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University of Ottawa
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HISTOIRE PARLEMENTAIRE
DE LA
REVOLUTION FRANÇAISE,
OD
JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES,
DEPUIS 1789 jusqu'en 1815.
PAHJS. — lmi>rimcrie d'AuoLFUE EVEKAT etC*.
rue du GadraD , 16.
. HISTOIRE PARLEMEINTAIRE
DE LA
RÉVOLUTIO
j
FRANÇAISE
ou
JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES
DEPUIS 1789 jusqu'en 1815,
COKIBNAMT
La Narration des événeineas ; les Débats des Assemblées ; les discussions des
principales Sociétés populaires , et particulièrement de la Société des Jaco-
bins: les Procès-Verbaux de la Commune de Paris, les Séances du Tribunal
révolutionnaire; le Compte-Rendu des principaux procès politiques ; le Détail
des budgets annuels ; le Tableau du mouvement moral, extrait des journaui
de chaque époque , etc.; précédée d'une Introduction sur l'histoire de France
jusqu'à la convocation des États-Généraux;
PAR P.-J.-B. BUCHEZ ET P.-G. ROUX.
TOME TRENTE-SEPTIÈME.
PARIS.
PAULm, LIBRAIRE,
RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN, N® o3.
M.DCGC. XXXVIIL
■>V'^'
HISTOIRE PARLEMENTAIRE
DE LA
RÉVOLUTION
FRANÇAISE.
Convention nationale. — Réaction thermidorienne,
journées de vendémiaire.
Tant que les réacteurs se bornèrent à assassiner et à emprison-
ner les révolutionnaires, la Convention ferma les yeux. Dans les
derniers jours de juin , les nouvelles du Midi furent cependant si
alarmantes , les compagnies franches avaient commis tant de bri-
gandages , et le nombre des émigrés dont on signalait l'entrée
était tellement considérable , que le comité de sûreté générale
jugea devoir se relâcher de sa rigueur envers les Jacobins de Pa-
ris. Il prit un arrêté en vertu duquel les comités civils étaient
chargés de prononcer sur l'arrestation et sur le désarmement dé-
finitifs des suspects de terrorisme. On avait évité de donner de
la publicité à cette mesure. Lorsqu'elle fut connue , les sections
royalistes en témoignèrent un vif mécontentement. Celle de Bru-
tus et celle de Lepelletier accoururent à la barre de la Conven-
tion (séance du 29 juin — 11 messidor). L'orateur de la section
Lepelletier prononça un discours dont voici les principaux pas-
sages : Œ Ne parle-t-on, dit l'orateur, des tcnfativrs du ruya-
lismc,que pour nous faire oublier les crimes du terrorisme?
T. XXXVII. i
2 CONVENTION NATIONALE.
Quelle est donc cette inconcevable politique? On poursuit les bri-
gands qui massacrent au Jiom de Jésus, et on protège , on met eu
liberté ceux qui ont massacre au nom de Robespierre. Nous de-
mandons aux défenseurs de ces monstres qui en a ordonné le dé-
sarmement: la Convention tout entière; qui l'a fait exécuter? ce
sont ces mêmes hommes qui, dans les journées de prairial, n'ont
pas quitté les armes , qui ont partagé vos dangers, et qui étaient
déteriïiinés à périr avec vous. Ainsi c'est la Convention elle-
même, ce sont tous ses défenseurs qu'on voudrait transformer
aujourd'hui en ennemis de la liberté et de la République. Ce n'est
pas tout : à qui défère-t-on le droit déjuger les motifs pour ren-
dre les armes et mettre en liberté? C'est aux comités civils. On
demande des pièces , des signatures ; on veut élever des procès
en règle, et on compte aujourd'hui pour rien la voix publique,
qui était comptée pour tout lorsque le décret du 1^^ prairial fut
rendu. On soumet à quelques individus les jugemens rendus par
des assemblées très-nombreuses; enfin, sous le manteau de l'hu-
manité , on couvre les mesures les plus atroces et les plus hber-
ticides : car, il faut le dire , il eût mieux valu ne jamais sévir con-
tre les scélérats, que de leur rendre aujourd'hui les poignards qui
leur ont été arrachés. Cette funeste indulgence sera là source do
nouveaux désastres; elle va ranimer toutes les haines, fournir
des prétextes à toutes les vengeances particulières. iNous vous
en conjurons au nom de la patrie, que votre justice écarte ces
funestes augures. »
La Convention applaudit ù cette adresse ; elle en décréta la
mention hcnoraMe et l'insertion au bulletin. Après avoir ainsi
désavoué soq comité de sûreté générale , l'assemblée coniinuade
garder un profond silence sur les excès de la réaction. Les comi-
tés ^e gouvernement se conformèrent à cette politique. Bien loin
de comuiuniquor à la tribune les lettres qui leur apportaient cha-
que jour quelque confirniaiion de l'étal de plus en plus déplora-
ble des provinces méridionales , ils nh veuaient y lire que celles
où les massacres étaient niés. Le i." juillet (25 messidor), Ché-
nier, au nom des comités de salut public et de sûreté générale ,
RÉACTION THERMIDORIENNE. 5
déclara qu'il avait été fait des rapports faux contre la commune
d'Arles, et qu'il n'y avait été commis aucun meurtre.
Le 24 juillet (6 thermidor), la Convention avait décrété en
principe , sur la proposition de Gourdan , qu'il serait créé une
commission prise dans son sein , chargée d'examiner les arresta-
tions pour faits révolutionnaires. Les circocstances avaient empiré.
La tentative des émigrés à Quiberon , et les intrigues, maintenant
presque publiques , des royalistes dans * les sections de Paris ,
commençaient à rendre l'assemblée plus attentive. Il fallut néan-
moins un vif débat pour que la proposition de Gourdan fût adop-
tée. Les réacteurs de la capitale accueillirent fort mal ce décret.
Le 29 juillet (il thermidor), une députation de la section du
Mont-Blanc vint demander justice des satellites du farouche Ro-
bespi^re : «. Leur impunité , dit-elle , lasse notre patience , et
perpétue leur espoir coupable de dominer encore. Le royalisme
est un mot dont les terroristes abusent pour décourager tous les
républicains qui vous ont défendus le 12 germinal , le i^r prai-
rial, et quivousdéfendront jusqu'à la mort. Hâtez-vous d'ache-
ver l'épuration tant promise, et chassez de votre seia tout ce qui
peut y rester d'impur. » — Bailleul parla dans le sens des péti-
tionnaires : il reprocha à la Convention d'avoir rendu un décret
coupable, celui de la nomination de douze membres pour juger
les détenus. « Cette commission , dit-il , fait déverser sur vous
tout i'odieux des crimes commis. Ce décret est l'impunité des
coupables. Je demande , non qu'il soit rapporté sur-le-champ ,
mais que les comités l'examinent de nouveau , et que le rapport
sur les députés dénoncés soit ajourné au plus tard à quinlidi. »
Un membre demanda si l'on voulait mettre la Convention en
coupe réglée. Dabois-Crancé trouva la motion de Bailleul im-
prudente et propre à ramener le trouble. « Sans doute , dit-il ,
s'il est parmi nous des coupables , ils seront frappés. Nous vou-
lons tous la justice; mais pourquoi ne poursuit-on pas avec la
même ardeur les aristocrates, les conspirateurs qui se promènent
audacieusement dans les- rues avec des câdeneties retroussées ,
ou d'autres signbs qui pourraient leur servir au besoin? > Du-
4 CONVKNTlOn «ATIONALE.
bois termina par demander le mainiiea du décret. La moiion d(»
Bailieul fut rejetëe par la question préalable. Legendre demanda
que le comité de législation rendit compte de ce qui l'avait em-
pêché de faire son rapport : « H ne faut pas , s'écria-t-il , que ce
comité soit une nouvelle baie de Quiberon, où les ennemis de la
lîépublique avaient débarqué des dénonciations contre nous »
(applaudissemens). Delecloy annonça que plusieurs députés, ac-
cusés de dilapidations, avaient prouvé , par quittances, leur pro-
bité et la fausseté de leurs dénonciateurs : il ajouta que le travail
du comité avançait, et qu'il ferait son rapport aussitôt qu'il serait
prêt.
L'exemple de la section du Mont-Blanc fut suivi. Le 31 juil-
let (ir> thermidor), celle de l'Observatoire présenta les mêmes
réclamations. Elle dit qu'elle avait vu un abus de pouvoir, et
« par conséquent le despotisme », dans le décret par lequel de-
vait être créée une commission pour prononcer sur les détenus.
Elle demanda qu'ils fussent traduits devant la commission m'h-
taire. Cette pétition ayant été interrompue par de vives rumeurs,
Bion s'écria : t Que si^inifient ces murmures? Les honmies du
51 mai pi étendent-ils encore dominer ici?... (On applaudii). Je
deiuande que la parole soit maintenue aux pétitionnaires. » —
1^'orateur de la section de l'Observaioire put achever son dis-
cours. Lareveillère-Lépeaux , qui présidait l'assemblée, fii une
réponse insignifiante et leva la séance. Alors plusieurs membres ,
parmi lesquels , dit le MonUeur, se firent remarcjuer Prcssavin et
Dnbois-Grancé , s'approchèrent des pétitionnaires et leur adres-
sèrent la parole.
Dubois 'Crancé.t Puisque vous avez applaudi quan 1 la Conven-
tion , après le 9 thermidor, a mis en liberté tous ceux qui éiaieni
dans les prisons, vous ne devez pas vous plaindre de ct- qu'elle
veut aujourd'hui statuer sur le sonde ceux (|ui y sont. Peut-on
din» (jue l'horizon s'obscurcit quand la paix est faite avec l'Es-
pagne? vous êtes duf)cs descontre-iévulutionnaires. Si vous vou-
lez (jue les tribunaux prononcent sur ce que vous appelez les ter-
rorist' s , envoyiv 'hwr -n <'< *]«v;inî eux les rovalislcs, les cm'-
RÉACTION THERMlDORIi^lNNE. 5
fre-1'évulutionnaires qui ont été mis en liberté. Voulez-vous avoir
la guerre dans l'intérieur quand nous avons la paix au-dehors? »
Un des pétitionnaires. « Nous ne voulons plus être assassinés ;
nous avons eu une trop forte leçon : au 9 thermidor, la majorité
des détenus était composée d'hommes de bien auxquels on n'a-
vait aucun reproche à faire; maintenant la presque totalité est
composée de gens qui ont assassiné, pillé, volé; nous deman-
dons, et nous demanderons toujours que la Convention soit
juste. » ' -
Dubois-Crancé, avec l'accent de la colère. « Est-ce que nous
sommes injustes, nous, f.... ? Revenez-y, je vous parlerai, moi,
nous vous dénoncerons à tous nos commettans. »
Le pétitionnaire veut répondre. Dubois-Crancé l'interrompt :
« Allez vous faire f..., f.... brigands que vous êtes. » — Un mou-
vement d'indignation éclate dans la barre , occupée par les péti-
tionnaires et par les chefs de la garde nationale. Plusieurs per-
sonnes adressent avec véhémence la parole à Dubois-Crancé qui
s'éloigne. {Moniteur.) — La séance fut levée au milieu d'un
épouvantable tumulte.
Le 3 août ( 16 thermidor ) , Delaunay fit décréter au nom du
comité de sûreté générale la siPppression de la commission mi-
litaire , établie par la loi du 25 mai (4 prairial). — Les hommes
de la Convention qui avaient pris une part quelconque aux grands
événemens de la révolution , se voyant sérieusement menacés, se
rapprochaient pour se défendre. Ils sentaient bien que le dernier
mot de la réaction serait . inévitablement la proscription de tous
Cf'ux qui avaient voté la mort de Louis XVL A la séance du 4 août
( 17 thermidor), Dubois-Crancé monta à la tribune pour faire
une motion d'ordre. Il entra habilement en matière, en rappe-
lant , pour se blâmer lui-même , la querelle qu'il avait eue avec
les pétitionnaires de l'Observatoire. II avoua avoir eu un moment
de vivacité déplacée ; et qu'il était prêt à en faire ses excuses au
ciloyen qui en avait été l'objet , s'il pouvait le rencontrer. Quant
au reproche qu'on lui avait fait d'avoir violé le droit de pétition ,
c'était sans aucun lx>ndement, puisque la séance était finie. L'o-
(i CONVENTION NATIONALE.
râleur fit ensuite un tableau de la situation de l'esprit public.
« Ne voyez-vous pas, dit-il, que les meneurs d'aujourd'hui ont
» le même système que ceux d'autrefois , celui d'une entière des-
» iruction de la représentaiion nationale? Lisez la Quotidienne
» du jour : à peine trouve-t-elle vingt députés dignes de son es-
» time. Il est donc bien démontré que ce n'est point aux actions
» que l'on déclare la guerre, mais aux opinions, mais au gou-
> vernement. Ne prenez pas le change sur le terrorisme que l'on
1 vous dit prêt à renaître : il est des hommes pour qui vous êtes
j) tous des terroristes , car tous vous avez déclaré le roi coupable
» de trahison , et voté la république. » Dubois termina par de-
mander, 1° que le comité de législation fût tenu de faire , dans
trois jours , un rapport définitif sur les représentans du peuple
inculpés; 2o que tous ceux qui étaient en arrestation fussent
examinés sur-le-champ par une commission de vingt et un mem-
bres. — On demanda , dans la partie gauche , l'impression du
discours; de violens murmures éclatèrent dans la partie droite.
— Lozeau ne pensa pas que la Convention dût intervenir dans
une rixe particulière. — Comte , des Hautes-Pyrénées, regarda
moins l'aft^ire dont il s'agissait comme une querelle entre deux
particuliers, que comme une injure provoquée contre un repré-
sentant du peuple, dans le dessein d'avilir, d'outrager la représen-
tation nationale : il demanda l'impression. — Dentzel distingua deux
parties dans le discours : la disculpation sur un fait que Dubois
prétendait avoir été rapporté dans les journaux avec infidélité ,
avec malveillance ; et des vues générales sur la situation de l'es-
prit public : il demanda l'impression de la première , et le renvoi
de la seconde au comité de législation. — André Dumont de-
manda à répondre « au discours vraiment extraordinaire » de
Dubois-Crancé. Les tribunes et la droite de l'assemblée éclatè-
rent en applaudissemens ; une vive agitation se manifesta à gau-
che. — Bailly : « Messieurs de la ci-devant Montagne, vous
» n'êtes pas encore les maîtres. » {Nnuy noriy jamais ^ s'écrie-
l-on. ) Bailleul repoussa, comme peu fondé, le reproche fait aux
pétitionnaires d'avoir voulu calomuier la Convention nationale ;
RÉACTION THERMIDORIENNE. 7
ce qu'ils avaient dit lui parut extrêmement juste. Il s'opposa à
l'impression. André Dumont vota pour l'impression de la pre-
mière partie. — Guyomard et Bentabole appuyèrent vivement
l'impression du tout. « il est bon, dit Guyomard, que la
» Convention se prononce sur les demandes éternelles en épu-
t ration , qui ne se termineront que lorsque la Convention sera
* dissoute ; car c'est à sa totalité qu'on en veut. > — « Il est es-
» senti el , dit Bentabole , d'éclairer, par une déclaration solen-
» nelle , la France aujourd'hui inondée de journaux qui perver-
» tissent l'esprit public. > L'impression de la première partie fut
décrétée à l'unanimité. Les membres de la gauche insistèrent
pour l'impression de la totalité. — Jard-Panvilliers : « Il estim-
1 possible que la Convention décrète l'impression d'un discours
> dans lequel on dit : (ja après .avoir proscrit cent membres
> au 51 maif on en proscrit cent autres.,. Les factieux de prai-
» rial , les agens de la tyrannie sont-ils donc d'innocens proscrits
> à rappeler parmi nous? > ( Vifs applaudissemens. ) — Legendre
ne savait comment une semblable discussion pouvait occuper la
Convention nationale : il voulait qu'on méprisât les journalistes ,
puisque la presse était libre , que les tribunaux étaient ouverts ,
et que l'on pouvait intenter une accusation contre le calomnia-
teur. « On imprime , ajouta-t-il , qu'il y a au plus vingt hommes
» purs dans cette assemblée ! Laissez le journaliste avancer cette
» assertion , faites de bonnes lois , marchez constamment dans
» le sentier de la justice , rendez le peuple heureux et tranquille ;
> et il foulera aux pieds le journal qui l'aura voulu tromper. Je
* demande Tordre du jour sur le tout. » Henri Larivière déclara
qu'il serait indigne de la Convention de se contenter d'un simple
ordre du jour : il s'étonna que l'on osât confondre, à la tribune,
les victimes innocentes du Si mai et les satellites de Robespierre,
c Si le discours de Dubois-Crancé était imprimé par votre ordre,
» s'écria l'orateur, la France, incertaine sur vos intentions , ver-
» rait des agitateurs nombreux essayer de faire confondre dans
» l'opinion publique les proscrits de 1795 et les factieux de
> germinal ; toutes les notions du juste et de l'injuste seraient
8 COIMVEWTION NATIONALE.
» bouleversées ; la barrière élevée entre le crime et la vert» se-
» rail renversée, et le régime de la terreur rétabli. > (Murmures
à gauche. — Applaudissemens réitérés adroite et aux tribunes.)
Larivière se résftma et demanda la question préalable qui l'ut
adoptée.
Le D août ( i^ ibermidor), la Convention reçut communication
d'une lettre de Tn ilhard , homme de loi à Beaujeu, qui dénon-
çait les compagnies fiarches de Rhône et Loire. Les soldats de
ces compagnies, n'osant pas encore porter la cocarde blanche,
avaient mis , pour en tenir lieu , une ganse blanche à leur cha-
peau. Treilhard disait aussi qu'il circulait dans Lyon une estampe
représentant Louis XVI, Marie- Antoinette , et leurs enfants.
Le 6 août ( 19 thermidor ) , Henri Larivière fit un rapport , au
nom des comités de salut public, de sûreté générale et de législa-
tion réunis, sur les moyens de juger les détenus. 11 déclara que
le décret antérieur, portant établissement d'une commission pour
le même objet , ne pouvait subsister, parce qu'il était « lyranni-
que; » parce que des législateurs ne doivent pas usurper le pou-
voir judiciaire, et que rien ne pourroit autoriser une mesuresi dé-
sastreuse; en conséquence, il en demanda l'abrogation, et proposa
un mode de jugement des détenus par les tribunaux. Une4rès-vive
discussion s'engagea. Louvet, qui s'était séparé des Girondins
depuis que la réaction avait pris un caractère décidément roya-
liste, parla avec beaucoup d'^ véhémence. « Rcprésentans , dit-il,
dussé-je être appelé terroriste par ceux qui me proscrivaient, il
y a un an , comme modéré, je dirai que nulle composition n'est
possible avec les émigrés; qu il n'y a pour eux que la mort....
( Applaudissemens. ) Je dirai que les agens de Robespierre ne
sont pas les S( uls ennemis que vous ayez à surveiller et à frapper.
Sans doute c était ni des hommes de sang , ceux qui, sous le rè-
gne de Robespierre, envoyaient l'innocence à Téchafaud ; mais
ne sont-ce pas des hommes de sang aussi, ces affreux chouans
qui, dans les déparlemens de i'Outst, ayant surpris quelques
défenseurs de la patrie, leur ont arraché les.yeux avec des tire-
bourres? (Mouvement d'horreur. ) Oui, j'en jure par la près-
REACTION THLRMIDORIE.NINE. î)
qu'unammiié de la Convention : jamais la terreur ne relèvera ses
écbafauds; ( Non, éen, s'ecrie-î-oî3 de toutes parts ); mais aussi
quelles que soient ses exécrables manœuvres , jamais le terro-
risme nouveau ne parviendra à nous rendre la honte et le fardeau
de la royauté. » ( Vifs applaudissemens. ) — Cette question ne
fut terminée qu'à la séance du 29 août ( 12 fructidor ). Les pro-
grès du royalisme, dans les sections de Paris, déterminèrent la
Convention à rendre un décret assez favorable aux détenus. Elle
se borna à ordonner leur traduction , sans délai, devant les ofii-
ciers de police de sûreté , et à leur laisser l'option entre le tribu-
nal du département où le jury d'accusation aurait tenu ses séances,
et les deux tribunaux criminels les plus voisins.
Les séances des 8 et 9 août ( 21 et 22 thermidor ) furent em-
ployées à vider les dénonciations qui avaient été faites contre
plusieurs députés , depuis les journées de prairial. A la suite de
cette dernière épuration, les représailles de la Gironde furent
complètes; car la Montagne se trouva aussi dégarnie que l'avait
été le côté droit après les événemens du 31 mai.
Le 8 ( 21 ) , Girod-Pouzol fit un rapport sur les députés dé-
noncés. Il annonça que le comité de législation s'était borné à faire
connaître les dénonciations , et qu'il avait cru devoir écarter toutes
celles qui ne contenaient aucun fait grave, celles que les faits
avaient prouvées calomnieuses, et celles qui avaient été adressées
sous le voile de l'anonyme. « Le comité, ajouta- t-il, a pensé
> que la Convention voulait sévir contre le crime seul, et non
» contre l'erreur. » (Applaudissemens ). Le rapport fini, Bézard
monla à la tribune avec les pièces annoncées par Girod. Il lui
une dénonciation de la commune de Rochefort, contre Laigm lot
elLequinio, ainsi qu'une lettre justificative de ce dernier, ac-
cusé, entre autres choses, « d'avoir converti la guillotine en tri-
bune aux harangues; forcé It-s jeunts citoyennes d'y monter , et
de fouler aux pieds le sang de leurs parens et de leurs amis;
proposé au comité de salut public de ne plus faii e de prisonniers ;
mangé avec l'exécuteur des jugemens criminels, qu'il appelait
le vengeur du peuple; immolé le malheureux Dechézeaux, etc. »
10 COilYBNTlON NATIONALE.
Laurenceoi demanda le décret d'arrestation contre lui. Delahaye
invoqua l'ajournement , jusqu'à ce qu'il eiî été entendu. Bioîi
appuya le décret d'arrestation, qui fut rendu. Le rapporteur lut
ensuite une dénonciation de la commune de Brives, qui accusait
le représentant du peuple Lanot , de s*y ètt e fait précéder par la
{juiiloline et deux bourreaux , et d'avoir fait rester exposé , pen-
dant vin^jt-quatre heures, aux regards du public ^ le cadavre
d'un vieillard , père de onze enfants , qui avait été exécuté, etc.
Brival et Lemoine prirent sa défense. Bion et Lelourneur de la
Manche demandèrent son arrestation. ( Décrété ). — Bézard
passa à Lefiot. 11 dit qu'il n'était point parvenu de dénonciation
contre jce représentant ; mais il lut un des arrêtés par lequel
étaient envoyés au tribunal révolutionnaire quatre signataires
d'une lettre écrite le !2()juin 171fâ, au ci-devant roi, par des
citoyens do Montargis, qui avaient péri sur l'échafaud. Lefiot,
présent, entreprit de se Justifier. Lanthenas attesta que, pen-
dant toute la durée « de la tyrannie de Robespierre , » il lui avait
paru (|ue Lefiot y était absolument étranger, et qu'il gémissait
mémo sur ce temps affreux. Defermoni demanda le décret d'ar-
reslotion. Cette proposition , appuyée par Pénières et Boissieu,
fut adoptée.
Le ÎM 2i ) , le président accorda la parole à Génissieu , pour
continuer le rapport sur les députés dénoncés. Génissieu lut plu-
sieurs pièce?^ contre Dupin. Lesage d'Eure-et-Loireflëclaraque,
dans son opinion , Dupin était un ass.issin et un voleur : Il lui re-
procha d'avoir fait {;uillotinPr les frrmlers-générâux, et d'avoir
volédei sommes qui étaient dans je porte-feuille du citoyen Lé-
pinây , l'un d'eux , bon citoyen , bon père , homme généralement
regrctt(' : il conclut à l'arrestation de Dupin , et demanda que les
scellés fussent apposés <ur ses effets et sur cetix de sa belle-mère,
à Saint-Cloud. ( Décrété ). Le rapporteur lut ensuite les pièces à
charge du représentant Bô , ainsi que la justification de ce der-
nier, qui était accusé d'avoir dit publiquement à Reims, « qu'eu
> révolution il ne fallait connnîire ni parens, ni amis, et que le
» fils poutâit égorger son père , si cdai-ci n'était pas à la hau-
RÉACTION THERMIDORIENNE. 11
» leur des circonstances ; » d'avoir soulevé tout le canton de
Fonds ( Lot ) , en arrachant toutes les croix , et en détruisant
toutes les images du culte ; d'avoir érigé le tribunal criminel du
Lot en tribunal révolutionnaire , en le faisant délibérer à huis
dos et sans jury; d'avoir dit à la nièce d'un détenu , qui sollici-
tait la grâce de son oncle : « Je prendrai sa tête , et je te laisserai
> le tronc, etc. » Pénières ajouta d'autres faits , et demanda son
arrestation. Aubanel ne trouva pas que les faits fussent suffi-
samment prouvés : il invoqua l'ajournement. Lofficial cita , à la
déchaîne de Bô, l'arrestation par lui ordonnée du comité révolu-
tionnaire de Nantes. Le décret d'arrestation , appuyé par Blaviel ,
Legendre", Thibault et Defermont , fut prononcé. — Venant aux
inculpations faites à Piorry , le rapporteur lut une lettre écrite
par ce député à la société populaire de Poitiers , et dans laquelle
il disait : « Je vous ai obtenu le patriote Ingrand ; avec ce bon
» b de montagnard, vous pouvez tout faire, tout briser,
1 tout renverser , tout incendier , tout déporter , tout guillotiner,
» tout régénérer. Ne lui laissez pas une minute de patience ; que
ï> par lui tout tremble , tout croule , etc. » Le rapporteur, sur
l'interpellation de Lesage , déclare que la lettre a été reconnue
par Piorry. « Eh bien ! s'écrie LeSage, je demande que nous
» n'outragions pas la décence et les mœurs par une discussion
» sur la question de savoir si ce provocateur à l'assassinat sera
y vomi du sein de la Convention. » L'arrestation fut décrétée à
l'unanimité. Le rapporteur continue en lisant une information
faite par le juge de paix de Reims contre Massieu. Boissy tr^j^uva
.la dénonciation trop vague, pour motiver l'arrestation. Baudin
des Ardennes , Roux de la Marne , et plusieurs autres membres
accusèrent Massieu d'avoir contribué au meurtre de la municipa-
lité de Sedan. Son arrestation fut décrétée. L'assemblée eut en-
suite à prononcer sur la conduite de Chaudron-Rousseau , accusé,
entre autres choses, d'avoir commis un assassinat juridique en la
personne de Pierre Escales aîné. Elle prononça l'arrestation. —
La séance fut terminée par la lecture des accusations portées par
les autorités constituées du déparlement de la Nièvre et de la
iî2 COiNVENTlors NAllOMALE.
commune de Nevers, contre Laplanche, Fouché de Nantes,
Noël Pointe et Lefiot. — La Convention entendit séparément les
faits imputes à chacun d'eux. Laplanche était accusé d'actes ar-
bitraires, de dilapidations, et d'avoir invité publiquement les
filles à se livrer au libertinage , en disant que la République avait
besoin d'enfans. 11 fut décrété d'arrestation.
Le 9(^2:2) au soir, le rapporteur du comité lit l'exposé des
dénonciations dirigées contre Fouché de Nantes , qui écrivait
aux administraieut s de la Nièvre : t Que la foudre éclate par
» humanité î Ayons le courage de marcher sur des cadavres ,
» pour arriver à la liberté. > 11 lut ensuite la justification du pré-
venu, et cita en sa faveur un fait qui lui avait mérité i'animad-
version de Robespierre. — Laurenceot reprocha à Fouché de
n'avoir rendu aucun compte des taxes révolutionnaires qu'il
avait imposées , et qu'il évaluait à plus de deux millions , dans la
commune de Nevers : il demanda son arrestation. Legendre et
Tallien prirent sa défense , et assurèrent que Fouché était un
des élémens de la journée du 9 thermidor. Ve: neret déclara que,
dans le déparlement de l'Allier , aucun reproche de dilapidation
n'avait été fait à Fouché. Merlino trouva que les dénonciations
faites contre son colIè(;ue étaient en contradiction manifeste avec
ses arrêtés : quaut à ces dénonciations, il déclara qu'un citoyen ,
en qui il avait la confiance la plus méritée, lui avait attesté qu'à
Nevers elles avaient été mendiées-et payées, et qu'on avait battu
la caisse pour les obtenir. (Murmures.^ — On demanda lecture
des arrêtés de Fouché. Dans l'un d'eux , ï'ouché déclarait qu'il
ferait arrêter et punir comme contre-révolutionnaires les pr^r-
sonnes qui cacheraient leur argent. — Lesage d'Eure-et-Loir
prit ensuite la parole. Il n'était nullement touché de ce qu'avaient
dit TaHien et Legendre : « Il ne faut, s'écria-l-il , faire grâce à
» aucun des brigands de l'ancienne Montagne : vous devez em-
» pécher qu'ils ne puissent entrer dans le corps législatif qui
» nous succédera. Je demande l'arrestation. > Boissy-d'Anglas :
• Fouché n'a point eu de part au î) thermidor : cette journée
» fut trop belle pour avoir été déshonorée par son secours. »>
RÉACTION THERMIDORIENNE. 15
— Fouclié fut décrété d'arrestation, à une grande majorité.
Lesage s'étonna qu'on n'eût pas fait mention, le rapport étant
terminé, d'une dénonciation remise par Lofficial contre F ran-
castel. Lofficial cita quelques passages d'une adresse de la so-
ciété populaire d'Angers, contre Hentz et Francastel. Rouzet de-
manda le renvoi au comité. Lofficial exigeait que ce comité fît
son rapport sous trois jours. Delaunay d'Angers et Bézard de-
mandèrent qu'on lui laissât le temps d'examiner les pièces. —
Thibault : « Il est temps de terminer la tâche pénible que nous
» remplissons; il faut fermer la porte à tout esprit de haine et
> de vengeance : je demande que le comité se borne maintenant
» à examiner les dénonciations contre Noël-Pointe, Hentz et
> Francastel. » Lecomte s'opposa à cette proposition : « L'épu-
» ration de cette assemblée, dit-il, est loin d'être complète. »
(Murmures.) Un membre : « Oui, sans doute, si Ton en veut
> expulser les républicains, après en avoir chassé les scélérats. »
Lecomte s'expliqua , et appela l'attention du comité sur des dé-
nonciations contre Cavaignac , dont il demanda que la conduite
fût examinée. Boissy fit observer que déjà l'on avait passé à
l'ordre du jour sur les inculpations faites à Cavaignac, et qu'il
serait dangereux de revenir deux fois sur la même dénonciation :
quant à la motion de Thibault , il pensa que, si on l'adoptait , ce
serait annoncer, en quelque sorte, que l'on refuserait désor-
mais d'entendre les plaintes et de rendre justice. Les deux pro-
positions furent rejeiées par la question préalable , et le comité
de législation fut chargé de faire un rapport sur la conduite des
représentans Francastel et Noël-Pointe. Cette décision n'eut pas
de suite.
Dans cette nouvelle liste de proscrits, dressée par les Giron-
dins, c'était toujours le même mélange de toutes les nuances ré-
volutionnaires. A quelques obscurs et honnêtes patriotes, tels
que Massieu, Chaudron-Rousseau et Lefiot, se trouvèrent ac-
colés d'insignes hébertistes, dont la plupart avaient été thermi-
doriens : Ïjô , Léquinio , Fouché. Le lecteur a un exemple de ce
que Ton pouvait se permettre alors, en fait d'aiseriions njenson-
14 CONVENTION NATIONALE.
(]ères, dans la manière dont Boissy-d'Aiiglas dépouille Fouché
de sa qualité de thermidorien. Fouché n'eût pas été signalé par
Robespierre et ses amis comme le principal meneur de la coos-
piraiion dont ils furent victimes, que le témoignage de Legendre
et celui de Tallien remjx)rteraienl ici sur une dénégaiiou pure-
ment littéraire de Boissy-d'Anglas. Au reste, k kéros de prai-
rial en agissait assez souvent de la sorte; à la séance du 19 juil-
let (1er thermidor), il attribua les journées qui lui ont valu une
si extraordinaire renommée, aux intrigues du cabinet de Saint-
James.
£n frappant d arrestation dix montagnai^ds de plus, La Con-
vention acheva d'encourager les royaUsles. Us répandirent dans
les campagnes une proclamation conçue en ces termes : t Peuple
français, reprends ta religion et ton roi légitime, et lu auras la
paix et du pain. » Chaque jour il arrivait à Puris des émigrés.
Madame de Staël passait pour être le centre de toutes les corres-
pondances et de toutes les manœuvres des royalistes constitution-
nels. La rumeur publique était telle à cet égard , on se plaignait
si vivement de la facilité donnée aux contre-révolutionnaires de
venir conspirer jusque sous les yeux de la Gonvenlion, qu'il
fallut enhn prendre des mesures. Le iS août (4^»" fructidor),
Delaunay , au nom des comités réunis , présenta un projet de
décret contre les émigrés. Thibeaudeau fit observer qu'il existait
des lois positives , et il demanda que l'on se bornût à charger
les comités de laire une poli(*e plus attentive. Génissieu , Rouzet,
el Villetard , proposèrent quelques amendemens au projet des
comités. Legendre monta ù la tribune et dit : « N'affaiblissons
point , par d'inutiles auiendemens , le projet salutaire qui vous
est présenté. J'invite au contraire la Convention nationale à éten-
dre sa sévérité sur tous ces perlides émigrés , qui n'ayant pu dé-
truire la K^^publique en combattant contre elle, sont rentrés dans
son territoire pour l'attacruer d'une manière plus sûre , par la
corruption de ses délVnseurs, et pour l'abîmer dans les horrturs
de la guerre civile.
» Oui , citoyens , il n est que trop vrai que les émigrés rentrent
RÉACTION THERMIDORIENNE. "15
de toutes parts ; et nous devons nous en prendre à la faiblesse
d'un gouvernement trop indulgent pour ces assassins de la pa-
trie. On m'assure que Malouet, Jaucourt et beaucoup d'autres
de celte espèce , sont à Paris. Ils y sont rappelés par l'influence
de leur plus grande protectrice (1), qui, après avoir répandu chez
rétranger un écrit en leur faveur, est passée de Suisse à Paris
pour consommer apparemment son ouvrage.
> Je dirai plus , car je n*puis rien garder sur mon cœur : je
connais des membres estimables du gouvernement, dont j'honore
les principes et les inieniions, qui ont eu la faiblesse d'aller dîner
chez cette correspondante des émigrés. Quand ils auraient juré
d'être incorruptibles , me répondront-ils d'être sourds aux sé-
ductions de ces syrènes enchanteresses? Que les représenians du
peuple dînent en famille , qu'ils dînant avec leurs collègues et
leurs amis , niais qu'ils fuient ces banquets où l'on cherche à ies
corrompre. Il n'est pas un membre de cette assemblée qui n'ait
reçu des invitations fréquentes d'aller chez cette femme dont je
me défie; j'en ai reçu moi-même, ainsi que mon collègue Dur
mont et plusieurs autres. Sachons résister à toutes les séductions;
conservons Le gage de nos assignats, et que les membres du gou-
vernement se souviennent que la patrie doit passer avant tout ,
et qu'ils ne doivent se livrer aux embrassemens de leurs amis
qu'après avoir consolidé la liberté. > (On applaudit.)
Garau demanda qu'aucun prévenu d'émigration , mis avant
le 51 mai sur des listes , ne pût réclamer sa radiation , avant de
s'être constitué prisonnier. Boissieu etThibaudeau combattirent
foiteajent cette proposition qui fut rejetée. »^ La Convention
adopta le projet de ses comités. Les émigrés fure< t mis sous la
surveillance de leur municipalité, tenus de sortir de Paris dans
trois jours, et ol)ligé^ de s'en éloigner de dix lieues au m .>ins.
C^ fut à la .séauce du 20 août (3 fructidor) que cummencèient
les di.scusôipni» /oÙ fut n^tlcment tra/cée la hgue politique que les
iheraii4oriens rë/oluiionaaires allaient suivre pour se sauver eux-
(t) Legepdne fait ici allusion à madame de Staél. {^ote îles auteurs.)
10 CONVENTION NATIONALE.
mêmes (le II léaciion. Us seniaiem bien que la République était
pep;liie, et eux avec elle, s'i's livraient la constitution qu'ils ve-
naient de terminer à une Ié{jislature nouvelle. Baudin des Ar-
dences , au nom de la commission des Onze , avait fait un rap-
port sur les moyens de finir la révolution. Le plus important de
ces moyens consistait en ce que les deux tiers de la Convention
devaient entrer dans le nouveau corps iégisiatil". Le 20 août
(5 fructidor), Baudin proposa de tharger la Convention elle-
même de choisir les cinq cents de ses membres, par qui seraient
formés les deux tiers dont il s'agit. Ce jour-là les débats furent
lon{;s et animés , sans amener aucun résultat. Le 21 (4), il fut
décrété que les assemblées électorales feraient la réélection. Bau-
din ne présenta que le lendemain la rédaction définitive du dé-
cret, ce qui lait que le 22 août (5 fructidor) en est la date offi-
* cielle. Saladin , déjà mêlé aux intrigues des sections royalistes ,
et qui sera mis en arrestation poar sa conduite en vendémiaire,
essaya de réclamer ; mais la parole lui fut refusée. La vive oppo-
sition ({n'organisaient au dehors les réacteurs de Paris avait dé-
termine les thermidoriens révolutionnaires à rallier les patriotes,
et à !eur donner le signal. Lorsque Baudin eut fini sa lecture ,
Legendr e monta à la tribune et dit :
Legendr c. « Je demande la parole pour une motion d'ordre ;
mon caractère , met devoirs , ma franchise m'obligent à vous
dire Cîicore quelquts vérités importantes. J'invite la Convention
nationale à jeter des regards attentifs sur la situation actuelle de
la Képubli(|ue. On assure que beaucoup d'émigrés rentrent en
France, qu ils y trouvent un asile, qu'ils y trouveront bientôt
des def-jnseurs. Déjà (juelques publicstes, oubliant les leçons de
i'expiTience , répandent des brochures où l'on distingue les émi-
{;iés des réfugiés; les uns, disent-ils, partis dans les trois pre-
mières années, doivent être à jamais bannis; mais les autres, en
fuite depuis le 2 septembre , doivent rentrer dans leur pairie.
Savez- voiis à quels maux vous conduisent de pareils principes?
quoi î nous rêver rions parmi nous des hommes qui ont porté les
anucs couire lu Franc?.,,. ISon , citoyens, si les émigrés ren-
RÉACTION THERMIDORIKTNJSE. 17
trent en France , ils doivent y trouver leur tombeau , ou ce sol
malheureux doit devenir le tombeau de la République. ( Toute
l'assemblée et tous les citoyens présens : «Ou;, ils l'y trouveront.) —
La Fayette ne serait donc, à vos yeux, qu'un fugitif, qu'un ré-
publicain persécuté? Il pourrait venir contempler ie Champ-de-
3Iars, oïl il a fait couler le sang du peuple! Non, il faut que la
Convention se prononce ; il faut qu elle défende au comité de lé-
gislation de prononcer aucune radiation sur la liste des émigrés ,
que la constitution ne soit solidement établie. » ( On applaudit. )
Tallien succéda à Legendre. Il attaqua le royalisme avec plus
de véhémence encore et termina ainsi son discours ; « Citoyens,
le peuple va se réunir ; garantissons-le de tous les pièges; faisons
un appel aux patriotes de 89 , aux vieux amis de la révolution :
que ce soit un coup de tocsin qui donne Téveil au peuple contre
les charlatans , les hypocrites et les traîtres , ennemis de son
bonheur ; il faut qu'enfin la liberté lui reste ; il faut que le règne
des lois s'établisse ; il faut tromper les espérances des royalistes ,
et accomplir celles des braves défenseurs de la patrie, qui , par
tant de sacrifices , de courage et de sang , ont élevé et cimenté
l'édifice de la république française. »
Le langage des députaiions, que nous allons voir se succéder
à la barre , nous montrera quelles étaient les dispositions des
sections de Paris , et comment elles avaient accueilli le décret du
cinq fructidor. Ce n'était pas , au reste , leur seul grief. Les
royalistes de toute nuance avaient fortement blâmé une autre
décision de l'assemblée , par laquelle l'acte constitutionnel devait
être proposé à l'acceptation de l'armée. Les hommes qui profes-
saient, à l'égard des soldats, la doctrine de l'obéissance passive ,
regardèrent comme un scandale inouï que l'on osât leur attribuer
la prérogative du fibre arbitre. Ce qui les inquiétait sérieuse-
ment, c'est que l'armée était franchement républicaine , et que là
était la force qui vaincrait la réaciion à l'intérieur, comme elle
avait vaincu au dehors la coalition étrangère. Depuis le 9 ther-
midor l'armée avait été appelée à résoudre toutes les grandes
questions politiques, et chaque nouveau pas vers l'avenir hâtait
T. xxxvn. 2
17 CONVENTION NATIONALE.
i'avënement d'un pouvoir militaire. — Les sections avaient en-
core un motif de plainte (lui les touchait de plus près. Prévoyant
que les ennemis qui l'entouraient ne tarderaient pas à prendre
les armes contre elle, la Convention avait appelé les troupes dont
elle pouvait disposer, et les tenait prêtes à agir.
Le 28 août. (11 fructidor), une députalion de la section du 3Iail
vint manifester ses inquiétudes au sujet de la force armée réunie
autour de Paris : «Sommes-nous assiégés, dit l'orateur, ou à la
veille de l'être? La garde nationale a-t-elle démérité, pour qu'on
l'environne de troupes? > — Une députation de la section des
Champs-Elysées présenta ensuite une pétition à peu près sem-
blable. Lacrelelle, le jeune , qui en était l'orateur, s'éleva contre
le décret qui ordonnait le renouvellement, par tiers seulement, de
la Convention nationale : il invita l'assemblée à calmer les alarmes
quiseiépandiiient sur desmouvemens de troupes, donl on assurait
que Paris était environné : « 11 ne faut pas, dit-il, qu'on voie
» paraître les enseignes de la terreur (violens murmures) au
» miheu de ces délibérations, dans lesquelles le peuple va exer-
> cer sa souveraineté. La carrière qui vous reste à parcourir est
» bien courte : craignez de perdre uu seul instant , et venez ensuite
» vous présenter aux suffrages du peuple ; méritez son choix , et
» ne le commandez pas ». (Nouveaux murmures. ) Le président
(Chénier) répondit à chacune des députatioiis que la Conven-
tion saurait triompher de toutes les factions ; qu'el'e ne laisserait
pas avilir la puissance qu'elle tenait du peuple entier; qu'avec le
peuple elle avait fondJ la République; qu'avec le peuple elle sau-
rait la maintenir : « Lc:i armées, ajouta-t-il, sont aussi une por-
» tion du peuple; et les seuls ennemis de la liberté pourraient
» concevoir des défiances contre elles. Déjà les braves soldats du
» camp, sous Paris, ont accepté la Conslifulion républicaine. »
( Vifs applaudissemens. )
Tallien, Thibaudeau et Girod-Pouzol relevèrent successive-
ment les expressions injurieuses aux défenseurs de la patrie,
aux fondateurs de la République, et demandèrent l'impression
des pétitions, ainsi que des i pponses du président , et l'envoi aux
RÉACTION THERMIDORIENNE. 19
armées et aux départemens. (Décrété. ) — DellevilIe demanda
que l'assemblée improuvât formellement ces adresses. (Adopté.)
Mariette annonça que , la veille , les sections n'étaient composées
que de douze , viogt ou trente individus. « Voilà , dit-il, ce qu'on
appelle le vœu du peuple d . La convention décréta que cette cir-
constance serait mentionnée au bulletin. Une députaiion du
camp sous Paris fut admise à la fin de la séance. Elle apportait
le vœu unanime des généraux , officiers et soldats pour l'accep-
tation de la Constitution : «Guerre éternelle à l'anarchie, dit
» l'orateur en terminant, au royalisme, à la terreur; mais amour
)» éternel à la République , respect et reconnaissance à ses fonda-
> teurs'! » Jean Debry fit décréter l'insertion de cette adresse au
bulletin, et l'orateur de la députation reçut l'accolade fraternelle,
aux cris de Vive la République !
Le lendemain, la section du faubourg Montmartre vint aussi
demander le rapport du décret , par lequel cinq cents membres
du corps législatif devaient être pris dans la Convention. 11 fut
répondu à ces démarches par un décret du 30 août ( 15 fructidor)
dans lequel était réglée la mise à exécution de celui du 22 (5).
On y prescrivait, aux assemblées électorales, de commencer
leurs opérations par élire les deux tiers de la Convention ap-
pelés au corps législatif.
Ce décret redoubla le zèle des agitateurs qui fomentaient dans
la capitale une insurrection sectionnaire contre la Convention.
Au nombre des principaux figuraient le général Miranda, le même
dont il a déjà été question dans notre histoire; le général Servan,
Marchera , Lemaître , ancien secrétaire général du conseil des
finances; Archamb eau, avocat, Laharpe, Quatremère de Quincy,
Lacretelle, le jeune , Fiévée, Cadel-Gassicourt , Langlois, Riclier
Serizy. Rœderer s'était prononcé aussi contre les décrets.
L'ouverture des assemblées primaires, pour l'acceptation de
la Constitution, était fixée au 6 septembre (20 fructidor). La
section Lepelietier employa sa première séance à rédiger le ma-
nifeste suivant ;
|20 CONVENTION NATIONALE.
Extrait des registres des délibérations de l'assemblée p'imaire de
la section Lepelletier.
« Les citoyens de la section Lepelletier, réunis en assemblée
primaire, ont arrêté et arrêtent d'adopter pour eux, et de com-
muniquer aux soixante-quatorze autres assemblées primaires de
Paris, l'acte de garantie qui suit :
» Les citoyens de Paris , réunis en assemblées primaires, con-
sidérant qu'à l'instant où un peuple ressaisit les droits de la
souveraineté dont il avait été dépouillé par une longue tyrannie,
le premier devoir de chacun envers tous est d'émettre , sans au-
cune espèce de crainte, son opinion sur les moyens de salut pu-
blic , et que le premier devoir de tous envers chacun , est de
lui garantir, de toutes leurs forces morales et physiques, ce droit
imprescriptible et inviolable de la liberté la plus absolue d'o-
pinion ;
» Considérant que le peuple, assemblé pour délibérer sur ses
lois et son gouvernement, ne peut et ne doit être influencé par au-
cune espèce d'autorité; que les pouvoirs de tout corps constituant
cessent en sa présence; (lu'attaquer, en quelque temps que ce
soit, un seul citoyen pour son opinion, c'est un attentat à la
souveraineté du peuple ;
» Considérant que tout droit est dérisoire et inutile, s'il n'est
garanti par tous envers chacun, qu'une expérience funeste a
trop appris avec (luolle impudeur les tyrans saveut se jouer de
l'honneur, de la liberté et de la vie des citoyens; que tous les
ciim;s qui ont ensanglanté le sol français , depuis les journées
deseptempre I79i, sont dus en partie à la mollesse des gouver-
nés qui se sont trop légèrement conlii'S à la vertu des gouvcr-
nans, et qu'ils résultent surtout de l'isolement où chacun s'est
placé, dans la fausse espérance d'échapper au coup qui fjappait
son voisin ;
» Considérant enfin que le premier besoin de tout homme en
société est la sûrelé de sa personne ;
RÉACÏIOIN TilEKiMlDOUlfclNNjE.. 2[
» Ont arrêté et arrêtent ce qui suit :
» Tout citoyen a droit d'émettre librement son opinion sur la
constitution présentée à Tscceptation du peuple, comme à l'é-
gard du décret du 5 fructidor concernant la réélection de cinq
cents des membres de la Convention , et généralement sur toutes
ks mesures de salut public.
» A cet effet, chaque citoyen en particulier, et tous les citoyens
de Paris en général , sont placés sous la sauvegarde spéciale et
immédiate de leurs assemblées primaires et respectives , et des
quarante-sept autres assemblées primaires de cette cité. — Signé,
Gérard de Bury, président; Saint-Julien, secrétaire.
Golombel, de la Meurthe, au nom du cofiûté de sûreté géné-
rale, communiqua officiellement celte pièce à la Convention le
lendemain , 7 septembre ( 21 fructidor); il proposa à l'assemblée
de se déclarer en permanence. Après un débat où furent enten-
dus Defermont , Isabeau , Thibaudeau , Génissieu et Tallien, ce
dernier fît décréter qu'il y aurait séance le soir. — Ce même
jour la section Lepeiletier prit un arrêté dont la teneur suit :
« La section Lepeiletier, considérant :
» Que le seul moyen de faire connaître à la France entière les
bcntimens unanimes des citoyens de Paris, est de réunir qua-
raiite-huit commissaires nommés par chacune des assemblées
primaires, et de charger ces commissaires de la rédaction d'une
déclaration authentique, au nom de tous leurs commettans;
» Arrête que cette proposition sera faite en son nom , et portée
sur-le-champ aux quarante-sept autres sections. »
Daunou, au nom des comités de salut public et de sûreté gé-
nérale, dénonça ce nouvel arrêté à la séance du soir, et fit dé-
créter que les citoyens qui se réuniraient en comité central ,
composé de commissaires nommés par plusieurs assemblées pri-
maires; et ceux qui, sous prétexte de missions données par
une assemblée piimaire, se rendraient d'une commune dans une
autre, ou auprès des corps militaires, seraient déclarés coupables
d'attentat comre la souveraineté du peuple. — Le 8 septembic
(EU frucUdor ) plusieurs çitoyciis vinrent se plaindre à la bane de
22 CONVENTION NATIONALE.
la Convention de ce que les intrigans qui menaient les sections
de Paris , les avaient exclus des assemblées primaires. Le pré-
sident Berlier répondit que la Convention nationale, ennemie des
assas ins et des brigands, serait' toujours l'asile des patriotes
opprimés, et que les hommes du 9 thermidor n'abandonneraient
pas les hommes du 14 juillet et du 10 août. Legendre prit la
parole ; il déclara aux aristocrates et aux royalistes que s'ils fai-
saient un mouvement ils étaient perdus : il invita les patriotes à
serrer les rangs, à tenir une conduite sage, à employer les ar-
mes de la raison; « et si celles-là sont insuffisantes, on en em-
» ploiera alors de plus redoutables > ( Applaudissemens ).
Les jours suivans , des plaintes semblables eurent lieu en grand
nombre. C'était chaque fois une occasion d'exciter les patriotes
que ne laissèrent pas échapper les thermidoriens redevenus monta-
gnards. Ils prêchaient l'union entre toutes les nuances révolution-
naires, avec d'autant plus d'empressement, que presque toutes
les sections de Paris avaient imité celle de Lepelletier. Le 15 sep-
tembre (27 fructidor), Dupont, de la Comédie Française, orateur
d'une députation de la section du Théâtre-Français , annonça que
l'assemblée primaire de cette section avait rejeté aussi les décrets
des.-i et 13 fructidor : sur deux mille cent soixante et un voîans,
deux mille soixante-dix-huit avaient accepté la Constitution;
soixante-trois l'avaient refusée; neuf avaient voté pour un roi;
treize avaient accepté en même temps les décrets.
Après avoir présenté ce tableau, Dupont poursuivit en ces
termes ;
t Convention nationale, encore quelques jours, et la vérité
éclatera ! tu la connaîtras , mais trop tard. ( Murmures d'indi-
gnaMon. — Le président invite au calme et au plus profond si-
lence.) Tu verras s'il valait mieux écouter la voix de tes flat-
teurs, que celle des hommes francs qui consentaient à oublier
des crimes. Nous sommes chargés de lire une adresse , que l'as-
semblée primaire trouvera les moyens de faire circuler dans les
déparleinens, dans les armées et partout où elle le croira néces-
RÉACTION THERMIDORIENNE. 25
saire. Quand on trompe tout !e monde , on mérite d'être trompé
par tout la monde. »
Thïbaiideau, occupant le fauteuil. « La Convention ne craint
pas îe jour de la vérité ; elle appelle de ses calomniateurs au
peuple français ; elle reçoit le vœu de l'assemblée du Thûtre-
Français , je vais la consulter sur la lecture de l'adresse. »
La Convention passa à l'ordre du jour, au milieu des plus vifs
applaudissemens.
M. Thibeaudeau nous explique ainsi, dans ses mémoires, le
rôle que jouèrent dans ces événemens les partis conventionnels
que le 9 thermidor avait réunis. Après avoir dit qu'à la suite
de cette journée les thermidoriens avaient quitté la Montagne ,
et s'étaient assis au côté droit avec le reste des Girondins,
M. Thibaudeau ajoute : « Le crédit des chefs thermidoriens avait
un peu baissé déjà par la rentrée des soixante-treize, reparais-
sant sur la scène , forts de l'intérêt qu'inspirait un malheur non
mérité; et sans la révolte des sections de Paris, qui sépara de
nouveau des élémens aussi opposés, Tallien et son parti se se-
raient éteints avec le gouvernement révolutionnaire.
» Outre les séances de la Convention , où les thermidoriens et
les soixante-treize siégeaient ensemble , ils avaient des réunions
chez un nommé Fromalaguez, qui leur donnait à dîner une ou
deux fois par semaine,- j'y fus aussi attiré. Cet homme-là me pa-
raissait une énigme que je n'ai jamais bien pu m'exphquer. Il se
mêlait, je crois, de banque ; je ne sais s'il n'était pas Espagnol ,
et lié des affaires avec Lafond Ladébat. Il avait un logement
modeste à un troisième étage... Il venait aussi à ces dîners des
personnages qui n'étaient pas représenîans , entre autres les gé-
néraux Servan et Miranda , ce dernier. Espagnol aventurier, et
son compatriote Marchéna, écrivain pohtique, qui courait aussi
les aventures.
> La conduite des sei:tions de Paris mit la division dans cette
réunion, comme dans la Convention. Les orateurs sectionnaires
portaient aux nues les soixante-treize; et confondaient dans leurs
24 c;0NVEN110N NATIONALE.
menaces et leurs oulrajjes les thermidoriens et la Montagne.
Dans le fait on en voulait à la Convention tout entière. On di-
sait aux Boissy et aux Lanjuinais : Que vous importe que les dé-
crets des 5 et 15 fructidor soient acceptés? S'ils sont rejetés,
vous serez toujours réélus au corps législatif, et vous serez dé-
barrassés de cette majorité de conventionnels que conservent les
décrets.
» Je ne donnai point dans le piège , je ne me laissai pas sé-
duire par ces éloges dont j'avais aussi ma part, et je ne m'en
élevai pas moins avec vigueur contre la révolte des sections. La
plupart des soixante-treize gardèrent au contraire le silence :
c'était de leur pan une détection ou une faiblesse. Ils devinrent
dès lors suspects, et l'on finit par les accuser de complicité avec
les sections. Qu'il y en eut plusieurs alors de vendus à la royauté,
c'est ce que la suite a prouvé ; mais ceux qui ne l'étaient pascom-
promeltaient par leur l^usse politique la sûreté du corps dont ils
l'aisaieaî partie, et l'existence de la République; car, enfin, si
l'on avait, à leur exemple, laissé faire les sections de Paris, la
Convention eût été égorgée, ou du moins décimée, comme au
.jl mai; et les royalistes, mnîtres du champ de bataille, n'eus-
sent certaintMiienl pus respecté son ouvrage.
» Ainsi , dans le coté droit de l'assemblée , chacun reprit sa
couleur originelle; les soixante-treize et les thermidoriens s'atia-
quaient d'autant plus, qu'ils siégeaient encore les uns près des
autres; Daunou et Louvet se réunirent aux derniers : c'était une
véritable confusion. Louvet était entraîné par l'irritabilité de son
caractère; il nous proposait chez Fromalaguez de réarmer les
terroristes, d'indiquer un point de reunion aux Patriotes oppri-
més , (le former enfin une société de Jacobins y sauf à la dissoudre
quand on n'en aurait plus besoin L'influence des soixante-
treize diminuait, celle des thermidoriens augmentait Houx
proposa, le 4 vendémiaire ( -(> septembre), sous prétexte de
donner plus d'action aux comités , de réduire à onze le nombre
de leurs membres. Tallien renchérit encore et demanda la créa-
lion d'une commission de cinq membres chargés spécialement
KÉACTION THERMIDORIENNE. î2o
de la surveillance de Paris. — A la tournure que prenaient les
choses, il me parut évident que les thermidoriens tendaient à s'em-
parer de tout le pouvoir, et leur versatilité était loin de garantir
qu'ils n'en abuseraient pas. > M. Thibeaudeau termine ce passage
en disant qu'il fit passer à l'ordre du jour sur la proposition de
Taliien , et que celle de Roux fut renvoyée à la commission des
Onze. (Livre cité , t. i, p. 197 et suivantes).
Les propositions de Roux et Taliien avaient été occasionnées
par les mouvemens séditieux qui avaient éclaté dans les premiers
jours de vendémiaire. A la séance du 25 septembre {l^^ vendé-
miaire) , le rapporteur du comité des décrels ayant proclamé le
résultat des voles des assemblées primaires , il s'était trouvé que
sur neuf cent cinquante -huii mille deux cent vingt-six votans,
neuf cent quatorze mille huit cent cinquante^rois avaient accepté
la Constitution , et quarante-un mille huit cent quatre-vingt-
douze mille l'avaient refusée. Deux cent soixante-irois mille cent
trente-un votans avaient prononcé sur les décrets des 5 et
13 fructidor; cent soixante - sept mille sept cent cinquante-
huit les avaient acceptés, et ils avaient été rejetés par quatre-
vingt-quinze millfe trois cent soixante-treize. Le président de la
Convention nationale se leva , ainsi que chacun de ses membres ,
et dit : < Au nom du peuple français, je déclare qu'il a accepté
» la Constitution , et je la proclame loi fondamentale de l'État. »
La même déclaration eut heu pour les décrets des 5 et 15 fruc-
tidor, auxquels les assemblées électorales seraient tenues de se
conformer.
Le 24 septembre (2 vendémiaire) , il y eut des troubles graves
au Palais-Royal. Le 25 (5) , Delaunay en rendit compte, au nom
dcs comités de salut public et de sûreté générale « Depuis le
l^r vendémiaire, dit-il, époque à laquelle vous avez proclamé,
au nom du peuple français, l'acceptation de la Constitution et des
décreis des 5 et 15 fructidor, i'intrigue s'agite pour tout embra-
ser : son principal foyer est au palais Égalité. Là, l'acceptation
des décrets sur la réélection des deux tiers fait continuellement
l'objet des conversations ; dos honfimcs apostes par les ennemis
iàO C0?<V£NT10iN NATIONALE.
de la chose publique y prêchent ouvertement l'insubordination à
la loi. Des {troupes nombreux se forment, et les orateurs, stipen-
diés par rélranger, blasphèment contre la représentation natio-
nale , iûculpent voire comité des décrets d'infidélité , d'inexacti-
tude et de prévarication. Suivant eux , le rapport qui vous a été
présenté ne contient que des calculs de convention , et la majo-
rité des votes n'est pas pour les décrets des 5 et 15 fructidor. Peu
contens d'établir le soupçon , ils inquiètent le peuple sur ses sub-
sistances , se disent initiés aux opérations du gouvernement , et
assurent que chaque habitant de Paris ne peut compter que sur
deux onces de pain pendant cet hiver. »
Ce mênicjour le Palais-Royal fut encore en fermentation. On
y insulia des soldats , et les provocateurs ayant été arrêtés , trois
coups de feu, dont l'un blessa un grenadier de la Convention,
furent tirés sur la force armée. Des groupes déjeunes gens par-
coururent les rues, en criant : A bas les deux tiers! La Conven-
tion chargea les représeutans ayant la direction de la force
armée , de prendre les mesures nécessaires pour assurer la tran-
quillité publique. Après ce décret , Perrin des Vosges prit la pa-
role pour annoncer qu'une députation de la «ection du Mont-
Blanc, s'étant présentée à celle de Popincourt (faubourg Saiut-
Anioine), et ayant dit qu'on tirait sur le peuple : < Si cela est
> vrai , répondit celle-ci , ce ne peut être que sur des royahstes ,
> et nous allons lever notre séance pour en faire autant. » ( Ap-
p'audisscmcns).
Le î27 septembre (5 vendémiaire) , la section des Quinze-Viiîgts
envoya une députation à la barre de l'assemblée. L'adresse des
vair.cus de prairial était une protestation de leur dévouement à la
représentation nationale. Barras , après avoir applaudi « aux sen-
limens des habitans de la section des Quinze-Vingts , demanda
qu'il fût pris des mesures contre les séditieux et les journalistes ,
et termina par annoncer rarrc^taiion de l'ex-marquis de Monta-
rain , qui avait distribué des cartouches aux jeunes gens , sous le
nom de Guillot ». Talot demanda la création d'uo conseil de
guerre a Paris, pour y juger les chouans cl les émigrés qui y se-
RÉACTION THERMlDORlENiNE. 27
raient arrêtés. Tallien fit adopter l'ordre du jour sur cette pro-
position : il déclara que le général Saint-Cyr lui avait dit avoir
reconnu , au Palais-Égalité, plus de quarante chefs de chouans ,
qu'il avait vus dans l'Ouest.
Le 29 (7) , le président de la Convention, (Baudin des Arden-
nes ) , refusa d'admettre des citoyens porteurs d'un écrit intitulé ;
Déclarution à la représentation nationale , au nom de la majorité
(les assemblées primaires de Paris , signée des commissaires de ces .
assemblées.
Le 2 octobre (10 vendémiaire), la Convention fixa , par un
décret, l'ouverture des séances du corps législatif, au 27 octo-
bre (3 brumaire). Immédiatement après, Portier de l'Oise fit
adopter un projet de fête funèbre « en l'honneur des amis de la
liberté, morts sous le régime décemviral. » Elle fut décrétée
pour le lendemain. Les députés se rendirent au lieu des séances
ayant un crêpe au bras. La salle était décorée d'attributs et d'in-
scriptions funéraires. Au moment où la cérémonie allait com-
mencer , des citoyens de Valenciennes entrèrent dans la barre
pour se plaindre à l'assemblée de ce qu'elle laissait « usurper la
souveraineté nationale par trois mille faquins qui agitaient les
sections de Paris. » Une courte discussion s'engagea pour savoir
si la fête serait ajournée. Tallien parut à la tribune après Dus-
sault, Thibaudeau et Le Hardy, et s'exprima ainsi : « Hier, je
voulais m'opposer à cette fête ; mais puisque tout est préparé , il
serait indigne de la Convention de ne pas la célébrer. C'est dans
cette solennité que nous retremperions nos âmes , s'il était néces-
saire. Je veux pleurer sur les mânes des Vergniaud, des Condor-
cet, des Camille Desmoulins, avant de marcher contre ceux qui
disputent de puissance avec la Convention. Tirons ensuite le
glaive ; les bataillons se formeront ici , c'est d'ici qu^ nous parti-
rons pour combattre la nouvelle horde de Charrette. » (Vifs ap-
plaudissemens.) — La fête fut continuée. Le conservatoire de
Musique exécuta un chant funèbre , qui sembla produire , dit le
Moniteur, sur les députés et sur les spectateurs, une piofonde
impression. Peu d'instants après, Daunou fit un rapport sur l'in-
^S CONVENTION NATIONALE.
surieciion qui se préparait. Il (ut l'arrêlé suivant, pris par la sec-
tion Lepelletier.
< Les assemblées primaires de Paris, considérant qu'au terme
de la nouvelle constitution , la convocation des assemblées elec"
torales doit être faite vingt jours après celles des assemblées pri-
maires; que déjà ce terme est passé , et que les circonstances ac-
tuelles exigent impérieusement la plus prompte formation du
nouveau corps législatif ; que cette formation dépend des opéra-
tions des électeurs chargés de choisir les nouveaux mandataires ;
» Considérant que le terme de dix jours , que la Convention a
prétendu marquer entre la clôture des assemblées primaires et la
convocation des corps électoraux , ne tend qu'à se ménager les
moyens d'en reculer le terme, d'ajourner la Constitution accep-
tée par le peuple entier, de prolonger le gouvernement révolu-
tionnaire, de diviser, séduire et terrifier les électeurs;
» Considérant que les exemples fréq^uers donnés jusqu'à ce
jour de l'usurpation doivent faire présumer de nouveaux atten-
tats;
» Considérant que l'on a déjàemployé la violence pour dissoud re
les assemblées primaires de plusieurs cantons de départemens ;
que le sang a coulé à Dreux, à Nonancourt et à Verneuil ; que des
présidons et secrétaires et autres membres du souverain y ont
été égorgés ou plongés dans les cachois, que deux électeurs de
Dreux ont été ignominieusement traînes dans une charrette de-
vant un tribunal mihiaire établi à Chai très ;
» Considérant qu'un de ces électeurs est un des commissaires
qui avaient été envoyés pour fraterniser avec les Parisiens ; qu il
n'ebt pas douteux que le grand crime de la commune de Dreux
aux yeux des usurpateurs est d'avoir osé tétnoiguer les senii-
mens de fraternité aux habiians de notre comuiune, et surtout
d'avoir dénoncé les menées odieuses du gouvernemeni dilapida-
teur sur la subsistance du peuple, les moyens qu'employaient ses
agens pour faire hausser le prix des grains , et d'en avoir pro-
posé à meilleur compte aux assemblées primaires de Paris ;
» Considérant qu'il est coiisianl que c'est à rimpcrilic et au
RÉACTION THEiUllDORIENINE. 29
brigandage des gouvernans actuels que nous avons été redeva-
bles de la disette et de tous les maux qui l'ont accompagnée;
» Considérant que le seul moyen de faire cesser ces fléaux et
d'en prévenir le retour , est d'organiser sans délai la nouvelle
Constitution ; que cette organisation dépend de la nomination des
députés au nouveau corps législatif , et qu'en conséquence toute
mesure, qualifiée du nom de loi, tendante à retarder les opéra-
tions des électeurs , serait destructive de l'ordre social , et doit
être regardée comme nulle et non-avenue ;
» Considérant que tous les caractères de la tyrannie se déve-
loppent ; que tous les moyens de terreur sont prodigués , et que
le décret rendu pour ne convoquer que le 20 les assemblées élec-
torales, décèle évidemment l'intention de renouveler à Paris les
scènes de Dreux ;
B Considérant enfin qu'il est temps que le peuple songe lui-
même à son salut, puisqu'il est trompé, trahi , égorgé par ceux
qui sont chargés de ses intérêts, arrêtent :
« Art. I^"^. Demain 11 , à dix heures du matin , sans nul délai ,
les électeurs de toutes les assemblées primaires de Paris se réuni-
ront dans la salle du Théâtre-Français.
» Les assemblées,, dont les électeurs ne sont pas en nombre, y
enven oui ceux qui sont déjà nommés, et bâteront la nomination
(les autres autant que possible.
» II. Aussitôt que les électeurs seront assemblés , ils en donne-
ront avis aux assemblées primaires des cantons ruraux du dépar-
tement.
» m. Chaque assemblée primaire ouvrira demain la séance à
sept heures du matin, et là les électeurs feront serment entre les
mains de leurs commettans, de les défendre jusqu'à la mort, et
les commettans jureront, à leur tour, de défendre jusqu'à la
mort leurs électeurs, tant qu'ils rempliront fidèlement leurs
devoirs.
» IV. Chaque assemblée primaire prendra les mesures néces-
saires, pour que les électeurs sortent accompagnés jusqu'au
30 CONVENTION NATIONALE.
Théaire-Françuis par une force armée , capable d'assurer leur
marche.
> V. Dans le cas où la tyrannie csrrait empêcher les électeurs
de s'assembler au lieu indiqué, ils se retireront dans leurs assem-
blées respectives, et là, ils aviseront au moyen de s'entendre avec
toutes les assemblées primaires de Paris, poqr indiquer un antre
local.
» VI. Les assemblées primaires de Paris jurent que, refj^ardant
cette mesure comme la seule qui puisse sauver la patrie , en met-
tant promptement en activité la Constitution républicaine , elles
ne désempareront pas leurs séances de demain, que le corps élec-
toral ne soit définitivement installé. >
Daunou proposa et l'assemblée décréta , après une léfjère dis-
cussion, que les assemblées primaires de Paris ne pourraient point
se réunir passé le 7 octobre (15 vendémiaire) , et elle fixa au H
(20), Touveiture des assemblées électorales, pour toute la France.
Un dernier disposiiif cassait les actes quelconques en opposition
avec ce décret, qui fut proclamé aussitôt dans le département de
la Seine. Beniabole, Hardy, Barras et Defermont, firent ensuite
prononcer lu permanence de l'assemblée, et la fête funèbre fut
achevée.
Pendant que la Convention chantait des hymnes « eu l'honneur
des victimes du ré{jime décemviral », les sectionnaircs ajjissaient.
Les électeurs déjà nommas s'étaient réunis au nombre de cent
dans la salle du Théâtre-Français (Odéon), sous la présidence du
vieux duc de Nivernais, qui, lorsqu'on alla le chercher chez lui ,
pour le conduire à cette assemblée , dit : « Vous me menez à !a
mort. » (Mémoires de M, Thibaudeau, t. i, p. !208.) Les ma^jis-
trais charj^cs de proclamer le décret du malin arrivèrent de nuit
sur la place du Théâtre-Français. Aussitôt la foule sortit de la
salle, et s'opposa à la pi oclamation ; les flambeaux furent éteints,
et les mn{;istrais disperses au milieu des huées eldes cris de toute
espèce. Les comités envoyèrent immcdiatemonl un corps d(^ trou-
pes pour s'assurer de la personne des électeurs, mais il n'en était
pas resté un seul.
RÉACTION THERMIDORIENNE. 31
Un témoin oculaire des évënemeriS de cette époque , en trace
ainsi le caractère : « Paris offrait alors à l'observateur des pas-
sions publiques un contrasle frappant entre l'agitation des partis
et la tranquille indifférence du peuple. Les corps délibérans
étaient en guerre ouverte , et tout allait dans la ville comme au-
paravant. Celte époque rappelait celle de la Fronde, lorsqu'on sor-
tait des bals et des soupers pour aller se battre dans les faubourgs
ou dans les plaines de la banlieue, et que les adversaires, se re-
trouvant le soir dans les cercles^ se racontaient leurs exploits de
la journée. >
C'est là une peinture assez exacte de la physionoinie que con-
serva la capitale durant les dernières luttes soutenues par la Con-
vention ; mais la moralité des faits n'y est point appréciera La
foule se montra indifférente, dans les quartiers aisés. Là, les mar-
chands et les gens d'affaires ne se détournèrent pas de leurs oc-
cupations; il n'en fut pas ainsi dans les quartiers pauvres. Quoique
sur la scène politique, il n'y eût plus que des intérêts en présence,
ce qui restait des insurgés de prairial n'hésita pas à se ranger du
côté des iniéréts qui se couvraient des mots de patrie, de répu-
blique et de révolution.
Les manifestes qu'échangèrent alors les parties belligérantes ,
offrirent ceci de remarquable que, pris ensemble, ils étaient
l'exacte reproduction de tous les griefs renfermés dans l'acte cTiu-
surrection du peuple, pour obtenir du pain et reconquérir ses droïls
(voir la séance dii 1^^ prairial). Les thermidoriens parlaient à cette
heure de l'oppression des patriotes, des horreurs de la réaction ,
et des conspirateurs royalistes , dans les mêmes termes que les
hommes de germinal et de prairial. D'un autre côté , la section
Lepelleiier disait, dans l'arrêté que nous venons de citer : « Con-
sidérant qu'il est constant que c'est à l'impéritie et au brigandage
d* s gouvernans actuels, que nous avons été redevables delà
disette et de tous les maux qui l'ont accompagnée.... » Ainsi les
ennemis que le peuple avait attaqués en prairial , divisés main-
tenant et armés les utis contre ks autres, ne se reprochaient que
ce qui leur avait été reproché , et justifiaient par là l'accusât ion
O"! CONVENTION NATIONALE.
commune dont ils avaient été l'objet quatre mois auparavant.
Le lun(]age dont se servirent les thermidoriens pour exciier les
révolutionnaires en leur faveur, mérite aussi que nous nous y ar-
rêtions. Dans le rapport qu'il fit à la séance du 3 octobre (11 ven-
démiaire). Daunou se récria sur la prétention des Parisiens qui
s'obstinaient à voir toute la France dans leur ville : e La souverai-
neté nationale, dit-il, ne sera {jaraniie que le jour où les Parisiens
seront enfin désabusés de ce préjugé Laissons aux royalistes
ratïreuse initiative de la guerre civile; que la foule des bons ci-
toyens accoure. Patriotes de 89, homnaes du 14 juillet, vainqueurs
du 10 août, victimes du 51 mai, libérateurs du 9 thermidor, ve-
nez tous ; placez-vous dans les rangs des vainqueurs de Fleurus. »
Quoique convoqués très-explicitement au nom de la doctrine des
ennemis de l'unité et de la centralisation, les vieux jacobins des
faubourgs accoururent à la voix des fédéralistes, des victimes du
51 mai j et des libérateurs du 9 thermidor. Les amis sincères de la
réforme sociale, relevés un instant par l'espérance, se dévouèrent,
sans délibérer; mais ils ne tardèrent pas à se convaincre qu'ils
avaient encore une fois pris les armes pour assurer une proie aux
intrigans. Les journéesde vendémiaire furent une preuve de plus,
comme nous l'avons dit plus haut, que les destinées de la France
passci aient bientôt dans les mains d'un pouvoir niiliiaire, et elles
servirent de premier échelon à l'homme de ce pouvoir. Elles com-
metuèrent, enef(et, la grande réputation du général Bonaparte,
(|ui exploita plus tard le dévouement de l'armée, de la même ma-
nière (jue les thermidoriens avaient exploité le dévouement du
peuple. — Le récit des faits est dans les deux rapports suivans :
Hai'POut sur les évéucmens des 5, 4 , 5 e/ G octobre ( M , i2\ùci
W vendémiaire) , fait par Merlin ( de Douai ) au nom des co'
mités de saint public et de sûreté (jénérale. — Du 14 vendé-
miaire mi 4 ({j octobre 1795 ).
a r»eprésentans du j^eupie, la victoire éclatante que la Hépu-
l)lique vient de remporter sur le royalisme et l'anarchie, coalisés
ronire cllr , n'rsi pas seulement une des époques les plus glo-
RÉACTION THERMIDORIENNE. 35
rieuses de la révolution ; elle est encore par ses résultats la plus
heureuse de toutes , puisqu'elle doit amener enfin le règne des
lois, et terminer la révolution elle-même.
» Il importe sans doute sous ce rapport d'en conserver à l'his-
toire toutes les circonstances ; mais il n'importe pas moins en ce
moment à la tranquillité générale de la République d'instruire
promptement la nation des horribles excès auxquels des scélérats
éhontés viennent de se livrer contre la représentation nationale,
et des mesures lentes , humaines et vraiment paternelles que
vous vous êtes contentés d'y opposer jusqu'à l'explosion qui vient
d'éclater.
et
» Le rapport que vous ont fait, le 11 de ce mois, vos comités
de salut public et de sûreté générale , vous a présenté le tableau
des attentats qui jusqu'alors avaient été commis contre la souve-
raineté nationale par un grand nombre d'assemblées primaires
de Paris, dans lesquelles des royalistes effrénés, des prêtres re-
belles à la loi , et condamnés comme tels à la déportation , des
émigrés même , avaient par l'audace de leur scélératesse acquis
un ascendant devenu en quelque sorte irrésistible.
)) Le principal objet de ce rapport était de dissoudre un ras-
semblement d'électeurs qui s'était formé dans la section du Théâ-
tre-Français , en exécution des arrêtés de leurs assemblées pri-
maires respectives. •
» Ce rassemblement était à la fois illégal et prématuré :
» Illégal en ce qu'il n'appartenait pas à quelques assemblées
primaires de désigner le lieu ni l'époque de la réunion des élec-
teurs nommés par plusieurs autres . assemblées investies des
mêmes pouvoirs, et qui n'avaient ni pris part ni adhéré à leurs
délibérations ;
B Prématuré en ce qu'aux termes de la loi du 1^"^ vendémiaire
les assemblées électorales ne peuvent se former avant le 20 de
ce mois.
}> Vous avez , en conséquence , au nom du peuple français , or-
donné à ces électeurs de se séparer à l'instant, îous peine d'être
T. XXXVIT. ^
54 CONVENTION NATIONALE.
poursuivis comme coupables d'attentat à la souveraineté natio-
njàle et à la sûreté intérieure de Ja République, et vous avez ex-
pressément chargé vos comités de salut public et de sûreté géné-
rale de vous rendre compte, séance tenante, de l'exécution de
votre décret.
* En même temps, entraînés par votre humanité, jusqu'à vous
aveugler pour ainsi dire vous-mêmes sur les intentions des plus
cruels ennemis de la République , vous vous êtes eflx)rcés de ne
voir en eux que des hommes égarés , et vous avez proclamé un
oubli général du passé.
> Je dois rappeler ici les propres termes de votre décret, parc^
qu*il fera à jamais la honte et le désespoir (îes monstres qui, hier
encore , vous peignaient comme des hommes de sang ;
t La Convention nationale , toujours pénétrée des obligations
> d'un gouvernejnent paternel, mais en même temps invaria-
» blement décidée à faire respecter la loi, et punir ses infracteur^,
» déclare qu'il ne sera fait aucune recherche ni poursuite contre
» ceux gui jusqu'à ce jour se sont laissé entraîner à des mesures
» illégales à l'occasion des assemblées tenues en celte commune;
» elle invite tous les citoyens à l'union et au calme, et appelle
> pour faire cesser l'anarchie le concours de tous les amis de
» lu Répubhquc ; elle recommande aux habitans de Paris de se
» tenir en garde contre îcs ipanœuvres perfides de quelques
» instigateurs qui voudraient les rendre solidaires, de leurs
» excès. »
» Ce décret bienfaisant a fait naître dans le cœur de tous les
amis de la paix et du bon ordre la touchante espérance de voir
enfin les assemblées primaires et leurs électeurs rentrer dans le
devoir, et rendre le calme à celte grande commune ; mais que
peuvent les ^ux des hommes de bien contre les attentats du
crime !
> A peine votre décret (;tait-il rendu, que vos comités de^alut
public et de sûreté générale , chargés spécialement d'en surveil-
ler et activer Texécution , ont pris un arréié pour le faii e pro-
clamer avec solennité par le directoire du département de !a
RÉACTION THERMIDORIENNE. ' 55
Seine. La proclamation a commencé par la section du Théâtre-
Français ; elle s'y est faite devant la porte de l'édifice même qui
servait de rendez-vous à des électeurs réunis à un nombre que
les uns portent à soixante , d'autres à quatre-vingts ; et comme
les conspirateurs avaient eu soin d'y aposter une multitude de
leurs agens ou complices , indépendamment de la force armée
sectionnaire qui protégeait le conciliabule électoral , on ne sera
pas étonné d'apprendre que les proclamateurs , quoique escortés
par six dragons, furent couverts de huées, et qu*en se retirant
ils furent poursuivis jusqu'au Pont-Neuf par des clameurs sédi-
tieuses.
• Il n'est peut-être pas inutile de remarquer qu'au- milieu de
ces clameurs il s'élevait fréquemment des cris de Vivent les drU'
gons! ce qui prouverait suffisamment, si l'on manquait d'autres
faits pour, le prouver, que les ennemis de la Répubhque cher-
chaient à séparer ses défenseurs d'avec ses représeniansc Mais
des républicains ne se laissent pas plus égarer par les flagorne-
ries, qu'intimider par les menaces des royalistes ; les cris de Vi-
vent les dragons! n'inspirèrent aux braves militaires qui accom-
pagnaient les administrateurs du département que le mépris et
l'indignation.
■ «
* Sur le compte qui fut rendu à vos comités de ces circon-
stances , et sur la preuve qu'ils eurent presqu'au même instant
que les électeurs restaient assemblés au mépris de la loi , ils pri-
rent sur-le-champ un arrêté par lequel ils chargèrent les repré-
senians du peuple préposés à la direction de la force armée de
prendre au moment même les mesures nécessaires pour s'assu-
rer des électeurs qui s'étaient réunis dans le local de l'assemblée
primaire de la section du Théâtre-Français, et avaient refusé
d'obéir à la loi.
» En exécution de cet arrêté, le général Menou , qui comman-
dait en chef l'armée de l'intérieur, reçut aussilôt des représen-
lans du peuple l'ordre de faire avancer dès troupes , et do les di-
riger sur la section du Théàtre-Franç;)is.
3(j CONVILNTION NATltfNALE.
» Cet ordre lut exécuté ; mais quand les troupes arrivèreol lis
électeurs avaient disparu.
» Dans ces entrefaites, les bruits alarmans qui se répandaient
daus toute l'étendue de la commune de Paris, sur les dangers*
dont la représentation nationale était menacée , avaient amené
autour de cette enceinte environ quinze cents citoyens, qui,
voués à la liberté et voulant la défendre jusqu'au dernier soupir,
venaient faire à la représentation nationale un rempart de leurs
corps , et jurer de vaincre ou de mourir avec elle ; mais ils man-
quaient d'armes, et leur courage ne suffisait pas pour repousser
les brigands qui vous menaçaient.
» Ici , je le demande à tout homme qui n'a pas renoncé entière-
ment à sa raison, qu'ont dû faire vos comités dans une situation
aussi critique? Ils ont fait délivrer des armes à tous ceux qui, se
prévseniant pour la défense de la République et de la Convention
nationale, étaient attestés par des citoyens connus pour patriotes
de 1789, amis des lois et du bon ordre, et, comme tels , porteurs
de cartes de citoyen.
» Cette mesure, impérieusement commandée par les atroces
excès et par les menaces plus atroces encore des ennemis de la
République, devint pour eux le lendemain un nouvel instrument
de J3erfi(iie; ils publièrent partout que les comités de gouverne-
ment avaient formé un bataillon de terroristes ; que le règne de
Robespierre allait recommencer , que les propriétés allaient être
livrées au pillage, et qu'il était temps de s'armer pour résister à
l'oppression,
» Nous ignorons jus(]u'à quel point ces bruits, aussi absurdes
que perfides, influèrent sur les mouvemens qui les suivirent ; mais
ce que nous pouvons affirmer devant la Convention nationale, de-
vant la France entière, c'est qu'en armant les patriotes de 1789,
(jui s'étaient échappés de leurs se ciions rebelles , où l'on avait
voulu les assommer parce qu'ils s'étaient prononcés en faveur d( s
vra-s principes, nous n'avons eu qu'un but, celui de faire triom-
pher la République , qui ne peut exister que par la vertu , et do
procurera tous les citoyens franç4\isTa prompte jouissance d'ujie
REACTlOiN THJîUiUlDOKlEINiNE. 57
Constitution, qui certes n'a élé organisée ni par la terreur ni par
l'anarchie.
• Il eût été impossible sans doute , dans la crise affreuse où
nous nous trouvions, d'empêcher que dans' cette foule généreuse
qui est venue offrir ses bras à la liberté, si horriblement menacée,
il ne se glissât quelques hommes indignes de porter des armes
républicaines; mais, dès qu'on les eut reconnus, ils furent congé-
diés unanimement par ceux mêmes doiît ils avaient usurpé le nom
de camarades ; et, si ce fait ne suffisait pas encore pour faire taire
les calomnies dont ce brave bataillon a été l'objet , je dirais que
c't st sur sa demande unanime que nous lui avons donné pour com-
mandant un général que ses longs services , ses vertus et ses che-
veux blancs rerident universellement respectable , le général de
division JBerruyer ; demande que certainement il n'aurait pas faite
s'il n'eût été animé d'un bon esprit, ei dirigé par des vues dignes
dô vrais amis de la liberté.
> Ces détails au surplus sont bien inutiles pour des républicains :
quant aux chouans et aux émigrés, je n'ai pas entrepris de leur
persuader que nous ayons eu raison d'armer, le 11 vendémiaire,
des hommes qui dans la journée du 15 ont si prodigieusement
augmenté envers eux leurs torts précédens.
> Mais je reprends le fil de mon récit.
'> La journée du 12 vendémiaire a commencé sous les plus si-
nistres auspices. Les sections Lepeiletier , Bulte-des-Moulins ,
Contrat-Social , Théâtre-Français , Luxembourg , Poissonnière ,
Brutus, le Temple, et quelques autres, avaient dès la veille porté
l'insolence jusqu'à se déclarer en état de rébellion contre la Con-
vention nationale , et annoncer hautement qu'elles ne reconnaî-
traient plus aucun de ses décrets.
» Ces arrêtés , qu'on aurait jugé à leur teneur avoir été pris au
quartier-généraldeCharrette, ont élé proclamés avec la plus auda-
cieuse solennité, et cette proclamation a été suivie d'une autre
par laquelle les sections révoltées sommaient les citoyens de leur
arrondissement de se rendre eu armes près d'elles , sous prc-
58 CONVENTION NATIONALE.
lexte qu'on armait les terroristes pour égorger les femmes et les
enfans.
y Avertis de ces actes ouvertement contre-rëvoluiionnaires, vos
comités de salut public et de sûreté générale ont pris un arrêté par
lequel ils ont requis les représentans du peuple chargés de la di-
rection de la force armée de prendre toutes les mesures néces-
saires pour faire arrêter les membres composant le bureau de la
section Lepellelier, les crieurs et proclamateurs des arrêtés sédi-
tieux de cette assemblée, ainsi que les chefs de la force armée qui
avaient donné des ordres pour cette proclamation.
i El comme les troupes du camp de la plaine des Sablons y
avaient été renvoyées la nuit du il au i^, après l'inutile expédi-
tion du ThéAtre-Français, les représentans du peuple chargés de
la direction de la force armée ont été requis de les faire sur-le-
champ revenir à Paris, ainsi que de prendre, sans le moindre dé-
lai , toutes les mesures propres à faire respecter la représentatFon
nationale.
» Vos comités de salut public et de sûreté générale doivent et
se plaisent à rendre aux représentans du peuple chargés de la di-
rection de la force armée cet éclatant témoignage, que rien ne
peut être comparé au zèle et à l'activité qu'ils ont déployés pour
faire exécuter les dispositions arrêtées par les deux comités.
> Mais il est de notre devoir d'ajouter aussi que leur zèle et
leur activité ne nous ont point paru avoir été dignement secon-
dés par tous les généraux qui étaient chargés immédiatement de
l'exécution de leurs mesures, et qu'au lieu do cette vive sollicitude,
de t*ette chaleur brûlante que nous avions droit d'attendre d'eux
dans une circonstance aussi (»rave , nous avons remarqué dans
leurs opérations une sorte de torpeur qui semblait attendre les
évéiiemens. INous étions, par exemple, étrangement frappés de ce
qu'on avait souflert que la générale fût battue pendant tout le
jour dans les sections révoltées, tandis qu'en irisant faire les pa-
trouilles ordonnées par vos comités et par les représentans du
peuple chan;é5 de la direction de la force armée, il eût été si facile
RÉACTION TflERMTbORlENNE. 39
d*enlever des tambours qu'aucune ou presque aucune force n'ac-
compagnait.
> Ces observations étaient véritablement inquiétantes ; cepen-
dant nous ne crûmes pas devoir au premier abord leur donner
toute la suite qu elles devaient avoir. Ce n'éiait pas un moment
favorable pour désorganiser Fétat-major de l'armée, que celui où
les troupes étaient en marche pour cerner le lieu des séances de
la section Lepelletier , et où la Convention nationale témoignait
une grande et juste impatience d'apprendre que le bureau de cette
section fût livré à la poursuite des lois ; nous crûmes donc devoir
attendre le résultat de cette expédition , pour fixer définitive-
ment nos idées sur les observations qui avaient éveillé notre in-
quiétude.
JNotre attente fut longue et pénible. Le général de brigade
Despierre, qui devait commander une colonne, ne se trouva
point à son poste , il fallut le chercher d'abord , et le remplacer
ensuite , d'après une lettre qu'il écrivit au général en chef pour
annoncer que la fièvre venait de le saisir et de le mettre au lit ,
quoique quelques heures auparavant il eût paru a^ec tout l'ex-
térieur d'une très-bonne santé.
» Les colonnes se mirent enfin en marche entre neuf et dix
heures du soir, et parvinrent , par trois points différens , à leur
destination. Le bureau de la section Lepelletier était désert; l'as-
semblée elle-même était dissoute , ou plutôt elle s'était convertie
en force armée, et, son président à la tête, elle défendait l'entrée
du lieu de ses séances.
» Si les instructions de vos comités avaient été suivies , les co-
lonnes ne se seraient pas retirées sans que cette troupe séditieuse
n'eût mis bas les armes, car ces instructions portaient formelle-
ment qu'elle serait désarmée ; mais la crainte de voir couler le
sang toucha justement notre collègue Laporte, qui était, avec
le général Menou , à la tête de la colonne la plus à portée des
lx)rces sectionnaires , et, entraîné par ce sentiment d'humanité
qu'il savait bien être partagé par tous ses collègues , il aulorii^a
le général à faire retirer les troupes républicaines immédiate-
40 CONVENTfOiN NATlOiNALt.
menl après la séparation et la retraiie des citoyens armés de la
section.
» Une partie de la force sectionnaire simula en conséqiience
un mouvement pour défiler ; l'autre partie resta ; et cependant le
général Menou, contre les instructions de notre collègue Laporte,
fit de suite retirer toutes les troupes.
> C'en était assez , saus doute , pour faire perdre entièrement
ù ce général la confiance qu'il avait inspirée le 4 prairial ; aussi sa
destitution fut-elle à l'instant résolue et prononcée.
» Vos comités destituèrent en même temps le général de bri-
gade Debar, dont la conduite n'annonçait pas un homme décidé
pour la représentation nationale.
» Le gênerai de brigade Despierre , d'après ce que je vous en
ai déjà dit , devait subir et subit en effet le même sort.
» Mais ce n'était pas tout que de prononcer des destitutions j
.il fallait pourvoir à des remplacemens, dont l'urgence se faisait^
à chaque minute, seniir de plus en plus.
> Dans cette crise violente et terrible les regards de vos comités
se sont lourftéi vers le général du 9 thermidor; notre collègue
Barras leur a paiu, par son activité, par ses talens , par son
ûme aussi brûlante que puie, par son dévouement profond et
absolu à la cause de la liberté, être l'homme le plus propre ù
tirer la Uépubhque du précipice où elle était sur le point de
tomber, et vous vous êtes empressés de ratifier leur clioix par
un décret qui a nommé le représent;mt du peuple Barras général
en chef de l'ai mée de l'intéi leur, en lui donnant pour adjoints
lesrepréseulans du peuple Delmas, Goupilleau ( de Fonienay )
et Lapone.
'• Au même moment des généraux de division et de brigade
ont été nommés pour remplacer ceux qui venaient d'être desti-
tués , et bientôt tout s'est trouvé prêt pour attendre l'ennemi.
» Déjà le jour qui devait éclairer tant de crimes d'un côté et
tant de vertus de l'autre cominenrnit à luire ; dans la presque
it^ialitê des sections de Paris la générale battait , et , au nom des
assemblée^) primaires , ap|>elait le massacre et l'assassinat sur la
RÉACTION THEKJlIDORl£i>iSE. 41
représentation nationale. Bientôt la Tëvolte prend un caractère
décidé et ne ménage plus rien : une coiimission centrale s'orga-
nise dans la section Lepelletier, sous la présidence de Richer-
Sérizy ; les dépôts des chevaux de la République soDt au pouvoir
des rebelles ; les envois d'armes à la fidèle section des Quinze-
Vingts sont interceptés; la trésorerie nationale est oc(*upée par
la section Lepelletier ; les subsistances destinées à nos troupes
sont enlevées ; un hussard d'ordonnance reçoit en traversant la
rue Honoré plusieurs coups de fusil qui le blessent à mort et tuent
son cheval; les représentans du peuple que leups^ fonctions ou
le besoin de rafraîchissement conduis-ent hors de l'enceinte du
palais national sont arrêtés, insultés , gardés en otage; vos co-
mités de gouvernement sont mis hors de la loi ; un tribunal ré-
volutionnaire est nommé pour assassiner, avec quelque apparence
de formes , les proscrits qui échapperaient du premier abord au
fer des meurtriers ; tout enfin caraclérise une guerre ouverte ,
tout annonce les coups que la rébellion vu frapper.
> Il y aurait eu dans ces entrefaites beaucoup d'avantage pour
les troupes républicaines à attaquer partiellement les révoltés ;
mais c'aurait été donner le signal de la guerre civile , et vos co-
mités ont pensé qu'il valait mieux périr mille fois que d'en venir
à une pareille extrémité.
> Conformément à leur résolution , le général en chef a donné
partout l'ordre de s'abstenir de toute agression, de souffrir
même avec patience tout ce qui ne serait qu'insulte ou escarmou-
che, et de ne déployer la force contre les rebelles que lorsque
les rebel'es eux-mêmes en fera'ent usage dans toute la latitude
qu'annonçaient leurs vastes projets.
» C'éfaient dans ces dispositions généreuses que vos comités
et vos braves défenseurs attendaient les premiers coups, qu'ils
savaient bien devoir être portés par les vii^t*cinq à trente mille
révoltés qui assiégeaient la Convention nationale, et dont la dis-
tribution savante décelait des chefs exercés et instruits. Effecti-
vement , onapprend bientôt que les généraux Duhoux et Dani-
can se sont rangés souS les drapeaux de la commission centrale
42 CONVENTION NATIONALE.
de la section Lepelletier, et'diftérens rensei^emens donnent lieu
de croire non-seulement que d'autres généraux de la République
ont imité leur trahison , mais que des étrangers et des émigrés
partagent avec eux le commandement de l'armée sectionnaire.
» Vos comités, nous devons le dire, sentaient toute la gravité
des circo'nslances ; mais ils n'ont pas perdu un seul instant le
sentiment de la dignité de leur caractère, et ils osent se flatter
d'avoir répondu à votre confiance : un seul trait vous en fera
juger.
> Peu de tfihps avant l'attaque , le perfide Danican eut l'inso-
lence d'adresser à vos comités une lettre par laquelle il deman-
dait à s'expliquer avec eux , en faisant entendre que la paix
pouvait se rétablir dans un clin d'œil si la Convention nationale
voulait désarmer ceux que les comités avaient armés la veille.
» Vos comités n'auraient pas dû peut-être recevoir une dépê-
che de cette nature ; mais l'espoir d'épargner le sang , près de
couler à grands flots , les fit passer au-dessus de toute considé-
ration : la dépêche fut lue ; . elle donna lieu à une ample dis-
cussion.
» En demeurant unauiqienient d'accord qu'il n'y avait pas de
réponse à faire à Danican perionnellement , et en rejetant avec
indignation l'idée de déshonorer par un désarmement les ci-
toyens que leur patriotisme seul avait appelés auprès de nous
pour défendre la représentation nationale , vos comités ont re-
cherché et discuté les diffcrens moyens de concilialiou qui pou-
vaient rester, et dont le besoin iaiperieux de sauver la Républi-
(|ue pouvait autoriser l'emploi.
» Déjà ils avaient réiola d'envoyer dans les sections de Paris
vingt-(|uatre représenians du peuple pour éclairer les citoyens
égarés, et ramenai la paix par l'instruction.
> Ce premier point arrêté, diverses mesures, également dic-
tées par le courage et par Ihumanité, lurent successivement
proposées, et elles se discutaient avec la maturité et le caliiic ué-
cessaires dans une circonstance aussi décisive , lorsqu'on enten-
RÉACTION THERMIDORIENNE. 43
dit sur trois points des coups de fusil redoublés et suivis d'un
feu terrible.
3) On ne tarda pas à apprendre qu'en effet les rebelles avaient
attaqué au petit Carrousel , à la rue de la Coîîveiiticn et aux
Feuillans. Mais la manière dont ils avaient commencé l'attaque
au premier de ces points ne doit pas échapper au burin de l'his-
toire ; elle présentera une nouvelle preuve de cette vérité, que le
crime est toujours lâche , et qu'à la vertu seule appartient l'ho-
norable apanage d'abhorrer la trahison.
» Les rebelles étaient en force supérieure dans la rue de l'É-
chéile , et longeaient le petit Carrousel , vis-à-vis la maison oc-
cupée par la section de police du comité de sûreté générale.
» En face de la porte de cette njaison étaient placées des trou-
pes républicaines avec une pièce de canon.
» Tout à coup les premiers rangs des rebelles s'ébranlent ,
maisavec des dehors pacifiques, le fusil sous le bras, les cha-
peaux en l'air, le drapeau baissé ; ils s'avancent en prononçant
les doux noms de paix et de fraternité; leur chef embrasse le
commandant du poste , et au même instant ô orime I ô scé-
lératesse ! au même instant deux décharges de mousqueterie
partent derrière eu», et abattent vingt-trois de nos braves dé-
fenseurs !
» Une autre circonstance non moins remarquable, c'est qu'à la
rue de la Convention nos canonniers ont laissé tuer trois de leurs
camarades avant de riposter.
» Vous connaissez , représentans du peuple , tout ce qui a suivi
ces premiers actes d'agression ; vous- savez avec quel courage
et quel succès les grenadiers de la représentation nationale , les
troupes du camp sous Paris , la légion de police ^ une partie de
la section des Quinze-Vingts, et les citoyens armés la nuit du il
au 12, parmi lesquels se trouvaient plusieurs Marseillais du
10 août et du 9 thermidor, ont repoussé les scélérats qui venaient
vous égorger. En moins de deux heures les assaillans ont été
mis en pleine déroute, et se sont réfugiés les uns sur la place
Vendôme , les autres dans le palais Égalité, au théâtre de la Ré-
Ai COi^VENilON NAllOiNALE.
publique et dans les postes environnans ; une partie est restée
dans le clocher de l'église qui fait face à la rue de la Convention ,
d'où elle a continué de tirailler une partie de la nuit ; mais elle a
fini par se sauver ; des issues secrètes ont favorisé son évasion.
» Ce n'était pas assez de vaincre ; il fallait encore profiter de la
victoire, et. c'est ce qu'a fait, avec autant de courage que d'in-
telligence , le général en chef de l'armée républicaine. Le palais
Égalité , la barrière de^ Sergens, le théâtre de la République et
plusieurs autres postes ont été successivement emportés , les
ims à coups de canon , les autres à la baïonnette ; partout la Ré-
publique a compté autant de héros que de défenseurs : c'est que
chacun d'eux sentait profondément qu'il combattait pour as-
surer définitivement les destinées de la patrie, et pour consolider
à jamais la liberté. .
» Pendant que les révoltés d'en-deçà de la Seine étaient ainsi
repoussés 4e toutes parts, leurs complices du faubourg Ger-
main , commandés par l'émigi^é Colbert ^laiilevrier, en uniforme
de maréchal-de-camp, attaquaient simultanément nos avant-
postes sur le Pont-Neuf et sur le pont Kational. Les soldats de la
liberté, toujours fidèles à l'ordre qui leur* avait été intimé de ne
répondre qu'à l'agression , ont repoussé a^ le même avantage
les colonnes rebelles.
» Ce matin de nouveaux triomphes ont couronné de nouveaux
efforts.
» D'un côté un délachemement de dragons a faits prisonniers,
sur la roule de Paris à Saint-Gerniaiu-en-Laye, deux cents in-
dividus de cette dernière commune , qui accouraient au secours
de la section Lepelletier avec deux pièces de canon , et il n*a tallu,
pour leur faire mettre bas les armes, que l'avant-garde de ce dé-
tachement , composé de douze hommes.
j> D'un autre côté les troupes républicaines ont balayé avec la
rapidité de l'éclair la place Vendôme , la rue des ci-devant Ca-
pucines, et une partie du Boulevart ; elles ont en même temps
purgé la Trésorerie nationale des rebelles qui en occupaient les
avenues, pris deux pièces de canon que la section Lepelletier
REACTION TrtERmiDORlENNE. 45
avait été chercher hier à Belleville , enlevé le quartier-général
de cette section , et fait rendre les chevaux , les armes et les
autres objets qui avaient été soustraits hier des dépôts de la Ré-
publique.
» Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que les soldats de la
liberté, toujours dignes d'eux-mêmes, ces soldats qu'on accu-
sait' le gouvernement d'avoir appelés pour égorger les citoyens ,
n'ont pas versé une seule goutte de sang dans ces dernières ex-
péditions , et que , quoique les contre-révolutionnaires de la sec-
tion Lepelletier, tout en pillant la Répubhque , aient osé procla-
mer hier que nous avions accordé aux troupes deux heures de
pillage , pas un ^eul désordre n'a été commis , pas un seul effet
n'a été volé , pas une seule maison n'a été insultée.
» Il n'en a pas fallu davantage pour faire sur-le-champ rentrer
dans le devoir toutes les sections qui avaient partagé les crimes
de celle de Lepelletier. Maintenant le calme le plus profond règne
dans Paris ; les coupables sont ou arrêtés ou en fuite ; ceux
qu'ils ont égarés reconnaissent en frémissant l'abîme dans lequel
on a cherché à les entraîner ; les bons citoyens , trop long-temps
comprimés dans la plupart des sections , se prononcent haute-
ment, et l'immense majorité de cette grande commune bénit la
Convention nationale de l'avoir délivrée des monstres qui , en la
flagornant comme Robespierre , la tyrannisaient comme lui , et
la menaient directement à la famine et à l'esclavage.
» Vos comités de salut public et de sûreté générale ont des
mestires à vous proposer pour punir les crimes qui viennent
de se commettre , et , ce qui n'est pas moins important , pour
empêcher qu'ils ne se renouvellent eâcore à l'avenir; mais ces
mesures ont eu besoin d'être réfléchies profondément, et la
rédaction ne pourra vous en être présentée que demain. On
pardonnera sans doute ce retard à la brièveté du temps que
nous avons eu à notre disposition , et à l'état d'épuisement dans
lequel nous ont plongés quatre jours et quatre nuits de veilles
continues.
» Vos eomif4s ne vous proposeront aujourd'hui que d'acquit-
i6 CONVENTION NATIONALE,
1er envers nos valeureux défenseurs la dette que la République
a contractée à leur égard ; elle leur doit son existence , et nous
sentons tous combien il est agréable pour nous de le publier ;
nous sentons tous aussi qu'il doit être bien doux pour eux d'avoir
sauvé leur patrie avec taut de gloire.
» Vous m'avez sans doute prévenu sur le projet de décret que
je suis chargé de vous présenter ; le voici î '
« La Convention nationale , après avoir entendu le rapport de
> ses comités de salut public et de sûreté générale réunis ,
» Déclare que les grenadiers de la représentation nationale ,
> ks troupes du camp sous Paris , les canonniers, la légion de
» police générale, les militaires invalides , le. bataillon de la sec-
» lion des Quinze- Vingts, les gendarmes licenciés, et les citoyens
» qui ont pris volontairement les armes pour repousser les re-
» belles dans la journée du 15 vendémiaire, ainsi que les géné-
» raux sous lesquels il ont combattu, et les généraux non eni-
» ployés qui se sont joints aux bataillons , ont bien mérité de la
* patrie;
> Et décrète que le rapport des comités sera inséré au bul-
* leiin de correspondance , et envoyé sur-le-cbamp aux départe-
> temens et aux armées par des courriers extraordiuaires. »
( Adopté. )
RappoUt sur la ç(fnspirattOH et la rébellion qui ont éclaté dans tes
journées des 15 et 14 vendémiaire ( o et ii octobre) , et sur les
opérations, mitilàires exécutées par l'armée républicaine ; fait
par le représentant du peuple Barras, général en chef de
l'armée de rtntéi'icur. — Du 30 vendémiaire an 1. (22 octO'
bi'ei7\):i).
« La révuiuliun du îi ihenhidor a véritablement fondé la liberté
publique : l'abus de cette révolution sapait les bases de celte
môme liberté, et malheureusement nous n'avons voulu nous en
apercevoir qu'au moment où l'édilice était près de crouler. Oui ,
représcntaus du peuple , notre indulgence nous a fait faire un
pas rétrograde ; toutes les lois qu'où vous a arrachées çn faveur
RÉACTION THERMIDORIENNE. 47
des émigrés, des prêtres, des amis delà tyrannie royale, la
proscription des meilleurs patriotes , les assassinats du midi im-
punis , la vengeance érigée eh vertu civique , presque toutes les
fonctions publiques confiées à des républicains d'un jour, devaient
inévitablement relever l'espoir des amis du despotisme , et leur
faire tenter une conspiration dont le résultat était votre massacre
et la mort de la République. Il fallait un point central aux conspi-
rateurs pour corresponck'e avec le comité autrichien de Baie : ils
ne pouvaient l'établir que dans la commune de Paris ; ils l'Ont fait.
Cette vaste cité , sur laquelle les départemens ont sans cesse les
yeux ouverts pour adopter ses mesures et suivre sa conduite ,
offrait seule aux partisans de la coalition des rois les élémens de
leur conspiration. Ici une nuée de vils folliculaires , toujours pi êis
à se vendre à celui qui les paie le mieux , fournissait aux cocjiirés
le moyen prompt et facile de pervertir l'opinion publique en di-
rigeant des calomnies atroces contre la représentation nationale,
c€n dénigrant les meilleurs amis de la liberté , en insinuant au
peuple des inquiétudes sur ses subsistances , qu'ils accaparaient ,
en cherchant enfin à lui persuader .que le gouvernement répu-
blicain était une chimère qui ne pouvait se réaliser en France :
ici les chefs de la conjuration devaient compter sur une armée
d'anciens valets de cour, qui, regrettant de n'être plus enchaînés'
au cliarde l;j tyrannie, sont toujours disposés à favoriser le re-
tour de l'ancien ordre de choses , contre lequel nous combattons
xlepuis six ans : ici les nobles , les émigrés et les préires, échap-
pant au miîieu d'une population immense à l'œil vigilant du
gouvernement, étaient un point d'appui pour les rebelles, et
leur donnaient le fol espoir d'un triomphe assuré.
» Il fallait adiever d'égarer le peuple. Hé bien î les monstres
ont profité de l'époque. des assemblées primaires , qui devait à
jamais fixer la ligne de-i'émarcation entre nos calamités polit!(|nes
et le bonheur que promet au peuple îa constitution que vous lui
avez donnée, pouo l'associer à leur rébellion et l'ariiier contre
l'auiorité légitime.
* Les conjurés alors ont levé le masque, et pour être plus li-
48 CONVENTION NATIONALE.
bres clans les assemblées, ils en ont chassé ou éloigné les meilleurs
patriotes , à l'aide du mot insignifiant de terroriste. Ils ont effron-
tément publié que vous aviez démérité de la pairie; que la Con-
vention nationale n'était qu'un ramas d'usurpateurs et d'assassins
de la royauté; que vos décrets ne devaient plus être considérés
comme lois de l'état , et que c'était aux sections souveraines de
Paris à diriger les rênes du gouvernement. Les insensés ont
poussé l'audace jusqu'à organiser des autorités anarchiques pour
juger ceux qui oseraient braver la majesté du trône sectionnaire ,
couvrir de leurs corps généreux la représentation nationale et
sauver la République. Vous avez vu leur perfide scélératesse , et
vous vous êtes mis en mesure d'arrêter leurs coupables efforts ;
vous avez fait appel aux patriotes de 80 : la voix des pères de la
patrie a été pour eux un cri de ralliement; tous ces hommes
brûlant d'amour pour la liberté se sont empressés d'accourir au-
tour de vous. Ah ! qu'il a été consolant de voir dans quelques
heures la Convention nationale, entourée naguère d'une bande
d'assassins, devenir tout à coup le centre de réunion des vrais
amis de la République! Au milieu de ce bataillon sacré on dis-
tinguait avec intérêt les hommes du 14 juillet et du 10 août, les
vainqueurs de la Bastille , des patriotes de tous les départemens ,
* et surtout une légion d'officiers porteurs d'honorables cicatrices ,
et couverts plus d'une fois des lauriers de la victoire, destitués
par l'intrigue et les complots de la contre-révolution. Vos comités
de gouvernement, ne se dissimulant plus les dangers qui mena-
çaient la République, firent organiser en compagnies ces vieux
soutiens de la révolution , et en donnèrent le commandement , sous
Je liom de bataillon des pairiotesde^î), au général Bei*ruyer, vieil-
lard respectable, qui joint à des lalens militaires une moralité
pure : nous étions alors dans la journéedul2. Hé bien ! représen-
lansdu peuple, l'entendrez-voussans frémir d'indignation! Menou,
généi al en chef de l'armiic de l'intérieur et commandant la force
armée de Paris, se présente à la commi^sion des Cinq à deux
hem es après-midi; il était suivi de plusieurs personnes de son
éiat-m:ij(.r; et, prenant le ton arrogant d'un officier de cour:
RÉACTION THERMIDORIENNE. 49
€ Je suis instruit , dit-il , qu'on arme tous les bandits ( c'est ainsi
que ces tyrans appellent les républicains ); je vous déclare for-
mellement que je n'en veux ni sous mes ordres, ni dans mon ar-
mée , ni marcher avec un tas de scélérats et d'assassins organisés
en bataillon de patriotes de 89. » La commission lui répondit :
« Ces sincères amis de la liberté ne seront point sous vos ordres;
ils marcheront sous ceux d'un général républicain , sous la di-
reciion des représentans du peuple, et resteront près de la Con-
vention nationale pour la défendre. » Menou sortit avec la phy-
sionomie très-agitée, et fit écrire à Raffet que les patriotes de 89
étaient consignés. Cette lettre fut lue à la séance d'une assemblée
de section , qui l'applaudit et l'inséra dans ses registres. A dix
heures du matin une section députe à la commission des Cinq trois
de ses membres (Chosal, qui la présidait, était du nombre)
pour déclarer au gouvernement qu'il avait perdu sa confiance ,
et qu'il était responsable de tous les événemens. Il n'était plus
possible de se faire illusion sur les malheurs que les royalistes
préparaient à la patrie ; les conjurés , disséminés dans tout Paris ,
excitaient les citoyens à s'armer, et appelaient à grands cris sur
la représentation nationale la dissolution et la mort. Des électeurs
s'étaient réunis au Théâtre-Français , recevaient des députations,
et requéraient la force armée des sections. Ils ont pour eux le
nombre , et cependant ils s'inquiètent , ils pâlissent , ils invoquent
la perfidie et la corruption : mais tous leurs efforts ne sont qu'in-
juriettx, la Convention, et ses intrépides amis composant les
troupes de ligne, ne forment qu'un faisceau compact, devant
lequel vont s'évanouir toutes les espérances criminelles.
» Vos comités de gouvernement et votre commission des Cinq
avaient déjà réitéré l'ordre impératif de faire avancer des colonnes
sur le Théâtre-Français et la section Lepelletier : l'exécution de
ces ordres fut éludée sous différens prétextes ; ce ne fut qu'à
l'entrée de la nuit qu'on marcha sur le Théâtre-Français ; les re-
belles , instruits alors des iriesures prises par le gouvernement ,
avaient eu le temps de se disperser. On renouvela l'ordre de mar-
cher sur la section Lepelletier , foyer de lu conspiration , pour
T. xxxvii. ^
,^0 CONVENTION NATIONALE.
dissiper les rebelles et s'emparer des chefs : vous eûtes bientôt
la douleur d'apprendre que celui à qui vous aviez confié le com-
mandement de votre force armée avait eu la lâcheté de transi^ier
avec les révoltés. Pour rassurer ceux-ci et effrayer nos braves
frères d'armes, comme si la terreur pouvait pénétrer l'âme d'un
républicain , ]\Ienou vociféra celte phrase liberlicide : « Si quel-
que soldat s'avise d'insulter les bons citoyens de la section Lepel-
letier , je lui passerai mon sabre à travers le corps. » Braves dé-
fenseurs delà patrie, vainqueurs de tant de rois, la fierté de vos
cœurs s'indigna de voir cette honteuse trahison ! vous fîtes écla-
ter par des murmures votre colère civique : vous étiez avides de
verser votre sanjj pour la République, et quelques-uns de vos
chefs la livraient impitoyablement aux poi{]^nards sacrilèges des
assassins ! Mais vos murmures vertueux échauffèrent la pensée
du gouvernement, doublèrent son courage et sa confiance; il
prédit la victoire que votre patriotisme bouillant et impétueux
allait remporter sur la multitude des conjurés.
» Les troupes étaient retournées vers le palais National , et l'on
avait négligé de leur assigner les points de ralliement, lorsqu'on
vint nous faire part de l'infâme conduite de Menou.
» Dans ces circonstances difficiles et périlleuses , les comités de
gouvernement et la Convention nationale crurent que je pouvais
être de quelque utilité à ma patrie, et, par décret, dans la nuit
du 12 au 15 , je fus nommé général en chef de l'armée deLjuté-
rieur. Je ne vous cacherai pas, représcntans , que je fus pn in-
stant effrayé de l immense responsabilité qui allait peser sur ma
tête; je voyais nos moyens de force insuffisans; je les voyais dis-
séminés. Gela pouvait-il être autrement? Le chef de l'armée pa-
raissait protéger h conspiration. Mais je vis votre sang près de
couler ; mon dévouement parut utile à la patrie : je ne délibérai
plus. Je m'entourai aussitôt des patriotes; j'appelai à moi les offi-
ciers destitués ; je ralliai le peu de troupes que nous avions ; j'éta-
blis des postes à toutes les avenues des Tuileries; je désignai des
réserves ; je donnai à chaque officier général un ordre de com-
mandernent circonscrit : le général Duonaparic , connu par ses
RÉACTION THERMIDORIENNE. 51
talens militaires et son attachement à la République, fut nomme',
sur ma proposition , commandant en second. L'artillerie de po-
sition était au camp des Sablons , et mal gardée : je la fis de
suite traîner ici ; je fis chercher des canonniers dans les bataillons
des patriotes de 89 et dans la gendarmerie; deux obusiers furent
placés aux points les plus intéressans. Le dépôt important de
Meudon n'était point gardé ; je donnai l'ordre à deux cents hom-
mes de la légion de police casernée à Versailles , à cinquante ca-
valiers de quatre armes , et à deux compagnies de vétérans de
s'y rendre. J'ordonnai également l'évacuaiion des effets de Blarly
sur Meudon. Les magasins de vivres étaient dispersés dans Paris :
le commissaire-ordonnateur reçut les ordres les plus précis pour
les faire arriver dans les Tuileries ; l'ordre pour la fabrication du
biscuit fut expédié , ainsi que celui de préparer des cadres et une
ambulance. Il fut assigné un dépôt pour les munitions de guerre.
Quelques-uns de nos collègues furent au faubourg Anioine, dont
nous connaissions l'attachement à la liberté. J'avais fait aussi ar-
mer des corps de gendarmes de la Convention ; j'avais fait éclai-
rer les routes de Saint-Germain , Versailles et Franciade ; je pas-
sai la nuit à faire préparer tout ce qui était nécessaire pour
repousser les rebelles. Je fis exécuter des mouvemens aux trou-
pes : ces changemens aux dispositions précédemment prises, et
peut-être convenues , étonnèrent singulièrement l'ennemi , et sus-
pendirent pendant la nuit toute entreprise de sa part.
» Le 15 au matin je fis la visite de tous les postes ; je rectifiai
ce que je trouvai de défectueux dans chacun d'eux. Je haranguai
mes compagnons d'armes; je leur prêchai surtout d'être avares
du sang des citoyens , d'être fermes à leur poste , et d'obéir à
leurs chefs. On est bien sûr de faire impression quand on parle à
des hommes déjà convaincus. Représentans, vous étiez alors dé-
fendus par le poste des Feuillans , ceux des rues de la Conven-
tion , de l'Echelle , du Carrousel , ceux du Pont-Neuf, du quai de
la Galerie, du pont Naiional , et par tous ceux que j'avais établis
aux avenues de la place de la Révolution.
» Si les efforts de nos républicains eussent pu un instant suc-
5^ CONVENTION NATIONALE.
comber sou.n les coups de nos nombreux enneoiis, javals ilc-
nagé à la C» nveniion nationale une honorable retraite à Sain t-
Cloud. J'étais maître de toutes les hauteurs. Là vous auriez dé-
libéi ë avec sécurité ; votre énergie s accroissant au milieu du brtiit
des armes , vos décrets eussent été la foudre lancée sur la tête
des rebelles ; la victoire était retardée , mais elle était complète ;
le dt^sespoir se mêlait à l'agonie des tyrans , nous terminions la
révolution : puissions-nous n'avoir pas à regretter un jour une
délaiie, et pleurer sur le sommeil étrange qui a suivi nos pre-
miers succès î
» Cei>endant toute la nuit et toute la journée du 13, jusqu'à
quatre heures du soir, la générale avait battu dans plusieurs
quartiers de Paris. Le citoyen Valentin , adjudant-général, et
suspendu de ses fonctions , vint m'annoncer dans la matinée que
la ConventiOâi serait attaquée à quatre heures du soir; il avait
entendu ce propos de la bouche indiscrète de quelques jeunes
gens. Des comniis^iaires de la sectioa Lepelletier, accompagnés
de huit tambours, proclamaient l'ordre impérieux de marcher
contre la Convention pour la forcer de reconnaître la souverai-
neté des sections de Paris , et en cas de refus de massacrer tous
ses membres... Je me trompe; soit par sentiment de recon-
naissance, soit dans le dessein de diffamer et de flétrir à jamais
quelques députés , leurs personnes furent exceptées de la pro-
scription.
» La sectioa Lepelletier faisait al.)rs distribuer des cartouches ;
celle du Mont-Blanc arrêtait les subsistances ; celle de l'Arsenal
s'emparait des chevaux de la République, et provoquait la sec-
lion Lepelletier à se rendre à Essonne pour se saisir des poudres ;
relie de Poissonnière faisait arrêter nos chevaux d'artillerie ; celle
du Théâtre-Français excitait, par des circulaires, les communes
environnantes à la rébellion; celle de la Fidélité aurait marché
avec du canon contre la Convention sans le dévouement et le cou-
rage de l'adjudaut-général Devaux, et de l'adjudant de division;
celle de lUnité et plusieurs aunes étaient insurgées et en armes.
Les généraux Ch "iimonl ri Loison recur» nt lor Ire de se reodi*»
RÉACTION THEU'-llbOKltWiVE. o5
aux positions que nous occupions sur la ligne de la rue Honore.
Cependant des colonnes nombreuses se formaient dans les deux
parties de Paris divisées par la Seine , et s'avançaient sur la Con-
vention. Je parcourais tous mes postes, recommandant aux sol-
dats et aux chefs de ne point en bouger, et d'attendre avec fer-
meté l'agression des rebelles. Nous étions alors en présence;
quatre heures venaient de sonner. Je suis informé que des
mouvemens hostiles et des coups de fusil sont tirés sur nos
patrouilles et nos vedettes. Je me rends sur-le-champ rue de la
Convention. Les rebelles étaient postés sur le perron de Saint-
Hoch , et des colonnes nombreuses couvraient les rues Honoré,
Roch et de la Loi. Je les fais sommer de se retirer sur-le-champ;
ma sommation est accueillie par des huées, des menaces, et
bientôt après par des coups de feu. Au moment que les colonnes
de rebelles arrivèrent dans toutes les rues où étaient nos postes,
et s'y formèrent en ligne, j'aurais pu profiter de cet instant si
critique, même aux troupes les mieux aguerries, pour les fou-
droyer ; mais le sang devait couler ; mais je devais laisser ces
malheureux, déjà couverts du crime de la révolte, se souiller en-
core de celui de fratricide : aux conjurés seuls devait appartenir
l'horreur des premiers coups.
» Ce signal donné , j'ordonne à l'instant au général Berruyer
et à l'adjudant Huart de faire dégager le front, et de repousser
la force par la force. J'arrive aussitôt rue de l'Echelle , où com-
mandait l'adjudant-général Blondeau ; mais l'ennemi ét^it déjà
repoussé ; je fis néanmoins avancer un peloton de gendarmerie
pour le soutenir. Prévoyant alors que toute ma ligne allait être
attaquée, je me portai à la rue Nicaise : les rebelles en effet
avaient pénétré la rue Honoré et celle de Rohan jusqu'au poste de
la garde nationale qui se trouve au milieu de cette rue. J'ordonne
au général Brune et à l'adjudant Gardane de sommer les révoltés
de déposer leurs armes ; mais la voix de la raison est impuissante;
l'autorité de la loi est méconnue; il faut encore déployer l'appa-
reil de la force pour soumettre les révoltés. Je courus de là sur
le quai , où des fusillades se faisaient entendre. Une colonne en-
^ CONVENTION NATIONALE.
nemie s'avançait sur un front considérable vers le pont National
par le quai Voltaire. Notre artillerie , placée au bas de ce pont ,
toute celle placée le long de la galerie du Louvre, où comman-
daient les généraux Guriaux, Verdière, Lestranges, firent bien-
tôt justice de cetlp troupe rebelle, qui s'était présentée avec
beaucoup d'ordre, et aux cris de vive le roi. Prévenu qu'il y avait
un engorgement dans la rue de la Convention, je m'y rends, et
je vois que l'ardeur de nos républicains les a emportés trop loin.
Je fais revenir la pièce de canon à la place que je lui avais as-
signée; je détachai quelques pelotons dans la réserve des Tui-
leries, que je plaçai sur la terrasse des Feuillans; deux pièces
de canon furent emmenées pour protéger les flancs. C'est ici que
la lâcheté se montre dans toute son horreur; les rebelles, re-
tranchés dans les maisons voisines, firent un feu meurtrier sur
les colonnes républicaines : je ne suis plus le maître de retenir
leur bouillante impétuosité ; l'airain tonnant frappe et ouvre en
un instant les refuges des traîtres ; ils fuient épouvantés. Je cours
alors vers la place de la Révolution , où je craignais quelcjues
tentatives de la part des royalistes. Un corps ennemi s'était en
effet montré du côté du palais Bourbon , et avait presque aus-
sitôt disparu. L'ennemi, chassé et mis en fuite sur tous les points,
se retrancha dans feglise Saint-Ruch, le théâtre de la Républi-
que et le palais Egalité; il était encore trop voisin de la Conven-
tion pour le laisser tranquille. Les rebelles de l'autre côté de la
Seine avaient été repoussés. J'ordonnai aux généraux Monchoisy
et Duvigneau qu'une colonne de la réserve de la place de la Ré-
volution ^'avancerait avec deux pièces d^ douze par les boule-
vards, et, tournant la place Vendôme, viendrait opérer sa jonc-
tion avec le détachement qui était aux Capucines , tandis que le
général Brune ferait avancer deux obusiers sur les rues iNicaise
et de Uohau, et que Cariaux, avec deux cents hommes et du
canon, viendrait se loger place Egalité en passant par la rue
Thomas-du-Louvre. Le général Berruyer reçut l'ordre de pren-
dre le commandement des Feuillans et d'avancer par la place
Vendôme. Toutes ces dispositions prises, le mouvement fut bien-
RÉACTION THERMIDOïlIENNE. 55
tôt communiqué à toute noire ligne ; les ennemis furent forcés
dans le théâtre de la République et le palais Égalité; ils se reti-
rèrent dans le haut de la rue de la Loi et vers l'Oratoire. Alors
commencèrent les barricades : je fis enlever à la baïonnette celle
établie à la barrière des Sergens, et je fus obligé de donner
l'ordre de tirer sur les dépaveurs de rue ; j'arrêtai alors avec
peine l'impétuosité de nos braves républicains. Je craignais, pen-
dant la nuit, les projets homicides des révoltés, qui se proposaient
d'assommer nos braves défenseurs en lançant des croisées des
pavés et des eaux bouillantes. J'établis mes avant-postes au
palais Égalité et au théâtre de la République. On n'entendit
pendant la nuit que quelques coups de feu de part et d'autre.
Le 14, à quatre heures du matin, le général Vachot s'établit
dans Saint-Roch , après en avoir chassé l'ennemi. La section Le-
pelletier était alors le quartier-général des rebelles; ils s'y étaient
fortement retranchés avec une pièce de canon. Je fis toutes mes
dispositions pour les forcer dans leur repaire ; mais la lâcheté ,
compagne de la trahison , avait fui devant la valeur républicaine :
je ne trouvai dans ce foyer de la conspiration que des armes, des
munitions de guerre , de bouche , et des attributs de la royauté.
Instruit que la femme d'un député avait été mise en arrestation
dans la section Brutus, je marchai avec deux colonnes par les
boulevards et la place des Victoires; mais ces messieurs, qui
avaient juré de soutenir l'honneur des chevaliers français , étaient
également en fuite. Je fis alors diriger les forces sur la place de
Grève et les ponts qui l'avoisinent ; des piquets visitèrent l'île
Saint- Louis. J'avançai ensuite avec un détachement de cavalerie
au faubourg Antoine ; là je retrouvai cet attachement fort
et solide pour la République, et la joie pure qu'inspirait la
victoire brillait sur tous les visages. Je terminai cette marche
par reconnaître le Panthéon et le Théâtre Français , où exis-
taient encore quelques vestiges de barricades.
> Instruit que des pièces de canon étaient envoyées aux re-
belles par la commune de Saint-Germain, j'ordonnai à un déta-
chementde cavalerie de s'en emparer et de désarmer ceux qui
56 CONViSMTlOW NATION ALt.
l'escortaient ; cet ordre fut exécuté. Les jours suivans Paris fut
déNarmé; cette mesure s'opéra sans résistance. Elle était néces-
saire et politique; mais je pense que la Convention nationale,
toujours juste, ne différera pas long-temps de réarmer ceux
qui l'ont si vaillamment défendue, et sur l'amour desquels elle
peut toujours compter. Je recommande aussi avec empres-
sement à sa justice et à sa bienveillance les militaires et autres
citoyens qui par leur courage ont obtenu la mémorable victoire
du 15 au 14.
» Plusieurs représentans à la tête des colonnes, les patriotes
de Paris et des départemens, les citoyens de la section des
Quinze-Vingts, les vétérans, les invalides, les canonniers, et nos
braves frères d'armes, les militaires et les généraux destitués
ont développé dans ces jours de crise une valeur, une intré-
pidité que l'histoire aura de la peine à persuadera la postérité.
Mais, représentans du peuple, nous avons à pleurer quelques
hommes qui ont péri dans ces mémorables journées. Martyrs
respectables et honorés , vous avez scellé de votre sang précieux
le triomphe de la vertu sur le crime ! Ombres généreuses et ma-
gnanimes, vous avez péri pour la liberté! Recevez aujourd'hui
de la patrie , comme vous le recevrez de la justice des siècles, le
tribut de la reconna ssance publique. Vos intéressantes familles
sont sous la protection de la patrie , elles ont pour appui tous les
hommes libres, et leuis noms glorieux sont pour jamais gravés
dans le cœur de tous les Français.
» Le calme est dans Paris ; les bons citoyens , les citoyens qui
n'avaient été qu'égarés veillent autour de vous : mais la rage est
dans le cœur des conjurés; ils rallient dans les ombres de la nuit
le fanatisme, la révolte et le meurtre ; ils correspondent tou-
jours avec le comité autrichien établi à Bàle, avec les agens de
l'Angleterre dans la Vendée, avec Condé , qui est en ce moment
sur les frontières du Jura , et de Wius , qui n'attend que l'instant
favorable pour descendre sur les côtes de Provence.
» Voyez sur tous les points de la République les émigrés en
place, dix mille d'entre eux dominant dans Marseille , leurs si-
RÉACTlOiN THERMIDORIENNE. 57
caires organisés en compagnies pour égorger les patriotes; les
officiers républicains remplacés par des royalibtes; les commis-
sions executives infectées de mauvais citoyens ; Toulon promis de
nouveau aux Anglais, mais courageusement défendu par les pa-
triotes; un club établi dans cette ville sous le nom de comédie
bourgeoise^ dont la carte d'entrée porte aux quatre angles une fleur
de lis, et sur le revers une croix de Saint-Louis; des mouvemens
au-delà du Rhin , combinés avec ceux de l'intérieur.
» La cocarde tricolore n'est plus dans plusieurs contrées du
midi qu'un signe de proscription et de mort. Les braves défen-
seurs de la patrie , si chers aux amis de la liberté , si honorés par
tous les cœurs républicains , sont partout couverts d'opprobres
et d'outrages.
» Représentans du peuple, lisez les destinées de l'Europe
dans le traité des tyrans fait à Pavie , et ratifié à Râle. Cette
pièce est authentique ; je l'ai lue ; je la communiquerai s'il est né-
cessaire :
€ La royauté rétablie en France dans la maison de Rourbon ,
» et la France de nouveau distribuée en provinces. La banque-
> route générale déclarée , hormis envers les étrangers et les
> Français fidèles à la boime cause. La rentrée de tous les émi-
» grés, et leur réintégration dans leurs biens, titres , droits, pri-
») viléges , etc.; les mêmes avantages envers tous les fidèles restés
» en France. Le rétablissement des parlemens , mais leurs pré-
» tendus droits anciens abolis ou restreints. La religion catholique
> déclarée de nouveau dominante , et son culte rétabli exclusive-
» ment dans tout son lustre; les biens ecc'ésiastiques réunis aux
» domaines ; mais il sera pris sur les revenus ce qui sera annuel-
• lement accordé aux évêques et aux curés : les pensions à ac-
» corder aux abbés commandataires encore vivans , aux bénéfi-
» ciers, aux religieux et religieuses, etc., seront prises sur Icsdits
» revenus. Tous les membres de la Convention qui ont voté pour
» la mort de Louis XVI seront condamnés à mort comme régi-
» cides , et leurs biens confisqués. Tous les principaux chefs du
> parti soi-disant patriotique, connus pour tels dans les trois
oS CONVENTION NATIONALE.
» assemblées nationales , dans les armées de terre et de mer,
> dans les autorités constituées, dans les sociétés ou assemblées
» populaires , ou ailleurs , condamnés à la même peine comme
» traîtres et rebelles, et leurs biens confisqués ; les chefs secon-
» daires condamnés aux fers ou à la déportation , et leurs biens
> aussi confisqués. Pardon général accordé aux restes dudit
> parti, à condition de payer une amende proportionnée à leurs
> facultés , et eux et leurs enl^ns déclarés incapables de remplir
» aucune charge ou emploi dans l'état. Les puissances en guerre
ï contre la France rentreront immédiatement en possession des
> conquêtes que les Français rebelles ont faites sur elles : le roi
> très- chrétien cédera pour dédommagement des frais et sacri-
* fices que ces puissances ont faits pour son rétablissement :
» lo A l'empereur, la Flandre française , le Haioault français ,
» la partie française d'entre Sambre et Meuse , la Lorraine et les
» trois Évêchés ;
> 2* Au roi de Sardaigne, le Bugey , la Bresse , le pays de Gex
» et Briançon ;
» 3°
» 4« A l'Angleterre la Bretagne , ou la Martinique et Saini-
» Domingue; item, Pondichéry et les autres éiablissemens fran-
» çais dans les Indes orientales ;
9 oo
» (j^ L'empereur sera dédommagé de sa partie de la Gueldre
» par la possession de Ma«.'Strech ; l'Alsace aura pour souverain
» un prince de l'empire, qui n'est pas encore désigné;
» 7o Quant à la Hollande, le rétablissement du siathouderat
> garanti par toutes les puissances coalisées, une nouvelle al-
» liance avec l'Angleterre et ses alliés, et l'île de Walcheren cédée
» à per|:iétuilé aux Anglais. »
» 0 comble de la scélératesse et de la barbarie ! les patriotes
beb^es, les patriotes holhîndais livrés aux poignards et aux écha-
fauds de l'empereur et du prince d'Orange I Jamais autant de
projets destructeurs ne furent plus perfidement combinés et
plus ouvertement tramés ; et cependant , par un prodige inouï ,
RÉACTION THERMIDORIENNE. o9
VOUS triomphez du nombre et de la scélératesse de vos ennemis !
i Oui , représentans , vous avez vaincu î Au centre de la con-
juration vous venez de remporter sur la coalition des rois une
victoire décisive sans doute; mais il faut que l'élan et l'énergie
de vos âmes répondent au mouvement et au feu des armes : vous
en perdez tous les fruits si vous n'arrachez à leurs émissaires
tous les moyens d'assassiner la liberté jusque dans son sanctuaire,
IJnion sincère et forte entre tous les républicains , mais haine
profonde et éternelle à tous les royalistes, une barrière insur-
montable entre eux et nous! Qu'ils aillent porter autour des
troues leurs richesses corruptrices, leurs bassesses, leurs poi-
gnards, et leur fureur de servir des maîtres et de mutiler des
esclaves î
)) Les royalistes ont tout osé pour consommer le crime de la
tyrannie : osez tout pour le triomphe de la République ; elle est
perdue si vous ne vous montrez inflexibles envers tous les traî-
tres ! Que peuvent des paroles de clémence contre des ennemis
qui ne respirent que les haines et les vengeances?
» Vous les croyez anéantis. Prêtez l'oreille à leurs cris sinis-
tres et à leurs discours féroces : tout ce qu'ils n'ont pu cor-
rompre est proscrit ; tout ce qui s'est opposé à la ruine de la
République sera immolé. Encore quelques jours, disent-ils, et
nous achèverons le massacre de ces orgueilleux fondateurs ! En-
core quelques jours, et il ne restera pas un seul défenseur de
la liberté sur la terre ; nous n'y trouverons plus un seul accu-
sateur
» Parcourez leurs correspondances : ils annoncent dans leur
affreuse joie, aux tyrans avec lesquels ils conspirent , qu'ils tou-
chent au moment de se baigner dans le sang du peuple français
et de ses plus fidèles représentans ; tous vos amis, les braves ci-
toyens, les héros qui ont défendu la représentation nationale,
qui ont sauvé la République dans l'immorLelle jcuriiée du 15
au 14, sont déjà poursuivis dans leur pensée comme des bri-
gands et des assassins.... Que dis-jc! ce blasphème impie est
bO CONVENIION .NAllO^ALE.
échappé de la bouche de leurs bourreaux ; il a retenti jusque
dans celle enceinte!
> Keprésenlans du peuple , mon devoir est de tout vous dire ,
de tout braver pour sauver mon pays. Celui qui dans ces mo-
mens de danger ne se passionne pas pour les moyens de le sauver
vous trahit; il conspire.
> J'entends dire que les rebelles sont désarmes ; mais leurs par-
tisans, leurs complices, leurs effrontés prou cleurs sont encoie
puissans; vous les voyez plus occupés à consoler les ombres sa-
crilèges des conspirateurs qu'à sonder les plaies de la patrie ,
qu'à soulager avec vous la douleur publique : ces hypocrites vous
séduisent par l'apparence de quelques vertus qui vous sont habi-
tuelles; mais ils vous combattent en secret par la ruse, le men-
songe et la perfidie ; ils s'isolent de vous pour mesurer les coups
qu'ils se préparent à vous porter.
» Le point d'appui du royalisme est frappé, mais il n'tst pas
abattu; son horrible ouvrage subsiste tout entier; la famine, la
banqueroute, l'assassinat des patriotes restent organisés. Les
conjurés vont s'asseoir parmi les magisirats , parmi les manda-
taires du peuple ; et lorsque la royauté seule devrait être en
deuil , par quelle fatalité le crêpe du malheur et de la mort enve-
loppe-t-il toujours le sol de la République? r
» Représenians du peuple, la punition du crime n'épouvante
que la faiblesse ; vous êtes comptables au peuple de sa grandeur :
si vous n'aiteignez tous les traîtres par la rigueur de la justice,
si vous ne punissez les attentats qui ont fait couler des flots de
sang et de larmes, vous vous chargez d'une responsabilité ter-
rible.
> Songez qu'après la scélératesse ce qui menace le plus la
patrie c'est la pusillanimité des gens de bien ; leur mollesse as-
sure l'impunité , encourage le crime , et laisse opprimer le peuple.
> C'est surtout par amour pour la justice et pour l'humanité
que j'évoque du fond de vos cœurs les sentimens forts et énergi-
ques d'une fermeté inébranlable. Une justice prompte et inflexi-
ble eût déjà rompu tous les complots ; votre indulgence les a fait
RÉACTION THERMIDORIENNE. 61
renouer : plus vous attendrez , plus vous verrez s'accroître les
obstacles et les dangers. Que les leçons de l'expérience nous ap-
prennent à être sages ! Le temps est précieux ; si vous persistez
à vous montrer indulgens aujourd'hui , vous serez cruels demain.
Soyez sévères , pour que personne ne soit atroce ; soyez fermes ,
afin de n'être jamais exagérés ; maintenez-vous à la hauteur delà
justice , si vous ne voulez pas être obligés dans quelques jours de
forcer toutes les mesures. Ceux qui cherchent à couvrir le crime
de leurs manteaux , qu'ont-ils fait au moment du danger contre
vos ennemis ? Que vous proposent-ils aujourd'hui pour sauver la
République, trahie et menacée sur tous les points? Eclairons la
conduite de tous les traîtres ; de tous ceux qui ont protégé le
royalisme ; portons la lumière dans tous les replis des complots :
les tempêtes ne sortent jamais que du sein des nuages et des té-»
nèbres. Je vous le déclare , représentans du peuple, si vous lais-
sez les rênes de la révolution dans des mains crimmelles ou sus-
pectes , personne ne peut être certain de son avenir ; l'ordre so-
cial est troublé pour long-temps jusque dans ses sources les plus
profondes; un siècle de discordes civiles et de calamités pubhques
désolera notre malheureuse patrie.
1» Soyez donc aujourd'hui ce que vous avez été dans toutes les
circonstances menaçantes! Conservez ce courage vertueux qui
vous a fait accomplir de si hautes destinées ; soyez grands et ma-
gnanimes comme le peuple que vous représentez; faites pour le
triomphe de la République ce qu'on a tenté pour le retour de la
monarchie; pardonnez à l'erreur, mais montrez-vous inébran-
lables envers les traîtres ! La clémence dans ce cas serait funeste
au peuple : ne laissons pas à d'aussi vils ennemis un triomphe qui
serait à la fois la honte et la perte de l'humanité.
» Il n'appartient pas au chef de la force armée de vous pro-
poser aucune mesure ; mon devoir est de faire exécuter celles
que vous commandent les intérêts et les dangers de la Répu-
blique. >
— Les journées de vendémiaire n'eurent aucune conséquence
fâcheuse pour le parti vaincu. Il y eut trois commissions militaires
fj'2 « ONVENTIOTf "ÏATIOîfALE.
de nommées , mais elles De condamnèrent que des conlumaccs ,
qui se représentèrent ensoite devant le tribonal criminel de la
Seine, où ils furent acquittés c parce qn'il n'y avait pas en de ré-
volte le 15 vendémiaire. > Ces journées ranimèrent on instant ,
ainsi que nous l'avons dit , les espérances des Jacobins. Elles Ta-
rent encouragées par la conduite du parti Tallien qui Toufait
surtout tirer venj^eance des membres de la Convention qu'il avait
eu à combattre dans ces dernières affaires, favorisait ouvertement
les hommes de Tancienne Montagne. De leur côté, ceux-ci se
montraient très-disposés à profiter des circonstances. Dès le 6 oc-
tobre (14 vendémiaire) j Pérard, ami intime de Choudieu , fit la
motion suivante :
Pérard, « La République long-temps méconnue, trop long-
temps avilie, a été véritablement sanctionnée hier et aujourd'hui
par le courage des hommes de 89. ( On applaudit. ) Le canon de
la Bastille a de nouveau retenti ; il faut que la victoire soit utile ,
et qu'enfin le royalisme soit comprimé pour ne se relever jamais.
On a lardé long-temps à se décider à celle mesure, il faut l'adop-
ter; il faut que tout œ qui combattit la patrie et versa le s:mg des
patriotes soit puni ; que l'exemple soit marquant. (Les applaudis-
semens se renouvellent.)
• Pour prendre des mesures promptes et efficaces il faut
centraliser les volontés et resserrer leur action, le temps est pré-
cieux.
» Décrétez que les comités de salut public et de sûreté générale
nommeront dans leur sein une commission de trois membre^, qui
vous proposeront, séance tenante, des mesures de gouvernement,
relatives au passé et au présent. > (Il s'élève de violens mur-
mures.)
Celte motion fut combattue par Chénier, et rejetée. Quirot et
Goiirdan demandèrent ensuite le rapport de la loi du 1:2 fructi-
dor (29 août), relative aux révolutionnaires détenus, parce qu'elle
ne portail, dit Gourdan, « que sur des hommes arrêtés la plupart
pour cause de patriotisme. > Garran et Colombel appuyèrent la
proposition ; Thibaudeau l'attaqua et la fit renvoyer au comité do
RÉACTION THERMIDORIENNE. 6?
sûreté générale. Un grand nombre de propositions du même genre
furent faites coup sur coup par les Montagnards; mais ils n'ob-
tinrent d'autre succès que celui de s'entendre applaudir de nou-
veau, car leurs demandes ne passèrent pas. Le 8 octobre {[6 ven-
démiaire) Thirion écrivit à l'assemblée pour obtenir d'être jugé
ou mis en liberté. Bentabolle vota pour le renvoi de celte lettre
au comité de législation qui ferait un rapport. — Dubois-Crancé.
€ Je demande que ce rapport s'étende à tous les députés mis en
arrestation. Nous avons violé la Constitution , car il ne nous ap-
partenait pas de déclarer que les députés , qui n'étaient point en
état d'accusation, seraient inéligibles au corps législatif. (Quelques
applaudissemens. — Violens murmures.) On objectera avec rai-
son que ce décret a été soumis au peuple qui l'a sanctionné, mais
je dis qu'il est juste de reconnaître , avant de nous séparer, l'in-
nocence de ceux de nos collègues qui n'ont pas mérité le décret
d'accusation. » — La proposition de Bentabolle fut seule adoptée.
Le lendemain, Delabaye, au nom du comité de législation, fit un
rapport sur J. B. Lacoste, l'un des députés décrétés d'arrestation,
et conclut à ce qu'il rentrât dans l'assemblée. Après une discussion
très-vive, la Convention rejeta celte proposition comme contraire
aux décrets des 5 et 15 fructidor, et censura le rapporteur. Cet
échec devait suffire à ouvrir les yeux des membres du côté gauche,
car Taliien lui-même avait parlé pour l'ordre du jour, en disant :
€ Se moque-t-on de la volonté du peuple ?... avant de passer à
Tordre du jour, il faut faire voir au peuple qu'on veut attaquer
la Constitution et mépriser sa volonté. » — Oui! oui! s'écria le
côté droit.
« Les membres qui siègent dans la partie droite, dit le Moni-
teur, sont dans la plus vive agitation. — Le tumulte augmente et
force le président de se couvrir. — Le calme renaît. »
André Dumont. « Je ne m'occupe pas des faits contentis dans
le rapport ; mais je rappelle à la Convention qu'il ne lui est plus
permis de penser à faire entrer dans son sein des hommes que
les décrets des 5 et 13 fructidor, décrets sanctionnés par le peuple,
ont déclarés inéligibles. On ne peut , sans porter atteinte à la
64 CONVENTION NATIONALE.
Conslilulion et à la volonlé souveraine du peuple, rien faire contre
la leitro et l'esprit de ces décrets ; vous les avez déjà attaqués
hier, en prononçant le renvoi qui a été demandé à l'occasion de
la lettre écrite par Tliurion.
> Je demande que la Convention rapporte le décret de renvoi
qu'elle a rendu hier, qu'elle défende qu'il lui soit jamais fait au-
cun rapport sur pareille matière, et qu'elle déclare formellement
qu'elle ne chanjjera point les époques fixées pour la convocation
des assemblées électorales, la formation du corps législatif et l'é-
tablissement du gouvernement constitutionnel. » (On applaudit
vivement.)
Legendre de Paris, c Fermez la discussion ; vous n'avez pas le
droit de discuter la Constitution. > (Oui! oui! s'écrient tous les
membres de la partie droite en se levant.)
La discussion est fermée. — BentaboUe, < Je demande la pa-
role. > — Vive la République! s'écrient les membres de la droite
en se levant. — Le reste de l'assemblée suit ce mouvement. —
Les propositions d'André Dumont sont adoptées au milieu des
plus vifsapplaudissemens par la grande majorité de l'assemblée.
— Environ trente membres de lextréaiité gauche ne se lèvent à
aucune des deux épreuves. > (Moniteur.)
Les thermidoriens siégeaient toujours à droite. M. Thibaudeau
nous explique ainsi dans ses mémoires, t. 1, p. 22(1 et suivantes,
le retour de Tallien et de ses amis sur les bancs de la Montagne :
« Le 17 vendémiaire (9 octobre), il y eut un dîner chez Froma-
lagnez; nous y étions environ une douzaine, savoir : Boissy, La-
rivière, Lesage, Legendre, Tallien, etc. Après dîner, Legendre
dit aux quatre premiers qu'il avait à leur reprocher le silence
qu'ils avaient {;ardé pendant la révolte des sections , et sur les
éloges que \e^ royalistes leur avaient donnés dans leurs placards
et leurs journaux. Ils répondirent qu'ils n'avaient pas du repous-
ser des éloges qu'ils croyaient mérités; qu'ils ne les avaient point
recherchés ; qu'ils avaient gardé le silence , parce qu'ils avaient
peiîso qu'il valait mieux temporiser que brusquer une explosion ,
et qu'ils avaient craint le retour du terrorisme. Celte justification
RÉACTION THERMIDORIENNE. 65
était bien faible , car si , pour éviter la terreur , la majorité de
la Convention eût aussi gardé le silence, il n'est pas douteux
qu'elle n'eût été culbutée par le Royalisme. Cependant Legendre
était quelquefois de bonne composition, et il se contentait de
ces explications, lorsqu'en les donnant Lanjuinais dit te mas-
sacre du 15 vendémiaire. A ce mot, Taîlien entre dans un ex-
cès épouvantable de fureur; il ne se possède plus; il accuse
Lanjuinais et ses collègues de connivence dans la rébellion des
sections, il les traite de conspirateurs, et Fromalaguez d'es-
pion , il veut sortir pour aller les dénoncer à la Convention. On
se jette au-devant de lui pour l'arrêter, on ferme les portes, on fait
tout au monde pour l'adoucir : il menace de tout briser , et ne
veut entendre à rien. J'avais des raisons de croire que Tallien ne
cherchait qu'un prétexte pour se séparer des soixante-treize et
retourner à la Monia,;ne. Dès ses premiers mouvemens je crus
m'apercevoir qu'il jouait la comédie : j'étais donc resté assis et je
le regardais tranquillement vociférer et se débattre, lorsqu'enfin ,
fatigué de la prolongation de cette scène scandaleuse , je dis de
sang-froid f < S'il veut absolument sortir, ouvrez-lui la fenêtre. >
Ces mots produisirent sur lui l'effet d'un seau d'eau jeté sur un
chien qui se bat; il reprit sa raison et se remit en place. Lanjui-
nais put enfin s'expliquer ; il convint qu'il s'était servi d'un terme
impropre et dit qu'il appelait massacre toute affaire dans laquelle
le sang coulait , mais qu'il n'avait eu aucune mauvaise pensée.
