  cachot ,  de  la 
gêne  ou  de  la  prison  ,  indépendamment  des  déchéances  portées 
en  l'article  précédent ,  sera  inhabile ,  pendant  la  durée  de  sa 
peine ,  à  l'exercice  d'aucun  droit  civil. 

5.  En  conséquence  il  lui  sera  nommé  par  le  président  du  tri- 
bunal criminel  qui  aura  prononcé  son  jugement,  un  curateur 
pour  gérer  et  administrer  ses  biens. 

4.  Ses  biens  lui  seront  restitués  à  l'instant  de  sa  sortie ,  et  le 
curateur  lui  rendra  compte  de  son  administration  et  de  l'emploi 
utile  de  ses  revenus. 

T.  xxiv,  ,     2 


18  DOCUMENS  COMPLÊlffiNTAIRES. 

5.  Pendant  le  temps  de  sa  détention ,  il  ne  pourra  être  remis 
au  condamné  aucune  portion  de  ses  revenus. 

6.  Seulement  il  pourra  être  prélevé  sur  ses  biens ,  les  sommes 
nécessaires  pour  élever  et  doter  ses  enfans  ,  ou  pour  fournir  des 
alimens  à  sa  femme  et  à  ses  enfans ,  à  son  père  ou  à  sa  mère , 
s'ils  sont  dans  le  besoin. 

7.  Ces  sommes  ne  pourront  être  prélevées  sur  ses  biens ,  qu'en 
vertu  d'un  jugement  rendu  par  le  triljunal  criminel ,  à  la  requête 
des  demandeurs  ,  avec  l'avis  du  curateur,  ou  sur  les  conclusions 
du  commissaire  du  roi. 

8.  Les  commissaires  et  gardiens  de  la  maison  de  peine  ne  per- 
mettront pas  que  les  condamnés  reçoivent ,  pendant  la  durée  de 
leur  détention,  aucun  don,  argent,  secours,  vivres  ou  aumônes, 
attendu  qu'il  ne  peut  leur  être  accordé  de  soulagement  que  sur 
le  produit  de  leur  travail  {i). 

Il  seront  responsables  de  l'exécution  de  cet  article,  sous  peine 
de  destitution. 

TITRE  vni.  —  De  l'influence  de  l'âge  du  condamné  sur  la  nature  et 
la  durée  des  peines  du  cachot,  de  la  gêne  et  de  la  prison. 

Art.  1.  Lorsqu'un  accusé,  déclaré  coupable  par  le  jury,  aura 
commis  le  crime  pour  lequel  il  est  poursuivi,  avant  l'âge  de  seize 
ans  accomplis  ,  les  jurés  décideront  dans  les  formes  ordinaires 
de  leurs  délibérations  la  question  suivante  : 

Le  coupable  a-t-il  commis  le  crime ,  avec  ou  sans  discerne- 
ment ? 

2.  Si  les  jurés  décident  que  le  coupable  a  commis  le  crime  sans 
discernement ,  il  sera  acquitté  du  crime  ;  mais  le  tribunal  crimi- 
nel pourra ,  suivant  les  circonstanances ,  ordonner  que  l'enfant 
sera  rendu  à  ses  parens ,  ou  qu'il  sera  conduit  dans  la  maison  de 
correction  pour  y  être  élevé  et  détenu  pendant  tel  noml^re  d' an- 
Ci)  Celte  disposition  paraîtra  bien  nécessaire ,  si  l'on  est  instruit  que ,  sur  les 
galères ,  tout  forçat  qui  a  quelque  patrinaoine  ou  des  parens  aisés  qui  lui  four- 
nissent de  l'argent,  est  bien  traité ,  bien  nourri,  bien  vêtu,  et  reçoit  toute  sorte 
d'égards  de  la  part  des  gardiens,  toujoui's  favorablement  disposés  pour  un  pen- 
sionnaire ulile. 


ANNÉE  1795.  19  ' 

nées  que  le  jugement  déterminera ,  et  qui  toutefois  ne  pourra 
excéder  l'époque  de  la  majorité  de  l'enfant. 

5.  Si  les  jurés  décident  que  le  coupable  a  commis  le  crime 
avec  discernement ,  la  peine  prononcée  par  la  loi  contre  ledit 
crime,  sera  abrégée  d'un  tiers  quant  à  sa  durée  ;  elle  sera  en 
outre  commuée  à  raison  de  l'âge  du  coupable  ;  savoir  :  la  peine 
du  cachot  et  de  la  gêne  dans  la  peine  de  la  prison ,  si  le  coupable 
était  âgé  de  moins  de  quatorze  ans  accomplis  lorsqu'il  a  commis 
le  crime  ;  et  la  peine  du  cachot  dans  la  peine  de  la  gène ,  si  le  cou- 
pable avait  moins  de  seize  ans  accomplis. 

Par  exemple ,  l'enfant  de  moins  de  quatorze  ans  accomplis , 
qui,  en  raison  de  son  crime,  aurait  encouru  la  peine  de  dix- 
huit  années  de  cachot ,  subira  en  raison  de  son  âge  douze  an- 
nées de  prison.  Celui  qui  aura  encouru  douze  ans  de  gêne,  su- 
bira huit  ans  de  prison. 

Quant  à  l'enfant  de  plus  de  quatorze  ans,  mais  de  moins  de 
seize  accomplis,  qui  aurait  encouru  la  peine  de  douze  années  de 
gêne,  il  subira  cette  peine  pendant  huit  ansj;  et  s'il  a  encouru  la 
peine  de  dix-huit  années  de  cachot,  il  subira  douze  années  la  peine 
de  la  gêne. 

4.  Nul  ne  pourra  être  condamné  à  la  peine  du  cachot ,  après 
l'âge  de  soixante  ans  accomplis  ;  mais  celte  peine  sera  commuée 
pour  un  temps  égal,  dans  la  peine  de  la  prison. 

Les  condamnés  qui  auraient  commencé  à  subir  leur  peine 
lorsqu'ils  sont  parvenus  à  cet  âge ,  en  fourniront  la  preuve  au 
tribunal  cri.ninel  qui  aura  prononcé  leur  jugement  ;  et  sur  leur 
requête ,  le  tribunal  ordonnera  qu'ils  soient  transférés  à  la  gêne, 
pour  achever  d'y  remphr  le  temps  de  leur  condamnation. 

5.  Nul  ne  pourra  être  condamné  à  la  gène ,  après  l'âge  de 
soixante-dix  ans  accomplis  ;  mais  cette  peine  sera  commuée  pour 
un  temps  égal  dans  la  peine  de  la  prison. 

Les  condamnés  qui  auraient  commencé  à  subir  leur  peine  lors- 
qu'ils seront  parvenus  à  cet  âge  ,  en  fourniront  la  preuve  au  tri- 
bunal criminel  qui  aura  prononcé  leur  jugement;  et,  sur  leur 
requête ,  le  tribunal  ordonnera  qu'ils  soient  transférés  à  la  pri- 


20  DOCUMENT  COMPLÉMENTAIRES, 

son,  pour  achever  d'y  remplir  le  temps  de  leur  condamnation. 

6.  Tout  condamné  qui  aura  atteint  l'âge  dé  quatre-vingts  ans  , 
quelle  que  soit  la  nature  de  la  peine  qu'il  ail  encourue ,  sera  mis 
en  liberté  par  jugement  du  tribunal  criminel,  rendu  sur  sa  re- 
quête, s'il  a  subi  au  moins  cinq  années  de  sa  peine. 

S'il  avait  subi  moins  de  cinq  ans  de  détention ,  il  sera  mis  en 
liberté  dans  les  mêmes  formes,  aussitôt  que  ces  cinq  années  se- 
ront accomplies. 

7.  Nul  ne  pourra  être  condamné  à  plus  forte  peine  que  celle 
de  cinq  années  de  prison ,  après  quatre-vingts  ans  accomplis.  Si 
la  peine  prononcée  par  la  loi,  à  raison  du  crime  commis,  excède 
cinq  ans  de  prison ,  la  condamnation  sera  restreinte  à  ce  terme , 
en  considération  de  l'âge  du  coupable. 

TITRE  IX.  —  De  la  récidive. 

Art.1.  Quiconque  aura  été  condamné  à  une  peine  afflictiveou 
infamante,  encore  que  ledit  jugement  ait  été  rendu  par  contumace, 
s'il  est  convaincu  d'avoir ,  depuis  le  jugement,  commis  un  crime 
emportant  peine  infamante ,  mais  non  afflictive ,  sera ,  à  raison 
de  la  récidive  ,  condamné  à  la  peine  de  deux  années  de  prison. 

2.  Quiconque  aura  été  condamné  à  une  peine  afflictive  ou  in- 
famante, encore  que  le  jugement  ait  été  rendu  par  contumace, 
s'il  est  convaincu  d'avoir  depuis  ce  temps  commis  un  crime  em- 
portant peine  afflictive ,  subira  ladite  peine  ;  et  après  l'expiration 
du  temps  de  cette  seconde  condamnation,  le  condamné  sera  trans- 
féré pour  le  reste  de  sa  vie  au  lieu  qui  sera  incessamment  fixé 
pour  la  déportation  des  malfaiteurs  (1). 

5.  Nul  ne  pourra  être  déporté  s'il  est  âgé  de  soixante-dix  ans 
accomplis. 

TITRE  x.  —  De  l'exécution  des  jugemens  rendus  contre  nn  accusé 
contumace. 
Art.   I.  Lorsqu'un  accusé  contumace  aura  été  condamné  à 

(f)  Les  comités  de  constitution ,  de  mendicité  et  de  législation  criminelle,  se 
sont  concertés  avec  le  ministre  de  la  marine  sur  la  nécessité  de  faire  choix  d'un 
I  ieu  où  les  malfaiteurs  et  les  inçndians  dangereux  puissent  être  déportés. 


ANNÉE  1793.  21 

l'une  des  peines  établies  ci-dessus ,  il  sera  dressé  dans  la  place 
publique  un  poteau  ,  auquel  on  appliquera  un  écriteau  indicatif 
du  nom  du  condamné,  du  crime  qu'il  a  commis ,  et  du  jugement 
rendu  contre  lui. 

2.  Cet  écriteau  restera  exposé  aux  yeux  du  peuple  pendant  trois 
jours  consécutifs,  si  la  condamnation  emporte  la  peine  du  cachot. 

Pendant  deux  jours  consécutifs ,  si  la  condamnation  emporte 
la  peine  de  la  gêne. 

Pendant  un  jour,  si  la  condamation  emporte  la  peine  de  la  dé- 
gradation civique  ou  celle  du  carcan. 

3.  Lorsque  la  condamnation  prononcée  contre  un  accusé  con- 
tumace emportera  peine  afflictive,  ledit  écriteau  sera  exposé 
en  la  forme  qui  vient  d'être  prescrite,  dans  les  villes  où ,  d'après 
les  dispositions  du  titre  V  ci-dessus ,  l'exposition  du  condamné 
aurait  lieu  si  le  condamné  était  présent. 

Lorsque  ladite  condamnation  emportera  peine  infamante, 
mais  non  afflictive ,  ledit  écriteau  sera  exposé  seulement  dans  la 
place  'publique  de  la  ville  où  siège  le  tribunal  criminel  qui  aura 
prononcé  ledit  jugement  (i). 

TITRE  XI.  —  De  ta  réhabilitation  des  condamnés. 

Art.  1.  Tout  condamné  qui  aura  subi  sa  peine  pourra  de- 
mander à  la  municipalité  du  lieu  de  son  domicile  une  attestation 
à  l'effet  d'être  réhabilité. 

Savoir  :  les  condamnés  aux  peines  du  cachot ,  de  la  gêne  ,  de 
la  prison ,  dix  ans  après  l'expiration  de  leur  peine. 

Les  hommes  condamnés  à  la  peine  de  la  dégradation  civique , 
les  femmes  condamnées  à  celle  du  carcan ,  après  dix  ans,  à  com- 
pter du  jour  de  leur  jugement. 

L'indication  de  l'île  dont  il  aura  été  fait  choix  pour  cet  établissement ,  et  les 
mesures  qui  y  sont  relalives,  seront  mises  incessamment  sous  les  yeux  de  l'assem- 
blée nationale. 

L'Angleterre  a  pratiqué  avec  succès  ce  moyen  de  purger  la  société  des  hu- 
meurs vicieuses  dont  elle  peut  être  infectée. 

(OLes  effets  des  condamnations  contre  un  accusé  contumace  sont  décrétés 
dans  la  loi  portant  établissement  de  jurés. 


^  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

2.  Huit  jours ,  au  plus ,  après  la  demande,  le  conseil-général 
de  la  commune  sera  convoqué ,  et  il  lui  en  sera  donné  connais- 
sance. 

5.  Le  conseil-général  de  la  commune  sera  de  nouveau  convo- 
qué au  bout  d'un  mois  j  pendant  ce  temps ,  chacun  de  ses  mem- 
bres pourra  prendre  sur  la  conduite  de  l'accusé  tels  renseigne- 
mens  qu'il  jugera  convenables. 

4.  Les  avis  seront  recueillis  par  la  voie  du  scrutin ,  et  il  sera 
décidé  à  la  majorité  si  l'attestation  doit  être  accordée. 

5.  Si  la  majorité  est  pour  que  l'attestation  soit  accordée,  deux 
officiers  municipaux,  revêtus  de  leur  écharpe,  conduiront  le 
condamné  devant  le  tribunal  criminel  où  le  jugement  de  condam- 
nation aura  été  prononcé. 

Ils  y  paraîtront  avec  lui  dans  l'auditoire  en  présence  des  juges 
et  du  public. 

Après  avoir  fait  lecture  du  jugement  prononcé  contre  le  con- 
damné ,  ils  diront  à  haute  voix  :  Un  tel...  a  expié  son  crime  en  su- 
bissant sa  peine;  maintenant  sa  conduite  est  irréprochable;  nous 
demandons ,  au  nom  de  son  pays,  que  la  tache  de  son  crime  soit 
effacée. 

6.  Le  président  du  tribunal ,  sans  délibération ,  prononcera 
ces  mots  :  Sur  l'attestation  et  la  demande  de  votre  pays ,  la  loi  et 
le  tribunal  effacent  la  tache  de  votre  crime. 

Il  sera  dressé  du  tout  procès-verbal ,  et  mention  en  sera  faite 
sur  le  registre  du  tribunal  criminel ,  en  marge  du  jugement  de 
condamnation, 

7.  Celle  réhabilitation  fera  cesser,  dans  la  personne  du  con- 
damné ,  tous  les  effets  et  toutes  les  incapacités  résultantes  des 
condamnations. 

8.  Si  la  majorité  du  corps  municipal  est  pour  refuser  l'atlesia- 
lion ,  le  condamné  ne  pourra  fermer  une  nouvelle  demande  que 
deux  ans  après ,  et  ainsi  de  suite  de  deux  en  deux  ans  (1),  tant 
que  l'attestation  ne  lui  aura  pas  été  accordée. 

(J)  Au  boat  de  fleux  ans,  un  nouveau  conseil  de  la  commune  aura  été  élu ,  en 


ANNÉE  1795.  25 

L'usage  des  lettres  de  grâce ,  de  rémission ,  d'abolition ,  de 

pardon ,  de  commutation  de  peine,  est  aboli. 
Toutes  les  peines  actuellement  usitées ,  autres  que  celles  qui 

sont  établies  ci-dessus ,  sont  abrogées. 

DEUXIÈ3IE  PARTIE. 

DES  CRI^IES  ET  DE  LEUR  PUNITION. 

TITRE  PREMIER.  —  Cr'wies  Cl  attentais  contre  la  chose  publique. 

Lorsqu'un  Français ,  chef  de  parti ,  à  la  léte  de  troupes  étran- 
gères, ou  à  la  tête  de  citoyens  révoltés,  aura  exercé  des  hostili- 
tés contre  la  France,  après  qu'un  décret  du  corps  législatif  l'aura 
déclaré  ennemi  public,  chacun  aura  le  droit  de  lui  oter  la  vie; 
s'il  est  arrêté  vivant ,  il  sera  condamné  à  être  pendu. 

PREMIERE  SECTION.  — Dcs  crimcs  contrc  la  sûrelé  extérieure  de  l'état. 

Art.  1.  Toutes  machinations  et  intelligences  pratiquées  avec  les 
puissances  étrangères  ou  avec  leurs  agens ,  pour  les  engager  à 
commettre  des  hostilités ,  ou  pour  leur  indiquer  les  moyens  d'en- 
treprendre la  guerre  avec  avantage,  seront  punies  delà  peine  du 
cachot  pendant  douze  ans ,  dans  le  cas  où  lesdites  machinations 
et  intelligences  n'auront  été  suivies  d'aucune  hostilité. 

2.  Si  les  manœuvres  mentionnées  en  l'article  précédent  sont 
suivies  de  quelques  hostilités  ,  ou  si  elles  sont  liées  ù  une  conspi- 
ration formée  dans  l'intérieur  du  royaume,  elles  seront  punies 
de  la  peine  de  vingt-quatre  années  de  cachot. 

3.  Toutes  agressions  hostiles ,  toutes  infractions  de  traités  ten- 
dantes à  allumer  la  guerre  entre  la  France  et  une  puissance  étran- 
gère, seront  punies  de  la  peine  de  vingt  années  de  cachot.    * 

Tout  agent  subordonné  qui  aura  contribué  auxdites  hostilités, 
soit  en  exécutant ,  soit  en  faisant  passer  les  ordres  de  son  supé- 
rieur légitime ,  n'encourra  pas  ladite  peine. 

Le  ministre  qui  en  aura  donné  ou  contresigné  l'ordre,  ou  le 

sorte  que  des  préventions  personnelles  ne  pourront  pas  opposer  UQ  obstacle  per- 
manent à  la  demande  du  condamne. 


M  DOCUMENS   COilPLËMKN TAIKES. 

commandant  qui ,  sans  ordre  du  ministre ,  aura  fait  commettre 
lesdites  hostilités  ou  infractions,  en  sera  seul  responsable  et 
subira  la  peine  portée  au  présent  article. 

4.  Toiit  Français  qui  portera  les  armes  contre  la  France  sera 
condamné  à  vingt-quatre  années  de  cachot. 

5.  Toutes  manœuvres ,  toute  intelligence  avec  les  ennemis  de 
la  France ,  tendantes ,  soit  à  faciliter  leur  entrée  dans  les  dépen- 
dances de  l'empire  français ,  soit  à  leur  livrer  des  villes  ,  forte- 
resses, porîs  ,  vaisseaux,  magasins  ou  arsenaux  appartenant  à 
la  France ,  soit  à  leur  fournir  des  secours  en  soldats ,  argent,  vi- 
vres ou  munitions,  soit  à  favoriser  d'une  manière  quelconque 
le  progrès  de  leurs  armes  sur  le  territoire  français,  ou  contre  nos 
forces  de  terre  ou  de  mer,  soit  à  ébranler  la  fidélité  des  officiers, 
soldats  et  des  autres  citoyens  envers  la  nation  française ,  seront 
punis  de  la  peine  de  vingt-quatre  années  de  cachot. 

6.  Les  trahisons  de  la  nature  de  celles  mentionnées  en  l'article 
précédent ,  exercées  en  temps  de  guerre  ,  envers  les  alliés  de  la 
France  agissant  contre  l'ennemi  commun ,  seront  punies  de  la 
même  peine. 

DEUXIEME  SECTION.  —  Des  ciimes  et  délits  contre  la  sûreté  intérieure  de  l'état- 

Art.  1.  Tout  complot  et  attentat  contre  la  personne  du  roi,  ou 
de  celui  qui ,  pendant  la  minorité  du  roi,  exercera  les  fouctions 
de  la  royauté,  ou  de  Théritier  présomptif  du  trône,  seront  punis 
de  la  peine  de  vingt-quatre  années  de  cachot. 

2.  Toutes  conspirations  et  complots  tendans ,  sous  des  pré- 
textes de  religion  ou  de  réformation  du  gouvernement,  ou  par 
toutes  autres  insinuations ,  à  troubler  l'état  par  une  guerre  ci- 
vile ,  en  armant  les  citoyens  les  uns  contre  les  autres ,  ou  contre 
l'exercice  de  l'autorité  légitime,  seront  punis  de  la  peine  de  vingt 
années  de  cachot. 

5.  Tout  enrôlement  de  soldats ,  levées  de  troupes ,  amas  d'ar- 
mes et  de  munitions  pour  exécuter  les  complots  et  machinations 
mentionnés  en  l'article  pi  écédent  ; 


A.NNiit;  1795.  25 

Toute  attaque  ou  résistance  envers  la  force  publique  agissant 

contre  l'exécution  desdits  complots  ; 
Tout  envahissemerit  de  ville ,  forteresse,  magasin,  arsenal, 

port  ou  vaisseau ,  sera  puni  de  la  peine  de  vingt-quatre  années  de 

cachot. 
Les  auteurs,  chefs  et  instigateurs  desdites  révoltes,  et  tous  ceux 

qui  seront  pris  les  armes  à  la  main  ,  subiront  les  peines  portées 

au  présent  article. 

4.  Les  pratiques  et  intelligences  avec  les  révoltés ,  de  la  nature 
de  celles  mentionnées  en  l'article  5  du  titre  premier,  seront  pu- 
nies des  peines  portées  auxdiîs  articles. 

5.  Tout  commandant  d'armée  ou  corps  de  troupes ,  d'une 
Hotte  ou  d'une  escadre,  d'une  place  forte  pu  d'un  poste ,  qui  en 
retiendra  le  commandement  contre  l'ordre  du  roi  ; 

Tout  commandant  qui  retiendra  son  armée  sous  ses  drapeaux , 
lorsque  le  licenciement  en  aura  été  ordonné  ,  soit  par  le  roi,  soit 
par  un  décret  du  corps  législatif,  et  après  que  lesdits  ordres  ou 
décrets  lui  auront  été  légalement  notifiés  ,  sera  coupable  du 
c!  ime  de  révolte ,  et  condamné  à  la  peine  de  vingt  années  de 
cachot. 

TROISIÈME  SECTION.  —  Des  crinics  contre  la  Constitution. 

Art.  j.  Tous  complots  ou  attentats  pour  empêcher  la  réunion, 
ou  pour  opérer  la  dissolution  d'une  assemblée  primaire  ou  d'une 
assemblée  électorale,  seront  punis  de  la  peine  du  cachot  pendant 
douze  années. 

2.  Si  des  troupes  de  ligne  investissent  le  lieu  des  séances 
desdites  assemblées,  ou  pénètrent  dans  son  enceinte  sans  l'auto- 
risation ou  la  réquisition  desdites  assemblées ,  le  ministre  ou 
commandant  qui  en  aura  donné  ou  contresigné  l'ordre,  leschefe 
ou  soldats  qui  l'auront  exécuté,  seront  punis  du  cachot  pendant 
quinze  années. 

5.  Toutes  conspirations  ou  attentats  pour  empêcher  la  réunion, 
ou  pour  opérer  la  dissolution  du  coips  législatif; 


26  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

Tout  attentat  contre  la  liberté  individuelle  d'un  de  ses  mem- 
bres, seront  punis  de  vingt-quatre  années  de  cachot. 

Tous  ceux  qui  auront  participé  auxdites  conspirations  ou 
auxdits  attentats ,  par  les  ordres  qu'ils  auront  donnés  ou  exé- 
cutés, subiront  la  peine  portée  au  présent  article. 

4.  Si  des  troupes  de  ligne  approchent  ou  séjournent  plus  près 
de  vingt  mille  toises  de  l'endroit  où  le  corps  législatif  tiendra  ses 
séances,  sans  que  le  corps  législatif  en  ait  autorisé  ou  requis  l'ap- 
proche ou  le  séjour  ;  le  ministre  qui  en  aura  donné  ou  contre- 
signé l'ordre ,  le  commandant  en  chef  et  le  commandant  parti- 
culier de  chaque  corps  desdites  troupes  seront  punis  de  la  peine 
de  douze  années  de  gêne. 

o.  Quiconque  aura  commis  l'attentat  d'investir  d'hommes  ar- 
més le  lieu  des  séances  du  corps  législatif,  ou  de  les  y  introduire 
sans  son  autorisation  ni  réquisition  ,  sera  puni  de  la  peine  de 
Vingt  années  de  cachot. 

Le  ministre  ou  coaimandant  qui  en  aura  donné  ou  contresigné 
l'ordre,  les  chefs  et  soldats  qui  l'auront  exécuté,  subiront  la 
peine  portée  au  présent  article. 

6.  Toutes  conspirations  ou  attentats  ayant  pour  objet  d'inter- 
vertir l'ordre  de  la  succession  au  trône,  déterminé  par  la  consti- 
tution, seront  punis  de  la  peine  de  vingt  années  de  cachot, 

7.  Si  quelque  acte  était  publié  comme  loi ,  sans  avoir  été  dé- 
crété par  le  corps  législatif,  de  quelque  forme  que  ledit  acte  soit 
revêtu  ; 

Tout  ministre  qui  l'aura  contresigné  sera  puni  de  la  peine  de 
vingt  années  de  cachot. 

Et  si  ledit  acte  n'est  pas  extérieurement  revêtu  de  la  forme 
constitutionnelle ,  prescrite  par  le  décret  du  sept  octolire  mil  sept 
cent  quatre  vingt-neuf,  tout  fonctionnaire  public,  commandant 
et  officier  qui  l'auront  fait  exécuter  ou  publier ,  seront  punis  de 
la  peine  de  douze  années  de  gêne. 

Le  présent  article  ne  porte  aucune  atteinte  au  droit  de  faire 
publier  des  proclamations  et  autres  actes  réservés  par  la  Consti- 
tution au  pouvoir  exécutif. 


ANNÉE  1793.  27 

8.  En  cas  de  publication  d'une  loi  lalsiliée  ,  le  ministre  qui 
l'aura  contresignée,  s'il  est  convaincu  d'avoir  altéré  ou  fait  altérer 
le  décret  du  corps  législatif  volontairement  et  à  dessein ,  sera 
puni  de  quinze  années  de  gêne. 

9.  Si  quelque  acte  portant  établissement  d'un  impôt  ou  d'un 
emprunt ,  était  publié  sans  que  ledit  impôt  ou  emprunt  ait  été 
établi  en  vertu  d'un  décret  du  corps  législatif  sanctionné  par  le 
roi  ; 

Tout  ministre  qui  aura  contresigné  ledit  acte ,  ou  donné  ou  con- 
tresigné des  ordres  pour  percevoir  ledit  impôt,  ou  pour  recevoir 
les  fonds  dudit  emprunt ,  sera  puni  de  la  peine  du  cachot  pen- 
dant vingt  ans. 

Tous  agens  quelconques  du  pouvoir  exécutif  qui  auront  exé- 
cuté lesdits  ordres,  soit  en  percevant  ledit  impôt,  soit  en  rece- 
vant les  fonds  dudit  emprunt ,  seront  punis  de  la  peine  de  douze 
années  de  gêne. 

10.  Si  quelque  acte  ou  ordre  émané  du  pouvoir  exécutif 
créait  des  cor[)S ,  ordres  politiques ,  ou  agens  pour  leur  conférer 
un  pouvoir  que  le  corps  constituant  a  seul  le  droit  de  déléguer, 
ou  rétablissait  des  corps,  ordres  poliiiques ,  ou  agens  que  la 
Constitution  aurait  détruits; 

Tout  ministre  qui  aura  contresigné  ledit  acte  ou  ledit  ordre 
sera  puni  de  la  peine  de  vingt  années  de  cachot. 

Tous  ceux  qui  auraient  participé  à  ce  crime ,  soit  cm  acceptant 
lesdits  pouvoirs,  soit  en  exerçant  lesdiies  fonctions ,  i^'cront  punis 
delà  peine  de  la  .^/me  pendant  six  ans. 

H.  Si  quelque  acte  ou  ordre  émane  au  pouvoir  exécutif  dé- 
truisait les  corps  établis  par  la  Constitution  ; 

Tout  minisire  qui  aura  contresigné  ledit  ordre  ou  ledit  acte 
sera  puni  de  vingt  ans  de  cachot. 

Il2.  Si  par  quelque  acte  on  ordre  émané  du  pouvoir  executif 
un  fonctionnaire  public  quelconque  était  illégaio.nent  desti'ué,  le 
ministre  qui  aura  contresigné  l'ordre  seia  puni  de  la  gène 
pendant  douze  aimées. 

15.  S'il  émanait  du  pouvoir  exécutif  un  acte  portant  nomi- 


28  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

nation  ,  au  nom  du  roi ,  d'un  emploi  qui  suivant  la  Constitution 
ne  peut  être  conféré  que  par  l'élection  libre  des  citoyens,  le  mi- 
nistre qui  aura  contresigné  ledit  acte  sera  puni  de  la  gène  pen- 
dant douze  années. 

Ceux  qui  auraient  participé  à  ce  crime ,  en  acceptant  lesdits 
emplois  ou  en  exerçant  lesdites  fonctions,  seront  punis  de  la  peine 
de  six  années  de  gêne. 

14.  Toutes  machinations ,  ou  violences ,  ayant  pour  objet  d'em- 
pêcher la  réunion  ou  d'opérer  la  dissolution  de  toute  assemblée 
de  commune  et  municipale  ,  de  tout  corps  administratif  ou  judi- 
ciaire établis  par  la  Constitution  ,  seront  punies  de  la  peine  de 
six  années  de  gêne ,  si  lesdites  violences  sont  exercées  avec  ar- 
mes ,  et  de  trois  aunées  de  prison ,  si  elles  sont  exercées  sans 
armes. 

4o.  Tout  ministre  qui  sera  coupable  de  crime  mentionné  en 
l'article  précédent ,  par  les  ordres  qu'il  aura  donnés  ou  contre- 
signés ,  sera  puni  de  la  peine  de  douze  années  de  cachot. 

Tous  chefs,  commandans  et  officiers  qui  auront  contribué  à 
exécuter  lesdits  ordres ,  seront  punis  de  la  même  peine. 

16.  Tout  miaistre  qui ,  en  temps  de  paix ,  aura  donné  ou  con- 
tresigné des  ordres  pour  lever  ou  entretenir  un  nombre  de  trou- 
pes de  terre  supérieur  à  celui  qui  aura  été  déterminé  par  les 
décrets  du  corps  législatif,  ou  pour  augmenter  le  nombre  propor- 
tionnel des  troupes  étrangères  fixé  par  lesdits  décrets ,  sera  puni 
des  douze  ans  de  gêne. 

17.  Toute  violence  exercée  par  l'action  des  troupes  de  ligne 
contre  les  citoyens ,  sans  réquisition  légitime  et  hors  des  cas  ex- 
pressément prévus  par  îa  loi,  sera  punie  de  la  peine  de  douze  an- 
nées de  cachot. 

Le  ministre  qui  en  aura  donné  ou  contresigné  l'ordre,  les 
commandans ,  officiers  et  soldats  qui  auront  exécuté  ledit  ordre, 
ou  qui  sans  ordre  auront  commis  lesdites  violences,  seront  punis 
de  la  niême  peine. 

Si  par  l'effet  de  ladite  violence  quelque  citoyen  perd  la  vie,  la 
peine  sera  de  vingt  années  de  cachot. 


ANNÉE  1793.  29 

18.  Tout  attentat  contre  la  liberté  individuelle ,  base  essen- 
tielle de  la  Gonslitution  française,  sera  puni  ainsi  qu'il  suit  : 

Tout  homme,  quelle  que  soit  sa  place  ou  son  emploi,  autre 
que  ceux  qui  ont  reçu  de  la  loi  le  droit  d'arrestation  ,  qui  don- 
nera ,  signera ,  exécutera  l'ordre  d'arrêter  une  personne  vivant 
sous  l'empire  et  la  protection  des  lois  françaises,  ou  l'arrêtera 
effectivement ,  si  ce  n'est  pour  la  remettre  sur-le-champ  à  la  po- 
lice ,  dans  les  cas  déterminés  par  la  loi ,  sera  puni  de  la  peine  de 
six  années  de  gêne. 

19.  Si  ce  crime  était  commis  en  vertu  d'un  ordre  émané  du 
pouvoir  exécutif,  le  ministre  qui  l'aura  contresigné  sera  puni 
de  douze  ans  de  gêne. 

20.  Tous  geôliers  et  gardiens  de  maisons  d'arrêts ,  de  justice, 
de  correction ,  ou  de  prison  pénale,  qui  recevront  ou  retiendront 
ladite  personne,  sinon  en  vertu  de  mandats,  ordonnances,  juge- 
mens,  ou  acte  légal,  seront  punis  de  la  peine  de  six  années  de 
gêne. 

21.  Quoique  ladite  personne  ait  été  arrêtée  en  vertu  d'un  acte 
légal ,  si  elle  est  détenue  dans  une  maison  autre  que  les  lieux  lé- 
galement et  puljjiquement  désignés  pour  recevoir  ceux  dont  la 
détention  est  autorisée  par  la  loi  ; 

Tous  ceux  qui  auront  donné  l'ordre  de  la  détenir,  ou  qui  l'au- 
ront détenue ,  ou  qui  auront  prêté  leur  maison  pour  la  détenir , 
seront  punis  de  la  peine  de  six  années  de  gêne. 

Si  ce  crime  était  commis  en  vertu  d'un  ordre  émané  du  pou- 
voir exécutif ,  le  ministre  qui  l'aura  contresigné  sera  puni  de  la 
peine  de  douze  années  de  cachot. 

22.  Tout  fonctionnaire  public  qui  par  un  acte  illégal  attentera 
à  la  propriété  d'un  citoyen ,  ou  mettra  obstacle  au  libre  exercice 
d'aller,  d'agir,  de  parler  et  d'écrire,  d'imprimer  et  de  publier 
ses  écrits,  droits  assurés  par  la  Conbtilution  à  tout  individu,  ex- 
cepté dans  les  cas  où  un  texte  précis  de  la  loi  limite  l'exercice 
desdits  droits ,  sera  puni  de  la  peine  de  six  années  de  gêne. 

Si  lesdits  attentats  étaient  commis  en  vertu  d'un  acte  ou  d'un 


30  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

ordre  émané  du  pouvoir  exécutif ,  le  minisire  qui  aura  contresi- 
gné ledit  ordre  sera  puni  de  douze  années  de  cachot. 

25.  Quiconque  aura  volontairement  et  sciemment  brisé  le  ca- 
chet et  violé  le  secret  d'une  lettre  confiée  à  la  poste ,  sera  puni 
de  la  peine  de  la  dégradation  civique. 

Si  le  crime  est  commis,  soit  en  vertu  d'un  ordre  émané  du 
pouvoir  exécutif,  soit  par  un  agent  du  service  des  postes,  le  mi- 
nistre qui  en  aura  donné  ou  contresigné  l'ordre,  quiconque  l'aura 
exécuté,  ou  l'agent  du  service  des  postes  qui,  sans  ordre  ,  aura 
commis  ledit  crime ,  sera  puni  de  la  peine  de  douze  ans  de  gêne. 

24.  S'il  était  émané  du  pouvoir  exécutif  quelque  acte  ou  quel- 
que ordre  pour  soustraire  un  de  ses  agens,  soit  à  la  poursuite 
légalement  commencée  de  l'action  en  responsabilité,  soit  à  la 
peine  légalement  prononcée  en  vertu  de  ladite  responsabilité,  le 
ministre  qui  aura  contresigné  ledit  ordre  ou  acte,  et  quiconque 
l'aura  exécuté ,  sera  puni  de  la  peine  de  douze  années  de  cachot. 

QUATRIÈME  SECTION.  —  Délits  des  particuliers  contre  le  respect  et  l'obéissance 
dus  à  la  loi  et  à  l'autorité  des  pouvoirs  constitués  pour  la  faire  eiécuter. 

Art.  1.  Lorsqu'un  ou  plusieurs  agens  préposés ,  soit  à  l'exécu- 
tion d'un  décret  du  corps  législatif,  soit  à  la  perception  d'une 
contribution  légalement  établie,  soit  à  l'exécution  d'un  jugement, 
mandat,  d'une  ordonnance  de  justice  ou  de  police,  lorsque  tout 
dépositaire  quelconque  de  la  force  publique,  agissant  légalement 
dans  l'ordre  de  ses  fonctions ,  aura  prononcé  cette  formule  : 
Obéissance  à  la  loi  ; 

Quiconque  opposera  des  violences  et  voies  de  fait  sera  cou- 
pable du  crime d'of/ense  à  la  loi;  il  séria  puni  de  la  peine  de  deux 
années  de  prison. 

Si  la  résistance  est  opposée  avec  armes ,  la  peine  sera  de  qua- 
tre années  de  prison. 

2.  Lorsque  la  résistance  aux  agens  ou  dépositaires  de  la  force 
publique ,  désignés  en  l'article  précédent ,  sera  opposée  avec  at- 
troupement, et  que  les  officiers  civils  de  la  municipalité  ou  du 
canton  auront  été  contraints  de  requérir  l'action  de  la  force  pu- 


ANNÉE  1793.  51 

blique  contre  lesdites  personnes  attroupées;  lorsqu'il  leur  aura 
été  fait  les  sommations  déterminées  par  les  lois ,  si  l'attroupement 
continue  ,  les  chefs  de  \ émeute,  et  ceux  qui  seront  arrêtés  sur- 
le-champ  les  armes  à  la  main ,  ou  en  état  de  résistance ,  seront 
punis  de  la  peine  de  la  gêne  pendant  six  années. 

3.  Lorsque  lesdites  résistances  et  allroupemens  n'auront  pas 
cédé  à  la  force  publique  de  la  municipalité  ou  du  canton  ,  et  que 
l'administration  du  district  aura  requis  l'action  de  forces  plus 
considérables;  après  qu'il  aura  été  l^it  auxdites  personnes  at- 
troupées les  sommations  déterminées  par  les  lois ,  si  l'attroupe- 
ment continue ,  les  coupables  seront  constitués  en  sédition. 

Les  chefs  des  séditieux,  et  tous  ceux  qui  seront  arrêtés  sur-le- 
champ  les  armes  à  la  main ,  ou  en  état  de  résistance ,  seront  punis 
de  douze  années  de  gêne. 

4.  Lorsque  lesdites  résistances  et  attroupemens  n'auront  pas 
cédé  à  la  force  publique  requise  par  l'administration  du  district , 
et  que  l'administmlion  du  département  aura  été  contrainte  de 
requérir  l'action  de  forces  plus  considérables;  après  qu'il  aura 
été  fait  aux  séditieux  attroupés  les  sommations  déterminées  par 
les  lois ,  si  l'attroupement  continue ,  les  coupables  seront  consti- 
tués en  rébellion  :  les  chefs  des  rebelles,  et  ceux  qui  seront  ar- 
rêtés sur-le-champ  les  armes  à  la  main,  ou  en  état  de  résistance, 
seront  punis  de  la  peine  de  douze  années  de  cachot. 

o.  Les  coupables  des  crimes  d'offense  à  la  loi ,  d'èmcule,  de 
sédition,  de  rébellion,  qui  auraient  commis  personnellement  des 
homicides ,  incendies  et  autres  actes  de  violence ,  seront  punis  des 
peines  qui  seront  décrétées  ci-après  contre  chacun  de  ces  crimes, 
quand  même  ils  n'auraient  pas  été  arrêtés  sur-le-champ ,  ni  les 
armes  à  la  main ,  ni  en  étal  de  résistance. 

G.  Quiconque  aura  outragé ,  verbalement  ou  par  gestes ,  un 
fonctionnaire  public  au  moment  où  il  exerçait  ses  ix)nctions,  sera 
puni  de  la  peine  de  la  dégradation  civique. 

S'il  portait  l'outrage  jusqu'à  le  frapper,  la  peine  sera  de  deux 
années  de  prison. 

7.  Quiconque  par  force  aura  délivré  ou  tenté  de  délivrer  des 


52  DOCUME>'S   COMPLÉMEXTAIRES. 

personnes  détenues  légalement,  quiconque  les  aura  délivrées  par 
adresse ,  sera  condamné  à  la  peine  de  la  prison  pendant  deux 
années. 

8.  Si  ladite  violence  est  exercée  avec  attroupement  ou  avec  ar- 
mes, les  auteurs,  instigateurs  et  complices  dudit  attroupement, 
ou  lesdites  personnes  armées,  seront  punis  de  quatre  ans  de 
prison. 

9.  Si  ladite  tentative  est  exercée  avec  attroupement  et  armes, 
la  peine  sera  de  six  années  de  gêne. 

CINQUIEME  SECTION,  —  Crimes  des  fonctionnaires  publics  dans  l'eiercice 
des  pouvoirs  qui  leur  sont  confiés  (<). 

Art.  1.  Tout  agent  du  pouvoir  exécutif  ou  fonctionnaire  pu- 
blic quelconque ,  qui  aura  employé  ou  requis  l'action  de  la  force 
publique,  dont  la  disposition  lui  est  coniiée,  pour  empêcher  l'exé- 
cution d'une  loi  ou  la  perception  d'une  contribution  légitime- 
ment établie ,  sera  puni  de  la  peine  de  la  gêne  pendant  dix  an- 
nées. 

Tous  les  agens  subordonnés  qui  auront  contribué  à  l'exé- 

(t)  Il  n'y  a  point  d'articles  dans  le  Code  pénal  centre  les  délits  qui  peuvent  être 
commis, soit  par  les  corps  déli'oérans,  soit  par  les  membres  qui  les  composent, 
dans  l'acte  même  de  la  délibération. 

Voici  les  principes  des  deux  comités  sur  cette  question  vraiment  difficile. 

Il  faut  distinguer  l'acte  qui  émane  du  corps  délibérant,  et  la  délil)ération  oa 
opinion  individuelle  des  membres  qui  composent  le  corps. 

Quant  à  l'acte  du  corps  délibérant,  s'il  est  infecté  de  quelque  vice,  la  Consti- 
tution a  établi  un  moyen  de  répression  : l'acte  sera  cassé  par  l'autorité  supé- 
rieure ,  et  soa  anéantissement  arrêtera  les  mauvais  effets  qu'il  pouvait  produire. 

Si  l'acte  est  de  telle  nature  qu'il  soit  dangeretu  pour  la  chose  publique  de  lais- 
ser subsister  le  corps  dont  il  est  émané,  la  Gonstitutiou  indique  encore  les  formes 
avec  lesquelles  le  corps  entier  doit  être  cassé ,  et  alors  chacun  des  membres  qui 
le  composent,  sans  être  condamné  ou  flétri  individuellement,  se  trouve  destitué 
par  le  fait,  mais  sous  ce  seul  rapport,  qu'il  faisait  partie  d'un  corps  politique  qui 
a  cessé  d'êire. 

A  l'égard  de  l'opinion  individuBlle  des  membres  qui  composent  le  corps  déli- 
bérant ,  vos  comités  ont  pensé  qu'elle  ne  pouvait  jamais  servir  de  base  à  une  ac- 
tion criminelle. 

Quelquefois  il  y  aurait  de  la  difficulté  à  prouver  quels  étaient  ceux  qui  ont  as- 
sisté à  la  délibération,  et  ceux  qui  étaient  absens. 

Quels  sont  ceux  qui  ont  été  de  l'avis  qi.i  a  passé,  et  ceux  qui  étaient  d'un  avis 
contraire,  car  la  signature  des  membres  présens  atteste  seulement  le  vœu  de  la 
majorité,  mais  ne  constate  pas  leur  opinion. 


ANNÉE  1795.  55 

cution  desdiis  ordres,  seront  punis  de  la  peine  de  six  années  de 
prison. 

2.  Tout  agent  du  pouvoir  executif,  toiu  fonctionnaire  public 
quelconque,  qui  aura  employé  ou  requis  l'action  de  la  force  pu- 
blique, dont  la  disposition  lai  est  confiée,  pour  empêcher  l'exécu- 
tion d'un  jugement,  mandat,  ou  ordonnance  de  justice,  ou  d'un 
ordre  émané  d'officiers  municipaux  de  police ,  ou  de  corps  admi- 
nistratifs ,  ou  pour  empêcher  l'action  d'un  pouvoir  légitime ,  sera 
puni  de  la  peine  de  six  années  de  prison. 

Le  supérieur  légitime  qui,  le  premier,  atira  donné  lesdits  or- 
dres, en  sera  seul  responsable,  et  subira  la  peine  portée  au  pré- 
sent article  (1). 

3.  Si  par  suite ,  et  à  l'occasion  de  la  résistance  mentionnée  aux 
deux  articles  précédens,  il  survient  une  émeute,  sédition  ou  ré' 
hellion,  l'agent  du  pouvoir  exécutif  ou  le  fonctionnaire  public, 
désignés  auxdits  articles,  en  sera  responsable  ainsi  que  des  meur- 
tres ,  violences  et  pillages  auxquels  cette  résistance  am-ait  donné 
lieu ,  et  il  sera  puni  des  peines  prononcées  contre  les  chefs  des 

Il  faudrait  recevoir  pour  dénonciateurs  et  pour  témoins  les  collègues  lucmes 
des  accusés;  et  en  ce  cas  il  y  aurait  de  l'immoralité  à  les  entendre  s'ils  parlent, 
et  de  l'impossibilité  à  les  faire  parler  s'ils  se  taisent. 

Comment  constater  par  une  procédure  si  les  différenles  nuances  qui  ont  dis- 
tingué chaque  opinion  rentrent  dans  la  liberté  légitime  de  déclarer  son  avis,  ou 
dans  la  licence  criminelle  qui  caractérise  le  délit  :^ 

En  un  mot,  si  Topinant  a  été  seul  de  son  avis,  ou  en  minorité,  aucun  mal 
politique  n'en  résulte,  et  aucun  acte  émané  du  corps  ne  relève  le  scandale  de  sou 
opinion. 

Si  l'opinant  a  été  en  majorité,  et  que  l'acte  ait  été  conforme  à  l'avis  qu'il  a 
proposé,  l'acte  et  le  corps  peuvent  être  annulés,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dé- 
Tclopper,  et  le  mal  est  arrêté  par  cette  répression  constitutionnelle. 

Il  est  bien  entendu  que  ces  principes  s'appliquent  au  seul  fait  de  la  délibération; 
et  tout  membre  d'un  corps  délibérant  qui  intriguerait  ou  agirait  criminellement 
liors  la  délibération,  serait  dans  le  cas  d'être  poursuivi  et  puni. 

Cette  question  est  très-importante  et  susceptible  d'un  développement  très- 
étendu. 

(1  )  Pour  le  délit  porté  en  l'article  premier,  les  agens  subordonnés  sont  rrs- 
ponsables ,  parce  que  des  décrets  ou  des  contributions  ordonnées  par  le  corps  lé- 
gislatif sont  notoires  pour  tous  Français. 

Quant  à  des  jugemens,  arrêtés  et  ordonnances  de  corps  particuliers,  les  sub- 
ordonnés ne  sauraient  pas  juger  la  légalité  de  leurs  fdimes;  et  le  supérieur  seul, 
en  ce  cas,  peut  répondre  des  ordres  qu'il  a  donnés. 

T.  XMV.  5 


34  DOCUJIENS  COMPLÉMENTAIRES. 

émeutes,  séditions  ou  rébellions ^  meurtres  ,  violences  et  pillages. 

4.  Tout  dépositaire  ou  agent  de  la  force  publique  qui,  après  en 
avoir  été  requis  légitimement,  aura  refusé  de  faire  agir  ladite  force, 
sera  puni  de  la  peine  de  trois  années  de  prison. 

5.  Tout  fonctionnaire  public  qui ,  sous  prétexte  de  mandement 
ou  de  prédications ,  exciterait  les  citoyens  par  des  discours  pro- 
noncés dans  des  assemblées ,  ou  par  des  exhortations  rendues 
publiques  par  la  voie  de  l'impression,  à  désobéir  aux  lois  et  aux 
autorités  légitimes ,  ou  les  provoquerait  à  des  meurtres  ou  à  des 
crimes,  sera  puni  de  la  peine  de  la  dégradation  civique. 

Si,  par  suite  et  à  l'occasion  desdites  exhortations  prononcées  ou 
'imprimées,  il  survient  quelque  émeute,  sédition,  rébellion,  meur- 
tres ,  pillages  ou  autres  crimes ,  le  fonctionnaire  public  désigné 
au  présent  article  en  sera  responsable  et  subira  les  peines  portées 
contre  chacun  desdits  crimes. 

6.  Tout  fonctionnaire  public  révoqué  ou  destitué  légitimement, 
tout  fonctionnaire  public  électif  el  temporaire,  après  l'expiration 
de  ses  pouvoirs ,  qui  persévérerait  à  exercer  ses  fonctions ,  sera 
puni  de  la  peine  delà  dégradation  civique. 

Si  par  suite  et  à  l'occasion  de  sa  résistance ,  il  survenait  quel- 
que émeute ,  sédition ,  rébellion ,  il  en  sera  responsable  et  puni 
des  peines  prononcées  contre  les  auteurs  et  instigateurs  desdits 
crimes. 

7.  Tout  fonctionnaire  public  qui  sera  convaincu  d'avoir , 
moyennant  argent ,  présens,  ou  promesses,  trafiqué  de  son  opi- 
nion ou  de  l'exercice  du  pouvoir  qu'il  tient  de  la  loi ,  sera  puni  de 
la  peine  de  la  dégradation  civique. 

8.  Tout  juré,  après  les  récusations  consommées,  totit  juge  cri- 
minel, tout  officier  de  police  en  matière  criminelle,  qui  sera  con- 
vaincu d'avoir,  moyennant  argent,  présens  ou  promesses  ,  tra- 
fiqué de  son  opinion,  sera  puni  de  la  peine  de  quinze  ans  de  gène. 

9.  Tout  fonctionnaire  public  qui  sera  convaincu  d'avoir  dé- 
tourné les  deniers  publics  dont  il  était  comptable,  sera  puni  de 
la  peine  de  douze  années  de  gêne. 

10.  Tout  fonctionnaire  ou  officier  public  qui  sera  convaincu 


ANNÉE  1793.  35 

d'avoir  détourné  ou  soustrait  des  deniers,  effets,  actes,  pièces 
ou  titres  dont  il  était  dépositaire ,  à  raison  des  fonctions  publi- 
ques qu'il  exerce  et  par  l'effet  d'une  confiance  nécessaire,  sera 
puni  de  la  peine  de  dix  ans  de  gêne. 

il.  Tout  geôlier  ou  gardien  qui  aura  volontairement  fait  éva- 
der ou  favorisé  l'évasion  de  personnes  légalement  détenues ,  et 
dont  la  garde  lui  était  confiée,  sera  puni  de  la  peine  de  dix  ans 
de  gêne. 

12.  Tout  fonctionnaire  ou  officier  public,  tout  préposé  à  ia 
perception  de  droits  et  contributions  publiques,  qui  sera  con- 
vaincu du  crime  de  concussion ,  sera  puni  de  la  peine  de  six  an- 
nées de  prison. 

13.  Tout  fonctionnaire  ou  officier  public  qui  sera  convaincu 
de  s'être  rendu  coupable  du  crime  de  faux  dans  l'exercice  de  ses 
fonctions  sera  puni  de  la  gêne  pendant  quinze  années. 

SIXIÈME  SECTION.  —  Crimes  contre  la  propriété  publique. 

Art.  1.  Quiconque,  hors  des  hôtels  des  monnaies  et  ateliers 
où  sont  employés  les  préposés  à  la  fabrication  nationale ,  sera 
convaincu  d'avoir  fabriqué  de  la  monnaie,  encore  que  ladite 
monnaie  soit  au  même  litre,  poids  et  qualité  que  celle  ayant 
cours ,  sera  puni  de  six  années  de  gêne. 

2.  Toute  personne  qui  sera  convaincue  d'avoir  fabriqué  une 
monnaie  inférieure  en  titre,  poids  ou  qualité  à  la  monnaie  ayant 
cours ,  sera  punie  de  la  peine  de  quinze  années  de  gêne. 

5.  Tous  contrefacteurs  de  papiers  nationaux  ayant  cours  de 
monnaie  seront  punis  de  la  peine  de  quinze  années  de  cachot. 

4.  Tous  contrefacteurs  du  sceau  de  l'état ,  du  timbre  national , 
du  poinçon  servant  à  marquer  l'or  et  l'argent ,  et  de  toutes  mar- 
ques apposées  au  nom  du  gouvernement  sur  toute  espèce  de 
marchandises,  seront  punis  de  la  peine  d't  douze  ajnccs  de  gêne. 

5.  Toute  personne ,  autre  que  le  dépositaire  comptable ,  qui 
sera  convaincue  d'avoir  dérobé  d'une  manière  quelconque  des 
deniers  publics  ou  effets  apparlenans  à  l'état ,  sera  punie  de  la 
peine  de  dix  ans  de  gêne. 


56  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

Sans  préjudice  des  peines  plus  graves  portées  ci-après  contre 
les  vols  avec  effraction  ou  violences ,  si  ledit  vol  est  commis  avec 
lesdites  circonstances. 

6.  Quiconque,  méchamment  et  à  dessein,  aura  incendié  des 
maisons,  édifices,  magasins,  arsenaux,  vaisseaux  et  autres  pro- 
priétés appartenantes  à  l'état ,  sera  puni  de  quinze  années  de 
cachot. 

7.  Quiconque  pillera  ou  détruira  autrement  que  par  le  feu  les 
propriétés  ci-dessus  mentionnées,  sera  puni  de  la  peine  de  six 
années  de  gêne  ;  et  si  ledit  crime  est  commis  avec  attroupement, 
de  douze  années  de  ladite  peine. 

Titre  ii.  —  Crimes  et  délits  contre  les  particuliers, 
PREMIERE  SECTION.  —  Crimes  et  attentats  contre  les  personnes. 

Art.  1.  En  cas  d'homicide  commis  involontairement  par  un 
accident  qui  ne  soit  l'effet  de  la  négligence  ni  de  l'imprudence  de 
celui  qui  l'a  commis,  il  n'existe  point  de  crime,  et  il  n'y  a  lieu  à 
admettre  aucune  action  criminelle  ni  civile. 

2.  En  cas  d'homicide  commis  involontairement,  mais  par  l'ef- 
fet de  l'imprudence  ou  de  la  négligence  de  celui  qui  l'a  commis,  il 
n'existe  point  de  crime,  et  il  n'y  a  lieu  à  admettre  aucune  action 
criminelle  ;  mais  il  sera  statué  par  les  juges  sur  les  dommages  et 
intérêts  et  sur  les  peines  correctionnelles ,  selon  les  circonstances. 

5.  En  cas  d'homicide  commis  volontairement  avec  cause  légi- 
time ou  excuse  pcremptoire,  il  n'existe  point  de  crime,  et  il 
n'y  a  lieu  à  admettre  aucune  action  criminelle  ou  civile. 

4;  L'homicide  est  commis  avec  cause  légitime  lorsqu'il  est  au- 
torisé par  la  loi  et  commandé  par  une  autorité  légitime  pour  la 
défense  de  l'état  et  pour  le  salut  public. 

o.  L'homicide  est  commis  avec  excuse  péremptoire  lorsqu'il 
est  nécessité  par  la  légitime  défense  de  soi-même  ou  d'autrui. 

6.  Hors  les  cas  déterminés  par  les  articles  précédens ,  tout 
homicide  commis  volontairement  envers  quelques  personnes  avec 
quelque  arme,  instrument,  ou  par  quelque  moyen  que  ce  soit, 


ANNÉE  1793.  57 

sera  puni  ainsi  qu'il  suit ,  selon  le  caractère  et  les  circonstances 
du  crime. 

7.  L'homicide  commis  sans  préméditation  sera  puni  de  la  peine 
de  douze  années  de  cachot. 

8.  Lorsque  quelque  circonstance  atténuera  la  gravité  du  crime 
mentionné  en  l'article  précédent,  sans  toutefois  que  ladite  cir- 
constance rende  le  fait  légitime  ou  entièrement  excusable ,  ledit 
crime  d'homicide  non  prémédité  avec  circonstances  atténuantes 
sera  puni  de  la  peine  de  dix  années  de  gêne, 

9.  Si  l'homicide  non  prémédité  est  commis  dans  la  personne 
du  père  ou  de  la  mère ,  légitime  ou  natui'el ,  ou  de  tout  autre  as- 
cendant légitime  du  coupiihle,  la  peine  sera  de  seize  années  de 
cachot,  et  il  ne  pourra  y  avoir  lieu  à  atténuation. 

iO.  Si  l'homicide  non  prémédité  est  commis  par  un  père  ou 
une  mère  dans  la  personne  de  son  fils  ou  de  sa  fille ,  naturel  ou 
légitime,  ou  par  tout  ascendant  dans  la  personne  de  ses  descen- 
dans  légitimes,  ou  par  un  mari  dans  la  personne  de  sa  femme, 
ou  par  une  femme  dans  la  personne  de  son  mari ,  la  peine  dudit 
crime  sera  de  quinze  années  de  cachot ,  et  en  cas  d'homicide  non 
prémédité  avec  circonstances  atténuantes ,  la  peine  sera  de  douze 
années  de  gêne. 

H.  L'homicide  commis  avec  préméditation  sera  puni  de  la 
peine  de  seize  années  de  cachot. 

12.  La  durée  de  la  peine  de  l'homicide  prémédité  sera  aug- 
mentée de  trois  années ,  par  chacune  des  circonstances  suivantes 
qui  s'y  trouvera  réunie. 

La  première ,  lorsque  le  crime  aura  été  commis  par  deux  ou 

plusieurs  personnes. 

La  deuxième,  lorsqu'il  aura  été  commis  avec  armes  à  feu,  per- 
çantes ou  tranchantes. 

La  troisième ,  lorsqu'il  aura  été  accompagné  de  mutilations  ou 
de  tortures. 

La  quatrième  ^  lorsqu'il  aura  été  commis  dans  la  nuit. 

La  cinquième^  lorsqu'il  aura  été  commis,  soit  dans  un  grand 
chemin,  rue  ou  place  publique,  soit  dans  l'intérieur  d'une  maison. 


58  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

13.  L'homicide  commis  volontairement  par  poison  sera  puni 
de  la  peine  de  vingt  années  de  cachot. 

14.  L'homicide  commis  sciemment  et  à  dessein  par  l'incendie 
de  maisons  habitées  sera  puni  de  vingt  ans  de  cachot. 

io.  La  durée  des  peines  prononcées  par  les  quatre  articles  pré- 
cédens  sera  augmentée  de  quatre  .années ,  lorsque  le  coupable 
aura  commis  lesdits  crimes  envers  les  personnes  mentionnées  en 
l'article  9  ci-dessus. 

16.  La  durée  desdites  peines  sera  augmentée  de  trois  années, 
lorsque  le  coupable  aura  commis  lesdits  crimes  envers  les  per- 
sonnes mentionnées  en  l'article  10  ci-dessus. 

17.  Ne  pourra  toutefois,  pour  aucun  des  crimes  d'homicides 
mentionnés  en  tous  les  articles  précédens,  la  durée  des  peines 
excéder  vingt-quatre  années,  quel  que  soit  le  caractère  de  l'homi- 
cide, le  nombre  des  circonstances  aggravantes  qui  puissent  s'y 
trouver  réunies  ,  et  envers  quelles  personnes  il  ait  été  commis. 

18.  L*homicide,  quoique  non  consommé,  sera  punissable  dans 
les  cas  suivans. 

19.  L'homicide  prémédité,  lorsque  l'attaque  à  dessein  de  tuer 
aura  été  effectuée. 

20.  L'homicide  par  l'incendie  de  maisons  habitées,  lorsque  le 
feu  aura  été  mis  auxdites  maisons. 

21.  L'homicide  par  poison,  lorsque  l'empoisonnement  aura  été 
effectué,  ou  lorsque  le  poison  aura  été  présenté,  ou  lorsque  le 
poison  aura  été  mêlé  avec  des  alimens  ou  breuvages  spécialement 
destinés ,  soii  à  l'usage  de  la  personne  contre  laquelle  ledit  atten- 
tat aura  été  dirigé,  soit  à  l'usage  de  toute  une  famille,  société, 
ou  d'habitans  d'une  maison,  soit  à  l'usage  du  public. 

22.  Toutefois ,  si  avant  l'empoisonnement  effectué ,  ou  avant 
que  l'empoisonneinent  des  alimens  ou  des  breuvages  ait  été  dé- 
couvert, l'empoisonneur  arrêtait  l'exécution  du  crime,  soit  en 
supprimant  lesdits  alimens  ou  breuvages,  soit  en  empêchant 
qu'on  en  fasse  usige ,  les  peines  portées  contre  ledit  crime  ne  se- 
ront pas  encourues. 

25.  Dans  les  dix  cas  Bienlionnés  aux  quatre  articles  précédens, 


ANNÉE  1793.  59 

le  crime  sera  punissable;  mais  lorsque  personne  n'aura  perdu  la 
vie  par  l'effet  desdits  attentats ,  la  durée  de  la  peine  sera  abré- 
gée de  quatre  années. 

24.  Tout  homicide  commis  par  un  acte  de  violence  voioniuire, 
mais  sans  intention  de  donner  la  mort,  sera  puni  de  la  peine  de 
dix-huit  années  de  gène. 

La  durée  de  ladite  peine  sera  augmentée  de  quatre  années,  si 
le  crime  est  commis  envers  les  personnes  mentionnées  eu  l'arti- 
cle 9  ci-dessus. 

De  deux  années ,  s'il  est  commis  envers  les  personnes  men- 
tionnées en  l'article  10  ci-dessus. 

2o.  Quiconque  aura  volontairement  et  à  dessein ,  par  breuva- 
ges, violences  et  par  tous  autres  moyens,  fait  périr  le  fruit 
d'une  femme  enceinte,  ou  procuré  son  avorlement ,  sera  puni  de 
douze  années  de  cachot. 

26.  Toutes  les  dispositions  portées  aux  articles  d,  2,  3,  4  et  5 
précédens ,  relatives  à  l'homicide  involontaire  et  à  l'homicide  lé- 
gitime ou  excusable,  s'appliqueront  également  aux  blessures 
faites,  soit  involontairement,  soit  avec  cause  légitime  ou  excuse 
péremptoire. 

27.  Les  blessures  faites  involontairement,  mais  qui  ne  porte- 
ront pointles  caractères  qui  vont  être  spécifiés,  seront  poursuivies 
par  action  civile ,  et  pourront  donner  lieu  à  des  dommages  et  in- 
térêts et  à  des  peines  correctionnelles  sur  lesquelles  il  sera  statué 
par  les  juges ,  selon  la  nature  des  violences  et  les  circonslancec> 
qui  les  auront  accompagnées. 

28  (1).  Les  blessures  faites  involontairement  et  qui  porteront 

(t)La  spécification  des  crimes  de  violences  est  incomplète. 

Le  supplément  se  trouvera  dans  le  travail  relatif  à  la  police  correctionnelle. 

Il  a  été  impossible  de  les  comprendre  dans  le  Code  pénal ,  parce  que  ces  d;;- 
lits  peuvent  varier  dans  leurs  circonstances  dune  manière  trop  étendue  pour 
être  spécifiés  avec  la  précision  nécessaire  à  la  loi  que  doivent  appliquer  les  juges 
sur  un  fait  déterminé  par  le  verdict  des  jurés. 

Les  violences  sont  plus  ou  moins  punissables ,  suivant  que  les  blessures  sont 
plus  ou  moins  dangereuses;  suivant  qu'il  a  fallu  plus  ou  moins  de  temps  pour 
leur  guérison  ;  suivant  qu'elles  ont  mis  la  vie  de  In  personne  malirailée  plus  ou 
moins  en  péril  ;  suivant  qu'elles  ont  altéré  plus  ou  moins  sa  santé  et  ses  forces. 


40  D0CU31ENS   COMPLÉMENTAIRES. 

les  caractères  qui  vont  être  spécifiés  seront  poursuivies  par  action 
criminelle  et  punies  des  peines  déterminées  ci-après. 

29.  Lorsque  par  l'effet  desdites  blessures  la  personne  mal- 
traitée aura  eu  un  membre  cassé,  la  peine  sera  de  trois  années 
de  prison. 

30.  Lorsque  par  l'effet  desdites  blessures  la  personne  mal- 
traitée aura  perdu  l'usage  absolu,  soit  d'un  œil,  soit  d'un 
membre ,  ou  éprouvé  la  mutilation  de  quelques  parties  de  la  tête 
ou  du  corps,  la  peine  sera  de  quatre  années  de  gêne. 

51 .  La  peine  sera  de  six  années  de  gêne ,  si  la  personne  mal- 
traitée s'est  trouvée  privée  de  l'usage  absolu  de  la  vue  par  l'effet 
desdites  violences. 

3:2.  La  durée  des  peines  portées  aux  trois  articles  précédens 
sera  augmentée  de  deux  années ,  lorsque  lesdites  violences  au- 
ront été  commises  dans  une  rixe,  et  que  celui  qui  les  aura  com- 
mises aura  été  l'agresseur. 

33.  La  durée  des  peines  portées  auxdits  articles  29,  30  et  31 , 
sera  augmentée  de  deux  années,  si  lesdites  violences  ont  été  com- 
mises envers  les  personnes  mentionnées  en  l'article  9  ci-dessus  ; 
et  d'une  année,  si  elles  ont  été  commises  envers  les  personnes 
mentionnées  en  l'article  iO. 

34.  La  durée  des  peines  portées  aux  articles  précédens  contre 
les  auteurs  des  i.tlessures  sera  augmentée  de  trois  années ,  lors- 
que les  violences  qui  y  sont  mentionnées  auront  été  commises  de 
dessein  prémédité. 

Et  dans  le  cas  où  la  peine  de  la  détention  est  prononcée  par  les- 
dils  articles,  elle  sera  convertie  dans  la  peine  de  la  prison,  et  sa 
durée  sera  également  augmentée  de  trois  ans. 

33.  La  durée  des  peines  portées  aux  articles  précédens  sera 
augmentée  de  deux  années  lorsque  lesdites  violences  auront  été 
commises  : 

II  faut  laisser  aux  juges  de  la  latitude  pour  apprécier  toutes  ces  circonstances; 
et  l'on  ne  doit  pas  s'imaginer  que  le  renvoi  de  ces  délits  à  la  police  correction- 
nelle les  laisse  impunis. 

Us  pourront  élre  réprimés  par  de  forts  dommages  et  intérêts ,  et  par  de  lon- 
gues et  pénibles  détentions.  • 


ANNÉE  1705.  41 

Soit  par  deux  ou  plusieurs  personnes  ; 

Soit  par  une  personne  armée  contre  une  personne  sans  armes; 

Soit  par  un  homme  îirré  de  dix-huit  ans  accomplis  et  de  moins 
de  soixante  ans  accoiTiplis,  envers  un  enfant  de  moins  de  quatorze 
ans  accomplis,  ou  envers  une  femme,  ou  envers  un  vieillard  âgé 
de  plus  de  soixante-dix  ans  accomplis. 

56.  La  castration  commise  par  violence  ou  envers  un  enfant 
au-dessous  de  quinze  ans  accomplis ,  sera  punie  de  douze  années 
de  gêne  (1), 

57.  Le  viol  sera  puni  de  quatre  années  de  la  peine  de  la  gêne. 

58.  La  peine  du  crime  mentionné  en  l'article  précédent  sera 
(le  huit  années  de  gêne,  lorsqu'il  aura  été  commis  dans  la  per- 
sonne d'une  fille  âgée  de  moins  de  quatorze  ans  accomplis ,  ou 
lorsque  le  coupable  aura  été  aidé  dans  son  crime  par  la  violence 
et  les  efforts  d'un  ou  de  plusieurs  complices  (2). 

59.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  enlevé  par  violence  ou 
séduction  un  enlanîde  l'un  ou  l'autre  sexe  au-dessous  de  quinze 
ans  accomplis,  hors  de  la  maison  des  personnes  sous  la  puissance 
desquelles  est  ledit  enfant,  ou  de  la  maison  où  lesdiles  personnes 
In  Ibnt  élever,  sera  puni  des  peines  prononcées  ci-dessus  contre 
les  divers  attentats  à  la  liberté  individuelle. 

40.  Quiconque  aura  volontairement  substitué  un  enfant  à  un 
autre  enfant,  sera  puni  de  la  peine  de  douze  années  de  prison. 

41.  La  peine  dudit  crime  sera  de  dix  années  de  gêne,  s'il  est 
commis  dans  la  personne  d'une  fille  de  quinze  ans  accomplis,  à 
l'effet  d'en  abuser  ou  de  la  prostituer. 

42.  Quiconque  falsifiera  ou  détruira  la  preuve  de  l'état  d'un  en- 
fant, sera  puni  de  la  peine  de  douze  années  de  prison. 

(1)  Il  faat  bien  que  les  lois  aient  le  courage  de  tout  dire,  puisque  les  hommes 
n'ont  pas  honte  de  tout  faire. 

Le  crime  mentionné  en  cet  article  n'est  pas  chimérique. 
L';ippàt  de  l'intérêt  le  rend  fréquent  en  Italie. 

En  France,  les  passions  de  la  jalousie  et  de  la  vengeance  en  ont  fourni  plus 
d'un  exemple. 

(2)  L'adultère,  crime  dont  lo  mari  seul  peut  intenter  la  poursuite,  et  qui  est 
punissable  surtout  par  des  déchéances  de  conventions  matrimoniales  et  par  des 
détentions,  se  retrouvera  dans  le  travail  de  la  police  correctionnelle. 


4!â  DOCU    ENS   COMPLÉMENTAIRES. 

43.  Toute  personne  engagée  dans  les  liens  du  mariage,  qui  en 
contractera  un  second  avant  la  dissolution  du  premier,  sera  punie 
de  la  peine  de  huit  années  de  prison. 

44  (1).  Quiconque  sera  convaincu  de  s'être  battu  tn  combat 
singulier,  après  un  cartel  donné  ou  accepté,  ou  par  l'effet  d'une 
rencontre  préméditée ,  sera  puni  ainsi  qu'il  suit ,  soit  qu'il  résulte 
ou  non  quelques  blessures  dudit  combat. 

45.  Le  coupable  sera  attaché  à  un  poteau  sur  un  échafaud 
élevé  dans  la  place  publique  ;  il  y  demeurera  exposé  aux  re- 
gards du  peuple  pendant  deux  heures ,  revêiu  d'une  armure  com- 
plète. 

46.  Ladite  exposition  aura  lieu  dans  les  villes  qui  sont  détermi- 
nées du  titre  IV  des  peines  ;  et  toutes  les  autres  dispositions  por- 
tées au  même  titre  seront  également  observées. 

47.  Le  coupable  sera  ensuite  conduit  à  la  maison  publique  où 
sont  gardés  les  insensés  et  les  furieux,  la  plus  voisine  de  la  ville 
dans  laquelle  aura  été  convoqué  le  jury  d'accusation  ;  il  y  demeu- 
rera enfermé  pendant  deux  années. 

48.  Les  effets  de  cette  peine  seront  les  mêmes  que  ceux  qui 
suivent  la  peine  de  la  prison  et  qui  sont  déterminés  au  titre  VIIl 
des  peines. 

49.  La  réhabilitation  des  condamnés  pourra  avoir  lieu  dans  les 
mêmes  délais  et  les  mêmes  formes  que  pour  ceux  qui  ont  été  con- 
damnés à  la  peine  de  la  prison,  suivant  ce  qui  est  prescrit  au 
titre  X  des  peines. 

50.  Si  l'un  des  combattans  perd  la  vie  par  l'effet  dudit  combat, 
le  survivant  subira  la  peine  de  douze  années  de  cachot. 

DEUXIÈME  SECTION.  —  Crimes  et  délits  contre  les  propriétés. 

Art.  i.  Tout  vol  simple ,  c'est-à-dire  tout  vol  qui  n'est  pas  ac, 
compagne  de  quelques-unes  des  circonstances  qui  vont  être  spé- 
cifiées ci-après ,  sera  poursuivi  et  puni  par  voie  de  police  correc- 
tionnelle. 

(t)  L'usage  des  duels  a  survécu  à  l'institution  antique  et  aux  vertus  de  la  che- 
valerie. Il  en  était  l'abus ,  de  même  que  la  cheYalerie  errante  en  était  le  ridicule. 


ANNÉE  1795.  43 

2.  Le  vol  caractérisé  sera  puni  ainsi  qu'il  suit  : 
5.  Tout  vol  commis  à  force  ouverte  et  par  violence  envers  les 
personnes,  sera  puni  de  dix  années  de  prison. 

La  durée  de  la  peine  du  crime  inenlionné  en  l'article  précédent 
sera  au^jmenlce  de  deux  années,  par  chacune  des  circonstances 
suivantes  qui  s'y  trouvera  réunie. 

La  première,  si  le  crime  a  été  commis  la  nuit. 
La  deuxième ,  si  le  coupable  ou  les  coupables  dudit  crime 
étaient  porteurs  d'armes  à  feu ,  ou  de  toute  autre  arme  meur- 
trière. 

4.  Ne  pourra  néanmoins ,  la  durée  de  la  peine  dudit  crime , 
excéder  quinze  années  à  raison  desdites  circonstances,  en  quelque 
nombre  qu'elles  y  soient  réunies. 

a.  Si  le  vol  à  force  ouverte  et  par  violence  envers  les  personnes, 
est  commis,  soit  dans  un  grand  chemin,  rue  ou  place  publique, 
soit  dans  l'intérieur  d'une  maison ,  la  peine  sera  de  douze  années 
de  cachot. 

().  La  durée  de  la  peine  dudit  crime  mentionné  en  l'article  pré- 
cédent, sera  au^jmentée  d'une  année  par  chacune  des  circon- 
slanccs  suivantes  qui  s'y  trouvera  réunie. 

La  première,  si  le  crime  a  été  commis  !a  nuil. 

La  deuxième,  s'il  a  été  commis  par  deux  ou  plusieurs  per- 
sonnes. 

La  troisième,  si  le  coupable  ou  les  coupa!)lcs  étaient  porteurs 
d'armes  à  feu ,  ou  de  toute  autre  arme  meurli  ière. 

La  quatrième,  si  le  coupable  s'est  introduit  d;ins  l'intérieur  de 
la  maison  on  du  lo.jjement  où  il  a  commis  le  ciime  à  l'aide  d'ef- 
fraction r;;ilc  par  lui-même  ou  par  ses  complices  aux  portes  et 
clùuu'os,  soit  de  ladite  maison,  soit  dudit  lofjement,  ou  à  l'aide 
de  fausses  clefs,  ou  en  escaladant  les  murailles,  toiis  ou  autres 

Emprunter  ce  ridicule  pour  eu  faire  la  punition  de  l'abus,  est  un  moyen  plus 
rc^prcssif  que  CCS  pein'js  cipitales  prononcées  vain-ment  contre  ce  crim^  psr  un 
roi  tout-puissant,  peines  atroces  et  ineffi-aces  tout  ensenil.lo,  qui,  pas  une  seule 
fois,  n'ont  emiicclié  do  le  corametlre,  et  qui  si  rarL'zr.cnt  (!ut  été  appliquées 
contre  ceux  qui  s'en  étaient  rendus  coupables, 


44  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

clôtures  extérieures  de  ladite  maison ,  ou  si  le  coupable  est  com- 
mensal ou  habitant  de  ladite  maison ,  ou  reçu  habituellement 
dans  ladite  maison  pour  y  faire  un  travail  ou  un  service  salarié. 

7.  Toutefois  la  durée  de  ladite  peine  ne  pourra  excéder  quinze 
ans,  à  raison  desdites  circonstances,  en  quelque  nombre  qu'elles 
s'y  trouvent  réunies. 

8.  Tout  autre  vol  commis  sans  violence  envers  des  personnes,  à 
l'aide  d'effracuon  faite ,  soit  par  le  voleur,  soit  par  son  coïpplice, 
sera  puni  de  huit  années  de  gêne. 

9.  La  durée  de  la  peine  dudit  crime  sera  augmeatée  de  deux 
ans  par  chacune  des  circonstances  suivantes  qui  s'y  trouvera 
réunie. 

La  première ,  si  l'effraction  est  faite  aux  portes  et  clôtures  ex- 
térieures de  batimens ,  maisons  ou  édifices. 

La  deuxième ,  si  le  crime  est  commis  dans  une  maison  actuel- 
lement habitée  ou  servant  à  l'habitation. 

La  troisième ,  si  le  crime  a  été  commis  la  nuit. 

La  quatrième ,  si  le  coupable  ou  les  coupables  étaient  porteurs 
d'armes  à  feu ,  ou  de  toute  autre  arme  meurtrière. 

10.  Ne  pourra  toutefois  la  durée  de  la  peine  dudit  crime  ex- 
céder quatorze  années  à  raison  desdites  circonstances,  en  quel- 
que nombre  qu'elles  s'y  trouvent  réunies. 

11.  Lorsqu'un  vol  aura  été  commis  avec  effraction  intérieure 
dans  une  maison  par  une  personne  habitante  ou  commensale  de 
ladite  maison ,  ou  reçue  habituellement  dans  ladite  maison  pour 
y  faire  un  service  ou  un  travail  salarié,  ladite  effraction  sera  pu- 
nie comme  effraction  extérieure,  et  le  coupable  encourra  la  peine 
portée  aux  articles  précédens ,  à  raison  de  la  circonstance  de  l'ef- 
fraction extérieure. 

12.  Le  vol  commis  à  l'aide  de  fausses  clefs  sera  puni  de  la 
peine  de  six  années  de  gêne. 

15.  La  durée  de  la  peine  mentionnée  en  l'article  précédent 
sera  augmentée  de  deux  années  par  chacune  des  circonstances 
suivantes  qui  se  trouvera  réunie  audit  crime. 


ANNÉE  1793.  45 

La  première  si  le  crime  a  été  commis  dans  une  maison  actuel- 
lement habitée  ou  servant  à  l'habitation. 

La  deuxième,  s'il  a  été  commis  la  nuit. 

La  troisième ,  s'il  a  été  commis  par  deux  ou  plusieurs  per- 
sonnes. 

La  quatrième  si  le  coupable  ou  les  coupables  étaient  porteurs 
d'armes  à  feu ,  ou  de  toute  autre  arme  meurtrière. 

14.  Ne  pourra  toutefois  la  durée  de  la  peine  dudit  crime  excé- 
der douze  années  à  raison  desdites  circonstances ,  en  quelque 
nombre  qu'elles  s'y  trouvent  réunies. 

lo.  Si  le  vol  à  l'aide  de  fausses  clefs  a  été  commis  dans  l'inté- 
rieur d'une  maison  par  une  personne  habitante  ou  commensale 
de  ladite  maison ,  ou  reçue  habituellement  dans  ladite  maison 
pour  y  faire  un  service  ou  un  travail  salarié ,  le  crime  sera  puni 
comme  un  vol  avec  effraction  intérieure,  et  le  coupable  encourra 
la  peine  établie  par  les  articles  8,  9  et  10  ci-dessus,  à  raison  de 
ladite  circonstance  de  l'effraciion  intérieure. 

16.  Toutes  les  peines  et  dispositions  portées  aux  articles  pré- 
cédens  contre  le  vol  à  l'aide  de  fausses  clefs  s'appliqueront  égale- 
ment à  tout  vol  commis  en  escaladant  des  toils,  murailles  ou  tou- 
tes autres  clôtures  extérfeures  de  bàtimens ,  maisons  et  édifices. 

17.  Lorsqu'un  vol  aura  été  commis  dans  l'intérieur  d'une  mai- 
son par  une  personne  habitante  ou  commensale  de  ladite  maison, 
ou  reçue  habituellement  dans  ladite  maison  pour  y  faire  un  ser- 
vice ou  un  travail  salarié,  ledit  crime  sera  puni  des  mêmes  pei- 
nes prononcées  par  les  articles  précédons  contre  ceux  qui  auront 
volé  en  escaladant  lesdites  maisons  ou  à  l'aide  de  fausses  clefs. 

18.  Toutes  les  dispositions  portées  aux  articles  G,  11,  lîiet  17 
ci-dessus,  contre  les  vols  faits  par  les  habitans  et  commensaux 
d'une  maison ,  s'appliqueront  également  aux  vols  qui  seront  com- 
mis dans  les  hôtels-garnis,  auberges,  cabarets,  cafés,  bains  et 
toutes  autres  maisons  publiques.  Tout  vol  qui  y  sera  comiiiis  par 
les  maîtres  desdites  maisons  ou  par  leurs  domestiques  envers 
ceux  qu'ils  y  reçoivent,  ou  par  ceux-ci  envers  les  maîtres  desdi- 
tes maisons,  ou  toute  autre  personne  qui  y  sera  reçue,  sera  ré- 


46  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

pute  vol  commis  par  un  commensal,  et  puni,  selon  les  circonstan- 
ces qui  s'y  trouveront  réunies,  des  peines  portées  aux  quatre 
articles  ci-dessus  mentionnés. 

Toutefois  ne  sont  point  compris  dans  la  présente  disposition 
les  salles  de  spectacles ,  établissemens ,  édifices  publics ,  boutiques 
ou  ateliers. 

19.  Lorsque  deux  ou  plusieurs  personnes  non  armées,  ou  une 
seule  personne  portant  arme  à  feu  ou  toute  autre  arme  meur- 
trière ,  se  seront  introduites  sans  violences  personnelles,  effrac- 
tions, escalades  ,  ni  fausses  clefs,  dans  l'intérieur  d'une  maison 
actuellement  habitée  ou  servant  à  l'habitation,  et  y  auront  com- 
mis un  vol ,  la  peine  sera  de  six  années  de  gêne. 

20.  Lorsque  le  crime  aura  été  commis  par  deux  ou  plusieurs 
personnes ,  si  les  coupables  ou  l'un  des  coupables  étaient  por- 
teurs d'armes  à  feu  ou  de  toute  autre  arme  meurtrière,  la  peine 
sera  de  huit  années  de  gêne. 

2L  Si  le  crime  a  été  commis  la  nuit ,  la  durée  de  chacune  des 
peines  portées  aux  deux  précédens  articles  sera  augmentée  de 
deux  années. 

22.  Tout  vol  commis  dans  un  enclos  fermé ,  où  le  coupable  se 
sera  introduit  en  violant  la  clôture ,  sera  puni  de  la  peine  de  cinq 
années  de  gêne ,  si  l'enclos  ne  tient  pas  immédiatement  à  une 
maison  actuellement  habitée  ou  servant  à  l'habitation  ;  et  de  six 
années  de  gêne,  si  l'enclos  tient  immédiatement  à  ladite  maison. 

23.  Un  enclos  ne  sera  réputé  fermé  que  lorsqu'il  sera  entouré 
soit  d'un  mur,  soit  d'une  palissade ,  qui  dans  leur  moindre  hau- 
teur porteront  six  pieds  d'élévation  à  partir  du  sol  extérieur,  soit 
d'un  fossé  ayant  au  moins  dix  pieds  d'ouverture ,  et  revêtu  dans 
sa  profondeur  d'un  ou  de  deux  côtés  d'un  mur  ou  d'une  pahssade 
portant  au  moins  six  pieds  de  hauteur  à  partir  du  fond  dudit 
fossé. 

L'enclos  ne  sera  point  réputé  fermé  s'il  y  existait,  au  moment 
du  vol ,  une  brèche  ou  ouverture,  porte  non  scellée  ou  non  fermée 
à  clef,  ou  enfin  si  dans  quelques-unes  de  ses  parties  la  clôture  est 
au-dessous  des  proportions  déterminées  par  le  présent  article. 


1 


ANNÉE  1793.  47 

24.  La  durée  de  ladite  peine  sera  augmentée  de  d«ux  années  par 
chacune  des  trois  circonstances  suivantes  qui  s'y  trouvera  réunie. 

La  première ,  si  le  crime  a  été  commis  la  nuit. 

La  deuxième ,  s'il  a  été  commis  par  deux  ou  plusieurs  per- 
sonnes. 

La  troisième,  si  le  coupable  ou  les  coupables  étaient  porteurs 
d'armes  à  feu ,  ou  de  toute  autre  arme  meurtrière. 

25.  Ne  pourra  toutefois  la  durée  de  ladite  peine  excéder  neuf 
années  à  raison  desdiles  circonstances,  en  quelque  nombre  qu'elles 
y  soient  réunies,  pour  le  vol  dans  un  enclos  tenant  iinmédiale- 
menl  à  une  maison  actuellement  habitée  ou  servant  à  l'habita- 
tion ;  et  de  huit  années  pour  le  vol  commis  dans  un  enclos  séparé 
de  ladite  maison. 

2G^.  Tout  vol  de  charrues,  bestiaux,  chevaux,  poissons  dans 
les  étangs,  rivières  ou  viviers,  marchandises  ou  ellets  exposés, 
soit  dans  la  campagne,  soit  sur  les  chemins,  ventes  de  bois,  ports, 
foires,  marchés ,  boutiques  et  autres  lieux  quelconques  sur  la  foi 
publique,  sera  puni  de  !a  peine  de  quatre  années  de  prison. 

27.  La  durée  de  ladite  poine  sera  augmentée  à  raison  de  trois 
circonstances,  et  dans  les  mêmes  proportions  établies  pour  le 
crime  précédent ,  sans  toutefois  que  la  durée  de  ladite  peine  puisse 
excéder  huit  années  à  raison  desdites  circonstances,  en  quehjue 
nombre  qu'elles  s'y  trouvent  réunies. 

28.  Quiconque  volera  dans  la  campagne  la  dépouille  des  ar- 
bres fruitiers ,  ou  de  toute  espèce ,  soit  de  production  d'un  ter- 
rain en  culture,  soit  de  récolte  coupée  ou  sur  pied,  ou  des  ba- 
liveaux et  arbres  de  futaies  dans  les  bois  et  forêts,  ou  des  plants 
faits  de  main  d'homme,  sera  puni  de  la  même  peine  prononcée 
contre  le  crime  mentionné  aux  deux  articles  précédens,  et  la  du- 
rée de  ladite  peine  sera  augmentée  à  raison  des  mêmes  circon- 
stances, et  dans  les  mêmes  proportions. 

29.  Quiconque  se  sera  chargé  d'un  service  ou  d'un  travail  sa- 
larié, et  aura  volé  les  effets  ou  marchandises  qui  lui  avaient  été 
confiés  pour  ledit  service  ou  ledit  travail,  sera  puni  de  quatre  an- 
nées de  gêne. 


48  DOCUMliNS   COMPLÉMENTAIRES. 

Î-.  50.  La  peine  sera  de  six  années  de  gêne  pour  le  vol  d'effets 
confiés  aux  coches ,  messageries  et  autres  voitures  publiques , 
par  terre  et  par  eau ,  commis  par  les  conducteurs  desdites  voi- 
tures ou  par  les  personnes  employées  au  service  des  bureaux 
desdites  administrations. 

51.  Tout  vol  commis  dans  lesdites  voitures  par  les  personnes 
qui  y  occupent  une  place  sera  puni  de  la  peine  de  quatre  années 
de  prison. 

3î2.  Tout  vol  qui  ne  portera  aucun  des  caractères  ci-dessus  spe'- 
eifiés,  mais  qui  sera  commis  par  deux  ou  par  plusieurs  personnes 
sans  armes,  ou  par  une  seule  portant  arme  à  feu,  ou  toute  autre 
arme  meurtrière,  sera  puni  de  la  peine  de  quatre  années  de 
prison. 

53.  Lorsque  le  crime  aura  e'té  commis  par  deux  ou  plusieurs 
personnes,  et  que  les  coupables  ou  l'un  des  coupables  étaient 
porteurs  d'armes  à  feu  ou  de  toute  autre  arme  meurtrière,  la 
peine  sera  de  quatre  années  de  gêne. 

54.  Si  le  crime  a  été  commis  la  nuit ,  la  durée  de  chacune  des 
peines  portées  aux  deux  précédens  orlicles  sera  augmentée  de 
deux  années. 

oo.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  détourné  à  son  profit , 
ou  dissipé,  ou  méchamment  et  à  dessein  de  nuire  à  autrui, 
brûlé  ou  détruit  d'une  manière  quelconque  des  effets,  marchan- 
dises, deniers,  titres  de  propriétés,  écrits  ou  actes  emportant 
obligation  ou  décharge  ,  et  toute  auue  propriété  mobiliaire  qui 
lui  avaient  été  confiés  gratuitement ,  à  la  charge  de  les  rendre  ou 
de  les  représenter,  sera  puni  de  la  dégradation  civique. 

36.  Toute  banqueroute  faite  Irauduleusement  et  à  dessein  de 
tromper  Its  créanciers  Icgitinies ,  sera  punie  de  six  années  de 
gène. 

37.  Ceux  qui  auront  aidé  ou  favorisé  lesdites  banqueroutes 
frauduleuses,  soit  en  divertissant  les  effets,  soit  en  acceptant 
des  transports!,  ventes  ou  donations  simulées,  soit  en  souscrivant 
tous  autres  actes  qu'il-  savent  être  fiits  en  fraude  des  créan- 


ANNÉE  1793.  49 

ciers  légitimes ,  seront  punis  de  la  dégradation  civique  dans  la 
place  publique. 

58.  Quiconque,  sciemment  et  à  dessein  de  nuireà autrui,  aura 
furtivement  déplacé  ou  supprimé  des  borr.es  ou  pieds  corniers 
contradictoirement  placés  ou  reconnus  pour  établir  des  limites 
entre  différens  héritages,  sera  puni  de  la  peine  de  deux  années 
de  cachot. 

39.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  volontairement,  par 
malice  ,  vengeance,  et  à  dessein  de  nuire  à  autrui,  mis  le  feu  à 
des  édifices  ,  bâiimens  non  habités  ,  magasins ,  navires  ou  ba- 
teaux ,  forêts ,  bois-taillis ,  récoltes  en  meule  ou  sur  pied ,  ou  à 
des  matières  combustibles  disposées  pour  communiquer  le  feu 
auxdits  édifices,  navires,  bois  ou  récoltes,  soit  que  l'incendie  ait 
été  ou  non  ia  suite  de  ces  tentatives,  sera  puni  de  la  peine  de 
douze  années  de  cachot. 

40.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  volontairement,  par 
malice  ou  vengeance  ,  et  à  dessein  de  nuire  à  autrui,  détruit  ou 
renversé  ,  par  quelque  moyen  violent  que  ce  soit,  des  bâtimens, 
maisons,  édifices  quelconques,  digues  et  chaussées  qui  retien- 
nent les  eaux  ,  sera  puni  de  la  peine  de  six  années  de  gêne. 

41.  La  peine  du  crime  mentionné  en  l'article  précédent  sera 
de  neuf  ans  de  gène  silesdites  violences  sont  exercées  avec  at- 
troupement et  à  force  ouverte. 

42.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  volonti^irement ,  par 
malice  ou  vengeance  ,  et  à  dessein  de  nuire  à  autrui ,  dévasté  des 
récoltes  sur  pied ,  des  plants  faits  de  main  d'hommes ,  sera  puni 
de  la  peine  de  quatre  années  de  gène. 

43.  La  peine  du  crime  mentionné  en  l'article  précédent  sera 
de  six  années  de  gêne  si  lesdites  violences  ont  été  exercées  avec 
attroupement  et  à  force  ouverte. 

44.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  volontairement ,  par 
malice  ou  vengeance  ,  et  à  dessein  de  nuire  à  autrui ,  empoisonné 
des  chevaux  ou  bêtes  de  somme,  moutons  ,  bcbiiaux  ,  poissons 
conservés  dans  des  étangs  ou  réservoirs  ,  sera  puni  de  la  peine 
de  quatre  ans  de  gêne. 

T.  xxiv.  4 


SO  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

4o.  Quiconque,  volontairement,  par  malice  ou  par  vengeance, 
et  à  dessein  de  nuire  à  autrui ,  aura  brûlé  ou  détruit ,  d'une  ma- 
nière quelconque ,  des  litres  de  propriété,  billets,  lettres  de 
change ,  quittances ,  écrits  ou  actes  opérant  obligation  ou  dé- 
charge ,  sera  puni  de  la  peine  de  quatre  années  de  gêne. 

46.  Lorsque  ledit  crime  aura  été  commis  avec  attroupement 
et  à  force  ouverte,  la  peine  sera  de  six  années  de  gêne. 

47.  La  même  peine  sera  encourue  par  toute  espèce  de  pil- 
lages et  dégâts  de  marchandises ,  d'effets  et  de  propriétés  mobi- 
lières ,  commis  avec  attroupement  et  à  force  ouverte. 

48.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  extorqué ,  par  force  ou 
par  violence,  la  signature  d'un  écrit  ou  acte  emportant  obligation 
bu  décharge,  sera  puni  de  la  peine  de  quatre  années  de  gêne. 

49.  La  peine  sera  de  six  ans  de  gêne  lorsque  le  crime  men- 
tionné en  l'article  précédent  aura  été  commis  par  deux  ou  plu- 
sieurs personnes  réunies. 

50.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir,  méchamment  et  à  des- 
sein de  nuire  à  autrui,  commis  le  crime  de  faux,  sera  puni  ainsi 
qu'il  suit. 

51 .  Si  ledit  crime  de  faux  est  commis  en  écriture  privée,  la 
peine  sera  de  quatre  années  de  gêne. 

52.  Si  ledit  crime  de  faux  est  commis  en  lettres  de  change  et 
autres  effets  de  commerce  ou  de  banque,  la  peine  sera  de  six 
années  de  gêne. 

55.  Si  ledit  crime  de  faux  est  commis  en  écritures  authenti- 
ques et  publiques  ,  la  peine  sera  de  huit  années  de  gêne  (1). 

54.  Quiconque  aura  commis  ledit  crime  de  faux ,  ou  aura  fait 
usage  d'une  pièce  qu'il  savait  être  fausse,  sera  puni  des  peines 
portées  ci-dessus  contre  chaque  espèce  de  faux. 

55.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir,  sciemment  et  à  dessein, 
vendu  à  faux  poids  ou  à  fausse  mesure ,  après  avoir  été  précé- 

(1)  Les  peines  contre  les  offlciers  publics  qui  se  seraient  rendus  coupables  du 
crime  de  faux  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  sont  portées  aux  titres  des  délits 
des  fonctionnaires  publics. 


ANNÉE   1793.  fi\ 

demment  puni  deux  fois  par  voie  de  police ,  à  raison  d'un  délit 
semblable ,  subira  la  peine  de  quatre  années  de  gêne. 

06.  Quiconque  sera  convaincu  du  crime  de  faux  témoignage 
en  matière  civile  sera  puni  de  la  peine  de  six  années  de  gène. 

57.  Quiconque  sera  convaincu  du  crime  de  faux  témoignage 
dans  un  procès  criminel  sera  puni  de  la  peine  de  quinze  ans  de 
gêne. 

TITRE  III.  —  Des  complices  des  crimes. 

Art.  1"^",  Lorsqu'un  crime  aura  été  commis ,  quiconque  sera 
convaincu  d'avoir,  par  dons  ou  promesses ,  ordres  ou  menaces , 
provoqué  le  coupable  ou  les  coupables  à  les  commettre  ; 

Ou  d'avoir,  sciemment  ou  dans  le  dessein  du  crime ,  procuré 
au  coupable  ou  aux  coupables  les  moyens ,  armes  ou  instrumens 
qui  ont  servi  à  son  exécution  ; 

Ou  d'avoir,  sciemment  et  dans  le  dessein  du  crime,  aidé  et 
assisté  le  coupable  ou  les  coupables,  soit  dans  les  faits  qui  ont 
préparé  ou  facilité  son  exécution ,  soit  dans  l'acte  même  qui  l'a 
consommé  ; 

Sera  puni  de  la  même  peine  prononcée  par  la  loi  contre  les 
auteurs  du  crime. 

2.  Lorsqu'un  crime  aura  été  commis,  quiconque  sera  con- 
vaincu d'avoir  provoqué  directement  à  le  commettre,  soit  par 
des  discours  prononcés  dans  des  lieux  publics ,  soit  par  des  pla- 
cards ou  bulletins  affichés  ou  répandus  dans  lesdits  lieux  ,  soit 
par  des  écrits  rendus  publics  par  la  voie  de  l'impression  ,  sera 
puni  de  la  même  peine  prononcée  par  la  loi  contre  les  auteurs 
dudit  crime. 

3.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  reç-u  gratuitement,  ou 
acheté ,  ou  recelé  tout  ou  partie  d'effets  volés ,  sachant  que  les- 
dits effets  provenaient  de  vol ,  sera  puni  de  la  peine  de  deux  an- 
nées de  prison  si  le  vol  a  été  commis  avec  quelques-unes  des 
circonstances  spécifiées  au  présent  Code. 

Il  sera  poursuivi  et  puni  par  voie  de  police  correctionnelle  si 
le  vol  provient  d'un  vol  simple. 


52  bOCUMENS  COMPLéMËNTAîRES. 

4.  Quiconque  sera  convaincu  d'avoir  caché  ou  recelé  le  cada* 
vre  d'une  personne  homicidée ,  encore  qu'il  n'ait  pas  été  complice 
de  l'homicide ,  sera  puni  de  la  peine  de  quatre  années  de  prison. 

Pour  tout  fait  antérieur  à  la  publication  du  présent  Code ,  si 
le  fait  est  qualifié  crime  par  les  lois  existantes  actuellement ,  et 
qu'il  ne  le  soit  pas  par  le  présent  décret  ;  ou  si  le  fait  est  qualifié 
crime  par  le  présent  Code ,  et  qu'il  ne  le  soit  pas  par  les  ancien- 
nes lois,  l'accusé  sera  acquitté  ; 

Sans  toutefois  rien  préjuger,  par  le  présent  article ,  pour  les 
faits  qui  seront  du  ressort ,  soit  de  la  police  municipale ,  soit  de 
la  police  correctionnelle,  soit  de  la  police  constitutionnelle. 

Si  le  fait  est  qualifié  crime  par  les  lois  anciennes  et  par  le 
présent  décret ,  l'accusé  qui  aura  été  déclaré  coupable  sera  con- 
damné aux  peines  portées  par  le  présent  Code. 


ANNÉE  1793.  55 

PLAN 

D'EDUCATION  NATIONALE/^^ 


La  Convention  nationale  doit  trois  monumens  à  l'histoire  ;  la 
Constitution,  le  Code  des  lois  civiles,  l'éducation  publique. 

Je  mets  à  peu  près  sur  la  même  ligne  l'importance  comme  la 
difficulté  de  chacun  de  ces  grands  ouvrages. 

Puissions-nous  leur  donner  la  perfection  dont  ils  sont  suscep- 
tibles! Car  la  gloire  des  conquêtes  et  des  victoires  est  quelquefois 
passagère  ;  mais  les  belles  institutions  demeurent,  et  elles  immor- 
talisent les  nations. 

L'instruction  publique  a  déjà  été  l'objet  d'une  discussion  inté- 
ressante ;  la  manière  dont  ce  sujet  a  été  traité  honore  l'assem- 
blée et  promet  beaucoup  à  la  France. 

J'avoue  pourtant  que  ce  qui  a  été  dit  jusqu'ici  ne  remplit  pas 
l'idée  que  je  me  suis  formée  d'un  plan  complet  d'éducation.  J'ai 
osé  concevoir  une  plus  vaste  pensée  ;  et,  considérant  à  quel  point 
l'espèce  humaine  est  dégradée  par  le  vice  de  notre  ancien  système 
social^  je  me  suis  convaincu  de  la  nécessité  d'opérer  une  entière 
régénération ,  et ,  si  je  peux  m'exprimer  ainsi ,  de  créer  un  nou- 
veau peuple. 

Former  des  hommes ,  propager  les  connaissances  humaines , 
telles  sont  les  deux  parties  du  problème  que  nous  avons  à  ré- 
soudre. 

La  première  constitue  l'éducation ,  la  seconde  l'instruction. 

(I)  Ce  plan  fut  lu  à  la  CoQveDtioa  par  Robscpicrre,  le  13  juillet  \Ti5. 

(  Note  des  auteurs.  ) 


M  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

Celle-ci ,  quoique  offerte  à  tous,  devient,  par  la  nature  même 
«les  choses ,  la  propriété  exclusive  d'un  petit  nombre  de  membres 
de  la  société,  à  raison  de  la  différence  des  professions  et  des  talens  ; 

Celle-là  doit  être  commune  à  tous ,  et  universellement  bien- 
faisante. 

Quant  à  l'une ,  le  comité  s'en  est  occupé ,  et  il  vous  a  présenté 
des  vues  utiles  ;  pour  l'autre ,  il  l'a  entièrement  négligée. 

En  un  mot ,  son  plan  d'instruction  publique  me  parait  fort  sa- 
tisfaisant; mais  il  n'a  point  traité  l'éducation. 

Tout  le  système  du  comité  porte  sur  celte  base  :  l'établisse- 
ment (le  quatre  degrés  d'enseignement,  savoir  :  les  écoles  pri- 
maires ,  les  écoles  secondaires ,  les  instituts ,  les  lycées  (1). 

Je  trouve  dans  ces  trois  derniers  cours  un  plan  qui  me  paraît 
sagement  conçu  pour  la  conservation ,  la  propagation  et  le  per- 
fectionnement des  connaissances  humaines.  Ces  trois  degrés  suc- 
cessifs ouvrent  à  l'instruction  une  source  féconde  et  habilement 
ménagée,  et  j'y  vois  des  moyens  tout  à  la  fois  convenables  et  ef- 
ficaces pour  seconder  les  talens  des  citoyens  qui  se  livreront  à  la 
culture  des  lettres ,  des  sciences  et  des  beaux-arts. 

Mais  avant  ces  degrés  supérieurs ,  qui  ne  peuvent  devenir  uti- 
les qu'à  un  petit  nombre  d'hommes ,  je  cherche  une  instruction 
générale  pour  tous,  qui  est  la  dette  de  la  République  envers 
tous  :  en  un  mot,  une  éducation  vraiment  et  universellement  na- 
tionale; et  j'avoue  que  le  premier  degré  que  le  comité  vous  pro- 
pose ,  sous  le  nom  d'écoles  primaires ,  me  semble  bien  éloigné  de 
présenter  tous  ces  avantages. 

D'abord ,  je  remarque  avec  peine  que  jusqu'à  six  ans  l'enfant 
échappe  à  la  vigilance  du  législateur ,  et  que  cette  portion  impor- 
tante de  la  vie  reste  abandonnée  aux  préjugés  subsistans  et  à  la 
merci  des  vieilles  erreurs. 

A  six  aos ,  la  loi  commence  à  exercer  son  influence  ,  mais  cette 
influence  n'est  que  partielle,  momentanée;  et  par   la  nature 

(J)  Voyez  le  plail  de  Condorcet  idséré  dans  un  volume  précédeut. 

(iNofe  des  aufcurs.) 


ANNÉE   1793.  S?î 

même  des  choses ,  elle  ne  peut  agir  que  sur  le  moindre  nombre 
des  individus  qui  composent  la  naiion. 

Suivant  le  projet,  il  doit  être  établi  environ  vingt  à  vifigl-cinq 
mille  écoles  primaires,  c'est-à-dire  à  peu  près  une  école  par  lieue 
carrée. 

Ici  commence  à  se  faire  sentir  une  première  inégalité  ;  car  les 
enfans  domiciliés  dans  la  ville,  bourg,  village  où  sera  située  l'é- 
cole primaire,  seront  bien  plus  à  portée  des  leçons,  en  profite- 
ront et  bien  plus  souvent,  et  bien  plus  constamment  :  ceux ,  au 
contraire ,  qui  habitent  les  campagnes  et  les  hameaux  ne  pourront 
pas  les  fréquenter  aussi  habituellement ,  à  raison  des  difficultés 
locales,  des  saisons,  et  d'une  foule  d'autres  circonstances. 

Cet  inconvénient  n'aura  pas  lieu  seulement  à  l'égard  de  quel- 
ques maisons  éparses  et  séparées  :  un  très-grand  nombre  de 
communes  et  de  paroisses  vont  l'éprouver. 

Il  ne  faut  qu'un  calcul  bien  simple  pour  s'en  convaincre. 

Il  existe  dans  la  République  quarante-quatre  mille  municipa- 
lités; on  propose  l'établissement  de  vingt  à  vingt-cinq  mille  éco- 
les primaires  :  il  est  clair  que  la  proportion  majeure  sera  à  peu 
près  de  deux  paroisses  par  école.  Or,  personne  ne  peut  douter 
que  la  paroisse  où  l'école  sera  placée  aura  de  grands  avanta- 
ges par  la  continuité,  la  commodité  de  l'instruction,  et  pour  la 
durée  des  leçons. 

Une  bien  plus  grande  inégalité  va  s'établir  encore  à  raison  des 
diverses  facultés  des  parens  ;  et  ici  les  personnes  aisées ,  c'est-à- 
dire  le  plus  petit  nombre  ,  ont  tout  l'avantage. 

Quiconque  peut  se  passer  du  travail  de  son  enfant  pour  le 
nourrir,  a  la  facilité  de  le  tenir  aux  écoles  tous  les  jours,  et  plu- 
sieurs heures  par  jour. 

Mais  quant  à  la  classe  indigente,  comment  fera-t-el!e?  Ctl  en- 
fant pauvre,  vous  lui  offrez  bien  l'instruction;  mais  avant  il  l'ii 
faut  du  pain.  Son  père  laborieux  s'en  prive  d'un  morceau  pour  le 
lui  donner;  mais  il  faut  que  l'enfant  gngne l'autre.  Son  temps  est 
enchaîné  au  travail ,  car  au  travail  est  enchaînée  sa  subsistance. 
Après  avoir  passé  aux  champs  une  journée  pénible,  voulez-vous 


56  DOCUMEXS  COMPLÉMENTAIRES. 

que ,  pour  repos ,  il  s'en  aille  à  l'école  éloignée  peut-être  d'une 
demi-lieue  de  son  domicile?  Vainement  vous  établiriez  une  loi 
coërciiive  contre  le  père ,  celui-ci  ne  saurait  se  passer  journelle- 
ment du  travail  d'un  enfant  qui ,  à  huit,  neuf  et  dix  ans,  gagne 
déjà  (jueîque  chose.  Un  petit  nombre  d'heures  par  semaine ,  voilà 
tout  ce  qu'il  peut  sacrifier.  Ainsi  l'établissement  des  écoles,  telles 
qu'on  les  propose ,  ne  sera,  à  proprement  parler,  bien  profitable 
qu'au  petit  nombre  de  citoyens  indépendaus  dans  leur  existence, 
hors  de  l'atteinte  du  besoin  :  là  ils  pourront  faire  cueillir  abon- 
damment par  leurs  enfans  les  fruits  de  l'instructioG  ;  là  il  n'y  aura 
encore  qu'à  glaner  pour  l'indigent. 

Cette  inégale  répartition  du  bienfait  des  écoles  primaires  est 
le  moindre  des  inconvéniens  qui  me  frappent  dans  leur  organisa- 
tion. J'en  trouve  un  bien  plus  grand  dans  le  système  d'éducation 
qu'elles  présentent. 

Je  me  plains  qu'un  des  objets  les  plus  essentiels  de  l'éducation 
est  omis  :  le  perfectionnement  de  l'être  physique.  Je  sais  qu'on 
propose  quelques  exercices  de  gymnastique  :  cela  est  bon  ^  mais 
cela  ne  suffit  pas.  Un  genre  de  vie  continu,  une  nourriture  saine 
et  convenable  à  l'enfance ,  des  travaux  graduels  et  modérés ,  des 
épreuves  successives ,  mais  continuellement  répétées ,  voilà  les 
seuls  moyens  efficaces  de  donner  au  corps  tout  le  développement 
et  toutes  les  facultés  dont  il  est  susceptible. 

Quant  à  l'être  moral ,  quelques  instructions  utiles ,  quelques 
momens  d'étude,  tel  est  le  cercle  étroit  da;;s  lequel  est  renfermé 
le  plan  proposé.  C'est  l'emploi  d'un  petit  nombre  d'heures;  mais 
luut  le  reste  de  la  journée  est  abandonné  au  hasard  des  circon- 
stances ;  et  l'enfant,  lorsque  l'instant  de  la  leçon  est  passé,  se 
trouve  bientôt  rendu  ,  soit  à  la  mollesse  du  luxe,  soit  à  l'orgueil 
de  la  vanité,  soit  à  la  grossièreté  de  l'indigence,  soit  à  l'indisci- 
pline de  l'oisiveté.  Victime  malheureuse  des  vices ,  des  erreurs , 
de  l'infortune,  de  l'incurie  de  tout  ce  qui  l'entoure,  il  sera  un 
peu  moins  ignorant  que  par  le  passé,  les  écoles  un  peu  plus 
nombreuses  ,  les  maîtres  un  peu  meilleurs  qu'aujourd'hui  ; 
mais  aurons-nous  vraiment  formé  des  hommes,  des  citoyens, 


ANNÉE  1795.  57 

des  républicains  :  en  un  mot,  la  nation  sera-t-elle  régénérée? 

Tous  les  inconvéniens  que  je  viens  de  développer  sont  insolu- 
bles, tant  que  nous  ne  prendrons  pas  une  grande  détermination 
pour  la  prospérité  de  la  Ré[>ublique, 

Osons  faire  une  loi  qui  aplanisse  tous  les  obstacles,  qui  rende 
faciles  les  plans  les  plus  parfaits  d'éducation ,  qui  appelle  et  réa- 
lise toutes  les  belles  institutions;  une  loi  qui  sera  faite  avant  dix 
ans,  si  nous  nous  privons  de  l'honneur  de  l'avoir  portée  ;  une  loi 
louie  en  faveur  du  pauvre,  puisqu'elle  reporte  sur  lui  le  superflu 
de  l'opulence;  que  le  riche  lui-même  doit  approuver,  s'il  réflé- 
chit ;  qu'il  doit  aimer,  s'il  est  sensible.  Cette  loi  consiste  à  fonder 
une  éducation  vraiment  nationale,  vraiment  républicaine,  égale- 
ment et  efficacement  commune  à  tous,  la  seule  capable  de  régé- 
nérer l'espèce  humaine,  soit  pour  les  dons  physiques,  soit  pour 
le  caractère  moral  ;  en  un  mot,  celte  loi  est  l'établissement  de 
l'institution  publique. 

Consacrons-en  le  salutaire  principe;  mais  sachons  y  apporter 
les  modifications  que  l'élat  actuel  des  esprits  et  l'intérêt  industriel 
de  la  République  peuvent  rendre  nécessaires. 

Je  demande  que  vous  décrétiez  que,  depuis  l'âge  de  cinq  ans 
jusqu'à  douze  pour  les  garçons,  et  jusqu'à  onze  pour  les  filles, 
tous  les  enfans ,  sans  distinction  et  sans  exception ,  seront  élevés 
en  commun ,  aux  dépens  de  la  République  ;  et  que  tous,  sous  la 
sainte  loi  de  l'égalité,  recevront  mêmes  vêtemens,  même  nourri- 
ture ,  même  instruclion ,  mêmes  soins. 

Par  le  mode  d'après  lequel  je  vous  proposerai  de  répartir  la 
charge  de  ces  établissemens,  presque  tout  portera  sur  le  riche  ; 
la  taxe  sera  presque  insensible  pour  le  pauvre;  ainsi  vous  attein- 
drez les  avantages  de  l'impôt  progressif  que  vous  désirez  d'éta- 
bhr;  ainsi,  sans  convulsion  et  sans  injustice,  vous  effacerez  les 
énormes  disparités  de  fortune  dont  l'existence  est  une  calomnie 
publique. 

Je  développe  en  peu  de  mots  les  avantages  ,  les  détails  et  les 
moyens  d'exécution  du  plan  que  je  vous  soumets. 
Tous  les  enfans  receviont  le  bienfait  de  l'instilution  publi- 


58  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

que  durant  le  cours  de  sept  années ,  depuis  cinq  ans  jusqu'à 
douze  ans. 

Cette  portion  de  la  vie  est  vraiment  décisive  pour  la  formation 
de  l'être  physique  et  moral  de  l'homme. 

Il  faut  la  dévouer  tout  entière  à  une  surveillance  de  tous  les 
jours ,  de  tous  les  momens. 

Jusqu'à  cinq  ans  on  ne  peut  qu'abandonner  l'enfance  aux  soins 
des  mères  ;  c'est  le  vœu ,  c'est  le  besoin  de  la  nature  :  trop  de  dé- 
tails ,  des  attentions  trop  minutieuses  sont  nécessaires  à  cet  âge  ; 
tout  cela  appartient  à  la  maternité. 

Cependant  je  pense  que  la  loi  peut  exercer  quelque  influence 
sur  ces  premiers  instans  du  l'existence  humaine.  Mais  voici  dans 
quelles  bornes  je  crois  qu'il  faut  renfermer  son  action. 

Donner  aux  mères»  encouragemens ,  secours,  instruction; 
les  intéresser  efficacement  à  allaiter  leurs  en  fans  ;  les  éclairer 
par  un  moyen  facile,  sur  les  erreurs  et  négligences  nuisibles, 
sur  les  soins  et  les  attentions  salutaires  ;  rendre  pour  elles 
la  naissance  et  la  conservation  de  leurs  enfans ,  non  plus  une 
charge  pénible ,  mais  au  contraire  une  source  d'aisance  et  l'objet 
d'une  espérance  progressive  ;  c'est  là  tout  ce  que  nous  pouvons 
faire  utilement  en  faveur  des  cinq  premières  années  de  la  vie  :  tel 
est  l'objet  de  quelques-uns  des  articles  de  la  loi  que  je  propose. 
Les  mesures  indiquées  sont  fort  simples^  mais  je  suis  convaincu 
que  leur  effet  certain  sera  de  diminuer  d'un  quart,  pour  la  Répu- 
blique ,  la  déperdition  annuelle  des  enfans  qui  périssent  victimes 
de  la  misère,  des  préjugés  et  de  l'incurie. 

A  cinq  ans ,  la  patrie  recevra  donc  l'enfant  des  mains  de  la  na- 
ture ;  à  douze  ans ,  elle  le  rendra  à  la  société. 

Cette  époque,  d'après  les  convenances  parliculièi-es  et  l'exis- 
tence politique  de  la  France ,  m'a  paru  la  plus  convenable  pour 
le  terme  de  institution  publique. 

A  dix  ans,  ce  serait  trop  tôt,  l'ouvrage  est  à  peine  ébauché. 

A  douze  ans,  le  pli  est  donné,  et  l'impression  des  habitudes  est 
gravée  d'une  manière  durable. 

A  dix  ans,  rendre  les  enfans  à  des  parens  pauvres,  ce  serait 


ANNÉE  1795.  59 

souvent  leur  rendre  encore  une  charfje  ;  le  bienfait  de  la  nation 
serait  jncomplet. 

A  douze  ans ,  les  enfans  peuvent  gagner  leur  subsistance  ;  ils 
apporteront  une  nouvelle  ressource  dans  leur  famille. 

Douze  ans  est  l'âge  d'apprendre  les  divers  métiers,  c'est  celui 
oii  le  corps ,  déjà  robuste ,  peut  commencer  à  se  plier  aux  travaux 
de  l'agrictilture.  C'est  encore  l'ùge  où  l'esprit  déjà  formé  peut, 
avec  fruit,  commencer  l'étude  des  belles-lelaes,  des  sciences,  ou 
des  arts  agréables, 

La  société  a  divers  emplois  :  une  multitude  de  professions, 
d'arts  industriels  et  de  métiers  appellent  les  citoyens. 

A  douze  ans,  le  moment  est  venu  de  commencer  le  noviciat  de 
chacun  d'eux  ;  plus  tôt ,  l'apprentissage  serait  prématuré  ;  plus 
tard ,  il  ne  resterait  pas  assez  de  cette  souplesse ,  de  cette  flexibi- 
lité, qui  sont  les  dons  heureux  de  l'enfance. 

Jusqu'à  douze  ans ,  l'éducation  commune  est  bonne ,  parce 
que  jusque-là  il  s'agit  de  former,  non  des  laboureurs,  non  des 
artisans ,  non  des  savans ,  mais  des  hommes  pour  toutes  les  pro- 
fessions. 

Jusqu'à  douze  ans ,  l'éducation  commune  est  bonne ,  parce 
qu'il  s'agit  de  donner  aux  enfans  les  qualités  physiques  et  mo- 
rales, les  habitudes  et  les  connaissances  qui ,  pour  tous,  ont  une 
commune  utilité. 

Lorsque  l'âge  des  professions  est  arrivé,  l'éducation  commune 
doit  cesser,  parce  que,  pour  chacune,  l'instruciion  doitèttc  dif- 
férente; réunir  dans  une  même  école  rap[)ieniissagc  de  toutes 
est  impossible. 

Prolonger  l'institution  pid^liquo  jusrpi'à  la  fin  de  l'adoles- 
cence est  un  beau  songe;  quelquefois  nous  l'avons  rêvé  délicieu- 
sement avec  Platon;  quelquefois  nous  l'avons  lu  avec  enthou- 
siasme réalisé  dans  les  fastes  de  Lacédémone  ;  quelquefois  nous 
en  avons  retrouvé  l'insipide  caricature  dans  rios collèges;  mais 
Platon  ne  faisait  que  des  philosophes  ;  Lycurgue  ne  faisait  que 
des  soldais;  nos  profpsçeurs  ne  faisaient  que  des  écoliers.  La  ré- 
publique française,  dont  la  splendeur  consiste  dans  le  commerce, 


60  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

l'industrie  et  l'agriculture,  a  besoin  de  faire  des  hommes  de  tous 
les  états  :  alors  ce  n'est  plus  dans  les  écoles  qu'il  faut  les  renfer- 
mer ,  c'est  dans  les  divers  ateliers ,  c'est  sur  la  surface  des  cam- 
pagnes qu'il  faut  les  répandre  ;  toute  autre  idée  est  une  chimère 
qui,  sous  l'npparence  trompeuse  de  la  perfection,  paralyserait 
des  bras  nécessaires,  anéantirait  l'industrie,  amaigrirait  le  corps 
social,  et  bientôt  en  opérerait  la  dissolution. 

Je  propose  que ,  pour  les  filles ,  le  terme  de  l'institution  pu- 
blique soit  fixé  à  onze  ans  ;  leur  développement  est  plus  précoce , 
et  d'ailleurs  elles  peuvent  commencer  plus  tôt  l'apprentissage  des 
métiers  auxquels  elles  sont  propres ,  parce  que  ces  métiers 
exfgent  moins  de  force. 

Dans  un  moment ,  je  parlerai  de  l'éducation  supplémentaire 
offerte  à  tous  les  jeunes  citoyens  sans  exception.  Je  parlerai  aussi 
des  cours  d'études  auxquels  un  petit  nombre  pourra  se  trouver 
porté  par  son  goût,  ses  facultés,  ou  son  talent. 

Mais  tout  cela  est  pour  l'adolescence  ;  nul  n'y  sera  admis  avant 
douze  ans  ;  tout  cela  est  la  suite  de  l'institution  publique  :  il  faut 
d'abord  pour  tous  que  le  cours  entier  de  l'institution  ait  été  par- 
couru. 

Je  reviens  maintenant  au  mode  d'en  organiser  les  établis- 
semens. 

Dans  les  villes  pour  chaque  section  ;  pour  chaque  canton  dans 
les  campagnes,  d'ordinaire,  une  seule  maison  d'institution  pourra 
suffire.  Il  en  sera  établi  plusieurs  si  la  population  l'exige  ;  chaque 
établissement  contiendra  quatre  à  six  cents  élèves. 

Je  propose  cette  division  ,  parce  qu'elle  concilie  deux  avan- 
tages :  d'un  côté  elle  diminue  les  frais,  qui  sont  moindres  dans  une 
seule  grande  maison  que  dans  plusieurs  maisons  séparées  ;  et 
cependant  elle  ne  met  pas  une  trop  grande  distance  entre  les 
enfans  et  leurs  familles  ;  le  plus  grand  éloignement  sera  au  plus 
de  deux  ou  trois  lieues  :  ainsi  les  parens  pourront  souvent  et  faci- 
lement revoir  le  dépôt  qu'ils  auront  confié  à  la  patrie,  et  l'austé- 
rité de  l'institution  républicaine  ne  coûtera  pas  un  regret  à  la 
nature. 


ANNÉE  1793.  6i 

Ici  s'élève  une  question  bien  importante. 

L'institution  publique  des  enfans  sera-t-elle  d'obligation  pour 
les  parens ,  ou  les  parens  auront-ils  seulement  la  faculté  de  pro- 
fiter de  ce  bienfait  national  ? 

D'après  les  principes ,  tous  doivent  y  être  obligés. 

Pour  l'intérêt  public ,  tous  doivent  y  être  obligés. 

Dans  peu  d'années,  tous  doivent  y  être  obligés. 

Mais ,  dans  le  moment  actuel ,  il  vous  semblera  peut-être  con- 
venable d'accoutumer  insensiblement  les  esprits  à  la  pureté  des 
maximes  de  notre  nouvelle  Constitution.  Je  ne  vous  le  propose 
qu'à  regret  ;  je  soumets  à  votre  sagesse  une  modification  que 
mon  désir  intime  est  que  vous  ne  jugiez  pas  nécessaire.  Elle  con- 
siste à  décéter  que,  d'ici  à  quatre  ans,  l'institution  publique  ne 
sera  que  facultative  pour  les  parens.  Mais,  ce  délai  expiré,  lorsque 
nous  aurons  acquis  ,  si  je  peux  m'exprimer  ainsi ,  la  force  et  la 
maturité  républicaines ,  je  demande  que  quiconque  refusera  ses 
enfans  à  l'institution  commune  soit  privé  de  l'exercice  des  droits 
de  citoyen  pendant  tout  le  temps  qu'il  se  sera  soustrait  à  remplir 
ce  devoir  civique,  et  qu'il  paie,  en  outre,  double  contribution 
dans  la  taxe  des  enfans ,  dont  je  vous  parlerai  dans  la  suite. 

Il  vous  sera  facile  de  placer  ces  établissemens  dans  les  édifices 
appartenant  à  la  nation ,  maisons  religieuses ,  habitations  d'é- 
migrés et  autres  propriétés  publiques. 

Je  voudrais  encore  qu'à  défaut  de  cette  ressource  les  vieilles 
citadelles  de  la  féodalité  s'ouvrissent  pour  cette  intéressante  des- , 
tination.  De  toutes  parts  on  murmure  et  l'on  réclame  contre 
l'existence  de  ces  châteaux  et  de  ces  tours ,  monumens  odieux 
d'oppression.  Au  lieu  de  les  détruire ,  employons  utilement  leur 
masse  antique. 

Dans  un  canton,  composé  communément  de  six  à  huit  paroisses, 
la  nation  pourra  choisir  entre  plusieurs ,  tout  en  dédommageant 
le  propriétaire  ;  elle  se  procurera  encore  à  peu  de  frais  un  local 
étendu  ;  elle  fera  sortir  des  mains  de  simples  citoyens  des  palais 
qui  offensent  l'œil  sévère  de  l'égalité;  et  ce  dernier  sacrifice  ser- 
vira, malgré  lui  peut-être,  le  triste  châtelain  ,  aciueilemenl  op- 


62  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES, 

pressé  de  sa  colossale  demeure ,  depuis  que  l'affranchissement 
des  campagnes  a  lari  la  source  de  son  opulence. 

D'après  les  calculs  que  j'ai  faits ,  il  m'a  semblé  qu'un  maître 
pour  cinquante  enfans  suffirait. 

D'abord  on  pourrait  croire  que  c'est  une  trop  forte  charge 
pour  une  seule  personne  ;  mais  j'ai  imaginé  qu'il  serait  facile  de 
classer  les  enfans  de  telle  manière  que  les  plus  âgés ,  ceux  de  dix 
et  de  onze  ans,  par  exemple ,  pussent  soulager  le  maître  dans  ses 
fonctions,  surveiller  les  plus  jeunes,  aider  pour  les  répétitions. 

Je  trouve  beaucoup  d'avantages  à  établir  dans  la  petite  troupe 
enfantine  ces  espèces  de  grades  ;  ils  seront  propres  à  faciliter 
l'exécution  de  tous  les  détails  et  y  maintenir  une  exacte  discipline. 

Chaque  maître  aura  sous  lui  un  égal  nombre  d' enfans  de  diffé- 
rens  âges  ;  il  sera  indépendant  des  autres  maîtres,  comme  aussi 
son  autorité  se  bornera  aux  enfans  qui  lui  seront  confiés  ;  il  ne 
sera  responsable  qu'aux  administrations  publiques  et  à  l'établis- 
sement spécial  de  surveillance,  dont  je  vais  parler  dans  un  mo- 
ment. 

Je  ne  fais  qu'indiquer  rapidement;  je  ne  développe  poi:;i  le 
mode  de  créer  et  d'organiser  les  établissemens,  la  nomination ,  la 
distribution  des  instituteurs  cl  institutrices,  l'ordre  intérieur  de  la 
maison  :  tous  ces  détails  seront  l'objet  de  règlemens  particuliers. 

Je  me  hâte  d'abordtr  une  question  plus  intéressante  de  mon 
travail ,  je  veux  dire  le  système  de  l'éducation  qui  sera  suivi  dans 
le  cours  de  l'institution  pubHque. 

Ici  j'écarte  toute  théorie  abstraite  ;  j'abandonne  les  recherches 
savantes  sur  la  nature  de  l'homme ,  sur  la  perfectibilité  morale  et 
physique  doal  il  est  susceptible  ,  sur  l'origine  e^.  les  causes  de  ses 
affections,  de  ses  passions,  de  ses  vertus,  de  ses  vices.  Que  des 
observateurs,  que  des  métaphysiciens  méditent  ces  grandes  ques- 
tions ,  j'avoue  que  je  n'aime  que  les  idées  simples  et  claires.  Je 
cherche  une  bonne  méthode  bien  usuelle ,  de  bons  moyens  bien 
familiers ,  de  bons  résultats  bien  évideus  :  qu'ici  rien  ne  soit  in- 
génieux, mais  que  tout  soit  utile.  J'ai  toujours  pensé  qu'en  poli- 
tique ,  en  législation ,  eu  économie  sociale ,  des  conceptions  trop 


ANNÉE  1793.  63 

fines ,  trop  déliées  et ,  si  je  peux  m'exprimer  ainsi ,  trop  parfai- 
tes ,  sont  d'un  médiocre  usage.  Il  faut  opérer  des  effets  géné- 
raux ,  il  faut  produire  en  masse ,  et  si  je  parviens  à  réaliser  l'exis- 
tence d'une  somme  d'avantages  bien  sensibles  pour  la  société 
tout  entière  et  pour  les  individus  en  particulier,  je  croirai  avoir 
bien  servi  l'humanité  et  mon  pays. 

N'oublions  pas  quel  est  l'objet  de  celte  première  éducation  com- 
mune à  tous ,  égale  à  tous. 

Nous  voulons  donner  aux  enfans  les  aptitudes  physiques  et  mo- 
rales qu'il  importe  à  tous  de  retrouver  dans  le  cours  de  la  vie, 
quelle  que  soit  la  position  particulière  de  chacun.  Nous  ne  les 
formons  pas  pour  telle  ou  telle  destination  déterminée ,  il  faut  les 
douer  des  avantages  dont  l'utilité  est  commune  à  l'homaie  de  tous 
les  états  :  en  un  mot ,  nous  préparons ,  pour  ainsi  parle.",  une  ma- 
tière première  que  nous  tendons  à  rendre  essentiellement  bonne, 
dont  nous  élaborons  les  élémens  de  telle  sorte  qu'en  sortant  de 
nos  mains  elle  puisse  recevoir  la  modification  spéciale  des  diver- 
ses professions  dont  se  compose  la  République. 

Tel  est  le  problème  que  nous  avons  à  résoudre.  Voici  de 
quelle  manière  je  pense  que  nous  pouvons  y  procéder  utilement. 

Nos  premiers  soins  se  porteront  sur  la  portion  physique  de 
l'éducation. 

Former  un  l)on  tempérament  aux  enfans,  augmenter  leurs 
forces ,  favoriser  leur  croissance ,  développer  en  eux  vigueur, 
adresse,  agilité;  les  endurcir  contre  la  fatigue,  les  intempéries 
des  saisons ,  la  privation  momentanée  des  premiers  besoins  de  la 
vie,  voilà  le  but  auquel  nous  devons  tendre;  telles  sont  les  habi- 
tudes heureuses  que  nous  devons  créer  en  eux  ;  tels  sont  les  avan- 
tages physiques  qui ,  pour  tous  en  général,  sont  un  bien  précieux. 

Les  moyens  pour  remplir  cet  objet  seront  faciles  dans  le  sys- 
tème de  l'institution  publique.  Ce  qui  serait  impraticable  pour 
des  enfans  envoyés  à  l'école  deux  heures  par  jour,  quelquefois 
deux  heures  seulement  par  semaine,  et  tout  le  reste  du  temps  hors 
de  la  dépendance  d'une  commune  discipline ,  se  réaUse  ici  sans 
effort. 


64  DOCUilENS   COMPLÉMENTAIRES. 

Gontinuellemect  sous  l'œil  et  dans  la  main  d'une  active  surveil- 
lance ,  chaque  heure  sera  marquée  pour  le  sommeil ,  le  repas,  le 
travail ,  l'exercice ,  le  délassement  ;  tout  le  régime  de  vie  sera  in- 
variablement réglé  ;  les  épreuves  graduelles  et  successives  seront 
déierniinées  ;  les  genres  de  travaux  du  corps  seront  désignés  ;  les 
exercices  de  gymnasiique  seront  indiqués  ;  un  rc^glement  salu- 
taire et  uniforme  prescrira  tous  ces  détails ,  et  une  exécution  con- 
stante et  facile  en  assurera  les  bons  effets. 

Je  désire  que,  pour  les  besoins  ordinaires  de  la  vie ,  les  enfans, 
privés  de  toute  espèce  desuperfluité,  soient  restreints  à  l'absolu 
nécessaire. 

Ils  seront  couchés  durement  ;  leur  nourriture  sera  saine  ,  mais 
frugale  ;  leur  vêtement  commode ,  mais  grossier. 

Il  importe  que  pour  tous  l'habitude  de  l'enfance  soit  telle, 
qu'aucun  n'ait  à  souffrir  du  passage  de  l'institution  aux  divers 
états  de  la  société.  L'enfant  qui  rentrera  dans  le  sein  d'une  famille 
pauvre  retrouvera  toujours  ce  qu'il  quitte  ;  il  aura  été  accoutumé 
à  vivre  de  peu ,  il  n'aura  pas  changé  d'existence.  Quant  à  l'enfant 
d'un  riche,  d'autres  habitudes  plus  douces  l'attendent,  mais 
celles-là  se  contractent  facilement.  Et  pour  le  riche  lui-même ,  il 
peut  exister  dans  la  vie  telles  circonstances  où  il  bénira  l'àpre 
austérité  et  la  salutaire  rudesse  de  l'éducation  de  ses  premiers  ans. 

Après  la  force  et  la  santé ,  il  est  un  bien  que  l'institution  pu- 
blique doit  à  tous ,  parce  que  pour  tous  il  est  d'un  avantage  ines- 
timable ,  je  veux  dire  l'accoutumance  au  travail. 

Je  ne  parle  point  ici  de  telle  ou  telle  industrie  particulière; 
mais  jentends,  en  général,  ce  courage  pour  entreprendre  une 
lâche  pénible,  cette  action  en  l'exécutant,  cette  constance  à  la 
suivre,  cette  persévérance  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  achevée ,  qui  ca- 
ractérise l'homme  laborieux. 
j^;  Formez  de  tels  hommes,  et  la  République ,  composée  bientôt 

de  ces  robustes  élémens ,  verra  doubler  dans  son  sein  les  produits 
de  l'agriculture  et  de  l'industrie. 

Formez  de  tels  hommes ,  et  vous  verrez  disparaître  presque 
tous  les  crimes. 


ANNÉE  1793.  65 

Formez  de  lels  hommes ,  et  l'aspect  hideux  de  la  misère  n'af- 
fligera plus  vos  regards. 

Créez  dans  vos  jeunes  élèves  ce  goût,  ce  besoin,  cette  habi- 
tude de  travail ,  leur  existence  est  assurée ,  ils  ne  dépendent  plus 
que  d'eux-mêmes. 

J'ai  regardé  cette  partie  de  l'éducation  comme  une  des  plus 
importantes. 

Dans  l'emploi  de  la  journée  tout  le  reste  sera  accessoire,  le 
travail  des  mains  sera  la  principale  occupaiion. 

Un  petit  nombre  d'heures  en  sera  distrait  ;  tous  les  ressorts  qui 
meuvent  les  hommes  seront  dirigés  pour  activer  l'ardeur  de  notre 
laborieuse  jeunesse . 

Les  pères  de  famille,  les  élèves,  les  maîtres,  tous ,  par  la  loi 
que  je  vous  propose,  seront  intéressés  à  produire  dans  les  ateliers 
des  enfans  la  masse  la  plus  considérable  de  travail  qu'il  sera  pos- 
sible ;  tous  y  seront  excités  par  leur  propre  avantage. 

Les  uns ,  parce  qu'ils  y  trouveront  la  diminution  de  la  charge 
commune;  les  autres  ,  parce  qu'ils  y  verront  l'espérance  d'être 
honorés  et  récompensés;  les  enfans  enfin,  parce  que  le  travail 
sera  pour  eux  la  source  de  quelques  douceurs  toujours  propor- 
tionnées à  la  tâche  qu'ils  auront  remplie. 

Il  est  une  foule  d'emplois  laborieux  dont  les  enfans  sont  sus- 
ceptibles. 

Je  propose  que  tous  soient  exercés  à  travailler  à  la  terre  ;  c'est 
la  première,  c'est  la  plus  nécessaire,  c'est  la  plus  générale  des 
occupations  de  l'homme  ;  partout  d'ailleurs  elle  offre  du  pain. 

On  peut  encore  leur  faire  ramasser  et  répandre  les  matériaux 
sur  les  routes  ;  les  locahtés,  les  saisons,  les  manufactures  voisines 
de  la  maison  d'institution  offriront  des  ressources  pariiculières. 
Enfin  un  parti  plus  général  ne  serait  peut-être  pas  impraticable. 
Je  voudrais  qu'on  établît  dans  les  maisons  nièiiie  d'insîiiution 
divers  genres  de  travaux  auxquels  tous  les  enfan.^  sont  propres , 
et  qui ,  distribués  et  répartis  dans  tous  ces  élablisseinens  ,  gros- 
siraient sensiblement  pour  la  Ilépublique  la  masse  annuelle  des 
productions  manufaolurièies. 

T.  XXVI.  o 


66  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

J'appelle  sur  cette  vue  importante  d'économie  politique  l'at- 
tention et  le  génie  des  citoyens  intelligens  dans  les  arts.  J'offre 
un  programme  à  remplir  sur  cet  objet,  et  je  demande  que  la  na- 
tion promette  une  honorable  récompense  pour  tous  ceux  qui  in- 
diqueront un  genre  d'industrie  facile ,  qui  soit  propre  à  remplir  la 
destination  que  je  vous  propose. 

Régler  sa  vie ,  se  plier  au  joug  d'une  exacte  discipline ,  sont 
encore  deux  habitudes  importantes  au  bonheur  de  l'être  social. 
Elles  ne  peuvent  se  prendre  que  dans  l'enfance  ;  acquises  à  cet 
âge  ,  elles  deviennent  une  seconde  nature. 

On  calculerait  dilTicilement  à  quel  point  une  vie  bien  réglée  et  bien 
ordonnée  multiplie  l'existence,  moralise  les  actions  de  l'honame , 
fait  entrer  dans  sa  conduite  tout  ce  qui  est  bien ,  et  la  remplit 
tellement  d'actes  utiles  ,  qu'il  n'y  reste  plus  de  place ,  si  je  peux 
parler  ainsi,  pour  tout  ce  qui  est  vice  ou  désordre. 

Je  n'attache  pas  un  moindre  prix  à  l'habitude  d'une  austère 
discipline.  Souvenons-nous  que  nous  élevons  des  hommes  desti- 
nés à  jouir  de  la  liberté,  et  qu'il  n'existe  pas  de  liberté  sans  obéis- 
sance aux  lois.  Ployés  tous  les  jours  et  à  tous  les  instans  sous  Je 
joug  d'une  règle  exacte,  les  élèves  de  la  patrie  se  trouveront  tous 
formés  à  la  sainte  dépendance  des  lois  et  des  autorités  légitimes. 
Voyez  ce  jeune  soldat  avant  qu'il  ne  s'engage ,  et  relrouvez-le 
après  qu'il  a  servi  quelque  temps  :  ce  n'est  plus  le  même 
homme  ;  ce  changement  est  pourtant  l'ouvrage  de  quelques  mois 
de  discipline  militaire.  Combien  ce  moyen  ne  sera-t-il  pas  plus 
efficace,  étant  dirigé  sur  les  organes  souples  et  flexibles  de  l'en- 
fance ,  modifié  avec  philosophie  et  mis  en  œuvre  avec  habileté  et 
intelligence? 

Sans  l'éducation  commune  et  nationale,  il  est  également  im- 
possible de  créer  les  deux  habitudes  importantes  que  je  viens  de 
développer.  Deux  heures  d'école  ébaucheraient  à  peine  l'ou- 
vrage ;  l'indépendance  du  reste  du  jour  en  effacerait  jusqu'à  la 
trace. 

Sans  l'éducation  nationale  ,  il  vous  faut  renoncer  à  former  ce 
que  j'appelle  les  mœurs  de  l'enfant,  qui  bientôt,  par  ce  plan, 


ANNÉE  1793.  (57 

vont  devenir  les  mœurs  nationales  ;  et  par  là  je  veux  dire  la  so- 
ciabilité ,  son  caractère ,  un  langage  qui  ne  soit  point  grossier, 
l'attitude  et  le  port  d'un  homme  libre,  enfin  des  manières  fran- 
ches, également  distantes  de  la  politesse  et  de  la  rusticité.  Entre 
citoyens  égaux  d'une  même  république,  il  faut  que  ces  divers 
avantages  de  l'éducation  soient  répartis  à  tous  :  car,  on  a  beau 
dire,  ces  nuances,  lorsqu'elles  existent,  créent  d'incalculables 
différences,  et  établissent  de  trop  réelles  inégalités  entre  les 
hommes. 

Je  ne  sais  si  je  m'abuse,  mais  il  me  semble  que  toutes  les  ha- 
bitudes dont  j'ai  présenté  jusqu'ici  l'énumération  sont  une 
source  féconde  d'avantages  pour  les  enfans  et  pour  l'état  ;  ce 
sont  les  vrais  fondemens  d'une  salutaire  éducation  ;  sans  elle  il 
n'existe  pas  d'éducation.  Si  dans  l'enfance  nous  ne  les  donnons 
point  à  tous  les  citoyens,  la  nation  ne  peut  pas  être  profondé- 
ment régénérée. 

De  toutes  ces  habitudes,  il  n'en  est  pas  une  seule  dont  j'entre- 
voie la  source  dans  le  système  du  comité. 

Créer  des  habitudes  est  un  objet  entièrement  étranger  à  son 
plan  :  il  offre  à  tous  d'utiles  leçons  ;  mais  pour  former  des  hom- 
mes, des  instructions  ne  suffisent  pas. 

J'aborde  maintenant  l'enseignement ,  cette  partie  de  l'éduca- 
tion ,  la  seule  que  le  comité  ait  traitée  ,  et  ici  je  marcherai  d'ac- 
cord avec  lui. 

Quelles  sont  les  notions ,  quelles  sont  les  connaissances  que 
nous  devons  à  nos  élèves?  Toujours  celles  qui  leur  sont  nécessai- 
res pour  l'état  de  citoyen  ,  et  dont  l'utilité  est  commune  à  toutes 
les  professions. 

J'adopte  entièrement,  pour  l'institution  publique,  la  nomen- 
clature que  le  comité  vous  a  présentée  pour  le  cours  des  écoles 
primaires  :  apprendre  à  hre,  écrire,  compter,  mesurer,  recevoir 
des  principes  de  morale,  une  connaissance  sommaire  de  la  consti- 
tution^ des  notions  d'économie  domestique  et  rurale;  développer  le 
don  de  la  mémoire  en  y  gravant  les  plus  beaux  récits  de  l'histoire 
des  peuples  libres  et  de  la  révolution  française  ;  voilà  le  nécessaire 


6è  DOCUMENS   COilPLÉMEKTAIRES. 

pour  chaque  citoyen;  voilà    l'inslruciion  qui  est  due  à  tous. 

Je  me  contenterai  d'observer  que ,  sans  multiplier  davantage 
ces  objels  d'étude,  je  désire  que  l'enseignement  en  soit  un  peu 
plus  étendu  et  plus  approfondi  que  dans  le  plan  du  comité;  je 
voudrais  reporter  quelque  chose  de  l'instruction  destinée  par  le 
comité  pour  les  écoles  secondaires  dans  mon  cours  d'institu- 
tion publique. 

Le  comité  dans  les  écoles  primaires  n'avait  préparé  cette  sub- 
stance morale,  pour  l'enfance,  que  jusqu'à  l'âge  de  dix  ans.  Je 
prolonge  jusqu'à  douze  l'institution  publique,  et  ces  deux  années 
comportent  une  nourriture  plus  solide  et  plus  abondante. 

Jusqu'ici  j'ai  développé  le  système  de  diverses  habitudes  dont 
la  réunion  forme  le  complément  d'un  bon  cours  d'éducation;  et 
cependant  je  n'ai  pas  encore  prononcé  le  nom  de  cette  habitude 
morale  qui  exerce  une  si  souveraine  influence  sur  toute  la  vie  de 
l'homme  :  je  veux  dire  la  religion  ;  sur  cette  matière  délicate,  il 
est  plus  aisé  d'exprimer  ce  qui  est  mieux  que  ce  qui  est  pos- 
sible. 

C'est  d'après  le  principe  que  l'enfance  est  destinée  à  recevoir 
l'impression  salutaiie  de  l'habitude  que  je  voudrais  qu'à  cet  âge 
il  ne  soit  point  parlé  de  religion  ,  précisément  parce  que  je 
n'aime  point  dans  l'homme  ce  qu'il  a  toujours  eu  juqu'à  présent, 
une  religion  d'habitude. 

Je  regarde  ce  choix  important  comme  devant  être  l'acte  le  plus 
réfléchi  de  la  raison. 

Je  désirerais  que ,  pendant  le  cours  entier  de  l'institution  pu- 
blique, l'enfant  ne  reçût  que  !es  instructions  de  la  morale  univer- 
selle ,  et  non  les  enseignemens  d'aucune  croyance  particulière. 

Je  désirerais  que  ce  ne  fût  qu'à  douze  ans  ,  lorsqu'il  sera  ren- 
tré dans  la  société ,  qu'il  adoptât  un  culte  avec  réflexion.  Il  me 
semble  qu'il  ne  devrait  choisir  que  lorsqu'il  pourrait  juger. 

Cependant ,  d'après  la  disposition  actuelle  des  esprits,  surtout 
dans  les  campagnes  ,  peut-être  pourriez-vous  craindre  de  porter 
le  mécontentement  et  le  scandale  même  au  milieu  de  familles 
simples  et  innocentes ,  si  les  parens  voyaient  leurs  enfans  séparés 


I 


ANNÉE  1793.  69 

jusqu'à  douze  ans  des  pratiques  extérieures  de  tout  culte  reli- 
gieux. Je  soumets  cette  difficulté  de  circonstances  à  la  sagesse 
de  vos  réflexions  ;  mais  j'insiste ,  dans  tous  les  cas ,  pour  que 
cette  partre  d'enseignement  n'entre  point  dans  le  cours  de  l'édu- 
cation nationale  ,  ne  soit  point  confiée  aux  instituteurs  nationaux, 
et  qu'il  soit  seulement  permis  {si  vous  jugez  celte  condescendance 
nécessaire)  de  conduire  à  certains  jours  et  à  certaines  heures  les 
enfans  au  temple  le  plus  voisin ,  pour  y  apprendre  et  y  prati- 
quer la  religion  à  laquelle  ils  auront  été  voués  par  leurs  familles. 
Telles  sont  les  bornes  dans  lesquelles  se  lenferme  le  plan  de 
l'institution  publique.  Je  peux  le  résumer  en  deux  mots  : 

Donner  à  tous  les  habitudes  physiques  et  les  habitudes  mora- 
les, les  instructions  et  les  connaissances  qui,  étant  acquises 
dans  l'enfance,  influent  sur  tout  le  reste  de  la  vie  ,  qu'il  importe 
à  tous  d'acquérir,  qui  ont  une  commune  utilité  pour  tous,  à 
quelque  profession  qu'ils  se  destinent ,  et  qui  doivent  produire 
une  masse  sensible  d'avantages  pour  la  société,  lorsqu'elle  en 
aura  également  pourvu  tous  les  membres  qui  sont  destinés  à  la 
composer.  Au  surplus,  ce  plan  tracé  à  la  hâte  a  besoin  d'être 
perfectionné.  De  meilleurs  esprits,  des  philosophes  plus  profonds, 
pourront  suppléer  à  ce  qu'il  a  de  défectueux.  La  temps  et  l'ex- 
périence l'enrichiront.  Mais  j'observe  que  ce  qu'il  a  d'utile,  que 
son  principal  avantage  ,  c'est  celte  susceptibilité  de  recevoir  un 
perfectionnement  graduel  et  progressif  ;  c'est  un  cadre  dans  le- 
quel toute  vue  utile ,  toute  institution  bienfaitrice  à  l'enfance 
peut  se  placer  d'elle-même. 

Jamais,  dans  les  écoles  primaires ,  nous  ne  trouverons  qu'une 
instruction  imparfaite.  Leur  vice  radical,  c'est  de  ne  s'emparer 
que  de  quelques  heures  et  de  livrer  à  l'abandon  toutes  les  autres. 
On  concevra  en  vain  des  théories  ingénieuses  ;  en  vain ,  pour 
former,  pour  instruire  l'enfance,  établira-t-on  des  méthodes 
parfaites  :  tour,  cela  ,  avec  des  écoles  primaires,  manquera  tou- 
jours par  l'exécution  ;  avec  un  tel  moyen  il  est  impossible  de 
produire  autre  chose  (\ue  des  effets  ou  nuls,  ou  partiels,  ou 
profitables  à  un  très-petit  nombre  d'individus. 


70  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

Dans  l'institution  publique,  au  contraire,  la  totalité  de  l'exis- 
tence de  l'enfant  nous  appartient;  la  matière,  si  je  peux  m' ex- 
primer ainsi,  ne  sort  jamais  du  moule  ;  aucun  objet  extérieur  ne 
vient  déforiîier  la  modification  que  vous  lui  donnez.  Prescrivez, 
l'exécution  est  certaine;  imaginez  une  bonne  méthode ,  à  l'instant 
elle  est  suivie  ;  créez  une  conception  utile ,  elle  se  pratique  com- 
plètement ,  continûment  et  sans  efforts. 

J'ai  adopté  un  moyen  que  je  crois  très-efficace  pour  donner  à 
nos  établ/ssemens  d'institution  publique  la  perfection  dont  ils 
sont  susceptibles, 

C'est  de  publier  des  programmes. 

Dans  mon  projet  de  décret  je  vous  en  présente  l'aperçu. 

Il  m'a  semblé  facile  de  diviser  les  différens  élémens  dont  l'en- 
semble complète  notre  cours  d'éducation.  Les  uns  concernent  la 
formation  de  l'être  physique  ;  les  autres  ont  rapport  à  la  for- 
mation de  l'être  moral. 

Sur  chacun  de  ces  programmes ,  les  citoyens  seront  invités  à 
travailler  et  à  concourir. 

Ouvrez  vos  trésors  pour  récompenser  sur  chaque  partie  les 
meilleurs  ouvrages  ;  et  celte  munificence  même  enrichira  la  Ré- 
publique. 

Je  pousserai  encore  plus  loin  cette  idée,  et  j'ose  attester  que 
la  société  et  l'humanité  pourraient  recueillir  d'importans  avan- 
tages de  l'établissement  permanent  de  prix  annuels  proposés  à 
quiconque  aura  conçu  une  pensée  utile  sur  l'éducation  et  ajouté 
un  bon  article  au  code  de  l'enfance. 

Jusqu'ici  je  n'ai  considéré  le  sujet  que  je  traite  que  sous  le 
rapport  de  l'éducation:  maintenant  je  vais  vous  le  présenter  sous 
un  autre  aspect  bien  important,  celui  de  l'économie  politique. 

Diminuer  les  nécessités  de  l'indigence ,  diminuer  le  superflu 
de  la  richesse ,  c'est  un  but  auquel  doivent  tendre  toutes  nos  ins- 
titutions; mais  il  faut  que  la  justice  comme  la  prudence  règle 
notre  marche.  On  ne  peut  s'avancer  que  pas  à  pas  ;  tout  moyen 
convulsif  est  inadmissible  ;  la  propriété  est  sacrée ,  et  ce  droit  a 


ANNÉE  1793.  71 

reçu  de  votre  premier  décret  une  nouvelle  et  auiheutique  ga- 
rantie. 

La  mesure  la  plus  douce  comme  la  plus  efficace  de  rapprocher 
l'immense  distance  des  fortunes ,  et  de  corrifjer  la  bizarre  dispa- 
rité que  le  hasard  de  la  propriété  jette  entre  les  citoyens ,  se 
trouve  dans  le  mode  de  répartir  les  charges  pultliques.  Soulager 
celui  qui  a  peu  ,  que  le  poids  porte  principaloment  sur  le  riche  , 
voilà  toute  la  théorie ,  et  j'en  trouve  une  bien  heureuse  et  bien 
facile  application  dans  la  nouvelle  charte  qui  va  résulter  de  l'éta- 
blissement de  l'institution  publique. 

En  deux  mots ,  l'enfant  du  pauvre  sera  élevé  aux  dépens  du 
riche,  tous  contribuant  pourtant  daus  uneju,^le  proportion,  de 
manière  à  ne  pas  laisser  à  l'indigent  même  l'humiliation  de  re- 
cevoir un  bienfait. 

Un  calcul  simple  va  étabUr  ce  résultat  jusqu'à  l'évidence. 

Je  propose  que,  dans  chaque  canton  ,  la  dépense  de  la  maison 
d'institution  publique ,  nourriture ,  habillement ,  entretien  des 
enfons,  soit  payée  par  tous  les  citoyens  du  canton ,  au  prorata  de 
la  contribution  directe  dechacun  d'eux.  Pour  rendre  la  proportion 
plus  sensible,  je  prends  l'exemple  de  trois  citoyens. 

Je  suppose  l'un  ayant  tout  juste  les  facultés  requises  autrefois 
pour  être  citoyen  actif,  c'est-à-dire  payant  la  valeur  de  trois 
journées  de  travail ,  que  j'évalue  à  trois  livres. 

Je  suppose  à  l'autre  un  revenu  de  mille  livres,  qui  lui  produit 
deux  cents  livres  d'imposition. 

Enfin  je  donne  à  l'autre  cent  mille  livres  de  rente,  pour  les- 
quelles il  paie  une  contribution  de  vingt  mille  livres. 

Maintenant  j'évalue  par  aperçu  la  taxe  pour  l'éducation  com- 
mune des  enfans  à  une  moitié  en  sus  de  la  contribution  directe. 

Quelle  sera  la  portion  contributoire  de  ces  trois  citoyens? 

L'homme  aux  trois  journées  de  travail  paiera ,  pour  la  taxe 
des  enfans ,  une  livre  dix  sous. 

Le  citoyen  qui  a  mille  livres  de  revenu  y  contribuera  pour 
cent  livres. 


7a  DOCUMENS  COMPLi'.MEiNTAlHES. 

Et  celui  qui  est  riche  de  cent  mille  livres  de  rente  mettra  pour 
sa  part  dans  la  taxe  dix  mille  livres. 

Comme  vous  voyez ,  c'est  un  dépôt  commun  qui  se  forme  de 
la  réunion  de  plusieurs  mises  inégales  :  le  pauvre  met  très  peu, 
le  riche  met  beaucoup;  mais  lorsque  le  dépôt  est  formé ,  il  se  par- 
tage ensuite  également  entre  tous  ;  chacun  en  relire  même  avan- 
lage,  l'éducation  de  ses  enfans. 

L'homme  aux  trois  journées  de  travail,  moyennant  sa  surtaxe 
de  trente  sous ,  se  verra  affranchi  du  poids  d'une  famille  souvent 
nombreuse;  tous  ses  enfans  seront  nourris  aux  dépens  de  l'état; 
avec  ce  falLle  sacrifice  de  trente  sous,  il  pourra  avoir  jusqu'à 
sept  enfans  à  la  fois,  élevés  aux  frais  de  la  République. 

J'ai  cité  l'homme  aux  trois  journées,  et  cependant  ce  citoyen 
était  dans  la  classe  ci-devant  privilégiée ,  il  était  doué  de  Vactiviié: 
quelle  foule  innombrable  ne  profitera  pas ,  d'une  manière  encore 
plus  sensible,  de  la  bienfaisance  de  cette  loi,  puisque  toute  la 
classe  des  citoyens  ci-devant  inactifs ,  au  moyen  d'une  taxe 
moindre  que  trente  sous,  jouira  du  même  avantage? 

Il  est  de  toute  évidence  que ,  depuis  la  classe  des  citoyens  ci- 
devant  inactifs,  en  remontant  jusqu'au  propriétaire  de  mille  hvres 
de  rente ,  tout  ce  qui  se  trouve  dans  l'intervalle  a  intérêt  à  la  loi. 

Même  pour  le  propriétaire  de  mille  livres  de  rente,  elle  est 
utile;  car  il  n'est  aucun  citoyen  qui ,  jouissant  de  ce  revenu,  ne 
s'abonne  volontiers  à  cent  livres  par  an  pour  la  dépense  de  l'édu- 
caîion  de  tous  ses  enfans.  Ainsi  tout  le  poids  de  la  surcharge  por- 
tera uniquement  sur  ceux  qui  possèdent  plus  de  mille  livres  de 
rente. 

Ainsi ,  plus  des  dix-neuf  vingtièmes  de  la  France  est  intéressé 
à  la  loi  ;  car  certainement  il  n'y  a  pas  plus  d'un  vingtième  des 
citoyens  dont  le  revenu  excède  cent  pistoles. 

Dans  toute  cette  partie  nombreuse  de  la  nation ,  je  ne  vois  de 
lésés  que  les  célibataires,  ou  les  personnes  mariées  et  sans  enfans; 
car  ils  retirent  zéro.  Mais  je  doute  que  leurs  plaintes  vous  tou- 
chent: ceux-ci  ont  moins  décharge  que  le  reste  des  citoyens. 
D'après  ce  système ,  vous  voyez  qu'il  n'y  a  que  le  riche  dont  la 


AK.NÉE  1795.  75 

taxe  se  trouverait  plus  forte  que  ce  qui  lui  en  coûterait  pour 
élever  sa  famille.  Mais  dans  sa  surcliarjje  même ,  j'aperçois  un 
double  avant:!{je:  celui  de  retrancher  une  portion  du  superflu  de 
l'opulence ,  celui  de  faire  tourner  cette  surabondance  maladive 
au  soulagement  des  citoyens  peu  fortunés ,  j'ose  dire  au  profit  de 
îa  société  tout  entière,  puisqu'elle  lui  fournit  les  moyens  de 
fonder  une  institution  vraiment  digne  d'une  république,  et  d'ou- 
vrir la  source  la  plus  féconde  de  prospérité,  de  splendeur  et  de 
régénération. 

J'ose  le  demander ,  où  sera  maintenant  l'indigence?  Une  seule 
loi  bienfaitrice  l'aura  fait  disparaître  du  sol  de  la  France. 

Jetez  les  yeux  sur  les  campagnes  ;  portez  vos  regards  dans  l'in- 
térieur de  ces  chaumières;  pénétrez  dans  les  extrémités  des 
villes ,  où  une  immense  population  fourmille ,  couverte  à  peine  de 
haillons;  connaissez  les  détails  de  ces  utiles  familles:  là  même  le 
travail  apporterait  l'aisance;  mais  la  fécondité  y  ramène  encore 
le  besoin.  Le  père  et  la  mère,  tous  deux  laborieux,  trouveraient 
facilement  dans  leur  industrie  ce  qui  leur  faut  pour  vivre  ;  mais 
ce  pain  gagné  péniblement  n'est  pas  pour  eux  seuls,  des  enfans 
nombreux  leur  en  arrachent  une  partie ,  et  la  richesse  même 
qu'ils  donnent  à  l'état  repousse  sur  eux  toutes  les  horreurs  de  la 
misère. 

Là,  par  l'injustice  vraiment  odieuse  de  notre  économie  sociale, 
tous  les  sentimens  naturels  se  trouvent  dépravés  et  anéantis. 

La  naissance  d'un  enfant  est  un  accident.  Les  soins  que  la 
mère  lui  prodigue  sont  mêlés  de  regrets  et  du  mal-être  de  l'in- 
quiétude. A  peine  les  premières  nécessités  sont-elles  accordées  à 
cette  malheureuse  créature  ;  car  il  faut  que  le  besoin  qui  partage 
soit  parcimonieux:  l'enfant  estmal  nourri,  mal  soigné,  mal  traité; 
et  souvent  parce  qu'on  souffre,  il  ne  se  développe  point,  ou  il  se 
développe  mal;  et  à  défaut  de  la  plus  grossière  culture,  cette 
jeune  plante  est  avortée. 

Quelquefois  même ,  le  dirai-jc,  un  spectacle  plus  déchirant  m'a 
navré;  je  vois  une  famille  affligée ,  j'approche  ;  un  enfant  venait 
d'expirer,  il  était  là. . .  Et  dabord  la  nature  arrachait  à  ce  cou- 


74  DOCUMENS  COMPLÉMENTAIRES. 

pie  infortuné  quelques  pleurs  ;  mais  bientôt  l'affreuse  indigence 
lui  présentait  cette  consolation  plus  amère  encore  que  ses  larmes... 
C'est  une  charge  de  moins. 

Utiles  et  malheureux  citoyens,  bientôt  peut-être  cette  charge 
ne  sera  plus  pour  vous  un  fardeau;  la  Uépublique  bienfaisante 
viendra  l'alléger  un  jour  ;  peut-être  rendus  à  l'aisance  et  aux 
douces  impulsions  de  la  nature,  vous  pourrez  donner  sans  regret 
des  enfans  à  la  patrie.  La  patrie  les  recevra  tous  également,  les 
élèvera  tous  également  sur  les  fonds  du  superflu  de  la  richesse ,  les 
nourrira  tous  également,  les  vêtira  tous  également  ;  |et  lorsque 
vous  les  reprendrez  tout  formés  de  ses  mains ,  ils  feront  rentrer 
dans  vos  familles  une  nouvelle  source  d'abondance,  puisqu'ils  y 
apporteront  la  force ,  la  santé ,  l'amour  et  l'habitude  du  travail. 

Quelque  considérable  que  dût  être  la  taxe  des  enfans ,  ce  ne 
serait  pas  un  motif  suffisant  pour  se  priver  des  avantages  d'une 
aussi  belle  institution ,  puisque  cette  taxe  ne  grèverait  que  le  ri- 
che ;  tandis  que  les  parens  dont  la  fortune  est  médiocre  paieraient 
au  dessous  de  ce  qu'il  leur  en  coûterait  chez  eux  pour  élever  leurs 
enfans. 

Mais  cette  charge  ne  sera  pas  énorme  si  vous  adoptez  quel- 
ques autres  dispositions  que  je  vous  propose. 

D'abord ,  le  produit  du  travail  des  enfans  viendra  au  soulage- 
ment de  la  dépense  de  la  maison:  tout  enfant  au-dessus  de  huit 
ans,  c'est-à-dire  plus  de  la  moitié  des  élèves,  peut  gagner  sa 
nourriture.  Il  n'y  aura  que  les  enfans  de  cinq,  six  et  sept  ans  qui 
seront  en  pure  charge  ;  ceux-^là  recevront  sans  rien  mettre.  Qui- 
conque a  vu  des  lieux  où  fleurit  l'industrie  sait  qu'on  connaît 
l'art  d'employer  fort  utilement  des  enfans  de  huit  ans  et  au- 
dessus. 

Tout  consiste  à  établir  un  ordre  sage ,  et  à  bien  monter  la 
machine. 

Ici  tous  les  intérêts  concourent  à  multiplier  auprès  des  maisons 
nationales  d'institution  des  objets  de  travaux  à  la  convenance  des 
enfans. 

Les  citoyens  du  canton  s'occuperont,  s'empresseront  d'en  ap- 


ANNÉE  1793.  75 

peler  les  occasions,  puisque  la  masse  des  produits  diminuera 
d'autant  la  charf^e  qu'ils  supportent. 

L'ardeur  des  enfans  sera  animée  par  des  encouragemens  qu'un 
règlement  sage  présentera  à  leur  émulation. 

Les  maîtn  s  eux-mêmes  recevront  des  recompenses  lorsque 
les  enfans  confies  à  leurs  soins  auront  emporte  le  prix  du  travail. 

Je  crois  qu'il  est  encore  une  autre  ressource  dont  nous  pour- 
rons grossir  les  fonds  destinés  à  nos  établissemens. 

Quelques  enfans  auront  des  revenus  personnels. 

Tant  qu'ils  seront  au  nombre  des  élèves  de  la  nation,  toute  dé- 
pense cesse  pour  eux:  qu' est-il  besoin  que  ces  revenus,  épargnés 
chaque  année,  grossissent  leurs  capitaux  pour  le  moment  où  ils 
seronten  âge  de  jouir  de  leur  bien  ?  N'est-il  pas  plus  naturel  que, 
pendant  le  temps  où  la  nation  prend  soin  d'eux ,  leurs  revenus 
soient  appliqués  à  la  dépense  commune? 

Notre  droit  positif  se  joint  ici  à  la  raison  pour  indiquer  cet 
emploi. 

Les  pères  et  mères ,  par  droit  de  garde ,  jouissaient  des  revenus 
do  leurs  enfans  mineurs;  mais  l'entretien  des  enfans  en  était  la 
con'iiion  et  la  cliarge:  alors  la  ciiarge  passerait  à  lu  patrie;  il 
[>aiaît  juste  et  convenable  qu'elle  jouisse  aussi  des  avantages. 

Voici  donc  comme  je  propose  de  doter  nos  établissemens  d'in- 
stitution nationale: 

i"  Le  produit  tin  travail  des  enfans; 

2°  Les  revenus  personnels  des  enfans  qui  y  seront  élevés ,  pen- 
dant tout  le  temps  dé  leur  éducation; 

ô°  Le  surplus  sera  fourni  par  les  produits  d'une  taxe  imposée 
sur  /o»s  les  citoijens  du  canton,  chacun  dans  la  proportion  de  ses 
facultés. 

Je  n'ajoute  plus  qu'une  observation  pour  terminer  cet  aperçu  : 
c'est  que  les  intéressés  devant  eux-mêmes  administrer,  ainsi  que 
je  vais  le  développer  dans  im  instant,  la  plus  sévère  économie 
sera  apportée  dans  les  dépenses. 

Les  dépenses  se  borneront  au  juste  nécessaire. 

Aucun  domestique  ne  sera  employé  dans  les  maisons  d'institu- 


76  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

tion  :  les  enfans  les  plus  ajjés  donneront  aux  plus  jeunes  les  se- 
cours dont  ils  pourront  avoir  besoin;  ils  feront,  chacun  à  leur 
tour,  le  service  commun;  i!s  apprendront ,  tout  à  la  fois,  à  se 
suffire  à  eux-mêmes ,  et  à  se  rendre  utiles  aux  autres. 

Il  n'existera  donc,  à  proprement  parler ,  que  trois  articles  de 
dépense  : 

Les  appointeraens  des  instituteurs  et  institutrices ,  le  vête- 
ment, la  nourriture  des  enfans. 

Je  propose  de  fixer  les  appointemens  des  instituteurs  à  quatre 
cents  livres ,  et  ceux  des  institutrices  à  trois  cents ,  en  leur  don- 
nant, pour  leur  nourriture,  double  portion  de  celle  des  enfans 
les  plus  âges. 

Quant  aux  vêtemens ,  les  étoffes  les  plus  communes  y  seront 
employées ,  et  vous  pourrez  concevoir  que  les  frais  n'en  seront 
pas  considérables. 

Tous  les  citoyens  du  canton  ayant  un  intérêt  commun  à  l'éco- 
nomie ,  chacun  y  mettra  un  peu  du  sien  ;  l'un  y  mettra  son  étoffe, 
l'autre  le  métier  qu'il  fait,  les  mères  de  famille  leur  travail; 
tous  se  partageront  la  tâche  à  l'envi ,  et  ainsi  la  charge  deviendra 
plus  légère  pour  tous. 

A  l'égard  de  la  nourriture,  les  ahmens  les  plus  simples  et  les 
plus  communs ,  à  raison  de  leur  abondance ,  seront  préférés. 

Il  sera  fait  un  éiat  de  ceux  qui  conviennent  à  la  santé  des  en- 
fans ;  et,  dans  le  nombre  déterminé,  on  choisira  toujours  celui 
que  le  climat  et  la  saison  offrent  à  moins  de  frais.  Je  crois  que  le 
vin  et  la  viande  en  doivent  être  exclus  :  l'usage  n'en  est  point  né- 
cessaire à  l'enfance;  et  pour  vous  présenter  un  aperçu  de  l'utile 
parcimonie  qu'on  peut  apporter  dans  les  frais  de  nourriture  des 
jeunes  élèves ,  je  vous  citerai  un  fait  que  tous  les  journaux  du 
temps  ont  publié.  *  Dans  le  grand  hiver  de  1788,  le  curé  de 
Sainte-Marguerite ,  à  Paris ,  employa  avec  le  plus  grand  succès 
une  recette  composée  d'un  mélange  de  plusieurs  espèces  d'ali- 
mens  ;  il  fit  vivre  fort  sainement  une  multitude  immense  de  mal- 
heureux, et  la  portion  d'un  homme  fait  n'allait  pas  à  trois  sous 
par  jour.  » 


ANNÉE  1793.  77 

Maintenant  il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  exposer  de  quelle 
manière  je  conçois  que  doit  être  organisée  l'administration  des 
nouveaux  établissemens  d'institution  publique. 

Quels  autres  que  les  pères  de  famille  du  canton  pourraient  re- 
cevoir celte  marque  honorable  de  la  confiance  publique  ? 

Qui  pourrait  y  apporter  un  intérêt  plus  direct  ? 

Où  trouverions-nous  une  surveillance  plus  éclairée? 

Les  pères  de  famille  ont,  tout  à  la  fois ,  et  le  droit  et  le  devoir 
de  couver  continuellement  des  regards  de  la  tendresse  et  de  la 
sollicitude  ces  intéressans  dépôts  de  leurs  plus  douces  espé- 
rances. 

Mais  aussi  aux  pères  de  famille  seuls  est  dû  cet  honneur ...  Le 
célibataire  ne  l'a  pas  encore  mérité. 

Je  propose  que,  tous  les  ans,  les  pères  de  famille  du  canton 
réunis  choisissent,  pour  chaque  maison  d'éducation  nationale 
qui  y  sera  établie ,  un  conseil  de  cinquante-deux  pères  pris  dans 
leur  sein. 

Chacun  des  membres  du  conseil  sera  obligé  de  donner  dans 
tout  le  cours  de  l'année  sept  jours  de  son  temps ,  et  chacun  fera 
sa  semaine  de  résidence  dans  la  maison  d'institution ,  pour  suivre 
la  conduite ,  et  des  enfans  et  des  maîtres. 

De  cette  manière ,  il  y  aura  pour  tous  les  jours  de  l'année  un 
père  de  famille  chargé  de  la  surveillance  :  ainsi  l'œil  de  la  pater- 
nité ne  perdra  pas  de  vue  l'enfance  d'un  seul  instant. 

Le  père  de  famille  surveillant  aura  pour  fonction  de  s'assurer 
de  la  bonne  qualité  et  de  la  juste  distribution  des  alimens ,  de 
maintenir  l'exécution  des  réglemens  pour  l'emploi  des  différentes 
heures  de  la  journée ,  d'activer  le  travail  des  mains ,  de  dresser 
l'état  des  lâches  que  chaque  enfant  aura  rempUes,  d'entretenir  la 
propreté  si  nécessaire  à  la  bonne  santé  des  élèves,  de  les  faire 
soigner  s'ils  sont  malados,  afin  de  tenir  constamment  les  enfans 
et  les  maîtres  dans  la  ligne  étroite  des  devoiis  qui  seront  tracés 
aux  uns  et  aux  autres. 

Une  fois  tous  les  mois  le  conseil  des  cinquante-deux  pères  de 
famille  s'assemblera,  et  chacun  y  rendra  compte  de  ses  observa- 


78  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

tions ,  des  plaintes  ou  des  éloges  dont  sa  semaine  de  surveillance 
lui  aura  fourni  l'occasion. 

Je  crois  utile  que  quelques  membres  des  autorités  constituées 
soient  présens  à  celte  séance ,  pour  qu'ils  puissent  sans  délai 
porter  remède  aux  abus  dont  ils  acquerraient  la  connaissance. 

Pour  l'administralion  pécuniaire,  pour  la  recette  et  pour  la  dé- 
pense ,  le  conseil  des  cinquante-deux  pères  formera  un  comité 
de  quatre  membres ,  pris  dans  son  sein ,  dont  les  fonctions  se- 
ront de  régler  tous  les  achats  pour  le  vêtement ,  la  nourriture  et 
l'entretien  de  la  maison  ;  de  prescrire ,  suivant  les  saisons ,  la 
nature  des  alimens  qui  seront  fournis  aux  enfans  ;  de  détermi- 
ner les  genres  de  travaux  corporels  auxquels  ils  seront  em- 
ployés ;  de  fixer  le  prix  de  leurs  tâches  ;  afin  de  tenir  tous  les 
registres. 

Chaque  mois  ils'  présenteront  leurs  comptes  au  conseil  des 
cinquante-deux  pères  de  famille ,  et  le  double  en  sera  adressé 
aux  autorités  constituées. 

Telle  est  l'administration,  tout  à  la  fois  simple  et  active, 
que  je  propose  pour  chaque  établissement  d'éducation.  Avt-c 
ces  précautions  ,  avec  cette  surveillance ,  avec  cette  économie  de 
l'intérêt  personnel ,  nous  pouvons  être  assurés  que  la  taxe,  tou- 
jours légère  pour  le  pauvre  et  pour  le  propriétaire  d'une  fortune 
médiocre ,  ne  sera  jamais  excessive  même  pour  le  riche.  Au  sur- 
plus ,  en  fait  de  taxe  publique,  c'est  moins  sa  mesure  qui  ap- 
pauvrit un  état ,  que  sa  mauvaise  répartition  ou  son  emploi  ;  or 
ici  les  caractères  les  plus  heureux  d'une  saine  économie  politique 
se  réunissent,  puisque  la  taxe  proposée  n'a  d'autres  effets  que 
de  placer  une  somme  de  surperfiu  pour  la  verser  sur  le  besoin. 
La  somme  d'une  dépense  qui  existait  auparavant ,  celle  de  la 
nourriture  et  de  l'entretien  des  enfans,  est  changée  ;  mais  alors 
tous  mettaient  également ,  c'était  une  charge  supportée  par  tête  ; 
aujourd'hui ,  dans  mon  système ,  elle  devient  proportionnelle 
aux  facultés.  La  pauvreté  n'y  met  presque  rien,  la  médiocrité 
reste  à  peu  près  au  même  point,  l'opulence  y  met  presque  tout. 

