Skip to main content

Full text of "Histoire parlementaire de la Révolution française; ou, Journal des Assemblées nationales, depuis 1789 jusqu'en 1815, contenant la narration des événemens, les débats des Assemblées, et particulièrement de la Société des Jacobins les procès-verbaux de la Commune de Paris, les séances du tribunal révolutionnaire le compte-rendu des principaux procès politiques, le détail des budgets annuels, le tableau du mouvement moral extrait des journaux de chaque époque etc., précédëe d'une introduction sur l'histoire de France jusq'à la convocation des États-Généraux"

See other formats


^•r 


^^gs 


^ 


■■*> 


*^- 


'^^-. 


<i  . 


"*w. 


^-  v^ 


•afc*».  •  Bi 


é  .'^      •".- 


\   i^ 

.</•  ^^- 


-.n*^- 


\;^ 


.^^^-^C:- 


^^^^ 


-"-i^v 


:/4  ^^ 


7.''       .i'A 


-^  '      y-^^ 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/histoireparlemen37buch 


HISTOIRE  PARLEMENTAIRE 


DE  LA 


REVOLUTION    FRANÇAISE, 


OD 


JOURNAL  DES  ASSEMBLÉES  NATIONALES, 
DEPUIS  1789  jusqu'en  1815. 


PAHJS.  —  lmi>rimcrie  d'AuoLFUE  EVEKAT  etC*. 
rue  du  GadraD ,  16. 


.    HISTOIRE  PARLEMEINTAIRE 


DE     LA 


RÉVOLUTIO 


j 


FRANÇAISE 


ou 


JOURNAL  DES  ASSEMBLÉES  NATIONALES 
DEPUIS  1789  jusqu'en  1815, 

COKIBNAMT 

La  Narration  des  événeineas  ;  les  Débats  des  Assemblées  ;  les  discussions  des 
principales  Sociétés  populaires ,  et  particulièrement  de  la  Société  des  Jaco- 
bins: les  Procès-Verbaux  de  la  Commune  de  Paris,  les  Séances  du  Tribunal 
révolutionnaire;  le  Compte-Rendu  des  principaux  procès  politiques  ;  le  Détail 
des  budgets  annuels  ;  le  Tableau  du  mouvement  moral,  extrait  des  journaui 
de  chaque  époque ,  etc.;  précédée  d'une  Introduction  sur  l'histoire  de  France 
jusqu'à  la  convocation  des  États-Généraux; 


PAR  P.-J.-B.    BUCHEZ   ET  P.-G.  ROUX. 


TOME  TRENTE-SEPTIÈME. 


PARIS. 

PAULm,   LIBRAIRE, 

RUE     DE     SEINE-SAINT-GERMAIN,    N®   o3. 


M.DCGC.  XXXVIIL 


■>V'^' 


HISTOIRE  PARLEMENTAIRE 


DE    LA 


RÉVOLUTION 


FRANÇAISE. 


Convention  nationale.  —  Réaction  thermidorienne, 
journées  de  vendémiaire. 

Tant  que  les  réacteurs  se  bornèrent  à  assassiner  et  à  emprison- 
ner les  révolutionnaires,  la  Convention  ferma  les  yeux.  Dans  les 
derniers  jours  de  juin  ,  les  nouvelles  du  Midi  furent  cependant  si 
alarmantes ,  les  compagnies  franches  avaient  commis  tant  de  bri- 
gandages ,  et  le  nombre  des  émigrés  dont  on  signalait  l'entrée 
était  tellement  considérable ,  que  le  comité  de  sûreté  générale 
jugea  devoir  se  relâcher  de  sa  rigueur  envers  les  Jacobins  de  Pa- 
ris. Il  prit  un  arrêté  en  vertu  duquel  les  comités  civils  étaient 
chargés  de  prononcer  sur  l'arrestation  et  sur  le  désarmement  dé- 
finitifs des  suspects  de  terrorisme.  On  avait  évité  de  donner  de 
la  publicité  à  cette  mesure.  Lorsqu'elle  fut  connue ,  les  sections 
royalistes  en  témoignèrent  un  vif  mécontentement.  Celle  de  Bru- 
tus  et  celle  de  Lepelletier  accoururent  à  la  barre  de  la  Conven- 
tion (séance  du  29  juin  — 11  messidor).  L'orateur  de  la  section 
Lepelletier  prononça  un  discours  dont  voici  les  principaux  pas- 
sages :  Π Ne  parle-t-on,  dit  l'orateur,  des  tcnfativrs  du  ruya- 
lismc,que  pour  nous  faire  oublier  les  crimes  du  terrorisme? 

T.    XXXVII.  i 


2  CONVENTION   NATIONALE. 

Quelle  est  donc  cette  inconcevable  politique?  On  poursuit  les  bri- 
gands qui  massacrent  au  Jiom  de  Jésus,  et  on  protège ,  on  met  eu 
liberté  ceux  qui  ont  massacre  au  nom  de  Robespierre.  Nous  de- 
mandons aux  défenseurs  de  ces  monstres  qui  en  a  ordonné  le  dé- 
sarmement: la  Convention  tout  entière;  qui  l'a  fait  exécuter?  ce 
sont  ces  mêmes  hommes  qui,  dans  les  journées  de  prairial,  n'ont 
pas  quitté  les  armes ,  qui  ont  partagé  vos  dangers,  et  qui  étaient 
déteriïiinés  à  périr  avec  vous.  Ainsi  c'est  la  Convention  elle- 
même,  ce  sont  tous  ses  défenseurs  qu'on  voudrait  transformer 
aujourd'hui  en  ennemis  de  la  liberté  et  de  la  République.  Ce  n'est 
pas  tout  :  à  qui  défère-t-on  le  droit  déjuger  les  motifs  pour  ren- 
dre les  armes  et  mettre  en  liberté?  C'est  aux  comités  civils.  On 
demande  des  pièces ,  des  signatures  ;  on  veut  élever  des  procès 
en  règle,  et  on  compte  aujourd'hui  pour  rien  la  voix  publique, 
qui  était  comptée  pour  tout  lorsque  le  décret  du  1^^  prairial  fut 
rendu.  On  soumet  à  quelques  individus  les  jugemens  rendus  par 
des  assemblées  très-nombreuses;  enfin,  sous  le  manteau  de  l'hu- 
manité ,  on  couvre  les  mesures  les  plus  atroces  et  les  plus  hber- 
ticides  :  car,  il  faut  le  dire ,  il  eût  mieux  valu  ne  jamais  sévir  con- 
tre les  scélérats,  que  de  leur  rendre  aujourd'hui  les  poignards  qui 
leur  ont  été  arrachés.  Cette  funeste  indulgence  sera  là  source  do 
nouveaux  désastres;  elle  va  ranimer  toutes  les  haines,  fournir 
des  prétextes  à  toutes  les  vengeances  particulières.  iNous  vous 
en  conjurons  au  nom  de  la  patrie,  que  votre  justice  écarte  ces 
funestes  augures.  » 

La  Convention  applaudit  ù  cette  adresse  ;  elle  en  décréta  la 
mention  hcnoraMe  et  l'insertion  au  bulletin.  Après  avoir  ainsi 
désavoué  soq  comité  de  sûreté  générale ,  l'assemblée  coniinuade 
garder  un  profond  silence  sur  les  excès  de  la  réaction.  Les  comi- 
tés ^e  gouvernement  se  conformèrent  à  cette  politique.  Bien  loin 
de  comuiuniquor  à  la  tribune  les  lettres  qui  leur  apportaient  cha- 
que jour  quelque  confirniaiion  de  l'étal  de  plus  en  plus  déplora- 
ble des  provinces  méridionales ,  ils  nh  veuaient  y  lire  que  celles 
où  les  massacres  étaient  niés.  Le  i."  juillet  (25  messidor),  Ché- 
nier,  au  nom  des  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale , 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  5 

déclara  qu'il  avait  été  fait  des  rapports  faux  contre  la  commune 
d'Arles,  et  qu'il  n'y  avait  été  commis  aucun  meurtre. 

Le  24  juillet  (6  thermidor),  la  Convention  avait  décrété  en 
principe ,  sur  la  proposition  de  Gourdan ,  qu'il  serait  créé  une 
commission  prise  dans  son  sein ,  chargée  d'examiner  les  arresta- 
tions pour  faits  révolutionnaires.  Les  circocstances  avaient  empiré. 
La  tentative  des  émigrés  à  Quiberon ,  et  les  intrigues,  maintenant 
presque  publiques ,  des  royalistes  dans  *  les  sections  de  Paris , 
commençaient  à  rendre  l'assemblée  plus  attentive.  Il  fallut  néan- 
moins un  vif  débat  pour  que  la  proposition  de  Gourdan  fût  adop- 
tée. Les  réacteurs  de  la  capitale  accueillirent  fort  mal  ce  décret. 
Le  29  juillet  (il  thermidor),  une  députation  de  la  section  du 
Mont-Blanc  vint  demander  justice  des  satellites  du  farouche  Ro- 
bespi^re  :  «.  Leur  impunité ,  dit-elle ,  lasse  notre  patience ,  et 
perpétue  leur  espoir  coupable  de  dominer  encore.  Le  royalisme 
est  un  mot  dont  les  terroristes  abusent  pour  décourager  tous  les 
républicains  qui  vous  ont  défendus  le  12  germinal ,  le  i^r  prai- 
rial, et  quivousdéfendront  jusqu'à  la  mort.  Hâtez-vous  d'ache- 
ver l'épuration  tant  promise,  et  chassez  de  votre  seia  tout  ce  qui 
peut  y  rester  d'impur.  »  —  Bailleul  parla  dans  le  sens  des  péti- 
tionnaires :  il  reprocha  à  la  Convention  d'avoir  rendu  un  décret 
coupable,  celui  de  la  nomination  de  douze  membres  pour  juger 
les  détenus.  «  Cette  commission  ,  dit-il ,  fait  déverser  sur  vous 
tout  i'odieux  des  crimes  commis.  Ce  décret  est  l'impunité  des 
coupables.  Je  demande ,  non  qu'il  soit  rapporté  sur-le-champ , 
mais  que  les  comités  l'examinent  de  nouveau ,  et  que  le  rapport 
sur  les  députés  dénoncés  soit  ajourné  au  plus  tard  à  quinlidi.  » 
Un  membre  demanda  si  l'on  voulait  mettre  la  Convention  en 
coupe  réglée.  Dabois-Crancé  trouva  la  motion  de  Bailleul  im- 
prudente et  propre  à  ramener  le  trouble.  «  Sans  doute ,  dit-il , 
s'il  est  parmi  nous  des  coupables  ,  ils  seront  frappés.  Nous  vou- 
lons tous  la  justice;  mais  pourquoi  ne  poursuit-on  pas  avec  la 
même  ardeur  les  aristocrates,  les  conspirateurs  qui  se  promènent 
audacieusement  dans  les-  rues  avec  des  câdeneties  retroussées , 
ou  d'autres  signbs  qui  pourraient  leur  servir  au  besoin?  >  Du- 


4  CONVKNTlOn    «ATIONALE. 

bois  termina  par  demander  le  mainiiea  du  décret.  La  moiion  d(» 
Bailieul  fut  rejetëe  par  la  question  préalable.  Legendre  demanda 
que  le  comité  de  législation  rendit  compte  de  ce  qui  l'avait  em- 
pêché de  faire  son  rapport  :  «  H  ne  faut  pas ,  s'écria-t-il ,  que  ce 
comité  soit  une  nouvelle  baie  de  Quiberon,  où  les  ennemis  de  la 
lîépublique  avaient  débarqué  des  dénonciations  contre  nous  » 
(applaudissemens).  Delecloy  annonça  que  plusieurs  députés,  ac- 
cusés de  dilapidations,  avaient  prouvé ,  par  quittances,  leur  pro- 
bité et  la  fausseté  de  leurs  dénonciateurs  :  il  ajouta  que  le  travail 
du  comité  avançait,  et  qu'il  ferait  son  rapport  aussitôt  qu'il  serait 
prêt. 

L'exemple  de  la  section  du  Mont-Blanc  fut  suivi.  Le  31  juil- 
let (ir>  thermidor),  celle  de  l'Observatoire  présenta  les  mêmes 
réclamations.  Elle  dit  qu'elle  avait  vu  un  abus  de  pouvoir,  et 
«  par  conséquent  le  despotisme  »,  dans  le  décret  par  lequel  de- 
vait être  créée  une  commission  pour  prononcer  sur  les  détenus. 
Elle  demanda  qu'ils  fussent  traduits  devant  la  commission  m'h- 
taire.  Cette  pétition  ayant  été  interrompue  par  de  vives  rumeurs, 
Bion  s'écria  :  t  Que  si^inifient  ces  murmures?  Les  honmies  du 
51  mai  pi  étendent-ils  encore  dominer  ici?...  (On  applaudii).  Je 
deiuande  que  la  parole  soit  maintenue  aux  pétitionnaires.  »  — 
1^'orateur  de  la  section  de  l'Observaioire  put  achever  son  dis- 
cours. Lareveillère-Lépeaux ,  qui  présidait  l'assemblée,  fii  une 
réponse  insignifiante  et  leva  la  séance.  Alors  plusieurs  membres , 
parmi  lesquels  ,  dit  le  MonUeur,  se  firent  remarcjuer  Prcssavin  et 
Dnbois-Grancé ,  s'approchèrent  des  pétitionnaires  et  leur  adres- 
sèrent la  parole. 

Dubois 'Crancé.t  Puisque  vous  avez  applaudi  quan  1  la  Conven- 
tion ,  après  le  9  thermidor,  a  mis  en  liberté  tous  ceux  qui  éiaieni 
dans  les  prisons,  vous  ne  devez  pas  vous  plaindre  de  ct-  qu'elle 
veut  aujourd'hui  statuer  sur  le  sonde  ceux  (|ui  y  sont.  Peut-on 
din»  (jue  l'horizon  s'obscurcit  quand  la  paix  est  faite  avec  l'Es- 
pagne? vous  êtes  duf)cs  descontre-iévulutionnaires.  Si  vous  vou- 
lez (jue  les  tribunaux  prononcent  sur  ce  que  vous  appelez  les  ter- 
rorist' s ,  envoyiv  'hwr  -n  <'<  *]«v;inî  eux  les  rovalislcs,  les  cm'- 


RÉACTION    THERMlDORIi^lNNE.  5 

fre-1'évulutionnaires  qui  ont  été  mis  en  liberté.  Voulez-vous  avoir 
la  guerre  dans  l'intérieur  quand  nous  avons  la  paix  au-dehors?  » 
Un  des  pétitionnaires.  «  Nous  ne  voulons  plus  être  assassinés  ; 
nous  avons  eu  une  trop  forte  leçon  :  au  9  thermidor,  la  majorité 
des  détenus  était  composée  d'hommes  de  bien  auxquels  on  n'a- 
vait aucun  reproche  à  faire;  maintenant  la  presque  totalité  est 
composée  de  gens  qui  ont  assassiné,  pillé,  volé;  nous  deman- 
dons, et  nous  demanderons  toujours  que  la  Convention  soit 
juste.  »  '  - 

Dubois-Crancé,  avec  l'accent  de  la  colère.  «  Est-ce  que  nous 
sommes  injustes,  nous,  f....  ?  Revenez-y,  je  vous  parlerai,  moi, 
nous  vous  dénoncerons  à  tous  nos  commettans.  » 

Le  pétitionnaire  veut  répondre.  Dubois-Crancé  l'interrompt  : 
«  Allez  vous  faire  f...,  f....  brigands  que  vous  êtes.  »  —  Un  mou- 
vement d'indignation  éclate  dans  la  barre ,  occupée  par  les  péti- 
tionnaires et  par  les  chefs  de  la  garde  nationale.  Plusieurs  per- 
sonnes adressent  avec  véhémence  la  parole  à  Dubois-Crancé  qui 
s'éloigne.  {Moniteur.)  —  La  séance  fut  levée  au  milieu  d'un 
épouvantable  tumulte. 

Le  3  août  (  16  thermidor  ) ,  Delaunay  fit  décréter  au  nom  du 
comité  de  sûreté  générale  la  siPppression  de  la  commission  mi- 
litaire ,  établie  par  la  loi  du  25  mai  (4  prairial).  —  Les  hommes 
de  la  Convention  qui  avaient  pris  une  part  quelconque  aux  grands 
événemens  de  la  révolution ,  se  voyant  sérieusement  menacés,  se 
rapprochaient  pour  se  défendre.  Ils  sentaient  bien  que  le  dernier 
mot  de  la  réaction  serait .  inévitablement  la  proscription  de  tous 
Cf'ux  qui  avaient  voté  la  mort  de  Louis  XVL  A  la  séance  du  4  août 
(  17  thermidor),  Dubois-Crancé  monta  à  la  tribune  pour  faire 
une  motion  d'ordre.  Il  entra  habilement  en  matière,  en  rappe- 
lant ,  pour  se  blâmer  lui-même ,  la  querelle  qu'il  avait  eue  avec 
les  pétitionnaires  de  l'Observatoire.  II  avoua  avoir  eu  un  moment 
de  vivacité  déplacée  ;  et  qu'il  était  prêt  à  en  faire  ses  excuses  au 
ciloyen  qui  en  avait  été  l'objet ,  s'il  pouvait  le  rencontrer.  Quant 
au  reproche  qu'on  lui  avait  fait  d'avoir  violé  le  droit  de  pétition  , 
c'était  sans  aucun  lx>ndement,  puisque  la  séance  était  finie.  L'o- 


(i  CONVENTION   NATIONALE. 

râleur  fit  ensuite  un  tableau  de  la  situation  de  l'esprit  public. 
«  Ne  voyez-vous  pas,  dit-il,  que  les  meneurs  d'aujourd'hui  ont 
»  le  même  système  que  ceux  d'autrefois ,  celui  d'une  entière  des- 
»  iruction  de  la  représentaiion  nationale?  Lisez  la  Quotidienne 
»  du  jour  :  à  peine  trouve-t-elle  vingt  députés  dignes  de  son  es- 
»  time.  Il  est  donc  bien  démontré  que  ce  n'est  point  aux  actions 
»  que  l'on  déclare  la  guerre,  mais  aux  opinions,  mais  au  gou- 
>  vernement.  Ne  prenez  pas  le  change  sur  le  terrorisme  que  l'on 
1  vous  dit  prêt  à  renaître  :  il  est  des  hommes  pour  qui  vous  êtes 
j)  tous  des  terroristes ,  car  tous  vous  avez  déclaré  le  roi  coupable 
»  de  trahison ,  et  voté  la  république.  »  Dubois  termina  par  de- 
mander, 1°  que  le  comité  de  législation  fût  tenu  de  faire ,  dans 
trois  jours ,  un  rapport  définitif  sur  les  représentans  du  peuple 
inculpés;  2o  que  tous  ceux  qui  étaient  en  arrestation  fussent 
examinés  sur-le-champ  par  une  commission  de  vingt  et  un  mem- 
bres. —  On  demanda ,  dans  la  partie  gauche ,  l'impression  du 
discours;  de  violens  murmures  éclatèrent  dans  la  partie  droite. 
—  Lozeau  ne  pensa  pas  que  la  Convention  dût  intervenir  dans 
une  rixe  particulière.  —  Comte ,  des  Hautes-Pyrénées,  regarda 
moins  l'aft^ire  dont  il  s'agissait  comme  une  querelle  entre  deux 
particuliers,  que  comme  une  injure  provoquée  contre  un  repré- 
sentant du  peuple,  dans  le  dessein  d'avilir,  d'outrager  la  représen- 
tation nationale  :  il  demanda  l'impression. — Dentzel  distingua  deux 
parties  dans  le  discours  :  la  disculpation  sur  un  fait  que  Dubois 
prétendait  avoir  été  rapporté  dans  les  journaux  avec  infidélité , 
avec  malveillance  ;  et  des  vues  générales  sur  la  situation  de  l'es- 
prit public  :  il  demanda  l'impression  de  la  première ,  et  le  renvoi 
de  la  seconde  au  comité  de  législation. — André  Dumont  de- 
manda à  répondre  «  au  discours  vraiment  extraordinaire  »  de 
Dubois-Crancé.  Les  tribunes  et  la  droite  de  l'assemblée  éclatè- 
rent en  applaudissemens  ;  une  vive  agitation  se  manifesta  à  gau- 
che. —  Bailly  :  «  Messieurs  de  la  ci-devant   Montagne,  vous 
»  n'êtes  pas  encore  les  maîtres.  »  {Nnuy  noriy  jamais  ^  s'écrie- 
l-on.  )  Bailleul  repoussa,  comme  peu  fondé,  le  reproche  fait  aux 
pétitionnaires  d'avoir  voulu  calomuier  la  Convention  nationale  ; 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  7 

ce  qu'ils  avaient  dit  lui  parut  extrêmement  juste.  Il  s'opposa  à 
l'impression.  André  Dumont  vota  pour  l'impression  de  la  pre- 
mière partie.  —  Guyomard  et  Bentabole  appuyèrent  vivement 
l'impression  du  tout.  «  il  est  bon,  dit  Guyomard,  que  la 
»  Convention  se  prononce  sur  les  demandes  éternelles  en  épu- 
t  ration  ,  qui  ne  se  termineront  que  lorsque  la  Convention  sera 
*  dissoute  ;  car  c'est  à  sa  totalité  qu'on  en  veut.  >  —  «  Il  est  es- 
»  senti el ,  dit  Bentabole ,  d'éclairer,  par  une  déclaration  solen- 
»  nelle ,  la  France  aujourd'hui  inondée  de  journaux  qui  perver- 
»  tissent  l'esprit  public.  >  L'impression  de  la  première  partie  fut 
décrétée  à  l'unanimité.  Les  membres  de  la  gauche  insistèrent 
pour  l'impression  de  la  totalité.  —  Jard-Panvilliers  :  «  Il  estim- 
1  possible  que  la  Convention  décrète  l'impression  d'un  discours 

>  dans  lequel  on  dit  :  (ja  après  .avoir  proscrit   cent  membres 

>  au  51  maif  on  en  proscrit  cent  autres.,.  Les  factieux  de  prai- 
»  rial ,  les  agens  de  la  tyrannie  sont-ils  donc  d'innocens  proscrits 

>  à  rappeler  parmi  nous?  >  (  Vifs  applaudissemens.  )  —  Legendre 
ne  savait  comment  une  semblable  discussion  pouvait  occuper  la 
Convention  nationale  :  il  voulait  qu'on  méprisât  les  journalistes , 
puisque  la  presse  était  libre ,  que  les  tribunaux  étaient  ouverts , 
et  que  l'on  pouvait  intenter  une  accusation  contre  le  calomnia- 
teur. «  On  imprime ,  ajouta-t-il ,  qu'il  y  a  au  plus  vingt  hommes 
»  purs  dans  cette  assemblée  !  Laissez  le  journaliste  avancer  cette 
»  assertion  ,  faites  de  bonnes  lois ,  marchez  constamment  dans 
»  le  sentier  de  la  justice ,  rendez  le  peuple  heureux  et  tranquille  ; 

>  et  il  foulera  aux  pieds  le  journal  qui  l'aura  voulu  tromper.  Je 
*  demande  Tordre  du  jour  sur  le  tout.  »  Henri  Larivière  déclara 
qu'il  serait  indigne  de  la  Convention  de  se  contenter  d'un  simple 
ordre  du  jour  :  il  s'étonna  que  l'on  osât  confondre,  à  la  tribune, 
les  victimes  innocentes  du  Si  mai  et  les  satellites  de  Robespierre, 
c  Si  le  discours  de  Dubois-Crancé  était  imprimé  par  votre  ordre, 
»  s'écria  l'orateur,  la  France,  incertaine  sur  vos  intentions ,  ver- 
»  rait  des  agitateurs  nombreux  essayer  de  faire  confondre  dans 
»  l'opinion  publique  les  proscrits  de   1795  et  les  factieux  de 

>  germinal  ;  toutes  les  notions  du  juste  et  de  l'injuste  seraient 


8  COIMVEWTION    NATIONALE. 

»  bouleversées  ;  la  barrière  élevée  entre  le  crime  et  la  vert»  se- 
»  rail  renversée,  et  le  régime  de  la  terreur  rétabli.  >  (Murmures 
à  gauche.  —  Applaudissemens  réitérés  adroite  et  aux  tribunes.) 
Larivière  se  résftma  et  demanda  la  question  préalable  qui  l'ut 
adoptée. 

Le  D  août  (  i^  ibermidor),  la  Convention  reçut  communication 
d'une  lettre  de  Tn  ilhard  ,  homme  de  loi  à  Beaujeu,  qui  dénon- 
çait les  compagnies  fiarches  de  Rhône  et  Loire.  Les  soldats  de 
ces  compagnies,  n'osant  pas  encore  porter  la  cocarde  blanche, 
avaient  mis ,  pour  en  tenir  lieu ,  une  ganse  blanche  à  leur  cha- 
peau. Treilhard  disait  aussi  qu'il  circulait  dans  Lyon  une  estampe 
représentant  Louis  XVI,  Marie- Antoinette ,  et  leurs  enfants. 

Le  6  août  (  19  thermidor  ) ,  Henri  Larivière  fit  un  rapport ,  au 
nom  des  comités  de  salut  public,  de  sûreté  générale  et  de  législa- 
tion réunis,  sur  les  moyens  de  juger  les  détenus.  11  déclara  que 
le  décret  antérieur,  portant  établissement  d'une  commission  pour 
le  même  objet ,  ne  pouvait  subsister,  parce  qu'il  était  «  lyranni- 
que;  »  parce  que  des  législateurs  ne  doivent  pas  usurper  le  pou- 
voir judiciaire,  et  que  rien  ne  pourroit  autoriser  une  mesuresi  dé- 
sastreuse; en  conséquence,  il  en  demanda  l'abrogation,  et  proposa 
un  mode  de  jugement  des  détenus  par  les  tribunaux.  Une4rès-vive 
discussion  s'engagea.  Louvet,  qui  s'était  séparé  des  Girondins 
depuis  que  la  réaction  avait  pris  un  caractère  décidément  roya- 
liste, parla  avec  beaucoup  d'^  véhémence.  «  Rcprésentans ,  dit-il, 
dussé-je  être  appelé  terroriste  par  ceux  qui  me  proscrivaient,  il 
y  a  un  an  ,  comme  modéré,  je  dirai  que  nulle  composition  n'est 
possible  avec  les  émigrés;  qu  il  n'y  a  pour  eux  que  la  mort.... 
(  Applaudissemens.  )  Je  dirai  que  les  agens  de  Robespierre  ne 
sont  pas  les  S(  uls  ennemis  que  vous  ayez  à  surveiller  et  à  frapper. 
Sans  doute  c  était  ni  des  hommes  de  sang  ,  ceux  qui,  sous  le  rè- 
gne de  Robespierre,  envoyaient  l'innocence  à  Téchafaud  ;  mais 
ne  sont-ce  pas  des  hommes  de  sang  aussi,  ces  affreux  chouans 
qui,  dans  les  déparlemens  de  i'Outst,  ayant  surpris  quelques 
défenseurs  de  la  patrie,  leur  ont  arraché  les.yeux  avec  des  tire- 
bourres?  (Mouvement  d'horreur.  )  Oui,  j'en  jure  par  la  près- 


REACTION    THLRMIDORIE.NINE.  î) 

qu'unammiié  de  la  Convention  :  jamais  la  terreur  ne  relèvera  ses 
écbafauds;  (  Non,  éen,  s'ecrie-î-oî3  de  toutes  parts  );  mais  aussi 
quelles  que  soient  ses  exécrables  manœuvres ,  jamais  le  terro- 
risme nouveau  ne  parviendra  à  nous  rendre  la  honte  et  le  fardeau 
de  la  royauté.  »  (  Vifs  applaudissemens.  )  —  Cette  question  ne 
fut  terminée  qu'à  la  séance  du  29  août  (  12  fructidor  ).  Les  pro- 
grès du  royalisme,  dans  les  sections  de  Paris,  déterminèrent  la 
Convention  à  rendre  un  décret  assez  favorable  aux  détenus.  Elle 
se  borna  à  ordonner  leur  traduction ,  sans  délai,  devant  les  ofii- 
ciers  de  police  de  sûreté ,  et  à  leur  laisser  l'option  entre  le  tribu- 
nal du  département  où  le  jury  d'accusation  aurait  tenu  ses  séances, 
et  les  deux  tribunaux  criminels  les  plus  voisins. 

Les  séances  des  8  et  9  août  (  21  et  22  thermidor  )  furent  em- 
ployées à  vider  les  dénonciations  qui  avaient  été  faites  contre 
plusieurs  députés  ,  depuis  les  journées  de  prairial.  A  la  suite  de 
cette  dernière  épuration,  les  représailles  de  la  Gironde  furent 
complètes;  car  la  Montagne  se  trouva  aussi  dégarnie  que  l'avait 
été  le  côté  droit  après  les  événemens  du  31  mai. 

Le  8  (  21  ) ,  Girod-Pouzol  fit  un  rapport  sur  les  députés  dé- 
noncés. Il  annonça  que  le  comité  de  législation  s'était  borné  à  faire 
connaître  les  dénonciations ,  et  qu'il  avait  cru  devoir  écarter  toutes 
celles  qui  ne  contenaient  aucun  fait  grave,  celles  que  les  faits 
avaient  prouvées  calomnieuses,  et  celles  qui  avaient  été  adressées 
sous  le  voile  de  l'anonyme.  «  Le  comité,  ajouta- t-il,  a  pensé 
>  que  la  Convention  voulait  sévir  contre  le  crime  seul,  et  non 
»  contre  l'erreur.  »  (Applaudissemens  ).  Le  rapport  fini,  Bézard 
monla  à  la  tribune  avec  les  pièces  annoncées  par  Girod.  Il  lui 
une  dénonciation  de  la  commune  de  Rochefort,  contre  Laigm  lot 
elLequinio,  ainsi  qu'une  lettre  justificative  de  ce  dernier,  ac- 
cusé, entre  autres  choses,  «  d'avoir  converti  la  guillotine  en  tri- 
bune aux  harangues;  forcé  It-s  jeunts  citoyennes  d'y  monter ,  et 
de  fouler  aux  pieds  le  sang  de  leurs  parens  et  de  leurs  amis; 
proposé  au  comité  de  salut  public  de  ne  plus  faii  e  de  prisonniers  ; 
mangé  avec  l'exécuteur  des  jugemens  criminels,  qu'il  appelait 
le  vengeur  du  peuple;  immolé  le  malheureux  Dechézeaux,  etc.  » 


10  COilYBNTlON    NATIONALE. 

Laurenceoi  demanda  le  décret  d'arrestation  contre  lui.  Delahaye 
invoqua  l'ajournement ,  jusqu'à  ce  qu'il  eiî  été  entendu.  Bioîi 
appuya  le  décret  d'arrestation,  qui  fut  rendu.  Le  rapporteur  lut 
ensuite  une  dénonciation  de  la  commune  de  Brives,  qui  accusait 
le  représentant  du  peuple  Lanot ,  de  s*y  ètt  e  fait  précéder  par  la 
{juiiloline  et  deux  bourreaux ,  et  d'avoir  fait  rester  exposé ,  pen- 
dant vin^jt-quatre  heures,  aux  regards  du  public ^  le  cadavre 
d'un  vieillard ,  père  de  onze  enfants ,  qui  avait  été  exécuté,  etc. 
Brival  et  Lemoine  prirent  sa  défense.  Bion  et  Lelourneur  de  la 
Manche  demandèrent  son  arrestation.  (  Décrété  ).  —  Bézard 
passa  à  Lefiot.  11  dit  qu'il  n'était  point  parvenu  de  dénonciation 
contre  jce  représentant  ;  mais  il  lut  un  des  arrêtés  par  lequel 
étaient  envoyés  au  tribunal  révolutionnaire  quatre  signataires 
d'une  lettre  écrite  le  !2()juin   171fâ,  au  ci-devant  roi,  par  des 
citoyens  do  Montargis,  qui  avaient  péri  sur  l'échafaud.  Lefiot, 
présent,  entreprit  de  se  Justifier.  Lanthenas  attesta  que,  pen- 
dant toute  la  durée  «  de  la  tyrannie  de  Robespierre ,  »  il  lui  avait 
paru  (|ue  Lefiot  y  était  absolument  étranger,  et  qu'il  gémissait 
mémo  sur  ce  temps  affreux.  Defermoni  demanda  le  décret  d'ar- 
reslotion.  Cette  proposition  ,  appuyée  par  Pénières  et  Boissieu, 
fut  adoptée. 