Cette explication parut satisfaire Tallien ; on se réconcilia, on se
promit mutuellement de rester amis, et de ne point parler de ce
qui s'était passé. On ne se tint point parole ; on en paila, et, selon
l'usage, chacun à sa manière. »
Le 15 octobre (25 vendémiaire) , Tallien et ses amis allèrent
reprendre au haut de la Montagne la place qu'ils avaient aban-
donnée depuis quatorze mois. Ce même jour, Delaunay d'Angers
fit un rapport sur la découverte de la conspiration de Lemaître.
La correspondance saisie chez lui prouva, dit le rapporteur, l'exis-
tence d'un comité secret d'émigrés, à Bàle, qui paraissait compter
sur les assemblées primaires de Paris : parmi les hommes dési-
T. XXX VII. 5
^m CONVENTION NATIONALE.
gnt'S comme utiles au plan , les auteurs des lettres nommaient
Laliarpe , Lacretelie et Richer-Sérizy. A la suite de ce rapport ,
il fut décrété que Lemaîire , ancien secrétaire-général des finan-
ces, chez lequel les papiers avaient été saisis , serait traduit de-
vant une commission militaire à Paris. — Talîien se leva aus^it(Jt
et parla avec une g^rande véhémence ; il s'accusa d'avoir g^rdé le
silence sur les dangers de la représentation nationale , sur les in-
dividus qui protégeaient la révolte des sections de Paris, et
avaient des chevaux prêts pour aller au-devant du roi , si la Con-
vention eût succombé : il termina par demander un comité gé-
néral , ce qui eut lieu. — Tallien y dénonça Lanjuinais , Boissy-
d'Anglas, Henri Larivière et Lesage d'Eure-et-Loir. La séance
secrète fut très-orageuse. La Convention décida qu'il n'y avait
pas lieu à inculpation contre les quatre députés dénoncés. Le len-
demain, Louvet , qui faisait cause commune avec le parti Tallien ,
attaqua Rovère et Saladin , comme les chefs ou premiers fauteurs
de la révolte des sections, et demanda leur arrestation. Il cita
un grand nombre de faits d'où il résultait que Rovère avait aidé
aux mouvements royalistes de Paris , et qu'il était le correspon-
dant et le protecteur des assassins du midi. II cita, de Saladin, la
brochure publieli par ce dernier contre les décrets des o et
lô fructidor. L'assemblée décréta l'ai restaiion de Rovère et celle
de Saladin (t) ; elle décréta , en outre, la lecture des papiers sai-
sis chez Lemaître ; elle eut lieu le lendemain. Voici l'analyse qui
en fut donnée :
Ysabeau. « Je viens, au nom du comité du sûreté générale, sa-
tisfaire à votre décret , et vous donner lecture de la correspon-
dance trouvée chez le nommé Lemaître, ancien secrétaire du roi,
ci-devant noble et agent des princes à Paris.
> Lemaître est arrêté; il demeurait rue Sainte-Croixde-!a-
Brelonnerie.
> Un grand nombre de lettres composent sa correspondance ;
(f ) Ils Turent rais en liberté par ua décret du conseil des Anciens dans les pre-
miers jours de novembre. ( Aofe dfj auteurs. )
RÉACTION THERJIIDORJENNE. ' 67
elles sont presque toutes timbrées Huningue y et viennent de
Bâle ; il y en a plusieurs du ci-devant Monsieur.
» Les lignes apparentes de ces lettres sont écrites avec de
l'encre très-noire , et conliennenl des choses indifférentes , quel-
quefois des expressions républicaines ; c'est dans les interlignes
que se trouve la véritable correspondance écrite avec une com*
position qui noircit par les acides.
» Dans ces lettres , le ci^devant Condé est désigné par 77 ,
d'Artois par 29 , Monsieur par 49 , etc.
t Juillet et août 1796. « On est bien embarrassé de Puysayeà
Londres. Saini-Mauris , parent de Galonné , est nommé inten-
dant de l'armée catholique; il est parti avec huit milhons d'assi-
gnats faux et autres drogues. 77 (Condé) est bien l'être le plus
maussade qui existe; il est toujours en dessous. Les Anglais sont
bien déterminés à recommencer, si la première tentative ne
réussit pas. Piit va faire couler le Pactole au milieu de la hgue.
> Il faut nous procurer les papiers relatifs à la cérémonie du
sacre ; M. de Nantouillet veut les avoir. M. Gallois, qui était em-
ployé aie poste , pourra les trouver. Tachez au moins d'avoir les
livres des sacres de Louis XIV , de Louis XV , et de Louis XVI ,
avec les deux volumes du cérémonial d6 Godefroy et celui de
Saintor L'abbé Maury pense qu'il faut bientôt terminer
Tallien nous l'a baillé belle avec son impudent rapport sur Qui-
beron. Nous avons eu une belle peur : le lendemain le Moniteur
nous a rassurés. Nous apprenons que Nantes est pris; l'armée
va marcher sans doute sur la Roche-Sauveur ; Charette a dii faire
sa jonction : voilà une armée , de braves officiers ; l'affaire est
en bon train. M. de Nantouillet vous prie de ne pas oublier le
cérémonial du sacre ; ce sera un coup de maître.
» Enfin l'on s'est embarqué. 20 ( d'Artois ) est à bord de VAsia,
de soixanie-quaîre canons. Voilà nos Argonautes qui vont à la
conquête de la toison d'or. Les entretiens roulent ici sur Quibe-
ron. On croit au masque de Berlin ; je n'y crois pas ; l'oncle de
Frédéric est rentré dans son taudis ; il ne se tirera jamais de la
boue dont il est couvert. ., L'Espagne a donc traité I Si Charhs TU
6S CONVIiNTION NATlUiNALE.
ressusciiaii , comme il roujjiraii de la paix de son fils ! Les af-
faires vont mal. Il ne fallait pas faire le Henri IV et le Louis XII
avant le temps; il fallait cajoler 77 ( Condé).
» La couronne ensanglantée qui tombe sur ma tête doit être
pour vous l'occasion des plus sérieuses rétlexions. (C'est Mon-
sieur qui écrit au duc d'Angoulême. ) Elle doit vous appartenir
un jour, selon Tordre de la nature. Songez que le sort de vingt-
cinq millions d'hommes dépendra de vous.... Le fils (duc de
Bourbon) de 77 (Condé) se conduit à merveille ; c'est la valeur
et la loyauté même... Je crains un bouleversement à Londres.
» Breteuil ne se relèvera pas de celte chute. Sur quoi faut-il
compter? Les Anglais viennent d'enlever cinq millions d'écus en-
voyés à Gènes par la Convention pour achats de grains.... Il est
question de l'échange de Madame royale contre les coquins de
députés. 11 est bien à désirer que cet échange ne s'effectue pas. »
Unninguc , le 17 aoiu. c Me voilà de retour de Vienne, où j'ai
eu une conférence avec l'ambassadeur anglais. L'Angleterre fait
feu ei Haumie ■■, elle presse, elle donne de l'argent tant qu'on veut
poui- augmenter l'armée de 77 ; elle fait acheter des chevaux bons
et mauvais , elle a fait partir un exprès pour la Hongrie , où l'é-
vêque de iS'ancy lui a promis un corps de 6000 mille Français.
€ Merlin de Thionville, Kewbell et Hivaud sont venus dîner
dimanche chez Barthélémy ; ils étalaient un luxe asiatique ; ils
avaient trois voitures , dont ww^. du roi. A leur suite étaient dix-
liuii personnes à cheval , des officiers des mieux tenus et des plus
agiiiables. »
> llun'mguc^ le 11) aoîd. « Wurmser arrive. On craint que les
Lyonnais et les montagnes n'éclatent avant le temps ; ou fait tout
ce qu'on peut pour les retenir. Nous devons entrer sous un mois,
probablement , par le Porentruy ; aiors la grande armée passe-
rait le Rhin, et nous nous agirions dans la Franche-Comté avec le
corps de 18,000 hommes, commandé par le général Wurmser,
pourvu toutefois que ces messieurs ne nous laissent pas tous
seuls, en nous disant : Vous y voiià, lire/.-vous-en. >
t On lit dans une lettre' d'Huningue, le tî^ août , adressée à
RÉACTION TUEKMlDORIiiNNIi. GD
M..., rue Beaujolais, n. 912 ; « Puisaye n'est qu'un intrijjant ; il
faut espérer que l'aventure de Quiberon aura fait ouvrir les yeux
sur son compte.
< Vienne relient tout aujourd'hui par sa ténaciië ; son système
m'épouvante. On ne sait plus oii donner de la tête ici. Le terri-
toire bâlois va être violé par une armée de 60,000 hommes qui
est à ses portes. En attendant, on voit arriver à Baie des ouver-
tures de paix de tous les petits princes d'Allemagne ; mais tout
cela ne servira à rien.
« Barthélémy est malade; il avait été proposé de lui faire le-
mèttre une note pour lui ordonner, au nom du roi , de quitter
l'ambassade et de remettre tous les papiers , ce qui eût donné des
renseignemens très-précieux; mais on n'a pas répondu, parce
qu'on ne répond jamais. II serait bien nécessaire d'établir à Paris
une correspondance avec Gharette.
» Le ciel et la terre sont sourde à ma voix. Rien ne niarche que
le temps et notre ruine totale. Il n'y a point d'énergie ailleurs
que dans la Vendée.
» Je vois avec plaisir Madame royale sortir des fers ; mais je
ne la vois pas avec plaisir daus les mains autrichiennes ; j'aime-
rais mieux la voir dans celles de Gharette. Ge serait là sa vraie
place.
» L'expédition de la flotte de d'Artois n'est que de 4,000
hommes.
» Jamais l'empereur n'a eu une si belle armée. Wurmsercoui-
mande 80,000 hommes d'élite : il menace de passer le Rhin ,
mais il n'en fera que le semblant.
» Glerfait reste sur la défensive ; ie recrutement de l'armée de
Gondé n'est pas fort; Devins ne fait plus rien en Italie; le roi
sarde est traité fort lestement ; Gâteau a les jambes enflées; elle
ne marche presque plus.
> Les corps anglais à cocarde blanche vont à l'armée de Gondé;
cela ne la renlxjrcera pas beaucoup ; tout le monde est officier,
personne n*est soldat. Vienne et Londres ne s'entendent pas
trop. »
70 CONVENTION NATION.U,E.
> 8 Septembre. « Les chansons étant ce qui convient le mieux
au peuple français, nous en avons établi une fabrique. Nous vous
en envoyons le prospectus ; vous les ferez réimprimer ; vous fe-
rez gémir les presses sur les chansons , cela sera un peu plus
{jai. —La Vendée, la Vendée! c'est là notre salut. »
10 Septembre, i C'est la chute des deux tiers qui peut nous sau-
ver, si les constitutionnels ne prennent pas la direction des af-
faires. Il ne faut pas s'en rapporter à Vienne qui nous joue ; ce
n'est qu'en donnant une grande consistance à Monsieur par Cha-
rette, qu'on réussira. — Londres et Vienne s'observent ; on ne
sait que penser, c'est un bois. L'empereur n'a pas voulu qu'on
répandît de son côté la déclaration du roi.
» Si Paris voulait aller , que ces gens fourbes et atroces seraient
trompés! ils le craignent : faites faire explosion, criez vive le
roi! vous aurez mérité de la patrie, les honneurs de la séance ,
l'accolade , etc.
iCe que je propose est peut-être plus facile en spéculation qu'en
réalité. — Nous n'avons d'espoir que dans les troubles intérieurs ,
Charette et l'horreur de la Convention. — Les Lyonnais disent
avec raison qu'ils sont malheureux par les efforts des hommes
qui veulent tout faire et qui ne savent rien faire.
» Je ne conseille pas au roi d'accepter la place de maire per-
pétuel de Paris ; j'aimerais mieux le voir entre les mains des pa-
triotes , que dans celles des puissances qui n'ont ni foi ni loi. —
Le triomphe des constitutionnels n'a pas été long ; il n'y a qu'un
cri contre eux. »
liàlc , /e 30 fructidor, e Le peuple de ce pays est tout jacobin ;
il vous tue les soldats et les geniilshommes à coups de fusil. —
Il y a deux partis à Vienne : l'un veut la paix , l'autre veut la
guerre. Ah! si on la voulait sérieusement la guerre!...
• Si les sections sentaient qu'elles peuvent devenir le point
d'union de la France entière, elles conserveraient leur attitude
résolue. Si elles ont voulu tout détruire, elles peuvent tout ra-
mener ; alors l'Autriche restera avec un pied de nez. Il dépend
encore de l'Angleterre de déjouer Vienne. — A vos sections , à
REACTION THERMIDORIENNE. 71
Charette à réparer tous nos maux. (On en fait ici un grand dé-
tail. ) Il faut un coup d'éclat ; plus de Convenlion. Cela tient à un
brouhaha de Paris; sans cela plus d'espoir. >
» Dans une autre lettre où. lit : « Vérone est une bonne posi-
> lion pour rejoindre Charette ; rien n'empêche d'y arriver , au
• lieu que, d'un autre côté , l'empereur peut barrer le chemin.
» Paris tient bon , voilà l'essentiel; tout ira s'il ne mollit pas.
» Je ne crois pas ce que disent les journalistes , qui prétendent
» que déjà on lâche le pied, qu'on ne va plus aux sections. >
Une autre lettre est signée Magny.
Bassal, « Ce Magny est un électeur du département de Seine-
et-Oise, et l'un des plus grands meneurs de Versailles. »
Ysabeau reprend la lecture, « Magny dit dans sa lettre : t On
ne pouvait s'attendre qu'à ce qui est arrivé ; tout est trop dé-
cousu dans cette grande ville , pour espérer un ensemble conve-
nable. Elle est trop grande de moitié pour toutes sortes de rai-
sons. Il y a trop de gens empressés de gouverner sans aucuns
moyens pour le faire. — Raffet est parti hier pour se rendre au-
près de vous. Je n'ai pas de nouvelles de Dreux ni de Chartres ;
je suis encore aux expédiens pour correspondre avec ces deux
villes. >
Cette lettre est datée du 8 octobre.
Dans une autre lettre, datée d'Huningue, il est dit : c Tout
s'annonce pour l'avantage des sections. Quelle force n'auront-
elles pas , aidées de la coalition et de l'opinion des départemens?
Quelqu'un qui arrive de Paris dit qu'il y a bien des partis, qu'il
y en a un pour le duc de Chartres; mais que la masse est com-
posée de républicains. Les principaux chefs sont Laharpe , La-
cretelle et Sérisy ; mais ces hommes ne sont pas républicains ;
comment peuvent-ils mener ceux qui le sont? — Si Ton élait
bien sûr que ces trois personnages menacent les sections , ne
serait-il pas aisé de s'en rapprocher et de les faire servir 49 ?
Baie pourrait être le lieu de rapprochement. Un mot du roi pour-
rail être donné. — L'empereur a écrit à la diète de Ratisbonne
pour demander comment serait puni le landgrave de Hesse-Cas-
72 GONVtMlOM WATIONALE.
sel, pour avoir fait sa paix particulière avec la France. Cela est
honteux, lorsque lui-même abandonne l'empire d'une manière
aussi absolue. >
La dernière des lettres est de Magny. t On demande, dii-il ,
des secours de connaissance à Orléans. Le ventriloque et le der-
nier mot aux Parisiens, que j'y ai fait parvenir, ont fait un grand
effet. »
— «On lit ensuite des notes dans lesquelles on trouve les noms
de Lanjuinais, Tallien , Frëron , Boissy, Cambacérès , Larivière,
Doulcet, Bentabolle, Levasseur, Isnard , Fermont , Lomont ,
Taveaux, Dul ois-Dubay , Bomel, etc. Il nous a été impossible
de rien recueillir de ces notes qui n'ont pas de suite, qui ne pré-
sentent aucun sens, et qui le plus souvent paraissent être des
renseignemens pris sur les évenemens dont on rapporte les
dates > (Moniteur). — Plus tard on lut encore deux pièces où
Cambacérès etGamon se trouvaient compromis.
Le parti de Tallien continua énrrgiquement la guerre qu'il
avait déclarée au côté droit. Il fit décréter d'arrestation Aubry,
Lomont, Gau, député nommé au conj^il des cinq cents, et le
général Miranda. Chcnier fit un rapport sur Its massacres du
midi , d'où les représentons Guéiin , Boursaull , Espinassy, Du-
rand-Muillanc , Olivier Gérenie, Chazal, Ferroux, Isnard, Cliam-
bon et Cadroy furent rappelés. Il n'était question, pour Tallien,
Barras , Chénier, Louvei , que d'annuler les opérations des as-
semblées électorales, dénoncées chaque jour comme ayant été
déterminées par les influences royalistes. Les patriotes deman-
daient une amnistie , et ils étaient favorablement écoutes.
A la suite du rapport fait par Barras , le ±2 octobre (ÔO ven-
démiaire), et plus haut transcrit, la Convention nomma une
commisbion de cinq membres « pour présenter des mesures de
salut public. » Ce décret fut porté sur la proposition de Roux
delà Marne. A la séance du soir, l'assemblée désigna Tallien,
Dubois-Crancé, Floreni-Guyoi, Roux delà Marne, et Pons de
Verdun, pour com|X)ser cette commission. Elle fut regardée
comme la prise de possession de la dictature par le parti Tallien.
RÊACTlÔiN THERMIDORIENNE. 75
Le bruit courut qu'elle allait demander la prorogaiion de la Con-
vention , et la nullité des élections.
M. Thibaudeau nous apprend , dans ses Mémoires , qu'il prit
aussitôt la résolution de combattre et de paralyser la commission
des Cinq. Tallien devait faire un rapport le 25 octobre ( l^r bru-
maire. ) Au commencement de la séance , MeauUe ayant proposé
la mise en liberté de tous ceux qui n'avaient fait qu'exécuter les
ordres des représentans en mission, Thibeaudeau demanda si l'on
voulait rendre la liberté aux membres du comité révolutionnaire de
Nantes. Il s'éleva ensuite avec force, au milieu d'interruptions fré-
quentes et de violens murmures , t contre la nouvelle tyrannie
que préparent à la nation quelques hommes irrités de n'avoir point
eu la priorité de la confiance nationale dans les élections. » 11 dé-
signa nominativement Tallien comme le chef de ce parti : il lui
reprocha d'avoir organisé, avec Fréron , la réaction royaliste, et
trouva étrange que , lorsqu'il existait aux comités une lettre du
Prétendant , où il disait qu'il comptait beaucoup sur Tallien pour
rétablir la royauté , il fût venu , avec aussi peu de décence, accu-
ser des hommes estimables , parce que leurs noms se trouvaient
inscrits sur des notes insignifiantes : il lui reprocha de s'être fait
l'orateur de la Montagne , qu'il avait auparavant appelée la fac-
tion des mâchoires ; d'avoir injurié la nation , en disant que les as-
sen)blées électorales de France étaient composées de royalistes,
et d'avoir fait créer une commission qu'il appelait, lui , une cham-
bre ardente, dans l'intention de faire casser les corps électoraux
et ajourner la formation du corps législatif : il demaada que celte
commission des cinq fit son rapport , séance tenante , et qu'im-
médiatement après elle fut dissoute. — Tallien , qui venait-d'en-
trer dans l'assemblée, reprocha à Thibaudeau de l'avoir attaqué
en son absence ; demanda qu'il signât sa dénonciation , et s'en-
gagea à y répondre publiquement : il déclara ensuite que la vic-
toire du 15 vendémiaire n'avait profité qu'aux vaincus; qu'ils
avaient trouve moyen de s'échapper ; que si l'on voyait sur les
listes d'élections les noms de patriotes , on y voyait aussi les noms
de défenseurs officieux de Louis Capet , de prévenus d'émigra-
7i CONVEKTION NAnONAlE.
lion non encore rayés , et d'hommes qui avaient pris part à la
dernière conspiration , et qui étaient encore prêts à renverser la
Uépublique; que les propositions de la commission seraient cir-
conscrites dans les bornes de la Consiiluiion, et conformes à la
volonté du peuple : il termina en proposant , au nom de la com-
mission , la permanence de la Convention jusqu'au o brumaire ,
époque déterminée pour l'org^anisation du corps législatif. — Des
murmures s'élevèrent de toutes parts. — Thibaudeau dit qu'il
était clair qu'on voulait casser les opérations des assemblées
électorales ; que c'était au corps législatif seul à prononcer sur
leur validité ; et il protesta d'avance contre tout ce qui serait fait
de contraire à « ces éternels principes. » — Lareveillère-Lépeaux
réclama la question préalable sur la permanence proposée, et dit
qu'en ce moment il craignait la tyrannie autant que jamais. Ben-
tabolle demanda l'ajournement, et que Thibeaudeau fût rappelé
à Tordre pour avoir appelé ckavibre ardente une commission
chargée par la Convention de présenter des mesures de salut pu-
blic. — Chénier prit la défense de TaUien , rappela sa conduite
au î) thermidor et à Quiberon , et néanmoins conclut au rejet de
la permanence. — L'assemWée prononça l'ajournement de la
proposition de Tallien ; et sur la demande de Barras , chargea sa
commission des cinq de lui présenter le lendemain les moyens
d'adoucir les maux du peuple et de sauver la République.
En conséquence de ce décret , Tallien lit le lendemain (séance
du iii octobre — "2 brumaire i un nouveau rapport dont la teneur
suit : ' ^
Tallkn , au nom de la commission des Cinq, * Représentaos du
Peuple, vous avez chargé votre commission des Cinq de recher-
cher et de vous présenter les moyens de rendre avantageuse à la
cause de la hberié la victoire remportée par ses amis dans la
journée du i5 vendémiaire.
f Nous allons remplir celte tâche pénible , et répondre aussi à
vos calomniateurs et aux nôtres, ^'ous leur prouverons , par les
vérités que nous allons vous dire , par les mesures que nous vous
proposerons ensuite, que rien ne peut découraf;er les hommes
RÉACTION THERMIDORIENNE. 7;>
qui veulent sincèrement sauver leur pays, et ne plus l'exposer à
toutes les horreurs de l'anarchie.
> Vous n'attendez pas de nous , sans doute , le récit détaillé de
tous les événemens , de toutes les intrigues , de toutes les trames
employées depuis long-temps pour parvenir à détruire la liberté ,
à anéantir l'égalité, et à rétablir la royauté sur les cadavres amon-
celés des républicains.
> Depuis six années , des ennemis nombreux s'agitent autour
de nous, et nous les avons vus successivement employer les
moyens même les plus opposés pour parvenir à leur but.
> Depuis six années , les prêtres , les nobles , les privilégiés ,
tous ceux enfin qui profitliient des abus nombreux de l'ancien ré-
gime , se sont ligués contre la révolution française.
» Tant que nous avons conservé une forme de gouvernement
dont les rênes étaient confiées à un seul, on s'est contenté d'agir
sourdement pour miner ainsi l'édifice naissant de la liberté ; mais
aussitôt que vous eûtes décrété la République , les ennemis se
montrèrent à découvert ; ceux de l'intérieur se réunirent à ceux
de l'extérieur. 11 leur fallait un point central , pour diriger, d'une
manière uniforme , toutes leurs manœuvres. Le cabinet de Saint-
James devint ce point : ce fut là où l'on forgea cette longue
chaîne de conspirations , cette immense série d'agitations et de
mouvemens que nous avons vus successivement éclater parmi
nous.
» Le traité de Pilnitz n'était pas seulement l'ouvrage des cabi-
nets étrangers, mais bien encore celui des contre-révolutionnai-
res de l'intérieur.
> Chacun de vous se rappelle les intrigues qui eurent lieu à la
fin de l'Assemblée constituante. La révision dirigée par les La-
meth et les Duport fut l'époque première des persécutions dont
on accabla les patriotes. Ils voulurent réclamer les droits les plus
sacrés, indignement violés ; ils furent incarcérés, assassinés.
> Le Champ-de-Mars , l'autel de la Patrie , sont encore teints
de leur sang. Ceux qui le firent couler ont fui ; mais leurs amis ,
mais leurs partisans , mais leurs coopérateuis sont restés , et on
7() CONVENTION NATIONALE.
les a rencontrés dans toutes les crises rëvoluiionnaires , toujours
ardens persécuteurs des patriotes, et amis consians du pouvoir
arbitraire.
» Que Ton suive ces hommes , et on les trouvera partout jouant
le même rôle. Au 10 août , ce sont des patriotes égarés ; avant
le 51 mai , ce sont des modérés , de prétendus amis de l'ordre ;
sous Robespierre , ce sont des exagérés , des partisans de la ter-
reur; on les voit en bonnet rouge et en pantalon , ils quitteront ,
lorsqu'il en sera temps , ce costume pour reprendre l'épée et le
chapeau à plumet. Ils font des journaux, ils louent la tyrannie ,
ils applaudissent aux mesures atroces qu'elle prend ; ils en profi-
tent pour l'intérêt de leur parti ; ils ont*des amis dans les comités
révolutionnaires ; ils font dénoncer et envoyer à l'échafaud tout
ce qui fut patriote ; ils sèment pariout les défiances ; ils saisissent
avec adresse quelque nuance d'opinion ; ils échaulïent les res-
sentimens , blessent les amours-propres respectifs , et font ainsi
se détruire , les uns par les autres , les plus chauds amis de la ré-
volution, les fondateurs de la République.
» Condorcel, Vergniaud, Danton, Camilie Desmoulins , Ba-
zire , Hérault et tant d'autres, vous pérîtes tous victimes des in-
fernales machinations des diviseurs, des agens de rAngletcnel
» Aprèsleî) thermidor les vrais patriotes respirent. un moment;
Robespierre et ses complices ne sont plus ; le règne de la justice
a succédé à celui de l'arbitraire : mais bienlôl les ennemis con-
stans du bonheur des Français vont se saisir de cette révolution,
et la faire tourner à leur avantage. Alors ils exagèrent tout, ils
persécutent de nouveau tous les patriotes, les font incarcérer,
égorger dans plusieurs dépnriemens ; tous les ennemis de la li-
berté sont ouvertement protégés ; les émij;rés , les prêtres réfrac-
laires rentrent en foule, et la contre-révolution se préparc ainsi
parles soins de ceux qui y travaillent avec tant d'activité depuis
cinq années.
> Après vous avoir rappelé ce (jui s'est passé sous vos yeux , il
est de notre devoir de prouver à la France que les auteurs de la
révoltedulovcndémiairesontlesmcmesqucceuxdctouslesmaux
RÉACTION THKRMinORIEÎNÎSE. 77
qui nous ont successivement affligés , et ont opéré cette tourmente
politique qui empêcha tant de bien de s'opérer.
> Je ne rappellerai pas les événemens de germinal et de prairial :
il me suffirait de le faire pour prouver que c'est Pitt qui a orga-
nisé ces mouvemens; que c'est sou génie destructeur qui diri-
geait toutes les opérations des hommes qui, alors chargés des
subsistances, firent, pendant plusieurs mois, distribuer à Paris
une telle abondance de pain que l'on en nourrissait des animaux
de toute espèce , et même des chevaux , et qui tout à coup firent
réduire cette distribution à la plus modique ration. Yous le savez ^
on ne vit aucun patriote connu , aucun vérhable ami de la liberté
dans ces mouvemens : quelques hommes imprudens voulurent en
tirer parti, et furent sacrifiés; mais nos e>memis naturels en pro-
fitèrent seuls : le peuple fut désarmé , bâillonné, et réduit à une
nullité morale sous les rapports politiques ; le sang français coula,
et Pilt fut satisfait.
t Mais ce n'était point assez pour eux ; il leur fallait un coup
décisif qui pût renverser ia République , et préparer la perte de
tous les républicains.
» L'époque de la réunion des assemblées primaires devait né-
cessairement devenir celle des plus grandes agitations : c'est ce
qui arriva; cest ce qui fut préparé avec la plus machiavélique
astuce.
» Apf es avoir comprimé l'énergie des patriotes , il fallait per-
|. vertir l'esprit public. Les journalistes, presque tous entièrement
dévoués au parti de l'étranger , furent chargés de ce soin , et ils
justifièrent la confiance du ministre anglais. Richer-Serisy, Pon-
ce'in, Ladevèse, Suard et tant d'autres, se disputaient chaque
jour l'honneur de contribuer à la dissolution de la Convention,
Tous les représentans du peuple furent successivement attaqués ^
les uns par des diatribes virulentes , les autres par des louanges
perfides ; tout ce qui pouvait flatter l'aristocratie , avilir la repré-
senîation nationale, était saisi avec avidité; les manifestes de
Louis XVIII, les proclamations de Charrette, les bulles du pape
remplissaient les colonnes de ces rejilles stipenjiées, tandis que
78 CONVENTION NATIONALE.
les décrets de la Convention étaient ou dénaturés ou supprimés.
» Une correspondance suivie fut établie entre Londres et Paris ;
les dépêches de Pilt parcouraient avec rapidité l'espace qui le sé-
parait de ses fidèles aj^^ens , tandis que les correspondances même
les plus indifférentes entre les citoyens étaient inierceptées par
les soins de beaucoup d'administrateurs vendus à la faction.
» Un autre foyer de conspiration existait ù Bàle. Dès l'hiver
dernier un club avait été établi à Morat ; il était composé d'émi-
grés , de royalistes constitutionnels , d'anciens ministres de Capot,
de femmes connues par leurs intrigues , par leurs liaisons avec
les réviseurs, plus connues encore par des écrits où l'on prêche
ouvertement la guerre civile, où on la présente comme la seule
mesure que les puissances étrangères doivent adopter. Des étran-
gers , des Français, des représentans du peuple même étaient
affiliés à ce club. Là on ne voulait pas le retour de l'ancien ré-
gime tout entier, mais on voulait la constitution de 1791 avec
quelques modifications; la rentrée des émigrés, sous la dénomi-
nation de fugitifs. Ce parti, très-nombreux avant le 15 vendé-
miaire, ne se regarde pas encore en ce moment comme battu; il
attend l'ouverture du corps législatif pour intriguer de nouveau ,
faire rentrer tous ses amis, les placer dans le directoire exécutif,
dans toutes les autres fonctions publiques , et épier le moment
favorable à un succès complet. Ce parti se subdivise en diverses
coteries , dont les chefs se replient en tous sens suivant les cir-
constances, caressent tout le monde, s'accrochent à toutes les
factions pour en venir à leur but.
» Depuis environ six mois lès assemblées des sections de Paris,
foyer perpétuel d'intrigues toujours conduites par quelques am-
bitieux , étaient devenues des arènes ouvertes à tous les hommes
ambitieux qui voulaient avilir la Convention nationale : après l'a-
voir louée de la manière la plus dégoûtante lorsqu'on la croyait
royaliste, on l'a traînée dans la boue dès qu'on a été convaincu
qu'elle demeurerait toujours républicaine.
» Tous les bons citoyens demandaient la clôture de ces ateliers
de diffamation : on s'y relitsa; vous vous rappelez le rapport
RÉACTION THERMIDORIENNE. 79
qu'on fifà ce sujet. Ainsi on accorda à Paris un priviléo^e sur les
autres communes de la République. Mais les meneurs avaient
leurs raisons ; aussi vinrent-ils vous remercier de votre faible
condescendance en demandant l'éloignement des troupes répu-
blicaines, en désignant leurs drapeaux victorieux sous le litre
d'étendard de la terreur : cette insultante démarche demeura
impunie , et enhardit les conspirateurs.
» C'est au milieu du mouvement de tant de passions diverses ,
de tant d'intérêts opposés, que s'ouvrirent les assemblées pri-
maires.
» Le premier acte des factieux , qui voulaient tout renverser ,
fut d'éloigner sons divers prétextes les patriotes dont ils redou-
taient l'énergie , la surveillance ; ce qui fut exécuté dans presque
toutes les communes de la République : les contre-révolutionnaii es
restèrent seuls maîtres du champ de bataille. Ils eussent bien dé-
siré pouvoir entièrement lever le masque; mais le temps n'était
pas encore arrivé .* ils acceptèrent donc avec un empressement
hypocrite la constitution républicaine ; mais ils rejetèrent avec
plus d'empressement encore , et surtout avec une fureur qui dé-
celait leur arrière-pensée, les décrets des 6 et i5 fructidor.
> Alors commença cette longue série d'actes plus absurdes ,
plus séditieux les uns que les autres , que se permirent les sec-
tions de Paris. A les entendre, la Convention, nommée par la to-
talité du peuple français, n'avait plus de pouvoirs du moment
que les assemblées primaires étaient réunies. Arrêtés , discours ;
proclamations , députations, tout était infecté du virus de la ré-
volte; l'audace des seciionnaires allait toujours croissant; des
correspondances étaient établies partout; ce n'était plus de la ..
constitution ou des élections dont on s'occupait, mais de Tadmi-
nislration; que dis-je! c'était de la contre-révolution; les arrêtés
des sections Brutus , Lepelletier et Butte-des-Moulins en contien-
nent à chaque ligne les preuves les plus irrécusables.
» Les agens de Pitt n'avaient pas oublié la Vendée, ce chancre
politique créé, entretenu avec tant de soin. Vous avez vu, par la
correspondance trouvée chez Lemaître, que toutes les espérances
80 CONVENTION NATIONALE.
des émigrés se partagent entre la Vendée et Paris ; mais quel-
ques départemens, échappésjusqu'aiors à la contagion, séparaient
ces deux foyers de la contre-révolution : il fallait les rapprocher,
les réunir s'il était possible. Des mouvemens séditieux furent
excités au même moment à Mantes, à Verneuil , à Chartres, à
Orléans, à Dreux; les caisses publiques furent Saisies; la circula-
tion des grains fut interceptée, l'autorité nationale méconnue,
et dans plusieurs endroits il fallut repousser la force par la force.
• Les meneurs des sections de Paris ne furent point décou-
ragés par les échecs que reçurent leurs partisans à Chartres , à
Verneuil , à Dreux , à rs'onancourl ; le passage du Rhin , celte
entreprise audacieuse de la brave armée de Sambre et Meuse , ne
les déconcerta pas ; ils promirent aux puissances coalisées que
bientôt elles seraient dédommagées de tant de revers. Au même
moment les envoyés des princes ratifiaient à Bàle le traité fait à
Pavie par le prétendu Louis XVIIl avec ces puissances. Barras
vous a donné connaissance de celte j)ièce importante. Aucun de
vous , que dis je ! aucun Français ami de la dignité, du bonheur
de son pays, ne pourra la lirc^ sans sentir sou sang bouillonner
dans ses veines , sans vouer à l'indignation des patriotes de tous
les temps ceux qui favorisent d'aussi infâmes projets!
» 11 est donc évident que c'était pour parvenir à morceler la
France , et y opérer une contre-révolution complète; c'était donc
pour attendre le moment propice à ce grand coup que les me-
neurs des sections prolongeaient leur illégale permanence. C'était
sans doutç aussi pour seconder tous ces mouvemens que l'on tem-
porisait sans cesse, que l'on traitait de visionnaires, d'ambitieux
ceux qui d'avance traçaient le plan que devaient suivre les con-
jurés; et il faut que la France sache que tandis que les sections
étaient en armes à vos portes on proposait de transiger avec elles,
de leur donner satisfaction sur divers points, de faire désarmer
les patriotes dont la conduite aurait été , disait-on , réprchcusible.
On voulait envoyer quatre-vingt-seize commissaires dans les sec-
lions de Paris : éiait-ce des otages qu'on leur envoyait, ou un
asile que l'on voulait ménager aux cent députés qui, suivant la
RÉACTION THERMIDORIENNE. 81
déclaration faiiepar Vardon, devaient seuls faire le noyau pour
la réélection du corps lé^jislatif ?
> Enfin l'aurlace fut portée au comble. Le 3 vendémiaire vint
mettre à découvert le complot qui la nuit même devait être exé-
cuté , le massacre de la représentation natioîiale et de tous les
amis de la liberté.
» Grâces soient rendues à nos braves frères d'armes, aux cou-
rageux patriotes de 1789, tant calomnié^ ! Le foyer de la rébellion
a été détruii, l'insolence des révoltés a reçu sa juste punition , et
la République est encore une fois sortie triomphante de cette at-
taque si pei fidement combinée.
I Les lâches meneurs des sections ont fui ; ils ont été cacher la
honte de leur défaite dans les départemens , après avoir sacrifié
d'infortunés citoyens fanatisés et mis en avant par eux.
> La victoire du 15 a Lien d ssipé il est vrai pour un moment
les rassemblemens des fjciieux, et reculé le terme de leurs espé-
rances ; mais elle n'a pu détruire tous les maux qu'avaient faits les
conspirateurs. Dans la grande majorité des départemens ils avaient,
soit par leurs écrits, soii par leurs émissaires, répandu leurs prin-
cipes destruceurs de toute liberté ; les actes les plus illégaux, les
mesures les plus arbitraires ont été prises dans beaucoup d'assem-
blées primaires ; la loi a été chaque jour violée par ces hommes
qui ne voulaient reconnaître aucune autorité; les auteurs de tous
ces excès, les provocateurs de toutes ces mesures liberticides ont
commandé les choix des assemblées électorales ; les ennemis les
plus prononcés de la République, des parens d'émigrés, dt s émi-
grés n)ême, tous les anciens valets de la cour ont été nommés élec-
teurs. La voix des patriotes réclamant les principes a éiééiouffée
par les vociféraiions, les insultes et les menaces de l'aristocratie;
presque partout non-seuhment l'intrigue, mais encore la mauvaise
foi, ont présidé aux nominations.
» Dans plusit^urs sections de Paris il n'a point été dressé pro-
cès-verbal de leurs opérations, et plusieurs électeurs se sont pré-
sentés à l'assemblée électorale de la Seine avec de sin)ples certi-
ficats des comités civils qui attestent qu'ils ont été nommés.
T. xxxvii. 6
fe CONVENTION NATIONALE.
1 La tenue des assemblées électorales a prouvé que tes élémens
dont elles étaient composées avaient «^lé tissus par l'ititrigue et non
par le républicanisme.
> Dans plusieurs départemens elles ont été obligées de se
diviser : je citerai celles du Lot , du Doubs , du Tarn , de la Lo-
zère.
> Les courriers envoyés par le gouvernement pour annoncer la
victoire du 13 ont été partout retardés. Les corps administratifs
de plusieurs départemens ont caché aux citoyens cette nouvelle
importante pendant plusieurs jours ; je citerai le département de
la Currèze, Toulon et iMarseille.
• L'influence du comité directorial de Paris s'est fait partout
sentir ; une liste circulaire a été envoyée à toutes les assemltlëes
électorales sous le tiuibre de Paris : elle a été admise à la grande
major ité. On doit cependant distinguer une niinorilé républicaine
qui a su résister à toutes les intrigues; les pays dévastés par les
chouans et les Vendéens sont de ce nombre, ainsi que les déj-ar-
temens du Nord, delaCiiarenie-lnférieuie, et ceux nouvellement
réunis.
« Dans un des scrutins de l'assemblée de Loir-et-Cher on a
trouvé cinquante billets écrits de la même main.
» Dans le département d'Indre-et-Loire on avait distribué d'a-
vance les listes de toutes les nominations à faire. Di^s électeurs des
campagnes se trompèrent, et mirent dans le scrutin pour la no-
mination des députés la liste des administrateurs ; ils dévoilèrent
ainsi le secret des meneurs.
• Je pourrais vous citer une foule de faits de cette nature ; je
pourrais vous dire que l'on trouve sur la li>te des élus, lesdefenseurs
officieux (le Capei, les écrivains apologistes de la royauté, les ai-
des-de-camp de Précy, le réducteur du fanieux traite de Plnity.
(Barbé-Marbois), des hommes qui ont protesté contre les d^'cr^ts
de l'assc mblée constituante, les auteurs des arrêtés de section les
plus incendiaires. Des voix ont même été donnc'es à de-) hommes
condamnés à mort par les conseils militaires ;Vaub!ane < tQuaire-
mère de Quincy.) Dans le département d'Eure-et-Loir des hom-
RÉACTION THERMIDORIENNE. 83
mes sous le coup d'un mandat d'arrêt iancé par notre collègue
Bourdon de l'Oise ontéié élus... Mais je m'arrête.
> Votre commission des Cinq, après avoir pris connaissance de
tous ces faits, après les avoir rapprochés, après avoir comparé les
temps, les évënemens, les circonstances, s'était convaincue que le
principal but de la conspiration royaliste dont vous avez failli être
les victimes avait été de préparer par les élections la contre-révo-
lution, et de la rendre sinon très-prochaine, au moins inévitable.
Vos décrets des 5 et 15 fructidor obvienneni bien à une partie de
ces inconvéniens; mais ils n'empêcheront pas que les administra-
lions, les tribunaux des départemens où la faction royaliste a in-
fluencé les choix ne soient en grande partie composés d'hommes
ennemis par goiit , par principes et par intérêt du régime répu-
blicain.
> Vos décrets n'empêcheront pas que les jurés de la haute-cour
nationale ne soient choisis dans beaucoup de départemens parmi
les hommes qui n'ont pas pris de part à la révolution , ou qui ne
l'ont fait que pour concourir, soit par leurs écrits, soit par leurs
actions, à la renverser. Ce sont cependant là les juges des patriotes
que nos ennemis voudront immoler!
» Toutes ces considérations avaient frappé les membres de votre
commission; ils s'étaient associés à votie pensée intime; ils s'é-
taient rappelé le serment que vous avez tant de fois renouvelé de
sauver la République, et de conduire le vaisseau de l'état au port;
ils s'occupaient des moyens d'y parvenir; ils étaient tout entiers
livrés à celte idée consolante qu'il pouvait exister un moyen sau-
veur pour terminer la révolution au profit du patriotisme, pour
détruire les dernières espérances des royalistes ; déjà nous avions
arrêté les bases du plan que nous avions conçu, plan qui s'accor-
dait avec le religieux respect que l'on doit aux volontés du peuple,
plan qui ne retardait point l'époque de la réunion du corps légis-
latif... Mais votre séance d'hier a eu lieu; et nous a>ons cru qu'il
était de notre délicaiose, qu'il importait même aux intérêts du
peuple que nous gardassions le silence sur ce point.
> Puisse le génie de la liberté seconder de nouveau les efforts
84 CONVENTION NATIONALE.
de? républicains ! Puissent les nouveaux élus se pénétrer des de-
voirs que leur imposent leurs nouvelles fonctions! Puissent des
pressentimens sinistres ne passe léaliser ! car, citoyens collègues,
ce serait en vain que nous voudrions nous dissimuler les dangers
de la patrie : « Croyez que le gouvernement républicain ne pourra
jamais s'établir d'une munie' e durable tant qu'il existera dans les
fonctions importantes des hommes plus attachés à l'idole de la
royauté qu'au bonheur public; et malheureusement le nombre de
ces derniers est encore bien grand ! »
» Mais, citoyens, s'il est vrai, comme on Ta dit, que des cir-
constances impérieuses commandent à la Convention de laisser au
corps législatif seul le soin de statuer sur la validité des élections
faites dans les assemblées où les droits des citoyens ont été ou-
vertement violés, on ne disconviendra pas au moins qu'il est de
noire devoir de sonder les autres plaies de l'état, et d'employer
les derniers momens de notre session à y porter remède.
> Voici les objets qui ont principalement fixé notre attention :
» La rentrée des prêtres connus sous le nom de réfractaires ;
aucun de vous ne peut se dissimuler les maux que font dans les
départemens ces fanatiques, qui sans cesse prêchent la désobéis-
sance à la loi : le retour de beaucoup d'émigrés ^ principalement
dans les départemens n)éridionaux, résultat inévitable de lois trop
généralisées, et dont l'exécution est confiée dans beaucoup de dé-
partemens aux parens , aux agens de ces mêmes émigrés : les
moyens de purger enfin la République des infâmes royalistes ,
sans cependant relever les échafauds à jamjs proscrits.
» Enfin, pour satifaire à votre décret d'hier, nous présenterons
quelques mesures que nous croyons propres à réprimer la vora-
cité de l'odieux agiotage. «
Le projet présenté par Ta!lien fut décrété dans la même séince.
Mais parce que la rédaction définitive n'en fut adoptée que le
lendemain, la loi a été datée du 25 octobre (3 brumaire). Cette
loi , qui renouvelait en quelque sorte toutes les mesures prises
avant le 9 thermidor contre les ennemis de la révolution . fut le
dernier acte important de la Convention ; en voici le texte :
REACTION THERMIDORIENNE. 85
« La Convention nationale , après avoir entendu la commission
des Cinq , décrète :
> Art. i^r Les individus qui, dans les assemblées primaires ou
dans les assemblées électorales , auront provoqué ou signé des
mesures séditieuses contraires aux lois, ne pourront, jusqu'à la
paix générale, exercer aucune fonction législative, municipale
et judiciaire , ainsi que celle de haut-jury près la haute-cour na-
tionale , et de jury près les autres tribunaux.
» 2. Tout individu qui a été porté sur une liste d'émigrés, et
napas obtenu sa radiation définitive; les pères, fils et petits-fils,
frères et beaux-frères, les alliés au même degré, ainsi que les on-
cles et neveux des individus compris dans la liste d'émigrés , et
non définitivement rayés , sont exclus , jusqu'à la paix générale ,
de toute fonction législative , administrative , municipale et judi-
ciaire , ainsi que de celle de haut-jury près la haute-cour natio-
nale , et de juré près les autres tribunaux.
> 5. Quiconque se trouvant dans le cas porté aux précédens
articles accepterait ou aurait accepté une fonction publique de
la nature de celles ci-dessus désignées , et ne s'en démettrait pas
dans les vingt-quatre heures de la publication de la loi , sera
puni de la peine de bannissement à perpétuité; et tous les actes
qu'il aurait pu faire depuis la publicaûon de la loi sont déclarés
nuls et non-avenus.
» 4. Sont exceptés des dispositions des articles 2 et 5 les ci-
toyens qui ont été membres des trois Assemblées nationales, ceux
qui , depuis l'époque de la révolution, ont i empli sans interrup-
tion des fonctions publiques au choix du peuple, et ceux qui ob-
tiendraient leur radiation définitive , ou celle de leurs parens ou
alliés.
» 5. Le directoire exécutif pourvoira , sans aucun délai , en ce
qui les concerne , au remplacement de ceux qui seront dans le cas
de se retirer.
» 6. Pour l'exécution des précédens articles, les membres du
corps législatif et des autorités administratives , municipales, ju-
diciaires et du haut-juré , avant que d'entrer en fonctions , dé-
g6 CONVENTION NATIONALE.
clarpront, par écrit, les premiers, aux archives du corps légis-
latif, et les autres, sur les registres des délibérations de rautorilé
dont i!s sont ou seront appelés à être membres, qu'ils n'ont pro-
voqué ni signé aucun arrêté sédiiieux et contraire aux lois, et
qu'i's ne sont point parens ou alliés d'émigrés aux degrés déter-
minés par l'article 2. Ceux qui feraient une fausse déclaration ,
seront punis de la peine portée en l'ar ticle 3.
9 7. Tous ceux qui ne voudraient pas vivre sous les lois de la
République, et s'y conformer, sont autorisés, danslts trois mois
qui suivront la publication du présent décret, à quitter le terri-
toire franc .is , à la char ge d'en faire la déclaration à la municipa-
lité du lieu de leur domicile , dans le délai d'un mois.
»8. Ils pourront toucher leurs revenus, même réaliser leur for-
tune, mais de manière cependant qu'ils n'emportent ni numé-
raire, ni métaux, ni marchandises dont l'exportation est prohi-
bée par les lois, et sauf l'indemnité qui pourra être déterminée
par le corps législatif au profit de la République.
» 9. Ceux qui se seront ainsi bannis volontairement ne pour-
ront plus rentrer en France; s'ils y rentraient, ils seraient con-
sidérés comme émigrés, et punis comme tels.
» 10. Les lois de 1792 et 1795, contre les prêtres sujets à la
déportation ou à la réclusion , seront exécutées dans les vingt-
quatre heures de la promulgation du présent décret , et les fonc-
tionnaires pubhcs qui seront convaincus d'en avoir négligé l'exé-
cution seront condamnés à deux années de détention.
» Les arrêtés des coniités de la Convention et des représentans
du peuple en mission , contraires à des IoÎn , sont annules.
» i 1. Il n'est rien innové à la loi du i2 fructidor dernier, qui a
levé lu confiscation des biens des prêtres déportés.
» 12 Les femines d'émigrés, même divorcées et non rema-
riées à léj oque de la publication de la loi; les mères, belles-
mères , filles et b^-lles-filles d'émigrés , non remariées , et âgées
de plus de vingt et un ans, seront tenues de se retirer, dans la
huitaine de la publication du présent décret, et jusqu'à la paix
générale, dans la commune de leur domicile habituel en 1792.
RÉACTION THERMIDORIENNE. 8^
» Elles y resteront sous la surveillance de leur municipalité , et
ce à peine de deux années de détenlion.
» Sont exceptées celles dont les communes sont au pouvoir des
rebelles dans les départemens de l'Ouest.
» i5. Toutes les dispositions de l'article ci-dessus seront e'gale-
ment applicables à tout citoyen dont la femme sera émigrée ; ou
qui sera parent d*émigré aux degrés de père , beau-père , gendre
et petit-fils. La contravention sera également punie de deux an-
nées de détenlion.
> 14. Tout officier de terre et de mer, commissaire des guer-
res ou employé dans les administrations militaires, qui, étant
en activité de service au iO août 1792, a , depuis cette époque ,
donné sa démission, et qui a été réintégré dans un service quel-
conque, est desiiiué de ses fonctions, et ne pourra être réemployé
au service de la République.
» 15. Tout officier ou commissaire des guerres qui n'était pas
en activité de service le 15 germinal an 3 , et qui a été pbcé depuis
cette époque jusqu'au 15 thermidor même année, est suspendu
de ses fondions, et ne pourra être réintégré que par ordre ex-
près du directoire exécutif, sur les preuves authentiques de bons
services antérieurement rendus à la République.
> 16. La Convention nationale recommande paternellement à
tous les républicains , à tous les amis de la liberté et des lois , la
surveillance de l'exécution du présent décret.
» 17. L'insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de
publication. H sera envoyé, ainsi que le rapport de la commission
des Cinq, par des courritrs exiraoï'ciinaires, dans les départemens
et aux armées ».
La séunce du lendemain (26 octobre, 4 brumaire) fut la der-
nière d»î la Convention. Barras, après avoir assure l'assemblée
du réiablissement parfait du calnje à Paris, donna sa démission
dejjéncrai en chef de l'année de l'iniérieur. Plusieurs membres
voulaient qu'il conservât ce pos'e; mais Barras iusisia, invoqua
la constitution, et sa démis5i(m fui accej tée. Lor.-que l'on eut
achevé de ré^jler toutes its aflairts pendant» s , Charlier repro-
88 t.ONVEMiON MAIIONALE.
duisit la demande de la mise en liberté des députés décrétés d'ar-
rt sialion. — Philippe Delitville : « Avant d'ouvi ir une discussion,
> qu'elle heure e>l il? > Un membre : e L'heure de la justice. »
Pliilippe DeilevUle : « L'heure de la consiiluiion. » — Boudin et
Determont réclamèrent une mesure générale, et exprimèrent le
désir que l'on s'occupât d'un projet présenté par Baudin des Ar-
denues sur Tamnisiie. Celui-ci en donna lecture, ei la discussion
s'ouvrit. Après des débats sur l'uboliiion de la peine de mort , la
Convention décréta qu'elle serait aboie lors de la paix générale.
On discuta Tariicle relaiif à l'amnistie générale, où éiaieni ex-
cept^^s les délits relatifs au 15 vendémiaire. Philippe Delleville
et Villers voulaient faire également excepter les révolutionnaires;
accusés par suite des journées dé prairial; Chénier, Boudin et
Thibaudeau parlèrent en leur faveur, et l'article fut adopté,
ainsi que le surplus du projet dont voici la teneur :
« Art. 1". A dater du jour de la publication de la poix géné-
rale, la peine de mort sera abolie dans toute la république fran-
çaise.
2. La place de la Révolution portera désormais le nom de
place de la Concorde. La rue qui conduit du boulevart à cette
p'ace portera le nom de rue de la Révolution.
3. La Convention abolit, à compter de ce jour, tout décret
d'accusation ou d'arrestation , tout mandat d'arrêt mis ou non à
exécution, toutes procédures, poursuites et jugemens portant
sur des faits purement relatifs à la révolution. Tous détenus , à
l'occasion de ces mêmes événemens, seront immédiatement élar-
gis, s'il n'existe point contre eux des charges relatives à la cons-
piration du 15 vendémiaire dernier.
4. Les délits commis pendant la révolution , et prévus par le
code pénal , seront punis de la peine qui s'y trouve prononcée
contre chacun d'eux.
ri. Dans toute accusation mixte, où il s'agirait à la fois de faits
relatifs à la révolution et de délits prétus par le code pénal , l'in-
struction et le jugement ne porteront que sur ces délits seuls.
RÉACTION THERMIDORIENNE. 89
6. Tous ceux qui sont ou seront accusés de dilapidations de la
fortune pub'ique, concussions, taxes et levées de deniers avec
retenue de tout ou partie au profit de ceux qui les auront impo-
sées, ou de tout autre fait semblable survenu pendant le cours et
à Toccasion de la révolution, pourront être poursuivis, soit au
nom de la nation , soit par les citoyens qui prouveront qu'ils ont
été lésés; mais les poursuites se feront seulement par action ci-
vile et à fin de restitution , sans aucune autre peine.
7. Le directoire exécutif pourra différer la publicuion de la
présente loi dans les départemens insurgés, ou présentement in-
surgés par des troubles, à la charge de rendre compte au corps
léjjislaiif, tant du nombre des dépariemens, où la publication
sera suspendue, que du moment où elle y sera faite, aussitôt
que les circonstances le permettront.
8. Sont formellement exceptés de l'amnistie :
io Ceux qui ont été condamnés par contumace pour les faits de
la conspiration de vendémiaire ;
2o Ceux à l'égard desquels il y a une instruction commencée
ou des preuves acquises relativement à la même conspiration , ou
contre lesquels il en sera acquis par la suite;
5o Les prêtres déportés ou sujets à la déportation ;
4° Les fabricateurs de faux assignats ou de fausse monnaie;
o*' Les émigrés rentrés ou non sur le territoire de la Républi-
que.
9. Il n'est dérogé par la présente loi à aucune des dispositions
de celle du 3 de ce mois. »
Après l'adoption de ce décret fameux , connu depuis sous le
nom de loi du 4 brumaire de l'an 4, un grand nombre de mem-
bres firent observer qu'il était deux heures et demie, et qu'aux
termes d'un décret la séance devrait être levée depuis une heure.
Le président Génissieux, « Je déclare que la séance est levée.
Union, amitié , concorde entre tous les Frauçais ; c'est le moyen
de sauver la République. »
Thibaudeau, « Président, déclare donc que la Convention a
rempli sa raisbion, et qu'en conséquence sa session est terminée.»
99 CONVENTION NATIONALE.
Le président, « La Convention nationale déclare que sa mission
est remp'ie et que sa session Cî^t terminée. »
Des cris de vive la République se firent entendre de tous côtés.
— La séance fut levée à deux heures et demie.
ARMEES.
Pour achever l'histoire de la Convention nationale, il nous
reste à donner une rapide analyse des principales opérations mi-
litaires à pa» tir de Tépoque où nous avons arréié notre récit
(voir le xxxiii* vol., p. 271 et suivantes ), et à faire connaître
les diverses positions occupées par les armées au moment de la
clôture de l'assemblée.
IVous avons laissé l'armée des Pyrénées-Orientales maîtresse
de Bellrgarde (18 septembre 1794). Elle continua ses succès
par la fameuse bataille de la Montaf^ne-iVoire qui commença le
17 novembre et ne finit que le ^0. Le f;énéial en chef Dugom-
mier y fut tué le second jour ; Perignon prit sa place. Les avan-
tages successifs de nos troupes se tenrwnèrent (>ar l'entière dé-
route des Espagnols et par la capitulation de Figuières. L'hon-
neur de ces journées, où les Espagnols perdirent dix mille hom-
mes el le général en chef La Union, appai tient en irès-grande
partie au général de division Augereau. Perignon se porta im-
médiatement sur Koses; quoique dépourvu de tout, il investit
cette place , l'assiégea et réussit à l'enlever. H ne tarda pas à être
remplacé dans son commandement pi\>visoire par le général
Scherer qui s'était illu^lré à l'armée de Sa'i.bre-ei Meuse. Les
Esf)agnols avaient pii.> posiiion derrière la Flavia ; Siherer les
battit et les eût poursuivis ^i le comité, déjà en pourparlers avec
le cabinet de Mulrid, ne l'eût contenu. L'Espa};ne sentait l'mu-
tiHté de ses elforts ; l'armée des Pyréaét'S-Occidt n'aies avait
aussi fait des progrès depuis roccupmiimde la vallée du Basi-n
(2()jijillet-4août ). Le général Moncey av;.it pris Bilbao, as>ié,'}é
P.inipelune et biittu leimemi à Viitoiia. 11 se disposait à passer
l'Ébre lorsque les hostilités furent saspendues. Le projet de
REACTION TUERMlUORILiMMË. 91
traité de paix avec l'Espagne fut présenté à la Convention et ra-
tifié par elle le 51 juilkt ( 13 thermidor) 1795.
Après que rarmée des Alpes et celle d'Italie eurent réuni leurs
lignes par l'enlèvement du poste des Barricade s et du camp de l'As-
siette, elles restèrent long-temps inactives. A la fin de l'été, les
impériaux dirigèrent une division sur Dego afin de communiquer
par Vado avec les flottes anglaises. Masséna prépara uneafaque
générale ; il marcha contre l'ennemi avec dix-huit mille hommes
par la vallée de Bormida, atte-gnit les Austro-Sardes à Caire , et
les replia dans la plaine du Piémont. Mais les Français n'étaient
pas en mesure de pousser plus avant ; ils revinrent à Savone et
fortifièrent le sommet des monts. Au commencement de la cam-
pagne de 1795, les impériaux reprirent l'offensive. L'armée fran-
çaise occupait à droite Vado ; sa gauche s'appuyait sur les A'pes,
depuis le Col-de-Tende jusqu'à l'Argenlière. On en avait détaché
dix mille hommes que l'on desdnait à un débarquement à Civita-
Vecchia pour attaquer Rome; elle était réduite à trente mille
et commandée en chef par Kellerman. Les coalisés avaient réuni
des forces considérables. Colli , à la tête de vingt-cinq mi le Pié-
montais, occupait Coni et Mondovi, et couvrait Turin. Cinquante
mille impériaux, Napolitains et Italiens, commandés par Dervins,
campaient à Dego et à Ava. Le projet de l'ennemi était de replier
notre droite en l'attaquant par son extrémité et d'en compromet-
tre la retraite en la séparant d'avec le centre de nos positions.
Les Français, successivement repousses aux combats du Tanaro,
de Mjlaj^no et de Vado (22, 24. 25, 26 juin ), se décidèrent à la
retraite (30 juin et 5 juillet). Kellerm:jnn fil reconni^ître et assu-
rer une po>ition en arrière, et maintint la droite de son armée à
Albinga et à Borgheio. Pendant deux muis, les opérations de
cette campagne ne furent que des surprises ou des attaques de
postes avec des succès variés ; mais le but fut atteint en couvrant
le comté de Nice et la Savoie , en conservant les pays conquis et
des passages pour reprendre l'offensive. Dans ces coinbats de
détail, il y eut des faits d'armes par leiquels nos troupes p» élu-
daient aux prodiges qu'elles devaient bientôt opérer en Italie.
Îh5 COiNVENTION NATIONAL£.
Un sous-officier, nommé Janeira , délivra seul vingt-trois volon-
taires que les Piémoniais conduisais nt prisonniers ; s'éiant em-
busqué sur leur passajje , il cria dès qu'il les vit : A moi , chas-
seurSj délivrons nos camarades! Les Piémontais s'élonnèrent et
furent désarmés par les prisonniers. Un véiéran, nommé Bala-
son , ayant près de cinquante ans de service , avait été élevé au
commandement d'un bataillon : avec dix hommes , il arrêta, au
pas>age d'un défilé étroit , une colonne de six cenis hommes, et
réussit à la contenir jusqu'à l'arrivée d'un renfort sulfisant qui
la força à rétroj^rader. Le 25 septembre (4 vendémiaire), Sché-
rer vint prendre le commandement de larmée d'Italie, amenant
avec lui une partie de celle qu'il avait commandée en Espagne.
Le résultat de l'arrivée de Schérer avec les bataillons de l'armée
d'Espagne fut un retour offensif qui remit en notre possession
Sa voue et la rivière de Gènes ; ce succès ouvrit l'entrée du Pié-
mont et prépara les grands événe.nens qui signalèrent la campagne
suivante. La paix avec la Toscane avait été ratifiée par la Con-
vention le 15 février (2o pluviôse) 179o.
Au commencement d'octobre 1795, l'armée de Sambre-et-
Meuse et celle du Nord sous le commandement de Pichegru et de
Moreau occupaient la rive gauche de la Meuse et du Rhin. Il y
avait dans son sein un grand nombre de patriotes hollandais qui
pressaient les généraux français de dclivrer leur pays de l'oppres-
sion où il gémissait depuis la révolution de 1787. Une campagne
d'hiver fut résolue; on attendit que les glaces eussent rendu pra-
ticables les canaux et les inondations qui couvraient cette contrée.
Le 9decen)bre (7 nivôse) 1794, Pichegru Ht commencer le mou-
vement. Les corps hollandais, (;eux des Autrichiens et des Anglais
furent repoussés dans toutes les directions ; les unsrejeiéssurla
droite et isolés de leurs communications avec la Hollande , les
autres poursuivis et mis dans une entière déroule. A celle nou-
velle, les états provinciaux de la Hollande se rassemblèrent et se
préparèrent à traiter avec la république française. Une révolution
s'opéra à Amsterdam. Le gouvernement du sthatouder fut ren-
versé Cl le drapeau tricolore arboré, Les Français furent partout
RÉACTION THERMIDORIENNE. 95
reçus en libérateurs ; l'armée se répandit dans toutes les provin-
ces ; laZélande, Rotterdam, La Haye, Utrecht, Amsterdam, fu-
rent rapidement occupés , et quelques escadrons lancés jusqu'au
Heldpr semparèrent de la flotte en^jagée dans les glaces au mouil"
lage du Texel. Alors les états-généraux de la Hollande se réuni-
rent , et quatre commissaires rommés par eux signèrent avec
Sieyes et Rewbell , agissant au nom de la France, un iraiié de
paix et d'aliiance que la Convention ratifia le 21 mai (2 prairial).
L'armée du Rhin-et-Moselle à la fin de la campagne de 17^5 ne
se trouvait point dans une position aussi avantageuse que l'armée
qui venait de s'emparer de la Hollande. Après des combats meur-
triers mêlés de succès et de revers , elle n'avait pas entièrement
conquis la rive gauche du Rhin. Mayence était encore aux mains
des alliés qui couvraient cette ville avec une armée nombreuse ;
mais les Français occupaient un point sur la rive droite du Rhin
qui leur assurait le passage de ce fleuve. L'armée de Sambre-et-
Meuse avait pris possession de Dusseldorf. La résistance des en-
nemis était d'autant plus inatendu^ que les forces des coalisés
semblaient devoir êire affaiblies par l'absence des coniingens de
la Prusse ; car cette puissance avait fait avec la République un
traité de paix qui était déjà définitivement ratifié le 50 avril ( 1 1 flo-
réal) 1795.
NOMS DES PRÉSIDENS DE LA CONVENTION NATIONALE DEPUIS LE
24 JANVIER 1795 jusqu'au 26 octobre 1795, jour de sa
CLOTURE.
{Nous avons donné la liste desprcsidens, depuis le 21 septembre {192, jour
d'ouverture de la Convention nationale , jusqu'au 24 janvier 1795, dans
MU de nos précédens volumes. )
1793. — An 7" et an II de la République.
Rabaut Saint-Kiienne , du 24 janvier au 9 février 1793; Bréard , du 9 au 22
février ; Dubois-Crancé , du 22 février au 8 mars ; Gensonoc , du 8 au 24 mars ;
Jean Debry, du 24 mars au 5 avril; Delmas, du 5 au 18 avril; Lasnurce, du
18 avril au 2 mai; Boyer-Foofrède, du 2 au 17 mai; Isnard , du 17 au 30 mai;
Mallarmé , du 50 mai au 1 '< juin ; Gollot-d Herbois , du 1 4 au 28 juin ; Thiriot,
du 28 juin au 12 juillet; Jean-Bon Siint-André, du 12 nu 2G juillet; Danton,
du 26 juillet au 9 août ; Hérault-Séchelles , du 9 au 23 août ; Robespierre , du
94 k.ONVENTION NATIONALE. — PRESIDKNS ,
23 août au 6 septembre; Billaud-Vareones, du 6 au 1 9 septembre ; Camboo, du
19 septenibie au 4 octobre ; Charlier, du 4 au'iô octobre; Ba^le, du 25 octobre
au 7 novembre; Laloi , du 7 au 22 novembre; Romme, du 22 novembre au
7 déctmbie; Voulaud, dj 7 au 22 décembre; Coutbon , du 22 décembre au
6 janvier 1794 ( 17 nivôse an II.).
1794. — Jn II et an III de la Republique.
David, du 17 nivôse au 2 pluviôse, an II; Vadier, du 2 au 17 pluviôse; Du-
barran, du 17 pluvidse au 2 venlose; Saint-Jusl, du 2 au 17 ventôse; Ruhl,
du 17 venlose au 2 germinal ; TaUien, du 2 au 18 germinal ; Amar , du 18 ger-
minal au 2 Uoréal ; Roberl Lindet , du 2 au 18 floréal, Carnot, du 18 floréal au
2 prairial; Prieur (de la Côte-dOr), du 2 au 18 prairial; Robespierre, du 18
prairial au 2 messidor; Llie Lacoste, du 2 au 18 messidor; Louis (du Bas-
Rbin). du 18 messidor au 2 thermidor; Collot-d'Uerbois, du 2 au 17 tbejmi-
dor; Merlin (de Douai), du 17 thtrmidor au 2 fructidor; Merlin (de ThioQ-
villei, du 2 au 17 fruct dor; Bernard (de Suintes), du 17 fructidor au 2 vendé-
miùre, an III; André Dumont, du 2 au 17 vendémiaire; Cambacérès, du 17
vendémiaire au 2 brumaire; Prieur (de la Marne), du 2 au 17 brumaire; Le-
gendre, du 17 brumaire au 4 frima re; Clauzel , du 4 au 17 frimaire; Rev^bel,
du 17 frimaire au 2 nivôse; Bentabole , du 2 au 20 nivôse (9 janvier i795).
1795. — An III et an IV de la Hépubllque.
Letourncur, du 20 oivose au 2 pluviôse , an II ; Rovère , du 2 au 17 pluviôse ;
Barras, du 17 pluviôse au 2 \entose; Bourdon (de l'Oise), du 2 au 17 ventôse;
Thibaudeau, du 17 ventôse au 5 germinal; Pelet, du 5 au 17 germinal ; Boissy-
d'AngUs, du 17 germinal au 2 floréal; S.>eyes,du 2 au 17 floréal; Vernier,
du 17 floréal au 7 prairia'; Mathieu , du 7 au 17 prairial ; Lanjuinais, du 17 prai-
rial au 2 messidor; Louvet, du 2 au 17 messidor; Doulcet, du 17 messidor au
2 thermidor; Laiéveillère-Lcpeaux.do 2au 17 thermidor; Daunou. du 17 iher-
m-d or au 2 fructidor ; Hr-nri Larivière , du 2 au 17 fructidor; B- Hier, du 17
fruciidjr au 2 vendémiaire au IV ; Baudiu ( de» Ardenn&»), du 2 au 17 vendé-
miaire ; Geni>s eux , du 17 vendémiaire au 4 brumaire , dernier jour de la Con-
Teotion (26 octobre 1795). ^
TABLEAU DES MEMBRES DE L4 CONVENTION NATIONALE QUI ONT
COMPOSÉ LES COMITÉS DE SALUT PUBLIC ET DE SÛRETÉ GÉNÉ-
RALE.
1793.
Comité de salut 'public.
Le 7 avril. Barri're, Deimns, Breard, Danton, R. Lindet, Treilhard, Guy ton-
Morveaux, Lacroix (d'Enre-et Loir), Gambon.
il mai. Les mèuies membres.
12 jui»». Les mêmes ; ma s on a adjoint Josn-Bon Saint-André ctGasparin.
Barrèrc, Delm s, Bréard, Camlion, Hlsaïué, D.mton, Guyton-Moneaux, La-
croix. (d'Eure-et-Loir), Jean- Bon Sa nt André, Gasparin.
1 i juHUl. Décrété qu'il n'y aurait que neuf membres.
£T MEMBRES DES DEUX COMITÉS. 9^
Barrère, Gasparin, Couihon, Thuriol, Saiot-Just, Prieur (de la Marne), Hé-
rault-SéchelIts, R. Liudet, Jean -Bon Saiiit-Audré, Robespierre.
13 août. Les mêmes meoibres.
Septembre. Les mêmes membres.
H octobre (20 vendémiaire, an 2). Les mêmes membres.
22 brumaire ( novembre). Les mém s membres.
23 frimaire ^décembre). Barrère, Biilaud-Vareones, Carnot, Collot-d'Herbois,
C. A. Prieur, R. Liodet, Robespierre, Couthoo, Saint-Just, Jeaa-boa siaint-
Aodré.
IS'ivose {janvier 1794). Les mêmes membres.
Pluviôse {février) Les mêmes membres.
Ventôse {mars). Les mêmes membres.
Germinal ( avril . Les mêmes membres.
Floréal (mai). Les mêmes mepibres.
Prairial {juin ) Les mêmes membres.
Messidor (juilUt). Les mêmes membres.
Thermidor jusqu'au 9 juillet. Les mêmes membres.
U thermidor {août). Caroot, Banère, Collot-d'Herbois, Billaud-Varennes,
Prieur (de la Côte-d'Or), Lindet, Escbassériaux l'aîné, Bréard, Laluy, Thurijt,
Trei hard, Tal ien.
io fructidor (août). Fourcroi, Cochon, Delmas, Merlin (de Douai), Eschassé-
riaux r.iiaé, Bréard, Laloy, Thuriot, Treilhard , Prieur (de la Côte-d'Or),
Carnot, Lindet.
An 111.
15 Vendémiaire {sep\emhre). Prieur (de la Marne), Guy ton-Morveaux, Ri-
chard, Fourcroi, Cochon, Delmas, Merlin (de Douay ), Eschasiériaux aîné,
Bréard, Laloy, Th uriol elTreiihard.
15 brumaire. Cambacérès, Pelet (de la Lozère), Carnot, Prieur ( de la Marne),
Guyton-Morveaux, Richard, Fourcroi , Cochon , Delmas , Merlin (de Douai),
Bréard, Thuriot.
15 frimaire. Buissy-d'Auglas, André Dumont, Dubois-Craacé, Cambacérès,
Pelet (je la Lozèit) , Carnot, Prieur (de la Marne), Guyiou-Morveaux, Richard,
Fourcrui, Delmaj», M rlm (de Douii).
<5 nivôse. Bréard, M.r^c, Cliasal, Boissy-d'Anglas , André Dumonl, Dubois-
Craucé, Cambacérès, Pelei (de la Lozère), Caruol, Pr,eur (de la Marne), Guy-
too Morveaux, Richard.
i5 pluviôse. Merlin (de Douai ), Fourcroi, Lacombe (du Tarn), Bréard, Marée,
Chasal, Boissy-d Anglas, Audre Dumonl, Du^oisCrancé, Cambacéiès, Pelet (de
la Lozère), Caraot.
15 vtnioie. Sieyès, Laporte, Rewbel, Merlin (de Douai ), Fourcroi, Lacombe
(du T.rn) , Bréard, Marec, Chasal, Boissy-d'Auglas , André Dumoni, Dubjii-
Craucé.
Le comité, ce mois-ci, sera composé de seize membres.
15 germinal. Cambacérès, Aui ry, Tallieu, Creuzé-Lalouclie, Gillet , Roux
ide la Uaule-Mrije,, Siexès, Lapor.e, Rewb.ll, Merlm (du Doua}), Fuurcroi ,
Laconib , du Tarn, Bréard, Miirec, C:iasal.
15 floréal. Treilliard, Fermuui, Vtruicr, Rabaud-Poniniier, Doulcet, Cam-
ba.éiè», Au >ry, Tallieu, GiiIct, R ux (do la Hiuie-Marm) , Siojèi, Lapuric,
Rewbeil, Merhu (de Douai), Fourcroi, Lacombe (du Taru).
io prairial. Marec , Gdiuon , Larivière , Blad , Treilhurd, Fermant, Vernier,
96 CONVENTION NATIONALE. — MEMBRES
RabauU-Pommier, Doiilcet , Cambacérès , Aubry, Tallien , Gillet, Roux (de la
Haute-Marne), Sieyès, Rewbel.
<5mfSsidor. Boissy-d Anglas, Louvel, Jean-de-Bry, Lesage (d'Eure-et-Loir),
Marec, Gamon , Larivière, Blad, Treilhard, Ferment, Vernier, Rabault-Pom-
mltr, Doulcei, Canibarérès, Aiibry, Tallien.
io thermidor. Merlin (de Douay), Letourneur (de la Manche), Sieyès, Rewbel,
Boissy - d'Atiglas , Louvet , Jean-de-Bry , Lesage (d'Eure-et-Loir), Marec, Ga-
mon, Larivière, Blad, Ferm »nt, Vernier, Bibaull-Pommier, Doulcet.
io fructidor. Laréveillère-Lépaux, Cunibacérès, Daunou, Beriier, Merlin (de
Douai), Letourneur d»; la Manche, Sieyèi , Rewbel , Boissy-d'Anglas, Louvet ^
Jean-de Bry, Lesage (d'Eure-et-Loir), Marec, Gamon, Larivière, Blad.
An IV.
i5 vendémiaire. Chénier, Eschassériaux aîné , Gourdan, Thibaudeau, Liré-
veillère-Lépaux, Cambacérès, Daunou, Beriier, Merlin (de Douai ), Letourneur
(de la Manche), Sieyès, Rewbel, Boissy-d'Anglas, Louvet, Jean-de-Bry, Lesage
d'Eure-el-Loir).
Comité de sûreté générale.
1795.
2( janvier. Bazire , Laraarque, Chabot, Legendre (de Paris), Bernard
(de Samtes) , Rovère, Ruamps, Maribon-Montaut , Tallien, Ingrand, Jean-de-
Bry, Duhem. — Suppléans : Lasource, Grangeneuvo, Quinète, Drouet, Bréard,
Karvelégao.
i\ septembre. Panis, Lavicomterie, Guffroy, Chabot, Alquier, Lejeune, Ba-
zire, Garnier (de Saintes), Julien (de Toulouse).
An II.
5 vendémiaire (26 septembre). Rulh, Joseph Lebon, Lavicomterie, Amar,
Vonlland, Panis, A. Benoit, GulTroy, Moïse Bayle, Lebas, Vadier, David.
22 rnidé»niaire (14 Octobre). >4djoiiif5.— Laloy, Dubarrao, Jagot, Louis (du
Bas-Rhin.)
Brumaire. Panis, Lavicomterie, Guffroy Chabot, Lejeune, Garnier (de Sain-
tes), Laloy, Dubarran, Jagot, Louis (du Bas Rhin), Amar, Vadier, Voallaad,
David, Moïse Bayle.
Frimaire. Panis, Lavicomterie, Guffroy. Lejeune. Garnier (de Saintes), La-
loy, Dubarran, Jagut, Louis (da Bas-Rhin) , Amar, Vadier, Voulland, David,
Moïse B: yle.
ISivosr. Voulland, Louis (du Bas Rhin), Mosïe Bayle, Laloy, Lavicomterie,
V^adier, Dubarran. Élie Lacoste, Jagot, Guffroy, Aaiar,Cambon, David, Lebas,
Panis.
Pluviôse. Lavicomterie, Vadier, Amar, Vonlland, Élie Lacoste, Guffroy. Du-
barran , Louis (du Bas-Rhin\ David, Moïse Bayle, Lebas, Jagot, Rulh, Laloy»
Panis.
Ventôse. Vadier,Voulland , Louis (du Bas-Rhin), Jagot, Âmar, Rulh, Dubar-
ran, David, Moïse Bayle, La\icomlerie, Lebas, Elie Lacoste, Guffroy, Laloy.
Panis.
Germinal. Les mêmes.
Floréal. Voulland, Vadier, Amar, Elie Lacoste, Dubarran Jagot, Louis (du
Bas-Rhin), Lavicomterie, Moïse Bayle, Philippe Rulh, David, Panis.
.DES DEUX COMItKS. 97
Prairial. Vadier, Amar, YouUand, Elie Lacoste, Dubarran, Jagot, Louis (du
Bas-Rhin), Lavicomterie, Moïse Bayle, Philippe Ruih, David, Panis.
Messidor. Vadier, Amar, Voulland, Philippe RuIh, Moïse Bayle, Lavicom-
terie, Elie Lacoste, Jagot, David, Guffroy, Dubarran, Louis (du Bas-Rhin),
Panis.
Thermidor, jusqu'au 13. Dubarran, Amar, Louis (du Bas-Rhin), Voulland,
Vadier, Philippe Rulh, Moïse Bayle, Lavicomterie, Élie Lacoste, Jagot, David,
Guffroy, Laloy, Panis-
15 Thermidor. Vadier, Moïse Bayle, Voulland, Elie Lacoste, Dubarran,
Amar, Guffroy, Philippe Rulh, Legendre (de Paris), Goupilleau (de Fonte-
nay), Merlin ^de Thionville ), André Dumont, Bernard (de Saintes), Louis (du
Bas-Rhin).
Fructidor. Colombe], Meauld, Clausel; Mathieu, Montmayou, Lesage-Sé-
naut, Bourdon (de l'Oise), Amar, Dubarran, Guffroy, Philippe Rulh, Legen-
dre (de Paris), Goupilleau (de Fontenay), Merhn (de Thionville), André Du-
mont, Bernard (de Saintes), Louis (du Bas-Rhin).
An m.
. 15 Vendémiaire. Bentabolle, Rewbell, Laporte , Reverchon , Colombe],
Meauld, Clausel, Mathieu, Montmayou, Lesage-Sénaut, Bourdon (de l'Oise),
Guffroy, Legendre (de Paris), Goupilleau (de Fontenay), Merlin (de Thion-
ville), André Dumont.
15 Brumaire. Garnier (de l'Aube), Barras, Armand (de la Meuse), Laigne-
lot, Bentabolle, Rewbell, Laporte, Reverchon, Colombe], Meauld, Clausel, Ma-
thieu, Montmayou, Lesage-Sénaut, Bourdon (de l'Oise), Levasseur (de la
Meurtne ) .
15 Frimaire. Legendre (de Paris), Goupilleau (de Montaigu), Lomont,
Boudio (de l'Indre), Garoier (de l'Aube), Barras, Armand (de la Meuse), Lai-
gnelol, Bentabolle, R^vbelJ, Laporte, Revefchon, Meauld, Mathieu, Mont-
mayou, Bourdon (de l'Oise).
15 Muose. Clausel, Rovère, Guffroy, Vardon, Legendre (de Paris), Goupil-
leau de Montaigu, Boudm (de l'Indre), Garnier (de l'Aube), Barras, Armand
(de la Meuse), Laignelot, Bentabolle, Rewbell, Laporte, Reverchon.
15 Pfuvioie. Mathieu, Augu's, Perrin (des Vosges), Bourdon (de l'Oise),
Clausel, Rovère, Guffroy, Vardon, Legendre (de Paris), Goupilleau (de Mon-
taigu), Lomont, Boudio (de ITndre), Garnier (de l'Aube), Barras, Armand (de
la Meuse), Laignelot, Philippe Rulh.
15 Ventôse. Isabeau, Calés, Gauthier (de l'Ain), Delecloy, Pémartin, Mont-
mayou, Mathieu, Auguis, Perrin (des Vosges), Clausel, Rovère, Guffroy, Le-
gendre (de Paris), Goupilleau (de Montaigu), Lomont, Boudin (de l'Indre).
15 Germinal. Courtois, Thib udeau, Seveslre, Chénier, Isabeau, Calés, Gau-
thier (de l'Ain), Delecloy, Pémartin, Montmayou, Mathieu, Auguis, I*errin (des
Vosges), Clausel, Rovère ( Thibaudeau a donné sa démission).
15i'7or^a/. Gi)yoraar, Picrrtt, Kervelé^^an, Bergoing, Courtois, Seveslre,
Chénier, Isabeau, Calés, Gauthier ( de l'Ain ), Delecloy, Pémartin, Monlmayou,
Ma.hieu, Auguis, Perrin (des Vosges), Calés.
15Prairù(/. Genevois, Lomout, Boudin, Kervelégan, Montmayou, Courtois,
Pémartin, Piirret, Guyomar, Isabeau, Calés, Gauthier, Bergoing, Sève stre
Chénier. •
i^) Messidor, Delaunay (d'Angers), Mariette, Perrin (des Vosges), Bailly,
T. X\XY/I, 7
$J8 CONVENTION NATIONALE.
Bailleul, Chéuier, Sevestre, Courtois, Genevois, KervelégaUj Pémartio, Pier-
rot, Giiyomar, Calés. Bergoing, Lomont, Rovère, Boudin.
io Thermidor. Calés, Pémartio, Gauthier (de l'Ain), Isabean, Bergoing,
Kervelégan, Guyomar, Pierret, Perrin {des Vosges), Rovère, Mariette, Bailly,
Bailleul, Lomont, Delaunay, Boudin,
15 Fructidor. Quirot, Montmayou, Colombel, Hardy, Barras, Lcmopt, Ro-
vère, Mariette, Boudiu, Calés, Pémartin, Gauthier (de l'Ain), Isabeau, 3aiily»
Bailleul, Delaunay.
An IV.
♦ 5 Vendémiaire. Bordas, Guvomar, Roberjot, Kervelégan, Quirot, Mont-
mayou, Colombel, Hardy, Barras, Calés, Pémartin, Gauthier ^de l'Ain), Isa-
beau, Bailly, BaiUeul, Delaunay.
FIN DE l'histoire DE 1-A CONVENTION NATIONALE.
HISTOIRE DU DIRECTOIRE.
m 4 pRUMAiRE, AN IV (26 octobre 1795) au r50 floréa l
AN v{ 19 mai 1797).
■rnière séance de la Convention eut lieu le 4 brumaire
an IV (26 octobre 1795). Il y avait alors à peine six ans que la
révolution était commencée, et ce temps avait été trop court
pour avoir fait oublier les sentimens et les habitudes de la mo-
narchie. La plupart de ceux dont la révolution avait froissé les
intérêts vivaient encore et habitaient le sol de la France. Il n'y
avait guère que la noblesse , et une partie du clergé qui eussent
pris part à l'émigration; encore beaucoup de nobles, beaucoup
de prêtres avaient mieux aimé courir les chances de lu suspicion
qui s attachait à eux, que de s'expatrier. Parmi les possesseurs
de ces milliers de privilèges obscurs , dont l'assemblée consti-
tuante avait prononcé l'abolition dans les mille carrières de l'in-
dustrie, des finances, de la robe , on pouvait compter ceux aux-
quels leur zèle pour la royauté avait fait passer la frontière , ceux
que le régime de la terreur avait frappés. Or, ces hommes for-
maient une poriion considérable de la population , la portion la
plus riche, la plus influente et la plus instruite. Ils avaient pris
la moindre part aux dévouemens des trois dernières années , et
aussi leur nombre n'était guère diminué. D'un autre côté, la
vie de trouble, d'agitation et de sacrifice, que la révolution avait
imposée à toute la France, contrastait trop violemment avec le
régime de quiétude individuelle dont on jouissait sous le gouver-
nement absohi des derniers rois, poui- qu'il n'en resuitàt p.Ks
chez eux quelques regrets d'une époque où chacun d'eux était
au moins assuré de son lendemain, et de l'exploitation p.iisibîe
100 DIRECTOIRE. — Dl 4 BRUM. AN IT
(l'une position exceptionnelle. La masse de la population était
sans doute encore composée des générations qui avaient assisté à
l'ouverture des éiats-généraux , et applaudi à la constitution
de 1791 ; mais ce qu'elle renfermait de plus) énergique et de
plus dévoué avait péri dans les tourmentes civiles et sur les pre-
miers champs de bataille, ou se dissipait, en ce moment, aux ar-
mées.
La nation avait en quelque sorte consommé , en quelques an-
nées , toutes ses richesses en volonté et en spontanéité révolu-
tionnaires. Les hommes des premiers jours n'existaient plus , ou
étaient fatigués. Il ne restait plus guère que cette partie pacifique
du peuple qui , plus préoccupée des intérêts personnels que des
questions sociales du présent que de l'avenir, demande toujours,
avant tout,. de la sécurité et du repos.
Dans les années qui précèdent celles dont nous allons nous oc-
cuper, le dévouement révolutionnaire était représenté par deux
institutions, celle des Jacobins et celle des armées. C'était là que
s'étaient groupés tous les hommes animés des plus vifs désirs et
des plus fermes volontés. Les Jacobins gardaient et gouvernaient
Ja révolution dans l'intérieur; l'armée la défendait contre les at-
taques de l'étranger, et la propageait au dehors. De ces deux in-
stitutions il n'en subsistait plus qu'une seule. Les Jacobins avaient
disparu ; l'échafaud , la guerre civile, la réaction et la haine publi-
que les avait tués ou dispersés. L'armée était le seul corps où le
dévouement révolutionnaire des masses fût encore représenté.
Aussi, dans l'histoire qui va suivre, nous lui verrons jouer un
rôle politique, et venir dénouer des difficultés qui étaient au-
dessus de la puissance des pouvoirs institués par la Consiiuilion.
Cependant , au moment où la Constitution de l'an m fut mise
en vigueur, l'armée ne s'occupait pas encore des événemens inté-
rieurs de la République. Bien que l'on eût déjà provoqué son at-
tention en soumettant à son vote cette Constitution elle-même,
elle obéissait néanmoins encore à l'impulsion que lui avait donnée
le comité de salut public. Elle ne détournait point les yeux de l'en-
nemi qu'elle combaitait ; ellemarch.iit en avant sans penser à s'in-
AU 30 ïLOR. AN V ( 1790-1797 |. 101
tbrmer de ce qui se passait sur ses derrières. Or, que se passait-il?
Nous avons vu , dans le précédent volume , quelles étaient les
tendances réactionnaires. Elles étaient évidentes depuis long-
temps, et caractérisées par des excès qui avaient dépassé, dans
les contrées du Midi , les violences mêmes de la terreur. D'après
les documens que nous avons recueillis là-dessus , et que nous
avons emprunté à des hommes que Ton ne peut pas soupçonner
d'opinions favorables au régime du comité de salut public, il est
prouvé que cette réaction versa autant de sang qu'il en avait été
répandu auparavant par les commissions, les tribunaux et les di-
verses exécutions révolutionnaires. Il esfcertain, en effet, que le
parti de la réaction était plein de jeunesse et de force ; il s'était
tenu à l'écart, et comme caché pendant les temps de tourmente;
il ne s'était point épuisé, comme ses adversaires, dans les tra-
vaux civils et militaires; aussi, dès qu'il eut jour, il parut plein
de vie et puissant en nombre. Il se signala partout où le pouvoir
n'avait pas d'armées par d'étranges excès.
Cependant les masses ne surent pas à quel point il portait ses
violences: celles-ci en effet se composaient d'aCtes partiels , qui
étaient loin d'avoir la publicité que possède toujours l'action ré-
gulière des commissions et des tribunaux institués par un gou-
vernement. En conséquence le peuple ne vit dans ces violences
rien de plus que des crimes individuels qu'il désapprouvait,
mais non pas un parti qu'il eût à craindre. Il n'en fut pas de
même , ainsi que nous l'avons vu , des membres de la Convention.
Us virent dans les dispositions réactionnaires une double tendance.
Tune qui les menaçait personnellement , l'autre qui allait à ren-
verser leur œuvre politique en ramenant la royauté. Rien n'é-
tait plus facile en effet pour les hommes habiles de Topinion mo-
narchique, que de s'emparer de la direction de toute cette jeu-
nesse contre-révolutionnaire. Aussi la Convention , mue par le
double intérêt de la sécurité individuelle de ses membres et de la
conservation de la République, prit des mesures pour que le pou-
voir ne sortît pas complètement de ses mains. Elle avait décrète,
ainsi qu'on l'a lu dans recommencement de ce volume, que les dé-
10^ MRECTOmE. — 1)C 4 BRUM. AN IV
partemens devraient choisir les deux tiers de leurs députes au
corps législatif parmi les conventionnels. Les o et 13 fructidor,
elle avait décrétéque, si ce noD)bre n'était pas complété par les
sections départementales, les conventionnels réélus se formeraient
en corps électoral, pour choisir, parmi leurs ancif ns collègues, le
nombre nécessaire pour former les deux tiers exif»és. Or, il se
trouva que les départemens n'avaient réélu parmi les conven-
tionnels que trois cent soixante-dix-neuf députés. En ajou-
tant à ce nombre celui des députés des colonies , qui , conformé-
ment aux décrets des 5 et io fructidor, devaient provisoirement
continuer leurs fonctions, il restait à choisir encore cent quatre
membres pour compléter les deux tiers qui ,*de la Convention,
devaient passer dans le corps lé{jislatif. Celui-ci en effet devait être
composé de sept cent cin(\uante membres; cinq cents au conseil
des cinq cents, deux cent c\Lquanie au conseil des anciens.
En conséquence , aussitôt que la Convention eut déclaré, par
l'orgnne de son président, que sa cession était terminée, les trois
cent soixante-dix-upuf membres réélus se formèrent en assemblée
électorale , sous la présidence de Dussault , doyen d'âge. Tallien ,
comme l'un des plus jeunes, était un des secrétaires. On procéda
de suite à l'élection des cent quatre raanquans.
Le 5 à neuf heures du soir, les opérations de l'assemblée élec-
torale étant terminées, le corps législatif se forme sous la prési-
dence du citoyen Rudel , doyen d'âge. Les citoyens Penieres ,
Gamon , Gauch^ry, Duauli , Tallien et Guillemardet font les fonc-
tions de secrétaires.
Le citoyen Baudin, des Ardennes, faisant les fonctions d'archi-
viste, donne lecture des procès- verbaux et extraits des procès-
verbaux parvenus aux archives pour la vérification des pouvoirs.
A mesure que chaïue député est appelé, il déclare, conformé-
ment à la loi du I^»" vendémiaire , son âge, s'il est marié ou veuf,
et dépose dans un canon un billet contenant cette déclaration.
Les secrétaires ayant fait le relevé de ces déclarations , on met
daiig un vase les noms des >lépute^ qui oiji plus de quarante ans,
cl boni mai iés ou veufs.
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 105
On en lire cent soixante-sept pour composer les deux tiers du
conseil des. anciens.
On fait le même tirage parmi les députés nouveaux élus , et
soixante-trois sont choisis pour compléter le conseil.
On se sépare à quatre heures du matin.
Le 6, à deux heures, l'assemblée générale des députés se
forme de nouveau.
On lit la liste des membres que le sort a désignés pour chacun
des conseils.
Aussitôt l'assemblée se sépare en deux conseils.
Le, conseil des cinq-cents alla prendre possession du Manège
où^ar la suite il tint s^s séances ; le conseil des anciens resta
dans la salle occupée aux Tuileries par la Convention. Le 6 bru-
maire (28 octobre 1795), les deux conseils élurent leurs bu-
reaux : Daunou fut élu président des cinq-cents , et Réveillère-
Lepaux des anciens. Pour achever l'institution du gouvernement
décrété par la constitution de l'an 5 , il n'y avait plus qu'à élire
le directoire. Dans la situation des affaires , c'était une question
capitale ; il était important que le pouvoir suprême appartînt à
des hommes liés à celui qui venait de finir, par une même res-
ponsabilité. Aussi rien ne fut laissé au hasard dans celte élection,
et tout fut arrangé d'avance. Tout le monde, au reste, dans le
temps , accusa les conventionnels de s'être entendus, et aucun
d'cHx ne s'en défendit , et l'opposition s'en fit un grief considé-
rable contre eux. En effets, la veille de l'élection , les mrneurs
du parti conventionnel se réunirent chez Villetard ; ils convinrent
d'une liste composée de telle manière que le choix des directeurs
fût en quelque sorte forcé , et se promirent de n'y rien changer,
lors du vote, sous quelque prétexte que ce fût. D'après la con-
stitution , le conseil des cinq-cents devait présenter au conseil
des anciens une liste de cinquante candidats, sur laquelle le der-
nier devait choisir les cinq directeurs. Le résultait du scrut-n ou-
vert le 8 brumaire aux cinq-cents , fut connu le 9. La liste , sur
cinquante noms, n'en présentait que six de connus. Les qua-
rante quatre autres étaient ceux des hommes les plus obscurs ,
104 DlRECTOIRt. •— DU 4 BKLM. AN IV
d'hommes qui, selon l'expression des journaux de l'époque,
n'avaient jamais eu d'autres titres que ceux d'administrateurs
ou de juges dans les départemeus. Kéveillère-Lepaux avait ob-
tenu 517 voix; Rewbell 246; Siëyes 259; Letourneur de la
Manche, 214; Barras, 206; Cambacérès , 145. Tels étaient les
hommes désignés et qu'adoptait la majorité du parti conven-
tionnel. Lorsque celte liste fut reçue au conseil des anciens , il
s'éleva une légère discussion : Dupont de Nemours, ex-consti-
tuant, demanda un délai de quelques jours, afin d'avoir le temps
de prendre quelques renseignemens sur les candidats ; on ré-
pondit qu'il ne s'agissait pas de savoir si la liste était composée
d'hommes célèbres ou d'hommes inconnus , mais de satisfaire
aux besoins pressans de la République en lui donnant un gou-
vernement. L'assemblée passa à l'ordre du jour sur la proposi-
tion de Dupont de Kemours, et sur toutes les autres semblables.
Le scrutin fut ouvert; et le même jour 10 brumaire (l*^'" no-
vembre) , le résultat fut proclamé. Reveillère-Lepaux , Siéyes,
Rewbell , Letourneur de la Manche , et Barras , étaient nommés
directeurs. Quatre des nouveaux élus s'empressèrent d'écrire
aux deux conseils qu'ils acceptaient; Siéyes refusa, se fondant
sur ce que la destinte du pouvoir nouveau étant une œuvre de
cODciiiaiion , il se croyait l'un des hommes les moins propres à
en faire partie, moins à cause de ses opinions réelles que pour
celles qu'on lui prèiait. Cette démission étonna ; mais elle fut
acceptée. On s'occupa aussitôt, au conseil des cinq cents, de
former une nouvelle liste de dix membres. Comme la première
fois, on arrêta la liste d'avance : puis on passa outie aux récla-
mations et l'on précipita li' scrutin. On s'arrangea pour qu'il ne
s'y trouvât , parmi les noms inscrits , que deux noms connus ,
ceux de Carnot et de Cambaccrès. Le premier réunit 181 voix ;
le second 157. Carnot lut choisi le 15 brumaire , par le conseil
des anciens, et fut proclamé directeur.
Le directoire exécutif détinitivement composé, crut devoir
faire connaitre quelle ligne politique il se proposait de suivre ;
en conséquence il fit publier la proclamation suivante :
AU 30 FLOR. AN V ( 179a-1797 ). 105
Du 14 brumaire , l'an 4.
«Le directoire exécutif arrête que, pour faire connaître sou in-
stallation, il sera fait au peuple français une proclamation dont
la teneur suit :
Le directoire exécutif au peuple français,
» Français , le directoire exécutif vient de s'installer.
» Résolu à maintenir la liberié ou à périr, sa ferme volonté est
de ccnsolider la République, et de donner à la constitution toute
son activité et toute sa force.
» Républicains, comptez sur lui, son sort ne sera jamais séparé
du vôtre ; l'inflexible justice et l'observation; la plus stricte des
lois seront sa règle. Livrer une guerre active au royalisme , ra-
viver le patriotisme, réprimer d'une main vigoureuse toutes les
factions, éteindre tout esprit de parti, anéantir tout désir de
vengeance , faire régner la concorde , ramener la paix , régéné-
rer les mœurs. , rouvrir les sources de la reproduction , ranimer
l'industrie et le commerce , étouffer l'agiotage, donner une nou-
velle vie aux arts et aux sciences , rétablir l'abondance et le cré-
dit public, remettre l'ordre social à la place du chaos inséparable
des révolutions, procurer enfin à la République Française le
bonheur et la gloire qu'elle attend , voilà la tâche de vos législa-
teurs et celle du directoire exécutif : eile sera l'objet de la con-
stante méditation , et de la sollicitude des uns et des autres.
» De sages lois, secondées pac les mesures d'exécution les plus
promptes et les plus énergiques , amèneront bientôt l'oubli de
nos longues souffrances.
» Mais tant de maux à réparer, et tant de bien à faire, ne peu-
vent être l'ouvrage d'un jour. Le peuple français est juste et
loyal : il sentira que , dans la confusion ou se trouve l'état , au
moment où son gouvernement nous est confié, nous avons be-
soin du temps , du calme et de la patience, et d'une confiance
proportionnée aux efforts que nous avons à faire. Elle ne sera
pas trompée cette confiance, si le peuple ne se laisse plus entrai-
106 DIRECTOIUE. — DU 4 BRUM. AN IV
ner aux suggestions perfides des royalistes qui renouent leurs tra-
mes, des fanatiques qui embrasent sans cesse les imaginations, et
d<.*s sangsues publiques qui calculent toujours sur nos misères.
» EUe ne sera pas trompée, si le peuple n'attribue pas aux au-
lorilés nouvelles des désordres amenés par six ans de révolution,
qui ne peuvent se réparer qu'avec le temps ; elle ne sera pas
trompée , si le peuple se j appelle que , depuis plus de trois ans ,
ch:ique fois que les ennemis de la République , profitant du sen-
timent de nos maux, ont exaspéré les esprits, et occasionné des
mouvemens, sous prétexte d'en diminuer le poids, ces agitations
n'ont eu d'autre elïei que d'augmenter le discrédit , et d'éloigner
la reproduction et l'abondance, qui ne peuvent être que le fruit
de l'ordr-e et de la tranquillité publique.
» Français , vous n*£ntraverez pas un gouvernement naissant ;
vous n'exi{;erez pas de lui , dès son berceau , tout ce qu'il peut
Taire quand il aura acquis toute la vigueur dont il est suscepti-
ble : mais vous seconderez avec sagesse les elforts toujours ac-
tifs et la marche imperturbable du directoire exécutif vers le
prompt établissement du bonheur pubfic; et bientôt vous vous
assurerez irrévocablement, avec le titre glorieux de républicains,
la paix et la prospérité nationale.
' i> La présente proclamation sera insérée au bulletin avec l'ar-
rêté qui la précède.
» Les membres du directoire exécutif :
» Signé à la minute , Rewbell, président; Letolrneur de la
m
Manche; P. Barras, L.-M. Reveillère-Lepaux , Carnot. »
Cette proclamation , destinée comme tous les programmes de
la même espèce , à rnarcjuer la iigne que l'on voulait suivre, à
imprimer une direclion à l'administration , et à s'attirer la faveur
publique, est une pièce historique dr quelque v;deur. Elle nous
apprend , en efiéi , quelh: était alors l'opinion et les (îrnintes de
la majorité républicaine. Cellf-ci vouhiit loidro, la paix et la sé-
curité intérieure, le rétabliN8«^m»ni des md'Hrs, du trarail , du
commerce; mais en ce nif^nîcut cUf i'«'doutait les f^arfis actifîi en
AU 30 FLOR. Ai^ V ( 1795-1797 ). 107
politique ; elle ne voulait point des royalistes ; elle avait peur des
Jacobins ou de ceux qui prétendraient les représenter.
Cependant on devait prévoir que lorsque les circonstances se-
raient moins fâcheuses, lorsque chacun aurait reconquis assez de
bien-être personnel pour ne plus taîit se préocciïper de lui-même
et recommencer à jeter les yeux sur les al'laires publiques , lorà
enfin que de nouvelles générations auraient rendu de la jeunesse
aux masses, il arriverait que cette même majorité redeviendrait
sensible aux passions politiques.il devait éire évident que la Con-
stitution de l'an 5 n'était point un terme digne de la révolution, et
Tipi'elle n'était qu'une loi passagère pmpre tout au plus à donner
une sanction à une époque de transition et de repos rendue né-
cessaire par les efforts des années précédentes. Il eût fallu donc
que le pouvoir dans la direction qu'il imprimerait aux affaires fît
plutôt l'œuvre de l'avenir que l'œuvre du présent ; il eût fallu
qu'il conçût son action présente seulement comme une prépara-
tion à un état de choses futur ; il eût fallu en un mot qu'il se dé-
vouât au pouvoir qui di^vait Ini succéder. C'était l'unique moyen
d'assurer à la république un gouvernement digne de ses desti-
nées et surtout de ses espérances. Or, l-^ directoire ne raisonna
point ainsi; il crut à la Constitution de l'an 5, ou plutôt à lui
même, c'est-à-dire à l'autorité qu'il recevait ; il prit sa proclama-
lion à la lettre ; il voulut l'exécuter et il se trouva par suite jeté
dans une voie de résistance où il devait périr.
Les difficultés étaient grandes en effet. Le nouveau tiers que
H?s élections départementales avaient amené était en général com-
posé de personnages très-persuadés sans doute de l'excellence
des gouvernemens représentatifs en général , mais fort peu pré-
occupés de la forme, et inclinant presque tous vers la forme mo-
narchique. Plusieurs d'entre eux étaient royalistes et conspiraient
pour la famille déchue. On verra plus lard la restauration récom
penser leur zelr». On parlait aussi d'un parti orléanisle ; maison
ne nommait encore aucun des partisans ée celte branche < adette
des Bourbons. Toutes ces opinions , ffs imes purement royalis-
tes, les autres orléanistes, les autres seulement antirépublicaines,
108 DlKtClOIKE. — DU 4 BKUM. AN IV
toutes ces opinions formaient sans doute en ce moment la mino-
rité dans les deux conseils d u coi ps législatif ; mais les élections fu-
tures devaient leur donner la majorité. Il suffisait pour assurer ce
dernier résultat que ces opinions eussent i'habileté de dissimuler
leurs espérances, et se réunissent en une opposition qui sût pro-
fiter de toutes les fautes du pouvoir, revenir incessamment sur
un passé révolutionnaire dont il ne pouvait se séparer complète-
ment , critiquer ses mesures et embarrasser sa marche. Soit ac-
cord volontaire, soit tendance naturelle d'esprits mus par une
analogie de croyance , c'est en effet ce que fit la minorité. La
majorité composée des ex-conventionnels avait adopté un sys-
tème qui ne lui permettait pas de s'opposer à cette naarche de
manière à la rendre impossible , qui ne lui permettait pas d'en
dévoiler le but. Elle répudiait le passé, et les txois cent soixanie-
dix-neuf membres réélus par les dépariemens qui en faisaient la
plus grande pai lie n'avaient pas été tous choiîsis parmi ceux qui
avaient montré le plus d'énergie révolutionnaire. Ainsi, indépen-
damment des obstacles que le directoiie devait rencontrer dans
toutes les parties de son administration , il était assuré d'une op-
position puissante dans le sein même dçs conseils, dans le sein
même du gouvernement : rien d'ailleurs ne recommandait parti-
culièrement les hommes qu'on y avait appelés, ni leurs vertus, ni
leur caractère, ni leurs actions. Caruot seul faisait exception;
mais s'il avait pour lui, aux yeux du peuple, le mérite d'avoir,
selon l'expression de l'époque, organisé la victoire, il avait aux
yeux de beaucoup d'autres le tort d'avoir fait partie du comité
de salut public. Barras, le plus connu des trois autres directeurs,
était un gentilhomme provençal , fameux par plus d'une aven-
ture de jeunesse. Élu à la Conveniioîi , il avait été montagnard ;
il avait assisté, comme représentant du peuple, au siège et aux
massacres de Toulon; il avait éié menacé par Robespierre pour
ce dernier fait, et par suite avait pris part au 9 thermidor. Chan-
geant de parti selon ^s intérêts et ses passions, on l'avait vu di-
riger et prôner la jeunesse réactionnaire, persécuter les Jacobins
et enfin s'appuyer sur ceux-ci au !"> vendémiaire. C'était un
AU 30 FLOR. AN V ^1795-1797). 109
homme sans mœurs , sans principes et ayant de grands besoins
d'argent. La Reveillère-Lepaux était un ci-devant gentilhomme
angevin ; il avait appartenu au côié gauche de la constituante.
Appelé à la Convention , il avait volé contre la mort du roi et
avait élé proscrit comme girondin. 11 avait été l'un des rédacteurs
de la Constitution de Tan 3 ; rien ne le recommandait dans son
passé politique, et beaucoup de choses dans sa vie nouvelle prê-
tèrent au ridicule , arme puissante dont les partis ne pouvaient
manquer de se servir. La Reveillère-Lepaux affichait un goût
extrême pour la botanique ; il allait passer beaucoup de temps
au Jardin-des-Plantes à étudier les fleurs ; il fonda la secte des
Théophilanihropes, secte dont lesj'eprésentations amusèrent tout
Paris ; enfin il était contrefait. Rewbel , ex-procureur fiscal en
Alsace, avait aussi appartenu à la Conslituante et à la Conven-
tion. Il avait été, avec Merlin de Thionville, repiésentant du peu-
ple à l'armée qui défendait Mayence, et accusé de n'y avoir pas
fait son devoir. On le soupçonnait de s'être laissé séduire par l'or
de la Prusse. Quant à Letourneur, tout ce que l'on savait de lui,
c'est qu'il avait appartenu à l'assemblée législative et à la Conven-
tion. Certes , une pareille réunion d'hommes n'était pas capable
d'en imposer à l'opinion en aucune manière.
Le ministère que se donna le directoire n'était pas fait non
plus pour le fortifier dans l'opinion. Les ministres nommés fu-
rent : pour la justice , Merlin de Douai ; pour les relations exté-
rieures, Ch. Delacroix; pour les finances, Gaudin; pour la
guerre , Aubert-Dubayet qui avait commandé à Mayence lorsque
Rewbell y était i epréseniant ; pour l'intérieur, Benezech ; pour la
marine, l'^imiralTruguet. Ce ministèreétait formé le 15 brumaire,
Ledijectoire venait à peine de s'installer et de nommer ses
ministres , qu'il eut besoin du concours des conseils pour satis-
faire aux nécessités pressantes du gouvernement. Le 15 bru-
maire, il demanda par un message au conseil des cinq-cents ,
une somme de 5,000,000,000 en assignats pour le service des
diverses parties de l'administration.
L'urgence était tellement évidente que la demande fut accordée
I|(J DIRECTOIBE. — DU 4 BRl'M. AN IV
de suite. Mais il n en fut pas de même le lendemain au conseil
des anciens, où elle devait passeï' pour recevoir une sanction com-
plète. Sur les observations de plusieurs membres, qui plus tard
furent comptés dans l'opposition royaliste, sur les observations
de Lafond-Ladebat , de Dupontde Nemours, de Lanjuinais, etc.,
elle fut rejetée. Ces législaieurs se Ibudaient sur quelques irré-
gularités qu'ils trouvaient daiis la résolution du conseil des cinq-
cents. C'était le prenTier signe de celte critique rigoriste , de cette
hostilité qui profiterait des moindres choses pour embarrasser
la marche du gouvernement. Cependant le directoire, qui avait
la raison et la nécessité pour lui , ne recula point. 11 attendit à
peine vingt-quutre heures pouç renouveler son premier message
au couseil des cinq-cents. H fut encore approuvé de suite ; et le
conseil des anciens sanctionna celte fois sans difficultés celle ap-
probation. Les deux conseils furent éf];alement unanimes sur une
mesure que commandait la situation fâcheuse de Paris. Si nous
en croyons un journal du temps , on y manquait littéralement de
pain. Les variations dans le prix des assignats étaient , en outre,
si rapides , que l'on ne pouvait rien prévoir la veille sur le mon-
tant de la somme nécessaire pour se procurer la nourriture du
lendemain. Le jour même, â2 brumaire, où les directeurs de-
mandèrent au corps législatif un moyen de parer à la famine qui
désolait la capitale, le cours du louis d'or varia de 5,180 livres
en assignats à 5,000 iivr. Les conseils autorisèrent le gouverne-
ment à percevoir de suite deux cent cinquante mille quintaux de
blé dans les départemens voisins , a valoir sur la partie de l'inipôl
payable en nature.
Toute opposition sur un pareil sujet eût été malvenue ; mais les
besoins de l'administration en présenlèrem un sur lequel elle
eut l'occasion de s'exercer. La plupart des assemblées électorales
n'avaient pas eu le temps, dans les dix jours assignés pour leur
réunion , de nommer tous les fonctionnaires dont la constitution
leur attribuait l'oleclion. H y avait un grand liombre de places
vacantes dans les tribunaux , dans ks jusiices-de-paix et les mu-
nicipalités; ces places ne pouvaient rester inoccupées sans que
AU ?>0 FLOR. AN V ( 17^^-1797 ). 4i1
le service en souffrît grandement. Il fallait donc y pourvoir, mais
comment? Devait-on réunir de nouveau les électeurs? fallait-il
remettre les nominations au directoire? C'est ainsi que la ques-
tion fut présentée, Ce dernier, au reste, ne manifesta aucun
«tlésir à cet égard ; il se borna dans son premier message ,
le 14 brumaire, à faire observer qu'à Paris le corps électoral
du département avait employé le délai fixé pour sa session,
sans avoir terminé ses élections. Giibert-Desmolières proposa
aux cinq-cents d'autoriser l'assemblée électorale à se réunir
pendant cinq jours. Dumolard proposa au contraire, et en se
fondant sur la constitution , que les choix fussent faif« par le di-
rectoire, La question ainsi posée amena des débats qui se pro-
longèrent pendant deux séances. Yillers , Pastoret , Hardy , ap-
puyèrent l'avis de Gilbert-Desmolières. Enfin , la majorité décida
que le directoire exécutif serait chargé de nommer provisoire-
mentaux places vacantes à Paris. La même discussion et la même
opposition se reproduisit au conseil des anciens. Dupont de Ne-
mours, Larmagnac, Portalis, Lanjuinais, Tronehet , Barbé-
Marbois, prireiit successivement la parole en faveur des assem-
blées électorales. Enfin , après trois jours , les débats furent
fermés, et la résolution du conseil des cinq-cents adoptée. Le but
de l'opposition, dans cette circonstance, n'était point difficile à de-
viner ; c'était de se faire bien venir des électeurs dont elledélèn-
dait les droits; c'était de rendre odieuse la majorité composée
des ex-conventionnels , en la présentant comme usurpatrice du
pouvoir populaire; c'était enfin, si par hasard elle eût triom-
phé, de s'assurer une administration en grande partie composée
d'hommes de son opinion.
Ce ne furent pas au reste les seules tentatives du même genre
qui signalèrent, dès les premiers jours du corps législatif, la
présence d'une opposition. Barbé-Marbois proposa le 127 bru-
maire, au conseil des anciens , de nommer une commission d'en-
quête chargée de liiire connaître la siti.aiioii de la Uépubliquc
sur toutes If s parties de l'administiation et de la iegisiaiion. Cfiie
proposition, appuyée par Dupont de iNeinours ei par plusieurs
i1^ DIRFXÏOIRE. — Dl 4 BRUM. AN IV
autres membres, fut cependant rejetée. Le parti conventionnel
n'y pouvait voir, en elïet, qu'un moyen de faire la critique du
passé et d'embarrasser le (gouvernement. L'auteur de la propo-
sition lui était justement suspect : en effet , Barbë-Marbois avait
été dénoncé par Tallien à la Conveniion , dans ses dernières séafl^
ces , comme ayant travaillé au traité de Pilnitz. Il avait , dès les
premiers jours , demandé à se justifier au conseil des anciens ,
mais celui-ci avait passé à l'ordre du jour. En outre, le parti
conventionnel était déjà averti par quelques motions précédentes.
Un député des cinq-cents avait demandé le rapport de la loi du
5 brumaire qui excluait des fonctions publiques les parens d'é-
migrés et autres. Siméon , au même conseil , avait attaqué vive-
ment la conduite de Fréron , alors représentant du peuple à Mar-
seille , et envoyé pour s'opposer aux violences des réactionnaires
(lu Midi. On dési}j;nait déjà certains membres comme des roya-
listes caches. C'étaient aux cinq-cents, Lemerer, Lejourdan {des
Bouches-du-Rliône), Noailles, André, 3Iersan, Delarue, Cou-
chery, Aymé, Pastoret, Gilberi-Desmolières , Siméon, Lanjui-
nais; c'éiaiL^nt aux anciens, Barbé-Marbois , Dupont de Ne-
mours, Pcrialis, dont nous avons parlé, Mathieu-Dumas, Le-
brun. La suite montra qu'il y en avait un plus grand nombre et
surtout de plus fervens.
Les royalistes d'ailleurs se cachaient moins que les patriotes ,
non qu'ils osassent s'entretenir en public de leurs désirs et de
leurs espérances , mais en ce qu'ils ne craignaient point de cri-
tiquer le passé et le présent , et de ramener incessamment les
esprits à des comparaisons avec une situation d'ordre, de calme
et de sécurité qu'ils indiquaient comme inconciliable avec l'état
républicain. On comptait un grand nombre de journaux de celte
couleur, et dont les opinions monarchi'iues n'étaient un secret
pour personne. C'était la Quotidienne, l'Éclair , le Véridique ,
le Posùllon, le Messager^ la Feuille du jour , Paris pendant Can-
née 179o , etc. Quant au peuple de Paris , dit Buonarroti , (His-
loire de la conspiration de Babeuf) y trompé dans les espérances
que lès premiers jours de la révolution lui avaieot données, égaré
AU 50 FLOR. AN V ( i795-1797). il3
par la calomnie et par les menées du royalisme et du pouvoir,
affemé, sans travail, occupé chaque jour du soin de vivre le len-
demain, il languissait dans une profonde indifférence ; une partie
même accusait la révolution des maux sans nombre qui pesaient
sur lui. Le parti qui s'appelait démocratique , et auquel nous
donnerons ce nom , le parti que, dans l'époque où nous sommes,
on désignait par le mot de Jacobin, parce qu'il se prétendait le con-
tinuateur de cette société fameuse , le parti démocratique était
peu nombreux, et, dit Baonarotti, la masse des patriotes fai-
bles , à peine revenue de son effroi , était prête à se laisser encore
intimider à la moindre apparence d'une nouvelle persécution.
Cependant il publiait plusieurs journaux : c'était le Tribun du
peuple, par Babeuf, l'Ami du peuple y l'Éclaireur du peuple y
L'Orateur plébéien , le Journal des hommes libres, etc. ; mais 11
avait bien moins de lecteurs que ses adversaires, et il parlait un
langage dont, de jour en jour, on perdait Tintelligence. Cepen-
dant la recrudescence du royalisme, même dans le sein des as-
semblées , donna à penser à quelques démocrates que le gouver-
nement serait disposé à ne point persécuter des manifestations
dans un esprit contraire. Ils crurent que les chefs du pouvoir exé-
cutif , auxquels ils ne prêtaient d'autre volonté que de se con-
server l'autorité et d'acquérir la fortune par ce moyen , verraient
sans peine quelques efforts qui les mettraient à même de com-
battre les royalistes par les démocrates, et réciproquement. En
conséquence ils jetèrent les bases d'une société populaire. Un
homme qui avait loué une partie de l'ancien couvent de Sainte-
Geneviève, mit gratuitement à leur disposition l'ancien réfectoire
des génovefains. Dès l'ouverture du club, on vit accourir un grand
nombre de personnes convoquées ou amenées par l'attrait de la
curiosité. On recevait facilement. Il suffisait d'être présenté par
deux personnes pour être admis, en sorte que bientôt la société
compta plus de deux mille membres. On y faisait des discours
patriotiques ; on y discutait ; il y avait deux partis , celui du gou-
vernement et celui des patriotes mécontens. On rédigeait quel-
quefois des adresses au penplo, ([u'on publiait par voie d'alïi-
T. XXXVII. 8
114 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
ches. Ces réunions , dans les premiers temps , ne furent pas mal
vurs du directoire. Il écouta plusieurs fois et accueillit ses solli-
citations j il accorda queKjues places à sts recommandations. Mais
ces réunions nombreuses et publiques cachaient d'autres réu-
nions secrètes où n'éiaient admis qu'un petit nombre d'élus, où
présidait Babeuf, et où l'on poursuivait un but que nous verrons
dévoiler plus tard. Comme le lieu où se tenaient ces assemblées
était voisin ûu Paniliéon , on les appela club du Panthéon. Les
royalistes avaient de leur côté des centres de communication, mais
moins publics, peu connus, dont Thistoire a peine à recueillir
les traces. Au moment où nous tommes, c'était lu société de
Noailles et celle qui plus laid fut connue sous le nom de club
de Clichy.
Cependaut les chicanes qu'on opposait au {gouvernement dans
les conseils, étaient presque journalières. Le 9 frimaire (50 no-
vembre ) , Pénières , Bion , et Andi é Dunioni demandaient aux
cin(|-cenls que le gouvernement c<^Sbût de faire distribuer, à ses
frais, des journaux qui , comme le Journal des patriotes de 1789,
iiiSuliaient les conseils et disaient , à propos de leurs délibérations
sur les finances , que ce n'était pas la peine pour si peu, de s'eti'
fermer pendant dix jours; que ce n'était pas là du pain , etc. Ea
effet, les conseils s'étaient réunis , pendant tout ce temps , en co-
mités, puur aviser à une reforme financière. i\ous eu traiterons
daijs un chapitre à part. La motion de Pénières, Bion et André
Dumout, fut I ejeiée sur les observalions de Tallien et de Colonj-
bel. — Le 12 IVimaire, ou remettait eu délibération l'autorisation
donnée au directoire délire aux places vacantes dans les tribu-
naux, les jusiices-de-paix et les adminiî>irations municipales.
Comme dans les premières rcsolutions il ne s'était agi que de Pa-
ris,la (juestion revenait tout entière quant aux dépai temens ; les
dt bals, plusieurs fois inter/ ompus il est vrai, se prolongèrent dans
les deux conseils jusqu'au t2o li imaire , où la majoriié accoida au
pouvoir exécutif ce droit d'élection si contesté.
Le directoire des ait s'iuqui»;ter de celte démarche de la mino-
rité, rs'éanmoins il cheichait à s'attirer la faveur des diverses opi-
AU 50 FLOR. AN V (1790-1797). iiti
nions par des mesures capables de les satisfaire en même temps ^
mais non pas de les encourager. li n'y avait qu'un cri dans Paris
contre la rage des agioteurs et l'influence qu'oa leur attribuait
dans la variation du prix.d( s assignats et des denrées : le dircx-
loire fit fermer la bourbe. En même lemps il exécutait une riégo-
ciation poursuivie secrètement avec l'Autriche , et qui avait pour
but d'échanger la fille de Louis XVI contre les députés Quinetle,
Bancal , Lamarque , Camus le ministre Beurnonville, livrés tous
cinq par Dumourier et le député Drouet fait prisonnier à l'armée
du Nord , ainsi que Maret et Sémonville arrêtés par les impériaux
au mépris du droit des gens. Il espérait ainsi satisfaire les royalis-
tes en rendant la liberté à un membre d'une famille qu'ils respec-
taient, et aux patriotes en leur rendant quelques victimes de leur
opinion. La jeune princesse partit le 28 frimaire. Le ir^inistrede
fintérieur alla la prendre au Temple et la conduisit aux voitures
qui l'attendaient pour la transporter à Baie où devait s'opérer Té-
change. Cette négociation donna lieu à un incident diplomatique
qui mérite d'être rapporté, non parce qu'il est important, mais
parce qu'il peint fétat des espérances monarchiques. Le comte
Carletti, ministre de Toscane, le premier de tous les ré^idens
étrangers accrédités auprès de la République, demanda, tcomme
seul ministre étranger qui représentait un souverain parent de la
lilie de Louis XVI, à aller lui présenter ses honiaiages avant son
départ. » Celte demande fut mal reçue; le directoire vit qu'on pou-
vait lui attribuer des inieniions auxquelles il n'avait pas songé j
et par une mesure violente il essaya de donner une direction dif-
férente à f opinion que sa négociation avait fait naître. II rompit
toute communication officielle avec le conite Carletti , et demanda
publiquement au duc de Toscane le remplacement de cet agent
diplomatique. Celui-ci lut en effet aussitôt rappelé et la cour de
Florence désavoua mêii.e sa démarche.
Si le directoire avait voulu imposer complètement siience au
royalisme, rien ne lui eût été plus facile. 11 lui suffisait d accor-
der aux ex-Jacobins une faveur qui n'eût été, dans le moment oii
nous sommes, qu'une simple justice. Mais, il semblait vouloir
11(> DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
uniquement metlre en pratique l'ancien axiome : divifser pour rc^
gner. Quant au parii conventionnel qui formait la majorité des
conseils, il craif^^nait les Jacobins autant que les royalistes. La
plupart de ceux qui la composaient- se croyaient même per-
sonnellement plus menacés par les premiers. Elle ne tarda pas
en effet à manifester des sentimens qui étaient en conformité
avec la politique adoptée par les chefs du pouvoir exécutif. Ce
fut au conseil des cinq-cents, à l'occasion d'une pétition des Mar-
seillais , qu'elle en donna la preuve. Nous insérons ici la séance
du conseil.
CONSEIL DES CINQ-CENTS. — PRÉSIDENCE DE CHENlER.
Séance du M {rimaïrey an 7F (8 décembre i795 ).
Cndroij. < Citoyens représentans, le IG de ce mois, il a été lu
au conseil des anciens une dénonciation qui inculpe trois repré-
sentans du peuplade la manière la plus grave. Celte dénonciation
a été renvoyée au conseil des cinq-cents. Je demande qu'elle soit
lue dans ce moment. »
Villers. « Je sais que le sort de la République est indépendant de
relui de quelques individus. Cependant il est des circonstances
où ces deux intérêts semblent liés , et je crois pouvoir dire (jue si
vous adoptez la proposition qui vous est faite par Cadroy , elle
peut avoir la plus funeste conséquence. Elle peut encourager
ceux qui, ne pouvant renverser la République en l'attaquant à
force ouverte, cherchent à la renverser en attaquant successive-
ment les représentans du peuple.
• La Convention nationale n'a échappé que par miracle à la dis-
solution qu'on a si souvent tentée ; et cette dissolution pouvait
être la suite du système d'avilissement (ju'on avait adopté contre
elle. Aujourd'hui je vois se renouveler ce système avec la même
fureur ; craignons qu'on ne le fasse revivre dans cette enceinte.
Je connais à peine les trois collègues dont il est question ; mais
s'ils eussent été des hommes sanguinaires, des ennemis de l'hu-
maniié sous le régime de la terreur, ils eussent flatté les décem-
AU 50 FLOR. AN V (1795-1797). 117
virs ; ils se fussent assis parmi les hommes de sang; ils auraient
olïertleur ministère, et flatte la cruauté de nos tyrans ; sous leurs
ordres , ils auraient parcouru nos départemens , et y auraient pro-
mené , comme tant d'autres, la dévastation et la mort. Bien loin
de là , ils ont toujours manifesté au milieu de nous les principes
de l'honneur ; ils se sont assis constamment parmi les amis de la
justice et de l'humanité, et plus d'une fois leur courage a été
utile à la cause de la liberté luttant contre la férocité de nos ty-
rans.
» Je demande Tordre du jour. »
Cadroy monte rapidement à la tribune.
Mariette. «Je suis un des représentans inculpés; il vous importe,
il importe à la République entière que vous entendiez notre jus-
tification. Je demande que la dénonciation soit lue. >
Cadroîj. «Représentans, on vous propose de passer àl 'ordre du
jour, quand il s'agit de venger la Convention nationale , dont nous
avons suivi les principes de justice et d'humanité dans le Midi. 11
est dans l'âme de chacun de vous de faire punir les coupables ,
ou de venger des représentans indignement calomniés. Si nous
avons dépassé nos pouvoirs , si nous en avons abusé, nous devons
être punis ; si au contraire nous n'avons fait que suivre vos prin-
cipes, nous avons droit à une justice entière.
» Je suis accusé ; eh bien î je le déclare, c'est moi qui me porte
accusateur ; je ferai connaître les brigands chargés d'or et cou-
verts de sang qui osent invoquer l'ombre de ces grands hommes ,
de ces victimes illustres, arrachées du sein de la Convention na-
tionale , tandis que leurs propres noms sont inscrits sur la péti-
tion exécrable qui demandait leurs têtes. Voilà mes accusateurs,
représentans , voilà les hommes que je traîneaux pieds des tribu-
naux , si dans votre justice vous ne prenez un parti. »
iV... « Aux termes de la constitution, la dénonciation aurait dû
être envoyée directement au conseil des cinq-cents ; elle ne l'a
pas été, nous ne pouvons prononcer.
> Je demande l'ordre du jour. *
Lesuge-Senault, Laloi, lienlabolle, n'clamcut l'ordre du jour.
\\H DIRECTOIRK. — DU 4 BRIM. AN IV
Hardy. «Les si{}naiaire:-dela dononciaiion ont cru pouvoir ren-
voyer au conseil des anciens , ils se sont irompés , cl je pense que
le conseil des anciens lui-même n'eût pas dû nous la nnvover ; et
je ne puis diss muler que je crois voir dans ce renvoi , qui n*est
point officiel , le trait de quelque malveillance particulière ; mais
comme l'accusation porte sur des collcfjîu s estimables dont le ci-
visme et la probité nous sont bien connus , j'en demande la kc-
lii^e i afin qu'elle soit couverte du mépris qui lui est dû , et qu'elle
rentre dans le néant. Si je ne me trompe, cette accusation tient
aux menées de riniri{}ant qui nous a conduits à la catastrophe de
vendémi-lire. Je demande la lecture. >
N... «J'appuie la proposition. Aux termes de la constitution, la
dénonciation doit être portée au conseil des cinq-cents; si elle n'y
a pas été adressée 'd'abord, elle y est en ce moment; elle est donc
où elle doit être : je demande la lecture. »
Lesafje Senault et Bentabolle rcVlamenl l'ordre du jour.
Lnloi. «L'artic'e de h constitution, relatif aux représentans du
peuple, devrait suffire pour déterminer le conseil dans cette cir-
constance. Je demande de qui nous tenons cette dénonciation ;
quelles pièces, quelles lettres d'envoi raccompafjnent. S'il y en
avait, je mettrais encore en question si on devrait en prendre
lecture. Si le législateur voulait répondre à tou'es les calomnies,
tous ses momens seraient perdus pour la chose publique.
« Je demande l'ordre du jour. »
KnjnbunU. Ce n*est point un temps perdu , que cvlui qui est
employé à rendre une justice éclatante à des représentans qui la
luéritent. Examinons (jurî motif on donne pour supposer à la
ïecture. La dénonciation, dit-on, n'est pas renvoyée officielle-
ment ou n'a ptiS dû l'être ; quel'c chicane î quelle vaine subtilité î
Maisne siiil-on pasquecitte dénonciation est publullie , qu'elle
est partout colportée , qu'on est parvenu à la faire insérer dans
plusieurs journaux? On sait tout Ctia , et on vient nous dire que
la noiificaiion n'est pas suffisante î Refif^sentans, l'accusation a
été publique, ri pandue avec affectation ; il faut que la ripara-
tion soit éclatante. Parmi les accusés, je ne connais particulière-
AU 50 FLOR. AN V (1790-1797). 119
ment que Mariette ; mais je l'ai suivi depuis le commencement de
sa carrière politique , et je réponds sur ma tête qu'il ne s* est ja-
mais écarté des sentimens d'honneur et de justice qu'un républi-
cain sincère doit professer. >
L'ordre du jour est de nouveau réclamé ; le conseil rejette
l'ordre du jour à une forte majorité , et ordonne la lecture des dé-
nonciations.
Les Marseillais au conseil des cinq-cents.
<( Citoyens législateurs , les Républicains ne connaissent que la
vérité; en ces momens d'orage et de dangers, elle peut sauver
la chose publique; ils vous la doivent ; la voici :
» Le Midi, la commune de Marseille surtout, a gémi long-
temps sous le poids accablant de l'oppression la plus monstrueuse
et la plus horrible.
» Le croiriez^vous , législateurs ? des hommes chargés de sau-
ver le peuple, de l'arracher à la tyrannie des factions, des re-
présentans qui avaient reçu du peuple la mission expresse de
consolider la liberté, l'ont assassiné , détruit, égorgé; et si quel-
ques républicains énergiques ont échappé aux massacres qu'on
avait si bien organisés , rendons-en grûce au génie de la Répu-
blique.
» Vous peindrons-nous ici, législateurs, le tableau effrayant
qu'a offert Marseille pendant p'us de six mois? Des cadavres mu-
tilés à chaque pas , les rues teintes du sang humain , les voûtes
du Fort-Jean empreintes encore des cervelles des plus courageux,
républicains, le sang sortant à gros bouiilons de cet antre de
mort , et rougissant les eaux de la Méditerranée , le fer, la soit',
la faim dévorante , le feu, la flamme.... Épar{]nons à votre sen-
sibilité le récit de ces horribles forfaits. Les massacres du Midi
ne sont point un problème ; et quel monstre assez audacieux ten-
terait aujourd'hui de les justifier, ou d'en atténuer l'atrocité?
» Serait-ce vous , Cadroy , Chambon et Mariette , vous qui les
avez fait commettre?
» Lé|»islateurs , nous vous dénonçons ces trois bourreaux du
120 DIREGTÙIHE. — DU 4 BULM. A> IV
Midi : el qu'on ne révoque pas en doule l'exisience de lanl de
crimes ; nous allons en administrer la preuve.
» Un verbal des juges-de-paix Rebec, Kicbaud etCamaud, at-
teste l'horrible massacre du Fort-Jean ; par ce verbal, dont nous
joignons ici une expédition en forme : 1 11 constate qu'il s'est
trouvé sur la place, où est une treille , un grand nombre de ca-
davres étendus morts, paraissant avoir été tués avec des armes
tranchantes, tous défigurés et méconnaissables.... Que le long
de la voûte, en montant à la grande place, il y avait une infinité
de cadavres morts de la même manière , et qu'il paraissait qu'on
avait mis le feu dans deux cachots à gauche , où on a trouvé
trente-huit cadavres, moitié brûlés et presque tous méconnais-
sables. » Enfin, les juges de paix déclarent avoir aperçu quinze
hommes encore vivans et respirant à peine , mais ne pouvant
parler. ( Voir le précédent volume. )
> Cette boucherie eut lieu le 17 prairial ; et le 18 , les juges-de-
paix trouvent encore des malheureux mutilés, ayant à peine un
souffle de vie!....
> Quelle horreur ! Ainsi ces martyrs de la liberté, tourmentés
par une agonie convulsive, n'ont eu pour ht, pendant plus de
vingt-quatre heures, que les cadavres de leurs frères, et pour
consolation que le témoignage de leur conscience.
» Dis-nous donc, Cadroy, qui a occasionné ces actes d'une
barbarie sans exemple? Nesonl-ce pas tes provocations au meur-
tre.^ ïu as dit, et vainement voudrais-tu le nier, tu as dit au
peuple, dans cette société d'émigrés que tu avais organisée, et
(jui se disait populaire : • Si vous rencontrez des terroristes,
frappez-les ; si vous n'avez pas des aimes, vous avez des bâtons;
si vous n'avez pas de bâtons , déterrez vos parens , vos amis , et
de leurs ossemcns assommez qui osera vous regarder en face. »
» Ce fait, législateurs, est attesté par tous les partis. Les égor-
geurs disent pubhquement: si nous avons assassiné, c'est parce
(]ue Cadroy nous l'a dit ; il nous a dit , frappez : et nous l'avons
fait.
» INous accusons Cadrov de n'avoir été au i^ccours des victimes
AU 50 iLOR. AN V (171)0-1797). 121
du Forl-Jean , que six heures après que le canon , tonnant sur
les cachots , avait annoncé le massacre dans toute la commune ,
et jeté l'épouvante et le désespoir dans les l^umilles inforiunées
des détenus ; et quand il feignit de reprocher aux assassins tant
d'épouvantables homicides , pourquoi souffrit-il que les chefs des
égorgeurs lui reprochassent en face d'avoir ordonné les mas-
sacres ?
i) Quatorze égorgeurs furent pris en flagrant délit dans le fort,
et arrêtés par les troupes de la garnison; trois jours après, l'or-
dre de leur élargissement est donné ; ils sortent en triomphe , et
en présence de Cadroy ; ils reçoivent au spectacle , et à la société
populaire , une couronne digne des émigrés qui la donnent , et
des anthropophages qui la reçoivent.
» Tous ces faits, et bien d'autres non moins graves , nous sont
connus , nous les attestons, et nous les déposerons en justice.
> Écoutez, législateurs, ce que dit , à Cadroy, Gabriel, agent
national du district , dans sa lettre du 22 prairial , dont nous joi-
gnons ici copie : « J'avais , dit-il, recueilli dans la ville des choses
fâcheuses ; j'avais entendu des propos alarmans ; les esprits m'a-
vaient paru dans une exaltation effrayante.,.. Je vous fis une as-
sez longue lettre , dans laquelle je suis bien mémoratif de m'étrc
servi de ces expressions-ci : L'effervescence du peuple est à son
comble.... Le peuple s'indigne de la lenteur d'une justice, tou-
jours si vainement promise.... Votre éloquence peut beaucoup
sur le peuple : on vous chérit à Marseille , on vous y adore ; pro-
fitez d'un si glorieux ascendant. »
» Eh quoi ! représentant Cadroy, vous étiez instruit que des
massacres se projetaient, et vous n'avez pris aucune mesure pour
les prévenir ; vous aviez de Tascendant sur le peuple , et cette élo-
quence , que vous déployiez avec tant d'énergie pour provoquer
au meurtre, vous l'avez perdue lorsqu'il s'agit de mettre un
terme à tant d'atrocités? Ah , citoyen Cadroy, ou Gabriel est un
grand imposteur, ou vous êtes un grand coupable.
» Cette lettre précieuse mérite d'être lue en entier; elle prouve
évidemment le désir des représentans de laisser continuer les
i'^^2 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
massacres, en empêchant la publicité et l'exécution des actes des
autorités qui auraient pu les entraver.
» Nous vous déaunçoDs Chanibon pour avoir organisé , armé
et protégé ouvertement Jacompaj^nie du Soldl qui a commis tous
les massacres ; i! avait à sa tabîe,dans ses bureaux , dans sa voi-
ture, le nommé Rolland, un des chefs des égorgeurs, el il n'i-
gnorait pas que ce Rolland avait dirigé les massa<M*es des prisons
d*Aix.
> Nierait-il avoir connu l'existence de la compagnie du Soleil?
Lisez, législateurs, l'ordre qu'il a joigne pour faire diNtribuer à
celte compagnie cent dix sabres. Cet ordre porte que les sabres
seront livrés au nommé Bon , reconnu pour avoir été le lieute-
nant des Enfans du Soleil ; et observez que cette livraison d'ar-
mes est faite après l'événement du Foi t-Jean ; c'était , sans douic,
une récompense de cet icte civique, et un encouragement à de
nouveaux massacres.
• On a» il est vrai, tiré dans cet ordre un trait de plume sur
les mots du Soleil , pour ne laisser subsister que le litre de com-
pagnie franche ; mais le piège est grossier, et ce bàionnement ,
fait après coup , ne laisse pas moins subsister la preuve écrite
de l'existence de la compagnie du Soleil , el de la protection ou-
verte que lui accordait Chambon , en l'armaut de sabres aux dé-
pens de la Républi'iue. Ainsi, les républicains payaient leurs
bourreaux , (|uc des représeniaus du peuple eucourageaienl au
crime.
» Chambon a encore encouragé les assassinats après le massacre
des prisons d'iAix. Il osa, dans Une proclamation que nous joigoon»
également ici, con.Mdérer cet acte de barbarie comme un juste
resscniiment, comme l'effet d'une tri>p excusable impatience.
» Après les mas.<acrei, Chtmb; n les excuse ; avant les massa-
cres, il connîtîi 1rs ppojefs des égorge urs , et ne prend aucun
moyen pour les dévouer. Nous invcx^uons ici le ténw'gnage de
>olrr digtir collègue Poultipr il dr son épouje ; ils vous diront
(lu'ih avnicnt aviîé Chambon du massacre des prisons d'Aix,
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797). 123
lro:s jours avant qu'il n eût été exécuté, et Chambon resta im-
mobile.
» 11 y a plus , l'administraiion du district prend des arrêtés
pour mettre un frein aux assassinats, et rendre la municipalité
et le comité de surveillance responsables des événemcns.
I Chambon empêche la publication dé ces arrêtés que nous
joignons ici , et la preuve de ce l'ait est consignée dans la lettre
de Gabriel à Cadroy.
» Cadroy destitue la munidpalité nommée par les représen-
tans Auguis et Serrés , après le 9 thermidor; il en voue les mem,-
bres aux malédictions du peuple ; et ces fonctionnaires , injuste-
ment destitués , sont les uns jetés dans les cachots, et les autres
réduits à prendre la fuite pour se soustraire à la fureur des En-
fans du Soleil.
Chambon renchérit sur Cadroy ; il destitue encore une partie
de la municipalité, et ne place enfin que ceux qui arrivent de
Livourne ou de Gênes.
» Mariette, digne acolyte de ses deux collègues, est p'iis ré-
^rvé, plus adroit sans doute; son extérieur le décèle moins ;
mais il lui est échappé un propos que les amis de Thumaniié et
de la patrie n'oublieront jamais.
» Au moment où Cadroy , à la tribune de la société dite popu-
lane, provoquait au meurtre, Mariette osa dire : « C'est la guerre
des hommes contre les loups ; du courage ; laissez entrer les émi-
{p^h \ il faut qu'ils noUs renforcent. •
» Législateurs, Voilà une bien faible esquisse des maux qui
nous ont désolés ; bientôt des preuves , toujours plus victorieuses,
jetteront un grand jour sur le but de tant de massacres; bientôt
Vérrons-n6uS les ramifications de la conpiraiion du 15 vendé-
miaire s'étendre dans tout le Midi ; bientôt aurez-vous encore à
frémir, en apprenant qite U royalisme renoue le fil de ses tra-
mes, et prépure de nouveaux et de plus épouvantables mas-
sacres.
» Des périls sans nombre menacent encore la liberté pubîi(|ue.
Avec vous, nous les braverons; avec vous, avec Celte saine ma-
124 DIRECTOIRE. — DU 4 BRCM. AN IV
jorité qui a fondé la République, nous combaiirons encore une
fois s'il le faut , et encore une fois les vaincrons.
» 3Iais, législateurs, la sûreté, l'existence de la République
tiennent à la punition de ces crimes abominables , dont le roya-
lisme et le fanatisme ont souillé le 3Iidu Nous vous demandons
justice, moins contre nos assassins , que contre les assassins de
la République; nous avons droit de l'attendre de vous, et notre
attente ne sera point déçue.
> Nous ne désirons ni vengeance ni réaction ; loin de nous
toute idée subversive des principes de justice. Nous serions
prêts à livrer nous-mêmes au glaive des lois ceux d'entre nous
qui oseraient nourrir de coupables espérances.
» S'il a été cruel pour nous de vous retracer des horreurs
dont ridée seule glace nos âmes, il nous est bien doux d'avoir à
vous annoncer les changemens subits , occasionnés par l'arrivée
du citoyen Fréron. Grâces à son énergie et à vos lois, les autori-
tés provisoires , qui avaient organisé et protégé le crime , sont
remplacées ; elles le sont par des citoyens toujours dignes de la
confiance publique; par des hommes dont le cœur et les mains
sont purs d'or et de sang; par les ennemis prononcés de l'anar-
chie et du royalisme; par ceux qui toujours ont montré la même
énergie et le même zèle pour la République.
» Fréron , qu'on a eu l'impudeur de vous présenter comme or-
ganisant la terreur dans ces contrées, n'y prêche que l'amour
des lois, l'oubli des offenses et le bonheur de tous. Strict ob-
servateur des principes , il est bien éloigné d'user de tous les pou-
voirs dont il est revêtu; et si un reproche peut lui être fait, c'est
d'invoquer avec trop de rigueur la lenteur des formes , au point
qu'une foule de vrais émigrés et de meurtriers souillent encore
la terre de la liberté, et par leur re^^ard farouche, menacent le
républicain échappé à leur fer homicide.
» Paix aux hommes égarés ; mais justice contre leség[orgeurs,
les émigrés, les fanatiques, et puisse le glaive de la loi atteindre
les grands coupables! »
Cadroif, « Je demande la parole.»
AU 30 FLOR. AN V (179^-1797 ). i^H
Lesage-Sénault. c Aux termes de la Constitution , Cadroy ne
peut être entendu qu'après un ajournement. »
Cadroy. c Avez- vous invoqué la Constitution contre les ca-
lomniateurs? >
Hardy» a II n'est pas même au pouvoir du président de refuser
la parole à un membre inculpé. »
Le président, t Sur quel indice Hardy me soupçonne-t-il cette
intention? Cadroy a la parole. >
Cadroy, « 11 est douloureux pour moi , représentans , d'avoir
à soulever le poids de la prévention que des calomniateurs trop
long-temps impunis ont voulu faire tomber sur moi; cependant je
ne récriminerai point contre eux, je mécontenterai de chercher à
soulager vos âmes oppressées , et de satisfaire ce besoin d'une es-
time réciproque que doivent éprouver tous les membres de cette
assemblée.
• Une dénonciation grave est portée contre nous ; nous venons
demander justice, offrir notre tête , si nous sommes coupables,
et réclamer la punition exemplaire de nos calomniateurs.
> Vous avez remarqué sans doute, représentans, et je ne dis
point cela pour éluder, que les dates sont confusément citées ,
que les faits ne sont point précisés , que des propos isolés , des
bruits vagues servent de fondement à une dénonciation, plus va-
gue encore. Cependant j'ai saisi un propos que l'on assure avoir
été tenu par moi dans la société populaire ; on m'accuse d'avoir
dit : Si vous n'avez ni armes ni bâtons, déterrez les ossemens de
vos pères.
* Citoyens , cette image ne m'appartient pas, elle est à Isnard,
excitant les Marseillais à marcher contre les rebelles dé Toulon,
contre les assassins de Brunel ; Isnard lui-même la réclame , et il
n'aura pas de peine à la justifier devant vous.
» J*ai ordonné moi-même d'égorger les prisonniers! Ici, quelle
que puisse être la prévention , on dépasse les bornes de la crédu-
lité, A quelle époque ai-je donné ces ordres , où , à qui les ai je
donnés? Est-il dans l'ordre des probabilités qu'un homme , assez
i^ DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
leroce pour désirer des assassinais, soii assez siupide pour ics
ordonner ouverfemcntï
)) KsL-cedu massacre du fort Sainl-Jean qu'on entend parler?
Je citerai le lémoijjnage de mon collègue Isnard, témoin de tou-
tes mes actions, confident de'toutesmes pensées; sa déclaration
ne sera pas suspecte , elle sf ra victorieuse pour moi.
» J'étais à Marseille non comme représentant, mais comme
i.liar{îé d'une mission pour l'approvisionna ment de Paris ; mis-
sion sur laquelle j'invite les anciens membres du comité de gou-
vernement à me rendre la justice qui m'est due. J'étais donc à
Marseille dans un moment ou les échafauds de la terreur étaient
à peine brisés. Les plus affreux scélérats étaient accourus de tou-
tes les parties du Midi dans Toulon.
Granet, qui , par une correspondai ce infernale, liait les com-
plots de ces factieux avec ceux des assassins de prairial ; Granet ,
(jui fut frappé par la Convention nationale, venait d'exciter une
sédition à Toulon ; et Brunet, notre infortuné collègue, s'était
donné la mort à la vue des attentats des rebelles. Le peuple en-
tier avait mai elle contre crS derniers, et les avait vaincus. J'étais
avec Isnard, dans la maison des représenians; on nous aniionce
(lu'on égorge au fort Saini-Jtan; j'atteste que nous n'avions rien
eiiteudu qui put faire soupçjuner l'exépuiioD de ces scènes sau-
{;lanies. f^ous couroijs au fort , noqj» nous exposons ijous-mèmes
au fer des assassins ; à notre voix , le pont-levis du fort est baissé,
( t nous parvenons, après des efforts iuouïs, à f^iire cesser le car-
n'd{]e, Les.ass^Sùins fuient par des issues opposées et pendant
cette nuit fatale, nuit dan^ laquelle nous au? ions dé^iiré voir noire
vie ICI mince, piii^que la loi avait été méconnue.
• Aucune victime n'a succombé depuis nplre entrée aq fort ;
nous avons fait notre devoir, nous avons sauvé huit cents prison-
niers ; et ici j'interpeilerais la ville entière de Marseille , si les vic-
times du 51 mai, auxquelles j'ai donné des consolations et la li-
berté, n'éinieni pas du nouveau dans les fers; si les prisons
ne s'éiaient pas rouvertes pour les hommes de bien ; si la terreur
ne planait pas sur Marseille ; et à cet égard je vous ferai reniar-
AU 30 FLOR. AN Y (i79M797). J27
^uer que c est après le 15 vendémiaire, six mois après que les
faits dont il s'agit se sont passés , que l'on porte une accusation
contre moi.
» On m'accuse etcore d'un fait grave; on dit que des assas-
sins ont été élargis par mes ordres, et couronnés en plein théâ-
tre. Ce fait, je le déclare, m'est absolument inconnu ; j'i^jnore
quand et où il a eu lieu. Je répète d'ail eurs qne j'étais à Mar-
seille, sans pouvoirs, après l'époque dont on parle; que dans le
moment du danger je m'étais réuni à Isnard , mais seulement
comme le premier soldat qui devait lui prêter le secours de ses
armes.
> J'ai , dit-on , destitué lor^ique j'en avais le pouvoir, des pa-
triotes mis en place par Auguis et Serres. Voulez-vous savoir
quels étaient ces patriotes? Ecoutez Auguis lui-même me dire :
i J'ai nommé ce que j'ai pu trouver dans le moment , n^ais destin
» tuez le plus tôt pos^^ible les fonctionnaires de mon choix , et
> nommez à leur place de plus honnêtes gens. > Auguis me par-
lait ainsi quelques mois après le 9 thermidor, c'est à-dire , après
la première épuration des fonciionnaires du Midi.
> Si un fait particulier peut vous éclairer sur le mérite de la
dénonciation ariiculée contre nous, voici ce qu'on lui érit:
€ Les terroristes réunis ont signé une pétition dans laquelle ils
i) dénoncent Chambon , Mariette et vous. Les scélérats courent
» en foule la couvrir de signatures; et on en obtient un plus
i) grand nombre , en di ant que l'objet de la péiiiion est d'avoir
» le pain et la viande à bon marché. »
» Ainsi , représentans , au 10 mars et au 51 mai on égarait le
peuple par le sentiment de ses besoins , et on l'amenait à vos por-
tes demander la tète de vos plus courageux collègues; que dis-
je ! lisez les signatures de la dénonciation actuelle, et faites-vous
représenter celte sacrilège adresse du 17 mars, dans laquelle ces
souverains du Midi invoquaient la Momagne et ordonnaient aux
apptlans au peuple de quitter leur poste, vous retrouverez les
mèints noms ; vous reconnuîirez ces épouvaniabks Marseil ais ,
l'opprobre de leur pays et la lie de l'humanité, devant lesqm Is
1;^ DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
Paris iremLIa, au nom desquels la Convenlion nationale fut as-
servie.