Eu  Angleterre ,  la  seule  taxe  des  pauvres  monte  à  soixante 


ANNÉE  1793.  79 

millions,  en  Angleterre,  dont  le  territoire  et  la  population  ne 
formeraient  à  peine  qu'un  tiers  de  la  France. 

Là,  une  contribution  aussi  énorme  est  employée  pour  guérir 
une  maladie  du  corps  politique.  En  France ,  la  taxe  des  enfans 
opérera  des  effets  plus  généraux  et  plus  salutaires,  puisqu'elle 
renouvellera  tous  les  élemens  de  l'état  ;  qu'elle  épurera ,  pour 
ainsi  parler,  tous  les  germes  nationaux ,  et  qu'elle  portera  dans 
la  république  les  principes  impérissables  d'une  vigueur  et  d'une 
santé  toute  nouvelle. 

Ce  mot  de  taxe  des  pauvres  me  fait  concevoir  une  pensée  à  la- 
quelle je  crois  quelque  moralité. 

Nous  regardons  comme  une  dette  de  la  société  l'obligation  de 
nourrir  les  vieillards  et  les  infirmes  hors  d'état  de  gagner  leur 
vie  ;  déjà  vous  en  avez  reconnu  lé  principe ,  cl  vous  vous  occupez 
des  moyens  a'exécution.  Pourquoi  élever  fl'spendieusement  de 
nouveaux  édifices?  Formons  une  réunion  doubiemenl  uiile  :  je 
voudrais  que  les  vieillards  à  la  chnrge  des  communes  d'uu  canton 
trouvassent  leur  asile  dans  une  partie  des  établissemens  destinés 
à  l'institution  publique. 

Là,  presque  sans  frais  ,  ils  partageraient  une  frugale  nourri- 
ture; là,  presque  sans  frais,  ils  recevraient  les  assistances  journa- 
lières qui  leur  sont  nécessaires  :  les  enfans  les  plus  âgés  et  les  plus 
forts  seraient  successivemenl  employés  à  l'honneur  de  les  servir. 

Quelle  utile  institution  !  Quelle  leçon  vivante  des  devoirs  so- 
ciaux ! 

Il  me  semble  qu'il  existe  quelque  chose  de  touchant  et  de  re- 
ligieux dans  le  rapprochement  du  premier  et  du  dernier  Age ,  de 
l'infirmité  caduque  et  de  la  vigueur  de  l'enfance. 

Ainsi  le  saint  respecl  pour  la  vieillesse,  la  compassion  pour  le 
malheur ,  la  bienfaisante  humanité ,  pénétreront  dans  l'ame  de 
nos  élèves  avec  leurs  premières  sensations  ,  s'y  graveront  pro- 
fondément ;  leurs  habitudes  mf'mes  deviendront  en  eux  des 
vertus. 


80  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

Tel  est ,  representans ,  l'aperru  rapide  du  plan  que  je  vous 
soumets. 

Jusqu'ici  il  me  semble  que  tous  ceux  qui  ont  traité  cette  ma- 
tière se  sont  appliqués  uniquement  à  former  un  système  d'in- 
struction publique  :  moi,  j'ai  cru  qu'avant  l'inslruclion  il  fallait 
fonder  l'éducation  publique. 

L'une  est  profitable  à  plusieurs  ,  l'autre  est  le  bien  de  tous. 

Celle-là  propage  des  connaissances  utiles  ,  celle-ci  crée  et  mul- 
tiplie des  habitudes  nécessaires. 

Bientôt  dans  mon  plan  l'instruction  publique  aura  sa  place  dé- 
signée ,  c'est  une  décoration  partielle  de  l'édifice  ;  mais  l'éduca- 
tion publique  est  la  base  fondamentale  sur  laquelle  l'édifice  en- 
tier est  assis. 

L'institution  publique  ,  comme  je  la  conçois ,  sans  nuire  aux 
ans  ni  à  l'agriculture ,  leur  prépare  au  contraire  une  nouvelle 
prospérité;  elle  leur  emprunte  quelques  années  de  l'enfance,  mais 
pour  leur  rendre  bientôt  des  bras  plus  vigoureux  et  doués  encore 
de  toute  la  flexibilité  du  premier  âge. 

Ainsi  la  population  recevra  de  puissans  encouragemens. 

Ainsi  les  mères,  par  leur  propre  intérêt,  seront  ramenées  au 
plus  doux  des  devoirs ,  à  celui  d'allaiter  elles-mêmes  leurs  enfans. 

Ainsi,  jusqu'à  cinq  ans,  l'eni^nce  sera mioins  abandonnée  à 
une  pernicieuse  incurie  ;  des  encouragemens  et  quelques  lumières 
conserveront  à  la  République  une  foule  inno!iibra!)le  de  ces  êtres 
malheureux,  que  la  nature  constitua  pour  vivre,  et  que  la  négli- 
gence condamne  ,  chaque  année  ,  à  péril". 

Ainsi ,  depuis  cinq  ans  jusqu'à  douze  ,  c'est-à-dire  dans  celte 
portion  de  :a  vie  si  décisive  pour  donner  à  lêlre  physique  et  mo- 
ral la  modification,  l'impression,  l'hubiiude  qu'il  conservera 
toujours,  tout  ce  qui  doit  composer  la  République  sera  jeté  dans 
un  moule  républicain. 

Là  ,  traités  tous  également,  nourris  également,  vêtus  égale- 
ment, enseignés  également,  l'égalité  sera  pour  les  jeunes  élèves, 
non  une  spécieuse  théorie ,  mais  une  pratique  continuellement 
effective. 


ANNÉE  1793.  gl 

Ainsi  se  formera  une  race  renouvelée  ,  laborieuse ,  réglée , 
disciplinée ,  et  qu'une  barrière  impénétrable  aura  séparée  du 
contact  impur  des  préjugés  de  notre  espèce  vieillie. 

Ainsi  réunis  tous  ensemble,  tous  indépendans  du  besoin  ,  par 
la  munificence  nationale,  la  même  instruction,  les  mêmes  con- 
naissances leur  seront  données  à  tous  également  ;  et  les  circon- 
stances particulières  de  l'éloignement  du  domicile,  de  l'indigence 
des  parens  ne  rendront  illusoire  pour  aucun  le  bienfait  de  la  pa- 
trie. 

Ainsi  la  pauvreté  est  secourue  dans  ce  qui  lui  manque  ;  ainsi 
la  richesse  est  dépouillée  d'une  portion  de  son  superflu  :  et  sans 
crise  ni  convulsion ,  ces  deux  maladies  du  corps  politique  s'atté- 
nuent insensiblement. 

Depuis  long-îemps  elle  est  attendue ,  celle  occasion  de  secourir 
une  portion  nombreuse  et  intéressante  de  la  société  ;  les  révolu- 
tions qui  se  sont  passées  depuis  trois  ans  OTit  tout  fait  pour  les 
autres  classes  de  citoyens,  presque  rien  encore  pour  la  plus  né- 
cessaire peut-être,  pour  les  citoyens  prolétaiies,  dont  la  seule 
propriété  est  dans  le  travail. 

La  féodalité  est  détruite ,  mais  ce  n'est  pas  pour  eux  ;  car  ils 
ne  possèdent  rien  dans  les  campagnes  affranchies. 

Les  contributions  sont  plus  justement  réparties  ;  mais ,  par 
leur  pauvreté  même ,  ils  étaient  presque  inaccessibles  à  la  charge  : 
pour  eux ,  le  soulagement  est  aussi  presque  insensible. 

L'égalité  civile  est  rétablie ,  mais  l'instruction  et  réducation 
leur  manquent:  ils  supportent  tout  le  poids  du  litre  de  citoyen; 
ont-ils  vraiment  aptitude  aux  honneurs  auxquels  le  citoyen  peut 
prétendre? 

Jusqu'ici  l'abolition  de  la  gabelle  est  le  seul  bien  qui  ait  pu  les 
atteindre,  car  la  corvée  n'existait  déjà  plus,  et  momentanément 
ils  ont  souffert  par  la  chertédes  denrées,  par  le  ralentissement  du 
travail,  et  par  l'agitation  inséparable  des  tempêtes  politiques. 

Ici  est  la  révolution  du  pauvre mais  révuliii'on  douce  et 

paisible,  révolution  qui  s'opère  sans  alarmer  la  propriété,  et 

sans  offenser  la  justice.  Adoptez  les  enfans  des  citoyens  sans  pro- 

T.  XXI v.  Q 


8:2  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

priété,  et  il  n'existe  plus  pour  eux  d'indigence.  Adoptez  leurs 
enfans,  et  vous  les  secourez  dans  la  portion  la  plus  chère  de  leur 
être.  Que  ces  jeunes  arbres  soient  transplantés  dans  la  pépinière 
nationale  ;  qu'un  même  sol  leur  fournisse  ses  sucs  nutritifs; 
qu'une  cuiture  vigoureuse  les  façonne  ;  que,  pressés  les  uns  contre 
les  autres,  vivifiés  comme  par  les  rayons  d'un  astre  bienfaisant, 
ils  croissent ,  se  développent ,  s'élancent  tous  ensemble  et  à 
l'envi  sous  les  regards  et  sous  la  douce  influence  de  la  pair  je. 

L'enfant  est  parvenu  à  douze  ans  ;  à  cet  âge  finit  pour  lui 
l'institution  publique  :  il  est  temps  de  le  rendre  aux  divers  tra- 
vaux de  l'industrie. 

L'en  séparer  davantage,  ce  serait  nuire  à  la  société. 

Mais  jusque  là  la  société  a  payé  sa  dette  rigoureuse  envers  lui, 
elle  lui  a  conservé  tout  ce  qu'il  reçut  de  la  nature,  elle  en  a  uiéme 
perfectionné  les  dons  dans  sa  personne  :  il  est  susceptible  de  tout , 
le  sol  est  fertilisé  pour  toute  espèce  de  productions.  Le  jeune 
élève  a  les  habitudes  physiques  et  morales  nécessaires  dans  tous 
les  états ,  il  a  les  connaissances  d'une  commune  utilité  aux  ci- 
toyens de  toutes  les  professions  :  en  un  mot,  il  a  la  préparation , 
la  modification  générale  qu'il  lui  importe  d'avoir  reçue ,  soit 
pour  le  bien-être  particulier  de  sa  vie ,  soit  pour  constituer  iiti- 
lenient  une  des  portions  élémentaires  destinées  à  composer  la 
République. 

Cependant ,  à  cet  âge  placé  entre  la  jeunesse  et  l'enfance ,  la 
paii  ie  ne  peut  pas  cesser  toute  surveillance  :  des  soins  sont  en- 
core dus  à  l'adolescence ,  parce  qu'ils  lui  sont  encore  nécessaires  ; 
cl  ici  se  présentent  à  nous  des  questions  dont  l'intérêt  est  vrai- 
ment digne  de  l'altenlion  du  législateur. 

Au  sortir  de  l'institution  publique,  l'agriculture  et  les  arls  mé- 
caniques vont  appeler  la  plus  grande  partie  de  nos  élèves ,  car 
ces  deux  classes  constituent  la  presque  totalité  de  lanaliott. 

Une  irès-peiite  portion,  mais  choisie,  sera  destinée  à  lacj,J- 
ture  dçà  arts  agréables  et  aux  études  qui  tiennent  à  l'esprit. 

Yoyufts  quels  sont  les  devoirs  de  la  société  envers  les  Uft»  çt 
les  autres. 


ANNÉE  1793.  85 

Quant  aux  premiers,  l'apprentissage  de  leurs  divers  métiers 
n'est  pas  du  ressort  de  la  loi.  Le  meilleur  maître ,  c'est  l'intérêt  ; 
la  leçon  la  plus  persuasive,  c'est  le  besoin.  Les  champs,  les  ateliers 
sont  ouverts;  ce  n'est  point  à  la  République  à  instruire  chaque 
cultivateur  et  chaque  artisan  en  particulier  ;  tout  ce  qu'elle  peut 
faire ,  c'est  de  surveiller  en  général  le  perfectionnement  de  l'a- 
griculture et  des  arts ,  surtout  d'en  développer  les  progrès  par 
des  encouragemens  efficaces  et  par  les  lois  d'une  saine  économie. 

Laisserons-nous  pourtant  à  un  abandon  absolu  ces  deux  classes 
nombreuses  de  jeunes  citoyens  devenus  artisans  et  laboureurs  ? 
ou  plutôt  la  société  ne  doit-elle  pas  continuer  encore  envers  eux 
les  soins  de  quelque  culture  morale? 

Voici  ce  qui  m'a  paru  utile  et  en  même  temps  praticable, 

La  semaine  appartient  au  travail,  les  en  détourner  serait  ab- 
surde et  impossible  ;  mais  aux  jours  de  délassement ,  à  certaines 
époques  qui  seront  déterminées,  il  est  bon,  il  est  convenable  que 
la  jeunesse  retrouve  des  exercices  du  corps.  Quelques  leçons, 
des  fêtes,  des  rassembicmens  qui  appellent  son  attention ,  inté- 
ressent sa  curiosité,  excitent  son  émulation.  Ainsi  les  heureuses 
impressions  qu'aura  reçues  l'enfance  ne  s'effaceront  point  ;  et 
sans  rien  dérober  du  temps  nécessaire  aux  travaux ,  le  repos  ces- 
sera d'être  oisif,  et  le  plaisir  lui-même  présentera'  des  instruc- 
tions. 

Vos  comités  ,  dans  un  travail  vraiment  philosophique  ,  vous 
ont  offert  des  moyens  d'appeler  dans  des  solennités  civiques  la 
jeunesse  sortie  des  premières  écoles. 

Ici  donc  s'achève  mon  plan  par  celui  de  vos  comilés ,  je  n'a- 
jouterai rien  de  neuf,  et  vos  moraens  sont  précieux. 

Voici  mon  projet  de  décret  : 

ARTICLES  GÉNÉRAUX. 

Art.  i .  Tous  les  enfans  seront  élevés  aux  dépens  de  la  Repu- 
bUque,  depuis  l'âge  de  cinq  ans  jusqu'à  douze  pour  les  garçons , 
et  depuis  cinq  ans  jusqu'à  ouae  pour  les  filles. 


84  DOCUMENS   COMPLÉMENTAIRES. 

2.  L'éducation  nationale  sera  égale  pour  tous;  tous  recevront 
même  nourriture ,  mêmes  vêtemens ,  même  instruction ,  mêmes 
soins. 

5.  L'éducation  nationale  étant  la  dette  de  la  République  eu- 
vers  tous ,  tous  les  enfans  ont  droit  de  la  recevoir,  et  les  parens 
ne  pourront  se  soustraire  à  l'obligation  de  les  faire  jouir  de  ses 
avantages. 

4.  L'objet  de  l'éducation  nationale  sera  de  fortifier  le  corps  des 
enfans,  de  le  développer  par  des  exercices  de  gymnastique  ,  de 
les  accoutumer  au  travail  des  mains,  de  les  endurcir  à  toute  es- 
pèce de  fatigue,  de  les  plier  au  joug  d'une  discipline  salutaire, 
de  former  lear  cœur  et  leur  esprit  par  des  instructions  utiles,  et 
de  leur  donner  les  connaissances  qui  sont  nécessaires  à  tout  ci- 
toyen, quelle  que  soit  sa  profession. 

5.  Lorsque  les  enfans  seront  parvenus  au  terme  de  l'éducation 
nationale ,  ils  seront  remis  entre  les  mains  de  leurs  parens  ou  tu- 
teurs, et  rendus  aux  travaux  des  divers  métiers  et  de  l'agricul- 
ture ,  sauf  les  exceptions  qui  seront  spécifiées  ci-après ,  en  fa- 
veur de  ceux  qui  annonceraient  des  talens  et  des  dispositions  par- 
ticulières. 

6.  Le  dépôt  des  connaissances  humaines  et  de  tous  les  beaux- 
arts  sera  conservé  et  enrichi  par  les  soins  de  la  République  ;  leur 
étude  sera  enseignée  publiquement  et  gratuitement  par  des 
maîtres  salariés  par  la  nation.  Leurs  cours  seront  partagés  en 
trois  degrés  d'instruction:  les  écoles  publiques ;,  les  instituts,  les 
lycées. 

7.  Les  enfans  ne  seront  admis  à  ces  cours  qu'après  avoir  par- 
couru celui  de  l'éducation  nationale. 

Ils  ne  pourront  être  reçus  avant  l'âge  de  douze  ans  aux  écoles 
publiques. 

Le  cours  d'étude  y  sera  de  quatre  années;  il  sera  de  cinq  dans 
les  instituts ,  et  de  quatre  dans  les  lycées. 

8.  Pour  l'étude  des  belles-lettres ,  des  science^  et  des  beaux- 
rtrts,  il  en  sera  choisi  un  sur  cinquante.  Les  enfans  qui  auront 
été  choisis  seront  entretenus  aux  frais  de  la  République  auprès 


ANNÉE    1705.  80 

des  écoles  publiques  pendant  le  cours  d'éludé  de  quatre  ans. 

9.  Parmi  ceux-ci,  après  qu'ils  auront  achevé  ce  premier  cours, 
il  en  sera  choisi  la  moitié,  c'est-à-dire  ceux  dont  lestalens  se  se- 
ront développés  davantage;  ils  seront  également  entretenus ,  aux 
dépens  de  la  République ,  auprès  des  instituts  pendant  les  cinq 
années  du  second  cours  d'étude. 

Enfin  moitié  des  pensionnaires  de  la  République  qui  auront 
parcouru  avec  plus  de  distinction  le  degré  d'instruction  des  ins- 
tituts sera  choisie  pour  être  entretenue  auprès  du  lycée  ,  et  y 
suivre  le  cours  d'étude  pendant  quatre  années. 

iO.  Le  mode  de  ces  élections  sera  déterminé  ci-après. 

H.  Ne  pourront  élre  admis  à  concourir  ceux  qui ,  par  leurs 
facultés  personnelles,  ou  celles  de  leurs  parens,  seraient  en  état 
de  suivre ,  sans  les  secours  de  la  République ,  ces  trois  degrés 
d'instruction. 

12.  Le  nombre  et  l'emplacement  des  écoles  publiques,  des  ins- 
tituts et  des  lycées,  le  nombre  des  maîtres  et  le  mode  de  l'instruc- 
tion seront  déterminés  ci-après. 

DE  L'ÉDUCATION  NATIONALE. 

Art.  1.  Il  sera  formé  dans  chaque  canton  un  ou  plusieurs  éia- 
blissemens  d'éducation  nationale ,  où  seront  élevés  les  enfans  de 
l'un  ou  de  l'autre  sexe,  dont  les  pères  et  mères,  ou,  s'ils  sont 
orphelins ,  dont  les  tuteurs  seront  domiciliés  dans  le  canton. 

Pour  les  villes,  les  enfans  de  plusieurs  sections  pourront  être 
réunis  dans  le  même  établissement. 

2.  Lorsqu'un  enfant  aura  atteint  ITige  de  cinq  ans  accomplis, 
ses  père  et  mère ,  ou ,  s'il  est  orphelin ,  son  tuteur ,  seront  tenus 
de  le  conduire  à  la  maison  d'éducation  nationale  du  canton,  et 
de  le  remettre  entre  les  mains  des  personnes  qui  y  sont  pré- 
posées. 

5.  Les  pères  et  mères  ou  tuteurs  qui  négligeraient  de  remplir 
ce  devoir  perdront  les  droits  de  citoyens ,  et  seront  soumii;  à  une 


86  DOCL'MENS  COMl'LÉMËN'i AIRES. 

double  imposition  directe  pendant  tout  le  temps  qu'ils  soustrai- 
ront Tenfent  à  l'éducalion  commune. 

4.  Lorsqu'une  femme  conduira  un  enfant  âgé  de  cinq  ans  à 
Fëtablissement  de  l'éducation  nationale,  elle  recevra  de  la  Répu- 
blique, pour  chacun  desquatrepremiers  enfans  qu'elle  aura  élevés 
jusqu'à  cet  âge ,  la  somme  de  cent  livres ,  le  double  pour  chaque 
enfant  qui  excédera  le  nombre  de  quatre  jusqu'à  huit,  et  enfin 
trois  cents  livres  pour  chaque  enfant  qui  excédera  ce  dernier 
nombre. 

Aucune  mère  ne  pourra  refuser  l'honneur  de  cette  récompense  ; 
elle  n'y  aura  droit  qu'autant  qu'elle  justifiera  par  une  attestation 
de  la  municipalité  qu'elle  a  allaité  son  enfant. 

5.  Il  sera  rédigé  avec  simplicité ,  brièveté  et  clarté,  une  instruc- 
tion indicative  des  attentions,  du  régime  et  des  soins  qui  peuvent 
contribuer  à  la  conservation  et  à  la  bonne  santé  des  enfans  pen- 
dant la  grossesse  des  mères,  le  temps  de  la  nourriture,  du  se- 
vrage ,  et  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  atteint  l'âge  de  cinq  ans. 

G.  La  Convenlion  invite  les  citoyens  à  concourir  à  la  rédaction 
de  cette  instruQlion ,  à  adresser  leur  ouvrage  à  son  comité  d'ins- 
truction publique. 

L'auteur  de  l'instruction  qui  aura  été  jugée  la  meilleure,  et 
adoptée  par  la  Convention ,  aura  bien  mérité  de  la  patrie,  et  re- 
cevra une  récompense  de  vingt-quiitre  mille  livres. 

7.  A  la  tête  de  cette  instruction ,  sera  imprimé  l'article  ci- 
après. 

8.  Les  officiers  publics  chargés  de  recevoir  les  déclarations  des 
mariages  et  des  naissances  seront  tenus  de  remettre  un  exem- 
plaire de  cette  instruction  à  chaquo  personne  qui  se  présentera 
devant  eux  pour  déclarer  son  mariage. 

9.  Tous  les  enfans  d'un  canton  ou  d'une  section  seront,  autant 
qu'il  sera  possible,  réunis  dans  un  seul  établissement  ;  il  y  aura 
pour  cinquante  garçons  un  instituteur,  et  pour  pareil  nombre  de 
tilles  une  insiilutrice. 

Dans  chacune  de  ces  divisions ,  les  enfans  seront  classés  de 
manière  que  les  plus  âgés  seront  chargés  de  srtrveiller  et  de  faire 


ANNÉE  i795.  87 

répéter  les  plus  jeunes,  sous  les  ordres  de  l'inspecteur,  de  l'insti- 
tuteur ou  de  l'institutrice,  ainsî  qu'il  sera  expliqué  par  le  règle- 
ment. 

10.  Durant  le  cours  de  l'éducation  nationale,  le  temps  dts  en- 
fans  sera  partagé  entre  l'étude,  le  travail  des  mains  et  les  exer- 
cices de  la  gymnastique. 

li.  Les  garçons  apprendront  à  lire,  écrire,  compter,  et  il 
leuï*  éëra  donné  les  premières  notions  du  mesurage  et  de  lar- 
pentage. 

Leur  mémoire  sera  cultivée  et  développée  ;  on  leur  fera  ap- 
prendre par  cœur  quelques  chants  civiques  et  le  récit  des  traits 
les  plus  frappans  de  l'histoire  des  peuples  libies  et  de  celle  de  la 
révolution  française. 

Ils  recevront  aussi  des  notions  de  la  constitution  de  leur 
pays,  delà  morale  universelle  et  de  l'économie  rurale  et  domes- 
tique. 

là.  Les  filles  apprendront  à  lire,  à  écrire,  à  compter.  Leur 
mémoire  sera  cultivée  par  l'étude  des  chants  civiq'jcs ,  et  quel- 
ques traits  de  l'histoire  propres  à  développer  les  vertus  de  leur 
sexe. 

Elles  recevront  aussi  des  notions  de  morale  et  d'économie  do- 
mestique et  rurale. 

13.  Là  principale  partie  de  la  journée  sera  employée  par  les 
erifanâ  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  au  travail  des  mains. 

Les  garçons  seront  employés  à  des  travaux  analogues  à  leur 
âge,  soit  à  rariiass^»r,  à  répandre  des  matériaux  sur  les  routes , 
soit  dans  les  ateliers  des  manufactures  qui  se  trouveraient  à  por- 
tée dés  maisons  d'éducation  nationnle ,  soit  à  des  ouvrages  qui 
pourraient  s'exécuter  dans  l'intérieur  même  de  la  maison  :  tous 
seront  exercés  à  travailler  à  la  terre. 

Les  filles  appreiidront  à  filer,  à  coudre  et  à  blanchir;  elles 
pourront  être  einployées  dans  les  ateliers  de  manufacîuros  qui 
seront  voisines,  ou  ù  des  ouvrages  qui  pourront  s'exécuter  dans 
l'intérieur  de  la  maison  déduraiion. 


^  DOCLMliNS  COIII'LÉMEM AIRES. 

14.  Ces  différens  travaux  seront  distribués  à  la  lâche,  aux  en« 
fans  de  l'un  et  l'autre  sexe. 

La  valeur  de  chaque  lâche  sera  estimée  et  fixée  par  l'adminis- 
tration des  pères  de  famille,  dont  il  sera  parlé  ci-ap;ès. 

do.  Le  produit  du  travail  des  enfans  sera  employé  ainsi  qu'il 
suit: 

Les  neuf  dixièmes  en  seront  appliqués  aux  dépenses  de  la  mai- 
son ;  un  dixième  sera  remis  à  la  fin  de  chaque  semaine  à  l'enfant, 
pour  en  disposer  à  sa  volonté. 

16.  Tout  enfant  de  l'un  et  l'autre  sexe,  âgé  de  plus  de  huit 
ans,  qui  dans  la  journée  précédente,  si  c'est  un  jour  de  travail, 
n'aura  pas  rempli  une  lâche  équivalente  à  sa  nourriture,  ne 
prendra  son  repas  qu'après  que  les  antres  enfans  auront  achevé 
le  leur  ,  et  il  aura  la  honte  de  manger  seul  ;  ou  bien  il  sera 
puni  par  une  hunîiliation  publique  qui  sera  indiquée  par  le  rè- 
glement. 

17.  Les  moyens  et  les  jours  de  délassement  seront  employés 
à  des  exercices  de  gymnastique ,  qui  seront  indiqués  par  le  rè- 
glement. Les  garçons  seront  formés  en  outre  au  maniement  des 
armes. 

18.  Aucun  domestique  ne  sera  employé  dans  les  maisons  d'é- 
ducation nationale.  Les  enfans  les  plus  âgés,  chacun  à  leur  tour, 
et  sous  les  ordres  et  l'inspection  des  instituteurs  et  institutrices, 
rempliront  les  diverses  fonctions  du  service  journalier  de  la  mai- 
son ,  ainsi  qu'il  sera  expliqué  par  le  règlement. 

19.  Les  enfans  lecevront  également  et  uniformément ,  chacun 
suivant  leur  âge ,  une  nourriture  saine ,  mais  frugale  ;  un  habille- 
ment commode ,  mais  grossier  ;  ils  seront  couchés  sans  mollesse  : 
de  telle  sorte  que,  quelque  profession  qu'ils  embrassent,  dans 
quelques  circonstances  qu'ils  puissent  se  trouver  durant  le  cours 
de  leur  vie ,  ils  apportent  l'habitude  de  pouvoir  se  passer  des 
commodités  et  des  superfluités ,  et  le  mépris  des  besoins  factices. 

20.  Dans  Tinlérieur,  ou  à  portée  des  maisons  d'éducation  na- 
tionale, seront  placés,  autant  qu'il  sera  possible,  les  vieillards  ou 


ANNÉE  '1793.'  89 

iiifiimes  hors  d'étal  de  gagner  leur  vie,  et  qui  seront  à  !a  charge 
de  la  commune. 

Les  enfans  seront  employés  chacun  à  leur  tour,  suivant  leur 
force  et  leur  âge,  à  leur  service  et  assistance. 

21.  Les  étabhssemens  de  l'éducation  nationale  seront  placés 
dans  les  édifices  publics,  maisons  religieuses  ou  habitations  d'é- 
migrés, s'il  en  existe  dars  le  canton  ;  s'il  n'en  existait  point,  les 
corps  administratifs  sont  autorisés  à  choisir  un  local  convenable 
dans  les  châteaux  dépeiidans  des  ci-devant  fiefs,  après  avoir  toute- 
fo's  payé  aux  propriétaires  la  juste  et  préalable  indemnité.  Enfin , 
à  défaut  de  ces  ressources,  il  sera  pourvu  autremeMù  la  forma- 
tion la  plus  économique  (et  par  devis)  de  ces  établissemens. 

22.  Chaque  instituteur  recevra  un  traitement  de  400  livres, 
et  chaque  institutrice  500  livres  ;  ils  auront  en  outre  le  logement 
et  double  portion  de  la  nouriiiure  des  enfans  les  plus  âgés. 

25.  Les  dépenses  des  établissemens  d'éducation  nationale  se- 
ront supportées  ainsi  qu'il  suit  : 

Les  récompenses  fixées  par  l'ariicle  4  ci-dessus  en  faveur  des 
mères  qui  ont  allaité  leurs  enfans  et  les  auront  élevés  jusqu'à  l'âge 
de  cinq  ans,  ainsi  que  les  traitemens  en  argent  des  instituteurs 
et  institutrices,  seront  à  la  charge  de  la  République. 

Quant  aux  frais  d'établissement  et  d'entretien  des  maisons  d'é- 
ducation  nationale,  à  la  nourriture  et  au  vêtement  des  enfans,  et 
antres  dépenses  de  la  maison ,  il  y  sera  pourvu  :  1»  par  le  produit 
du  travail  des  enfans,  s^mf  la  retenue  du  dixième,  dont  il  est 
autrement  disposé  par  l'article  16  ci-dessus;  2°  les  revenus  per- 
sonnels qui  pourraient  appartenir  aux  enfans  élevés  dans  lesdites 
maisons  seront  employés  à  la  dépense  commune  pendant  tout  le 
temps  c|u'ils  y  demeureront;  5"  le  surplus  sera  acquitté,  comme 
charge  locale,  par  toutes  les  personnes  domiciliées  dans  le  can- 
ton ou  section,  chacun  au  marc  la  livre  de  ses  facultés  présumées, 
d'après  la  cote  de  ses  impositions  directes. 

24.  Pour  régir  et  surveiller  chaque  élablissement  d'éducation 
nationale,  les  seuls  pères  de  lamille  domicilies  dans  !e  canton  ou 


90  DCMJUMEiVS  COMPLÉMENTAIRES. 

section  formeront  un  conseil  de  cinquante-deux  personnes  choi- 
sies parmi  eux. 

Chaque  membre  du  conseil  sera  tenu  à  sept  jours  de  surveil- 
lance dans  le  cours  de  l'année,  en  sorte  que  chaque  jour  un  père 
de  famille  sera  de  service  dans  la  maison  d'éducation. 

Sa  fonction  sera  de  veiller  à  la  préparation  et  à  la  distribution 
des  alimens  des  enfans,  à  l'emploi  du  temps  et  à  son  partage 
entre  l'étude,  le  travail  des  mains  et  les  exercices,  à  l'exactitude 
des  instituteurs  et  institutrices  à  remplir  les  devoirs  qui  leur  sont 
confiés,  à  la  propreté  et  à  la  bonne  tenue  des  enfans  et  de  la  mai- 
son ,  au  maintien  et  à  l'exécution  du  règlement  j  enfin  à  pourvoir 
à  ce  que  les  enfans  reçoivent,  en  cas  de  maladie,  les  secours  et 
les  soins  convenables. 

Le  surplus  et  le  détail  des  fonctions  du  père  de  famille  sur- 
veillant seront  développés  par  le  règlement. 

Le  conseil  des  pères  de  famille  commettra  en  outre  une  admi- 
nistration de  quatre  membres  tirés  de  son  sein  pour  déterminer, 
selon  le  temps  et  les  saisons,  les  alimens  qui  seront  donnés  aux 
enfans ,  régler  riiabillement ,  fixer  les  genres  de  travail  des  mains 
auxquels  les  enfans  seront  employés ,  et  en  arrêter  lé  prix. 

L'organisation  et  les  devoirs,  tant  du  conseil  général  des  pè- 
res de  famille  que  de  l'administration  particulière ,  seront  plus 
amplement  déterminés  par  un  rëj^lemënt. 

2o.  Au  commencement  de  chaqiie  année ,  le  cbtiseil  des  jières 
de  famille  fera  passer  au  département  l'état  des  enfans  qui  au- 
ront été  élevés  dans  la  maison  d'éducation  nationale  de  leur  can- 
ton ou  section  et  de  ceux  qui  sont  morts  dans  le  coûtant  de  l'an- 
née précédente. 

Il  enverra  pareillemeiit  l'état  ou  produit  du  trardil  dés  ëtifans 
pendant  l'année. 

Les  deux  états  ci-dessus  dénoncés  seront  doubles  :  Tim  pour  les 
garçons,  et  l'autre  pour  les  filles. 

Il  sera  accordé  par  le  département  une  gratification  de  300  li- 
vres à  chacun  des  instituteurs  de  la  maison  dans  laquelle  il  sera 
mort,  pendant  le  cours  de  l'année ^  un  moindre  nombre  d'ewfâns 


ANNÉE  1795.  91 

comparativement  aux  autres  rraisons  situées  dans  le  département, 

et  en  oljservant  les  proportions  du  nombre  des  enfans  qui  y  ont 

été  élevés. 
Pareille  gratification  sera  accordée  à  chacun  des  instituteurs  de 

la  maison  dans  laquelle  le  produit  du  travail  des  enfans  aura  été 

le  plus  considérable ,  comparativement  avec  les  autres  maisons  du 

département ,  et  en  observant  aussi  les  proportions  du  nombre 

des  enfans  qui  y  auront  été  élevés.  Les  dispositions  précédentes 

auront  lieu  pareillement  en  faveur  des  institutrices  des  filles. 

Le  département  fera  imprimer  chaque  année  le  nom  des  mai- 
sons, celui  des  instituteurs  et  institutrices  qui  auront  obtenu  cet 
honneur.  Ce  tableau  sera  envoyé  au  corps  législatif  et  affiché 
dans  chacune  des  municipalités  du  département. 

Pour  la  parfaite  organisation  des  écoles  primaires ,  il  sera  pro- 
cédé au  concours,  ù  la  composition  des  livres  élémentaires  qui 
vont  être  indiqués,  et  à  la  solution  des  questions  suivantes. 

LIVRES  ÉLÉMENTAIRES  A  COMPOSER. 

1"  Méthode  pour  apprendre  ai:X  enfans  ù  lirejà  écrire,  à  comp- 
ter, et  pour  ieur  donner  les  notions  les  plus  nécessaires  de  l'ar- 
|)eniage  et  du  mesUiage. 

2"  Principes  sommaires  de  !a  constitution,  de  la  morale,  de 
l'économie  domestique  et  rurale  ;  récit  des  faits  les  plus  remar- 
(|uabî(,'s  de  riiistoiic  des  peuples  libres  et  de  la  révoluiion  Iran- 
çaise  ;  le  tout  divisé  par  leçons  propres  à  e:tercer  la  n^émoire  des 
enfans,  et  à  développer  en  eux  le  fjerme  des  vertus  civiles  et  des 
sentimens  républicains. 

!2"  Hèffiement  gt^neral  de  discipline  pour  être  obserré  dans  tou- 
tes les  maisons  d'éducation  nationale. 

4"  Instruction  à  l'usaj^e  des  instituteurs  et  inslilutrices,  de  leurs 
obligations ,  des  soins  physiques  cju'il  doivent  prendre  des  enfans 
(|ui  leur  sorti  confiés,  et  des  njoyens  moraux  qu'ils  doivent  em- 
ployer pour  éioutïiT  en  eux  le  germe  des  défauts  et  des  vices, 
developpei"  celui  des  vertus  et  dccouvrir  celui  des  taiens. 


92  bOCUUENS   COMPLÉMENTAIRES. 

Le  comité  d'instruction  publique  spécifiera  par  un  progframme 
l'objet  (le  ces  différens  ouvrages. 

Tous  les  ciloyens  sont  invités  à  concourir  à  la  rédaction  de  ces 
livres  élémentaires ,  et  à  adresser  leurs  travaux  au  comité  d'ins- 
truction publique. 

L'auteur  de  chacun  de  ces  livres  élémentaires  qui  aura  été  jugé 
le  meilleur  et  adopté  par  la  Convention  aura  bien  mérité  de  la 
patrie,  et  recevra  une  récompense  de  quarante  mille  livres. 

QUESTIONS  A  RÉSOUDRE. 

1°  Quelle  est  la  forme  d'habillement  complet  des  enfans  de 
l'un  et  de  l'autre  sexe,  le  plus  commode  et  le  plus  économique? 

Il  sera  présenté  deux  modèles,  l'un  pour  l'habillement  des 
garçons,  l'autre  pour  celui  des  filles. 

L'auteur  du  modèle  qui  sera  adopté  par  la  Convention  recevra 
une  récompense  de  trois  mille  livres. 

2°  Qoels  sont  les  divers  genres  d'alimens  les  plus  convenables 
aux  enfans,  depuis  l'âge  de  cinq  ans  jusqu'à  douze  ans,  et  en 
même  temps  les  plus  économiques  ? 

Les  receltes  qui  seront  indiquées  par  les  citoyens  devront , 
autant  qu'il  sera  posaible,  être  variées  et  multipliées;  ils  auront 
égard  aux  productions  qui  sont  les  plus  communes  selon  la  saison 
et  les  différens  climats  de  la  République.  Elles  contiendront 
également,  pour  chaque  espèce  de  climats,  les  quantités  qui  fe- 
ront par  jour  la  portion  de  l'enfant ,  en  graduant  les  quantités 
indiquées  suivant  les  différens  âges. 

5°  Quels  sont  les  soins  et  attentions  physiques  propres  à  con- 
server et  à  fortifier  la  santé  des  enfans  ?  Quels  sont  les  exercices 
de  gymnastique  les  plus  propres  à  favoriser  leur  croissance  ,  dé- 
velopper leurs  muscles  et  leur  donner  force,  adresse  et  agilité? 

4"  Quels  sont  les  divers  genres  de  travail  des  mains  auxquels 
on  peut  le  plus  commodément,  le  plus  utilement  employer  les  en- 
fans dans  l'intérieur  des  maisons  d'éducation  nationale ,  lorsqu'ils 
ne  seront  pas  occupés  à  des  travaux  au  dehors  ?  Et  quelle  est  la 


ANNÉE  1793.  93 

méthode  la  plus  simple  de  partager  les  tâches  et  de  reconnaître 
chaque  jour  facilement  l'évalualion  de  chaque  enfant  ? 

Les  citoyens  qui  présenteront  les  solutions  les  plus  satisfaisan- 
tes sur  les  trois  questions  précédentes  ,  et  dont  les  ouvrages  au- 
ront été  adoptés  par  la  Convention ,  recevront ,  pour  chacune  des 
trois  questions  résolues,  une  récompense  de  vingt-quatre  mille 
livres. 


94  CONVEN-HON   NATIONALE. 


FEVRIER   1793. 


Depuis  le  jour  de  son  ouverture  jusqu'au  21  janvier  1793,  la 
Convention  nationale  a  concentré  de  plus  en  plus  son  action  sur 
un  seul  point.  Sa  route  trace  une  ligne  non  interrompue  entre  le 
décret  par  lequel  la  royauté  fut  abolie  et  le  jugement  de 
Louis  XVI.  Pas  un  incident  parlementaire,  pas  un  événement 
extérieur  qui  ne  se  rattache  à  cette  ligne ,  ou  comme  un  obstacle 
apporté  par  les  uns,  ou  comme  un  moyen  calculé  par  les  autres. 
Peu  à  peu  le  drame  se  dégage  de  toute  circonstance  accessoire; 
peu  à  peu  les  fatalités  qui  mènent  cette  tragédie  sortent  des  en- 
traves épisodiques  ,  et  marchent  droit  au  nœud  véritable,  qui  !f\s 
arrête  à  peine  un  instant.  La  solennité  des  quatre  appels  nomi- 
naux; l'infatigable  volonté  qui  les  exécute  sans  relâche;  le  pres- 
sentiment universel  en  France  et  en  Europe  dont  ni  l'appel  au 
peuple,  ni  la  demande  d'un  sursis  ne  peuvent  diminuer  en  rien 
l'inexorable  rigueur,  et  qui  dicte  d'avance  le  décret,  tout  an- 
nonce qu'un  fait  providentiel  s'accomplit.  Et  certes,  jamais  au- 
cun fait  de  cet  ordre  ne  se  fit  reconnaître  à  des  signes  plus  évi- 
dens ,  ne  fut  environné  d'un  appareil  si  redoutable. 

Un  moment  d'intermittence  succède  à  ce  long  effort.  Fermée 
jusqu'ici  et  comme  tendue  en  elle-même ,  maintenant  la  Conven- 
tion va  répandre  au  dehors  son  inépuisable  activité.  Tout  la  sol- 
licite à  la  fois ,  les  nécessités  intérieures  et  les  nécessités  exté- 
rieures. Il  faut  qu'elle  constitue  la  nation  ;  il  faut  qu'elle  organise 
les  ministèies,  l'administration  et  l'armée;  il  faut  qu'elle  assure, 
par  des  réglemens  sur  les  subsistances,  la  sécurité  des  individus , 
pendant  qu'elle  assurera  par  la  guerre  la  sécurité  nationale. 
L'Europe  coalisée,  la  fanjine,  des  émeutes  dans  la  capitale,  des 


FÉVRIER  (1793).  9S 

symptômes  de  guerre  civile  à  Lyon ,  dans  le  Var ,  dans  la  Bre- 
tagne, et,  dans  son  propre  sein,  des  déchiremens  qui  préludent  au 
ôl  mai ,  telle  est  la  situation  des  affaires ,  lorsque  la  Convention 
a  terminé  le  procès  du  roi  ;  nous  allons  voir  comment,  dès  le  mois 
de  février ,  elle  répond  aux  exigences  qui  la  pressent  et  aux  dan- 
gers qui  la  menacent. 

Le  l*"""  février  elle  déclare  la  guerre  au  roi  d'Angleterre  et  au 
stathouder  de*  Provinces- Unies.  Le  même  jour  elle  entend  un 
rapport  sur  les  fiuances,  et  crée  pour  huit  cent  millions  d'assi- 
gnats. Le  2,  elle  organise  le  ministère  de  b  guerre;  le 4,  elle  y 
nomme  le  géuéral  Beurnonville.  Le  G,  elle  adopte  un  projet  sur 
la  nomination  des  ofliciers  de  marine.  Le  14 ,  elle  organise  le  mi- 
nistère de  ce  départemeai.  Le  lo  et  le  16,  elle  entend  la  lecture 
d'un  projet  de  constitution.  Le  18,  elle  confie  à  Monge  le  mi- 
nistère de  la  marine.  Le  22,  elle  termine  ses  travaux  sur  l'orga- 
nisution  de  l'armée. 

Voilà  les  actes  principaux.  Quant  aux  mesures  administratives 
et  gouvernemtntales,  nous  devons  renoncer  à  les  énumérer.  Les 
subsistances  ,  l'état  des  provinces ,  les  émigrés ,  des  dénonciations 
innombrables ,  une  foule  de  détails  en  urgence,  d<^^^s  lectures  d'a- 
dresses qui  at"fluent  chaque  jour  de  tous  les  poiats  delà  Uépu- 
bliquCt  sont  autant  de  matéiiuux  qui  viennent  se  heurter  péie- 
mêle  sous  la  main  de  la  Convention,  et  qui  nécessitent  presque 
tous  un  rapport ,  une  discussion  et  un  décret,  pour  que  l'ordre  et 
la  lunùère  se  fussent. 

£t  cependant  l'asseniblée  est  bieià  Loin  de  ce  calme,  de  cesaug- 
froid  intérieur  qui  semblent  indispensables  pour  l'exptditiott  de 
si  nombreuses  et  si  grandes  affaires.  Plusieurs  fois  les  discordes 
qui  fermentent  en  elle  sont  excitées i'jsqu' à  la  fuieuj'  par  les  pro- 
vocations les  plus  directes.  Tantôt  c'tst  une  dëputatiou  des  dé- 
fenseurs de  la  République  qui  vient  demander  la  rappark  du 
décret  contre  U^s  massacres  tic  septembre  ;  tantôt  c'est  u«c  discus- 
sion sur  le  fédéralisme  à  la  suite  des  nouvelles  du  déparleiuent  du 
Yar.  Ici  la  société  des  llalles  rappelle  que  le  comité,  de  surv^- 
lamce  de  la  Commune  ne  rend  pas  se«  comptes  ;  plu»  loi»  c'est 


96  CONVENTION   NATIONALE. 

un  rapport  de  Duhcm  sur  l'arreslaiion  de  Guermeur ,  Tun  des 
commissaires  de  !a  Commune  du  10  août  envoyés  dans  les  dc- 
partemens  après  les  jou-nées  de  septembre  :  ce  dernier  avait  fait 
partie  du  comité  de  surveillance,  dont  il  avait  signé  la  fameuse 
adresse ,  et  il  était  incarcéré  depuis  le  22  septembre  dans  les  pri- 
sonsdeQuimper.  Enfin,  tprès  la  pétition  sur  les  subsistances  pré- 
sentée le  12  février ,  cette  question  est  un  sujet  perpétuel  décolères 
violentes  que  les  émeutes  du  25  achèvent  de  pousser  à  bout. 

Nous  ne  pouvons  que  donner  une  faible  idée  du  mouvement 
révolutionnaire  qui  agite  en  ce  moment  la  Convention  et  la 
France,  et  qui  ne  tardera  pas  à  ébranler  l'Europe.  Les  pièces 
historiques  de  ce  temps,  ces  feuilles  où  étaientenregistrées  au  jour 
le  jour  et  déposées  toutes  vivantes,  les  craintes,  les  haines,  les 
menaces,  les  séditions,  dominées  d'un  côté  par  les  débats  de 
l'assemblée  souveraine,  et  de  l'autre  parle  cri  national:  Aux 
armes!  sont  seuls  capables  de  nous  peindre  cette  tempête.  Voici 
comment  un  homme  doué  d'une  vive  sympathie ,  acteur  lui-même 
dans  ces  scènes ,  réproduit  l'image  terrible  de  la  révolution  à  l'é- 
poque du  mois  de  février. 

«  L'ancien  monde  touche  à  son  terme  ;  il  va  bientôt  achever 
de  se  dissoudre  :  un  second  chaos  doit  précéder  la  création  nou- 
velle; il  faut  que  les  élémens  de  la  nature  sociale  se  mêlent,  se 
combattent ,  se  confondent  pour  foire  éclore  enfin  la  société  véri- 
table :  c'est  la  guerre  universelle  qui  va  enfanter  la  paix  de  l'uni- 
vers ;  c'est  l'entière  dissolution  des  maux  qui  va  créer  la  vertu 
des  nations  ;  c'est  le  malheur  de  tous  qui  va  nécessiter  le  bonheur 
général. 

•  Nous  sommes  au  moment  le  plus  terrible  de  la  crise  de  l'hu- 
manité. J'ai  cru  que  la  philosophie  qui  l'a  préparé  pouvait  l'adoj- 
cir,  et  rendre  moins  doulouieux  ce  second  enfantement  de  la 
nature;  mais  la  philosophie, dont  l'invocation  est  sur  toutes  les 
lèvres,  n'a  point  encore  d'empire  dans  les  âmes  :  on  en  sent  le 
besoin  partout  ;  on  n'en  trouve  la  réalité  nulle  part.  Rien  de  plus 
opposé  à  la  philosophie  que  ces  têtes  dominantes ,  et  prétendues 
législatives,  qui  n'ont  pas  même  les  élémens  des  mœurs  ni  les 


FKVRIER    (1793).  97 

principes  du  sens  commun.  Avec  le  matérialisme,  on  a  la  morale 
des  brûles;  avec  l'irréligion,  on  a  la  dissociabilité  même;  avec 
l'irréflexion  habituelle  ,  on  a  l'impuissance  de  faire  des  lois  sta- 
bles et  de  créer  un  gouvernement  ;  avec  toutes  les  passions  sans 
frein  ,  on  a  tous  les  maux  sans  remède. 

»  Ainsi  nous  touchons  à  l'exlrémilé  des  choses  humaines.  Voici 
ce  que  devait  enfanter  le  vieux  despotisme  mourant  de  la  peste 
des  crimes  dont  il  a  vicié ,  infecté ,  épuisé  la  moralité  des  nations. 
La  philosophie  a  dit  a  la  France  :  <  Lève-toi,  et  ne  souffie  pas 
»  plus  long-temps  les  tyrannies  et  les  infamies  du  trône  ;  »  la 
France  s'est  levée.  La  philosophie  crie  la  même  chose  à  tous  les 
peuples;  les  uns  entendront  sa  voix,  les  autres  non.  La  guerre 
décidera  tout.  ÎMais  pourquoi  donc  lu  guerre,  et  celle  guene  hor- 
rible qui  se  divisera,  dans  chaque  pays,  en  intestine  et  en  étran- 
gère ,  qui  rongera  les  enirailles  des  nations,  en  même  temps 
qu'elle  les  armera  les  unes  contre  les  autres,  ei  qui  meîtra  en 
conflagration  l'étal  social  dans  toutes  ses  parties  et  dans  ions  ses 
élémens?  Pourquoi?  Parce  qu'avec  toutes  ces  grandes  clameurs 
de  philosophie,  il  n'y  a  point  de  philosophes  en  France,  il  n'y 
en  a  point  dans  l'Europe,  il  n'y  en  a  point  dans  l'univers.  Je 
parle  de  ceux  qui  affectent  ce  beau  nom,  qui  se  montrent  sous 
ses  auspices  ;  car  ceux  qu'on  ne  voit  jamais  et  qui  ne  font  rien 
pour  le  bonheur  public  sont  comme  s'ils  n'étaient  pas.  Regar- 
dez donc ,  regardez,  s'il  vous  est  possible,  ces  hommes  qji  s'ap- 
pellent amis  de  la  sagesse,  et  reculez  d'horreur  :  ce  sont  des 
monstres  d'une  violence  effrénée  ,  d'une  immoralité  infâme  ;  une 
insatiable  fureur  de  domination  les  possède.  Ils  ont  faim  de  toutes 
les  tyrannies ,  et  soif  de  tous  les  crimes  :  voilà  les  pères  de  la  li- 
berté. Oui ,  certes ,  ils  l'enfanieront  par  la  nécessité  où  ils  auront 
mis  l'humanité  de  la  produire  pour  exterminer  ce  dernier  despo- 
tisme de  !a  licence  et  de  i'/mpiété,  qui  vont  largement  i-emplacer 
tous  les  despotismes  des  cours  et  des  su;  <  rslilions.  Non ,  domi- 
nateurs cannibales  de  l'opinion,  vous  ne  dévorerez  pas  jusqu'à 
la  racine,  la  raison  et  la  liberté  du  genre  humain  ;  il  verra  bicn- 

T.  XXIV.  7 


98  CONVENTION   NATIONALE. 

tôt  que  toute  cette  0{;rerie  qui  le  porte  à  s'entre-déchirer  et  à 
fouler  aux  pieds  toutes  les  vertus  est  votre  ouvrage  ;  il  appel- 
lera la  religion  fraternelle ,  l'évangile  de  l'égalité ,  le  Dieu  des 
douces  raœurs,  au  secours  de  l'iiumanité  aux  abois  ;  elle  renaîtria 
de  ses  débris  ;  et  vous  serez  alors  confondus  par  sa  majesté 
sainte ,  et  vous  mourrez  de  son  bonheur . . . 

»  L'état  actuel  de  la  religion  en  France  est  un  état  de  crise 
extrême ,  et  la  révulsion  des  consciences ,  pour  repousser  l'op- 
pression, sera  terrible.  JN'e  croyez  pas  cependant,  citoyens, 
que  cette  révulsion  inévitable  ramène  jamais  la  royauté  ni  au- 
cune autre  domination  arbitraire  :  l'évangile  est  le  seul  code  re- 
ligieux qui  établisse  sur  leurs  fondemens  divins  la  liberté  et 
l'égalité  de  tous  les  hommes  :  i  a  eié  contredit  jusque  dans  son 
essence  par  l'alliage  uompeui-  qu'on  a  voulu  faire  des  maximes 
tyranniques  de  domination  avec  ses  douces  maximes  de  frater- 
nité universelle.  Le  christianisme  est ,  par  nature ,  républicain  : 
l'église  est  l'asseaiblée  des  frères  ;  les  pasteurs  sont  soumis  aux 
mêmes  lois  divines  que  les  lidèles  ;  ils  ne  peuvent  qu'interpréter 
la  volonté  générale ,  et  remplir  la  mission  qu'ils  tiennent  de  cette 
commune  volonté.  Encore  (et  c'est  le  comble  delà  liberté,  qui  ne 
se  trouve  et  ne  peut  se  trouver  dans  aucun  gouvernement  tempo- 
rel) chacun  reste-t-il  maiire  absolu  de  suivre  ou  de  ne  pas  suivre 
ces  lois,  qui  ne  s'adressent  qu'aux  consciences  :  en  sorte  que  les 
pasteurs ,  obligés  de  se  conformer  aux  règles  saintes  s'ils  veulent 
remplir  leurs  obligations  et  conserver  la  libre  direciion  des 
âmes,  ne  peuvent  exercer  que  l'empire  volontaire  de  la  confiance 
publique  et  la  divine  autorité  de  la  vertu.  Quand  le  nom  de  la 
liberté  retentit  dans  toutes  les  parties  du  monde  ;  quand  ce  sen- 
timent inné  se  réveille  énergiquement  dans  tous  les  cœurs;  quand 
cette  grande  idée  d'indépendance  se  réveille  partout  pour  rendre 
l'homme  à  sa  dignité  intime  et  à  sa  majesté  native ,  croyez-vous 
que  la  religion  qui  élève  le  plus  fi  aternellement  et  le  plus  univer- 
sellement le  genre  humain  vers  le  ciel ,  et  jusqu'à  la  divinité ,  ap- 
pellera des  misérables  despotes  pour  venir  de  nouveau  compri- 
mer, avilir,  tyranniser  la  nature  humaine,  que  cette  même 


FÉVRIER  (1793).  99 

religion  fait  profession  de  croire  rehaussée  tout  entière  par  la 
fraternité  de  Dieu  même?  Non . . . 

»  Cependant,  considérez  l'effroyable  aveuglement  des  athées 
qui  veulent  dominer  en  France,  et  persécuter,  avec  une  tyrannie 
qui  se  montre  chaque  jour  plus  insolente  et  plus  féroce,  cette  re- 
ligion si  propice  à  la  libération  du  genre  humain.  Gomment  les 
nations  voisines  et  lointaines  que  nous  voulons  appeler  à  la  li- 
berté générale,  et  qui  ne  prennent  pas,  qai  ne  prendront  jamais, 
non  plus  que  l'immense  majorité  de  la  nation  française,  l'athéisme 
atroce  et  libidineux ,  pour  la  sainte  et  sage  philosophie  ;  com- 
ment, quand  elles  sont  témoins  ou  instruites  des  inimaginables 
excès  de  brutalité  que  ces  monstres  se  permettent  contre  Dieu  et 
les  hommes  souverains  qui  l'adorent  (oui,  souverains,  eniendez- 
vous,  vils  et  monstrueux  tyrans?  oui ,  souverains  ;  la  souveraineté 
appartient  partout  à  la  majorité  des  hommes)  ;  comment  ces  na- 
tions pourraient-fcUes,  par  la  raison  même  qu'elles  veulent  aussi 
être  libres,  ne  pas  frémir  d'horreur  de  ce  qu'on  leur  présente, 
sous  le  nom  divin  de  la  liberté,  le  despotisme  le  plus  diabolique 
qui  ait  jamais  existé  sur  la  terre  ?  elles  accueilleront  la  hberlé 
avec  transport  ;  mais  elles  se  battront  contre  l'athéisme  avec  exé- 
cration  

»  Ainsi,  nous  irons,  citoyens,  ponant  chez  louîeiles  nations, 
d'une  main,  le  flambeau  divin  de  la  liberté,  de  l'autre  la  torche 
impie  de  la  discorde.  Nous  aurons  des  revers  et  des  succès  ;  les 
secousses  au-dedans  et  au-dehors  seront  épouvantables;  et  ce- 
pendant nous  triompherons,  car  la  cause  de  la  liberté  défendue 
par  un  grand  peuple,  épousée  par  le  fonds  des  nations,  et  favo- 
risée par  l'auteur  de  la  nature,  qui  veut  manifestement  à  cette 
époque  renouveler,  régénérer,  recréer  le  genre  humain,  ne  peut 
manquer  d'obtenir  le  triomphe.  Mais  c'est  apiès  l'épuisement  des 
horreurs,  des  extrêmes  infamies,  des  abominations  et  des  désola- 
lions  finales,  que  rhumanité,"ayant  conquis  la  liberté  contre  tout 
ce  .qu'il  y  avait  d  anciens  oppresseurs  dans  le  monde ,  écrasera  de 
toute  la  puissance  de  la  nature  les  nouveaux  monstres  qui  dévo- 
raient la  liberté  même  à  mesure  qu'on  en  faisait  la  t^onquête. 


iOO  CONTENTION    NATIONALE, 

Les  lois,  les  lois  véritables,  les  fidèles  expressions  de  la  volonté 
générale  naîtront  enfin  ;  le  besoin  de  la  vertu  éleclrisera  toutes 
les  âmes  ;  la  nécessité  des  saintes  mœurs  élèvera  toutes  les  con- 
sciences ;  la  religion  de  la  fraternité  universelle  réunira  tous  les 
cœurs;  le  cuke  pur  d'un  Dieu  père,  d'un  Dieu  frère  ,  d'un  Dieu 
ami,  ralliera  toutes  les  nations,  et  la  divinité,  source  unique  de 
tout  bien  ,  de  toute  vertu ,  de  tout  bonheur,  régnera  seule  sur  le 
genre  humain.  »  [Journal  des  Amis^  de  Fadchet,  samedi  16  fé- 
vrier 1795.) 

Tel  était  le  présent ,  et  tel  était  l'avenir  aux  yeux  de  Claude 
Fauchet,  esquissant  la  position  morale  de  la  France  et  les  desti- 
nées du  genre  humain.  On  sent  que  l'auteur  était  lui-même  en- 
gagé au  plus  fort  de  cette  mêlée;  sans  compter,  en  effet,  ses  luttes 
de  la  veille,  à  l'heure  même  où  il  tenait  la  plume,  il  était  dénoncé 
à  la  Convention  pour  défendre  dans  son  diocèse  le  mariage  des 
prêtres  catholiques.  Aussi  l'indignation  personnelle  dont  il  était 
animé  le  rendait-elie  éminemment  propre  à  sentir  le  miheu  poli- 
tique, et  aie  reproduire  en  des  formes  palpitantes  que  l'historien 
ne  peut  suppléer. 

Maintenant  que  nos  lecteurs  connaissent  l'aspect  général  des 
événemens ,  nous  allons  en  placer  les  détails  sous  leurs  yeux  dans 
l'ordre  qui  nous  a  paru  le  plus  propre  à  en  faciliter  l'intelligence 
et  l'appréciation.  Nous  divisons  les  travaux  de  la  Convention  na- 
tionale en  trois  chapitres.  Dans  le  premier,  nous  transcrivons  la 
partie  organique  ;  dans  le  second ,  la  partie  révolutionnaire  ;  dans 
le  troisième,  nous  réunirons  les  affaires  des  départemens.  Nous 
ferons  ici  uv.e  courte  notice  sur  chacun  de  ces  trois  chapitres. 

Partie  organique.  Elle  se  composera  du  projet  de  constitution  ; 
de  la  loi  sur  l'organisation  de  l'armée  ;  du  décret  qui  organise  le 
ministère  de  la  guerre ,  et  de  celui  qui  organise  le  ministère  de  la 
marine. 

Le  projet  de  constitution  fut  présenté  par  Condorcet.  Le  rap- 
port dont  il  fit  précéder  cette  lecture  est  une  brochure  de  cin- 
quante-quatre pages  en  petit  texte.  Il  est  Jans  la  collection  de 
M.  Lallement,  mais  la  constitution  elle-même  ne  s'y  trouve  pas. 


FÉVRIER  (1793  ).  101 

Obligés  de  choisir  entre  deux  pièces  également  volumineuses,  car 
nous  ne  voulons  pas  grossir  inutilement  notre  histoire,  nous  nous 
sommes  décidés  à  insérer  le  texte  du  projet  et  à  laisser  le  rap- 
port. Indépendamment  de  la  supériorité  qu'ont  les  formules  lé- 
gislatives sur  les  commentaires  philosophiques ,  tant  par  leur 
netteté  que  par  leur  concision  et  leur  rigueur,  nous  avons  eu  un 
motif  de  ce  choix  plus  grave  que  ces  considérations.  Ce  projet  est 
le  dernier  mot  du  système  social  girondin,  et,  à  ce  titre,  il  est 
une  des  pièces  les  plus  importantes  qu'il  nous  soit  imposé  de  re- 
cueillir. Le  rapport  lui-même  ne  sera  pas  complètement  absent 
de  notre  histoire.  Nous  en  réimprimerons  une  analyse  fort 
exacte  composée  par  Condorcet  pour  les  lecteurs  de  la  Chrmiique 
de  Paris. 

Ce  fut  Dubois  de  Crancé  qui ,  à  la  suite  d'un  nouveau  rapport 
sur  l'organisation  de  l'armée,  présenta  la  loi  dont  les  derniers  ar- 
ticles furent  adoptés  à  la  séance  du  22  février.  Lu  veille  de  ce 
jour,  la  Convention  nationale,  pour  récompenser  ce  magnifique 
travail,  éleva  Dubois  de  Crancé  à  la  présidence.  Le  rapport  et  la 
loi  n'existent  ni  dans  la  collection  de  M.  Lallement  ni  dans  celle 
de  Bossange.  Nous  avons  dû  conserver  intégralement  ces  deux 
pièces,  qui  intéressent  au  plus  haut  degré  l'histoire  des  institutions 
militaires  modernes. 

L'organisation  du  ministère  de  la  guerre,  et  celle  du  ministère 
de  la  marine ,  furent  décrétées  sur  Ii  proposition  de  Barrère. 

Partie  révolutionnaire.  Nous  suivrons  dans  ce  chapitre  l'ordre 
même  des  débats  de  l'assemblée.  11  renfermera  la  déclaration  de 
guerre  et  les  mesures  financières  et  administratives  calculées  pour 
ce  but ,  l'envoi  des  commissaires  dans  les  départ emens  ;  les  dé- 
putstions  à  la  barre  de  l'assemblée,  dont  les  principales  sont  re- 
latives aux  massacres  de  septembre  et  aux  subsistances  ;  les  dé- 
nonciations et  les  actes  conventionnels  qu'elles  provoquent  ;  des 
réglemens  de  police  contre  les  vagabonds  et  les  émigrés ,  voilà  à 
peu  près  le  texte  des  discussions  souvent  orageuses  et  toujours 
animées  qui  rempliront  ce  cadre.  Au  nombre  des  personnages 
célèbres  détloncds ,  mis  en  accusation ,  ou  renvoyés  absous ,  sont 


i02  CONVENTION   NATIONALE. 

le  général  Beurnouville,  le  général  Arthur  Dillon ,  le  général  An- 
selme, le  général  Félix  Wimpfen.  A  chacune  des  séances  où  ces 
faits  auront  lieu,  nous  aurons  soin  d'augmenter  les  débats  parle- 
mentaires des  renseignemens  précieux  que  la  presse  et  les  clubs 
nous  fourniront.  Il  en  sera  de  même  pour  les  divers  mouvemens 
occasionnés  par  les  subsistances.  L'introduction  de  ce  chapitre 
sera  un  coup  d'œil  diplomatique  destiné  à  montrer  les  relations 
delà  France  avec  l'Europe,  et  à  faire  comprendre  les  motifs  qui 
la  forcent  à  déclarer  la  guerre  à  la  Grande-Bretagne  et  à  la  Hol- 
lande. 

Dépar'temens.  Ce  chapitre  contiendra  sinon  le  texte ,  au  moins 
l'esprit  des  adresses  envoyées  à  la  Convention  par  les  départe- 
mens  au  sujet  du  21  janvier.  Il  renfermera  en  outre  une  analyse 
du  rapport  sur  ia  reddition  de  Verdun,  de  celui  sur  Porentrui , 
de  ceux  sur  les  troubles  de  Lyon  et  sur  les  actes  fédéralistes  du 
département  du  Var.  Nous  y  reproduirons  aussi  les  discussions 
intéressantes  auxquelles  ces  difFérens  objets  donnèrent  lieu. 

Nous  conipiélerons  l'histoire  du  mois  de  février  par  deux  cha- 
pitres où  seront  classés  les  faits  extra-parlementaires.  Dans  l'un , 
nous  ferons  entrer  les  séances  de  la  Commune  de  Paris,  celles  du 
club  des  Jacobins ,  et  les  articles  de  journaux  que  nous  n'aurons 
pu  grouper  autour  des  débats  de  la  Convention  ;  dans  l'autre, 
nous  ferons  le  récit  des  opérations  militaires. 


CONVENTIOIV  NATIONALE. 

PARTIE  ORGANIQUE. 

Analyse  du  rapport  de  Condorcet  sur  le  projet  de  constitution, 
présenté  à  la  Convention  nationale  dans  les  séances  du  io  et  du 
16  février  (1). 

Ce  qui  paraît  distinguer  surtout  la  constitution  proposée  à  la 
Convention,  c'est  une  attention  scrupuleuse  à  conserver  les  droits 

Cette  notice  est  rédigée  par  Condorcet  lui-même;  elle  se  trouve  dans  les  nq- 
jnéros  XLVIII  et  XLIX  de  la  Chronique  de  Paris,  (  JSofe  des  auteurs.) 


FÉVRIER   (  1793  ).  103 

de  l'égalité  naturelle,  à  donner  à  l'exercice  immédiat  de  la  sou- 
veraineté du  peuple  la  plus  {grande  étendue  possible. 

Ainsi  tous  les  habitans  du  territoire  sont  admis  au  titre  de  ci- 
toyen français;  ni  les  professions  qui  entraînent  une  dépendance 
personnelle  ,  ni  la  pauvreié  ne  sont  plus  des  motifs  d'exclusion. 

Tous  les  citoyens  âgés  de.  vingt- cinq  ans  sont  éligibles  à  toutes 
les  places  conférées  par  le  choix  des  citoyens. 

Les  professions  diverses  séparent  les  hommes  en  différentes 
classes  ,  leur  volonté  les  distribue  inégalement  sur  la  surface  du 
territoire  :  il  faut  donc  qu'il  ne  résulte  de  la  loi  aucun  avantage 
d'une  profession  sur  une  autre ,  aucune  inégalité  d'influence  en- 
tre les  portions  différentes  du  même  territoire. 

Les  pouvoirs  nationaux  ne  doivent  être  soumis  ni  à  l'influence 
d'une  société;  ni  à  celle  d'une  ville,  mais  dépendre  du  peuple  seul, 
et  du  peuple  tout  entier. 

La  constitution  d'Angleterre  est  faite  pour  les  riches  ,  celle 
d'Amérique  pour  les  citoyens  aisés,  la  constitution  française  de- 
vait l'être  pour  tous  les  hommes. 

La  différence  des  tem[)S ,  des  circonstances ,  surtout  le  progrès 
des  lumières ,  ont  dû  amener  cette  progression. 

Dans  tous  les  pays  libres  on  a  craint,  et  avec  raison,  l'in- 
fluence de  la  pojmlace  ;  mais  donnez  à  tous  les  hommes  les  mêmes 
droits  ,  et  il  n'y  a  plus  de  populace. 

La  constitution  nouvelle  est  représentative  quant  à  la  légis- 
lation, à  l'administration:  elle  est  démocratique  pour  les  lois 
constitutionnelles  et  pour  la  censure  des  lois  oppressives  ou  in- 
justes émanées  de  ses  représenians. 

Elle  est  représentative  pour  tout  ce  qui  ne  peut  être  ni  bien 
fait,  ni  fait  à  temps  que  par  une  assemblée  ;  pour  ce  qui ,  sans 
aucun  danger  pour  la  liberté,  peut  être  confié  à  des  roprésen- 
tans  ;  elle  est  immédiatement  déiiiocratique  pour  tout  ce  qui  peut 
être  fait  à  la  fois  par  des  assemblées  séparées,  pour  ce  qui  ne 
peut  être  délégué  sans  exposer  les  droits  du  peuple. 

Les  élections  se  font  immédiatement  par  les  citoyens.  On  a 
cherché  une  méthode  qui  permît  de  faire  concourir  a  une  même 


i04  CONVENTION   NATIONALE. 

élection  un  nombre  quelconque  d'assemblées  séparées.  Cette  mé- 
thode n'exigera  des  citoyens  qui  donnent  leurs  suffrages  que  des 
opérations  très-promptes,  très-simples  et  très-faciles  ;  et  le  ré- 
sultat exprimera  plus  fidèlement  le  vœu  réel  de  la  majorité  que 
celui  des  méthodes  d'élire  adoptées  jusqu'ici. 

Cette  méthode  conserve  beaucoup  plus  d'égalité  entre  les  vo- 
tans.  Elle  a  permis  de  rendre  très-courte  la  durée  de  toutes  les 
fonctions,  et  on  n'a  mis  aucune  borne  à  la  rééligibihté.  C'est  à  la 
fois  respecter  davantage  les  droits  des  citoyens  ,  et  encourager 
les  fonctionnaires  à  mériter  la  confiance  publique. 

Les  membres  du  corps  législatif  sont  élus  par  départemens  , 
d'après  la  population  seulement,  ce  qui  est  encore  un  hommage 
au  principe  de  l'égalité. 

Les  citoyens  de  tous  les  départemens  élisent  les  membres  du 
conseil  national  ;  on  a  cherché  à  donner  à  ce  conseil  peu  de  pou- 
voir et  beaucoup  d'activité  ;  il  n'est  pas  le  rival ,  mais  l'agent  du 
corps  législatif. 

Il  choisit  parmi  les  administrateurs  de  chaque  département 
un  commissaire  chargé  de  correspondre  avec  lui ,  de  lui  rendre 
compte. 

Il  serait  absurde  que  les  agens  de  l'administration  générale  de 
l'état  fussent  privés  de  ce  moyen  d'agir,  et  de  prendre  des  in- 
formations nécessaires. 

Mais  cette  absurdité  était  la  suite  d'une  autre  beaucoup  plus 
grave ,  celle  d'avoir  mis  un  roi  à  la  télé  du  gouvernement. 

La  fréquence  des  élections ,  et  pour  les  places  du  conseil  et 
pour  celles  des  administrations ,  ôte  à  cette  institution  jusqu'à 
l'apparence  du  moindre  danger  ;  et  il  faut  avouer  que  si  l'on  pre- 
nait autant  de  précautions  contre  des  fonctionnaires  fréquem- 
ment renouvelés  que  contre  des  fonctionnaires  permanens , 
on  aurait  tous  les  inconvéniens  de  la  mobilité ,  et  aucun  de  ses 
avantages. 

Des  admiûiâtrations  de  départemens ,  de  grandes  communes 
divisée?  en  sections ,  dans  chacune  desquelles  on  plac«  un  figent 


FÉVRIER  (  1795).  405 

municipal,  remplacent  l'ancienne  division  en  départemens ,  dis- 
tricts et  municipalités. 

Les  tribunaux  civils  sont  remplacés  par  un  jury,  et  on  impose 
l'obli^jation  de  ne  s'y  présenter  qu'après  s'être  soumis  à  la  déci- 
sion d'arbitres  librement  choisis. 

Les  jurés,  soit  pour  le  civil  ,  soit  pour  le  criminel ,  seront 
immédiatement  choisis  par  le  peuple. 

Un  jury  national  qui  sera  convoqué  auprès  du  tribunal  d'un 
des  départemens  remp'ace  la  haute-cour  nationale. 

L'assemblée  nationale  peut  ordonner  la  mise  en  jugement, 
mais  les  citoyens  ne  sont  privés  en  aucun  cas  du  droit  de  n'être 
accusés  que  par  un  jury  soumis  à  toutes  les  formes  de  la  loi. 

Des  censeurs  judiciaires,  siégeant  successivement  dans  les  dé- 
partemens, remplacent  le  tribunal  de  cassation. 

Ainsi  l'ordre  judiciaire  offre  plus  de  simplicité,  d'économie  et 
de  respect  pour  les  droits  des  citoyens  que  celui  qui  existe  en  ce 
moment. 

On  propose  d'abolir  la  peine  de  mort  pour  les  délits  privés.  La 
guerre  ne  peut  être  déclarée  que  par  une  décision  du  corps  lé- 
gislatif prise  par  un  scrutin  signé. 

Dans  les  cas  importans  où  l'on  croit  utile  de  rendre  public  le 
nom  des  votans ,  on  a  substitué  un  scrutin  signé  aux  voiaiions  à 
haute  voix  ;  par  là  on  en  conserve  tous  les  avantages  et  on  en  évite 
tous  les  inconvéniens. 

Le  peuple  pourra ,  dans  tous  les  temps ,  demander  la  réforme 
de  la  constitution.  Une  convention  nationale  en  dressera  le  plan 
pour  le  soumettre  à  l'acceptation  des  citoyens  ;  mais  elle  sera 
bornée  à  cette  seule  fonction.  Les  autres  pouvoirs  conserveront 
leur  action,  et  jamais  leur  réunion  dans  les  mêmes  mains  ne 
pourra  effrayer  les  amis  de  la  liberté. 

Nous  nous  bornons  i  celte  courte  notice.  Le  projet  de  consti- 
tution ,  le  rapport  qui  expose  les  motifs  des  dispositions  princi- 
pales ,  vont  paraître  et  seront  soumis  à  l'opinion  des  citoyens. 

Jamais  il  n'a  existé  de  constitution  où  l'égalité  ait  été  si  en- 
tière» où  le  peuple  ait  conservé  ses  droite  àmi  une  «i  grande 


106  CONVENTION  NATIONALE. 

étendue  ;  on  ne  voit  pas ,  à  la  vérité ,  comment  les  intrigans,  sans 
autre  talent  que  celui  de  la  bassesse  et  de  l'audace,  pourraient 
parvenir  à  y  jouer  un  rôle. 

Immédiaiement  après  la  mort  de  Charles  I" ,  on  présenta  au 
long  parlement  un  plan  de  constitution  conforme  aux  principes 
de  l'égalité  naturelle,  aux  droits  de  la  liberté  civile  et  religieuse. 
Cromwel  se  réunit  aux  membres  corrompus  du  parlement  pour 
en  persécuter  les  auteurs,  parce  qu'il  sentait  que,  si  la  république 
anglaise  avait  une  fois  une  constitution ,  il  lui  deviendrait  impos- 
sible d'établir  la  tyrannie  ;  il  eut  l'air  de  les  aider  à  perpétuer 
leurs  pouvoirs ,  mais  c'était  pour  préparer  le  sien. 

PROJET  DE  CONSTITUTION. 

DÉCLARATION   DES   DROITS    NATURELS  ,   CIVILS    ET   POLITIQUES 
DE   l'homme. 

Le  but  de  toute  réunion  d'hommes  en  société  étant  le  maintien 
de  leurs  droits  naturels  ,  civils  et  politiques  ,  ces  droits  doivent 
être  la  base  du  pacte  social  ;  leur  reconnaissance  et  leur  déclara- 
tion doivent  précéder  la  Constitution  qui  en  assurera  la  garantie. 

Art.  i.  Les  droits  naturels,  civils  et  politiques  des  hommes 
sont  la  liberté  ,  l'égalité,  la  sûreté,  la  propriété,  la  garantie  so- 
ciale et  la  résistance  à  l'oppression. 

2.  La  liberté  consiste  à  pouvoir  faire  tout  ce  qui  n'est  pas  con- 
traire aux  droits  d'autrui  ;  ainsi  l'exercice  des  droits  naturels  de 
chaque  homme  n'a  de  bornes  que  celles  qui  assurent  aux  autres 
membres  de  la  société  la  jouissance  de  ces  mêmes  droits. 

5.  La  conservation  de  la  liberté  dépend  de  la  soumission  à  la 
loi  qui  est  l'expression  de  la  volonté  générale.  Tout  ce  qui  n'est 
pas  défendu  par  la  loi  ne  peut  être  empêché,  et  nul  ne  peut  être 
contraint  à  faire  tout  ce  quelle  n'ordonne  pas. 

4.  Tout  homme  est  libre  de  manifester  sa  pensée  et  ses  opi- 
nions. 

5,  La  liberté  de  la  presse  (  et  tout  autre  moyen  de  publier  ses 
pensées  )  ne  peut  être  interdite ,  suspendue  ni  limitée, 


FÉVRIER  (1795).  107 

6.  Tout  citoyen  doit  être  libre  dans  l'exercice  de  son  culte. 

7.  L'éj^alité  consiste  en  ce  que  chacun  puisse  jouir  des  mêmes 
droits. 

8.  La  loi  doit  être  égale  pour  tous,  soit  qu'elle  récompense, 
ou  qu'elle  punisse,  ou  qu'elle  réprime. 

9.  Tous  les  citoyens  sont  adnjissibles  à  toutes  les  places ,  em- 
plois et  fonctions  publiques.  Les  peuples  libres  ne  peuvent  con- 
naître d'autres  motifs  de  préférence  que  les  talens  et  les  vertus. 

10.  La  sûreté  consiste  dans  la  protection  accordée  par  la  société 
à  chaque  citoyen  pour  la  conservation  de  sa  personne ,  de  ses 
biens  et  de  ses  droits. 

11.  Nul  ne  doit  être  appelé  en  justice ,  accusé  ,  arrêté  ni  dé- 
tenu que  dans  les  cas  déterminés  par  la  loi  et  selon  les  formes 
qu'elle  a  prescrites. 

Tout  autre  acte  exercé  contre  un  citoyen  est  arbitraire  et  nul. 

12.  Ceux  qui  solliciteraient,  expédieraient,  signeraient,  exé- 
cuieraient  ou  feraient  exécuter  ces  actes  arbitraires ,  sont  cou- 
pables et  doivent  être  punis. 

15.  Les  citoyens  contre  qui  l'on  tenterait  d'exécuter  de  pa- 
reils actes  ont  le  droit  de  repousser  la  force  ;  mais  tout  citoyen 
appelé  ou  saisi  par  l'autorité  de  la  loi,  et  dans  les  formes  prescri- 
tes par  elle,  doit  obéir  à  l'instant  ;  il  se  rend  coupable  par  la  ré- 
sistance. 

14.  Tout  homme  étant  présumé  innocent  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
été  déclaré  coupable,  s'il  est  jugé  indispt^nsab'e  de  l'arrêter,  toute 
rigueur  qui  ne  serait  pas  nécessaire  pour  s'assurer  de  sa  personne 
doit  être  sévèreme- 1  réprimée  par  la  loi. 

lo.  Nul  ne  doit  être  puni  qu'en  vertu  d'une  loi  établie  ,  pro- 
mulguée  artérourement  au  délit  et  légalement  appliquée. 

IG.  La  loi  qui  punirait  des  délits  couimis  avant  qu'elle  existât 
serait  un  acte  arbitraire.  L'effet  rétroactif  donné  à  la  loi  est  un 
crime. 

17.  La  loi  ne  doit  décerner  que  des  peines  strictement  et 
évidemment  nécessaires  à  la  sûreté  générale  ;  elles  doivent  être 
proportionnées  au  délit  et  utiles  à  la  société. 


i08  CONVENTION   NATIONALE. 

18.  Le  droit  de  propriété  consiste  ea  ce  que  tout  homme 
est  le  maître  de  disposer  à  son  gré  de  ses  biens  »  de  ses  capitaux, 
de  ses  revenus  et  de  son  industrie. 

19.  Nul  genre  de  travail ,  de  commerce  et  de  culture  ne  peut 
lui  être  interdit  ;  il  peut  fabriquer,  vendre  et  transporter  toute 
espèce  de  production. 

20.  Tout  homme  peut  engager  ses  services,  son  temps  ;  mais 
il  ne  peut  se  vendre  lui-même  ;  sa  personne  n'est  pas  une  pro- 
priété aliénable. 

21.  Nul  ne  peut  être  privé  de  la  moindre  portion  de  sa  pro- 
priété sans  son  consentement,  si  ce  n'est  lorsque  la  nécessité  pu- 
blique ,  légalement  constatée ,  l'exige  évidemment,  et  sous  la  con- 
dition d'une  juste  et  préalable  indemnité. 

22.  Nulle  contribution  ne  peut  être  établie  que  pour  l'utilité 
générale  et  pour  subvenir  aux  besoins  publics.  Tous  les  citoyens 
ont  droit  de  concourir  personnellement,  ou  par  leurs  représen- 
tans,  à  l'établissement  des  contributions  publiques. 

23.  L'instruction  est  le  besoin  de  tous ,  et  la  société  la  doit  éga- 
lement à  tous  ses  membres. 

24.  Les  secours  publics  sont  une  dette  sacrée  de  la  société ,  et 
c'est  à  la  loi  à  en  déterminer  l'étendue  et  l'application. 

25.  La  garantie  sociale  de  ces  droits  repose  sur  la  souveraineté 
nationale. 

26.  Cette  souveraineté  est  une,  indivisible,  imprescriptible  et 
inaliénable. 

27.  Elle  réside  essentiellement  dans  le  peuple  entier ,  et  chaque 
citoyen  a  un  droit  égal  de  concourir  à  son  exercice. 

28.  Nulle  réunion  partielle  de  citoyens  et  nul  individu  ne  peu- 
vent s'attribuer  la  souveraineté,  exercer  aucune  autorité  et  rem- 
plir aucune  fonction  publique  sans  une  déclaration  formelle  de  la 
loi. 

29.  La  garantie  sociale  ne  peut  pas  exister  là  oîi  les  limites  des 
fonctions  publiques  ne  sont  pas  clairement  déterminées  par  la  loi, 
et  où  la  responsabilité  de  tous  les  fonctionnaires  publics  n'est  pas 
asfurée. 


FÉVRIER  (1793).  i09 

30.  Tous  les  citoyens  sont  tenus  de  concourir  à  cette  garantie , 
et  de  donner  force  à  la  loi  lorsqu'ils  sont  appelés  en  son  nom. 

31.  Les  hommes  réunis  en  société  doivent  avoir  un  moyen  légal 
de  résister  à  l'oppression. 

32.  Il  y  a  oppression ,  lorsqu'une  loi  viole  les  droits  naturels  , 
civils  et  politiques  qu'elle  doit  garantir. 

Il  y  a  oppression ,  lorsque  la  loi  est  violée  par  les  fonctionnaires 
publics  dans  son  application  à  des  faits  individuels. 

Il  y  a  oppression  ,  lorsque  des  actes  arbitraires  violent  les 
droits  des  citoyens  contre  l'expression  de  la  loi. 

Dans  tout  gouvernement  libre  le  mode  de  résistance  à  ces  dif- 
férens  actes  d'oppression  doit  être  réglé  par  la  constitution. 

35  Un  peuple  a  toujours  le  droit  de  revoir,  de  réformer  et  de 
changer  sa  constitution.  Une  génération  n'a  pas  le  droit  d'assujettir 
à  ses  lois  les  générations  futures  ;  et  toute  hérédité  dans  les  fonc- 
tions est  absurde  et  tyrannique. 

CONSTITUTION  FRANÇAISE. 

La  nation  française  se  constitue  en  république  une  et  indivisi- 
ble, et  fondant  son  gouvernement  sur  les  droits  de  l'homme, 
qu'elle  a  reconnus  et  déclarés,  et  sur  les  principes  delà  liberté, 
de  l'égalité  et  de  la  souveraineté  du  peuple,  elle  adopte  la  consti- 
tution suivante. 

TITRE  I.  —  De  la  division  du  territoire. 

Art.  1,  La  République  française  est  une  et  indivisible. 

2.  La  distribution  de  son  territoire  actuel  en  quatre-vingt-cinq 
départemens  est  maintenue. 

3.  Néanmoins  les  limites  des  départemens  pourront  être  chan- 
gées ou  rectifiées  sur  la  demande  des  administrés  ;  mais  en  aucun 
cas  la  surface  d'un  département  ne  pourra  êtie  réduite  au-des- 
sous de lieues  carrées  ,  ni  portée  au-dessus  de lieues 

carrées. 

4.  Chaque  département  sera  divisé  en  grandes  communes  ;  les 
communes,  en  sections  municipales ,  et  en  assemblées  primaires. 


110  CONVENTION   NATIONALE. 

5.  Cette  distribution  du  territoire  de  chaque  département  en 
grandes  communes ,  se  fera  de  manière  qu'il  ne  puisse  y  avoir 
plus  de  deux  lieues  et  de  demie  de  l'habitation  la  plus  éloignée 
au  centre  du  chef-lieu  de  la  commune. 

6.  L'arrondissement  des  sections  municipales  ne  sera  pas  le 
même  que  celui  des  assemblées  primaires. 

7.  II  y  aura  dans  chaque  commune  une  administration  subor- 
donnée à  l'administration  du  département ,  et  dans  chaque  sec- 
tion une  agence  secondaire. 

TITRE  II.  — De  l'état  des  citoyens,  et  des  conditions  nécessaires 
'pour  en  exercer  les  droits. 

Art.  1.  Tout  homme  âgé  de  vinp,t-un  ans  accomplis,  qui  se 
sera  fait  inscrire  sur  le  tableau  civique  d'une  assemblée  primaire, 
et  qui  aura  résidé  depuis  une  année,  sans  interruption  ,  sur  le 
territoire  français,  sera  citoyen  de  République. 

2.  La  qualité  de  citoyen  français  se  perd  par  la  naturalisation 
en  pays  étranger,  et  par  la  peine  de  la  dégradation  civique. 

3.  Tout  citoyen  qui  aura  rempli  les  conditions  exigées  par 
l'article  premier  pourra  exercer  son  droit  de  suffrage  dans  la 
portion  du  territoire  de  la  République  où  il  jusiiliera  une  rési- 
dence actuelle  de  trois  mois  sans  interruption. 

4.  Nul  citoyen  ne  pourra  exercer  son  droit  de  suffrage  pour 
le  même  objet  dans  plus  d'uue  assemblée  primaire. 

5.  Il  y  aura  deux  causes  d'incapacité  iibsolue  pour  l'exercice  du 
droit  de  suffrage  ;  la  première  ,  l'imbécililé  ou  la  démence ,  con- 
statée par  un  jugement;  la  seconde,  la  condamnation  légale  aux 
peines  qui  emportent  la  dégradation  civique. 

6.  Tout  citoyen  qui  aura  résidé  pendant  six  années  hors  du 
territoire  de  la  République,  sans  une  mission  donnée  au  nom  de 
la  nation,  ne  pourra  reprendre  l'exercice  du  droit  de  suffrage 
qu'après  une  résidence  non  interrompue  de  six  mois. 

7.  Tout  citoyen  qui ,  sans  avoir  eu  de  mission ,  se  sera  ab- 
senté pendant  une  année  du  lieu  où  il  a  son  domicile  habituel , 


FÉVRIER  (1795).  11 1 

sera  tenu  de  nouveau  à  une  résidence  de  trois  mois  avant  d'être 
admis  à  voter  dans  son  assemblée  primaire. 

8.  Le  corps  législatif  déterminera  la  peine  qu'auront  encou- 
rue ceux  qui  se  permettraient  d'exercer  le  droit  de  suffrage  dans 
tous  les  cas  où  la  loi  constitutionnelle  le  leur  interdit. 

9.  La  qualité  de  citoyen  français  et  la  mujorité  de  vingt-cinq 
ans  accomplis ,  sont  les  seules  conditions  nécessaires  pour  l'éligi- 
bilité à  toutes  les  places  de  la  République. 

10.  En  quelque  lieu  que  réside  un  citoyen  français,  il  peut  être 
élu  à  toutes  les  places  et  par  tous  les  départemens,  quand  bien 
même  il  serait  momentanément  privé  du  droit  de  suffrage  par 
défaut  de  résidence. 

TITRE  m.  —  Des  assemblées  primaires. 

SECTION  I.  —  Orgaaisatioa  des  assemblées  primaires. 

Art.  l.Les  assemblées  primaires  où  les  Français  doivent 
exercer  leurs  droits  de  citoyens  seront  distribuées  sur  le  terri- 
toire de  chaque  département;  et  leur  arrondissement  sera  réglé 
de  manière  qu'aucune  d'elles  n'ait  moins  de  quatre  cent  cinquante 
membres  ni  plus  de  neuf  cents. 

2.  Usera  fait  dans  chaque  assemblée  primaire  un  tableau  par- 
ticulier des  citoyens  qui  la  composent. 

5.  Ce  tableau  formé ,  on  procédera  dans  chaque  assemblée 
primaire  à  la  nouiinalion  d'un  bureau ,  composé  d'autant  de 
membres  qu'il  y  aura  de  fuis  cinquante  citoyeus  inscrits  sur  le 
tableau. 

4.  Cette  élection  se  fera  par  un  seul  scrutin ,  à  la  simple  plu- 
ralité des  sufli-ages.  Chaque  volant  no  portera  que  deux  per- 
sonnes sur  son  bulletin,  quel  que  suit  le  nu.iibrc  des  menibres 
qui  doivent  former  le  buieau. 

5.  Dans  le  cas  néanmoins  où,  par  le  résultat  de  ce  sci'uiin  ,  l'é- 
lection des  membres  du  bureau  serait  incomplète,  il  sera  fait, 
pour  la  compléter,  un  nouveau  tour  de  scrutin. 


H2  CONVENTION   NATIONALE. 

6.  Le  doyen  d'âge  présidera  i'asseml)lëe  pendant  cette  pre- 
mière élection. 

7.  Les  fonctions  des  membres  du  bureau  seront  1°  de  garder 
le  registre  ou  tableau  des  citoyens  ;  2°  d'inscrire  sur  ce  registre  , 
dans  l'intervalle  d'une  convocation  à  l'autre ,  ceux  qui  se  présen- 
teront pour  être  admis  comme  citoyens;  3"  de  donner  à  ceux  qui 
veulent  changer  de  domicile  un  certificat  qui  atteste  leur  qualité 
de  citoyen;  4°  de  convoquer  l'assemblée  primaire ,  dans  les  cas 
déterminés  par  la  constitution;  o°  de  faire  au  nom  de  l'assemblée, 
soit  à  l'administration  du  département ,  soit  au  bureau  des  as- 
semblées primaires  de  la  même  commune,  les  réquisitions  néces- 
saires à  l'exercice  du  droit  de  censure. 

8.  Les  membres  du  bureau  seront  proclamés  suivant  l'ordre  de 
la  pluralité  des  suffrages  que  chacun  d'eux  aura  obtenus.  Le 
premier  remplira  les  fonctions  de  président  ;  les  trois  membres 
qui  viendront  immédiatement  après  lui ,  celles  de  secrétaires;  et 
le  reste  du  bureau ,  les  fonctions  de  scrutateurs.  Ils  seront,  dans 
le  même  ordre ,  les  suppléans  les  uns  des  autres  ,  en  cas  d'ab- 
sence de  quelques-uns  d'entre  eux. 

9.  A.  chaque  convocation  nouvelle  d'une  assemblée  primaire ,  il 
ne  sera  pas  permis  de  s'occuper  d'aucun  objet  avant  que  le  bu- 
reau n'ait  été  renouvelé.  Tout  acte  antérieur  à  ce  renouvellement 
est  déclaré  nul.  Les  citoyens  qui  composaient  l'ancien  bureau 
pouiront  néanmoins  être  réélus. 

40.  Le  bureau  ne  sera  point  renouvelé  lorsque  les  séances  de 
l'assemblée  seront  simplement  ajournées  et  continuées,  tant  que 
l'objet  pour  lequel  elle  aura  été  convoquée  ne  sera  pas  terminé. 

il.  Nul  ne  pourra  être  admis  à  voter  pour  la  première  fois 
dans  une  assemblée  primaire  sur  le  labieau  de  laquelle  il  ne  se- 
rait pas  inscrit  s'il  n'a  présenté  au  bureau ,  huit  jours  avant  l'ou- 
verture delà  tenue  de  l'assemblée,  les  titres  qui  constatent  son 
droit  ;  l'ancien  bureau  en  rendra  compte  à  l'assemblée,  qui  déci- 
dera si  le  citoyen  présenté  a  rempli  ou  non  les  conditions  exigées 
parla  constitution. 


FÉVRIER    (1793).  -îlô 

SECTION  II.  —  Fonctions  des  assemblées  primaires. 

Art.  1.  Les  citoyens  français  doivent  se  réunir  en  assemblées 
primaires ,  pour  procéder  aux  élections  déterminées  par  la  con- 
stitution. 

•  2.  Les  citoyens  français  doivent  également  se  réunir  en  assem- 
blées primaires  pour  délibérer  sur  des  objets  qui  concernent 
l'intérêt  général  de  la  République,  comme  1"  lorsqu'il  s'agit 
d'accepter  ou  de  refuser  un  projet  de  constitution ,  ou  un  chan- 
gement quelconque  à  la  constiiuiion  acceptée  ;  2°  lorsqu'on  pro- 
pose la  convocation  d'une  Convention  nationale  ;  5°  lorsque  le 
corps  législatif  provoque,  sur  une  question  qui  intéresse  la  Répu- 
blique française  entière ,  l'émission  du  vœu  de  tous  les  citoyens  ; 
4"  enfin  lorsqu'il  s'agit  soit  de  requérir  le  coips  législatif  de 
prendre  un  objet  en  considération,  soit  d'exercer  sur  les  actes  de 
la  représentation  nationale  la  censure  du  peuple,  suivant  le  mode 
et  d'après  les  règles  fixés  par  la  constitution. 

3.  Les  élections  et  les  délibérations  des  assemblées  primaires 
qui  ne  seront  pas  conformes ,  par  leur  nature,  par  leur  objet ,  ou 
parleur  mode,  aux  règles  prescrites  par  la  loi  constitutionnelle, 
seront  nulles  et  de  nul  effet. 

SECTION  III.  —  Règles  générales  pour  les  élections  dans  les  aKemblées. 

Art.  i.  Les  élections  se  feront  au  moyen  de  deux  scrutins,  dont 
le  premier,  simplement  préparatoire,  ne  servira  qu'à  former  une 
liste  de  présentation ,  et  dont  le  second ,  ouvert  seulement  entre 
les  candidats  inscrits  sur  la  liste  de  présentation ,  sera  définitif  et 
consommera  l'élection. 

2.  Pour  le  scrutin  de  présentation ,  aussit«)t  que  l'assemblée 
aura  été  formée,  les  membres  reconnus,  le  bureau  établi  et  l'ob- 
jet de  la  convocation  annoncé ,  chaque  votant  recevra  au  bureau 
un  bulletin  imprimé,  sur  lequel  on  aura  i  iscrii  son  nom  en 
marge. 

3.  Le  scrutin  sera  ouvert  à  l'insiant  même ,  et  ne  sera  fermé 
que  dans  la  séance  du  lendemain  a  quatre  heures  du  soir.  Chaque 

T.  XXIV.  8 


d14  CONVENTION   NATIONALE. 

citoyen  écrira ,  ou  fera  écrire  sur  son  bulletin  ,  un  nombre  de 
noms  égal  à  celui  des  places  à  élire,  et  viendra  pendant  cet  inter- 
valle le  déposer  au  bureau. 

4.  Dans  la  séance  du  second  jour,  à  quatre  heures,  le  bureau 
procédera  à  la  vérification  et  au  recensement  du  scrutin,  en  lisant 
à  haute  voix  le  nom  de  chaque  vofant  et  les  noms  de  ceux  qu'il 
a  inscrits  sur  son  bulletin. 

5.  Toutes  ces  opérations  se  feront  publiquement. 

6.  Le  résultat  du  scrutin  de  chaque  assemblée  primaire,  arrêté 
et  proclamé  par  le  bureau ,  sera  envoyé  au  chef-lieu  du  dépar- 
tement, où  le  recensement  des  résultats  du  scrutin  de  chaque  as- 
semblée primaire  se  fera  publiquement  par  les  administrateurs. 

7.  La  liste  de  présentation  sera  formée  de  ceux  qui  auront  ob- 
tenu le  plus  de  voix ,  en  nombre  triple  des  places  à  remphr. 

8.  S'il  y  a  égalité  de  suffrages ,  le  plus  âgé  sera  préféré  dans 
tous  les  cas  ;  et  s'il  n'y  a  qu'une  place  à  remplir,  le  plus  âgé  sera 
seul  inscrit  sur  la  liste. 

9.  Le  recensement  des  résultats  des  scrutins  faits  dans  les  as- 
semblées primaires  commencera  le  huitième  jour  après  celui 
qui  aura  été  indiqué  pour  l'ouverture  de  l'élection  ;  et  les  scrutins 
des  assemblées  primaires  qui  ne  seraient  remis  à  l'administration 
du  département  que  postérieurement  à  cette  époque  ne  seront 
point  admis. 

10.  La  liste  de  présentation  des  candidats  ne  sera  point  défini- 
tivement arrêtée  immédiatement  après  le  dépouillement  des  ré- 
sultats du  scrutin  des  assemblées  primaires.  L'administration  du 
département  sera  tenue  de  la  faire  imprimer  et  publier  sans 
délai.  Elle  ne  sera  considérée  d'abord  que  comme  un  simple 
projet,  et  elle  contiendra  V  la  liste  des  candidats  qui  ont  obtenu 
le  plus  de  suffrages,  en  nombre  triple  des  places  à  remplir;  2°  un 
nombre  égal  de  suppiéans,  pris  parmi  ceux  qui  auront  recueilli 
le  plus  de  voix  après  les  candidats  inscrits  les  premiers ,  et  en 
suivant  toujours  entre  eux  l'ordre  de  la  pluralité. 

M.  Dans  les  quinze  jours  qui  suivront  la  publication  de  cette 
première  liste ,  l'administration  du  département  recevra  la  décia" 


FÉVRIER   (  1793).  H 3 

ration  de  ceux  qui,  y  étant  inscrits  soit  au  nombre  des  candidats, 
soit  au  nombre  des  suppléans,  déclareraient  qu'ils  ne  veulent  ou 
ne  peuvent  pas  accepter;  et  le  quinzième  jour  la  liste  sera  défini- 
tivement arrêtée,  en  remplaçant  ceux  des  candidats  qui  auront 
refusé,  d'abord  par  ceux  qui  seront  inscrits  au  nombre  des  sup- 
pléans, et  successivement  par  ceux  qui  après  eux  auront  obtenu 
le  plus  de  suffrages,  en  suivant  toujours  entre  eux  l'ordre  de  la 
pluralité. 

12.  La  liste  de  présentation,  ainsi  définitivement  arrêtée,  et 
réduite  au  nombre  triple  des  sujets  à  élire ,  sera  envoyée  sans 
délai  par  l'administration  du  département  aux  assemblées  pri- 
maires ;  l'administration  indiquera  le  jour  où  les  assemblées  pri- 
maires devront  procéder  au  derr.it.i'  scrutin  d'élection  ;  mais  sous 
aucun  prétexte  ce  terme  ne  pourra  être  plus  éloigné  que  le  se- 
cond dimanche  après  la  clôture  de  la  liste  de  présentation. 

15.  L'assemblée  réunie  pour  le  second  et  dernier  scrutin  , 
chaque  votant  recevra  au  bureau  un  bulletin  à  deux  colonnes , 
divisées  chacune  en  autant  de  cases  qu'il  y  aura  de  sujets  à  nom- 
mer. 

L'une  de  ces  colonnes  sera  intitulée:  première  colonne  d'é- 
lection; l'autre,  colonne  supplémentaire. 

14.  Chaque  votant  inscrira  ,  ou  fera  inscrire  sur  la  première 
colonne  autant  d'individus  qu'il  y  aura  de  places  à  élire;  et  en- 
suite, sur  la  colonne  supplémentaire,  un  nombre  de  noms  égal  à 
celui  inscrit  sur  la  première  colonne.  Ce  bulletin  ne  sera  point 
signé. 

15.  Les  suffrages  ne  pourront  porter  que  sur  les  individus  in- 
scrits sur  la  liste  de  présentation. 

16.  Dans  chaque  assemblée  primaire  on  fera  séparément  le 
recensenu-rsl  des  suffrages  portés  sur  la  première  colonne  d'é- 
lection, et  sur  la  colonne  supplémenlaire. 

17.  Ces  résultats  seront  envoyés  au  chef-lieu  du  département, 
et  n'y  seront  reçus  que  jusqu'au  huiiiènie  jour  après  celui  qui 
aura  été  indiqué  pour  l'onverluie  du  second  scrutin. 

18.  L'administration  du  département  procédera  pid)!iquement 


ilG  CONVENTION   NATIONALE. 

au  recensement  général  des  résultais  du  scrutin  envoyés  par  les 
assemblées  primaires.  On  recensera  d'abord,  particulièrement  et 
séparément ,  le  nombre  des  suffrages  donnés  à  chaque  candidat , 
sur  les  premières  colonnes  de  nomination,  et  ensuite  sur  les  co- 
lonnes supplémentaires. 

19.  Si  le  résultat  des  suffrages  portés  sur  la  première  colonne 
ne  donne  la  majorité  absolue  à  personne ,  on  réunira  la  somme 
de  suffrages  que  chaque  candidat  aura  obtenus  dans  les  deux  co- 
lonnes; et  la  nomination  de  tous  les  sujets  à  élire ,  ainsi  que  leurs 
suppléans ,  sera  délermioée  par  l'ordre  de  la  pluralité. 

20.  Si  un  ou  plusieurs  candidats  réunissent  la  majorité  absolue 
par  le  recensement  des  suffrages  portés  sur  la  première  liste  ou 
colonne  de  nomination,  leur  élection  sera  consommée,  et  l'on 
n'aura  recours  à  l'addition  des  suffrages  portés  sur  les  deux  co- 
lonnes que  pour  les  candidats  qui  n'auront  pas  obtenu  la  majo- 
rité absolue  dans  la  première  colonne,  et  pour  les  places  vacan- 
tes après  le  premier  recensement. 

21.  Les  suppléans  seront  d'abord  ceux  qui ,  sur  la  première 
colonne,  ayant  obîenu  une  majorité  absolue,  auront  eu  le  plus 
grand  nombre  de  suffrages  après  les  sujets  élus  ;  ensuite  ceux 
qui ,  après  les  sujets  élus ,  auront  eu  le  plus  de  suffrages  ,  par  la 
réunion  des  deux  colonnes ,  quand  bien  même  ils  n'auraient  ob- 
tenu que  la  pluralité  relative. 

22.  Le  même  mode  sera  suivi  pour  les  nominations  à  une  seule 
place  :  mais  en  ce  cas  ,  1"  lors  du  scrutin  de  présentation ,  cha- 
que volant  n'écrira  qu'un  nom  sur  son  bulletin  ;  2°  la  liste  de 
présentation ,  formée  d'après  le  scrutin  ,  contiendra  les  noms  de 
treize  candidats  et  d'autant  de  suppléans ,  jusqu'à  ce  qu'elle 
ait  été  réduite  à  treize,  et  déiiniiivement  arrêtée,  conformément 
aux  articles  10  et  11  ;  5°  lors  du  scrutin  d'élection  ,  chaque  vo- 
tant écrira  ou  fera  écrire  le  nom  de  l'individu  qu'il  préfère ,  sur 
la  première  colonne  ;  et  sur  îa  colonne  ^supplémentaire  ,  le  nom 
des  six  autres  individus  ;  4°  si ,  lors  du  recensement  général  des 
suffrages ,  portés  sur  la  première  colonne,  l'un  des  candidats  a 
réuni  la  majorité  absolue»  il  sera  élu  ;  si  personne  n'a  obtenu  la 


lÉVKlER  (  1793  ).  '  il7 

majorité  absolue  on  réunira  lessuffrages  portés  en  faveur  de  chaque 
candidat  sur  les  deux  colonnes  :  celui  qui  en  aura  obtenu  le  plus 
sera  élu  ;  elles  six  candidats  qui  auront  le  plus  de  suffrages  après 
lui  seront  les  suppléans  dans  l'ordre  de  la  pluralité. 

23.  Lors  du  recensement  du  dernier  scrutin ,  les  bulletins  où 
l'on  aurait  donné  un  ou  plusieurs  suffrages  à  des  citoyens  qui  ne 
seraient  pas  inscrits  sur  la  liste  de  présentation,  ainsi  que  ceux 
qui  ne  contiendraient  pas  sur  chaque  colonne  le  nombre  de  suf- 
frages exigés  ci-dessus ,  seront  annulés. 

24.  Le  même  citoyen  pourra  être  porté ,  à  la  fois ,  sur  plu- 
sieurs listes  de  présentation ,  pour  des  places  différentes. 

25.  Il  y  a  néanmoins  incompatibilité  entre  toutes  les  lonctions 
publiques  et  temporaires.  Nul  citoyen  ne  pourra  accepter  une 
fonction  nouvelle  sans  renoncer,  par  le  seul  fait  de  son  accepta- 
lion  ,  à  celle  qu'il  exerçait  auparavant. 

SECTION  IV.  —  De  la  police  intérieure  des  assemblées  primaires. 

Art.  i.  La  police  intérieure  des  assemblées  primaires  appar- 
tient essentiellement  et  exclusivement  à  rassen)blée  elle-même. 

2.  La  peine  la  plus  forte  qu'une  assemblée  primaire  puisse 
prononcer  contre  un  de  ses  membres ,  après  le  rappel  à  l'ordre 
et  la  censure,  sera  l'exclusion  de  la  séance. 

5.  En  cas  de  voies  de  fait  et  excès  graves  ou  de  crimes  com- 
mis dans  l'intérieur  de  la  salle  des  séances ,  le  président  pourra , 
après  avoir  été  autorisé  par  l'assemblée ,  décerner  des  mandats 
d'amener  contre  les  prévenus ,  et  les  faire  traduire  par-devant 
l'officier  chargé  de  la  police  de  sûreté. 

4.  Les  citoyens  ne  pourront  se  rendre  en  armes  dans  les  as- 
semblées primaires. 

sECTioir  V.  —  Formes  des  délibérations  dans  les  assemblées  primaires. 

Art.  1.  L'assemblée  fonnée,  le  président  fera  connaître  l'ob- 
jet de  la  délibération  ,  réduit  à  une  question  simple  ,  à  laquelle  on 
puisse  répondre  par  oui  ou  pur  non  ;  et ,  à  la  fin  de  la  séance,  il 
ajournera  l'assemblée  à  huitaine,  pour  porter  sa  décision. 


118  CONVENTION   NATIONALK. 

2.  Pendant  l'ajournement ,  le  local  où  l'assemblée  primaire  se 
réunit  sera  ouvert ,  tous  les  jours  ,  aux  ciloyens  qui  voudront 
s'y  réunir  pour  discuter  l'objet  soumis  à  leur  délibération. 

3.  La  salle  sera  aussi  ouverte,  tous  les  dimanches,  aux  citoyens 
qui  voudront  s'y  réunir ,  et  le  bureau  comnieitra  l'un  de  ses 
membres ,  qui  sera  chargé  de  donner  lecture  aux  ciloyens  des 
différens  actes  des  autorités  constituées,  qui  seront  adressés  aux 
assemblées  primaires ,  et  qui  sera  également  chargé  de  maintenir 
l'ordre  et  le  calme  dans  ces  réunions  pariicuHères  et  confé- 
rences des  citoyens. 

4.  Lorsque  l'assemblée  seraréunieau  jour  indiqué  pour  émet- 
tre son  vœu  ,  le  président  rappellera  de  nouveau  l'objet  de  la 
délibération ,  et  exposera  la  question  ,  sur  laquelle  on  doit  répon- 
dre par  oui  ou  par  non. 

Le  bureau  fera  afficher,  dans  l'intérieur  de  la  salle,  un  placard 
contenant  l'exposé  sommaire  de  la  question  soumise  à  l'assem- 
blée ,  et,  sur  deuxcoîonnes,  les  mots  oui,  ou  non ,  avec  l'explica- 
tion précise  de  la  volonté  que  chacun  de  ces  mots  exprime. 

o.  Chaque  votant  écrira ,  ou  fera  écrire  sur  son  bulletin  ,  oui, 
ou  non,  et  le  signera,  ou  fera  signer  en  son  nom  ,  par  l'un  des 
membres  du  bureau ,  avant  de  le  déposer  dans  l'urne. 

6.  Le  scrutin  ne  sera  fermé  que  dans  la  séance  du  soir  du  se- 
cond jour,  à  quatre  heures;  et  pendant  cet  intervalle,  chaque 
citoyen  sera  libre  de  se  présenter  à  l'heure  des  séances  qui  lui 
conviendra  le  mieux  pour  émettre  son  vœu. 

7.  Le  dépouillement  du  scruiin  sera  fait  à  haute  voix,  et  les 
membres  du  bureau  qui  rempliront  les  fonctions  de  scrutateurs 
proclameront  le  nom  de  chaque  votant  en  même  temps  que  son 

vœu. 

8.  Lorsque  toutes  les  assemblées  primaires  d'un  seul  départe- 
ment délibéreront  ensemble  sur  le  même  objet ,  le  résultat  du 
vœu  de  chaque  as\enjblée,  par  oui  ou  par  non,  sera  envoyé  à 
l'administration  du  département,  où  le  résultat  général  sera  con- 
staté dans  les  détails  et  suivant  les  formes  prescrits  pour  les  élec- 
tions. 


FÉVKiJiK  (  1793  ).  H9 

9.  Dans  le  cas  où  toutes  les  assemblées  primaires  de  la  Répu- 
blique auraient  été  convoquées  pour  délibérer  sur  le  même  ol)jet, 
le  résultat  général  des  vœux  des  citoyens  de  chaque  département 
sera  adressé  par  chaque  administration,  dans  un  pareil  délai  de 
quinzaine ,  au  corps  législatif,  qui  constatera  et  publiera  ensuite, 
dans  le  même  délai ,  le  résultat  général  du  vœu  de  tous  les  ci- 
toyens. 

10.  Les  différens  actes  où  les  formes  ci-dessus  prescrites  n'au- 
ront pas  été  observées  seront  nuls. 

11.  Les  assemblées  primaires  seront  juges  de  la  validité  ou  de 
l'invalidité  des  suffrages  qui  seront  donnés  dans  leur  sein. 

12.  Les  administrations  de  dé[iartenient  prononceront  sur  les 
nullités  résultantes  de  l'inobservation  desdites  formes  ci-dessus 
prescrites  dans  ces  diveis  actes  des  assemblées  primaires  ,  lors- 
qu'elles auront  procédé  à  des  élections  purement  locales  et  parti- 
culières à  leur  département,  à  la  charge  d'adresser  leurs  arrêtés 
au  conseil  exécutif,  qui  sera  tenu  de  les  confirmer  ou  de  les  révo- 
quer, et ,  sauf  le  recours ,  dans  tous  les  eus,  au  corps  législatif. 

13.  Lorsque  les  assemblées  piimaires  délibéreront  sur  des  ob- 
jets d'intérêt  général ,  ou  qu'elles  procéderont  à  l'élection  des 
membres  du  corps  législatif  ou  desdits  fonctionnaires  publics  qui 
appartiennent  à  la  République  entière ,  les  administrations  de 
département  pourront  seulement  adresser  au  corps  législatif  leurs 
observations  sur  les  nullités  des  divers  actes  des  assemblées  pri- 
maires ,  et  le  corps  législatif  prononcera  définitivement  sur  leur 
validité. 

TiTiîE  IV.  —  Des  corps  adminîslratifs. 
SECTION  1  —  De  l'organisation  et  des  fonctions  des  corps  administratifs. 

Art.  i.  Il  y  aura  dans  chaque  départeiient  un  conseil  adini- 
nistraiif,  dans  chaque  commune  une  municipalité,  et  dans  chaque 
section  de  commune  une  agence  inférieure  subordonnée  à  la  mu- 
nicipalité. 

2.  Le  conseil  administratif  du  département  sera  composé  de 
dix-huit  membres. 


l±Q  CONVENTION    NATIONALE. 

3.  Il  y  aura  un  directoire  de  quatre  membres. 

4.  L'administration  de  chaque  commune  sera  composée  de 
douze  membres  et  du  maire,  qui  en  sera  le  président. 

5.  L'agence  secondaire  de  chaque  section  sera  confiée  à  un  seul 
citoyen ,  qui  pourra  avoir  des  adjoints. 

6.  La  réunion  des  agens  secondaires  de  chaque  section  ,  avec 
l'administration  municipale,  formera  le  conseil  général  de  com- 
mune. 

7.  L'adminislraiion  de  commune  sera  subordonnée  à  celle  du 
département. 

8.  L'organisation  des  municipalités  et  de  leur  agence  dans  les 
sections,  les  fonctions  particulières  qui  leur  seront  attribuées,  et 
le  mode  de  leur  élection  par  les  citoyens  réunis  en  assemblées  de 
sections ,  seront  déterminés  par  une  loi  indépendante  de  lu  Con- 
stitution. 

9.  Les  citoyens  de  chaque  commune ,  assemblés  dans  leurs  sec- 
tions, ne  pourront  déhbérer  que  sur  les  objets  qui  intéressent 
particulièrement  leur  section  ou  bien  leur  commune  ;  ils  ne  peu- 
vent ,  en  aucun  cas  ,  administrei*  par  eux-mêmes, 

10.  Les  administrateurs  des  départemens  sont  essentiellement 
chargés  de  la  répaitition  des  contributions  directes,  de  la  surveil- 
lance des  deniers  provenant  de  tous  les  revenus  publics  dans 
l'étendue  de  leur  territoire ,  de  l'examen  des  comptes  de  l'admi- 
nistration des  communes ,  et  de  déhbérer  sur  les  demandes  qui 
peuvent  être  faites  pour  l'intérêt  de  leur  déparlement. 

il.  Les  administrateurs,  dans  toutes  les  parties  de  la  Répu- 
blique, doivent  être  considères  comme  les  délégués  du  gouverne' 
ment  national  pour  tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'exécution  des  lois 
et  à  l'administration  générale ,  et  comme  les  agens  particuliers 
de  la  portion  de  citoyens  résidant  dans  leur  territoire  pour  tout 
ce  qui  n'est  relatif  qu'à  leurs  intérêts  locaux  et  particuliers. 

12.  Sous  le  pi'emier  de  ces  rapports  ,  ils  sont  essentiellement 
subordonnés  aux  ordres  et  à  la  sui  veillance  du  conseil  exécutif. 

15.  Le  corps  lé.;;islatif  déterminera  pur  des  lois  particulières 


FÉVKIEU  (  1795).  121 

les  règles  et  le  mode  de  leurs  fonctions  sur  toutes  les  parties  de 
l'administration  qui  leur  est  confiée. 

44.  Ils  ne  pourront  s'immiscer,  en  aucun  cas ,  dans  la  partie  de 
l'administration  générale  confiée  par  le  gouvernement  à  des  agens 
particuliers,  comme  l'administration  des  forces  de  terre  et  de 
mer  et  la  régie  des  établissemens ,  arsenaux ,  magasins ,  ports  et 
constructions  qui  en  dépendent ,  sauf  la  surveillance  qni  pourra 
leur  être  attribuée  sur  quelqu'un  de  ces  objets  ,  mais  dont  l'éten- 
due et  le  mode  seront  déterminés  par  la  loi. 

iS.  Le  conseil  exécutif  choisira ,  dans  chaque  administration  de 
département ,  parmi  les  membres  qui  ne  seront  pas  du  diieitoire, 
un  commissaire  national  chargé  de  correspondre  avec  le  conseil 
exécutif,  et  de  surveiller  et  requérir  l'exécution  des  lois. 

16.  Les  administrateurs  du  dépai  lement  ont  le  droit  d'annuler 
les  actes  des  sous-administrateurs,  si  ces  actes  sont  contraires  aux 
lois. 

17.  Ils  peuvent  également,  dans  le  cas  d'une  désobéissance 
persévérante  des  sous-administrateurs ,  ou  lorsqu'ils  compromet- 
tront la  sûreté  et  la  tranquillité  publique,  les  suspendre  de  leurs 
fonctions,  à  la  charge  d'en  instruire,  sans  délai,  le  conseil  exé- 
cutif, qui  sera  tenu  de  lever  ou  de  confirmer  la  suspension. 

18.  Le  conseil  exculif  sera  tenu ,  lorsque  les  administrateurs 
du  département  n'auront  pas  usé  du  pouvoir  qui  leur  est  délégué 
dans  l'article  ci-dessus,  d'annuler  directement  les  actes  dessous- 
administrateurs,  et  il  pourra  improuver  la  conduite  des  uns  et 
des  autres ,  et  les  suspendre  de  leurs  fonctions,  s'il  y  a  lieu. 

19.  Il  sera  rendu  compte  au  corps  législatif,  par  le  conseil  exé- 
cutif, des  suspensions  des  divers  administrateurs  qu'il  aura  pro- 
noncées ou  confirmées,  en  exécution  des  aiiiclts  préctdcns,  et 
des  motifs  qui  l'auront  détermine. 

20.  Les  adiiiinistraieurs  ne  peuvent,  eu  aucun  cas,  suspendre 
l'exécution  des  lois,  les  modifier  ou  y  suppléer  par  des  disposi- 
tions nouvelles,  ni  rien  entreprendre  sur  l'action  de  la  justice  et 
le  mode  de  son  administration. 

21.  Il  y  aura  dans  chaque  déparlement  un  trésorier  corres- 


122  CONVENTION  NATIONALE 

pondant  avec  la  trésorerie  nationale ,  en  ayant  sous  lui  un  caissier 
et  un  payeur. 

Ce  trésorier  sera  nommé  par  le  conseil  administratif  du  dé- 
partement; et  ses  commis,  présentés  par  lui,  seront  agréés  par 
le  même  conseil. 

22.  Les  membres  des  administrations  de  département  et  des 
administrations  inférieures  ne  pourront  être  mis  en  jugement 
par-devant  les  tribunaux ,  pour  des  faits  relatifs  à  leurs  fonctions, 
qu'en  vertu  d'une  délibération  du  directoire  du  département, 
pour  les  administrateurs  qui  leur  sont  subordonnés  ;  et  du  con- 
seil national  exécutif,  pour  les  membres  de  l'administration  du 
département,  sauf  le  recours,  dans  tous  les  cas,  à  l'aulorité  su- 
périeure du  corps  législatif. 

SECTION  II.  —  Du  mode  d'élection  des  administrateurs  de  départemens. 

Art.  1.  L'élection  des  administrateurs  de  département  sera 
faite  immédiatement  par  les  citoyens  de  chaque  département 
réunis  dans  les  assemblées  primaires ,  et  suivant  le  mode  prescrit 
dans  la  section  III  du  litre  III. 

2.  En  cas  de  vacance  par  mort ,  démission  ou  refus  d'accep- 
ter, dans  l'intervalle  qui  s'écoulera  enlre  les  élections,  le  citoyen 
(iOmmé  sera  remplacé  par  l'un  des  suppléans,  en  suivant  entre 
eux  l'ordre  de  la  pluralité  des  suffiages. 

5.  La  moitié  des  membres  des  corps  administratifs  sera  renou- 
velée tous  les  deux  ans,  trois  mois  après  l'époque  fixée  pour 
l'élection  du  corps  législatif. 

4.  Les  deux  premiers  membres  élus  à  chaque  élection  for- 
meront le  dii-ectoire. 

TITRE  V".  —  Du  conseil  exécutif  de  la  République. 

SECTION   I. 

Art.  4.  Le  conseil  exécutif  de  la  République  est  composé  de 
sept  ministres  et  d'un  secrétaire  ; 
2.  Il  y  aura,  \°  un  ministre  de  législation; 
2°  un  ministre  de  la  guerre. 


FÉvRiEu  (1793).  Iii5 

5°  Un  ministre  des  affaires  étrangères  ; 

4°  Un  ministre  de  la  marine; 

5°  Un  ministre  des  contributions  publiques  ; 

6°  Un  ministre  d'agriculture,  de  commerce  et  de  manufac- 
tures; 

7°  Un  ministre  des  travaux,  secours,  établissemens  publics  et 
des  arts. 

3.  Le  conseil  exécutif  sera  présidé  alternativement  par  cha- 
cun des  mimstres,  et  le  président  sera  changé  tous  les  quinze 
jours. 

A.  Le  conseil  exécutif  est  chargé  d'exécuter  et  de  faire  exécuter 
toutes  les  lois  et  décrets  rendus  par  le  corps  législatif. 

5.  Il  est  chargé  de  l'envoi  des  lois  et  décrets  aux  administra- 
tions et  aux  tribunaux ,  de  s'en  faire  certifier  la  réception  et  d'en 
justifier  au  corps  législatif. 

6.  Il  lui  est  expressément  interdit  de  faire  aucunes  lois,  même 
provisoires,  ou  de  modifier,  d'étendre  ,  ou  dinterpréter  les  dis- 
positions de  celles  qui  existent,  sous  quelques  prétexte  que  ce 
soit. 

7.  Tous  lesagens  de  l'administration  et  du  gouvernement  dans 
toutes  ses  parties  sont  essetitieilement  subordonnés  au  conseil 
exécutif;  mais  l'administration  de  la  justice  est  seulement  sou- 
mise à  sa  surveillance. 

8.  Il  est  expressément  chargé  d'annuler  les  actes  des  admi- 
nistrateurs, qui  seraient  contraires  à  la  loi,  ou  qui  pourraient 
compromeilre  la  irancjuillité  publique  ou  !a  sûreté  de  l'état. 

9.  îl  peut  suspend;  e  de  leurs  fonctions  les  membres  des  corps 
administratifs  ;  mais  à  la  charge  d'en  rendre  compte  sans  délai  au 
corps  légibla'.if. 

10.  En  cas  de  ijrévaricatiun  de  leur  part,  il  doit  les  dénoncer  au 
corps  législatif,  tjui  décidera  s'ils  seront  mis  en  jugement. 

H .  Le  conseil  a  le  droit  de  destituer,  de  rappeler,  de  remplacer 
les  agens  civils  et  militaires  qui  sont  nommés  par  lui  ou  par  les 
administrateurs  qui  lui  sont  subordonnés;  et  en  cas  de  délit  de 


d24  CONVENTION    NATIONALE. 

leur  pan,  d'ordonner  qu'ils  seront  poursuivis  par  devant  les  tri- 
bunaux qui  doivent  en  connaître. 

12.  Le  conseil  est  charjé  de  dénoncer  aux  censeurs  judiciaires 
les  actes  et  jugemens  par  lesquels  les  juj^es  auraient  excédé  les 
bornes  de  leurs  pouvoirs. 

43.  La  direction  et  l'inspection  des  armées  de  terre  et  de  mer, 
et  généralement  tout  ce  qui  concerne  la  défense  extérieure  de  l'é- 
tat ,  est  délégué  au  conseil  exécutif. 

Il  est  chargé  de  tenir  au  complet  le  nombre  d'hommes  qui  sera 
déterminé  chaque  année  par  le  corps  législatif;  de  régler  leur 
marche  et  les  distribuer  sur  le  territoire  de  la  République,  ainsi 
qu'il  le  jugeia  convenable  ;  de  pourvoir  à  leur  armement,  à  leur 
équipement  et  à  leur  subsistance  ;  de  faire  et  passer  pour  cet  ob- 
jet tous  les  marchés  qui  seront  nécessaires;  de  choisir  les  agens 
qui  doivent  les  seconder,  et  faire  observer  les  lois  sur  le  mode  de 
l'avancement  militaire,  et  les  lois  ou  réglemens  pour  la  discipHne 
des  armées. 

14.  Le  conseil  exécutif  fera  délivrer  les  brevets  ou  commissions 
aux  fonctionnaire  publics  qui  doivent  en  recevoir. 

lo.  Le  conseil  exécutif  est  chargé  de  dresser  la  liste  des  récom- 
penses nationales  que  les  citoyens  ont  le  droit  de  réclamer  d'a- 
près la  loi  :  cette  liste  sera  présentée  au  corps  législatif  qui  y  sta- 
tuera à  l'ouverture  de  chaque  session. 

16.  Toutes  les  affaires  seront  traitées  au  conseil ,  et  il  sera  tenu 
un  registre  des  décisions. 

17.  Chaque  ministie  agira  ensuite  dans  son  département  en 
conformité  des  arrêtés  du  conseil ,  et  prendra  tous  les  moyens 
d'exécution  de  détail  qu'il  jugera  les  plus  convenables. 

18.  L'établissement  de  la  trésorerie  nationale  est  indépendant 
du  conseil  exécutif. 

19.  Les  ordres  généraux  de  paiement  seront  arrêtés  au  conseil 
et  donnés  en  son  nom. 

20.  Les  ordres  particuliers  seront  expédiés  ensuite  par  chaque 
ministre  dans  son  département ,  sous  sa  seule  signature  et  en  re- 


FÉVRIER  (1793).  425 

latant  dans  l'ordre  l'arrêlé  du  conseil  et  la  loi  qui  aura  autorisé 
chaque  nature  de  dépense. 

21.  Aucun  ministre  en  place  ou  hors  de  place,  ne  peut  être 
poursuivi  en  matière  criminelle  pour  fait  de  son  administration 
sans  un  décret  du  corps  législatif  qui  ordonne  la  mise  en  juge- 
ment. 

22.  Le  corps  législatif  aura  ie  droit  de  prononcer  la  mise  en 
jugement  d'un  ou  de  plusieurs  membres  du  conseil  exécutif  dans 
une  séance  indiquée  pour  cet  objet  unique. 

23.  Il  sera  fait  un  rapport  sur  les  faits ,  et  la  discussion  ne 
pourra  s'ouvrir  sur  la  mise  en  jugement,  qu'après  que  le  mem- 
bre inculpé  aura  été  entendu. 

24.  En  prononçant  la  mise  en  jugement,  le  corps  législatif  dé- 
terminera s'il  y  a  lieu  de  poursuivre  la  simple  destitution,  ou  la 
forfaiture. 

2').  Dans  le  cas  où  le  corps  législatif  croira  devoir  poursuivre 
la  destitution ,  il  sera  rédigé  dans  le  délai  de  trois  jours,  un  acte 
énonciatif  des  faits  qui  ne  pourront  être  qualifiés. 

-i6.  Un  jury  national  unique  sera  convoqué  dans  la  huitaine,  it 
prononcera  ensuite  sur  les  faits  non  qualifiés  :  il  y  a,  ou  il  n'y  a  pas 
lieu  à  destitution.  Et  le  tribunal,  d'après  la  déclaration  du  jury, 
prononcera  la  destitution  du  membre  du  conseil  ou  le  renvoi  dans 
ses  fonctions. 

27.  Si  le  corps  législatif  ordonne  la  poursuite  de  la  forfaiture, 
le  rapport  sur  lequel  le  décret  aura  été  rendu  et  les  pièces  qui  lui 
auront  servi  de  base,  seront  remis  à  l'accusateur  national,  dans 
le  délai  de  vingt-quatre  heures,  et  le  jury  national  d'accusation 
sera  convoqué  dans  le  même  délai. 

28.  Dans  tous  les  cas,  soit  de  simple  destitution ,  soit  de  for- 
faiture, le  décret  de  mise  en  jugement  contre  un  membre  du  con- 
seil exécutif  emportera  de  droit  la  suspension  de  ses  fonctions 
jusqu'à  la  prononciation  du  jugement.  Et  pendant  l'instruction, 
il  sera  remplacé  par  l'un  des  suppiéans  choisis  par  la  voie  du  sort 
dans  le  conseil. 

29.  Le  corps  législatif,  en  prononçant  la  mise  en  jugement  d'un 


126  CONVENTION   NATIONALE. 

membre  du  conseil  exécutif,  pourra  ordonner,  s'il  le  juge  con- 
venable, qu'il  sera  gardé  à  vue. 

50.  Les  décrets  du  corps  législatif,  sur  la  mise  en  jugement 
d'un  membre  du  conseil  exécutif,  seront  faits  par  scrutin  signé, 
et  le  résultat  nominal  des  suffrages  sera  imprimé  et  publié. 

51.  La  destitution  d'un  membre  du  conseil  aura  lieu  pour  les 
cas  d'incapacité  ou  de  négligence  grave. 

52.  En  cas  de  mort ,  de  démission ,  ou  de  refus  d'accepler,  les 
membres  du  conseil  exécutif  seront  remplacés  par  leurs  sup- 
pléans,  dans  l'ordre  de  leur  inscription. 

53.  En  cas  de  maladie  et  d'après  l'autorisation  du  conseil ,  ils 
pourront  appeler  momentanément  à  leurs  fonctions  l'un  de  leurs 
suppléans  à  leur  choix. 

SECTION  II.  —  Du  mode  d'élection  du  conseil  exécutif. 

Art.  1 .  L'élection  des  membres  du  conseil  exécutif  sera  faite 
immédiatement  par  tous  les  citoyens  de  la  République  dans  leurs 
assemblées  primaires. 

2.  Chaque  membre  du  conseil  sera  nommé  par  un  scrutin  sé- 
paré. 

3.  Pour  le  scrutin  de  présentation ,  chaque  votant  désignera 
dans  son  bulletin  le  citoyen  qu'il  croira  le  plus  capable. 

4.  Le  résultat  des  scrutins  de  chaque  assemblée  primaire  sera 
envoyé  à  l'adminisiralion  du  département  où  le  recensement  se 
fera  dans  les  formes  et  dans  les  délais  prescrits  par  la  section  III 
du  titre  El. 

5.  Ce  recensement  fait,  l'administration  du  département  pu- 
bliera le  nom  des  treize  candidats  qui  auront  obtenu  le  plus  de 
suffrages ,  pourvu  qu'ils  en  aient  recueilli  au  moins  cent. 

6.  Il  sera  fait  une  liste  subsidiaire  des  huit  candidats  qui  auront 
obtenu,  après  les  treize  premiers,  le  plus  de  suffrages;  ces  deux 
listes  énonceront  le  nombre  de  voix  que  chacun  d'eux  aura  re- 
cueilli. 

7.  Les  listes  des  départemens,  qui  ne  contiendront  pas  le  nom- 


FÉVRIER  (1795).  127 

bre  de  treize  candidats,  ayant  réuni  plus  de  cent  suffrages,  de- 
meureront incomplètes  et  seront  néanmoins  valables. 

8.  Ces  listes  seront  adressées  au  corps  administratif  dans  le 
délai  de  huitaine  ;  il  les  fera  imprimer  et  les  enverra  à  tous  les 
départemens. 

9.  Six  semaines  après  la  publication  des  listes  de  chaque  dépar- 
tement ,  le  corps  législatif  formera  une  liste  définitive  de  présen- 
tation de  la  manière  suivante. 

10.  Il  supprimera  sur  la  liste  de  chaque  département  les  can- 
didats qui  auraient  déclaré  ne  pouvoir  ou  ne  vouloir  pas  accepter, 
et  il  les  remplacera  par  des  candidats  pris  dans  la  liste  subsidiaire 
de  leur  département,  suivant  l'ordre  de  leur  inscription. 

11.  La  préférence  sera  réglée  dans  la  formation  de  la  liste  dé- 
finitive de  présentation  entre  les  candidats  portés  sur  chaque  liste, 
par  le  nombre  de  départemens  dont  ils  auront  obtenu  le  vœn,  et 
en  cas  d'égalité ,  par  le  nombre  de  voix  qu'ils  auront  recueillies. 

12.  La  liste  définitive  de  présentation  ponr  chaque  place  du 
conseil  sera  composée  de  treize  candidats. 

15.  Les  assemblées  primaires  seront  convoquées  par  le  corps 
législatif  pour  procéder,  un  mois  au  plus  tard  après  la  publication 
de  celte  liste  ,  au  scrutin  d'élection. 

14.  Chaque  votant  portera  sur  son  bulletin  à  deux  colonnes, 
savoir  :  sur  la  première,  le  candidat  qu'il  préfère,  et  sur  la  se- 
conde ,  les  six  candidats  qu'il  jugera  dignes  de  le  suppléer. 

15.  Le  recensement  des  résultats  du  scrutin  des  assemblées 
primaires  de  chaque  dcpartenjent  sera  fait  par  l'administration 
du  département,  imprimé,  publié  et  envoyé,  dans  le  délai  de 
hiiitaino,  au  corps  It'jjisbtif. 

If),  Dans  la  quinzaine  npi-ès  l'expiration  de  ce  délai ,  le  corps 
législatif  proclamera  le  résultat  généra!  des  scruîins  des  départe- 
mens. 

17.  Le  candidat  qui  obtiendra  la  majorité  absolue  par  le  recen- 
sement général  des  suffrages  individuels  portés  sur  la  première 
colonne  sera  élu.  Si  aucun  des  candidats  n'obtient  cette  majorité, 
elle  se  formera  par  la  réunion  et  l'addition  des  suffrages  portés 


i28  CONVENTION    NATIONALE. 

sur  les  deux  colonnes.  Celui  qui  en  aura  obtenu  le  plus  sera  élu. 

18.  Il  sera  fait  des  six  candidats  qui  auront  eu  le  plus  de  suf- 
frages après  le  citoyen  élu  une  liste  de  suppléans  destinés  à  le 
remplacer. 

19.  Les  dispositions  générales  sur  les  élections,  exprimées  dans 
la  section  III  du  titre  III,  seront  applicables  à  tous  les  cas  parti- 
culiers qui  ne  sont  pas  prévus  dans  les  articles  précédens. 

20.  Les  membres  du  conseil  seront  élus  pour  deux  ans;  la 
moitié  sera  renouvelée  tous  les  ans ,  mais  ils  pourront  être  réélus. 

21.  Les  assemblées  primaires  se  réuniront  tous  les  ans ,  le  pre- 
mier dimanche  du  mois  de  janvier,  pour  l'élection  des  membres 
du  conseil,  et  toutes  les  élections  se  feront  à  la  fois  et  dans  les 
mêmes  séances  pour  toutes  les  places  du  conseil ,  quoique  par  un 
scrutin  séparé  pour  chacune. 

22.  Après  la  première  élection ,  les  quatre  membres  du  conseil, 
qui  devront  être  renouvelés  les  premiers ,  sortiront  par  la  voie  du 
sort ,  et  les  trois  membres  qui  ne  seront  pas  sortis ,  ainsi  que  le 
secrétaire ,  seront  renouvelés  à  l'élection  suivante. 

SECTION  III.  —  Des  relations  du  conseil  exécutif  avec  le  corps  législatif. 

Art.  1.  Le  conseil  exécutif  est  tenu,  à  l'ouverture  de  la  ses- 
sion du  corps  législatif,  de  lui  présenter  chaque  année  l'aperçu 
des  dépenses  à  faire  dans  chaque  partie  de  l'administration ,  et  le 
compte  de  l'emploi  des  sommes  qui  y  étaient  destinées  pour  l'an- 
née précédente  ;  il  est  chargé  d'indiquer  les  abus  qui  auraient  pu 
s'introduire  dans  le  gouvernement. 

2.  Le  conseil  exécwtif  peut  proposer  au  corps  législatif  de  pren- 
dre en  considération  les  objets  qui  lui  paraîtraient  exiger  célé- 
rité ;  il  ne  pourra  néanmoins,  en  aucune  manière,  ouvrir  son 
avis  sur  des  dispositions  législatives  que  d'après  l'invitation  for- 
melle du  corps  législatif. 

5.  Si,  dans  l'intervalle  des  sessions  du  corps  législatif,  l'intérêt 
de  la  République  exige  sa  prompte  réunion ,  le  conseil  exécutif 
sera  tenu  de  le  convoquer. 

4.  Les  actes  de  correspondance ,  entre  Iç  corps  législatif  et  le 


FÉVRIER  (1793).  i2î) 

conseil  exécutif,  seront  signés  du  président  du  conseil  et  du  se- 
crétaire. 

5.  Les  membres  du  conseil  exécutif  seront  admis  dans  le  sein 
du  corps  législatif  lorsqu'ils  auront  des  mémoires  à  lire  ou  des 
éclaircissemens  à  donner.  Ils  auronl  une  place  marquée. 

6.  Le  corps  législatif  pourra  aussi  appeler  un  membre  du  con- 
seil pour  lui  rendre  compte  de  ce  (jui  concerne  son  adminisiraiion, 
et  donner  les  éclaircissemens  et  les  instructions  qui  lui  seront  de- 
mandés. 

TITRE  VI. — De  la  trésorerie  nntionale  et  du  bureau  de  comptabilité. 

An.  i .  Il  y  aura  trois  commissaires  de  la  tréso!  erie  nationale , 
élus  comme  les  membres  du  conseil  exécutif  de  la  République  et 
en  même  temps,  mais  par  un  scrutin  séparé. 

2.  La  durée  de  leurs  fonctions  sera  de  trois  années,  et  l'un 
d'eux  sera  renouvelé  tous  les  ans. 

3.  Les  deux  candidats  qui  auront  obtenu  le  plus  de  suffrages 
après  celui  qui  aura  été  élu  seront  ses  suppléans. 

4.  Les  commissaires  de  la  trésorerie  seront  chargés  de  surveil- 
ler la  recette  de  tous  les  deniers  nationaux  ,  d'ordonner  le  paie- 
ment de  toutes  les  dépenses  publiques  ,  de  tenir  un  compte  ou- 
vert de  dépense  et  de  recette  avec  tous  les  receveurs  et  payeurs 
qui  doivent  compter  avec  la  trésorerie  nationale,  et  d'entretenir 
avec  les  trésoriers  des  départemeiis  et  les  administrations  la  cor- 
respondance nécessaire  pour  assurer  la  rentrée  exacte  et  régu- 
lière des  fonds. 

5.  Ils  ne  pourront  rien  payer,  sous  peine  de  forfaiture ,  qu'en 
vertu  d'un  décret  du  corps  lé^jislatif  jusqu'à  concurrence  des 
fonds  décrétés  par  lui  sur  chaque  objet,  d'après  une  décision  du 
conseil  exécutif,  et  sur  la  signature  du  mini!stre»le  chaque  dépar- 
tement. 

6.  Us  ne  pourront  aussi,  sous  peine  de  forfaiture,  ordonner 
aucun  paiement,  si  l'ordre  de  dépense,  signé  par  le  ministre  du 
département  que  ce  genre  de  dépense  concerne,  n'énonce  pas 

T.  XKIV.  9 


ioO  CONVENTION   NATIONALE. 

la  date  de  la  décision  du  conseil  exécutif  et  des  décrets  du  corps 
législatif  qui  ont  ordonné  le  paiement. 

7.  Il  sera  nommé  trois  commissaires  de  la  comptabilité  natio- 
nale, de  la  même  manière,  à  la  même  époque  et  suivant  le  mode 
prescrit  par  Ips  commissaires  de  la  trésorerie  nationale. 

8.  Ils  seront  éffalemenl  nommés  pour  trois  ans  ;  l'un  d'eux  sera 
renouvelé  chaque  année ,  et  ils  auront  aussi  deux  suppléans. 

9.  Les  commissaires  de  la  comptabilité  seront  chargés  de  se 
faire  remettre  ,  aux  époques  fixées  par  la  loi,  les  comptes  des  di- 
vers comptables  appuyés  des  pièces  justificaîives  ,  et  de  poursui- 
vre l'apurement  et  le  jugement  de  ces  comptes. 

iO.  Le  corps  législatif  formera  chaque  année  pour  cet  objet 
une  liste  de  deux  cents  jm es. 

il.  Pour  l'apurement  et  le  jugement  de  chaque  compte,  il  sera 
formé  sur  cette  liste  un  jury  de  vingt  et  une  personnes,  parmi  les- 
quelles le  comptable  aura  droit  d'en  récuser  sept,  et  le  conseil 
exécutif  sept  autres, 

12.  Si  les  récusations  ne  réduisent  pas  le  nombre  du  jury  à 
sept ,  les  jurés  non  récusés  se  réduiront  à  ce  nombre  par  la  voie 
du  sort. 

15.  L'un  des  comiiûssaires  de  la  comptabilité  sera  chargé  de 
présenter  les  pièces  à  chaque  juré  ,  de  lui  faire  toutes  les  obser- 
vations qu'il  jugera  convenables ,  et  de  donner  tous  les  ordres  né- 
cessaires pour  le  mettre  en  état  de  porter  sa  décision. 

14.  La  première  élection  des  commissaires  de  la  trésorerie  et 
de  la  comptabilité  nationale  sera  faite  à  la  fois  suivant  les  mêmes 
formes  que  pour  une  place  unique  quant  à  la  formation  de  liste 
de  présentation  ;  mais  dans  le  scrutin  de  nomination,  chaque  vo- 
tant insérera  huit  noms  sur  son  bulletin  ,  trois  dans  la  première 
colonne  et  cinq  dans  la  colonne  subsidiaire.  Les  suppléans  com- 
muns aux  trois  commissaires  seront  au  nombre  de  cinq  ;  la  même 
règle  sera  suivie  pour  la  première  élection  des  trois  commissai- 
res de  la  comptabilité. 


I 


FÉVRIER  (1793).  131 

TITRE  VII.  —  Du  corps  législatif. 

SECTION  I.  —  De  l'organisation  du  corps  législatif,  du  mode  d'élection  des 
membres  qui  le  composent. 

Art.  1.  Le  corps  législatif  est  un,  et  sera  composé  d'une  seule 
chambre  ;  il  sera  renouvelé  tous  les  an?. 

2.  Les  membres  du  corps  législatif  seront  nommés  par  les  ci- 
toyens de  chaque  déparlement  réunis  en  assemblées  primaires , 
dans  les  formes  et  en  suivant  le  mode  prescrit  par  la  section  m 
du  titre  m. 

3.  Les  assemblées  primaires  se  réuniront,  pour  cet  objet,  le 
premier  dimanche  du  mois  de  mai  de  chaque  année. 

4.  Le  nombre  des  députés  que  chaque  département  enverra  au 
corps  législatif  sera  fixé  par  la  seule  base  de  la  population,  et  à 
raison  d'un  député  par  cinquante  mille  âmes.  Le  nombre  des  sup- 
plëans  sera  égal  à  celui  des  députés. 

5.  Les  nombres  rompus  donneront  un  député  de  plus  à  chaque 
département,  lorsqu'ils  excéderont  virgt-cinq  mille  âmes;  et  l'on 
n'y  aura  aucun  égard  lorsqu'ils  n'excéderont  pas  ce  nombre. 

6.  Tous  les  dix  ans ,  le  corps  législolif  annoncera  le  nombre 
de  députés  que  chaque  déparlement  doit  fournir,  d'ap!  es  les  états 
de  population  qui  lui  seront  envoyés  chaque  année  ;  mais  dans 
cet  intervalle,  il  ne  pourra  être  fait  aucun  changement  à  la  repré- 
sentation nationale. 

7.  Les  députés  de  chaque  département  se  réuniroîit  le  premier 
lundi  du  mois  de  juillet,  au  lieu  qui  aura  été  indiqué  par  un  dé- 
cret de  la  législature  précédente,  ou  dans  le  même  lieu  de  ses  der- 
nières séances,  si  elle  n'en  a  pas  indiqué  un  autre. 

8.  Si  pendant  la  première  quinzaine  ils  ne  sont  pas  réunis  au 
nombre  de  plus  de  deux  cents ,  ils  ne  pourront  s'occuper  d'aucun 
acte  législatif  ;  mais  ils  enjoindront  aux  membres  absens  de  se 
rendre  à  leurs  fonctions  sans  délai. 

9.  Pendant  cet  intervalle,  les  séances  se  tiendront  sous  la 
présidence  du  doyen  d'âge  ;  çt  dans  le  cas  d'une  pécessilé  ur- 


J52  CONVENTION   NATIONALE. 

gente ,  l'assemblée  pourra  prendre  des  mesures  de  sûreté  géné- 
rale, mais  dont  l'exécution  ne  sera  que  provisoire,  et  qui  cessera 
après  le  délai  de  quinzaine ,  si  ces  mesures  ne  sont  confirmées  par 
une  nouvelle  délibération  du  corps  législatif,  après  sa  constitu- 
tion définitive. 

10.  Les  membres  qui  ne  se  seront  pas  rendus  dans  le  délai  d'un 
mois,  seront  lemp'acés  par  leurs  suppléans. 

il.  La  première  quinzaine  expirée,  en  quelque  nombreque  les 
députés  se  trouvent  réunis,  ou  aussitôt  qu'ils  seront  au  nombre 
de  plus  de  deux  cents,  et  après  avoir  vérifié  leurs  pouvoirs,  ils 
se  constitueront  en  assemblée  nationale  législative;  et  lorsque  l'as- 
semblée aura  été  organisée  par  l'élection  du  président  et  des  se- 
crétaires, elle  comaif.ncera  l'exercice  de  ses  fonctions. 

d2.  Les  fonctions  du  président  et  des  secrétaires  seront  tem- 
poraires, et  ne  pourront  excéder  la  durée  d'un  mois. 

io.  Les  membres  du  corps  législatif  sont  inviolables;  ils  ne 
pourront  être  recherchés,  accusés,  ni  jugés  en  aucun  temps, 
pour  ce  qu'ils  auront  dit  ou  écrit  dans  l'exercice  de  leurs  fonc- 
tions. 

14.  Ils  pourront,  pour  fait  criminel ,  être  saisis  en  flagrant  dé- 
lit; mais  il  en  sera  donné  avis  sans  délai  au  corps  législatif;  et  la 
poursuite  ne  pouira  être  continuée  qu'après  que  le  corps  législa- 
tif aura  décidé  qu'il  y  aura  lieu  à  la  mise  en  jugement. 

15.  Ho;  s  le  cas  du  flagrant  délit,  les  membres  du  corps  légis- 
latif ne  pourront  être  amenés  devant  les  officiers  de  police ,  ou 
mis  en  état  d'arrrsiaiion,  avant  que  le  corps  législatif  n'ait  pro- 
noncé sur  la  mise  en  jugement. 

SECTION  II.  —  Des  fonctions  du  corps  législatif. 

Art.  1.  Au  corps  légidaîif  seul  appartient  l'exercice  plein  et 
entier  de  la  puissance  législative. 

2.  Les  lois  constitutionnelles  et  leur  réforme  sont  seules  excep- 
tées des  dispositions  de  l'arii  ;le  précédenr. 

5.  Les  actes  émanés  du  corps  législatif  sa  divisent  en  deux  clas- 
ses :  les  lois  et  les  décrets. 


FÉVRIER  (1793).  135 

4.  Les  caractères  qui  distinguent  les  premiers ,  soni  leur  géné- 
ralité et  leur  durée  indéfinie.  Les  caractères  qui  disiinguenl  les 
seconds,  sont  leur  application  locale  ou  particulière,  et  lu  néces- 
sité de  If  ur  renouvellement  à  une  époque  déterminée. 

5.  Seront  compris  sous  la  dénomination  de  lois  tous  les  acies 
concernant  la  législation  civile ,  criminelle  et  de  police ,  les  régle- 
mens  généraux  sur  les  domaines  et  élablissemens  nationaux  ,  sur 
les  diverses  branches  d'administration  générale  ec  des  revenus  pu- 
blics, sur  le  titre,  le  poids,  l'empreinte  et  la  dénomination  des 
monnaies,  sur  la  nature  et  la  répartition  des  impôts,  et  sur  les 
peines  nécessaires  à  établir  pour  leur  recouvrement. 

a.  Seront  désignés  sous  le  )iom  particulier  de  décrets,  les  actes 
du  corps  législatif,  concernant  : 

1°  L'éiablissement  annuel  de  ïa  force  de  terre  et  de  mer  ;  la 
permission  ou  la  défense  du  passajje  des  troupes  étrangères  sur 
le  territoire  français,  et  l'introduciion  des  forces  navales  étran- 
gères dans  les  ports  de  la  République  ;  la  fixation  annuelle  de  la 
dépense  publique;  la  quotité  derimpôl  direcl ,  et  le  tarif  de  l'im- 
pôt indirect. 

2°  Les  précautions  urgentes  de  tùrelé  et  de  trancjuillité;  la  dis- 
iribuiion  annuelle  et  momentanée  des  secours,  des  travaux  pu- 
blics ;  toute  dépense  imprévue  et  cxtriiordinaire  ;  les  ordres  pour 
la  fabrication  des  monnaies  de  louie  espèce,  et  les  mesures  lo- 
cales ou  particulières  à  un  départenieril,  à  une  Commune,  ou  à 
un  genre  de  travaux,  tels  que  la  confection  d'une  grande  route, 
l'ouverture  d'un  canal. 

3"  Les  déclarations  de  guerre,  la  raîification  des  traités,  et  tout 
ce  qui  a  rapport  aux  étrangers. 

4"  L'exercice  delà  responsabilité  des  membres  du  conseil,  des 
fonctionnaires  publics,  et  l:i  poursuite  et  la  mise  tn  jugement  des 
prévenus  de  complot  ou  d'atieniai  cunlre  la  sùr(  te  générale  delà 
République,  la  discipline  iniérieuicde  l'assemblée  législative,  et 
la  disposition  de  la  force  armée  ((ui  sera  établie;  d;ins  la  ville  ou 
elie  licndia  ses  séances. 

7.  Les  mesures  exlraordinuircs  de  anclë  générale  et  de  Iran- 


134'  CONVENTION   NATIONALE. 

quillité  publique,  ne  pourront  avoir  plus  de  six  mois  de  dure'e  ;  et 
leur  exécution  cessera  de  plein  droit,  à  cette  époque,  si  elles  ne 
sont  pas  renouvelées  par  un  nouveau  décret. 

SECTION  III.  —  Tenue  des  séances,  et  formation  de  la  loi. 

Art.  1.  Les  délibérations  du  corps  législatif  seront  publiques, 
et  les  procès-vei  baux  de  ses  séances  seront  imprimés. 

2.  Les  lois  et  les  décrets  seront  rendus  à  la  majorité  absolue 
des  voix. 

5.  La  discussion  ne  pourra  s'ouvrir  que  sur  un  projet  écrit. 

4.  Il  n'y  aura  d'exception  à  cet  article  que  pour  les  arrêtés  re- 
latifs à  la  police  de  rassemblée,  à  l'ordre  et  à  la  marche  des  déli- 
bérations ,  et  aux  résolutions  qui  n'auront  aucun  rapport  à  la  lé- 
gislation et  à  l'administration  génfraiede  la  République. 

o.  Aucune  loi  et  aucun  décret  ne  pourront  être  rendus  qu'après 
deux  délibérations ,  dont  la  première  déterminera  seulement  l'ad- 
mission d  !  projet  et  son  renvoi  à  un  nouvel  examen ,  et  la  seconde 
aura  lieu  pour  l'adopter  ou  le  rejeter  définitivement. 

6.  Le  projet  de  loi  ou  de  décret  sera  remis  au  président  par  le 
membre  qui  voudra  le  présenter  ;  il  en  sera  fait  lecture;  et  si  l'as- 
semblée n'adopte  pas  la  question  préalable,  sur  la  simple  lecture , 
il  sera  imprioié,  distribué,  et  ne  pourra  être  mis  en  délibération 
que  huit  jours  après  la  distribution ,  à  moins  que  l'assemblée  n'a- 
brège ce  délai. 

7.  Le  projet,  après  la  discussion  sur  les  fonds  ,  sur  les  aihen- 
demens  et  sur  les  articles  additionnels,  pourra  et;  e  rejeté,  ajourné, 
renvoyé  à  une  commission  ,  ou  adnn's. 

8.  D.ins  le  cas  où  le  projet  serait  admis,  il  sera  renvoyé  à  l'exa- 
men du  bureau  qui  sera  organisé  ainsi  qu'il  sera  établi  ci-après. 

9.  Le  îiui'eaa  sera  tenu  de  faire  son  rapport  dans  le  délai  de 
quinzaine,  et  il  aura  la  faculté  d'abré,;er  ce  délai,  autant  qu'il  le 
jugera  convenable. 

iO.  I!  pourra  préf.enier,  soit  le  même  projet,  soit  un  nouveau 
projet  sur  le  même  objet  ;  mais  s'il  présente  un  nouveau  projet 
ou  des  amendemens ,  et  des  articles  additionnels  au  projet  ad- 


itiviuiiK  {  i/Uô  ').  155 

mis  ;  ce  ne  sera  que  huit  jours  après  la  distribution  et  l'impression 
de  ces  propositions  nouvelles ,  qu'il  pourra  y  être  délibéré. 

11.  L'assemblée  pourra  néanmoins  accorder  la  priorité  au 
premier  projet  qui  lui  aura  été  présenté,  sur  celui  du  bureau,  si 
elle  le  juge  convenable. 

12.  Toute  proposition  nouvelle,  soit  article  additionnel,  soit 
projet  de  décret,  ne  pourra  être  adoptée  et  décrétée,  qu'après 
avoir  été  admise,  renvoyée  au  bureau,  et  qu'elle  aura  subi  l'é- 
preuve d'un  nouveau  rapport,  conformément  aux  articles  précé- 
dens. 

15.  Le  corps  législatif  pourra ,  lorsqu'il  le  croira  utile  à  la 
chose  publique,  abréger  les  délais  fixés  par  les  articles  9  et  10  ; 
mais  cette  délibération  ne  pourra  être  prise  qu'au  tcrutin  et  à  la 
majorité  des  voix. 

14.  Si  l'urgence  est  adoptée ,  le  corps  législatif  fixera  îe  jour 
de  la  délibération ,  ou  ordonnera  qu'elle  sera  prise  séance  te- 
nante. 

15.  L'intitulé  de  la  loi  ou  du  décret  attestera  que  ces  formalités 
ont  été  remplies ,  par  la  formule  suivante  : 

Loi,  proposée  le admise  et  renvoyée  au  bureau,  le 

rapportée  et  décrétée  le conformément  à  c<,'  qui  est  p.rescrit 

par  la  Constitution;  ou,  en  venu  de  la  déiibéraiiou  d'urgence 
du 

16.  Toute  loi  ou  décret  qui  aurait  été  rendu  sans  que  ces  for- 
malités aient  été  remplies,  n'aura  pas  force  de  loi ,  et  ne  pourra 
I  ecevoir  aucune  exécution. 

SECTION  IV'.  —  Formation  du  bureau. 

Art.  1.  li  sera  formé,  tous  les  mois,  dons  le  sein  du  corps  lé- 
gislatif, un  bureau  composé  de  treize  membres,  et  (jui  sera  chargé 
de  faire  un  rappoit  sur  tous  les  projets  de  lois  ou  do  décrets  qui 
auront  été  admis  et  qui  lui  seront  renvoyés. 

2.  Tous  les  mois,  on  tirera  au  sort  treize  départemens  ;  chaque 
députaiioK  des  départemens  sortis  par  la  voie  du  sort,  nommera 
au  scrutin,  un  de  ses  membres  pour  composer  le  bureau. 


156  CONVENTION   NATIONALE. 

Variante.  2.  Cette  nomination  se  fera  par  un  double  scrutin  de 
présentation  ou  de  révocation. 

3.  Le  tirage  au  sort  n'aura  lieu  qu'entre  les  départemens  qui 
ne  seront  pas  encore  sortis. 

Variante.  3.  La  liste  de  présentation  sera  de  vingt-six  noms. 

4.  Au  bout  de  six  mois ,  le  tirage  se  renouvellera,  mois  par 
mois ,  entre  tous  les  départemens. 

Variante.  4.  Le  scrutin  d'élection  se  fera  par  un  bulletin  a  une 
icule  colonne.  Chaque  membre  de  l'assemblée  portera,  sur  sou 
bulletin,  les  treize  candidats  qu'il  préférera  ;  et  la  nomination  sera 
déterminée  par  la  plinalilé  dos  suffrages. 

5.  Les  départemens  qui  sortiront  une  seconde  fois,  ne  pour- 
ront nommer  les  méaies  membres. 

Variante.  5.  Les  membres  qui  auront  été  nommés  au  bureau  , 
nepourron!  plus  être  nommés  pendant  la  durée  de  la  législature. 

6.  Chaque  bureau  conservera  les  rapports  des  projets  admis, 
qui  lui  auront  été  »;nvoyés  dans  le  courant  du  mois  pour  lequel 
il  aurait  été  formé. 

TITRE  VIII.  —  De  la  censure  du  peuple  sur  les  actes  de  la  représen- 
tation nationale ,  et  du  droit  de  pétition. 

Art.  i .  Lorsqu'un  citoyen  croira  utile  ou  nécessaire  d'exciter 
la  surveillance  des  représentans  du  peuple  sur  des  actes  de  con- 
stitution ,  de  législation  ou  d'adminisiration  générale;  de  provo- 
quer la  réforme  d'une  loi  existante  ,  ou  la  promulgation  d'une  loi 
nouvelle ,  il  aura  le  droit  de  requérir  le  bureau  de  son  assemblée 
primaire  de  la  convoquer  au  jour  de  dimanche  le  plus  prochain  , 
pour  délibérer  sur  sa  proposition. 

2.  Cette  proposition  sera  rédigée  dans  l'acte  de  réquisition , 
réduite  dans  les  termes  les  plus  simples,  et  séparée  des  motifs 
(jui  ont  pu  l'appuyer. 

3.  Cette  réquisition  ,  pour  avoir  son  effet,  devra  être  revêtue 
de  l'approbation  et  de  la  signature  de  cinquante  citoyens  résidant 
dans  l'arrondissement  delà  même  assemblée  primaire. 

4.  Le  btîreau  à  qui  cetîe  réquisition  sera  adressée,  vérifiera 


FÉVRIER  {  1795).  157 

sur  le  tableau  des  membres  de  l'assemblée  primaire  ,  si  les  signa- 
taires de  la  réquisition  ou  de  l'apprcbalion  ont  droit  de  sulfraj^e; 
et  en  ce  cas  ,  il  sera  tenu  de  convoquer  l'assemblée  pour  le  di- 
manche suivant. 

o.  Ce  jour-là,  l'assemblée  formée ,  le  président  donnera  lecture 
de  la  proposition  ;  la  discussion  s'ouvriia  à  l'instant ,  et  pouria 
être  continuée  pendant  le  cours  de  la  semaine  ;  mais  la  décision 
sera  ajournée  au  dimanche  suivant. 

6.  Au  jour  indiqué  ,  îe  scrutin  sera  ouvert  par  oui  ou  par  pon, 
sur  la  question  :  Y  a-i-il ,  ou  n'y  a-t-il  pas  lieu  à  délibérer? 

7.  Si  la  majorité  des  voîans  est  d'avis  qu'il  y  a  lieu  à  délibérer, 
le  bureau  sera  tenu  de  requérir  la  convocation  des  assemblées 
primaires ,  dont  les  chel's-lieux  sont  situées  dans  l'airondisse- 
njent  de  la  même  commune  ,  [)Our  délibérer  sur  l'objet  énoncé 
dans  la  réquisition. 

8.  Le  bureau  sera  tenu  de  joindt  e  à  sa  réquisition  ,  un  procès- 
verbal  soumaire  de  ia  délibération  de  son  assemblée,  <t  une  co- 
pie collationnée  de  la  demande  du  citoyen  qui  a  provoqué  la 
délibération. 

y.  Sur  celte  réquisition  ,  les  membres  des  bureaux  des  assem- 
blées primaires,  à  qui  elle  sera  adressée,  convoqueront  leurs 
assemblées  dans  les  délais  prescrits,  et  en  adresseront  les  résul- 
tats au  bureau  qui  le  premier  aura  fait  la  réquisition. 

10.  Si  la  majorité  des  voians,  dans  les  assembiéis  (irimaires 
de  la  coumiune  ,  déclarai  qu'il  y  a  lieu  à  délibérer  sur  la  proposi- 
tion, le  bureau  adressera  à  l'adminisiraiion  du  déparieinent ,  le 
procès-verbal  de  ses  opérations,  et  le  résultat  général  des  scrutins 
des  assemblées  primaires  de  la  commune  qui  lui  auront  été  adres- 
sés; il  requerra  en  même  temps  l'adminisiraiion  ,  d;;  convoquer 
les  assemblées  pi-imaires  du  deparienuml ,  pour  délibérer  sur  ia 
même  proposition. 

11.  La  convocation  générale  ne  pourra  être  refusée  :  elle  aura 
lieu  dans  le  délai  de  quinzaine  ,  et  les  assemblées  primaires  deli- 
bér^ronidans  les  mêmes  formes,  v[  adresseront  à  l'ailministra- 
tion  du  département  le  résultat  de  leurs  délibérations. 


158  CONVENTION   NATIONALE. 

12.  Le  dépouillement  et  le  résultat  sera  publié  et  affiché 
dans  le  chef-lieu  des  assemblées  primaires  du  département. 

13.  Si  la  majorité  des  assemblées  primaires  décide  qu'il  y  a 
lieu  à  délibérer,  l'administration  du  déparlement  adressera  au 
corps  législatif  le  résultat  de  leur  délibération,  avec  renoncia- 
tion de  la  proposition  qu'elles  ont  adoptée ,  et  le  requerra  de 
prendre  cet  objet  en  considération. 

14.  Cette  réquisition  sera  sans  délai  imprimée,  distribuée  à 
tous  les  membres ,  affichée  dans  l'intérieur  de  la  salle,  et  ren- 
voyée à  des  commissaires ,  pour  en  faire  leur  rapport  dans  hui- 
taine. 

15.  Après  le  rapport  des  commissaires,  la  discussion  s'ouvrira 
sur  la  question  proposée  :  elle  sera  continuée  et  ajournée  à  huit 
jours  ;  et  il  sera  statué ,  au  plus  tard  dans  la  quinzaine  suivante, 
sur  la  question  de  savoir  s'il  y  a  ou  s'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer 
sur  cette  proposition. 

16.  On  votera  sur  celte  question  par  un  scrutin  signé  ,  et  le 
résultat  nominal  des  suffrages  sera  imprimé  et  envoyé  à  tous 
les  départemens. 

17.  Si  la  majorité  des  voix  se  dciciile  pour  l'affirmative ,  le 
corps  législatif  renvena  la  proposition  adoptée  à  des  commis- 
saires, pour  lui  présenter  un  projet  de  décret  dans  un  délai  qui 
ne  pourra  pas  excéder  ceîui  de  quinzaine. 

18.  Ce  projet  de  décret  sera  ensuite  mis  à  la  discussion  ,  rejeté 
ou  admis  ;  et  dans  ce  dernier  cas ,  ivnvoyé  au  i)urea'i ,  suivant  les 
règles  générales  prescrites  pour  la  formation  de  la  loi. 

19.  Si  la  majorité  des  voix  rejette  la  proposition ,  en  déclarant 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibéier,  le  résultat  nominatif  du  scrutin 
sera  également  envoyé  à  tous  les  départemens  ;  dans  tous  les  cas, 
soit  que  le  corps  législatif  admette  la  proposition  ou  la  rejette,  la 
délibération  sur  la  qîieslion  préalable  pourra  être  motivée,  et 
sera  envoyée  à  tous  les  départemens. 

20.  Si  la  révocation  du  décret  qui  a  prononcé  sur  \\  question 
préalable,  ou  de  la  loi  qui  aura  été  faite  sur  le  fond  de  la  propo- 
sition ,  esl  demandée  par  les  assemblées  primaires  d'ua  autre 


FÉVRIER  (1793).  139 

département ,  le  corps  législatif  sera  tenu  de  convoquer  sur-le- 
champ  toutes  les  assemblées  primaires  de  la  République ,  pour 
avoir  leur  vœu  sur  cette  proposition. 

2t.  La  question  sera  réduite  et  posée  dans  le  décret  de  la  Con- 
vention, de  la  manière  suivante  : 

Y  a-t-il  lieu  à  délibérer,  oui  ou  nom ,  sur  la  révocation  du  dé- 
cret du  corps  législatif,  en  date  du....  qui  a  admis,  ou  rejeté,  la 
proposition  suivante. 

22.  S'il  est  décidé  à  la  majorité  des  voix,  dans  les  assemblées 
primaires,  qu'il  y  a  lieu  à  délibérer  sur  la  révocation  du  décret, 
le  corps  législatif  sera  renouvelé ,  et  les  membres  qui  auront  voté 
pour  le  décret  ne  pourront  être  réélus,  ni  nommés  membres  du 
corps  législatif,  pendant  l'intervalle  d'une  législature. 

23.  La  disposition  de  l'article  précédent,  concernant  les  mem- 
bres qui  auront  voté  pour  le  décret ,  n'aura  pas  lieu  si  la  censure 
n'est  exercée,  et  la  révocation  demandée ,  qu'après  l'intervalle 
d'une  année  à  compter  du  jour  de  la  prononciation  du  décret 
et  de  la  loi. 

24.  Si ,  dans  l'intervalle  qui  peut  s'écouler  entre  le  décret  et 
l'émission  du  vœu  général  des  assemblées  primaires ,  il  y  a  eu 
une  nouvelle  élection  du  corps  législatif,  et  si  plusieurs  des  mem- 
bres qui  auront  voté  pour  le  décret  ont  été  réélus,  ils  seront 
tenus,  immédiatement  ;!près  que  le  vœu  général  sur  la  révocation 
du  décret  auia  été  constatée ,  de  céder  leur  place  à  leurs  sup- 
pléans. 

2o.  Si  le  renouvellement  du  corps  législatif  a  lieu ,  en  vertu  de 
l'article  23,  l'époque  de  la  réélection  annuelle  sera  seulement  an- 
ticipée :  le  nouveau  corps  législatif  finira  le  temps  de  la  législaiuro 
qu'il  aura  remplacée ,  et  ne  sera  renouvelé  lui-même  qu'à  l'é- 
poque dos  élections  annuolios  déterminées  par  la  loi. 

20.  Après  le  reiiouvellement  du  corps  législatif,  la  nouvelle  lé- 
gislature, dans  la  quinzaine  qui  suivra  l'époque  de  sa  constitution 
en  .'issemblée  délibérante,  sera  tenue  de  remettre  à  la  discussion 
la  question  de  la  révocation  du  décret ,  dans  la  forme  prescrite 
par  les  articles  15,  IG  et  suivans;  et  la  décision  qu'elle  rendra  sur 


HO  CONVENTION    NATIONALE. 

cet  objei ,  seia  également  soumise  à  l'exercice  du  droit  de  cen- 
sure. 

27.  Seront  soumis  à  l'exercice  du  droit  de  censure  toutes  les 
lois  et  généi-alement  tous  les  actes  de  la  législation ,  qui  seraient 
directement  contraires  à  la  constitution. 

28.  Seront  formellement  exceptés  les  décrets  et  les  actes  de 
simple  administration  ,  Us  délibérations  sur  des  intérêts  locaux 
et  partiels,  l'exercice  de  !a  surveillance  et  de  la  police  sur  les 
fonctionnaires ,  et  les  mesures  de  sùreié  générale ,  lorsqu'elles 
n'auront  pas  été  renouvelées. 

29.  L'exécution  provisoire  de  la  loi  sera  toujours  de  rigueur. 
50.  Le  corps  législatif  pourra,  toutes  les  fois  qu'il  le  jugera 

convenable,  coniulter  le  vœu  des  citoyens  réunis  dans  leurs  as- 
semblées primaires,  sur  des  questions  qui  iuiéresseroni  éssen- 
liellenienl  la  République  cniièf  e.  Ces  questions  seront  réduites  à 
la  simple  alternative  par  oui  ou  par  non. 

31.  Indépendamment  de  l'exercice  du  droit  de  c-nsuie  sur  les 
lois,  les  citoyens  ont  le  droit  d'adresser  individu-  llemeni  ou  col- 
lectivement des  pétitions  aux  autorités  constituées,  pour  leur  in- 
térêt personnel  et  privé. 

52.  Ils  seront  seulement  assujettis,  dans  l'exercice  de  ce  droit, 
à  l'ordre  progressif  établi  par  la  constitution  eutie  les  diverses 
autorités  constituées. 

55.  Les  citoyens  ont  aussi  le  droit  de  provoquer  la  mise  en 
jugement  des  fonctionnaires  publics,  «ncas  d'abus  de  pouvoirs 
et  de  violation  de  la  loi. 

TiTRb;  IX.  —  Des  Conventions  nationales. 

Art.  1.  Une  con\ention  nationale  sera  convoquée  loulis  les 
fois  qu'il  s'agira  de  réformer  l'acie  constitutionnel,  de  changer  ou 
modifier  quelques  unes  de  ses  parties,  ou  enfirr  d'y  ajouter 
quelques  dispositions  iioiivellf s. 

2.  Le  corps  législatif  sera  chargé  de  cette  convocation  ,  lors- 
qu'elle aiira  été  jug.ie  nécessaire  par  la  majorité  des  citoyens  de 
la  République.  11  désignera  la  ville  où  la  convention  se  réunira  et 


FÉVRIER  (1793).  iU 

tiendra  ses  séances  ;  mais  ce  sera  toujours  ù  la  distance  de  plus 
de  cinquante  lieues  delà  ville  où  le  corps  iéjjislaiif  siégera. 

3.  La  convention  et  le  corps  législatif  auront  le  droit  de 
changer  le  lieu  de  leurs  séances  ;  mais  la  distance  des  cinquante 
lieues  sera  toujours  observée. 

4.  Dans  la  vingtième  année  après  l'acceptation  de  l'acte  con- 
stitutionnel, le  corps  législatif  sera  tenu  d'indiquer  une  conven- 
tion ,  pour  revoir  et  perfectionner  la  Constitution. 

5.  Chaque  citoyen  a  le  droit  de  provoquer  l'appel  d'une  con- 
vention, pour  la  réforme  de  la  constitution  ;  mais  ce  droit  est 
soumis  aux  formes  et  aux  règles  éiablies  pour  l'exercice  du  droit 
de  censure. 

6.  Si  la  majorité  des  votans  dans  les  assemblées  primaires 
d'un  département  réclame  la  convocation  d'une  convention  na- 
tionale, le  corps  législatif  sera  tenu  de  consulter  sur-le-champ 
tous  les  citoyens  réunis  dans  les  assemblées  primaires  ;  et  si  la 
majoriié  des  votans  adopte  l'affirmative,  la  convention  aura  lieu 
sans  délai. 