Le  ÎM  2i  ) ,  le  président  accorda  la  parole  à  Génissieu ,  pour 
continuer  le  rapport  sur  les  députés  dénoncés.  Génissieu  lut  plu- 
sieurs pièce?^  contre  Dupin.  Lesage  d'Eure-et-Loireflëclaraque, 
dans  son  opinion ,  Dupin  était  un  ass.issin  et  un  voleur  :  Il  lui  re- 
procha d'avoir  fait  {;uillotinPr  les  frrmlers-générâux,  et  d'avoir 
volédei  sommes  qui  étaient  dans  je  porte-feuille  du  citoyen  Lé- 
pinây ,  l'un  d'eux ,  bon  citoyen ,  bon  père ,  homme  généralement 
regrctt('  :  il  conclut  à  l'arrestation  de  Dupin ,  et  demanda  que  les 
scellés  fussent  apposés  <ur  ses  effets  et  sur  cetix  de  sa  belle-mère, 
à  Saint-Cloud.  (  Décrété  ).  Le  rapporteur  lut  ensuite  les  pièces  à 
charge  du  représentant  Bô ,  ainsi  que  la  justification  de  ce  der- 
nier, qui  était  accusé  d'avoir  dit  publiquement  à  Reims,  «  qu'eu 
>  révolution  il  ne  fallait  connnîire  ni  parens,  ni  amis,  et  que  le 
»  fils  poutâit  égorger  son  père ,  si  cdai-ci  n'était  pas  à  la  hau- 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  11 

»  leur  des  circonstances  ;  »  d'avoir  soulevé  tout  le  canton  de 
Fonds  (  Lot  ) ,  en  arrachant  toutes  les  croix ,  et  en  détruisant 
toutes  les  images  du  culte  ;  d'avoir  érigé  le  tribunal  criminel  du 
Lot  en  tribunal  révolutionnaire ,  en  le  faisant  délibérer  à  huis 
dos  et  sans  jury;  d'avoir  dit  à  la  nièce  d'un  détenu ,  qui  sollici- 
tait la  grâce  de  son  oncle  :  «  Je  prendrai  sa  tête ,  et  je  te  laisserai 
>  le  tronc,  etc.  »  Pénières  ajouta  d'autres  faits ,  et  demanda  son 
arrestation.  Aubanel  ne  trouva  pas  que  les  faits  fussent  suffi- 
samment prouvés  :  il  invoqua  l'ajournement.  Lofficial  cita ,  à  la 
déchaîne  de  Bô,  l'arrestation  par  lui  ordonnée  du  comité  révolu- 
tionnaire de  Nantes.  Le  décret  d'arrestation ,  appuyé  par  Blaviel , 
Legendre",  Thibault  et  Defermont ,  fut  prononcé.  —  Venant  aux 
inculpations  faites  à  Piorry ,  le  rapporteur  lut  une  lettre  écrite 
par  ce  député  à  la  société  populaire  de  Poitiers  ,  et  dans  laquelle 
il  disait  :  «  Je  vous  ai  obtenu  le  patriote  Ingrand  ;  avec  ce  bon 

»  b de  montagnard,  vous  pouvez  tout  faire,  tout  briser, 

1  tout  renverser ,  tout  incendier ,  tout  déporter ,  tout  guillotiner, 
»  tout  régénérer.  Ne  lui  laissez  pas  une  minute  de  patience  ;  que 
ï>  par  lui  tout  tremble ,  tout  croule ,  etc.  »  Le  rapporteur,  sur 
l'interpellation  de  Lesage ,  déclare  que  la  lettre  a  été  reconnue 
par  Piorry.  «  Eh  bien  !  s'écrie  LeSage,  je  demande  que  nous 
»  n'outragions  pas  la  décence  et  les  mœurs  par  une  discussion 
»  sur  la  question  de  savoir  si  ce  provocateur  à  l'assassinat  sera 
y  vomi  du  sein  de  la  Convention.  »  L'arrestation  fut  décrétée  à 
l'unanimité.  Le  rapporteur  continue  en  lisant  une  information 
faite  par  le  juge  de  paix  de  Reims  contre  Massieu.  Boissy  tr^j^uva 
.la  dénonciation  trop  vague,  pour  motiver  l'arrestation.  Baudin 
des  Ardennes ,  Roux  de  la  Marne ,  et  plusieurs  autres  membres 
accusèrent  Massieu  d'avoir  contribué  au  meurtre  de  la  municipa- 
lité de  Sedan.  Son  arrestation  fut  décrétée.  L'assemblée  eut  en- 
suite à  prononcer  sur  la  conduite  de  Chaudron-Rousseau ,  accusé, 
entre  autres  choses,  d'avoir  commis  un  assassinat  juridique  en  la 
personne  de  Pierre  Escales  aîné.  Elle  prononça  l'arrestation.  — 
La  séance  fut  terminée  par  la  lecture  des  accusations  portées  par 
les  autorités  constituées  du  déparlement  de  la  Nièvre  et  de  la 


iî2  COiNVENTlors    NAllOMALE. 

commune  de  Nevers,  contre  Laplanche,  Fouché  de  Nantes, 
Noël  Pointe  et  Lefiot.  —  La  Convention  entendit  séparément  les 
faits  imputes  à  chacun  d'eux.  Laplanche  était  accusé  d'actes  ar- 
bitraires, de  dilapidations,  et  d'avoir  invité  publiquement  les 
filles  à  se  livrer  au  libertinage ,  en  disant  que  la  République  avait 
besoin  d'enfans.  11  fut  décrété  d'arrestation. 

Le  9(^2:2)  au  soir,  le  rapporteur  du  comité  lit  l'exposé  des 
dénonciations  dirigées  contre   Fouché  de  Nantes ,  qui  écrivait 
aux  administraieut  s  de  la  Nièvre  :  t  Que  la  foudre  éclate  par 
»  humanité  î  Ayons  le  courage  de  marcher  sur  des  cadavres  , 
»  pour  arriver  à  la  liberté.  >  11  lut  ensuite  la  justification  du  pré- 
venu, et  cita  en  sa  faveur  un  fait  qui  lui  avait  mérité  i'animad- 
version  de  Robespierre.  —  Laurenceot  reprocha  à  Fouché  de 
n'avoir  rendu  aucun  compte  des  taxes  révolutionnaires  qu'il 
avait  imposées ,  et  qu'il  évaluait  à  plus  de  deux  millions ,  dans  la 
commune  de  Nevers  :  il  demanda  son  arrestation.  Legendre  et 
Tallien  prirent  sa  défense ,  et  assurèrent  que  Fouché  était  un 
des  élémens  de  la  journée  du  9  thermidor.  Ve:  neret  déclara  que, 
dans  le  déparlement  de  l'Allier ,  aucun  reproche  de  dilapidation 
n'avait  été  fait  à  Fouché.  Merlino  trouva  que  les  dénonciations 
faites  contre  son  colIè(;ue  étaient  en  contradiction  manifeste  avec 
ses  arrêtés  :  quaut  à  ces  dénonciations,  il  déclara  qu'un  citoyen , 
en  qui  il  avait  la  confiance  la  plus  méritée,  lui  avait  attesté  qu'à 
Nevers  elles  avaient  été  mendiées-et  payées,  et  qu'on  avait  battu 
la  caisse  pour  les  obtenir.  (Murmures.^  —  On  demanda  lecture 
des  arrêtés  de  Fouché.  Dans  l'un  d'eux  ,  ï'ouché  déclarait  qu'il 
ferait  arrêter  et  punir  comme  contre-révolutionnaires  les  pr^r- 
sonnes  qui  cacheraient    leur  argent.  —  Lesage  d'Eure-et-Loir 
prit  ensuite  la  parole.  Il  n'était  nullement  touché  de  ce  qu'avaient 
dit  TaHien  et  Legendre  :  «  Il  ne  faut,  s'écria-l-il  ,  faire  grâce  à 
»  aucun  des  brigands  de  l'ancienne  Montagne  :  vous  devez  em- 
»  pécher  qu'ils  ne  puissent  entrer  dans  le  corps  législatif  qui 
»  nous  succédera.  Je  demande  l'arrestation.  >  Boissy-d'Anglas  : 
•  Fouché  n'a  point  eu  de  part  au  î)  thermidor  :  cette  journée 
»  fut  trop  belle  pour  avoir  été  déshonorée  par  son  secours.  »> 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  15 

—  Fouclié  fut  décrété  d'arrestation,  à  une  grande  majorité. 
Lesage  s'étonna  qu'on  n'eût  pas  fait  mention,  le  rapport  étant 
terminé,  d'une  dénonciation  remise  par  Lofficial  contre  F ran- 
castel.  Lofficial  cita  quelques  passages  d'une  adresse  de  la  so- 
ciété populaire  d'Angers,  contre  Hentz  et  Francastel.  Rouzet de- 
manda le  renvoi  au  comité.  Lofficial  exigeait  que  ce  comité  fît 
son  rapport  sous  trois  jours.  Delaunay  d'Angers  et  Bézard  de- 
mandèrent qu'on  lui  laissât  le  temps  d'examiner  les  pièces.  — 
Thibault  :  «  Il  est  temps  de  terminer  la  tâche  pénible  que  nous 
»  remplissons;  il  faut  fermer  la  porte  à  tout  esprit  de  haine  et 

>  de  vengeance  :  je  demande  que  le  comité  se  borne  maintenant 
»  à  examiner  les  dénonciations  contre  Noël-Pointe,  Hentz  et 

>  Francastel.  »  Lecomte  s'opposa  à  cette  proposition  :  «  L'épu- 
»  ration  de  cette  assemblée,  dit-il,  est  loin  d'être  complète.  » 
(Murmures.)  Un  membre  :  «  Oui,  sans  doute,  si  Ton  en  veut 

>  expulser  les  républicains,  après  en  avoir  chassé  les  scélérats.  » 
Lecomte  s'expliqua ,  et  appela  l'attention  du  comité  sur  des  dé- 
nonciations contre  Cavaignac ,  dont  il  demanda  que  la  conduite 
fût  examinée.  Boissy  fit  observer  que  déjà  l'on  avait  passé  à 
l'ordre  du  jour  sur  les  inculpations  faites  à  Cavaignac,  et  qu'il 
serait  dangereux  de  revenir  deux  fois  sur  la  même  dénonciation  : 
quant  à  la  motion  de  Thibault ,  il  pensa  que,  si  on  l'adoptait ,  ce 
serait  annoncer,  en  quelque  sorte,  que  l'on  refuserait  désor- 
mais d'entendre  les  plaintes  et  de  rendre  justice.  Les  deux  pro- 
positions furent  rejeiées  par  la  question  préalable ,  et  le  comité 
de  législation  fut  chargé  de  faire  un  rapport  sur  la  conduite  des 
représentans  Francastel  et  Noël-Pointe.  Cette  décision  n'eut  pas 
de  suite. 

Dans  cette  nouvelle  liste  de  proscrits,  dressée  par  les  Giron- 
dins, c'était  toujours  le  même  mélange  de  toutes  les  nuances  ré- 
volutionnaires. A  quelques  obscurs  et  honnêtes  patriotes,  tels 
que  Massieu,  Chaudron-Rousseau  et  Lefiot,  se  trouvèrent  ac- 
colés d'insignes  hébertistes,  dont  la  plupart  avaient  été  thermi- 
doriens :  Ïjô  ,  Léquinio ,  Fouché.  Le  lecteur  a  un  exemple  de  ce 
que  Ton  pouvait  se  permettre  alors,  en  fait  d'aiseriions  njenson- 


14  CONVENTION    NATIONALE. 

(]ères,  dans  la  manière  dont  Boissy-d'Aiiglas  dépouille  Fouché 
de  sa  qualité  de  thermidorien.  Fouché  n'eût  pas  été  signalé  par 
Robespierre  et  ses  amis  comme  le  principal  meneur  de  la  coos- 
piraiion  dont  ils  furent  victimes,  que  le  témoignage  de  Legendre 
et  celui  de  Tallien  remjx)rteraienl  ici  sur  une  dénégaiiou  pure- 
ment littéraire  de  Boissy-d'Anglas.  Au  reste,  k  kéros  de  prai- 
rial en  agissait  assez  souvent  de  la  sorte;  à  la  séance  du  19  juil- 
let (1er  thermidor),  il  attribua  les  journées  qui  lui  ont  valu  une 
si  extraordinaire  renommée,  aux  intrigues  du  cabinet  de  Saint- 
James. 

£n  frappant  d  arrestation  dix  montagnai^ds  de  plus,  La  Con- 
vention acheva  d'encourager  les  royaUsles.  Us  répandirent  dans 
les  campagnes  une  proclamation  conçue  en  ces  termes  :  t  Peuple 
français,  reprends  ta  religion  et  ton  roi  légitime,  et  lu  auras  la 
paix  et  du  pain.  »  Chaque  jour  il  arrivait  à  Puris  des  émigrés. 
Madame  de  Staël  passait  pour  être  le  centre  de  toutes  les  corres- 
pondances et  de  toutes  les  manœuvres  des  royalistes  constitution- 
nels. La  rumeur  publique  était  telle  à  cet  égard ,  on  se  plaignait 
si  vivement  de  la  facilité  donnée  aux  contre-révolutionnaires  de 
venir  conspirer  jusque  sous  les  yeux  de  la  Gonvenlion,  qu'il 
fallut  enhn  prendre  des  mesures.  Le  iS  août  (4^»"  fructidor), 
Delaunay ,  au  nom  des  comités  réunis ,  présenta  un  projet  de 
décret  contre  les  émigrés.  Thibeaudeau  fit  observer  qu'il  existait 
des  lois  positives  ,  et  il  demanda  que  l'on  se  bornût  à  charger 
les  comités  de  laire  une  poli(*e  plus  attentive.  Génissieu  ,  Rouzet, 
el  Villetard ,  proposèrent  quelques  amendemens  au  projet  des 
comités.  Legendre  monta  ù  la  tribune  et  dit  :  «  N'affaiblissons 
point ,  par  d'inutiles  auiendemens  ,  le  projet  salutaire  qui  vous 
est  présenté.  J'invite  au  contraire  la  Convention  nationale  à  éten- 
dre sa  sévérité  sur  tous  ces  perlides  émigrés ,  qui  n'ayant  pu  dé- 
truire la  K^^publique  en  combattant  contre  elle,  sont  rentrés  dans 
son  territoire  pour  l'attacruer  d'une  manière  plus  sûre ,  par  la 
corruption  de  ses  délVnseurs,  et  pour  l'abîmer  dans  les  horrturs 
de  la  guerre  civile. 

»  Oui ,  citoyens ,  il  n  est  que  trop  vrai  que  les  émigrés  rentrent 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  "15 

de  toutes  parts  ;  et  nous  devons  nous  en  prendre  à  la  faiblesse 
d'un  gouvernement  trop  indulgent  pour  ces  assassins  de  la  pa- 
trie. On  m'assure  que  Malouet,  Jaucourt  et  beaucoup  d'autres 
de  celte  espèce ,  sont  à  Paris.  Ils  y  sont  rappelés  par  l'influence 
de  leur  plus  grande  protectrice  (1),  qui,  après  avoir  répandu  chez 
rétranger  un  écrit  en  leur  faveur,  est  passée  de  Suisse  à  Paris 
pour  consommer  apparemment  son  ouvrage. 

>  Je  dirai  plus ,  car  je  n*puis  rien  garder  sur  mon  cœur  :  je 
connais  des  membres  estimables  du  gouvernement,  dont  j'honore 
les  principes  et  les  inieniions,  qui  ont  eu  la  faiblesse  d'aller  dîner 
chez  cette  correspondante  des  émigrés.  Quand  ils  auraient  juré 
d'être  incorruptibles ,  me  répondront-ils  d'être  sourds  aux  sé- 
ductions de  ces  syrènes  enchanteresses?  Que  les  représenians  du 
peuple  dînent  en  famille ,  qu'ils  dînant  avec  leurs  collègues  et 
leurs  amis ,  niais  qu'ils  fuient  ces  banquets  où  l'on  cherche  à  ies 
corrompre.  Il  n'est  pas  un  membre  de  cette  assemblée  qui  n'ait 
reçu  des  invitations  fréquentes  d'aller  chez  cette  femme  dont  je 
me  défie;  j'en  ai  reçu  moi-même,  ainsi  que  mon  collègue  Dur 
mont  et  plusieurs  autres.  Sachons  résister  à  toutes  les  séductions; 
conservons  Le  gage  de  nos  assignats,  et  que  les  membres  du  gou- 
vernement se  souviennent  que  la  patrie  doit  passer  avant  tout , 
et  qu'ils  ne  doivent  se  livrer  aux  embrassemens  de  leurs  amis 
qu'après  avoir  consolidé  la  liberté.  >  (On  applaudit.) 

Garau  demanda  qu'aucun  prévenu  d'émigration ,  mis  avant 
le  51  mai  sur  des  listes ,  ne  pût  réclamer  sa  radiation ,  avant  de 
s'être  constitué  prisonnier.  Boissieu  etThibaudeau  combattirent 
foiteajent  cette  proposition  qui  fut  rejetée.  »^  La  Convention 
adopta  le  projet  de  ses  comités.  Les  émigrés  fure<  t  mis  sous  la 
surveillance  de  leur  municipalité,  tenus  de  sortir  de  Paris  dans 
trois  jours,  et  ol)ligé^  de  s'en  éloigner  de  dix  lieues  au  m  .>ins. 

C^ fut  à  la .séauce  du  20  août  (3  fructidor)  que  cummencèient 
les  di.scusôipni»  /oÙ  fut  n^tlcment  tra/cée  la  hgue  politique  que  les 
iheraii4oriens  rë/oluiionaaires  allaient  suivre  pour  se  sauver  eux- 

(t)  Legepdne  fait  ici  allusion  à  madame  de  Staél.         {^ote  îles  auteurs.) 


10  CONVENTION    NATIONALE. 

mêmes  (le  II  léaciion.  Us  seniaiem  bien  que  la  République  était 
pep;liie,  et  eux  avec  elle,  s'i's  livraient  la  constitution  qu'ils  ve- 
naient de  terminer  à  une  Ié{jislature  nouvelle.  Baudin  des  Ar- 
dences ,  au  nom  de  la  commission  des  Onze ,  avait  fait  un  rap- 
port sur  les  moyens  de  finir  la  révolution.  Le  plus  important  de 
ces  moyens  consistait  en  ce  que  les  deux  tiers  de  la  Convention 
devaient  entrer  dans  le  nouveau  corps  iégisiatil".  Le  20  août 
(5  fructidor),  Baudin  proposa  de  tharger  la  Convention  elle- 
même  de  choisir  les  cinq  cents  de  ses  membres,  par  qui  seraient 
formés  les  deux  tiers  dont  il  s'agit.  Ce  jour-là  les  débats  furent 
lon{;s  et  animés ,  sans  amener  aucun  résultat.  Le  21  (4),  il  fut 
décrété  que  les  assemblées  électorales  feraient  la  réélection.  Bau- 
din ne  présenta  que  le  lendemain  la  rédaction  définitive  du  dé- 
cret, ce  qui  lait  que  le  22  août  (5  fructidor)  en  est  la  date  offi- 
*  cielle.  Saladin ,  déjà  mêlé  aux  intrigues  des  sections  royalistes  , 
et  qui  sera  mis  en  arrestation  poar  sa  conduite  en  vendémiaire, 
essaya  de  réclamer  ;  mais  la  parole  lui  fut  refusée.  La  vive  oppo- 
sition ({n'organisaient  au  dehors  les  réacteurs  de  Paris  avait  dé- 
termine les  thermidoriens  révolutionnaires  à  rallier  les  patriotes, 
et  à  !eur  donner  le  signal.  Lorsque  Baudin  eut  fini  sa  lecture , 
Legendr  e  monta  à  la  tribune  et  dit  : 

Legendr c.  «  Je  demande  la  parole  pour  une  motion  d'ordre  ; 
mon  caractère ,  met  devoirs ,  ma  franchise  m'obligent  à  vous 
dire  Cîicore  quelquts  vérités  importantes.  J'invite  la  Convention 
nationale  à  jeter  des  regards  attentifs  sur  la  situation  actuelle  de 
la  Képubli(|ue.  On  assure  que  beaucoup  d'émigrés  rentrent  en 
France,  qu  ils  y  trouvent  un  asile,  qu'ils  y  trouveront  bientôt 
des def-jnseurs.  Déjà  (juelques  publicstes,  oubliant  les  leçons  de 
i'expiTience  ,  répandent  des  brochures  où  l'on  distingue  les  émi- 
{;iés  des  réfugiés;  les  uns,  disent-ils,  partis  dans  les  trois  pre- 
mières années,  doivent  être  à  jamais  bannis;  mais  les  autres,  en 
fuite  depuis  le  2  septembre ,  doivent  rentrer  dans  leur  pairie. 
Savez- voiis  à  quels  maux  vous  conduisent  de  pareils  principes? 
quoi  î  nous  rêver  rions  parmi  nous  des  hommes  qui  ont  porté  les 
anucs  couire  lu  Franc?.,,.  ISon  ,  citoyens,  si  les  émigrés  ren- 


RÉACTION   THERMIDORIKTNJSE.  17 

trent  en  France ,  ils  doivent  y  trouver  leur  tombeau ,  ou  ce  sol 
malheureux  doit  devenir  le  tombeau  de  la  République.  (  Toute 
l'assemblée  et  tous  les  citoyens  présens  :  «Ou;,  ils  l'y  trouveront.) — 
La  Fayette  ne  serait  donc,  à  vos  yeux,  qu'un  fugitif,  qu'un  ré- 
publicain persécuté?  Il  pourrait  venir  contempler  ie  Champ-de- 
3Iars,  oïl  il  a  fait  couler  le  sang  du  peuple!  Non,  il  faut  que  la 
Convention  se  prononce  ;  il  faut  qu  elle  défende  au  comité  de  lé- 
gislation de  prononcer  aucune  radiation  sur  la  liste  des  émigrés , 
que  la  constitution  ne  soit  solidement  établie.  »  (  On  applaudit.  ) 

Tallien  succéda  à  Legendre.  Il  attaqua  le  royalisme  avec  plus 
de  véhémence  encore  et  termina  ainsi  son  discours  ;  «  Citoyens, 
le  peuple  va  se  réunir  ;  garantissons-le  de  tous  les  pièges;  faisons 
un  appel  aux  patriotes  de  89 ,  aux  vieux  amis  de  la  révolution  : 
que  ce  soit  un  coup  de  tocsin  qui  donne  Téveil  au  peuple  contre 
les  charlatans ,  les  hypocrites  et  les  traîtres ,  ennemis  de  son 
bonheur  ;  il  faut  qu'enfin  la  liberté  lui  reste  ;  il  faut  que  le  règne 
des  lois  s'établisse  ;  il  faut  tromper  les  espérances  des  royalistes , 
et  accomplir  celles  des  braves  défenseurs  de  la  patrie,  qui ,  par 
tant  de  sacrifices ,  de  courage  et  de  sang ,  ont  élevé  et  cimenté 
l'édifice  de  la  république  française.  » 

Le  langage  des  députaiions,  que  nous  allons  voir  se  succéder 
à  la  barre ,  nous  montrera  quelles  étaient  les  dispositions  des 
sections  de  Paris ,  et  comment  elles  avaient  accueilli  le  décret  du 
cinq  fructidor.  Ce  n'était  pas ,  au  reste ,  leur  seul  grief.  Les 
royalistes  de  toute  nuance  avaient  fortement  blâmé  une  autre 
décision  de  l'assemblée ,  par  laquelle  l'acte  constitutionnel  devait 
être  proposé  à  l'acceptation  de  l'armée.  Les  hommes  qui  profes- 
saient, à  l'égard  des  soldats,  la  doctrine  de  l'obéissance  passive , 
regardèrent  comme  un  scandale  inouï  que  l'on  osât  leur  attribuer 
la  prérogative  du  fibre  arbitre.  Ce  qui  les  inquiétait  sérieuse- 
ment, c'est  que  l'armée  était  franchement  républicaine ,  et  que  là 
était  la  force  qui  vaincrait  la  réaciion  à  l'intérieur,  comme  elle 
avait  vaincu  au  dehors  la  coalition  étrangère.  Depuis  le  9  ther- 
midor l'armée  avait  été  appelée  à  résoudre  toutes  les  grandes 

questions  politiques,  et  chaque  nouveau  pas  vers  l'avenir  hâtait 
T.  xxxvn.  2 


17  CONVENTION    NATIONALE. 

i'avënement  d'un  pouvoir  militaire. —  Les  sections  avaient  en- 
core un  motif  de  plainte  (lui  les  touchait  de  plus  près.  Prévoyant 
que  les  ennemis  qui  l'entouraient  ne  tarderaient  pas  à  prendre 
les  armes  contre  elle,  la  Convention  avait  appelé  les  troupes  dont 
elle  pouvait  disposer,  et  les  tenait  prêtes  à  agir. 

Le  28  août.  (11  fructidor),  une  députalion  de  la  section  du  3Iail 
vint  manifester  ses  inquiétudes  au  sujet  de  la  force  armée  réunie 
autour  de  Paris  :  «Sommes-nous  assiégés,  dit  l'orateur,  ou  à  la 
veille  de  l'être?  La  garde  nationale  a-t-elle  démérité,  pour  qu'on 
l'environne  de  troupes?  > — Une  députation  de  la  section  des 
Champs-Elysées  présenta  ensuite  une  pétition  à  peu  près  sem- 
blable. Lacrelelle,  le  jeune ,  qui  en  était  l'orateur,  s'éleva  contre 
le  décret  qui  ordonnait  le  renouvellement,  par  tiers  seulement,  de 
la  Convention  nationale  :  il  invita  l'assemblée  à  calmer  les  alarmes 
quiseiépandiiient  sur  desmouvemens  de  troupes,  donl  on  assurait 
que  Paris  était  environné  :  «  11  ne  faut  pas,  dit-il,  qu'on  voie 
»  paraître  les  enseignes  de  la  terreur  (violens  murmures)  au 
»  miheu  de  ces  délibérations,  dans  lesquelles  le  peuple  va  exer- 
>  cer  sa  souveraineté.  La  carrière  qui  vous  reste  à  parcourir  est 
»  bien  courte  :  craignez  de  perdre  uu  seul  instant ,  et  venez  ensuite 
»  vous  présenter  aux  suffrages  du  peuple  ;  méritez  son  choix ,  et 
»  ne  le  commandez  pas  ».  (Nouveaux  murmures.  )  Le  président 
(Chénier)  répondit  à  chacune  des  députatioiis  que  la  Conven- 
tion saurait  triompher  de  toutes  les  factions  ;  qu'el'e  ne  laisserait 
pas  avilir  la  puissance  qu'elle  tenait  du  peuple  entier;  qu'avec  le 
peuple  elle  avait  fondJ  la  République;  qu'avec  le  peuple  elle  sau- 
rait la  maintenir  :  «  Lc:i  armées,  ajouta-t-il,  sont  aussi  une  por- 
»  tion  du  peuple;  et  les  seuls  ennemis  de  la  liberté  pourraient 
»  concevoir  des  défiances  contre  elles.  Déjà  les  braves  soldats  du 
»  camp,  sous  Paris,  ont  accepté  la  Conslifulion  républicaine.  » 
(  Vifs  applaudissemens.  ) 

Tallien,  Thibaudeau  et  Girod-Pouzol  relevèrent  successive- 
ment les  expressions  injurieuses  aux  défenseurs  de  la  patrie, 
aux  fondateurs  de  la  République,  et  demandèrent  l'impression 
des  pétitions,  ainsi  que  des  i  pponses  du  président ,  et  l'envoi  aux 


RÉACTION  THERMIDORIENNE.  19 

armées  et  aux  départemens.  (Décrété. )  —  DellevilIe  demanda 
que  l'assemblée  improuvât  formellement  ces  adresses.  (Adopté.) 
Mariette  annonça  que ,  la  veille ,  les  sections  n'étaient  composées 
que  de  douze ,  viogt  ou  trente  individus.  «  Voilà ,  dit-il,  ce  qu'on 
appelle  le  vœu  du  peuple  d  .  La  convention  décréta  que  cette  cir- 
constance serait  mentionnée  au  bulletin.  Une  députaiion  du 
camp  sous  Paris  fut  admise  à  la  fin  de  la  séance.  Elle  apportait 
le  vœu  unanime  des  généraux ,  officiers  et  soldats  pour  l'accep- 
tation de  la  Constitution  :  «Guerre  éternelle  à  l'anarchie,  dit 
»  l'orateur  en  terminant,  au  royalisme,  à  la  terreur;  mais  amour 
)»  éternel  à  la  République ,  respect  et  reconnaissance  à  ses  fonda- 
>  teurs'!  »  Jean  Debry  fit  décréter  l'insertion  de  cette  adresse  au 
bulletin,  et  l'orateur  de  la  députation  reçut  l'accolade  fraternelle, 
aux  cris  de  Vive  la  République  ! 

Le  lendemain,  la  section  du  faubourg  Montmartre  vint  aussi 
demander  le  rapport  du  décret ,  par  lequel  cinq  cents  membres 
du  corps  législatif  devaient  être  pris  dans  la  Convention.  11  fut 
répondu  à  ces  démarches  par  un  décret  du  30  août  (  15  fructidor) 
dans  lequel  était  réglée  la  mise  à  exécution  de  celui  du  22  (5). 
On  y  prescrivait,  aux  assemblées  électorales,  de  commencer 
leurs  opérations  par  élire  les  deux  tiers  de  la  Convention  ap- 
pelés au  corps  législatif. 

Ce  décret  redoubla  le  zèle  des  agitateurs  qui  fomentaient  dans 
la  capitale  une  insurrection  sectionnaire  contre  la  Convention. 
Au  nombre  des  principaux  figuraient  le  général  Miranda,  le  même 
dont  il  a  déjà  été  question  dans  notre  histoire;  le  général  Servan, 
Marchera ,  Lemaître ,  ancien  secrétaire  général  du  conseil  des 
finances;  Archamb eau,  avocat,  Laharpe, Quatremère  de  Quincy, 
Lacretelle,  le  jeune ,  Fiévée,  Cadel-Gassicourt ,  Langlois,  Riclier 
Serizy.  Rœderer  s'était  prononcé  aussi  contre  les  décrets. 

L'ouverture  des  assemblées  primaires,  pour  l'acceptation  de 
la  Constitution,  était  fixée  au  6  septembre  (20  fructidor).  La 
section  Lepelietier  employa  sa  première  séance  à  rédiger  le  ma- 
nifeste suivant  ; 


|20  CONVENTION    NATIONALE. 

Extrait  des  registres  des  délibérations  de  l'assemblée  p'imaire  de 

la  section  Lepelletier. 