» Les pervers î et ils invoquent l'ombre de Vergniaud qu'ils
ont traîné à la mort , dont ils avaient commandé le supplice; de
Vergniaud, dont la lé te tomba pendant que les airs retentissaient
de leurs chants de cannibales. Représentans , non , vous n'y serez
pas trompés, et quoiqu'après le 15 vendémiaire, il sera permis
de verser des larmes sincères sur la tombe de ces généreux mar-
tyrs de la liberté, d'embrasser leur statue , d'imiter leur exem-
ple ou de périr comme eux.
> Je demande d'être mis en jugement avec mes calomniateurs, d
f Isnard. • Citoyens représentans , on me demande la vérité ; je
vais lui rendre un sincère hommage.
» On avance dans la dénonciation qui a été lue, que Cadroy ex-
citant les Marseillais à se venger des terroristes , leur a dit :
« Si vous n'avez pas des armes, déterrez les ossemens de vos
» pères, et vengez leur mort. >
» Citoyens ,*ce n'est point Cadroy qui a employé cette figure ;
c'est moi qui m'en suis servi , et j'ose le dire , d'une manière utile
à ma patrie. Vous allez en juger.
» Sans doute l'on n'a pas encore oublié les affreuses journées de
prairial. Cette conspiration anarchique avait des ramifications
dans le Midi ; tous les brigands de ces contrées s'étaient réunis à
cette époque dans les murs de Toulon ; et au même instant que
leurs complices insurgèrent à Paris, ils arborèrent l'étendard de
la révolte, révolte la plus criminelle qui fût jamais, et dont les
chefs tombés depuis sous le glaive des lois , étaient les scélérats
les plus atroces dont le Midi ait eu à rougir. On remarquait à
leur tête les Portai , les Paillon , les Vidal , et ces mêmes canni-
bales qui , dans d'autres temps, après avoir massacré tous les ad-
ministrateurs du déparlement , en avaient placé les tètes sur leur
table de banquet, et se les repassaient de main en main pour en
sucer le sang...
• Ces révoltés forcent l'arsenal, en pillent toutes les armes ; ils
foulent aux pieds l'autorité légitime de la Convention , et ne veu-
AU 50 FLOU. AN V ( 17vi5-i797 ), 129
lent plus reconnaître que leur sainte Monia^jne ; ils violentent les
représenians du peuple qui se trouvent dans leurs murs; Guérin
et Poultier, qui s'y rendent pour arrêter la révolte , y sont rete-
nus prisonniers ; Brunel , à qui ils arrachent un arrêté par la
force , se tue de désespoir ; son collègue Niou est traîné dans les
rues par les cheveux ; ils empêchent l'escadre de mettre à la voile
ma'gré l'ordre qu'elle en avait , et cela dans un moment où les
deux divisions de l'escadre ennemie n'avaient point encore effec-
tué leur jonction. Ils font plus , ils s'enrégimentent , et marchent
contre Marseille pour s'y livrer au pillage et à l'assassinat. Déjà
ils se sont emparés des gorges d'Ollioules ; Chambon fait marcher
contre eux les troupes de ligne en garnison à Marseille , comman-
dées par le général Pacihod et quelques gardes nationales mar-
seillaises. Des combats s'engagent , la consternation se répand
dans toutes ces contrées, et mon collègue éprouve les plus gran-
des difficultés pour organiser des bataillons , et les foire mar-
clier contre les brigands.
1 J'étais alors en route pour me rendre dans le Midi par ordre
de la Convention. Arrivé à Tarascon, un courrier de Chambon
m'avise de tout ce qui se passe; je pars à l'instant et cours sans
relâche; Cadroy qui était à Avignon , et qui reçoit le même avis,
s'empresse aussi; nous nous rencontrons dans la nuit sur la roule
d'Aix. Nous arrivons ensemble le 6 prairial matin dans ce chel^
lieu de département. La consternation y était à son comble; il fal-
lait y électriser les esprits et créer sur-le-champ des bataillons.
Nous n'avions , pour réussir, d'autre ressource que la parole.
Nous décidons d'haranguer le peuple , déjà rassemblé dans la
place publique , sous nos fenêtres. Je parais le premier au bal.
con ; mon cœur et mon imagination guident ma voix; l'auditoire
s'émeut, la jeunesse s'enflamme, mais elle hésite parle défaut
d'armes : alors pour achever de tout entraîner, je m*écrie : Bra-
ves amis, vous manquez d'armes... eh bien ! fouillez dans cette
terre qui ensevelit les victimes de la terreur, armez-vous des os-
semens de vos pères, ei marchons contre leurs bourreaux... Au
même instant, tout crie à la fois : Auxarmex! nur armes!... On
T. xxvnr, 9
130 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
y vole; dans quelques heures, deux bataillons de douze cents
hommes armés , équipés et munis de quatre pièces de canon, sont
en marche contre les rebelles qui, vaincus, luient dans Toulon ,
où nous entrons victorieux quelques jours après.
» Voilà , leprésentins , dans quelle circonstance j'ai prononcé
la phrase que l'on rappel'e aujourd'hui, et dont je m'honore ,
parce que c'est l'enthousiasme de la liberté qui me l'a inspirée,
et qu'elle a été utile à mon pays. Ju{fez à présent de l'absurdité
des calomnies répandues contre nos collègues.
» On a reproché à Cadroy de ne s'être porté au fort Jean que
six heures après que le massacre qui y eut lieu le 17 prairial avait
commencé. Voici les laits :
« Lorsque nous fûmes entrés dans Toulon, Cadroy, qui était
envoyé dans le Midi pour les approvisionnemens de Paris , re-
tourna à Marseille pour s'occuper de cet objet d'autant plus pres-
sant que la di.vtribuiion de pain était réduite alors à deux onces.
J.a position de Toulon exigea queChambon, Guérinet moi res-
tassions encore quelques jours dans ses murs. C'est dans cet in-
tervalle (|ue nous apprîmes le triomphe de la Convention sur les
assassins de Féraud. Cotte nouvelle acheva de terrasser les fac-
tieux de Toulon. Chambon et moi laissâmes Guérin dans cette
commune, et revînmes à Marseille à la tête des troupes qui avaient
vaincu. Les Marseillais, qui devaient leur salut à la bravoure des
troupes et à la conduite des représeniaus, voulurent les recevoir
avec solennité. Toutes les auiorisés constituées en corps et tout
le peuple de Marseille s'avancèrent à notre rencontre sur la route
de Toulon.
» Cadroy vint nous joindre à clieval pour entrer avec nous :
c<Hte cérémonie de l'entrée triomphante des troupes lut d autant
plus longue qu'elles se rangèrent toutes en ordre de bataille, traî-
nant leur arlilk'rie; qu'il y eut des discours prononcés; que la
foule était prodigieuse, et que la commune de Marseille offrit une
armure au brave général Patthod qui, en récompense d'avoir à
c<tt(î épo(|ue sauvé le Midi, vient aujourd'hui d'être destitué du
commandement delà place.
AU 50 FLOR. AN V ( 1 795-1 797 ). 131
C'est dans ce nivment, où la ville eniière se trouvait presque
déserte et dépourvue à la fois de garnison et de représentans que
des homoies féroces commencèrent d'assassiner da«s le fort Jean.
Nous fûmes conduits par le corlége à lu maison des représen-
tans, aux acclamations d'un peuple immense qui ignorait, tout
comme nous, ce qui se passait dans le fort. Ce ne fut qu'un quart
d'heure après notre entrée dans nos appartemens, que le frère
d'un prisonnier, informé des massacres, vint nous en avertir eti
criant : Représentans , courez cm fortf on assassine mon frère. A
l'instant même, Cadroy et moi saisissons nos costumes et nos
armes, et nous nous précipitons vers le fort.
Cbamboa, qui n'était pas 'dans le même appartement, 'si
bientôt instruit ; il ne prend que le temps de donner des ordres à
la force armée, et vient nous joindre aussitôt. Il élaii nuit ; nous
arrivons avec Cadroy à l'enceinte extérieure du fort ; nous en bri-
sons la première barrière; au nom de la représentation nationale,
nous faisons baisser le pont-levis; nous entrons, le sabre et la
torche à la main , sous ces voûtes ténébreuses déjà jonchées de
cadavres.
> Certes , il n'était pas en notre pouvoir de ressusciter les
moris; mais nous parvînmes, par des efforts inouïs , à arrêter le
cours du massacre qui , sans r;ous , eut été complet , et peut-être
que les dénonciateurs sont du nombre des neuf cents piison-
niers à qui nous sauvâmes la vie au péril de la nôtre.
» Ici , repjésentaijs , je puis attester, par tout ce qu'il y a de
plus sacré, que j'ai fait dans cette nuit affreuse , pour désarmer
le crime, au-deh^ même de ce que peut la force humaine. Si la
vie de mon père, de ma femme, de mes enfans eût été menacée ,
il m'eût été impossible de faire davantage ; et c'est là une justice
que les terroristes eux-mêmes m'ont rendue dans le (emps. Je
puis atiesîer aussi que Cadroy et Chambon se sont comportt's de
la mèine manière. Oui, tout ce qui dépendait d'eux pour arrêter
les massacres, ils l'ont lv»it, et ils ne pouvaient pns en avoir plus tôt
connaissance , puisque Cliambon arrivait avec moi de Toulon , et
que Gviroy était venu nous joindiesurle chemin plusieurs heures
1Ô2 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
avant la iiuil. Ah ! s'il était un moment où nous étions loin de soup-
çonner (le pareils forfaits, c'était celui où toute une ville, debout
devant nous, célébrait une féie brillante au milieu des transports
d'allégresse.
» La dénonciation porte encore qu'un des assassins dit à Ca-
droy : Tu nous reproches aujourd'hui des actions auxquelles lu
710US as loi-même engagés. Je puis certifier que je n'ai pas quitté
Cadroy dans le fort , et que je n'ai entendu aucun propos sem-
blable.
» Quant à mon collègue Cliambon , je dois lui rendre aussi une
justice éclatante. On lui reproche divers arrêtés , mais il avait
droit de les prendre ; le gouvernement les a approuvés, et j'ose
(lire que ce sont les fortes mesures qu'il a prises , à l'époque de
la révolte de Toulon, qui ont sauvé le Midi. Il a, dans celte occa-
sion , ainsi que mon collègue Guérin, déployé un grand caractère
et bien mérité de la patrie.
M Les inculpations portées contre Mariette ne valent pas la peine
d'être relevées.
> Voil5, représentans, les éclaircissemens que l'on m'a deman-
dés. S'il en était d'autres qui fussent défavorables à mes collè-
gues, je les donnerais avec la même franchise ; car ce n'est pas
pour défendre tels ou tels individus que j'ai paru à cette tri-
bune , mais , comme je l'ai dit , pour y rendre hommage à la vé-
rité. »
Mariette, < Il serait peut-être intéressant de vous montrer, ci-
toyens, par quel circuit la dénonciation fabriquée à Marseille est
parvenue au conseil des cinq-cents; mais je ne m'arrêterai point
à rechercher toutes les ramifications de cette intrigue ; les faits
(|ui sont reprochés à mes collègues et à moi , voilà ce qui m'im-
porte, et ce dont je veux vous entretenir.
» La plupart de ces faits me sont étrangers ; j'étais déjà rentré
dans le sein de la Convention nationale aux époques qu'on leur as-
signe. Ils ne concernent donc que mes collègues Chambon et Ca-
droy; mais Isnard, connu par sa franchise et son amour pour la
AU 50 FLOR. AN V ( 1 795-1797 ). 155
vérité , vient de rendre un témoignage éclatant à leur irrépro-
chabilité.
» Quanta moi , depuis mon arrivée à Marseille jusqu'au 8 flo-
réal , époque où j'ai quitté ce pays , on ne me reproche qu'un
seul propos ; on ose avancer que j'ai dit dans la société populaire
qu'il fallait faire la guerre aux terroristes comme à des loups, et
laisser rentrer les émigrés pour nous renforcer; on ajoute que si
l'on n'a que ce propos à rapporter sur mon compte , c'est que j'é-
tais plus adroit et plus réservé que mes collègues. Vous remar-
querez, citoyens, que ce propos même que l'on me prête, ne prou-
verait guère que j'eusse été le plus réservé ; car certes, un homme
qui dit en pleine société populaire qu'il faut laisser rentrer les
émigrés, n'est pas très-habile à dissimuler sa pensée et à cacher
ses desseins ; mais tout cela n'est qu'un tissu de ridicules calom-
nies. On m'oppose que la dénonciation de ce fait est signée de
huit cents personnes, je le sais; mais ce que je puis affirmer en
même temps, c'est que certainement ces huit cents personnes n'é-
taient pas à la société populaire lorsque j'y parlai , et qu'en sup-
posant que j'y eusse tenu le propos qu'on m'attribue , il est un
grand nombre de ces signataires qui ne l'auraient affirmé que de
confiance.
j) Pendant ma mission, citoyens, je n'ai cessé de calmer l'esprit
de vengeance , de ramener les hommes de tous les partis à la sou-
mission aux lois, de leur recommander la concorde, l'union , l'a-
mour de la patrie, le respect de l'humanité. Mes exhortations n'ont
pas été sans succès , le pays est demeuré tranquille ; et je puis
attester que , pendant le cours de ma mission , il n'a pas été versé
une seule goutte de sang. C'en est assez , je pense , pour mettre
le conseil à portée d'apprécier les*calomnies dirigées contre
nous. »
Quelques voix. « L'ordre du jour! >
Guér'in. c Le témoignage que j'ai à rendre à mes collègues ne
peut pas être indifférent : j'ai rempli deux missions successives
dans les déparlemens méridionaux , et je puis affirmer (|u'en par-
courant le Var et les Bouch' s-du-lUiône, j'iû vu tous les habitans
134 DIRECrOIRE. — DU 4 BRltf. AN IV
se réunir pour rendre rhonnna^'e le plus flajieur :i la conduite
sa{je el civique de nos col!è{jues. 1 ani que je fus dans ces con-
irces, elles demeurèrent tranquilles ; les citoyens y jouissaient de
la liberté la plus entière ; les lois y étaient observées , la repre'-
seniation nationale respectée , les bri{}ands comprimés , les maî-
veillans réduits au silence : mais aussitôt ({ue j'eus quitté ce pays ,
aussiiôtqu'il fut privéde la présence des représenians du peuple,
les scélérats qui s'étaient contenus jusqu'alors ranimèrent les an-
ciennes dissensions, excitèrent de nouveaux troubles, et répan-
daient les colomnies par torr'ens contre des hommes irréprocha-
bles qui n'avaient été les ennemis que des véritables terroristes ,
non de ceux contre lesquels on s'est si injuslemeDtservidecemot
mais des assassins, des brigands, des meurtriers de l 'urs conci-
toyens. Telle fut, telle sera long-temps encore la position de ces
contrées où germent les passions les plus funestes;
• Il est une observation qui n'échappera pas sans doute à la sa-
gacité du conseil , c'est que l'instant que l'on a choisi pour faire
cette dénonciation, est l'instant où Marseille commence à perdre
la tranquillité dont elle jouissait depuis (juelque temps. Il faut que
vous sachiz, citoyens, que celle dénonciation n'a été signée de
tant d'individus que par suite d'un a|»pel fait publiquement ,
el auquel beaucoup de citoyens n'ont pas osé se soustraire.
• Non, représenians du peuple, Marseille n'est plus tranquille
en ce moment ; Marseille e^l encore agitée par des hommes déjà
couverts de forfaits, et inléessés à troubler cette parlie de la llé^
publique; Marseille appelle toute votre attention , c^r elle n'est
pas encore ce qu'elle doit être, ce que vous désirez qu'elle soit.
Je vous prie de ne pas oublier cette ol-servation. Cependant , je
dois le dire, j'y ai vu se défilopper beaucoup de passions terri-
bles, et jamais s'élo\er un parti directement contraire au gou-
vernement républicain. »
Bion, t Je demande à faire une motion d'ordre. Il s'agit ici ,
citoyens, de faire éclater l'innocence de nos respectables collè-
gues, compris dans la dénonciati -n téméraire qui a été portée de-
vant vous. Sans doute il n'est aucun de ceux qui les ont connus
AU 50 FLOR. AN V ( 1790-1797). 135
dans la Convention nationale, qui ne rende une entière justice à
leurs principes ; mais il ne faut pas que, mal justifiés par une dé-
libéiaiion précipitée, le soupçon puisse p!aner encore sur leurs
létes. Une amnistie ne plaît qu'au coupable, l'innocent la rejeite
avec dédain. La dénonciation a été faite rég^ulièrement ; jo de-
mande que l'examen de cette dénonciation soit fait selon toutes
les règles prescrites par l'article 117 de la Constitution, afin (jue
la justification de nos collègues soit plus complète. »
N € J'observe que d'après l'article 77, le conseil peut,
après la première ou la seconde lecture de la dénonciation , dé-
clarer qu'il y a lieu à l'ajournement, ou qu'il n'y a pas lieu à dé-
libérer. Eh bien! comme i! paraît, d'après les éclaircissemens
donnés , que la dénonciation porte sur des faits faux ; comme il
est hors de doute que nos collègues non-seulement sont à l'abri
de toute accusation, mais même qu'ils doivent s'honorer de leur
conduite, je demande que le conseil déclare à l'instant qu'il n'y a
pas lieu à délibérer sur la dénonciation , sauf aux représenlans
inculpés a se pourvoir devant les tribunaux contre les calomnia-
leurs. »
Bentabolle « Est-il du devoir du conseil et de l'inlérêt de nos
collègues inculpés, de prendre dès aujourd'hui celte détermina-
tion? Je suis monté à la tribune pour soutenir la négative et
pour démontrer qu'avant de rejeter une dénonciation aussi gra' e,
le conseil devait prendre le temps de réfléchir et de s'assurer des
faits ou de leur fausseté, afin qu'on ne puisse pas reprocher aux
membres dénoncés, d'avoir été justifiés par surfrise ou par fa-
veur.
» Il me semble qu'il serait très-làcheux pour eux de ne trou-
ver leur justification que dans les journaux qui, avant le 13 ven-
démiaire, provoquaient au massacre de la Convention nationale.
(11 s'élève des murmures.) Oui, citoyens, nous devons examiner
plus mûrement celte affaire; cir enfin il est très-vrai que nos
collègues, revêtus de la puissance nationale dans le Midi, ont
laissé commettre de nombreux assassinats; qu'ils n'en ont i^as
poursuivi l. s auteurs avec le zè'e et l'activité qu'ils pouvaient y
150 MKECTOIUE. — DL 4 BhtM. AN IV
meure; qu ils n'en ont Fait arrê'.cr aucun ; qu'ils ont laissé en
place (les adminidrateurs qui s'étaient rendus complices de ces
lorfoils; qu'enfin ils n'en ont pas même averti, en temps oppor-
tun , la Convention nationale ou ses comités de gouvernement.
(Les murmures continuent.)
» Je pense que dans un moment oii les assassins lèvent en-
core la léte, il serait très-impolitique de rejeter si légèrement
la dénonciation qui vonsa été faite. Je demande l'ajournement.)
André Dumont. t S'il ne s'agissait ici que de l'intérêt personnel -
des membres dénoncés, je demanderais aussi que la dénonciation
ïùi plus long-temps examinée ; que la discussion se prolongeât ;
que l'on imprimât de part et d'autre toutes les pièces de celte af-
faire ; que l'on mît ce tableau sous les yeux du conseil, alin de lui
faire apercevoir plus clairement encore les contradictions des dé-
nonciateurs, et les calomnies qu'ils oui voulu accréditer parmi
nous... 0
Cadroy. < Ce tableau, je le ferai. »
André Dumont. e Mais il s'agit de terminer une discussion, et
de prévenir des personnalités qui ne peuvent qu'exciter les dis-
sensions et le trouble dans le corps législatif. Je sais bien que l'on
voudrait nous diviser pour parvenir à nous opprimer encore ; je
sais qae Ton recommence à persécuter aujourd'hui comme avant
le î) thermidor ; ce sont des vérités qu'un jour il faudra dire ; mais •
avant tout, occupons-nous dts finances, du bonheur du peuple,
du salut de la patrie, et opposons un obstacle insurmontable aux
hommes pervers qui voudraient empêcher le corps législatif de
marcher au véritable but de sa mission.
» Puisqu'il est piouvé que la dénonciation porte sur des faits
reconnus faux ; puisqu'on y attribue à un représentant du peuple
des paroles qui appartiennent à un autre représentant qui s'en
honore ; puisqu'on n'a pas pris soin d'en effacer des contradic-
tions grossières, nous n'avons autre chose à faire qu'à déclarer
qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette dénonciation, et qu'à or-
donner l'impression du discours d'bnard. >
J^oinjcr. € Jt' partage ro|)inion du préopinanl ; et moi aussi j'ai
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 157
rempli , avec mon collègue Beflroy, une mission dans les dëpar-
temens méridionaux, et je puis direiqu'il n'est personne, pas même
dans la fange de Marseille , qui ose se lever pour dénoncer notre
conduite ; nous aurions, pour le confondre à l'instant, des preuves
écrites, des preuves convaincantes. Eh bien! je déclare que, pen-
dant notre séjour dans ces contrées , nous n'avons jamais entendu
dire que nos collègues aient fait aucun acte de leur autorité qui
n'ait été marqué au coin de la justice et du patriotisme le plus
pur.
» Serait-il donc vrai que les Républiques sont toujours ingrates?
Ne se souvient-on pas que, dans un temps où Marseille manquait
de subsistances, Cadroy eut le courage d'aller exposer sa tête, en
faisant enlever de celte ville un approvisionnement considérable
de grains, pour alimenter Paris? Lorsque les hommes de prairial
assiégeaient la Convention, et qu'après en avoir brisé les portes ,
ils osèrent, jusque dans son enceinte, attenter à la vie de notre
collègue Féraud , le même mouvement se fit sentir à Toulon.
« Notre escadre avait reçu l'ordre de livrer combat à la flotte
anglaise, moins forte que la nôtre de quatre vaisseaux de ligne ;
la victoire était certaine; chacun connaît les suites heureuses qui
en eussent résulté. Eh bien ! lorsque la flotte était sur le point de
mettre h la voile, les séditieux de Toulon s'insurgent, ils marchent
contre Marseille ; ce mouvement empêche le départ de la flotte ;
celle des Anglais reçoit des renforts, de là nos désastres dans la Mé-
diterranée. Or, citoyens , remarquez-le avec moi , les chefs des
séditieux d'alors sont les mêmes qui vous dénoncent aujourd'hui
la conduite de Cadroy. Jugez d'après cela quel fondement vous
devez faire sur de pareilles accusations. Je deniande que celle-ci
soit rejetée comme calomnieuse, et que le conseil déclare qu'il n'y
a pas lieu à délibérer. »
La proposition est adoptée.
Le conseil ordonne l'impression du discours d'isnard.
— On se figurera sans peine quel était l'effet d'une pareille
séance dans le public. 11 était évident que c'était un parti (|ui
triomphait de ses adversaires, qui jamais ne leur ferait grâce ,
158 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
et qui n'en atlendaii pas d'eux. On se rappelait la li{)ne suivie par
(|uelquos-uns des membres de^couaeils, hier ex-Girondins, soup-
ronnés de fédéralisme ou accusés de senlimens monarchiques,
aujourd'hui coryphées de la mnjorilé du parti des ex-conven-
tionnels. L'on ne doit pas s'étonner que les plus zélés démocra-
tes se prissent à désespérer de l'avenir lé[]al de la France et
missent leurs espérances dans le succès d'une conspiration.
D'un autre côté, l'audace des royalistes éiaii extrême; ils im-
primaient sans crainte que la mort de Louis XVI éiail un crime ;
ils lui donnaient déjà le titre de royale victime, et ne dissimu-
laient pas leur sympathie pour la Vendée même quoit|ue la {juerre
civile fût à peine éteinte. Dans les ihéàues d^^ Paris on chantait
le Héveit du Peuple; c'était le chant qui, dans le Midi, servait
de ralhement et de signal aux réactionnaires. Les iéuilles démo-
ciaiiques et entre autres le Tribun du Peuple , de Bibeuf , répon-
daient par des élofjes de la Moniafîne et particulièrement de ce
Kobi spierre dont l'auteur avait été l'un des plus ardens ennemis ;
on disait qu'en s'insur^^^eant contre Ilobespierre au 1) thermidor,
on avait été indignement trompé. On demandait une réaction
révolutionnaire. Le directoire, de son côté, dtfendait déchanter
IcHéueUdu Peuple aux ihéiUres, et ordonnait d'y chanter tous
les soirs la Marseillaise ci le poëme lyrique Veillons au salut de
l'empire. Il luisait détendre de transporter que!(jues-uns dci»
journaux royalistes les plus imprudtus. Il trouvait le moyen
de faire suspecter la probité de Babeuf , en faisant publier l'arrêté
suivant* relatif à un faux matériel qu'il avait commis dans la
vente des biens nationaux, lorsqu'il était administrateur du di-
strict de Mont-Didier, laii pour lequel il avait été condamné aux
fers et enlevé par une décision du comité de sûreté générale.
Extrait des registres des délibcraiions du direetoire exécutif, du
iiO frimaire j C(in IV de lu république française.
Le directoire exécutif, sur le compte qni Itti a été rendu par le
ministre de la justice des procédures laites contre Camille Ba-
beuf, pour raison d'un faux par lui commis dans l'exeicice de
AU 50 FLOR. AN V ( 179o-1797 ). 159
ses fonctions d'administrateur du district de Montdidier, et en
réparation duquel il a é(é par contumace condamné à vingt ans
de fers, par un jugement du tribunal criminel du département
de la Somme, du 25 août 4795, annulé par défaut de forme,
par un jugement du tribunal de cassation , qui a renvoyé le fond
du procès devant le tribunal criminel du département de l'Aisne ;
Considérant que le tribunal criminel du déparlement de l'Aisne
a manifestement excédé ses pouvoirs par son jugement du 50 mes-
sidor de l'an II, en ce que, contre le texte précis de la loi , il a
accordé |£| liberté provisoire à Camille Babeuf, prévenu d'un
crime qui , par sa nature, emporte peineafilictive et infamante ;
Considérant que d'ailleurs , dans l'état actuel de la législation ,
ce tribunal ne peut plus connaître immédiatement et sans décla-
ration préalable d'un jury d'accusation , du crime imputé à Ca-
mille Babeuf;
Arrête que le ministre de la justice est chargé de dénoncer au
commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal de cassation ,
l'état où se trouvent les procédures dont il s'agit , afin que sur les
réquisitions de ce commissaire le tribunal de cassation puisse les
envoyer devant un directeur du jury d'accusation, à qui la con-
naissance en sera attribuée conformément à la loi.
Pour expédition conforme , Signé Rewbell , présideni,
— Babeuf répondit à cette accusation en ces termes ;
« Babeuf, au rédacteur du Moniteur.
Paris, 50 frimaire.
» Vous avez jugé à propos, citoyen, d'insérer dans votre
feuille n» LXXXV, un arrêté du directoire exécutif, du 20 de ce
mois, qui me concerne.
» J'espère , en conséquence, que vous ne ferez difliculté d'in-
sérer ma réponse suivante, à l'arrêté du directoire.
» Je n'attribue qu'à Merlin , ministre de la justice, l'invention
et la fabrication de cet arrêté, qui, comme l'ont déjà observé
plusieurs pnblicistes, n'est qu'une misérable chicane d'avocat.
iiO DIRECTOIRE. "— DU 4 BRUM. AN IV
» Ne voulant point abuser de l'espace de votre feuille , je ren-
verrai ceux, qui voudront avoir des preuves complètes de celle
assertion , à des détails plus amples dans le n" XXXVU du Tribun
du Peuple, Je me contenterai ici d'exposer des masses.
» Lorsque, l'année dernière, mes écrits contrariaient encore
les puissances d'alors, on ne voulut pas, de même qu'aujour-
d'hui , avoir l'air d'attaquer en moi la liberté de la presse : on nie
fit une première mauvaise querelle, dans les journaux, sur cet
ancien procès dont parle l'arrêté du 20 de ce mois.
») On alla jusqu'à afficher dans Paris , poursuite et dilijjence de
Fréron , le jugement qui m'avait condamné. Je répondis à celte
méchante querelle d'une manière apparemment si convaincante,
qu'ayant été arrêté depuis , et emprisonné huit à neuf mois comme
apôtre du terrorisme, on ne m'inquiéta nullement pour l'autre
affaire , et l'on me rendit la liberté quelques jours après le 15 ven-
démiaire, non pas par amnistie, en vertu de la loi qui l'a accor-
dée à tous les détenus pour faits relatifs à la révolution. On pour-
rait croire alors que je suis passé à la faveur de la foule.
• Un arrêté particulier du comité de sûreté générale , précédé
d'un rapport , d'un examen de toutes les charges portées sur
mon compte , a brisé mes fers.
» Depuis, on ne pensa de nouveau à m'inquiéter, que quand
je me montrai inébranlable dans la fidélité à mon engagement
pris avec le peuple, d'écrire uniquement pour lui, et dans une
absolue indépendance.
» Voici maintenant le motif que je présume exister chez Mer-
lin , pour n'attribuer qu'à lui ce ressouvenir par lequel il a cal-
culé qu'il parviendrait tout au moins à entacher ma probité, et à
m'enlever la confiance. "^
»Ce fut Merlin lui-même qui, avant le 9 thermidor, comme
membre du comité de législation , sollicita et obtint pour moi le
décret de la Convention nationale, (|ui cassa, non-seulement pour
défaut de forme , comme le dit aujourd hui l'arrèlé du directoire,
mais pour défaut d'équité, une condaiiinaiion atroce, qui était
AU 50 fLoR. AN V ( 1795-Î797 ). U\
peui-êlre le premier alternat audacieux porté par la chouannerie
contre le franc et ardent républicanisme.
» Cette affaire, terminée définitivement, quoi qu'en dise l'ar-
rêté , tant au tribunal de l'Aisne , en messidor, l'an II , qu'à la
commission des administrations civiles , police et tribunaux , en
thermidor, Merlin put être mécontent de moi, de ce qu'ayant em-
brassé de suite la carrière périodique , je n'avais point sacrifié la
reconnaissance au devoir. Parce qu'il avait pu être juste à mon
égard , je ne crus pas devoir, plus qu'à un autre , passer sous si-
lence ce qui vint à me paraître répréhensible dans sa conduite
politique. Je m'élevai souvent contre, son Projet de loi sur la ca-
lomnie, qu'il essaya tant de fois de faire passer. C'est là, j'ima-
gine bien , le principe de la petite escobarderie de l'arrêté du 20.
» Elle ne fit point fortune l'an passé ; elle ne m'aliéna point le
cœur des patriotes. Elle le fera bien encore moins cette fois ,
quand on verra que c'est un moyen usé.
» Salut et fraternité. G. Babeuf. >
Cependant les nouveaux membres du corps législatif es-
sayaient leur pouvoir dans les conseils et tàtaient la majorité. On
avait formé dans chaque conseil une commission pour la vérifica-
tion des pouvoirs; de ses rapports devaient, jusqu'à un certain
point, dépendre la composition des assemblées. Les nouveaux
membres pouvaient être accusés vis-à-vis des ex-conventionnels,
et comme ceux-ci avaient la majorité, la sécurité des premiers
n'était pas complète. Il devenait important pour eux de faire ces-
ser un état d'incertitude dans lequel ils pouvaient croire qu'on
les maintenait avec intention ; il importait surtout de connaître
les dispositions de la majorité.
A la séance du 29 frimaire ( 20 décembre 1795 ) , Dumolard ,
ex-membre de la législative, et qui y avait marqué comme La-
fayéiiste, monte à la tribune, et demande qu'on fasse cesser cet
état provisoire.
« La fatalité des circonstances , dit-il , nous place entre deux
partis qui , par une marche rétrograde et progressive, mais sur
142 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
ia même circonlérence, lendenl ëvidemment au même Lui,
• Eh bien! voulez- vous servir leurs coupables desseins? La
riiëthode la plus sûre est d'entretenir avec soin une incertitude
quelconque sur le caractère politique des représenians. Je ne
suis pas homme à m'( Ifrayer facilement. Je ne crois pas néan-
moins qu'il Taille négliger toute précaution contre les intenliocs
assez manifestées de certains individus, qui peut-être , pour me
servir des expressions d'un grand homme , prennent leurs désirs
pour leurs espérances. Mais aucun denoas ne peut se dissimuler
que des bruits soujds, des placards > des journaux inceiKliaires.
( On murmure. )
Une voix. « Iloyalisles. >
Un autre membre. « Maratisles. »
l/opinant continue : t Et des conciliabules léûébreux ont fixé
l'attention du public et celle du directoire.
» J ai \u même des personnes de irès-bonne loi , mais trop
crédules sans doute, s'ima{;iner reconnaître quelques-uos des
symptômes qui présagèrent le 51 mai. ( On murmure. ) »
Delbrel, « Dites le 13 vendémiaire ! »
» Il est permis, dit l'oraltur en terminant, de se mettre en
mesure pour qu'on ne décime pas le corps législatif, comme on
a d. cime la Convention naliouaU'. > 11 tern/me par demander :
r que la commission nomme les individus qu'elle croit devoir at-
taquer; i2" qu'elle fasse un rapport, non sur les procès-verbaux,
mais sur la c(>paciié politique des représenians élus. — Génissieu
voit dans cette motion une attaque dirigée contre la loi du 5 bru-
maire : il appelle à la tribune Goupil eau qui arrive du Midi, et
qui signalera un des membres du conseil , accusé d'avoir été l'un
(U-s princip:»ux compagnons de Jésus. A ces mots, J. Aymé de-
mande la parole. Génissieu continue, et dit qu'il ne voit point
dans ce qui se passe les symptômes qui ont précédé le 51 mai,
ainsi que l'a prétendu Dimiolard, mais bien ceux qui ont précédé
le 15 vtndémiaire : il s'élève avic force contre la corruption de^
l'esprit public, ei Içs libelles royaiisl'^s répandus de tous côtés;
il invite ses nouveaux collègues a se défier des insinuations {\^s
AL 30 FLOU. AN V ( 179o.l79() ). m
ennemis de la patrie, et conciut en demandant Tordre du jour.
Un grand nombre d'oraieurs demandent îa parole. — Les débats
sont interrompus par Siéyes, qui propose et fait adopter la no-
mination d'une nouvelle commission des finances, pour recueillir
tous les renseignemens possibles sur cet important objet. — Ra-
me!, dans une motion d ordre, invite tous les citoyens instruits
en matière de finances , à aider le gouvernement de leurs lu-
mières. (Impression.)
Séance du 50 frimaire.
L'ordre du jour appelle la discussion sur le projet présenté
par Génissieu, au nom de la commission <ie vérification des pou-
voirs. Goupilleau de Montaigu, J. Aymé et Duplantier deman-
dent la parole , chacun pour une motion d'ordre. Goupilleau l'ob-
tient le premier : il dénorice J. Aymé comme ayant perverti le
département de la Drôme, jusque-là resté fidèle aux principes
républicains; il l'accuse d'avoir protégé les prêtres insermentés,
et un entre autres nommé Hurie, trouvé porteur d'une bulle du
pape ; d'avoir été l'ami de Ltstang , le Charette du Midi ; d'a-
voir présidé une fé Jération de vingt mille hommes , dont le but
était d'exterminer les républicains de celte partie de la Franr'e ,
et dont Lestang s'est bientôt déclaré le chef, pour commettre
tous les genres d'excès et de crimes contre la République; d'a-
voir fait imprimer des placards séditieux et contre-révolution-
naires , dont lui , J. Ayn)é , a écrit la minute de sa main , et d'a-
voir tenu , à Montélimart , la conduite d*un chef de parti roya-
liste , d'après plus de irenîe attestations qui sont entie les mains
de Goupilleau. L'orateur termine par une déclaration énergique
de ses senlimens républicains, et remet ensuite une foule de
pièces à Génissieu, comme rapporteur. Génissieu se récuse,
parce que sa famille est l'objet des persécutions de Job Aymé ;
il ajoute de nouvelles charges contre ce dernier, et le peint comme
inspirant la terreur aux bons eiioyens des dépaitemcns méridio-
naux, par l'inlluefice dont ils craignent qu'il ne jouisse au corps
éjjislatifjOÙ ifs le voient siéger. Hardy atteste qu'un mandat
144 DIRECTOIRE. — DD 4 BRLM. AN IV
«l'arrêt a déjà été dirifjë contre J. Aymé , qui s'y est soustrait ; il
demande l'examen de sa conduite, et annonce qu'il votera |x>ur
son exclusion du corps léf][islaiif. Guyoniard aliesle l'exaciitude
du fait avancé par Hardy, et s'étonne que J. Aymé ne soit pas en
prison.
J. Aymé a la parole. 11 débute par reprocher à Génissieu de
s'être refusé à une explication avec lui : il nie avoir protégé le
prêtre Hurie, et dit que les réclamations faites en sa faveur sont
Touvrage de toutes les autorités constituées de Montélimart : il
déclare n'avoir fait que seconder Jean Debry dans ses efforts
pour la destruction du terrorisme. Quant aux réunions, elles
n'avaient pour but que de s'opposer aux attaques du parti abattu
le 9 thermidor. 11 nie les liaisons qu'on lui a supposées avec Les-
tang , et dénonce Goupilleau lui-même pour avoir protégé les
assassins d'un habitant du département de la Drôme. Enfin ,
quant à sa conduite à Montélimart, elle a , dit-il , été conforme
aux lois. Il termine par ces mots : « J'aime sincèrement la Ré-
» publique, et, quel que soit le résultat de cette affaire, je ferai
» des vœux pour sa prospérité. • Lorsqu'Aymé vient reprendre
sa place dans le conseil , la plus vive agitation se manifeste au
lieu où il siège. Après quelques altercations, le calme renaît.
Tallien ramène la question à son objet principal , la loi du 5 bru-
maire : il demande si l'on veut faire le procès à la journée du
-15 vendémiaire : il dit que la journée du 9 thermidor, si belle
dans son principe, a été dégradée par des hommes qui n'avaient
rien fait pour la liberté; enlin, il arrive aux accusations dirigées
contre Aymé. «Cet homme, s'écrie l'orateur, n'eût jamais dû
» entrer dans cette enceinte : son premier acte fut un faux ; ses
» premières paroles, un mensonge. » La protestation, par lui
signée le 8 vendémiaire , le place sous le coup de la loi du (i bru-
maire : il demande qu'il soit à l'instant expulsé du conseil, i Aux
voix ! » s'écrie une foule de membres. J. Aymé répond que s'il
est dans le cas de la loi du 5 brumaire, il doit être jugé d'après
les formes consiitulionnclles : il demande à cet effet que la haule-
cour nationale soit convoquée. J.-l». Louvet prétend qu'Aymé
AU 30 FLOR. AN V (17954797). 14f>
doit être traité comme Charrette, ou le ci-devant comte d'Ariois,
s'ils eussent été nommés députes par des chouans; on doit lui
appliquer la loi du 5 brumaire. Il termine par la demande de
Texamen des pièces qui le concernent. — Un message du direc-
toire sur les finances interrompt la discussion, et le conseil se
forme en comité secrer , pour en prendre connaissaîice.
Séance du 4 nivôse.
Voussen , au nom -de la commission de vérification des pou-
voirs, t'ait un rapport sur l'examen des pièces concernant.!. Aymé.
Le rapport en cite particulièrement deux : l'une, signée et
avouée par Aymé, servant de réponse à l'ex-représentant Bour-
sault qui avait ordonné son arrestation , lui paraît un acte sédi-
tieux; la seconde est un arrêté de l'assemblée primaire de Mon-
télimart , présidée par Aymé, et en date du 8 vendémiaire , par
lequel la Conveniion est accusée d'avoir voulu se perpétuer, et
où l'on donne aux électeurs le maftJat impératif de ne pas re( oii-
naîire les décrets des 5 et 15 fructidor, quoique la Converiiion
eût, dès le 1^"^ vendémiaire, déclaré leur acceptation par le peu-
ple français. Voussen pœsenle un piojet de résolution qui, iuix
termes de la loi du 5 bru-naire, exclut J. Aymé de toutes fonc-
tions publiques jusqu'à la paix. Bornes, dans un discours suu-
vent interrompu par des murmures et 'des interpelîaiions: , de-
mande qu'on ne laisse pas davnniage le consrildans l'incertitude,
à l'égard des députés de la î:omination desquels on veut attaquer
la vadilif.é. Hardy annonce qu'un député nouveiiement élu s'est
poignardé : c'est Chapelain, qui a déposé dans Taffaire du géné-
ral Turreau. Chénier, après avoir essuyé des murmures et des
interruptions , vote rex|)nlsion d'Aymé. Crasfous de rilernult,
sans défendre Aymé, pense que la loi du 5 brumaire ne déiruit
pas son élection ; et i! pose ainsi la question : « J. Aymé a-t il, ou
» non, reçu le caracitr;^ de représeniant du peuple? Dans le
* premier cas, les forines coîistiiuiir.nnelles lu* sont-elles appli-
» cables? » Bourdon la réduit à ce point unique : « ,î. Ayméa-t-il,
» oui ou non, signé l'acte qui lui en impute?» Madi^^r dit que c'est
T. NXWII. 10
146 DIRECTOIRE. ~ bC 4 BRCM. AN IV
la question de garantie qu'il faut franchement aborder. Bentabole,
interrompu souvent par d^^s murmures, fait observer que, n'osant
point attaquer la loi du 5 brumaire, on veut l'éluder. Ces mots
l^rononcés par lui : si le nouveau tiers est de bonne foi, excitent du
trouble dans le conseil : Toi ateur conclut au rejet de la propo-
sition de Crassous. Buissy soutient que les observations de Cras-
sous sontl^s seules justes, et demande que J. Aymé soit accusé
suivant les formes voulues par la ronstiiuiion. Pastoiet s'élève
contre la distinction d'anciens et do nouveaux reprév<entans; nous
sommes tous, s'écrie-t-il , les erfans d;> h consiilution ; il voue
à rexécration celui qui pourrait rejjrcjtier un maître et la tyran-
nie, et termine.par demander l'impression iies pièces et l'ajour-
nement de la discussion. — Cette proposition fut adoptée.
La même tentative, pour faire prononcer la CŒimiission le vé-
riliiaiiondi s pouvoirs, avait éié faite, quelques jours au para-
vant, au cons* il des anciens ; muistlle avait été éoariée par l'or-
dre i-u jour. Les commi>sions terminèrent leur travail au com-
mencomenldv^ janvier i79G. Le rapport de celle des Cinq Cents
fut fait par Genissiéux. Il proposa d'exclure quelques membres,
les un»comme parents d'émigrés, les autres comme inscrits sur
les listés de rémigration, etc. Ce ne fut pas sans de longs et vifs
débats que quelques ex-conventionnels parvinrent à faire exclure
J. Aymé , Mersau du Loiret , et en suspendre plusieurs autres.
Cet'e discussion employa (eut le mois de janvier et une partie de
relui de février. La majorité se montra très-indulgente; il suffit,
pour en donner ù juger, de dire que le passa à l'ordre du jour à
l'oecasion du député Vaublanc, qui avait été condamné à mort
par l'une dos com'uissions militaires établies à Paris par suiie du
15 vendémiaire; cependant Vaublanc ne vint prendre séance et
prêter serment t\ue le 2 septentbre suivant. L'ordre du jour fut
<^or:ilf.ment pr-moncé à l'occasion d'ime dénonciation des citoyens
(le Toulon contre le depuié Siiuéon, qu'i s accusaient d'être l'un
(les traîtres qui Ibrèrent ce port aux Anglais. Simeoii nia le fait,
attencu qu'il n'était pas à Tou'on , mais il coflviut qu'il eut, de
?ïF»rs»Mlle, où il séjournait, do^ pourparh^rs avrc les ennemis.
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 147
Ainsi, pour n'être pas repoussé, c'était assez d'avoir un prétexte,
c'était assez de n'être pas rifjoureusement dans les cas spécifiés
par la loi du 5 brumaire. Au conseil des anciens, les choses se
passèrent plus tranquillement encore. La vérification fut terminée
en quelques jours.
Les résultats des débats , auxquels donrièreat lieu la vérifica-
tion des pouvoirs, étaient de nature à attirer l'attention d'un gou-
veriïement qui se fût préoccupé de l'avenir. Ils prouvaient que les
tendances monarchiques étaient loin d'avoir disparu en France.
Elles se manifestèrent encore à l'occasion de la célébration du
21 janvier, anniversaire de la mort du Louis X VL Le public, à celte
occasion, put être étonné de l'audace de l'opposition. Dans les
conseils on osa parler contre la célébration d'un tel anniversaire.
Un {jrand nombre de journaux osèrent plus encore ; ils allèrent
jusqu'à déplorer cet événement ; ils plaignirent la victime et flé-
trirent les bourreaux. Cependant on décida qu'une cérémonie
commémorative aurait lieu. Le décret était rédigé en ces termes :
Résolution du 22 nivôse, an IF, adoptée auocl cinq -cents sur les
propositions réunies de Duhot et de Hardy; approuvée le 25 par
les anciens.
« Le conseil des cinq-cents, considérant que le premier besoin
d'un peuple libre est Je célébrer l'époque où il s'est affranchi de
la tyrannie , déclare qu'il y a urgence , etc.
» Art. ler. Le 1er pluviôse prochain, jour correspondant au
21 janvier, le directoire exécutif fera célébrer, par toutes les
communes de la République et par les armées de terre et de
mer, l'anniversaire de la juste punition du dernier roi des Fran-
çais.
» 2. Ce jour, à midi précis, le président de chaque conseil du
corps légij,laiif prononcera un discours relatif à cette époque mé-
morable, fcl recevra le serment des représenians du peuple, qui,
individuellement et à la tribune, jureront haine à la royauté. *
Cette cérémonie eut lieu, en effet, avec un éclat qui rappelait
148 DIRECTOIRE. — Di: 4 BRUM. AN IV
la magnificence déployée, dans de pareilles circonsiances, sous
le régime conventionnel. Mais, ces apparences ne changeaient
point la situaiiou.
Le directoire avait obtenu quelques jours avant l'approbation
d'un message dans lequel il demandait la création d'un septième
ministère , le mini^lère de la police de Paris. Cette demande faite
le 5 nivôse, fui approuvée après une légère opposition dans les
deux conseils ; elle reçut force de loi par l'acceptation du conseil
des anciens, le 1:2 nivôse. Le directoire confia l'organisation ^e
ce ministère à Merlin (de Douai) et il appela Genissieux pour le
remplacer à la justice. Chaque jour qui s'écoulait démontrait
de plus en plus la nécessité d'une surveillance spéciale. La Con-
stitution éiait en vigueur depuis quelques mois seulement et per-
sonne ne croyait qu'elle dut durer, tant le peuple s'y montrait
peu attaché; tunt l'exaspération des represenians des partis
extrêmes de la révolution, placés en dehors de la Convention,
paraissait {jrande; tant le pouvoir seujblait faible. Ce n'était
point l'éclat des maniFtslatioriS publiques , ni la répétition des
sermens qui eussent pu ranimer ou rassurer l'opinion à cet
(•p-ard. Le grand nombre était préoccupé de ses embarras indu-
striels. On vit avec indifférence le retour des prisonniers remis
f n libellé par l'AutriclK^ en échange de cette fille d*^ Louis \VT
(|ui s'appela plus tard la duchesse d'Angoulème. La réception
que leur firent les conseils fut cep -ndant brillanic. Dans une pre-
mière séance des cinq-cents (le î2-2 nivôse). Camus fit, en leur
nom , le récit de sa captivité e*. de celle de Beurnonville, Maret
et Semonville. La séance du î25 fut consacrée presque tout en-
tière à entendre le récit de l'ex-représentant Drouet ; en voici
l'analyse :
11 était repn-sentant du peuple à Maubeuge alors assiégée
par les Autrichiens; il fallait, pour sauver la ville, traverser le
camp ennemi et se rendre à Paris; Drouet se chai gea de celte
mission dangereuse , avec cent dragon d'élite. Il s'égare dans la
ténèbres de la nuit, et tombe dans un fossé , où il e>l taillé à coups
de sabre par les Autrichiens. Revenu à lui , il rst arrêté et cen-
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 149
diiitau camp ennemi. Il se dorme pour un officier français; mais
ayant ensuite déclaré sa qualité de représentant du peuple , et
étant connu pour l'arrestateur de Louis XYl , il fut accablé de
mauvais trailemens. Amené devant le général Latour, celui-ci
eut la barbarie de le frapper ù plusieurs reprises, quoiqu'en-
chaîné , désarmé et couvert de blessures ouvertes. Drouet ren-
contra cependant, parmi les Allemands, des ûmes compatissan-
tes. Jeté dans un cachot infect à Luxerabourg , puis irunsferé en
Moravie , dans la forter^'sse de Spiltzberg , il ne songea qu'à son
évasion. L'amour et le désir de la liberté lui font briser ses bar-
reaux , se créer une espèce de parachute , et enfin, le(3 juillet 1794,
il s'élance avec sa frêle machine dans un abiine de deux cents
pieds d'élévation... Il se casse un pied en atteignant la terre: il
veut se rf lever, il ne peut, eî la douleur le fait bientôt découvrir.
Resserré plus que jamais dans sa prison , elle (ût été son tom-
beau-, si sa patrie n'en eût enfin ouvert les portes. Dans une
déclaration laissée par Drouet à Tinilant de l'essai de son éva-
sion , on lisait : « Si je dois périr tout à l'heure, avant d'expirer,
je demanderai vengeance des insulies faites à un représentant du
peuple français ; je la demanderai à mes amis , à mes parens , à
mon Dieu, à mon pays, je pars... » On voia l'impression de ce
rapport et la traduction dans toutes les langues.
Après la vérification des pouvoirs , après toutes ces conces-
sions que Ton pouvait considérer de la part du nouveau tiers
comme faites aux exigences révolutionnaires, et de la pari des
ex-conveniionnils coiimie faites à un patsé qui leur était person-
nel , la majorité des conseils s'niiachu particulièiCment à obtenir
(rois résultats, qu'elio poursuivit simulianément, cl, , en quelque
sorte, sans désemparer. L'un était de rétablir l'ordre dans l'ad-
ministration ; l'autre éia'l de imprimer les opinions qui ten-
daient à chanjjer le siaïuquo ; la troisième de funifi^r le gouver-
nement. Pour atteindre le premier de ces buis , il fallait d'abord
rétablir les finances; aussi fut-on presque constamment occupé
de ce sujet qui forma en (juehiue sorte la base el la conti-
nuité desotcupaiions des conseils. Nous en parlerons, ainsi i|uc
IM) DIRECTOIRE. — DL 4 BRLM. AN IV
nous l'avons déjà annoncé , dans un chapitre à part. 11 iallait de
plus l'aire exécuter les lois, ei pour cela en expliquer quelques-
iint's , en corriger qu.^lques aulios qu'on trouvait trop sévères,
particulièrement celles relatives aux émigrés, effacer le provi-
soire, combler les lacunes. Il nous serait impossible de meuiion-
uer les nombreuses décisions qui furent rendues dans ces di-
verses directions. Les conseils votèrent une loi sur la désertion,
et afin de faire rejoindre tous les hommes qui n'avaient pas obéi
aux réquisitions précédentes; ils tirent un règlement pour la ma-
rine ; ils oî ganisèrent l'Instiiut ; la garde nationale de Paris. Dans
l'intéréi de comprimer les opinions hostiles au gouvernement ; il
fallait arrêter ce que l'on appelait les excès de la presse , et sup-
primer les réunions populaires ou de toute aiitre espèce consa-
crées à la politique ; en un mot, réduire au silence et au repos
toute manifestation des partis qui voudrait se faii e jour aulre-
ujent que par les voies légales ; de nombreuses séances farent
consacrées à examiner îa question de la presse. Ce fut aux cinq-
cents qu'elle fut soulevée. Delaunay, dans une motion d'ordre,
s'éleva contre la licence des écrivains ; il désigna comme égale-
ment dangereux et ceux qui atttjquaient le 9 thermidor, et ceux
qui reproduisaient les cpinions vaincues au 15 vendémiaire. Il
demanda en(in qu'on s'occupât de rechercher si les circonstances
ne rendaient pas néce^^sairc une loi prohibitive tie la lil^crté de la
pressa. On nomma une commission, puis, sur la motion de Tal-
lien, on déiida que le onseil-n'atteiidrait point son rapport et
passerait outre. Lu discussion fut ouverte. Cadroy, Darracq,
Doulcet; se piononcèreut pour la hberié indéfinie.
Bois>y-d'An(;las, Lemerer, demandèrent une loi qui réprimât
les (iclits commis par la voie de la presse. Enfin, Louvet, Jean
Debry, 1> upuis, demandèrent un décret restrictif de cette li-
bellé. Le conseil passa à l'ordre du jour. On était loin en effet
d'être d'accord. L'opposition ne pouvait vouloir se priver d'un
nuiven dont les excè^, njème ceux qui partaient de l'opinion qui
lui était le plus contraire , tendaient à la lortitier. Enfin , les prin-
cipes et les croyances du plus grand nombre répugnaient à des
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 151
restrictions qui, pour valoir, devaieni être entières. L'opposition,
dans cette circonstance , vota cori«me elle le fit toutes les fois qu'il
s'a-yissait d'accroître la force du directoire. Elle vit un moyen de
cet ordre, dans le pouvoir d'opérer les radiations sur les listes
d'émi<jrés qui , rnal^^ré elle, fut accordé aux directeurs; dans les
tonds sollicités par le ministre de la police pour dépenses secrè-
tes. Mais, la majoriié , dans ces cas , terminait toujours eu faveur
de ceux-ci une discussion plus ou moins vive. La police d'ailleurs
se hâta de donner des preuves de son existence.
Le 9 nivôse (4 mars-), le directoire adressa aux cinq-cents ua
message, par lequel il annonçait qu'il venait de faire « fermer les
réunions politiques du Scdon dit des Princes, à Paris ; la Réurdonde
la maison Séritlij ; la- Société dite des Echecs, au Pa'.ais-E^aiité ;
la Société du Panthéon ; la Réunion dite des Patriotes ^ rue Ta-
ranne; ensemble le théâtre de la rue Feydeau et l'église Saint-
André-dci-Arls. Dans plusieurs de ces réunions, lu dictature,
la royauté, la Constitution de 1791 , celle de 1795 , l'esclavage
et la loi agraire avaient, disaii-il, trouvé des partisans;- et les
orateurs les plus fougueux éîaient entendus avec faveur dans
leors provocations contre le gouvernement. Chénier, en donnant
des éloges à la conduite du directoire, demanda la formation
d'ujje commission qui examinerait la partie du mess;ige qui sol-
licitait une loi pour déterminer les Lornes dans lesquelles les as-
sociations devaient se renfermer. Lamarque déclara qu'il regar-
dait comme un ennemi delà République quicouque provoquait
la suppression des associations formées par les citoyeos : II- roya-
lisme, selon lui , était un système qui avait de la réalité, que l'on
pouvait mettre en pratique ; mais il ne pouvait exister de système
d'anarchie : il déclara que ceux qui proposaient une commission ,
avaient en vue qu'il en résultât une loi, la moins populaire possi-
ble ; mais que de tels efforts seraient vains. Celte opinion excita
de fréquois murmures. La proposition do Chenier fut adoptée,
et le conseil ordonna en outre l'impression du uies.NUge. > {Moni-
teur. )
La proposition de Chénier n'eut point de suites c les cvéne-
152 DlKtCrOIRE. — Dt 4 liRlM. AN iV
iMcnsqui survinrent la firent mettre ien oubli. L'oxaspération de
)a presse était extièmc ; on parlait vn^uement de conspiration.
« P;>rlout , disait l-ecointe-Puyravaux aux cinq-cents ( séance du
iiSj^erminuI — 17 avril), on rencontreles symptômes avanl-cou-
reurs des niouve^ens séditieux ; partout se forment des {jroupes,
où des orateurs effrécés prêchent ; ici, la Constitution de 1)1 ; là ,
celle dP: 1)3; ailleurs, l'auarchie avec toutes ses horreurs. Mais
tous ces motionneurs, si divergens en apf^'arence, n'ont dans la
vérité cju'un but, c'est l'anéantisseuient de la République et du
{{ouvernement actuel.» {Journal de Paris..) La majorité accueillit
doue avec laveur un nouveau messao^e du directoire, qui sol-
licitait une loi propre à mettre la police à même d'éloigner de
Paris une toulo d'étrangers et dinconnus qui s'y étaient réunis,
d'en bannir, en un mot, les suspects. Celle autorisation lui fut
donnée.
Le lendemain ( î27 germinal ) , ou vola , encore sur la demande
i\u directoire, uueloi pénale très-sévère, contre les provocateurs
à la royauté, à )a coustilulion de 1795, au pillage des propriétés,
au massacre du corps législatif, et contre ceux qui se trouve-
raient dans les rassemblemens «cai se commettraient ces délits.
Celle lui passa sjls que l'opposition y lîi la uioindre objection ;
elle commençait eu effet à .savoir qu'on ne la ferait pas servir
contre e\h'.
L'agitation de la ville détermina le directoire à faire afficher
une proclamaiiou, dans laquelle il désignait sous le nom de ma-
nœuvres rovalistes les tentatives qu'il redoutait. En même temps,
le uiinistrede la police, qui était alors Cochon , déployait la plus
.jjrande surveillance. H connaissait déjà la nature du danger qui
menaçait le gouvernemeni. Un dénonciateur le lui avait fait con-
naître; et, en elïet , à peine une quinzaine de jours s'étaient
écoulés, qu'un message du directoire apprit aux conseils et au
public qu'on venait de découvrir la conjuration dont on soupçon-
nait depuis quelque temps l'existence.
>. Citoyens législateurs, disait le mcjsagc, un horrible com-
AU 50 FLOR. AN V ( 179o-1797 ). 455
plot devait éclater demain dès la pointe du jour (^ ) ; son objet était
de renverser la Constitution française , d'égorger le corps légis-
latif y tous les membres du gouvernement , l'éiat-major de l armée
de l'intérieur , toutes les aulorflés constiiuées de Paris , de livrer
celte grande commune à un piliage général et aux plus affreux
massacres. Le directoire exécutif, infornié du lieu où les chefs de
celte afiVouse conspiration étaient assemblés et tenaiôiit leur co-
mité de révolte , a donné des ordres pour les foire arrêter. Plu-
sieurs d'entre eux l'ont été en effei; et c'est avec douleur que nous
vous apprenons que parmi eux se trouve l'un de vos collègues ,
le citoyen Drouet, pris en fla^^rant délit....» Le reste du mes-
sage était relatif à diverses autorisations que le gouvernement
demandait pour poursuivre la découverte du complot. Cette com-
munication était signé Carnot , président, et datée du 20 floréal
(9 mai).
Tout ce que le direcioire deaiandait lui fut accordé. On dé-
créta que tous les ex-convenlionnels, tous les fonctionnaires des-
tilués, tous les militaires .-ans emploi, elç., seraient tenus de
quitter Paris dans trois fois vingt-quatre heures , et de se retirer
à dix lieues de cette ville, sous peine de déportation. Cette me-
sure violente fui volée en deux séances aux cinq-cents. Quelques
ex-conventionnels prirent en vain la parole pour en défendre leurs
anciens collègues; leurs voix furent étouffées. Aux anciens, on
vola ijprès la lecture; c'est que l'on s'effrayait au fur et à mesure
(jue l'on recevait des détails sur la conjuration et sur les projets
des conjurés. L'histoire de cette aih'ive a été publiée, en i82S,
à Bruxelles, par l'un des principaux acteurs, Ph. Buonarotti.
IN'ous nous servons de ce iravaii pour en faire Tesquisse.
Le prejî.ier noyau de celle conspiration fut formé dans les
prisons où avaient été accumulés les patriotes incarcérés par suiie
de la réaction de thermidor et de prairial. 11 se forma là une secte
dont les membres s'appelaient entre eux les Égaux. Remis en li-
berté après les journées de vendémiaire, quelques-uns d'entre
(J) Unis les luols soulignés Ictaieul égalcmetil daus l'original.
154 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AK IV
eux pensèrent à former un centre de direction ; c'étaient Babeul',
{jiîonarotii, Fontenellp , fMc. On s'occupa d'abord de former une
société pybliqiTe qui fut propre à servir de pépinière pour recru-
ter une àociéié secrète , de moyen pour ranimer f opinion publi-
que, et pour couvrir des pruj( tb pius sérieux. Ce fut dans co but
que l'on ouvrit le club du Panthéon. Babeuf y parut pcu, et bien-
tôt cessa lout-à-fait d'y paraître. Poursuivi par ordre du direc-
toire.' qu'il attaquait dans ion Tribun du peuple ^ il fut obligé de
sj cacher, mais n'en continua pas raoins à faire paraître son
journal et à coiiimuniqucr avecles comités secretîi. Le but défini-
tif de ces réunions était de préparer un mouvement et d'anéantir
la Coni^tilution de Tan 111. Mais, on pensa qu'il fallait d'abord
tomber d'ac -ord sur le système à substituer au système que l'on
voulait renverser. C'est ici que Babeuf prit la principale influence ;
on adopta sa doctrine , et ce fut à cuuse de ceîa mêfi.e (jue cette
con^pi^ation prit le nom de conspiration Babeuf. Du moment,
en effet, où le système de Baleuf eut été accepté par les conju-
res , il ne s'ajjissait plus seulement de chasser un gouvernement ,
de remplacer uneforaippo^itiquopar une autre, mais de renverser
l'organisation sociale piésente, et de lui en substituer une autre
t{>ule nouvelle , fondir siir le principe premier, que la propriété
individuelle est la cause de l'esclavage, <]ue la société doit être
conçue comme une communaulé do biens et de travaux , que
le but de cette société est le{]^ lié de s tra\aux et d^s jouissan-
ces, etc.
Cependaijt le cou)ité secret , quis'ocupait de prépanr l'appli-
cation de ces principes, ne fut pas toujours composé des mêmes
personnages. 11 fut modifié plusieurs fois ; quelques-uns des mem-
bres no purent consentir à délibérer en>emble par suite de haines
personnelle • ; quelfiues autres, parce qu'ils n'accordaient pas
l'ensemble des pi incipes. On s'arrêta enfin 5 la Constitution de 95,
comme point de ralle r.rnî pour les patriotes, et comme moyen
de transition vers le li.'.t délinitif f|ue l'on si' proposait. Pendant
ce temps, on essayait l'opinion publique; on développait des
parlit^s du système dans des écrits, des brochures, et 'dans le
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 155
journal de Babeuf. On en était là , lorsque le club du Panthéon
fut fermé par ordre de l'autorité. Ce fut Bonaparte lui-même ,
alors commandant de Tarmée de l'intérieur, qui vint présider à
la dissolution de la société et prendre les clefs de la salle. La dis-
persion de la réunion publique n'empêcha pas celles qui avaient
lieu secrètement. Au commencement de germinal , Babeuf , An-
tonelle, Sylvain Maréchal, Buonarotti et quelques autres, con-
stituèrent un directoire secret de salut public , dans le but de
rallier les patriotes , et de leur donner une impulsion commune.
Le premier soin de ce directoire fut de faire publier une analyse
de la doctrine de Babeuf. Ensuite, douze agens révolutionnaires
furent chargés d'organiser les douze arrondissemens de Paris.
D'auires aijcns , dits militaires, furent chargés de former une
oaganisaiioii dans la i'orce armée. On s^occupa pariiculièrement
de la lëgiuu dite de police, et des iroupes réunies au camp de
Grenelle. Le soin de former un noyau d'insurrection parmi ces
dernières, fut confié à un ceriain Georges Grisel. Quant à lu lé-
gion de police , composée d'hommes qui avaient long-temps servi
le tribunal révolutionnaire et la corniviune de Paris, elle fut tel-
lement remuée par ces tenîatives , que le gouvernement en prit
des soupçons , obtint des' conseils de l'envoyer aux frontières , et
en définitive lui ôta son nom. D'autres agens furent destinés à
parcourir les cafés, les lieux publics, à y prendre la parole, à
exciter des aiiroupemens qui s'occupassent de politique. Un
journal ayant pour titre i'Êclaireur, se chargea de répandre la
doctrine dans les classes pauvres. La publicité de ces écrits, et
particulièrement des plus audacieux, était favorisée par les jour-
naux royalistes et ministériels eux-mêmes ; on les transcrivait
comme des chefs-d'œuvrcs d'extravagance et d'audace, et l'on
ne se doutait pas que l'on servait ainsi les intentions secrètes d'un
parti. Coifut de celte manière que plusieurs écrits acquirent
une publicité que ce dernier n'aurait pu leur donner, et entre
plusieurs autres : Lettre d'un franc libre soldat de l'armée CïrcO'
Parisienne , à son ami la Terreur, soldat de l'armée du Rhin ,
lettre écrite dans le style du père Duchfsne. Tous ces efforts, non
i56 DIRECTOIRE. — DU 4 BRL'M. AN IV
moins que la marche des conseils, commençaient à agiter le pu-
blic. Le directoire secret aussi commença à s'occuper directement
de l'insur reciion. Il arrêta un acie iusunecteur dont la publica-
tion devait être le signal de la nouvelle révolution.
Outre les di^^positions directement relatives à la destruction
des autorités consiituéps, cet acte renfermait plusieurs mesures
législatives destinées à justifier aux yeux du peuple les inten-
tions du directoire secret , et à Tintéresser à son entreprise. Les
voici :
Distribution , aux défenseuis de la patrie et aux malheureux,
des biens des émigrés , des conspirateurs et de» ennemis du
peuple ;
Logement immédiat des malheureux dans les maisons des fau-
teurs du pouvoir actuel ;
fifestitution des effets du peuple déposés au Mont-de-Piété ;
Adoption par le peuple des épouses, enfans, pères, mères,
frères cl sœurs, des citoyens morts dans l'insurrection, qui
étaient nécessaires à leur existence.
Cet acte propre à mettre en mouvement tous les bandits que
j enfermait Pat is , étant rédi^jé , le comité central se mit en rap-
port avec un comité militaire dont faisaient partie Fyon, Germain,
Mosjïart, lîossignol et Grisel. Par Rossignol et Fyon, on entra en
pourparlers avec quelques ex-conventionnels montagnards qui
s'occupaient aussi de préparer un mouvement. INous ignorons
les noms des membres de ce comité montagnard; nous voyons
seulement (ju'Amar, Javugues , Uobert-Lindet, Ricord, et peut-
être Drouel, en faisaient partie. La position de Drouet était par-
iculière. A sou retour des prisons autrichiennes, il s'était trouvé
({ue six places étaient vides aux cinq -cents ; après bien des dis-
cussions, on venait de décider qu'elles seraient remplies par des
r\-conveniionnrls que le conseil choisirait. Drouet avait été du
au mojnenl même où il conspirait . comme nous le voyons. 11
|)jraît aussi (|uc Barrrrc et Vadiei n'i{jnoraieut rien du complot.
Quoiqu'il en fut, les deux comités se réunirent. Babeuf, Buona-
, AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 157
roui, Darlhé, Fyon, Massait, Rossignol, Roberl-Lindel, Droiiet,
Ricord, Javogiies, Grisel et quelques autres s'y trouvaient. On
convint des faits et l'on se sépara. A peine les conjurés étaient'ils
sortis , que la police se présenta ; mais elle ne trouva plus que
Drouet et Darlhé , auprès desquels eiie s'excusa, et qu'elle laissa
en liberté. Déjà , quelques jours auparavant , elle avait fait une
descente chez Ricord , où devait avoir lieu une réunion qui plus
tar.d avait été remise à un autre moment. Ces mouvemens de la
police ne firent point soupçonner aux conjurés qu'il y eût un traî-
tre parmi eux; ils continuèrent à se voir. Déjà ils préparaient
l'insurrection ; ils avaient compté leurs forces. Voici l'éiat que
nous en trouvons dans l'histoire de Buonarotti.
Révolutionnaires . 4,000
Membres des anciennes aatorilés 1,500
Canonniers 1,000
Officiers destitués 500
Révolutionnaires des départemens, 1,000
Grenadiers du corps législatif 1,500
Militaires détenus 500
Légion de police (I). 0,000
Invalides 1,000
Total. 17,000
Les conjurés étaier^t ainsi occupés à calculer les chances , et à
disposer leurs moyens, lorsque ie minisire de la police, fatigué
(le ne pouvoir les saisir réunis, les fit arrêter séparément ie ma-
tin du 21 floréal. Babeuf et Ruonaroîti furent trouvés ensemble;
Darthé, Germain, Drouet, etc., furent pris chez un nommé Du-
four, occupés à fixer le jour du mouvement. Depuis le 15 Horéal^
le gouvernement était averti des démarches des conjuri-s par
Georges Grisel , l'un d'eux.
On se hàla de faire le dépouillement des papiers saisis dans les
(l) La Ij^gion <le police nVlail plu» :i Paris, rommo nnns l'nvons vu.
158 DIRECTOIRE..— DU 4 BRLM. AN IV
deux réunions, et au fur et à mesure, on en donnait connaissance
au conseil des cinq-cents, et laies journaux en recueillaient l'ana-
lyse. Si Ton doit en croire les souvenirs contemporains, ces dé-
tails irritèrent vivement la population. La réprobation qui ac-
cueillit ces projets fut presque unanime.
Qu'y trouvait-on ?en effet, un système, une doctrine qu'avaient-
repoussé , sous le nom d'Hébertisme , les fauteurs même du ré-
gime de la terreur, c'est-ù-dire quelque chose qui avait effrayé
les hommes mêmes que, depuis dix-huit mois , on ne cessait de
présenter comme des scélérats , auteurs de toutes les misères de
la France.
L'horreur qu'inspirèrent les conjurés , fut en quelque sorte
proporiionnelle aux chances de succès que présentait leur plan
d'insurrection. L^s dispositions qu'ils avaient pi ises rappelaient
celles de tant de mouvemens qu'on avait vu si souvent réussir à
Paris. Elles sont très-bien décrites dans l'acte d'insurrection saisi
chez Babeuf. Voici cette pièce :
« Des démocrates français, considérant que l'oppression et la
misère du peuple sont à leur coaible, que cet état de tyrannie et
de malheur est du fait du gouvernem<înt actuel ; considérant
que les nombreux forfaits des gouvernans ont excité contre
eux les plaintes journalières et toujours inutiles des (gouver-
nés;
•> Considérant que la Constitution du peuple , jurée en 1795 ,
fut remise par lui sous la {^arde de toutes les vertus , qu'ea consé-
quence, lorsque le peuple entier a perdu tous ses moyens de ga-
rantie contre le despotisîue, c'e'si aux vertus les plus courageu-
ses, les plus intrépides, à prendre l'initiative de l'insurrection
et à diriger l'affranchissenieni de la niasse ;*
» Considénmt que hs droits do l'homme , reconnus à la même
('poque 1795, tracent au peuple entier ou à chacune de ses por-
tions, coni'i.e le plus sacré et le plus indispensable de ses de-
voirs , celui dt^ s'ibsurgcr contre ib gouvt mènent <|ui viole ses
droits, et qu'ils prescrivent à chaque hosame libre de îî^elire ù
l'Instant à mort ceux qui usurpent sa souveraineté;
AU 30 FLOR. AN V ( 179o-1797 ). ' 159
» Considérant qu'une faction conspiratrice a usurpé sa souve-
raineté en substituant sa volonté particulière à la volonté géné-
rale librement et légalement exprimée dans les assemblées pri-
maires de 1793, en imposant au peuple français , sous les aus-
pices des persécutions et de lassassinat de tous !es amis de la li-
berté, un code exécrable appelé constitution de l'an 1795, ou
de l'an 5, à la place du pacte déaiocratique qui avait été accepté
avec tant d'enlliousiasjiie.;
ï Considérant que la Convention nationale n'a jarfiâis été dis-
soute, qu elie ne fut que dispersée par la violence d'une faction
contre-révolutionnaire; qu'elle existe toujours de droit, qu'elle
n'aurait pu être remplacée que par un corps législatif librement
élu par le peuple, suivant le mode de la coiistitulion dém.ocratique;
"> Considérant que le code tyrannique de l'an 5 viole le plus
précieux des droits , en ce qu'il éîablit des disiinctions entre les
citoyens, leur interdit la faculté de sanctionner les lois, Je chan-
ger la Constitution , de s'assembler, limiîe leur liberté dans le
choix des agens publics , et ne leur laisse aucune garantie contre
l'usurpation des gouvernans.
> Considérant que les auteurs oe cet affreux code se sont main-
tenus en état de rébellion permanente contre le peuple, qu'ils se
sont arrogé , au mépris de sa voloiité suprêma , l'autorité que la
nation seule pouvait leur confier ; qu'ils se sont créés, soit eux-
uiêmes , soit à l'aide d'une poignée d'ennemis du peuple, les
uns, rois, sous un nom dégoisé, le.s autres, législateurs indé-
pendans ;
> Considérant que ces oppresseurs, après avoir tout fait pour
démoraliser le peuple, après avoir outragé, avili et fait dispa-
raître les attributs et les institutions de la liberté de la démocra-
tie ; ^près avoir fait égorger les meilleurs amis de la République,
rappelé et proiégé ses plus atroces ennemis, pillé et épuisé le
trésor public, pompé totitt-s les ressources naiionales, totalement
discrédité la nj0!(naie répubrcvne., effeclué la phis infâme ban-
160 DIRECTOIRE. — DU 4 BROM. AN IV
qiieroute, livré à l'aviditë des riches jusqu'aux derniers lambeaux
des malheureux, viennent , par un raffinement de tyrannie, ravir
au peuple jusqu'au droit de se plaindre ;
» Considérant ({ue tout récemment encore ils ont appelé a eux
une foule d'étran{3[ers , et que tous les principaux conspirateurs
de l'Europe sont en ce moment a Paris , pour consommer le der-
nier acte de la c jntre-révoiuiion ; qu'ils viennent de licencier et
de traiter indi^fnemeni ceux des bataillons qui ont eu la vertu de
se reluser à les seconder dans leurs atroces desseins contre le
peuple ; qu'ils ont osé mettre en jugeaient ceux des braves sol-
dats qui ont déployé le plus d'énerj^ie contre l'oppression , et
qu'ils joifjnent à cette infamie celle de qualifier d'inspiration
royaliste leur p^énéreuse résistance à la volonté des tyrans ;
» Considérant qu'il serait difficile et trop long de suivre com-
plètement la marche populicide de ce gouvernement ciiminel
dont chaque acte est un délit national ; que les preuves de ces
forfaits sont tracées en caractères de sang par toute la Républi-
que ; que de tous les dépariemens , les cris qui appellent sa ré-
pression sont unanimes ; qu'il appartient à la portion des ci-
toyens la plus voisine des oppresseurs d'attaquer l'oppression ;
que cette jortion est comptable du dépôt de la liberté envers
l'état entier, et qu'un long silence le rendrait complice de la ty-
rannie;
» Considérant enfin que tous les défenseuis de la liber!»'- sont
prêts, après s'être institués en comité insurrecteur de salut pu-
blic, de rendre au peuple son .lutorité, ils prennent sur leurs
têtes la responsabilité et l'initiative de l'insurrection, el arrêtent
ce qui suit :
» Art. 1^'. Le peuple est en insurrection contio la ivrannie.
» 2. Le but de l'insurrection est le rétablissement de la con-
stitution de 1795, de la lihrrh', de l'égalité et du bonheur de
tous. •
» ô. Aujonril'hui , dés l'heure même , 1rs citoyens ei les ci-
loyenne!^ partiront en désordre de tous les points et sans atlendre
AU ÔO Fi.oR. AN V ( 17951797). i61
le mouvement des quartiers voisins qu'ils feront marcher avec
eux. Ils se rallieront au son di! tocsin et des trompettes , sous la
conduite des patriotes auxquels le comité insurrecteur aura confié
des guidons portant l'inscr^plion suivante : Consîuution de 1795;
égalité, liberté, bonheur comwnn. D'autrrs (jnidons porteront
ces mots : Quand le cfouvernemetit viole les droits du peuple , l'in-
surrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple , le
plus sacré et le plus indispensable des devoirs ; ceux qui usurpent
la liberté , doivent être mis à mort par les hommes libres. Les gé-
néraux du peuple seront distin^^^ués par des rubans tricolores
flottant trèi-visiblement autour de leurs chapeaux.
» 4. Tous les citoyens se rendront avec leurs armes , ou , à dé-
faut d'armes, avec d'cutres instrumens offensifs, sous la seule di*
rection des patriotes ci-dessus, au chef-lieu de leurs arrondisse-
mens respectifs.
> 5. Les armes de (oaie espèce seront enlevées par les insur-
gés , partout où elles se trouvent.
» 6. Les barrières et le cours de la rivière seront soigneuse-
ment gardés. Nul ne pourra sortir de Paris sans un ordre formel
et spécial du comité insuu ecleur. Il n'entrera que les courriers ,
les porteurs ( t conducteurs de comestibles , auxquels il sera donné
protection et sûreté.
» 7. Le peuple s'emparera de la trésorerie nationale, de la
monnaie, de la poste aux lettres, des maisons des ministres et
de tout magasin public ou pri\é contenant des vivres ou des mu-
nitions de guerre.
» 8. Le comité insurrecteur de salut public donne aux légions .
sacrées des camps environnantParis,qiiiont juréde mourir pour
l'égalité, l'ordre de soutenir partout les efforts du peuple.
» 9. Les pairiotes des df partemens réfugiés à Paris, et les bra-
ves officiers destitués , sont appelés à ie distinguer dans celte
lutte sacrée.
» 10. La Convention se réunira à l'instan let reprendra ses
fonctions.
» 11. Les deux confieils et le directoire usurpateur seront dis-
T, XXKVU. 11
16:2 DIRECTOIRE. — DU 4 BRLM. AN IV
sous; lous les rneuibres qui les composent seront immédiatement
jugés par le peuple.
» 12. Tout pouvoir cessant devant celui du peuple, nul pré-
tendu député, membre de l'autorité usurpatrice, directeur, ad-
ministrateur, juge, officier, sous-officier de garde nationale, ou
quelque fonctionnaire public que ce soit, ne pourront y exercer
aucun acte d'auioriié , ni donner aucun ordre. Ceux qui y con-
treviendrout seront à l'instant mis à mort. Tout membre du pré-
tendu corps législatif ou directeur trouvé dans les rues sera ar-
rêté et conduit sur-le-champ à son poste ordinaire. Les membres
de la Convention seront reconnus à un signe particulier, ce sera
celui d'une enveloppe en couleur rouge, autour de la forme du
chapeau.
13. Toute opposition sera vaincue sur-le-champ par la force.
Les opposans seront exterminés. Seront également mis à mort
ceux qui battront ou feront battre la générale; les étrangers, de
quelque nation qu'ils soient, qui se; ont trouvés dans les rues ,
lous les présidons, secrétaire.-^ et commandans de la Cv-nspiiatioii
1 oyale de vendémiaire qui oseraient aussi se mettre en évidence.
li. Il est ordonné à tous envoyée dts puissances étrangères do
rester dans leur domicile durant l'insurrection; ils sont mis sous
la sauve-garde du peunle.
15. Des vivres de touie espèce seront portés au peuple sur les
places ,>ubliques.
10. Tous les boulangers sont en réquisilioL pour faire conti-
nuellement du pi'in.qui sera distribue gratis au peuple; ils se-
ront payés sur leur déclaration.
17. Le peuple ne prendra de repos qu'après la destruction du
gouvernement tyrannique.
18. Tous les biens des émigrés , des conspirateurs et de lous
les ennemis du peuple , seront distribués sans délai aux défen-
seurs de h patrie et aux indigons. Les indigens de toute la Ré-
publique seront imiiiéjiatement loj<s et meublés dans loutvsLs
maisons des conspirateui s. Les effets appartenant au peuple, dé-
posés au Mont-de-PIété, seront sur-le-champ graïuiteuiout ren-
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 16>
dus. Le peuple fraùçais adopte les épouses » les enfans des bra-
ves qui auront succombé daus cette sainte entreprise ; il les nour-
rira et entretiendra ; il en sera de même à l'égard de leur pères
et mères, frères et sœurs, ù l'existence desquels ils étaient né-
cessaires. Les patriotes proscrits et erraas dans toute la Républi-
que recevront tous les secours conve<jabies pour retourner daus
le sein de leurs familles. Ils seront indemnisés des pertes qu'ils
auront souffertes. La guerre contre la tyrannie intérieure étant
celle qui s'oppose le plus à h paix générale, ceux des braves dé-
fenseurs de la liberté qui prouveront avoir concouru à la termi-
ner seront libres de retourner avec armes et bagages dans kurs
foyers; ils y jouiront en outre des récompenses depuis si long-
temps promises. Ceux d'entre eux qui voudront continuer de ser-
vir la République seront aussi sur-le-champ récompensés d'une
manière digne de la générosité d'une grande nation libre.
19. Les propriétés publiques et particulières sont mises sous
la sauve-garde du peuple.
20. Attendu le vide dans le seiu de la représentation qui résul-
tera de l'extraction des usurpateurs de l'autorité naiionale, et à
raison de l'impossibilité actuelle de faire par la voie des assem-
blées primaires des choix dignes de la confiance du peuple , la
Convention s'adjoindra sur-lechamp un membre par départe-
ment, pris parmi les démocrates les plus prononces et surtout
parmi ceux qui auront le plus activement concouru au renverse-
ment de la tyrannie. La liste en sera présentée par des délègues
de la portion du peuple qui a pris l'initiative de l'insurrection.
21. Le comité insurrecteur de salut public r* stera en perma-
nence jusqu'à l'accomplissement total de l'insurrection.
Babeuf, interrogé au ministère de la police, avoua tous les pa-
piers qui lui furent représentés ; il refusa de nommer aucun des
conjurés et lorsqu'on lui demanda quels moyens il comptait em-
ployer pour rcnvericr le gouvernement, il répondit : « Tous les
moyens légitimes çoutre les tyrans. » Son arrestation ne parais-
sait pas avoir abattu sa fierté. Il écrivit presque aussiiôi au di-
Ifli DIRECTOIRE. — DU 4 BftUM. AN IV
rectoire une lettre où il traitait en quelque sorte avec lui de puis-
sance à puissance. Voici celte lettre :
« Regarderiez-vous au-dessous de vous , citoyens directeurs ,
de traiter avec moi de puissance à puissance? Vous avez vu de
quelle vaste confiance je suis le centre. Vous avez vu que mon
parii peut bien balancer le vôtre, vous avez vu quelles immen-
ses ramifications y tiennent, je suis convaincu que cet aperçu
vous a fait trembler.
» Est-il de votre intérêt, est-il de l'intérêt de la patrie de don-
ner de l'éclat à la conjuration que vous avez découverte? je ne le
pense pas. Qu'ariverait-il si celte affaire paraissait au grand jour;
que j'y jouerais le plus glorieux de tous les rôles; j'y démon-
trerais avec la grandeur d'ûme et l'énergie que vous me connais-
sez , la sainteté de la conspiraiion dont je n'ai jamais nié d'être
membre ; sortant de cette route lâche et frayée des dénégations ,
j'osen^is développer les grands principes et plaider la cause éter-
nelle du peuple, avec l'avantage que donne l'intime pénéiraiion
de la beauté du sujet ; je démonirerais que ce procès ne serait pas
celui de la justice, mais celui des oppresseurs contre les op-
primés et leurs magnanimes délenseurs. On pourrait me con-
damner , mais mon écliafaud figurerait gloriensomrnt h rôle de
ceux de Barnevelt et de Sidney.
» Vous avez vu , citoyens directeurs, que vous ne tenez rien
lorsque je suis sous votre main ; je ne suis qu'un pjint de la longue
chaîne dont la conspiraiion se compose ; vous avez à redouter
toutes les autres parties; cependant vous avez la preuve de tout
rintérêi qu'elles prennent à moi ; vous les frapperiez toutes en
me frappant, et vous les irriteiiez.
» Vous irriteriez toute la démocratie de îa république française
et vous savez encore que ce n'est pas aussi peu de chose que vous
aviez pu d'abord l'imaginer. Vous la jugeriez bien mieux si vos
captureurs avaient saisi la grande correspondance qui a formé
des nomenclatures dont vous n'avez que des fragmens.
> On r) bpnii vnuMir romprimer le feu sacré, il brûle et il brû-
AU 30 FLOR. AS Y { 179o-1797 ). ]6d
lera ; plus il paraît dans certains instans anëanii , plus sa flamme
menace de se réveiller subitement , forte et explosive.
» Entreprendriez-vous de vous délivrer de cette \aste secte
sans-culotide qui n'est pas vaincue? il faudrait d'abord en sup-
poser la possibilité. Mais où vous trouveriez-vous ensuite? Vous
n'êtes pas (out-à-fail dans la même position que celui qui dé-
porta , après la mort de Cromwel, quelques millieis de républi-
cains anglais. Charles II était roi, et, quoi qu'on en ait dit, vous ne
l'êtes pas encore. Vous avez besoin d'un parti pour vous soutenir;
vous ne pouvez détruire les patriotes sans être vis-à-vis du roya-
lisme; quel chemin croyez-vous qu'il vous ferait voir, si vous
étiez seuls contre lui ?
» Les patriotes , direz-vous , sont aussi, dangereux que les
royalistes ; vous vous trompf z , ils ne voulaient point de sang ,
mais seulement vous forcer à confesser que vous avez fait du
pouvoir un usage oppressif, et le reprendre.
» Moi-même, j'avais expliqué commeni il me paiaissait possi-
ble que vous fissiez disparaître tout ce que le caractère constiiu-
lionnel de votre gouvernement offre de contraste avec ies prin-
cipes républicains. Et bien! il en est temps encore, la tou^^nure
de ce dernier événement peut devenir salvatrice pour vous-mê-
mes et pour la chose publique. Mes conclusions sont que votre
intérêt et celui de la patrie sont de ne point donner de célébrité à
l'affaire présente; ne croyez pas intéressée la démarche que je
fais , la mort ou l'exil serait pour moi le chemin de l'immorialité ;
mais ma proscription n'avancerait pas vos afl^ireset n'assurerait
pas le salut de la République.
» J'ai réfléchi que vous ne fûtes pas constamment les ennemis
de la République ; vous êtes égarés par l'effet assez inévitable
d'exaspérations différentes des nôtres; pourquoi ne revien-
drions-nous pas tous de notre état extrême pour embrasser un
terme raisonnable ^ la masse du peuple a le cœur ulcéré ; faut-il
le déchirer encore plus? Vous aurez, quand il vous plaira, l'ini-
tiative du bien , parce qu'eu vous ié>iu\o toute la lor<;e de l'admi-
nistration publique.
1()G DIRECTOIRE. — I>D 4 BRDM. AN IV
» Citoyens directeurs, gouvernez populairement, voilà tout
co fiup les patriotes vous r<e!oandpnt. En parbnt ainsi pour eux ,
j • suis sûr qu'ils n'inierro!:>pront point ma voix, je suis sûr
de n'être pas démenti par eux. Cinq hommes, en se montrant
grands et généreux , peuvent aujourd'hui sauver la patrie.
> Je vous réponds encore que les patriotes vous couvriront de
leurs corps , et vous n'aurez plus besoin d'armée entière pour vous
défendre. Les patriotes ne vous haïssent pas , ils n'ont haï que
vos actes impopulaires, je vous donnerai aussi alors, pour mon
propre compte, une garantie aussi étendue que l'est ma franchise
perpétuelle. Vous savez quelle mesure d'influence j'ai sur cette
classe d'hommes; jevpuxdiie les patriotes; je l'emploierai à les con-
vaincre que si vous êtes peuple, ils doivent ne faire qu'un avec vous.
» 11 ne serait pas si malheureux que l'effet de celte simple
lettre fût de pacifier l'intérieur de la France; en prévenant l'éclat
de l'affaire dont elle est le sujet, ne préviendrait-on pas en mêaie
temps ce qui ^.'opposerait au calme de l'Europe. »
Signé Gracchus Babeuf.
Lo public vit dans cette lettre moins un signe de courage
qu'une espèce d'amende honorable, une forme pour demander
grâce. Le directoire n'y répondit pas autrement qu'en la rendant
publique. Elle figurait dans tous les journaux de Paris dès le
^5 mai.
C- tte alïaire occupa presque complètement les deux conseils
pondant plusieurs séances. D'abord, on autorisa le bureau cen-
II ai de la police de Paris à lancer des mandats d'arrêt. Les pre-
mières arrestations avaient été faites sur un arrêté du directoire
remis entre les mains de Cochon. Les membres du corps législa-
tif furent les premières victimes de cotte LiCsu. e exceptionnelle ,
on se présenta chez quelques-uns d'entre eux avec des mandats
d'arrêt : de là des plaintes très-vives, une séance fort animée;
message au directoire; réponse de colui-ci; dénonciation au tri-
bunal de cassation. Enfin les employés du burei'u central furent
cités à la barre du conseil des cinq-cents , et ils y furent inter-
AU 30 FLOR. AN V ( 1 7954797 ). 167
rogés; ils prouvèrent que c'était le fait d'une simple inadver-
tance ; les membres chez lesquels on s'était présenté étant dé-
signés comme députés , mais n'éianl pas portés sur les liôes
imprimées du corps législatif. Cet incident terminé, il fallut
juger une autre difficulté. Le prévenu Drouet était membre des
cinq-cents ; il fallait prendre une décision sur la marche qu'on
suivrait à son égard. La question était importante : elle intéres-
sait tous les députés, car la conduite qu'on tiendrait dans celte
circonstances établirait un précédent dont plus tard chacun
pourrait être ou protégé ou victime ; qui savait , en effet, dans ce
temps de brusques révolutions, quel sort l'attendait? La question
fut donc longuement délibérée ; on y consacra plusieurs comités
secrets ; on décida enfin que la dénonciation contre Drouet était
admise , que notification de celte décision lui serait faite par le
directoire , et que Drouet serait entendu dans le sein même du
conseil. Il y fut amené le 28 prairial (16 mai). Il se borna à nier
toute participation à la conjuration; il donna des explications sur
les faits à sa charge ; il attaqua vivement le ministre de la police
Cochon, mais il ne convainquit personne. Le 2 messidor suivant
(20 juin), le conseil décida qu'il y avait lieu à examiner la con-
duite de ce député, et le 20 du même mois (8 juillet), les anciens
approuvèrent cette résolution ; il en résultait que Droutt était mis
en accusation. On remarqua qu'aux cinq-cents, soixante-douze
voix avaient été contre la résolution, et quarante-une aux anciens,
d'où l'on conclut que les projets de Babeuf avaient ce nombre de
partisans dans le corps législatif.
Les conseils eurent ensuite à s'occupf^r de l'organisation de la
haute cour de justice qui devait prononcer sur cette accusation ,
puis à examiner si le ju^^ement serait sujet à la révision du tribu-
nal de cassation, ce qui fut décidé par la négative. Il fut décrété
enfin que les complices de Drouet suivraient son sort et seraient,
comme lui, jugés devant cette haute-cour, dont In siég<' fut fixé
à Vendôme; mais Drouet, plus heureux qu'en Autriche, parvint
ù s'échapper delà prison de l'Abbaye, où il était détenu. On
trouva scié l'un des barreaux de la fenêtre de la chambre qu'd
i(>8 DlRECTOJUii. — Dt 4 liRUM. AN IV
occupait; plusieurs cordes étaient dans celte chambre; mais il ne
parut pas qu'elles eussent servi à l'évasion, dont, au reste , on ne
voyait aucune trace, ni sur le mur qu'il lallait descendre pour
arriver sur la terre, ni sur un autre mur de quarante-cinq
pieds de haut qu'il eût encore fallu escalader. On an ètu le con-
cierge et le guichetier; ils furent traduits devant le tribunal cri-
minel; mais, les charges étant nulles, ils furent acquiiiés. On
soupçonna le directoire d'avoir fait évader Drouet. Cet événement
ne changea point la destination des autres accusés ; on prit des
mesures pour les transférer à Vendôme; ils étaient nombreux.
On remarquait parmi eux Vadier, Amjr, Choudieu, Ricord ex-
conveniioimel, Antouelle qui avait a()partenu à la législative, Par-
rein, Rossignol, Lamy, ex-généraux; Jarry et, Mansard, ex-ad-
judans généraux ; enlin Babeul, le chef de la conspiration,
Buonarotii, Félix Lepelîetier, Didier; ex -juré du iribiinal révolu-
tionnaire', etc.
Dans la nuit même ou h'.s prisonniers devaient partir, c'est-à-
dire dans ((Ile du 10 au 11 iVuciidor (du i27 ai t28 août), pour
Vendôme, des boites et des pétards furent lues dans diverses
I ues de Paris. ()a y sema des cocardes blaGches et des proclama- *
lions manuscrites invitant au rétablissement de la royauté et au
HjassHcre dt-s républicains. On y trouva encore le matin cinq dra-
peaux blancs, portant pour inscription: « Mort auxrcpubiicains!
vive le roi! » Le lendemain matin quelques groupes essayèrent
de se former; mais ils furent prompiemenl dissipé:». Cet événe-
ment fil peu de bruit dans Paris; plusieurs journaux n'en firent
pas même meniion. On supposa ijue les amis de Babtuf avaient
youlu tenter d'exciler une emeuie à l'aide de laquelle ils pusseut
le délivrer ; on en conclut qu'ils veillaient toujours et qu'ils étaient
encore à craindre. Le ministre de la police générale , au con-
traire , accusa ks royalistes de ce mouvement ; il prétendit que
ces derniers s'étaient unis aux démocrates, ajoutant qu'il avait
re<;u des avis de l'éiranjier, qui lui annonçaient que les chefs ja-
cobins étaient entrés en composition avec le ci-devant duc de La
Vauguyon, minislredu prétendant. C'était un mensonge du nom-
AU 50 FLOK. AN V ( 1795-1797). 169
bre de ceux qui ne trompent jamais personne , et par lesquels on
essaie toujours vainement de déshonorer deux ennemis à la fois.
Peu de jours après, un mouvement plus caractérisé vint ap-
prendre à quel parti appartena^ient les auteurs de la tentative
dont nous venons de parler. Le Î25 fructidor (9 septembre) un at-
troupement de six ou sept cents hommes, armés de pistolets, de
sabres, de cannes à épées, se forma à Vaugirard, et se porta sur
les troupes du camp de Grenelle dans l'intention de les soulever.
En entrant dans le camp, on cria : Vive la République! vive la
Constitution de 1795! à bas les conseils! à bas les nouveaux ty-
rans! L'aitroupement ne trouva pas les troupes disposées ainsi
qu'il s'y attendait. Les conamancJans avaient été prévenus. Les in-
surgés furent chargés , quelques-uns furent tués, plusieurs fu-
rent blessés et d'autres furent pris. Parmi ces derniers, se trou-
vèrent des hommes que la police cherchait depuis long-temps,
et entre autres l'ex-général Fyon décrété d'accusation dans Taf-
laire de Babeuf.
Le corps législatif instruit de cet événement, déclara que tous
les corps de l'armée de l'intérieur avaient bien mérité de la pa-
trie. Le lendemain , le directoire fit parvenir aux cinq-cents un
message par lequel il demandaii que lespiisonniers fussent jugés
par une commission militaire. Il faisait valoir en faveur de celte
mesure exceptionnelle les inconvéniens que présenterait un pro-
cès poursuivi selon les formes ordinaires contre cent trente-deux
accusés , car tel était leur nombre ; ei il faut ajouter qu'ils étaient
presque tous blessés. Par un second message, le gouvernement
sollicitait encore l'autorisation de fa-re dus visites domiciliaires
dans Paris. Ces deux demandes lui furent accordées. Seulement
les visites domiciliaires ne furent autorisées que pendant le jour
et jusqu'à la fin du mois. Le cons-il exécntif avait sollicité plus
encore de la complaisance du corps législatif. Il avait proposé
aux cinq-cents de décréter que les accusés n'eussent qu'un seul
défenseur pour tous, et cela afin d'aiiréjjer les débats. On passa
à l'ordre du jour sur cette d'.niande ni'jnstrueuse.
La première séance de la commission militaire eut lieu le
170 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
27 fructidor (13 septembre). Elle fit comparaître d'abord cin-
quante-deux prévenus. Les débats furent très-tumultueux; les
accusés commencèrent par récuser leurs jugées , par protester con-
tre la mesure excepiionneile qui leur était appliqi ée ; ils pri-
rent ù partie ies témoins; ils embarrassèrent l'accusation par l'é-
nergie de leur défense. L'un d eux parvint à s'échapper la veille
du jugement qui le condamna à mort ainsi que douze autres ac-
cusés, et en acquitta dix-neuf. Les condamnés en appelèrent au
coni^eil de révision ; mais celui-ci confirma le premier arrêt. En
conséijuence ils furent extraits du Temple, et conduits au camp de
Grenelle , où ils furent fusillés.
Le G vendémiaire an V ( 27 septembre I79G ) , intervint un se-
cond jugement qui condamna quatre des accusés à mort, six à la
déportation et trois à la réclusion. Neuf autres furent mis en li-
berté. Fyon , ex-général de brigade, fut renvoyé devant la cour
de Vendôme , comme complice de Babeuf. Les quatre condamnes
furent, le 8, au camp de Grenelle, après la révision du conseil
militaire.
Le troisième jugement condamna à mort neuf accusés , parmi
lesquels se trouvèrent Hugues, Gusset et Javogues, tous trois
ex-conventionnels ; Bertrand pcinire, ex-secrétuire de Drouet,
ex-maire de Lyon ; Gugnant , ex-hebertiste , Bonbon , etc. Deux
accusés furent condamnés à la déportation , quatre à la détention,
et cinq lurent acquittés. Ceux contre lesquels fut portée la peine
de mort, furent exécutes le 19 vendémiaire. Bonbon évita le sup-
plice en se précipitant du haut de l'escalier du Temple. Gagnant,
étant p-irvenu à délier ses mains pendant le chemin , s'élança lout-
à-coup hors de la charr( ttc , dans !e dessin de s'évader. Mais
bientôt atteint d'un coup de baïonneitt et d'un coup de sabre, il
lut reporté sur la voilure et fusillé comme les autres.
La commission miliiMÏ'O termina avec les accusés du camp de
Grenelle par deux derniers jugrnipns. Dans l'un elle condamna
six accusés à mort , huit a ia déporta ion , trois à la délenlior» , vi
en acquitta quatre ; par l'autre , elle condanma quatre necusr^ à
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 171
la déportation, cinq à la détention; dix furent acquittés. Tout
était fini le 6 brumaire (27 octobre).
Pendant toute cette période, les conseils présentèrent l'uspect
d'une unanimité apparente de sentimens , rarement interrompue;
la plupart des membres étaient en etlet momeptanémeni réunis
dans une même pensée, la crainte des terroristes, dont l'énergie,
au reste , parut définitivement vaincue après l'affaire du camp de
Grenelle. On s'occupa des affaires de finances, de question d'ad-
ministration , de quelques réparations individuelles. On releva
de la déchéance toutes les réclamations contre les arrêtés du co-
mité de la Convention. On releva aussi de la déchéance les mili-
taires suisses ayant droit à une pension. Il y avait dans ces déci-
sions une disposition manifeste de réaction ; mais une circonstance
rendit encore celle-ci plus évidente. On avait déjà , dès les pre-
miers jours du corps législatif, proposé le rapport de la loi votée
par la Convention le 5 brumaire, loi qui excluait des charges et
des fonctions publiques , comme nous l'avons vu , les païens d'é-
migrés et ceux qui , dans les dernières assemblées primaires ,
avaient provoqué ou signé des mesures contre-révolutionnaires.
Cette première motipn avait été rejetée sans discussion. Le 28 fruc-
tidor (14 septembre), Couchery après un long discours, inter-
rompu cependant quelquefois par des murmures , demanda le
rapport de cette loi. On ordonna 1 impression de son discours , et
l'on traita la question sérieusement, tant il y avait de doutes sur
les dispositions de la majorité. Une commission fut nommée : Riou,
le rapporteur, conclut au maintien de la loi, sauf lepremier arti-
cle qu'il proposa de rapporter. Une discussion grave et calme fut
ouverte. Il semblait qu'il s'agît, non pas d'un règlement de police
transitoire et déjà presque tombé en désuétude, mais d'un pro-
blème consiimtionnel. Les débats occupèrent un grand nombre
de séances. Chaque parti doutait de ses forces et n'avait pas
hàie de conclure. Enfin , les ex-conventionnels s'étant comptés ,
lérmèrent la discussion. Alors, nouveaux débats sur la manière
de poser les questions. Mailhe veut qu'on demande si la loi du
5 brumaire est ou non contraire à la Constitution. Des murmures
17i blHtClOlRE. — DU 4 BRtM. AN IV
violens accueillent celle proposition; mais, d'un autre côté, on
crie avec non moins de cha'eur qu'elle est appuyée. On se dispute
la tribune; une vive altercation a lieu enire Le^ot, Henri Lari-
vière et André de la Lozère. Madier s élance au milieu d'eux. Le
tumulte e^t à son comble. Les ci is : A i AOOaiie ! sclèvent de
toutes parts. Le président se couvre. Li priorité est refusée au
projet de Jaid-Panvilliers, après deux épreuves turaulinouses,
pendant lesquelles on a demandé la parole «contre le président, et
menacé de nouveau Madier de l'Abbaye. La priorité est donnée,
par appei nominal, au projet de la commission.
On avait , dans le public, pet du i'habilude de voit des séances
aussi tumultueuses; aussi on y disait que l'on s était baitu aux
cinq-cents.
A la séance du lendemain, Itibrumaireun V (tinoveinbre 179(3),
on commença à discuter de nouveau le projet de Kioii. Bergier
demanda comnient il se taisait qu'on pi opu.àl de rapporter le pre-
mier article qui excluait dta lonctions publiques les provocateurs
et signataires de mesures liber livides ci contraires aux lois , et de
maintenii' contre lespaitns d'émigrés seuis rexclusiun pi ononcée
par l'article deuxième ? Veut-on donc oiivrjr là porte des tonc-
tions publiques à de véritables amnisîiés, et leur faciliter les.
movens de réaliser les projets séditieux qu'on leur a pardonnes?
11 demande que l'article l^'" de la loi du ô brumaire soit maintenu
et déclaré commun ù ceux que la loi du i bruuiaife a amnistiés.
Lama rque combat cette proposition , etdiKjue rapporter ce pre-
mier article, cest compléter l'amnislie dont le principe a été
adopté. Mailhe s'étonne de la diflérenic que la comuiissiou met
entre les parensdes émigrés et l<:s amnistiés : les uns et les autres
ne peuvent-ils pas être égalem'.'nl juges dans leur propn; cause?
c Les parens des émigrés , dit-il , ne vous sont que suspects; et
> des hommes dont les mains sont teintes du sang innocent
( Quelques murmures sont etoulles par les cris ; Cest vrai j c'est
vrai.) « Kt des spoliateurs régiraient la fortune publique! et des
> brigands veilleraient au maintien des propriétés individuelles!
» Où serait donc cette profession de foi tant répétée : Haine aux
AU 50 FLOR* AN V ( Î795-1797). 175
> royalistes et aux anarchistes ? Si le salut public est dans le main-
» tien de la loi du 3 brumaire , comme vous le dites , il est , à plus
0 forte raison , dans l'application de cetie loi aux amnistiés. »
Bjilleul s'étonne à son tour du changement qui s'est manifesté
dans les opinions de certains membres, depuis la dernière séance.
En effet, le nouveau tiers et leurs amis voyant qu'ils ne pou-
vaient obtenir le retrait de ceite loi du 5 brumaire de vive force
en qutlque sorte, c'esi- à-dire par la supériorité des voix dans le
vole définitif , se décidèrent à demander une exagération dans
l'applicaiionde cette loi , qui lui donnai effet sur ceux que les ex-
conventionnels étaient disposés à pn)téger, c'est-à-dire sisr ceux
qui avaient été arrêtés, prévenus ou accusés, soit après le 9 ther-
midor, soit après les journées de prairial , de délits ou de crimes
révolutionoalres. Bailleul , acceptant celte nouvelle direction de
la discussion, crut donc devoir demander si , par lei^amnisiiés ,
on entendait soit tous 1<:S fonctionnaires depuis !e 31 mai jusqu'au
9 iheruiidor, soiî tous les membres des comités révolutionnaires;
ou bien , si l'on irait , comme Rouyer, déclaser amnistiés tous
ceux qui avaient été mis f-n arrestation par des représentans en
mission? tVous voyez, ajoutait-il, où peut entraîner Tapplication
» d'un faux principe. Il n'y a aucune comparaison à faire entre
* la suspicion que méritent les parens d'hommes qui ont armé
> l'Kurope contre nous , et des hommes qui ont coinmis des délits
» couver;s par l'amnistie. » Il demande l'adopiion du projet.
Uouyer insiste pour la proposition qu'il a faite au commencement
de la discussion. Quirot demande qu'elle soit écartée par la
question préilable, et qu'on adopte le premier article du projet.
€ Voulez-vous , dit-il , répandre l'alarme parmi des citoyens plus
t égarén que coupables? Non, vous n'irriterez pas une popula-
> tion jalouse de ses droits, essentiellement amie de la liberté;
I mais que de perfides meneui s , des émigrés connus étaient par-
* venus à é;;arer. n Henri Larivière s'oppose aussi au rapport
de l'article l^f de la loi qui exclut des fonctions publiques les si-
gnataires d'arrêtés liberticides. « J'avoue , dit-il , que je remarque
» aussi du changement ; mais il est dans la conduite de ceux qui,
174 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM, AN IV
» soutenant hier la loi du 5 brumaire , soutenaient son applica-
» tien irès-justeàunecla^-se d'individus, et aujourd'hui repoussent
») une autre application comme une souveraine injustice. On vous
» dit aujourd'hui : C'est une mesure générale , arbitraire , et qui
> frappe en masse.... Hier, nous vous le disions à l'égard des
» parens d'émigrés, et vous ne vouliez pas nous entendre. Les
» principes, hier, ont éié méconnus par vous; il faut en admettre
» la conséquence. Je dis donc qu'hier vous avez frappé en masse
» une classe présumée innocente, et que vous ne pouvez vous
» refuser à omettre le même vœu contre des hommes surpris se
» baignant dans le sang et segorgeantde rapines.... Je demande
» que la loi du 5 brumaire s'applique à tous les hommes mis en ju-
» gement pour délits révolutionnaires. » Lecointe-Puyraveau
propose une série de questions , et demande qu'on s'accorde bien
sur la définition des amnistiés. Boissy-d' Anglas demande que ceux
des amnistiés qui n'ont pas été mis en jugement profitent de
l'amnistie , et que ceux d'eni » e eux qui , appelés à des places , vou-
dront les occuper, soient tenus de se mettre en jugement et de se
présenter devant les tribunaux. Clôture de la discussion. Cras-
sous de l'Hérault combat la série de questions présentée par Le-
cointe-Puyraveau et en soumet une nouvelle : \^ l'amnistie s'é-
tendra-t-elle aux délits commis jusqu'au 4 brumaire , et , par con-
séquent , aux signataires d'arrêtés? 2^ La loi du 5 brumaire s'ap-
pliquer a-t-el le aux amnistiés , c'est-à-dire à ceux qui, mis en ju-
gement, n'ont recouvré leur liberté qu'à la faveur de l'amnistie,
et aux individus déclarés inéligibles par la Convention nationale?
Ces qu( siions sont résolues par l'affirmative. Savary fait adopter
un amend( ment à la seconde concernant les chefs de clK)uans et
rebelles amnistiés. Cra^sOus propose eiisuiie de déclarer qu'il n'y
a lieu à délibérersur le rapport de la loi du 3 brumaire. Adoption
de la proposition de Dcfermont pour le maintien de la loi du 5 bru-
maire, seulement «n ce qui concerne les prévenus d'émigraiion,
les émigrés et leurs parens. Pkisieurs voix : t Et Ks préiiesî les
» prêtres! » — Celte demande n\ ut pas de suite.
Le 1i brumaire, Crassous, au noui de la commission «hargée
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797). 175
de rédiger les résolutions dont nous venons de parler, lit son rap-
port et proposa des articles. Après quelques objections nouvelles
on remit la discussion afin que le projet pût être imprimé et dis-
tribué. Enfin , le 16 brumaire (6 novembre) , s'ouvrit la séance
qui paraissait devoir être définitive. Grassous commença par re-
lire le projet de la commission. Le voici :
Art. I. Les dispositions de la loi d'amnistie du 4 brumaire,
an 4, seront appliquées à tous les délits purement relatifs à la ré-
volution, antérieurs au dit jour, 4 brumaire. (Ce qui voulait dire
même aux conspirateurs du 15 vendémiaire.)
Sont exceptés les individus contre lesquels la déportation a été
nominativement prononcée par les décrets des 12 germinal, an 3
et 20 vendémiaire, an 4.
Art IL Les dispositions des articles 1, 2, 5, 4, 5 et 6 de la loi
du 3 brumaire, sur la suspension de l'exercice des fonctions pu-
bliques, seront appliquées à toutes les personnes qui, pour délits
révolutionnaires , condamnées ou mises en accusation , soit par
décret de la Convention nationale, soit par les directeurs du jury
ou accusateurs publics , n'ont été garanties des poursuites que
par l'effet de l'amnistie.
Art. III. Les mêmes dispositions sont applicables à ceux qui
ont été déclarés inéligibles par l'article 3 de la loi du 5 fructidor,
an 3.
Art. IV. Elles seront également appliquées à ceux qui , dans
les révoltes delà Vendée et des chouans, auront occupé un grade
de lieutenant ou un grade supérieur, et ceux qui , dans chaque
canton ou commune , auront été chargés en chef de r*exécution
des ordres civils et militaires, au nom des chefs des révoitéi (1).
An. V. Lesariicles7, 8, 9,10, 11,12, 13, 14, 15eiU)dela
loi précitée du 3 brumaire an 4 sont rapportés.
(t) La rédaction de cet article éprouva plusieurs modiflciilions successives. On
y revint encore même hnsque la loi eut clé volée délinilivcmcnt. Ainsi, le 20 l)rn-
luaire, le rapporteur Grassous proposa aux cioq-cenls on changement de ré-
daction qui lut le dernier et qui lui adupié en ces tenues ; « La suspeusiou de
» l'excrcic;; des fonctions publiques aura lieu à l'égard de tous ceux qui ont olé
•> déclarés inéligibles par l'urt. 3 de la loi du 5 friiciflor an 4. » (A. rf^v aut:
17(i niRKCTOIRK. — nt 4 BRUM. AN IV
Plusieurs membres. • Aux voix la réduction. »
L<? président, a 11 y a une liste de parole. >
Kn effet, plusieurs orateurs preanent successivement la parole,
et les objections se multiplient.
Bailleul demande si Texceplion comprise dans l'article 1 porte
sur Collot-dHerbois et Billaud-Varennes , que sans doute on ne
veut pas laisser leparaîlre. Une voix unanime : « Non , non , ja-
D mais. •> Motion d'ordîc de Lamarque, en faveur de l'un des
condamnés par la loi du 12 germinal, dont la déportation n'a pas
été effectuée, et quia sauvé la vie à plusieurs membres des deux
conseils. Il demande que les individus contre lesquels la déporta-
tion a été prononcée, et qui se trouvent effectivement déportés ,
soient seuls exceptes de l'amnistie. Plusieurs membres : t Parlez
> donc franchement ; nommez Barrer e. » Grassows demande qu'on
supprime les mots du 20 vendémiaire, an 4. L'article! est adopté
avec cet amendemeni. Dnprat parle sur l'article qui maintient
rexcUision des fonctions publiques contre les individus (Jéclarés
inélifïibles par la Convention nationale: il demande que l'exclusion
s'étende aux fonction < à la nomination du gouvernement. Vive
agitation. Uouyer appuie l'amendement, « afin , dit-il, que le
1 gouverurnunt raclie bien que si le peuple a trouvé des hom-
> mes indignes d'être administrateurs ou municipaux, legouver-
» nement ne peut penser qu'ils soient plus dignes d'être com-
» missaires près les armées, ou ambassadeurs. » Riou pense que
le directoire étant responsable, ses choix doivent être libres et
sans entraves. Murmurts. Boissy-d'Anglas déclare qu'il y a tout à
craindre en limitant les choix du peuple; mais qu'il n'y a aucun
danger à limiter ceux du gouvernement : « Votre intention, drt-
» il, i.e peut être que ceux qui ont ensanglanté et ruiné Bordeaux,
» y soient envoyés comme commissaires ; et que les mitrailleurs
» de Lyon, revêtus d'un grand pouvoir, puissent rentrer dans
> cette ville , y compter leurs victimes, et contempler les débris
* de ses monumens. »> Après une vive a^jitation , l'amendement
est adopté. Berlier combat le rapport de l'article 10 de la loi du
r> brumaire, relatif aux prêtres insermentés. Defermont et Cbé-
AU 30 FLOR. AN V ( 179o-179T). 177
nier pensent qu'il n'y a aucun inconvénient à le rapporter , puis-
qu'il ne contient aucune disposition législative. Adopté, et injonc-
tion à la commission chargée de présenter un plan de législation
générale à l'égard des prêtres , de le faire dans l'espace le plus
court.
Ainsi le projet entier de la commission fut adopté.
Cette résolution , quoique bien au-dessous de ce que désirait
la minorité, apportait cependant des amendemens considérables à
la législation révolutionnaire, des amendemens tels que l'on n'au-
rait pu espérer les obtenir avant l'affaire de Babeuf. La résolu-
lion fut soumise au conseil des anciens ; celui-ci consacra plusieurs
séances à l'examen de la question, les membres du nouveau tiers
y suivirent la même tactique que leurs collègues de l'autre con-,
seil. Enfin, le 14 frimaire (4 décembre) , le voté des cinq-cents
fut approuvé à une majorité de cent six voix contre soixante-
huit.
Ce succès et surtout le langage tenu dans les deux conseils prou-
vent combien était grande la modification qui existait dans l'opi-
nion publique. Les journaux s'occupèrent de la mêajc question ,
et la traitèrent dans le même style, on prévoyait déjà que le parti
qui formait l'opposition dans les conseils en formerait bientôt la
majorité. C'était même pour s'assurer , sans aucune espèce de
doute, cette majorité, que le nouveau tiers avait poursuivi avec
tant d'ardeur la suppression d'une loi qui le privait d'un grand
nombre d'électeurs et d'un grand nombre d'éligibles; tout d'ail-
leurs aidait ses espérances. Le directoire que l'on pouvait consi-
dérer comme le représentant des ex-conventionnels , ne s'était
point élevé au-dessus de ce que l'on attendait de lui , il était en-
touré d'une multitude d'intrigons éliontés, auxquels il livrait trop
souvent les places et les emplois de la Rép iblque. La présence
de Barras dont l'entourage* et la conduite prêtaient à tous les
genres de scandales, suffisait pour avilir ce pouvoir dans l'opinion.
D'un autre côté , on ne manquait point de répandi e des doutes
sur ses intentions administratives. Un disait que certains membres
du directoire n'ignoraient point la conspiration de Babeuf : c'était
T. xxxvii. I-
I7«S DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
une ca'cmnie ; mais il y avait des gens qui n'en doutaient pas. On
attaquiiitia probitëdequeKjues-unselentreauirescil edeBjlTas.
Dans les conseils, on réclamait contre les repré^enlans qu'il en-
voyait dùns le Midi. Plusieurs séances avaient été employées même
à des dénonciations soutenues avec une grande énergie de pen-
sées et de style contre la mission deFréron. Une motion faite aux
cinq-cents ( 10 vendémiaire, 7 octobre), mettait en doute la bien-
veillance des directeurs pour les conseils. On créa une commission
pour examiner si l'on pourrait suspendre leurs actes, lorsqu'ils
mettraient en danger la liberté du corps législatif. La presse était
un autre ennemi qui poursuivait le gouvernement. Les démocrates
ne le défendaient pas; ils l'insuliai^-nt chaque jour, et les roya-
listes déguisés, ainsi que les constitutionnels , entretenaient sou-
vent le public , d'anecdotes qui lui étaient peu favorables. Enfin,
quelquefois, on faisait retentir la tribune, de plaintes trop justes
sur le débordement de mauvaises mœurs dont quelqi:es-uns
de ses membres donnaient l'exemple. Le conseil des cinq-cents
entendit, entre autres, très-souvent des propositions sur la néces-
sité de changer la loi du divorce qui, disait-on, ne faisait du ma-
riage qu'un concubinage déguisé, et même sur l'uiilité qu'il y au-
rait à la rapporter. Une commission fut nommée. Elle fit son
rapport qui donna lieu à une lougue ei vive discussion.
C'était dans ces quts ions que s'exerçait la verve politique des
deux punis qui parijgoaieni le corps législatif. On revenait à
une discussion plus calme, lor.Nqu'il s'agissait des nombreuses
questions que l'exigeuce des temps posait chaque jour, lorsqu'il
s'agissait, par exemple, de finances, d'organisation des divers ser-
vices adujinisiraiil^, d'agiotage, etc., ou lorsque l'on s'occupait de
résoudre quelques problèmes relatifs à la iWmaiion d'un code civil
dont le plan avait été présenté par Gaaibacérès (!).
On ne peut douter que la marche de l'opposition dans les con-
seils ne fût suspecte au directoire , et qu'il n'eiît des craintes pour
l'avenir; mais la Constitution l'obligeait à les ménager et il ne
(t) Ce projet nVut d'autres suites que de fournir la mati^^e de rombreot dis-
cours. On en adopta trois arlicles, et ce fut tout. (.\ote des nutturs.)
AU 50 FLOR. AN V ( 179o-4797 ). 479
semblait rien voir et rien prévoir. Il ri'etait pas obligé de garder
les mêoies ménagemens avec la pi esse. Il aurait préféré , sans
doute, laisser aux conseils l'odieux d'une proposition Res-
trictive de cette liberté; mais, comme nous l'avocs vu, une
première tentative avait été repoussée. Le directoire en fit une se-
conde.
Le 9 brumaire ( 30 octobre 1796) , le directoire adresse deux
messages aux cinq-cents. Le premier est destiné à racheter, par
un semblant de philantrhopje , ce que te second pourra avoir de
repoussant.*Il demande donc d'abord l'autorisation de percevoir
un prélèvement sur une augmentation du prix des billets de spec-
tacles, pour venir au secours des indigens.
On lit ensuite son message sur les journaux en général , et sur
la répression de la calomnie écrite. Vive agitation dans le conseiL
Talot s'indigne contre les journalistes : il dit que chacun d'eux
est un club ambulant, prêchait la révolte et la désobéissance aux
lois, et demande le renvoi à une commission. Chazal , Chassey et
Hardy demandent qu'il soit formé \ine commission spéciale.
Mailhe pense que ce serait anéantir la liberté française que de
consacrer ce principe, que la conduite et les actes des fonction-
naires ne peuvent être censurés : il vote pour le renvoi à la com-
mission existante. (Murmures.) Boissy-d'Anglas partage le même
avis : il trouve étrange que le gouvernement s'élève contre les
joinrnaux, tandis qu'il a donné lui-même l'exemple de ces abus,
en faisant distribuer, pendant six mois, des journaux détestables,
ott chacun des représentans du peuple était calomnié de la ma-
nière la plus indécente. Pastoret s'écrie qu'on veut, à l'approche
des élections, enchaîner lu voix des écrivains qui pourraient éclai-
rer le peuple sur ses vrais amis, et qu'on veut comprimer l'opi-
nion nationale : il demande l'ordre du jour sur le message. Le-
coinle-Puyraveau dit qu'il ne s'agit pas ici de la liberté , mais
bien de la licence de la presse : il appuie la formation d'une
commission spéciale. Cette dernière proposition fut ailoptée.
L'hostilité contre la hberlé de la pressé ne se borna pas ù pn^n-
dre les voies directes; on cherchait à y apporter des empêche-
1S() DIRECTOIRE. — 1)L 4 HRUM. AN IV
mens par tous les moyens. On s'occupait d'un nouveau projet d»*
tarif pour la poste aux lettres. Fabre de l'Aude avait proposé
d'auigrnenter le prix du port des journaux. Boissy-d'Anglas ob-
jecta le danger d'anéantir la circulation de la pensée. Héaldil que
ce n'était pas la question, et qu'il s'agissait uniquement de savoir
si la taxe à payer ne devait pas être telle qu'elle couvrît au moins
les dépenses du transport : il proposa de doubler la taxe actuelle.
Rouzet pense que si le gouvernement avait regardé le transport
des journaux comme onéreux à l'état, il n'aurait pas refusé de
s'en dessaisir et de le confier à des entreprises partftulières : il
vote pour le maintien de la loi existante. Bion convient que les
frais ne sont pas couverts ; mais il ajoute que c'est parce que le
directoire charge tous les jours la poste de mille trois cent huit
livres pesant de journaux qui ne paient pas un sou. Delahaye
s'attache à prouver que, si l'amendenient de Fabre est adopté ,
non-seulement la circulation des journaux est arrêtée , mais en-
core !e coup le plus funeste est porté à l'esprit public. Villetard
dit que ces considérations peuvent être puissantes ; mais que l'in-
térêt public fait un devoir, dans les circonstances présentes, de
ne pas prodiguer les trésors de l'état : il appuie l'amendement.
Pelet de la Lozère ne peut voir dans des mesures telles que celles
qu'on présente, qu'un moyen indirect, mais sûr, d'enchaîner la
liberté de la presse : t Ceux qui ont conçu depuis long-temps ce
» projet, dit-il, en connaissent-ils toutes les conséquences? et peu-
» vent-ils oublier que la France fut asservie, le jour où la liberté
» d'écrire fui anéaniie? > Thibault vote pour l'amendement de
Real, et déclare que nous ne sommes point assez riches pour être
généreux. Couchery annonce qu'il va proclamer une vérité dure,
ma'S nécessaire : « C'est que , par ces propositions astucieuses
> contre les journaux, on cherche à rétablir une nouvelle tyran-
> nie, et l'on veut l'amener par le silence de la terreur. On redoute
» l'indépendance des journaux, parce qu'on n'a pu acheter leur
» silence; on veut, par des impôts, arrêter cette explosion que ,
> de toutes parts, ils provoquent contre les entreprises du pou-
» voir arbitraire. » Bourdon traite ces craintes de chimériques :
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 181
il appuie ramendement de Real, qui est adopté, ainsi qu'un auire
de Gilbert-Desmolières, pour que les journaux ne puissent partir
que sous bande, et qu'ils soient tous taxés, à l'exception du jour-
nal des Défenseurs de la Patrie, lorsqu'il sera envoyé aux armées
seulement.
Dès l'inslant où le directoire manifesta des intentions contre la
liberté de la presse, l'opposition saisit toutes les occasions de pré-
parer l'opinion des conseils, de manière à faire éprouver un échec
au gouvernement ou plutôt aux doctrines qu'il représentait. Ainsi
Pastoret , dans un rapport sur le code pénal , article calomnie ,
s'écriait : « Le mal qu'un individu pourrait ressentir de la ci^lom-
> nie, nous fera-t-il oublier le droit garanii par la Constitution ,
» d'examiner, déjuger, de blâmer les opinions et les actions po-
» litiques des mandataires du peuple et de ses magistrats? En en-
> tendant quelquefois des hommes puissans se livrer »de terribles
» imprécations, vouloir tout renverser et tout détruire, parce
» qu'un journaliste les a outragés, je me rappelle involontairement
> Charles II déclarant la guerre à la Hollande , sur le prétexte
» qu'un tableau de la commune de Dort , qui représentait cette
» fameuse victoire de Chatam, où Corneille de Wit brûla les vais-
» seaux anglais, était un libelle contre l'Angleterre La vigi-
» lance, dans un pays libre, est le devoir universel des amis de la
> patrie ; son exagération même est préférable à la stupide indo-
> lence des esclaves. Et où en serions-nous si , pour dévoiler les
» périls dont nous menaceraient des actions ou des systèmes po-
» litiques , il fallait paisiblement attendre le triomphe des conspi-
» rateurs? »
Néanmoin'fe, le 5 frimaire (25 novembre) , la commission de la
presse fit son l^pport. Daunou, en son nom, proposa trois réso-
lutions, (If une pour défendre d'annoncer les journaux ou écrits
périodiques autrement que par leur titre général et habituel; le
second , pour l'établissement d'un journal officiel : le troisième
contenant des dispositions contre la calomnie. La discussion com-
mença huit jours après, l'opposition fut vive et ne s'épargna pas
les récriminations. INoaillcs parla le premier; il demanda com-
182 DIRECTOIRE. — DD 4 BRUM. AN IV
ment il se faisin't que ceux qui étaient autrefois les plus ardens
défeLseurs de cette liberté, en étaient aujourd'hui les plus achar-
nés adversaires ; il opposa le langage du jour à celui qu'on tenait
aulrefds. L'opposition avait beau jeu. Néanmoins les résolutions
passèrent aux cinq-cents, bien qu'à une faible majorité; on dé-
cida même qu'un crédit de 1 ,GOO,000 francs , serait ouvert pour
les frais d'un jouinal tachygraphique officiel. Mais le conseil des
anciens , sur le rapport de Baudin des Ardennes , refusa son ap-
probation , et le projet fut comme non avenu.
Cet échec était d'autant plus fâcheux que les amis du gouver-
nement n'avaient pas eu le beau rôle ; l'esprit de réaction profilait
de tous les avantages qu'on lui donnait; le directoire, au lieu
de le dompter, lui avait donné des prétextes, c'est-à-dire de la
force, et lui-ny}me perdait chaque jour son influence sur les con-
seils. 11 avait besoin de ressaisir une autorité qui menaçait encore
de lui échapper» l'imprudence de quelques agens royalistes vint lui
en offrir l'occasion ; et , selon l'expression de Thibaudeau dans
ses mémoires, il y avait une centaine de députes, qui attendaient,
avec autant d'impatience que les directeurs, que le royalisme vou-
lût bien se compromettre et leur offrir les moyens de prendre
leur revanche.
Le il pluviôse , an V (50 janvier 1797), la nouvelle se répan-
dit dans les conseils , qu'on venait de découvrir une troisième
conspiration. Chaque parti , ignorant les détails, observait ses
adversaires : les députés royalistes disaient que c'était une con-
spiration feinte , imaginée pour depopulariser les amis de l'ordre
et de la paix publique. * •
Le lendemain 12, les cinq-cents reçurent un message du di-
rectoire accompagné d'un i apport du ministre delà p^ice géné-
rale , Cochon. Les conspirateurs étaient des royalistes. C'étaient
un abbé Broiier, mathématicien ei littérateur; un sieur Duverne
de Presie, ex-officicr de marine, ex-émigré, qui, sous le nom de
Dussau , conduisait depuis long-temps des intrigues royalistes ;
un ancitn maître tles requêtes , Bertholot-lu-Villeurnoy, et un
agent subalterne nommé l*oiy.
AU 30 FLOR. AN V ( 17Ho-1797 ). 183
Ils s'étaient adressés , disait le rapport , au citoyen Maîo , com-
mandant du vingt-unième régiQïent de dragons, et au citoyen
Ramel , commandant des grenadiers du corps législatif , pour les
engager à faire servir les troupes sous leurs ordres à leur pro-
jet. Ceux-ci, d'après l'avis du ministre de la police, feignirent de
se prêter aux vues des conspirateurs , demandèrent à voir le
plan des opérations et le» pouvoirs qu'ils disaient avoir de
Louis XVIII. Ils leur donnèrent à cet effet rendez-vous chez
jyialo, et les firent saisir, ainsi que leurs papiers, par des gens
aposlés d'avance chez cet officier. On arrêta aussi , mais à do-
micile, l'agent Poly, nommé plus haut. Ces commissaires,
ajoutait le ministre, soudoyaient les anarchistes, et se^ropo-
baient de les mettre en avant, pour réveiller la haine des Fran-
çais contre les excès du règne de la terreur ; ils auraient profité
de cette haine pour ramener la royauté. Louis XVIII, à son avè-
nement au trône, devait accorder une amnistie générale; mais
le parlement. aurait déclaré que le roi n'avait pu accorder un pa-
reil pardon, et l'on aurait poursuivi tous ceux qui avaient parti-
cipé au progrès de la révolution et à l'affermissement de la Ré-
publique.— A la suite de ce rapport, Defermont demanda que le
conseil donnât < aux citoyens Malo, Ramel et autres braves mili-
taires qui les avaient secondés , un témoignage de reconnaissance,
en déclarant qu'ils avaient bien mérité de la patrie. Cette motion
fut adoptée unanimement. >
A la séance du 16 pluviôse (4 février), le directoire. CGima
communication des pièces relatives à la nouvelle conspiration.
Un secrétaire eu fit lecture. Voici quelques-unes de ces pièces :
nous y joignons les premiers interrogatoires subis par les pré-
venus.
Plan d'exécution.
€ Poser des corps de garde de fjenssûrs à toutes les barrières,
même aux brè'hes des murs de h clôture de Paris ; ne laisser en-
trer que les approvisionnemens et \es fidèles atten lus , desquels
seront en étal d^ répondre à un mot d'ordre convenu H tenu
184 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUil. AN IV
secret; ne laisser sortir personne dans les premières vingt-quatre
heures , exce[)té les porteurs d'ordres expédiés par les déposi-
taires de l'autorité royale.
> S'empaier au même instant des Invalides, de l'École 3Iili-
taire, de l'Arsenal, de la Monnaie, de la trésorerie, de toutes les
caisses publiques , des Tuileries, de tous les magasins qui sont
aux Feuillans, du Palais-Royal, du Temple, des postes aux let-
très et aux chevaux, des voitures publiques, des télégraphes, du
Luxembourg, des maisons des ministres, et s'assurer du cours
de la riviâ'e, tant au-dessus qu'au-dessous de Paris.
> M^^udon est un poste très-impoitant à occuper sans délai.
C'est le dépôt des munitions , des pièces d'artillerie qui sont à
Paris. i)e plus , il y existe trois cents chevaux; trois cents hom-
mes suffiront pour cette expediiion. Il faut s'emparer des maga-
sins de poudre d'Essonne et des magasins de farine de Corbeil.
» On peui compter sur les habiaus du village de Vincennes;
il faut s'emparer du donjon, qui servirait pour y renfermer les
prisonniers intëressans, ou de retraite momenlané^en cas de be-
soin. Le Temple étant une enceinte isolée , facile à défendre,
il serait convenable de le choisir pour le quariier-général des re-
présentans du roi.
> Intercepter tous les ponts; contenir les faubourgs Saint-An-
toine et Saint-Marce.tu par tous les moyens possibles. Une bat-
terieà Monimarlre, en contenant Paris, éclairerait et assurerait
les routes du Nord.
» S'il échappe un des directeurs, et que la promesse de l'am-
nisiie ne le ramène pas , mettre ^ tète à prix, et déclarer, par
une proclamation, traîire au roi et à la patrie quiconque le recè-
lera ; il serait bon, par une autre proclamation, de consigner les
membres des deux c<ir,seils à la garde des propriétaires, princi-
paux locataires et portiers de leur domicile, jusqu'à nouvel ordre.
» 11 faut s'assurer des principaux Jacobins et terroristes, ré-
tablir la jurisdiction prévôiale et les ancierft supplices, ordonner
aux aérninislrations municipales de surveiller exactement les
agitateurs, et, aux premiers propos incendiaires, les faire juger
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 185
prévôlalement ; brûler sur-le-champ les presses des journaux
jacobins, et arrêier leurs auteurs.
» Pour faire place dans les pi isons , y envoyer un magistrat
probe et actif qui vérifierait les écrous et mettrait en liberté ceux
qui ne seraient pas détenus pour crimes. Il faudra surtout s'oc-
cuper de Bicétre. Les habitans de Paris auront un intérêt pres-
sant à contenir efficacement les assassins, les voleurs et les ter-
roristes.
• » 11 faut proclamer une amnistie générale au nom du roi; con-
server provisoirement tous les tribunaux, et publier une déclara-
tion honorable pour les armées , et amicale pour les puissances
étrangères.
» Faire garder a^ec honneur, mais avec vigilance, les en-
voyés des puissances étrangères ; ordonner à tous les fournisseurs
et agens de continuer le service chacun dans sa partie ; faire cir-
culer de nombreuses patrouilles dans les rues ; ordonner l'ouver-
ture des boutiques; avoir un approvisionnement de grenades pour
dissiper les attroupemens, c'est le moven le plus efficace ; ordon-
ner d'illuminer les premiers étages une ou deux nuits; nommer
un chef à la gendarmerie, laquelle reprendra sur-le-champ le
nom de maréchaussée ; annoncer, par des proclamations dans
les provinces, le roi comme un père tendre appelé par ses enfans.
» Déployer une grande sévérité contre tout royahste qui se li-
vrerait à des vengeances personnelles ; envoyer des commissaiies
dans les campagnes, pour faire lès approvisionnemens néces-
saires ; donner sur-le-champ à M. de Vauvilliers, la commission
de directeur- général des approvisionnemens de Paris ; réunir
les anciens agens de la police , et les charger de remonter cette
partie si essentielle de l'ordre public ; abolir sur-le-champ les
décades et le comput républicain ; ordonner à tous les iatendans
de se rendre dans les provinces qui leur étaient confit:es avant
la révolution , et nommer des magistrats pour se transporter
dans les provinces dont les intendans n'existeraient plus : ces
administrateurs auraient le titre de préfets royaux, du com-
merce et des maoufactures.
186 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
» Tous ces pouvoirs seraient déclarés n'être que provisoires ,
jusqu'à l'arrivée de sa majesté, etc.
Première proclamation.
> La Providence, toujours impénétrable dans ses décrets, a
pernjis, pour l'instruciion des rois et la punition des peuples, que
le royaume de France fut bouleversé par des factieux, que son
culte, ses lois, son gouvernement fussent anéantis ; que son
cler^jé, sa noblesse, ses magistrats, ses meilleurs habitans fussent
persécutés, expatriés ou massacrés; qu'enfin notre très-hom)ré
seigneur et fr.ère , et une partie de son auguste famille , lussent
victimes de la tyrannie qui remplaçait le gouvernement légitime.
» Celte mêrtie Providence a daigné jeter un regard de commi-
séraiion sur un empire successivement augmenté pendant qua-
torze siècles de prospérité, gouverné par une maison qu'une des-
cendance de huit cents ans rendait assez illustre pour lui faire
espérer un meilleur sort , eu égard surtout aux nombreux bien-
faits qu'elle s'est plu dans tous les temps de verser sur les Fran-
çais. Leurs yeux se sont ouverts, leurs cœurs se sont attendris, ils
sont revenus aux senlimens d'amour pour i^ur légitime souverain,
sentimens qui les distinguaient parmi toutes les naiions. Ils ont
rassemblé les débris dispersés de notre trône , et, reconnaissant
nos droits aussi sacrés qu'imprescriptibles à la couronne hérédi-
taire d.jns notre maison, ils nous l'ont rendue par esprit de jus-
tice , et dans la persuasion sans doute que nous ne la laisserions
ni vaciller, ni flétrir sur notre front.
» Nous en prenons l'engagement solemnel en présence du
Très -Haut, qui seul dispose des empires et du cœur des sujets.
Plus cette couronne fut souillée par des mains impures et sacri-
lèges qui osèrent la briser, plus nous ferons d'etïorts pour lui
rendre son éclat et sa dignité, persuadé que les Français nous
seconderont , et par un redoublement de fidélité effaceront la
tache que la fureur révolutionnaire a in)primée à ce nom qu'ils
avaient porté jusqu'alors avec un légitime orgueil.
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 187
> De notre côlé , mettant en oubli l'égarement d'un peuple
entraîné par le torrent des factieux, séduit et trompé par des am-
bitieux qui ont osé porter leurs attentats jusqu'à la Divinité, n'é-
coutant que l'affection qui nous a été transmise par nos ancêtres
pour df^s sujets toujours dignes de ces senlimens quand ils sont
rendus à eux-mêmes, loin de signaler notre avènement par l'appa-
reil des vengeances en monarque irrité, nous ne voulons leur
montrer que le père tendre et indulgent, qui, satisfait du repen-
tir de ses enfans , impose silence à sa justice pour répandre sur
eux tous les trésors de la clémence.
» Oui , Français , nous vous pardonnons avec autant de plaisir
que vos tyrans en éprouvaient à vous immoler. Que ce soit ici le
dernier souvenir qui nous reste d'eux. Abandonnons-les à la
main invisible et toute-puissante qui a déconcerté leurs horribles
projets. La justice du Dieu vivant ne ressemble pas à celle des
hommes , abandonnons-lui les coupables ; seul il pftit lire dans
leurs cœurs, apprécier le repentir et punir l'endurcissement.
» Pleins pouvoirs. — Le roi donne pouvoir aux sieurs Brottier
et Duverne-de-Presle , ses agens à Paris , d'agir et de parler en
son nom , en tout ce qui concerne le rétablissement de la monar-
chie. Ils pourront se donner un adjoint à leur choix qui parta-
gera leurs fonctions et leurs pouvoirs. lis devront faire en com-
mun tous les actes relatifs à leur mission, à moins que l'un d'en-
tre euî^ne soit autorisé par les deux autres à agir séparément
dans les cas dont ils seront convenus. Ils courront choisir les
agens secondaires dont ils croiront devoir se servir, et en tel nom-
bre qu'ils jugeront nécessaire , le tout à la charge par eux de se
conformer aux instructions annexées au présent pouvoir.
Fait à Véronoe, le 25 du mois de février, l'an de grâce, i 796, et de
Dotre règne le premier. „ ^
Signé , Loujs.
» Instructions. — Je suis bien aise, messieurs, que les circonstan-
ces, en vous mettant à portée derendre votre zèle de plus en plus
utile à mon service , me donnent aussi le moyen de vous prou-
ver davantage ma confiance. Vous trouverez l'ensemble et les dé-
188 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
tails de rimporiante mission que je vous confie, dans les plans ,
instructions et pouvoirs que je vous envoie. Mais il y a d'autres
points sur lesquels vous pouvez me servir utilement, et que je me
suis réservé de vous expliquer moi-même daos cette lettre. La
division qui s'est glissée entre les chefs de l'armée catholique et
royale est la chose la plus pernicieuse qui puisse exister. Cette di-
vision cessera bientôt, j'espère , par l'arrivée de mon frère, mais
en attendant il peut en résulter bien des maux. Les ordres que je
vous donnerais pour que tous ces chefs en reconnaissent un d'en-
tre eux pour leur chef suprême, loin d'y porter remède , ne fe-
raient qu'aggraver le mal. C'est en engageant M. de Charette à
ne pas prétendre au commandement suprême , et en amenant les
autres chefs , non pas précisément à lui obéir, mais à se confor-
mer à ses avis qu'on peut faire de ces différentes parties un tout
vraiment utile. J'écris à MM. de Charette et Slofflet que j'attends
de leur at||ichement à ma personne, qu'ils se prêteront aux
arrangemens (\ue le bien de l'état exigera d'eux.
* C'est à vous et à M. Mousiier avec lequel vous vous enten-
drez à vous conduire de manière à ne pas blesser cet amour-pro-
pre, et cependant à parvenir au but que je me propose; cette
mission est délicate, mais je suis sur que vous la remplirez par-
faitement. J'approuve que M. d'Antraigues continue à être le ca-
nal de votre correspondance avec nioi ; il conservera vos origi-
naux. Je vous autorise à donner aux autres chefs la même auto-
risation que je donne à M. de Charette pour les croix ûe Saint-
Louis, plaques de soldats et commandemens.
» Mémoire. — Le roi a appris avec la plus grande satisfaction
que ses aj^ens à Paris, en s'occupaut efficacement des moyens de
rallier à lui les membres des deux conseils, n'ont jamais cessé
d'avoir en vue l^rajid but vers lequel doivent se réunir tous les
intérêts bien entendus.
» C'ett vers un régime destructif des anciens abus qu'il fautdi"
riger tous les efforts en donnant les assurances les plus tranquil-
lisantes des intentions invariables du roi. Il est trois principaux
moyens d'accroître l'influence du parti royal ; écarter des admi-
AU 30 FLOR. AN V (1790-1797). im^
nistrations les chefs des régicides et des Jacobins , travailler à as-
surer le succès des nouvelles élections, gagner ie plus grand nom-
bre qu'il sera possible des membres du parti connu sous la déno-
mination du Ventre.
» Les plus récentes notions sur la situation actuelle des deux
conseils rendent ce troisième point bien important. Le roi vou-
drait que vous lui fissiez parvenir des éclaircissemens sur la con-
sistance du parti dont vous lui annoncez les intentions , et sur sa
connexion avec une des deux armées principales.
» Le roi approuve les tentatives faites pour ramener K c , V a,
A c, D 1 , B. D B. , T D, A h , E r, A f. Si les provinces dans les-
quelles ils se trouvent ne présentent pas les moyens de fournir à
l'entretien du corps des troupes qui s,e sera déclaré, vous les ré-
clamerez du ministre britanniquei, mais sans vous écarter des
instructions que vous avez déjà.
> Sa majesté approuve la commission que vous avez donnée à
M. de Rochecot, mais il importe de faire en sorte qu'on ne prenne
à regard de M. Puysaye qu'un parti tellement justifié par la né-
cessité , qu'il n'indispose pas ceux des ministres anglais qui se
sont déclarés ses protecteurs. Elle approuve aussi tous les chan-
gemens que ses agens croiront nécessaires pour l'exécution du
plan général dont lenchaînement leur a été tracé.
> Quant à l'envoi d'un prince de son sang dans la Vendée , sa
majesté va s'occuper de cet objet si important ; mais avant que de
donner à M. le duc de Bourbon, comme précurseur de Monsieur,
ses ordres définiiif^ ; elle veut que vous lui développiez les moyens
de prudence qui seront employés pour ne pas se compromettre
inutilement.
A Blankembourg, le 24 novembre i 796.
» Signé , le duc de la Vauguyon.
Observations pour remplir ie gouvernement provisoire.
» Affaires étrangères, M. Henin , ancien premier commis.
» L'intérieur, laisser Bénézech.
» La marine, M. de Fienrieu.
191) DIRECTOIRE. — DU 4 BRLM. AN IV
» La justice, M. Siméon ou Baresseux.
» Les finances , M. Bénignoi de la Grange, rue St. Florentin,
vis à vis i'hôiel de l'infamado ou M. Barbé-Marbois qui a été in-
tendant à Saint-Domingue et qui passe pour honnête homme.
» Ponts-et-chaussées , Th. de la 3Iillière.
> Subsistances, M. de Yauvilliers.
* Commissaire-général des prisons, M. Sourdas.
» Police, laisser Cochon. On y mettra Portalis ou Siméon , si
Baresseux est à la justice. Cochon ayant voté la mort du roi effa-
roucherait trop les royalistes et n'attirerait pas leur confiance. >
Inteirogatoires de la Vîlleiirnois,
f Nous , administrateur^ du bureau central , etc.
Demande. Vos nom , prénoms, pays de naissance, demeure
et profession.
Réponse. Charles-Honorine Berthelot de la Villeurnois, âgé
de quarante-sept ans , natif de Toulon , ci-devant maître des re-
quêtes, à présent sans étal, demeurant rue Culture-Sainte-Ca-
therine , n. 520.
D. En quel endroit avez-vous été arrêté et à*quelle heure?
R. A l'École-Mifitaire , à onze heures du matin.
D. Pourquoi y éliez-vous?
R. Pour y faire une visite au C. Malo qui m'en avait prié.
D. Quelle était la nature d'affaire qui avait déterminé le C. 3Ialo
à vous donner ce rendez-vous, et l'avez-vous trouvé à l'École-Mi-
fitaire?
R. J'ai trouvé le C. Malo , et j'ai resté chez lui environ une
demi-heure.
D. Savez-vous pour quel motif vous avez été arrêté?
R. On m'a lu le mandai d'amener en vertu duquel j'ai été mis
en arrestation , mais je ne m'en rapp* lie pas les causes.
D. Lors de voire airestalion, a-t-on saisi sur vous quelques
pa[)itTs?
R. On en a saisi une certaine qiianliié que j'ai signés et que je
reconnaîtrai lorsqu'on me les représentera.
AU 30 FLOR. AN V ( i79o-1797 ). 191
D. Reconnaissez -vous les pièces que nous vous représentons ; la
première commençant par ces mots ; «Poser des corps-de-gai de»
et finissant par ceux-ci : « Les puiisancts étrangères. > La se-
conde portant en tête ces mots : « Ordonner à tous les fournis-
seurs, » terminée par ceux-ci ; « Ceux qu'on ne peut conserver
sans danger. » La troisième ayant pour titre : « Première pro-
clamation » , commençant par ces mots : < Louis et la Provi-
dence , » et finissant par ceux-ci^ « Punir l'endure ssement. > La
quatrième commençant : « Faites garder avec honneur, » et fi-
nissant : « D'envoyer sans délai à sa cour. > La cinquième , da-
tée du 25 janvier 1797, d'un endroit dont on a déchiré le mor-
ceau, adressée à M. Eiienne. La sixième commençant : « Les af-
faires étrangères, » finissant : «N'attirerait pâs leur confiance. »
La septième qui est une lettre datée de Calais dont la suscripiion
a été effacée. La huitième qui est une lettre ailrej^sée au C. La-
villeurnois. Lï neuvième qui est une lettre adressée à mademoi-
selle 3Iore. La dixième , une autre lettre contenant des détails
de ménage. La onzième portant pour titre : « Portrait de
Louis XVI , » commençant par ce vers :
Ce prince infortuné qu'une sévère loi.
et finissant par ceki-ci :
S'il ne parut réguer, au moins il sut mou rir,
R. Je reconnais toutes ces pièces.
D. Voulez-vous nous dire, citoyen, quel a été l'objet de la
première pièce que vous venez de reconnaîire, et dans quelles
intentions a été conçu le plan qu'elle renferme?
R. Comme on parlait beaucoup de mouvemens jacobins et de
ceux de lu faction d'Orléans qui paraissaient coïncider pour dé-
iruiie le gouvernement de France, j'ai pensé que, si ce boule-
versement avait lieu, l'anarchie qui lo suivrait serait pire que ia
commotion mé.iie, et que tous l^s bons citoyens devaie- 1 s'oc-
cuper des moyens de substituer un gouvernement sige à celui
qui ne subsisterait p!us. Dans ces vues, j';ii e sayé de réunir,
dans un table »u général , les grandes masses ue l'aJminislr.ition
1V):2 niRECTOlRK. — DL 4 BRUM. AN IV
dont il est essentiel de ne pas hiisser briser les ressorts. J'ob-
serve que je n'ai pas tracé un plan de contre-révolution ; mais que
la rédaction de mes idées part du moment où cette contre-révo-
lution aurait lieu d'une manière quelconque.
D. La proclamation a-t-elle été rédigée dans les mêmes prin-
cipes ?