7.  Le  corps  législatif  pourra  aussi,  lorsqu'il  le  jugera  né- 
cessaire, proposer  la  convocation  d'une  convention  nationale; 
mais  elle  ne  pourra  avoir  lieu  que  lorsque  la  majorité  du  peuple 
français  aura  approuvé  cette  convocation  ;  et  les  membres  de  la 
législature  ne  pourront,  en  ce  cas,  être  élus  membres  de  la  con- 
vention nationale. 

8.  La  convention  sera  formée  de  deux  membres  par  dépar- 
temens ,  ayant  deux  suppléans.  Ils  seront  élus  de  la  même  ma- 
nière que  les  membres  des  législatures. 

9.  La  convention  ne  pourra  s'occuper  que  de  présenter  au 
peuple  un  projet  de  constitution ,  perfeciionué  et  dégagé  des  dé- 
fauts (pie  l'expérience  aurait  fait  connaître. 

10.  Toutes  les  autorités  établies  continueront  leur  action,  jus- 
qu'à ce  que  la  nouvelle  constitution  ait  été  acceptée  par  le  peuple, 
suivant  le  nioJe  réglé  par  la  constitution  existante,  et  jusqu'à  ce 
que  les  nouvelles  autorités  aient  été  formées  et  mises  en  activité. 

a.  Si  le  projet  de  réforme  de  la  constitution  est  rejeté,  dans 


142  CONVENTION  NATIONALE. 

le  courant  des  deux  premiers  mois  qui  suivront  l'époque  où  le 
vœu  du  peuple  aura  été  conslaté,  la  convention  sera  tenue  de 
présenter  aux  suffrages  des  citoyens  les  questions  sur  lesquelles 
elle  croira  devoir  connaître  leur  vœu. 

12.  Le  nouveau  plan  formé  d'après  l'expression  de  ce  vœu, 
sera  présenté  à  l'acceptation  du  peuple  dans  les  mêmes  formes. 

15.  S'il  est  rejeté,  la  convention  nationale  sera  dissoute  de 
plein  droit,  et  le  corps  législatif  sera  tenu  de  consulter  sur-le- 
champ  les  assemblées  primaires ,  pour  savoir  s'il  y  a  lieu  à  la  con- 
vocation d'une  convention  nouvelle. 

14.  Les  membres  de  la  convention  ne  peuvent  être  recher- 
chés, accusés,  ni  jugés  en  aucun  temps,  pour  ce  qu'ils  auront 
dit  ou  écrit  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  ;  et  ils  ne  pourront 
être  mis  en  jugement ,  dans  tout  autre  cas ,  que  par  une  décision 
de  la  convention  elle-même. 

15.  La  convention,  aussitôt  après  sa  réunion,  pourra  régler 
l'ordre  et  la  marche  de  ses  travaux ,  comme  elle  le  jugera  conve- 
nable ;  mais  ses  séances  seront  toujours  publiques. 

16.  En  aucun  cas,  la  convention  ne  pourra  prolonger  ses 
séances  au-delà  du  terme  d'une  année. 

TITRE  X.  —  De  l'administraùon  de  la  justice. 
SECTION  I.  —  Règles  générales. 

Art.  1.  Il  y  aura  un  code  de  lois  civiles,  de  lois  criminelles,  qui 
seront  uniformes  pour  toute  la  République. 

2.  La  justice  sera  rendue  publiquement  par  des  jurés  et  par 
des  juges. 

5.  Ces  juges  seront  élus  à  temps  et  salariés  par  la  République. 

4.  Ils  ne  peuvent  être  renouvelés  qu'aux  époques  déterminées 
par  l'acte  constitutionnel. 

5.  Les  fonctions  judiciaires  ne  peuvent,  en  aucun  cas,  et  sous 
aucun  prétexte ,  être  exercées ,  ni  par  le  corps  législatif ,  ni  par 
le  conseil  exécutif,  ni  par  les  corps  administratifs  et  municipaux. 

(),  Les  tribunaux  et  les  juges  ne  peuvent  s'immiscer  dans  l'exer* 


FÉVRIER  (1793).  145 

cicedu  pouvoir  législatif;  ils  ne  peuvent  interpréter  les  lois  ni  les 
étendre,  en  arrêter  ou  suspendre  l'exécution,  entreprendre  sur 
les  fonctions  administratives,  ni  citer  devant  eux  les  administra- 
teurs pour  raison  de  leurs  fonctions. 

7.  Les  juges  ne  pourront  être  destitués  que  pour  forfaiture  lé- 
galement jugée,  ni  suspendus  que  par  une  accusation  admise. 

SECTION  II.  —De  lajastice  civile. 

Art.  i.  Le  droit  des  citoyens  déterminer  définiiivement  leurs 
contestaliofjs  par  la  voie  de  l'arbitrage  volontaire,  ne  peut  rece- 
voir aucune  atteinte  par  les  actes  du  pouvoir  exécutif. 

2.  Il  y  aura  au  moins  un  juge  de  paix  dans  chaque  commune. 

3.  Les  juges  de  paix  sont  chargés  spécialement  de  concilier  les 
parties;  et  dans  le  cas  où  ils  ne  pourraient  y  parvenir,  de  pro- 
noncer délinitivement  et  sans  frais  sur  leurs  contestations. 

4.  Le  nombre  et  la  compétence  des  juges  de  paix  seront  dé- 
terminée par  le  corps  législatif;  ei  néanmoins  ils  ne  pourront  ja- 
mais connaître  de  la  propriété  et  des  matières  criminelles ,  ni 
exercer  aucune  fonction  de  police  ou  d'administration. 

5.  La  justice  de  paix  ne  pourra  jamais  devenir  un  élément  ou 
un  degré  de  la  justice  contentieuse. 

G.  Dans  toutes  les  contestations  autres  que  celles  qui  sont  du 
ressort  de  la  justice  de  paix ,  les  citoyens  seront  tenus  de  les  sou- 
mettre d'abord  à  des  arbitres  choisis  par  eux. 

7.  En  cas  de  réclamation  contre  les  décisions  rendues  par  les 
arbitres,  en  vertu  de  l'article  précédent,  les  citoyens  se  pourvoi- 
ront devant  le  jury  civil. 

8.  Il  y  aura  dans  chaque  département  un  seul  jury  civil  : 
il  sera  composé  d'un  directeur  du  jury,  d'un  rapporteur  public, 
d'un  commissaire  natioual  et  de  jurés.  Le  nombre  des  officiers 
du  jury  pourra  être  augmenté  par  le  corps  législatif,  suivant  les 
besoins  des  départemens. 

9.  Le  tableau  des  jurés  civils  de  chaque  département  sera 
formé  de  la  manière  suivante  : 


144  CONVENTION   NATIONALE. 

i°  Dans  chaque  assemblée  primaire  on  élira ,  tous  les  six  mois, 
un  juré  sur  cent  citoyens  insciits  sur  le  tableau. 

2°  Cette  élection  sera  faite  par  un  seul  scrutin  et  à  la  simple 
pluralité  relative. 

5°  Chaque  votant  signera  son  bulletin  ou  le  fera  signer  en  son 
nom  par  l'un  des  membres  du  bureau ,  et  n'y  portera  qu'an  seul 
individu  ,  quel  que  soit  le  nombre  des  jurés  que  son  assemblée 
primaire  devra  nommer. 

10.  Tous  les  citoyens  résidansdans  chaque  département  seront 
éligibles  par  chaque  assemblée  primaire. 

11.  Chaque  assemblée  primaire  enverra  à  l'administration  du 
département  la  liste  des  citoyens  qui  auront  recueilli  le  plus  de 
voix,  en  nombre  du  double  dos  jurés  qu'elle  doit  nommer;  et 
l'administration  ,  après  avoir  formé  le  tableau  des  jurés,  le  fera 
parvenir  sans  délai  au  directeur  du  jury. 

12.  Tout  citoyen  qui  aura  été  inscrit  deux  fois  dans  un  tableau 
de  jurés ,  ne  pourra  être  tenu  d'en  exercer  de  nouveau  les  fonc- 
tions. 

15.  Le  choix  des  jurés  sera  fait  sur  le  tableau  général  du 
département  par  les  parties.  En  cas  de  refus ,  ce  choix  sera  fait 
par  le  directeur  du  jury ,  pour  les  parties  qui  refusent.  En  cas 
d'absence ,  ce  choix  sera  fait  par  le  commissaire  national  pour 
les  parties  absentes. 

14.  Le  directeur,  le  rapporteur,  le  commissaire  national  et 
leurs  suppléans  seront  nommés  immédiatement  par  les  assem- 
blées primaires  du  département ,  dans  les  formes  et  suivant  le 
mode  prescrit  pour  les  nominations  individuelles. 

lu.  Les  fonctions  principales  du  direcieur  du  jury  seront  de 
diriger  la  procédure  ;  celles  du  rapporteur,  de  faire  l'exposé  des 
affaires  devant  le  jury  ;  et  celles  du  commissaire  national  seront; 

1°  De  requérir  et  de  surveiller  l'observation  des  formes  et  des 
lois  dans  les  jugemens  à  rendre,  et  de  faire  exécuter  les  jugemens 
rendus. 

2"  De  défendre  les  insensés ,  les  interdits ,  les  absens,  les  pu- 
pilles ,  les  mineurs  et  les  veuves. 


FÉVRIER  (1793).  145 

SECTION  m.  —  De  la  justice  crimioelle. 

Art.  i .  La  peine  de  mort  est  abolie  pour  tous  les  délits  privés. 

2.  Le  droit  de  faire  grâce  ne  serait  que  le  droit  de  violer  la 
loi  :  il  ne  peut  exister  dans  un  gouvernement  libre ,  où  la  loi  est 
égale  pour  tous. 

3.  En  matière  criminelle,  nul  citoyen  ne  peut  être  jugé  que 
par  les  jurés,  et  la  peine  sera  appliquée  par  les  tribunaux  cri- 
minels. 

4.  Un  premier  jury  déclarera  si  l'accusation  doit  être  admise 
ou  rejetée.  Le  fait  sera  reconnu  et  déclaré  par  le  second  jury. 

5.  L'accusé  aura  la  faculté  de  récuser,  sans  alléguer  de  moiifs, 
le  nombre  de  jurés  qui  sera  déterminé  par  la  loi. 

6.  Les  jurés  qui  déclareront  le  fait  ne  pourront,  en  aucun 
cas ,  être  au-dessous  du  nombre  de  douze. 

7.  L'accusé  choisira  un  conseil  ;  et  s'il  n'en  choisit  pas ,  le 
tribunal  lui  en  nommera  un. 

8.  Tout  homme  acquitté  par  un  jury  ne  peut  plus  être  re- 
pris ni  accusé  à  raison  du  même  fait. 

9.  Il  y  aura  pour  chaque  tribunal  criminel  un  président, 
deux  juges  et  un  accusateur  public.  Ces  quatre  officiers  seront 
élus  à  temps  par  le  peuple. 

10.  Les  fonctions  de  l'accusateur  public  seront  de  dénoncer  au 
directeur  du  jury ,  soit  d'office ,  soit  d'après  les  ordres  qui  lui 
seront  donnés  par  le  conseil  exécutif  ou  par  le  corps  législatif: 

1°  Les  attentats  contre  la  liberté  individuelle  des  citoyens  ; 

2°  Ceux  commis  contre  le  droit  des  gens; 

3°  La  rébellion  à  l'exécution  des  jugemens  et  de  tous  les  actes 
exécutoires  émanés  des  autorités  constitui  es  ; 

4°  Les  troubles  occasionnés  et  les  voies  de  fait  commises  pour 
entraver  la  perception  des  contributions,  la  libre  circulation  des 
subsistances  et  autres  objets  de  commerce  ; 

5°  De  requérir  pendant  le  cours  de  l'instruction  ,  pour  la  re'- 
gularité  des  formes  ;  et  avant  le  jugement ,  pour  l'application  de 
la  loi; 

T.  XilY,  10 


146  CONVENTION   NATIONALE. 

6°  De  poursuivre  les  délits  sur  les  actes  d'accusation  admis 
par  les  premiers  jures  ; 

7°  De  surveiller  tous  les  officiers  de  police  du  département , 
qu'il  sera  tenu  d'avertir  en  cas  de  négligence ,  et  de  dénoncer, 
dans  le  cas  de  fautes  plus  graves ,  au  tribunal  criminel. 

SECTION  IV.  —  Des  censeurs  judiciaires. 

Art.  1.  Il  y  aura  des  censeurs  judiciaires  qui  iront,  à  des  épo- 
ques lixes ,  prononcer  dans  chaque  département  de  l'arrondis- 
sement qui  sera  désigné  à  cet  effet,  1°  sur  les  demandes  en  cas- 
sation contre  les  jugemens  rendus  par  les  tribunaux  criminels  et 
les  jurys  civils;  2°  sur  les  demandes  en  renvoi  d'un  tribunal  à  un 
autre  pour  cause  de  suspicion  légitime;  3°  sur  les  règlemens  de 
juges,  et  sur  les  prises  à  partie  contre  les  juges. 

Ils  casseront  les  jugemens  dans  lesquels  les  formes  auront  été 
violées,  ou  qui  contiendront  une  contravention  expresse  à  la  loi. 

2.  Les  censeurs  seront  nommés  pour  deux  années.  Ils  seront 
élus  par  les  asseuiblées  primaires  de  chaque  département,  dans 
la  forme  établie  pour  les  nominations  individuelles.  Ils  seront 
communs  à  toute  la  République. 

5.  Chaque  division  de  censeurs  ne  pourra  être  composée  de 
moins  de  quatre  membres  et  de  plus  de  sept  ;  et  ils  ne  pourront 
jamais  exercer  leurs  fonctions  dans  le  département  qui  les  aura 
nommés. 

4.  Ils  ne  connaîtront  point  du  fond  des  affaires;  mais,  après 
avoir  cassé  le  jugement,  ils  renverront  le  procès,  soit  au  tribunal 
criminel,  soit  au  jury  civil  qui  doit  en  connaître. 

5.  Lorsqu'après  deux  cassations  le  jugement  du  troisième  tri- 
bunal criminel  ou  jury  civil  sera  attaqué  par  les  mêmes  moyens 
que  les  deux  premiers,  la  question  ne  pourra  plus  être  agitée  de- 
vant les  censeurs  sans  avoir  été  soumise  au  corps  législatif,  qui 
portera  un  décret  déclaratoire  de  la  loi  auquel  les  censeurs  seront 
tenus  de  se  conformer. 

6.  Les  commissaires   nationaux  et  les  accusateurs  publics 


FÉVRIER  (1793).  147 

pourront,  sans  préjudice  du  droit  des  parties  intéressées,  dénon- 
cer aux  censeurs  les  actes  par  lesquels  les  juges  auraient  excédé 
les  bornes  de  leur  pouvoir. 

7.  Les  censeurs  annuleront  ces  actes  s'il  y  a  lieu  ;  et  dans  le 
cas  de  forfaiture ,  le  fait  sera  dénoncé  au  corps  législatif  par  les 
censeurs  qui  auront  prononcé. 

8.  Le  corps  législatif  mettra  le  tribunal  en  jugement  s'il  y  a 
lieu ,  et  renverra  les  prévenus  devant  le  tribunal  qui  doit  con- 
naître de  cette  matière. 

9.  Dans  le  cas  où  les  parties  ne  seseraient  pas  pourvues  contre 
les  jugemens  dans  lesquels  les  fornîes  ou  les  lois  auraient  été 
violées,  les  jugemens  auront  à  l'égard  des  parties  fcrce  de  chose 
jugée;  mais  ils  seront  annulés  pour  l'intérêt  public  sur  la  dénon- 
ciation des  commissaires  nationaux  et  des  accusateurs  publics. 
Les  juges  qui  les  auront  rendus  pourront  être  poursuivis  pour 
cause  de  forfaiture. 

lU.  Le  délai  pour  se  pourvoir  devant  les  censé:! r;  ne  pourra 
en  aucun  cas  être  abrégé  ni  prorogé  pour  aucune  cause  parti- 
culière ,  ni  pour  aucun  individu. 

M.  Dans  le  premier  mois  de  la  session  du  corps  législatif, 
chaque  division  de  censeurs,  après  avoir  remis  le  résultat  de  ses 
travaux,  sera  tenue  de  lui  envoyer  l'étal  des  jugemens  rendus,  à 
côté  de  chacun  desquels  seront  la  notice  abrégée  de  l'affaire  et  le 
texte  de  la  loi  qui  aura  déterminé  la  décision. 

12.  Dans  le  cours  du  mois  suivant ,  le  corps  législatif  se  fera 
rendre  compte  du  travail  dns  censeurs,  des  abus  qui  pourront 
s'être  introduits  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions ,  et  des  moyens 
de  perfectionner  la  législation  et  l'administration  de  la  justice. 

^  ù.  La  justice  sera  rendue  au  nom  de  la  nation .  Les  expéditions 
exécutoires  des  jugemens  des  trii^unaux  Ci'imineis,  des  jurys  ci- 
vils et  des  juges  de  paix  seront  conçus  ainsi  qu'il  suit: 

La  république  française^  à  toiis  les  citoyens Le  juré  civil 

ou  klnbunal  d a  rendu  le'jucjemenl  suivant. 

Copie  du  jugenicnl  elle  nom  des  juges. 

La  république  française  mande  et  ordonne,  etc.  etc. 


i48  CONVENTION  NATIONALE. 

15.  La  même  formule  aura  lieu  pour  les  décisions  des  censeurs, 
qui  perleront  le  nom  d'actes  de  cemure  judiciaire, 

SECTION  V.  —  Du  jury  national. 

Art.  1 .  11  sera  formé  un  jury  national  toutes  les  fois  qu'il  s'agira 
de  prononcer  sur  les  crimes  de  haute  trahison.  Ces  crimes  seront 
expressément  déterminés  par  le  code  pénal. 

2.  Le  tableau  du  jury  national  sera  composé  de  trois  jurés  par 
chaque  département,  et  d'un  nombre  égal  de  suppléans. 

5.  Ils  seront  élus,  ainsi  que  les  suppléans ,  par  les  assemblées 
primaires  de  chaque  département ,  suivant  les  formes  prescrites 
pour  les  élections. 

4.  Lejury  national  se  divisera  en  jurés  d'accusation  et  en  jurés 
de  jugement. 

5.  Il  ne  sera  formé  qu'un  seul  jury  national  lorsqu'il  s'agira 
de  prononcer  sur  la  simple  destitution  d'un  membre  du  conseil 
exécutif  de  la  République. 

6.  Les  juges  du  tribunal  criminel  du  département  dans  l'éten- 
due duquel  le  délit  aura  été  commis  rempliront  auprès  du  jury 
national  les  fonctions  qu'ils  exercent  pour  le  jury  ordinaire. 

7.  Lorsqu'il  s'agira  d'un  délit  de  haute  trahison  commis  hors 
du  territoire  de  la  République ,  ou  de  la  forfaiture  encourue  par 
un  fonctionnaire  public  hors  du  même  territoire ,  le  corps  légis- 
latif choisira  par  la  voie  du  sort,  entre  les  sept  tribunaux  crimmels 
tes  plus  voisins  du  lieu  du  délit ,  celui  qui  devra  en  connaître. 

8.  La  même  règle  sera  observée  lorsque  des  motifs  impérieux 
d'intérêt  public  ne  permettront  pas  que  le  jury  national  se  ras- 
semble dans  le  département  où  le  délit  aura  été  commis. 

SECTION  VI.  —  Des  moyens  de  garantir  la  liberté  civile. 

Art.  1.  Les  citoyens  ne  peuvent  être  distraits  des  juges  que 
la  loi  constitutionnelle  leur  assigne. 

2.  Toute  personne  saisie  en  vertu  de  la  loi  doit  être  conduite 
devant  l'officier  de  police,  etnulnepeut  être  mis  en  état  d'arresta- 
tion ou  détenu  ,  1°  qu'en  vertu  d'un  mandat  des  officiers  de  po- 


FÉVRIER  (1795).  149 

lice  ;  2"  d'une  ordonnance  de  prise  de  corps  d'un  liibunal  ;  5"  d'un 
décret  d'arrestation  du  corps  législatif;  4°  ou  d'un  jugement  de 
condamnation  à  prison ,  ou  détention  correctionnelle. 

3.  Toute  personne  conduite  devant  l'officier  de  police  sera 
interrogée  sur-le-champ ,  ou  au  plus  tard  dans  les  vingt-quatre 
heures,  sous  peine  de  destitution  et  de  prise  à  partie. 

4.  S'il  résulte  de  l'examen  de  l'officier  de  police  qu'il  n'y  a 
aucun  sujet  d'inculpation  ,  la  personne  détenue  sera  remise  aus- 
sitôt en  liberté  ;  et  s'il  y  a  heu  de  l'envoyer  à  la  maison  d'arrêt, 
elle  y  sera  conduite  dans  le  plus  bref  délai ,  qui,  en  aucun  cas  , 
ne  pourra  excéder  trois  jours. 

5.  Le  directeur  du  jury  d'accusation  sera  tenu  de  le  convoquer 
dans  le  délai  d'un  mois  au  plus  tard ,  sous  peine  de  destitution. 

6.  Les  personnes  arrêtées  ne  peuvent  être  retenues ,  si  elles 
donnent  caution  suffisante ,  dans  tous  les  cas  où  la  loi  n'a  pas 
prononcé  une  peine  afflictive  ou  corporelle. 

7.  Le  corps  législatif  fixera  les  règles  d'après  lesquelles  les 
cautionnemens  et  les  peines  pécuniaires  seront  graduées  d'une 
manière  proportionnelle  qui  ne  viole  pas  les  principes  de  l'éga- 
lité ,  et  qui  ne  dénature  pas  la  peine. 

8.  Les  personnes  détenues  par  l'autorité  de  la  loi  ne  peuvent 
être  conduites  que  dans  les  lieux  légalement  et  publiquement  dé- 
signés pour  servir  de  maison  d'arrêt ,  de  maison  de  justice  ou  de 
prison. 

9.  Nul  gardien  ou  geôlier  ne  peut  recevoir  ni  retenir  aucun 
homme  qu'en  vertu  d'un  mandat ,  ordonnance  de  prise  de  corps , 
décret  d'accusation  ou  jugement ,  et  sans  que  la  transcription  en 
ait  été  faite  sur  son  registre. 

iO.  Tout  gardien  ou  geôlier  représentera  la  personne  du  dé- 
tenu à  l'officier  civil  ayant  la  police  de  la  maison  de  détention 
toutes  les  fois  qu'il  en  sera  requis  par  lui. 

il.  Lorsque  la  personne  détenue  ne  sera  pas  gardée  au  secret, 
en  vertu  d'une  ordonnance  du  juge  inscrite  sur  le  registre ,  sa 
représentation  ne  pourra  être  refusée  à  ses  parens  et  amis  por- 


ISO  CONVENTION   NATIONALE. 

leurs  de  l'ordre  de  l'officier  civil ,  qui  sera  toujours  tenu  de  l'ac- 
corder. 

12.  Toute  autre  personne  que  celle  à  qui  la  loi  donne  le  droit 
d'arrestation  qui  expédiera  ,  signera ,  exécutera ,  ou  fera  exé- 
cuter l'ordre  d'arrêter  un  citoyen  ;  toute  personne  qui ,  dans  le 
caS'd'arrestation  autorisé  par  la  loi ,  conduira ,  recevra  ou  retien- 
dra un  citoyen  dans  un  lieu  de  détention  non  publiquement  et 
lé^^alement  dési^jné ,  et  tout  gardien  ou  geôlier  qui  contreviendra 
aux  dispositions  des  articles  précédens ,  seront  coupables  de 
crime  de  détention  arbitraire ,  et  punis  comme  tels. 

13.  La  maison  de  chaque  citoyen  est  un  asile  inviolable.  Pen- 
dant !a  nuit ,  on  ne  peut  y  entrer  que  dans  les  seuls  cas  d'incen- 
die, ou  de  réclamation  de  l'intérieur  de  la  maison  ;  et  pendant  le 
jour,  outre  ces  deux  cas ,  on  pourra  y  entrer  en  vertu  d'un  or- 
dre de  l'officier  de  police. 

14.  La  liberté  de  la  presse  est  indéfinie.  Nui  homme  ne  peut 
êtrs  recherché  ni  poursuivi  pour  raison  des  écrits  qu'il  aura  fait 
imprimer  ou  publier,  sur  quelque  matière  que  ce  soit ,  sauf  l'ac- 
tion en  calomnie ,  de  la  part  des  citoyens  qui  en  sont  l'objet  con- 
tre l'auteur  ou  l'imprimeur. 

lo.  Nul  ne  pourra  être  jugé,  soit  parla  voie  civile,  soit  par  la 
voie  criminelle,  pour  fait  d'écrits  publics,  sans  qu'il  ait  été  re- 
connu et  déclaré  par  un  jury  :  1"  s'il  y  a  déht  dans  l'écrit  dé- 
noncé; 2°  si  la  personne  poursuivie  en  est  coupable. 

16.  Les  auteurs  conservent  la  propriété  des  ouvrages  qu'ils 
ont  fait  imprimer  ;  mais  la  loi  ne  doit  la  garantie ,  après  l'impres- 
sion ,  que  pendant  leur  vie  seulement. 

TITRE  XI.  —  De  la  force  publique. 

Art.  1.  La  force  publique  est  composée  de  tous  les  citoyens 
en  état  de  porter  les  armes. 

2.  Elle  doit  être  organisée  pour  défendre  la  République  contre 
les  ennemis  extérieurs ,  et  assurer  au-dedans  le  maintien  de  l'or- 
dre et  l'exécution  des  lois. 

3.  Il  pourra  être  foimé  des  corps  soldés ,  tant  pour  la  défense 


fÉvRîER  (1793).  451 

de  la  République  contre  les  ennemis  extérieurs ,  que  pour  le  ser- 
vice de  l'intérieur  de  la  République. 

4.  Les  citoyens  ne  pourront  jamais  agir  comme  corps  armé , 
pour  le  service  de  l'intérieur,  que  sur  la  réquisition  et  l'autorisa» 
lion  des  officiers  civils. 

5.  La  force  publique  ne  peut  être  requise  par  les  officiers  civils 
que  dans  l'étendue  de  leur  territoire.  Elle  ne  peut  agir  du  territoire 
d'une  commune  dans  une  autre  sans  l'autorisation  de  l'adminis- 
tration du  département,  et  d'un  déparlement  dans  un  autre 
sans  les  ordres  du  conseil  exécutif. 

0.  Et  néanmoins,  comme  l'exécution  des  jugemens  et  la  pour- 
suite des  accusés  ou  des  condamnés  n'a  point  de  territoire  cir- 
conscrit dans  une  république  une  et  indivisible,  le  corps  légis- 
latif déterminera  par  une  loi  les  moyens  les  plus  prompts 
d'assurer  l'exécution  des  jugemens  et  la  poursuite  des  accuses 
dans  toute  l'étendue  de  la  République. 

7.  Toutes  les  fois  que  des  troubles  dans  l'intérieur  détermine- 
ront le  conseil  à  faire  passer  une  partie  de  la  force  publique  d'un 
département  dans  un  autre,  il  sera  tenu  d'en  instruire  sur-le- 
champ  le  corps  législatif. 

8.  Toutes  les  parties  de  la  force  publique  employées  cor.lie 
les  ennemis  du  dehors  agiront  sous  les  ordres  du  conseil  exé- 
cutif. 

9.  La  force  publique  est  essentiellement  obéissante  ;  nul  corps 
armé  ne  peut  délibérer. 

10.  Les  commandans  en  chef  des  armées  de  terre  cl  de  mer  ne 
seront  nommés  que  par  commission;  et  en  cas  de  guerre,  ils 
la  recevront  du  conseil  exécutif.  Elle  sera  révocable  à  volonté: 
sa  durée  sera  toujours  bornée  à  une  campagne,  et  elle  devra 
être  renouvelée  tous  les  ans. 

1 1.  La  loi  de  discipline  militaire  aura  besoin  d'être  renouvelée 
chaque  année. 

12.  Les  commandans  de  la  garde  nationale  seront  noniiriés 
tous  les  ans  par  les  citoyens  de  chaque  commune,  et  nul  ne 
pourra  commander  la  garde  nationale  de  plusieurs  communes. 


CONVENTION  NATIONALE. 

TITRE  xii.  —  Des  conlrïbulïons  publiques. 

Art.  \.  Les  contributions  publiques  ne  doivent  jamais  excéder 
les  besoins  de  l'état, 

2.  Le  peuple  seul  a  le  droit,  soit  par  lui-même,  soit  par  ses 
représentans ,  de  les  consentir,  d'en  suivre  l'emploi  et  d'en  dé- 
terminer la  quotité,  l'assiette,  le  recouvrement  et  la  durée. 

3.  Les  contributions  publiques  seront  délibérées  et  fixées 
chaque  année  par  le  corps  législatif,  et  ne  pourront  subsister 
au-deià  de  ce  terme  si  elles  n'ont  pas  été  expressément  renou- 
velées. 

4.  Les  contributions  doivent  être  également  réparties  entre 
tous  les  citoyens ,  en  raison  de  leurs  facultés. 

5.  Néanmoins,  la  portion  du  produit  de  l'industrie  et  du  tra- 
vail qui  sera  reconnue  nécessaire  à  chaque  citoyen  pour  sa  sub- 
sistance ne  peut  être  assujettie  à  aucune  contribution. 

6.  Il  ne  pourra  être  établi  aucune  contribution  qui,  par  sa 
nature  ou  par  son  mode,  nuirait  à  la  libre  disposition  des  pro- 
priétés, aux  progrès  de  l'industrie  et  du  commerce,  à  la  circu- 
lation des  capitaux ,  ou  entraînerait  la  violation  des  droits  re- 
connus et  déclarés  par  la  Constitution. 

7.  Les  administrateurs  des  départemens  ou  des  communes  ne 
pourront  ni  établir  aucune  contribution  publique,  ni  faire  aucune 
répartition  au-delà  des  sommes  fixées  par  le  corps  législatif ,  ni 
délibérer  ou  permettre,  sans  y  être  autorisés  par  lui,  aucun  em- 
prunt local  à  la  charge  des  citoyens  des  départemens  ou  de  la 
commune. 

8.  Les  comptes  détaillés  de  la  dépense  des  départemens  mi- 
nistériels ,  signés ,  certifiés  par  les  ministres ,  seront  rendus  pu- 
blics chaque  année  au  commencement  de  chaque  législature. 

î).  Il  en  sera  de  même  des  états  de  recette  des  diverses  contri- 
butions et  de  tous  les  revenus  publics. 

40.  Les  états  de  ces  dépenses  et  recettes  seront  distingués 
suivant  leur  nature ,  et  exprimeront  les  sommes  touchées  et  dé- 
pensées, année  par  année,  dans  chaque  département. 


FÉVRIER  (4793  ).  153 

11.  Seront  également  rendus  publics  les  comptes  des  dépenses 
particulières  aux  départemens  et  relatives  aux  tribunaux,  aux 
administrateurs ,  et  généralement  à  tous  les  établissemens  pu- 
blics. 

TITRE  XIII  et  dernier.  —  Des  rapports  de  la  rêpubluiue  française 
avec  les  nations  étrangères,  et  de  ses  relations  extérieures. 

Art.  1.  La  république  française  ne  prendra  les  armes  que 
pour  le  maintien  de  sa  liberté ,  la  conservation  de  son  territoire 
et  la  défense  de  ses  alliés. 

2.  Elle  renonce  solennellement  à  réunir  à  son  territoire  des 
contrées  étrangères,  sinon  d'après  le  vœu  librement  émis  de 
la  majorité  des  liabitans ,  et  dans  le  cas  seulement  où  les  contrées 
qui  solliciteront  cette  réunion  ne  seront  pas  incorporées  et  unies 
à  une  autre  nation  ,  en  vertu  d'un  pacte  social  exprimé  dans  une 
constitution  antérieure  et  librement  consentie. 

3.  Dans  les  pays  occupés  par  les  armes  de  la  république  fran- 
çaise, les  généraux  seront  tenus  de  maintenir,  par  tous  les  moyens 
qui  seront  à  leur  disposition ,  la  sûreté  des  personnes  et  des  pro- 
priétés, et  d'assurer  aux  citoyens  de  ces  pays  la  jouissance  en- 
tière de  leurs  droits  naturels,  civils  et  politiques.  Ils  ne  pourront, 
sous  aucun  prétexte  et  en  aucun  cas,  protéger  de  l'autorité  dont 
ils  sont  revêtus  le  maintien  des  usages  contraires  à  la  liberté,  à 
l'égalité  naturelle  et  à  la  souveraineté  des  peuples. 

4.  Dans  ses  relations  avec  les  nations  étrangères ,  la  république 
française  respectera  les  institutions  garanties  par  le  consentement 
exprès  ou  tacite  de  la  généralité  du  peuple. 

o.  La  déclaration  de  guerre  sera  faite  par  le  corps  législatif,  et 
ne  sera  pas  assujettie  aux  formes  prescrites  par  les  autres  délibé- 
rations ;  mais  elle  ne  pourra  être  décrétée  qu'à  une  séance  indi- 
quée au  moins  trois  jours  à  l'avance  par  un  scrutin  signé ,  et 
après  avoir  entendu  le  conseil  exécutif  de  la  République. 

G.  En  cas  d'hostilités  imminentes  ou  commencées,  de  menaces 
ou  de  préparatifs  de  guerre  contre  la  république  française ,  le 


i^  CONVENTION   NATIONALE. 

conseil  exécutif  est  tenu  d'employer,  pour  la  défense  de  l'état,  les 
moyens  qui  sont  remis  à  sa  disposition ,  à  la  charge  d'en  prévenir 
le  corps  législatif  sans  délai.  Il  pourra  même  indiquer,  en  ce  cas, 
les  augmentations  de  forces  et  les  nouvelles  mesures  que  les  cir- 
constances pourraient  exiger. 

7.  Tous  les  agens  de  la  force  publique  sont  autorisés,  en  cas 
d'atiaqiie ,  à  repousser  une  agression  hostile ,  à  la  charge  d'en 
prévenir  sans  délai  le  conseil  exécutif. 

8.  Aucune  négociation  ne  pourra  être  entamée,  aucune  suspen- 
sion d'hosiilités  ne  pourra  être  accordée ,  sinon  en  vertu  d'un  dé- 
cret du  corps  législatif,  qui  ne  pourra  statuer  sur  ces  objets 
qu'après  avoir  entendu  le  conseil  exécutif. 

9.  Les  conventions  et  traités  de  paix,  d'alliance  et  de  com- 
merce, seront  négociés,  au  nom  de  la  république  française,  par 
des  agens  du  conseil  exécutif,  et  chargés  de  ses  instructions  ;  mais 
leur  exécution  sera  suspendue ,  et  ne  pourra  avoir  lieu  qu'après 
la  ratification  du  corps  législatif. 

iO.  Les  capitulations  et  suspensions  d'armes  momentanées, 
consenties  par  les  généraux ,  sont  seules  exceptées  des  articles 
précédens. 

Rapport  sur  l'organisation  de  l'armée. 
(  Séance  du  7  février.  ) 

Dubois-Crancé ,  rapporteur.  Citoyens,  vous  avez  renvoyé  à 
votre  comité  de  la  guerre  les  bases  d'organisation  d'une  force  ar- 
mée à  opposer,  celte  campagne ,  aux  efforts  des  despotes  coali- 
sés contre  la  république  française.  Les  moraens  pressent  pour  dé- 
créter cette  organisation,  que,  d'après  les  considérations  qui  vous 
ont  été  présentées  par  votre  comité  de  défense  générale ,  vous 
avez  portée  à  cinq  cent  deux  mille  huit  cents  hommes.  Je  vous  ai 
garanti,  au  nom  de  ce  comité,  que  vous  aviez  tous  les  cadres  né- 
cessaires ;  je  viens  aujourd'hui  vous  dire  que  le  zèle  des  Français 
a  été  si  aciif  l'an  dernier,  au  moment  de  l'invasion  de  l'ennemi , 
que ,  si  votre  armée,  telle  qu'elle  est  composée ,  se  trouvait  coin- 


FÉviUER  (1795).  455 

p!ète,  vous  auriez  sur  pied  plus  de  huit  cent  mille  hommes.  II  est 
donc  indispensable  ou  de  décomposer  l'organisation  des  bataillons 
et  de  les  réduire  a  moitié,  ou  de  licencier  une  partie  de  ces  ba- 
taillons en  portant  les  autres  au  complet. 

Votre  comité  de  la  guerre  ne  peut  vous  laisser  ignorer  que 
plus  les  bataillons  sont  forts,  pourvu  qu'il  soient  maniables,  plus 
ils  ont  d'ensemble  dans  la  manœuvre ,  et  plus  ils  opposent  de  ré- 
sistance à  l'ennemi;  s'ils  sont  en  ligne,  leur  front  est  plus  impo- 
sant, leur  feu  mieux  nourri,  et  leur  flanc  ne  peut  être  dépassé  par 
la  ligne  opposée  ;  s'ils  marchent  en  colonnes ,  leur  impulsion  a 
plus  de  force ,  leur  résistance  à  la  cavalerie  a  plus  de  profondeur, 
leurs  échecs  sont  moins  sensibles  et  leur  victoire  plus  décisive. 
D'après  ces  principes  incontestables ,  votre  comité  n'a  pas  hésité 
de  vous  proposer  de  ne  pas  réduire  au-dessous  de  sept  cent  cin- 
quante le  nombre  d'hommes  qui  doivent  composer  les  bataillons, 
d'autant  que  les  compagnies  de  grenadiers  étant  presque  toujours 
détachées,  et  un  corps  ne  pouvant  être  parfaitement  complet , 
chaque  bataillon  sur  trois  rangs  n'aura  qu'environ  deux  cents 
hommes  de  file.  Ce  principe  posé,  voilà  l'état  présent  de  l'orga- 
nisation de  la  force  publique  en  France.  Depuis  la  réforme  des 
rcgimens  suisses,  il  reste  quatre-vingt-dix-huit  régimens  de  ligne, 
chacun  de  deux  bataillons  qui ,  à  sept  cent  cinquante  hommes  par 
bataillon ,  devraient  au  complet  faire  une  masse  de  cent  quarante* 
sept  mille  hommes.  D'après  les  derniers  états  de  revue ,  il  ne  s'en 
trouvait  que  cent  douze  mille  huit  cent  soixante-dix-huit;  déficit, 
trente-quatre  mille  cent  vingt-deux  hommes.  On  compte  cinq 
cent  dix-sept  bataillons  de  volontaires ,  dont  cent  trente-cinq 
n'ont  pas  fourni  l'étal  de  leurs  forces  ;  les  trois  cent  quatre-vingt- 
deux  autres  avaient  en  masse ,  au  1"  décembre  dernier,  deux 
cent  treize  mille  six  cent  cinquante  hommes  ,  ce  qui  ftiisait  cinq 
cent  cinquante-neuf  hommes  par  bataillon  ;  en  supposant  le  même 
calcul  pour  les  cent  trente-cinq  bataillons  dont  l'état  n'est  pas 
connu ,  ils  donneraient  en  suppléoîent  soixante-quinze  mille  qua- 
tre cent  soixante-quatre  hommes. 

Total  de  la  force  effective  des  cinq  cent  dix-sept  bataillons , 


iS6  CONVENTION    NATIONALE. 

deux  cent  quatre-vingt-neuf  mille  cent  quatorze  hommes.  Ce- 
lui des  régimens  de  ligne  étant  de  cent  douze  mille  huit  cent 
soixante-dix-huit  hommes ,  la  force  effective  des  régimens  de 
ligne  et  bataillons  de  volontaires  nationaux  ,  au  1"  décembre ,  se 
trouvait  donc  être  de  quatre  cent  un  mille  neuf  cent  quatre- 
vingt-douze  hommes. 

Mais  depuis  cette  époque ,  la  guerre ,  la  rigueur  de  la  saison , 
le  denûment  absolu ,  le  désir  des  volontaires  de  revoir  leurs 
foyers,  ont  occasionné  de  grands  changemens  dont  la  nuance 
n'est  pas  encore  connue  et  ne  peut  l'être  que  par  de  nouveaux 
états  de  revue.  Votre  comité  s'arrête  ici  pour  vous  présenter  des 
réflexions  générales. 

Dans  l'état  des  choses,  il  me  semble  que  l'effectif  de  l'infanterie 
soit  de  ligne,  soit  volontaire,  non  compris  les  troupes  légères , 
était ,  au  mois  de  décembre ,  à  peu  près  au  taux  de  proportion 
que  vous  avez  fixé  pour  l'infanterie ,  en  déclarant  que  la  Répu- 
blique entretiendrait  à  sa  solde ,  cette  année,  cinq  cent  deux  mille 
huit  cents  hommes  de  toute  arme  ;  et  cependant  vos  troupes  de 
ligne  avaient  un  déficit  de  trente-quatre  mille  cent  vingt  deux 
hommes,  qui  vraisemblablement  est  de  plus  de  quarante  mille  en 
ce  moment.  Vos  bataillons  de  volontaires ,  loin  d'être  au  complet 
de  huit  cents  hommes  fixé  par  la  loi,  n'étaient,  en  novembre  der- 
nier, qu'à  cinq  cent  cinquante-neuf  hommes  l'un  dans  l'autre;  et 
ceux  qui  ont  quitté  leurs  drapeaux  depuis  cette  époque  en  ont 
singulièrement  diminué  le  nombre.  Il  y  a  tel  bataillon  auquel  il 
ne  reste  pas  cent  hommes.  Si  l'on  ajoute  à  ce  déficit  celui  de  la 
cavalerie,  des  troupes  légères  et  de  l'artillerie ,  il  en  résulte  que 
vous  avez  à  faire  une  levée  de  trois  cent  mille  hommes,  dont  cent 
mille  hommes  de  troupes  de  hgne  et  deux  cent  mille  de  volontai- 
res ,  quoique  vous  ayez  en  officiers  et  états-majors  différens  des 
cadres  pour  huit  cent  mille  hommes.  Il  est  donc  indispensable , 
tant  pour  l'intérêt  de  nos  finances  que  pour  simplifier  l'admini- 
stration de  la  guerre ,  les  opérations  militaires ,  et  s'assurer  le 
complet  de  l'armée ,  de  profiter  de  ce  grand  vide  pour  détruire 
les  abus,  de  donner  une  ordonnance  facile,  mieux  réglée,  plus 


FÉVRIER  (1793).  157 

imposante  à  cette  masse ,  et  de  l'approprier  enfin  au  régime  na« 
tional  qui  doit  faire  la  base  de  la  félicité  publique. 

Il  est  temps ,  pour  achever  d'extirper  jusque  dans  la  racine  les 
vestiges  de  l'ancien  régime,  que  parmi  les  défenseurs  de  la  pa*- 
trie  il  n'existe  plus  d'autre  distinction  que  celles  que  le  bien  du 
service  commande;  il  est  temps  de  ramener  tout  au  grand  prin- 
cipe d'égalité  qui  veut  qu'aucun  administrateur  ne  le  soit  que  par 
le  choix  libre  des  administrés. 

Votre  comité  pense  que ,  sans  oublier  les  récompenses  qu'au- 
ront méritées  ceux  qui ,  sur  la  foi  souvent  illusoire  de  l'ancien 
gouvernement ,  mais  sacrée  pour  vous ,  se  sont  dévoués  à  l'état 
militaire ,  le  premier  acte  de  reconnaissance  digne  des  représen- 
tans  du  peuple ,  digne  de  nos  braves  troupes  de  ligne  ,  est  de  les 
considérer  toutes,  dès  aujourd'hui,  comme  volontaires  natio- 
naux ,  de  les  réunir  avec  leurs  frères  d'armes,  et  de  n'en  faire 
qu'un  seul  et  même  faisceau  contre  les  ennemis  de  la  patrie.  Ne 
croyez  pas ,  citoyens ,  que  votre  comité  militaire  se  soit  laissé  en- 
thousiasmer par  une  mesure  qui ,  quoique  conforme  aux  prin- 
cipes, pourrait  être  dangereuse  dans  les  circonstances  d'une 
guerre  terrible  à  soutenir;  il  croit ,  au  contraire ,  avoir  saisi  l'in- 
stant qui  réunit  ie  mieux  toutes  les  convenances. 

1°  Vous  avez  trop  senti  l'inconvénient  de  tant  de  corps  diffé- 
rens,  isolés,  inconnus  môme  pendant  longtemps,  dont  plu- 
sieurs chefs  avaient  plus  de  zèle  que  de  connaissances  militaires  , 
dont  l'administraiion  était  tellement  compliquée ,  que  ni  le  minis- 
tre, ni  les  généraux  eux-mêmes  n'ont  pu ,  pendant  une  partie  de 
la  campagne  ,  en  suivre  les  détails. 

2°  Il  est  donc  indispensable  que  tout  corps  en  activité  soit  com- 
plet ,  sinon  la  République  solderait  une  foule  d'éiats-majors  inu- 
tiles ,  très-dispendieux  ;  l'administration  ne  cesserait  pas  d'être 
compliquée,  exposée  à  de  ruineuses  dilapidations  ,  et  nos  géné- 
raux ne  sauraient  jamais  sur  quoi  compter,  soit  pour  le  nombre 
effectif  des  hommes  qui  seraient  à  leurs  ordres  ,  soit  pour  sub- 
venir à  leurs  besoins.  Or,  puisque  nous  avons  plus  de  six  cents 
bataillons  presque  tous  à  moitié,  et  même  moins,  il  est  indispen- 


458  CONVENTION   NATIONALE. 

3able,  quelque  mesure  que  l'on  prenne ,  d'en  réformer  une  partie 
pour  oblenir  les  moyens  de  compléter  les  autres. 

o*^  Les  bataillons  de  ligne  étant  les  plus  complets,  les  plus 
exercés  au  métier  des  armes ,  ceux  qui ,  à  raison  de  leur  engage- 
ment, ont  contracté  plus  positivement  l'obligation  du  service, 
doivent  naturellement  être  conservés  dans  leur  entier  ;  mais  si 
vous  laissez  encore  subsister  la  différence  qui  existe  entre  ces 
corps  et  ceux  de  volontaires ,  le  comité  pense  que  le  recrutement 
des  quarante  mille  hommes  nécessaires  n  compléter  les  cent 
quatre-vingt-dix-huit  bataillons  de  ligne  sera  très-difficile,  peut- 
être  même  impossible  ;  car  vous  ne  pouvez ,  sans  violer  les  prin- 
cipes ,  incorporer  dans  la  ligne  des  volontaires  qui ,  sur  la  foi  de 
vos  décrets,  ont  adopté  un  régime  différent;  et  ce  n'est  pas  au 
moment  où  vous  avez  votre  cavalerie  à  augmenter,  des  troupes 
légères  nombreuses  à  former,  cinq  cents  bataillons  de  volontai- 
res à  compléter,  que  vous  devez  espérer  de  trouver  encore  qua- 
rante mille  hommes  de  bonne  volonté  pour  compléter  vos  ba- 
taillons de  ligne  ,  si  vous  n'en  faites  pas  disparaître  h  s  forn:cs 
qui  peuvent  contrarier  le  vœu  et  les  droits  des  citoyens. 

4"  La  réunion  d'un  bataillon  de  ligne  avec  deux  bataillons  de 
volontaires  que  vous  propose  le  comité ,  pour  en  faire  un  seul  et 
même  corps ,  ne  désorganise  rien  que  des  états-majors  ;  mais  le 
fond  de  chaque  bataillon,  en  officiers  et  soldats,  reste  le  même; 
mais  celte  opération  ne  tend  qu'à  ressei'rer  les  liens  de  la  frater- 
nité, donne  des  exemples  d'instruction  et  de  discipline  aux  uns, 
de  civisme  pur  et  de  dévouement  à  la  patrie  aux  autres  ;  elle  forme 
des  demi-brigades  de  trois  bataillons  avec  une  compagnie  d'ar- 
tillerie et  six  pièces  de  canon  ,  mode  extrêmement  simple  pour 
les  généraux,  qui  ne  calculent  jamais,  dans  leurs  opérations, 
que  par  bataillons ,  demi-brigades ,  les  brigades  et  divisions. 
Enfin,  celte  opération  donne  toute  facilité  au  complètement  des 
troupes;  car  il  devient  indifférent  désormais  aux  volontaires 
d'appartenir  à  tel  ou  tel  bataillon ,  puisqu'ils  auront  tous  même 
dénomination  ,  même  régime.  Les  généraux,  consultés  sur  tous 
ces  objets,  ont  répondu  presque  unanimement  qu'ils  n'y  voyaient 


FÉVRIER    (4790).  im 

que  des  avantages,  et  d'autant  moins  d'inconvéniens  ,  que  pour 
des  postes  avancés,  il  était  indispensable  deUnêler  des  troupes  de 
ligne  avec  les  volontaires,  pour  assuier  l'exactitude  du  service  , 
et  que  la  campagne  dernière  ,  ils  avaient  constamment  mis  de 
brigade  ensemble  les  bataillons  de  ligne  et  les  bataillons  de  vo- 
lontaires. 

On  a  dit  :  Égalisez  les  forces  ;  pour  égaliser  les  droits  ;  amal- 
gamez un  bataillon  seulement  de  volontaires  avec  un  bataillon  de 
ligne.  Je  réponds  qu'en  suivant  ce  système ,  au  lieu  de  détruire , 
ainsi  que  se  l'est  proposé  votre  comité,  tous  les  vestiges  de  l'an- 
cien régime ,  on  les  fortifierait ,  on  en  doublerait  l'action  et  les 
dangers.  Un  bataillon  de  ligne  est  tellement  dans  la  main  de  ses 
officiers,  qui  ont  sur  lui  l'influence  d'un  long  exercice  d'autorité , 
de  grade  en  grade ,  qu'il  est  bien  plus  susceptible  du  mouvement 
qu'ils  commanderaient  ;  nul  doute  que  le  bataillon  de  volontaires 
qui  y  serait  amalgamé,  ayant  moins  d'ensemble,  moins  d'esprit 
de  corps  ,  étant  mélangé  d'hommes  qui  n'ont  pas  toujours  le  pa- 
triotisme pur  pour  guide ,  ne  fût  complètement  subjugué  par  l'es- 
prit de  la  troupe  de  ligne.  Ce  serait  donc  des  volontaires  que  vous 
feriez  soldats  de  ligne ,  et  non  des  soldais  de  ligne  que  vous  feriez 
volontaires;  et  dès  lors  plus  de  recrutement,  ni  pour  les  volon- 
taires ,  ni  pour  la  ligne. 

Narbonne  a  proposé  à  l'assemblée  législative  de  mettre  en  ré- 
gimens  les  bataillons  de  volontaires  ,  ei  de  leur  donner,  sous 
celte  formation  ,  les  mêmes  droits  qu'aux  régimens  de  ligne ,  en 
assimilant  les  troupes  de  ligne  au  régime  qui  serait  établi  pour 
les  volontaires.  Je  réponds  à  celte  proposition  que  les  régimens 
de  ligne  étant  tous  divisés  en  bataillons  de  garnison  et  bataillons 
de  campagne,  souvent  à  plus  de;  cent  lieues  de  distance  l'un  de 
l'autre,  il  est  impossible  de  les  réunir  en  ce  moment  sans  un 
danger  réel  pour  la  patrie  ;  que  le  but  de  cette  opération  ne  pou- 
vait être  que  de  maintenir  toujours  dans  ce  qu'on  appelait  ligne , 
et  qui  conservait  ainsi  sa  dénomination  et  ses  formes,  cet  esprit 
de  corps  distinct  de  celui  des  volontaires. 

Mais ,  dit-on ,  celte  réunion  détruira  la  discipline  ;  de  quelle  dis* 


160  CONVENTION  NATIONALE. 

cipline  parle-t-on  ?  Est-ce  de  celte  obéissance  aveugle  que  La 
Fayette  commandait  à  ses  sbires?...  Non,  la  discipline  fondée 
sur  la  justice  ,  commandée  par  Teslime  et  la  confiance ,  subor- 
donnée à  des  lois  qui  atteignent  le  coupable ,  de  quelque  grade 
qu'il  soit ,  ne  sera  pas  détruite ,  car  elle  est  dans  le  cœur  de 
presque  tous  les  hommes ,  elle  est  la  sauvegarde  des  bons  contre 
les  méchans  ;  son  observance  intéresse  la  vie  et  l'honneur  du 
corps  entier,  et  jamais  un  acte  de  justice ,  quelque  rigoureux 
qu'il  fût ,  n'a  occasionné  de  révolte  ;  mais  cette  discipline  ,  &i  dis- 
cordante aujourd'hui  avec  les  principes  dont  l'exercice  n'est  sou- 
vent que  le  résultat  des  caprices  d'un  chef ,  a  besoin  d'être  mo- 
difiée ,  et  si  nous  sentons  tous  l'insuffisance  des  bonnes  lois  à  ce 
sujet ,  il  est  utile  ,  il  est  nécessaire,  que  l'esprit  des  volontaires 
prédominant  dans  la  hgne  en  corrige  l'àpreté.  D'un  autre  côté, 
nos  volontaires  eux-mêmes ,  dont  les  torts  ne  sont  dus  souvent 
qu'à  leur  inexpérience ,  ont  besoin  du  contact  des  principes  de 
lactique,  d'ordre,  de  police  et  d'administraiion  qui  sont  établis 
dans  la  ligne;  ce  mélange  n'est  donc  qu'utile ,  et  n'a  rien  de  dan- 
gereux. 

On  craint  le  trop  grand  ascendant  de  volontaires  dans  la  nomi- 
nation aux  emplois  :  eh  !  tant  mieux ,  car  il  est  temps  d'écarter 
jusqu'au  soupçon  d'aristocratie.  Mais  doute-t-on  que  ces  volon- 
taires feront  alliance  avec  les  soldats  de  ligne?  que,  parle  plus  puis- 
sant des  intérêts,  ils  ne  donnent  la  préférence  à  ceux  qui ,  aussi 
braves  et  plus  instruits ,  seront  les  dépositaires  de  leur  vie  et  de 
leur  honneur  devant  l'ennemi  ?  Parcourez  nos  bataillons ,  et  vous 
verrez  que  tous  ceux  qui  avaient  une  teinture  de  l'art  militaire 
ont  été  choisis  pour  officiers  ;  vous  verrez  des  commandans  de 
bataillon  qui  n'étaient  que  de  simples  soldats.  Ce  ne  sont  pas 
des  honneurs  que  nos  volontaires  recherchent,  c'est  de  llioîineur, 
et  lorsqu'ils  choisiront  avec  connaissance  de  cause ,  soyez  sûrs 
qu'ils  préféreront  les  meilleurs  guides.  D'ailleurs  ,  les  intérêts  de 
la  troupe  de  ligne  sont  tellement  ménagés  dans  le  plan  qui  vous 
est  proposé ,  que  tous  les  avantages  sont  rigoureusement  en  sa 
faveur. 


FÉVRIER  (1793).  161 

D'abord ,  le  tiers  des  emplois  vacans  de  tout  grade,  sur  la  to- 
talité des  trois  bataillons ,  est  donné  à  l'ancienneté  ;  et  l'on  sent 
de  quel  avantage  est  ce  système ,  pour  d'anciennes  troupes  con- 
tre des  corps  de  nouvelles  levées.  Quant  aux  places  destinées  au 
choix ,  ce  choix  se  fera  par  bataillon  ;  chacun  agira  isolément  et 
pour  sou  compte  ;  enfin ,  la  faculté  donnée  aux  électeurs  d'un 
bataillon  de  choisir  dans]  les  autres  est  encore  à  l'avantage  de 
la  ligne ,  puisqu'il  est  vraisemblable  que  les  volontaires  cher- 
cheront parmi  leurs  frères  d'armes  les  plus  sages  ,  les  plus  in- 
struits, pour  les  commander.  Ainsi,  dans  ce  nouvel  ordre  de 
choses,  la  troupe  de  ligne  n'a  rien  à  perdre  et  a  tout  à  gagner. 

Faites  donc  attention  qu'un  bataillon  de  ligne  n'avait  droit 
qu'aux  emplois  vacans  dans  son  bataillon ,  et  que  ce  droit  était  ré- 
duit par  la  loi  au  quart  des  sous-lieutenans,  et  aux  deux  tiers  des 
emplois  supérieurs  :  par  la  nouvelle  organisation ,  ayant  droit 
par  l'ancienneté  au  tiers  de  tous  les  emplois  vacans  dans  trois 
bataillons ,  c'est  comme  si  on  lui  restituait  la  totalité  des  emplois 
de  son  bataillon.  Ensuite  ce  bataillon  nommera,  sans  concurrence 
des  deux  autres ,  les  deux  tiers  des  emplois  qui  vaqueront  dans 
son  sein;  et,  en  troisième  lieu,  les  individus  de  ce  bataillon 
jouiront ,  dans  les  deux  autres  bataillons ,  de  l'avantage  d'y  être 
appelés  par  le  choix ,  à  raison  des  talens  et  de  la  confiance  qu'ils 
inspireront.  Est-ce  là  priver  de  braves  gens  de  leurs  droits?  est- 
ce  porter  dans  leur  sein  une  influence  dangereuse  et  nuisible  à 
leurs  intérêts?  est-ce  là  désorganiser? 

On  cite  les  choix  du  peuple,  les  erreurs  des  corps  électoraux: 
j'en  gémis  il  y  a  long-temps.  Mais  quelle  comparaison  à  faire 
entre  huit  cents  électeurs  inconnus  les  uns  aux  autres ,  pressés 
de  faire  des  choix ,  environnés  de  sourdes  perfidies,  et  une  masse 
d'hommes  toujours  ensemble,  qui  se  connaissent  à  fond,  qui 
recherchent  le  caractère  de  leur  camarade  jusque  dans  ses  actions 
privées,  et  qui ,  placés  devant  l'ennemi ,  savent  quo  leur  vie  et 
leur  honneur  dépendent  des  choix  qu'on  veut  faire  ? 

On  fait  valoir  jusqu'à  la  rivalité  de  la  gloire ,  et  1  avantage  de 
l'émulation  entre  des  corps  dilférens,  pour  appuyer  le  système 

T.  XXIV.  jl 


i6â  CONVENTION   NATIONALE. 

de  non-réunion  :  quel  égarement  !  Cette  rivalité  de  gloire  a-t-elle 
besoin  de  la  désunion  de  nos  frères  d'armes  ?  n'existera-t-elle  pas 
de  brigade  ù  brigade ,  d'armée  à  armée?  Et  ne  serait-ce  pas  plu- 
tôt en  atténuer  l'effet ,  la  rendre  nuisible,  que  de  la  maintenir  de 
bataillon  à  bataillon  d'un  régiment  différent  ? 

Mais,  dit-on  encore,  ce  serait  décourager  le  militaire,  et  lui 
présenter  la  perspective  d'une  réforme  à  la  paix ,  qui  le  livrerait 
aux  horreurs  de  l'indigence,  après  avoir  rendu  à  la  patrie  les 
plus  signalés  services.  J'avoue  que,  si  cette  assertion  était  fondée, 
elle  serait  d'un  grand  poids  ;  mais  il  ne  dépendra  pas  de  votre 
comité  que  la  République  ne  soit  point  taxée  d'ingratitude.  Quoi- 
qu'un soldat  de  la  patrie  ne  fasse  que  son  devoir  en  la  servant , 
il  n'est  pas  juste  que  l'homme  qui  lui  a  consacré  une  partie  de  la 
vie  traîne  l'autre  dans  la  misère  ;  il  n'est  pas  juste  que  celui  qui 
a  versé  son  sang  pour  elle ,  quel  que  soit  le  court  espace  qu'il  y 
a  employé ,  reste  sans  récompense;  enfin ,  il  n'est  pas  juste  que 
la  veuve  ou  les  enfans  d'un  soldat  mort  au  champ  d'honneur 
restent  sans  secours ,  dans  le  deuil  et  l'infortune. 

Les  cinq  premiers  articles  du  projet  du  décret  que  je  propose 
au  nom  du  comité  lèvent  toutes  ces  inquiétudes.  Pas  un  officier, 
pas  un  soldat  ne  craindra  la  réforme  ;  pas  un  ne  craindra  de  vi- 
vre estropié  et  misérable  ;  pas  un  ne  mourra  sans  emporter  la  cer- 
titude que  la  nation  essuiera  les  pleurs  de  sa  famille  :  le  comité 
propose  davantage.  Une  pension  est  une  récompense  fugitive  , 
qui  meurt  avec  le  titulaire ,  qui  ne  dispense  pas  de  l'ennui  d'une 
grande  inaction ,  et  que  le  caprice  d'une  assemblée  ou  des  besoins 
pressans  de  la  nation  peuvent  suspendre  ou  détruire. 

Il  vous  propose  d'accorder  au  pensionnaire  la  faculté  d'ache- 
ter un  bien  national ,  et  de  donner  en  paiement  la  pension  qui  lui 
appartiendrait ,  sur  le  pied  du  rachat,  à  40  pour  cent.  Il  donne 
le  même  avantage  aux  veuves  et  aux  enfans  d'un  soldat  mort  des 
coups  de  l'ennemi.  Or,  il  ne  peut  appartenir  à  un  soldat  estropié 
moins  de  210  livres  ;  c'est  donc  une  propriété  de  2,400  livres 
dont  la  nation  le  gratifie  s'il  la  préfère  à  sa  pension.  Où  est 
maintenant  l'individu  qui ,  ayant  consacré  sa  vie  au  service  de  la 


I 


FÉVRIER  (1793).  Î65 

nation ,  croira  pouvoir  encore  conserver  dans  son  cœur  des  sujets 
d'inquiétudes  ou  de  murmures  ? 

Eh  !  que  l'on  ne  dise  pas  que  celte  magnificence  est  illusoire. 
Je  suppose  que  la  jjuerrenous  moissonne  cent  mille  soldats,  pères 
de  famille  (cela  est  impossible):  eh  bien,  le  prix  de  ce  sang, 
compris  celui  des  officiers,  nous  coûterait  trois  cents  millions; 
ce  n'est  qu'une  faible  partie  du  bien  des  émigrés,  que  Cambon 
vous  a  évalués  à  trois  milliards,  que  sans  la  bravoure  de  nos  sol- 
dats nous  n'aurions  pu  conserver ,  pas  plus  que  la  liberté  ;  et  nous 
faisons  la  fortune  de  cent  mille  familles.  Je  crois  que  cette  opé- 
ration de  finance  en  vaut  bien  une  autre. 

Enfin,  on  a  craint  que  les  soldats  de  ligne  ne  voulussent  chas- 
ser leurs  officiers,  pour ,  à  l'instar  des  volontaires ,  n'en  avoir  plus 
que  de  leur  choix.  Je  réponds  que  les  soldats  de  ligne  ont  depuis 
long-temps  cet  exemple  sous  les  yeux,  et ,  dans  le  cours  de  la  ré- 
volution, plusieurs  même  y  ont  été  contraints;  mais  depuis  que 
les  COI  ps  sont  épurés,  depuis  que  la  campagne  est  ouverte,  on  n'en 
a  presque  point  vu  d'exemple  :  doit-on  présumer  que  ces  mouve- 
mens  se  renouvelleraient  au  moment  où  ,  rentrés  dans  tous  leurs 
droits,  les  soldats  de  la  République  ne  verront  plus  un  intrus 
muni  d'un  brevet  du  bureau  de  la  guerre  se  placer  à  leur  lête? 

J'ai  prouvé  que  le  recrutement  ne  peut  s'opérer  dans  l'état  où 
est  notre  armée  ;  que  le  seul  moyen  de  lever  cette  insurmontable 
difficulté  est  de  jjationaliser  l'armée  en  la  soumettant  au  même 
régime;  que  le  seul  moyen  de  diriger  l'esprit  de  la  ligue  vers  le 
but  que  tout  républicain  doit  se  proposer  est  de  détruire  l'in- 
fluence de  l'esprit  de  corps,  en  lui  en  opposant  un  contraire  par 
la  réunion  de  deux  bataillons  de  volontaires  avec  un  de  ligne  ;  j'ai 
prouvé  qu'il  ne  résulte  de  ce  plan  aucune  désorganisation  maté- 
rielle pour  le  fond  de  l'armée,  mais,  au  contraire,  plus  d'ensem- 
ble dans  les  manœuvres.  Je  demande  maintenant  à  tous  les  hom- 
mes sensés  et  patriotes  s'ils  doutent  que  ce  plan  convienne  à 
tous  les  soldats  de  la  Répidilique  qui ,  partageant  les  mêmes  tra- 
vaux, verront  égaliser  la  solde,  les  grades  et  le  mode  d'avance- 
ment. 


164  CONVENTION  NATIONALE. 

Il  était  injuste  que  les  places  de  colonels „  d'officiers  généraux, 
fussent  en  partie  données  à  la  faveur ,  et  toutes  exclusivement 
dévouées  à  une  section  de  l'armée ,  et  que  les  chefs  de  bataillon 
de  volontaires  n'y  eussent  aucun  droit  ;  la  fusion  que  je  propose 
anéantit  cette  distinction ,  et  restitue  à  chacun  des  droits  com- 
muns. Eh  !  n'est-il  pas  temps  de  décharger  l'administration  de  la 
guerre  de  la  responsabilité  morale  des  individus  qui  doivent  com- 
mander aux  autres ,  et  d'en  confier  le  choix  aux  troupes  elles- 
mêmes?  rs'est-il  pas  temps  que  ceux  qui  exposent  chaque  jour 
leur  vie  pour  la  défense  de  la  patrie  aient  seuls  droit  aux  em- 
plois vacans?  N'est-il  pas  temps  qu'on  ne  voie  plus  un  fils  de 
citoyen  actif,  qui  n'a  rien  fait  pour  son  pays ,  obtenir  du  ministre 
le  droit  de  commander  des  hommes  qui  ont  tout  fait  pour  lui ,  et 
qui  vont  être  victimes  de  son  impéritie?  On  dit  que  ce  n'est  pas 
en  présence  de  l'ennemi  qu'il  faut  désorganiser  l'armée.  Non , 
sans  doute  ,  mais  est-ce  désorganiser  l'armée  que  de  confondre 
les  intérêts  de  ses  membres  divisés  jusqu'ici ,  de  leur  restituer 
leurs  droits?  Certes,  d'ailleurs,  ces  changemens  sont  décrétés 
pour  l'avenir,  ils  n'auront  aucun  effet  rétroactif. 

Français ,  votre  plus  belle  gloire  est  de  conserver  votre  liberté, 
et  d'être  égaux.  Chérissez-vous  les  distinctions  militaires?  Com- 
mencez par  être  soldats ,  méritez  l'estime  et  la  confiance  de  vos 
camarades ,  ils  vous  en  donneront  le  prix  :  ainsi  le  veut  l'égalité 
des  droits,  ainsi  lèvent  laRépubfique. 

De  la  cavalerie  de  ligne. 

La  nuance  qui  existe  entre  les  régimens  d'infanterie  de  ligne 
et  les  volontaires  nationaux  n'ayant  aucune  application  aux  au- 
tres armes ,  votre  comité  a  pensé  ne  devoir  vous  proposer  que 
les  augmertations  nécessaires  à  rapporter  aux  taux  que  vous  avez 
fixé  pour  ceux  de  ces  corps  qui  en  sont  susceptibles.  Et  d'abord , 
la  cavalerie  française  doit  être  portée  à  cinquante-cinq  mille  hom- 
mes effectifs  ;  mais  cette  arme  est  composée  de  plusieurs  élé- 
mens  essentiels  :  elle  consiste  :  i°  en  vingt-quatre  régimens  de 
cavalpfie   proprement  dite ,  deux  régimens  de  carabiniers  et 


FÉVRIER  (1795).  16d 

trois  régimens  de  cavalerie  nationale  formés  à  Paris ,  à  l'École- 
Militaire  :  total ,  vingt-neuf  régimens.  Le  comité  vous  propose 
de  porter  à  quatre  escadrons  ceux  de  ces  régimens  qui  n'en  ont 
que  trois;  qui,  au  complet  de  cent  soixante-six  hommes  chacun, 
en  deux  compagnies,  fourniront  cent  seize  escadrons,  formant 
une  masse  de  dix-neuf  mille  sept  cent  vingt  hommes.  La  Répu- 
blique entretient  dix-huit  régimens  de  dragons  à  trois  escadrons 
chaque.  Votre  comité  vous  propose  de  les  porter  à  quatre  esca- 
drons de  chacun  cent  soixante-dix  hommes.  Total,  soixante- 
douze  escadrons ,  et  douze  mille  deux  cent  quarante  hommes. 

Cavalerie  légère. 

La  cavalerie  légère  est  composée  de  douze  régimens  de  chas- 
seurs et  huit  régimens  de  hussards  ;  ils  sont  organisés  à  quatre 
escadrons.  Ces  corps  ont  servi  la  dernière  campagne  avec  la  plus 
grande  distinction,  et  tous  les  généraux  en  demandent  l'augmen- 
tation. Votre  comité  vous  propose  de  les  porter  à  six  escadrons. 
Cent  vingt  escadrons  légers ,  à  cent  soixante-dix  hommes ,  en 
donneront  vingt  mille  quatre  cents.  La  cavalerie  des  légions 
créées  par  différens  décrets  monterait  à  environ  dix  mille  hom- 
mes si  elles  étaient  complètes ,  mais  elles  ne  le  sont  pas  ;  votre 
comité  vous  propose  d'ordonner  que  ces  légions  se  composent  en 
huit  nouveaux  régimens  de  chasseurs,  et  de  fondre  leur  infan- 
terie dans  les  bataillons  légers  ;  c'est  un  moyen  de  simplifier. 

Une  administration  déjà  très-compliquée,  est  de  rendre  ces  corps 
aussi  utiles  qu'ils  le  désirent ,  et  en  assimilant  ces  troupes  aux  ré- 
gimens des  chasseurs,  c'est  leur  donner  un  bel  exemple  à  suivre 
et  un  puissant  motif  d'émulation. 

Total  de  toute  espèce  de  cavalerie,  soixante-deux  mille  trois 
cent  soixante  hommes. 

Enfin  ,  l'appel  fait  de  la  gendarmerie  des  déparlemens  vous  a 
fourni  un  corps  de  cavalerie  de  sept  mille  vingt  hommes. 

Infanterie  légère. 

Vous  avez  quatorze  bataillons  de  chasseurs  qui,  ù  sept  cents 


166  COJNV£riiTION  NATIONALE. 

hommes  sur  l'ancien  pied ,  vous  donneront  neuf  mille  huit  cents 
hommes. 

Les  légions  et  corps  francs ,  formés  en  conformité  des  décrets 
de  leur  création,  doivent  se  porter,  en  infanterie,  à  trente- 
cinq  mille  hommes. 

Et,  il  faut  le  dire,  les  états  fournis  par  le  ministre  n'en  por- 
tent pas  l'effectif  au  quart. 

Enfin ,  il  existe  dans  différens  départemens  environ  cinquante 
petits  corps  de  cent  à  cent  cinquante  hommes ,  même  des  com- 
pagnies de  vétérans ,  qui  ont  manifesté  beaucoup  de  zèle  pour 
la  défense  de  la  patrie. 

Votre  comité  a  pensé  que  les  troupes  légères  n'agissaient  que 
par  détachemens  et  suivant  les  circonstances  et  les  efforts  de 
l'ennemi  ;  il  ne  conviendrait  peut-être  pas  de  ne  supprimer  ou  de 
n'incorporer  que  ceux  de  ces  corps  qui  ne  pourraient  se  complé- 
ter. Cette  classe  d'hommes  est  précisément  celle  que  la  guerre 
consomme  le  plus ,  parce  qu'elle  est  toujours  agissante ,  toujours 
au  feu  ;  mais  aussi  son  utilité  est  de  la  plus  haute  importance. Une 
armée  ne  peut  être  environnée  de  trop  d'éclaireurs  ;  vos  enne- 
mis en  ont  des  nuées,  et  votre  comité  a  pensé  qu'il  convenait  de 
leur  opposer  une  force  de  ce  genre  égale  à  celle  qu'ils  peuvent 
mettre  en  campagne.  Celte  masse  d'infanterie  légère  sera  de  cin- 
quante-cinq mille  hommes  environ  ;  ce  n'est  pas  trop  pour  ré- 
partir sur  tous  les  points  qui  pourraient  être  attaqués  ;  et  votre 
comité  a  cru  trouver  d'autant  plus  d'avantage  à  la  conserver  que, 
pour  avoir  réellement  en  activité  les  cinq  cent  deux  mille  huit 
cents  hommes  que  vous  avez  jugés  nécessaires  à  la  défense  des 
frontières ,  il  est  indispensable  de  porter  les  combinaisons  de  cha- 
que arme  à  un  cinquième  environ  au-dessus  de  son  effectif  pré- 
sumé. 

Cependant ,  comme  il  est  difficile  de  croire  que  tous  ces  corps 
se  compléteront,  comme  il  est  indispensable  de  s'assurer  une 
force  dont  les  généraux  puissent  disposer,  nous  vous  proposons 
d'incorporer  par  bataillons  l'infanterie  des  légions  et  des  autres 
corps  francs  qui  en  seront  susceptibles ,  avec  les  quatorze  batail- 


FÉVRIER.  (1793).  167 

Ions  d'infanterie  légère ,  dans  la  même  forme  que  nous  vous  l'a- 
vons proposé  pour  l'infanterie  de  ligne  ;  cela  vous  assurera  d'a- 
bord trente  mille  hommes  de  troupes  légères  à  pied,  bien 
organisées ,  et  vous  verrez  ensuite  ce  qu'il  sera  convenable  de 
faire  pour  mettre  en  activité  le  zèle  de  ceux  qui  se  présenteront  : 
car  il  vous  restera  encore  les  cadres  de  beaucoup  de  bataillons 
de  volontaires  nationaux  qui  ne  demanderont  pas  mieux  que  de 
s'organiser  de  cette  manière. 

Artillerie. 

Si  vous  adoptez  le  plan  que  vous  propose  votre  comité ,  de 
créer  dans  chaque  demi-brigade  une  compagnie  de  canonniers 
volontaires  (et  la  plupart  sont  déjà  sur  pied),  cette  portion  de 
canonniers ,  destinés  à  soulager  le  corps  de  l'artillerie ,  monte  à 
quatorze  mille  sept  cents  hommes. 

Il  ne  reste  donc  plus,  pour  atteindre  le  but  que  vous  vous  êtes 
proposé,  que  de  compléter  les  sept  régimeas  d'artillerie  existant, 
ainsi  que  les  compagnies  de  mineurs  et  d'ouvriers. 

Le  déficit  sur  douze  mille  hommes ,  dont  est  composé  ce  corps, 
est  d'environ  mille  huit  cents  hommes.  Votre  comité  vous  propose 
d'autoriser  les  recrutemens  de  ces  hommes  dans  les  troupes  qui 
ont  déjà  fait  la  guerre,  soit  de  ligne,  soit  de  volontaires,  afin 
que  ce  corps  soit  le  plus  en  mesure  possible  pour  ne  rien  perdre 
de  la  distinction  qu'il  a  si  bien  méritée. 

Récapitulation  des  troupes  de  différentes  armes. 

Cent  quatre-vingt-seize  bataillons  de  Hgne,  formant  la  totalité 
de  nos  régimens  de  ligne,  incorporés  avec  trois  cent  quatre-vingt- 
douze  bataillons  de  volontaires,  et  sur  les  mêmes  bases  ,  donne- 
ront une  masse  d'infanterie  de 40^,756  hommes. 

Cent  quatre-vingt-seize  compagnies  de  ca- 
nonniers à  attacher  aux  cent  quatre-vingt- 
seize  demi-brigades  d'infanterie  feront  .  .      14,700 

L'artillerie ,  telle  qu'elle  est,  est  composée 

A  reporter 477,456  liomines. 


168  COKVENTION  NATIONALE. 

Report 477,436  hommes. 

maintenant,  mais  portée  au  compIet,de.  .  .       12,000 
'•'■'  Troupes  légères  à  pied ,  composées  des 
quatorze  bataillons  d'infanterie  légère  ,  des 
légions  qui  ont  été  décrétées ,  des  corps  et 
compagnies  franches  existantes 53,000 

Cavalerie  légère ,  composée  de  douze  ré- 
gimens  de  chasseurs,  huit  de  hussards  de  la 
cavalerie  des  légions 50,400 

Cavalerie  de  ligne ,  composée  de  vingt- 
neuf  régimens  de  cavalerie ,  et  dix-huit  de 
dragons ,  portés  tous  à  quatre  escadrons.  .       51,960 

Gendarmerie  à  cheval ,  tirée  des  dépar- 
lemens 7,020 

Total 591,816  hommes. 

Cet  appel ,  quoique  excédant  le  taux  fixé ,  ne  compromet 
point  la  fortune  publique ,  puisque  le  ministre  ne  doit  faire  payer 
que  l'effectif  des  corps  ;  mais ,  ce  qui  compromettrait  essentielle- 
ment la  nation  ,  ce  serait  que  les  cinq  cent  deux  mille  huit  cents 
hommes  que  vous  avez  décrétés,  ne  se  trouvassent  pas  en  effectif 
au  poste  que  la  pairie  leur  assignera. 

États-majors. 

Les  principes  et  l'expérience  s'accordent  à  démontrer  que,  soit 
pour  la  célérité  des  manœuvres  et  leur  intelligence ,  soit  pour  la 
surveillance  de  toutes  les  parties  de  police  et  d'administration  des 
armées,  il  faut,  indépendamment  des  états  majors-généraux ,  un 
lieutenant-général  par  division,  et  un  maréchal-de-camp  par  bri- 
gade ;  il  faut  également  par  division  un  adjudant-général,  faisant 
les  fonctions  de  maréchal  des  logis  ,  deux  adjoints  pour  aides,  et 
un  commissaire  des  guerres.  11  résulte  de  cette  disposition,  aussi 
sage  que  simple ,  que,  de  quelque  manière  que  les  circonstances 
obligent  d'emplacer  les  troupes  de  la  République,  qu'elles  soient 
toutes  en  campagne ,  ou  qu'elles  occupent  des  places  de  guerre, 


FÉVRIER  { 1795  ).  169 

elles  sei'out  toujours  accompagnées  des  a-gens  supérieurs  destinés 
à  l'exécution  de  toutes  les  opérations,  au  maintien  de  la  police 
et  à  la  surveillance  de  leurs  besoins.  Une  armée,  quelque  brave, 
quelque  nombreuse  qu'elle  soit,  n'est  imposante,  n'est  terrible 
à  l'ennemi ,  qu'autant  que  tous  les  fils  correspondans  de  son  mé- 
canisme ,  depuis  le  caporal  jusqu'au  général ,  arrivent  par  une 
succession  hit;rarcliique  de  pouvoirs  et  sans  interruption  ,  vers  le 
centre  qui  gouverne  tout;  qu'un  de  ces  fils  se  détraque ,  l'ensem- 
ble des  mouvemens  est  interrompu  ,  le  désordre  perce  de  toutes 
parts ,  les  obstacles  s'accumulent;  c'est  en  vain  que  le  général  le 
plus  expérimenté  fatigue  sou  imagination ,  veut  forcer  de  talens  : 
ii  perd  le  fruit  de  ses  veilles ,  de  ses  agitations ,  et  il  voit  sans 
retour  s'évanouir  les  plus  brillantes  espérances  dans  le  gouffre 
de  l'anarchie. 

Voilà  pourquoi ,  dans  la  campagne  dernière ,  avec  d'énormes 
dépenses ,  nos  soldats  ont  manqué  de  tout  ;  voilà  pourquoi  nos 
succès  ont  été  subitement  suspendus  :  je  sais  que  d'autres  causes 
y  ont  concouru  ;  mais  en  vain,  avertis  par  le  passé,  vous  cher- 
cherez le  remède  à  tant  de  maux ,  si  vous  n'êtes  pas  convaincus 
qu'une  fausse  économie  dans  la  distribution  des  agens  qui  doi- 
vent maintenir  l'ordre  est  la  première  source  des  plus  cruelles 
dilapidations,  et  finirait  par  dissoudre  l'armée  et  livrer  la  France 
à  nos  ennemis. 

Corps  du  génîe^ 

Le  comité  vous  propose  d'autoriser  le  ministre  à  compléter  le 
corps  du  génie  de  tous  les  hommes  qui  se  sont  distingués  dans  les 
ponts  et  chaussées,  en  leur  tenant  compte,  pour  leur  avance- ' 
ment,  des  années  de  service  qu'ils  y  ont  employées  pour  l'utilité 
publique  ;  d'admettre  au  concours ,  et  d'après  examen  de  leurs 
connaissances  en  pratique  et  en  théorie ,  tous  les  citoyens  dont 
les  fondions  seront  les  plus  analogues  à  celles  de  ce  corps. 


170  COiNVENTlON  ]SATIONALE. 

Loi  sur  i organisation  des  armées,  discutée  et  votée  du  sept  au 
vingt-deux  février. 

TITRE  I.  —  De  l'infanterie  de  ligne. 

SECTION  1. 

Art.  1 .  A  dater  de  ia  publication  du  présent  décret,  il  n'y  aura 
plus  aucune  distinction  ni  différence  de  régime  entre  les  corps 
d'infanterie  appelés  régimens  de  ligne  et  les  volontaires  na- 
tionaux. 

2.  L'infanterie  que  la  République  entretiendra  à  sa  solde  sera 
formée  en  demi-brigades  composées  chacune  d'un  bataillon 
des  ci-devant  régimens  de  ligne ,  et  de  deux  bataillons  de  volon- 
taires. L'uniforme  sera  le  même  pour  toute  l'infanterie:  il  sera 
aux  couleurs  nationales ,  et  ce  changement  se  fera  au  fur  et  à  me- 
sure que  l'administration  sera  obligée  de  renouveler  l'habille- 
ment. Chaque  demi-brigade  sera  distinguée  par  un  numéro  sur 
le  bouton  et  les  drapeaux. 

5.  La  première  demi-brigade  sera  composée  du  premier  ba- 
taillon du  premier  régiment  d'infanterie,  et  de  deux  bataillons 
de  volontaires  le  plus  à  sa  portée,  et ,  autant  que  faire  se  pourra, 
du  même  département. 

La  seconde  demi-brigade  sera  composée  du  deuxième  bataillon 
du  premier  régiment  d'infanterie,  et  de  deux  bataillons  de  vo- 
lontaires les  plus  voisins,  et,  s'il  est  possible,  d'un  même  dépar- 
tement. Le  reste  de  l'armée  suivra  le  même  mode  de  réunion , 
de  manière  que ,  par  ordre  de  numéros ,  les  cent  quatre  vingt- 
seizo  bataillons  de  ligne,  unis  à  trois  cent  quatre-vingt-douze  ba- 
taillons de  volontaires ,  formeront  cent  quatre-vingt-seize  demi- 
brigades  d'infanterie.  A  la  paix ,  les  demi-brigades  prendront  le 
nom  des  départemens  auxquels  elles  seront  attachées. 

4.  Les  soldats  composant  aujourd'hui  les  régimens  de  ligne , 
étant  engagés ,  sont  tenus  de  remplir  leurs  engagemens  jusqu'à 
la  paix.  Les  volontaires  ne  pourront  jamais  être  liés  que  pour 
une  campagne. 


FÉVRIER  (1795).  171 

5.  Chaque  demi-brigade  sera  composée  ainsi  qu'il  suit. 
Ètat-major. 

Un  chef  de  brigade  ,  trois  chefs  de  bataillon ,  deux  quartiers- 
maîtres  trésoriers,  trois  adjudans-majors ,  trois  chirurgiens-ma- 
jors, trois  adjudans  sous-officiers ,  un  tambour-major ,  un  capo- 
ral-tambour, trois  musiciens,  dont  un  chef,  trois  maîtres  tailleurs, 
trois  maîtres  cordonniers. 

Chaque  bataillon  sera  composé  de  neuf  compagnies,  dont  une 
de  grenadiers  et  huit  de  fusiliers.  Chaque  compagnie  de  grena- 
diers sera  composée  d'un  capitaine ,  un  lieutenant ,  un  sous-lieu- 
tenant, un  sergent-major,  deux  sergens,  un  caporal-fourrier, 
quatre  caporaux ,  quatre  appointés ,  quarante-huit  grenadiers , 
deux  tambours  :  total  trois  officiers  et  soixante-deux  grenadiers. 
Chaque  compagnie  de  fusiliers  sera  composée  d'un  capitaine,  un 
lieutenant,  un  sous-lieutenant,  un  sergent-major,  trois  sergens  , 
un  caporal-fourrier,  six  caporaux,  six  appointés ,  soixante-sept 
fusiliers,  deux  tambours:  total  trois  officiers,  quatre-vingt-six 
fusiliers. 

Il  sera  attaché  à  chaque  de.ni-brigade  six  pièces  de  canon  du 
calibre  de  quatre  avec  tous  les  attirails  nécessaires;  et  pour  le  ser- 
vice de  ces  pièces ,  il  sera  formé  par  chaque  demi-brigade  une 
compagnie  de  canonniers  volontaires  composée  comme  celle  des 
grenadiers,  excepté  que  le  nombre  de  canonniers  sera  porté  à 
soixante-quatre  hommes,  non  compris  les  officiers  et  sous-offi- 
ciers. 

Complet  d'une  demi-brigade  en  officiers ,  sous-officiers  et  sol- 
dats ,  deux  mille  quatre  cent  trente-sept  hommes,  avec  six  pièces 
de  canon  de  quatre. 

Complet  de  l'infanterie  de  ligne,  cent  quatre-vingt-seize  demi- 
brigades,  quatre  cent  soixante-dix-sepl  mille  six  cent  vingt-deux 
hommes,  avec  mille  cent  soixante-seize  pièces  de  campagne. 

().  Les  officiers  et  sous-officiers  qui  se  trouveront  réformés 
par  la  présente  organisation  conserveront  leur  traitement  ac- 
tuel et  feront  le  service  attaché  à  leur  grade  comme  adjoints 


i72  CONVENTION  NATIONALE. 

jusqu'à  leur  remplacement,  lequel  aura  lieu  à  la  première  vacance 
dans  le  grade  dont  ils  étaient  pourvus ,  et  par  préférence  à  tous 
autres. 

7.  La  solde  sera  la  même ,  ainsi  que  le  traitement  de  guerre 
pour  tous  les  individus  composant  l'infanterie  française ,  chacun 
suivant  son  grade  ;  et  l'on  prendra  pour  base  la  plus  forte  paie 
de  chaque  grade. 

Il  n'y  aura  plus  qu'une  classe  de  capitaines ,  dont  les  appointe- 
mens  seront  portés  uniformément  à  deux  mille  deux  cents  livres, 
pied  de  paix ,  sans  préjudice  du  traitement  de  guerre;  mais  ceux 
qui  jouissent  d'un  plus  fort  traitement  le  conserveront  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  monté  en  grade. 

8.  La  Convention  nationale  ajourne  la  réunion  des  bataillons 
de  volontaires  avec  ceux  de  ligne  jusqu'à  ce  qu'elle  en  ait  au- 
trement ordonné  :  provisoirement  les  corps  resteront  organisés 
comme  ils  sont  ;  mais  la  Convention  ordonne  au  ministre  de  la 
guerre  de  lui  présenter  au  preniier  mars  prochain  le  tableau  de 
cette  réunion  et  du  mode  d'exécution ,  afin  qu'elle  connaisse  les 
cadres  qu'il  est  utile  de  conserver  et  compléter ,  ce  tableau  de- 
vant servir  de  base  au  recrutement. 

9.  A  dater  du  quinze  mars  prochain,  toute  l'infanterie  française 

sera  payée  sur  le  nouveau  pied ,  et  jouira  du  nouveau  mode  d'a- 
vancement; mais  les  bataillons  ne  rouleront  qu'entre  eux,  jusqu'au 
moment  de  leur  réunion  en  demi-brigades. 

10.  Le  ministre  de  la  guerre  fera  imprimer  dans  le  plus  court 
délai,  et  distribuer  aux  membres  delà  Convention  nationale,  et  à 
tous  les  officiers  des  éiats-majors  des  armées ,  la  liste  des  colonels 
et  maréchaux-de-camp  en  activité ,  avec  la  date  de  leur  ancien- 
neté de  service,  afin  que  chaque  militaire  puisse  connaître  le  rang 
que  lui  assure  son  ancienneté,  aux  termes  de  la  loi.  Ls  ministre 
tiendra  la  main  à  ce  que  les  rangs  d'ancienneté  de  service  de 
chaque  officier  et  sous-officier  dans  les  différens  corps  soient 
toujours  affichés  au  corps  de  garde  du  chef-lieu  des  bataillons. 

11.  Jusqu'au  moment  de  la  réunion  des  bataillons  de  ligne 
avec  ceux  de  volontaires  en  demi-brigades,  il  ne  sera  pourvu  à  la 


FÉVRIER  { 1793  ).  if5 

nomination  d'aucun  emploi  de  colonel  ou  chef  de  brigade  dans 
ces  corps. 

SECTION  II.  —Du  mode  d'avancement. 

Art.  i.  Dans  tous  les  grades,  excepté  celui  de  chef  de  brigade 
et  celui  de  caporal ,  l'avancement  aura  lieu  de  deux  manières  : 
savoir,  le  tiers  par  ancienneté  de  service  à  grade  égal ,  roulant 
sur  toute  la  demi-brigade,  et  les  deux  tiers  au  choix  dans  le  ba- 
taillon où  la  place  sera  vacante. 

2.  On  commencera  par  le  tour  d'ancienneté  ;  à  titre  égal  entre 
les  deux  concurrens ,  la  place  appartiendra  au  plus  âgé. 

5.  Lorsqu'un  emploi  de  colonel  en  chef  de  brigade  sera  vacant, 
il  appartiendra  toujours  à  l'ancienneté  parmi  les  chefs  de  batail- 
lon de  la  demi-brigade  ,  d'abord  au  plus  ancien  de  service, en- 
suite au  plus  ancien  de  grade  ,  et  toujours  alternativement. 

4.  Les  quartiers-maîtres-trésoriers ,  adjudans-majors  ,  adju- 
dans  sous-officiers,  seront  à  la  nomination  du  conseil  d'admini- 
stration de  la  demi-brigade  ,  et  pourront  être  choisis  indiffé- 
remment dans  les  trois  bataillons. 

5.  Les  caporaux  seront  choisis ,  à  la  majorité  absolue,  parmi 
tous  les  volontaires  du  bataillon  ,  mais  seulement  par  les  volon- 
taires de  la  compagnie  où  la  place  sera  vacante. 

6.  La  nomination  aux  emplois  pour  le  choix  se  fera  de  la  ma- 
nière suivante  : 

1»  Pour  nommer  un  chef  de  bataillon ,  les  électeurs  seront, 
dans  le  bataillon  où  l'emploi  sera  à  nommer ,  tous  les  membres 
qui  le  composent. 

2°  Pour  les  places  de  capitaine ,  lieutenant,  sous-lieutenant  et 
sergent ,  les  électeurs  seront  tous  les  membres  de  la  compagnie 
où  le  grade  sera  vacant ,  et  qui  y  seront  subordonnés. 

3°  L'appel  sera  fait  en  présence  du  commandant,  par  le  ser- 
gent-major de  chaque  compagnie.  Les  électeurs  écriront  ou 
feront  écrire  à  l'instant  de  l'appel,  par  qui  ils  voudront,  leur  bil- 
let de  préseniation ,  et  le  remettront  eux-mêmes  plié  dans  une 
boîte  fermée. 


474  CONVENTIOiN   NATIONALE, 

i"  Le  scrutin  sera  toujours  dépouillé  sur-le-champ  par  les  trois 
plus  anciens  soldats  qui  sauront  lire  et  écrire,  et  en  présence  des 
électeurs. 

o°  L'élection  sera  faite  par  les  individus  présens  aux  drapeaux. 
Ceux  qui  seront  de  service  pourront  envoyer  leur  billet  de  pré- 
sentation sifjné  d'eux  ou  de  deux  témoins. 

6°  Les  candidats  pourront  être  choisis,  absens  comme  présens, 
sur  toute  la  demi-brigade. 

7°  Les  candidats  à  présenter  seront  toujours  au  nombre  de 
trois  pour  une  place  vacante,  et  seront  pris  dans  le  grade  immé- 
diatement inférieur  à  celui  qui  sera  vacant  :  savoir,  pour  une  place 
de  sergent,  parmi  les  caporaux,  pour  une  sous-Iieutenance, 
parmi  les  sergens  ;  pour  une  lieutenance ,  parmi  les  sous-lieute- 
nans,  pour  une  compagnie  parmi  les  lieutenans ,  et  pour  les  chefs 
de  bataillon,  parmi  les  capitaines, 

8"  Il  y  aura  un  scrutin  épuratoire  ;  et  ce  scrutin  sera  fait  à  la 
majorité  absolue  des  suffrages  par  les  individus  du  grade  égal  à 
celui  qui  sera  vacant,  et  du  même  bataillon  ,  qui  choisiront ,  pour 
remplir  cette  place ,  celui  des  trois  candidats  qui  auront  été  pré- 
sentés par  le  corps ,  et  qu'ils  jugeront  le  plus  méritant. 

9°  Pour  nommer  un  chef  de  baiaillon,  le  scrutin  épuratoire 
sera  fait  par  le  chef  de  brigade  eî  les  deux  autres  chefs  de  batail- 
lon, s'ils  sont  présens;  à  défaut  de  l'un  d'eux,  il  sera  remplacé 
par  un  capitaine  nommé  ad  hoc  par  les  capitaines  du  bataillon  où 
la  place  sera  vacante ,  et  qui  ne  pourra  être  un  des  candidats  pré- 
sentés. 

7.  Il  est  expressément  défendu  à  tout  militaire  de  se  trouver  en 
armes  à  aucune  élection ,  sous  peine  de  perdre  son  droit  d'élec- 
tion pendant  un  an ,  et  de  huit  jours  de  prison. 

8.  Lorsqu'un  sujet  aura  été  présenté  trois  fois  de  suite  par  ses 
camarades ,  et  qu'il  n'aura  pas  été  nommé ,  s'il  est  présenté  une 
quatrième  fois,  il  le  sera  sans  concours  d'aucun  autre  candidat, 
et  la  place  vacante  au  choix  lui  appartiendra  de  droit, 

9.  Les  procès-verbaux  de  chaque  nomination  seront  inscrits 
sur  un  registre  ;  le  double  en  sera  envoyé  au  ministre  de  la  guerre, 


FÉVRIER  (1795).  175 

qui  fera  expédier  des  brevets  portant  pour  date  celle  du  jour  de 
la  nomination. 

10.  Les  élus  aux  places  vacantes  seront  reconnus  par  les  corps 
dans  les  formes  accoutumées ,  le  lendemain  de  leur  nomination  ; 
et,  à  dater  de  ce  jour,  ils  en  feront  les  fonctions,  et  jouiront  de 
tous  les  émolumens  qui  y  seront  attachés. 

11.  Les  chefs  de  corps  tiendront  !a  main  à  ce  que  les  élections 
se  fassent  dans  la  huitaine  qui  suivra  la  vacance  d'une  place  au 
choix.  Quant  aux  places  à  l'ancienneté,  ils  les  feront  remplir,  à 
l'instant  de  la  vacance,  par  ceux  à  qui  elles  appartiendront  de 
droit ,  et  en  rendront  compte  au  ministre,  le  tout  à  peine  d'être 
personnellement  responsables  des  indemnités  dues  à  ceux  qui  au- 
raient été  privés  de  leurs  emplois. 

12.  Les  emplois  de  généraux  de  brigades,  ci-devant  maréchaux 
de  camp,  seront  donnés  aux  chefs  de  brigade  ou  à  ceux  qui 
avaient  ci-devant  le  grade  de  colonel  en  activité  de  service  sur 
toutes  les  armées  de  la  République  ;  savoir,  le  tiers  à  l'ancienneté 
de  leurs  services ,  et  les  deux  tiers  au  choix  du  ministre  de  la 
guerre,  qui  rendra  compte  au  corps  législatif,  chaque  mois,  des 
promotions  qu'il  aura  faites. 

13.  La  même  forme  ci-dessus  sera  observée  pour  les  promo- 
tions du  grade  de  générd  de  brigage  à  celui  de  généra!  de  divi- 
sion, ci-devant  lieutcnant-généial. 

14.  Les  généraux  en  chef  n'auront  qu'une  commission  tem- 
poraire :  ils  seront  choisis,  par  le  conseil  exécutif,  parmi  les  gé- 
néraux de  division ,  sous  la  ratification  expresse  de  l'assemblée 
nationale. 

TITRE  III.  —  Cavalerie  et  dragons. 

Art.  1.  Les  vingt-neuf  régimens  de  cavalerie,  compris  ceux 
créés  à  l'École-Militairo,  et  les  dix-huit  régimens  de  dragons,  se- 
ront portés  a  quatre  escadrons  par  régiment ,  à  raison  de  cent 
hommes  par  compagnie,  dont  dix  à  pied;  provisoirement,  les 
escadrons  resteront  fixés  à  cent  soixante-dix  hommes. 

2.  Pour  opérer  la  nouvelle  fornriation,  tous  les  officiers  et 


17G  CONVENTION  NATIONALE. 

sous-officiers  du  quatrième  escadron  seront  choisis  par  le  minis- 
tre ,  chacun  dans  son  grade  respectif,  parmi  ies  officiers  et  sous- 
officiers  des  trois  escadrons  existans,  ainsi  que  le  quart  en  cava- 
lerie ou  dragons. 

5.  Après  la  nouvelle  formation  effectuée,  Tavancement  aux 
grades  militaires  se  fera ,  dans  la  cavalerie  et  les  dragons ,  dans 
la  même  forme  indiquée  pour  l'infanterie ,  respectivement  aux 
différens  grades  ;  il  ne  sera  d'ailleurs  rien  dérogé  aux  institutions 
établies,  concernant  la  cavalerie  et  les  dragons,  par  les  précédens 
décrets. 

TITRE  III.  —  Cavalerie  légère. 

Art.  1.  Les  douze  régimens  de  chasseurs  à  cheval,  et  les  huit 
régimens  de  hussards  seront  porlés  de  quatre  à  cinq  escadrons, 
sur  le  même  pied  que  la  cavalerie  de  ligne. 

2.  Il  sera  attaché  à  chacun  de  ces  régimens  un  lieutenant-colo- 
nel de  plus ,  à  raison  de  l'augmentation  de  deux  escadrons. 

3.  Il  sera  formé  de  la  cavalerie  de  toutes  les  légions  qui  sont 
au  service  de  la  République,  ainsi  que  des  corps  francs  à  cheval, 
huit  nouveaux  régimens  de  chasseurs  à  cheval ,  sur  le  même  pied, 
le  même  uniforme  que  les  douze  régimens  qui  existent,  et  à  la 
même  paie  ;  mais  les  individus  qui  composeront  ces  nouveaux 
corps  n'en  prendront  l'uniforme  qu'à  mesure  qu'on  sera  obligé 
de  renouveler  leur  habillement  et  équipement.  Le  ministre  est 
chargé  d'opérer  cette  formation  dans  le  plus  court  délai,  et  d'en 
rendre  compte  à  la  Convention.  Après  la  nouvelle  organisation 
de  la  cavalerie  légère  consommée,  l'avancement  aux  grades  mi- 
litaires aura  lieu  dans  ces  corps  dans  la  môme  forme  qui  a  été 
indiquée  pour  l'infanterie ,  sans  déroger  néanmoins  aux  lois  con- 
cernant les  troupes  lé3ères,  par  tout  ce  qui  n'a  point  de  rapport 
au  présent  décret. 

titre  rv.  —  Infayiterie  légère. 

Art.  1.  Les  quatorze  bataillons  d'infanterie  légère  recevront  la 
même  formation  que  l'infanterie  de  ligne:  en  conséquence,  le 


FÉVRIER  (1795).  177 

ministre  de  la  guerre  formera  en  bataillons  les  corps  francs  à 
pied  et  les  troupes  d'infanterie  des  légions,  et  il  fera  l'incorpo- 
ration de  deux  de  ces  bataillons  avec  un  bataillon  de  chasseurs , 
par  ordre  de  nume'ro.  Trois  bataillons  ainsi  réunis  formeront 
une  demi-brigade  d'infanterie  légère ,  qui  aura  même  organisa- 
tion et  même  paie  que  l'infanterie  de  ligne.  Après  la  formation 
de  ces  demi-brigades ,  elles  jouiront  du  même  mode  d'avancement 
que  l'infanterie  de  ligne. 

2.  Le  ministre  de  la  guerre  est  autorisé  à  employer,  dans  la 
formation  de  demi-brigades  d'infanterie  légère,  ceux  des  batail- 
lons de  volontaires  existans  qui  désireraient  faire  ce  service  à  dé- 
faut des  bataillons  des  légions. 

5.  S'il  reste  à  employer  des  corps  qui  n'auraient  pas  trouvé 
place  dans  la  nouvelle  organisation  des  armées ,  le  ministre  en 
rendra  compte  à  la  Convention,  pour  qu'elle  avise  aux  moyens 
de  rendre  leurs  services  utiles  à  la  République. 

TITRE  v.  —  Artillerie. 

Art.  1.  Il  ne  sera  rien  changé  à  l'organisation  du  corps  de 
l'artillerie;  mais  il  aura  la  faculté  de  se  recruter,  pendant  que  la 
guerre  durera ,  dans  tels  corps  qu'il  jugera  convenable  de  gré  à 
gré,  et  par  des  individus  de  bonne  volonté,  sous  l'agrément  du 
général  commandant  la  division. 

2.  Les  lieutenans  d'artillerie  continueront  d'être  choisis  dans 
l'école  des  élèves  établie  à  Châlons ,  au  concours ,  abstraction 
faite  de  la  moitié  des  places  de  lieutenans ,  accordées  par  la  loi 
aux  sous-officiers. 

A  l'égard  des  autres  grades  d'artillerie  dans  les  régimens  et 
compagnies  de  mineurs  et  d'ouvriers  ou  artillerie  à  cheval,  on  y 
parviendra  suivant  le  mode  établi  pour  l'infanterie. 

3.  La  solde  des  canonniers  sera  portée  au  même  taux  que  celle 
de  l'infanterie ,  sans  préjudice  aux  augmentations  proportion- 
nelles dont  ce  corps  jouissait  précédemment  suivant  les  différens 
grades,  demanière  que  le  canonnier,  qui  jouissait  par  jour  d'un 

T.  xyiv,  12 


J78  CONVENTION  NATIONALE. 

SOU  de  paie  de  plus  que  le  soldat  de  ligne,  ne  perde  pas  cet  avan- 
tage, et  ainsi  de  suite  pour  les  traitemens  différens. 

4.  Les  compagnies  d'artillerie  à  cheval  seront  portées  au  nom- 
bre de  vingt,  conformément  à  leur  première  organisation. 

TITRE  VI.  —  De  la  genclm^mme. 

Arlicle  unique.  Les  corps  de  gendarmerie  nationale ,  de  cava- 
lerie et  d'infanterie  employés  à  l'armée  resteront  provisoi- 
rement composés  ainsi  qu'ils  le  sont ,  et  seront  recrutés  par  des 
gendarmes  de  leurs  départemens  respectifs  ;  en  cas  de  vacance 
d'emploi ,  les  remplacemens  se  feront  dans  la  même  forme  pres- 
crite pour  les  autres  corps  soit  d'infanterie,  soit  de  cavalerie, 
suivant  leur  espèce  d'arme ,  à  dater  de  la  publication  du  présent 
décret. 

TITRE  VII.  —  Du  (jénîc. 

Art.  i.  Le  ministre  de  la 'guerre  est  autorisé  à  compléter  le 
corps  du  génie  militaire,  soit  par  des  ingénieurs  géographes,  soit 
par  des  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées,  et  le  service  qu'ils  ont 
fait  dans  leur  état  leur  sera  compté  comme  service  militaire;  en 
cas  d'insuffisance ,  le  ministre  est  autorisé  à  choisir  parmi  des 
citoyens  dont  les  fonctions  sont  les  plus  analogues  à  celles  du 
corps  du  génie,  d'à  près  un  examen  de  théorie  et  de  pratique  fait 
par  une  commission  que  le  ministre  nommera  ad  hoc. 

2.  Dans  les  places  qui  se  trouveraient  dépourvues  du  nombre 
d'ingénieurs  suffisant  pour  le  service ,  le  ministre  est  autorisé  à 
nommer  desadjoints  en  nombre  suffisant,  sur  la  présentation  des 
chefs  du  génie ,  et  à  leur  attribuer  un  traitement  analogue  à  leur 
genre  d'utilité. 

TITRE  VIII.  —  Élats-majors. 

Art.  1.  Il  y  aura  par  chaque  armée  un  général  en  chef,  un 
général  divisionnaire,  et  deux  brigadiers  généraux  d'avant-garde , 
un  général  divisionnaire  et  deux  brigadiers  généraux  de  réserve, 
un  brigadier  général  chef  d'état-major,  quatre  adjudans  généraux 


FÉVRIER  (179ÔV  i79 

et  huit  adjoints  pour  le  bureau ,  un  commissaire  géne'ial  et  deux 
commissaires  ordinaires,  un  quartier  général. 

2.  Chaque  division,  composée  de  quatre  demi-brigades ,  sera 
commandée  par  un  général  divisionnaire ,  ayant  sous  ses  ordres 
deux  brigadiers  généraux,  un  adjudant-général,  deux  adjoints  et 
un  commissaire  des  guerres. 

5.  Le  tiers  des  adjudans  généraux  aura  le  grade  de  chef  de 
brigade;  les  deux  autres  tiers,  celui  de  chef  de  bataillon. 

4.  Les  adjudans  généraux  chefs  de  bataillon  seront  choisis  par 
le  ministre  parmi  les  capitaines  de  l'armée  qui  auront  au  moins 
deux  ans  de  service  en  cette  qualité,  ou  parmi  les  chefs  de  ba- 
taillon ou  d'escadron  en  activité. 

5.  Les  adjudans  généraux  chefs  de  bataillon  monteront  au 
grade  de  chefs  de  brigade ,  le  tiers  par  ancienneté,  et  les  deux 
tiers  au  choix  du  ministre. 

6.  Les  adjudans  généraux  chefs  de  brigade  rouleront  avec  tous 
les  chefs  de  brigade  des  armées  de  la  République  pour  l'avan- 
cement au  grade  de  brigadier  général,  conformément  à  l'article 
il  de  la  deuxième  section  du  titre  premier. 

7.  Les  commissaires  des  guerres  resteront  provisoirement  or- 
ganisés comme  ils  le  sont;  leur  surveillance  étant  purement  admi- 
nistrative, ils  seront  toujours  nommés  par  le  ministre  de  la  guerre, 
mais  ils  ne  pourront  être  choisis  que  parmi  les  élèves  commis- 
saires ou  les  quartier-maîtres  de  l'armée. 

8.  Les  adjoints  à  l'état-major  n'ayant  qu'une  commission  tem- 
poraire, et  devant  être  subordonnés  aux  adjudans  généraux, 
seront  pris  indistinctement  dans  tous  les  grades  de  l'armée,  jus- 
qu'à celui  de  chef  de  bataillon  exclusivement;  ils  recevront  à 
titre  de  gratification  cent  livres  par  mois  ;  ils  conserveront  leur 
traitement  et  leur  rang  dans  le  corps  auquel  ils  appartiendront 
et  seront  choisis  par  les  adjudans  généraux  près  desquels  ils 
seront  employés ,  avec  l'agrément  du  chef  de  l'état-major  gé- 
néral. 

iO.  Les  aides  de  camp  resteront  au  nombre  fixé  pour  chaque 
grade  d'officier-général  auquel  ils  sont  attachés  ;  les  généraux  en 


180  CONVENTION   NATIONALE. 

chef  pourront  cependant,  s'ils  en  ont  besoin,  avoir  deux  aides  de 
camp  capitaines  de  plus  que  ceux  qui  ont  été  fixés  par  les  pré- 
cédens  décrets. 

dO.  Ceux  qui  sont  maintenant  en  activité  jouiront  du  traitement 
qui  leur  est  assigné  par  les  précédentes  lois  ;  mais  pour  obtenir 
de  l'avancement ,  ils  seront  tenus  de  se  faire  employer  dans  un 
des  corps  de  l'armée ,  et  alors  ils  se  conformeront  à  l'article  sui- 
vant. 

H.  A  l'avenir  les  généraux  ne  pourront  choisir  leurs  aides  de 
camp  que  parmi  des  officiers  employés  dans  l'armée ,  et  'de 
même  que  les  adjoints  à  l'état-major ,  leur  commission  sera  tem- 
poraire. Ils  conserveront  leur  rang  et  leurs  droits  à  l'avancement 
dans  les  corps  auxquels  ils  seront  attachés ,  et  recevront  cent 
francs  par  mois  de  gratification  indépendamment  du  traitement 
attaché  à  leur  grade;  dès  qu'un  aide  de  camp  cessera  d'être  em- 
ployé en  cette  qualité,  il  reprendra  sa  place  dans  son  corps. 

12.  Il  ne  pourra  jamais  sortir  plus  de  deux  sujets  d'un  ba- 
taillon ,  ni  plus  d'un  par  escadron ,  soit  pour  être  aide  de  camp , 
soit  pour  être  adjoint  à  l'état-major  général;  le  troisième  qui  en 
sortirait  perdrait  son  rang  et  son  emploi  dans  le  bataillon ,  et  il 
serait  à  l'instant  pourvu  à  son  remplacement.  Ceux  des  adjoints 
à  l'état-major  qui  se  trouvent  maintenant  dans  ce  cas  seront  tenus 
de  rentrer  dans  leur  corps. 

15.  Tous  les  appointemens  et  traitemens  de  guerre  resteront 
dans  l'état  où  ils  ont  été  déterminés,  suivant  les  différons  grades, 
pour  tout  ce  à  quoi  il  n'a  pas  été  dérogé  par  la  présente  loi. 

14.  Tous  les  agens  de  l'administration  des  vivres,  des  hôpitaux 
et  de  tous  les  détails  concernant  les  armées  seront  à  la  nomi- 
nation du  ministre  qui  en  remettra,  les  états  à  la  Convention  na- 
tionale. 

lo.  La  Convention  nationale  se  réserve  de  récompenser  les  ac- 
tions d'éclat  et  les  services  imporlans  rendus  à  la  République. 


I 


FÉVRIER  (1795).  i8l 

Loi  fjid  constitue  les  gardes  nationales  en  état  de  réquisition  per- 
manente. 

La  Convention  nationale  déclare  ù  tous  les  Français  que  les 
despotes  coalisés  menacent  la  liberté.  En  conséquence  elle  dé- 
crète : 

Art.  \.  Tous  les  citoyens  français ,  depuis  l'âge  de  dix-huit 
jusqu'à  40  ans  accomplis,  non  mariés  ou  veufs  sans  enfans,  sont 
en  état  de  réquisition  permanente  jusqu'à  l'époque  du  complé- 
ment du  recrutement  effectif  de  trois  cent  mille  hommes  de 
nouvelle  levée,  décrétée  ci-après. 

2.  Le  conseil  exécutif,  et  subsidiairement  les  généraux  des  ar- 
mées de  la  République ,  pourront  requérir  lesdils  citoyens  ;  les 
généraux ,  en  rendant  compte  au  conseil  exécutif,  le  conseil  exé- 
cutif à  la  Convention,  du  nombre  de  ceux  qui  auront  été  requis 
et  des  départemens  à  qui  les  diverses  réquisitions  auront  été 
faites. 

Loi  sur  la  levée  de  trois  cent  mille  hommes,  et  sur  le  mode  àsui^ 
vre  pour  opérer  cette  levée. 

Art.  l.La  Convention  nationale  fait  l'appel  de  trois  cent  mille 
hommes,  qui  se  réuniront  dans  le  plus  court  délai  aux  armées  de 
la  République. 

2.  La  répartition  des  citoyens  à  marcher  se  fera  de  la  manière 
suivante: 

o.  Au  nombre  des  trois  cent  mille  hommes  à  lever ,  on  ajou- 
tera celui  des  hommes  classés  pour  la  marine ,  plus  celui  des  vo- 
lontaires nationaux  présumés  aux  drapeaux ,  lesquels  seront  es- 
timés à  deux  cent  cinquante  par  bataillon  ;  le  nombre  total  ré- 
sultant de  cette  opération  sera  réparti  entre  les  départemens  ; 
en  raison  de  leurs  populations. 

4.  On  déduira  du  nombre  correspondant  pour  chaque  dépnr- 
tement  celui  des  hommes  classés  jusqu'à  cinquante  mille,  plus 
celui  de  deux  cent  cinquante  hommes  pour  chaque  bataillon , 


i82  CONVENTION   NATIONALE. 

fournis  parles  divers  départemens ,  le  restant  sera  le  nombre  des 
citoyens  à  lever  dans  chaque  département ,  conformément  au 
tableau  ci-annexé. 

5.  Dans  les  départemens  maritimes ,  ou  dans  ceux  qui  four- 
nissent au  service  des  classes,  on  aura  également  égard  au  nom- 
bre d'hommes  classés  pour  le  service  des  vaisseaux  de  la  Répu- 
blique. 

6.  Dans  les  vingt-quatre  heures  après  la  réception  de  la  loi , 
les  directoires  de  département  feront  la  répartition  des  hommes 
à  fournir  par  les  districts  de  son  arrondissement  dans  le  même 
délai. 

7.  Les  corps  administratifs,  dans  cette  répartition,  auront  égard 
au  nombre  d'hommes  qui  auront  déjà  été  fournis  soit  par  les 
districts ,  soit  par  les  communes  ,  dans  le  cas  néanmoins  où  ces 
mêmes  hommes  se  trouvent  dans  ce  moment  dans  les  armées  de 
la  République. 

8.  Le  directoire  de  département  enverra  un  commissaire  par 
district ,  et  requerra  chaque  district  d'en  envoyer  un  par  canton , 
pour  suivre  et  surveiller  dans  les  diverses  communes  les  opé- 
rations relatives  à  la  levée. 

9.  Aussitôt  que  les  officiers  municipaux  auront  reçu  l'état  des 
hommes  que  leur  commune  devra  fournir ,  ils  en  donneront  con- 
naissance aux  citoyens ,  qui  seront  convoqués  à  cet  effet. 

10.  Il  sera  ouvert,  pendant  les  trois  premiers  jours  qui  suivront 
cette  première  notification ,  un  registre  sur  lequel  se  feront  in- 
scrire volontairement  ceux  qui  voudront  se  consacrer  à  la  défense 
de  la  patrie. 

il.  Dans  îe  cas  où  l'inscription  volontaire  ne  produirait  pas  le 
nombre  d'hommes  fixé  pour  chaque  com.mune ,  les  citoyens  se- 
ront tenus  de  le  compléter  sans  désemparer,  et  pour  cet  effet  ils 
adopteront  le  mode  qu'ils  trouveront  le  plus  convenable  à  la  plu- 
rahté  des  voix. 

i%  Quel  que  soit  le  mode  adopté  par  les  citoyens  assemblés 
pour  compléter  leur  contingent,  le  compiément  ne  sera  pris  que 


FÉVRIER  (1793).  185 

parmi  les  garçons  et  veufs  sans  enfans,  depuis  l'âge  de  dix-huit 
ans  jusqu'à  quarante  accomplis. 

15.  Les  officiers  municipaux,  après  avoir  donné  connaissance 
aux  citoyens  assemblés  du  nombre  de  volontaires  que  leur  com- 
mune doit  fournir,  feront  lecture  des  articles  de  la  présente  loi , 
ainsi  que  de  celle  relative  aux  pensions,  retraites  et  gratifications 
auxquelles  les  défenseurs  de  la  patrie  auront  droit  de  prétendre  à 
la  fin  de  la  guerre. 

14.  Les  directoires  de  département  feront  réimprimer,  sans  dé- 
lai, un  nombre  suffisant  d'exemplaires  de  la  partie  de  ces  diverses 
lois  relatives  aux  objets  ci-dessus ,  pour  en  faire  passer  à  chaque 
municipalité  de  leur  arrondissement. 

lu.  Les  citoyens  qui  se  sont  fait  remplacer  lors  des  levées 
précédentes  concourront  avec  les  autres  citoyens  à  la  levée  ac- 
tuelle. 

16.  Tout  citoyen  qui  sera  appelé  à  marcher  à  la  défense  de  la 
patrie,  conformément  à  ce  qui  est  dit  dans  les  articles  précédens, 
aura  la  faculté  de  se  faire  remplacer  par  un  citoyen  en  état  de 
porter  les  armes  âgé  au  moins  de  dix-huit  ans,  accepté  par  le 
conseil-général  de  la  commune. 

17.  Ceux  des  citoyens  qui  se  feront  remplacer  seront  tenus 
d'armer,  d'équiper  et  habiller  à  leurs  frais  les  citoyens  qui  les 
remplaceront;  et  ils  en  seront  responsables  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
été  reçus  au  corps  qui  leur  sera  désigné. 

18.  Aucun  citoyen  ne  pourra  se  dispenser  de  se  rendre  à  l'as- 
semblée convoquée  en  vertu  de  cette  loi. 

19.  Les  citoyens  qui ,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit ,  ne  se 
rendraient  pas  à  cet  appel ,  ne  seront  pas  dispensés  de  concourir 
avec  les  cantons ,  d'après  le  mode  adopté  par  l'assemblée. 

20.  Ne  seront  point  compris  dans  l'appel  général  pour  celte 
levée ,  savoir  : 

1"  Ceux  que  des  défauts  de  conformation  mettent  hors  d'état 
de  porter  les  armes  ; 

2°  Les  administrateurs  composant  les  directoires  de  départe- 
ment et  de  district; 


184  CONVENTION  NATIONALE. 

5"  Les  procureurs-généraux-syndics  ; 

4°  Les  secrétaires-généraux  de  district  ; 

5°  Les  maires  et  officiers  municipaux ,  et  procureurs  de  com- 
mune; 

6°  Les  membres  des  tribunaux  civils  et  criminels ,  le  greffier, 
les  commissaires  nationaux,  les  juges-de-paix; 

7°  Les  receveurs  de  district  ;  ' 

8°  Les  receveurs  et  directeurs  d'enregistrement  ; 

9°  Les  ouvriers  employés  à  la  fabrication  des  armes  et  des 
poudres. 

21.  Aussitôt  que  le  nombre  des  citoyens  demandés  à  chaque 
commune  sera  complet ,  les  noms  des  citoyens  prêts  à  marcher 
seront  proclamés ,  insérés  dans  le  procès-v  erbal  de  l'assemblée , 
dont  il  sera  délivré  un  extrait  à  chacun  d'eux. 

22.  Les  officiers  municipaux  sont  tenus  de  présenter  les  ci- 
toyens de  leur  commune  qui  devront  marcher  aux  agens  mili- 
taires que  le  ministre  de  la  guerre  enverra ,  conformément  à 
ce  qui  sera  dit  ci-après,  lesquels  constateront,  suivant  l'usage, 
qu'ils  sont  en  état  de  servir,  dresseront  leur  signalement  et  don- 
neront un  double  du  tout ,  signé  de  l'an  d'entre  eux ,  aux  officiers 
municipaux. 

23.  Les  officiers  municipaux  enverront,  immédiatement  après 
la  réception  des  citoyens  de  leurs  communes ,  deux  minutes  du 
procès-verbal  et  de  leur  décharge ,  savoir  :  l'une  au  prccureur- 
syndic,  et  l'autre  au  procureur-général. 

24.  Le  procureur  de  chaque  département  fera  passer,  dans  le 
plus  court  délai ,  au  ministre  de  la  guerre  et  à  l'agent  militaire 
supérieur  chargé  de  surveiller  cette  levée,  copie  de  toutes  les 
pièces  ci-dessus  mentionnées  et  certifiées  véritables. 

TITRE  II.  —  Habillement j  équipement,  armement  et  subsistances. 

Art.  1.  Il  sera  mis  à  la  disposition  du  ministre  de  la  guerre  les 
sommes  nécessaires  pour  habiller,  équiper  et  armer  les  trois 
cent  mille  citoyens  dont  la  levée  est  ordonnée  par  le  titre  1". 

2.  Les  receveurs  de  district  feront  provisoirement  les  frais  né- 


iÉvuiiiR(1793).  185 

cessaires  pour  l'habillement,  l'équipement  et  armement  des  ci- 
toyens qui  devront  marcher. 

5.  Le  ministre  de  la  guerre  sera  tenu  de  rembourser  succes- 
sivement les  avances  faites  à  cet  effet  par  chaque  receveur  de 
district. 

4.  Les  municipalités,  et  à  leur  défaut  les  directoires  de  district 
ou  de  déparlement ,  sont  tenus ,  sur  leur  responsabilité ,  de 
pourvoir,  dans  la  huitaine  du  jour  delà  proclamation  des  ci- 
toyens à  marcher,  à  l'entier  habillement  et  fourniment  desdits 
citoyens. 

5.  A  cet  effet ,  les  municipalités  et  corps  administratifs  requer- 
ront, pour  l'intérêt  public,  les  citoyens  connue  pour  avoir  un 
uniforme,  et  préférablement  choisis  dans  la  classe  aisée,  de  li- 
vrer de  suite  leur  habit,  veste  et  culotte  uniformes,  à  peine  de 
200  livres  d'amende  en  cas  de  refus. 

G.  Les  municipahlés  et  corps  administratifs  ne  pourront  re- 
quérir les  citoyens  de  fournir  leur  uniforme,  conformément  à 
l'article  précédent,  qu'en  nombre  égal  à  celui  des  citoyens  de  leur 
commune,  canton  ou  district,  qui  devront  marcher,  et  qui  ne  se 
trouveront  point  habillés. 

7.  Les  habits  fournis  d'après  les  réquisitions  autorisées  par  les 
articles  V  et  VI  du  présent  titre  seront  de  suite  remboursés  à 
ceuK  qui  les  exigeront  par  le  receveur  du  district,  et  d'après  les 
estimations  qui  en  auront  été  faites  par  un  expert  nommé  par  les 
municipalités,  et,  à  leur  défaut,  par  le  directoire  de  district  ou 
celui  de  département. 

8.  Dans  le  cas  où  les  citoyens  à  marcher  se  trouveraient  déjà 
revêtus  d'un  uniforme  complet,  et  pourvus  de  leur  fournilure, 
soit  en  tout,  soit  en  partie,  l'esiimiuion  en  sera  faite  par-devant 
le  directoire  de  district,  par  un  expert  qu'il  nommera  à  cet  effet, 
et  ils  en  seront  de  suite  remboursés,  s'ils  l'exigent,  et  d'après 
l'estimation ,  par  le  receveur  du  district. 

9.  Les  municipahlés ,  les  directoires  de  district  et  de  départe- 
ment seront  tenus  de  requérir  de  suite  tous  les  cordonniers  de 
leur  domicile  et  arrondissement  de  travailler  pour  les  citoyens 


186  CONVENTION   NATIONALE. 

qui  devront  marcher  jusqu'à  ce  qu'il  soit  vérifié  qu'ils  emportent 
avec  eux  deux  paires  de  souliers  neufs ,  du  modèle  ordinaire ,  y 
compris  celle  qu'ils  auront  aux  pieds. 

40.  Il  sera  fourni  sur-le-champ  un  chapeau  neuf  à  chaque  ci- 
toyen destiné  à  partir,  du  prix  de  6  à  7  liv.,  conforme  à  celui  ar- 
rêté pour  les  troupes ,  et  ce,  par  les  municipalités  ou  autres  ad- 
ministrateurs. 

41.  Les  sommes  allouées  pour  ces  différentes  dépenses  seront 
délivrées  aux  officiers  municipaux,  sur  la  demande  qu'ils  en  feront 
aux  administrateurs,  aussitôt  après  les  nominations  et  réceptions 
de  citoyens  à  marcher. 

42.  Dans  tous  les  cas,  les  officiers  municipaux  ou  administra- 
teurs seront  responsables  du  bon  emploi  des  sommes  qui  leur 
auront  été  confiées  et  de  la  bonne  qualité  de  toutes  les  fourni- 
tures. 

13.  Les  officiers  municipaux  qui  seront  chargés  de  l'habille- 
ment ,  équipement ,  etc. ,  tiendront  une  note  exacte  des  dépenses 
faites  pour  l'achat  des  étoffes  et  les  frais  de  façon  de  toutes  ces 
diverses  parties  ;  et  l'état  général ,  signé  d'eux ,  sera  envoyé  aux 
administrations  de  département  et  de  district,  qui,  après  l'avoir 
examiné  et  visé,  le  feront  passer  au  ministre  pour  servir  de  pièce 
de  comptabilité. 

14.  Les  fournitures  et  habillemens  délivrés  a  chaque  homme 
seront  soumis  à  la  réception  des  agens  militaires.  En  cas  de  con- 
testation sur  leur  qualité  ou  bonne  façon ,  elle  sera  jugée  par  des 
experts  nommés  concurremment  par  l'administration  du  district 
et  les  agens  militaires. 

15.  S'il  existe  dans  une  commune  des  fusils  qui  aient  été  tirés 
des  arsenoux  ou  salles  d'armes  de  la  République ,  ils  seront  em- 
ployés à  l'armement  des  citoyens  désignés  pour  marcher. 

16.  l-.es  officiers  municipaux  et  officiers  des  gardes  nationales 
sont  personnellement  responsables  de  l'exécution  immédiate  de 
l'article  ci-dessus. 

17.  Les  administrations  de  département  et  de  district,  ainsi  que 
les  agens  militaires,  sont  à  cet  effet  chargés  de  se  faire  rendre 


FÉVKIEK  {1795).  187 

compte  des  armes  que  chaque  commune  a  reçues  des  arsenaux 
ou  salles  d'armes  de  la  République,  et  de  vérifier  les  reçus  que 
les  officiers  municipaux  ou  de  garde  nationale  ont  dû  remettre 
aux  gardes  d'artillerie  ou  autres  agens  publics. 

18.  Au  défaut  d'armes  appartenant  à  la  République,  les  citoyens 
de  chaque  commune  seront  armés  de  fusils  de  guerre  apparte- 
nant, soit  aux  communes,  soit  aux  particuliers. 

i9.  Les  communes  ou  particuliers  qui  auront  délivré  des  ar- 
mes aux  citoyens  seront  remboursés  immédiatement  de  leur  va- 
leur sur  les  sommes  remises  à  cet  effet  dans  les  caisses  des  re- 
ceveurs des  districts. 

20.  Le  prix  de  ces  armes  sera  déterminé  par  des  experts 
nommés  concurremment  par  les  agens  militaires  et  les  direc- 
toires de  district,  et  il  ne  pourra,  dans  aucun  cas,  dépasser 
42  livres ,  prix  fixé  pour  les  fusils  neufs  conformes  au  modèle 
de  1777,  et  armés  de  leurs  baïonnettes. 

21.  Les  procès-verbaux  de  réception  seront  envoyés  par  les 
administrations  de  département  au  ministre  de  la  guerre,  pour 
servir  de  mode  de  comptabilité. 

2;2.  Aucune  commune  ou  citoyen  ne  pourra  se  dispenser,  en 
exécution  de  Tarticle  lo  du  présent  titre,  de  faire  connaître  les 
fusils  en  leur  possession ,  sous  peine  de  confiscation  de  l'arme 
qu'ils  n'auront  pas  déclarée,  et  d'une  amende  du  triple  de  la 
valeur  d'un  fusil  uniforme,  c'est-à-dire  de  126  Uvres. 

23.  Les  officiers  municipaux  seront  personnellement  respon- 
sables pour  leurs  communes. 

24.  Les  administrateurs  de  département  et  de  district,  et  les 
agens  militaires ,  sont  chargés  d'employer  tous  les  moyens  de 
réquisition  et  d'autorité,  comme  aussi  de  faire  toutes  les  re- 
cherches nécessaires  pour  l'exécution  des  articles  ci-dessus  con- 
cernant l'armement  des  citoyens  à  marcher. 

2o.  Les  citoyens  destinés  à  marcher  sont  à  la  solde  de  la  na- 
tion du  jour  de  leur  inscription ,  et  recevront  la  paie  de  20  sous 
par  jour,  sauf  les  retenues  prescrites  par  les  décrets,  et  seule- 


188  CONVENTION   NATiONALE. 

ment  jusqu'au  jour  de  leur  départ  ordonné  par  les  agens  mili- 
taires. 

26.  Les  agens  militaires  sont  chargés  de  faire  payer  à  chaque 
homme,  dans  les  formes  ordinaires,  ce  qui  lui  revient,  déduction 
faite  de  toute  retenue. 

27.  Tous  les  citoyens  en  route  pour  rejoindre ,  d'après  les 
ordres  qu'ils  en  auront  reçus  des  agens  militaires,  recevront  pen- 
dant toute  leur  route  trois  sous  par  lieue  et  l'étape ,  ainsi  que  les 
volontaires  qui,  ayant  quitté  leurs  drapeaux ,  soit  par  congé  soit 
sans  congé,  rejoindront  avant  le  1"  avril. 

28.  Pour  procurer  la  prompte  et  entière  exécution  des  ar- 
ticles ci-dessus,  le  ministre  de  la  guerre  fera  passer  dans  chaque 
district  de  la  République  le  nombre  d'oîficiers  et  sous-officiers 
qu'il  jugera  nécessaire  pour  suivre  les  détails  de  la  levée;  il  nom- 
mera en  outre  un  commissaire  ou  agent  supérieur  par  dépar- 
tement ,  qui  dirigera  et  surveillera  toutes  les  opérations  en  se 
concertant  avec  les  administrations. 

TITRE  m.  —  Du  complément  des  troupes  achevai  et  d'artillerie. 

Art.  1.  Les  troupes  à  cheval  de  la  République  seront  portées 
au  complet  [de  cent  soixante-dix  hommes ,  par  escadron  fixé  par 
les  décrets ,  par  des  hommes  de  bonne  volonté  pris  dans  les  ba- 
taillons d'infanterie  de  toute  dénomination. 

2.  Les  régimens  d'artillerie  seront  pareillement  complétés  par 
des  hommes  de  bonne  volonté  pris  dans  l'infanterie. 

3.  Toute  autre  augmentation,  soit  dansles  troupes  à  cheval,  soit 
dans  l'artillerie ,  s'effectuera  au  moyen  de  la  levée  ordonnée  par 
le  titre  I"  de  la  présente  loi. 

4.  Si  le  nombre  de  trois  cent  mille  hommes  levés  en  consé- 
quence du  titre  l*^""  est  supérieur  aux  besoins  ,  l'excédent  sera 
réparti  de  la  manière  que  le  ministre  jugera  la  plus  utile. 

Le  conseil  exécutif  provisoire  est  chargé  d'envoyer  le  présent 
décret  aux  administrateurs  de  département  par  des  courriers 
extraordinaires,  et  il  rendra  conipte  à  la  Convention  nationale  de 
son  exécution  tous  les  huit  jours.  Les  adminislralions  de  district 


FÉVRIER  (1793).  i89 

et  de  département  sont  tenues  défaire  connaître  à  fur  et  à  mesure, 
les  premiers  à  celles  de  départemens  ,  et  celles-ci  au  ministre  de 
la  guerre,  les  mesures  qu'elles  auront  prises  pour  rexécution  de 
la  présente  loi. 

Étal  des  hommes  à  fournir  par  chaque  département  y  en  raison  de 
sa  population,  déduction  faite  du  nombre  d'hommes  déjà  fournis , 
et  restés  sov^  les  drapeaux. 

L'Ain,  5,iG0;  l'Aisne,  1,600;  l'Allier,  2,240;  Hautes-Alpes, 
5,280  ;  Basses- Alpes ,  5,280  ;  Ardèche ,  2,040  ;  Ardennes ,  5,040; 
Arriège,  4,600;  l'Aube,  4,o80;  l'Aude,  2,560;  Aveyron ,  2,400. 

Bouches-du-Rliône ,  %ASO. 

Calvados,  2,720;  Cantal ,  5,000  ;  Charente  ,  4,640;  Charente- 
Inférieure,  5,440;  Cher,  5,120;  Corrèze,  2,880;  Côte-d'Or, 
4,560 ;  Côtes-du-Nord ,  6,000 ;  Creuse,  2,889. 

Dordogne,  5,280;  Doubs,  5,680;  Drôme,  2,640. 

Eure,  5,440;  Eure-et-Loir,  2,000. 

Finistère,  4,160. 

Gard ,  4,000  ;  Haute-Garonne ,  5,520  ;  Gers ,  1 ,920  ;  Gironde , 
6,060. 

Hérault ,  5,4i0. 

lUe-et- Vilaine ,  5,120;  Indre,  5,760;  Indre-et-Loire,  4,520; 
Isère,  5,680;  Jura,  1,600. 

Landes,  2,880;  Loir-et-Cher,  2,880;  Haute-Loire,  2,6i0; 
Loire-Inférieure ,  5,760  ;  Loiret ,  5,040  ;  Lot ,  5,440  ;  Lot-et-Ga- 
ronne, 1,920;  Lozère,  6,080. 

Maine-et-Loire ,  5,000 ;  Manche,  5,920;  Marne,  5,920;  Haute- 
Marne,  5,440:  Mayenne,  5,700;  Meurthe,  5,529;  Meuse ,  5,420; 
Morbihan,  4,000;  Moselle,  5,040. 

Nièvre,  5,680;  Nord,  4,000. 

Oise,  4,800;  Orne,  5,700. 

Paris ,  1 2,800  ;  Pas-de-Calais  ,  5,520  ;  Puy-de-Dôme  ,  7,280  ; 
Hautes-Pyrénées ,  2,480  ;  Basses-Pyrénées ,  2,080  ;  Pyrénées- 
Orientales,  620. 
Haut-Rhin,  5,760;  Bas-Rhin ,  5,600;  Rhône-et-Loire ,  6,520. 


J90  CONVENTION  NATIONALE. 

Haute-Saône,  5,160;  Saône-et-Loire,  3,920;  Sarthe >  5,G80 ; 
Seine-et-Oise ,  2,800;  Seine-Inférieure;  2,480;  Seine-et-Marne, 
5.200;  Deux-Sèvres , 0,920 ;  Somme,  5,360. 

Tarn,  1,840. 

Var ,  2,000  ;  Vende'e ,  3,o20  ;  Vienne ,  3,440  ;  Haute-Vienne , 
3,680;  Vosges,  3,920. 

Yonne ,  3,760. 

Décret  pour  l'organisation  du  mhûslère  de  la  guerre. 
Séance  du  2  février. 

Art.  1.  Le  ministre  actuel  de  la  guerre  sera  change;  en  con- 
séquence il  sera  fait  demain ,  par  scrutin ,  une  liste  de  candidats, 
sur  laquelle  il  sera  procédé  lundi ,  par  appel  nominal,  à  l'élection 
d'un  nouveau  ministre.  ' 

2.  Il  y  aura  un  seul  ministre  de  la  guerre. 

3.  Le  ministre  de  la  guerre  aura  six  adjoints ,  qui  travailleront 
directement  avec  lui  dans  les  divisions  déterminées  ci-après,  et 
qui  lui  rendront  compte  de  toutes  leurs  opérations. 

4.  Le  premier  adjoint  sera  chargé  des  appointemens  et  solde 
de  l'armée  de  ligne,  des  volontaires  nationaux,  de  la  gendarme- 
rie nationale ,  des  compagnies  de  vétérans  et  des  invalides  ; 

Du  traitement  des  officiers  généraux ,  aides-de-camp ,  adjudans 
généraux,  commissaires  des  guerres,  adjudans  de  place,  et  em- 
ployés de  toute  espèce,  à  la  réserve  de  ce  qui  concerne  l'artille- 
rie et  le  génie. 

Le  second  adjoint  sera  chargé  de  masses  et  fournitures  de  vi- 
vres, fourrages,  habillemens,  campemens,  remontes,  casernc- 
mens ,  chauffages ,  hôpitaux ,  et  autres  de  toute  espèce ,  ainsi  que 
les  marchés  qui  leur  sont  relatifs,  les  étapes  et  les  convois  mi- 
litaires. 

Le  troisième  adjoint  sera  chargé  de  l'artillerie ,  des  fortifica- 
tions ,  et  de  tout  ce  qui  a  rapport  au  matériel ,  au  personnel ,  aux 
trailemens  et  appointemens  concernant  cette  partie. 

Le  quatrième  adjoint  s'occupera  de  tous  les  détails  relatifs  à 
l'inspection ,  police ,  discipline ,  contrôle  et  manœuvres  des  trou- 


FÉVRIER  (1793).  191 

pes,  des  cours  martiales,  des  crimes  et  délits  militaires,  des 
commissaires  des  guerres ,  de  la  gendarmerie  nationale,  de  la  col- 
lection et  de  l'envoi  des  lois  militaires. 

Le  cinquième  adjoint  s'occupera  de  l'expédition  des  ordres  de 
service  aux  officiers  généraux ,  ainsi  que  la  correspondance  avec 
les  officiers  généraux  ,  les  commandans  temporaires  et  les  corps 
administratifs ,  du  mouvement  et  du  logement  des  troupes ,  des 
projets  de  rassemblement  et  d'embarquement,  âes  garnisons, 
des  vaisseaux,  des  rassemblemens  et  détails  relatifs  aux  volon- 
taires nationaux. 

Le  sixième  adjoint  s'occupera  des  promotions  et  brevets  de 
vétérans ,  de  la  nomination  aux  emplois ,  de  l'avancement  et  du 
remplacement  des  officiers  de  tout  grade,  des  congés,  des  reliefs 
et  retraites,  de  l'expédition  des  brevets  de  pension,  de  l'admis- 
sion aux  invalides  et  des  écoles  militaires  ,  ainsi  que  des  autres 
objets  qui  n'auraient  pas  été  prévus  dans  la  distribution  précé- 
dente. 

5.  Le  comité  de  la  guerre  sera  divisé  en  six  sections.  Chaque 
section  sera  composée  de  cinq  membres ,  qui  correspondront  à 
chaque  section  du  département  de  la  guerre  ;  en  conséquence  il 
sera  adjoint  au  comité  de  la  guerre  six  nouveaux  membres. 

G.  Les  six  adjoints  seront  nommés  par  le  ministre  et  agréés 
par  le  conseil  exécutif.  Le  ministre  fera  connaîlre  à  la  Conven- 
tion nationale  son  choix  et  l'approbation  du  conseil  exécutif, 
dans  le  délai  de  trois  jours ,  à  compter  de  celui  de  la  nomination 
qu'il  aura  faite. 

7.  Les  adjoints  seront  responsables  chacun  en  leur  partie. 
Ils  ne  pourront  être  destitués  qu'en  vertu  d'un  arrêté  du  conseil 
exécutif. 

8.  Les  adjoints  sont  autorisés  à  expédier  des  copies  certifiées 
véritables,  des  ordres  et  missives  des  ministres,  signés  de  lui  et  dé- 
posés dans  les  archives  du  département  de  la  guerre.  lis  auront 
aussi  la  signature  des  ordres  nécessaires  à  l'exécution  des  ordres 
donnés  par  le  ministre. 

9.  Tout  ce  qui  concerne  les  marchés,  fournitures  et  approvi- 


d92  CONVENTION   NATIONALE. 

sionnemens  des  armées  est  renvoyé  au  comité  des  marchés  pour 
présenter  incessamment  un  projet  de  décret.  (Plusieurs  articles 
concernant  les  formalités  pour  les  marchés  sont  renvoyés  à  ce 
comité.  ) 

10.  Il  sera  présenté  dans  trois  jours  un  projet  d'organisation 
provisoire  du  ministère  de  la  marine ,  analogue  à  celui  qui  vient 
d'être  décrété  pour  celui  de  la  guerre. 

11.  Les  comités  de  défense  générale  et  de  constitution  présen- 
teront incessaiiiinent  un  projet  de  réorganisation  provisoire  du 
ministère  appelé  de  l'intérieur. 

Décret  pour  l'organisation  du  ministère  de  la  marine. 
Séance  du  i  4  février. 

Art.  1.  n  y  aura  un  seul  ministre  de  la  marine. 

2.  Le  ministre  de  la  marine  aura  six  adjoints  qui  travailleront 
directement  avec  lui,  dans  les  divisions  déterminées  ci-après ,  et 
qui  lui  rendront  compte  de  toutes  leurs  opérations. 

ù.  L'adjoint  de  la  première  division  sera  chargé  des  ports  , 
constructions,  radoubs  et  refontes,  armemens,  désarmemens, 
instructions  et  mouvemens  des  forces  navales ,  de  l'infanterie  et 
de  l'artillerie,  de  la  marine,  des  batteries ,  des  côtes,  de  l'in- 
spection et  correspondance ,  des  fonderies  et  manufactures  d'ar- 
mes ,  bâtimens  civils  et  travaux  de  Cherbourg. 

L'adjoint  de  la  deuxième  division  sera  chargé  des  approvi- 
sionnemens  et  munitions  navales  et  des  vivres  ,  de  l'inspection  et 
du  martelage  des  bois ,  de  la  destination  des  ingénieurs  et  con- 
tre-maîtres dans  les  forêts,  des  nouveaux  procédés  et  inventions 
qui  ont  rapport  à  la  marine,  projets  de  dépenses  générales, 
chiourmes  ,  hôpitaux  ambulans  et  sédentaires. 

L'adjoint  de  la  troisième  division  sera  chargé  des  nomina- 
tions, promotions,  expéditions  des  brevets  de  tous  grades  civils 
et  militaires  entretenus,  mouvemens  des  troupes  de  la  marine, 
infanterie  et  artillerie,  officiers  de  santé,  de  l'admission  à  la 
demi-solde,  réimpressions,  dépôts  et  envois  des  lois  relatives  à 
la  marine,  et  des  parties  non  prévues  dans  les  autres  articles. 


FÉVRIER  (1793).  193 

L'adjoint  de  la  quatrième  division  s'occupera  des  classes  de 
gens  de  mer ,  police  des  ports  de  commerce  et  de  la  navigation 
marchande,  du  contrôle  des  rôles  d'équipuges,  mouvemens  des 
bâtimens  de  commerce,  des  parcs  et  pêcheries,  des  écoles  d'hy- 
drographie ,  phares,  toues  et  balises ,  des  levées  et  conduites  des 
gens  de  mer ,  et  de  la  tenue  du  double  des  matricules ,  des  ma- 
telots classés,  novices  et  ouvriers  ,  et  du  contentieux  des  prises, 
des  lettres  de  marque,  de  la  correspondance  des  tribunaux  de 
commerce  et  des  autorités  constituées ,  pour  tout  ce  qui  aura  rap- 
port aux  différens  détails. 

L'adjoint  de  la  cinquième  division  s'occupera  de  la  comptabi- 
lité de  la  marine  et  des  colonies ,  de  la  distribution  et  répartition 
des  fonds  de  la  marine  et  des  colonies ,  de  la  correspondance  gé- 
nérale ,  relative  à  la  comptabilité ,  tant  dans  les  porls  que  dans  les 
colonies,  de  la  comptabilité  arriérée,  comptabilité  des  gens  de 
mer,  prises  et  caisses  des  invalides. 

L'adjoint  de  la  sixième  division  s'occupera  des  colonies  occi- 
dentales et  orientales,  des  comptoirs  et  établissemens  sur  les 
côtes  d'Afrique  et  dans  l'Inde,  ainsi  que  des  établissemens  au- 
delà  du  cap  de  Bonne-Espérance ,  de  la  nomination  des  officiers 
miUtaires  entretenus ,  de  l'emploi  des  officiers  civils ,  des  trou- 
pes et  artillerie  des  colonies ,  de  leur  contrôle  et  de  l'examen  des 
projets  relatifs  aux  colonies,  exclusivement. 

4.  Au  moyen  de  ces  dispositions,  l'adnjinislration  des  invalides 
delà  marine  étant  divisée,  le  litre  d'ordonnateur  sera  supprimé. 

o.  Le  comité  de  la  m;irine  sera  divisé  en  six  sections  ;  chaque 
section  sera  composée  de  cinq  membres  qui  correspondront  à 
chaque  section  du  département  de  la  marine  :  en  conséquence, 
il  sera  adjoint  au  comité  de  la  marine  des  nouveaux  membres 
pour  compléter  le  nombre  nécessaire  à  cette  nouvelle  division. 

6.  Les  six  adjoints  nommés  par  le  ministre,  et  agréés  par  le 
conseil  exécutif,  le  ministre  fera  connaître  à  la  Convention  na- 
tionale son  choix,  et  l'approbation  du  conseil  executif  dans  le 
délai  de  trois  jours,  à  compter  de  celui  de  la  nomination  qu'il 
aura  faite. 

T.   XXIV.  13 


i94  CONVENTION   NATIONALE. 

7.  Les  adjoints  seront  responsables ,  chacun  dans  leur  pariie  ; 
ils  ne  pourront  être  destitués  qu'en  vertu  d'un  arrêté  du  conseil 
exécutif. 

8.  Leur  traitement  sera  de  10,000  livres. 

9.  Les  adjoints  sont  autorisés  à  expédier  des  copies  certifiées, 
des  ordres  et  missives  du  ministre  signés  de  lui ,  et  déposés  dans 
les  archives  du  département  de  la  marine  ;  ils  donneront ,  sous 
leur  signature  et  responsabilité  individuelle,  tous  les  ordres  de 
détails  nécessaires  à  l'exécution  des  ordres  généraux  donnés  par 
le  ministre. 

40.  Les  chefs  de  bureau  et  les  commis  seront  nommés  par  le 
ministre ,  sur  la  présentation  des  adjoints. 

11.  Les  adjoints  sont  tenus  d'habiter  l'hôtel  de  la  Marine. 

12.  Le  ministre  de  la  marine  et  ses  adjoints  seront  tenus , 
sous  leur  responsabilité ,  de  pourvoir,  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles ,  sans  aucun  délai ,  aux  approvisionnemens  et  aux  fourni- 
tures nécessaires  au  service  des  ports  et  arsenaux  et  forces  nava- 
les de  la  République. 

15.  Tout  ce  qui  concerne  lés  marchés,  fournitures  et  appro- 
visionnemens de  la  marine  est  renvoyé  au  comité  des  marchés , 
pour  présenter  incessamment  un  projet  de  décret. 

14.  Le  bureau  des  consulats  fera  partie  du  ministère  des  af- 
faires étrangères. 


PARTIE  REVOLCTIONNAIRE. 

Coup  d'œ'il  diplomatique.  —  Histoire  de  la  rupture  de  la  France 
avec  l'Angleterre. 

La  Convention  s'était  déclarée  pouvoir  révolutionnaire  dans 
tons  les  pays  où  les  armées  françaises  pénétreraient.  Elle  avait 
voulu  détourner  de  la  coalition  les  puissances  restées  neutres , 
en  leur  rendant  redoutables  les  extrémités  de  la  guerre.  Mais  la 
condamnation  de  Louis  XVI  et  le  prosélytisme  rapide  des  prin- 
cipes nouveaux  rendirent  universelle  la  ligue  contre  la  France, 


FÉVRIER  (1795).  195 

Au  moment  où  la  seconde  campagne  allait  s'ouvrir,  la  Républi- 
que avait  à  combattre  toutes  les  puissances  de  l'Europe ,  et  ne 
comptait  pas  un  allié. 

Les  intérêts  monarchiques  s'étayaient  principalement  de  con- 
sidérations religieuses  et  morales  ,  soulevant  les  peuples  étran- 
gers contre  une  nation  criminelle.  Un  événement  récent  témoi- 
gnait combien  ces  calculs  avaient  déjà  remué  de  ))assions.  A 
Rome ,  le  15  janvier,  le  consul  Bàsseville  ayant  voulu  substituer 
sur  la  porte  de  son  hôtel  l'écusson  républicain  à  l'écusson  royal, 
le  peuple  s'attroupa,  pilla  son  hôtel,  et  le  consul  lui-même  fut 
mortellement  blessé  au  bas-ventre  d'un  coup  de  rasoir.  Dans 
cette  émeute,  où  l'on  entendait  les  cris  de  Vive  le  pape,  vive  lare- 
ligion!  le  palais  de  l'école  française  de  peintures  fut  aussi  saccôgé 
et  brûlé,  et  plusieurs  élèves  y  périrent  massacrés. 

Mais ,  au  lieu  de  décourager  ou  d'intimider  la  Fr;.nce ,  les  aus- 
pices sous  lesquels  les  hostilités  allaient  recommencer  sur  toute 
l'étendue  de  ses  frontières  ne  servirent  qu'à  exaller  leisentiment 
national.  L'esprit  général  du  temps  dicîa  les  premières  lignes 
d'une  adresse  de  l'armée  en  réponse  à  celle  de  la  Convention  sur 
la  mort  de  Louis  XVL  t  Nous  vous  remercions ,  disent  les  soda!s, 
de  nous  avoir  mis  dans  la  nécessité  de  vaincre.  >  Gonime  le  re- 
marque un  historien  (Toulongeon,  t.  II.  p.  i'io),  «  la  nation 
entière  sentit  que  la  responsabilité  du  coup  s'étendait  à  e'ie,  et 
qu'il  fallait  être  la  première  des  nations,  sous  peine  d'être  la  der- 
nière, ï 

En  déclarant  la  guerre  à  la  Grande-Bretagne ,  la  Convention 
ordonna  que  les  pièces  diplomatiques  écl;angées  depuis  le  12  mai 
1792  seraient  livrées  à  l'impression.  Cette  volumineuse  corres- 
pondance prouve  seulement  que  les  griefs  articulés  par  l'Angle- 
terre contre  le  gouvernement  français  n'avaient  aucun  fonde- 
ment. Mais  c'est  ailleurs  que  dans  ces  né,^;ociations  oflicieiles  qu'il 
faut  chercher  les  motifs  pour  lesquels  le  cabinet  anglais  mit  une 
si  grande  habileté  à  se  faire  déclarer  la  guerre.  «  Les  principes 
révoluiiunnaires  de  la  nouvelle  république  ne  servirent  que  de 
prétexte  ;  car  trois  ans  après ,  à  la  première  suspension  d'armes, 


196  CONVENTION  NATIONALE. 

les  conférences  enlamées,  malgré  ces  principes,  ne  furent  rom- 
pues que  sur  des  difficultés  relatives  à  des  cessions  territoriales.  » 
(  Toulongeon ,  loc.  cit.  )] 

La  politique  astucieuse  de  Pitt  diriga  les  événemens  de  ma- 
nière à  ce  que  l'autorité  royale ,  l'influence  ministérielle  et  l'o- 
pinion tory,  ouvertement  prononcée  contre  toute  réforme,  prissent 
en  Angleterre  une  prépondérance  de  plus  en  plus  absolue.  Trois 
sociétés,  l'une  des  Amis  du  peuple,  l'autre  sous  le  titre  de  Société 
constitutîonneile ,  l'autre  sous  celui  de  Société  des  amis  de  la  ré- 
volution de  1688,  s'étaient  établies  à  Londres.  Ces  sociétés  s'oc- 
cupaient activement  des  moyens  d'obtenir  les  améliorations  que 
réclamaient  depuis  long-temps  les  institutions  de  leur  pays ,  et 
témoignaient  aux  révolutionnaires  français  de  vives  sympathies. 
Déjà,  vers  la  fin  d'avril  i792,  lordGrey,  membre  de  club  des  ilmis 
du  peuple,  avait  soutenu  contre  Pitt  la  nécessité  d'une  prochaine 
réforme  parlementaire. 

Les  désordres  et  les  excès  qui  se  passaient  en  France  étaient , 
entre  les  mains  des  torys ,  un  argument  trop  utile  pour  que  le 
chef  de  celte  opinion  n'abandonnât  entièrement  Louis  XVI  à  la 
pente  fatale  qui  l'entraînait,  si  toutefois  il  n'aidait  à  la  rendre  plus 
rapide.  Certains  historiens  sont  tombés,  selon  nous,  dans  une  exa- 
gération ridicule  lorsqu'ils  ont  attribué  la  révolution  française 
aux  manœuvres  et  à  l'or  de  l'Angleterre.  Mais  on  exagérerait 
aussi  en  sens  contraire  si  l'on  avançait  que  les  intrigues  de  Pitt 
ne  se  mêlèrent  jamais  à  nos  discordes  intestines  pour  les  exciter  ou 
les  aigrir. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que  les  mêmes  hommes  qui  vou- 
laient le  maintien  de  lu  paix  avec  la  France ,  les  Fox ,  les  Shéri- 
dan ,  les  Grey,  les  chefs  en  un  mot  du  parti  whig ,  furent  ceux 
qui  s'intéressèrent  le  plus  au  sort  de  Louis  XVI.  Ils  sommèrent, 
au  nom  de  l'humanité ,  le  ministre  d'intervenir.  Malgré  une 
adresse  aa  roi,  votée  dans  ce  sens  par  la  chambre  des  communes, 
Piit  éiuda  obstinément  toute  démarche  directe  en  faveur  du  mo- 
narque français ,  prétendant  qu'une  intervention  de  ce  genre  se- 


FÉVRIER  (  1795  ).  197 

rail  inopportune  et  stérile.  Au  reste  il  était  sur  le  point  d'attein- 
dre son  but. 

La  mission  de  Chauvelin  avait  commencé  dès  les  premiers 
mois  de  1792;  il  avait  été  précédé  par  Talleyrand,  porteur 
d'une  lettre  confidentielle  de  Louis  XVI  au  roi  d'Angleterre. 
Sans  entrer  daus  les  détails  des  efforts,  tantôt  combinés,  tan- 
tôt séparés,  de  ces  deux  diplomates  pour  maintenir  la  neutra- 
lité anglaise ,  nous  arrivons  sur-le-champ  à  l'époque  où  la  rup- 
ture devient  imminente  :  les  griefs  de  Pitt  se  réduisaient  à  trois 
points  principaux,  savoir  :  1°  l'ouverture  de  l'Escaut;  2°  le  dé- 
cret de  fraternisation  du  19  novembre,  par  lequel  la  Convention 
se  déclarait  pouvoir  révolutionnaire  dans  tous  les  pays  où  ses 
armées  pénétreraient  ;  5°  les  projets  qu'on  supposait  à  la  France 
contre  la  Hollande.  Il  avait  été  répondu  ,  au  nom  du  pouvoir  exé- 
cutif, qu'à  l'égard  du  premier  grief,  la  France  s'aliendail  que 
l'Angleterre  garderait  le  même  silence  qu'elle  avait  gardé  en  178o, 
lorsque  la  même  question  avait  été  agitée  hostilement  par  l'em- 
pereur Joseph  II;  sur  le  second  grief,  que  l'exécution  du  décret 
du  19  novembre  était  d'une  justice  incontestable  à  l'égard  des 
peuples  sous  la  domination  des  puissances  ennemies  de  la  France  ; 
mais  qu'à  l'égard  des  pays  neutres ,  il  était  clair  que  l'intention 
de  la  Convention  n'avait  jamais  été  de  s'engager  à  faire  de  la 
cause  commune  de  quelques  individus  étrangers  celle  de  toute 
la  nation  française  ;  enfin ,  qu'il  serait  à  désirer,  au  sujet  de  la 
Hollande,  que  le  ministère  britannique  ne  se  fût  jamais  plus  mêlé 
du  gouvernement  intérieur  de  cette  république,  qu'il  avait  contri- 
bué à  assevrir,  que  la  France  ne  voulait  s'en  mêler  actuellement. 

Ces  explications  ne  furent  pas  acceptées  ;  cl ,  le  27  novembre, 
en  réponse  à  une  note  de  Chauvelin ,  qui  prenait  le  titre  de  mi- 
nistre plénipotentiaire  de  France,  lord  Granville  exprima  dans 
les  termes  les  plus  formels  qu'il  ne  lui  reconnaissait  d'autre  ca- 
ractère public  que  celui  de  ministre  de  sa  majesté  très-chrétienne. 
Cependant  on  ne  voulait  pas  rompre  encore;  d'un  côté  on  con- 
tinuait avec  Chauvelin  des  communications  extra-officielles,  de 
l'autre  on  faisait  des  ouvertures  à  Dumourier. 


198  CONVENTION  NATIONALE. 

«  Le  ministre  de  France  à  la  Haye,  M.  de  Maulde,  arriva  en 
toute  hâte ,  dans  les  premiers  jours  de  janvier,  à  Paris ,  où  se 
trouvait  alors  Dumourier;  il  lui  dit  que  ,  si  on  désirait  garder  la 
neutralité  avec  la  Hollande  et  l'Angleterre ,  rien  n'était  plus  fa- 
cile ;  qu'à  la  vérité  les  ministres  des  deux  cours  ne  voulaient  ni 
reconnaître  Ja  Convention  ,  ni  traiter  avec  le  ministre  Lebrun  ; 
mais  que  le  grand-pensionnaire  de  Hollande ,  Van  Spiegel ,  et 
l'ambassadeur  d'Angleterre,  mylord  Auckland,  l'avaient  chargé 
d'annoncer  qu'on  traiterait  volontiers  avec  Dumourier.  En  même 
temps  l'agent  secret  Benoît,  qui  arrivait  de  Londres ,  dit  au  mi- 
nistre Lebrun  ,  de  la  part  de  Talleyrand ,  de  Talon  et  autres  émi- 
grés constitutionnels  qui  avaient  des  relations  avec  le  ministère 
anglais ,  que  Pitt  et  le  conseil  de  Saint-James  ne  demandaient  pas 
mieux  que  d'assurer  la  neutralité,  pourvu  que  le  général  Dumou- 
rier fût  chargé  de  la  négociation  ,  et  passât  en  Angleterre  pour 
ia  terminer. 

ï  Les  ministres  Lebrun  et  Garât  furent  d'abord  les  seuls  du 
conseil  exécutif  dans  la  confidence  de  cette  ouverture,  Dumou- 
rier vit  aussitôt  le  parti  qu'il  pourrait  en  tirer;  comme  il  jouissait 
d'un  certain  crédit  dans  les  comités  et  dans  le  conseil,  il  obtint 
que  l'affaire  y  fut  portée,  avec  la  proposition  de  l'envoyer  lui- 
même  en  ambassade  extraordinaire  à  Londres.  Mais  les  ministres 
Ciavières,  Pacha  et  Monge  s'y  opposèrent  par  principe  d'inimitiés 
et  de  jalousie ,  selon  Dumourier  (1) ,  mais  plutôt  parce  que  déjà 
il  causait  de  l'ombrage,  et  qu'on  redoutait  son  ambition.  Du- 
mourier s'étant  concerté  avec  Lebrun  et  Garât ,  il  fut  convenu 
qu'on  suivrait  l'affaire  sans  bruit ,  qu'il  n'en  serait  plus  question 
dans  îe  conseil ,  et  qu'on  attendrait  qu'elle  fût  dans  toute  sa  ma- 
turité pour  la  faire  réussir.  On  renvoya  M.  de  Maulde  à  la  Haye 
avec  une  lettre  pour  mylord  Auckland,  dans  laquelle  on  leur 
annonçait  que  Dumourier  se  trouverait  à  Anvers  le  1'''^  février, 
et  que  !ù  s'ouvriraient  les  conférences.  M.  de  Maulde  était  aussi 


(<)  La  plupartde  ces  faits  sont  tirés  des  Mémoires  mêmes  de  Dumonrier  par  le 
rédacteur  des  Mémoires  que  nous  citons.  (  Note  des  auteurs.  ) 


FÉVRIER  (1793).  199 

chargé  de  pourparlers  confidentiels.  »  {Mémoires  d*un  homme 
d'éto^  t.  II.  p.  95  et  94.  ) 

Ces  combinaisons  étaient  en  pleine  préparation  lorsqu'arriva 
le  21  janvier.  A  la  nouvelle  de  la  mort  de  Louis  XVI,  Ghauvelin 
dut  quitter  Londres  dans  les  vingt-quatre  heures ,  et  le  territoire 
anglais  dans  huit  jours.  La  seule  réponse  au  renvoi  du  ministre 
français  ne  pouvait  être  que  la  déclaration  de  guerre.  Piit  allait 
enfin  achever  d'exploiter,  dans  les  intérêts  de  l'aristocratie  an- 
glaise, des  événemens  qui  lui  avaient  déjà  permis  de  faire  sus- 
pendre la  liberté  individuelle  et  la  liberté  de  la  presse  (  procla- 
mation du  21  mai  1792) ,  et  dont  il  s'était  récemment  autorisé 
(  proclamation  du  1'=''  décembre  de  la  même  année)  pour  obtenir 
un  bill  sur  les  étrangers,  qui  investissait  le  gouvernement  du  droit 
de  renvoyer  hors  du  royaume  ceux  qu'il  jugerait  à  propos  d'ex- 
pulser. Maintenant  la  classe  riche  ne  pouvait  que  se  soumettre 
aux  extensions  d'autorité  royale  que  le  ministère  exigerait  pour 
garantir  la  sûreté  intérieure,  et  consentir  les  taxes  qu'il  lui  plai- 
rait d'imposer.  Mais  pour  cela ,  il  fallait  que  la  France  prît 
l'initiative  de  la  guerre.  La  fermentation  du  peuple  anglais  s'é- 
tait accrue  à  tel  point  depuis  la  révolution  du  10  août,  qu'on  aper- 
cevait à  Londres  tous  les  symptômes  d'un  grand  mouvement.  Pitf, 
hésitant  de  déclarer  la  guerre  à  la  France,  avait  fait  sonder  les  dis- 
positions du  peuple ,  et  un  cri  général  d'opposition  s'était  élevé. 
Une  inscription  affichée  sur  les  murs  du  palais  du  roi  avait  appris 
à  Georges  lll  que  le  signal  de  la  guerre  serait  celui  de  sa  chute. 
Tout  fut  calculé  pour  porter  les  conseils  de  la  France  à  prendre 
l'initiative  de  l'agression  ,  afin  de  leur  imputer  aux  yeux  des 
Anglais  tout  l'odieux  des  hostilités.  Tandis  que  Talleyrand  était 
accueilli ,  protégé,  et  avait  même  encore  des  entretiens  avec  les 
ministres,  Ghauvelin  était  renvoyé  avec  morgue;  et  «  au  mo- 
ment même  où  la  France  était  travaillée  par  les  intrigues  de  Pitt, 
on  écrivait,  presque  sous  sa  dictée,  à  des  membres  influens  de  la 
Convention ,  et  notamment  à  Brissot ,  que  la  déclaration  de 
guerre  serait  le  signal  de  !a  révolution  anglaise ,  que  tout  était 
disposé  à  cet  effet.  »  {Mémoires  d'un  homme  d'état,  loc.  cit.) 


200  CONVENTION   NATIONALE. 

Tels  furent  les  pièges  tendus  par  le  ministre  anglais  au  comité 
diplomatique  de  la  Convention.  Ce  fut  à  ces  inspirations  que  céda 
Brissot  lorsqu'il  vint,  le  1"  février,  proposer  la  déclaration  de 
guerre.  Toulongeon,  à  qui  nous  avons  emprunté  une  grande  par- 
lie  de  notre  notice ,  fait  la  réflexion  suivante  ,  par  laquelle  nous 
terminerons  :  «  Si  quelque  chose  eût  été  capable  de  justifier  les 
épouvantables  excès  auxquels  l'exaspération  porta  bientôt  le 
parti  dominant  en  France  ,  c'était  la  conduite  de  l'Angleterre  et 
celle  des  cours  coalisées  ;  mais  la  postérité  saura  un  jour,  mieux 
qu'on  ne  le  sait  aujourd'hui ,  que  ces  excès  furent  plus  encore 
que  justifiés,  c'est-à-dire  motivés,  excités,  créés  par  une  secrète 
et  coupable  politique  plus  criminelle  encore  que  les  passions 
de  la  haine  et  de  la  rivalité.  »  Ces  prévisions  sont  en  partie  véri- 
fiées par  la  citation  précédente. 


CONVENTION  NATIONALE.  —  SÉANCE  DU   i^'  FEVRIER. 

Présidence  de  Rabaut-Saint-Étienne. 

Brissot.  Citoyens ,  vous  avez  renvoyé  à  votre  comité  de  sûreté 
générale  la  nouvelle  pièce  relative  à  Ja  conduite  de  l'Angleterre 
avec  la  république  française. 

Citoyens,  la  cour  d'Angleterre  veut  la  guerre;  vous  ne  pou- 
vez plus  en  douter.  Le  tableau  de  sa  conduite ,  que  votre  comité 
vous  a  présenté  le  12  janvier  dernier,  et  qu'il  serait  inutile  de  répé- 
ter ici ,  a  dû  vous  préparer  à  cet  événement.  On  pouvait  encore  es- 
pérer à  cette  époque  que  la  raison  ramènerait  le  ministère  anglais 
aux  principes  de  la  justice;  que ,  convaincu  de  la  futilité  de  ses  ré- 
clamations, de  l'injustice  de  ses  procédés  et  de  ses  vexations  envers 
les  Français ,  et  craignant  le  courroux  d'une  nation  qu'il  trompe, 
et  qui  pourrait  à  chaque  instant  ouvrir  les  yeux  à  la  lumière  ;  on 
pouvait  espérer,  dis-je ,  que  ce  ministère  abandonnerait  les  chi- 
canes, et  concourrait  de  bonne  foi ,  avec  le  conseil  exécutif  pro- 
visoire de  la  France ,  à  maintenir  la  paix  entre  les  deux  nations. 


FÉvRiE<n  (  1795).  201 

Celle  espérance,  que  chérissaient  les  hommes  qui  ne  voient  qu'a- 
vec horreur  une  guerre  entre  deux  peuples  libres,  celte  espé- 
rance n'est  plus;  les  vues  hostihs  du  cabinet  de  Londres  sont 
maintenant  à  découvert.  Un  masque  perfide  de  neutralité  les 
voilait  encore;  votre  fermeté  républicaine  a  fait  tomber  ce  mas- 
que. Georges  méditait  secrètement,  et  depuis  long-temps,  la 
guerre  contre  votre  liberté  ;  car  quel  tyran  vous  la  pardonnera 
jamais?  Il  a  corrompu  l'opinion  de  la  nation ,  il  a  effrayé  le  com- 
merce, il  a  ordonné  au  parlement,  il  a  menacé  ses  ministres; 
et  sûr  de  cette  coalition  ,  le  moment  est  arrivé  où  il  croit  pouvoir 
impunément  déployer  ses  forces  contre  votre  liberté.  Il  déclare 
la  guerre,  en  ordonnant  à  votre  ambassadeur  de«ortir  de  l'An- 
gleterre sous  huit  jours;  il  vous  la  déclare,  en  donnant  publique- 
ment des  marques  de  sa  douleur  sur  le  sort  de  ce  conspirateur 
que  vous  avez  justement  condamné  au  supplice  ;  il  vous  la  dé- 
clare, en  demandant  au  parlement,  à  la  nouvelle  de  cette  mort, 
une  addition  considérable  de  forces  de  terre  et  de  mer. 

Périsse  plutôt  l'Angleterre  que  de  voir  la  république  française 
se  consolider,  tel  est,  n'en  douiez  pas,  Français,  le  vœu  barbare 
du  roi  de  la  Grande-Bretagne;  tel  est  le  sens  énergique  de  l'ou- 
trage qu'il  a  fait  à  votre  ambassadeur  et  des  armemens  qu'il  or- 
donne. 

S'il  ne  vous  a  pas  sur-le-champ  et  funestement  déclaré  la 
guerre,  c'est  que  son  ministère  n'a  pas  secondé  avec  assez  d'ac- 
tivité les  ordres  de  sa  vengeance  ;  c'est  que  ses  forces  ne  sont 
pas  encore  préparées  pour  détruire  votre  commerce,  enlever 
vos  colonies,  ravager  vos  campagnes;  c'est  que,  par  un  raffine- 
ment de  machiavélisme,  il  veut  éviter  l'apparence  de  l'agression, 
il  veut  pouvoir  vous  en  accuser  auprès  de  la  nation  anglaise;  il 
veut,  en  un  mot,  populariser,  nationaliser  cette  guerre.  Certes, 
si  le  peuple  anglais  ne  se  fût  pas  laissé  entraîner  à  l'impulsion  de 
son  ministère;  s'il  eût  examiné  avec  quelque  attention  les  calom- 
nies répandues  ù  grands  frais  contre  nous ,  il  n'aurait  vu  dans  les 
forfaits  qu'on  nous  reproche  que  les  crimes  de  quelques  indivi- 
dus; il  n'aurait  vu  dans  la  France  qu'un  esprit,  qu'un  vœu; 


202  CONVENTION  NATIONALE. 

dans  notre  révolution ,  que  la  conquête  légitime  de  nos  droits  ; 
dans  notre  régime  républicain,  que  le  régime  le  plus  sur  pour 
maintenir  la  liberté  et  l'égalité  ;  il  n'aurait  vu  enfin  dans  le  sup- 
plice de  Louis  qu'un  grand  acte  de  justice  ;  et,  convaincu  de  ces 
vérités,  le  peuple  anglais  dirait  à  son  roi  :  Les  Français  veulent 
être  républicains,  ils  ont  aboli  la  royauté,  puni  leur  roi,  ils 
avaient  droit  de  le  faire.  Leur  déclarer  la  guerre  pour  les  en 
punir  serait  un  acte  d'injustice  et  la  violation  du  droit  des  na- 
tions, du  droit  sacré  de  leur  indépendance.  Les  Français  ne  nous 
combattent  pas  parce  que  nous  avons  un  roi.  De  quel  droit  les 
combattrions-nous  parce  qu'ils  n'en  ont  point?  Nous  pouvons 
continuer  d'être  frères,  quoique  sous  un  régime  différent. 

Telle  est  la  pensée,  citoyens,  qui  s'est  sans  doute  emparée  de 
la  plus  grande  partie  des  esprits  en  Angleterre ,  en  voyant  les 
actes  d'hostilité  du  roi  Georges;  pensée  qui,  sans  la  terreur  des 
baïonnettes ,  se  serait  déjà  manifestée  dans  un  pays  où  la  raison 
est  cultivée  parmi  toutes  les  classes;  et  partout  où  la  raison 
se  cultive,  la  république  française  re  peut  être  long-temps  sous 
un  anaihème  populaire;  et  voilà  pourquoi  celte  guerre  contre 
la  France,  qu'on  est  parvenu,  par  tant  d'intrigues  et  de  dépenses, 
à  rendre  populaire  en  Angleterre;  voilà  pourquoi,  dans  peu  de 
temps,  elle  n'y  sera  qu'un  objet  d'horreur  et  d'exécration. 

Sans  doute,  le  sang  qui  va  se  verser  rejaillira  sur  la  tête  de  ces 
ministres  perfides,  qui  ne  craignent  pas  de  sacrifier  des  nations 
entières  aux  petits  calculs  de  leur  ambition  ;  de  ces  minisires  qui 
spéculent  sur  la  fin  ou  le  discrédit  de  nos  assignats,  comme  sur 
le  terme  de  notre  liberté.  Ils  ignorent  donc  qu'une  hypothèque 
immense  leur  sert  de  base;  ils  oublient  donc  que  les  Américains 
furent  liljres  long-temps  après  la  mort  de  leur  propre  monnaie? 