«  Les  citoyens  de  la  section  Lepelletier,  réunis  en  assemblée 
primaire,  ont  arrêté  et  arrêtent  d'adopter  pour  eux,  et  de  com- 
muniquer aux  soixante-quatorze  autres  assemblées  primaires  de 
Paris,  l'acte  de  garantie  qui  suit  : 

»  Les  citoyens  de  Paris  ,  réunis  en  assemblées  primaires,  con- 
sidérant qu'à  l'instant  où  un  peuple  ressaisit  les  droits  de  la 
souveraineté  dont  il  avait  été  dépouillé  par  une  longue  tyrannie, 
le  premier  devoir  de  chacun  envers  tous  est  d'émettre ,  sans  au- 
cune espèce  de  crainte,  son  opinion  sur  les  moyens  de  salut  pu- 
blic ,  et  que  le  premier  devoir  de  tous  envers  chacun  ,  est  de 
lui  garantir,  de  toutes  leurs  forces  morales  et  physiques,  ce  droit 
imprescriptible  et  inviolable  de  la  liberté  la  plus  absolue  d'o- 
pinion ; 

»  Considérant  que  le  peuple,  assemblé  pour  délibérer  sur  ses 
lois  et  son  gouvernement,  ne  peut  et  ne  doit  être  influencé  par  au- 
cune espèce  d'autorité;  que  les  pouvoirs  de  tout  corps  constituant 
cessent  en  sa  présence;  (lu'attaquer,  en  quelque  temps  que  ce 
soit,  un  seul  citoyen  pour  son  opinion,  c'est  un  attentat  à  la 
souveraineté  du  peuple  ; 

»  Considérant  que  tout  droit  est  dérisoire  et  inutile,  s'il  n'est 
garanti  par  tous  envers  chacun,  qu'une  expérience  funeste  a 
trop  appris  avec  (luolle  impudeur  les  tyrans  saveut  se  jouer  de 
l'honneur,  de  la  liberté  et  de  la  vie  des  citoyens;  que  tous  les 
ciim;s  qui  ont  ensanglanté  le  sol  français ,  depuis  les  journées 
deseptempre  I79i,  sont  dus  en  partie  à  la  mollesse  des  gouver- 
nés qui  se  sont  trop  légèrement  conlii'S  à  la  vertu  des  gouvcr- 
nans,  et  qu'ils  résultent  surtout  de  l'isolement  où  chacun  s'est 
placé,  dans  la  fausse  espérance  d'échapper  au  coup  qui  fjappait 
son  voisin  ; 

»  Considérant  enfin  que  le  premier  besoin  de  tout  homme  en 
société  est  la  sûrelé  de  sa  personne  ; 


RÉACÏIOIN    TilEKiMlDOUlfclNNjE..  2[ 

»  Ont  arrêté  et  arrêtent  ce  qui  suit  : 

»  Tout  citoyen  a  droit  d'émettre  librement  son  opinion  sur  la 
constitution  présentée  à  Tscceptation  du  peuple,  comme  à  l'é- 
gard du  décret  du  5  fructidor  concernant  la  réélection  de  cinq 
cents  des  membres  de  la  Convention ,  et  généralement  sur  toutes 
ks  mesures  de  salut  public. 

»  A  cet  effet,  chaque  citoyen  en  particulier,  et  tous  les  citoyens 
de  Paris  en  général ,  sont  placés  sous  la  sauvegarde  spéciale  et 
immédiate  de  leurs  assemblées  primaires  et  respectives ,  et  des 
quarante-sept  autres  assemblées  primaires  de  cette  cité.  —  Signé, 
Gérard  de  Bury,  président;  Saint-Julien,  secrétaire. 

Golombel,  de  la  Meurthe,  au  nom  du  cofiûté  de  sûreté  géné- 
rale, communiqua  officiellement  celte  pièce  à  la  Convention  le 
lendemain ,  7  septembre  (  21  fructidor);  il  proposa  à  l'assemblée 
de  se  déclarer  en  permanence.  Après  un  débat  où  furent  enten- 
dus Defermont ,  Isabeau ,  Thibaudeau  ,  Génissieu et  Tallien,  ce 
dernier  fît  décréter  qu'il  y  aurait  séance  le  soir.  —  Ce  même 
jour  la  section  Lepeiletier  prit  un  arrêté  dont  la  teneur  suit  : 
«  La  section  Lepeiletier,  considérant  : 
»  Que  le  seul  moyen  de  faire  connaître  à  la  France  entière  les 
bcntimens  unanimes  des  citoyens  de  Paris,  est  de  réunir  qua- 
raiite-huit  commissaires  nommés  par  chacune  des  assemblées 
primaires,  et  de  charger  ces  commissaires  de  la  rédaction  d'une 
déclaration  authentique,  au  nom  de  tous  leurs  commettans; 

»  Arrête  que  cette  proposition  sera  faite  en  son  nom  ,  et  portée 
sur-le-champ  aux  quarante-sept  autres  sections.  » 

Daunou,  au  nom  des  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  gé- 
nérale, dénonça  ce  nouvel  arrêté  à  la  séance  du  soir,  et  fit  dé- 
créter que  les  citoyens  qui  se  réuniraient  en  comité  central , 
composé  de  commissaires  nommés  par  plusieurs  assemblées  pri- 
maires; et  ceux  qui,  sous  prétexte  de  missions  données  par 
une  assemblée  piimaire,  se  rendraient  d'une  commune  dans  une 
autre,  ou  auprès  des  corps  militaires,  seraient  déclarés  coupables 
d'attentat  comre  la  souveraineté  du  peuple.  —  Le  8  septembic 
(EU  frucUdor  )  plusieurs  çitoyciis  vinrent  se  plaindre  à  la  bane  de 


22  CONVENTION   NATIONALE. 

la  Convention  de  ce  que  les  intrigans  qui  menaient  les  sections 
de  Paris ,  les  avaient  exclus  des  assemblées  primaires.  Le  pré- 
sident Berlier  répondit  que  la  Convention  nationale,  ennemie  des 
assas  ins  et  des  brigands,  serait' toujours  l'asile  des  patriotes 
opprimés,  et  que  les  hommes  du  9  thermidor  n'abandonneraient 
pas  les  hommes  du  14  juillet  et  du  10  août.  Legendre  prit  la 
parole  ;  il  déclara  aux  aristocrates  et  aux  royalistes  que  s'ils  fai- 
saient un  mouvement  ils  étaient  perdus  :  il  invita  les  patriotes  à 
serrer  les  rangs,  à  tenir  une  conduite  sage,  à  employer  les  ar- 
mes de  la  raison;  «  et  si  celles-là  sont  insuffisantes,  on  en  em- 
»  ploiera  alors  de  plus  redoutables  >  (  Applaudissemens  ). 

Les  jours  suivans ,  des  plaintes  semblables  eurent  lieu  en  grand 
nombre.  C'était  chaque  fois  une  occasion  d'exciter  les  patriotes 
que  ne  laissèrent  pas  échapper  les  thermidoriens  redevenus  monta- 
gnards. Ils  prêchaient  l'union  entre  toutes  les  nuances  révolution- 
naires, avec  d'autant  plus  d'empressement,  que  presque  toutes 
les  sections  de  Paris  avaient  imité  celle  de  Lepelletier.  Le  15  sep- 
tembre (27  fructidor),  Dupont,  de  la  Comédie  Française,  orateur 
d'une  députation  de  la  section  du  Théâtre-Français ,  annonça  que 
l'assemblée  primaire  de  cette  section  avait  rejeté  aussi  les  décrets 
des.-i  et  13  fructidor  :  sur  deux  mille  cent  soixante  et  un  voîans, 
deux  mille  soixante-dix-huit  avaient  accepté  la  Constitution; 
soixante-trois  l'avaient  refusée;  neuf  avaient  voté  pour  un  roi; 
treize  avaient  accepté  en  même  temps  les  décrets. 

Après  avoir  présenté  ce  tableau,  Dupont  poursuivit  en  ces 
termes  ; 

t  Convention  nationale,  encore  quelques  jours,  et  la  vérité 
éclatera  !  tu  la  connaîtras ,  mais  trop  tard.  (  Murmures  d'indi- 
gnaMon. — Le  président  invite  au  calme  et  au  plus  profond  si- 
lence.) Tu  verras  s'il  valait  mieux  écouter  la  voix  de  tes  flat- 
teurs, que  celle  des  hommes  francs  qui  consentaient  à  oublier 
des  crimes.  Nous  sommes  chargés  de  lire  une  adresse ,  que  l'as- 
semblée primaire  trouvera  les  moyens  de  faire  circuler  dans  les 
déparleinens,  dans  les  armées  et  partout  où  elle  le  croira  néces- 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  25 

saire.  Quand  on  trompe  tout  !e  monde ,  on  mérite  d'être  trompé 
par  tout  la  monde.  » 

Thïbaiideau,  occupant  le  fauteuil.  «  La  Convention  ne  craint 
pas  îe  jour  de  la  vérité  ;  elle  appelle  de  ses  calomniateurs  au 
peuple  français  ;  elle  reçoit  le  vœu  de  l'assemblée  du  Thûtre- 
Français ,  je  vais  la  consulter  sur  la  lecture  de  l'adresse.  » 

La  Convention  passa  à  l'ordre  du  jour,  au  milieu  des  plus  vifs 
applaudissemens. 

M.  Thibeaudeau  nous  explique  ainsi,  dans  ses  mémoires,  le 
rôle  que  jouèrent  dans  ces  événemens  les  partis  conventionnels 
que  le  9  thermidor  avait  réunis.  Après  avoir  dit  qu'à  la  suite 
de  cette  journée  les  thermidoriens  avaient  quitté  la  Montagne , 
et  s'étaient  assis  au  côté  droit  avec  le  reste  des  Girondins, 
M.  Thibaudeau  ajoute  :  «  Le  crédit  des  chefs  thermidoriens  avait 
un  peu  baissé  déjà  par  la  rentrée  des  soixante-treize,  reparais- 
sant sur  la  scène ,  forts  de  l'intérêt  qu'inspirait  un  malheur  non 
mérité;  et  sans  la  révolte  des  sections  de  Paris,  qui  sépara  de 
nouveau  des  élémens  aussi  opposés,  Tallien  et  son  parti  se  se- 
raient éteints  avec  le  gouvernement  révolutionnaire. 

»  Outre  les  séances  de  la  Convention ,  où  les  thermidoriens  et 
les  soixante-treize  siégeaient  ensemble ,  ils  avaient  des  réunions 
chez  un  nommé  Fromalaguez,  qui  leur  donnait  à  dîner  une  ou 
deux  fois  par  semaine,-  j'y  fus  aussi  attiré.  Cet  homme-là  me  pa- 
raissait une  énigme  que  je  n'ai  jamais  bien  pu  m'exphquer.  Il  se 
mêlait,  je  crois,  de  banque  ;  je  ne  sais  s'il  n'était  pas  Espagnol , 
et  lié  des  affaires  avec  Lafond  Ladébat.  Il  avait  un  logement 
modeste  à  un  troisième  étage...  Il  venait  aussi  à  ces  dîners  des 
personnages  qui  n'étaient  pas  représenîans ,  entre  autres  les  gé- 
néraux Servan  et  Miranda ,  ce  dernier.  Espagnol  aventurier,  et 
son  compatriote  Marchéna,  écrivain  pohtique,  qui  courait  aussi 
les  aventures. 

>  La  conduite  des  sei:tions  de  Paris  mit  la  division  dans  cette 
réunion,  comme  dans  la  Convention.  Les  orateurs  sectionnaires 
portaient  aux  nues  les  soixante-treize;  et  confondaient  dans  leurs 


24  c;0NVEN110N  NATIONALE. 

menaces  et  leurs  oulrajjes  les  thermidoriens  et  la  Montagne. 
Dans  le  fait  on  en  voulait  à  la  Convention  tout  entière.  On  di- 
sait aux  Boissy  et  aux  Lanjuinais  :  Que  vous  importe  que  les  dé- 
crets des  5  et  15  fructidor  soient  acceptés?  S'ils  sont  rejetés, 
vous  serez  toujours  réélus  au  corps  législatif,  et  vous  serez  dé- 
barrassés de  cette  majorité  de  conventionnels  que  conservent  les 
décrets. 

»  Je  ne  donnai  point  dans  le  piège ,  je  ne  me  laissai  pas  sé- 
duire par  ces  éloges  dont  j'avais  aussi  ma  part,  et  je  ne  m'en 
élevai  pas  moins  avec  vigueur  contre  la  révolte  des  sections.  La 
plupart  des  soixante-treize  gardèrent  au  contraire  le  silence  : 
c'était  de  leur  pan  une  détection  ou  une  faiblesse.  Ils  devinrent 
dès  lors  suspects,  et  l'on  finit  par  les  accuser  de  complicité  avec 
les  sections.  Qu'il  y  en  eut  plusieurs  alors  de  vendus  à  la  royauté, 
c'est  ce  que  la  suite  a  prouvé  ;  mais  ceux  qui  ne  l'étaient  pascom- 
promeltaient  par  leur  l^usse  politique  la  sûreté  du  corps  dont  ils 
l'aisaieaî  partie,  et  l'existence  de  la  République;  car,  enfin,  si 
l'on  avait,  à  leur  exemple,  laissé  faire  les  sections  de  Paris,  la 
Convention  eût  été  égorgée,  ou  du  moins  décimée,  comme  au 
.jl  mai;  et  les  royalistes,  mnîtres  du  champ  de  bataille,  n'eus- 
sent certaintMiienl  pus  respecté  son  ouvrage. 

»  Ainsi ,  dans  le  coté  droit  de  l'assemblée ,  chacun  reprit  sa 
couleur  originelle;  les  soixante-treize  et  les  thermidoriens  s'atia- 
quaient  d'autant  plus,  qu'ils  siégeaient  encore  les  uns  près  des 
autres;  Daunou  et  Louvet  se  réunirent  aux  derniers  :  c'était  une 
véritable  confusion.  Louvet  était  entraîné  par  l'irritabilité  de  son 
caractère;  il  nous  proposait  chez  Fromalaguez  de  réarmer  les 
terroristes,  d'indiquer  un  point  de  reunion  aux  Patriotes  oppri- 
més ,  (le  former  enfin  une  société  de  Jacobins  y  sauf  à  la  dissoudre 
quand  on  n'en  aurait  plus  besoin L'influence  des  soixante- 
treize  diminuait,  celle  des  thermidoriens  augmentait Houx 

proposa,  le  4  vendémiaire  ( -(>  septembre),  sous  prétexte  de 
donner  plus  d'action  aux  comités ,  de  réduire  à  onze  le  nombre 
de  leurs  membres.  Tallien  renchérit  encore  et  demanda  la  créa- 
lion  d'une  commission  de  cinq  membres  chargés  spécialement 


KÉACTION    THERMIDORIENNE.  î2o 

de  la  surveillance  de  Paris.  —  A  la  tournure  que  prenaient  les 
choses,  il  me  parut  évident  que  les  thermidoriens  tendaient  à  s'em- 
parer de  tout  le  pouvoir,  et  leur  versatilité  était  loin  de  garantir 
qu'ils  n'en  abuseraient  pas.  >  M.  Thibeaudeau  termine  ce  passage 
en  disant  qu'il  fit  passer  à  l'ordre  du  jour  sur  la  proposition  de 
Taliien ,  et  que  celle  de  Roux  fut  renvoyée  à  la  commission  des 
Onze.  (Livre  cité ,  t.  i,  p.  197  et  suivantes). 

Les  propositions  de  Roux  et  Taliien  avaient  été  occasionnées 
par  les  mouvemens  séditieux  qui  avaient  éclaté  dans  les  premiers 
jours  de  vendémiaire.  A  la  séance  du  25  septembre  {l^^  vendé- 
miaire) ,  le  rapporteur  du  comité  des  décrels  ayant  proclamé  le 
résultat  des  voles  des  assemblées  primaires ,  il  s'était  trouvé  que 
sur  neuf  cent  cinquante -huii  mille  deux  cent  vingt-six  votans, 
neuf  cent  quatorze  mille  huit  cent  cinquante^rois  avaient  accepté 
la  Constitution  ,  et  quarante-un  mille  huit  cent  quatre-vingt- 
douze  mille  l'avaient  refusée.  Deux  cent  soixante-irois  mille  cent 
trente-un  votans  avaient  prononcé  sur  les  décrets  des  5  et 
13  fructidor;   cent  soixante  -  sept  mille  sept  cent  cinquante- 
huit  les  avaient  acceptés,  et  ils  avaient  été  rejetés  par  quatre- 
vingt-quinze  millfe  trois  cent  soixante-treize.  Le  président  de  la 
Convention  nationale  se  leva ,  ainsi  que  chacun  de  ses  membres , 
et  dit  :  <  Au  nom  du  peuple  français,  je  déclare  qu'il  a  accepté 
»  la  Constitution ,  et  je  la  proclame  loi  fondamentale  de  l'État.  » 
La  même  déclaration  eut  heu  pour  les  décrets  des  5  et  15  fruc- 
tidor, auxquels  les  assemblées  électorales  seraient  tenues  de  se 
conformer. 

Le  24  septembre  (2  vendémiaire) ,  il  y  eut  des  troubles  graves 
au  Palais-Royal.  Le  25  (5) ,  Delaunay  en  rendit  compte,  au  nom 
dcs  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale  «  Depuis  le 
l^r  vendémiaire,  dit-il,  époque  à  laquelle  vous  avez  proclamé, 
au  nom  du  peuple  français,  l'acceptation  de  la  Constitution  et  des 
décreis  des  5  et  15  fructidor,  i'intrigue  s'agite  pour  tout  embra- 
ser :  son  principal  foyer  est  au  palais  Égalité.  Là,  l'acceptation 
des  décrets  sur  la  réélection  des  deux  tiers  fait  continuellement 
l'objet  des  conversations  ;  dos  honfimcs  apostes  par  les  ennemis 


iàO  C0?<V£NT10iN   NATIONALE. 

de  la  chose  publique  y  prêchent  ouvertement  l'insubordination  à 
la  loi.  Des  {troupes  nombreux  se  forment,  et  les  orateurs,  stipen- 
diés par  rélranger,  blasphèment  contre  la  représentation  natio- 
nale ,  iûculpent  voire  comité  des  décrets  d'infidélité  ,  d'inexacti- 
tude et  de  prévarication.  Suivant  eux ,  le  rapport  qui  vous  a  été 
présenté  ne  contient  que  des  calculs  de  convention ,  et  la  majo- 
rité des  votes  n'est  pas  pour  les  décrets  des  5  et  15  fructidor.  Peu 
contens  d'établir  le  soupçon ,  ils  inquiètent  le  peuple  sur  ses  sub- 
sistances ,  se  disent  initiés  aux  opérations  du  gouvernement ,  et 
assurent  que  chaque  habitant  de  Paris  ne  peut  compter  que  sur 
deux  onces  de  pain  pendant  cet  hiver.  » 

Ce  mênicjour  le  Palais-Royal  fut  encore  en  fermentation.  On 
y  insulia  des  soldats ,  et  les  provocateurs  ayant  été  arrêtés ,  trois 
coups  de  feu,  dont  l'un  blessa  un  grenadier  de  la  Convention, 
furent  tirés  sur  la  force  armée.  Des  groupes  déjeunes  gens  par- 
coururent les  rues,  en  criant  :  A  bas  les  deux  tiers!  La  Conven- 
tion chargea  les  représeutans  ayant  la  direction  de  la  force 
armée ,  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  assurer  la  tran- 
quillité publique.  Après  ce  décret ,  Perrin  des  Vosges  prit  la  pa- 
role pour  annoncer  qu'une  députation  de  la  «ection  du  Mont- 
Blanc,  s'étant  présentée  à  celle  de  Popincourt  (faubourg  Saiut- 
Anioine),  et  ayant  dit  qu'on  tirait  sur  le  peuple  :  <  Si  cela  est 

>  vrai ,  répondit  celle-ci ,  ce  ne  peut  être  que  sur  des  royahstes , 

>  et  nous  allons  lever  notre  séance  pour  en  faire  autant.  »  (  Ap- 
p'audisscmcns). 

Le î27 septembre  (5  vendémiaire) ,  la  section  des  Quinze-Viiîgts 
envoya  une  députation  à  la  barre  de  l'assemblée.  L'adresse  des 
vair.cus  de  prairial  était  une  protestation  de  leur  dévouement  à  la 
représentation  nationale.  Barras ,  après  avoir  applaudi  «  aux  sen- 
limens  des  habitans  de  la  section  des  Quinze-Vingts ,  demanda 
qu'il  fût  pris  des  mesures  contre  les  séditieux  et  les  journalistes , 
et  termina  par  annoncer  rarrc^taiion  de  l'ex-marquis  de  Monta- 
rain  ,  qui  avait  distribué  des  cartouches  aux  jeunes  gens ,  sous  le 
nom  de  Guillot  ».  Talot  demanda  la  création  d'uo  conseil  de 
guerre  a  Paris,  pour  y  juger  les  chouans  cl  les  émigrés  qui  y  se- 


RÉACTION    THERMlDORlENiNE.  27 

raient  arrêtés.  Tallien  fit  adopter  l'ordre  du  jour  sur  cette  pro- 
position :  il  déclara  que  le  général  Saint-Cyr  lui  avait  dit  avoir 
reconnu ,  au  Palais-Égalité,  plus  de  quarante  chefs  de  chouans , 
qu'il  avait  vus  dans  l'Ouest. 

Le  29  (7) ,  le  président  de  la  Convention,  (Baudin  des  Arden- 
nes  ) ,  refusa  d'admettre  des  citoyens  porteurs  d'un  écrit  intitulé  ; 
Déclarution  à  la  représentation  nationale ,  au  nom  de  la  majorité 
(les  assemblées  primaires  de  Paris ,  signée  des  commissaires  de  ces  . 
assemblées. 

Le  2  octobre  (10  vendémiaire),  la  Convention  fixa  ,  par  un 
décret,  l'ouverture  des  séances  du  corps  législatif,  au  27  octo- 
bre (3  brumaire).  Immédiatement  après,  Portier  de  l'Oise  fit 
adopter  un  projet  de  fête  funèbre  «  en  l'honneur  des  amis  de  la 
liberté,  morts  sous  le  régime  décemviral.  »  Elle  fut  décrétée 
pour  le  lendemain.  Les  députés  se  rendirent  au  lieu  des  séances 
ayant  un  crêpe  au  bras.  La  salle  était  décorée  d'attributs  et  d'in- 
scriptions funéraires.  Au  moment  où  la  cérémonie  allait  com- 
mencer ,  des  citoyens  de  Valenciennes  entrèrent  dans  la  barre 
pour  se  plaindre  à  l'assemblée  de  ce  qu'elle  laissait  «  usurper  la 
souveraineté  nationale  par  trois  mille  faquins  qui  agitaient  les 
sections  de  Paris.  »  Une  courte  discussion  s'engagea  pour  savoir 
si  la  fête  serait  ajournée.  Tallien  parut  à  la  tribune  après  Dus- 
sault,  Thibaudeau  et  Le  Hardy,  et  s'exprima  ainsi  :  «  Hier,  je 
voulais  m'opposer  à  cette  fête  ;  mais  puisque  tout  est  préparé ,  il 
serait  indigne  de  la  Convention  de  ne  pas  la  célébrer.  C'est  dans 
cette  solennité  que  nous  retremperions  nos  âmes  ,  s'il  était  néces- 
saire. Je  veux  pleurer  sur  les  mânes  des  Vergniaud,  des  Condor- 
cet,  des  Camille  Desmoulins,  avant  de  marcher  contre  ceux  qui 
disputent  de  puissance  avec  la  Convention.  Tirons  ensuite  le 
glaive  ;  les  bataillons  se  formeront  ici ,  c'est  d'ici  qu^  nous  parti- 
rons pour  combattre  la  nouvelle  horde  de  Charrette.  »  (Vifs  ap- 
plaudissemens.)  —  La  fête  fut  continuée.  Le  conservatoire  de 
Musique  exécuta  un  chant  funèbre ,  qui  sembla  produire ,  dit  le 
Moniteur,  sur  les  députés  et  sur  les  spectateurs,  une  piofonde 
impression.  Peu  d'instants  après,  Daunou  fit  un  rapport  sur  l'in- 


^S  CONVENTION    NATIONALE. 

surieciion  qui  se  préparait.  Il  (ut  l'arrêlé  suivant,  pris  par  la  sec- 
tion Lepelletier. 

<  Les  assemblées  primaires  de  Paris,  considérant  qu'au  terme 
de  la  nouvelle  constitution ,  la  convocation  des  assemblées  elec" 
torales  doit  être  faite  vingt  jours  après  celles  des  assemblées  pri- 
maires; que  déjà  ce  terme  est  passé ,  et  que  les  circonstances  ac- 
tuelles exigent  impérieusement  la  plus  prompte  formation  du 
nouveau  corps  législatif  ;  que  cette  formation  dépend  des  opéra- 
tions des  électeurs  chargés  de  choisir  les  nouveaux  mandataires  ; 

»  Considérant  que  le  terme  de  dix  jours ,  que  la  Convention  a 
prétendu  marquer  entre  la  clôture  des  assemblées  primaires  et  la 
convocation  des  corps  électoraux ,  ne  tend  qu'à  se  ménager  les 
moyens  d'en  reculer  le  terme,  d'ajourner  la  Constitution  accep- 
tée par  le  peuple  entier,  de  prolonger  le  gouvernement  révolu- 
tionnaire, de  diviser,  séduire  et  terrifier  les  électeurs; 

»  Considérant  que  les  exemples  fréq^uers  donnés  jusqu'à  ce 
jour  de  l'usurpation  doivent  faire  présumer  de  nouveaux  atten- 
tats; 

»  Considérant  que  l'on  a  déjàemployé  la  violence  pour  dissoud  re 
les  assemblées  primaires  de  plusieurs  cantons  de  départemens  ; 
que  le  sang  a  coulé  à  Dreux,  à  Nonancourt  et  à  Verneuil  ;  que  des 
présidons  et  secrétaires  et  autres  membres  du  souverain  y  ont 
été  égorgés  ou  plongés  dans  les  cachois,  que  deux  électeurs  de 
Dreux  ont  été  ignominieusement  traînes  dans  une  charrette  de- 
vant un  tribunal  mihiaire  établi  à  Chai  très  ; 

»  Considérant  qu'un  de  ces  électeurs  est  un  des  commissaires 
qui  avaient  été  envoyés  pour  fraterniser  avec  les  Parisiens  ;  qu  il 
n'ebt  pas  douteux  que  le  grand  crime  de  la  commune  de  Dreux 
aux  yeux  des  usurpateurs  est  d'avoir  osé  tétnoiguer  les  senii- 
mens  de  fraternité  aux  habiians  de  notre  comuiune,  et  surtout 
d'avoir  dénoncé  les  menées  odieuses  du  gouvernemeni  dilapida- 
teur  sur  la  subsistance  du  peuple,  les  moyens  qu'employaient  ses 
agens  pour  faire  hausser  le  prix  des  grains ,  et  d'en  avoir  pro- 
posé à  meilleur  compte  aux  assemblées  primaires  de  Paris  ; 

»  Considérant  qu'il  est  coiisianl  que  c'est  à  rimpcrilic  et  au 


RÉACTION    THEiUllDORIENINE.  29 

brigandage  des  gouvernans  actuels  que  nous  avons  été  redeva- 
bles de  la  disette  et  de  tous  les  maux  qui  l'ont  accompagnée; 

»  Considérant  que  le  seul  moyen  de  faire  cesser  ces  fléaux  et 
d'en  prévenir  le  retour ,  est  d'organiser  sans  délai  la  nouvelle 
Constitution  ;  que  cette  organisation  dépend  de  la  nomination  des 
députés  au  nouveau  corps  législatif ,  et  qu'en  conséquence  toute 
mesure,  qualifiée  du  nom  de  loi,  tendante  à  retarder  les  opéra- 
tions des  électeurs ,  serait  destructive  de  l'ordre  social ,  et  doit 
être  regardée  comme  nulle  et  non-avenue  ; 

»  Considérant  que  tous  les  caractères  de  la  tyrannie  se  déve- 
loppent ;  que  tous  les  moyens  de  terreur  sont  prodigués ,  et  que 
le  décret  rendu  pour  ne  convoquer  que  le  20  les  assemblées  élec- 
torales, décèle  évidemment  l'intention  de  renouveler  à  Paris  les 
scènes  de  Dreux  ; 

B  Considérant  enfin  qu'il  est  temps  que  le  peuple  songe  lui- 
même  à  son  salut,  puisqu'il  est  trompé,  trahi ,  égorgé  par  ceux 
qui  sont  chargés  de  ses  intérêts,  arrêtent  : 

«  Art.  I^"^.  Demain  11 ,  à  dix  heures  du  matin ,  sans  nul  délai , 
les  électeurs  de  toutes  les  assemblées  primaires  de  Paris  se  réuni- 
ront dans  la  salle  du  Théâtre-Français. 

»  Les  assemblées,,  dont  les  électeurs  ne  sont  pas  en  nombre,  y 
enven  oui  ceux  qui  sont  déjà  nommés,  et  bâteront  la  nomination 
(les  autres  autant  que  possible. 

»  II.  Aussitôt  que  les  électeurs  seront  assemblés ,  ils  en  donne- 
ront avis  aux  assemblées  primaires  des  cantons  ruraux  du  dépar- 
tement. 

»  m.  Chaque  assemblée  primaire  ouvrira  demain  la  séance  à 
sept  heures  du  matin,  et  là  les  électeurs  feront  serment  entre  les 
mains  de  leurs  commettans,  de  les  défendre  jusqu'à  la  mort,  et 
les  commettans  jureront,  à  leur  tour,  de  défendre  jusqu'à  la 
mort  leurs  électeurs,  tant  qu'ils  rempliront  fidèlement  leurs 
devoirs. 

»  IV.  Chaque  assemblée  primaire  prendra  les  mesures  néces- 
saires, pour  que  les  électeurs  sortent  accompagnés  jusqu'au 


30  CONVENTION   NATIONALE. 

Théaire-Françuis  par  une  force  armée ,  capable  d'assurer  leur 
marche. 

>  V.  Dans  le  cas  où  la  tyrannie  csrrait  empêcher  les  électeurs 
de  s'assembler  au  lieu  indiqué,  ils  se  retireront  dans  leurs  assem- 
blées respectives,  et  là,  ils  aviseront  au  moyen  de  s'entendre  avec 
toutes  les  assemblées  primaires  de  Paris,  poqr  indiquer  un  antre 
local. 

»  VI.  Les  assemblées  primaires  de  Paris  jurent  que,  refj^ardant 
cette  mesure  comme  la  seule  qui  puisse  sauver  la  patrie ,  en  met- 
tant promptement  en  activité  la  Constitution  républicaine ,  elles 
ne  désempareront  pas  leurs  séances  de  demain,  que  le  corps  élec- 
toral ne  soit  définitivement  installé.  > 

Daunou  proposa  et  l'assemblée  décréta ,  après  une  léfjère  dis- 
cussion, que  les  assemblées  primaires  de  Paris  ne  pourraient  point 
se  réunir  passé  le  7  octobre  (15  vendémiaire) ,  et  elle  fixa  au  H 
(20),  Touveiture  des  assemblées  électorales,  pour  toute  la  France. 
Un  dernier  disposiiif  cassait  les  actes  quelconques  en  opposition 
avec  ce  décret,  qui  fut  proclamé  aussitôt  dans  le  département  de 
la  Seine.  Beniabole,  Hardy,  Barras  et  Defermont,  firent  ensuite 
prononcer  lu  permanence  de  l'assemblée,  et  la  fête  funèbre  fut 
achevée. 