R. C'est un canevas de ce que je crois êire la voie la plus sage
pour rallier autour de l'aîné desfrères de Louis XVI les Français
dans un moment où une faction quelconque serait parvenue à
changer le système du gouvernement actuel.
D. Il paraît cependant que ces pièces caraclérisent un plan
combiné de manière que vos mesures étaient prises pour en ame-
ner l'exécution.
R. Ces dilïérentes idées sans liaison entre elles m'ont été sug-
gérées par une conversation que j'ai eue précédemment avec le
C. Malo qui^me parlait du danger de rester sp'ectateur pure-
ment passif des mouvemens extrêmement alarmans des anar-
chistes et des orh'anis!es. Il me disait «que si le gouvernement ac-
tuel était détruii la France serait de nouveau inondée de sang ,
saturée de crimes et finirait peut-être par tomber en dissolution.»
D. Avez-vojjs soumis votre plan au C. Malo J
R. Hier, il m'avait indiqué un rendez-vous pour lui communi-
quer mes idées. C'est hier malin que je les ai écrites à cinq
heures.
D. Assurez-vous n'avoir vu le C. Malo que deux fois?
R. Oui.
D. Comment avec les talens que vous paraissez avoir avez-
vous pu confier un projet de cette importance a un homme que
vous ne connaissez presque pas?
R. La conduite tenue par le C. 3Ialo, lors de l'attaque du
camp de Grenelle, a dû donner une haute idée de lui à tout ce
qui n'était pas jacobin.
1). Pourquoi dans votre projet annoncez-vous qu'on peut
compter sur les habiians de Vincennes?
R. Cet article, comme tous les autres, ne sont que des idées
AV e'SO FLOR. AN V ( 1795-1797). 195
jetées en masse, et qu'il aurait été nécessaire de dégrossir. Mes
assertions sont le résultat de ce que j'ai entendu dire dans le pu-
blic, je n'ai rien vérifié sur les lieux.
D. Si vous n'avez jamais eu d'autre idr'e que de substituer un
gouvernement dans un cas de contre-révolution antérieure ,
pourquoi l'ariicle onze de votre projet est-i! ainsi conçu : * S'il
échappe un des directeurs, et que la promesse de l'amnistie ne le
ramène pas, il faut mettre sa tête à prix?
R. Mon canevas ne présente que des masses à élaborer pour
remplacer un gouvernement qui n'existerait plus.
D. Comment, n'ayant que des inienlions non hostiles, avez-
vous annoncé qu'il serait bon de consigner les membres des deux
conseils à la garde des propriétaires, principaux locataires et
portiers de leur domicile, d'empêcher la réunion de ces mem-
bres et de leur inspirer de la terreur?
R. La désunion existante, non-seulement dans les deux con-
seils , mais dans ^intérieur du conseil des cinq-cents , où les
Montagnards ont pris un ascendant fait pour effrayer les amis de
l'ordre, m'a fait penser qu'il serait essiniiel de trouver une me-,
sure pour empêcher les effets terribles de cette scission dans un
moment d'explosion. Quant au mot «erreur, je n'ai prétendu l'ap-
pliquer qu'à ceux entre les nains desquels elle a été une arme si
terrible pour nous.
D. Quel est le C. Débard dont vous parlez dans un article de
votre plan?
R. Je Tai connu, il y a vingt-trois ans , major du guet à che-
val; je l'ai perdu de vue , je l'ai vu citer dans les journaux , il y a
trois semaines , comme & ynnl proposé au ministre de la pi lice un
plan relatif à rorgani>>îaiio;i économiqut' de la garde de Paris, .le
sais qu'il demeure dans le faubonrfi;Saint-IIonoré; mais j'ignore
sa demeure précis^.
D. Connaissez-vous particulièrement les individus désignés
dans la pièce numéro 0, ei quel est le citoyen Etienne qui a reçu
ou doit recevoir des lettres sous le couvert des citoyens Ber-
trand et Lachaussée, marchands de chevaux ?
T. xxwii. 15
194 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
R. Je ne connais ces citoyens que de réputation. Ëiienne est
un nom qu'on me donne dans certaines sociëlës.
D. Quels sont les deux citoyens qui ont été arrêtés en même
temps que vous?
R. L'un s'appelle Brotiier, je le crois ecclésiastique, l'autre se
nomme Dunan, je le crois né^fociani.
D. Ces deux citoyens vous ont-ils accompagné chez le C. Malo
dans les deux entrevues ?
R. Le C. Brottier était avec moi à ma première entrevue avec
le G. Malo ; hier les citoyens Dunan et Brottier étaient également
avec moi.
D. Ces deux citoyens sont sans doute instruits de votre projet?
R. Le C. Brottier en est instruit.
D. Connaissez-vous le C. Laborrière? Quel'e est sa qualité ?
R. 11 est chef-de-brigade, commandant l'artillerie àTÉcole-Mi-
litaire ; je l'ai vu deux ou trois fois et ne lui ai donné aucune con-
naissance de mes idées.
D. Ce n'est donc pas vous qui avez désigna ce citoyen comme
devant être un instrument actif pour Texécution de votre piqjet?
K. Non, citoyen.
D. Reconnaissez-vous ce paquet sous euveloppe, ainsi que le
caclkCt du commissaire de police de 1^ section du Muséum , H le
vôtre pour être le même qui a été fait en votre présence au mo-
ment (le la perquisition f tiie chez vous , et les cachets pour être
sains et entiers, elles diflérenies pièces qu'ils coniienneut?
R. Oui , citoyen.
D. Connaissez-vous le rédacteur des observations faisant partie
de ces pièces?
R. C'est le C. Renaud, ancien avocat ; j'ignore sa demeure ac-
tuel le.
1). De quelle nature sont vos liaisons avec les citoyens Jîroitier
et Dunan? Vous ont-ils fait des ouvertures qui se rapprochent
de votre projet ?
R. Je connais le C. Brottier depuis dix mois; j'ai vu chez lui
AU 30 FLOR. AN V ( 4795-1797 ). 195
, le C. Dunan il y a quatre mois. Broitier m'a communiqué ses
idées qui se rapprochent des miennes.
D. Ce citoyen vous a-t-il communiqué pour la première fois la
pièce finissant par ces mots : < Le duc de La Vauguyon,» Blankem-
bourg, le 24 novembre 1796, au pied de laquelle sont ces expres-
sions : € J'approuve le contenu que M. le chevalier Duvernet trans-
mettra à ses collègues. »
 Blankembourg, ce 24 novembre 1796.
Signé, Louis.
R. Elle a été lue chez le C. Malo par extrait.
D. Le G. Brottier vous a-t-il communiqué la pièce commen-
çant par ces mots : «Le roi donne pouvoir,» et finissant par ceux-
ci ; « De notre règne le premier, signé Louis ? »
R. Elle a été lue chez le C. Malo.
D. Connaissez-vous l'écriture de cette pièce?
R. Elle est d'une écriture sembable à celle que j'ai vu ancien-
nement et qu'on m'a dit être du comte de Provence.
D. Le C. Brottier vous a-t-il communiqué une lettre datée de
Véronne commençant par ces mois : « Je suis bien aise, mes-
sieurs, > et finissant par ceux-ci : t Tous mes autres sentimens
pour vous. Signé Louis? »
R. Il en a été lu hier une partie chez le C. Malo.
D. Connaissez-vous le comte de Rochecot?
R. Je le connais pour avoir été chef d'une armée insurgée.
D. Comment pouvez-vous assurer que vous n'avez jeté des
idées au hasard que pour substituer un meilleur ordre au gou-
vernement actuel s'il venait à être renversé par une ou plusieurs
factions, puisqu'il résulte des pièces que voire projet était orga-
nisé de manière à placer sur le trône le ci-devant comte de Pro-
vence , et que vous avouez avoir une connaissance particulière
des pièces sij^nées de lui , contenant les ordres qu'il a donnés
pour mettre ce plan à exécution dans le plus court délai?
R. Le développement de mon projet ne pouvant s'opérer que
dans I9 destruciion du gouvernement actuel, j'ai désiré de savoir
s'il y avait des pouvoirs de celui que les royalistes appellent
i^^ blREi.TôlRE. •- l»t 4 B1ll>r. AN l^
Louis XVill , parce qu'alors je me serais dévoué pour hïrv ,
triompher ses droits légitimes , de préférence aux prétentions de
tout usurpateur.
D. Avez-vous connaissance que le C. Broliier ait été lié avec le
C. Malo avant votre entrevue commune chez ce dernier ?
R. Non, mais je sais que le C. Dunan avait eu une entrevue
avec le C. Malo la surveille de notre arrestation.
Interrogatoire d'André-Charles Brottier, mathématicien ^ ex-prê-
tre, âgé de quarante-six ans, natif de Tannay, département de
la Nièvre, demeurant à Paris , rue de l'Egalité , n. 4, division
du, Luxembourg.
D. Où et pour quel motif avez-vous été arrêté, et chez qui
éliez-vous alors ?
R. J'ai été arrêté hier après-midi ù l'École militaire soi rant de
chez le C. Malo, parce qu'on me supposait porteur de papiers
qui ont été trouvés sur moi.
D. Pourquoi vous étiez-vous rendu chez le C. Malo?
R. Parce qu'on m'avait dit qu'il serait bien aise de m'entendre
sur les moyens de réconciliation et de rapprochement du gou-
vernement actuel avec le roi.
D. Reconnaissez-vous une pièce numérotée 5, finissant par ces
mots : « J'approuve le contenu de cette instruction que M. le
chevalier Duvernet iransmetira à ses collègues. Signé Louis? »
Ètes-vous en éiat d'expliquer ce que signifient ces mots Ke. Va, Ac,
Dl, Tf , Ak, Dr, et Af; connaissez- vous l'écriiurc qui se trouve
au bas de la pièce dans laquelle sont les mois ci-dessus cités?
R. Je connais cette pièce comme ayaol été trouvée sur moi ;
je ne connais pas la si^jnifiraiion des mois placés dans la pièce;
l'écriture qui se trouve au pied C(>rWvn.iiu l'approbaiioii de l'in-
struction est de la main du roi.
l). Connaissez- vous la pièce commençant par ces mots : € Le
roi donne pouvoir, » ei finissant par ceux-ci : t De notre règne
le premier, signé Louis, » ainsi qu'une lettre datée de Véronne?
R. Je connais ces deux f jèces pour être en eriier ('criies de la
AU 50 FLOR. AN V ( 179ol797 ). 197
maio du ci-devant comte de Provence, et être signées par lui.
D. Est-ce à vous que ces pièces ont été adressées?
R. Oui, citoyen.
D. Vous vous déclarez donc l'agent du prétendant à la cou-
ronne ?
R. Je ne me déclare point cet agent, mais les pièces trouvées
sur moi me déclarent cet agent.
D. Reconnaissez-vous Je reçu de 25 louis signé Kochecoi? Quel
est le C. Zozime dont un reçu de loO louis a été trouvé sur vous?
R. Je reconnais ces reçus , mais je ne sais comment ils se sont
trouvés dans ma poche.
D. Y a-t-il long-temps que vous connaissez le C. Malo?
R. Je ne l'ai vu que le jour de mon arrestation.
D. Comment, ne connaissant pas ce citoyen, lui avez-vous
l'ait confidence de vos projets?
R. Parce qu'il m'a assuré qu'il était dans des dispositions pro-
pres à en accélérer ie succès.
D. Avez-vous connaissance d'un plan proposé par le C. Lavil-
leurnois?
R. 11 m'a été communiqué chez le C. Malo; j'en ai donné lec-
ture, le C. Malo a paru le goûter ; pour moi , je ne pouvais l'ap-
prouver, les instructions qui m'ont été données par Louis XVII l
y étant contraires.
D. Quelle est la troisième personne qui s'est trouvée avec vous
chez le C. Malo. ^
R. Le C. Dunan sur lequel je ne peux ni ne veux donner des
renseignemens.
D. Avez-vous connaissance de la liste des dilïérenles person-
nes désignées dans la note comme devant être employées en qua-
lité de ministres dans le nouvel ordre de choses ?
R. Elle a été lue en ma présence.
D. Y a-l-il long-temps (|ue vous êtes en oorrespoudance avec
Louis xvm?
R. Depuis le H^y février 179(3.
I). N'avez-vous pas été impliqué dans l'affaire do Lemaîtro ?
198 DIRECTOIRE. — DU 4 BRtM. AN IV
R. Ce dernier m'a dénoncé, mais j'ai été acquitté et mis en
liberté.
Inlerrogaloire de Théodore Dunan , âgé de trente-trois ans , épi'
cier en gros , natif de Saint-Saulges , département de la Niè-
vre ^ demeurant à Paris, comme citoyen, rue de l'Oursine,
n, % et comme épicier , rue Notre-Dame-des-Cliamps, n, 1481.
D. Où avez-vous été arrêté , pour quels motifs , d'où sorliez-
vous alors?
R. Dans une des cours de l'ÉcoIe-^Iiliiaire, en sortant de l'ap-
partement d'une personne que je ne connais pas.
D. Connaissez- vous les deux citoyens qui étaient avec vous?
R. Je connais le C. Brottier ; à l'é^jard du C. Lavilleurnois ,
c'est la seconde fois que je l'ai vu.
D. Pour quel motif vous êtes-vous rendu à l'École militaire?
R. On m'a demandé si je pouvais faire une fourniture d'eau-
de-vie.
D. N'y a-t-il pas été question d'autre chose en votre présence?
R. Non.
D. Quelle était la destination de celte fourniture ?
R. Je l'ignore.
D. S'agissait-il d'une quantité considérable à fournir?
R. On m'a demandé si j'en avais sans m'annoncer la quantité.
D. Êtes-vous arrivé à l'École-Militaire avec les citoyens Brot-
tier et Lavilleuroois ?
R. Je suis arrivé stul.
D. Avez-vuus entendu la conversation qui a eu lieu entre les
citovens Brottier, Lavilleurnois et Malo'^
R. Non.
D. Connaissez-vous le C. Malo ?
K. Je ne le connais pas.
D. Il est bien étonnant que vous vous soyez rendu avec les
citoyens Lavilleurnois et Brottier chez le citoyen Malo , sans sa-
voir chez qui devait avoir Wn le rendez-vous ?
AU 50 FLOR. AN V ( 1795.1797 ). 199
R. J'avais fourni quelques bouteilles d'eau-de-vie au citoyen
Brottier, je cherchais l'occasion d'en vendre par son entremise
une plus grande quaniité.
D. Vous n'avez donc aucune connaissance des pièces lues chez
le citoyen Malo ?
R. Non. Je me suis tenu dans un heu écarté pendant la durée
de cette conférence à laquelle je n'ai été admis que pour raison
de la fourniture d'eau-de-vie qui m'avait été proposée.
D. Ètes-vous resté dans la chambre où étaient réunis les ci-
toyens Lavilleurnois, Brottier et Malo, pendant que le citoyen Brot-
tier y a fait lecture du plan rédigé par le citoyen Lavilleurnois?
R. J'étais dans cette chambre , mais je n'ai point écouté la lec-
ture de ces pièces.
D. Qu'avez-vous à répondre aux citoyens Brottier et Lavil-
leurnois qui assurent l'un et l'autjre que la lecture de cette pièce
a été faite en votre présence ?
R. Je conviens que ces citoyens et le citoyen dans la chambre
duquel nous étions ont eu ensemble une longue conférence, mais
je n'y ai point pris part.
D. A quel endroit avez-vous vu le citoyen Lavilleurnois la pre-
mière fois ?
R. Au jardin du Luxembourg. Je ne répondrais pas que^je ne
l'eusse vu avant chez le citoyen Brottier, mais je l'ai vu au Luxem-
bourg sans le connaître positivement.
D. Votre entrevue au Luxembourg avec le citoyen Lavilleur-
nois était-elle concertée?
R. Elle était l'effot du hasard. Le citoyen Brottier m'a de-
mandé, en présence du citoyen Lavilleurnois, si je croyais pou-
voir faire une fourniture d'eau-de-vie , je lui ai répondu que je la
ferais quand il voudrait.
D. Connaissez- vous le paquet que nous vous représentons,
ainsi que trois cachets ponant votre empreinte gravée de la let-
tre D pour être celui qui a été fait dans votre ;)ppartement aM
momet de la perquisition ?
R. Oui, citoyen.
tiOO DIRECrOlRt. — DL 4 KKLM. A.N IV
D. Y a-l-il long-temps que vous éies de retour de !a Suisse? y
avez-vous emmené votre famille? et qu'éiiez-vous ailé faire dans
ce pays ?
R. J'étais allé en Suisse pour affaires de coinmercp; j'avais em-
mené ma femme , j'en suis revenu au mois d'août 1796.
D. Quel est le citoyen Audebert? e^i-il dans une situation aisée?
connaît-il le citoyen Brottier?
R. C'est un jaidiuier fleuriste , rue de l'Oursine, il n'e^t pas à
son aise. Le citoyen Brotfier le connaît cl a pu lui prêter quelque
argent. ^
D. Quels sont les pariiculiers qui se sont présentés chez vous
au moment de votre arrestation, qui étaient armés d pistolets
et qui ont désarmé le factionnaire?
R. Je ne les connais pas.
Interrogatoire t/e .Frédéric Poly, âgé de vingt-six a«s, négociant
fabricant, natif de Guntcrblum , domicilié à Sainte-Mamelle ,
département de la Haute-Garonne ^demeurant à PariSy faubourg
Saint'Denis , rue des Petites-Ecuries.
D. De quelle espèce est votre fabrique? y a-t-ii long-temps
que vous êtes à Paris, avez-vous un pasî^e-port?
R. C'est une verrerie; je suis à Paris depuis cinq semaines ;
j'ai un passe-port.
D. Pour quel motif avez-vous éié arrêté, et qu avez-vous à
répondre aux inculpations qui motivent votre mandat d'amener?
R, Je n'ai aucune connaissance de ces inculpations.
D. Connaissez-vous le citoyen Clerget, rédacteur du journal
des Élections? savez-vous sa demeure? avez-vous avec lai des
liaisons particulières?
R. Je le connais jour l'avoir vu une ou deux fois chez moi ; je
crois qu'd demeure rue Saint-Lazare , au coin de celle des Trois-
Frères.
D. Connaissez-vous le citoyen Gavaux, ancien militaire?
R. 11 est possible que je l'aie vu , mais je ne sais pas son nom.
AU 30 FLOR. AN V ( 179o-1797 ). iai
D. Ne s'est-il pas présenté chez vous avec une lettre du ci-
toyen Clerget qu'il vous a remise?
K. Je n'en ai aucune connaissance.
D. Nbus vous déclarons cependant que ie citoyen Gavaux at-
teste formellement avoir été chez vous le 6 de ce mois, à midi,
et vous avoir remis une lettre du -citoyen Clerget.
R. Je persiste dans la denéi^aiion que j'ai faite ci-dessus.
D. Ne luiavez-vous pas proposé de ses vir la cause de i.ouisXVllI
moyennant la somme de 4 louis par mois , lui donnant l'espoir,
si vous réussissiez, de le récompenser amplement? n'avez- vous
pas ajouté que, moyennant une somme de 24,000 louis qui devait
arriver le même jour ou le lendemain, vous comptiez gagner les
grenadiers du corps législatif et les troupes cantonnées à Paris?
R. Je nie absolument d'avoir dit rien de tout cela au citoyeD
Gavaux et j'assure qu'il n'est jamais venu chez moi.
D. Où et comment avf z-vous passé la journée du 4 de ce mois?
R. Je vais souvent chez le citoyen MaiHane ; il est possible que
j'aie passé chez ce citoyen une partie de cette journée, mais je
ne me le rappelle pas.
D. Vous souvenez-vous des personnes qui y sont venues, tant
en cabriolet qu'en carrosse ?
R. Je ne me le rappelle point.
D. Où avez^vous passé la journée du o de ce mois?
R. Je ne m'en souviens pas.
D. Savez-vous ce que vous avez fait le 6?
R. Je vais presque tous les jours chez le citoyen Maillane.
D. Avez-vous dîné chez ce citoyen le 6 janvier dernier { vieux
stvle), avez-vous tiré le roi de la fève et crié vive le roi? n'v
avait-il pas au nombre des convives un représentant du peuple ?
R. On a mangé un gâteau , tiré la fève, on a dit : le roi boit ;
mais je n'ai point entendu crier vive le roi ; il est possible qu'il y
ait eu un représentant du peuple parmi les convives , je ne sau-
rais l'assurer.
D. N'avez-vous pas été voir, le 7 nivôse, le citoyen Ramel ,
commandant des grenadiers du corps législatif? lui avez-vous
^2 DlRECTOlRIi. — DU 4 BRUM. AN IV
tait une seconde visite le li2, ne lui avez-vous pas écrit pour l'en-
gager à venir dîner chez vous?
R. Oui , citoyen ; il n'a pas pu venir dîner chez moi ; mais il
m'a invité à manger sa soupe , ce que j'ai accepté. *
D. Quel a été l'objet de voire conversation ? Ne lui avez-vous
pas parlé des cinq Sires , de Louis XVI II , d'un projet de le réta-
blir sur le trône ?
R. Je ne m'en rappelle pas.
D. Par suite de votre conversation , n'avez-vous pas annoncé
que les premiers actes de Louis XVllI seraient une amnistie gé-
Dérale , mais que le parlement installé , prétendant que le roi n'a
pas le droit de taire grâce , décréterait de prise de corps tous les
hommes qui ont sacrifié leur vie et leur liberté pour marcher
sous les étendards de la liberté?
R. Je m'en rappelle pas.
D. Connaissez-vous les citoyens Lavilleurnois, Dunan , ancien
mousquetaire, et Brottier, mathématicien?
R. Je n'en connais aucun,
D. Quel motif vous avait déterminé à vous rapprocher du ci-
toyen Ramel ?
R. Je voulais lui rendre compte de quelques propos qu'on te-
nait sur lui.
D. Connaissez-vous le citoyen Malo, vous êtes- vous trouvé
avec lui ?
R. Oui , je me suis trouvé avec lui chez ie citoyen Ramel. R
est venu chez le citoyen Rauiel le jour où j'y ai dîne.
D. Connaissez- vous quelqu'un au directoire executif, ne vous
êtes-vous jamais vaulo dans la société que vous avez un accès fa-
cile au dii ectoire et (|ue vous obtenez aisément des radiations de
liste des émigrés?
R. iN'on , mais j'avais une lettre de recoinmandalioii pour le ci-
toyen Carnoi ; je ne l'ai jamais remise.
D. N'étes-vous pas aile, le 8 pliiMos?*, dans une fnaison , rue
des Saints-Pères? quel est le nom de la pe; sonne que vous y alli( z
voir, cl (|u<'l était le sujet de vos conversations ?
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 203
R. J'ai été chez le citoyen Garnier, de l'Aube ; on y pailait du
fort de Kehl; j'ai observe qu'il était étonnant que ce lortse fût
rendu, à raison du rafraîchissement de troupes qu'on pouvait lui
fournir.
D. Gonnais>ez-vous un nommé Labarrière, chef d<i brigade,
commandant l'artillerie à rÉcole-Militaire ?
R. Je ne le connais pas. •
D. Pourquoi ne prenez-vous pas la qualité de baron de Poly,
que vous paraissez avoir d'après le consentement qui vous a été
donné le 16 juillet 1791 (vieux stylej, par Fréderic-Louis , ba-
ron de Poly, votre père, et Caroline, née baronne de Nimptel,
votre mère?
R. Parce que, quoique étant né dans le Palatinat , étant natu-
ralisé Français par mes services militaires, je me suis conformé à
la Constitution.
D. En quel temps avez-vous quitté le régiment de Hesse-Darms-
stad, où vous étiez employé comme officier ?
R. Je suis entré en 1792 dans le régiment ci- devant Conii , in-
fanterie, en qualité de heutenant.
Interrogatoire de Jean-François Debar, général de brigade , ci-
devant chef de la légion de police , demeurant rue de la Ville-
l'Èvêque, n° 1056.
D. S'il connaît le citoyen Lavilleurnois , et s'il l'a été voir de-
puis la révolution ?
R. Qu'il le connaît depuis trente ans, qu'il l'a été voir depuis
la révolution , à l'occasion d'ua ci-devant gendarme que le ci-
toyen Lavilleurnois désirait placer dans la légion de police.
D. Si le citoyen Lavilleurnois ne iui a pas communiqué son plan
de contre-révolution?
R. Qu'il ne lui en a jamais dit un mot.
D. S'il connaît les citoyens Labarrière, Po'y et Rrottier?
R. Qu'il ne les connaît pas.
l). S'il connaît un nomaié Duvernes-Depresle ?
R. Qu'il a connu, mais fort peu, un ancien mousquetaire qui
"204 DJRtCTUIRt. — DU 4 BRlAl. AN IV
se nommait Depresie, mais qu'il ne siit pas ce qu'il est devenu.
D. Si Lavilleurnois ou Broitier ne lui ont point communiqué le
plein pouvoir qu'ils avaient reçu du prétendu Louis XVIIÏ, par
lequel celui-ci les autorisait d'agir et de parler en son nom, en ce
qui concernait le réiablissemenl de la monanhie, et de s'adjoindre
à ce sujet qui bon leur semblerait?
R. Qu'aucun de ces individus ne lui a rien communiqué de re-
latif ù cette affaire, et qu'il atteste qu'il n'a pas vu de leur part la
plus petite parcelle de papier. »
— Indépen(iammeni de ces pièces , on lut , en outre , à la tri-
bune des cinq-cents, les rapports des commandans Malo et Ra-
mel. Dans une lettre de Ramel au ministre de la police , on re-
marque ce passage :
« Je vous ai aussi rendu compte, citoyen ministre, que dans
le moment où ces propo.^iiions me lurent faites par Proly, j'éiais
vivement sollicité de me rendre chez M. del Campo, ambassa-
deur d'Espagne , ou chezTallien , député. La IVmme qui me fai-
sait ces propositions a beaucoup insisté ; je n'ai vu là que quelque
basse intrigue à laquelle j'ai toujours cru et je crois toujours que
MM. del Campo et Tallien sont étrangers » {Moniteur,
noCXLVIll, an V.)
— Li lecture de ces pièces provoqua l'une des séances les plus
orageuses que l'on eût vues depuis le conmiencement de la session ;
mais dont les résultais furent tout à l'avantage du parti qui agis-
sait selon les tendances royalistes dans le conseil. — Siméon monta
le premier à la tribune; il s'étonna de voir son nom compromis
dans une affaire de ce genre ; il remarqua que cela ne fût pas ar-
rivé, si quelques-uns de ses collègues avaient été plus sobres de
calomnies, et n'avaient point ainsi donné à plusieurs députés une
réputation de royalisme qu'ils ne méritaient pas. Justice, dit-il en
terminant, si je suis accusé; mais , jusque-là , estime , et je dirai
plus, confiance et amitié. C'est un dédommagement qui m'est
nécessaire pour un pareil outrage ; et je le réclame de vous. —
Siméon fut applaudi ; on proposa de lui accorder une marque de
confiance irrécusable et en conséquence de voler l'impression de
AK 30 FUOR. AN V (J795-1797). 505
son discours à six exemplaires» La majorité approuva celle
mesure.
Après Siméon, vintTallien. Celui-ci se borna à nier qu'il
eût jamais eu les moindres rapports avec l'ambassadeur d'Espa-
gne. On lui cria qu'il ne s'agissait pas de cela ; il n'en continua
pas moins et descendit de la tribune sans avoir dit autre chose,
ïallien , était, depuis quelque lemps, très-suspect aux républi*
cains. La surveillance que l'on avait exercée à son égard à l'oc-
casion delà conspiration de Babeuf, avait prouvé qu'il avait des
relations plutôt avec les hommes soupçonnés d'être agens des
royalistes, qu'avec ceux qui représentaient le parii jacobin. On
ignorait ces choses dans lepublfc ; mais on les savait dans le con-
seil. Ce fut peut-être à cause de cela qu'on lui accorda une fa-
veur semblable à celle qu'avait reçue Siméon. On vota aussi l'im-
pression de son discours.
Alors vinrent les réclamations. Le parti républicain voulut res-
saisir la majoriié. — Gliazal court à la tribune; il s'écrie qu'on
ne peut plus douter de l'existence d'un parti royaliste; que les
royalistes conspirent même sous les couleurs anarchiques; il de-
mande la formation d'une commission spéciale pour examiner le
message du directoire , les pièces de la conspiration , et proposer
des mesures. Adopté. Lamarque pense que le corps législatif doit
faire servir celte circonstance à lanimer la confiarice des républi-
cains : il ne veut, dit-il , se permettre, en ce moment, aucune ré-
flexion sur les rapports qui ont été lus : il fait observer seulement
que ce n'est ni sur les conjectures , ni sur les réflexions politiques
de tel ou tel citoyen, mais sur les pièces originales qu'on doit
juger et caractériser la conspiration : or, elles constatent que les
conspirateurs ne sont pas ce qu'on appelle des hommes aliachés
à la faction d'Orléans , mais bien des émissaires de Louis XVIIl,
des agens des émigrés, des Anglais, Autrichiens, etc. : il vote
pour que les pièces soient publiées avec la plus grande auiheuti-
cité, et envoyées aux dé^pjiiemens et aux orniécs. Leoinle de-
mande l'impression du discouîsde Ln marque, et que sa propo-
sition soit rédigée en forme de résolnî-orr. Hf^nri Larivièro s'v
'MÏG DIRECTOIRE. 7- DU 4 BRUM. AN IV
oppose: il veut que les rapports seuls soient imprimés, parce
quec'tst sur eux seuls que doit porter rinsiruction. t Révoquez
en doute les rapports, dit-il, et des-lors la conspiration ne sera
plus regaidée que comme un jeu. Quelque vaste que soit cette
conspira'ion , elle ne serait rien par elle-Fiiéme, si elle ne s'éta-
blissait sur l'appui d'une foule d'agens secondaires. Sans cette
horde de faciieux anarchistes que les conjurés déclarent eux-
mêmes avoir voulu mettre en avant, je déclare et je proclame,
devant la France entière, que cette royauté si redoutable et si
redouiée , serait sans force et sans moyens... » A ce moment un
tumulte violent interrompt l'orateur; on s'interpelle, on se dis-
pute ; cent membres sont levés , et gesticulent : d'un côté on de-
mande que l'opinant soit rappelé à l'ordre ; de l'autre on le dé-
fend. Le président, Riou , se couvre par deux fois , et augmente
le trouble par la maniète dont il essaie de relevef les expressions
de Henri Larivière; ondemaude la parole contre lui. Enfin , Ca-
mus obtint qu'on passai à l'ordre du jour.
Telle fut la tin d'uue séance qui promettait d'avoir des consé-
quences plus favorables a l'opinion républicaine. La crainte que
les ex-conventionneis avaient de voir entraîner encore une fois la
représentation nationale, leur désir de rendre inviolable le carac-
tère dout ils étaient revêtus, donna la majorité au parti monar-
chique.
Cependant, que pensaii-ou , en général , dans le public de cette
conspiiaiiou ? Si nous de\ons en cioire des écrivains contempo-
rains, la majorité plaignait les conspirateurs; les uns parce qu'ils
pienaitnt leur faiblesse en pitié, les autres parce qu'ils les consi-
déraient couime victimes de quelque intrigue de police. Les élec-
tions éiaieut piochaines; tout annonçait qu'elles seraient dans
le sens de l'opposition ; on croyait donc que le gouvernement ,
pour ranimer l'opinion en sa faveur, avait bien pu pousser quel-
ques malheureux à un acte dout l'absurdité n'échappait à per-
sonne.
Le direcîohe , au contiaire , prenait Taffaire au siTieux ; con-
sidérant les prévenus comme coupables d'embauchage, il les ren-
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). â07
voya par un arrêté devaot une commission militaire. Cette me-
sure donna lieu à de vives réclamations au conseil des cinq-cenis.
Pastoret l'attaqua comme un abusde pouvoir, comme une injus-
tice , comme un précédent que l'on ne pouvait permettre au di-
rectoire d'établir. Dumolard y vit un moyen de diminuer la pu-
blicité du procès. « Il faut , dit-il , que tous ks conspirateurs
» soient connus , et qu'il soit démontré que cette conspiration
» n'est point simple, unique ; qu'elle est composée de divers élé-
> mens, que plusieurs factioift la secondaient : il faut prouver,
» enfin, que vous punirez les royalistes de Louis XYIII, mais que
» vous ne lai.^serez point échapper ceux de d'Orléans. Pour ma
» part, je veux découvrir la vérité. » — Malgré ces observations,
le conseil passa à l'ordre du jour; niais tout n'éiait pas fini.
Les accusés traduits le 28 ventôse (48 mars ) , au nombre de
vingt-deux, dont ^x femmes, devant le tribunal militaire, décli-
nèi^nt sa juridiction et refusèrent de répondre jusqu'à ce qu'il eût
été statué sur leur déclinatoirepar- le corps législatif et le tribunal
de cassation , auxquels ils avaient adressé une pétition. Le tribu-
nal voulut passer outre; mais alors les défenseuis se retirèrent.
La séance fut suspendue ; le président écrivit au ministre de la
justice Merlin de Tbionville; celui-ci répondit aussitôt que le tri-
bunal militaire étant sans appel , n'en pouvait aussi reconnaître
aucun ; que quant aux défenseurs , te vœu de la loi était satisfait
dès qu'ils avaient été choisis, et fait un seul acte de défense, qu'il
importait peu enfin qu'ils fissent de longs ou de courts plai-
doyers. En conséquence , la commission s'autorisant de ceift Itt-
tre , voulut {.rocéder à l'interrogatoire des accusés ; mais ceux-ci
refusèrent encore de répondre. «Nous avons sacrifié notre vie, di-
saient-ils; nous savons que nous périrons;. mais nous devons à
nos en fans et à nos concitoyens l'exemple de la fermeté en l^ce
de l'injustice. »
LcMr refus eut de nombreux défenseurs aux cinq-cents. (Jm
avait nommé une commission pour examiner leur déclinatoire.
JiC rapporteur conclut à l'ordre du jour ; mais ce ne fut qu'après
une vive discussion et après plusieurs séances de débats, qu'il fut
:208 »>iRECTOlRK. -— 1>C 4 BRti\l. AN IV
' enfin adopté. Ainsi , au nom de la justice , par l'eflel de la mal-
adresse du gouvernement , on plaidait pour les accusés au corps
législatif aussi bien qu'au tribunal. Il semblait que cette affaire
ne dût point finir. En effet, le tribunal de cassation, décidant
sur la pétition des accusés, avait ordonné que le jugement de' la
commission militaire par lequel elle passait outre, fût apporté à
son greffe. Le directi ire répondit à cette décision par un arrêté
dans lequel il défendait à tout dépositaire de la force ou de l'au-
torité d'obéir au tribunal decassattun ; et il instruisit les cinq-cents
de cette démarche. Aussitôt Dumolard et Pastoret s'élevèrent
contre ce nouvel abus de pouvoir ; ils demandèrent la censure et
l'annulation de l'arrêté; d'autres membres le défendirent. La
discussion se termina par un ordi e du jour. 11 en en fut de même,
quelques jours après , d'un long mémoire envoyé par le tribunal
de cassation contre l'arrêté du directoire exécutif. •
La conspiration royaliste était ainsi devenue un moyen «ntre
les mains des partis. Le directoire s'efforçait de montrer que cette
conspiration était importante ; ro|)position qu'elle était ridicule
et sans fondement. Presqu'à chaque séance, le gouvernement
communiquait quelque nouvelle pièce; ilenvoya, entre autres, une
proclamation de Puisaye, qui invitait les Vendéens à tenter une
nouvelle insurrection. De son côté , l'opposition faisait grand bruit
d'une émeute arrivée à Toîilouse et d'une pétition des habiians
de cette ville. Des républicains, à la sortiedu spectacle, avaient
insulté et battu quelques personnages suspectés de roya'isme et
mèifie un membre du corps législatif qui s'y trouvait. Le parti
conventionnel voulut profiter de l'occasion pour attaquer la presse
anti-républicaine; \\ vint citer des articles à la tribune, et entre
autres un passage des Actes des apôtres , où Bonaparte, le vain-
queur de l'Italie, était mis en paiallèle avec Sanson , l'exécuteur
des hautes-œuvres. I/opposition répondit en citant les excès des
journaux qu'elle appelait anarchistes. Il s'ensuivit, non pas une
longue discussion , m.MS une longue dispute qui occupa plusieurs
séances. Il est certain que le directoire eût tiré un meilleur parti
de la conspiration, si, par n^aladresse , i) n'en eût fait l'orrasion
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 209
de débats qui devaient tourner contre lui. On se demande pour-
quoi il crut utile de renvoyer les accusés devant une cour mar-
tiale , au lieu de les laisser à leurs juges naturels , ou de les faire
citer devant la haute cour de Vendôme. Il créa, de cette manière,
à l'opposition , une occasion dont elle profita, comme nous l'avons
vu. Il donna une mauvaise opinion de son habileté, car il n'é-
chappa à personne que, par sa faute, une simple question de com-
pjBtence avait amené, entre les premiers pouvoirs de l'état, un con-
flit qui pouvait être très-grave, puisqu'il n'y avait pas d'autre
issue légale que la question de forfaiture à l'égard du tribunal de
cassation ou celle de l'accusation du directoire. « Il avait en effet ,
ainsi que le remarque Thibaudeau dans ses mémoires, évidemment
excédé ses pouvoirs; caria Constitution, qui portait (art. 264^, que
le corps législatif ne peut annuler un jugement du tribunal de
cassation , l'interdisait à plus forte raison au directoire ; c'est ce-
pendant ce qu'il avait osé se permettre ; car défendre l'exécution
d'un jugement, c'est tout autant que l'annuler.» Personne ne
releva ce fait , parce que personne n'avait alors intérêt à le faire.
Cependant les fautes du directoire en cette affaire allèrent encore
plus loin.
Le conseil de guerre, influencé sans doute par les débats de
rassemblée, influencé par l'opinion publique que la publication
d'un plaidoyer fait par un défenseur habile avait prévenue en fa-
veur des accusés, cédant peut-être au système que la défense avait
adopté et qui avait cherché à présenter les dénonciateurs eux-
mêmes comme les premiers embaucheurs, le conseil de guerre
fut très-indulgent. Sur vingt-deux accusés, il en renvoya trois
devant le tribunal criminel de Versailles et il n'en condamna que
quatre à mort; et encore, faisant application d'un artic'e qui per-
mettait de commuer la peine, il condamna Brosset et Duverne de
Presle dit Dunan à dix ans de réclusioïî, le baron de Poly à cinq,
et Lavilleurnoi à un. — Ce jugement fut rendu le 18 germinal
(7 avril 1797).
Le directoire, irrité, rendit le lendemain un arrêté par lequel
il ordonnait de conduire au Temple, et renvoyait devant les tri-
T. xxxvn. 14
:2fO mrrCtoire. — du 4 bbum. an it
bunaux < pour y être poursuivis et juffés, comme prévenus de
* conspir^iiion contre la sûreté de h Piépiiblique, conformément
» à la loi, en faisant abstraction du crime d'embauchage , pour
» raison duquel ils ne peuvent plus être poursuivis , » trois des
condamnés de la veille, Brottier, Duverne de Presle, Poly , et
l'nn des acquittés , Sourdas. Celte mesure ne fut point relevée
dans les conseils, mais elle choqua l'opinion publique; l'argu-
ment de jurisprudence, non bis in idem, devint le texte des con-
versations et des observations de la presse réactionnaire. On n'en-
trait point dans les motifs du directoire ; cependant les républi-
cains auraient pu lui tenir compte de l'embarras où le mettait une
opposition évidente, qu'il rencontrait partout, et dont voici on
nouvel exemple. Dans le cours du procès royaliste, il avait de-
mandé, par un message aux cinq-cents , une loi qui remît la peine
encourue à tout accusé ou condamné qui ferait des révélations
utiles à l'état. La discussion fut ouverte au conseil sur cette ques-
tion ; mais après quelques jours de délibération , elle fut ajournée
par une majorité composée et de ceux qui habituellement vo-
taient contre le gouvernement, et de ceux qui ne comprenaient
pas le but de celte mesure. La vérité est que la demande du di-
rectoire avait été déterminée par Toffre faite par l'un des con-
spirateurs de dénoncer, non-seulement les députés qui corres-
pondaient avec Louis XVIII, mais encore le trésor des conjurés
et tous leurs moyens. En effet , après le message qui sollicitait
la loi dont il s'agit , ce même conspirateur avait déclaré qu'il y
avait dans la conspiration des députés des deux conseils , et no-
tamment toute la société de Clichy , et que cent quatre-vingt-
quatre députés avaient traité avec Louis XVIIT ; mais il n'avait
voulu nommer que Lemerer et Mersan. ( Mémoires de Th/hav-
dean, ch. 9, t. 2. ) — La connaissance de ce fait finit par se ré-
pandre dans les cons« ils. Lanjuinais en parla à Carnot ; celui-ci
lui répondit que la chose était vraie, que le directoire avait la
li^te, et qu'il pourrait bien en faire usage si on le poussait ù bout.
Cependant, quelques jours après, le gouvernement lii démentir ce
bruit dans son journal ofliciel ( le Rédacteur du 12 germinal ), et
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 2ii
Duverne de Presle , auquel on attribuait cette révélation , la dénia
également dans une lettre qu'il fit insérer dans les journaux.
Le public ne vit dans toutes ces choses, qu'un moyen employé
par le directoire pour jeter des soupçons sur ceux qui lui fai-
saient de l'opposition dans les conseils , qu'un moyen d'influencer
les élections.
Elles commençaient en effet en ce moment. Elles devaient re-
nouveler le tiers des conseils et ce premier tiers qui allait être
renouvelé était précisément composé tout entier d'une partie des
hommes sur lesquels le gouvernement comptait le plus, c'est-à-
dire d'ex-conventionnels. On le croyait donc , non sans raisoii ,
très-intéressé à exciter parmi les électeurs des méfiances qui les
déterminassent à choisir leurs députés parmi les partisans du
pouvoir.
Mais avant de nous occuper d'élections , nous avons à complé-
ter nos renseignemens sur la conspiration royaliste. On se rap-
pelle que dans la séance du 14 pfuviose , il fut décidé qu'une
commission serait nommée pour examiner et le message et les
pièces relatives à cette conspiration. Le rapport eut lieu le 28 fé-
vrier (10 ventôse) 1797. On verra qu'il y est fait mention d'une
faction orléaniste. Nous avons remarqué , qu'il en fut plusieurs
lois question à la tribune ; mais nous n'avons trouvé aucune i n-
dicalion positive à ce sujet. Nous en avons conclu, qu'au milieu
de tendances monai;chiques qui surgissaient de partout , le nom
d'Orléans avait été jeté non comme expression d'un parti orga-
nisé, mais comme celui d'une famille qui offrirait à la révolution
plus de garanties que la branche aînée des Bourbons. Quoi qu'il
en soit , voici le rapport :
^12 DIRECTOIRE. — DU 4 RRUM. AN IV
Bapport au conseil des cinq-cents par Jean Debry^ organe (funa
commission spéciale (i), sur la conspiration découverte le i^ plu-
viôse an V, tendante au renversement du gouvernement répu-
blicain et au rétablissement de la royauté ; prononcé le iO ven-
tôse an F ( 28 février 1797 ).
< Représentans du peuple, un arrêté du conseil, en date du
14 pluviôse, a renvoyé à une commission spéciale le message du
directoire et les pièces relatives à la dernière conspiration décou-
verte , et J'a char^jée de vous faire un rapport à ce sujet. C'est
pour exécuter cet arrêté que je me présente à cette tribune au
nom de votre commission.
» Elle doit vous dire avant de commencer que cette unanimité
qui a caractérisé le conseil chaque fois qu'il a fallu se montrer
contre les factions est un sentiment qu'elle n'a jamais perdu de
vue en parlant de chacune d'elles. Ainsi donc , que les bqns ci-
toyens, que les amis de l'ordre se rassurent, puisqu'il leur est
prouvé que la différence dans les opinions législatives n'est point
chez nous le dissentiment dans les principes républicains, et que
chaque fois qu'il faudra lutter contre les crimes éversifs de notre
gouvernement on nous trouvera réunis de volonté et d'action
pour les rechercher et les punir. Que les méchans cessent d'es-
pérer, puisque nous savons qu'appelés à faire des lois comme lé-
gislateurs, notre mission est aussi , comme représentans du peu-
ple, de veiller sans relâche au maintien et à la défense de la
République et de la Constitution qui nous régit ; qu'ils appren-
nent que, connaissant nos devoirs, nos droits et notre dignité,
nous nous honorerons tous de déployer, s'il le fallait, ce carac-
tère d'élévation et de fermeté qui dans les occasions critiques a
signalé les assemblées nationales de France qui nous ont précé-
dés ; qu'ils viennent interroger je ne dis pas seulement nos prin-
(1) Les autres membres de la commission dtaient Rogcr-Martio, Dubois (des
Vosges), Cbatal, Daunon.
AU 50 FLOR. A.N V (1795-1797 ). 215
cipes, notre loyauté, notre amour pour la République , mais en-
core notre respect pour nous-mêmes ! Ils verront , à la honte de
leurs projets , que l'opinion à cet égard ne sera jamais contredite
dans le corps législatif.
> Vous avez donné un grand et utile exemple de la sagesse él
de la prudence qui dans les occasions les plus critiques doivent
caractériser des législateurs constitutionnels , lorsqu'au récit de
la conspiration qui menaçait de renverser la République vous
avez attendu avec calme le fruit des recherches du gouverne-
nement. Cette conduite se trouve pleinement conforme et à l'in-
térêt de l'état et au vôtre , qui n'en peut être séparé. En effet ,
non-seulement la précipitation aurait pu embarrasser la marche
du directoire , rompre le fil de ses mesures ou éventer le secret
qui leur était nécessaire; mais qui sait s'il n'entrait pas dans le
calcul des conspirateurs de supposer que k découverte d'une
partie de leurs complots opérerait une réaction d'indignation dont
ils se seraient servi pour accuser les républicains de vouloir ré-
tablir ce Tégime auquel on feint d'attacher leur nom , quoique
l'on n'ignore pas qu'ils en étaient les victimes les moins épargnées?
qui sait si alors vous n'eussiez pas vu surgir une nouvelle bande
affectant le langage de la pitié et de la raison , en disant au peu>
pie : « Vous le voyez , cette Constitution n'est pas en force suffi-
sante pour se garantir elle-même ; elle nous entraîne sans cesse
d'une extrémité à l'autre; il faut l'accommoder à nos mœurs , la
régulariser... » Vous apercevez sans doute quel vaste champ
Texécution d'un pareil plan ouvrait à l'intrigue , à l'ambition , et
à l'éternelle ennemie de toutes les vertus, la calomnie. Grâces en
soient rendues à votre attitude calme et tranquille ! vous l'avez
déjoué.
> Mais aujourd'hui , que ces considérations ne subsistent plus,
vous devez au peuple, vous vous devez à vous-mêmes de porter
la lumière sur ces trames sans cesse renaissantes, d'en signaler
le caractère immuable malgré les travestissemens qu'on leur
donne , d'éveiller l'horreur des familles sur les moyens dont ces
conspirateurs ont besoin, et sur le but vers lequel ils tendent.
214 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN lY
Oh! s'il était possible qu'oubliant un instant et des ressentimens
qui ne remédient point aux maux passés, et cet appétit désor-
donné (i.i chanjjement qui empêche le bien actuel de prendre ra-
cine, les citoyens ouvrissent les yeux sur leui*s véritables inté-
rêts, leur volonté manifestée mettrait bientôt la Constitution à
l'abri de toute atteinte , et ces révolutions qu'on leur l'ait craindre
deviendraient impossibles : ils se convaincraient que ceux qui les
tiennent dans une anxiété , dans une agitation continuelles n'ont
d'autre but que de les avoir sous leur main pour les faire servir
d'instrumens, pour les déplacer à leur gr.é , et que le succès de
1 eurs atroces espérances , loin d'être la réparation des malheurs
qu'ils ont soufferts , n'en serait que l'excès , et le complément de
leur ruine. 3Ialheureusement tel est l'effet d'une révolution, que
le souvenir des maux qu'elle a pu causer étouffe le sentiment du
bien qu'elle amèn^ : ne nous lassons donc point , magistrats du
peuple, de l'adoucir ce peuple, de l'instruire, de le rallier vers
la Constitution ; si les intrigans profitent de ses désastres pour la
lui taire haïr, profitons-en aussi pour l'y attacher davantage en
1 ui montrant que s'il pouvait l'abandonner un iustant^'ces mêmes
désastres se renouvelleraient avec plus de violence, et que sa
perte , sa destruction seraient inévitables. Quand on a long-temps
len.i la mer, les dangers mêmes de la traversée sont un motif de
plus pour rester au port. Posons des fanaux sur les écueils que
nou^ avons passés, et dont plusieurs sont encore couverts de nos
propres débris ; c'est un service à rendre à ceux qui doivent nous
succéder : souvent l'inexpérience dans la carrière politique en-
gage dans de fausses routes ceux qui eussent suivi la bonne si on
la leur eût montrée ; et une fois engagés , l'amour-propre empê-
che de rétrograder. Les chefs des factions n'ignorent point cette
disposition du cœur humain.
» Je vous ai exposé dans quel esprit et pour quelle fin nous al-
lions vous faire le rap|K)rt sur les pièces de la conspiration dé-
couverte. C'est parce que nous l'avons jugé de plus haut intérêt
pour le peuple , qu'à l'époque où il va choisir ses magistrats , la
crainte d'une imputation injuste ne nous a point arrêtés, et que
AU 50 FLOR. AN.v (1795-1797). 215
nous avons préfère essuyer une calomnie de plus au danger de le
laisser incertain sur ce qu'il doit croire de sa situation actuelle.
Après six ans de vie pubiique, ce que l'on brigue ce ne sont plus
les places ; c'est le succès et la durée de l'œuvre auquel on a tra-
vaillé, ^aiu
» Les individus prévenus de la conspiration appartiennent aux
tribunaux; ce n'est point d'eux que nous vous parlerons. L'exa-
men de la conspiration est du ressort du législateur ; c'est d'elle
que nous allons vous entretenir. Lorsque de toutes parts on cher-
che à obscurcir ce que des symptômes trop alarmans faisaient
prévoir À l'avance, lorsque les faiîs les plus positifs soot contes-
tés ou même niés avec le sang-froid de la conviction , quelle
croyez-vous que doive être l'opinion dans un tel renversement
d'idées et de principes? et cependant, législateurs , l'opinion
aussi crée les révolutions et change la surface des états. Qu'il
sera beau le jour où, certains que l'opinion publique en France
est fixée, et que son flambeau pourra faire disparaître toutes ces
fausses lueurs avec lesquelles on veut l'effacer , nous pourrons
dire aux citoyens réunis : Dormez en paix; nous veillons!
» Il est incontestable qu'un parti puissant, organisé, habile à
prendre toutes sortes de couleurs et de masques, à employer la
force , la corruption , la ruse , l'assassinat et la calomnie , tra-
vaille en France avec une barbare persévérance à détruire le gou-
vernement républicain et à rendre la liberté fatigante ou odieuse.
Oui , ce parti existe depuis la révolution ; il se compose de tout
ce qui regrette les abus et les privilèges, parce qu'il sent que
l'effet immanquab'e de la révolution doit être de chasser ces
abus, d'extirper ces privilèges, et de donner à chacun ces moyens
de prospérité commune qui font la véritable force d'un état , et
que peut produire seule l'égalité politique. Ce parti veut-il réta-
blir un trône, une domination autre que celle de la loi? Ceci ne
fait plus de doute. Est-il payé par l'étranger? Je le crois, et je
l'en hais davantage. En effet, puisque l'on a hautement propoiié
dans la chambre des pairs d'Angleterre de faire aux Français
une guerre i\' extennination ^ celle indiscrétion ministérielle ne
216 DIKECTOJKE. — DU 4 BRUM. AN IV
nous dit-elle pas suffisamment que tous les moyens sont bons à
qui peut concevoir un pareil plan? Et s'il faut que les faits con-
firment ici ce que la raison vous indique, ce qui s'est passé dans
la Vendée, dans la guerre des chouans; ce qui est contenu dans
les pièces de la conspiration ; ces rapides correspondances de
Paris à Calais , et de Calais à Londres ; ces demandes de fonds
pour entretenir la manufacture y pour sauver les entrepreneurs y
pour les remplacer, ne vous démontrent-ils pas que l'or des na-
tions dépouillées paie ici tous les vices et tous les crimes pour
nous punir d'avoir osé être libres? Ils manquent d'hommes pour
détruire les Français , et ce sont des Français qui les servent !
» Donnez à ce parti le nom que vous voudrez, toujours est-il
constant qu'il est anti-républ^ain , anti-constitutionnel : jugez
donc eomme étant de ce parti tout ce qui agit et travaille contre
la République. Royalistes pour les Capets de Blankenbourg ,
royalistes pour les Capets d'Hambourg , amis de la Constitution
de 17^'5, partisans de celle de 171)1 , tous ces hommes n'ont d'a-
bord qu'un même but, le renversement du gouvernement actuel;
et comme je suis conyaincu que toute atteinte qui lui serait por-
tée avec efficacité nous mènerait rapidement à la tyrannie royale,
rien ne m'empêchera de croire que les meneurs de toutes les fac-
tions ne travaillent sciemment pour la royauté. On avait donc
mille fois raison lorsque l'on combattait dans cette enceinte avec
constance pour le maintien de tous les principes qui ont fondé et
qui maintiendront la République contre les coups que Taristo-
cratie , le fanatisme , la soif des vengeances et même la folie des
passions irritées tentaient de leur porter. L'extravagance n'est
pas plus la liberté que 1j servitude n'est le bonheur. S'il faut de
la sagesse pour combiner les lois, il faut de l'énergie pour main-
tenir une constitution républicaine dans son enfance, et l'une
n'exclut pas l'autre. On avait donc mille fois raison de ne pas
ajouter une foi implicite à ces hommes qui , voyant des anar-
chistes partout où se trouvaient des républicains, ne voyaient de
royalistes nulle part; trouvaient tout simple que l'on détruisît
tout ce qui avait servi à la révolution , à peu près comme lors-
AU 50 F LOR. AN V ( 1790-1797 ). 217
qu'un bâtiment est construit on en retire l'échafaudage , et qui
enfin, condamnant successivement tout ce qui portait le carac-
tère du républicanisme, à l'instar de l'axiome des papistes, qui
disent : Hors de L'Église point de salut, nous auraient bientôt for-
cés de crier : Hors du royaume point de République.
> Passons aux autres inductions à tirer des pièces. Mais préa-
lablement gardez-vous de présumer, ô nos collègues ! que votre
commission tente ici de grossir une des parties de la conspiration
pour empêcher que les autres ne soient aperçues : nous vous par-
lons du royalisme parce que c'est lui qui se présente aujourd'hui
en première ligne. Si l'on a droit d'être affecté qu'en prêchant
fordre on soit accusé de tendance à la domination arbitraire , le
même droit existe pour ceux qui , attaquant le despotisme abattu,
sont suspectés de favoriser l'anarchie, ou à qui l'on prête des
vues ultérieures pour tel ou tel chef, comme si t©us ne devaient
point être également odieux. En serions-nous donc venus à ce
point de dégradation que nous ne soyons divisés que pour le
choix du maître? Non, citoyens, il existe une majorité immense
d'honlmes purs qui n'ont besoin que d'être éclairés pour défen-
dre, au péril de leur vie , cette constitution républicaine que tant
de sang a payée , et dont la moindre altération exposerait et leurs
biens et leur existence!
» Ce ne sera donc point par une prétermission oratoire que
nous parlerons de la faction désignée sous le nom de faction d'Or-
léans. Elle existe. Si le gouvernement peut en avoir les pièces
convictives , dès l'instant où il croira pouvoir nous les faire con-
naître on verra si ce sont les républicains qui mettent lenteurs ,
retardemens ou subterfuges à la poursuivre. Elle existe, disons-
nous , parce que dès l'instant où dans une République le fol espoir
de la domination peut persuader à quelques-uns qu'ils ont le
droit de renverser la liberté, il est dans la nature que tous ceux
qui croient avoir reçu de la naissance ce même prétendu droit
travaillent pour arriver au même but , ou que l'on travaille pour
les y amener. Et remarquez , représentans , que tant que ce pré-
jugé subsiste, c'est moins par la difliculté des moyens qu'il faut
218 DIRECTOIRE. — DU 4 RRUM. AN IV
juger la possibilité de la conspiration que par l'opinion à laquelle
le préjugé a donné lieu. Marai disait : Où sont mes troupes? EUts
ont paru le 2 juin. Mais inférer de là que tout ce qui lutte con-
tre les autres factions apparentes et imminentes est nécessaire-
ment de cette dernière, ce serait raisonner comme ceux qui,
ayant vu qu'un plan de diviser la France en républiques pour F af-
faiblir pouvait exister dans quelques têtes , se sont servi de ce chi-
mérique prétexte pour faire planer le soupçon et le glaive sur
tous les citoyens qui s'opposaient à leurs vues ambitieuses et dé-
vastatrices , et sont parvenus au point ou de disperser ou de con-
duire à l'échafaud, comme coupables de ce crime prétendu, les
plus courageux défenseurs de la liberté et de la République; at*
tentât inouï, dont l'histoire sans doute fera honneur au machia-
vélisme des cabinets de Londres et de Vienne, à qui en dernière
analyse il appartient , puisqu'il n'a profité qu'à eux seuls. Kete-
nons-le bien , il n'est point de faction dont le premier intérêt ne
soit découvrir de l'odieux qui lui appartient tout ce qui ne veut
pas servir sous ses bannières : ainsi , et ceci nous le disons autant
pour le parti d'Orléans que pour celui de Louis XVIII uu cfc tout
autre, il n'est pas aussi contraire à leurs vues qu'on pourrait le
croire de se laisser nommer impies, détestables, liberiicides,
pourvu que ces qualifications retombent sur les républicains dés-
intéressés et purs que l'on désespère de séduire. Il existe entin
ce système de factions diverses; mais vouloir que nous fixions
exclusivement nos regards sur l'une d'elles à l'instant où , par des
preuves acquises , la vigilan/e du gouverut ment a découvert que
Ton travaillait pour un autre, ne serait-ce pas nous faire prendre
le change, et détourner nos yeux vers un ennemi moins rappro-
ché pour nous faire perdre de vue celui qui campe sur les glacis
de la place?
» Au surplus, l'essentiel conslste-t-il à donner plus ou moins
de créance à l'importance de tel ou ttl pai li ? PS'on ; l'essentiel est
de les signaler, de les poursuivre tous. C'est les comprimer tous
que de les dévoiler, et c'est dejuuer celui qui doit se montrer
qu'attaquer, renverser et punir celui qui se montre.
AU 50 FLOR. AN V ( 17954797 ). 219
» J'ai dit que c'était les comprimer que les dévoiler, et que
tous tendaient au même but ; cette asseï tion deviendra plus claire
si vous vous rappelez et si vous publiez que tous ont constam-
iiîent la mécie marche : seulement, instruits par leurs défaites,
et profitant de cette inconcevable situation défensive où ils ont
eu Tart de placer les républicains, les conspirateurs ont per-
fectionné leurs dispositions ; mais le fond est toujours resté le
même.
» Un plan combiné au château fut connu et imprimé sous l'as-
semblée législative. Que portait-il? < Gagner les autorités, pla-
» cer des agens , former des arrondissomens , établir des cor-
» respondances, répandre des imprimés, irriter le peuple , user
» l'opinion, et attendre te signal. » On connaît les hommes qui
étaient à la tête de cette manufacture : je n'en parlerai point f' la
plupart ont péri.
» Dans la conspiration du 21 floréal an IV, qu'a-t-on trouvé?
Mêmes élémens, mêmes moyens; seulement un résultat diffé-
rent , mais tellement insensé dans son atrocité même , qu'il est
•impossible de ne pas voir que la dissolution totale du corps so-
cial , qui en était l'effet direct , aurait fait recevoir comme un
bienfak le despotisme le plus absolu ; et assurément , lorsqu'aux
horreurs qui ont malheureusement souillé la révolution, l'ima-
gination aurait joint les scènes épouvantables que l'on devait don-
ner pour le bonheur commun, on n'eût point été tenté de recou-
vrer une hberté qu'on n'aurait plus vue qu'à travers les torches ,
les poignards , les incendies et les échafauds.
» Enfin, dans la conspiration du 12 pluviôse, quel est le plan
de conduite? Absolument le même : des agens sont établis, des
autorités gagnées , d'autres que l'on se propose de corrompre ;
empêcher votre réunion, comme Babeuf l'avait recommandé;
laisser entrer dans Paris les fidèles attendus , s'emparer de tous
les postes, rétablir l'ancien régime , sbolir tout ce qui peut re-
tracer l'existence de la République, rétablir les anciens suppli-
ces, et généralement tout ce qui devai résulter d'un ordre de
choses dont il y a long-iemps les premiers succès ont été la disse-
±20 DlRiiClOlKE. — DU 4 URUM. AN 1¥
mination de la haine dans le sein du corps-législaiif , le déverse»
ment de l'opprobre sur tout ce qui chérissait la République ,
l'iniposlure sur les intentions ou les actes les plus purs , le dé-
chaînement de l'envie contre toute espèce de talent qui ne vou-
lait pas se vendre, la honte pour récompenser la vertu, l'exé-
cration pour prix des sacrifices , enfin la calomnie ouvrant dans
voire retraite la voie à l'assassinat ! Avez-vous été frappés I Non ;
rnais les cicatrices de Bollet sont elles effacées? Anytus a subi la
peine due à son crime... Mais quoi! Socrate avait bu la ciguë.
* Oui, citoyens représentans, il est bon de le redire, quand on
espère renverser un parti, chaque faction s'arrange pour profiter
du changement dans l'ordre de choses établi ; mais aussi quelque-
fois leur marche s'embarrasse , leurs intrigues se croisent , les
conspirateurs se heurtent, et c'est là l'avantage que conserve une
Constitution fondée , contre laquelle tous les traits se dirigent ,
mais qui peut aussi espérer sur la division de ses ennemis. La
comparaison des pièces , et surtout la lettre de Puisaye , con-
firment ce que j'avance, et sûrement l'observation ne vous sera pas
échappée.
• 0 vous qui le 14 juillet retrouvâtes la table des droits du peu-
ple français sous les fondemens de la Bastille ; vous qui le 10 août
vîtes tomber l'association monstrueuse de la tyrannie et de la li-
berté; vous qui, en luttant contre un roi parjure, fondiez déjà la
République ; vous dont les sentimens généreux et purs vous unis-
saient d'avance et à la profonde douleur que les crimes devaient
'fexciter, et aux actions héroïques qui.ont illustré les plus belles
époques du régime républicain, quel était le sort que vous réser-
vaient tous ces augustes réformateurs et modificateurs? Vous
eussent-ils envoyés aux supplices rétablis, ou vous auraient-ils
condamnés au tourment plus grand d'être les témoins de leurs
triomphes , et d'entendre blasphémer chaque jour ce qui vous
avait coûté tant de sang et de larmes? Ainsi le 15 pluviôse Man-
toue tombe au pouvoir de l'armée victorieuse d'Italie, et le 12 on
conspirait pour faire tomber la République au pouvoir de l'Au-
irichc. Quedis-je! on conspire encore ; la preuve en est dans les
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 2i2I
papiers des coDJurés. Ils ont une opinion à eux; ils la forment,
ils l'entretiennent ; la manufacture est toujours en activité : horri-
ble atelier de brigandages et de crimes , unique espoir des préju-
gés passés et de nos ennemis vaincus ! Quelles larmes amères
n'ont point à verser ceux qui , les regards toujours fixés sur un
passé qui doit nous instruire , mais qu'on ne peut plus rappeler,
encouragent, à leur insu sans doute, les entreprises de toutes ces
bandes que la division seule peut enhardir! Ne semble-t-il pas que
l'on voie autant de mineurs , chacun dans son boyau , travaillant
chacun pour son compte à faire sauter, qui, un pan de muraille ,
qui, une tour, qui, la place entière*qu'îls assiègent!... Hommes
coupables , cette place est votre patrie ! Est-ce avec le sang que
vous laverez ses décombres?
» Il estdonc bien avéré que l'on travaille sans relâche pour ren-
verser le gouvernement républicain , pour rétablir un trône. Vou-
drait-on y placer d'Orléans ? Je ne doute pas qu'il n'y ait des hom-
mes qui le désirent. A-t-on voulu y mettre celui qui se nomme
Louis XVIII ? Cela est évident. Ses pouvoirs sont donnés : l'un
de ceux qui les ont reçus les a reconnus, avoués, et n'a pu en nier
l'objet; il n'apas même laisséentrevoir que leplan fût hypothétique,
comme Berihelot l'a dit pour sa défense : enfin, le plan lui-même
n'existerait point , que ces pouvoirs , donnés à Blankenbourg le
2o février \ 796, démontrent que l'ordre de conspirer a été conçu,
envoyé, accueilli, et nous font voir dans quelle fausse sécurité on
veut nous envelopper lorsque chaque fois que le fil de ces trames
se découvre, l'existence en est toujours contestée. Ah ! c'est tou-
jours la reprise du grand plan manqué en vendémiaire , et dont
Lemaîire et Geslin furent les artisans et les victimes. Laconnexité
de tous ces faits est plus claire que le jour : les complices secon-
daires les nient; je le crois : la fabrique n'est point détruite; elle
ne le sera point tant que nous ne généraliserons point nos consi-
dérations , et que nous ne voudrons pas voir que , depuis 1789
jusqu'à nous, le projet de nous réasservir n'a jamais été aban-
donné un instant; qu'il a fallu , au défaut de l'esprit de suite qui
nous manquait, un bonheur non interrompu pour en faire succès-
DIRECTOIRE. — nu 4 BRUM. AN IV
sivement avorter les parties apparentes ; mais qu'enfin un gou-
vern»^nient est peu sûr lorsqu'il faut une série de prodiges pour
le maintenir. Si d'une main ferme nous n'aidons point au gouver-
nement pour empêcher que les élémens des troubles ne se glissent
dans i'eiat, ils y reflueront continuellement; si les égards de l'hu-
manité sont dus à tout individu , même coupable , il ne faut pas
que ces sentimens l'emportent sur l'intérêt pressant , sur la vive
sollicitude , sur la véritable pitié qui est due à une nation entière
qu'on voudrait replonger dans les flots de sang d'une nouvelle ré-
volution. On n'est pas bon, disait un Spartiate, quand on ne sai^
pas être sévère aux méchans? Notre mission , notre intérêt per-
sonnel n'ont ici qu'une seule et même voix ; lorsque nous avons
voulu la liberté comme représentans , nous l'avons voulue pour
le peuple; mais comme hommes , comme citoyens, nous l'avons
voulue aussi pour nous.
> Je sais comment , se fiant sur cette effrayante dépravation
de la morale publique , dépravation dont ils sont les auteurs ,
et comptant sur la légèreté et l'irréflexion du public qui lit , les
complices dont je parle dénaturent les faits et cherchent à faire
dévier l'opinion dans cette affaire. Il ne sera pas difficile de les
rétablir.
•Vous avez pu voir depuis un mois avec quelle ^onne/b/, quelle
impartialité l'on a rendu compte de cette dernière et royale con-
spiration ; vous vous serez étonnés peut-être des efforts généreux
que l'on fait pour en pallier l'odieux, et même pour le rejeter en-
tièrement sur c€aixà qui l'on voudrait pouvoir attribuer toute es-
p^e de malveillance pour les écraser plus sûrement : mais il vous
aura semblé très-conséquent que les hommes de qui l'on peut de-
mander qnei est te crime qu'ils n'aient pas conseillé tentent d'ex-
cuser un forfait qui seul les comprenait tous, et vous saurez alors
comment tant de personnes abusées , dont l'unique intérêt est le
mainlion de la République , paraissent à l'extérieur insouciantes
pour sa conservation. Comme autrefois le mot de roi en France,
au gré des courtisans, emportait presque l'idée de la perfection
divine, ainsi aujourd'hui l'on apprend aux faibles à lier toujour
AU 50 FLOR. AM V (17951797). 2^
ridée de crime au mot de liberté. Une conspiration éclate : ce sont
les républicains qui l'ont tramée. Mais elle a pour objet h restau-
ration du trône : nïmiporte, ce sont eux^ car les anarchistes enau^
raient été les instrumens. Certes on n'a jamais nié, on a pu voir
même en lisant les pièces imprimées du procès de Babeuf, que
cette foule d'individus que l'ignorance affaisse, et que tourmente
la fainéantise ou le besoin de la débauche , est toujours à qui la
paie, et sert tous les partis sans en connaître ni la fin, ni le secret
des chefs. Mais, de grâce, qu'ont donc de commun avec les répu-
blicains des hommes qui, s'ils dominaient comme on le prétend ,
demain renverseraient la République ? Tout un ou tout autre.
Qu'est-ce à dire? Et moi aussi je répéterai tout républicain ou
tout autre que républicain, tout consfi^tionnel ou tout autre que
constitutionnel. Ces deux cercles, je crois, sont fort distincts , et
ne peuvent se confondre. Si l'homme de bien, si le vrai patriote
est dans le premier, on voit que le second enferiiie véritablement
les factieux et les dupes de toutes les classes et de tous les cos-
tumes, et que si l'on a besoin de troubles , d'agitations , de com-
plots, de calomnies, c'est là qu'il laut les aller chercher.
» Mais , ajoute-t-on, n'est-il pas avéré que Poly, l'un des hom-
mes impliqués dans celte affaire , était un terroriste forcené , un
agent de l'odieuse tyrannie décemvirale , un orateur de clubs , et
qu'il a long-temps porté et fait porter le bonnet rouge à Troyes,
dans le département de l'Àube ?
» Il'n' est que trop certain que beaucoup d'hommes qui se sont
signalés de la manière la plus vile et souvent la plus atroce, au mi-
lieu des extravagances et des cruautés commandées pour rendre
la République ridicule et odieuse, ont reparu depuis sous d'autres
formes, professant une religion poHtique différeFite, et prêts à
déchirer de nouveau le sein de leur patrie. Mais que s'ensuit-il de
là? Ce que les écrivains éclairés ont souvent répété, ce que les ci-
toyens clairvoyans ont long-temps soupçonné , savoir, que tous
les mouvemens de l'anarchie se rattachaient au royalisme, et que
tel patriotissime de 1795 n'était qu'un royaliste déguisé qui s'est
démasqué en 17!)7 ; que l'on trouvera dans les complots des Ca-
:224 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
pets des hommes qui ont figuré dans ceux de Marat et d'Henriot,
et que certains salons se sont plus réjouis de la mort de Ver-
gniaud, deCondorcet, de Bailly, que les tavernes. Enfin qu'est ce
que ce M. Poly (l), qui en 1793, affublé du bonnet rouge , de la
carmagnole et de la plaque maratiste , pérorait dans les clubs du
département de l'Aube , et peut-éire proscrivait ou faisait pro-
scrire en criant l'iyeMara/ ? Est-ce un négociant français, un savant
épris d'amour pour la liberté et le bonheur de son pays? Est-ce
un artisan , un homme ignare, à qui le défaut d'instruction sert
d'excuse? Non, c'est un baron allemand; mais au moins cet
homme, que son respect pour la liberté et l'égalité avait porté à
se dépouiller de son litre de baron , et enivré au point de le pous-
ser dans l'exagération, va-^C, ne fut-ce que par pudeur, demeu-
rer sur la ligne constitutionnelle, et se contenter de notre Répu-
blique, lui qui peut-être voulut la Republique des égaux? Point
du tout ; il jette feu et flammes contre la République et la Consti-
tution; il conspire pour faire égorger ces scélérats républicains
qu'il poursuivit sans doute comme modérés en 1793. C'est la rè-
gle; elle est parfaitement suivie par ceux qui, avec la même ^onne
foi y ont couru la même carrière. Vous n'avez point oublié, j'es-
père, que 3DI. Proly, Ptreyra, Guzman, Frey, Clootz, étaient
non pas de malheureux ouvriers français à qui la révolution avait
fait tourner la tête , mais bien des seigneurs autrichiens, espa-
gnols , portugais et prussiens ; vous vous souvenez que leur in-
fluence était telle que lorsque nous, bien moins Français sans
doute que ces fils adoptifs sans lesquels la République se serait
perdue, que lorsque, dis-je, effrayés de leur patriotisme du
dO mars, nous proposâmes, au nom du comité de défense géné-
rale, dont moi, modéré^ j'étais alors l'organe des comités de sur-
veillance à l'égard drs étrangers, ils se jouèrent de nos précau-
tions, s'emparèrent des comités qui devaient les surveiller, s'y
placèrent d'emblée comme ils auraient fait chez eux, et définiti-
(n Po/y n'est pa« le même que Protij cité plas bas; mais tous deux sont barons
allemands, tous deux instrumens de factions ,
AU 50 FLOR. AN V { 179o-1797 ). 225
vement s'en servirent comme un voleur se sert de la barre d'une
porte qu'il a enfoncée pour assommer le maître de la maison.
Qu'importe qui donne le mot d'ordre; il est toujours le même :
touillions contre leur gouvernement tout ce qu'ils feront 'pour sa
défense , et faisons qu ils se déchirent de leurs propres mains.
» Qu'il serait bien temps cependant d'ouvrir les yeux sur tous
ces pièges, semés à dessein sous nos pas! Et pour ramener ces
exemples et ces considérations au sujet de ce discours , tandis
que chaque jour dans i'un où l'autre conseil on discutait, on
pressait toutes les déierminaiions relatives soit au tirage au sort
du tiers d'entre vous, soit à l'instruction des assemblées pri-
maires, chaque matin Ton imprimait que ces exécrables con-
ventionnels , odieux à tout le genre humain y voulaient se perpé"
tuer; d'auire part , les conjurés prenaient tous les moyens pour
empêcher les assemblées pria^aires d'avoir lieu : lés pièces prou-
vent qu'ils en redoutaient les choix. Et qui acccusait-on de s'op-
poser aux droits du peuple? C'est vous.
i) Permettez-moi de placer ici un trait de l'histoire d'Angle-
terre plus instructif qu'aucun raisonnement, et dont chacun de
nous fera facilement l'application à notre situation actuelle.
» Les cavaliers, au commencement de la révolutiou anglaise,
étaient les partisans du pouvoir absolu; tout à coup ils devinrent
les plus effrénés champions de la démagogie. — Nous avons été
trompés, disaient-ils; mais aujourd hui nous reconnaissons les
avantages de la liberté; aussi nous la voulons dans toute sa plé-
nitude et sans la moindre altération. — Au retour de Charles II,
les ca^'a/icrs changèrent encore subitement. — L'autorité précé-
dente, dirent-iis pour raison, nous a paru illégitime; c'est pour
cela que nous en forcions les lessorts , que nous en outrions les
maximes. Maintenant nous avons un chef légal ; nous le défen-
drons, et nous écraserons sans pitié tout ce qui sera soupçonné
d'attenter ù son autorité illimitée.
> Les mômes circonstances et les mêmes passions donnent tou-
jours, à quelques nuances près, lesmêmts résultats. En France,
nos ennemis au-dedans se sont dit : — Profitons des malheurs
T. XXXVJI. 15
236 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
que la révolution a répandus; aityrissons les plaies qu'elle a ou-
vertes; ne montrons la liberié qu'à travers le voile sanj^lant de
la terreur, et cachons derrière la paix et le silence de la sei vitude
tous les attentats, tous les crimes de la tyrannie. Que les quinze
mois de la domination passagère qui a pesé sur la République
soient tellement in-leniifiés avec le régime républicain qu'on ne
puisse séparer ce régime de ceîie domination ; qu'ils effacent la
somme rlfcayame des atrocités antérieures; que le titre de ci-
toyen rappelle l'idée d'un égorgeur, et que les plaintes arrachées
par nos dernières calamités éiouflent ces longs gémissemens
*que pendant des siècles le despjii.^me royal, les exactions arbi-
traires et la barbarie féodale ont excités chez nous ! Usons la
liberté par la fièvre de la licence que nous avons allumée, et ce
peuple, imprévoyant et déchiré, sera ramemé par l'habitude
dans h s chaînes qu'il a brisées; la fièvre générale sera notre ex-
cuse à nous , et le mérite d'avoii- rétabli le privilège sera le gage
de ceux qui nous seront accordés.
> Au dehors ils ont dit : — Fiattons leurs passions et leui-
orgueil ; la force seul^ ne peut nous réussir ; stiinu!ons-!es et par
ïa crainte et par l'espérance, jusqu'à ce que, parvenus à saisir
le pouvoir, nous puissions briser Sans péril ces vils instrumens de
noire réintégration, et les livrer ou comme victimes ou comme
serfs à ceux qui n'ont poini abandon- é notre cause! — Déplora-
ble cause , qui , depuis Favras jusqu'à nos jours , a sans cesse
conduit à l'échafaud et au crime ceux qui s'y sont livrés !
» De son côié , la coalition armée a senti que l'existence ti an-
qui le d'un gouvernement qui assuraità tous des droits égaux était
le sif^nal ou do sa perle ou de sa honte , tawdis iiué^i elle parve-
nait à le renverser, non-senlemeni e'ie ôtait aux nations le dange-
reux spectacle d'un peuple qui s'était rendu libre, mais que de
plus elle pouvait espér-^r d'en diviser le territoire et d'en partager
les dépouillas.
» C'est sur ces différens patrons que se sont modelées toutes
les factions qui nous ont dévorés él qui nous dévorent encore ;
et vous voyez déjà à quel d'entre eux il faut rapporter celles que
AU OO FLOR. AN V ( 179o-1797 ). 2-27
le fjouvernement a découvertes : les unes ont porté nuement ou
la couleur de l'étranger, ou celles des prélendans français à l'au-
torité arbitraire en France : les autres, dupes grossières de leur
frayeur ou de leur vanité, n'ont vu de ressource pour elles qu'en
enchaînant leurs égaux , et les remettant, pieds et poings liés, à
des matures; ils ont ambitionné l'honneur d'être bourreaux pour
s'éviter le danger d'êire victimes. Les membres de ces différens
corps ont, tour à tour, arboré l'étendard et les principes qui
pouvaient le mieux les servir; jacobins, feuillans, cordeliers,
royalistes, suivant les temps et l'opinion régnante; tandis qu'au
milieu de ces agitations le peuple criait liberté ^ égalité, sûreté,
et que les véritables amis de son bonheur étaient successivement
proscrits on pour leur modération ou pour leur énergie. Serait-
il donc vrai qu'accommoder au temps sa conscience et sa volonté
serait la première des vertus sociales, et que la vieillesse igno-
m^inieuse des flatteurs du premier des Césars serait préférable
à la mort prématurée de Caton? Ce n'est point sur de telles
maximes que peut reposer une république; ce ne sont point elles
que suivent nos armées, nos armées victorieuses de l'ennemi, des
privations et des saisons !
» Au sein de cette agrégation de désordres et de bassesses pa-
rut, à la honte des lettre^, l'organisation avouée de la calomnie.
Des hommes, que le plus éhonlé apologiste n'oserait défendre
aujourd'hui , sans préalablement passer condamnation sur leur
infamie, se sont érigés je ne sais quel tribunal d'où la vérité est
soigneusement bannie , et où tout ce qu'il y a de l^uxet d'impur
est accueilli M payé; c'est là qu'on rencontre toutes les conira-
dîitions et toutes les absurdités :o.î y parle de. patrie, et l'on
invite à la noyer dans le sang ; on y parle de constitution , et
l'on y fait les vœux les plus afdens pour le régime royal au-
quel celte constitution succède; on y parle de paix, et l'on y
agite les torches, de la guerre civile ; on y parle de républi-
que , et tout ce qui est républicain et patriote s'y trouve dif-
famé et proscrit; les Voleurs y sont honorés, et le mépiis qui
leur est dû on l'applique à l'indigence honnête; les assassinés y
2^ DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IT
sont iosuUës , et les meurtriers ponés en triomphe ; chaque jour,
impunément, ils ont le privilège de troubler les familles, de flé-
trir le citoyen irréprochable; la femme ou la fille vertueuse;
d'hisulier le Jéfenseur de la pairie , ou d'avilir ses lauriers : que
d s-je ! c'est au sun même du sénat qu'ils ont le droit d'arranger
leurs utiles itnpostures; il ne s'élève pas un seul représentant
dont leurs valets n'attaquent la réputation ou les mœurs, ici, au
milieu de vous , à haute voix , bravaut toute pudeur, toute dé-
cence, bravant et l'indignation des étrangers qu'ils fatiguent, et
la vengeance personnelle que s^Mublent autoriser l'impunité et le
silence de la loi! I!s m'entendent ; qu'ils écrivent!
>Écrivains courageux qui avez réveilléla voix de la nature dans
le cœur de 1 homme asservi, vous, dont la raison lumineuse a dé-
voilé la laideur du despotisme et de la superstition, Bacon, Loke,
Voltaire, Buffon, Montesquieu, Rousseau, 3Iably, vous tous
enfin, premiers pères de notre liberté, sont-ce donc vos héri-
tiers! '
» Méprisez les principes de servitude et de domination de vos
ennemis, représenians du peuple; î. ais, je vols en conjure, ne
méprisez pas leurs desseins et hur ambition sanguinaire. Voyez
si ces iroujpeltes de l'imposture qui sont à leurs ordres et qui
depuis un an ne cessaient de nous dire : « Les conspirations
royalistes sont des chimères , le royalsme un facîôme ; il n'y a à
redouter que l'anarchie cl ses suppôt? ; il faut les exterminer
pour que la France recouvre son antique bonheur. > Voyez, dis-
je, si malgré l'évidence et l'atrociié du dernier complot ils ont
changé de langage et d'attitude! Au contraire, leur impudeiîce
s'en est accrue au point que l'on pourrait se demaiider si le ma-
chiavélisme des con.spii-ateurs n'a pas eu réserve quelque coup
caché dont ils se croient sûrs, ou plutôt si leur délire ne regarde
pas comme extrêmement naturel de conjurer pour remettre sur
ce qu'ils appellent le tiône de se» pcrcs un chef débonnaire que
le supplice d'un million d'hommes rassurerait à peine. Aies en-
tendre dans leur atroce démence, tout ce qui se fait pour ren-
verser la Képublique est légitime ; tout ce qui se combine pour
AU 30 FLott* AN V ( 1790-1797 ).
nous rendre ce régime chéri , où les ordres d'un homme ivre ou
insensé , d'un vieillard imbécile ou d'un enfant, d'un Claude ou
d'un Galigula , sont des lois sacrées, tout est honorable et digne
d'éloges ; il est inconvenant de déranger ces plans d'humanité , et
affreux d'en persécuter les auteurs ; il n'y a , selon eux , que le
crime en haillons qui soit crime. Keprésenians , pour bien juger
des choses il faut se mettre dans la position même des acteurs.
Or, imaginez-vous que vous assistez aux colloques secrets de ces
apôtres de la tyrannie : l'un travaille pour la ligne directe, l'au-
tre pour la hgne collatérale ; celui-ci pour l'étranger, celui-là
pour le plan mitoyen. Chaque projet a ses divisions et subdi-
visions ; puis, après avoir fait sa part , on fait celle de ses amis ;
on garde in petto les articles secrets , et dans tous ces calculs ce
([ui est compté pour rien c'est , comme jadis , la nation , le peu-
ple, le tiers-état... Pardon si je me sers d'une expression qui ho-
nora le berceau de la- révolution , mais que le titre de citoyen a
du remplacer ; c'est parce que je vois les efforts des factions ten-
ter de nous ramener au-delà de la première époque de notre li-
berté, que je voudrais nous voir bien convaincus qu'il s'agit
pour nous aujourd'hui, comme alors, de l'asservissement com-
plet, de l'anéantissement de nos droits et de nos lumières, de
l'envahissement de nos fortunes ou de la tranquillité, du bonheur
et de la liberté , si nous avons le courage de les vouloir en
maintenant la constitution et les principes qui l'ont fondée , si
nous ne perdons jamais de vue celte mayiufacture dont on espère
sauver les entrepreneurs et rallier les fils et les ouvriers.
» Ne nous le dissinmlons point, il est dans l'ordre des choses
(jue la tyrannie conspire sans cesse contre la liberté. Les faits
vous prouvent celte assertion, puisque, malgré tanl de projets
échoués, le plan formé n'est point abandonné, et que ch.ique
défaite ne semble qu'un avis pour le rectifier. Aideroub-nous à
son succès en en détournant nos yeux? Et le danger existera-
t-il moins quand nous refuserons d'en apprécier l'étendue?
Oh ! certes nous n'en serions point à ce degré de péril si dès le
commencement de l'établissement conslilulionnel on eût opposé
250 DIRECTOIRE. — DU 4 B|IUM. AN IV
une digue à la dépravation de l'esprit public. Le royalisme, ti-
mide, craignait encore a:or« de se faire soupçonner ; insensible-
liwnt il s'tst avancé, a sédui' , soit par la terreur, soit par l'ap-
pât de la vengeance, et fiiaintenant, vous le voyez, il ne dissi-
mule m ses projets, ni ses espérances; que dis-je ! lisez les
pièces Saisies , il espère même amener des fonctionnaires publics
à se parjurer et à le seconder ; non pas que nous donnions la
moindre créance à son calonmieux espcir, mais tant il est vrai
« que, dans le gouvernement des états comme dans la conduite
de la vie, les effets d'une négligence habituelle ne se font pas
sentir à mesure qn'on néglige quelques objets particuliers, mais
présentent à la fin un total effrayant. »
» Que ne mettons-nous donc pour nous défendre la même at-
tention , le même courage que depuis sept ans mettent nos irré-
conciliables ennemis pour nous perdre?
» i\on, quelle que soit la perversité du cœur humain, je ne
puis le croire ; si ceux que la haine égare ou que des souvenirs
douloureux irritent étaient persuades qu'il n'eîjt point de transac-
tion possible entre les prmcipes delà liberté et de la tyrannie, ils
ne sont point assez ennemis d'eux-mêmes pour vouloir s'asservir
eux et leur patrie sur les promesses d'un tyran, qui se réserve
toujours de n'en tenir aucune , et qui n'ignore pas celle maxime :
« Ce n'est point pour l'intérêt du traître que l'on dépense son ar-
gent, et l'on n'a garde de le consulter quand on est le maître de
ee qu'il a vendu. » Hé bien! qu'ils se convainquent que tout
moyen d'arrêt e>i impossible, et que si jamais il a été vrai de
dire la Constitution on lu mort , c'est dans cette occasion ! 11
n'y a point de milieu , il faut que celte Constitution triomphe,
ou que la France redesceuie dans la barbarie. Qu'ils songent à ce
plan de représ^ntation législiiivn où l'on tente de démontrer l'im-
possibilité, la folie, le ja(ofri??7.vme df toute espèce de représenta-
tion nationale; qu'ils évaluent sans frémir le nombre d'hommes
voués à la première proscription , ( ommandée pour la moindre
liansaciion inconstitutionnelle ; qu'ils n'oublient pas et le retour
des anciens supplices , et l'établissement de ce rapide expédition-
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797). .251
naire , de ce grand prévôt dont tous les conspirateurs ont toujours
eu l'idée; surtout qu'ils aient sans cesse devant les yeux cette
odieuse duplicité qui tend à prendie la multitude de citoyens
craintifs dans le filet d'une fausse amnistie, pour les livrer en-
suite à. des pai lumens qui .laisseraient au gracieux souverain le
mérite de la bonté, et lui donneraient à la fois le plaisir de la
vengeance! Et ce sont de pareils misérables qui se disent créés
pour nous commander de droit !^i ce seraii j^ur ces chefs armés
contre vous qu'exhumant des respects idolâtres on préparerait
les esprits ou à l'apathie ou à une meurtrière indul^^ence ! Le
sang d'un seul soldat français ne vaut-il pas mille fois celui de ce
coupable deBlankenbourg, qui, pour la satisfaction de son or-
gueil, projette froidement le massacre des' parens dont depuis
quatre ans il fait tuer lesenfans aux frontières ? Parque! étrange
raisonnement s'est-il constitué mon ennemi sans que je puisse me
constituer le sien! Et quelle est cet' e imbécillité humaine qui fait
porter une juste horreur à l'auteur d'un seul forfait , et qui veut
des égards et de la considération pour celui qui en ordonne des
milliers ? Aveuglez , égarez , séduisez, divisez pour régner ; tel est
le secret de la tyrannie. Alors chacun s'imagine que forage ne
peut arriver jusqu'à lui ,-et l'on se flawe de pouvoir échapper tan-
dis que les autres seront en péril.
> La Constitution ou la mort ! Nous en sommes venus à ce point
que ce n'est plus maintenant pour le maintien de Itur Miuation
politique, mais que c'est pour leur vie même que les républicains
résistent , et qu'ils peuvent dire aes aspirans de la tyrannie ce que
l'orateur grec disait de Philippe : «Ajoutez, Athéniens, que vous
» avez de plus grands risques a courir que d'autres peuples. Phi-
» lippe ne veut pas seulement asservir \otre iiépublique , non,
» mais la détruire. Il conçoit que vous ne voulez pas obéir, f tque
• vous ne le pourriez plus quand vous ie voudriez, eitani accou-
> tumés à être libres ; aussi ne vous épargner a-t-il pas î^i une fois
> il devient le maître ; atfendf z-vous donc de sa part aux der;)Jè-.
» res extrémités. Détestez et punisses? les ministres qui lui sont
» vendus : il n'est pas possible , non , il ne l'est pas que vous
252* DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
i triomphiez des ennemis étrangers avant que d'avoir puni
> vos ennemis domestiques qui sont à leurs {jages. » ( Dixième
Philip. )
» Le parallèle est frappant pour tout homme qui a sn , soit
dans un temps , soit dans un autre, apprécier sa digniié, et qui
a donné quelque {jage à la République ei à la liberté de son pays ;
il n'est pas une seule ligne dans les pièces des différentes conspi-
rations découverit s qui ne lui apprenne quel sort on lui réserve.
Le rapprochement est plus sensible encore si on le suit sous le
rapport politique, comme citoyen, comme faisant partie inté-
grante du souverain ; c'est alors que l'onconsidère avec effroi le
démen»bf ement de la France dans le cas où le moindre de ces
complots pourrait réussir, si la volonté des hommes éc'airés , si
la fermeté des représenians du peuph* et du gouvernement, si
l'intérêt des citoyens n'étaient point réuni pour les faire avor-
ter. Toutes les places qui pouvaient garantir Athènes de la servi-
tude (1) furent le prix de l'argent semé parmi des orateurs et des
ministres corrompus : tout ce qui serait en France à la bien-
séance de la coalition, indépendamment du pillage des proprié-
taires, qui seul pourrait suffire aux moyens qu'd faudrait pren-
dre pour l'affermissement de ia tyrannie; tout, dis-je, serait
remis comme iudemfiilé à des chers alliés ^ dont les avances, les
pertes et l'opiniâtreté ne peuvent être trop honorablement ac-
quittées; et c'est alors vraiment que l'on donnerait toute son ex-
tension à ce terme mystérieux de compensation , si solennellement
apporté de Londres. — Ainsi , vous , puissance dAulriche , qui
aviez si bien opéré pour la dévastation de cette République avant
que la victoire deFleurus et les savantes manœuvres de Picliegru
dans la Wesi-Flandre vous arrachassent les places fortes du nord,
vous qui avez fait en France cent mille veuves , et privé cent mille
pères de leurs fi's, ce n'est pas trop, outre la Relgique , de la ci-
devant Alsace et de la Lorraine pour payer tant de bontés; re-
cevez-les en toute propriété , terres , Cétes et gens. Vous , irès-
{\) Seerie , Dorisque, Pathmos, renvahissement de l'Eubée , etc.
> Motedc Jean Debry.)
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 233
saint père, ministre charitable d'une religion de paix, je vous
rends les comtats d'Avignon et Venaissin , plus le comlé de Pro-
vence ; et la rive gauche du Rhône jusqu'à Valence ; c'est le moins
qu'on doive au zèle apostolique qui vous fit entretenir les torches
du fanatisme et attiser l'incendie de la Vendée. Enfin , vous, roi
d'Angleterre, dont l'argent a ji puissamment servi la ccaiiiion,
ne fût-ce que pour légitimer votre litre de roi de France, prenez
la Bretagne et la Guienne; ces provinces sont remplies d'hommes
robustes et infatigables ; vous vous épargnerez, en les transpor-
tant à la Jamaïque, beaucoup de têtes de nègres ; et surtout que
vos ministres ne craignent plus le spectacle d'un peuple libre en
Europe ; je vais m'occupera ramener ce qui restera de la France
au onzième siècle dans toute sa sp/ent/eu)'; j'anéantirai succes-
sivement jusqu'au tiers'état. Je ne veux plus que des serfs et des
nobles. .
> Quelle honte que l'on méprise assez une nation puissante et
victorieuse pour oser parler ainsi de lui rendre ses fers et d'en
partager les dépouilles, comme on parlerait de partager les fruits
d'une métairie! Royalistes, anarchistes, orléanistes, partisans
diffamés d'York ou de Charles , nos femmes, nos enfans, nos
biens, tous les républicains , nos braves armées sont-elles donc
votre propriété pour que vous puissiez en disposer comme d'un
troupeau de bêtes !
i II n'en sera point ainsi, si, usant contre vos ennemis de tous
les moyens légitimes, mais n'en négligeant aucun , les citoyens
aperçoivent partout dans l'intérieur l'action et l'image de la loi
dont ils vous ont fait les organes ; si la liberté n'est pas pour eux
un vain nom , et qu'au contraire elle ajoute, comme elle le doit ,
à la prospérité individuelle; si les institutions républicaines sont
mises en activité, sont respectées, soutenues, et que les mœurs
du citoyen remplacent celles du sujet! Il n'en sera point ainsi
enfin , et tout cet appareil de complots, que notre irjsouciancc ,
notre faiblesse ou notre division rendent formidable , tombera
de lui-même lorsque vous aurez appris aux Français à se re-
garder comme plus heureux du bien (ju'ils possèdent actuelle-
234 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
ment que comme malheureux par la privation de ceux qui leur
manquent encore.
» Après tant de leçons et de dësisJres, une simple hypothèse
que chacun peut faire, et dontrexpëri^nce et les faits passés con-
firmeront la conclusion, peut démontrer ce que uous avançons;
je vous prie de m'en pei mtttre la supposition : je regrette d'a-
voir autant pris sur des momens que réi lameni sans doute des
objets de détermination ur^^ente ; mais puisque votre commission
a réuni toutes les probabilités qui indiquent clairement vers quelle
efrVoyable catastrophe les conspirations quelconques entraîue-
raient inéviiabletnent la majorité de la République, il est bon de
se convaincre que si la fin est atroce , les -moyens , quelle que soit
cette fin , ne le sont pas moins, ne peuvent pas l'être moins; il
faut savoir entendre des vérités dures lorsqu'elles peuvent nous
éviter l'excès des calamités.
» Je suppose que le chef de chacune de ces conspirations se
trouve placé là, en présence des représentirs du peuple et des
citoyens a>sistans ; je les interroge. Vous, tribun populaire, que
prétendez- vous? — Etre le chef, ét:d)lir le bonheur commun ,
l'égalité parfaite, et la communauté de tous les biena. — Bon ,
nous connaissons toute la so'idité d'un tel plan ; mais quHs seront
vos premiers moyens d'exécution? — Le suppli-'c de tout ce
qui compose les autorhés consliiuee> actuelles, et l'aneaniisse-
ment de tout ce que je nomme aristocrate en France, pour qu'il
n'y reste que des démocrates purs et leséj^aux de fa»tet (ie droit.
— El vous, royalistes, n'ir»!porte powr quelle branche, quel est
votre but? — De rendre :» la France le bonheur dont elle jouis-
sait autrefois. — J entends : uous connaissons ce bonheur; nous
n'avon- pas encore oublie les tortures, les droits féodaux , les ga-
belles, les privilèges, !♦•> dîmes, les chasses, et généralement
toutes ces inventions heureuses qui sacriHaieni le grard nombre
aux menus ploi.sirs de <|uelques hommes, lesquels trouvaient si
dur de souffrir et de mourir commn nous ! Mais quels moyens
emploierez-vous? — Oh! il est indispensable de se défaire de
tout ce qui a tenu à la révolution , fonctionnaires , écrivains, gar-
AD 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 235
des nationales, défenseurs; le venin de la sédition a corrompu
toutes cesaoïes ; il faut l'extirper : il ne faut pas risquer, par une
pitié mal entendue, le saUit du prince et la sûreté du trône. S'ils
n'eus- ent pas regardé leur roi comme un homme , jamais ils
n'auraient osé le juger : tous sont coupables ou complices; ils
ont fait, ou laissé faire, ou encouragé à faire, et c'est la journée
du Jeu de Paume qui a enfanté celle du 21 janvier.
)) Et vous , que je ne sais comment qualifier, qui voulez asso-
cier un fantôme de royauté avec les principes répiiblicains d'une
des éphémères constittiiions (1), quels sont aussi vos premiers
moyens de réussi tt*? — c L'égorgement des républicains , l'écla-
» tante punition de l'affreuse journée du 10 août, où l'on a osé
» renverser le trône , et le juste châtiment de cette assemblée lé-
» gislative dont le devoir était de prononcer non pas la suspens
» sion , mais la déchéance , comme le lui demandait la commune
» de Paris, puisque par là le trône restait constiiutionnellement
» debout, et que ronstitutionnellement on eût pu y placer pour
» régent tel mannequin qui nous eût convenu. »
» Ainsi donc il n'est aucun projet de révolte contre la Consti-
tution républicaine dont la base ne porte sur de vastes Saint-
Barihélemy, sur des incendies, des meurtres, et sur le ravage
des propriétés! Ainsi c'est le poignard et la torche à la main que
ces prétendus restaurateurs de leur patrie ramènent ce bonheur
suprême qu'ils nuus promettent ! C'est pour l'exécution de tels
plans, c'est avec de tels moyens qu'ils cherchent des complices et
des dupes, et i^s en trouvent I Insensés, qui croyez , sur la foi de
ces perfides, que vous pourriez changer ce gouvernement, qui
ne vous déplaît que parce qu'il est le vôtre, comme on change
une décoration théâtrale, calculez au moins; sachez qu'il faut
mille fois inoins d'efforts aujourd'hui pour conserver voire Con-
slitinion , pour l'améliorer, pour en tirer tout ce qu'il y a de bon
et de désirable parmi les hommes , qu'il ne faudrait de saorilices,
de sang , de larmes , de crimes et de ravages pour en établir une
(<) Lettre de Paisaye
^56 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
autre ! Et puis maintenant dénigrez la République, appelez la
guerre civile, et applaudissez aux conspirateurs!
> Quelle cause a perdu le trône? Pensez- vous que , fières d'une
longue et antique usurpation , ces famill^.s qui regardaient le pou-
voir comme un bien héréditaire aFent manqué de volonté, de pro-
jets et même de moyens pour s'opposer aux efforts de la Iii)erté?
Non sans doute ; le contraire est démontré chaque jour. Sont-ce
les lâches courtisans , dont la cupidité calculait sur un change-
ment de dynastie, qui tenaient les fils moteursdela révolution, ou
qui en ont favorisé les élans? Non; mais l'indignation réagissait
sans cesse contre une cour avilie, à qui l'excès de la corruption
n'avait rien lai se de sain et d'honnéie. Le peuple n'était rien
pour elle; elle ne fut rien pour lui. Oui, c'e-t cette coupable in-
différence qui a précipité la chute d'un régime étranger à la na-
tion, et souvent l'ennemi le plus cruel de ceux qu'd gouvernait.
C'est par les vices, les cruautés, l'isolement que les états et les
gouvernemens périssent, beaucoup plus que par les ijruplions
hostiles. Un complot est découvert : eh ! qu'importe, si votre in-
souciance encourage à en former de nouveaux tous les jours, si
vous regardez passer la conspiration comme jadis la cour voyait
pcLsser la misère du peuple ! J'entends : renihousiasme est épuisé ;
les malheurs d'une révolution qui a remué tous les élémens du
corps social ne laissent de sentiment que celui d'une fatigue dou-
loureuse, de désir que celui de réparer ses pertes, comme un
malade brisé par ks accès d'une fièvre aiguë se rétablit lente-
ment, traîne une lonp,ue convalescence, concentre vers soi tou-
tes ses affections, et ne soupire qu'après le repos. Mais au moins,
citoyens français, ce repos que vos vœux appellent faites donc ce
qu'il faut pour l'obtenir! Vous voulez la paix, vous voulez, la
restauration d( s finances : eh bien ! l'un et l'autre point dépendent
de vous ; dans un mois peut-être vous donneriez la paix et vous
recevriez les indemnités de la guerre .m votre volonté, d'accord
avec votre intérêt, vous serrait autour du gouvernement répu-
blicain , si l'ennemi n'espérait pas qu'au lieu de le soutenir vous
êtes prêts à le laisser tomber, ou même à l'attaquer. La suppo-
AU 50 FLOR. AN V ( 179o-1797 ). 237
sition est fausse, je le sais; mais c'est la conviction du contraire
qu'il faudrait lui donner. Tous ces hommes qui ne songent qu'à
vous faire prendre en haine la République, qui vous invitent à
dédaigner, à fouler aux pieds tout ce qui en porte le caractèr.e ,
et qui vous en donnent si impudemment l'exemple, tous ces fer*
vens apôtres des distinctions et des abus, qui s'annoncent en
tous lieux pour n'avoir rien de {.'lus cher que votre félicité , eux
seuls en reculent l'époque. Plus i!s parviennent à atténuer l'es-
prit public et à vous faire haïr les principes de la liberté , plus ils
semblent dire à la coalition ( ce qui se trouve encore dans les piè-
ces saisies, lettre de cCEntraigues) : < Patientez, ne vous pressez
point, np faites point la paix; si vous êtes battus au-dehors,
vos fidèles alliés triomphent dans l'intérieur; nous lasserons le.
peuple, nous le fatiguerons , nous lui parlerons sans cesse de
paix , afin de lui en accroître le désir et le besoin ; mais gardez-
vous d'y accéder, pour que l'odieux de la guerre retombe sur
» les républicains exclusivement. »
» Français de tous états, et j'ose dire de toute opinion, qui ne
voulez plus de révolutions , qui voulez la paix et le retour de l'a-
bondance , oui, la simple manifesiation de votre attachement au
régime actuel et aux institutions qui le rendent immuable suffit
pour écarter les malheurs dont chaque parti vous rendrait la vie*
time , pour étouffer toute conspiration dès sa naissance , par l'im-
possibilité d'avoir l'ombre d'un succès , et enfin pour faire cesser
les horreurs de la guerre.
» Certes, quoi qu'en pubhent les calomniateurs, ce n'a point
été dans l'un ou l'autre conseil , ce n'a point éié dans le gouver-
nement républicain que l'olivier a jamais été repoussé ; mais puis-
que à chaque victoire nous avons énoncé le vœu formel de la
puix , puisque nos combats n'ont pour objet que de la donner ou
de la conquérir, je crois que c'est assez avoir publié nos sonti-
mens à cet é^jard, et qu'il est inutile, quand nous en gémissons
chaque jour, de relever continuellement avec une sorte d'affecta-
tion les malheurs dune guerre que l'ennemi a commencée , que
l'ennemi seul prolonge. Oui, que toute l'horreur des nations re-
238 DIRECTOJRE. — DU 4 BRUM. AN IV
tombe sur ceux- qui se refusent à la paix ! Ce langage, ce me sem-
ble, n'est point usité parn-'i les vainqueurs. Qaand le principe
des compensations a éié posé , a i-il été rejeté par le gouverne-
ment? Non; il a été adopté. Mais, quand, à l'explication, l'on a
vu qu'il s'agiosait de déshonorer la République , de la démante-
ler, d'en ouvrir et d'en confier les issues à nos ennemis , de vio-
ler des traités sacrés , des promesses solennelles , le gouverne-
ment a senti la dignité et l'intérêt de la nation ; il ne s'est point
modelé sur ce cabintt d'une cour corrompue, qui en 1787 reçut
\rt prix de l'iuvasion de la Hollande; il a .^enti que si l'intérêt des
contracians fornait les alliances entre les peuples, la loyauté !a
plus sévère les garantissait et en acquéra't de nouvelles ; il a senti
qu'il ne devait point , par unecondocendance criminelle , encou-
rager à des demandes plus absurdes eixore, demandes que les
affidésde l'intérieur, qiii comptaient sur la conspiration du jî2plu-
viose , annonçaient assez nalvf ment. Tels sont les principes qui
ont dû diriger votre gouverninient : t» Is sont ceux qui servi-
ront de iè,jle aux représenians de la nation; elle en a pour ga-
rans leur caractère et leurs sermens.
» Au reste , veuillez encore sur ce point écouter la leçon de
l'histoire. C'est là seuienient que les législateurs des nations peu-
vent espérer 4e trouver les conseils de la sagesse, de l'impartia-
lité et de Texperieiice ; vous verrez jusqu'à quel point il peut
éclairer votre situation pohlique actue le.
» Rome avait vaincu à Z mia , et avait donné à sa rivale , fati-
guée de la guerre , la paix meurtrière qui lui présageait sa de-
struction ; elle lui avait interdit la guerre sans l'aveu du sénat
romain, enlevé armes, vaisseaux, éléphans, et imposé un tri-
but. Les pieuiières conditions s'exé'utèrent sans murmure.
Quand on en vint à la demie: e 1 1 désolation fut universf^He ; An-
nibal seul pai ui riaht à .la p'ace publi']UO : on le lui rc; rocha; il
répondit :
< Si riu:érieui d un honmie pouvait se voir comme h s traits
» de son voyage , celte joie (jue vous me reprochez vous vous
> convaincriez bientôt qu'elle part moins d'un véritable r^jnten-
AU 30 FLOR. AN V (1795-1797). 239
> lement que d'un cœur rendu insensé par le malheur ; mais au
» reste, fût-elle vraie, elle serait moins déplacée que ne l'est
» aujourd'hui voire intempestive douleur. Il fallait pleurer lors-
» que , sous l'apparence de la paix , on vous ôlait vos armes, vos
> vaisseaux, vos munitions, vos places, vot alliés, et tous vos
» moyens de défense; il fallait pleurer quand, au nom de la
» paix , on vous laissait nus et désarmés au milieu des nations
» armées de T Afrique ! Mais alors personne n'a gémi , tant il est
»* vrai que nous ne sentons des maux de l'état que ce qui touche
» nos intérêts particuliers! Et mainten.jnt qu'il vous faut payer
> le tribut auquel vous vous êtes soumis , vous pleurez comme
» dans un deuiî pubic! Ah! que je crains que vous ne semiez
» bientôt que ces larmes que vous versez vous les donnez au plus
» léger de vos maux ! » ( Tite-Live , Liv. 52. )
» Je n'ajoute aucunes rétle.xions; chacun de vous les a faites.
» Repiésentans du peuple, les agitations ^ont inévitiibles dans
les états libres; elles sont le résultat de cette inquiétude indivi-
duelle qui Laît du sentiment de ses forces et de sa liberté; mais
il dépend de la sagesse et de la fermeté des législateurs d'empê-
cher qu'elles ne dégénèrent en commotions violentes, en sédi-
tions. Depuis sept ans on croirait voir en France la lutte du bon
et du mauvais principe ; la liberté n'a rien gagné que de vivefurce
sur le despotisme : il est temps de faire cesser ce grand scandale
politique, ef. de substituer le culte aug'.;ste de la loi à ces super-
stitions ej)hemères que les partis érigent pour les idoles qu'ils
élèvent. Hçlas ! il me semble entendre le bruit de leur chute suc-
cessive, et les gemisseniens tardifs des info/ lunés qui leur ont
pro titn^ leur encens et leurs hommages ! C'est au eoi ps légis-
latif, c'est au gouvernement républicain à présenter ^ans cesse à
ceux que les dangers et l'expérience ont insiruits un point de ral-
liement dont aucune fjction ne puisse appr cher. 'Prcuégé par
la loi , rassuré par son impei lurbable énergie, on ne sera pi»int
t^nté de rechercher un au're abri, ni de courir les chances ha-
sardeuse des conspirateurs; on ne voudra (jue la Constitulou
lorsqu'il sera bien évident que la sûreté est là, et n'est nulle part
^0 DIRECTOIRE. — DU 4 BRCM. AN IV
ailleurs. La conspiration dont nous vous avons entretenus avait ,
comme toutes les autres, l'esclavage pour but, et regorgement
et la rapine pour moyens : c'est toujours l'ambition du pouvoir
et le mépris des hommes qui veulent exploiter à leur profil la cré-
dulité, la faiblesse, et jusqu'à leur ressefltiment. On se presse-
rail moins sans doute d'entrer dans ces ligues honteuses si leur
détestable objet n'était point caché sous des prétextes que l'ha-
bitude ancienne nous rend encore familiers. Hé bien ! ce sont ces
voiles olficieux qu'il faut arracher; il faut que cet antique mons-
tre du despotisme, n'importe qu'il se couvre des livrées féodales
ou des guenilles de l'anarchie, soit produit à tous les yeux dans
sa nudité; qu'on le voie engloutissant les biens et la substance
des esclaves qui rampent sous son empire, corrompant les
mœurs, pioscrivant les vertus , les talens, la force , le courage ,
l'émulation , et brisant dans ses sombres défiances jusqu'aux liens
des familles! il l^ut qu'à ces sinistres images vous opposiez le
tableau des bienfoits d'une consiiiuiion libre, adaptée à nos
mœurs, qui porte en elle ses moyens de perfectionnement et d'a-
mélioration, qui déjà a pour elle d'avoir reposé la France pen-
dant les dix-huit mois ue son activité, d'avoir raffeimi le terrain
mouvant sur lequel nous marchons , d'y avoir fait croître h douce
espérance et la consolation , d'avoir arrêté les divers complots,
et dont le succès peut-être surpasserait noire attente si les affec-
tions éclairées des citoyens lui portaient dès à présent le tribut
de sentiment qu'elle obtiendra un jour! 11 faut que vous rappel-
liez à sa dignité première la fonction d'homme de lettres, que
son utilité faisait nommer une magistrature de morale publique ,
et dont les principes de sagesse et de liberté , la philosophie , l'in-
dépendance, l'élévation et la reciitude des idées ont i^i puissam-
ment concouru à notre affranchissement !
> Je ne dis plus qu'un mot ; il entre dans ce que vous a dit eu
commençant votre commission : les conspirateurs comptaient sur
nos divisions. Non, Français, qui ne connaissez que l'ennemi de
votre patrie, ce ne sera point au milieu de nous que se nourriront
les germes des déchiremens intérieurs, et que viendront se per-
AD 30 FLOR, AN V (1790-1797 ). 241
dre les fruits de vos victoires ! Nous courons tous la mêaie car-
rière ; nous avons brûlé nos vaisseaux ! Et qui de nous voudrait
survivre à la perte de la liberté , à la ruine de sa pairie? Les fem-
mes des barbares les arrêtent dans leur' fuite et les repoussent au
combat : de quel front un Français lâche ou perfide retournei aits
il dans ses foyers pour ne porter à sa femme et à ses enfans que
la honte et l'esclavage? Ahî c'est alors que les reproches, les re-
mords, l'aspect des tourmens de ce qui nous est cher, et les
jjrands souvenirs de la révolution , nous feraient trouver des for-
ces dans noire désespoir même! Heureusement, quelle que soit
la gêne momentanée où se trouve la République , un plus doux
avenir s'ouvre devant elle; ses ennemis au-dehors sont vaincus,
ses ennemis au-dedans sont arrêtés; peu à peu les plaies se fer-
ment et la confiance renaît. Que tous les moyens d'énergie , d'u-
nion, d'instruction , soient employés pour revivifier l'esprit pu-
blic, et nous lui verrons produire avec moins d'eff'oris pour le
mainiien de la Gonsiituiion ce qu'il a fait pour le succès et la pro-
gression de la révoUiion. Nos armées, éternel objet de {>loire et
d'admiration, combatient pour la gloire et vainquent pour la
paix. Près do la fin de notre carrière législative, après avoir vu
la Bastille et le trône renversés, les factions enchaînées , la Con-
stitution républicaine fondée . les discordes intestines apaisées ,
que nous reste-t-il à désirer? De pousoir bientôt, donnant l'exem-
ple, comme hommes privés, de la plus entière soumission à la loi ,
du respect pour ses magistrats , du dévouement à la République,
reporter dans nos retraites l'olivier d'une paix solide et honora-
ble : il sera, quoi qu'en disent les médians', le plus doux de nos
travaux, et le dernier lermede Tambiiionqu'ils nous reprochent! >
On regarda généralement «:e rapport comme rédigé dans le
but d'influencer les élections. Voici une autre pièce qui fut pu-
bliée d'abord dans le Rédacteur, ']ourïia\ officiel, pendant le temps
même où elles avaient lieu, et qui fut insérée ensuite dans tous
les journaux. Nous la trouvons , dans le Journal de Paris , du
23 germinal (12 avril 1797), à côté d'un compte rendu des opé-
rations du corps électoral de la Seine.
1. xxxvii. m
242 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
« Louis XVIII aux Français.
> Une douleur profonde pénèire notre ame toutes les fois que
nous voyons des Français génfiir dans les fers pour prix de leur
dévouement au salut de la France. Mais sulfira-t-il à vos tyrans
de s'être procuré de nouvelles victime^? Dans cette conspiration
qu'ils leur imputent, dans ces papiers qu'ils publient avec tant
d'éclat , ne chercheront-ils pas des prétextes pour calomnier
nos intentions? N'est-il pas à craindre entin que, supposant
des pièces, ou se permettant de frauduleuses insinuations, ils
ne s'efforcent de nous peindre à vos yeux sons des couleurs men-
songères ?
» C'estundevoirpournousdevousprémunirontre une perfidie
que l'expérience du passé nous autorise à prévoir, c'est un besoin
pour notre cœur de vous manifester les seniimens qui le remplis-
sent : les tyrans s'enveloppent dts ombres du mystère ; un père
ne craint pas les regards de ses enfans. Ceux de nos sujrts fidèles
que nous avons chargés de vous éclairer sur vos véritables inté-
rêts retrouveront dans cet écrit les instructions (]u'ils ont reçues ;
ceux que la pureté de bur zèle et la sajjesse de leurs principes
rendront dignes à l'avenir de notre confi mcey lir oit d'avance les
instructions qui leur seront données ; tous les Français enfin qui ,
partageant notre amour pour la patrie, voudront conrourir à la
sauver, s'y instruiront des règles qu'ils doivent suivre, et la France
entière, connaissant le but auquel ils tendront de concert, et les
moyensqu'ils mettront en œuvre, jugera elle-même du bit n qu'elle
doit en espérer.
» Nous avons dit à nos agens, nous leur répéterons sans
cesse :
« Ramenez notre peupb» h la sainte religion de ses pèies et au
» gouvernement paternel q»)i fit si long-temps !a gloire et le bon-
» beur de la France; expliquez-lui la constitution de l'étal, qui
» n'est calomniée que parce quelle est méconnue; instruisez-le
» ù la distinguer du régime qui s'était introduit depuis trop long-
> temps ; montrez-lui qu'elle est également opposée à l'anarchie
AU 30 PLOR. AN V (479,^-1797 ). 245
> et au despotisme, deux fléaux qui nous sont odieux autant qu'à
» lui-même , mais qui pèsent tour à tour sur la France depuis
» qu'elle n'a plus son roi. Consultez des hommes sages et éclairés
> sur les nouveaux degrés de perfection dont elle peut être sus-
f ceptible, et faites connaître les formes qu'elle a prescrites pour
» travailler à son amélioration ; affirmez que nous prendrons les
» mesures les plus efficaces pour la préserver des injures du temps
» et des attaques de l'autorité même. Garantissez de nouveau Fou-
» bli des erreurs, des torts, même des crimes ; étouffez dans tous
» les cœurs jusqu'au moindre désir de vengeance particulière ,
» que nous sommes résolu de réprimer sévèrement. Transmeitez-
j> nous le vœu public sur les réglemens propres à corriger les
» abus, dont la réforme sera l'objet constant de notre sollicitude.
» Donnez tous vos soins à prévenir le retour de ce régime de sang
> qui nous a coûté tant de larmes, et dont nos malheureux sujets
* sont encore menacés.
» Dirigez les choix qui vont se faij e , sur des gens de bien ,
» amis de l'ordre et de la paix , mais incapables de trahir la
j» dignité du nom français , et dont les vertus , les lumières , le
» courage puissent nous aid( r à ramener notre peuple au bonheur.
> Assurez des récompenses proportionnées à leurs services ,
» aux militaires de tous les grades, aux membres de toutes lesad-
» minisirations qui coopéreront au rétablissement de la religion,
» des lois et de l'autorité légitime; mais gardez-vous d'employer
> pour les rétablir les moyer-s atroces qui ont été mis en usage
» pour les renverser : attendez de Topinion publique un succès
» qu'elle seule peut rendre solide et durable ; ou, s'il fallait recou-
» rir à la force des armes, ne vous servez du moins de cette cruelle
» ressource qu'à la dernière extrémité, et pour lui donner un ap-
» pui juste et nécessaire. »
» Français, tons les écrits que vous trouverez conformes à ces
sentimens nous nous ferons gloire de l^r^s avouei : si l'on vous en
présente où vous ne reconnaissiez pas ces caractères ; rt^jetez-les
comme des œuvres de mensonge ; ils ne seraient pas selon t-ôtrfe
cœur.
à44 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
» Donné le 10 mars de l'an de grâce mil sept cent quatre-vingt
dix-sept, et de notre lègne le deuxième. Signé, Louis. • (20 ven-
tôse an 5 de la Republique. )
Cette pièce était précédée de cet avis, dans le Rédacteur :
« Le directoire exécutif vient de recevoir un exemplaire d'une
proclamation du soi-disant Louis XVIIÏ aux Français. On ne peut
donner trop de publicité à cette pièce, qui ne laisse pas de doute
sur le projet insensé de renverser la République et la Constitu-
tion adoptée par le peuple français, sur l'existence d'agens royaux,
et sur les conspirations ourdies par les soins de ces derniers. Per-
suadé de l'inJigaation qu'elle excitera dans l'ame de tous les Fi an-
çais, le directoire exécutif croit ne pouvoir mieux les prémunir
contre les pièges tendus sous leurs pas qu'en faisant connaître à
toute la F/ance cet odieux manifeste. »
Cette publicité n'eut pas l'effet qu'eu attendait le directoire :
la proclamation royale n'excita chez les républicains qu'un sou-
rire dédaigneux ; elle fut un attrait, un gage pour les gens faibles
ou déjà séduits.
Ce n'était pas à ces publications que s'était borné le directoire,
il avait pris des mesures plus directes ; il commença dans un ar-
rêté qui fut inséré au Bulletin des Lois^ par déclarer que les pré-
venus d'émigration n'étaient point admissibles dans les assemblées
primaires. Le lendemain , î20 ventôse (11 mars), Dumolard ré-
clama contre un tel abus de pouvoir; sareclamation, vivement ap-
puyée, fut renvoyée à une commission qui lit son rapport, le 21,
et proposa une mesure qui pût concilier les partis qui se trou-
vaient aux prises sur celte question, savoir que Ics prévenus d'e-
migration ne seraient point exclus des assemblées primaires, s'ils
avaient obtenu leur radiation provisoire. Or, le nombre des indi-
vidus portés sur les listes d'émigration, d'après un ra^-port du di-
rectoire fait à la séance du 5 ventôse , était alors par aperçu de
cent vingt mille, sur lesquels il y en avait plus de soixante mille
vivant publiquement en France; encore tous lesdépartemens n'a-
vaient pas transmis leurs listes. Le nombre des réclamations en
radiation était de dix-sept mille. Le directoire avait prononcé sur
AU 50 FLOR. AN V (1795- 1797 ). â4o
quinze cents , et, sur cette quantité , il en avait rejeté seulement
cent soixante-dix; on voit donc que le projet de la commission
n'était pas très-contraire à l'arréié du directoire : seulement c'é-
tait lui faire éprouver l'apparence d'uo échec. Ce projet fut adopté
parle conseil.
Le directoire fut moins imprudent dans la seconde mesure qu'il
voulait prendre pour les élections; il eut recours aux conseils.
Il adressa le 25 ventôse (15 mars 1797^ , un message aux c^nq-
cents; oii, après avoir fait observer que l'audace des royalistes
s'accroissait à proportion des efforts qu'il faisait pour les compri-
mer; que les fonctionnaires publics entravaient sa marche au lieu
de le servir, etc.; il demandait que les électeurs, nommés par les
assemblées primaires, fussent assujettis au serment que la loi im-
posait aux fonctionnaires publics. Ce serait, ajoutait-il, un moyen
de s'assurer de leur fidélité à bien remplir leur mission , et un
hommage au moins extérieur qu'ils donr.eraient à la République.
A peine ce message était-il lu, que Fabre , de l'Aude , parut
à la tribune, avec un discours écrit à la main; il proposa, au
milieu des interruptions , que la formule de ce serment fut :
« Je jure de choisir en mon ame et conscience et de ne me lais-
ser influencer ni par promesses , ni par menaces. > La pro-
position de Fabre fut appuyée par les républicains, attaquée
par les royalistes. Ceux-ci soutenaient que celte demande était
inconstitutionnelle, que nul corps de l'étal n'avait le droit de li-
miter le choix du peuple , que demander ainsi des sermens à tout
propos, c'était en avilir la valeur, etc. La discussion fut longue
et irès-orageuse; elle employa deux séances. Dans la seconle,
elle fut fermée lorsqu'il restait encore plus de soixante orateurs
inscrits, après un discours de Jean Debry qui, profitant de la pré-
sence du général Augereau et de celle de son état major à la séance,
s'écria : e La mesure proposée réunit tous les citoyens au pacte
social, la mesure contraire permet à chacun de crier à son gré :
vive Capet! vive Maratf quelle que soit la liberté des cultes, la
connaissance d'un Être suprême en fait la base, et la religion du
serment en est une conséquence. Pourquoi donc la rejeter? faut-
^46 DIRECTOIRE. — DU 4 BRU M. AN IV
il loiijours coniraindre la miin par les lois , et ne jamais lier la
( (>nscience? les armée -> de urr^' ei de mer ont prêté le serment de
liaiiHi à la royauté, de tidéiité à la ilépublique, et chaque jour
elles îe so' lient ue leur sang ; ils l'avaient prêté, les braves guer-
riers qui, sur le pont d'Arcole, plantaient le drapeau de la Répu-
blique. » A ces mots, tous les yeux se tournèrent vers Augereau,
on applaudit, on cria aux voix; Noailles, Delville, Delarue, de-
mandèrent en vain ia parole, la discussion fut fermée. « C'est, dit
Lesage-Senault, une nouvelle Montagne qui se forme. » Après
quelques débats sur la rédaction , la demande du directoire fut
adoptée à la séance suivante, dans une résolution ainsi formulée:
« Lorsque les assemblées électorales seront provisoirement con-
stituées, chaque électeur fera, à haute et intelligible voix, la dé-
claration suivante : « Je promets attachement et fidélité à la Ré-
» publique, et à la Constitution de Tan 5. Je m'engage à les dé-
» fendre de tout mon pouvoir, contre les attaques de la royauté et
» de l'anarchie. >
Nous n'avons point trouve j quelle majorité cette décision
passa; elle ne fut pas sans doute plus considéiable qu'au conseil
des anciens, où après plusieurs séances et des débats tumultueux,
elle ne passa qu à une majorité de cent quatorze voix contre qua-
tre-vingt quatorze.
Le gouvernement ne se borija pas à ces mesures ; le ministre
Merlin écrivit aux autorités de la Belgique, pour leur désigner
les ex-conventionnels dont le choix serait agréable au directoire.
Le minisire de la police, adressa une circulaire semblable aux au-
torités des <lépanemons ; on envoya des commissaires chargés
d'iutluncer le> élections d>nt on s(î d^fiail le plus. Le ministre
de riîitérieur demand i a la trésorerie une somme de sept cent
rinquante mille francs, pour assurti- le calme des eieclions , etc. ;
ma s, <iuu uirecôté, les députés de l'oppositiou ne s'abstenaient
pa>. Ln grand nombre d'entre eux rédigèrent des adresses à leurs
concitoyens, et n > se firent pas faute de recommander leurs amis
poliii'jues.
L?s élections comme, ci^i eut le ti() germioal ( 9 avril ), en beau-
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 J. 247
coup de lieux, elles furent très-tumultueuses; il y eut des rixes et
des violences graves , qui donnèrent lieu à de nombreuses récla-
maiions près le corps légisiatif ; eu général , elles s'annonçaient
comme devant être peu favorables aux répub 'icains. Le directoire
délibérait déjà s'il ne demanderait pas aux conseils, une loi pour
ajourner les élections , lorsque le hasard lui fournit une circon-
stanca dont il espéra pouvoir tirer parti.
Siéyes fut attaqué par un prêtre nommé Ponle, son compa-
triote , et blessé par lui d'un coup de pistolet à la main et au côté.
Siéyes eut plus de peur que de mal ; car la peau était à peine ef-
fleurée. Néanmoins on fit grand bruit de cette affaire aux cinq-
cents ; on assura que Poule était un envoyé de Louis XVIÎI; qu'il
y avait une conspiration pour mettre à mort les hommes qui
avaient renversé la monarchie ; qu'on avait saisi , à Rouen , une
fabrique de poignards : on occupa deux séances de cet incident.
Mais tout ce bruit n'aboutit à rien; il se trouva que Poule était
une espèce de fou qui avait été successivement moine et soldat, et
qui, se trouvant dans la misère , avait été demander une aumône
chez son compatriote. IVLjI accueilH par celui-ci, irrité par ses
réponses, il l'avait fraj)pé d'un coup de pistolet. Poule fut condamné
à vingt ansdefer, et Siéyes fut bientôt réiahli de ses blessures.
L'effet de celte comédie ainsi que des pièces royalistes que
l'on avait imprimées était détruit par le souvenir des violences des
hébertistes que le parti réactionnaire exploitait avec habileté et
par la lecture des débats du procès de Babeuf, à la haute ( ; r de
Vendôme, débats dout les journaux entretenaient alors chaque
jour le pubhc. Les principaux acciisés s'occupaient moins de se
défendr-^ que d développer un système que tout le motule re-
poussait et que Robespierre lui-même, .i la counaissance de tous,
avait poursuivi pen iaut le règne de la terreur, dans le parti de
CliauineU'*, (i'ilébeit , et de leurs amis. Des détails grotesques
étaient mêlés parfois au sérieux et à la violence de ces débats.
Ces détails , comme on va le voir par un exemple , n'étaient rien
moins que propres à donner une haute idée du bon sens des der-
niers soi-disaut deix^nseurs de la révolution. — L'un d'eux crut
248 DIRECTOIRE. — DU 4 BKLM. AN IV
bien se défendre en déclarant qu'il croyait aux génies et aux
mauvais esprits; son mauvais génie l'avait engagé à se faire co-
piste chez Lepelletier-Saint-Fargeau, chez lequel il avait vu Du-
play père ei fils , Antonelle et Didier, sous le nom de Dmel; ces
citoyens portaient les pièces qu'il copiait; le même mauvais gé-
nie, qui le faisait copier chez Lepelletier, l'avait transporté chez
Babeuf, ou la crainte que lui inspirait son démon lui avait faii co-
pier tout ce qui lui était présenté. — Alors les accusés et Babeuf
crièrent que Pillé était fou. — « S'il y a ici un fou , c'est loi , ré-
» pliqua Piîlé. Pendantque je copiais dans ton appartement, tu
» courais, tu renversais leschaiees , tu .vauiais , tu criais de toutes
» les forces : Il y a insurrection! l'insurrection commence! » —
Babeuf convint de ces mouvemens ; mais il ajouta qu'il ne les
employait « que pour s'animer à un style mâle, à l'exemple des
grands écrivains. » [Moniteur, n. lî)7.)
En définitive, les élections furent en général dans le sens de
l'opposition réactionnaire ou royaliste, comme on le disait dans
les salons du directoire. Paris, entre autres, nomma aux anciens
Fleurieux et Murinais; pour les cinq-cents , Dufresne, Quatre-
mère , Desbonnières ; les uns et les autres déjà désignés comme
royalistes , et Emmery et Boissy-d'Anglas , que l'on considérait
alors comme des républicains.
Long-temps avant les élections , le 15 nivôse ( 5 mars 1707) ,
on avait , dans les deux conseils , établi un tirage au sort pour dé-
cider qiiel'e serait la moitié des ex-conveniionnels qui devait
sortir, au l''»" prairial, pour faire place au tiers nouveau. C'était
désigner dts candidats aux électeurs : cependant un petit nombre
furent nommés.
Enfin , les élections étant terminées, les membres du directoire
se réunirent en séance secièle , le 50 floréal, et procédèrent à
un tirage au sort pour c-nn.JÎtrr «jufl serait celui qui devait sortir.
Ce fut Lelourneur.
AU 50 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). i249
SITUATION MILITAIRE ET DIPLOMATIQUE DE LA REPUBLIQUE
AU 30 FLORÉAL AN O. {M) MAI 1797.)
Le peu d'espace qui nous reste pour satisfaire aux engagemens
que nous avons pris avec notre éditeur ne nous permet point de
traiter ce sujet d'une manière étendue. Il a d'ailleurs été exposé
fort longuement dans des ouvrafjes qui se trouvent entre les mains
de tous ceux pour lesquels les faits de cet ordre sont l'objet d'une
étude spéciale. Quant à nous, nous ne devons pas oublier que
nous nous sommes chargés d'écrire la partie jusqu'à ce jour la
plus négligée , bien que la plus importante de l'histoire de la ré-
volution , celle de son gouvernement , celle des assemblées na-
tionales et de l'esprit public. Nous nous adressons particulière-
ment aux hommes qui font leur étude de l'art de gouverner les'
nations. Nous n'avons donc à nous occuper des questions militai-
res et diplomatiques, qu'au point de vue de l'influence qu'elles
peuvent exercer sur les affaires intérieures. C'est dans cette vue
que nous allons exposer d'abord quelle était la situation militaire
de la République.
Parmi les membres du directoire, il se trouvait un homme
exercé, de longue main , aux mesures de salut public. Il avait fait
partie, avec Robespierre, du redoutable comité qui avait eu à ré-
sister en même temps à l'invasion armée, à la guerre civile, au
fédérahsme et à l'anarchie; là , il était spécialement chargé du
soin des affaires militaires , et , selon une expression exagérée si
on l'applique à lui seul , mais qui peint très-exacteiiieni k nature
des services rendus par le comité, il avait organisé la victoire.
Cet homme était Carnot. 11 fut encore chargé par ses collègues
des mouvemens miliiaires et de la direction des armées. C'est à
lui, sans doute, qu'il faut attribuer l'esprit d'ordre et de pré-
voyance qui présida à la direction générale des armées.
11 fut décidé que, dans la campagne de 1796 (an IV) qui allait
s'ouvrir, on porterait la guerre sur le territoire étranger, c'est-à-
dire en Allemagne et en Italie. C'était le moyen le plus sûr d'é-
loigner la guerre de nos frontières, de forcer les ennemis à la
250 DIRECTOIRE. — DU 4 BRLM. AN IV
paix , et de soulager les finances de la République en entretenant
les troupes aux dépens des contrées conquises. Pour faire avec
avantage une telle campiigne, il iallait des généraux actifs,
pleins d'ardeur, entreprenons , ayant leur rëj»ut;«tiou a laire ,
jeunes par conséquent. On appela Bonaparte au commnndement
de l'armée d'Italie; Moreau, à celui de l'une des armées qui de-
vaient opérer en Allemagne ; et enfin Jourdan , à l'armée de Sam-
bre-et'Meuse. L'armée manquait de chevaux, de vivres et d'e-
quipemens. Mais on éiait autorisé à lever une partie des contri-
butions en nature ; on décréta une réquisition qui prit tous les
chevaux de luxe , et un trentième des chevaux de labeur. On fit ,
avec divers particuliers , des marchés pour trois cent cinquante
mille equipemenscompleis. Il est vrai que cette dernière fourni-
ture n'arriva point eriièrement à farmée; elle fut l'occasion de
dilapidations considérables , dont Barras et ses amis furent les au-
teurs ou les complices. Les cadres des régimeus étaient incom-
plets; la loi sur la désertion dont nous avons i^it mention ei des
ordres très-sévères pour bire rejoindre (ousles léquisiiionnaires
réfractaires , réussirent à les ivmplir. Ou avait d'ailh urs réduit
le nombre de ces cadres en meltunt à la i éfoi me quelques vieux
officiers, et à la suite un grand nombre des plus jeunes. Si ces
mesures .:e mirent pas farinée dans une situation parfaite, au
moins elles la préparèrent à agi •.
Armée d'Italie. — L'aruiée françaiiC e ail sur la déltnsive, oc-
cupant des postes sur !a rivière de Géne.s, depuis Savone jusqu'à
Finestre. Elic était forie de quarante deux mille quatre cents
hon)mes et >oixanie canons. Kl'e ai tendait , dans l'immobilité et
le dénuement , des secours e; des îenforis que l'on réunissait dans
le département du Var et le pays de JNict'. tlle avait devant elle
le {général autrichien Boaulieu, à la lèie de tr« nie nulle hommes
et de quaraiili' pi -ces d; canon , et ii; {jt^uéi al GoUi à la lèle de
vingt-deux mille Austro-Sardes et soixante pièces.
Bonaparte , nommé général en chef de l'armée d'Italie , arriva
à INice le 7 germinal an A ( 27 mars 1 79G ). Il s'occupa aussitôt de
ravitailler l'armée; il lui lit payer une partie de la solde qui lui
AU 50 FLOR. AN V (1795-1797 ). 251
était dae^ et, soulageant ainsi la misère de l'officier et du soldat,
dissipa en u« instant cette méfiance qui accueille toujours un
ho'nme nouveau.
Beiiuiieu fitie premier un mouvement offensif; il se porta avec
la plus grande partie de ses forces vers la côte , ot chassa devant
lui une de nos brigades. Aussitôt Bonaparte commanda un mou-
vement général à toute l'armée républicaine, dirigeant la plus
grande partie de ses forces sur le centre , afin ne séparer les im-
périaux des Austro-Sardes commandés par Colli. Le général au-
trichien Argenteau était là avec dix mille hommes , occupant le
centre des communications entre Beaulieu et Colli. 11 fut écrasé à
Montenolte. Ce revers fut le commencement d'une suite rapide
d'échecs. Beauiieu essaya vainement de reprendre la position qu'il
venait de perdre. H fut battu successivement à Millé»imo et à Dego,
en sorte que Bonaparte , après six jours de combats , se trouva
maître des crêtes des Apennins, ayant opéré la séparation entre
l'armée sarde et l'armée autrichienne. 11 avait de plus pris à l'en-
nemi quarante pièces de canon et lui avait tué dix mille hommes.
Le général français profitant de ce premier scccès, laisse une di-
vision pour observer et contenir Beaulieu , et dirige la plus grande
partie de ses forces contre les Piémontais qu'il force à se replier,
après plusieurs combats, jusqu'à Mondovi, où après un vif enga-
gement les Piémontais abandonnèrent la ville et le champ de ba-
taille, laissant entre les mains des républicains huit canons et onze
drapeaux. La cour de Turin, effrayée de ces progiès rapides qui
meoaçaient sa capitale , fit faire des ouvertures de paix. Le
28 avril (9 floréal), Bonaparie conclut un armistice avec le roi de
Sardaigut^, pariequ* Ion remettait entro ses mains les forteresses
de Coni, d'Alexandrie, de Ceva et de Tortone, dont Us Français
pr'i'ent en effet possession. Ces préliminaires turent le signal de
la paix qui fut signie à Paris le 15 mai suivant (26 flon-al).
Cependant, Bonaparte débarrassé des Sardes, se jeta alors
avec toutes ses forces sur Beaulieu qui venait d'être rejoint par
deux mille hommes de cavalerie najiolitaineet que la nouvelle du
Il ailé avait tiré de sonjmmobilité. Beaulieu partit de Acqui , où
"262 DIRKCTOIKE. — DU 4 BRUM. AN IV
il avait pris position quelques jours auparavant , et après avoir
îenlë vainement un coup de main pour reprendre Alexandrie et
Tortone, il se hâta de repasser le Pô. L'armée française passe à
son tour le Pô à Plaisance, le 7 mai (18 floréal ), bat les A'jti ichiens
à Fonibio , et les force à se retirer sur l'AdJa. Le duc de Parme
effrayé de l'approche des Français, si,;ne un traité par lequel il
s'engagea livrer aux républicains 2,000,000 de francs et dix-sept
cents chevaux. Pendant qu'on achevait celte conveniioii, on se
précipitait sur les pas des impériaux , et l'on passait l'Adda à
Lodi, sous le feu de vingt pièces de canon et de neuf ou dix mille
hommes. Si les Fiançais eussent eu de la cavalerie, le corps au-
trichien, complètement démoralisé, eût été anéanti. Beaulieu,
après celte affaire, se relira derrière le Mincio. Là, il n'avait
plus de refuge que vers Mantoue ou dans les gorges du Tyrol.
Pour attaquer Milan il suffisait donc de se couvrir du côlé de
Mantoue; c'est ce qu'où Ht en s'emparani de Crémone qui, sur
une simple menace, ouvrit ses portes à Masséna. Bonaparte alors
dirigea l'armée sur Milan, où elle entra le 15 mai (i26 floréal).
Cette suite de succès merveilleux jeta réionuement et la ter-
reur en Italie. Tous les petits princes se hâtèrent pour se garantir
d'une invasion dont la rapidité tenait du miracle, et qui suppo-
sait des forces auxquelles rien ne pouvait résister. Les envoyés
du duc de Modène signèrent avec le général une convention par
laquelle il devait verser dans la caisse de l'armée 7,500,000 fr.,
fournir 2,500,01)0 fr. en munitions, et vingt tableaux.
Cependant , comme Bonaparte l • disait à ses soldats dtms une
proclamation, rien n'était fait, tant qu'il restait encore quelque
chose à faire. En conséquence , après avoir apaisé une révolte
qui menaçait de mettre toute la Lombardie contre lui , il passe le
Mincio à Bor^jhetio, s'empare de Vcronne sur l'Adige, el rejette
d(^finitivement dans le Tyrol les Autrichiens affaiblis dans une
suite de petits combats désastreux, et les quitte là, incapables de
reprendre l'ofiensive. Alors , laissant la division Masséna en ob-
servation sur l'Adige, et celle de Serrurier autour de Mantoue ,
où Beaulieu avait mis une forte garnison , il peusa à prendre les
AU r>0 FLOU. AN V ( 1795-1797 ). 285
mesures nécessaires pour forcer le reste de rilaîie à la paix et
assurer ainsi ses derrières, dans le cas où il faudrait porter la
guerre par le Tyrol jusqu'en Allemagne. La division Augereau
fut chargée de marcher sur Rome ; et pendant ce temps une autre
coloune commandée par Vaubois partait de Plaisance et devait
traverser la Toscane , et se rendre également dans les états ro-
mains. La cour de Naples , avertie de ce mouvement , ou effrayée,
envoya un plénipotentiaire qui signa, le o juin 1796 (17 prairial
an 4), un armistice. Cependant Augereau prit Bologne le 19 ;
cette démonstration suffit pour déterminer le saint père à trai-
ter; l'armistice fut signé le 24. En même temps, la division
Vaubois occupait Livourne, et nous assurait les bonnes disposi-
tions du grand-duc de Toscane. Il ne restait plus pour être com-
plètement maître de l'Italie, qu'à prendre la ville de Mantoue. On
s'occupa donc activement de convertir le blocus de cette place en
un siège régulier. Mais elle était très-forte et pourvue d'une gar-
nison considérable ; elle ne pouvait être emportée par un coup de
main ; et les Français furent bientôt rappelés de ce siège , pour
défendre leurs conquêtes qu'une nouvelle armée autrichienne
venait leur disputer.
L'empereur avait remplacé Beaulieu , par un général dont l'ha-
bileté et l'énergie étaient depuis long-temps éprouvées, le feld-
maréclial Wurmser ; il lui avait remis une nouvelle armée com-
posée en partie de divisions tirées de l'armée du Rhin , en partit
de nouvelles troupes.
Plus de soixante mille hommes se trouvaient réunis sous son
commandement.
Le total de l'armée française en Italie ne s'élevait alors qu'à
cinquanie-deux mille cent soixante -neuf hommes, dont dix
mille cent vingt étaient dispersés en diverses garnisons. Il fallait
en laisser quinze mille trois cent quatre-vingt-treize pour conii-
nuer le blocus. Ainsi i'arméfi active, en retirant toutes les troupes
assiégeantes , ne montait qu'à vingt-six mille sept cent cin-
quante-six hommes.
Pendant que Bonaparte massait toutes sps forces disponibles.
254 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
Wurmser descendait le Tyroi en trois colonnes de vingt mille
hommes chacune, sa droite commandée par Quesdanowich ,
tournant îe lac Guarda , sa gijuche < i son centre suivant les deux
rives de i'Adige. Le mouvenient de ( es trois colonnes aboutissait
évidemment à Manîoue ; celte ville , en effet , était le but concen-
trique de la maiche des impériaux. Les avant-gardes françaises
commanijées par Sauretet Masséna furent obligées de se replier,
après une' vive défense, à i>aIo et à Peschiera. Mais Bonuparie,
profilant de Ja séparation des corps ennemis, se jette au milieu
d'eux avec toutes ses forces tt les attaque séparément. Il bat
Quesnadowich à Salo et à Lona:o, puis il délait Wurmser lui-
même à Casiiglione. Ce feld-maréchal, voyant ses troupes désor-
ganisées, ùC relire dans le Tyrol j)OUi' se refaire; au com-
mencement d'août ( ihei midor ) , nos troupes avaient repris
leurs positions .^ ur le lac et sur I'Adige. Wurmser ne les laissa
pas long-temps tranquilles ; il se mit de tiouveaii en marche
sur Mantoue, laissant Davidowich pour garder l'entrée du Ty-
rol. Il descendai! la vallée de la Brtnta; Bonaparie le lai:>se s'a-
vancer, ei s'élance contre Davidowith qu'il écrase et poursuit
de poste en poste; il s'empare de Tr^eiUe et de Koveredo. Il re-
vient ensuite sur ses pas, marche sur Wurmser, et le rejette de
l'autre côté de la Bienia. Le feld-maréchal , coupé, n*eui plus
d'autres ressources que de se jeter dans Manloue avec quelques
millier'S d'hommes, débris de la grande armét qu'il commandait ;
encore il ne parvint à les sauver que par une march • forcée de
nuit et de jour, dans laquelle il ht monter ses fantassins derrière
ses cavaliers. Cttte bataille lie plusieur-s jours commença et finit
dans le cours du mois de se^itembre 1796.
Cependant, dans le courant du mois suivant , par une fécon-
dité ou une ténacité aussi inépuisable que le courage frai cars ,
l'Auti icho avait formé une iroisièmp armée de soixante mille hom-
mes doni tile avaii donne le cori mai.dement au géncr'al Alvinzy.
Elle fut en état de recommencer les hosiiliiés au commencement
de noveuibrc.
Bonaparte n'avait reçu aucun renfort ; Serrurier bloquait lou-
AU 50 FLOR. AN V ( 1790-1797 ). 'àn^
jours Mantoue ; Vaubois gardait les débouchés du Tyrol ; Mas-
séna et Augereau occupaient Yéronne et Legnano ; les réserves
couvraient le Mincio.
Les impériaux forment encore deux colour es ; mais cette l'ois
l'une et l'autre opèrent offensivement : Alvînzy s'avance par la
roule du Frioul, etDavidowich descend la chaussée du Tyrol.
Bonaparte marche avec Augereau et Mâsséna a la rencontre
d'Alvinzy quia déjà passé la Brenta , et le rejette dans Bassano;
mais Davidowich a deposté Vaubois et l'a repi é depuis Trente
jusqu'à Rivoli. (2-12 novembre.) Napoléon est contraint à re-
noncer auK conséquences de son premier succès pour se rappro-
cher de Véronne; il fait donc rétrograder son armée victorieuse,
court lui-mêfiie raffermir Vaubois surle plateau de Rivoli , et, se
retournaat contre Alvinzy qui a suivi ses pas , il cherche à lui
enlever ses positions de Galdiero ; mais , pour la première fois ,
il n'est pas vainqueur. L'armée n'ayant pu réussir à ébranler les
impériaux, rentre dans Véronne; cependant Vaubois contient
Davidowich.
On fcste une journée dans i'inaciion, puis une autre journée;
enfin , à l'entrée de la nuit , nous sortons de Véronne par la rive
droite de l'Adige. A peine hors de Véronne, Bonaparte fait faire
un à-gauche à l'aimée, la dirige le long de l'Adige jusqu'à
Ronco , où il a fait établir un pont , après quoi il la lance sur
l'autre rive.
Cette partie le la rive jjauche est un terrain marécageux, pra-
ticable seulement par deux chaussées , dont l'une aboutit à Gal-
diero, où elle rejoint la grande route de Vicence à Véronne; et
l'autre, en longeant l'Alpon, conduit d'abord à Arcole, puis, se
divisant , tombe aussi par les deux rives de cette petite rivière
sur la grarwie communication de Véronne eu traversant le bourg
deVillano\a.
Le gros de l'armée impériale est en bataille à Caîdiero , faisant
fac^; à Véronne ; srs parcs et réserves sont restés à Villanova : d'où
il suit que nos colonnes, en s'en^ageant au débouché de Ronco
sur les digues que nous venons de décrire , menacent à la ibis à
256 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
revers toutes les positions de Tennemi. Le plan de Bonaparte est
de faire enlever à Villanova, par la colonne de droite , les con-
vois d'Alvinzy et ses réserves, puis de se rabattre par la route
de Vicence sur Caldieroque doit attaquer en même temps la co-
lonne de gauche.
Mais un obstacle imprévu liiit échouer celle belle combinaison
dont la réussite eût amené l'entière destruction d'Alvinzy. Auge-
leau, à la lètede la colonne de droite , éprouve, au passage du
pont d' Aréole , une vive résistance ( 1.V17 novembre) ; Bonaparte
fait alors, mais trop tard, un détachement pour tourner l'Alpon
par Albaredo et seconder l'attaque d'Arcole. Cependant tous les
efforts d'Augereau échouent devant la défense opiniâtre de l'en-
nemi : Alvinzy averti quille Caldiero,faccourt a Villanova, fait ré-
trograder ses réserveset renforce les troupes engagéesdansArcole.
Le lendemain, le combat s'en^jage de nouveau sur les deux di-
gues; Augereau à droite, Masséna à gauche.
Nous revenons encore bivouaquer à Konco , et la situation de
Vaubois commence à devenir inquiétante : aussi Bonaparte est-il
déterminé à en iinir avec Alvinzy et à le combattre en plaine. Il
forme trois colonnes ; Masséna conduit encore celle de gauche ;
Robert, au centr<' , marche par la digue d'Arcole ; Augereau re-
monte la rive gauche de l'Alpon : ce dernier général arrive vers
Arcole pendant qu'on se bat sur les deux digues. L'ennemi re-
passe alors l'Alpon et forme sa ligne en arrière , paralièlement à
la rivière. L'armée entière rejoint Augereau par le pont d'Arcole
et se range en bataille à mesure qu'elle débouche; au moment
où elle attaque sur toui son Iront , la garnison de Legnago , pa-
raissant sur les derrières des Impériaux, les décide à la retraite;
ils se replient à Vicence.