Ces  ministres  ne  finiront  pas  leurs  jours  au  sein  de  la  tranquil- 
lité ,  comme  ce  Norlh  et  ses  complices,  dont  on  crut  punir  suffi- 
samment, par  une  disgrâce  ministérielle  ,  le  forfait  atroce  de  la 
guerre  d'Amérique.  La  nation  anglaise,  une  fois  éclairée  par  notre 
exemple,  fera  justice  aussi  de  ces  conspirateurs  en  place.  La  co- 
médie de  l'éternel  procès  de  Hastings  ne  se  renouvellera  plus,  et 


4 


FÉVRIER  (1795).  203 

les  ëchafauds  serviront  encore  une  fois  aux  Sirafford  et  aux  Laud 
du  régime  actuel ,  comme  aux  simples  brigands. 

11  est  une  idée  qui  doit  électriser  vos  âmes,  citoyens:  ce  n'est 
pas  pour  vous  seuls  que  vous  allez  combattre ,  c'est  pour  toutes 
les  n^ons  de  l'Europe.  Une  partie  de  vos  ennemis  même  recueil- 
lent déjà  les  fruits  de  votre  intrépidité  ;  car  les  rois  craignent 
maintenant  de  vexer,  d'imposer  même  leurs  peuples.  Trois  mil- 
lions d'hommes  en  Irlande  vont  être  affranchis ,  parce  que  vos 
principes  ont  touché  leurs  rivages. 

C'est  l'Europe  entière,  ou  plutôt  ce  sont  tous  les  tyrans  de 
l'Europe  que  vous  avez  maintenant  à  combattre  et  sur  terre  et 
sur  mer. 

Il  faut  que  le  commerçant  oublie  son  commerce  pour  n'être 
plus  qu'armateur  ;  que  le  capitahsle  consacre  enfin  ses  fonds  à 
soutenir  nos  assignats,  à  subvenir  au  besoin  du  numéraire;  que 
le  propriétaire  ei  le  laboureur  renoncent  à  toute  spéculation  et 
portent  l'abondance  dans  nos  marchés  ;  il  faut  que  tout  citoyen 
soit  prêt  à  marcher  comme  un  soldat  romain,  c'est-à-dire,  non- 
seulement  avec  ses  armes,  mais  avec  des  provisions  pour  un 
temps  donné  ;  et  par-là  vous  déjouerez  les  calculs  de  vos  ennemis 
sur  le  vide  de  vos  magasins.  Il  faut  que  tous  les  Français  ne  fas- 
sent qu'une  grande  armée;  que  toute  lu  France  soit  un  camp.  Il 
faut  se  préparer  aux  revers,  s'accoutumer  aux  privations.  L'ins- 
tant approche  où  ce  sera  un  crime  pour  tout  citoyen  d'avoir  deux 
habits  si  un  seul  de  nos  frères  soldats  est  nu. 

En  déclarant  que  la  France  est  en  guerre  avec  le  gouvernement 
anglais,  c'est  déclarer  qu'elle  l'est  avec  le  stathouder,  qui  est  plutôt 
le  sujet  que  l'jillié  du  cabinet  de  Saint-James;  qui ,  se  prêtant  à 
toutes  ses  passions ,  a ,  dans  le  cours  de  la  révolution ,  favorisé 
les  émigrés  et  les  Prussiens ,  vexé  les  Français ,  traité  avec  inso- 
lence le  gouvernement;  et  j'en  atteste  ici  l'cloignement  des  fabri- 
cateurs  de  faux  assignais  arrêtés  en  Hollande  :  et  ce  stathouder 
qui  mainterani,  pour  soutenir  la  guerre  du  cabinet  de  Londres, 
joint  ses  vaisseaux  aux  vaisseaux  anglais,  favorise  les  ennemis  en 
traversant  notre  importation  des  grains. 


204  CONVENTION   NATIONALE. 

D'après  toutes  ces  considérations,  votre  comité  diplomatique 
vous  propose  le  projet  de  décret  suivant  : 

Décret  sur  la  déclaration  de  guerre  contre  le  roi  d'Angleterre  et  le 
statliouder  de  Hollande.  ^ 

La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport  de 
son  comité  de  défense  générale,  sur  la  conduite  du  gouverne- 
ment anglais  envers  la  France , 

Considérant  que  le  roi  d'Angleterre  n'a  cessé,  principalement 
depuis  la  révolution  du  10  août  1792,  de  donner  à  la  nation  fran- 
çaise des  preuves  de  sa  malveillance  et  de  son  attachement  à  la 
coalition  des  têtes  couronnées; 

Qu'à  cette  époque ,  il  a  ordonné  à  son  ambassadeur  à  Paris 
de  se  retirer ,  parce  qu'il  ne  voulait  pas  reconnaître  le  conseil 
exécutif  provisoire ,  créé  par  l'assemblée  législative  ; 

Que  le  cabinet  de  Saint-James  a  discontinué  à  la  même  époque 
de  correspondre  avec  l'ambassadeur  de  France  à  Londres,  sous 
prétexte  de  la  suspension  du  ci-devant  roi  des  Français  ; 

Que,  depuis  l'ouverture  de  la  Convention  nationale ,  il  n'a  pas 
voulu  répondre  à  la  correspondance  accoutumée  entre  les  deux 
états ,  ni  reconnaître  les  pouvoirs  de  cette  Convention  ; 

Qu'il  a  refusé  de  reconnaître  l'ambassadeur  de  la  république 
française,  quoique  muni  de  lettres  de  créance  en  son  nom  ; 

Qu'il  a  cherché  à  traverser  les  divers  achats  de  grains ,  armes 
et  autres  marchandises  commandés  en  Angleterre ,  soit  par  des 
citoyens  français ,  soit  par  des  agens  de  la  république  française; 

Qu'il  a  fait  arrêter  plusieurs  bateaux  et  vaisseaux  chargés  de 
grains  pour  la  France,  tandis  que,  contre  le  tenu  du  traité 
de  1786,  l'exportation  en  continuait  pour  d'autres  pays  étran- 
gers; 

Que,  pour  traverser  encore  plus  efficacement  les  opérations 
commerciales  de  la  République  en  Angleterre ,  il  a  fait  prohiber 
par  un  acte  de  parlement  la  circulation  des  assignats  ; 

Qu'en  violation  de  l'article  4  du  traité  de  1786,  il  a  fait  rendre 
par  le  même,  dans  le  cours  du  mois  de  janvier  dernier ,  un  acte 


FÉVRIER  (1793).  20S 

qui  assujettit  tous  les  citoyens  français,  résidant  ou  venant  en 
Angleterre,  aux  formes  les  plus  inquisitoriales ,  les  plus  vexatoi- 
res  et  les  plus  dangereuses  pour  leur  sûreté  ; 

Que  dans  le  même  temps,  et  contre  le  tenu  de  l'article  l^'  du 
traité  de  paix  de  1786  ,  il  a  accordé  une  protection,  des  secours 
d'argent  aux  émigrés ,  et  même  aux  chefs  des  rebelles ,  qui  ont 
déjà  combattu  contre  la  France  ;  qu'il  entretient  avec  eux  une 
correspondance  journalière  et  évidemment  dirigée  contre  la  révo- 
lution française,  qu'il  accueille  pareillement  les  chefs  des  rebelles 
des  colonies  françaises  occidentales  ; 

Que  dans  le  même  esprit,  sans  qu'aucune  provocation  y  ait 
donné  lieu ,  et  lorsque  toutes  les  puissances  maritimes  sont  en 
paix  avec  l'Angleterre  ,  le  cabinet  de  Saint-James  a  ordonné  un 
armement  considérable  par  mer  et  une  augmentation  à  ses  forces 
de  terre  ; 

Que  cet  armement  a  été  ordonné  au  moment  où  le  ministère 
anglais  persécutait  avec  acharnement  ceux  qui  soutenaient  en 
Angleterre  les  principes  de  la  révolution  française,  et  employait 
tous  les  moyens  possibles ,  soit  au  parlement ,  soit  au-dehors , 
pour  couvrir  d'ignominie  la  république  française ,  et  pour  atti- 
rer sur  elle  l'exécration  de  la  nation  anglaise  et  de  l'Europe  en- 
tière ; 

Que  le  but  de  cet  armement  destiné  contre  la  France ,  n'a  pas 
même  été  déguisé  dans  le  parlement  d'Angleterre  ; 

Que,  quoique  le  conseil  exécutif  provisoire  de  France  ait  em- 
ployé toutes  les  mesures  pour  conserver  la  paix  et  la  fraternité 
avec  la  nation  anglaise ,  et  n'ait  répondu  aux  calomnies  et  viola- 
tions des  traités  que  par  des  réclamations  fondées  sur  les  prin- 
cipes de  la  justice  et  exprimées  avec  la  dignité  d'hommes  libres , 
le  ministère  anglais  a  persévéré  dans  son  système  de  malveil- 
lance et  d'hostilité ,  continué  les  armemens ,  et  envoyé  une  esca- 
dre vers  l'Escaut,  pour  troubler  les  opérations  de  la  France  dans 
la  Belgique; 

Qu'à  la  nouvelle  de  l'exécution  de  Louis ,  il  a  porté  l'outrage 
envers  la  république  française  au  point  de  donner  ordre  à  l'am- 


^6  CONVENTION   NATIONALE. 

bassadeur  de  France  de  quitter  sous  huit  jours  le  territoire  de  la 
Grande-Bretagne  ; 

Que  le  roi  d'Angleterre  a  manifesté  son  attachement  à  la  cause 
de  ce  traître,  et  son  dessein  de  la  soutenir  par  diverses  résolu- 
tions prises  au  moment  de  sa  mort,  soit  pour  nommer  les  géné- 
raux de  son  armée  de  terre ,  soit  pour  demander  au  parlement 
d'Angleterre  une  addition  considérable  de  forces  de  terre  et  de 
mer ,  ordonner  l'équipement  de  chaloupes  canonnières  ; 

Que  sa  coalition  secrète  avec  les  ennemis  de  la  France ,  et  no- 
tamment avec  l'empereur  et  la  Prusse ,  vient  d'être  confirmée 
par  un  traité  passé  avec  le  premier  dans  le  mois  de  janvier 
dernier; 

Qu'il  a  entraîné  dans  la  même  coalition  le  stathouder  des  Pro- 
vinces-Unies ;  que  ce  premier ,  dont  le  devoûment  servile  aux 
ordres  des  cabinets  de  Saint-James  et  de  Berlin  n'est  que  trop 
notoire,  a,  dans  le  cours  de  la  révolution  française,  et  malgré  la 
neutralité  dont  il  proteste,  traité  avec  mépris  les  agens  de  France, 
accueilli  les  émigrés ,  vexé  les  patriotes  français,  traversé  !< uis 
opérations,  relâché,  malgré  l'usage  reçu  et  malgré  la  demande 
du  ministère  français,  des  fabricatenrs  de  faux  assignats;  que, 
dans  les  derniers  temps ,  pour  concourir  aux  desseins  hostiles  de 
la  cour  de  Londres ,  il  a  ordonné  un  armement  par  mer ,  nommé 
un  amiral,  ordonné  à  des  vaisseaux  hollandais  de  joindre  l'esca- 
dre anglaise ,  ouvert  un  emprunt  pour  subvenir  aux  frais  de  la 
guerre ,  empêché  les  exportations  pour  la  France ,  tandis  qu'il 
favorisait  les  approvisionnemens  des  magasins  prussiens  et  autri- 
chiens ; 

Considérant  enfin  que  toutes  les  circonstances  ne  laissent  plus 
à  la  république  française  d'espoir  d'obtenir  par  la  voie  de  négo- 
ciations amicales  le  redressement  de  ces  griefs ,  et  que  tous  les 
actes  de  la  cour  britannique  et  de  Hollande  sont  des  actes  d'hosti- 
lités, et  équivalent  à  une  déclaration  de  guerre; 

La  Conveniion  naiionale  décrète  ce  qui  suit  ; 

Art.  i.  La  Convention  nationale  déclare,  au  nom  de  la  nation 
française,  qu'attendu  les  actes  rauItipUés  d'hostilités  et  d'agrès- 


FÉVRIER  (1793).  207 

sions  ci-dessus  menlionnés ,  la  république  française  est  en  guerre 
avec  le  roi  d'Angleterre  et  le  staihouder  des  Provinces-Unies. 

2.  La  Convention  nationale  charge  le  conseil  exécutif  provi- 
soire de  déployer  les  forces  qui  lui  paraîtront  nécessaires  pour 
repousser  les  agressions  et  pour  entretenir  l'indépendance,  la 
dignité,  les  intérêts  delà  répuljlique  française. 

5.  La  Convention  nationale  autorise  le  conseil  exécutif  provi- 
soire à  disposer  des  forces  navales  de  la  Képublique  ainsi  que 
l'intérêt  de  l'état  lui  paraîtra  l'exiger,  et  elle  révoque  toutes  les 
dispositions  particulières  ordonnées  à  cet  égard  par  les  précédens 
décrets. 

—  Le  décret  est  porté  à  l'unanimité.  Sur  la  proposition  de 
Fabre-d'Eglantine ,  et  après  une  courte  délibération  ,  on  décide 
qu'il  sera  fait  une  adresse  au  peuple  anglais,  au  nom  de  la  na- 
tion française ,  et  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  qui  se  trouvent 
en  France  sont  sous  la  protection  de  la  loi. 

Bapport  sur  la  situalion  des  finances,  et  sur  la  création  de  huit 
cent  millions  en  assignats. 

Cambon,  au  nom  du  comité  des  finances.  Citoyens ,  la  guerre 
que  le  ministre  anglais  vous  force  de  soutenir  pour  le  maintien 
delà  liberté  diffère  essentiellement  de  celles  que  nous  avions 
autrefois  avec  le  même  gouvernement.  Il  ne  faut  pas  se  dissimuler 
qu'on  vous  opposera  tous  les  moyens  financiers  et  tous  les 
moyens  de  forces  de  la  Grande-Bretagne. 

Le  ministre  des  despotes  ne  cesse  de  répéter  qu'il  ne  s'agit  pas 
moins  que  de  couper  à  la  République  tous  les  secours  de  l'é- 
tranger en  fait  de  subsistances,  de  l'entraîner  dans  des  dépenses 
énormes,  de  déprécier  les  changes,  notre  crédit,  d'épuiser  nos 
finances  ,  de  nous  conduiie  à  la  dernière  émission  d'assignats  ; 
enfin  de  nous  faire  tomber  dans  l'impuissance  absolue  de  sou- 
doyer nos  armées  :  d'où  ils  concluent  que  les  soldats  de  la  liberté 
se  disperseront ,  que  leur  soulèvement  sera  inévitable,  etconsé- 
quemment  que  la  France  entière  sera  dans  la  plus  grande  con- 
fusion, et  à  la  merci  des  armées  étrangères. 


208  CONVENTION   NATIONALE. 

Qu'ils  connaissent  peu  l'esprit  de  liberté  qui  nous  anime ,  et  le 
désintéressement  de  tous  les  Français  !  D'ailleurs  notre  réponse 
ù  toutes  ces  espérances  sera  la  publicité  de  notre  bilan  ;  lui  seul 
doit  les  faire  trembler.  Déjà  vous  avez  annoncé  à  l'Europe  que 
vous  aurez  sur  pied  cinq  cent  deux  mille  hommes  de  troupes  de 
terre  ;  vous  avez  décrété  aujourd'hui  que  vous  emploirez  toutes 
vos  forces  de  mer,  que  vous  ne  négligerez  rien  pour  assurer  votre 
liberté  et  égalité,  et  pour  l'établir  chez  nos  voisins  qui  nous  at- 
taquent. Je  me  bornerai  dans  ce  moment  à  vous  rendre  compte 
de  l'état  de  vos  finances ,  de  la  nécessité  où  vous  vous  trouvez  de 
faire  une  nouvelle  création  d'assignats.  Je  ne  vous  présenterai 
pas  le  tableau  des  dépenses  extraordinaires  que  peuvent  néces- 
siter les  circonstances  :  tous  les  Français  doivent  les  connaître,  et 
tout  le  monde  doit  savoir  que  nous  n'avons  rien  à  épargner  pour 
conserver  notre  indépendance,  sans  laquelle  nous  serions  ruinés.  Je 
me  bornerai  à  vous  présenter  quelles  sont  les  ressources  qui 
vous  restent  pour  repousser  les  ennemis  de  la  souveraineté  du 
peuple  :  elles  sont  telles,  j'ose  le  dire ,  que  nous  parviendrons  à 
épuiser  toutes  celles  que  les  despotes  ont  réunies  contre  nous  ; 
elles  ont  un  avantage  inappréciable  de  pouvoir  être  employées 
sans  intermédiaire  des  agens  de  finances,  sans  avoir  recours  à  ces 
emprunts  usuraires  qui  ruinent  et  la  génération  présente  et  la 
génération  future  ;  elles  sont  telles,  qu'elles  pourront  nous  dis- 
penser, au  moins  pendant  trois  ans,  d'avoir  recours  à  des  contri- 
butions extraordinaires  :  ainsi,  si  nous  sommes  obligés  de  quitter 
nos  affaires  et  d'abandonner  nos  foyers  pour  aller  combattre  les 
ennemis  de  la  pairie  ,  nous  ne  serons  point  dans  le  cas  d'exiger 
des  contributions  extraordinaires. 

Les  ressources  de  la  République  sont  de  deux  espèces  :  les  re- 
cettes ordinaires  et  extraordinaires.  Il  est  essentiel ,  pour  former 
votre  opinion  sur  les  ressources  que  nous  pouvons  avoir ,  que  je 
vous  présente  le  tableau  des  recettes  ordinaires  et  extraordinaires 
de  1792.    i: 

Les  recettes  ordinaires  se  divisent  en  contributions  directes  et 
indirectes,  et  revenus  des  biens  nationaux. 


FÉVRiEU{1793).  '  209 

Les  recettes  extraordinaires  sotit  le  produit  de  l'allënaiion  des 
fonds  territoriaux  appartenant  à  la  nation  par  la  création  suc- 
cessive des  assignats. 

Sous  l'ancien  régime  les  contributions  que  nous  appelons  di- 
rectes ,  parce  qu'elles  sont  versées  directement  des  mains  des 
contribuables  dans  le  trésor  public,  ne  pouvaient  s'élever,  malgré 
les  efforts  du  despotisme,  qu'à  !213  millions.  C'est  un  fait  convenu 
dans  tous  les  anciens  étals  de  finances.  Eh  bien  !  cette  Répu- 
blique qu'on  représente  dans  l'anarchie,  qu'on  dit  sans  cesse  être 
aux  abois,  qu'on  représente  sans  ressources  et  sans  hommes,  a 
payé,  dans  l'année  i792,  20(3  millions  de  contributions  directes. 
Conséquemment  le  peuple  a  payé  volontairement  ce  que  le  des- 
potisme avait  peine  ù  obtenir.  Et  cette  leçon  servira  à  nos  en- 
nemis; elle  leur  prouvera  que  les  Français  veulent  absolument  être 
libres,  et  qu'ils  font  tous  les  sacrifices  qui  sont  en  leur  pouvoir 
pour  obtenir  leur  indépendance;  elle  nous  prouvera  que,  si  les 
administrateurs  faisaient  leur  devoir  ,  il  nous  serait  facile  d'at- 
teindre l'estimation  du  produit  des  contributions  directes,  puis- 
que, malgré  le  retard  qu'on  a  mis  dans  la  confection  des  rôles, 
le  peuple  s'est  imposé  d'acquitter  plus  des  deux  tiers  de  ce  pro- 
duit. 

Voici  le  détail  des  contributions  directes  qui  ont  été  versées  à 
la  trésorerie  depuis  le  premier  janvier  1792  jusqu'au  premier 
janvier  1793.  Contributions  directes  de  4791 ,  foncières,  mo- 
bilières, et  patentes,  141,212,497  livres;  mêmes  contributions 
pour  l'année  1792 ,  dont  les  rôles  ne  sont  faits  qu'en  partie, 
4,926,661  livres;  contributions  directes  de  1790  et  autres  années 
antérieures,  17,557,972  liv.;  contribution  patriotique,  41,832,745 
livres.  Ce  dernier  article  de  recette  est  très-important  ;  il  vous 
donne  la  preuve  que,  si  nous  avions  besoin  de  recourir  aux  con- 
tributions extraordinaires  ,  nous  trouverions  aisément  des  res- 
sources dans  la  nation  pour  pouvoir  subvenir  au  déficit  qui 
pourrait  se  trouver  dans  la  rentrée  des  contributions  directes. 

Avec  de  l'ordre  nous  devons  espérer  une  plus  grande  per- 
ception dans  l'année  1793,  en  provoquant  I\  rentrée  de  l'ar- 
T.  xxiv.  1 1 


210  CONVENTION   NATIONALE. 

riëré ,  qui  monte  à  Gi8  millions.  C'est  vers  ce  but  que  doivent 
tendre  toutes  nos  sollicitudes ,  et  porter  notre  surveillance  sur 
les  ministres  et  les  administrateurs ,  pour  qu'ils  veillent  à  la  ren- 
trée de  cet  arriéré.  Un  point  essentiel  pour  y  parvenir,  c'est  de 
conserver  les  administrations  qui  existent ,  puisqu'elles  ont  été 
renouvelées  après  la  révolution  du  10  août;  c'est  en  leur  accor- 
dant de  la  confiance,  en  les  encourageant,  en  leur  représentant 
les  besoins  de  la  patrie,  que  nous  pouvons  obtenir  la  rentrée  de 
ces  fonds ,  qui  nous  sont  nécessaires  cette  année  pour  faire  les 
plus  grands  efforts  contre  nos  ennemis  ,  et  les  mettre  dans  l'im- 
possibilité de  recommencer  une  seconde  campagne.  La  nation 
nous  secondera  ;  elle  fera  un  effort  pour  acquitter  l'arriéré ,  et 
alors  on  pourra  dire  :  En  1793  la  nation  s'est  levée  en  finance , 
comme  elle  s'est  levée  armée  au  mois  d'août  i792. 

Les  contributions  indirectes  sont  composées  du  produit  des 
postes ,  des  douanes ,  du  timbre  et  de  l'enregistrement ,  des  mes- 
sageries et  des  loteries;  elles  ont  rapporté  en  4792,  savoir:  l'ar- 
riéré des  postes ,  des  douanes ,  du  timbre  et  des  messageries  de 
1791  :  16,625,671  livres  ;  et  pour  l'exercice  de  1792:  70,74<),o22 
livres.  Le  produit  des  contributions  indirectes  a  été  beaucoup 
plus  rapproché  de  l'estimation  qu'on  en  avait  faite  ,  puisqu'il 
n'offre  qu'un  déficit  de  quatre  millions,  ce  qui  provient  d'un 
plus  grand  ordre  dans  les  administrations  qui  ont  éprouvé  moins 
de  secousses  et  de  variations;  nous  pouvons  augmenter  les  re- 
cel tes  de  1795  par  les  impositions  indirectes ,  sans  grever  le 
peuple ,  en  perfectionnant  la  perception  du  droit  du  timbre  et 
d'enregistrement ,  et  par  une  augmentation  de  droit  sur  les  mu- 
tations, en  compensation  des  droits  de  lods  que  nous  avons  sup- 
primés. Votre  comité  des  finances  vous  présentera  incessamment 
un  plan  sur  cet  objet,  et  je  crois  pouvoir  vous  annoncer  une 
augmentation  de  trente  millions  sur  cette  partie,  si  nous  par- 
venons à  le  décréter  bientôt. 

Les  fruits  des  domaines  nationaux  forment  une  recette  de  60 
millions;  ils  ont  été  cependant  d'un  produit  plus  considérable, 
et  on  peut  l'estimer  environ  80  niillions  ;  mais  il  a  été  impossible 


FÉvuiEu  (  1795).  :2fl 

de  le  préciser,  parce  que,  les  iniérêts  des  sommes  d  ues  par  les  ac- 
quéreurs des  domaines  nationaux  ét«nî  payés  ensemble  avec  les 
capitaux ,  les  assignats  en  provenant  se  sont  trouvés  confondus  , 
et  ont  été  annulés  et  brûlés  ;  nous  parviendrons  peut-être  à  ob- 
tenir un  ordre  de  comptabilité  qui  distinguera  le  produit  des 
fruits  et  iniérêts  des  biens  nationaux  du  produit  des  capitaux  de 
ces  mêmes  biens,  afin  d'en  former  un  compte  séparé  et  im 
article  de  revenu  fixe.  Les  revenus  des  biens  nationaux  augmen- 
teront considérablement  en  1795,  par  le  produit  des  biens  des 
émigrés.  Déjà  cette  recette ,  que  nous  faisons  verser  depuis  le 
mois  d'octobre  dernier  dans  une  caisse  à  trois  clefs,  s'élève,  dans 
une  augmentation  très-progressive ,  à  environ  14  ou  15  millions. 
Le  premier  mois  a  produit  500,000  liv.  ;  le  second  2,500,000 
liv.  ;  le  troisième  5  millions;  et  le  quatrième  produira  environ 
8  à  9  millions.  A  peine  commençons-nous  à  voir  se  développer 
cette  partie  de  la  fortune  publique ,  sur  laquelle  nous  n'avions  au- 
cun renseignement.  S'il  faut  en  croire  les  aperçus  qu'on  nous  a 
fournis ,  le  revenu  des  émigrés  doit  produire  une  ressource  de 
120  à  150  millions  pour  1795. 

Les  recettes  de  1792  ont  été  composées  de  divers  objets 
qui  ne  sont  que  d'une  rentrée  éventuelle  ;  elles  ont  produit, 
par  la  vente  du  tabac,  12,0&i,287  livres;  par  celle  des  sels 
5,219,452  liv.  ;  par  l'arriéré  de  comptabilité,  par  la  rentrée  de 
diverses  créances  dues  au  trésor  public,  et  par  le  produit  des 
cloches  et  argenteries  des  églises ,  44,715,715  livres  :  total 
598,999,452  liv.  En  1795  nous  pourrons  avoir  une  recette  par 
la  vente  du  tabac  et  du  sel  qui  restent  invendus;  et,  si  nous  met- 
tons une  grande  surveillance,  par  la  rentrée  de  l'arriéré  de  comp- 
tabilité, nous  pourrons  nous  procurer  des  secours  très-considé- 
rables. Celte  partie  n'a  jamais  été  connue  ni  du  corps  constituant, 
ni  du  corps  législatif,  et  ce  n'est  qu'en  remuant  cette  fange  finan- 
cière que  nous  voyons  sortir  l'espoir  d'en  tirer  quelques  produits. 
Il  règne,  depuis  plus  d'un  siècle,  un  désordre  affreux  dans  cette 
partie;  il  est  d'une  telle  nature  que  personne  ne  peut  présenter 
un  aperçu  approximatif  de  ce  qui  est  dû  à  la  nation.  Cedésordre 


âiâ,  CONVENTION  NATIONALE. 

provient  en  grande  partie  de  la  division  des  administrations.*  on 
a  créé  un  bureau  pour  liquider  l'ancienne  compagnie  des  Indes , 
et  un  bureau  pour  procurer  !a  rentrée  de  ce  qui  est  du  pour  les 
achats  de  grains  faits  en  1789.  La  trésorerie  nationale  est  ciiar- 
gée  de  poursuivre  la  rentrée  de  ce  qui  est  dû  au  trésor  public. 
Chaque  département  ministériel  doit  avoir  des  arriérés  de  comp- 
tabilité dont  personne  ne  poursuit  la  rentrée;  il  existe  un  bureau 
de  liquidation  pour  l'arriéré  de  la  régie  des  fermes,  un  autre 
pour  celle  des  domaines  ;  et  dans  toutes  les  chambres  des  comp- 
tes ,  on  y  retrouve  des  arriérés  très-considérables ,  dont  personne 
ne  poursuit  la  rentrée.  Je  ne  crains  pas  de  le  dire ,  ces  diverses 
sommes  réunies  pourront  se  montrer  à  2  ou  500  millions  ;  elles 
n'étaient  portées,  dans  les  comptes  du  corps  législatif,  que 
pour  31  millions  en  arriérés  de  comptabilité  et  100  millions  de 
mauvaises  dettes.  II  ne  faut  pas  se  flatter  que  ce  capital  rentre  en 
entier  dans  le  trésor  public ,  il  a  été  dilapidé  en  partie ,  ou  aban- 
donné par  des  faveurs  ministérielles ,  et  ce  n'est  qu'avec  une 
surveillance  très-active  et  après  des  poursuites  judiciaires  que 
nous  pourrons  espérer  d'en  obtenir  le  recouvrement.  Cependant, 
si  nous  parvenons  à  simplifier  les  formes  judiciaires  dans  toutes 
ces  réclamations,  nous  pourrons  procurer  une  recette ,  en  1793, 
de  20  à  50  millions.  Déjà,  depuis  la  réunion  de  la  Convention,  et 
depuis  le  décret  qui  a  réuni  à  un  centre  commun  les  caisses  épar- 
ses ,  la  trésorerie  a  reçu  10  à  12  millions.  Cet  objet  mérite  toute 
votre  attention ,  et  le  comité  des  finances  vous  propose  un  projet 
de  loi  qui ,  en  simplifiant  les  formes  judiciaires ,  donnera  un 
mouvement  salutaire  à  celte  partie  de  la  richesse  publique. 

La  recette  de  1792  a  été  composée  des  versemens  de  la  caisse 
de  l'extraordinaire  à  la  trésorer  ie  nationale  en  assignats  provenus 
des  diverses  créations  qui  ont  été  décrétées.  Cette  receltc  pro- 
vient du  produit  de  l'aliénation  des  capitaux  qui  étaient  entre  les 
mains  de  cette  caste  privilégiée  qui,  portant  le  Christ  d'or  à  la 
main ,  arrachait  îe  produit  de  la  sueur  des  peuples,  et  qui  ont  été 
réservés  pour  opérer  la  plus  belle  révolution  du  monde  ;  nous 
les  avons  employés  à  assurer  la  liberté  et  l'égalité,  et  à  nousren- 


j 


FÉVRIER  (i 795).  213 

âvc  tous  frères  el  égaux.  C'était  la  doctrine  que  les  prêtres  volup- 
tueux prêcliaicnt  ;  leurs  vœux  doivent  être  remplis,  puisf{ue  leurs 
biens  ont  servi  à  réaliser  ce  qu'iis  annonçaient  depuis  tant  de 
siècles.  {On  rit.j 

Celte  partie  de  recelte  se  divise  en  deux  classes  :  savoir,  le  ver- 
sement pour  remplacer  le  déficit  sur  l'eàlimation  de  recettes  or- 
dinaires,  1  o2, 06^,190  liv.  :  et  ceux  pour  les  dépenses  extraor- 
dinaires 786,110,948  liv, ,  de  sorte  que  l'aliénation  des  capitaux, 
pour  pourvoir  aux  dépenses  de  1792 ,  s'élève  à  958,179,141  liv. 

Les  dépenses  de  1795  ne  peuvent  pas  se  calculer  ;  si  nous  som- 
mes victorieux ,  elles  peuvent  diminuer;  si  noiis  sonmies  vaincus, 
elles  pourront  être  très-considérables;  il  s'ajjit,  dans  ce  moment , 
de  prendre  des  mesures  pour  pouvoir  les  acquitter,  il  faut  donc 
avoir  recours  à  cette  terre  en  friche  qu'on  nous  a  conservée ,  et 
créer  de  nouveaux  assignats  ;  ne  nous  dissimulons  pas ,  citoyens , 
que,  sans  cette  ressource,  nous  serions  esclaves.  Louis  XIV  a 
ruiné  la  France  en  combattant  des  despotes  avec  lesquels  il  pou- 
vait avoir  la  paix  ;  aujourd'hui  nous  sommes  sans  alliés  ;  toutes 
nos  ressources  sont  dans  notre  union.  Ah  !  la  République  ne  peut 
être  tranquille  que  victorieuse  ,  ou  réduite  à  la  misère  et  à  la 
perte  de  milliers  de  Français  ;  il  faut  donc  que  le  despotisme 
périsse,  ou  bien  que  nous  disparaissions  de  la  surface  de  la  terre. 
Nous  ne  pouvons  pas  avoir  recours  à  des  contributions  extraor- 
dinair-LS,  ce  serait  surcharger  le  peuple  ;  nous  ne  pouvons  pas 
non  plus  ouvrir  des  emprunts ,  car  les  gens  à  portefeuille  qui 
calculent  sur  la  misère  publique  nous  diraient  :  A  qui  voulez- 
vous  que  nous  prêtions  ?  à  la  République  française  ?  nous  ne  la 
connaissons  pas.  Il  n'existe  aucun  gouvernement.  Lorsque  la 
constitution  sera  terminée,  si  elle  nous  convient ,  nous  verrons 
de  vous  prêter.  11  faut  donc  avoir  recours  à  nos  assignats,  et  tou- 
jours à  nos  assignats ,  et  renoncer  à  ce^  sangsues  publiques. 

Il  me  sera  facile  de  vous  prouver  la  nécessité  où  nous  nous 
trouvons  d'en  créer  dans  cet  instant,  et  de  vous  prouver,  ainsi 
qu'à  toute  l'Europe ,  que  nos  assignais  ont  un  gage  certain  et 
disponible,  qui  sera  réalisé  en  douze  ans.  Voici  le  calcul  qui  est 


214  CONVENTION   NATIONALE. 

extrait  du  compte  rendu  par  la  trésorerie  nationale  en  date  du 
2G  janvier  dernier. 

Le  riiontant  des  assignats  qui  ont  été  crées  est  de  3,100,000,040 
liv.  Il  en  avait  été  fabriqué  et  employé  3,069,450,040  liv.  ;  de 
sorte  qu'il  ne  restait  de  disponible  que  o0,o50,000  liv.  Une  par- 
tie de  ces  assignats  a  été  employée  au  remboursement  de  la  dette 
ancienne.  On  peut  évaluer  ce  remboursement  à  8  ou  900  millions. 

Le  10  janvier  dernier,  vous  avez  décrété  qu'il  serait  versé  à  la 
trésorerie  nationale  une  somme  de  165,420,601  liv.  en  assignats, 
sur  laquelle  il  avait  été  versé ,  le  18  janvier  dernier,  118,050,000 
liv.  ;  de  sorte  qu'il  restait  encore  à  verser  47,370,601  liv.  Vous 
n'avez  en  fabrication,  ou  dans  la  caisse  à  trois  clefs,  que  30,550,000 
liv.  Il  faut  nécessairement  décréter  16,820,601  liv.  pour  exécu- 
ter le  versement  déjà  décrété ,  et  vous  aurez  encore  le  rembour- 
sement des  dépenses  extraordinaires  payées  en  janvier  à  rem- 
placer à  la  trésorerie  nationale.  Il  est  donc  instant  et  nécessaire 
de  décréter  une  nouvelle  créai  ion  d'assignats. 

Sur  les  3,069,450,040  liv. ,  montant  des  assignats  qui  ont  été 
émis  et  employés ,  il  en  était  rentré  682  millions  par  le  produit 
des  fruits  et  capitaux  des  domaines  nationaux ,  lesquels  ont  été 
annulés  et  brûlés,  de  sorte  que  le  montant  des  assignats  qui  étaient 
en  circulation  le  26  janvier  dernier  était  de  2,387,460,040 1. 

Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  que  depuis  deux  années 
qu'existent  les  assignais  on  en  a  déjà  remboursé  682  millions  ; 
que  plus  de  la  moitié  des  premières  créations  a  déjà  disparu  ; 
ainsi  loos  ceux  qui  sont  de  bonne  foi ,  tous  ceux  qui  veulent  lire 
les  comptes ,  doivent  voir  que  les  assignats  sont  d'une  solidité  que 
rien  ne  peut  altérer,  excepté  la  contre-révolution  ou  le  retour 
des  anciens  pontifes ,  qui  voudraient  s'approprier  toute  la  fortune 
publique. 

Après  vous  avoir  présenté  le  montant  des  assignats  créés,  émis 
ou  brûlés  ,  il  faut  que  je  prouve  à  la  France  et  à  l'Europe  entière 
que  le  gage  qui  leur  est  affecté  n'est  pas  un  gage  frivole  ni  chi- 
mérique, mais  un  gnge  disponible,  qui  sera  réalisé  dans  douze  ans. 

Dans  sept  à  huit  jours ,  vous  aurez  un  compte  détaillé  des  fi- 


FÉVRIER  (1793).  215 

nances  que  vous  avez  demandé  aux  agens  du  pouvoir  exécutif. 

En  attendant ,  j'aurai  recours  au  compte  qui  fut  rendu,  au 
mois  d'avril  dernier,  par  les  mêmes  agens  à  l'assemblée  nationale 
législative.  A  celte  époque ,  le  montant  des  biens  nationaux  ven- 
dus, ou  qui  étaient  en  vente,  s'élevait  à  2,445,638,257  liv. ,  sa- 
voir :  le  produit  des  biens  nationaux  qui  étaient  vendus  au  pre- 
mier novembre  1791  :  1,498,289,924  liv.;  les  intérêts  qui  étaient 
dus  ou  payés  à  cette  époque  sur  lesdits  domaines ,  à  raison  de 
cinq  pour  cent  par  an ,  montaient  à  30  millions  ;  le  produit  pré- 
sumé des  biens  nationaux ,  dont  la  vente  était  ordonnée ,  qui 
n'étaient  pas  vendus  au  premier  novembre  1791,  calculé  d'après 
les  procès-verbaux  d'estimation  et  une  plus-value  à  la  vente,  éva- 
luée à  trois  cinquièmes ,  d'après  les  calculs  faits  sur  les  biens  na- 
tionaux vendus,  montaient  à  727,548,ol3  liv.  Sur  cette  somme, 
on  peut  estimer  que  les  ventes  déjà  faites  se  portent  de  350  à 
360  millions  ;  vous  en  aurez  les  états  dans  sept  à  huit  jours. 

Plusieurs  disti  icls  ,  sans  doute  ,  avaient  oublié  de  comprendre 
dans  leur  estimation  la  valeur  des  domaines  ci-devant  de  la  cou- 
ronne et  de  l'ordre  de  Malte  ;  cette  omission ,  d'après  les  ren- 
seignemens  qui  furent  fournis  au  corps  législatif,  et  qui,  dans  le 
département  de  Paris  ,  s'élevaient  à  environ  23  millions ,  fut  es- 
timée d'un  produit  de  70  millions  ;  enfin  il  y  avait  des  biens  ci- 
devant  jouis  par  ces  ordres  religieux  qui  se  décoraient  des  ru- 
bans bleus ,  des  rubans  verts  et  de  tous  les  colifichets  de  l'ancien 
régime,  d^s  biens  appartenant' aux  congrégations  séculières  et 
aux  fabriques  dont  la  vente  était  ajournée ,  mais  qui  depuis  fut 
décrétée  ;  ils  furent  estimés  à  100  millions. 

Depuis  cette  époque,  le  corps  législatif  a  ordonné  plusieurs 
autres  ventes  de  domaines  nationaux ,  savoir  :  1°  Celle  des  pa?ais 
épiscopaux  sous  une  indemnité  de  dix  pour  cent  sur  leur  traite- 
ment aux  évêques  modestes  qui  en  jouissaient  ;  cet  objet  a  été  es- 
timé à  15  millions  ;  2<>  des  maisons  et  couvens  qui  étaient  occupés 
par  les  religieuses,  estimés  devoir  produire  60  millions;  5"  des 
biens  ci-devant  jouis  par  l'ordre  de  Malte  et  par  les  collèges,  es- 
timés devoir  produire  400  millions  ;  4°  les  coupes  des  réserves  de 


216  ■  .  CONVENTION   NATIONALE. 

bois  et  futaies ,  et  une  partie  des  bois  épais ,  jusqu'à  la  somme  de 
200  millions  ;  6°  les  intérêts  dus  ou  payés  par  les  acquéreurs  des 
biens  nationaux  vendus^  et  les  produits  des  fruits  et  revenus  de 
ceux  qui  sont  en  vente  ont  augmenté,  depuis  le  mois  d'avril  1791 
jusqu'à  ce  jour,  d'environ  oO  millions ,  de  sorte  que  le  total  des 
biens  nationaux  mis  en  vente  par  le  corps  législatif  depuis  le  mois 
d'avril  dernier  jusqu'à  la  fin  de  sa  session  se  porte  à  72o  millions , 
lesquels,  joints  aux  2,443,658,237  liv.  qui  étaient  en  vente  d'après 
les  états  qu'il  avait  arrêtés  le  mois  d'avril  dernier,  portent  à 
5,170,658,357  liv.  le  gage  disponible  qui  est  affecté  aux  diver- 
ses créations  d'assignats  déjà  décrétés ,  qui  ne  se  montent  qu'à 
5,  iOO,  000, 040  liv.  Ils  ont  donc  un  excédent  de  gage  de 
70,658,197  liv.  A  la  vérité ,  il  a  été  expédié  50  millions  des  re- 
connaissances de  liquidations  qui  ont  été  données  en  paiement 
des  domaines  nationaux,  de  sorte  que  le  gage  surpasse  de  20  mil- 
lions les  assignats  qui  ont  élé  créés. 

En  vous  proposant  aujourd'hui  de  faire  une  nouvelle  création 
d'assignats ,  il  faut  vous  proposer  en  même  temps  de  mettre  en 
vente  de  nouveaux  domaines  nationaux ,  sans  quoi  leur  gage  ne 
i.erait  plus  disponible,  et  ils  n'auraient  point  une  époque  dé- 
terminée pour  remboursement.  Je  vais  vous  présenter  quelles 
sont  vos  ressources ,  et  les  capitaux  dont  vous  pouvez  disposer. 
J'espère  qu'elles  vous  tranquilliseront,  ainsi  que  tous  les  Français, 
et  qu'elles  épouvanteront  nos  ennemis. 

Elles  consistent  :  1°  en  la  valeur  de  bois  et  forêts,  dont  la  vente  est 
ajournée ,  estimés  1 ,200  millions  ;  2°  en  la  valeur  des  biens  ci-de- 
vant affectés  à  la  liste  civile ,  estimés  200  millions  ;  5°  en  la  valeur 
du  bénélice  à  espérer  dans  la  revente  des  don;aines  engagés,  esti- 
mée 100  millions  ;  4°  en  la  valeur  du  rachat  des  lentes  foncières 
et  droits  féodaux  appuyé  du  titre  primitif,  ponant  concession  de 
fonds ,  objet  que  le  corps  législatif  avait  estimé  devoir  produire 
208  millions,  et  qui  se  trouve  réduit,  par  la  suppression  des  droits 
féodaux,  à  50  millions  ;  5°  le  système  que  vous  avez  adopté  d'ac- 
céder au  vœu  de  réunion  librement  manifesté  des  pays  occu- 
pés par  les  peuples  que  vous  avez  rendus  libres,  vous  a  procuré 


FÉVRIER  (1795).  217 

une  ressource  dans  la  vente  des  biens  oaiionaux  qui  s'y  trouvent 
situés  ;  elle  peut  être  estimée  à  oO  millions  pour  le  département   ' 
du  Montblanc,  les  districts  de  Louvez  et  de  Vaucluse,  nouvelle- 
ment réunis  à  la  République ,  et  qui  n'ont  été  compris  dans  au- 
cun compte. 

Cette  première  indemnité  que  vous  retirez  des  peuples  aux- 
quels vous  portez  la  liberté  et  l'é^jalité  sera  encore  augmentée  par 
le  produit  des  biens  des  émigrés  et  ecclésiastiques  situés  dans 
les  districts  de  Villefranche  et  de  Nice ,  réunis  depuis  hier  à  la 
grande  famille.  Citoyens ,  il  vous  reste  encore  une  ressource  qui , 
dans  tous  les  comptes  rendus  au  corps  législatif,  n'était  présentée 
qu'en  aperçu ,  et  que  votre  comité  des  lioauces  ne  vous  avait  pré- 
sentée ,  dans  le  mois  de  novembre  dernier,  que  comme  un  pro- 
duit d'environ  2  milliards,  (lu'il  avait  même  réduit  à  un  milliard , 
afin  de  ne  pas  flatter  vos  étals  de  recettes  ;  ce  sont  les  biens  des 
ennemis  de  la  patrie  et  de  la  souveraineté  du  peuple ,  de  ceux 
qui  ont  quitté  leurs  foyers  et  se  sont  armés  contre  leurs  conci- 
toyens pour  défendre  des  privilèges  ;  aujourd'hui  cette  ressource 
n'est  plus  un  aperçu ,  elle  commence  à  être  connue  :  elle  est  une 
juste  indemnité  aux  dépenses  que  ces  ennemis  de  la  patrie  nous 
ont  occasionnées  ;  aussi  la  portons-nous  dans  l'état  des  ressour- 
ces ;  et  pour  vous  présenter  son  évaluation ,  je  ne  ferai  que  lire  le 
passage  du  compte  qui  vous  a  été  rendu  par  le  ministre  Roland. 

Le  G  janvier  dernier,  il  dit,  page  195  :  «  H  m'a  para  avanta- 
geux pour  la  République  de  connaître  le  nombre  des  mauvais  ci- 
toyens qui  ont  abandonné  leur  pairie  :  j'ai  en  conséquence  adressé 
une  circul;.'irc  aux  autorités  supérieures  dans  le  mois  de  septem- 
bre dernier;  mais,  n'ayant  reçu  d'elles  que  des  rapports insufli- 
sans ,  je  me  suis  adressé  aux  di;stricls  ;  et ,  outre  le  nombre  et  la 
quaUté  des  émigrés,  je  leur  ai  demandé  des  renseignemens  sur 
la  nature  et  la  valeur  de  leurs  biens,  de  manière  à  procurer  un 
tableau  complet  sur  cett^  partie  de  l'administration. 

»  J'avais  associé  l'a  liour-propre  des  admiPiistrateurs  des  dis- 
tricts au  succès  de  mes  demandes;  je  leur  avais  dit  qu'autant  je 
m'empresserais  de  faire  connaître  à  la  Convention  nationale 


218  CONVENTION  NATIONALE. 

l'exactitude  des  uns ,  autant  je  serais  exact  à  lui  dénoncer  l'in- 
souciance  des  autres  ;  mais  ces  moyens  n'ont  pas  répondu  entiè- 
rement à  mes  vœux  :  deux  cent  dix-sept  districts  sur  les  cinq 
cent  quarante-six  dont  la  République  est  composée  n'ont  fait 
aucune  réponse  ;  les  autres  m'ont  envoyé  des  états  plus  ou  moins 
parfaits;  j'en  ai  fait  faire  le  dépouillement;  j'ai  fait  un  capital 
aux  immeubles  estimés  ;  j'en  ai  également  assigné  un  aux  biens 
estimés,  mais  suffisamment  désignés  par  leur  nature  et  leur  éten- 
due pour  donner  lieu  à  une  appréciation  rapprochée  ;  et  il  en  ré- 
sulte que  le  nombre  des  émigrés  compris  dans  les  listes  que  j'ai 
ici  sous  les  yeux  s'élève  à  seize  mille  neuf  cent  trente ,  et  que 
l'évaluation  des  immeubles  séquestrés  arrive  à  2,760,5  î 8,592 1. 
Si  l'on  peut  maintenant  faire  la  comparaison  des  districts  qui 
n'ont  point  envoyé  d'états  avec  ceux  dont  nous  avons  les  tableaux, 
et  supposer  que  la  proportion  soit  la  même  ,  nous  dirons  que  la 
totalité  des  émigrés  de  la  République  est  de  vingt-neuf  mille  ,  et 
que  la  valeur  de  leurs  biens  est  de  4,800,000,000.  Je  dois  faire 
observer  à  la  Convention  que,  si  l'on  suppose  de  l'exactitude  dans 
les  soins  que  les  municipalités  ont  eus  de  former  les  listes  des 
émigrés  possesseurs  d'immeubles,  elles  n'ont  pas  également  re- 
cueilli les  noms  de  ceux  qui  ne  possédaient  rien.  Le  nombre  de 
ceux-ci  est  fort  considérable ,  et  ce  n'est  pas  trop  le  hasarder  que 
de  le  porter  à  quarante  mille  au  moins,  de  manière  que  la  tota- 
lité des  émigrés  français  serait  de  soixante-dix  mille  à  peu  près. 
Quoique  nous  portions  l'estimation  des  im.meubles  séquestrés  à 
4,800,0(X),000 ,  tout  ne  sera  pas  bénéfice  pour  la  République  :  il 
faut  distraire  les  dettes  des  émigrés  ;  cet  objet  sera  très-consi- 
dérable ,  et ,  quelque  soin  qu'apportent  les  corps  administratifs 
dans  la  vérification  qu'ils  en  feront ,  quoique  j'aie  moi-même,  par 
une  circulaire,  prévenu  les  machinations  qui  se  préparaient  dans 
les  tribunaux ,  on  doit  s'attendre  à  voir  consacrer  un  grand  nom- 
bre de  créances  qui  ne  devront  leur  existence  qu'à  la  collision  et 
à  la  fraude.  Malgré  ces  inconvéniens  et  ces  réductions ,  je  ne 
crains  point  d'avancer  que  le  produit  des  biens  des  émigrés, 
parvenu  dans  les  coffres  de  la  République,  excédera  la  somme 


FÉVRIER  (1793).  219 

de  5  milliards.  On  aura  d'autant  moins  de  peine  à  croire  à  cette 
rentrée  que  je  n'ai  point  fait  état  dans  mes  évaluations  du  mobi- 
lier des  émigrés  ;  et  cet  article ,  d'après  des  données  sûres ,  doit 
excéder  200  millions.  » 

Votre  comité  des  finances  croit  devoir  vous  observer ,  rela- 
tivement au  compte  rendu  par  Roland ,  qu'il  lui  a  paru  qu'on 
devait  y  joindre  une  somme  considérable  pour  le  montant  des 
contrats  que  les  émigrés  avaient  sur  la  nation  et  sur  divers  par- 
ticuliers ;  vous  aurez  encore  à  y  comprendre  la  valeur  des  biens 
des  princes  possessionnés  qui  nous  doivent  une  indemnité  cor- 
respondant aux  dépenses  qu'ils  nous  occasionnent  ;  il  a  cru  de- 
voir vous  observer  que ,  quoiqu'il  n'ait  pas  des  renseignemens 
positifs  sur  la  valeur  des  biens  des  émigrés ,  il  en  a  qui  viennent 
à  l'appui  des  calculs  présentés  par  Roland  ,  puisqu'il  a  reçu  des 
étals  en  règle  des  divers  départemeas  qui  excèdent  de  beaucoup 
la  valeur  des  biens  nationaux  qin  y  étaient  situés;  ainsi,  si  les 
biens  appartenant  au  ci-devant  ordre  du  clergé,  y  compris  les 
forêts,  ont  fourni  un  capital  de  4,200,000,000 ,  on  doit  espérer 
de  réaliser  les  3  milliards  annoncés  par  le  ministre  Roland.  Cette 
ressource  considérable  nous  servira  utilement  pour  payer  les 
frais  de  la  guerre  ;  il  importe  esseniieliement  de  la  réaliser  et  d'en 
hàler  la  vente.  Ainsi  les  anciens  privilégiés,  qui  avaient  conservé 
des  propriétés  énormes  en  repoussant  la  déclaration  des  droits , 
nous  ont  fourni  les  moyens  de  maintenir  la  souveraineté  natio- 
nale et  d'établir  la  liberté  et  l'égalité  qu'ils  méprisent.  Ainsi ,  en 
s'armant  contre  nous,  ils  ont  servi  la  cause  du  peuple  en  nous  four- 
nissant les  moyens  de  repousser  nos  ennemis.  Cette  leçon  pourra 
être  utile  aux  despotes  ligués  contre  nous  pour  nous  asservir  :  ils 
y  verront  sans  doute  que ,  si  nous  sommes  vainqueurs ,  leur  chute 
est  inévitable;  que  les  peuples  qu'ils  asservissent,  dégagés  de 
leurs  préjugés ,  abandonneront  alors  leur  cause  et ,  s'unissant 
avec  nous ,  augmenteront  nos  forces  par  leurs  bras  qu'ils  arme- 
ront et  par  les  ressources  financières  que  nous  trouvons  dans  les 
biens  usurpés  par  les  privilégiés. 

Vous  aurez  encore  une  autre  ressource  que  nous  ne  vous  pré- 


220  CONVENTION   NATIONALE. 

senterons  que  comme  un  aperçu ,  mais  qui  ne  doit  pas  larder  à  se 
réaliser.  Elle  est  fondée  sur  la  loyauté  des  peuples  que  nous  ren- 
dons libres.  Tous  vous  devront  une  indemnité.  Déjà  les  peupies 
chez  lesquels  nos  armées  sont  entrées  nous  l'ont  promise  :  les  ba- 
bilans  du  département  du  Montblanc,  du  district  de  Vaucluse  et 
de  Louvez,  du  pays  de  Nice  et  de  Viilefraache  s'en  sont  acquittés 
en  se  réunissant  avec  nous ,  les  autres  ne  larderont  pas  à  s'aper- 
cevoir qu'ils  ne  pourront  maintenir  leur  liberté  s'ils  ne  s'empres- 
sent de  réaliser  les  biens  nationaux  qui  étaient  au  pouvoir  de  leurs 
privilégiés  ;  car  les  révolutions  ne  peuvent  pas  se  foire  avec  des 
contributions ,  parce  qu'elles  pèsent  sur  la  partie  indigente  et  la- 
borieuse du  peuple  ,•  elles  ne  peuvent  pas  se  l'aire  avec  des  em- 
prunts, parce  que  personne  ne  peut  prêter  à  un  peuple  qui,  vou- 
lant être  libre ,  n'a  pas  encore  de  gouvernement.  Ainsi ,  s'il  ne 
reste  d'autres  ressources  aux  peuples  chez  lesquels  nos  armées 
ont  porté  la  liberté ,  pour  conserver  ce  bien  précieux ,  que  dans 
la  vente  des  biens  nationaux  ,  ils  ne  tarderont  pas  à  les  réaliser 
pour  s'acquitter  envers  nous.  Les  peuples  libres  ne  promettent 
pas  en  vain  comme  les  despotes.  Les  Américains  en  sont  un  exem- 
ple frappant  :  ils  se  sont  empressés  de  nous  rembourser  en  ecus 
les  sommes  que  notre  gouvernement  leur  avait  prêtées ,  et  ils  ont 
négligé  le  bénéfice  qu'un  agiotage  sur  le  système  de  nos  assi- 
gnats leur  aurait  pu  procurer.  Déjà  les  représontans  provisoires 
des  Belges ,  malgré  l'influence  des  castes  privilégiées  qui  domi- 
naient dans  ce  pays,  vous  ont  fourni  une  ressource  de  64  millions 
pour  être  employée  à  l'armement  et  entretien  d'une  armée  de 
quarante  mille  hommes  qu'ils  voulaient  vous  fournir. 

Nous  ne  pouvons  point  vous  dire  à  quelle  somme  se  montera 
l'indemnité  qui  vous  sera  donnée  ;  elle  est  subordonnée  aux  évé- 
nemens  de  la  guerre  ;  elle  ne  nous  est  pas  nécessaire  pour  servir 
de  gage  à  la  création  des  assignats  que  votre  comité  m'a  chargé  de 
vous  proposer  ;  mais  il  était  intéressant  de  l'annoncer  au  peuple 
français,  afin  de  lui  prouver  que  nous  ne  sacrifions  pas  ses  inté- 
rêts en  portant  la  liberté  chez  nos  voisins. 

Il  résulte  de  l'aperçu  que  je  viens  de  vous  présenter  que  le 


FÉvui£ii(1793).  ââl 

montant  du  (jage  ({riG  vous  pouvez  affecter  aux  creatîôas  des  as* 
sijjnats  qui  vous  seront  nécessaires  s'élève ,  non  compris  l'in- 
demnité des  peuples  que  nous  rendrons  libres,  à  4,(^0,000,000. 
Si  ù  cette  somme  nous  joignons  ce  qui  est  dû  en  contribu- 
tions arriérées ,  l'arriéré  de  comptabilité  et  les  biens  nationaux 
que  la  liberté  et  l'indépendance  des  cultes  indiquent,  qu'on  dit 
n'èlre  pas  encore  temps  de  meure  en  vente  ,  mais  qui  peut-être 
pourront  se  réaliser  après  que  la  constitution  sera  achevée,  vous 
devez  être  tranquilles  sur  les  moyens  qui  vous  restent  pour  con- 
tinuer la  guerre  qu'on  vous  force  de  soutenir. 

C'est  d'après  cet  aperçu  que  votre  comité  s'est  déterminé  à 
vous  proposer  de  créer  pour  huit  cents  millions  en  assignats ,  qui 
vous  sont  nécessaires  pour  les  dépenses  de  cette  campagne.  Outre 
cette  création,  il  vous  restera  encore  un  capital  de  trois  milliards 
huit  cents  millions  qui  vous  serviront  pour  continuer  la  guerre , 
si  elle  est  prolongée,  ou  pour  acquitter  les  dettes  anciennes  con- 
tractées par  le  despotisme. 

La  postérité  ne  sera  pas  peu  étonnée  de  voir  un  peuple  luttant 
contre  les  elTorts  du  despotisme  ,  combattant  tous  les  despotes 
ligués,  étant  obligé  de  faire  des  dépenses  énormes  pour  affer- 
mir son  indépendance ,  s'occuper,  dans  ces  momens  de  calamité, 
du  remboursement  d'une  dette  contractée  par  le  despotisme,  en 
acquittant  soixante-douze  millions  par  an ,  en  payant  exactement 
les  rentes  des  capitaux  empruntés  et  une  quantité  énorme  de 
pensions  à  des  personnes  à  qui  la  révolution  a  fait  perdre  leur 
état.  Avec  une  telle  conduite,  il  n'y  a  que  le  Hnancier ,  il  n'y  a  que 
les  agioteurs,  qui  puissent  avoir  le  nioindre  doute  sur  la  loyauté 
française.  Si  elle  est  comparée  avec  la  conduite  que  les  despotes 
emploient  pour  .se  procurer  des  fonds ,  on  les  voit  occupés  à  chan- 
ger l'hypothèque  qu'ils  avaient  affectée  à  leurs  créances,  à  con- 
Iraclei'  des  emprunts,  pt  à  créer  du  papier  monnaie ,  sans  fournir 
aucun  gage ,  ruiner  les  peuples  q-u'ils  gouvernent  par  des  impo- 
sitions extraordinaires;  et  pourquoi  tant  d'efforts  ?  pour  venir 
nous  asservir!  D'oprès  la  différence  de  nos  procédés,  il  ne  peut 
exister  aucun  doute  qu'avec  de  l'ordre  nous  devons  sortir  triom- 


222  CONVENTION   NATIONALE. 

phans  de  la  lulle  que  le  despotisme  nous  a  intentée.  Ke  nous 
dissimulons  pas  que  nous  sommes  obligés  de  faire  une  guerre  à 
mort  :  nous  devons  donc  nous  décider  à  faire  les  plus  grands  sa- 
crifices. Il  faut  les  attaquer  dans  le  germe  de  leurs  ressources. 
Ils  espèrent  obtenir  des  contributions  ;  attaquons  leur  commerce, 
et  nous  leur  en  ôterons  les  moyens.  Sans  contribution ,  il  ne  doit 
plus  rester  de  crédit  à  nos  ennemis  :  et  peut-être  ce  matin ,  en 
attaquant  le  Stathouder ,  avez-vous  porté  une  atteinte  mortelle  à 
ce  crédit  factice  qu'ils  affectent  de  soutenir. 

La  déclaration  de  guerre  que  vous  avez  faite  à  la  Hollande 
est  l'opération  financière  la  plus  meurtrière  que  vous  ayez  faite 
contre  nos  ennemis  ;  car  c'est  en  Hollande  que  l'empereur,  le  roi 
de  Prusse  et  l'impératrice  de  Russie  ont  eu  recours  pour  faire  des 
emprunts,  afin  de  salarier  leurs  cours;  c'est  la  Hollande  qui, 
par  des  opérations  commerciales,  soutient  le  crédit  public  de 
l'Angleterre.  Eh  bien ,  si  vos  arméts  victorieuses  entrent  dans 
Amsterdam,  toutes  leurs  ressources  financières  sont  détruites, 
et  vous  forcerez  ces  despotes  à  reconnaître  l'égaiité  des  droits  et 
la  souveraineté  du  peuple  ! 

Si  nous  examinons  le  genre  de  guerre  qu'ils  auront  à  soutenir, 
nous  trouverons  que ,  quand  bien  même  ils  auraient  des  succès , 
ils  ne  peuvent  que  tourner  à  leur  désavantage:  car  si,  comme 
les  Prussiens  et  les  Auiricliiens^  ils  parvienaent  à  pénétrer  dans 
la  terre  de  la  liberté ,  ils  seront  obligés  de  diviser  leurs  forces 
pour  contenir  un  peuple  qui  veut  être  libre,  et  ils  auront  à  com- 
battre vingt-cinq  millions  d'hommes  qui  se  porteront  en  masse 
pour  les  repousser  ;  au  lieu  que ,  si  nos  armes  ont  du  succès , 
nous  trouverons  partout  des  hommes  qui  s'uniront  à  nous,  et 
qui,  en  nous  fournissant  leurs  bras  pour  la  défense  commune, 
nous  aideront  à  planter  l'arbre  de  la  liberté,  et  augmenteront 
nos  ressources  financières. 

Après  avoir  établi  la  nécessité  de  créer  des  assignats ,  je  vais 
vous  présenter  de  quel  genre  de  coupures  sera  formée  celte  fa- 
brication. Déjà  vous  en  avez  ordonné  la  fabrication  par  vos  dé- 
crets ;  votre  comité  a  cru  devoir  vous  proposer  d'y  affecter 


FÉVRIER  (1795).  223 

40  millions  en  assi^^nats  de  10  sous,  et  GO  millions  en  assignats  de 
lo  sous,  dont  la  fabrication  a  été  ordonnée  le  24  octobre  dernier  ; 
loO  millions  en  assignats  de  50  livres  sur  les  500  millions  dont  la 
fabrication  a  été  ordonnée  par  la  loi  du  14  décembre  dernier; 
300  millions  en  assignats  de  400  livres  sur  les  600  millions  dont 
la  fabrication  a  été  ordonnée  le  22  novembre  dernier  ;  75  millions 
en  assignats  de  2o  sous,  et  75  millions  en  assignats  de  50  sous , 
dont  la  fabrication  a  été  ordonnée  par  la  loi  du  25  décembre  1791 , 
et  qui ,  par  la  loi  du  27  juillet  dernier ,  devaient  servir  aux  échan- 
ges des  assignats  de  plus  forte  valeur. 

Votre  comité  a  cru  devoir  vous  proposer  ce  changement  de 
destination ,  d'après  les  observations  qui  lui  ont  été  faites  par  les 
commissaires  de  la  trésorerie  nationale  que,  sur  les  69  millions 
qu'ils  ont  expédiés  dans  les  départemens  en  assignats  destinés 
aux  échanges,  il  est  encore  dû  65  millions:  de  sorte  qu'il  paraît 
que  personne  ne  demande  plus  d'assignats  de  petites  coupures, 
puisque  les  échanges  se  font  très-lentement.  D'ailleurs,  en  affec- 
tant ces  assignats  aux  dépenses  journalières ,  la  répartition  en 
sera  la  même,  et  nous  ne  serons  point  exposés  aux  risques  con- 
sidérables qu'entraîne  une  pareille  comptabilité,  et  à  i'inaciion 
d'un  capital  si  considérable  dans  les  caisses  des  receveurs  de 
districts. 

Enfin,  votre  comité,  craignant  que  la  fabrication  des  assignats 
de  50  livres  et  de 400  livres  n'éprouvât  quelques  retards,  et  que 
le  service  public  ne  pût  se  faire  d'une  manière  convenable  avec 
des  assignats  de  10,  15  et  25  sous,  à  cause  de  leur  volume,  a 
cru  devoir  vous  proposer  de  décréter  un  supplément  de  fabrica- 
tion de  100  millions  en  assignats  de  10  livres,  qu'il  affecte  à  celte 
nouvelle  création.  C'est  d'après  ces  bases  que  je  suis  chargé  de 
vous  proposer  un  projet  de  décret  pour  ordoni^er  h  vente  dos 
biens  des  émigrés ,  des  biens  ci-devant  affectés  à  la  liste  civile  , 
et  d'une  partie  des  bois  et  forêts  jusqu'à  la  concurrence  de 
200  millions.  Enfin ,  votre  comité  a  pensé  qu'il  était  essentiel 
d'ordonner  aux  administrations  de  départemens  et  de  districts 
d'envoyer  incessamment  les  états  estimatifs  des  biens  des  émi- 


â24  CONVENTION  NATIONALE. 

grés ,  que  le  ministre  de  rinîériéur  a  demandés  inutilement,  afin 
qu'au  premier  rapport  vous  puissiez  avoir  une  connaissance  par- 
faite des  biens  des  émigrés,  servant  de  gages  aux  assignats  ;  il  a 
pensé  que  vous  deviez  aussi  exiger  des  administrateurs  des  doua- 
nes, régie  et  enregistrement,  de  vous  envoyer  des  doubles  des- 
dits éiats  ,  afin  que,  si  une  administration  négligeait  son  devoir, 
l'autre  pût  y  suppléer. 

Votre  comité  a  aussi  pensé  qu'il  était  essentiel  pour  le  crédit 
public  de  coi;;prendre  dans  la  loi  que  je  suis  chargé  de  vous 
proposer  le  compte  des  assignats  émis  et  brûlés,  du  gage  dispo- 
nible qui  leur  est  affecté;  afin  qu'en  lisant  la  loi  tous  les  Fran- 
çais puissent  connaître  l'état  de  situation  de  nos  finances ,  la  pu- 
blicité de  nos  opérations  devant  être  la  seule  arme  que  nous 
devions  employer  pour  faire  taire  la  calomnie. 

—  A  la  suite  de  ce  rapport,  Cambon  présente  un  projet  de 
décret,  qui  est  adopté ,  ainsi  qu'il  suit  : 

La  Convention  nationale ,  apiès  avoir  entendu  le  rapport  de 
son  comité  des  finances  sur  les  états  de  situation  des  diverses 
caisses  de  la  trésorerie  nationale ,  à  la  date  du  25  janvier  courant, 
fournis  par  les  commissaires  de  ladite  trésorerie,  desquels  il  résulte  : 

1"  Que,  sur  les  5,100,000,010  liv.,  montant  des  diverses  créa- 
lions  en  assignats  déjà  décrétés  ,  il  eu  avait  été  fabriqué  et  em- 
ployé 3,0G9,000,0i0  liv. ,  de  sorte  qu'il  ne  restait  de  disponible 
que  30,550,000  livres  ; 

2"  Qi:e,  sur  les  i6o,420,60î  liv.  en  ass"gnats  qui,  d'après  ia  loi 
du  10 janvier  courant,  doivent  être  versées  dans  la  caisse  de  la 
trésorerie  nationale,  ii  en  avait  été  versé  118,050,000  !iv. ,  de 
sorte  qu'il  restait  encore  à  verser  47,570,601  liv.  ; 

5"  Que,  sur  les  5,009,450, OiO  liv.,  montant  des  assignats  qui 
ont  été  émis  et  employés,  ii  en  était  rentré  682,000,000  par  le 
paiement  des  fruits  et  capitaux  des  domaines  nationaux ,  lesquels 
ont  été  annulés  et  brûlés,  de  sorte  que  le  montant  des  assignats 
qui  étaient  en  circulation  se  portait  à  2,387,460,040  liv.  ; 

Considérant  la  nécessité  qu'il  y  a  d'assurer  dès  à  présent  les 
moyens  de  satisfaire  aux  versemens  déjà  décrétés,  et  aux  dépen- 


•*• 


FÉVRIER  (1793).  22o 

ses  qu'exigent  les  mesures  à  prendre  contre  les  ennemis  de  la 
République  ; 

Considérant  que ,  pour  maintenir  le  crédit  des  assignats,  il  faut 
leur  affecter  un  gage  certain  et  disponible  ; 

Considérant  que  ce  gage  qui  montait ,  suivant  les  états  arrêtés 
par  l'assemblée  nationale  au  mois  d'avril  dernier,  à  2,44o,638,237 
livres ,  a  été  augmenté  de  725,000,000  [)ar  la  vente  décrétée  de- 
puis cette  époque  : 

1°  Des  palais  épiscopaux  ; 

2°  Des  maisons  ci-devant  jouies  par  l'ordre  de  Malte  et  par 
les  collèges  ; 

3°  Du  montant  de  la  coupe  des  quarts  de  réserve  et  futaies,  et 
d'une  partie  de  boisépars ,  jusqu'à  concurrence  de  290,000,000; 

4°  Du  montant  des  intérêts  sur  les  sommes  dues  par  les  acqué- 
reurs des  domaines  nationaux  vendus  ,  et  du  produit  du  fruit  de 
ceux  invendus  ,  de  sorte  que  le  m&nlant  du  gage  disponible  des 
assignats  s'élève  à  3,170,058,237  liv.; 

Considérant  que  ce  gage  peut  encore  être  augmenté  : 

1"  De  1,200,000,000,  par  la  valeur  des  bois  et  forêts  dont  la 
vente  est  ajournée  ; 

2°  De  200,000,000  ,  par  celle  des  biens  affectés  à  la  liste  ci- 
vile; 

5"  De  100,000,000,  par  la  rentrée  du  bénéfice  à  faire  sur  la 
reprise  des  domaines  engagés  ; 

4°  De  50,000,000  ,  par  le  produit  du  rachat  des  rentes  fon- 
cières et  droits  féodaux  appuyés  de  titres  primitifs  portant  con- 
cession de  fonds  ; 

5"  De  30,000,000 ,  par  la  valeur  des  biens  nationaux  situés 
dans  le  département  du  Mont-Blanc ,  et  dans  les  districts  de  Lou- 
vez  et  Vauclusc  ,  nouvellement  réunis  à  la  République  ; 

G"  Par  le  produit  de  la  vente  des  biens  des  émigrés,  qui,  d'a- 
près le  compte  rendu  par  Roland ,  ministre  de  l'intérieur,  peut 
être  estimé  3,000,000,000 ,  déduction  faite  des  dettes  à  acquitter  ; 

7"  Et  enfin ,  par  le  momant  de  ''indemnité  qui  Sfira  due  à  la 

T.  XXIV.  15 


226  CONVENTION   NATIONALE. 

République  par  les  peuples  auxquels  les  succès  des  armes  fran- 
çaises auront  procuré  la  liberté  et  l'égalité ,  décrète  : 

Art.  i.  Il  sera  créé  800,000,000  en  assignats  destinés  à  four- 
nir, tant  aux  besoins  extraordinaires  de  la  trésorerie  nationale 
qu'au  paiement  des  dépenses  de  la  guerre  ,  et  à  celui  des  créan- 
ces au-dessous  de  10,000  liv. ,  qui  continueront  d'être  rembour- 
sées suivant  les  formes  et  dans  les  termes  décrétés  le  13  mai  der- 
nier, ou  au  remboursement  des  seizièmes  dus  aux  municipalités , 
pour  acquisition  des  domaines  nationaux,  d'après  les  lois  ren- 
dues et  suivant  les  formes  qui  ont  eu  lieu  jusqu'à  ce  jour. 

2.  La  présente  création  sera  composée  : 

De  40,000,000  en  assignats  de  dix  sous,  dont  la  fabrication 
a  été  ordonnée  par  la  loi  diiSi^  octobre  dernier;  de  60,000,000 
en  assignats  de  quinze  sous  ,  dont  la  fabrication  a  été  ordonnée 
par  la  môme  loi;  de  73,000,000  en  assignats  de  vingt -cinq 
sous ,  à  prendre  sur  les  100,000,000  dont  la  fabrication  a  été 
ordonnée  par  la  loi  du  23  septembre  1791 ,  et  qui  étaient  desti- 
nés par  la  loi  du  51  juillet  dernier  à  servir  aux  échanges  ;  de 
73,000,000  en  assignats  de  cinquante  sous,  à  prendre  sur  les 
100,000,000 ,  dont  la  fabrication  a  été  ordonnée  par  la  même 
loi ,  et  qui  étaient  aussi  destinés  à  servir  aux  échanges  ;  de 
100,000,000  en  assignats  de  dix  livres ,  qui  seront  fabriqués  par 
supplément  à  la  fabrication  ordonnée  le  2i  octobre  1792  ;  de 
130,000,000  en  assignats  de  cinquante  livres ,  à  prendre  sur  les 
500,000,000  dont  la  fabrication  a  été  ordonnée  par  la  loi  du  14 
décembre  dernier  ;  de  500,000,000  en  assignats  de  quatre  cents 
livres  à  prendre  sur  les  600,000,OIX)  dont  la  fabrication  a  été 
ordonnée  par  la  loi  du  21  novembre  dernier  : 

Total  800,OCO,000. 

5.  La  comptabilité  des  assignats  de  la  présente  création  sera 
soumise  aux  mêmes  formalités  que  celle  des  précédentes. 

4.  La  circulation  des  assignats  pourra  être  portée  à  la  somme 
de  5,100,000,000.  La  Convention  nationale  charge  son  comité 
des  finances  de  lui  présenter,  dans  la  quinzaine,  un  projet  de  loi 
pour  diminuer  la  masse  des  assignats  en  circulation. 


FÉVRIER  (1795).  227 

5.  Pour  augmenter  le  .jia{;e  disponiijîe  des  diverses  créations 
d'assignats,  il  sera  mis  en  vente  les  biens  des  émijjrës ,  laquelle 
sera  faite  dans  les  formes  adoptées  pour  les  domaines  nationaux, 

la  suspension  ordonnée  par  le  décret  du étant  levée;  les 

biens  nationaux  ci-devant  affectés  à  la  liste  civile,  et  subsidiaire- 
raent  200,000,000  de  biens  nationaux  ,  en  bois  et  forêts,  en  pré- 
férant les  parties  des  bois  épars ,  et  réservant  les  grandes  masses 
par  addition  aux  200,000,000  dont  la  vente  a  été  ordonnée  par 
la  loi  du  51  juillet  derriier. 

6.  Les  directoires  de  département  feront  procéder,  sans  délai, 
par  l'intermédiaire  des  directoires  de  district,  à  l'inventaire  et 
estimation  des  biens  saisis  aux  émigrés.  Ils  le  feront  passer,  sans 
délai ,  à  l'administration  des  domaines  nationaux ,  qui  sera  tenue 
d'en  présenter,  le  1"  avril  prochain ,  un  état  général  à  la  Con- 
vention. 

7.  Les  administrateurs  des  droits  de  timbre  et  des  domaines 
feront  aussi  procéder  par  leurs  préposés  à  l'inventaire  desdits 
biens;  ils  en  présenteront  aussi,  le  l*""  avril  prochain,  un  état 
général  et  délaillé  à  la  Convention.  ] 

SÉANCE  DU  2  FÉVRIER. 

Sur  le  rapport  de  Fabre-d'Églantine  au  nom  du  comité  de  dé- 
fense générale ,  la  Convention  rend  le  décret  suivant: 

1 1"  11  sera  nommé  parla  Convention  nationale  neuf  commissai- 
res pris  dans  son  sein.  Ces  commissaires  se  porteront  sur  la  fron- 
tière du  Nord  et  de  l'Est,  pour  y  vérifier  l'état  des  places  fortes, 
et  les  faire  mettre  dans  un  état  de  défense  respectable  le  plus 
promplement  possible  ;  sont  autorisés  à  prendre  tous  les  moyens 
de  sûreté  générale  qu'exigeront  l'utilité  et  le  salut  de  la  chose 
publique  (et  ils  feront  toutes  les  réquisitions  nécessaires  à  cet 
eflxit  ),  à  destituer  tous  agens  civils  et  militaires  qui  leur  paraîtront 
manquer  de  civisme,  de  zèle  ou  de  capacité. 

ï  2'  Ces  neuf  commissaires  seront  divisés  en  trois  sections  de 
trois  membres  chacune  :  l'une  de  ces  sections  embrassera  dans  sa 
mission  la  ligne  qui  s'étend  depuis  Besançoîx  jusqu'à  Landau  ; 


228  CONVENTION  NATIONALE. 

une  autre,  celle  qui  s'étend  depuis  Sarrelouis  jusqu'à  Givet  ;  une 
autre  ,  celle  qui  s'étend  depuis  Charles-sur-Sanibre  jusqu'à 
Dunkerque. 

»  3°  Chaque  section  de  commissaires  s'occupera  uniquement  de 
la  fortification,  de  l'approvisionnement  et  généralement  de  la  dé- 
fense intérieure  et  extérieure  des  places  ;  elle  emploiera  à  cet 
effet  les  moyens  les  plus  prompts ,  les  plus  utiles  ,  et  ordonnera 
par  des  délibérations  prises  en  commun ,  signées  des  trois  com- 
missaires ,  qui  seront  envoyées  à  la  Convention  nationale  à  me- 
sure qu'elles  seront  mises  à  exécution. 

«4°  Les  commissaires  sont  autorisés  à  prendre  à  cet  effet  des 
ingénieurs  et  autres  gens  de  l'art,  ainsi  qu'ils  le  jugeront  conve- 
nable, et  selon  le  besoin  qu'exigeront  la  nature,  la  multiplicité  et 
la  célérité  de  leurs  opérations.  » 

SÉANCE   DU  5  FÉVRIER. 

Un  des  secrétaires  foil  lecture  d'une  lettre  des  citoyens  de 
Bruxelles ,  qui  dénoncent  le  général  Berneron ,  commandant  à 
Bruxelles,  comme  suspect  d'invicisme,  et  effrayant  la  liberté  par 
les  mêmes  voies  que  le  gouvernement  autrichien.  La  Convention 
renvoie  la  dénonciation  aux  commissaires  de  la  Belgique. 

On  fait  lecture  de  la  liste  proposée  par  le  comité  de  défense 
générale  des  commissaires  destinés  à  parcourir  les  départemens. 

Marnt.  Je  réclame  contre  la  nomination  de  Lidon  ;  je  ne  par- 
lerai pas  de  son  caractère,  qui  seul  pourrait  le  faire  rejeter  ;  je  me 
bornerai  à  vous  observer  qu'il  ne  mérite  ni  la  confiance  de  la 
nation  ni  celle  de  la  Convention ,  et  qu'un  homme  qui  dans  l'af- 
faire du  ci-devant  roi  a  volé  pour  l'appel  au  peuple  n'est  pas 
digne  de  représenter  l'assemblée  dans  un  département.  (  Des 
violons  murmures  interrompent.  —  Une  grande  partie  de  l'as- 
semblée se  lève  et  demande  que  Marat  soit  envoyé  à  l'Abbaye.  ) 

Masuyer.  Par  respect  pour  elle-même ,  je  demande  que  l'as- 
semblée ne  s'occupe  pas  d'un  fou  tel  que  Marat ,  et  qu'elle  passe 
à  l'ordre  du  jour. 

Boyer-Fonfrède.  Si  les  outrages  de  Marat  pouvaient  nuire  à  la 


FÉVRIER  (1795).  229 

réputation  d'un  individii ,  je  crois  que  la  Convention  nationale 
devrait  faire  justice  de  son  insolence,  mais 

Benlabole.  Je  demande  que  le  membre  qui  s'est  permis  de 
traiter  d'insolente  l'opinion  d'un  membre  de  l'assemblée  soit 
rappelé  à  l'ordre. 

Boijer-Fonfrède.  Desprémenil  s'étant  permis  plusieurs  invec- 
tives contre  ses  collègues,  l'assemblée  constituante  passa  à  l'ordre 
du  jour  motivé  sur  le  profond  mépris  qu'inspirait  l'individu  :  je 
demande  qu'aujourd'hui  la  Convention  nationale  passe  à  l'ordre 
du  jour  par  le  même  motif. 

Cette  proposition  est  adoptée. 

Plusieurs  membres  se  plaignent  de  n'avoir  pas  entendu ,  et 
réclament  une  seconde  épreuve.  Chabot  demande  la  parole 
coiiire  le  président;  l'assemblée  la  lui  refuse  et  maintient  son 
décret. 

Biroleau.  Je  demande  que  ce  soit  l'assemblée  elle-même  qui 
nomme  ses  commissaires  et  un  comité. 

Cette  proposition  est  adoptée. 

Le  présïdeni.  Citoyens ,  ia  Convention  nationale  vous  a  ea- 
tendus  ;  elle  examinera  votre  demande. 

N Je  convertis  en  motion  la  demande  des  pétitionnaires, 

et  je  demande  qu'elle  soit  décrétée.  (  On  murmure.  ) 

Prieur.  Je  demande  l'impression  de  l'adresse  qui  vient  de  vous 
être  présentée,  et  l'envoi  aux  déparlemens.  Personne  ne  s'est 
clcvé  contre  la  probité  dePache;  on  a  simplement  dit  que  l'im- 
mense administration  dont  il  est  chargé  est  au-dessus  de  ses 
forces ,  et  l'jissemblée  elle-même  a  consacré  cette  vérité  en  don- 
nant sept  adjoints  au  ministre  de  la  guerre. 

Ferai.  Si  l'on  décrète  l'impression  de  celte  adresse ,  je  de- 
niande  que  l'on  décrète  aussi  celle  des  notes  que  les  différens 
généraux  de  la  République  vous  ont  fait  parvenir  contre  Pache. 

Lccoînlre  Pnijraveau.  Décréter  l'impression  de  celte  adresse 
serait  prévariquer;  adopter  la  demande  qui  y  est  contenue ,  et 
qui  a  été  convertie  en  motion  ,  serait  une  inconséquence  :  je  vais 


;2Ô0  CONVENTION   NATIONALE. 

le  prouver  j  on  ne  doit  envoyer  dans  les  départemens  que  des 
ouvrages  propres  à  y  entretenir  le  patriotisme. 

Plusieurs  membres  de  l'une  des  extrémités.  Et  les  ouvrages  que 
Roland  y  a  fait  passer  ! 

Lecoinic.  J'ai  écouté  attentivement  l'adresse  ;  el'e  contient  des 
éloges  du  ministre  et  n'est  point  propre  à  donner  des  éclaircis- 
semens  sur  la  conduite  de  Pache  ,  qui  est  reconnu  ou  prévari- 
cateur ou  stupide. 

L'assemblée  pa^se  à  l'ordre  du  jour. 

Une  députation  du  conseil  général  de  la  commune  de  Paris, 
des  commissaires  des  48  sections  et  des  défenseurs  réunis  des 
M  départemens  se  présente  à  la  barre  ;  elle  demande  d'abord 
que  l'exergue  des  monnaies  de  la  République  cesse  d'êire  un  des- 
pote; elle  réclame  ensuite  contre  le  décret  de  rassemblée  consti- 
tuante qui  déclare  l'argent  un  objet  mercantile  ;  elle  demande 
que  la  Convention  prononce  la  peine  de  mort  contre  ceux  qui 
donneront  aux  monnaies  nationales  une  valeur  inférieure  à  celle 
([ui  leur  est  attachée  par  la  loi.  Ces  citoyens  renouvellent ,  au 
nom  de  ceux  qui  les  ont  députés ,  le  serment  de  vivre  libres  ou 
de  mourir. 

L'assemblée  décrète  l'impression  de  leur  adresse. 

Le  corps  municipal  de  Paris  présente  une  pétition  sur  la  né- 
cessité d'accorder  le  contre-seing  à  tous  ses  membres. 

Gardien,  au  nom  de  la  commission  des  douze ,  fait  un  rapport 
sur  les  onze  ex-députés  à  la  législature  détenus  en  vertu  des 
mandats  d'arrêt  de  la  commission  des  douze,  il  propose  le  dé- 
cret d'accusation  contre  Marivaux  et  Lamy ,  et  de  renvoyer  les 
autres  devant  le  tribunal  criminel  de  Paris  pour  se  justifier. 
L'i>ssemblée  décrète  d'accusation  Marivaux  et  Lamy  ; 
Déclare  qn'il  n'y  a  pas  lieu  à  inculpation  contre  les  ÎO  autres 
ex-dépulés,  et  qu'en  conséquence  ils  seront  mis  en  liberté. 

On  procède  à  l'appel  nominal  pour  la  nomination  d'un  mi- 
nistre de  la  guerre.  —  En  voici  le  résultat  : 

Sur  600  votans,  la  majoiité  est  de  501  voix.  Beurnonvil'.e  en  a 
réuni  o56 ,  et  a  été  proclamé  ministre  de  la  guerre.  Le  reste  des 


FÉVRIER  (1793).  231 

voix  a  été  partagé  entre  Achille  Ducliâtelet,  qui  en  a  eu  210; 
Alexandre  Beauharnaij,  16;  ServanlO;  Dumourierl;  Lacuée  1  ; 
Valence  8 ,  etc. 
La  séance  est  levée  à  cinq  heures. 

SÉAKCE   DU   O  FÉVRIER. 

Sur  le  rapport  de  Cussy,  membre  du  comité  des  finances,  le 
décret  suivant  est  porté  : 

Décret  relatif  à  la  nouvelle  empreinte  des  monnaies. 

«  La  Convention  nationale,  oui  le  rapport  de  son  comité  des 
finances,  décrète  ce  qui  suit  : 

»  Art.  1 .  Les  monnaies  d'or  et  d'argent  de  la  Répablique  fr-an- 
çaise  porteront  pour  empreinte  une  couronne  de  branches  de 
chêne  :  la  légende  sera  composée  des  mots  :  République  française, 
avec  désignation  en  chilfies  romains;  la  valeur  de  la  pièce  sera 
iuacrite  au  niiiieu  de  la  couronne. 

»  2.  Le  type  adopté  par  le  décret  d'avril  1791  sera  conservé 
bur  le  revers  de  ces  monnaies;  le  faisceau,  symbole  de  l'union, 
surmonté  du  bonnet  de  la  Liberté;  le  coq,  symbole  de  la  vigi- 
lance, continueroiii  d'êlre  placés  des  daux  côtés  du  type;  la  lé- 
gende sera  composée  des  mots  :  Rccjne  de  la  Loi  ;  l'exergue  con- 
tiendra le  millésime  de  l'année  en  chiffres  arabes. 

I  o.  Le  cordon  des  pièces  de  6  liv.  sera  inscrit  des  deux  mots  : 
Liberté,  Écfcdiié.  Les  pièces  de  24  livres  continueront  d'être 
marqiites  d'un  sin^pie  cordon. 

»  4.  Il  ne  sera  fabriqué  provisoirement  que  des  pièces  de  6  hv. 
en  argent,  et  des  pièces  de  24  livres  en  or.  » 

Lacouibe  Sainl-Michel  est  nommé  comuiissaire  pour  aller  dans 
le  déparlement  de  la  Corse.  Après  une  vive  discussion  et  deux 
épreuves  consécutives,  Varlet  est  envoyé  commissaire  dans  le 
département  du  iSord.  Ceux  qui  avaient  attaqué  Varlet  à  cause 
de  ses  opinions  modérées  proposent  de  lui  adjoindre  Gasparin 
et  Jean  Debry  ;  celle  proposition  est  adoptée. 

Tallicu  fait  un  rapport  en  son  iiom  et  ei)  cciui  de  Leg^ndrc, 


252  CONVENTION   NATIONALE, 

chargés  tous  les  deux,  par  le  comité  de  sûreté  générale,  de  se 
transporter  à  Forges-les-Eaux ,  pour  y  constater  l'identité  d'un 
individu  qui  s'y  était  suicidé  avec  Paris,  assassin  de  Lepelletier. 
Le  rapporteur  affirme  cette  identité,  et  l'appuie,  entre  autres, 
sur  les  deux  pièces  trouvées  dans  le  portefeuille  de  cet  individu  : 
La  première  est  un  extrait  des  registres  de  la  paroisse  Saint- 
Rocb ,  à  Paris ,  délivré  le  28  septembre  dernier,  duquel  il  résulte 
que  Paris  était  né  le  12  novembre  1765.  La  seconde  est  le  congé 
de  licenciement  de  la  garde  du  ci-devant  roi,  en  date  du  l^""  juin 
1792.  Au  dos  de  ce  brevet  est  écrit  de  sa  main  ce  qui  suit  : 

€  Mon  brevet  d'honneur. 

>  Qu'on  n'inquiète  personne.  Personne  n'a  été  mon  complice 
dans  la  mort  heureuse  du  scélérat  Saint-Fargeau.  Si  je  ne  l'eusse 
pas  rencontré  sous  ma  main,  je  faisais  une  plus  belle  action  :  je 
purgeais  la  France  du  régicide,  du  pairicide,  du  parricide  d'Or- 
léans ;  qu'on  n'inquiète  personne ,  tous  les  Français  sont  des 
lâches  auxquels  je  dis  : 

Peuple  dont  les  forfaits  jettent  parlent  l'effroi , 
Avec  calme  et  plaisir  j'abandonne  la  vie. 
Ce  n'est  que  par  la  mort  qu'on  peut  fuir  l'iufamie 
Qu'imprima  sur  vos  fronts  le  sang  de  TOtre  roi. 

»  Signé j  de  Paris  l'aîné,  garde  du  roi  assasshié  par  les  Fran- 
çais (1).  » 

séance  du  6  FÉVRIER. 

Barrère.  Je  viens  vous  présenter,  au  nom  du  comité  d'instruc- 
tion publique  et  de  la  commission  des  monumens,  un  projet  de 
décret  que  vous  accueillerez  avec  une  extrême  satisfaction,  car  il 
concerne  les  arts  et  les  artistes.  Il  concerne  le  recueil  des  chefs- 

(J  )  Sur  la  foi  de  ce  rapport ,  on  crut  géiiéralement  à  cette  époque  que  Paris 
s'était  suicidé.  Voici  ua  témoignage  authentique  qui  prouve  le  contraire  :  c'est 
une  note  de  Félix  Lepelletier,  qui  figure  dans  les  pièces  justificatives  qu'il  a  ré- 
unies dans  son  édition  des  couvres  de  son  frère. 

t  D'après  ce  rapport  des  députés  Tallien  etLegendre,  il  paraîtrait  certain 
que  le  garde  du  roi  Paris  se  serait  tué  le  1"  février  i7yô,  à  Forges-les-Eaus , 


lÉvKitn  (1795).  235 

d'œuvre  des  sciences,  et  la  formaiion  du  3Iu£éum  national,  et 
des  élablissemecs  pareils  que  vous  vous  proposez  de  former  dans 
chaque  dépaitement  de  la  Répuljli(jue.  Il  ne  doit  pas  plus  y 
avoir  une  capitale  des  ans  qu'une  capitale  politique  dans  un  pays 
libre. 
Depuis  près  de  trois  ans ,  une  commission  généreuse  et  </ra- 

nou  loin  de  Rouen.  Cependant  je  vais  ajouler  ici  beauconp  de  faits  qui  inGrnient 
les  assertions  de  ce  rapport. 

j>  D'abordjà  la  fin  de  17y3,  rencontrant  sur  la  (errasse  des  Tuileries  les  députés 
Hérault  de  Séthelles  et  Saint-Juot,  ils  me  racontèrent  qu'on  avait  manqué  la  nuit 
même  de  prendre  l'assassin  de  mon  frère  :  «  11  était  à  ?santerre ,  me  dirent-ils. 
»  On  sait  la  maison  où  il  étuit  caché,  et  l'on  ccnnait  jusqu'à  la  place  du  unir 
7)  par-dessus  lequel  il  s'est  sauvé.  »  Ils  me  garant'reut  l'authenticité  de  ce  qu'ils 

ul'ijpprenaient On  doit  concevoir  mon  étounement;  mais  cela  me  rappela 

que,  deux  mois  après  le  préteni'u  suicide  de  Paris,  à  Fcrges,  un  officier  muni- 
cipal de  celte  coiiamune,  venu  à  Paris,  me  laissa  apercevoir  quelques  doutes  siir 
la  réalité  de  la  mort  de  Paris.  J'étais  si  persuadé  alors  de  l'exactitude  du  rapport 
des  dépulos  Tallieu  et  Legendre,  ayant  vu  moi-même  au  comité  de  sûreté  géné- 
rale les  brevet  et  extrait  de  baptême  rapportés  par  etix,  disait-on,  de  Forges, 
que  je  ne  fis  pas  grande  attention  au  dire  de  l'officier  municipal.  Je  fis  part  moi- 
même  à  Saiut-Just  et  à  Hérault  de  Sécliclles  de  cette  ancienne  particularité. 

»  Mais  voici  qui  est  bien  plus  fort  ;  les  accées  s'écouleat  :  en  1804,  je  me  trouve 
en  eiil  à  Genève,  sons  le  consulat  de  Bonaparte.  Après  un  an  de  séjour  dans 
cette  ville ,  je  reçois  une  lettre  sans  signature,  dans  laquelle  on  me  disait  :  a  Pre= 
»  nez  garde  à  vous ,  monsieur  ;  l'homme  qui  a  tué  votre  frère  est  ici.  »  Un  mois 
après,  une  lettre  de  la  même  écriture  me  dit  :  <f  Tous  n'avez  pas  fait  cas  de  mes 
3)  avis.  Prenez  donc  garde  à  vous!  Vous  ne  m'avez  pas  cru  ni  fait  aucune  dé- 
»  marche.  Eh  bien  i  Paris  loge  chez  un  tailleur  de  cette  ville.  » 

»  Lorsqu'un  an  avant,  étant  de  retour  à  Paris  de  deux  années  de  d  porlation 
à  l'île  de  Rhé,  j'eus  occasion  de  parier  beaucoup  de  mon  frère  avec  le  ministre 
d'état  Regnault  de  Saint-Jean-d'Angely  (qui,  fils  du  baiili  de  la  terre  de  Saint 
Farge-îU  ,  avait  été  élevé  pour  ainsi  dire  avec  nous,  et  quo  je  n'avfiis  pas  vu  de- 
puis l'assemblée  constituante),  il  me  questionna  beaucoup  sur  la  mort  de  mon 
frère.  Je  lui  exposai  les  raisons  qui  me  faisaient  penser  que  Paris  n'était  pas  mort, 
et  croire  à  qiK  Ique  mystère  difficile  à  expliquer;  j'ajoutai  qu'aucun  gouverne- 
ment, depuis  le  comité  de  salut  public,  n'avait  mis  un  grand  zèl?  à  le  pénétrer. 
Il  me  dit  cts  paroles  :  «  Je  vous  assure  que  si  vous  aviez  quelque  noi>vc  lie  trace 
j)  de  l'existence  de  cet  liomuie ,  Bonaparte  ferait  mettre  beaucoup  de  soius  à  s'en 
»  assurer.  » 

»  Il  était  doue  naturel  que  j'instruisisse  M.  Regnaud  de  ce  que  je  venais  de  dé 
couvrir  à  Genève,  et  je  le  lui  écrivis.  AuJsilôt  des  ordres  très-prompts  de  Bona- 
parte arrivèrent  à  la  préfecture  pour  s'i'.ssurcr  du  nommé  Paris.  Le  préfet  de 
Genève  était  alors  51.  de  Baranle,  père  de  celui  qui  aujourd'hui  est  membre  de 
la  chambre  des  pairs;  mais  il  était  absent.  Les  ordres  arrivèrent  à  M.  Fabri , 
conseiller  de  préfecture,  qui  n'eut  rien  de  plus  pressé,  et  sans  me  rien  dire ,  que 
de  faire  beaucoup  de  bruit  et  d'instruire  ia  municipalité.  Paris  ,  averti  à  temps, 
décampa.  Ce  ne  fut  ^^u'après  son  évasion  que  M.  Fabri  m'envoya  chercher  et  me 


234  CONVENTION  NATIONALE. 

tuite,  composée  d'hommes  de  lettres,  d'artisfes ,  de  savans  et  de 
membres  de  trois  assemblées  nationales  que  la  France  a  formées 
s'est  occupée  avec  le  soin  le  plus  constant  de  rassembler  dans 
plusieurs  dépôts ,  au  Louvre ,  aux  Augustins  et  aux  Capucins , 
les  chefs-d'œuvre  de  sculpture,  peinture,  bibliographie  et  autres 
productions  rares  des  sciences  et  des  arts. 
Les  recherches  faites  ont  produit  mie  riche  et  précieuse  collec- 

fit  part  des  ordres  qu'il  ayait  reçus.  J'écrivis  à  M.  Regcaud  de  Saint- Jean-d'An- 
gel y,  en  faisant  quelques  observations  sur  la  manière  dont  les  choses  s'étaient  pas- 
sées à  Genève. 

a  Ordres  itératifs  de  Bonaparte  arrivèrent  bientôt,  portant  qu'il  fallait  trouver 
Paris  à  toute  force ,  le  faire  poursuivre,  et  des  menaces  aux  autorités  si  elles  ne  le 
représentaient  pas.  M.  de  Barante  était  de  reiour.  II  me  fit  prier  de  passer  chez 
lui,  où  m'élant  rendu,  il  entra  avec  moi  dar^s  les  détails  suivans.  Yoici  ce  qu'il 
me  dit  positivement  ;  «  Il  est  trcs-cerlain  que  l'assassin  de  M.  votre  frère  était 
)i  caché  ici  ;  mais  il  s'est  sauvé  et  a  pissé  en  Suisse.  Au  reste,  à  l'appui  de  ce  fait, 
M  je  vais  vous  dire ,  monsieui-,  uue  autre  anecdote.  Lorsque  vous  arrivâtes  à  Ge- 
3  nève ,  il  y  a  un  an  au  mois  d'août ,  quelque  temps  après ,  ayant  donné  un  dîner 
y>  pour  l'anniv.^rsaire  de  la  cré^ition  de  la  Piépublique ,  M.  Bouvier,  officier  de 
»  génie  de  la  place ,  dit  à  ma  table  et  fort  haut  :  Parbleu ,  il  arrive  dans  ce  monde 
»  de  singulières  rencontres  :  la  ville  de  Genève  renferme  dans  ce  moment  le 
»  frère  de  Michel  Lepclletier  et  paris,  son  assassin....—  Comment,  monsieur,que 
a  dites-vous  là?  en  étes-vous  sur  ?  lui  dis-je....  —  Oui,  monsieur  le  préfet,  très- 
»  sur  ;  car  dans  ma  jeunesse  j'ai  souvent  tiré  d^s  armes  avec  ce  Paris  ;  je  le  con- 
»  nais  bien,  je  l'ai  vu  ici;  et  pour  M.  Félix  Lepelletier,  vous  savez  mieux  que  per- 
»  sonne  qu'il  y  est,  et  en  exil. — Monsieur,  lui  dis-je,  vous  n'auriez  pas  dùm'an- 
»  noncer  ainsi  de  telles  choses....  a 

»  Tel  fut  le  récit  fidèle  que  me  fit  M.  de  Barante,  et  il  ajouta  :  «  Je  vous  avoue 
»  que  ce  dîner  s'étant  prolongé  fort  tard,  et  ayant  parlé  de  beaucoup  d'autres 
B  choses,  j'oubliai  le  récit  de  M.  Bouvier.  Au  reste  rassurez-vous,  ce  Paris  est 
»  passé  eu  Suisse ,  et  vous  n'avez  à  craindre  aucun  danger.  —  Dangers  1  lui  dis-je, 
3  monsic-ur  :  ah  !  si  j'avais  su  positivement  le  lieu  oii  était  ce  monstre ,  j'eusse 
a  éié  le  saisir  de  ma  main ,  je  l'aurais  traduit  en  prison  ou  devant  vous.  » 

))  Jl  uie  pria  de  calmer  le  gouvernement;  il  était  assez  singulier  de  voir  un 
préfet  rétlamer  linterventioa  d'un  exilé  près  de  l'autorité  qui  le  persécutait,  lui 
eiiié  1 

»  Il  parait  donc  démontré  par  tous  ces  faits  que  Paris  ne  s'est  pas  tué  à  For- 
ges-les-taux.  Pourtant  il  y  eut  un  honioie  tué  dans  une  auberge,  dans  son  lit, 
par  lui  ou  par  un  autre ,  mais  que  Tallien  et  Legendre  prétendirent  être  le  garde 
du  roi  Paris.  Il  ont  rapporté  comme  ayant  été  trouvés  sur  lui  son  brevet  de  la 
gai'de  royale  et  sou  extrait  de  baptême.  Sur  le  premier,  Pàrisavait  écrit,  dit-on,  ce 
qui  est  consigné  dans  le  rapport. Cependant  Paris  n'était  pas  mort;  et  un  homme 
a  été  tué,  et  l'on  a  trouvé  sur  cet  homme  les  papiers  de  Paris Quels  mys- 
tères î 

»  En  1814,  après  la  restauration,  un  de  mes  parens  qui  avait  été  absent  de  la 
Francs,  me  parlant  de  mon  frère ,  me  dit  que  Paris,  soa  assassin ,  était  mort  en 
1813  en  Angleterre....  »        (Aote  des  ailleurs.') 


KÉVRfEK  (  1795  ).  2^3 

lion.  C'est  avec  très -peu  de  dépenses  que  la  commission  a  re- 
cueilli de  grandes  valeurs ,  et  conquis  sur  l'ignorance  des  moines 
des  tableaux  précieux.  Un  tableau  original  de  Rubens  a  été  trouvé 
couvert  de  la  poussière  et  de  la  rouille  du  temps  dans  un  grenier 
obscur  de  Saint-Lazare.  Ce  tableau  est  estimé  plus  de  deux  cent 
mille  livres.  —  II  n'y  a  eu  pour  la  dépense  de  la  nation  que  des 
frais  de  restauration ,  de  transport,  de  remplacement,  quelques 
autres  frais  de  dépôt,  de  garde  et  de  réparations  et  autres  me- 
nues dépenses  de  détails  qui  sont  arriérées  depuis  l'établissement 
de  cette  commission  intéressante.  Elle  ne  présente  elle-même  que 
les  frais  économiques  de  bureau  et  ie  salaire  d'un  commis  unique 
pour  l'écriture.  L'économie  fut  toujours  l'apanage  des  hommes 
laborieux  et  des  savans ,  comme  la  fortune  fut  rarement  la  coni- 
pagne  des  artistes. 

Aussi  je  viens  vous  dire  un  mot  de  ces  hommes  aussi  iniéres- 
sans  par  leur  patriotisme  que  par  leurs  talens  et  leur  infortune. 
C'est  sur  les  fonds  de  500,000  fr.  accordés  tous  les  ans  par  l'as- 
semblée constituante  pour  l'encouragement  des  sciences  et  des 
arts  que  nous  vous  proposons  de  faire  payer  provisoirement,  à 
titre  d'avance ,  les  13  ou  20  mille  livres  qui  sont  dues  pour  les  dé- 
penses de  la  commission  des  monumens  pendant  trois  années 
consécutives.  Mais  vous  n'apprendrez  pus  sans  surprise  que,  sur 
cette  somme  de  300,000  livres  accordées  chaque  année,  il  n'y  a 
eu  qu'environ  40,000  livres  distribuées  à  titre  d'encouragement. 
Cependant  les  artistes  sont  dans  un  état  malheureux.  C'est  dans 
les  révolutions  des  empires  que  les  arts  sont  oubliés  ou  mécon- 
nus ;  c'est  dans  les  mouvemens  de  l'anarchie  révolutionnaire  que 
le  génie  des  arts  sommeille  ou  s'enfuit.  Vous  avez  fait  des  lois  ter- 
ribles contre  l'émigration  des  Français  qui  vont  compléter  d'as- 
sassiner leur  patrie;  faites  aujourd'hui  des  lois  bienfaisantes  qui 
arrêtent  l'émigration  des  arts  et  des  artistes  maltraités ,  persé- 
cutés dans  leur  mère  patrie ,  à  Rome ,  à  côté  des  chefs-d'œuvre 
qu'ils  vont  imiter.  Les  artistes  doivent  trouver  en  France  un  asile 
assuré  et  des  secours  généreux.  Les  artistes  manquent  de  tra- 
vail, leurs  talons  sont  dans  le  découragement,  et  le  père  de  fa- 


23(>  CONVliNTlON   NATIONALE. 

mille  a  le  désespoir  du  besoin.  Demandez  donc  un  compie  public 
au  ministre  de  l'intérieur  des  sommes  d'encouragement  distri- 
buées dans  cette  classe  précieuse  de  bons  citoyens.  Sachons  quels 
hommes  ont  reçu  des  secours  delà  patrie,  et  des  encouragcmeus 
de  ceux  qui  les  distribuent.  Occupons-nous  de  répandre  sur  les 
pères  de  famille ,  si  intéressans ,  une  somme  que  les  représen'ans 
du  peuple  leur  ont  destinée.  C'est  la  part  du  talent,  c'est  le  pa- 
trimoine des  arts  qui  doit  être  distribué  avec  une  juste  profusion, 
dans  ce  moment  où  les  arts  dépérissent  s'iis  ne  sont  aidés,  ou 
s'enfuient  s'ils  ne  sont  retenus.  Prouvez  à  l'Europe  qu'aucun 
genre  de  gloire  n'est  étranger  à  une  nation  éclairée  et  libre.  — 
Voici  le  projet  de  décret. 

Art.  1.  La  Convention  nationale,  ouï  le  rapport  de  son  co- 
mité d'instruction  publique,  décrète  que  provisoirement,  et  à  titre 
d'avance,  les  dépenses  faites  jusqu'à  ce  jour  pour  les  travaux  de 
la  commission  des  monumens  ,  frais  de  bureaux  et  appointemens 
du  commis,  seront  prises  sur  la  somme  de  500,000  liv.  assignée 
pour  l'encouragement  des  arts  et  des  sciences  par  le  décret  du 
9  septembre  1791.  A  cet  eiTel,  les  é.ats  des  dépenses  seront  visés 
et  ordonnancés  par  le  ministre  de  l'intérieur. 

2.  En  exécution  de  l'article  VII  du  décret  du  9  septembre 
1791 ,  le  ministre  de  l'intérieur  enverra  dans  la  quinzaine  à  la 
Convention  nationale,  et  rendra  public  par  la  voie  de  l'impression 
l'état  des  gratifications  et  encouragemens  qui  ont  éié  distribués 
pour  les  arts  et  les  sciences  ;  charge  son  comité  de  l'inslruciiou 
publique  de  lui  faire  incessamment  un  rapport  tant  sur  l'emploi  des 
fonds  destinés  aux  encouragemens  des  arts,  que  sur  l'éiablisse- 
liient  des  fonds  nécessaires  pour  la  suite  des  travaux  de  la  com- 
mission des  monumens,  et  le  remplacement  des  sommes  accor- 
dées à  la  commission ,  à  titre  d'avance ,  par  rarlicle  précédent , 
sur  le  fonds  de  500,000  Uv. 

Ce  projet  de  décret  est  adopté. 

Carra  lit  un  rapport  relatif  à  Arthur  Dillon ,  fait  au  nom  du 
comité  de  la  gueire  par  Merlin  de  Douai,  actuellement  absent 
par  commission. 


î-ÉvRi£R(1793).  25^ 

Le  rapporteur  justifie  ce  général  de  son  ordre  du  13  août,  en 
observant  qu'il  est  prouvé  qu'il  ne  l'a  écrit  que  d'après  de  fausses 
relations  de  la  révolution  du  10  ;  mais  dès  que  les  commissaires 
de  l'assemblée  l'eurent  instruit  des  faits,  il  s'empressa  d'abjurer 
cette  erreur  d'un  moment.  Il  retrace  ensuite  la  courageuse  ré- 
sistance de  ce  général  aux  ordres  de  La  Fayette  ;  sa  campa{jne 
brillante  de  la  côte  de  Bienne ,  qu'il  défendit  avec  dix  mille 
hommes  contre  les  armées  combinées.  Il  propose  le  décret  sui- 
vant : 

La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  son  comité  de  la 
guerre,  rapporte  le  décret  du  18  août  179iî,  par  lequel  le  lieute- 
nant-général Arthur  Dillon  a  été  déclaré  avoir  perdu  la  confiance 
de  la  nation ,  et  décrète  qu'il  n'y  a  lieu  contre  lui  à  aucune  incul- 
pation. 

Billaiid-Varennes.  Je  combats  ce  projet  de  décret.  Il  ne  man- 
querait plus  que  de  proposer  de  remettre  ce  général  contre-révo- 
lutionnaire à  la  tête  des  armées.  Il  s'est  opposé  à  l'insurrection  lé- 
gitime du  peuple.  Il  a  juré  serment  de  fidélité  au  roi  alors  que  les 
trahisons  de  Louis  étaient  manifestes. 

L'assemblée  décide  qu'il  y  a  lieu  à  délibérer. 

Bourdon,  de  l'Oise.  On  a  habilement  saisi  un  moment  où  les 

patriotes  ne  sont  pas  en  force {Plusieurs  voix  de  l'extrémité 

gauche  :  Oui,  oui.  —  Des  ris  s'élèvent  dans  la  partie  opposée.) 

Legendre.  Je  demande  l'ajournement  de  cette  délibération  à 
demain. 

Duliem.  Ils  ont  fait  un  dîner  chez  Arthur  Dillon. 

Bourdon.  L'ajournement  à  demain. 

Billaud,  Tallien,  Duliem,  Châles,  Legendre,  Bobespierre  jeune, 

Maure,  se  levant  tous  ensemble:  L'ajournement  à  demain! 

l'ajournement. 

L'ajournement  est  rejeté  ù  une  grande  majorité. 

Le  président.  Je  vais  nioitre  aux  voix  !e  projet  de  décret. 

Duliem.  La  division  ! Je  demande  que  la  seconde  partie  du 

projet  de  décret  ne  soit  pas  mise  aux  voix.  Il  est  impossible  de 


2Ô8  CONVENTION   NATIONALE. 

déclarer  qu'il  n'y  a  lieu  à  aucune  inculpation  contre  cet  liomnie-là. 

Robespierre  jeune.  Il  a  ,  autant  qu'il  était  en  lui,  provoqué  la 
défection  de  l'armée  ;  il  a  invité  les  corps  à  délibérer,  à  voter  con- 
tre la  révolution. 

Le  président.  La  division  étant  de  droit ,  en  vertu  du  règle- 
ment ,  J8  vais  mettre  aux  voix  la  première  partie  de  l'article. 

Duhem  interrompt  la  délibération  pour  proposer  une  rédac- 
tion. —  Mais  déjà  la  grande  majorité  de  l'assemblée  est  levée  pour 
décréter  l'article. 

Le  président  prononce  que  le  décret  par  lequel  il  a  été  déclaré 
qu'Arthur  Dillon  a  perdu  la  confiance  est  rapporté. 

Duhem.  Il  est  inouï  qu'on  n'écoute  pas  la  voix  d'un  membre 
qui  demande  à  proposer  une  rédaction {Plusieurs  voix  :  Par- 
lez.) Eh  bien  !  voici  ce  que  je  propose.  Je  demande  qu'il  soit  dé- 
crété que  la  Convention  nationale  pardonne  au  cjénéral  Arthur 
Dillon. 

Bourdon.  En  ajoutant  :  En  faveur  de  sa  campagne  de  la  côte  de 
Sienne. 

Maure.  Comment  pourrez-vous  punir  des  officiers  quand  vous 
pardonnerez  aux  chefs  ? 

Bourdon.  Il  y  a  des  officiers  qui  sont  encore  destitués  pour 
avoir  souscrit  à  cet  ordre,  et  vous  décréteriez  qu'il  n'y  a  lieu  à 

aucune  inculpation  contre  le  général  qui  l'a  donné C'est  une 

abomination. 

L'assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour  sur  la  rédaction  proposée 
par  Duhem. 

Châles.  Je  demande  maintenant  h  question  préalable  sur  la  se- 
conde partie  de  larticle  proposé ,  portant  qu'il  n'y  a  lieu  à  aucune 
inculpation,  etc. 

Carra.  Cette  seconde  partie  a  été  insérée  dans  le  projet  de  dé- 
cret peur  le  disculper  des  inculpations  dirigées  contre  lui,  àl'occa- 
sion  de  sa  fanfaronnade  à  l'égard  du  prince  de  Hesse-Cassel ,  qui 
était  indiscrète ,  il  est  vrai ,  mais  dent  il  se  justifia  bien  en  battant 
les  Hessois.  M^is  j'avoue  que  le  décret  que  vous  venez  de  rendre 
dit  tout. 


FÉVRIER  (  1793  ).  259 

N La  seconde  partie  est  al^solumcnt  iniUile.  C'est  un 

pléonasme. 

Carra.  Je  la  retire  de  la  dëiibéralion.  J 


Dubem  rapportait  un  fait  vrai  en  s'écriant  :  «  Ils  ont  dîné 
chez  Arthur  Dillon.  »  Plusieurs  journaux,  entre  autres  lesRévo- 
lulïons  de  Paris  et  la  feuille  de  j\Iarat ,  nous  donnent  là-dessus 
des  détails  que  nous  allons  recueilhr. 

Le  n.  CLXXXVII  de  Prudhomme  renferme  un  assez  lonjj  arti- 
cle sur  ce  scandale.  «  Il  y  avait  à  ce  diner  tiente  de  nos  léjjisla- 
leurs  républicains,  dont  plusieurs  de  la  Montagne  :  Bazire ,  Cha- 
bot ,  Fabre-d'Églantine ,  Beurnonvil'e,  Merlin ,  Camille  Desmou- 
lins avec  sa  charmante  femme,  Carra,  Delmas  du  comité  mili- 
taire ;  e(c.  —  Le  décret  en  faveur  de  Diilon  prouve  la  vérité  de 
l'ancien  proverbe  latin  :  Omne  animal  capiturescâ.i  Le  journaliste 
dit  que  le  luxe  de  ce  diner  fut  porté  jusqu'à  l'indécence,  et  que 
«  jamais  Choiseul,  dans  tout  son  faste,  ne  donna  un  pareil  re- 
pas, i»  Il  ajoute  que  ce  n'est  pas  le  premier  que  Biilon  a  olfei-t  €  à 
nos  législateurs,  z» 

Voici  ce  que  dit  Marat  :  «  Les  patriotes  qui  n'ont  que  leurs  fonc- 
tions à  remplir  ont  de  grands  reproches  à  se  faire  de  ne  pas  as- 
sister régulièrement  aux  séances,  et  de  n'en  attendre  presque  ja- 
mais la  fin.  U  serait  à  désirer  que  l'on  trouvât  un  moyen  de  les  y 
contraindre.  On  parle  d'établir  six  censeurs  chargés  de  noter  les 
membres  qui  ne  seront  pas  rendus  à  onze  heures.  Ce  projet  est 
très-beau,  mais  j'ai  grand'peur  qu'il  n'en  soit  comme  de  celui  du 
journal  de  la  Montagne  ,  et  cela  avec  d'autant  plus  de  fondement 
que  tous  les  citoyens  qui  y  prennent  place  sont  loin  d'avoir  les 
mœurs  rëpubhcaines.  Qui  croirait  que  plusieurs  d'entre  eux,  no- 
tamment Desmoulins  et  Chabot ,  bien  connus  pour  avoir  un  esto- 
mac aristocratique ,  si  leur  cœur  est  patriote ,  ont  clé  diner  chez 
Diilon  le  jour  même  où  il  s'était  rendu  à  la  Convention  pour  in- 
triguer et  se  faire  réhabiliter  ?  On  dit  que  ce  n'est  pas  la  première 
fois ,  et  qu'ils  mettent  à  la  tête  de  leurs  devoirs  celui  de  courir  les 


240  CONVENTION   NATIONALE. 

bons  dîners.  Si  pareille  platitude  leur  arrive ,  j'Invite  les  amis  de 
la  patrie  à  m'informer  du  jour  et  du  lieu  ,  j'irai,  à  la  tête  des  fem- 
mes de  nos  braves  sans-culottes  ,  relancer  ces  sybarites ,  et  de  la 
belle  manière.  j>  (  Journal  de  la  République  française,  n.  CXVII.  ) 

Nous  transcrivons  du  n.  CLXXXVIII  des  Révolutions  de  Paris 
Une  réclamation  de  Camille  Desmoulins. 

«  Camille  Desmoulins  à  Prudhomme  :  Citoyen ,  rien  ne  vous 
coûte  tant  que  de  dire  du  bien  des  patriotes  de  la  Montagne,  et 
surtout  des  députe's  de  Paris.  Rancune  tenante  contre  le  corps 
électoral  qui  vous  a  fait  le  passe-droit  de  ne  pas  vous  nommer,  il 
faut  pourtant  vous  résoudre  à  insérer  V errata  que  je  vous  adresse. 
Ayant  pris  l'engagement  de  livrer,  par  semaine ,  à  vos  abonnés 
trois  feuilles  d'impression  de  satire  petit-romain,  vous  êtes  bien  ex- 
cusable de  n'avoir  pas  fait  l'enquête  et  la  contre-enquête  sur  cha- 
que dénonciation  ;  et  dans  le  doute ,  vous  faites  bien  de  crier 
haro  sur  le  fonctionnaire  public.  In  suspicione  btratote  ;  tel  est  le 
grand  principe  de  la  liberté  de  la  presse,  dont  le  laticlave  ne  m'a 
point  fait  me  départir  ;  mais  quand  vous  avez  articulé  un  fait  faux, 
si  vous  refusez  V errata  qu'on  vous  demande ,  là  cesse  votre  pré- 
tendue impartialité  et  commence  la  calomnie. 

»  J'aurais  cru  que  ce  qu'il  importe  à  mes  commettans  de  savoir 
est  si  on  opine,  et  non  si  on  dîne  bien  ou  mal  ;  et,  en  vérité,  austère 
Prudhomme,  voilà  bien  du  bruit  que  vous  faites  dans  votre  dernier 
numéro  pour  une  dinde  aux  truffes  mangée,  dans  le  carnaval,  chez 
un  général  qui  a  sauvé  la  France  à  la  côte  de  Bienne.  Vous  dites 
que  jamais  Choiseul  ne  donna  un  pareil  dîner  ;  je  ne  sais  pas  com- 
ment Ghoiseul  donnait  à  dîner,  mais  je  me  souviens  d'avoir  fait 
chez  vous-même,  citoyen  auteur,  un  dîner  aussi  somptueux  ,  je 
vous  le  jure,  que  celui  du  citoyen  général ,  et  ce  que  j'en  dis  n'est 
pas  pour  vous  le  reprocher.  J'iidresse  la  même  réponse  à  Marat, 
qui  est  venu  faire  également  charivari  à  ma  porte  sur  mon  esto- 
mac arisiocrate ,  et  que  Chabot  accuse  de  lui  avoir  servi  une  fois 
un  repas  de  général  d'armée ,  quoique  Marat  parle  encore  plus 
souvent  de  ses  haricots  que  vous  ne  parlez  de  votre  riz  à  l'eau. 
Que  n'ai-je  encore  mon  journul  !  je  ferais  un  beau  chapiire  sur 


FÉVRIER  (4793).  241 

certains  Curias  qui  apprennent  au  public  qu'ils  étaient  vierges  à 
vingt  et  un  ans  (  allusion  au  portrait  de  Marat  par  lui-même,  cité 
par  nous  dans  le  tom.  XXIII),  et  qui  montrent  avec  ostentation 
leurs  pommes  de  terre ,  comme  Brissot  montrait  au  comité  de 
surveillance  de  la  Commune  la  paillasse  sur  laquelle  il  était  couché. 
Plût  au  ciel  que  \e  jésuite  piémontais  dormît  sur  le  duvet  et  sur  des 
feuilles  de  rose ,  et  qu'il  ne  fût  pas  le  premier  levé  et  le  dernier 
couché  de  la  République  !  Pitt  dormirait  bien  moins  si  Brissot 
dormait  davantage.  II  aime  bien  mieux  les  fourberies  de  Xéno- 
phon ,  qui ,  dans  son  roman  de  Cyrus ,  met  ces  paroles  dans  la 
bouche  du  grand-père  Astyage  :  «  Et  quoi  !  mon  fils ,  n'y  a-t-il 
»  pas  de  mardi-gras  chez  les  Perses? — Jamais ,  répond  Cyrus. — 
»  Par  Jupiter  et  par  Vesta  !  comment  vivent-ils  donc  ?  > 

i  Mais  voyez  comme  vous  êtes  mal  instruit ,  et  quelle  foi  on 
peut  ajouter  à  vos  mémoires.  Vous  dites  qu'il  y  avait  trente  dé- 
putés à  dîner  ;  la  vérité  est  qu'il  y  en  avait  cinq;  vous  mettez  de 
ce  nombre  Merlin ,  qui  était  à  Bruxelles  ou  à  Mayence  à  se  battre 
aux  avant-postes  ;  ce  qui  montre  que  vous  êtes  fort  peu  au  cou- 
rant de  ce  qui  se  passe  à  la  Convention  ;  comme  on  a  vu  que  vous 
connaissiez  bien  peu  les  Jacobins ,  quand  vous  avez  dit  que  Le- 
pelletier  n'y  avait  mis  le  pied  de  sa  vie  ;  il  est  également  faux  que 
Beurnonville  fût  de  ce  dîner,  et  il  serait  à  souhaiter  qu'il  ne  vît 
pas  plus  mauvaise  compagnie  que  celle  des  cinq  montagnards  qui 
s'y  trouvaient  ;  il  y  aurait  moins  à  craindre  de  trahisons  épou- 
vantables ;  et  si  le  vin ,  qui  fait  aller  droit  le  mulet ,  comme  dit 
Pline ,  fait  aller  les  hommes  de  travers ,  il  faut  convenir  pourtant 
qu'il  est  bien  des  gens  qui  sont  mulets  en  ce  point,  et  que  le  vin 
empêcherait  de  broncher,  s'ils  avaient  bu  avec  les  Jacobins  et 
les  Cordelieis. 

»  Que  savez-vous  ,'si  ce  n'est  pas  pour  celte  raison  que  quel- 
ques députés  patriotes  sont  allés  dîner  chez  Dillon ,  qui  est ,  sans 
contredit,  notre  meilleur  officier  ?  Comme  il  était  permis  aux 
docteurs  en  Sorbonne  de  lire  les  livres  à  ïindcx,  il  peut  bien  être 
permis  à  Chabot  et  à  moi  de  dîner  avec  les  généraux  à  Ïi7idex; 
vous  étiez  au  corps  électoral ,  et  il  doit  vous  souvenir  que  lors- 

T.    XXIV.  i6 


242  CONVENTION   NATIONALE. 

que  je  fus  discuté  avant  mon  ballottage  avec  Kersaint,  un  membre 
m'a^'ant  reproché  mes  dîners  avec  Suleau  et  Peltier,  il  lui  fut  ré- 
pondu par  Danton  en  une  seule  phrase  qui  me  fit  nommer  à  la 
presque  unanimité.  Quand  je  me  souviens  de  saint  Paul  et  de 
saint  Augustin  ;  j'ai  toujours  regret  qu'il  n'y  ait  point  au  pied  de 
la  Montagne  et  à  l'entrée  des  Jacobins  un  ou  deux  bancs  pour  les 
conversions  célèbres.  Quelle  impolitique  de  donner  Magellan  à 
l'Espagne,  ou  le  prieur  Eugène  à  l'Autriche  ! 

»  Mais  le  sens  pr  incipal  de  votre  paragraphe  est  celui-ci  :  «  On 
»  se  doute  bien  que  les  dîneurs  ont  appuyé  le  lendemain  de  tou- 
>  tes  leurs  forces  pour  faire  blanchir  Dillon.  »  Eh  bien  !  point  du 
tout,  citoyen  Prudhomme,  et  ce  qui  vous  paraît  sans  doute  in- 
concevable, c'est  que  j'ai  voté  trois  fois  contre  Dillon.  Maintenant 
que  deviennent  vos  lamentations  sur  le  gouvernail  de  la  Républi- 
que confiée  à  des  estomacs  de  vautour?  que  devient  votre  proverbe 
omne  animal  capitur  escà  ? 

»  Où  en  serions-nous,  citoyen  Prudhomme,  si  à  mon  tour 
j'épluchais  vos  numéros?  Voyant  dans  quels  principes  votre  jour- 
nal est  rédigé  depuis  six  mois,  savez-vous  que  j'ai  eu  la  pensée 
d'aller  aussi  vous  demander  à  dîner  pour  vous  ramener  aux  bons 
principes?  mais  j'ai  réfléchi  qu'on  peut  faire  un  bon  républicain 
du  royaliste  Cazalès  ou  Custine,  Wimpfen  ou  Dillon,  mais  que 
convenir  un  brissolin  est  une  chose  impossible,  et  j'ai  abandonné 
votre  girouette  à  tous  les  vents  qui  soufflaient  du  côté  droit  et 
de  la  Tamise.  —  Ce  14  février^  Camille  Desmoulins  » 


SÉANCE   DU   7   FÉVRIER. 

Real,  au  nom  du  comité  des  finances.  Citoyens,  assurer  les 
subsistances  de  Paris ,  maintenir  sur  les  marchés  l'abondance  des 
grains,  des  farines,  et  à  un  prix  modéré,  fut  toujours  un  des 
principaux  soins  de  l'administration  municipale  de  Paris,  et  un 
article  important  dans  l'état  de  ses  dépenses. 

La  différence  entre  le  prix  des  achats  de  grains  et  farines  faits 


FÉVRIER  (1795).  245 

par  la  municipalité ,  pour  l'approvisionneinent  de  Paris,  et  lu 
revente  de  ces  subsistances  sur  le  carreau  de  la  halle  et  aux  bou- 
langers, a  produit,  en  4792,  un  déficit  qui,  joint  aux  frais  de 
régie,  s'élève  a  la  somme  de  5,875,950  livres. 

Pour  faire  face  à  ce  déficit ,  et  en  prévenir  de  nouveaux ,  la 
municipalité  était  réduite  à  la  dure  nécessité ,  ou  d'augmenter  le 
prix  du  pain,  ou  d'avoir  recours  à  une  coatribution  extraordi- 
naire. 

La  première  mesure  a  répugné  à  des  magistrats  choisis  par  le 
peuple;  ils  ont  rejeté  unanimement  l'idée  de  hausser  le  prix  du 
pain  dans  un  moment  oii  les  denrées  de  première  nécessité  étaient 
déjà  si  chères.  C'eût  été  aggraver  le  sort  de  la  classe  la  moins 
aisée  et  la  plus  nombreuse  des  citoyens  de  Paris,  qui  a  fait  tant 
de  sacrifices  pour  la  révolution. 

Le  conseil  général  de  la  Commune  a  donc  voté  pour  une  con- 
tribution extraordinaire. 

Il  a  demandé  d'être  autorisé  à  imposer  une  somme  de  4,000,000 1. 
pour  couvrir,  1°  le  déficit  de  5,873,930  livres;  et  2°  la  somme 
de  124,070  livres  destinée  à  faire  face  aux  non- valeurs  dans  la 
rentrée  de  celte  contribution  et  aux  frais  de  perception. 

Il  a  demandé  encore  que  cette  contribution  portât  sur  le  rôle 
foncier  et  sur  le  rôle  mobilier;  que  la  contribution  additionnelle 
au  rôle  foncier  fût  d'un  sou  six  deniers  pour  Hvre  du  principal, 
et  que  la  contribution  au  rôle  mobilier  fût  graduée  de  manière 
qu'en  exemptant  la  classe  la  moins  aisée  elle  atteignît  modéré- 
ment la  classe  moyenne ,  et  pesât  plus  fortement  sur  les  grandes 
fortunes. 

Le  directoire  du  département  a  approuvé  ces  différentes  me- 
sures, par  son  arrêté  du  20  janvier  dernier. 

Votre  comité  des  finances,  chargé  de  l'examen  de  cette  affaire, 
a  pensé  que  la  contribution  de  quatre  millions  était  nécessaire, 
et  que  le  mode  proposé  était  juste. 
Voici  le  projet  de  décret  : 

La  Convention  nationale ,  après  avoir  entendu  le  rapport  de 
son  comité  des  finances,  sur  la  demande  faite  par  la  municipalité 


2i4  CONVENTION   NATIONALE. 

de  Paris,  et  approuvée  par  le  directoire  du  département,  d'être 
autorisée  à  lever  une  contribution  extraordinaire  de  4  millions , 
pour  couvrir,  1°  le  déficit  de  5,875,930  livres  provenant,  soit  de 
l'excédant  du  prix  des  grains  et  farines  achetés  par  la  munici- 
palité pour  l'approvisionnement  de  Paris ,  sur  la  revente  qui  en 
a  été  faite  en  1792  sur  le  Carreau  de  la  halle  et  aux  boulangers, 
soit  des  frais  de  régie;  2°  la  somme  de  124,070  livres,  destinée  à 
faire  face  aux  non-valeurs  dans  la  rentrée  de  cette  contribution, 
et  aux  frais  de  perception ,  décrète  : 

Art.  i.  La  municipalité  de  Paris  est  autorisée  à  imposer  une 
somme  de  4  millions ,  en  établissant  une  contribution  addition- 
nelle aux  rôles  de  contributions  foncière  et  mobilière  de  la  Com- 
mune de  Paris,  pour  i791 ,  suivant  le  mode  ci-après  fixé. 

2.  La  contribution  additionnelle  au  rôle  de  la  contribution 
foncière  sera  d'un  sou  six  deniers  pour  la  livre  du  principal  de 
celte  contribution. 

Cette  contribution  additionnelle  portera  sur  les  maisons  et 
propriétaires  imposés  sous  le  nom  de  domaine  national ,  ou  de 
la  Commune  de  Paris,  qu'autant  qu'il  sera  constaté  qu'elles  ont 
été  acquises  par  des  particuliers,  et  n'aura  lieu  qu'au  prorata  du 
temps  de  leur  jouissance. 

5.  Il  sera  imposé  sur  le  rôle  de  la  contribution  mobilière,  à 
partir  d'un  revenu  présumé  de  900  livres,  sans  aucune  des  dé- 
ductions prescrites  par  les  articles  19,  20,  23  et  24  de  la  loi  du 
13  janvier  1791,  une  cote  additionnelle,  comme  suit,  pendant  la- 
dite année. 

Celui  dont  le  revenu  présumé  sera  de  900  à  3,000  i  ivres  ex- 
clusivement sera  taxé  aux  3  centièmes  de  son  revenu  présumé; 
sa  taxe  sera  égale  à  sa  cote  d'habitation. 

Celui  dont  le  revenu  présumé  sera  de  3,000  à  9,000  livres 
paiera  une  taxe  égale  à  sa  cote  d'habitation ,  plus  une  moitié  de 
ladite  cote. 

De    6,000  livres  à  10,000  livres ,  deux  cotes  d'habitation. 

De    10,000  à    15,000,  deux  cotes  et  demie. 

De   15,000  à   20,000,  trois  cotes. 


FÉvuiiiR  (  1705  ).  245 

De   20,000  à   25,000,  trois  cotes  et  demie. 
De    25,000  à    50,000,  quatre  cotes. 
De    30,000  à   40,000,  cinq  cotes. 
De    40,000  à    50,000,  six  cotes. 
De   50,000  à    GO, 000,  sept  cotes. 
De    60,000  à    72,000,  huit  coies. 
De    72,000  à    85,000,  neuf  cotes. 
De   85,000  à  100,000,  dix  cotes. 
De  100,000  à  150,000,  douze  cotes. 

De  150,000  et  au-delà,  quinze  cotes,  ou  le  vingtième  du  re- 
venu présumé. 

4.  Les  percepteurs  des  contributions  seront  tenus  de  percevoir 
les  contributions  additionnelles  en  même  temps  que  le  surplus 
des  contributions  publiques ,  aux  mêmes  conditions  que  le  prin- 
cipal, et  de  faire  mention ,  tant  sur  leurs  quittances  qu'à  la  marge 
des  rôles  qui  leur  seront  fournis ,  do  ce  qu'ils  auront  reçu. 

5.  Ils  joindront  à  leurs  bordereaux  de  recette  ordinaires  un 
bordereau  particulier  de  l'état  de  recouvrement  de  la  contribu- 
tion additionnelle. 

G.  La  municipalité  de  Paris  est  autorisée  à  prélever  sur  le  pro- 
duit des  contributions  publiques  de  1791,  et  dans  les  caisses  des 
percepteurs  de  cette  ville,  la  somme  d'un  million  pour  fournir 
aux  subsistances  de  Paris  jusqu'à  ce  que  les  rôles  prescrits  parle 
présent  décret  soient  mis  en  recouvrement. 

7.  Les  récépissés  que  les  administrateurs  municipaux  des  sub- 
sistances fourniront  aux  percepteurs  seront  reçus  pour  comptant 
à  la  trésorerie  nationale  jusqu'à  concurrence  d'un  million. 

8.  Le  produit  de  ces  contributions  additionnelles  sera  versé 
en  entier  à  la  caisse  publique  sur  les  premiers  deniers  qui  en 
proviendront  ;  la  trésorerie  nationale  se  rembouriera  du  million 
prélevé  sur  les  contributions  de  1791 ,  et  rendra  aux  administra- 
teurs leurs  récépissés. 

9.  A  l'égard  du  surplus  du  produit  desdites  contributions,  il 
restera  en  dépôt  à  la  trésorerie  nationale.  La  municipalité  de 
Paris  ne  pourra  le  retirer  qu'en  suite  de  l'autorisation  du  direc- 


!246  CONVENTION   NAÏlONVLE. 

toire  du  département  ;  le  directoire  ne  l'y  autorisera  que  lorsque 
la  municipalité  lui  aura  présenté  l'état  détaillé  de  ses  dettes  et  dé- 
penses, conformément  aux  lois  des  5  avril  et  17  juin  1791 ,  et 
que  les  administrateurs  municipaux  du  département  des  domaines, 
finances  et  subsistances  lui  auront  rendu  le  compte  de  leur  ad- 
ministration ,  vérifié  et  arrêté  par  le  conseil  général  de  la  Com- 
mune. 

10.  Dans  le  cas  où,  par  la  rentrée  desdites  contributions  addi- 
tionnelles, il  se  trouverait  un  excédant  au-delà  des  quatre  millions 
imposables ,  le  directoire  du  département  veillera  à  ce  que  cet 
excédant  soit  remplacé  en  moins  imposé ,  sur  les  rôles  de  1793 , 
au  profit  des  contribuables  qui  auront  fourni  à  la  contribution. 

11.  Le  ministre  de  l'intérieur  fera  afficher  tous  les  trois  mois , 
dans  Paris ,  l'état  comparatif  du  prix  des  grains  dans  toute  la 
Képublique. 

—  Villers  et  Lanjuinais  s'opposent  à  ce  décret. 

Cambon.  Le  système  du  comité  est  le  plus  juste ,  car  il  offre 
aux  infortunés  les  secours  qu'ils  léclament ,  et  fait  payer  aux  ri- 
ches la  protection  que  leur  accorde  la  loi.  Il  est  le  plus  économi- 
que ,  car  il  ne  lèse  point  le  trésor  public.  Il  est  le  plus  sage  et  le 
plus  conforme  à  nos  principes ,  car  c'est  par  de  telles  mesures 
que  vous  réaliserez  l'égalité,  que  quelques  hommes  voudraient 
faire  passer  pour  une  chimère.  Voilà,  citoyens,  des  avantages  qui 
doivent  vous  déterminer  sur  la  priorité;  je  la  demande  pour  le 
projet  du  comité. 

Plusieurs  voix  de  l'extrémité  gauche.  Aux  voix  ,  aux  voix! 

Fermiez  la  discussion. 

La  priorité  est  accordée  au  projet  du  comité ,  et  il  est  adopté 
tel  qu'il  a  été  présenté.  ] 

SÉANCE  DU  8  FÉVRIER.  —  Présidence  dé  Rabaut. 

[Un  des  secrétaires  fait  lecture  de  plusieurs  adresses  d'adhésion 
au  décret  qui  a  ordonné  la  mort  de  Louis. 
On  admet  à  la  barre  une  députation  des  défenseurs  de  la  Ré- 


F  "VRiER  (1795).  347 

publique  une  et  indivisible ,  réunis  en  société  aux  Jacobins  de 
la  rue  Saint-Honoré ,  à  Paris. 

Le  citoyen  Roiissillon,  commissaire  rédacteur,  électeur  de  la 
section  de  Marseille,  orateur  de  la  députation.  Représentans  du 
peuple,  après  quatre  ans  de  trahisons  de  la  part  d'une  cour  per- 
fide et  de  mandataires  infidèles,  Paris  s'est  levé  pour  la  seconde 
fois  :  le  courage  des  citoyens  et  des  fédérés  a  terrassé  le  despo- 
tisme ,  et  le  roi  assassin  est  descendu  du  trône  pour  monter  à  l'é- 
chafaud. 

Nous  espérions  que  cette  leçon  terrible  ferait  trembler  les  en- 
nemis de  la  liberté  ;  mais  ils  n'en  sont  devenus  que  plus  auda- 
cieux :  une  main  sacrilège  a  enfoncé  le  poignard  dans  le  sein  d'un 
de  nos  représentans;  d'autres  sont  encore  menacés  :  nous  jurons 
de  venger  sa  mort  dans  le  sang  de  tous  les  ennemis  du  peuple. 

Tous  les  tyrans  se  liguent  contre  nous  ;  et  c'est  dans  le  moment 
que  nous  allons  les  combattre  que  vous  avez  rendu  un  décret 
qui  ordonne  de  poursuivre  les  prétendus  auteurs  des  journées 
des  2  et  3  septembre  ;  poursuivez  donc  aussi  les  auteurs  des 
massacres  du  Champ-de-Mars ,  de  la  Chapelle  et  de  Nanci;  pour- 
suivez donc  aussi  les  infâmes  auteurs  des  pétitions  contre-révo- 
lutionnaires. 

Pieprésentans ,  ces  journées  sur  lesquelles  on  affecte  de  s'api- 
toyer éternellement  ne  sont  point  telles  qu'on  se  plaît  à  le  ré- 
pandre. Le  peuple  ne  savait-il  pas  que ,  pendant  que  le  traître 
Louis  allait  effectuer  une  seconde  évasion ,  les  scélérats  détenus 
à  dessein  dans  les  prisons ,  les  tribunaux  contre-révolutionnai- 
res, devaient  en  sortir  tout-à-coup,  se  joindre  aux  chevaliers 
du  poignard  ,  et  égorger  les  patriotes?  Pouvait-il  surtout  l'ou- 
blier dans  le  moment  où  il  voyait  s'avancer  contre  lui  soixante 
mille  esclaves  appelés  par  son  ancien  tyran  ? 

Le  premier  mouvement  de  ceux  qui  s'armèrent  pour  aller  à 
la  rencontre  des  satellites  de  Brunswick  fut  de  mettre  leurs 
femmes  et  leurs  enfans  à  l'abri  de  toute  atteinte  :  ils  se  portèrent 
aux  prisons,  punirent  les  conspirateurs,  et  mirent  en  liberté  les 


248  CONVENTION   NATIONALE. 

innocens  :  libres  après  cela  de  toute  inquiétude ,  ils  marchèrent 
fièrement  à  l'ennemi. 

Voilà  les  ëvénemens  qui  ont  donné  lieu  aux  aristocrates  et  aux 
modérés  de  calomnier  le  peuple  de  Paris. 

Représentans ,'  ceux  qui  font  un  crime  au  peuple  des  premiè- 
res journées  de  septembre  sont  les  mêmes  qui  applaudissaient  à 
celle  du  17  juillet.  Ils  seraient  déplorables  ces  événemens  dans 
un  temps  calme  ;  mais  au  sein  d'une  révolution  orageuse ,  à  la 
suite  d'une  insurrection  sanglante ,  ne  peut-on  donc  les  excuser? 

Si  la  morale  les  réprouve,  la  politique  les  justifie,  et  il  en  sera 
ainsi  toutes  les  fois  qu'au  lieu  de  faire  pour,  on  fera  contre  le 
peuple  qui,  dans  sa  juste  vengeance,  peut  se  tromper.';  et  comme 
l'a  dit  un  de  vos  membres ,  Isnard ,  les  vengeances  populaires 
sont  un  supplément  au  silence  des  lois.  Et  nous  aussi ,  qu'on  ac- 
cuse de  cannibalisme,  nous  pleurons  de  bonne  foi  les  innocens, 
n'y  en  eût-il  qu'un  seul;  et  s'il  en  a  péri ,  est-ce  au  peuple  qu'il 
faut  s'en  prendre?....  Non  ,  il  faut  toujours  reprocher  les  écarts 
du  peuple  à  ceux  qui  les  provoquent ,  en  investissant  les  traîtres 
d'un  brevet  d'impunité. 

Mais  quels  sont  donc  ceux  que  l'on  voudrait  poursuivre  ?  Est- 
ce  le  peuple  de  Paris  et  les  fédérés  ?  Vous  auriez  alors  Jiuit  cent 
mille  hommes  à  punir.  Est-ce  une  poignée  de  brigands  soldés, 
comme  le  prétendent  les  aristocrates  et  les  modérés  ?  Dans  cette 
hypothèse ,  le  peuple  serait  encore  complice ,  puisque  par  son 
silence  il  aurait  adhéré  à  leurs  exécutions. 

Celte  procédure  ridicule  qu'on  veut  intenter  contre  les  auteurs 
des  journées  de  septembre  n'est  qu'un  échafaudage  contre-ré- 
volutionnaire, bâti  par  les  ennemis  de  la  Piépublique;  c'est  pour 
leur  arracher  le  masque  que  nous  venons  à  votre  barre  vous 
demander  le  rapport  du  décret  qu'ils  vous  ont  surpris  ;  vous  le 
devez  au  peuple ,  encore  plus  à  votre  gloire  ;  et  si  ce  que  nous 
vous  disons  ne  suffisait  pas ,  nous  citerions  un  rapport  que  vous 
a  fait  le  ministre  de  la  justice,  qui  a  pensé  comme  nous. 

Ce  décret  a  déjà  donné  lieu  à  une  procédure  dans  la  ville  de 
Meaux.  Plusieurs  de  nos  fières  sont  dans  les  fers  et  prêts  à  per- 


FÉNRIER  (  1793  ).  349 

dre  la  vie.  Cinquante  pères  de  famille  ont  abandonné  leurs  fem- 
mes et  leurs  enfans  pour  se  soustraire  aux  persécutions  des  li  aî- 
Ires  qui,  au  nom  de  la  loi,  veulent  assassiner  le  peuple.  Nous 
devons  obéir  à  la  loi ,  sans  doute  ;  mais  si  elle  est  mauvaise ,  nous 
avons  le  droit  de  réclamer  contre  elle ,  et  d'invoquer  la  loi  su- 
prême, qui  est  le  salut  du  peuple. 

Nous  demandons  donc  que  vous  ordonniez  que  nos  frères  de 
Meaux  soient  mis  en  liberté ,  en  vous  observant  qu'il  existe  une 
loi  qui  annuité  toutes  les  procédures  faites  et  à  faire  pour  cause 
de  révolution. 

Le  'président  à  la  députalion.  Les  défenseurs  de  la  patrie  seront 
toujours  ceux  qui  donneront  l'exemple  de  l'obéissance  à  la  loi. 
La  Convention  se  fera  rendre  compte  de  votre  pétition  ;  si  vos 
réclamations  sont  justes,  vous  ne  pouvez  douter  qu'elle  n'y  fasse 
droit. 

Albitle,  Bourbolle,  PouUier,  Bentabole.et  quelques  autres 
membres  demandent  le  rapport  du  décret. 

On  réclame  l'ordre  du  jour. 

Saint-André.  Une  grande  révolution  ne  peut  s'opérer  que  par 
un  grand  mouvement.  On  y  trouve  à  côté  des  actes  les  plus  écla- 
tans  de  générosité ,  de  grandeur  d'ame ,  des  traits  qu'il  faut  au- 
trement qualifier.  De  grands  maux  accompagnent  alors  de  grands 
biens.  Mais  si  l'on  ne  tirait  le  rideau  sur  les  premiers,  jamais  une 
révolution  ne  serait  possible  ;  jamais  un  grand  peuple  ne  pour- 
rait remonter  à  la  liberté.  La  France,  esclave  depuis  des  siècles, 
courbée  sous  le  joug  de  ses  rois  et  de  ses  prêtres ,  a  voulu  briser 
ce  joug  avilissant;  mais  elle  n'a  pu  le  briser  sans  une  commotion 
violente.  Montrez-vous  grands  et  généreux  ;  faites  par  esprit  de 
patriotisme  ce  que  les  réviseurs  firent  par  esprit  d'aristocratie. 
Ils  accordèrent  une  amnistie  dans  laquelle  les  contre-révolution- 
naires de  Nîmes,  de  Montauban  ,  etc.,  trouvèrent  l'impunité  de 
leurs  assassinats  médités,  réfléchis,  préparés  avec  lenteur.  Avec 
combien  plus  de  raison  ne  devez-vous  pas  pardonner  à  des  hom- 
mes dont  les  mains  se  sont,  il  est  vrai ,  souillées  de  sang,  mais 
dont  les  intentions  étaient  pures.  Ce  n'est  pas  que  je  regarde  de 


250  CONVENTION  NATIONALE. 

sang-froid  ces  tableaux  déchirans ,  qui  font  gémir  i'humanitë  » 
la  philosophie  ;  mais,  plutôt  que  d'enlever  des  pères  à  leurs  enfans, 
des  enfans  à  leurs  pères ,  ne  vaut-il  pas  mieux  couvrir  leurs  fau- 
tes d'un  voile  de  générosité  ?  Vous  donnerez  par  là  une  grande 
preuve  des  sentimens  philantropiques  qui  vous  animent.  Alors  , 
après  cette  indulgence ,  vous  arriverez  à  toute  la  sévérité  des 
principes.  Vous  direz  :  Nous  avons  pardonné  ce  que  la  révolu- 
tion exigeait  ;  mais  à  présent  toute  tête  pliera  sous  le  joug  de  la 
loi.  Je  demande  le  rapport  du  décret. 

Lanjuinais.  Je  n'ignore  pas  les  provocations  au  meurtre  qui  se 
répètent  souvent  dans  les  lieux  d'où  vient  cette  pétition ,  et  qui 
nous  sont  transmises  par  des  journaux  plus  ou  moins  fidèles  ;  je 
comprends  bien  l'extrême  latitude  de  ces  mots  que  les  pétition- 
naires ont  osé  prononcer  à  votre  barre  :  Nous  jurons  de  massa- 
cre}' les  ennemis  du  peiiple,  et  cependant  je  viens  m'élever  contre 
leur  demande.  La  justice  ,  la  sûreté  de  l'éiat ,  votre  honneur, 
enfin  le  salut  de  la  République ,  exigent  qu'elle  soit  rejetée. 

Il  s'est  élevé  des  nuages  sur  la  nature  de  ces  affreuses  exécu- 
tions de  septembre.  On  a  dit  que  c'était  l'effet  d'émeutes  popu- 
laires. Je  vous  demanderais  l'amnistie  si  je  le  croyais,  si  je  fai- 
sais à  ce  bon  peuple  de  Paris ,  auquel  on  ne  peut  reprocher  que 
trop  de  faiblesse ,  l'outrage  de  croire  qu'il  a  commis  ces  affreux 
massacres.  Mais  il  est  trop  connu  que  ce  fut  un  complot  de  cinq 
à  six  tyrans ,  exécuté  par  quelques  brigands  stipendiés  ;  un  com- 
plot inutile  à  la  liberté.  Il  faut  que  les  tyrans  proscripteurs, 
comme  les  rois  tyrans ,  périssent  sur  l'échafaud ,  ou  qu'ils  fuient 
loin  d'une  terre  qu'ils  ont  déshonorée  aux  yeux  de  la  postérité, 
aux  yeux  de  toute  l'Europe.  Il  est  connu  que  les  listes  furent 
dressées  par  des  hommes  en  place;  on  sait  par  quels  ordres 
les  victimes  furent  amoncelées  dans  les  prisons  ;  on  sait  que  les 
bourreaux  salariés  recevaient  cent  sous  par  têtej  et  des  registres 
de  sections,  des  registres  de  la  Commune  portent  en  ligne  de 
compte  le  prix  de  ces  forfaits.  On  dit  qu'en  comprenant  le  mas- 
sacre de  Versailles,  il  a  péri  huit  mille  personnes  lâchement  assas- 
sinées dans  les  2,  5,  4,  5,  6,  7,  8  et  9  septembre.  Vous  avez  en- 


FÉVRIER  (1795  ).  5.')1 

tendu  à  voire  tribune  l'affreuse  lettre  du  comité  de  surveillance 
de  Paris  aux  municipalités ,  lettre  que  j'ai  reçue  comme  officier 
municipal ,  et  dont  le  sens  était  :  Nous  avons  tué,  tuez;  nous  avons 
massacré,  massacrez;  vous  avez  entendu  deux  de  nos  membres 
avouer  cette  lettre ,  et  se  proclamer  les  héros  ou  les  assassins  de 
septembre. 

Il  est  donc  vrai  que  ce  furent  non  pas  des  émeutes,  mais  des 
vengeances  particulières;  non  pas  des  violences  inopinées,  mais 
des  complots ,  mais  des  proscriptions.  (  Interruption  de  la  mon- 
tagne, tumulte.) 

J'entends  les  injures  qu'on  m'adresse,  et  je  ne  m'y  arrête  pas; 
ma  vie  entière  y  répond.  Que  pensera-t-on  de  vous,  si  vous 
n'osez  les  poursuivre?  On  croira,  et  avec  raison ,  que  vous  n'êtes 
pas  libres;  et  le  style  de  l'adresse  justifiera  ces  discours,  sans 
parler  des  circonstances  qui  ont  précédé  ;  on  dira  que  vous  avez 
foulé  aux  pieds  la  justice  et  les  lois  :  les  mêmes  massacres  se  ré- 
péteront ou  pourront  se  répéter  impunément  dans  toutes  les  par- 
lies  de  la  République;  l'audace  des  coupables  redoublera,  et  vous 
resterez  déshonorés. 

Comment  a-t-on  pu  comparer  le  crime  des  massacreurs  à 
l'acte  des  signataires  de  ces  fameuses  pétitions  des  huit  mille  et 
des  vingt  mille?  Quel  renversement  de  morale!  Je  les  blâme 
aussi  ces  pétitions  ;  j'en  ai  signé  de  bien  différentes  dans  le  même 
temps;  mais  la  loi  assurait  l'impunité  à  ceux  qui  les  ont  signées: 
d'ailleurs ,  la  comparaison  est  mauvaise  en  tous  sens.  Ces  huit 
mille  et  ces  vingt  mille  sont  sans  cesse  persécutés  et  obligés  de  se 
cacher  ;  plusieurs  ont  péri  dans  ces  horribles  massacres  ;  et  de 
là  cette  solitude  des  sections  de  Paris ,  qui  n'offrent  qu'un  vain 
simulacre,  et  vous  trompent  sous  le  nom  collectif  des  habilans 
de  Paris.  On  ne  pardonne  pas  à  l'erreur  d'une  signature  que  la 
loi  tolérait:  est-ce  là  une  raison  pour  pardonner  les  massacres  de 
milliers  de  citoyens?  Une  émeute  générale ,  une  insurrection  est 
une  guerre;  le  droit  semble  rester  au  vainqueur;  les  meurtriers 
alors  doivent  quelquefois  rester  impunis;  mais  de  lâches  mas- 
sacres, des  proscriptions,  sont  des  forfaits  dont  les  auteurs  doi- 


252  CONVENTION   NATIONALE. 

venl  être  punis,  à  moins  que  l'empire  de  la  loi  ne  soit  détruit 
par  la  licence  de  l'anarchie. 

Quelque  jugement  qu'on  doive  porter  des  massacres  de  sep- 
tembre, il  faut  laisser  un  libre  cours  à  la  procédure  :  si  une 
multitude  est  coupable,  vous  punirez  du  moins  les  instigateurs, 
les  infâmes  conspirateurs ,  les  chefs  de  l'entreprise.  Attendez , 
non  pas  à  rapporter,  mais  à  modifier  votre  décret,  s'il  y  a  lieu 
à  connaître  les  charges;  attendez  que  le  ministre  de  la  justice, 
qui  devait  vous  en  rendre  compte  chaque  huitaine,  ait  rempli  le 
devoir  que  lui  impose  la  loi.  Le  bruit  public  et  la  démarche  des 
pétitionnaires  vous  annoncent  qu'il  y  a  déjà  des  charges  assez 
graves. 

Il  faut  les  connaître  ;  il  faut  ordonner  que  les  procédures  con- 
tinuent, jusqu'à  celle  qui  se  fait  par  jurés  exclusivement;  et  d'a- 
près un  rapport,  nous  jugerons  quels  furent  les  inventeurs,  les 
directeurs  des  proscriptions,  et  quels  sont  ceux  qui  doivent  être 
jugés;  autrement,  vons  aurez  manqué  à  l'un  de  vos  premiers 
devoirs;  il  n'y  aura  de  sûreté  pour  personne,  et  il  peut  en  résul- 
ter le  déchirement  de  la  République. 

Je  demande  donc,  quant  à  présent,  l'ordre  du  jour  pur  et 
simple  sur  la  pétition. 

On  demande  que  la  discussion  soit  fermée. 

Après  deux  épreuves  successives ,  il  est  décidé  qu'elle  sera 
continuée. 

Chabot.  Je  ne  vous  parlerai  pas  des  scènes  sanglantes  du 
2  septembre  d'après  des  journaux  infidèles,  ainsi  que  l'a  fait 
Lanjuinais.  Je  n'en  parlerai  ni  comme  complice,  ni  comme  pro- 
vocateur, comme  on  m'en  a  calomnié,  comme  on  l'a  imprimé, 
mais  comme  témoin  oculaire;  et  sous  ce  rapport,  je  dois  dire 
que  le  nombre  des  victimes  a  été  exagéré;  que  Lanjuinais  s'est 
bien  trompé  en  le  portant  à  dix  mille;  et  si  je  dois  dire  tout  ce 
j'ai  sur  le  cœur,  je  dirai  qu'un  de  nos  anciens  collègues  en  est 
peut-être  le  seul  coupable  ;  je  dirai  que  Manuel  semblait  légiti- 
mer ces  massacres  par  sa  présence.  Quant  à  moi,  que  l'on  a 
montré  comme  un  des  héros  de  ces  journées  déplorables,  je 


FÉVRIER  (1793).  2o3 

dirai  que,  quand  il  fallut  sauver  les  Suisses,  les  grenadiers  des 
Filles-Saint-Thomas  et  la  ci-devant  famille  royale,  j'exposai  plu- 
sieurs fois  ma  vie  ;  je  m'offris  en  victime  aux  fédérés,  et  je  leur 
dis  :  €  Promenez  mon  cadavre  dans  les  rues  des  faubourgs  ,  les 
sans-culottes  se  rassembleront  sous  ce  drapeau ,  pour  vous  ai- 
der à  renverser  la  tyrannie...  »  Vous  voulez  connaître  les  auteurs 
des  massacres  des  premiers  jours  de  septembre,  et  plût  à  Dieu 
que  vous  le  pussiez!  S'il  follait  les  attribuer  à  des  journalistes , 
ce  ne  serait  pas  aux  jacobins,  mais  à  Gorsas,  qui  les  avait  annon- 
cés la  veille,  qui  avait  dit  que  la  Commune  de  Paris  avait  sauvé 
la  patrie  en  sonnant  le  tocsin  qui  fut  le  signal  des  massacres; 
qui,  trois  jours  après  ces  massacres,  les  avait  vantés.  Je  dirai 
ce  qu'il  m'a  confié  au  comité  de  sûreté  générale,  que  Manuel  et 
Pétion  lui  avaient  conseillé  de  les  vanter  ;  qu'ils  lui  avaient  en- 
voyé l'article  qu'il  avait  inséré  dans  son  journal.  Si  ces  massacres 
nous  ont  fait  exécrer  du  cabinet  de  Saint-James  et  des  autres 
cours,  c'est  que  des  journalistes  les  ont  dénaturés;  c'est  qu'ils 
les  ont  présentés  sous  les  couleurs  les  plus  hideuses.  Je  vous 
dirai  que,  si  vous  ne  voulez  connaître  que  les  auteurs  et  provo- 
cateurs de  ces  massacres ,  je  n'en  suis  pas  éloigné  ;  mais  com- 
ment y  parviendrez-vous?  Vous  devez  entendre  tous  les  com- 
plices, tous  les  témoins;  et  j'atteste,  moi,  qu'à  l'Abbaye  il  y 
avait  plus  de  dix  mille  baïonnettes.  Je  vous  dirai  que  j'ai  louché 
la  main  à  plus  de  cent  cinquante  fédérés ,  que  je  les  ai  baignés 
de  mes  larmes  pour  les  en  détourner. 

Il  faudra  donc  arrêter  tous  ces  citoyens ,  aller  les  chercher 
dans  les  armées,  dans  les  camps,  en  présence  de  l'ennemi,  car 
moi,  j'en  ai  vu  partir  pour  les  frontières,  aller  se  battre  avec 
courage,  et  laver  leurs  mains  dans  le  sang  de  l'ennemi.  Eh  bien, 
ordonnerez-vous  des  poursuites  contre  ces  héros  de  Jemmapes 
qui  ont  sauvé  la  patrie?  Flétrirez-vons  la  mémoire  de  ceux  qui 
sont  restés  sur  le  champ  de  bataille?  Je  dirai  plus ,  je  ne  sais  pas 
pourquoi  on  a  réveillé  ces  scènes  sanglantes;  est-ce  pour  faire 
respecter  la  Convention  nationale  ?  Mais  non ,  je  vous  l'ai  déjà 
dit ,  ce  n'est  pas  par  là  que  vous  vous  attirerez  le  respect  du  peu- 


254  CONVENTION   NATIONALE. 

pie.  Croyez  que  cet  acte  de  ngueur  serait  d'un  funeste  exemple 
pour  les  peuples  qui  voudraient  s'insurger  contre  leurs  tyrans. 
Dans  une  révolution ,  on  ne  sait  d'abord  où  s'arrêter  ;  et  quand 
on  la  commence ,  chacun  doit  craindre  de  porter  sa  tête  sur  un 
échafaud  ;  et  dans  ce  moment  où  le  peuple  anglais  fermente, 
n'est-ce  pas  lui  dire  :  Arrêtez,  car  si  dans  une  juste  révolution 
vous  vous  égarez  un  moment,  vos  representans  pourront  vous 
condamner  à  perdre  la  vie?  Au  reste,  citoyens,  je  vous  rappelle 
ce  que  vous  a  dit  Albitte  :  Les  ennemis  de  la  révolution  ont  pro- 
fité de  votre  décret ,  non  pour  poursuivre  les  auteurs  et  provoca- 
teurs des  meurtres  des  premiers  jours  de  septembre,  mais  pour 
inquiéter  des  citoyens  sur  des  faits  postérieurs  à  ces  terribles 
journées. 

Je  sais  qu'il  a  été  commis  quelque  désordre  à  Meaux  ;  mais 
pour  en  emprisonner  les  auteurs ,  on  a  pris  pour  prétexte  qu'ils 
avaient  égorgé  dans  le  2  septembre.  Le  décret  surpris  à  votre  re- 
ligion fera  poursuivre  ceux  qui  aiment  la  liberté ,  im\s  qui  un 
insîant  ont  été  dans  l'erreur.  Les  ennemis  du  bien  public 
trioii:p!ieront  de  voir  élever  uns  constitution  sur  les  cadavres  des 
patriotes  ;  et  vous  présenterez  une  constitution  populaire  à  des 
ennemis  nés  de  cette  même  constitution.  Citoyens,  je  puis  être 
égaré  par  m&s  craintes  ;  mais  ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'elles  ne 
m'ont  jamais  trompé.  Comme  les  oies  du  C:)pitole,  je  crie  pour 
sauver  la  patrie.  Citoyens ,  je  vous  laisse  avec  ces  réflexions ,  et 
je  conclus  à  l'amnistie. 

BaiUeul.  Je  vais  dire  simplement  et  en  peu  de  mots  ce  que  j'ai 
toujours  pensé  sur  les  massacres  du  2  septembre.  J'aurais  voulu 
qu'on  eût  jeté  un  voile  épais  sur  ces  scènes  sanglantes  ;  ce  n'est 
pas  que  je  les  approuve ,  je  les  ai  en  horreur  autant  que  per- 
sonne. Je  les  ai  considérées  comme  pouvant  être  une  suite  de  la 
révolution  du  10.  Je  crois  qu'on  doit  considérer  ces  événemens 
-  sous  deux  rapports  :  il  faut  distinguer  ceux  qui  les  ont  amenés , 
qui  les  ont  dirigés,  et  ceux  qui  en  ont  été  les  inslrumens  aveugles. 
On  vous  a  dit  que  ces  massacres  avaient  été  faits  par  des  hommes 
qui,  le  10  août,  avaient  combattu  contre  la  tyrannie. 


FÉVRIER  (1795).  255 

Chabot.  J'atteste  que  les  Marseillais  y  étaient. 

Bailleid.  Il  est  certain  qu'il  y  a  eu  des  hommes  égarés.  Pour  le 
bien  de  la  paix ,  à  cause  des  services  qu'ils  peuvent  rendre  à  la 
patrie  ou  qu'ils  lui  ont  déjà  rendus,  il  faut  jeter  un  voile  sur  le 
passé  ;  mais  les  hommes  qui  ont  concerté  ces  assassinats  sont  de 
grands  coupables  ;  la  justice  doit  les  frapper  de  son  glaive.  La 
Convention  doit  ordonner  au  ministre  de  la  justice  de  poursuivre 
les  chefs;  car  méditer  le  crime  de  sang-froid ,  c'est  une  chose  qui 
ne  peut  être  pardonnée.  J'ajoute  une  réflexion.  La  loi  n'est  pas 
entièrement  respectée  ;  et  des  hommes,  sous  prétexte  de  patrio- 
tisme ,  commettent  des  désordres.  Je  demande  que,  rappelant  le 
décret  par  lequel  vous  avez  déclaré  que  les  lois  que  vous  n'aviez 
pas  abrogées  seraient  exécutées,  vous  nommiez  une  conmîission 
de  six  mcnjbres  qui  présenteront  le  tableau  des  lois  qui  doivent 
être  exécutées ,  et  que  ce  tableau  soit  envoyé  dans  toute  la  Képu- 
blique.  (On  murmure.)  Je  ne  parlerais  pas  de  cette  mesure  si 
tout  était  tranquille.  Il  est  temps  que  le  mouvement  révolution- 
naire cesse  ;  il  est  temps  que  tous  les  citoyens  sachent  que  tout  ce 
qui  devait  disparaître  n'est  plus  ;  il  est  temps  enfin  que  la  loi  re- 
çoive son  exécution.  Je  conclus  et  je  demande  qu'il  soit  sursis  aux 
poursuites  contre  ceux  qui  sont  présumés  avoir  fait  les  massacres 
du  2  septembre,  mais  que  la  procédure  continuera  de  s'instruire 
contre  les  auteurs  et  les  provocateurs  de  ces  assassinats. 

Durai.  Il  n'est  aucun  de  nous  qui  ne  soit  ptnétré  do  l'impor- 
tance de  la  mission  qui  nous  a  été  confiée  par  le  peuple  français. 
Nous  avons  écé  envoyés  ici,  non  pour  des  affaires  particulières , 
mais  pour  donner  une  constitution  à  la  France,  et  pour  punir  le 
tyran  qui  s'était  parjuré  mille  fois.  Ce  dernier  devoir  a  été  rem- 
pli ,  il  nous  reste  à  faire  la  constitution  ;  et  tandis  qu'il  nous  faut 
du  calme,  ou  a  jeté  au  milieu  de  nous  un  ferment  de  division , 
cette  malheureuse  affaire  des  2  et  5  septembre.  Ou  a  cherché  à 
imputer  les  crimes  à  quelques  membres  de  la  Convention  ;  on  les 
en  a  présentés  comme  les  auteurs  et  les  instigateurs.  Je  crois 
donc  que,  pour  faire  cesser  toute  espèce  de  dissension ,  il  l^ut 
jeter  un  voile  épais  sur  ces  événemens.  Je  suis  étranger  à  Paris , 


2o6  CONVENTION  NATIONALE. 

je  ne  me  suis  jamais  permis  aucun  acîe  de  violence ,  ainsi  je  puis 
parler  sur  cette  matière  à  front  découvert.  On  n'a  pas  assez  con- 
sidéré l'éiat  de  Paris  à  l'époque  du  2  septembre.  Cette  ville  se 
leva  alors  tout  entière  pour  marcher  à  l'ennemi.  Vous  savez 
qu'alors  Paris  était  le  lieu  de  rassemblement  d'un  grand  nombre 
d'hommes  ;  vous  savez  que  les  uns  y  étaient  pour  faire  la  contre- 
révolution  ,  les  autres  pour  défendre  la  cause  de  la  liberté  ;  vous 
savez  que  dans  la  journée  du  10  aoiit  la  tyrannie  n'avait  pas  été 
entièrement  vaincue,  et  qu'il  se  tramait  encore  des  conspirations. 
Vous  savez  que  le  principal  lieu  où  s'ourdissaient  ces  trames  était 
aux  prisons. 

Plusieurs  voix.  La  preuve  de  cela. 

Diiroi.  On  me  demande  la  preuve  de  ce  que  j'avance  :  je  la 
trouve  dans  les  déclarations  que  fit  ce  criminel  exécuté  sur  la 
place  de  Grève  ;  je  la  trouve  dans  les  signes  que  portaient  tous 
les  prisonniers  pour  se  faire  reconnaître  des  conspirateurs  du 
dehors.  (On  murmure.)  Si  cela  n'est  pas  vrai,  du  moins  le  bruit 
en  a  couru ,  et  cela  sert  d'excuse.  De  plus,  à  cette  époque ,  il  fal- 
lait marcher  à  l'ennemi.  Chacun  craignait  de  laisser  sa  femme, 
ses  enfans  dans  un  endroit  où  on  méditait  de  les  massacrer. 
Toutes  ces  circonstances  inquiétaient  le  peuple ,  et  le  rendent  ex- 
cusable. Je  conclus  donc  à  ce  que  la  Convention  couvre  d'un  voile 
ces  déplorables  journées ,  et  que  nous  nous  occupions  de  la  con- 
stitulion. 

N Tandis  que  nous  délibérons  sur  les  massacres  du  2  sep- 
tembre, les  Prussiens  s'avancent.  Vous  serez  responsables... 

Lecointre,  de  Versailles.  Président,  fermez  la  discussion. 

Lidon.  Ceux  qui  voulaient,  il  n'y  a  qu'un  instant,  que  la  dis- 
cussion fût  continuée  ,  demandent  actuellement  qu'elle  soit 
fermée. 

Salles.  On  vous  a  présenté  des  vues  sages,  qui  méiitent  de  fixer 
l'attention  de  l'assemblée.  Je  demande  que  les  idées  de  Bailleul 
soient  examinées. 

Lamarque.  Je  réponds  à  Salles  que  c'est  précisément  parce  que 
les  propositions  qui  ont  été  faites  sont  importantes  qu'elles  de- 


FÉVRIER  (1793).  257 

mandent  une  profonde  méditation.  On  ne  connaît  pas  les  faits  ; 
et  ce  n'est  pas  par  des  délibérations  prises  à  la  hâte,  et  sans  un 
rapport  préalable  de  votre  comité,  que  vous  parviendrez  à  les 
connaître.  Je  demande  le  renvoi  au  comité  de  législation. 

Lorsqu'on  voit  constamment  les  mêmes  manœuvres  dans  ce 
côté  (  il  désigne  le  côté  à  la  gauche  de  la  tribune  )  ;  lorsqu'on  se 
rappelle  que  ceux  qui  votèrent  pour  l'amnistie  des  massacres 
d'Avignon  étaient  de  ce  côté  ;  lorsqu'il  paraît  constant  que  ce 

côté  veut  renouveler  le  système  qu'il  a  toujours  suivi (Le  côté 

désigné  par  Lamarque  est  dans  une  grande  agitation  ;  plusieurs 
membres  s'avancent  avec  précipitation  vers  le  bureau  ;  ils  parlent 
avec  chaleur,  et  font  des  gestes  violens.  —  On  demande  à  grands 
cris  que  Lemarque  soit  rappelé  à  l'ordre.  ) 

Le  président.  Trois  propositions  ont  été  faites:  l'amnistie  pure 
et  simple,  ou  seulement  pour  ceux  qui  n'ont  été  que  les  instru- 
mens  des  massacres ,  et  enfin  la  suspension  de  la  procédure  et  le 
renvoi  au  comité  de  législation. 

Legendre.  Les  auteurs  des  massacres  du  2  septembre  sont 
ceux  qui  ont  livré  Longwy  et  Verdun.  (Bruit,  murmures.) 

On  demande  la  priorité  pour  la  proposition  de  Lamarque  ; 
elle  est  accordée. 

Bourdon,  de  l'Oise.  Je  demande,  par  amendement ,  l'adjonc- 
tion du  comité  de  sûreté  générale. 
iV. . .  Je  demande  la  division. 

Le  président.  La  division  est  de  droit  ;  ainsi ,  je  vais  mettre 
aux  voix  la  première  partie  de  la  proposition  de  Lamarque ,  qui 
est  la  suspension  provisoire  de  la  procédure. 

Plusieurs  voix  à  la  droite  de  la  tribune.  La  question  préalable! 
Bourdon,  de  l'Oise.  La  question  préalable  est  une  ineptie. 
Le  président  met  aux  voix  la  question  préalable;  il  prononce 
qu'il  y  a  lieu  à  délibérer. 

Salles.  Je  propose, p;ir  amendement,  qu'il  sera  sursis  à  l'exé- 
cution du  jugement ,  et  non  pas  aux  poursuites.  (  De  violentes  ru- 
meurs s'élèvent  dans  une  grande  partie  de  la  sallo.) 

T.  XXIV.  i7 


258  CONVENTION  NATIONALE. 

Louis.  C'est  le  fond  de  la  question  que  vous  traitez.  Il  n'y  a 
point  de  privilège  ici . . .  La  discussion  est  fermée. 