Pendant  que  la  Convention  chantait  des  hymnes  «  eu  l'honneur 
des  victimes  du  ré{jime  décemviral  »,  les  sectionnaircs  ajjissaient. 
Les  électeurs  déjà  nommas  s'étaient  réunis  au  nombre  de  cent 
dans  la  salle  du  Théâtre-Français  (Odéon),  sous  la  présidence  du 
vieux  duc  de  Nivernais,  qui,  lorsqu'on  alla  le  chercher  chez  lui , 
pour  le  conduire  à  cette  assemblée ,  dit  :  «  Vous  me  menez  à  !a 
mort.  »  (Mémoires  de  M,  Thibaudeau,  t.  i,  p.  !208.)  Les  ma^jis- 
trais  charj^cs  de  proclamer  le  décret  du  malin  arrivèrent  de  nuit 
sur  la  place  du  Théâtre-Français.  Aussitôt  la  foule  sortit  de  la 
salle,  et  s'opposa  à  la  pi  oclamation  ;  les  flambeaux  furent  éteints, 
et  les  mn{;istrais  disperses  au  milieu  des  huées  eldes  cris  de  toute 
espèce.  Les  comités  envoyèrent  immcdiatemonl  un  corps  d(^  trou- 
pes pour  s'assurer  de  la  personne  des  électeurs,  mais  il  n'en  était 
pas  resté  un  seul. 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  31 

Un  témoin  oculaire  des  évënemeriS  de  cette  époque ,  en  trace 
ainsi  le  caractère  :  «  Paris  offrait  alors  à  l'observateur  des  pas- 
sions publiques  un  contrasle  frappant  entre  l'agitation  des  partis 
et  la  tranquille  indifférence  du  peuple.  Les  corps  délibérans 
étaient  en  guerre  ouverte ,  et  tout  allait  dans  la  ville  comme  au- 
paravant. Celte  époque  rappelait  celle  de  la  Fronde,  lorsqu'on  sor- 
tait des  bals  et  des  soupers  pour  aller  se  battre  dans  les  faubourgs 
ou  dans  les  plaines  de  la  banlieue,  et  que  les  adversaires,  se  re- 
trouvant le  soir  dans  les  cercles^  se  racontaient  leurs  exploits  de 
la  journée.  > 

C'est  là  une  peinture  assez  exacte  de  la  physionoinie  que  con- 
serva la  capitale  durant  les  dernières  luttes  soutenues  par  la  Con- 
vention ;  mais  la  moralité  des  faits  n'y  est  point  appréciera  La 
foule  se  montra  indifférente,  dans  les  quartiers  aisés.  Là,  les  mar- 
chands et  les  gens  d'affaires  ne  se  détournèrent  pas  de  leurs  oc- 
cupations; il  n'en  fut  pas  ainsi  dans  les  quartiers  pauvres.  Quoique 
sur  la  scène  politique,  il  n'y  eût  plus  que  des  intérêts  en  présence, 
ce  qui  restait  des  insurgés  de  prairial  n'hésita  pas  à  se  ranger  du 
côté  des  iniéréts  qui  se  couvraient  des  mots  de  patrie,  de  répu- 
blique et  de  révolution. 

Les  manifestes  qu'échangèrent  alors  les  parties  belligérantes , 
offrirent  ceci  de  remarquable  que,  pris  ensemble,  ils  étaient 
l'exacte  reproduction  de  tous  les  griefs  renfermés  dans  l'acte  cTiu- 
surrection  du  peuple,  pour  obtenir  du  pain  et  reconquérir  ses  droïls 
(voir  la  séance  dii  1^^  prairial).  Les  thermidoriens  parlaient  à  cette 
heure  de  l'oppression  des  patriotes,  des  horreurs  de  la  réaction  , 
et  des  conspirateurs  royalistes ,  dans  les  mêmes  termes  que  les 
hommes  de  germinal  et  de  prairial.  D'un  autre  côté  ,  la  section 
Lepelleiier  disait,  dans  l'arrêté  que  nous  venons  de  citer  :  «  Con- 
sidérant qu'il  est  constant  que  c'est  à  l'impéritie  et  au  brigandage 
d*  s  gouvernans  actuels,  que  nous  avons  été  redevables  delà 
disette  et  de  tous  les  maux  qui  l'ont  accompagnée....  »  Ainsi  les 
ennemis  que  le  peuple  avait  attaqués  en  prairial ,  divisés  main- 
tenant et  armés  les  utis  contre  ks autres,  ne  se  reprochaient  que 
ce  qui  leur  avait  été  reproché ,  et  justifiaient  par  là  l'accusât  ion 


O"!  CONVENTION    NATIONALE. 

commune  dont  ils  avaient  été  l'objet  quatre  mois  auparavant. 
Le  lun(]age  dont  se  servirent  les  thermidoriens  pour  exciier  les 
révolutionnaires  en  leur  faveur,  mérite  aussi  que  nous  nous  y  ar- 
rêtions. Dans  le  rapport  qu'il  fit  à  la  séance  du  3  octobre  (11  ven- 
démiaire). Daunou  se  récria  sur  la  prétention  des  Parisiens  qui 
s'obstinaient  à  voir  toute  la  France  dans  leur  ville  :  e  La  souverai- 
neté nationale,  dit-il,  ne  sera  {jaraniie  que  le  jour  où  les  Parisiens 

seront  enfin  désabusés  de  ce  préjugé Laissons  aux  royalistes 

ratïreuse  initiative  de  la  guerre  civile;  que  la  foule  des  bons  ci- 
toyens accoure.  Patriotes  de  89,  homnaes  du  14  juillet,  vainqueurs 
du  10  août,  victimes  du  51  mai,  libérateurs  du  9  thermidor,  ve- 
nez tous  ;  placez-vous  dans  les  rangs  des  vainqueurs  de  Fleurus.  » 
Quoique  convoqués  très-explicitement  au  nom  de  la  doctrine  des 
ennemis  de  l'unité  et  de  la  centralisation,  les  vieux  jacobins  des 
faubourgs  accoururent  à  la  voix  des  fédéralistes,  des  victimes  du 
51  mai  j  et  des  libérateurs  du  9  thermidor.  Les  amis  sincères  de  la 
réforme  sociale,  relevés  un  instant  par  l'espérance,  se  dévouèrent, 
sans  délibérer;  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  convaincre  qu'ils 
avaient  encore  une  fois  pris  les  armes  pour  assurer  une  proie  aux 
intrigans.  Les  journéesde  vendémiaire  furent  une  preuve  de  plus, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  les  destinées  de  la  France 
passci  aient  bientôt  dans  les  mains  d'un  pouvoir  niiliiaire,  et  elles 
servirent  de  premier  échelon  à  l'homme  de  ce  pouvoir.  Elles  com- 
metuèrent,  enef(et,  la  grande  réputation  du  général  Bonaparte, 
(|ui  exploita  plus  tard  le  dévouement  de  l'armée,  de  la  même  ma- 
nière (jue  les  thermidoriens  avaient  exploité  le  dévouement  du 
peuple.  —  Le  récit  des  faits  est  dans  les  deux  rapports  suivans  : 

Hai'POut  sur  les  évéucmens  des  5,  4 ,  5  e/  G  octobre  (  M  ,  i2\ùci 
W  vendémiaire) ,  fait  par  Merlin  (  de  Douai  )  au  nom  des  co' 
mités  de  saint  public  et  de  sûreté  (jénérale.  —  Du  14  vendé- 
miaire mi  4  ({j octobre  1795  ). 

a  r»eprésentans  du  j^eupie,  la  victoire  éclatante  que  la  Hépu- 
l)lique  vient  de  remporter  sur  le  royalisme  et  l'anarchie,  coalisés 
ronire  cllr  ,  n'rsi  pas  seulement  une  des  époques  les  plus  glo- 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  35 

rieuses  de  la  révolution  ;  elle  est  encore  par  ses  résultats  la  plus 
heureuse  de  toutes ,  puisqu'elle  doit  amener  enfin  le  règne  des 
lois,  et  terminer  la  révolution  elle-même. 

»  Il  importe  sans  doute  sous  ce  rapport  d'en  conserver  à  l'his- 
toire toutes  les  circonstances  ;  mais  il  n'importe  pas  moins  en  ce 
moment  à  la  tranquillité  générale  de  la  République  d'instruire 
promptement  la  nation  des  horribles  excès  auxquels  des  scélérats 
éhontés  viennent  de  se  livrer  contre  la  représentation  nationale, 
et  des  mesures  lentes ,  humaines  et  vraiment  paternelles  que 
vous  vous  êtes  contentés  d'y  opposer  jusqu'à  l'explosion  qui  vient 
d'éclater. 

et 

»  Le  rapport  que  vous  ont  fait,  le  11  de  ce  mois,  vos  comités 
de  salut  public  et  de  sûreté  générale ,  vous  a  présenté  le  tableau 
des  attentats  qui  jusqu'alors  avaient  été  commis  contre  la  souve- 
raineté nationale  par  un  grand  nombre  d'assemblées  primaires 
de  Paris,  dans  lesquelles  des  royalistes  effrénés,  des  prêtres  re- 
belles à  la  loi ,  et  condamnés  comme  tels  à  la  déportation ,  des 
émigrés  même ,  avaient  par  l'audace  de  leur  scélératesse  acquis 
un  ascendant  devenu  en  quelque  sorte  irrésistible. 

))  Le  principal  objet  de  ce  rapport  était  de  dissoudre  un  ras- 
semblement d'électeurs  qui  s'était  formé  dans  la  section  du  Théâ- 
tre-Français ,  en  exécution  des  arrêtés  de  leurs  assemblées  pri- 
maires respectives.  • 

»  Ce  rassemblement  était  à  la  fois  illégal  et  prématuré  : 

»  Illégal  en  ce  qu'il  n'appartenait  pas  à  quelques  assemblées 
primaires  de  désigner  le  lieu  ni  l'époque  de  la  réunion  des  élec- 
teurs nommés  par  plusieurs  autres .  assemblées  investies  des 
mêmes  pouvoirs,  et  qui  n'avaient  ni  pris  part  ni  adhéré  à  leurs 
délibérations  ; 

B  Prématuré  en  ce  qu'aux  termes  de  la  loi  du  1^"^  vendémiaire 
les  assemblées  électorales  ne  peuvent  se  former  avant  le  20  de 
ce  mois. 

}>  Vous  avez ,  en  conséquence ,  au  nom  du  peuple  français ,  or- 
donné à  ces  électeurs  de  se  séparer  à  l'instant,  îous  peine  d'être 

T.    XXXVIT.  ^ 


54  CONVENTION   NATIONALE. 

poursuivis  comme  coupables  d'attentat  à  la  souveraineté  natio- 
njàle  et  à  la  sûreté  intérieure  de  Ja  République,  et  vous  avez  ex- 
pressément chargé  vos  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  géné- 
rale de  vous  rendre  compte,  séance  tenante,  de  l'exécution  de 
votre  décret. 

*  En  même  temps,  entraînés  par  votre  humanité,  jusqu'à  vous 
aveugler  pour  ainsi  dire  vous-mêmes  sur  les  intentions  des  plus 
cruels  ennemis  de  la  République ,  vous  vous  êtes  eflx)rcés  de  ne 
voir  en  eux  que  des  hommes  égarés ,  et  vous  avez  proclamé  un 
oubli  général  du  passé. 

>  Je  dois  rappeler  ici  les  propres  termes  de  votre  décret,  parc^ 
qu*il  fera  à  jamais  la  honte  et  le  désespoir  (îes  monstres  qui,  hier 
encore ,  vous  peignaient  comme  des  hommes  de  sang  ; 

t  La  Convention  nationale ,  toujours  pénétrée  des  obligations 

>  d'un  gouvernejnent  paternel,  mais  en  même  temps  invaria- 
»  blement  décidée  à  faire  respecter  la  loi,  et  punir  ses  infracteur^, 
»  déclare  qu'il  ne  sera  fait  aucune  recherche  ni  poursuite  contre 
»  ceux  gui  jusqu'à  ce  jour  se  sont  laissé  entraîner  à  des  mesures 
»  illégales  à  l'occasion  des  assemblées  tenues  en  celte  commune; 
»  elle  invite  tous  les  citoyens  à  l'union  et  au  calme,  et  appelle 

>  pour  faire  cesser  l'anarchie  le  concours  de  tous  les  amis  de 
»  lu  Répubhquc  ;  elle  recommande  aux  habitans  de  Paris  de  se 
»  tenir  en  garde  contre  îcs  ipanœuvres  perfides  de  quelques 

»  instigateurs  qui  voudraient  les  rendre  solidaires,  de  leurs 
»  excès.  » 

»  Ce  décret  bienfaisant  a  fait  naître  dans  le  cœur  de  tous  les 
amis  de  la  paix  et  du  bon  ordre  la  touchante  espérance  de  voir 
enfin  les  assemblées  primaires  et  leurs  électeurs  rentrer  dans  le 
devoir,  et  rendre  le  calme  à  celte  grande  commune  ;  mais  que 
peuvent  les  ^ux  des  hommes  de  bien  contre  les  attentats  du 
crime  ! 

>  A  peine  votre  décret  (;tait-il  rendu,  que  vos  comités  de^alut 
public  et  de  sûreté  générale ,  chargés  spécialement  d'en  surveil- 
ler et  activer  Texécution ,  ont  pris  un  arréié  pour  le  faii  e  pro- 
clamer avec  solennité  par  le  directoire  du  département  de  !a 


RÉACTION  THERMIDORIENNE.  '  55 

Seine.  La  proclamation  a  commencé  par  la  section  du  Théâtre- 
Français  ;  elle  s'y  est  faite  devant  la  porte  de  l'édifice  même  qui 
servait  de  rendez-vous  à  des  électeurs  réunis  à  un  nombre  que 
les  uns  portent  à  soixante ,  d'autres  à  quatre-vingts  ;  et  comme 
les  conspirateurs  avaient  eu  soin  d'y  aposter  une  multitude  de 
leurs  agens  ou  complices ,  indépendamment  de  la  force  armée 
sectionnaire  qui  protégeait  le  conciliabule  électoral ,  on  ne  sera 
pas  étonné  d'apprendre  que  les  proclamateurs ,  quoique  escortés 
par  six  dragons,  furent  couverts  de  huées,  et  qu*en  se  retirant 
ils  furent  poursuivis  jusqu'au  Pont-Neuf  par  des  clameurs  sédi- 
tieuses. 

•  Il  n'est  peut-être  pas  inutile  de  remarquer  qu'au-  milieu  de 
ces  clameurs  il  s'élevait  fréquemment  des  cris  de  Vivent  les  drU' 
gons!  ce  qui  prouverait  suffisamment,  si  l'on  manquait  d'autres 
faits  pour,  le  prouver,  que  les  ennemis  de  la  Répubhque  cher- 
chaient à  séparer  ses  défenseurs  d'avec  ses  représeniansc  Mais 
des  républicains  ne  se  laissent  pas  plus  égarer  par  les  flagorne- 
ries, qu'intimider  par  les  menaces  des  royalistes  ;  les  cris  de  Vi- 
vent les  dragons!  n'inspirèrent  aux  braves  militaires  qui  accom- 
pagnaient les  administrateurs  du  département  que  le  mépris  et 
l'indignation. 

■  « 

*  Sur  le  compte  qui  fut  rendu  à  vos  comités  de  ces  circon- 
stances ,  et  sur  la  preuve  qu'ils  eurent  presqu'au  même  instant 
que  les  électeurs  restaient  assemblés  au  mépris  de  la  loi ,  ils  pri- 
rent sur-le-champ  un  arrêté  par  lequel  ils  chargèrent  les  repré- 
senians  du  peuple  préposés  à  la  direction  de  la  force  armée  de 
prendre  au  moment  même  les  mesures  nécessaires  pour  s'assu- 
rer des  électeurs  qui  s'étaient  réunis  dans  le  local  de  l'assemblée 
primaire  de  la  section  du  Théâtre-Français,  et  avaient  refusé 
d'obéir  à  la  loi. 

»  En  exécution  de  cet  arrêté,  le  général  Menou ,  qui  comman- 
dait en  chef  l'armée  de  l'intérieur,  reçut  aussilôt  des  représen- 
lans  du  peuple  l'ordre  de  faire  avancer  dès  troupes ,  et  do  les  di- 
riger sur  la  section  du  Théàtre-Franç;)is. 


3(j  CONVILNTION    NATltfNALE. 

»  Cet  ordre  lut  exécuté  ;  mais  quand  les  troupes  arrivèreol  lis 
électeurs  avaient  disparu. 

»  Dans  ces  entrefaites,  les  bruits  alarmans  qui  se  répandaient 
daus  toute  l'étendue  de  la  commune  de  Paris,  sur  les  dangers* 
dont  la  représentation  nationale  était  menacée  ,  avaient  amené 
autour  de  cette  enceinte  environ  quinze  cents  citoyens,  qui, 
voués  à  la  liberté  et  voulant  la  défendre  jusqu'au  dernier  soupir, 
venaient  faire  à  la  représentation  nationale  un  rempart  de  leurs 
corps ,  et  jurer  de  vaincre  ou  de  mourir  avec  elle  ;  mais  ils  man- 
quaient d'armes,  et  leur  courage  ne  suffisait  pas  pour  repousser 
les  brigands  qui  vous  menaçaient. 

»  Ici ,  je  le  demande  à  tout  homme  qui  n'a  pas  renoncé  entière- 
ment à  sa  raison,  qu'ont  dû  faire  vos  comités  dans  une  situation 
aussi  critique?  Ils  ont  fait  délivrer  des  armes  à  tous  ceux  qui,  se 
prévseniant  pour  la  défense  de  la  République  et  de  la  Convention 
nationale,  étaient  attestés  par  des  citoyens  connus  pour  patriotes 
de  1789,  amis  des  lois  et  du  bon  ordre,  et,  comme  tels ,  porteurs 
de  cartes  de  citoyen. 

»  Cette  mesure,  impérieusement  commandée  par  les  atroces 
excès  et  par  les  menaces  plus  atroces  encore  des  ennemis  de  la 
République,  devint  pour  eux  le  lendemain  un  nouvel  instrument 
de  J3erfi(iie;  ils  publièrent  partout  que  les  comités  de  gouverne- 
ment avaient  formé  un  bataillon  de  terroristes  ;  que  le  règne  de 
Robespierre  allait  recommencer  ,  que  les  propriétés  allaient  être 
livrées  au  pillage,  et  qu'il  était  temps  de  s'armer  pour  résister  à 
l'oppression, 

»  Nous  ignorons  jus(]u'à  quel  point  ces  bruits,  aussi  absurdes 
que  perfides,  influèrent  sur  les  mouvemens  qui  les  suivirent  ;  mais 
ce  que  nous  pouvons  affirmer  devant  la  Convention  nationale,  de- 
vant la  France  entière,  c'est  qu'en  armant  les  patriotes  de  1789, 
(jui  s'étaient  échappés  de  leurs  se  ciions  rebelles ,  où  l'on  avait 
voulu  les  assommer  parce  qu'ils  s'étaient  prononcés  en  faveur  d(  s 
vra-s  principes,  nous  n'avons  eu  qu'un  but,  celui  de  faire  triom- 
pher la  République ,  qui  ne  peut  exister  que  par  la  vertu  ,  et  do 
procurera  tous  les  citoyens  franç4\isTa  prompte  jouissance  d'ujie 


REACTlOiN    THJîUiUlDOKlEINiNE.  57 

Constitution,  qui  certes  n'a  élé  organisée  ni  par  la  terreur  ni  par 
l'anarchie. 

•  Il  eût  été  impossible  sans  doute ,  dans  la  crise  affreuse  où 
nous  nous  trouvions,  d'empêcher  que  dans' cette  foule  généreuse 
qui  est  venue  offrir  ses  bras  à  la  liberté,  si  horriblement  menacée, 
il  ne  se  glissât  quelques  hommes  indignes  de  porter  des  armes 
républicaines;  mais,  dès  qu'on  les  eut  reconnus,  ils  furent  congé- 
diés unanimement  par  ceux  mêmes  doiît  ils  avaient  usurpé  le  nom 
de  camarades  ;  et,  si  ce  fait  ne  suffisait  pas  encore  pour  faire  taire 
les  calomnies  dont  ce  brave  bataillon  a  été  l'objet ,  je  dirais  que 
c't  st  sur  sa  demande  unanime  que  nous  lui  avons  donné  pour  com- 
mandant un  général  que  ses  longs  services ,  ses  vertus  et  ses  che- 
veux blancs  rerident  universellement  respectable ,  le  général  de 
division  JBerruyer  ;  demande  que  certainement  il  n'aurait  pas  faite 
s'il  n'eût  été  animé  d'un  bon  esprit,  ei  dirigé  par  des  vues  dignes 
dô  vrais  amis  de  la  liberté. 

>  Ces  détails  au  surplus  sont  bien  inutiles  pour  des  républicains  : 
quant  aux  chouans  et  aux  émigrés,  je  n'ai  pas  entrepris  de  leur 
persuader  que  nous  ayons  eu  raison  d'armer,  le  11  vendémiaire, 
des  hommes  qui  dans  la  journée  du  15  ont  si  prodigieusement 
augmenté  envers  eux  leurs  torts  précédens. 

>  Mais  je  reprends  le  fil  de  mon  récit. 

'>  La  journée  du  12  vendémiaire  a  commencé  sous  les  plus  si- 
nistres auspices.  Les  sections  Lepeiletier ,  Bulte-des-Moulins , 
Contrat-Social ,  Théâtre-Français ,  Luxembourg ,  Poissonnière , 
Brutus,  le  Temple,  et  quelques  autres,  avaient  dès  la  veille  porté 
l'insolence  jusqu'à  se  déclarer  en  état  de  rébellion  contre  la  Con- 
vention nationale ,  et  annoncer  hautement  qu'elles  ne  reconnaî- 
traient plus  aucun  de  ses  décrets. 

»  Ces  arrêtés ,  qu'on  aurait  jugé  à  leur  teneur  avoir  été  pris  au 
quartier-généraldeCharrette,  ont  élé  proclamés  avec  la  plus  auda- 
cieuse solennité,  et  cette  proclamation  a  été  suivie  d'une  autre 
par  laquelle  les  sections  révoltées  sommaient  les  citoyens  de  leur 
arrondissement  de  se  rendre  eu  armes  près  d'elles ,  sous  prc- 


58  CONVENTION   NATIONALE. 

lexte  qu'on  armait  les  terroristes  pour  égorger  les  femmes  et  les 
enfans. 

y  Avertis  de  ces  actes  ouvertement  contre-rëvoluiionnaires,  vos 
comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale  ont  pris  un  arrêté  par 
lequel  ils  ont  requis  les  représentans  du  peuple  chargés  de  la  di- 
rection de  la  force  armée  de  prendre  toutes  les  mesures  néces- 
saires pour  faire  arrêter  les  membres  composant  le  bureau  de  la 
section  Lepellelier,  les  crieurs  et  proclamateurs  des  arrêtés  sédi- 
tieux de  cette  assemblée,  ainsi  que  les  chefs  de  la  force  armée  qui 
avaient  donné  des  ordres  pour  cette  proclamation. 

i  El  comme  les  troupes  du  camp  de  la  plaine  des  Sablons  y 
avaient  été  renvoyées  la  nuit  du  il  au  i^,  après  l'inutile  expédi- 
tion du  ThéAtre-Français,  les  représentans  du  peuple  chargés  de 
la  direction  de  la  force  armée  ont  été  requis  de  les  faire  sur-le- 
champ  revenir  à  Paris,  ainsi  que  de  prendre,  sans  le  moindre  dé- 
lai ,  toutes  les  mesures  propres  à  faire  respecter  la  représentatFon 
nationale. 

»  Vos  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale  doivent  et 
se  plaisent  à  rendre  aux  représentans  du  peuple  chargés  de  la  di- 
rection de  la  force  armée  cet  éclatant  témoignage,  que  rien  ne 
peut  être  comparé  au  zèle  et  à  l'activité  qu'ils  ont  déployés  pour 
faire  exécuter  les  dispositions  arrêtées  par  les  deux  comités. 

>  Mais  il  est  de  notre  devoir  d'ajouter  aussi  que  leur  zèle  et 
leur  activité  ne  nous  ont  point  paru  avoir  été  dignement  secon- 
dés par  tous  les  généraux  qui  étaient  chargés  immédiatement  de 
l'exécution  de  leurs  mesures,  et  qu'au  lieu  do  cette  vive  sollicitude, 
de  t*ette  chaleur  brûlante  que  nous  avions  droit  d'attendre  d'eux 
dans  une  circonstance  aussi  (»rave ,  nous  avons  remarqué  dans 
leurs  opérations  une  sorte  de  torpeur  qui  semblait  attendre  les 
évéiiemens.  INous  étions,  par  exemple,  étrangement  frappés  de  ce 
qu'on  avait  souflert  que  la  générale  fût  battue  pendant  tout  le 
jour  dans  les  sections  révoltées,  tandis  qu'en  irisant  faire  les  pa- 
trouilles ordonnées  par  vos  comités  et  par  les  représentans  du 
peuple  chan;é5  de  la  direction  de  la  force  armée,  il  eût  été  si  facile 


RÉACTION   TflERMTbORlENNE.  39 

d*enlever  des  tambours  qu'aucune  ou  presque  aucune  force  n'ac- 
compagnait. 

>  Ces  observations  étaient  véritablement  inquiétantes  ;  cepen- 
dant nous  ne  crûmes  pas  devoir  au  premier  abord  leur  donner 
toute  la  suite  qu  elles  devaient  avoir.  Ce  n'éiait  pas  un  moment 
favorable  pour  désorganiser  Fétat-major  de  l'armée,  que  celui  où 
les  troupes  étaient  en  marche  pour  cerner  le  lieu  des  séances  de 
la  section  Lepelletier ,  et  où  la  Convention  nationale  témoignait 
une  grande  et  juste  impatience  d'apprendre  que  le  bureau  de  cette 
section  fût  livré  à  la  poursuite  des  lois  ;  nous  crûmes  donc  devoir 
attendre  le  résultat  de  cette  expédition ,  pour  fixer  définitive- 
ment nos  idées  sur  les  observations  qui  avaient  éveillé  notre  in- 
quiétude. 

JNotre  attente  fut  longue  et  pénible.  Le  général  de  brigade 

Despierre,  qui  devait  commander  une  colonne,  ne  se  trouva 
point  à  son  poste ,  il  fallut  le  chercher  d'abord ,  et  le  remplacer 
ensuite ,  d'après  une  lettre  qu'il  écrivit  au  général  en  chef  pour 
annoncer  que  la  fièvre  venait  de  le  saisir  et  de  le  mettre  au  lit , 
quoique  quelques  heures  auparavant  il  eût  paru  a^ec  tout  l'ex- 
térieur d'une  très-bonne  santé. 

»  Les  colonnes  se  mirent  enfin  en  marche  entre  neuf  et  dix 
heures  du  soir,  et  parvinrent ,  par  trois  points  différens ,  à  leur 
destination.  Le  bureau  de  la  section  Lepelletier  était  désert;  l'as- 
semblée elle-même  était  dissoute ,  ou  plutôt  elle  s'était  convertie 
en  force  armée,  et,  son  président  à  la  tête,  elle  défendait  l'entrée 
du  lieu  de  ses  séances. 

»  Si  les  instructions  de  vos  comités  avaient  été  suivies ,  les  co- 
lonnes ne  se  seraient  pas  retirées  sans  que  cette  troupe  séditieuse 
n'eût  mis  bas  les  armes,  car  ces  instructions  portaient  formelle- 
ment qu'elle  serait  désarmée  ;  mais  la  crainte  de  voir  couler  le 
sang  toucha  justement  notre  collègue  Laporte,  qui  était,  avec 
le  général  Menou ,  à  la  tête  de  la  colonne  la  plus  à  portée  des 
lx)rces  sectionnaires ,  et,  entraîné  par  ce  sentiment  d'humanité 
qu'il  savait  bien  être  partagé  par  tous  ses  collègues  ,  il  aulorii^a 
le  général  à  faire  retirer  les  troupes  républicaines  immédiate- 


40  CONVENTfOiN   NATlOiNALt. 

menl  après  la  séparation  et  la  retraiie  des  citoyens  armés  de  la 
section. 

»  Une  partie  de  la  force  sectionnaire  simula  en  conséqiience 
un  mouvement  pour  défiler  ;  l'autre  partie  resta  ;  et  cependant  le 
général  Menou,  contre  les  instructions  de  notre  collègue  Laporte, 
fit  de  suite  retirer  toutes  les  troupes. 

>  C'en  était  assez  ,  saus  doute  ,  pour  faire  perdre  entièrement 
ù  ce  général  la  confiance  qu'il  avait  inspirée  le  4  prairial  ;  aussi  sa 
destitution  fut-elle  à  l'instant  résolue  et  prononcée. 

»  Vos  comités  destituèrent  en  même  temps  le  général  de  bri- 
gade Debar,  dont  la  conduite  n'annonçait  pas  un  homme  décidé 
pour  la  représentation  nationale. 

»  Le  gênerai  de  brigade  Despierre ,  d'après  ce  que  je  vous  en 
ai  déjà  dit ,  devait  subir  et  subit  en  effet  le  même  sort. 

»  Mais  ce  n'était  pas  tout  que  de  prononcer  des  destitutions  j 
.il  fallait  pourvoir  à  des  remplacemens,  dont  l'urgence  se  faisait^ 
à  chaque  minute,  seniir  de  plus  en  plus. 

>  Dans  cette  crise  violente  et  terrible  les  regards  de  vos  comités 
se  sont  lourftéi  vers  le  général  du  9  thermidor;  notre  collègue 
Barras  leur  a  paiu,  par  son  activité,  par  ses  talens ,  par  son 
ûme  aussi  brûlante  que  puie,  par  son  dévouement  profond  et 
absolu  à  la  cause  de  la  liberté,  être  l'homme  le  plus  propre  ù 
tirer  la  Uépubhque  du  précipice  où  elle  était  sur  le  point  de 
tomber,  et  vous  vous  êtes  empressés  de  ratifier  leur  clioix  par 
un  décret  qui  a  nommé  le  représent;mt  du  peuple  Barras  général 
en  chef  de  l'ai  mée  de  l'intéi  leur,  en  lui  donnant  pour  adjoints 
lesrepréseulans  du  peuple  Delmas,  Goupilleau  (  de  Fonienay  ) 
et  Lapone. 

'•  Au  même  moment  des  généraux  de  division  et  de  brigade 
ont  été  nommés  pour  remplacer  ceux  qui  venaient  d'être  desti- 
tués ,  et  bientôt  tout  s'est  trouvé  prêt  pour  attendre  l'ennemi. 

»  Déjà  le  jour  qui  devait  éclairer  tant  de  crimes  d'un  côté  et 
tant  de  vertus  de  l'autre  cominenrnit  à  luire  ;  dans  la  presque 
it^ialitê  des  sections  de  Paris  la  générale  battait ,  et ,  au  nom  des 
assemblée^)  primaires ,  ap|>elait  le  massacre  et  l'assassinat  sur  la 


RÉACTION   THEKJlIDORl£i>iSE.  41 

représentation  nationale.  Bientôt  la  Tëvolte  prend  un  caractère 
décidé  et  ne  ménage  plus  rien  :  une coiimission  centrale  s'orga- 
nise dans  la  section  Lepelletier,  sous  la  présidence  de  Richer- 
Sérizy  ;  les  dépôts  des  chevaux  de  la  République  soDt  au  pouvoir 
des  rebelles  ;  les  envois  d'armes  à  la  fidèle  section  des  Quinze- 
Vingts  sont  interceptés;  la  trésorerie  nationale  est  oc(*upée  par 
la  section  Lepelletier  ;  les  subsistances  destinées  à  nos  troupes 
sont  enlevées  ;  un  hussard  d'ordonnance  reçoit  en  traversant  la 
rue  Honoré  plusieurs  coups  de  fusil  qui  le  blessent  à  mort  et  tuent 
son  cheval;  les  représentans  du  peuple  que  leups^ fonctions  ou 
le  besoin  de  rafraîchissement  conduis-ent  hors  de  l'enceinte  du 
palais  national  sont  arrêtés,  insultés ,  gardés  en  otage;  vos  co- 
mités de  gouvernement  sont  mis  hors  de  la  loi  ;  un  tribunal  ré- 
volutionnaire est  nommé  pour  assassiner,  avec  quelque  apparence 
de  formes ,  les  proscrits  qui  échapperaient  du  premier  abord  au 
fer  des  meurtriers  ;  tout  enfin  caraclérise  une  guerre  ouverte , 
tout  annonce  les  coups  que  la  rébellion  vu  frapper. 