Bonaparte rentre à Véronne par la route de Caldiero, traverse
la ville, ( l va refouler dans le Tyrol Davidowich qui a poussé Vau-
bois jusqu'aux g'acisde la place.
Il faut quelque temps aux impériaux pour se réorganiser et
recevoir des renforts. Lorsque leur armée est en état de tenter
une nouvelle attaque, Alvinzy la divise, comme précédemment, en
AU 50 FLOR. AN V (1790-1797). 257
deux colonnes ; mais cette fois il descend avec quarante-cinq milie
hommes les routes qui longent l'Ad'ge et le lac de Garde , tandis
que Provera, à la tête de vingt mille , marche droit sur Mantoue
par la chaussée de Yicence.
Nos positions sont toujours les mêmes ; la division Vaubois ,
commandée maintenant par Joubert, occupe la Gorona et Rivoli ;
Masséna et Augereau couvrent l' Adige ; la réserve, sous les ordres
de Rey, est concentrée autour de Peschiera ; Serrurier n'a point
quitté le blocus de Mantoue.
Les deux généraux ennemis tombent sur nous simultanément.
Joubert , accablé par le nombre , est replié jusqu'à Rivoli ; Mas-
séna rejetie Provera loin de Vércnne, tandis que, vers Legnago,
une fusillade insi^juifiante s'ouvre de l'une à l'autre rive.
Ces indications démontrent à Bonaparte que l'attaque princi-
pale est dirigée contre Joubert ; il cour ta Rivoli, emmenant Mas-
séna qui a Ole à Provera l'envie d'inquiéter Véronne, et donnant à
Rey l'ordre de les rejoindre.
Alvinzy a conçu le projet d'envelopper Joubert : tandis qu'il
l'attaque de front, il fait filer le long du lac la division Lusignan
qui doit le prendre par derrière, et le fait canonner à revers par
une autre division jetée sur la rive gauche de l'Adige.
Cette manœuvre se dessine lorsque Bonaparte arrive avec les
têles de colonnes de Masséna ; il lance aussitôt contre le corps
principal d' Alvinzy tout ce qu'il a de disponible sur le charrp de
bataille; et lorsque la ligne ennemie , rompue par ce grand ef-
fort, se met en déi oute, il revient sur Lusignan ; à ce même instant,
Rey commence à débouher; Lusignan pris entre deuxîeux,
dépose les armes. Le corps pîa'é au delà de l'Adige a été inutile.
(12 — 15 janvier 1797. 25 — 26 nivôse an 5.)
Sans s'arrêter un instant , Bonaparte se rabat contre Provera
qui a surpris le passage entre Véronne et Legnago, et qu'Auge-
reau poursuit à outrance.
Arrivé sous nos lignes de Mantoue, Provera ne peut réussir à
les percer ; il fait demander à Wurmser de le seconder le lende-
main par une sortie ; mais , le lendemain , il a sur les bras Bona-
T. XXXVII. 1^ 17
:2o8 DIRECTOIRE. — DL 4 BRUM. AN IV
parte et ses deux infatifiabi s lieuteniins. Pendant que Serrurier
fait face à Wunnser et le refoule dans la place, Provera, attaqué
à Revers par Masséna et en queue par Augereau, est obligé de se
rendre.
L'armée impériale est encore une fois détruite ; Mantoue enfin
capitule.
Bonaparte marche aussitôt contre le pape qui n'exécute point
la convention de Tannée précédente; il rencontre l'armée pa-
pale en avant de Faenza, la pousse en désordre jusqu'à Ancône,
où elle arrive réduite à moitié, et où il achève de la détruire; après
quoi il s'avance jusqu'à Tolentino, où un noijveau traité est con-
clu. (9-18 Février. — Pluviôse an 5. )
La campagne de 1797 n'est plus qu'une marcIie rapide doni
l'idée est aussi simple que féconde en résultats brillans.
Après les derniers désastres d'Alvirzy, les Impériaux, réduits
à la défensive, se sont étendus de manière à couvrir les trois
routes du Tyrol , de la Carniole et de la Carinthie, en aitendanc
les renforts que leur fournissent les armées du Rhin, ij'nn divisions
se rendent d'Allemagne en Italie, les deux premières par Inspruck
pour opérer dans le Tyrol, les quatre autres par Silzbourg et Vil-
lach pour déboucher de la Carinthie.
L'archiduc Charles , appelé au commandement de toutes ces
forces, dans la confiance que la campague ne p» ut être ouverte
avant qu'elles soient entrées en li;;ne , a réparti celles qu'il a sous
la main en raison des difficultés que présentent le terrain et la
saison. Sa principale colonne garde la roule la plus accessible,
celle de la Carniole; la moindre est en position en avant du défil<î
de Tarvis et de Ponteba; la troisième occupe le Tyrol. L'arrivée
des secours en marche doit rétablir féquilibre entre ces subdivi-
sions ; c'est le moment attendu par le prince pour attaquer à la
fois par les trois communications.
Mais Bonaparte a résolu de prévenir cette agression et de pren-
dre finitiative; il a été aussi renforcé, et le Directoire, mieux avisé
que le cabinet aulique, a fait filer à travers les Alpes, au milieu de
l'hiver, trois belles divisions tirées de l'inlérieur, des armées de
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). ^259
Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle ; elles sont parvenues sur
TAdige à l'insu de l'ennemi.
Bonaparte a pour la première fois , et pour un instant bien
court , la supériorité du nombre : l'occasion est précieuse, il ne
peut la négliger. Un mouvement général en avant est prescrit à
l'armée, combiné de relie sorte que , le centre ayant pénétré en
Carinthie, elle doit se grouper autour de ce noyau et accabler par
sa masse les corps disséminés de l'ennemi.
Masséna est chargé de se jeter sur le centre de l'archiduc, de
le mener battant jusqu'à Tarvis , et de s'y établir. Pendant ce
temps, Joubert à gauche , Bonaparte à droite, poussent les ailes
dans le Tyrol et la Carniole, afin de dégager les chemins transver-
saux, communiquant de ces deux provinces à la Carinthie, par
lesquels ils doivent se rabattre sur Masséna.
Kilmaine reste sur l'Adige, à la tête de quinze mille hommes ,
pour tenir en respect les Vénitiens et assurer notre retraite.
Sur tous les points le succès est complet : Masséna renverse les
Impériaux à Bellune, à Cadore, tourne la Piave et s'empare des
cols de Pdnteba à TarVis; en même temps, Joubert chasse du
Tyrol Laudon et Kerpeô , les bat à Saint-Michel , à Clausen , à
Mittenwald , écrase les renforts qui commencent à se présenter,
rejette Laudon près des sources de l'Adige, etKerpen au-deià du
Brenner; après quoi il quitte à Brixen la route d'Inspruck, et se
porte par Lienz à Villach. Enfin, Bonaparte, refoulant devant lui
l'archiduc Charles, traverse la Piave , passe cLe vive force le Ta-
gliamento à Valvasone et occupe Palma-Nova.
Cependant l'aichiduc essaie d'arrêter cet élan dont les consé-
quences sont trop évidentes; il tente un grand effort pour rompre
notre centre. Bayalitsch est dirigé sur 1 arvis par la vallée de i'I-
sonso, tandis q»e le prince, abandonnant i\ une division la défense
de la Carniole, se transporte par Layb;:ich à Clag^nfurtli d'où
il se rabat aussi sur Tarvis.
C'est le moment décisif: Masséna va se trouver enveloppé dans
les cols qu'il a téniérairement franchis, ou se maintenir dass ces
positions qui sont la clef de toute notre opération.
î^nO DIRFXTOIRE. — DU 4 BRUM. AN lY
L'archiduc réussit à enlever Tarvis et se déploie en attendant
Bayalitsch qui doit prendre Mas^ëna entre deux feux ; mais Mas-
séna ne le laisse point s'affermir, il tombe sur sa ligne avec toute
son impétuosité, et finit par la rompre.
Pendant ce temps, Bayalitsch s'avance suivi de près par Guyeux
et Serrurier, que Napoléon a lancés à sa jpoursuiie ; le premier,
par Udine, le second par Gorice; lorsqu'il débouche près de Tar-
vis, il se heurte contre Masséna vainqueur , et dépose les armes.
{25 mars 1797. — 5 germinal an 5. )
L'archiduc se retire à Clagenfurth où il rappelle sa gauche que
Bernadotte a suivie jusqu'à Laybach, et qu'il poursuit encore dans
la Carinlhie. Bientôt Bonaparte, après avoir fait capituler Trieste,
se porte sur cette province où toute l'armée est concentrée; il se
met à la suite de l'archiduc, le bat à Neumarkt, malgré l'arrivée
de ses renforts, et pénètre jusqu'à Leoben.
Ce fut là que les conditions d'une suspension d'armes, furent
arrêtées le 7 avril 17D7 (19 germinal an 5) ; les préliminaires de
la paix furent signés dix jours après, le 29 germinal ( 17 avril).
L'empereur cédait la Belgique à la France , reconnais^it ses U-
mites telles qu'elles avaient été décrétée^ par la Convention , et
accepiaii l'établissement d'une république en Lombardie. Ce
traité fut connu à Paris, le G floréal, et le i à l'armée du Rhin où
il arrêta Hoche et Moreau qui venaient de passer ce fleuve.
Un seul état en Italie n'avait pas reconnu la puissance des
armes de la Répubjique ; c'était l'état de Venise. Il avait des griefs *
à expier. Il avait livré passage à Alvinzy ; il avait fait une procla-
mation aux peuples de son obéissance, qu'il concluait par ces
mots : Mort aux Français ; il avait prépaie une armée que les
succès seuls de nos armes avaient paralysée. Bonaparte, autorisé
par ces actes, inspiré par l'intérêt de ne pas laisser un ami à l'Au-
triche, dans la Haute-Italie, déclara, avec l'autorisation du direc-
toire et des deux conseis , la guerre à la République de Venise,
et envahit son territoire. Le général Baraguay-d'Hilliers,àIa tête
d'un corps de troupes françaises, occupa la ville de Venise, le
13 mai 1797 (24 floréal an 5). En même temps, une révolution
AU 50 FLOR. AIN V ( 179o-1797). mi
avait lieu à Gênes, et cet état prenait librement le nom de Répu-
blique Ligurienne,
Armées d'Allemagne. Les armées des deux nations se trou-
vaient à peu près égales après le départ des divisions envoyées
avec Wurmser, pour défendre l'Italie, seulement les Autrichiens
avaient la supériorité en cavalerie, et un seul commaDdimt, l'ar-
chiduc Charles dirigeait les forces impériales , tandis que deux
généraux , Jourdan et Moreau , commandaient les armées répu-
blicaines.
Ce fut Jourdan qui commença, le 1^^ juin 4796, les opérations»
à la tête de l'armée de Sambre-et-Meuse , sur la rive droite du
Rhin. Après avoir battu les Wurtemburgeois et les Autrichiens,
à Altenkirchen , il s'avança sur la Lahn. Alors l'archiduc dirigea le
gros de ses forces contre lui, et le força à la retraite. Kleber sou-
tint à Wetzlar un combat honorable, mais sans résultat. Jourdan
recula devant des forces supérieures , et repassa le Rhin à Neu-
Avied.
Cependant Moreau , à la tête de l'armée du Rhin-et- Moselle ,
surprend le fort de Kehl, fait passer le Rhin à son armée, et s'em-
pare de Biberach , de Fribourg , de Radstadt , de Gernsbech ; il
attire ainsi l'archiduc, mais celui-ci est obligé à la retraite, et
se relire sur le Danube, suivi par l'armée de Moreau.
Jourdan , n'ayant plus en tête un ennemi supérieur, passe en-
core une fois le Rhin et se met à la poursuite du corps autrichien
qui est devant lui. Il le bat à Friedberg et occupe Francfort,
Wurtzbourg, Nuremberg et marche sur la Rohême. Ce furent
sans doute ces succès qui déterminèrent les princes de Souabe et
de Saxe à faire la paix avec la République. Les troupes autri-
chiennes s'étant affaibhes par la perte de leurs contingens, l'ar-
chiduc vit occuper une forte position vers Ulm , comme uni-
quement occupé de défendre les états héréditaires. Bloreau le
suivait. C'est alors (|ue le prince Charles s'apej cevant de la po-
sition aventurée de l'année de Jourdan pense à en profiter ; il passe
brusquement le Danube çi laissant un corps d'observation ca-
pable d'en imposer à Moreau , marche rapidement vers Jourdan
26:2 DIRECTOIRE. — DU 4 BRUM. AN IV
et le force à rétrograder après plusieurs engagemens très-vifs ,
dans lesquels les Français, attaqués par des forces supérieures,
résistèrent jusqu'à forcer l'admiration de leurs ennemis.
Moreau fiit quelque temps avant de s'apercevoir qu'il n'avait
plus devant lui le gros des forces autrichiennes. Enfin par divers
mouvemens ii essaya de les attirer de son côté ; mais ayant appris
la retraite de l'armée d^' Sambre-et-Meuse, il se décida à la retraite
volontairement, c est-a-dire après être sorti victorieux de tous
les combats qu'il avait livrés à l'ennemi. Dans sa marche vers le
Rhin, il trouve l'occasion d'écraser l'ennemi près du lac de
Féder ; il lui fait essuyer une défaite complète, et ensuite repasse
tranquillement le Rhin , pendant que Jourdan de son côté venait
aussi reprendre position sur la rive gauche de ce lleuve. La cam-
pagne des deux armées se trouva terminée à la fin d'octo-
bre 1796 ( brumaire an IV ). On se préparait à en tenter une dou-
velle, lorsque le traiié de Campo-Formio vint suspendre les ho-
stilités.
Guerre civile, — Hoche avait été chargé d'en finir avec la Ven-
dée. 11 n'employa pas seulement les moyens militaires , mais en-
core toutes les séductions qui pouvaient agir sur les populations
rebelles. 11 proniettaii et û donnait sécurité aux officiers roya-
listes qui (h^posuienl les armes ; il protégeait le clergé ; enfin , il
faisait incessamineni p.*rcuiirir !e pays par des colonnes mobiles,
et se montrait fort en même temps que clément.
Charrette tenta un dernier ellbrt. llréuiiit, le 28 décembre
1795 (7 nivôse an l V ), à la Rouillière environ cinq mille hommes.
11 fut écvâté p:«r une colonne comuiandoe par le général Travot.
Stoftlet chrTchuil,en même temps, à reprendre les armes en
Anjou. Mais, après quelques succès saris importance, poursuivi
par Hoche lui-même, il fut livré par les siens et fusillé. Charrette
ne fut \y.\s plus heureux; baitu de nouveau et i.oursuivi par le géné-
ral Travot, cerné, il fut pris les armes à la main et fusillé à Nantes,
le 27 mars 1796 ^7 germinal an IV ). Après avoir détruit le parti
Vendéen en lui ôtant ses derniers chefs. Hoche dirigea &oi; atten-
tion sur les chouans. Puisave avait réussi à réunir quelques ban-
AU 30 FLOR. AN V (1795-1797). 265
des. Les. républicains combinèrent leurs mouvemensde manière
à les acculer dans le Morbihan et dans les côtes du Nord. Eiles
furent facilement dispersées et anéanties après des engagemens
plus meurtriers qu'importans. Cette opération était à peine ter-
minée, qu'âne nouvelle tentative de guerre civile appela les trou-
pes de la Vendée dans le Berri. Un jeune noble , le comte de
Rochecolte, conçut l'idée d'insurger le Berry, le Bourbonnais,
l'Auvergne, la Touraine et l'Orléanais. On lança une proclama-
tion de Louis XVIII, et deux éangrés, Phéîippeaux et Dupin ,
organisèrent des rassemblemens. Le premier réunit environ
quinze cents hommes avec lesquels il s'empara de la petite ville
de Sury en Vaux; puis ensuite de Sancerre. En même temps,
il ramassait environ trois mille paysans aux environs de Château-
roux. — Hoche dirigea des forces contre ces deux rassemble-
mens. Chacun d'eux fut attaqué et détruit en un seul combat.
Les chefs furent pris njais le directoire usa d'indulgence envers
eux. Le comte de Rochecotie parvint à s'échapper. Cette affaire
fut si rapidement menée qu'elle fut terminée presqu'aussifôt que
commencée. Tout était en paix dès le mois de mai 1796 (floréal
an IV), au moment oii l'armée d'Italie remportait ses premières
victoires.
Les victoires remportées par les armées de la République lui
conquirent soit la paix , soit les préliminaires de la paix, partout
où elle put porter ses pas. Ainsi qiiC nous lavons vu, on pou-
vait se considérer comme assuré du eôté de l'Italie et de i' Alle-
magne. Depuis long-temps lEspagne ne nous faisait plus la
guerre. Le directoire contracta avecede une alliance offeu^ve et
défensive. Ut 1:2 liuciidor an IV (29 août 1796). L'Auglt-ierre
elle-uiême fit des ouvertures de paix; le directoire vn instruisit
les con.>ei!s par wa inessuge le 25 vendémiaire an V (16 octo-
bre 1796). Lord Alauneabary lut envoyé à Paris en qualité de
ministre plénipotentiaire; il y arriva le i*^^' brumaire an V (22 oc-
tobre 171)6). iMais l'Angleterre demandait trop; elle voulait trai-
ter pour tous ses alliés , saui avoir d'ailleurs reçu leurs pouvoirs ;
elle voulait que ia France évacuât l'itahc et restituât sei cou-
ii64 DlKttiT01R£. — DU 4 BULM. AN IV
quêtes. Lesnégociaiions furent donc rompues. Lord Malmesbury
quitta Paris le l^r nivôse an V (:21 décembre 179(3). Au resie,
pendant ce temps la guerre n'avait pas discoi:iinué. On avait re-
pris la Corse sur les Anglais et l'on préparait une expédition en
Irlande. Quelques jours avant la rupture, le 2o frimaire, une
escadre composée de dix huit vaisseaux , treize frégates et cinq
corvettes, dirigée par l'amiral Villarei- Joyeuse, était sortie de
Brest en trois divisions. Elle avait à bord le général Hoche et des
troupes de débarquement. Des trois divisions qui la composaient ,
une seule arriva sur les côtes d'Irlande, dans la baie de Gal-
loway près de Cork. On se disposait à débarquer les six mille
hommes qu'elle portait , lorsqu'un coup de vent força les vais-
seaux à reprendre le large. Les deux autres divisions appro-
chaient des côtes d'Irlande , mais la violence de la mer et du vent
les empêcha d'en approcher, en sorte qu'elles furent contraintes
de revenir à Bf e^t. Un seul bâtiment jeta à terre l^^s hommes qu'il
portait. Ce petit corps, attaqué par des forces supérieures , fut
bientôt obligé de se rendre.
FINANCES.
Depuis le commenccaient de la révolution, les linances étaient
dans une situation désastreuse. Les lois sur les contributions
étaient sans force; les impôts ne produisaient à peu près rien , et
lors même qu'ils seraient rentrés complètement dans le trésor,
ils eussent étéinsulfisaus pour couvrir les dépenses publiques. On
lit face, au défaut de paiement des coniribuiions, et à l'excès des
besoins , par la création des assignats. Ce fut à l'aide de ce papier
monnaie qae la révolution résista à la guerre étrangère qui l'en-
tourait de toute part, à la guerre civile et à la famine. Mais c'é-
tait un moyen dont la force diminuait, au fur et à mesure que l'on
en faisait usaj'.e. Au commencemenl du directoire, la valeur des
assignats était tombée à ce point, (ju'un louis d'or de vingt-qua-
tre francs valait deux et trois mille fi ancs eu papier. L'agiotage
s'exerçait ù cette occasion de telle sorte que les variations du
change produisaient des perturbations dans le pr\\ <lu travail et
AU 30 FLOR. AN V ( 1795-179(i ). i265
des objets de consommation, aussi instantanées qu'elle-même,
et dont le résultat était de frapper la production et le commerce
de défiance, et par suite de stérilité.
Voici quelle était la situation de la fortune publique à la fin
de 1795. Nous l'extrayons d'un rapport fait par Eschsssériaux ,
au nom d'une commission nommée par le conseil des cinq-cents
pour examiner la position de la République à cet égard. Ce
rapport fut lu en comité secret , le 22 brumaire an 5 (12 novem-
bre 1796).
> Total des assignats émis par décrets , et fabriqués par arrêtés du
comité des finances.
» Émis par de'crets à diverses époques. 9,978,056,625 liv»
> Fabriqués par arrêtés du comité des
finances et émis depuis le 6 vendémiaire
an 3, jusqu'au 8 brumaire an 4. . . . 19,452,425,000 liv.
Total. . . 29,430,481,623 liv.
> Sur quoi il faut déduire :
» Assignats brûlés 5,352,683,000 liv.
» Assignats à brûler 73,014,727
» Assignats démonétisés qui ne sont pas
rentrés 992,531,804
» Valeurs mortes qui ne doivent plus
rentrer en circulation 353,152,172
» Valeurs en suspens dans les caisses. . 216,317,686
> Dans les caisses des dépariemens et
armées 400,000,000
» Reste à fabriquer sur les émissions
ordonnées. 5,101,110,000
* Dans les serres de la l^bricaiion. . 8,207,76.5
Total. . . 10,497,017,159 liv.
» D'après ces déductions , la circulation réelle se trouve ré-
duite, au 15 brumaire (6 novembre), à 18,953,461,464 liv.
266 DIRECTOIRIS. — DU 4 BRLM. AN IV
» Etats des biens nationaux vendus et des biens qui restent
à vendre.
» Première origine, vendus d'esiiaiution , un milliard oiO mil-
lions 158,556 liv.
» Adjugés, pour trois milliards, 194,828,290.
> Reste sur les biens nationaux de premièrt; origine , au prix
d'estimatiou , six cent cinq millions enécus,que Ton peut évaluer
dans la vente à un milliard.
» Reste dû à la nation , en assignats, de la vente des biens de
première origine , 456,670,996 liv.
> Biens d'émigrés, estimes, valeur de 1790, deux milliards
cinquante-sepi millions 804,511 liv.
» Dû par les acquéreurs de biens d'émigrés vendus eu assi-
gnats 52,0(X),000 liv.
» Forets nationales , estimées valeur écus, deux milliards.
» Biens nationaux de la Belgique , estimés par aperçu , deux
milliards.
» Contributions publiques. ISayant point placé dans celle si-
tuation des linauces la dette consolidée, nous n'y placerons point
aussi les contributions publiques , avec lesquelles elle se balance
naturellement ; nous ne parlerons point d autres parties acces-
soires des finances, doul les comptes ne sont point encore arrêtés
à la trésorerie nationale.
» Il s'ensuit d'après le tableau que nous venons d'otrVir, que le
reste des biens de première origine, les biens des émigrés, les
forêts nationales, les biei.s nationaux de la Belgique, réunis en-
semble , forment un total de sept milliards.
> Je ne mets point en ligne décompte les ressources secon-
daires que la natiou a entre ses mains , comme : les lingots et
l'argent (iéposé à la trésorerie ; les ciiamaus et le mobilier natio-
nal ; les sommes dues par la Hollande; le papier on marchandises
sur l'étranger; le cuivie pour la labricatiuri ; Ut parti à tirer des
prises; celui que la natiou peut tirer encore de ses nouvelles pos-
sessions do Saint-Domingue.
AO 30 FLOR. AN V ( 1795-1797 ). 267
» Il résulte néanmoins de cet état comparatif de h dette de la
nation et de ses ressources, que l'hypothèque affeciét; au rem-
boursement des assignats s'élève à plus de sept milliards, valeur
métallique. »
Ce rapport n'était rien moins que rassurant; il présageait une
banqueroute. En effet , si comme on l'avait promis à i'éjioque de
la création , on échangeait contre des assignats les sept milliards
de biens nationaux , on ne faisait pas disparaître ce papier de la
circulation. La concurrence, même entre les propriétaires d'as-
signats pour l'achat de ces biens , ne pouvait en faire monter le
prix de manière à ce qu'il égalât celui des dix,-huit miUiards de
papier. Pour cela , il eut l^llu que ce papier , nécessaire aux
échanges , eût été remplacé par un autre monnaie , etc. , il fal-
lait d'ailleurs penser aux dépenses pubhques qui étaient pres-
santes. On aima donc mieux faire perdre quelque chose à tout
le monde.
On commença par décréter un emprunt forcé de six cent mil-
lions. Ensuite , on créa pour 2, 400,000, 000 de mandats territo-
riaux qu'on échangeait contre des assignats.
On pensa à un autre moyen de former un papier monnaie ,
ayant une valeur immuable. Le ministre de TiniérieurBenezech,
réunit à Paris des députés de commerce, venus de toutes les par-
ties de la France ; il leur proposa la création d'une banque géné-
rale de l'industrie. Ceux-ci y consentirent à la condition que le
gouvernement s'engagerait à ne point s'immiscer dans* les af-
faires de cette caisse de crédit public, à la condition qu'on re-
mettrait à la banque des biens et valeurs réelles facilement échan-
geables et complètement à ^a dis|)osiiion. Ces conditions furent
refusées et l'assemblée se sépara.
Cependant les conseils arrêtèrent le budget de l'an 5 et déci-
dèrent que les contributions seraient payées en argent ou en na-
ture. La planche des assignats fut brisée. Les dépenses ordinai-
res pour l'an 5 furent fixées à 4o0 milhons, et les dépenses ex-
traordinaires, qui étaient celles de la guerre, à SoOjnillions. 11
était pourvu aux premières par le produit des contributions dites
^ijS DIR. — DD4BRtM. AN IV AU 50 FLOR. AS V (1795-1797).
ordinaires, et aux secondes par des receltes extraordinrires ré-
sultant, soit de l'excédant des contributions, soit des taxes de
guerre, soit de la vente des biens nationaux, qui devaient être
payables seulement en Luniéraire. Par l'effet de ces mesures,
l'argent ne tarda pas à reparaître, et vint remplacer l'assignat.
HISTOIRE DU DIRECTOIRE,
DU !«' PRAIRIAL AN V (20 MAI i797) AU 18 FRUCTIDOR AN V
(4 SEPTEMBRE 1797).
Le nouveau tiers prit séance dans les conseils le 1^"^ prairial.
L'esprit qu'il y apporta ne fut pas un instant douteux. Aux an-
ciens , tout se passa avec calme et avec mesure ; mais aux cinq-
cents, dès l'appel nominal , l'opinion de la majorité fut manifeste.
Le nom de Bertrand Barrère^ absent, excita des murmures. On
proposa d'annuler cette élection et cela fut fait. On proposa d'an-
nuler une décision de la session précédente qui avait écarté plu-
sieurs députés comme suspects de royalisme, et entre autres Job
Aymé, plus que suspect, puisqu'il avait été convaincu d'avoir
provoqué même des rassemblemens. Ces députés furent rappe-
lés. Hardy , pour tater la majorité, vint leur demander à son tour
le rapport de la loi du 21 floréal , qui bannissait de Paris cent
quatre-vingt-dix-huit membres de la Convention. On hésita un
moment , et comme on ne pouvait refuser sans se dévoiler trop
hautement, on finit par accepter la demande de Hardy. Lorsque
l'on fut constitué, on élut pour président le général Pichegru,
que tout le monde savait détesté du directoire, et pour secrétai-
res Siméon, Vaublanc, Henri Larivière, Parisot. Le rôle qu'ont
joué les deux premiers de ces secrétaires après 1814, sous la res-
tauration, les hommages rendus, à la même époque, à la mé-
moire du général Pichegru , nous disent d'avance quel parti ils
représentaient dans le corps législatif. Il était évident que l'oppo-
sition allait suivre des tendances royalistes. Cette direction , en
effet , domina le conseil des cinq-cents.
ISous lisons dans les Mémoires de Thibaudeau , que les mem-
^0 DIRECT. — DU i^^ PRAIR. AN V {20 MAI 1797)
bres des conseils étaient divisés en trois partis, les directoriaux,
les coDs itutionnels, et les royalistes. Ceux-ci étaient assez nom-
breux pour être à peu près maîtres des délibérations aux cinq-
cents. Dans le conseil des anciens , c'était au contraire les consti-
tutionnels qui formaient la majorité. Mais il faut remarquer que
ces derniers devaient voter avec Ls premiers dans la plupart des
cas, ce?t-b-dire toutes les fois qu'il s'agirait de l^ire simplement
de l'opposiiion. Ainsi , sur quatre cent quaranie-quaire votans,
Pichegru obi int trois cent quatre-vingt-sept suffrages, c'est-à-dire
ceux des royalistes et des constitutionnels. La présence de ceux-ci
pouvait tout au plus modérer l'ardeur des royalistes, lui donner
uneapp-^enie républicaine, 'a maintenir dans dos limites accep-
tées par l'opinion , la servir en un mot. Les royalistes se concer-
taient dans \^ club de Clichy ; ce fut là que fut préparé' l'élec-
tion des candidats pour la place vacante au directoire, et qu'il
fut décide que la majorité des voix serait portée sur Birthélemy,
alors ambassaileur de la République en Suisse.
En effet, Biribéleniy, sur quatre cent trente-huit voix, en
réunit trois cent neuf. Les autres candidats furent Bougainville,
Vieillard , Redon , Tarbé , Germain Garnier, Borda , Desmeu-
niers, Cochon et Beurnonville. Le conseil des anciens choisit Bar-
thélémy, qui fut en conséquence proclamé directeur, et rappelé
de Suisse pour venir siéger au Luxembourg.
Cependant, le conseil des cinq-cents nommait, sur la proposi-
tion de Dumolard, une commission pour reviser les lois rendues
par la Convention sur la police des cultes. Bergier demandait que
la loi du 5 brumaire an 4 fût déclarée inconstitutionnelle, et que
les citoyens élus à des fonctions publiques , qu'en avait écartés
l'application de cette loi , fussent autorisés à rentrer dans leurs
places. 3ladier demandait la mise en liberté des prêtres dé-
tenus et l'envoi d'un message au directoire sur ce sujet , ce qui
fut décréié. Toutes ces mesures précédèrent l'élf^ction de B ir-
thélemy; elles étaient le fait de la majorité qui le nomma ; elles
devaient donc jeter des soupçons sur le c^iraclère politique de ce
nouveau directeur.
AU 48 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE i797), 271
Lorsque le directoire fut constiltsë, l'opposition ne fut pas moins
violente. II sembla qu'elle cherchât to«ites les occasions de dépo-
pulariser ce pouvoir, en l'attaquant dans son administration. La
situation des colonies, et particulièrement de Saint Domingue,
et celle des finances, furent les principaux sujeis qu,? sp pi opo-
sèrent les opposans; le dernier surtout était excellent. Le public
avait conçu l'opinion très-fondée que les richessi sde l'état étaient,
surtout de la part de Barras, l'objet de gaspillages odieux. Le
conseil des cinq-cents décida que le directoire serait privé du
droit de régler les négociations de la trésorerie nationale, et qu'à
elle seule appartiendrait ce soin. C'était montrer une méfiance
peut-être juste, mais insultante pour quelques-uns des directeurs;
c'était indijuer au public, que l'on avait les preuves de quelques
infidélités dans les transactions. L'attaque fut trouvée irop vive.
Le conseil des anciens rejeta la résolution. A cette occasion , les
journaux du pouvoir prodiguèrent les éloges à ce dernier , en
même temps qu'ilscritiquajent le conseil des cinq-cents. Ces éloges
donnés à l'un, ces critiques adressées à l'autre, ne firent qu'ex-
citer ce dernier. Vaublanc fit un rapport sur la colonie de Saint-
Domingue ; il fit un tableau effrayant du régime de terreur au-
quel on l'avait soumise, et sous lequel on la maintenait. Pendant
une suite de séances , les députés du même parti occupèrent la
tribune, effrayant leurs auditeurs, par les détails qu'ils ajoutaient
à l'acte d'accusation porté par leur collègue, ma'sse servant d'un
langage qui, en même temps , dénonçait clairement leur ht)î reur
pour le nom républicain.
Le dire/^toire était lui-même peu unanime. Il était divisé contre
lui-mê^ne. Carnot et Barthélémy ne pouvaient fraterniser avec un
homme te! que Barras, ni avec un esprit aussi étroit que le chef
des ihéophil imhropps, Lareveillère. Cependant, il prenait des
mesures pour combattre ses antagonistes du corps législatif, par
leurs piopres armes. En opposition au club de Ciichy, il avait
fait ouyrir le club constitutionnel et l'avait rempli de ses amis. Il
le faisait protéger par ses journaux ; car ceux de l'opposition
étaient si nombreux et si hardis, qu'ils faisaient presqu'un crime
î27î2 bIRFXT. — DU !«»• PRAin. AN V (20 MAI 1797 )
à des gens de se réunir pour défendre le directoire, et quelques-
uns même pour défendre des révolutionnaires. En même temps,
le gouvernement tourmentait la commission des finances du con-
seil des cinq-cents; il lui adressait messages sur messages; ils fu-
rent au nombre de trente ou quarante. Dans les uns , il montrait
que les services souffraient faute d'argent ; dans les autres, il lui
prouvait que ses calculs étaient faux ; par exemple , que l'impôt
du timbre compté pour un revenu de cent millions, n'en rappor-
tait que cinquante-quatre. On lui répondait en mettant en cause
des compagnies de fournisseurs, lui demandant compte de l'u-
sage des réquisitions, dont l'emploi n'était pas suffisamment jus-
tifié.
L'opposition avait toute l'apparence de la raison dans ces sortes
de questions ; les républicains eussent accueilli sans peine] des
accusations dont ils étaient eux-mêmes convaincus, mais ils étaient
moins préoccupés de la justice de cette opposition que de son
but. Us s'étaient généralement attendus que, les Jacobins détruits,
on aurait affaire aux Jacobins blancs ; les événemens du Midi, les
excès des compagnies du Soleil, de Jehu, ceux des chouans, ceux
des chauffeurs dans lesquels on ne voyait que débris des ban-
des royales, tout leur démontrait qu'il existait un parti puissant.
Lors de l'élection du nouveau tiers , partout on s'était disputé ,
quelquefois battu. Les électeurs n'avaient été divisés qu'en deux
couleurs , les républicains ou constitutionnels , et les royalistes.
Tout le monde savait cela , et tout le monde aussi savait que les
élections avaient produit, en majorité , des hommes à tendances
monarchiques. Qu'on juge donc de l'effet des premières séances
du cons( il des cinq-cents, et surtout de l'effet du nouveau langage
des orateurs , de leur style anti-révoluiionnaire outré contre la
révolution, comme celui des Jacobins l'était cx)ntreles royalistes!
11 fut tel, que tout le monde jugeait que la réaction l'emporterait,
ou qu'il y aurait un mouvement dans le sens républicain. Ainsi, le
signal donné par l'ouverture du club constitutionnel , fut suivi
dans beaucoup de villes , et même à Paris. Les républicains se
réunirent de nouveau en divers clubs , sous diverses dénomina-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 275
lions. Mais, en quelques lieux , des ex-membres des comités ré-
volutionnaires vinrent y prendre place; des municipalités mal
disposées, en prirent prétexte, provoquèrent des rassemblemens
armés, et dissipèrent les sociétés populaires par la force; il en
fut ainsi à Auxerre. Les opprimés, au lieu de se taire, se plaigni-
rent aux cinq-cer,ts. Leur réclamation fut écartée avec des phrases
de blâme et même de haine.
Les armées, que la guerre n'occupait plus, partagèrent les ap-
préhensions dont nous venons de parler; elles avaient combattu
pour la République, avec l'esprit et le dévouement républicains;
elles avaient vaincu l'Europe,* pdbr vaincre la monarchie ; et elles
apprirent que l'enremi qu'elles avaient combattu, qui leur avait
valu tant de misères , tant de peine , et fait verser tant de sang ,
que le parti royaliste reparaissait derrière elles plus puissant que
jamais, pour détruire tout ce que l'on avait fait. Les armées, de-
puis le simple soldat jusqu'au général, s'indignèrent. Chez le pre-
mier, c'était l'effet du pur sentiment; chez le second, les habi-
tudes républicaines, l'intérêt personnel, l'amour d'une belle po-
sition acquise, l'espérance d'une plus belle à acquérir, tout con-
tribuait à exciter ui.e violente colère, et unt; haine implacable con-
tre des hommes qui , sans risques , avec de simples discours ,
osaient juger leurs efforts et attaquer ieurs œuvres. Aussi , dans
toutes les réunion? militaires que permettait la paix, dans tous les
repas de corps, on portait des toasis menaçans pour les conseils;
bientôt même, des adresses plus menaçantes encore furent ré-
digées et envoyées au direcioirf'.
Quelques homnits du corps législatif voyaient bien qu'on al-
lait trop i^e , que pour vaincre ia révolution , ii no suffisait ï>as
de dé(ruire les Jacobins, qu'il tiùt fallu avoir les armées. Ce lut
peut-être cette réflexion qui maintint tant de calme uai.s les dé-
libérations des anciens : mais k s meneurs des partis sont ton-
jours les hommes à motion-, violentes. Ce furent ceux là qui don-
nèrent aux délibérations do club de Glichy et à cel es des cinq-
cents, une couUor si tranchante, si visible , que pe? sonne ne
pouvait s'y tromper. .
T. xxxvii. • '^ '18
274 DIRECT. — DD 1« PRAIR. AN V (20 MAI 1797 )
Les journaux firent aux royalistes encore plus de mal que l'ar-
deur de leurs jeunes partisans dans le corps lëgislaiif. Ils s'étaient
considérablement multipliés à Paris et dans les dépariemens. Ils
étaient bien plus nombreux que ceux de toute autre couleur, et
n'étant retenus par aucune règle parlementaire, ils ne dissimu-
laient point leur haine contre les faits révolutionnaires ; presque
tous les jours ils révélaient le secret de leur parti.
Telle fut la tournure fâcheuse que prirent les affaires après
moins de six semaines de la nouvelle session. La situation se des-
sina si nettement qu'il ne fut permis à personne d'en ignorer. Un
directoire cpmposé d'hommes knposans par leur prol^ité , leur
mérite et leur caractère , aurait pu la prévenir , aurait pu déter-
miner des élections plus favorables ; et lors même qu'elles eus-
sent eu lieu , après avoir supporté une année de discours anti-
révolutionnaires et de mauvaises chicanes, déterminer des élec-
tions républicaines. 3Iais que pouvait un pouvoir dont la majorité
était composée d'hommes ou larés , ou ridicules , ou peu estimés?
II ne pouvait que succomber, ou tenter un coup d'état. C'est ce
dernier parti qu'il choisit. Mais, avant de raconter la journée du
18 fructidor, nous allons tracer une esquisse des travaux par-
lementaires.
Nous commencerons par donner un aperçu de la situation des
finances : ce fut le sujet des premières ei des justes attaques que
subit le directoire. Nous nous occuperons d'abord de quelques-
unes des révélations que Bai bé-Maiboi<i fit au conseil des an-
ciens dans un rapport sur les (inances, dont la lecture occupa
trois séances. Ce rapport étai fait à l'occusion du compte que le
gouvernement, aux termes de la Constitution, devait rcmdre des
fonds mis à sa disposition , et qu'il avait envoyé en effet le [^^ ni-
vôse an 5. On remarquait d'abord que les comptes rendus par
chaque minisire manquaient d'ordre et de clarté, excepté ceux
du ministre de la police. Cochon. Le compte du ministre de la
guerre n'éiait « qu'une page succinctement informe, signée de
lui , et dans laquelle les quatre chapitres de ses dépenses étaient
arrangés conune au hasard. » Aussi ce ministre s'empressa-t-il
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 275
d*envoyer uif autre état plus clair et mieux détaillé. Malgré le
défaut d'ordre qui régnait dans ces comptes, on avait noté
que l'on n'y rappelait point l'emploi de cent millions en mandats,
mis, en l'an IV, à la disposition du pouvoir exécutif pour dé-
penses secrètes. — Le public conclut de celte observation, que
ces cent millions avaient éié mal employés. — La subsistance des
départemens et de Paris , dans le cours de l'an IV, avait coûté
3,500,000,000 en assignats, 152,000,000 en mandats, et près
de 5,000,000 en numéraire. Paris était compris dans îes som-
mes pour 76,000,000 en assignats , 120,000,000 en mandats ,
et près de 1,400,000 liv. en argent. — Les journaux avaient
coûté , en l'an IV, près de 15,000,000 en assignats , 1,300,000 1.
en mandats, et 61,000 liv. en argent. — Gilbert-Desmolières,
rapporteur aux cinq-cents, le grand antagoniste du directoire
en matière de finances , évaluait les dépenses effectives de Tan IV,
à 1,500,000,000. Sur cette somme, 546,000,000 seulement
avaient été donnés en assignats ou en valeur nominale pour un
année de rentes , pensions , secours , indemnités ; 120,000,000
mandats avaient fait le service de 100,000,000 numéraire. La
dépense restante avait été acquittée en papiers au cours; par le
produit de la vente des meubles, argenterie, bijoux, évaluée à
15,000,000 ( le diamant le Régent en avait donné sept); par les
prises, 20,000,000; par les contributions en pays ennemis,
240,000,000 ; par la vente des denrées et marchandises en maga-
sin, 60,000,000; et par les réquisitions en nature. Gttte situa-
lion des finances, fut leîexte de nombreux commentaires dans le
public. On y voyait que le maniement des richesses de l'état n'é-
tait pas suffisamment garanti. On s'expliquait par là le luxe
étalé par la plupart de ceux qui approchaient le pouvoir. On
croyait voir comment Barras et ses amis payaient leurs scanda-
leus'is orgies. *
Ce fut à peu près à cette époque que l'on apprit à Paris le ré-
sulta^u procès suivi devant la haute cour de Vendôme, contre
Babeuf et'ses coaccusés. Le jugement fut prononcé le 7 prairial.
Babeuf et Darthé furent condamnés à mort. Bnonarotli, Ger-
276 DIRECT. — DU 1^ PRAIR. AN V ('20 MAI 1797)
main , Moroy, Cazin, Blondeaii , Bouin ( t Menessitr furent con-
damnés à la déportation. Vadierfat condamné à la détention, et
cinquante-cinq autres accuses préseos ou contumaces, acquittés.
— Babeuf et Danhé se frappèrent chacun d'un coup de poi-
gnard; mais, nous apprend Buonarotti, l'historien de cette con-
spiration , les armes étaient trop faibles ; elles se brisèrent dans
leurs mains. Babeuf se blessa cependant , et il garda un morceau
de stylet dans la poitrine. Le rapport du concierge de la prison
n'est pas d'accord avec le récit de Buonarotti ; il dit qu'ils se frap-
pèrent, mais ne se blessèrent pas. Quoi qu'il en soit, Darthé et
Babeuf furent exécutés le lendemain. Ce dernier, arrivé sur la
guillotine, protesta de son amour pour le peuple , et lui recom-
manda sa famille. — Ce procès se termina plus tristement que
ne l'espéraient beaucoup de gens. En effet, en a^iit laissé aux
accusés tout le temps de se défendre. On n'avait pas depuis long-
temps l'exemple de débats aussi prolongés, et cependant plus ani-
més. 11 faut croire que l'on avait un but, en laissant aux accusés
tant de hberié de parole, et tant de jours pour en user. On vou-
lait sans doute leur donner complètement le loisir de développer
une doctrine qui était odieuse à la grande majorité de la nation ;
les foire servir ainsi à enlever aux Jacobins le peu de popularité
qui s'attachait encore à leur nom. Mais revenons a l'histoire par-
lementaire.
Le 10 pniirial , Vaublanc fît son rapport sur Saint-Domingue.
On y remarquait ces phrases , après une longue diatr ibe contre
les autorités de cette colonie : « A ces traits jjous reconnaissez
sans peine ces patriotes du jour, ces pliilanihropes, partisans du
bonheur commun. Tels vous les voyez ici, tels il^'sont tous les
JQurs. Misérables affamés de pillage auiaat qu'avides de meur-
tres , ils ont fait de la révolution une spéculation de fortune ; de
la Uépubhque, une ferme à l'encan; des biens des autres, une
proie sur laquelle ils s'élancent de toutes parts , sous toutes les
formes. » Puis ensuite l'orateur s'indignait contre le dir^oire ,
qui instruit, des infâmes arrêtés de ses agens, de leurs lois de
sang si audacieusement promulguées , les approuvait, les louait.
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 277
les déclarait conformes à la Constitution, à la justice et à l'hu-
manité.
Nous avons déjà dit que ce rapport fut suivi d'une longue suite
de discours qui occupèrent l'assemblée de déclamations sembla-
bles, non- seulement sur Saint-Domingue, mais sur toutes nos
autres colonies , discours qui n'allaient à rien moins qu'à flétrir,
sous le nom des administrateurs de ces contrées, tous les agens
de la République, quels qu'ils fussent, soit dans l'armée soit dans
Tordre civil. Le directoire ne sut répondre à ces discours qu'en
destituant les administrateurs de Saint-Domingue, Santhonax,
Raymond et Saint-Laurent.
Le 14 prairial , Baraillon demanda que les militaires ne pus-
sent être promus à des fonctions à la no||^mation du peuple.
Cette proposition, accueillie par la majorité, fut renvoyée à une
commission que l'on avait chargée de la révision des lois mili-
taires.
A la séance du lo prairial, Dauchet d'Arras vint rappeler que,
sous le régime révolutionnaire, beaucoup de parens s'étaient re-
fusés à présenter leurs enfans nouveau-nés devant les officiers
civils , parce que ceux-ci les contraignaient à donner à ces enfans
les noms odieux de Marat , de Robespierre, ou d'autres chefs de
la tyrannie : il demanda en conséquence quelles enfans non pré-
sentés , pussent l'être ; que ceux qui l'avaient été, et qui portaient
des noms odieux , pussent être représentés , et recevoir le nom
que leur famille désignerait. —Savary s'élève contre le considérant
du projet , portant qu'il est instant de venir au secours des en-
fans qui ont reçu en naissait les noms de Marat , Robespierre et
autres scélérats. « Si dans le temps , dit-il , dont on parle si sou-
» venf , il s'est commis des fautes , des erreurs , des crimes même,
» si vous le voulez, ce n'est pas à nous à les juger. > Il demande
l'ordre du jour. Dumolard s'étonne que Savary veuille laisser por-
ter à des enfans un nom infâme qu'ils n'ont pas mérité, t N'a-t^il
» donc pas en horreur les noms de ces monstres altérés de san/j,
» qui ont tour à tour égorgé leurs amis , leurs partisans et leurs
» ennemis; qui ont couvert la France de ruines, de cadavres ,
278 DIRECT. — DU dci PRAIR. AN V (^1 MAI 1797)
> d'ëchafauds ? Nous saurons , dit-il , pardonner à l'erreur, à la
> passion même; mais les hommes de sanfj ne trouveront jamais
> grâce devant nous. » Savary se récrie contre la tactique qui
consiste à faire dire à un opitiant ce qu'il n'a pas dit, à effrayer
le reste de l'assemi ilée pardes déclamations usées , et à présenter
sans cesse les noms de Marat et de Robespierre, comme des
têtes de Méduse. La discussion est fermée, et la motion de
Daucbet renvoyée à la commission. — Aceite même séance,
Tarbé , chargé de résumer toutes les propositions relatives aux
colonies, fit un rapport, dans lequel il traitait d'inlames tous les
décrets rendus depuis cinq années, et qui avaient été enlevés,
disait-il , par les mêmes hommes qui demandaient aujourd'hui
des ajournemens ; ii^ce nombre est le décret du o pluviôse an 4;
il reproche à Marec, ancien rapporteur de la commk^sion des co-
lonies, de n'avoir point eu le courage de poursuivre le crime. A
ces mots, de violens murmures éclafèrentde toutes parts. Thi-
baudeau, Pasloret , Bailleul , Merlin de Thionville , et beaucoup
d'autres, demandèrent que la parole fût ôtée à Tarbé. Thibau-
deau s'é eva avec chaleur contre l'indécence et l'injustice qu'il y
avait à accuser un absent, par cela même qu'on ne voyait pas
comme lui : il déclara à ceux qui aurai.ent le projet de ren-
verser laConsiiiuiiijn, qu'ils le trouvaient toujours sur leur pas-
sage, et qu'il ne parviendraient à ce but , qu'en passant sur son
corps et sur ceux de tous les vrais républicains. Merlin de
Thionville et Pasloret parlèrent dans le même sens. Tarbé désa-
voua ses expressions ; il fut défendu par Henry Larivi^e et
Vaublanc. Le rapport fut renvoyé à la commission. Ainsi les
constitutionnels s'indignaient qu'on pensât mal d'un individu,
lorsqu'ils laissaient tous les jours attaquer impunément la«Répu-
blique.
Le 2i prairial (9 juin 1797 ) , le conseil des cinq-cents lermiua
en une seule séance une question qui, dans la session précédente,
avait été incessamment représentée par l'opposition, et autant de
fois écartée par la majorité des ex-conventionnels^ il annula la
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 179^*). 279
loi de garantie contre les royalistes, décrétée par la Convention.
Il décida textuellement que « la loi du 5 brumaire an 4 était re-
> gardée comme non avenue , en ce qui concernait l'exclusion des
» fonctions publiques; que les articles 2,5,4, 5 et 6 de la loi
» du 14 frimaire an 5, étaient pareillement regardés comme non
» avenus; que nul ne serait recherché , pour ne s'être point con-
» formé auxdites lois ; que les membres du corps législatif, et
» tous les fonctionnaires suspendus par ces lois, exerceraient
» leurs fonctions , et que ceux qui s'en seraient abstenus , les re-
» prendraient. »
L'esprit contre-révolutionnaire de' cette résolution ne pouvait
échapper à personne; cependant le conseil des anciens l'approuva
quelques jours après ; en sorte qu'elle devint une loi de la Répu-
blique. C'était, pour ainsi dire, la livrer à ses ennemis.
Le 29 prairial ( 17 juin ) , Camille Jordan fit son rapport sur la
police des cultes. Le conseil , depuis l'arrivée du nouveau tiers ,
avait reçu un grand nombre de pétitions sur ce sujet. Le clergé
de la Belgique avait demandé un sursis pour le serment. Un
grand nombre de communes avaient réclamé, les unes leurs égli-
ses , les autres leurs presbytères , les autres pour l'usage des clo-
ches. Il y avait de ces pétitions qui étaient revêtues des signatu-
res de plus de deux cents communes. Le projet présenté par
C. Jordan donnait satisfaction à toutes ces demandes. Parmi les
républicains, ceux que l'on nommait les immoraux, les danto-
nistes et les hébertistes , qui formaient la cour et l'appui du di-
rectoire, s'étonnèrent du langage de l'orateur, encore plus que
de ses propositions. Ils le surnommèrent Camille Carillon et Jour-
dan-leS'Cloches, Le jeune député des cinq-cents ne recueillit pas
de sa démarche seulement des sobriquets; il s'attira quelque
chose de cette haine qui avait poursuivi Robespierre , et que le
philosophisme intolérant réservait à tous ceux qui ne l'acceptaient
point. Cependant quelques jours après, le 8 messidor (26 juin),
Dubruel fit un second rapport sur les affaires du clergé. 11 pro-
posa de rapporter les lois qui prononçaient les peines de la réclu-
280 DII^CT. — DU 1" PRAIR. A.N V (^0 MAI 1797)
sion ou de la déportation contre les prêtres insermentés ou accusés
d'incivisme, ainsi que rontre ceux qui les avaient cachés , et de
déclarer enfin que les individus frappés par ces lois rentraient
dans la classe des citoyens. — Ces projets attaquaient les préju-
gés révolutionnaires que le parti des immoraux avait entretenus
et propagés avec le plus de soin , des préjugés contre lesquels les
volontés de la majorité du comité de salut public avaient échoué.
Cependant , le 27 messidor, le conseil des cinq-cents adopta le
projet de Dubruel. Quant à celui de C. Jordan, une seule ques-
tion parut importante; c'était celle-ci : e Exigera-t-on une décla-
• ration des ministres des cultes? > Après plusieurs épreuves
douteuses*, on en vint , le 28, à l'appel nominal. Deux cent dix
voix se prononcèrent pour la négative ; deux cent quatre pour
l'aflirmaiive. Ce résultat fut proclamé aux applaudissemens des
tribuues, et aux cris de vive la République ! poussés par les in-
croijables , dont l'importance de la question avait appelé un grand
nombre à la séance. Le conseil des anciens adopta le projet de
Dubruel le 5 fructidor.
Le o messidor, l'un des plus ardens orateurs de l'opposition
roya'iste, Du:nolard fit une motion qui indigna généralement,
p.ipce que tout le monde crut y voir une attaque contre l'un des
généraux dont la République avait re^u le plus de services. Du-
molard (lemanda comment d refaisait que le conseil, n'eût pas été
instn.K des événemens qui venaient de changer la situation des
états de Venise et de Gènes ; suivant lui , le directoire avait com-
mis une usurpation de pouvoir, en réglant celte affiiire sans con-
sulter le corps législatif : enfin, il demanda dans quel Code était
écrit le droit que s'était arrogé le corps législatif de s'immiscer
dans lu constitution politique d'un peuple? • Outragés par les Vé-
» niiiens, s'écria-t-il , eiait-ce à leurs institutions politiques que
» nous avions le droit de d^^clar^r la guerre? Vainqueurs et con-
» quérans, nous appartenait-il de prendre une part active à leur
9 révolution en apparence inopinée ? On s'est essayé sur
> Venise, et , Ir-ri de votre indulgence , on a fait , dit-on , sur la
AU 48 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 281
» république de Gênes une tentative du même genre , et non
» moins heureuse î X
Dumolard termina son discours en proposant d'adresser, à ce
sujet, un îriessage au directoire. Cette moiion donna lieu à une
discussiou assez vive. Garran de Cpulon , Bailleul , Guillemardet,
soutinrent que la conduite de l'autorité executive était constitu-
tionnelle. Boissy-d'Anglas , Bornes , appuyèrent l'avis de Dumo-
lard. Enfin on renvoya la proposition à l'examen d'une commis-
sion.—C'était un acte très-irnprudent ; carie général Bonaparte
et ses amis devaient la considérer comme une menace qui leur
était indirectement adressée; le directoire, comme l'intention
d'accaparer sa propre autorité ; les républicains, comme le projet
d'arrêter les progrès delà révolution.
Toutes ces motions successives donna ent lieu à des bruits qui
acquéraient de jour en jour plus de crédit. On disait hautement
que les conseils voulaient renverser le directoire ,' les commen-
taires des journaux et des clubs, les nombreuses réunions du club
de Clichy, les imprudences et la hardiesse des conversations ou
des délibérations qui y avaient lieu , donnaient à ces bruits une
probabilité considérable. On répétait que Gilbert-Desmolières,le
rapporteur perpétuel de la commission des finances aux cinq-
cents, le grand calculateur de l'assemblée, avait dit qu'il affamerait
le directoire. Quelques discours des députés défenseurs du gou-
vernement, confirmaient la rumeur publique; ils argumentaient
vulgairement de la lutte scandaleuse que les commissions des fi-
nances soutenaient contre lui ; ils demandaient si l'on voulait l'em-
pêcher d'agir. Dans des articles de journaux, dans des brochures,
on faisait remarquer que c'çtait sous de telles attaques , que
Louis XVI avait succoîiibé. Aussi, l'opposition crut devoir se dé-
fendre des intentions qu'on lui prêtait, en prouvant que le direc-
toire avait tort , qu'elle était dans son droit, que le défaut d'ar- .
};enl dont se plaignait celui-ci dans ses messages quotidiens, que
la souffrance des services , étaient ou de sa faute, ou un effet de sa
voioiilé. Ainsi , le !2(» prairial , Gilbert-Desmolières apporta ses
282 DIRECT. — DU i«r PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797 )
chiffres à la tribune ; il évaluait le total des recettes de l'an 5 ,
à 422,100,000, les dépenses à 595,000,000. En voici le détail :
Revenus des forêts 30,000,000
Contribution foncière. . . . . . . 240,000,000
Contribution personnelle 60,000,000
Régie de Tenregistrement , timbre , etc. f)o,000,000
Patentes 15,000,000
Postes et messageries 5,500,000
Douanes G.600,000
Total des recettes ordinaires. 422,100,000
Dépenses ordinaires . . . 595,000,000
Excédant. 27,100,000
Tel était le thème , tels étaient les chitïres sur lesquels s'ap-
puyait le rapporteur. Nous ne parlons pas de la critique de dé-
tail dont les opérations du gouvernement lui offraient à chaque
instant l'occasion.
Le 9 messidor (4 juillet), l'opposition s'expliqua et répondit di-
rectement aux calomnies qu'on répandait , disait-elle , sur. son
compte, et dont on prenait le motif clans sa conduite en matière
de finances. Vaublanc vint s'indigner contre les accusations qu'on
portait contre le conseil : il n'était pas vrai, selon lui. que le conseil
voulût refuser des fonds au gouvernement, et l'empêcher de faire
la guerre : rien de plus faux que les imputations dirigées contre
une partie des membres du conseil, qu'on accusait de feindre du
respect pour la Constitution, mais de vouloir la détruire. < Croyez,
» dit-il en terminant, que, quelles qu'aient été les opinions de
> ceux qu'on inculpe, la Constitution n'a pas de plus zélés défen-
» seurs. > (Moniteur,]
Le même jour, le conseil des anciens rejeta la résolution des
cinq-cents, qui remettait à la trésorerie seule, le soin de ces négo-
ciations. Dupont de Nemours profita de cette circonstance , pour
défendre l'opposition qui avait lieu aux cinq-cents, et pour lui
donner, en même temps, une leçon de prudence.
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 285
« Le conseil des cinq-cents a vu avec douleur, disait-il, l'arriéré
D déplorable d'une multitude de dépenses extrêmement pressantes;
» les fonctionnaires publics non payés à Paris et dans les dépar-
» temens , depuis trois ou quatre mois ; les prisons , les hospices
* civils, dans un état de dénûment affreux. Cependant le direc-
» toire a eu à sa disposition, dans les trois derniers mois, quatre-
j vingt-dix-sept millions de recettes effectives ea ecus, sans comp-
» ter les contributions levées dans les pays étrangers par nos ar-
» mées, qui''se montent à vingt millions au moins , peut-être au
» double. D'autre part, l'armée dlîaîie, au lieu de coûter, rap-
> porte; celle du nord est presque entièrement défrayée par la
> République batave , et celles de Hoche et de Moreau vivent en
» partie sur le pays ennemi. C'est au milieu de cetîe richesse
> très-réelle, de ces positions militaires, si propres à ménager les
» dépenses, que Ton a sans cesse parlé de la pénurie des finances;
> que l'on a tout laissé périr de misère, rentiers, employés , hô-
» pitaux , prisons.*Le conseil des cinq-cents a vu , et l'on peut
» voir comme lui, qiïe le mal vient d'un gaspillage ruineux dans
> les dépenses qui se font, et d'une distribution imparfaite dans
» celles qui se paient. » L'orateur cherche ensuite à établir cette
double vérité : il rappelle un message effrayant du 25 prairial sur
le dénûment des hôpitaux , dans lequel on disait que les enfans
manquaient de lait! Pour rendre le fait plus véritable , le 26, la
distribution des fonds qui leur étaient destinés avaient été suspen-
due, et l'argent donné auxbâtimens. t Le but manifeste du direc-
» toire était d'entraîner le corps législatif, par lei cris des em-
> ployés, par les larmes des indigens et des malades , dénués de
ï secours, a décréter beaucoup d'impositions nouvelles , qui au-
> raient mis beaucoup de places à sa disposition. 11 est donc im-
» possible de désapprouver le motif de la résolution du conseil
/des cinq-cents : mais ce motif ne peut faire approuver une ré-
> solution, dont les dispositions obscures et imprudentes, se-
rt raient subversives de tous les principes d'administration. i>
(Moniteur,)
Les avis de Dupont de Nemours ne rendirent pas plus sages
284 DIRECT. — DU 1^^ PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797 )
ceux auxquels il les adressait, car, le lendemain, un membre pro-
posa aux cinq-cents, de suspendre la vente des biens nationaux en
Belgique, ou en d'autres termes, d'éteindre la source avec laquelle
on satifaisait aux dépenses extraordinaires. iNéanmoins cette mo-
tion fut appuyée et prise en considération.
L'opinion publique aurait pu ne voir, dans celte marche du
conseil, que l'effet de l'indignation éprouvée par d'honnêtes gens
contre les malversations de quelques membres du pouvoir exé-
cutif, ou de justes représailles contre un gouvernement qui lui
faisait la guerre. Peut-être beaucoup de gens pensaient ainsi ^
mais la conduite de la même opposition sur d'autres questions, ne
permettait pas de croire raisonnablement que tels fussent ses mo-
tifs. Nous allons transcrire ici une séance qui donnera une idée du
langage des deux partis à la tribune des cinq-cents; il s'agissait
d'abord d'une motion ayant pour but de régler la position des
émigrés d'Alsace qui étaient rentrés. •
CONSEIL DES CINQ-CENTS. — Séaiice du 16 messidor.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les émigrés
du Haut et du Bas-Rhin.
Bailleul soutient que le projet est contraire à la constitution ,
en ce qu'il introduit , en faveur de ces individus , des exceptions
qui ne sont pas exprimées dans les lois anciennes; il envisage en-
suite la qucsiioii sous le rapport des conséquences funestes
qu'elle pourrait avoir dans les circonstances actuelles.
» Dans quel moment, s'éciie l'orateur, vient-on vous proposer
un prdjet pareil? c'est lorsque les émigrés, reutraLt cl rentrés
enfouie, mettent tout en œuvre pour opérer la contre-révolu-
tion (murmures); c'est lorsque les prêtres déportes prêchent
partout le massacre et la révolte (murmures); c'est lorsque les
acquéreurs des bi^ns nationaux sont intimidés, insultés, assas-
sinés ; c'est lorsijue plus dt* trois cenîs républicains , dans un seul
département, viennent de tomber sous le fer des égorgeurs.
( Murmures. Plusieurs voix : Nommez le département. Doulcet :
Je demande la parole.) Ce n'est 'pas que je dise qu'on veuille,
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 285
dans celte enceinte, systématiser un plan de contre-révolution;
mais je soutiens qu'elle sera fe résultat nécessaire de tout ce
que l'on vous propose de décréter. ( Murmures. ) Vous pouvez
bien mepfiser mes assertions ; mais vous ne serez pas les maîtres
d'arrêter le torrent des maux qui nous menaceni. On invoque
ici la justice, l'humanité! Barbare humanité! justice cruelle!
qui tend à faire peser une terreur nouvelle sur les républicains
dans toute la France. >
Dumolard, « Je demande la parole. »
> Je mets sous vos yeux les cadavres expiraps des administra-
teurs , des acquéreurs de biens nationaux , impitoyablement
massacrés ; tous ces crimes sont impunis , et l'on vous propose
d'attiser le feu qui nous dévore, et de sonner les cloches. (Ris
et murmures.) Loin d'appeler sur la France tant de fléaux , votre
soin devrait être de les repousser.
» Je demande 1° la question préalable sur le projet;
i 2° Le renvoi de la pétition des administrateurs du Bas-Rhin
au directoire, pour y avoir égard , dans le cas où il y serait au-
torisé par les lois existantes ;
» 3° Un message pour demander au directoire des renseigne-
mens sur la rentrée des émigrés. ( Quelques membres du bureau
insultent l'opinant : celui-ci, se tournant vers eux, s'écrie : Je
demande si ceux qui sont au bureau y ont été placés pour dire
des insultes à l'orateur. )
» 4" Un rriessage pour demander au directoire un compte de
la situation de la République , quant à la sûreté des personnes ,
et au respect pour les propriétés. »
On réclame l'impression.
Le président, t On réclame l'impression du discours ; mais
j'observe ([ue Doulcet et Dumolard ont demandé la parole. Je
raccorde à Doulcet. i»
DoiUcet, « Je m'oppose à l'impression , et cela par deux motifs :
1 celui de l'économie. (On rit.) Quoiqu'on ait ri , quand j'ai
parlé économie, il n'en est pas moins vrai qu'il n'est pas une seule
dépense qui ne pèse sur le peuple, et que nous devons en être
286 DIRECT. — DU 1er pRAlR. AN V ( 20 MAI 1797)
avares. 2" Celui de la paix publique. Nous avons tous été frappes
des digressions dans lesquelles l'orateur est entré , et qui ne sont
propres qu'à exciter des troubles dans cette enceinte, et par
suite dans la République. (3Iurmures.) Il n'est point ici ques-
tion de cloches , ni de presbytères , mais des émigrés du Bas-
Rhin. Plus les circonstances où nous nous trouvons sont graves ,
plus la tranquillité intérieure est menacée , plus on doit écarter
du sein de cette assemblée les brandons de la discorde. Yoilù
pourquoi je m'oppose à l'impression d'un discours qui contient
des assertions effrayantes, mais non prouvées, jiur la situation
actuelle de la République. >
On réclame la clôture de la discussion. Elle est refusée.
Villers, « Je réponds au préopinant que dans une matière
aussi importante, l'économie n'est pas un motif à mettre en avant.
Quand, dans une question semblable, cet orateur vo'us prononça
un discours de deux heures et demie, et qui , il faut le dire , ne
fut pas d'un grand intérêt pour la chose publique , on ne fit pas
valoir un pareil motif. ^
» Bailleul vous a dit que les acquéreurs des domaines natio-
naux sont assassinés dans les dépariemens ; mais il y a ici des
représenians qui peuvent attester les faits. (Quelques voix : Oui,
oui.) S'ils sont vrais , quel danger y aurait-il donc à les impri-
mer? Ne devriez- vous pas le faire, afin d'écarter de vous le re-
proche que l'on pourrait vous faire d'approuver des atrocités
pareilles? (Violens murmures. ) En effet , quels sont les hommes
en faveur desquels on cherche à vous intéresser? (Plusieurs
voix : Président , rappelez l'orateur à la question. ) d
Le président, t J'invite l'orateur à se renfermer dans la question . »
« Villers. « Si vous voulez prononcer en connaissance de cau§e,
vous ne pouvez ne pas ordonner l'impression du discours. »
Dumoiard. « Au nom de la tranquillité publique, je demande
l'ordre du jour. Je ne m'arrête pas aux raisons d'économie , bien
qu'elles ne soient pas à négliger. Mais. dos motifs d'une plus haute
importance commandent ici votre attention : si Bailleul eût exa-
miné seulement la question dans ses rapports avec l'acte consti-
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 28?
lutionel, j'aurais, de grand cœur, voté pour l'impression de son
discours, car, dans une matière aussi délicate, et qui tient d'aussi
près aux dispositions du pacte social , il faut se conduire avec
réserve, et ne se décider qu'après un mûr examen.
j Mais Bailleul s'est jeté dans des digressions qui forment les
trois quarts de son travail. Il ne vous a point parlé du Bas-Rhin ;
mais du système qu'il nous suppose, de rappeler les émigrés et
de renverser la République. Oui, il existe un système, mais de
diffamation et de calomnies contre les représentansdu peuple. 11
n'est pas un des membres du conseil qui ait l'intention de ren-
verser la Constitution, et de rappeler les émigrés. Ces bruits sont
répandus pour tromper nos collègues , et semer la division dans
cette enceinte. Il est des hommes intéressés à les répandre , ce
sont ceux qui , désespérés de voir la constitution affermie sur ses
bases, le règne de la justice à l'ordre du jour, redoutent le jour
qui éclairera leurs dilapidations , qui punira leurs friponneries.
» Je demande l'ordre du jour sur l'impression de l'opinion de
Bailleul; l** comme calomnieuse^ car il n'a fait que des dénon-
ciations vagues et sans preuves, et il n'est pas un de nous qui ,
par sa correspondance particulière , ne soit en état de le démen-
tir; 2^ comme injurieuse au gouvernement. A-t-on entendu les
membres du conseil que l'on inculpe dans certains journaux , en-
courager ici les assassinats ? Mort aux assassins de toutes les cou-
leurs ; nous ne voulons ni action , ni réaciion. Mais est-ce nous
qui avons les moyens de maintenir la tranquillité publique ? Ne
sont-ils pas tous à la disposition du directoire ? IN'a-l-il pas sous
sa main les administrations, les tribunaux , la force armée ?^S'il
craint que la tranquillité publique ne soit troublée, en envoyant
un prévenu au tribunal du lieu, ne peut-il pas, par le recours au
tribunal de cassation le renvoyer à un autre? N'a-t-il pas le droit de
décerner des mandats d'arrêt? Le directoire a tous les moyens
légaux de maintenir l'ordre ; et dire ici que cet ordre est trou-
blé, c'est dire en d'autres termes que le directoire l'a voulu, ou
qu'il l'a laissé faire. L'opinion de Bailleul est donc injurieuse
pour le gouvernement.
î288 DIRECT. — DU 1er praIR. AN V (i20 MAI 1797).
y Vous êtes truDipés par des hommes qui ont joué lofis les
rôles , qui ne sont point acquéreurs de domaines nationaux ,
mais spoliateurs de biens parâculiers , et qui craignent que le
jour de la justice n'éclaire leur turpitude, et n'imprime sur leur
front le cachet de l infamie. Au reste , je fais ici hautement ma
profession de foi , et je déclare qu'il faut être ou bien inepte, ou
bien scélérat , pour tenter de renverser le gouvernement. Le
gouvernement peut marcher, il a en main toute la force néces-
saire pour fa re exécuter les lois. La constitution est sage, elle
sera respect» e. Les acquéreurs léj';ilimes de biens nationaux se-
ront maintenus. Aux yeux de la loi , lous les cultes sont égaux ;
aucun ùe sera piivilégié; enfin la justice est à l'crdre du jour, la
justice qui est la première base et la plus solide garantie de la
Constitutiou. Je de-nande l'ordre du jour. — Adopte à la majo-
rité. >
On fait lecture a un message du directoire sur la situation de
la commune de Lyon. Cette cité intéressante par sa population et
par son commerce , y e^t-il dit , recèle dans son sein une fou'e de
brigands qui y commettent des vols, des voies de fait, des as-
sassinats. (Plusieurs voix : C'tst faux.) Des r^nseignemens précis
apprennent que les brigands , connus sous le nom de chauffeurs
et de Jésus , y sont organisés en compagnies. (Mêmes voi^. : C'est
faux.) Leur nombre s'augmente chaque jour parles dëicrteurs,
les réquisiiionnaires et les émigrés rentrés. (Murmures.) Leur
haine connue pour le gouvernement républicain y fomente tous les
désordres ; les acquéreurs de domaines nationaux y sont assas-
sinés. (Murmures. Quelques voix : Ah ! voilà Bailleul. ) Ces excès
se commettent également dans les départemens voisins. Le 5 de
ce mois, un n*aréchal-des-logis a été poignardé ; le 27 prairial ,
un capitainedeg. n iarmerie a été tué, dans larue Écorchebœuf.
Le directoire:», employé tous les moyens pour la [)oursuitodeces
délits, ils ont été inutiles. Le zèle des autorités est sans succès ; la
gendarmerit% mal équipée, mal payée, ne fait pas son devoir. LeS^
coupables, traduits devant les tribunaux, sont acquittés soit par
terreur; ou pour tout autre motif; on ne trouve point de lé-
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797 ). 289
moins, point de jurés : il résuite de cette impunité, que le peu-
ple se fait justice.
* Ainsi, le 25 floréal, trois voleurs ont été jetés dans la Saône ;
d'autres , qui étaient exposés sur l'échafaud , ont été massacrés.
Le !«>* de ce mois , un homme , prévenu d'être chauffeur, a été
pris sur le pont Saint-Vincent , et jeté à la Saône. Le directoire
annonce néanmoins qu'il est bien éloigné de rejeter l'odieux de
tous ces crimes sur les autorités constituées et sur la masse des
citoyens; il déclare qu'il a épuisé tous les moyens constitutionnels,
et il demande que le corps législatif prenne incessamment les me-
sures qui sont en son pouvoir. Tels que ceux d'assurer les fonds
pour le paiement des fonctionnaires , de la gendarmerie et de la
police ; de suppléer à l'insuffisance des lois constitutionnelles et
pénales. »
On réclame l'impression.
Camille Jordan, a Vous avez tous remarqué le rapport intime
qui existe entre ce message et l'opinion de notre collègue. (Vio-
lens murmures.) Bien loin de reprocher au directoire son mes-
sage, je lui en rends des actions de grâces, puisqu'il me fournit
l'occasion de prendre à cette tribune la défense de ma malheu-
reuse patrie, et de jepousser loin d'elle les inculpations calom-
nieuses dont on s'est plu si souvent à la noircir.
» Si le directoire vous montrait sa correspondance officielle,
vous verriez que les voies de fait dont il est ici question , sont
étrangères aux opinions politiques; la plupart n'ont eu Heu que
sur des voleurs pris en flagrant délit. (Murmures. ) C'est du sein
de la misère, et de l'insuffisance des lois que naissent ces crimes,
et non d'un système d'assassinat. De toutes les communes de la
République, il n'en est aucune où la rage révolutionnaire ait
exercé ses fureurs avec plus d'atrocité qu'à Lyon. Il n'y a pas une
famille qui n'ait à y pleurer la perle d'un parent, d'un ami; la
réaction dont on se plaint n'est-elle donc pas , jusqu'à un certain
point, naturelle? (Violens murmures. Trépignemens de pied. On
s'écrie: A l'ordre, à l'ordre.) Depuis deux mois que les nou-
veaux magistrats ont été nommés, les assassinats se réduisent à
T. XXX vn, 19
^) DIRECT. — DD le'' PRAIR. AN V {"20 MAI 1797)
un seul , celui d'un membre du tribunal révolutionnaire, qui a été
poignardé par un jeune homme dont il a lui-même assassiné
le père. Mais tous ces crimes sont désavoués par l'immense ma-
jorité des citoyens de Lyon. La jeunesse de Lyon, brave et fière,
sait se battre et non assassiner.
» Le directoire nous dénonce ces faits ; mais c'est à nous à les
lui dénoncer. Il n'y a pas une commune dans la République , où
il exerce tant de pouvoir ; tout y est soumis à l'autorité militaire ;
six mille hommes de garnison devraient y maintenir la police, si
elle n'était confiée à un bureau central , composé d'hommes
ineptes, dont l'un sait à peine lire et écrire. Voilà les individus à
qui le directoire remet le maintien de la tranquillité dans une
commune aussi populeuse que Lyon.
» Lorsqu'au i9 mai , l'infâme municipaliié Ghalier , de concert
avec de féroces proconsuls, fit mitrailler nos concitoyens sur la
place des Terreaux ; lorsque Lyon , indigné, se leva tout entier
dans cette journée mémorable , renversa la tyrannie municipale,
au même instant où les Parisiens succombaient sous le joug de
Robespierre, est-ce par des assassinats que les Lyonnais souillè-
rent leurs mains victorieuses? Non, les tyrans, les assassins du
peuple furent remis aux tribunaux; on laissa à la justice le soin
de les punir.
» Pendant la durée de ce siège mémorable, où Lyon luttait
contre le despotisme et le faisait trembler, où les cadavres en-
tassés de ses concitoyens attestaient leur amour pour la liberté,
leur horreur de la tyrannie, lorsque de toutes parts nos maisons
étaient renversées ou brûlées par la foudre prétendue républi-
caine, comment se comportèrent les Lyonnais à Fégard des pri-
sonniers blessés? ils les traitaient en frères, ils leur prodiguaient
tous les secours de l'art, tous les soins de l'amitié. Nous avons
tout perdu. Nos édifices , écrasés par la bombe , renversés par
le boulet, démolis par le marteau révolutionnaire, n'offi ent dans
toutes les rues que des ruines. Pendant notre longue proscription,
nos biens vendus , notre mobilier pillé, nous ont été restitués en
assignats dépréciés, en bons de nulle valeur; nous avons supporté
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). ^91
tous ces sacrifices, nous les avons déposés sur l'autel de la patrie.
Mais qu'on nous arrache aujourd'hui la dernière consolation qui
nous reste, celle d'être de bons citoyens, ah ! c'est ajouter au
sentiment de nos maux passés , un mal plus insupportable ; c'est
rouvrir nos plaies , c'est nous donner le coup mortel.
» Lyon est tranquille; ses citoyens s'y livrent au commerce
et aux arts , ils ont besoin du calme , ils le désirent , ils attendent
que le gouvernement les en fasse jouir. Les assassinats qui s'y
commettent viennent de l'extinction de la morale et des prin-
cipes religieux. (D'un côté l'on murmure. On crie de l'autre :
oui , oui. .) Oui , j'ose espérer que vous adopterez le projet sur la
police des cultes ; il n'est aucune de ses dispositions qui ne soit
conforme aux principes . Les prêtres déportés seront , au milieu
de nous , les officiers de la morale et de la paix. ( Violens mur-
mures.) Je deralbde l'ordre du jour sur l'impression du message,
et son renvoi auMicommissions compétentes. »
Villers appuie l'impression du message, et il mvoque le témoi-
gnage du général Villot sur la vérité des faits qui y sont con«
tenus.
Béraud parle dans le même sens que Camille Jordan ; et Ram-
baud , en appuyant l'impression du message , ajoute les obser-
vations suivantes : *^
> Les coupables exposés sur l'échafaud n'en ont point été
arrachés. En subissant leur peine , ils insultaient aux citoyens
qui se pressaient autour d'eux; ils disaient : « Ah! si la sainte
guillotine eût bien fait son devoir, nous n'aurions pas en ce ïpo-
ment autant de curieux autour de nous. » Ces mots excitent
de violens murmures parmi les spectateurs ; les coupables en
sont effrayés; ils cherchent à s'évader : on les poursuit. Les sol-
dats tirent sur eux , les mettent à mort et blessent en même
temps plusieurs citoyens.
» On parle de la rentrée des émigrés à Lyon. Mais qui doit y
veiller? Le bureau central. Les moyens de police sont insuffi -
sans dans cette commune. Après le siège , on a renversé les murs,
démoli les maisons ; la ville est ouverte , et les déconibres qu'on
292 DIRECT. — DU l^r PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
y rencontre à chaque pas, offrent un asile aux malfaiteurs et aux
étrangers. Que le gouvernem nt nous présente des moyens de les
écarier, et nous en serons infiniment reconna ssans.
> On dit qu'on y assassine les acquéreurs de domaines natio-
naux. Je ne réponds à celte assertion que par le fait suivant :
J'étais à Paris depuis dix-huit mois, lorsque j'ai été nommé aux
fonctions législatives, à une majorité de deux (ent soixame-huit
suffrages sur trois cents. Eh bien ! je suis acquéreur de biens
nationaux, ils forment les trois quarts de ma fortune.»
> Magenore avait la parole ; mais le conseil ferme la discussion,
ordonne l'impression du n)essage , et le renvoi de chacun des ob-
jets y contenus aux commissions compétentes.
> La suite de la discussion sur les émigrés du Bas-Rhin est
ajournée à demain. — {Journal de Paris , an V, h^ 288. |
Pour bien fpprécier le style des deux partis, il faut savoir que
Cf Ite séance est l'une, de celles où la discussion lut le plus calme.
Le :î4messil^ (12 juillet), le député Duplaniier vint fuireun
rapport au nom d'une commission chargée de présenter un pro-
jet sur les sociétés populaies, dont le nombre se multipliait dans
une direction plutôt ré} ublicùne que monarchique; car chacun
alors, ainsi que nous le hsons dans le Journal de Paris^ se deman-
dait : • De quél club seiai-je? » et c'était une manie qui se pro-
pageait avec toute la vitesiC d'une mode nouvelle. Dans ce rap-
port, il parlait ainsi : ^
€ Des arsemiux de révolte, des ateliers d'insurrecti(»n s'établis-
> sent ; des sci lérais veulent ressaisir par les echafauds le sceptre
> de la terreur ; mais leurs fratricid(;s projets sont connus. Les
• Jacol ins, aux crimes desquels le {) thermidor a mis un terme ,
> prétendent encore influer sur l^s déiibéraiions du conseil, diri-
) ger sa marche : il a applaudi à l'énergie du directoire loisque
> le Panthéon fut fermé; il ne souffrir a pas queseshabilues réor-
> ganisent leur bande tcelér.ite. Des sociétés populaires s'é èvent
» dans un {;ran(l nombre de depanemens, et y menacent la iran-
> quilliié publique. Il en existe dcjà une grande quantité de ce
> genre à Paris. Des complots se forment contre le corps législa-
AU 48 FftUCTltoOïl AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 295
•» tif ; des bataillons de prétendus patriotes s'orfïaiiisent; les armes
» sont prêtes , les signaux convenus , on n'attend que celui du
> combat. Les conciliabules nocturnes se multiplient ; et les Ja-
» cobins qui ont inondé la France de larmes et de sarg, affluent
1 dans Paris. Ce n'est pas qu'on veuille contester aux citoyens
» le droit de se réunir en sociétés particulières; maison veut
» qu'el'es ne puissent point donner de l'inquiétude. » Duplantier
termina en proposant un projet de résolution, dont voici les bases:
Chaque société particulière n'aurait pu admettre plus de dix
membres dans les communes de cinq mille âmes et au-dessous ;
>ingt dans les communes de dix à vingt mille; trente dans celles
de trente à quarante mille habitans; et enfin quarante à Paris,
Bordeaux, Lyon, Marseille. Aucune de ces sociétés n'aurait pu se
réunir plus de deux fois par mois ; ellrs auraient été sous la sur-
veillance des officiers municipaux. L'ordre du jour, la question
préalable, l'impression sont successivement demandes. Cooppé
s'oppose à l'impression , persifle le projet et demande l'ordre du
jour. Vaublanc réclame l'impression ; Rampi Ion et Bérenger, la
question préalable; Dumoiard blâme Couppé de s'être essayé à
ridiculariser le rapporteur. Bailleul interpelle vivement l'opinant.
Dumoiard déclare que la tranquillité publique est attachée à une
loi répressive des clubs et à la prompte réorganisation de la garde
nationale; que les menaces, les calomnies, et la promesse auda-
cieuse d'assassiner plusieurs représentans du peuple, ne l'empê-
cheront pas de dire la vérité : le projet des monstres avides de
carna{]e, est connu, dit-il ; il sera déjoué. (Vive agitation.) Bailleul
s'élance à la tribune. Il se plaint des injures et des outrages dé-
versés sur une classe indéfinie de citoyens , sans désignation de
ceux à qui les épithètes odieuses qu'on leur donne doivent être
appliquées : il ne voit des monstres, que dans ceux qui sont tou-
jours prêts à favoriser des prêtres rebelles, d'odieux émigrés , à
accuser et à calomnier le gouvernement actuel. « Voilà ceux, dir_
» il, que je signale comme des monstres ; mais , vous , qui dési-
> gnez-vous sous celte épiihète? » — Une foule de voix : < Les
» Jacobins, > — Bailleul : « Sont-ce les Jacobins qui assassinent
:294 DIRECT. — DU l«i PRAIR. AN V (20 MÀÏ 1797)
» sur toute l'étendue (Je la République? » — Les mêmes voix:
« Oui, oui. > — Bailleid : c Comment! quand le sang des répu-
» bilcains couie partout à grands Ilots. > — Les mêmes voix : « Où
donc, où donc? > — Bailleid : « Il coule à Lyon, il coule à Mar-
» seille, il coule dans le Midi, dans l'Ouest, dans le Calvados... »
Murmures violens, cris furieux. Doulcet demande la parole. Une
foule de membres se lèvent en gesticulant et en criant avec force
contre Bailieul ; enfin on ferme la discussion , et l'on ordonne ,
néanmoins, l'impression du rapport et du projet.
— Ainsi la majorité montrait une partialité qui ne permet-
tait point de méconnaître le but de son opposition et de ses atta-
ques contre l'administration. Lorsque l'anniversaire du 14 juillet
arriva , le 26 messidor, à une motion d'ordre de Jean-Debry,
pour la célébration de cette journée, un député vint répondre par
ces mots : « Oui, célébrons le renversement du despotisme ; mais
souvenons-nous qu'un despotisme mille fois plus affreux, s'éleva
sur les débris du premier ; et, pour ne pas 1 oublier, unissons dans
une même fête, la mémoire du jour où le despotisme démagogi-
que fut anéanti. » Ce langage, ces regrets à peine dissimulés, celte
marche calculée de la majorité, n'échappaient point à la presse.
Déjà on prévoyait une nouvelle révolution ; on le disait haute-
ment. Les écrivains du gouvernement ne voyaient de ressource
que dans un coup d'étal. On trouve , dans le n*^ 289 du Journal
de Paris (19 messidor), un article signé Billecocq , sur les appro"
ches dune révoLiuion 7ionveUe. L'auteur en appelle à l'énergie du
directoire.
Les constitutionnels des conseils, effrayés, avaient déjà com-
mencé des démarches auprès du directoire. Ils s'étaient adressés
à Carnotet à Barthélémy. Ces directeurs, aussi tourmentés qu'eux-
mêmes d'une direction où la Constitution était compromise,
avaient écouté leurs ouvertures. Le parti constitutionnel croyait
en se réunissant aux directoriaux , pouvoir former une majorité.
Mais il voulait imposer une marche sage et légale au directoire,
et pour cela il proposait d'en renforcer la minorité, composée des
deux membres auxquels il s'adressait , par un ministère compact
AO 48 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 4797). 29S
et doué du meilleur vouloir républicain. Il voulait donc qu'on
renvoyât Merlin , Truguet , Ramel et Gh. Delacroix. Carnot et
Barthélémy accédèrent complètement à ces propositions. On fit
sonder Barras par Villaret- Joyeuse, qui avait avec lui des relations
de plaisir. Il objecta qu'on aurait l'air de céder aux criailleries
des journaux ; enfin il donna sa parole. Alors Carnot proposa le
changement dans une séance du directoire. Rewbel et Laréveillère
s'y opposèrent ; Barras fut de leur avis ; et la négociation échoua.
Cette circonstance opéra dans le sein du directoire, une séparation
qui n'existait encore que parles mœurs et le caractère ; elle valut
à Barthélémy et à Carnot la proscription qui les frappa deux mois
plus tard. La majorité du directoire, composée de Barras, Rew-
bel et Laréveillère-Lepaux, s'entendit de manière à apporter dans
les séances uûe opinion toujours prise d'avance, et à cacher la
partie la plus importante de leurs projets. La haine de ces direc-
teurs contre les conseils était fondée sur les motifs les plus puis-
sans qui puissent mouvoir les hommes. Tous trois aimaient le
pouvoir; tous trois étaient menacés de le perdre. Barras voyait
dans toutes les dénonciations sur les malversations des finances ,
une attaque qui lui était personnelle ; Rewbel n'était peut-être pas
complètement étranger à ce sentiment ; de plus , il éiait danto-
niste, chicanier, personnel , vindicatif. Laréveillère était athée,
chef de secte ; il détestait la religion comme on hait un ennemi
personnel. Ainsi ces trois hommes se trouvèrent, par un même
motif , réunis dans la suite des mesures qui se terminèrent au
18 fructidor. Ils commencèrent , contre l'avis de leurs deux col-
lègues, par renvoyer les ministres qui plaisaient aux constitution-
nels,et entre autres, Cochon l'Apparent, PetietetBénézech,etles
remplacèrent par des hommes dont l'avis, dans les circonstances
présentes, était trop connu. Ils nommèrent à la pohce, Lenoir La-
roche qui avait , la veille , tapissé les murs de Paris d'un placard
en faveur des cultes ; à la marine, Préville Pelet; aux relations
extérieures, Talleyrand; à l'intérieur, François de Neufchàteau ,
à la guerre , Hoche ; mais celui-ci étant trop jeune fut remplacé
par le général Schérer. Ce ministère nouveau était évidemment
296 DIRECT. — 1)U jei prair. AN V ( i20 MAI i797 )
composé dans des inlentions hostiles. On ne pouvait en douter
d'après ce que l'on savait des conversations tenues dans les sa-
lons où ils éiaient habitués, d'après les révélations des minis-
tres destitués. Peiiet annonça qu'il avait appris indirectement
que des troupes faisant partie de l'armée de Ilo^ he étaient ar-
rivées auprès de Paris, sans que lui, ministre de la guerre, en
eût donné ordre, et sans ordre connu du directoire. D'un auire
côté, on disait dans les salons minisiériels, dans celui de ma-
dame de Staël, queCarnol, Barthélémy, Peiiet, Cochon et Bé-
nézcch étaient des royalistes. Enfin les craintes des constitution-
nels furent portées au comble , lorsqu'ils apprirent que Lacuée,
ami intime de Carnot, disait que tout était perdu si l'on ne pre-
nait pjs des mesures décisives , telles que l'arrestation de Barras.
Il y eut, à cette occasion, une réunion où se trouvaient aussi des
membres de l'opposition royaliste, Siméon, Pichegru, etc. Por-
talis apprit à ses collègues qu'il était cei tain que le directoire avait
le projet de faire arrêter les députés qui lui déplaisaient ; qu'il
avait eu celui d'empêcher l'entrée du nouveau tiers dans les con-
seils ; que Rewbel ne cessait de dire t que les choses changeraient
ou qu'il y perdrait la têie ; > et Laréveillère , « que tout cela ne
pouvait finir que par l'épée et le canon. » On tenait ces renseigne-
mens de Cochon et de Carnot. Ils étaient certains ; on se demanda
ce qu'il fallait faire. Portalis et Tronçon-Ducoudray proposèrent
de mettre hors de la loi les directeurs qui conspiraient. Cette opi-
nion énergique ne fut ni adoptée ni rej«tée. Elle fut combattue;
on fit le dénombrement de ses forces ; Dumas dit que l'on pouvait
compter sur les grenadiers du corps législatif et sur le 21 ^^ de
chasseurs; on proposa de réorganiser la garde nationale. Enfin l'on
se sépara sans avoir rien décidé. Il en fut ainsi de plusieurs réu-
nions. Cela suffit néanmoins pour que le bruit se répandit que les
conseils voulaient suspendre ou mettre en accusation le directoire.
Les journaux en parlèrent, et quelques-uns discutèrent sur l'op-
portunité de cette mesure.
Barras, Rewbel et Laréveillère avaient déjà fait confidence de
leurs projets au général Hoche; voici ù quelle occasion ce fait
AU ^18 FRUCtIDÔR AN V (4 SEPTEMiJkE i797 ). 297
fut révélé. La commission des finances , en examinant les récla-
mations d'une compagnie chargée des fournitures auprès de l'ar-
mée de Sambre-et-Meuse , avait reconnu une grave inexactitude
dans ses comptes.
Elle avait trouvé que cette compagnie demandait à être payée
pour p^^s d'un cinquième de rations qu'elle n'avait pas livrées.
Son attention excitée sans doute par ce fait, lui avait fait décou-
vrir que le général Hoche avait imposé une contribution, dans
les pays du Rhin, de 5,725,000 fr., et que l'emploi de celte
somme n'était point entièrement justifié. Un député vintdénoncer
ce fait à la tribune et demander compte de 736,600 fr., qui
avaient, disait-il , disparu de l'éîat-major. Le général parut vive-
ment ilessé de cette inculpation ; il s'en justifia par une lettre qui
fut insérée dans tous les journaux , dans laquelle il se plaignait à
son tour que la solde était arriérée; il s'indignait qu'on osât accu-
ser des hommes qui manquaient de tout et qui étaient réduits à
faire des dettes pour servir une patrie ingrate; dans laquelle il
promettait enfin que les comptes allaient être imprimés. En
même temps , il avouait au payeur de l'armée de Sambre-et-
Meuse qu'une partie de ces fonds était en route pour Paris , et
qu'il avait reçu des directeurs l'ordre de verser le moins de fonds
possibles à la trésorerie nationale. Le payeur communiqua en
thermidor ces renseignemens à un député , qui lui-même les fit
connaître à ses collègues.
Cependant le renvoi des anciens ministres , l'appel des nou-
veaux dont l'opinion était connue par celle même des salons dont
ils étaient les habitués, déterminèrent aussitôt les conseils à pren-
dre des mesures pour acquérir des moyens de garantie et d'ac-
tion. Il avait déjà été question de réorganiser la garde natio-
nale sur les bases adoptées en 89, et avec les exclusions appli-
quées après les journées de prairial. Oa savait, par ce qui s'é-
tait passé en vendémiaire, quel esprit régnait dans la partie de
la population de Paris qui se trouverait armée dans un jsystème
ainsi calculé; on espérait, sans doute , et l'on avait tout lieu de
croire , d'après ce que l'on avait vu aux élections , que cet esprit
298 DIRECT. — DU ier praIR. AN V ( 20 MAT 1797 )
n'était point changé , et par conséquent était acquis à l'opposition
réactionnaire. On s'occupa de ceiie question au 50 thermidor,
ainsi que l'on va le voir.
CONSEIL DES CINQ-CENTS. — Séance du 50 messidor anb,
(iS juillet 1797.)
Delahaije. Je rappelle au conseil qu'il avait arrêté que le rap-
port sur l'organisation de la garde nationale serait fait incessam-
ment. Je n'examinerai point les motifs de ce relard; mais je crois
que ce travail doit nous être soumis le plus tôt possible. Je me
fonde sur les bruits que l'on répand dans le public. On annonce
qu'il arrive des troupes à Paris, et le corps législatif n'en est pas
informé. On dit qu'il se fait dans cette commune des distribu-
tions d'armes. 11 fimt que l'on organise promptement cette garde
nationale, qui, au 14 juillet, au 12 germinal , au 4 prairial arendu
de si grands services à la chose publique. Je demande que le
rapport sur lagarde nationale soit fait incessamment. » — Adopté. »
Maillard, c Je demande qu'il soit nommé une commission par-
ticulière pour prendre des renseignemens sur le nombre des
troupes qui se rendent à Paris. » ( Violens murmures. )
Un membre du nouveau tiers. «Il faut que nos collègues sa-
chent qu'il y a un corps de huit mille hommes actuellement en
marche sur Paris. Je demande qu'il soit envoyé un message au
directoire pour s'en informer. >
Camille Jordan. « Et raoi aussi j'appuie le message. Et moi
aussi je viens remplir un devoir, un devoir sacré, en vous faisant
part des inquiétudes dont je suis ? empli. Je sais qu'il appartient
au directoire de renvoyer ses ministres.... (Une foule de voix :
Ah ! ah ! Oo rit d'un côté ; de l'autre on murmure. ) Je suis loin
de contester ce droit, que la constitution accorde au directoire;
mais je sais aussi que nous avons le droit sacré de proclamer à
cette tribune les dangers de la patrie. (Murmures. )
> Le*renvoi de certains ministres nous remplit d'inquiétudes ,
(on rit), surtout quand on songe que depuis long-lemps on se
plaît à calomnier les membres les plus purs du conseil des cinq-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 299
cents. Partout les sociétés populaires se réorganisent ; les anar-
chistes lèvent la tête , une foule de scélérats accourent des dépar-
temens à Paris; et le directoire n'a point fait son devoir en dissol-
vant ces rassemblernens , et c'est dans ces circonstances vraiment
criiiqiies, que le ministre de la police , dont la vigilance et le ré-
publicanisme sont connus, est renvoyé. Un pareil renvoi est une
calamité publique. iWI^
> Je crois que les intentions du directoire sont pures ; mais je
suis convaincu que les ministres ont été calomniés à ses yeux. Je
suis convaincu que l'on prépare un mouvement pour nous assas-
siner (D'une part, on rit ; de l'autre on s'écrie : Oui , oui,
c'est vrai. ) Il existe une conspiration ostensible de terroristes ,
des Jacobins , de scélérats subalternes ; mais derrière ces hom-
mes , se trouve une faction ambitieuse , qui a suivi la révolution
dans toutes ses phases, qui, en parlant sans cesse de républica-
nisme , veut nous conduire au royalisme , et à recevoir de sa main
un roi de l'espèce la plus vile.
s Je connais la faiblesse de ces hommes ; je sais que leurs con-
vulsions sont celles d'une rage impuissante ; je sais que si nous
succombions sous leurs coups, les départemens vengeraient notre
mort. De ces données , il résulte qu'il est infiniment urgent d'or-
ganiser la garde nationale. Je demande que le rapport soit fait
incessamment : et qu'il soit envoyé un message au directoire pour
connaître de lui la situation intérieure de la Répubhque.
Febvre, < Je ne m'oppose point au rapport sur la garde natio-
nale ; mais je m'oppose à l'envoi du message. Ce n'est pas sur des
dénonciations vagues et dénuées de faits , que la première auto-
rité de la République doit fonder ses délibérations. Je me défie
de ces imaginations ardentes qui se plaisent à créer des fantômes
pour avoir le plaisir de les combattre. Non , la république n'est
point en danger; s'il y a des scélérats qui veulent en saper les
fondemens , la rpasse des Français la soutiendra. Non , il ne faut
point s'effrayer de ce qu'on vous annonce de l'arrivée d'un corps
de huit mille hommes armés à Paris, P parce que ce fait n'est
point constant ; 2'^ parce que les braves défenseurs de la patrie
30(ï DIRECT. — DU i^i PHAIR. AN V ( 20 MAI !797 )
qui le composent, après avoir cimenté de leur sang la Républque,
ne viendront jamais en attaquer la première autorité constituée.
Je demande l'ordre du jour. »
Plusieurs voix. < Appuyé. >
Dumolard. t Le travail de la commission relatif à la réorgani-
sation de la garde nationale est prêt; et Pichegru fera demain son
rapport. Quant au message demandé, je déclare d'abord que je
ne partage point les alarmes de quelques-uns de mes collègues;
je crois que les raalveillans s'agitent en ce moment; mais je ne
pense pas que la représentation nationale soit dans le cas de se
Jivrerà des inquiétudes.
» Et en effet , d'où partiraient ces craintes? Des défenseurs de
la patrie? Ce serait les calomnier, ils voient en vous les délégués
du peuple ; et ^'ils vous savaient en danger, bien loin de se réunir
à vos ennemis, ils les écraseraient. Quels sont donc les hommes
assez puissans pour lutter contre le corps législatif, contre nos
soldats républicains? Serait-ce ceux qui veulent nous ramener à
l'affreux régime de 1795 ? Mais ils ont donc oublié que les temps
sont chan^jés; que les Français ne soumettront plus une tète ser-
vile à un joug si odieux.
> Quant aux ministres, puisqu'on a profère le mot à cette tri-
bune , il faut s'entendre. Le directoire a le droit de les changer;
mais nous n'avons pas celui de nous immiscer dans ce qui les con-
cerne. Ils n'ont plus à nos yeux le caractère de ceux de i 791 ; ils
sont placés dans un rang inférieur, qui n'est point soumis à notre
juridiction. On a parlé de la bonne conduite et des services du
dernier ministre de la police, il n'est aucun de nous qui les ait
oubliés. Leur souvenir est gravé daùs nos cœurs, dans ceux de
tous les Franchis. [ Une foule de voix : Oui , oui. ) Il est un autre
ministre renvoyé , dont les talens, le patriotisme et la probité nous
sont connus, et qui a donné un exemple qui n'a été suivi d'aucun
autre, celui de rendre ses comptes, je parle dp Petiet. Mais la
constitution, mais l'intérêt de la République vous interdisent de
vous occuper de ces objets. Le directoire est responsable de notre
tranquillité et de notre sûreté. On a parlé d'un mouvement à Pa-
AU 48 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 501
ris ; mais, je l'ai dit il n'y a pas long-lemps à cette tribune , et je
Je répète : il est impossible qu'il y ait ici un mouvement, sans
que le gouvernement ne le veuille et ne le protège. Ceci doit vous
rassurer.
» Il importe donc à la tranquillité publique, que le corps légis-
latif ne témoigne aucune inquiétude dans les circonslances pré-
sentes. Si elles étaient fondées , nous ferions tous à la liberté le
sacrifice de notre vie; mais nous n'en viendrons pas là. Je pense
donc que le directoire, frappé des alarmes qui ont été manifestées
ici, s'empressera de les dissiper. J'appuie donc le message de-
mandé sur la situation de la République , et je demande que Pi-
chegru fasse demain son rapport sur l'organisation de la garde
nationale. > — Adopté.
Maillard. « Sans doute, le message sur la situation de la ré-
publique est intéressant. Mais il en est un autre pour lequel j'in-
siste, c'est celui relatif à l'arrivée des troupes. ( On rit , on mur-
mure. ) Je suis bien loin de ressentir aucune crainte ; mais la pru-
dence ne doit pas être défendue. Quand on a le témoignage de sa
bonne conscience , on est au-dessus de toutes les terreurs. On a
dénoncé ici , 1° l'arrivée de dix mille hommes (on rit) ; 2» celle
d'une foule d'étrangers.
> Et moi aussi, j'ai reçu de mon département des lettres qui
m'apprennent que les buveurs de sang sont partis sur des missi-
ves adressées de Paris , et ils ont fait à leurs parens et à leurs
femmes un mystère du but de ce voyage. J'ai fait voir une de ces
lettres à la commission des inspecteurs.
• Je crois donc que lorsque les anciens ministres quittent les
rênes du gouvernement, le corps législatif est autorisé à deman-
der au directoire des renseignemens. (Murmures.) Quant aux
troupes , l'article 65 de la Constitution est formel. ( Murmures. )
11 est bien étonnant que l'on croie que je regarde comme con-
stant, ce qui n'est à mes yeux qu'une hypothèse. Mais il faut, à
cet égard , calmer les craintes des habiians de Paris. (On rit , on
s'écrie : Personne n'a peur. )
» Je me résume ; et je demande deux messages, l'un sqr l'étai
502 DIRECT. — Dr l^^r PRAIR. AN V ( î20 MAI 1797)
de Paris, et l'autre sur celui des dépanemens. Je n'ai qu'un mot
à dire , et tous mes collègues m'entendront bien. Je demande
qu'après-demain l'on fasse le rapport sur la responsabilité des
ministres.
Parisot, c La crainte est une faiblesse ; nous n'en éprouvons
„ aucune, du moins je l'assure, quant à moi (on rit); il sulfild'un
message sur la situation de Paris. Si Paris, est tranquille les dé-
partemens le seront. (Murmures. ) Au reste , les inquiétudes qui
se sont manifestées ici , prennent leur source dans la renaissance
^es sociétés populaires , quoique la Constitution les défende ,
elles comuniquent entre elles , soit par la voie des journaux, soit
autrement. Je demande que le projet relatif aux sociétés popu-
laires soit à l'ordre du jour de demain.
Couppé. < Le rapport n'est pas encore imprimé. >
Tatlicn. « La question incidente qui s'est élevée mérite que l'on
prolonge la discussion ; celte prolongation est peut-être nécessaire
pour calmer les inquiétudes qu'auraient pu concevoir les born-
âmes de bonne foi , lesquels pourraient , s'ils n'étaient éclairés , se
porter à des excès ; car de l'un et de l'autre côté , l'exaspération
des esprits est telle, qu'il est du devoir de tout patriote, et j'en-
tends par là un homme ami de son pays , d'empêcher qu'il n'y
ait aucun trouble. Et c'est de cette tribune que l'on doit rappeler
les citoyens au maintien de l'ordre et de la tranquilHté ; et c'est
à ceux que l'on se plaît à désigner comme les chefs des conspira-
teurs, à faire retentir ici les accens de la paix et de la con-
corde. ( Légère agitation dans le coin de la salle voisin de la
lr'd)une. )
> L'orotcur se tournant vers ses interrupteurs : Je ne répon-
drai point, dit-il, aux personnalités ; je fais mon devoir, que cha-
cun y soit fidèle.
> On a parlé de la réunion des sociétés populaires. Je l'ignore.
S'il en existe , elles sont contraires à la Constitution , elles doivent
être dissoutes. Mais s'il y a des lieux où les citoyens se rassem-
blent pour discuter, et non pour déhbérer ; si ces réunions ne
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). TiOo
communiquent point ensemble, je dis qu'aucune autorité ne peut
les empêcher.
* J'ignore ce qu'il y a de vrai dans ce que Ton a dit , relative-
ment au renvoi des ministres. Je ne suis point un habitué de l'œil-
de-bœuf du Luxembourg. Mais Dumolard vous a développé les
vrais principes à cet égard. Mais on a parlé de l'arrivée de troupes
à Paris. Je vois avec peine, que depuis quelque temps tout tend à
rompre l'union qui doit exister entre le directoire et le corps lé-
gislatif. Dans les circonsfances difficiles où nous nous trouvons ,
à une époque où les négociations de paix se font avec deux des
plus grandes puissances de l'Europe , je soutiens qu'il est incon-
venant à tout vrai patriote, de chercher à rompre ces liens, et à
faire croire à nos ennemis que cette union n'existe plus , et que
demain nous aurons un autre gouvernement. Des motions incon-
sidérées ont été faites sur la conduite de nos agens diplomatiques,
sur celle de nos généraux. Ces motions ont excité des alarmes :
les deux partis contre lesquels la république a à se défendre, ont
cru qu'ils pouvaient profiler de ces germes de division semés à
dessein ; et que le moment était venu de rétablir le sceptre de
l'anarchie ou celui de la royauté. Également éloignés de ces deux
extrêmes , nous voulons la constitution de l'an 5. Notre intention
n'est pas de flagorner le directoire; une pareille èonduite serait
indigne d'un homme libre, plus encore d'un représentant du
peuple. Mais je soutiens qu'il n'est pas moins indigne d'un Fran-
çais jaloux de la gloire de son pays, de donner à entendre à cttle
tribune , qu'il existe un défaut d'union entre le corps législatif et
le directoire. Quand cette union sera établie.... { Une voix : C'est
le brigandage oui règne qui nous indigne. Murmures.) 11 me sem-
ble que je ne dis rien qui ne soit juste et raisonnable. ( Plusieurs
voix : Continuez.) Ce sera alors que vous serez les maîtres de
toutes les factions ; que vous en tiendrez le fil ; qu'avec des lois
sages et des institutions républicaines , et que sans sévérité, mais
en usant d'indulgence, vous ferez jouir tous les Français du bien-
fait de lu Constitution . Je pense que le conseil doit se borner à l'en-
voi d'un message relatif à U situation intérieure de laKépublique.
304 DIRECT. — DU l«r PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
Pastoret, « J'aime à applaudir aux principes d'union manifestés
par le préopinant. Nous débitons tous que l'harmonie la plus par-
faite règne entre le directoire et les deux conseils. Quoi qu'on en
dise , le corps législatif a donné des preuves multipliées du désir
qu'il a de maintenir celte union. Peut-être a-t-il poussé sa con-
descendance trop loin, lorsqu'il a accordé au directoire le droit de
nommer aux places qui sont à la nomination du peuple. J'app'au-
dis à ce que dans cette circonstance nous fassions momentané-
ment des sacrifices. Mais au moment où on invoque celte union
avec le directoire , comment ne veut-on pas que le corps législa-
tif, qui est aussi dépositaire de la tranquillité publique, ne prenne
pas des mesures tendantes à l'assurer. Je suis bien convaincu que
toutes les tentatives des ennemis de la liberté seront inutiles; que
les sociétés populaires auront beau eniasser montagnes sur mon-
tagnes , elles seront foudroyées. o
Comment vient-on vous dire que les sociétés populaires sont
autorisées par la Constitution?... (Violens murmures. Plusieurs
voix : Tallien n'a pas dit cela.) Je passe sur l'arrivée des troupes
et sur le renvoi des ministres. Je déclare que celui de la police
emporte les regrets de tous les bons ciloyens. ( Quelques voix :
Oui, oui. ) Je rends le même hommage au ministre de la guerre,
qui a fait des économies et qui a rendu des comptes.
La marche de nos ennemis est l'audace, la notre sera la fer-
meté. Nous ne sommes pas ici des hommes isolés, mais les repré-
sentans du peuple; et en celte qualité, nous saurons mourir à
notre poste pour la patrie, plutôt que de souffrir le retour du
règne de l'anarchie et du crime.
L'orateur conclut en demandant, 1® qu'il soit fait deux mes-
sages au directoire, l'un sur la situation de Paris, et l'autre sur
celle des départe mens ; 2° que le rapport de Pichegru sur la garde
nationale soit fait demain. >
Ces propositions sont adoptées.
Quatremère a fait un rappoi t sur la responsabilité des mi-
nistres. — Impression et ajournement dans les formes constitu-
tionnelles.
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE i797 ). 505
CONSEIL DES CINQ-CENTS. — Séance (lu 2 thermidor an 5 ,
( 20 juito 1797.)
Le président, i L'ordre du jour appelle le rapport de Pichegru
sur la réorganisation de la garde nationale; mais un membre des
inspecteurs de la salle demande la parole pour communiquer au
conseil un fait important. » ( Silence. )
Aubry, « Je réclame l'attention du conseil sur un fait dont je
garantis l'authenticité. Un détachement de plusieurs régimens de
dragons , avec une partie de l'état-major de Sambre-et-Meuse ,
arrivent les 13, 14 et lo du présent mois à la Ferté-Alais, près
Corbeil, et par des chemins détournés. D'autres troupes, parmi
lesquelles est une légion formée à Brest pour l'expédition d'Ir-
lande, doivent également arriver à Soissons. L'alarme s'est ré-
pandue dans ces cantons où les troupes n'ont pas coutume de
passer.
> Je fais observer au conseil qu'il n'y a que sept lieues d'ici
à Corbeil, et que l'article de la Constitution interdit au directoire
de faire passer des troupes à vingt lieues de distance de Paris ,
sans y être autorisé par le corps législatif; tout membre du di-
rectoire, tout commandant de force armée, qui aura violé cette
défense, qui aura donné ou signé l'ordre de le faire, est, aux
termes du code des délits et des peines , condamné à dix ans
de fer.
» Le directoire ignore peut-être le fait que je vous dénonce ;
il est de notre devoir de l'en insiruii e , afin de le mettre à même
de vous donner des renseignemens. Je demande qu'il lui soit fait
un message, pour qu'il ait à vous rendre compte demain (foule
de roix : Aujourd'hui, séance tenante), pour qu'il ait à vous
rendre compte , séance tenante , 1^ s'il est vrai que quatre régi-
mens de dragons ont reçu l'ordre de se rendre à la Ferié-Alais ;
2o par quels ordres cette marche a eu lieu ; 5*^ quelles mesures il
a prises pour en poursuivre les auteurs. »
Delarue. t Votre commission apprit hier à trois heures la
marche inconsiituiionnelh^ d'un curps de trou[)es sur Paris. Elle
T. xxxv/i. 20
506 DIRECT. — DU 1^»' PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797 )
s'est rendue sur-le-champ au direcloire pour avoir des rensei^^ne-
mens sur cet objet. Le directoire, par l'orgune de son président,
nous a déclaré qu'il n'avait aucune connaissance du fait dénoncé ;
qu'il n'avait donné aucun ordre; qu'il venait de i'apprendie du
ministre de la (juer re , lequel ignorait lui-même l'ordre et ses
auteurs. Le président a ajouté qu'il se pouvait que cet ordre eût
été donné par le général Iloche, et qu'il fût relatif à l'expédition
de Brest ; et qu'il était vraisemblable que ce général avait voulu
s'entourer de ses troupes pour cette expédiiion. Qu'au surplus ,
il assurait la commission que le courrier qui avait apporté l'ordre
de cette marche allait être réexpédié pour porter l'ordre de ré-
trograder. Ainsi, il est probable qu'en ce moment le courrier est
parti. Néanmoins, j'appuie l'envoi du message, et je demande
que le conseil en attende la réponse séance tenante. — Adopté. >
Le message est à l'instant envoyé au direcloire.
Aubrij. € Je demande qu'il soit donné connaissance aux anciens
du message que vous venez d'envoyer. * — Adopté.
Pichegru paraît à la tribune, c II ne suffit pas, dit le rappor-
teur, d'avoir fait recouvrer à la nation ses droits, il faut encore
les lui conserver. Les moye.js qu'elle a employés pour en faire
la conquête doivent être mis en usage pour lui en assurer l'exer-
cice. Il sera beau de voir tous les citoyens , fidèles à la voix de
leurs représentans, se rendre à l'appel qu'ils leur font par mon
organe, de se réorganiser en gardes nationales. »
Le rapporteur développe les services rendus par les gardes
nationales depuis le commencement de la révolution, puis il pro-
pose un projet en six titres.
Plusieurs membres. « L'impression. »
Plusiairs antres. « Aux voix ! aux voix ! »
Henri Lariviere. « Je demande la parole pour inviter le con-
seil à discuter sur-le-champ le projet présenté. ( Plusieurs voix :
Nous ne le connaissons pas. ) Cette discussion est d'autant plus
pressée que le projet est plus urgent. Les circonstances où nous
nous trouvons sont infiniment ciitiques. Il y a trois jours qu'on
annonçait le renvoi des ministres qui ont mérité la confiance na-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE ]797 ). 307
tionale. ( Murmures. ) Hier encore on lisait à cette tribune les cri-
tiques amères', les calomnies atroces dirigées dans un papier mi-
nistériel contre le conseil des cinq-cents. Aujourd'hui enfin j'ai
entendu annoncer à cette tribune qu'un corps de troupes marche
sur Paris , et vient de renverser la barrière sacrée que la Consti-
tution établit entre le corps législatif et la force armée. Si dans
trois jours des nouvelles aussi surprenantes ont été données au
conseil, qu'apprendrez-vous demain? Je ne sais si mes alarmes
sont vaines ; mais je vois autour de nous tous les symptômes
du 51 mai.
» Nous touchons au 9 thermidor, je le sais , et ce jour doit être
pour nous d'un bon augure; mais il est impossible de rester spec«
tateurs indifférens desévéneraens qui se pressent autour de nous.
Mais le ministre de la police est renvoyé au moment où il allait
dénoncer les complots qui commencent à éclater; il est remplacé
par un homme qui n'a pas craint de salir les murs de Paris par
des placards calomnieux contre la représentation nationale. Je
suis bien éloigné d'imputer au directoire les manœuvres que je
dénonce. Je sais qu'il lui appartient de renvoyer ses ministres , et
de les remplacer par des hommes de son choix. Mais c'est pour
nous un devoir sacré d'éclairer les citoyens sur les nouveaux
malheurs qui les menacent, de frapper l'opinion publique, et de
prendre les mesures propres à sauver la patrie.
» Je sais avec tout Paris , que le directoire est en ce moment en
proie aux divisions les plus funestes. (Violens murmures. Longue
agitation. Le président rappelle à l'ordre; les huissiers invitent
au silence. Le calme se rétablit. ) J'ai dit que tout Paris est in-
struit des divisions qui déchirent le directoire ; des protestations
motivées que deux de ses membres ont consigaées sur le registre
de ses délibérations. Quant à l'arrivée des troupes, on vous a dit
que Garnoi lui-même et le ministre de la guerre n'en étaient pas
instruits.... ( De nouveaux murmures se font entendre. Le prési-
dent : J'invite au silence; on répondra à l'opicani.) Oui , je le
reflète : Carnot n'était pas instruit do l'arrivée des troupes ; le
ministre de la guerre n'en avait aucune connaissance ; et c'est à
508 DIRECT. — DU i^r PRAIR. AN V (20 MAI 1797 )
cet instant que ce ministre est renvoyé. Hé bienl dansées circon-
stances critiques , deux directeurs ont prolesté contre ce renvoi ;
je les sépare du directoire, comme ayant bien mériié de la pa-
irie; je leur voie d>^s reaierciemeus pour la courageuse énergie
qu'ils ont développée.
> Je le répète, les circonstances où nous nous trouvons sont
critiques. Nous sommes entourés d'échappés de galères, d'am-
nistiés, de la horde affreuse des hommes de Vendôme. Dans la
rue Thionville , un club médite le massacre ; des armes sont dis-
tribuées ; un ministre qui a dévoilé tous les complots est renvoyé j
des troupes arrivent à Chartres, à la Ferlé- Alais; cette nuit
même il en est entré dans Paris ; deux membres du directoire
protestent contre ces mesures, ils déclarent hautement que leurs
jours sont menacés; et nous resterions indifl'érens ! et nous ne
prendrions aucune mesure! et infidèles à notre mission, nous
laisserions de nouveau planer sur nos têtes un régime à jamais
exécré !
» J'en ai dit assez pour vous faire sentir la nécessité d'orga-
niser promptement les gardes nationales. Je demande qu'on dis-
cute le projet à l'instant même, et que les anciens soient invités
par un message , à ne pas désemparer avant d'avoir reçu la réso-
lution. »
Plusieurs voix, « Appuyé. »
Thibaiideau. « Je ne viens point me dissimuler les justes inquié-
tudes manifesiees à la tribune ; je ne viens point endormir le
conseil sur le bord du danger, ni lui con.sciller une sécurité trom-
peuse dans un moment critique ; car il n'en est pas de plus péril-
leux que celui où il existe , entriî les pouvoirs et les meuibres de
ces pouvoirs, des divisions funestes. iMaisje suis bien loin de son-
ner le tocsin de l'alarme aux yeux de l'Europe qui nous contem-
ple, et à une époque où les plus importantes negocijtions soni
ouveries. Je ne crois point nécessaire de tirer l'épée, et du haut
de celte tribune , de faire éclater les dangers plus ou moins fondés
que le corps légisutif peut courir. 11 a des moyens puissans de
s'en mettre à couvert. Celle puissance n'est point dans loi gani-
I
AU 18 FRCCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 309
satîon de la garde nationale; quelque imponanle que soit celte
mesure, elle sei ait trop tardive. Celte puissance est toute mo-
rale : elle est dans l'accusation même que vous prononcerez con-
tre les hommes assez audacieux pour comploter le renversement
de la Constitution , et des mesures violentes contre le corps légis-
latif. Oui, la représentation nationale a la force défaire exécuter
le pacte social , et de f( apper les magistrats qui conspirent. Mais
pour cela , il faut sonder nos maux , et y appliquer les reaièdes
constitutionnels et efficaces.
> J'aime à mêler mes regrets à ceux qui ont été exprimés sur
le renvoi des ministres , la patrie reconnaissante n'oubliera jamais
les services qu'ils lui ont rendus {Foules de voix : Oui, oui.);
mais je respecte les droits du directoire , et jusqu'à l'abus qu'il
en peut faire. Cet article doit donn êîre mis à l'écart.
» Mais croyez-vous que le directoire se constitue en étal hostile
contre vous ? Dans ce cas-là, je demande , non qu'on le fas^e ren-
trer dans le devoir par une insurrection violente, indigne du corps
législatif, mais, qu'à la suite d'une dénonciation éclatante et si-
gnée, on frappe de la foudre nationale ceux de ses membres qui
seraient coupables des attentats denoiicés. L'arrivée des troupes
dans les environs de Paris est un de ces faits qui appellent sur eux
la vengeance des lois. La Constitution a posé une barrière entre
le corps législatif et la force armée ; si le directoire a rompu cette
barrière , il doit être frappé , et sur-le-champ. Vous venez à cet
égard de prendre une mesure , vous avez adressé au directoire
un message; toute délibération doit être suspendue jiisqu'à ce que
vous ayez reçu une réponse.
> Q'iant à la garde nationale, quoique sa réorganisation soit
très-urgente, elle ne peut être as^ez tôt prête pour nous mettre
à l'abri des attaques, si tant est qu'on en médite C(>nt'e nous..
J'aime à le dire, le corps législatif, fort de la confiance de la na-
tion, saura, avec cette seule arme, déjouer tous les comp'ots
ourdis contre sa liberté. C'est la confiance dans nos propres for-
ces qui fait notre véritable force. ( Foules de voix : Oui , oui.)
5i0 DIRECT. — DU l^»" PRAIR. AU \ ("20 MAI 1797).
» Je demande l'impressioadu projet et du rapport, et l'ajour-
ncment vingt-quatre heurfs après la distribution. »
Boîssij'd'Anglas. « Je pense comme Thibaudeau, que la force
des représenians du peuple est dans la confiance publique. Mais
nous ne pouvons nous dissimuler les inquiétudes et les justes alar-
mes qu'a fait naître le renvoi d'un ministre, qui, pendant la
session dernière , a déjoué trois complots , et qui , dans le mo-
ment actuel , tenait tous les fils de ceux qui se trament encore.
* Au moment où je parle , les Tuileries sont remplies d'hommes
féroces qui ont joué un rôle dans les fureurs révolutionnaires. On
y voit Léonard Bourdon et Fournier l'Américain , qui a égorgé
à Versailles les prisonniers d'Orléans. Je n'accuse point le direc-
toire ; mais je dis que comme tous les hommes investis du pouvoir
suprême , il est trompé par les gens qui l'entourent ; ce sont ses
ennemis et les vôtres qui l'ont engagé à renvoyer ses ministres ,
et à faire nommer à la police un homme qui a rempli tout Paris
de placards injurieux à la représentation nationale. >
i Je pense comme Thibaudeau , que nous ne pouvons prendre
de détermination sur la situation de Paris avant d'avoir reçu la
réponse à votre message. Mais je ne pense pas comme lui qu'il ne
faille pas discuter à l'instant même le projet relatif à la garde na-
tionale. Cette force est nécessaire pour en imposer aux méchans,
sinon comme moyen actuel de répression , du moins comme
moyen de punir le crime. La matière est connue; elle nous est fa-
milière. Je demande qu'on ouvre la discussion. »
Après quelques débats, le conseil accorde la priorité à la
proposition de Tliibaudeau , et il arrête l'impression du projet
de Pichegru , et son ajournement vingt-quatre heures après la
distribution. *
Le conseil des anciens annonce qu'il reprendra sa séance à
sept heures pour recevoir communication de la réponse du di-
rectoire.
Gilbert- Desmolières, aprè^ une longue discussion, fait adop-
ter un nouveau projet sur les négociations à faire par la trésore-
rie , à la place de celui que les anciens avaient rejeté.
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 311
Le pi'ësident annonce l'arrivée du message du directoire. Un
secrétaire en donne lecture, il est conçu en ces termes :
t 11 est vrai que quatre régimens de chasseurs de l'armée de
Sambre-et-Meuse devaient passer à la Ferté, située à onze lieues
de Paris, les 13, 14, 13 et 16 du présent mois , pour se rendre
à une destination éloignée. Le directoire en fut averii hier par le
minisire de la guerre , et sur-le-champ il a été donné des ordres
pour changer cette route. Le directoire ne croit pas que la mal-
veillance ait eu la moindre part dans la direction donnée à cette
marche. Il croit qu'elle est l'effet de l'erreur d'un commissaire
des guerres. Il fera punir les auteurs , s'il les découvre. Il est
faux qu'il y ait des troupes à Soissons.
» Signé y Carnot, président. »
Doulcet. « Il n'est pas ici question de jeux d'enfans ; il faut sa-
voir pourquoi ces troupes ont eu ordre de se détacher de l'armée
de Sambre-et-Meuse pour se rendre à une autre destination ;
pourquoi il leur a été enjoint de passer à onze lieues de Paris,
tandis que la Constitution interdit ce passage à douze lieues, ll^ie
s'agit pas ici de commissaires des guerres; mais il faut suivre la
responsabilité dans tous ses fils , afin de la faire tomber sur celui
qui a donné le premier ordre. Il est bien étonnant que le direc-
toire dise qu'il ne sait que d hier la marche de ces troupes ; il est
bien étonnant que les papiers publics nous aient appris ce que le
gouvernement ignore. Sommes-nous donc encore dans ce régime
où régnait l'anarchie, et où le gouvernement privé d'unité se
disséminait dans une foule de commissions et de comii.éi? Oa
nous dit que le m'nisire de la guerre ignorait cette marche ; et
pourquoi la lui avait-on cachée ? Je le dis fianchement, c'est
parce qu'on redoutait sa probité intacte , et son imperturbable
fermeté.
» Je demande l'impression du mes>age , et le renvoi à une com-
mission de cinq membres, qui sera chai gée d'examiner celte af-
faire, et de ramener la responsabilité à son dernier anneau. » —
Adopté.
312 DIRECT. — DU le»* PRAIR. AN V ( î20 MAI 1797)
La commission sera composée de Pichegru , Villot , Doulcet ,
Gau et Normand.
CONSEIL DES ciNQ-CEMS. — Séauce du 5 thermidor an V
(^\ juillet il97).
Le président. * L'ordre du jour appelle la discussion sur les
sociétés s'occupant de questions politiques ; mais Guillemardet a
demandé la parole pour une motion d'ordre, relative au message
d'hier. Je la lui accorde. »
GtnUemardet. c Après les inquiétudes et les alarmes jetée»
hier dans cette enceinte , on a demandé au directoire des rensei-
gnemens sur les faits qui paraissent les motiver. Les éclaircis-
semens exigés vous ont été transmis ; une commission a été
chargée de vous présenter un rapport ; il importe à la paix inté-
rieure, à la considéraiion dont la Kéjjublique doit jouir au-de-
hors, au moment où elle traite avec les ennemis , de fdire cesser
les inijuiéiudes ; si la commission e^t prête, je demande qu'elle
fasse son rapport ; si elle ne l'est pas , je demande à parler. »
"Diiplanlier. « La demande du préopinant est un peu précipitée.
Comment veut-on qu'une commission, qui a des renseignemens
un peu longs à prendre , soit en état, du jour au lendemain , de
vous présenter des mesures d'autant plus importantes que le dan-
ger est plus pressant. Car il est bon de vous dire que, sans doute
par l'inadvertance d'un autre commissaire des guerres, un régi-
ment de chasseurs et une demi-brigade d'infjnlerie sont arrivés à
Etampes. D'après cela , je pense qu'd importe de laisser à votre
commi;*sion le temps de méditer le projet qu'elle a à vous pro-
poser. »
Guillemardet. « Je demande la parole. »
Leprcsidtui. « J'ai vu ce malin le rapporteur de la commis-
sion ; il m'a assuré qu'elle s'occupait constamment de sou tra-
vail. »
Guillemardet. « Je demande la parole. »
Plusieurs voix, c L'ordre du jour. »
Plusieurs autres, « La parole à Guillemardet. »
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 513
Guîilemardet, « On n'a pas craint de jeter dans le sein de la
République un serment de... » {Violentes clameurs. )
Le président. <i Je consulte le conseil, pour savoir si Guillemar-
det sera entendu. >
Une première épreuve est faite. Le président prononce la né-
gative. Des murmures se font entendre; l'épreuve est renouvelée,
le président prononce de nouveau que Guillemardet ne sera pas
entendu.
A l'instant, organe de la commission chargée de l'examen du
message , Doulcet paraît à la tribune. « J'apprends, dit-il, qu'un
membre vient de sommer la commission nommée hier, de faire
son rapport. (Murmures.) J'annonce au conseil que la commission
s'est réunie ce matin; elle s'occupe, soit d'examiner le message ,
soit de recueillir les renseignemens qu'une foule de citoyens s'em-
pressent de lui apporter sur la marche des troupes. Elle s'occupe
en ce moment, de rédiger un projet d'arrêté, afin d'obtenir du
direcioire une réponse plus catégorique que celle d'hier. Je ne
sais si la formation de la commission a jeté l'alarme dans les es-
priis, mais je vous jure qu'elle ne vous présentera que des me-
sures grandes, consiiluîionnelles , dignes de vous, dignes du
peuple français. Je demande l'adjonction de Pichegru et de Vil-
lot à la commission des inspecteurs de la salle ; c'est à quoi je con-
clus. >
Une foule de voix. « Oui, oui. »
Grand nombre d'autres. « L'ordre du joufr. >
Lamarque. « J'ai entendu avec étonnement que la commission
nommée pour l'examen du message se croyait autorisée à vous
foire un rapport sur des informations qu'elle prendait de son chef.
( Une foule de voix. Oui, oui. Murmures, clameurs.) Si le conseil
a chargé sa commission de prendre des informations, de faire des
recherches , je n'ai rien à dire. (Foule de voix. Oui, oui.) J'entends
dire à mes oreilles que, quand même la commission n'en serait
J)as chargée, elle eo aurait le droit. Si le conseil l'en a chargée, je
n'ai rien à dire. Au resle,jj'appuiela proposition faite d'adjoiridre
314 DIRECT. — DU l<^r PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797 )
Pichegru et Villot à la commission, je demande qu'on y adjoigae
aussi Jourdan de la Haule-Vienne, le général. »
Quelques voix. « Et aussi Talot. >
Bourdon, « Plus les circonstances sont difficiles, moins il faut
s'écarter de la Constitution. Le'nombre des inspecteurs est fixé
par elle.... > (Murmures.)
Le président, t La parole est à Larivière. »
Lariviere. « Si le nombre des inspecteurs n'est pas suffisant
pour veiller à la sûreté du corps lé{;islatif , il faut l'augmenter,
mais non pas au point de rompre l'ensemble, l'unité , l'harmonie
qui doivent régner dans les mesures à prendre. Trois membres
de plus à la commission en porteraient le nombre à huit ; en cas
de pariage dans les opinions, une délibération serait alors impos-
sible. Je demande que Pichegru et Villot soient seuls adjoints à
la commission. » (Plusieurs voix. Ah ! ah I)
Madier s'écrie de sa place. « Je demande la question préa-
lable. »
Jourdan de La Haute- Vienyie. c Votre commission a cru devoir
vous proposer l'adjonction de deux membres à celle des inspec-
teurs. Je ne vois là rien que de juste et de naturel. Mais je le dis
avec franchise , je ne conçois pas comment Lamarque a pu deman-
der que j'y fusse adjoint. Cette demande est indécente. Je réclame
l'ordre du jour sur celle proposition. »
Guillcmardet. « Je demande lu parole. »
Plusieurs voix, c Fermez la discussion. »
Le président, t Je rappelle Madier à Tordre. »
Madier. « Je demande la parole contre le projet. »
Guillemardet, c Je demande la jarole contre l'adjonction de Pi-
chegru à la commission. ( De violens mui mures inirrrompent l'o-
rateur; il les brave, il s'écrie :) Peu m'importe les iudividus, je
ne vois que les principes. Le règlement fixe à cinq , le nombre
des inspecteurs; et ce règlement est une loi. » (Foule de voix. Non,
non.)
») Quoi ! le règlement n'est pas une loi rendue par la Conven-
tion naiionale! (On rit. L'orateur, tenant à la main le règlement,
AD 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 315
lit à haute voix : Loi concernant la police des séances et des dé-
libérations du corps législatif.) C'est donc une loi rendue par la
Convention nationale. (On rit.) Nous n'avons pas la faculté d'en
rapporter aucun article nous seuls , sans soumettre ce rapport à
la sanction des anciens. Mais si nos inspecteurs croient avoir besoin
de s'entourer des conseils, des lumières, des taiens de Pichegru,
ils peuvent le consulter, sans pour cela qu'on l'adjoigne à la com-
mission; autrement ce serait violer la loi. Quoiqu'on en dise, les
dangers dont on nous menace ne sont pas aussi fondés qu'on se
plaît à le répéter. (Murmures, clameurs. ) Oui, je le dis haute-
ment on veut nous forcer à adopter précipitamment des mesures
violentes , que la tranquillité de la République nous fait un de-
voir de peser dans le calme et la sagesse d une mûre délibé-
ration.
» Et quand je songe que les motifs du danger qu'on suppose .
sont tirés de la destitution de quelques ministres {Foule de
voix. Oui . oui. Clameurs.), du passage de quelques troupes à de-
mi-lieue plus près que la distance de la Constitution exige.» {Foule
de voix. Ce n'est pas la question.) »
GuiUemardet. a Je suis dans la question. »
Le président. « La question est de savoir si Ton augmentera le
nombre des inspecteurs de la salle. »
GuiUemardet. « Les motifs de cette adjonction sont fondés sur
les dangers prétendus que court le corps législatif ; en réfutant
ces motifs , je suis dans la question. (Les clameurs recommencent,
l'orateur s'écrie :) S'il n'y avait pas ici tyrannie et oppression
exercée sur les opinions , je pourrais continuer à développer la
mienne; mais le président a commencé à me refuser la parole ,
et depuis que je parle, je suis interrompu par des clameurs
continuelles. Je demande qu'on me laisse achever en silence.
(Calme.)
» Oui , les motifs d'adjoindre à la commission des inspecteurs,
des membres marquans (Nouvellesclameurs.), oui, oui,marquans,
sont dénués tle fondement. Il en est des dangers que court en ce
moment le.corps législatif, comme de ceux que Dumolai d vin^, avec
316 DIRECT. — DU ier PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
tant d'emphase, vous dénoncer à cette tribune , à la fin de la der-
nière session : le tout se réduisit , comme chacun sait, à des or-
dres donnés par le min-stre de la police pour arrêter quelques gens
ivres.
» Je ne sais pourquoi on fait tant de bruit de ce que la majoi ilé
du directoire est en dissidence avec la minorité. Je ne vois pas
qu'il y ail là un motif suffisant d'établir dans notre sein un comité
des recherches , et de prendre nous-mêmes les rênes du gouver-
nement. Je demande Tordre du jour. >
Bornes. < J'ai entendu avec étonnement l'orateur se demander
quels étaient donc les dangers de la patrie, pour adjoindre aux
inspecteurs deux membres marquan?. {Quelques voix. Deux gé-
néraux.) Je ne connais point ici de généraux , je ne vois que des
représentans du peuple, revêtus par lui du sacerd( ce civil.
» On demande quels sont nos justes motifs d'inquiétudes; je
répondrai : jetez les ytux sur cette nuée de sociétés populaires ,
sorties comme par enchantement de tous les points de la Répu-
blique. (D'une part on s' écrie. Bah, bi.h. Del autre on répond. Oui,
oui.) Voyez ce qui se passe à Toulouse, à Bordeaux ; et sans al-
ler si loin, jetez les yeux autour de vous, vous verrez les murs ta-
pissés d*un placard signé Lenoir Laroche, membre du club consti'
luiionnelf dans lequel on accuse , non quelques membres , mais la
majorité du conseil des cinq-cents d'être des contre-révolution-
naires. On y sonne le tocsin de l'alarme ; on y invite les patriotes
à se rallier , et c'est contre vous , citoyens représentans, qu'on
excite le peuple et que l'on prépare un nouveau 5^ mai.
> Je pourrais ajouter d'autres renseignemens , vous dévoiler
d'autres faits qui prouveraient jusqu'à l'évidence que vos craintes
sont fondées ; mais Paris sera calme; le danger est prévu , c'en
cstasspz pour le déjouer. Les hommes qui s'étaient mis en avant
ont précédemment soustrait tout ce qui pouvait les compromrttr e.
L'adjonction demandée n'annonce pas que nous allons attaquer
le directoire, elle annonce au peuple que nous veillons à sa sû-
reté comme à la nôtre. Je demande qu'en coaformilé de la loi, les
dcux# nouveaux adjoints soient nommes au scrutin. >
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ) 517
Thibaudeau, t Je demande la parole. »
Le président, t La parole est à Pastoret, >
Thibaudeau, « Je demande à parler contre la proposition. »
Boissy-d'Anglas, « Et moi aussi. »
Thibaudeau. t Je ne prends pas pour motifs de l'adjonction de-
mandée, ces moiifs de chacun en particulier, mais ceux de la com-
mission ; mais comme eile n'en a donné aucun , cela seul ne sulfi-
rait pas pour rejeter le projet, quand d'ailleurs il n'offrirait pas
de dangers.
» Je dis que là proposition qui vous est faite est inconvenante.
S'il y a quelques mesures à prendre, ce n'est pas dans le sein obs-
cur d'un comité , c'est dans celui de l'assemblée, c'est en présence
du peuple qu'elles doivent être prises. Un corps législatif qui re-
mettrait ses pouvoirs à une commission, qui lui donnerait une
confiance aveug'e , s'exposerait à compromettre le salut de la pa-
trie. S'il y a des mesures à prendre leur responsabilité doit peser
sur ma tète, sur celle de vous tous. Je suis vivement pénétré, je
suis douloureusement affecté de la marche de nos délibérations.
11 est temps enfin qu'elles prennent ce caractère de dignité et de
grandeur qui convient à la première autorité constituée de la Ré-
publique. Qu'on laisse de côté toutes ces petites attaques qui ne
mènent à rien, et frappons le coup décisif; s'il y a lieu, nous le
porterons tous. (Foule de voix. Oui, oui.) Abstenons- nous de ce
ton d'aigreur toujours déplacé dans la bouche d'un représentant
du peuple. Si la division entre les pouvoirs et les meiiibres de ces
pouvoirs, a pour cause un attentat à la Constitution, une usurpa-
tion à la souveraineté, ce n'est pas par de petites attaques que
nous réprimerons ce délit, mais par des moyens larges et grands,
et nous serons tous d'accord. Je demande Fujournement de l'ad-
jonction de nouveaux membres à la commission des inspecteurs,
jusqu'à ce que la commission elle-même vous ait fait un rapport
motivé. »
Pastoret, < Je rappelle la discussion à son véritable point. Je
pense que les dangers dont on nous menace sont exagérés; mais
je pense aussi que cette exagération est excusable, quand le patrie-
318 DIRECT. — DU 1^'' PRAIR. AN V ( 20 M-4I i797j)
tisme l'inspire. Oui, ies entreprises de l'anarchie et du crime,
viendront échouer contre la sage impariialiié du corps législa-
tif, comme le flot écumeux se brise contre le rocher qui en est
baitu.
» Je pense aussi que c'est au corps législatif à prendre les me-
sures propres à maintenir la tranquillité publique; sur lui pèse
une grande responsabilité. Devez-vous augmenter le nombre des
inspecteurs. On dit que la loi le fixe à cinq ; mais cette loi est pu-
rement réglementaire, il n'est pas besoin d'une loi nouvelle pour
la rapporter , un simple arrêté suffit. (Murmures.) Ce que je dis
a eu lieu plusieurs fois. Au reste, comme la proposition ne vous
a point été faite par la commission des inspecteurs , je demande
l'ajournement jusqu'à ce qu'elle vous fasse un rapport à ce sujet.»
Après deux épreuves, le conseil prononce l'ajournement.
Normand. « Votre commission a examiné le message du direc-
toire, relatif à l'ordre donné aux troupes de se rendre à la Ferté,
à dix lieues de Paris et à trois lieues deux tiers de la grande roule.
Le message ne répond pas à la question qu'il vous importait le
plus de connaître. Le directoire n'attribue point cette marche ù
la malveillance , mais à l'erreur du commissaire des guerres. Il
déclare que s'il trouve des coupables il les fera punir. La commis-
sion a pensé que cette réponse était évasive. Vous désiriez con-
naître quel est celui qui a donné l'ordre de la marche, et il a paru
à la commission qu'il était impossible que le directoire ne pût
vous donner là-dessus une réponse catégorique.
9 En effet, un mouvement de troupes ne peut avoir lieu en vertu
des ordres d'un général , que dans l'étendue de son commande-
ment ; hors de là , les ordres sont donnés par le ministre de la
guerre , qui les reçoit lui-môme du directoire exécutif. Ainsi ,
comme la Ferté est hors du commandement de l'armée de Sambre-
et-3Ieuse, il faut nécessairement que l'ordre donné aux troupes
pour s'y rendre soit émané de quelqu'un, autre que le général
de celte armée , et c'est ce quelqu'un qu'il faut connaître.
» La commission a pensé encore qu'il importait de savoir dans
quelle latitude le directoire avait usé de la permission que luiavait
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 319
accordée le corps législatif, d'avoir à sa disposition un corps de
troupes dans le rayon de dix lieues autour de Paris.
t Elle vous propose donc d'adresser au directoire deux nou-
veaux messages. Par le premier, vous lui demanderez qu'il vous
fasse connaître le nom de celui qui a donné l'ordre de marche au
détachement de l'armée de Sambre-et-Meuse , et par le second,
vous exigerez qu'il vous donne le nombre des troupes, et le nom
des corps qui existaient au 1^^^ messidor, dans le rayon de dix
lieues de Paris ; le nombre et le nom de ceux qui s'y trouvent
aujourd'hui. > — Adopté.
Le directoire a fait passer un message sur la situation de Paris,
qui n'offre rien d'alarmant.
— Le conseil des anciens approuva par une délibération spé-
ciale la conduite des cinq-cents, ainsi que l'activité de sa sur-
veillance.
A cette époque les journaux du gouvernement commencèrent
à insérer les proclamations des généraux à leurs armées, à l'oc-
casion de l'anniversaire du 14 juillet. Ils publièrent ensuite les
vœux plus significatifs émis dans les réunions et les banquets
qui avaient eu lieu dans la même circonstance. L'armée s'y mon-
trait disposée à s'insurger contre les conseils pour en chasser le
royalisme. Beaucoup de gens supposèrent que ces manifestations
avaient été provoquées par les ordres du directoire; beaucoup
d'autres crurent qu'elles étaient l'effet d'un mouvement spontané.
Quoi qu'il en soit, voici la proclamation de Bonaparte.
Bonaparte , général en chef de l'armée d Italie,
Soldats ! C'est aujourd'hui l'anniversaire du 14 juillet. Vous
voyez devant vous les noms de nos compagnons d'armes morts au
champ d honneur, pour la liberté de la patrie. Ils vous ont
donne l'exemple; vous vous devez tout entiers à la République ;
vous vous devez tout entiers au bonheur de trente millions de
Français ; vous vous devez tout entiers à la gloire de ce nom, qui
a reçu un nouvel éclat par vos victoires.
Soldast! je sais que vous êtes profondément affectés des maN
520 DIRECT. — DU ier PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
heurs qui menacent la patrie ; mais la patrie ne peut courir de dan-
{rers réels. Les mêmes hommes, qui l'ont fait triompher de l'Eu-
rope coalisée, sont là. Des montagnes nous séparent de la France:
vous les franchirez avec la rapidité de l'aigle, s'il le fallait, pour
maintenir la Constitution, défendre la liberté, protéger le gou-
vernement et les républicains.
Soldats! le gouvernement veille sur le dépôt des lois qui lui est
confié. Les royalistes, dès l'instant qu'ils se montreront, auront
vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par les miines des héros
qui sont morts à côié de nous pour la liberté , jurons sur nos nou-
veaux drapeaux : Guerre implacable aux ennemis de la République
et de la Constitution de ian III. — Signé , Bonaparte.
Dans les toasts des banquets on remarquait celui du général
Lannes: t A la destruction du club de Clichy. Les infâmes! ils
veulent encore des révolutions : que le sang des patriotes qu'ils
font assassiner retombe sur eux ! »
Enfin, Berihier, le chef de létat-major de l'armée d'Italie,
envoyait à toutes les administrations de département une circu-
laire imprimée, ornée d'une vignette à la gloire des armées, où
l'on lisait que le cri unanime de l'armé'^ était : < Guerre im-
placable aux royalistes et fidélité inviolable au gouvernement ré-
publicain et à la Constitution de l'an III! »
Les commentaires de la presse quotidienne sur ces manifesta-
lions militaires, les placards qui chaque jour couvraient les murs,
l'agitation des séances, avaient remué quelque parties de la po-
pulation. Des groupes commençaient à se former autour des
lieux des séances des conseils. Pendaut ce temps , les cinq-cents
avaient l'imprudence de grossir le nombre de leurs ennemis en
s' occupant de fermer les clubs républicains ou directoriaux et en
décrétant leur dissolution. Que Ton juge de l'effet que devaient
produire sur les ho.mmes qui les composaient des déclamations
dans le genre de celle-ci : a Quels sont donc ces hommes, s'é-
criait Pastoret avec un historien célèbre ( séance du 4 thf^rmidor),
qui veulent dominer? Leurs mains dé^joultent de sang: ils sont
couverts d'impiétés et de crimrs. Tout est trafic pour eux , Thon-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ), 521
neur, la bonne foi, l'humanité , la justice. L'esprit de faction
est le seul lien des méchans; les forfaits qu'ils commirent ensem-
ble ne leur permettent plus d'avoir aujourd'hui que les mêmes
désirs, les mêmes haines , les mêmes terreurs. Romains , mettez
à défendre la liberté l'ardeur qu'ils mettent à la domination , et
bientôt la République ne craindra plus leurs fureurs, i
Il semblait que l'opposition en ce moment , chaque fois qu'elle
ne s'occupait pas des mesures applicables à la nécessité des cir-
constances, eût à cœur de se montrer digne de toutes les colères
qui la menaçaient , en excitant contre elle les intérêts comme les
préjugés. Elle s'occupait de rendre les presbytères aux commu-
nes; elle discutait sur la forme du serment que Ton devait exiger
du clergé ; on proposait de réduire le serment à ces mots : « Je
déclare que je suis soumis au gouvernement de la République. »
Elle se montrait maladroite en chicanant Barras sur son âge, qui,
disait-elle , n'était point de quarante ans ainsi que l'ordonnait la
Constitution, au moment où il était entré dans le directoire; et
celui-ci répondait par un message, que Barras avait alors qua-
rante ans et trois mois. Enfin , elle profitait de l'anniversaire du
9 thermidor pour rappeler tout ce que l'on avait déjà mille fois
redit des journées de septembre, de la terreur, et l'horreur que
lui inspiraient ceux qui y avaient participé. De là des lettres écri-
tes aux journaux , une polémique à laquelle tous ceux qui avaient
joué un rôle à ces époques étaient intéressés et souvent prenaient
part. Quant au direcîoire, il sollicitait incessamment des fonds,
en exposant le vide des caisses; il répondait aux quesiions par
des messages évasifs. Cependant il destitua le général Hache ,
d'après les observations faites dans les conseils qu'il était trop
jeune, et le remplaça au ministère de la guerre par le général
Schérer. 11 destitua Lenoir- Laroche et le remplaça à la police
par Sorin. Le premier avait été dénoncé pour un placaid , signé
de lui , et peu favorable au corps législatif, placard affiché avec
c^tre : Leminisire de la police à ses concitoyens, et dans lequel
on soutenait l'utilité des clubs. Le conseil des anciens agissait
presque comme en un temps ordinaire; il parlait moins; néau-
T. XXXVII. 21
322 DIRECT. — DU l^r PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
moins il approuvait la mesure contre îes clubs, ainsi que tontes
celles qui pouvaient fortifier le corps législatif contre le gouver-
nement. Telle fut enire autres la résolution qui ordonnait la re-
organisation de la garde nationale. Cette loi adoptée par les cinq-
cents, dans les séances des 9 et 12 thermidor, fut sanctionnée,
le 2o , par les anciens. On remarqua que le directoire ne publiait
pas cette loi ; bien plus , il avait fait menacer et arrêter, disait-
on , quelques habitan§ de Paris qui s'occupaient à l'avance de
préparer les moyens d'une prompte réorganisation. Ce retard
inconstitutionnel dans la publication d'une loi importante fut dé-
noncé 5 la tribune des cinq-cents. Le directoire s'empressa de
rendre la dénonciation nulle, en faisant la publication prescrite.
11 importait , en effet, aux membres de ce pouvoir de paraître
craindre les conseils, jusqu'au moment où il pourrait agir; car
une mise hors la loi pouvait , en un instant, paralyser tous ses
projets, lis firent si bien qu'ils leur rendirent une sécurité mo-
mentanée; peut-être aussi les habiles de l'opposition jugèrent-ils
à propos de faire semblant d'être dupes afin de gagner du temps.