Salles.  Vous  êtes  tous  d'accord  que  les  chefs  de  ces  massacres, 
que  les  auteurs  et  les  provocateurs  de  ces  scènes  affreuses  doi- 
vent être  punis.  {Plusieurs  voix  de  l'exlrémilé  gauche:  Non! 
non  !  —  On  murmure  dans  la  partie  opposée.  ) 

Salles.  Si  on  demande  le  renvoi  au  comité ,  ce  ne  peut  être  que 
pour  savoir  si  les  coupables  seront  punis  ,  car  personne  ne  veut 
que  les  criminels,  s'il  y  en  a ,  restent  impunis.  (Murmures.)  Si 
vous  étiez  dans  d'autres  intentions ,  ce  serait  un  piège  que  vous 
tendriez  à . . .  (  Mêmes  rumeurs.  )  Qu'il  me  soit  permis  de  vous 
observer  que  le  renvoi  au  comité  de  la  question  sur  la  famille 
des  Bourbons  a  fait  éluder  votre  décret ,  je  ne  veux  pas  que  la 
même  chose  arrive.  Je  demande  donc,  par  amendement ,  que  la 
procédure  soit  continuée,  mais  qu'il  soit  provisoirement  sursis  au 
jugement. 

iV. . .  Ce  n'est  pas  le  jugement  que  l'on  craint ,  mais  la  procé- 
dure; c'est  l'information  qui  inquiète  les  citoyens  qui  se  trouvent 
en  face  de  l'ennemi  :  on  vous  a  dit  que  vous  alliez  tendre  un 
piège  ;  mais  c'est  le  préopinant  lui-même  qui  vous  a  tendu  un 
piège ,  en  proposant  un  amendement  qui  détruit  le  fond  de  la 
question. 

On  demande  que  la  discussion  soit  fermée  sur  les  amende- 
mens. 

Grangeneuve.  On  parle  de  piège  ;  mais  quel  est  celui  qui  le 
tend?  Est-ce  celui  qui  craint  l'effet  d'une  procédure,  ou  celui 
qui  veut  que  l'information  continue?  {Oui!  oui!  s'écrient  quel- 
ques membres  à  l'extrémité  gauche.  —  On  murmure  à  la  droite.) 

Grangeneuve.  Je  suppose  que  la  Convention  est  dans  l'inten- 
tion de  venger  les  horreurs  du  2  septembre.  (îl  s'élève  de  violons 
murmures  à  la  gauche.  ) 

Julien,  Albitie.  Président,  faites-lui  proposer  son  amende- 
ment. 

Grangeneuve .  Je  demande  que  la  Convention  décrète,  afin  que 
toute  la  France  le  sache  ,  qu'il  n'est  pas  permis  ici  de  motiver  un 


FÉVRIER  (1795).  259 

amendement  qui  contrarie  les  défenseurs  des  provocateurs  des 
massacres  du  2  septembre.  (  De  violentes  rumeurs  s'élèvent  dans 
le  côté  gauche.  —  Une  vive  agitation  s'y  manifeste.  —  Chabot , 
Fabre-d'Églantine ,  Duhem,  se  précipitent  vers  la  tribune.  — 
Ruamps ,  dans  le  milieu  de  la  salle,  parle  avec  chaleur  ;  on  en- 
tend ces  mots  :  Grangeneuve ,  tu  as  voulu  faire  égorger  dans  les 
prisons  de  l'Abbaye  ton  collègue  Jouneau ,  pour  te  venger  de 
lui. 

Grangeneuve.  Ruamps ,  tu  es  un  scélérat. 

Un  grand  nombre  de  membres  sejevant  dans  différentes  parties 
de  la  salle  :  Président ,  faites  donc  cesser  ce  scandale. 

Grangeneuve.  Il  y  aurait  un  piège  à  suspendre  la  procédure , 
parce  qu'on  ne  peut  juger  sans  preuves,  ni  punir  sans  jugement. 

Plusieurs  voix  :  Ce  n'est  pas  là  un  amendement. 

Grangeneuve.  Le  plus  sûr  moyen  de  faire  évanouir  les  preu- 
ves ,  c'est  de  suspendre  l'information.  Les  innocens  doivent  dési- 
rer que  la  procédure  se  continue.  On  m'a  dit  que  j'étais  un  des 
auteurs  de  ces  assassinats;  eh  bien,  pour  ma  justification,  je 
veux  la  continuation  de  la  procédure  ;  je  la  demande  pour  d'au- 
tres membres  de  la  Convention  qui  ont  été  au  moins  indirecte- 
ment désignés.  Par  exemple,  le  bruit  a  couru  que  ces  horreurs 
avaient  été  méditées  dans  l'hôtel  du  ministre  de  la  justice  ;  il  ira- 
porte  à  ce  ministre  que  ce  fait  s'éclaircisse.  (11  s'élève  de  violens 
murmures  dans  une  très-grande  partie  de  la  salle.  )  Je  ne  dois  pas 
avoir  une  demi-liberté ,  mais  une  liberté  entière  pour  émettre 
mon  opinion.  Lorsque  vous  avez  décrété  que  les  auteurs  de  ces 
scènes  affreuses  seraient  poursuivis ,  vous  n'avez  fait  que  rani- 
mer le  zèle  endormi  des  tribunaux  ;  aujourd'hui  on  vous  propose 
d'arrêter  le  cours  de  la  justice.  (Mêmes  murmures.) 

Julien.  Je  demande  à  faire  une  motion  d'ordre....  Que  Gran- 
geneuve propose  son  amendement. 

Grangeneuve.  Je  demande  qu'attendu  que  la  Convention  ne 
peut  s'ériger  eu  tribunal ,  la  proposition  de  Salle  soit  adoptée. 

On  demande  que  la  discussion  soit  fermée. 

Duhem.  Nous  demandons  la  parole  pour  des  faits  importaus. 


260  CONVENTION   NATIONALE. 

On  insiste  pour  que  la  discussion  soit  fermée. 

L'assemblée  ferme  la  discussion. 

On  invoque  la  question  préalable  sur  tous  les  amendemens. 

Le  président.  Je  vais  mettre  aux  voix  la  question  préalable  sur 
l'amendement  de  Salles ,  reproduit  par  Grangeneuve. 

Le  président  prononce  que  cet  amendement  est  écarté. 

On  réclame  à  droite.  Plusieurs  membres  affirment  qu'il  y  a  du 
doute  ;  ils  demandent  l'appel  nominal. 

Cbâles  parle  au  milieu  du  tumulte. 

Lidon.  Président,  imposez  silence  à  un  piètre  qui  nous  me- 
nace de  nouveaux  massacres. 

L'assemblée  entière  est  dans  l'agitation.  —  Barbaroux  veut 
parler  ;  le  trouble  augmente;  enfin  il  obtient  la  parole. 

Barbaroux.  Je  m'oppose  à  l'appel  nominal  ;  il  ne  peut  servir 
qu'à  nous  faire  perdre  du  temps.  Je  demande  que  le  ministre  de 
la  justice  soit  entendu  avant  que  vous  preniez  une  délibération  ; 
il  est  au  comité  de  législation  ;  il  a  la  procédure  entre  ses  mains. 

Boyer-Fonfrède.  Je  ne  sais  pas  pourquoi  on  s'oppose  au  renvoi 
au  comité,  qui  doit  faire  un  rapport  dans  trois  jours.  Si  les  rai- 
sons de  ceux  qui  s'y  opposent  sont  bonnes  aujourd'hui ,  elles  le 
seront  dans  trois  jours. 

Plusieurs  voix  :  Fermez  la  discussion. 

Garan-Coulon.  Il  faut  consulter  l'assemblée  pour  savoir  s'il  y 
a  du  doute. 

L'assemblée  consultée  décide  qu'il  n'y  a  pas  de  doute. 

Le  président.  Je  mets  aux  voix  la  première  partie  de  la  mo- 
tion de  Lamarque,  qui  consiste  dans  la  suspension  de  la  pro- 
cédure. 

La  Convention  décrète  que  la  procédure  sera  suspendue. 

Plusieurs  membres  élèvent  des  doutes  sur  le  résultat  de  la  dé- 
libération ;  ils  réclament  une  seconde  épreuve. 

La  délibération  renouvelée  donne  le  même  résultat.  —  Le  pré- 
sident prononce  que  la  proposition  est  adoptée. 

La  dernière  partie  de  la  proposition  de  Lamarque  est  ensuite 
mise  aux  voix  et  décrétée. 


KÉvuiEu  (  1795  ).  261 

Quelques  voix  de  la  patiie  droite  ;  1!  y  a  encore  du  doute  ;  l'ap- 
pel nominal. 
Le  président.  Il  n'y  a  pas  de  doute,  le  décret  est  prononcé,] 

SÉANCE  DU  10  FÉVRIER.  — Présidence  de  Bréard. 

La  section  des  Halles  envoie  une  députaiion  qui  présente  une 
pétition  relative  à  la  reddition  des  comptes  du  comité  de  surveil- 
lance de  la  commune ,  dont  étaient  membres  Panis ,  Sergent  et 
Tallien. 

La  Convention  décrète  que  le  ministre  des  contributions  pu- 
bliques rendra  compte  dans  trois  jours  de  l'exécution  du  décret 
du  26  janvier  dernier. 

Dubois-Crancé.  Jamais  Tallien  n'a  été  membre  du  comité  de 
surveillance  de  la  commune. 

Panis.  Je  suffoque  d'indignation.  Je  ne  conçois  pas  comment 
on  s'acharne  à  nous  demander  des  comptes.  Nous  n'avons  point 
décomptes  à  rendre.  (On  murmure.)  Nous  n'avons  jamais  eu  un 
denier,  un  assignat  en  dépôt.  Lors  de  la  révolution  du  10,  j'a- 
perçus parmi  nous  beaucoup  de  gens  inconnus.  Je  demandai 
qu'on  mît  de  l'ordre  dans  la  gestion.  Je  suis  sûr  qu'on  n'a  rien 
dérobé,  ou  du  moins  très-peu  de  chose.  Le  trésorier  était  un 
homme  d'une  probité  reconnue.  On  a  dit  qu'il  y  avait  un  manque 
de  20,000  livres.  Il  est  possible  que  dans  le  tourbillon  des  évé- 
nemens  il  se  soit  glissé  un  fripon  sous  le  masque  du  patriotisme  ; 
mais  on  ne  croira  jamais  que  mes  collègues  et  moi ,  connus  par 
trente  ans  de  probité,  nous  ayons  pris  une  montre.  Par  exemple, 
nous  avons  dit  au  trésorier:  conslatez  avec  les  commissaires  des 
sections  et  ceux  de  la  Commune  les  effets  qui  manquent,  alors  on 
agitera  la  question  de  la  responsabilité,  et  on  verra  si  nous,  qui 
n'avons  jamais  eu  rien  en  dépôt,  nous  devons  payer  ce  déficit.  II 
était  absurde  ,  il  était  abominable  de  dire  que  je  ne  voulais  pas 
rendre  mes  comptes  ;  il  y  a  dans  la  commune  des  aristocrates  qui 
sont  payés  pour  faire  le  procès  aux  patriotes. 

Marat.  C'est  un  coup  monté. 

Lamarque.  Il  est  aisé  de  voir  que  c'est  bien  moins  l'intérêt  de 


262  CONVENTION   NATIONALE. 

la  commune,  l'intérêl  de  la  République ,  que  celui  des  plus  petites 
passions,  dont  vous  venez  d'entendre  la  voix.  li  est  temps,  citoyens, 
de  faire  cesser  ces  misérables  dénonciations ,  avec  lesquelles  on 
corrompt  chaque  jour  l'esprit  public ,  et  on  fait  croire  dans  les 
départemens  que  nous  sommes  désunis.  Nous  avons  toujours 
voulu  que  l'union  régnât  dans  la!Convention  :  au  surplus  il  n'y 
avait  point  de  pétition  à  présenter;  car  il  n'y  avait  rien  à  décréter 
à  cet  égard.  Si  nos  collègues  n'ont  pas  rendu  leurs  comptes , 
qu'on  les  poursuive  par-devant  les  tribunaux  compétens  pour 
cela  ;  mais  nous,  passons  à  l'ordre  du  jour. 

Lanjumaîs.  Lorsqu'il  s'agit  de  l'honneur ,  ce  sont  les  faits  qui 
jugent  les  personnes.  En  viiin  nous  voudrions  donner  des  am- 
nisties, les  faits  parlent  plus  haut (Deviolens  murmures 

couvrent  la  voix  de  l'orateur.  ) 

Carrier.  Où  sont-ils  ces  faits  ? 

Poultîer.  C'est  pour  les  contre-révolutionnaires  comme  toi , 
Lanjuinais,  qu'il  faut  des  amnisties. 

Lanjumaîs.  Il  y  a  des  lois  qui  obligent  les  comptables  à 
rendre  des  comptes.  L'honneur  de  la  Convention  est  la  justice; 
l'honneur  des  individus  est  une  cooduite  claire;  que  les  faits 
soient  connus ,  et  peut-être  les  prévenus  seront  justifiés.  Vous 
avez  rendu,  il  y  a  quinze  jours ,  un  décret  dont  vous  venez  d'or- 
donner de  nouveau  l'exécution.  Je  demande  donc  l'ordre  du  jour 
motivé  sur  ce  décret. 

Fréron.  Les  membres  du  comité  de  surveillance  ont  conservé 
800,000  livres  qui  n'étaient  point  consignées  dans  les  procès-ver- 
baux. Certainement  s'ils  eussent  été  capables  de  détourner 
quelques  objets,  ce  n'aurait  pas  été  ceux  dont  il  existe  des  procès- 
verbaux. 

L'assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour  pur  et  simple. 
'    Une  députation  de  la  section  du  Finistère  communique  à  la 
Convention  un  arrêté  par  lequel  cette  section  offre  à  la  nation  les 
propriétés  foncières  des  citoyens  qui  la  composent ,  comme  un 
nouveau  caulionnement  des  assignais  déjà  en  circulalion,  el  des 


FÉVRIER  (1793).  265 

800  millions  qui  viennent  d'être  décrétés.  Elle  demande  en  outre 
que  la  Convention  communique  cette  mesure  salutaire  à  toutes 
les  municipalités.  (  De  vifs  applaudissemens  s'élèvent  dans  toutes 
les  parties  de  la  salle.  ) 

La  Convention  décrète  la  mention  honorable  de  l'acte  de  dé- 
vouement ,  l'insertion  de  l'adresse  au  bulletin. 

Garât  ministre  de  la  justice,  consulte  la  Convention  sur  cette 
question  : 

Depuis  l'aboliticn  des  droits  de  citoyen  actif ,  tous  les  citoyens 
français  sont-ils  tenus  de  se  faire  inscrire  sur  la  liste  des  jurés ,  et 
quelle  sera  la  peine  à  infliger  à  ceux  qui  négligeront  cette  for- 
malité? (  Renvoyé  au  comité  de  législation.  ) 

Le  même  ministre  donne  connaissance  d'une  lettre  de  l'accu- 
sateur public  auprès  du  tribunal  de  Paris  ,  qui  observe  que  l'af- 
faire de  Blanchelande  ne  peut  être  portée  au  tribunal  des  jurés, 
vu  l'impossibilité  de  se  procurer  les  témoignages  et  renseignemens 
nécessaires ,  et  demande  qu'on  permette  au  tribunal  de  pro- 
noncer une  troisième  prorogation  à  la  session  de  mars.  (Renvoyé 
au  comité  de  législation.] 

SÉANCE  DU  12  FÉVRIER.  —  Présidence  de  Bréard. 

[  Les  députés  des  quarante-huit  sections  de  Paris  qui  s'étaient 
présentés  hier  pour  faire  une  pétition  relative  aux  subsistances 
sollicitent  de  nouveau  et  obtiennent  l'admission  à  la  barre. 

L'orateur  de  la  députaiion.  Citoyens  législateurs  ,  ce  n'est  pas 
assez  d'avoir  déclaré  que  nous  sommes  républicains  français ,  il 
faut  encore  que  le  peuple  soit  heureux  ;  il  faut  qu'il  ait  du  pain , 
car  où  il  n'y  a  pas  de  pain ,  il  n'y  a  plus  de  lois  ,  plus  de  liberté , 
plus  de  République.  Nous  venons  donc  vous  présenter  de  nouvel- 
les vues  sur  les  subsistances ,  approuvées  par  l'unanimité  de  nos 
commettans  ;  nous  vous  les  apportons  pour  que  vous  leur  impri- 
miez, en  les  adoptant ^  ua  grand  caractère.  Nous  venons,  sans 
crainte  de  vous  déplaire ,  jeter  la  lumière  sur  vos  erreurs  et  vous 
montrer  la  vérité.  Un  orateur  vous  a  dit ,  à  cette  tribune  :  «  Si 


264  CONVENTION   NATIONALE, 

VOUS  dccrélez  des  entraves  à  la  circulation  des  subsistances,  vous 
décrétez  la  famine,  i  Mais  mettre  un  frein  aux  abus  est-ce  en- 
traver des  subsistances  ? 

Vous  vous  êtes  plaints  des  mouvemens  du  peuple  sur  l'aug- 
mentation du  prix  des  subsistances,  plusieurs  les  ont  attribués  à 
l'agiotage  infâme  des  monopoleurs  ;  ceux-là  avaient  raison  ;  ce- 
pendant ils  n'ont  pas  été  écoulés  ;  d'autres  ont  indiqué ,  comme 
remède  à  ces  abus,  la  surveillance  des  municipalités.  Eh!  com- 
ment voulez-vous  que  des  municipalités  marchandes  se  surveil- 
lent, se  dénoncent  elles-mêmes?  Nous  regrettons  qu'un  de  vos 
membres ,  rangé  du  côté  des  prétendus  philosophes ,  se  soit  écrié 
qu'il  était  affligeant  pour  la  liberté  de  voir  arracher  les  grains 
aux  cultivateurs  ;  il  a  crié  à  la  violation  de  la  propriété  ;  mais  on 
n'arrache  pas  ce  que  l'on  paie  à  un  prix  raisonnable.  Ils  ne  voient 
donc  pas  ,  ces  prétendus  philosophes ,  ces  amis  de  la  liberté  ab- 
solue du  commerce  des  grains  ,  qu'en  arrachant  le  pain  du  pau- 
vre ils  n'enrichissent  que  d'avides  spéculateurs  ?  Et  qui  ignore 
que  dans  le  commerce  des  grains  il  existe  des  abus  qu'il  faut  ré- 
primer, si  l'on  ne  veut  pas  que  le  peuple  meure  de  faim  ?  Quel- 
ques-uns se  sont  bornés  à  proposer  de  faire  des  proclamations 
propres  à  éclairer  le  peuple  ;  mais  est-ce  avec  des  proclamations 
qu'on  peut  apaiser  ceux  qui  ont  faim? 

Citoyens  législateurs  ,  levez  bien  plutôt  le  voile,  contemplez  la 
misère  affreuse  d'une  infinité  de  familles  qui  pleurent  dans  la  so- 
litude et  qui  vous  demandent  d'essuyer  leurs  larmes.  Vous  avez 
décrété  la  libre  circulation  des  grains ,  mais  la  cessation  des  abus 
a  échappé  à  votre  sollicitude.  On  vous  a  dit  qu'une  bonne  loi  sur 
les  subsistances  est  impossible  :  c'est  donc  à  dire  qu'il  est  impos- 
sible de  régir  les  états  quand  les  tyrans  sont  abattus.  Citoyens , 
vous  êtes  ici  constitués  pour  notre  salut  ou  pour  notre  pertç  ; 
vous  voudrez  sans  doute  notre  salut.  Eh  bien ,  vous  n'aurez  rien 
fait  pour  notre  salut  tant  que  vous  ne  frapperez  pas  les  écono- 
mistes qui  abusent  des  avantages  de  la  loi  pour  s'enrichir  aux  dé- 
pens du  pauvre.  Lh  !  qui  doute  de  l'existence  de  la  mort  quand 
toutes  les  sources  de  la  vie  sont  épuisées  ?  On  vous  a  dit  qu'une 


FÉVRIER  (1795).  1^65 

bonne  loi  sur  If  s  subsistances  est  impossible ,  c  est-à-dire  qu'il 
faut  désespérer  de  votre  souveraine  sagesse. 

Nous ,  députés  des  quarante-huit  sections  de  Paris ,  nous  qui 
vous  parlons ,  au  nom  du  salut  de  quatre-vingt-quatre  départe- 
mens ,  nous  sommes  loin  de  perdre  confiance  devant  vos  lumiè- 
res. Non  ,  une  bonne  loi  n'est  pas  impossible  ;  nous  venons  vous 
la  proposer,  et  sans  doute  vous  vous  empresserez  de  la  consa- 
crer. Encore  une  fois  vos  principes  sur  les  subsistances  ont-ils 
atteint  votre  but?  Sommes-nous  mieux  après  votre  loi  qu'aupa- 
ravant, quand  le  peuple  crie  à  la  famine  au  milieu  de  l'abon- 
dance, et  qu'on  ne  lui  présente  aucune  consolation  ?  Écoutez- 
nous  ,  mais  ne  vous  prévenez  pas.  Les  mesures  qne  nous  venons 
vous  proposer,  par  addition  à  la  loi  du  9  de'cembre,  sont  celles  ci  : 

1°  La  peine  de  six  années  de  fers  pour  toute  administration  qui 
sera  administration  marchande  ; 

2^  Une  mesure  uniforme  pour  les  grains  dans  toutes  les  parties 
de  la  République,  de  manière  que  l'on  n'y  connaisse  plus  pour 
toute  mesure  que  celle  du  quintal  du  poids  de  KX)  livres. 

5°  Que  jamais,  sous  peine  de  six  ans  de  fers  pour  la  première 
fois ,  et  de  mort  pour  la  seconde ,  il  ne  soit  permis  à  aucun  agri- 
culteur, ou  marchand  ,  de  vendre  un  sac  de  blé  froment ,  et  du 
poids  de  250  liv. ,  plus  de  2o  liv.  le  sac; 

4°  Que  la  Convention  ordonne  que  son  décret  du  2  de  ce  mois 
qui  charge  les  directoires  des  départemens  de  surveiller  les  ma- 
gasins de  la  République  soit  notamment  exécuté  dans  les  pays 
limitrophes  de  la  République  où  il  sera  permis  aux  ministres  de 
faire  leurs  achats  de  grains. 

Un  aulrc  membre  de  la  députation.  Comme  vice-président  de 
la  commission  des  subsistances ,  je  suis  chargé ,  au  nom  de  mes 

commeltans ,  au  nom  de  tous  nos  frères  des  départemens 

(Une  violente  rumeur  s'élève  dans  toutes  les  parties  de  la  salle, 
et  se  prolonge  pendant  quelques  instans.) 

Lotivet.  Y  a-tril  en  France  deux  Conventions,  deux  représen- 
tations nationales? 

Le  président.  Aucun  citoyen  n'a  le  droit  de  s'annoncer  comme 


266  CONVENTION   NATIONALE. 

mandataire  de  ses  frères  des  déparlemens  s'il  n'en  a  reçu  des 
pouvoirs.  Vous  vous  êtes  annoncé  comme  mandataire  des  ci- 
toyens des  départemens ,  où  sont  vos  pouvoirs  ? 

Le  pétitionnaire.  Je  n'ai  pas  de  pouvoir  des  départemens.  (L'agi- 
tation recommence.) 

Le  président.  Vous  avez  commis  une  grande  imprudence.  La 
Convention  a  entendu  votre  pétition  ;  elle  pèsera  dans  sa  sagesse 
ce  qu'elle  doit  aux  sections  de  Paris,  ce  qu'elle  doit  aux  citoyens 
de  toute  la  République;  elle  sera  juste  envers  tous,  et  ne  sera 
injuste  envers  personne.  Vous  avez  les  honneurs  de  la  séance. 
{Non,  non,  s'écrie-t-on  de  toutes  parts.) 

Plusieurs  membres  demandent  que  les  commissaires  des  sec- 
tions de  Paris  soient  admis  ,  excepté  celui  qui ,  n'ayant  point  de 
pouvoirs ,  a  parlé  au  nom  des  quatre-vingt-cinq  départemens. 

Plusieurs  voix  :  A  la  bonne  heure. 

Marat.  Je  m'oppose  à  cette  mesure ,  et  je  demande  la  parole. 

Les  mesures  qu'on  vient  de  vous  proposer  à  la  barre  pour  ré- 
tablir l'abondance  sont  si  excessives ,  si  étranges ,  si  subversives 
de  tout  bon  ordre;  elles  tendent  si  évidemment  à  détruire  la  libre 
circulation  des  grains,  et  à  exciter  des  troubles  dans  la  Républi- 
que ,  que  je  m'étonne  qu'elles  soient  sorties  de  la  bouche  d'hom- 
mes qui  se  prétendent  des  êtres  raisonnables  et  des  citoyens  h- 
bres,  amis  de  la  justice  et  de  la  paix.  Les  pétitionnaires  qui  se 
présentent  à  votre  barre  se  disent  commissaires  des  quarante-huit 
sections  de  Paris.  Pour  avoir  un  caractère  légal ,  ils  auraient  dû 
avoir  le  maire  de  Paris  à  leur  tête.  Je  demande  d'abord  qu'ils 
soient  tenus  de  justifier  de  leurs  pouvoirs.  Un  des  pétitionnaires  a 
parié  au  nom  des  départemens  ;  je  demande  qu'il  justifie  de  sa 
mission.  Ne  vous  y  trompez  pas,  citoyens,  c'est  ici  une  basse  in- 
trigue. Je  pourrais  nommer  ici  des  individus  notés  d'aristocratie; 
mais  les  mesures  que  je  propose  serviront  à  les  faire  connaître  et 
à  couvrir  de  honte  les  auteurs.  Je  demande  que  ceux  qui  en  au- 
ront imposé  à  la  Convention  soient  poursuivis  comme  perturba- 
teurs du  repos  public.  (  Oui ,  oui...  Âppwjé,  s'écrie-t-on  de  tou- 
tes les  parties  de  la  salle.  ) 


FÉVRIER  (  1795).  267 

Lehardy.  Citoyens,  il  est  temps  enfin  que  vous  signaliez  ce 
grand  caractère  dont  le  peuple  souverain  vous  a  revêtus;  il  est 
temps  que  vous  vous  serviez  de  votre  toute-puissance  pour  fou- 
droyer tous  les  hommes  qui  n'ont  que  le  masque  du  patriotisme  ; 
il  est  temps  que  vous  fassiez  rentrer  dans  l'ordre  cette  fourmilière 
de  désorganisateurs  qui  ;,  semblables  à  la  vermine ,  pullulent  de 
toutes  parts  ;  qui,  semblables  à  la  tête  de  l'hydre,  se  reprodui- 
sent sans  cesse  sous  différentes  formes.  Il  existe  un  plan  affreux 
qui  ne  tend  à  rien  moins  qu'à  avilir  la  Convention  et  à  faire  re'- 
gner  une  faction  par  le  trouble  et  l'anarchie.  (Murmures.)  Je  prie 
qu'on  ne  m'interrompe  pas. 

Je  dis  que  les  pétitionnaires  ne  peuvent  pas  être  admis  aux 
honneurs  de  la  séance  ;  ils  ont  employé  des  expressions  insul- 
tantes et  menaçantes ,  ils  vous  ont  dit  que  le  peuple  était  debout , 
et  que  les  quatre-vingt-cinq  départemens  l'étaient  aussi  contre 
vous  ;  j'ajoute  encore  un  fait,  c'est  que  ce  matin,  à  la  pointe  du 
jour,  on  colportait ,  dans  la  ville  de  Paris ,  une  adresse  dans  la- 
quelle on  disait:  t  Les  sans-culottes  vont  demander  du  pain  à  la 
Convention ,  qui  leur  en  refuse.  »  N'était-ce  pas  prêcher  l'insur- 
rection ?  et  c'est  à  de  tels  hommes  qu'on  veut  accorder  des  hon- 
neurs qui  ne  doivent  être  le  partage  que  des  bons  citoyens  qui 
sont  soumis  aux  lois  !  Je  demande  qu'ils  ne  soient  pas  admis. 

Carra.  Citoyens ,  plus  la  République  a  besoin  de  ressources  et 
de  consolation ,  plus  elle  a  besoin  de  repos  et  de  calme ,  plus  la 
Convention  s'empresse  d'organiser  toutes  les  parties  de  l'admi- 
nistration, et  d'assurer  les  succès  et  les  triomphes  que  sa  raison, 
sa  fermeté ,  son  courage,  celui  des  soldats  de  la  République,  de 
tous  les  bons  Français  nous  préparent  ;  plus  on  cherche  à  tout 
désorganiser,  plus  on  cherche  à  jeter  le  trouble  par  le  système 
des  fausses  nouvelles ,  des  fausses  alarmes  :  et  les  citoyens  qui 
sont  ici ,  ne  sont  que  les  instrumens  passifs  de  nos  ennemis ,  qui 
emploient  toutes  ces  manœuvres  ;  qui ,  jaloux  et  mécontens  de 
voir  que  nous  arrivons  à  notre  but,  de  voir  que  nous  allons  don- 
ner une  constitution  républicaine  à  la  France;  que  nous  allons 
organiser  l'armée;  et  celte  organisation  leur  déplaît,  parce  qu'elle 


268  '  CONVENTION    NATIONALE. 

est  morale  et  politique ,  font  agir  des  hommes  que  l'on  prend  par 
les  mots  de  patriotisme  ,  de  bien  public ,  et  remplissent  leur  but 
si  désiré  de  retarder  vos  utiles  travaux.  Je  dis  donc  que  les  pé- 
titionnaires qui  se  sont  laissés  égarer  ne  doivent  point  être  admis 
à  la  séance  ,  et  que  celui  qui  a  osé  dire  avec  une  insolence  ex- 
trême qu'il  parlait  au  nom  des  quatre-vingt-cinq  départemens 
doit  être  décrété  d'accusation  à  l'instant  même.  {Plusieurs  voix  : 
Oui ,  oui ,  appuyé  !  ) 

Buzot.  Citoyens ,  J'appuie  la  proposition  de  Marat ,  non  que 
je  doute  qu'il  ne  sache  parfaitement  lui-même  que  les  citoyens 
qui  sont  à  la  barre  ont  les  pouvoirs  qui  leur  sont  demandés  ,  et 
qu'ils  sont  bien  véritablement  commissaires  des  sections  de  Pa- 
ris ;  car  hier,  lorsqu'ils  ont  demandé  à  paraître ,  et  qu'ensuite 
ils  se  sont  retirés  à  la  salle  des  conférences ,  la  députation  de  Pa- 
ris, et  Marat  lui-même,  sont  allés  les  trouver,  et  dès-lors  ils 
ont  pu  savoir  quels  étaient  les  particuliers  qui  voulaient  se  pré- 
senter, qui  ont  employé  même ,  pour  y  parvenir,  une  espèce  de 
violence  qui ,  je  me  plais  à  le  dire,  'a  été  apaisée  par  les  soins  de 
Blarat.  Il  a  aussi  pu  entendre  certains  propos  que  je  neveux  point 
relever  ici ,  parce  qu'il  ne  s'agit  point  ici  d'inculpation  personnelle. 
Je  viens  à  la  question. 

Les  citoyens  eux-mêmes  me  disent  qu'ils  ont  leurs  pouvoirs  ; 
ils  ne  demandent  qu'à  les  faire  connaître,  et  moi  je  le  demande 
aussi  ;  car  nous  devons  nous  souvenir  que  Pitt,  en  Angleterre , 
fit  brûler  les  papiers  d'un  homme  célèbre,  et  punir  ensuite  tous 
les  auteurs  de  cet  incendie.  Craignons  devoir  régner  parmi  nous 
cet  affreux  machiavélisme.  Les  citoyens  qui  sont  à  la  barre  sont 
au  reste  très-excusables;  car  dans  les  temps  malheureux  où  nous 
sommes ,  certes  il  est  bien  permis  aux  pauvres  de  faire  entendre 
leurs  voix  devant  les  représentans  du  peuple ,  chargés  de  veiller 
à  ses  plus  chers  intérêts.  Aussi  n'est-ce  pas  de  leurs  réclamations 
que  vous  devez  vous  plaindre,  mais  des  erreurs  dans  lesquelles  on 
lésa  fait  tomber  ;  erreurs  criminelles  qu'on  ne  cesse  de  répandre  ; 
et  lorsqu'on  veut  s'opposer  à  leur  propagation  funeste  ,  on  est 
aussitôt  taxé  d'aristocratie ,  et  les  plus  hommes  de  bien  sont  en 


FÉVRIER  (1795  j.  269 

danger.  Il  faut  qu'ils  exhibent  leurs  pouvoirs;  car  il  est  temps  de 
connaître  les  auteurs  de  ces  manœuvres. 

Souvenez-vous,  citoyens  ,  de  ce  discours  de  Vergiiiaud  :  «  Le 
pain  est  cher,  dit-on  ;  la  cause  en  est  au  Temple  ;  eh  bien  !  un 
jour  on  dira  de  même  :  le  pain  est  cher,  la  cause  en  est  dans  la 
Convention  nationale.  »  Ce  temps  est  venu  ,  citoyens;  ne  l'ou- 
bliez pas ,  et  voyez  que  c'est  avec  les  subsistances  qu'on  voudrait 
égorger  la  liberté  pubhque. 

Citoyens ,  je  ne  sais  presque  plus  où  nous  en  sommes ,  ni  où 
l'on  nous  conduit  :  car  lorsque  dans  nos  comités  même  on  ac- 
cueille des  dénonciations  appuyées  sur  des  pièces  fausses  qui  ten- 
dent à  compromettre  des  hommes  vraiment  estimables,  et  que 
vous  n'en  êtes  pas  même  avertis ,  dites-moi  si ,  dans  ces  momens 
de  troubles  qu'on  veut  exciter  peut-être ,  il  est  un  seul  homme 
qui  puisse  se  reposer  sur  l'espérance  que  l'avenir  justifiera  sa 
mémoire.  Ceci  me  conduit  à  une  pensée  très-naturelle  :  c'est 
qu'il  existe  un  projet  de  tout  désorganiser  ;  et  je  ne  puis  cepen- 
dant à  cet  égard  que  vous  communiquer  mes  craintes  ;  car  je  ne 
croirai  jamais  que  les  citoyens  de  Paris ,  qui  ont  donné  tant  de 
preuves  de  désintéressement  et  de  patriotisme ,  viennent  se  plain- 
dre à  cette  barre,  lorsque  naguère  vous  avez  accordé  quatre 
millions  pour  leurs  subsistances,  lorsque  le  pain  coûte  beaucoup 
moins  cher  dans  cette  ville  que  dans  nos  déparlemens.  Citoyens, 
je  le  dis  aux  habitans  de  Paris ,  il  ne  faut  pas  s'abuser  sur  ce  qui 
se  passe.  Je  le  dis  aux  citoyens  dts  départemeriS  :  si  les  citoyens 
qui  vont  dans  les  sections  se  laissent  plus  long-temps  tromper 
par  les  hypocrites  en  patriotisme,  Paris ,  qui  a  été  le  berceau  de 
la  liberté,  en  deviendra  le  tombeau. 

Il  est  donc  nécessaire  de  savoir  comment  ces  pétitionnaires  ont 
été  entraînés  à  cette  démarche,  qui  est  contraire  à  leuis  vérita- 
bles intérêts  ,  qui  tend  à  les  priver  du  nécessaire Oui,  Pari- 
siens, ne  vous  y  trompez  pas,  votre  sol  ne  produit  rien;  c'est 
le  nuire  qui  vous  nourrit  ;  et  si  vous  arrêtiez  la  circulation  des 
grains,  vous  péririez  de  misère,  tandis  que  nous  serions  dans 
l'abondance.  C'est  pour  vous  que  cette  libre  ciroiilaiion  a  éic  dé- 


270  CONVENTION   NATIONALE. 

crétëe  ;  c'est  vous  qui  devriez  la  proclamer,  et  c'est  vous  qui  de- 
mandez qu'on  la  proscrive. 

Ce  projet  n'a  pu  être  suggéré  que  par  les  ennemis  de  la  patrie. 
Je  demande  qu'on  découvre  toute  cette  intrigue,  que  ces  citoyens 
soient  interrogés  sur  les  motifs  qui  les  ont  amenés  à  la  barre , 
sur  les  hommes  qui  les  ont  poussés  par  leurs  discours;  je  de- 
mande surtout  que  ce  particulier  qui  s'est  présenté  au  nom  des 
départemens  ,  et  que  sans  doute  les  départemens  ne  connaissent 
pas  ,  soit  arrêté ,  car  il  pourrait  être  un  chef  de  parti. 

Mazuyer.  Il  n'est  personne  qui  puisse  se  dissimuler  la  vérité 
des  réflexions  faites  parles  préopinans.  Je  suis  convaincu  que  les 
citoyens  pétitionnaires  n'ont  été  qu'égarés  par  ces  prétendus  pa- 
triotes ,  qui  ne  le  sont  que  depuis  le  10  août ,  après  avoir  été  jadis 
très-arisiocrates ,  et  qui  trompent  le  peuple  en  se  montrant  à  ses 
yeux  excessivement  patriotes  ;  et,  pour  appuyer  mes  réflexions, 
je  vais  vous  citer  un  fait:  c'est  que  la  pétition  qui  vous  a  été  lue 
à  la  barre  est  l'ouvrage  d'un  ci-devant  garde  de  Monsieur ,  très- 
rude  aristocrate  avant  le  10  août.  Les  motifs  de  celle  machina- 
tion sont  au  reste  très-compliqués:  les  uns  la  font  agir  pour  se 
décharger  de  l'impôt  progressif  établi  par  votre  décret  qui  a  ac- 
cordé quatre  millions  pour  procurer  à  un  prix  modéré  des  sub- 
sistances aux  habitansles  moins  aisés  de  Paris  ;  d'autres ,  par  des 
vues  bien  plus  dangereuses  encore ,  n'emploient  cette  manœu' 
vre  que  pour  retarder  les  travaux  de  la  Convention ,  et  l'occuper 
de  besoins  factices ,  quand  elle  doit  tourner  ses  regards  vers  la 
défense  de  la  République  à  l'extérieur. 

Quant  au  citoyen  qui  s'est  dit  le  mandataire  des  quatre-vingt- 
cinq  départemens,  ce  n'est  qu'une  imprudence  de  sa  part,  et 
voici  sur  quoi  elle  est  fondée  :  il  existe  effectivement  à  Paris  une 
seconde  Convention  nationale ,  et  c'est  sur  quoi  j'appelle  toute 
votre  attention  ;  il  existe  à  Paris  une  société  qui  ne  ressemble 
point  aux  sociétés  populaires  ;  mais  c'est  une  réunion  de  citoyens 
se  disant  défenseurs  de  là  République,  avec  laquelle  les  sections 
de  Paris  communiquent  officiellement,  par  délibérations  et  par 
commissaires,  et  qui  se  croient  autorisés  à  stipuler  les  intérêts  des 


FÉVRIER  (  i793  ).  27i 

départemens.  Le  pétitionnaire  a  donc  pu  être  induit  en  erreur, 
et  je  ne  pense  pas  que  la  Convention  puisse  pour  une  erreur  se 
porter  envers  lui  à  des  mesures  rigoureuses  ;  mais  j'invite  la  Con- 
vention à  porter  des  regards  attentifs  sur  cette  société,  qui ,  si  elle 
existait  plus  long-temps  et  exerçait  les  prétendus  droits  qu'elle  se 
reconnaît,  renverserait  tous  principes  de  représentation  nationale. 

J'appuie  les  propositions  qui  vous  ont  été  faites;  mais  il  en  est 
une  préliminaire  que  je  dois  présenter  :  c'est  de  mander  à  la 
barre  le  maire  de  Paris,  pour  qu'il  vous  donne  des  renseigne- 
mens  sur  l'existence  de  cette  société.  (Appuyé.  ) 

On  demande  que  la  discussion  soit  fermée.  — Elle  ne  l'est  pas. 

Barrère  demande  la  parole.  —  Plusieurs  membres  appellent 
Barrère  à  la  tribune. 

Le  président.  II  ne  doit  pas  y  avoir  ici  de  privilège,  c'est  Doul- 
cet  qui  a  la  parole. 

Doulcet.  Je  ne  regrette  point  que  la  discussion  soit  prolongée , 
car  elle  prouverait  aux  citoyens  de  bonne  foi  qu'ils  ont  été  l'in- 
strument d'une  intrigue  bien  coupable  et  bien  criminelle.  On  a 
proposé  que  les  pétitionnaires  ne  fussent  point  admis  à  la  séance  : 
j'appuie  cette  proposition ,  et  voici  pourquoi  :  c'est  que  ces  com- 
missaires, égarés  par  les  funestes  suggesiions  des  enneniis  inté- 
rieurs et  extérieurs ,  qui  sans  cesse  disent ,  écrivent  et  impriment 
que  la  Convention  nationale  ne  peut  faire  le  bien  du  peuple;  c'est 
que  ces  commissaires,  dis-je,  se  sont  présentés  d'une  manière 
illégale,  et  se  sont  servis  d'expressions  outrageantes ,  qui  ne  de- 
vaient pas  souiller  cette  enceinte.  Quant  au  citoyen  qui  a  osé  dire 
qu'il  parlait  au  nom  des  quatre-vingt-cinq  départemens ,  comme 
si  quelqu'un ,  excepté  les  membres  de  la  Convention  nationale, 
élus  librement  par  tous  les  citoyens,  pouvait  se  dire  le  manda- 
taire du  peuple ,  je  demande  que  ce  citoyen  ;,  m.oins  criminel  qu'é- 
garé, mais  qui  cependant  a  dit  assez  pour  être  suspect ,  soit  mis 
en  état  d'arrestation  et  interrogé  par  le  juge  de  paix. 

Je  demande  de  plus  que  vous  arrêtiez  votre  attention  sur  ce 
qu'a  dit  Mazuyer  :  il  a  dit  une  vérité  grande ;,  terrible ,  effrayante 
pour  vous ,  si  vous  n'aviez  point  tant  de  courage ,  et  pour  le  peu- 


272  CONVENTION    NATIONALE. 

pie ,  qui  veut  que  vous  le  sauviez  :  il  vous  a  dit  qu'il  existait  à 
Paris  deux  Conventions  nationales  ;  il  est  vrai  qu'il  existe  en  cette 
ville  un  simulacre  de  représentation  nationale,  composé  d'hom- 
mes inconnus ,  qui  se  disent  des  départemens ,  et  qui  n'en  sont 
pas  ;  car  dans  les  départemens  il  n'y  a  que  des  citoyens  amis  des 
lois ,  il  n'y  a  point  de  stipendiés  de  Coblentz.  Je  demande  donc 
que  vous  portiez  votre  attention  sur  cette  association  mon- 
strueuse. 

Plusieurs  voix  :  La  priorité  pour  la  proposition  de  Doulcet. 

BiUaud-Varennes.  Je  demande  que  la  première  proposition  qui 
a  été  faite ,  et  qui  a  pour  objet  de  faire  déposer  sur  le  bureau  les 
pouvoirs  des  citoyens  qui  se  sont  dits  les  députés  des  quarante- 
huit  sections  de  Paris ,  soit  décrétée. 

Cotte  proposition  est  adoptée. 

Plusieurs  voix  :  Et  la  connaissance  des  personnes  qui  ont  si- 
gné les  pétitions. 

Leprésidenl.  La  pétition  n'a  que  cinq  signatures;  les  voici  : 

Lezaut-Slialioussay ,  président;  Heudelet,  vice-président  ;  Cou- 
"pel,  secrétaire;  Moidel,  vice-secrétaire,  et  Pelletier,  commis- 
saire de  la  section  du  3Iarais  (1). 

Voici  les  pouvoirs  de  celui  qui  s'est  dit  député  des  quatre- 
vingt-cinq  départemens. 

«  Extrait  du  procès-verbal  de  la  société  Fraternelle ,  réunie 
à  celle  des  Dëvenseurs  une  et  indivisible  des  quatre-vingt-cinq 
départemens,  séante  aux  Jacobins  de  Paris,  rue  Saint-Honoré , 
le  jeudi  7  février.  La  société ,  après  avoir  entendu  la  lecture  d'une 
pétition  des  quarante-huit  sections  de  Paris  à  la  Convention  na- 
tionale sur  l'objet  des  subsistances ,  après  lui  avoir  donné  de 
justes  applaudissemeus ,  a  arrêté  qu'elle  y  donnait  son  adhésion. 

Signé ,  Mitier  fils ,  président  ;  Balois  ,  fds  aîné ,  vice-président  ; 
BiLON ,  DoLivET  et  Gennie  ,  secrétaires. 

(<  )  La  plupart  des  journaux  s'accordent  à  donner  des  signatures  différentes  de 
celle-ci  :  le  nom  du  président  est  Plaisant-la-Houssaye  ;  celui  du  secrétaire  est 
Poupel;  celui  du  vice-sccréliiire,  Boidel;  et  celui  du  commissaire  du  Marais, 
Pelissier.  La  colleclion  de  Bo'^sange  a  conservé  ces  niras  tels  que  le  Moniteur  les 
donnait.  (  Aot<'  des  aiiicurs.) 


FÉVRIER  (  1795  ).  275 

Thurîot.  Je  fais  observer  à  la  Convention  que  trente  sections 
seulement  ont  donné  leur  adhésion  à  cette  pétition ,  de  manière 
qu'on  nous  présente  l'ensemble  de  Paris  votant,  lorsqu'il  est 
clair  à  mes  yeux  que  la  masse  de  Paris  n'a  pas  voté.  Ainsi  je  de- 
mande ... 

Piusietu's  voix  :  II  faut  arrêter  les  deux  orateurs. 

Ban-ere.  Je  demande  qu'on  adopte  la  proposition  faite ,  et  que 
je  renouvelle ,  de  refuser  aux  pétitionnaires  les  honneurs  de  la 
séance;  voici  mes  motifs  :  1^  c'est  qu'ils  se  sont  annoncés  comme 
représentant  les  quarante-huit  sections,  tandis  que  trente  seule- 
ment ont  délibéré;  2°  c'est  qu'ils  sont  venus  présenter  la  péti- 
tion des  riches  avec  la  livrée  des  pauvres;  d'un  autre  coté,  ils 
sont  en  révolte  contre  la  loi ,  car  la  pétition  qu'ils  ont  présentée 
est  évidemment  contraire  et  deslructiv.î  de  la  belle  loi  que  vous 
avez  méditée  pendant  trois  semaines  sur  la  libre  circulation  des 
grains.  Cette  péjiiion  tend  à  mettre  le  trouble  dans  la  Républi- 
que, à  arrêter  les  subsistances  et  à  empêcher  la  liberté  publi- 
que de  s'établir.  Voilà  les  motifs  sur  lesquels  je  fonde  le  refus  des 
honneurs  de  la  séance  ;  et  certes ,  si  les  honneurs  de  la  séance 
ne  sont  pas  des  lionneurs  publics ,  s'il  est  égal  d'admettre  dans 
cette  assemblée  l'homme  qui  vient  combattre  la  meilleure  loi, 
certes ,  on  peut  insulter  chaque  jour  la  représentation  nationale. 
J'insiste  sur  ce  qu'il  y  ait  un  décret  exprès  qui  refuse  aux  péti- 
tionnaires les  honneurs  de  la  séance. 

Plusieurs  membres  réclament  auparavant  l'arrestation  des 
deux  orateurs.  —  La  proposition  de  Barrère  est  adoptée. 

Barrère.  Ce  n'est  que  pour  faciliter  les  délibérations  que  j'ai 
divisé  mon  opinion,  et  que  je  n'ai  énoncé  que  la  première  partie. 
J'appuie  la  proposition  qui  tend  à  mettre  en  état  d'arrestation 
l'homme  qui  s'est  permis  de  dire  qu'il  portait  la  parole  au  nom 
des  85  departemens.  Je  ne  demande  pas  contre  lui  le  décret 
d'accusation ,  car  il  faut  laisser  la  chance  à  l'erreur  ;  mais  je 
demande  qu'il  soit  interrogé  par  le  juge  de  paix  de  la  section  des 
Tuileries,  afin  que  l'on  sache  ce  qu'il  est. 

T.  xxiv.  IS 


274  CONVENTION   NATIONALE. 

Jean-Baptîste  Louvet.  Je  demande  que  provisoirement  on  fasse 
fermer  ia  barre ,  car  les  pétitionnaires  en  sortent. 

Marat.  Je  demande  que  les  pétilionn  aires  soient  tenus  de  dé- 
clarer leurs  noms,  qualités  et  demeures,  car  je  sais  qu'il  y  a  parmi 
eux  des  aristocrates  infâmes. 

La  proposition  de  Mara  t  est  décrétée. 

Marat.  Citoyen  président,  donnez  des  ordres  pour  les  faire 
arrêter,  car  ils  s'en  vont.. .  Vite... 

Les  pétitionnaires  donnent  leurs  noms. 

Marat.  Je  demande  qu'ils  se  nomment  tout  haut. 

Plusieurs  pétitionnaires  sortent. 

Jean-Baptiste  Louvet  et  Marat  demandent  que  l'on  fasse  fermer 
l'issue  de  la  barre. 

TImrîot,  Je  m'oppose  à  cette  proposition  ;  elle  est  contraire  à 
la  dignité  de  l'assemblée. 

La  proposition  est  rejetée. 

Ze  président.  On  demande  que  celui  qui  s'est  dit  représentant 
des  quatre-vingt-cinq  départemens  soit  mis  en  arrestation. 

Clioudieu.  Je  m'y  oppose.  Ce  n'est  pas  un  délit  que  rassemblée 
reproche  à  ce  particulier,  mais  d'appartenir  à  une  société  qu'elle 
a  déjà  reconnue  en  admettant  une  de  ses  députations  à  la  barre , 
et  en  décrétant  mention  honorable  des  sentimens  patriotiques 
qu'elle  a  exprimes.  Je  demande  maintenant  comment  il  se  fait 

qu'un  citoyen  qui  se  dit  député  de  cette  société {Murmures. 

—  A  l'ordre ,  à  L'ordre.  )  Je  demande  que  la  Convention  nationale 
entende  une  seconde  lecture  de  ses  pouvoiFS. 

Salles.  Le  fait  avancé  par  Choudieu  est  vrai  ;  mais  voici  dans 
quel  sens  :  des  citoyens  se  sont  présentés  plusieurs  fois  à  la 
barre,  et  ont  pris  le  titre  de  défenseurs  de  la  République.  J'ob- 
serve que  ce  titre  n'a  pas  été  saisi  par  la  Convention  dans  le  sens 
que  le  pétitionnaire  vient  de  le  donner  tout  à  l'heure.  Ces  pre- 
mières députations  ne  se  sont  jamais  dites  représentant  les  8j 
départemens.  Si  elles  l'avaient  fait ,  les  principes  qui  viennent 
d'être  exposés  à  la  tribune  l'auraient  été  alors,  et  l'assemblée 
aurait  fait  ce  qu'elle  doit  faille  maintenant. 


FÉVRIER  (  1795  ).  275 

Pour  conn''iîlre  le  nœud  do  celte  intrigue  ,  il  faut  que  le  péti- 
tionnaire qui  a  parlé  au  nom  des  80  déparlemens  soit  entendu  ; 
il  faut  qu'il  nomme  ceux  qui  l'ont  mis  en  avant. 

Lamarque.  Citoyens,  il  est  contraire  aux  principes  de  la  repré- 
'  sentation  d'un  peuple  libre ,  et  bien  dangereux  pour  la  liberté  pu- 
blique ,  que  la  Convention  depuis  son  existence  ait  toléré  dans 
Paris  une  société  qui  a  pris  le  litre  de  représenlans  de  la  Répu- 
blique. Ce  qui  a  en  quelque  sorte  légalisé  cette  société,  c'est  que 
des  administrations,  égarées  par  vos  décisions,  ont  cru  devoir  en- 
voyer à  Paris  des  citoyens  des  départemens  pour  défendre  la 
Convention  nationale  ,  en  leur  donnant  môme  une  espèce  de  ca- 
ractère de  représentation  fédérative  armée.  Tel  a  été  le  résultat 
des  déclamations  insensées  de  quelques-uns  de  vos  membres  sur 
la  prétendue  non-liberté  des  opinions.  Maintenant  quel  est  donc 
le  délit  du  pétitionnaire?  Est-ce  de  tenir  à  cette  société  ?  est-ce 
d'avoir  employé  telle  ou  telle  expression?  Sous  ce  premier  rap- 
port, je  crois,  par  cette  seule  raison  qu'il  est  membre  de  cette  so- 
ciété ,  que  vous  ne  pouvez  pas  le  mettre  en  état  d'arrestation. 
(Murmures.)  Sous  le  second  rapport,  ce  citoyen  n'a  point  dit 
qu'il  était  représentant  des  83  départemens.  {Plusieurs  voix: 
Oui,  oui,  il  l'a  dit.)  Il  a  simplement  dit  :  Je  suis  charge  au  nom 
de  mes  commetlans  et  au  nom  de  tous  mes  frères  des  dépar- 
temens.... (Violens  murmures.  ) 

Thurioi.  La  Convention  nationale  est  trompée  sur  un  fait;  car 
elle  croit  que  cette  dépulation  se  présente  de  la  part  des  défenseurs 
de  la  République.  Voici  une  lettre,  que  je  reçois  du  président  de 
cette  société ,  qui  prouve  le  contraire. 

«  Citoyens  représentans,  nous  nous  sommes  procuré  ce  matin 
la  pétition  républicaine  des  48  sections  de  Paris  qui  a  pour  objet 
les  subsistances  ;  noire  société  n'y  a  donné  aucune  adhésion  , 
puisqu'elle  n'y  a  pas  été  lue,  mais  bien  à  la  société  Fraternelle  des 
deux  sexes,  qui,  à  cause  des  réparations  que  l'on  fait  à  la  salle 
des  Jacobins ,  y  tient  ses  séances.  > 

Je  dois  dire  comme  vérité  à  la  Convention  que  les  pouvoirs 
paraissent  avoir  été  donnés  par  la  société  Fraternelle  des  deux 


276  CONVENTION   NATIONALE. 

sexes,  et  par  des  défenseurs  des  85  départemens  ;  mais  qu'on  n'y 
prend  nulle  part  !a  qualité  de  représentant  de  !a  nation. 

Salle.  Le  comité  des  subsistances  désirerait  que  l'on  fît  au  pé- 
titionnaire cette  interpellation  :  De  quel  comité  de  subsistances 
êles-vous  vice-président  ?  Je  dois  ajouter  un  fait  :  c'est  qu'un  de 
nos  collègues  vient  de  me  dire,  en  présence  de  Fonfrède ,  qu'un 
des  pétiiionnaires  vient  d'écrire  les  pouvoirs  qu'il  a  exhibés.  Je 
demande  que  ce  prétendu  représentant  déclare  s'il  avait  des 
pouvoirs. 

Laforce.  La  Convention  devrait  s'apercevoir  déjà  qu'elle  rem- 
plit les  vues  des  pétitionnaires ,  et  que  la  séance  est  perdue.  Je 
demande  au  surplus  le  renvoi  de  cette  affaire  à  un  comité,  avec 
charge  d'en  rendre  compte  à  l'assemblée. 

Le  président  annonce  que  le  pétitionnaire  demande  la  parole 
pour  un  fait.  [Plusieurs  voix  :  Non ,  non .  ) 

Duprat.  Je  demande  qu'il  soit  entendu;  nous  ne  pouvons  pas 
prononcer  sur  la  liberté  d'un  homme  sans  l'entendre. 

L'assemblée  décrète  que  le  pétitionnaire  sera  entendu. 

Le  pétitionnaire.  Citoyens,  profondément  affligé  du  temps  que 
je  vous  ai  fait  perdre ,  je  vous  déclare  franchement  qu'une  incon- 
séquence de  ma  part  a  causé  tout  ceci.  Voici  le  fait.  Je  suis  com- 
missaire de  la  section  Poissonnière,  pour  me  réunir  avec  ceux  des 
autres  sections  de  Paris,  car  il  y  en  ade  toutes  les  sections.  Depuis 
quatre  mois,  nous  sommes  occupés  de  différons  objets  concernant 
les  subsistances.  Je  n'ai  point  assisté  à  la  rédaction  de  la  pétition 
qui  vient  devons  être  présentée;  mais  j'ai  assisté  aux  articles  ad- 
ditionnels. J'ai  délibéré  et  j'ai  été  nommé  vice-président  depuis 
huit  jours;  c'est  en  cette  qualité  que  je  me  suis  présenté  au- 
jourd'hui. Ce  matin,  arrivés  dans  cette  enceinte,  nousnoussommes 
entretenus  avec  un  de  vos  membres  ;  il  nous  a  dit  qu'après  la  lec- 
ture de  celte  pétition  il  faudrait  demander  que  la  Convention 
s'occupât ,  toute  affaire  cessante ,  de  faire  une  loi  sur  les  subsis- 
tances pour  la  République  entière.  Citoyens ,  on  a  dit  que  le 
président  de  notre  comité ,  qui  lisait  la  pétition,  ne  dirait  pas  cet 
ajouté,  qu(3  ce  serait  le  vice-président;  et  par  conséquent  j'ai  dit 


FÉVRIER  (1795).  277 

au  nom  de  mes  frères  des  dëparlemens  :  voilà  le  l'ait;  je  le  confesse; 
je  subirai  toutes  les  peines  que  vous  voudrez  bien  m'infliger. 
Plusieurs  voix:  Le  nom  du  membre  qui  a  parle  au  pétitionnaire?) 

Le  péiiiionnaire.  On  m'a  dit  qu'il  s'appelle  Saint- Just;  mais  je 
r.e  le  connais  pas. 

Saint-Just  monte  à  la  tribune. 

Thuriol.  Je  demande  que  le  pétitionnaire  déclare  s'il  a  com- 
munique la  pétition  entière  à  Saint-Just,  car  il  en  impose  encore 
à  l'assemblée. 

Saint-Jusi.  Quand  je  suis  entré  ce  matin  dans  cette  assemblée, 
on  distribuait  une  pétition  des  48  sections  de  Paris,  dans  laquelle 
je  suis  cité  d'une  manière  désavantageuse.  Je  fus  à  la  salle  des 
conférences,  où  je  demandai  à  celui  qui  devait  porter  la  parole 
si  j'avais  démérité  dans  l'esprit  des  auteurs  de  la  pétition  :  il  me 
dit  que  non  ;  qu'il  me  rej^ardait  comme  un  très-bon  patriote.  Je 
lui  demandai  les  moyens  qu'il  voulait  proposer  :  une  personne 
me  présenta  du  blé  noir  dans  sa  main ,  et  me  dit  qu'il  y  en  avait 
beaucoup  de  cette  espèce  débarqué  au  port  Saint-Nicolas.  Je  lui 
dis:  Quelle  que  soit  votre  position ,  je  vous  invite  à  ne  point  agir 
avec  violence  :  calmez-vous  et  demandez  une  loi  générale.  Si  la 
Convention  ajourne  votre  proposition,  alors  je  demanderai  la  pa- 
role et  je  suivrai  le  fil  des  vues  que  j'ai  déjà  présentées.  Citoyens, 
je  n'ai  point  dit  autre  chose. 

Marai.  Je  demande  que  les  deux  orateurs  soient  renvoyés  au 
comité  de  sûreté  générale,  et  qu'on  passe  à  l'ordre  du  jour. 

Osselin.  Hier  presque  tous  les  députés  de  Paris  se  sont  rendus 
avec  moi  à  la  salle  des  conférences,  pour  calmer  l'agitation  qui 
troublait  rassemblée.  Nous  avons  entendu  le  citoyen  qui  a  pré- 
senté la  pétition  nous  dire  que  c'était  une  pétition  faite,  non- 
seulement  par  les  quarante-huit  sections  de  Paris ,  mais  par  les 
quatre-vingt-cinq  départemens  de  la  Piépublique.  Je  demande 
si  c'est  de  ma  part  une  erreur,  ou  bien  si  mes  collègues  ne  l'ont 
pas  entendu  comme  moi.  (  Oui,  oui.)  Je  demande  que  le  pétition- 
naire qui  a  eu  l'insolence  de  prendre  le  masque  de  représentant 
de  la  République,  masque  trompeur  qu'il  faut  faire  tomber  à  la 


278  CONVENTION    NATIONALE. 

face  de  l'univers ,  soit  interrogé  à  l'instant  au  comité  de  sûreté 
générale.  {Plusieurs  voix  :  Fermez  la  discussion.) 

La  discussion  est  fermée. 

L'assemblée  adopte  la  proposition  d'Osselin  à  l'unanimité. 


La  presse  girondine  s'occupe  fort  peu  de  la  pétition  sur  les 
subsistances  ;  les  divers  journaux  de  cette  opinion  en  disent  à 
peine  quelques  mots  dans  leur  compte-rendu  de  la  séance  du  42. 
La  presse  dé  l'opinion  jacobine  revient  au  contraire  plusieurs 
jours  de  suite  sur  cet  événement,  et  ne  le  laisse  qu'après  l'avoir 
éclairci.  Prudhomme  expose  ainsi  les  faits  : 

«  Lundi  11,  les  pétitionnaires  firent  demander  audience;  le  pré- 
sident de  la  Convention  leur  fit  répondre  que  l'assemblée ,  occu- 
pée du  grand  objet  de  l'organisation  de  l'armée ,  ne  pouvait  les 
entendre,  et  qu'il  les  invitait  à  rapporter  leur  pétition  le  dimanche 
suivant  ;  mais  les  commissaires  dirent  qu'ils  n'étaient  pas  des  pé- 
tïùonnaires  du  dimanche ,  qu'ils  ne  venaient  pas  présenter  une 
pétition  individuelle ,  mais  tracer  le  tableau  des  besoins  de ,  Paris 
et  son  vœu  le  plus  pressant.  Bréard ,  président ,  persista  dans 
son  refus.  Alors  les  commissaires  députés,  ou  plutôt  le  président 
de  la  députation  (Plaisance  de  la  Houssaye) ,  écrivit  à  la  Conven- 
tion que  si  la  députation  était  repoussée  les  quarante-huit  sec- 
tions étaient  debout.  L'assemblée,  qui  ne  voulait  point  se  distraire 
du  grand  objet  de  la  délibération ,  se  contenta  de  passer  à  l'ordre 
du  jour  motivé. 

î  Cette  nouvelle  mit  en  fureur  un  certain  nombre  de  commis- 
saires. Des  propositions  attentatoires  à  la  dignité  de  la  Conven- 
tion étaient  faites  par  quelques-uns  d'entre  eux  :  des  députés  ne 
purent  rien  gagner  sur  ces  esprits  exaltés,  et  furent  qualités  de 
moc/ér es. Enfin,  pour  éviter  des  scènes  indécentes,  ils  emme- 
nèrent la  députation  au  comité  d'agricuUure,  qu'ils  convoquèrent 
sur-îe-champ.  Le  comité  eut  assez  de  complaisance  pour  deman* 


FÉVRIER  (1793).  279 

dcr  à  la  Convention  que  les  commissaires  fussent  entendus  le  len- 
demain ;  ce  qui  fut  accorde.  » 

—  Ici  Prudhomme  raconte  la  scène  du  lendemain.  Il  dit  que 
les  pétitionnaires  parurent  au  nom  de  la  ville  de  Paris ,  et  que  ce- 
pendant le  maire  n'était  pas  à  leur  tête.  Celte  remarque  tombe 
d'elle-même ,  car  il  n'y  avait  pas  en  ce  moment  de  maire  à  Paris. 
Chambon  avait  donné  sa  démission  le  3  février,  et  Pache  ne  fut 
élu  que  le  44.  Après  avoir  exposé  la  séance,  l'auteur  de  l'article 

ajoute  :  «  On  a  examiné  de  plus  près  les  membres  de  cette 

députnîion  ;  le  président  a  été  reconnu  aristocrate.  D'autres  se 
sont  trouvés  d'anciens  gardes  du  roi ,  un  des  rédacteurs  de  la  pé- 
tition est  un  ci-devant  garde  de  Monsieur,  qui  a  fait  le  patriote 
depuis  le  10  août,  tandis  qu'il  éîait  aristocrate  forcené  avant  cette 
époque.  Le  mandataire  des  fédérés  des  quafre-vîngt-cinq  dépar- 
temens,  nommé  Hendelet,  a  été  mis  en  état  d'arrestation  et  inter- 
rogé au  comité  de  sûreté  générale  ;  rien  n'a  déposé  contre  sa 
loyauté  et  son  civisme  ;  on  a  vu  seulement  que  c'était  un  cerveau 
exalté  susceptible  d'impressions  étrangères.  »  {Révolutions  de  Pa- 
ris, n.CLXXXyUl.) 

On  a  vu ,  dans  le  Lullelin  de  la  séance ,  que  Marat  fut  l'un  des 
premiers  à  se  déclarer  contre  les  pétitionnaires.  I!  les  improuve 
plus  explicitement  encore  dans  sa  feuille,  et  il  en  consacre  plu- 
sieurs numéros  à  donner  des  éclaircissemens  sur  le  but  probable 
de  cette  démarche,  sur  la  personne  de  ceux  qui  l'ont  faite,  sur 
1  époque  oii  elle  a  été  préparée ,  et  sur  les  individus  qui  en  ont 
donné  la  première  idée.  Nous  allons  recueillir  la  partie  significa- 
tive de  ces  renseignemens. 

Dans  son  n.  CXXI,  Marat  fait  cette  réflexion  :  «  Il  est  notoire 
que  la  Convention,  non  plus  que  les  législatures  précédentes, 
n'a  jamais  été  occupée  de  délibérations  importantes  au  salut  pu- 
blic sans  qu'elle  ait  été  troublée  par  des  alarmes  ou  des  émeutes 
sur  les  subsistances.  Et,  pour  m'en  tenir  à  des  exemples  récens, 
je  citerai  les  atiroupemens  dans  les  dépariemens  de  Seine-et- 
Loire  et  du  Lo'ret,  occasionnés  parle  dénûm.cnt des  marchés , 
et  annoncés  à  la  Convention  au  moment  où  elle  délibérait  sur  l'é- 


280  CONVENTION   NATIONALE. 

poque  à  fixer  pour  le  ju{îementde  l' ex-monarque,  époque  que  la 
faction  criminelle  s'efforçiiit  d'éloigner;  je  citerai  les  alarmes  ré- 
pandues par  les  députés  de  ia  Commune  de  Paris  au  sein  de  la 
Convention  au  moment  où  elle  allait  délibérer  sur  la  guerre  avec 
l'Angleterre  ;  je  citerai  les  inquiétudes  répandues  par  les  dé- 
putés des  sections  de  Paris  au  sein  de  la  Convention,  au  mo- 
ment où  elle  va  délibérer  sur  la  nouvelle  organisation  de  nos  ar- 
mées. > 

Marat.^fait  voir  ensuite  comment  son  esprit  est  passé  du  doute 
au  soupçon,  des  probabilités  à  la  certitude,  à  l'égard  des  mau- 
vais motifs  des  pétitionnaires.  Il  termine  ses  inductions  par  ces 
mots  :  f  Ainsi  que  tout  patriote  éclairé ,  l'ami  du  peuple  ne  peut 
donc  regarder  la  pétition  que  comme  ayant  été  suggérée  par  les 
ennemis  de  la  patrie ,  par  des  meneurs  qui  ont  surpris  la  bonne 
foi  des  sections  elles-mêmes ,  aujourd'hui  que  l'absence  des  plus 
chauds  patriotes,  appelés  pour  le  service  de  la  patrie,  soit  au  sein 
de  la  Convention ,  soit  au  corps  électoral,  soit  sur  les  frontières, 
les  livre  aux  discours  hypocrites  et  aux  menées  artificieuses  d'une 
foule  d'intrigans  couverts  du  masque  du  faux  civisme.  »  —  Pas- 
sant aux  individus,  Maral  dit  que  le  sieur  Plaisanl-la-Houssaye 
a  été  secrétaire-rapporteur,  ou  plutôt  grippesou  de  l' ex-avocat- 
général  Fleury,  et  que  ce  vil  concussionnaire  mettait  à  contribu- 
tion les  pauvres  plaideurs  auxquels  son  maître  rendait  la  justice. 
,  Il  dit  que  le  sieur  Pelissier  est  un  ex-commissaire  royal  chassé  de 
Bretagne  pour  malversations  aristocratiques.  Il  signale  Bouland, 
ex-garde-du-corps  de  Capet  dit  Monsieur,  et  le  sieur  Jujgni,  ci-de- 
vant féodiste  du  chapitre  de  Saint-Marcel.  Il  dénonce  ces  intrigans 
aux  sections  comme  indignes  de  les  représenter,  et  leur  affirme 
que,  si  elles  suivent  les  menées  de  PIaisanl-la-Ho,ussaye  et  de  Pou- 
pel ,  elles  reconnaîtront  bientôt  qu'ils  sont  en  relation  avec  les 
brissotins ,  et  que  c'est  Clavière  qui  tient  les  fils  de  l'intrigue.  » 
Dans  son  numéro  CXXII ,  Marat  fait  une  longue  adresse  aux 
sections  sur  le  même  objet,  et  la  termine  ainsi  :  «  J'aime  à  croire 
que  les  bons  citoyens  de  toutes  les  sections  de  Paris,  tous  péné- 
trés des  bons  principes ,  de  l'amour  de  l'ordre  ei  du  respect  dû 


FÉVRIER  (  1795).  281 

aux  représentans  du  souverain,  s'empresseront  de  désavouer 
des  faussaires  qui  les  faisaient  parler  en  inse^isés  et  en  fac- 
tieux. j> 

Dans  son  numéro  CXXV,  il  dit  :  «  La  seclioq  Poissoncicre  a 
déclaré  que  le  sieur  Hendelet,  l'un  de  ses  membres,  celui  qui  a 
compromis  le  plus  la  dépuîaiion  des  commissaires  en  parlant  au 
nom  des  quatre-vingt-cinq  déparremens,  est  indigne  de  sa  con- 
fiance ;  eî!e  lui  a  retiré  tout  de  suite  les  pouvoirs  qu'il  avait  obtenus 
d'elle ,  en  arrêtant  qu'il  ne  pourra  être  nommé  à  aucun  emploi 
à  la  disposition  de  la  section.  Plusieurs  sections  ont  improuvé 
également  leurs  commissaires  de  s'être  laissé  séduire  par  les  in- 
trigans  qui  ont  rédigé  !a  péiilion  insensée. 

€  Voici  quelques  anecdotes  sur  le  sieur  Poupel ,  qui  faisait  les 
fonctions  de  secrétaire.  En  novembre  i789,  Poupel  fut  nommé, 
conjointement  à  l'abbé  Bouillon ,  commissaire  du  district  des  Ja- 
cobins, acîueilement  section  des  Piques.  11  é;ait  chargé  de  la  dis- 
tribution des  secours  à  donner  aux  indigens  ;  mais  la  caisse  re- 
mise entre  ses  mains  pour  cet  objet  se  trouva  bientôt  dissipée,  et 
il  fut  chassé  du  district.  Les  curieux  peuvent,  pour  leur  édifica- 
tion, compulser  le  procès-verbal  qui  en  fut  fait  dans  le  temps. 
Dès  lors  Poupel  a  été  chassé  du  bataillon  du  district  par  suite  de 
ses  malversations.  Les  bons  citoyens  de  la  seciion  dont  il  se  dit 
commissaire  assurent  qu'il  n'a  pu  être  nommé  que  par  intrigue, 
et  en  se  présentant  au  mo nient  où  il  ne  se  trouvait  que  des  aris- 
tocrates à  l'assemblée  ;  tous  s'accordent  à  lui  donner  un  certificat 
de  coquinisme. 

»  Jeudi  soir,  le  sieur  Bouland,  que  j'ai  dénoncé  comme  rédac- 
teur de  la  pétition  ,  s'est  présenté  chez  moi  pour  m'assurer  de  la 
pureté  de  son  civism.e  ;  il  s'ttt  éternellement  réclamé  de  Fréron. 
Or,  voici  le  certificat  que  Fréron,  mon  collègue,  vient  de  lui 
donner. 

«  Frappé  d'un  c'écret  de  prise  de  corps  et  poursuivi  par  La 
I  Fayette,  après  le  massacre  du  Champ-de-3Iars ,  je  cherchai  un 
»  asile  chez  le  sieur  Bouland,  que  j'avais  eu  occasion  de  voir  quel- 
»  quefois,  et  qui  jouait  le  patriote.  Je  me  rendis  à  travers  champs 


282  CONVENTION   NATIONALE. 

i-  à  sa  maisonnette  du  faubourg  Saint-Marcel,  en  prenant  toutes 

>  les  précautions  possibles  pour  n'être  ni  vu  ni  saisi.  Il  me  reçut 

*  assez  froidement.  Il  sortit  sur  le  soir,  et  rentra  peu  après ,  en 
»  annonçant  qu'il  était  bien  fâché  de  ne  pouvoir  me  donner  asile; 
»  que  la  section  des  Gobelins  était  informée  que  je  m'étais  retiré 

>  chez  lui ,  et  que  sa  maison  devait  être  investie  pendant  la  nuit. 

>  Elle  ne  le  fut  pas  toutefois  ;  c'est  ce  qu'il  est  essentiel  d'observer 
»  avant  tout.  Au  moment  de  prendre  congé,  Bouland  feignit  de 
î  prendre  grand  intérêt  à  mon  embarras ,  et  me  pressa  de  lui 

>  dire  où  j'avais  dessein  de  me  retirer  :  je  lui  répondis  à  Che- 
»  vreuse ,  chez  mon  beau-frère ,  La  Poipe.  Je  le  priai  de  m'ac- 
D  compagner  jusqu'au  bureau  des  voitures;  il  y  consentit.  A 

>  peine  avions-nous  fait  cent  pas,  qu'il  voulut  m'abandonner  au 
»  milieu  de  la  rue.  Je  craignais  quelque  trahison  de  sa  part,  et 

*  comme  il  était  nuit ,  je  le  pressai  de  m'accompagner  au  bu- 
»  reau  ;  il  se  rendit  à  mes  instances.  Prêt  à  monter  en  voiture,  il 
»  me  demanda  de  nouveau  si  j'allais  à  Chevreuse ,  et  il  me  pria 
»  de  lui  donner  exactement  l'adresse  de  la  retraite  où  je  me  ren- 
»  dais,  afin  qu'il  pût  m'instruire  de  ce  qui  se  passait.  Ses  procé- 
»  dés  m'avaient  inspiré  beaucoup  de  défiance  ;  je  ne  fus  point  à 
»  Chevreuse ,  et  bien  m'en  prit  ;  car  le  lendemain ,  dans  la  nuit , 
»  la  maison  de  mon  beau-frère  fut  investie  par  la  gendarmerie, 

>  et  fouillée  de  la  cave  au  grenier.  Or,  observez  bien  que  je  n'a- 

>  vais  dit  à  personne  au  monde  qu'à  Bouland  que  j'allais  chercher 
»  retraite  à  Chevreuse.  *  —  Tel  est  le  certificat  de  civisme  que 
Fréron  donne  à  Bouland. 

Dans  son  numéro  CXXVl ,  il  insère  la  lettre  suivante,  où  se 
trouvent  l'histoire  même  de  la  pétition  et  celle  du  principal  me- 
neur. 

«  Paris,  le  14^  janvier  1793.  Citoyens,  la  lecture  de  voire 
journal  d'hier  me  fournit  naturellement  l'occasion  de  vous  écrire, 
pour  vous  instruire  des  intrigues  infernales  qui  se  pratiquent  dans 
la  section  du  Panthéon  Français,  qui  serait  une  des  meilleures 
sections  de  Paiis  si  ciie  n'éluit  dans  ce  moment-ci  le  patrimoine 
des  inlrigans,  puisqu'ils  s'en  vantent  tout  haut. 


rÉVRiER  { 1795  ).  285 

»  La  pétition  sur  les  subsistances  dont  vous  parlez  a  été  fabri- 
quée dans  cette  section.  On  s'en  est  occupé  dès  le  mois  de  sep- 
tembre dernier.  Elle  a  été  appuyée  par  les  nommés  La7idrm,  ex- 
moine, dont  le  frère  est  émigré ,  et  d'Amour,  son  compagnon  de 
chambre  en  hôtel  garni,  place  Maubert ,  maison  d'un  fruitier, 
lesquels  ont  une  existence  absolument  ignorée  des  citoyens  de 
ladite  section.  Ils  sont  véhémentement  soupçonnés  d'y  être  en- 
voyés pour  désunir  les  citoyens ,  faire  prendre  des  arrêtés  con- 
traires aux  vrais  principes,  exciter  les  braves  sans-culottes  de 
cette  section ,  qui  sont  en  très-grand  nombre,  à  en  venir  à  des 
voies  de  fait ,  comme  il  est  arrivé  ces  jours  derniers ,  où  un  bon 
citoyen  manqua  de  perdre  la  vie.  C'est  déjà  vous  faire  pressentir 
le  caractère  d'un  de  ces  deux  intrigans,  nommé  Landrin.  En  ef- 
fet ,  il  est  impossible  de  peindre  l'astuce  et  la  perlidie  de  cet 
homme,  qui  a  la  facilité  de  la  parole,  et  la  trouve  comme  il  veut 
avec  le  masque  du  patriotisme.  Il  fait  plus.  Pour  se  rapprocher 
encore  mieux  des  braves  sans-culottes  qui  ne  sont  pas  assez  in- 
struits pour  se  méfier  de  ses  manœuvres ,  il  se  déguise  toujours 
en  indigent ,  en  portant  un  habit  dont  les  coudes  et  le  dessous  des 
bras  sont  à  jour  ;  et  vous  entendez ,  citoyen ,  que  les  gestes  ne 
sont  pas  épargnés  aux  motions.  C'est  avec  de  telles  menées  qu'il 
parvient  à  faire  des  braves  sans-culottes  tout  ce  qu'il  veut,  qu'il 
leur  a  persuadé  à  tel  point  que  les  vrais  patiiotes  étaient  des  cha- 
pelains, des  aristocrates,  que  s'ils  voulaient  faire  tête  à  cet 
homme  perfide,  le  sang  coulerait  dans  la  section.  Cet  homme, 
après  avoir  été  la  cause  de  la  scène  que  je  viens  de  raconter, 
leur  a  ensuite  prêché  l'humanité ,  la  paix  et  la  concorde ,  et 
les  braves  sans-culottes  ont  applaudi.  Jugez,  citoyen,  ce  qu'ont 
souffert  les  vrais  patriotes.  C'est  encore  cet  homme  dangereux 
et  perfide  qui  fit  la  motion  d'accompagner  le  président  et  le  se- 
crétaire de  la  section,  en  armes,  à  la  Convention  dans  le  cas  où 
ils  seraient  mandés  pour  cause  des  nominations  à  haute  voix;  ce 
qui  prêta  à  la  calomnie  de  Roland ,  que  la  section  avait  pris  l'ar- 
rêté ;  ce  qui  n'était  pas  vrai,  attendu  que  Landiin  n'avait  pas  dans 
ce  temps  l'influence  qui!  a  aujourd'hui 


284  CONVENTION   NATIONALE. 

>  Ce  fait  vient  parfaitement  à  l'appui  des  propos  indécens  de 
ces  soi-disant  députés  des  sections  de  Paris  et  des  déparlemens  ; 
il  explique  en  même  terïips  Fenigme  sur  la  conduite  du  vertueux 
Roland.  C'est  encore  cet  intrigant  qui,  dans  les  cafés  et  les  lieux 
publics,  déclamait  contre  la  constitution  civile  du  clergé,  propos 
contre-révolutionnaire,  dont  il  s'est  défendu  dans  la  section, 
lorsqu'on  lui  en  a  fait  le  reproche,  avec  son  astuce  familière ,  en 
disant  que  les  opinions  étaient  libres.  Quand  les  patriotes  lui  re- 
prochent d'avoir  employé  son  esprit  à  diviser,  il  répond  que  cela 
l'amuse.  Plusieurs  citoyens,  qui  l'aitesteront  même  s'il  le  faut, 
l'ayant  un  jour  rencontré  avec  d'Amour,  son  compagnon  de 
chambrée,  et  le  nommé  Gobert,  autre  intrigant,  pour  ne  pas  dire 
quelque  chose  de  plus,  les  ont  entendus  se  dire  entre  eux  qu'ils 

allaient  f la  section  sens  dessus  dessous,  ce  qu'ils  n'ont  pas 

manqué  de  faire  ;  car  depuis  que  ces  intrigans  sont  dans  la  sec- 
tion elle  est  dans  un  état  de  guerre  civile ,  ei  tout  cela  amuse  fort 
le  sieur  Landriu ,  puisqu'il  s'en  vante.  Il  vient  encore  de  faire 
casser  le  comité  de  la  section  créé  au  10  août ,  et  composé  d'ex- 
ccllens  patriotes,  qu'il  a  fait  destituer  par  ses  calomnies,  eliem- 
placer  par  ses  créatures,  appuyées  par  les  sans-culottes.  Enfin, 
cet  homme  perfide,  qui  fait  l'indigent  dans  la  section ,  a  été  ren- 
contré plusieurs  fois  dans  la  rue  assez  bien  couvert ,  comme  ceux 
à  qui  les  assignats  ne  coûtent  pas  grand'peine  à  gagner  ;  ce  qui 
démontre  jusqu'à  l'évidence  que  la  liste  civile  n'a  fait  que  chan- 
ger de  mains  ,  puisque  l'on  emploie  encore  aujourd'hui  les 
mêmes  moyens,  soit  pour  égarer  l'opinion  publique,  soit  pour 
diviser  les  citoyens,  et  les  mettre  aux  prises  les  uns  avec  les 
autres.  —  Citoyen  ,  par  le  portrait  que  je  vous  ai  fait  de  Landrin, 
de  cet  homme  insidieux  et  méchant,  vous  croirez  sans  doute  con- 
venable et  prudent  de  ne  pas  me  nommer.  Sifinc ,  le  citoyen 
J.  N.  L.  * 

Nous  terminerons  ce  post-scriplum  à  la  séance  du  12  par  la 
lettre  que  la  députaiion  de  Paris  jugea  nécessaire  d'adresser  à  ses 
comraettans  sur  la  pétition  pour  les  subsistances.  Nous  emprun- 
tons cette  pièce  au  journal  de  Robespierre,  2^  trim.,  n.  VI. 


FÉVRIER  (  1795  ).  285 

Les  députés  du  déparlement  de  Paris  à  leurs  commettans. 

«  Citoyens,  les  circonstances  graves  où  nous  sommes  nous 
font  une  loi  de  vous  donner  des  avertissemens  salutaires  :  un 
événement  qui  vient  de  se  passer  à  la  Convention  nationale  les 
provoque  impérieusement. 

»  Au  moment  où  la  Convention  nationale  s'occupait  de  la  pu- 
nition du  tyran ,  vous  savez  quelles  manœuvres  furent  employées 
pour  exciter  parmi  nous  des  troubles  que  votre  sagesse  et  votre 
civisme  surent  prévenir;  il  s'agit  aujourd'hui  de  repousser  les 
despotes  ligués  contre  nous  ;  ne  doutez  pas  que  les  mêmes  enne- 
mis de  la  liberté  ne  recommencent  les  mêmes  manœuvres  :  leurs 
projets  sont  perfides,  leurs  moyens  sont  séduisans,  leurs  pré- 
textes sont  spécieux  ;  le  plus  imposant  de  tous  c'est  celui  des  sub- 
sistances publiques.  Malheur  à  l'homme  barbare  qui  entend  par- 
ler des  besoins  du  peuple  sans  chercher  à  le  soulager;  mais  mal- 
heur surtout  à  l'homme  perfide  qui  ne  feint  de  compatir  à  sa 
misère  que  pour  le  tromper  et  pour  l'asservir  !  Les  principes  que 
nous  avons  constamment  professés  nous  donnent  le  droit  de  dire 
que  nous  ne  pouvons  être  rangés  dans  la  première  classe  de  ces 
ennemis  du  peuple  ;  il  nous  appartient  donc  de  démasquer  la 
seconde. 

»  Nous  avons  vu ,  dans  une  démarche  faite  mardi  dernier  par 
des  orateurs  qui  prétendaient  parler  au  nom  des  sections  de  Pa- 
ris, et  même  des  quatre-vingt-quatre  départemens,  l'erreur  de 
quelques  patriotes  et  la  malveillance  des  inlrigans  qui  abu- 
saient de  leur  bonne  foi.  Au  premier  moment  où  nous  enten- 
dîmes parler  d'une  pétition  sur  les  subsistances,  nous  avons  dû 
croire  que  l'intention  de  ses  auteurs  était  au  moins  de  présenter 
des  vues  utiles  et  de  les  faire  adopter  ;  et ,  nous  devons  le  dire , 
depuis  que  des  illusions  funestes  se  sont  dissipées,  depuis  que  la 
Convention  nationale  s'est  élevée ,  par  la  punition  du  tyran,  à  la 
hauteur  de  sa  mission,  nous  sommes  convaincus  qu'il  n'est  pas 
de  moyens  propres  à  soulager  les  citoyens  indigens  que  la  majo- 
rité ne  soit  disposée  à  saisir  avec  empressement.  Nous  pouvons 


CONVENTION   NATIONALE. 

ajouter  qu'elle  vient  d'en  donner  une  preuve  récente ,  en  établis- 
sant une  contribution  sur  les  riches  seulement,  pour  prévenir  la 
hausse  du  prix  du  pain  à  Paris.  Mais  quand  nous  vîmes  les  pé- 
titionnaires se  faire  annoncer  par  une  lettre  menaçante  écrite  au 
président  de  la  Convention ,  nous  conçûmes  de  violons  soupçons  : 
la  nature  des  propos  dont  ils  affectaient  de  faire  retentir  les  lieux 
voisins  de  la  salle ,  leur  obstination  à  vouloir  être  admis  sur-le- 
champ,  malgré  un  décret  de  l'assemblée,  les  confirma.  ObUgés 
de  nous  rendre  auprès  d'eux  pour  les  calmer,  nous  vîmes ,  parmi 
des  citoyens  animés  sans  doute  d'un  zèle  pur,  quelques  hommes, 
qui  semblaient  les  maîtriser  par  la  force  de  leurs  poumons ,  re- 
pousser avec  emportement  les  observations  les  plus  raisonnables; 
nous  entendîmes  même  autour  de  nous  des  invectives  qui  nous 
étaient  adressées.  L'un  affirmait  que  nous  étions  des  ennemis  du 
peuple,  l'autre  poussait  l'extravagance  jusqu'à  nous  menacer  de 
faire  révoquer  la  dépulation  de  Paris.  Tandis  que,  guidés  par 
l'amour  de  la  paix,  nous  cherchions  les  moyens  de  faire  entendre 
les  pétitionnaires ,  les  mêmes  hommes  et  leurs  affidés  remplis- 
saient les  cafés  voisins  de  déclamations  injurieuses  contre  pla- 
.  sieurs  d'entre  nous  dont  le  patriotisme  ne  vous  fut  jamais  suspect. 
Le  lendemain  ils  sont  admis  à  la  barre  ;  la  nature  de  certaines 
propositions ,  qui  semblaient  avoir  été  exagérées  à  dessein  ;  les 
expressions  démesurées  dont  on  affecta  de  se  servir,  le  ton  insul- 
tant et  frénétique  dont  l'orateur  prononça  son  discours ,  le  main- 
tien indécent  que  plusieurs  des  prétendus  pétitionnaires  affectè- 
rent de  garder  en  présence  de  la  Convention  nationale,  le  men- 
songe absurde  proféré  par  l'un  d'eux  qu'il  pariait  au  nom  des 
quatre-vingt-quatre  déparîemens,  tout  nous  dévoila  la  basse  in- 
trigue qu'une  main  cachée  avait  ourdie  pour  compromettre  le 
nom  des  quarante -huit  sections,  auxquelles  elle  est  aussi  étran- 
gère qu'aux  quatre-vingt-quatre  départemens.  Nous  crûmes  fa- 
cilement au  fait  avancé  publiquement  que  les  moteurs  de  cette 
démarche  n'étaient  que  des  aristocrates  déguisés ,  attachés  à  l'an- 
cien régime  par  d'anciennes  habitudes.  11  nous  sembla  que  l'on 
n'avait  proposé  celte  pétition  que  pour  la  faire  repousser,  et 


FÉVRIER  (1793).  287 

chercher  dans  cet  ëvénemenl  un  nouveau  prétexte  de  troubles , 
de  divisions  et  de  calomnies.  Tous  les  représentans  lidèles  du 
peuple ,  et  il  eu  existe  beaucoup  sans  doute ,  suivront  une  mar- 
che différente  ;  ils  ne  négligeront  aucun  moyen  de  faire  triom- 
pher la  cause  de  l'humanité  souffrante,  en  dépit  des  avocats  per- 
fides qui  ne  la  plaident  que  pour  la  compromettre.  Leur  devoir 
n'est  pas  de  pousser  le  peuple  au  désespoir  par  des  alarmes  exa- 
gérées ,  pour  le  forcer  à  recevoir  à  la  fois  des  fers  et  du  pain  , 
.  mais  de  le  secourir  par  les  moyens  qui  sont  en  leur  pouvoir. 
Leur  devoir  n'est  pas  seulement  de  donner  du  pain  au  peuple , 
comme  de  la  pâture  aux  plus  vils  animaux.  Les  despotes  aussi 
donnent  du  pain  à  leurs  sujets,  pour  leur  propre  intérêt;  nous, 
représentans  de  la  nation ,  nous  voulons ,  nous  devons  lui  assu- 
rer encore  la  liberté,  la  paix,  l'abondance,  qui  sont  le  fruit  des 
lois  justes,  sages  et  bienfaisantes,  la  jouissance  des  droits  sacrés 
de  l'homme,  et  toutes  les  venus  républicaines  qui  font  à  la  fois 
le  bonheur  et  l'ornement  de  la  vie  humaine.  Mais,  pour  arriver 
à  ce  terme  heureux ,  il  faut,  dans  ces  circonstances  critiques, 
que  nous  soyons  encore  secondés  par  le  caractère  énergique  et 
raisonnable  de  ce  même  peuple,  dont  le  calme  imposant  a  jus- 
qu'ici déconcerté  tous  les  complots  de  nos  ennemis  communs. 
Est-ce  au  moment  où  la  cause  du  patriotisme  commence  à  triom- 
pher au  sein  de  la  Convention  nationale?  est-ce  au  moment  où  il 
faut  repousser  les  attaques  des  despotes  qu'il  faut  compromettre 
la  cause  de  la  liberté  par  une  précipitation  funeste  et  insensée? 
A  Dieu  ne  plaise  que  nous  voulions  décrier  le  patriotisme 
abusé  :  nous  respectons  la  vertu ,  même  dans  ses  erreurs  poli- 
tiques; mais  en  général  défiez-vous  de  ces  amis  naturels  de  la 
royauté,  de  ces  patriotes  nouveaux  qui  hier  conspiraient  con- 
tre vous,  et  qui  aujourd'hui  vous  caressent  pour  vous  perdre 
plus  sûrement.  Ils  se  répandent  dans  les  assemblées,  pérorent 
beaucoup  mieux  que  les  patriotes  simples  et  les  braves  sans- 
cnlottes,  qui  n'ont  d'autre  art  que  l'amour  de  la  patrie  et  de 
la  libellé.  Ils  s'insinuent  même  dans  certaines  sociétés  popu- 
laires pour  leur  tendre  des  pièges.  Les  pièces  du  procès  du  ty- 


288  CONVENTION   NATIONALE* 

ran  vous  prouvent  qu'il  entretenait  dans  leur  sein  des  agens 
pour  les  trahir.  Avant  de  croire  au  civisme  bruyant  de  certains 
personnages  connus  jusqu'ici  par  leur  haine  pour  la  liberté,  ou 
absolument  inconnus  dans  la  révolution ,  ce  qui  est  quelquefois 
la  même  chose ,  exigez  d'eux  autant  de  preuves  de  civisme  dés- 
intéressé qu'ils  exigeaient  autrefois  de  preuves  de  noblesse. 
Soyez  en  garde  contre  la  perfidie  de  nos  ennemis.  Il  ne  serait 
pas  extraordinaire  que  les  mêmes  hommes  qui  causent  la  dé- 
tresse publiq  e  fussent  les  plus  empressés  à  l'exagérer,  pour 
l'augmenter;  qu'ils  cherchassent  quelquefois  à  donner  aux  récla- 
mations de  l'humanité  souffrante  un  caractère  de  violence  qui 
les  rendît  toujours  suspectes. 

Il  n'est  pas  impossible  que  ceux  qui  se  sont  toujours  efforcés 
d'anéantir  les  principes  de  la  liberté  prennent  le  parti  de  les  ou- 
trer diiûs  certaines  occasions  où  ils  ne  peuvent  s'appliquer,  pour 
les  décréditer  ou  pour  en  faire  un  prétexte  de  désordre  et  d'"a- 
narchie;  il  ne  serait  pas  impossible  que  ceux  qui  ont  toujours 
cherché  à  avihr  le  peuple  voulussent  pousser  son  mécontente- 
ment jusqu'à  l'excès ,  et  égarer  sa  vertu  même ,  pour  persuader 
au  monde  que  la  portion  de  la  société  opprimée  par  le  despo- 
tisme n'est  faite  que  pour  servir  et  pour  ramper.  Ne  vous  éton- 
nez pas  si  ceux  qui  cherchent  à  déshonorer  les  défenseurs  des 
droits  de  l'humanité  et  les  amis  de  la  morale  publique  par  les  dé- 
nominations nouvelles  d'agitateurs ,  de  désorganisatein^s ,  créent 
eux-mêmes  de  véritables  agitateurs ,  pour  donner  une  base  à 
leurs  calomnies,  et  voudraient  tout  désorganiser  pour  imputer  au 
peuple  leurs  propres  attentats.  Ne  vous  étonnez  pas  s'ils  s'effor- 
cent, en  certains  cas,  de  pousser  le  patriotisme  duns  les  extrêmes, 
pour  réhabiliter  l'honneur  du  feuiliantisme,  pour  ressusciter  le 
modérantisme  et  môme  le  royalisme.  Ne  vous  étonnez  pas  si  ceux 
qui  ont  blasphémé  contre  cette  immortelle  cité,  pour  armer  con- 
tre elle  les  autres  dëpartemens ,  comme  si  les  Parisiens  n'étaient 
pas  des  Français,  comme  si  Paris  n'était  pas  une  ville  commune  à 
la  nation  entière,  cherchent  encore  à  troubler  Paris,  pour  trou- 
ver un  prétexte  larçlif  à  leurs  impostures,  honteusement  démea- 


FÉVRIER  (1793).  289 

lies  par  votre  héroïque  patience ,  et  pour  ressusciter  le  projet  de 
démembrer  la  République.  Détruire  Paris ,  citoyens ,  voilà  le  but 
de  tous  les  ennemis  de  l'égalité  quels  qu'ils  soient  ;  c'est  à  Paris 
que  s'adressaient  en  1790  les  menaces  insensées  du  perfide  Bouille; 
c'est  vers  Paris  que  marchait  Brunswick  et  le  despote  prussien , 
quand  vos  phalanges  citoyennes  volèrent  à  leur  rencontre  ;  c'est 
contre  Paris  que  les  chefs  d'une  coupable  intrigue  appelaient  na- 
guère les  fédérés,  avec  qui  Paris  avait  renversé  le  trône  du 
tyran  ;  c'est  sous  les  ruines  de  Paris  que  tous  les  despotes  cher- 
chent à  ensevelir  les  droits  de  l'humanité  et  la  liberté  du  monde. 
Il  est  encore  un  art  affreux,  connu  de  tout  temps  des  tyrans  ha- 
biles ,  et  dont  l'expérience  des  perfidies  humaines  a  dévoilé  les 
secrets  aux  francs  amis  de  la  liberté  :  c'est  d'arrêter  la  marche  de 
la  révolution  et  de  paraître  la  précipiter  ensuite,  suivant  les  cir- 
constances ;  tantôt  d'endormir  le  peuple ,  tantôt  de  l'agiter  à  con- 
tre-sens ;  c'est  de  décréditer  les  amis  passionnés  du  bien  public , 
et  de  paraître  enchérir  ensuite  sur  leur  zèle  par  des  propositions 
funestes ,  déguisées  sous  de  spécieux  dehors ,  pour  leur  donner 
à  ses  yeux  cet  air  de  modérantisme  qu'ils  ont  reproché  eux- 
mêmes  à  tous  les  intrigans.  L'histoire  des  républiques  anciennes 
nous  offre  plusieurs  exemples  de  ce  genre  de  scélératesse  ;  et  les 
tyrans  ne  désespèrent  pas  de  les  imiter  avec  succès.  Il  serait  assez 
adroit  de  placer  un  jour  les  défenseurs  de  la  liberté  entre  les  ven- 
geances de  l'aristocratie  et  le  désespoir  du  peuple,  ou  plutôt, 
pour  ne  parler  que  de  ce  qui  est  possible  en  France  et  à  Paris , 
de  déguiser  les  sicaires  de  la  royauté  ou  de  l'aristocratie  sous  le 
manteau  de  l'indigence  et  sous  la  livrée  honorable  de  la  pau- 
vreté. «  Il  est  vrai ,  comme  le  disait  dernièrement  un  représen- 
tant du  peuple  à  la  tribune  de  la  Convention  (1) ,  il  est  vrai  que 
le  peuple  a  respecté,  même  dans  ses  justes  vengeances ,  ceux  de 
ses  mandataires  qui  ont  le  plus  insolemment  trahi  sa  cause  ;  les 
coups  des  assassins  viennent  d'être  dirigés  contre  ceux  dont  les 
âmes  brûlaient  du  saint  amour  de  la  patrie.  »  Paris  n'est  point 

(0  Danton. 

T.  XXIV.  19 


290  CONVENÎION  NATIONALE. 

purgé  de  cette  horde  de  brigands  ëtrangers  et  français,  qui  furent 
rassemblés  dans  nos  murs  pour  arracher  le  tyran  à  la  justice  des 
lois ,  et  pour  assassiner  la  liberté  en  immolant  les  fidèles  repré- 
sentans  du  peuple.  Les  affreux  projets  de  la  tyrannie  ne  sont  pas 
ensevelis  dans  le  tombeau  du  dernier  roi  ;  il  y  aurait  de  la  folie  à 
croire  que  leur  espoir  soit  éteint  aussi  long-temps  que  les  des- 
potes combattent  pour  leur  cause.  L'aristocratie,  irritée,  aiguise 
encore  les  poignards  fumans  du  sang  de  Michel  Lepelletier,  et 
n'attend  peut-être  que  l'occasion  de  cacher  ses  coups  dans  les  té- 
nèbres ou  dans  la  confusion.  Voilà  un  aperçu  du  plan  de  conspi- 
ration tramé  par  les  ennemis  de  notre  liberté. 

»  Citoyens,  souvenez-vous  que  vous  l'avez  sauvée  jusqu'ici  par 
votre  patience  encore  plus  que  par  votre  courage.  Ne  souffrez 
pas  que  quelques  intrigans  vous  ravissent  en  un  jour  le  prix  de 
tant  de  sacrifices  et  de  tant  de  vertus.  Nous  ne  vous  conseillons 
pas  de  dormir  dans  une  stupide  sécurité ,  ni  de  rien  perdre  de 
l'énergie  républicaine,  par  laquelle  vous  avez  triomphé  de  la  ty- 
rannie ;  mais  de  persévérer  dans  l'attitude  imposante  et  calme 
qui  a  confondu  tous  vos  ennemis.  Un  peuple  digne  de  la  liberté 
n'idolâtre  point  ses  représentans  ;  il  les  surveille ,  et  respecte  en 
eux  sa  propre  dignité,  dont  ils  sont  entourés.  Ses  réclamations 
sont  toujours  imposantes ,  parce  qu'elles  ont  le  caractère  de  la 
justice  et  de  la  raison.  Les  coups  qu'il  porte  à  la  tyrannie  sont 
toujours  sûrs,  parce  qu'ils  sont  préparés  par  le  calme,  dirigés  par 
la  sagesse  et  commandés  par  la  nécessité.  Il  est  modéré ,  parce 
qu'il  est  fier  ;  il  est  doux,  parce  qu'il  est  fort  ;  il  est  patient,  parce 
qu'il  est  invincible.  Il  supporte  les  inconvéniens  inséparables 
d'une  grande  révolution  ;  il  ne  s'étonne  pas,  il  ne  se  désespère 
pas  à  la  vue  des  maux  que  cause,  pendant  quelque  temps,  la  lutte 
des  préjugés  contre  les  principes ,  et  des  vices  de  ceux  qu'il  a 
choisis  contre  les  devoirs  qu'il  leur  a  imposés  ;  et  tous  les  biens 
que  la  liberté  enfante  sont  le  prix  de  sa  constance  et  de  sa  modé- 
ration. L'abondance  ne  règne  point  dans  nos  murs ,  où  le  patrio- 
tisme indigent  s'est  épuisé  par  ses  propres  sacrifices  :  la  sagesse 
des  lois,  le  zèle  des  bons  citoyens,  la  défaite  des  tyrans ,  la  chute 


FÉVRIER  (4793).  291 

des  fripons  doivent  la  ramener.  En  allendanl  ceue  heureuse 
époque;  la  ruine  du  despotisme,  le  règne  de  légalité,  le  t;  iomphe 
des  principes  de  réternelle  justice  reconnus,  la  gloire  d'avoir 
opéré  des  prodiges  qui  changeront  la  face  du  monde  et  qui  éton- 
neront la  postérité  :  voilà  une  partie  de  nos  dédommagemens. 
Union ,  vigilance,  activité,  courage,  et  les  glorieuses  destinées  de 
notre  patrie  seront  accomplies. 

»  Max.  Robespierre  ,  Danton  ,  Collot-d'Herbois  ,  Billaud- 
Varennes,  Camille  Desmoulins,  Marat,  Lavicomterie  , 
Legendre,  Raffron,  Panis,  Robert,  Fréron,  Fabre-d'E- 
glantine  ,  Beacvais  ,  Robespierre  jeune  ,  David  ,  Boucher 
Saint -Sauveur,  Laignelgt,  L.-J.  Égalité.  » 


suite  de  la  séance  du  12  février. 

I  Duhem  fait ,  au  nom  du  comité  de  sûreté  générale ,  un  rap- 
port sur  l'arrestation  et  sur  l'emprisonnement ,  dans  le  départe- 
ment du  Finistère,  de  Royou,  dit  Guermeur,  commissaire 
chargé,  à  l'époque  du  mois  de  septembre  1792,  par  le  conseil 
exécutif  et  par  la  municipalité  de  Paris,  de  recherches  d'armes  et 
de  munitions  de  guerre  dans  les  départemens  composant  la  ci- 
devant  Bretagne. 

Le  rapporteur  propose  1°  d'ordonner  l'élargissement  du  com- 
missaire ;  2"  de  mander  à  la  barre  les  administrateurs  qui  ont  or- 
donné son  arrestation.  (  Un  mouvement  violent  éclate  à  la  droite 
de  la  tribune  au  moment  où  le  rapporteur  fait  entendre  cette 
dernière  conclusion.  )  ] 

«  Bailleul.  Je  demande  que  le  rapporteur  lise  toutes  les  piè- 
ces ;  la  Convention  nationale  reconnaîtra  qu'on  demande  la  li- 
berté d'un  assassin  et  la  punition  d'administrateurs  fidèles  à  leur 
devoir. 

»  Le  président.  On  demande  que  les  pièces  soient  lues. 

»  L'assemblée  décrète  qu'elle  entendra  la  lecture  des  pièces.  La 
première  que  le  rapporteur  lit  à  rassemblée  est  une  lettre  des 


292  CONVENTION   NATIONALE. 

administraieurs  du  département  du  Finistère  à  la  Convention  na- 
tionale, en  date  du  2  septembre  1792.  Les  administrateurs  font 
part  à  la  Convention  des  mesures  de  sûreté  qu'ils  ont  cru  de- 
voir prendre  à  l'égard  d'un  nommé  Claude-Michel  Royou,  dit 
Guermeur,  connu  dans  le  département  pour  avoir  habité  la  ville 
de  Pont-Labbé,  se  disant  commissaire  du  conseil  exécutif, 
chargé  de  la  recherche  des  armes  de  toute  espèce  pour  les  ba- 
taillons des  volontaires  nationaux,  i  Les  pouvoirs  que  nous  a 
»  présentés  le  citoyen  Royou,  disent  les  administrateurs, 
»  n'étaient  signés  que  de  quelques  membres  du  conseil  exécutif 

>  et  du  secrétaire  du  conseil  ;  la  signature  du  citoyen  Roland , 

>  ministre  de  l'intérieur,  était  biffée. 

>  A  cette  pièce  était  jointe  la  copie  de  l'arrêté  pris  par  le  dé- 
partement du  Finistère  à  l'occasion  du  citoyen  suspect. 

e  Les  administrateurs ,  vu  l'acte  du  conseil  exécutif  provisoire 
9  signé  des  citoyens  Servan ,  Danton ,  Monge ,  portant  une  si- 
»  gnalure  biffée  du  citoyen  Roland,  lequel  acte  confère  au  ci- 
»  loyen  Royou  le  titre  de  commissaire  national  à  la  recherche 
»  d'armes  dans  le  département  du  Finistère  ;  vu  un  passe-port 
»  délivré  à  ce  citoyen  par  la  commune  de  Paris ,  considérant  que 
»  les  pièces  acquièrent  un  caractère  suspect  par  le  manque  du 
»  sceau  du  conseil  exécutif  qui  n'y  est  point  apposé,  par  la  ra- 
»  diation  de  la  signature  du  citoyen  ministre  de  l'intérieur,  Ro- 
»  land ,  arréteat  que  le  citoyen  Royou  restera  provisoirement  en 
»  état  d'arrestation ,  et  que  copie  collationnée  de  toutes  les  piè- 
»  ces  sera  envoyée  à  la  Convention  nationale.  » 

»  La  deuxième  pièce  lue  par  les  rapporteurs  est  ainsi  cocçue  : 

«  Pouvoirs  donnés  au  même  par  le  comité  de  police  de  surveillance 
»  de  la  municipalité  de  Paris. 

»  Nous ,  administrateurs  du  département  de  police,  et  mem- 
»  bres  de  la  commission  de  surveillance  générale  instituée  par 
»  la  commune  de  Paris  pour  veiller  au  salut  de  la  capitale,  con- 

>  sidérant  les  dangers  imminens  qui  la  menacent,  et  persua- 
»  dés  que  tous  nos  frères  s'empresseront  de  nous  porter  tous  les 


FÉVRIER  { 1795).  295 

»  secours  qui  seront  en  leur  pouvoi  •,  nous  avons  cru  nécessaire 

»  d'envoyer  dans  les  divers  dëpartemens  des  citoyens  d'un  pa- 

»  Iriotisme  connu ,  qui  pussent  éc'airer  le  peuple  et  l'engager  à 

»  prendre  les  mesures  les  plus  promptes  pour  sauver  la  patrie 

»  des  dangers  qui  l'environnent  ;  en  conséquence ,  nous  autori- 

»  sons  le  citoyen  Guermeur,  chef  de  l'un  de  nos  bureaux  et  ad- 

»  ministraieur  adjoint  de  la  police,  à  se  transporter  sur-le-champ 

»  avec  le  fédéré  breton  Jézégabel  dans  tous  les  départemens  de  la 

»  ci-devant  province  de  Bretagne,  et  même  dans  ceux  circonvoi- 

»  sins,  à  l'effet  d'y  faire,  en  notre  nom ,  les  perquisitions  de  fu- 

»  siis ,  canons  et  autres  armes  qui  pourraient  se  trouver  dans  les 

»  différentes  villes ,  à  visiter  les  divers  magasins  de  vivres ,  mu- 

»  nitions  et  fourrages.  Requérons  en  conséquence  tous  nos  con- 

»  frères,  les  dépositaires  de  l'autorité  publique,  les  gardes  na- 

»  tionales ,  et  en  général  tous  les  citoyens ,  de  lui  donner  aide  et 

I»  assistance  dans  toutes  ses  opérations,  et  même,  en  cas  de  be- 

»  soin ,  de  lui  prêter  main-forte  ;  les  prions  surtout  de  lui  facili- 

»  ter  tous  les  moyens  de  faire  parvenir  le  plus  promptement 

*  possible  à  Paris  les  recrues  de  canonniers  et  autres  troupes 
»  nationales ,  ainsi  que  le  transport  d'armes  ou  munitions ,  dé- 
»  clarant  le  mettre,  ainsi  que  ses  compagnons  de  voyage,  sous 
»  la  sauvegarde  de  la  loi  ;  et  nous  engageons  à  tirer  vengeance 
»  de  toute  violence  qui  pourrait  être  commise  envers  eux ,  et  de 
»  l'opposition  qu'on  mettrait  à  l'exécution  de  la  présente  com- 
»  mission.  Fait  à  la  mairie,  le  4  septembre  1792,  l'an  4"  de  la 
»  liberté  et  le  1^^  de  l'égalité.  Signé  Dufort  ,  Sergent  ,  Marat, 
»  /'^mi  dit  pcup/e  ;  Jourdeuil  ,  Lenfant,  Leclerc,  P.-J.  Du- 

»    PLAIN,  PaNIS,  DeFORGUES. 

»  Donnons  encore  pouvoir  au  citoyen  Guermeur  de  faire  per- 
»  quisition  des  chevaux,  d'arrêter  ceux  qui  appartiendraient  aux 

*  émigrés,  et  de  les  faire  conduire  à  Paris.  S'ujnc  Panis  P.-J.  Du- 

*  PLAIN,  Marat,  l'Ami  du  peuple;  Leclerc  ,  Lenfant.  »  (  P/m- 
sicurs  voix  :  Décret  d'accusation  contre  tous  les  signataires.  ) 

«  Leliardij.  Il  est  essentiel  de  connaître  toutes  ces  pièces ,  j'en 
demande  l'impression  et  l'envoi  aux  départemens.  » 


CONVENTION   NATIONALE. 

»  Le  rapporteur  conlinue  la  lecture  ;  il  fait  celle  du  pouvoir 
donne  au  citoyen  Guerineur  par  le  conseil  exécutif  provisoire ,  à 
l'effet  de  se  transporter  à  Brest  et  à  Lorient  pour  la  recherche 
des  armes. 

»  Lesage.  Je  demande ,  président ,  que  vous  fassiez  exécuter  le 
décret  qui  vient  d'être  rendu ,  et  qu'on  nous  fasse  lecture  des  pro- 
cès-verbaux des  effets  trouvés  sur  Guermeur. 

»  Cliouclieux.  Il  y>  une  conspiration  pour  faire  perdre  le  temps 
de  l'assemblée.  (De  grands  murmures  s'élèvent.  Plusieurs  voix  : 
J'appuie  la  proposition  de  Lesage.) 

»  Tkuriot.  Président,  consultez  l'assemblée  sur  l'élargissement 
du  détenu.  (De  nouvelles  réclamations  s'élèvent.)  —  Le  président 
maintient  le  décret ,  et  le  rapporteur  continue  la  lecture. 

»  Le  premier  témoin  dépose  avoir  entendu  dire  au  prévenu 
que  Roland ,  Brissot ,  Vergniaud ,  Guadet ,  étaient  des  hommes 
détestables  ;  que  Marat  et  Robespierre  étaient  des  patriotes  par 
excellence.  (Un  violent  mouvement  éclate  dans  l'assemblée.) 

»  Marat.  Oui,  oui,  c'est  vrai.  (Mouvement  d'indignation.)  (1)» 

(  I  )  La  partie  de  cette  séance  que  nous  avons  noise  entre  guillemets  est  extraite 
par  nous  du  journal  le  Uépuhlicain  /"ranrais,  n°  XCI,  à  l'exception  de  la  pièce 
intitulée  :  Pouvoir  dit,  comifé  de  police ,  etc.,  que  nous  avons  voulu  transcrire 
en  entier.  Le  Moniteur  donne  les  pièces  à  la  suite  l'une  de  l'autre  dans  un  ordre 
différent  de  celui  dans  lequel  elles  ont  été  lues,  et  il  ne  renferme  aucune  des  in- 
terruptions de  l'assemblée  pendant  cette  lecture.  Nous  avons  préféré  ne  donner 
qu'une  analyse  de  documeus  fort  peu  intéressans  en  eux-mêmes,  et  conserver  le 
drame  parlementaire.  —  Le  journal  auquel  nous  avons  emprunté  cette  analyse 
commence  le  mardi  15  novembre  1792,  et  non  pas  le  jeudi  13,  ainsi  que  M.  Des- 
cbiens  la  avancé  dans  sa  Bibliograptiie,  pag.  505.  Ce  qui  a  pu  tromper  3L  Des- 
chiens, c'est  que  le  second  numéro  renferme  le  prospectus.  Cette  feuille  porte 
pour  épigraphe  : 

Magnus  ab  intégra  nascitiir  wdo, 

Orbique  incipiunt  magni procedere  menses.  (Virg.) 

Elle  est  in-/b/io,  imprimée  sur  trois  colonnes.  On  lit  au  bas  de  la  quatrième 
page  l'avis  suivant:  «  Ce  journal,  dont  la  partie  de  la  Convention  est  extraite  du 
travail  du  citoyen  F.  Guiratjd,  inventeur  de  l'art  logotypographique,  paraîtra 
tous  les  jours.  Le  prix  de  l'aboncement,  franc  de  port,  est,  pour  Paris,  à  l'an- 
née ,  60  liv,  ;  six  mois ,  32  liv.  ;  (rois  mois ,  1 8  liv.  Pour  la  province ,  à  l'année , 
72  liv.  ;  six  mois,  48  liv.;  trois  mois,  21  liv.  On  s'adressera  pour  l'abonnement 
à  la  citoyenne  Lamolte,  rue  de  Richelieu,  n°  14.  »  Ce  journal  s'intitule  le  Répu- 
blicain universel  \usqa&a  numéro  29;  au  numéro  40  il  prend  !e  titre  de  Répu- 
blicain français.  (  iSote  des  auteurs.) 


kÈwRiER  (1793).  295 

On  achève  la  lecture  des  pièces. 

[  Lesage.  Cette  affaire  vous  occupe  déjà  depuis  long-temps. 
Il  est  impossible  qu'elle  ne  donne  pas  lieu  à  une  discussion  très- 
longue  encore.  Vous  devez  avant  tout  organiser  l'armée.  Je  de- 
mande donc  l'ajournement  et  l'impression  de  toutes  les  pièces. 
(  Plusieurs  voix  à  droite  :  Et  l'envoi  aux  départemens;  il  faut  con- 
naître le  style  de  la  commune  de  Paris.  ) 
L'impression  est  décrétée. 

Thurioi.  Je  demande  que  le  citoyen  détenu  soit  mis  provisoire- 
ment en  liberté. 
On  réclame  l'ordre  du  jour. 

La  proposition  de  passer  à  l'ordre  du  jour  est  mise  aux  voix. 
L'épreuve  paraît  douteuse.  —  On  recommence  l'épreuve. 
Le  président.  Sur  six  secrétaires,  quatre  sont  d'avis  que 
l'épreuve  est  douteuse  ;  deux  sont  d'avis  qu'il  n'y  a  pas  lieu  à 
délibérer.  Je  suis  de  ce  dernier  avis  ;  mais  quatre  doivent  l'em- 
porter sur  trois.  { Quelques  murmures.  —  Plusieurs  voix  :  D  n'y  a 
pas  de  doute.  ) 

Marat  demande  la  parole.  —  De  vives  altercations  s'élèvent 
entre  lui ,  Panis  et  quelques  autres  membres  placés  à  la  droite  de 
la  tribune.  —  Le  tumulte  et  l'agitation  se  prolongent. 
On  demande  l'appel  nominal. 

Marat  insiste  pour  avoir  la  parole.  —  S'adressant  à  quelques 
membres  de  la  partie  droite  qui  l'interrompent...  Taisez-vous, 
malheureux,  laissez  parler  les  patriotes...  Taisez'vous,  contre-rc- 
vulutionnaires...  S'adressant  avec  des  gestes  violens  à  un  mem- 
bre qui  s'avance  vers  lui  :  Tais-loi,  trésorier  de  France. 

Lasource.  Je  ne  m'oppose  point  à  l'appel  nominal ,  à  une  seule 

condition  :  comme  il  va  nous  faire  perdre  beaucoup  de  temps ,  et 

que  nous  devons  nous  occuper  d'organiser  l'armée ,  je  demande 

que  la  séance  ne  soit  levée  qu'à  7  heures. 

Boissieu.  Dans  le  doute ,  le  citoyen  doit  être  mis  en  liberté. 

Charlier.  Je  demande  le  décret  d'accusation  contre  Roland  et 

sa  clique...  (  Plusieurs  voix  :  Bien  vu...  — Appuyé.) 

Châles.  J'ai  demandé  la  parole  pour  une  motion  d'ordre.  Du- 


296  CONVENIION    NATIONALE. 

hem  a  fait  lecture  d'un  grand  nombre  de  pièces  ;  on  en  a  de- 
mandé l'impression,  etsubséquemment  la  liberté  provisoire  du  ci- 
loyen  détenu.  Ici  j'invoque  le  grand  principe  de  la  liberté  indivi- 
duelle. Aucun  citoyen  ne  peut  être  mis  en  arrestation  s'il  n'y  a 
contre  lui  un  décret  de  prise  de  corps.  Je  me  borne,  en  vertu  de 
la  loi  positive  et  de  la  déclaration  des  droits  de  l'homme ,  à  de- 
mander que  ce  citoyen  soit  élargi.  La  Convention  ne  doit  pas  ou- 
blier qu'il  y  a  quelques  jours  elle  a  décrété  l'élargissement  d'un 
journaliste  bien  plus  coupal)le. 

Lecointre-Puijraveau.Ce  serait  de  la  part  de  la  Convention  une 
étrange  inconséquence  si  elle  mettait  un  citoyen  en  liberté  lors- 
qu'après  la  lecture  des  pièces  elle  a  déclaré  n'être  pas  assez  ins- 
truite. C'est  une  absurdité,  car  si  ce  citoyen  se  trouvait  coupa- 
pable ,  il  serait  impossible  de  le  retrouver.  Vous  devez  passer  à 
l'ordre  du  jour.  Si  cette  observation  ne  suffit  pas  pour  vous  faire 
tenir  à  votre  rè<;lement ,  j'ajoute  que  j'ai  été  frappé  dans  la  lec- 
ture des  pièces  de  l'article  relatif  à  Camus  (1). 

Marat.  C'est  un  fou  envoyé  par  la  députation  du  Finistère  (2). 

Un  député  de  ce  déparlement.  Je  prends  acte  de  la  calomnie  de 
Marat. 

Tkuriot.  Il  est  nécessaire  de  relever  un  fait  pour  l'honneur  de 
Camus  lui-même,  (  On  murmure.  )  Le  vol  était  fait  depuis  deux 
jours... 

Plusieurs  voix.  L'ordre  du  jour. 

Marat.  Maintenez  la  parole  à  Thuriot ,  président.  S'adressant 
aux  membres  de  l'extrémité  droite  qui  interrompent  :  Vous  êtes 
des  gredinSy  des  aristocrates,  des  coquins...  (De  longs  murmures 
couvrent  ces  apostrophes.) 

(0  Voici  cet  article  :  «  Le  citoyen  Maufra  déclare  avoir  entendu  dire  à  Guer- 
meur  qu'avant  de  partir  pour  Paris  il  avait,  avec  ses  collègues  du  département 
de  police ,  signé  un  ordre  contre  Camus ,  archiviste  de  l'assemblée ,  fondé  sur  le 
refus  de  ce  dernier  d'exécuter  les  ordres  donnés  relativement  au  pillage  qui  de- 
vait avoir  lieu  à  Paris  au  Garde-Meuble  national.  »  (Le  liépublicain  français, 
loc.  cit.)  {Noie  des  auteurs.) 

(2)  Au  lieu  de  ces  mots ,  il  y  a  dans  le  Républicain  français  :  «  Marat.  C'est  un 
faux  de  la  députation  di*  Finistère.  »  (  Piotç  des  auteurs.) 


FÉVRIER  (1795).  297 

Thuriot.  Voici  le  fait  :  Camus  était  en  patrouille  au  moment 
du  vol  du  Garde-Meuble.  Il  aperçut  des  gendarmes  en  surveil- 
lance ;  il  fut  étonné  de  les  voir  ainsi  placés  ;  il  les  fil  enlever.  La 
Commune  qui  les  avait  placés  le  trouva  mauvais  ,  mais  il  n'y  eut 
pas  de  mandat  contre  Camus.  J'insiste  sur  l'élargissement  du  dé- 
tenu. (  De  nouveaux  murmures  repoussent  celte  proposition.  ) 

La  discussion  est  fermée. 

Plusieurs  voix.  Aux  voix  l'ordre  du  jour. 

Legendre.  Lorsqu'il  y  a  du  doute,  c'est  en  faveur  du  détenu. 
(Murmures  à  la  droite.)  Je  réclame  l'exécution  d'une  loi.  (  Nou- 
veaux cris  ;  Atix  voix  l'oi'dre  du  jour.  )  Je  demande  la  parole.... 

Le  président.  Je  ne  puis  vous  l'accorder ,  et  je  n'obéirai  qu'à  la 
volonté  de  l'assemblée. 

Legendre.  Président ,  si  vous  me  refusez  la  parole ,  donnez-la 
donc  à  ceux  qui  veulent  faire  le  procès  à  la  révolution...  Oh  !  le 
peuple  les  connaît  déjà  tous.  (  Le  tumulte  recommence.  ) 

Duhem.  Je  demande  la  parole  pour  un  fait  :  Le  détenu  a  offert 
de  donner  caution  ;  on  n'a  pas  voulu  lui  rendre  sa  liberté.  (  Lne 
voix  à  la  droite  :  Qu'est-ce  que  cela  prouve? 

Marat  se  tournant  vers  l'interlocuteur.  Tais-toi,  conspirateur. 

Duhem.  Siégeons-nous  ici  dans  une  assemblée  de  contre-révo- 
lutionnaires? 

Marat.  Faites  vider  les  tribunes  j  il  y  a  là  un  insolent  qui  man- 
que aux  députés. 

Douket,  Président ,  je  demande  la  parole  contre  vous  si  vous 
ne  réduisez  au  silence  ceux  qui  vous  la  dérobent  audacieusement. 

Duhem.  Il  faut  déclarer  que  la  loi  du  9  octobre  n'a  été  présen- 
tée par  Gensonné  que  pour  sauver  les  contre-révolutionnaires. 

Le  président  remet  aux  voix  l'ordre  du  jour. 

L'épreuve  paraît  encore  douteuse  aux  secrétaires.  Il  s'élève  de 
nombreuses  et  violentes  réclamations  contre  le  bureau.  — 
L'épreuve  est  recommencée ,  et  l'assemblée  passe  à  l'ordre  du 
jour  à  une  grande  majorité.  ] 


^^  CONVENTION  NATIONALE. 

Le  n°  CXXIII  du  journal  de  Marat  commence  ainsi  le  compte- 
rendu  de  la  séance  que  l'on  vient  de  lire  :  «  Depuis  quinze  jours 
le  vertueux  Pétion  n'a  pas  mis  le  pied  à  l'assemblée ,  et  Ver- 
gniaud  ,  Guadet ,  Brissot,  Gensonné,  Barbaroux,  Salles  n'y  ont 
paru  que  quelques  instans  ;  où  sont-ils  donc  ces  meneurs  de 
la  bande  infâme  des  suppôts  du  royalisme  et  des  ennemis  du 
peuple  ?  Dans  d'obscures  tavernes ,  à  machiner  contre  la  patrie 
avec  les  émissaires  des  généraux ,  les  ministres  vendus ,  les  chefs 
des  ennemis  de  la  liberté,  peut-être  même  avec  les  agens  secrets 
des  puissances  conjurées  contre  la  France  libre.  Tandis  qu'ils 
conspireut  dans  des  conciliabules,  leurs  acolytes  conspirent 
dans  le  sénat  contre  les  citoyens  les  plus  zélés  et  les  meilleurs 
patriotes.  Hier  le  comité  de  sûreté  générale  fit  un  rapport  sur 
le  patriote  Guermeur,  etc.  » 


SÉANCE  DU  14  AU  SOIR. 

[  Une  députation  du  second  bataillon  du  département  de  l'Aude, 
employée  dans  l'armée  du  Var,  est  admise  à  la  barre,  et  pré- 
sente une  dénonciation  contre  le  général  Anselme.  Les  pétition- 
naires l'accusent  d'une  foule  de  dilapidations  et  de  prévarications 
de  tous  genres  ;  ils  joiguent  à  leur  dénonciation  un  mémoire  et 
des  pièces  justificatives  sur  la  conduite  du  général. 

Tallien.  Depuis  long-temps  il  vient  de  toutes  parts  des  dénon- 
ciations contre  le  général  Anselme  :  vous  ne  pouvez  plus  dou- 
ter qu'il  ne  soit  coupable.  Je  demande  qu'il  soit  rais  à  l'instant 
en  état  d'arrestation. 

GûupUleau.  Les  commissaires  que  vous  avez  envoyés  à  Nice 
sont  prêts  à  vous  faire  leur  rapport.  Je  demande  que  vous  les 
entendiez  avant  de  prendre  aucune  mesure  à  l'égard  du  général 
Anselme. 

La  proposition  de  Goupilleau  est  adoptée. 

Un  péiiùonnaire.  L'objet  de  ma  pétition  est  de  vous  dénoncer 
de  nouvelles  prévarications  dans  la  fabrication  des  assignats.  Cha- 


FÉVIUER   (1795  ). 

que  acte  d'administration  de  Lamarche  est  une  prévarication  ; 
ses  crimes  ne  peuvent  rester  impunis  parce  qu'il  est  protégé  par 
le  ministre  Clavière.  Il  y  a  peu  de  temps  que  nous  l'avons  dé- 
noncé pour  avoir  laissé  égarer  t20,0OÛ  livres  d'assignats.  Ces  jours 
derniers,  î)0,000  livres  en  assignats  de  iO  livres  ont  encore  dis- 
paru de  ses  bureaux.  Sitôt  que  Lamarche  fut  nommé  à  la  place 
qu'il  occupe ,  les  employés  connus  par  leur  probité  et  leur  fi- 
délité l'urent  renvoyés.  Nous  portâmes  nos  plaintes  au  ministre 
Clavière;  il  ne  nous  rendit  point  justice  ;  nous  demandons  une 
nouvelle  organisation  de  l'administration  des  assignats ,  et  qu'elle 
ne  soit  plus  confiée  à  un  seul  homme.  —  Renvoyé  au  comité  des 
assignats. 

Les  commissaires  envoyés  à  Nice  font  le  rapport  de  leur  mis- 
sion. 

Collot-d'Herbois ,  parlant  au"  nom  de  ces  commissaires ,  con- 
firme la  plupart  des  faits  énoncés  par  les  députés  du  second  ba- 
taillon de  l'Aube. 

A  la  suite  de  ce  rapport ,  CoUot  propose  de  mettre  en  état 
d'arrestation  le  commissionnaire  -  ordonnateur  Férus  et  An- 
selme. 

Cette  proposition  est  décrétée. 

Osselin.  Rien  n'est  plus  instant  que  de  terminer  la  loi  sur  les 
émigrés  ;  ils  rentrent  en  foule  en  France  ;  et  par  le  moyen  des 
certificats  qu'ils  obtiennent,  à  force  d'argent,  des  administrateurs 
coupables,  eux  et  leurs  biens  échappent  à  la  loi.  Je  demande 
d'être  entendu  demain. 

Tliuriot.  Il  faut  ajouter  à  la  loi  sur  les  émigrés  une  disposi- 
tion qui  fasse  sortir  de  France  tous  ceux  qui  s'y  trouvent ,  et 
cette  disposition  est  facile  :  c'est  d'exciter  la  surveillance  de  tous 
les  citoyens.  Je  demande  qu'il  soit  accordé  une  récompense  de 
100  livres  à  celui  qui  aura  dénoncé  un  émigré  ou  un  prêtre  com- 
pris dans  la  loi  de  déportation ,  et  qui  les  aura  fait  arrêter. 

Diilicm.  Je  ne  m'oppose  point  aux  motions  qui  sont  faites,  je 
les  appuie  toutes  ;  mais  les  lois  existantes  ne  sont  pas  exécutées. 
Je  connais  un  émigré  de  Lille  qui  est  venu  iiacer  le  camp  des 


300  CONVENTIOW   NATJONALe. 

Autrichiens,  ei  forcer,  le  sabre  à  la  main ,  les  habitons  des  cam- 
pagnes à  travailler  aux  retranchemens  des  ennemis.  Par  l'inci- 
visme des  administrateurs  ,  il  est  rentré  dans  6,rt00,000  de  bien. 
Je  demande  que  les  commissaires  que  la  Convention  envoie  dans 
les  divers  départemens  soient  autorisés  à  requérir  les  corps  ad- 
ministratifs de  faire  exécuter  les  lois  relatives  aux  émigrés. 

Cliambon.  En  appuyant  la  motion  de  ïhuriot ,  j'en  fais  une  au- 
tre :  je  demande  la  peine  de  mort  contre  les  administrateurs  qui 
délivreront  de  faux  certificats  de  résidence. 

Dupont.  Je  dénonce  l'inertie  du  tribunal  criminel  de  Paris.  De- 
puis deux  mois  il  est  saisi  d'une  dénonciation  que  lui  a  faite  le 
comité  de  sûreté  générale  contre  le  nommé  Guyotdu  Molaus, 
gentilhomme  poitevin ,  arrêté  au  bourg  de  l'Égalité  ;  il  ne  paraît 
pas  que  la  procédure  soit  commencée.  On  a  trouvé  sur  le  ci-de- 
vant les  preuves  de  son  émigration ,  comme  la  cocarde  blanche  , 
et  son  engagement  au  service  des  princes.  Je  demande  que  le 
ministre  de  la  justice  soi!  tenu  de  rendre  compte  de  la  suite  de  la 
procédure. 

Cette  proposition  est  décrétée.  ] 


COMMUNE   DE  PARIS. 

«  14  février.  Les  quarante-huit  sections  ont  fourni  15,191  vo- 
lans.  Pache,  ex-ministre,  a  réuni  11,881  voix  ;  Rœderer, 4,118; 
Roland ,  ex-ministre ,  494  ;  Fréteau ,  430  ;  Lecomte ,  10  ;  Tar- 
get, M;  Cailleux,  12;  Lameinière,  14;  Momoro ,  27;  Dor- 
messon,  46;  Luillier,  169;  voix  perdues,  936.  — Le  citoyen 
Pache  a  été  proclamé  maire  de  Paris  à  neuf  heures  du  soir,  et  à 
dix  heures  et  demie  il  est  arrivé  à  la  Commune  ;  il  a  prêté  ser- 
ment et  occupé  de  suite  le  fauteuil.  »  (  Journal  de  Paris  du  lo/e- 
trier.  ) 

CONVENTION.  — SÉANCE  DU  15  FÉVRIER. 

[  Le  ministre  des  affaires  étrangères  écrit  qu'un  grand  nombre 


FÉVRIER  (  1793  ).  ^  301 

d'officiers  étrangers  sollicitent  du  service  dans  les  troupes  de  la 
République  ;  ce  qui  les  empêche  de  se  rendre  en  France ,  c'est 
l'incertitude  du  sort  qui  les  y  attend.  Le  ministre  demande  que 
la  Convention  prononce  s'il  ne  conviendrait  pas  de  les  faire  jouir 
du  grade  qu'ils  quitteront  pour  servir  sous  les  drapeaux  de  la 
République. 

Cette  lettre  est  renvoyée  au  comité  militaire. 

Les  commissaires  de  la  Convention  dans  le  département  du 
Rhin  écrivent  de  Strasbourg  qu'ils  ont  suspendu  de  ses  fonctions 
Denac,  payeur  des  guerres  ,  et  qu'ils  ont  confirmé  l'arrêté  du 
département  du  Bas-Rhin  qui  suspendait  le  séquestre  mis  sur 
les  biens  de  l'ordre  de  Malte ,  dépendant  du  prieuré  d'Alle- 
magne. 

Le  ministre  de  l'intérieur  transmet  une  pétition  de  la  veuve  du 
citoyen  Biteau,  massacré  à  Orchies,  qui  sollicite  des  secours. 

Sur  la  proposition  de  Mallarmé,  la  Convention  accorde  un  se- 
cours provisoire  de  500  livres  à  la  veuve  Biteau ,  et  renvoie  au 
comité  pour  proposer  la  pension  qu'il  convient  d'accorder  à  cette 
citoyenne. 

Le  ministre  de  l'intérieur  soumet  à  la  décision  de  la  Conven- 
tion cette  question  :  Les  -prêtres  non  assermentés  qui  sont  sortis 
de  France,  munvi  d'un  passe-porty  mais  avant  que  la  loi  de  déporta- 
tion fût  sanctionnée,  doivent-ils  être  considérés  comme  émigrés? 

Renvoyé  au  comité  de  législation. 

Le  président.  Brissot  a  la  parole  par  décret. 

Brissot.  Citoyens  ,  je  me  croirais  coupable  si  j'abusais ,  dans 
les  circonstances  critiques  où  nous  sommes,  du  temps  précieux 
de  l'assemblée,  pour  l'employer  à  des  réclamations  qui  me  se- 
raient purement  personnelles.  Aussi  n'est-ce  pas  sous  ce  point 
de  vue  que  vous  jugerez  le  fait  que  je  vais  vous  dénoncer.  11  existe 
au  comité  de  sûreté  générale  une  lettre  signée  Brissot  de  War- 
wille ,  adressée ,  à  ce  qu'on  prétend,  à  La  porte,  et  contenant 
tous  les  sentimens  d'un  royaliste.  Je  déclare  que  cette  lettre  n'est 
pas  de  moi;  que  l'écriture  n'a  aucune  ressemblance  avec  la 
mienne  ;  que  la  signature  Brissot  est  falsifiée.  Où  ce  faux  a-t-il 


302  CONVENTION  NATIONALE. 

été  commis?  Les  faits  parlent  d'eux-mêmes.  Cette  lettre,  trouvée 
dans  les  papiers  du  comité  de  surveillance  de  la  Commune,  fut 
apportée  à  la  commission  des  Vingt-Quatre ,  chargée  de  les  exa- 
miner. Le  rapprochement  de  la  signature  WattevAUe ,  qui  était 
au  bas  de  la  lettre ,  avec  le  nom  de  WaniUe  que  j'avais  porté , 
fit  d'abord  examiner  la  pièce  avec  attention  par  les  membres  du 
comité  ;  ils  furent  bientôt  convaincus  que  cette  lettre  et  cette  si- 
gnature appartenaient  à  Wattewille ,  rédacteur  de  la  Gazette  de 
France.  Elle  fut  donc  mise  à  l'écart.  Je  ne  sais  par  quel  étrange 
motif  cette  lettre  s'est  retrouvée  au  bout  de  trois  mois  au  comité 
de  sûreté  générale ,  avec  le  mot  de  Brissot  mis  devant  Watte- 
wille ,  changé  en  Warville ,  qu'on  a  légèrement  barré.  Là-des- 
sus s'est  élevé  contre  moi  un  système  de  diffamation.  Cette  lettre 
a  été  communiquée  à  un  journaliste,  qui  l'a  imprimée.  Je  laisse  à 
l'assemblée  à  juger  la  conduite  d'un  comité  qui  a  voulu  profiler 
de  ce  faux  pour  perdre  un  collègue,  un  citoyen  ;  d'un  comité  qui 
a  pris  un  arrêté  pour  l'envoyer  aux  sociétés  populaires ,  et  l'im- 
primer dans  tous  les  journaux.  Mais  un  faux  a  été  commis  ;  mon 
devoir  est  de  le  dénoncer.  C'est  par  un  faux  commis  dans  un 
écrit  de  Sidney  qu'il  a  été  condamné  à  la  mort.  Je  demande  donc 
que  le  comité  de  sûreté  générale  soit  tenu  de  déposer  la  lettre  au 
tribunal  criminel  du  département  de  Paris ,  pour  être  informé 
contre  l'auteur  et  les  complices  du  faux. 

Bazïre.  Je  demande  la  parole  pour  rétablir  les  faits,  que ,  sui- 
vant son  usage,  Brissot  a  tronqués  en  présence  de  l'assemblée. 
Cette  lettre  ne  vient  point  du  comité  de  surveillance  de  la  Com- 
mune ;  elle  a  été  trouvée  dans  les  papiers  de  Laporte  par  les  com- 
missaires de  l'assemblée  nationale  Gobier  et  Audrein ,  en  pré- 
sence de  Legendre,  juge  de  paix  de  la  section  des  Tuileries. 
Elle  a  été  apportée  de  là  à  la  commission  extraordinaire ,  qui  n'y 
attacha  pas  beaucoup  d'importance,  parce  que  la  signature, 
bien  évidemment  de  Brissot  de  Warville,  était  raturée.  Depuis 
la  dissolution  de  cette  commission,  la  lettre  a  passé  au  comité  de 
sûreté  générale ,  qui  s'est  convaincu  que  les  trois  mots  Brissot  de 
Warville  sont  de  la  même  écriture ,  de  la  même  encre,  écrits  le 


FÉVRIER  (1793).  303 

même  jour.  Ces  trois  mots  ont  été  raturés  aussi  de  la  même 
main ,  c'est-à-dire  par  celui  qui  a  mis  en  tête  n°  3  el  le  paraphe. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Brissot  a  avancé  que  le  comité  de  sûreté  gé- 
nérale a  pris  un  arrêté  pour  la  faire  imprimer  dans  les  journaux. 
Elle  n'a  été  donnée  à  aucun  journaliste,  ei  Marat,  qui  l'a  impri- 
mée ,  doit  se  rappeler ...  (De  nombreux  murmures  couvrent  la 
voix  de  l'opinant.)  Le  comité  de  sûreté  générale  avait  seulement 
arrêté ,  et  cet  arrêté  n'était  qu'une  mesure  de  précaution ,  qu'on 
irait  comparer  cette  écriture  au  comité  diplomatique ,  où  il  en 
existe  de  Brissot.  Tout  ce  que  je  confesse ,  tous  les  torts  des 
membres  du  comité  de  sûreté  générale  et  les  miens ,  c'est  qu'en 
lisant  cette  lettre ,  en  y  reconnaissant  le  ton ,  les  allures  et  le  style 
d'un  intrigant,  il  nous  a  paru  qu'elle  devait  être  de  Brissot.  (De 
violens  murmures  s'élèvent  dans  une  très-grande  partie  de  la 
salle.  ) 

Plusieurs  voix.  Et  le  faux  est  de  vous  ! 
Bernard ,  de  Saintes.  Je  viens  d'entendre  Brissot  vous  dire 
que  là ,  en  parlant  du  comité  de  sûreté  générale,  avait  été  ajouté 
le  mot  de  Brissot...  Plusieurs  voix  ;  Il  n'a  pas  dit  cela.  D'autres  : 
Il  l'a  dit.) 

Roux-Fosîllac.  Le  comité  de  constitution  attend  la  parole  pour 
nous  présenter  une  constitution  républicaine.  Ne  nous  occupons 
pas  d'affaires  personnelles  ;  renvoyons  au  tribunal  criminel,  et 
passons  à  l'ordre  du  jour. 

Bernard.  Brissot  a  manqué  de  mémoire  ou  de  véracité.  Je  lui 
rappelle  qu'aussitôt  que  la  lettre  fut  déposée  au  comité  de  sûreté 
générale,  il  fut  invité  à  venir  en  prendre  communication.  Il  fut 
convaincu  que  les  trois  mots  de  sa  signature  étaient  de  la  même 
main.  {Brissot.  Cela  est  absolument  faux.)  Il  se  borna  à  dire  que 
la  lettre  n'était  pas  de  lui. 

Lasource.  Bazire  a  dit  que  le  comité  de  sûreté  générale  n'avait 
point  pris  de  détermination  pour  faire  imprimer  la  lettre.  Je  sais 
qu'il  n'y  a  pas  eu  d'arrêté  consigné  dans  les  registres.  Mais  on  a 
délibéré  au  comité  de  faire  publier  la  lettre  dans  les  journaux. 
(Bazire.  Cela  n'est  pas  vrai.)  Gela  est  vrai.  Je  parlai  alors  de 


504  CONVENTION   NATIONALE. 

celle  leltre  à  quelques-uns  de  nos  collègues.  J'interpelle  Duval , 
qui  fail  un  journal ,  et  qui  avait  la  lettre ,  mais  qui  n'a  pas  voulu 
l'imprimer  avant  que  la  signature  fût  constatée.  [Duval.  Je  de- 
mande la  parole.  )  Marat  l'a  imprimée ,  et  comment  l'aurait-il 
eue  si  l'intention  du  comité  n'avait  pas  été  qu'elle  le  fût  ?  Je  dé- 
clare qu'en  sortant  je  demandai  au  comité  si  telle  était  son  in- 
tention ,  et  que  Bazire  me  répondit  que  oui. 

Charles  Duval.  Je  dois  à  la  vérité  de  déclarer  que  le  membre 
du  comité  de  sûreté  générale  qui  me  remit  la  lettre  me  dit  que 
le  comité  ne  s'était  déterminé  à  la  faire  imprimer  que  lorsqu'elle 
aurait  été  constatée  sur  une  autre  lettre  de  Brissot. 

Lamarque.  J'ai  entendu ,  pendant  que  Brissot  parlait ,  beau- 
coup de  membres  demander,  avec  leur  chaleur  ordinaire  (On 
murmure.  ) ,  le  renouvellement  du  comité  de  sûreté  générale. 

Plusieurs  voix  :  Oui ,  oui ,  le  renouvellement  du  comité. 

Marat.  Il  ne  le  sera  pas;  il  est  bon  de  surveiller  des  coquins 
tels  que  vous.  (Nouveaux  murmures.  ) 

Après  quelques  minutes  d'agitation  ,  la  Convention  décrète  la 
proposition  de  Brissot,  et  passe  à  l'ordre  du  jour.  ] 

SÉANCE  DU  20  FÉVRIER. 

Nous  avons  à  extraire  de  cette  séance  un  incident  auquel 
donna  lieu  le  projet  de  constitution.  Il  y  avait  à  peine  trois  jours 
qu'il  avait  été  lu ,  à  peine  était-il  imprimé  et  distribué  que  déjà  il 
était  en  butte  à  de  nombreuses  attaques  ;  il  avait  surtout  très-mal 
réussi  auprès  des  jacobins  ;  ils  le  regardaient  comme  propre  à 
donner  la  plus  grande  influence  aux  riches.  Ainsi  que  nous  le 
verrons  plus  loin  dans  l'analyse  de  leurs  séances ,  ils  nommèrent 
un  comité  chargé  de  leur  en  présenter  une  plus  conforme  aux 
principes  républicains.  Les  journaux  tournaient  aussi  de  ce  côté 
une  polémique  menaçante.  Dans  son  n°  CXXVI,  après  une  série 
d'épigrammes  à  sa  manière ,  Marat  conclut  ainsi  :  <  La  nouvelle 
constitution  ne  mérite  pas  d'être  mieux  analysée  ;  je  m'en  tiendrai 
donc  à  cet  aperçu.  J'observerai  seulement  que  les  vices  mons- 
trueux qui  ja  déparent  ont  fait  mettre  en  question  si  les  membres 


FÉvRiEP.  (  1793).  505 

de  la  faction  criminelle  qui  l'ont  rédigée,  ont  eu  dessein  de  jeter 
la  nation  dans  le  découragement  en  lui  présentant  cet  essai  in- 
forme ,  au  lieu  d'un  travail  précieux  qui  devait  couronner  ses 
espérances.  Mais  il  est  plus  simple  de  dire  que  les  fripons  ont 
travaillé  pour  eux-mêmes.  —  Au  demeurani,  c'est  delà  montagne 
que  sortira  la  cousîituiion,  et  malgré  cet  essai  puéril  et  perfide, 
l'attente  du  peuple  ne  sera  point  trompée.  »  Marat  pousse  la 
plaisanterie  jusqu'à  insérer  dans  ce  même  numéro  des  bouls- 
rimés  de  Fabre-d'Églanline  sur  la  nouvelle  constitution.  Nous 
nous  bornons  ici  à  cette  mention  de  l'attaque,  nous  réservant  de 
la  faire  connaître  en  déîail  par  le  bulletin  du  club  des  jacobins  , 
et  de  faire  connaître  aussi  les  réponses  des  girondins.  Nous  pas- 
sons à  la  séance  de  la  convention. 


[Aniar.  Je  demande  la  parole  pour  une  motion  d'ordre.  Vous 
avez  entendu  ,  citoyens,  un  projet  dont  on  vous  a  donné  lecture, 
au  nom  du  comité  de  constitution.... 

Plusieurs  voix.  Il  ne  s'agit  pas  de  cela. 

Marat.  Président ,  maintenez  la  parole  à  l'orateur. 

Amar.  J'ai  un  délit  à  dénoncer.  Après  la  lecture  que  vous  avez 
entendue,  vous  avez  ordonné  l'impression  du  plan  de  constitution 
que  ses  auteurs  avaient  signé.  Eh  bien!  ce  n'est  pas  sans  éton- 
nement  que  dans  l'imprimé  de  ce  plan ,  qui  vient  de  nous  être 
distribué,  on  a  remarqué  que  l'imprimeur  Baudouin  a  ajouté  le 
projet  de  l'établissement  dts  deux  chambres  dans  le  corps  lé- 
gislatif. Le  délit  que  je  dénonce  existe  dans  la  page  103;  on  y 
trouve  ces  mots  :  Second  mode  de  discussion  pour  le  corps  légis- 
latif. 

Art.  1 .  L'assemblée  législative  se  divisera  en  deux  sections 
pour  la  discussion. 

2.  Cette  discussion  dans  les  sections  sera  publique ,  et  aucune 
délibération  ne  pourra  y  être  prise. 

5.  La  discussion  Unie ,  les  deux  sections  se  réuniront  en  une 
assemblée  pour  la  discussion  générale, 

T.  XX !v,  â() 


306  CONVENTION   NATIONALE. 

Je  demande  que  Baudouin  soit  mandé  à  la  barre  séance 
tenante,  pour  qu'il  nous  rende  compte  des  motifs  qui  l'ont  en- 
gagé à  imprimer  des  articles  qui  n'ont  point  été  lus  à  la  Con- 
vention nationale. 

Un  grand  nombre  de  membres  appuient  cette  proposition. 

Julien.  J'appuie  la  demande  de  mander  l'imprimeur  ;  c'est  le 
seul  moyen  de  faire  connaître  contre  qui  vous  devez  sévir ,  si 
c'est  contre  l'imprimeur  ou  contre  le  comité  de  constitution  ; 
dans  ce  dernier  cas  je  demanderai  que  ce  comité  soit  déclaré 
avoir  trahi  la  confiance  de  la  Convention  nationale. 

Ducos.  J'ignore  entièrement  par  qui  a  été  commise  cette  ad- 
dition ;  mais  je  crois  important,  pour  ne  pas  laisser  s'établir  dans 
la  République  des  impressions  défavorables  au  comité  de  consti- 
tution, de  déclarer  qu'on  s'est  cirangeiijent  trompé  dans  celte 
addition  d'articles ,  qui  ont  ou  n'ont  pas  été  lus  à  l'assemblée. 
(Murmures.) 

Plusieurs  voix.  Ils  n'ont  pas  été  lus. 

Ducos.  J'ignore  s'ils  ont  en  effet  été  lus.  (Nouveaux  mur- 
mures.) Mais  dans  ce  qu'on  appelle  un  grand  corps  de  délit, 
dans  ces  articles,  sur  lesquels  j'ai  jeté  les  yeux ,  je  n'ai  point  vu  les 
deux  chambres  ,  ainsi  qu'on  l'a  prétendu,  mais  seulement  la  di- 
vision du  corps  législatif  en  sections.  (De  violens  murmures  s'é- 
lèvent dans  l'extrémité  {jauche.  ) 

Je  rends  à  ceux  qui  m'interrompent  la  justice  de  croire  qu'ils 
ne  sont  pas  d'une  ignorance  assez  crasse  poar  confondre  les  deux 
chambres  avec  la  division  du  corps  législatif  en  deux  sections. 
(Mêmes  murmures.) 

Le  'président.  Je  rappelle  à  ceux  qui  ne  parlent  que  dans  le 
bruit  qu'ils  troublent  inutilement  l'assemblée. 

Ducos.  Je  rappellerai  à  la  Convention  qu'un  pareil  proj;;t  fut 
présenté  à  l'assemblée  constituante  par  les  ennemis  des  révi- 
seurs ,  et  qu'alors  c'est  dans  les  réviseurs  eux-mêmes  que  ce  pro- 
jet trouva  les  plus  forts  antagonistes. 

Les  comités  ont  toujours  eu  le  droit  de  faire  imprimer  à  la 
suite  de  leurs  projets  de  décret  des  appendix.  On  reproche  au 


FÉVRIER   (1793).  8W 

comité  de  constitution  d'avoir  usé  de  ce  droit.  Je  ne  suis  point 
de  cet  avis.  On  croit  voir  dans  les  articles  dont  il  est  question  les 

deux  chambres,  les  Lameih ,  les  crimes  de  lèse-nation Je  ne 

le  crois  pas  non  plus.  Je  demande  l'ordre  du  jour. 

Brival.  Je  demande  que  Baudouin  soit  mandé  à  la  barre.  Il 
dénoncera  les  coupables. 

Barrèie  paraîi  à  la  tribune  et  demande  la  parole  comme  mem- 
bre du  comité  de  constitution.  —  Saint-André  la  réclame.  —  Un 
grand  nombre  de  voix  appellent  Barrère  à  la  tribune.  —  L'as- 
sembléo  lui  accorde  la  parole. 

Barrère,  Je  sortais  du  comité  ,  et  j'entrais  dans  la  Convention 
nationale,  au  moment  où  l'on  faisait  au  comité  de  constitution  le 
reproche  qu'elle  vient  d'entendre.  L'objet  le  plus  sérieux  des  mé- 
ditations a  été  la  recherche  des  moyens  d'arrêt  que  l'expérience 
a  fait  connaître  si  nécessaires  dans  une  grande  assemblée,  dont 
il  est  toujours  à  craindre  les  mouvemens  irréfléchis ,  l'enthou- 
siasme ou  la  précipitation. 

Dans  le  cours  de  la  discussion  sur  cet  objet  important,  trois 
modes  ont  été  présentés  par  les  divers  membres  du  comité.  Je 
n'ai  point  eu  le  mérite  d'en  proposer  aucun  ;  mais  tous  ont  été 
discutés  et  approfondis.  L'un  d'eux,  qui  a  obtenu  la  majoiiiédes 
^ffrages  au  comité,  c'est  celui  qui  est  placé  dans  le  litre  du  corps 
légisiatif.  Quant  aux  auties  trois  modes  de  foimation  de  la  loi, 
il  a  été  observé  qu'ils  ne  pourraient  être  mis  que  dans  une  note,  ou 
dans  les  variantes  à  la  suite  de  la  constitution ,  et  que  ces  projets 
prcsenteraieiit  la  preuve  que  le  comité  n'a  fait  que  chercher  le 
meilleur  mode  possible  d'arrêter  sa  délihéralion. 

Je  li'ai  plus  qu'un  mol  à  dire  à  tous  ceux  qui  veulent  san.^  cesse 
soupçonner,  accuser,  quand  il  s'agit  de  raisonner  et  de  réfléchir. 
A  Rome,  Galilée  fut  forcé  par  l'inquisition  de  demander  pardon 
d'avoir  découvert  le  mouvement  de  la  terre.  En  France,  ii  est 
encore  de  ces  hommes  qui  oseront  proposer  qi;e  le  comité  de 
constitution  dei;iande  pa;don  d'avoir  trouvé  le  moyen  d'organi- 
ser !a  (iémocratie,  d'éiabhr  une  véritable  République,  (  t  défaire 
exercer  les  droits  du  peuple  par  le  peuple  lui-même.  {L'ora- 


308  CONVENTION   NATIONALE. 

leur  est  interrompu  par  des  cris  répétés  :  A  l'ordre  du  jour!... 
l'ordre  du  jour!)  Je  demande  que  Marat  soit  entendu  contre  le 
comité. 

On  demande  de  plus  fort  Tordre  du  jour  dans  plusieurs  parties 
de  la  salle, 

Marat  insiste  pour  la  parole.  —  Les  cris  à  l'ordre  du  jour!  con- 
tinuent. —  Marat  prend  la  parole. 

Marat.  Je  demande  à  parler  contre. 

Lanjuinais.  Sans  doute  les  objections  de  Marat  seraient  le  plus 
bel  éloge  que  pAt  recevoir  la  constitution 

Clwudieu.  Jo  demande  que  l'opinant  soit  rappelé  à  l'ordre, pour 
avoir  insulté  un  membre  de  la  Convention  nationale. 

Lanjuinais.  J'ai  le  droit  de  m'exprimer  de  la  sorte  sur  un 
homme  contre  lequel  mille  sortes  d'inculpations  sont  dirigées,  et 
sur  la  conduite  duquel  le  comité ,  qui  était  chargé  de  vous  faire 
un  rapport ,  ne  vous  a  pas  encore  entretenus. 

Plusieurs  voix  de  l'extrémité  gauche.  Quelle  insolence! 

Rappelez  eut  homme-là  à  l'ordre  avec  censure.  —  D'autres  :  A 
l'Abbaye  ! 

Lanjuinais.  Je  rappellerai  à  la  Convention  que  trois  pages  du 
rapport  deCondorcet,  lesquelles  ont  été  parfaitement  entendues, 
sont  entièrement  employées  à  énoncer  et  discuter  les  articles  qui 
viennent  d'être  dénoncés.  Je  rappelle  en  outre  que  ces  variante 
ne  sont,  à  proprement  parler,  que  la  rédaction  des  propositions 
qu'on  a  dû  saisir  dans  le  rapport,  et  conire  lesquelles  on  n'a  point 
réclamé.  Je  demande  que  l'on  passe  à  Tordre  du  jour. 

Choudieu,  Delmas,  Julien.  Nous  demandons  la  parole  contre 
Tordre  du  jour. 

Marat.  La  liberté  des  opinions  est  consacrée.  On  ne  peut  faire 
un  crime  au  comité  de  constitution  d'avoir  imprimé  le  deuxième 
et  troisième  mode  qui  est  à  la  suite  de  son  projet;  mais  on  peut 
l'inculper  d'avoir  annexé  d'une  manière  furiive  des  articles  non 
lus  à  la  Convention  ,  sous  prétexte  que  ces  articles  étaient  annon- 
cés dans  un  rapport  préliminaire.  Vous  ouvririez  la  porîe  à  tous 
les  abus  si  vous  abandonniez  î^  vos  comités  une  semblable  exleO' 


FÉVRIER  (1793).  309 

sion  de  pouvoirs.  Je  demande  que  les  articles  dont  il  est  ques- 
tion soient  retranches  de  l'imprirné  qui  vous  est  distribué,  par 
un  décret  formel. 

Plusieurs  voix.  Oui ,  oui  :  la  priorité  pour  cette  proposition. 

La  discussion  est  fermée. 

On  demande  de  nouveau  l'ordre  du  jour, 

Julien.  Il  est  impossible  que  cette  affaire  en  resle  là. 

Darligoyte.  Il  faut  absolument  prendre  un  parti. 

Marat.  La  question  préalable  sur  l'ordre  du  jour. 

Une  cinquantaine  de  voix.  La  question  préulable  ! 

Choudieu.  Je  demande  la  lecture  du  décret  du  1(5  février,  qui  a 
ordonné  l'impression. 

Julien.  Vous  n'avez  ordonné  l'impression  que  du  plan  dont  vous 
avez  entendu  la  lecture,  ma's  vous  n'avez  pu  consentir  à  celle  de 
toutes  les  idées  de  voire  comité.  Une  telle  mesure  entraînerait  la 
publication  de  beaucoup  d'erreurs. 

On  réclame  de  nouveau  l'ordre  du  jour. 

Julien.  Vous  ne  passerez  pas  à  l'ordre  du  jour...  Vous  ne  vou- 
lez pas  égarer  l'opinion  publique  ;  elle  doit  être  iutacie  el  pure. 

Choudieu.  Nous  allons  être  d'accord.  Les  exenjpiaircs  ne  doi- 
vent point  passer  aux  départemens. 

Duroi.  Je  demande  le  rapport  du  décret  du  16  février.  {  Le  tu- 
multe recommence.  ) 

Barrere.  Je  demande  la  parole  pour  un  faii. 

Il  y  a  un  fait  vrai  :  c'est  que  les  trois  modes  de  formation  de  la 
loi  n'ont  pas  été  lus  à  l'assemblée;  el  sous  ce  rapport,  il  est  pos- 
sible que  l'assemblée,  rigoureusement  attachée  à  l'exécution  de 
son  décret ,  retranche  de  l'envoi  aux  départemens  les  modes  qui 
n'ont  pas  élé  lus.  J'observe  cependant  «m'ils  ont  été  annoncés  dans 
le  rapport  du  comité  fait  par  Condorcet.  La  pa;;e  21  de  ce  rap- 
port, page  que  je  viens  de  relire  à  l'assi^mblée,  prouve  que  les 
trois  modes  devaient  être  rûinis  au  [irojet,  puisqu'ils  ont  été 
analysés. 

Mais  aussi  il  y  a  un  autre  f;:it  vrai ,  c'est  que  le  comité  a  bien 
le  droit ,  d'après  un  de  vos  décrets,  de  publier,  par  la  voie  de 


510  ÇOiSVEWnON   JNAÏIONALE. 

l'impression,  les  divers  projets,  les  diverses  vues  présentées  pour 
la  constitution  de  la  Fiëpublique.  Or,  le  droit  que  vous  doiincz  à 
tous  les  citoyens,  aux  Anglais,  aux  Allemands ,  à  tous  les  étran- 
gers ,  ne  peut  être  contesté  au  coinilé  lui-même.  Ainsi ,  dans 
tous  les  exemplaires  qui  ont  été  distribués  aux  membres  de  la 
Convention,  personne  ici  n'a  le  droit  de  se  plaindre.  La  plainte 
serait  même  une  infraction  à  vos  décrets.  Ainsi ,  si  le  vœu  de  l'as- 
semblée est  que  les  départemens  ne  reçoivent  officiellement  que 
ce  qui  a  été  lu  à  la  tribune ,  cette  précision  rigoureuse  peut  être 
décrétée,  en  disant  que  ies  trois  modes  de  formation  de  la  loi,  pla- 
cés aux  deux  dernières  pages ,  ne  seront  pas  envoyés. 

La  proposition  de  Barrère  est  mise  aux  voix  et  décrétée. 

La  Convention  procède  à  l'appel  nominal  pour  l'élection  des 
trois  nouveaux  secrétaires.  Les  suffrages  y  sont  réunis  en  faveur 
de  Mallarmé ,  Julien  et  Charlier  :  ils  sont  proclamés  secrétaires. 

La  séance  est  levée  à  minuit.] 

SÉANCE  DU  22  FÉVRIER.  —  Présidence  de  Dubois-Crancé. 

Le  21  au  soir  Dubois-Crancé  avait  été  élevé  à  la  présidence. 
Sur  trois  cent  quatre-vingts  volans ,  il  avait  réuni  deux  cents  suf- 
frages, et  Gensunné  cent  vingt.  Le  n"  CXXXÏI  du  journal  de 
Marat  coniiaence  par  ces  réflexions.  «  Les  patrioîes  ont  nommé 
Dubois-Crancé  au  fauteuil.  Bréard  l'a  quiité  avec  l'eslime  de  tous 
les  amis  de  !a  justice  ;  la  manière  impar;:ole  avec  laquelle  il  l'a 
occupé  lui  a  mérité  beaucoup  d'éîoges.  » 

LecurédeChant-du-Boul,  département  uuCaivados,  dénonce 
à  la  Convention  les  persécutions  qu'il  a  éprouvées  à  l'occasion  de 
son  mariage. 

[Lecoinire.le  demande  le  renvoi  au  comité  de  sûreté  générale 
delà  dénonciation  du  curé.  Ces  persécutions  sont  les  suites  d'une 
instruction  pasloral'3  de  l'évêque  Fauchet ,  distribuée  avec  pro- 
fusion dans  ce  département.  Dans  cette  instruction  ,  Fauchet 
défend  à  tous  les  curés  de  se  marier ,  et  interdit  ceux  qui  leur 
donneroïit  la  bénédiction  nuptiale. 


FÉVRIER    (  1793  ).  311 

iV Je  ne  vois  pas  pourquoi  Fauchet,  qui  a  des  maîtresses, 

voudrait  empêcher  les  autres  de  prendre  une  feainie. 

Leliardij.  Je  demande  le  nnvoi  au  comité  de  législation ,  pour 
faire  son  rapport  sur  toutes  les  instructions  pastorales  distribuées 
dans  tous  les  départemens. 

Cette  proposition  est  adoptée. 

Julien  Dubois.  Je  demande  que  le  traitement  des  évêques  soit 
réduit  à  4,000  livres. 

Julien  de  Toulouse.  Je  demande  l'oi-dre  du  jour ,  et  la  question 
préalable  sur  cette  proposition. 

La  question  préalable  est  décrétée. 

Le  ministre  des  contribulioiis  annonce  qu'il  a  accepté  la  dé- 
mission de  Lamarche,  directeur  de  la  fabrication  des  assignats. 

Tallien.  Je  demande  que  Laniarche  soit  mis  en  état  d'arres- 
tation dans  son  domicile,  et  que  demain  le  comité  fasse  son 
rapport. 

Celle  proposition  esl  adoptée.] 


La  lettre  pastorale  de  Claude  Fauchet  qui  donna  lieu  à  la  dé- 
nonciation qu'on  vient  de  lii-e  exprime  avec  fermeté ,  mais  aussi 
avec  douceur  et  prudence  ,  la  doctiine  catholique  touchant  le 
mariage  indissoluble  des  fidèles  et  le  célibat  des  prêtres.  L'auteur 
y  prend  les  titres  suivans  :  «  Ciaude  Fauchet,  par  la  grâce  de 
Dieu,  et  la  volonté  du  peuple,  dans  la  communion  du  saint  siège 
apostolique,  et  dans  la  chariié  du  genre  humain,  évêque  du  Cal- 
vados, aux  pi;steurs  et  aux  fidèles  du  diocèse,  salut  et  bénédiction 
au  nom  de  notre  Seigneur  Jésus-Christ.  »  Tous  les  journaux,  sans 
distinction  d'opinion ,  s'élevèrent  contre  lui  en  cette  circonstance. 
Cela  prouve,  selon  nous,  qu'ils  n'avaient  pas  lu  sa  lettre,  ou  qu'ils 
n'entendaient  rien  à  la  grave  question  qui  y  était  traitée.  L'ano- 
nyme auquel  le  Moniteur  prête  l'apostrophe  ,  Fauchet  qui  a  des 
maîircsses,  etc. ,  est  Maure,  député  de  l'Yonne,  ainsi  que  nous 
l'apprend  le  BuUelin  des  Amis  de  la  vcriié.  Faucheî,  dans  bon 
Journal  des  Amis ,  ne  répond  à  cette  attaque  qu'en  insérant  une 


512  CONVENTION   NATIONALE. 

lettre  de  Durand-Maillane  sur  la  matière  en  discussion.  Nous 
transcrivons  cette  lettre  ,  ce  qui  nous  dispensera  de  réimprimer 
le  mandement  de  Fauchet,  brochure  assez  considérable.  Nous  en 
extrairons  cependant  la  prière  qui  le  termine  ;  elle  est  en  français 
et  en  latin. 

«  Pribe  pour  la  nation  française  et  pour  toua  les  frères  de 
l'univers. 

»  Dieu  tout-puissant,  qui  disposez  de  nous  avec  des  ménagemens 
infinis  pour  notre  liberté  ,  et  qui ,  par  la  voix  du  peuple  exac- 
tement recueillie  ,  faites  retentir  les  accens  de  voire  raison  éter- 
nelle; vous  appelez  enfin  efficacement,  par  l'action  de  votre  grâce 
et  de  votre  miséricorde,  à  la  fraternité  évangélique  le  genre 
humain,  étranger  si  long-temps  à  la  société  véritable:  nous  vous 
supplions  de  consommer  votre  œuvre  pour  le  bonheur  et  le  salut 
universel  des  frères.  Dans  votre  bf)nté  propice,  rendez  la  nation 
française  digne  de  servir  de  modèle  au  monde  entier.  Dirigez-la 
dans  les  principes  de  la  liberté  parfaite  ,  en  sorte  qu'elle  ne  re- 
connaisse plus  d'autre  dominateur  que  vous,  souverain  père  des 
hommes  ,  et  d'autre  maître  que  le  Verbe  incarné  Jésus-Christ 
votre  fils,  qui  vit  et  lègne  avec  vous  en  l'unité  divine  ,  dans  les 
siècles  des  sièles.  Ainsi  soil-il.  » 

Dans  le  n"  IX  du  Journal  des  Amisj  Fauchet  introduit  ainsi  son 
lecteur  à  la  lettre  de  Durand-Maillaiie. 

Sur  la  liberté  du  culte  calholique. 

(  «  Laurent  Lecoinire ,  très-zélé  patriote,  mais  dont  le  zèle  n'a 
p:is  la  riicsure  de  la  liberté  civile,  et  encore  moins  de  la  liberté 
religieuse,  a  dénoncé  fort  amicalement  ma  lettre  pastorale  qu'il 
ne  connaît  pas.  La  question  sur  la  liberté  de  l'enseignement  re- 
ligieux a  été  renvoyée  à  cette  occasion,  d'une  manière  générale, 
au  comité  de  législation ,  qui  s'en  ociiupait  déjà ,  d'après  plusieurs 
autres  dénonciations  semblables.  Rien  n'est  plus  propre  à  fixer 
les  idées  sur  cet  objet  que  cette  sage  lettre  de  Durand-Maillane  : 


FÉVRIER  (  i 793  ) .  ôlô 

il  n'est  ni  prêtre  ni  ëvêque  ;  il  est  citoyen  éclairé ,  philosophe 
vertueux,  véritable  républicain;  il  croit  que  les  évêques  et  les 
prêires  peuvent  avoir  aussi  ces  qualités  morales  et  civiques  ,  et 
concourir  efficacement  à  les  multiplier  clans  la  nation.  »  ) 

Lettre  de  Durand-Maillank,  dépiiic  des  Bouclies-du-Rliône  à  la 
Convention  iiationale,  au  mumlre  de  la  justice,  le  G  février 
1793,  l'an  II  de  la  république  française. 

«  Citoyen  ministre,  comme  simple  citoyen  ,  je  devrais  prévenir, 
autant  qu'il  serait  en  iuoi,  les  maux  que  je  crains  pour  ma  patrie; 
comme  député  à  la  Convention  nationale,  ce  devoir  est  devenu 
pour  moi  une  loi  sévère ,  et  c'est  pour  m'en  acquitter  que  je  viens 
vous  entretenir  d'une  matière  sur  laquelle  i!  est  assez  diflicile  de 
ne  pas  se  tropjp'  r,  et  plus  dangereux  encore  de  cummeiîie  une 
erreur.  li  faut  être  aussi  zélé  que  je  le  tuis  pour  le  bien  pnljjic 
pour  parler  ce  langage  à  un  ministre  reriipli  de  lumières  et  de 
connaissances;  mais  c'est  parce  que  vous  êtes  autant  éclairé 
qu'instruit  que  j'aime  à  vous  présenter  des  vérités  beaucoup  trop 
ignorées,  dont  je  crois  votre  Uiinistère  chargé  pour  les  intérêts 
de  la  nation.  Voici  de  quoi  il  s'agit. 

»  Vous  avez  été  comme  moi  dans  l'assemblée  constituante; 
vous  y  avez  vu  naître  et  se  former  ce  qu'on  y  a ,  assez  njal  à  pro- 
pos, nomrné  la  constitution  civile  du  clergé  :  elle  a  purgé  le  mi- 
nistère ecclésiastique  de  tous  ses  abus  sans  porter  aucune  atteinte 
à  son  activité  toute  spirituelle  ,  elle  a  délivré  la  France  du  joug 
de  la  chaiiceileric  romaine,  de  la  domination  du  pape  sur  les  moi- 
nes ,  ei  même  de  son  influence  sur  les  prélatures ,  les  églises , 
par  ses  bulles  ei  ses  exemptions;  ce  qui  s'est  fait  de  la  manière 
la  plus  sage,  <iu.>ique  sévère,  sans  altérer  ni  la  foi  ni  la  commu- 
nion romaine. 

»  Ce  n'est  que  par  celte  <lernière  mesure  et  pi;r  tous  les 
avantages  quiÉkécèdent,  qu'on  est  enfin  parvenu  à  persuader  à 
tous  les  bons  esprits  que  ces  reformes  et  ces  cliaugemens  n'ont 
absolument  fait  que  le  bien  même  de  j'église  catholiqu;' ,  comme 
celui  de  l'état,  ce  qu'il  est  essentiel  de  bien  remarquer. 


314  CONVENTION   NATIONALE. 

»  Chargé  par  les  deux  comités  réunis  de  constitution  et  ecclé- 
siastique du  rapport  sur  !a  nouvelle  forme  du  mariajje  à  intro- 
duire en  France  dans  les  nouveaux  principes  de  sa  constitution, 
relativement  aux  divers  cultes  et  aux  droits  des  citoyens ,  je  dé- 
veloppai un  de  ces  principes  très-important ,  qui  fut  convenu  dans 
les  deux  comités.  li  n'a  pas  été  possible  d'en  faire  l'application 
dans  l'assemblée  constituante  ;  à  peine  fut-il  permis  de  publier, 
par  mon  rapport  imprimé  et  distribué ,  que ,  daiis  le  mariage , 
le  contrat  n'avait  rien  de  commun  avec  le  sacrement;  ce  qui 
a  suffi  néanmoins  pour  préparer  à  l'assemblée  législative  les 
moyens  de  décréter,  à  la  fin  de  sa  session ,  la  loi  sur  le  nou- 
veau mode  de  constater  les  naissances,  mariages  et  décès  des  ci- 
toyens. 

»  C'était  là  tout  l'objet  de  mon  rapport ,  et  il  a  été  rempli  par 
la  loi  du  20  septembie  1792,  sinon  dans  les  mêmes  termes  du 
projet  qui  l'accompagnait  ,  du  moins  dans  les  mêmes  vues ,  qui, 
bien  considérées ,  sont  les  vues  mêmes  de  l'Evangile ,  dans  le  sens 
de  ces  tant  célèbres  paroles  proférées  par  son  divin  auteur,  pour 
prévenir  les  abus  qu'en  ont  faits  les  ecclésiastiques  :  Redde  Cœsari 
quod  esl  Cœmris,  et  Dei  Deo. 

»  Par  une  autre  loi  en  la  même  date ,  l'assemblée  législative  a 
décrété  les  clauses,  les  modes  et  les  effets  du  divorce. 

»  Cette  dernière  disposition  a  été  souvent  proposée  dans  l'as- 
.  semblée  constituante ,  qui  ne  l'a  jamais  accueillie ,  qui  ne  Ta  pas 
même  renvoyée  à  aucun  comité  pour  lui  en  faire  le  rapport  ;  ce- 
pendant il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'elle  a  été  traitée  et  fixée  par 
l'assemblée  législative ,  d'après  les  mêmes  principes  qui  ont  servi 
de  fondement  à  la  loi ,  sur  la  manière  de  constater  l'état  civil  des 
citoyens,  c'est-à-dire  d'après  la  distinction  capitale  du  contrat 
d'avec  le  sacrement  de  mariage. 