>  Il  y  aurait  eu  dans  ces  entrefaites  beaucoup  d'avantage  pour 
les  troupes  républicaines  à  attaquer  partiellement  les  révoltés  ; 
mais  c'aurait  été  donner  le  signal  de  la  guerre  civile ,  et  vos  co- 
mités ont  pensé  qu'il  valait  mieux  périr  mille  fois  que  d'en  venir 
à  une  pareille  extrémité. 

>  Conformément  à  leur  résolution ,  le  général  en  chef  a  donné 
partout  l'ordre  de  s'abstenir  de  toute  agression,  de  souffrir 
même  avec  patience  tout  ce  qui  ne  serait  qu'insulte  ou  escarmou- 
che, et  de  ne  déployer  la  force  contre  les  rebelles  que  lorsque 
les  rebel'es  eux-mêmes  en  fera'ent  usage  dans  toute  la  latitude 
qu'annonçaient  leurs  vastes  projets. 

»  C'éfaient  dans  ces  dispositions  généreuses  que  vos  comités 
et  vos  braves  défenseurs  attendaient  les  premiers  coups,  qu'ils 
savaient  bien  devoir  être  portés  par  les  vii^t*cinq  à  trente  mille 
révoltés  qui  assiégeaient  la  Convention  nationale,  et  dont  la  dis- 
tribution savante  décelait  des  chefs  exercés  et  instruits.  Effecti- 
vement ,  onapprend  bientôt  que  les  généraux  Duhoux  et  Dani- 
can  se  sont  rangés  souS  les  drapeaux  de  la  commission  centrale 


42  CONVENTION    NATIONALE. 

de  la  section  Lepelletier,  et'diftérens  rensei^emens  donnent  lieu 
de  croire  non-seulement  que  d'autres  généraux  de  la  République 
ont  imité  leur  trahison ,  mais  que  des  étrangers  et  des  émigrés 
partagent  avec  eux  le  commandement  de  l'armée  sectionnaire. 

»  Vos  comités,  nous  devons  le  dire,  sentaient  toute  la  gravité 
des  circo'nslances  ;  mais  ils  n'ont  pas  perdu  un  seul  instant  le 
sentiment  de  la  dignité  de  leur  caractère,  et  ils  osent  se  flatter 
d'avoir  répondu  à  votre  confiance  :  un  seul  trait  vous  en  fera 
juger. 

>  Peu  de  tfihps  avant  l'attaque ,  le  perfide  Danican  eut  l'inso- 
lence d'adresser  à  vos  comités  une  lettre  par  laquelle  il  deman- 
dait à  s'expliquer  avec  eux ,  en  faisant  entendre  que  la  paix 
pouvait  se  rétablir  dans  un  clin  d'œil  si  la  Convention  nationale 
voulait  désarmer  ceux  que  les  comités  avaient  armés  la  veille. 

»  Vos  comités  n'auraient  pas  dû  peut-être  recevoir  une  dépê- 
che de  cette  nature  ;  mais  l'espoir  d'épargner  le  sang ,  près  de 
couler  à  grands  flots ,  les  fit  passer  au-dessus  de  toute  considé- 
ration :  la  dépêche  fut  lue  ; .  elle  donna  lieu  à  une  ample  dis- 
cussion. 

»  En  demeurant  unauiqienient  d'accord  qu'il  n'y  avait  pas  de 
réponse  à  faire  à  Danican  perionnellement ,  et  en  rejetant  avec 
indignation  l'idée  de  déshonorer  par  un  désarmement  les  ci- 
toyens que  leur  patriotisme  seul  avait  appelés  auprès  de  nous 
pour  défendre  la  représentation  nationale ,  vos  comités  ont  re- 
cherché et  discuté  les  diffcrens  moyens  de  concilialiou  qui  pou- 
vaient rester,  et  dont  le  besoin  iaiperieux  de  sauver  la  Républi- 
(|ue  pouvait  autoriser  l'emploi. 

»  Déjà  ils  avaient  réiola  d'envoyer  dans  les  sections  de  Paris 
vingt-(|uatre  représenians  du  peuple  pour  éclairer  les  citoyens 
égarés,  et  ramenai  la  paix  par  l'instruction. 

>  Ce  premier  point  arrêté,  diverses  mesures,  également  dic- 
tées par  le  courage  et  par  Ihumanité,  lurent  successivement 
proposées,  et  elles  se  discutaient  avec  la  maturité  et  le  caliiic  ué- 
cessaires  dans  une  circonstance  aussi  décisive  ,  lorsqu'on  enten- 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  43 

dit  sur  trois  points  des  coups  de  fusil  redoublés  et  suivis  d'un 
feu  terrible. 

3)  On  ne  tarda  pas  à  apprendre  qu'en  effet  les  rebelles  avaient 
attaqué  au  petit  Carrousel ,  à  la  rue  de  la  Coîîveiiticn  et  aux 
Feuillans.  Mais  la  manière  dont  ils  avaient  commencé  l'attaque 
au  premier  de  ces  points  ne  doit  pas  échapper  au  burin  de  l'his- 
toire ;  elle  présentera  une  nouvelle  preuve  de  cette  vérité,  que  le 
crime  est  toujours  lâche ,  et  qu'à  la  vertu  seule  appartient  l'ho- 
norable apanage  d'abhorrer  la  trahison. 

»  Les  rebelles  étaient  en  force  supérieure  dans  la  rue  de  l'É- 
chéile ,  et  longeaient  le  petit  Carrousel ,  vis-à-vis  la  maison  oc- 
cupée par  la  section  de  police  du  comité  de  sûreté  générale. 

»  En  face  de  la  porte  de  cette  njaison  étaient  placées  des  trou- 
pes républicaines  avec  une  pièce  de  canon. 

»  Tout  à  coup  les  premiers  rangs  des  rebelles  s'ébranlent , 
maisavec  des  dehors  pacifiques,  le  fusil  sous  le  bras,  les  cha- 
peaux en  l'air,  le  drapeau  baissé  ;  ils  s'avancent  en  prononçant 
les  doux  noms  de  paix  et  de  fraternité;  leur  chef  embrasse  le 
commandant  du  poste ,  et  au  même  instant ô  orime  I  ô  scé- 
lératesse !  au  même  instant  deux  décharges  de  mousqueterie 
partent  derrière  eu»,  et  abattent  vingt-trois  de  nos  braves  dé- 
fenseurs ! 

»  Une  autre  circonstance  non  moins  remarquable,  c'est  qu'à  la 
rue  de  la  Convention  nos  canonniers  ont  laissé  tuer  trois  de  leurs 
camarades  avant  de  riposter. 

»  Vous  connaissez ,  représentans  du  peuple ,  tout  ce  qui  a  suivi 
ces  premiers  actes  d'agression  ;  vous-  savez  avec  quel  courage 
et  quel  succès  les  grenadiers  de  la  représentation  nationale ,  les 
troupes  du  camp  sous  Paris ,  la  légion  de  police  ^  une  partie  de 
la  section  des  Quinze-Vingts,  et  les  citoyens  armés  la  nuit  du  il 
au  12,  parmi  lesquels  se  trouvaient  plusieurs  Marseillais  du 
10  août  et  du  9  thermidor,  ont  repoussé  les  scélérats  qui  venaient 
vous  égorger.  En  moins  de  deux  heures  les  assaillans  ont  été 
mis  en  pleine  déroute,  et  se  sont  réfugiés  les  uns  sur  la  place 
Vendôme  ,  les  autres  dans  le  palais  Égalité,  au  théâtre  de  la  Ré- 


Ai  COi^VENilON    NAllOiNALE. 

publique  et  dans  les  postes  environnans  ;  une  partie  est  restée 
dans  le  clocher  de  l'église  qui  fait  face  à  la  rue  de  la  Convention , 
d'où  elle  a  continué  de  tirailler  une  partie  de  la  nuit  ;  mais  elle  a 
fini  par  se  sauver  ;  des  issues  secrètes  ont  favorisé  son  évasion. 
»  Ce  n'était  pas  assez  de  vaincre  ;  il  fallait  encore  profiter  de  la 
victoire,  et. c'est  ce  qu'a  fait,  avec  autant  de  courage  que  d'in- 
telligence ,  le  général  en  chef  de  l'armée  républicaine.  Le  palais 
Égalité ,  la  barrière  de^  Sergens,  le  théâtre  de  la  République  et 
plusieurs  autres  postes  ont  été  successivement  emportés ,  les 
ims  à  coups  de  canon  ,  les  autres  à  la  baïonnette  ;  partout  la  Ré- 
publique a  compté  autant  de  héros  que  de  défenseurs  :  c'est  que 
chacun  d'eux  sentait  profondément  qu'il  combattait  pour  as- 
surer définitivement  les  destinées  de  la  patrie,  et  pour  consolider 
à  jamais  la  liberté. . 

»  Pendant  que  les  révoltés  d'en-deçà  de  la  Seine  étaient  ainsi 
repoussés  4e  toutes  parts,  leurs  complices  du  faubourg  Ger- 
main ,  commandés  par  l'émigi^é  Colbert  ^laiilevrier,  en  uniforme 
de  maréchal-de-camp,  attaquaient  simultanément  nos  avant- 
postes  sur  le  Pont-Neuf  et  sur  le  pont  Kational.  Les  soldats  de  la 
liberté,  toujours  fidèles  à  l'ordre  qui  leur*  avait  été  intimé  de  ne 
répondre  qu'à  l'agression  ,  ont  repoussé  a^  le  même  avantage 
les  colonnes  rebelles. 

»  Ce  matin  de  nouveaux  triomphes  ont  couronné  de  nouveaux 
efforts. 

»  D'un  côté  un  délachemement  de  dragons  a  faits  prisonniers, 
sur  la  roule  de  Paris  à  Saint-Gerniaiu-en-Laye,  deux  cents  in- 
dividus de  cette  dernière  commune ,  qui  accouraient  au  secours 
de  la  section  Lepelletier  avec  deux  pièces  de  canon ,  et  il  n*a  tallu, 
pour  leur  faire  mettre  bas  les  armes,  que  l'avant-garde  de  ce  dé- 
tachement ,  composé  de  douze  hommes. 

j>  D'un  autre  côté  les  troupes  républicaines  ont  balayé  avec  la 
rapidité  de  l'éclair  la  place  Vendôme ,  la  rue  des  ci-devant  Ca- 
pucines, et  une  partie  du  Boulevart  ;  elles  ont  en  même  temps 
purgé  la  Trésorerie  nationale  des  rebelles  qui  en  occupaient  les 
avenues,  pris  deux  pièces  de  canon  que  la  section  Lepelletier 


REACTION   TrtERmiDORlENNE.  45 

avait  été  chercher  hier  à  Belleville ,  enlevé  le  quartier-général 
de  cette  section ,  et  fait  rendre  les  chevaux ,  les  armes  et  les 
autres  objets  qui  avaient  été  soustraits  hier  des  dépôts  de  la  Ré- 
publique. 

»  Vous  ne  serez  pas  étonnés  d'apprendre  que  les  soldats  de  la 
liberté,  toujours  dignes  d'eux-mêmes,  ces  soldats  qu'on  accu- 
sait' le  gouvernement  d'avoir  appelés  pour  égorger  les  citoyens , 
n'ont  pas  versé  une  seule  goutte  de  sang  dans  ces  dernières  ex- 
péditions ,  et  que ,  quoique  les  contre-révolutionnaires  de  la  sec- 
tion Lepelletier,  tout  en  pillant  la  Répubhque ,  aient  osé  procla- 
mer hier  que  nous  avions  accordé  aux  troupes  deux  heures  de 
pillage ,  pas  un  ^eul  désordre  n'a  été  commis ,  pas  un  seul  effet 
n'a  été  volé ,  pas  une  seule  maison  n'a  été  insultée. 

»  Il  n'en  a  pas  fallu  davantage  pour  faire  sur-le-champ  rentrer 
dans  le  devoir  toutes  les  sections  qui  avaient  partagé  les  crimes 
de  celle  de  Lepelletier.  Maintenant  le  calme  le  plus  profond  règne 
dans  Paris  ;  les  coupables  sont  ou  arrêtés  ou  en  fuite  ;  ceux 
qu'ils  ont  égarés  reconnaissent  en  frémissant  l'abîme  dans  lequel 
on  a  cherché  à  les  entraîner  ;  les  bons  citoyens ,  trop  long-temps 
comprimés  dans  la  plupart  des  sections  ,  se  prononcent  haute- 
ment, et  l'immense  majorité  de  cette  grande  commune  bénit  la 
Convention  nationale  de  l'avoir  délivrée  des  monstres  qui ,  en  la 
flagornant  comme  Robespierre ,  la  tyrannisaient  comme  lui ,  et 
la  menaient  directement  à  la  famine  et  à  l'esclavage. 

»  Vos  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale  ont  des 
mestires  à  vous  proposer  pour  punir  les  crimes  qui  viennent 
de  se  commettre ,  et ,  ce  qui  n'est  pas  moins  important ,  pour 
empêcher  qu'ils  ne  se  renouvellent  eâcore  à  l'avenir;  mais  ces 
mesures  ont  eu  besoin  d'être  réfléchies  profondément,  et  la 
rédaction  ne  pourra  vous  en  être  présentée  que  demain.  On 
pardonnera  sans  doute  ce  retard  à  la  brièveté  du  temps  que 
nous  avons  eu  à  notre  disposition  ,  et  à  l'état  d'épuisement  dans 
lequel  nous  ont  plongés  quatre  jours  et  quatre  nuits  de  veilles 
continues. 

»  Vos  eomif4s  ne  vous  proposeront  aujourd'hui  que  d'acquit- 


i6  CONVENTION   NATIONALE, 

1er  envers  nos  valeureux  défenseurs  la  dette  que  la  République 
a  contractée  à  leur  égard  ;  elle  leur  doit  son  existence ,  et  nous 
sentons  tous  combien  il  est  agréable  pour  nous  de  le  publier  ; 
nous  sentons  tous  aussi  qu'il  doit  être  bien  doux  pour  eux  d'avoir 
sauvé  leur  patrie  avec  taut  de  gloire. 

»  Vous  m'avez  sans  doute  prévenu  sur  le  projet  de  décret  que 
je  suis  chargé  de  vous  présenter  ;  le  voici  î       ' 

«  La  Convention  nationale ,  après  avoir  entendu  le  rapport  de 

>  ses  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale  réunis , 

»  Déclare  que  les  grenadiers  de  la  représentation  nationale , 

>  ks  troupes  du  camp  sous  Paris ,  les  canonniers,  la  légion  de 
»  police  générale,  les  militaires  invalides  ,  le. bataillon  de  la  sec- 
»  lion  des  Quinze- Vingts,  les  gendarmes  licenciés,  et  les  citoyens 
»  qui  ont  pris  volontairement  les  armes  pour  repousser  les  re- 
»  belles  dans  la  journée  du  15  vendémiaire,  ainsi  que  les  géné- 
»  raux  sous  lesquels  il  ont  combattu,  et  les  généraux  non  eni- 
»  ployés  qui  se  sont  joints  aux  bataillons ,  ont  bien  mérité  de  la 

*  patrie; 

>  Et  décrète  que  le  rapport  des  comités  sera  inséré  au  bul- 

*  leiin  de  correspondance ,  et  envoyé  sur-le-cbamp  aux  départe- 

>  temens  et  aux  armées  par  des  courriers  extraordiuaires.  » 
(  Adopté.  ) 

RappoUt  sur  la  ç(fnspirattOH  et  la  rébellion  qui  ont  éclaté  dans  tes 
journées  des  15  et  14  vendémiaire  (  o  et  ii  octobre) ,  et  sur  les 
opérations,  mitilàires  exécutées  par  l'armée  républicaine  ;  fait 
par  le  représentant  du  peuple  Barras,  général  en  chef  de 
l'armée  de  rtntéi'icur.  —  Du  30  vendémiaire  an  1.  (22  octO' 
bi'ei7\):i). 

«  La  révuiuliun  du  îi  ihenhidor  a  véritablement  fondé  la  liberté 
publique  :  l'abus  de  cette  révolution  sapait  les  bases  de  celte 
môme  liberté,  et  malheureusement  nous  n'avons  voulu  nous  en 
apercevoir  qu'au  moment  où  l'édilice  était  près  de  crouler.  Oui , 
représcntaus  du  peuple ,  notre  indulgence  nous  a  fait  faire  un 
pas  rétrograde  ;  toutes  les  lois  qu'où  vous  a  arrachées  çn  faveur 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  47 

des  émigrés,  des  prêtres,  des  amis  delà  tyrannie  royale,  la 
proscription  des  meilleurs  patriotes ,  les  assassinats  du  midi  im- 
punis ,  la  vengeance  érigée  eh  vertu  civique ,  presque  toutes  les 
fonctions  publiques  confiées  à  des  républicains  d'un  jour,  devaient 
inévitablement  relever  l'espoir  des  amis  du  despotisme ,  et  leur 
faire  tenter  une  conspiration  dont  le  résultat  était  votre  massacre 
et  la  mort  de  la  République.  Il  fallait  un  point  central  aux  conspi- 
rateurs pour  corresponck'e  avec  le  comité  autrichien  de  Baie  :  ils 
ne  pouvaient  l'établir  que  dans  la  commune  de  Paris  ;  ils  l'Ont  fait. 
Cette  vaste  cité ,  sur  laquelle  les  départemens  ont  sans  cesse  les 
yeux  ouverts  pour  adopter  ses  mesures  et  suivre  sa  conduite , 
offrait  seule  aux  partisans  de  la  coalition  des  rois  les  élémens  de 
leur  conspiration.  Ici  une  nuée  de  vils  folliculaires ,  toujours  pi  êis 
à  se  vendre  à  celui  qui  les  paie  le  mieux ,  fournissait  aux  cocjiirés 
le  moyen  prompt  et  facile  de  pervertir  l'opinion  publique  en  di- 
rigeant des  calomnies  atroces  contre  la  représentation  nationale, 
c€n  dénigrant  les  meilleurs  amis  de  la  liberté ,  en  insinuant  au 
peuple  des  inquiétudes  sur  ses  subsistances ,  qu'ils  accaparaient , 
en  cherchant  enfin  à  lui  persuader  .que  le  gouvernement  répu- 
blicain était  une  chimère  qui  ne  pouvait  se  réaliser  en  France  : 
ici  les  chefs  de  la  conjuration  devaient  compter  sur  une  armée 
d'anciens  valets  de  cour,  qui,  regrettant  de  n'être  plus  enchaînés' 
au  cliarde  l;j  tyrannie,  sont  toujours  disposés  à  favoriser  le  re- 
tour de  l'ancien  ordre  de  choses ,  contre  lequel  nous  combattons 
xlepuis  six  ans  :  ici  les  nobles ,  les  émigrés  et  les  préires,  échap- 
pant au  miîieu  d'une  population  immense  à  l'œil  vigilant  du 
gouvernement,  étaient  un  point  d'appui  pour  les  rebelles,  et 
leur  donnaient  le  fol  espoir  d'un  triomphe  assuré. 

»  Il  fallait  adiever  d'égarer  le  peuple.  Hé  bien  î  les  monstres 
ont  profité  de  l'époque. des  assemblées  primaires ,  qui  devait  à 
jamais  fixer  la  ligne  de-i'émarcation  entre  nos  calamités  polit!(|nes 
et  le  bonheur  que  promet  au  peuple  îa  constitution  que  vous  lui 
avez  donnée,  pouo  l'associer  à  leur  rébellion  et  l'ariiier  contre 
l'auiorité  légitime. 

*  Les  conjurés  alors  ont  levé  le  masque,  et  pour  être  plus  li- 


48  CONVENTION   NATIONALE. 

bres  clans  les  assemblées,  ils  en  ont  chassé  ou  éloigné  les  meilleurs 
patriotes ,  à  l'aide  du  mot  insignifiant  de  terroriste.  Ils  ont  effron- 
tément publié  que  vous  aviez  démérité  de  la  pairie;  que  la  Con- 
vention nationale  n'était  qu'un  ramas  d'usurpateurs  et  d'assassins 
de  la  royauté;  que  vos  décrets  ne  devaient  plus  être  considérés 
comme  lois  de  l'état ,  et  que  c'était  aux  sections  souveraines  de 
Paris  à  diriger  les  rênes  du  gouvernement.  Les  insensés  ont 
poussé  l'audace  jusqu'à  organiser  des  autorités  anarchiques  pour 
juger  ceux  qui  oseraient  braver  la  majesté  du  trône  sectionnaire , 
couvrir  de  leurs  corps  généreux  la  représentation  nationale  et 
sauver  la  République.  Vous  avez  vu  leur  perfide  scélératesse ,  et 
vous  vous  êtes  mis  en  mesure  d'arrêter  leurs  coupables  efforts  ; 
vous  avez  fait  appel  aux  patriotes  de  80  :  la  voix  des  pères  de  la 
patrie  a  été  pour  eux  un  cri  de  ralliement;  tous  ces  hommes 
brûlant  d'amour  pour  la  liberté  se  sont  empressés  d'accourir  au- 
tour de  vous.  Ah  !  qu'il  a  été  consolant  de  voir  dans  quelques 
heures  la  Convention  nationale,  entourée  naguère  d'une  bande 
d'assassins,  devenir  tout  à  coup  le  centre  de  réunion  des  vrais 
amis  de  la  République!  Au  milieu  de  ce  bataillon  sacré  on  dis- 
tinguait avec  intérêt  les  hommes  du  14  juillet  et  du  10  août,  les 
vainqueurs  de  la  Bastille ,  des  patriotes  de  tous  les  départemens , 
*  et  surtout  une  légion  d'officiers  porteurs  d'honorables  cicatrices , 
et  couverts  plus  d'une  fois  des  lauriers  de  la  victoire,  destitués 
par  l'intrigue  et  les  complots  de  la  contre-révolution.  Vos  comités 
de  gouvernement,  ne  se  dissimulant  plus  les  dangers  qui  mena- 
çaient la  République,  firent  organiser  en  compagnies  ces  vieux 
soutiens  de  la  révolution ,  et  en  donnèrent  le  commandement ,  sous 
Je  liom  de  bataillon  des  pairiotesde^î),  au  général  Bei*ruyer,  vieil- 
lard respectable,  qui  joint  à  des  lalens  militaires  une  moralité 
pure  :  nous  étions  alors  dans  la  journéedul2.  Hé  bien  !  représen- 
lansdu  peuple,  l'entendrez-voussans  frémir  d'indignation!  Menou, 
généi  al  en  chef  de  l'armiic  de  l'intérieur  et  commandant  la  force 
armée  de  Paris,  se  présente  à  la  commi^sion  des  Cinq  à  deux 
hem  es  après-midi;  il  était  suivi  de  plusieurs  personnes  de  son 
éiat-m:ij(.r;  et,  prenant  le  ton  arrogant  d'un  officier  de  cour: 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  49 

€  Je  suis  instruit ,  dit-il ,  qu'on  arme  tous  les  bandits  (  c'est  ainsi 
que  ces  tyrans  appellent  les  républicains  );  je  vous  déclare  for- 
mellement que  je  n'en  veux  ni  sous  mes  ordres,  ni  dans  mon  ar- 
mée ,  ni  marcher  avec  un  tas  de  scélérats  et  d'assassins  organisés 
en  bataillon  de  patriotes  de  89.  »  La  commission  lui  répondit  : 
«  Ces  sincères  amis  de  la  liberté  ne  seront  point  sous  vos  ordres; 
ils  marcheront  sous  ceux  d'un  général  républicain ,  sous  la  di- 
reciion  des  représentans  du  peuple,  et  resteront  près  de  la  Con- 
vention nationale  pour  la  défendre.  »  Menou  sortit  avec  la  phy- 
sionomie très-agitée,  et  fit  écrire  à  Raffet  que  les  patriotes  de  89 
étaient  consignés.  Cette  lettre  fut  lue  à  la  séance  d'une  assemblée 
de  section ,  qui  l'applaudit  et  l'inséra  dans  ses  registres.  A  dix 
heures  du  matin  une  section  députe  à  la  commission  des  Cinq  trois 
de  ses  membres  (Chosal,  qui  la  présidait,  était  du  nombre) 
pour  déclarer  au  gouvernement  qu'il  avait  perdu  sa  confiance , 
et  qu'il  était  responsable  de  tous  les  événemens.  Il  n'était  plus 
possible  de  se  faire  illusion  sur  les  malheurs  que  les  royalistes 
préparaient  à  la  patrie  ;  les  conjurés ,  disséminés  dans  tout  Paris , 
excitaient  les  citoyens  à  s'armer,  et  appelaient  à  grands  cris  sur 
la  représentation  nationale  la  dissolution  et  la  mort.  Des  électeurs 
s'étaient  réunis  au  Théâtre-Français ,  recevaient  des  députations, 
et  requéraient  la  force  armée  des  sections.  Ils  ont  pour  eux  le 
nombre ,  et  cependant  ils  s'inquiètent ,  ils  pâlissent ,  ils  invoquent 
la  perfidie  et  la  corruption  :  mais  tous  leurs  efforts  ne  sont  qu'in- 
juriettx,  la  Convention,  et  ses  intrépides  amis  composant  les 
troupes  de  ligne,  ne  forment  qu'un  faisceau  compact,  devant 
lequel  vont  s'évanouir  toutes  les  espérances  criminelles. 

»  Vos  comités  de  gouvernement  et  votre  commission  des  Cinq 
avaient  déjà  réitéré  l'ordre  impératif  de  faire  avancer  des  colonnes 
sur  le  Théâtre-Français  et  la  section  Lepelletier  :  l'exécution  de 
ces  ordres  fut  éludée  sous  différens  prétextes  ;  ce  ne  fut  qu'à 
l'entrée  de  la  nuit  qu'on  marcha  sur  le  Théâtre-Français  ;  les  re- 
belles ,  instruits  alors  des  iriesures  prises  par  le  gouvernement , 
avaient  eu  le  temps  de  se  disperser.  On  renouvela  l'ordre  de  mar- 
cher sur  la  section  Lepelletier ,  foyer  de  lu  conspiration ,  pour 
T.  xxxvii.  ^ 


,^0  CONVENTION   NATIONALE. 

dissiper  les  rebelles  et  s'emparer  des  chefs  :  vous  eûtes  bientôt 
la  douleur  d'apprendre  que  celui  à  qui  vous  aviez  confié  le  com- 
mandement de  votre  force  armée  avait  eu  la  lâcheté  de  transi^ier 
avec  les  révoltés.  Pour  rassurer  ceux-ci  et  effrayer  nos  braves 
frères  d'armes,  comme  si  la  terreur  pouvait  pénétrer  l'âme  d'un 
républicain ,  ]\Ienou  vociféra  celte  phrase  liberlicide  :  «  Si  quel- 
que soldat  s'avise  d'insulter  les  bons  citoyens  de  la  section  Lepel- 
letier ,  je  lui  passerai  mon  sabre  à  travers  le  corps.  »  Braves  dé- 
fenseurs delà  patrie,  vainqueurs  de  tant  de  rois,  la  fierté  de  vos 
cœurs  s'indigna  de  voir  cette  honteuse  trahison  !  vous  fîtes  écla- 
ter par  des  murmures  votre  colère  civique  :  vous  étiez  avides  de 
verser  votre  sanjj  pour  la  République,  et  quelques-uns  de  vos 
chefs  la  livraient  impitoyablement  aux  poi{]^nards  sacrilèges  des 
assassins  !  Mais  vos  murmures  vertueux  échauffèrent  la  pensée 
du  gouvernement,  doublèrent  son  courage  et  sa  confiance;  il 
prédit  la  victoire  que  votre  patriotisme  bouillant  et  impétueux 
allait  remporter  sur  la  multitude  des  conjurés. 

»  Les  troupes  étaient  retournées  vers  le  palais  National ,  et  l'on 
avait  négligé  de  leur  assigner  les  points  de  ralliement,  lorsqu'on 
vint  nous  faire  part  de  l'infâme  conduite  de  Menou. 

»  Dans  ces  circonstances  difficiles  et  périlleuses ,  les  comités  de 
gouvernement  et  la  Convention  nationale  crurent  que  je  pouvais 
être  de  quelque  utilité  à  ma  patrie,  et,  par  décret,  dans  la  nuit 
du  12  au  15 ,  je  fus  nommé  général  en  chef  de  l'armée  deLjuté- 
rieur.  Je  ne  vous  cacherai  pas,  représcntans ,  que  je  fus  pn  in- 
stant effrayé  de  l  immense  responsabilité  qui  allait  peser  sur  ma 
tête;  je  voyais  nos  moyens  de  force  insuffisans;  je  les  voyais  dis- 
séminés. Gela  pouvait-il  être  autrement?  Le  chef  de  l'armée  pa- 
raissait protéger  h  conspiration.  Mais  je  vis  votre  sang  près  de 
couler  ;  mon  dévouement  parut  utile  à  la  patrie  :  je  ne  délibérai 
plus.  Je  m'entourai  aussitôt  des  patriotes;  j'appelai  à  moi  les  offi- 
ciers destitués  ;  je  ralliai  le  peu  de  troupes  que  nous  avions  ;  j'éta- 
blis des  postes  à  toutes  les  avenues  des  Tuileries;  je  désignai  des 
réserves  ;  je  donnai  à  chaque  officier  général  un  ordre  de  com- 
mandernent  circonscrit  :  le  général  Duonaparic ,  connu  par  ses 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  51 

talens  militaires  et  son  attachement  à  la  République,  fut  nomme', 
sur  ma  proposition ,  commandant  en  second.  L'artillerie  de  po- 
sition était  au  camp  des  Sablons ,  et  mal  gardée  :  je  la  fis  de 
suite  traîner  ici  ;  je  fis  chercher  des  canonniers  dans  les  bataillons 
des  patriotes  de  89  et  dans  la  gendarmerie;  deux  obusiers  furent 
placés  aux  points  les  plus  intéressans.  Le  dépôt  important  de 
Meudon  n'était  point  gardé  ;  je  donnai  l'ordre  à  deux  cents  hom- 
mes de  la  légion  de  police  casernée  à  Versailles ,  à  cinquante  ca- 
valiers de  quatre  armes ,  et  à  deux  compagnies  de  vétérans  de 
s'y  rendre.  J'ordonnai  également  l'évacuaiion  des  effets  de  Blarly 
sur  Meudon.  Les  magasins  de  vivres  étaient  dispersés  dans  Paris  : 
le  commissaire-ordonnateur  reçut  les  ordres  les  plus  précis  pour 
les  faire  arriver  dans  les  Tuileries  ;  l'ordre  pour  la  fabrication  du 
biscuit  fut  expédié ,  ainsi  que  celui  de  préparer  des  cadres  et  une 
ambulance.  Il  fut  assigné  un  dépôt  pour  les  munitions  de  guerre. 
Quelques-uns  de  nos  collègues  furent  au  faubourg  Anioine,  dont 
nous  connaissions  l'attachement  à  la  liberté.  J'avais  fait  aussi  ar- 
mer des  corps  de  gendarmes  de  la  Convention  ;  j'avais  fait  éclai- 
rer les  routes  de  Saint-Germain ,  Versailles  et  Franciade  ;  je  pas- 
sai la  nuit  à  faire  préparer  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour 
repousser  les  rebelles.  Je  fis  exécuter  des  mouvemens  aux  trou- 
pes :  ces  changemens  aux  dispositions  précédemment  prises,  et 
peut-être  convenues ,  étonnèrent  singulièrement  l'ennemi ,  et  sus- 
pendirent pendant  la  nuit  toute  entreprise  de  sa  part. 