Dans son rapport sur le mouvement des troupes , Pichegru de-
manda qu'on ne poussât pas l'instruction de cette affaire , qu'on
fermât les yeux sur les coupables, et proposa une résolution qui
ne permit plus à personne d'ignorer quel était le rayon que la
présence du corps législatif rendait sacré. On délibéra , on von'
une résolution dans ce sens qui fut approuvée par les anciens.
Le 20 thermidor, un message du directoire annonça aux cin(j'-
cents qu'il avait fait exécuter cette loi. La veille , un député
leur avait appris que le président du directoire, Carnot, avait
témoigné à la commission qui l'avait proposée son regret de voir
les armées égarées par des écrits exagérés; et le même jour on
avait reçu une adresse du régiment d'artillerie en garnison à
Auxonne, protestant de son dévouement au corps législatif. Les
journaux modérés, tels que le Journal de Paris ^ annonçaJÊnt
qu'il y avait eu un rapprochement entre la majorité des conseils
et le pouvoir exécutif.
Mais la sécurité ne fut pas longue : le 23, les directeurs crai-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 525
gnant peut-êlre que les troupes eussent plus de •confiance à leurs
démarches officielles qu'à leurs ordres secrets, envoyèrent un
message aux cinq-cents qui fut considéré comme un manifeste.
Dans la première partie , il reproduisait les justifications qu'il
avait déjà données sur la marche des troupes ; rejetant ce fait
sur une erreur de subalternes ignorant la loi ; et donnant pour
raison , au passage de tant de régimens à travers le sol français ,
la formation d'un corps d'armée à Brest. Dans la seconde partie
il continuait ainsi :
< Le directoire exécutif n'a reçu qu'avant-hier en original les
adresses des défenseurs de la patrie des différentes divisions qui
composent l'armée d'Italie. Toutes étaient destinées pour le di-
rectoire exécutif, à l'exception de deux seulement destinées e»
outre aux défenseurs de la patrie dans les autres armées.
9 Quoique le mot délibérer n'ait pas un sens assez déterminé
pour pouvoir s'appliquer clairement à l'acte par lequel, après
avoir épanché leur craintes et leurs espérances dans le sein du
directoire exécutif et de leurs frères d'armes , les défenseurs de
la patrie n'ont fait qu'exprimer le vœu qu'ils forment et le sen-
timent qui les anime , le directoire exécutif n'en avait pas moins
résolu d'en arrêter la circulation. Il avait également arrêté d'é-
crire au général en chef qu'il déplorait les circonstances qui
avaient porté les braves soldats républicains à des actes qui pou-
vaient paraître irréguliers, en l'invitant à prévenir soigneuse-
ment tout ce qui pourrait porter atteinte à la Constitution.
» Le directoire exécutif ne s'en est pas tenu là ; il a dû remon-
ter aux causes , et vous les indiquer , persuadé que vous trouve-
rez dans votre sagesse les moyens de les l^ire cesser.
> La cause cj^ la démarche des défenseurs de la patrie , ci-
toyens représentans , est dans l'inquiétude générale qui depuis
quelque mois, s'étant emparé de tous les esprits, a succédé à la
tranquillité profonde qui régnait et à la confiance'qui s'établissait
de toutes parts ; elle est dans le (léfaut de revenus publics , qui
laisse toutes les parties de l'administration dans la situation la
plus déplorable, et prive souvent de leur solde et de leur subsi-
524 DIRFXT. — DU 1^>' PRAIR. AN V (20 MAI 1797 )
stance les hommes qui, depuis des années, ont versé leur sang et
ruiné leur santé pour servir la République ; elle est dans la per-
sécution et les assassinats exercés sur les acquéreurs des biens
nationaux, sur les fonciionnaires publics, sur les défenseurs de
la patrie, et pour mieux dire sur tous ceux qui ont osé se mon-
trer amis de la République; elle est dans l'impunité du crime et
dans la partialité de ceriains tribunaux ; elle est dans l'insolence
des émigrés et des prêtres réfractaires , qui , rappelés et favorisés
ouvertement , débordent de toutes parts , soulflent le feu de la
discorde et inspirent le mépris des lois ; elle est dans cette foule
de journaux dont les armées sont inondées comme l'intérieur,
dans ces feuilles qui ne prêchent que le meurtre des soutiens de
la liberté, qui avilissent toutes les institutions républicaines , qui
rappellent sans méf.agem.ent et sans pudeur la royauté et toutes
les institutions oppressiveset vexatoires qui tourmentaient et hu-
miliaient à un égal point le laboureur, l'artisan , le marchand, etc.,
et même l'iioiiime riche qui n'était pas titré ; elle est dans l'inté-
rêt, toujours mal dissimulé et souvent manifesté hautement, que
Ton prend à la prospérité et à la gloire du gouvernement anglais
et de la cour autrichienne, loisqu'on essaie au contraire d'atté-
nuer la juste renommée de nos guerriers , lorsqu'on ne parle
qu'avec un dépit mal déguisé de hautes destinées promises à la
France, et de ce degré éniinenl de gloire et de bonheur auquel
elle était sur le point d'atteindre; elle est dans les sinistres pro-
jets qu'annoncent des hommes plus ou moins influcns sur le sort
de l'étal ; elle est dans le blàine qui a été jeté sur les résultats tout
à la fois les plus glorieux et les plus utiles des victoires de nos
défenseurs; elle est dans ce projet clairement énoncé de calom-
nier et de perdre nos généraux répub icaiift. et non;mément
ceux qui, à la gloire des triomphes bs plus éclatans et des plus
savantes campajines, ont ajouté, l'un dans l'ouest delà France ,
et l autre en Italie, l'immortel honneur d'une conduite politique
qui fait autant l'éloge de leur philoj^ophie et de leur humanité
que celui de leur génie ; enfin cette cause est dans le désespoir où
sont tous Us vrais citoyens , et particulièrement les défenseurs
AU 18 FRUCtïDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 525
de la patrie , de voir s'éloigner au moment même de sa conclu-
sion , et après l'avoir achetée par tant de sang et de souffrances ,*
une paix définitive que sollicitaient enfin avec empressement les
chefs de la coalition vaincue, et qu'un gouvernement ami de l'hu-
manité cherchait à conclure avec plus d'empressement encore ,
lorsque tout à coup, ranimant leurs espérances, comptant sur
une dissolution générale par le défaut des finances , sur la de-
struction du gouvernement, sur la mort ou l'exil d'^s plus braves
généraux , et sur la dispersion et la perte des armées , ces mêmes
puissances coalisées ont mis autant de lemeur dans les négocia-
tions qu'elles avaient montré d'ardeur pour terminer.
> Telles sont, citoyens représentans , les causes qui ont agité
les esprits , et qui ont porté les soldats de la patrie à exprimer
leurs craintes et leurs résolutions. Le directoire exécutif le ré-
pète , il fera ce qu'il doit en leur recommandant d'éviter toutes
démarches irrégulières , contraires à la discipline , qui fait l'ame
des armées, et aux lois, qui sont le soutient de l'état; mais il
• vous doit en même temps une déclaration franche et loyale de
ses sentimens.
» Il espère bien certes sauver la France de la dissolution à la-
quelle on l'entraîne avec précipitation , éteindre les torches de la
guerre civile qu'on allume avec fureur, et sauver les personnes
et les propriétés des dangers d'un nouveau bouleversement; c'est
une résolution qu'il suivra avec persévérance et avec courage,
sans être détourné par aucune crainte ou par aucune séduction :
mais aussi il ne consentira jamais à inspirer une fausse sécurité ,
soit à ses concitoyeijs de l'intérieur, soit à ceux qui défendent la
patrie au-dehors; il se croirait lui-même coupable de trahison en-
vers son pays s'il leur dissimulait les funestes tentatives que l'on
ne cesse de faire pour nous jeier dans les horreurs d'une i évolu-
tion nouvelle en renversant l'ordre de choses actuel, soit par la
trahison , soit par la force. »
— A la suite de ce message , était un rapport qu'on avait de-
mandé au dirtctoii e sur les adresses des armées. En voici quel-
■' 4
ques-unes :
326 DIRECT. —- DU i^f PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
« ..... Qu'ils tremblent les conspirateurs ! Nous le tiendrons ce
serment redoutable! Les glaives qui ont exterminé les armées
des rois sont encore dans Jes mains de celles du Rhin, de Sambre-
et-Meuse et de l'Italie.
» La route de Paris offre-t-elle plus d'obstacles que celle de
Vienne? Non ; elle nous sera ouverte par les républicains restés
fidèles à la liberté : réunis , nous la défendrons , et nos ennemis
auront vécu ! »
€ Des hommes couverts d'ignominie, avides de vengean-
ces , saturés de crimes , s^agitent et complotent au milieu de Paris,
quand nous avons triomphé aux portes de Vienne ; ils veulent
inonder la patrie de sang et de larmes , sacrifier encore au dé-
mon de la guerre civile , et , marchant à la lueur funèbre du flam-
beau de la discorde et du fanatisme , arriver à travers des mon-
ceaux de cendres et de cadavres, jusqu'à la liberté qu'ils pré-
tendent immoler ! Et nous pourrions, nous qu'ils abhorrent parce
que nous en sommes les défenseurs, voir de sang-froid le progrès
de leurs trames criminelles ! . . .
» Vous enfin , qui avez fait du mépris, de l'infamie, de l'ou-
trage et de la mort , le partage des défenseurs de la République,
tremblez! De l'Adige au Rhin et à la Seine il n'y a qu'un pas.
Tremblez ! vos iniquités sont comptées, et te prix en est au bout
de nos baïonnettes. »
« Les horreurs qui se commettent depuis long-temps en
France ont excité en nous la plus vive et la plus juste indigna-
tion : nous savons que chaque jour est marqué par l'assassinat
des républicains les plus purs; nous savons que les auteurs de
ces assassinats sont les émigrés et les prêtres réfractaires ren-
trés. Il est temps de mettre fin à tant de crimes , et de convain-
cre ces monstres qu'ils se flattent en vain de nous donner de nou-
velles chaînes!...
» Parlez, citoijens directeurs ; parlez , et aussitôt les scélérats
qui souillent le sol de la liberté n existeront plus! Il vous suffira
sans doute pour les anéantir de détacher quelques-uns de nos
braves frères d'armes des armées de Rhin-ct-Moselle et de Sam-
\U 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797 ). 527
bre-et-Meuse : cous désirons partager avec eux T honneur de
purger la France de ses plus cruels ennemis. >
€ On suit ouvertement dans la législature l'exécution cCun
plan combiné pour rétablir le trône; une loi liberticide est à peine
passée f qu une autre est proposée; on accuse sans pudeur le di-
rectoire, dans lequel repose le dépôt de notre Constitution , ac-
ceptée par nos armées , et reconnue par tous les Français ; on
accuse le citoyen qui a rendu les services les plus signalés , et qui
dans cet instant se trouve chargé des intérêts les plus grands
pour couronner les travaux de toutes les armées par une paix
glorieuse , qui affermirait la République et anéantirait toutes les
factions, tous les partis, pour ne laisser survivre que celui des
amis du gouvernement. Ajoutez à cet aperçu rapide la rentrée en
masse des émigrés , dont on se félicite officiellement dans les dis-
cours des conseils , les cris de mort , les harlemens effroyables
desjournalistes de Louis XYIII , et vous aurez le tableau. lugu-
bre de la contre-révolution naissante ! »
t Quoi! après avoir forcé nos ennemis extérieurs à nous
demander une paix qui nous couvre de gloire , toutes les lois con-
stitutionnelles , pour lesquelles nous avons versé tant de sang , se*
raient anéanties ! >
< ..... Nous apprenons avec indignation que notre mère com-
mune est déchirée par les monstres qu'elle avait pour toujours
rejetés de son sein ; que le royalisme en un mot avait levé sa tête
audacieuse , et lançait partout des regards furieux et menaçans.
Qu'espèrent-ils donc ces hommes avides de sang, en promenant
leurs poignards sur la tête des patriotes , et en assassinant nos
braves frères d'armes rentrant dans leurs foyers? Le sol de la
liberté n'est donc plus qu'un champ de carnage! Pensent-ils que
nous n'avons si lonçj-temps combattu que pour leur assurer des
triomphes? » %
a ..... Ordonnez; les soldats de U liberté sont là pour faire
triompher les lois de la République et venger les répubiicairtB ou-
tragés ! »
« Tous les émigrés rentrent , plus audacieux qu'ils furent
5î^ DIKECT. — DU le» PRÀIK. AN V ( î20 MAll/OT )
lâches en fuyant; la horde impie des prêtres organise la guerre
civile : leur arsenal est dans le sein du corps législatif.
> Les poignards immolent les patriotes ; les lois , impuissantes,
frémissent; les tribunaux gardent le plus profond silence...
)) Tous ils ont demandé la paix; terminez-!a, directeurs, et
criez-nous : aux armes contre les enîiemis de L'intérieur!...
» Vous avez déshonoré l'humanité; nous vous avons jugés à
mort /...Le ciel présidait ; il protège la cause sainte de la liberté,
et il nous encourage.
» Et vous, gardiens fidèles, amis constans des lois; vous , nos
parens persécutés , proscrits ; vous , artistes paisibles ; vous aussi,
habilans égarés des campagnes , rassurez-vous ! Nous vous em-
brasserons; mais reprenez courage; c'est une heure de justice
épouvantable qui sonnera!... Le déluge universel fut nécessaire
pour purger la terre ; il faut que les armées purifient la France! »
« ...... Plus les cris contre-révoluîionnaires se font entendre
dans l'intérieui- de l'état, plus la liberté publique et la Constitu-
tion républicaine que nous avons tous juré de défendre sont me-
nacées , plus le devoir sacré de tous les bons citoyens est de se
montrer au grand jour, et de manifester aux premiers dépositai-
res de l'autoi ité publique leurs sentmiens et leur confiance.
> C'est dans cette intention , citoyens directeurs , que nous re-
nouvelons ici entre vos mains le serment solennel de haine aux
factieux , de guerre à mort aux royalistes , de respect et de fidé-
lité à la Constitution (le l'an 111. Conservez par votre sagesse ce
dépôt sacré que les lois vous confient : comptez toujours sur
notre zèle ; nos baïonnettes en tout temps sjnt et seront prêtes à
le défendre contre ses ennemis du dehors et du d(?dans. >
« De toutes parts on nous annonce que les ennemis de la
chose publique se sont enfin réunis pour porter le dernier coup
au gouvernement répuWicain, et qu'ils pocssent leurs préten-
tions jusqu'à vouloir attentif à notre liberté.
» Purenient militaires , nous ne connaissons de style que celui
de la franchise, et, persuadés que des républicains vertueux qui
purleut à des hommes qui partagent leurs seuliinens sout tou-
AU i8 FnCCTlDOR AN V (4 SKPTEMBRK 1797). 529
jours assez éloquens , nous allons nous borner à vous rappeler
que nous avons juré la Consîiiuiion de l'an III, et que nous avons
juré de défendre jusqu'à extinction de chaleur naturelle la li-
berté de notre pays !
> Nous ne serons pas parjures.
> Si les conspirateurs prennent notre patience à endurer les
maux qui déchirent depuis long-temps notre patrie pour de la
faiblesse , qu'ils tremblent d'avance de l'erreur !
> Directeurs, attestez à «tous les pariis que nous ne capitule-
rons point , et que , s'il était possible que jamais !a liberté pérît,
nous sommes tous déterminés à nous ensevelir sous ses ruines ! »
CONSEIL DES ciis'Q-CENTS. — Séatice du 25 thermidor ^ an V
{iO août il97),
A peine ce message était-il lu, que Baiily demanda qu'il fût
renvoyé à une commission et adressé, par un message, au con-
seil des anciens.
Lamarque. e Jem'oppose au renvoi, comme étant icconstiiuiion-
nel. Sans doute vous avez le droit de vous immiscer dans les mou-
vemens de troupes qui se font dans le rayon de douze lieues con-
stitutionnelles ; mais vous ne pouvez vous occuper des mouve-
mens qui ont lieu au-delà de cette limite; et le dernier rapport
de votre commission des inspecteurs sur cet objet ^ m'a paru
contraire aux principes de la division des pouvoirs; car au direc-
toire seul appariient la disposition de la force armée, et le corps
législatif ne peut ni par lui-même , ni par des délégués, exercer
le pouvoir exécutif. La Constitution accorde, il est vrai, à cha-
que conseil , le droit de police dans le lieu de ses séances , et dans
l'enceinte qu'il aura déterminée; hors de là il ne peut faire au-
cun acte exécutif sans vioîer la Constitution. Le directoire est
chargé de veiller à la sûreté générale de la République et à celle
de la représentation nationale; et il y aurait un grand danger à
supposer deux forces armées , l'une dirigée par le corps législa-
tif, et l'autre par le directoire, une telle distinction serait inju-
rieuse aux défenseurs de la pairie, qui be sont armés non pour
330 DIRECT. — DD l<^r PRAIR. AN V ("20 MAI 17^7)
soutenir des factions opposées , mais pour le maintien de la Con-
stitution.
• Examinons maintenant les graves motifs qui ont engagé à vio-
ler ces principes. On s'est plaint des calomnies dirigées contre le
conseil des cinq-cents ; delà division qui régnait , disait-on, dans
le directoire , et dont le renvoi des ministres a été le résultat;
enfin , on a dit que la commission des inspecteurs était instruite
qu'il se faisait des mouvemens de troupes; et on a conclu de ces
données , que la sûreté du corps législatif était menacée , et qu'il
fallait prendre des mesures vigoureuses pour la maintenir. On a
chargé la commission de les présenter, et on ne s'est pas aperçu
que l'on substituait au gouvernement établi un gouvernement
provisoire , que l'on renouvelait le régime arbitraire des anciens
comités; régime sage aujourd'hui , je veux bien le croire, mais
qui demain serait funeste, et qui en principe est opposé à l'acte
constitutionnel.
On a parlé de calomnies : hé bien ! faites exécuter les lois qui
punissent les calomniateurs, mais ne violez pas la Constitution.
Qui ignore que depuis la première assemblée nationale jusque au-
jourd'hui , il y a eu un parti anarchique , lequel se révélant de
toutes les formes, a constamment versé le mépris et la calomnie
8ur les autorités constituées, et qui encore aujourd'hui attaque
sans ménagement la représ ntaiion nationale et le directoire; on
a donné à ce dernier des qualilications criminelles; on a parlé de
scission entre la minorité et la majorité de ses membres; on a
souffert que des vils folliculaires appelassent le directoir« un
triumvirat , et jamais à celle tribune on n'a dénoncé ces attentats ;
on a l^iit plus , dans le temps oîi l'on réclamait dans celte enceinte
le respect pour la représentation nationale, on a commandé l'in-
dignation et le mépris contre ledirectein» , on a parlé d'attentats,
de conspiration contre le corps législatif : ainsi , on a violé l'ar-
licle 110 de la Coflsti:ution qui , voulant que les autorités consti-
tuées se respectassent mutuellement, afin de se faire respecter el-
les-mêmes, a prescrit un mode régulier de dénonciation. On a
osé parler à cette iribnne, d'indulgence et de générosité pour le
AU 18 f RUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 331
directoire, comme si le directoire était subordonné au conseil !...
( Violens murmures. Bailly s'écrie : A l'ordre l'orateur! )
Lamarque, * J'observe à ceux qui sont mes collègues... (Les
murmures recommencent. Talot s'écrie du fond de la salle : Pré-
sident, dites aux députés qui sont près de vous de faire taire leurs
crieurs; on ne s'entend pas ici.)
Le président. « Je rappelle l'interrupteur ^ l'ordre. »
Un membre nouveau, c Rappelez-le nominativement. »
Le président. «Je rappelle Talot à l'ordre. »
Ici , des altercations violentes ont lieu dans divers points de la
salle; une vive agitation en est la suite; le président rappelle à
l'ordre ; le calme se rétablit , et Lamarque continue. -
Lamarque. * Je sais que le conseil a le droit d'examiner la con-
duite du directoire, pour le mettre en état d'accusation. Mais ce
n'est qu'en ce sens qu'il est soumis au conseil , et non dans le
sens qu'on lui fasse des indulgences généreuses. Non , il n'est pas
permis d'être indulgent et généreux pour le directoire , parce
qu'il n'est jamais permis de l'être pour faire plier en sa faveur la
Constitution et la loi.
> C'est à la suite de ces dénonciations vagues qui ont porté at-
teinte au crédit public , et reculé la conclusion de la paix , qu'on
est venu vous parler de la marche des troupes au-delà des limites
constitutionnelles; qu'^n a voulu créer un troisième pouvoir
chargé d'inspecter la force armée ; élever autorité contre auto-
rité , armer les citoyens contre les citoyens , sans songer que les
citoyens, les armées et les autorités constituées n'ont d'autre but
que le maintien de la Constitution.
> Les membres du directoire ont-ils mérité de perdre l'exercice
de leurs pouvoirs? Hé bien ! qu'il y ait contre eux une dénoncia-
tion écrite, aux termes de l'article 116 de la Constitution ; alors il y
aura un objet qui fixera l'attention publique , la vérité sera l'objet
de nos recherches, et chacun saura à quoi s'en tenir. Jusque là
les droits du directoire restent dans toute leur plénitude, et il
n'appartient ni à une commission , ni au corps législatif lui-même,
de s'iuimiscer dans les naouvcmens des troupes qui se font hors
552 DIRECT. — DU 4*^^' PRAlk. AN V (20 MAI 1797)
des limites constitutionnelles ; les suites de ces empiétemens se-
raient incalculables.
» Voilà ce que le directoire aurait pu vous dire, lorsqu'il a ap-
pris que la commission faisait des informations sur la marche de
ces troupes. 11 ne l'a pas lait; i! a gardé le silence sur cette at-
teinte portée à son pouvoir ; sur les soupçons injurieux qui en
étaient le prétexte fil s'est montré conciliant et sage , et en cela il
a donné des gages certains de son amour pour la paix.
» Quant aux délibérations des armées, la Constitution est for-
melle ; elle veut que la force armée soit obéissante ; et je suis as-
suré que le directoire prendra des mesures promptes et efficaces
pour la rappeler à son devoir, si elle t>'en était écartée. Mais les
adresses dénoncées sont-elles de véritables délibérations ; ne sont-
elles pas plutôt l'explosion spontanée des sentimens patriotiques
qui animent les défenseurs de la République? et ici je citerai les
principes développés par Picbegru dans son rapport : t Les sol-
dats fiançais savent obéir à leurs chefs ; mais il est des cas où ils
doivent mettre des bornes à celte obéissance. Comme soldats ,
ils obéissent aux chefs; mais comme citoyens, ils doivent main-
tenir les institutions sociales et rintégralité de la Constitution. >
Ces principes sont ceux du conseil, car il se les est appropriés
par l'impression.
» Je me résume. Le corps législatifuFpeut s'immiscer dans la
marche des troupes hors des limites constitutionnelles, si ce
n'est par voie de dénonciation écrite. Mais continuer à renvoyer
à des commissions des objets (jui sont dans les attributions du di-
rectoire, c'est violer l'acte constitutionnel. Je demande la ques-
tion préalable sur le renvoi. » ^
D'une part on demande l'impression du discours, de l'autre
on réclame l'ordre du jour.
Le président. « Vaublanc s'oppose à l'impression ; il a la parole. »
Vaublanc. « Je ne repondrais point sans préparation à un dis-
cours préparé, si je ne comptais sur l'attention de mes collègues;
car notre devoir à tous n'est pas seulement d'écouter ceux qui
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 555
pensent comme nous , mais encore ceux qui sont d'un avi| dif-
férent.
« L'opinant a regarde l'attention que le conseil a donnée à la
marche des troupes sur Paris, comme inconstitulionnelle , et con-
traire aux droits du directoire. Sans doute le directoire dispose
de la force armée , il en dirige les mouvemens ; mais il est faux
de dire que vous ne devez pas vous en occuper aussi, lorsque
cette force est dirigée sur un point vers lequel elle ne peut mar-
cher sans une autorisation spéciale du corps législatif.
On a parlé d'élever un troisième pouvoir , qui rivalise avec le
directoire. Mais pourquoi la Constitution veut-elle que tous les
renseignemens demandés au directoire par le corps législatif se-
ront donnés par écrit? si ce n'est pour que ces réponses soient
examinées;dans des commissions? Le directoire n'est-il pas entré
dans votre sollicitude? n'a-t-il pas promis de poursuivre les cou-
pables? Gomment , après cet accord , un représenîant peut-il ac-
cuser le conseil d'avoir agi inconstitutionnellement? Oui, vous
auriez manqué à voire devoir, si vous n'eussiez porté un œil sé-
vère sur les événemens qui se sont passés autour de vous.
^» Je m'aperçois avec douleur d'un système nouveau qu'on veut
DoUs faire adopter, et qui tend à borner les pouvoirs du corps
législatif, et à étendre outre mesure ceux du directoire. Naguè-
reson disait que le corps législatif n'avait pas le droit de fermer
les clubs, de faire des proclamations; aujourd'hui on lui refuse
celui de se procurer des renseignemens par ses commissions.
Ainsi, le corps législatif se bornerait uniquement à faire des
lois!... (On rit.) et il renoncerait à son devoir le plus sacré, ce-
lui de cette surveillance administrative continuelle, qui ne peut
être exercée sans demander des renseignemens au directoire, et
sans faire des rapports sur ces renseignemens. En Angleterre,
le parlement n'interroge-l-il pas et les ministres et l'autorité
royale? Au reste, s'il n'a existé aucun complot, j'en suis bien
aise ; s'il en a existé un , nous l'avons déjoué par notre énergie.
» On a parlé de calomnies contre le corps législatii". Peu vous
importe que d'infâmes calomniateurs travestissent vos opinions.
354 DIRECT. — DU i^^ PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
La vérité est une puissance qui lot ou lard recouvre tous ses
droits; vos lois vous justifieront. Celle sur les prêtres déportés
n'a-t-elle pas été rendue à runanimilé?
» Le directoire, dans son message, vous parle de la rentréedes
émigrés. J'avoue que quand on me dépeint l'audace de ces indi-
vidus, je ne puis m'empécher de jeter les yeux sur le directoire.
11 n'est pas au monde de pouvoir plus grand que celui dont il est
investi contre eux. Nous avons , pour le fui accorder, violé tous
les principes. Quel pouvoir plus terrible que celui de dépouiller
un homme de ses biens , de sa patrie , de le traîner à l'échafaud ?
Que voulez-vous donc de plus? Je ne vois rien au-dessus de cela.
Quel pouvoir veut-il donc? Pour moi je voterais pour qu'il lui
fût ôté (Une foule de voix : Oui ! oui!) ; et c'est quand ce pou-
voir terrible réside dans la main du directoire, qu'Ai nous re-
proche la rentrée des émigrés.
» Le directoire vous parle encore des acquéreurs de biens natio-
naux. Mais que faites-vous tous les jours? si ce n'est de décréter
des ventes de ces biens pour faire face aux frais de la guerre.
Comment le gouvernement, qui trouve des ressources extraor-
dinaires dans le produit de ces ventes , ne couvre-t-il pas les ac-
quéreurs de son égide? On dit qu'ils sont persécutés, assassinés.
Mais, par qui? En quel temps? En quel lieu? Quelle est l'auto-
rité qui les a abandonnés , qui a laissé ces crimes impunis? Il
faut le savoir. Il est temps que la vérité jaillisse. Mais, si tous ces
faits sont conlrouvés , s'ils ne sont répétés que par des journaux
démagogues, comment le directoire vient-il en faire l'objet d'un
message?
• Quant aux adresses des armées, il en est plusieurs dans lés-
quelles brille un patrioiisnie pur, sage, éclairé, et oîi elles pro-
mettent de combattre le royalisme et l'anarchie , et tous les en-
nemis de la CuLblitution de l'an 111. Mais elles sont irrégulières;
il en est deux encore qui ne sont point adressées au directoire ;
mais aux années de l'intérieur, et qui sont un manifeste violent
contre le corps législatif, et le conseil des cinq-cents en particu-
lier. Leur lecture , je l'avoue , m'a inspiré une indignation pro-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 555
fonde. Mais vous êtes justes , et vous ne meitrez pas dans la ba-
lance, à côté d'une faute qui ne doit point être attribuée aux sol-
dats et aux chefs, mais bien à quelques inîrigans , les victoires
brillantes qui sont l'ouvrage des armées et de leurs généraux.
» Sur tous les objets contenus au message, il faut que vous pre-
niez des mesures législatives , et que vous leurs donniez ce ca-
ractère de sagesse et de sîiodéraiion que vous imprimez depuis
quelque temps à vos délibérations ; modération dont vous ne vous
écarterez jamais. Mais, pour atteindre ce but, il faut que ces me-
sures soient méditées dans le sein d'une commission. Je conclus
1® à ce que le message lui soit renvoyé ; 2<* à ce que copie en soit
transmise aux anciens par un message; 5° à l'ordre du jour sur
l'impression du discours de Lamarque. »
Ces trois propositions sont adoptées.
• — Le message dont il s'agit fut aux anciens l'objet d'un rap-
port. Tronçon-Ducoudray en avait été chargé. 11 ne fut ni moins
violent , ni moins positif que le directoire , mais dans l'opinion
opposée. Il défendit, avec chaleur, l'esprit du conseil des cinq-
cents. Ses collègues craignirent de donner à ce discours le ca-
ractère d'un manifeste; en conséquence ils ajournèrent la dis-
cussion.
Depuis ce moment jusqu'à la séance du 15 fructidor (50 août )
les séances des deux conseils reprirent leur physionomie ordi-
naire. On décréta une loi sur les ayans-droit aux biens des émi-
grés qui était favorable à ceux-ci; on réforma l'organisation de
la gendarmerie , et l'on proposa d'ôter au directoire la nomina-
tion des officiers de ce corps. Le conseil des anciens refusa sa
sanction à cette dernière mesure. On discuta sur le divorce, sur
les finances , sur la presse. Le 12 fructidor, Thibeaudeau fit un
rapport sur les adresses des armées et présenta un projet ayant
pour but de les empêcher de délibérer. 11 semblait que les partis
fussent rentrés dans le calme; et cependant les journaux se dis-
putaient avec violence.
Cette tranquillité n'était qu'apparente. Il y avait, dans le lieu
336 DIRECT. — DU i<?»' PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
même des séances du conseil des cinq-cenls , une réunion extra-
parlementaire où l'on délibérait sur la situation. La commission
des inspecteurs du conseil était le centre de celte réunion. Cha-
cun y venait apporter ses avis et ses nouvelles. Talleyrand , as-
surait-on, avait dit c que l'attaque était résolue, le succès infailli-
ble et que le corps léjjislatif n'avait plus d'autre ressource que de
se rendre à discrétion au directoire. » On remarquait que la gar-
nison avait été renforcée ; qu'on lui avait fait faire l'exercice à
feu ; on se communiquait les lettres menaçantes ou les avis anony-
mes que l'on recevait ; le 10, on disait que le directoire avait le
projet d'arrêter soixante-quinze députés qu'il supposerait pris en
flagrant délit de conspiration; madame de Staël avait fait avertir
Boissy-d'Anglas de prendre garde à lui; madame Tallien était
partie de Paris tout éplorée ; le général Augereau avait donné
un grand dîner où se trouvait Siéyfset Jean Debry ; on y avait
bu à la minorité des conseils. On annonçait des mouvemens de
troupes dans Paiis ; des rassemblemens ; mais il se trouvait que
ces derniers bruitsponvaicntêtre vérifiés. On allait donc voir, et
l'on ne trouvait rien. Cela seul suffisait pour infirmer toutes les
autres nouvelles. Aussi les Clichyens étaieni-ils assez rassurés
pour s'occuper principalement d'organiser une police qui fut
uniquement au service du corps législatif.
Celte agitation réelle était ignorée du public; elle fit explosion
le 13 thermidor. Duprat vint dénoncer en séance qu'on vendait à
la porte de la salle un écrit dans lequel on lisait : « Que le corps
législatif, et notamment le conseil (h-s cinq-cents, sont en exécra-
lion à la nation , sauf quelques exceptions; que les derniers élus
ne sont en partie que des royalistes déhoniés, des chefs de
chouans , des émigrés , des protecteurs de l'assassinat , d( s con-
spirateurs; que les tribunaux, celui de cassation surtout, qui
s'est rendu leur vil instrument, autorisent l'assassinat en lacquit-
tant; que les administrations favorisent les émigrés, les prêtres
insoumis; que l'on a eu l'audace ti'excuser à la tribune nationale
la révolte, l'assassinat; qu'on y a donné le signal du bouleverse-
ment et du carnage; qu'il n'y a pas un mot dans le texte des pi o-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 337
cès-verbaux de leurs séances, qui ne soit un motif d'alarme pour
les républicains, et d'encouragement pour les royalistes. » Quoi-
que cet écrit soit signé BaïUeul , Duprat ne peut se persuader
qu'il soit Touvrage d'un représentant du peuple; qu'il puisse se
trouver dans le sein du corps législatif un homme assez lâche
pour dénoncer à la France , à l'Europe, une partie de ses collè-
gues , pour tromper la nation , provoquer la dissolution de la re-
présentation nationale , et sonner la première heure de l'anar-
chie. Comme il importe néanmoins d'éclaircir ce fait, Duprat
demande que l'ouvrage qu'il dépose sur le bureau soit renvoyé
à une commission de sept membres , pour présenter les mesures
convenables. Hardy appuie et défend l'écrit dénoncé : il soutient
qu'il existe dans le sein du corps législatif une faction qui veut
renverser le gouvernement. Violens murmures, c Nommez les
factieux >, s'écrient plusieurs membres, c A bas les brigands! »
s'écrie une voix des tribunes. Tallien , Bentabolle, Villetard,
menacent du geste celui qui s'est permis un tel propos ; un huis-
sier le fait sortir. Hardy déclare qu'il n'attribue le projet de ren-
verser le gouvernement , qu'à des membres de la Convention
nationale, qu'il nommera lorsqu'il en sera temps : il revient à
Bailleul , ne veut pas qu'on lui ferme la bouche, lorsqu'il éclaire
la France sur des projets désastreux dont l'existence est démon-
trée, et s'oppose à ce qu'on forme une commission , dont l'opi-
nion est connue d'avance. Dumolard croit à l'existence du com-
plot tramé pour ramènera la royauté ; mais qu'on veuille associer
les membres du conseil à ce projet chimérique, c'est le comble
de l'audace; c'est la calomnie la plus atroce, t Oui , poursuit-il,
il existe un parti pour relever le trône ; c'est le parti d'Orléans.
Les divisions qui régnent parmi nous, sont l'ouvrage de ces fac-
tieux... Français, ou veut vous égarer ; on vous trompe. Au lieu
de vous arrêter aux calomnies de ces hommes , jugez leur mora-
lité. On voit ces misérables gorgés d'or et d'argent , s'apitoyer
avec hypocrisie sur le sort malheureux des rentiers, des pension-
naires de l'état, et afficher cependant un luxe insolent, eux qui
naguère encore ne possédaient pas un sou. (Quelques voix : C/est
T. XXXVII. i2ii
55S DIRECT. — DU i^ PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
TalUen.) Et où donc les ont-ils prises, ces richesses qui déposenl
sans cesse contre eux? Où ils les ont prises? Kappelez-vous les temps
désjslreux où la guillotine enrichissait les exécrables suppôts de
la terreur ; c'est là où ces monstres , heureux par les massacres
de septembre et les échafauds qu'ils ont fait dresser à Bordeaux
ont trouvé la source de leurs jouissances et du luxe qu'ils étalent
aujourd'hui: Voilà les véritables ennemis delà République , etc. »
Dumolard répond ensuite à quelques calomnies particulières di-
rigées contre lui , et conclut en s'opposant à la formation de la
commission proposée : il croit qu'on doit se borner à demander
des renseignemens à Bailleul , absent pur congé, sur l'écrit qu'on
lui attribue. Thibaudeau, après avoir observé qu'il n'y a qu'un
lâche qui puisse dénoncer dans un pamphlet , ce qu'il n'a pas le
courage de dire à la tribune, demande la question préalable.
Tallien réclame contre les inculpations de Dumolard , qui Ta dé-
signé, dit-il, de la manière la plus outrageante : il espère con-
vaincre le conseil de la fausseté des calomnies débitées contre lui :
c A l'époque du 10 août il fut appelé à la commune de Paris, où
il remplit les fonctions de secrétaire-greffier ; les actes de celte
autorité lui sont étrangers. Le 2 septembre , il est éveillé par le
tocsin de cette journée à jamais déplorable; il se rend à son
poste : le conseil était séparé ; les actes faiis par lui dans la ma-
tinée de ce jour ne portent pas sa signature. Il apprend , par la
voix publique, le massacre des prisons, et demande qu'on prenne
des mesures pour les arrêter. Une compagnie de grenadiers vient
au même instant demander a grands cris la lêie de Louis XVï,
détenu au Temple : il parle à ces furieux, et parvient à épargner
ce crime atroce. Il apprend que des brigands se portent à Or-
léans pour y massacrer les prisonniers : il court après eux , et
s'efforce en vain de les faire renoncer à leur projet. C'est lui qui
a invité plusieurs membres du conseil à se rendre dans les pri-
sons où les massacres se continuaient ; il a ainsi arraché à la mort
plusieurs individus, parmi lesquels il cite mesdames de Saini-
Brice, de Tourzel , le notaire Guillaume et Hue, valet de cham-
bre de Louis XVL Quelque temps après, il remplace Manuel
AD i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE i79T ). 339
dans les fonctions de procureur-généra]. Le bruit d'un nouveau
massacre se répand : il parcourt ks diverses prisons , et en fait
sortir une foule de citoyens , parmi lesquels il en est un qui siège
au conseil. » Debonnières déclare que c'est lui. ïallien justifie
ensuite la pétition qu'il a lue à la barre de l'assemblée législative ,
et cite de nouveaux traits en sa faveur. Quant à la fortune qu'on
lui reproche , elle est toute à sa femme. Venant ensuite à sa mis-
sion de Bordeaux, il convient que ses premières démarches fu-
rent le résultat des séductions des hommes pervers dont il était
entouré ; mais, éclairé enfin , il se hâta de mettre un terme à ce
système dévastateur : il fit arrêter le Marat de Bordeaux , desti-
tua et fit incarcérer le comité révolutionnaire , la commission mi-
litaire ; rendit la liberté à une foule de citoyens , et accourut à
Paris pour éclairer le gouvernement auquel dès-lors il devint
suspect, qui cassa ses arrêtés, rétabht le comité révolutionnaire
et la commission militaire. Sa conduite , dit-il en terminant , n'est
pas exempte d'erreurs ; mais elles sont expiées peut-être par
l'aveu qu'il en fait , et qui doit lui mériter l'indulgence qu'il ré-
clame. Le conseil passe à l'ordre du jour sur toutes les proposi-
tions.
— Nous lisons dans les mémoires de Thibaudeau qu'en sor-
tant de cette séance , Royer-Collard dit à Emmery : • Vous de-
vez être content ; le conseil a été assez plat aujourd'hui ; mais
laissez faire , cela ne durera pas toujours. » On disait en effet
que les clichyens ou les royalistes avaient à Paris une armée
grise qu'ils avaient recrutée en Vendée , et qu'ils tenaient en
réserve.
— Cette séance orageuse n'eut cependant pas de suile; on
parlait, mais on n'agissait pas. Les 14, 15 et 16, on discuta les
projets de Thibaudeau sur les moyens d'interdire aux armées le
droit de délibérer.
Ce sujet , tout rempli de l'intérêt présent , ne donna point heu
à des débats aussi vifs que Ton devait s'y attendre. Chaque opi-
nion était alors attentive sur elle-même; mais le calme qui ré-
gnait dans la délibération était seulement apparent. Cette paix si-
540 DIRECT. — DU ier PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
mulée ne fut interrompue qu'un moment à la séance du 15. Voici
l'analyse de la partie intéressante de cette séance, qui fut Tune
des dernières de la liberté des cinq-cents.
CONSEIL DES CINQ-CENTS. — Séance du 15 fructidor an 5.
(1er septembre 1797.)
L'ordre du jour ramène la suite de la discussion sur les projets
de Thibaudeaù. Le premier, comme l'on sait, tend à remettre à
l'accusateur public de la Seine le droit terrible de lancer des
mandats d'amener contre les citoyens dans toute l'étendue de la
République , et de les faire poursuivre au tribunal de Paris en
cas de conspiration contre le corps législatif, le directoire, etc.
Bovis , en appuyant le projet , se livre à des déclamations con-
tre le discours du président Laréveillère-Lépaux , en réponse à
celui de l'ambassadeur de la république Cisalpine. L'orateur est
entendu en silence. On demande l'impression de son discours;
elle est ordonnée.
Dubois-Dubay combat les projets, mais sans entrer, pas plus
que le précédent orateur, dans le fond de la question ; il critique
à son tour la conduite du corps législatif, et surtout du conseil ;
il l'accuse d'avoir, en accueillant des motions perfides , en pre-
nant des résolutions funestes , attaqué la prérogative du direc-
toire, lié ses mains, et empêché la conclusion de la paix; il a
traité de chimériques les craintes qu'on cherchait à inspirer
contre le directoire et contie les armées ; et il a déclaré que le
projf^t était principalement dirigé conti^e les défenseurs de la
liberté.
Ce discours a été plusieurs fois interrompu par de violens mur-
mures. Pastoret , Boissy et plusieurs autres ont fait entendre de
vives réclamations contre les assertions de l'orateur.
On réclame l'impression.
Dumolard. i Si l'orateur s'était borné à traiter la question , je
ne m'opposerais pointa l'impression de son discours ; mais comme
il s'est livré li une critique amère des opérations du conseil, et
qu'il a supposé que, dans plusieurs de ses résolutions, celui-ci
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 541
avait attaqué les droits du directoire.... {Plusieurs voix : Ce n'est
pas une supposition , c'est une vérité. ) Les autorités constitution-
nelles sont le patrimoine du peuple, et toutes les fois qu'elles se-
ront attaquées , on les défendra ici avec courage. C'est sur ce
principe que vous avez écarté tout ce qui pouvait porter atteinte
aux droits du directoire. ( Plusieurs voix : Et le projet sur la gen-
darmerie; et les résolutions sur les finances; et les distitutions
militaires. ) L'orateur a dit que le conseil craignait les armées.
( Dubois'Dubay : Je n'ai pas dit cela, c'est faux. ) Non , nous ne
craignons point les défenseurs de la patrie ; si nous avions un
vœu à former, c'est qu'ils fussent présens à nos séances, ils ver-
raient combien sont atroces les calomnies dont on se plaît à
nous noircir à leurs yeux. Il n'y a pas dans le sein de la repré-
sentation nationale , un homme assez vil pour accuser les défen-
seurs de la patrie; nous sommes pénétrés pour eux de la plus
vive reconnaissance, et nous la prouverons, non par des paroles,
mais par des faits. Voilà pourquoi nous désirons si vivement ia
paix extérieure et intérieure.
> L'orateur a prétendu que nous prenons des mesures par
crainte des défenseurs delà patrie. Ils savent bien qu'il faut dans
les armées une discipline tutélaire , qui y maintienne la force et
la subordination ; voilà les seuls motifs du projet. Au reste, je
déclare que je le combattrai moi-même dans quelques articles ,
comme ouvrant ia porte à un arbitraire effrayant, car je n'aime
pas plus qu'un autre les tribunaux révolutionnaires.
> Le préopiuant vous a parlé de dangers chimériques; je suis
que devant votre fermeté, ils s'évanouiront. Il a parlé des roya-
listes , il a eu raison ; car si les royalistes venaient jamais à triom-
pher, les massacres seraient organisés partout, et le sang ruissel-
lerait dans toute la République. Mais il est deux sortes de roya-
listes : ceux de Blankembourg ; ceux-là que le gouvernement les
dénonce , qu'il les poursuive. Les autres sont la faction d'Orléans.
C'est elle qui divise le directoire et le corps législatif; c'est elle
qui , après avoir jeté ici des soupçons, inspire des alarmes contre
le directoire ; court au Luxembourg jeter des soupçons, inspi-
542 DIRECT. — DU ier PRAIR. AN V (20 MAI 1797 )
rer des alarmes contre nous; et c'est ainsi qu'elle entretient,
qu'elle fomente des dissensions dont elle se propose de tirer parti.
Oui , dans le moment actuel , celte faction existe , elle relève sa
tête dégouttante de sang, elle est la plus dangereuse de toutes. Le
ministre de la police a reçu sur elle des renseignemens précieux.
Le chef de cette faction n'est pas loin; il n'est qu'à quelques lieues
de Paris; ce chef, c'est d'Orléans. ( On rit.)
» On a parlé d'un acte d'accusation machiné dans l'ombre con-
tre le directoire : ces faits sont faux , ils ont été inventés par des
hommes qui veulent nous perdre en nous divisant. Enfin , on nous
a reproché un défaut de modération.»
( Quelques voix : Oui , depuis quinze jours cela va bien ; mais
en prairial! mais en messidor ! )
Après avoir donné les plus longs développemens aux idées
dont nous n'avons fait que présenter l'aperçu, Dumolard conclut
à l'ordre du jour sur l'impression.
Hardy. « Dumolard vient de vous dire qu'il n'appuyait point
le projet , qu'il le combattrait même , parce qu'il n'aime pas les
tribunaux révolutionnaires; et il a entendu sans murmures, et
avec la résignation la plus parfaite , un discours où , au milieu de
mille accessoires insultans pour le directoire , on prend la défense
de ce projet ; et dans sa longue réponse à Dubois-Dubay , il n'a
pas dit un seul mot pour relever les assertions de Bovis ; certes,
il y a dans cette conduite un caractère d'impartialité qu'il était
bon de faire remarquer.
» Je partage l'opinion de Dumolard sur le projet, et je m'en-
gage à prouver qu'il est plus sanguinaire que celui que je com-
battis, jusqu'à trois heures, dans la fameuse nuit du 10 mars. —
Depuis trois mois on ne cesse d'attaquer le directoire.... mais
une autre fois je prouverai cette assertion. (Plusieurs voix : Ah !
ah ! ) lié bien ! puisque vous le voulez, je vais le faire. Dumolard
a dit que la prérogative du directoire était le patrimoine de tous
•
les Fiançais ; il a dit une vérité, mais il faut avouer que ce pa-
trimoine a été singulièrement dilapidé par ceux-mêmes qui sont
le pius intéressés à sa conseï vaiion. Oui , on attaque de toute
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 4797 ). 543
les manières les droits du directoire , on les a sapés , anéantis ;
rappelez-vous ces motions perfides accueillies avec plaisir , et
renvoyées à des commissions ; ces résolutions sur les finances
tendant à faire manquer le service ; ces projets sur les destitu-
tions dont le but évident était de paralyser le directoire, de lui
enlever la suprême direction de la force armée et de l'adminis-
tration générale. On veut affaiblir le gouvernement, on veut le
rendre odieux aux yeux de la nation , et l'on ne songe pas que
c'est le moyen de nous amener à la contre-révolution... ou plutôt
l'on y songe, voilà pourquoi... ( Longs et violens murmures. —
Une foule de voix : Ce n'est pas la question. )
1 Je suis bien étonné des murmures qui se font entendre. Dumo-
lard a parlé longuement sur divers objets qui n'avaient point trait.
à la question , et il a été écouté en silence. Dumolard a divagué
sur la faction d'Orléans, et on ne l'a pas interrompu. Je réclame
la même faveur. Oui , cette faction d'Orléans est une lubie, ima-
ginée pour détourner l'attention de dessus les véritables conspi-
rateurs , et nous donner le change. ( On rit. ) On a beau rire ; le
siège de la conspiration que Dumolard vous a dénoncée, et à la-
quelle je crois comme lui , n'est pas dans la faction d'Orléans ,-
mais il est dans le sein du corps législatif. (Murmures. )
» Au reste , je reviens à la question. Élevés par la nation à une
dignité éminente , montrez-vous dignes de cet honneurpar le
silence que vous imposerez à vos passions , et par une sévère im-
partialité. Donnez-en un exemple dans la question qui nous oc-
cupe. Et puisque vous avez ordonné l'impression d'un discours
en faveur du projet, faites également imprimer celui qui est con-
tre : sans cela , vous aurez deux poids et deux mesures ; il faut
tout imprimer, ou ne rien imprimer du tout. [Dumolard, Rien
du tout. ) Hé bien , je me range à cet avis. Je demande qu'aucun
des discours prononcés ou à prononcer sur ces projets ne soient
imprimés, et que l'on rapporte l'arrêté qui ordonne l'impression
de celui de Bovis. »
Dumolard. « Tout ce qui peut ramener le calme dans cette en-
ceinte doit être adopte. Et puisque Hardy pense que le rapport
544 DIRECT. — DU i^^ PRAIR. AN V ( 20 MAI 4797 )
de l'arrêté qui ordonne l'impression du discours de Bovis serait
un calmant , je demande que cet arrêté soit rapporté. >
Quirot. « Je propose un amendement. Hier, vous avez entendu
avec calme le discours de Mersan , où le dir'ictoire et son prési-
dent sont inculpés de la manière la plus forte. D'après les princi-
pes de paix et de conciliation qui ont été mis en avant à cette tri-
bune, je demande (longs murmures) si l'on ne veut entendre ici
que Dumolard , on n'a qu'à me le dire, je descendrai de la tri-
bune. ( Les murmures recommencent. ) Hé bien î j'appuie la pro-
position de Dumolard , et j'espère qu'on me laissera parler. Ainsi ,
je demande qu'on généralise la proposition , et qu'aucun discours
ne soit imprimé, parce qu'aucun n'a traité la question. (Mur-
mures. )
> On a parlé de la faction d'Orléans. Je suis certain quelle a
existé à l'époque où le fils d'Orléans était au camp de Dumou-
rier. Mais, puisque celte faction existe encore, que Dumolard
vous a parlé iur elle avec beaucoup de véhémence, qu'il lui at-
tribue toutes les divisions qui nous déchirent, eique son discours
a paru foire quelque impression sur l'esprit du conseil, je dis qu'on
a fort mal fait de restituer les biens à la famille d'Orléans. Et sans
doute les membres de la commission qui en ont présenté le pro-
jet ne sont pas de cette faction. Je demande donc le rapport de
cette loi, afin de faire cesser les mortelles inquiétudes de ceux
qui tremblent sur celle faction. {On rit. * — Plusieurs voix :
Appuyé.)
Le président rappelle les diverses propositions qui ont été fai-
tes. Il met aux voix celle de n'imprimer aucun des discours qui
ont été prononcés; elle est rejetée. H met aux voix l'impression
du discours de Dubois-Dubay ; l'impression est rejetée.
Le président invile ensuite Quirot à reproduire sa proposition
re'aiive à la famille d'Orléans.
Quirot. « La loi du '22 prairial exceptait de la reslitulion les
biens appartenant à la famille d'Orléans; or, il est possible que
parmi les biens rendus il y en ait quelques-uns qui aient fait par-
lie des apanages. (Plusiçurs voix : INpn , non. ) Ainsi je demande
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797), 545
qu'il soit nommé une commission pour examiner cet objet ; car
je le déclare, le montant des biens restitués est de seize millions.
[Plusieurs voix : L'ordre du jour; fermez la discussion. )
Rouzet, « Les faits sont simples , et l'opinant s'est trompé. Le
décret du 22 prairial prononçait , il est vrai, la confiscation des
biens appartenant à Capet , à sa femme , à Elisabeth et à Philippe
d'Orléans ; mais il ne statuait rien sur le séquestre de ceux qui
appartenaient aux autres Bourbons , lesquels sont au nombre de
trois individus , savoir: Louise-Adélaïde Penihièvre , LouisBour-
bon Conti et la sœur de Bourbon ; or, les résolutions prises par
vous , et converties en lois par le conseil des anciens , ne regar-
dent que ces trois individus. Quant aux apanages , ils n'existent
plus ; l'assemblée constituante les avait supprimés et remplacés
par des pensions. Ainsi , il n'est pas ici question de d'Orléans.
( Quirot : Mais celle dont vous parlez est la mère de celui qu'on
voudrait nous donner pour roi. ) La mère de celui qu'on craint
d'avoir pour roi , n'est pas une d'Orléans, mais une Penihièvre.
(On rit. ) Je demande la question préalable. »] — Adopté.
JOURNÉE DU 18 FRUCTIDOR AN O ( 4 SEPTEMBRE 1797).
Sur les trois heures du matin , le canon d'alarme fut tiré ; le
lieu des séances des deux conseils investi et occupé. La commis-
sion des inspecteurs des deux conseils et Pichegru furent arrê-
tés. Ramel, commandant des grenadiers du corps législatif, fut
arrêté à la tète de^a troupe , qui ne fit aucune résistance. Le gé-
néral Augereau, qui présidait à ces actes, fit en même temps oc-
cuper les principaux ponts de Paris. Les soldats paraissaient
pleins d'enthousiasme ; ils criaient avec fureur vive la Républi-
que! ils parlaient au peuple; ils lui témoignaient leur haine con-
tre les royalistes. On lisait sur les murs de Paris une proclama-
tion du directoire qui donnait le motif de ces moiivemens de
troupes. Elle annonçait la découverte d'une conspiration en fa-
veur de Louis XVIII. On avait aussi affiché un arrêté du direc-
toire qui portait que tout individu qui rappellerait la royauté, la
constitution de 1795 , ou parlerait de d'Orléans , serait fusillé sur-
346 DIRECT. — DU 1er prair. AN V { 20 MAI i797 )
le-champ. L'administration centrale de la Seine et les douze mu-
nicipalités étaient suspendues. Le bureau central de police était
seul maintenu. Le directeur Barthélémy était arrêté. Carnot était
en fuite.
De nombreux placards , exposés à la curiosité publique , con-
tenait les pièces suivantes :
Offres faites par Condé à Pichegru , au nom du rou
Nota. ( Picheg^ru veut livrer les places fortes aux Allemands.
Condé s'y refuse. — Trahison manquée. )
c Maréchal de France. Gouverneur d'Alsace. Cordon rouge.
Le château de Chambord avec son parc , et douze pièces de canon
enlevées aux Autrichiens. Un million d'argent comptant. Deux
cent mille livres de rente. Un hôtel à Paris.
» La terre d'Arbois, patrie du général Pichegru, porterait le
nom de Pichegru.
> La pension de 200,000 liv. réversible par moitié à sa femme,
et 50,000 liv. à ses enfans, à perpétuité, jusqu'à extinction de
sa race.
» M. le prince de Condé désirait qu'il proclamât le roi dans ses
camps , lui livrât la ville de Huningue, se réunît à lui pour mar-
cher sur Paris. »
Réponse de Pichegru, écrite de sa main , et trouvée dans le porte-
feuille de d'Antraigucs.
t Je ne ferai rien d'incomplet. Je neveux pas être le troisième
tome de La Fayette et de Dumourier. Je connais mes moyens;
ils sont aussi surs que vastes ; ils ont leurs racines non-seulement
dans mon armée , mais à Paris , dans la Convention , dans les
déparlemens , dans les armées de ceux des généraux mes collè-
gues qui pensent comme moi. Je neveux rien faire de partie!. ïl
faut en finir. La France ne peut exister République. Il faut
un roi. 11 faut Louis XVIÏl ; mais il ne faut commencer la contre-
révolution que lorsqu'on sera sûr de l'opérer; sûrement et
promptemcnt, voilà quelle est ma devise.
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE i797 ). 547
» Le plan du prince ne mène à rien. Il serait chassé de Hu-
ningue en quatre jours. Mon armée est composée de braves gens
et de coquins ; il faut séparer les uns des autres , et aider telle-
ment les premiers , par une grande démarche , qu'ils n'aient plus
possibilité de reculer, et ne voient plus leur salut que dans le
succès.
Pour y parvenir, j'offre de passer le Rhin où Ton me dési-
gnera le jour et à l'heure fixée , et avec la quantité de soldats et
de toutes les armes qu'on me désignera. Avant , je placerai dans
les places fortes des officiers sûrs, pensant comme moi; j'éloi-
gnerai les coquins et les placerai dans des lieux où ils ne peuvent
nuire , et où leur position sera telle qu'ils ne pourront se réunir.
Cela fait, dès que je serai de l'autre côté du Rhin, je proclame
le roi , j'arbore le drapeau blanc : le corps de Gondé et Tarmée
de l'empereur s'unit à nous. Aussitôt je repasse le Rhin et je
rentre en France. Les places fortes seront livrées et gardées, au
nom du roi , par les troupes impériales.
» Réuni à l'armée de Condé , je marche sur-le-champ en avant.
Tous mes moyens se déploieront alors de toutes parts, et nous
marcherons sur Paris, et nous y serons en quatorze jours.
> Mais il faut que vous sachiez que pour le soldat français la
royauté est au fond du gosier. Il faut, en criant vive le Roi ! lui
donner du vin et un écu dans la main. Il faut solder mon armée
jusqu'à sa quatrième ou cinquième marche sur le territoire fran-
çais.
» Allez rapporter tout cela au prince , écrit de ma main , et
donnez-moi ses réponses. »
M. le prince de Condé en lisant le plan , le rejeta en totalité.
II fallait, pour son succès, en faire part aux Autrichiens. Pi-
chegru l'exigeait ; M. le prince de Condé ne le voulait pas abso-
lument , pour avoir à lui seul la gloire de faire la contre-révo-
lution.
Il répondit à Pichegru par des observations , et la conclusion
de sa réponse était de revenir à son premier plan :
Que Pichegru proclamât le roi sans passer le Rhin. Qu'il remît
548 DIRECT. — DU 1er paAlR. AN V ( 20 MAI 1797)
Huningue. Et qu'alors rarmée de Condé seule , et sans en rien
participer aux Allemands , irait le rejoindre ; qu'en ce cas il pou-
vait promettre cent mille écus en louis, qu'il avait à Bàle, et
quatorze cent mille livres en lettres de change , payables sur-
le-champ.
Aucun moyen , aucun raisonnement n'eut de prise sur 31. de
Condé. L'idée de communiquer son plan à Wurmser, d'en par-
tager la gloire avec lui , le rendait aveugle et sourd. Il fallut rap-
porter ces observations à Pichegru , et M. Gourant en fut chargé.
De là , trahison raanquée.
Le prince de Condé à M. Imbert-Colomès, ancien échevin de
Lyon, principal agent de Louis XVUl à Lyon, rayé de la liste
des émigrés par un décret du i^^' prairial an 5, et se disant en
conséquence membre du conseil des cinq-cents :
< Le roi a jugé à propos d'envoyer M. de Bésignan à Lyon ; je
vous invite, monsieur, aie recevoir avec tous les égards dus à un
homme honoré de la confiance de sa majesté. Je profite de cette
occasion pour vous renouveler les assurances de la satisfaction
de sa majesté , et de mon sincère attachement. •
Il résulte de cette lettre :
1° Que M. Imbert-Colomès était l'agent du roi à Lyon ;
2*^ Que sa majesté Louis XVII 1 était très-contente de ses ser-
vices ;
3® Que M. Imbert-Colomès jouissait du plus grand crédit au-
près de son maître, puisque M. de Bésiguan mettait tant d'im-
portance à obtenir cette lettre.
Cependant les directoriaux des deux conseils se réunissaient :
ceux du conseil des anciens dans l'aniphithéàtre de l'école de
santé, ceux du conseil des cinq- cents à l'Odéon. De là ils en-
voyèrent avenir ceux de leurs collègues qu'ils savaient n'être pas
portés sur les listes de proscription, et lorsqu'ils se trouvèrent
en nombre ils commencèrent à délibérer. L'un et l'autre se dé-
clarèrent en permanence. Le conseil des anciens, vers trois heu-
res de l'après-midi , autorisa , par un arrêté , le directoire à
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 549
prendre les mesures ne'cessaires pour assurer la sécurité pu-
blique.
Nous allons donner Tanalyse de la séance permanente du con-
seil des cinq-cents. C'est celle qui offre le plus d'intérêt , parce
que c'était à eux , d'après la Constitution , qu'appartenait l'initia-
tive , et que par suite , on y \oit encore une ombre de délibéra-
tion. Les anciens se bornèrent en général à approuver purement
et simplement les résolutions que les cinq-cents leur transmet-
taient.
La séance s'ouvre à l'Odéon , sous la présidence de Lamarque ;
Cholet et Duhot sont secrétaires.
Poulain' Grandpré, c Les mesures qui ont été prises, le local
que nous occupons , tout annonce que la patrie a couru de grands
dangers, et que nous en courons encore. Rendons-en grâce au
directoire, c'est à lui que nous devons le salut de la chose pu-
blique. Mais il ne suffit pas que le directoire veille , il est aussi de
notre devoir de prendre des mesures capables d'assurer le salut
public , et la conservation de la Constitution de l'an 5. Je de-
mande qu'il soit formé une commission de cinq membres pour
s'occuper de cet objet. »
Celte proposition est adoptée ; les membres de la commission
sont Siéyes , Poulain-Grandpré , Hardy , Cliasal , Boulay de la
Meuithe.
Chasal. « Je propose d'adresser un message au conseil des
anciens , et un au directoire pour les instruire de notre réunion
à l'Odéon. »
Cholei. t Je pense qu'avant tout il faut envoyer un message au
directoire pour lui demander les motifs de notre réunion dans
ce local ; pour moi , je ne sais rien encore, j'ignore pourquoi
nous avons quitté notre ancienne salle pour nous réunir dans
celle-ci. »
Chasal et Salicetti répondent qu'aussitôt que le directoire sera
informé de la réunion des représenlans du peuple à l'Odéon, il
ne manquera pas de rendre compte au conseil de la situation de
Paris, et de ce qui s'est passé.
550 DIRECT. — DU 1^» PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797 )
Boiday, « Le conseil ne peut adresser de message au ccpseil
des anciens sans avoir été informé par le directoire de la réunion
de ce conseil. »
Un membre» « Vous êtes ici en vertu d'un arrêté du direc-
toire; il faut que vous preniez connaissance des motifs qui ont
nécessité votre sortie de l'ancienne salle. »
Le conseil adopte les deux messages.
Porte, c Les circonstances actuelles exigent que nous accor-
dions au directoire la faculté de faire entrer dans le ravon con-
stitutionnel les troupes nécessaires pour assurer votre liberté et
sa sûreté personnelle. Je demande cette autorisation, afin de
préserver le corps législatif et le directoire des attaques du roya-
lisme. »
Boulay. <r Je demande le renvoi de la proposition à la com-
mission chargée de vous présenter des mesures. >
Merlin de Thionvïllc. « Le renvoi serait sage dans un temps
ordinaire ; mais dans les circonstances où nous sommes , tout
délai serait nuisible. Je suis vieux en révolution. Vous n'avez
qu'un moyen à prendre , c'est de frapper sur-le-champ vos en-
nemis , ou demain vous n'existerez plus. Je demande que la me-
sure soit sur-le-champ adoptée. »
Cliolet. « Nous ne pouvons prendre de mesures sans avoir
des renseignemens certains sur ce qui s'est passé. Je demande
qu'on attende ceux qui ont été demandés au directoire. >
Merlin, c Les pièces sont dans le public et dans ce qui se passe ;
elles sont affichées dans tous les coins des rues. N'oublions pas
que nous avons à nous défendre , non-seulement contre les roya-
listes, mais encore contre les agens d'une autre faction. ( Une
foule de voix : Oui, oui.) Il faut empêcher cette seconde faction
de profiter de la victoire que nous venons de remporter. Je de-
mande que la rédaction de la résolution porte également contre
tous les ennemis de la Constitution de l'an IH.
La proposition de Porte ainsi amendée , est adoptée à l'instant.
Porte. « Nous avons un grand nombre de nos collègues en
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEJUBRE 1797). oM
congé. Rien ne peut en ce moment légitimer leur absence. Je
demande qu'ils soient rappelés sans délai. — Adopté.
Sur la proposition de Duhot, le conseil nomme, pour former
la commission provisoire des inspecteurs, les citoyens Talot, Ja-
comin , Martinet , Laa et Calés.
Villers, « La commission des cinq s'est occupée du grand tra-
vail dont vous l'avez chargée , elle ne peut vous présenter des
mesures sans avoir reçu le message du directoire. Mais elle pro-
pose au conseil de déclarer sa séance permanente. > — Adopté.
La séance s'ouvre , à sept heures, par la lecture d'un message
du directoire , conçu en ces termes :
« Citoyens représenians , le directoire s'empresse de vous
faire part des mesures qu'il a prises pour assurer le salut de la pa-
trie elle maintien de la Constitution,* il vous transmet les pièces
qu'il a réunies , et celles qu'il a publiées avant que vous fussiez
rassemblés. S'il eût tardé un jour de plus , la République était li-
vrée à ses plus mortels ennemis. Le lieu de vos séances était celui
que les conjurés avaient choisi pour être le foyer de la conspira-
tion. Là, ils délivraient des cartes d'enrôlement; de là, ils corres-
pondaient avec leurs complices; de là, ils fomentaient des ras-
semblemens clandestins , que la police est occupée en ce moment
à dissiper. C'eût été compromettre le salut de la patrie , la tran-
quillité publique, la vie des représentans restés fidèles, que de ne
pas prendre des mesures promptes, vigoureuses, efficaces; le
directoire l'a fait. Sa conduite, en cette occasion à jamais mémo-
rable, était nécessitée par les circonstances, par l'audace des
conspirateurs, qui ayant jeté le masque, marchaient à leur but,
et qui voulaient courber la tête des Français sous le joug des
rois.
En matière d'état , les mesures extrêmes doivent être appré-
ciées par les circonstances. C'est ainsi que vous devez juger de
celle qu'a prise le directoire ; il en espère les plus grands résul-
tats. Le 18 fructidor sera un jour heureux dans les annales de la
France. Saisissez celte occasion pour ramener la paix intérieure,
raviver l'amour de la liberté et de la République , et fermer l'a-
35î2 DIRECT. — DD l^r PRAIR. AN V ( t20 MAI 1797)
bîme affreux dans lequel les amis des rois voulaient nous préci-
piter.
» Le directoire vous transmettra d'autres pièces. Vous y ver-
rez qu'Imberi-Colomès a été le principal agent du soi-disant
Louis XVIII à Lyon. »
Le conseil ordonne l'impression du message au nombre de six
exemplaires.
On fait lecture ensuite d'une proclamation du directoire aux
Français. Après y avoir rappelé la réalité de la conjuration de
vendémiaire, le directoire s'exprime ainsi : A l'époque où cette
conspiration fut dévoilée, un homme qui a conduit nos défenseurs
à la vicioire, correspondait au Rhin avec nos ennemis par des pro-
positions de royahsme. Si nos places de guerre n'ont pas été li-
vrées, siPichegru n'est pas venu en quatorze jours à Paris, c'est
la faute de Condé. Voilà pourquoi Pichegru a été élu le premier
président du conseil des cinq-cents. Voilà les moiifs des calom-
nies versées sur le directoire, pour avoir destitué Pichegru. Le
royalisme, vaincu en vendémiaire, ne renonça pas à ses projets ;
mais il prit une marche plus tortueuse; il embrassa un plan plus
vaste , et qui enlaçait toute la surface de la République ; les dé-
tails de ce plan sont consignés dans la révélation faite au direc-
toire par Duverne-de-Presle, dit Dunan. On y voit que Lemérer
et Mersan étaient les agens du roi. Aussi, fidèle à sa mission, Le-
mérer osa-t-il à la tribune républicaine , présenter la Coui-titu-
tion de 1791, comme un objet de respect, et insulter au 10 août.
Depuis cette époque , ils ont continué de prendre toutes les me-
sures contre-révolutionnaires. On acréédans toute la Rrpubhque,
des centurions, des commissaires royaux, qui organisaient la con-
tre-révolution dans chaque département, dans chaque canton, dans
chaque commune ; et qui y disposaient une force armée, afin qu'à
l'instant convenu, une insurrection générale eût plongé la France
dans un nouveau déluge de sang. La découverte de la conspira-
tion Broltier, Lavilleurnois, etc. , ne fit qu'augmenter la chaleur
des parti^ans de la royauté. Les élections dernières ont été l'ou-
vrage de l'esprit de parti , les dépositions de Broltier en font foi.
AU 18 FRUCTIDOR AN Y t 4 SEPTEMBRE 1797). 555
ici le directoire présente le tableau de la siuiaiion de la Rép^j-
hliquc, depuis les dernières éloclions : Puis il s'écrie : « Ciloyen,>,
vous n'avez pas pour tant d opprobres iraversë la lévoUiîuK?.
Quelques factieux ne feront point rétrograder sa marche ; des élus
de Blankembourg ne l'emporteront point sur !es élus du peuple.
Les hommes du corps législatif sauront en faire le discernement.
N'oubliez jamais que les mesures prises étaient nécessaires pour
prévenir les plus horribles secousses , et que l'excès des maux ,
appelait l'excès du remède. »
A la suite de cette proclamation, on lit les pièces trouvées dans
le portefeuille de d'Antraigues à Venise, et envoyées par le gé-
néral Bonaparte ; elles sont relatives à la trahison de Pichegru ;
les détails en sont fort étendus.
Vient ensuite la déclaration faite au directoire par Duverne de
Presle, connu sous le nom de Dunan, et qui a été consignée dans
son registre secret.. Il paraît que c'est à l'occasion de cette décla-
ration , que le directoire avait demandé l'année dernière au con-
seil la faculté de commuer la peine prononcée contre les condam-
nés qui feraient des révélations utiles à l'état. Cette pièce, qui est
fort longue, contient les détails du vaste plan qui avait été conçu
et exécuté par les royalistes pour amener la contre révolution ; on
y voitquelesagens du soi-disant Louis XVIII, comptaientsurcent
quatre-vingt-quatre membres du corps législatif; et que le projet
était de renverser le directoire et de mettre un roi à sa place , en
laissant subsister les deux conseils. La faction d'Orléans , contre
laquelle onp Umtcrié, n'y était pour rien, car les agens de
Blarkembourg y déclarent que le duc d'Orléans a renoncé au
trône.
On réclame l'impression de toutes ces pièces, au nombre de six
exemplaires : elle est ordonnée.
Roulay de la Meurihe au nom de la commission des cinq. «Dans
une po^ilion aussi grave que la nôtre , il ne faut pas de lon-'^.s dis-
cours; il faut agir promptcment, vigoureusement, sagement. [In
grand mouvement s'est opéré. Le directoire a été (<.rrp de vo!'-;
T. XXXVII. "JZ
354 DIRECT. — DD 1er praIR. AN V ( 20 MAI 1797 )
indiquer un local auire que celui où vous aviez coutume de vous
réunir. La (orce armée, dans tout son appareil, a été dfplojée;
le peuple enlier fst debout, il demande , il attend le résultat de
celle g' ande journée.
» Considérez la siluaiion delà chose publique. 11 y a six mois,
la paix était assurée, et aujourd'hui tout est chanf^é, la paix est
éloiffnée au-dohors, la guerre civile est sur le point de nous dé-
chirer au-dédans ; le nom de républicain^ prononcé avec respect ,
avec admiration , avec efiroi dans IVtrangpr, est chez nous un
terme de mépris, un titre de proscription. Cet état ^ésasireux
est une suite de la va>t^ conspiration , tendant à nous ramener un
roi, un clergé, une noblesse , laquelle est matériellement prouvée
par les pièces qui ont été remises sous vos yeux.
j Un (les grands foyers delà conspiration était dans le corps lé-
gislatif, non dans la majorité; elle est bonre, elle est républicaine,
elle VHut le salut du peuple, mais dans un certain nombr e de me-
neurs et d'inlri{;ans, qui avaient obtenu la mnjoriié. Vous con-
naissez les moyens qu'ils employaient pour se l'assurer. \U con-
certaient ensemble les mesures; ils It^s proposaient avec un ion
lyrannique; ils enlevaient les délibérations , sans* permettre que
les orateurs fussent entendus. Ceux qui nef)ensa ent pas comme
eux , étaient interrompus et conspués , la tribune n'était pas
libre.
» Le (gouvernement , il faut le dire, ne peut marcher qu'avec la
bienveillance du corps législatif. Le parti s'appliquait à le décon-
sidérer, 5 le garroier, à le faire périr. Le moui^ ^uit venu ; le
grand coup allait être porté, quand la sagesse et l'énergie du di-
rectoire or.t déjoué leurs complots. Nous sommes dans un état de
guerre , les ennemis de la République et ses amis sont en pré-
sence. 11 n'y a pas de temps à perdre; il faut sauver la pairie, dé-
sarmer ses ti^niis elles éloigner du sein delà République dont
ils avaient jure la perte. Il faut proclamer la vérité : le triomphe
des républicains ne sera souillé paraucune gouite de sang, {Foule
de voix. Bravo.) Malheur à celui qui voudrait rétablir les écha-
fauds, violer les personnes et les propriétés ! (Mêmes applaudis-
' AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 55S
semens.) Il ne faut point de vengeances ; il faut assurer le salui
public. Le mouvement s'est fait paisiblement, il faut le terminer
de même. Songez que bientôt il eût fallu en venir aux mains , et
que la France eût été une Vendée générale. Vos ennemis ont été
surpris au moment où ils allaient exécuter leurs projets. Il faut les
ëluigner du corps législatif , des autorités constituées; il faut les
déporter, il faut réaliser ce but le plus tôt possible; c'est le seul
moyen de nous débarrasser des émigrés et des prêtres réfi ac-
taires.
» Les premiers seront transporté» dans le lieu que le gouver-
nement désignera ; là aus^i il y fera transférer les prêtres qui rie
voudront point franchement se soumettre aux lois. Néanmoîûs,
la commission ne vous propose point de les condamner en masse ;
mais ceux qui refuseront la déclaration devront quitter un pays
où ils refusent d'être soumis aux lois qui le gouvernent. Il faut
prendre ce parti, ou bien se résoudre à être dans un état de
guerre coniinuelle. Élevez-vous à des senlimens courageux et à
des idées grandes. Les formes lentes et judi> iaires ne peuvent être
adoptées envers des conspirateurs. Vouséles vainqueurs aujour-
d'hui ; mais si vous ne profitez de la victoire , demain vous serez
vaincus. Frappez les coups qui sont nécessaires, rasseyez là Con-
stitution sur ses bases; après cela nous reprendrons notre car-
rière législative. >
Impression au nombre de six exemplaires.
Au nom de la même commission, Villers présente les deux pro-
jets qu'elle propose ; ils sont adoptés avec urgence. En voici !ès
dispoïîi lions :
Première résolution.
Art. 1er. Les opérations des assemblées primaires , comnVû-
nales, électorales de cinquante-trois déparlomcns, pirmi lesquels
on remarque ceux delà Seine, du Rhône, du HautetBa<i-l»hin, etc.,
sont déclarées illéfjitimes et nulles.
2. Les opérations de l'assemblée électorale du Gers sont dépa-
rées légitimes et valables.
356 DIRECT. — DU i^^ PRAIR* AN V (20 MAI 1797 )
3. La loi du 22 prairial, relative à la double élection du Lot ,
est rapportée; en conséquence, les opérations faites à la maison
de la Palonie, sont nulles, et celles faites à l'église de Caliors sont
valables.
4. Les individus nomniés par les assemblées primaires , com-
munales et électorales des départemens ci-dessus désignés,
sans en excepter les membres du corps législatif, cesseront tou-
tes fonctions, sous les peines portées en l'article du Code
pénal.
5. Le directoire nommera aux places vacantes des tribunaux ,
et à celles qui viendraient à vaquer avant le i^^ germinal an 6.
6. Ses nominations auront la même durée que si elles eussent
été faites par les assemblées primaires , communales et éleclo-
ralâs.
7. Les lois qui, en contravention à l'article 573 de l'acte con-
stitutionnel, rappellent au corps législatif J.-J. Aymé , Mersan,
Gau, Polissart et Ferrant-Vaillant, sont rapportées.
8. Les articles de la loi du 5 brumaire, relatifs aux parens des
émigrés, seront et resteront en vigueur pendant les quatre années
qui suivront la paix générale.
9. Pendant cet intervalle, aucun parent d'émigrés ne pourra
voter dans les assemblées primaires, ni être nommé électeur.
iO. Nul ne sera admis à voter sans avoir au préalable prêté ,
entre les mains du président, le serment individuel de haine -h
la royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité ù la Répu-
blique et à la Constitution de l'an 5.
il. La loi relative aux chefs de la Vendée est rapportée. Sont
réputés tels, les individus désignés par la loi du 21 juillet 1791.
12. Aubry, J.-J. Aymé, André de la Lozère, Boissy d'Anglas,
Bornes, Bourdon de l'Oise, Cadroy, Couchery, Clercmonieau,
Delahaye de la Seine Inférieure, Delarue, Doumerc, Dumolard ,
Duplantier, Dupral, Gilberi-Desmolières, Henry Larivière, Im-
beri Colonies, Camille Jordan, Jourdan des Bouches-du- Rhône,
Gau, Lacarrière, Lemarchant-Gomicouri, Lemérer,Mersaii, Ma-
dier. Maillard, Noailles, Marc-Curiin, Pavie. Pastoret, Pichegru,
AU 18 FRUCI'IDOK AN V (4 SEPTE31BReM797 ). 357
Polissarr, Quat remère de Quincy, Saladin, Siméon, Vauvilliers,
Vaublanc, Villaret-Joyeuse, Willot, membres du conseil des cinq-
cents;
Et Barbé- Marbois, Detorcy, Dumas, Ferrant-Vaillant, Laffon-
Ladebai,L'HomoDt, Muraire, Murinais, Paradis, Portails, Rovère,
Tronçon-Ducoudray, Belin des Bouches-dq-Rhône, membres du
conseil des anciens ;
Carnot et Barthélémy, membres du directoire ;
Brotiier, Lavilleurnois, Duverne-de-Presle, dit Dunan ;
Cochon , ex-ministre ; Dossonville , ex-employé de la police ;
Miranda, ex-général; Morgan, ex-général; Suard, journaliste ;
Mailhe, ex-législateur; etRamel, commandant de la garde du
corps législatif, seront dëporlés dans les lieux que le directoire
désignera. Leurs biens seront séquestrés, et il ne leur en sera ac-
cordé main-levée qu'après la preuve authentique de leur arrivée
au lieu de leur déportation. Néanmoins, le directoire est autorisé
à faire prélever sur les revenus de ces biens des secours à leurs
familles.
15. Tous individus non rayésde la liste des émigrés sont tenus
de sortir dans les vingt-quatre heures de Paris, et de toutesles com-
munes, au-d£*sus de vingt mille âmes, et des autres communes,
dans les quinze jours après la publication de la loi.
14. Passé ce délai, tout émigré non rayé sera arrêté et traduit
par devant une commission militaire de sept membres, laquelle
sera nommée par le général, commandant la division militaire, et
le jugement sera exécuté dans les vingt-quatre heures.
15. Les émigrés actuellement détenus seront déportés, et ceux
qui rentreront seront punis de mort.
16. Les loisqui prononcent la radiation deGrtîgoire Derumare,
et d'Imbert Colomès, sont rapportées.
Seconde résolution.
Art. i^'^, La loi du 7 de ce mois, qui rappelle les prêtres dépor-
tés, est abrogée.
2, Le directoire est investi du droit de déporter, par arrêtes
358 DIRECT. — liv 4er pkair. ajn V ( 20 mai 1797 )
ludividuels et motives, les prêti es qui troubleraient la tranquillité
publique.
5. La loi du 7 vendémiaire, an 4, sur la police des cultes, sera
exécutée; mais au lieu d'une s:mpïe déclaraiion, lès prêtres se-
ront tenus de piéler le serment de haine à la royauté et à l'anar-
chie, d'attachement et de fidélité à lu République et à la Consti-
tution de l'an 5.
4. Tout administrateur, officier de police, juge, accusateur pu-
blic, officier de gendarmerie, qui ne fera pas exécuter lesarti-
des Relatifs aux émigrés et aux prêtres, sera puni de deux ans
de fers. Le directoire est autorisé à délivrer tous mandats d'arrêt
nécessaires.
5. Aucun haut juré, juré ordinaire ou spéci:il, ne pourra exer-
cer ses fonctions, sans avoir au préalable prêté serment de haine
à la royauté, etc.
6. Les jurés seront tenus de voter à l'unanimité. Ils n'auront
aucune communication au-dehors ; s'il ne peuvent prononcer una-
nimement, ils se reuniront de nouveau; mais alors, ils prononce-
ront à la simple majorité:
7. La loi concernant l'expulsion des Bourbons sera appliquée
à tous les individus de cette famille , ainsi qu'à la veuve d'Or-
léans.
8. Les lois qui prononcent la restitution des biens à ces individus
sont rapportées ; le directoire Itur assignera une pension sur leurs
biens.
9. Les journaux et bs presses qui les impriment, seront pen-
dant un an sous l'inspection de la police, qui pourra les pro-
hiber, en conlttiiniié de l'article 555 de l'acte constitutionnel.
10. La loi relative aux sociétés, s'occupant de questions politi-
ques, est rapportée. *
il. Toute société susdite, dan» laquelle on professera des prin-
cipes contraires à la Constitution de l'an 5, sera fermée, et les
membres qui aui ont émis ces opinions seront poursuivis aux ter-
mes de la loi du 27 germinal an 4.
AD 48 FRUCTIDOR AN Y ( 4 SEPTEMBRE i797). 5â9
i2. Les lois du 25 thermidor, an 5, relatives à la garde natio-
nale, sont rai portées.
13. Le pouvoir de mettre les cooimunes eu état de siège , est
rendu au directoire.
Cliolet, € Quelque grands que soient les dangers que nous
courons, je ne crois pas que douze heures d'intervalle puissent les
augmenter. Je demande que l'on fasse une seconde lecture des
projets, qu'on les imprime celle nuit, et demain on les discutera,
quand ils auront été distribués. » (Murmures.)
Le président, « La proposition est-elle appuyée. » {Plusieun
voix. Non, non.)
Les deux projets sont mis aux voix article par arlicle et
adoptés.
Dans la liste des citoyens à déporter, la commission avait com-
pris Bailly, Bovis, No,^uier-Maiijai, Normand, Doulcet, Tlûbau-
deau , des cinq cents ; Decrécy, Maillard, Personne , Kichoux et
Renusat0 des anciens. ' ^ .
Sur les observations de plusieurs membres , ils ont été effacés
de la liste. — A demain la discussion qui a eu lieu à cet égard.
On venait de faire une prejnière lecture de la liste des députés
à déporter. Savary demande la parole.
Savarij. tt Les militaires qui ont servi dans la Vendée savent
que Normand s'est distingué dans cette guerre, par sa bravoure
et sa bonne conduite. C'est un jeune homme qui a du zèle et de
l'amour propre , mais sans expérience; à son arrivée ici , il a été
circonvenu et séduit par des hoïumes perHdes. { Murmui es. ) Je
dema'ide que son nom soit effacé de la liste , car vo^s ne pouvez
Ty laisser sans injustice. *
Boulay. a J'appuie la proposition; Normand était le rappor-
teur ordinaire de la commission militaire, parce qu'il avait une
bonne voix, et plus d'us ige de la tribune q-ie ses collègues; mais
il a souvent fait des rapports qui n tlaient pas dans sou opinion ,
il me l'a lui-même plusieurs ix)is avoué. Je demande qu on l'ef-
face. >
Tallien, t Si mon témoignage est de quelque poids , j'atteste
Ô6(l DIRECT. — DU 1^1 PRAIK. AN V (20 MAJ 1797)
que Normand s'est parfaitement batlu à Quiberon, et qu'il a mé-
rité l'estime du général Hoche, par sa bonne conduite à la Ven-
dée.»— Normand est etlacé de la liste.
Boulai). « A la vue de la liste que l'on vous présente, vous de-
vez être frappé d'une idée, c'est qu'elle doit être courte et ne ren;
fermer que les chefs du parti; or, ils sont en très-petit nombre ,
et les autres n*ont été qu'égarés ou séduits. (Murmures.) Tous les
membres de l'assemblée doivent proposer des exceptions en fa-
veur de ceux de leurs collègues qu'ils jugeront à propos. Quant
à moi , j'en demande une en faveur de Thibaudeau. (Agitation.
Quelques voix. Oui , oui.) On ne peut reprocher à Thibaudeau
que quelques erreurs dans son dernier rapport. (Murmures.)
Dans les circonstances graves où nous nous trouvons, lorsqu'ils'a-
git de prononcer sur le sort de nos collègues, il faut qu'il règne
ici une entière liberté. Je ne connais point individuellement Thi-
baudeau , mj^ je l'ai suivi dans sa carrière poHiique , et je sais
([u'il a rendu dans tous les teajps les plus grands service à la ré-
volution, et qu'il a donné de fortes preuves de son attachement à
la liberté et à la Constitution. Et ici je ne parlerai que de ce dont
j'ai. été témoin depuis la présente session. Rappelez-vous avec
quelle énergie il arrêta, au 15 prairial, la fougue contre-révolu-
tionnaire qui commençait alors à se manifester, et comme il ré-
pondit au rapport de Taibé sur les colonies, et aux déclamations
de Dumolard. Rappelez-vous avec quelle force il parla contre les
émigrés, dans la résolution qui fut piise à l'égard des émigrés du
Bas-Rhin ; chacun sait qu'il s'opposa vigoureusement à l'adoption
du second article. Dans son dernier rapport , au nom de la com-
mission des sept, Thibaudeau n'a pas exprimé ses véritables opi-
nions. Ce qu'il y a de meilleur dans ce rapport est de lui ; j'y ai
vu les principes d'un vrai républicain ; mais les projets sont d'un
autre. Je demande que Thibaudeau soit rayé de la liste.»
Plusiékrs voix. « Appuyé, o
Hardy. « Je ne veux parler , ni pour ni contre Thibaudeau ,
mais je dois observer qu'il ne s'agit point ici des opinions qu'un
député a émises, elles sont libres; mais bien d'une vaste conspira-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 361
liou OÙ il a pu tremper. Dans une circonstance pareille , la Con-
veniion ne votait pas la réclusion en masse, mais iodividuellement.
Je demande qu'il en soit usé de même, et que le conseil prononce
-individuellement sur le sort de chacun de ceux qui sont portés sur
la liste, après avoir entendu tous les membres qui voudront par-
ier pour et contre.»
Celte proposition est adoptée : l'on donne une seconde lec-
ture de la liste, et le conseil, sans aucune réclamation, pro-
nonce la déponaiion de tous ceux qui y sont inscrits , jusqu'à
Doulcet. *f
«
Duynont du Calvados. t-Oe n'est point aux opinions que [l'on
veut faire le procès dans celte enceinte ; sans cela on détruirait la
liberté, on n'aurait ici qu'un vain fantôme de représentation na-
tionale. Doulcet, par sa conduite, a mérité depuis six ans l'es-
time des vrais patriotes. Je le connais , j'ai été constamment avec
lui ; avec lui j'ai partagé les persécutions de l'aristocratie ; et cha-
cun de nous sait que pendant la Convention , il a montré un atta-
chement inviolable au gouvernement républicain. Dans mon dé-
partement on ne lui pardonnera jamais d'y avoir, le premier, levé
l'étendard de la révolution. Les royalistes se réjouiraient de sa
proscription. On ne peut lui reprocher d'avoir fréquenté aucuns
lieux de rassemblement; il n'a jamais été à Clichy ; il vous l'a
dit à la tribune , et ce qu'il vous a 4it est vrai. Il est resté isolé
chez lui. Je le connais , voilà pourquoi je prends sa défense , et
je lui dois ce témoignage; et si vous le maintenez sur la liste , je
vous déclare qu'il emportera mon estime. »
Hardy : « Le nom de Doulcet se trouve consigné dans les
pièces de Lemaître. Mais rappelez-vous que, lorsque dans le
temps on en lit lecture à la Convention, Doulcet se justiha par-
faitement. D'ailleurs , mes collègues , je n'ai qu'un mot à vous
dire, Doulcet est un des vingt-deux proscrits du 51 mai. Je ré-
clame sa radiation. »
Dubois-Dubai : « Comme Dumont, j'atteste le républicanisme
de Doulcet. Il est bien vrai que j'ai blâmé la conduite qu'il a le-
562 DlKECT. — DU 1er prair. AN V ( 20 MAI 1797)
nue dans ces derniers t^ips; je le lui ai dit à lui-même; néan-
moins je vole pour sa radiation. >
Dumont, « A la {grande époque de la révolution , à la journée
du 10 août et au 20 juin, toutes les aiministraiions départemen-
tales firent des adresses au roi. Celle du Calvados, dont j'étais
membre avec Douicet , imita cet exemple : lui et moi , nous pro-
testâmes seuls contre cette adresse, et nous en fîmes une autre
en sens contraire. Dès lors nous fûmes voués aux poignards des
aristocrates du temps. > |§
Bellegarde, « J'ai été cinq mois en mission avec Douicet , pen-
dant le s\é{',e de Lille, et j'atteste qu'il s'est parfaitement com-
porté, et que ses principes ont toujours été ceux d'un bon et
loyal républicain. J'appuie sa radiation. » . '
Douicet est effacé.
Le président met aux voix la radiation de Thibaudeau : elle est
ordonnée. . s
Maies. € On a voulu écarter les meneurs , mais non les menés.
Bailly est de cette dernière classe. On n'a aucun fait à lui opposer.
Il a prononcé sur les ém grés duBas-Uhin une opinion qu'on lui
a donnée. Dailleurs, et cette considération doit être ici d'un
grand poids, Bailly est un ti-devant prêtre assermenté, qui n'a
jamais voulu rétracter son serment, et en conséquence, il a été
insulté, vilipendé, comme c'était le bon ton de le faire, il y a
deux jours. Je demandé sa radiation. » — Adopté.
Le tour de Decrécy arrive.
TalUtn. « Nous ne connaissons point ce membre. Je demandé
qu'on le fasse connaître. >
Personne ne prenj|nt la parole, Decrécy est effacé. On lit le
nom de Uichoux.
Eudes, c Je réclame en faveur de ce membre, comme moi
député de 1 Eure. Riclioux , dès 8i), s'est livré avec zèle à la ré-
volution ; il a été nommé à la Convention ; et c'est moins à moi
qu'à ceux qui ont été membres de cette célèbre assemblée, de
prononcer sur son compte. Je demande l'ordre du jour sur 'son
inscription. » — Adopté.
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 365
, Labrouste demande une exception en faveur de Duprat. (Mur-
mures. )
Bergoëng. «Je tiens du ministre de la police, Cochon , qui
sans doute n'est pas suspect , que ce petit coquin était le plus dan-
gereux du corps législatif, et que la correspondance qu'il entre-
tenait avec les prêtres réfractaires de son département causait
les plus grands embarras à la police. »
Duprat est maintenu.
On lit le nom de Tarbé.
Eardy. n Je connais Tarbé depuis le commencement de la ré-
volution; je sais qu'il était très-patriote ; j'ignore jusqu'à que^
point il a trempé dans les projets de Clichy ; mais j'observe que
Tarbé est du département de l'Yonne , et qu'aux termes de votre
résolution qui annule les élections de ce département , la sienne
est annulée ; et je crois que son-exclusion du corps législatif se-
rait une peine suffisante. »
Unmembre, « J'ai eu occasion de connaître Tarbé dans plusieurs
circonstances, et notamment à la commission des poudres et sal-
pêtres dont j'étais membre et à laquelle il avait été adjoint. Je
vous assure que dans toutes les discussions qui y ont eu lieu , il a
professé des principes propres à faire aimer la révolution et la
répubique.
c
La radiation de Tarbé est mise aux voix et adoptée.
Un membre réclame en faveur de Siméon. Je ne le connais pas,
dit-il , personnellement; mais ayant eu occasion de travailler avec
lui dans diverses commissions , je lui ai vu professer des prin-
cipes et des sentiments vraiment républicains ; d'ailleurs je sais
*qu'il a acquis des domaines nationaux. »
Le président, cje mets aux voix la radiation de Siméon.» (Quel-
(jues membres se lèvent. ) On ne prend pas part à la délibération.
Bergoëng, <Les mesures présentées par la commission ont été
concertées avec le gouvernement, qui a des pièces où Siméon est
inculpe. >
Salii^cui, Après la prise de Toulon , Siméon a émigré , et il a
resté quatorze mois à Livourne. »
5bi OIKECT. — DU 1" fKAIK. AN V (20 MAI 1797)
Le président met de nouveau aux voix la radiation de Simëo» :
elle est rejetée.
Bonloux réclame en faveur de Boviset Paiihier; «Tous deux,
dil-il , sont imbéciiies ; mais tous deux sont patriotes ; le premier
est père de quatorze enl^us ; le second a cinquante ans passés. —
Ces deux membres sont rayés.
Un membre observe que Noguier-Malijai est un vieillard in-
firme , qui ne supporterait pas le§ fatigues du voyage. — Son
nom est retranché de la liste.
Poula'm-Grandpré. c C'est sans doute par oubli que l'on n'a
pas parlé de Kamel. Mais il est impossible de ne pas le com-
prendre dans la liste ; car il est infiniment plus dangereux que
plusieurs de ceux qui y sont. — Je demande que son nom y soit
inscrit. > — Adopté.
On donne une troisième et quatrième lecture de la liste ; elle
est adoptée , comme nous l'avons donnée p. 536.
Jean Debnj. «Sans doute, toutes les propositions de clémence
sont dans votre cœur comme dans le mien , et j'ai voté pour plu-
sieurs des.exceptions qui ont été proposées. Mais, dans les cir-
constances actuelles , il importe de considérer moins rinléréi
particulier que l'intérêt général ; vous ne devez pas vous exposer
à courir les chances d'une révolution n(^uvelle , ni à retomber
dans l'abîme d'où la sagesse du directoire et le dévouement de
la force armce vous ont tirés. Ainsi , comme en vous présentant
la liste , la commission a eu sans doute des motifs d'éloigner de
France ceux qui y étaient portés, je demande que ceux que vous
avez rayés de celte liste restent dans la république , mais non
pas au corps législatif. >
On réclame l'ordre du jour. — Il est adopté.
Garnier de Saintes. « Tout le monde sait (jue la classe
d'hommes qui a causé le plus de maux est celle des mauvais
journalistes. Ce sont eux qui ont fomenté les haines , exaspéré
les esprits, excité aux vengeances, fait couler à grands flots le
sang des républicains, versé l'ironie, le mépris, l'avilissement
sur le gouvernement actuel. — Je demande le renvoi à la commis-
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). S65
sion des Cinq pour nous présenter contre eux des mesures ef-
ficaces de répression. » — Adopté.
Villers : Je déclare que le renvoi demandé ne peut être fait a
la commission des Cinq, car elle a fini son travail, et elle est
dissoute.» —Le conseil ordonne le renvoi à une commission spé-
ciale. .
Merlin de Thionville. < En combattant avec courage les amis
de la royauté , vous devez frapper également ceux de l'anarchie.
Félix Lepellelier, Antonelle et Amar s'occupent, en ce moment,
à renouer les fils de leurs intrigues. Ainsi, puisque vous dépor-
tez les meneurs de la royauté, vous devez en faire de même à
l'égard de ceux de l'anarchie, — Je demande le renvoi à la com-
mission.
On réclame l'ordre du jour*. — Adopté.
BentaboUe, « Je ne connais pas les renseignemens sur les-
quels le préopinant a fondé son opinion sur Antonelle... » (Plu-
sieurs voix : On a passé à L'ordre du jour. )
Il est minuit, la séance est suspendue. Le conseil s'ajourne au
lendemain à neuf heures. •
Suite de la séance permanente du 19.
Le bruit se répand que les anciens ont adopté les deux résolu-
lions prises cette nuit ; des acclamations et des bravos partent de
toutes les tribunes ; le président les rappelle au respect qu elles
doivent à l'assemblée.
Sur la proposition de Chasal, le conseil déclare que le général
en chef, les généraux sous ses ordres, les soldais citoyens , et
les citoyens soldats ont bien mérité de la patrie.
Chasal. « Toutes les armées de la république l'ont appelée,
cette belle journée du IH fructidor; elle leur appartient, car de-
puis longtemps elles se sont prononcées contre les conspirateurs.
— Je demande que le conseil déclare que dans cette circonstance
elles ont bien mérité de la patrie, et qu'î\ la suite de relie réso-
lution on imprime leurs adresses, o — Adopté.
366 DIRECT. — DU !«»• PRAIR. AN V ( 20 MAI i797)
Chénier. « Je demande l'impression au nombre de si;^ exem-
plaires. > — Adopié.
BailleuL «Vous n*avez point oublié votre arrêté d'hier relatif
aux journalistes. Vous n'ignorez pas combien ils ont fait de mal ;
vous savez qu'ils étaient d'accord avec les conspirateurs et payés
par eux. Dunan le dit formellement dans sa déclaration. — Je
demande qu'il soit envoyé un message au directoire pour l'in-
viter à vous transmettre l€s noms des propriétaires, impiimeurs
et rédacteurs des journaux ; vous les ferez passer à une com-
mission spéciale , yui voiis présentera las mesures convenables.»
— Adopté.
La commission sera composée de Bailleul , Tallot et Garnier
de Saintes.
Bailleul. t La loi d'hier exclut, pendant quatre ans, les pa-
rens d'émigrés, des fonctions publiques. Il est une autre me-
sure à prendre, également forte, et dont l'expérience vous a
prouvé la nécessité. Conire qui a été faite la révolution? Contre
les privilé(]es. H faut donc garantir la révolution de l'influence
des privilégiés. Dans les beaurf jours de 89, lorsque le peuple
français en masse s'élevait contre le despotisme, et conquérait sa
liberté, on a vu bs ci-devant comtes et marquis se tenir cois, et
bien se donner de gai de de favoriser ce mouvement. II est bien
étonnant de voir aujourd'hui ces mêmes hommes occuper par-
tout les fonctions administratives. Pourquoi s'y sont-ils g issés?
pour reconquérir leurs privilèges, et rejeter le peuple dans la
serNitude. Il faut que tout privihgié qui n'a pas abjuré ses pré-
tentions , abandonné ses privilèges, qui n'en a pas fait amende
honorable , soit exclus des fonctions publiques. Ne s*étaieni-ils
pas dontié le mot pour assister aux assemblées primaires, et in-
fluencer les électioris? On les a vus, au sortir des assemblées , se
tenir sous le bras, le visage rayonnant de joie, et se traiter de
M. le comte , M. le marquis. Je demande que ma proposition soit
renvoyée à une commission.» — Adopté.
Les membres nommés sont Villetard , Quirot et Portes.
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797)* 367
Villetard, c J'ai le malheur d'apparlenir à la caste privilégiée.
Je me récuse. »
Duhot, « Barras a appartenu à cette c^te, et il a sauvé la pa-
trie. Je demande le maintien de Villetard à ia commission.» —
Adopté.
Le directoire fait passer le message suivant :
«La journée du 18 fructidor a dû sauver la république et vous.
Le peup'e s'y attend. Hier vous avez vu sa tranquillité et sa joie.
11 demande aujourd'hui où en est la république , et ce que vous
avez fait pour la consolider? Le moment est décisif. Si vous tar-
dez une minute , vous vous perdez avec la Hépublique : les cons-
pirateurs ont veillé la nuit dernière • votre silence a réveillé leur
audace. Les journalistes de Blabkembourg distribuent encore-
leurs poisons; les murs sont encore tapissés de leurs placards iû-
cendftires ; déjà i!s parlent de punir les républicains du commen-
cement de triomphe qu'ils ont obtenu. Et l'on hésite encore à pur-
ger le sot de la liberté du petit nombre de meneurs royiux qui
la souillant. Vous êtes au bord du précipice, vous délibérez pour
le combler ; demain il ne s^ra plus temps. On vous parlera des
principes , on invoquera la justice et l'humanité ; c'est avec ces
mots que les conspirateurs cherchaient à vous endormir, etqu'ils^
ont jeté dans votre sein tous les brandons de la discorde. Peut-on;
balancer entre le sort de quf^lques individus, et celui de la Ré-
publique? Le directoire s'e^t dévoué pour elle, et il a cru que
vous marcheriez sur ses traces. Il vous a dit que vous étiez placés
dans des circonstances critiques, et que vous ne pouviez appli-
quer les règles ordinaires à des cas extr aordinaires. Si vous at-
tendez un seul instant , il faut dési-spérer du salut de la patrie,
^ais si, comme le directoire l'espère, celte idée affreuse vous
contfisteel vous frappe, saisssez le prix du moment, et faites
tout pour assurer le bonheur et la gloire de la patrie. »
Le conseil ordonne l'impress on.
Le président. < On m'annonce que les anciens ont adopté (a
ré>olution d'hier. »
Portes, € Vous venez d'entendre le message ; au moment où le
568 DIRECT. —DU 4^' PRAIR. AN V (^0 MAI 1797 )
directoire s'occupait à le rédi^^er , il i^ynorait que les anciens
avaient adopté la résolution d'hier. Je demande qu'il lui soit faii
im message pour l'inviter à faire exécuter \\ loi dans les vinf^i-
quatre heures. » (Murmures. >
Poulain- Grandpré. c ,]e demande la parole. >
Plusieurs voix, t Ce n'est pas appuyé. »
La proposilion n'a pas de suite.
BailleuL(( Je suis loin decourir après une vaine popularité ; mais
comme personne ne monte à la tribune, je vais faire des proposi-
tions nouvelles. Vous devez aux braves défenseurs de la patr ie des
récompenses et des honneurs. Les premières doivent être hypothé-
quées sur les biens des parens d'émigrés à qui on a rendu les biens.
Les seconds consistent dans'les monuraens à ériger à leur valeur.
Le marbre et l'airain doivent transmettre à nos derniers neveux
le témoignage éclatant de la reconnaissance nationale. La n\e de
ces monumens rappellera les hauts faits d'armes de nos guer-
riers , elle ravivera le patriotisme qui en a été le mobile, elle en-
flammera la jeunesse du désir de marcher sur leurs traces.
«Je demande qu'il soit nommé deux commissions: la première
% chargée de présenter un projet sur les monumens à élever à nos
guerriers; la seconde présentera le mode de liquidation du mil-
liard promis à nos défenseurs. Je ne serai content que quand
j'aurai vu l'invalide qui se promène sur le boulevard, installé dans
sa petite propriété. » — Applaudi et adopté.
La première commission sera composée de Tallien , Guille-
mardcl et Pons ( de Verdun ) .
La seconde, de Borgoéng, Jourdan (de la llaule-Vienne) et
Martin.
Jacomin annonce qu'il a été remis a la commission des inspej
teurs plusieurs lettres adressées aux députés à déporter. — Elles
sont renvoyées au directoire.
Boulmf. « Leprinripal ol»j<^tqui doit exciter votie sollicitude
c'est la restauration dos finnices : l'ancieniîe commission e.a dés-
organisée ; je demande qu'elh» soit r^ nouveh e. >
Plusicui's voir. « Que 1«' bureau la noutH.e. u
Aij 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 369
Guïllemardet, « Depuis lorij^-lemps la commission des finances
ne cherchait qu'à vous endormir sur les bords du gouffre, qui a
lailli vous engloutir. Chaque jour elle venait vous faire des
jérémiades, sur le malheureux sort des rentiers, des fonciion-
naires, des troupes; et que vous proposait-elle? rien, absolu-
ment rien. Elle voulait jeter sur le gouvernement tout TodieuK
de la détresse publique. J'appuie la demande faite d'une com-
mission nouvelle, qui vous proposera les moyens d'assurer la
solde des troupes et le paiement des rentiers et des fonclion-
naires. » Plusieurs voix. Appuyé.
Prieur de la Côte-dOr. « J'appuie le renouvellement de la
commission des finances; mais j'observe que c'est une chose
étrange que d'avoir, comme on a fait jusqu'ici , séparé celte com-
mission de celle des dépenses : les finances se composent de re-
cettes et de dépeases , et il est absurde de les séparer ; il n'y a
pas un ministre des recettes et un autre des dépenses. Il faut en
(aire une seule. > — Adopté. Le bureau désignera les membres
de la nouvelle commission.
Jourdande la Haute-Vienne. « Dans les circonstances acluel-
les tout devient intéressant. Le général Augereau qui a commandé
les troupes , et dont la bonne conduite a sauvé hier la Républi-
que, m'a fait passer une lettre du commandant des Invalides , oii
le conseil trouvera des sentimeus de républicanisme et d'huma-
niié qui honorent les braves vétérans. — L'orateur en donne lec-
ture. Le commandant écrit qu'au premier bruit des dangers que
courait le directoire, les invalides étaient accourus en armes à
sa défense ; et que, comme on avait pas eu le temps de fournir à
leur subsistance, on leur avail distribué une somme de Wl livres
pour y pourvoir, mais que ces braves militaires faisaient hom-
mage de cette somme à la patrie ; en déclarant qu'ds trouvjient
leur récompense dans le bonheur qu'ils avaient eu de contribuer
à la journée du 18. » — Impression et menlion honorable.
Bellegarde, « Je demande que la commission des inspecteurs
fosse rentrer les braves grena ii( rs que le tyran Hamel a chassés
(le ce corps. »
T. XXXVII, -^1
570 DIRECT. — DU i^r pRAIR. AN V (20 MAI 1797)
Pomme.* Toutes les troupes de la Bépublique,ious les bons ci-
toyens doivent être instruits de la manière dont Rarhel a sacrifié
le brave grenadier Leclerc. Je denaande que ce qui s'est passé à
cette occasion soit connu , et que ce brave homme soit fait officier. »
Quirot, «Il ne faut point garder le silence sur la scélératesse de
ces hommes que vous venez de frapper. 11 faut que l'on sache que
l'ancienne commission voulait s'arroger le droit de deslituiion sur
les grenadiers du corps legislaiif , rétablir les cartouches jaunes,
%i renvoyer ainsi les soldats patriotes , tandis qu'elle appelait les
«migres et les égorgeurs. Je demande que la commission des
inspecteurs vous fasse, sur tous ces objets , un prompt rapport,
afin que la France entière sache avec quels moyens les conspira-
teurs voulaient nous ramener à la royauté de 1792. » — Toutes ces
propositions sont renvoyées à la commission.
Chasal, fU existe une loi de suspicion et de sang, qui expulse
de Paris les braves militaires qui nous ont sauvés hier. J'en de-
mande le rapport. »
Jourdan de la Haute- Vienne. < J'aj'puie le rapport de l'art. 0,
que j'ai combattu, car c'est celui qui expulse les olficiers réfor-
més. Quant aux autres articles qui ont pour objet d'assurer leur
solde, je pense que l'inleniion du conseil n'est pas de les rap-
porter. »
Qiùrot. € La résolution dont il s'agit est en ce moment aux an-
ciens. Il suffit, sans doute, que le vœu de ce conseil et des bons
citoyens ail été manifesté, pour qu'il soit fait justice de celte ré-
solution incoLSiiiulionnelle. Attendons la décision des anciens. »
— Adopté.
Fi//tv s. « Vous vous empressez d'effacer jusqu'aux moindres
traces de la conspiration. Les conspirateurs ne négligeaient au-
cun moyen de pervertir l'opinion publique. C'étaient des motions
perfides, des propositions astucieuses et i^con^litutionne!les,
dont le renvoi à d^s commissions était ordonné. Vous ne les avez
point oubliées, et vous vous rappelez que les ré|;)ublic;iins du
conseil ne pouvaient les combattre sans être interrompus par des
murmures et des clameurs.
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 37!
> Parmi les projets qui vous ont été présenfés, en conséquence
de ces pétitions mensongères , il en est deux qui doivent particu-
lièrement fixer toute l'alteniion du conseil. Le premier est celui
de Pavie , qui étoit un chef de brigands, et qui , à la faveur des
dernières élections, s'est introduit dans le sein de la représen-
tation nationale. Ce projet ne tendait à rien moins qu'à faire ren-
trer tous les émigrés de la Vendée, qui ont, dans ces malheu-
reuses contrées, assassiné, égorgé, pillé, incendié, et à leur
accorder une faveur qu'on ne donnait pas à un émigré resté
tranquille à Londres ou à Véronne.
» Le second projet est celui deCardonnel, dont le but était de
faire rentrer un émigré , que l'on présentait comme un artiste
célèbre , qui n'était sorti de Fiance que pour se perfectionner
dans l'art de la peinture. Hé bien ! cet individu est le fils d'un ci-
devant conseiller au parlement de Toulouse qui jouissait de
60,000 livres de rente.
€ Je demande l*' la question préalable sur ces deux projets;
'2P qu'il soit créé une commission pour réviser les arrêtés qui
ont ordonné l'examen de toutes les propositions inconstitution-
nelles qui ont été faites avant la journée du 18 fructidor. »
Pluaieurs voix. « Appuyé. »
Poulain- Grandpré, « J'appuie les deux propositions de Villers,
et pour vous faire sentir lu nécessité de la mesure qu'il vous pro-
pose, je vous rappellerai encore celte pétition perfide de Dumas,
et si vivement appuyée par Dumolard, et dont la conséquence
évidente eût été de rappeler Louis XVI II lui-même; elle avait
pour objet de demander la radiation de Duporiail , sous prétexte
qu'il était contumace. Mais La Fayette était contumace, mais les
princes l'étaient également ; aussi Dumolard demanda-t-il que la
commission nommée fût chargée d'étendre la mesure demandée
par Dumas à tous les contumaces. >
Guillemardet donne ensuite les plus grands développemens
aux observations de ViUers relatives au projet de Pavie.
Les propositions de Villers sont adoptées.
Ol'l DIRECT. — DU l^r PUAIR. AN V (±i) MAI 1797)
Séance permanente de la nuit du 19 au 20.
Jo«rrf«î2.(( Le peuple français veut la République. Le gouverne-
ment la veut , les armées la veulent , vous la voulez , et votre ré-
solution d'hier annonce aux républicains le triomphe de la li-
berté , aux royalistes la lin de leurs complots. Vos ennemis
chercheront à effarer le peuple, à noircir la glorieuse journée
du 18 ; ils diront que vous n'êtes pas libres , et que votre résolu-
lion vous a été arrachée. Il faulque par une adresse au peuple vous
vous attribuiez la portion de gloire qui vous revient de celle mé-
morablti journée, et que vous fassiez connaître aux Français
les perfides complots dcs conspirateurs. Peut-être les ennemis
les plus acharnés de la Constitution vous accuseront de la violer.
Votre réponse est toute prête, la voilà : Vous et vos amis vous
conspiriez contie la liberté, vous vouliez renverser la Républi-
que; vous nous avez forcés de prendre les armes, vous avez été
vaincus sans combat, et vous nous reprochez d'avoir été démens
dans (p victoire, et de vous avoir laissé la vie. — Je demande
qu'une commission soit chargée de présenter dans trois jours un
projet d'adresse au peuple. »
Plusieurs voix. « Dans les vingl-qualre heures. » — Adopté.
La commission sera composée de Jourdan, Riou, Jean Debry,
Syèyes et Laloi.
Dentabolle. « Vous avez une grande lâche à remplir. 11 faut rani-
mer dans les cœurs le feu du patriotisme, rétablir la conHance
(ju'on avait enlevée aux patriotes en les traitant de buveurs de
sang; il faut leur rendre justice, ainsi qu'à toute la nation. 11
faut que cette epocjuc soit celle du bonheur de tous les citoyens.
Depuis long temps il existe dans l'arnede tous les hommes hon-
nêtes de tous h\s partis le flésir de faire rendre compte à tous
los agens de la Republique , à tous ceux qui ont été en mission et
à tous ceux qui ont eu le maniement des deniers publics. Il faut
connaître la source de ces fortunes scandaleuses qui éclaboussent
li's républicains. Loin de moi, néanmoins, la pensée de porter
aiieinle aux propriétés. 3Iais, je le d(Mnande, les deniers de \:\
AU 48 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 575
nation sont-ils le patrimoine de ceux qui les ont volés? Voyez
dans quel état de misère se trouvent les rentiers , les foncûonnai-
res, les soldats depuis la destruction du pi'pier-monnaie, qui,
certes , il faut le dire, aurait fait encore le service, si la malveil-
lance ne l'avait déiruit. Mais , en cela , on savait bien ce que l'on
faisait. Ce n'est pas que je veuille qu'on le rétablisse, mais je de-
mande qu'une commission soit chargée de présenter un moyen
légal de faire rendre des comptes à tous les ogens de la Répu-
blique. >
Poulain-Grandpré observe qu'il existe une commission chargée
d'organiser la comptabilité intermédiaire et arriérée. 11 demande
le renvoi de la motion de Benlabolle à celte commission.
Bentabolle. « Gela ne suffit pas. Il faut faire rendre compte aux
fournisseurs et aux divers agens. Tous les comptes qui ont été
rendus sont fallacieux. Les commis chargés de les recevoir ont
partagé les vols des fournisseurs. >
Le président. « La motion est-elle appuyée? »
Plusieurs voïx. «Non. >
Bergoëng. « Si je voulais paralyser le service, jeler l'alarme
dans les esprits, et chasser jusqu'au dernier écu de la Républi-
que, j'appuierais la motion de Benlabolle. »
Portier (de l'Oise) rappelle les divers projets présentés sur la
comptabilité arriérée , et il assure que les vues de Bentabolle se-
ront remplies , puisque l'objet du travail de la commission est de
faire rendre les comptes. II deinande l'ordre du jour sur la pro-
position de Bentabolle.
Adopté.
Aiidouiiî, I II ne suffit pas d'avoir sauvé la liberté dans la jour-
née du 18 fructidor ; il ne suffit pas d'avoir expulsé du sol répu-
blicain les ennemis de la République ; il ne suffit pas de rappor-
ter des lois grosses de contre-révolution; il ne suffit pas de chasser
des administrations les royalistes hypocrites ; il ne suffit pas d'ê-
tre forts quelques jours, pour retomber en.suilc dans l'apathie :
il faut former une véritable opinion publique, et la substituer à
cette opinion factice, dont on a cherché depuis trois mois à nous
574 DlKECl. — DU lei l'RAlK. AN V ( i20 MAI 1797)
(tiuuvdiv ; sans cela vous aurez fait du bien pendant quelques
heures, et votre ouvrage, fondé sur le sable, s'écroulera au pre-
mier clioc : or, on la formera cette opinion, en fixant les choix
du peuple sur de vrais républicains, et en propageant partout des
institutions républicaines. Je demande qu'une commission pré-
sente un travail sur les institutions sociales qui doivent garantir
Ja durée de la République , en faisant sanctionner son existence
par la venu. » — Adopté et impression.
Les membres de la commission sont: Grégoire, Syèyes,
Roger Martin , Villers et Jean Debry.
Le président annonce l'arrivée d'un message du directoire.
Un secrétaire en donne lecture :
« La plaie mortelle de l'état , y est-il dit, c'était l'embarras des
finances; les conspirateurs royaux avaient travaillé à la rendre
incurable. La résistance ouverte, ou l'ineptie qu'ils opposaient
sans cesse aux demandes du directoire , a décelé surtout leur pro-
jet d'anéantir le gouvernement républicain, et de rétablir la
royauté. Voulez-vous guérir tous les maux, ranimer le crédit
public, assurer la paix intérieure et extérieure? Prouvez à la
France, au monde entier, que vous voulez la République, en
donnant au gouvernement les ressources nécessaires pour faire
face à tous les besoins du service. Prenez des mesures sages en
finances , et laissez les détails au directoire. Ce n'est pas un ac-
croissement d'iiifluence et d'autorité qu'il demande; il ne veut
que pouvoir activer le service. Il ose insister sur ce point; c'est
qu'on ne pourra croire à la République, c'est que la Républi-
que ne sera véritablement sauvée , que lorsque le corps législatif
aura régénéré les finances.
» Pour y parvenir le directoire propose : 1<> de régler sur-le-
champ les contributions de l'an VI ; 2» d'exiger des receveurs de
département, des soumissions sur les revenus à percevoir;
5^ de modifier les droits d'enregistrement sur les mutations, de
les augmenter sur les successions collatérales ; 4<* de rétabfir la
loterie nationale ; 5<* d'adopter un droit de passe sur les grandes
roules; 6<» d'établir un droit d'un centime sur chaque feuille de
AL 18 FRUCTIDOR AN V (4 bEPTEMBRE 1797). 575
papier, ou carton fabriqué en France , et du double en cas d*ex-
portaiion ; 7^ de mobiliser la dette publique en biliets au por-
teur, lesquels seraient reçus comme numéraire, en paiement des
domaines nationaux. »
Renvoyé à la commission des finances , qui sera composée de
Lamarque , Bertrand , Fabre ( de l'Aude), Martin , Viilers , Mon-
not et Dubois (des Vosges).
Suite de la séance permanente du 20.
L'on fait lecture d'un message du directoire conçu en ces ter-
mes : < D'après les mesures grandes et énergiques que vous avez
adoptées pour sauver la République et assurer son repos, deux
places se trouvent vacantes dans le directoire exécutif. Nous vous
invitons à pourvoir au remplacement des deux membres qui ont
cessé d'en faire partie. La Constitution le commande, et tout
doit prouver qu'ici le corps législatif et le directoire n'ont rien
fait et ne feront rien que pour la sauver.
» Nous n'avons pas besoin de plus longues observations. Déjà
vous avez senti combien il importe que vous vous occupiez
promptem^nt de cet objet, pour maintenir le repos de la Répu-
blique , inspirer la confiance à tous les citoyens, et fermer la bou-
che à tous les partis. Nous le demandons avec* empressement,
parce que, incapables d'être aveuglés par les égaremens d'une
ambition qui nous fut toujours étrangère, nous sentons tout le
poids du fardeau dont nous sommes chargés. »
Poulain- Grandpré. t Je ne vous rappellerai point les causes qui
ont fait vaquer des places dans le directoire exécutif; je vous in-
viterai seulement à vousoccuper incessamment de l'objet du mes-
sage. L'un des deux membres que vous avez à remplacer, Carnot,
pouvait sortir du directoire l'année prochaine; Barthélémy, au
contraire, a été nommé pour cinq ans. Il f^iut donc d'abord pré-
senter aux anciens une liste décuple pour la nomination du suc-
cesseur de Carnot. Ensuite vous vous occuperez du remplace-
ment de Barthélémy. »
576 DIRECT. — r)U l<^i I»RAIR. AN V ( î20 MAI 1797)
Le conseil adopte la proposiiion , et il arrête que demain il sera
procédé par liste dé;:uple au ''emplacement de Carnot.
La discussion s'ouvre sur l« projet anciennement présenté par
Lamarque sur les suspensions et annulations de ventes de biens
nationaux , prononcées par le ministre et le directoire.
La'.oi examine ci'une manière particulière ce qui concerne les
cbevaliets de Ma'te. Ces individus ne doivent point être considé-
rés comme étrangers et traités comme tels, mais ils sont Français,
et en celte qualité on doit les regarder comme émigrés, s'ils ne
se sont pas conformés aux lois qui leur sont relatives. L'oraieur
en conclut que les ventes laites de leurs biens sont valides. 11 de-
mande la question préalable sur toutes les pétitions tendant à
exempter les biens de l'ordre de Malte, de la vente ordonnée par
la loi. — Impression.
Bentabolle demande la réunion des deux commissions de l'an-
nulation des ventes des domaines nationaux, et de celle relative
aux chevaliers de Malle, et le renvoi des observations de Laloi à
celte commission. — Adopté. V
Un secrétaire donne lecture du message suivant :
« Le directoire exécutif vous transmet les pièces qu'il vous a
annoncées dans son message d'hier, comme prouvant qu'Imbert-
Colomèsa été à Lyon le principal agent de celui que les émigsés
et leurs infâmes. partisans qualifient de roi.
» Ces pièces font partie de celles qui ont été saisies en bru-
maire , an IV, sur les frontières du département de l'Ain , et (juc
le marquis de Bési;;nan faisail introduire on France par un en-
fant qu'il suivait à cinquante pas.
» Vous remarquerez qu'Imbert-Colomès n'y est désigné que
par le simple nom de M. Imbcrt. Mais la preuve que le nom s'ap-
plique à Imbert-Colomès lui-même, c'est qu'il s'est trouvé dans
le portefeuille qui contenait ces pièces, une note qui qualilie
d'awtie» échevm de Lijou , ce M. Imbcrt avec lequel Bési{[nnn
cherchait à établir ses relationj^. Imberi-Colomès a été, en effet,
échevindc Lyon, et l'on ne connaît aucun autre individu de ce
nom qui l'ait été.
AO 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 577
«Le directoire exécutif croit devoir joindre à ces pièces une let-
tre écrite à Bésignan , et dans laquelle en est insérée une autre de
l'émigré Flachlanden , adressée au même , le 10 août 1795. Cette
pièce est remarquable en ce quelle manifestele plan qu'avaient
dès-lors conçu les chefs des royalistes, de diriger toutes leurs
manœuvres vers la corruption de l'esprit public, en la préférant
même à la force ouverte que Bésignan avait cherché à déployer
dans les départemens qui environnent Lyon. *
Le président annonce que la lecture des pièces durera deux ou
trois heures ; en conséquence , elle est renvoyée à la séance de ce
soir qui s'ouvrira à six heures.
Jean Debry fait lecture de l'adresse aux Français , sur la jour-
née du 18 fructidor. Elle est adoptée au milieu des plus grands
applaudissemens. — Elle sera imprimée au nombre de duuze
exemplaires.
Séance permanente de la nuit du 20 au 21.
Bailleuly au nom de la commission des journalistes: «Lorsque
la France , constituée et couverte de gloire , marchait au calme
et au bonheur , détruire ces espérances et chercher à !a replonger
dans de nouveaux malheurs, c'est un crime horrible, qui exige
une punition é.latante. Les chei^ de cette infâme complot sont
coupables ; ceux dont ils se sont servis ne le sont pas moins.
Leur existence accuse la nature; elle compromet le salut et le
bonheur de plusieurs millions d hommes. Vous entendez que je
vous parle ici des journalistes conspirateurs, lis ont été le fléau de
la république; ils ont prêché , soufflé dans tous l'es cœurs l'insu-
bordination aux lois, la destruction de toute morale et des répu-
tations les mieux établies , la soif des vengeances, l'exaspération
d^s haines*, l'horreur pour la république, le désir criminel de la
royauté; ils ont constamment travaillé à la dissolution du corps
social. Voilà leurs crimes; leur audace a été poussée à un tel ex-
cès, qu'ils ont osé s'en faire gloire. Aux preuves de ce que j'a-
vance et qui fourmillent dans leurs écrits, j'ajoute !e téuioigna{;c
du chef des conspirateurs royaux , de Du vcrnc-Depreslc. « Vous
578 DIRECT. — DU 1er praIR. AN V ( 20 MAI 1797)
•) sentez , dit-il âans sa déclaraiion au directoire , que nous avons
» payé plus d'une brochure, fait insérer plus d'un article dans les
» journaux, et payé plus d'un journaliste. > Ce crime , je le ré-
pète, mérite un châtiment prompt. Quel sera-t-il? Qui le pro-
noncera? Ces quesiions ne doivent souffrir aucune difficulté. 11
faut purf][er , avec la rapidité de l'éclair, le sol de la République,
des ennemis qui ont conspiré sa ruine. Depuis trois mois la cons-
titution est violée ; tous les actts de ces malheureux l'attestent :
ils al'aient anéantir jusqu'au nom et l'apparence de républicain;
en les frappant , vous ne violez point la constitution , vous l'af-
fermissez. Nous ne devons reconnaître de principes que ceux
qui conservent. Or, ici h constitution a été attaquée. Il n'y a de
moyens légitimes pour la défendre que ceux qui anéantissent les
conspirateurs. Tout paraît tranquille autour de vous; mais le
crime s'agite duns l'ombre. Frappez les criminels , et rendtz aux
républicains le repos et le bonheur.
< V'oicile projet que je suis chargé de vous présenter :
» Art .l^"*. Les propriétaires entrepreneurs, les directeurs, au-
teurs , rédacteurs et collaborateurs des journaux dont les noms
suivent (il y en a cinquante-quatre) , seront déportés dans le lieu
qui sera désigné par le directoire;
»2. Leurs biens seront séquestrés, et la main levée du séquestre
ne leur sera accordée qu'àla nouvelle authentique de leur arrivée
au lieu de leur destination ;
« 5. Le directoire est autorisé à leur fournir des secours. >
Plusieurs ïnembres : Aux voix , aux voix.
Salicetù. « La mesure qu'on vous propose serait incomplète et
inutile, si le gouvernement n'a pas le droit de faire des visites
domicilijtires, pour atteindre les coupables. Je demande que ce
droit lui soit accordé. »
Poulain'Grnndprc. « La proposition de Salicetti est juste ; je
l'appuie, et je demande que les visites domiciliaires se fassent
aux termes de la constitution. >
Julien Souhait. « La question est importante, puisqu'il s'agit ,
par des visites domiciliaires , de jeter l'alarme parmi les citoyens»
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 579
Le conseil peut adopter celte mesure , mais je pense qu'il ne doit
pas le f jire sans connaître les dispositions prises par le gouverne-
ment. (Murmures. ) Si lui-même vous demandait cette mesure ,
vous pourriez la décréter. Mais puisqu'il ne le fait pas , je crois
que c'est le cas de passer à l'ordre du jour.»
TaLot, «Je ne sais pas ce que c'est que des représentans que le
gouvernement doit mener par la main. Est-ce que, pour prendre
des mesures, vous avez besoin qu'il vous trace votre marche?
Celle qu'on vous propose est nécessaire. Les journalistes ont fait
tant de maux , que le jour est enfin venu de les en punir. Prêtez,
l'oreille ; écoutez les mânes plaintives de tant de patriotes égorgés
par les journaux. Est-ce bien ici le lieu de raisonner comme un
juge de paix le fait dans les cas ordinaires? Pour qui vous pro-
pose-t-on des ménagemens? Pour des scélérats qui n'avaient dans
le cœur que haine pour la République , et dans la bouche que ces
mots : « Mort aux républicains. » Quoi ! parce qu'un homme se
cachera , l'homme de la loi ne pourra le prendre dans le lieu de
sa retraite? Votre mesure serait ridicule.
» Je l'ai dit, et je le répète, nous marchions entre la potence et
la guillotine. Si nos ennemis eussent triomphé, ils n'eussent pas
suivi à notre égard toutes ces formes qu'ils réclament eux-mêmes;
tous nous eussions péri par la corde ou sur l'échafaud. Moins
cruels, nous ne voulons pas de leur sang ; mais au moins faisons
en sorte que la peine qu'ils ont méritée leur soit infailHblement
appliquée. Je demande que la proposition soit adoptée. >
Mille applaudisseraens parlent des irib mes.
Le conseil arrête que , pour l'exécution du premier article, il
sera fait des visites domiciliaires, aux termes de la constitution.
Gandin. « La série des journalistes à déporter, qu'on nous pré-
sente, me paraît un peu forte. 11 est impossible d'en retenir les
noms à une première lecture j je demande qu'on en fasse une se-
conde, et qu'on aille ensuite aux voix sur chacun d'eux. > —
Adopté.
On fait lecture de la liste.
Un membre^ « Je ne fais point l'apologie de tous les journa-
580 DIRECT. — DU ler pr^jr. AN V ( 20 MAI 1797 )
listes , mais il en est quelques-uns qui sont bons, et qu'il est de
la justice de ne pas proscrire. Dans ce nombre , je range le jour-
nal du soir des frères Chaigneau. Je demande qu'il soit efface
de la liste.»
BailleuL « J'y consens. Le nom de ce jour nal est effacé, »
Desmolin. < Je trouve un vafjue singulier dans le premier ar-
ticle. Qu'enlend-on par le terme de collaborateurs? Veut-on par
là condamner à la déportation, pêle-mêle, tous ceux qui con-
courent à un journal , comme le prote, les ouvriers imprimeurs,
etc. (Une voix des tribunes : Tant mieux.) Une voix dit tant
mieux , et moi je dis tant pis. De plus, je vois ici une longue sé-
rie de journaux. Cela jsuppose que tous ont été payés, que tous
étaient contre-révolutionnaires; la commission sans doute le sait.
Quant à moi, je n'en ai aucune preuve, et je ne peux prendre
part à tout cela. Je dis donc que cette définition est trop vague ;
que l'on frappera l'innocent avec le coupable. Je demande le
renvoi du projet à la commission.» (Murmures. )
Bourshi. < Si vous adoptez le mot de collaborateur, vous allez
comprendre dans la peine terrible de la déportation une foule de
citoyens; on l'appliquera aux marchands de papier. (Murmures.)
Je ne vous ai cité cet extrême que pour vous faire sentir le ridi-
cule et l'arbitraire du terme employé. Je vais plus loin , les pre-
neurs de notes qui assistent à nos séances, et qui n'ont aucune
part aux autres articles, voulez-vous aussi les déporter? {Vne
voix. Oui, ce sont des coquins.) Je demande qu'on ôte le vague
qui règne dans cette rédaction. »
Engcrranci. c Pour simplifier h rédaction , je pense qu'il faut
retrancher le mot de collaborateurs. Ceux qui ont fourni de mau-
vais articles, sont coupables, et doivent être punis ; mais punirez-
vous ceux qui en ont fourni de bons? Quant aux rédacteurs, il
n'en est pas de même, ils ont reçu les articles bons et mauvais...
( Une voix. Dites , et l'argent aussi. ) et ils sont coupables d'avoir
inséré les derniers. Je demande la radiation du mot collabora-
teur. »
Plu^^ieurs voix. « Appuyé. >
AtJ 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 581
Bailleul, « La commission n'a point entendu comprendre les ci-
toyens qui ont fourni des articles aux journaux. Il faut supposer
à ceux qui exécutent les lois , un peu de bons sens. (Murmures.
Une voix. Il faut que les lois soient claires.) Au reste, on ôtera le
mot collaborateur. »
Le mot est retranché.
On discute les journaux les uns après les autres.
Maies, t J'ai entendu nommer dans la liste de déportation , le
Républicain français. Je demande quel est ce journal? Est-ce ce-
lui qui est signé Cliazot^ Emmanuel BrosselarU ? ( Une voix. Oui.)
Dans ce cas-là, j'en demande le renvoi à la commission. >
Talot. € Autant j'ai mis de chaleur à poursuivre les mauvais
journalistes, autant je montrerai d'empressement à défendre les
bons. Je demande l'ordre du jour sur ce journal, car enfin il n'est
pas mauvais. »
Le Républicain français est effacé de la liste.
Gomaire. < Le Mercure est dans la liste , mais j'observe qu'il
s'imprime chezCussac^ qui ne sait pas lire, et qui certes n'est pas
un contre-révolutionnaire. Si on a inséré dans ce journal quelques
mauvais articles, il n'y a aucune part. Je demande l'ordre du
jour. »
Quirot. t J'ai à citer un fait bien extraordinaire , qui jettera
un grand jour sur les journalistes. Jamais il n'y a eu deux jour-
naux plus opposés en principes, que le Mercuraet le Révélateur.
Eh bien! lisez leurs séances , elles sont exactement les mêmes. »
Pomme. « Il n'y a là rien d'extraordinaire. Les preneurs de
notes en fournissent à plusieurs journaux à la fois ; ensuite le ré-
dacteur en chef les adapte à son journal. Au reste , je connais
Cussac, c'est un imbécille, mais un hoanéte homme. Je demande
l'ordre du jour. — Adopté.
Le Mercure est effacé de la liste. On continue la lecture.
Tallien. « Je viens d'entendre nommer le Journal des Specia'
des. Je ne le connais pas. Mais renfeimel-:l des articles conire-
révolutionnaires? [Bailleul. Je ne l'ai pas lu.) Dans ce cas-h\ j'en
demande le renvoi à la commission. > — Adopté.
382 DIRECT. — DU l^f PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
Quirot, € Si je ne consultais que les senlimens d'indignation si
naturels à un homme qui a été violemment froissé parles journa-
listes, certes, il n'est personne ici qui fût p'us que moi porté à
voter contre eux des mesures rij^oureuses. Mais il est évident que
celles que Ton vous propose sont injustes et forcées. Comment
se décider à proscrire en masse quatre-vingts journalistes, tandis
qu'il suffisait d'en frapper dix ou douze? Et je suis bien convaincu
que parmi ces derniers U en est quelques-uns que les Anglais sa-
larient, tels que Suard. Quanta celte foule de folliculaires qui
exercent ce métier pour vivje, ce serait en vérité leur faire trop
d'honneur, que de les comprendre dans une mesure générale. La
mesure paraîtra inju^te aux yeux de tous les bons citoyens ; elle
ne frappera que sur les hommes ignorans et bornés, les autres
se sauveront. Je demande que l'on se réduise à une douzaine.»
Gandin et Boulay appuient ces observations , et ils demandent
le renvoi de la liste à la commission , afin qu'elle ait à faire un
triage.
Bailleul. c La commission a pris connaissance de tous les jour-
naux dont elle vous a présenté la liste. Elle les trouve tous mau-
vais, et elle n'a aucun triage à faire. > (Une voix. Tenons-nous-en
à ceux désignés dans l'arrêté du directoire.)
Le conseil consulté passe à l'ordre du jour sur le renvoi de la
liste à la commission.
Blad. < Beaucoup de nos collègues ne veulent pas voter sans
conn:iissance de cause. Je demande que la liîste soit imprimée et
discutée vingt-quatre heures après la distribution. Pendant ce
délai, les journalistes ne feront pas grand mal, et la peine qu'on
propose de leur infliger est assez grave pour y réfléchir sérieu-
sement. » — Uejeté par l'ordre du jour.
On continue la lecture de la liste ; le secrétaire nomme l'His-
torien.
Plusieurs membres. < Aux voix, aux voix. »
Quelques voix. « Le renvoi à la commission. »
Beilegarde, « Si l'on renvoie celui-là , il faut les renvoyer
tous. >
AU i8 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 4797). 385
Boulay, c II est possible que jesoisdansl'erreur; mais j'aides ob-
servations importantes à faire au conseil sur t' Historien. Jt lepriede
vouloir bien les entendre. J'ai lu ce journal, et j'y ai trouvé d'excel-
lensarliclessurles clubs, sur les prêtres. Quelquefois, il est vrai, la
tournure de l'auteur est épigrammatique ; mais je ne crois pas que
ce soit un motif de le déporter. J'y ai vu encore un grand nombre
de morceaux relatifs aux divisions qui s'étaient élevées entre les
autorités constituées, et ils m'ont paru fdits dans les bons prin-
cipes , et dictés par un très-bon esprit ; il en est même plusieurs
qui étaient dans le sens du directoire. Ce n'est pas par quelques
traits epars qu'il faut juger les hommes , mais par l'ensemble de
leur vie. Ce sont les lumières qui ont amené la révolution, et Du-
pont (le INemours a contribué à les répandre par son excellent
ouvrage des Éphémérides du citoyen. D'ailleurs, il s'agit ici de la
peine de déporiation : voudriez-vous en frapper un vieillard de
soixante-dix ans? Je demande que L'Historien soit rayé de la
liste. 1
Plusieurs voix. « Appuyé. »
Tallien. « S'il ne s'agissait ici que d'un journal insi^.nifiant, je
ne prendrais pas la parole. On connaît mon opinion sur les jour-
nalistes; je veux leur liberté entière, quoique je. n'aie pas à me
louer d'eux, et que je ne sois pas leur enfant jjâié. Q ant à CHis-
torien^ il ne doit pas êire rangé dans la classe des journalistes vul-
gaires; son influence a été prodigieuse; lui seul a causé plus de
mal queles auires, parcequ'àl'iijfluence du talent pour la discus-
sion, il joignait les sarcasmes sur les personnes et les insiii niions,
et les tournait en ridicule. C'est cet homme dont Turgot disait
qu'il avait beaucoup d'esprit, mais point de jugement; c'est cet
homme qui vou'ait rétablir l'ancien régime, et qui, en ce moment
proteste le plus contre la révolution actuelle ; c'est lui qu'on veut
excepter ! Je ne parle pas du compte qui est rendu des séances
dans l'Historien; cet ouvrage est celui de citoyens estimables à
tous égards que je me garderai bien de confondre avec Dupont.
Au reste, puisque vous adoptez une mesure aussi rigoureuse con-
tre une foule de journaux insignilians, je ne conçois pas comment
584 DIRECT. — DU !«•* PRAIR. AN V ( 520 MAI 1797 )
VOUS pouvez pas faire grâce à celui-là, qui est inlinimeni plus dan-
gereux. Je demande l'ordre du jour sur la radiation de la liste.»
Cliénier. c J'appuie les observations de Boulay; je suis loin
d'atténuer les torts de niïstorien. Quelques-unes de ses opinions
ont contristé les vrais républicains. Mais celles qu'il a émises bur
certaines matières sont parfaitement conformes aux principes; je
n'en citerai pour exemple que ce qu'il a écrit. sur les opinions re-
ligieuses; il a, à cet égard, proi^ssé les leçons de la plus saine
philosophie. Devons-noas traiter avec la même rigueur des hom-
mes qui ont lait des fautes, commis des erreurs , et ceux qui ont
commis des crimes. Sans doute, vous devez avoir des égards pour
un vieillard de près de quatre-vingts ans, amideTurgot,etqui,
dans l'assemblée constituante, a constamment soutenu la cause de
la liberté. — Je demande au moins le renvoi à la commission. »
Taiiieyi. c Je demande à citer un fait, chacun sait que Dupont
a dit au conseil des anciens : Nous sommes ici le coupe-téte du
directoire. »
On réclame le renvoi à la commission. — Adopté.
Le secrétaire continue la lecture : Il nomme la Tribune pu-
blique.
Quelques voix.t Renvoyez a la commission. »
Chamborre. c II ne faut pas connaître la Tribune publique \)Ouv
en demander le renvoi; mais je pense (jue sou maintien sur la
liste ne fera pas de difficulté, quand on ï>aura (jue ce journal a
fait les dernières élections. »
Une fouit de voir. « Appuyé. >
La Tribune publique est conservée sur la liste.
Vient ensuite le Messager du soir.
Tallien. < Je ne veux pas prendre ici la défense du Messager
du soir. Mais j'observe seulement (]ue ce journal porte deux si-
gnatures; celle de Langlois pour la partie des variétés, (t celle de
Lunier pour la rédaction des séances. Je demande si rinleniion
de la conmiission est de les renfermer tous deux sur la liste ; je
crois qu'il serait injuste defrapjier de la p'-ino de déporiaiion le
signataire d'une séance. »
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ), 385
BailleuL a La commission n'a pas entendu comprendre lespre-
neurs de notes, à moins qu'ils ne soient rédacieurs de tout le jour-
nal. Ce!a ne peut souffrir de difficuité. >
Il sera fait mention de cette déclaration au procès- verbal , et le
Messager du soir est conservé sur ia liste, sans néanmoins que la
peine de déportation frappe sur le sif^naiaire de la séance.
Après quelques débats, la liste est adoptée comme il suit :
Lhte des Journaux dont les propriétaires , auteurs , etc, , seront
déportés.
•
Le Gardien de la Constitution ; le Journal général de France;
celui des Colonies; le Journal des Journaux y à Bordeaux; llnva*
riable; i Impartial, qui s'imprime à Bruxelles ; l'Impartial bruxel-
lois; le Grondeur; la Gazette universelle; la Gazette française;
l'Europe littéraire; VEclair; iÉclio; le Déjeuner; le Défenseur
des vieilles institutions ; le Cri public ou le Journal des Frères et
AmiSj par Vasselin ; le Courrier républicain; le Courrier extraor-
dinaire ; le Courrier de Lyon , par Pékin ; le Censeur des Jour-
naux; l'Aurore; l'Anti'terrorisle, 'd Toulouse; l'Accusateur pu-
blic; les Actes des Apôires; les Annales ca hoUques; C Argus; le
Véridique; la Tribune publique; le Thé; le TableaM de Paris; le
Spectateur dulSqrd; les Rapsodies; la Quotidienne ; le Précurseur ;
le Postillon des armées; le Petit Gautier; Perlet ; l'Observateur de
l Europe , à Rouen; les Nouvelles politiques^ nationales et étran-
gères ; le Miroir ; le Messager du soir ; le Mémorial.
:\oms des Journaux mis sur la liste par la commissiouy et dont la
radiation ou le renvoi a été prononcé.
.inalifse des Journaux; Journal des Dames; l'Historien; le Hé'
publicain français; le Mercure universel; Journal des spectacles ;
Courrier des départemens; Correspondance poUtique et Ultéraire ,
rue AlontO'guel; le Belge français; l'Auditeur national; l'A-
bnile ; Annales universelles ; Gazette des départemens; I^orte-
fruill^; De Tout un peu; Tahlean du la France et de Œuro}if .
t XXWÎÎ. 2'»
386 DIRECT. — DU i» PïlAIR. AN V (20 MAI i797).
Journal du soir y des frères Chaig^neau ; Journal de France poli-
tique et littéiaire, rue de Cliariiv s.
Bail eul. i J'observe qu'en rendant compte des projets de fi-
nance contenus au message d'hier, les journaux ont dit que Ton
voulait mobiliser la deite publi(]ue. Celle nouvelle a j«'té l'alarme
dans Us esprits, les fonds [.ublics ont baissé. On a cru que par ce
mol l'on voula t faire entendre que le but était de ftiire un nou-
veau pa îer-monnaip, il n'en est rien ; et je crois qu'il suffit, pour
tranquilliser le public, que les journaux répètent celte déclara-
tion. »
La Séance est levée.
Séance permanente du 21.
Sur la proposition de Ron;er-Martin, le conseil nomme, pour
compléter la commi^sion d'instruciion publique, Moriier-Duparc,
Go iiaire (tSainth^rent; et pour former la coinnii^sion miliiaire,
Savary, Talot, Portes, Joseph Martin, Jourdau, Ludol, E6cllas^é-
riaux.
On lait lecture des pièces relatives à la conspiration. 11 résulte
de trois leires adrosées au marquis de*Moniesson,au prince de
Cojdn, que 31. Imuert-Goloinè^ était le principal agent d«
Lou s XV 111 a Lvon.
On procè le au scrutin , par liste décuple , pour le remplace-
ment de Bai iliélemy au directoire.
Adresse du corps législatif aux Français.
« Nous vous devons la vérité, nous allons vous la dire. Une cou-
spiration, toujours dév<»i!eeei jamais déiruiie, avait ai. eue 1 gou-
vcriieirient sur le bord de labî-ne. Encore une nuit, et une nuit
é^erntlle couvrait la pnlrie, et le trône était relevé sur le cada- •
Yre des rcpubli. ains. Les pièces saisies sur les principaux ag'ns M
du royali&m^ prouvent l'élt-ndue de la conspiration. Ils cojnp- "
laient aur la misère du rentier et du soldat, sur des tribunaux
vendus à la royauté.
> C'e^i telle sociclé cachée qui a peuplé les adminislratioBS ei
AU 18 FRUCTIDOR AN V { 4 SEPTEMBRE 1797). 387
les fonctions publiques d'émigrés et de fanaiiques. S'établissani
eux-mêmes juj^es de leurs propres élections, ils ne pouvaièal
qu'arrach^-r toutes les pbces aux amis de la liberié.
> En floréal , la puix souriait à la France, le rentier voyait le
terme de ses maux ; mais les machinations des monstres qui vou-
lurent renverser la Républiiiue ont bientôt déiruit ces douées
espérances. On s'honore U'étre royaliste, ime séparation s'éta-
blit entre les royalistes et les républicains; les seconds sont irai*
lés de séditieux , tt les premiers se disent seuls les représemans
du peuple.
•Une j'iie féroce trahit le secret des conspirateurs ; mais l'évé-
uement trompa leurs espérances. Vous connaissez, Fançiis, le
résuliat de 1 immoitelle journée du 18 fructidor. Mjîs en fiap-
pant des conspirateurs , le corps lé{jislatif n'a pas oublié qu'il re-
présentait un peuple généreux ; aucune trace de sang n'a souillé
celte journct^. La conduite sage de l'ai mée prouve combien était
coupable la horJe de leurs calomniateurs.
» Citoyens de toutes U s classes, la méchanceté cherchera a vous
égarer, mais serrons-nous tous autour de la Constitution , sou
esprit et sa lettre ne doivent pas éire sépares. Le corps légi>latif
va s'occuper de la restauration des finances, des récompenses
promises aux défenseurs de la patrie. La paix surtout, la ptix
sera le premier objVt de ses soins. L'unité d'aci^on e>t rétablie
entre les deux grands pouvoirs : notre vie tout entière est dé-
vouée au triomphe de la K« publique : nous ne vous jurons point
delà perdre en combattant toutts les faciions^ mais notts nou&
jurerons de les vaincre. »
Liste des départemens dont Les élecùons sont déclarées nulles.
Les opér.itionsdes assemb ée< primaires, communales et é'ec-
loraes d^'^ dépai temens de l'Ain , l Arde. he, l'Arriége , l'Aube,
rAveyroi«,Buucnes-du-Rhùnp, Calvados, Chai ente. Cher, Côte-
d'Or, Côles-du-Nord, Dordogne, l E «re, Eure-ei-Loir, Gif onde,
Hérault, lUe-ei- Vilaine, Indre-et-Loire, Loire, Haute Loire,
l^oirelnféiieure, Loiret, Manche, 3]arne, Mayeune, Mont-
m
588 DIRECT. — DU 1"* PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
Blanc , Morbihan , Moselle, les Deiix-Nèthes , Nord , Oise , Orne,
Pas-de Calais, Puy-de-Dôme, Bas-Rliin, IlauiRhin, Rhône,
Haute-Saône, Saône-ei-Loire, Sarthe, Seine-et-Marne, Seine-
et-Oise, Somme, Tarn, Var, Vaucluse, Yonne, Seine-Infé-
rieure, Seine, sont déclarées illégitimes et nulles.
— La séance se terniina par l'élection de deux nouveaux di-
recteurs destinés à remplacer Barthélémy et Carnol. Ce furent
xMerlin de Douai et François de Neufchâteau.
Nous compléterons ce compte-rendu par un rapport de Bailleul
sur la conspiration royaliste, rapport qui ne fut lu que six mois
après, mais que rien cependant ne rattache au récit qui doit
suivre.
Rapport au conseil des cinq-cents sur la conjuration du \H fruc-
tidor an V, fait par J.-Cli. Bailleul au nom d'une commission
spéciale. — Séance du 26 ventôse an VI ( \6 mars 1798). —
Membres de la commis\ion : Chazal, Poullain-Grandprey, Lu-
minay, Gay-Vernon , Jean Debry, Hardy, Bailleul.
« Beaucoup de tentatives ont été faites pour rétiibiir
» le tiône ; rien n'a découragé les royalistes. »
Déclaration de Duverne de Preste, agent du
prétendu roi.
€ Citoyens représentans , vous avez chargé une commission de
faire un rapport sur la journée du 18 fructidor an V. Je viens
en son nom vous présenter le résultat de son travail et de ses re-
cherches.
» L'historique des faits qui ont précéJé et accompagné celle
journée prouver.iit la né essité des mesures qui furent prises
alors; mais votie commission croirait avoir mal saisi votre inten-
tion si elle so présent.iit pour apporter des preuves, pour fournir
des justifications. Vos résolutions n^^ furent pas provisoires , et
l'incertiiudc n'accompagna point ces act^s, bin plus indulgens
qu'ds ne furent se ères, dins une catnstrcphe où les \iciimes
désignées prévinrent parleur courage cl leur dévouement les
oitaques des conspirateurs, et déjouèicnt la conjuration.
V On ne cherche. point à prouver la lumière, on analyse les
m
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 389
parties dont elle se compose ; on observe ses accidens , on dé-
montre ses propriétés. C'est ainsi que nous remonterons aux
premiers mobiles de la conjuration , que nous suivrons sa mar-
che, ses dcveloppemens , et que nous apprécierons s^-s effets.