>  En  sorte  donc  qu'étant  décidé  constiiutionMIement  que  la 
loi  ne  considère  îe  mnriage  que  comme  coato:i^Rvil,  les  régie- 
mens  qui  ont  été  faits  eu  conséquence  pour  constater,  soit  le 
mode  des  naissances ,  mariages  et  décès,  soit  les  clauses,  le  mode 


FÉVRIER  (1793).  515 

et  les  effets  du  divorce,  n'ont  ab:5olument  de  rapport  avec  le  ma- 
riage que  comme  contrat  civil. 

»  D'où  il  s'ensuit  que  ni  le  principe  établi  dans  !a  constitution , 
ni  les  lois  qui  en  ont  été  les  conséquences ,  n'ont  aucune  relation 
au  mariage  considéré  comme  sacrement. 

»  Si  donc  il  n'existe  aucune  loi  qui  prive  les  ministres  de  l'é- 
glise catholique  de  leur  autoiité  spirituelle,  ni  des  droits  qu'elle 
leur  donne  d'exercer  leur  ministère  comme  ils  l'ont  toujours 
exercé,  pour  le  bien  et  le  salut  des  âmes,  sans  se  mêler  en  aucune 
sorte  des  droits,  ni  de  l'état  civil  des  chrétiens  qui  suivent  leur 
culte  ;  tandis  qu'au  contraire,  par  la  consliiution  civile  du  clergé, 
qui  n'a  été  ni  abrogée  ni  même  modifiée ,  quoiqu'on  ait  beaucoup 
crié  contre  elle  et  sans  trop  de  fondement,  comme  je  me  réserve 
de  le  prouver;  tandis,  dis-je,  que,  par  cette  constitution,  l'au- 
torité spirituelle  de  l'église  lui  a  été  laissée  tout  entière ,  il  est 
clair  que,  par  rapport  au  sacrement  de  mariage,  et  dans  son  ad- 
ministration ,  les  évêques  et  les  curés  ont  absolument  les  mêmes 
droits  et  les  mêmes  pouvoirs  qu'ils  avaient  auparavant  ;  avec  cette 
seule  différence  qu'étant  défendu  par  la  loi  civile  de  recourir  à 
Rome  pour  aucune  provision  ni  dispense,  c'est  aux  évêques, 
aussi  puissans  que  le  pape  à  cet  égard ,  à  les  accorder  dans  tous 
les  cas  où  ils  le  jugeront  eux-mêmes  nécessaiie. 

ï  Ainsi  donc,  comme  ministres  et  dispensateurs  des  sacremens, 
c'est  toujours  à  eux,  et  à  eux  seuls,  à  les  administrer  selon  les 
lois  de  leur  culte ,  que  personne  n'est  forcé  d'embrasser;  c'est  à 
eux  à  juger  de  l'aptitude  ou  de  l'indignité  spirituelle  et  intérieure 
de  ceux  qui  les  demandent.  Tout  ce  qu'ils  font  à  cet  égard  n'inté- 
resse en  rien  la  société.  Les  citoyens  n'ont  point  à  s'en  plaindre 
comme  citoyens;  et  puisque  comme  catholiques  i!s  désirent  de 
participer  aux  sacremens  de  Téglise,  ils  cesseraient  de  l'être  ou 
de  vouloir  i'èlre  s'ils  n'obéissaient  aux  lois  de  la  religion  qu'ils 
professent. 

»  Ce  n'est  que  sous  ce  point  de  vue  que  les  deux  comités  ecclé- 
siastique et  de  constitution  envisagent  la  dislinclion  du  contrat 
d'avec  le  sacrement  de  mariage,  et  ce  n'est  pas  autrement  qu'on 


3 lu  CONVENilOiN    ^ÀllOXALE 

peut  l'envisager  maintenant  dans  l'application  qui  en  a  été  faite  à 
l'éiat  civil  des  Français  par  les  deux  lois  du  20  septembre  1792 
sur  le  mode  des  naissances ,  etc.,  et  le  divorce. 

I  II  s'ensuit  donc  évidemment  que,  le  mariage  n'étant  considéré 
que  comme  contrat  civil  par  la  loi  civile,  celle-ci  n'a  rien  à  voir 
au-delà.  Tout  ce  qui  est  spirituel  ou  religieux  lui  est  comme 
étranger  ,  et  ses  ministres  ou  ses  organes ,  chargés  d'en  mainte- 
nir l'exécution ,  au  lieu  d'avoir  à  se  plaindre  de  ce  que  les  minis- 
tres de  la  religion  catholique  administrent  les  sacremens  comme 
ils  le  jugent  convenable  pour  le  ]  lus  grand  bien  spirituel  desFran- 
çais  qui  veulent  rester  soumis  aux  lois  de  l'église,  ils  doivent  plu- 
tôt empêcher  qu'on  ne  les  trouble  dans  l'exercice  de  cette  auto- 
rité spirituelle,  ou  plutôt  de  cet  office  tout  intérieur  et  tout  reli- 
gieux ,  conformément  aux  lois  mêmes  de  l'assemblée  constituante 
et  aux  explications  authentiques  qu'elle  en  a  données  elle-même. 
En  agir  autrement,  ce  serait  non-seulement  s'écarter  de  ces  lois, 
mais  encore  porter  atteinte  à  la  sainte  liberté  des  cultes  et  des 
consciences. 

i  Ces  principes  ainsi  établis  et  entendus ,  il  est  dans  l'ordre  et 
la  justice  de  notre  gouvernement  qu'il  laisse  les  évêques  et  les  cu- 
rés entièrement  libres  dans  l'administration  des  sacremens,  soit 
de  mariage ,  soit  de  baptême ,  selon  les  lois  de  l'église ,  à  l'égard 
des  Français  qui  se  présentent  à  eux  pour  les  recevoir.  Et  en 
effet,  nous  ne  sommes  plus,  comme  dans  l'ancien  régime,  esclaves 
des  préjugés;  par  la  liberté  nouvelle  des  cultes,  nous  ne  devons 
plus  attacher  ni  honte  ni  dommage  pour  le  citoyen  que  les  mi- 
nistres de  leur  religion  écai  te' ont  de  leurs  mystères.  Là  ce  sont 
ou  ce  doivent  être  !à  aujourd'hui  de  vrais  mystères  pour  le  gou- 
vernement comme  pour  h  société  ,  qui  ne  doit  jamais  voir  que  le 
citoyen  dans  chacun  de  sos  membres,  telle  que  soit  la  religion 
qu'il  trouve  bon  de  suivre  et  tel  que  puisse  être  son  culte.  Nous 
devons  dire  :  la  loi  civile  suffit  à  tous  les  Français  pour  la  con- 
servation et  lu  défense  de  leurs  droits  civils  ;  cette  loi  est  souve- 
raine, elle  est  uniforre;  il  n'est  aucun  pouvoir,  supérieur  ou 
contraire ,  qui  puisse  y  mettre  obstacle.  Mais  par  là  même , 


FKvr.iER  (1793).  317 

quand  deux  ëpoux  auront  fait  constater  leur  mariage  à  ia  munici- 
|)aiilé  ,  qu'ils  auront  acquis  par  ce  contrat,  et  pour  eux-mêmes, 
et  pour  leurs  enfans,  tous  les  droits  des  citoyens,  ils  n'ont  plus 
rien  à  exiger  de  la  loi  civile  ni  de  sa  proieclion  poui'  des  préten- 
tions spirituelles  et  religieuses  que  cette  loi  même  a  déclaré  lui 
être  étranjjères  ou  qu'elle  a  voulu  comme  ignorer  ;  c'est  aux  mi- 
nistres de  la  religion,  dont  ces  deux  époux  veulent  suivre  les  rè- 
gles, à  juger  s'ils  méritent  de  participer  à  ses  bienfaits  ou,  comme 
je  l'ai  dit ,  à  ses  mystères ,  parce  que  tout  cela  est  ou  est  censé 
toujours  intérieur  ou  du  ressort  invisible  de  la  conscience. 

»  S'agit-il  donc  de  demander  à  un  curé  la  bénédiction  nup- 
tiale? Celni-ci  la  leur  donne  s'il  les  en  trouve  dignes,  sans  s'in- 
quiéter d'autre  chose  que.  de  leurs  dispositions  intérieures  et  reli- 
gieuses ;  les  deux  époux  ou  les  deux  parties  peuvent  donc  la 
demander  celte  bénédiction,  pour  l'intérêt  de  leur  conscience, 
avant  comme  après  la  formation  du  contrat  devant  la  municipa- 
lité. Cela  e5t  ou  doit  être  tout  autant  indifi^rent  à  la  loi  civile  que 
le  contrat  doit  l'être  à  la  loi  ecclésiastique ,  parce  que ,  encore  une 
fois,  dans  la  liberté  des  cultes  la  loi  civile  ne  connaît  que  des  ci- 
toyens, comme  la  loi  spirituelle  de  chaque  culte  ne  connaît  spi- 
rituellement que  ceux  qui  veulent  bien  s'y  soumettre. 

»  Il  est  donc  indifférent  à  la  société  de  quelle  manière  on  en 
use  dans  ce  culte  ou  dans  cet  autre  pour  les  cérémonies  reli- 
gieuses qu'on  y  pratique  à  l'égard  des  deux  époux  qui  désirent 
d'en  être  favorisés. 

»  Dans  ce  sens ,  le  seul  qui ,  en  conciliant  tous  les  droits  et  tous 
les  devoirs,  soit  conforme  aux  lois  nouvelles  dans  celte  matière, 
les  ministres  catholiques  peuvent  refuser  la  bénédiction  nuptiale 
ou  le  sacrement  de  mariage  à  deux  époux  ou  deux  parties  qui, 
étant  parens  îiux  degrés  prohibés  ^nr  les  lois  de  l'église,  n'en 
auraient  pas  obtenu  dispense  de  l'évêque,  lequel  est  tenu  de  l'ac- 
corder gratuitement. 

»  Les  mêmes  ministres  peuvent  également  user  de  quelque 
publication  dans  l'intérieur  de  leurs  tenip'cs  pour  découvrir  les 
empêchement  spjrimels  qui  pourraient  se  rencontrer  dans  le 


518  CONVENTION   NATIONALE. 

mariage  des  deux  parties  qui  leur  demandent  la  bénédiction  nup- 
tiale pour  leur  union  sacranienlaie.  Cette  publication  n'intéresse 
en  rien  la  société  ni  la  loi  civile ,  dont  l'exécution  est  toujours  né- 
cessaire ,  même  la  publication  à  l'hôtel  -  de  -  ville  pour  procurer 
aux  deux  époux  l'état  et  les  droits  de  citoyen ,  tant  pour  eux 
que  pour  leurs  enfans. 

»  lis  peuvent,  dans  les  mêmes  principes  ou  sous  la  même  dis- 
tinction ,  exiger  des  parties  les  preuves  nécessaires  de  leur  état 
pour  constater  ou  consigner  l'acte  de  leur  administration  dans  un 
registre  à  eux  sur  papier  tiniple;  ce  qui  ne  sera  jamais  d'aucun 
effet  aux  yeux  de  la  loi  civilo  pour  l'éîat  et  les  droits  civils  des 
mariés,  mais  qui,  pour  l'ordre,  est  nécessaire  ou  utile  dans  le 
régime  spirituel. 

*  Par  les  mêmes  raisons ,  rien  n'empêche  les  curés  de  tenir  re- 
gistre sur  papier  simple  des  baptêmes  et  des  sépultures  ecclé- 
siastiques de  leurs  paroissiens  ;  cela  même  leur  est  nécessaire 
pour  la  preuve  des  empôchemens  spirituels ,  dont  la  loi  civile 
ne  peut  les  eiî;pêcher  de  s'enquérir  si  elle  veut  conserver  à  cha- 
que citoyea  la  forme  libre  de  son  culte  ;  et  c'est  constamment 
son  vœu. 

»  Enfin ,  les  mêmes  ministres ,  par  une  conséquence  nécessaire 
de  la  même  disûnclioa,  peuvent  refuser  de  .bénir  le  mariage, 
soit  d'un  prêtre,  soit  d'un  religieux,  soit  d'un  divorcé,  parce 
que  tous  cpux-là  qui  peuvent  valablement  se  marier,  seion  la  loi 
civile,  par  le  contrat  devant  la  municipalité,  ne  peuvent  recevoir 
le  sacrement  de  mariage  suivant  les  lois  de  l'église ,  qui  n'ont  pas 
encore  levé  la  défense  qu'elles  leur  font  de  rompre  les  liens  spi- 
rituels qu'ils  ont  solennellement  contractés. 

»  Sans  doute  qu'au  premier  temps  calme  qui  suivra  les  tem- 
pêtes inévitables  dans  une  révolution  comme  la  nôtre,  l'église  de 
France  pouî  voira  aux  nouveaux  besoins  par  des  lois  nouvelles  ; 
elle  fera  rég'er  ou  réglera  eile-inéme  ce  qui  regarde  ie  mariage 
des  prêtres,  des  religieux,  le  divorce,  les  dispenses,  les  degrés 
surtout  d'empêchement  spirituel,  de  parenté,  etc.;  mais  en  at- 
tendant, je  ne  vois  pas  qu'elle  puisse  s'écarter  des  principes  tels 


FÉVRIER  (1793).  519 

que  je  viens  de  les  expliquer;  ils  sont  les  mêmes  que  ceux  que 
j'ai  établis  dans  mon  preniier  rapport  sur  le  mariage ,  et  que  l'on 
a  suivis  dans  les  deux  lois  du  2  septembre  1792,  sur  l'état  civil 
des  citoyens  et  sur  le  divorce. 

»  C'est  donc  avec  un  grand  éîonnement  que ,  d'une  part ,  j'ai 
appris  par  le  ministre  Roland  lui-même,  dans  son  dernier  compte- 
rendu,  qu'il  a  tancé  des  évoques  et  des  curés  pour  avoir  con- 
tinué l'usage  de  Iei;rs  publications  de  bans  de  mariage  dans 
l'intérieur  de  leurs  églises ,  ce  qu'ils  ont  cru  avec  raison  pou- 
voir faire ,  d'après  l'assurance  que  la  Constitution  même  leur 
donne  de  toute  l'intégrité  et  l'indépendance  de  leur  mini.-;tère 
spirituel  ;  co::;me  en  effet  celîe  publication ,  dans  l'intérieur  de 
leurs  églises,  n'a  et  ne  peut  avoir  pour  objet  que  la  décou- 
verte des  empêche  nens  spirituels  à  l'administraîiûn  du  mariage 
comme  sacrement  ,  ce  qui  n'intéresse    point  la  République  ; 
que,  d'autre  part,  au  directoire  du  département  de  la  Sarllie, 
on  a  livré  à  toute  !a  rigueur  de  la  justice  et  du  ministère  public 
un  évêque  qui ,  conséquemment  à  la  môme  distinction  ,  avait 
arrêté  dans  son  conseil  que  les  curés  de  son  diocèse  n'accor- 
deraient point  le  sacrement  du  mariage  aux  parties  divorcées  qui 
passent  à  un  autre  mariage.  Peut-être  cet  évêque  n'aurait  pas 
dû  donner  à  son  mandenient  prohibitif  une  rorme  aussi  retentis- 
sante que  ceiie  qu'employaient  ses  prédécesseurs  ;  cependant  dès 
qu'elle  ne  s'adresse  qu'aux  curés  et  vicaires,  et  que  ses  effets  se 
bornent  à  l'intérieur  des  églises,  et  dans  l'unique  objet  d'empê- 
cher l'abus  du  sacrement,  il  n'y  a"  absolument  rien  de  contraire 
aux  lois  de  la  République.  L'église  n'en  a  point  fait  encore  sur 
ceitc  niiiîiè.e,  et,  jusqu'à  ce  qu'elle  s'en  soit  expliquée,  les  évê-' 
(|ues  et  les  curés  de  France  ne  peuvent  pas  plus  marier  un  di- 
vorcé que  ceux  de  Rome,  avec  qui  la  communionne  sera  jamais 
rompue  tant  qu'on  suivra  à  cet  égard  les  mêmes  lois  générale- 
merit  établies  dans  l'église. 

»  D'autres  évêques,  attachés  trop  littéralement  à  la  loi  du 
20  septembre  1792,  sur  l'élai  civil  des  citoye;is  ,  ont  cru  que  les 
curés  ne  pouvaient  désormais  donner  la  bénédiction  nuptiale  ou 


320  CONVENTION    NATIONALE. 

adminisirer  le  sacrement  de  mariap^e  qu'après  le  contrat  qui  en 
aurait  été  passé  devani  la  municipalité ,  et  non  avant. 

»  C'est  encore  une  erreur  condamnée  par  les  mêmes  principes 
et  contraire  de  plus  à  la  liberté  des  consciences  ;  car  il  peut  ar- 
river que  certains  catholiques  se  fassent  une  peine  d'aller  à  la  mu- 
nicipalité avant  que  d'aller  à  l'église ,  et  il  est  très-indifférent  à  la 
République  que  le  contrat  qui  doit  légitimer  les  époux  et  leurs 
enfans  précède  ou  suive  la  bénédiction  nuptiale  et  ecclésiastique  ; 
la  preuve ,  c'est  qu'elle  n'en  a  fait  aucune  disposition  ou  défense 
dans  sa  loi  du  20  septembre  1792,  d'où  l'on  peut  tirer  cette  con- 
séquence ,  qu'il  est  permis  de  faire  tout  ce  que  la  loi  ne  défend 
pas. 

»  Mais,  comme  en  faisant  ce  qui  n'est  pas  prohibé  par  la  loi  on 

ne  doit  pas  user  de  sa  liberté  au  préjudice  d'autrui,  il  y  aurait  peut- 
être  à  craindre,  dans  le  cas  proposé,  que  les  mariés,  après  avoir 
reçu  ie  sacrement  du  mariage  à  l'église ,  ne  voulussent  plus  al- 
ler à  îa  n)r;nicipali(é  déclarer  ou  exprimer  le  même  engagement,  ce 
qui  rendrait  alors  leur  état  et  celui  de  leurs  enfans  illégitime  aux 
yeux  de  la  loi  ;  mais  outre  que  cela  ne  peut  arriver  que  passagè- 
rensent  dans  les  circonstances  présentes,  où  les  affaires  de  l'église 
ne  sont  pas  encore  jugées  eu  fixées  comme  elles  doivent  l'être 
pour  le  bien  généra!  des  fidèles  et  de  la  religion  ;  car  on  est  bien 
loin  en  France  de  se  croire  dans  !e  schisme ,  comme  certaines 
gens ,  par  ignorance  ou  par  malice,  cherchent  à  le  faire  accroire  ; 
outre ,  dis-je  ,  cette  considération  ,  on  peut  à  cet  égard  ou  laisser 
aux  citc-ycns  leur  liberté  tout  entière,  à  cause  de  l'intérêt  pré- 
cieux et  doux  qui  les  attache  au  contrat ,  ou  employer  contre  leur 
insouciance  nuisible  à  l'état  de  leurs  enfans  une  mesure  de  police 
telle  que  la  légiiimilé  de  ces  enfans  fût  sauvée  ou  ne  souffrît  pas 
du  fanatisme  de  leurs  père  et  mère  ;  n;ais  celte  mesure  même  se- 
rait dans  les  circonstances,  ou  insuffisante  ,  ou  imprudente  ;  et, 
soit  à  cause  de  îa  liberté  qui  est  sacrée  dans  tous  ses  rapports , 
iurloul  quand  il  s'y  mêle  de  la  conscience,  soit  parce  que  la  loi 
ne  dii  rien  à  cet  égard ,  j'estime  au  contraire  qu'il  est  et  sera 
toujours  très-sage  de  laisser  à  chacun ,  d'après  les  distinction^ 


FÉVRIER  (1793).  321 

établies,  la  faculté  de  recevoir  la  Ijénédiction  nuptiale  à  l'église 
avant  comme  après  le  contrat  devant  la  municipalité. 

»  Toujours,  encore,  par  une  suite  des  mêmes  distinciions 
qu'on  ne  doit  jamais  perdre  de  vue  pour  la  solution  des  difficul- 
tés qui  s'éièvent  tous  les  jours  dans  l'exécution  des  lois  nouvelles 
du  20  septembre  dernier,  les  curés  ont  le  même  droit  ou  plutôt 
le  même  discernement  à  faire  dans  l'administration  du  baptême  , 
quoique ,  depuis  que  les  parrains  ne  font  plus  le  catéchisme  à 
leurs  filleuls  ,  leur  usage,  comme  leurs  qualités,  n'intéresse  plus 
dans  la  discipline  de  l'église. 

^  Voilà,  citoyen  minisire,  ce  que  j'ai  cru  devoir  mettre  sous 
vos  yeux  dans  la  place  éniinente  que  vous  occupez  et  si  digne- 
ment. Je  ne  crois  pas  que  celte  matière  soit  plutôt  du  ressort  du 
ministre  de  l'intérieur  que  du  vôtre,  comme  ministre  de  la  jus- 
tice ;  et  certes,  dans  la  crise  où  l'état  se  trouve,  il  me  paraît  très- 
essentiel  de  prévenir  par  tous  les  moyens  le  nouveaux  troubles 
que  pourraient  causer  les  malentendus  entre  les  patriotes  eux- 
mêmes;  c'est-à-dire  entre  les  prêtres  soumis  aux  lois  de  la  Ré- 
publique et  les  républicains,  intéressés  les  uns  et  les  autres  à  se 
réunir  contre  les  ennemis  communs  ;  et  les  troubles  sont  comme 
annoncés  par  les  exemples  que  j'ai  cités  et  où  cette  sagesse  pour- 
rait opérer  tout  doucement  par  l'instruction  le  plus  grand  bien. 

»  Certains  de  nos  collègues  croient  pouvoir  guérir  radicale- 
ment tous  ces  maux  en  révoquant  la  constitution  civile  du  clergé, 
qui  selon  eux  en  est  la  seule  cause  ;  mais  qu'ils  se  trompent  bien 
lourdement!  Les  choses  sont  telles  dans  les  déparlemens,  que 
tout  est  perdu  si  l'on  y  touche.  Le  temps  viendra  bientôt,  sans 
doute,  où  les  esprits  pourraient  à  cet  égard  souffrir  quelque  chan- 
gement ;  mais  ce  temps  heureux  n'est  point  ariivé ,  et  il  faut  l'ai- 
tendre  ;  jusqu'alors  calons  nus  voiles  à  la  tempête,  et  allons  au 
port  par  tous  les  chemins. 

»  Quoi  qu'il  eu  puisse  être,  nos  législateurs  seraient  bien  mal- 
adioits  si,  par  la  libellé  môme  des  cultes  qu'ils  protègent ,  ils 
croient  se  débarrasser  de  tout  ;  le  [)auvre,  le  malheuieux,  tiendra 
toujours  à  celui  qui  le  console  par  l'espérance  d'un  meilleur 

T.   XXIV.  21 


522  CONVENTION    NATIONALE. 

sort;  et  ce  culte,  qui  date  de  loi.:,  sur  vingt-cinq  millions  d'ames, 
vingt-trois  millions  et  plus  le  suivent  dans  la  Pi<^pub!ique.  La  Pié- 
publique  elle-même  a  aussi  grandement  besoin  de  ses  préceptes 
pour  l'amélioration  de  nos  mœurs  ;  et  il  importe  au  gouverne- 
ment lui-même  d'attacher  li  Tautorité,  à  i'obseivation  des  lois, 
l'intérêt  même  dos  consciences.  Ce  fut  la  politique  des  païens,  que 
la  nature  elle  seule  instruisait.  «  Les  pères  des  nations ,  dit  Rous- 
seau ,  faisaient  honneur  aux  dieux  de  leur  propre  sagesse.  » 

1  J'ajoute  que  dans  l'espîit  et  les  vues  propagantes  de  notre 
Convention,  c'est  déjà  de  la  part  de  plusieurs  de  ses  membres  un 
très-grand  tort  d'avoir  comme  proposé  des  systèmes  absolument 
irréligieux ,  ce  qui  seul  est  capable  de  nous  aliéner  toutes  les  na- 
tions voisines,  bien  plus  croyantes  encore  que  la  nôtre.  J'ose 
même  assurer  que  si  ces  opinions  plus  absurdes  encore  qu'im- 
pies prévalaient  dans  la  Convenîion  jusqu'à  la  compromettre  par 
quelque  décret ,  les  ciîoyens  français ,  qui  ont  vu  avec  satisfaction 
les  réformes  de  l'asseaiblée  constituante  tomber  sur  les  abus  ec- 
clésiastiques comme  sur  les  autres  (ce  qui,  en  les  rassurant  en- 
tièrement pour  l'avenir,  n'a  servi  qu'à  les  attacher  davantage  à 
la  révolution),  cesseraient  de  mettre  le  même  intérêt  à  une  liberté 
qui  leur  ôterait  celle  de  leur  culte  ;  et  le  nombre  de  ceux-là ,  qui 
certainement  pensent  le  mieux  ,  est  plus  grand  qu'on  ne  se  l'ima- 
gine peut-être  ;  ils  disent ,  et  avec  toute  sorte  de  raisons  ,  que  la 
religion  catholique  comporte  tr  ès-bien  ,  et  plus  qu'aucune  autre, 
l'égalité,  la  liberté  des  hommes;  mais  que  Çicéron  lui-même 
nons  apprend  qu'il  n'y  a  d'homme  véritablement  libre  et  heureux 
que  celui  qui ,  maître  de  ses  passions  ,  a  lieu  d'attendre  pour  ses 
vertus  une  récompense  digne  d'elles. 
j>  Signé,  Durand-Maillane ,  député  à  la  Conventionnationale.  » 


CONVENTION    NATIONALE.  —  SÉANCE   DU  23   FÉVRIER. 

Isnard  présente  un  projet  de  proclamation  au  peuple  fiançais  ; 
il  est  adopté  en  ces  termes  : 


FÉVRIER  (  1793).  323 

La  Convention  nationale  au  peuple  français. 

«  Français ,  tel  est  le  malheur  d'un  peuple  qui  s'est  donné  des 
rois,  qu'il  ne  peut  en  secouer  le  joug  sans  entrer  en  guerre  avec 
les  tyrans  étrangers. 

i»A  peine  vous  proclamâtes  votie souveraineté,  que  l'empereur 
et  le  roi  de  Prusse  armèrent  contre  vous;  aujourd'hui  que  vous 
avez  proclamé  la  république,  tous  les  despotes  ont  résolu  votre 
ruine.  Ceux  qui  ne  vous  out  pas  déjà  forcés  à  la  guerre  ne  tem- 
porisent peut-être  que  pour  mieux  vous  tromper;  et  il  n'est  que 
trop  vrai  que  la  France  iibre  va  lutter  seule  contre  i'Europe  es- 
clave. Eh  b;en!  ia  France  triomphera  si  sa  volonté  est  ferme  et 
constante.  Les  peuples  s^nt  plus  forts  que  les  armées.  Ceux  qui 
combattirent  pour  établir  leur  indépendance  lurent  toujours 
vainqueurs.  Rappelez-vous  les  révolutions  de  la  Hollande ,  de  la 
Suisse,  des  Etats-Unis. 

»  Les  nations  libres  trouvent  des  ressources  dans  les  plus  gran- 
des extrémités.  Rome  réduite  au  Capitole  ne  s'en  releva  que  plus 
terrible.  Voyez  ce  que  vous  avez  fait  vous-n;émes  lorsque  les 
Prussiens  ont  souillé  votre  territoire.  Toujours  l'enthousiasme  de 
la  hberté  triomphe  du  nombre;  la  fortune  sourit  à  l'audace,  et 
la  victoire  au  courage.  Nous  en  app^^lons  à  vous ,  vainqueurs  de 
Marathon,  de  Salamine  et  de  Jemmapes.  République  naissante! 
voilà  tes  modèles  et  le  présage  de  tes  succès  ;  lu  étais  réservée  à 
donner  à  l'univers  le  spectacle  le  plus  étonnant.  Jamais  cause  pa- 
reille n'agita  les  hommes  et  ne  fut  portée  au  tribunal  de  la  guerre. 
Il  ne  s'agit  pas  de  l'interèi,  d'un  jour,  ma;s  de  celui  des  siècles... 
de  la  liberté  à  un  peuple,  mais  de  celle  de  tous... 

»  Français ,  que  la  grandeur  de  ces  idées  enflamme  ton  cou- 
rage; écrase  tous  les  tyrans  plutôt  que  de  redevenir  esclave!  Es- 
clave !...  Quoi  !  des  rois  î'OU veaux  s'engraisseraient  encore  de  ton 
or,  de  tes  sueurs  et  de  ton  sang!...  Des  parlemens  impitoyables 
disposeraient  à  leur  gré  de  ta  fortune  et  de  ta  vie  !...  Un  clergé 
lunatique  décimerait  de  nouveau  tes  moissons!...  Une  noblesse 
insolente  te  foulerait  encore  du  pied  de  l'orgueil!...  L'égalité 


324  CONVENTION   NATIONALB. 

sainte,  la  liberté  sacrée  coïKjaise  par  tant  d'efforts,  te  seraient 
ravies!...  Ce  bel  empire,  héritage  de  tes  ancêtres,  serait  dé- 
membre !  Quoi!  plus  de  patrie,  plus  de  Français!...  Etlagé- 
néraiion  présente  serait  destinée  à  ce  comble  d'ignominie!  Elle 
aurait  à  rougir  aux  yeux  de  l'Europe  et  de  la  postérité  !...  Non  ; 
nous  disparaîtrons  de  la  terre,  ou  nous  y  resterons  Français ,  in- 
dépendans.  Allons,. .  que  tous  les  vrais  républicains  s'arment 
pour  la  patrie  ;  que  le  fer  et  l'airain  se  changent  en  foudres  de 
guerre  et  nos  forêts  en  vaisseaux  ;  que  la  France,  comme  on  l'a 
dit,  ne  soit  qxCun  camp,  cl  la  7ialion  une  armée  ;  que  l'artisan  quitte 
son  atelier  ;  que  le  commerçant  suspende  ses  spéculations.  Il  est 
plus  pressant  d'acquérir  la  liberté  que  les  richesses  ;  que  les  cam- 
pagnes ne  retiennent  que  les  bras  qui  leur  sont  nécessaires. 
Avant  d'améliorer  nos  champs  ,  il  faut  les  affranchir.  Que  ceux 
qui  ont  quitté  leurs  drapeaux  rougissent  de  laisser  flétrir  leurs 
lauriers  ;  que  le  jeune  homme  surtout  vole  à  la  défense  de  la  Ré- 
publique ;  il  est  juste  qu'il  combatte  avant  le  père  de  famille  ;  et 
vous,  mères  tendres,  épouses  sensibles,  jeunes  Françaises,  loin 
de  retenir  dans  vos  bras  1rs  citoyens  qui  vous  sont  chers ,  excitez- 
les  à  voler  à  la  victoire.  Ce  n'est  plus  pour  un  despote  qu'ils  vont 
combattre,  c'est  pour  vous,  vos  enfans ,  vos  foyers...  Au  lieu 
de  pleurer  sur  leur  départ,  entonnez,  comme  les  Spartiates,  des 
chants  d'aiiégresse  ;  et ,  en  attendant  leur  retour,  que  vos  mains 
leur  préparent  des  vêiemens  et  leur  tressent  des  couronnes. 

»  Amour  de  la  patrie,  de  la  liberté,  de  la  gloire ,  passion  con- 
servatrice des  républiques,  source  d'héroïsme  et  de  vertu  ,  em- 
brasez les  âmes  !...  Jurons  tous  sur  le  tombeau  de  nos  pèr(  s  et  le 
berceau  de  nos  enfans,  jurons  par  les  victimes  du  10  août ,  par 
les  ossemens  de  nos  frères,  encore  épars  dans  les  campagnes, 
que  nous  les  vengerons  ou  mourrons  comme  eux. 

»  Quant  à  vous,  hommes  opulens,  qui,  plus  égoïstes  que  ré- 
publicains ,  ne  soupirez  qu'après  le  repos,  pour  obtenir  bientôt  la 
paix ,  aidez-nous  à  vaincre.  Si,  amollis  par  l'oisiveté,  vous  ne  pou- 
vez supporter  les  fatigues  de  la  guerre ,  ouvrez  vos  trésors  à  l'in- 
digence et  présentez  des  défenseurs  qui  vous  suppléent.  Tandis 


FÉ vKiiiB  (  1 7 *J3  ) .  3î25 

que  vos  frères  triomphaient  dans  la  Belgique  et  aux  Alpes , 
qu'aux  prises  avec  les  frimas ,  la  faim  et  la  mort ,  ils  gravissaient 
des  montagnes ,  escaladaient  des  remparts,  vous  dormiez  dans  les 
bras  de  la  mollesse ,  et  vous  refuseriez  des  secours  pécuniaires  ! 
L'or  est-il  donc  plus  précieux  que  le  sang?  Si  votre  civisme  ne 
vous  engage  pas  à  des  sacrifices ,  (jue  votre  intérêt  du  moins  vous 
y  force.  Songez  que  vos  propriétés  et  votre  siireté  dépendent  des 
succès  de  la  guerre.  La  liberté  ne  peut  périr  sans  que  la  fortune 
publique  soit  anéantie  et  la  France  bouleversée.  Si  l'ennemi 
triomphe,  uialheur  à  ceux  qui  auront  di^s  torts  envers  la  patrie! 
Riches  ,  remplissez  vos  devoirs  envers  elle  si  vous  voulez  qu'elle 
soit  généreuse  envers  vous  ;  trop  souvent  on  n'est  victime  que 
parce  qu'on  a  refusé  d'être  juste.  Quelles  que  soient  vos  opinions, 
notre  cause  est  commune;  nous  sommes  tous  passagers  sur  le 
vaisseau  de  la  révolution  ;  il  est  lancé  ;  il  faut  qu'il  aborde  ou  qu'il 
se  brise  ;  nul  ne  trouvera  de  plancliv  dans  le  naufrage.  Il  n'est 
qu'un  moyen  de  nous  sauver  tous;  il  l^ut  que  la  masse  entière 
des  citoyens  forme  un  colosse  puissant  qui,  debout  devant  les  na- 
tions, saisisse  d'un  bras  exterminateur  le  glaive  national  et,  le 
promenant  sur  la  terre  et  les  mers ,  renverse  les  ar/nées  et  les 
flottes. 

»  Sociétés  populaires ,  remparts  de  la  révolution ,  vous  qui  tn- 
fantàtes  la  liberté  et  qui  veillez  sur  son  berceau,  créez-lui  des 
défenseurs  ;  par  vos  discours  ,  vos  exemples,  iujprimez  un  grand 
mouvement  et  élevez  les  amcs  au  plus  haut  degré  d'enihou- 
siasme. 

»  Guerriers  qui ,  à  la  voix  de  la  patrie ,  allez  vous  rendre  dans 
les  camps,  nous  ne  chercherons  point  à  exciter  votre  courage. 
Français  et  républicains ,  vous  êtes  pleins  d'honneur  et  de  bra- 
voure ;  mais  nous  vous  recommandons,  au  nom  du  salut  public, 
l'obéissance  à  vos  chefs  et  l'exacte  discipline  ;  sans  discipline , 
point  d'armées,  point  de  succès  ;  sans  elle,  le  courage  est  inu- 
tile et  le  nombre  impuissant  ;  elle  supplée  à  tout ,  et  rien  ne  la 
supplée. 

»  Vous,  vainqueurs  de  Vulmy,  do  Spire  et  d'Aigounc,  laisse- 


326  CONVENTION   NATIONALE. 

rez-vous  périr  une  patrie  que  vous  avez  une  fois  sauvée?  Non , 
vous  les  vaincrez  ces  nouvelles  phalanges  que  vomil  le  Nord  ,  et 
l'Anglais  aussi  sera  vaincu  sur  rélénient,  théâtre  de  sa  puissance. 
Qu'ils  voient  sur  les  vaisseaux  de  la  République  nos  braves  ma- 
rins !  L'armée  navale,  aussi  brûlante  de  patriotisme  que  l'armée 
de  terre,  doit  marcher  coinme  elle  de  victoires  en  vicloiresj  Dé- 
barrassée d'une  vile  noblesse,  elle  est  invincible.  Majineconimer- 
çante,  sous  le  règne  du  despotisme  qui  t' abreuvait  d'himiilia- 
tions,  lu  enhnins  Jean-Bart ,  Diiqiiêne,  Duguay-Trou'm;  que  ne 
feras-tu  pas  sous  le  règne  de  l'égaiite!  Ne  borne  plus  les  com- 
bats de  mer  à  l'explosion  du  canon  ;  l'homme  libre  qu^on  atiati 
que  doit  se  battre  avec  rage.  Nos  gi-enadiers  enlèvent  les  batte- 
ries avec  la  baïonnette;  on  a  vu  de  nos  hussards  combattre  à 
cheval  sur  des  remparts  ;  toi ,  tente  les  abordages ,  la  hache  à  la 
main  ;  qu'ils  tombent  sous  tes  coups  ces  fiers  insulaires ,  despotes 
de  l'Océan. 

»  Matelots,  soldats,  qu'une  émulation  salutaire  vous  anime, 
et  que  des  succès  égaux  vous  couronnent.  Si  vous  êtes  vaincus, 
la  France  devient  la  risée  des  nations  et  la  proie  des  tyrans. 
Voyez  ces  féroces  vainqueurs  se  précipiter  sur  elle.  Ils  outra- 
gent... ,  ils  dévastent...,  ils  égorgent... ,  ils  ne  trouvent  pas  assez 
de  victimes  pour  assouvir  les  mânes  de  Capet...  A  la  lueur  de  Pa- 
ris incendié,  regardez  ces  échafauds  dressés  parla  vengeance, 
et  où  des  bourreaux  traînent  vos  amis  et  vos  frères...  Votre  dé- 
faite couvre  la  terre  de  deuil  et  de  larmes.  La  liberté  fuit  ces 
tristes  contrées  ,  et  avec  eile  s'évanouit  l'espérance  du  genre  hu- 
main. Long-temps  après  que  vous  ne  serez  plus,  des  malheu- 
reux viendront  agiter  leurs  chaînes  sur  vos  tombeaux,  insultera 
vos  eendrrs.  Mais  si  vous  êtes  vainqueurs,  c'en  est  fait  des  ty- 
rans; les  peuples  s'embrassent;  et,  honteux  de  leur  longue  er- 
reur, ils  éteignent  à  jamais  le  flambeau  de  la  guerre  ;  on  vous 
proclame  les  sauveurs  de  la  patrie,  les  fondateurs  de  la  Républi- 
que, les  régénérateurs  de  l'univers  ;  la  nation  qui  vous  doit  vous 
comble  de  bienfaits. 

»  Et  vous ,  qui  mourrez  au  champ  d'honneur,  rien  n'égalera 


FÉVRIER  (1793).  Otl 

votre  gloire.  La  pairie  reconnaissante  prendra  soin  de  vos  fa- 
milles ,  burinera  vos  noms  sur  l'airain  ,  les  creusera  dans  le  mar- 
bre ,  ou  plutôt  ils  demeureront  gravés  sur  le  frontispice  du  grand 
édifice  de  la  liberté  du  monde.  Les  générations,  en  les  lisant, 
diront  :  «  Les  voilà  ,  ces  héros  français  qui  brisèrent  les  chaînes 
de  l'espèce  humaine  ,  et  qui  s'occupiaent  de  notre  bonheur  lors- 
que nous  n'existions  pas...  » 

«  Heureuse  France!  telles  sont  les  hautes  destinées  qui  s'ou- 
vrent devant  loi.  Loin  de  l'étonner  de  leur  grandeur,  parcours- 
les  avec  héroïsme  ;  que  rhi»toire  ue  trouve  dans  ses  fasles  rien 
qui  ressemble  à  tes  triomphes.  Efface  tout  à  coup  la  gloire 
des  républiques  de  la  Grèce  et  de  Rome.  Fais  plus  en  une  année 
sous  le  règne  de  la  liberté ,  (jue  lu  n'as  fait  en  quatorze  siècles 
sous  le  règne  des  rois.  Que  l'éiranger  ne  parle  de  la  république 
qu'avec  respect,  et  d'un  citoyen  français  qu'avec  admiration. 

»  Pour  nous,  fermes  à  noire  poste,  nous  promettons  de  don- 
ner l'exemple  du  civisme,  du  courage;,  dadévoûinent.  Nousimi- 
"  lerons,  s'il  le  faut,  ces  bénateurs  roujains  qm  attendirent  la  mort 
sur  leur  chaise  curub'.  On  vous  dit  que  nous  sommes  divisés  ; 
gardez-vous  de  le  croire  ;  si  nos  opinions  diffèrent ,  nos  senlimens 
sont  les  mémei.  En  variant  sur  les  moyens,  nous  tendons  au 
même  but.  Nos  délibérations  sout  bruyantes  :  et  comment  ne 
pas  s'animer  en  discutant  d'aut-si  grands  intéréis?  C'est  la  pas- 
sion du  bien  qui  nous  agite  à  ce  point  ;  riiais  une  fois  le  décret 
rendu ,  le  bruit  finit ,  et  la  loi  res'e. 

»  Peuple,  compte  sur  tes  représeniaus;  quels  que  soient  les 
événemens,  ils  luiteruni  avec  force  contre  îafori  une  et  b^s  hommes. 
Jamais  ils  ne  uansigeiont  eu  ion  nom  avec  la  tyrannie.  Lorsque 
r.ous  avo!is  été  constitués  en  Convention  ,  nous  avons  cru  enten- 
dre la  voix  de  la  patrie  qui  nous  criait  :  «  Va ,  et  rends-moi  li- 
bre ;  assuie  mon  bonheur  futur  aux  dépens  de  ma  tranquillité 
présente.  Si,  pour  cesser  d'éire  esclave,  il  faut  vaincre  l'Europe, 
parle,  je  lutterai  coniie  elle;  ci  surtout,  quels  que  soient  mes 
dépenses,  mes  fatigues ,  mes  périls ,  ne  me  donne  une  paix  dé- 
finitive qu'avec  une  entière  indépendance.  » 


528  CONVENTION   NATIONiU.E. 

»  O  patrie  !  nous  avons  liiêté  l'oreille  à  ce  sublime  langage , 
il  reste  empreint  dans  nos  cœurs,  il  servira  de  règle  à  notre  con- 
duite ,  et  tu  seras  sauvée.  » 

—  Le  commissaire  de  police  de  la  section  de  Marseille,  à  Paris, 
demande  d'être  autorisé  à  lancer  un  mandat  d'amener  contre  le 
député  Barbaroux  ,  qui  se  trouve  chargé  par  des  dépositions 
dans  une  affaire  suivie  à  la  requête  de  l'accusateur  public  du  tri- 
bunal criminel  de  Paris.  Il  avait  été  dénoncé  par  le  comité  de  sû- 
reté générale  pour  avoii',  lors  de  la  question  de  l'appel  au  peuple, 
voulu  environner  la  Convention  de  Marseillais  armés.  Discussion 
à  ce  sujet.  Renvoi  au  comité  de  législation  pour  un  prompt  rap- 
port. 

SÉANCE   DU   î24   FÉVRIER. 

[Roljnd,  ex-ministre  de  l'intérieur,  prie  la  Convention  d'exami- 
ner les  comptes  de  son  adminisiraiion.  Il  attend  que  la  Conven- 
tion ait  prononcé  pour  pouvoir  quitter  Paris,  afin  de  soigner  sa 
santé. 

Lesage.  Je  demande  la  parole  pour  un  fait  qui  intéresse  la 
tianquillité  de  Paris.  Citoyens ,  la  ville  de  Paris  paraît  livrée  aux 
plus  grandes  inquiéiudes;  ses  alarmes  paraissent  venir  du  man- 
quement de  subsistances.  (Il  s'élève  des  rumeurs  dans  l'extré- 
mité gauche.) 

Tliuriot.  Je  fais  une  motion  d'ordre  ;  je  demande  que  Lesage 
ne  soit  point  entendu  ;  qu'il  aille.... 

Lesage.  Je  demaside  d'être  entendu. 

Tliuriot.  Au  comité. 

Lesage.  C'est  un  fait  qui  m'est  personnel. 

DevîUa,  Vous  n'êtes  pas  administrateur  de  Paris  ;  vous  voulez 
jeter  le  trouble  dans  cette  ville  et  dans  la  Convention. 

Thuriot,  Tallien  s'avancent  dans  le  milieu  de  la  salle,  et  de- 
mandent avec  chaleur  que  la  parole  soit  ôiée  à  Lesage 

Le  président.  Je  vais  consulter  l'assemblée  pour  savoir  si  la  pa- 
role sera  continuée  à  Lesage. 

L'assen;b!ée  décrète  que  Lesage  S!.n-a  entendu. 


FÉVRŒK  (  1795  ),  ôt^3 

Lesage.  J'ai  pensé  que  le  fail  dont  j'avais  connaissance  devait 
être  communiqué  à  rassemblée.  Je  disais  que  les  boulangers  de 
Paris  paraissent  ne  pas  avoir  sultisammenl  de  pain  pour  tous  les 
citoyens,  et  que  les  citoyens  étaient  dans  l'alarme,  que  les  es- 
prits étaient  ajjilés Il  me  paraît  difficile  que  Paris  ,  qui  est 

environné  de  départemens  dans  lesquels  il  y  a  abondamment  du 
blé  ,  en  manque  iui-méme.  (Plusieurs  voix  :  Il  n'en  manque  pas.) 
Une  chose  certaine  ,  c'est  qu'au  moment  où  je  vous  parle,  on  se 
dispute  le  pain  à  la  porte  des  boulangers.  Je  demande  si  l'on 
peut  imputer  à  mauvais  esprit  de  donner  connaissance  de  ces 
foits  à  la  Convention  ;  je  vous  demande  s'il  n'est  pas  inip  -rtant 
que  la  Convention  sache  si  Paris  manque  de  subsistances  ;  je  de- 
mande ,  et  c'est  là  ma  conclusion  ,  que  le  maire  et  le  procureur 
de  la  commune  soient  mandés  à  l'instant  pour  rendre  compie  de 
l'éiat  des  subsistances  de  Paris. 

r/iWj-io/.Gomuiej'ai  suivi  toutes  les  révolutions  qui  se  sont  fai- 
tes à  Paris,  je  puis  vous  ati ester  que  de  toutes  les  armes  em- 
ployées par  les  crisfocrates,  celle  des  subsistances  a  été  la  prin- 
cipale. J'ai  été  alarmé ,  comme  le  Lesage ,  des  bruits  qui  s'étaient 
répandus  ;  j'ai  couru  partout  pour  reconnaître  ce  qu'il  y  avait  de 
réel.  Aujourd'hui  encore,  j'ai  été  chez  le  ministre  de  l'intérieur; 
je  trouve  qu'il  y  a  beaucoup  d'imprudence  de  publier  à  celte  tri- 
bune qu'il  se  répand  des  inquiétudes  sur  les  subsistances  de  Pa- 
ris. C'est  dans  les  comités  qu'il  faut  se  conceiteî-  sur  les  appro- 
vi.sionnemens  ,  afin  de  ce  pus  présenter  au  peuple  un  tableau 
alara)anl  qui  ne  serait  pas  exact.  Paris  a  la  farine  nécessaire; 
il  y  a  peut-être  quelque  embarras  dans  l'administration  ;  les  mal- 
veillans  en  profilent  pour  répandre  des  alanries  ;  ceux  qui  n'ont 
besoin  que  de  deux  pains  eu  prennent  quaire.  (  Plusieurs  voix  à 
la  gauche  :  Voilà  le  fait.  )  C'est  un  moyen  qu'emploient  tous  les 
amis  du  roi  pour  exciter  des  mouvemeiis,  pour  faire  une  com- 
ujoiion  et  écraser  le  peuple;  mais  ils  ont  beau  faire,  nous  le 
sauverons.  (Oui,  oui,  s*écrie-t-on  de  toutes  les  parties  de  la 
salle.  —  L'orateur  se  tournant  vers  la  droite.  )  Eh  bi«n,  pus'pie 
vous  voulez  le  sauver,  prenez  la  mesure  efficace  qu'on  a  picsen- 


330  CONVENTlOiV    NATIONALE. 

lée  ;  avancez  une  somme  à  Paris  :  si  vous  ne  le  faites ,  je  dirai 
que  vos  alarmes  ne  sont  que  pour  seconder  les  conlre-révo'.u- 
lionnaires.  (De  violens  murmuies  s'élèvent  dans  la  partie  droite. 
—  Oui^  oui,  s'écrient  quelques  membres  de  la  gauche.  )  Je  de- 
mande que  les  comités  de  sûreté  générale  et  de  commerce  se  con- 
certent avec  la  municipalité  de  Paris  et  le  ministre  de  l'intérieur, 
sur  les  approvisionnemens  de  Paris ,  et  qu'ils  nous  rendent 
compte  de  l'état  des  subsistances  de  cette  ville. 

Lasoiirce.  G'eit  pour  rendre  compte  d'iin  fait  que  je  demande 
la  parole.  On  vous  a  dit  que  les  citoyens  de  Paris  voulaient  la 
taxation  des  denrées.  {Plusieurs  voix  :  Cela  est  faux.  )  On  vous  a 
dit  qu'il  y  avait  un  mouveaient  dans  Paris.  [Les  mêmes  voix  : 
Non ,  non.  )  Voici  le  fait.  J'ai  trouvé  à  la  porte  de  la  salle  envi- 
ron oOQ  citoyennes;  elles  m'ont  dit  venir  présenter  une  péti- 
tion ;  je  leur  en  ai  demandé  l'objet.  C'est  pour  vous  demander  le 
rapport  du  décret  qui  permet  de  vendre  l'argent.  Elles  sont  con- 
venues avec  moi  que  la  taxation  des  subsistances  affamerait  Paris. 
Elles  sont  disposées.... 

Tallien.  J'ai  des  faits  importans  à  faire  connaître  à  l'assemblée. 
Ces  jours  derniers  des  hommes  couraient  dans  les  faubourgs 
et  publiaient  que  Paris  allait  manquer  de  pain  ;  voilà  pourquoi 
il  se  trouve  phjs  de  monde  à  b  porte  des  boulangers  que  de  cou- 
tume ;  on  veut  un  mouvement ,  j'en  ai  des  preuves.  Avant-hier, 
je  me  présentai  à  un  groupe  de  femmes;  elles  se  concertaient 
pour  vous  présenter  une  pétition  à  l'effet  d'obtenir  la  taxation 
du  savon.  Je  tâchai  de  les  détourner  de  leur  projet,  je  ne  pus 
rien  gagner  sur  elles.  Il  ne  me  fut  pas  difficile  d'apercevoir  que 
ce  n'étaient  pas  des  patriotes,  mais  desinstrumens  que  les  aristo- 
crates faisaient  agir.  J'écrivis  au  maire  de  Paris  ;  il  me  rappela 
ce  qui  est  souvent  arrivé.  Pour  exciter  du  trouble ,  on  met  en 
avant  les  femmes  ;  on  les  (n'a  ciier,  ensuite  paraissent  les  hommes, 
qui  font  le  mouvement.  On  en  prépare  un,  me  dit  le  maire,  je 
le  vois  ,  j'en  suis  persuadé.  Ce  mutin  j'ai  vu  le  maire  ;  j'ai  parlé 
au  comité  des  subsistances  ;  on  m'a  assuré  que  les  inquiétudes 
sur  les  subsistances  étaient  mal  fondées...  Un  fait  qu'il  faut  que  la 


FÉVRIER  (  1795).  331 

Convention  sache,  c'est  que  depuis  que  Pache  a  été  élu  maire  de 
Paris  ,  on  n'a  cessé  de  l'abreuver  de  dégoûts  ;  c'est  que  ce  sont 
ceux  qui  lui  ont  fait  quitter  le  ministère,  qui  le  poursuivent  en- 
core. (Plusieurs  voix,  à  droite  :  Prouvez  le  fait.)  On  me  demande 
des  preuves,  en  voici  :  dans  une  séance  du  conseil-géni^ral ,  un 
hoDime  que  j'ai  cru  pendant  long-temps  patriote  fit  la  motion  que 
Pache  ne  pût  occuper  la  place  de  maire  avant  d'avoir  rendu  ses 
comptes,  et  cet  homme  est  lié  avec  ceux  qui  se  sont  constamment 
montrés  les  ennemis  de  Pache,  qui  l'ont  persécuté  tout  le  temps 
qu'il  a  été  au  minisière. 

Un  autre  fait.  On  est  venu  m'éveiller  ce  matin  à  sept  heures; 
on  m"a  dit  qu'il  y  avait  un  mouvement  dans  le  faubourg  Saint- 
Antoine.  Hier  les  aveugles  des  Quinze-Vingts  ont  décidé  de  vous 
présenter  une  pétition  ,  et  dans  ce  moment  les  administrateurs 
de  cet  établissement  font  aligner  les  aveugles  sur  deux  lignes ,  et 
leur  font  dire  :  Nous  allons  à  la  Convention  demander  du  pain. 
Faites  atteniion,  ciioyens,  que  ces  administrateurs  qu'on  vous 
dit  éire  si  patriotes ,  ont  choisi ,  pour  faire  présenter  celte  péti- 
tion ,  le  ujomeni  où  Ion  vous  dit  qu'il  n'y  a  pas  de  pain  chez  les 
boulangers.  Je  demande  que  vous  adoptiez  la  proposition  de 
Thurioi,  ei  (jue  la  tribune  ne  retentisse  plus  des  mots  de  disette, 
de  manque  de  pain  :  cela  ne  peui,  avoir  qu'un  très-mauvais  effet. 

Leprésident.  Je  reçois  en  cet  instant  une  lettre,  par  laquelle  des 
citoyennes  deuiandent  à  cire  entendues  pour  déposer  dans  le 
sein  de  la  Convention  leurs  alarnies  sur  les  subsistances. 

^]alllieu.  J(î  demande  que  les  pétitionnaires  soient  admises. 

Je  tiens  d'ua  b!)ulangf  r,  chez  lequel  j'ai  envoyé ,  que  ce  matin 
il  a  fait  i}eu\  fournées  de  plus  qu'à  l'ordinaire,  et  que  si  l'on 
manque  de  pain  cela  vient  de  ce  ()ue  les  personnes  qui  aupara- 
vant ne  jirenaieni que  quatre  livres  de  pain,  en  avaient  pris  huit 
cemaiia.  La  cause  première  de  cette  disette  apparente  est  dans 
les  inquiétudes  mal  fondées  qui  ont  été  répandues. 

L'asseiiiblée  ferme  la  discussion. 

La  proposition  de  Thuiiot  Cot  adoptée  en  Ct:s  fermes  : 

La  Convention  nationale  décrète  que  les  comités  dagriculture. 


33ïi  CO.NVJiiMlOiN    iMAHONALE. 

de  sûreté  générale  et  des  finances  se  réuniront  à  l'instant ,  en- 
tendront le  ministre  de  l'intérieur,  les  administrateurs  du  dépar- 
lement, et  le  maire  et  procureur  de  lu  commune  de  Paris,  sur 
l'état  de  l'approvisionnement  des  subsistances  pour  cette  ville ,  et 
des  mesures  prises  pour  qu'elle  n'en  manque  pas,  et  les  charge 
d'en  rendre  compte  à  la  Convention. 

Un  député  extraordinaire  du  déparlement  de  la  Vienne  pré- 
sente une  pétition  sur  la  détresse  de  la  classe  industrieuse  du  peu- 
ple, et  demande  des  secours  pour  établir  à  Poitiers  des  ateliers. 

Cette  pétition  est  renvoyée  au  comité  des  ponis  et  chaussées. 

Une  dépuiation  des  citoyennes  blanchisseuses  de  Paris,  est  ad- 
mise à  la  barre. 

Un  des  secrétaires  fait  lecture  de  leur  pétition  ;  elle  est  ainsi 
conçue  : 

»  Législateurs  ,  les  blanchisseuses  de  Paris  viennent  dans  îe 
sanctuaire  sacré  des  lois  et  de  la  justice  déposer  leurs  sollicitu- 
des. Non-seulement  toutes  les  denrées  nécessaires  à  la  vie  sont 
d'un  prix  excessif,  mais  encore  les  matières  premières  cjui  ser- 
vent au  blanchissage  sont  montées  à  un  tel  degré ,  que  bientôt  la 
classe  du  peuple  la  moins  fortunée  sera  hors  d'état  de  se  procu- 
rer du  linge  blanc,  dont  elle  ne  peut  absolument  se  passer.  Ce 
n'est  pas  la  denrée  qui  manque,  elle  est  abondante;  c'est  l'accapa- 
rement et  l'agiotage  qui  la  font  renchérir.  Vous  avez  fait  tomber 
sous  le  glaive  des  lois  la  tête  du  tyran,  que  le  glaive  des  lois  s'ap- 
pesantisse sur  la  tète  de  ces  sangsues  publiques.  Nous  deman- 
dons la  peine  de  mort  contre  les  accapareurs  et  les  agioteurs.  » 

Le  président.  Citoyennes  ,  la  Convention  s'oc<;upera  de  l'objet 
de  vos  sollicitudes  ;  mais  un  des  moyens  de  faire  hausser  le  prix 
des  denrées  est  d'efl'rayer  le  commerce ,  en  criant  sans  cesse  à 
l'accaparement,  etc.  L'assemblée  vous  invite  à  assister  à  la  séance. 

Des  citoyennes  de  Paris,  réunies  en  société  fraternelle  dans  le 
local  des  ci-devant  Jacobins,  demandent,  par  l'organe  d'une  dé- 
putaiion  ,  comme  moyen  de  faire  diminuer  le  prix  des  subsistan- 
ces le  rapport  de  la  loi  qui  déclare  l'argent  commerçuble. 

Diihem.  Les  comités  de  coiomerce ,  d'agriculture  et  des  finan- 


FÉVRIER  (1793).  53S 

ces  se  sont  occupés  des  moyens  de  diminuer  le  prix  des  matières 
premières  de  nécessité  indispensable.  TIs  sont  en  ce  moment  en 
conférence  avec  le  ministre  des  contributions  publiques  et  les 
corps  administratifs.  Je  demande  qu'ils  fassent  leur  rapport  de- 
main. —  Cette  proposition  est  adoptée. 

Le  président  leur  répond  que  l'assemblée  s'occupe  en  ce  mo- 
ment ,  <laus  ses  comités,  de  l'objet  des  subsistances.  Il  invite  la 
députation  aux  iionneurs  de  la  séance. 

Fabre,  de  l'Hérault.  Les  comités  des  finances,  d'agriculture  et 
de  sûreté  générale  se  sont  réunis,  ont  entendu  le  ministre  de  l'in- 
térieur, le  maire,  le  procureur  de  la  Commune,  le  présidente! 
le  procureur-généralsyndicdu  déparlement  de  Paris.  Il  résulte 
des  reiiseignemens  par  eux  donnés  que  les  subsistances  de  Pa- 
ris sont  assurées  pour  deux  mois;  qu'il  y  a  actuellement,  î>oitdans 
les  nia[;asins,  soit  à  la  halle ,  soit  aux  environs  de  Paris  ,  des  fa- 
riiics  ariivées  et  prêtes  à  être  consommées  pour  un  mois.  Mais  la 
municipalité  a  besoin  ,  pour  soutenir  le  prix  du  pain  à  douze  sous, 
d'une  nouvelle  avance  qui  pourra  être  répartie  en  sous  addition- 
nels sur  limpoï^iiion  de  4793.  Les  comités  vous  feront  incessam- 
ment un  rapport  sur  cet  objet. 

Voilà,  citoyens,  les  détails  rassurans  que  vos  comités  m'ont 
diarjft'  de  vous  donner.] 


JOURNÉE    DU   2o    FÉVRIER. 

€  La  journée  du  125  février  vient  de  ramener  de  nouveaux  ora- 
ges ;  elle  en  présage  de  plus  grands  encore.  Il  n'est  plus  question 
en  ce  moment  d'acte  constitutif  ni  d'armées.  Hélas!  d'autres 
soins  nous  forcent  à  une  diversion  cruelle,  et  absoibent  toute 
l'attention  des  amis  de  la  patrie  et  de  la  liberté. 

»  Des  synjptomes  d'un  caractère  elïrayant  nous  menaçaient 
depuis  quelques  jours  d'un  événement  sinistre;  une  disette  fac- 
li.e,  semblable  à  celle  de  1781),  se  manifestait  à  Paris  depuis 
quelques  jours.  Le  débit  du  piiin  éprouvait  des  lenteurs  et  la 


554  CONVENTION   NATIONALE. 

difficulté  d'en  avoir  avait  déjà  coùîé  bien  des  larmes  à  plus  d'une 
citoyenne.  Le  savon,  qu'on  se  procurait  encore  il  y  a  un  mois  à 
14  et  16  sous  la  livre,  était  monté  à  52  sous ,  et  déjà  plusieurs 
blanchisseuses  gémissaient  sur  le  défaut  d'ouvrage  et  l'impossi- 
bilité de  continuer  leur  état.  Déjà  des  plaintes  amères  s'étaient 
fait  entendre  dans  lestribr.nes  du  conseil-général  de  la  Commune. 
Allez  vous  plaindre  à  la  barre  de  la  Convention,  avait-il  ré- 
pondu. 

»  Le  conseil  fut  suivi.  Dimanche,  parmi  les  pétitionnaires, 
plusieurs  crièrent  :  Du  pain  et  du  savon!  Ces  cris  étaient  ap- 
puyés hors  de  la  salle  par  des  groupes  nombreux  et  très-animés. 
La  Convention  écoute  tout  cela  avec  assez  de  froideur ,  et  ajourne 
à  mardi  pour  y  faire  droit.  Loin  de  calmer  et  de  satisfaire,  cette 
déterminuiion  aigiit  encore  davantage,  et  en  quittant  la  barre, 
les  femmes,  dans  les  couloirs  de  la  sa!le,  disent  tout  haut  à  qui 
veut  les  entendre  :  On  nous  ajourne  à  mardi  ;  mais  nous ,  nous 
nous  ajournons  à  lundi.  Quand  nos  enfans  nous  demandent  du 
lait ,  nous  ne  les  ajournons  pas  au  surlendeinain. 

»  Les  autorités  constituées  auraient  pu  suppléer  par  l'activité 
de  leurs  opérations  à  l'incuri?  du  corps  législatif.  Que  ne  s' abou- 
chaient-elles avec  le  pouvoir  exécutif  à  onze  heures  du  matin ,  au 
lieu  de  se  réunir  à  quatre  heures  après  midi,  et  de  suite  que 
n'allaient-elles  trouver  le  comité  de  sûreté  générale  ?  Là ,  combi- 
nant leurs  démarches  respectives,  on  eût  pris  une  mesure,  la 
seule  peut-être  convenable  dans  cette  circonstance  critique;  nous 
vouions  dire  une  visite  faite  par  les  magistrats  du  peuple  dans 
les  principaux  magasins  et  dépôts,  pour  se  procurer  sur  les  lieux 
des  renseignemens  matériels  touchant  le  prix  des  denrées ,  telles 
que  le  savon ,  la  chandelle ,  le  sucre  ;  les  livres  de  commerce  et 
les  factures  eussent  été  confrontés  avec  la  vente  en  détail  de  ces 
différens  objets;  une  taxe,  justifiée  assez  par  l'urgence  du  mo- 
ment, eût  satisfait  'e  peuple,  et  mis  les  gros  marchands  et  les 
détailleurs,  malheureusement  enveloppés  dans  la  même  pro- 
scription ,  à  l'abri  du  ressenti  ::ent  de  la  multitude  égarée  par  des 
meneurs  de  tout  genre.  Une  proclamation,  et  surtout  une  baisse 


FÉVRIER  (  1793).  335 

subite  clans  le  prix  des  dearées  les  plus  indispensables  nous 
eussent  sauvé  la  journée  du  25. 

»  La  fausse  disette  du  pain  des  jours  précédens  fut  le  prélude 
de  cette  journée:  dès  six  heures  du  matin ,  il  y  avait  des  groupes 
de  femmes  à  la  porte  de  tous  !es  boulangers,  où  des  commissai- 
res de  section  présidaient  à  la  distribution ,  qui  se  fit  assez  paisi- 
blement. A  huit  heures  on  se  porta  chez  les/îpiciers  et  les  chan- 
deliers. La  rue  des  Cinq-Diamans  et  celle  dés  Lombards  furent 
assiégées  les  premières,  et  avant  neuf  heures  le  droit  d'asile  était 
déjà  violé  dans  plusieurs  endroits  à  la  fois.  Des  hommes  allaient 
en  avant ,  et  disaient  aux  épiciers  :  Avez-vous  du  sucre ,  du  café, 
du  savon ,  etc.  ?  Nous  vous  prévenons  de  débiter  toutes  ces  mar- 
chandises au  prix  qu'on  vous  dira ,  si  vous  voulez  que  nous  res- 
pections vos  propriétés. 

»  Il  y  avait  peu  d'hommes,  du  n.oins  à  l'extérieur  ,  parmi  les 
femmes  qui  voulaient  entrer  en  foule.et  toutes  à  !a  fois  dans  cha- 
que boutique  et  dans  les  magasins.  On  visita  ceux-ci  les  pre- 
miers; plusieurs  femmes  avaient  des  pistolets  à  la  ceinture,  et 
na  s'en  cachaient  pas.  Parmi  ces  femmes-îà ,  on  a  vu  beaucoup 
d'hommes  déguisés  qui  n'avaient  pas  même  pris  la  précaution  de 
se  faire  la  barbe.  On  se  fit  délivrer  le  sucre  à  20  et  2o  sous  la 
livre,  la  cassonnade  à  8  et  10  sous,  le  savon  et  la  chandelle  à 
12  sous.  Ce  n'est  pas  à  dire  qu'on  paya  toujours  la  taxe  qu'on 
avait  arbitrairement  imposée;  beaucoup  de  marchandises  furent 
enlevées  sans  bourse  délier  ;  quelques-uns  de  ces  acheteurs  don- 
nèrent ce  qu'ils  avaient  sur  eux;  plusieurs  avaient  les  poches 
très-bien  garnies.  Un  épicier  de  la  rue  Haint-Jacques,  seul  pour 
le  moment (la!>s  son  comptoir,  b'arma  d'un  couteau  pour  défen- 
dre sa  propriété;  il  f^n  eût  été  mauvais  marchand,  si  sa  femme, 
f(  nant  ses  deux  enfans  par  la  main ,  ne  fût  accourue  à  ce  moment. 
Ce  spectacle  désarma  les  assisîans.  Un  autre ,  île  Saint-Louis  , 
distribua  sa  marchandise  sans  vouloir  être  payé,  à  la  condition 
de  n'en  délivrer  qu'une  livre  à  chaque  personne.  Croi-a-l-on 
qu'il  fut  accusé  de  ne  pas  donner  le  poids? 

»  On  remarqua  que  plusieurs  femmes  fort  bien  ajustées,  en 


336  CONVENTION   NATroNALE. 

chapeau  et  en  rubans ,  se  mêlèrent  à  des  groupes  et  profitèrent 
(le  la  bagare  pour  faire  leurs  provisions.  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
inouï,  c'est  que  la  plus  petite  boutique  de  détailleur  fut  traitée 
comme  le  plus  gros  magasin.  On  ne  fit  grâce  à  personne,  ou  à 
presque  personne  (quelques  épiciers  jacobins  furent  respectés). 
Dans  plusieurs  endroits ,  on  fit  main-basse  jusque  sur  les  denrées 
dont  l'usage  est  peu  connu  du  peuple  ;  on  acheta  30  sous  la  livre 
de  cannelle  et  de  vanille ,  qui  vaut  120  livres  ;  —  20  sous  le  bleu- 
indigo,  qui  vaut  30  livres;  —  20  aussi  la  livre  de  gérofle,  de  thé  ; 
le  moka  fut  à  10  sous  tant  qu'on  en  trouva  ;  on  pilla  l'eau-de-vie, 
l'esprit  de  vin  et  autres  liquides,  dont  plusieurs  des  acheteurs  se 
souviendront,  car  ils  voulurent  goûter  de  tout  ce  qu'ils  se  fai- 
saient vendre.  Dans  un  temps  qui  n'est  pas  celui  de  l'abondance, 
la  plupart  des  marchandises,  telles  que  le  beurre  et  le  miel,  etc. 
furent  gaspillées ,  foulées  aux  pieds  ;  personne  r/'en  profita. 

i  II  faut  rendre  justice  à  beaucoup  de  manouvriers,  à  beaucoup 
d'ouvrières;  les  uns  répugnèrent  à  ne  pas  payer  ,  comme  ils  le 
voyaient  faire,  la  taxe  convenue  ;  les  autres,  plus  délicats  encore, 
s'en  tenaient  au  rô'e  de  simples  spectateurs  :  nous  entendions 
des  maris  dire  à  leurs  femmes ,  des  mères  répéter  à  leurs  enfans  : 
t  Je  te  casserais  un  bras  si  tu  étais  capable  de  te  mêler  ù  tout 
j  ce  monde.  Nous  ne  mangeons  pas  de  ce  pain-là.  II  vaut  encore 
»  mieux  se  passer  de  sucre  que  de  s'on  procurer  de  cette  façon. 
»  D'iionnétes  blanchisseuses  nous  dirent  qu'elles  aimeraient 
»  mieux  demander  l'aumône  que  de  blanchir  leur  linge  avec  du 
»  savon  vo!é.  » 

>  jN'oublions  pas  de  rappeler,  à  la  décharge  du  peuple,  qu'il 
était  mélangé,  comute  il  l'est  toujours  iors  des  plus  pelhs  mouve- 
mons,mais  cette  fois-ci  plus  qu'à  l'ordinaiie,  de  quantité  d'émis- 
saires gagés  par  les  listes  civiles  de  presque  toute  l'Europe;  on 
reconnut  et  on  arrêta  plusieurs  valets  de  prêtres  et  de  ci-devant, 
plusieurs  co! respondans  d'émigrés,  quelques  émigrés  mêuie , 
et  autres  gens  de  même  trempe,  toujours  là  pour  conmiander  ou 
encourager  le  désordre. 

»  Pendant  ce  temps-là  que  faisaient  les  clubs  civils  et  militai- 


FÉVRIER  (1793).  537 

res  du  peuple  ?  La  Convention  vers  les  trois  heures  s'en  occupa 
comme  d'un  événement  qui  se  serait  passé  à  cent  lieues  d'elle. 
Le  conseil-général  de  la  Commune  parut  n'avoir  connaissance 
qu'à  onze  heures  d'une  anarchie  commencée  à  huit.  Le  maire 
et  le  procureur  de  la  Commune,  croyant  que  ce  n'était  qu'une  af- 
faire d'un  moment,  se  présentèrent  à  quelques  groupes,  et  en 
furent  mal  reçus.  Comme  son  prédécesseur,  la  multitude  con- 
signa Pache  pour  être  le  témoin  de  ce  qu'il  n'avait  pas  su  em- 
pêcher. Le  conseil-général  recevait  à  toute  minute  des  nouvelles 
plus  affligeantes  l'une  que  l'autre.  Grand  brouhaha ,  beaucoup 
de  mots,  et  on  leva  la  séance...  Les  magistrats  du  peuple  vont 
dîner  tandis  que  toute  la  ville  est  au  pillage.  On  pillait  même  sous 
leurs  yeux  dans  un  magasin  qui  lait  face  à  i'Hôtel-de-Ville.  » 
{Révolutions  de  Paris,  n.  CXG.  ) 

Nous  suspendons  ici  la  narration  de  Prudhomme ,  parce  que 
ce  qui  reste  est  l'analyse  de  !a  séance  du  conseil  municipal ,  dont 
nous  transcrirons  le  texte. 

Dès  le  24,  le  conseil  avait  été  averti  par  Santerre  que,  la 
veille,  le  nommé  Etienne,  dit  Languedoc,  dont  il  a  été  si  sou- 
vent question  dans  notre  histoire  lors  des  attaques  de  Marat 
contre  les  libellistes  et  les  mouchards  de  La  Fayette,  avait  été 
arrêté  rue  du  Jour ,  dans  l'hùlel  où  demeurait  Paris  ,  l'assassin 
de  Lepellotier.  u  Cet  homme,  disait  Santerre,  ci-devant  abbé , 
a  eu  pour  récompense  de  ses  libelles  fayétisles  une  sous-lieute- 
nance  accordée  par  Lajard,  puis  il  s'est  fait  patriote;  il  a  été 
nommé  à  l'armée  major-général  à  Bruxelles ,  et  chargé  des  pla- 
ces ,  en  sorte  que  les  Autrichiens  avaient  là  un  homme  qui  les 
servait.  »  Santerre  ajoute  que  Lareguit,  «  aussi  abbé  et  écrivain 
pour  La  Fayette ,  ayant  volé  les  vases  sacrés  de  la  Bastille ,  puis 
fait  chevalier  de  Saint-Louis,  puis  gouverneur  du  Louvre  par  la 
reine ,  puis  déposant  dans  l'aflaire  du  2;)  juin ,  puis  fait  capitaine 

par  Lajard ,  est  aussi  à  Paris ,  et  un  nombre  d'autres  sembla- 
bles. » 


T.  xxrv.  22 


538  CONVENTION   NATIONALE. 

CONSEIL- GÉNÉRAL  DE  LA  COMMUNE.  —  SÉANCE  DU  2u  FÉVRIER. 

«  Les  troubles  qui  s'étaient  manifestés  le  matin  dans  Paris 
ont  provoqué  la  convocation  du  conseil-général  de  la  Commune. 
11  s'est  réuni  vers  deux  heures  après  midi. 

»  Le  commandant  de  garde  à  la  maison  commune  vient  an- 
noncer que  l'on  se  porte  aux  magasins  des  épiciers ,  et  invite  le 
conseil  à  prendre  des  mesures  pour  le  maintien  des  propriétés. 
Le  conseil  fait  sur-le-champ  passer  au  commandant-général 
l'ordre  de  faire  marcher  à  l'instant  la  force  armée  vers  les  ras- 
semblemtenvS ,  pour  les  disperser  et  rappeler  aux  bons  citoyens 
le  serment  qu'ils  ont  fait  de  protéger  les  personnes  et  les  pro- 
priétés. 

t  Le  maire  se  rend  au  conseil ,  et  lui  rend  compte  de  la  con- 
duite qu'il  a  tenue  pendant  la  journée.  Les  mouvemens  qui  se 
sont  manifestés,  a-t-il  dit,  étaient  évidemment  dirigés  par  les  in- 
stigations contre-révolutionnaires. 

B  II  donne  lecture  du  décret  par  lequel  la  Convention  nationale 
autorise  la  municipaliié  à  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  rétablir  l'ordre ,  même  à  faire  battre  la  générale.  Le  com- 
mandant annonce  que  le  rappel  qui  se  bat  depuis  quelque  temps 
fait  beaucoup  d'effet  ;  en  conséquence  l'on  surseoit  à  l'ordre  de 
battre  la  générale. 

»  Un  adjudant  de  la  section  des  Droits  de  l'Homme  vient  dé- 
clarer que  le  rappel  a  été  battu  inutilement,  et  que  les  citoyens 
ne  se  rendent  pas  à  leur  poste.  11  demande  de  la  force  pour  main- 
tenir la  sûreté  des  personnes  et  des  propriétés.  Quatre  officiers 
municipaux  parlent  à  lu  tète  de  deux  fortes  patrouilles. 

»  Vingt-quatre  commissaires  sont  nommés  pour  se  rendre 
dans  les  quarante-huit  sections,  et  se  concerter  avec  les  assem- 
blées générales  sur  les  moyens  de  ramener  l'ordre  et  la  tran- 
quillité. 

î  Les  administrateurs  au  département  de  police  écrivent  au 
conseil  qu'ils  ont  donné  ordre  d'éclairer  les  maisons  pendant  la 


FÉVRIER  (1793).  359 

nuit,  pour  que  le  trouble  ne  s'accroisse  pas  à  la  faveur  de  l'ol)- 
scurite'. 

»  Le  conseil  arrête  qu'il  restera  en  séance  permanente  jusqu'à 
ce  que  la  tranquillité  soit  établie.  On  forme  la  liste  de  ceux  qui 
se  sont  rendus  à  leur  poste. 

»  Le  citoyen  Baffet ,  graveur,  député  de  la  section  de  Beaure- 
paire,  dénonce  que  l'on  pille  tous  les  épiciers  de  la  seciion.  (Les 
iribunes  :  Tant  mieux  !  Une  femme  :  A  la  porte  1  cest  un  accapa- 
reur.) 

»  Un  commissaire  de  la  section  du  Contrat-Social  annonce  que 
les  épiciers  de  son  quartier ,  d'après  leurs  factures ,  sont  forcés 
de  délivrer  le  sucre  à  plus  de  moitié  perte.  (Les  tribunes  :  Tant 
mieux!) 

»  Le  président  rappelle  les  tribunes  à  l'ordre,  et  instruit 
ces  députations  des  mesures  prises  par  le  conseil  pour  rétablir 
l'ordre, 

>  Un  officier  de  paix  annonce  que  des  agitateurs ,  répandus 
dans  divers  quartiers  de  Paris,  excitent  le  peuple,  et  l'engagent 
à  aller  chez  les  épiciers  et  les  chandeliers.  Ils  se  proposent  d'aller 
demain  chez  tous  les  marchands  sans  distinction. 

»  L'on  amène  plusieurs  personnes  qui  ont  été  arrêtées.  Le 
conseil  les  renvoie  au  département  de  police ,  et  arrête  que  les 
commissaires  de  police  enverront  à  ce  déparlement  tous  ceux  qui 
seraient  arrêtés. 

i  Garin ,  administrateur  des  subsistances  ,  annonce  le  décret 
par  lequel  la  Convention  nationale  accorde  une  avance  de  7  mil- 
lions. Il  assure  que  le  pain  ne  manquera  pas  ;  que  c'est  la  crainte 
qui  fait  la  disette;  qu'il  a  vu,  en  parcourant  Paris,  plusieurs 
femmes  qui  ne  sont  ni  mariées ,  ni  mères  de  famille ,  qui  peuvent 
à  peine  consommer  deux  livres  de  pain,  chargées  de  six  pains  de 
quatre  livres.  Il  invite  les  citoyens  à  l'ordre  et  à  la  paix ,  sans  les- 
quels il  n'y  a  point  d'abondance.  Il  jure  que  les  subsistances  ne 
manqueront  pas  ;  que  les  boulangers  ont  cuit  deux  tiers  de  plus 
qu'à  l'ordinaire;  que  celte  augmentation  ne  provient  que  de  la 


540  coisvËiNnoN  nationale. 

crainle  de  manquer  de  pain,  crainte  répandue  par  les  malveillans 

pour  arrêter  les  subsistances  qui  viennent  du  dehors. 

»  Cuvillier,  l'un  des  coinmissaires  envoyés  dans  les  sections, 
rend  compte  de  sa  mission,  et  annonce  que  dans  la  section  des 
Graviiliers  il  a  vu  Jacques  Roux,  prêtre,  et  membre  du  con- 
seil ,  occupé  à  justifier  la  conduite  de  ceux  qui  s'étaient  attroupés 
pour  se  faire  délivrer  des  marchandises  qu'ils  avaient  arbitraire- 
ment taxées. 

»  Jacques  Roux ,  qui  venait  d'arriver  au  conseil ,  monte  à  la 
tribune  et  dit  qu'il  a  toujours  professé  les  vrais  principes,  et  que, 
dût-il  être  appelé  le  Marat  du  conseil-général ,  il  n'en  départira 
jamais. 

»  Un  membre  demande  que  Jacques  Roux  soit  tenu  de  signer 
la  déclaration  qu'il  vient  de  faire. 

>  Un  autre  l'interpelle  de  déclarer  pourquoi  il  n'était  pas  à  son 
poste  dans  les  moniens  du  danger.  (Il  s'élève  du  tumulte.)  Les 
circonstances  ne  permettant  pas  de  s'occuper  de  personnalités , 
le  conseil-général  a  passé  à  l'ordre  du  jour  sur  iout  ce  qui  con- 
cernait Jacques  Roux. 

»  La  plupart  des  commissaires  envoyés  dans  les  sections,  de 
retour  au  conseil,  rendent  compte  de  leur  mission. 

»  Partout  les  résultats  sont  les  mêmes  ,  partout  on  demande 
une  loi  sévère  contre  les  accapareurs. 

<  Une  députation  de  la  section  de  Boaconseil  communique  un 
arrêté  de  l'assemblée  de  cette  section ,  conçu  en  ces  termes  : 

«  L'assemblée,  pénétrée  de  la  plus  vive  douleur  des  événemens 

>  qui  ont  eu  lieu  dans  la  journée,  arrête  à  l'unanimité  que  des 
»  membres  choisis"[dans  son  sein  se  retireront  par-devtrs  la  muni- 

>  cipalité  et  le  comm.andant-général ,  pour  les  informer  de  l'in- 
»  dignation  de  l'assemblée  générale  de  leur  négligence  et  de  leur 
»  apathie  dans  des  circonstances  qu'ils  auraient  dû  prévoir  et 
»  prévenir  ;  que  les  mômes  membres  se  retireront  par-devers  la 
»  Convention  nationale,  pour  l'informer  de  la  douleur  qu'ont 
»  ressemie  tous  les  citoyens  de  la  section  de  Bonconseil,  des 
K  milheureux  événemens  de  ce  jour;  l'inviter  à  prendre  les  me- 


FÉVRIER   (  17i^5  ;.  541 

»  sures  les  plus  rigoureuses  pour  punir  ceux  dcni  la  négligence  a 
»  compromis  l'honneur  des  citoyens  de  Paris ,  tandis  qu'ils  au- 
ï  raient  dû  employer  toute  leur  auioriléà  faire  respecter  iesper- 
V  sonnes  et  les  propriétés.  » 

»  Des  députés  de  la  section  des  Piques  se  sont  présentés  au 
conseil  pour  demander  compte  de  la  négligence  qu'il  a  apportée 
au  maintien  de  l'ordre  public,  en  n'envoyant  un  ordre  qu'à  sept 
•ieures  du  soir,  tandis  que  tous  les  habitans  de  Paris  savaient,  dès 
hier  soir,  que  les  malveillans  devaient  ce  malin  troubler  la  tran- 
quillité et  violer  les  propriétés. 

>  Le  conseil-général  a  donné  aux  députes  de  ces  sections  com- 
munication des  arrêtés  qu'il  a  pris  pour  rétablir  le  caime  ,  et  les 
invite  à  ne  pas  douter  de  sa  sollicitude  pour  le  rétablissement  de 
la  tranquillité  publique. 

»  Sur  la  proposition  du  maire,  le  conseil  a  adjoint  quatre  de 
ses  membres  au  comité  de  police. 

»  La  section  des  Droits  de  l  Honime  témoigne ,  par  l'organe  de 
ses  commissaires,  la  douleur  qu'éprouvent  tous  les  bons  citoyens 
des  événemens  de  cette  journée,  et  demande  que  le  conseil  nomme 
une  députation  pour  se  rendre  demain  à  la  Conventio:^  naiionale 
pour  lui  demander  la  diminution  des  denrées  de  première  néces- 
sité, et  le  soulagement  de  la  classe  indigente,  vérit  ible  au;ie  de 
la  liberté  et  de  l'égalité. 

»  Le  conseil  répond  qu'il  s'empressera  de  se  réunir  aux  sec- 
tions ausîitôt  que  le  vœu  de  la  majorité  lui  sera  connu. 

»  Le  conseil-général  a  arrêté  la  proclamation  suivante  : 

«  Citoyens,  votre  calme  a  déjoué  tous  les  projets  des  malveil- 
»  lans  ;  votre  conduite  précédente  a  confondu  toutes  les  calomnies 
»  que  les  agitateurs  ont  répandues  dans  les  départemens.  Par 
»  quelle  fatalité  cédez-vous  maintenant  à  des  instigations  per- 
»  fides  ?  Ne  croyez-vous  pas  que  les  royalistes,  désespérés  de  la 
»  fîère  attitude  que  vous  gardiez ,  ont  eu  assez  d'adresse  pour 
»  vous  la  faire  perdre?  N'en  doutez  pas,  citoyens,  ce  sont  vos 
î  plus  mortels  ennemis  qui  vous  égarent  aujourd'hui  ;  ils  vous 
»  alarment  sur  vos  subsistunces,  quand  vous  avez  la  certitude  de 


34!â  CONVENTION   NATIONALE. 

»  n'en  point  manquer.  Pour  faire  cesser  la  cherté  des  objets  de 
*  votre  consommation ,  ils  vous  conseillent  des  actes  arbitraires  ; 
»  ils  savent,  les  perfides ,  que  le  plus  sûr  moyen  d'amener  la  di- 
»  sette  est  d'empêcher  la  liberté  du  commerce  et  la  libre  circu- 
»  lation  des  denrées.  Se  peut-il ,  citoyens ,  que  vous  soyez  tom- 

>  bés  dans  un  piège  aussi  grossier?  Réfléchissez  aux  circon- 
»  stances  où  nous  sommes  ;  c'est  à  l'approche  d'une  campagne , 
»  lorsque  toutes  les  frontières  de  îa  République  sont  menacées 
ï  d'une  nouvelle  invasion,  lorsque  tous  les  amis  de  la  liberté  ne 
»  devraient  avoir  qu'une  seule  détermination ,  celle  de  voler  à 

>  l'ennemi  ;  c'est  lorsqu'il  s'agit  du  salut  de  la  République ,  que 
i»  vous  oubliez  vos  intérêts  les  plus  chers  pour  violer  les  lois  que 
»  vous  avez  juré  de  défendre  ! 

»  Citoyens ,  revenez  de  votre  erreur  funeste  ;  ralliez-vous  pour 
»  protéger  les  personnes  et  les  propriétés  ;  songez  aux  dangers 
»  qui  menacent  la  patrie  ;  ne  les  augmentez  pas  par  des  démarches 
»  inconsidérées,  qui  vous  feraient  perdre  le  fruit  d'une  révolution 
ï  qui  vous  a  coûté  tant  de  sacrifices ,  et  qui  fera  votre  bonheur  si 
»  vous  ne  détruisez  pas  vous-mêmes  votre  ouvrage.  » 

»  A  minuit ,  le  comité  de  la  section  de  Beaurepaire  informe  le 
conseil  qu'un  rassemblement  considérable  menace  la  boutique 
d'un  épicier,  rue  Saint-Jacques  ;  il  demande  de  la  force  armée. 
Renvoyé  au  commandant-général. 

»  Une  demi-heure  après,  Santerre,  de  retour  depuis  huit  heu- 
res du  soir  de  Versailles,  où  il  était  allé  pour  organiser  un  escadron 
de  cavalerie ,  fait  annoncer  que  cet  attroupement  est  dissipé. 

»  Sur  la  section  de  Marseille  on  a  saisi  plusieurs  particuliers 
sans  carte,  un  entre  autres  chargé  de  deux  pains  de  sucre,  et  qui 
n'avait  que  20  sous  dans  sa  poche. 

>  Environ  quarante  personnes  ont  été  arrêtées,  parmi  les- 
quelles se  trouvent,  dit-on,  des  hommes  ci-devant  titrés,  des 
abbés ,  des  domestiques  d'aristocrates ,  une  jadis  comtesse  dé- 
guisée, qui  distribuait  des  assignats,  etc. 

»  Le  calme  élant  rétabli ,  le  conseil  suspend  la  séance  à  deux 
heures.  » 


FÉVRIER  (  1793  ).  543 

CLUB  DES  JACOBINS.  —  SÉAJSCE  DU  25  FÉVRIER. 

Présidence  de  Dillaud-Farennes. 

Marat.  «  Citoyens ,  les  mouvemens  qui  viennent  d'éclater  ont 
une  cause  fort  naturelle  ;  c'est  le  prix  excessif  des  denrées  de 
première  nécessité  ;  ces  mouvemens  ont  été  préparés  dans  les 
sections  abandonnées  depuis  quelque  temps  à  une  foule  d'in- 
irigans  qui  y  font  les  motions  les  plus  incendiaires.  Ces  mou- 
vemens sont  l'ouvrage  des  contre-révolutionnaires ,  dont  leprqjet 
est  de  reporter  Roland»  leur  dieu,  au  ministère  de  l'intérieur;  et 
pour  y  déterminer  le  peuple,  ils  crient  dans  les  carrefours:  lorsque 
vous  aviez  Roland,  vous  ne  manquiez  pas  de  pain. 

»  La  rareté  du  pain  a  encore  une  autre  cause:  il  existe  une 
coalition  entre  les  boulangers  qui  veulent  avoir  l'approvision- 
nemeut  des  subsistances.  Certes,  si  tous  les  boulangers  étaient 
d'excellens  patriotes,  on  pourrait  leur  confier  le  soin  de  l'appro- 
visionnement de  Paris  ,  sous  la  condition  toutefois  qu'ils  ne  dé- 
pendraient pas  seulement  du  comité  des  subsistances,  car  la  sur- 
veillance d'une  autorité  qu'il  est  si  facile  d'influencer  ne  suffirait 
pas  pour  garantir  de  la  famine.  Les  fonds  que  la  municipalité  a 
demandés  sont  moins  pour  subvenir  aux  besoins  actuels  que 
pour  couvrir  les  malversations  du  comité  des  subsistances,  qui 
n'a  pas  encore  rendu  compte  de  son  administration.  »  (Applaudi.) 

N....  «  Je  me  suis  transporté  rue  Saint-Honoré  près  de  la  rue 
des  Poulies ,  et  j'ai  remarqué  dans  les  mouvemens  actuels  les 
mêmes  manœuvres  que  celles  pratiquées  autrefois  par  La  Fayette. 
On  force  les  citoyens  à  entrer  dans  les  boutiques  ,  et  alors  une 
patrouille  les  enveloppe  et  les  maltraite.  Une  femme  a  reçu  un 
coup  de  sabre  sur  le  sein.  (Cri d'indignation.)  On  se  plaint  que  les 
accapareurs  ne  marchent  pas  à  l'armée:  effectivement  on  ne 
prend  que  des  sans-culottes;  les  riches  auraient-ils  un  privilège 
d'exemption?  je  n'ai  pufaire  entendre  ma  voix.  On  criait:  A  bas 
les  baïonneltes  !  » 

Anthoinc.  c  Le  hasard  a  voulu  que  je  passasse  dans  la  rue  Jean- 


544  CONVKiNTlOK    NATIONALE. 

de  l'Epine  ;  j'ai  vu  des  citoyens  à  la  porte  d'un  magasin  d'épi- 
ceries ;  ils  atipndaient  leur  tour  avec  la  plus  grande  tranquillité, 
ei  enîportaieni  du  sucre  à  vinjjt-cinq  sous.  J'ai  remarqué  que  le 
peuple  ne  s'y  portnit  que  pour  profiter  de  l'occasion  ,  et  parce 
qu'il  avait  besoin  de  celte  denrée  pour  sa  consommation.  —  Dans 
un  iiiagaiiin  ruedelaBjurdonnaie ,  il  ne  s'observait  aucun  ordre, 
<'i  plusieurs  personnes  sortaient  avec  des  pains  de  six  àhuit  livres 
qu'elles  n'avaient  pas  payés  et  qu'elles  revendaient.  > 

Un  militaire.  «  J'ai  entendu  battre  le  rappel ,  je  me  suis  rendu 
rue  des  Poulies  ,  j'y  ai  trouvé  beaucoup  de  monde  ;  un  citoyen 
récalcitrant  a  colleté  un  homme  armé,  une  boutique  a  été  pillée; 
on  a  dit  qu'il  n'y  avait  dans  la  force  armée  que  des  fayélistes. 
C'est  une  calomnie,  puisque  j'y  étais,  et  certes  je  ne  suis  pas 
layétiste.  * 

iY....  t  II  va  des  opinans  qui  veulent  nous  faire  croire  que  le 
peuple  est  criminel  ;  je  soutiens  qu'il  n'est  pas  criminel,  et  (jùc  la 
(action  brissoline  est  seule  coupable.  »  (App'audi.) 

N...  t  J'ai  observé  en  plusieurs  endroits  des  hommes  déguisés; 
il.^  étaient  poudrés  et  mal  vêtus  ;  ils  disaient  aux  femmes  :  Il  faut 
prendre  la  marchandise  sans  la  payer ,  et  trancher  la  tête  des 
épiciers.  > 

Plusieurs  citoyens  des  tribunes  ont  crié  :  Cela  n'est  pas  vrai. 

L'orateur  a  ajouté  que  plusieurs  femmes  emportaient  !e  sucre 
s.:ns  le  payer.  Il  a  reçu  un  second  démenti  qui  lui  a  fait  aban- 
donner la  tribune.  (Grand  tumulte.) 

Diibois-Crancé.  «  Je  rappelle  l'assemblée  à  sa  dignité ,  et  je 
lappello  le  peuple  français  à  son  caractère  :  c'est  lui  qui  a  fait  la 
révolution ,  c'est  lui  qui  doit  la  soutenir  et  la  consolider.  Que 
veut-on  dans  ce  moment?  Ou  veut  plonger  la  nation  française 
duus  l'anarchie,  parce  qu'on  sait  bien  que  si  nous  sommes  réunis 
il  n'est  aucune  puissance  qui  puisse  nous  asservir.  L'Europe  en- 
tière, ne  se  croyant  pas  assez  forte  pour  attaquer  la  France,  en- 
tretient au  milieu  de  nous  une  fouîe  de  factieux  pour  y  entre- 
tenir des  troubles  et  des  désordres. 

*  Les  besoins  ne  sont  pas  réels;  les  émigrés  sont  cachés  parmi 


FÉVKIJtK    (  175JÔ  }.  543 

VOUS,  déo;uisés  en  saus-culoltes  et  prêchant  la  liberté.  Ce  sont  ces 
mêmes  hommes  qui  poussent  le  pstip'e  de  Paris  à  des  excès,  sous 
le  prétexte  de  la  disetie  (lt;s  sabsistances.  Allez  à  ia  Halle  ,  elle 
rejjorye  de  farine.  Les  anarchisies  ont  senti  qu'il  suffirait  de 
foire  prendre  à  nue  moitié  de  Paris  une  double  provision  pour 
faire  manquer  de  pain  l'autre  luoilié.  Quoi  !  ce  peuple,  qui  s'est 
disputé  en  1700  pendant  six  mois  le  puin  nécessaire  à  son  exis- 
tence ,  se  livrerait  au  désespoir  pour  quelques  momens  d'en- 
gouement? Ces  événemens  sont  ioin  de  nous  ,  ils  ne  peuvent  se 
reproduire.  11  est  constant  que  rn;)provisionnerflent  de  Paris  est 
assuré  jusqu'à  la  récolte.  Grâces  au  décret  qui  a  ordonné  le  ver- 
sement de  sept  millions  payables  par  les  riches  seulement ,  la 
Convention  a  senti  qu'il  était  temps  de  faire  vivre  les  pauvres  aux. 
dépens  du  riche.  (Applaudi.)  Que  !e  peuple  cesse  donc  d'avoir 
des  inquiétudes  ,  et  l'abondance  renaîtra  ;  les  subsistances  ne 
manquent  pas  à  Paris.  Le  mouvement  avait  été  préparé.  Il  y  a 
(juinze jours  que  je  sais  que  le  peuple  devait  être  en  a;jitation ,  et 
je  l'ai  appris  par  les  papiers  publics  ;  lurd  Grenville  hii-même  l'a 
annoncé  au  parlement  ti'Augieterre. 

»  S'il  est  vrai  que  le  peuple  a  fait  la  révolution,  s'il  a  vaincu  tous 
les  obstacles,  il  doit  sentir  que  c'est  par  sa  persévérance  ,  par 
son  courage  ,  qu'il  peut  assurer  son  bonheur.  11  ne  s'agit  plus 
d'un  effort;  le  peuple  de  Paris  voudrait  tout  perdre  au  moment 
de  tout  jjagner.  »  (Applaudi.) 

Dujournij.  «  On  ne  manquera  pas  de  calonmier  les  jacobins. 
On  leur  attribuera  les  troubles  qui  ont  lieu  aujourd'hui.  Je  de- 
mande qu'on  fasse  la  j en)a!que  dans  le  procès-verbal  que  nos 
frères  ei  nos  sœurs  des  tribunes  sont  à  leur  poste.  > 

C «  Ce  n'est  point  le  peuple  qui  s'agite  de  son  propre 

mouvement ,  c'est  un  ministre  qui  avec  l'argent  qu'il  a  volé  à  la 
nation  fomente  tous  ces  troubles.  Il  a  imaginé  de  mettre  Paris  en 
combustion  pour  faire  dire  par  ses  alfidés:  Voyez-vous?  depuis 
que  Pache,  que  les  jacobins  ont  choisi,  est  maire  de  Paris ,  la  po- 
lice ne  s'observe  plus.  Je  demande  qu'on  fuisse  une  adresse  pour 
éclairer  les  citoyens  sur  la  vraie  cause  de  ces  troubles.  » 


546  CONVENTION   NATIONALE. 

Robespierre.  «  Comme  j'ai  toujours  aime  l'humanité  et  que  je 
n'ai  jamais  cherché  à  flatter  personne,  je  vais  dire  la  vérité.  Ceci 
est  une  trame  ourdie  contre  les  patriotes  eux-mêmes.  Ce  sont  les 
intrigans  qui  veulent  perdre  les  patriotes;  il  y  a  dans  le  cœur  du 
peuple  un  sentiment  juste  d'indignation.  J'ai  soutenu  au  milieu 
des  persécutions  et  sans  appui  que  le  peuple  n'a  jamais  tort  ;  j'ai 
osé  proclamer  cette  vérité  dans  un  temps  où  elle  n'était  pas  en- 
core reconnue,  le  cours  de  la  Révolution  l'a  développée. 

j  Le  peuple  a  entendu  tant  de  fois  invoquer  la  loi  par  ceux  qui 
voulaient  le  mettre  sous  le  joug ,  qu'il  se  méfie  de  ce  langage. 

»  Le  peuple  souffre  ;  il  n'a  pas  encore  recueilli  le  fruit  de  ses 
travaux;  il  est  encore  persécuté  par  les  riches  ,  et  les  riches  sont 
encore  ce  qu'ils  furent  toujours,  c'est-à-dire  durs  et  impitoyables. 
(  Applaudi.  )  Le  peuple  voit  l'insolence  de  ceux  qui  l'ont  trahi  ;  il 
voit  la  fortune  accumulée  dans  leurs  mains  ;  il  sent  sa  misère  ;  il 
ne  sent  pas  la  nécessité  de  prendre  les  moyens  d'arriver  au  but , 
et  lorsqu'on  lui  parle  le  langage  de  la  raison,  il  n'écoute  que  son 
indignation  contre  les  riches ,  et  il  se  laisse  entraîner  dans  de 
fausses  mesures-  par  ceux  qui  s'emparent  de  sa  confiance  pour 
le  perdre. 

î  II  y  a  deux  causes:  la  première,  une  disposition  naturelle  dans 
le  peuph  à  chercher  les  moyens  de  souiagcr  i:.a  misère ,  dispo- 
sition naturelle  et  légitime  en  elle-même  ;  le  peuple  croit  qu'au 
défaut  de  lois  prolectrices,  il  a  le  droit  de  veiller  lui-même  à  ses 
propres  besoins. 

>  Il  y  a  une  autre  cause.  Cette  cause,  ce  sont  les  desseins  per- 
fides des  ennemis  de  la  liberté,  des  ennemis  du  peuple,  qui  sont 
bien  convaincus  que  le  seul  moyen  de  nous  livrer  aux  puissances 
étrangères  est  d'alarmer  le  peuple  sur  ses  subsistances,  et  de  le 
rendre  victime  des  excès  qui  en  résultent.  J'ai  été  témoin  moi- 
même  des  mouvemens.  A  côté  des  citoyens  honnêtes  nous  avons 
vu  des  étrangers  et  des  hommes  opulens  revêtus  de  l'habit  res- 
pectable de  sans-culottes.  Nous  en  avons  entendu  dire:  On  nous 
promettait  l'abondance  après  la  mort  du  roi ,  et  nous  sommes 
plus  malheureux  depuis  que  ce  pauvre  roi  n'existe  plus.  Nous  en 


FÉVKiER  (1795).  547 

avons  entendu  déclamer,  non  pas  contre  la  portion  intrigante  et 
contre-révolutionnaire  delaConvention,  qui  siège  où  siéjjeaientles 
aristocrates  de  l'assemblée  constituante,  mais  contre  la  montagne, 
mais  contre  la  députation  de  Paris  et  contre  les  jacobins ,  qu'ils 
représentaient  comme  accapareurs. 

»  Je  ne  vous  dis  pas  que  le  peuple  soit  coupable ,  je  ne  vous  dis 
pas  que  ses  mouvemens  soient  un  attentat  ;  mais  quand  le  peuple 
se  lève ,  ne  doit-il  pas  avoir  un  but  digne  de  lui?  mais  de  cîiétives 
marchandises  doivent-elles  l'occuper?  Il  n'en  a  pas  profité ,  car 
les  pains  de  sucre  ont  été  recueillis  par  les  mains  des  valets  de 
l'aristocratie;  et  en  supposant  qu'il  en  ait  profité,  en  échange  de 
ce  modique  avantage,  quels  sont  les  inconvéniens  qui  peuvent  en 
résulter?  Nos  adversaires  veulent  effrayer  tout  ce  qui  a  quelque 
propriété;  ils  veulent  persuader  que  notre  système  de  liberté  et 
d'égalité  est  subversif  de  tout  ordre,  de  toute  sûreté. 

»  Le  peuple  doit  se  lever ,  non  pour  recueillir  du  sucre ,  mais 
pour  terrasser  les  brigands.  (Applaudi.)  Faut-il  vous  retracer 
vos  dangers  passés?  Vous  avez  pensé  être  la  proie  des  Prussiens 
et  des  Autrichiens;  il  y  avait  une  transaction,  et  ceux  qui  avaient 
alors  trafiqué  de  votre  liberté  sont  ceux  qui  ont  excité  les  trou- 
bles aciueis.  J'articule  à  la  face  des  amis  de  la  liberté  et  de  l'éga- 
lité, à  la  face  de  la  nation  ,  qu'au  mois  de  septembre,  après  l'af- 
faire du  10  août,  il  était  décidé  à  Paris  que  les  Prussiens  arri- 
veraient sans  obstacles  à  Paris,  j 

Colîot-d'Herbois  ,  qui  a  succédé  à  Robespierre,  a  professé  les 
mêmes  principes,  et  a  attribué  tous  les  troubles  prétextés  par  les 
subsistances  à  sa  wojc-sfé  Roland,  qui  veut  anéantir  Paclie,  et  qui 
serait  très-petite,  a-t-il  dit,  si  elle  était  mise  à  côté  dece  vertueux 
maire  de  Paris.  11  a  ajouté:  «  Roland  est  tellement  coupable  qu'il 
ne  peut  disputer  avec  personne  de  scélératesse.  Je  me  suis  pro- 
curé la  preuve  qu'il  a  placé  12  millions  en  Angleterr  e.  Continuons 
de  démasquer  les  brissotins,  et  allons  droit  à  Roland.  Je  déclare 
que  dimanche  prochain  je  demanderai  l'acte  d'accusation  contre 
cet  ex-ministre,  et  je  m'appuie  sur  dix  chefs  dont  un  seul  suffit 
pour  qu'il  porte  sa  tèlc  sur  l'échafaud.  » 


548  co-NVhMioA  inauokale. 


^K 


CONVENTION    NATlONALt;.  —   SEANCE    DU    "J-O   FEVRIER. 

Le  comsiiencemeni  de  la  séance  fut  consacré  à  !a  leclure  d'un 
rapport  par  ïullien  sur  les  ëvéncmens  de  Lyon.  iSous  analyse- 
rons ce  rapport  dans  notre  histoire  des  dëpartemens.  —  Saladin 
rendit  compte  ensuite  qu'un  préîre  arréîé  coinme  il  disait  la 
messe,  et  qui  convenait  qu'il  avait  émigré,  avait  été  rendu  à  la 
liberté  par  te  tribunal  du  district  d'AmieriS.  li  demanda  (|ue  la 
Convention  cassât  leju{}emenl  du  tribunal  du  district  d'Amiens, 
et  ordonnai,  que  les  ju^es seraient  mandés  à  la  baire.  On  dis- 
cuta d'abord  sur  cette  proposition,  puis  Bazire  vint  dire  quel- 
ques mots  sur  les  mouvemens  de  Paris. 

[/.  F.  Goii])Uleau.  Ce  n'est  pas  seulement  dans  le  département 
de  la  Somme  que  les  prêtres  déportés  semblent  sortir  de  dessous 
terre  pour  souiller  de  nouveau  le  sol  de  la  ilépublique.  Je  suis 
d'un  département  mariiioie  où  les  amis  de  ces  conspirateurs  les 
aident  à  rentrer  avec  dos  t  liaioupes.  Le  déparienitnt  a  aussi  or- 
donné des  visites  domiciliaires  qui  ont  produit  la  d-icouverle  de 
50,000  livres  en  numéraire  caché  dans  une  cavt-.  Je  demande 
que  tous  les  corps  administratifs  soient  auloristis  à  i'aïva  des  visi- 
tes dans  tous  'es  lieux  suspectés  de  receler  des  prêtres  ou  des 
émigrés. 

Buzot.  La  question  présentée  par  Saladin  est  très-délicate. 
Elle  demande  l'examen  d'un  comité.  Quant  à  celle  de  Goupil- 
leau  ,  elle  est  déjà  renvoyée  à  celui  de  législation.  Je  demande 
que  ce  comité  vous  présente  un  rapport  sur  ces  deux  questioa;». 
(On  murmure.) 

Robespierre.  Nous  ne  faisons  pas  assez  d'allention ,  ce  me  sem- 
ble, aux  circonstances  graves  dont  nous  somnîes  environnés, 
puisque  dans  cet  instant  nous  ne  considérons  qu'un  fait  isolé,  et 
que  nous  balançons  à  prendre  une  mesure  même  insuffisante. 
Remarquez  que  c'est  au  moment  où  nous  avons  à  nous  défendre 
contre  tous  les  tyrans,  coalisés  contre  nous,  que  les  contre-ré- 
volutionnaires cherchent  à  les  seconder  à  l'intérieur.  C'est  à  ce 
système  de  conspiration  que  tiennent  les  troubles  déjà  excités , 


ff.vkm:k  (1795 }.  549 

et  ceux  qu'on  veut  occasionner  sur  ies  subsistances  ;  c'est  à  ce 
même  système  qu'est  liée  la  rentrée  des  ennemis  que  nous  avons 
chassés  de  notre  sein  ,  et  qui ,  sous  l'é^jide  des  corps  constitués, 
rentrent  pour  le  déchirer.  D'après  cela,  je  demande  si  vous  pou- 
vez balancer  à  punir  une  contravention  formelle  à  une  loi  qui 
défend  aux  ennemischasséspar  la  patrie  de  rentrersur  son  terri- 
toire. Vous  ne  pouvez  hésiter  à  réprimer  cet  attentat  sans  accor- 
der un  privilège  d'impunité  à  tous  les  conspirateurs  qui  vien- 
draient encore  nous  trahir.  La  circonstance  actuelle  vous  impose 
évidemment  des  mesures  plus  grandes,  plus  rigoureuses  contre 
les  émigrés.  Toutes  celles  que  vous  avez  prises  sont  illusoires; 
j'en  atteste  la  facilité  avec  laquelle  les  émigrés  rentrent  tous  les 
jours  dans  le  sein  de  la  pairie.  Les  exceptions  tuent  continuelle- 
ment le  principe.  La  source  du  mal  est  dans  cette  loi  sur  les  émi- 
grés ,  loi  incohérente,  dont  les  dernières  dispositions  ont  anéanti 
les  premières  que  votre  sagesse  avait  adoptées.  Vous  n'avez  pris 
aucunes  mesures  contre  les  directoires  qui  connivéraient  avec  les 
émigrés,  avec  les  prêtres.  Déjà  plusieurs  de  ces  ennemis,  sous 
l'égide  de  quelques  administrateurs,  ont  osé  se  remettre  en  pos- 
session des  biens  qui  appartiennent  à  la  nation  et  aux  braves  dé- 
fenseurs de  la  patrie  qui  vont  pour  elle  prodiguer  leur  sang  aux 
frontières.  Il  est  donc  nécessaire  de  i  evoir  celte  loi ,  d'en  retran- 
cher toutes  les  exceptions  ;  il  faut  des  mesures  pénales  contre  les  '■ 
directoires  en  connivence  avec  les  émigrés.  Je  demandr^  que  vous  ' 
adoptiez  le  projet  de  Saladin,  et  <{u'nll;mî  ensuite  à  la  source  du 
mal,  vous  revoyiez  cette  i':i,  qui  ne  peut  pm-aîie suffisante  qu'à 
ceux  qui  professent  un.-  indulgence  coupable  pour  les  conspira- 
teurs, indulgence  funeste  au  peuple,  qui  doit  avoir  ,  en  revenant 
de  défendre  la  patrie ,  l'espoir  d'être  dédommagé  de  ses  fatigues 
et  de  ses  blessures. 

Lanjuinais.  La  loi  supplémentaire  à  celle  des  émigrés  est  pré- 
parée ;  on  vous  la  présentera  ntiand  vous  !e  voudrez  ;  mais  à  l'é- 
gard de  la  proposition  de  Saladin ,  il  n'est  pas  douteux  que  le  re- 
mède doit  se  trouver  dans  la  ligne  judiciaire ,  et  non  dans  la  ligne 
administrative.  On  prétond  que  la  loi  a  été  violée  :  je  le  crois  aussi  ; 


5S0  CONVENTION   NATIONALE. 

mais  je  m'oppose  à  ce  que  la  Convenlion  casse  ainsi  le  jugement , 
car  ce  serait  aussi  une  contravention  à  la  loi.  Je  demande  le  ren- 
voi de  la  dénonciation  et  des  pièces  au  ministre  de  la  justice ,  avec 
injonction  d'en  rendre  compte  sous  dix  jours.  { On  murmure.  ) 
Et  quant  au  mandat  contre  les  juges ,  si  vous  croyez  qu'ils  aient 
prévariqué ,  je  l'appuie  ;  mais  si  vous  voulez  une  loi ,  décrétez  le 
renvoi  au  comité  de  législation. 

Pétion.  On  vient  de  vous  donner  lecture  d'un  arrêté... 

Plusieurs  voix  de  l'extrémité  gauclie.  Fermez  la  discussion. 

Pétion.  La  discussion  ne  peut  pas  être  fermée  ;  la  question  n'est 
pas  posée.  On  a  mêlé  des  idées  générales  à  un  fait  particulier 
qui  vous  a  été  dénoncé. 

De  violens  murmures  couvrent  la  voix  de  l'orateur.  Tous  les 
membres  de  l'extrémité  gauche  se  lèvent  à  la  fois,  et  demandent 
avec  chaleur  que  la  discussion  soit  fermée.  —  L'assemblée  dé- 
cide qu'elle  sera  continuée. 

Pétion.  On  a  saisi  cette  occasion  pour  demander  que  des  visites 
domiciliaires  fussent  failes  chez  tous  les  citoyens.  (Des  murmu- 
res se  font  entendre  dans  l'extrémité  gauche.) 

Citoyens,  sans  avoir  recours  à  cette  mesure,  il  existe  une  loi 
qui  permet  aux  officiers  miuîicipaux  de  faire  des  recensemens , 
et  c'est  alors  qu'ils  peuvent  éclairer  leurs  doutes  et  découvrir  les 
coupables.  J'entends  sans  cesse  parler  des  hommes  qui  ne  con- 
naissent pas  la  loi.  Citoyens,  le  patriotisme  ne  suffit  pas  toujours , 
il  faut  encore  arriver  au  but,  la  loi  à  la  main;  car  si  les  législa- 
teurs méconnaissent  les  premiers  les  lois,  comment  voulez-vous 
qu'elles  soient  respectées  par  les  autres  citoyens? 

J'entends  dire  que  nous  somities  un  corps  révolutionnaire: 
avec  ces  mois ,  on  peut  devenir  un  corps  despotique ,  un  corps 
arbitraire  ;  avec  ces  mots ,  on  peut  opprimer  le  peuple ,  on  peut 
tuer  la  liberté.  (Mêmes  murmures  de  l'extrémité  gauche.)  Quand 
on  vient  à  cette  tribune  parler  principes,  en  échange  on  reçoit 
ou  des  déclamations,  ou  des  injures.  (Les  murmures  conti- 
nuent. ) 

Il  n'est  personne  ici  qui  entende  favoriser  les  émigrés  ;  il  n'est 


FÉVRIER  (1793).  351 

personne  ici  qui  ne  désire  une  bonne  loi  sur  les  émigrés  ;  mais 
une  bonne  loi  sur  cet  objet  est  une  chose  si  difficile  à  l'aire.  (  Une 
cinquantaine  de  membres,  par  une  exclamation  simultanée  :  Ah, 
ah ,  ah  !  —  Une  voix  :  Oui ,  quand  on  a  une  indulgence  coupable 
pour  les  contre-révolutionnaires.  )  Il  me  .semble  que  celte  vérité 
est  démontrée  par  tous  les  efibrts  que  l'assemblée  n'a  cessé  de 
faire  pour  rendre  exécutable  sa  loi. 

Ici,  la  seule  question  est  de  savoir  si  vous  manderez  les  juges 
de  ce  tribunal  à  votre  barre  :  s'il  s'agit  du  jugement  qu'ils  ont 
rendu,  vous  ne  pouvez  pas  en  connaître,  vous  ne  pouvez  que  le 
dénoncer  au  pouvoir  exécutif.  Si  vous  ne  voulez  pas  suivre  celle 
marche,  il  en  est  une  autre  :  c'est  de  mander  ces  juges  à  votre 
barre ,  et  après  les  avoir  entendus ,  vous  prononcerez  s'il  y  a  lieu 
ou  non  à  les  décréter  d'accusation  ;  mais  s'il  s'agit  de  casser  leur 
jugement,  je  demande  le  renvoi  au  pouvoir  exéculif. 

Barrère,  Je  pense  au  contraire  que  ia  mesure  proposée  par 
Saladin  est  celle  que  vous  devez  adopter.  S'il  ne  s'agissait  ici  que 
d'une  violation  de  kî  loi ,  j'appuierais  la  pi'oposition  de  Pelion; 
mais  ici  il  y  a  violation  des  fonctions  législatives.  El  rcînanjuez  , 
citoyens,  que  dans  un  moment  où  vous  avez  confié  aux  adminis- 
trations une  partie  de  la  fortune  publique,  vous  devez  stricte- 
ment maintenir  la  démarcation  des  pouvoirs. 

Je  denjande  que  la  proposition  de  Saladin  soit  adoptée  ,  car  si 
ers  juges  restaient  impunis ,  votre  territoire  seiait  bientôt  in- 
feclé  d'une  foule  d'ennemis  delà  patrie. 

Un  grand  nombre  démembres  :  Aux  voix  ! . . .  que  la  discussion 
soit  fermée!. . . 

L'assemblée  ferme  la  discussion. 

La  proposition  de  Saladin  est  décrétée  en  ces  tennes  : 

a  La  Convention  nationale  déclare  nuls  et  comme  non  avenus 
tous  lesji:gemens  qui  auraient  été  ou  seraient  rendus  par  les  tri- 
bunaux de  district  sur  les  faits  d'émigration  ;  leur  fjii  défense 
de  connaître  desdits  faits  ;  mande  à  sa  barre  les  juges  du  tribunal 
du  district  d'Amiens ,  qui  ont  concouru  au  jugement  du  120  fé- 
vrier, et  les  directeurs  du  jury.  » 


ô)2  COfSVENTION    NATiÔNALB. 

Le  président  rappelle  la  proposition  de  Goupiileai!. 

Lanjuinais.  Je  demande  i'ordre  du  jour,  motivé  sur  l'existence 
de  la  loi. 

GoupUleaii.  La  loi  dont  veut  parler  Lanjuinais  ne  regarde  que 
les  municipalités  :  celle  que  je  propose  est  pour  les  corps  admi- 
nistratifs. 

La  proposition  de  Goupilleau,  amendée  par  Chambon,  est 
adoptée ,  et  le  décret  rédigé  en  ces  termes  : 

î  La  Conv  uion  nationale  décrète  que  les  directoires  de  dé- 
partement ,  de  district,  et  les  corps  municipaux  sont  autorisés  à 
nommer  des  commissaires  pris,  soit  dans  leur  sein,  soit  dans  les 
conseils-généraux  de  leur  administration ,  lesquels  commissaires 
se  feront  accompagner  de  la  force  publique  pour  se  transporter 
dans  toutes  les  maisons  suspectées  de  receler  des  individus  mis 
par  lu  loi  dans  la  classe  des  émigrés ,  ou  des  prêtres  déportés.  » 

Bnzire.  Citoyens ,  le  comité  de  sûreté  générale  m'a  chargé  de 
vous  prévenir  qu'il  existait  à  Paris  quelque  fermentation  ;  mais 
cette  fermentation ,  quand  on  l'examine  de  sang-froid  ,  n'est  pas 
bien  importante  ;  il  est  aisé  de  voir  que  c'est  un  dernier  effort  de 
l'aristocratie,  qui  a  saisi  le  moment  où  quelques  craintes  se  sont 
manifestées  sur  les  subsistances  pour  exciter  du  trouble  à  Paris. 
Le  comité,  après  avoir  entendu  le  maire,  le  procureur-général- 
syndic  du  département  et  le  ministre  de  l'intérieur,  use  char{;i; 
de  vous  présenter  le  projet  de  décret  suivant  : 

t  La  municipalité  est  autorisée  à  prendre  toutes  !os  mesures 
nécessaires  pour  rétablir  l'ordre  dans  Paris,  même  de  faire  bat- 
tre la  générale,  si  les  circonstances  l'exigent.  » 

Je  vous  obsc  rve  que,  sans  un  décret  de  l'assemblée,  la  munici- 
palité n'a  pas  ie  droit  de  faire  battre  la  générale  à  Paris. 

Le  décret  proposé  par  Bazire  est  mis  aux  voix  et  porté  à  l'una- 
nimité. En  autorisant  !a  mmicipaliié  à  prendre  toutes  les  mesures 
nécessaires  pour  coriif^nir  les  maiveillans ,  la  Convention  la  charge 
de  lui  rendre  compte  chaque  jour  de  l'état  de  cette  ville ,  jusqu'à 
ce  qu'il  en  soit  autrement  ordonné. 

Fabre  (de  riJérrivli.  )  Tb'e" .  vos  comités  ont  délibéré  à Tunani- 


févr:er  (1793).  555 

mité  de  vous  proposer  de  faire  une  avance  à  la  Commune  de 
Paris;  ils  ne  vous  la  proposèrent  pas  hier,  afin  d'avoir  le  temps 
de  conférer  avec  le  maire  de  Paris  pour  en  déterminer  la  quo- 
tité. Il  résulte  des  renseignemens  que  nous  a  donnés  le  maire 
que  vous  avez  fait  à  la  Commune  une  avance  d'un  million  sur 
les  sous  additionnels  que  vous  lui  avez  permis  d'ajouter  à  sa  con- 
tribution. Il  s'agit  aujourd'hui  d'ajouter  aux  trois  millions  restans 
sur  les  sous  additionnels  de  1792  quatre  nouveaux  millions  à 
prendre  sur  ceux  de  1795.  Votre  comité  vous  propose  de  faire 
cette  avance  à  la  Commune. 
Fabrelit  un  projet  de  décret  qui  est  adopté  en  ces  termes  : 
Art.  1.  La  trésorerie  nationale  versera,  à  titre  d'avance,  à  la 
caisse  de  la  municipalité  de  Paris ,  les  trois  millions  restant  des 
quatre  millions  accordés  par  le  décret  du  7  février,  préàenl  mois, 
pour  les  subsistances. 

2.  La  contribution  additionnelle  relative  aux  subsistances ,  dé- 
crétée pour  1792,  aura  pareillement  lieu  pour  l'année  1793,  et 
dans  la  forme  prescrite  par  le  décret  du  7  février. 

3.  Les  quatre  millions  à  quoi  est  fixée  cette  contribution  seront 
versés ,  dès  à  présent ,  à  titre  d'avance,  par  le  trésor  pubhc,  à  la 
caisse  de  la  municipalité. 

Déperet.  C'est  ainsi  qu'on  dilapide  les  finances  de  l'état. 

Chambon.  Je  demande  le  rapport  du  décret. 

Plusieurs  autres  membres  dans  la  partie  droite.  Oui,  le  rap- 
port! . . .  C'est  infâme! . . .  C'est  une  faveur  marquée  pour  une 
seule  ville. 

L'assemblée  décide  de  passer  à  l'ordre  du  jour. 

Déperet.  Eh  bien ,  je  demande  l'envoi  du  décret  aux  quatre- 
vingt-cinq  départemens. 

Plusieurs  voix  :  Appuyé...  Aux  voix  la  proposition  ! 

Salles.  Je  l'appuie ,  et  je  la  motive.  Tous  les  citoyens  ont  le 
droit  de  connaître  l'emploi  que  nous  faisons  des  contributions 
publiques. 

Chazal.  Si  nous  voulons  jeter  une  pomme  de  discorde  dans  la 
République  ,  j'appuie  comme  Salles  la  motion  He  Déperet. 
T.  xxiv,  23 


554  CONVENTION   NATIONALE. 

Carra.  L'ordre  du  jour  sur  cette  impolitique,  incivique,  ma- 
licieuse et  astucieuse  motion  ! 

Garrau.  L'ordre  du  jour  !...  Aux  voix  l'ordre  du  jour!...  Ce 
n'est  pas  la  première  fois  que  Salles  fait  des  motions  de  ce  (»enre 
pour  propager  le  désordre  et  les  divisions. 

L'assemblée  décide  de  passer  à  l'ordre  du  jour.  ] 

SÉANCE  DU   26   FÉVRIER. 

Bréard,  Thuriot  et  Cambacérès  font  décréter  que  les  lois  rela- 
tives aux  passe-ports  seront  exécutées  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  été 
autrement  ordonné ,  et  que  toutes  dispositions  contraires  à  ces 
lois  demeureront  abrogées.  —  Le  commandant  général  de  la 
garde  nationale  de  Paris,  Santerre,  communique  les  précautions 
qu'il  a  prises  pour  ramener  la  tranquillité  dans  cette  ville.  La  sec- 
lion  de  BoEConseil  témoigne  son  indignation  des  attentats  commis 
contre  les  propriétés.  Barrère  s'élève  avec  force  contre  les  au- 
teurs du  pillage  qui  a  eu  lieu  chez  les  marchands.  *  Tant  que  je 
>  serai  représentant  du  peuple ,  s'écrie  l'orateur,  je  ferai  imper- 
»  turbablement  la  guerre  à  ceux  qui  violent  les  propriétés ,  met- 
ï  tent  le  pillage  et  le  vol  à  la  place  de  la  morale  publique ,  et'cou- 
»  vrent  ces  crimes  du  masque  du  patriotisme.  »  II  propose  le 
décret  suivant ,  qui  est  adopté. 

I  La  Convention  nationale  décrète  ce  qui  suit  : 

«  Art.  1.  Le  comité  général  lui  rendra  compte,  dans  la  séance 
de  demain  ,  de  ce  qu'il  connaît  relativement  aux  troubles  arrivés 
hier  dans  Paris  ,  et  des  mesures  employées  pour  les  faire  cesser, 
et  pour  découvrir  les  auteurs  et  instigateius. 

>  2.  Le  maire  et  la  municipalité  de  Paris ,  et  le  procureur  de 
la  Commune  sont  mandés  à  la  barre,  pour  rendre  compte,  dans 
la  séance  de  demain ,  à  midi ,  des  mesures  qu'ils  ont  employées 
pour  prévenir  les  troubles  et  la  violation  des  propriétés  commises 
hier  à  Paris,  et  des  moyens  pris  pour  en  arrêter  les  progrès  et 
en  faire  saisir  les  auteurs  et  instigateurs. 

»  3. 11  sera  fait  incessamment,  dans  toutes  les  sections  de  Paris, 
un  recensement  de  toutes  les  personnes  sans  état  et  sans  aveu, 


en  atlendant  que  l'assemblée  prenne  h  oi  sujet  les  iricsures  de  sû- 
reté générale  et  les  moyens  de  rendre  ces  personnes  utiles  à  !a 
défense  de  la  République. 

»  4.  Le  comité  d'î  législation  présentera  sur-le-champ  son  pro- 
jet de  décret  sur  la  peine  à  infliger  aux  personnes  qui  les  re- 
cèlent. 

>  5.  Les  comités  de  commerce ,  d'agriculture  et  des  finances 
présenteront,  dans  trois  jours,  les  mesures  les  plus  propres  à 
réprimer  l'accaparement ,  l'agiotage ,  et  pour  diminuer  la  masse 
des  assignats.  » 

Salles.  Je  n'ai  rien  à  ajouter  aux  excellentes  raisons  que  Bar- 
rère  vient  d'énoncer  pour  prouver  qu'il  faut  que  les  auteurs  et 
instigateurs  des  troubles  soient  recherchés.  Je  viens  seulement 
dénoncer  un  de  ces  conseillers  ,  c'est  Marat.  Voici  ce  que ,  dans 
son  numéro  d'hier ,  Marat  écrivait  : 

I  Quand  les  lâches  mandataires  du  peuple  encouragent  au 
crime  par  l'impunité,  on  ne  doit  pas  trouver  étrange  que  le 
peuple ,  poussé  au  désespoir,  se  fasse  lui-même  justice.  Laissons 
là  les  mesures  répressives  des  lois  :  il  n'est  que  trop  évident 
(ju'elles  ont  toujours  été ,  et  seront  toujours  sans  effet. 

»  Dans  tout  pays  où  les  droits  du  peuple  ne  sont  pas  de  vains 
titres  consignés  fastueusement  dans  une  simple  déclaration ,  le 
pillage  de  quelques  magasins ,  à  la  porte  desquels  on  pendrait  les 
accapareurs,  mettrait  fin  aux  malversations.  »  (L'assemblée  pres- 
que entière  paraît  frappée  d'indignation.  ) 

Un  grand  nombre  de  membres  se  levant  à  la  fois.  Oui ,  oui,  le 
décret  d'accusation. 

Marat  s'élance  à  la  tribune.  —  Quelques  spectateurs  applau- 
dissent. 

Le  président.  Je  rappelle  les  citoyens  qui  nous  écoutent  au 
respect  qu'ils  doivent  à  l'assemblée  et  à  ses  lois  ;  et  je  déclare 
que  je  ferai  sortir  des  tribunes  quiconque  donnera  des  signes 
d'approbation  ou  d'improbalion. 

Pénières.  Je  demande  à  hre  le  numéro  de  3Iarai. 

Marat.  Je  demande  que  ce  soit  un  secrétaire  qui  lise. 


3o6  CONVfiNTiON   NATIONALE. 

Clioudieu.  C'est  au  dénonciateur  lui-même  à  se  charger  de  l'o- 
dieux de  sa  dénonciation  ;  je  déclare  que  je  ne  lirai  pas. 

Quelques  voix  d'une  des  extrémités.  Que  Marat  lise  lui-même. 
(On  murmure.  ) 

Pénière  fait  lecture  du  numéro  entier  de  Marat  (1).  ] 

Journal  de  la  République  française  ^  par  Marat. 

*  Il  est  incontestable  que  les  capitalistes ,  les  agioteurs ,  les 
monopoleurs ,  les  marchands  de  luxe ,  les  suppôts  de  la  chicane , 
les  robins ,  les  ex-nobles ,  etc. ,  sont  tous ,  à  quelques-uns  près, 
des  suppôts  de  l'ancien  régime ,  qui  regrettent  les  abus  dont  ils 
profilaient  pour  s'enrichir  des  dépouilles  publiques.  Comment 
donc  concourraient-ils  de  bonne  foi  à  l'établissement  du  règne 
de  la  liberté  et  de  l'égalité  ?  Dans  l'impossibilité  de  changer  leur 
cœur,  vu  la  vanité  des  moyens  employés  jusqu'à  ce  jour  pour 
les  rappeler  au  devoir,  et  désespérant  de  voir  le  législateur  pren- 

(0  Le  Moniteur  se  contente  d'indiquer  la  lecture  du  numéro  de  Marat;  le 
Républicain  français  le  renferme  tout  entier.  Nous  l'insérons  aussi,  tant  à  cause 
de  ia  gravité  même  de  l'accusation  dont  il  fut  l'objet ,  que  parce  qu'il  contient  une 
dénonciation  contre  Beurnonville ,  que  nous  devions  reproduire.  — La  séance 
du  21  s'était  passée  sans  que  personne  eût  remarqué  la  feuille  de  Marat  ni  songé 
à  faire  le  rapprochement  qui  sert  de  teite  à  la  discussion  du  26.  Ce  fut  le  Patriote 
français  qui  donna  l'éveil.  Dans  son  numéro  du  26,  où  se  trouve  consigné  le  récit 
des  évéuemens  de  la  veille ,  Girey-Dupré  cite  le  passage  de  Marat  qui  invitait  au 
pillage,ttmet  ainsi  les  Girondins,  qui  ne  lisaient  guère  le  Journal  de  la  Républi- 
que française ,  en  position  de  diriger  contre  le  rédacteur  l'attaque  la  plus  sérieuse 
qu'il  eût  encore  subie. 

Marat  consacre  plusieurs  numéros  de  son  journal  à  récriminer  contre  ses  en- 
nemis ;  Bancal  et  Carra  sont  ceux  envers  lesquels  il  montre  le  plus  d'acharne- 
ment. iSous  transcrivons  de  soa  numéro  136  les  argumens  par  lesquels  il  a  ex- 
pliqué le  passage  incriminé. 

e  Indignéde  voir  les  ennemis  de  la  chose  publique  machiner  éternellement  con- 
tre le  peuple  ;  révolté  de  voir  les  accapareurs  en  tout  genre  se  coaliser  pour  le  ré- 
duire au  désespoir  par  la  détresse  et  la  faim  ;  désolé  de  voir  que  les  mesures  prises 
par  la  Convention  pour  arrêter  ces  conjurations  n'atteignent  pas  le  but;  excédé 
des  gémissemens  des  infortunés  qui  viennent  chaque  matin  me  demander  du  pain, 
en  accusant  la  Convention  de  les  laisser  périr  de  misère,  je  prends  la  plume  pour 
ventiler  les  meilleurs  moyens  de  mettre  enOn  un  terme  aux  conspirations  des  en- 
nemis publics  et  aux  souffrances  du  peuple.  Les  idées  les  plus  simples  sont  celles 
qui  se  présentent  les  premières  à  un  esprit  bien  fait ,  qui  ne  veut  que  le  bonheur 
général  sans  aucun  retour  sur  lui-même  :  je  me  demande  donc  pourquoi  nous 
ne  ferions  pî!S  tourcer  contre  des  brigands  publics  les  moyens  qu'ils  emploient 


KÉVIUER    (1795/.  ÔDÎ 

dre  de  {jrandes  mesures  pour  les  y  lorcer,  je  ne  vois  (|iie  la  des- 
truciion  totale  de  cette  engeance  maudite  qui  puisse  rendre  la 
tranquillité  à  l'état,  qu'ils  ne  cesseront  poiut  de  travailler  tant 
qu'ils  seront  sur  pied.  Aujourd'hui  ils  redoublent  de  zèle  pour 
désoler  le  peuple  par  la  hausse  exorbitante  du  prix  des  denrées 
de  première  nécessité  et  la  crainte  de  la  famine. 

»  En  attendant  que  la  nation ,  fatiguée  de  ces  désordres  révol- 
lans,  prenne  elle-même  le  parti  de  purger  la  terre  de  la  liberté  de 
cette  race  criminelle,  que  ses  lâches  mandataires  encouragent  au 
crime  par  l'impunité ,  on  ne  doit  pas  trouver  étrange  que  le  peu- 
ple dans  chaque  ville,  poussé  au  désespoir,  se  fasse  lui-même 
justice.  Dans  tous  pays  où  les  droits  du  peuple  ne  sont  pas  de 
vains  titres  consignés  fastueusement  dans  une  simple  déclaration, 
le  pillage  de  quelques  magasins  ,  à  la  porte  desquels  on  pendrait 
les  accapareurs,  mettrait  bientôt  fin  à  ces  malversations,  qui  ré- 
duisent cinq  millions  d'hommes  au  désespoir,  et  qui  en  font  périr 


pour  ruiner  le  peuple  et  détruire  la  liberté.  En  conséquence,  j'obseiveque,  dans 
un  pays  où  les  droits  du  peuple  ne  seraient  pas  de  vains  titres,  consignés  fas- 
tueusement  dans  une  simple  déclaration ,  le  pillage  de  quelques  magasins,  à  la 
ptTte  desquels  on  pendrait  les  accapareurs,  mettrait  bientôt  fui  à  Itnrs  malver- 
sations  1  Que  font  les  meneurs  de  la  faction  dps  hommes  d'état  ?  ils  saisissent  avi- 
dement cette  phrase ,  puis  ils  se  hâtent  d'envoyer  des  émissaires  parmi  les  fem- 
mes attroupées  devant  les  boutiques  des  boulangers,  pour  les  pousser  à  enlever, 
à  prix  coûtant,  du  s;ivon ,  des  chandelles  et  du  sucre,  de  la  boutique  des  épiciers 
détaillistes,  tandis  que  ces  émissaires  pillent  eux-mêmes  les  boutiques  des  pau- 
vres épiciers  patriotes  ;  puis  ces  scélérats  gardent  le  silence  tout  le  jour,  ils  se  con- 
certent la  nuit  dans  un  conciliabule  nocturne,  tenu  rue  de  Rohan,  chez  la  catia 
du  contre-réfolutionnaire  Valazc,  et  ils  viennent  le  lendemain  me  dénoncer  à  la 
tribune  comme  provocateur  des  excès  dont  ils  sont  les  premiers  auteurs.  Au 
demeurant,  la  lecture  de  ma  feuille  a  démontré  jusqu'à  l'évidence  l'absurdité  de 
la  dénonciation.  Affligé  de  l'insuffisance  de  tous  les  moyens  employés  jusqu'à  ce 
jour  pour  arrêter  le  brigandage  des  accapareurs,  qui  réduisent  le  peuple  au  dés- 
espoir en  suçant  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  saug,  j'ai  cherché  le  meilleur 
moyen  de  mettre  un  terme  à  ces  malversations,  et  j'ai  observé  que  le  plus  effi- 
cace serait  le  pillage  de  quelques  magasins,  à  la  porte  desquels  on  pendrait  les 
accapareurs.  A  qui  ai-je  adressé  cette  observation?  aux  députés  du  peuple,  qui 
ne  savent  que  bavarder  sur  ses  maux,  sans  jamais  en  présenter  le  remède.  Or,  la 
preuve  que  je  n'ai  pas  cru  que  ce  moyen  répulsif  fût  fait  pour  nous ,  c'est  que  j'y 
ai  fait  la  remarque  expresse  qu'il  ne  s'adaptait  pas  à  nos  faibles  conceptions ,  et 
qu'il  ne  pouvait  être  mis  en  usage  que  dans  des  pays  vraiment  libres,  où  les  droits 
du  peuple  ne  sont  pas  de  vains  titres ,  consignés  fastneusement  dans  une  simple 
déclaration.  »  (  Note  des  auteurs.) 


ôo8  (JONVKNTiOK    NATIONALE. 

des  milliers  de  misère.  Les  députés  du  peuple  ne  sauront-ils 
donc  jamais  que  bavarder  sur  ses  maux  sans  en  présenter  jamais 
le  remède? 

>  Laissons  là  les  mesures  répressives  des  lois  ;  il  n'est  que  trop 
évident  qu'elles  ont  toujours  été  et  qu'elles  seront  toujours  sans 
effet  ;  les  seules  efficaces  sont  des  mesures  révolutionnaires.  Or, 
je  n'en  connais  aucune  autre  qui  puisse  s'adapter  à  nos  faibles 
conceptions ,  si  ce  n'est  d'investir  le  comité  actuel  de  sûreté  gé- 
nérale ,  tout  composé  de  bons  patriotes ,  du  pouvoir  de  recher- 
cher les  principaux  accapareurs  et  de  les  livrer  à  un  tribunal 
d'état  formé  de  cinq  membres  pris  parmi  les  hommes  connus  les 
plus  intègres  et  les  plus  sévères,  pour  les  juger  comme  des  traî- 
tres à  la  patrie. 

i  Je  connais  une  autre  mesure  qui  irait  bien  plus  sûrement  au 
but  :  ce  serait  que  les  citoyens  favorisés  de  la  fortune  s'associas- 
sent pour  faire  venir  de  l'étranger  les  denrées  de  première  né- 
cessité ,  les  donner  à  prix  coûtant ,  et  faire  tomber  de  la  sorte 
cehii  auquel  elles  sont  portées  aujourd'hui,  jusqu'à  ce  qu'il  fût 
ramené  à  une  juste  balance;  muis  l'exécution  de  ce  plan  suppose 
des  vertus  introuvables  dans  un  pays  où  les  fripons  dominent 
et  ne  jouent  le  civisme  que  pour  mieux  tromper  les  sots  et  dé- 
pouiller le  peuple.  Au  reste ,  ces  désordres  ne  peuvent  pas  du- 
rer long-temps  ;  un  peu  de  patience ,  et  le  peuple  sentira  enfin 
cette  grande  vérité  ,  qu'il  doit  se  sauver  lui-môme.  Les  scélérats 
qui  cherchent,  pour  le  remettre  aux  fers,  à  le  punir  de  s'être 
défait  d'une  poignée  de  traîtres ,  les  2 ,  3  et  4  septembre ,  qu'ils 
tremblent  d'être  mis  eux-mêmejs  au  nombre  des  membres 
pourris  qu'il  jugera  nécessaire  de  retrancher  du  corps  politique. 

»  Infâmes  tartufes,  qui  vous  efforcez  de  perdre  la  patrie  sous 
prétexte  d'assurer  le  règne  de  la  loi,  montez  à  la  tribune  me  dé- 
noncer, ce  numéro  à  la  main ,  je  suis  prêt  à  vous  confondre. 


^■^  '  »  A  L'Ami  du  peuple. 

f»lqn 
» 


Citoyen,  l'affaire  étant  pressante  et Jmportante ,  permet- 
tez-ruoi  d'aller  tout  droit  au  fait. 


FÉVRIER  (1795).  559 

»  Tout  changement  de  minisire  doit  avoir  pour  objet  d'ame- 
ner une  meilleure  administration,  comme  tout  changement 
d  agens  ministériels  doit  supposer  un  meilleur  choix. 

»  Quatre  commissaires  étaient  chargés,  sous  le  précédent  mi- 
nistre de  la  guerre ,  de  donner  des  ordres  ou  de  recevoir  les 
soumissions  pour  la  fourniture  de  l'habillement  des  troupes. 

»  Beurnonville  en  a  nommé  huit  avec  un  administrateur  en 
tête  ,  malgré  que  cette  fourniture  doive  être  complète  à  peu  de 
chose  près,  puisque  Beurnonville  a  annoncé  à  la  Convention  na- 
tionale qu'il  existait  en  magasin  pour  50  ou  40  millions  d'effets. 

»  Les  quatre  anciens  administrateurs ,  qui  ne  doivent  exercer 
(|ue  jusqu'au  1"  mars  prochain,  ont-ils  bien  ou  mal  géré?  C'est  ce 
que  j'ignore  ;  je  ne  les  connais  pas.  Quant  à  leurs  successeurs, 
ils  me  sont  très-connus.  Je  vais  donc  décliner  leurs  noms  ;  de  là  je 
passerai  à  leur  signalement  commercial,  politique  et  de  parenté. 

»  D'abord  il  faut  savoir  qu'ils  ont  deux  patrons. 

»  Siriac,  secrétaire  de  Beurnonville, 

»  Et  Mottet,  employé  depuis  long-temps  au  bureau  de  la 
guerre. 

Les  neuf  administrateurs  nommés  sont  : 

i.  Dorly,  général.  6.  Labranche. 

2.  Soubeyran.  7.  Painier. 

5.  Després.  8.  Bresse. 

i.  Mauruc.  9.  Un  commis  de  Maillot . 

o.  Osselin. 

»  Observons  que  ces  neuf  administrateurs  ne  sont  en  prin- 
cipe que  prête-noms  de  Malus  et  d'Espagnac;  Maillot,  Labitte, 
Gerdret,  Sabatier-Després  et  Gevaudan,  ne  sont  là  que  pour 
accaparer,  en  faveur  des  administrateurs,  leurs  mannequins, 
toutes  les  fournitures  nécessaires  à  la  République. 
Généalogie  et  signalement  des  protecteurs  et  des  administrateurs. 

r>  Le  protecteur  Siriac ,  secrétaire  de  Beurnonville,  est  le  beau- 
frère  de  Gevaudan  ;  Gevaudan  est  l'associé  de  Soubeyran,  et  Sou- 
beyran administrateur. 


3t)0  CONVKMION    NATIONALB. 

»  Gevandan,  le  proif'gé,  ainsi  que  Soubeyran,  de  l'ex-minislre 
Lajard,  leur  compatriote,  est  chargé  du  transport  de  l'artillerie. 

»  3îcttet  est  en  liaison  avec  Malus  et  d'Espagnac. 

»  L'administiateur  général  Dorly  est  connu  par  sa  conduite 
contre-révolutionnaire  au  camp  de  Soissons. 

»  Soubeyran,  jeune  homme  de  vingt  ans,  associé  de  Gevandan 
et  beau-frère  de  Siriac,  est  fournisseur  depuis  l'ex-ministre  La* 
jard  :  les  plaintes  el  dénonciations  auxquelles  ses  fournitures  ont 
donné  lieu,  ne  sont  point  encore  jugées. 

»  Després  est  le  nouveau  prête-nom  de  Sabatier,  lequel  Saha- 
tier  a  été  fournisseur  dans  l'ancien  régime,  où  il  s'est  considéra- 
blemeni  engraissé. 

t  Maurucest  petit  protégé  de  Doumerle,  est  un  ancien  commis 
do  Gerdret  et  son  prête-nom;  Gerdret  est  l'associé  de  Frion, 
fournisseur  pour  les  tentes  j  Frion  est  beau-frère  de  Mottet, 
commis  au  bureau  de  la  guerre. 

»  Osselin  est  encore  un  commis  de  Gerdret  et  son  prête-nom. 

»  Liibranchf^,  deLodève,  se  trouve  placé  par  Sabatier-Després. 

»  Pennier  est  un  fournisseur  en  liaison  avec  Gerdret. 

»  Bresse  est  un  commis  de  Labitte,  et  Labitte  est  un  ancien 
fournisseur  en  liaison  avec  Gerdret. 

»  Le  commis  de  Maillot,  dont  le  nom  m'est  inconnu,  se  trouve 
placé  là  par  Maillot. 

»  Ami  du  peuple ,  une  généalogie  semblable ,  une  affiliation 
que  le  hasard  ne  peut  avoir  combinée,  en  un  mot,  une  chaîne 
d'intrigans  pareils,  qui  se  tiennent  comme  des  hanDetons,"ne  peu- 
vent suggérer  d'autre  idée,  si  ce  n'est  que  les  neuf  administra- 
teurs chargés  d'ordonner  et  de  surveiller  les  achats  relatifs  à 
l'habillement  des  troupes  ne  sont  là  que  pour  servir  de  prête- 
noms  à  de  grands  malversateurs.  Ce  sont  les  associés  d'anciens 
fournisseurs  connus  qui  cherchent  à  se  tenir  derrière  le  rideau  ; 
et  où  pourrait  aboutir  la  chaîne  de  ces  fripons  qu'à  Dumourier  et 
à  la  faction  criminelle  qui  dominait  naguère,  et  qui  cherche  en- 
core à  dominer  la  Convention? 

>  Pesez  mes  sujets  d'alarmes  pour  la  chose  publique,  et  gi 


FÉVKJtR  (  1793  ).  361 

vous  pensez  comme  trtoi  qu'en  politique,  en  morale ei  en  surveil- 
lance révolutionnaire,  toute  parenté,  relation  de  commerce, 
rapports  d'intérêts  et  paironnoge,  doivent  élever  une  barrière  din- 
compatibililé  entre  des  fournisseurs  et  des  adn)inislrateurs,  les 
fonctions  de  ces  derniers  étant  d'ordonner  les  achats,  d'en  con- 
sentir le  prix,  d'en  vérifier  les  qualités  et  de  les  solder  au  nom 
de  la  République,  donnez  l'éveil  aux  amis  de  la  patrie;  aidez-les 
à  écarter  ce  fléau  et  à  dompter  ce  monstre  amphibie,  dont  la  dé- 
cuple gueule  s'apprête  à  nous  engloutir. 

»  Par  un  volontaire  de  Saint-Hérault. 

»  A  Mnrat. 
»  Paris,  le  28  février  1795,  l'an  2  de  la  République. 

>  Tu  m'as  dénoncé  dans  ta  feuille  du  \ï  février  sous  le  nom  de 
Chabnnne  ,  comme  un  vil  înlngani ,  comme  un  coquin  noté  ;  je  ne 
t'en  veux  pas.  Tu  es  trompé,  c'est  le  fait  des  journalistes.  Tu  dis 
que  je  suis  de  la  faction  Brissot;  je  n'ai  jamais  parlé  à  Brissot  ni 
à  ses  amis  ;  je  n'ai  jamais  été  d'aucune  faction  ni  attaché  à 
aucun  parti  ;  je  suis  bon  républicain  ,  c'est-à-dire  bon  jacobin , 
j'aime  la  liberté,  je  me  passionne  pour  elle,  et  non  pour  des 
hommes. 

»  L'adresse  que  j'ai  lue  à  la  barre  de  la  Convention  nationale, 
au  nom  de  ma  section ,  a  été  rédigée  par  quatre  commissaires  et 
adoptée  par  elle  à  l'unanimité  ;  à  la  vérité  les  noms  de  Punis,  Ser- 
gent  et  Tcdlien  ne  s'ij  trouvaient  point  ;\c  ne  les  ai  prononcés  que 
sur  l'interpellation  de  plusieurs  membres  de  la  Convention  que  je 
ne  connais  point  ;  j'ai  eu  de  la  peine  à  me  décider  à  les  nommer, 
j'ai  cru  remplir  mon  devoir  en  le  faisant ,  j'aurais  craint  de  man- 
quer à  l'assemblée  en  ne  le  faisant  pas.  Je  n'ai  nommé  ces  trois 
membres  que  parce  qu'ils  m'avaient  été  désignés  par  plusieurs 
commissaires  de  sections  chargés  d'examiner  les  comptes  de  la 
Commune  du  iOaoût.  Quoique  tu  aies  été  membre  du  comité  de 
surveillance,  je  ne  t'ai  point  nommé,  parce  qu'il  paraît  que  tu  n'as 
jamais  été  comptable.  Voilà  la  vérité.  Un  fait  encore  certain  , 
c'est  que  je  n'ai  jamais  été  chassé  des  jacobins  ;  les  occupa- 


362  CONVKNilON   NATIONALE. 

lions  de  ma  place  m'ont  empêché  de  suivre  les  séances  de  cette 
société. 

»  Quant  à  la  manière  dont  je  suis  eniré  à  la  direction  générale 
de  liquidation ,  elle  n'est  pas  exacte  dans  ta  feuille,  c'est  Camille 
Desmoulins j  dont  j'ai  lait  le  contrat  de  mariage,  qui  a  engagé 
Mirabeau  à  me  faire  avoir  la  place  que  j'occupe,  et  c'est  à  cette 
sollicitation  que  Mirabeau  l'a  demandée  pour  moi  à  Dufresnc- 
Saint-Léon.  Cette  place  était  à  cette  époque  de  2,400  liv. ,  et  non 
de  4,000  liv. ,  ainsi  que  lu  l'as  dit  dans  ta  feuille. 

»  Voilà  encore  la  vérité.  J'ai  cru  de  mon  devoir  de  te  la  faire 
connaître ,  afin  que  tu  voies  d'un  autre  œil  ma  section  et  moi , 
ton  bon  concitoyen,  Chavard,  citoyen  de  la  section  des  Halles. 

»  Observation  de  i'Ami  du  peuple. 

»  Il  est  notoire  que  c'est  Brissot ,  Buzot ,  Guadet ,  Ghambon , 
Lehardy,  Marragon ,  Biroteau ,  Gensonné ,  Louvet ,  etc. ,  qui  ont 
engagé  Chavard  à  dénoncer  Tallien ,  Panis ,  Sergent.  On  les  a 
entendus  crier  en  chœur:  Marat,  Marai.C'e&l  donc  là  encore  une 
trame  de  la  députation  de  Paris.  Après  cela,  que  Chavard  nous 
persuade,  s'il  le  peut,  qu'il  n'est  pas  un  agent  secret  de  cette  fac- 
tion contre-révoluiionnaire.  Et  que  penser  de  la  justice  de  ses 
réclamations?  » 

[Marat.  II  est  tout  simple  qu'une  faction  criminelle...  lil  désigne 
les  membres  à  droite  de  !a  tribune.  De  longs  murmures  l'inter- 
rompent.) Je  dois  à  l'assemblée  la  vérité  toute  nue ,  elle  leur  fait 
peur;  mais  on  l'entendia,  malgré  leurs  cris....  11  est  tout  simple 
qu'une  horde  ennemie  de  la  liberié ,  cette  horde  qui  avait  con- 
spiré pour  sauver  le  tyran  ,  qui  voulait  appeler  la  guerre  civile 
dans  la  République,  ne  voyant  plus  de  salut  pour  elle  que  dans 
une  contre- révolution ,  vienne  me  dénoncer  à  celle  tribune,  et 
demander  un  décret  d'accusation  contre  moi  puar  avoir  usé  de 
la  liberté  des  opinions ,  et  avoir  proposé ,  dans  un  de  mes  ouvra- 
ges ,  de  laisser  au  peuple  le  seul  moyen  qui ,  dans  le  silence  des 
lois ,  puisse  U  sauver.  (Un  mouvement  d'indignation  se  manifeste 
dans  l'assemblée  presque  entière.  ) 


FÉVRIER  (  1793).  365 

PUisieun  voix.  En  faut-i!  davantage?....  Aux  voix  le  décret 
d'accusation  ! 

Marat.  Les  mouvemens  populaires  qui  ont  eu  lieu  hier  à  Pa- 
ris sont  l'ouvrage  de  celte  faction  criminelle  et  de  ses  agens. 
C'est  el!e  qui  envoie  dans  les  sections  des  émissaires  pour  y  fo- 
menter des  troubles.  Vous  avez  vu ,  il  y  a  cinq  ou  six  jours ,  des 
citoyens  séditieux  de  Paris  venir  vous  demander  des  mesures  dé- 
sastreuses ;  et  lorsque  les  patriotes  ont  voulu  vous  dénoncer  ces 
manœuvres  coupables ,  les  émissaires  de  la  faction  Roland  les  ont 
éloignés  de  vous ,  et  parce  que,  dans  l'indignation  de  mon  cœur, 
j'ai  dit  qu'il  fallait  piller  les  magnsins  des  accapareurs,  et  pendre 

ceux-ci  à  leur  porte ,  seul  moyen  efficace  de  sauver  le  peuple 

(Nouveau  mouvement  d'horreur.)  on  ose  demander  contre  moi 
le  décret  d'accusation  ! 

Une  grande  partie  des  membres.  Aux  voix  le  déciet  d'accu- 
sation ! 

Bancal.  Je  demande  qu'on  ne  laisse  pas  sortir  Marat  avant 
que  le  décret  d'accusation  ait  été  porté. 

Marat  descend  de  la  tribune  en  riant.  —  îl  laisse  entendre  ces 
paroles  :  Les  cochons  ï.,.  Les  imbéciles!... 

Lepaux.  On  vient  de  vous  dire  que  RoUmd  et  sa  faction  étaient 
les  auteurs  de  la  disette  qui  a  paru  se  manifester  à  Paris.  Je  vais 
à  cet  égard  vous  citer  un  fait.  11  a  été  envoyé  à  la  société  popu- 
laire de  cette  ville  une  prétendue  adresse  de  la  société  populaire 
d'Angers,  par  laquelle  on  lui  foisait  parvenir  un  morceau  de  pain 
noir  provenant  du  blé  que  Roland  y  avait  fait  passer.  Or,  la  vé- 
rité est  que  jamais  Roland  n'a  envoyé  de  blé  à  Angers. 

Leliardij.  Il  est  temps  de  savoir  si  la  Convention,  prenant  l'atti- 
tude qui  lui  convient ,  saura  prononcer  entr  e  le  crime  et  la  vertu. 
II  est  temps  de  savoir  si  ia  moitié  de  la  Convention  est  composée 
de  scélérats  :  ainsi  Marat  est  coupable  d'attaquer  chaque  jour  la 
souveraineté  du  peuple  dont  il  se  dit  l'ami 

Duroi.  Je  demande  qu'avant  tout  on  décrète  les  propositions  de 
Barrère.  (On  murmure.) 

Lesage.  Je  demande  que  la  discussion  soit  fermée  contre 


ôt)4  COMVE.NKON    NATIONALK. 

Marat ,  et  qu'on  n'entende  plus  que  ceux  qui  voudront  le  dé- 
fendre. 

Plusieurs  voix.  Et  qui  osera  défendre  3Iarat? 

Lejeune.  Sans  êîre  ami  de  Marat,  on  peut  détendre  la  liberté 
de  la  presse. 

Tlnrïon.  Je  demande  la  parole  pour  défendre  Marat ,  c'est-à- 
dire  la  liberté  des  opinions. 

Marat.  Je  ne  veux  point  de  défenseur.  Obseivtz  que  c'est  ici 
une  manœuvre  de  la  cabale  qui  poursuit  la  déptiUilion  de  Paris. 
Ils  veulent  m'écarler  de  l'assemblée,  parce  que  je  les  importune 
en  dévoilant  leurs  complofs.  Quant  au  décret  d'accusation  ,  vous 
ne  pouvez  le  rendre  contre  moi,  puisque  vous  avez  décrété  la  li- 
berté des  opinions.  Je  demande  au  contraire  un  décret  qui  envoie 
les  hommes  d'état  aux  Petites-Maisons. 

N Je  demande  ce  décret  contre  Marat. 

Buzot.  Je  demande  la  parole  pour  Marat. 

Carra.  Pour  rendre  au  peuple  la  justice  qui  lui  est  due,  foules 
ces  mesures  ne  sont  pas  propres  sans  doute  ;  il  faut  des  mesures 
hardies ,  et  hier  je  vous  en  ai  proposé  une ,  mais  on  doit  bien  se 
fjarder  de  donner  au  peuple  des  conseils  positifs  de  pillante  :  or, 
c'est  ce  qu'a  fait  Marat ,  en  disant  :  <  Dans  tout  pays  où  les  droits 
de  l'homme  ne  sont  pas  de  vains  tiîres  consignées  fastueusement 
dans  une  déclaration,  le  pillage  de  quelques  magasins,  à  la  porte 
desquels  on  pewlrait  les  accapareurs,  mettrait  fin  aux  malversa- 
lions.  »  io  défie  quelque  logicien  que  cesoil  de  me  prouver  que, 
de  ce  passage ,  on  ne  doit  pas  en  conclure  que,  d'après  les  droits 
de  l'homme,  le  pillage  soit  permis.  Je  ne  cherche  point  à  plaire 
à  aucun  parii ,  je  ne  vois  que  celui  du  bien  public  ;  mais  je  dois 
dire ,  parce  que  je  le  dois  à  ma  conscience  et  au  peuple  ,  que  Ma- 
rat me  paraît  avoir  provoqué  le  pillage ,  et  la  liberté  de  la  presse 
ne  peut  l'excuser.  Je  ne  donne  point  à  Marat  l'intention  foimelle 
d'avoir  voulu  faire  le  mal  ;  mais  il  a  été  au  moins  égaré,  et  je 
dois  dire  que  son  égarement  est  continuel.  Marat  est  crédule,  et 
par  ses  emporiemens  il  fait  tort  à  ses  amis;  il  jette  de  la  défaveur 
sur  la  Montagne  (Désignant  les  gradins  de  l'extrémité  gauche  de 


FÉVRIER  (  17i;5).  365 

la  salle) ,  où  je  connais  d'excellens  patriotes.  Je  demande  le  ren- 
voi au  comité  de  législation,  qui  est  saisi  de  plusieurs  pièces  contre 
Marat. 

Marat.  Je  dois  observer  à  l'assemblée  que  le  commentaire  per- 
fide de  Carra  ne  tendrait  rien  moins  qu'à  conduire  à  l'échafaud 
les  meilleurs  patriotes.  Je  soutiens  que  ce  que  j'ai  écrit  n'est 
qu'une  opinion  ventilée  que  j'avais  droit  d'énietire.  Les  perfides 
ennemis  de  la  liberté  ne  la  réclament  que  pour  opprimer  les  pa- 
triotes, etîbs  placer  sous  le  glaive  des  contre-révolutionnaires.  Ils 
sont  les  auteurs  des  troubles  de  Paris  qui  leur  servent  de  prétextes 
pour  demander  contre  moi  le  décret  d'accusation. 

Lesage.  Je  demande  que  l'on  n'entende  que  ceux  qui  voudront 
défendre  Marat. 

Buzot  demande  la  parole. 

Marat.  Je  suis  assez  fort  pour  me  défendre  moi-même. 

Buzot.  Je  ne  rappellerai  pas  à  l'assemblée  qu'elle  a  rejeté  une 
loi  contre  les  provocateurs  au  meurtre  :  plusieurs  événemens  ont 
prouvé  combien  cette  loi  est  nécessaire.  Je  me  borne  à  ce  qui  fait 
l'objet  de  la  discussion.  Je  dis  qu'un  grand  inconvénient  attaché 
aux  décrets  d'accusation  portés  avec  précipitation ,  c'est  qu'ils 
sont  souvent  illusoires  ;  que  ne  s'ensuivrait-il  pas  contre  la  Con- 
vention, si  elle  décrétait  d'accusation  M.  Marat.  (Des  mur- 
mures se  font  entendre  dans  l'extrémité  gauche.  —  On  entend 

plusieurs  voix  :  Cest  vous  qui  êtes  un  monsieur ;  ce  sont  ceux 

qui  logent  dans  les  hôtels  des  princes) ,  et  que  M.  Marat  fût  ac- 
quitté par  le  jury  de  Paris?  (  Mêmes  murmures.  )  Quand  le  jury 
de  Paris  a  déchargé  do  ïouie  accusation  Lacoste,  DuCresne- 
Sûint-Léon  et  d'autres  personnes  de  ce  genre,  ne  pourrait-on 
pas  espérer  la  même  faveur  pour  M.  Marat?  D'ailleurs  la  loi  n'est 
pas  positive.  Et  n'avez-vous  pas  entendu  dire  à  cette  tribune  qu'il 
fallait  quelquefois  suivre  les  lois  révo'ulionnaires  et  s'écarter  de 
celles  de  la  justice?  Que  Marat  ait  rédigé  son  journal  de  telle 
manière  ou  de  telle  autre,  ce  n'est  pas  là  ce  qui  doit  nous  affli- 
ger, mais  bien  les  tripots  où  Marat  va  puiser  les  maximes  qu'il 
débite  ensuito  à  deux  sous  !n  feuillo  :  c'est  dans  ce  svstèmn  de 


566  CONVENTION   NATIONALE. 

calomnies,  dirigé  contre  ceux  à  qui  on  ne  peut  reprocher  que 
d'être  de  purs  patriotes  ;  c'est  dans  les  manœuvres  de  ces  hommes 
qui  veulent  faire  régner  l'anarchie,  parce  que  l'anarchie  conduit 
à  la  royauté.  (Quelques  murmures.)  Je  ne  suis  entré  dans  ces  dé- 
tails que  pour  vous  prouver  que  Marat  est  excusable  :  il  n'a  écrit 
dans  son  journal  que  ce  qu'on  a  dii  à  cette  tribune,  que  ce  que 
vous  avez  déjà  entendu. 

Marat.  Que  ce  que  vous  avez  fait  vous-même.  (  De  violens  mur- 
mures s'élèvent  à  la  droite  de  la  tribune ,  et  dans  une  partie  du 
côté  opposé.) 

Plusieurs  voix  de  l'extrémité  gauche.  L'ordre  du  jour. 

Thirion.  J'ai  la  parole  en  faveur  de  Marat. 

Marat.  Je  demande  qu'on  envoie  aux  Petites-Maisons  les  liom- 
mes  d'état  qui  ont  provoqué  contre  moi  le  décret  d'accusation. 

Thomas.  Tais-toi ,  imbécile. 

Boyer-Fonfrède.  Je  demande  à  proposer  contre  Marat  la  peine 
du  talion. 

Collot-d'Hei'boîs.  Président ,  mettez  aux  voix  le  projet  de  Bar- 
rère. 

ChàtiWineuf-Randon.  Allons,  aux  voix  le  projet  de  Barrère, 
qui  est  infiniment  sage  ;  et  qu'on  ne  s'occupe  plus  des  per- 
sonnes. 

Buzot.  Président ,  obtenez-moi  du  silence. 

Albiite.  J'ai  à  faire  une  motion  d'oidre.  Dix  mille  émigrés  sont 
maintenant  dans  Paris,  pourquoi  M.  Buzot  ne  montre-t-il  pas 
contre  eux  autant  de  colère  que  contre  Marat?  (Des  rumeurs  s'é- 
lèvent dans  l'extrémité  droite  de  la  salle.  —  Une  voix  :  Marat  est 
plus  dangereux  que  les  émigrés.) 

Saint- André.  Fermez  la  discussion. 

Les  murmures  continuent  dans  la  droite. 

Le  président,  s  adressant  à  celte  partie  de  la  salle.  Vous  perdez 
la  chose  publique  par  vos  murmures. 

Plusieurs  membres,  s' élevant  avec  vivacité,  apostrophent  le  pré' 
sident.  C'est  vous  qui  tuez  la  pairie  par  votre  partialité. 


FÉVRIER  (1793).  367 

Le  p'ésklent.  Je  fais  lous  mes  eflorîs  pour  maintenir  la  parole 
à  l'orateur. 

Buzot.  Je  dis  que  le  décret  (l'accusation  est  impolitique  et  dan- 
f^ereux  :  impoliiique,  parce  que,  :i  la  faveur  de  la  liberté  illimitée 
de  la  presse,  Marat  serait  acquitté  de  toute  accusation  ;  dargc- 
reux,  parce  qu'il  donnerait  de  l'importance  à  un  homme  qui  n'a- 
{jit  pas  par  lui-même,  mais  qui  est  l'instrument  d'hommes  per- 
vers  (Des  murmures  parlant  de  l'extrémité  gauche  couvrent 

la  voix  de  l'orateur.) 

Plusieurs  voix.  Voilà  encore  des  calomnies  de  Buzot.  (Rumeurs 
dans  la  partie  opposée.) 

Buzot.  Je  dis  que  vous  devez  passer  à  l'ordre  du  jour  sur  le 
projet  présenté  par  Barrère,  parce  qu'il  est  insignifiant,  et  que 
la  Convention ,  en  prenant  de  ces  mesun  s  insignifiantes ,  peut 
perdre  la  pairie.  Quant  à  ce  qui  concerne  Marat,  je  demande  le 
même  décret  que  vous  avez  rendu  contre  lui,  il  y  a  que'que 
temps ,  sur  la  proposition  de  Fonfrède. 

Plusieurs  voix  de  la  partie  gauche.  En  voi'à  assez La  dis- 
cussion feruiée  ! 

L'assemblée  ferme  la  discussion. 

Lacoste.  Je  demande  que  le  projet  de  B.irrère  soit  mis  aux 
voix. 

Valazé.  Je  m'oppose  à  celte  proposition  ;  c'est  le  décret  d'ac- 
cusation qui  doit  d'aboni  être  mis  aux  voix,  parce  que,  lorsqu'il 
s'agit  d'un  décret  d'accusation,  il  faut  que  la  Convention,  en  pro- 
nonçant, se  rappelle  les  motifs quila déterminent. 

Boijer-Fonfrcdc.  Je  demande  la  question  préalable  sur  le  dé- 
cret d'accusation  ,  et  que  la  Convention  se  borne  à  déclarer  à  la 
France  entière  que,  hier,  Marat  a  prêché  le  pillage,  et  que,  hier 
soir,  on  a  pillé.  (De  violentes  rumeurs  se  font  entendre  dans 
r<-xlrémité  gauche.) 

Penihes.  Je  demande  que  Marat  soit  déclaré  fou,  et  que,  par 
mesure  de  sûreté  générale  ,  il  soit  enfermé  à  Charenlon  ,  d'où  il 
pourra  sortir  lorsque  la  révolution  sera  finie.  (Mêmes  murmures 
dans  l'extrémité  gauche.  ) 


368  CONVENTION   NATIONALE. 

Salles.  Je  demande 

Plusieurs  voix  à  gauche.  La  discussion  esl  fermée.  Aux  voix  le 
projet  de  Barrère  ! 

Salles.  Aux  termes  du  code  pénal,  celui  qui  a  conseillé  le 
crime  commis  doit  être  puni  comme  complice  :  or ,  Marat  est 
convaincu  d'avoir  provoqué  le  pillage  qui  a  eu  lieu  hier,  je  de- 
mande donc  qu'il  soit  décrété  d'accusation. 

Les  murmures  recommencent  dans  l'extrémité  gauche;  ils  se 
prolongent  pendant  plusieurs  insians.  —  Une  soixantaine  de 
membres  réclament  à  grands  cris  l'ordre  du  jour.  —  Aux  voix 
le  décret  d'accusation  !  s'écrie-t-on  avec  la  même  chaleur  dans^la 
partie  opposée. 

Après  quelques  débats ,  la  proposition  de  passer  à  l'ordre  du 
jour  est  mise  aux  voix  et  rejetée. 

Bancal,  J'ai  la  parole. 

Plusieurs  voix  à  gauche.  La  discussion  est  fermée. 

Bancal.  Je  demande  que ,  suivant  en  cela  l'usage  établi  par  la 
constitution  américaine ,  la  Convention ,  délibérant  aux  deux 
tiers  des  voix ,  décrète  :  1°  que  Marat  sera  expulsé  provisoire- 
ment de  son  sein  ;  (Violens  murmures  à  gauche.  ) 

2°  Qu'il  soit  enfermé ,  afin  que  l'on  examine  s'il  est  fou.  (  Mê- 
mes rumeurs.  ) 

Collot.  Je  demande  que  Bancal  soit  lui-même  déclaré  fou ,  pour 
nous  avoir  proposé  de  délibérer  en  vertu  de  la  constitution  amé- 
ricaine. 

Bazire.  On  nous  parle  sans  doute  de  la  constitution  américaine 
pour  nous  amener  au  gouvernement  fédéralif ,  objet  de  l'ambi- 
tion de  ces  messieurs. 

Bancal.  Ce  que  Je  dis  est  assez  intéressant  pour  que  vous  l'é- 
coutiez.  (  Mêiues  murmures.)  Je  demande  le  silence,  qui  est  dû  à 
tout  représentant  du  peuple.  (Mêmes  murmures.) 

Fréron.  Je  demande  ia  queslion  préalable  sur  le  décret  d'ac- 
cusation ,  et  la  pr  iorilé  pour  le  projet  de  Barrère, 

Bancal.  Jedcisiande  ,  5" 


FÉVRIER  (i793).  369 

Plusieurs  voix  de  C extrémité  (jauche.  Aux  voix  donc  le  projet 
présenté  par  Bar rère! 

Bancal.  Je  demande  qu'il  soit  constaté  aujourd'hui  par  les  mé- 
decins  

Thïrion.  Que  Bancal  est  fou (Des  cris  à  Cordre  s'élèvent 

contre  l'interlocuteur.  ) 

Bancal.  Je  demande  que ,  comme  fou  dangereux ,  Marat  soit 
reclus 

Thureau.  Ce  sont  de  pareils  discours  ,  ce  sont  ces  platitudes 
qui  avilissent  la  Convention. 

Une  autre  voix  de  la  gauche.  Oui ,  ce  sont  là  les  avUisseurs. 

Bancal.  Je  demande  que  la  Convention  nomme  des  commis- 
saires pour  examiner  les  papiers  de  Marat.  Tout  est 

Marat.  Vous  avez  dans  la  Convention  deux  commissaires  à  qui 
j'ai  livré  tous  mes  papiers.  Tallien  en  est  un.  (On  rit  à  droite. 
—  Des  cris  :  A  l'ordre ,  h  l'ordre  du  jour,  s'élèvent  dans  l'extré- 
mité gauche.  ) 

Thir'ion.  Si  l'on  ne  veut  pas  m'enîendre 

Marat.  Non. 

Thïrïon.  Je  veux  qu'il  soit  constaté  que  je  me  suis  présenté 
pour  défendre  un  accusé,  et  quoique  cet  accusé  soit  Marat  ^  le 
rôle  de  défenseur  est  assez  honorable 

Les  cris  continuent  :  Aux  voix  l'ordre  du  jour  ! 

L'assemblée  décide ,  à  une  grande  majorité,  qu'elle  ne  passe 
pas  à  l'ordre  du  jour. 

Fèrau.  Je  propose  de  passer  à  l'ordre  du  jour,  mais  de  char- 
ger le  ministre  de  la  justice  de  faire  faire  les  poursuites  de  droit, 
et  d'en  rendre  compte. 

Choudicu.  Je  demande  la  priorité  pour  cette  rédaction. 

Le  président.  Je  vais  mettre  aux  voix  les  propositions  dans  l'or- 
dre où  elles  ont  été  faites.  C'est  le  décret  d'accusation  qui  a  été 
d'abord  proposé.  Je  vais  ic  mettre  aux  voix. 

Marat.  Je  ne  puis  être  jugé  par  mes  ennemis. 

Tallien.  Je  soutiens  que  l'assemblée  n'a  pas  le  droit  de  le  dé- 
créter d'accusation. 

T.  XXIV.  24 


570  CONVENTION   NATIONALE. 

Boileau.  Je  demande  qu'on  aille  aux  voix  sur  le  décret  d'ac- 
cusation par  appel  nominal ,  afin  que  l'on  connaisse  les  amis  de 
Marat ,  et  les  lâches  qui  craignent  de  le  frapper. 

Bazire.  Fjh  bien,  oui,  l'appel  nominal!....  on  connaîtra  les 
contre-révolutionnaires. 

Marat.  J'ai  la  parole.  L'assemblée  ne  peut  refuser  de  m'en- 
tendre. 