»  Le  15  au  matin  je  fis  la  visite  de  tous  les  postes  ;  je  rectifiai 
ce  que  je  trouvai  de  défectueux  dans  chacun  d'eux.  Je  haranguai 
mes  compagnons  d'armes;  je  leur  prêchai  surtout  d'être  avares 
du  sang  des  citoyens ,  d'être  fermes  à  leur  poste ,  et  d'obéir  à 
leurs  chefs.  On  est  bien  sûr  de  faire  impression  quand  on  parle  à 
des  hommes  déjà  convaincus.  Représentans,  vous  étiez  alors  dé- 
fendus par  le  poste  des  Feuillans ,  ceux  des  rues  de  la  Conven- 
tion ,  de  l'Echelle ,  du  Carrousel ,  ceux  du  Pont-Neuf,  du  quai  de 
la  Galerie,  du  pont  Naiional ,  et  par  tous  ceux  que  j'avais  établis 
aux  avenues  de  la  place  de  la  Révolution. 

»  Si  les  efforts  de  nos  républicains  eussent  pu  un  instant  suc- 


5^  CONVENTION    NATIONALE. 

comber  sou.n  les  coups  de  nos  nombreux  enneoiis,  javals  ilc- 
nagé  à  la  C»  nveniion  nationale  une  honorable  retraite  à  Sain t- 
Cloud.  J'étais  maître  de  toutes  les  hauteurs.  Là  vous  auriez  dé- 
libéi  ë  avec  sécurité  ;  votre  énergie  s  accroissant  au  milieu  du  brtiit 
des  armes ,  vos  décrets  eussent  été  la  foudre  lancée  sur  la  tête 
des  rebelles  ;  la  victoire  était  retardée ,  mais  elle  était  complète  ; 
le  dt^sespoir  se  mêlait  à  l'agonie  des  tyrans ,  nous  terminions  la 
révolution  :  puissions-nous  n'avoir  pas  à  regretter  un  jour  une 
délaiie,  et  pleurer  sur  le  sommeil  étrange  qui  a  suivi  nos  pre- 
miers succès  î 

»  Cei>endant  toute  la  nuit  et  toute  la  journée  du  13,  jusqu'à 
quatre  heures  du  soir,  la  générale  avait  battu  dans  plusieurs 
quartiers  de  Paris.  Le  citoyen  Valentin  ,  adjudant-général,  et 
suspendu  de  ses  fonctions ,  vint  m'annoncer  dans  la  matinée  que 
la  ConventiOâi  serait  attaquée  à  quatre  heures  du  soir;  il  avait 
entendu  ce  propos  de  la  bouche  indiscrète  de  quelques  jeunes 
gens.  Des  comniis^iaires  de  la  sectioa  Lepelletier,  accompagnés 
de  huit  tambours,  proclamaient  l'ordre  impérieux  de  marcher 
contre  la  Convention  pour  la  forcer  de  reconnaître  la  souverai- 
neté des  sections  de  Paris ,  et  en  cas  de  refus  de  massacrer  tous 
ses  membres...  Je  me  trompe;  soit  par  sentiment  de  recon- 
naissance, soit  dans  le  dessein  de  diffamer  et  de  flétrir  à  jamais 
quelques  députés ,  leurs  personnes  furent  exceptées  de  la  pro- 
scription. 

»  La  sectioa  Lepelletier  faisait  al.)rs  distribuer  des  cartouches  ; 
celle  du  Mont-Blanc  arrêtait  les  subsistances  ;  celle  de  l'Arsenal 
s'emparait  des  chevaux  de  la  République,  et  provoquait  la  sec- 
lion  Lepelletier  à  se  rendre  à  Essonne  pour  se  saisir  des  poudres  ; 
relie  de  Poissonnière  faisait  arrêter  nos  chevaux  d'artillerie  ;  celle 
du  Théâtre-Français  excitait,  par  des  circulaires,  les  communes 
environnantes  à  la  rébellion;  celle  de  la  Fidélité  aurait  marché 
avec  du  canon  contre  la  Convention  sans  le  dévouement  et  le  cou- 
rage de  l'adjudaut-général  Devaux,  et  de  l'adjudant  de  division; 
celle  de  lUnité  et  plusieurs  aunes  étaient  insurgées  et  en  armes. 
Les  généraux  Ch  "iimonl  ri  Loison  recur»  nt  lor  Ire  de  se  reodi*» 


RÉACTION   THEU'-llbOKltWiVE.  o5 

aux  positions  que  nous  occupions  sur  la  ligne  de  la  rue  Honore. 
Cependant  des  colonnes  nombreuses  se  formaient  dans  les  deux 
parties  de  Paris  divisées  par  la  Seine ,  et  s'avançaient  sur  la  Con- 
vention. Je  parcourais  tous  mes  postes,  recommandant  aux  sol- 
dats et  aux  chefs  de  ne  point  en  bouger,  et  d'attendre  avec  fer- 
meté l'agression  des  rebelles.  Nous  étions  alors  en  présence; 
quatre  heures  venaient  de  sonner.  Je  suis  informé  que  des 
mouvemens  hostiles  et  des  coups  de  fusil  sont  tirés  sur  nos 
patrouilles  et  nos  vedettes.  Je  me  rends  sur-le-champ  rue  de  la 
Convention.  Les  rebelles  étaient  postés  sur  le  perron  de  Saint- 
Hoch ,  et  des  colonnes  nombreuses  couvraient  les  rues  Honoré, 
Roch  et  de  la  Loi.  Je  les  fais  sommer  de  se  retirer  sur-le-champ; 
ma  sommation  est  accueillie  par  des  huées,  des  menaces,  et 
bientôt  après  par  des  coups  de  feu.  Au  moment  que  les  colonnes 
de  rebelles  arrivèrent  dans  toutes  les  rues  où  étaient  nos  postes, 
et  s'y  formèrent  en  ligne,  j'aurais  pu  profiter  de  cet  instant  si 
critique,  même  aux  troupes  les  mieux  aguerries,  pour  les  fou- 
droyer ;  mais  le  sang  devait  couler  ;  mais  je  devais  laisser  ces 
malheureux,  déjà  couverts  du  crime  de  la  révolte,  se  souiller  en- 
core de  celui  de  fratricide  :  aux  conjurés  seuls  devait  appartenir 
l'horreur  des  premiers  coups. 

»  Ce  signal  donné ,  j'ordonne  à  l'instant  au  général  Berruyer 
et  à  l'adjudant  Huart  de  faire  dégager  le  front,  et  de  repousser 
la  force  par  la  force.  J'arrive  aussitôt  rue  de  l'Echelle ,  où  com- 
mandait l'adjudant-général  Blondeau  ;  mais  l'ennemi  ét^it  déjà 
repoussé  ;  je  fis  néanmoins  avancer  un  peloton  de  gendarmerie 
pour  le  soutenir.  Prévoyant  alors  que  toute  ma  ligne  allait  être 
attaquée,  je  me  portai  à  la  rue  Nicaise  :  les  rebelles  en  effet 
avaient  pénétré  la  rue  Honoré  et  celle  de  Rohan  jusqu'au  poste  de 
la  garde  nationale  qui  se  trouve  au  milieu  de  cette  rue.  J'ordonne 
au  général  Brune  et  à  l'adjudant  Gardane  de  sommer  les  révoltés 
de  déposer  leurs  armes  ;  mais  la  voix  de  la  raison  est  impuissante; 
l'autorité  de  la  loi  est  méconnue;  il  faut  encore  déployer  l'appa- 
reil de  la  force  pour  soumettre  les  révoltés.  Je  courus  de  là  sur 
le  quai ,  où  des  fusillades  se  faisaient  entendre.  Une  colonne  en- 


^  CONVENTION   NATIONALE. 

nemie  s'avançait  sur  un  front  considérable  vers  le  pont  National 
par  le  quai  Voltaire.  Notre  artillerie  ,  placée  au  bas  de  ce  pont , 
toute  celle  placée  le  long  de  la  galerie  du  Louvre,  où  comman- 
daient les  généraux  Guriaux,  Verdière,  Lestranges,  firent  bien- 
tôt justice  de  cetlp  troupe  rebelle,  qui  s'était  présentée  avec 
beaucoup  d'ordre,  et  aux  cris  de  vive  le  roi. Prévenu  qu'il  y  avait 
un  engorgement  dans  la  rue  de  la  Convention,  je  m'y  rends,  et 
je  vois  que  l'ardeur  de  nos  républicains  les  a  emportés  trop  loin. 
Je  fais  revenir  la  pièce  de  canon  à  la  place  que  je  lui  avais  as- 
signée; je  détachai  quelques  pelotons  dans  la  réserve  des  Tui- 
leries, que  je  plaçai  sur  la  terrasse  des  Feuillans;  deux  pièces 
de  canon  furent  emmenées  pour  protéger  les  flancs.  C'est  ici  que 
la  lâcheté  se  montre  dans  toute  son  horreur;  les  rebelles,  re- 
tranchés dans  les  maisons  voisines,  firent  un  feu  meurtrier  sur 
les  colonnes  républicaines  :  je  ne  suis  plus  le  maître  de  retenir 
leur  bouillante  impétuosité  ;  l'airain  tonnant  frappe  et  ouvre  en 
un  instant  les  refuges  des  traîtres  ;  ils  fuient  épouvantés.  Je  cours 
alors  vers  la  place  de  la  Révolution ,  où  je  craignais  quelcjues 
tentatives  de  la  part  des  royalistes.  Un  corps  ennemi  s'était  en 
effet  montré  du  côté  du  palais  Bourbon ,  et  avait  presque  aus- 
sitôt disparu.  L'ennemi,  chassé  et  mis  en  fuite  sur  tous  les  points, 
se  retrancha  dans  feglise  Saint-Ruch,  le  théâtre  de  la  Républi- 
que et  le  palais  Egalité;  il  était  encore  trop  voisin  de  la  Conven- 
tion pour  le  laisser  tranquille.  Les  rebelles  de  l'autre  côté  de  la 
Seine  avaient  été  repoussés.  J'ordonnai  aux  généraux  Monchoisy 
et  Duvigneau  qu'une  colonne  de  la  réserve  de  la  place  de  la  Ré- 
volution ^'avancerait  avec  deux  pièces  d^  douze  par  les  boule- 
vards, et,  tournant  la  place  Vendôme,  viendrait  opérer  sa  jonc- 
tion avec  le  détachement  qui  était  aux  Capucines ,  tandis  que  le 
général  Brune  ferait  avancer  deux  obusiers  sur  les  rues  iNicaise 
et  de  Uohau,  et  que  Cariaux,  avec  deux  cents  hommes  et  du 
canon,  viendrait  se  loger  place  Egalité  en  passant  par  la  rue 
Thomas-du-Louvre.  Le  général  Berruyer  reçut  l'ordre  de  pren- 
dre le  commandement  des  Feuillans  et  d'avancer  par  la  place 
Vendôme.  Toutes  ces  dispositions  prises,  le  mouvement  fut  bien- 


RÉACTION   THERMIDOïlIENNE.  55 

tôt  communiqué  à  toute  noire  ligne  ;  les  ennemis  furent  forcés 
dans  le  théâtre  de  la  République  et  le  palais  Égalité;  ils  se  reti- 
rèrent dans  le  haut  de  la  rue  de  la  Loi  et  vers  l'Oratoire.  Alors 
commencèrent  les  barricades  :  je  fis  enlever  à  la  baïonnette  celle 
établie  à  la  barrière  des  Sergens,  et  je  fus  obligé  de  donner 
l'ordre  de  tirer  sur  les  dépaveurs  de  rue  ;  j'arrêtai  alors  avec 
peine  l'impétuosité  de  nos  braves  républicains.  Je  craignais,  pen- 
dant la  nuit,  les  projets  homicides  des  révoltés,  qui  se  proposaient 
d'assommer  nos  braves  défenseurs  en  lançant  des  croisées  des 
pavés  et  des  eaux  bouillantes.  J'établis  mes  avant-postes  au 
palais  Égalité  et  au  théâtre  de  la  République.  On  n'entendit 
pendant  la  nuit  que  quelques  coups  de  feu  de  part  et  d'autre. 
Le  14,  à  quatre  heures  du  matin,  le  général  Vachot  s'établit 
dans  Saint-Roch ,  après  en  avoir  chassé  l'ennemi.  La  section  Le- 
pelletier  était  alors  le  quartier-général  des  rebelles;  ils  s'y  étaient 
fortement  retranchés  avec  une  pièce  de  canon.  Je  fis  toutes  mes 
dispositions  pour  les  forcer  dans  leur  repaire  ;  mais  la  lâcheté , 
compagne  de  la  trahison ,  avait  fui  devant  la  valeur  républicaine  : 
je  ne  trouvai  dans  ce  foyer  de  la  conspiration  que  des  armes,  des 
munitions  de  guerre ,  de  bouche ,  et  des  attributs  de  la  royauté. 
Instruit  que  la  femme  d'un  député  avait  été  mise  en  arrestation 
dans  la  section  Brutus,  je  marchai  avec  deux  colonnes  par  les 
boulevards  et  la  place  des  Victoires;  mais  ces  messieurs,  qui 
avaient  juré  de  soutenir  l'honneur  des  chevaliers  français ,  étaient 
également  en  fuite.  Je  fis  alors  diriger  les  forces  sur  la  place  de 
Grève  et  les  ponts  qui  l'avoisinent  ;  des  piquets  visitèrent  l'île 
Saint- Louis.  J'avançai  ensuite  avec  un  détachement  de  cavalerie 
au  faubourg  Antoine  ;  là  je  retrouvai  cet  attachement  fort 
et  solide  pour  la  République,  et  la  joie  pure  qu'inspirait  la 
victoire  brillait  sur  tous  les  visages.  Je  terminai  cette  marche 
par  reconnaître  le  Panthéon  et  le  Théâtre  Français ,  où  exis- 
taient encore  quelques  vestiges  de  barricades. 

>  Instruit  que  des  pièces  de  canon  étaient  envoyées  aux  re- 
belles par  la  commune  de  Saint-Germain,  j'ordonnai  à  un  déta- 
chementde  cavalerie  de  s'en  emparer  et  de  désarmer  ceux  qui 


56  CONViSMTlOW    NATION ALt. 

l'escortaient  ;  cet  ordre  fut  exécuté.  Les  jours  suivans  Paris  fut 
déNarmé;  cette  mesure  s'opéra  sans  résistance.  Elle  était  néces- 
saire et  politique;  mais  je  pense  que  la  Convention  nationale, 
toujours  juste,  ne  différera  pas  long-temps  de  réarmer  ceux 
qui  l'ont  si  vaillamment  défendue,  et  sur  l'amour  desquels  elle 
peut  toujours  compter.  Je  recommande  aussi  avec  empres- 
sement à  sa  justice  et  à  sa  bienveillance  les  militaires  et  autres 
citoyens  qui  par  leur  courage  ont  obtenu  la  mémorable  victoire 
du  15  au  14. 

»  Plusieurs  représentans  à  la  tête  des  colonnes,  les  patriotes 
de  Paris  et  des  départemens,  les  citoyens  de  la  section  des 
Quinze-Vingts,  les  vétérans,  les  invalides,  les  canonniers,  et  nos 
braves  frères  d'armes,  les  militaires  et  les  généraux  destitués 
ont  développé  dans  ces  jours  de  crise  une  valeur,  une  intré- 
pidité que  l'histoire  aura  de  la  peine  à  persuadera  la  postérité. 
Mais,  représentans  du  peuple,  nous  avons  à  pleurer  quelques 
hommes  qui  ont  péri  dans  ces  mémorables  journées.  Martyrs 
respectables  et  honorés ,  vous  avez  scellé  de  votre  sang  précieux 
le  triomphe  de  la  vertu  sur  le  crime  !  Ombres  généreuses  et  ma- 
gnanimes, vous  avez  péri  pour  la  liberté!  Recevez  aujourd'hui 
de  la  patrie  ,  comme  vous  le  recevrez  de  la  justice  des  siècles,  le 
tribut  de  la  reconna  ssance  publique.  Vos  intéressantes  familles 
sont  sous  la  protection  de  la  patrie ,  elles  ont  pour  appui  tous  les 
hommes  libres,  et  leuis  noms  glorieux  sont  pour  jamais  gravés 
dans  le  cœur  de  tous  les  Français. 

»  Le  calme  est  dans  Paris  ;  les  bons  citoyens ,  les  citoyens  qui 
n'avaient  été  qu'égarés  veillent  autour  de  vous  :  mais  la  rage  est 
dans  le  cœur  des  conjurés;  ils  rallient  dans  les  ombres  de  la  nuit 
le  fanatisme,  la  révolte  et  le  meurtre  ;  ils  correspondent  tou- 
jours avec  le  comité  autrichien  établi  à  Bàle,  avec  les  agens  de 
l'Angleterre  dans  la  Vendée,  avec  Condé ,  qui  est  en  ce  moment 
sur  les  frontières  du  Jura ,  et  de  Wius ,  qui  n'attend  que  l'instant 
favorable  pour  descendre  sur  les  côtes  de  Provence. 

»  Voyez  sur  tous  les  points  de  la  République  les  émigrés  en 
place,  dix  mille  d'entre  eux  dominant  dans  Marseille ,  leurs  si- 


RÉACTlOiN    THERMIDORIENNE.  57 

caires  organisés  en  compagnies  pour  égorger  les  patriotes;  les 
officiers  républicains  remplacés  par  des  royalibtes;  les  commis- 
sions executives  infectées  de  mauvais  citoyens  ;  Toulon  promis  de 
nouveau  aux  Anglais,  mais  courageusement  défendu  par  les  pa- 
triotes; un  club  établi  dans  cette  ville  sous  le  nom  de  comédie 
bourgeoise^  dont  la  carte  d'entrée  porte  aux  quatre  angles  une  fleur 
de  lis,  et  sur  le  revers  une  croix  de  Saint-Louis;  des  mouvemens 
au-delà  du  Rhin ,  combinés  avec  ceux  de  l'intérieur. 

»  La  cocarde  tricolore  n'est  plus  dans  plusieurs  contrées  du 
midi  qu'un  signe  de  proscription  et  de  mort.  Les  braves  défen- 
seurs de  la  patrie ,  si  chers  aux  amis  de  la  liberté ,  si  honorés  par 
tous  les  cœurs  républicains ,  sont  partout  couverts  d'opprobres 
et  d'outrages. 

»  Représentans  du  peuple,  lisez  les  destinées  de  l'Europe 
dans  le  traité  des  tyrans  fait  à  Pavie ,  et  ratifié  à  Râle.  Cette 
pièce  est  authentique  ;  je  l'ai  lue  ;  je  la  communiquerai  s'il  est  né- 
cessaire : 

€  La  royauté  rétablie  en  France  dans  la  maison  de  Rourbon , 
»  et  la  France  de  nouveau  distribuée  en  provinces.  La  banque- 

>  route  générale  déclarée ,  hormis  envers  les  étrangers  et  les 

>  Français  fidèles  à  la  boime  cause.  La  rentrée  de  tous  les  émi- 
»  grés,  et  leur  réintégration  dans  leurs  biens,  titres  ,  droits,  pri- 
»)  viléges ,  etc.;  les  mêmes  avantages  envers  tous  les  fidèles  restés 
»  en  France.  Le  rétablissement  des  parlemens  ,  mais  leurs  pré- 
»  tendus  droits  anciens  abolis  ou  restreints.  La  religion  catholique 

>  déclarée  de  nouveau  dominante ,  et  son  culte  rétabli  exclusive- 
»  ment  dans  tout  son  lustre;  les  biens  ecc'ésiastiques  réunis  aux 
»  domaines  ;  mais  il  sera  pris  sur  les  revenus  ce  qui  sera  annuel- 
•  lement  accordé  aux  évêques  et  aux  curés  :  les  pensions  à  ac- 
»  corder  aux  abbés  commandataires  encore  vivans ,  aux  bénéfi- 
»  ciers,  aux  religieux  et  religieuses,  etc.,  seront  prises  sur  Icsdits 
»  revenus.  Tous  les  membres  de  la  Convention  qui  ont  voté  pour 
»  la  mort  de  Louis  XVI  seront  condamnés  à  mort  comme  régi- 
»  cides ,  et  leurs  biens  confisqués.  Tous  les  principaux  chefs  du 

>  parti  soi-disant  patriotique,  connus  pour  tels  dans  les  trois 


oS  CONVENTION   NATIONALE. 

»  assemblées  nationales ,  dans  les  armées  de  terre  et  de  mer, 

>  dans  les  autorités  constituées,  dans  les  sociétés  ou  assemblées 
»  populaires ,  ou  ailleurs ,  condamnés  à  la  même  peine  comme 
»  traîtres  et  rebelles,  et  leurs  biens  confisqués  ;  les  chefs  secon- 
»  daires  condamnés  aux  fers  ou  à  la  déportation ,  et  leurs  biens 

>  aussi  confisqués.   Pardon  général  accordé  aux  restes  dudit 

>  parti,  à  condition  de  payer  une  amende  proportionnée  à  leurs 

>  facultés  ,  et  eux  et  leurs  enl^ns  déclarés  incapables  de  remplir 
»  aucune  charge  ou  emploi  dans  l'état.  Les  puissances  en  guerre 
ï  contre  la  France  rentreront  immédiatement  en  possession  des 

>  conquêtes  que  les  Français  rebelles  ont  faites  sur  elles  :  le  roi 

>  très- chrétien  cédera  pour  dédommagement  des  frais  et  sacri- 
*  fices  que  ces  puissances  ont  faits  pour  son  rétablissement  : 

»  lo  A  l'empereur,  la  Flandre  française ,  le  Haioault  français  , 
»  la  partie  française  d'entre  Sambre  et  Meuse ,  la  Lorraine  et  les 
»  trois  Évêchés  ; 

>  2*  Au  roi  de  Sardaigne,  le  Bugey ,  la  Bresse ,  le  pays  de  Gex 
»  et  Briançon  ; 

»  3° 

»  4«  A  l'Angleterre  la  Bretagne ,  ou  la  Martinique  et  Saini- 
»  Domingue;  item,  Pondichéry  et  les  autres  éiablissemens  fran- 
»  çais  dans  les  Indes  orientales  ; 

9  oo 

»  (j^  L'empereur  sera  dédommagé  de  sa  partie  de  la  Gueldre 
»  par  la  possession  de  Ma«.'Strech  ;  l'Alsace  aura  pour  souverain 
»  un  prince  de  l'empire,  qui  n'est  pas  encore  désigné; 

»  7o  Quant  à  la  Hollande,  le  rétablissement  du  siathouderat 

>  garanti  par  toutes  les  puissances  coalisées,  une  nouvelle  al- 
»  liance  avec  l'Angleterre  et  ses  alliés,  et  l'île  de  Walcheren  cédée 
»  à  per|:iétuilé  aux  Anglais.  » 

»  0  comble  de  la  scélératesse  et  de  la  barbarie  !  les  patriotes 
beb^es,  les  patriotes  holhîndais  livrés  aux  poignards  et  aux  écha- 
fauds  de  l'empereur  et  du  prince  d'Orange  I  Jamais  autant  de 
projets  destructeurs  ne  furent  plus  perfidement  combinés  et 
plus  ouvertement  tramés  ;  et  cependant ,  par  un  prodige  inouï  , 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  o9 

VOUS  triomphez  du  nombre  et  de  la  scélératesse  de  vos  ennemis  ! 
i  Oui ,  représentans ,  vous  avez  vaincu  î  Au  centre  de  la  con- 
juration vous  venez  de  remporter  sur  la  coalition  des  rois  une 
victoire  décisive  sans  doute;  mais  il  faut  que  l'élan  et  l'énergie 
de  vos  âmes  répondent  au  mouvement  et  au  feu  des  armes  :  vous 
en  perdez  tous  les  fruits  si  vous  n'arrachez  à  leurs  émissaires 
tous  les  moyens  d'assassiner  la  liberté  jusque  dans  son  sanctuaire, 
IJnion  sincère  et  forte  entre  tous  les  républicains ,  mais  haine 
profonde  et  éternelle  à  tous  les  royalistes,  une  barrière  insur- 
montable entre  eux  et  nous!  Qu'ils  aillent  porter  autour  des 
troues  leurs  richesses  corruptrices,  leurs  bassesses,  leurs  poi- 
gnards, et  leur  fureur  de  servir  des  maîtres  et  de  mutiler  des 
esclaves  î 

))  Les  royalistes  ont  tout  osé  pour  consommer  le  crime  de  la 
tyrannie  :  osez  tout  pour  le  triomphe  de  la  République  ;  elle  est 
perdue  si  vous  ne  vous  montrez  inflexibles  envers  tous  les  traî- 
tres !  Que  peuvent  des  paroles  de  clémence  contre  des  ennemis 
qui  ne  respirent  que  les  haines  et  les  vengeances? 

»  Vous  les  croyez  anéantis.  Prêtez  l'oreille  à  leurs  cris  sinis- 
tres et  à  leurs  discours  féroces  :  tout  ce  qu'ils  n'ont  pu  cor- 
rompre est  proscrit  ;  tout  ce  qui  s'est  opposé  à  la  ruine  de  la 
République  sera  immolé.  Encore  quelques  jours,  disent-ils,  et 
nous  achèverons  le  massacre  de  ces  orgueilleux  fondateurs  !  En- 
core quelques  jours,  et  il  ne  restera  pas  un  seul  défenseur  de 
la  liberté  sur  la  terre  ;  nous  n'y  trouverons  plus  un  seul  accu- 
sateur  

»  Parcourez  leurs  correspondances  :  ils  annoncent  dans  leur 
affreuse  joie,  aux  tyrans  avec  lesquels  ils  conspirent ,  qu'ils  tou- 
chent au  moment  de  se  baigner  dans  le  sang  du  peuple  français 
et  de  ses  plus  fidèles  représentans  ;  tous  vos  amis,  les  braves  ci- 
toyens, les  héros  qui  ont  défendu  la  représentation  nationale, 
qui  ont  sauvé  la  République  dans  l'immorLelle  jcuriiée  du  15 
au  14,  sont  déjà  poursuivis  dans  leur  pensée  comme  des  bri- 
gands et  des  assassins....  Que  dis-jc!  ce  blasphème  impie  est 


bO  CONVENIION    .NAllO^ALE. 

échappé  de  la  bouche  de  leurs  bourreaux  ;  il  a  retenti  jusque 
dans  celle  enceinte! 

>  Keprésenlans  du  peuple ,  mon  devoir  est  de  tout  vous  dire  , 
de  tout  braver  pour  sauver  mon  pays.  Celui  qui  dans  ces  mo- 
mens  de  danger  ne  se  passionne  pas  pour  les  moyens  de  le  sauver 
vous  trahit;  il  conspire. 

>  J'entends  dire  que  les  rebelles  sont  désarmes  ;  mais  leurs  par- 
tisans, leurs  complices,  leurs  effrontés  prou cleurs  sont  encoie 
puissans;  vous  les  voyez  plus  occupés  à  consoler  les  ombres  sa- 
crilèges des  conspirateurs  qu'à  sonder  les  plaies  de  la  patrie  , 
qu'à  soulager  avec  vous  la  douleur  publique  :  ces  hypocrites  vous 
séduisent  par  l'apparence  de  quelques  vertus  qui  vous  sont  habi- 
tuelles; mais  ils  vous  combattent  en  secret  par  la  ruse,  le  men- 
songe et  la  perfidie  ;  ils  s'isolent  de  vous  pour  mesurer  les  coups 
qu'ils  se  préparent  à  vous  porter. 

»  Le  point  d'appui  du  royalisme  est  frappé,  mais  il  n'tst  pas 
abattu;  son  horrible  ouvrage  subsiste  tout  entier;  la  famine,  la 
banqueroute,  l'assassinat  des  patriotes  restent  organisés.  Les 
conjurés  vont  s'asseoir  parmi  les  magisirats ,  parmi  les  manda- 
taires du  peuple  ;  et  lorsque  la  royauté  seule  devrait  être  en 
deuil ,  par  quelle  fatalité  le  crêpe  du  malheur  et  de  la  mort  enve- 
loppe-t-il  toujours  le  sol  de  la  République?  r 

»  Représenians  du  peuple,  la  punition  du  crime  n'épouvante 
que  la  faiblesse  ;  vous  êtes  comptables  au  peuple  de  sa  grandeur  : 
si  vous  n'aiteignez  tous  les  traîtres  par  la  rigueur  de  la  justice, 
si  vous  ne  punissez  les  attentats  qui  ont  fait  couler  des  flots  de 
sang  et  de  larmes,  vous  vous  chargez  d'une  responsabilité  ter- 
rible. 

>  Songez  qu'après  la  scélératesse  ce  qui  menace  le  plus  la 
patrie  c'est  la  pusillanimité  des  gens  de  bien  ;  leur  mollesse  as- 
sure l'impunité ,  encourage  le  crime ,  et  laisse  opprimer  le  peuple. 

>  C'est  surtout  par  amour  pour  la  justice  et  pour  l'humanité 
que  j'évoque  du  fond  de  vos  cœurs  les  sentimens  forts  et  énergi- 
ques d'une  fermeté  inébranlable.  Une  justice  prompte  et  inflexi- 
ble eût  déjà  rompu  tous  les  complots  ;  votre  indulgence  les  a  fait 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  61 

renouer  :  plus  vous  attendrez ,  plus  vous  verrez  s'accroître  les 
obstacles  et  les  dangers.  Que  les  leçons  de  l'expérience  nous  ap- 
prennent à  être  sages  !  Le  temps  est  précieux  ;  si  vous  persistez 
à  vous  montrer  indulgens  aujourd'hui ,  vous  serez  cruels  demain. 
Soyez  sévères ,  pour  que  personne  ne  soit  atroce  ;  soyez  fermes , 
afin  de  n'être  jamais  exagérés  ;  maintenez-vous  à  la  hauteur  delà 
justice ,  si  vous  ne  voulez  pas  être  obligés  dans  quelques  jours  de 
forcer  toutes  les  mesures.  Ceux  qui  cherchent  à  couvrir  le  crime 
de  leurs  manteaux ,  qu'ont-ils  fait  au  moment  du  danger  contre 
vos  ennemis  ?  Que  vous  proposent-ils  aujourd'hui  pour  sauver  la 
République,  trahie  et  menacée  sur  tous  les  points?  Eclairons  la 
conduite  de  tous  les  traîtres  ;  de  tous  ceux  qui  ont  protégé  le 
royalisme  ;  portons  la  lumière  dans  tous  les  replis  des  complots  : 
les  tempêtes  ne  sortent  jamais  que  du  sein  des  nuages  et  des  té-» 
nèbres.  Je  vous  le  déclare ,  représentans  du  peuple,  si  vous  lais- 
sez les  rênes  de  la  révolution  dans  des  mains  crimmelles  ou  sus- 
pectes ,  personne  ne  peut  être  certain  de  son  avenir  ;  l'ordre  so- 
cial est  troublé  pour  long-temps  jusque  dans  ses  sources  les  plus 
profondes;  un  siècle  de  discordes  civiles  et  de  calamités  pubhques 
désolera  notre  malheureuse  patrie. 