L'expérience du passé est la plus puissante Uçon pour l'avenir,
et vous avez voulu présenter à la réflexion tous les faits épars
qui constituent, sous le rapport de l'attaque et de la défense,
un événement sur lequel est irrévocablement fondée l'existence
de la République.
» Votre commission se fût acquittée plus tôt du devoir que
vous lui avez impo^^é; mais de nouvelles pièces successivement
découvertes, et dont des mesures de police einpêcliaient l'entière
communicaiion, nous ont anéiés jusqu'à ce moment. Nous
n'eussions pas fait en quelques jours un travail qui eût exigé un
temps bien plus considérable pour être di^^ne de son objet, si
l'approche des assemblées primaires et électorales ne nous eût
fait sentir l'indispensable nî|essité de mettre sous les yeux des
citoyens le tableau des intrigues qui préparèrent les opérations
des dernières assemb'ées, et d^s crimes qu'ont enfantés de mau-
vais choix, afin de les prémunir contre de nouvelles trames.
> Si votre commission n'a pu donner à son travail le degré de
perfeciion dont il était susceptible, et que son imftoriance exi-
geait, au moins elle a recueilli tous les faits connus jusqu'ici , en
n'admettant toutefois que ceux dont elle pouvait garantir l'au-
thenticité.
» Beaucoup de tentatives ont été faites pour rétablir le trône;
rien n'a découragé Us royalistes , a dit un agent du prétendu
roi. ♦
i Ce témoignage devrait être le texte de toutes nos pensées ,
la mesure de toutes nos observations. On concevra mal les évé-
nemens de la révolution, quels qu'ils soient, tant qu'on n'aura
pas fait la p^rt des royalistes ; plus ou moins , ils ne sont étran-
gers à aucun. Auteurs sans réserve de tous les maux de l'inté-
rieur, ils le sont encore de la guerre étrangère ; guerre cruelle ,
terrible, mais qui a valu aux républicains la gloire et la puis-
390 DIRECT. — DU 1^ PR.AIR. A^ V ( 2U MAI 1797)
sance, tandis qu'elle n'a laUsé à ses provocateurs que l'infamie
fit la dispersion.
1 Ils conspiraient ouvertement avant le 10 août; mais qui
peut dëierminer jusqu'à quel point, souples à prendre tous les
masques , ils se sont mêlés à l'exao^ëraiion qui a caractérisé 1 es-
prit public avant le 9 thermidor, en faisant dégénérer cet en-
thousiasme, cette exaliation mêjne, si nécessaires dans de telles
ci'constuncs, en un délire atroce, dont les excès allaient bientôt
leur fournir de nouvel es armes.
> Malheureusement nous n'avons jamais bien connu le foyer
de ces machinations, et la main qui leur imprimait le mouve-
ment; tout ce qu^ nous savons de positif , c'est que le gouverne-
ment anglais a constamment payé des agens de désoidfes et de
crimes.
> Au moins le royalisme n'osa se montrer sons ses couleurs
(Jepu s le iO ajùt jusqu'au 9 ihermid .r, et ceux de ses vils sec-
taires qui, dans des temjis malh^reux, ne s'éaient pas coiffés
d'un bonnet rouge pour faire du patriotisme sur les plices publi-
ques, donnèrent partout, et surtout dans les prisons , l'exemple
de la plus rampante bassesse.
• Le 9 thermidor sauva la République; il est une des époques
les plus glorieuses de la Convention naiioniile.
» D;ins cette journée mémorable tomba un gouvernement
atroce : maiheureusem^^pt rien ne lui fut substitué, que le désir
de ftrmer toutes les plains; sentiment bien louable, mais qui,
n'a^aut pas été régularisé, limite dans ses effets, a été le germe
de tous nos maux ultéi ieurs.
» Des souvenirs trop recens, des craintes, dea-soupçons ; la
fqrce des choses , plus puissante que celle des hommes ; des pré-
tentions même de la part de gens qui n'en devaient plus avoir
et di^vaient éire satisfaits, la dissémination dis pouvoirs, que
l'on crut nécessaire après une concentration si funeste; tant
de passions diverses furent cause qu'on ne s'arrêta à aucun plan,
et qu'fin marcha à laventure.
9 L'ombre terrible du gouvernement révolutionnaire planait
AV 18 FEUCTlDOft AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 591
encore sur la France; mais, à mesiire qu'elle sediss'pair, comme
onD'avaii pié enlé aux esprits aucun point fixe de réunion, tous
les éîémens se confondirent , toutes les volontés voulurem pré-
valoir, et prévalurent en effet. Le gouvernement était parioui et
nulle paii ; alors il exista une véritable et grande anarchie, car
Taibitraire constitue le despotisme, et l'anarchie naît de ia con-
trariété dans les volontés et les principes. Dans un tel chaos d'i-
dées, de préieniions et d'intrigues, le royalisme ne s'iublia
point. Avant praiiial il ourdissait des trames et provoquait des
vengeances : tel cifoyen qui, dans ces journées de deuil, en
mar. haut au secours de la Gunven'ion nationale, osa s'élever
conire tout sentiment de réaction et de vengeance, fut traifé de
Joxobïn; on préludait déjà à l'usage affreux que l^tn devait faire
par la suite de celte dénomination.
» Les malheurs de prairial déterminèrent la direction que
depuis un cenain temps les royalistes essiiyaient de donner à l'es-
prit public : inspirer une luine profonde conire les Jacobins,
comprendre sous ce nom tous les citoyens qui ont montré des
seniimens républicains, et dont le dévouement a éié et peut être
utile au peuple , voilà le sysième dont jusqu'à présent ils ne se
soni point départis.
1) Li Répubhque succombait sousMeurs efforts : la victoire de
vendémiaire arrêta, suspendit pour quelques instans les éireiutes
perfides qui devaient l'étouffer.
» Nous ne retracerons pointa vos yeux tout ce qui précéda
cette journée fameuse, et nous ne ferons pas aux royalistes l'hon-
neur de dise uier leurs dénégations, que d'ailleurs ils n'ont jamais
soutenues av^c trop d'opiniâireié.
B Nous ferons seulement quelques observations qu'on ne peut
trop répéter.
» Les hommes qui figurèrent dans la conjuration de vendé-
miaire, r* p ésentans du peuple, membres des tribunaux et des
administrations, meneurs de sections, journalisies, sont les mê-
mes qui conjuraient en fructidor dynier.
> Le mensonge, l'outrage, la calomnie furent les moyens des
392 DIRECT. — DU !«'' PRAIU. AN V (20 MAI 1797 )
royalistes, et leurs orjjanes furent ces inFàmes journaux que nous
retrouverons à toutes les époques malheureuses de la révolution.
» Le crime de celte révolte ne lut point dans l'intention d'un
[jrand nombre de citoyens qui y prirent pûrl, et même qui furent
vi<jtim-s; ils furent armés, et on les Ht marcher sous prétexte
qu'ils étaient perdus s'ils ne se détendaient comre ce qu'on aope-
lait les Jacobins.
t» Cette journée épouvanta les royalistes, et ne les terrassa
point, parce qi'un malentendu, des bruiis et des défiances
adroitement semés détournèrent l'attention des républiia-ns,
paralysèrent la Convention nationale, et laissèrent entrer dans
le corps léjjslatif les principaux conjurés.
» Le sysiènfl^ de celte conjiiration était d'agir par le massacre :
une correspondance et des émis^aiIes avaient préparé sur les
points principaux de la République tous les moyens d'action qui
devaient être employés après rexiermiration de la Convention
nationale et des plus zélt^s républicains.
> Nous ne sommes point entrés dans des détails connus de
celte conjuration, que nous ne devions rappe'er au conseil que
pour conserver le fd des événemens ; mais nous allons mainte-
nant dévoiler l'un des plus puissans ressorts des conjurés ,
ignore jusqu'à ce jour ; l'exposé que nous allons faire nous con-
duira , par une suite de trahisons non interrompues , jusqu'au
18 fruclidor.
» Vous avez vu celte assertion dans les pièces du procès de
Lavilleheurnois :
« Le roi désire avoir des etlaircii.semens plus étendus sur la
» connexion que ses agens , dans une lettre du 2o mai 179(i , lui
» ont annoncée avec une des deux principales armées, et dans
» fiissoiiaiioH <{(ii paraît formée depuis peu , et que vous ne
> faites qu'indiquer dans votre nouvelle lettre. Sa majesté désiie
► l'envoi du député qui paraît être en njesure de se rendre auprès
» ou à portée d'elle. »
« Lloigné des armées , pi%;iic d'admiration pour lant de faits
héroïques et de reconnaissance pour leurs auteurs , hors d'étal
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 593
d'observer ces petites fndiscrélions , ces précautions soutenues
dont roubli momentané décèle les projets d'un homme qui médite
un grand crime, on n'oserait supposer quelque réalité à une
telle assertion ; oa écartait jusqu'au soupçon, de peur d'être in-
ju^îte et tout à la fois coupable de la plus noire ingratitude.
> Cependant ie temps, nui révèle tout, a enfin levé le voile qui
couvrait ce mystère.
» Un homme , qui devait toute sa forîune à la révolution , ser-
gent d'artillerie, puis commis dans les bureaux de la guerre sous
Tancien régime, place qu il fut oblijjé d'abandonner par les dé-
dains qu'il essuya: commandant de bataillon, puis général d'ar-
mée dans la guerre de k- 1 évolution, Pichegru fut consiamment
un traître : il n'emp'oya de ses talens que ce qu'il en fallut pour
conserver son crédit et tromper les regards ; il ne conservait son
crédit que pour être utile au parti des émigrés, et se rendre fa-
meux en exécutant un projet qu'il n'a jamais perdu de vue (1).
» 11 n'entra dans la Hotliftide que parce qu'il y fut forcé par
les représeniansdu peuple. Dès celle époque, des officiers dis-
tingués le pénétrèrent, et n'ont depuis cessé de le legarder
comme un hom:ne indigne de toute confinnce. En effet, un
nommé 3/o«f^ai//arrf, aventurier , agent de contre-révolution,
annonça, dès le moment de celte invasion, aux généraux Clair-
tayt et 3îack , les dispusiiions où éiait Pichegru de les servir. Un
jeûner homme de Bordeaux , aide-de-camp du f>énéral Thierri, se
fit prendre dans une petite affaire auprès deTournay, et fit les
mêmes ouvertures à deux officiers de l'éiat-major, Frossard et
Ondonnell.
» Votre commission ne s est point dissimulé quelles objections
on pouvait tirer des vraisemblances contre ce premier fait; mais
toutes les vraisemblances doivent céder à des fajts posidfs at-
testés par des hommes dont h s témoignages ne peuvent être dé-
cemment révoqués en doute, 5ui tout lorsque, donnés à des épo-
(I) Il n'est pas indiffèrent do savoir que Piclicgru , lors de la levée des ba-
taillons, était un enragé patriote, portant bonnet rouge. (Crtle note et toutes
relies qui suivent sont du rapporteur.)
394 DIRECT. — pu l^»* PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
(|ues ei dans des lieux diff^ens, ils se trouvent parfaitement con
formes (1).
(<) Le 30 fructidor an 2, à la bataille de Boxtel, les républicains mirent telle-
raenl eu déiou e les troupes coilisées, qi e trenie hussards du huiiième régi-
menL firent pris nuiers deni régimens ennemis. Après l'action, le c t 'ven Dan-
dels, général de division, d ta Picbegih: • Si je neconoa ssais to le zèle pour
» 1j gloire d * vo re pays, je croirais que vous vous entendez avecl'eunemi , car
» si vous aviez fiit uiaMicr une colonne sur la place de Grave, vous lui auriez
» coupé la retraite, puisqu'il n'av.iit que ce seul point où il pût se retirer. —
» Taisez-vous, lui lépondit Pichegru ; vous êtes un enfan',et vou^ mériteriez
» que je vous foul-sse au c ithot p.)ur vous apprendre à parler. »
«Tous Us m litaires conviennent en effet qu'après une Nictoire aussi complète
que ce le reniportée à Baxtel , si Pichegru se fut hàé de f Jire marcher sur Grave
une Colonne que r en ne pouvait plus arrêter, l'année « nnemie tùi é é c »upée
et forcée de mi-ltr e b s li s ai mes : mais, au lieu de poursuivre l'ennemi avec celte
activité sans lai^uelle les vie. oires Its plus brillantes deviennent iuu.iles, il I0
laissa tranquillement employer huit jours à >e retirer à Grave, quoique celte
place ne fût qu'i'J c nq lieues du champ de bal; ille.
■ Depuis ce mo nent , Pichegru devint l'ennemi irréconciliable du général
Dande's, qui eut éié vict'me du ressentiment qu'l lui avnit inspiré , si des re-
préseiit ns du peuple ne l'eussent vivement soutenu auprès du gou\ernement. Il
commande aduellcmenl les iroup sbataves. • •
B Le 7 ni\ôse, le même gen(Mal D mdels s'empara à 'a bînnnelle de l'i'e de
Bnmmel , du fori Saint-André, de quatre pos es en>!rounaus,de so xan e l'icces
de canon, et fit prison nèrt' une partie de l'armée ennemie. Après cette victoire
rien ne |)ouvait empèilier de pénéirtr au lœurde la Hollande; cependant , mal-
gré les pressan es sollicitatio s du représentant Belîegarde, Pichegru, prétex-
tant des obstacles qne personne ne voyait , s'ob.tiuait à ne point marcher en
avant. 11 attendait sans doute deux ambassadeurs du sladthouder, qui arriver» ni
le 15. Belîegarde se crut alors obi gé de vt nir à Paiis pour avertir le comi.é de
salut public, et en obtenir un ordre de poursuivre la c «nquèle le plus vivement
possible. Cet ordre fut donné le 10 ni\o>e , et penlant toute l'expé litioa, dont
les succès ne sont dus qu;'> la \al. ur des ^oldats et aux la'cns «les odicieis de
l'a? mt^, qui eurent à va ncre les armres ennemies, 1 s ligueurs de l'hiver ft la
mauvaise volonté de leur général , l'humeur noire q ic celui-ci montra constam-
ment, son air xiveux et taciliirne, prouvèrent combien il e ail peu liai e des
succès des soldats qu'il commaudait , et combien il a\ ait peu de part h U ur gloire.
» Lrs repre^enlàns en mission i» l'année du Nord ont toujours é:é persuadés
que Piihegiu elail en rel.ition a\ec le stadlhoudt r. Pendant lont le lemps qu'il
resta en Hollande il fut ronst iminent entoure des offic-ers de sa garde, »ux-
que's il avait même permis de porter Icirs ccharpes oranges. A la Haye, l'in-
tendanl de la ma.sou de ce prince faisait un j lur 1 éloge de sou m«ilre au repré-
"^ senlan: Belîegarde; il lui vantait wn humaniié , sou cœur eicellent , 1 amour
des Hollandais ptur lui . et il ajnua • que >i t us les généraux français entsenf
» été c- mme M. Pichej^ni , le sladthouder n'iùljaina<8 quiite la Ho land»*; que
» le prince le connaissait bien ; qu'ils é>aient très-bons amis. >• B* lie .arde appela
son collègue Fresaine , et fit répéter à cet intendant le même propos en sa pré-
sence. »
AD 18 FRUeiIDOR AN V ( 4 SEPTJIMBRE 1797). 39o
» La irace de ces premères ouvertures se perd, et ne se re-
trouve qu'en floréal de l'an III, qui repond au mois de mai 179o;
alors de nouvelles proposiiions furent faites. Au mois d'août de
lu même apnée, Ccndé liuiorisa ce Mont^aillard dont nous ve-
nons de parler a continuer les démarches auprès de Piche-
gru (1); en conséquence, il jeta pour cette mission les yeux sur
deux individus nommés Fauche-Borel et Courant,
» Le premier, prenant le titre d'imprimeur du roi à Neuf-
cbâ'el, homme fanatique de la royauté, ayant peu d'esprit, mais
plein de zèle et d'enthousiasme.
1 Courant, aussi de Neufchâtel, homme à ressources , jadis
pendant quatorze ans au service de Frédéric en qualité d'es-
pion.
> Ces deux ambassadeurs de la trahison arrivent à Altkrch ,
où é'ait le quartier-général de Pichegru, le 26 thermidor, ré-
pondant au 13 août. Après toutes les préca itions nécessaires
pour parvenir à ^'entendre, après avoir fait à Pichegru les pro -
messes les plus brillantes, ils lui demandent de livrer à Condéla
ville d'Huningue, d'arborer le drapeau blanc, de proclamer le
roi dans son camp, et que, réuni à l'armée de Condé, il marche
sur Paiis.
» Pichegru ne {]0Ûta point ce plan : « Je ne ferai rien d'ircom-
n plet, d't-il; je ne veux pas être le troisième tome de Lafayelte
» et de Dumouriez. Je connais mes moyens ; ils ont leur racine
«> non- seulement dans mon armée, mais à Paris, dans la Con-
» vention , dans les départemens, dans ceux d«sgénéiaux qui
» pensent comme moi. (Et c'était environ trente-six jours avant
» la journée de vendémi;iire qu'il parlait ainsi.) La France qe
» peut exister en République, cqntinue-t-il; mais il ne faut com-
» mencer la contre-ré\o'bi on que lorsqu'on sera certain de l'o-
» pérer sûrement et jïrompiement. Voilà ma devise.
» Le plan du prmce (c'ett toujours Pich^^gru qui parle), le
» plan du prince ne mène à rien ; il serait chassé il'fluningue en
M) Pièces trouvées dans le portefeuille d'Eqtrai^uef .
596 DIRECT. — DU l*"' PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
» quatre jours, et je me perdrais en quinze. Mon armée est coni-
» posée de braves {jens et de coquins; il Faut les séparer, et lier
») te kmentles premiers par une {jrande démarche, qu'ils n'aient
» plus la possibiliîé de reculer, et ne voient plus leur salut que
> dans le succès.
» Pour y parvenir, jolïre de passer le Kbin ou l'ou medësi-
> gnera, le jour et a i'heure que l'on voudra me fixer, avec la
» quaritiié de soldats de toutes armes que l'on déterminera.
n Avant de marcht r je melirai dans les places fortes des offi-
* ciers sûrs et pen ant comme moi; f écarterai les coquins y et
•> leur position sera telle qu'ils ne pourront se reunir.
») Une fois au-delà du Uhin, je proclame le roi; j'arbore le
> drapeau bljnc. Le corps de Gondé, l'armée de l'empereur s'u-
> nisstnt à moi; nous repassons le Rhin, nous marchons en
» avant; tous mes moyens se développent, et en quatorze jours
> nous sommes à Paris. »
» E^» ! combien le crime de ce traître inspirera plus d'horreur
quund, avec la plus atroce persévérance, nous allons le voir
jusqu'à sa déporiaiion coopérer à tons nos malheurs avec une
peifidie sans exemple î
» II un usemerit, ce plan, qui n'eut pas réussi , mais qui sû-
rement eût amené de grands maux , tomba dans l'oredle de
ce qu'on appelle un prince, ei un prince de Condé , c'e^l-à-dire
d'un éire qui , selon ses propres créatures, lesagens et les ado-
rateurs de la royauté , « n'a de Gondé que le nom , mais qui , sur
» tout le resie, esile plus petit des hom.ues, sans moyens comme
» sans caracière , environné , dominé par des hommes les plus
» médiocres, les pius vils, quelques-uns les plus pervers. »
» Gondé voulait avoir à lui seul la {];4oire de la contre-révolu-
tion; d'après le plan de Picliej^ru , il fallait la partager avec les
Autrichiens; en conséquence, Gondé rejeta complélement ces
offres ; msih ses partisans en fun nt indignés. Plus de neuf mois
après, une baronne de Keich, aulre intrigante qui tenait à l'é-
tranger la correspondance des émigrés , écrivait à l'émigré
Klinglin ; « li ^sl fâcheux «pie Gondé n'ait pas voulu au 18 août
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 397
» ce qui était si facile pour lors, et qu'il n'ait pas même pesé une
» si {jrande responsabilité, qui, j'en suis fâchée pour lui, peut
» lui bisser de cruels soucis tout le temps de sa vie, si nous ne
j perçons pas.... » c'est-à-dire, si les Autrichiens n'entrent pas
en France.
» C'était, comme je l'ai déjà observé, environ trente-six jours
avant vendénnaii e que ces moyens de Pichegru avaient leur racine
à Paris, dans la Convention y dans les départemens; il est donc
évident qu'il était lié à tous ces mouvemens, et que cette trame
dut être un encouragement puissant, et même une raison ab-
solue de déierminalion.
» La République ayant été victorieuse, il est probable que Ja
correspondance et les pourparlers furent interrompus quelques
instans; mais, dès le mois de novembre, la -trame avait repris
toute son activité (1).
» Des communications très-suivies existaient de l'intérieur
avec les émigrés, Condé et les généraux autrichiens, coîam-
ment Wurmser, la Tour, le prince Charles, et Kiinglin, éiuly.é,
général-major de l'urmée auirichienne, chargé de la correspon-
dance secrète.
> Plusieurs points sur le Khin servaient habituellement à ces
communications , tels que Barlenheim , Hi»bi.heim, Gersheim,
Eschau , eic.
» Elles étaient envisagées sous deux rapports , la correspon-
dance militaire et la correspondance poliiique.
» La cor< espondance militaire comprenait tout ce qui était
espionnage relaiità la position de nos armées : les Autrichiens
en faisaient les frais.
» La coi re&por;dance politique compî».'nail tout ce (|ui tient
aux moyens d'intrigue, aux soulèvemens inléjieurs, en un
UiOt, à la conlre-i évolution : Wi(-kam faisait les fonils de celte
pariie.
(1) « Tous les faits relatifs â Pichegni sont extraits du la corrcspondaiiiP trou-
M''e, le 2 tlorcal an 5, dans les fourgons de Kiinglin , {rtnëral-ninjor de l'année
aiilrictiienne , et cliargé de la correspondanco set ri'îe de cette .nrmée. »
398 DIRECT. — DU 1" PRAIR. AN V ( 20 MAI i797 )
» Les principaux agens dans l'iniërieur étaient un nommé De-
mougé , de Strasbourg, ami intime de Pichegru : il lenait la
corresponiJance et l'espionnage : Fauche-Borel ei Coûtant, ces
deuxIVeufchàlelois, les mêmes qui, huit mois auparavant, avaient
été envoyés à Pich-giu par Monigaillaid. Fauche était à la fois
ageM de Conde et de Wicka«n ; tous deux ëiaieni les voyageurs
intermédiaires. Un nommé Che/nbé, de Colmar, le même qui
fut député au corps légslatif , en germinal de l'an V, était spé-
tialement changé de donner des renst^ignemens sur Teiat detj
magasins, sur la position et le mouvement des troupes républi-
caiiies. <,
» Les agens extérieurs étaient l'émigré Klingliu, une baronne
de Reich , Montgaillard , et un baron de Witersbach.
») Condé tenait toujours à la gloire de faire seul h contre-
révoluiion , ainsi qu'à son plan, avec cette différence qu'il de-
mandait qu'on lui livrât Strasbourg au lieu d'Huningue, qu'il
avait désigné d'abord ; et il y tenait si opiniiurément , que De-
mougé , dans une lettre au général K'inglin , dit : « Je sens
9 coirmie vous qu'il est impossible que CondéaillesansWurmser;
» par conséquent, il faut que vous soyez instruit de tout; mais
t jVxige que tout ce que je vous dirai reste inviolableménl entre '
» vous, Wurmser et Latour. »
» Deu.ougé craignait de déplaire à son pnnce.
» Pichr-gru ne cède point, et trouve toujours le plan mou\'ais;
il persiste dans le sien , ou plutôt il n'en a plus. Il est prêt à pre-
filer des circonstances; seulement il travaille avec ardeur 5 les
faire naître telles qu'il les désire.
» Il se réunit fré(iu"mmei.l aux conspirateurs ; il va chez eux ,
il y njarge, il les r(ç««itchez lui, il est précautionneux, adroit,
pour éviter le soupçon ; tantôt c'est à la ville, tantôt à la campa-
gne, et le temps le pins affreux ne l'arrête point quand il s'agit
de conférer avec les agens des émigiés ei de la royauté.
» H fonde ses espérances sur le mécontentement de l'armée ,
sur son dénijment, sur rimpossilûiiie oîi est le gouvernement
de venir à son secours d'après la péuuj ie des finances. Pour af-
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE i797). 599
fermirses idées et celles de ses amis, il passe en revue les moyens
et les opérations du gouvernement. L'emprunt forcé ne rentre
poii'ii ; même il donne lieu à un méconieniement ei à des scènes
qui lui paraissent utiles et d'un bon augure : !es biens de la Bel-
gique ne produiront rien ; les contributions ne sont pas payées ;
les in.>cr plions perdant quarante pour cent; le crédit est anéanti;
il es! dû deux milliards aux fourni>5seurs ; les soldats ne veulent
jilus recevoir de papier...
» L'armi^lice fournira de nouveaux moyens pour ce qu'il ap-
jpèlle la bonne cause; il désorganisera les armées, il donnera le
temps de travailler 1 esprit des officiers et des soldats : la trêve
expirant, nouv( au sujet de mécontentement pour le soldat , à
qui l'on fera entendre que si le gouvernement n'a pas fait la paix
c'est qu'il ne l'a piS voulu...
» La première réquisition fera d'abord volte-face; les canon-
niers dépaitemtutair es, redevenant simples volontaires , maudi-
ront la nation , et, cela fait, selon le calcul de Pithegru, quinze
mille hommes aliér es de la Répub'ique.... Par la nouvelle com-
position qui devait se faire au mois de février 179o, (pluvôse
de l'an III), quantité d'officiers devaient être réformés; autant
de méconiens, et, nouveau Monck, il comptait sur le choix de
ceux que l'on devait conserver, et que pendant la trêve on au-
rait le temps de travailler... (1).
» 11 indique à l'ennemi, notamment a Condé, les positions
qu'il doit lenir ; il approuve, il critique celles qu'il prend ; si quel-
que événen.ent obligea plus de cinonspeciion, il lui défund de
se rappro( her, pour ne pas éveiller le soupçon , et termine les
placemens convenables de sea troupes. Il annonce la force de sou
armée, et promet de donner toutes les notions de ce genre. II
(1) « Monck , pour préparer le retour de Charles II , avait écarté tous les ot-
flcitTs de la révo'ulion, et replacé tous les partisans du roi. Il esl remarquitble
qu'environné des ageos du roi , il n'ouvrit la bouche sur ses iuleu'io.is que lors-
que tout f.it disposé pour l'exécuiioii de snn projet. C'est une chose piquante
que le rapprocbemeiit des de>8eins de Pichegiu avec la conduite du Mènerai
écos.Nais. Wiliut a?ail «ujsi suivi ce syslèuie dans son projet de loi sur la gendar
merie. »
400 DIRECT. — DU l*'i PRAIR. AN V (20 MAI 4797 )
désigne lui-même , à Condé , Demouf^é comme l'intermédiaire
(jui lui est le plus agréuble. 11 revient sans cesse à sa première
idée; il ne veut point de tentative partielle sur Strasbourg, et il
donne ordre à Fauclie-Borel, qui devait être auprès de Condé
le 13 janvier 1705 ( 24 nivôse an IV ), de détourner tous ces cou-
seils biscornus dont on lui remplit la tête. Il veut toujours que les
choses en soient au point qu'il puisse meure son armée à la dis-
position du prétendu roi. Il n'est point d'avis d'aventurer un
éclat qu'il ne soil plus sûr encore des autres chefs et des offii^iers ;
« car sans cela, dit-il, les soldats, quoique dégoûtés, lergiver-
» seraient. Du reste, ajouie-t-il, on ne peut croirequejene fasse
» pas ce qu'on désire de moi : le gouvernement me déteste; je
» me prononce tous les jours, et même trop, contre ces gueux ; je
» ne dois attendre que des persécuiions, et peut-être pis encore.
p Vous voyez donc que je suis personnellement intéressé à une
» chose que mon opinion prescrit, et que mon cœur désire;
» qu'ayant conduit l'eulreprise aus>i loin quelle l'est, je saurai
» sans doute aussi saisir le moment favorable tel qu'il le faut pom*
» ne pas manquer le coup. *
» Il acceptait des agfns de la main des émijjrés, parce que
lenx-là ('ia\e)ii sûrs. Demougé, Fauche-Borel et autres, pla-
çaient, disent-ils , sous ses auspices , dans l'armée , de^ nu npurs
<{iii travaillaient de leur mieii.r.
» Il conii'îeait de sa main les écrits corrupteurs (|ue les agens
rovalisies se proposaient de distribuer 6 l'armée ; i! indiquait ceux
qu'il convenait d»^ faire: et lorscpie des soldats , dans la bonne
foi de leur Civisme , venaient lui dénoncer ces écrits contre-révo-
lutionnaires qu'on ne c ssaii de jeter aux avant-postes , et notam-
ment un (lialQCjue entre trois grenadiers , il en plaisauiait avej les
agens du prétendu loi, et recommandait de renvoyer la balle à
ces braves militaires en faisant de nouvelles di^tril)utions.
> Ce futPichegiu qui approa%a que l'on mî( au bas de Tua
de ces écrits, intiti-lé deuxume enirctien des grenadiers, celte
note : « Citoyens, je vous envoit^ un échantillon de l'écu du rr»i
AU 18 FRUCTiDOn AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 401
> donné au prisonnier : quoique ci-devant, il n'est mal veau nul!e
> part. »
» En effet, des anciens ëcus de six livres devairnt ncc^ompa-
{jner ces paquets , adresses à des militaires et à des corps-de-
garde de cantonnement : un maître des postes de l'armée, très-
bon, et quelques affidés, s'étaient chargés d'aider cette opéra-
lion. Une autre fois c'étaient des pièces de vingt-quatre sous en-
veloppées dans des bandes d'assignats.
» 11 ne se contente point de se lier, de conspirer avec les espions
de la royauté ; il les prend sous sa sauve garde , et promet d'a-
vouer, au besoin, Demougé pour son agent général , au moyen
d*une correspondance simulée ; d'où il résultait que , par ses re-
lations avec les ennemis , il servait les intérêts de la République.
> En même temps qu'il fait faire des compUmens à Wurmser,
il s'éloigne de l'armée pour ne pas prêter le serment de haine à
la royauté; il attend l'effet que produira ce scandale pour juger
de son influence et du progrès de ses trames sur l'esprit des sol-
dais, ce qui lui vaut l" estime de la baronne de Reich.
> Enfin , quand ce traître parle des républicains, il ne les nomme
jamais que des noms les plus odieux ; il fait son possible pour être
détestédu gouvernement, qui ne pourra l'inculper, et qui n'agirait
pas contre lui sans qu'il sût l'en faire repentir; il pense que sa
destitution , qu'il désire, ne saurait produire qu'un bon eftet,.
parce que l'armée lui est eniièreiïjent dévouée, et que ce serait
le moment de la crise.
I ïl reçoit des lettres de Wickam , qui lui en écrit de fort po-
lies , et qui lui envoie deux mille louis dont il a besoin pour de
hauts projets qu'on ne confie pas à tout le monde.
» Quelq!:e profondément dissimulé qu'on soit, il n'est cepen-
dant f)as possible de faire constamment bien une chose avec l'in-
tention déterminée d'arriver précisément à ce qui lui est con-
traire. Il s'éleva des nuages sur la conduite de Pichegru. Il sentit
que l'un des plus sûrs- moyens pourlui était de payer d'effron-
terie. Les émijorés en frémirent ; ils firent des observations : Pi-
rhegru n'en fut que plus convaincu de la nécessité d'un voyage A
T. xxxvii. 26
402 DIRECT. — ■ DL !«' PRAIR. AN V ( î2U MAI 1797 )
Paris , sans quoi les soupçoos allaient se convertir en preuve ; el
dès qu'il se fut assuré qu'il n'y avait pas encore de danger à se
rendre auprès du gouvernement , sa résolution fut prise ; il fit en-
tendre même qu'il parlerait à ce qu'il appelait sots gouvernans si
haut, qu'il leur en imposerait.
> Demoufjé lui offrit des fonds pour ce voyage. Pichegru en
lui répondant salua cordialement M. de Précy, présenta ses res-
pects au prince de Gondé , et accepta 1rs fonds que Fauciie Bo-
rel, attendu avec impatience , devait apporter. D'ailleurs l'inten-
tion de Pichegr u , disent ses confi Jens , était de se mettre en me-
sure avec la capitale pour que l'expUision se fi! au même instant;
il devait conjmuniquer aux meneurs les dispositions de son armée,
el se faire rendre compte des leurs.
» Ce voyage inspira de cruelles inquiétudes, mais Demougé,
après une nouvelle entrevue dans son cabinet avec Pichegru, as-
sure à Wurmser qui craint, à Condé qui désespère du succès
de l'entreprise,! à la baronne de Reicii qui implore l'assistance
divine, qu'ils ne doivent point s'alarmer sur la démarclie de Pi-
chegru, qui est un homme Lien extraordinaire par sa prudence;
il leur annonce n»éme que lui, Demougé , est ravi, parce que Pi-
chegru a accepté des fonds; que Pichegru est probe, et que ce
n'est pas pour rien faire qu'on ose accepter ainsi.
> Cependant il ne partit po nt sans l.dsser à ses fidèles des pa-
roles de consolation ei des conseils; il les rassura d'abord sur son
voyage; ensuite : c Je n'écris à personne, dit-il, miilgié le déiir
1 que j'en ai et la saiisfavtion que cela medonnerail ; mais je suis
homme d'honneur; jt^ cherche le plus grand bien sjns pouvoir
nom naiiven.eni m'engagera telle ou telle opération, puisque
tout dépend des circonstances que je calcule. Si dans la minute
> je pouvais faire changer les choses à l'avantage du roi, que je
> révère, et des infortunés qui défendent une cause si sacrée, je
» n'hésiterais pas un moment. Diies-leur que si les Auiricliiens
* épau'aient b.en Conde je ne vois pas comment alors, dans tous
» les cas, les succès peuvent être douteux. A Paris je verrai les
i> Cinq ; la je saurai de quoi il tourne. Je ne leur mâcherai pas le
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 405
> mot , et les différentes conférences où j'apprendrai leurs vues
» et leurs ressources m'éclaireront probablement sur la véri-
» table déiermination de ma conduite pour le plus grand bien de
> la chose.
» Mais ce que je réitère bien positivement , c'est qu'il est du
» plus grand intérêt pour les Autrichiens et Condé de ne pas le-
> ver cette trêve arbitraire et illimitée, qui a déjà fait le plus
9 grand mal aux Français, qui a épuisé leurs magasins de siège,
> augmenté la pénurie, et qui met chaque jour le comble au dé-
» goût du soldat.
> Le gouverneqjent f-rançais lèvera nécessairement la trêve le
» premier. Ne perdez pas une minute; après les dix jours de grâce
> tombez sur les nôtres le plus rmlement possible; comme aussi
» sur Jourdan : nous ne soutiendrons qu'un échec.
> Si je suis destitué , alors peut-être il sera bon que les Au-
» trichiens lèvent la trêve les premiers, et que, de concert avec
» Condé, ils nous attaquent. Le plus petit échec, avec le mé-
» contentement de l'armée, et un petit pamphlet analogue,
» produiraient l'effet désiré d'une réunion , ou une désertion to-
» taie. >
» Et ensuite, répète Demougé, il a accepté des fonds; et tou-
tes les fois qu'on veut é'ever des doutes sur le dévouement et le
zèle de Pichegru, parce les choses n'allaient pas assez vite, il
répond toujours : mais il a accepté des fonds, et Pichegru est
probe.
» Fauche-Borel deson côté écrivait à Wurmser, lei4avril 1796:
€ S'il était possible de le déshonorer (Pi(hegru ) au point de le
» supposer capable dt' partir pour la Suède, il r.e suffirait pas de
> le croire scélérai ; il faudrait encore le cioire le plus fou des
» insensés, puisque cet homme ne se dibfcimuleraii pas que , s'é-
» tant joué de la parole et de la confiance du roi . de Mgr. le prince
> de Condé, de Voire Excellence, des généraux de S. M. Impé'
» riale et du cabinet britannique , et ayant laissé partout des preu-
• ves et den traces irrécusables de ses manœuvres contre le directoire^
t il sufhrait, pour le faire ai rètor avant son arrivée u Siockboîm,
404 DIRECT. — DU 1^»' PRAm. AN V (20 MAI 1797)
> ei faire tomber sa tête, d'îm seul mot d'une des seules personnes
>* qui ont été en rapport avec lui à Strasbourg^.
» Je supplie Votre Excellence de me permettre de l'assurer
> qu'avant irès-peu de jours Picheg;ru lui fera passer le projet dé-
» finiiify ainsi que les derniers arrangemens à prendre; et je ne
» doute point que si Votre Excellence daigne continuer à les fa-
» voriser, S. A. R. Mg^r. l'archiduc Charles ne soit conduit par
» Votre Excellence dans le sein de la France avant la fin du mois
» prochain. >
» Pendant le temps de son absence trois ou quatre travail-
leurs , connus pour lui appartenir , redôublèr*ent d'aciivité pour
attirer à eux et pour s'attacher le plus d'officiers possibles. Ba-
donville, son adjudant-général, traite les généraux, et leur prête;
Tugnot, autre officier, en fait de même; Demougé avait aussi table
ouverte.
» Les affaires vont très-bien à Paris, qui a reçu son impulsion;
Demougé est même persuadé que tous ces mouvemens combinés
sont en partie l'ouvrage de Pichegru, dont l'idée ne pouvait être
que de confondre les élémens à la source de tous les maux, et de
déterminer par là nos armées.
» Une circulaire de Demougé , du 2 mai 1796 , au 13 floréal ,
an 4, annonce le retour de Pic^hegru vers le Rhin ; il avait obtenu
un congé sous prétexte d'affaires.
> Quoiqu'il n'ait pas trouvé à J^aris les esprits aussi favorable-
ment disposés qu'il l'espdrait, et que l'opinion fut encore bien
erronée y cependant on pouvait, à son avis, compter sur tout ce
qui n'est pas Jacobin ^ et cet homme extraordinaire a formé,
à Paris, des relations importantes , et a décidément fixé les opé-
rations à entamer.
> Il faut, daprès ses conseils, que le prétendu roi ne paraisse
pas tenir à ses anciennes prétentions; il faut qu'il se soumette à
des palliatifs, s'il veut éviter de faire couler des flots de sang : la
perversité du siècle rendait cei ménagemens nécessaires, car le
général des armées républicaines ne voyait la perfection des
gouvernemens que dans une tyrannie complète; et en même
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4* SE^IEMBRE 1797 ). 405
temps qu'il impose au prétendu roi des conditions aussi rigou-
reuses, il ajoute : sauf à ne rien tenir une fois qu'il pourra tout.
» 11 faut ensuite , et c'éiait probablement le point le plus dif-
ficile , il faut que ce prétendu roi se montre à la tête des siens ;
la grande sensation qu'a faite sa présence prouve la nécessité de
ne pas quitter le poste.
» Ces choses convenues, les Autrichiens lèveront la trêve;
Pichegru leur donnera tous les renseignemens qui sont en son
pouvoir. L'erreur où l'on était sur son compte, la confiance
qu'inspirait sa réputation , et les conseils que ses connaissances
militaires faisaient rechercher, lui avaient jusqu'à un certain
point valu le secret de nos généraux. Il savait que Moreau faisait
son rassemblement le 28 floréal, pour agir le 8 prairial (27 mai).
Il en avertit les ennemis ; il leur recommande de se mettre en me-
sure pour attaquer les premiers sur tous les points possibles ; il
leur recommande de battre le fer bien dru, afin de tout épouvanter.
Ils n'éprouveront qu'une faible résistance ; alors on fera crier
par l'armée : Point de paix , point de succès sans Pichegru ! Si le
gouvernement cède à ces mouvemens , Pichegru est maître ; il
est DICTATEUR ; si le gouvernement s'y refuse, les généraux au-
trichiens, vainqueurs, déclareront qu'ils ne veulent pas traiter
avec Moreau, et qu'ils entendent que ce soit avec Pichegru.
» En attendant des succès qui ne peuvent manquer, Pichegru
se rendra dans le département du Jiira, sur lequel Demougé lui
a donné des renseignemens dont il est s^itisfait. 11 dirigera les
me^jures convenables qui doivent harmoniser avec ce qui se pas-
sera sur les bords du Rhin. Peut-être ira-t-il aussi dans le Lyon-
nais. Il se fera précéder par un jeune homme nommé Holbang,
dont le frère , émigré, rentré et caché, agit activement pour la
contre-révolution. Ce jeune homtne recueillera des renseigne-
mens , ce qui le mettra à même d'opérer utilement, surtout lors-
que Condé lui aura lait passer les noms des agehs royalistes qu'il
a dans la ci-devant Franche-Comté, ainsi qu'il la promis.
» Il fait, avant son départ, présent d'un très-beau cheval à
Oemougé , et , pour donner un gage de sa foi au prétendu roi ,
406 DIRECT. — DU l«f PKAIR. AN V ( 20 MAI 4797 )
à Condé, aux généraux autrichiens, il ëcril un billet, annoncé
depuis lonjjteinps , ainsi conçu : f Plus de projets partiels et
» isolés, dont l'exécution, toujours arrêtée , empêchée , opère
»» une diîiiinution réelle de forces et de moyens, sans produire
» d'autres effets.que la crainte et le découragement dans les es-
» prits réunis, et réloi^nement dans ceux dispo^és à se nippro-
» cher. De g^rands événeinens militaires peuvent amener le mcK
* ment favorable ; je le saisirai, et le descendant d'Henri IV peut
» compter sur mon dévouement. »
> Au lieu d'éire battues, les armées républicaines furent vic-
torieuses ; myisl(^s projets conlre-révoluiionnaires ne furent qu'a-
journés. Aussiiôi les revers que nous éprouvâmes à la fin de ceitt
campag^ne, c'est-à-dire à la fin de vendémiaire an IV, ou octo-
bre, les correspondances furent renouées.
» Pirhpjjru recommande au prince Charles et au général La
Tour de continuer à bien travailler, de frapper vigoureusement,
et de ne pas laisser le temps aux républicains de recourir à des
moyens extrêmes^ s'ils veulent qu'il soit rappelé.
• Il conseil'e à l'archiduc de faire publier en France une dé-
claration par laquelle il annoncera qu'il ne veut que reconquérir
la Belgique; il répète tous les motifs qui doivent encourager l'en-
nenii; il médite un nouveau voyage à Paris. Wikham a déjà
fourni les fonds nécessaires; Demongé doit l'accompa'gner. De-
mou{>é n'a reçu que oe qu'il lui fiiut pour la dispense à Paris ;
mais Piche^iru est cave pleinement pour les grands cas.
)• Pirhegru a donné des conseils perfides au gouvernement;
il en rit aux églals en serrant la main de son digne ami Demougé :
celui-ci et ses Infâmes complices, sous les auspices de Pichegru»
npprlleiii le ftu et le carnage sur notre patrie. Tandis que leur
|)atron Pichegru indique à l'enneni les défauts qui se trouvent
aux reiranchemens df Kehl , ils font dresser par la corruption
des plans de ce fort et de nos camps retranchés; ils lui marquent
si leu'' fnU a bieii ôu mal réussi; ils indiquent s'ils tirent trop
haut ou trop bas, et où ils doivent porter leurs coups; ils dési-
rent snrjouî que Ton jette des bombes sur une voûte où ^ reti-
Au 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 407
rent nos généraux; ils désignent la situation de cette voûte , que
l'on pourra reconnaître à la fumée qui en sort.
» Badonvillp, qui, en sa qualité dadjudant-général , peut aller
partout , fournil des renseignemens précieux. Cliembé , le re-
préseniant du peuple Cliembé (de Colmar), ne fait jamais at-
tendre les siens , et , doublement utile par sa qualité d'espion et
de juge, en même temps qu'il livre le secret de la situation de
nos armées et de l'état de nos places, il se dispose à faire acquit-
ter des émigrés, parce que cela fera plaisir à Kimglin. Tugnot
<X)mmande la ligne de Guermersheim à Limersheim ; il lève aus-
sitôt la consigne sur les correspondances, et diminue Ie> postes
au point qu'il n'y laisse presque personne. Demougé fait passer
aux ennemis devant Kehl le mot d'ordre, et il raconte très-
tranquillement le matin qu'un poste des républicains a été égorgé
pendant la nuit par ce moyen.
» Ces hommes affreux ne sont rien moins qu'étrangers à ce
qui se passe dans l'intérieur : on a pu déjà remarquer les im-
menses relations de Pichegru. Lyon, la Vendée, les chouans,
les inirigans de Paris, les journalistes, leurs dignes échos, les
réquisitionnaires, les émigrés rentrés, les as^a sins, les prêtres
surtout, venaient tour à tour augmenter leur espoir, comme ils
faisaient l'objet de leur plus vive sollicitude. Il n'y a pas jusqu'à
l'affaire de Bjbeuf qui ne les réjoui>se; en effet , la folie de l'exa-
gération ne travaillera jamais qu'au profit du royalisme. D'ail-
leurs il ne pouvait être différent pour eux qu'un magistr at indi-
gne de ses foriciions, Vjellart, eût l'impudence de dire dans un
discours qu'il n'y avait point eu de conjuration en vendémiaire.
» Ils annoncent avec jactance que Malmesbury portp avec
lui, pour les présenter à l'empereur, des écrits, des affiches où
le gouvernement républicain est déchiré et traîné dans la boue.
Pour donner une idée de la rage qui dévore un royaliste , indé-
pendamment de ce que plusieurs se sont faits assassins, et que
la doctrine de l'assassinat est leur doctrine familière, je ne ci-
terai qu*un passage d'une lettre écrite par un individu supplt^ant
de Demougé , en date du 12 novembre 1796 (22 brumaire an V.)
ii08 DlllELl. — DU J*^' PKAIK. A:\ V (^^20 MAI 171)7)
I Les soldats allemands ne doivent voir dans les soldais fran-
> çais que des monstres exécrables, que le juste sentiment des
» vengeances doit leur faire désirer d'exterminer jusqu'à extinc-
> tion totale. »
» Et le scélérat forcené qui écrivait ainsi habitait dans la Ce-
publique ! et il y a des complices et des approbateurs! Et c'était
au milieu de tels hommes que vivait cet usurpateur d'un grade
éminent comme d'une grar-de renommée! c'est avec de te's scé-
lérats qu'il prépara sa nomination au corps législatif, où un
nouveau plan des royalistes lui assignait une place disiingnée !
Mais ne nous décourageons point ; nous ne faisons que décou-
viir l'horizon des crimes, et notre armée, trahie, n'est que le
prélude de ce vaste forfait dont nous allons suivre la trame.
> Mais, avant de passer outre, au milieu des sentimens d'hor-
reur que de tels monstres doivent inspirer, ne remarquerons-
nous point combien sont admirables, combien sont etannans et
doivent être chers à la patrie, ces braves soldats qui , dans lade-
fcciion de leur chel , trahis, livrés de tous côtés, éprouvant
réellement un dénùment affreux , trouvent dans leur cœur un
courage assez grand , un sentiment assez vif de patriotisme et
d'amf^^ur de leur pays pour vaincre leur propre mécontentement,,
déjouer les pièges de la trahison, et battre l'ennemi? C'est qu'ils
sont citoyens avant d'être soldais, qu'ils n'appartiennent qu'à la
liberté, et non à un général , qu'ils reconnaissent bien pour leur
guide, et non pour leur maître.
» Le but de la conjuration de vendémiaire était le rétablisse-
ment de la royauté ; les moyens étaient le massacre. Exterminer
les hommes qui avaient concouru directement ou indirectement a
la révolution, retrouver un trône en assouvissant sa vengeance ,
et y monter sur les cadavres des républicains, qui ne veulent pas
de uiaitre, sous quelque denominalion que ce soit, était un triom-
phe digne du cœur atroce d'un tyran, d'un roi de Blankembourg,
d'un Coude; et f histoire des assassinats commis par leurs agens
venait soulager le chagrin dévorant de leur exil.
• Leur entrée en France toutefois ne se décidant point , leur
AU 18 FRUOTIDUU AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 409
impatience les détermina à combiner un plan, en apparence plus
humain, avec les anciennes entreprises : ce plan embrassait toute
la France , et excluait tout autre mouvement partiel que celui
qui les aurait rendus maîtres de Paris en renversant le gouverne-
menl.
> J'observerai ici que Pichegru ne voulait point non plus d'en-
treprises partielles, et qu'il »e vayait d'efficace que de grands suc-
cès militaires.
> On a cherché dans ce plan à faire marcher de concert les me-
sures politiques et militaires.
» En conséquence, ces aventuriers divisent la France en deux
agences : l'une, qui comprend les provinces du sud-est et du midi,
était confiée à M. de Précy ; l'autre, qui comprenait le reste du
territoire, était dirigée par les agens de Paris. Une correspondance
active existait entre ces deux agences.
» Elles correspondaient avec le prétendu roi et le gouvernement
anglais.
» L'Angleterre faisait les fonds, et soixante mille livres sterling
étaient destinées à l'un de ces agens, en nivôse de l'ano. Puisaye
étendait ses intelligences depuis Brest jusqu'à Laval. Frotté, en-
core en Angleterre, était chargé de ia ci-devant Basse-Norman-
die. Rochecot devait préparer le Maine, le Perche et le pays Char-
train; il avait même des intelligences à Gaen. Bourmont com-
mençait ses fonctions depuis Lorient jusqu'à Paris. Mallet
commandait dans la Haute-Normandie et l'Ile-de-France , aussi
jusqu'à Paris. Tous les arrondissemens, jusqu'à cinquante lieues,
formaient un triangle dont un angle s'appuyait sur Paris. Dans
l'Orléanais était employé un Dujuglaiz. Un de Palu-Duparc avait
copimence une organisation dans le Haut-Poitou. Un Deîorge ar-
rivait d'Angleterre pour organiser les pays qui environnent Ko-
chefort et Bordeaux. A Paris, foyer de toutes ces trames, deux
compagnies étaient formées, dont une commandée par un De-
frainville.
» C'est par ces mesures militaires, autant que par la Constitu-
tion, queles conspirateurs espéraient renverser le gouvernement ;
4i0 DIRECT. — DO i«r PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
ils comptaient profiter surtout de la fréquence des élections, qui
leur donnait le moyen de porter en majorité les royalistes aux places
du gouvernement et de l'administration. Pour parvenir à ce but,
il fallait i^ forcer les royalistes d'aller aux assemblées primaires;
^ les forcer de réunir leurs suffraf^es sur des individus dési(];nés;
5° faire voter dans le même sens qu'eux , cette classe d'hommes
qui, sans attachement à un jjouvern'ement plutôt qu'à un autre ,
aiment Tordre qui garantit leurs personnes et leurs propriétés. Il
fut formé deux associations ; l'une composée de royaliNtes éprou-
vés; l'autre des roya'istes timides, des égoïstes , des indiffcrens.
La dernière de ces associations portait le nom de Société des Amis
de l'ordre et ennemis des anarchistes : les règlemens de cette so-
ciété sont divisés en cinq chapitres, et le cinquième chapitre en
six sections.
» Le prétexte de celte société est d'opposer une digue épaisse
au torrent dévastateur des Jacobins. C'est avec ces mo's qu'on
fera diverger Popinion des ambitieux. Tuutes les dénominations
sont bannies de cet établissement, et tous les partis y sont admis,
afin de lutter de concert contre les anarchistes, qui les attaquent
tous. Dec^tte manière c*étjii pour les dupes une ligue offensive
des honnêtes gens contre les Jacobins.
> La première démarche à faire pour entrer dans cette société
était un serment de ne jamais faire connaître aux non initiés les
mots et signaux de reconnaissance , non plus que les personnes
de la sociéié.
» La société ne se réunit point ; les membres ne communiquent
que par le moyen des affidés. il n'y a de réunion que dans le cas
où il faudrait résister à un mouvement oppresseur.
» Les membres sont tenus de se rendre aux assemblées primai-
res pour y porter le vole de la société.
» Les présentations se font par des parrains à des affidés. Le ré-
cipiendaire reçoit de ses parrains un nom qui devient le moyen se-
cret de communication.
» La société devait porler essentiellement son attention vers les
assemblées primaires, qui sont un moijen constitutionnel d'arra^
AU 48 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 411
cher aux Jacobins les places y et de les remettre à des mains pures.
Pour s'assurer de l'unanimité des suffrages, chaque sociétaire
donne à un affidé son vote cacheté. Un bureau central fait le
dépoui'lementdes scrutins ; le résuliat en est communiqué à cha-
que membre de la société, qui sera tenu d'adopter le vœu de là
majorité. .
» Chaque sociétaire mettra au bas de son billet les lettres
initiale et finale de son nom de société : on en verra bientôt le
motif.
, » Ils seront forcés de signer des adresses contre les Jacobins ,
quand on leur en présentera.
» Cha ]ue membre convoqué sera tenu de se trouver au lieu de
réunion indiqué. On combattra l'ennemi avec la vigueur qui as-
sure le succès, s'il attaque.
» Chaque associé préviendra son affidé de l'arrivée dans sa
commune d'un ami de l'ordre , d'un faux frère, ou d'un Ja-
cobin.
» La première de ces associations , désignée par Duverne de
Pre^le, s'intitule Coterie des fils légitimes. Cette société est ex-
traite de celle des amis de l'ordre et ennemis des anarchistes. Cha-
que membre jure d'être fidèle à son roi légitime Louis XVllï, de
se conform* r en tout point aux règlemensde U coterie, et de n'en
jamais révéler aucun des articles. Les amis de l'ordre doivent
ignorer jusqu'à l'existence de cette coterie. Il y a un président
par canton. Les affidés sont nommés par le président de canton,
sur la présentation d'un secrétaire, lis votent comme les secré-
taires, et ne connaîtront point le président de canton. Les secré-
taires sont nommés par le président de canton, et acceptés par un
président {général qu'ils ne connaîtront pasj davantage. Ils vote-
ront conformément au désir du président.
» Voilv» en abrégé quels étaient les règlemensde ces instituts ,
ouvra^f;e, à ce qu'il paraît, d'un certain Despomeiles, ainsi que
les divisions militaires. Mais ce qui n'est point compris dans If s
règlent ns, c'est que les coramandaus militaires avaient ordre de
lurmer des compagnies des royalistes les plus dévoués et les plus
\
M"! DlKECl. — DU l«r P^AIK. M* V (^20 MAI 1797
courajjeux, à qui on devait fournir des armes et des munitions :
elles étaient destinées à assurer les mauœuvres des royalistes, à
forcer parles menaces ou aulreinent les membres de l'institut phi-
lanthropique à se rendre aux assemblées primaires ; et c'est pour
cela que chaque membre devait mettre sur son billet les lettres
initiale et finale de son nom de sociétaire , afin que l'on pût con-
naître la conduite de chacun des membres : elles étaient destinées
en outre à écarter des assemblées tous ceux qui ne conveoaient
pas ; ce qui a été exécuté, ainsi qu'on le verra par la suite. Il y a
d'autt es détails pour le cas où l'on pourrait se passer de la voie
des élections et agir de suite à force ouverte ; mais, comme les cir-
constances n'ont pas permis d'employer ce dernier moyen, nous
ne rappelons que la partie du plan qui a trait à l'événement dont
nous sommes chargés de vous transmettre les détails.
» Vous vous rappelez que les agens du prétendu roi devaient
faire tous leurs efforts pour gagner les membres du gouvernement
et de l'administration. Dès le mois de juin i79() (prairial an 4) un
parti, qui sedisait très-puissant, leur fil faire des propositions. (On
se souvient (jue des conjurés de vendémiaire étaient entrés dans
le corps législatif.) On proposait pour tout changement la con-
centration du pouvoir exécutif. Le prétendu roi voulut discuter
la condition; il demar;da un fondé de pouvoirs, que l'on n'osa en-
voyer. Les agens ne savaient pas au juste le nombre des mem-
bres du corps législatif qui désiraient le retour de la monarchie ;
ilssupposaientqueces membres étaient ceux, ou au moins en par-
tie, de la réunion de Clichy : ils ne connaissaient que les seuls in.
lermédiaires Lemerer ci Mersan. Un envoyé d'Angleterre, nommé
JHardambert, avait des rapports directs avec Salin.
») Voilà quel était le grand plan dont il est question dans les in-
structions du prétendent, sur l'existence duquel le procès de La-
villeheurnois n'avait laissé aucun doute, mais dont il n'avait pas
révélé toutes les parties , quoiqu'il fût évident que les moyens les
plus importans indi()ués par ce plan fussent les élections, et «pie
le but fût le rétablissement de la royauté.
» Je dois ajouter (]ue, dès celle époque, il existait une corres-
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 415
pondanceentre un agent de Louis XVIII à Paris et un autre agent
à Londres. Il se faisait par mois uti envoi de 48,000 francs pour
payer tous les renseignemens que Ton pouvait prendre autour
du Directoire et des ministres ; l'agent secret en faisait passer à
Londres le bulletin, tous les quinze jours, par un nommé Trion ,
émigré, fusillé depuis.
> Déjà les manœuvresdesPrécy, des Bessignan, avaient excité
les plus affreux désordres depuis le Jura jusqu'aux Bouches-du-
Rhône (1j. Lyon était le point central de toutes les espérances
royales, de toutes les intrigues contre-révolutionnaires. Un par-
ticulier de Vaux a fait sa fortune en transportant seulement à
Lyon des émigrés et des prêtres déportés. L'arrivée de Willot
mit dans les pays soumis à son commandement tous les crimes à
Tordre du jour (2). La Constitution, les lois, la justice, l'huma-
nité furent foulées aux pieds sans pudeur et sans déguisement ,
tandis qu'un Lamothe, un Dominique Allier portaient le ravage et
la mort dans ces malheureux départemens. Bientôt ces exemples
funestes, à l'approche des élections, sont propagés avec fureur et
suivis avec audace. Les fêtes républicaines ne sont point célé-
brées , les airs patriotiques sont proscrits. Par ordre des admi-
nistrations , sous leur autorisation , on donne des pièces qui rap-
pellent la royauté , telles que Bichard Cœur-de-Lion. Les arbres
delà hberié sont coupés; les républicains, les fonciionnaires pu-
blics patriotes insultés, menacés, assassinés. Des troupes d'é-
gorgeurs royaux parcourent nombre de communes, criant : Vive
le roi ! jurant qu'ils ne déposeront les armes que quand ils se se-
ront défaits de tous les républicains. Ces premiers alternats sont
suivis de vols , de brigandnges et de proscriptions. Les courriers
(«) « CeBessignan, émigré, voyageait en France sous la sauvegarde d'une
mise en liberlé du comité de su été générale , signé Rovere. Il éiait à Paris le
t" germinal an .1; il fut arrêté dans les Tuileries et conduit au comité de sûreté
générale, qui le fît conduire en piisoa; mais, deux Jours après, il Tut mis en li-
berté sur le rapport de ï.omont appuyé par Ror'erc. »
(2) « Toute la suite de ce rapport est appuyée sur des pièces officielles dé()o-
8ée« cliez les ministres. Ces pièces ont été cx)mmun!quéps à la commission , qui
en a extrait tous les faits qu'on va lire. »
414 DIRECT. — DU 1^' PRllR. AN V |^ 20 MAI 1797)
de la malle sont arrêtes, dépouillés, assassinés. Des malheureux
sont arrachés à leurs assassins, repris et massacrés. Lesact;ué-
reurs de biens nationaux éprouvent plus pariiculièremeni tous
les genres d'outrage et de persécution. Des jeunes gens, dans un
déparlement, sont convaincus d'avoir tiré des coups de Tubil sur
ces acquéreurs; ils sont îibsous par le jury d'accusation, parce
que tout ce qui tend à détruire le gouvernement est bon. Les
émigrés, les prétrts déportés rentrent en foule, et provoquent
tous les crimes. La plupart des autorités constituées non-seule-
ment laissent tant de forfaits impunis, mais les proié^^ent, les
provoquent, et sont les instrumens des agens delà royauté. Ce
n'est qu'avec des soins et des peines incroyables qu'on est parvenu
à empêcher l'exécution du projet , constamment suivi, de faire
péiir tous les républicains depuis Lyon jusqu'à Mar^eille, afin
de pouvoir communiquer sans obstacles et se mettre en état de
rébellion ouverte. L'administration centrale du département de
la Drôme, nommée par le directoire exécutif , et heureusement
conservée par les patriotes de ce dépaitement aux eleciioLsde
l'an 5, a rendu à cet égard les services les plus signalés.
« Les administrations n'exécutent aucune des lois sur les pas-
seports, sur les prêtres et sur les émigrés; elles éloignent tout
ce qui peut être avantageux au maintien de la République. Des
représentans du peuple même encouragent directement ou indi-
rectement tous ces desordrrs; Boissy d'Anglas fai^at renvoyer
des iioup ;> républic^iines du département de l'Ardèche et de-
mandait que ce département fût mis sous le commandement de
Willot (IJ.
» Ceux des tribunaux qui ne sont pas ouvertement conlre-ré-
(I) • Un liomnie du département de l'Ardèche, qui, en l'an 5 prétendait Te-
nir au corps le^iislulii gro:>sir le ntmiljre des conjurés, publia ses ùires à cet
houneur dansun inipnine 4ui con enait léounuTHlion des s rvice* signales qu'il
a>dit reudus pir >ou lèle a défendre le iioue, le monarque, ses mu sirjs, lej
énJigre-^ el Its pK'ir<s lefracldirt-s. Cel écnl \d\l connai re 1 l^p^ii qui dnigea
les op râlions de lass» mb!ec éUc.i»r.le de ce dép .riement , cl Ihonniie qui co
est l'auUur es. un juge du Iribuual cvil. Faul-il s'etouner de l'imp .nile que les
assassins el les émigrés oui trouvée d ms celle couirée , et des crimes aifreux qu")
a commis la hande de Dominique Allier? "
AU i8 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 4ld
volulionnaires cèdent à la crainte, et les résultats en sont égale-
ment déplorables. Les républicains innoctns n'y paraissent ja-
mais impunément ; les assassins royaîisies , les émi ;rés , les prê-
tres séditieux y trouvent toujours une protection déclarée : les
victimes y prennent la place des agresseurs. Des jugfsdepaix
sont mis en jugement pour avoir commencé des pouràuites con-
tre des royalistes , et le moindre crime de ces autorités est de ne
pas juger quand elles n'ont pas l'impudence d'absoudre.
» 3]ais peut-on pailer de crimes dans la révolution sans par-
ler des prêtres réf;actaires, avec lesquels nous ne confondrons
jamais ces hommes estimables qui ont donné l'exemple de la sou-
mission aux lois , et qui ont persisté dans leur sage résolution ?
Quand donc enfin rendra-t-on justice à cette espèce d'êtres qui
n'ont ni cité, ni famille ; qui regardent le genre humain comme
leur domaine , et égorgent qui ne se soumet pas! Feront-ils en-
core long-temps des dupes ces monstres qui n'ont à la bouche que
Dieu et la mort !
> Ils ont été les agens les plus redoutables de la contre-révolu-
tion , et à peine ose-t-on en parler î On treiuble devant cette poi-
gnée de misérables qu'un peu de feraieiéeiit lait pour jamais dis-
paraître du sol français! Ils connaissaient bien, ces prêtres, ceux
qui les appelaient avec tant de force à leur secouiv !
» Dès celle époque, c'est-à-dire à la fin de l'an 4 et avant les
élections de l'an 5, ils elfraient les fonctionnaiies publics ; ils les
empêchent de prêter le serment de haine à la royauté ; i s provo-
quent la lébellion , prêchent le pillage , et , un crucifix à la main,
ils appellent la mort sur h s républicains ; ils publient des maxi-
mes anli-civiiiues , incendiaires, et des dilfamations; ils pronon-
cent une formule de rétractation de tout serment à la liberté, à
l'égalité , de soumission aux lois ; partout ils organiserii la guerre
civi'e, et personne n'ose déposer contre eux !
» Un individu, se disant évê^ue de Castres, recommande à ses
subordonnés d être prudens... <11 exhorte, au nom de Jésus,
» tous les bons catholiques à rétablir la croix adorable... Les
» catholiques ne doivent prendre aucune part aux fêtes païennes
416 DIRECT. — DU 1*1 PRAIft. AN V (20 MAI 1797)
» ni adopter ni garder chez eux le nouveau calendrier... Le nou-
» veau calendrier ne doit pas même souilîerla poche d'un catholi-
» que. Oa a voulu, par ce nouveau calendrier, insulter le ciel...
j Un catholique ne doit adopter le langage et le stylo nouveau ni
» dans la conversation , ni_ dans ses lettres, ni dans ses actes. »
» D'après cela n'est-il pas évident que les ministres réfractaires
du culte catholique ne prêchent que la soumission aux lois et au
gouvernement existant! Impudens, qui le disiez à cette tribune,
nous savions bien que vous en imposiez !
» Un autre prêtre annonçait qu'ils avaient des jeunes gens sur
diffërens points de la République, qui bientôt l'auraient assom-
mée. Un autre prêche une croisade dans les montagnes des Al-
pes maritimes , se met à la tête des Barbets et coupe l'arbre de la
liberté, tandis que les émigrés rentres embauchaient pour une
nouvelle Vendée dans les gorges du ci-devant Vivarais.
> Ils étaient généralement soutenus par les administratious.
Mais c'est surtout les élections qui attirent leur convoitise et
fixent leur attention ; déjà ils employaient leur influence pour
s'emparer des choix ; elles arrivèrent enfin , et en grande partie
furent dignes de tels préparatifs.
> Le procès de Lavilleheurnois avait tout révélé. Lesageus du
prétendant étaient convenus que l'un des points les plus impor-
lans de leurs instructions était de travailler à assurer le succès
des élections. Droitier, l'un d'eux, convenait qu'il y avait mis
tout le zèle dont il était capable. On écrivait au général Malsei-
gne, à Berne, le 5 décembre 1796 : « Si les honnêtes gens sor-
» lent enfin de leur apathie..., les choix seront généralement
> bons dans tous lesdépartemcns, hors neuf, qui sont bien con-
» nus, et où l'on cherche en ce moiiient à éclairer les citoyens
> sur leurs vrais intérêts. D'après ces dispositions on calcule que,
» deux cent cinquante nouveaux membres renforçant le dernier
» tiers, que l'on sait être bien int^ntijuné, mais faible..., on
> donnerait un (jouvcrnemcni stable à la France. On désigne
• déjà à Lyon ies individus sur lesqu< 1-. doivent tomber les
» suffrages : un M. Mon! viol qui | endant le i«'mps du siéf^e
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 417
» était membre de la commission départemenlaie ; Camille Jor-
f dan , jeune homme d'un méiiie et d'un taient distiogués ; Dei-
») rieu , président de la municipa'ité du Midi... Les départemens
> environnans s'occupent peut-être avec moins d'éclat, mais non
» avec de moins bonnes intentions de ces choix importans. »
» Déjà nombre des élus d'un incivisme bien connu attestaient
qu'ils n'avaient pas travaillé en vain. Et cependant on ne prit
aucune mesure pour prévenir de si dangereuses entreprises! En
vain éleva-t-on la voix; les républicains étaient comme des voya-
geurs errans , sans guides et sans boussole; ils appelaient à leur
secours ; on ne leur répondait rien, ou, si l'on faisait semblant
d'entendre leurs cris, on croyait avoir tout fait pour la Répu-
blique avec des mots qui furent terribles sous Robespierre, qui
ne le furent pas moins depuis ; ces mots sont ; Les principes per-
mettent, ou tes principes ne veulent pas : com^me si les faits ne de-
vaient pas toujours déterminer la nature et l'application des prin-
cipes ! comme si autre chose, pour des hommes raisonnables,
que les moyens qui conservent, pouvait être appelé principes!
Insensés qui , dans leur froideur abstraite, raisonnent aussi so-
lidement que ce médecin qui regardait comme fort indifférent
que le malade fût mort, pourvu qu'il fût mort dans les règles
prescrites par la médecine !
» Au lieu des mesures que cette conjuration rendait nécessai-
res, on lui laissa son libre cours. Aussi les élections de l'an V
n'ont-elles été pour la plupart qu'une dérision et qu'un jeu cruel
sous les auspices de tous les crimes. Les royalistes avaient tout
préparé pour le succès ; partout on remarquait leur sécurité, leur
joie, leur audace. Ces ci-devant, si dédaigneux, veulent bien
être présens aux assemblées ; des émigrés veillent à ce que tout
s'y passe dans l'ordre qui leur convient, à ce que la liberté rè^'^ne,
et que la Constitution soit respectée... Il n'y a pas de séduction
qu'on n'emploie auprès des habitans des caujpagnes , qui n'ont
pas le bon esprit de voir que cette importance même qu'on leur
donne, et dont ils abusent contre la révolution, ils la doiveni
a celte méffie révolution, et que, s'ils ét^denl repK»ngés dans l<'ur
T. xxxvii. î27
418 DIRECT. — DU 1«i PRAIR. ÀJ^ V (20 MAI 1797)
première abjection, ils seraient cent fois plus humiliés par ces
ci-devant qui It-s caressent, et qui leur feraient payera usure les
démarches qu'ils consenteul à faire auprès d'eux!
» Les royalistes attirent dans les assemblées primaires des
étrangers, des stipendiés; ils y font enirer des domestiques à
gages, des déserteurs, des réfraciaires, et ils font déposer plu-
sieurs billeis par le même individu.
» On trompait la bonne foi des cultivateurs qui ne savaient pas
lire en écrivant , par le moyen d'hommes aposiés , sur leurs bul-
letins, d'autres noms que ceux qu'ils désignaient. Un ci-devant
noble porte l'audace jusqu'à mettre ses anciennes qualités sur le
procès-verbal, et son nom est maintenu, malgré la réclamation du
commissaire du directoire exécutif.
* Les républicains sont insultés, chassés et traînés dans les ca-
chots. Des massacres avaient préludé à ces royales machinations;
ils ne faisaient qu'annoncer le sang qui devait couler dans des
circonstances bien plus graves, au milieu des assemblées du peu-
ple.
» Des rassemblemens de brigands royalistes, des troupes d'é-
migrés, des compagnies de Jésus troublent les assemblées, por-
tent l'épouvante, dispersent les républicains, incendient les pro-
priétés des acquéreurs de biens nationaux.
» Secondés des torches du fanatisme , des prêtres parcourent
les cam| agnes, forcent leurs sectaires d'aller aux assemblées, et
leur donnent des bulletins; d'autres en distribuent au confes-
sionnal. Un club de moines exige des citoyens, et ensuite des élec-
teurs, le serment de ne nommer que des personnes attachées à la
royauté. Croirait-on qu'il y a des individus assez simples pour se
persuader qu'ils sont liés par un tel serment ? EnHn des njande-
mens d'evêques viennent mettre le sceau à toutes ces pratiques
du chailaianiime et de la fouiberie. Un accusateur public lance
près de cent mandats d'arrêt contre les meilleurs républicains.
> Dans une assemblée primaire de Moriagne, deux citoyens
irréjjrochables expiient victimes de leur civisme; uu grand nom-
bre sont blessés. On refusa d'entendre des témoins sur cette hor-
ÂÙ iÈ FàUCTIDOk ÀlN V (4 SEPTEMBRE 1797). 4Î9
riblè affaire ; mais on reçût lés déclarations dés assassins , et îê
principal moteur, Berihelot , fut dépuié au corps législaiif.
» Avec une impudence qui n'avait point d'exemple , et qui ,
au moins, nous l'espérons, ne sera pas imitée désormais , on
porta aux assemblées électorales des ci-devant nobles, des pères,
beaux-frères d'émifjrés, des chouans, et en général des hommes
bien connus par leur haine contre là révolution , et leur dévoile-
ment à la royauté. Le scandale de ces assemblées électorales fut
porté à un excès dont la certitude seule de la contre-révolution
peut donner la raison, et tout le monde a su que, dans plusieurs
de ces as>emblëes, on n'accepta le litre de <lépulé que d'après
l'autorisation et les ordres des commissaires dii prétendu roi.
Ainsi les noms les plus fameux parmi les côntre-révolulionnai-
rés vinrent s'unir à ceux d'entre eux que vendémiaire avait déjà
placés dans Cette enceinte.
» À peine sont-ils arrivés, que, sûrs de leur triomphe, ils trai-
tent les républicains avec insolence; ils se pelotonnant dans une
partie de la salle qui les met à portée d'avoir une influencé mar-
quée sur le bureau et sur la tribune. La fureur est dans leurs
yeux , et l'outrage dans leur bouche : i's imitent pour la royauté
tous les excès dont des hommes violens avaient usé pour \x Ré-
publique ; ils apportent à la tribune le langage de la cour du pré-
tendant et de la cor/ espondance des émigrés.
» Dès le mois fructidor de l'an IV, Lemèrer, cet internfîédiài^é
des agens d^ Louis XV 111 avec le club de Glichi, expri.he à cette
tribune ses regrets sur la chute du tyran, ei insuke au 10 août \1J.
Pasioiei et consoits plaident la cause des agens royaux, Duuan,
Brotiier, Lavilleheurnois, mis en jugement devant une comu/ià-
sion militaire. On a rimpudeme de combaiire le projet de réso-
lution d'après lequel les nouveaux élus devaient prêter le serment
de haine à la loyauié. On piopose d'eniraver l'exercice du droit
que la Constitution attribue au directoirîi exécutif de &uspeDr>
(I) « Ce Lemercr avait tôtit \usie ta figure de ftofcesV'érr^. D^s fciyàltsfes di-
saient 9ue, parmi tous ces coquins, il n'y en avait qu'un qui ùhiti droit an b'trf,
c'était Leniërér, et que Diiraolàrd n'élâii aupr^s de lui qu'iin bavard pcnrénx. >/
42U DIRECT. -— DU 1^1 PRAIR. AN V (20 MAI 1797)
(ire el de destituer les adminislraiions. Boissy d'Anglas, au mé-
pris de la Constitution , propose de modifier les lois sur les émi-
grés en changeant le mode de leur jugement.
> Mais à peine leur horde est-elle fortifiée des royalistes entrés
en prairial , qu'ils ne gardent plus aucune mesure.
* Rappeler les députés exclus par la loi du 3 brumaire , tels
que Job Aimé, dont le nom est lié à tous les crimes du Midi ;
Mersan , correspondant des agens de Louis XVIII ; ne reconnaî-
tre de validité dans les nominations qu'autant qu'elles sont faites
pour la royauté;porter au directoire ce Barthélémy, signalé dans
la correspondance de Lemaîire ; Barthélémy, qui correspondait
avec ce Barthès, auteur de la tragédie de Louis XV ly émigré, an-
cien secrétaire du comte d'Artois; qui , par les ordres de celui-
ci, avait fait des courses dans un grand nombre de provinces du
royaume pour faire chérir la cause auguste de la maison de
France; qui ne se pardonnait pas de ne s'être pas fait lier der-
rière la voilure de monseigneur depuis qu'il l'avait laissé à Tu-
rin; Barthélémy, connu dès le temps de la Convention nationale
comme protecteur des émigrés, et qui écrivait à Barthès que
sa radiation qu'il sollicitait aurait déjà été obtenue si Barthès n'y
avait pas lui-même fait obstacle; qu'après s'être manifesté comme
il l'a fait, il ne croit pas qu'il puisse mettre le pied sur le terri-
toire français (1); renouveler les inspecteurs; ouvrir toutes les
portes aux émigrés, rappeler les prêtres déportés , ôter au di-
rectoire toutes les ressources pécuniaires, lui enlever toute espèce
de confiance, allumer les torches du fanatisme; excuser à la
tribune, encourager fassassinat , donner des éloges à la tiahi-
son (2), tels sont les premiers pas qu'ils font dans la carrière de
(1) «Lorsque la faclinn royale a porté BarllicMemy au directOTO ellr*, lui accola
le duc d'Ursel. Anpereau , qui venait de présenter soixante drapeaux au nom de
l'armée d'Italie; Ma&séna,qui Tenait d'apporter les préliminaires de la paix,
eurent l'un et l'autre qudre-vingl-sepl ou quatre-\inp:t-huil voix de rejet. Quelle
dérision I En (général , la liste des Ctindidats pour la nomination d'un membre du
direc toire est un monument curieux. »
(2) « Le représentuit Gilberl-Desmoliéres disait souvent qu'il ferait mourir de
faim le gouvernemcut ci les dirertcurs.
» Vjllaret-.îoyeuse soutint à la tribune que la trahison de Sercey et la révolte
AU 18 FRUCTIbOK AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 1^1
la contre-révolution (1). Ils colorient ces mesures des mots im-
posons de justice et cC humanité; mais bientôt ils s'enhardissent.
Ils avaient frappé l'opinion de leurs internions; ils avaient con-
firmé les espérances des royalisies, porté le désespoir dans l'ame
des républicains; il fallait après cela créer les moyens d'action.
Des {généraux leur en imposaient ; il fallait paralyser ces terribles
armées. Un Wiilot se charge d'attaquer Hoche ; un Dumolard
aiiaque Bonaparte. Pichegru, que ses trames ont amené au corps
législatif, l'infâme Pichegru propose son organisation de garde
nationale , et compte encore au nombre de ses moyens son in-
fluence sur les armées (2). Wiilot propose une organisation de
la gendarmerie combinée de manière qu'il n'y entrât pas un offi-
cier de la révolution. Mais comme il faut encourager tous nos en-
nemis à la foi , Pastoret plaide la cause des Anglo-Américains ;
Vaublanc appelle de nouveaux massacres sur les plages infortu-
nées de nos colonies ; Imbert-Goîomès, ce confident, cet agent
du prétendant, ce complice des émigrés, a l'audace de monter à
la tribune pour se plaindre qu'on ne peut correspondre en toute
liberté avec eux (5).
de quelques habitans de l'Ile-de-France méritaient les honneurs de la mention
honorable. »
(\) « On repoussait toutes les pétitions lues à la tribune dans lesquelles on
déoooçaît les assassinats; les pétitionnaires étaient des calomniateurs ou des ex-
closifs; et vite Dumolard faisait passer à l'ordre du jour. »
(2) « L'organis'ition des grenadiers et chasseurs mérite d'être remarquée , et
peut servir de modèle aux coo urés à venir. »
(5) « Lettre adressée à Imberl-Colomès par Coudé. — iLe roi a jugé à propos
d'envoyer à Lyon M. de Besignan, etc. » Cette lettre est citée plus haut dans
VHiktoire pai'lementairc.
» — J'ai voulu, dii Imbert-Colomès , m'assurer de sa réalité (de cette lettre à
» lui adressée par Condé. ) J'ai cru de mon devoir d'écrire à M. le prince de
» Condé, qui m'a répondu n'avoir remis aucun écrit à Besignan-, et j'ai sa ré-
» ponse dans mes mains. Certes je ne ferai pas l'honneur à Barras , Rewbell et
j» Lepaux, de mettre en opposition leur témoignage avec celui de M. le prince
n de Coude; et comment ce prince aurait-il pu donner une telle lettre, tandis
» que, d'un autre côté, je suis parvenu à acquérir la certitude que le roi n'avait
» donné aucun témoignage de confiance à M. Besignan ?
» Je ne suis pas, dites-vous, républicaiu. Mou opinion est à moi ; je n'ai aucune
« espèce de comptée vous en rendre. Il m'était 1 brc de ponscrtiuela France joui-
I» fait de plus de repos et de vraie liberté sous une monarchie sagement tempérée.
•' Je réponds, dit-il, que cette lettre étant écrite par une tierce personne,
422 DIRtCT. — DV 1er pRAlU. AN V ( 20 MAI 1797)
» Penx membres du directoire exécuiif sont dignes en tout de
semblables législateurs; ils paralysent, ils déjouent tous ks ef-
forts (lu gouvernemenî. Carnot nie qu'il se commette des assas-
sinats, et s'oppose constamment à la drsitution de Willot. En-
nemi jadis implacable de Pichegru , depuis que celui-ci est eniré
au corps législatil", il le voit tous les jours dans le secret et l'inti-
mité. Pioiecteur déclaré des rois , il s'écrie , lorsque des direc-
teurs républicilins faisaient des propositions honorables pour la
France : vous voulez donc opprimer l' empereur ! Il n'y avait pas
jusqu'à 1 existence politique du pape qui ne lui fut chère. 11 pi é-
tendait changer en auant de royaumes toutes nos conquêtes, et
la création surtout d'un royaume de Lomhardie flattait singul è-
rementson imap,ination. Barthélémy témoignait par de graves in-
flexions de tête combien cette doctrine lui convenait (1).
» quelque grave que soit son autorité, ne peut m'être présentée comme pièce de
» coiivict on. Quoi ! pirce que M. le prince de Conlé m'avait recomnandé nn
• homme qu'il dit liouoré d • la coufiance du r>»i, on c nclut que j'ai con>piré!
» Croii-ciu que L<»uls XVIII a ppr.iu de vue la France? Et parce que le roi au-
^ rait su que je ii'étais pas un scélérat, parce qu'il lui aurait p'u de me désigner
» comme un homme qu il estimait , il s'ensuit que j'ai conspiré 1 »
» On ne commeute pus de tels écrits; mais leurs auteurs el 1 urs complices,
quand ils sont décDuv» ris, doivent avoir une haute idée del'humauité de ceux
qui se cuuien cnt de les chasser. »
(i) « Ce u'tst pas seulement en soutenant l'Antriche et en disant qu'on voulait
l'opprimer que Carnot déceiait le fcyslènxe qu'il suivait secrètemtnt pour perdre
la Képubt que.
» Lorsqu'on traitait les affaires de la Hollandp, lorsqu'on discutait le projet
de traite dans letjiiel on voulait tenir loy;)lemrnl la promc.»se faite à celle répu-
b'iqu« i»aissauie de ne pas séparer nos in éféis d( s si» us; lors ;u'on calculait les
moyens durracher ce pays aux déchirem us d.>nl les sladlhoudériens et les anar-
chistes le meuîtç lient également ; lorscju'on cherchait les mesurera prendre pour
y constituer nn pouvcruenienl et assurer la liberié, Cijrnoi soutenait qu'il (allait
saciifier la Il.tllan lo, que son sort devait nous être indilTérenl, que nous ne de-
vions pas nous iiKiiiié.cr si lAnglclerre gardait (juelque chose de ses propriétés;
« Qu'ils se l'iillcnt eu:rc eux au surplus tant qu iU voudront , disait-il; il u'y a
1) p^8 de mal h ecta pour nous. »
j) Lorsque les tronpt s de la Répnl)lique dt fendaient Kohi avec tant de courage,
Carnol soutenaii que, ce loit ne pouvant pas eirc cnnst r\é, c'était folie de le dé-
tendre. Cepcnd'nl s^ms la longue défense qui s*eu fit, l'arniéequi était retenue
devant ce poste eût été au secours des troupes im()ériales en Italie.
n Lorsqu'il fut quesli(m du dernier passage du Khin, Carnot le retardait tou-
jours, niaIpr(M[u'<-n lui représenl.U ^ans cesse combien cette diversion serait
mite ft farinée (l'iiallc. Il soutenait toujours que le passage n'était pas pratica-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 425
> Nonç ne savons où étaient les dupes ; mais If s républicains ni
les royalis es ne se trompaient pas sur tant et de si criminelles
entreprises.
» Cependant l'effet de la foulre n'est pas plus p^-ompt. Toutes
les horreurs dont j'ai déjà tracé l'effroyable esquisse redoublent;
Taffluence des émigrés et des prêtres déportés s'accroît de toutes
parts : les uns s'arment, se mettent par bandes, portent partout
l'effroi et l'assassinat, tandis que les autres, forts de l'empire
qu'ils ont sur les esprits faibles, sèment les divisions et la guerre
civile. ^
> Les arbres de la liberté sont coupés avec plus de fureur ; les
chouans sont complètement réorgan'sés;d< s compagnons de Jé-^
sus, des royalistes organisés en colonnes mobiles, desréquisition-
naires déserteurs ajoutent encore à l'effroi. Une proclamation de
Louis XVIll circule dans plusieurs départemens. Il semble qu'il
n'y ait plus d'asile pour les républicains.
» Lps acquéreurs de biens nationaux sont menacés plus que ja-
mais; les attaques qu'on leur porte , accueillies dans le cor[.s lé-
gislatif, décident leur entière proscription : ils sont de nouveau
insultés, pill's, chassés; leurs récoltes sont dévastées, incendiées.
Des fonctionnaires publics sont même accusés d'être au nombre
despilards; on met à leur porte des placards terminés par les
ble , que tout n'était pas prêt, quoi.jue toute l'armée puisse attester le contraire.
Il ne voulut pas seulement feindre la tentative du passage, ce qui eût attiré des
lroupçaiiiipériaKsdececùié,eteùi soulagé et encouragé l'armée d'Italie, qui était
dans une pobiiion fàcheu'^e. Il Jivail même écrit à l'armée d'Italie que celle du llhin
ne pourrait passer ce fleuve que dans deux mois au pins lôt. C'est dans cet état
de ch ses qu'on fit le traiié de Leobeu, où l'on Ot des sacrifices qu'on a'« ut pas
fai!s si l'ennemi i ùi été attaqué de deux côé". La >ignature de ce traité transpire,
et Ca. not vient tout à coup avec toutes les dispositions prêtes pour le possage du
Khin , qui fui ordonne le même jour.
» Sous un auti e rapport, Caruol arrêtait les progrès de la considéralion que
la République acquérait au dehors. Sons prétexte d'uue écon. mie .res-maTen-
teodue, puisquelle tendait à l'avilissem "nt de la Répul»liqne, il proposa de ne
nommer aucu i ambdssadcur; il ue >oulait que des charges d'affaires : de là se-
rait résulté que les envoyas de la République eussent eu partout le dernier pas,
lorsqu'au contraire les ambassadeurs de France l'ont sur tous les autres, excepte
sur feux de la Confédération germanique. »
1^ DiKbCT. — l>i; l*'' PhAlK. AN V ^ :iU MAI 1797).
inofs de i'ive le rui, périssent les rèjmbikaïnsl L'impunité conti-
nue d'enhardir tous ces briganda/^es.
». Les prêtres dëporlés sont accueillis avec plus d'empiesse-
nient que jamais par les adm nistraiions. lis rentrèrent avec bien
plus d'empressement quand une motion d'ordre, laite au conseil
des cinq-cen»s, et fort bien reçue, leur donna la mesure de leurs
espérances; et, pour faire honneur au digne membre de son ou-
vrage, ces forcenés, joignant le ridicule à l'atrocilé, font attacher
par des imbéciles une croix à un arbre de la liberté, avec cette in-
scription : Tremblez,, infâmes Jacobins, et reconnaissez la croix de
votre maître!
» Ils distribuent des catéchismes contre-révolutionnaires ; pré-
sident des rassemblemens séditieux , insultent , menacent les fonc-
tionnaires publics ; prêchent sans cesse contre la République ;
proscrivent les patriotes; se créent une garde de ceux qu'ils trom-
pent et corrompent, au moyen de laquelle les agens de l'auto-
rité sont méconnus, repoussés, assassinés; ceux d'entre eux qui
sont portés sur des listes d'émijjrés obtiennent avec facilité des
certilicais de résidence; en un mot, c'est a eux que l'on doit i)lus
parliculièremenl l'entière corruption de l'esprit public (1).
» Mais c'est surtout dans les départemens de la ci-devant Bel-
{;i(iue qu'une main cachée les excite à porter leurs ravages; ils
ont l'activité de la flamme : écrits empoisonnés, complots contre
la tranquillité publique, miracles, prédications atroces, à la
suite desquelles des fonctionnaires publics et des citoyens sont
assassinés ; ils emploient tout ce que l'ambition , la rage et la
fourberie peuvent fournir de moyens ; ils refusent de reconnaître
aucune loi ; ils empêchent la vente des biens nationaux. Des roya-
listes endoctrinés par des moines ourdissent le projet d'assassiner
les républicains.
(I) "La dernière députalion du Pu> -dj-Doiiie elail l'œuvre du fanatisme oi dr
la corruption ; elle rcnformail un Bovrot , le premier des royalisies de lEurope ,
Bodnai.ex-évéque de Clermont, président des fds légitimes du département,
avait ordonne à ses prêtres de refuser lalisoluliun et de déclarer en clat dr péché
inorlcl tous crux qui ne se rendraient pas aux assemblées primaires, commu-
nales et cJectorales, et qui ne Toléraient pas ainsi «lu'il leur était prescrit.
AL 18 FKtCTlbOR AN V (4 SEPlEilBRE 1797). 1^5
> lis étaient les proté^jës et même les guides des membres de
plusieurs autorités constituées ; aussi est-il impossible de ne pas
présenter en même temps le résuliat de leur conduite. Les prê-
tres priaient pour l'empereur en di^a^)t leurs messes , tandis qu'on
criait : Vive C empereur ! dans les rues.
» Lorsqu'on apprit la confirmation des élections faites à l'au-
berge de rOurse, à Anvers, il y eut à Malines une réjouissance
royale, et illumination , dans laquelle on aifecta de faire paraître
des fleurs de lis.
» Une municipalité annonce qu'on peut se dispenser déporter
la cocarde. Des municipaux refusent de prêter le serment de
haine à la royauté; d'autres de faire des poursuites contre des
prêtres réfractaires. Une administration chasse les patriotes de
ses bureaux ; une autre fait disparaître du lieu où elle s'assemble
tous les signes de la liberté , et parcourt plusieurs cantons, pré-
cédée de musiciens qui chantaient le Réveil du peuple; une autre
administration est obligée de prendre un arrêté pour empêcher
de jouer la tragédie de la Mort de Louis XVI. Notre devoir nous
oblige de dire que ces désordre^ datent particuhèrement du
voyage de Bénézech.
> Ce concours des fonctionnaires publies et des prêtres à por-
ter le découragement, à provoquer le desordre et le meurtre ,
l'impunité dout ils jouissaient tous, avaient tellement enhardi les
mauvais citoyens, que, dans un pays conquis, réuni nouvellement
à la France, où le gouvernement doit être plus vigoureux et la
circonspection plus grande, on chantait cependant publiquement
des hymnes en l'honneur du prince Charles ; en voici une stro-
phe :
Uux Carole ,
Héros invicibilis,
Adeslo nostris prceliis ;
Dui Carole,
Pugna pro nobis !
» Ce sont Its mêmes souhaits que ceux de Pichegru et de ses
amis de Strasbourg.
» Les émigrés ne fureut ni moins assures ni moins fui ieux i\uc
fM
t^Ô DIRECT. — BU 1" PRAIR. AN T ( 20 MAI 17î»7 )
les prêtres quand ils virent leurs députes dans le corps législatif,
la rentrée de ceux exclus par la loi du 3 brumaire, et touies les
propositions qui se succédaient avec tant de rapidité pour assu-
rer leur retour et !eur réinlé^jfdtion dans leurs biens.
t Des énii(3['és du ci-devant régiment Royal Allemand, rentrés
sur de simples feuilles de route, enrôlent, en messidor et iher-
mifJor an V, au nom de Louis XVIII, dans les dépariemens du
Rhône, IlIe-et-Vilaine, Haut et Ras-Rliin. Ils se vantaient qu'ils
forceraient bientôt les républicains à courir à leur tour chez l'é-
tranger ; ils se disaient sûrs des monlagries du Jura, du Doubs,
de l'Ain, de l'Isère, gngaées à leur parti par des prêtres réfrac-
laires : ce qui concoide parfaitement avec les faits contenus dans
la correspondance de Klinglin.
» Dt s compagnies de Jésus répandues dans les départemens du
Rhône, de l'Allier et del'Ardèche; des émigrés, des chouans,
des préires dans le Calvados, forment des tribunaux qui déci-
dent de la vie et de la mort des républicains , et font exécuter
leurs ju^emens par des bandes armées. De tous les moyens de
terreur imaginés par les royalistes dans ces derniers temps, il
est le plus :iuducieux et le plus épouvantable.
> Ma'gré que la terreur fùi grande , que les officiers publics
n'osassent poursuivre aucun des scélérats dévoues à la cause
royale, et qu'ils craignissent niéuie d'envoyer à la police leur
écriture déguisée, sans signature, cependant la liste authentique
des assassinats , parvenue à travers tant de frayeurs, offre en-
core le tableau le plus déchirant. Plus d^^ vingt-six dépariemens
sont v^ouil es par des crimes dont les détails font fi émir : des fem-
mes mises en morceaux , des enfans tombant à côté de leui s mè-
res, des citoyens massacrés au milieu de leurs famifles ; telles
sont les bon*' urs com-rnses par ces hommes qui prennent le titre
{Xhonnêtcs gens, qui sont du parti des honnêtes gens ; Irlles sont
les honeurs sur lesquels s gémissait et que voyait avec effroi
ci'lte baronne de Reich , corropoudante des émigrés, tandis que
des repré^entans du peuple , <jue dis-je ! ils ne méf itèrent jamais
ce nom, et eux-iiêmes disaient (ju'ils n'étaient pas nos collé-
AU 18 FRUCTIDOR AN y (4 SEPTEMBRE 1797). 427
gués , tandis que les brigands usurpateurs qui vinrent ici pren-
dre place au nom d'un roi excusaient à celte irihune, légiti-
maient ces meurtres , accabla ent d'outrages et d'injures les
membres de cette assemblée qui osaient demander qu'on ouvrît
enfin les yeux sur tant d'atieniais!
» Tandis qu'on répandait ainsi la consternation, on organisait,
on régularisait les moyens d'arriver à l'événement qui devait
couronner les efforts des royalistes : des eorrespondanci s d'hom-
mes intéressés , et des usurpateurs du titre de représentant du
peuple, indiquent les progrès de la conjuration.
» Un chef de chouans bien connu éi^rivait de Londres : « Cha-
» cun de nous brûle ici du désir de se rendre à Paris pour com-
» poser la garde nationale et défendre les législateurs... Je vous
» les adresse (les émigrés) par douze et par quinze, suivant vos
» instructions, et j'ai la précaution de ne choisir que ceux qui
» vont pour leurs affaires, et qui ont là leurs familles , afin qu'il
» n'en coûte rien à la bourse commune. »
» Un ém'gré rentré écrivait de Lyon : c On vient d'afficher la
» réorganisâiion de la garde naiionale; il faut donc mettre de
> coté toutes les petites considéraiions personnelles pour être
» utile à la bonne cause! Me voilà à la veille de porter 1 uniforme
» national ; mais je n'en imposerai pas avec ccî^cosiume à quicon-
» que me connaîtra comne toi. Qu'importe sous qnel habit on
> serve son pays selon son cœur î Ce sera pour toi un nouveau
» motif de m'e&timer, car ce sera un violent service , je t'en ré-
i ponds. »
» Duiheil, agent de Louis XVHl à Londres, le même désigné
par Duverne de Presle comme son correspondant, écrivait à un
émigré rentré : « Je ne cor çois rien à vos difficultés sur l'arme-
» ment de la garde nationale. Est-ce que Piche^ru n'a pas dit
» qu'elle serait armée par les arsenaux de la République? »
» On conn;«îi les démarches de (\eu\ administrateurs du dépar-
tement de la Seine auprès des municif)alités de Paris pour les in-
viter à or()aniser la ganJe niitionale, et à en éloigner les hom-
mes connus par leur républicanisme.
428 DIRECT. — bU 1er VKXitx. AN V [20 MAI 1797)
» Saint-Ghristol , qui, à la tête d'u» rassemblemenl de bri-
gands, avait pris la citadelle du Saint-Esprit aux cris de Vive Le
roi/ lit une proclamaiion dans laquelle il Invitait le peuple à se
lever contre le directoire et à se rallier à Willot et Piclie{;ru, ^ui
hienlôt combattront avec lui sous les étendards de La vraie liberté.
L'attroupement était de onze à douze cents hommes; un grand
nombre d'enrôlés devaient les joindre... Mais le 48 fructidor les
arrêta.
» Plus de trois mille individus, tant émigrés que prêtres , at-
tendaient dans le pays de Nassau que kurs bons députés portas-
sent une loi pour les faire rentrer.
> Des royalistes annonçaient dans le midi, peu de jours avant
le 18 fructidor, qu'avant une décade, Louis XVIII serait proclamé
roi. Un chef de correspondance de l'agent royal, dans le dépar-
tement de l'Ain, avait dit que le coup des royalistes devait écla-
ter avant la fin de sepleinbre , que tout était prêt. Une kttre de
Paris, dont l'écriture ressemblait à celle d'un député qu'on ne
nommait pas , portait : « Nous sommes ici sur un volcan ; Vérup-
» tion ne lardera pas à se faire, et je puis vous assurer qu'elle
» sera terrible pour les républicains (1). »
> A l'étranjyer on s'attendait à un changement total, et dans
un bulletin ministériel on ajoutait : C'est pourquoi notre ministre
ne se presse pas de faire la paix.
» Les correspondances des royalistes annonçaient le même
espoir et la même sécurité sur les événemens. Une lettre d'AI-
tona à L. Vii'ior le Français, à Gaen , est ainsi conçue : « Faites-
» moi le p'aisir, mon cher voisin, de m'envoyer un passeport de
Tiniérieur. Je sais qu'il est facile d'en obtenir ; je sais en outre
» qu'ils coulent 10 francs. >
» Une autre, datée de Sainl-Eiieiine, adressée à un nommé
Pujol : « iMon fils aîné , qui est auprès do moi, se chargera avec
(I) - Les adininistralcurs de la Dvàiue ont public la lellrr d'un rpprrstntanl
«juiaanonvait, au comiueucemcnl de friK-lidor, qu'il > aurait bientôt un .")! mai
PU faveur des hounéles ffcn.<. »
Al) 18 FRUCTIDOR AN Y ( 4 SEPTEMBRE 1797). 4^9
> empressement de procurer à la personne en question des passe-
» ports nécessaires et des certificais de résidence. >
» Une autre , de Toulon , adressée à M. Bares , à Wiberlingen,
sur le îac de Constance, en Souabe : « J'arrive de la grande
» ville (Lyon); j'y ai appris que dix gardes-du-corps y étaient ar-
)) rivés munis de passeports et de certificats de résidence de l'île
> de Corse bien authentiques. >
» Une autre : « Nous sommes tous dans notre bonne ville
» (Lyon); l'esprit est excellent dans tous les genres; elle est
» pleine des revenus de l'étranger. »
» Autre : « L'on envoie des passeports aux officiers de l'ar-
» mée de Gondé ; des individus, venant de Paris, ont apporté jus-
» qu'à deux cents passeports; le colonel Roland , de Romans-
» Moutier, dans le pays de Vaud , est chargé de la distribution ;
» on en distribue en outre à Hambourg ; on en envoyait aussi en
ï Angleterre (1).
» Ce Dutheil, dont j'ai déjà parié, tourne-broche à l'inten-
dance de Paris , sous Berthier, ensuite garçon de bureau, petit
commis, puis faisant un métier indécent et révoltant qui lui
valut la place de secrétaire général de l'intendance, agent de
Louis XVIII à Londres , écrivait à l'agent, son correspondant à
Paris : « Je vous renvoie vos passeports; je ne suis pas fait pour
> rentrer en lâche; je rentrerai au jour des vengeances en che-
> valier français. »
» Après avoir fait à la tribune des propositions les plus con-
tre-révolutionnaires, les députés conspirateurs protégeaient en-
core spécialement les ennemis de la République. Jordan corres-
pondait avec la cour de Rome. Un Montier, prêtre, lui écrit de
Londres pour le féliciter du zèle qu'il montre à défendre la re-
ligion ; un autre fanatique lui écrit do Milan : « Je ne vous irai-
» lerai pas, monsieur, de d^07/en, parce que celle qualité, qui
(I) « Eq fructidor tous les royalistes qui étaient à Hambonig aunouvaient,
avec une joie inexprimable , que Clichij allait rappeler Capet. Ce fait est attesté
par desnégocians patriotes qui s'y trouvaient, et à qui l'on conseillait de ne pas
rentrer en France. •>
490 dIrÈcÎ-. — DU le» pÀàlR. AN V ( ^20 MAI 1797)
» ne fait qu'une avec celle 6e jacobin, de terromièy né peut coD-
i venir au respectable défenseur de la religion (1). >
» Dumas, membre du conseil des anciens, émigré lui-môme,
écrivait à des émigrés qu'ils rentreraient amis incessamment, et
que les lois baibares sur l'émigration seraient rapportées : il eut
l'imprudence de vouloir jusiifier à la tribune un crime que la loi
punit de mort.
* Polissard , membre du conseil des cinq-cents, n'avait pas de
moindres espérances : un émigré était caché chez lui lors de sa
dépôt laiion.
» Nous ne pouvons ici ne pas rappeler le plus puissant mobile
de ces coupables trames, les journaux, qui chacjue jour por-
taient aux extrêmes fronfières les conseils de rébellion et de
mort; et c'est encore ici que nous devons nous accuser. Ne sa-
vions-nous pas que les auteur s de ces affreux libelles éiaient des
royalistes salariés, des échappés de séminaires, ce que la théo-
logie et la perfidie sacerdotale ont vomi de plus impur? ne sa-
vions-nous pas qu'i's avaient fait de la contre-révolution leur do-
maine? ne connaissions-nous pas la rage qui les dévorait, et
qu'après avoir provoqué la journée de vendémiaire dans leurs
écrits, ils avaient encore éié les principaux agens de la royauté
dans les sections? Et nous ne prenions aucune mesure ! Il fallait
fructidor pour qu'ds fussent déportés! Mais(|ue dis-je, sur com-
bien de ces élrts atroces a-t-on exécuté la loi? Ils sont encore
dans le sein de la Réjublitjue; ils se promènent librement, ils
écrivent, ils endoctrinent, ils m'écoulent peut-être, quand un
vaisseau aurait dû les porter sur la terre qu'habitent les tigres !
Gouvernemeni , tu réponds de l'exécution des lois !
> Maiila mesure était comblée ; les républicains, relancés par-
tout par des soi-disant représentans du peuple, par lesadminis-
(!) « Un autre écrit de Si)lianpc : « Caiiiille Jordan a fait un brillant rapport;
j> quoique je ue m attende pas i\ voir un décret l»i ii axaniagcui dans le cooi-
» meuceraent, c'est rependant p;tÇiier beaucoup que de gagner de I incrédullK'
» l'exercice d'un culte qu'elle abhorre. Noire culte ne tardera pas à obtenir la
» dofuioaiion qu'on ne lui donnerait point pitr décret. •
AU iS FRLCtlDol AN V (4 SEPTEMBRE Al^l '). 431
tràleurs, par les tribunaux, par des émigrés, des déserteurs,
des prêtres, des compagnons de Jésus et du Soleil, tous assas-
sins, et toujours impunis, contemplèrent eiifin la grandeur du
péril. Tant d'attentats avaient retenti jusqu'au milieu des armées :
du Rhin aux bords de l'Adda , les conjurés sont signalés ; géné-
raux, officiers, soldats, depuis l'entrée des royalistes dans le corps
législatif, n'avaient plus perdu de vue ses délibérations ; ils s'in-
formaient de la situation de l'intérieur ; et des nouvelles toujours
de plus en plus désespérantes leur apprenaient ce qu'ils avaient
à craindre pour leurs camarades, pour leurs familles i surtout
pour leur patrie, qu'ils avaient si généreusement défendue,
qu'ils avaient tant honorée ! Las enfin de tant d'indignités , ils
élèvent ce cri redoutable qui fit trembler à leur tour les ordon-
nateurs de conire-révoluiion et de massacres. Braves guerriers ,
l'éloignement , l'habitude des armes, vos combats journaliers
ne vous empêchèrent point déjuger sainement les choses et les
hommes; vous ne fûtes pas un instant dupes des scélérats; vous
trouvâtes dans votre cœur et dans votre patriotisme un guidé
qui ne vous permit même pas de balancer. Quelle diiférence en-
tre vous et ces hommes qui veulent bien persister à proscrire
ceux qui ont jugé fructidor nécessaire î
> Les conspirateurs, effrayés, sentent qu'il faut presser leurs
dispositions. Ils se sont concentrés dans le sein des dt^ux com-
missions d'inspection : Willoi , Pichegru , Rovere , l'anificieux
et souple Dumas en étaient membres ; les autres ne méritent
d'être comptés que par leur haine contre la République. Ils
organisent une police, ils étab'is>ent des correspondances avec
les administrations , ils pressent l'organisation de la gai de natio-
nale; ils font pl.icarder des affiches injurieuses pour tous les
républicains, mais plus particulièrement pour les membres du
gouvernement; ils essaient de corrompre les i:olJats, et Pi-
chegru , dans deux alresses, l'une à la garde nationale, l'autre
aux armées, acliève de se dé(nasquer. On voit à leur air inquiet,
agile, qu'ils méditent quelque grand projei. D\ibor(l, ins Jens et
assurés du succès, sur la nouvelle de quelques dispositions itiili-
432 DIRECT. — DU !«' PRAIR. AN ^ i /20 MAI 1797)
taires ils sont en rumeur, ils se troublent. Ils s'assurent du com-
mandant des grenadiers; ils cherchent à dénaturer, à dissoudre
ce corps qui avait défen lu la ref."ésenlaiioa naiionule en vendé-
miaire. Sur leur demande, un rapport que nous ne voulons point
caractériser est fait au conseil; les étranges dispositions du pro-
jet de résolution dont il est suivi annoncent que ce n'est qu'uLe
préparaiion à des dispositions bien autrement importantes. Ils
distiibuent des armes, des signes de reconnaissance; les nuits
suffisent à peine au temps qu'exigent leurs déUbéralions. La
correspondance des contre-révolutionnaires est leur guide, car
ils en conservent avec soin toutes les pièces.
> Nous ne recueillerons point ici les bruits que l'on a répandus
de l'organisation d'une force armée royalfe considérable , d'un
repj^s , où Miranda , ce Péruvien qui se trouve en France au mo-
ment d'une révolution pour y commander les armées, où Mi-
randa , disons-nous, garantit aux conjurés trois cents hommes
par section , qui seraient prêts au premier signal ; des distribu-
lions des rôles pour opérer le massacre des républicains dans
l'enceinte des conseils ; des moyens dont on devait user pour
faire occuper les postes par des hommes dévoués, tandis que les
grenadiers, sous prétexte d'une revue générale, auraient été en-
voyés aux Champs-Elysées; de cette triple organisation de la
société de Clichy, filière par laquelle les propositions les plus
contre-révolutionnaires arrivaient jusqu'aux oreilles des dupes.
Quelque confiance que méritent les hommes qui racontent ce^
faits, votre commission n'a du vous les présenter que comme des
bruits de conservation.
» Mais un fait dont les indications sont de la plus haute impor-
tance, et que nous citerons comme positif, parce qu'il est constaté
par des autorités publiques , c'est qu'il existait un corps organisé
de sept cents hommes, commandé par un chef de chouans qup
nous ne pouvons nomuier, destiné à agir d'une manière plus par-
ticulière lors de l'événement que préparaiefjl les conjures. Le
17 fructidor au soir, plusieurs individus faisant partie de ce corps
se prom<*naienî aux Tuilpries ; ils <e communiquèrenf rérippo-
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SFPTEMPRR 1797 ). 435
quemeDl le bruit que le directoire executif faisa't des dispositions
militaires; ils se conHrmèr'eni dans l'idée que ce bniit éîâil fondô.
En conséquence ils se transportent chez leur ciieF, luiraconLeni
ce qu'ils ont eiaendu. Le chef est d'avis qu'il faut sur-lc-cliamp
en rendre compte à Pichf^gru ; il monte daî.'S son ciibriulet, prend
avec loi l'un des individus qui étuient vcnu> i'aveMir. Arrivés
chez Piche^ru, i!s lui font part de leurs inqu études. Pichegru
répond : c Us ne sont pas , ils ne peuvent pos être prêts , et de-
» main nous leur... demain nous leur foutrons le tour, i
» Les républicains des deux conseils, les membres fidèles du
directoire exécutif, la force armée renversèrent en un insiani
celle horiible cofijuration, la suite et le perfectionnement de tou-
tes les entreprises de ce genre. La déportation fut la peine des
conjurés ; le sang ne coula point. Les barrières de Paris ne fu-
rent réellement fermées que quelques heures ; les communica-
tions dans Paris ne furent poiut interrompues. On s'était couché
la veille, le cœur navré, l'ame bourrelée des plus cruelles inquié-
tudes : le calme *qui revint dans tous les cœurs le jour même de
cet événement fameux^prouve à la fois, et sa nécessité, et la sa-
gesse qui le dirigea (f).
(1) « Daverne de Preste ne put contenir sa joie en voyaqt Pichegru enfermé
au Tempie; il l'insulia par un rire iaamodéré pendant plus de deux lieures:
M Le \oilà donc, disailil,ce gé éral si prudent, si pr-3voyanl,si §ag',si éclairé,
» qui devait infailiibletiient rétablir le Irône et l'aulel ! Hé bien ! il est mainte-
« naiit tout aussi sot, tout aussi élourdi que ce Duaan , que cependant il blâmai
» avec tantd'uigreur! Adieu, Chambjrd, bonsoir au cordon rouge! » (Promesses
faites à Pich<gru.)
fl Pastoret disait sans ccs^e : la Constitution est bonne; mais il faut concentrer
le gouvernement .. Eh ! qui ignore la valeur de ce mi?
» Le représeniahl Delarue disait sans précaution qu'il n'était au conseil que
pour le roi.
»Un officier de marine, oublié dans l'organisation, priait, en messidor, Tilla-
ret-Joyeuse de s'.ntéresser à lui. — Ce n'est |)as le mouient, lui dit Villaret; al-
tend(z: dans peu nous aun^ns un roi; la chose ne peut mani|uer. Je suis sûr
d'être amiral. Paiici-tez jusqu'alors, et je vous promels tout mon appiii.
y> Les administrateurs du département de lAilier ont dénoncé au corps légis-
latif le lasseniblenietit qui cul lieu à Moulins, en fructidor, les emmngasiuemeos
d'arir.es et de munilions dont on s'y occupait.
» L'î \ I fructidor, au coucher du so'eil , deux violentes explosions furent en-
tendues à dix lieues de rayon , sur les confÎQs du Cher, d' rAllier, de la Creuse .
T. XXXVII. 28
43i DIRECT. — DU 1" PRAÎR. AN V (20 MAI 1797)
» Quf^l |iie douleur que puissent inspir»r à l'hnmmiié If s cri-
mes «les w)yali>t<s, il es\ cppen lant jpielijnes oliscrvaiions au^si
rassurant» s pour les bons ciioyens (|ue dé ouf ajj»^.»ntes pour eux.
L»'ur cause, absurde (n elle- nème, est désormais concerte d'in-
fanfîic et de T- pprohre du crime ; royaliste e§t par le f a t syno-
nyme d'assflwi/i , Cl le moment nVst pas eloi{jné où, l« us les
yrux enfin d^-ssiliés, les hommes qui auront la bass'^ssede mon-
inr de t»ls seniimns, où hé trouve le germe de l'assas^ihat,
serontcouv» rts de mépi'is.
> Insensés! que vous demande-t-on ? Veut-on humilier vos
On «î persuada d'iibard qu'el'es p^-ovenaient d'un volcan; mais on ëi^couvril
ensuite que c'était un aver issemeiil aux fils légiiiines de ces truu déparie.ueas
de se leuir \v è s iMiur nn ^rnul coup.
» A Ih nièiiie époque il se fit i n grand îassrml)l''ment de rliefs royaIis!cs au
cbàleau de Viilem- nliiis, depjneinent de la Creu>e; il s'agissait de piouoiicer
sur le (h.)ix d'un r.»i. Ce ra SHnililernent élnii ^trésid ' par un é.ii pr'é ab ulunient
liico nu datis ce jtays; pour nneuï se déduise!*, il avait laissé croire sa brbe,
faii couper ses cheviux, ft pris le co^lunic jacobin; 11 se Faisaii appeler Donat.
11 fc'empois jnna aussitôt qi il eut ap lis 1 1 m uvelle du 18 rrnctidur.
» Les my liisles d Aifjneperse, Hép nciiienl du P'.iy-de-Dône . s'amusaient à
faire des ciri> ucb s, peur servir, disaienl-ils, les republiciiius. Diji plusieurs
fabl s en « t lent clinifié s, l.)rsqiie le ctiiinier aniofiva l« 18 fruciliiikr. Au si ôl
Ct> nu'ssi lira abando uièieut 1j fabrication, firenl les dt-rtiiers adiiui à ji'ur la-
niilL' , et priiciil l'i f.jite.
» On sait que P.ir s léiiiiissnit, au moment du 18 rruclidor, tons les ex-nobles
]es plus lirhs de chWjue di-parlement Lu ci-devaul diicaaour i; prussir leur
Douibrc c. c tniribuer aux gnm Is evéïiemens qui s'y prépara'» ut ; il reucoutra
eu s»' tant d Orénu iiu coiirri r qui lui ^^pprii la ou vêle «lece le jruni e. Il
retourna aussi ô. sur ses pis, et ^e reudit tristea.cut eu sou cliàleau de Mei.lan,
drparteni- nt du Cher.
» C 1 iiii iiibre du corps législatif, à qui l'on fiisail des observations sur sa
COi-diiit ' , dit tinm une socie.e : ISoiis avons jure de si rvir diiu et les bummes ,
et nous li n Irons ootre si nneitt.- Un li' ninie d'esprit lui ré|K)nditavcci. digna-
ti »n : Piir /)ic'«j vouseiiteujiz lespié res; par /louimr vouscntoiuiez l.séiii grés;
>otre seriiieuie.st un ci ini ■ c in're les ho. unies raisouDaîtleset lesl>uns ci oyens.
s Une leniine , ci-devant du plus biiut parrgc, dcmeiiraot fMuiiourgM uceau ,
dptui it,en ib rini ior dernier, à dim r à deux é\èi;ues emipiés et à deux an-
ciens seigneurs aussi < niipn's. H y avait un couvert mis pour B r.hel uiy; 1 n'y
put venir; miis la ci devant princesse dit : — Vous n'aiiriz pas 1- bon dir cteur
a< j util hiii; à CvJiip ùr il imu» viendra njercredi. — Le propos Us | lus s n-
gui(^:iro^ , *e.> plus a.r^ces, le> pluttconlre-ré^ululiounaircs lur^ut tenus pcudaut
loul ce diner.
» Ou eit rail de c s anccdolcs p. r mi licrs, tant la conD-ûce djus la contre-
révolu»iou avait mulJplie les iudisL\eiiun>. .
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE d797 ). 43^
personnes ?LV(;a'iié est la base de noire Conslituiion. Porte î-on
aileinte à vos lu^ns? La Consiiiu j «n en est la p'us sûpt* {ja'anlie.
> Ils seront bien ridicules ces ci-devant roiurers qui se lassent
de n'être pas avilis, et qui appellent des nobVs;i!s seront châtiés
ces amliiiieux qui cor S| ireni p.jur tenir le genre lium lin dans la
déj>cndi»nce et l'ijliJKeiioii ! Il est t''mf)S que tant de irani» s finis*
sent : dles finiront, repré^^eutans du peuple, quand vous le vou-
drez fortement.
» Vous avez remarqué par quelles intriarues, par q le Is atten-
tats les royalistes ont obie.iu leurs électio. s ; hé bien, U cours de
la justice .NU pendu par des jng^ s ini jues , l'a liuinisiraiion pura-
Ijsée ptr des faiiati«|u^s ou dts contre- lévoluiunnuires, les me-
nace*, les massacres , les jongleries d^s prêtres ne leur eussent
point eiicore assuié des succès; ils n'eu o it obtenu que par le
mensonge. G est en p. omettant la paix, en invoipjant la Constitu-
tion qu'iU ont obtenu des sufirages , et , pour ceux qui ont ob-
servé. Celle niajoriié même qui les porta aux paces ne votait
poinl pour leur .système, mais pour la Consiiiuiion, pour la paix.
11 tst évidtnt alors que si tant de moyens 'de con upiion n'eus-
seni point éié employés, la mas^e des citoyens eut volé pour
les amis de la liberté et de l'egaJiié , biens sans les jutls d n'y a
point pour l'homme d existence honoiable; elle eût voie pour
Icd amis sincèrts de la Con^tituiion, qui garantit ia durée de cet
biens.
» Maintenant, que la République a échappé à tant de perfid C9
et de trahisons , il i ous tembie que r«/n devrait être ii'un con-
vaincu d'une chose, c'est (]u'en politique il n'y a po nt <l*cvénemens
nécessairs; i!ssoni l'elï. tde l'imprexoyauce, et se comp »senide
toutes les entreprises partielles qui , n'étant point arrêtées de*
leur commencrujtnt, s'eieudent , opèrent en «quelque ioite leur
jonction, et amènent dt s caïastrophes.
» C est li République avait tout quM faut conserver. I\ou$ sa-
vons ()u il a existé une vaste conjuration ; nous savons que iou#
les fila n'en sont pas détruits : dans loijs lesévéncmens, dan> ton^
les actes des individus, il faut apprécier les motifs de delermind*
436 DIRECT. — DU 1<^» PRAIR. AN V (20 5IAI 1797)
tion ; s'ils prennent leur source dans le royalisme , c'est-à-dire
danslaconjuraiion , il faut sur-le-champ y porier remède. Les
royalistes ont créé un sysièine pour s'emparer des places de la
République: qu'ils soient observés, quMs soient impitoyablement
diassés; les emp'c's de la République ne doivent être confiés
qu'aux républcairs. Soyons à cet égard inexof;^lrs, et bannis-
sons, je le répète, ces absurdes théories de prétendus pi incipes ,
cesinvocaiions stupiJes de la Constitution au milieu de>quelles,
semblables à ce phlosophe qui, en re^jardant les étoiles , tomba
dans un pu ts, ces raisonneurs imperturbables eussent éié égor-
gés, et la République anéaniie, si des Iiomnrs plus sensés n'eus-
sent veil'é à leur propre conservation ; mni< pour avoir le droit
d'être sévère, il faut être juste : j^i les emplois ne doivent être con-
fiés qu'au républicanisme, il n'est pas d'une moindre iinportance
qu'il soit uni aux talens, aux lumières et aux vertus ; c't si le seul
mo> en de porter et d'assurer le bonheur dans le sein des fathilles,
ce qui est l'unique but d'un gouvernement sage.
> Nota. De ce que je n'ai pas cifé des faits personnels à chicun
def individus compris dans la loi de la déponation, on en con-
clura peut êirc qu'au moins ceux qui ne sont pis nominative-
ment désignés dans les fiièces re peuvent pas êire considérés
comme coupab'es : ce f^eriiit une très grnnde erreur. Une maison
a été enfoncée et pillée par des voleurs ; ils ^e retirent ensemble;
maisqi;e'qurs-uns seulement. «-on^bliargés des effets volés : peut-
on diie pour cela que les autres soient innocens, quand il n'y au-
rait d'autres preuves contre eux sinon qu'ils sorti » mrés et 5oriis
en même temps de la maison , et (ju'ils ne se" sont pris quiiiés?
Le ciime est d.ms la vi -laiion du domicile d'un citoyen, et non
dans la put ignoiée que chacun a pu avoir dans les actes
purlesqueson l'a consommé. Il a existé une vaste conjuration
pour faii e lon.ber les choix du peuple sur de mauvais ciioyens; il
es( constat. t que ces muuvais citoyens, dans les diiférentej fonc-
tions qui leur ont été confices, ont ^uivi la marche indiquée par
les agens de la conjuration ; qu'ils ont tenu leur langage ; qu'ils se
AU 18 FRUCTIDOIJ^N V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 437
sont trouves dans leurs rasseuiblemens ; que le complot était sur
le point d'éclater : il est donc évident qu'ils soni enveloppas dans
la (onjuration, iDaljjré qu'on ne puisse pas dire de chacun d'eux
qu'il a fait telle ou telle chose , ni designer le rôle dont il était
chargé. >
— Bien que la réalité de la conspiration soit parfaitement consta-
tée depuis que le retour des Bourbons en France fît un titre de
gloire et de fortune de ce qui avait été un motif «fe proscripiion;
bien qu'il soit égalenientconstaié aujourd'hui qu'un grand nombre
deconsfiitateurs avaient échappé au coup d'elat du direcioii e, nous
croyons cependant uti'e d'imprimer ici toutes bs pièc s que nous
avons retrouvées parmi le grand nombre de celles qui furent ren-
dui^s publiques après le 18 fructidor. La lecture de cesdocumens
expliquera à nos lecteurs, l'espèce de réaction anti-royaliste, qui
va avoir lieu dans l'ooinion publique.
Déclaration faite par Duverne de Preste, dit Dunan, au direc-
toire,
i Je ne me dissimule point en commençant* cet écrit, ciioyens
directeurs , que c'est l'acte de ma condamnation que je meis en-
tre vos maias. Mais quoique je sois loin d'éire insensible à mon
intérêt personnel , je me suis tellement persuadé que c'est un
tout autre moiif qui m'a déterminé à une démarche bien difficile
à mésinterpréier , que je n'hésiterais point à l'entreprendre, lors
même que je n'aurais pas , pour me rassurer, l'engagement que
vous avez pris avec moi.
> Beaucoup de tentatives ont été faites depuis la révolution
pour relever le trône ; toutes ont échoué, mais la pLipart ont'
coûté la vie à un grand nombre d'hommes de l'un cidcranire
parti. Hien n'a découragé les royalistes, et il y a eu jusqu'à pré-
sent tant de rai>onsdeju tilier leurs espérances, qu'on ne doit
pas être étonné qu'a côté d'une conspiraiion.eteinte, ils'enrtlève
une nouvelle d'autant plus dangereuse qu'à ses propres ressources
elle ajoute l'expérience des fautes qui ont entraîné la ruine des
autres.
4S? DIRECT. — DC i^ PRAIR. AN «T (20 MAI 1797^
> I! prut s'en funner quclqii*une qui réunisse assez de moyens
pour oser ailaijuer !e jjouvernpmfnt à force ou ver t^ ; alors lé
san{j frurçjis ciiulcai encore à (lois. C'est pour empêcher le re-
tour de C(S scènes de désolai on que j'ai formé le pr Djt^i da faire
conn^îlre tous les fils de la conspiration à la tête de laquelle j«^ me
trouve; yt iialiis la cause de la royauté , je le sais, mais je crois
sei vir ceux d» s Frarîça's qui la dé ireni , en déiruisani les fonde-
mens dt^ leu'S rhimériques f spéiances.
» 11 y a l'ientôt deux ans que je me suis charj^é des intérêts du
roi à Paris. Dès cetie époque , je semis que les royîilisies n'au-
raient une vérilable co «sistance que lorsque, réunis autour d'ua
C ntre commun, ils agiraient ensemble. Je fis tous mes el forts
pour 1 amener à ce c« mre d'uniié lou* les chefs de la Ven lée et
de la Bretagne , et les ;igens repanis dans It-s dépar lemcs, les-
quels imilai nt à la même tin par des moyens contrudiriuires,
B J alai dans la Br(ia,;ne , dans la Venilée , en Suisse , où
résilie un ministre anglais chargé spécialemerit de seconder
les roy loies ; j'allai à larmée de Coudé ; je vis le roi ; ei.fin , je
viens de f ire un voy:'{je en Angletore, dans lequel je me suis
expliqué ovec le comte d Artois et les ministres ang'ai». Il ne fal-
lait pas moins que louies c^-s courses pour faiie renoncer chacun
de ceux nui-iès de qui el!es é'aient dirigées au pi n particulier
qu'il av.'iit a loptt* , ei pour faire ajourner Ici divis-ons qui exis-
tiîient. Je croi-» que je n'ama-s jaiM:ji> eu de succès dmable dans
la Vendre : aussi ai-je né loin de regarder comme un événement
m Ihf-ureitx la >-oumi>siou des insurgés. Elle nous servait, en
noiis donnant la facili c «le dévelopj)er eniièremeni un \ I m plus
8a[;e, par cette seule r. i>on qu il embrassait toute la France, et
qu'i excluait tout autre mi)U>ement parti» 1 q«ie c«Liiqui noui
aurait tendus m:î tes de Paris en renverrai t le gouvernement.
» Voici le plan approuvé par le pr«lenilani, qui yeul en a connu
la lotal té; le n.iniitre ang'ais et les prin«es franc lis ont adopté
ce qu'on leur a montré de ce plan; on a cherché a f lire marcher
deco:icert les mesures politiques et les mesures nnliiairi s.
» Lu France était divisée en deux agences : l'uue qui comprend
AC 48 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797). 439
les provinces de Frani he-Comté, Lyonnais, Forêt, Auvergne
et tout le mi«li, co! fiée à M. de Pn^cy ; lauire qui s'él< n;l sur 1-0
Notd de li France, dirigée par les ageas «le Pa/is : ces deux
ajjences unit s par une correspondance aciive ei régulièie, (J)a ma-
nière q l'aucun «îouvement ne î>oii entrepris par i'uae, sans îû-
voir si l'autre e>t en ëialde la seconder.
• Leideux agences auront une correspondance directe avec le
roi et avec les miiii>ires britarini(|ues pour les secours qi.e \c$
agers emploieroYit indépencîamment des jn^tructipns d'-nnées
par l'S An{;l»is. Le >econd oitjct d-; la correspondance ang'. ise,
sera de leur dom.er les connais>ances qui tvndeni au s'^rvce de la
caus^, rria's jam:iis celles dont le résuli.t po irra t être de 'eur fa- •
ciliier la pr se de quel(|u une de nos places maril m^s ; le ro" et
son conseil n'ayant jam;iis cessé de penser que les services d s
Anglais s )nt des bervices perfides qui n'ont pour but que la ruiae
de la France.
» Les aj^ens municipaux sub aviseront l'étendue dont la direc-
tion leur e>t donnée en auiant de commîndemens miliiaiiçi
qu'ils le jufjerontconvcnalile; ils soumettront leur tiavail uu roi,
et lui proposeront les personnes qu ds croiront pouvoir remplir
avec iiiîe li,^ence et fidélité les places de comm mdant en chef
des divers ariondis^emeiis; lescommandans recevront leurs pou-
voirs du roi , mais dsne correspondront din clément qu'avec le*
ao[tns snpéi* eurs.
» Les î»gens piincipiux , et surtout ceux de Paris, nVpargne-
ront^rien pour ramener au parti d«i roi les membres des auloi iiés
con^iiiué s. Ils peuvent promettre à tout iiidividu les avamagrs
personnels que son inf>|jo tance peut le mettre en droit de dési-
rer, sans excej)iion de personi#, pis même des membres de la
Convention qui ont voté la mort de Louis XVI : ma-s ils ne pren-
droi.tjaaiais aucun enga';em«-'ni qui pourrait laiss^ei- croire que
rinieiition du roi est de n tab ir la moDarcliie >ur des bases uou-
vell s. Le roi fera tout pour réformer les abus qui s'éiaiei.t in-
troduits dans l'aiici'n ré^jirrje, mais lien ne p)urra 1 .' dé i 1er à
changer luCjasliiuiion de leiai. Daus le cas où un parti puissant
440 DIRECT. — DU 1er praIR. AN V (20 MAI 4797)
dans les conseils proposerait de reconnaître le roi à des condi-
tions, les agensde Paris engn^jeraient ce parti àdëpntfcr auprès
de sa inaiiesié un fon lé de pouvoirs, avec lequel elle discuterait
elie-qiéme les inlerèis de la France.
» Le but qu'on se propose esi le renverâenjent du gouverne-
ment actuel. C'est dansIaConsiiluiiou actuelle , elle-méine, qu'on
peut trouver les moyens de la détruire sans de grandes secous-
sty, \fS fréquentes éleciions oflrent des facilités déporter on ma-
jorité Us royalistes aux places du gouvernement et de l'admi-
nisiraiion.
» Jusqu'à ce moment, les royalistes n'ont su tirer aucun parti
de leur nombre; la pusillaiiiunté les a éloi^'nés des assemblées
primaires, ou , s'ils y ont porté des voles , ils l'ont f a t sans con-
cert prélab'e, et leurs voix se sont perdues sur les sujt-ts que cha-
cun préférait en particulier. Pour obtenir la majoi iié des suffra-
ges dans les assemblées primaires, il faut trois choses : i^ Forcer
les royalistes d'y aller; 2" Les forcer de réunir leurs suffnjges
sur des individus désignés ; 5*^ Faire voter dans le même sens
qu'eux cette casse d'hommes qui, sans at'achement à un gou-
vernement plutôt qu'à un autre , aiment l'ordre qui garantit leurs
pçrsonnt^s et leurs propriétés. Alin de parvenir à ce triple but ,
il sera formé deux aUiiiaiions, l'une composée de royalistes
éprouvés, l'autre, des royalistes timides, des égoïstes, des in-
différens. Il est inutile que j'entre à cet égard dans aucun détail ,
puisque vous avez les règ!emens de ces instituts.
» Us choisiront les royalistes les plus courageux pour en for-
mer des compagnies , dont le nombre sera proportionné aux
moyens [)écuniaires que les agens pourront destiner à ce service;
ils leur fourniront des armes et w.s munitions.
» Ces compagnies seront prêtes à se rassembler, surtout dans
le temps des assemblées primaires. Elles auront, à cette époque,
pour objet, de repous«^er tout autre parti armé ou non armé,
qui s'opposerait à la liberté des élections, bien entendu qu'elles
ne prendront jamais les armes les premières, et qu'elles ne se
mettront qu'avec les couleurs républicaines. Elles s'occuperont
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTE3IBRE 1797). 441
encore à forcer, par menaces oir autrement , les égoïstes et les
indifférens à se rendre aux assembîéis primaires.
» Les agens encourageront et faciliteront la désertion , sous
prétexte des travaux de l'agriculiure. On préparera les pnysans
à un nouveau saulèveoienf , mais nulle part on n'en excitera qu'a-
près les ordres des agens supérieurs.
» S'il arrivait que le succès des préparatifs mi'itaircs fût tel
qu'on pût raisonnablement se flatter de renverser le gouverne-
ment, on renoncerait aux moyens des assemblées primaires, et
on profiterait du moment favorab'e pour arriver directement au
rétablissement pur et simple de la monarchie. Enfin, dès que les
agens de Paris croiront assuré que le roi ne peut tarder d'être
proclamé, soit par suite des mesuras que prendront les deux
conseils où ses partisans seraient en majorité, eu pir des moyens
militaires, ils chargeront sur-le-champ un royaliste sûr de lui
en donner avis, ei de ramener immédiatement un prince du sang
dont la préîs'ence fasse taire toutes les ambitions particulières.
» Pour développer ce plan il fallait des fonds : l'Angleterre
seule pouvait les fournir. Précy a obtenu , pour lagence dont il
était chargé , la permission de tirer sur M. Wickam , ministre
d'Angleterre en Suisse, les fonds qui lui seraient nécessaires,
sauf l'approbaiian de M. Wickam. J'ai obienu 60,000 livres
sterling pour les dépenses préparatoires; 50,000 livres sterling
qui doivent m'étre payées dans le mois de h proclamation du
roi, à condition pourtant que nous n'agirions pas avant les élec-
tions ; lo,000 livres steiling pour achat d'habits blancs néces-
saires 'a l'habillement de quelques corps.
» Enfin, on devait faire passer par nos mains des fonds, dont
la quantité n'était pas déterminée, pour les transmettre à
MM. Puisaye et de Frotté, dont la position exige des dépenses
plus considérables que celles de nos autres arrondiosemens.
» M. de Puisaye, qui se croit en mesure de faire seul la con-
ire-révolution , veut depuis long-temps se déclarer; nous l'en
avons empêché jusqu'à ce mom^t. 11 étend ses intelligences de-
448 DIRECT. — DU !«• PRAÏR. AN V (20 MAT 1797)
puis Dresi juv(|u'à Laval ;jecro^ qu'il compie sur plusieurs corps
enij)!('yes <lans celte partie.
» M. de Fioiié éiaii encore à Londres, lors de mon dp'part ,
mais il complait se rendre immé liaienifnl en N*rman'lie , où il
a la s é les olric ers qui servaieni jadis sous ses ordns. M. de Ro-
cliecot est char f^é de pré[)arer le Maii e, le Perche et le pays
C^iai irain. M. de B jurmoni ne fait que commencer ses fonctions ,
depuis Lorient jiisqu'à Caën. M. Malier, ancien ai ie-maj )r de
Cliàiea'i-Vt'ux, estch;jr(jé de la haute Normandie et de 1 le-de-
Francejusq i'à Paris ; car nos an oud ssemens, jusqu'à cinquante
lieues, turment un tiianyle dont un anyle î>'appui^ sur Paris.
» Dins ro leanais est un eu»ployé de M. Dug aiz; je ne con-
nais pas la mesure dans lacfUt-Ufi il se trouve. La Pitardie, le Se-
nouais et la Brie sont encore sans chrfs; nous anémiions un
nommé M. Buiies, qui nous est annon é comme ayant des puis-
santes iijt licences dans la premièiede c s provinces.
» Nous nous occupions à renouer les iuielligenc^'S dans la Ven-
dée. A Paris, il y a deux coupagnies de formées: l'une d'elles
est» je crois, aux ordres <1e M. de Frinville; je ne connais pas le
cominan lant <te Kautre. Paris est le fo\er de nos iniell g* ûces.
Jusqu'à piésent nous n'avions pas essayé de corrompre à pri.x
d'a'(|ent , nous l'aurions tenié maintenant , afin de nous procurer
des d »nné.;6SÙre^S'jr lesprojels du (jiuvernemenl. J'avais entre
les mains le plan de descente en Irlande, ou plutôt le rapport de
Carnoi relatif à ce plan ; je sais bien comment on me Ta procuré,
mais JH ne suis pis qui.
f Nous mettions beaucoup d importance à gag;ner l'a police,
m lis nous éii ms tiès-ppu avancés à cet ej^ard. Nous lirions aussi
toutes les semaines un extr-nii du rapport des commis>aires du
pouvoir exéc .tif, sur la situuitm de I opinion publique dans les
departemens. Je ne siis d'où nous venait l'oi^nion qtie le minis-
tre de 1 1 police ne serait p ï> élo'{Tné lui - iiième de nous servir,
peut - être uiiqnement de ce qu'il passe pour modéré, et de la
guerre que lui faisaient les Jacobins; nous peuiii'ns de même
du miuisire de l'intérieur, el^ais doute par la même raison.
AU 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797). 445
» Mais, dans les conseiîs, nous avons trouvé plus de faciliié.
Dès le mois de juin de l'année dernière, il ooiis fut fai^l des pro-
positions au nom du par^i qui se disait puis>ant : nous les trans-
mîmes au roi. On oflia tde lest^rvir, à condition qu'il n'y aurait
d'autre changement à la Constiiulion actuelle que îa concentra-
tion du pouvo r exécutif dans sa personne. Le roi accepta le ser-
vice, niais voulut discuter la condition. Il demanda en consé-
quence qu'il lui fut envoyé un fondé de pouvoir ; deptiis lors il
n'a cesiC de le demunder, mais le parti éianl beaucoup plus faible
qu'il, ne s'était annoncé , a relâche de ses préieniions , sans pour-
tant y renoncer entièrement.
» De notre côté, pensant relever le trône par le moyen des
deux ton&t ils, nous avons ju(îé qu'ils re^ttraient les miîres
d'iuiposer au roi leurs condit ons , et nous n'avons pas insisté 6ur
l'envoi. Il est parti, il y a environ deux mois, quel ju'un qui , à
€8 que je crois, a porté au roi la lis'e des membies qui d/siient
la monarchie , et dont le noa»bre s'élève à cent qu.'itre-viogi-qua-
tre; je n'affirme rien sur ce fait. La veille ou ravaul-veille de
notre arrestation , une personne etc.it encore venu i nous proposer
de donner au roi ur e soixantaine de députes. Elle s'e.tg:i{jeait à
obtenir une déclaïaiion foimell- du fils du duc d'Orléans, por-
tant «ju'il ne préieud null.-m'^nt au uôie; on p^opo^ail mé.nè
d'enxoytr le jeune prince aupîès du roi. Nous écjuiioLS tout
sans prei.died en^^rujjem^Dt formel.
» L'importance dont il pouvait éire pour nous, de gagner les
corps aiiachés aux differens services à Paris , ne nous avait pas
permis de négliger ceue mesure. Nous avions quelques suc es,
et nous nous tlattions de plus {grands, puisque c'est à l'occj ion
des démaichis où ctt espoir nous a emraînés, que nous avons
été arrété>. P.u^ieurs de nos agens s'occupaifnt des administra-
lions particulièris; un d'tux m'a dit être syr que dix piésiiiens
d'adm nisirations mi.niiipales étaient ga^-^^nés; mais il ne faut pas
ajouter foi a ce dire; les roy.di^tes se sont toujours fait illusion
sur le nombre de leurs pjrtisans.
» Nous avons payé plus d'une brochure , nous avons inséré
444 DIRECT. — DU l«l PRAIR. AN V (20 MAI 4797 )
plus d'un article dans plus d'un journal , mais il est desfa'ts que
je ne veux dire que verbalement.
» L'agence de M. de Prec>^ était dans un elat bien différent
de la nôtre; ses préparatifs n'ont été que mi iiaires ju>qu"à pré-
sent. C^î n'e^t que deruièrement qu'il vient d'adopitr nos me-
sures polili {ues : il est dans ce moment à Berne, où il leçoii les
compies queluircnàentlesî'gtns particuliers; il y en a dans tout
le 31idi. On avait beaucoup de peine, dès l'iiniiije dernière, à
ariéier l'ardeur d'une pLjrtie d'entre eux qui vou!a tnià toute
force se soulever. C'est à Lyotj qu'il a le plub dj j ai lisans ; son
grand objet e^t de s'assurer de qulques viilts foi les , pour mé-
nager en Fi ance l'entrée de l'armée de Condé. 11 a des intelli-
gences à Besançon.
» Vous voilà instiuiis du secret de la conjuration ; je suis con-
vaincu qu'il snflirail, pour la dijouer, de publier ma leitre et les
règlemens des deux aissociatious. A cette lecluie, vous verriez
tous les royalistes rentrer en terre, et pour ce moment vous se-
riez tranquilles sur leurs entreprises ; mais il ne suflii pas qu'ils
y renoncent pour le n.oment , il faut leur en ôter pour toujours
la pensée.
» Il va arriver deux choses; la première, que les royalistes
qui pensent que le gouvc niement ne tient que les chefs de la con-
spiration, et rien du tout de la conspiration même, voudiout
coniinuer le même p!an. En conséquence , ils proposeront au
roi tt aux An|]lais d'envoyer de nouveaux agens pjur nous rem-
placer, en marchant sur nos traces, mais avec plus de précau-
lioDs; ia seconde, que d'autres royalistes qur veulent renverser
le gouverne mint par des excès, forts de notre mauvais succès,
proposeront à Londres et à Blai.kembourg de j;a{ïner les Jaco-
bins; ces hommes rnergi(jues ramèneront lu terreur, et à la suite
de la terreur viefidra la royauté.
> Il exi^te encore un parii royaliste qui compte sur l'appui de
l'Espagne; à sa léte sont MM. de Lavauguyon et d'Aniraigues.
» La personoe qui nous est connue sous le nom de Thebaut
est M. Despomelks, maréchal de camp avant la révolution. Il
AtJ i8 FRtCTIDOR AN V ( 4 SEÎ^TJEiMBRK 1797). 44^
peut s'être chargé de nous remplacer, mais provisoirement, car
il est trop prudent pour prendre sur son compte une si périlleuse
besogne.
» Je n'ai jamais entendu parler de la veuve Joye avant mon in-
terrogatoire; c'est sûrement un nom de guerre. La personne qui
le prend n'a pas eu de correspondance avec nous, mais vrai-
semblablemerit avec Dulheil, mon correspondant à Londres;
DjvûI est le nom que j'avais pris en Angleterre, ayant continué
d'en prendre un nouveau dans chaque voyage que j'y faisais,
» Nous ne connaissons pas les membres du corps législatif qui
sont de notre parti. Lemei'er et Mersan étaient nos seuls inter-
médiaires, mais les autres sont la plus grande partie de ceux qui
forment la réunion de Clichy. L'individu qui nous a procuré le
rapport de Carnot sur le projVt de descente en Angleterre doit
être employé au dépôt des places et cartes, appelé peut-être bu-
reau des hydrographes ou typographes. Je crois que celte pièce a
dû être enlevée pendant une absence que fit le chef du bureau ,
dans le cours du mois de frimaire.
» L'Angleterre payait ici un nommé Hardambert ; il avait des
repports directs avec Saladin. Elle paie également un nommé
Vincent, que le ministre delà police doit connaître.
> Une correspondance qui ne nous est pas tout à fait étran-
gère est celle de M. ù'Anlraiguesavec M. S^urdatpère. Sourdat
écrit, soit à un abljé nommé An ;ré, qui se fait nommer La-
marre, soii à M. de Val iené; ces deux messieurs sont à Lausanne
ou à Vevay. Ce«ix-ci transmettent les Itttrrs à un abljé Lareynie,
à BtîliinzMne, sous le couvert, je crois, du directeur dts postes
de ces endroits. Ce den-ier envoie à Venise où se tient d'Ararai-
gues. De Venise, l'.sdéiails vont à M. do; Lavaiiguyon. Sourdat
écrit au.^si directement à'Belîinzonp , taniôià l'abbé de Lorraine,
sous le nom de Grégoire Letony, tan'ôt *à Marco Pliilibcrii ou
même à d'autres. II y a encore une correspondatice directe,
adressée à Mai co Philib'jrti , banquier de Bavière ; la correspon-
dance de l'intérieur est sans intérêt qtielconque. »
446 DIRECT. — DD 1" PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
Proclamaiion de Louis XVIll aiiî Français, du 10 mars 1797
(HO venlàse anô,)
« Une douleur profonde peûètre notre ame toutes les fois que
nous voyons les Français (îéniir daris les frrs , pour prix de leur
devoueMunt au salul de la F<ance. Mais su!fira-t-il à vos tyrans
de s'èlre ptocuié de nouvelles viclinn s? dans celte conspiralicn
quMs leur imputent, dansées papiers qu'ils publiui.t avec tant
d'éclat , ne cli» relit roui ils pas des prétextes pour calomnier nos
inieniiun.>? u'esi-il pas à craindre, enfin, que, supposant des piè-
ces, ou se per/neiiant de fraudultuses insinuations, ils ne s'ef-
forcent de lious peindre à vos yeux sous des couleurs menson-
gères ?
» C'est un devoir pour nous de vous prémunir contre une per-
fidie que Texpé/ience du passe nous autorise à prévoir ; c'est un
besoin pour notre cœur de vous miiufesier les sentimens qni le
remp isseni ; It-s tyrans s'enveloppent dtsombies du myîjlèrc;
un père n*^ craint pas les re{;ards de ses eufans. Ceux de nos fi-
dèle s sujets que nou^ avons chargés de vous eclairt r sur vos V( ri-
tables inierèis retrouveront d^ns cet éoit les inî>truciions q -'ils
oi.t leçues; ceux que la | ureié de leur zèle et la sag- sse de leurs
principes rendront dignes à l'avenir de notre conHance y liront
d'avai.ce les in>truciions qui leur sont données. Tous e* Français
61 fin qui , pai tageani noire amour pour la patrie , voudront con-
courir à la sauver, s'y icv^tiuironl dts rè;;lesqu'ds doivent suivre;
et la France^, eut ère connaissant le but auquel ils tendront de
conceii ei les moyens qu'ils mettront en œuvre, jugera elle-
même du bien qu elle doit en espérer.
n Nous avons dit à nos gens , nous leup répéterons sans cesse :
Ramenez notre p( uple à la .vainte n lijjion de ses pères cl au gou-
veintment paternel qui fit si l« n{j-iern|>s sa {jloire et son bon-
heur ; expliquez-liii la constitution de lé ai , qui n'est calomniée
que parce qu'< llee*t mrconnue; instruisez-le à la distin{juer du
régime qui s'était introduit depuis trop long-temps; monlrez-lu.
AU 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ). 4î7
qnVlle est p'gaîement opposée à Tana» cliie et a<i despotisme , deux
fléaux qui nous som odieux aui..nt qu'a lui-njéiiie, mais qui pè-
sent tour à tour sur la France d^-juis qu'elle n'a plus scn loi.
Consuli» z les hommes sîges <t éclairés jur les ifuuveaux defjres
du perfection do!;t elle peut être susceptible , et faiies connaître
les formes qu'elle a pi esci ites , pour travailler à son améliora-
tion.
» Affirmez que nous prendrons les mesures les plus efficaces
pour la préserver des injures du temps et des attaques de l'au-
toiité même. Garantissez de nouveau l'oibli des erreurs, des
torts, même des ciiiues; étouffez dans tous les cœurs ju qu'aux
m« iiidres désirs des \en;jfances particulières, que nous sommes
résol s de réprimer tévèiement; irarsmeitez-nous le vœu pu-
blic Si.r les rè^jlemens propres à corri^œr les abus, dont la ré-
forjiie sera lobiet constant de noire soiliCilude ; donnt z tous vos
soins à prévenir le i etour de ce réjjime de sang qui nous a coûté
tant de larmes et dont «nos malheureux sujets sont encore me-
nacés.
» Dir'gez les c hoix qui vont se faire sur des {^ens de bien ,
amis de l ordre et de la paix ; mijis incapibles de uahir la dignité
du nom français, et donl les vtrius, les lum ères, le courage,
puissent nous aider à ramener notre pe -pie au bonheur. Ass'ji ez
des recon p n.^es piopottionr.ées à leur service aux miiiiares
de tous les grales , aux membres de toutes les admi JS! rations
qui co'péi'frorit au rétablissiment dt^ la n li{>ion , des lois , et de
l'autorité légiiiuie; mais gard^z-votis d'employer, pour les i^fa-
Uir, les moyt ns atroces qui ont été mis en usagn pour les n n-
vtrs«-r. Attei dez de l'opinion pub!iq<ie un succès qu'elle beule
peut nndre solide et duiaMe, ou, s'il fa'Iait recourir à" la force
des armes, ne vous servez du moins de cette cru- l'e ressource
qu'à la dernière extiemité, et pour donner à l'auioiiié légitime
un a[>pui juste et nécessaire.
» Français , tous l^-s écris que vous trouverez conformes à ces
beniinums, nous nous ferons gloire de les avouer; si l'on vous
en préienie où vous ne connaissez pas ces caractères, rejetez-les
44^ DIRECT. — DU l<^f PRAIR. AN V (20 MAI 4797)
comme des œuvres de mensonge : ils ne seraient pas selon noire
cœur.
» Donné le iO mars, l'an de grâce 1707, et do notre règne le
deuxième. — Sfgué Loiis, »
Observaùom de Caniot sur le rapport de Bailleul.