Plusieurs  voix.  Il  est  accusé ,  il  a  le  droit  de  parler. 

Marat.  Je  croyais ,  messieurs  ,  qu'il  y  avait  un  peu  de  pudeur 
dans  cette  assemblée  ;  je  n'y  trouve  ni  pudeur,  ni  justice.  (Il s'é- 
lève de  violentes  rumeurs.  —  Plusieurs  membres  de  la  partie 
droile  se  lèvent  avec  des  gestes  qui  annoncent  l'indignation.  )  Je 
croyais,  messieurs....  (Mêmes  murmures.  — Auxvoïx  le  décret 
rf'accMsafion.' s'écrie-t-on.)  Eh  bien!  je  provoque  moi-même  le 

décret  d'accusation  contre  moi  pour  vous  couvrir  d'infamie 

Les  hommes  sages  à  qui  vous  livrerez  ma  têle  compareront  le 
passage  de  ma  feuille  avec  votre  décret  d'accusation  ,  et  diront 
que  vous  ne  savez  pas  lire.  Je  le  demande ,  décrétez-moi  d'ac- 
cusalion  ;...,  mais  en  même  temps  décrétez  comme  fous  tous 
ces  messieurs,  les  hommes  d'état.  (Désignant  les  membres  pla- 
cés dans  la  partie  droite.  )  Ah  !  les  hommes  d'état  ! 

Aux  voix  le  décret  d'accusation  !  s'écrie-t-on  dans  plusieurs 
parties  de  la  salle. 

Tallien.  Je  demande  la  parole  contre  le  décret  d'accusation. 

Bazire.  C'est  un  décret  de  contre-révolution. 

TalHen,  avec  vivacité  ,  demande  à  le  combattre.  (Il  s'élève  de 
violens  murmures  dans  la  partie  droite.  —  A  l'ordre.  Vous  n'a- 
vez pas  la  parole  !  s'écrient  un  grand  nombre  de  membres. — J'ai 
demandé  la  parole;  j'ai  droit  de  l'avoir;  et,  frappant  sur  la  tri- 
bune ,  je  l'aurai Je  parlerai.  (Les  murmures  continuent  et 

se  prolongent.  ) 

Jusqu'ici  on  ne  s'est  occupé  que  de  Marat. 

Valazé.  La  discussion  est  fermée.  JMettez  aux  voix  le  décret 
d'accusation. 

Tallien.  Et  l'on  ne  s'est  pas  occupé  de  la  chose  publique. 


FÉVRIEH  (  179Ô  ).  571 

Valazé.  On  s'est  occupé  de  la  tauvpr. 

Marat.  C'est  un  homme  d'étal  qui  parle (Désigtiai.l  du 

doigt  Valazé.  )  Aboyez  donc  ce  trésorier  de  France. 

Tallien,  Je  demande  à  prouver  que  vous  ne  pouvez  pas  d('cré- 
ler  un  de  vos  membres  d'accusation  (x^Iurmures.  )  avant  qu'un 
tribunal  ait  fait  une  procédure 

Plusieurs  voix.  La  discussion  est  fermée. 

Tallien.  La  discussion  n'est  pas  fermée,  je 

Des  cris  aux  voix  /....  aux  voix  !  se  font  entendre  avec  force 
dans  presque  toutes  les  parties  de  la  salle. 

Tallien.  Je  ne  demande  pas  la  parole  si  l'on  veut  mettre  aux 
voix  le  projet  de  Férau  ;  mais  le  décret  d'accusation ,  vous  n'a- 
vez pas  le  droit  de  le  porter. 

Le  président.  On  avait  demandé  la  priorité  pour  le  décret  d'ac- 
cusation. 

Tallien.  Président,  je  la  demande  pour  le  projet  de  Férau, 
mais  pour  la  première  partie  seulement. 

Ossclin.  Je  demande  qu'auparavant  le  délit  soit  constaté. 

Marat.  Ce  sont  les  honmies  de  l'appel  au  peuple  qui  veulent 
assassiner  l'ami  du  peuple. 

Salles.  Je  demande  le  décret  d'accusation  en  vertu  du  Code 
pénal. 

Férau.  Voici  ma  rédaction  : 

«  L'assemblée  nationale,  considérant  qu'aux  termes  des  lois, 
toute  provocation  au  crime  qui  est  suivie  d'effet  est  soumise  à 
l'action  de  la  justice ,  passe  à  l'ordre  du  jour,  et  charge  le  minis- 
tre de  la  justice  de  rendre  compte  des  poursuites  qui  auront  été 
faites  contre  les  auteurs  et  instigateurs  des  événemens  qui  ont  eu 
lieu  hier.  » 

Aux  voix  cette  rédaction  !  s'écrie-t-on  dans  la  partie  gauche. 

Maulde.  J'ai  une  autre  rédaction  à  proposer. 

«  La  Convention ,  délibérant  sur  la  dénonciation  qui  lui  a  été 
faite  d'un  écrit  de  Marat  relatif  aux  troubles,  et  aux  pillages  et 
taxations  de  denrées,  qui  ont  eu  lieu  hier  dans  la  ville  de  Paris , 
renvoie  ladite  dénonciation  aux  tribunaux  ordinaires  ,  charge  le 


372  CONVENTION   NATIONALE. 

ministre  de  la  justice  de  faire  poursuivre  les  auteurs  et  instigateurs 
de  ces  délits ,  et  d'en  rendre  compte  tous  les  trois  jours  à  la  Con- 
vention. » 

Marat.  C'est  une  sélératesse,  je 

Vergniaud.  Je  soutiens  que  la  priorité  doit  être  accordée  à  cette 
dernière  proposition.  La  Convention  ne  peut  pas  décréter  d'ac- 
cusation celui  qui  est  accusé  d'avoir  provoqué  au  pillage,  et  lais- 
ser impunis  ceux  qui  ont  pillé. 

L'assemblée  accorde  la  priorité  à  la  rédaction  de  Maulde ,  et 
l'adopte  à  une  très-grande  majorité.  ] 

—  Des  lettres  du  commandant  général  de  la  garde  nationale, 
Santerre,  et  du  maire  de  Paris  ,  Pache,  annoncent  le  retour  de 
la  tranquillité.  — Discours  très-étendu  prononcé  par  Carra,  pour 
demander  la  création  d'une  commission  chargée  de  rechercher 
tous  les  financiers  et  autres  qui  auraient  fait  des  gains  illicites  , 
et  la  clôture  de  la  bourse  de  Paris. 

SÉANCES  DU  27  ET  DU  28  FÉVRIER. 

La  séance  du  27  ne  présente  de  remarquable  que  l'incident 
soulevé  par  l'excessive  politesse  du  président  (Dubois-Crancé) 
envers  la  municipalité  de  Paris  (Pache,  Chaumelte  et  Real).  Ré- 
pondant aux  nouvelles  assurances  du  retour  de  la  tranquillité 
dans  la  capitale,  que  ces  magistrats  apportaient  à  la  Convention, 
le  président  leur  dit  qu'ils  seraient  témoins  du  zèle  avec  lequel 
l'assemblée  s'occupait  des  intérêts  du  peuple  s  ils  voulaient  bien 
accepter  les  honneurs  de  la  séance.  Ces  mots  excitèrent  un  grand 
tumulte ,  et  plusieurs  voix  parties  du  côté  droit  crièrent  à  Du- 
bois-Crancé :  î  Descendez  du  fauteuil  ;  vous  avilissez  la  Conven- 
tion.... A  bas  le  président  !  » 

A  la  séance  du  28,  Renier  proposa ,  et  l'assemblée  décréta  les 
articles  suivans,  additionnels  à  la  loi  sur  les  passe-porls. 

«  La  Convention  nationale,  ajoutant  à  son  décret  du  26  de  ce 
mois ,  concernant  le  rétablissement  des  passe-ports ,  décrète  ce 
qui  suit,  après  avoir  entendu  le  rapport  de  son  comité  de  légis- 
lation : 


FÉvftiEii  (  1793  ).  375 

>  Art.  l'-'^  Tous  citoyens  absens  de  leur  domicile,  non  munis 
de  passe-ports  postérieurs  au  mois  d'août  dernier,  et  qui  se 
trouvent  actuellement  dans  des  villes  chefs-lieux  de  déparlement 
et  de  district  ou  de  tribunaux,  seront  tenus,  sous  les  peines  por- 
tées par  la  loi  du  28  mars  17912,  de  se  présenter  dans  les  vingt- 
(juatre  heures  qui  suivront  la  promulgation  de  la  présente  loi, 
soit  à  la  municipalité,  soit  au  comilé  de  la  section  dans  l'étendue 
de  laquelle  ils  se  trouveront  résider  momentanément ,  pour  y 
l'aire  prendre  leur  signalement,  et  y  déclarer  leurs  noms,  âge, 
profession  et  demeure. 

>  Cette  déclaration,  signée  par  la  partie,  si  elle  le  sait  faire, 
et  certifiée  soit  par  le  citoyen  dont  le  déclarant  tiendra  son  loge- 
ment, soit,  à  son  défaut,  par  deux  autres  citoyens  connus,  sera 
remise  par  extrait  au  déclarant ,  et  lui  tiendra  lieu  pour  cette  fois 
de  passe-port  et  d'assurance  pour  sa  liberté  individuelle ,  en  se 
conformant  aux  lois. 

»  2.  Cette  disposition  aura  également  lieu  pour  tous  citoyens 
qui,  ayant  actuellement  quitté  leur  domicile  sans  passe- ports 
postérieurs  au  mois  d'août  dernier,  se  trouveront,  soit  en  des 
lieux  autres  que  ceux  ci-dessus  désignés,  soit  en  voyagej  ou 
tournée. 
*^  »  Néanmoins,  et  à  leur  égard,  le  délai  de  la  déclaration  à  faire 
■^devant  la  municipalité  du  lieu  où  ils  se  trouveront  sera  de  trois 
jours  à  dater  de  la  promulgation  de  la  présente  loi.  » 

Cambon  parut  ensuite  à  la  tribune  demandant  une  loi  contre 
les  provocateurs  au  pillage  des  propriétés..  Sa  proposition  fut 
renvoyée  au  comité  de  législation.  Rhul  fit  la  motion  que  les 
biens  des  princes  étrangers  possessionnés  en  France  fussent  mis 
en  vente;  celte  motion  resta  sans  effet.  Osselin  fit  adopter  plu- 
sieurs articles  d'une  loi  sur  les  émigrés.  Nous  ferons  connaître 
celle  loi  lorsqu'elle  sera  achevée. 


574  CONVENTION   NATIONALE. 

DÉPARTEIHENS. 

Pendant  tout  le  mois  de  février,  les  départemens  ne  cessèrent 
d'envoyer  à  la  Convention  nationale  des  lettres  d'adhésion  à  la 
mort  de  Louis  XVI.  Le  texte  de  ces  adresses  ne  présente  guère 
que  des  amplifications  qu'il  serait  oiseux  de  recueillir.  Quant  à 
leur  grand  nombre  et  aux  sentimens  qui  s'y  trouvaient  expri- 
més ,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  citer  un  passage  du 
Patriote  Français.  L'aveu  d'un  journaliste  directement  iutéressé 
à  compter  les  dissidences,  car  il  avait  appuyé  l'appel  au  peuple 
plus  chaudement  qu'aucun  autre,  prouvera  beaucoup  mieux  le 
fait  dont  il  s'agit  que  le  dépouillement  le  plus  exact  ne  saurait 
faire.  Voici  ce  passage  : 

«  Quelle  qu'ait  été  la  diversité  des  opinions  dans  le  jugement 
de  Louis  le  dernier,  c'est  se  montrer  bon  citoyen  que  de  soute- 
nir le  jugement  que  la  Convention  nationale  a  prononcé  au  nom 
de  la  nation.  L'appel  au  peuple,  invoqué  par  une  foule  de  pa- 
triotes, n'était  pas  un  moyen  de  sauver  le  tyran,  mais  un  moyen 
d'environner  son  jugement  de  toute  la  majesté  de  l'opinion  pu- 
blique. Si  cette  opinion  continue  à  se  déclarer  avec  la  même  éner- 
gie, les  républicains  n'auront  pas  à  regretter  qu'on  n'ait  pas  eu 
recours  à  l'appel  au  peuple.  Depuis  le  supplice  de  Louis ,  à  peine 
s'est-il  passé  un  jour  sans  que  l'assemblée  ait  reçu  un  grandi 
nombre  d'adresses  qui  adhèrent  à  cet  acte  de  justice  natiSftiale.  ' 
Nous  devons  en  faire  mention  une  fois  pour  toutes,  afin  d'éviter  ^^ 
les  répétitions.  »  {Patriote  Français,  n.  MCCLXXXII.) 

Dans  noire  sommaire  du  mois  de  février,  nous  avons  annoncé  ■ 
que  ce  chapitre  renfermerait  le  rapport  sur  la  reddition  de  Ver- 
dun ,  les  affaires  du  département  du  Var,  celles  de  Porentrui ,  et 
l'historique  des  troubles  de  Lyon.  Relativement  aux  dissensions 
qui  avaient  éclaté  à  Porenirui ,  il  nous  suffira  de  dire  que,  des 
deux  partis  qui  divisaient  la  Rauracie,  l'un  voulait  la  réunion  à  la 
France,  l'autre  prétendait  ériger  une  république  à  part.  Sur  le 
rapport  de  Guyton-Morvaux ,  à  la  séance  du  10,  la  Convention 
nomma  liois  commissaires  pour  aller  apaiser  ces  divisions,  et 


FÉVRIER  (1795).  576 

organiser  ce  pays.  Ces  commissaires  furent  Laurent,  Monnotet 
Ribes. 

Rapport  sur  la  reddition  de  Verdun.  —  Mesure  du  déparlement  du 
Yar,  dénoncée  par  Cambon  [séance  du  9  février). 

Le  rapport  sur  la  reddition  de  Verdun  fut  fait  par  Cavaignac, 
au  nom  du  comité  de  sûreté  générale  et  de  surveillance.  Nous  ci- 
terons la  partie  qui  conceine  les  femmes  ;  le  reste  sera  suffisam- 
ment indiqué  par  le  décret  de  la  Convention. 

€  Du  nombre  de  ceux  qui ,  avant  la  reddition ,  ont  excité  le 
peuple  à  former  des  attroupemens  séditieux,  et  de  ceux  qui, 
après  la  reddition,  ont  manifesté  leur  joie  sur  les  succès  des  Prus- 
siens par  quelque  acte  répréhensible ,  sont  ces  femmes  qui  fu- 
rent offrir  des  bonbons  au  roi  de  Prusse. 

»  Jusqu'ici  ce  sexe,  en  général,  a  hautement  insulté  à  la  li- 
berté. La  prise  de  LoDgwy  fut  célébrée  par  un  bal  scandaleux. 
Les  flammes  qui  embrasaient  Lille  éclairaient  aussi  des  danses  et 
des  jeux. 

»  Ce  sont  les  femmes  surtout  qui  ont  provoqué  l'émigration 
des  Français;  ce  sont  elles  qui ,  d'accord  avec  les  prêtres,  entre- 
tiennent l'esprit  de  fanatisme  dans  toute  la  République,  et  ap- 
pellent la  contre-révolution. 

>  Cependant,  citoyens,  c'est  aux  mères  que  la  nature  et  nos 
usages  ont  confié  le  soin  de  l'enfance  des  citoyens ,  cet  âge  où 
leur  cœur  doit  se  former  pour  toutes  les  vertus  civiques.  Si  vous 
laissez  impuni  l'incivisme  des  mères,  elles  inspireront  à  leurs 
enfans,  elles  leur  prêcheront  d'exemple  la  haine  de  la  liberté 
française  et  l'amour  de  l'esclavage. 

»  Il  faut  donc  que  la  loi  cesse  de  les  épargner,  et  que  des 
exemples  de  sévérité  les  avertissent  que  l'œil  du  magistrat  les 
surveille ,  et  que  le  glaive  de  la  loi  est  levé  pour  les  frapper  si 
elles  se  rendent  coupables.  » 

Décret,  t  La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  le 
rapport  de  son  comité  de  surveillance  sur  la  reddition  de  Ver- 
dun, 


376  COiNVliJNriON   «ATIOjNALE. 

»  Considérant  les  circonstances  dans  lesquelles  se  sont  trouve's 
les  habitans  de  celte  ville ,  décrète  ce  qui  suit  : 

>  Art.  1.  La  Convention  nationale  rapporte  les  décrets  qu'elle 
a  rendus  relativement  aux  babiians  de  Verdun  ,  et  déclare  qu'ils 
n'ont  pas  démérité  de  la  pairie. 

»  2.  Les  membres  du  directoire  du  district  et  ceux  de  la  muni- 
cipalité, les  citoyens  Lépine,  Georgia  et  Clément  Pons  exceptés, 
ont  encouru  la  peine  de  la  destitution ,  sont  déclarés  inéligibles 
pendant  tout  le  temps  que  durera  la  guerre. 

»  5.  Il  y  a  lieu  à  accusation  contre  les  gendarmes  nationaux 
qui  résidaient  à  Verdun ,  et  qui  ont  continué  leur  service  sous  les 
Prussiens. 

I  4.  La  Convention  nationale  décrète  d'accusation  Brunelly, 
ci-devant  adjudant-major  de  Verdun  ;  Leignon ,  lieutenant-colo- 
nel; Desnos,  ci-devant  évêque;  Lacorbière,  ci-devant  doyen  de 
la  cathédrale;  Dépréville,  ci-devant  vicaire-général;  Nicolas- 
Louis  Fournier;  Coster;  Guilain;  Lefebvre;  Jlartin,  ci»devant 
prieur  de  Saint-Paul;  Qucaux  ;  Herbillon,  ci-devant  curé  de 
Saint-Médard  ;  Baudot ,  ci-devant  curé  de  Saint-Pierre  ;  Le- 
roux, ci-devant  curé  de  Saint-Pierre-Lechery  ;  Bauget,  ci-de- 
vant vicaire  de  Saint-Sauveur;  Marguerite  Robillard;  Collox  ; 
Bousmard;  Pichon  ;  Drech  ;  Lamèle,  juge  de  paix;  Barthe, 
avoué;  Grimoard  ;  Martin  et  Gossin,  ci-devant  chanoines. 

>  o.  L'information  faite  par  les  commissaires  municipaux  pro- 
visoires, et  les  pièces  qui  y  sont  jointes,  seront  envoyées  sans 
délai  aux  tribunaux  compéiens ,  pour  le  procès  être  fait  et  par- 
fait aux  accusés  qui  y  sont  dénoncés ,  notamment  à  ceux  qui  se 
portèrent  en  attroupement  à  l'hôtel  de  la  commune  pour  presser 
la  capitulation  ,  et  aux  femmes  qui  furent  au  camp  de  Bar  ha- 
ranguer le  roi  de  Prusse ,  et  lui  offrir  des  présens. 

»  6.  Tous  les  ci-devant  chanoines  de  la  cathédrale  et  de  la  col- 
légiale, religieux  et  autres  ecclésiastiques  non  fonctionnaires  pu- 
blics ,  et  non  compris  dans  le  décret  d'accusation ,  qui ,  sous  la 
domination  prussienne ,  sont  rentrés  dans  leur  ancien  bénéfice 
ou  monastère ,  sortiront  hors  du  territoire  de  la  République , 


iÉVRiisR  (1795;.  577 

dans  le  délai  de  trois  jours  à  compter  de  la  publication  du  pré- 
sent décret  ;  il  leur  est  défendu  d'y  rentrer  à  peine  de  mon. 

»  7.  Les  membres  du  district,  ceux  de  la  municipalité,  seront 
mis  en  liberté. 

s  8.  Le  pouvoir  exécutif  rendra  compte  à  la  Convention  de 
l'exécution  du  présent  décret.  » 

{Canibon.  J'ai  à  rendre  compte  à  l'assemblée  d'un  l^it  impor- 
tant, sur  lequel  il  est  nécessaire  qu'elle  prononce,  si  elle  veut 
sauver  les  deniers  publics.  Je  vais  vous  donner  leclure  d'une 
lettre  écrite  par  les  commissaires  de  la  trésorerie  au  comité  des 
finances,  et  d'un  arrêté  qui  y  est  joint.  L'assemblée  verra  qu'au 
mépris  de  la  loi  du  24  novembre ,  les  administrateurs  du  dépar- 
tement du  Var  ont  ordonné  aux  receveurs  de  districts  de  verser 
une  somme  de  i50,0(X)  livres  dans  la  caisse  du  département, 
pour  servir  à  l'entretien  d'un  bataillon  destiné  à  se  rendre  à  Paris, 
aux  ordres  et  à  la  disposition  absolue  de  la  Convention  nationale. 

Voici  cet  arrêté  : 

Extrait  des  registres  des  trois  corps  administratifs  de  Toulon, 
département  du  Var,  du  S  janvier  1795. 

A  la  réquisition  des  commissaires  nommés  par  la  société  pa- 
triotique, tous  les  corps  administratifs  et  judiciaires  résidant  à 
Toulon  ont  été  convoqués  et  réunis  dans  un  temple  ;  le  peuple 
présent,  le  procureur-général-syndic  entendu,  il  a  été  délibéré 
ce  qui  suit  : 

L'assemblée,  considérant  que  depuis  trop  long-temps  la  Con- 
vention nationale  n'opine  plus  avec  liberté  ;  que  des  factieux  sont 
parvenus  à  égartr  une  portion  du  peuple  de  Paris,  qui  enchaîne 
ses  opérations ,  et  substitue  sa  volonté  particulière  à  celle  de  tous 
les  Français  en  influençant  des  décrets  qui  doivent  être  l'ex- 
pression de  la  volonté  générale  ;  considérant  que  des  mouve- 
mens  convulsifs  se  renouvellent  partout  ;  qu'ils  se  reproduisent 
sous  toutes  les  formes  ,  qu'ils  retentissent  même  dans  nos  murs; 
que  le  système  des  ennemis  de  !a  France  est  connu  ;  que  c'est  par 
l'iûiroduclion  de  l'anarchie  qu'ils  attendent  l'anéantissement  de 


378  CONVENTION    NATIONALE. 

la  liberté  ;  qu'il  faut  que  tout  ait  un  terme  ;  qu'il  est  dans  le 
grand  caractère  de  la  France  méridionale ,  qu'il  est  dans  la  na- 
ture des  âmes  républicaines  qui  y  vivent ,  d'aller  au  milieu  de 
Paris  y  étouffer,  sous  les  ordres  de  la  Convention,  jusqu'au 
germe  de  la  perfidie  et  de  la  trahison  ,  arrête  ce  qui  suit  : 

Il  sera  formé,  dans  le  plus  court  délai,  un  bataillon  de  cinq 
cents  hommes  divisés  en  six  compagnies  au  plus ,  et  composé 
de  gens  d'élite,  tous  originaires  et  résidant  dans  le  département 
du  Var,  pour  se  rendre  à  Paris,  aux  ordres  et  à  la  disposition 
absolue  de  la  Convention  nationale.  Ils  seront  levés  dans  tous  les 
districts  proportionnellement  à  leur  population. 

Nul  ne  sera  reçu  s'il  n'est  fort  et  robuste ,  s'il  n'a  l'âge  de  dix- 
huit  à  quarante-cinq  ans. 

Il  sera  ouvert  dans  chaque  municipalité  un  registre  d'inscrip- 
tion pour  recevoir  les  noms  des  hommes  qui  voudront  s'enrôler 
pour  former  ce  bataillon ,  qui  sera  destiné  pour  la  garde  de  la 
Convention.  Ce  registre  restera  ouvert  pendant  trois  jours.  Il 
sera  annoncé  tous  les  jours  par  une  publication.  Tous  les  hom- 
mes qui  se  présenteront  à  l'inscription  seront  munis  d'un  certifi- 
cat de  bonne  conduite  de  l'étal-major  de  la  garde  nationale  dans 
laquelle  ils  servent ,  et  d'un  certificat  de  civisme  de  la  société 
patriotique  établie  dans  le  lieu  où  ils  résident  (s'il  s'en  trouve). 

Le  conseil-général  de  la  commune  scrutinera  les  citoyens  ins- 
crits, et  admettra ,  à  la  majorité  des  suffrages,  ceux  qui  se  desti- 
neront à  cette  grande  entreprise. 

Ils  seront  payés  et  traités  jusqu'à  Paris ,  sans  distinction  de 
grade ,  sur  le  pied  de  10  sous  par  jour  en  assignats,  et  une  seule 
ration  de  bouche  leur  sera  fournie  indistinctement  pour  toute 
étape. 

Il  sera  attaché  à  ce  bataillon  deux  pièces  de  quatre.  Les  volon- 
taires seront  armés  de  fusils  et  de  sabres  par  les  municipalités 
qui  les  enverront,  et  équipés,  pour  le  restant,  aux  frais  de  la 
République. 

Le  directoire  du  département  est  autorisé ,  sous  la  responsabi- 
lité réunie  des  corps  administratifs  et  judiciaires,  à  faire  arrêter 


FÉVRIER  (1793).  579 

dans  les  caisses  publiques  la  somme  de  150,000  livres  sur  les 
premiers  deniers  de  recette  exigible.  Il  sera  fait  des  mandats  par- 
tiels sur  les  divers  receveurs  ;  lesdits  mandats  seront  payés  sans 
délai ,  et  à  défaut ,  les  receveurs  contraints  dans  les  vingt-qua- 
tre heures. 

Le  bataillon  se  mettra  en  marche  pour  Paris  dans  les  premiers 
jours  de  février.  Les  hommes  qui  ne  seront  pas  arrivés  au  jour  in- 
diqué ne  seront  plus  admis,  et  les  hommes  en  remplacement 
seront  irrévocablement  nommés  par  une  commission  des  corps 
administratifs  et  judiciaires. 

Usera  envoyé  une  expédition  du  présent  arrêté  à  la  Conven- 
tion nationale,  au  pouvoir  exécutif  provisoire,  aux  districts  et 
municipalités  du  département,  eiaux  sociétés  patriotiques.  Il  sera 
donné  avis  de  la  présente  résolution  aux  quatre-vingt-trois  autres 
départemens  de  la  République ,  par  une  lettre  invitative  à  suivre 
le  même  exemple.  Il  sera  de  plus  écrit  une  lettre  énonciative  de 
nos  dispositions  à  nos  frères  des  quarante-huit  sections  de  Paris. 

Fait  et  arrêté  en  conseil-général  de  tous  les  corps  administra- 
tifs et  judiciaires  réunis,  le  peuple  présent,  à  Toulon,  le  8  jan- 
vier 1793. 

Cambon.  Comme  les  commissaires  de  la  trésorerie  ont  reçu  cet 
arrêté  comme  pour  comptant,  ils  se  sont  adiessés  au  comité  des 
finances  pour  savoir  quelle  conduite  ils  doivent  tenir  à  cet  égard. 
A'^otre  comité  n'aurait  pas  hésité  un  moment  de  vous  demander 
la  destitution  de  ce  corps  administratif  s'il  n'eût  considéré  que 
la  simple  violation  de  la  loi  ;  mais  il  a  pensé  qu'il  serait  plus  utile 
à  la  République,  dans  un  moment  où  la  Convention  a  ordonné 
la  levée  de  cinq  cent  deux  mille  huit  cents  hommes ,  de  décré- 
ter que  ce  bataillon  en  fera  partie. 

Jean-Bon  Saint-André  et  Aubry  parlent  contre  l'arrêté  du  dé- 
partement du  Var  ;  Chambon  et  Buzol  le  justifient  ;  Cambon  reUt 
sa  proposition.  Elle  est  décrétée  en  ces  termes  : 

«  La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport  de 
son  comité  des  finances ,  décrète  que  tous  les  gardes  nationaux 
qui,  sur  l'invitation  des  corps  administratifs,  se  sont  organisés 


580  CONVENTION   NATIONALE. 

dans  l'intention  de  se  rendre  à  Paris ,  continueront  d'être  soldés 
sur  le  même  pied  que  les  autres  bataillons ,  et  seront  à  la  dispo- 
sition du  conseil  exécutif. 

»  Ordonne  que  les  corps  administratifs  qui  ont  fait  des  dépen- 
ses pour  l'armement ,  équipement  et  solde  desdits  gardes  natio- 
naux, feront  passer,  dans  le  délai  de  quinzaine,  l'état  desdites 
dépenses  au  ministre  de  la  guerre;, qui,  après  vérification,  déli- 
vrera les  ordonnances  nécessaires  pour  les  rembourseinens.  >  ] 

Nouvelle  mesure  du  département  du  Var,  dénoncée  aussi  par 
Cambon  [séance  du  21  février;  présidence  de  Bréard). 

Cambon  lit  une  lettre  du  ministre  de  l'intérieur  par  intérim , 
Garât,  annonçant  que  le  département  du  Var  a  arrêté  les  fonds 
de  toutes  les  caisses  de  son  arrondissement ,  destinés  pour  la  tré- 
sorerie nationale,  sous  prétexte  qu'il  a  demandé  une  somme  de 
5  millions  pour  achats  de  grains j  l'orateur  conclut  à  ce  que  le 
procureur -général -syndic  de  ce  département  soit  mandé  à  la 
barre.  Anliboul  et  Biroteau  excusent  la  conduite  de  ce  départe- 
ment, à  cause  du  dénuement  de  subsistances  où  il  se  trouve. 

[  Prieur.  Ce  n'est  pas  assez  d'avoir  sans  cesse  à  la  bouche  les 
mots  d'unité ,  d'indivisibilité  de  la  République.  Si  c'était  la  pre- 
mière fois  que  les  départemens,  et  celui  du  Var  entre  autres, 
eussent  manifesté  cette  tendance  au  fédéralisme  et  à  la  violation 
de  vos  lois ,  je  ne  m'opposerais  pas  à  l'indulgence  qu'on  réclame 
en  ce  moment.  Rappelez-vous  que  le  département  du  Var  a  dé- 
libéré, sans  y  être  autorisé  par  la  Convention,  d'envoyer  une 
force  armée  vers  Paris.  (  On  murmure.  )  On  me  reproche  de  la 
haine  contre  ce  département;  non ,  je  n'ai  point  de  haine  ;  et  ne 
sais-je  pas  tous  les  services  qu'il  a  rendus  à  la  patrie?  Mais  au- 
jourd'hui ,  sous  prétexte  que  la  Convention  neitw  a  pas  fait  par- 
venir les  secours  qu'il  lui  demandait ,  il  ose  s'emparer  des  fonds 
publics.  Je  le  déclare,  si  cette  conduite  est  tolérée ,  la  Républi- 
que n'est  plus  qu'un  vain  nom.  (  On  murmure.  ) 

iV ...  Les  assassins  du  2  septembre  n'ont  point  été  mandés  à 
la  barre. 


FÉVRIER  (1793).  581 

Saint' André.  Il  est  impossible  à  tout  Français  animé  de 
l'amour  de  son  pays ,  et  qui  veut  l'unité  et  l'indivisibilité  de  la 
République ,  de  ne  pas  rendre  hommage  aux  principes  dévelop- 
pés par  Prieur.  Si  ces  principes  ne  sont  pas  respectés,  il  faut 
renoncer  à  avoir  une  représentation  nationale.  Ce  n'est  pas  d'au- 
jourd'hui que  ces  administrations  empiètent  sur  l'autorité  souve- 
raine; et  ce  sera  peut-être,  lors  de  la  discussion  de  la  Constitu- 
tion, un  point  à  débattre,  s'il  ne  faut  pas  restreindre  l'autorité  et 
l'étendue  de  ces  administrations.  (  Lepaiix.  Pour  mettre  la  Com- 
mune de  Paris  à  sa  place,  cela  s'entend.  —  Murmures  dans  la 
partie  gauche.  )  L'administration  du  Var  mérite  que  vous  lui  fas- 
siez sentir  toute  votre  indignation.  Je  demande  que  le  ministre  de 
l'intérieur  soit  appelé  pour  rendre  compte  des  motifs  qui  l'ont 
empêché  de  casser  l'arrêté  du  département  du  Var. 

Lanjuinais.  Je  ne  viens  point  défendre  ici  le  département  du 
Var... 

Bourdon.  Je  demande  que  la  discussion  soit  fermée. 

Lanjuinais.  J'ai  des  propositions  nouvelles  à  faire. 

Le  président  consulte  l'assemblée ,  et  dans  le  doute  accorde  la 
parole  à  Lanjuinais. 

Lanjuinais.  Je  ne  viens  point  défendre  la  conduite  des  admi- 
nistrateurs du  département  du  Var.  Ces  administrateurs  sont  en 
faute  ;  certes  il  faut  les  réprimer,  mais  il  ne  faut  tirer  ici  aucune 
conséquence  sur  les  principes  constitutionnels,  pas  plus  que  des 
excès  commis  à  Paris  on  n'en  a  dû  tirer  sur  le  gouvernement  mu- 
nicipal. (  On  murmure.  )  La  question  n'est  pas  ici  de  savoir  si  la 
délibération  doit  être  cassée  ;  il  n'y  a  pas  à  cet  égard  deux  voix 
dans  la  Convention  ;  il  s'agit  de  savoir  si  on  mandera  le  procu- 
reur-syndic, si  on  appellera  le  ministre.  A  quoi  servira  le  man- 
dat ?  le  procureur-syndic  viendra  ;  il  vous  expliquera  les  grands 
motifs  qui  peuvent ,  non  pns  justifier,  mais  excuser,  je  le  crois, 
l'arrêté.  Qu'aurez -vous  fait?  Vous  aurez,  pendant  plusieurs 
mois,  privé  une  administration  d'un  fonctionnaire  très -utile; 
quand  on  a  été  Irès-induIgent  pour  certaines  fautes ,  il  ne  faut 
pas  être  très-rigoureux  pour  d'autres.  Le  ministre  ne  doit  pas  être 


382  CONVENTION   NATIONALE. 

appelé  :  je  connais  bien  les  torts  du  ministre  de  la  justice  ;  mais 
ce  n'est  pas  dans  ce  sens  ;  on  doit  m'entendre  !  Ici  sa  conduite  ne 
mérite  que  des  éloges  ;  il  a  cru  que  dans  un  temps  où  les  liens  du 
gouvernement  sont  relâchés  les  mesures  de  douceur  réussiraient 
mieux  que  les  voies  de  rigueur.  Je  demande  qu'on  casse  l'arrêté 
et  que  l'on  charge  le  comité  des  finances  de  présenter  un  projet 
de  décret  pour  les  secours  à  accorder  au  département  du  Var. 

Thnriot.  !1  faut  ajouter  que  les  receveurs  de  districts  feront 
passer  sans  délai  à  la  trésorerie  leurs  recettes ,  et  que  le  comité 
des  secours  fera  incessamment  son  rapport  sur  les  secours  à  ac- 
corder aux  départemens  qui  en  ont  besoin. 

Boussîon.  Et  que  la  trésorerie  nationale  fera  passer  sans  délai 
aux  départemens  les  secours  qui  leur  ont  déjà  été  accordés. 

La  discussion  est  fermée. 

La  proposition  de  Lanjuinais ,  amendée  par  Tliuriot  et  Bous- 
sîon ,  est  adoptée. 

La  Convention  nationale ,  après  avoir  entendu  le  rapport  de 
son  comité  des  finances ,  décrète  : 

Art.  F''.  Qu'elle  casse  et  annule  les  arrêtés  pris  par  les  corps 
administratifs  du  département  du  Var  pour  arrêter  les  fonds  qui 
doivent  être  versés  à  la  trésorerie  nationale  ;  leur  fait  défense  d'en 
prendre  de  pareils  à  l'avenir;  ordonne  que  les  receveurs  des  dis- 
tricts de  ce  département  feront  passer  sans  délai  à  la  trésorerie 
nationale  tous  les  fonds  provenant  de  leur  recette. 

IL  La  Convention  nationale  charge  son  comité  des  finances  et 
des  secours  d'examiner  s'il  doit  être  accordé  des  secours  au  dé- 
partement du  Var,  et  de  faire  sans  délai  un  rapport  sur  toutes 
les  demandes  de  la  même  nature  qui  lui  ont  été  renvoyées. 

On  demande  l'ordre  du  jour  sur  les  autres  propositions  faites. 

Quelques  voix.  Il  faut  mander  le  procureur-général-syndic  à 
la  barre. 

Boyer-Fonfrhde.  J'observe  qu'il  y  a  un  an  des  administrateurs 
du  même  départem.ent  ont  été  pendus  pour  avoir  refusé  de  pren- 
dre une  mesure  pareille  à  celle  contre  laquelle  on  s'élève  en  ce 


1 


FÉVRIER  (  1795  ).  585 

moment.  Il  faut  faire  attention  aux  circonstances  dans  lesquelles 
l'administration  du  Var  vient  de  se  trouver. 

Marat.  Je  m'oppose  à  l'ordre  du  jour...  Je  demande  la  parole. 

J'ai  vu  beaucoup  de  malversations  faites  avec  les  fonds  que 
vous  avez  mis  à  la  disposition  du  minisire  de  l'intérieur.  Les  ad- 
ministrateurs du  département  du  Var  n'ont  pris  la  résolution 
de  se  pourvoir  eux-mêmes  de  grains  que  parce  qu'ils  n'ont  pu 
tirer  aucun  secours  de  Roland.  Je  demande  l'appel  du  procureur- 
général-syndic  à  la  barre,  non  pas  pour  lui  faire  sentir  le  poids 
de  l'indignation  nationale ,  mais  pour  vous  faire  rendre  compte 
dss  motifs  urgens  qui  l'ont  forcé  de  recourir  à  ces  mesures  ex- 
traordinaires. L'assemblée  a  besoin  de  ces  lumières  précieuses, 
(se  tournant  à  la  droite  de  la  tribune)  et  vous  n'aurez  pas  sans 
doute  l'i.nipudeur  de  vous  y  opposer. 

Boijer-Fonfrede.  Je  ne  serai  pas  arrêté  par  le  reproche  d'impu- 
deur de  la  part  de  Marat.  Je  prie  l'assemblée  de  remarquer  la 
position  i'npëricuse  où  se  sont  trouvés  les  administrateurs  du  dé- 
parlement du  Var.  C'est  au  milieu  des  cris  d'une  multitude  d'ou- 
vriers qui  leur  demandaient  du  pain  qu'ils  ont  été  forcés  de  pren- 
dre cette  mesure.  Je  demande  qu'après  le  décret  qui  vient  d'être 
rendu  l'assemblée  ne  s'arrête  pas  aux  propositions  subséquentes 
qui  ont  été  faites.  Si  elle  ne  veut  pas  exposer  à  des  troubles  l'un 
des  boulevarts  de  la  République,  l'un  des  principaux  arsenaux 
de  la  marine,  un  lieu  où  vingt  mille  ouvriers  sont  rassemblés,  il 
faut  qu'elle  passe  à  l'ordre  du  jour. 

L'assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour. 

Le  président.  Je  viens  de  recevoir  une  lettre  d'un  homme  qui 
doit  être  cher  à  l'assemblée... 

Marat.  Mais,  citoyen  président,  c'est  sans  doute  pour  ne  pas 
avoir  saisi  ma  proposition  que  l'assemblée  a  décidé  de  passer  à 
l'ordre  du  jour...  (Murmures.) 

Le  présidenl.  Du  frère  de  Michel  Lepelleiier,  qui  demande  à 
être  admis  à  la  barre. 
Marat.  Je  veux  que  le  procureur-général-syndic  soit  mandé  à 


Ô84  CONVENTION   NATIONALE. 

la  barre ,  non  pas  pour  être  censuré ,  mais  pour  donner  des  ren- 
seîgnemens. 

Le  président.  Voici  sa  lettre  : 

t  Citoyen  président,  voulez-vous  bien  consnlter  l'assemblée 
pour  savoir  si  elle  veut  m'ad mettre  pour  lui  offrir  moi-même  le 
buste  de  Michel  Lepellelier  mon  frère?  » 

Marat.  Je  demande  le  rapport  du  décret  par  lequel  vous  venez 
de  délibérer  de  passer  à  l'ordre  du  jour. 

Plusieurr.  voix.  Faites  donc  taire  Marat. 

Marat.  J'en  demande  le  rapport... 

L'assemblée  décide  que  Lepelletier  sera  admis  à  la  barre  dans 
une  des  prochaines  séances. 

Marat.  Passer  à  l'ordre  du  jour!...  Ah!  on  voit  bien,  mes- 
sieurs (se  tournant  vers  la  droite  ),  que  vous  dînez  encore  chez  la 
feniiiie  Roland...  (De  violens  murmures  couvrent  la  voix  de  l'opi- 
nant.) Je  fais  la  demande  formelle  que  le  procureur-général-syn- 
dic soit  mandé  à  la  barre.  (  Les  murmures  continuent.  ) 

Duliem.  Si  c'était  un  patriote  on  le  tiendrait  en  prison  pendant 
six  mois,  comme  on  a  fait  de  celui  du  département  du  Finistère. 

Marat.  C'est  vrai...  (s'avançant  précipitamment  vers  la  tri- 
bune. )  Au  nom  du  salut  public,  monsieur  le  président,  il  faut 
porter  la  lumière  sur  les  malversations  de  Roland.  (  Brouhaha 
dans  la  partie  droite.  )  C'est  une  abomination  !...  Je  demande  le 
rapport  du  décret. 

Louis.  J'observe  que  dans  tous  les  cas  les  administrateurs  du 
département  du  Var  ont  tort;  car  si  le  ministre  de  l'intérieur, 
chargé  par  un  décret  de  la  distribution  des  secours  pour  les 
grains ,  ne  répondait  pas  à  leurs  réclamations ,  c'est  à  la  Con- 
vention qu'ils  devaient  s'adresser. 

Marat.  Le  rapport  du  décret. 

L'assemblée  décide ,  à  une  grande  majorité ,  qu'il  n'y  a  pas 
lieu  à  délibérer  sur  le  rapport  du  décret. 

CoUol.  Je  demande  que  le  comité  de  sûreté  générale,  qui  est 
saisi  d'inculpations  très-graves  contre  le  procureur- général-syn- 
dic du  département  du  Var,  fasse  incessamment  son  rapport  ;  non 


FÉ\RIRR  (1795).  38u 

qu'elles  soient  plus  {jraves  que  celle  dont  vous  venez  de  l'absou- 
dre, mais  parce  que  voire  comité  vous  rappellera  enfin  à  celte 
sévérité  dont  vous  n'auriez  jamais  dû  vous  départir,  et  vous  ti- 
rera de  celte  indulgence  si  funeste  dans  les  républiques. 

Duhem.  Il  vaut  mieux  rapporter  les  décrets  par  lesquels  vous 
venez  de  passer  à  l'ordre  du  jour  sur  une  mesure  très-importante 
qui  était  proposée. 

Le  président.  L'assemblée  a  déjà  rejeté  votre  proposition. 

Duhem.  J'observe,  président 

Le  président.  Duhem ,  vous  n'avez  pas  la  parole. 

Duhem.  Je  dis  que...  le  rapport  du  d«'cretest  indispensable... 
(Murmures  à  la  droite  de  la  tiibune.) 

Le  président.  Je  rappellerai  à  l'ordre  tous  ceux  qui  parleront 
sans  avoir  la  parole. 

Duhem,  continuant  au  ^nilieu  des  murmures.  Je  résisterai  à 

toute  espèce  de  tyrannie...  .  Voi?s  avez  dissous  l'empire Si 

tous  les  départemens  frontières  imifaient  celui  du  Var C'est 

infâme 

Plusieurs  voix.  Rappelez  donc  Duhem  à  l'ordre. 

Duhem.  Je  demande,  encore  un  coup,  le  rapport  du  décret. 
L'assemblée  ne  peut  pas  passer  à  l'ordre  du  jour...  C'est  infâme... 
(Les  murmures  elles  ciis  à  l'ordre  conlinuenl.) 

Le  président.  Il  m'est  impossible  de  rappeler  à  l'ordre  ceux  qui 
ne  veulent  pas  l'entendre. 

Duhem.  J'ai  raison...  Vous  avez  dissous  l'empire... 

Marat.  Voilà  ce  que  nous  devons  au  ministère  de  Roland. 

Robespierre  jeune.  Je  demande  que  le  conseil  exécutif  soit  im- 
prouvé pour  n'avoir  pas  commencé  par  casser  et  annuler  l'arrêté 
du  département  du  Yar. 

Duhem.  C'est  une  infamie 

Un  grand  nombre  de  voix.  L'ordre  du  jour. 

L'assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour,  et  le  silence  se  i  établit.  ] 

Troubles  de  Lijon.  (  Séance  du  2o  février.) 

Avant-propos.  Les  troubles  qui  ensanglantèrent  Lyon  pendant 
T.  x>iv.  o;; 


586  CONVENTION   NATIONALE. 

les  années  1793  et  1794,  et  qui  dégénérèrent  si  vite  en  une  guerre 
civile  pleine  de  désastres,  éclatèrent  à  l'occasion  des  visites  domi- 
ciliaires commencées  dans  la  nuit  du  4  au  5  février  1795.  Préala- 
blement à  tout  exposé  historique ,  nous  allons  faire  connaître  à 
nos  lecteurs  la  source  et  la  nature  des  documens  où  nous  puiserons 
les  matériaux  des  premiers  événemens. 

Il  existe  à  ia  Biblioihèque  royale  une  brochure  anonyme  de 
G4  pages,  inîitulée  :  Histoire  de  la  révolution  de  Lyon,  ser- 
vant de  développement  et  de  preuve  à  une  conjuration  formée  en 
France  contre  tous  les  gouvernemens  et  contre  tout  ordre  social. 
Ce  livre  a  été  donné  par  M.  Beuchot ,  auteur  du  Journal  de  la 
Librairie,  et  actuellement  bibliothécaire  de  la  chambre  des  dépu- 
tés; on  lit  sur  la  première  page ,  de  la  main  du  donateur,  volume 
rare  et  inconnu.  Nous  avons  lu  cette  brochure  d'un  bout  à  l'autre, 
et  nous  nous  sommes  convaincus  que  c'était  un  pamphlet  oratoire 
du  genre  le  plus  faux  et  le  plus  exagéré.  Passant  aux  pièces  jus- 
tificatives, qui  forment  un  post-scriptum  de  176  pages  petit- 
texte,  nous  n'avons  rien  trouvé  qui  en  garantît  l'authenticité, 
l'auteur  de  la  brochure  n'ayant  dit  nulle  part  ni  comment ,  ni 
pourquoi  ces  pièces  avaient  été  à  sa  disposition.  Pour  faire  le 
plus  peiit  usage  de  ce  document,  il  était  indispensable  que  nous 
fussions  renseignés:  1°  sur  la  personne  de  l'auteur;  2"  sur  les 
circonstances  qui  avaient  mis  entre  ses  mains  les  lettres  particu- 
lières et  les  procès-verbaux  dont  il  avait  composé  son  volumi- 
neux dossier  ;  5°  sur  les  causes  qui  avaient  fait  de  sa  brochure  un 
livre  rare  et  inconnu.  M.  Beuchot  a  bien  voulu  résoudre  nos  dif- 
ficultés. L'auteur  de  la  brochure  est  M.  Guerre,  avocat  de  Lyon  ; 
ce  fut  à  la  suhe  des  journées  du  29,  50  et  51  mai  1795  que  les 
insurgés,  maîtres  de  la  ville,  s'emparèrent  des  registres  du  con- 
seil-général de  la  commune,  de  ceux  des  sections  ,  de  ceux  du 
club  central ,  et  saisirent  au  domicile  des  jacobins  vaincus  une 
foulai  de  pupitrjj  qu'il  fui  libre  u  chacun  de  compulser.  M.  Guerre 
puisa  àceue  source.  Son  livre,  publié  au  moment  du  siéye,  ne  put 
pas  sortir  de  la  ville,  parce  que  les  communications  étaient  inter- 
rompues, et  lorsque  Lyon  eut  été  pris,  tous  ceux  qui  possédaient 


FÉVRIER  (1795).  387 

quelques  exemplaires  de  ce  livre  s'eiupressèrenl  de  les  détruire  : 
voilà  ce  qui  fait  que  cette  brochure  est  rare  et  inconnue.  Ceux 
même  qui  voulurent  courir  le  i  isque  de  la  conserver  en  arra- 
chèrent la  première  paj^e,  de  sorte  que  le  petit  nombre  de^  exem- 
plaires qui  survivent  n'ont  point  de  titre.  M.  Beuchot,  qui  était  à 
portée  d'être  bien  informé,  et  à  qui  nous  devons  ces  explications, 
nous  a  dit  que  la  brochure  avait  été  imprimée  et  mise  en  vente  par 
Maire  et  Mars,  libraires  associés,  et  que  IMars  avait  été  guillotiné 
pour  ce  lait  (1). 

Ces  éclaircissemens  infirment  beaucoup,  à  notre  avis,  la  valeur 
des  documens  réunis  par  M.  Guerre.  Les  contradicteurs  naturels 
de  ce  plaidoyer  royaliste-constitutionnel,  les  chefs  des  jacobins 
de  Lyon  n'ont  pu  répondre,  car  ils  ont  été  mis  à  mort  par  les 
vainqueurs ,  et  les  histoires  des  ennemis  aussi  acharnés  légiti- 
ment toute  espèce  de  soupçons.  En  conséquence,  nous  n'appor- 
terons eu  témoignage  aucun  extiait  de  cette  brochure,  que  sous 
les  réserves  du  doute,  et  en  les  soumettant  à  la  critique  historique 
la  plus  sévère. 

Afin  que  nos  lecteurs  puissent  juger  combien  notre  méfiance 
est  fondée,  nous  citerons  la  pièce  cotée  n"  CXXXIV.  Elle  est 
intitulée:  Lettre  adressée  à  Cliaiier  d'Oberstad,  /e  22 mai  1705, 
ihnbrcc  de  Re'mhausen,  taxée  vingt  sob ,  el  arrivée  le  lendemain  de 
l'arrestation  de  Cliaiier.  Rien  n'y  manque,  comme  on  voit ,  ni 
l'adresse,  ni  le  timbre,  ni  la  date,  ni  le  jour  de  l'arrivée.  A  ces 
précautions  excessives  on  reconnaîtrait  presque  un  faussaire  ; 
mais  la  conviction  est  complète  lorsqu'on  lit  celte  singulière  épîlre, 
écrite  à  Ghalier  par  un  émigré  qui  lui  raconte  une  victoire  de  la 
coalition  sur  les  armées  de  la  République  ,  lesquelles  savent 
vaincre  el  courir.  Celle  lettre,  évidemment  fabriquée  pour  faire 
croire  au  royalisme  de  Chahcr,  se  terniinr'  ainsi  :  «  Tâchez  tou- 

(1)  En  parcourant  at'entivement  le  Journal  de  Lijon  .  nous  avons  trouvé  à  la 
fin  du  n°  121  (51  juillet  17^3)  un  avis  qui  contient  quelques-uns  de  ces  détails, 
el  uous  donne  la  date  précise  de  la  publication  de  la  brochure.  Elle  est  annoncée 
dans  cet  avis  par  l'intitulé  que  nous  avons  transcrit,  après  lequel  viennent  ces 
mois  :  «  Prix  :  ?>  livres ,  au  bureau  du  Journal  de  Lijon,  allée  des  Images,  et 
«hez  Miiirc  et  Mars,  libraires,  rue  Merciér^j.  a  (  Ao(e  des  nukun.) 


588  CONVENTION   NATIONALE. 

jours  de  vous  couvrir  du  voile  du  patriolisme  pour  mieux  nous 
servir.  Votre  projet  a  été  fortement  goûié  du  prince ,  au  sujet  de 
ce  que  vous  savez  :  si  cela  réussit,  nous  serons  trop  heureux  de 
pouvoir  trouver  un  honnête  homme  comme  vous,  etc.,  etc.. 
Signé,  Mis...  de  S"^  V...  »  Si  une  accusation  du  même  genre,  et 
presque  à  l'aida  des  mêmes  moyens,  n'avait  été  tentée  contre  Ro- 
bespierre au  moment  de  sa  chute ,  nous  ne  comprendrions  pas 
une  telle  ineptie.  Chalier  conserva  intacte  la  réputation  d'un 
homme  probe  ;  il  fut  jusqu'à  sa  mort  un  fanatique  révolution- 
naire dans  le  genre  de  Marat.  Que  l'on  compare  à  la  lettre  précé- 
dente le  récit  de  son  supplice,  tel  que  nous  le  transcrivons  du 
journal  de  ses  ennemis,  t  Lyon,  17  juillet  1795.  Le  trop  fameux 
Chalier  a  subi  son  suppHce  à  six  heures  du  soir.  (11  avait  été  con- 
damné le  i6  par  le  tribunal  criminel  des  insurgés.)  Il  a  déployé 
jusqu'au  dernier  moment  une  audace  qui  rend  plus  étonnant  que 
jamais  le  caractère  de  cet  homme,  méchant  par  nature ,  brigand 
satîs  intérêt,  et  le  premier  auteur  de  tous  les  troubles  de  Lyon. 
Condamné  à  quatre  heures  du  matin ,  il  a  passé  le  reste  de  la 
journée  à  faire  son  testament.  Au  moment  du  supplice ,  il  alla 
faire  ses  adieux  aux  autres  prisonniers,  et  marcha  d'un  pas  ferme, 
à  pied,  au  pas  du  tambour,  jusqu'au  supplice,  en  regardant  tour 
à  tour  les  spectateurs ,  l'hôtel  commun  et  l'cchafaud.  Il  embrassa 
son  confesseur,  baisa  le  crucifix  ;  le  couteau  fatal  manqua  quatre 
fois  ;  le  quatrième  coup  était  encore  insuffisant,  il  fallut  l'achever 
avec  un  couteau.  Sa  tête  sanglante  fut  exposée  sur  l'échafaud. 
Quelques  claf|uemens  de  main  furent  étouffés  par  l'indignation 
que  fit  éprouver  le  mauvais  succès  de  l'instrument.  On  le  plai- 
gnit  Aurait-il  plaint  ceux  dont  il  demandait  chaque  jour  la 

mort? Il  essaya  le  premier  dans  Lyon  cette  sainte  guillotine, dont 
il  demandait  la  permanence!...  »  {Journal  de  Lyon  par  Carrier, 
n.  ex.) 

Les  girondins  avaient  un  organe  public  à  Lyon,  le  journaliste 
Carrier.  Les  renseignemens  que  sa  feuille  nous  fournira  méritent 
la  confiance  qui  s'attache  à  tout  témoignage  contemporain,  pourvu 
qu'il  ait  reçu  en  temps  utile  une  grande  publicité,  et  qu'il  ait  ainsi 


FÉYRIliK(17y5).  589 

provoqué  des  débats  conlradictoires.  Vers  le  comniencemeul  de 
lévrier,  Carrier  était  allé  à  Paris  réclamer  des  secours  auprès  de 
ia  Convention  pour  soutenir  son  journal  ;  il  en  avait  confié  la  ré- 
daction à  J.-L.  Fain  ,  qui  commence  à  signer  la  feuille  à  partir 
du  2  mars  ;  tous  les  articles  que  nous  reproduirons  sont  de  lui. 

Les  jacobins  eurent,  au  moins  pendant  quelque  temps,  un  jour- 
nal intitulé  le  Surveillant.  Cette  indication  nous  est  fournie  par 
une  lettre  attribuée  à  Lausse!  (1),  car  la  feuille  en  question  ne 
ligure  dans  aucune  bibliographie,  et  sans  doute  il  n'en  existe  pas 
vestige.  Les  actes  du  conseil-général  de  la  commune  jusqu'au 
29  mai  1795,  les  opérations  du  club  central,  telles  que  nous  les 
présenterons,  ses  correspondans  de  Paris,  seront  donc  nos  seuls 
élémens  de  la  contre-partie  authentique  des  versions  girondines. 

Nous  passons  au  récit  des  événemens.  Lyon  était  une  ville  que 
sa  proximité  des  frontières  indiquait  aux  émigrés  comme  leur 
rendez-vous  le  plus  commode,  soit  qu'ils  voulussent  quitter  le  ter- 
ritoire, soit  qu'ils  voulussent  y  rentrer  pour  tenter  quelque  ma- 
nœuvre contre-révolutionnaire.  Ce  motif  en  faisait  également  le 
centre  d'une  correspondance  active  entre  les  royalistes  du  dedans 
et  les  royalistes  du  dehors.  Dès  le  mois  de  janvier  il  s'y  était  ras- 
semblé un  grand  nombre  de  prêtres  réfractaires.  L'opinion  gi- 

(0  Là  dessus,  M.  Guerre  renvoie  au  n"  3  de  ses  pièces  justificatives.  Nous  y 
trouvons  la  lettre  suivante  : 

a  Frngmcns  d'une  lettre  de  l'ahbè  Laussel  à  Chalier.  officier  municipal. 

0  Monsieur  et  cher  ami,  je  vous  envoie  le  n»  4  du  Surveillant,  que  vous  me 
renverrez  avec  vos  observations  sur  l'article  inséré ,  septième  colonne,  contre  la 
municipalité. 

»  Tâchez  de  prendre  vos  arrangemens  afin  de  pouvoir  venir  nae  voir  dans  mon 
ermitage  aux  fêles  de  la  Toussaint.  Si  vous  nie  marquez  le  jour  où  il  vous  sera 
loisible  de  partir,  je  vous  enverrai  un  bnn  che  al  et  un  patriote  pour  vous  ac- 
compagner.... 

r>  Ma  sœur  me  charge  de  vous  assurer  de  ses  respects.  Quoi  qu'où  ait  pu  et 
qu'on  puisse  vous  dire  à  cet  égard  ,  que  cela  ne  vous  é'oigne  pas  de  notre  de- 
meure; nous  aurons  bien  des  explications  à  vous  donner  dans  le  sileace  des  lon- 
gues soirées.  ÎS'ous  serions  désolés  de  laisser  des  impressions  défavoraliles  dans 
l'esprit  de  ceux  qui  sont  dignes  de  notre  es.ime  ;  pour  lei  autres ,  que  nous  ira- 
porte?  » 

Cette  lettre  n'a  point  de  date.  Comme  l'invitation  de  Laussel  semble  l'indiquer, 
elle  serait  du  mois  d'octobre  1792.'  (  Piote  des  auteurs.) 


â9i)  CONVENTION    NATIONALE. 

londine  était  en  majoritë  dans  celte  ville ,  à  cause  des  riches  ma- 
nufacturiers qui  l'habitaient  et  de  l'influence  que  donnait  à  cette 
classe  la  lonj^ue  possession  des  magistratures  municipales.  L'es- 
prit audacieux  de  la  Conver.-tion ,  et  dernièrement  la  mort  de 
Louis  XVI,  avaient  même  inspiré  à  la  bourgeoisie  lyonnaise  une 
haine  de  Ja  re'volution  qui  n'admettait  plus  de  tempérament,  et 
qui  en  faisait  l'alliée  de  toutes  les  passions  royalistes  et  de  toutes 
les  entreprises  dont  ces  passions  prendraient  l'initiative.  Une  por- 
tion assez  considérable  de  la  classe  ouvrière  était  animée  de  sen- 
timens  bien  différens  ;  mais  elle  n'était  rien  sans  des  chefs ,  et 
ceux-ci  étaient  en  bien  petit  nombre.  Le  conseil-général  de  la 
commune,  élu  sous  la  terreur  du  10  août  et  des  massacres  de  sep- 
tembre, se  composait  de  jacobins.  L'ame  de  ce  parti  était  Chalier, 
président  du  tribunal,  et  aussi  du  club  central;  au  second  rang, 
venait  Laussel,  procureur  de  la  Commune,  ex-prétre,  à  qui  la 
brochure  de  M.  Guerre  reproche  un  commerce  incestueux  avec  sa 
sœur  qu'il  épousa  depuis  (i). 

Les  troubles  de  février  furent  précédés  de  quelques  mesures 
du  conseil-général  de  la  Commune,  à  l'occasion  des  certificats 
de  civisme.  Les  notaires,  royalistes  pour  la  plupart,  en  furent 
le  principal  objet.  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  la  feuille  de 
Carrier,  rédigée  pai'  J.-L.  Fain  [Journal  de  Lyon,  ou  Moniteur 
du  déparlemenl  de  Rhône-et-Loire  )  n.  du  29  Janvier. 

«  Conseil-général  de  la  commune.  Dia)anche ,  20  janvier,  le  con- 
seil-général fit  refus  aux  citoyens  André ,  Lasnier,  Tournilhon 
fils  et  B  llouard ,  notaires ,  du  certificat  de  civisme  exigé  par  une 
délibération  antérieure  pour  l'exercice  de  leurs  fonctions;  le  con- 
seil -araissait  disposé  à  rac<;order  aux  autres,  comme  le  porte 
la  délibération  dudit  jour,  quand  dimanche,  27  courant,  à  la 
séance  du  matin  ,  le  citoyen  Laussel ,  procureur  de  la  commune, 
dénonça  au  conseil  qu'jl  lui  avait  été  oflert  une  somme  de 
42,000 liv.,  réduite  à  8,000  liv.,  pour  l'engager  à  u-anifesîerson 
vœu  en  faveur  des  vingt-six  notaires.  Cette  manière  de  demander 
un  certificat  de  civisme  était  trop  peu  délicate  pour  ne  pas  la 

i\)  Voir  la  note  ci  dfrrière,  p.  S8S, 


FÉVRIER  (4795).  '      :t)l 

faire  suspecter;  aussi  y  eut-il  une  vive  discussion  à  ce  sujet,  et 
l'affaire,  n'ayant  pu  être  terminée  dans  celle  séance,  fut  ajour- 
née à  celle  du  soir. 

>  On  allait  reprendre  la  discussion  du  matin ,  quand  on  vint 
remetire  au  citoyen  président  une  adresse  bien  pitoyable,  bien 
lamentable,  bien  notariée  enfin,  par  laquelle  MM.  les  notaires 
prétendent  qu'ils  n'avaient  d'autre  intention ,  en  remettant  celte 
somme  au  procureur  de  la  commune  ,  que  de  l'inviter  à  la  ver- 
ser dans  la  caisse  fraternelle.  Ah  !  messieurs  les  notaires ,  comme 
vous  en  imposez  !  Cette  pièce  originale  était  signée  Dusurgey,  an- 
cien sijndïc,  et  Desgranges,  ci-devant  second  syndic.  Ces  mes- 
sieurs ont  encore  de  la  peine  à  se  défaire  de  leur  ancienne  ma- 
rotte. Le  conseil  a  passé  par-dessus  tous  les  égards  dus  à  deux 
ri-devant  syndics,  et,  regardant  cet  acte  conmie  pièce  de  convic- 
tion ,  a  prononcé  l'interdiction  ,  à  la  réserve  des  citoyens  Bres- 
sot ,  Cliaral ,  Caillot  et  Delompnes ,  que  le  conseil  a  autorisés  à 
exercer  provisoirement  jusqu'à  ce  que  le  département  ait  ouvert 
le  concours  pour  le  notariat.  »  —  Le  conseil-général  revint  sur 
celte  dernière  exception  dans  sa  séance  du  50  janvier,  et  décida 
(lu'aucun  notaire  ne  serait  autorisé  à  exercer  provisoirement. 

Visites  domiciliaires.  «  Lyon,  6  février  1795. — On  a  comuiencé 
celle  nuit  et  on  continue  ce  inatin  dfâ  vibilos  doiiiiciliaires.  Depuis 
plusieurs  jours,  la  municipalité,  in.^i;  aile  de  dif[é;entci,  circon- 
stances qui  avaient  alarmé  sa  surveillance,  était  sollicitée  d'ailleurs 
de  prendre  cette  mesure  indispensable  pour  assurer  la  tranquil- 
lité de  la  ville  et  éiouffer  la  fermentation  sourde  qui  semblait  pié- 
sager  les  plus  gsands  troubles.  Le  ciîoyen  Santemouche,  ofHcier 
municipal ,  avait  été ,  jeudi  dernier,  attaqué  par  quatre  brigands. 
Cette  attaque,  faite  de  nuit  à  un  fonctionnaire  public  revêtu  de 
son  écharpe,  confirmait  les  complots  doht  on  avait  déjà  quelques 
soupçons.  Des  placards  incendiaires  affichés  à  pi.isieurs  n^prÏL-  s 
et  dans  plusieurs  endroits,  et  notamment  à  l'arbre  de  la  libe;  té, 
sur  la  place  des  Terreaux,  attisaient  le  feu  de  la  guerre  civile. 
Lundi  soir  (4  février),  un  grand  nombre  de  citoyens  vinrent  com- 
niimiquer  leurs  craintes  au  conseil -général  d-?  la  commune,  et 


592  CONVENTION   NATIONALE. 

sollicitèrent  de  promptes  mesures  pour  empêcher  les  progrès  de 
cette  raachinaiion.  Aussitôt,  sur  la  réquisition  du  citoyen  Laus- 
sel,  procureur  de  la  commune,  !e  conseil -général  se  constitua 
en  assemblée  permanente.  Les  notables  furent  convoqués  à  bas 
bruit ,  et  la  visite  commença.  Un  grand  nombre  de  personnes  sus- 
pectes ont  été  arré!é»'S  ;  des  prêtres,  des  ci-devant  abbesses ,  et 
entre  autres,  beaucoup  de  lilous  et  plusieurs  bandes  de  vo- 
leurs, dont  quelques-uns  ont  été  pris  sur  le  fait  au  moment  où  le 
rappel  battait  dans  les  sections.  Le  commandant  de  bataillon  du 
Port-du-Temple  et  })lusieurs  officiers  du  même  bataillon  ont  été 
an  êtes  avec  les  preuves  d'un  complot  formé  contre  les  magistrats. 
Pour  donner  une  idée  des  placards  qui  ont  nécessité  cette  mesure, 
voici  un  extrait  d'un  de  ceux  que  ion  a  trouvés  sur  l'arbre  delà 
liberté  des  Terreaux ,  et  qui  a  été  détaché  et  porté  à  la  munici- 
paliîé.  —  «  Le  crime  est  donc  consommé ,  et  le  couteau  meur- 
»  trier  a  tombé  sur  la  tête  de  notre  roi  !  Voilà  donc  comme  on 
»  récompense  les  monarques  qui  veulent  rendre  leurs  peuples 
»  libres  !  Français,  vous  qui  donniez  jadis  l'exemple  de  la  fidé- 
j  lité,  de  l'équité  et  de  l'humanité,  que  sont  devenus  ces  titres  ? 
»  Je  déclare,  à  la  face  du  ciel  et  des  hommes ,  que  Louis  XVI  est 
»  mort  innocent ,  que  tous  ceux  qui  l'ont  condamné  au  supplice 
»  ont  porté  un  jugement  inique;  et  vous,  peuple  injustement 
»  trompé... ,  etc..  >  {Journal  de  Lyon,  numéro  du  6  février.  ) 

>  La  visite  domiciliaire  s'e^t  terminée  mardi  soir.  La  plus 
grande  tranquillité  règne  dans  la  ville.  MM.  Palerne ,  Savy,  ïo- 
lozan,  Imbert,  Gonflaus,  Miege  et  Dareste,  ont  été  arrêtés  et 
sont  détenus  à  la  maison  comamne.  Le  conseil-général  est  en 
permanence;  une  grande  partie  des  personnes  arrêtées  ont  été 
relâchées  après  examen.  —  Citoyen  > ,  fiez-vous  à  vos  magistrats  : 
iis  veillent  pour  vous,  jouissez  de  leur  ouvrsge,  et  ne  décon- 
certez pas  leurs  projets.  »  [Journal  de  Carrier,  numéro  du  7  fé- 
vrier.  ) 

J.-L.  Fain  avait  ajourné  les  détails  pour  en  donner  de  sûrs: 
son  numéro  du  9  février  renferme  un  long  article  dont  la  plus 
grande  partie  est  une  amplilication  de  son  récit  précédent.  La  fin 


FÉVRIER  (  1795  ).  593 

de  cet  article  annonce  que  les  ëvénemens  se  sont  compliqués  de 
circonslauces  nouvelles  et  plus  fâcheuses.  —  «  On  disait  que  dans 
la  société  des  Amis  de  la  lilierié  (1)  ou  ^vait  foit  ia  moi  ion  de 
placer  la  guillotine  sur  le  pont  Morand  et  d'établir  mi  tribunal 
populaire,  dont  les  ariéis  seraient  aussilôl  exécutés  que  rendus. 
Plusieurs  notables ,  membres  de  la  société  centrale ,  démeniirent 
celte  assertion  ;  une  députation  se  tranapoiia  aux  prisons  et 
dressa  un  pî  ocès-verbal  qui  constate  que  l'insirument  de  mort 
est  épars  dans  plusieurs  greniers,  divisé  par  pièces,  couvert  de 
poussière ,  et  que  l'on  n'a  fait  aucune  tentative  pour  s'en  empa- 
rer ;  ce  procès-verbal ,  signé  du  gieiiier  des  pi-isons ,  du  geôlier, 
des  guichetiers  et  des  gendarmes  nationaux,  a  été  rapporté  au 
conseil.  Le  citoyen  maire  s'est  absenté  depuis  ce  temps  de 
l'Hôtel-de-Ville  sous  prétexle  d'indisposition.  Le  conseil-géné- 
ral de  la  commune  allait  déclarer  que  le  citoyen  JN'ivière-Chol 
avait  perdu  sa  confiance  ;  mais  cette  déclaration  a  été  ajournée 
jusqu'à  l'examen  de  sa  correspondance  avec  l'administration  du 
département.  La  société  des  Amis  de  l'égalité  s'est  plainte  d'avoir 
été  calomniée  par  le  citoyen  niaire  ,  et  une  pétition  ,  souscrite  de 
cinq  à  six  mille  signatures,  a  déclaré  qu'il  avait  perdu  la  con- 
fiance des  citoyens.  » 

iO  février.  *  Le  citoyen  Nivière-Chol ,  maire,  adonné  sa  dé- 
mission ;  le  conseil- général  l'a  dénoncé  à  l'accusateur  public  ,  en 
vertu  de  la  loi  qui  déclare  traître  à  la  patrie  loul  fonctionnaire 
public  qui  abandonnera  son  poste  tant  que  la  patrie  sera  ea  dan- 
ger. »  (  Journal  de  Lyon  ,  n.  XXXU .  ) 

La  rumeur  de  la  conspiration  du  club  central,  conspiration  que 
le  journaliste  nous  donnait  tout  à  l'heure  comme  un  un  dit  que 
démentaient  des  témoignages  dignes  de  foi  et  même  des  procès- 
verbaux  autlienti(iues,  cette  rumeur  s'accrédite  maintenant,  et 
J.-L.  Fain  commence  à  y  croire.  11  parle  de  nombreuses  émigra- 
tions qu'on  ne  saurait  attribuer  aux  visites  domiciliaires,  <  faites 

(1)11  y  avait  doux  sociétés  populaires  à  Lyon,  Vuaedilc club  Central,  l'autre 
club  de  la  Grtnde-Côte  ;  la  première  était  jacobine,  la  seconde  étqit  girondiae. 
En  ce  moment  elles  achevèrent  de  rompre.  ( iNote  des  auteurs.  ) 


594  CONVENTION    NATIONALE, 

avec  ordre  »  et  qui  ne  s'expliquent  que  par  des  bruits  sinistres. 
«  On  parle  de  motions  sanguinaires  faites  dans  la  société  cen- 
trale ;  on  parle  d'une  séance  à  huis  clos,  d'un  serment  fait  par  les 
membres  présents  de  ne  rien  révéler  de  ce  qu'ils  entendraient. 
On  parle  d'un  projet  de  pillage  de  six  heures...  Chalier,  on  te 
calomnie ,  j'aime  à  le  croire  ;  démens  ces  bruits,  que  tu  ne  peux 
ignorer.  J'aime  ton  énergie,  j'admire  ton  ame  incorruptible,  ton 
impartialité  sévère,  piemier  devoir  d'un  magistrat  ;  mais  toi ,  qui 
punis  les  infracleurs  des  lois ,  prêches-en  le  respect  à  tes  conci- 
toyens; lâche  le  glaive,  prends  la  balance.  »  {Journal  de  Lyon ^ 
n.  XXXIII.) 

18  février.  Dans  la  soirée  de  ce  jour,  les  discussions  éclatèrent. 
Plus  de  huit  mille  suffrages ,  sur  neuf  mille  votans ,  conféraient 
de  nouveau  à  Nivière-Ghol  la  charge  de  maire.  Le  dépouillement 
du  scrutin  fut  achevé  le  18  à  sept  heures,  et  aussitôt  le  mouve- 
ment commença.  Taliien  fit  un  rapport  sur  ces  troubles  dans  la 
séance  du  2o  février  ;  sa  narralion  fut  beaucoup  attaquée  par  le 
Journal  de  Lyon  d'abord  ,  et  ensuite  par  les  feuilles  girondines 
de  la  capitale ,  qui  adoptèrent  la  version  de  J.-L.  Fain  de  préfé- 
rence à  celle  de  Taliien.  Puisque  ce  dernier  est  principalement 
accusé  en  cette  circonst:incG  de  parler  plutôt  en  correspondant 
du  club  central  et  du  conseil-générjl  de  la  co.'nmune  qu'en  rap- 
porteur impartial ,  nous  pouvons  regarder  son  récit  comme  le 
témoignage  même  des  Jacobins  de  Lyon;  celui  des  Girondins  est 
dans  la  feuille  de  J.-L.  Fain.  Après  avoir  lu  et  comparé  les  deux 
pièces,  nous  trouvons  qu'elles  diffèrent  plus  dans  la  forme  que 
dans  le  fond.  Les  faits  sont  à  peu  près  identiques;  ils  nous  pa- 
raissent même  plus  graves  dans  \e  Journal  de  Lyon  que  dans  le 
rapport  de  Tailien.  Nous  allons  prendre  dans  l'historique  tracé 
par  J.-L.  Fain,  sous  l'inspiration  du  moment,  ce  qu'il  y  a  d 
conforme  aux  griefs  articulés  par  le  rapporteur  du  comité  de 
surveillance  de  la  Convention  nationale ,  et  certaines  circonstan- 
ces ignorées  sans  doute  de  celui-ci ,  car  il  en  eût  fait,  s'il  les  avait 
connues,  ses  premiers  chefs  d'accusation  ,  tandis  qu'il  ne  les  men- 
tionne pas.  Puis  nous  donnerons  le  texte  de  ce  rapport,  en  l'an- 


FÉVRIER  (  1793).  o9o 

notant  de  toutes  les  critiques  qu'y  fit  le  suppléant  de  Carrier  dans 
sa  feuille  du  4  mars. 

Narration  de  J.-L.  Fa'm.  Le  ioui'naliste  commence  par  pein- 
dre la  joie  qui  suivit  l'élection  de  Nivière-Ghol  ;  il  raconte  ensuite 
que  la  foule  accourut  chez  ce  citoyen  pour  le  ieliciler,  et  que  de  là 
elle  se  porta  sur  les  Terreaux...  c  Un  rassemblement  nombreux 
couvrait  !a  place  du  Grand-Collège,  oii  demeure  Chalier  ;  on  di- 
sait que  le  soir  même ,  à  la  séance  de  la  société  soi-disant  patrio- 
tique, il  avait  annoncé  le  triomphe  de  son  rival  en  accompaj^nant 
son  récit  d'imprécations  et  de  menaces.  Toutes  les  maisons  étaient 
illuminées  ;  les  fenêtres  de  Chalier  ne  l'étaient  pas.  Quelques 
voix,  pius  indi()[nées  de  l'andace  de  cet  homme  coupable,  di- 
saient :  A  bas  la  tête  de  Chalier,  montons  chez  lui. — Non,  s'écrient 
d'autres,  respectons  les  personnes,  les  propriétés;  si  Chalier 
est  un  coupe-iête,  ne  le  soyons  pas;  nous  ne  sommes  pas  des 
Chaliers.  Deux  citoyens  seulement  montent  chez  lui  pour  l'invi- 
ter à  illuminer  ;  personne  ne  répond;  ils  redescendent,  et  au- 
cune violence  ne  se  fait.  On  se  porte  dans  la  salle  du  club;  tout 
est  fracîîssé ,  les  bancs  sont  brisés ,  les  registres ,  les  papiers , 
entassés  dans  une  manne;  on  les  porte  au  département...  L'im- 
partialité nous  fait  un  devoir  de  présenter  une  observation.  On 
accuse  les  membres  de  la  société  centrale  de  former  des  projets 
attentatoires  à  la  sûreté  des  personnes  et  des  propriétés  ,  et  c'est 
cette  société  même  dont  on  viole  la  propriété  !  Jusqu'à  présent  on 
ne  peut  accuser  cette  société  exaltée  que  de  projets  alarmans, 
car  il  n'y  a  pas  de  voie  de  fait  de  prononcée...  On  entend  crier 
sur  la  place  ;  «  On  a  enfermé  nos  l'rères  dans  la  salle  du  centre.  » 
La  foule  se  porte  sur  la  rue  du  Garet;  les  avenues  étaient  occu- 
pées par  des  {;aides  ;  ils  fondeiit  sur  ces  hommes  désarmés  ,  les 
dispersent  ;  des  coups  de  feu  se  font  entendre;  un  ne  dit  pas  que 
personne  ait  péri...  «  Poiut  de  clubs!  ont  crié  quelques  voix  dans 
cette  5:oirée  d'ivresse  et  d'alaimes.  Citoyens,  vous  vous  égarez, 
point  de  Chalier,  mais  desctulis...»  Diffoientes  sections  s'étaient 
déclarées  en  permanence.  La  municipalité  députa  à  ces  assem- 
blées pour  les  inviter,  au  nom  de  la  loi ,  à  se  dissoudre  ;  refus  for- 


596  CONVENTION   NATJONALE. 

mel.  Des  commissaires  sont  envoyés  à  l'arsenal  pour  faire  sortir 
des  canons  et  pour  demander  aux  citoyens  armés  de  cette  sec- 
tion en  vertu  de  quel  ordre  ils  s'étaient  rendus  en  armes  à  l'ar- 
senal :  refus  de  leur  part  de  répondre.  Ordre  aux  députés  de  se 
retirer.  Deuxième  dépuiaiion  de  la  part  de  la  municipalité  et  du 
district  de  la  ville  ,  réunis  à  la  tête  de  deux  cents  hommes  armés. 
A  leur  approche ,  la  garde  de  la  section  de  l'arsenal  crie  :  «  Halte- 
là,  en  joue  !»  Ils  arment  leurs  fusils.  «Au  nom  de  îa  loi,  s'écria  un 
officier  municipal,  vous  ne  devez  ni  ne  pouvez  nous  refuser  l'en- 
trée, »  Et  en  même  tf>mps  il  relève  l'un  des  fusils  et  passe  outre. 
Les  députés  sont  entourés  d'hommes  armés.  «  Nous  ne  connais- 
sons, leur  dit-on,  ni  lois ,  ni  autorités  constituées.  >  Ils  se  retirent 
et  dressent  procès-verbal...  Comme  il  ne  restait  plus  autour  de 
la  municipalité  que  le  poste  ordinaire ,  un  attroupement  s'avance 
en  criant  :  «  A  bas  la  municipalité ,  la  tète  de  Chalier  et  de  Laus- 
sel  !  »  La  garde  du  poste  ne  peut  pas  contenir  les  attroupés  ;  ils  se 
précipitent  dans  l'IIôtel-de- Ville  ;  la  municipalité  descend ,  fait 
bonne  contenance.  Plusieurs  officiers  municipaux  sont  insultés, 
frappés  ;  l'écharpe  de  l'un  deux  est  déchirée.  Un  détachement  de 
troupes  de  ligne  arrive  à  propos;  l'attroupement  se  disperse, 
ainsi  qu'un  autre  qui  s'occupait  à  clouer  devant  l'arbre  de  la  li- 
berté la  statue  de  la  liberté  et  le  buste  de  Jean-Jacques  (enlevés 
de  la  salle  du  club  central.  )  Une  nouvelle  perquisition  se  fait  dans 
la  salle  du  club  (  ce  même  club  que  naguère  on  avait  saccagé  )  ; 
deux  particuliers  qui  s'y  étaient  cachés  sont  arrêtés  et  conduits  à 
la  municipalité  ;  l'un  deux  était  le  domestique  d'un  émigré  ;  on 
fouille  ses  papiers,  on  y  trouve  plusieurs  libelles  concernant 
Louis  XVL  »  {Journal  de  Lijon,  19  et  20  février.) 

Rapport  sur  les  troubles  arrives  à  Lyon.  (  Séance  du  25  février. 

[  Tallien.  Citoyens,  vous  avez  renvoyé  à  votre  comité  de  sû- 
reté générale  les  diverses  pièces  relatives  aux  troubles  arrivés 
dans  la  ville  de  Lyon ,  troubles  qui  ont  été  partout  rapportés  de 
la  manière  la  plus  infidèle ,  et  dont  je  vais  vous  faire  le  récit  exact. 

Vous  savez,  citoyens,  que  la  ville  de  Lyon  a  toujours  été  le 


FÉVRIER  {47ii3).  397 

refuge  des  conlre-révolutionnaires;  qu'à  diverses  époques  il  s'y 
est  élevé  des  mouvemens  très-violens ,  qui  ont  toujours  précédé 
ou  suivi  de  très-près  ceux  dont  Paris  a  souvent  été  le  théâtre.  II 
restait  cepf^ndant  un  espoir  aux  amis  de  la  liberté ,  lorsqu'ils  con- 
sidéraient le  patriotisme  des  sans-culottes,  qui  là,  comme  dans 
toutes  les  autres  parties  de  la  République ,  sont  les  défenseurs 
les  plus  ardens  de  la  liberté ,  et  qui  toujours  veillent  pour  déjouer 
les  complots  des  ennemis  de  la  patrie.  L'immense  étendue  de 
celte  cite,  sa  nombreuse  population,  sa  position  topographique, 
son  éloignement  de  Paris,  la  mauvaise  composition ,  la  coupable 
indolence  des  anciens  administrateurs,  n'avaient  pas  peu  contri- 
bué à  faire  de  cette  ville  le  point  de  réunion  de  tous  ces  hommes 
qui,  imbus  de  préjugés  et  regrettant  les  chimères  de  l'ancien  ré- 
gime, allaient  là  entretenir  leurs  espérances  et  en  attendre  ou  ea 
préparer  même  le  succès.  Ci-devant  nobles,  ci-devant  financiers 
du  haut  parage ,  prêtres  réfractaires ,  méconlens  du  nouvel  ordre 
de  choses,  tous  se  rassemblaient  à  Lyon.  Ils  y  trouvaient  ce 
que,  dans  leur  langage,  ils  appelaient  la  bonne  compagnie.  Les 
plaisirs,  le  luxe  de  Paris  les  y  suivaient  ;  ils  se  trouvaient  là  dans 
leurs  élémens;  les  émissaires  des  cours  étrangères  avaient  moins 
loin  pour  conférer  avec  eux.  Tout  allait  pour  le  mieux,  lorsque 
la  révolution  du  10  août  vint  déconcerter  tous  les  projets  contre- 
révolutionnaires.  La  source  de  la  liste  civile  fut  tarie ,  les  corres- 
pondances interceptées;  les  administrations  renouvelées  :  alors 
tout  changea  de  face  ;  les  plus  notés  d'entre  les  réfugiés  émigrè- 
rent  ;  les  prêtres  réliaclaii  es  lurent  déportés ,  et  le  calme  parut 
un  instant  se  rétablir.  Los  premiers  commissaires  envoyés  par  la 
Convention  nationale  étaient  parvenus  à  concilier  les  esprits  et  à 
détruire  les  germes  de  diiscnsion  que  les  malveillans  ne  cessaient 
d'exciter.  La  cessation  de  travaux ,  le  renchérissement  d'un  grand 
nombre  des  denrées,  la  misère  à  laquelle  se  trouvaient  réduits 
plusieurs  milliers  d'ouvriers,  donnaient  des  inquiétudes  aux  ad- 
ministrateurs. La  discussion  qui  avait  lieu  dans  la  Convention 
nationale,  au  sujet  du  ci-devant  roi,  ne  contribuait  pas  peu  à  ra- 
nimer les  espérances  des  ennemis  de  l'ordre  public.  La  nouvelle 


398  CONVENTION   NATIONALE. 

de  la  condamnaiion  et  de  l'exécution  du  tyran  ,  ai'rivëe  au  même 
moment,  fut  reçue  diversement.  Les  sans-cuIottes  s'empressèrent 
d'adhérer  à  votre  décret,  les  aristocîates  murmurèrent;  mais  ils 
n'étaient  pas  en  force;  la  municipalité  les  surveillait,  et  ils  fu- 
rent obligés  de  concentrer  leur  rage  et  de  se  venger  par  quel- 
ques misérables  pamphlets.  On  les  méprisa  d'abord  et  on  n'y  fit 
pas  beaucoup  d'attention  ;  mais  bieniôi ,  se  prévalant  du  silence 
des  magistrats,  ils  levèrent  la  tête  d'une  manière  plus  auda- 
cieuse. 

La  mort  de  Lepeileiier  devint  pour  eux  un  motif  de  joie  qu'ils 
ne  purent  dissimuler.  Son  lâche  assassin  fut  même  célébré  dans 
un  libelle  intitulé  :  Un  vertueux  Français  à  la  Convention  natio- 
nale ,  et  dans  lequel  on  remarquait  ce  passage  :  «  Tremblez ,  bri- 
gands ,  et  souvenez-vous  que  les  inlàmes  assassins  de  Charles 
Stuart  ont  péri  misérableuicnt ,  ou  sont  tombés  sous  les  coups 
des  vrais  Anglais  j  le  même  sort  voiis  attend.  » 

L'arbre  delà  liberté  de  la  place  des  Terreaux  était  chaque  jour 
couvert  d'écrits  aussi  incendiaires  (1). 

La  ville  de  Lyon  n'était  pas  le  seul  refugo  des  royalistes.  A 
MoRtbrison ,  on  proposa  d'incendier  les  maisons  de  deux  députés 
à  la  Convention  nationale  ,  qui  avaient  voté  la  mort  du  tyran,  les 
citoyens  Dupuis  et  Javoque.  La  porte  du  domicile  du  père  de  ce 
dernier  a  même  été  teinta  de  sang  pendant  la  nuit. 

Les  officiers  municipaux  de  Lyon  étaient  souvent  insultés, 
même  lorsque ,  revêtus  du  signe  de  la  loi ,  ils  remplissaient  leurs 
fonctions.  Quelques-uns  furent  attaques  pendant  la  nuit,  et  plu- 
sieurs fois  même  ils  lurent  exposés  à  des  dangers. 

(1)  ff  Tous  ces  écrits  se  réduisent  à  deux  :  j'en  ai  lu  et  j'en  ai  cité  un  (voir  plus 
haut).  Quelles  mains  ont  pu  le  planter?  Une  garde  vigilante  observe  nuit  et 
jour  l'arbre  de  la  liberté  ;  mais  d'ailleurs ,  s'il  ne  faut  que  des  placards  pour  pré- 
senter une  ville  comme  insurgée,  ne  serait-il  pas  facile  aux  artisaas  de  pamphlets 
d'en  fabriquer  eux-mêmes  ?  Trois  semaines  ei  plus  se  sont  écoulées  depuis  que , 
par  un  geiire  de  récréation  riouveau ,  les  £an?.-cuIoîtes ,  armés  de  piques,  allèrent 
afficher  sur  cet  arbre  leur  décl.iration  de  guerre  aux  modérés.  11  est  coastant 
que  cette  affiche  est  restée  er-tièri-  peudsnt  pluï  de  trois  semaines  ;  et  celle  que 
j'ai  citée,  l'adresse  sur  la  mort  de  Louis  Capet,  a  été  décollée  bien  entière  et 
sans  fracture.  Cette  observation  prouve  assez  que  la  colle  ne  partait  pas  de  la 
même  main.  »  {Journal  de  Lyon,  numéro  du  4  murs.)      (Aote  des  auteurs.) 


FÉVRIER  (1793).  599 

Le  30  janvier,  la  municipalité  fit  arrêter  l'ex-contrûleur-géné- 
ral  Lambert,  qui  depuis  plusieurs  mois  était  caché  chez  un  né- 
gociant nommé  Berlier.  On  trouva  chez  lui  une  correspondance 
qui  prouvait  ses  relations  habituelles  avec  des  émigrés ,  et  qui  in- 
diquait les  moyens  qu'il  employai i  pour  procurer  de  faux  certifi- 
cats de  résidence  et  des  passe-ports  pour  sortir  du  territoire  de 
la  République.  Les  circonstances  de  cette  arrestation  réunies  à 
la  fermentation  sourde  qui  existait  dans  les  esprits,  et  un  grand 
nombre  d'hommes  inconnus  qu'on  remarquait  depuis  quelque 
temps  dans  la  vil'e,  donnaic-nt  de  vives  inquiétudes  aux  magistrats 
chargés  et  jaloux  de  iiiainlenir  la  tranijuillilé  publique.  Le  con- 
seil-général de  la  comnmne  s'était  occupé  dans  diverses  séances 
des  moyens  de  dissiper  l'ora-je  qui  paraissait  piêl  à  éclater.  En- 
fin ,  après  une  longue  et  miire  délibération ,  il  se  détermina ,  le  4 
de  ce  mois  ,  à  ordonner  des  visites  domiciliaires.  Ce  moyen  était 
violent ,  mais  le  danger  était  pressant ,  et  le  salut  d'une  grande 
cité  commandait  cette  nsesure  rigoureuse. 

Les  ordres  fuient  donnés  pour  le  leudeiîiain ,  et  les  dispositions 
avaient  été  &i  sagement  concertées,  que  dans  un  espace  de  deux 
heures  l'opération  fut  terminée  [i).  Tout  se  passa  dans  le  plus 
grand  ordre.  Les  propriétés  furent  respectées  ;  aucun  bon  ci- 
toyen ne  fui  inquiété  ;  aucune  réclamation  fondée  ne  s'est  élevée 
contre  cette  mesure  de  sûreté,  exigée  impérieusement  par  les 
circonstances.  Plus  de  trois  cents  personnes  suspecKs  furent  ar- 
rêtées. Le  tribunal  municipal  resta  assemblé  pendant  quarante- 
huit  heures,  et  ne  désempara  qu'après  les  avoir  toutes  entendues  : 
cent  cinquante  environ  furent  renfermés  ;  la  liberté  fut  rendue 
aux  autres. 

Tout  paraissait  terminé,  et  il  n'était  pas  un  bi.n  citoyen  qui 


(I)  «  J'iguore  si  cette  observation  est  uuc  erreur  du  rapporleur  ou  du  rap- 
port; je  s:iis  seuleinotil  qu'il  est  incir;;lei!ier.t  iaiptjssihlo  de  \isitcr  iiao  ^ille 
comme  Lyon  en  deux  lieures  ;  et  d'ailleurs  !e  procès-voi  i)al  nièiiie  énonce  que  la 
visili-  conunença  à  cinq  lieuies  du  nwtiu  ei  ue  fut  leruiinnu  qu'à  six  iicures  du 
soir;  mais  on  ne  parle  pas  du  supplémeul  du  visile  qui  eut  lieu  daus  la  unit  sui- 
vante, où  douze  personnes  furent  arrèlées.  »  {Journal  de  Lyon,  loc.  rit.) 

(Aote  des  auteurs.) 


400  CONVENTION    NATIONALE. 

n'applaudît  à  cet  acte  de  justice,  lorsque  tout  à  coup  l'on  fait 
courir  le  bruit  que  le  peuple  se  rassemble,  qu'il  veut  se  porter 
aux  prisons,  que  la  guilloli  îo  a  cic  enlevée,  et  quelesévénemens 
les  plus  sinistres  semblent  devoir  terminer  cette  journée.  Cepen- 
dant le  conseil-général  de  la  commune  était  en  permanence.  Le 
maire  Nivière-Chol ,  nommé  depuis  peu  de  temps ,  n'avait  pas 
partagé  l'opinion  des  visites  domiciliaires.  Il  se  rend  au  départe- 
ment ,  lui  communique  ses  craintes ,  et  sans  avoir  vérifié  les  faits, 
s'appuyanl  sur  une  lettre  anonyme,  sur  des  rapports  infidèles  et 
captieux ,  il  requiert  une  force  armée  considérable,  ordonne  aux 
gardes  nationaux  qui  environnaient  la  maison  commune  de  se 
retirer ,  et  les  fait  remplacer  par  des  troupes  de  ligne  lant  à  pied 
qu'à  cheval ,  et  même  par  de  l'artillerie  (1).  Ce  grand  appareil 
militaire,  déployé  dans  le  moment  le  plus  inattendu,  jette  la 
consiernation  parmi  les  citoyens.  Chacun  se  deman  le  quel  peut 
être  le  motif  de  ces  dispositions  extraordinaires ,  et  tout  le  monde 
l'ignore.  Le  conseil-généraldela  commune  mande  le  maire  pour 
rendre  compte  de  sa  conduite.  Il  bégaie,  ne  répond  que  par  des 
faux-fuyans  ,  et  ne  motive  la  résolution  qu'il  a  prise  que  sur  des 
ouï-dire  et  des  terreurs  paniques.  Néanmoins  on  fait  vérifier  les 
faits.  Des  commissaires  de  la  municipalité  sont  envoyés  dans  les 
divers  quartiers  de  la  ville ,  et  partout  ils  trouvent  le  plus  grand 
calme.  Ils  se  transportent  aux  prisons  de  Roanne ,  ils  interro- 
gent le  concierge  sisr  le  fait  du  prétendu  enlèvement  de  la  guillo- 
tine ;  celui-ci  répond  que  qui  que  ce  soit  ne  l'a  demandée  ;  qu'elle 
n'a  pas  non  plus  été  montée,  et  que  par  conséquent  elle  n'a 

(O  Les  motifs  de  Mvière-Cbol  pour  en  agir  ainsi  provenaient  de  la  conspira- 
tion déjà  mentionnée  par  nous.  Sur  ce  passage  du  rapport  de  Tallien ,  J.-L.  Fain 
s'écrie:  c  Mais  cette  séance  (celle  de  la  conspiration)  est-elle  avérée?  Chalier 
a-t-il  ou  n'a-t-il  pas  demandé  quatre  cent  cinquante  têtes?  Le  maire  et  d'autres 
membres  de  la  municipalité  n'étaient-ils  pas  désignés?  Les  cartouches  n'ont- 
elles  pas  été  distribuées?  Si  ces  faits  sont  avérés,  si  ce  plan  horrible,  dont 
tous  les  détails  ne  sont  pas  encore  connus ,  n'a  pas  été  démenti ,  blâmez  donc  une 
mesure  que  vous  ne  permettez  pas  de  blâmer  lorsque  vous  l'avez  prise.  Quelles 
étaient  cependant  ces  circonstances?  Quelques  étourdis  avaient  brisé  des  plan- 
ches ;  c'est  pour  cela  que  huit  mille  hommes  ?ont  convoqués  par  des  courriers 
extraordinaires.  ]^Iais  je  me  respecte  ;  les  réflexions  m'entraîneraient  trop  loin.  » 
{lournal  de  Lyon,  loc.  cit.)  (  Kote  des  ailleurs.') 


' 


FÉVRIER  (1793).  401 

pu  être  éprouvée  d'aucune  manière  ;  et  pour  les  en  convaincre , 
il  les  conduit  dans  divers  lieux  de  la  prison  où  les  morceaux 
étaient  séparément  renfermés,  de  manière  que  par  un  excès 
même  de  précaution  ils  ne  pouvaient  être  rassemblés  que  par 
ceux  qui  avaient  habitude  de  le  faire. 

Les  commissaires  font  leur  rapport.  Le  conseil-général  invite 
les  corps  armés  à  se  retirer,  ce  qui  est  effectué  à  l'instant.  Dès 
ce  moment  le  maire  ne  piraît  plus  à  la  Maison  commune;  en  vain 
le  conseil-général  le  somnie-t-il  de  se  rendre  à  son  poste ,  il  ne 
paraît  pas  pendant  deux  jours ,  et  termine  par  envoyer  le  7  sa 
démission  ,  non  au  conseil-général  de  la  commune,  mais  au  dé- 
parlement. 

Tels  sont,  citoyens ,  les  premiers  événemens  dont  Lyon  a  été  le 
théâtre.  Je  vous  en  ai  fait  le  récit  exact  puisé  dans  les  procès-ver- 
baux qui  vous  ont  été  envoyés  par  le  conseil-général  de  la  com- 
mune. J'observe  ici  que  les  autres  autorités  constituées  ne  nous 
ont  rien  fait  parvenir.  Ces  faits  parlent  sans  doute  assez  par  eux- 
mêmes  sans  qu'il  soit  besoin  que  votre  comité  y  ajoute  de  lon- 
gues réflexions. 

Vous  avez  dû  sentir  tous  combien  était  irrégulière  et  pusilfti- 
nime  la  conduite  tenue  par  le  maire  dans  celte  importante  cir- 
constance. Et  en  effet ,  quelle  inconsidération  de  la  part  d'un 
magistrat  du  peuple  de  requérir  une  force  armée  considérable 
sans  avoir  consulté  le  conseil-général,  dont  il  est  le  chef,  sans  avoir 
pris  la  précaution  de  l^ire  vérifier  si  les  rapports,  si  les  bruits 
répandus  avaient  quelque  fondement!  Je  veux  bien  encore  accor- 
der que  ces  craintes  chimériques  eussent  quelque  espèce  de  réa- 
lité ,  le  maire  ne  devait-il  pos  rester  à  son  poste,  et  concerter 
avec  ses  collèjj[ues  les  moyens  d'empêcher  ce  qu'il  redoutait?  Il 
nous  en  coûie  iiop  de  penser  que  le  maire  de  Lyon  ait  eu  des 
intentions  perfides  ;  mais  au  moins  nous  devons  dire  qu'il  n'a  pas 
fait  ce  qu'il  devait ,  et  que  sous  tous  les  rapports  sa  conduite  est 
Irès-blàmable  :  et  elle  i(>  paraît  encore  bien  plus  lorsqu'on  !a  com- 
pare à  celle  de  ce  conseil- général,  dont  tous  les  membres  restent, 
sans  désemparer  pendant  six  jours,  se  répandent  dans  tous  les 

T.  XXIV,  î20 


402  CONVENTION  NATIONALE. 

quartiers  de  la  ville,  invitent  les  citoyens  au  calme,  et  s'occupent 
avec  un  zèle  constant  et  non  interrompu  des  moyens  de  maintenir 
l'ordre  public,  que  tant  de  malveilians  voulaient  troubler.  Les  poi- 
gnards des  assassins  aux  gages  de  l'aristocratie  étaient  suspen- 
dus sur  leurs  têtes  ;  les  évënemens  subséquens  l'ont  prouvé  ;  mais 
rien  ne  les  effraie ,  ils  s'oublient  eux-mêmes  pour  sauver  leurs 
concitoyens.  La  conduite  de  ces  courageux  magistrats  sera  sans 
doute  approuvée  par  la  Convention  nalionuîe. 

Citoyens,  ce  rapport  était  terminé,  lorsque  des  nouvelles  très- 
alarmantes  nous  sont  arrivées.  Au  moment  où  nous  vous  parlons, 
la  contre-révolution  s'opère  à  Lyon.  Les  aristocrates,  que  l'on 
disait  ici  avoir  quitté  la  ville  par  la  terreur  que  leur  avaient  in- 
spirée les  visites  domiciliaires ,  viennent  de  se  montrer  avec  plus 
d'audace  que  jamais.  Le  club  central  vient  d'être  détruit ,  ses  ar- 
chives enlevées,  ses  effets  brûlés  sur  la  place  publique.  Le  feu  a 
même  été  mis  à  l'arbre  de  la  liberté,  qui  aurait  été  réduit  en  cen- 
dres sans  le  courage  des  patriotes,  qui ,  épars  et  poursuivis  par 
les  poignards,  se  sont  cependant  laliiés  pour  sauver  ce  fanal 
des  bons  citoyens  (1).  La  statue  de  la  liberté  et  le  buste  de  Jean- 
Jacques  ont  été  enlevés  et  cloués  avec  un  méprisant  dédain  à 
l'arbre  de  la  liberté. 

Le  tribunal  du  district  a  été  obligé  d'interrompre  ses  séances; 
ses  membres  ont  été  forcés  de  se  réfugier  à  !a  Maison  commune. 
Les  postes  de  l'arsenal  et  de  la  poudrière  sont  entre  les  mains 
des  contre-révolutionnaires  (2).  Un  courrier  de  l'armée,  qui  était 
chargé  de  dépêches  pour  Paris  ,  a  été  empêché  de  continuer  sa 
route;  on  lui  a  refusé  des  chevaux.  Nivière  Chol,  cet  homme 
qui  avait  si  lâchement  abandonné  son  poste  au  moment  où  hii- 

(t  )  t  Le  feu  n'a  pas  été  mis  à  l'arbre  de  la  liberté  ;  c'est  une  imposture,  quoique 
certifié  par  un  placard  signe  Laussel.  »  (Journal  de  Lyon,  loc.  cit.) 

(2)  «  Les  portes  de  l'arsenal  et  de  la  poudrière  n'étaient  pas  entre  les  mains 
des  révoltés;  c'est  encore  une  imposture.  »  {Journal  de  Lyon,  loc.  cit.)  —  Ici 
J.-L.  Fain  est  en  contradiction  avec  lui-même ,  car  dans  l'extrait  que  nous  avons 
fait  de  son  récit,  il  affirme  très-positivement,  et  dans  le  plus  graud  déiail,  que 
l'arsenal  était  gardé  par  le  batailion  armé  de  cette  section ,  lequel  répondit  à 
deux  députations  de  la  Commune,  qu'il  ne  connaissait  plus  ni  lois  ni  autorités 
constituées.  (Note  des  auteurs.) 


FÉVRIER  (  1795  ).  405 

même  annonçait  nn  (îrand  danger ,  vient  d'être  réélu  par  les  aris- 
tocrates, qui ,  pour  la  première  fois,  sont  allés  dans  leurs  sections 
et  en  ont  exclu  les  sans-culottes.  Enfin  tout  annonce  que  cette 
ville  est  en  ce  moment  dans  le  plus  grand  danger.  Aucunes  nou- 
velles officielles  ne  vous  sont  parvenues.  Toutes  les  autorités 
constituées  se  taisent ,  et  peut-être  le  sang  a  déjà  coulé  dans  cette 
ville. 

Empressez- vous,  citoyens,  de  voler  au  secours  des  patriotes 
opprimés ,  donnez-leur  les  moyens  de  terrasser  les  ennemis  de 
la  révolution  dont  ils  sont  environnés.  Craignez  que  cette  étin- 
celle contre-révolutionnaire  ne  se  communique  aux  autres  parties 
de  la  Républi'jue.  Dans  le  moment  où  nous  allons  de  toutes  parts 
être  attaqués  par  les  ennemis  extérieurs,  il  faut  anéantir  ceux 
de  l'intérieur;  car  vous  ne  pouvez  pas  vous  dissimuler  (pie  tous 
ces  mouvemens  n'aient  entre  eux  un<;  extrême  coDnexilé;  ce  sont 
les  agens  des  cours  de  Londres ,  de  Berlin ,  de  Madrid ,  de 
Vienne,  qui  partout  excitent  ces  désordres;  ce  sont  leurs  ma- 
chinations infernales  qu'il  faut  détruite  avant  d'entrer  en  cam- 
pagne. Déployez  une  grande  sévérité  contre  tous  ces  hommes  qui 
ne  respirent  que  pour  renverser  la  liberté  et  réédifier  sur  ses  dé- 
bris le  trône  du  despotisme.  Il  en  est  temps  encore;  parlez,  et 
bientôt  ces  vils  insectes  seront  renflés  diins  le  néant,  d'où  ils  n'au- 
raient jamais  dû  sortir.  A  votre  voix  ,  nos  généreux  frères  d'ar- 
mes marcheront  pour  disperser  ces  hordes  impures  de  biigands 
qui  infectent  notre  territoire. 

Tallien  termine  son  rapport  par  un  projet  de  décret  que  l'as- 
semblée adopte  en  ces  termes  : 

«  La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport  de 
son  comité  de  sûreté  générale,  sur  les  troubles  arrivés  à  Lyon , 
décrète  : 

»  Art.  i.  Il  sera,  séance  tenante,  nommé  trois  commissaires 
pris  dans  le  sein  de  la  Convention  nationale,  lesquels  partiront 
dans  le  jour  pour  se  rendre  dans  le  plus  bref  déh.i  à  Lyon,  h 
l'effet  d'y  rétablir  l'ordre. 

»  2.  Les  commissaires  seront  revêtus  des  mêmes  pouvoirs  ac- 


404  CONVENTION   NATIONALE, 

cordés  aux  autres  commissaires  de  la  Convention  nationale» 

»  3.  Le  conseil  executif  fera  sur-le-champ  passer  à  Lyon  des 

forces  suffisantes  pour  y  protéger  le  rétablissement  de  l'ordre.»] 


CLUB  DES  JAGOBIIVS  ET  BULLETIN  MUNICIPAL. 

En  outre  des  deux  matières  de  cet  intitulé,  nous  avions  annoncé 
que  notre  quaîrième  chapitre  du  mois  de  février  renfermerait 
un  paragraphe  consacré  à  la  presse.  Tous  les  extraits  de  journaux 
susceptibles  d'être  recueillis  ayant  été  placés  par  nous  avec  les 
séances  de  la  Convention ,  nous  n'avons  rien  à  y  ajouter. 

Trois  sujets  principaux  occupent  les  séances  des  Jacobins  pen- 
dant le  mois:  l'organisation  de  l'armée;  la  question  de  savoir  si 
les  assemblées  primaires  retireront  leur  mandat  aux  députés  qui 
ont  voté  l'appel  au  peuple;  le  projet  de  constitution  présenté  par 
Gondorcet  à  la  Convention  nationale. 

Le  projet  du  Dubois-Crancé  excita  le  plus  grand  enthousiasme. 
Dans  la  séance  du  8  février,  la  société  arrêta  de  faire  tirer  mille 
exemplaires  de  ce  plan  d'organisation  mihtaire  pour  qu'ils  fussent 
distribués  aux  volontaires  des  troupes  de  ligne. 

La  question  des  appelans,  c'est  ainsi  que  l'on  désignait  ceux 
(|ui  avaient  voté  l'appel  au  peuple,  fut  souvent  et  chaudement 
disciuée.  Le  passage  suivant  extrait  du  Patriote  Français  , 
n.  MCCICIII,  nous  apprend  que  le  club  des  Cordeiiers  avait 
eu  l'initiative  de  celte  motion  :  «  La  doctrine  des  meneurs  Cor- 
deiiers varie  avec  les  événemens.  Cinq  à  six  factieux  rassemblés 
dans  un  coin  bien  ignoré  de  la  République,  et  s'inlitulant  une  so- 
ciété, s'avisent,  dans  leur  délire,  de  proposer  la  révocation  des 
députés  qui  ont  voté  rapj)el  au  peuple  ;  et  aussitôt  on  discute 
gravement  celte  révocation  aux  Jacobins ,  où  naguère  on  traitait 
les  révocations  de  blasphème ,  d'attentats  à  la  souveraineté,  parce 
qu'il  était  question  de  leurs  i^voris,  les  massacreurs  du  2  sep- 
lenjbre.  »  A  la  séance  des  Jacobins  du  17  février  {Journal  du 
Club,  n.  CGCLYII),  Ricaud,  de  Marseille,  annonça  que  les  Ja- 


FÉVRIER  (1793).  405 

cobins  de  cette  ville  avaient  fait  un  scrutin  épuratoire,  «  en  chas- 
sant à  coups  de  bâton  les  coquins  de  leurs  sociétés.  (Applaudi.)  » 
Il  annonça  de  plus  que  Barbaroux  r-.vait  écrit  à  3Iarse;llt',  et  qu'il 
avait,  «  comme  un  lâche,  demandé  pardon  de  ses  perfidies.  La 
société  de  Marseille,  ajoute  Ricaud,  convaincue  que  ceux  qui  ont 
voté  l'appel  au  peuple  sont  les  ennemis  déclarés  de  la  Répu- 
blique, a  formé  le  projet  de  les  rappeler.  (Vifsapp'audissemens.)  i 
Après  Ricaud,  Ilassenfratz  monta  à  la  tribune,  et  dit  :  «  Déjà  la 
section  du  faubourg  Montmartre  vient  d'arrêter,  dans  une  de  ses 
séances,  de  rappeler  deux  députés  parjures  qui  n'ont  pas  voté 
pour  la  mort  de  Louis  Cnpet.  Je  demande  que  la  société  invite  les 
quarante-sopt  autres  sections  à  suivre  l'exemple  df'  la  section  du 
faubourg  Montmartre,  et  à  donner  ainsi  l'impulsion  à  tous  les 
autres  départemens  de  la  République.  »  Cette  proposUion  fut 
adoptée.  Saint-André  prit  aussitôt  la  parole.  Il  combattit  cet  ar- 
rêté au  no.m  des  principes.  Faisant  d'ailleurs  toutes  les  conces- 
sions à  l'égard  des  députés  qui  avaient  trahi  leurs  devoirs.  <  Si 
les  départemens,  s'écria-t-il,  avaient  le  droit  de  rappeler  leurs 
députés ,  il  en  résulterait  qu'ils  seraient  subordonnés  à  leurs  com- 
mettans,  qui  conserveraient  sur  eux  une  souveraineté  contraire  à 
la  liberté  des  opinions.  La  mesure  qui  vous  est  proposée  est  une 
vraie  mesure  de  fédé/  alisme  ;  elle  tend  à  concentrer  la  souve- 
raineté dans  chaque  département,  ^  ïhuriol  parla  aussi  dans  ce 
sens,  et  la  société  rapporta  son  arrêté.  A  la  séance  du  27,  Des- 
fieux  rouvrit  la  discussion  sur  cette  matière.  Il  dit  que  la  majo;  ité 
des  sociétés  affiliées  demandait  le  rappel  des  députés  infidèles  à 
la  cause  du  peuple , 'et  qu'il  fallait  mettre  à  l'ordre  du  jour,  non 
pas  la  question ,  mais  le  mode  du  rappel  et  la  peine  qu'on  devait 
leur  infliger.  Robespierre  s'éleva  contre  le  rappel,  et  il  fitarrêtei- 
qu'on  écrirait  là-dessus  une  adresse  ^cnt  la  rédaction  lui  fut  con- 
fiée. Voici  son  discours  : 

Robespierre.  «  Si  nous  décidions  sui-le-champ  celte  question, 
si  la  pétition  de  fllarseille  nous  entraînait  dans  des  mesures  incon- 
sidérées, que  résulterait-il  de  l'exécution  de  celte  idée?  Je  ne 
parle  pas  du  danger  d'occuper  les  citoyens  d'éieeiions  nouvel'es. 


406  CONVEMION    NATIONALE. 

lorsqu'il  faut  s'occuper  du  danger  de  la  patrie.  Nous  avons  à  pas- 
ser au  creuset  de  l'anaiyîe  et  de  la  discussion  la  constitution  dont 
les  inirigans  nous  ont  tracé  le  plan  insidieux.  Nous  avons  à  faire 
les  préparatifs  nécessaires  pour  résister  à  tous  les  despotes  de 
l'univers.  Je  demande  si ,  dans  ce  double  embarras,  nous  devons 
nous  engager  dans  une  nouveile  arène  de  cabale  et  d'intrigue  ! 

»  Que  résulterait-il  du  changement  des  députés  ?  la  Conven- 
tion nationale  en  serait-elle  plus  pure?  En  résulterait-il  que  les 
députés  élimines  seraient  remplacés  par  des  députés  plus  dignes 
de  la  confiance  publique  ?  Si  l'on  suivait  les  principes ,  il  est  évi- 
dent qu'ils  seraient  remplacés  par  les  suppléans.  Or,  la  même 
inli  igue  qui  a  nommé  de  mauvais  députés ,  a  nommé  de  mauvais, 
suppléans  ;  ei  remarquez  que  les  suppléans  ont  déjà  toute  ia  dupli- 
cité ,  toute  la  perfidie  de  ceux  que  l'on  veut  chasser.  Tous  les 
aristocrates  l'ont  cause  commune  ;  ils  sont  tous  ligués  contre  les 
patriotes. 

>  Un  autre  désavantage  naîtrait  de  la  mesure  proposée  :  c'est 
que  ceux  qu'on  veut  chasser  sont  des  intiigans  connus,  et  ils  se- 
raient lemplacés  par  des  iatrigans  encore  couverts  du  masque  du 
pairiolisme.  Remarquez  bien  que  les  mandataires  infidèles  ne, 
sont  inconnus  que  parce  qu'ils  ont  l'art  de  cacher  leur  perfidie 
sous  Its  couleurs  du  civisme. 

»  Il  résulte  de  ces  données  que  le  système  du  rappel  distrairait 
l'attention  publique  des  grands  dangers  qui  doivent  l'occuper  sans 
partage.  En  formant  de  n(»uvelles  assemblées  primaires ,.  on  se- 
conderait les  vues  secrètes  dfs  intrigans,  qui  veulent  y  jeter  toutes 
les  semeiices  de  la  discorde ,  et  y  allumer  tous  les  brandons  de  la 
guerre  civile.  Le  liioyen  de  déjouer  leurs  coiiiplois  et  de  les  ré- 
duire à  1  iuipossibiiité  de  nuire,  c'est  de  les  démasquer  entière- 
ment et  de  les  marquer  du  sceau  de  l'ignominie. 

»  Lhs  sociétés  populaii'es  doivent  s'ai-nier  de  la  censure  ;  les 
patriotes  armés  du  sceptre  de  l'opinion  briseront  aisé.::ent  le 
sceptre  du  despotisme  et  de  l'intrigue.  Que  les  sociétés  populaires 
chassent  de  leur  sein  les  députés  infidèles.  Prouvons  qu'il  y  a  une 
coalition  criminelle  entre  les  intrigans  et  les  cabinets  étrangers. 


FÉVRiliR  (1795).  407 

Faisons  apercevoir  que  Brissot  s'est  exprimé  sur  la  mort  du  tyran 
des  Français  comme  Pitt  ei  ses  partisans  de  Londres.  Prouvons 
que  les  mêmes  hommes  qui  excitent  des  (roubles  affament  le 
peuple,  qu'ils  disposent  de  tous  les  trésors  de  la  République,  dont 
ils  tiennent  les  destinées  dans  leurs  mains. 

t  Je  conclus  que  le  comité  de  correspondance  doit  déclarer  aux 
sociétés  affiliées  que  nous  partageons  leurs  principes,  que  nous 
sommes  animés  du  même  esprit  qu'elles,  mais  qu'au  lieu  de  de- 
mander le  rappel  des  députes  infidèles ,  nous  croyons  devoir  les 
flétrir  de  la  censure  civique ,  et  les  livrer  à  la  honte  de  la  nullité 
et  de  l'impuissance  de  nuire.  »  (Journal  des  débals  des  Jacobins , 
n.  CCCLXIII.) 

Le  projet  de  constitution,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  ailleurs, 
lut  immédiatement  attaqué  par  les  Jacobins.  Dès  la  séance  du  16, 
ils  avaient  déjà  passé  en  revue  le  travail  de  Condorcet.  Entre  ce 
club  et  les  journaux  f^irondins  il  s'engajj;ea  une  polémique  toute 
personnelle;  on  échangea  force épi^rammes  et  force  injures.  Les 
montagnards  ne  pardonnaient  pas  à  Gensouné  de  les  avoir  com- 
parés aux  oies  du  Capitule.  Depuis  quelque  femps  ils  l'avaient 
surnommé,  à  cause  de  son  accent  nyzillard  ,  le  canard  de  la  Gi- 
ronde ;  et  comme  c'était  lui  qui  avait  lu  la  plus  grande  partie  de 
la  constitution ,  cela  rie  contribuait  pas  peu  à  augmenter  le  chapi- 
tre des  plaisanteries.  Marai  en  av:iit  le  fou  rire.  Il  intitule  im  de 
ses  numéros  :  le  Canard  de  la  Gironde  mamjc  par  les  oies  du 
Capitole. 

A  la  séance  du  17,  Antoine  dit  :  *  La  constitution  qu'on  nous  a 
présentée  est  un  chef-d'œuvre  de  ridicule,  pour  ne  pas  dire  de 
•  perfidie  ;  à  la  veille  d'une  guerre  générale,  il  faut  un  point  fie 
réunion  auprès  duquel  tous  les  Français  puissent  se  rallier.  Je 
demande  que  dans  quinze  jours  voue  comité  de  constitution  vous 
présente  son  plan  qui  sera  discuté  ici,  ensuite  présenté  à  la  tri- 
bune de  la  Convention ,  où  il  passera  s'il  esi  bon,  car  la  majorité 
des  législateurs  veut  une  bonne  con^iilulion.  » 

Couilion.  «  Je  ne  juge  pas  encore  le  projet  dans  ses  détails;  il 
faut  que  je  médite  sérieusement  sur  les  articles  (lui  le  coniposent  ; 


408  CONVENTION  NATIONALE. 

mais  voici  ce  que  j'ai  pensé  irrévocablement.  La  déclaration  des 
droits  m'a  paru  d'une  abstraction  affectée  ;  les  droits  naturels  n'y 
sont  pas  assez  clairement  exposés  ;  le  principe  de  la  résistance  à 
l'oppression  est  posé  d'une  manière  inintelligible  et  absurde.  Une 
constitution  doit  être  le  catéchisme  du  genre  humain  ;  il  faut 
qu'elle  soit  à  la  portée  de  tout  le  monde Je  voudrais  qu'aussi- 
tôt après  qu'on  aura  distribué  aux  membres  de  la  Convention  les 
projets  qui  auront  été  lus,  il  s'ouvrît  ici  pendant  une  huitaine  une 
discussion ,  et  qu'après  le  développement  des  grands  principes 
qui  doivent  être  la  base  de  cet  important  ouvrage,  il  fût  ordonné 
à  notre  comité  de  se  clore  pour  cravailler  sans  distraction ,  et  de 
ne  pas  désemparer  sans  avoir  présenté  un  projet  qui  serait  im- 
primé à  l'imprimerie  nationale ,  conformément  au  décret  rendu 
à  cet  égard ,  et  envoyé  à  tous  les  départemens  et  aux  sociétés  affi- 
liées. Il  en  serait  fait  lecture  à  la  tribune  de  la  Convention  na- 
tionale, et  la  Montagne  ferait  tous  ses  efforts  pour  lui  faire 
obtenir  la  priorité ,  à  moins  qu'un  député  n'en  présentât  un 
meilleur.  »  Après  une  courte  discussion ,  l'arrêté  de  la  société 
fut  conforme  a  la  proposition  de  Coulhon.  {Journal  du  club  y 
n.  CCGLVll.) 

A  la  séance  du  18 ,  le  président  nomma  les  membres  qui  com- 
posaient le  comité  de  constitution  ;  c'étaient  :  Saint- André ,  Ro- 
bert ,  Thuriot,  BentaboUe,  Robespierre,  Billaud-Varennes,  An- 
toine, Saint-Just.  On  proposa  de  leur  adjoindre  Dubois-Crancé, 
Collot-d'Herbois ,  Anacharsis  Clooiz  et  Coulhon.  Cette  proposi- 
tion fut  adoptée;  et,  sur  la  motion  de  Desfieux,  tous  les  citoyens 
furent  invités  à  payer  à  ce  comité  le  tribut  de  leurs  lumières. 

A  la  séance  du  22 ,  GolIot-d'Herbois  dit  :  «  Vous  avez  nommé 
un  comité  de  constitution,  et  vous  l'avez  chargé  de  vous  présen- 
ter dans  quinze  jours  un  plan  de  cunsiiiulion  f  assurément  la 
tâche  est  pénible,  et  le  temps  est  court ,  puisque  ceux  qui  se  di- 
sent nos  maîtres,  qui  se  croient  plus  savans  que  nous,  ont  été 
cinq  mois  à  faire  une  constitution  qui  sera  sacrée  sans  doute  pour 
le  peuple  français,  car  il  n'y  touchera  pas.  (Vifs  applaudisse- 
mens.) 


fFÉvRiEu  (i795).  409 

»  Il  se  pourrait  bien  que  dans  quinze  jours  nous  ne  pussions 
remplir  vos  vœux.  Je  voudrais  qu'on  ne  s'amusât  pas  à  discuter, 
à  analyser  la  constitution  dans  toute  sa  latitude,  mais  seulement 
à  poser  les  bases  de  l'édifice  de  la  liberté ,  et  que  les  orateurs 
soient  circonscrils  dans  l'arrondissement  de  ces  bases.  Nous  ne 
vous  présenterons  pas  une  constitution  dans  quinze  jours,  mais 
au  moins  une  déclaration  des  droits  de  l'homme  ,  fondée  sur  les 
vrais  principes  de  la  liberté  et  de  l'égalité.  11  ne  faut  point  de  con- 
seil exécutif,  il  deviendrait  trop  {jros  et  gras;  il  ne  faut  qu'un 
atelier  exécutif,  qu'un  atelier  obéissant,  où  tous  les  ouvriers 
soient  attachés  à  la  besogne. 

»  Chez  Beurnonville  on  est  en  pleine  aristocratie,  personne 
n'en  doute  ;  ceux  qui  chez  Pache  fiiisaient  les  patriotes  tiennent 
aujourd'hui  un  langage  toul-à-fait  aristocrate  ;  ils  avaient  les 
cheveux  noirs,  aujourd'hui  ils  sont  frisés  à  loiile  creinlc.  Crs  hom- 
mes-là sont  comme  les  jardiniers  chinois,  qui  cherchent  toujouis 
à  aplatir  les  arbres  ;  mais  les  arbres  poussent  malgré  les  jardi- 
niers ,  et  c'est  ce  qui  arrive  au  peuple  français. 

>  La  constitution  est  écrite  dans  le  cœur  des  bons  citoyens  qui 
ont  l'ait  la  journée  du  JO  août.  Il  n'y  avait  pas  là  de  savans.  C'est 
à  nous  à  mépriser  toutes  les  attaques  que  nous  font  les  brisso- 
tins,  faiseurs  de  journaux  et  d'épigrammes.  Laissons  leur  leur 
existence  scientifique,  et  travaillons  au  bonheur  du  peuple  ;  nous 
déjouerons  aisément  leurs  complots  aussi  intéres-^és  que  puérils. 
Ils  veulent  laisser  subsister  l'ancien  régime  sons  un  nom  diffé- 
rent. Que  m'importe  !e  nom  ?  que  m'iriiporte  si  je  n"  vois  plus  le 
parlement,  le  clerg('',  si  tous  les  abus,  si  tous  les  piéjugés  qui 
pesaient  alors  sur  la  Fi'ance  reparaissent  sous  une  :Mitrc  forme? 
Depuis  le  premier  chapitre  de  leur  plan  de  constitution  jusqu'au 
dernier,  on  voit  percer  la  défiance  du  choix  du  peuple.  Ils  savent 
bien  que  le  peuple  ne  les  choisTî  pa«,  ft  c'r'^st  pour  cela  que,  pnr 
des  formes  divergentes,  ils  voudraient  rapp^^ler  .-^on  atteniion. 
Pour  choi-ir,  il  ne  f.iul  pas  tant  de  façons  :  le  peuple  sait  bien  ce 
qu'il  doit  aimer,  ce  qu'il  doit  hoir. 

»  Les  intrigans  ont  laissé  subsister  le  mol  de  talens  ;  ils  veulent 


410  CONVENfïON  NATIONALE. 

des  talens ,  et  nous ,  nous  ne  voulons  que  des  vertus.  Laissons- 
les  avec  leurs  laieos,  ils  nous  mèneraient  trop  bien.  Les  brisso- 
tins  ont  un  talent  supérieur,  c'est  de  savoir  fouiller  dans  les 
poches  de  leurs  voisins ,  et  ce  n'est  pas  là  un  titre  pour  obtenir  des 
places.  Attachons-nous  à  lasouveraineié  du  peuple,  toujours  mé- 
connue. Les  mots  sont  présens ,  mais  la  chose  est  absente.  Je 
vous  demande  ce  que  c'est  qu'un  commettant  qui  prie  ses  dé- 
légués de  prendre  telle  chose  eu  considération.  Allons  aux  bases 
de  la  constitution  :  ce  sont  les  vertus  républicaines,  elles  forment 
la  constitution,  comme  les  départemens  forment  la  République.  » 
{Journal  du  club,  n.  CCChlX.) 

—  Parmi  les  nombreux  incidens  qui  viennent  interrompre  les 
discussions  à  l'ordre  du  jour  dont  l'imalyse  précède,  nous  devons 
mentionner  de  fréquentes  dénonciations  contre  Beurnonville.  A 
l'exception  de  la  séance  du  25  février  que  nous  avons  placée  dans 
la  journée  de  ce  nom  (voir  plus  hawt) ,  1^  club  s'occupa  fort  peu 
des  subsistances.  Les  troubles  de  Lyon  y  eurent  un  grand  reten- 
tissement. Taliien  paraphrasa  le  rapport  qu'il  on  avait  fait  à  la 
Convention.  Collot-d'Herbois  monta  à  la  tribune  après  lui.  Ses 
dernières  paroles  attestent  que  la  municipalité  lyonnaise  avait  agi 
sous  la  direction  des  Jacobins  de  Paris  ;  elles  annoncent  en  même 
temps  l'énergie  avec  laquelle  ce  proconsul  futur  du  département 
de  Rhône-et-Loire  allait  bientôt  procéder  contre  les  rebelles. 
«  Si  la  municipalité  de  Lyun  est  coupable,  dit  CuUot-d'Herbois , 
c'est  à  nous  qu'il  faut  s'en  prendre.  Nous  lui  avons  conseillé  les 
visites  domiciliaires,  ei  moi-même  je  me  déclare  son  complice.  » 
(Dans  ce  moment,  Delmas  se  disposait  à  sortir.  L'orateur  s'é- 
cria :  <^  Delmas,  reste  ici,  il  s'agit  du  salut  de  la  patrie.  »  Applau- 
dissemens.)  ÇoUot-d'Herbois  continue  aiasi  :  «  Si  dans  ces  visites 
domiciliaires  les  principes  avaient  été  violés,  je  serais  le  premier  à 
les  dénoncer  ;  mais  on  n'a  à  reprocher  aux  officiers  municipaux 
que  l'excès  de  l'indulgence.  Les  jolies  femmes  les  ont  attendris, 
et  il  n'est  resté  en  état  d'arrestation  que  les  aristocrates  mon- 
strueux, tels  que  Lambert  et  autres;  tout  le  fretin,  tout  le  petit 
poisson  a  été  mis  en  liberté Lyon  est  devenu  le  premier  poste 


iévkiek(1795).  4M 

de  !a  contre-révolution ,  c'est  là  qu'il  faut  combattre  nos  ennemis. 
C'est  au  moment  que  nous  avons  besoin  d'ëlectriser  les  âmes 
qu'on  veut  étouffer  l'espiii  public,  énerver  le  courage  des  forts  et 
décourager  les  faibles.  Demain,  il  faut  nous  réunir  en  force  à  la 
Moniagne,  et  périr  s'il  le  hul,  pour  faire  approuver  la  munici- 
palité, et  nommer  quatre  commissaires  à  i'effet  de  requérir  l'ar- 
mée de  Kellermann  s'il  est  nécessaire.  »  {Journal  du  club, 
n.  CGCLXIl.)  * 

Bullelin  municipal. 

l^'^  février.  Plusieurs  sections  se  plaignent  du  renchérissement 
du  pain,  annoncent  dt;srassen)blenieas  qui  menacent  les  boulan- 
ge! s,  et  demandent  que  le  corps  municipal  prenne  des  mesures 
propres  à  ramener  le  calme.  Une  discussion  s'élève  sur  la  ques- 
tion de  savoir  s'il  convient  de  porter  le  pain  de  quatre  livres  au 
prix  de  treize  sous  ou  de  le  maintenir  au  prix  actuel;  après  de 
vifs  débats,  «  le  corps  municipal  arrête:  1°  de  renvoyer  cette 
question  aux  sections  elles-mêmes;  2"  de  leur  adresser  ïavîs  au 
peuple  rédigé  par  le  citoyen  Garin ,  afin  de  les  mettre  en  état  de 
délibérer  avec  une  connaissance  exacte  des  motifs  qui  plaident 
pour  et  contre  l'augmentation.  Signé,  Cuambon,  maire;  Méhé  , 
(jrcffier-adjoint.  » 

5  février.  On  lut  dans  <:etie  séance  une  lettre  de  Santerre  où  il 
proposait  deux  moyens  économiques  dont  tous  les  journaux  du 
temps  firent  des  gorges  chaudes.  «  Pour  ma  part,  écrivait  San- 
tene,  je  propose  deux  moyens  :  le  premier  est  que  les  citoyens 
aisés  et  ijui  aiment  le  Lien  général  remplacent  le  pain,  deux  jours 
la  semaiij(;,  par  du  vu  »  t  des  pommes  de  terre,  ce  qu'ils  peuvent 
fane  et  non  pas  les  pauvres ,  les  ouvriers  ni  les  enîans.  Cela  fera 
une  économie,  je  suppoie,  de  la  moitié  de  la  consommation  dePa- 
iis ,  et  produira  eu  deux  jouis  quinze  cents  sacs  de  farine.  Le 
deuxième  est  que  dès  aujourd'hui  chaque  citoyen  se  défasse  vo- 
lontairement de  son  chien  i:;utik'.  Paris  contient  en  chiens  et  en 
chats  inutiles  de  quoi  absorber  !a  nourriture  de  quinze  cents  hom- 


412  CONVENTION   NATIONALE. 

mes,  lesquels,  à  deux  sous  par  jour,  forment  trois  mille  pesant,  et 
font  dix  sacs  de  farine  perdus.  » 

4  février.  On  lit  une  lettre  datée  de  Weissembourg  le  26  jan- 
vier, l'an  dernier  du  brigandage,  signée  Gréhum,  et  adressée  au 
procureur  de  ia  Commune,  par  laquelle  il  est  enjoint  à  ce  dernier, 
au  nom  de  Monsieur,  régent,  et  du  futur  roi  Louis  XVII ,  de 
faire  arrêter  et  écrouer  les  Conventionnels,  les  Jacobins,  «  et 
pareillement  arrêter  et  enchaîner  un  ci-devant  d'Orléans,  reconnu 
fils  d'un  valet  d'écurie,  pour  attendre  tous  leur  jugement  de 
mort.  »  Presque  tous  les  journaux  reproduisent  intégralement 
celte  lettre.  Le  conseil-général  y  vit  un  complot  vaste,  ce  sont  les 
termes  de  son  arrêté ,  et  l'envoya  au  département  de  police  et  au 
comiié  de  sûreté  générale.  —  Dans  cette  séance  le  pain  fut  taxé 
à  douze  sous  les  quatre  livres. 

9  février.  La  section  delà  Butte-des-Moulins  dénonce  à  la  mu- 
nicipalité des  assemblées  de  paroisse  qui  se  sont  tenues  dans  i'é- 
glise  de  Saint-Roch  les  2o  janvier,  2  et  3  février,  à  l'effet  de. 
continuer  le  culte  divin,  tel  qu'il  a  eu  lieu  jusqu'à  ce  jour;  elle 
considère  que  le  nouvel  ordre  qu'on  vent  établir  dans  cette  église 
tend  à  former  un  schisme  entre  les  prêtres  salariés  par  la  nation 
et  ceux  qui  le  seraient  par  cette  prétendue  administration ,  et 
en  même  temps  entre  les  citoyens  qui  s'occupent  principalement 
de  la  chose  publique,  et  les  zélés  catholiques  de  Saint-Roch.  Elle 
dénonce  en  outre  un  bureau  où  l'on  recuit  les  souscriptions 
volontaires  pour  le  culte  divin.  —  Le  conseil-général  arrête  que 
cette  dénonciation  sera  communiquée  au  procureur  de  la  Com- 
mune. 

13  février.  Le  citoyen  Danjou  instruit  le  conseil  qu'ayant  as- 
sisté à  l'enlèvement  des  effets  en  or  et  en  argent  provenant  de 
l'église  du  Temple  pour  être  poi  tés  à  la  monnaie  ,  on  y  a  remar- 
qué une  pièce  d'argent  sur  laquelle  était  écrit  :  Denier  qui  a  été 
le  prix  du  sang  de  N.  S.  J.-C.  La  valeur  intrinï^èque  de  cette 
pièce,  a-t-il  dit ,  est  d'environ  dix-huit  sous;  il  serait  important 
de  vérifier  si  elle  a  été  frappée  du  temps  de  l'empereur  Tibère  ; 
alors  on  pourrait  la  vendre  fort  cher  à  des  antiquaires:  —  Elle  a 


FÉVRIER  (1793).  4lS 

éié  envoy(^e  à  la  commission  des  ans  et  des  monumens.  Quant 
aux  ossemens  vermoulus  des  saints  et  des  saintes,  comme  des 
onze  mille  vierges,  ils  ont  été  brûlés. 

—  Jusqu'à  la  fin  du  mois,  les  séances  du  conseil-général  furent 
consacrées  à  des  détails  de  police  sur  les  subsistances.  Nous 
avons  déjà  donné  tout  entière  celle  du  25.  Le  sëSinces  qui  sui- 
virent ne  présentent  de  remarquable  que  les  fréquentes  inter- 
ruptions jetées  par  le  public  des  tribunes  au  sein  des  délibérations 
municipales.  Ce  sont  des  apostrophes  continuelles,  des  cris  à  bas! 
ou  des  applaudissemens.  Il  s'établit  quelquefois  des  dialogues 
entre  le  conseil,  les  pétitionnaires  et  les  tribunes;  en  voici  un 
exemple.  Le  26  février,  Pache  occupait  le  fauteuil  ;  arrivent  dos 
femmes  qui  demandent  d'abord  du  pain,  la  taxe  du  pain,  ensuite 
la  taxe  du  savon,  de  la  chaiidelle  et  du  sucre.  Elles  se  plaignent 
de  ce  que  la  force  armée  leur  en  a  imposé  le  matin ,  et  réclament 
la  liberté  de  plusieurs  de  leuis  caniarades  qui  ont  été  mises  au 
violon.  <  C'est  l'aristocraiie  marchande,  dit  l'une  d'elles,  qui 
nous  perd.  »  Les  tribunes  applaudissent  ;  elles  sont  rappelées  à 
l'ordre.  Le  maire  repond  aux  pétitionnaires,  et  s'adressant  à 
l'orateur.  «  Par  exemple ,  dit-il ,  t.i  on  taxait  le  travail  de  votre 
mari,  que  diriez-vous?  en  seriez-vous  contente?  »  (11  se  fait  du 
bruit.)  La  pétitionnaire  ne  comprend  rien  à  tout  cela,  et  répèle  sa 
motion  ;  les  tribunes  l'appuient,  et  proposent  des  taxes  sur  toutes 
les  marchandises  de  première  nécessité. 

A  la  séance  du  28  on  lui  un  ordre  du  jour  de  Santerre  contre 
les  grenadiers  de  la  garde  nationale ,  bien  digne  par  sa  forme  de 
figurer  à  côté  de  sa  motion  contre  les  chiens  et  les  chats,  t  Une 
classe  d'hommes  méchans  et  pusillanimes,  dit  Santerre,  voudrait 
avec  des  bonnets  et  des  moustaches  rétablir  une  caste  dange- 
leuse;  le  règne  de  l'égalité  ne  peut  endurer  cette  distinction  que 
vis-à-vis  des  ennemis  aux  frontières,  ou  que  la  loi  n'ait  prononcé: 
en  conséquence,  ordre  d'arrêter  toute  patrouille  de  grenadiers, 
de  les  désarmer  et  de  les  conduire  à  la  police  pour  y  être  jugés.  » 
A  la  lecture  de  cet  ordie  dv.  jour,  Il-jberi,  ayant  remarqué  à  la 
porte  de  la  salle  un  factionnaire  à  moustaches  et  coiffe  d'un 


414  CONVENTION   NATIONALE. 

bonnet  de  grenadier,  requit  qu'il  fût  relevé  à  l'instant,  et  le  fit 
remplacer  par  un  volontaire  delà  section  du  Théâtre-Français. 


SITUATION  DES  ARMEES. 

■  • 

Au  1"  janvier  ITO.^,  les  armées  de  la  République  comptaient 
220,000  hommes  à  reffeciif.  Au  1"  février,  elles  en  comptaient 
330,000,  fournissant  200,000  hommes  dans  le  rang.  Ainsi  que 
nous  l'avons  vu  dans  le  p.'écédent  voiunie,  Dubois-Crancé  fit  un 
rapport ,  le  25  janvier,  établissant  que,  !a  France  allant  avoir  à 
combattre  tous  les  rois  de  l'Europe ,  il  était  nécessaire  d'organi- 
ser d'avance  une  force  armée  de  CfjO.OOO  hommes,  afin  de'jpou- 
voir  entretenir  !es  armées  sur  les  frontières  à  un  compte  de 
400,000  hommes  d'abord.  Ce  rapport  était  basé  sur  un  mémoire 
remis  au  comité  de  défense  générale  par  le  général  Grimoard.  Ce 
mémoire  est  terminé  par  des  vues  nouvelles  qui  furent  évidem- 
ment la  première  conception  àv,  système  militaire  que  la  Conven- 
tion ne  tarda  pas  à  appliquer,  et  dont  l'Empire  fit  sa  fortune. 

Nous  transcrivons  ce  passage  important.  « Le  moyen  le  plus 

simple  de  suppléer  autant  que  possible  à  l'art  par  le  nombre  est 
de  faire  une  guerre  de  masses,  c'est-à-dire  de  diriger  toujours 
sur  les  points  d'attaque  le  plus  de  troupes  et  d'artillerie  qu'on 
pourra  ;  d'exiger  que  les  généraux  soient  constamment  à  la  tête 
des  soldats  pour  leur  donner  l'exemple  du  dévouement  et  da  cou- 
rage, et  d'habituer  les  uns  et  les  autres  à  ne  jamais  calculer  le 
nombre  des  ennemis ,  mais  à  se  jeter  brusquement  dessus  à  coups 
de  baïonnette,  sans  songer  ni  à  tirailler,  ni  à  faire  des  manœuvres 
auxquelles  les  troupes  françaises  actuelles  ne  sont  nullement 
exercées,  ni  même  préparées.  Cette  manière  de  combattre,  si 
analogue  à  l'adresse,  à  l'impéiuosiié  et  au  caractère  naturels  de 
la  nation,  ne  peut  que  lui  donner  la  victoire  en  déroutant  les  ar- 
mées étrangères.  » 

Maintenant  la  Constitution  militaire  était  décrétée ,  et ,  par  une 
loi  du  21  février,  trois  cent  mille  gardes  nationaux  étaient  mis  en 


FÉVRIER  (  1795  ).  41 S 

réquisition  permanente  ;  Paris  seul  y  était  compris  pour  trente 
mille  hommes.  Il  y  avait  à  peine  vingt-quatre  heures  que  le  décret 
sur  le  recrutement  était  rendu  que  déjà  la  section  de  la  Réunion 
envoyait  défiler  dans  la  Convention  son  contingent  de  deux  cent 
vingt-huit  hommes. 

Mais  ces  dispositions ,  quelque  bien  combinées  qu'elles  fussent, 
quelque  énergie  de  dévouement  que  la  nation  mît  à  les  exécuter, 
devaient  trouver  des  difficultés  sans  nombre ,  tant  dans  les  résul- 
tats de  l'administration  de  Pache  que  mm  la  iranison  imminente 
du  général  Diimourier  et  dans  l'inhabileté  du  général  Custine. 
Tandis  que  les  armées  coalisées  s'étaient  renforcées  de  toutes 
parts,  les  armées  françaises,  au  contraire,  avaient  suivi  une  pro- 
gression inverse,  et,  après  toutes  leurs  victoires,  leur  position 
était  beaucoup  plus  critique  qm;  pendant  l'invasion  des  Prus- 
siens. Au  moment  où  le  ministre  Pache  quitta  le  département  de 
la  guerre  ,  le  2  février,  la  dissolution  des  années  paraissait  plus 
vraisemblable  que  la  réussite  d'aucune  mesure  tondant  à  recom- 
pléter les  corps.  Elles  manquaient  de  vètemens  ,  d'équipemens  , 
d'armes,  de  muniiions  de  guerre  et  de  bouche,  de  moyens  de 
transport,  d'hôpitaux,  de  recrues;  leur  délabrement  était  au 
comble.  Nous  allons  tracer  l'histoire  de  leurs  opérations. 

Armée  du  Nord. 

Nous  avons  laissé  (tom.  XXIII,  pag.  548)  l'histoire  de  cette  ar- 
mée au  moment  où  elle  venait  d'établir  ses  cantonnemens ,  et  où 
Dumourier  la  confiait  aux  ordres  de  Miranda.  L'ennemi  parais- 
sait avoir  fixé  ses  qiiartiers  derrière  l'Erfft,  vers  Juliers,  mais 
on  était  si  mal  servi  par  les  espions ,  appelés  alors  des  obseï  va- 
leurs ,  que  leur  rapport  portail  la  force  de  l'ennemi  de  vingt- 
trois  à  cjuatrc-vingt  liJUe  hoiimi;'S ,  sans  qu'il  fût  possible  de 
poser  un  terme  probable  cnîre  ces  deux  données.  Le  point  d'Aix- 
la-Chapelle  fut  nn  objet  de  contestation  entre  les  conmiissaires  de 
la  Convention  et  les  généraux.  I^es  représentans  attachaient  une 
grande  importance  révolutionnaire  et  d'opinion  à  tenir  Aix-la- 
Ghjipelle,  que  l'on  voulait  municipaliser.  Cette  considération  pré- 


416  CONVENTION   NATIONALE, 

valut  sur  celle  du  désavantage  que  présentait  l'occupation  d'une 
grande  ville  sans  défense  avec  une  armée  trop  peu  supérieure. 
En  conséquence ,  le  17  janvier,  on  porta  pour  couvrir  celte  gau- 
che des  cantonnemens ,  une  partie  de  l'avant-garde  en  avant  de 
Rureraonde,  et  on  occupa  Seinkirken  et  Wassemberg,  Dalhein. 
Cependant  les  Autrichiens  se  renforçant  vers  Cologne ,  Miranda 
fit  reconnaître  des  points  de  défense  et  fortifier  des  passages  de  la 
Roër  ;  celte  rivière  de  peu  de  défense  séparait  seule  les  deux  ar- 
mées. 

On  était  tranquille  à  Paris  d'après  les  assurances  de  Miranda , 
qui ,  mal  informé ,  n'évaluait  toujours  les  troupes  autrichiennes 
qu'il  avait  devant  lui,  qu'à  dix-huit  ou  vingt  mille  hommes,  tan- 
dis qu'elles  étaient  du  double ,  outre  les  troupes  hollandaises  qui 
s'y  étaient  réunies  presque  secrètement ,  n'ayant  marché  que  par 
pelotons  détachés  sur  différentes  routes  et  à  des  époques  éloi- 
gnées. Le  rapprochement  des  postes  avancés  occasionnah  jour- 
nellement des  combats  de  détails  ;  ceux  de  Wassemberg  et  Ars- 
bek  (2  février)  furent  les  plus  remarquables.  Ces  postes  furent 
pris  ,*ptrdus  et  repris  entre  deux  corps  d'environ  mille  hommes 
de  chi;que  côté. 

Miranda  ordonna  alors  le  siège  ou  plutôt  le  blocus  de  Maes- 
trichî.  Celte  opération  marque  l'époque  du  changement  de  for- 
tune ;  elle  ouvre  la  série  des  revers  qui  se  succédèrent  rapide- 
ment durant  celte  campagne.  Jïaestricht  était  occupé  par  une 
garnison  hollandaise.  Dès  le  mois  de  janvier,  quoique  la  guerre 
n'eût  pas  encore  été  déclarée  aux  Provinces-Unies ,  Dumourier, 
sentant  l'importance  de  ce  poste  et  s'aulorisant  des  exemples 
donnés  dans  les  (-uerres  antérieures,  où  le  plus  fort  s'était  assuré 
deMaestiicht  sous  l'engagement  de  le  rendre  à  la  paix,  avait 
songé  à  s'en  emparer  avec  quinze  mille  hommes;  il  était  impos- 
sible à  Miranda  de  l^ire  le  siège  dans  les  règles  et  de  le  pousser 
avec  vigueur.  La  place  était  bloquée  le  6  février;  la  tranchée  avait 
été  ouverte  le  21.  La  prise  du  fort  de  Stephenvertz  par  Moreau, 
alors  offî.ier  supérieur  d'infanterie,  et  celle  du  fort  Saint-Michel, 
vis-à-vis  de  Wenloo,  auraient  pu  faciliter  les  travaux  de  Miranda. 


FÉVRIER  (1793).  417 

Mais,  faute  de  monde  ,  le  bombardement  était  pousse  avec  mol- 
lesse et  traînait  en  longueur.  Sur  ces  entrefaites ,  les  ennemis 
ayant  attaqué  et  forcé  la  ligne  des  cantonnemens  sur  la  Roër,  on 
fut  obligé  de  lever  le  siège  de  Maestricht  le  o  mars. 

Le  siège  de  Maestricht  se  rattachait  au  plan  de  campagne  que 
Dumourier  avait  conçu.  Tandis  que  son  armée ,  dispersée  sur  la 
Meuse,  paraissait  à  peine  en  état  de  soutenir  une  défensive  péni- 
ble contre  les  préparatifs  des  Prussiens  et  des  Autrichiens  réunis, 
il  imagina  et  résolut  l'invasion  et  la  conquête  de  la  Holhinde.  En 
cela,  il  poursuivait  un  but  personnel  qu'il  a  depuis  fait  connaître 
dans  ses  mémoires. 

Quelques  réfugiés  hollandais  avaient  formé  un  comité  à  An- 
vers ;  d'après  leuis  assertions ,  leur  parti  parut  très-considérable 
ù  Dumourier,  surtout  à  Amsterdam,  à  Harlem  ,  à  Dordrecht  et 
en  Zélande,  où  ce  comité  proposait  une  irruption  ;  le  général  eut 
l'air  d'adopter  ses  idées,  mais  il  avait  un  projet^  selon  lui,  bien 
plus  sûr  et  bien  plus  vaste  :  il  voulait  s'avancer  avec  un  corps 
d'armée  sur  le  Moerdick ,  en  masquant  les  places  de  Breda ,  Ger- 
truidemberg ,  Klundert  et  Wilemstads  sur  la  gauche  ,  tenter  le 
passage  de  cette  espèce  de  bras  de  mer  appelé  le  3Ioerdick  pour 
arriver  à  Dordrecht,  où ,  une  lois  débarqué,  il  se  trouvait  dans  le 
cœur  de  la  Hollande  et  ne  pouvait  plus  rencontrer  d'obstacles  en 
marchant  par  Rotterdam ,  La  Haye,  Leyde  et  Harlem,  sur  Ams- 
terdam. Il  prenait  alors  à  revers  toutes  les  défenses  de  la  Hol- 
lande; en  même  temps  le  général  Miranda ,  occupé  avec  une 
partie  de  l'armée  à  masquer  et  à  bombarder  Maestricht,  lorsqu'il 
aurait  su  ie  général  Dumourier  débarqué  à  Dordrecht,  devait 
laisser  continuer  le  siège  de  3Iaesiriclit  par  le  général  Valence,  et 
marcher  avec  vingt-cinq  milh:  hommes  sur  JNimègue,  où  le  géné- 
ral Dumourier  l'aurait  rejoint  par  Ulrecht. 

Une  fois  maître  de  la  Hollande ,  le  général  Dumourier  ne  voyait 
plus  d'obstacles  à  l'accomplissenient  de  ses  projfts;  il  donnait 
une  constitution  aux  Piovinces-Unips  et  à  la  Belgique  réunies;  il 
en  écartait  les  commissaires  de  la  Convention  ;  il  s'assurait  des 
possessions  holiandaises  dans  l'Inde,  il  en  renforçait  hsgarni- 
T.  XXIV.  i27 


418  CONVENTION   f-ATlONALE. 

sons,  il  décidait  les  Anglais  à  la  neutralité,  les  Autrichiens  à  une 
suspension  d'armes ,  la  France  à  une  alliance  avec  les  nouvelles 
conquêtes ,  et ,  devenu  le  sauveur  et  le  souverain  régulateur  des 
destinées  des  dix-sept  provinces  des  Pays-Bas ,  si  la  Convention 
hésitait  un  moment  d'accepter  ses  propositions ,  il  marchait  sur 
Paris  pour  écraser  les  Jacobins  et  établir  une  constitution  à  son 
gré ,  et  mettre  dans  la  personne  du  duc  de  Chartres  la  maison 
d'Orléans  sur  le  trône  de  France.  Tel  est  le  plan  que  Dumourier 
a  consigné  dans  ses  mémoires. 

D'après  les  ordres  qu'il  avait  donnés,  on  avait  tiré,  dès  le 
i6  janvier,  tout  ce  qu'il  y  avait  de  troupes  disponibles  dans  le 
département  du  Nord  ;  les  garnisons  de  Bruges ,  Ostende,  Gand 
et  Dendermonde  avaient  marché  sur  Anvers  et  avaient  été  rem- 
placées par  d'autres  troupes  venues  de  l'intérieur. 

L'armée  destinée  à  l'expédition  consistait  en  vingt  bataillons , 
environ  mille  chevaux ,  peu  d'artillerie  et  quelques  troupes  lé- 
gères belges  et  baiaves ,  en  tout  à  peu  près  quatorze  mille  hom- 
mes divisés  en  quatre  corps. 

L'avant-garde,  commandée  par  le  général  Berneron,  était  com- 
posée de  deux  bataillons  nationaux ,  deux  bataves ,  cent  hussards 
belges,  cent  cinquante  cavaliers  de  la  légion  du  Nord,  cinquante 
dragons  français,  quatre-vingts  dragons  bataves  et  trois  cents 
chasseurs. 

La  colonne  de  droite,  aux  ordres  du  général  d'Arçon  ,  habile 
ingénieur,  ayant  sous  lui  le  colonel  Westermann ,  était  de  neuf 
bataillons  de  volontaires ,  deux  incomplets  de  gendarmerie,  cent 
cinquante  hussards. 

Le  colonel  Leclerc  commandait  la  division  de  gauche,  forte  de 
neuf  bataillons  de  volontaires  et  de  cent  cinquante  hussards. 

L'arrière-garde ,  conduite  par  le  colonel  Tilli ,  consistait  en  un 
bataillon  de  volontaires ,  un  de  Bataves ,  deux  cents  Belges,  cent 
cavaliers  français  et  cent  hussards  belges. 

L'armée  entra  sur  le  territoire  hollandais  le  17  février,  et 
s'établit  dans  des  cantonnemens  très-serrés  de  Berg-op-Zoom  à 
Bréda.  Le  général  Dumourier  partit  le  22  d'Anvers  avec  l'ariil- 


MARS  (1793).  419 

lerie  et  les  dernières  li  oupes.  Le  général  Berneron  devait  se  por- 
ter sur  la  Merck  entre  Oudenbosck,  Steenberg  et  Bréda,  et  déta- 
cher le  lieutenant -colonel  Daendels  avec  huit  cents  hooames 
d'infanterie  et  cent  de  cavalerie  sur  Roovaert ,  le  Moerdich  et  1^ 
Swahve,  pour  y  rassembler  et  y  retenir  tous  les  bàlimens  et  ba- 
teaux qui  s'y  trouveraient.  Ce  mouvement  ayant  été  renvoyé 
au  22,  l'ennemi ,  sans  doute  prévenu,  retira  ses  navires  et  ses  ba- 
teaux sur  le  bord  opposé,  etôla  ainsi  les  premiers  njoyeris  de  pas- 
sage aux  Français,  qui  s'emparèrent  de  Bréda  le  24  février,  et 
de  Klunderl  le  26.  Là  se  terminent  les  actes  militaires  de  l'armée 
du  Nord  pendant  février  1793. 

L'armée  du  Rhin  occupait  toujours  ses  cantonnemens.  Les 
commissaires  de  la  Convention ,  depuis  leur  arrivée  à  3Iayence  , 
s'étaient  emparés  de  tous  les  pouvoirs.  Réduit  à  un  rôle  secon- 
daire, Gusline  psétexta  le  besoin  d'aller  visiter  les  postes  et  les 
places  le  long  du  Rhin  j  mais  cette  inspection  ne  pouvait  être  de 
longue  durée.  Il  supposa  des  affaires  pressantes  qui  l'appelaient 
à  Paris,  et  il  obtint  du  pouvoir  exécutif  la  permission  de  s'y  ren- 
dre dans  les  premiers  jours  de  mars. 


MARS    1793. 


Nous  entrons  dans  le  mois  où  furent  déci  élées  toutes  les  gran- 
des mesures  du  régime  conventionnel.  Après  quatre  années  de 
continuelles  alarmes ,  après  les  exécutions  satglantes  du  tribunal 
criminel  du  17  août  et  les  massacres  de  septembre;  après  cette 
foule d'événemens  qui  frappent  tant  d'existences  ei  semblent  avoir 
comblé ,  de  tout  ce  que  les  vicissitudes  sociales  ont  de  plus  re- 
doutable, l'espace  qui  sépare  la  prise  de  la  Bastille  du  21  jan- 
vier 1793,  on  croirait  que  les  bornes  de  la  crainte  et  celles  de  la 
menace  ne  peuvent  plus  êire  reculées.  Mais  il   n'en  est  point 


420  CONVENTION   NATIONALE. 

ainsi:  à  inesure  que  la  révolution  s'avance,  ces  bornes  marchent 
devant  e'ie. 

En  assistant  aux  manifestations  de  cette  force  fatale  qui  sauva 
la  nation  par  les  dévouemens  populaires,  et  qui  châtia  si  impi- 
toyablement les  prêtres ,  les  nobles ,  les  riches,  les  philosophes , 
les  littérateurs,  tous  ceux  enfin  dont  la  direction  et  dont  l'ensei- 
fjnement  avaient  presque  anéanti  notre  nationalité ,  on  se  de- 
nmnde  avec  effroi  où  s'arrêtera  le  fléau.  Ce  n'est  rien  que  de  sa- 
voir combien  la  révolution  a  eu  de  journées  violentes,  et  combien 
ces  jourr.ées  préparèrent  de  funérailles  ;  ce  n'est  rien  que  de  sa- 
voir l'histoire  des  émeutes ,  des  insurrections ,  de  la  guerre  civile  : 
dans  tout  cela,  en  effet,  la  révolution  montre,  pour  ainsi  dire, 
ce  qu'elle  a  de  naturel  et  d'extérieur  ;  elle  n'est  plus  que  le  drame 
des  passions  humaines.  Ceux  qui  veulent  la  comprendre  de 
manière  à  !a  seniir  comme  les  contemporains  eux-mêmes,  doi- 
vent en  chercher  les  terreurs  autre  part.  Elles  sont  dans  les  mots 
que  la  révolution  a  créés ,  ou  auxquels  elle  a  donné  un  sens  nou- 
veau ;  dans  celte  langue  qu'il  est  impossible  d'entendre  si  l'on  ou- 
blie un  instant  qu'elle  personnifie  tout  ce  qu'elle  nomme.  Les 
brigands,  ladiseite,  le  tocsin,  la  trahison,  le  club,  la  guillotine, 
sont  des  personnifications  vivoiites.  li  y  a  une  ame  et  une  volonté 
dans  les  mots  Convention  ,  Commune ,  section ,  jacobin ,  corde- 
lier,  et  lorsque  viennent  ceux  de  tribunal  révolutionnaire  et  de 
comité  de  salut  public,  on  dirait  que  la  terreur  ne  s'était  encore 
qu'essavée  en  des  formes  empruntées  et  qu'elle  apparaît  mainte- 
nant sous  sa  figure  véritable. 

Le  mouvement  moral  que  nous  avons  à  reproduire  présente 
une  telle  détresse  chez  les  uns,  une  telle  résignation  chez  les  au- 
tres, une  audace  si  froide  et  si  résolue  chez  ceux  qui  ordonnent 
et  gouvernent ,  qu'une  fatalité  aussi  indifférente  pour  ses  minis- 
tres que  pour  ses  victimes  domino  incessamment  à  nos  yeux  tou- 
tes les  scènes  dont  la  France  est  agitée.  Nous  ne  saurions  trop 
je  répéter,  cette  fatalité  se  témoigne  surtout  (jans  la  langue  de 
l'époque.  Les  Girondins  et  les  Jacobins  parlent  de  la  révolution 
comme  d'une  force  de  l'ordre  brut.  Les  premiers  intitulent  à 


MARS  (1795).  421 

celte  heure  leurs  articles  principaux  :  tliermomeire  de  Cesprit  pu- 
blic, les  seconds  disent  plus  que  jamais  qu'il  faut  être  à  la  hau- 
teur. Il  n'y  a  pas  une  dénomination  poliiique  qui  ne  suit  ou  ne 
puisse  devenir  un  instrument  de  proscription  ;  tous  les  termes 
trop  vagues  ou  trop  faibles  par  lesquels  on  désignait  naguère  la 
foule  des  indifférens  qui  u'avaienl  point  de  parti,  ou  qui  hési- 
laieni  dans  des  nuances  difficiles  à  qualifier,  sont  remplacés  par 
le  nom  commun  de  suspect. 

Les  séances  de  la  Convention,  pendant  le  mois  de  mars,  ren- 
ferment visiblement  le  germe  de  toutes  les  catastrophes  qui  se 
succéderont  jusqu'au  2  avril  179i,  jour  où  Danton  et  ses  amis 
comparaîtront  devant  le  tribunal  révoiutionnaire.  On  lit  son  ar- 
rêt de  mort  dans  la  manière  embarrassée  dont  il  répond  à  ceux 
qui  l'interpellent  sur  ses  dernières  relations  avec  Dumourier. 
Tout,  jusqu'aux  exagérations  évidentes  de  son  zMe  réveillé  en 
sursaut,  ti'ahit  dans  ce  pfrsonnage  de  sérieuses  îuéoccupaiions 
personnelles.  Le  9  thermidor  ne  s'annonce  point  encore.  Qnant 
au  31  mai,  il  commence  déjà.  Ce  ne  sont  plus  enîre  la  Giron- 
de et  la  3Iontagne  des  disputes  bruyantes ,  des  colères  qui  se 
satisfont  par  des  injures  et  des  altercations.  Un  pouvoir  formi- 
dable tel  que  les  uns  et  les  autres  le  veulent  existe  dans  l'assem- 
blée. Ce  pouvoir  se  manifeste  par  l'énergie  des  décreis  qui  sont 
rendus  contre  les  ennemis  de  la  révolution.  Les  deux  partis  lut- 
tent pour  s'en  emparer;  ils  s'acharnent  sur  ce  glaive  nu,  et 
certes,  ce  n'est  point  pour  ie  briser  après  l'avoir  arraché  à  leurs 
antagonistes  que  les  Girondins  réunissent  aujourd'hui  leurs  ef- 
forts L'aspect  général  de  la  Convention  ,  la  guerre  entre  le  côté 
droit  et  le  côté  gauche,  et  la  cause  (jui  maintient  la  majorité,  et 
par  elle  le  pouvoir,  sont  très-exaclemvnt  résumés  dans  la  séance 
où  les  quarante-huit  sections  viennent  demander  ù  l'assemblée  si 
elle  croit  pouvoir  sauver  la  patrio.  Gnmon  df'clare  que  l'on  en 
est  arrivé  au  point  où  il  est  impof-sib!-  aux  njembres  do  l'assem- 
blée de  se  réunir  sincèrement  et  de  morcher  d'accord  ;  Boyer- 
Fonfrède  rappelle  que  tous  les  décrets  qui  tiennent  à  l'intérêt 
généra!  do  la  patrie  et  à  'a  g!c>ire  d"S  armées  ont  él(î  rendus  à 


422  CONVENTION   NATIONALE. 

Tunaniuiitë.  Les  actes  du  pouvoir  conventionnel  sont  dans  les 
mesures  suivantes. 

Le  i"  mars  la  trahison  ou  l'ignorance  des  généraux  amendes 
revers  de  la  Belgique  et  du  Palaiinat;  le  o ,  une  lettre  des  com- 
missaires auprès  de  l'armée  du  nord  annonce  l'évacuation  d'Aix- 
la-Chapelle,  et  la  cessation  du  bombardement  de  Maestricht. 
Quelques  membres  veulent  que  cette  lettre  soit  renvoyée ,  sans 
être  lue,  au  comité  de  défense  générale.  Billaud-Varennes  s'écrie  : 
€  Il  ne  faut  rien  cacher  au  peuple  ;  c'est  à  la  nouvelle  de  la  prise 
de  Verdun  qu'il  s'est  levé,  et  qu'il  a  sauvé  la  patrie,  i  La  lettre 
est  lue  aussitôt.  Le  7  mars,  Barrère  fait  un  rapport  sur  les  actes 
d'hostilité  de  l'Espagne ,  et  la  guerre  est  déclarée  à  cette  puis- 
sance. Le  8  mars  on  apprend  la  levée  du  siège  de  Maestricht,  et 
la  retraite  sur  Vaîenciennes  ;  un  décret  envoie  quatre-vingt-seize 
commissaiies  dans  les  sections  de  Paris  pour  engager  les  habi- 
tans  à  prendre  les  armes  et  à  voler  aux  frontières.  Le  9 ,  l'as- 
semblée décrète  qu'il  sera  formé  un  tribunal  criminel  extraor- 
dinaire, sans  appe!  ni  recours  au  tribunal  de  cassation  ,  chargé 
du  jugement  de  tous  les  délits  relatifs  à  la  révolution.  Sur  la  mo- 
tion de  Lacîoix ,  d'Eure-ei-Loir ,  un  décret  oidonne  à  ceux  des 
conventionnels  qui  rédigent  des  journaux  d'opîer  entre  la  qua- 
lité de  représentant  du  peuple  et  celle  de  journaliste.  Le  18, 
on  prononce  la  peine  de  mort  contre  quiconque  proposerait  des 
lois  agraires ,  et  le  principe  d'un  impôt  progress'f  est  décrété. 
Le  21 ,  Dumourier  écrit  qu'il  a  été  battu  à  Nerwinde ,  et  le  22, 
l'assemblée  charge  son  comité  de  défense  générale  de  lui  pré- 
senter l'organisation  d'un  co  site  de  salut  public.  Le  25  celte 
organisation  est  décrétée ,  et  le  26  les  membres  qui  doivent  le 
composer  sont  nommés.  Dans  cette  même  séance  le  désarme- 
ment des  suspects  est  ordonné.  Enfin ,  le  29 ,  le  ministre  Gohier 
instruit  l'assemblée  de  l'installation  du  tribunal  révolutionnaire. 
Celte  énumération  rapide  ne  comprend  que  les  mesures  ca- 
pitales. Le  mois  tout  entier  se  passe  en  des  décrets  révolution- 
naires, et  si  nous  avions  voulu  indiquer  ceux  qui  concernent 
Lyon,  Arles,  la  Vendée,  nous  aurions  dépassé  de  beaucoup  les 


MARS  (  1793  ).  41ï 

bornes  d'un  sommaire.  31aintenant  que  la  marche  convention- 
nelle est  suffisamment  tracée,  nous  passons  à  celle  de  la  Com- 
mune de  Palis ,  et  à  l'esprit  des  sections. 

Les  seniimens  de  la  Commune  de  Paris  éclatent  dans  la  jour- 
née du  8  mars.  Au  moment  où  les  quatre-vingt-seize  commis- 
saires de  la  Convention  portent  dans  les  sections  les  nouvelles 
désastreuses  de  l'armée,  la  Commrme  arbore  un  drapeau  noir 
sur  les  tours  de  Notre-Dame  ;  elle  fait  fermer  les  théâtres ,  battre 
le  rappel,  et  publier  une  proclamation  qui  commence  ainsi:  «  Aux 
armes,  citoyens!  aux  armes!  Si  vous  tardez  tout  est  perdu.  » 

Les  démarches  des  sections  sont  de  plus  en  plus  assidues  et 
de  plus  en  pl-js  vigoureuses.  C'est  sur  leur  initiative  que  sont  dé- 
crétés les  moyens  extrêmes.  Le  3  mars ,  elles  demandent  la  pro- 
hibition delà  vente  du  numéraire,  et  la  peiue  de  mort  contre 
les  contrevenans.  Le  9,  elles  ont  déjà  répondu  à  l'appel  de  la 
Commune;  quinze  mille  hommes  sont  organisés,  mais  les  sec- 
lions  veulent  qu'en  partant  les  défenseurs  de  la  patrie  aient  la 
certitude  que  les  traîtres  seront  punis.  En  conséquerice ,  elles 
réclament  la  création  d'un  tribunal  révolutionnaire,  et  une  taxe 
sur  les  riches.  Le  12,  la  section  du  faubourg  l^issonnière  de- 
mande la  destitution  de  Beurnonville,  et  la  mise  en  accusation  du 
général  Dumourier  et  de  son  état- major.  Pendant  la  vive  discussion 
qui  s'ensuit  un  député  girondin  dénonce  et  lit  un  arrêté  de  la  sec- 
tion Bon-Conseil  (Mau-Conseil),  portant  c]v.o.  la  Convention  na- 
tionale sera  invitée  à  traduire  au  tribunal  révolutionnaire  Brissot, 
Pciion,  Buzot,  Guadet,  Vergniaud,  Gensonné,  Barbaroux , 
Gorsas ,  Clavière  ,  Rebecqui ,  Lanjuinais  ,  etc.  Le  26 ,  la  section 
de  la  Réunion  demande  etobîient  le  désarmement  des  suspects. 
Le  28,  Pache  ,  au  nom  des  quarante-huit  sections,  vient  appeler 
l'alteniion  de  l'assemblée  sur  l'ambition  et  l'incivisme  de  quel- 
ques généraux  ,  sur  le  peu  d'énergie  du  conseil  exécutif,  et  sa- 
voir si  la  Convention  croit  pouvoir  sauver  la  patrie. 

Les  sentimens  et  les  résolutions  dps  Gii'ondins,  au  milieu  de 
ces  préparatifs  redoutables,  sont  exprimés  dans  im  avis  que 
nous  lisons  en  léle  du  Patriote- Français ,  numéro  du  H  mars, 


424  CONVENTION  NATIONALE., 

le  lendemain  du  décret  qui  interdisait  aux  députés  d'être  jour- 
nalistes. Voici  cette  pièce  : 

t  Avis.  Les  droits  de  riiomme  ne  sont  plus,  toutes  les  lois 
naturelles  sont  foulées  aux  pieds  :  une  nuit  a  renversé  l'ouvrage 
de  quatre  ans,  la  liberté  individuelle,  la  liberté  de  la  presse; 
une  faction  qui  veut  régner  au  milieu  des  ténèbres ,  a  défendu  à 
des  dépuiés  philosophes  d'éclairer  leurs  concitoyens.  La  loi ,  car 
il  y  a  encore  des  lois  pour  les  hommes  vertueux ,  la  loi  ne  per- 
met plus  à  Brissot  de  travailler  à  la  rédaction  de  ce  journal.  Je  le 
rédigerai  seul;  j'appelle  sur  ma  tête  toute  la  responsabilité,  sur 
mon  cœur  tous  les  poignards.  J.  M.  Girey.  » 

Il  ne  faut  pas  croire  cependant  que  tous  montrassent  une  fer- 
meté égale  à  celle  dont  fit  preuve  le  collaborateur  de  Brissot.  La 
terreur  avait  saisi  plusieurs  journalistes  ses  confrère',.  Kico!as 
Bonneville  divague.  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  son  Bulletin 
des  amis  de  la  vérité ,  numéro  du  16  mars  :  «  C'est  un  océan  d'in- 
trigues, des  tourbillons,  des  sifflemens,  des  orages  et  partout 
ruines,  destructions,  brigandages;  on  veut  se  partager  le  gâ- 
teau ,  les  dépouilles  du  peuple  !  que  de  partis ,  ici  et  là  !  ici , 

Proscrivant  à  grands  cris  les  meilleurs  citoyens. 
Us  marchent  tout  couverts  du  sang  de  leurs  victimes. 

»  Et  on  le  souffre  î  —  Il  y  a  au  moins  dans  ce  parti-là  quel- 
que énergie,  de  la  suite;  et  je  les  ai  toujours  épargnés;  car  ils 
me  paraissent  capables  de  tout,  même  du  bien  !  —  J'ai  donné 
aux  autres  une  massue  de  plomb  pour  écraser  l'anarchie,  en  la 
portant  au  foyer  de  l'intrigue,  pour  écraser  quelques  hommes  ; 
elle  s'y  est  fondue!  —  Qu  ils  capitulent,  puisqu'ils  veulent  capi- 
tuler! je  me  tais.  > 

Ce  qui  prouve,  au  reste,  que  les  meilleurs  esprits  et  les  âmes 
les  plus  éprouvées,  parmi  les  chefs  eux-mêmes  de  la  Gironde, 
se  troublèrent  aussi,  c'est  i|ue  pas  un  deux  ne  sut  ni  voir,  ni 
comprendre,  ni  juger  la  position.  Le  fameux  discours  de  Ver- 
gniaud  à  la  séance  du  13  mars ,  discours  plein  de  verve  et  de  cha- 
leur oratoire,  n'et  au  fond  qu'un  échafaudage  puéril  pour  dé- 


MARS  (1795).  425 

montrer  que  les  circonstances  présentes  sont  l'ouvrage  de  quel- 
ques conjures,  et  pour  généraliser  la  situation  dans  un  comité 
insurrecteur  dirigé  par  Desfieux.  Or,  en  supposant  qu'il  existât 
un  semblable  comité,  lui  attribuer  ce  qui  se  passait ,  c'était  pren- 
dre pour  la  cause  des  événemens  le  plus  mince  de  leurs  effets. 
Gomme  sous  la  constituante,  comme  sous  la  législative,  le  mou- 
vement révolutionnaire  était  toujoars  une  réaction  contre  des 
dangers  réels  ou  imaginaires;  il  naissait  toujours  à  posteriori.  La 
crainte  de  la  disette  avait  occasionné  les  émeutes  récentes  de  fé- 
vrier. Au  plus  fort  de  l'ébranlement  qu'elles  avaient  produit 
étaient  venus  les  messages  de  l'armée ,  semant  des  bruits  de 
trahisons,  de  déroutes ,  de  désertions  innombrables ,  et  les  nou- 
velles de  l'intérieur  annonçant  la  guerre  civile.  Un  désir  ardent 
de  faire  cesser  à  tout  prix  les  discordes  qui  déchiraient  la  patrie, 
de  vaincre  et  de  disperser  la  coalilio  >.  étrangère,  et  d'opérer 
ainsi  le  salut  de  la  France,  s'empara  alors  du  piHiple  de  la  capi- 
tale. Ce  désir  donna  l'impulsion  aux  pouvoirs  constitués,  daiis 
l'ordre  même,  et  dans  le  degié  qui  les  établissnient  en  relation 
plus  ou  moins  immédiate  avec  les  masses:  de  telle  sorte  que  les 
sections  s'émurent  par  le  peuple,  la  municipalité  par  les  sec- 
tions, et  la  Convention  nationale  par  tou-j. 