1»  Soyez  donc  aujourd'hui  ce  que  vous  avez  été  dans  toutes  les 
circonstances  menaçantes!  Conservez  ce  courage  vertueux  qui 
vous  a  fait  accomplir  de  si  hautes  destinées  ;  soyez  grands  et  ma- 
gnanimes comme  le  peuple  que  vous  représentez;  faites  pour  le 
triomphe  de  la  République  ce  qu'on  a  tenté  pour  le  retour  de  la 
monarchie;  pardonnez  à  l'erreur,  mais  montrez-vous  inébran- 
lables envers  les  traîtres  !  La  clémence  dans  ce  cas  serait  funeste 
au  peuple  :  ne  laissons  pas  à  d'aussi  vils  ennemis  un  triomphe  qui 
serait  à  la  fois  la  honte  et  la  perte  de  l'humanité. 

»  Il  n'appartient  pas  au  chef  de  la  force  armée  de  vous  pro- 
poser aucune  mesure  ;  mon  devoir  est  de  faire  exécuter  celles 
que  vous  commandent  les  intérêts  et  les  dangers  de  la  Répu- 
blique. > 

—  Les  journées  de  vendémiaire  n'eurent  aucune  conséquence 
fâcheuse  pour  le  parti  vaincu.  Il  y  eut  trois  commissions  militaires 


fj'2  «  ONVENTIOTf    "ÏATIOîfALE. 

de  nommées ,  mais  elles  De  condamnèrent  que  des  conlumaccs , 
qui  se  représentèrent  ensoite  devant  le  tribonal  criminel  de  la 
Seine,  où  ils  furent  acquittés  c  parce  qn'il  n'y  avait  pas  en  de  ré- 
volte le  15  vendémiaire.  >  Ces  journées  ranimèrent  on  instant , 
ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  les  espérances  des  Jacobins.  Elles  Ta- 
rent encouragées  par  la  conduite  du  parti  Tallien  qui  Toufait 
surtout  tirer  venj^eance  des  membres  de  la  Convention  qu'il  avait 
eu  à  combattre  dans  ces  dernières  affaires,  favorisait  ouvertement 
les  hommes  de  Tancienne  Montagne.  De  leur  côté,  ceux-ci  se 
montraient  très-disposés  à  profiter  des  circonstances.  Dès  le  6  oc- 
tobre (14  vendémiaire)  j  Pérard,  ami  intime  de  Choudieu  ,  fit  la 
motion  suivante  : 

Pérard,  «  La  République  long-temps  méconnue,  trop  long- 
temps avilie,  a  été  véritablement  sanctionnée  hier  et  aujourd'hui 
par  le  courage  des  hommes  de  89.  (  On  applaudit.  )  Le  canon  de 
la  Bastille  a  de  nouveau  retenti  ;  il  faut  que  la  victoire  soit  utile , 
et  qu'enfin  le  royalisme  soit  comprimé  pour  ne  se  relever  jamais. 
On  a  lardé  long-temps  à  se  décider  à  celle  mesure,  il  faut  l'adop- 
ter; il  faut  que  tout  œ  qui  combattit  la  patrie  et  versa  le  s:mg  des 
patriotes  soit  puni  ;  que  l'exemple  soit  marquant.  (Les  applaudis- 
semens  se  renouvellent.) 

•  Pour  prendre  des  mesures  promptes  et  efficaces  il  faut 
centraliser  les  volontés  et  resserrer  leur  action,  le  temps  est  pré- 
cieux. 

»  Décrétez  que  les  comités  de  salut  public  et  de  sûreté  générale 
nommeront  dans  leur  sein  une  commission  de  trois  membre^,  qui 
vous  proposeront,  séance  tenante,  des  mesures  de  gouvernement, 
relatives  au  passé  et  au  présent.  >  (Il  s'élève  de  violens  mur- 
mures.) 

Celte  motion  fut  combattue  par  Chénier,  et  rejetée.  Quirot  et 
Goiirdan  demandèrent  ensuite  le  rapport  de  la  loi  du  1:2  fructi- 
dor (29  août),  relative  aux  révolutionnaires  détenus,  parce  qu'elle 
ne  portail,  dit  Gourdan,  «  que  sur  des  hommes  arrêtés  la  plupart 
pour  cause  de  patriotisme.  >  Garran  et  Colombel  appuyèrent  la 
proposition  ;  Thibaudeau  l'attaqua  et  la  fit  renvoyer  au  comité  do 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  6? 

sûreté  générale.  Un  grand  nombre  de  propositions  du  même  genre 
furent  faites  coup  sur  coup  par  les  Montagnards;  mais  ils  n'ob- 
tinrent d'autre  succès  que  celui  de  s'entendre  applaudir  de  nou- 
veau, car  leurs  demandes  ne  passèrent  pas.  Le  8  octobre  {[6  ven- 
démiaire) Thirion  écrivit  à  l'assemblée  pour  obtenir  d'être  jugé 
ou  mis  en  liberté.  Bentabolle  vota  pour  le  renvoi  de  celte  lettre 
au  comité  de  législation  qui  ferait  un  rapport.  —  Dubois-Crancé. 
€  Je  demande  que  ce  rapport  s'étende  à  tous  les  députés  mis  en 
arrestation.  Nous  avons  violé  la  Constitution ,  car  il  ne  nous  ap- 
partenait pas  de  déclarer  que  les  députés ,  qui  n'étaient  point  en 
état  d'accusation,  seraient  inéligibles  au  corps  législatif.  (Quelques 
applaudissemens.  —  Violens  murmures.)  On  objectera  avec  rai- 
son que  ce  décret  a  été  soumis  au  peuple  qui  l'a  sanctionné,  mais 
je  dis  qu'il  est  juste  de  reconnaître  ,  avant  de  nous  séparer,  l'in- 
nocence de  ceux  de  nos  collègues  qui  n'ont  pas  mérité  le  décret 
d'accusation.  »  —  La  proposition  de  Bentabolle  fut  seule  adoptée. 
Le  lendemain,  Delabaye,  au  nom  du  comité  de  législation,  fit  un 
rapport  sur  J.  B.  Lacoste,  l'un  des  députés  décrétés  d'arrestation, 
et  conclut  à  ce  qu'il  rentrât  dans  l'assemblée.  Après  une  discussion 
très-vive,  la  Convention  rejeta  celte  proposition  comme  contraire 
aux  décrets  des  5  et  15  fructidor,  et  censura  le  rapporteur.  Cet 
échec  devait  suffire  à  ouvrir  les  yeux  des  membres  du  côté  gauche, 
car  Taliien  lui-même  avait  parlé  pour  l'ordre  du  jour,  en  disant  : 
€  Se  moque-t-on  de  la  volonté  du  peuple  ?...  avant  de  passer  à 
Tordre  du  jour,  il  faut  faire  voir  au  peuple  qu'on  veut  attaquer 
la  Constitution  et  mépriser  sa  volonté.  »  —  Oui!  oui!  s'écria  le 
côté  droit. 

«  Les  membres  qui  siègent  dans  la  partie  droite,  dit  le  Moni- 
teur, sont  dans  la  plus  vive  agitation.  —  Le  tumulte  augmente  et 
force  le  président  de  se  couvrir.  —  Le  calme  renaît.  » 

André  Dumont.  «  Je  ne  m'occupe  pas  des  faits  contentis  dans 
le  rapport  ;  mais  je  rappelle  à  la  Convention  qu'il  ne  lui  est  plus 
permis  de  penser  à  faire  entrer  dans  son  sein  des  hommes  que 
les  décrets  des  5  et  13  fructidor,  décrets  sanctionnés  par  le  peuple, 
ont  déclarés  inéligibles.  On  ne  peut ,  sans  porter  atteinte  à  la 


64  CONVENTION   NATIONALE. 

Conslilulion  et  à  la  volonlé  souveraine  du  peuple,  rien  faire  contre 
la  leitro  et  l'esprit  de  ces  décrets  ;  vous  les  avez  déjà  attaqués 
hier,  en  prononçant  le  renvoi  qui  a  été  demandé  à  l'occasion  de 
la  lettre  écrite  par  Tliurion. 

>  Je  demande  que  la  Convention  rapporte  le  décret  de  renvoi 
qu'elle  a  rendu  hier,  qu'elle  défende  qu'il  lui  soit  jamais  fait  au- 
cun rapport  sur  pareille  matière,  et  qu'elle  déclare  formellement 
qu'elle  ne  chanjjera  point  les  époques  fixées  pour  la  convocation 
des  assemblées  électorales,  la  formation  du  corps  législatif  et  l'é- 
tablissement du  gouvernement  constitutionnel.  »  (On  applaudit 
vivement.) 

Legendre  de  Paris,  c  Fermez  la  discussion  ;  vous  n'avez  pas  le 
droit  de  discuter  la  Constitution.  >  (Oui!  oui!  s'écrient  tous  les 
membres  de  la  partie  droite  en  se  levant.) 

La  discussion  est  fermée.  —  BentaboUe,  <  Je  demande  la  pa- 
role. >  —  Vive  la  République!  s'écrient  les  membres  de  la  droite 
en  se  levant.  —  Le  reste  de  l'assemblée  suit  ce  mouvement.  — 
Les  propositions  d'André  Dumont  sont  adoptées  au  milieu  des 
plus  vifsapplaudissemens  par  la  grande  majorité  de  l'assemblée. 
—  Environ  trente  membres  de  lextréaiité  gauche  ne  se  lèvent  à 
aucune  des  deux  épreuves.  >  (Moniteur.) 

Les  thermidoriens  siégeaient  toujours  à  droite.  M.  Thibaudeau 
nous  explique  ainsi  dans  ses  mémoires,  t.  1,  p.  22(1  et  suivantes, 
le  retour  de  Tallien  et  de  ses  amis  sur  les  bancs  de  la  Montagne  : 
«  Le  17  vendémiaire  (9  octobre),  il  y  eut  un  dîner  chez  Froma- 
lagnez;  nous  y  étions  environ  une  douzaine,  savoir  :  Boissy,  La- 
rivière,  Lesage,  Legendre,  Tallien,  etc.  Après  dîner,  Legendre 
dit  aux  quatre  premiers  qu'il  avait  à  leur  reprocher  le  silence 
qu'ils  avaient  {;ardé  pendant  la  révolte  des  sections ,  et  sur  les 
éloges  que  \e^  royalistes  leur  avaient  donnés  dans  leurs  placards 
et  leurs  journaux.  Ils  répondirent  qu'ils  n'avaient  pas  du  repous- 
ser des  éloges  qu'ils  croyaient  mérités;  qu'ils  ne  les  avaient  point 
recherchés  ;  qu'ils  avaient  gardé  le  silence  ,  parce  qu'ils  avaient 
peiîso  qu'il  valait  mieux  temporiser  que  brusquer  une  explosion  , 
et  qu'ils  avaient  craint  le  retour  du  terrorisme.  Celte  justification 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  65 

était  bien  faible ,  car  si ,  pour  éviter  la  terreur ,  la  majorité  de 
la  Convention  eût  aussi  gardé  le  silence,  il  n'est  pas  douteux 
qu'elle  n'eût  été  culbutée  par  le  Royalisme.  Cependant  Legendre 
était  quelquefois  de  bonne  composition,  et  il  se  contentait  de 
ces  explications,  lorsqu'en  les  donnant  Lanjuinais  dit  te  mas- 
sacre du  15  vendémiaire.  A  ce  mot,  Taîlien  entre  dans  un  ex- 
cès épouvantable  de  fureur;  il  ne  se  possède  plus;  il  accuse 
Lanjuinais  et  ses  collègues  de  connivence  dans  la  rébellion  des 
sections,  il  les  traite    de  conspirateurs,  et  Fromalaguez  d'es- 
pion ,  il  veut  sortir  pour  aller  les  dénoncer  à  la  Convention.  On 
se  jette  au-devant  de  lui  pour  l'arrêter,  on  ferme  les  portes,  on  fait 
tout  au  monde  pour  l'adoucir  :  il  menace  de  tout  briser ,  et  ne 
veut  entendre  à  rien.  J'avais  des  raisons  de  croire  que  Tallien  ne 
cherchait  qu'un  prétexte  pour  se  séparer  des  soixante-treize  et 
retourner  à  la  Monia,;ne.  Dès  ses  premiers  mouvemens  je  crus 
m'apercevoir  qu'il  jouait  la  comédie  :  j'étais  donc  resté  assis  et  je 
le  regardais  tranquillement  vociférer  et  se  débattre,  lorsqu'enfin , 
fatigué  de  la  prolongation  de  cette  scène  scandaleuse  ,  je  dis  de 
sang-froid  f  <  S'il  veut  absolument  sortir,  ouvrez-lui  la  fenêtre.  > 
Ces  mots  produisirent  sur  lui  l'effet  d'un  seau  d'eau  jeté  sur  un 
chien  qui  se  bat;  il  reprit  sa  raison  et  se  remit  en  place.  Lanjui- 
nais put  enfin  s'expliquer  ;  il  convint  qu'il  s'était  servi  d'un  terme 
impropre  et  dit  qu'il  appelait  massacre  toute  affaire  dans  laquelle 
le  sang  coulait ,  mais  qu'il  n'avait  eu  aucune  mauvaise  pensée. 
Cette  explication  parut  satisfaire  Tallien  ;  on  se  réconcilia,  on  se 
promit  mutuellement  de  rester  amis,  et  de  ne  point  parler  de  ce 
qui  s'était  passé.  On  ne  se  tint  point  parole  ;  on  en  paila,  et,  selon 
l'usage,  chacun  à  sa  manière.  » 

Le  15  octobre  (25  vendémiaire) ,  Tallien  et  ses  amis  allèrent 
reprendre  au  haut  de  la  Montagne  la  place  qu'ils  avaient  aban- 
donnée depuis  quatorze  mois.  Ce  même  jour,  Delaunay  d'Angers 
fit  un  rapport  sur  la  découverte  de  la  conspiration  de  Lemaître. 
La  correspondance  saisie  chez  lui  prouva,  dit  le  rapporteur,  l'exis- 
tence d'un  comité  secret  d'émigrés,  à  Bàle,  qui  paraissait  compter 
sur  les  assemblées  primaires  de  Paris  :  parmi  les  hommes  dési- 

T.    XXX VII.  5 


^m  CONVENTION    NATIONALE. 

gnt'S  comme  utiles  au  plan ,  les  auteurs  des  lettres  nommaient 
Laliarpe  ,  Lacretelie  et  Richer-Sérizy.  A  la  suite  de  ce  rapport , 
il  fut  décrété  que  Lemaîire ,  ancien  secrétaire-général  des  finan- 
ces, chez  lequel  les  papiers  avaient  été  saisis ,  serait  traduit  de- 
vant une  commission  militaire  à  Paris.  —  Talîien  se  leva  aus^it(Jt 
et  parla  avec  une  g^rande  véhémence  ;  il  s'accusa  d'avoir  g^rdé  le 
silence  sur  les  dangers  de  la  représentation  nationale ,  sur  les  in- 
dividus qui  protégeaient  la  révolte  des  sections  de  Paris,  et 
avaient  des  chevaux  prêts  pour  aller  au-devant  du  roi ,  si  la  Con- 
vention eût  succombé  :  il  termina  par  demander  un  comité  gé- 
néral ,  ce  qui  eut  lieu.  —  Tallien  y  dénonça  Lanjuinais ,  Boissy- 
d'Anglas,  Henri  Larivière  et  Lesage  d'Eure-et-Loir.  La  séance 
secrète  fut  très-orageuse.  La  Convention  décida  qu'il  n'y  avait 
pas  lieu  à  inculpation  contre  les  quatre  députés  dénoncés.  Le  len- 
demain, Louvet ,  qui  faisait  cause  commune  avec  le  parti  Tallien , 
attaqua  Rovère  et  Saladin ,  comme  les  chefs  ou  premiers  fauteurs 
de  la  révolte  des  sections,  et  demanda  leur  arrestation.  Il  cita 
un  grand  nombre  de  faits  d'où  il  résultait  que  Rovère  avait  aidé 
aux  mouvements  royalistes  de  Paris ,  et  qu'il  était  le  correspon- 
dant et  le  protecteur  des  assassins  du  midi.  II  cita,  de  Saladin,  la 
brochure  publieli  par  ce  dernier  contre  les  décrets  des  o  et 
lô  fructidor.  L'assemblée  décréta  l'ai  restaiion  de  Rovère  et  celle 
de  Saladin  (t)  ;  elle  décréta ,  en  outre,  la  lecture  des  papiers  sai- 
sis chez  Lemaître  ;  elle  eut  lieu  le  lendemain.  Voici  l'analyse  qui 
en  fut  donnée  : 

Ysabeau.  «  Je  viens,  au  nom  du  comité  du  sûreté  générale,  sa- 
tisfaire à  votre  décret ,  et  vous  donner  lecture  de  la  correspon- 
dance trouvée  chez  le  nommé  Lemaître,  ancien  secrétaire  du  roi, 
ci-devant  noble  et  agent  des  princes  à  Paris. 

>  Lemaître  est  arrêté;  il  demeurait  rue  Sainte-Croixde-!a- 
Brelonnerie. 

>  Un  grand  nombre  de  lettres  composent  sa  correspondance  ; 


(f  )  Ils  Turent  rais  en  liberté  par  ua  décret  du  conseil  des  Anciens  dans  les  pre- 
miers jours  de  novembre.  ( Aofe  dfj  auteurs.  ) 


RÉACTION   THERJIIDORJENNE.  '  67 

elles  sont  presque  toutes  timbrées  Huningue  y  et  viennent  de 
Bâle  ;  il  y  en  a  plusieurs  du  ci-devant  Monsieur. 

»  Les  lignes  apparentes  de  ces  lettres  sont  écrites  avec  de 
l'encre  très-noire ,  et  conliennenl  des  choses  indifférentes ,  quel- 
quefois des  expressions  républicaines  ;  c'est  dans  les  interlignes 
que  se  trouve  la  véritable  correspondance  écrite  avec  une  com* 
position  qui  noircit  par  les  acides. 

»  Dans  ces  lettres ,  le  ci^devant  Condé  est  désigné  par  77  , 
d'Artois  par  29 ,  Monsieur  par  49 ,  etc. 

t  Juillet  et  août  1796.  «  On  est  bien  embarrassé  de  Puysayeà 
Londres.  Saini-Mauris ,  parent  de  Galonné ,  est  nommé  inten- 
dant de  l'armée  catholique;  il  est  parti  avec  huit  milhons  d'assi- 
gnats faux  et  autres  drogues.  77  (Condé)  est  bien  l'être  le  plus 
maussade  qui  existe;  il  est  toujours  en  dessous.  Les  Anglais  sont 
bien  déterminés  à  recommencer,  si  la  première  tentative  ne 
réussit  pas.  Piit  va  faire  couler  le  Pactole  au  milieu  de  la  hgue. 

>  Il  faut  nous  procurer  les  papiers  relatifs  à  la  cérémonie  du 
sacre  ;  M.  de  Nantouillet  veut  les  avoir.  M.  Gallois,  qui  était  em- 
ployé aie  poste ,  pourra  les  trouver.  Tachez  au  moins  d'avoir  les 
livres  des  sacres  de  Louis  XIV ,  de  Louis  XV ,  et  de  Louis  XVI , 
avec  les  deux  volumes  du  cérémonial  d6  Godefroy  et  celui  de 

Saintor L'abbé  Maury  pense  qu'il  faut  bientôt  terminer 

Tallien  nous  l'a  baillé  belle  avec  son  impudent  rapport  sur  Qui- 
beron.  Nous  avons  eu  une  belle  peur  :  le  lendemain  le  Moniteur 
nous  a  rassurés.  Nous  apprenons  que  Nantes  est  pris;  l'armée 
va  marcher  sans  doute  sur  la  Roche-Sauveur  ;  Charette  a  dii  faire 
sa  jonction  :  voilà  une  armée  ,  de  braves  officiers  ;  l'affaire  est 
en  bon  train.  M.  de  Nantouillet  vous  prie  de  ne  pas  oublier  le 
cérémonial  du  sacre  ;  ce  sera  un  coup  de  maître. 

»  Enfin  l'on  s'est  embarqué.  20  (  d'Artois  )  est  à  bord  de  VAsia, 
de  soixanie-quaîre  canons.  Voilà  nos  Argonautes  qui  vont  à  la 
conquête  de  la  toison  d'or.  Les  entretiens  roulent  ici  sur  Quibe- 
ron.  On  croit  au  masque  de  Berlin  ;  je  n'y  crois  pas  ;  l'oncle  de 
Frédéric  est  rentré  dans  son  taudis  ;  il  ne  se  tirera  jamais  de  la 
boue  dont  il  est  couvert. .,  L'Espagne  a  donc  traité  I  Si  Charhs  TU 


6S  CONVIiNTION    NATlUiNALE. 

ressusciiaii ,  comme  il  roujjiraii  de  la  paix  de  son  fils  !  Les  af- 
faires vont  mal.  Il  ne  fallait  pas  faire  le  Henri  IV  et  le  Louis  XII 
avant  le  temps;  il  fallait  cajoler  77  (  Condé). 

»  La  couronne  ensanglantée  qui  tombe  sur  ma  tête  doit  être 
pour  vous  l'occasion  des  plus  sérieuses  rétlexions.  (C'est  Mon- 
sieur qui  écrit  au  duc  d'Angoulême.  )  Elle  doit  vous  appartenir 
un  jour,  selon  Tordre  de  la  nature.  Songez  que  le  sort  de  vingt- 
cinq  millions  d'hommes  dépendra  de  vous....  Le  fils  (duc  de 
Bourbon)  de  77  (Condé)  se  conduit  à  merveille  ;  c'est  la  valeur 
et  la  loyauté  même...  Je  crains  un  bouleversement  à  Londres. 

»  Breteuil  ne  se  relèvera  pas  de  celte  chute.  Sur  quoi  faut-il 
compter?  Les  Anglais  viennent  d'enlever  cinq  millions  d'écus  en- 
voyés à  Gènes  par  la  Convention  pour  achats  de  grains....  Il  est 
question  de  l'échange  de  Madame  royale  contre  les  coquins  de 
députés.  11  est  bien  à  désirer  que  cet  échange  ne  s'effectue  pas.  » 

Unninguc ,  le  17  aoiu.  c  Me  voilà  de  retour  de  Vienne,  où  j'ai 
eu  une  conférence  avec  l'ambassadeur  anglais.  L'Angleterre  fait 
feu  ei  Haumie  ■■,  elle  presse,  elle  donne  de  l'argent  tant  qu'on  veut 
poui-  augmenter  l'armée  de  77  ;  elle  fait  acheter  des  chevaux  bons 
et  mauvais  ,  elle  a  fait  partir  un  exprès  pour  la  Hongrie ,  où  l'é- 
vêque  de  iS'ancy  lui  a  promis  un  corps  de  6000  mille  Français. 

€  Merlin  de  Thionville,  Kewbell  et  Hivaud  sont  venus  dîner 
dimanche  chez  Barthélémy  ;  ils  étalaient  un  luxe  asiatique  ;  ils 
avaient  trois  voitures  ,  dont  ww^.  du  roi.  A  leur  suite  étaient  dix- 
liuii  personnes  à  cheval ,  des  officiers  des  mieux  tenus  et  des  plus 
agiiiables.  » 

>  llun'mguc^  le  11)  aoîd.  «  Wurmser  arrive.  On  craint  que  les 
Lyonnais  et  les  montagnes  n'éclatent  avant  le  temps  ;  ou  fait  tout 
ce  qu'on  peut  pour  les  retenir.  Nous  devons  entrer  sous  un  mois, 
probablement ,  par  le  Porentruy  ;  aiors  la  grande  armée  passe- 
rait le  Rhin,  et  nous  nous  agirions  dans  la  Franche-Comté  avec  le 
corps  de  18,000  hommes,  commandé  par  le  général  Wurmser, 
pourvu  toutefois  que  ces  messieurs  ne  nous  laissent  pas  tous 
seuls,  en  nous  disant  :  Vous  y  voiià,  lire/.-vous-en.  > 

t  On  lit  dans  une  lettre'  d'Huningue,   le  tî^  août ,  adressée  à 


RÉACTION    TUEKMlDORIiiNNIi.  GD 

M...,  rue  Beaujolais,  n.  912  ;  «  Puisaye  n'est  qu'un  intrijjant  ;  il 
faut  espérer  que  l'aventure  de  Quiberon  aura  fait  ouvrir  les  yeux 
sur  son  compte. 

<  Vienne  relient  tout  aujourd'hui  par  sa  ténaciië  ;  son  système 
m'épouvante.  On  ne  sait  plus  oii  donner  de  la  tête  ici.  Le  terri- 
toire bâlois  va  être  violé  par  une  armée  de  60,000  hommes  qui 
est  à  ses  portes.  En  attendant,  on  voit  arriver  à  Baie  des  ouver- 
tures de  paix  de  tous  les  petits  princes  d'Allemagne  ;  mais  tout 
cela  ne  servira  à  rien. 

«  Barthélémy  est  malade;  il  avait  été  proposé  de  lui  faire  le- 
mèttre  une  note  pour  lui  ordonner,  au  nom  du  roi ,  de  quitter 
l'ambassade  et  de  remettre  tous  les  papiers ,  ce  qui  eût  donné  des 
renseignemens  très-précieux;  mais  on  n'a  pas  répondu,  parce 
qu'on  ne  répond  jamais.  II  serait  bien  nécessaire  d'établir  à  Paris 
une  correspondance  avec  Gharette. 

»  Le  ciel  et  la  terre  sont  sourde  à  ma  voix.  Rien  ne  niarche  que 
le  temps  et  notre  ruine  totale.  Il  n'y  a  point  d'énergie  ailleurs 
que  dans  la  Vendée. 

»  Je  vois  avec  plaisir  Madame  royale  sortir  des  fers  ;  mais  je 
ne  la  vois  pas  avec  plaisir  daus  les  mains  autrichiennes  ;  j'aime- 
rais mieux  la  voir  dans  celles  de  Gharette.  Ge  serait  là  sa  vraie 
place. 

»  L'expédition  de  la  flotte  de  d'Artois  n'est  que  de  4,000 
hommes. 

»  Jamais  l'empereur  n'a  eu  une  si  belle  armée.  Wurmsercoui- 
mande  80,000  hommes  d'élite  :  il  menace  de  passer  le  Rhin , 
mais  il  n'en  fera  que  le  semblant. 

»  Glerfait  reste  sur  la  défensive  ;  ie  recrutement  de  l'armée  de 
Gondé  n'est  pas  fort;  Devins  ne  fait  plus  rien  en  Italie;  le  roi 
sarde  est  traité  fort  lestement  ;  Gâteau  a  les  jambes  enflées;  elle 
ne  marche  presque  plus. 

>  Les  corps  anglais  à  cocarde  blanche  vont  à  l'armée  de  Gondé; 
cela  ne  la  renlxjrcera  pas  beaucoup  ;  tout  le  monde  est  officier, 
personne  n*est  soldat.  Vienne  et  Londres  ne  s'entendent  pas 
trop.  » 


70  CONVENTION   NATION.U,E. 

>  8  Septembre.  «  Les  chansons  étant  ce  qui  convient  le  mieux 
au  peuple  français,  nous  en  avons  établi  une  fabrique.  Nous  vous 
en  envoyons  le  prospectus  ;  vous  les  ferez  réimprimer  ;  vous  fe- 
rez gémir  les  presses  sur  les  chansons ,  cela  sera  un  peu  plus 
{jai.  —La  Vendée,  la  Vendée!  c'est  là  notre  salut.  » 

10  Septembre,  i  C'est  la  chute  des  deux  tiers  qui  peut  nous  sau- 
ver, si  les  constitutionnels  ne  prennent  pas  la  direction  des  af- 
faires. Il  ne  faut  pas  s'en  rapporter  à  Vienne  qui  nous  joue  ;  ce 
n'est  qu'en  donnant  une  grande  consistance  à  Monsieur  par  Cha- 
rette,  qu'on  réussira.  —  Londres  et  Vienne  s'observent  ;  on  ne 
sait  que  penser,  c'est  un  bois.  L'empereur  n'a  pas  voulu  qu'on 
répandît  de  son  côté  la  déclaration  du  roi. 

»  Si  Paris  voulait  aller ,  que  ces  gens  fourbes  et  atroces  seraient 
trompés!  ils  le  craignent  :  faites  faire  explosion,  criez  vive  le 
roi!  vous  aurez  mérité  de  la  patrie,  les  honneurs  de  la  séance  , 
l'accolade ,  etc. 

iCe  que  je  propose  est  peut-être  plus  facile  en  spéculation  qu'en 
réalité.  —  Nous  n'avons  d'espoir  que  dans  les  troubles  intérieurs , 
Charette  et  l'horreur  de  la  Convention.  —  Les  Lyonnais  disent 
avec  raison  qu'ils  sont  malheureux  par  les  efforts  des  hommes 
qui  veulent  tout  faire  et  qui  ne  savent  rien  faire. 

»  Je  ne  conseille  pas  au  roi  d'accepter  la  place  de  maire  per- 
pétuel de  Paris  ;  j'aimerais  mieux  le  voir  entre  les  mains  des  pa- 
triotes ,  que  dans  celles  des  puissances  qui  n'ont  ni  foi  ni  loi.  — 
Le  triomphe  des  constitutionnels  n'a  pas  été  long  ;  il  n'y  a  qu'un 
cri  contre  eux.  » 

liàlc ,  /e  30  fructidor,  e  Le  peuple  de  ce  pays  est  tout  jacobin  ; 
il  vous  tue  les  soldats  et  les  geniilshommes  à  coups  de  fusil.  — 
Il  y  a  deux  partis  à  Vienne  :  l'un  veut  la  paix ,  l'autre  veut  la 
guerre.  Ah!  si  on  la  voulait  sérieusement  la  guerre!... 

•  Si  les  sections  sentaient  qu'elles  peuvent  devenir  le  point 
d'union  de  la  France  entière,  elles  conserveraient  leur  attitude 
résolue.  Si  elles  ont  voulu  tout  détruire,  elles  peuvent  tout  ra- 
mener ;  alors  l'Autriche  restera  avec  un  pied  de  nez.  Il  dépend 
encore  de  l'Angleterre  de  déjouer  Vienne.  —  A  vos  sections ,  à 


REACTION   THERMIDORIENNE.  71 

Charette  à  réparer  tous  nos  maux.  (On  en  fait  ici  un  grand  dé- 
tail. )  Il  faut  un  coup  d'éclat  ;  plus  de  Convenlion.  Cela  tient  à  un 
brouhaha  de  Paris;  sans  cela  plus  d'espoir.  > 

»  Dans  une  autre  lettre  où.  lit  :  «  Vérone  est  une  bonne  posi- 
>  lion  pour  rejoindre  Charette  ;  rien  n'empêche  d'y  arriver ,  au 
•  lieu  que,  d'un  autre  côté ,  l'empereur  peut  barrer  le  chemin. 

»  Paris  tient  bon  ,  voilà  l'essentiel;  tout  ira  s'il  ne  mollit  pas. 
»  Je  ne  crois  pas  ce  que  disent  les  journalistes  ,  qui  prétendent 
»  que  déjà  on  lâche  le  pied,  qu'on  ne  va  plus  aux  sections.  > 

Une  autre  lettre  est  signée  Magny. 