•
Personne n'ignoreaujourd'hui quecerapport, dontK^xactitude
historique éiaii en général inconlc.^iable, était calomnieux eu quel-
ques poims, et rédigé au profil de liainrspariiculières. Le triumvi-
rat du du ecioire avait profilé de l'occasion, pour éloigner quelques
hommes dont la probité le gênait. C'est a nsi qu'ils avaient frappé
Carnot. Celui-ci répondit au rapport de Bailleul, dans une bro-
chure particulièi e, fort intéressante, mais trop longue pour être
insérée ici (J). En voici un extrait :
< Après six mois de recherches , et avec le recours de tous ses
faussaires à gages, le directoire républicain est enfin parvenu à
découvrir :
> 10 Que j'ai vie qiCil se commit des assassinats. Tandis que
tout ce que j'ai dit et écrit, atteste le fait diamétralement opposé;
tandis que le directoire a entre ses mains les p èces que j'ai four-
nies moi-même pour la conviction et la poursuite des assassins;
tandis que c'est lui, directoire rèpulflicairiy qui a couvert ces assas-
sins de son aile protectrice, et s'est constaunnenl refusé à les faire
punir.
» 2" Que je me suis opposé à la destitution d>: Willot. Tandis
que ce sont 4es (//rrc/eNr.s républicains qui formaient la majorité
du directoire, et qui ont par con.*é juent maintenu Willot m place
malgré la pcrsna.sioii où ils étaient, assurent-ils, que "NVjllot était
un égorgeur.
(I) Rc'ponsede L.-N.-M. Ornot, citoyen français, l'un des fonditeurs delà
Ré,iibliqne, et inemb e constiJoiionoel du directoire exécutif, au ra por- f il
sur la conjuration du tS fructidor par J.-Cli. Bailleul , <tc. t on re- , 1799.
Vol. in-12 de 259 paR<s.~On (ail que Caruol ei;t le l)OLtîeur de se soustraire à
ses ennemis. C*e*t en Allemagoe qo'il composa cet écrit.
ÀO 18 FRUCTIDOR AN V ( 4 SEPTEJfBHË 1797). 449
» S*' Que je voyais Pichegru tous les jours dans le secret et Vin-
timilé; tandis que je n'ai vu Pichegru qu'une fois par convenance,
ex non en secret ni en intimité, et une autre fois parhasard, deux
minutes, en présence de dix personnes el' sans lui parler; tandis
que j'ai fait ce que j'ai pu, par voie indirecte, pour le décider à se
proîioncer en faveur des patriotes;
» 40 Que j'ai protégé les rois et Cempereur; tandis que j'ai voté
la mort d'un roi, fait trembler les autres rois , et battu en brèche
!e trône impérial ; tandis que ce sont nos directeurs républicains
qui, après avcir résisté cinq mois à ia conclusion d'un traité
avantangeux pour la République , ont fini par en conclure un qui
rend l'empereur plus puissant qu'il ne le fut jamais, et tel qu'on
aurait pu le faire si l'empereur avait été constamment vainqueur
en Italie ;
» 5<* Que j'ai soutenu l'existence politique du pape; tandis qu'en
faisant la paix avec Naples, malgré les directeurs républicains, j'ai
ôté au p;jpe le ^eul appui qu'il pût avoir pour soutenir son exis-
tence politique; tandis que j'ai proposé aux directeurs républi-
cains, qui ne l'ont pas voulu, de dépouiller le pape de sa puissance
temporelle pour Ja transférer à une puissnnc^ (f^spagnole), qui eût
été un contre-poids pour la maison d'Autriche; qui eût anéanti
ses prétentions à la qualité d'er;»pereur et roi des Romains , qua-
lité qui sera réalisée de fuit avant peu dans cette maison , après
avoir coûté beaucoup de îiang aux Français; le tout par les me-
sures pleines de sagesse et de prévoyance qu'ont prises en Italie
nos directeurs républitains;
* G** Que je voulais faire des royaumes de toutes nos conquêtes,
el surtout créer un nouveau royaume de Lomba'die; tandis qu'au
contraire je proposais à nos directeurs républicains ^ qui ne l'ont
pas voulu, de mettre à profit nus conquêtes pour agr.mdir la Ké-
piiLli(|u^*, pour cc^nveriir en République une grande contiée du
monde qui e^t, qui languit sous la domination d'un roi; tandis
que ce sont nos dirtcteurs répub^icans qui ont monarchisé une ré-
publique qui était une de nos conquêtes, en livrant Veni>e à l'em-
per(;ur;
T. xxxvii. 2.^
46'J DIRECT. — DU 1" PRAIR. AN V ( 20 MAI 1797)
u 7° Que j'ai vmlu sacr'fier la Hollanle; tandis que ce sont
nos direi teins républicains, *l pU itis de injauié ^ qui oui votilu la
dép )u lier ; unlis que te soi.t eux q-i ont cnireienu 1 ai ardiie
par sysiciiie; t;^nd s que ce soi t eux qji se [)i.|ueni de ne re-
connaît e aucun druil que C( lui du plus fort; land s quM est
certain , :ii si que le fjil le prouvera , que le projet de ces ilirec-
leurs républicains^ et pleins «le loijauié, est de p:ii l?{jer avec l'An-
gl^l-rre , av- c c« lie Angleterre qui est un royaume , a\ec celle
An{;ielerre dont ils oui juré lexltruiinaiion , les possessions de
la répul'li |ue baiave;
» 8^ Que je me suis opposé à ce quon défendit Kchl aussi long-
temps quoii pouvait le [aire; tandis que le dire toire républicain a
entre ses inuins les ordres nti le fo s rép^'iés , donnés par moi ,
de d* fend e K hl jusqu'à la dernière »xircmiic; tar dis que ce sé-
rail à lui-iiièm^, roim;)nt njajoiiié, -qu'on devrait ini| uier le
crime, si lulil u'eùi pas été delenuu coiiiuie on aNa.t droit de s'y
attendre;
» Qo Qtig je jifii voulu ordonner le dernier passage du Bliin
qu après av>nr eu cminnissancti du traité de Lèobtn; tandis que le
Rhin a été pa.s^é le jour uiCMie du traite de Leob» n (qui esta
troi5 ctnis li«ux de Paiis ) par l'armée de Sambie-ei 31euse , et
deux jours ;ipi es pu* l'armée de Rhin et Mustl.e; tandis que lout
Paiis ^avait le pas>a{;e du Rhin ûeu\ jours avani qu'on [>ÙLy
avuiraucunen uvelle du tratéde Leolien; lauds<)ue nos direc-
teurs républicains b'accu.eni eux-mêmes du double crime 1* d'a-
voir, frux (jui elaieni en luajori é, ne(;li{;é de donner l'ordre de
passer l'j lilim l.»r>quela chose eiaii possible suivant eux et néces-
saire j î2** de l'avoir ordonne lorsqu il ne pouvait plus servir qu'à
faire mas aci er les défenseurs de la patrie, qu'à violer le droit des
gens, qu'a rallumer la guerre au niomenl où l'on venait de la ter-
mine*.
> V Que pour déconsidérer /i Piépubiiqueau dehors j'ai proposé
de ne point cnvoijer d'à» ba sadeurs dans les cours é.ranyères; tan-
dis (|ue nos direciturs lépuuUcains savent que c'éiuit au contraire
afin que la République ne peruîi point sa coubiJeraiion au de-
▲17 18 FRUCTIDOR AN Y ( 4 SEPTEMBRE 1797), 4^1
hors ; tandis que ce sont eux qui , par leur conduite puprilemeci
hautaine en\ers les envoyés é rai. fiers , exposent les noues à des
représailles liurnilianus, et la République au danger perpé-
tuel, ou li'êire avilie ou de recommencer la guerre, ei que mainte
exeun^les ont déjà jusiifié mon système à cet égard. >
Pièces relatuies à Moreau,
L'armée de Rhin-el-Moseîle , dont une partie avait é'é sôûs lél
ordres de Pichegru, c ui de la peine à croire à (a culpabilité de son
ancien général. II fallut que Moreau , connu pour son am», vînt
lui coi ïiviMQv ce que l'on disait de lui. On fut étonné que Moreau
eût pu se résoudre à dénoncer Pichegru, son compagnon d'armes.
De plus celte démarche alfl'gea tout le monde. Pour l'expliquer,
on préteniit que Pichrgru et Moreau avaient travaillé de Ct>n-
cert au plan de contre-révolution, et qu'ils étaient convenus,
si l'un des deux venait à être découvert, que Tau ire pourrait
tout sncrifier à sa sûreté peràonnelle. La condui'e de Moreau
en 181."^, la part qu'il prit alors à la guerre contre la France, don-
nent de la vrais» mblur-ce à ces conjectures ; mai> ce qui les ap-
puie plus direcleitient, c'tst que Moreau, arrivé à Paiis, fui dis-
gracié [>ar le directo re ; c'est sur:oui que la lettre dans laquelle
il dénonce Pichegru, étant adressée à Bir hélemy, paraît ainsi
avoir été calculée de inan èie à devenir nulle dans un cas, et, dans
un autre, à justifier son auteur. Voici les révéla; ions de Moreau.
Le central en chef au citoyen Bartliéiewy, membre du directoire
exécutif de la Bépubliqae,
Au quartier-général de S'rasliourg, le 19 fructidor
au o de la repuLI que IrauçaLe.
« Citoyen directeur, vous vous rappellerez sûrement qu'à noon
dernier voyage à Bâlr: je \oiX6 ins^rui^is qu'au pass.»gedu lUiin
nous avions pris un fourgon au général Kluiglm, conit^nanl deux
ou trois cents lettres de correspondance ; celles de Willeisbâcîi
en faisaient pat tie; mais c'éiaiem les moins ioiporiaïues. Beaucoup
432 DIRECT. — Dt i'^^ PRAIR. Alf V ^ 20 MAI 1797 )
de lettres sont en chiffre ; mais nous l'avons trouvé : on s'occupe
à tout déchiffrer ; ce qui est très-lonj;.
» Personne n'y porte son vi ai nom ; de sorte que beaucoup de
Français qtii correspondes avPcKlinj^lin, Condé, Wickam, d'Ea-
f hien et d autres, sont diUiciles à découvrir ; cependant nous
avonsde telles imlica ions, que plusieurs sont déjà connus.
I» J'étais décidé à ne doni.er aucune pul liciié à cène corres-
pondance, puisque, la paix étant pi ésumable, il n'y avait plus de
dangt-r puui- la RépubI que, d'autant que tout cela ne ferait preuve
que contre peu de moi.de, puisque personne n't si nommé.
> Mais voyjnt à la téie des paitis qui font actuellement tant
de mal à noire pays, et jouissant dans une p'ace éminrntede la
plus grande confiance, un homme très-compromis dans cette
correspondance, et destiné à jouer un grand rôle dans le rappel
du préiendant, qu'elle av;.ii pour Lut, j'ai cru devoir vous en
instruire , pour que vous ne soyez pas dupe de .^on feii l républi-
canisme ; que vous puissiez faiie éclairer sesdéuiarches, et vous
opposer aux coups fi-nestes qu'il peut poritrà notre pays, puis-
que la guerre civile ne peut qu'être le but de ses prt)jeis.
» Je vous avoue, ciioyen directeur, qu'il mVn loûle infini-
ment de vous instruite d'une telle trahison, d'autant plus que
celui que je vous lais coimaîtiea éiémcnao»i,ei le serait mûre-
ment encore s'il ne m'était connu. Je veux parler du représentant
du peUf.lePichegru.
» Il a été assez prudent pour ne rien écrire ; il ne communi-
quait que verb ilemeni avec ceux qui étaient chargés de la corres-
pondance, qui faisaient part de ses projets et recevaient ses ré-
ponses. Il y est désigné sous plusituis noms ; entre autres celui
de Bq)tisie. Un chef de brigade nommé Dailouvillelui était atta-
ché, et , désigné sous celui de Coco, était un des courriers dont
il se ser\!iit , ain^i que les autres correspondans. Vous devez
l'avoir vu assez fi équ» minent à Bâ e.
> Leur grand mouvement devait s'opérer au commencement
de la campagne de l'an iv. On comptait sur dts levers à mon ar-
rivée à larmée, qui , mécontente d'être battue, devait redeman-
AU 18 PRDCTIDÔR AN V ( 4 SEPTEMBRE 1797 ), 455
der son ancien chef, qui alors aurait agi d'après les instructions
qu'il auf ait reçues.
> Il a 4ù' recevoir neuf cents louis pour le voyage qi'il fit à
Pars à l'époque de sa démission ; de là vient na'.urellement son
refus de l'ambassade de Sjède. Je soupçonne la famille Lajolais
d'élredans ceiie inirigue.
» Il n'y a que la grande confiance que j'ai en votre patriotisme,
en votre sagesse , qui m'a déterminé à vous donner cet avis. Les
preuves en sont plus claires que le jour; mais je doute qu'elles
puissent être judi iairr^s.
» Je vous prie, citoyen directeur, de vouloir bien m'éclairer
de vos avis sur une affaire aussi épineuse. Vous me (onnaiisez
assez pour croire coml^en a dû me coûter celle confilem-e; il
n'a pas moins fallu qtie les dangers que court mon pays pouf la
faire. Ce stcret est C'.tre cinq personnes , les généraux Dcsaix ,
Reignier, un de mes aide^-de-camp , et un oîficier cha»géde la
pariitî secrète de l'armée , nui bu'n continuellement lesrenseigne-
mens que donnent les h tires qu'on déchiffre.
» Recevez la^surance de i'esiime distinguée et de mon invio-
lable atiachement. • — Signé Morkau.
Le général en chef au directoire exécutif.
Au quartier-général de Strasbourg, le 24 fructidor
an ô de la République.
€ Citoyens directeurs, je n'ai reçu qjc le 22 , très-tard et à dix
lieues de Strajjbourg, votre ordre de me rendre à Paris.
» Il m'a la'lu qijel<|ues heures pour préparer mon départ , as-
surer la tranqi llilé de 1 armée , et faire arrêter quelques hommes
compromis dans une correspondance in:éressanie que je vous re-
mettrai moi-même.
» Je vous envoie ci-joint une proclamation que j'ai fa'te, et
dont l'effet a été de convertir beaucoup d'incrédules; et je vous
avoue qu'il éiait difficile de croire que l'homme qui avait rendu
de grands services à son pays, et qui n'avait nul intérêt à le tra-
hir , pût se porter à une telle infamie.
45i DIRECT. — DU i«f PRAIR. AU 18 ÎFRUCTIbOR AN V.
0 On me croyait l'ami de Pichegru , et dès lonfj V mps je ne
J 'estime plus. Vous verrez que perionne n'a été plus compomis
que moi , que tous les pjojVts étaient fondés -sur \^ revers de
l'armée que je coininandois ; son couruge a sauvé la République.
» Sulut el respect.» Signé Moiikau.
Le général en chef à l'armée de Rhin'Ct' Moselle.
Au quT'ier-général de Strasbourg, le 23 fniçti-
dtr an 5 de la Képublique.
4 Je reçois à l'instant la proclamation du directoire exécutif
du 18 (le ce mois, qui apprend à la France que Picbe^^ru s'est
re du in iîfîne de la confiance qu'il a long-ttmps inspirée à toute
la Uépuljlique , et i>ui tout aux arm< es. ^
» Ou ui'a éQ lemrnt insu u tque plusieurs militaires , trop con-
fiansdans le patiit*t sme de ce représentant , d'après les services
qu'il a rendus, doutaient de cette assertion.
> Je doi) à mes fièrts d'armes, à mes concitoyens , de les in-
struiiede la vérité.
• Il û est que trop vrai que Piclïe{jru a trahi la confiance de la
France emière. J'ai instruit un des membres du direcioire, le 19
de ce mois , (|u'il m'éiait tou.bé entre les mains une correspon-
daiJCcavtcCoi déét d'auircs ï)gens du prétendant qui ne me lais-
sait i^u* un doute 2>ur celte trahison.
> Le diiecioire vi« nt dem';q>peltr à Paris, <l désire ^ûreinenl
d&i len-e {;ncmt ns pluj» étendus sur cette corresponJance.
» Soldats, sojez calmes tt sans incpiiétude sur les événemens
deTiuiérifur; iTuyez (|ue le youverntment, en comprimant les
loyidistts, veilera au maimitn de la coustiiuiion républicaine
que Vvjusav«.z juiéde deieudre. » — Signa MoiiE-\u, général en
chef.
HISTOIRE DU DIRECTOIRE.
pu 18 FRUCTIDOR AN V (1797), ^U 22 FLORAL AN VI (1798.)
Après Je coup d'rtat de^ 18 n 19 Fruciidor, le pani triomphant
nVut d'aiiire pensée que de f^arantir le sys'ème répuUicain con-
tre les effons des roya'istt s. En effet , en chassant du corps lé-
gislatif quelques partisans de la monarchîe, on ne se flatiat pas
d'avoir chan{îé l'esprit ni les it nd.mces de la masse drs ekdeurs;
en conséquence les hommes ii.fluens d^s deux conseiU turent
l'idée d'investir le direcioire d'une sorte dediciaiure lemporaire.
On proposa aux Cinq-Cents , le cinquième jour coniplenieniaire,
an o, de suspendre l^-s séames du corps h^f^islaiif, et d'en aiour-
ner la réu' lun à la paix j|éré»alo. Celte propo>ition fut le eiée.
La majorté n'y vit qu'une nîesure imprudente, de naïu'C à
provofpjer une explosion immédiaie, cl laiiedims i'intrrctd Ir m-
mes qui noifraient pis eux-mêmes des {^[arafities snflisanles.
Celle niolion si mal accueillie av.iit été p? écédée de démarches
qui n'éuient un secn t pour personne. On avait propos»^ de pro-
rofjer jusqu'à s pi ans l^^s pouvoirs des membres actuels du corps
lé{;isl.iiif, et jus |u'à dix ans, ceux des dire leurs. Ce furent ces
dernier s, assu» c Merlin, dans une b» othure (ju'il publia peu après
sa sortie du directoire, ce furent ces deriiicra qui repoussèrent le
projet. •
Pendant que l'on délil é ait ain i, d'une manière exlra-'é(;ale ,
dans les conseils, les mei bres des clubs consiituiioi.neb, f- rmcs
par ordre des Iructidoriscs , se reun"«s aient de nouveau et «épre-
naient leurs ^éances. Personne n'usa ou ne crut devoir s*y op-
po^er; c'était un :ipf)ui vuloituire qui venait au {j^ouvernenieni ;
il croyait en avoir be&oiu ; il laissa luire. Il ne rcOéchil pas qu'il
456 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V ( 1797 )
dornait ain^i le moyen aux vrais républicains de se réunir , de
s'eniendre, de reprendre coura{;e , et peut-étie d'agir conirelui.
Le din cloii e, usant du pouvoir que lesconsei's lui avaient don-
né, renouvelait les administrations dans les dépariemens fruc-
lidorisés, etexciiait lesconimis^io; s militaires à faire vigouieuse-
ment leur devoir a l'égard des émigrés rentré-. E les obcirent ;
des exécutions satg'anies àouil èrent le soi de la France. A Paris
même il y en eut pusiems. On remarqua que ces actes de ri-
gueur outrée, ou plutôt de cruauté atioce, frappèrent prt^sque
toujours des hommes obscurs , des hudïmes sans valeur politique.
L'opinion publique fut indignée. On accusa même les membres
des tJ ibunaux militaires ue tenir compte , dans leur zèle , surtout
de 1 » position des individus; de ménager les puissans et de happer
seulement les petits. En même temps on mettait à execuiion les
lois de dépof tilion, non-seulement celles qui avaient été rendues
cjntre les membres du conseil et du directoire, maisencojecel.es
qui frappa eni les pi éires insermentés. Les conseils suivirent dans
les preniiers momens la voie r« actionnaire adoptée par le gou-
vernement; mais» enfin le méconieniemeni public y iiouva quel-
ques organes ; l'on se plaignit des excès commis par les commis-
sions militaires, tt ces plaini»6 sulûrentpour y mettre- un terme.
On proposa aux Cintj-C nls de bannir du tenitoiredela I^epu-
bliqtic tous les nobles, tous ceux qui , dans les actes publics ,
avaient pris les titres de ducs , comtes , vicomtes, bai ons ou mar-
quis, toute li noblesse de robe, etc. Le député Serres s'éleva
vivement contre celte proposition]; des journaux firent observer
que Bjrras et Bonaparte étaient des ex-nobies : la proposition
fut rejetée. On lui en substitua une autre dans laquelle on plaçait
les ex-noliles dans la position des éfrau,jcrs , et l'oa déclarait
que, pour exercer les droits de citoyen, iU devaient se conformer *
aux dispositions de l'article 10 de la con^tiluLion, relatif aux
étrangers qui veulent devenir Fraiiç^iis. Ce projet fut volé aux
Cinq-Cents , etappiou\é aux Anciens le 9 fiimaire.
Comme le remarque un écrivain de l'époque, tout le temps
qu'occupa celte délibération doil être considéré comme un temps
AO î22 FLOKÉAL AN VI (1798). 457
de crise qui jeta Talarme dans un grand nombre de fanfiilîes.
Le corps législaiit" qui , dans cette affair e , n'avait poursuivi
qu'une conséquence du 18 fructidor et qu'une pensée de réaciion
contre la marcha adoptée précédemiiieut par les conseils , se
Lâia également de montrer qu'il éiait animé d'un tout aulre es-
prit en matière de finances. D'abord , il réduisit la rente de deux
tiers, en ordijnnant que le capital de ces deux tiers supprimés
serait remboursé en bons au porieur, admissibles en [)aiemeDt
des domaines nationaux. Puis (14 brumaire) il fixa le buJget des
dépenses de l'an vi à 616 aiiliions ainsi répartis :
1° Indemniiés des électiurs, 8^9,08J fr. ;— 2"* Conseil des An-
ciens, 2,545,591 fr.; — 5oConoeiides(:inq-Cen<s,4,887,î6Jfr.;
—4° Archivistes du corps légi&lat f, 10o,o40 fr. ;— 5"* Directoire,
2,706,125 fr. ; —6" Justice, 7,075 985 fr.;— 7*^ Intérieur,
58; 154 000 fr. ; — 8*» Finances , 4,î:66. 107 fr. ; — 9^ Gi^erre ,
541,0o4,000 fr.; — 10« Marm^ 85,500,010 fr,; — Ho Relations
exlériet.res, 3.501,688 f.; — 12^ Po'ice gén-rale, 1,96"),500 fr.;
-—13*^ Trésorerie liaiionale, 4,684,419 fr. ; 14*" — Picnies et pen-
sions, 85,353,355 fr.;— 15» Gomptabiliié nationale, 675,000 fr. ;
— 16° Dt^penses imprévues, 15,989,675. —Total, 616 millions.
— Les dépenses du ministère de la guerre étaient calculées sur un
complet de cinq cent vingt-huit mille hommes et de quahe-vingt-
deux mille chevaux ; celles de la marine, sur un complet de vingt-
trois mille hommes d'anilierie, cinquanie-cinq mille hommes
d'équipoges, et vingt mille ouvriers.
Les impôts précédemment votés ne suffisant pas pour couvrir
cette dépense, on étendit le droit de timbre; ou y soumit les
feuilles périodiques ; on augmenta l'impôt sur le labac étranger ;
on rétaLlii la loie rie ; on créa un code et des droits hypothécaires;
enfin on établit une laxe des roules.
Ces actes pouvaient encore êtve coiisidérés comme un produit
du mouvement opéré en fructidor. Lu effet , ce furent les der-
niers éolairs de la spontanéité politique de la législaïuie. EJe de.
vint ensuite un instrument passif entre les mains du directoire.
Elle ne lut plus qu'un rouage du mécanisme administratif que
458 DIRECT. — DU 18 FRCDICTOR AN V ( 179T )
celui-ci faisait mouvoir par des messaf^ers. Mais comme les ques-
tions adminisiraiiv'es ne suffisaient pas pour occuper quotidien-
nement ses séances, elle porta son attention sur divers sujets trop
souvent plutôt propres à servir de matière à des conversuiuns
qu'à des débats. On réglementa à l'occasion d'aflxiires pariicu-
lières; ainsi plusieurs séances furent employées à délibérer sur le
mariafjed'un enfant adopiif de la République, la Gl!e de Lepelle-
tier; ondéli! éraet môme on s'échaufia à propos de costumes; celui
que l'on choisit pour les députés était une sorte de «'é-fuisenient
imité de l'antique, dont l'usage eut pour résultat de donner à
l'asseaibice un aspect ridicule ou grotesque. Enfin l'on discourut
plutôt que l'on ne délibéra sur quelques graves sujets, sur les
insiiluiions civiles, sur l'éducation, sur l'ordre judici.iire, sur
1 in.siitutitin du jury , etc. On régularisa cependant le système des
poids et Hiesures; mais ce fut sur un njessagedu directoire. Les
Cinq-Ct-Dts semblaient avoir renoncé à reiidre leur iniiiative
réelle.
Pouvaenî-ils, d'ail'eurs, faire autrement. Le coup d'état de
fructidor ne les avait il pas t-ubalurnisés au pouvoir ex»'cu'if?
Ce coup d'éiat n^ pouvait-d pas éire renouvel si, par l'elfei de
leur activité^ ils fusseil arrivés à faire de l'opposilioii. Lel8lruc-
tidor leur avait ôté b liberté; il avait en léalté, aux yeux de
tous les hommes doués de quelque pr 'voyante, lue l.t tons ilu-
tir-n et pjrjlysé !a lé{jis! iture. Aussi be»uc(»up(legeMS })ecisii»nt
d?^jà qu'il falI;iiirérormer celle consiituiian. Les m« mbrrsdescon-
sei's ne t;irdèieni pas à être méco it^ns et humilias de leur posi-
tion ; mais ils ne pjuv.iicnt en sort r que par une révolution dont
ils ne voyaient ni les élémens, ni l'appui. Nous trouvons une
pn^uve de la {;éMéraliié de cette opinior» dans une dénoiuiution qui
eut lieu à la .éance du 1) pluviôse an vi (28 janvier 1798), dénon-
ciaiion qui prouve que le profot rénlisé au 18 brumaire existait
déjà dans quelques lôtes. Voici cette téance :
Conseil des Cinq-Cem^. — Séance du 0 pluviôse.
Garnier^ de Saintes, par mouon d ordre. « Ce n est pas une
AO 22 FLORÉAL AN VI (1798). 459
dénonciation qne je viens faire au conseil, je viens lui lire des
pièces qui prouvent que Ion veut ëgaier l'opinion publiiiue, et
fair€ entendre, par la plus atroce des calomnies, que la division
règne entre le directoir e et les conseils, et qu'ils cherchent à ren-
verser Tordre actuel des choses.
» La première pièce est une déclaration du représentant du
peuple Dujardin , contenue dans une lettre qui a été écrite
au directoire; insérée dans le Rédacteur, et ceriilîée confoime
par un chef de bureau de la police ; elle est conçue en ces ter-
mes :
Châloni, le 28 nivôse an 6.
« Citoyens directeurs, je ne dois pas vous taire que le repré-
sentant du peuple Duja/din, du conseil des Cinq-Cents , est
airivé à Chàluns, son pays natal, depuis quatre àc nq jou s ;
qu'ayant aussitôt été visité par plusieurs citoyens de la com-
mune, il leur a donné pour nouvelle, qu'actuellement la faction
la plus puissante qui existât dans la Uépub'ique était une fac-
tion qui avait dessein de réduire la représentation nationale à
cent membres, qui formeraient un seul conseil, sous le roj\ de
séiiai français, à la tête duquel il n'y aurait (ju'un seul chef. 11 a
ajouté que. la p'usgran«Je division ex'siait parmi les men.b esdu
directoire mêine ; que cttte division était au point q«ie pas un
seul n'était d'accord avec aucun autre. C'est en présence de deux
juges du tribunal ciNÏl de ce département , que le représentant
du peuple Dujardin s'est ainsi expliqué.
> Que le citoyen Dujardin ne bo t que l'écho de ce qu'il a en-
tendu ô'ie lui-même à Paris, c'est ce que j'ijjnore; mais ce
qu'il y a de cert in , c'est que semblables nouvelles n'avaient pus
encore éié débitées en cette commune et qu'aucun papier
public n'en a, depu s 1 arrivée du citoyen Dujafdin, fait .au-
cune meniiun. A la vedie des electons, ces biuits peuvent ré-
veil er hs mal veilla ns; et comme le citoyen Dijardin tta t déjà en
congé l'an passé dans la commune de Chàlons, à peu près à celte
époque ; qu'après son séjour, il en est résulté d s élections dé-
favorables à la cause de la révolution ; qu'il a répandu des écrits
460 DIRECT. — DU 18 FRCCTIDÔR >> V (1797;
en faveur des parens des ëm'jjrés et des préin^s insermentés ;
enfin, qu'il a éié soupçonné d'avoir apporië en c« dëpai lempoi \v
plan de ces funestes éleciiuns , son apparition à Ciiàlons, qui doit
durer, à ce que l'on prétend, quatre décudes, inspire de nou-
veaux soupçons. Ces soupçons ont pris une plus g^rande consis-
tance depuis que l'on sait qu'il a refusé de prés» nier à Tatlniinis-
iration municipa'e de Criie commune le con(jé en venu duquel
il est venu dans sa pilrie, ainsi que le passeport dont il n'a pas
manqué de se munir. La première visite qu'il fit l'an fassi fut
celle de l'adminisiraiion municipale ; mais celte année il a jugé à
propos de s'en dispenser. »
Garnier continue « On cherche à accréditer ces bruits de tou-
tes les manière^. Des lettres qui les contiennent ont été écrites à
nos collègues Dubois- Diiiiais, Dumont du Calvados, Bailleul.
Le but de ces écrits est de semer la défiance dans, les eprits et
la mésintelli(;ence entre les premiers pouvoirs. Mais toutes ces
manœuvres seront inutiles. JNous savons que le maintien de la
République dépend de notre union, et jamais elle ne fut plus
étroite. Un seul esprit , une mén;e volonté animent les conseils et
le directoire. Ces vérités sont constantes ; it si je les énonce à
cette tr ibune , ce n'est pas pour en convaincre le conseil , mais
pour rassurer les citoyens des deparlemens , que ces caloamiî^s
pourraient inquiéter, surtout à la veille des élections.
> Plusieurs membres oni réclamé des proro{j:Uions decongé; je
demande qu'on rs'en accord'* aucune , que tous les congés accor-
dés soient annulés , et que chaque membre absent soit tenu de se
rendre sur-h -champ à son poste. 11 faut laisser la plus entière
liberté au peuple dans ses choix.» — Plusieurs voix : Appuyé.
Bailleul,* J'appuie les propositions de mon collègucetj y ajoute
une seul<3 observation. C'CvSt un fait certain que des bruits ca-
lomnii ux circulent et sont répandus avec une affectation coupa-
ble. Il n'est pas douteux que le résultat de ce nouveau système
est de jettT le désordre dans la Réfmblique. Ce système est l'ou-
vrage de ces hommes qui ont rendu le 18 fructidor indispen-
sable. C'est par eux que Cfs bruits s nt répandus.
AU 22 FLORÉAL AN Vl ( 4 798»). 461
»11 n'est pas douteux que les aristocrates et les royalistes n'aient
le 18 fructidor en horreur; qu'ils ne le regardent comme un nou-
veau 51 mai, et qu'ils ne cherchent à en dëtruir<î les effets par
un 9 thermidor. Il n'est pas douteux que leur but ne soit de dé-
tacher les amis de la liberté de la cause de la République , de di-
viser les Frarjçâis en deux partis et de tromper les hommes qui
sont dépourvus de lumières et de jugement. I!s disent à ces der-
niers : Pourquoi a-ton fait le 18 fi uclitlor? On vous fait accroire
que c est pour ia République ; on vous trompe. Le but secret
des meneurs est de réduire le corps législatif à la nullité et de
metire ua chef ou un dictateur à la place du directoire, jusqu'à
ce qu'on soit parvenu à un gouvernement définitif. Pour accré-
diter ces bruits , on y mêle les noms de certains ministres et
de Bonaparte. La foule crédule prend ces propos pour argent
comptant ; d'excellens citoyens en sont la dupe, et plusieurs sont
venus chez moi me témoiguer leursr inquiétudes. Je lésai tran-
quillisés, et je crois qu'd suffit d'avoir publié ces calomnies à la
tribune nationa'e pour en faire sentir aux Français tout le ridi-
cule et les rassurer sur la fornie du gouvernement qu'ds se sont
donné. >
Le conseil rapporte tous les congés accordés, et il arrête que
tous les membî es absens seront tenus de se rendre à leur poste
sur-le-champ. La commission des inspecteurs est chargée de no-
tifier le pi ésent arrêté à chacun d'eux. Les discours de Bjilleul
et de Garnier seront impriu.és.
Quelles que lussent les pensées des députés , l'apparence de
.eurs séances n'en éiait pas meil eure. Elles étaient sans liberté
et sans intérêt. 11 ré.'Ul(a de là que l'attention pubiiijue s'en dé-
tourna, et s'aitacha particulièrement aux actes du d:nctt>ire. Il
en ré.>ulte également, pour nous, qu'afin de donner une idée de
l'importance parlementaire de cette époque, il est nécessaire de
suivi e l'histoire du pouvoir exécutif.
Au moment oii le directo re frappa son coup d'état, de nou-
velles négociations avaient été ouvertes avec l'Angleterre. Lord
Malmesbury était à Lille, é(îhangeatit des notes et des conversa-
462 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797)
lions avec les plénipoienûaires français. La Grande-Breiagne ne
dein;jn(lait pl« s à laTrance d'abandonner toutes ses con juétes ;
ellenepouvai' plus'ed-mander, puisque les lég tirnes possesseurs
y ax aient renoncé; ellr ne voulat p'us fpie des conlpen^alions prises
surles:dliésde la République; elle voulait entre autres qu'onlui cé-
dât le cap de Bonne-E pérance et Ceylan, qu'elle avait pris sur les
ll(diandais. Les Franc lis ne voulurent point consentir à dépouiller
leurs amis; ils e\i{;eaient qu'on rendît à l'Espagne et à la Hol-
laiid • tout ce que l'on leur avait enlevé ; tls deniandaieni que le roi
d'Angleierre renonçât au titre de roi de France, et r^-inît les vais-
seaux (('i lui avaient élé livrés à Touinn. Le ministère anglais ré-
pondit à ces demandes par des refus. La négociation fui rompue,
eil »rd Malme>buryquiiia Lille, le di-uxième jour compléinenia re
de l'an 5. Le directoire ordonna aussiiôt de saisir en tous lieux les
mardi iiidisfcsijnglaises. Ce fut le premier et le plus Constant de
ses acies de guerre.
p. ndant <e temps, lempereur d'Autriche montrait autant de
facilité quel'Anjileiene montrait de raideur. H signait leiraitcde
Campo-Foi'iiiio, rendait la liberté aux pri onniers français, et re-
m^tiail à la France les détenus d Olmuiz, M. Lafayetie ft sa fa-
mille, M. LatOiir-3ïaubi)urg et Bureau de Pusy. Bonaj)arte vint
lui-même apporter le traité; il fut accu ilii a Paris , comme per-
sonne ne 1 avait été depuiN bien des années; son nom était popu-
lai< e, ses suc-ès avaient ébloui , étonné 1« s imaginaiio s. Il avait
enrichi le mu.^ée de magnficpies trop^iées, que l'on ne pouvait
admirer, .♦'ai.sse souvenir de lui. Il fui présenté au directoire le
20 fiimaiie (10 décembre 17i)7), en une audience publique, avec
une solennité inu^iiée en pareilles circ>onsiances , et celte pompe
théâtrale dont on ot naii les grandes féies de la Ré|)ui)liqne. La
courdu Luxeinbourg forcnait l'enceinte de cetiescèm*; au milieu,
on avait dressé un autel de la patrie, chargé de irophées et de dra-
peaux, qui rappelaient les hauts fjiis de l'armée d'Italie; des gra-
dins et des échafaudages ei:dent chargés de nombreux sp« ct.iteurs
« Citoyens directeurs , dit le général, le peuple français pour
être libre avait les rois à combattre.
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798). 463
» Pour obten'r une consiiiution fondée sur la raison il a\ ail
dix-hu t siècles de p'fj"{;és à vaincre.
» La coDiliiulion de l'an III ei vous, avez triomphé de tous ces
oLs»ac!es.
» La relijinn , la féodaliié et le royalisme ont successivement,
depuis vin^jl siècles, jjouverné 1 Europe ; ma s de la paix que vous
venez de conclure da-e l'ère des jjouvernemens représeniaiifs.
» Vous et- s parvenus à orf][aniser la g^rande nation djnt le
vaste lerriioi e n'( si cii'cunacriL que parce que la nature en a poaé
elle même 1 s limitas.
» Vous avez f.it plus.
» Les deux plus belles punies de l'Europe , jadis si célèbres
par les arts, les sciences et les grands hommies dont elles furent
le berceau, vuient, avec les plus grandes espérances , le génie
de 1j liberté .^ot r d»s tombeaux de leurs ancét'es.
» Ce sont deux piedesiaux^ur lesquels les destinées vont placer
deux puissinlcs natons.
» J'ai rhonnt'ur de vous remettre le f-ailé signé à Campo-
Formio et ratifié par ^a Majesté l'Emppreur.
» La paix assure la liberté, la prospéiiié et la gloire de la Ré-
publ que.
'• Lo sque le bonheur du peuple françaîs sera assis sur les
me Heures lois orgarii|ues, 1 Europe entière deviendra libre. »
On rema'qua le dernier paragraphe de ce discours, et l'on en
conclut que ce n'était pas sans ini^-niion, que legénéial avait laissé
échapper celte phrase à d<»ub!e sens. .
B rras répondit à Bonaparie dans un discours diffus, dans le-
quel il reciijiiinaitcor.tr»' le passé; puisi; lui donna l'acco.'acJe lé-
publ caiiie, ce qui fyt limié par ses quatre collègues. Le succès
de Boi.apaite ne finii point avec la cérémonie; il fut salué , en
touies occaNions , parle peuple) recherché, loué à la tribune; les
con>ei!s lui ofirireulde^ banquets; on frappa des niédadlesen ton
honn» ur ; eidin, pour comble de succès, le bruit courut qu'on vou-
lait Tassassiner.i»
La veille même de celte fête, le directoire nommait Berihier
464 DIRECT. — DU 18 FRCCTIDOR AN V (i797)
général en chef de Tarmée d'Italie; Hoche, qui venait de mourir,
et Moreau furent remplaces sur le Rhin par Augereau et Ha-
try ; Bon;»parie fui désigné pour commander l'armée d' Angieierre.
En effet, le {(ouvernement parlait hautement d'un projet de des-
cente dans la Grande-Bretagne. Quels que fussent ses desseins ,
qu'il couvrait par la publicité de celte ^nnonce, ce fut au moins
un prétexte pour obtenir de l'argent. Les conseils décrétèrent un
emprunt de 50,000,000. Le conseil des Cinq-Cents, dans son zèle,
se proposa d'ouvrir une souscription pati iotique dans le même
but. Il réJigea une résolution dans ce sens ; mais elle fut rejetée
par les Anciens. Néanmoins, des dons patriotiques nombreux
furent déposes sur le bureau. Us éiaient ordinaii émeut ac-
compagnés d'adresses dont rénerf;ie était digne d'un autre
temps. ^
On a dit que ce projet de descente en Angleterre n'avait d'autre
but que de couvrir les préparatifs de l'expédition d'Éjjypte, et
d'obtenir des fonds pour en faire les fiais. On a dit que l'expé-
dition d'É{jypte avait été choisie, après délibération, comme le
meilleur et le plus sur moyen de ruiner la puissance ang'aise,en
la menaçant dans ses possessions des Indes; on a dit enfin que
Cttte expédition n'avait eu pour but que de débarrasser les di-
recteurs de la présence d'un général qui n'était point leur ami
et dont la popularité était redoutable.
}> En effet, on a^surait que les conseils étaient fatigués de la nul-
lité à laqut-lle ils étaient réduits. Leur dignité était ofl'ensée de
la siuiaiiun où le 18 fructidor les a\a't placés. H y avait des pour-
parlers entre les personnages ii.fluens; on s'entretenait de la né-
cessité de reviser la Constitution , de centrali>er le pouvoir exé-
eu: if, de remplacer le conseil d( s Amiens par le sénat : on mêlait
le nom de Bonajiarie à tous ces [>rojets. Le Journal des Hommes
libres donna de ia publicité à ces biuils. Il annonça qu'il exi>iait
€ une nouvtlle faction <|ui voulait une chambre perpéuelle,et
un piési lent perpétuel. > Il reprocha aux journaiisie.s thermido-
riens de menacer toujours de leur Bon^paite. Ceîbi-ci , en effet,
était fort lié avec quelques ihermidoiiens; il était au contraire
AO 22 FLORÉAL AN VI (1798). 46.^
un objfct de haine pour les homoîes qui avaient encore quelques
inclinations jacobines.
On lisait dans le Rédacteur du 10 pluviôse ( 28 janvier 1798)
Tarlicle suivant : .
« Si on veut connaître les ressorts que fait jouer l'An^^leterre ,
on n'a qu'à lire l'anonyme suivante :
De Strasbourg , le 2 pluviôse.
«Le péril pour Bonaparte et Rewbell est des plus grands ; on a
préparé de fausses pièces de conviction contre eux d'attenter à la
liberté de la France. On a fait recevoir des déclarations par écrit
de plusieurs individus qu'on a apostés , pour assurer qu'ils ont
pleine connaissance du complot tramé par eux , de s'emparer
seuls du gouvernement, et faire périr les membres du directoire
et des conseils qui pourraient s'opposer à leur projet. Plusieurs
de ces faux témoins ont été cherchés dans l'étranger ; mais il n'y
pas d'Italien. On a arrangé toute une correspondancesemblable,
à celle du portefeuille d'Antraigues , dans laquelle ces deux ma-
gistrats sont évidemment inculpés. Les coups doivent être portés
dans le courant de pluviôse et même dans la quinzaine. On fait in-
tercepter ici et dans d'autres endroits des lettres à leur adresse.
La personne qui donne cet avis a vu de ses yeux les pièces fabri-
quées dans le xabinet d'un des chefs de ce complot.
» Les. meneurs, ic> , sont List, pharmacien, rue de la Mésange,
et Wedeikind, déjà trop renommé. Ces deux Mayençais sont les
principaux agens d'Augereau au nom duquel et pour lequel tout
se fait; Agut, adjoint aux adjudans-généraux ; les généraux
Isar et Gross travaillent avec eux et sont chargés de préparer
l'esprit de l'armée à cet événement. Les chefs ont leur affiliation
dans deux assemblées des Frères et Amis à Strasbourg , et le
nommé Schwaun , chirurgien , est le messager et colporteur
principal. ',
» Il ne paraît pas qu'il y ait quelqu'un de la dépulalion du Bas-
Pi hin dans le secret, §i ce n'est Bentaboile, duquel on parle assez
souvent et avec affliction. Fn (Irsafrpn-î d'Augereau doit pintir
T. xxxvn. .10
46(5 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797)
avec toutes ces pièces lorsqu'elles seront mûries , et cela ne doit
pas tarder.
» Cet avis, quoique donné par un simple particulier, est très-
vrai ; et lorsque ceux mêmes que cela concerne en auront des
preuves par les tentatives des conjurés , il se fera connaître. C'est
Tamour de la patrie , le respect et l'intérêt que ces deux person-
nages inspirent qui lui ont dicté cette démarche. »
A la séance du 11 pluviôse, Bentabolle dénonça cette lettre
aux cinq-cents, et repoussa avec énergie les insinuations dont il
était Tolijet. Il s'étonna qu'où eût imprimé, dans une feuille of-
ficielle , un écrit anonyme dans lequel des généraux et des repré-
senians du peuple étaient attaqués. « Le but que l'on s'est pro-
posé, ajouia-t-il en terminant, serait-il de semer la mésintelli-
gence entre les premiers pouvoirs 'de l'état? » — Le conseil
envoya la lettre au directoire.
11 est probab'e , en effet, que cette lettre avait été publiée par
*l'ordre du d rectoire lui-même, pour arrêter les projets dont
nous avons parlé, en apprenant aux auteurs que leurs intentions
étaient connues. Le directoire ne fil, au reste, aucune réponse au
message du conseil; mais il plaça Augereau dans la position de
Bonaparte, ilsupfiiima l'armée du Rhin, et envoya Augereau
commander une d'visfon miliiaireau pied des Pyrénées. H était
également pressé de se débarrasser de la présence du vainqueur
de l'Italie; mais ce n'eût pasétéa>sez de l'éloigner seul, il fallait
qu'il pariît avec une partie de l'état-major qui lui était dévoué.
Ausôi, s'etant déterminé à choisir l'expédition d'Egypte, il en
hâtait les préparatifs de toutes manières. Maisl'argtnl manquait
encore; et ce fut l'espérance de ï>'tn procurer, dit le général Jo-
mini , qui le détermina à envahir et révolutionner la Suisse. Il
savait en effet que le seul canton de Berne possédait un trésor
de quarante millions; depuis long-temps les patriotes suisses
solliciiaient l'intervention de la France. La Suisse n'était pas en
effet le pays de l'égalité; il y avait des pay^possédés et des can-
tons possesseurs ; dans certains cantons le pouvoir appartenait à
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798). 467
une aristocratie souveraine , et les patriotes demandaient la de-
struction de toutes ces inégalités féodales. Le direcloire , bien que
poursuivant seulement un étroit intérêt, aurait donc l'apparence
de poursuivre au contraire un but révolutionnaire.
Mais , en adoptant cette marche, il commettait une imprudence
politique très-grave. On venait de signer la paix avec l'Autriche,
c'était le succès le plus populaire de l'époque, celui sur lequel
reposait la popularité de Bonaparte, celui qui donnait en ce mo-
ment au directoire la seule force qu'il possédât dans l'opinion.
Or, on devait penser que l'invasion de la Suisse rendrait cette
paix incertaine et douteuse. Un tel acte ne pouvait pas être en-
visagé d'un œil indifférent en Allemagne. Ajoutez que l'on man-
quait à la politique constamment suivie par la France, suivie par
le comité de salut public, qui, en respectant la neutralité suisse,
s'était débarrassé de la nécessité de défendre, en temps de guerre,
une frontière de plus de cent lieues d'étendue. Le général Jo-
mini, dans son Histoire des guerres de la Révolution , remarque
que ce fut une faute grave.
Quoi qu'il en soit, le directoire fit approcher une armée des
frontières de la Suisse. Le canton de Vaud , excité par un comité
organisé à Paris, se souleva en décembre 1797. Les troupes
françaises vinrent pour l'appuyer contre l'armée du canton do
Berne.
Plusieurs motifs auraient dû faire borner l'invasion à ce pre-
mier mouvement. On savait, et c'était un fait si public, que les
journaux même en font mention , que l'Autriche organisait une
armée de soixante mille hommes sur les fj ornières du ïyrol,
que, loin de licencier ses troupes , elle s'occupait au contraire à
en compléter les cadres. Enfin le 27 décembre la paix de l'I-
talie fut troublée par un événement grave qui pouvait la remuer
tout entière. A Kome, quelques patriotes italiens arborèrent la
cocarde tricolore et ceminencèreni un mouvement insurreciiou-
nel ; le rassemblement fut rapidement dispersé par If s iruupes du
pape, et par le peuple qui se jolj^nità ces troupes. Quelques-uns
coururent au palais de l'ambiissarle française pour s'y n fugif r:
i(i8 DlRbXT. — DU iS FBUCTIDOR A\ V (1797 )
on refusa de leur en ouvrir les portes ; mais l'ambassadeur fran-
çais, Joseph Bonaparte, et le général Dupliot se placèrent devant
eux pour proléger leur vie, et peut-être leur fuiie; leur présence
n'empêcha point la troupe papale de f^ire feu. Le général Du-
phot fut tué , et quelques autres français blessés, la cour de l'hô-
tel fut envahie ; mais on ne poussa pas la violence au delà de ces
limites. Joseph Bonaparte se retira et écrivit au directoire. Ce-
lui-ci répondit en ordonnant à Berihier d'entrer dans les états
romains. Ce fut moins une conquête qu'une promenade militaire.
Les Français arrivèrent à Rome sans éprouver de résistance. Ils
campèrent sous les murs le 10 février, ils occupèrent le château
Saint- Ange ; et le 15 février, la bourgeoisie romaine , que dans
ce temps on appelait le peuple, réunie au Campo-Vaccino, pro-
clama la restauration de la république romaine. Quant au véri-
table peuple , ce que , dans les écrits du temps , on appelle la po-
pulace , il tenta , quelques jours après , une insurrection que les
troupes françaises dissipèrent facilement. Le pape fut relégué
en Toscane.
Ainsi, le terrain que nous étions obligés d'occuper devenait
plus grand, tandis que l'armée, dégoûtée parle défaut de solde
et la misère qui en est la suite, Toyait ses cadres seflépeypler.
Il y eut, en divers lieux, des émeutes militaires causées par le
défaut de paie, ou parles vols des fournisseurs. L'af.aiblissement
de l'armée avait cependant attiré l'attention des conseils. Unecom-
mi.^sion fut nommée. Jourdan fit (leO vtniôse, î2o février 1798),
au nom de cette commission , la proposition de créer une armée
auxiliaire, et de régler les enrôlemens volontaires. Ce projet fut
discuté ; mais il n'eut pas d^ suites en ce moment.
Cependant on continuait l'invasion de la Suisse; Berne fut
pris le 15 mars après quelques petits engagemensi les cantons
démocratiques envahis, après quehjues affaire^ très-sanglantes,
dars lesquelles les femmes mêmes prirent part aij^ combat, et l'on
proclama en mai une constitution nouvelle, qui fondait l'unité de
la république helvétique.
Le défaut de prévoyance, Timpéritie du directoire n'est nulle
AU 2â FLORÉAL AN VI ( 1798 ). 469
part plus évidente qu'en cette affaire. 11 dévia complètement de
la politique nationale. Ea effet, la France, comme tout grand
état , doué d'une puissante unité, doit se proposer de multiplier
autour de lui les fédérations des petits états. C'est un moyen de
s'assurer une irifluence certaine en temps de paix , un moyen de
succès en temps de guerre ; quel est celui qui ignore que la force
est dans l'uniié , et que créer des unités autour de soi , c'est se
créer à plaisir des résistances.
Cette invasion n'était pas terminée que nous fûmes sur le point
de nous brouiller avec l'empereur. Notre ambassadeur près la
cour impériale, Bernadotte, imagina de célébrer, le 15 avril, une
fête en commémoration de nos victoires, par opposition à celle
que le peuple de Vienne célébrait en commémoration de l'arme-
ment de ses volontaires, en 1796. 11 arbora le drapeau tricolore
au-dessus de la porte de son hôiel. Cet acte provoqua une émeute ;
les portes de l'hôtel furent forcées , le drapeau brûlé , les ap-
partemens envahis , les meubles brisés. Bernadotte , indigné ,
quitta Vienne. Mais le directoire dissimula cet affront. Il craignit
trop sans doute d'être obligé de confier le soin de sa vengeance à
Bonaparte.
Ce général s'embarqua enfin le 19 mai ( 50 floréal ) a Toulon ,
pour l'expédition d'Egypte. Nous ne ferons pas l'histoire de cette
glorieuse campagne. Nous n'en avons point la place. Nous re-
marquerons la haute imprudence qu'il y avait à éloigner du con-
tinent et à exposer sur la mer trente-six mille hommes d'élite ,
lorsque Ton voyait l'armée diminuer tous les jours. Nous signa-
lerons l'affreux égoïsme de ces directeurs qui , pour conserver le
pouvoir et éloigner un rival dangereux pour leur ambition,
n'hésitaient point à compromettre des milliers d'hommes et la
France elle-même , que leur départ affaiblissait. Ils ne se bornè-
rent pas, au reste, à écarter Bonaparte; ils en firent de même à
l'égard de Siéyes ; ils l'env.oyèreni en Prusse remplir les fonc-
tions d'ambassadeur.
Le directoire n'était pas meilleur administrateur que bon poli-
tique. Nous ne parlerons point ici des reproches personnels
170 LlRbCl . — DU i8 FRUCTIDOR AIS V ( 1797 )
que l'on pouvait adresser à chacun de ses membres ; du scan-
dale de leurs amitiés, de leurs mœurs, de leurs faveurs : *du grappil-
lage public que l'on faisait des ricliesses de l'état et qu'i s n'empê-
chaient pas;nous ne faisons point ici une histoire anecdolique du
directoire ; nous ne devons tenir compte que des faits généraux
dont l'accumulation produisit cette haine et ce mépris sous les-
quels il succomba.
L'intérieur de la France n'était pas tranquille. Quelques ar-
restations prouvèrent que les intrigues royalistes n'avaient pas
cessé après le 18 fructidor, et que l'Angleterre s'y prélait en
fournissant abondamment de l'argent , principalement par Ten-
iremise d'un sieur Vilain XIV, banquier à Pjris, chez lequel on
saisit près de 2o0,000 francs. Divers mouvemens révélèrent la
puissance et l'étendue de ces intrigues.
Immédiatement après le 18 fructidor, il y eut une insurrec-
tion dans le département du Gard sous la conduite de Domini-
que Allier. Il se présenta comme le vengeur des députés fructi-
dorisés et parvint à s'emparer de la citadelle du pont Saint-Es-
prit. Cette émeute fut dissipée par la force des armes.
A Carpenîras, il y eut une seconie insurrection qui fut dé-
jouée par la garde nationale d'Orange et d'Avignon. A Tarascon,
il y eut un engagement ircs-vif entre une colonne mobi'e et
douze cents révoltés au nom du Roi. Près de Lyon , un rassem-
blement fut di^îsipé par lu gendarmerie. Une insurrection en
Corse fut promptemeot et violeniment répriaiée. Mais en mém»
temps partout recommen(;aieQl le vol des diligences et des deniers
publics, les assassinats politiques. Il y eut des rassemblemens en
Vendée. Les atteniais des chaufleurs désolaient les campa-
gnes.
A cet occasion, les conseils, provoqués par un niessage, aug-
mentèrent le personnel de la gendarmerie; ils organisèrent de
plus l'institution des vétéraîbs ; enfin , ils s'occupèrent de la ré-
organisation des tribunaux, dont lindulgence en matière poli-
tique était considérée comme un effet de l'opinion.
AU ±J FLORÉAL AN VI (1798). 471
t^our donner une idée de la situation de la France, il suffit de
lirQ l'arrêté suivant :
DIRECTOIRE EXÉCUTIF. — Arrêté du 4 pluviôse an VI.
»
«Le directoire executif, sur le rapport du ministre de la police
générale ,
« Considérant que le mauvais esprit qui depuis le commencement
de la révolution a existé presque sans relâche dans la commune
de Lyon , et qui a été, à diverses époques , l'objet des plu* vives
inquiétudes de la part du gouvernement , s'y manifeste encore ;
î>io Par l'influence des chefs des compagnies de Jésus et du So-
leil , des assassins du Midi, des émigrés, des déserteurs et des
voleurs de grandes routes , lesquels trouvent dansj^ commune de
Lyon et ses faubourgs un asile assuré et comme inviolable à l'abri
des recherches de l'autorité et sous la protection des hommes pu-
sillanimes ou malintentionnés qui les recèlent ;
»2<> Par l'impunité jourialièpe des délits de tout genre qui s'y
commettent , impunité résultante du silence des témoins en jus-
tice , et de la faiblesse des tribunaux subjugés les uns et les au-
tres par la terreur des ressentimens et des vengeances qu'inspi-
rent les malfaiteurs ;
» 3<^ Pijr le refus ob&liné de bons ciioyens à y accepter les em-
plois publics à cause des excès qui s'y sont commis impunément
ou à peu près sur la personne des membres des autorités consti-
tuées ;
"Considérant encore que la commune de Lyon est une de celles
qui se sont le moins ressenties des salutaires effets produits par
rimmorlelle journée du 18 fructidor , puisque , postérieurement
à cette époque, de nouvelles bandes de malfaiteurs de toute es-
pèce s'y sont rendus pour renouer la trame de leurs complots
liberticides, bien sûrs d'y trouver de nouveaux moyens de trou-
ble et de désordre, puisque des provocations meurtrières y ont
eu lieu contre des militaires de la pnrt des jeunes gens, et que
des gageures y ont été faites et exécutées de désarmer des fac-
tionnaires, etc., etc ;
^ft
472 DiKtCT. — nu 18 frcctïdor an v {ildl)
"Considérant enfin que dans un état de choses aussi alarmant
ce n'est point par'les moyens ordinaires de police et d'admipis-
Iration que Texécution des lois et le rétablissement de la tran-
quillité publique peuvent s'opérer dan^la commune de Lyon ;
"Arrête , en vertu de l'ariicle 59 de la loi du i9 fructidor der-
nier, ce qui suit :
»Art. l^'' La commune de Lyon et les trois faubourgs dits de
la CfOix-Ro'-'sse, de la Guillotière et de Vaise sont mis en état de
sieffe.
2. Pour l'exécution de cette mesure , le ministre de la guerre
y fera passer, tant en infanterie qu'en cavalerie , le nombre de
troupes nécessaires.
Le ministre de la police générale et celui de la guerre sont
.chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent
•arrêté.
Beaucoup d'autres communes lurent mises en état de siège et
pour les mêmes motifs : telles fure^^t, entre autres , celles de
Montpellier, Castres, Sarlat , Bergerac, Périgueux, Limoges,
Béziers , etc.
Lesjournaux negènaieat pas le pouvoir. Il usait largement du
droit qu'il avait reçu en fructidor. Au moindre mot qui lui dé-
plaisait en quoi que ce fût, il les supprimait. 11 commença par
frapper spécialement sur ceux où il se trouvait des insinuations
royalistes ; ensuite il s'attaqua à toutes espèces d'opinions. Nous
n'en avons pas compté moins de vingt-deux qui furent ainsi sup-
primés. Ainsi il réduisit la presse quotidienne à un mutisme com-
plet, et commença en quelque sorte à préparer le régime de cen-
sure. Il n'usa pas moins brutalement de celte autorité absolue à
l'égard des clubs. Il les avait favoVisés d'abord ; mais l'ombre de
liberté qu'il leur laissa , louriia contre lui. On commença par s'y
colérer contre le royalisme; ensuite on étudia le pouvoir ; on s'y
entretint des bruits qui couraient sur les projets cachés de quel-
(|ues législateurs ; on chercha le moyen de sauver la Constitution ;
on ne le vit pas ailleurs que dans les élections franchement républi-
caines , et l'on prépara les élections. Le directoire fut long-temps
AU ±2 FLORÉAL AN VI (1798). 4/5
avant de s'apercevoir que l'opinion des clubs tournait contre lui ;
il fit fermer ceux où on avait parlé trop haut ; mais il n'osa
les fermer tous. Il se borna à y introduire des hommes assez dé-
voué» pour parler pour lui. Benjamin-Constant se chargea de
cette tâche dans l'un des clubs les plus importans de Paris. On
publia force proclamations et force adresses. On put croire que
ces efforts ne seraient pas sans résultats ; on ne sut en effet quel-
les seraient les élections , que lorsque l'on connut quels électeurs
avaient été choisis par les assemblées primaires. Le choix des dé-
putés succédait si promptement au choix des électeurs » que par-
tout le pouvoir exécutif fut en quelque sorte détrompé à l'impro-
viste.
Quoi qu'il en soit, pendant les élections, les murs de Paris fu-
rent couverts de jurandes affiches , oii l'on répétait , avec des for-
mes plus violentes , ce que les adresses avaient déjà indiqué :
que pour éviter un excès , il ne fallait pas tomber dans un autre ;
qu'il fallait éloigner les anarchistes avec autant de soin que les
royalistes; que (;eux-ci conspiraient sous le bonnet rouge, etc;
en un mot, la police, auteur de ces adresses , se montrait très-
effrayée de la reaction républicaine qui menaçait d'envahir les
conseils.
Les élections furent très-dispulees, tumultueuses. Un grand
nombre de collèges se scindèrent , et chaque parti nomma des
députés. Les réclamations affluèrent aussitôt au conseil des cinq-
cents. Les directoriaux étaient effrayés ; les républicains qui met-
taient leurs espérances et J'avenir de la Constitution de l'an lll
dans l'arrivée du nouveau tiers dans la législature , défendaient
avec énergie le choix de l'an VI. Lamarque vint révéler à la tri-
bune les projets que l'on formait pour se débarrasser par un se-
cond coup d'état des nouveaux élus. Voici son discours :
CONSEIL DES CINQ-CENTS. — Présidence de Poulain- Gramlprcy. —
Séance du ii floréal.
Laniarquey par motion d'ordre. « 11 vous a été distribué contre
la validité des élections de la Dordogne un écrit anonyme qui
474 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V ( 1797 |
porte l'empreinte de l'imposture , de la perfidie et de la lâcheté.
Dans un temps ordinaire j'aurais gardé le silence ; mais , d'après
les sages avis de quelques-uns de mes collègues, j'ai pensé que
de pareilles calomnies ne devaient pas rester sans réponse.'Et ici
l'intérêt personnel n'entre pour rien dans ma délerminaiion, car
je déclare d'avance que je n'accepte de nominations que celle qui
a été le résultat d'une assemblée unanime et sans scission. Telle
est celle du département qui m'a vu naître , et je suis bien étonné
qu'un écrivain anonyme, que je poursuivrais devant les tribu-
naux, si je savais son nom, se soit permis de calomnier ainsi l'as-
semblée de la Dordogne et de jeter au milieu de nous ce germe
de discorde.
»Aous convenons tous, que le système que l'on veut introduire
de dibculer ici la moralité des individus ferait renaître ces diffa-
mations odieuses dont aucun de nous n'a été exempt. Les re-
cueils de calomnies que l'on veut puiser dans les assemblées
électorales sont des monstruosités enfantées par le royalisme,
pour trouver dans les élections de l'an 6 un nouveau prétexte de
déchirer le sein de la République.
"Chaque jour, les murs de cette immciise commune sont tapis-
sés de placards dans lesquels on lit ces phrases alarni'antes : « Il
ne s'a{;it point, dans le jugement de la val.diié des élections, de
s'attacher minutieusement aux principes, il faut prendre des dé-
cisions que commande impérieusement le salut public. » A la vue
dé ces principes destructeurs de l'ordre social , le bon citoyen ,
le républicain vertueux gémissent, eLne peuvent s'empêcher de
rcconnaîire, dans ces affiches, l^ main perfide des royalistes
réacteurs, qui savent que leur succès est aiiachéànos divisions.
Avant le 18 fructidor, leur projet était d'assassiner le directoire;
aujourd'hui, ils veulent diviser le corps législatif ; mais j'en jure
par la liberté, leurs efforts seront vains; votre zèle, votre cou-
rage , votre union sauront maintenir la liberté , la Constitution et
la République.
» Sans examiner ici les motifs secrets de tous ces placards incen-
diaires et diffamateurs , je demanderai pourquoi on veut jeter un
AU :2a FLORÉAL AN VI ( 1798 ;. 475
voile sur la Goostitutioa et frapper de nullité la majeure partie
des élections de l'an sixième. Les uns ont soutenu qu'il fallait re-
jeter tous les résultais des assemblées scissionnairés ; les autres
ont été plus loin, et ils ont prétendu qu'il fallait rejeter égale-
ment ceux des assemblées mères , lorsque la moralité des dépu-
tés élus par elles n'offrait pas une {^^raatiê suffisante, comme cela
se pratique en Amérique. Enfin les autres veulent que par une
mesure forte on empêche un nouveau 18 fructidor. J'invite le
conseil à repousser tous ces systèmes et à ne s'attacher qu'aux
principes qui veulent que partout la majorité fasse la loi. Re-
poussez loin de vous ces accusations vagues de royalisme et d'a-
narchie, et déclarez que là les résultats sont bons où les opéra-
lioi^ se sont faites d'une manière conforme aux lois et à la Con-
stitution.
»0n a dit qu'il fallait par une mesure générale frapper les élec-
tions de l'an 6, comme on a fait pour celle de l'an cinquième. On
a fait ce raisonnement : les élections de Tan o furent l'esprit de
la conspiration royale , celles de Tan 6 sont le résultat de la dé-
magogie. Le directoire et le corps législatif ont fait le i8 fructi-
dor contre les premières, il faut empêcher que celles de l'an 6 ne
néi^essilent la même mesure. Je l'ai dit, et je necesserai de le
répéter, le but des factions est de nous détruire les uns par les
autres. Après avoir vaincu les royalistes, elles veulent que le
gouvernement divise les républicains et qu'il s'arme contre une
partie d'entre eux ; si le gouvernement cédait ù de telles sugges-
tions, je serais un des plus menacés et je lâcherais de me sous-
traire à la persécution ; mais je le déclare hautement , si je ne
pouvais y parvenir qu'en trahissant mes devoirs et en violant la
Constitution, je serais capable de me dévouer pour la libei^^é,
certain de trouver dans l'estime publique la récompense de ma
proscription.
• L'expérience du passé doit nous éclairer pour l'avenir et nous
faire sentir l'énorme différence qui se trouve entre les élections
de l'an 5 et celles de l'an 6 : les premières ont été préparées par
les attroupemens, les prédications du fanatisme , les complots des
i7() DIRECT. — bU 18 FRUCllbOn AN V ( 1797)
ëmifjrés, les égorgemens des républicains ; partout les choix ont
été dirigés par les fils légitimistes , par les fougueux agens du roi
de Bldnkenibourg ; aussi leur résultat a-i-il porté les caractères
ianglans du royalisme. TS'éanmoins , citoyens représentacs , ces
ëleciions ont été faites à lu majorité ; et si elles ont été attaquées,
ce n'est point à cause de leur illégalité , mais bien à cause de la
conduite contre-révolutionnairequelesélus ont tenue. Le grand
acte du 18 fructidor .a été sanctionné par le peuple, parce qu'il
était commandé par le grand intérêt de salut public ; et le corps
législatif a déclaré illégales les élections faites dans cinquante-
trois départemens, parce que le royalisme les avait dictées.
))A ces élections contre-révolutionnaires, comparons celles qui
viennent d'avoir lieu. Interrogez les républicains , ils vous dkont
que la grande majorité des élus offrent à la France un concours
de lumières , de patriotisme et de probité. Le fait n'est pas con-
testé , et l'on ose nosis dire que les éleciions sont le résultat d'une
conspiration. Ah ! sans doute , c'est une conspiration , mais en
sens inverse de la dernière , puisqu'elle a pour but de maintenir
la République.
"Mais on dit : Parmi îes élus il se trouve des hommes suspectés
de terrorisme et d*anarchio ; il faut les écarter. Loin de nous une
idée pareille. 11 est temps de mettre un terme à ces dénomina-
tions vagues , dictées par h haine et la vengeance; gardons-nous
de gratifier du titr^ de scé'érats, des hommes absens, qui ne
peuvent se défendre, et qui ont reçu du peupk» une mission qu'il
faut respecter, et sans laquelle nous ne sommes ri^n nous-mê-
mes? Y a-t-il une seule époque où tous les choix du peuple soient
excellens? IN'e sait-on pas que l'intrigue parvient souvent à trom-
pa la conscience des citoyens? mais il suffit que la grande majo-
rité soit saine. Si vous consacrez le principe que le corps législatif
doit examiner la morali'é des élus, craignez les conséquences fu-
nestes qui pourront en résulter par la suite; craignez que chaque
année il ne s'érige en jury de jugement , en jury de révision , ce
(jui serait le renversement de toutes les idées reçues et des prin-
cipes constitutionnels.
AU 2^ FLORÉAL AN VI (1798 ). 477
» On répond , qu'à l'avenir la révolution sera terminée, la Ré-
publique affermie , mais qu'elle ne l'est pas encore. Mais qui
vous assurera que l'année prochaine, la suivante, etc., on ne
tiendra pas un pareil langa^je ; que , sous prétexte de sauver la
République, on ne violera pas de nouveau la Constitution, et
qii'enfin , le peuple incertain si ses choix seront sanctionnés , ne
retombera J)as dans l'apathie , signe âvant-coureur de l'escla-
vage? Ceux qui veulent appliquer ces principes aux élus de
l'an VI se les verront appliqués à eux-méaies dans l'an VII et
l'an Vllï ; alors , on dira d'eux ce que l'on dit des autres , que ce
sont des brigands, des scélérats , des bêtes féroces , que la seule
nouvelle de leur élection fera déserter la France et fuir les riches
propriétaires, etc. On demandera que le corps législatif, dont
toute la force est dans la tribune, soit privé des orateurs, des
hommes de génie , afin de le dominer à son gré ; on proposera
d'exclure les uns parce qu'ils ont concouru à la Constitution
de 93^ les autres, parce qu'ils ont contribué à celle de 91. Ceux-
ci , parce qu'ils ont fait le 14 juillet, le 10 août, et qu'ils ont voté
la mort du^tyran roi. Après cette exclusion générale, la repré-
sentation nationale de la France sera composée, ou d'hommes
nuls, ou d'ennemis de la République. Voilà le but où l'on veut
vous mener. Quant à moi, je le déclare hautement, je ne trempe-
rai jamais dans cette manœuvre, je ne prendrai aucune part à tout
ce qui pourra.la faire réussir ; et je compte , mes collègues, que
votre patriotisme et votre sagesse sauront bien , sans ces moyens
dangereux et inconstitutionnels , sauver la RépubUque. Qu'ils
sachent , nos ennemis irréconcihables , que les citoyens qui ont
concouru à cet acte salutaire du 18 fructidor ont pleuré sur la
nécessité qui les a forcés à celte mesure violente." Ils ne se dissi-
mulaient pas l'atteinte qu'ils portaient à la constitution , mais dans
l'alternative affligeante où ils étaient de la violer, ou de laisser la
France en proie aux horreurs d'une révolution nouvelle, pire que
la première , ils ont préféré sauver la chose publique en violant
transiioirement le pacte social ; mais ils ont senti qu'un acte aussi
extraordinaire que celui-là devait être marqué au coin de la mo-
478 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V ( 1798).
dération , et il l'a été ! mais il ne faut pas nous menacer sans cesse
d'un nouveau 18 fructidor, comme, en 95, la municipalité de
Paris nous menaçait tous les jours d'un nouveau 14 juillet, d'un
nouveau 10 août. De pareilles mesures étant extraordinaires ne
doivent pas se renouveler toutes les décades.
» Déclarons formellement que nous ne repousserons que les
élections qui seront évidemment le fruit de la violence/ et de la ty-
rannie ; mais on se trompe quand on croit que nous écarterons
celles qui ont été faites conformément aux lois.
> Je demande, l'' que les rapports sur les élections sur lesquelles
il n'^ a aucune difficulté soient sur-le-champ soumis au conseil ,
et que les projets relatifs aux doubles élections soient à l'ordre
du jour de deux heures, au fur et à mesure que le travail des
commissions sera prêt :
» 2° Que les dénonciations diffamatoires ne soient point admises
si elles ne sont signées, et que les commissions n'aient égard
qu'aux faits de notoriété publique >
Plusieurs voix, t L'ordre du jour. » Tumulte. Le calme re ré-
tablit; l'orateur continue : ^
« Ce que je dis ne me touche en aucune manière. Ce sont les
autres que je veux défendre et non pas moi ; je reprends l'article
où j'ai été interrompu.
» 5^. Je demande que les dénonciations diffamatoires ne soient
point lues si elles ne sont pas signées. (Quelques vqix : « Cela est
juste. >) Et dans le cas oii elles seraient revêtues de signatures,
les commissions n'auront égard qu'aux faits de notoriété publi-
que , qui constateront l'illégalité des élections ou l'inéligibililé des
individus.»
Plusieurs membres, c Aux voix l'arrêté, t
Grand nombre d'autres, t L'ordre du jour. »
Plusieurs membres, t L'impression. »
Grand nombre d'autres. « L'ordre du jour. »
Hardy. « Nous avons juré haine à la royauté et à l'anarchie.
Nous avons donné des preuves indubitables de notre haiue pour
la royauté; le moment est arrivé de prouver celle que nous por-
AU 22 FLOBÉÀL AN VI (i798). 479
tons aux anarchistes. Personne de vous ne doule que ces hom-
mes infâmes, exécrab'es , ne se disposent à s'introduire dans le
corps législatif, à la faveur des principes auxquels ils prétendent
que leurs élections sont conformes. Le discours préparé que vous
venez d'entendre a pour but de vous décider à admettre au nom-
bre de vos collègues les hommes de Babeuf et de Robespierre ,
si leurs élections ne sont point illégales. Quant à moi , mon opi-
nion est fortement prononcée à cet égard ; elle est que vous ne
devez point les admettre ; car vous avez le droit de chasser les
scélérats d'ici, quelle qu'ait été leur éleciion.
)) Les Américains ont été quelque temps sans exercer ce droit;
ils s'en sont si mal trouvésqu'ils ont été obligés d'y revenir ; voici
comment est conçu l'article o de leur constitution : ( Quelques
voix. Ce n'est pas ce dont il s'agit. Tumulte. ) Chaque chambre
sera juge des élections et des qualités des membres élus. Chaque
chambre pourra punir ses membres. »
Duhot. c Nous n'avons pas ce droit. » Tumulte.
Hardy. « Voulez-vous m'interrompre à chaque mot, venez
ici. >
Duhot, a Parlez-nous de la constitution française.»
Hardy, < Tel est l'article de la constitution américaine, dont
Ta siricte exécution fait le bonheur des citoyens de ce pays. Hé
bien I le même article se trouve dans notre constitution. On y
lit cet avertissement que le peuple français donne aux fractions
de citoyens. Rappelez-vous que, de la sagesse de vos choix dé-
pend le bonheur de la République. Si donc les choix sont mau-
vais , c'en est fuit du bonheur et du salut de la France ; mais l'ad-
mission et le rejet de ces choix n'esi-il pas dévolu au corps légis-
latif? IN'est-ce pas lui qui , en dernier ressort et dans tous, les cas,
remarquez bien cette expression générique , qui décide de la va-
lidité des opérations des assemblées primaires et électorales. D'où
il suit que si un scélérat se présente ici comme député, vous avez
le droit de le repousser ; car il ne s'agit pas seulement, dans cette
disposition constitutionnelle , de la validité du mécanisme des
élections, mais bien des résultats qu'elles présentent. Telle esj
480 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V ( i7î)7 )
mon opinion. L'intention du Iéf>islateur constituant a été que lo
corps lë^^islatil- eût le droit d'empêcher le crime de sië^jer dans
son enceinte ; et je ne vois pas qu'il y ait au monde aucune loi qui
puisse me forcer à consentir qu'un scélérat vienne s'asseoir à côté
de moi.
» Au reste, la motion qui vous a été faite avec beaucoup d'art
et de délicatesse, n'a d'autre but que de vous faire consacrer des
principes anarchiques. Les conjurés ont pris une autre marche.
Les hommes de Robespierre et de Babœuf, disaient hautement,
il y a dix-huit mois : Il faut couper la tête aux cinq ; aujourd'hui
ils affectent un langage plus doux, ils se couvrent du manteau de
la régularité, qui, disent-ils, a présidé à leurs élections, et cou-
verts de masques , ils s'imaginent entrer impunément ici. Us se
trompent; je le répète , jamais je ne consentirai à ce qu'un scélé-
rat vienne s'asseoir à côté de moi.
» Je demande l'ordre du jour. »
Bion est à la tribune ; il réclame la parole. Le conseil la lui re-
fuse, et il ferme la discussion.
On réclame l'impression du discours de Lamarque ; elle est
rejeiée à l'unanimité, moins cinq à six membres.
On demande Tordre du jour sur les propositions de Lamarque.
L'ordre du jour est adopté à la même unanimité. •
— La dénonciation de Lamarque n'empêcha rien : mais elle à
montra que l'on devait s'attendre à une critique de détail dont
on se tirerait difficilement, bi l'on procédait partiellement à la vé-
riHcaiion des élections et si on ne les soumettait pas en bloc à un
Hiême examen , pour n'avoir qu'une seule discussion. Ln mes-
sage du directoire mit ses amis sur cette voie.
r.ONSEfL DES CINQ-CENTS. — Séntice du iôjloréal an G.
Dubois-Dubay a la parole pour faire un rapport sur les dou-
bles élections de Seine-el-Oise, mais on réclame la lecture d'un
message du directoire ; elle est ordonnée.
Le directeur s'exprime ainsi : « Le 11 de ce mois, vous avez
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798), 481
iflvilé le directoire à vous faire part des circonstances qui ont ac-
compagné les élections de l'an VI , et à vous donner des rensei-
{^nemens sur les entreprises que les anarchistes ont faites pour
s'en rendre les maîtres. 11 s'empresse de répondre à vos vœux. »
Ici le directoire rappelle les manœuvres employées depuis la
retraite de l'assemblée constituante par les ennemis de la liberié,
pour influencer les élections et nous ramener par elles au joug de
.l'esclavage. Ils portèrent à l'assemblée législative de lâches par-
tisans de la royauté ; ils jetèrent dans le sein de cette assemblée
immortelle, qui a fondé la République, ces hommes justement
exécrés, qui on fait peser sur la France un sceptre de fer; eu
vendémiaire an IV, en germinal an V, une influence- funeste,
dirigée par l'étranger, peuple le corps législatif' et les administra-
tions des partisans les plus prononcés du fantôme de roi. Ainsi,
leur marche est la même, soit qu'ils suivent Robespierre, ou
bien Pastoret et Vaublanc , Pichegru et Willot.
« C'est dans ce moment où la République triomphe à l'intérieur,
où toutes ses forces réunies contre le seul ennemi qui lui reste
présagent son entière défaite, que, victorieuse de l'Europe,
elle se voit obligée de se défendre contre les intrigues , les ma-
nœuvres que l'on emploie pour la ruiner et la détruire. Rien de
plus certain que cette conjuration vaste, dont votre sagesse a
pressenti les fils, et sur laquelle vous avez demandé des rensei-
gnemens au directoire. Oui , il a existé et il existe une conspira-
tion anarchique , non moins dangereuse que celle que vous avez
déjouée au 18 fi uciidor. C'est dans les assemblées primaires ei
électorales que devaient éclore ses résultats.
» Sous le nom (ïanarchistes , le directoire n'entend point con-
fondre ces républicains énergiques, amans plutôt qu'amis de la
liberté et de la Constitution de l'an 111 , qui savent soumettre à
la loi le sentiment impérieux de la liberté : muis, par ce mot,
il entend ces hommes couverts de sang et de rapines, prêchant le
bonheur commun pour s'enrichir sur la ruine de tous , ne par-
lant d'égalité que pour èire despotes ; capables de toutes les
bassesses et de tous les crimes, soupiranî après leurs ancietis
r. \xxvji. o\
48î2 DIRECT. — BD 18 FRUCTIDOR AN V (1797 )
pouvoirs; ces hommes enfla qui, au 8 thermidor, étaient les
agens de Robespierre et occupaient les places dans toute la
République, et qui depuis le 9 thermidor ont figuré dans tous
les mouvemens , trempé dans toutes les machinations ; qui étaient
les affidés de Babeuf, et les conspirateurs du camp de Grenelle.
» Voilà les conspirateurs que le directoire vous signale ; il est
temps que la tribune nationale retentisse du récit de leurs cri-
mes ; votre sagesse saura leur fermer l'entrée du corps législa-
tif. .
Ici le xlirectoire trace la condiiite tenue pas la conspiration
anarcliique depuis !e 18 fi uciidor. Avant celle époque, le direc-
toire avait cru devoir, pour raviver l'esprit pub'ic, permettre ia
tenue des clnbs consiituiionnels. Les coni-pirateurs en fii eut le
laboratoire de leurs crimes. De nombreuses associations corres-
pondirent entre elles; des commissaires lurent envoyés p:\ri0ut,
propageant les principes de la dérrugogie. Les communes de
Strasbourg, Vezoul, Metz, Marseille, Bordeaux, Périgueux, etc.
virent se former dans leur sein des cercles constitutionnels. Tou-
tes ces branches se rattachaient au tronc qui était à Paris. C'est
dans les clubs de la rue du Bac et de la rue Antoine que se pre-
naient les délibérations, et que l'on dictait les ordres, lesquels
étaient partout exécutés avec une exactitude scrupuleuse. Et de
même qu'en l'an V, les sociétés des fils légitimes influencèrent
les élections, ainsi celles de l'an VI l'ont été par les clubs anar-
chiques.
» Le directoire ordonne leur clôture; ils s'en forme d'autres.
Des journaux incendiaires soufflent à l'envi le feu de la division ,
et une désorganisation générale; le directoire, en vertu du pou-
voir que la loi lui donne, brise ces trompettes du terrorisme. 11
est hors de doute que les conspirateurs ne veulent rétablir que
ie régime exécré de 1795; à Avignon on a envoyé de Paris trois
mille exemplaires de la Constitution de 95. A 3Iarseille , à Bor-
deaux, etc., on publiait hautement que le moment était venu de
se débarrasser des cinq et des deux conseils.
» C'est sous ces auspices que se sont tenues les assemblées pri-
AU 22 FLORÉAL AN VI ( 1798 ). 485
maires. Partout les anarchistes y ont exercé des violences , se
sont emparés des bureaux par la force ; ont exclu des séances les
citoyens qui refusaient de porter le joug qu'ils voulaient leuh im-
poser. Ici, des réquisitionnaires déserteurs ont dominé les élec-
tions; là, on en a exclu les acquéreurs des domaines nationaux.
En plusieurs endroits , comme dans la Corrèze, les proclamations
du directoire ont été lacérées et foulées au pieds. Dans les Hautes-
Alpes , un homme qui fut sous Robespierre le plus furieux agent
du terrorisme, et qui, sous Camille Jordan, a été l'apôtre le
plus zélé du fanatisme, cet homme a joué le plus grand rôle dans
les élections.
» A Paris, sous les yeux du corps législatif et du gouverne-
ment, avec quelle audace les anarchistes ne se sont-ils pas con-
duits dans les assemblées primaires? un de vos anciens collègues
y a éié attaqué, son habit a été déchiré et son corps tout couvert
de contusions; il a été chassé de son assemblée. Toutes les no-
minations d'électeurs se sont faites sous cette influence. N'a-t-on
pas vu au nombre des électeurs un septembriseur, convaincu
d'avoir tué trente-deux personnes. Dans le neuvième bureau du
premier arrondissement , un membre a proposé d'arracher le
cœur à un citoyen qu'il désignait sous le nom de chouan , et il
s'est offert pour faire cette opération.
> Le directoire ne se traînera pas péniblement sur tous les dé-
tails; ils sont consignés dans les pièces jointes au message. Vous
y apprendrez encore à quels excès les électeurs se sont portés
dans plusieurs departemens. Dans les Landes, plusieurs élec-
teurs ont été assaillis, assassinés, jetés dans les prisons; dans
l'Arriége , l'intrigue et la cabale ont d'Cté les choix ; dans la Cor-
rèze ', les arrêtés du directoire ont été déchirés , et des électeurs
chassés ; dans l'Ourihe , la journée du 18 fructidor a été appelée
la journée des intrigans ; dans l'Arriége , plus qu'ailleurs, l'a-
narchie a levé sa tète sanglante et altière ; le commissaire du gou-
vernement a été insulté, on y a bu des loabt à !a queue de fio-
bespierre; les électeurs ont été menacés, fiappés sur la place
publique et poursuivis à coups de bnionneite, jusque dans le
484 DIRECT. — DL 48 FRUCTIUOU AN V (1797)
bureau du commissaire du directoire près radministration cen-
trale.* Dans la Dordogne, un comiié de cinquante personnes a
dirigé toulps les élections; on y a osé accoler un de vos collèo^ues
à un homme couvert de crimes, et qui , n'étant rentré en France
qu'en 1791 , n'a pas acquis la résidence qu'exige la Constitution
pour être ciioyen français. Dans l'Aube, la Loire, la Seine, etc.,
les illégalités les plus nion>lrueuses ont accompagné toutes les
opériitions; là , le royalisme et l'anarchie ont marché à front dé-
couvert et dans le même sens.
9 Tels sont les traits faiblement esquissés de tout ce qui s'est
passé dans les assemblées électorales ; vous en trouverez les dé-
tails dans ks pièces jointes au message. Il en résulte qu'une vaste
conspiration a été ourdie contre la Con^ûiution de l'an 111; que,
si elle n'a pas entièrtment réussi, c'est que le direcioire l'a dé-
jouée en partie ; le but des conspiraieiirs était de renverser les deux
conseils et le directoire, et a'inlroJuire à cet effet, dans le seiu
du corps législatif, des hommes propres à exécuter cet infâme
projet.
» La grandeur des mesures que vous avez prises au 18 fructi-
dor est un présage assuré qu'en floréal vous prendrez des me-
sures aussi efficaces, et que vous ne transigerez pas plus avec Ba-
beuf qu'avec les partisans d'un fantôme de roi. Et royalistes et
anarchistes, il est temps que le bras de la loi les frappe égaiemeut,
car le directoire a remarqué que le royalisme s'était emoaié de
quelques élections. »
On réclame l'impression et la distribution au nombre de six
exemplaires. — Adopté.
Séance du 14 floréal.
Lenwine par motion d'ordre. « Le message important qui vous
fut lu hier contenait les renseign^mens les plus précieux sur ce
qui s'est passé dans les assemblées électorales. Vous y avez vu
les preuves, de l'existence d'une conspiration dangereuse, ourdie
pour renverser le gouvernement républicain. Mais, j'en jure par
H génie de la liberté, les destinées de la France ne sont pas de
AU 22 FLORÉAL AN VI (17gS). 485
lutter sans cesse contre les conspirateurs, et d'avoir toujours à
combattre le royaîisrne et l'anarchie. Je crois que le message est
tellement grave, qu'il mérite d'être renvoyé à rexanieu d'une
commission particulière. Il faut que le gouvernement trouve
dans la Irgislati-jn , des moyens de comprimer les coupables et de
prévenir le renouvellement de leurs intrigues. Il vous a dénonce'
des crimes, il faut les punir. Partout Ids citoyens ont éié en
butte à la violence et à la persécution. Les uns ont été expulsés
des assemblées, les autres emprisonnés; ceux-là mis à tort sur
la liste des émigrés; ceux-ci ont été maltraités. Il faut empêcher
que l'on ne viole impunément les lois et la Constitution.
» Je demande que le message soit renvoyé à une commission
de cinq membres, pour vous faire un rapport sur les mesures
applicables aux circonstances qui ont accompagné les élections,
et aux faits dénoncés par le directoire. » — Impression et adopté.
La commission sera nommée au scrutin.
Séance du 18 floréal.
Bailleul, au nom de la commission des cinq, fait un rapport
snr les mesures à prendre relativement au message du directoire,
concernant les élections de l'an VI. « Combien , dit l'orateur, il
a été consolant pour la commission de voir que, du moment où
elle a porté ses regards sur les manœuvres dont les citoyens
avaient d'abord été effrayés, le mal lui a paru facile à guérir, et
que vous aviez en main la puissance nationale pour en prévenir
les suites!
> La détermination que vous allez prendre marquera dans les
fasff s de la révolution. Chaque fois qu'on a répandu qu'un {jrand
événement se préparait, on s'est contenté d'en attendre avec ré-
signation l'explosion ; on ne prenait aucunes mesures ; on parlait
quand les factieux agissaient. Vous éviterez celte insouciance et
cette apathie ; vous ne vous endormirez point sur le bord du pré-
cipice creusé sous vos pas, et vous n'abandonnerez pas le sort de
la République à un heureux hasard.
> C'est dans le sentiment de vos cœurs que vous puiserez les
i8() DlRECr. — DU 18 FRUCllDOK AN V (1797)
mesures à prendre dans la circonstance extraordinaire où se
trouve la République. 11 nous dit qu'il ne faut pas s'attacher à
des principes contraires à la raison , et dont l'application aurait
des résultats funestes à la tranquillité publique. Lorsqu'on passe
d'un régime arbitraire à un régime théorique , on s'expose à de
grands désordres ; entre l'arbitraire et les abstractions il y a
une marche intermédiaire à suivre, c'est celle que nous vous
proposons de prendre. Un peuple ne peut exister dans des
angoisses et des convulsions continuelles; c'est néanmoins ce
qui arriverait si ceux qui le gouvernent ne prenaient des
mesures propres à les prévenir : au lieu de se laisser entraîner
par la force des choses, il faut les diriger. Ces réflexions nous
ont guidé dans l'examen des faits, et les faits nous ont dirigé
dans la recherche des principes.
» Depuis le commencement de la révolution , deux conspira-
tions se sont manifestées. La première est composée de royalis-
tes et de tous ceux qui regrettaient leurs privilèges ; la seconde ,
née des excès de la première, se compose d'hypocrites royalistes
et d'hommes ignorans et pervers , avides de sang et de rapines.
L'une et l'autre se sont disputé le terrain de la liberté, et ont
voué une égale haine aux républicains probes et éclairés. Leur
but est le renversement du gouvernement et de la Constitution
de l'an 111. Pour y parvenir, toutes deux ont employé les mêmes
hommes ot les mêmes moyens, et ce que nous voyons aujour-
d'hui n'est pas le résultat d'une f.iciion nouvelle. »
Ici l'orateur trace à grands traits les manœuvres employées
depuis le 18 fructidor par les partisans de J'anarchie , pour do-
miner les assemblées primaires et électorales, et s'assurer des
élections. Tous ces faits sont contenus au message.
« Mais , continue l'orateur, si les entreprises de l'anarchie ont
été multifUiccs partout, elles n'ont pas obtenu partout un égal
succès. Dans la plus grande partie des départemens, les répu-
blicains se sont garantis[^de leur influence; de là , les assemblées
élociorales offrent trois caractères principaux :
» f' Celles où l'esprit républicain a dominé; 2° celles où le
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798). 487
triomphe de l'anarchie a été complet ; 5° celles où il y a eu un
mélange d'anarchistes, de royalistes et de républicains ; de là les
élections donnèrent des choix bons, ou mauvais, ou mélangés.
Quand une élection de députés nous a présenté un mauvais ré-
sultat , nous avons cru devoir vous proposer de l'annuler ; il en
a été de même de celle des présidens , accusateurs publics et
hautsjurés. Ces fonctionnaires ont une trop grande influence sur
la vie des citoyens, pour ne pas étendre sur eux la même me-
sure. Les scissions ont été admises quand elles nous oni paru ap-
puyées sur des motifs graves ; elles ont été rejetées , quand elles
n'ont été que le fruit du caprice et de la cabale. Les royalistes
ont fait des efforts dans certains départemens pour influencer les
choix du peuple; ils ont eu peu de succès ; et les hommes qui ont
été nommés par eux ont été rangés dans la classe de ceux dont
on vous proposera d'annuler les nominations. En purgeant ainsi
la masse des nouveaux élus de tous les élémens étrangers à la
République, nous n'introduisons dans le corps législatif que des
républicains recommandabies par leur patriotisme et leur lumiè-
res, et par là nous vous proposons une mesure qui vous sera
agréable , et qui assurera à la République la confiance des puis-
sances étrangères.
») On dira : Cette mesure est arbitraire , elle est contraire aux
principes. Ciioyens, prenez garde d'être la victime d'une fausse
délicatesse. C'est avec les grands mots de principes, de salut de
la patrie, que l'on a conduit si souvent la représentation natio-
nale au bord de l'abîme. On abuse de tout. Il faudra donc , direz-
vous, abandonner les principes. Non, sans doute; mais il faut
mieux raisonner de leur application. Les faits et la bonne foi sont
la base des bonnes résolutions. Comment accuser d'arbitraire
une mesure dictée par la sagesse.
» On dira ; Votre projet est une véritable liste de proscripiion.
— Pas plus que la loi du 19 fructidor ne l'a été poui- les déj)utés
dont les élections ont clé annuh^et,.
» On a dit qu'il valait beaucoup mieux casser toutes les élec-
tions de l'an VL Nous ne réfuterons pas un pareil projet, il suf-
188 lHhECT. — Ï)C 18 FRUCTIDOR AN V (1797^
fit de rannoncer pour faire sentir qu'il est le produit de l'irté-
flexion . de lVxtrava,']ance et de la perfidie.
» On craint une rëaciion royaliste. On a tort. La majorité des
républicains est immense ; la petite joie que le royaliste fait écla-
ter depuis quelques jours s^ra de peu de durée.
» Tout individu qui s'est déclaré contre la Consiitution par des
actes publics et par sa conduite, doit être écarté du corps légis-
latif. Par là , vous donnerez un fjrand exemple , vous comprime-
rez les factions, quelque bannière qu'elles arborent; et elles n'o-
seront plus remuer quand elles seront convaincues que tous leurs
efforts sont inutiles.
» Voici le projet que la commission vous propose :
» Art. i^^. L'article... de la loi du... est rapporté ; en consé-
quence, les résolutions partielles approbaiives des élections de
députés , contraires à la présente , sont déclarées comme non ave-
nues. — 2. Les élections de l'Ain sont valables, excepté celle du
citoyen Giraud de Thoiry, qui est déclarée nulle. — 5. Aisne,
valable. — 4. Allier, deux assemblées scissionnaires , nulles. —
o. Basses-Alpes , valables , excepté celle de l'accusateur public.
— 6. Hautes-Alpes , valables, excepté celle d'un député au con-
seil des cinq-cents. — 7. Alpes-Maritimes, valables, excepté
celle du haut juré. — 8. Ardèche, scission ; les élections de l'as-
semblée séante dans la ci-devant église paroissiale de Privas
sont valables. — 0. Ardennes, valables. — 10. Arriére, valables,
excepté celles de Gaston et d'un autre député , du haut juré et de
l'accusateur public. — 11. Aube, l'élection de Sièyes et Liidot
est déclarée valable ; celle de Sutil, aux anciens, annulée. —
12. Aude, valable, excepté celle de Barthe, nommé aux cinq-
cents. — 13. Aveyron, valables.
» 14. Bouches-du-Rhône , les élections faites à la maison com-
mune d'Aix sont valables; les autres faites au collège, annulées.
» 1o. Calvados, valables. — Ki. Gantai, valables. — 17. Cha-
rente, idem. — 18. Charante-lnférieure, idem. — 19. Cher,
idem. — 20. Corrèze, les élections faites dans les bûtimens de
l'administration centrale sont déclarées valables , celles faites au
AU 22 FLORÉAL AîV VI (1798). 489
roiiége, annulées. — i2i. Côte-d'Or, valables. — 22. Côtes-du-
?^ord , idem. — 25. Creuse , idem.
»24. Dordogne, annulées. — 25. Doubs, valables.— 2G. Drôme,
valables. — 27. Dyîe, valables, excepté celle d'un député aux
anciens.
») 28. Escaut, valables. — 20. Eure, élections valables , excepté
celles de Thomas et Robert Lindet, qui sont annulées. — Eure-
et-Loir, valables.
» 51. Finistère, élections valables, excepté celles de deux dé-
putés au conseil des cinq-cents , de l'accusateur public et du pré-
sident du tribunal criminel. — 52. Forest, les élections de l'as-
semblée séante à la bibliothèque des ci-devant Récollets sont dé-
clarées valables; celles de l'assemblée tenue au Palais-de- Justice,
annulées.
» 55. Gard , les élections de l'assemblée séante aux ci-devant
Récollets de INîmes sont déclarées valables ; celles faites à la ci-
devant cathédrale , annulées.
») 34. Haute-Garonne, valables. — 55. Gers, les élections sont
déclarées valables, excepté celle du président du tribunal crimi-
nel. — 56. Gironde, valables.
» 37. Hérault, les élections sont déclarées valables, excepté
celles de Vasse aux- cinq-cents, de Lescuyer et Colombat aux
fonctions déjugées.
» 38. llle-et -Vilaine , vaables. — 59. Indre, élections valables,
excepté celle de Dubos aux cinq-cents. -^ 40. Indre-et-Loire ,
valables. — 41. Isère, valables.
» 42. Jemmapes, élections valables, excepté celles des haut juré,
accusateur public et président du tribunal criminel. — 45. Jura,
les élections de l'assemblée séante dans l'église de Lons-le-Saul-
nier, valables ; celles de l'assemblée tenue à l'auberg^e de l'Ours-
Blanc, annulées.
» 44. Les Landes, les élections des trois assemblées annulées.
— 45. Loir-et-Cher, annulées. — M). Loire, annulées. — 47.
Haute-Loire, valables. — 48. Loire-Inférieure, valables. —
49. Loiret , valables. — 50. Lot, valables. — 51. Lot-et-Garonne,
^0 DIRECT. -— DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797)
les élections de l'assemblée séante au temple décadaire d'Agen ,
valables ; les autres, annulées. — 5â. Lozère , valables. — o5. Lys,
les élections de l'assemblée séante dans la salie de l'administra-
lion centrale à Bruges , valables , excepté deux députés ; les au-
tres, annulées.
• 54. Maine-et-Loire, valables. — ^>5. Manche, élections vala-
bles , excepté celle de Guiédan aux cinq-cents. — 56. Marne ,
les élections de l'assemblée séante à la ci-devant église de Ghâlons,
nulles ; celles de l'assemblée tenue dans la salle de la maison com-
mune, valables quant aux nominations des députés; les élections
des autres fonctionnaires, nulles. — 57. Haute-Marne, valables.
— 58. Marne, élections valables, excepté celle de Chariier
nommé député. — 50. Meurthe, valables. — 60. Meuse, vala-
bles. — 61. Meuse-Inférieure, valables. — 62. Mont-Blanc,
élections valables , excepté celle de Doppet, nommé député, dé-
clarée nulle. — 63. Mont-ïerrible , valables. — 64. Morbihan ,
valables. — 65. Moselle, élections valables , excepté celle du
haut juré et du président du tribunal criminel.
• 66. Deux-Nethes, valables. — 67. Nièvre , les élections de
l'assemblée séante à la ci-devant église de Saint-Denis sont nulles ;
les autres, valables. — 68. Nord , élections valables , excepté
celles de Delahaye et de Lequiniot , nommés députés.
» 69. Oise, valables. — 70. Orne, valables. — 71. Ourthe,
élections valables, excepté celles de l'ex-genéral Fiou, nomme
député, et du président du tribunal criminel.
» 72. Pas-de-Calais , élections valables , excepté celles de qua-
tre députés. — 75. Puy-de-Dôme, élections de l'assemblée séante
aux Ursulines, v;tlablesj les autres, nulles. — 74. Basses-Pyré-
nées, nulles. — 75. Hautes-Pyrénées, élections de l'assemblée
séante à l'églis'.^ de Saint-Jean , valables ; les antres, nulles. —
76. Pyrénées-Orientales, valable^.
» 77. Bas-Rhin, valables. — 7S. ILmt-Khin, irfm. — 79. Rhône,
élections de l'assemblée séante aux Ptnitens, valables; celles
laites à l'église paroissiale de Condricnx et aux Visitandines,
AU 2î2 FLORÉAL AN VI (1798). 491
nulles. Députés nommes , Chasscy, Vitet, Paul Caire et P'res-
savin.
» 80. Sambre-et-Meuse, valables.— 81 . Hante-Saône, valables.
— 82. Saôue-et-Loire, élections valables, excepté cellé*s du
haut juré et du président du tribunal criminel. — 85. Sarthe ,
élections valables, excepté celles de trois députés, du haut juré,
du président et de l'accusateur public. — 84. Seine , élections de
l'assemblée séante à l'Institut , valables. — 85. Seine-Inférieure,
valables. — 86. Seine-et-Marne , les élecjtions de l'assemblée
séante au local de l'administration centrale, valables, excepté
celles du président et de l'accusateur public. — 87. Seine-et-
Oise, élections valables, excepté celle de Germain de Viroflay,
nomjné député. — 88. Deux-Sèvres, valables. — 89. Somme,
idem.
» 90. Tarn, valables.
> 91. Var, élections valables, excepté celle de l'accusateur pu-
blic; Barras, directeur, nommé député. — 92. Vaucluse, élec-
tions de l'assemblée séante au local de l'administration centrale ,
valables ; les autres, nulles. — 93. Vendée , valables. — 94. Vienne,
élections de l'assemblés séante dans la salle du tribunal de Poi-
riers, valables ; celles faites dans la salle du décadaire, nulles.
— 95. Haute-Vienne , élections annulées. (Guyvernon, nommé
par ce département , s'écrie : C'est affreux ! Tumulte). — 96.
Vosges, valables.
» 97. Yonne, valables.
Jourdan de la Haute-Vienne. « La commission vient de vous
présenter un projet tendant à admettre au corps législatif des dé-
putés, et à en exclure un grand nombre d'autres. Une mesure
pareille ne peut être fondée que sur deux motifs: 1° parce qu'il
existe une conspiration ; 2** parce que les individus qu'on veut ex»
dure comme dangereux, en sont les agens. Je ne viens point com-
battre le projet; mais puisque l'on veut transformer le conseil en
jury, et que sans égard pour les formes conservatrices de la li-
berté, on méconnaît la Constitution et la souveraineté du peuple,
je déclare que je ne prendrai de part à cette délibération , (ju'au-
^92 DIRECT. — DU 48 FRUCTIDOK AN V (1797^
lant que l'on me prouvera qi^e les soixaute individus proscrits
ont trempé dans la corspiraiion. Je pourrais citer des faits; et
sans inculper les membres de la commission , dont je connais les
principes, et dont je respecte les intentions, je pourrais dire
qu'elle n'a pas fait son travail ; je pourrais indiquer la source où
elle l'a puisé; je pourrais citer les erreurs qui s*y trouvent, et
nommer, en(re autrt-s, le département de la Haute A'ienne, dont
on vous propose d'annuler les élections; et je vous prouverais que
le directoire et la commission ont été induits en erreur. Ainsi, je
demande l'impression du rapport et des pièces. Januis on ne me
fera poser le cachet de la proscription sur tels ou tels individus ,
saus avoir dans mon cœur la conviction qu'ils la méritent. Je l'a-
vais au 18 fruciiilor celte conviction intime; une expérience de
trois mois, dans des délibérations journalières, m'avait appris à
connaître les inlrigans elles conspirateurs royaux : mais ici, rien
de semblable; je ne connais aucun des individus que Ton veut pros-
crire ; voilà pourquoi je demande l'impression du rapport et des
pièces, afin d'éclairer ma religion. »
Plusieurs membres. « Appuyé. >
Une voix, e L'ordre du jour. >
Ronchon. < Il n'est aucun membre, je pense, qui ne soit con-
vaincu que le projet no la commission est contraire à tous les prin-
cipes; et si on l'adopte, je ne sais à quel degré d'avilissement on
va fjire descendre le corps léfjislaiif. Quant à moi, je viens l'atta-
quer avec tonte la force dont je suis capable ; et vous démontrer
qu'en l'adoptant vous creusez le tombeau de la représentation na-
tionale. La commission avait un si beau moyen de s'immortaliser!
pourquoi a-t-elle vu du danj^er, là où il n'y en a point ? pourquoi
ne l'a-i-elle pas vu, là où il existe? pourquoi n'a-t-elle pas exa-
miné si ce fantôme de lanarcbi? , que l'on nous met devant les
yeux, n'est pas destiné à servir le despotisme? Une mesure est
nécessaire , j'en conviens ; mais elle doit être telle, que le corps
législatif ne soit point enchaîné au char du despotisme; et qu'ainsi
il ne devienne pas la risée du peuple français, et des nations
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798). 493
étrangères. (Léger tumulte.) J'invite mes collègues à m'écouter
avec calme.
> Trop souvfP-t occupés de nos divisions intestines, et des pas-
sions qui s'agitent dans notre sein, nous n avons pas fait assez
d'attention sur ce qui se passait au-dehors ; nous sommes sembla-
bles à ces petits oiseaux de proie, qui sont attachés h leur proie ^
et qui n'aperçoivent pas les aigles et les vautours qui fondent sur
eux pour les dévorer. La peur nous jttte dans la stupeur. II ne
m'est pas démontré que les grandes mesures que vous avez prises
naguère soient là preuve de votre courage ; vous avez , en les
adoptant, suivi les conseils de la peur. La jourPiée du 18 fructidor
eût produit de salutaires effets , si le 19, vous eussiez pris une ré-
solution conservatrice de ia Constitution, et qu'au lieu de servir
la domination, vous euisiez travaillé pour la liberté. Adoptez le
projet, et dans la session prochaine vous aurez, non un cofps lé-
gislatif, mais un parlement de Paris. Il ne faut servir ici ni Ma-
rias, ni Scylia, mais la liberté. Et les terroristes que l'on met en
avant comme un épouvantail , pourquoi, depuis le 18 fructidor^
ont-ils été si puit^sans? n'est-il pas évident que dès-lors on s'ap-
prêtait à nous préparer un nouveau coup de foudre, pour la veille
des élections, afin de n'introduire au sein du corps législaiif que
des hommes docilts. La politique est claire.
» Ilappelez-vous le coursier ds la fable ; à peine eut-il assouvi
sa vengeance sur son ennemi , qu'il voulut secouer le joug de
l'homme qu'il avait appelé à son secours ; ses efforts furent inu-
tiles; et ie mord qu'il avait consenti de prendre ne servit qu'à
consolider son esclavage.
» Je ne fais que vous jeter des idées sans ordre et sans suite;
pressé par le temps, j'aurais désiré pouvoir les mCirir davantage.
Quoi/ sur des questions inutiles, sur des objets minutieux, vous
vous livrez à des discussions interminables; et quand 11 s'agit du
salut de la patrie, on vient vous proposer l'urgence. Comment la
conspiration n'a-t-elie été découverte (jue leio de ce mois? pour-
quoi deSkélcctions qui se sont faites sans scission soni-elles annu-
lées?
\^i DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797 )
> Je demande que la commission vous présente des lois poli-
tiques pour assurer le'maintien de la Constitution , l'inviolabilité
et la garantie des membres du directoire, et des représentans du
peuple. Je réclame la question préalable sur le projet.»
On réclame l'impression. Elle est ordonnée.
Lamarque , dont l'élection se trouve annulée dans celles de la
Dordogne, paraît à la tribune; il prononce, avec des gestes très-
expressifs, mais d'un ton de voix altéré , une opinion dont nous
n'avons pu saisir que les traits suivans : « Je ne me sens pas le
même courage pour défendre ma cause, que j'en ai constamment
montré pour soutenir celle des autres ; que ceux de mes collègues
qui ont été les témoins de mon courage et de mes travaux, que
ceux qui m'ont connu énergique et ferme, viennent faire ce que
je ferais pour eux, s'ils se trouvaient à uia place ; je leur fournirai
des matériaux, je leur démontrerai que le royalisme, la calomnie
et l'imposture ont créé des dénonciations. Mais non, puisque le
sort en est jeté, et que le projet me paraît devoir ol)ienir l'assen-
timent du conseil, je désire qu'il soit utile à ma pairie. Seulement
je prie mes collègues d'être bien convaincus que je conserverai ,
dans mon obscure retraite, la même énergie, le même amour de la
liberté et de la République, la même haine de la tyrannie, que
j'ai su conserver dans les cachots dudepotisme,et dont j'ai donné
des preuves dans toutes les circonstances de ma vie politique;
j'invite donc mes collègues à n'opposer aucune résistance au pro-
jet ; nouveau Curlius , je me dévoue, et je donne ma démission.
Wous devons préférer à tout, la paix et la tranquillité publique.
Cette détermination n'est pas dictée par l'esprit de servitude; elle
est sagesse et prudence. Je donne ma démission. »
Boursin. « Comment exprimer au conseil l'impression terrible
qu'a faite sur moi la lecture de ce projet? J'y trouve des injustices
criantes. Je citerai, entre autres, mon département, la Manche.
Nulle part les élections ne se sont faites avec plus d'ordre et
de tranquillité ; et cependant je vois qu'on en exclut un citoyen
contre lequel il ne m'est jamais parvenu aucune note qui puisse
l'inculper. Je demande l'impression. »
AU 22 FLORéAL AN VI (1798). 495
Gay-Vemon « Quand je vois qu'un département ( la Haute-
Vienne ) qui s'est montré toujours fidèle à la liberté et à la Con-
stitution de l'an 3 , est ici traité comme étant le foyer de l'anar-
chie, et que sa députation est anéantie , sans que l'on ait daigné
consulter aucun de nous , pas même ceux des anciens, je ne puis
contenir mon indignation. Dans ce département il n'y a eu aucune
scission ; l'unanimité la plus parfaite a régné dans l'assemblée
électorale ; les députés et les autres fonctionnaires y ont été élus
'^une immense majorité. Comment donc est-il possible de comet-
ire une pareille injustice? N'est-ce pas saper la souveraineté du
peuple par ses fondemens ? 11 n'y a pas de département dont les
élections soient plus sages ; je ne parle pas de moi. (On rit.) Je de-
mande l'irâpression et l'ajournement. >
Quirot. € Il ne faut pas que cette journée soit perdue pour la
République. Il est inconcevable ce système , avec lequel depuis
quinze jours on traîne dans la boue ceux qui s'attachent aux prin-
cipes ; comme si les principes n'étaient pas le plus ferme appui de
la liberté et de la République. Ce qui se passe sous nos yeux ex-
cite en moi la plus vive indignation ; et quel que puisse être le ré-
sultat de ma franchise, il m'est impossible de ne pas exprimer
ici tout ce que je pense, tout ce que je sens.
» Vous avez fait le 18 fructidor, et la France entière y a ap-
plaudi. Dans les assemblées primaires, électorales, il ne s'est élevé
aucune voix, pour rappeler ceux que la loi a frappé dans cette
journée mémorable; bien au contraire, un grand nombre de ceux
qui ont concouru à son succès, ont été réélus. Un assentiment
aussi unanime vous prouve la réalité de la conjuration royale.
Mais ici, quelle différence! On suppose qu'une conspiration gé-
nérale a éclaté, qu'elle a dominé, même dans les départemens
qui ont donné des gages consians de leur amour pour la révolu-
tion, témoin celui de la Haute-Vienne. Je iiq suis point surpris de
cette manœuvre. Il y a long-temps que l'on parle de faire un
9 thermidor à la journée du 18 fructidor ; et je me rappelle que
notr'e collègue Villers nous communiquaàce sujet, dans le temps,
des réflexions et des craintes dont nous fûmes tous frappés. Ma
496 DIRECT. — DU 18 FKLCÎJDOR AN V ( 1797 )
surprise augmente, quand je songe que la commission qui nous
propose un pareil projet, est composée de membres aussi recom-
maodables par leur républicanisme que par leurs lalens. Com-
ment n'ont-ils pas vu qu'au moyen d'un projet aussi vague , on
enveloppe dans la proscription des hommes qui ne le méritent
pas? Et voilà comme on b'égare, quand on s'écarte des principes.
» Kouchon a laissé entendre que le directoire... (/îowc/ion. Je
l'ai dit.) hé bien î Rouchon a dit que le directoire, dont je connais
la moralité et les principes, a rassemblé depuis le 18 fructidor les *
matériaux du nouveau coup que l'on veut frapper. Sans doute ,
depuis celle époque, le directoire a donné la principale influence
à des hommes égarés qui ont dépassé le but ; mais peut-on en con-
clure que les élections qui ont applaudi au 18 fructidor* soient le
résultat d'une conspiration. Je demande l'impression et lajour-
nement. »
Jean Debry parle en faveur du projet. Il s'aiiache à prouver
que la loi dul!2 pluviôse, qui confie au corps législatif, non encore
renouvelé, la faculté de vérifier les pouvoirs des nouveaux élus ,
est une loi sage et politique, dont le but est de fermer l'entrée de
la représentation nationale aiix royalistes et aux anarchistes, afin
de perpétuer ainsi dans les premiers pouvoirs une suite d'hommes
amis de la révolution et intéreàaés au maintien de la République,
t Vouloir, dit-il , qu'aucune autorité conservatrice n'examine les
choix, c'est vouloir nous mener de réactions en réactions, de dé-
chiremens en déchiremens; c'est vouloir encore introduire ici des
Robespierre et des Marat. Ne vaut-il pas mieux les empêcher
d'entrer, que de faire conirc eux iin nouveau thermidor. Une
seule exclusion prononcée par le corps législatif donnera un
f;rand exemple ; elle apprendra aux assemblées électorales à être
sages dans leurs choix, et à n'envoyer ni des royalistes , ni des
anarchistes, mais des hommes amis de la République tt de la
Consiitution de l'an ô.
» Je croisa l'orgunisaiion du plan de conspiration, lequel 5'esi
maniiesie par les nominations de certains députes, par celles*de&
bauis- jurés, etpar.les rëvelaiions indiscrètes, qui m'onlTaitcraiu-
AU 22 FLORÉAL AN Vï (1798). 497
dre le retour de la lerreu»'. Lorsque effrayés de Tenir 'p s-^udaine
de quatre cmt irenie-neuf noiive;jux déiiiiiësau c >»ps législatif,
vous avez rendu la loi du 12 fduviose, voire inienlion n*eiaii-elle
pas de frapper d'exclusion le royalisme, s'il 05«aii s'introduire en-
core ici? Pourquoi ne porteriez vous pas le même coup à Tanar-
cliie, pu'squ'ele a eu l'audace de le faire? Si vous aviez fu des
DomiDatit.ns royales ei des scissions républicaines, au'iez-vous
balancé dans le choix ? Si le dir- cu»ire, dans son mes-a,7*^, ne vous
eût dénoncé que des élections royales, auricz-vous hésite? Nous
sommes le jury cent al, fait pour pro' oncer la validité des élec-
tions ; mon opinion est (jue vous ne devez pas Vous borner au mé-
cani.^me des procès-verbaux, mais que vous devez ex.jmin< r la
moralité des individus, les violences, les iilég;alilésquioni présidé
a leur electon. »
On réclame l'impression : elle est ordonnée.
Cliénîer. i Je ne viens point combattre les réclamations qui ont
été faites en faveur d< s individus, dont je fais profession de re-
connaît e les ptii cipes et le réjujbiica» isme; cet objet sera irailé
dans la discussion. Je parle en faveur du système adoj)té par la
commission, comme étant le .«^eul adnn^sibl^'dans les circonstances.
Il ne fiut point se traîner péniblement sur les procès-verbaux;
laissons aux tribunaux le soin de discuter h s formes : ici, des cir-
constances urgentes nous pressent, nous devons y puiser notre
déi^rminuiion.
» A-il existé une faction royaliste? Oui. Une foule de journées
insurrectionnelles attestent ses teniatives pour reprendre Ic^jouver-
Bail de li France : A-l-il existé une faoïion anarch qie? Oui. Son
histoire est écrite en le- très de sang; et sa défaite a été le triom-
phe de la Convention. Ces deux factions ont-elles cessé d'exister?
Non. Elles se disputent la puissance ; et pour l'obtenir, elles em-
ploient les mêmes moyens. Une partie des élections dp l'an 5 est
l'ouvrage de la faction royaliste. Celles de l'an 6 offrent un mé-
lange des deux factions.
* La faction anarchique a habilement profité des circonstances
actuelles pour reprendre sa première domination. Sans parler
T. xxxvii. 32
498 DIRECT. — DU 18 FRUCTiDOh AN V (1797)
des intrigues odieuses dévoilées dans le message du directoire,
des vio'ences qui ont souillé une partie des asseuiblées primaires
et électorales, on n a qu'à jeter les yeux sur le résultat des élec-
tions pour se conTaincre de cette vérité. Parmi les élus de Tan G,
*
ne voit-on pas ces hommes de 93, dont le génie féroce a désho-
noré la révolution et a couvert la France de deuil et de ruines?
Ne voit-on pas au nombre des députés et des hauisjurés, Tincen-
diaire de Bédouin, le rapporteur de la loi atroce qui traduisait à
TéchaPaud, comme fédéralistes, les amis de la liberté et delà Ré-
publique? Resterez-vous spectateurs oisifs de ces odieuses ma-
nœuvres? ne séparerez-vous pas du grand nombre d'excellens ci-
toyens nommés , le petit nombre dont le choix est dû à la vio-
lence.
> Ou a dit : Qu'avez-vous à craindre d'une poignée d'hommes?
Je réponds que la majorité composée d'hommes probes et éclai-
Irés est presque toujours vaincue par un petit nombre d'hommes
liés par la constance du crime ; car la constance du crime est aussi
une puissance. Discours insidieux, motions d'ordre, intrigues,
calomnies, tout serait par eux employé; et ils vous entraîneraient
sur le bord du précipice : oui, la victoire vous resteitiit, j'ensuis
sûr; mais le combat à leur livrer serait une calamité publique;
mais les clameurs indécentes, les discussions orageusi^s feraient
perdre au corps législatif un temps irioparabîe ; elles dénote-
raient sa faiblesse , et lui attireraient la déconsidération des
citoyens.
> On invoque la Constitution et les principes. Mais quand lo
couragoux Louvet réclamait une loi répressive de la liberté illi-
mitée de la presse , on réclamait aussi la Constitution et ses prin-
cipes. Mais quand la faction royaliste, introduite en force dans
le sein du corps législatif, prenait hautement à la tribune la dé-
fense des.éinigrés, des prêtres rélVaciaires, des chefs de rebelles,
des sicaires royaux , elle invoquait aussi les principes"; et si h;
18 fructidor n'en eût fait justice, je vous le demande, seriez-vons
encore ici à discuter tranquillement sî la RépubHque peut être
sauvée pa^* des mesures ordinaires ?
AL 22 FLORÉAL AN VF (1798). 499
> Le premier de tous les priacipes, c'est, pour l'individu, la
défense de soi-même ; c'est le premier encore pour les sociétés ci-
viles. DaiiS'l'état naturel, cette défense est un droit; dans l'état
civil, c'est un devoir pour chacun et pour tous, et surtout pour le
pouvoir à qui est confiée la sûreté publique. D'après cela, je pense
qu'il faut adopter la mesure qui vous est proposée. Elle est la
seule qui lève toutes les difficultés; si vous la rejetez, qui vous as-
surera que dans trois mois vous ne serez pas obligés de recourir
à une autre plus rigoureuse et plus étendue ; mais alors , quels
décliiremens n'aaiènerait pas la découverte d'une conspiration
nouvelle ourdie dans votre sein ? Un long ajournement serait fu-
neste. Faites taire toutes les considérations particulières, devant
les hautes considérations de l'intérêt général. Je demande que le
projet soit discuté séance tenante. »
Plusieurs voix. « Appuyé. »
Dherbelot. « De ma vie je n'ai parlé en public; mais j'ai l'ame
républicaine, et il n'y a point de ri|wiblicain à qui les étran^jes as-
sertions que vous venez d'entendre ne fasse monter le feu à la
tête. Ètes-vous assez-dépourvus de lumière en conspiration pour
ne pas être convaincus de la conspiration éternelle des gouver-
nans contre les gouvernés? Jamais un peuple n'a été libre parles
gouvernans. Le salut de la République est dans les mains de ses
représentans. Citoyens, défendez vos têtes, la République est en
danger.
» Je parle ici en villageois ; je ne connais pas l'art de faire de
beaux discours. Je vous le d?s franchement, je regarde le direc-
toire comme le défe/'seur de la liberté; mais je vous le dis aussi
franchenient, il n'en est pas moins vr;ii que par Taciion du gou-
vernement, la liberté est enchaînée, et que la liberté des citoyens
consiste dans celle de la n présen aiion nationale. Celle-ci détruite
le peuple n'est plus rien. Ces principes sont certains, et je ne crois
pas que les doctrines nouvelles puissent les détruire. Ainsi, comme
l'action du gouvernement tend toujours à restreindre les droits
du peuple , il est nécessaire que cette action soit elle-même cir-
conscrite dans de justes bornes par les représentans de la nation.
500 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797)
Ainsi, vous devez repousser un projet qui, sous prétexte de sau-
ver le peuple, ne tend à rien moins qu'à fare de la reprëseniaiiùn
nal onale un v;iin faniôme, un manr e<|uin qu^* les {^ouvernans fe-
rai» ni mouvoir à vo'onlé. Je l* s défie de me prouver que les for-
mes ne sont pas le retranchement de notre liberté, le plus ferme
rempart de noire garantie. (Quelques murmures. Uorateur, Ci-
toyens, je va's descendre de la tribune. Plusieurs voix. Non, non,
continuez ) Je soutiens que, par fe projet de la commission , où
met la représentation nationale au creuset du directoire; et
qu'ainsi on enlève au peuple l'exercice de son droit de souve-
raineté, pour le transférer au gouvernement ; or, dès qu'il n'existe
plus de garantie pour la r» préseniation nationale, il n'y en a plus
pour le peuple, et vous le livrez, pieds et poings liés , aux mains
des gouvernans. Je demande l'ajournement du projet, afin qu'on
puisse l'examineF à loisir. »
Crassous, t Jamais question pîus importante n'a été soumise
aux délibérations du conseil ;;^j;jniais aus i les membres qui le com-
posent n'ont apporté à la discussion p!us de digniié, plus de res-
pect pour eux-mêmes, pour les opinans qui èoni d'un avis opposé,
et pour le public, témoin de ce débat. Je garderai la même ré-
serve, ei j'analyserai les mesures pi oposées, et les motifs qui ont
dirigé la comm ssion.
I» Le directoire vous a dénoncé une vaste con.<:pira!ion , dont le
but était de porter au corps législatif, par des moyens ill gaux et
violens, des hommes dont les uns sont chefs d'un pa.'ti justement
exécré. Vous avez renvoyé son messige à une commission pour
vous présenter les mesures nécessitées par les circonstances. Que
devait fjire votre comn)is>ion? Persuadée que votre intention n'é-
tait pas de laisser entrer ici tous les élus, elle a du vous proposer
un moyen d'en faire le triage. Pour y parvenir , elle vous a sou-
mis le projet dont vous ven( z d'entendre la lecture ; ce n'était pas
d'abord mon avis, mais je me suis rendu à celui de mes collègues,
d'après les considérations suivantes.
< Nous sommes aujourd'hui au 18 floréal ; si vous suivez la
marche adoptée jusqu'ici, et que vous ne preniez que des résolu-
I
AU 22 FLORÉAL AN VI ( 1798 ). 501
lions partielles , il est impossible qu'au l^r prairial, Jes poiivoirs
des nouveaux élus soient vérifiés; et d'après des renseignemens
certains , le directoire nous a déclaré que s'ils ne le sont pas, la
chose publique court, à celte époque, le plus grand danger. Il
faut donc vous déterminera prendre une résolution générale, à
choisir en masse les individus, et pour cela à scinder les procès-
verbaux. En vain dirat-on qu'un procès-verbal est indivisible ,
car il y a autant de nominations que d'individus. D'ailleurs, dans
les assemblées électorales, la saine mnjoriié des républicains s'est
réunie d'abord, et elle a voté pour les premières élections; mais
ensuite, découragée, fatiguée par les inirijjues et les violences,
elle a cédé le champ de bataille ( ii elle s'e^t lais.>é ii.fluencer; de
là les mauvais choix, que Ton voit accolés aux bons. Ainsi il est
visible que les choix n'étant pas l'ouvrage d'une opération une et
indivisible, les procès-verbaux qui les constaieni peuvent être
scindés. Quant à l'exclusion que nous avons proposée pour cer-
tains individus, nous ne l'avons fait que d'après des riote> qui prou-
vent quils seraient des hommes dangereux; au reste, ils ne sont
qu'au nombre de quarante.
» Ainsi, nous avons rejeté le premier moyen que nous avions
d*abord eu en vue, celui d'annuler toutes les el étions. En pre-
nant ce moyen violent, nous eussions confondu les bons avec les
mauvais, et nous nous fussions attiré le juste reproche de vouloir
nous perpétuer dans nos fonctions.
> Lorsque d'après les renseignemens positifs qui nous sont par
venus, il nous a été clairement démontré que les opérations des
assemblées primaires et électorales à la Babeuf portaient un ca-
ractère de violence incontestable , nous n'avons pu nous décider
autrement qu'en les annulant. Là où nous avons pu ne consulter
que la moralité des individus, nous l'avons fait ; et certes, si nous
avions pu le faire, dans les élections de la Doidogne, nous eus-
sions excepté notre collègue réélu dans ce déj);»rienj('nt, elnous
l'eussions fait avec d'autant pîus d'empressement et de plai >ir,
que chacun de nous connaît .>a moralité, ses principes, son éner-
gie, son ardent amour pour la IlépuLlique , et les souffiauccs
502 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797)
qu'il * enduises pour elle. Il f n est de même des élections de la
Ilauie-Vienne. > {Gayicrnon, II n'y a rien eu, tout s'y est passé
tranquillement.)
> Je me bornerai à vous observer que la mesure proposée a
pour base ce principe que vous avez consacré dans la loi du
12 pluviôse, savoir: que vous vous réserviez le droit de valdcr les
éleciions. En rendant celle loi, voire inteniion n'a pas clé, sans
doute, de ne vous occuper que de la forme, mais du fond i\>ème
des élections ; et dès que vous avez sur quelques-unes des rensei-
gneaiens certains, vous avez le droit incontestable de les frapper
de nullité.
» Il faut répondre a un mot qui a été lâché sur le directoire.
Dans les cii coni»iances actuelles, ce n'est que par lui seul que vous
pouvez connaître les fails et avoir des renseignemens sur les indi-
vidus, il V0U5 les a communiqués; il vous assure que si les pou-
voirs ne sont |jas vérifies au 1^^ prairial, la chose publique court
les plus grands «langers ; il est au centre du gouvernement, mieux
que vous il connaît ce qui se passe et ce q-.i se trame. La mesure
proposée prévient tous les dangers.
» Si vous n'ajoutez pas foi aux i*enseignemens transmis par le
directoire , il faut donc discuter les individus les uns après les au-
tres ; le temps s'écoulera, vous arriverez au 1^"^ prairial, tous les
élus entreront au corpus législatif, et vous serez forcés de lutter
corps à corps -avec ceux dont la commission vous propose l'exclu-
sion. Ainsi, il est infiniment urgent que le conseil adopte la me-
sure présentée, et si l'on ajourne, je 'demande que ce soit à un
terme très-courl. »
Plmieurs voix, e A demain. »
Le conseil ajourne à demain, et il ordonne l'impression du rap-
port et du projet.
Séance du 1!) floréal.
L'ordre nu jour ramèr e la discussion sur le projet de la com-
mission des cinq.
Leclerc de Alainr-cl-Loire, demande, par motion d'ordre, que
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798). o05
le projet ne soit point discuté article par article, n^ais adopté en
masse. « Il suffira, dit-il, que vous discutiez la moralité des person-
nes, pour que les résultats de votre délibération soient mauvais;
car les orateurs préféreront leurs liaisons paniculières aux inté-
rêts de la patrie. Il est-à craindre que les individus que Ton a pro-
posé d'exclure, n'apportent ici des fermens de discorde, et une
haiue implacable contre ceux qui auraient ou proposé ou soutenu
leur exclusion. Les leçons du passé seront-elles donc toujours
perdues pour v^^ws? pensez-vous mieux juger que votre commission
dont tous les membres méritent votre confiance? pouvcz-vous
vous flatter de commettre moins d'erreurs? sortez de ces irréso-
lutions qui vous fatiguent ; lirez la République des anxiétés qui la
tourmentent ; ôtez aux royalistes et aux anarchistes tout espoir
pour l'aven'r. Il est triste sans doute d'avoir à propo>er des me-
sures de rigueur ; mais il l'est bien davantage d'ébranler l'édifice
de la liberté. S'il s'agissait d'une proscription qui menaçât 'a li-
berté, la vie, l'honneur des ciioyens, je me garderais bien de vous
pousser à la précipitation ; mais ici il n'est que^iion que de fonc-
tions qui ne sont la propriétéde personne. Je dei-iande que le pro-
jet soit admis en masse et sans discussion. »
Jourdan de la Haute-Vienne. « Hier, je demandai au conseil l'a-
journement du projet présenté, aujourd'hui je viens le co abattre.
Je n'invo.|uerai pas les principes, puisque l'on prétend que c'est
avec les pi*incipes, que l'on veut renverser ia République, étrange
assertion, à laquelle je dédaigne de répondre; mais puisqu'un n'a
rien à opposer aux principes, et que. tous les motifs mis en avant
se tirent des circonstances, hé bien! je demande d'être admis à
prouver que le projet est dangereux. *
» On a parié de conspiration. A ce mot d'alarmes, on a dit :
Écartons les principes et sauvons la patrie. La commission n'a
suivi aucune base dans son travail. Elle propose de déclartr nulles
des élections faites par une assemblée unanime. Là où il y a eu
scission, tantôt elle propose de sanctionner le vœu de la majorité,
tantôt celui do la minorité ; quelle inconséquence! quel renverse-
ment du système représentatif! Devait-on doi'ner le liire de con-
504 DIRECT. — DU 18 FRUCTIDOR AN V ( 1797 )
spiraiion à des intrigues et ù des agitations , qui se manifestent
toujours dans les assemblées politiques? Le caractère et la répu-
tation de certains élus ont frappé l'imagination de quelques hom-
mes. On s'est livré à des craintes chimériques ; on s'est créé des
fantômes, pour avoir le plaisir de les combattre; on a cru voir re-
naîliele régime exécré de la terreur. On a cité la minoriié de
la Convention nationale, qui pendant si long -temps a exercé son
despotisme sur la majorité. Mais quelle différence! Cette minorité
de la Convention était soutenue par la société des Jacobins , qui
fut le foyer du patriotisme en 89, et qui devint celui de tous les
crimes en 95; elle l'était encore par la commune de Paris, qui avait
en main la force armée. Ici celte minorité que l'on redoute tant
serait comprimée par la grande majorité du corps législat f, par
la force de l'opinion publique, et par l'action du gouvernement.
Ainsi, nulle parité.
» Mais prouvons que le projet est injuste et dangereux dans ses
consé ^uences. Le travail de la commission est le résultat des ren-
seignemens du directoire, ou plutôt, il est le travail du directoire.
Ainsi les choix du peuple souverain ont été soumis à la sanction
du directoire. Si un pareil usage s'introduisait en France , il n'y
aurait aucune liberté , nulle garantie pour les représentans du
peuple, on commencerait par exclure les hommes dangereux, et
l'on finirait par écarter ceux qui , doués d'un caractère éner-
gique , exprimeraient dans leurs discours les seniimens d'un
homme libre,
> Je sais que le directoire est plus à portée que nous , d'avoir
des renseignemens certains par sa correspondance avec ses com-
missaires dans les départemens ; mais il serait trop dangereux de
renfermer ces renseignemens dans un petit nombre d'individus ;
ils doivent être discutés à la tribune, car les députés aussi , ont
des renseignemens sur ce qui se passe dans leur pays; et du ré-
sultat de la discussion, il en sortira des traits de lumière qui
éclaireront les déci^ions du conseil.
» Je n'ai que deux exemples ù citer pour prouver que le di-
rectoire peut être trompé , et que vous devez examiner les ren-
AU 22 FLORÉAL AN VI (1798). oOo
seîgnemens qu'il vous a transmis. On propose de casser les élec-
tions de la Haute- Vienne ; cependant le nom de ce di^pariement
n*a jama s figuré parmi ceux qui ont été les ennemis de la Répu-
blique ; parmi les députes qu'il a elu^,, l'un est un de nos collè-
gues, estimé de nous tous par sa probité et son patriotisme,
Tauire est connu par ses talens ; iong-i^mps il a gémi, victime
du régime révolutionnaire. Y aurait-il donc des motifs secrets
de déconsidérer un département , qui s>st constamment montré
l'ami de la révolution? Non , je nejsaurais me le persuader; et
j'aime mieux croire que le directoire a éié trompé. Ainsi , je de-
mande que 1« s pièces me soient communiquées , et alors je répon-
drai directement.
» On a cassé les élections de la Dordogne. N'aurait-on pas pu
appliquer à celte assemblée la même mesure qui a été employée
pour quelques autres , et faire un choix parmi les élus de ce dé-
partement ? Il en est un qui siège honorablement dans cettp en-
ceinte, qui dans tous les temps s est montré l'ami de la Rppubli-
que et des principes de !a liberté, qui a été la victime du roya-
lisme, ei qui le premier a combattu avec éner{»ie au 18 fructidor.
A-t-il donc comiiiis quelque crime? Si cela est, qu'on l'accuse,
sans quoi je dirai qu'il est exclu pour avoir librement dit sou
opinion dans le sein du corps législatif; ce qui me ferait douter
delà liberté de l:i représentation nationale.
> Je demande la question préalable sur le prrjet ; je prie le
conseil de me permettre de lui soumettre, en finissant, les obser-
vations suivar;tes.
> Les uns diront que je suis le défenseur des anarchistes ; les
autres m'accuseront d'être l'ennemi du gouvernement; d'autres
enfin publieront que je suis un chef de parti. Je déclare que je
déteste les vrais anarchistes, comme les royalistes; que je suis
attaché au gouvernement, que j'estime les gouvernans; que je
soutiendrai leur prérogative et leur indépendance , comme celle
du corps législatif; et qu'au surplus, quelle que soit votre réso-
lution, je la défendrai, quand elle aura reçu le caractère de loi.»
On réclame l'impression. — Adopté,
f>06 DlREC'f. — DU 18 FRUCTIDOR AN V (1797)
Audouin. * Ce n'est pas en vain qu'on a l'ait le 18 fructidor;
quand on a fait et approuvé cette journée, on ne doit plus voir
seulement les principes , mais aussi les faits. En rendant la loi
du 1:2 pluviôse, vous ne w)us ètfs pas réservés un travail méca-
nique. Vous êtes ici jury national d'équiié ; éloignez de vous les
factieux , si vous ne voulez pas que dans trois mois la force des
choses vous mette sous la dépendance du directoire. Les factieux
ne pardonneraient p:is, même à ceux qui les ont défendus, d'avoir
siéf^é dans un sénat constitirtionne'. Ces hommes n'abandonne-
ront jamais leur système. Choisissez donc entre la patrie et quel-
ques hommes. En parlant à cette tribune pour la dernière fois,
je désire emporter la certitude que je laisse un corps lé^'jislatif
constitué de manière à maintenir la Constitution, à garantir ma
tranquillité personnelle.
> L'Angleterre compte plus sur les élections que sur les vais-
seaux. L'opposition s'est réunie au ministère, parce qu'e'le a vu
ou pressenii votre harmonie avec le gouverneoient ; e!le a vu le
gouvernement anglais menicé, et elle s'est empressée de la sou-
tenir. Je hais l'Anglais, mais j'admire son orgueil national. Ké-
présenlans français , vous soutiendrez la Constitution , comme les
sénateurs anglais défendent le trône. — Je vole pour le projet.»
Portes et Guran-Coulon parlent, le premier contre, le second
pour le projet.
Gauran prononce un discours contre le projet ; il demande que
réieciion de Lamarque soit déclarée valable; il fait l'éloge de ce
repréj^niant; puis passant aux el- ciions de Seine-et-Marne il s'ex-
P'ime en ces termes : « Quoi! on propose de casser les opéra-
tions de l'as emblée qui a nommé trois excellens citoyens, et on
veut vous faire déclarer viilal)les celles de l'autre! Ignorez-vous
que dans celle ci le royalisme a dominé, que les Pichcgru, les
AVillc't, les Gilbert-Desmolièies y ont* obtenu un grand nombre
de suffrages, et que là enlin on a réélu un de. nos collè.'jues,
compris, au 18 fruciidor, sur la lî^te des représenlans à dépor-
ter ; je parle de Bailîy qu'à tort on a mis au nombre des conspi-
rateurs ; car ce n'est qu'un lâche. «
AU 22 FLORÉAL AN VI ( 1798 ). 507
A ces mots, des murmures violens éclatent dans toute la salle;
les cris : A l'ordre! se font entendre de toutes pans. On réclame
la clôture de la diôcassion. L'orateur descead'de la tribune, et le
conseil ferme la discussion.
Une foule de membres s'écrient : t Aux voix le projet ! »
Bai//eu/, rapporteur. « Je déclare que le projet que je vous
ai présenté est le travail de la commission , et non celui du direc-
toire. »
Hardy, c C'est la vérité. >
Le conseil déclare l'ur^j^ence , et après quelques débats sur les
élections de l'Ardèche, de la Dordogne et de la Haute- Vienne,
le projet est alopté, article par article.
Cette résolution fut approuvés le 22 floréal par le conseil
des anciens ; c*est ce qui lui fit donner le nom de loi ou de coup
d'état du 2:2 floréal.
Le •irajîe au sort entre les membres du directoire eut lieu le
20 floréal. Le billet sortant échut à François de Neuf-Château.
Treilhard fut élu par les anciens pour le remplacer.
TABLE DES MATIÈRES.
JouBxÉES DB VENDÉMIAIRE. — Histoire dcs actes parlementaires et des faits extra-par-
lementatrtis , antt'rieius à ces journées, p. 1-32. — Rapport de Merlin de Douai, sur
ces journées, p. 32-43. — Kapp.irt de B trras sur les opéraiions militaires aux iuelles
ces joi;ruéPS onttlouné lieu, p. 4fi-r)t.— Tallien et ses amis changent de tacti(|iic; tpul
p.irti ils e^îtendai-nt lir.r des jouiuées de vetidé^naire; fuisses e-pérauces des .laco-
bins, p. 01 65. — Tallien dénonce Boissy d Angiis, Linjiiinais Henri-Lar vièro et
L^sage d'i:ure-et Loir ; conspiration royaliste de Leniaîde d«'oouvt rt« , p. 6(i-72. —
Aî'restatioii de plusieurs dépuié-*; nomination d'une comrnissiou de Cinq memlnes ,
ponr présenter des mrsiircs de ^alnl public, p. 72. — Th bandent aitatiue Taili-u,
p. 7'). — Rapport d'j Tallii n au nom de Ij coimnissiori oes cuiq . 1 1 décrei à la suite ,
p. 74>7- — Dernièi-e ^é n -e de l^ Convenlion ; ami.istie dit" > ai bruniair» de l"a i 4
(2r» octobre 179j , p 87 90. — lli-.tnri(pip des cpérations milit ires, p 90-93. — N.ms.
des prési'ifii» ilr la Co .v<nt on uatu)nali; , aepui^ le 2-4 jauvier 179.1, jusqu'au 2;i oc-
to))re 1795 p. 93. — 1 ablean des nietnl)res de la Convention (pu ont composé le co-
rn lé de salut piib'i ' et le comité de .sûreté générale, p. 94 98.
Hl.sTtiiliK DU niiJECTOinc: du à brumaire an i au 30 ftoreal an S, 179.^. 1797. —
li.lioduclion, v 99-lli2. — Les duseils se constituent, p. 103. — No inat'on de-; di-
recteurs , p. 104. — l'rmlimatioi un directoire exécut.f auiieupl'î fr.inç;ns, p. ft)3.
— Héli xions si;r la l'Kue poliiique, tracée iians ce manifeste, p. 10 î. — EU'nieiis de
la majorité et <le la minorité dans les cons"il<, |i. 107. — Obstrcles que le direetoire
d> vait I eue )iitrer dHn> les consejN. iians l'adin ni-tration, et en Ini-nième. p. ICS. —
H nomme; un m ni-itère et 'lem lude troi» mill ous en assignat-. , pour le- divers «scr-
\ice,H admirtivtr.iiif' , p. 1ii9. — l'remieis act<s 'i'oppo-ition ;iiu .luciens et a;;x c\iu\-
cents; rov. lisle< d.iiis l s deux ('(ium ils. p. 1 10-112. — Notice sur !• sjourn.iiK «e iV-p-
posilion roy.iliste ei de l'opp' sili ii j.icoltijie, p. H2-II3. — Ouver.ure du club d-s
PanihHitiusies . ibid- — Le directoire lait fermer la Bourse; il éi iiau:;e la tille de
Louis XVl, contre les dépntés Quinelle , Bancal , Lamarque, Camus, Beurnouville ,
508 TABLE DES MATIÈRES.
Dronet, M^ret et S«'monville, prisonnïTS de l'Autr che, p. H5. — Conseil des cinq'
C'jjt*. St'aiic»* du 17 fiiiiaire (8d cmiTc ). — l'éliiioii des uar eillais. cuiiire 1$
<«gi» g-nrs (Jii Midi; débats, p, HG-136. — Laccusti diii^«*e p-r I» s pé ilioi.iia'rt-s,
conir Ctiiroy, et rjei«'e comm cdi»" nit-us . p. r'7.— Effrisde ceiie decisnu sur
le uiiii r'»y l Me t-t S'u- 1 - . ani deniocranqiie ; !♦* direcloii e i ésisi»- à ions l's deui ; d
deffiid d- chaut* ri He'veil du peuple, ci eu méuie uinps il dllfam- Babt-uf, p. «38.
— Babeuf se dflpijd. p. 1."9. — Drbao daus le (Oi seil desciii(|-ceui.s: J. Ayiueet M^v
siii du L'ir. t, sont ex( lus de I as^ernl)l«e, p. Hl 146. — i e co. sf*!! d s ciiit|-CfMls cé-
lèbre l'iiuiiiv. rsiir-' de la cno. l d^^ Loms X VI. p U7. — Crration du mini>tèr de la
police, p. 148. • - D<*tail« sur la odptivit de Dnmei, ibid. — La m ij •! i é des cu'St'ds
s'atiache pai liculirp ineiii à otte- ir tr>»i< lésultatt : onlre «laus rauninisi at'oo; la
cornpressinii de» i.pinious qui tetid^-iit a cbiuger le stniu qiio, la force du f^ouverne-
m^ui, p. 148 — Déliais sur la pr^-s^e. p 149. — Le dire -loire fait fermer I*-."- réuMioas
(Ie> club-) loya i.st' s et 'émociati'pie» p. 1j1.— D«'n nnialon de »a coiispir^tion
diledeBibeul p 152-168.— Affaie du cauip de (Jrenel'f. p. «69170— Vifs. fé.ats aux
ciuq- nus, p 171. — i-a coi'pirat'on de Bdieuf un.fîte à la niiuonié roy.» isie: ré-
vi-i'ude Ll.» du 3 e decelle du 4 tiruuia r^ p. 172-177. — Mauvai>ef niœiir ; plaimes
COi'Ireli loi iJu divurce, p. 178 — .Me sa^^-du dir-i:ioire coutre la Hlierlédela , rese,
p. 179. ^ Il iléuoitCK 1.» cou piratiou loy.ll•^t•', our.iie par Inhi.*» Brotii r, Duvt-rue
de l'resie . Livdich'iiruo -, f-tc. : pifc^f jii>liHcdtives . p. l82--2n4. — tffets »!»• c^^te
couspir.'iMU >ur les prii*. da s li s cous i s t-i au d hois, p. 231-2 1— K^pporiJe
Jeau Debry sur cette conspirai o. t. p 2i:^i4l.— L tire de L(»u.>XVIll au\i rmcus,
p. 242. — Mt-sure- pris< s par le liirect ir.*, po ir as-ur- r les cl-ciio .•» d»- I lu 5, p. 2.4
— i/a bé si«7es esi as-a« iii*' pir i ;d»bt^ P.iuif, p. 247. — Situatio^j miliiaihe et
DIPL0M4T Qi E 'le la Répi.bliijue, au 30 floréal, an 5; histoire de la guerre, p. 249 264.
— Finances p 264-. 68.
J)ii i*"^ piurnii an 6 (20 m<ii 1797). an 18 fruriidor. an 5 (4 septembre i797). —
Espiit tJu ..onveau ii'i>; l-s conseils soni divi<ié>fu iros pj.r"is, esdiricio. ia x. Itîs
couslirntioi.neiseï les royaliste-; ceux-, i pr< domi e .1 au» c nq-cenls \). 269- 70. —
Divisii.n tlaiis le uirrcloir^-, p. 271. — Aperçu -ur 1* siluaiitn des tinaïu-es. p. 27\. —
liésul al di. proie' dr B.b ul, p. 275 — 1 é> ieiid..nc' s royalisies s- m .lif s;' ni de
plus eu plu aux cinq- eui>-, p. ;i76-28i. — Cou.^eil des cmi^-cents. S auoe di. 16 mes-
sidor — Déi-ats sur les éiidiçrés du Haut e» du B-s-Kida ; luotiop de B.illci.l cui.tre
les royalistrs; nus a:;- di direcoire. sur la '^■tuitio i <ie 1 yoi . p. 281 232. — Los
ro>aises >ul a >i ajo ilé aux ri iij-centv p. •i;94 — Le dire loin a< hèv lu se divi-
sei* ; preiui r« syiii). ôin > diM8 fructidor, p. 293 — C'oh.mH </<•* cinq-- c'A^ Se uces
du 30 ines-idor. dd 2 ei d i 3 lier ■ idor. — O.j annonce que oes tronpi s ni.ucliei t
sur Palis "eiaude i our la réoitrai isi ion delà par .e natio aie; débit-, p. 29K-.'I8.
— i/aruié'î s* m nue di-posee à s ius rser ro tre les c.ns-iN. jx.ur. <n Cias or le
roy.ilisuit- ; proci-miatio • de Bonap.irie à l'artnéed Ita i'', p. 319-329 — Conn il des
ciiiq-ieuly — Séniict' du IS Ihemiidor , p. *3"29-33 >. — Se uce <ui 13 riucidor.
p. 340 .'43 — Ji i;k>ée DU 18 FKLCTiDOR — Co ■^[lira»ion de piches «i ; se i:ce per-
niau<nie- u coUMi! -le^ ci q-c ms, m sur S'Onire les r.'y-lises d s deux co .«eis,
et C'hire un si"''"d nombre de j"urn listes, p. 34j-j8.i<. — Rapport d-- B^iHt.il sur la
coitsi irai on du 18 'mcidur. p. 388-43<). — D. cl ra ion f iii pu- t» verue de Pres'e ,
dn Dunai;. p. 437-413. — Proclamaiinu df Lm is W 111 aui Kranoai . p. 446 — Ob-
servation i de CaiTJol sur le ra[)pori de Badleul , p. 448. — Pièce» 'lelalives à Moreau,
p. 431.
Du \S Irvcidor.anSd'^T^, fiu22fiorrnl.an 6 (1798).- Le parti trif mphantcher ne
à g raulir 1>' >y^ èin«- lépiilil cain. p. 2 3, — Bu ig- 1 tie> det.ensesd^* lan 6, p. 4'.7
Conseil (les cinq-cint.s. ^é^uce «lu 9 . Imi»»».-. -- uén()iici<.ti"n-, p. 43K — Négocia-
tiitns ouv'frlis avrc lAigleierre. p. 461, — Bonap rie pie>euie au iliretioir»- . »n
séance piibl'ipie, le tr^né de (.ampi»-F..iin o, j». 46.'. — Le d r- ci<» rc fau mxabirh
Suisse, p. 467. — Le géuér il Dupli.ii est, ué a Ron-c dans iiue éiu-uie. p. 4( 8. — Bo-
naparte s embarque ptmr iVxpéd lio'i uÉgypte, p. àhO. — Etai iutéri ur u» 1 1 Prancf;
troubles la «s le Midi, p. 4 0. — Le dincioii e m- 1 1 « vdle de Lym eu état de siège ,
ti. 471. - Consril des ri>iq-e'ils. Sé-nce du H H ré«l. — M.<liou de Lanianpie sur
e>éleOli'»m* de l'an 6; deba's p 473. — Séance du 13 fl réai ; iiie»Hg' uu directoir'* ,
C'» tre ime con.spuation annicln<ji(*', à lavju W*- il aitr bi.e une gran le pan d ui.s les
I. éleiiinn». p 80. — .S<aiic dn14iloéal, p. 48i. — Séanc- du 1>» ; ll.ipport d B.il-
' leul.sur les mesures à prendre r<l.tiv«m ni au me. sage du directoire; >ifs déuais;
un gran l uoiubie déleciioi.s sont aunuiées, p. 485-507.
FIN DU TOLiJHE TRENTE-SEPTIÈME.
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