En  même  temps  que  le  sentimeut  populaire  né  de  péî  ils  actuels 
et  imminens  s'exprimait  régulièrement  p;ir  rors|;ane,  des  magis- 
tratures inférieures,  il  s'exprimait  irrcgulièrcmeni  par  des 
agens  de  désordre,  qu'ils  fussent  ou  des  furieux  poMssés  à  bout, 
ou  des  fripons.  Mais  ces  liommes-l:'i ,  bieiî  loin  de  provoquer  ou 
de  diriger,  profitaient  à  peine  un  instant  d'une  ferme  .lation  qui 
n'était  nullement  leur  ouvivige,  pour  y  commettre  des  violences, 
aussitôt  condamnées  et  réprimées  |)ar  les  bonnes  inlentioiis  de  la 
foule. 

Nous  avons  très-attentivement  ixaiwiné  toutes  les  pirxes  de  la 
révolution  du  10  mars  1795.  La  coî-spiraiiou  dont  les  Girondins 
se  plaigniieni  demeure  pour  nous  un  fait  extrèHiemcnt  d'u- 
teux,  et  qui,  eùi-il  existé,  ne  sciait  (\n\\n  incident  misc'rable, 
perdu  au  sein  de  ce  mouvement  nulioud  (jui  i é[)u  .dii  aux  d.ui- 


426  CONVENTION  NàTIONALE. 

gers  intérieurs  et  extérieurs ,  par  la  volonié  de  glacer  d'effroi 
tous  les  ennemis  de  la  France.  La  même  cause  qui  fit  décréter 
le  tribunal  révo!utionn:!ire,  le  comité  de  salut  public,  et  le  dé- 
sarmement des  suspects,  permit  à  ui:e  bande  d'individus  de  bri- 
ser les  presses  de  Gorsas  et  celles  de  la  Chronique  de  Pains  ;  elle 
permit  à  certains  autres  de  déclamer  dans  un  café  et  d'y  former 
des  complots;  mais  placer  ces  individus  et  leurs  actes  sur  le 
premier  plan  de  riiistoire  ;  attirer  et  concentrer  les  regards  sur 
un  Desfieux,  sur  un  Lazowski,  sur  un  Warlet,  espèce  de  ma- 
niaque qui  colportait  de  carrefour  en  carrefour  une  tribune  am- 
bulante d'où  il  haranjjuait  les  passans,  fut,  de  la  part  des  Gi- 
rondins, la  preuve  qu'ils  ne  sentaient  point  le  milieu,  que,  par 
conséquent,  ils  ne  pouvaient  pas  le  reproduire,  et  que,  désor- 
mais à  !a  merci  des  détails,  ayant  perdu  la  vue  de  l'ensemble,  ils 
marchaient  rapidement  à  leur  perte. 

C'est  la  conclusion  que  nous  autorisent  à  porter  la  netteté  avec 
laquelle  se  dessine  maintenant  la  situation  générale  de  la  Répu- 
blique ,  l'intelligence  et  l'empressement  avec  lesquels  les  Jaco- 
bins s'y  dévouent.  Parce  (jue  du  sort  de  l'armée  dépend  le 
sort  de  îa  Franco,  parce  que  les  revers  militaires  sont  les  motifs 
directs  qui  excitent  à  cette  heure  le  patriotisme  du  peuple,  et  lui 
font  solliciter  le  régime  de  la  terreur,  nous  commencerons  par 
raconter  les  désastres  de  l'armée  du  Nof?!.  L'exposé  des  causes 
nous  a  paru  le  meilleur  moyen  d'introduire  nos  lecteurs  à  l'ex- 
posé des  elfets.  Pour  cela  nous  diviserons  le  mois  de  mars  en 
deux  chapitres  :  dans  le  premier  sera  contenu  le  récit  des  der- 
nières opérations  de  Dumoarier  ;  dans  le  second  le  mouvement 
révolutionnaire  de  l'intérieur. 


CAMPAGNE   DE    BELGIQUE. 


Nous  avons  terminé  le  nmis  précédent  par  l'histoire  des  ar- 
mées en  janvier  et  en  février.  Nos  lecteurs  connaissent  déjà  les 
f|?rojets  stratégiques  et  politiques  du  général  Dumoarier.  Ils  n'ont 


(mars  (1795).  4â7 

pas  oublié  qu'il  visait,  pour  lui-même,  au  protectorat  de  la  ré- 
publique batave ,  et  qu'il  réservait  au  duc  de  Chartres  une  mo- 
narchie constitutionnelle  en  France.  Nous  l'avons  laissé  au  mo- 
ment où  il  se  rendait  maître  de  Bréda  et  de  Klundert.  Nous 
transcrivons  du  Tableau  historique  de  la  guerre  de  la  révolution 
de  France ,  par  les  généraux  Servant  et  Grimoard ,  le  récit  des 
opérations  subséquentes  et  !a  critique  dont  ils  les  accompagnent. 

«  Devenus  maîtres  de  Gertruidemberg  le  o  mars,  les  Français 
assiégèrent  Willemstadt  en  même  temps  qu'ils  continuaient  à 
bloquer  Berg-op-Zoom  et  Steenbergen.  Le  général  Dumourier 
avait  établi  son  quartier  à  Roowaert,  et  fait  pratiquer  sur  les 
dunes  des  huttes  en  paille  pour  les  soldats,  qui  appelaient  ce 
cantonnement  aquatique  le  camp  des  castors.  On  était  parvenu 
à  équiper  vingt-trois  bâlimens  et  à  les  rassembler  dans  l'anse  de 
Roowaert.  Le  véritable  point  d'attaque  était  encore  ignoré  de 
l'ennemi,  qui  rassemblait  toutes  ses  ressources  de  défense  à 
Gorcum.  On  avait  aussi  pré[)aré  les  moyens  de  faire  exécuter 
à  la  division  de  droite  !e  passage  du  Biesbos  ;  mais  les  nouvelles 
fâcheuses  de  ce  qui  se  passait  sur  la  Meuse  obligèrent  le  général 
Dumourier  d'abandonner  ses  succès  et  tous  ses  arrangemens  pour 
les  poursuivre,  afin  de  se  rendre  à  l'armée  de  la  Belgique,  pour 
laquelle  il  partit  le  10  mars,  après  avoir  laissé  provisoirement 
au  colonel  Thouvenot ,  chef  de  l'étal-major ,  la  direction  de  l'ar- 
mée employée  contre  la  Hollande. 

»  Dès  le  30  janvier,  le  prince  Frédéric  de  Brunswick ,  frère  du 
duc,  était  entré  dans  le  duché  de  Glèves,  avec  un  corps  de 
vingt-cinq  mille  Prussiens  et  Hanovriens  ;  après  avoir  coopéré 
avec  l'armée  autrichienne  à  reprendre  la  Gueldreet  Ruremonde, 
il  avait  marché  par  Grave,  d'où  il  était  arrivé  le  12  mars,  sur 
Bois-le-Duc,  pour  aider  les  Hollandais  à  reprendre  les  places 
que  les  Français  leur  avaient  enlevées.  Le  général  Deflers  s'était 
jeté  dans  Bréda ,  le  colonel  Tilli  dans  Gertruidemberg,  et  le  reste 
de  l'armée  s'était  retiré  sur  Anvers.  A  Gertruidemberg  et  Bréda, 
les  Français,  obligés  de  capituler,  obtinrent  les  honneurs  de  la 
guerre  et  évacuèrent  ces  places  les  6  et  7  avril. 


428  CONVENTION    NATIONALE. 

»  Pendant  ce  lemps  le  prince  de  Saxe-Gobourg  était  arrivé  à 
Cologne  pour  prendre  le  commandement  en  chef  de  l'armée  au- 
trichienne. Le  général  Clairfait  avait  réuni  trente  mille  hommes 
entre  le  Rhin  et  l'Erfft,  sur  lequel  il  prit  son  quartier  général, 
et  poussé  des  déiachemens  à  Juliers  et  sur  la  droite  de  cette  ville , 
versRnremonde  et  Weiiloû.  Le  général  Beaulieu,  avec  son  ar- 
mée ,  et  quelques  débris  de  celle  du  duc  de  Saxe-Teschen ,  était 
dans  le  Luxembourg;  il  occupait  Saint-Hubert,  et  son  quartier 
général  était  à  Bastogne.  Le  prince  de  Hohcnlohe-Kirchberg 
éiait  dans  Trêves  avec  un  petit  corps  d'armée  ,  et  avait  fait  occu- 
per la  ville  et  la  principauté  de  Saarbrijck.  Vingt-cinq  mille  Au- 
trichiens, tirés  des  états  héréditaires,  se  rendaient  par  Wurlz- 
bourg,  sur  le  Rhin,  entre  Cologne  et  Wese!,  pour  agir  de 
concert  avec  le  prince  Frédéric  de  Brunswick,  que  nous  venons 
devoir  marcher  au  secours  des  Hollandais.  Tous  ces  prépara- 
tifs n'avaient  pu  tirer  les  Fiançais  de  la  plus  parfaite  sécurité. 
Ainsi  l'armée  ennemie  tout  entière  avait  passé  la  Roër,  qu'ils 
n'avaient  encore  nul  point  de  rassemblement  indiqué. 

»  Le  1"  mars,  les  Autrichiens  commencèrent  leur  mouvement 
de  grand  matin  ;  trois  de  leurs  colonnes  tombèrent  sur  l'avant- 
garde  française  et  la  forcèrent  dans  les  retranchemens  d'Al- 
denhoven.  Les  hussards  hongrois  emportèrent  les  hauteurs;  le 
général  Stengel  y  rétablit  le  combat ,  mais  il  fut  repoussé.  Vers 
le  soir,  le  prince  de  Wirlenjberg  attaqua  les  Français  dans  leurs 
retranchemens  d'Eschweiller,  en  avant  d'Aix-ia-Chapelie,  en  les 
tournant  par  la  droite;  le  lendemain,  il  les  repoussa  à  Aix-la- 
Chapelle,  où  ils  ne  purent  se  soutenir.  Le  général  Dampierre  fut 
contraint  de  se  replier  avec  précipitation  sur  Liège;  sa  retraite 
entraîna  celle  du  général  Lanoue,  posté  à  Hervé.  Les  troupes  fu- 
rent cependant  ralliées  sur  les  hauteurs  de  Saumagne,  où  le  gé- 
néral Valerce  vint  les  rejoindre  et  où  oti  arrêîa  l'ennemi ,  qui  fut 
obligé  de  se  relin  r.  Ainsi,  les  allies  repoussèrent  successivement 
tous  les  différens  corps  de  l'armée  française,  de  Visé,  de  Maes- 
tricht,  de  Liège,  de  Tongres,  de  Ruremonde,  jusqu'à  Saint- 
Tron,  où  l'armée  resta ,  le  6  et  le  7,  pour  donner  quelque  repos 


MARS  (1795).  429 

aux  troupes  et  attendre  la  rentrée  des  corps  détachés.  Le  8,  î'ar- 
niée  française  se  porta  sur  Tiilemont,  et,  le  9,  en  arrière  de  Lou- 
vain  ,  pour  y  rester  en  observation  et  couvrir  la  Belgique  en  at- 
tendant l'arrivée  du  général  Dumourier,  qui  eut  lieu  le  13. 

»  Les  troupes  qui  formaient  la  droite  des  cantonnemens  sur  la 
Meuse  avaient  marché  par  Hui  sur  Namur;  elles  formèrent  un 
corps  sur  la  droite  de  l'armée  à  Judoigne  ;  ce  corps ,  commandé 
par  le  général  Neuilli ,  devait  contenir  ceux  aux  ordres  du  géné- 
ral Beaulieu  et  du  prince  Ilohenlohe,  s'ils  tentaient  de  tourner 
la  droite  de  l'armée. 

»  Les  Français  réunis  avaient  devant  eux  le  canal  de  Malines  ; 
la  réserve,  avec  un  petit  coips  de  cavalerie,  était  en  avant  de 
Bautersem;  l'avant-garde  à  Cuniptiche,  et  un  petit  corps  déta- 
ché en  avant  occupait  Tiriemonf.  Celte  position  avait  pour  objet 
de  réunir  les  troupes  et  les  parcs  d'artillerie  de  campagne.  L'en- 
nemi occupait  les  villages  entre  Tirlemont  et  Tongres.  L'armée 
réorganisée  se  trouvait  forte  d'environ  quarante  niille  hommes. 
Le  8  mars  ,  le  général  Dumourier  avait  reçu  l'ordre  d'abandon- 
ner l'expédition  de  !a  Hollande  pour  venir  se  mettre  à  la  tête  de 
l'expédition  de  la  Belgique.  Il  laissa  le  commandement  au  général 
de  Fiers,  partit  le  9,  alla  donner  divers  ordres  à  Bruges  et  dans 
cette  partie,  arriva  le  M  à  Anvers,  le  12  à  Bruxelles,  et  joignit 
le  15 ,  en  avant  de  Louvaiu ,  sou  armée ,  dont  il  changea  la  posi- 
tion. 

»  Il  étendit  son  front  jusqu'à  Hongaerde  à  sa  droite ,  il  fît  re- 
trancher Diest  et  y  porta  sa  gauche  ;  le  général  Dampierre  oc- 
cupa Hongaerde;  le  général  Neuilii,  Lumai,  en  avant  de  Hon- 
gaerde. Le  générai  La  Marlière ,  qui  s'était  replié  de  Kuremonde 
en  même  temps  qu'on  évacuait  les  forts  de  Stephenswerdt  et  de 
Saint-Michel,  aviiit  laissé  un  poste  à  Aerschot  pour  communiquer 
avec  Diest;  il  se  porta  ensuite  à  Lier  pour  éclairer  La  Campioe, 
par  où  le  prince  Frédéric  de  Brunswick  pouvait  venir  piendre 
l'armée  à  revers  ;  ces  corps  avancés  avaient  encore  pour  objet  de 
commuiii(|uer  avec  les  troupi  s  laiss(  es  au  Moerdick.  Le  colonel 
Westermann  fut  placé  à  Turnhout  pour  couvrir  leur  retraite. 


430  CONVENTION   NATIONALE. 

communiquer  par  Herenlals  avec  le  général  La  Marlière,  et  par 
lui  avec  la  grande  armée. 

»^Le  matin  du  15,  l'avant-garde  des  Autrichiens,  qui  avait 
passé  la  Meuse  à  Maestricht  et  à  Liège  à  la  suite  des  Français, 
surprit  Tirlemont  et  força  quatre  cents  hommes  qui  y  étaient 
postés  de  se  retirer.  Les  corps  avancés,  aux  ordres  des  généraux 
Dampierre  et  Miaczinski ,  se  replièrent  alors  sur  l'armée  ;  le  gé- 
I  néral  Neuilli  reprit  sa  position  sur  Judoigne ,  et  Dampierre  s'éta- 
blit en  arrière  de  Meldert  ;  le  général  Champmorin ,  qui  arrivait, 
remplaça  la  division  de  3iiaczinscki  sur  les  hauteurs  d'Oplinter. 
Le  soir,  l'armée  t.e  porta  en  avant  de  Camptiche ,  derrière  son 
avant-garde. 

»  Les  Autrichiens  tenaient  tout  le  pays  entre  les  deux  Géetes 
(  deux  rivières  )  et  Tirlemont  avec  une  forte  avant-garde.  Le  16 , 
le  général  Dumourier  les  attaqua  ;  Tirlemont  fut  repris  par  le 
général  Valence ,  à  la  tête  des  grenadiers ,  par  le  côté  de  la  Géete 
et  le  chemin  d'Hongaerde  ;  l'ennemi,  dépassé  à  sa  droite  par  un 
corps  de  troupes  aux  ordres  du  général  Miranda,  qui  s'était  porté 
sur  les  hauteurs  d'Oplinter,  se  hâta  de  se  retirer  derrière  la  Géete 
où  il  occupa  les  hauteurs  entre  la  chaussée  de  Saint -Tron  et 
Ower-Winden.  L'ennemi  négligea  le  village  de  Goidzenhowen , 
mais  il  sentit  l'avantage  de  ce  poste  à  l'instant  où  il  fut  occupé  en 
force  par  l'avant-garde  du  général  Valence,  aux  ordres  du  général 
La  Marche.  La  possession  de  ce  poste  fut  disputée  avec  acharne- 
ment par  les  deux  partis;  le  mouvement  du  corps  commandé  par 
le  général  Neuilli ,  arrivant  de  la  droite  pour  prendre  la  position 
de  Neer-Heilissem ,  décida  la  retraite  des  impériaux  derrière  la 
petite  Géete  ;  ces  deux  succès  ayant  rendu  la  confiance  à  l'armée, 
le  général  Dumourier  crut  devoir  en  profiler  pour  hasarder  une 
action  décisive.  En  conséquence ,  il  se  porta  en  avant  et  étendit 
son  front ,  la  droite  à  Goidzenhowen ,  aux  ordres  du  général  Va- 
lence ,  et  le  centre  à  ceux  du  duc  de  Chartres,  vers  la  chaussée  de 
Tirlemont.  Le  général  Miranda  commandait  la  gauche,  qui  se  re- 
pliait en  potence  d'Oorsinael  aux  hauteurs  d'Oplinter.  Le  géné- 
ral Neuilli  appuyait  sa  droite  à  Neer-Heilissem;  le  général  Dam- 


MARS  (1793).  451 

pierre  e'iait  posté  à  Esmael,  en  avant  du  centre,  et  le  général 
Miaczinski  avec  sa  cavalerie  au  pont  de  la  Géete,  vis-à-vis 
d'Orsmael. 

i>  Le  front  des  deux  armées  offrait  un  développement  de  près 
de  deux  lieues  ;  celle  des  Français  de  Goipzenliowen  aux  hau- 
teurs de  Wommersom  et  d'Oplinter,  et  celle  des  Autrichiens  de- 
puis les  hauteurs  du  village  de  Racourt  jusqu'au-deià  de  Halle 
dans  la  plaine  de  Leau.  L'avant-garde  de  ceux-ci  était  aux  ordres 
de  Tarchiduc  Charles  ;  la  premièie  avec  partie  de  la  seconde  à 
ceux  du  généial  Colloredo;  l'infanterie  de  la  seconde  ligne  et  les 
dragons  de  Gobourg  avaient  à  leur  tête  le  général  prince  de  Wir- 
temberg  ;  deux  divisions  de  cavalerie  et  quelque  infanterie  com- 
mandées par  le  général  major  Siipshitz  avaient  pour  objet  de  dé- 
fendre la  plaine  de  Leau;  le  corps  de  réserve  était  aux  ordres  du 
général  Glairfait  ;  la  petite  Geeie  couvrait  le  Iront  de  cette  ligne 
et  séparait  les  deux  armées. 

»  La  première  colonne  (x^rmant  ia  droite  de  l'armée  française, 
composée  de  l'avant-garde ,  aux  ordres  du  général  La  Marche, 
débouchant  par  le  pont  de  Neer-Heilissem ,  devait  se  porter  dans 
la  plaine ,  entre  Landen  et  Ower-Winden ,  pour  déborder  la 
gauche  de  l'ennemi  et  l'inquiéter  sur  ce  flanc.  La  deuxième  co- 
lonne, composée  de  l'intanterie  de  l'armée  des  Ardennes,  com- 
mandée par  le  général  Le  Veneur,  débouchant  aussi  par  le  même 
pont,  soutenue  par  un  gros  corps  de  cavalerie,  devait  se  porter 
avec  rapidité  sur  la  tombe  [tumulus]  de  31idel-Winden ,  et  atta- 
quer le  village  d'Ower-Winden ,  qui  ne  paraissait  pas  devoir  ré- 
siater  au  canon  de  douze  placé  sur  la  tombe.  La  troisième  co- 
lonne, aux  ordres  du  général  NeuilU,  débouchant  aussi  par  le 
même  pont,  devait  attaquer  en  même  temps  le  village  de  Neer- 
Winden  par  sa  droite.  Ces  trois  colonnes  formaient  l'attaque  de 
droite,  commandée  parle  général  Valence. 

»'  L'attaque  du  centre  ,  conduite  par  le  duc  de  Chartres,  était 
composée  de  deux  colonnes  ;  l'une ,  sous  les  ordres  du  général 
Dietmann ,  passant  un  ruisseau  sur  le  pont  de  Laer,  devait  tra- 
verser rapidement  le  village  et  se  porter  directement  sur  le  front 


4o2  COiNVENTION   NATIONALE. 

de  celui  de  Neer-Winden  ;  l'autre ,  commande'e  par  le  {général 
Dampierre ,  devait ,  après  avoir  passé  au  pont  d'Esmael,  se  por- 
ter sur  la  gauche  de  Neer-Winden. 

»  L'attaque  de  gauche,  aux  ordres  du  général  Miranda  ,  était 
composée  de  trois  colonnes  ;  la  première ,  dirigée  par  le  général 
Miacziiiski ,  passant  la  petite  Géete  à  Ower-Winden ,  devait  atta- 
quer devant  elle  en  se  portant  sur  Neer-Lauden  ;  la  seconde,  aux 
ordres  du  général  Ruault,  passant  la  rivière  au  pont  d'Orsmael, 
devait  attaquer  par  le  grand  chemin  de  Saint-Tron  à  Liège  ;  la 
troisième,  commandée  par  le  général  Champmorin,  devait  pas- 
ser la  grande  Géete  au  pont  de  Bingen,  et  se  jeter  dans  Leau. 

>  Au  point  du  jour,  les  diverses  colonnes  se  mirent  en  mouve- 
ment, et  à  neuf  heures  la  droite  commença  à  passer  la  petite 
Géete.  A  la  gauche,  le  général  Miranda  délogea  d'abord  les  trou- 
pes légères  ennemies  du  village  d'Orsmael  ;  il  s'établit  là  ensuite 
de  part  et  d'autre  un  grand  feu  d'artillerie,  pendant  lequel  la 
troisième  colonne  se  porta  sur  la  ville  de  Leau,  s'en  empara  et  s'y 
maintint.  En  même  temps  le  général  Valence  ,  après  avoir  passé 
le  pont  de  Neer-Heilissem ,  attaqua  les  Autrichiens  dans  le  village 
de  Piacour,  et  les  en  chassa.  Cet  avantage  assura  le  passage  de 
l'avant-garde,  et  avec  ce  renfort  le  général  Valence  poussa  les 
ennemis  et  déborda  leur  aile  gauche  ,  ce  qui  permit  aux  colon- 
nes commandées  par  les  généraux  Neuilli  et  Le  Veneur  de  passer 
la  petite  Géete  et  de  s'emparer  du  poste  d'Ower-Winden  ;  en 
avant  de  ce  village  est  un  monticule  nommé  la  tombe  de  Midel- 
Winden ,  qui  commande  les  trois  villages  voisins  et  assure  l'avan- 
tage à  celui  qui  en  reste  le  maître  :  l'infanterie  française  s'en 
était  d'abord  emparée,  mais  n'y  ayant  pas  été  renforcée,  les  Au- 
trichiens le  reprirent  ;  on  les  y  réattaqua ,  et  ce  poste  fut  disputé 
pendant  toute  l'action. 

»  La  colonne  du  général  Neuilli,  après  avoir  emporté  le  village 
de  Neer-Winden,  au  lieu  d'y  rester  commit  la  faute  de  le  dépas- 
ser et  de  s'étendre  dans  la  plaine  ;  alors  le  général  Clairfait,  ayant 
reçu  de  la  droite  des  renforts  que  les  succès  de  cette  aile  per- 
mettaient d'affaiblir,  fit  attaquer  Racour,  la  tombe  de  Midel- 


1 


jiARs(1793).  455 

Winden  et  Neer-Winden ,  et,  en  emportant  ces  trois  points  es- 
sentiels, mit  l'armée  française  dans  la  position  la  plus  dange- 
reuse. Les  Allemands  occupaient  alors  les  hauteurs  ;  leur  front 
était  hérissé  d'artillerie ,  leur  centre  et  leur  gauche  couverts  par 
les  villages  de  Racour  et  de  Neer-Winden ,  et  chacun  de  ces  pos- 
tes soutenu  par  une  colonne  formidable  d'infanterie  et  de  cava- 
lerie ;  l'armée  française ,  au  contraire ,  était  sur  la  pente  du  ter- 
rain ,  ayant  la  petite  Géete  à  dos. 

.  >  A  en  croire  le  général  Dumourier,  il  réussit  à  reprendre  les 
villages  de  Racour  et  de  Neer-Winden,  perdit  de  nouveau  ce  der- 
nier, le  reprit  et  l'abandonna  rempli  de  morts  et  de  mourants. 
Selon  le  prince  de  Gobourg ,  au  contraire ,  les  Français  furent 
repoussés  au  village  de  Racour,  et  quoique  le  général  Dumou- 
rier fît  tous  ses  efforts  pour  le  reprendre ,  et  qu'il  eût  fait  en 
même  temps  évancer  une  colonne  vers  le  centre  pour  s'emparer 
de  Neer-Winden,  il  fut  délogé  de  ces  deux  points,  et  les  Autri- 
chiens en  restèrent  les  maîtres.  La  nuit  mit  fin  au  combat,  qui 
dura  onze  heures. 

»  Quoi  qu'il  en  soit,  le  général  Dumourier,  qui  se  serait  bien 
gardé  de  convenir  de  toutes  les  fautes  qui  pouvaient  lui  être  re- 
prochées dans  cette  journée,  et  qui,  dès  l'instant  où  il  fut  atta- 
qué dans  les  villages  dont  il  s'élait  emparé ,  dut  s'apercevoir  de  la 
supériorité  de  l'ennemi  et  de  l'impossibilité  de  le  chasser  des  po- 
sitions respectables  où  il  se  maintenait ,  dut  en  même  temps  sa- 
voir ou  soupçonner  les  mauvais  succès  de  su  gauche,  surtout  en 
disant,  comme  il  le  fait,  que  le  l^u  y  avait  cessé  dès  midi ,  men- 
songe avéré ,  puisque  l'attaque  recommença  à  la  gauche  vers 
deux  heures  et  finit  à  sept  ;  mais  il  fallait  trouver  une  excuse  à  sa 
défaite,  et  il  n'hésite  pas  à  en  rejeter  le  blâme  sur  la  division  aux 
ordres  du  général  Miranda  ;  en  conséquence,  il  la  fait  débander, 
fuir  jusque  derrière  Tirlemont,  sans  pouvoir  être  arrêtée  et  re- 
portée ou  à  Wommersom  ou  àOplinier.  Il  accuse  aussi  le  général 
fliiranda  lui-même  d'avoir  refusé  de  se  servir  de  huit  bataillons 
qui  se  tiouvaienl  à  Tirlemont  pour  reprendre  ses  positions  du 
matin;  ce  qui  est  faux  ,  car  les  divisions  des  généraux  Ruault  et 
T.  xxiv.  28 


4oi  CONVENTION   NATIONALE. 

Champmorin  se  retirèrent,  le  18,  sous  le  feu  de  l'ennemi  sans 
avoir  été  entamées,  la  droite  à  Oplinter,  la  gauche  à  Neer-Linter, 
pji  elles  étaient  le  18  au  spip.  Quant  au  général  Miranda,  après 
avoir  rallié  les  troupes  derrière  Tirlemont,  il  réoccupa  pendant 
la  nuit  Wommersom,  et  y  soutint  je  lendenjain  19  les  efforts  de 
l'ennemi  pendant  sept  heures. 

»  Ainsi  l'armée  française  ayant,  le  19,  sa  droite  et  son  centre 
engagés  et  tournés,  les  ennemis  étant  déjà  maîtres  des  hauteurs 
de  Wommersom,  d'où  leur  artillerie  dominante  foudroyait  les 
troupes  qui  se  trouvaient  sur  la  chaussée  de  Tirlemont,  il  fallut  se 
décider  à  la  retraite;  les  Français  alors  repassèrent  la  petite  Géete 
assez  en  désordre,  et  l'armée  se  forma,  la  droite  à  Goidzenhowen, 
la  gauche  à  Hackendoven. 

»  Cette  bataille,  dont  les  vrais  détails  ont  été  trop  peu  connus, 
et  les  suites  infiniment  funestes,  fut  livrée  et  disposée  contre 
toutes  les  règles  de  l'art  militaire.  La  première  faute  fut  de  dé- 
placer l'armée  de  devant  Louvain ,  où  l'avait  portée  le  général 
Miranda  lorsque  les  ennemis  la  chassèrent  des  bords  de  la  Roër 
et  de  la  Meuse:  en  effet,  quel  devait  être  le  but  principal  et  uni- 
que? celui  de  protéger  et  de  défendre  la  Belgique  ;  et  quelle  était 
la  position  la  plus  avantageuse,  après  l'événement  malheureux 
qui  venait  d'arriver,  pour  remplir  cet  objet?  celle  en  avant  de 
Louvain ,  par  la  raison  que  la  prise  de  Louvain  et  de  Malines 
donnait  aux  ennemis  les  moyens  de  reconquérir  la  Flandre  hol- 
landaise, et  forçait  les  Français  de  se  sauver  à  toutes  jambes,  et 
prêtant  le  flanc,  par  Mocs  et  par  Afli,  derrière  Bruxelles  pour  se 
soutenir,  sans  aucune  certitude  encore  d'y  réussir,  et  après  avoir 
abandonné  un  pays  immense. 

»  La  seconde  faute  fut  de  vouloir  livrer  bataille  dans  un  mo- 
ment où  il  y  avait  plus  d'inconvénient  à  la  perdre  que  d'avantage 
à  la  gagner;  où  l'on  était  très-inférieur  à  l'ennemi,  n'ayant  au 
combat  que  trente-deux  mille  hommes  contre  cinquante-deux 
mille  ;  où  on  attendait  des  renions,  et  il  en  arriva  la  nuit  même 
de  l'action  ;  où  l'ennemi  enfin  était  posté  très-avantageusement 
sur  des  hauteurs:  les  Français,  au  contraire,  occupaient  une 


MARS  (1795).  455 

mauvaise  position.  Mais  le  rapport  sur  la  bataille  de  Neer-Win- 
den  fait  par  le  général  Miranda  à  la  Convention  nationale  le 
29  mars  1793 ,  rapport  qui  se  trouve  parfaitement  d'accord 
avec  les  ordres  par  écrit  du  génénd  Dumourier  el  la  relation  du 
prince  Cobourg,  répandent  le  plus  grand  jour  sur  celte  journée. 

»  Le  18,  à  la  pointe  du  jour,  les  troupes  aux  ordres  du  géné- 
ral Miranda  emportèrent  les  villages  de  Orsmael  et  de  Bingen 
avec  1;  urs  ponts,  occupés  par  les  ennemis.  A  dix  heures  et  demie, 
le  général  Dumourier  manda  le  général  Miranda,  qui  en  reçut 
l'ordre  par  écrit  sur  ce  qu'il  devait  faire,  et  l'avertissement  ver- 
bal de  sa  détermination  à  livrer  la  ba'aille.  Surpris  de  cette  nou- 
velle, le  général  Miranda,  qui  n'avait  reçu  aucun  ordre  pour  faire 
une  reconnaissance  sur  la  gauche,  qui  voyait  devant  ses  colonnes 
une  rivière  et  point  de  pont  à  y  jefer,  demanda  à  son  chef  s'il 
connaissait  à  peu  près  la  force  des  ennemis.  —  Je  les  crois  forts 
de  cinquante-deux  mille  hommes,  et  nous  de  trente-cinq  mille. 
—  Et  vous  croyez  pouvoir  réussir  à  déposter  le*  ennemis  dans 
une  pareille  position?  —  Mais  on  ne  voulait  pas  de  réflexion,  et 
le  général  Miranda,  qui  s'en  aperçut,  retourna  à  son  poste,  y  ou- 
vrit le  paquet  qui  contenait  ses  ordres,  et  en  donna  en  consé- 
quence. 

»  A  deux  heures  après  midi  les  colonnes  se  mirent  en  mouve- 
»  ment,  et,  à  trois,  l'attaque  com  ;iença  à  la  gauche.  Quatre co- 
»  lonnes  passèrent  sur  le  point  d'Orsmael  et  par  la  chaussée,  une 
■D  autre  par  le  pont  de  Leau.  La  posiîion  de  l'ennemi  était  si 
»  avantageuse  par  le  terrain,  par  le  nombre  et  par  la  formidable 
»  attillerie  qui  le  couvrait,  que  l'infanterie,  avant  d'avoir  pu  ap- 
»  prêcher  ses  lignes ,  avait  été  obligée  de  repousser  !a  cavale;  ie , 
»  les  troupes  légères  qui  occupaient  le  village,  et  d'essuyer  la  feu 
»  des  batteries  croisées  avant  de  pouvoir  gravir  l^s  |jaut(  urs  sur 
»  lesquelles  était  postée  l'infanterie  ennemie  sur  deux  lignes.  Les 
)'  Français  prirent  d'abord  les  villages  el  repoussèrent  la  cava- 
»  lerie;  mais  le  feu  de  l'artillerie  ennemie  lit  un  tel  elTei  sur  ieuis 
»  colonnes,  qui,  à  cause  du  terrain  coupé,  ne  pouvaient  se  dé- 
»  ployer,  que  l'infanterie,  après  les  plus  vifs  efforts  et  avoir  es- 


456  CONVENTION   NATIONALE, 

»  suyé  une  perte  considérable ,  ne  put  pas  de'poster  celle  de  l'en- 
î  neini  qui  était  sur  les  hauteurs,  couverte  de  toute  son  artillerie, 
»  tandis  que  celle  des  Français,  démontée  et  perdant  ses  chevaux 
ï  dans  les  chemins  où  elle  se  trouvait  engorgée  ou  embourbée , 
ï  ne  put  être  mise  avantageusement  en  batterie.  L'infanterie  fran- 

>  çaise  fut  donc  obligée  de  se  replier,  après  trois  heures  et  demie 
»  de  combat,  derrière  la  petite  Géete,  en  cherchant  à  reprendre 
»  la  position  qu'elle  occupait  avant  l'attaque.  Dans  cette  retraite, 
I)  il  y  eut  quelque  désordre ,  mais  qui  ne  peut  être  attribué  ni  aux 
»  généraux,  ni  aux  troupes,  si  ce  n'est  par  le  général  Dumou- 
»  rier,  dont  l'impéritie  égale  la  malveillance  envers  le  général 
»  Miranda. 

j  Pour  prévenir  néanmoins  la  confusion  dans  laquelle  l'infan- 
»  terie  se  retirait ,  le  général  Miranda  fit  porter  sur  les  hauteurs 
»  de  Wommersom  cinq  bataillons  qui  arrivaient  de  Louvain,  le 
»  18  au  soir,  et  fît  arrêter  les  troupes  derrière  Tirlemont  pour 
»  les  rallier  plus  facilement.  A  minuit ,  il  les  ramena  aux  portes 
»  par  ordre  du  général  en  chef ,  persuadé  qu'il  voulait  recom- 
»  mencer  l'action  à  la  pointe  du  jour,  ce  qui  était  insensé. 

j  Le  lendemain  19,  le  même  général  occupa,  à  quatre  heures 
»  du  matin ,  les  hauteurs  de  Wommerson ,  où  il  fut  attaqué  à  neuf 
»  heures ,  et  d'où  il  se  retira  vers  Tirlemont  sur  les  cinq  heures 

>  du  soir,  après  sept  heures  de  combat  (1).  Il  reçut  là  de  nou- 
»  veaux  ordres  pour  traverser  la  ville  dans  la  nuit  et  prendre  la 

>  position  de  Cumptich,  derrière  Tirlemont,  avec  le  reste  de 
»  l'armée,  qui,  le  lendemain  20,  continua  sa  retraite,  et  vint  oc- 
ï  cuper  devant  Louvain  la  position  de  Bautersem,  d'où  elle  était 
»  partie  si  mal  à  propos  pour  aller  se  faire  battre  à  Neer-Winden. 
»  Afin  de  couvrir  la  retraite ,  le  général  Miranda  prit  une  posi- 
))  tion  à  Pellenberg,  où  il  fut  attaqué  très-vivement,  le  2:2,  par 
»  des  forces  infiniment  supérieures,  auxquelles  néanmoins  il  ré- 
»  sisia  toute  la  journée ,  les  repoussa  à  plusieurs  reprises,  leur  fit 

(1)  «  On  voit  par  ce  récit  combien  sont  calomnieuses  les  assertions  du  général 
Dumourier  contre  le  général  IMiranda  et  les  troupes  sous  ses  ordres.  » 

(  Kote  de  MM.  Giimoard  et  Servan.  ) 


MARS  (1795).  457 

1»  essuyer  une  {grande  perte,  et  leur  échappa  pendant  la  nuit, 
»  après  avoir  donné  à  l'armée  le  temps  d'effectuer  sa  retraite  ; 
ï  action  de  laquelle  le  général  Dumourier  se  garda  bien  de  par- 
»  1er  (1).  »  Ainsi ,  il  est  démontré  qu'il  livra  et  perdit  la  bataille 
de  Neer-Winden  par  inconséquence  et  ignorance;  que  celte  dé- 
faite entraîna  la  perte  de  la  Belgique  ainsi  que  des  places  con- 
quises sur  les  Hollandais ,  et  que,  malgré  ses  efforts  pour  rejetei" 
ces  revers  sur  ses  subordonnés,  on  ne  peut  accuser  que  lui. 

»  Dumourier  avait  envoyé  le  général  Neuilli  avec  dix  mille 
hommes  vers  Judoigne,.  pour  empêcher  les  détachemens  autri- 
chiens de  pénétrer  dans  cette  partie  ;  et  si  les  ennemis  se  por- 
taient en  force  sur  lui ,  il  devait  se  retirer  sur  Bruxelles  par  la 
forêt  de  Soignes.  Le  lieutenant-général  Harleville  eut  ordre  de 
mettre  une  garnison  de  deux  mille  cinq  cents  hommes  dans  le 
château  de  Namur,  et  de  se  tenir  prêt  à  marcher  avec  le  reste 
de  ses  forces,  selon  les  mouvemens  du  générai  autrichien  baron 
de  Beaulieu  ,  qui  s'avançait  par  llui  avec  environ  dix  mille 
hommes. 

>  La  garnison  française  de  Diest  l'avait  évacuée  le  20,  pour  se 
replier  à  Malines  avec  les  troupes  qui  occupaient  Aerschot,  ce  qui 
avait  découvert  la  gauche  dts  Français,  et  permis  auxenncmis,  qui 
s'étaient  portés  eu  avant  de  Tirlemont ,  de  les  attaquer  le  22  à 
Pellenberg.  Le  même  jour,  le  général  Dumourier  concerta  avec 
le  colonel  Mack,  qui  jouissait  de  la  confiance  du  prince  de  Co- 
bourg,  l'évacuation  de  la  Belgique  et  des  mesures  qui  tendaient 
à  se  procurer  l'appui  des  Autrichiens  pour  soutenir  l'insurrec- 
tion qu'il  méditait  contre  le  gouvernement  français.  Le  25,  Du- 
mourier replia  son  armée  à  Cortenberg ,  entre  Bruxelles  et  Lou- 
vain ,  et  la  porta ,  le  lendemain  24 ,  en  avant  de  Bruxelles ,  la 


(t)  Ce^i  est  un  extrait  du  rapport  de  Miranda  à  la  Convention.  Les  auteurs  du 
Tableau  historique  des  guerres  de  la  révolution  disent  que  ce  rapport  eut  lieu  ;i 
la  séance  du  2!)  mars.  IS'ons  ne  trouvons  dans  le  conipte-remiu  du  Monikur 
qu'une  simple  indication.  Ce  journal  nous  apprend  qu(\  sur  la  niolioa  de  Cliar- 
lier,  il  fut  dccréfé  que  la  correspoiidance  avec  les  frénéraux  sur  l'expédition  d  j 
Belgique  et  de  la  IIoll:indc  serait  imprimée.  Sans  doute  «jue  le  rapport  de  Mi- 
randa était  une  des  pièces  de  ci  Ite  conespon^ÎLinrc.  {ISole  des  auteurs.) 


438  CONVENTION    NATIONALE. 

droite  à  Saint-Peterswoluie,  et  !a  gauche  à  Wilvorden.  Le  25, 
elle  traversa  Bruxelles  et  tiiarcha  à  Halle,  le  26  à  Eaghien ,  et  le 
27  à  Aih ,  où  le  (jénëraî  Duniourier  prit  ses  dernières  mesures 
avec  le  colonel  Mack.  Le  lendemain  28,  il  passa  l'Escaut  à  Tour- 
nai, campa  sur  la  rive  gauche  de  cette  rivière  en  lace  d'Antoin. 
Le  29,  il  envoya  une  division  occuper  le  camp  de  Maulde,  et  le 
50,  il  la  suivit  avec  le  reste  de  l'armée,  qui  campa  à  Bruille  et 
près  de  Saint-Amand,  où  le  quartier-général  fut  établi.  Le  corps 
du  général  Neuiili  et  d'autres  troupes  se  repliaient  en  même 
temps  par  Mons  sur  Valenciennes.  Quant  au  prince  de  Gobourg, 
après  être  resté  trois  jours  entiers  dans  son  camp  de  Louvain 
avant  de  se  porter  sur  Bruxelles,  il  s'était  borné,  sans  doute 
d'après  les  arrangemens  pris,  à  ne  faire  observer  que  par  de  fai- 
bles avant-gardes  les  Français,  qui  regagnèrent  alors  paisible- 
ment leur  territoire.  Ainsi  que  l'on  vient  de  le  voir,  le  général 
Leveneur  occupait  le  camp  de  Maulde  avec  l'armée  des  Arden- 
ues;  celle  du  Nord  était  à  Bruxelles,  de  l'autre  côté  de  l'Escaut, 
et  celle  de  la  Belgique  appuyée  aux  trois  places  fortes  de  Lille  , 
Valenciennes  et  Condé.  Sans  être  sûr  de  ces  places,  le  général 
Dumourier  ne  pouvait  espérer  de  faire  réussir  son  plan  de  tra- 
hison ou  d'insurrection;  aussi  médiiait-il  sur  les  moyens  de  s'eii 
emparer,  au  iiioment  où  la  Convention  décrétait,  le  31  mars  et  le 
V  avril,  le  départ  du  ministre  de  la  guerre  et  de  quatre  com- 
missaires pour  aller  examiner  sa  conduite  et  ie  faire  arrêter.  En 
vain  donc  avait-il  donné  des  ordres  au  général  Miaczinski  et  au 
colonel  de  Taux,  son  propre  aide-de-camp  ,  pour  s'eniparer  de 
Lille,  Douai ,  Cambrai ,  Péronne  et  des  commissaires  de  la  Con- 
vention qui  se  trouveraient  dans  ces  villes  ;  le  générai!  et  l'aide-de- 
camp  furent  arrêtés,  conduits  à  Paris,  emprisonnés^  et  peu  après 
décapités.  Les  tentatives  sur  Condé  et  Valenciennes  ne  furent  pus 
moins  infiuiclueuses.  Le  2  avril  on  vint  avertir  le  général  Dumou- 
1  ier  de  l'arrivée  du  ministre  de  la  guerre  et  des  quatre  commis- 
saires ,  qui  ne  tardèrent  pas  à  se  présenter  chez  lui  à  son  quartier 
des  Boues  de  Saiat-Amand,  où  ils  le  trouvèrent  entouré  de  son 
étal-inajor.  Après  beaucoup  de  pourparlers,  les  commissaires 


jiAiis  (1795  ).  459 

ayant  communiqué  au  {jënëral  !e  décret  de  la  Convention  qui  le 
mandait  à  Paris,  celui-ci  refusant  de  s'y  soumeilre,  ils  lui  signi- 
fièrent la  suspension  de  ses  fonctions,  et  ordonnèrent  de  l'arrêter; 
mais  le  général  Dumourier  s'adressani  en  allemand  à  des  hus- 
sards qui  venaient  d'entrer,  ils  arrêtèrent  le  ministre  de  la  guerre 
et  les  quatre  commissaires  (1) ,  et  les  conduisirent  sui--le-cliamp 
coiïinlé  otages  à  Tourmii  au  générai  Clairfait,  qui  les  envoya  au 
quartier-généî-al  du  prince  de  Cobourg,  lequel  les  fit  partir  pour 
l'Autriche,  où  on  les  mil  en  prison.  Tandis  que  'e  général  Clairfait 
se  portait  à  Tournai ,  îe  prisice  de  Cobourg,  avec  le  gros  de  ses 
troupes,  se  dingea  sur  Mons. 

»  Le  général  bamourier,  plus  célèbre  par  ses  intrigues  que  par 
ses  exploits ,  venait  de  lever  le  rriascjue  ;  mais  il  ne  put  assurer  lé 
ài'Ccès  dé  ses  démarches  ;  le  méjnis  et  la  haine  furent  h;  fruit  de. 
SCS  comp'ols,  et  il  ne  lui  resta,  après  l'inutile  promulgation  d'un 
manifeste  publié  le  5 avril,  tendant  à  débaucher  les  troupes,  que 
le  parti  honteux  de  fuir  ;  encore  manqua-t-il  d'én-e  assassiné  le 
4  avril  en  se  saiivaul,  et  il  n'eii;j)urtaduiis  sa  fuite  »jue  î;i  iépula- 
tion  d'un  ambitieux  et  d'un  factieux ,  duni  ou  puuvait  même  con- 
lesier  les  talehs  militaires. 


(i)  Les  commissaires  étaient  Camus,  Quinct(e,  Laraarquo,  Bancal  et  flarnot 
l'aillé.  Voici  de  quelle  manière  Caiims  ri'nii  coniUo  de  l"eiilrevue  :  «  Vous  ci>a 
naissez  ie  dncrei  de  la  Convculioii  nUionale  qui  vcus  orJoiuic  d,'  vous  rendre  à 
sa  barre;  voulez-vous  l'exécuter?  —  INon. —  Voiis  désobéissez;!  ia  loi.  —  Je  suis 
jîtcessaire  à  mon  armée.  —  Par  cette  désobéissance  vous  vous  rcudez  coupable... 
— Allons,  eusuile... — rsous  vi;uloiis,  ;=n-.  termes  du  décret,  mettre  les  scellés  sur 
vos  iiapiers. — Je  ne  le  souifiirai  p;'S:  et  en  mèuîc  temps  il  dorna  des  ordres 
pour  (ju'on  mît  ses  japiers  en  sûreté.  —  Quels  sont  les  uoms  des  ofliciers  ici  pré- 
seas?  —  lis  les  donneront  eus-nicmes.  —  Jem'a;;peUe  Devanx;  j"  m'a])pelle  De- 
nise, etc.  —  V'uici,  dit  Dnniiurier,  les  demors  !l-s  Fcrnif{.  —  Uni  d'elles  dit  à 
ileiîii-voix  :  C'est  affreux  !  —  INons  mettrons  les  scellés  sur  ienrs  papiers.  —  Point 
du  tout;  tout  cela  ne  leud  qu'à  cnUaver  mes  opérations;  c'est  nue  iuquisiiion. 
—  Vu  volrj  déso'  éissance  à  la  loi ,  uous  vous  déclarons  que  vous  éles  suspendu 
i\c  vos  fimctions.  —  Les  officiers  pi  ésens  :  Suspendu  '....  INous  le  sommes  tous... 
On  veuî  nous  enlever  Dumouricr  l...  Duniourier,  notre  pèrel  Dumourier,  qui 
nous  mène  à  la  victoirci  —  Ditmoitricr.  —  Allons  donc,  iiest  ti-nips  que  cela  fi- 
nisse; je  vyis  vous  faire  arrèler.  Lieutenant,  ap;'elez  les  l;uss:irds.  »  Sur-I  "-cîiamp 
il  entre  vingt-cinq  hussards.»  —  aArrétez  ces  n;essieurs.  lion  cher  Beuiuon\ille, 
en  lui  prenautla  maiu,  vous  serez  arrêté  aussi.  Messieurs,  vous  me  servirez  d'o- 
tages. »  (  ISote  des  auteurs.  ) 


440  CONVENTION  NATIONALE. 

»  Observations.  Aussitôt  que  la  guerre  eut  été  déclarée  avec  la 
Hollande,  le  général  Dumourier,  dans  le  but  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  résolut  d'envahir  les  Provinces-Unies;  première  faute  qui 
en  entraîna  beaucoup  d'autres.  Pour  remplir  son  projet,  il  ras- 
sembla à  Anvers  un  corps  d'environ  quinze  mille  hommes,  qui 
affaiblit  l'armée  dans  un  moment  où  il  aurait  fallu  la  renforcer. 
Il  disposa  ensuite  les  différent  corps  de  troupes  à  ses  ordres,  de 
manière  à  les  lier  à  son  opération  de  Hollande  et  à  son  grand 
plan  d'insurrection,  seconde  faute,  qui  permettait  aux  Autrichiens 
de  porter  une  partie  de  leurs  forces,  alors  assez  nombreuses,  sur 
l'extrémité  de  la  droite  des  Français,  et  presque  sur  les  derrières 
de  la  ligne  d'opération.  Le  général  Dumourier  agit  ensuite 
comme  s'il  avait  été  assuré  que  tous  les  Bataves  s'insurgeraient 
contre  le  stathouder  ;  troisième  faute,  puisque,  d'après  un  espoir 
mal  fondé,  il  porta  ses  tentatives  vers  le  Moerdick,  avec  la  pré- 
tention de  traverser  ce  bras  de  mer  sur  vingt-trois  bateaux  qui 
pouvaient  à  peine  porter  quinze  cents  hommes  à  la  fois,  au  lieu 
d'opérer  par  Nimègue,  où  il  n'aurait  eu  qu'une  rivière  à  passer, 
où  il  se  serait  trouvé  sur  la  gauche  des  Hollandais ,  et  lié  de  plus 
près  aux  opérations  sur  la  Roër.  Revenu  ensuite  à  la  tête  de  l'ar- 
mée de  Belgique  eî  des  autres  corps  qui  agissaient  avec  elle,  au 
lieu  de  concentrer  ses  forces  et  de  les  réunir,  il  voulut  livrer  une 
bataille  avec  des  forces  très-inférieures  à  celles  des  ennemis ,  et  il 
choisit  le  moment  où  ils  occupaient  une  position  avantageuse  ; 
quatrième  faute ,  d'où  s'ensuivit  la  perte  de  la  bataille ,  une  re- 
traite faite  avec  assez  peu  d'ordre,  et  l'invasion  de  la  Belgique  de 
la  part  des  coalisés.  Enfin  voyant  son  plan  chimérique  de  la  Hol- 
lande conquise ,  de  la  Belgique  insurgée  en  sa  faveur,  n'être  qu'un 
rêve,  il  s'aboucha  avec  les  généraux  ennemis  pour  tâcher  de 
faire,  d'accord  avec  eux,  ce  qu'il  n'avait  pu  exécuter  à  lui  seul  ; 
cinquième  faute,  qui  entraîna  sa  perte  et  jeta  la  France  dans  des 
crises  désastreuses,  en  la  livrant  à  tous  les  dangers  d'une  invasion 
sur  la  plupart  des  poinis  de  ses  frontières. 

>  On  fait  aussi  des  reproches  assez  graves  au  prince  de  Co- 
bourg:  le  premier,  d'avoir  reçu  la  bataille,  au  moment  où  il  se 


MARS  (  1793  ).  441 

trouvait  à  la  tête  d'une  armée  victorieuse  devant  une  armée  infé- 
rieure en  nombre  et  déjà  battue  ;  le  second ,  de  n'avoir  pas  su 
profiter  des  succès  de  son  aile  droite,  pour  venir  appuver  sa 
droite  vers  Tirîemont ,  et  sa  gauche  à  la  petite  Géete,  versNeer- 
Heilessem  ;  le  troisième,  étant  maître  deRacour,  de  ne  s'être  pas 
emparé  du  pont  deNeer-Iîeiiessem,  dont  il  se  trouvait  alors  plus 
près  que  les  Français,  et  dont  la  destruction  aurait  rendu  la  re- 
traite du  général  Dumourier  impraticable  ;  le  quatrième ,  de  n'a- 
voir rien  tenté  après  la  bataille  pour  détruire  l'arrièrc-garde  fran- 
çaise, qui  était  le  seul  corps  qui  se  tînt  encore  ensemble,  et  qui 
n'était  pas  soutenu.  » 

MOUVEMENT  RÉVOLUTIOIVIVAmE   DE  L'INTÉRIEUR. 

Nous  divisons  ce  chapitre  en  deux  paragraphes  :  dans  le  pre- 
mier, nous  placerons  les  séances  de  la  Convention,  aj»\uant  à 
chacune  d'elles  les  séances  de  la  Commune ,  celles  des  Jacobins, 
et  les  articles  de  journaux,  selon  que  ces  divers  matériaux  nous 
paraîtront  nécessaires  à  éclaircir  ou  à  compléter  l'histoire  du 
mouvement  révolutionnaire.  Dans  le  second ,  nous  nous  occupe- 
rons des  départemens;  Orléans,  Lyon  et  la  Vendée  fixeront  par- 
ticulièrement notre  attention.  Nous  terminerons  le  mois  par  le 
bulletin  de  l'armée  du  Rhin. 


CONVENTION   NATIONALE. 

Les  quatre  premières  séances  du  niois  de  mars  furent  remplies 
par  des  débats  peu  importans.  Le  i"  mars,  Biroteau  ayant  dé- 
noncé le  comité  de  surveillance,  Thuriot  fit  passer  à  l'ordre  du 
jour.  Le 2,  Canibon  fit  décréter  que  les  généraux  français,  en 
entrant  sur  le  territoire  batave  ,  proclameraient  la  liberté  de  ce 
peuple  et  sa  souveraineté.  Le  3,  une  doputaiion  des  quarante- 
huit  sections  demanda  la  prohibition  de  la  venie  du  numéraire  et 
la  peine  de  mort  contre  les  conlrevenans.  Le  4,  on  dénonça  la 


442  CONVENTION  NATIONALE. 

municipalité  de  Coulommiers  pour  avoir  refusé  d'adhérer  au 
décret  de  moit  contre  Louis  XVI.  Des  citoyens  de  Bordeaux  de- 
mandèrent une  imposition  extraordinaire  sur  le  superflu  des  ri- 
ches. Enfin ,  sur  ie  rapport  de  Duhem ,  la  mise  en  liberté  de 
Royou  dit  Guermeur  fut  décrétée.  Pendant  ces  quatre  séances ,  il 
fut  rendu  un  grand  nombre  de  décrets  par  lesquels  la  réunion 
de  plusieurs  pays  voisins  était  acceptée. 

Les  émeutes  de  février  étaient  calmées  ;  comme  nous  l'apprend 
le  Patriote  français  du  2  mai ,  les  épiciers  et  autres  négocians  de- 
vaient s'assembler  ce  jour  même  pour  rédiger  une  pétition  rela- 
tive au  dernier  pillage.  Les  Jacobins,  que  leurs  adversaires  accu- 
saient d'en  être  les  instigateurs ,  venaient  de  publier  une  adresse 
ainsi  conçue  : 

Adresse  des  amis  de  la  liberté  et  de  V égaillé ,  séant  aux  Jacobins , 
%  à  Paris ,  aux  sociélés  affiUées. 

t  Frères  et  amis,  le  génie  du  peuple  français  plane  sur  l'uni- 
vers; et  nos  armées  trijinphanles  propagent  dans  les  contrées 
étrangères  ces  principes  sacrés  que  nous  défendons  en  France , 
depuis  la  naissance  de  notre  révolution,  contre  tous  les  factieux 
et  contre  tous  les  intrigans.  Mais  nos  conquêtes  intérieuies  sont 
moins  rapides  que  celles  de  nos  frères  du  dehors.  Les  despotes 
de  l'Europe  succombeiU  sous  leurs  efforts  victorieux,  et  l'aris- 
tocratie ,  secondée  par  l'intrigue  et  par  l'hypocrisie ,  relève  en- 
core au  milieu  de  nous  une  téîe  menaçante.  Les  émigrés  rebel- 
les, retirés,  au  mépris  des  lois,  dans  ie  stin  de  la  patrie  qu'ils 
»nt  déchirée,  se  liguent  avec  une  coalition  dangereuse  pour  nous 
l'avir  le  bonheur  et  li  iibe;  té  que  nous  présentons  au  monde.  Le 
peuple  irionjphL-,  et  il  souffre;  il  souffre  avec  une  modération 
plus  héroïque  que  son  courage ,  et  on  cherche  à  troubler  son  iui- 
posante  tranqîjiiliié.  Il  reste  calme,  et  il  est  avili,  calomnié  par 
ceux  qui  cherchent  à  le  tromper  et  à  l'agiter.  Le  moment  oii  les 
vils  champions  de  la  royauté  devraient  cacher  leurs  fronts  char- 
gés d'opprobre  Coi  ccli^i  <jii  ib  osent  outrager  et  menacer  en- 


MAiis  (1795).  445 

core  les  imperturbables  défenseurs  de  la  République  et  de  l  e- 
{jaiité. 

»  Vous  connaissez  les  macocuvres  <>mp!oyées  depuis  quelque 
temps  ^par  nos  ennemis  pour  exciter  des  troubles  dans  toute  l'é- 
tendue de  la  France.  JParis  vient  d'en  ressentir  quelques  elTets. 
Nous  vous  devons  un  compte  exact  de  cet  événement ,  que  les 
organes  ordinaires  de  l'incivisme  et  de  l'imposture  ne  manque- 
ront pas  de  dénaturer. 

»  Quatre  années  de  misère,  quatre  mois  d'outrages  conliDuels 
n'avaient  pu  altérer  un  moment  la  tranquillité  du  peuple  de  Pa- 
ris. En  dépit  dej  efforts  que  les  eunenjis  de  lu  liberté  avaient 
faits  pour  l'agiter  duraat  la  discussion  de  l'affaire  de  Louis  Cu- 
pet;  malgré  l'or  de  Pilt,  malgré  les  assignais  et  les  intrijjues  des 
protecteurs  de  Louis  Capet  en  France,  maigre  l'atroce  assassi- 
nat de  Michel  Lepciîetier,  le  peuple  parisien  avait  environné  d'un 
calme  profond  et  les  juges  et  l'échafaud  du  tyran.  Les  défenseurs 
de  la  royauté  ne  renoncèrent  point  à  leurs  coupables  projets;  la 
horde  des  émigrés ,  des  assassins  et  des  étrangers  qu'ils  avaient 
réunis  à  Paris,  ne  désertèrent  point  cette  ville.  Pitl  lui-même 
avait  ajmoricé  publiquement  que  dans  quinze  jours  des  troubles 
éclateraient  à  Paris  ;  et ,  dans  la  tribune  même  de  la  Convention 
nationale,  un  autre  homme,  dont  nous  ne  prononcerons  pas  le 
nom ,  et  dont  nous  avons  déjà  parlé  trop  souvent ,  pour  nous  dé- 
terminer à  épargner  la  tête  de  Louis  nous  annonçait  officieuse- 
ment que  sa  mort  entraînerait  de  grandes  calamités.  Cette  pro- 
phétie n'a  point  encore  clé  accomplie;  mais  on  vit,  au  temps 
m:;rqué,  les  symptômes  d'un  mouvement  se  manifester  dans  O'Am 
grande  cité.  La  disette  des  subsistances  en  était  le  prétexte.  On 
répandit  le  bruit  que  les  farines  allaient  manquer  à  Paris;  et  le 
pain  manqua  momentarémont  chez  k-s  bou'aîigei'S,  autant  par  la 
terreur  panique  qui  portait  les  citoyens  à  s'approvisionner  plus 
amplement,  que  par  la  manœuvre  des  artisans  de  cette  trame , 
qui  l'accuparèrent.  Lesfayélistcs,  les  aristocrates,  les  intrigans, 
déguisés  sous  la  livrée  du  patriot'stne  et  trème  de  ia  pauvreté 
se  sont  répandus  en  même  temps  dans  les  lieux  publics,  décla- 


444  CONVENTION   NATIONALE. 

mant ,  avec  un  zèle  hypocrite,  sur  la  misère  trop  réelle  du  peuple 
et  sur  les  accaparemens  et  sur  l'agiotage  non  moins  certains.  Pour 
déterminer  une  explosion ,  on  fit  prononcer  à  la  barre  de  la  Con- 
vention nationale ,  par  un  orateur  plus  que  suspect ,  une  pétition 
dont  le  style  et  l'exagération  décelaient  les  véritables  instigateurs 
de  cette  démarche.  Tous  les  bons  citoyens,  tous  les  députés  patrio- 
tes, se  réunirent  pour  déconcerter  cette  intrigue;  les  députés  du 
département  de  Paris  firent  afficher  à  ce  sujet  une  adresse  éner- 
gique et  instructive  à  leurs  commettans;  nos  séances  furent  con- 
sacrées à  éclairer  le  public  sur  cette  manœuvre  ;  nous  avions 
refusé  formellement  de  prêter  notre  saile  aux  prétendus  pétition- 
naires ,  qui  nous  demandèrent  la  permission  d'y  venir  délibérer, 
pour  nous  compromettre;  nous  prîmes  l'arrêté  d'engager  les 
sections  de  Paris  à  rester  en  permanence,  pour  assurer  le  m;iin- 
lien  de  la  tranquillité  publique.  Elles  adoptèrent  celle  mesure,  et 
les  complots  des  malveillans  qui  semblaient  la  menacer  échouèrent 
complètement  pour  cette  fois.  Depuis  quelques  jours,  les  signes 
de  la  fermentation  qui  s'annonçait  avaient  disparu ,  et  les  amis  de 
la  liberté  étaient  rassurés  ;  mais  les  auteurs  de  cette  machination 
ne  cessaient  de  conspirer  dans  les  ténèbres,  et  trois  jours  après 
on  vit  paraître  des  attroupemens  de  femmes,  dont  le  motif  était  la 
cherté  du  savon ,  du  sucre  et  des  autres  denrées.  Les  émissaires 
de  l'aristocratie  se  mettent  à  leur  tête  ;  on  se  porte ,  dans  diffé- 
rens  endroits  de  la  ville,  chez  les  épiciers;  on  se  fait  délivrer  le 
sucre  à  un  prix  beaucoup  au-dessous  du  prix  actuel;  plusieurs 
même  emportent  la  denrée  sans  payer.  La  profonde  perversité 
de  nos  ennemis  nous  a  fait  craindre  un  moment  que  le  désordre 
ne  s'étendît  et  ne  se  prolongeât.  Nos  alarmes  ont  redoublé  lors- 
que, pour  la  preiuière  fois,  nous  entendîmes  dans  nos  tribunes 
publiques  des  spectateurs  trompés  ou  apostés  répondre  à  nos 
conseils  pacifiques  en  nous  appelant  agioteurs  et  accapareurs. 
Nous  n'en  persistâmes  pas  moins  à  défendre  les  principes  et  les 
véritables  intérêts  du  peuple,  et  nous  eûmes  la  satisfaction  de 
voir  le  peuple  applaudir  à  notre  zèle;  et  dès  -e  lendemain  du  jour 
où  l'émeute  avait  coramencé,  grâces  à  l'esprit  public  qui  domine 


MARS  (1793).  443 

dans  cette  cité ,  ù  la  vigilance  de  la  municipalité  et  du  départe- 
ment, au  patriotisme  ardent  du  maire  et  du  commandant-géné- 
ral ,  tout  était  rentré  dans  l'ordre. 

ï  Tel  est,  frères  et  amis,  le  récit  fidèle  de  ce  qui  vient  de  se 
passer  à  Paris.  Vous  pourriez  croire  que  cet  événement  n'était 
pas  assez  grave  pour  devenir  l'objet  d'un  entretien  particulier 
avec  vous ,  s'il  n'était  lié  à  des  desseins  sinistres  et  à  cet  affreux 
système  de  calomnie  qu'une  faction  dangereuse  cherche  à  ressus- 
citer dans  ce  moment  pour  diviser  la  nation  et  anéantir  les  socié- 
tés populaires. 

»  Mais  déjà  les  mêmes  bouches  qui,  à  la  tribune  de  la  Con- 
vention nationale,  ont  plaidé  la  cause  du  tyran  et  vomi  tant  de 
blasphèmes  contre  les  défenseurs  de  la  République,  renouvellent 
leurs  impostures  liberticides  contre  les  Jacobins,  contre  le  peuple 
de  Paris,  contre  les  députés  patriotes  de  la  Convention,  devenus 
aujourd'hui  la  majorité;  déjà  des  représentans  (1),  oubliant  cet 
auguste  caractère ,  n'ont  pas  rougi  de  nous  accuser  hautement 
de  ce  mouvement ,  auquel  nous  nous  sonjm.es  opposés  de  tout 
notre  pouvoir,  et  que  nos  seuls  adversaires  ont  pu  provoquer. 
Déjà  les  chefs  de  cette  funeste  coalition  et  leurs  complices  s'ef- 
forcent de  propager  ces  diatribes  par  leurs  journaux  inciviques, 
par  leur  correspondance  contre-révolutionnaire. 

»  Nous  ne  nous  abaisserons  pas  jusqu'à  nous  en  justifier  ;  vous 
pourrez  facilement  prononcer  entre  nous  et  des  hommes  accou- 
tumés à  persécuter  le  patriotisme  et  à  trahir  la  cause  publique. 
Mais  nous  ne  devons  pas  vous  dissimuler  des  circonstances  im- 
portantes qu'ils  se  garderont  bien  de  relever.  Il  faut  vous  infor- 
mer qu'à  la  tête  des  femmes  attroupées,  parmi  lesquelles  se 
ti'ouvaient  fort  peu  d'hommes ,  encore  moins  de  patriotes  trom- 
pés, étaient  les  domestiques  des  aristocrates  connus,  des  émi- 
grés même  cachés  sous  le  costume  respectable  des  sans-culot- 
tes, et  dont  plusieurs  sont  maintenant  arrêtés  et  livrés  aux  tri- 
bunaux; nous  devons  vous  informer  que  des  émigrés  ont  été 
aperçus  dans  les  galeries  des  Jacobins,  cherchant  à  soulever  le 

H)  Tels  que  Buzot ,  Salles ,  Lehardi  de  Rouen. 


446  CONVENTION   NATIONALE. 

public  contre  nous;  que,  dans  ce  îemps-Ià  même,  l'un  d'entre 
eux,  l'un  des  conspirateurs  de  Nîmes,  le  nommé  Lescombiez,  a 
été  arrêté  près  de  la  salle  de  la  Convention  nationale ,  où  il  avait 
osé  s'introduire  ;  que  les  instigateurs  de  l'émeute  déclamaient 
hautement ,  dans  les  promenades  publiques ,  contre  les  Jacobins, 
contre  la  Convention  nationale  en  général,  contre  les  députés  de 
la  Montagne  ;  que ,  dans  certains  groupes ,  ils  ont  osé  attribuer 
la  misère  du  peuple  à  la  mort  de  Louis  XVI ,  et  que  quelques- 
uns  ont  poussé  l'audace  jusqu'à  faire  entendre  ce  cri  sacrilège 
et  extravagant  :  Vive  Louis  XVII!  Il  faut  vous  dire  enfin  que  les 
gros  magasins  des  accapareurs  ont  été  respectés  ;  que  les  bou- 
tiques des  patriotes  ont pbtenu  ia  préférence;  que  les  marchands 
jacobins  ont  été  les  plus  maltraités,  et  que  tels  boutiquiers  fayé- 
tistes  et  aristocrates  n'ont  jamais  montré  un  visage  plus  serein 
qu'au  moment  où  l'on  disposait  d'une  partie  de  leurs  marchan- 
dises. Aussi  le  véritable  peuple  n'a-t-il  pris  aucune  part  à  cette 
émeute.  Les  braves  sans-culottes,  les  honorables  indigens  l'ont 
généralement  improuvée.  Une  circonstance  très-remarquable , 
c'est  que  les  quartiers  où  le  civisme  est  le  plus  ardent,  le  peuple 
moins  aisé  et  plus  nombreux ,  n'en  ont  pas  ressenti  les  effets. 
Dans  le  faubourg  Saint-Marceau ,  aucun  marchand  n'a  été  in- 
quiété. C'est  en  vain  que  des  perturbateurs ,  à  la  tête  des  femmes 
venues  des  quartiers  éloignés ,  se  sont  portés  au  faubourg  Saint- 
Antoine  :  ils  n'ont  pu  entraîner  les  bons  et  vigoureux  citoyens  qui 
l'habitent.  Voilà  le  peuple  de  Paris. 

ï  Le  peuple  de  Paris  sait  foudroyer  les  tyrans ,  mais  il  ne  visite 
point  les  épiciers.  Le  peuple  de  Paris,  uni  aux  fédérés  des  qua- 
tre-vingt-trois départemens ,  a  renversé  le  trône  ;  il  avait  renversé 
la  Bastille  deux  ans  auparavant ,  mais  il  n'a  point  assiégé  les 
comptoirs  de  la  rue  des  Lombards.  Quand  les  oppresseurs  de 
l'humanité  ont  comblé  la  mesure  de  leurs  crimes,  et  que  le  peu- 
ple irrité  sort  de  son  repos  majestueux,  il  ne  s'amusa  point  à 
écraser  de  petits  accapareurs ,  mais  il  fait  rentrer  dans  la  pous- 
sière tous  les  despotes ,  tous  les  traîtres  et  tous  les  conspirateurs. 
Il  établit  solidement  l'édifice  de  la  prospérité  publique  sur  les 


MARS  (  1795  ),  447 

bases  de  la  justice  et  de  ia  raison.  Qu'iis  sont  vils  ces  petits  im- 
posteurs qui  osent  le  calomnier,  parce  qu'iis  le  trahissent ,  parce 
qu'ils  redoutent  cette  opinion  publique  imposante  qui  les  en- 
toure dans  une  immense  cité  qui  les  observe  et  qui  est  le  rendez- 
vous  naturel  de  tous  les  Français  !  Qu'elles  sont  méprisables  ces 
âmes  de  fiel  et  de  boue  que  la  sainteté  de  leur  mission ,  que  les 
sublimes  destinées  de  la  France,  que  la  grandeur  des  prodij^es 
que  le  génie  de  la  liberté  enfante  autour  de  nous  et  pour  nous 
ne  peut  élever,  un  seul  instant ,  au-dessus  de  leur  bassesse  natu- 
relle! Malheureusement,  il  est  encore  trop  d'hoinnies  qui  leur 
ressemblent  ;  mais  lorsque  dans  vos  départemens  vous  entendrez 
des  royalistes  ou  des  Feuillans  déguisés  balbutier  encore  leur 
triste  et  astucieux  jargon,  dites-leur  que  tous  les  troubles  qui 
compromettent  la  liberté  ne  peuvent  être  imputés  qu'à  ceux  qui 
jusqu'ici  ont  protégé  tous  ses  ennemis  et  poursuivi  tous  ses  dé- 
fenseurs; à  ceux  qui  ont  prodigué  tant  de  coupables  artifices 
pour  sauver  le  tyran  ;  à  ceux  qui  ont  ouvertement  pris  sous  leur 
sauvegarde  les  émigrés  qui  infesient  aujourd'hui  la  République, 
et  qui  affluent  surtout  à  Paris  ;  à  ceux  qui,  tandis  que  nous  pres- 
sions la  condamnation  de  ce  même  roi  conspirateur  ei  paijure, 
dont  ils  étaient  les  avocats ,  appelaient  contre  nous  nos  frères  des 
départemens ,  et  désignaient  la  portion  la  plus  saine  de  la  Con- 
vention nationale  à  la  vengeance  de  leurs  concitoyens  ;  à  ceux  qui 
outrageaient  Michel  Lepelletier  à  la  tribune  pour  la  même  cause 
précisément  qui  a  dirigé  contre  son  sein  le  poignard  parricide 
des  satellites  de  la  royauté;  à  ceux  qui,  forcés  d'accompagner 
au  Panthéon  ce  glorieux  martyr  de  la  liberté,  recommencent  à 
conspirer  contre  ses  comp^^gnons  d'armes,  et  ne  rougissent  pas 
de  les  outrager  avec  une  nouvelle  impudence  ;  à  ceux  qui ,  dans 
la  ville  de  Lyon ,  patrie  et  domicile  du  vertueux  Roland ,  vien- 
nent de  dissoudre  les  sociétés  populaires  ,  de  profaner  l'arbre  de 
la  liberté,  d'outrager  les  patriotes;  à  ceux  qui  à  la  volonté  de 
nuire  en  réunissent  tous  les  moyens;  à  ceux  qui ,  après  avoir  gou- 
verné la  France  sous  le  nom  de  Roland ,  disposent  encore  de  ses 
bureaux  ,  qu'ils  ont  composés  ;  qui  tiennent  entre  leurs  mains  et 


448  CONVENTION   NATIONALE. 

le  trésor  national ,  et  les  subsistances ,  et  tous  les  moyens  d'acca* 
parement ,  et  tous  les  ressorts  de  l'agiotage  ;  qui  font  cause  com- 
mune avec  les  banquiers ,  avec  les  riches  égoïstes  ,  avec  les  aris- 
tocrates ,  contre  les  amis  de  l'égalité  ;  à  ceux  qui ,  après  avoir 
aggravé  la  misère  publique,  peuvent  trop  facilement  en  abuser 
pour  troubler  l'état  à  leur  gré;  à  ceux  dont  la  dévise  est  ;  grâce 
aux  tyrans  ,  la  mort  aux  patriotes.  Dites -leur  que  l'on  ne  croit 
pas  deux  fois  aux  calomniateurs  confondus  et  aux  traîtres  dé- 
masqués; dites-leur  qu'on  connaît  la  perfide  politique  de  ces 
chefs  de  faction ,  qui ,  de  tout  temps ,  eurent  pour  système  de 
couvrir  leurs  propres  forfaits  en  les  imputant  aux  patriotes;  à 
qui  il  ne  reste  aujourd'hui  d'autre  ressource  que  de  faire  ou- 
blier leurs  anciennes  impostures  par  des  impostures  nouvelles  ; 
qui  ne  peuvent  se  faire  absoudre  d'avoir  voulu  déchirer  la  Répu- 
bUque  qu'en  la  déchirant  en  effet.  Ajoutez  que  la  liberté ,  indé- 
pendante, et  de  la  sotte  crédulité  des  uns ,  et  de  la  basse  méchan- 
ceté des  autres ,  et  des  écarts  de  l'imagination  de  tel  homme ,  et 
de  la  profonde  perfidie  de  tel  autre,  triomphera  des  derniers  ef- 
forts d'une  faction  distinguée  de  toutes  celles  qui  l'ont  devancée 
uniquement  par  l'extrême  lâcheté  avec  laquelle  elle  épuise  le  plus 
vil  de  tous  les  moyens ,  celui  du  mensonge  et  de  la  calomnie. 
Mais  il  s'agit  d'avancer  d'un  demi-siècle  la  félicité  du  monde  et 
d'assurer  celle  de  nos  enfans  et  la  nôtre  ;  il  s'agit  de  cimenter  la 
République  au  moment  où  elle  étend  ses  Hmites  ;  si  nous  voulons 
parvenir  à  ce  but ,  unissons-nous  pour  défendre  la  tranquillité 
publique  contre  les  troubles  que  les  intrigans  nous  suscitent,  la 
liberté  contre  les  conspirations  qu'ils  renouvellent ,  l'esprit  pu- 
blic contre  les  écrits  pernicieux  dont  ils  travaillent  sans  cesse  à 
l'empoisonner. 

»  Au  reste ,  soyez  sûrs  que  nous  sommes  toujours  les  Jaco- 
bins de  4789,  les  Jacobins  du  iO  août,  les  Jacobins  des  jours  non 
moins  sacrés  où  le  tyran  fut  jugé ,  où  la  mort  du  tyran  enfanta 
la  République.  Si  vous  en  doutez ,  venez  voir,  venez  observer  les 
Jacobins  et  leurs  adversaires.  Venez  jurer  une  nouvelle  alliance 
contre  les  tyrans  et  contre  les  intrigans  ;  et  dès  ce  moment  tous 


MARS  (1795).  449 

les  ennemis  de  la  liberté  pâliront  devant  vous,  comme  ils  pâlis- 
saient devant  les  fédérés  qu'ils  avaient  eux-mêmes  appelés  con- 
tre nous.  » 

Cette  adresse  avait  été  rédigée  par  Robespierre.  A  peine  avait- 
on  fait  trêve  un  instant  aux  émotions  des  derniers  jours  de  fé- 
vrier, que  des  nouvelles  fâcheuses  arrivées  de  l'armée  le  ô  et 
le  4  mars  ébranlèrent  de  nouveau  Paris.  Les  Girondins,  qui 
croyaient  déjà  au  retour  du  calme,  furent  surpris  par  ces  nouvel- 
les et  en  attribuèrent  les  effets  sur  la  population  à  des  complots 
sinistres  tramés  par  les  Jacobins  ;  ils  entreprirent  même  de  faire 
peser  sur  leurs  ennemis  la  responsabilité  des  événemeus  militai- 
res en  insinuant  que,  si  le  recrutement  ne  marchait  pas,  c'était  eux 
qu'il  fallait  en  accuser.  Voici  un  article  du  Patriote  français ,  daté 
du  4  mars ,  où  ces  accusations  ,  la  dénonciation  du  complot  et  la 
critique  de  l'adresse  des  Jacobins  mettent  à  découvert  le  système 
de  polémique  adopté  par  les  Girondins  en  face  des  circonstances 
inattendues  dont  leur  position  allait  se  compliquer  : 

a  II  serait  curieux  de  savoir  quels  moyens  ont  pris  nos  muni- 
cipaux, qui  savent  si  bien  motionner  pour  l'anarchie  et  pour  le 
pillage,  quels  moyens  ils  ont  pris  pour  accélérer  le  recrutement 
des  troupes  à  Paris.  Le  petit  nombre  des  enrôlés  serait  déchirant, 
si  l'on  n'en  connaissait  la  cause  ;  mais  comment  veut-on  qu'un 
père,  que  des  enfans  quittent  leurs  familles,  quand  ils  ne  sont 
pas  sûrs  que  demain  leurs  boutiques  ne  seront  pas  pillées  ?  Voilà 
donc  les  effets  de  ces  prédications  insensées  qui  se  font  aux  Ja- 
cobins et  dans  d'autres  lieux  !  Ne  parle-t-on  pas  ouvertement 
d'un  comité  d'insurrection ,  qui  prépare  de  nouvelles  scènes  dont 
on  cite  cl  les  membres  et  !e  lieu  du  rassemblement?  Ne  ciic- 
t-on  pas  les  débats  du  corps  électoral  sur  les  qualités  nécessaires 
dans  un  citoyen  pour  être  propriétaire  :  comme  s'il  était  néces- 
saire d'avoir  dautre  titre  que  la  propriété  même  ?  Ne  voit-on  pas 
des  scélérats  menacer  insoiemment  du  décret  d'accusation  le  plus 
vertueux  des  ministres?  tandis  qu'ils  élèvent  aux  nues  et  les 
T.  XXIV.  29 


450  CONVENTION    NATIONALE, 

hommes  qui  assassinent,  et  ceux  qui,  gorgés  d'or,  ne  veulent 
rendre  aucun  compte. 

»  Robespierre  a  la  aux  Jacobins  une  adresse  sur  les  causes  du 
dernier  pillage,  La  platitude  de  cette  adresse  est  due  sans  doute 
au  désespoir  qu'a  montré  Robespierre  de  ce  que  son  peuple 
s'amusait  à  de  si  cliétives  expéditions  (c'est  son  mot).  Quand  Iç 
peuple  se  lève,  disait-il  aux  Jacobins,  est-ce  pour  s'amuser  à 
piller  du  sucre?  De  plus  grands  projets  doivent  l'occuper;  les 
têtes  des  coupables  doivent  rouler  dans  la  poussière.  Je  lui  ai  dé- 
noncé ces  coupables  :  ce  sont  ceux  qui  négocièrent  l'année  der- 
nière avec  Brunswick.  —  Et  l'on  dira  que  Robespierre  ne  pro- 
voque pas  son  peuple  à  l'assassinat,  ainsi  que  son  chef  Marat  ! 
Et  l'on  dira  qu'il  ne  veut  pas  un  pendant  au  2  septembre  !  {Pa- 
triote français,  n.  MGGGI.  ) 

SÉANCE    DU    5   MARS. 

[  On  annonce  une  lettre  des  commissaires  dans  la  Belgique. 

Quelques  membres  en  demandent  le  renvoi  au  comité  de  dé- 
fense générale. 

Billaud-Varennes.  H  ne  faut  rien  cacher  au  peuple.  C'est  à  la 
nouvelle  de  la  prise  de  Verdun  qu'il  s'est  levé  et  qu'il  a  sauvé  la 
patrie. 

Un  secrétaire  fait  lecture  de  celte  lettre ,  datée  de  Liège.  Les 
commissaires  annoncent  que  les  cantonneniens  placés  du  côté 
d'Aix-la-Chapelle  ont  été  forcés  par  une  armée  ennemie.  Nos 
volontaires  se  sont  repliés  et  ont  évacué  la  ville  d'Aix-la-Chapelle 
dans  la  journée  du  lendemain  ;  alors  l'armée  ennemie  s'est  divisée 
en  trois  colonnes  :  l'une  de  ces  colonnes  s'est  portée  vers  Maés- 
tricht,  dont  le  siège  a  été  levé  par  le  général  Sîii  anda.  Le  général 
Valence  a  fait  toutes  les  dispositions  convenables,  mais  l'absence 
d'un  grand  nombre  d'officiers  généraux  et  de  chefs  de  corps  le 
met  dans  le  plus  grand  embarras. 

Bourdon.  Je  demande  que  tout  chef  et  officier  actuellement 
absens  de  leurs  postes  soient  tenus  de  s'y  rendre  le  plus  lot  pos- 
sible ,  sous  peine  de  destitution. 


MARS  (1793).  4SI 

CJioudieu.  Il  arrive  tous  les  jours  à  Paris  des  volonlaires  qui 
sont  à  la  solde  de  leurs  déparlemens ,  et  qui ,  par  conséquent, 
ne  sont  pas  à  la  disposition  du  ministre  de  la  guerre.  Par  exem- 
ple, il  vient  d'arriver  ici  des  volonlaires  du  département  de  la 
Loire-Inférieure,  et  le  ministre  ne  sait  pas  même  où  ils  sont.  Je 
demande  que  vous  décrétiez  que  tous  ces  volonlaires  sont  à  la  dis- 
position du  ministre  delà  guerre,  et  qu'ils  soient  sur-le-champ 
envoyés  aux  frontières.  (Un  grand  nombre  de  membres  siégeant 
dans  la  partie  gauche  de  la  salle  se  lèvent  pour  appuyer  cette 
motion.  ~  De  violens  murmures  se  font  entendre  dans  la  partie 
opposée.) 

Lanjuinaïs.  Je  demande  l'ordre  du  jour  sur  la  proposition  de 
Choudieu  ;  et,  pour  appuyer  ma  demande ,  je  dénonce  à  la  Con- 
vention un  fait  :  c'est  qu'il  existe  à  Paris  un  comité  appelé  comilc 
d'insurreclion.  J'ai  su  ce  fait  par  un  volontaire  même  qui  m'u  dit 
qu'étant  avec  ses  camarades  à  l'assemblée  électorale,  on  leur  a  dit 
de  se  rendre  au  comité  d'insurrection  ;  ce  comité  est  présidé  par 
un  membre  de  l'assemblée  électorale;  et  l'on  disait  aux  membres 
qui  s'y  trouvaient  :  <  Prenez  garde,  si  vous  n'êtes  pas  purs ,  vous 
serez  escamotés  en  sortant.  »  Je  demande  donc  l'ordre  du  jour, 
motivé  sur  ce  qu'il  est  certain  qu'il  existe  à  Paris  un  foyer  de 
trouble  et  d'insurrection.  (Murmures  dans  une  partie  de  la  salle.) 

Barbaroux.  Je  suis  bien  étonné  que  Choudieu ,  qui  était  di- 
manche au  comité  de  la  guerre  lorsque  le  ministre  de  la  guerre 
s'y  est  rendu  et  nous  a  déclaré  que  le  général  Santerre  lui  avait 
dit  qu'il  se  fomentait  des  troubles  dans  Paris  ;  je  suis  bien  étonné, 
dis-je ,  qu'il  vienne  vous  dire  que  Paris  est  tranquille ,  et  qu'on 
ne  doit  avoir  aucune  inquiétude  sur  sa  situation. 

Choudieu.  Eh  bien  î  puisqu'on  me  force  de  parler,  je  vais  vous 
dénoncer  une  intrigue.  Le  fait  qui  vous  est  allégué  a  été  démenti 
par  la  lettre  que  vous  a  adressée  Santerre ,  par  laquelle  il  vous 
annonce  que  le  calme  est  parfaitement  rétabli.  (  Une  voix  :  Cela 
n'est  pas  une  raison.  )  Le  ministre  de  la  guerre  est  venu  di- 
ujanche  soir  au  comité  de  la  guerre  nous  dénoncer  des  troubles 
dans  Paris ,  mais  le  coup  était  monté  ;  il  s'était  trouvé  ce  jour-là 


452  CONVENTION  NATIONALE. 

au  comité  un  grand  nombre  de  membres  qui,  sur  les  observa- 
lions  du  ministre ,  ont  cru  qu'il  fallait  former  une  force  armée 
pour  protéger  Paris.  Buzot  vous  a  déjà  dit  que  sans  une  force 
armée  nous  ne  pouvions  faire  de  bonnes  lois.  Pour  nous ,  qui 
croyons  qu'il  n'y  a  pas  de  bonnes  lois  que  celles  qui  sont  soute- 
nues par  le  peuple,  nous  n'avons  pas  voulu  d'une  garde  natio- 
nale comme  la  voulait  La  Fayette  ;  et  voilà  pourquoi  je  suis  venu 
vous  demander  de  faire  disparaître  une  monstruosité  dans  la 
composition  de  la  force  armée ,  dont  une  partie  est  à  la  solde  des 
départemens,  et  dont  le  ministre  lui-même  ignore  la  destination. 
Voilà  pourquoi  je  demande  que  tous  les  volontaires  qui  sont  à 
Paris  soient  à  la  solde  de  la  République,  et  que  dans  trois  jours 
le  ministre  de  la  guerre  rende  compte  des  ordres  qu'il  aura  don- 
nés pour  leur  départ. 

Buzot.  Je  demande  l'ajournement  de  cette  proposition  ,  et  je 
la  motive  sur  des  faits.  J'observe  qu'il  existe  un  décret  qui  met 
à  la  disposition  du  ministre  de  la  guerre  toutes  les  troupes  de  la 
République ,  et  je  crois  qu'il  suffirait  d'en  réclamer  l'exécution. 
Mais  la  présence  des  volontaires  des  départemens ,  qu'on  veut 
sur-le-champ  éloigner  de  Paris,  y  est-elle  nécessaire?  Je  dis  que 
oui.  Car  il  est  constant  que  le  dernier  attroupement  qui  a  eu  lieu 
à  Paris  a  été  en  partie  apaisé  par  les  volontaires  brestois,  à 
qui  le  ministre  de  la  guerre  et  Santerre  lui-même  ont  donné  des 
éloges  pour  leur  bonne  conduite.  Il  est  constant  que  le  ministre 
est  venu  nous  dénoncer  des  inquiétudes  sur  le  danger  de  voir  se 
renouveler  le  pillage  ;  il  est  constant  que  Paris  ne  peut  opposer 
une  résistance  convenable  aux  malveillans  si  les  citoyens  des  dé- 
partemens ne  le  secondent.  Ces  volontaires  vous  demandent  une 
autre  organisation.  Il  est  pressant  que  tout  rentre  dans  l'ordre 
ici  ;  il  est  pressant  que  la  garde  nationale  parisienne  ait  à  sa  tête 
un  commandant  choisi  par  le  peuple,  et  qui  ait  sa  confiance;  il 
est  pressant  que  l'ancienne  municipalité,  qui  n'en  est  pas  une, 
soit  remplacée  par  la  nouvelle.  Je  prétends  que  le  foyer  de  l'a- 
narchie est  dans  cette  prétendue  municipalité ,  j'en  atteste  les 
journaux  mêmes  de  ses  séances.  Lorsque  tout  sera  ainsi  mis  à 


M/iRs  (1795).  453 

sa  place ,  alors  je  voterai  pour  que  les  volontaires  qui  sont  à  Paris 
aillent  aux  frontières  ;  mais  jusque-là ,  il  faut  avoir  de  la  force  à 
opposer  aux  brigands.  Les  citoyens  de  Paris  sont  las  de  cet  état 
de  choses.  Il  est  impossible  que ,  s'il  dure  encore  quelque  temps, 
l'herbe  ne  croisse  pas  dans  les  rues  de  Paris.  Il  dépend  de  vous 
d'éloigner  tous  les  maux  qui  menacent  celle  ville;  que  l'ordre 
règne  ici ,  que  les  autorités  constituées  fassent  exécuter  la  loi, 
alors  les  citoyens  viendront  ici  ;  ils  y  apporteront  leurs  richesses. 
et  l'abondance  renaîtra  avec  le  bonheur. 

Thuriot.  Citoyens ,  j'ai  toujours  combattu  pour  les  intérêts  de 
Paris,  combinés  avec  l'intérêt  de  la  patrie ,  et  j'espère  que  Paris 
se  souvient  que  je  travaillais  pour  lui  lorsque  Buzot  n'y  pensait 
pas.  Gardez- vous  de  vous  rendre  à  des  propositions  qui  tendent 
à  perdre  la  ville  dont  on  a  l'air  de  prendre  les  intérêts.  (De  vio- 
iens  murmures  s'élèvent  à  la  droite  de  la  tribune.  )  N'aJmirez- 
vous  pas  que  des  hommes  que  nous  avons  été  obligés  de  faire 
arrêter  pour  ces  écrits  incendiaires  aient  dit,  comme  Buzot, 
que  l'herbe  croîtrait  dans  les  rues  de  Paris?  Mais  quelles  qu'aient 
été  les  calomnies  répandues  contre  eux ,  les  menaces  jetées  en 
avant  pour  les  effrayer,  les  habitans  de  Paris  ont  toujours  con- 
tinué leurs  sacrifices.  Gardez-vous  de  croire  à  ces  propositions 
concertées  avec  ceux  qui  regrettent  la  mort  du  ci-devant  roi. 
(Nouveaux  murmures.  )  Comment  ces  amis  de  l'ordre ,  ces  amis 
de  la  patrie,  osent-ils  s'élever,  sous  prétexte  qu'on  calomniel'a- 
ristocratie?  Nous  prouverons,  par  l'instruction  de  la  procédure 
criminelle  que  vous  avez  ordonnée  sur  les  derniers  mouvemens 
relatifs  à  la  cherté  des  denrées,  que  des  Anglais,  des  émissaires 
des  émigrés,  des  aristocrates  étrangers  et  intérieurs  ont  fomenté 
les  mouvemens  qui  ont  eu  lieu  ces  jours  derniers.  [Uiie  voix:  Et 
Marat  n'y  songeait  pas?  )  Je  suis  loin  d'approuver  les  écrits  incen- 
diaires qui  ont  pu  s'accorder  plus  ou  moins  avec  ces  mouvemens. 
Si  l'on  était  vrai,  on  conviendrait  que  j'ai  fait  tout  ce  que  j'ai 
pu  ,  que  je  me  suis  porté  partout  pour  les  empêcher.  Les  papiers 
publics  l'attestent;  mais  calomniez  toujours,  puisque  c'est  votre 
jouissance.  Je  vous  en  laisse  la  saiisfaciicm... 


454  CONVENTION  NATIONALE. 

Barbaroux.  Je  demande  la  parole.  (Des  murmures  s'élèvent 
dans  une  des  extrérailés  et  dans  la  tribune  qui  domine  le  côte 
gauche.  —  Tous  les  membres  placés  dans  la  partie  droite  se 
lèvent  avec  des  gestes  animés  et  demandent  la  censure  contré 
les  interrupteurs.  ) 

tshard.  Je  demande  la  parole  polir  une  motion  d'ordre. 

Le  président.  Je  rappelle  les  tribunes  au  respect  qu'elles  doi- 
vent à  l'assemblée  ;  je  rappelle  la  Convention  à  sa  propre  dignité. 

Isnard  s'élance  à  la  tribune. 

Plusieurs  voix.  La  parole  est  à  Thuriot. 

Isnard:  Comme  représentant  du  peuple,  ayant  la  parole,  j'ai 
le  droit  d'être  entendu  en  silence.  (Une  violente  agitation  se  ma- 
nifeste, au  milieu  de  laquelle  Billaud-Varennes ,  Desmoulins, 
Robespierre  jeune ,  s'opposent  à  ce  qiie  Isnard  soit  entendu.  )  — 
tsnard ,  ratevant  la  voix  :  Je  prends  acte  de  la  non-libéhë  d'oJDÎ- 
nion.  Moniteur ,  écrivez...  Découvrant  sa  poitrine.  S'il  faut  périr 
ici,  nous  périrons.  (L'agitation  redouble.  —  Le  président  se 
couvre ,  le  tumulte  diminue.  Tous  les  membres  se  découvrent 
et  s'^àsseyent.  Enfin  le  calme  est  rétabli.) 

Le  président  j  découvert.  L'assemblée  ne  peut  avoir  qii'uiie  opi- 
nion, celle  de  donner  un  grand  exemple  à  la  Képublique,  en 
s' occupant  de  ses  seuls  intérêts.  Toutes  les  fois  qu'il  s'agit  ici 
des  personnes,  il  y  a  du  trouble.  Je  devais  donner  la  parole  à 
Isnard ,  en  vertu  du  règlement.  Je  la  lui  maintiendrai. 

Laînarque ,  s' avançant  au  milieu  de  la  salle.  Je  demande  la  pa- 
role nontré  Isnard.  (Murmures.) 

Isnard.  Je  disais  à  l'assemblée  que ,  comme  repf-ésenlant  du 
peuple,  j'avais  droit  d'être  entendu  en  silence,  et  que,  usant  de 

ce  droit (Les  interrnpiions  recommencent )  je  prévenais 

rassemblée  que  si  j'étais  interrompu,  je  ferais  inscrire  et  consta- 
ter au  procès-verbaî  cette  interruption,  et  que  moi,  moi  qui , 
comme  vous,  ai  des  commettans,  je  leur  dirais  qu'un  tel  jour,  a 
telîe  heure,  tels  et  tels  ont  manqué  à  la  représentation  nationale: 
(Nouveaux  murmures.)  A  présent  je  dis  qu'il  n'y  a  plus  de  repré- 
sentation nationale  dans  une  assemblée  dont  tous  les  membres  ne 


MARS  (1795).  4o5 

jouissent  pas  de  la  plus  grande  liberté  ;  je  dis  que  l'assemblée 
vient  de  donner  un  exemple  de  ce  défaut  de  liberté. 

Un  membre,  je  ne  sais  lequel,  car  tous  sont  égaux  à  mes  yeux, 
a  demandé  la  parole.  lia  été  accueilli  parles  murmures  indécens 
des  membres  de  ce  côté.  Les  tribunes  ont  pris  part  à  ces  mur- 
mures; niîiis  faut-il  s'en  étonner?  Ne  sont-elies  pas  autorisées  à 
croire  bien  faire,  quand  elles  suivent  l'exemple  de  leurs  repré- 
sentans?  Non  ,  ce  n'est  pas  leur  faute,  mais  c'est  la  vôtre,  à  vous 
qui ,  par  un  zèle  inconsidéré  pour  la  liberté,  êtes  prêts  à  la  per- 
dre. O  mes  concitoyens  !  je  ne  suppose  à  personne  des  intentions 
coupables;  je  me  suis  tu  longtemps  sur  les  débats  qui  agitent 
cette  assemblée  et  sur  les  véritables  causes  de  ces  débats ,  mais 
il  n'est  pius  possible  d'y  tenir.  {Une  voix  dans  l'extrémité  gau- 
clic:  Ëli  bien,  allez-vous-en.)  Je  me  demande  chaque  jour 'si 
nous  sommes  ici  la  Convention  nationale  ou  une  machine  à  dé- 
crets dans  les  mains  d'une  faction  ;  je  me  demande  si  Paris  est  la 
reine  des  cités,  ou  n'est  qu'une  cité  comme  les  autres  de  la  Ré- 
.  publique.  Il  est  tenqjs  de  déchirer  le  voile.  Il  laut  que  ceci 
finisse  ;  il  faut  que  ce  soit  la  Convention  qui  tienne  les  rênes  de 
i'einpire,  et  non  tel  où  tel  individu  ;  il  faut  que  chacun  de  nous 
apporte  ici  sa  part  de  lumières,  de  travail,  de  counige.  Qui- 
conqiie  ne  ie  ifer.i  pas  sera  coupable  du  crime  de  lèse-liberié.  Je 

viens  remplir  cetie  lâc!;è,  (',us-é-je  la  teindre  de  mon  sang 

{ÉUlaiid.  C'est  Lepeîletier PouUier.  C'esf.  nous  qu'on  as- 
sassine.) Vous  êtes  comptables  à  la  France,  au  moîide  entier,  de 
la  conduite  (pie  vcus  tiendrez.  Jusqu'à  ce  jour,  il  faut  le  dire,  il 
faui  h;  dise  hautement iÛartigoytc.  Ce  n'est  pas  là  une  mo- 
tion d'ordre.)  Ou  nous  devons  être  libres,  ou  nous  devons  nous 
en  aller.  (  Quelques  voix  à  la  gauche  de  lasaïle  :  Eh  bien  !  partez. 
—  Des  niurniures  d'iiiiprobntiou  s'élèvi  i-t  avec  force  dans  une 
grande  partie  de  l'assemblée.  —  Plusieurs  membres  s'adressant  à 
Isnard  :  Nous  partirons  livcc  vous.) 

Julien.  Je  demande  qu'Isnard  soit  rappelé  à  l'ordre  pour  avoir 
calomnié.  (Les  murmures  d'une  partie  de  l'assemblée  interrom- 
pent l'interlocuteur.) 


4o6  CONVENTION  NATIONALH. 

Robespierre  jeune.  Le  discours  d'Isnard  est  le  discours  d'un 
vrai  conspirateur. 

Isnard.  On  se  forme  une  bien  fausse  idée  de  !a  iiberté  qui  doit 
régner  dans  une  Convention.  Moi  je  soutiens  qu'il  suffît  d'une 
seule  interruption,  d'une  seule  huée,  de  la  millième  partie  de  ce 
que  vous  venez  de  faire,  pour  que  la  vérité  d'une  influence 
étrangère  soit  démontrée...  (On  murmure.)  Écoutez  ces  vérités, 
qui  sont  plus  sérieuses  que  vous  ne  pensez  :  la  liberté  des  peu- 
ples;.... et  vous,  peuple,  écoutez  aussi.  (Ris  et  murmures  dans 
l'extrémité  gauche.)  Tant  qu'on  voudra  me  faire  sortir  de  cette 
tribune  à  force  de  me  molester,  je  m'obstinerai  à  y  rester.  Ci- 
toyens, la  liberté  des  peuples  est  toujours  placée  entre  deux 
écueils ,  le  despotisme  d'un  côté,  de  l'autre  l'anarchie.  Vous  avez 
dompté  le  despotisme ,  mais  je  vous  vois  prêts  à  tomber  dans  le 
gouffre  de  l'anarchie  si  vous  ne  changez  pas  de  conduite:  voilà 
les  vérités  que  j'avais  à  vous  dire.  Je  demande  que  jamais,  à  cette 
tribune,  on  ne  se  permette  des  personnalités  directes,  et  que 
ceux  qui  s'en  permettront  soient  envoyés  à  l'Abbaye ,  et  que  le 
ministre  de  la  justice  poursuive  devant  le  tribunal  criminel  les 
auteurs  et  instigateurs  des  derniers  pillages....  {Plusieurs  voix  : 
Cela  est  décrété.)  Puisque  cela  est  décrété ,  je  demande  que  le 
ministre  de  la  justice  fasse  son  rapport  à  cet  égard ,  parce  que  les 
trois  jours  qui  lui  avaient  été  donnés,  je  crois,  pour  l'exécution 
du  décret,  sont  passés.  J'invite  en  outre  tous  mes  collègues  à 
prendre  enfin  cette  attitude  de  sagesse  et  de  courage  qui  peut 
seule  sauver  la  patrie. 

Thuriot.  Je  fais  observer  à  la  Convention  que  la  motion  d'Is- 
nard présente  deux  points  :  l'instruction,  elle  est  décrétée;  et  le 
compte  du  ministre,  il  est  décrété.  Lorsque  j'ai  vu  Isnard  mon- 
ter à  la  tribune,  j'ai  cru  que  sa  motion  d'ordre  allait  porter  con- 
tre le  tumulte  qui  empêcherait  les  représentans  de  manifester 
leur  opinion.  [Plusieurs  membres.  Eh  bien!  il  l'a  fait.)  Si  Buzot 
n'avait  pas  fait  aussi  des  épisodes,  s'il  avait  combattu  avec  les 
principes ,  la  question  eût  été  facile  à  décider. 
Il  faut  distinguer  entre  les  volontaires  payés  des  deniers  de  la 


MARS  (1795).  ;,  4-j7 

République,  et  ceux  qui  ne  le  sont  pas.  11  y  a  beaucoup  de  bons 
citoyens  qui,  cédant  à  des  impressions  mensongères,  sont  venus 
ici  pour  être  utiles.  Il  y  a  notamment  un  corps  de  Brestois  qui 
voulait,  comme  la  ville  de  Brest,  la  mort  du  tyran.  H  est  venu, 
persuadé  qu'il  y  avait  dans  la  Convention  un  parti  qui  s'y  oppo- 
sait :  ce  corps  l'a  déclaré  lui-même.  Ainsi  ont  changé  les  fédérés 
des  autres  départemecs  venus  avec  des  idées  l'ausses.  Ceux  qui 
les  ont  fait  mouvoir  s'en  repentent  aujourd'hui;  mais  enlin,  ou- 
blions ces  torts ,  car  en  révolution  il  faut  des  sacrifices.  On  avait 
aussi  trompé  le  bataillon  de  Marseille,  et  vous  verrez  lorsqu'il 
sera  de  retour  dans  ses  foyers  ses  véritables  sentimens.  Vous 
n'avez  qu'une  mesure  si.'ïiple  qui  est  dictée  par  la  loi.  De  deux 
choses  Tuoe  :  ou  les  corps  armés  qui  sont  ici  veulent  élre  utiles, 
ou  ils  ne  le  veulent  pas.  A  l'égard  de  ceux  qui  viennent  des  ports 
do  mer,  il  serait  nuisible  de  leur  donner  une  autre  direction; 
mais  les  autres,  il  serait  absurde  de  dire  qu'ils  pourront  rester  à 
Paris  pour  faire  leur  volonté  ,  n'y  faire  rien  que  leur  volonté. 
(  Louvet.  Je  demande  à  dénoncer  les  assassins.)  Les  vrais  assas- 
sins, ce  sont  les  assassins  de  la  nation,  ce  sont  les  journalistes 
soudoyés  pour  corrompre  l'opinion  publique.  Je  demande  qu'on 
donne  trois  jours  au  bataillon  de  Brest  pour  déclarer  s'il  veut  re- 
tourner dans  cette  ville  ou  rester  à  la  disposition  de  la  nation,  et 
que  si  dans  trois  jours  il  n'a  pas  fait  de  déclaration,  le  conseil  exé- 
cutif soit  autorisé  à  l'employer. 

Mareij.  Lorsque  Choudieu  a  demandé  quêtons  les  hommes  ar- 
més venus  des  départemens  à  Paris  fussent  mis  à  la  disposition 
du  conseil  exécutif,  il  a  fait  une  proposition  inconvenante ,  car  il 
y  en  a  f)lusieurs  qui  ne  sont  point  payés  par  la  République.  Les 
trois  cent  cinquante  hommes  du  département  du  Finistère  ne  se 
sont  rendus  à  Paris  par  aucune  impulsion  étrangère.  Ce  sont  vos 
propres  décrets  qui  les  ont  appelés;  car,  dès  le  commencement 
de  la  session  ,  vous  avez  décrété  le  principe  d'une  force  armée. 
Au  nombre  des  trois  cent  cinquante  Brestois ,  se  trouvent  pres- 
que en  totalité  ces  mêmes  hommes  qui,  avec  les  3Iars*ilkNS,  ral- 
lièrent à  la  première  décharge  les  patri<5les  du  10  août.  Et  voilà 


4^  CONVENTION   NATIONALE. 

Tes  hommes  sur  lesquels  on  répand  la  calomnie  !  (De  violeiites  ru- 
meurs s'élèvent  dans  la  partie  {gauche.  Plusieurs  membres  à  la  fois  : 
Jamais  nous  ne  les  avons  calomniés.) 

ïaliien.  Je  demande  à  repousser  cette  atroce  et  perfide  insi- 
nuation. Citoyens,  cette  division  de  trois  cent  cinquante  hommes 
s'est  arrêtée  à  Paris  tant  pour  se  reposer  de  cent  trente  lieues  de 
fatigues,  que  pour  remplir  un  devoir  reli{3;ieux.  Une  section  de 
Paris,  qui  a  pris  le  nom  du  Finistère,  avait  donné  à  ce  bataillon 
une  oriflamme  qui  a  été  portée  dans  le  département.  Le  départe- 
ment du  Finistère  les  a  chargés  d'une  oriflamme  pour  la  section. 
Cette  division  ne  demande  pas  mieux  que  de  servir  la  Répu- 
blique ;  mais  je  m'oppose  à  ce  que  vous  attentiez  à  la  liberté  in- 
dividuelle. Je  demande ,  par  amendement  à  la  proposition  de 
Choiidieu ,  que  cette  proposition  ne  s'applique  point  aux  volon- 
taires qui,  comme  ceux  du  Finistère,  n'ont  contracté  aucun  enga- 
gement. 

Barbaroux.  La  question  me  paraît  très-facile  à  décider;  il  suf- 
fit de  s'arrêter  sur  les  faits.  Y  a-t-il  des  malveillans,  des  voleurs 
à  Paris?  oui,  et  les  malheureuses  journées  des  25  et  26  février 
ne  nous  en  ont-elles  pas  convaincus  ?  Y  a-t-il  des  contre-révolu- 
tionnaires? Vous  nous  le  dites  dans  tous  vos  rapports  ;  et  il  est 
certain  qu'on  y  a  facilité  la  rentrée  d'un  grand  nombre  d'émigrés. 
Y  a-t-il  à  Paris  des  anarchistes?  Vous  n'en  disconvenez  pas  sans 
doute  ;  car  l'anarchie  nous  entoure  et  menace  sans  cesse  de  nous 
dévorer.  Une  seule  vérité  consolante  se  présente  à  nos  esprits  : 
c'est  que,  malgré  les  efforts  des  mauvais  citoyens,  elle  n'a  pas 
encore  pérleire  dans  les  départemens  ,  ou  que  si  elle  s'y  est  pias- 
sagèremenit  rhanii^estee,  elle  est  sur  le  point  d'être  partout  anéan- 
tie ,  excepté  peut-être  à  Paris.  C'est  dans  ces  circonstances  qu'on 
vous  propose  de  renvoyer  de  Paris  tous  les  hommes  qui ,  par 
leur  patriotisme  et  leur  courage,  y  ont  rendu  des  services  signa- 
lés à  ià  liberté.  Les  volontaires  qu'on  nous  propose  d'expulser 
n'ont-ils  pas  la  semaine  dernière  fait  cesser  le  brigandage?  n'ont- 
ils  pas  reçu  les  éloges  et  les  remercîmens  du  général  Santerre , 
du  ministre  de  la  guerre  et  de  toutes  les  autorités  qui  les  ont  em- 


MARS  (  1793  ).  '  459 

ployés?  Que  veulent  dire  les  calomnies  perpétuelles  contre  ces 
citoyens  des  départemens  et  ces  plaintes  sur  les  calomnies  qu'on 
prétend  que  nous  débitons  contre  Paris? —  Certes,  c'est  vous 
(se  tournant  vers  l'extrémité  gauche  de  la  salle) ,  c'est  vous  seuls 
qui  calomniez  Paris  ;  car  il  n'est  pas  possible  que  les  Parisiens 
n'aiment  pas  leurs  frères  qiii  ont  combattu  avec  eux  pour  renver- 
ser le  despotisme.  Ne  pressez  donc  pas  le  départ  de  ces  volon- 
taires jusqu'à  ce  que  vous  soyez  certains  que  l'anarchie  a  disparu 
de  cette  cité.  Je  demande  l'ajournement  des  propositions  de  Chou- 
dieu  et  ïhuriot. 

Saint-André.  Dans  loiit  ce  que  vous  ont  dit  Buzot,  Barbaroux 
et  autres  préopinans,  je  n'ai  remarqué  que  des  assenions  inu- 
tiles, fausses  ,  contradictoires,  et  une  divagation  perpétuelle  des 
principes.  C'est  au  milieu  de  ces  chaos  où  nous  ont  plongés  ces 
différens  orateurs ,  qui  ont  écouté  bien  plus  leurs  passions  que  le 
sang-froid  de  la  raison  et  de  la  logique,  que  vous  avez  à  décider 
sur  une  question  assez  importante,  puisqu'elle  touche  aux  prin- 
cipes de  la  force  armée.  De  quoi  s'agit-il  ?  de  pourvoir  à  la  sûreté 
de  Paris ,  sans  priver  nos  arrnées  de  renforts  utiles.  Il  se  trouve 
à  Paris  ,  comme  dans  toutes  les  villes  populeuses ,  des  hommes 
dont  l'intérêt  particulier  est  de  faire  le  mal  général  :  ces  hommes 
doivent  sans  doute  être  réprimés  ;  eh  bien  !  il  faut  les  réprimer. 
Mais  y  a-t-il  à  Paris  une  force  suffisante ,  indépendamment  d(  s 
volontaires iqui  réclament  nos  armées?  Si  cette  force  existe,  si  le 
nombre  des  bons  citoyens  est  dans  une  proportion  assez  forte 
pour  contenir  les  mauvais,  les  volontaires  des  autres  départemens 
y  sont  inutiles.  Or,  je  trouve  la  preuve  de  ce  fait  dans  les  discours 
mêmes  des  orateurs  qui  m'ont  précédé. 

Buzot  vous  à  dit  que  la  grande  majorité  de  Paris  est  compo- 
séc  de  bons  citoyens  et  d'hommes  bien  inteniionnés;  si  donc,  de 
l'aveu  même  de  ces  orateurs,  il  existe  à  Paris  une  force  considé- 
rable composée  de  bons  citoyens,  il  ne  faut  plus,  pour  réprimer 
les  anarchistes,  que  le  calme  imposant  de  la  Convention  natio- 
nale et  l'autoriK!  de  la  loi.  Jr;  p.'appellorais  donc  point  de  forces 
étrangères  ù  Paris  ;  car  je  suis  persuadé,  au  conltaire,  que  plu» 


4'jO  convention  nationale. 

on  appelle  de  forces  dans  une  ville,  plus  on  diminue  l'e'nergie  et 
la  confiance  des  citoyens.  Montrez  la  croyance  des  citoyens  bien 
intentionne's ,  assez  forts  pour  maintenir  l'ordre ,  et  cette  masse 
se  montrera  digne  de  soutenir  les  lois;  elle  ne  lardera  pas  à  avoir 
le  sentiment  de  sa  force  ;  la  confiance  appelle  la  confiance  :  en- 
voyez donc  aux  frontières  les  bataillons  organisés  qui  se  trouvent 
ici.  Les  citoyens  volontaires  ne  demandent  pas  mieux  que  de  se 
signaler  contre  les  ennemis  de  l'état ,  et  vous  leur  fermeriez  la 
carrière  de  l'honneur,  vous  les  retiendriez  ici  dans  l'inaction, 
quand  ils  veulent  aller  cueillir  des  lauriers  et  concourir ,  avec  nos 
frères  qui  sont  aux  frontières ,  à  l'établissement  de  la  liberté  uni- 
verselle! J'ai  entendu  dire  que  nous  abreuvions  de  dégoûts  et  de 
calomnies  les  volontaires  des  départemens.  Certes  je  ne  crois  pas 
que  ceux  qui  croient  que  ces  braves  volontaires  sont  appelés  à 
d'autres  destinées  qu'à  celle  de  végéter  dans  Paris,  et  qui  vou- 
draient les  voir  bientôt  cueillir  à  Maestricht  les  lauriers  de  la 
gloire ,  puissent  être  accusés  de  calomnier  les  citoyens  des  dé- 
partemens. Moi  jussi  je  suis  député  d'un  département  très-éloi- 
gné  de  Paris.  Je  suis  loin  de  calomnier  les  départemens  méridio- 
naux auxquels  j'ai  l'honneur  d'appartenir  ;  je  sais  qu'ils  sont 
pleins  de  zèle  et  de  courage,  mais  c'est  pour  cela  que  je  ne  veux 
pas  que  les  soldats  qu'ils  fournissent  à  la  patrie  périssent  ici 
dans  l'oisiveté,  dans  la  mollesse  et  les  sales  plaisirs  auxquels  sou- 
vent ne  résistent  pas  mémo  les  hommes  connus  par  leur  moralité, 
au  milieu  de  l'exemple  de  la  corruption  générale  qui  les  envi- 
ronne ;  certainement  ces  braves  volontaires,  s'ils  m'entendaient, 
me  diraient  :  Vous  avez  bien  jugé  de  nous,  vous  avez  bien  ap- 
précié les  sentimens  qui  nous  animent. 

Vous  devez  vous  occuper  maintenant  de  recruter  les  armées. 
Paris  doit  fournir  un  contingent  considérable.  Si  vous  donnez  à 
cette  ville  une  force  étrangère  considérable ,  quelle  sera  la  con- 
séquence naturelle  qu'en  tireront  les  citoyens?  ne  sera-ce  pas  de 
dire  :  Puisfju'on  nous  envoie  des  forces,  Paris  est  donc  un  poste 
de  danger ,  nous  ne  devons  pas  le  quitter  ;  nous  marcherons  avec 
les  bataillons  qui  sont  parmi  nous,  diront-ils ,  ou  nous  resterons 


MARS  (1795).  4G1 

avec  eux  ;  si  on  les  laisse  dans  l'oisivité  au  centre  de  la  Républi- 
que, nous  n'avons  donc  pas  besoin  de  marcher  aux  frontières. 
C'est  ainsi  que  l'oisiveté  engendre  l'oisiveté  ,  comme  le  courage 
enjjendre  le  courage. 

On  parle  d'anarchistes,  on  prétend  qu'il  en  existe,  même 
parmi  vous.  Ces  inculpations  déshonorent  la  Convention.  Non, 
il  n'est  personne  ici  qui  veuille  l'anarchie  :  c'est  une  horreur  et 
une  atrocité  de  le  prétendre,  et  ceux  qui  répètent  constamment 
celte  calomnie  devraient  être  un  objet  d'exécration  publique. 
{ Murmures  à  la  droite  de  la  tribune.  —  Albite  apostrophant 
cette  partie  de  l'assemblée  :  C'est  vous  qui  voulez  le  désordre.  — 
Saint-André  reprend:  Oui,  nous  voulons  tous  l'ordre.  —  Un  cri 
unanime  se  fait  entendre  de  toutes  les  parties  de  la  salle  :  Oui  ! 
oui  !  ) 

Garrau.  Ce  ne  sont  pas  cependant  les  hommes  de  l'appel  au 
peuple  qui  voulaient  l'ordre.  (  Murmures.  ) 

Saint-André.  S'il  était  possible  que  l'anarchie  désolât  la  Répu- 
blique ,  elle  serait  la  suite  des  erreurs ,  de  la  faiblesse  de  la  Con- 
vention nationale.  J'ai  entendu  parler  d'un  corps  qui  n'est  pas  à 
la  solde  de  la  République,  et  qui  est  cependant  armé ,  qui  a  un 
point  de  raUiement ,  des  drapeaux  et  des  chefs.  Je  rends  hom- 
mage aux  intentions  de  ceux  qui  le  composent;  mais  voyez  quels 
malheurs,  quelle  anarchie  serait  la  suite  de  cet  owbli  des  prin- 
cipes ,  si  par  une  souscription  une  société  ou  des  individus  pou- 
vaient lever  des  corps  armés,  et  les  entretenir  à  leur  solde.  Ne 
serait-ce  pas  l'anarchie  et  le  désordre  réalisés  ?  ne  nous  trouve- 
rions-nous pas  dans  cet  état  ou  chaque  pahie  du  tout,  isolée, 
pourrait  s'armer  contre  la  partie  voisine  ?  ou  plutôt  un  gouver- 
nement fédératif  et  féodal  remplacerait  la  République  indivisi- 
ble que  vous  avez  décrétée  :  c'est  ainsi  qu'en  vous  exlravasant 
dans  les  puérilités  et  les  sophismes ,  vous  tendez  vous-mêmes  aux 
troubles  et  à  l'anarchie.  Je  demande  que  la  Convention  natio- 
nale, sans  s'arrêter  à  toutes  les  diatribes  qui  ont  souillé  la  tri- 
bune dans  cette  séance  ,  passe  à  la  discussion  sur  la  proposition 


462  CONVENTION  NATIONALE. 

(le  Ghoudieu ,  et  qu'elle  la  décrète  avec  l'amendement  de  Thu- 
riot,  relativement  aux  bataillons  brestois. 

Louvet  et  Forquedey  sont  à  la  tribune.  —  L'assemblée  ferme 
la  discussion. 

Boijer-Fonfrède  demande  la  division  de  l'ajournement  et  pro- 
pose le  projet  qui  suit  :  «  La  Convention  nationale ,  considérant 
qu'il  est  instant  de  pourvoir  à  la  défense  des  côtes,  décrète  que 
les  corps  armés  envoyés  à  Paris  par  les  départemens  maritimes , 
et  aux  frais  des  administrés ,  y  retourneront  pour  défendre  la 
patrie;  et  que  les  voloniaires  qui  les  composent  seront  comme 
les  autres  citoyens  en  état  de  réquisition  permanente.  » 

Clioudieu.  Voici  ce  que  je  propose  ; 

Art.  l'^''.  La  Convention  nationale  décrète  que  tous  les  batail- 
lons qui  sont  arrivés  à  Paris  sur  la  réquisition  des  départemens 
sont,  dès  ce  moment,  à  la  solde  de  la  République  et  à  la  disposi- 
tion du  conseil  exécutif.  (Plusieurs  cris  s'élèvent  dans  l'exlrémilé 
droite  :  La  question  préalable!)  Laissez-moi  au  moins  achever 
mon  projet  de  décret. 

2.  Les  bataillons  des  départemens  maritimes  seront  de  préfé- 
reifce  employés  sur  les  côtes. 

Louvet.  Citoyens ,  quand  vous  rendrez  ce  décret ,  vous  ne 
pouvez  être  déterminés  que  par  celte  raison  principale  et  peut- 
être  unique  qu'il  y  a  dans  Paris  une  force  suffisante  pour  em- 
pêcher les  désordres  de  toute  espèce ,  le  pillage  et  même  les  as- 
sassinats que  des  malveillans  prêchent  chaque  jour.  Il  faut  donc 
prendre  des  mesures  pour  que  la  municipalité  ne  vienne  plus  à  la 
barre  vous  dire  que ,  si  vous  ne  décrétez  pas  telle  chose,  il  y 
aura  le  lendemain ,  à  telle  heure ,  une  insurrection. 

Billaud-  Varennes.  C'est  une  imposture.  — Plusieurs  autres 
membres  de  l'extrémité  gauche.  Ce  sont  les  impostures  ordinaires 
de  ces  messieurs. 

IjQuvet.  Surtout  vous  devez  faire  qu'après  une  telle  délibéra- 
tion ,  un  pillajje  prévu  la  veille  ne  s'effectue  pas  le  lendemain  sans 
résistance  pendant  une  journée  entière.  Je  propose  donc  l'amen- 
dement suivant. 


MARS  (1793).  465 

«  La  Convention  nationale  déclare  tous  les  membres  des  au- 
torités constituées  établies  à  Paris  solidairement  et  individuel- 

* 

lement  responsables  des  atteintes  qui  pourraient  être  portées  à  la 
liberté  individuelle  et  aux  propriétés.  »  (Quelques  rumeurs  s'élè- 
vent dans  une  partie  de  la  salle.) 

Garrau.  Je  demande  la  question  préalable  sur  l'amendement 
de  Louvet,  attendu  qu'il  y  a  des  lois  existantes  sur  cet  objet. 
(Murmures  à  la  droite  de  la  tribune.  — Faites-les  donc  exécuter. 
—  L'orateur  se  tournant  du  côté  d'où  pai  tent  ces  interruptions.)/ 
Est-ce  parce  que  le  siège  de  Maëstricht  est  levé  que  ces  mes- 
sieurs m'interrompent  aussi  insolemment?  (Nouveaux  murra»- 
res.)  J'entends  dire  que  le  siège  de  Maëstricht  n'est  pas  levé, 
mais  suspendu.  Mais  ne  dirait-on  pas  qu'il  suffit  d'un  événement 
fâcheux.... 

TaUien.  D'un  succès  des  Prussiens. 

Garrau.  Pour  qu'on  vienne  renouveler  ù  cette  tribune  les  ca- 
lomnies depuis  long-temps  imaginées  coutre  la  ville  de  Paris  et 
une  partie  des  membres  de  la  Gonjeniion. 

L'assemblée  consultée  décide,  à  une  grande  majorité,  qu'elle 
passe  à  l'ordre  du  jour,  sur  l'amendement  proposé  par  Louvet , 
motivé  sur  les  lois  existantes. 

La  proposition  de  Fonfrède  est  décrétée. 

On  lit  la  lettre  suivante. 

f  Le  ministre  de  la  guerre  au  président  de  la  Convention. 

»  Paris,  leô  mars. 
»  Citoyen  président,  je  crois  devoir  vous  prévenir  que  je  suis- 
instruit  par  une  lettre,  que  je  reçois  du  général  Valence,  que  les. 
Prussiens  se  sont  portés  eu  force  sur  la  Roër,  au  nombre  de 
vingt-cinq  à  trente  mille  hommes,  pour  secourir  Maëstricli,  et 
que  ce  mouvement  des  ennemis  a  engagé  le  général  Miranda  à 
cesser  par  prudence  le  bombardement  de  cetle  place.  Cet  évé- 
nement, peu  important  en  lui-même,  pourra  seulement  nous- 
iorcer  à  l'attaquer  dans  les  formes  et  nous  retarder  un  peu  plus 
long  -temps.  Telle  est  la  nouvelle  ù  laquelle  on  pourrait  attacher 


464  CONVENTION  NATIONALE. 

j^us  d'importance  qu'elle  ne  mérite ,  et  sur  laquelle  j'ai  cru  de- 
voir fixer  l'opinion  de  l'assemblée.  Signé,  Beurnonville.  » 

—  Camboulas,  après  avoir  annoncé  que  les  ennemis  de  la  li- 
berté ont  réussi  dans  les  îles  de  la  Martinique  et  de  la  Guade- 
loupe ,  fait  déclarer  toutes  les  colonies  en  état  de  guerre,  et  pres- 
crire différentes  mesures  à  ce  sujet. 

Lasource  propose  d'excepter  des  peines  contre  l'émigration 
des  enfans  sortis  avec  leurs  père  ou  mère ,  avant  l'âge  de  dix- 
huit  ans  pour  les  garçons,  et  de  vingt  et  un  pour  les  filles.  Osselin 
appuie  cet  amendement.  Thuriot  vote  pour  que  l'ùge  des  garçons 
soit  fixé  à  seize  ans,  et  à  dix-huit  pour  les  filles.  Robespierre  l'aîné 
combat  la  proposition  et  demande  que  l'exception  ne  s'étende 
pas  pour  les  garçons  au-delà  de  quatorze  ans ,  ainsi  que  le  portç 
un  article  déjà  décrété.  L'assemblée  maintient  cet  article.  Sur  la 
proposition  de  Mathieu  ,  il  est  décrété  que  les  filles  émigrées  qui 
rentreront  à  l'âge  de  quatorze  ans  seront  déportées ,  et  qu'en 
cas  de  récidive  elles  seront  punies  de  mort.  ] 

SÉANCE  DU   7   MARS. — DÉCLARATION   DE   GUERRE   A   l'eSPAGNE. 

A  la  séance  du  6 ,  les  nouvelles  de  l'armée  du  nord  étaient  de- 
venues alarmantes.  Les  commissaires  écrivaient  que  cette  armée 
était  dans  une  position  très-fâcheuse  ;  que  la  vil'e  de  Liège ,  qui 
contenait  de  grands  approvisionnemens  et  des  trésors,  était  me- 
nacée de  tomber  au  pouvoir  de  l'ennemi  ;  que  le  général  Valence 
ralliait  les  fuyards,  mais  que  si  le  général  Dumourier  n'arrivait 
pas,  on  ne  pouvait  répondre  des  événemens.  Le  7  on  déclara  la 
guerre  à  l'Espagne. 

Barrère ,  au  nom  du  comité  de  défense  générale  :  «  Citoyens , 
un  ennemi  de  plus  pour  la  France  n'est  qu'un  triomphe  de  plus 
pour  h  liberté.  Voilà  les  paroles  qu'il  faut  adresser  à  ces  froids 
amis  de  la  Uépublique  qui  se  laissent  abattre  par  la  nouvelle  de 
la  retraite  d'un  avant-poste,  et  par  le  retard  d'une  victoire.  Le 
voile  dont  s'est  enveloppé  depuis  long-temps  le  gouvernement 
espagnol  vient  enfin  de  se  déchirer.  Sa  politique  obscure  et  in- 


MARS  (17f)3).  46o 

certaine  est  connue  ;  les  intrigues  de  la  cour  de  Saint-James  ont 
triomphé  à  Madrid ,  et  le  nonce  du  pape  a  aiguisé  les  poignards 
du  fanatisme  dans  les  états  du  roi  catholique. 

»  Pressé  par  les  demandes  réitérées  de  notre  ambassadeur,  il 
feignait  de  garder  une  indifférence  éloignée  de  son  caractère,  et 
proposait  une  neutralité  contre  une  ligue  donl  il  goûtait  secrète- 
ment les  principes.  Il  parlait  de  paix  et  de  médiation  dans  le  ca- 
binet de  Madrid ,  tandis  qu'il  multipliait  au  loin  les  agressions 
politiques ,  et  faisait  sous  nos  yeux  des  armemens  de  terre  et  de 
mer. 

»  La  cour  d'Espagne  veut  la  guerre  ;  la  cour  d'Espagne  n'a  pas 
cessé  de  la  vouloir.  Nous  avions  pensé  que  cette  puissance ,  à  qui 
la  nature  avait  commandé  le  bon  voisinage ,  en  respecterait  les 
droits.  Nous  avions  le  droit  d'attendre  que  l'habitude  des  liaisons 
commerciales,  un  ancien  traité  d'alliance,  des  relations  d'uiihlé 
réciproque,  la  ramèneraient  à  des  principes  de  justice  ou  à  des 
mesures  de  prudence  ;  nous  espérions  que,  n'étant  plus  au  siècle 
de  PhiUppe  II,  ce  gouvernement  reconnaîtrait  l'injustice  de  ses 
procédés  et  de  ses  vexaiioDS  envers  les  Français ,  et  que  le  roi  de 
l'Espagne  i^natisée,  ou  le  dominateur  des  premiers  amis  secrets 
de  l'indépendance ,  aurait  la  sagesse  de  ne  pas  se  mêler  aux  ré- 
volutions de  la  liberté.  Aussi  il  n'est  pas  de  moyens  compatibles 
avec  la  dignité  nationale  qui  n'aient  éié  employés  auprès  de  cet 
ancien  allié  avant  d'ouvrir  le  tiibunal  de  la  guerre.  Il  fallait  sans 
doute ,  avant  que  de  planter  l'étendard  terrible  sur  le  sommet 
glacé  des  Pyrénées ,  épuiser  tous  les  procédés  conciliateurs  et 
pacifiques.  Ce  n'tst  pas  qu'il  soit  plus  malheureux  pour  la  France 
de  compter  un  ennemi  de  plus  :  la  république  naissante  triom- 
phera du  despotisme  de  l'Europe;  mais  une  nation  doii  à  une 
autre  d'attendre  que  son  gouvernement  s'éclaire,  ou  que  l'opi- 
nion lui  fasse  connaître  une  cause  qui  lui  est  étrangère  ou  dan- 
gereuse. 

»  Cette  espérance  qu'avait  conçue  notre  ambassadeur  n'existe 
plus.  Votre  courageux  décret  sur  l'affaire  de  Louis  a  fait  dispa- 
raître le  voile  de  neutralité  perfide  qu'affectait  la  cour  de  Char- 

T.  XXIV.  30 


46G  CONVENTJON  NATIONALE. 

les.  Vous  devez  enfin  lui  déclarer  la  guerre  ;  c'est  cette  cour  qui 
l'a  déjà  commencée  en  Amér'kjue  et  en  Europe;  différer  cette 
déclaration,  ce  serait  méco*iiaîire  les  injures  faites  à  la  France, 
ce  serait  donner  à  l'Espagne  l'avantage  de  déterminer  le  moment 
des  agressions  hostiles. 

>  Les  griefs  de  lu  République  contre  le  gouvernement  espa- 
gnol ont  pour  théàire  les  deux  hémisphères;  pour  cause,  la  haine 
de  notre  lévoiution;  pour  but,  l'anéantissement  de  notre  liberté 
et  raffermissement  du  royalisme. 

»  C'est  ce  gouvernement  qui  a  sourdement  préparé  et  fomenté 
a  révolte  des  noirs  de  Saint-Domingue,  en  trafiquant  avec  les 
nègres  du  Word,  en  échangeant  des  armes ,  des  canons,  des  mu- 
nitions de  guerre  et  de  bouche  contre  lor  et  l'argent,  les  meu- 
bles précieux  et  les  déniées  que  les  nègres  avaient  pillés  dans  les 
habitations  qu'ils  avaient  jusqu'alors  fertilisées. 

>  C'est  par  les  instigations  de  ce  gouvernement,  c'est  par  la 
collision  des  gouverneurs,  que  les  Espagnols  ont  tiaité,  à  Axa- 
wow,  avec  une  barbarie  dont  on  ne  retrouve  les  traces  qu'au 
Mexique,  des  Français  malheureux  qui  demandaient  un  asile; 
qu'ils  les  ont  chassés  de  leur  territoire ,  et  qu'ils  ont  vendu  aux 
nègres  des  blancs  qui  s'étaient  mis  sous  leur  protection  ,  et  qui 
ont  été  ensuite  maï>sacrés   vec  impunité  sous  leurs  yeux. 

»  C'est  par  \es  suggestions  barbares  de  ce  gouvei  nement  que 
les  Espagnols  de  Saint-Domingue  ont  refuse  constamment  aux 
Français  poursuivis  les  secours  qu'ils  leur  demandaient  avec  in- 
stance ,  secours  que  les  Espagnols  s'en^pressaient  d'accorder  aux 
révoltés. 

»  En  Europe  nos  griefs  contre  ce  gouvernement  sont  plus 
connus  et  plus  multipliés  :  je  n'ai  plus  besoin  de  vous  raconter  les 
vexations  éprouvées  en  Espagne  par  les  citoyens  français ,  voya- 
geurs domiciliés,  ou  commerçans;  de  vous  rappeler  les  longues 
discussions  élevées  relativement  auxhmites  des  deux  états;  il  nous 
suffit  de  présenter  les  griefs  pris  des  offenses  m ultipliees  faites  à 
la  souveraineté  nationale ,  le  refus  de  reconnaître  la  libei  lé  du 
ci-devant  roi  dans  l'acceptation  de  la  royauté  conslitulionneHe; 


MARS  {1795).  467 

îe  cordon  de  troupes  déployées  le  long  des  Pyrénées,  quand 
nous  ne  pensions  pas  même  à  nous  dé(ier  de  cet  allié  ;  l'audace 
du  gouverncn;ent  espagnol  d'entretenir  aupiès  des  émigrés 
l'ambassadeur  Fernand  Nunès,  la  protection  et  les  secours  ou- 
vertement donnés  à  nos  rebelles  et  aux  prêtres  fanatiques  ;  le  re- 
fus de  retirer  des  frontières  ces  forces,  dont  le  séjour  porte  at- 
teinte aux  anciens  traités  et  à  la  conliance  qui  doit  i  égner  entre 
les  deux  peuples. 

»  Qu'avait  fait  la  nation  française  à  ce  gouvernement  ingrat, 
devenu  aujourd'hui  son  cruel  ennemi?  11  lui  avait  prodigué  ses 
trésors  et  ses  flottes,  lorsqu'une  mésintelligence  qui  pouvait  de- 
venir funeste  au  commerce  espagnol  éclata  entre  les  gouverne- 
mens  de  Londres  et  de  Madrid.  L'intervention  de  la  France  pré- 
senta à  ses  anciens  alliés  un  secours  de  quaiaate-cinq  vaisseaux, 
armés  tout  à  coup  dans  nos  ports,  au  milieu  des  dépenses  et  des 
orages  de  notre  révolution  :  tout  rentra  dans  l'ordre  des  négo- 
ciations paisibles  ;  et  l'Angleterre  dut  céder  alors  que  l'Espagne 
acceptait  l'intervention  armée  et  les  secours  de  l'assemblée  na- 
tionale constituante,  qui,  à  cette  époque,  fixait  les  leg.irds  et 
les  respects  de  l'Europe. 

>  L'Espagne  dut  à  la  France  la  conservation  de  ses  riches  co- 
lonies, que  la  perfidie  du  cabinet  anglais  cherchait  à  lui  ravir  sous 
de  misérables  prétextes,  à  une  époque  où  l'on  ne  croyait  pas  à  la 
possibilité  de  l'intervention  française  ;  et  cependant  rEsj)agne  est 
aujourd'hui  l'alliée  de  son  ennemi  naturel. 

»  Ici  la  fuite  de  Varennes  jette  un  voile  sur  nos  relations  diplo- 
matiques, et  déjà,  avant  l'acceptation  de  la  constitution  royale, 
l'indignation  des  Franç;iis  avait  dénoncé  une  cédule  du  t20  juil- 
let 1791  ,  cédule  humiliante  *-t  vexaioire,  qui  (il  maltraiter,  jet^r 
dans  les  cachots  et  chasser  arbitrairement  de  l'Espagne  un  grand 
nombre  de  Français,  tandis  qu'un  serment  impie  effrayait  hs 
coeurs  soupçonnés  de  baltre  en  secret  pour  leur  patrie,  exijjeait 
d'eux  une  abjuration  sacrilège,  et  ne  laissait  i>ur  ce  territoire  in- 
(jui.sito!  ial  que  les  Français  qui  renonçaient  à  l'être. 

»  A  la  vue  de  celle  injure  grave,  la  France  aurait  dû  sans 


468  CONVENTION   NATIONALE. 

doute  punir  le  gouvernement  espagnol  de  tant  de  malveillance  et 
d'injustice  ;  cependant  nos  autorités  constituées  respectaient  le 
traité  que  les  agens  de  l'Espagne  violaient  sans  cesse  ;  la  munici- 
palité de  Perpignan  refusait  de  protéger  la  désertion  des  troupes 
espagnoles ,  tandis  que  l'Espagne  accueillait  nos  déserteurs  ;  la 
municipalité  de  GoUioure  rendait,  de  son  propre  mouvement,  un 
vaisseau  qu'elle  avait  droit  de  retenir,  tandis  qu'à  Saint-Sébastien 
et  à  Saint-Salvador  les  lois  de  la  navigation  étaient  violées  à 
l'égard  des  Français.  Enfin ,  un  décret  restituait  aux  agens  espa- 
gnols les  recrues  que  le  zèle  des  administrateurs  de  deux  dépar- 
lemens  avait  retenues  dans  la  citadelle  du  Saint-Esprit,  tandis 
que  la  cour  espagnole  vexait  les  Français  et  inquiétait  nos  com- 
merçans  et  les  consuls. 

»  Telle  a  été  la  conduite  conciliante ,  franche  et  loyale  de  la  ré- 
publique française  ;  cependant ,  on  ne  peut  se  dissimuler  les  in- 
tentions hostiles  de  l'Espagne,  malgré  les  protestations  contraires. 
La  libre  acceptation  de  la  royauté  constitutionnelle  est-elle  for- 
mellement et  itéralivement  méconnue  dans  les  réponses  de  la 
cour  d'Espagne,  cette  cour  annonce  qu'elle  veut  conserver  reli- 
gieusement ses  traités  avec  nous.  Lui  oppose-t-on  une  négocia- 
tion séparée  avec  les  cantons  suisses  pour  les  aliéner  de  la 
France,  la  cour  nous  destine  une  note  officielle  pour  calmer  nos 
inquiétudes  sur  l'envoi  d'un  ambassadeur  en  Suisse.  Se  plaint-on 
d'un  cordon  de  troupes  déployé  inutilement  le  long  de  nos  fron- 
tières ,  elle  explique  avec  empressement  le  cantonnement  de  ces 
tioupes  espagnoles  ;  notre  agent  est  traité  convenablement  à  Ma- 
drid ,  et  le  ministre  d'alors  assure  que  sa  cour  était  bien  éloignée 
de  songer  à  armer  contre  la  France  si  la  France  ne  l'attaquait 
pas.  Se  plaint-on  de  la  cédule  du  20  juillet  1791 ,  la  cour  d'Espa- 
gne invoque  la  lettre  des  traités  et  feint  d'opposer  à  tous  les 
étrangers  sans  distinction  une  rigueur  qui  ne  frappe  réellement 
dans  l'exécution  que  sur  les  Français.  ïnvoque-t-on  les  traités ,  la 
cour  d'Espagne  ne  peut  pas  consentir  à  donner  à  ce  qu'on  ap- 
pelait le  pacte  de  famille  la  forme  d'un  traité  national.  Alliée,  ou 
plutôt  complice  de  notre  cour,  elle  hésite  sans  cesse  de  devenir 


MARS  (1793),  469 

ralliée  de  la  nation.  C'était  l'influence  du  génie  malveillant  de 
Florida  Blanca. 

3»  La  France  a-t-elle  montré  assez  de  patience  et  de  modéra- 
tion? Au  lieu  de  témoigner  son  mécontentement ,  elle  garde  en- 
core le  silence  :  elle  veut  maintenir  la  paix  avec  une  puissance 
qu'elle  croyait  ne  pouvoir  pas  se  laisser  entraîner  ù  une  ligue 
aussi  dangereuse  à  son  existence  qu'à  sa  tranquillité. 

>  Mais  la  conjuration  contre  notre  liberté  était  ourdie  depuis 
long-temps  dans  toutes  les  cours  d'Europe.  Voilà  le  véritable 
motif  de  tant  de  mensonges  diplomatiques,  de  tant  de  perfidies 
ministérielles.  La  cour  de  Madrid  prenait  part,  depuis  le  mois 
de  juin  1791 ,  à  toutes  les  dispositions  hostiles  dont  la  France 
était  l'objet  ;  elle  méditait  secrètement  la  ruine  de  notre  indépen- 
dance ,  et  se  coalisait  obscurément  avec  les  puissances  despoti- 
ques comme  elle. 

»  A  peine  la  liberté  française  est-elle  en  danger  au  milieu  des 
conspirations  du  trône  et  de  l'invasion  concertée  de  nos  frontiè- 
res ,  le  cabinet  de  Madrid  ne  reconnaît  plus  de  caractère  à  l'en- 
voyé de  France.  Ebloui  par  la  coupable  gloire  de  servir  la  cause 
des  tyrans ,  il  paraît  se  rattacher  à  leur  ligue  sacrilège.  Ses  pré- 
paratifs militaires  menacent  nos  frontières  des  Pyrénées  ;  ses 
vœux  ardens  suivent  la  marche  insolente  et  rapide  de  Brunswick, 
mais  les  succès  inouïs  de  la  République  naissante  la  ramènent 
bientôt  à  des  idées  plus  modérées.  Secondée  par  sa  lenteur  ordi- 
naire ,  elle  transforme  son  impuissance  réelle  en  preuve  de  lion 
voisinage,  et  présente  ses  premiers  préparatifs  comme  une  me- 
sure purement  défensive.  Un  niinislre  ,  conduit  par  l'expérience 
et  la  sagesse ,  est  appelé  :  il  a  senti  le  besoin  d'une  alliance  sin- 
cère avec  la  France ,  et ,  se  défiant  des  intentions  perfides  de 
l'Angleterre  ,  il  répond  ou  il  allègue ,  pour  la  neutralité,  aux  au- 
tres puissances,  que  sa  cour,  par  son  éloi finement,  est  dispensée  de 
prendre  pari  à  cette  grande  querelle. 

>  Cependant,  le  principal  ministre  est  renvoyé.  Les  intrigues 
de  tous  les  cabinets  de  l'Eiirope  redoublent  aussitôt  (ractiviié  vn 
voyant  la  nullité  d'un  jeune  ministre  succéder  à  l'expérience  de 


470  CONVENTION   NATIONALE. 

d'Aranda.  Le  cabinet  de  Saint-James  y  joint  son  astucieuse  in- 
fluence ,  et  l'on  voit  tout  à  coup  de  grands  préparatifs  se  former 
dans  les  ports  de  l'Espagne  comme  au  pied  des  Pyrénées. 

»  L'envoyé  de  Fiance  exige,  si  l'on  veut  renouer  les  négocia- 
tions, que  les  corps  de  troupes  qui  n'étaient  pas  encore  rendus  à 
leur  destination  s'arrêtent.  Cette  promesse  est  faite,  mais  éludée 
par  plusieurs  de  ces  corps  militaires.  L'envoyé  se  plaint  de  cette 
inexécution  avec  cette  fermeté  qui  convient  au  représentant  de 
la  République.  De  nouveaux  ordres  sont  donnés ,  mais  leur  tar- 
dive arrivée  n'a  pu  arrêter  l'embarquement  des  milices  provin- 
ciales destinées  pour  la  Catalogne. 

ï  Est-ce  négligence  ou  lenteur?  est-ce  probité  diplomatique  ? 
Le  dénouement  va  le  prouver. 

»  Notre  envoyé  se  plaint  de  tous  ces  armemens  et  de  l'activité 
donnée  à  tous  les  ports  ;  il  s'en  plaint  comme  de  moyens  pré- 
curseurs de  la  guerre ,  et  non  pas  cautions  de  lu  neutralité  tant 
vantée.  Le  cabinet  de  Madrid  répond  sans  cesse  que  ce  n'est  là 
qu'un  état  de  défense  et  de  sûreté  pour  son  territoire;  il  va 
même  jusqu'à  annoncer  que  c'est  à  cause  des  défiances  qu'il  a 
des  préparatifs  maritimes  de  l'Angleterre  qu'il  fait  à  son  tour 
armer  dans  ses  ports. 

»  Ce  n'était  là  qu'un  jeu  de  la  politique,  et  ce  fut  alors  qu'on 
vit  un  jeune  ministre,  qu'on  ne  croyait  pas  encore  façonné  à  la 
honteuse  dissimulation  des  cabinets,  le  disputer  eu  machiavé- 
lisme au  cabinet  de  l'Angleterre,  se  jouer  de  ce  qu'il  y  a  de  plus 
sacré,  promettre  de  s'engager  même,  au  nom  de  son  maître',  à 
la  neutralité ,  au  désarmement  et  à  l'envoi  de  commissaires,  faus- 
ser ensuite  sa  parole  et  se  déshonorer  par  de  vains  subterfuges. 
Il  faut  citer  ici  un  exemple  de  cette  infâme  politique.  Deux  no- 
tes officielles  sont  notifiées  au  ministre  espagnol  ;  ie  conseil  exé- 
cutif y  demandait  énergiquement  lu  retraite  des  troupes  et  la 
neutralité.  Le  ministre  parait  d'abord  y  accéder  ;  il  se  plaint  seu- 
lement de  ce  que  les  notes  ne  sont  pus  signées ,  et  il  semble  ne 
faire  dépendre  son  accession  que  de  la  signature  :  la  correspon- 
dance officielle  qui  les  accompagnait  en  garantissait  bien  Tau- 


MARS  (  i7!)5  ).  471 

thenticité  ;  cependant ,  l'envoyé  français  veut  encore  détruire  ce 
mauvais  prétexte  :  les  notes  reviennent  sif^nées  du  conseil  exé- 
cutif, et  la  mauvaise  foi  diplomatique  cherche  de  nouveaux  sub- 
terfuges. Ici  se  présente  une  scène  qu'il  est  utile  aux  nations 
d'entendre,  afin  qu'elles  jugent  une  lois  leurs  gouvernemens ,  et 
que  l'Espagne  s'éclaire  enfin  sur  ses  chefs. 

»  Le  ministre  espagnol  se  récrie  d'abord  sur  l'affectation  du 
conseil  exécutif  à  parler  de  la  nation  espagnole  dans  les  deux  no- 
tes officielles  comme  si  l'Espagne  ,  ajoute-t-il ,  avait  adopté  vos 
principes.  «  Cette  expression  de  nai ion  est  incompatible  avec  la 
souveraineté  du  roi  d'Espagne,  j  Tel  est  donc  l'état  d'avilisse- 
njent  et  d'humiliation  où  un  des  plus  grands  peuples  de  l'Europe 
se  trouve  réduit  par  les  rois ,  puisqu'ils  ne  lui  permettent  pas 
même  de  soupçonner  son  existence  !  «Le  gouveruemeot  français, 
répond  l'ambassadeur,  ne  pouvait  qu'employer  un  langage  con- 
forme à  ses  principes.  —  Il  est  étrange,  continue  le  ministre 
espagnol,  que  les  notes  officielles  partent  de  la  république 
française,  comme  si  déjà  elle  avait  été  reconnue  par  la  cour 
d'Espagne,  au  lieu  de  se  borner  à  l'expression  du  gouverne- 
ment français.  — Cette  expression,  reprend  notre  envoyé,  com- 
prend implicitement  celle  de  la  république  française,  puisque 
notre  gouvernement  actuel  est  républicain ,  et  que  le  conseil  exé- 
cutif, qui  est  son  organe  ,  ne  peut  se  dispenser  de  parier  au  nom 
du  gouvernement  dont  il  tient  ses  pouvoirs.  »  Il  aurait  pu  leur 
rappeler  aussi  que  le  gouvernement  espagnol  fut  le  premier  à 
rcconnaiiie  la  république  anglaise,  et  à  envoyer  un  ambassa- 
deur auprès  de  Crom>vel. 

»  L'aiiibassadeur  de  France  insiste;  il  observe  que  la  republi- 
(jue  française  est  reconnue  par  le  roi  de  IVaples,  pac  un  autre 
Hourbon.  «  L'exemple  du  roideNaples,  émané  d'un  roi  d'un 
ordre  intérieur,  n^pond  le  jeune  ministre ,  ne  suffit  pas  à  un 
monarque  comme  celui  d'Espagne;  dès  que  vous  aurez  obtenu 
la  reconnaissance  de  quelque  puissance  du  premier  ordre ,  ifa 
majesté  catholique  ne  refusera  pas  la  sienne.  » 

j>  Le  voilà  donc  avéré  cet  orgueil  insolent  du  despotisme,  qui 


472  CONVENTION   NATIONALE. 

ne  reconnaît  pas  même  l'ëp^alité  entre  les  rois.  Les  mots  de  repu- 
bliques  blessent  leurs  oreilles  superbes ,  et  ils  prétendent  ne  les 
laisser  exister  que  quand  ils  les  auront  reconnues. 

T  Citoyens ,  si  les  rois  pouvaient  être  reconnus  par  des  hom- 
mes libres ,  ce  serait  à  nous  de  reconnaître  les  rois  ;  ce  serait  à 
la  république  française  à  sanctionner  ou  à  rejeter  leur  existence. 
j  La  république  française  n'est  pas  reconnue!  Ne  dirait -on 
pas  que  les  pays  gouvernés  par  les  rois  sont  leur  patrimoine, 
qu'ils  parlent  seuls  au  nom  des  peuples  et  décident  de  leur  des- 
tinée ?  Ne  dirait-on  pas  que  la  liberté  et  l'égalité  avaient  besoin 
d'être  reconnues  autrement  que  par  des  triomphes  et  par  l'assen- 
seniiment  de  tous  les  hommes?...  Mais  tel  est  le  vœu  insensé  de 
tous  les  rois  ;  tel  est  le  véritable  sens  des  diverses  objections  fai- 
tes par  le  gouvernement  espagnol  aux  diverses  propositions  de 
neutralité  sincère  et  de  désarmement  respectif. 

»  Si  le  roi  d'Espagne  ne  vous  a  pas  déclaré  plus  tôt  la  guerre , 
c'est  qu'il  a  des  troupes  moins  actives  que  ses  vengeances ,  et 
qu'il  est  forcé  à  une  lenteur  inséparable  des  armemens  mariti- 
mes. S'il  n'a  fait  que  répondre  à  votre  envoyé  qu'il  ne  s'occupait 
plus  de  ses  notes  officielles ,  c'est  qu'il  a  cherché  à  éviter  l'appa- 
rence d'une  agression  dès  long  -  temps  préparée  ;  c'est  qu'il  vou- 
drait pouvoir  vous  accuser  auprès  du  peuplé  espagnol  pour 
nationaliser  la  guerre,  s'il  le  pouvait,  comme  les  Pitt,  les 
Grenville  l'ont  pratiqué  à  Londres. 

»  Déjà  le  gouvernement  espagnol  a  associé  à  ses  projets  de 
vengeance  royale  tous  les  corps  ecclésiastiques;  les  prêtres  exci- 
tent publiquement  la  crédulité  du  peuple  à  renouveler  les  crimes 
des  Vêpres  Siciliennes.  Les  inquisiteurs  vont  se  transformer  en 
militaires,  et  les  couvents  offrent  de  faire  marcher  des  milliers  de 
moines  pour  cette  croisade  impie  contre  la  liberté  ;  déjà  le  fana- 
tisme religieux  prépare  ses  largesses  ,  ses  prières  et  cette  popu- 
lation monacale  aussi  lâche  qu'inutile;  il  va  renouveler  aux  yeux 
de  l'Europe  le  ridicule  exemple  de  cette  guerre  de  moines  que 
virent  nos  ancêtres,  et  de  ces  processions  qu'ils  prenaient  pour 
des  armées.  C'est  ainsi  que  tout  se  prépare  pour  la  révolution 


MARS  (1795).  475 

monastique,  qu'f doit  être  le  premier  pas  vers  l'affranchissement 
de  l'Espagne.  Que  le  gouvernement  de  Madrid  s'éclaire  donc  sur 
les  peuples  qu'il  gouverne  avec  des  moyens  aussi  extraordinaires. 
Les  lumières  répandues  dans  plusieurs  classes  de  citoyens  y  ont 
déjà  étouffé  l'ignorance  et  une  foule  de  préjugés.  L' Aragon  se 
souvient  de  son  antique  liberté  ;  le  peuple ,  comprimé  dans  les  li- 
sières de  la  superstition  et  du  royalisme,  a  conservé  son  caractère 
primitif;  il  a  toujours  ce  même  penchant  démesuré  pour  tout  ce 
qui  tient  au  courage  et  à  l'élévation  de  l'ame.  Que  la  liberté  lui 
apparaisse ,  et  il  s'élancera  vers  elle  avec  cette  énergie  qui  lui 
est  si  naturelle.  Il  faut  à  la  nation  espagnole  de  grandes  entre- 
prises et  une  immense  perspective  de  gloire;  elle  la  verra  dans 
la  conquête  de  son  indépendance  et  de  ses  droits,  comme  ses  rois 
l'ont  vue  dans  la  conquête  des  trésors  du  Mexique.  L'habitude 
qu'elle  a  de  ne  plus  relever  que  du  trône  depuis  l'iibaissement 
des  grands  sera  bientôt  remplacée  par  la  conquête  de  la  liberté. 
Qu'il  tremble  ce  gouvernement  astucieux  et  versatile ,  qui  a 
trompé  les  alliés  de  l'Espagne  par  de  fausses  espérances  de  neu- 
tralité, et  qu'il  apprenne  des  Français  libres  que  c'est  du  sein  de 
l'Andalousie  que  viennent  de  sortir  récemment  les  expressions 
énergiques  du  mécontentement  espagnol ,  précurseur  des  révo- 
lutions :  «  Quand  ce  seraient  les  Maures  qui  nous  gouverne- 
raient une  autre  fois ,  nous  ne  pourrions  pas  être  plus  malheu- 
reux qu'avec  cette  maison  de  Bourbon.  » 

»  Citoyens ,  que  la  guerre  soit  donc  déclarée  à  l'Espagne.  Si 
l'agent  de  la  république  française  n'a  pas  clé  outrageusement 
chassé  de  son  territoire ,  comme  un  autre  l'a  été  de  l'île  anglaise , 
n'oublions  pas  qu'on  a  refusé  hautement  de  l'entendre  et  de  ré- 
pondre aux  note^  officielles.  Le  ministère  de  la  raison  rendu 
inutile  nécessite  celui  des  armes  ;  elles  seront  victorieuses  le 
long  de  l'Èbre  et  du  3Iançanarès ,  comme  elles  le  sont  sur  les 
bords  de  la  Meuse  et  du  Ilhiii. 

>  Si  nous  avions  eu  l'armée  que  vous  avez  décrétée  contre 
l'Espagne,  si  ceux  qui  étaient  chargés  de  l'organiser  et  de  l'ap- 
provisionner n'avaient  fait  tout  ce  qu'il  fallait  pour  l'anéantir  des 


474  CONVENTION   NATIONALE. 

son  origine ,  si  nous  n'avions  pas  donné  au  gouvernement  es- 
pagnol une  confiance  trop  longue  dont  ii  n'était  pas  digne,  nous 
aurions  eu  le  long  des  Pyrénées  une  force  disponible  qui  aurait 
assuré  la  neutralité  de  la  cour  de  Madrid ,  arrêté  l'Angleterre 
dans  ses  projets  hostiles,  et  défendu  à  l'Espagne  de  se  constituer 
en  puissance  navale  ,  car  l'Angleterre  n'a  eu  l'audace  de  l'agres- 
sion qu'en  s'appuyant  sur  les  galions  de  l'Espagne  et  les  flo- 
rins de  la  Hollande.  Il  est  donc  indispensable  que  vous  ordon- 
niez sur-le-champ  que  le  conseil  exécutif  fasse  passer  dans  les 
Pyrénées  le  matériel  nécessaire  à  une  armée  qui  nous  donne 
tous  les  moyens  d'agression;  il  faut  que  les  Bourbons  disparais- 
sent d'un  trône  qu'ils  ont  usurpé  avec  lea  bras  et  les  trésors  de 
nos  pères,  et  que  le  plus  beau  climat,  le  peuple  le  plus  magna- 
nime de  l'Europe  reçoive  la  liberté ,  qui  semble  faite  pour  lui. 

»  Et  vous ,  citoyens  libres  de  la  France  méridionale ,  que  vos 
alarmes  cessent,  que  votre  courage  se  relève  :  l'armée  des  Py- 
rénées s'organise  sur  un  pied  formidable.  Uniss?z-vous  à  nos  lé- 
gions patriotiques;  vous  apprendrez  au  gouvernement  espagnol 
que  la  république  française  n'est  pas  un  ennemi  à  dédaigner,  et 
qu'elle  ira  porter  dans  son  sein  tous  les  germes  de  la  liberté ,  de 
l'égalité  et  de  la  tolérance,  qu'ils  n'ont  jamais  connues.  Le  des- 
potisme vous  insulte  et  vous  menace  ;  mais  le  despotisme  est 
vieux  en  Europe,  et  il  fut  lâche  dans  toutes  les  contrées.  Le 
souverain  de  l'Espagne  sommeille ,  allez  le  réveiller,  et  aussitôt 
le  fanatisme  qui  soutient  les  prêtres  et  les  rois  sera  détruit  ;  le 
colosse  du  gouvernement  espagnol  sera  abattu,  et  de  nouvel- 
les sources  d'industrie  et  de  commerce  vous  dédommageront  des 
sacrifices  que  vous  aurez  faits  à  la  liberté. 

»  Le  rsord  est  défendu  par  des  armées  victorieuses  contre  les 
tyrans  de  Vienne  et  de  Berlin.  Que  vos  braves  légions  nous  dé- 
fendent des  fanatiques  et  des  esclaves  d'Aranjuez.  Descendez 
de  ces  rochers  qui ,  produisant  du  fer  et  des  soldats,  furent  tou- 
jours les  boulevarts  de  la  liberté  du  genre  humain.  La  gloire 
vous  attend  au-delà  des  monts  ;  allez  faire  trembler  à  Madrid  le 
despote  coalisé  avec  les  8nn«'mis  de  la  République  ;  les  Pyrenéeij 


MARS  (171)5).  475 

ne  peuvent  être  une  barrière  que  contre  des  esclaves  ou  des 
moines. 

»  En  allant  venger  vos  frères,  rappelez-vous  que,  lorsqu'un 
des  despotes  de  la  France  eut  placé  un  de  ses  peliis-Iils  sur  le 
trône  espagnol,  il  s'écria  dans  son  orgueil  ;  //  n'y  a  plus  de  Py- 
rénées. Portons  la  liberté  et  l'égalité  en  Espugne  par  nos  vic- 
toires, et  nous  dirons  alors  avec  plus  de  vérité  ,  il  n'y  a  plus  de 
Pyrénées  j  et  nous  le  dirons  pour  le  bonheur  du  monde.  » 

L'-^  comité  propose  de  déclarer  la  guerre  à  l'Espagne,  et  la 
Convention  !a  décrète  à  l'unanimité. 

Real  fait  rendre  un  décret  sur  les  pensions  et  traitemens  de 
la  ci-devant  liste  civile.  —  Décret  qui  déclare  incompatibles  les 
fonctions  de  notaire  avec  celles  d'avoué,  greffier  et  receveur. 
—  Un  autre  décret  abolit  la  faculté  de  tester ,  et  porte  que  tous 
descendans  auront  une  portion  égale  dans  les  biens  des  ascen- 
dans.  —  A  la  séance  du  soir ,  Gensonné  fut  élu  président  ;  Isnard, 
Guylon-Morveau  et  Grangeneuve  furent  élus  secrétaires. 


FIN  DU    VINGT-QUATRIÈME   VOLUME. 


ERBATÀ  du  XXIJl'  ro/umc— Pages  419-420,  sapprimez  depuis  séa>ce  du 
29  JAifviER  jusqa'à  séance  du  30  janvier. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DU  VINGT-QUATRIÈME  VOLUME. 


PRÉFACE.  Considérations  sur  l'éducation  et  sur  la  codification  pénale  et 
rémunérative.  . 

HISTOIRE  PARLEMENTAIRE.  -DoCUrneuS  ^^'^^f  ^^^X^'/r! 

■lanvierms,  -Notice  sur  Michel  Lepelletier ,  p.  <   -Procès  >er 
bad  l'assassinat  de  Lepelletier,  p.  2.  -  Description  de  ses  fune- 
railles  p. 7.  -  projet  de  code  pénal,  p.  A\.  -  Des  peine^  en 
général! p.  ^^.  -De  la  peinedu  cachot,  ,U.  -1>«^^  P-«  ^^^^ 
eéne   p  ^5. -De  la  prison,  p.  U. -De  l'exposition,  p.  15. -De 

fa  dégradation  civique,  p.  46.  -  Des  effets  des  condamnations ,  p.  T. 
_  De  l'influence  de  l'âge  sur  la  nature  et  la  durée  des  peuies ,  p.  48. 
-De  la  récidive,  p.  20.  -  Des  contumaces,  p.  20.  -  De  la  réhabi- 
litation des  condamnés .  p.  24 .  -  Des  crimes  et  de  leurs  punitions , 
D  23  —  Des  crimes  contre  la  chose  publique ,  p.  23.  —  Crime  con- 
gela sûreté  de  l'état,  p.  23.  -  Crimes  contre  la  Constitution 
D  25  -  Crimes  des  fonctionnaires  publics,  p.  52.  -  Crimes  contre 
îi  propriété  publique,p.35.-Crimesetdélitsco^reles^rs^^^^^^^^ 

p  36.  -  Crunes  et  délits  contre  les  propriétés ,  p.  42.  -  Des  compu 

ces  ,p.  51.  -PLAN  D'ÉDUCATION  NATIONALE,  p.  55-   -  DehnitlOU 

de  îéducation  et  de  l'instruction,  p.  55.  -  I>f  "^;«V2  -ntra- 
tion ,  p.  5T.  -  Objet  de  l'éducation ,  p.  63.  -  Budget  et  acUn.nistra- 
tion  des  écoles ,  p.  75.  —  Projet  de  décret ,  p.  85. 
FÉVRIER  4795.  introduction,  p.  94.  -  Article  de  Fauchet  ^ur^a  situa- 
tion à  cette  époque ,  p.  96.  -  Division  de  la  njatière  du  mois ,  p.  400, 


478 


TABLE   DES   MATIÈRES. 


—  CONVENTION  NATIONALE ,  partie  Organique,  p.  402.  —  Analyse 
du  rapport  de  Condorcet  sur  le  projet  de  constitution,  p.  402.  -- 
Projet  de  constitution,  p.  406.  —  Rapport  sur  l'organisation  de  l'ar- 
mée par  Dubois-Crancé ,  p.  154.  —  Loi  sur  l'organisation  de  l'ar- 
mée ,  p.  470.  —  Loi  qui  constitue  les  gardes  nationales  en  état  de 
réquisition  permanente,  p.  48t.  —  Levée  de  trois  cent  mille  hom- 
mes, p.  484 .  —  Décret  pour  l'organisation  du  ministère  de  la  guerre, 
p.  490.  —  Organisation  du  ministère  de  la  marine ,  p.  4  92.  —  Histoire 
de  la  rupture  delà  France  avec  l'Angleterre,  p.  494.  —  Brissot  pro- 
pose la  déclaration  de  guerre ,  p.  200.  —  Rapport  sur  la  situation 
des  finances,  p.  207.  —  Céation  de  huit  cent  millions  d'assignats, 
p. 224.  —  Evaluation  du  montant  des  biens  nationaux  non  vendus, 
p.  223.  —  Nomination  des  commissaires  de  la  Convention  auprès  des 
armées  ,  p.  227.  —  Séance  du  3  février,  p.  228.  —  Réclamation  de 
Marat  contre  l'un  des  commissaires  proposés,  p.  228.  —  Une  députa- 
tion  se  présente  au  nom  des  fédérés  ou  défenseurs  des  quatre-vingt- 
quatre  départemens.  Ils  font  le  panégyrique  dePache,  et  demandent 
que  l'assemblée   déclare  qu'il  conserve  l'estime  de  la  Convention 
{phrases  omises),  p.  228.  —  Beurnonville  est  nommé  ministre  de 
la  guerre,  p.  230.  —  Empreinte  nouvelle  des  monnaies,  p.  234.  — 
Tallien  annonce  que  l'assassin  de  Lepelletier  s'est  suicidé  ,  p.  234 .  — 
Note  qui  prouve  cependant  que  Paris  vivait  enrore  sous  l'empire , 
p.  232.  —  Formation  du  muséum  national ,  p.  232.  —  Discussion  sur 
le  général  Dillon,  p.  237.  —  Réflexions  de  la  presse  sur  cette  séance  ; 
dénonciation  de  Desmoulins  et  de  Chabot ,  p.  259.  —  Réponse  de 
Desmoulins,  p.   240.  —  Rapport  sur  les  subsistances  de  Paris, 
p.  242.  —  Taxe  progressive  sur  les  riches  à  Paris ,  p.  244.  —  Adresse 
de  Roussillon,  au  nom  des  défenseurs  de  la  République ,  demandant 
le  rapport  contre  les  septembriseurs,  p.  247.  —  Discussion  à  la  suite, 
p.  249.  —  La  Convention  suspend  l'effet  du  décret,  p.  260.  —  Dé- 
putation  qui  demande  la  reddition  des  comptes  du  comité  de  surveil- 
lance, p.  261.  —  Réponse  de  Panis,  p.  264.  —  La  section  du  Fi- 
nistère offre  à  la  nation  les  propriétés  foncières  des  citoyens  qui  la 
composent,  p.  262.  —  Séance  du  42;  députation  des  sections  de  Paris 
à  l'occasion  des  subsistances,  p.  263.  —  IMot  d'un  membre  de  cette 
députation  ,  p.  256.  —  Discussion  orageuse  à  la  suite ,  p.  236.  —  Les 
pétitionnaires  sont  renvoyés  devant  le  comité  de  sûreté  générale , 
p.  277.  — Éclaircissemens  donnés  par  la  presse  sur  celte  séance, 
p.  278.  —  Adresse  de  ladéputation  de  Paris  à  ses  commeltans ,  faite  à 
cette  occasion,  p.  283.  —  Suite  de  la  séance  (/u  42;  rapport  de 
Duhem  pour  la  mise  en  liberté  d'un  commissaire  du  comité  de  sur- 
veillance de  septembre;  lecture  des  pouvoirs  de  ce  commissaire, 
p.  291  ,  293.  —  Arrestation  du  général  Anselme  comme  concussion- 
naire ,  p.  299.  —  Pache  élu  maire  de  Paris ,  p.  500.  —  Réclamation 
de  Brissot  sur  une  dénonciation  faite  contre  lui ,  p.  501.  —  Discus- 
sion à  l'occasion  d'un  passage  du  projet  de  constitution ,  p.  304.  — 


TABLE    DES    MATIÈRES.  471) 

Dénonciation  de  Fauchet,  évêque  de  Calvados ,  p,  340.  —  Motifs  de 
cette  dénonciation,  p.  5H.  —  Prière  pour  la  nation  française,  par 
Fauchet,  p.  312.  —  Article  sur  la  liberté  du  culle  catholique, 
p.  312.  —  Lettre  de  Durand  Maillane  sur  le  même  sujet ,  p.  315.  — 
Adresse  au  peuple  par  !a  Convention,  p.  323.  —  Discussion  sur  les 
troubles  de  Paris,  p.  328.  —  Députalion  de  blanchisseuses  à  la  barre, 
p.  332.  —  Journée  du  23  février ,  p.  333.  —  Séance  de  la  Commune 
de  Paris ,  p.  558.  —  Séance  des  Jacobins,  p.  3^3.  —  convention. — 
Proposition  et  décrets,  contre  les  émigrés,  p.  348.  —  Discussions  re- 
latives à  la  journée  du  25  février,  p.  353,  334.  —  Dénonciation  con- 
tre iVIarat ,  p.  535.  —  Après  une  discussion  orageuse ,  décret  contre 
Marat,  p.  372.  —  Loi  sur  les  passeports,  p.  373.  —  État  des  dépar- 
temens,  p.  374.  —  Effet  de  la  mort  de  Louis  XVI ,  p.  374.  —  Rap- 
port sur  la  reddition  de  Verdun,  p.  375.  —  Mouvement  girondin  à 
Toulon,  p.  577.  —  Troubles  de  Lyon ,  p.  383.  —  Notice  sur  un  ou- 
vrage dont  il  n'existe  plus  que  trois  ou  quatre  exemplaires ,  intitulé  : 
Histoire  de  la  révolution  de  Lyon,  sur  le  journal  de  Lyon,  etc., 
p.  386,  389.  —  Séance  de  la  commune  de  Lyon,  p.  390.  —  Visites 
domiciliaires  à  Lyon,  p.  391 .  —  Discussion  pour  l'élection  du  maire, 
p.  595,  594.  —  Rapport  sur  ces  troubles  par  Tallien,  p.  590.  — 
Commencement  d'insurrection  à  Lyon ,  p.  402.  —  Décret  de  la  Con- 
vention ,  p.  403.  —  Club  des  Jacobins  de  Paris ,  p.  404.  —  Bulletin 
municipal,  p.  4H.  —  Situation  des  armées ,  p.  414. 
MARS  1793.  —  Coup d'œil  sur  les  événemens  du  mois,  p .  419,  42C.  — 
Décret  qui  ordonne  aux  députés  journalistes  d'opter  entre  leurs  fonc- 
tions législatives  et  celle  de  journalistes ,  p.  424.  —  Campagne  de 
Belgique,  p.  426.  —  Bataille  de  Neer-Winden,  p.  455.  —  Rapport 
de  Miranda  sur  cette  bataille ,  p.  435.  —  Evacuation  des  Pays-Bas , 
p.  437.  —  Intelligences  de  Dumouriez  avec  l'ennemi ,  p.  437.  — 
Il  fait  arrêter  et  livrer  à  l'ennemi  les  commissaires  de  la  Conven- 
tion, p.  439. —Notice  sur  les  intrigues  de  Dumourier,  p.  440. 
—  Mouvement  révolutionnaire  de  l'intérieur,  p.  441 .  —  Adresse  des 
Jacobins  au  peuple ,  p.  442.  —  Critique  girondine  de  celte  adresse , 
p.  449.  —  Convention,  nouvelles  fâcheuses  de  Belgicjue,  p.  430.  — 
Choudieu  propose  de  décréter  le  départ  des  fédérés  réunis  à  Paris, 
p.  431 .  —  Les  Girondins  s'y  opposent ,  p.  451 .  —  Vive  discussion 
sur  ce  sujet ,  p.  452 ,  462.  —  Ce  départ  est  décrété ,  p.  465,  —  Dé- 
claration de  guerre  à  l'Espagne ,  p.  474. 


y  0,^  s 


Vi:.^^ 


^V;'V^ 


5?^. 


'i.:_^^ 


S>r^'-i 


^^     -^, 


"^^î 


X.-,.,—  ."' 


v-rK^,>- 


i-,.,-'-» 


^H^::^ 


:^^^;; 


'J.^'r       ' 


03 


c? 


H    cj 

fcO    c 


P> 


ce 

cf 

c: 

ci     . 
u  ^ 

^    CM 

S   '-^ 
O    O 


S 


Tli 


.^ 

H    -^ 

o 

^H 

-p 

^H 

ta 

^1        CQ 

•H 

^^ 

05 

^H 

^H 

<u 

H 

H 

Uniyersity  of  Toronto 
Library 


DO  NOT 

REMOVE 

THE 

CARD 

FROM 

THIS 

POCKET 


Acme  Library  Gard  Pocket 

Lnder  Pat.    -Kel.  inUe:.  f  Ue" 

Made  by  LIBRARY  BUREAU 


.•^'--  ''^'r-?^: 


'■^%^^^ 


;•    .t.*^> 


.'-80^' 


,r-  fe<^ 


L^®^; 


^.:'^-M^ 


V'"'  j/''''.^ 


"Br^ 


'v^-i-,