Bassal,  «  Ce  Magny  est  un  électeur  du  département  de  Seine- 
et-Oise,  et  l'un  des  plus  grands  meneurs  de  Versailles.  » 

Ysabeau  reprend  la  lecture,  «  Magny  dit  dans  sa  lettre  :  t  On 
ne  pouvait  s'attendre  qu'à  ce  qui  est  arrivé  ;  tout  est  trop  dé- 
cousu dans  cette  grande  ville ,  pour  espérer  un  ensemble  conve- 
nable. Elle  est  trop  grande  de  moitié  pour  toutes  sortes  de  rai- 
sons. Il  y  a  trop  de  gens  empressés  de  gouverner  sans  aucuns 
moyens  pour  le  faire.  — Raffet  est  parti  hier  pour  se  rendre  au- 
près de  vous.  Je  n'ai  pas  de  nouvelles  de  Dreux  ni  de  Chartres  ; 
je  suis  encore  aux  expédiens  pour  correspondre  avec  ces  deux 
villes.  > 

Cette  lettre  est  datée  du  8  octobre. 

Dans  une  autre  lettre,  datée  d'Huningue,  il  est  dit  :  c  Tout 
s'annonce  pour  l'avantage  des  sections.  Quelle  force  n'auront- 
elles  pas ,  aidées  de  la  coalition  et  de  l'opinion  des  départemens? 
Quelqu'un  qui  arrive  de  Paris  dit  qu'il  y  a  bien  des  partis,  qu'il 
y  en  a  un  pour  le  duc  de  Chartres;  mais  que  la  masse  est  com- 
posée de  républicains.  Les  principaux  chefs  sont  Laharpe ,  La- 
cretelle  et  Sérisy  ;  mais  ces  hommes  ne  sont  pas  républicains  ; 
comment  peuvent-ils  mener  ceux  qui  le  sont?  —  Si  Ton  élait 
bien  sûr  que  ces  trois  personnages  menacent  les  sections ,  ne 
serait-il  pas  aisé  de  s'en  rapprocher  et  de  les  faire  servir  49  ? 
Baie  pourrait  être  le  lieu  de  rapprochement.  Un  mot  du  roi  pour- 
rail  être  donné.  —  L'empereur  a  écrit  à  la  diète  de  Ratisbonne 
pour  demander  comment  serait  puni  le  landgrave  de  Hesse-Cas- 


72  GONVtMlOM     WATIONALE. 

sel,  pour  avoir  fait  sa  paix  particulière  avec  la  France.  Cela  est 
honteux,  lorsque  lui-même  abandonne  l'empire  d'une  manière 
aussi  absolue.  > 

La  dernière  des  lettres  est  de  Magny.  t  On  demande,  dii-il , 
des  secours  de  connaissance  à  Orléans.  Le  ventriloque  et  le  der- 
nier mot  aux  Parisiens,  que  j'y  ai  fait  parvenir,  ont  fait  un  grand 
effet.  » 

—  «On  lit  ensuite  des  notes  dans  lesquelles  on  trouve  les  noms 
de  Lanjuinais,  Tallien  ,  Frëron  ,  Boissy,  Cambacérès  ,  Larivière, 
Doulcet,  Bentabolle,  Levasseur,  Isnard  ,  Fermont ,  Lomont , 
Taveaux,  Dul  ois-Dubay ,  Bomel,  etc.  Il  nous  a  été  impossible 
de  rien  recueillir  de  ces  notes  qui  n'ont  pas  de  suite,  qui  ne  pré- 
sentent aucun  sens,  et  qui  le  plus  souvent  paraissent  être  des 
renseignemens  pris  sur  les  évenemens  dont  on  rapporte  les 
dates  >  (Moniteur).  —  Plus  tard  on  lut  encore  deux  pièces  où 
Cambacérès  etGamon  se  trouvaient  compromis. 

Le  parti  de  Tallien  continua  énrrgiquement  la  guerre  qu'il 
avait  déclarée  au  côté  droit.  Il  fit  décréter  d'arrestation  Aubry, 
Lomont,  Gau,  député  nommé  au  conj^il  des  cinq  cents,  et  le 
général  Miranda.  Chcnier  fit  un  rapport  sur  Its  massacres  du 
midi ,  d'où  les  représentons  Guéiin  ,  Boursaull ,  Espinassy,  Du- 
rand-Muillanc ,  Olivier  Gérenie,  Chazal,  Ferroux,  Isnard,  Cliam- 
bon  et  Cadroy  furent  rappelés.  Il  n'était  question,  pour  Tallien, 
Barras  ,  Chénier,  Louvei ,  que  d'annuler  les  opérations  des  as- 
semblées électorales,  dénoncées  chaque  jour  comme  ayant  été 
déterminées  par  les  influences  royalistes.  Les  patriotes  deman- 
daient une  amnistie ,  et  ils  étaient  favorablement  écoutes. 

A  la  suite  du  rapport  fait  par  Barras  ,  le  ±2  octobre  (ÔO  ven- 
démiaire), et  plus  haut  transcrit,  la  Convention  nomma  une 
commisbion  de  cinq  membres  «  pour  présenter  des  mesures  de 
salut  public.  »  Ce  décret  fut  porté  sur  la  proposition  de  Roux 
delà  Marne.  A  la  séance  du  soir,  l'assemblée  désigna  Tallien, 
Dubois-Crancé,  Floreni-Guyoi,  Roux  delà  Marne,  et  Pons  de 
Verdun,  pour  com|X)ser  cette  commission.  Elle  fut  regardée 
comme  la  prise  de  possession  de  la  dictature  par  le  parti  Tallien. 


RÊACTlÔiN    THERMIDORIENNE.  75 

Le  bruit  courut  qu'elle  allait  demander  la  prorogaiion  de  la  Con- 
vention ,  et  la  nullité  des  élections. 

M.  Thibaudeau  nous  apprend  ,  dans  ses  Mémoires ,  qu'il  prit 
aussitôt  la  résolution  de  combattre  et  de  paralyser  la  commission 
des  Cinq.  Tallien  devait  faire  un  rapport  le  25  octobre  (  l^r  bru- 
maire. )  Au  commencement  de  la  séance ,  MeauUe  ayant  proposé 
la  mise  en  liberté  de  tous  ceux  qui  n'avaient  fait  qu'exécuter  les 
ordres  des  représentans  en  mission,  Thibeaudeau  demanda  si  l'on 
voulait  rendre  la  liberté  aux  membres  du  comité  révolutionnaire  de 
Nantes.  Il  s'éleva  ensuite  avec  force,  au  milieu  d'interruptions  fré- 
quentes et  de  violens  murmures ,  t  contre  la  nouvelle  tyrannie 
que  préparent  à  la  nation  quelques  hommes  irrités  de  n'avoir  point 
eu  la  priorité  de  la  confiance  nationale  dans  les  élections.  »  11  dé- 
signa nominativement  Tallien  comme  le  chef  de  ce  parti  :  il  lui 
reprocha  d'avoir  organisé,  avec  Fréron ,  la  réaction  royaliste,  et 
trouva  étrange  que ,  lorsqu'il  existait  aux  comités  une  lettre  du 
Prétendant ,  où  il  disait  qu'il  comptait  beaucoup  sur  Tallien  pour 
rétablir  la  royauté ,  il  fût  venu ,  avec  aussi  peu  de  décence,  accu- 
ser des  hommes  estimables ,  parce  que  leurs  noms  se  trouvaient 
inscrits  sur  des  notes  insignifiantes  :  il  lui  reprocha  de  s'être  fait 
l'orateur  de  la  Montagne  ,  qu'il  avait  auparavant  appelée  la  fac- 
tion des  mâchoires  ;  d'avoir  injurié  la  nation ,  en  disant  que  les  as- 
sen)blées  électorales  de  France  étaient  composées  de  royalistes, 
et  d'avoir  fait  créer  une  commission  qu'il  appelait,  lui ,  une  cham- 
bre ardente,  dans  l'intention  de  faire  casser  les  corps  électoraux 
et  ajourner  la  formation  du  corps  législatif  :  il  demaada  que  celte 
commission  des  cinq  fit  son  rapport ,  séance  tenante ,  et  qu'im- 
médiatement après  elle  fut  dissoute.  —  Tallien  ,  qui  venait-d'en- 
trer  dans  l'assemblée,  reprocha  à  Thibaudeau  de  l'avoir  attaqué 
en  son  absence  ;  demanda  qu'il  signât  sa  dénonciation  ,  et  s'en- 
gagea à  y  répondre  publiquement  :  il  déclara  ensuite  que  la  vic- 
toire du  15  vendémiaire  n'avait  profité  qu'aux  vaincus;  qu'ils 
avaient  trouve  moyen  de  s'échapper  ;  que  si  l'on  voyait  sur  les 
listes  d'élections  les  noms  de  patriotes ,  on  y  voyait  aussi  les  noms 
de  défenseurs  officieux  de  Louis  Capet ,  de  prévenus  d'émigra- 


7i  CONVEKTION  NAnONAlE. 

lion  non  encore  rayés ,  et  d'hommes  qui  avaient  pris  part  à  la 
dernière  conspiration ,  et  qui  étaient  encore  prêts  à  renverser  la 
Uépublique;  que  les  propositions  de  la  commission  seraient  cir- 
conscrites dans  les  bornes  de  la  Consiiluiion,  et  conformes  à  la 
volonté  du  peuple  :  il  termina  en  proposant ,  au  nom  de  la  com- 
mission ,  la  permanence  de  la  Convention  jusqu'au  o  brumaire , 
époque  déterminée  pour  l'org^anisation  du  corps  législatif.  —  Des 
murmures  s'élevèrent  de  toutes  parts.  —  Thibaudeau  dit  qu'il 
était  clair  qu'on  voulait  casser  les  opérations  des  assemblées 
électorales  ;  que  c'était  au  corps  législatif  seul  à  prononcer  sur 
leur  validité  ;  et  il  protesta  d'avance  contre  tout  ce  qui  serait  fait 
de  contraire  à  «  ces  éternels  principes.  »  —  Lareveillère-Lépeaux 
réclama  la  question  préalable  sur  la  permanence  proposée,  et  dit 
qu'en  ce  moment  il  craignait  la  tyrannie  autant  que  jamais.  Ben- 
tabolle  demanda  l'ajournement,  et  que  Thibeaudeau  fût  rappelé 
à  Tordre  pour  avoir  appelé  ckavibre  ardente  une  commission 
chargée  par  la  Convention  de  présenter  des  mesures  de  salut  pu- 
blic. —  Chénier  prit  la  défense  de  TaUien  ,  rappela  sa  conduite 
au  î)  thermidor  et  à  Quiberon  ,  et  néanmoins  conclut  au  rejet  de 
la  permanence.  —  L'assemWée  prononça  l'ajournement  de  la 
proposition  de  Tallien  ;  et  sur  la  demande  de  Barras  ,  chargea  sa 
commission  des  cinq  de  lui  présenter  le  lendemain  les  moyens 
d'adoucir  les  maux  du  peuple  et  de  sauver  la  République. 
En  conséquence  de  ce  décret ,  Tallien  lit  le  lendemain  (séance 
du  iii  octobre  —  "2  brumaire  i  un  nouveau  rapport  dont  la  teneur 
suit  :  '  ^ 

Tallkn ,  au  nom  de  la  commission  des  Cinq,  *  Représentaos  du 
Peuple,  vous  avez  chargé  votre  commission  des  Cinq  de  recher- 
cher et  de  vous  présenter  les  moyens  de  rendre  avantageuse  à  la 
cause  de  la  hberié  la  victoire  remportée  par  ses  amis  dans  la 
journée  du  i5  vendémiaire. 

f  Nous  allons  remplir  celte  tâche  pénible  ,  et  répondre  aussi  à 
vos  calomniateurs  et  aux  nôtres,  ^'ous  leur  prouverons ,  par  les 
vérités  que  nous  allons  vous  dire ,  par  les  mesures  que  nous  vous 
proposerons  ensuite,  que  rien  ne  peut  découraf;er  les  hommes 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  7;> 

qui  veulent  sincèrement  sauver  leur  pays,  et  ne  plus  l'exposer  à 
toutes  les  horreurs  de  l'anarchie. 

>  Vous  n'attendez  pas  de  nous ,  sans  doute ,  le  récit  détaillé  de 
tous  les  événemens ,  de  toutes  les  intrigues ,  de  toutes  les  trames 
employées  depuis  long-temps  pour  parvenir  à  détruire  la  liberté , 
à  anéantir  l'égalité,  et  à  rétablir  la  royauté  sur  les  cadavres  amon- 
celés des  républicains. 

>  Depuis  six  années ,  des  ennemis  nombreux  s'agitent  autour 
de  nous,  et  nous  les  avons  vus  successivement  employer  les 
moyens  même  les  plus  opposés  pour  parvenir  à  leur  but. 

>  Depuis  six  années ,  les  prêtres  ,  les  nobles ,  les  privilégiés , 
tous  ceux  enfin  qui  profitliient  des  abus  nombreux  de  l'ancien  ré- 
gime ,  se  sont  ligués  contre  la  révolution  française. 

»  Tant  que  nous  avons  conservé  une  forme  de  gouvernement 
dont  les  rênes  étaient  confiées  à  un  seul,  on  s'est  contenté  d'agir 
sourdement  pour  miner  ainsi  l'édifice  naissant  de  la  liberté  ;  mais 
aussitôt  que  vous  eûtes  décrété  la  République ,  les  ennemis  se 
montrèrent  à  découvert  ;  ceux  de  l'intérieur  se  réunirent  à  ceux 
de  l'extérieur.  11  leur  fallait  un  point  central ,  pour  diriger,  d'une 
manière  uniforme ,  toutes  leurs  manœuvres.  Le  cabinet  de  Saint- 
James  devint  ce  point  :  ce  fut  là  où  l'on  forgea  cette  longue 
chaîne  de  conspirations ,  cette  immense  série  d'agitations  et  de 
mouvemens  que  nous  avons  vus  successivement  éclater  parmi 
nous. 

»  Le  traité  de  Pilnitz  n'était  pas  seulement  l'ouvrage  des  cabi- 
nets étrangers,  mais  bien  encore  celui  des  contre-révolutionnai- 
res de  l'intérieur. 

>  Chacun  de  vous  se  rappelle  les  intrigues  qui  eurent  lieu  à  la 
fin  de  l'Assemblée  constituante.  La  révision  dirigée  par  les  La- 
meth  et  les  Duport  fut  l'époque  première  des  persécutions  dont 
on  accabla  les  patriotes.  Ils  voulurent  réclamer  les  droits  les  plus 
sacrés,  indignement  violés  ;  ils  furent  incarcérés,  assassinés. 

>  Le  Champ-de-Mars ,  l'autel  de  la  Patrie ,  sont  encore  teints 
de  leur  sang.  Ceux  qui  le  firent  couler  ont  fui  ;  mais  leurs  amis , 
mais  leurs  partisans ,  mais  leurs  coopérateuis  sont  restés ,  et  on 


7()  CONVENTION    NATIONALE. 

les  a  rencontrés  dans  toutes  les  crises  rëvoluiionnaires  ,  toujours 
ardens  persécuteurs  des  patriotes,  et  amis  consians  du  pouvoir 
arbitraire. 

»  Que  Ton  suive  ces  hommes ,  et  on  les  trouvera  partout  jouant 
le  même  rôle.  Au  10  août ,  ce  sont  des  patriotes  égarés  ;  avant 
le  51  mai ,  ce  sont  des  modérés ,  de  prétendus  amis  de  l'ordre  ; 
sous  Robespierre ,  ce  sont  des  exagérés ,  des  partisans  de  la  ter- 
reur; on  les  voit  en  bonnet  rouge  et  en  pantalon  ,  ils  quitteront , 
lorsqu'il  en  sera  temps ,  ce  costume  pour  reprendre  l'épée  et  le 
chapeau  à  plumet.  Ils  font  des  journaux,  ils  louent  la  tyrannie , 
ils  applaudissent  aux  mesures  atroces  qu'elle  prend  ;  ils  en  profi- 
tent pour  l'intérêt  de  leur  parti  ;  ils  ont*des  amis  dans  les  comités 
révolutionnaires  ;  ils  font  dénoncer  et  envoyer  à  l'échafaud  tout 
ce  qui  fut  patriote  ;  ils  sèment  pariout  les  défiances  ;  ils  saisissent 
avec  adresse  quelque  nuance  d'opinion  ;  ils  échaulïent  les  res- 
sentimens  ,  blessent  les  amours-propres  respectifs  ,  et  font  ainsi 
se  détruire ,  les  uns  par  les  autres ,  les  plus  chauds  amis  de  la  ré- 
volution, les  fondateurs  de  la  République. 

»  Condorcel,  Vergniaud,  Danton,  Camilie  Desmoulins ,  Ba- 
zire ,  Hérault  et  tant  d'autres,  vous  pérîtes  tous  victimes  des  in- 
fernales machinations  des  diviseurs,  des  agens  de  rAngletcnel 

»  Aprèsleî)  thermidor  les  vrais  patriotes  respirent. un  moment; 
Robespierre  et  ses  complices  ne  sont  plus  ;  le  règne  de  la  justice 
a  succédé  à  celui  de  l'arbitraire  :  mais  bienlôl  les  ennemis  con- 
stans  du  bonheur  des  Français  vont  se  saisir  de  cette  révolution, 
et  la  faire  tourner  à  leur  avantage.  Alors  ils  exagèrent  tout,  ils 
persécutent  de  nouveau  tous  les  patriotes,  les  font  incarcérer, 
égorger  dans  plusieurs  dépnriemens  ;  tous  les  ennemis  de  la  li- 
berté sont  ouvertement  protégés  ;  les  émij;rés ,  les  prêtres  réfrac- 
laires  rentrent  en  foule,  et  la  contre-révolution  se  préparc  ainsi 
parles  soins  de  ceux  qui  y  travaillent  avec  tant  d'activité  depuis 
cinq  années. 

>  Après  vous  avoir  rappelé  ce  (jui  s'est  passé  sous  vos  yeux ,  il 
est  de  notre  devoir  de  prouver  à  la  France  que  les  auteurs  de  la 
révoltedulovcndémiairesontlesmcmesqucceuxdctouslesmaux 


RÉACTION    THKRMinORIEÎNÎSE.  77 

qui  nous  ont  successivement  affligés ,  et  ont  opéré  cette  tourmente 
politique  qui  empêcha  tant  de  bien  de  s'opérer. 

>  Je  ne  rappellerai  pas  les  événemens  de  germinal  et  de  prairial  : 
il  me  suffirait  de  le  faire  pour  prouver  que  c'est  Pitt  qui  a  orga- 
nisé ces  mouvemens;  que  c'est  sou  génie  destructeur  qui  diri- 
geait toutes  les  opérations  des  hommes  qui,  alors  chargés  des 
subsistances,  firent,  pendant  plusieurs  mois,  distribuer  à  Paris 
une  telle  abondance  de  pain  que  l'on  en  nourrissait  des  animaux 
de  toute  espèce ,  et  même  des  chevaux ,  et  qui  tout  à  coup  firent 
réduire  cette  distribution  à  la  plus  modique  ration.  Yous  le  savez  ^ 
on  ne  vit  aucun  patriote  connu  ,  aucun  vérhable  ami  de  la  liberté 
dans  ces  mouvemens  :  quelques  hommes  imprudens  voulurent  en 
tirer  parti,  et  furent  sacrifiés;  mais  nos e>memis naturels  en  pro- 
fitèrent seuls  :  le  peuple  fut  désarmé ,  bâillonné,  et  réduit  à  une 
nullité  morale  sous  les  rapports  politiques  ;  le  sang  français  coula, 
et  Pilt  fut  satisfait. 

t  Mais  ce  n'était  point  assez  pour  eux  ;  il  leur  fallait  un  coup 
décisif  qui  pût  renverser  ia  République ,  et  préparer  la  perte  de 
tous  les  républicains. 

»  L'époque  de  la  réunion  des  assemblées  primaires  devait  né- 
cessairement devenir  celle  des  plus  grandes  agitations  :  c'est  ce 
qui  arriva;  cest  ce  qui  fut  préparé  avec  la  plus  machiavélique 
astuce. 

»  Apf  es  avoir  comprimé  l'énergie  des  patriotes ,  il  fallait  per- 
|.  vertir  l'esprit  public.  Les  journalistes,  presque  tous  entièrement 
dévoués  au  parti  de  l'étranger ,  furent  chargés  de  ce  soin ,  et  ils 
justifièrent  la  confiance  du  ministre  anglais.  Richer-Serisy,  Pon- 
ce'in,  Ladevèse,  Suard  et  tant  d'autres,  se  disputaient  chaque 
jour  l'honneur  de  contribuer  à  la  dissolution  de  la  Convention, 
Tous  les  représentans  du  peuple  furent  successivement  attaqués ^ 
les  uns  par  des  diatribes  virulentes ,  les  autres  par  des  louanges 
perfides  ;  tout  ce  qui  pouvait  flatter  l'aristocratie ,  avilir  la  repré- 
senîation  nationale,  était  saisi  avec  avidité;  les  manifestes  de 
Louis  XVIII,  les  proclamations  de  Charrette,  les  bulles  du  pape 
remplissaient  les  colonnes  de  ces  rejilles  stipenjiées,  tandis  que 


78  CONVENTION   NATIONALE. 

les  décrets  de  la  Convention  étaient  ou  dénaturés  ou  supprimés. 

»  Une  correspondance  suivie  fut  établie  entre  Londres  et  Paris  ; 
les  dépêches  de  Pilt  parcouraient  avec  rapidité  l'espace  qui  le  sé- 
parait de  ses  fidèles  aj^^ens ,  tandis  que  les  correspondances  même 
les  plus  indifférentes  entre  les  citoyens  étaient  inierceptées  par 
les  soins  de  beaucoup  d'administrateurs  vendus  à  la  faction. 

»  Un  autre  foyer  de  conspiration  existait  ù  Bàle.  Dès  l'hiver 
dernier  un  club  avait  été  établi  à  Morat  ;  il  était  composé  d'émi- 
grés ,  de  royalistes  constitutionnels ,  d'anciens  ministres  de  Capot, 
de  femmes  connues  par  leurs  intrigues ,  par  leurs  liaisons  avec 
les  réviseurs,  plus  connues  encore  par  des  écrits  où  l'on  prêche 
ouvertement  la  guerre  civile,  où  on  la  présente  comme  la  seule 
mesure  que  les  puissances  étrangères  doivent  adopter.  Des  étran- 
gers ,  des  Français,  des  représentans  du  peuple  même  étaient 
affiliés  à  ce  club.  Là  on  ne  voulait  pas  le  retour  de  l'ancien  ré- 
gime tout  entier,  mais  on  voulait  la  constitution  de  1791  avec 
quelques  modifications;  la  rentrée  des  émigrés,  sous  la  dénomi- 
nation de  fugitifs.  Ce  parti,  très-nombreux  avant  le  15  vendé- 
miaire, ne  se  regarde  pas  encore  en  ce  moment  comme  battu;  il 
attend  l'ouverture  du  corps  législatif  pour  intriguer  de  nouveau , 
faire  rentrer  tous  ses  amis,  les  placer  dans  le  directoire  exécutif, 
dans  toutes  les  autres  fonctions  publiques ,  et  épier  le  moment 
favorable  à  un  succès  complet.  Ce  parti  se  subdivise  en  diverses 
coteries ,  dont  les  chefs  se  replient  en  tous  sens  suivant  les  cir- 
constances, caressent  tout  le  monde,  s'accrochent  à  toutes  les 
factions  pour  en  venir  à  leur  but. 

»  Depuis  environ  six  mois  lès  assemblées  des  sections  de  Paris, 
foyer  perpétuel  d'intrigues  toujours  conduites  par  quelques  am- 
bitieux ,  étaient  devenues  des  arènes  ouvertes  à  tous  les  hommes 
ambitieux  qui  voulaient  avilir  la  Convention  nationale  :  après  l'a- 
voir louée  de  la  manière  la  plus  dégoûtante  lorsqu'on  la  croyait 
royaliste,  on  l'a  traînée  dans  la  boue  dès  qu'on  a  été  convaincu 
qu'elle  demeurerait  toujours  républicaine. 

»  Tous  les  bons  citoyens  demandaient  la  clôture  de  ces  ateliers 
de  diffamation  :  on  s'y  relitsa;  vous  vous  rappelez  le  rapport 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  79 

qu'on  fifà  ce  sujet.  Ainsi  on  accorda  à  Paris  un  priviléo^e  sur  les 
autres  communes  de  la  République.  Mais  les  meneurs  avaient 
leurs  raisons  ;  aussi  vinrent-ils  vous  remercier  de  votre  faible 
condescendance  en  demandant  l'éloignement  des  troupes  répu- 
blicaines, en  désignant  leurs  drapeaux  victorieux  sous  le  litre 
d'étendard  de  la  terreur  :  cette  insultante  démarche  demeura 
impunie ,  et  enhardit  les  conspirateurs. 

»  C'est  au  milieu  du  mouvement  de  tant  de  passions  diverses , 
de  tant  d'intérêts  opposés,  que  s'ouvrirent  les  assemblées  pri- 
maires. 

»  Le  premier  acte  des  factieux ,  qui  voulaient  tout  renverser , 
fut  d'éloigner  sons  divers  prétextes  les  patriotes  dont  ils  redou- 
taient l'énergie ,  la  surveillance  ;  ce  qui  fut  exécuté  dans  presque 
toutes  les  communes  de  la  République  :  les  contre-révolutionnaii  es 
restèrent  seuls  maîtres  du  champ  de  bataille.  Ils  eussent  bien  dé- 
siré pouvoir  entièrement  lever  le  masque;  mais  le  temps  n'était 
pas  encore  arrivé  .*  ils  acceptèrent  donc  avec  un  empressement 
hypocrite  la  constitution  républicaine  ;  mais  ils  rejetèrent  avec 
plus  d'empressement  encore ,  et  surtout  avec  une  fureur  qui  dé- 
celait leur  arrière-pensée,  les  décrets  des  6  et  i5  fructidor. 

>  Alors  commença  cette  longue  série  d'actes  plus  absurdes , 
plus  séditieux  les  uns  que  les  autres ,  que  se  permirent  les  sec- 
tions de  Paris.  A  les  entendre,  la  Convention,  nommée  par  la  to- 
talité du  peuple  français,  n'avait  plus  de  pouvoirs  du  moment 
que  les  assemblées  primaires  étaient  réunies.  Arrêtés ,  discours  ; 
proclamations ,  députations,  tout  était  infecté  du  virus  de  la  ré- 
volte; l'audace  des  seciionnaires  allait  toujours  croissant;  des 
correspondances  étaient  établies  partout;  ce  n'était  plus  de  la  .. 
constitution  ou  des  élections  dont  on  s'occupait,  mais  de  Tadmi- 
nislration;  que  dis-je!  c'était  de  la  contre-révolution;  les  arrêtés 
des  sections  Brutus ,  Lepelletier  et  Butte-des-Moulins  en  contien- 
nent à  chaque  ligne  les  preuves  les  plus  irrécusables. 

»  Les  agens  de  Pitt  n'avaient  pas  oublié  la  Vendée,  ce  chancre 
politique  créé,  entretenu  avec  tant  de  soin.  Vous  avez  vu,  par  la 
correspondance  trouvée  chez  Lemaître,  que  toutes  les  espérances 


80  CONVENTION   NATIONALE. 

des  émigrés  se  partagent  entre  la  Vendée  et  Paris  ;  mais  quel- 
ques départemens,  échappésjusqu'aiors  à  la  contagion,  séparaient 
ces  deux  foyers  de  la  contre-révolution  :  il  fallait  les  rapprocher, 
les  réunir  s'il  était  possible.  Des  mouvemens  séditieux  furent 
excités  au  même  moment  à  Mantes,  à  Verneuil ,  à  Chartres,  à 
Orléans,  à  Dreux;  les  caisses  publiques  furent  Saisies;  la  circula- 
tion des  grains  fut  interceptée,  l'autorité  nationale  méconnue, 
et  dans  plusieurs  endroits  il  fallut  repousser  la  force  par  la  force. 

•  Les  meneurs  des  sections  de  Paris  ne  furent  point  décou- 
ragés par  les  échecs  que  reçurent  leurs  partisans  à  Chartres  ,  à 
Verneuil ,  à  Dreux ,  à  rs'onancourl  ;  le  passage  du  Rhin ,  celte 
entreprise  audacieuse  de  la  brave  armée  de  Sambre  et  Meuse ,  ne 
les  déconcerta  pas  ;  ils  promirent  aux  puissances  coalisées  que 
bientôt  elles  seraient  dédommagées  de  tant  de  revers.  Au  même 
moment  les  envoyés  des  princes  ratifiaient  à  Bàle  le  traité  fait  à 
Pavie  par  le  prétendu  Louis  XVIIl  avec  ces  puissances.  Barras 
vous  a  donné  connaissance  de  celte  j)ièce  importante.  Aucun  de 
vous  ,  que  dis  je  !  aucun  Français  ami  de  la  dignité,  du  bonheur 
de  son  pays,  ne  pourra  la  lirc^  sans  sentir  sou  sang  bouillonner 
dans  ses  veines  ,  sans  vouer  à  l'indignation  des  patriotes  de  tous 
les  temps  ceux  qui  favorisent  d'aussi  infâmes  projets! 

»  11  est  donc  évident  que  c'était  pour  parvenir  à  morceler  la 
France ,  et  y  opérer  une  contre-révolution  complète;  c'était  donc 
pour  attendre  le  moment  propice  à  ce  grand  coup  que  les  me- 
neurs des  sections  prolongeaient  leur  illégale  permanence.  C'était 
sans  doutç  aussi  pour  seconder  tous  ces  mouvemens  que  l'on  tem- 
porisait sans  cesse,  que  l'on  traitait  de  visionnaires,  d'ambitieux 
ceux  qui  d'avance  traçaient  le  plan  que  devaient  suivre  les  con- 
jurés; et  il  faut  que  la  France  sache  que  tandis  que  les  sections 
étaient  en  armes  à  vos  portes  on  proposait  de  transiger  avec  elles, 
de  leur  donner  satisfaction  sur  divers  points,  de  faire  désarmer 
les  patriotes  dont  la  conduite  aurait  été ,  disait-on ,  réprchcusible. 
On  voulait  envoyer  quatre-vingt-seize  commissaires  dans  les  sec- 
lions  de  Paris  :  éiait-ce  des  otages  qu'on  leur  envoyait,  ou  un 
asile  que  l'on  voulait  ménager  aux  cent  députés  qui,  suivant  la 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  81 

déclaration  faiiepar  Vardon,  devaient  seuls  faire  le  noyau  pour 
la  réélection  du  corps  lé^jislatif  ? 

>  Enfin  l'aurlace  fut  portée  au  comble.  Le  3  vendémiaire  vint 
mettre  à  découvert  le  complot  qui  la  nuit  même  devait  être  exé- 
cuté ,  le  massacre  de  la  représentation  natioîiale  et  de  tous  les 
amis  de  la  liberté. 

»  Grâces  soient  rendues  à  nos  braves  frères  d'armes,  aux  cou- 
rageux patriotes  de  1789,  tant  calomnié^  !  Le  foyer  de  la  rébellion 
a  été  détruii,  l'insolence  des  révoltés  a  reçu  sa  juste  punition ,  et 
la  République  est  encore  une  fois  sortie  triomphante  de  cette  at- 
taque si  pei  fidement  combinée. 

I  Les  lâches  meneurs  des  sections  ont  fui  ;  ils  ont  été  cacher  la 
honte  de  leur  défaite  dans  les  départemens  ,  après  avoir  sacrifié 
d'infortunés  citoyens  fanatisés  et  mis  en  avant  par  eux. 

>  La  victoire  du  15  a  Lien  d  ssipé  il  est  vrai  pour  un  moment 
les  rassemblemens  des  fjciieux,  et  reculé  le  terme  de  leurs  espé- 
rances ;  mais  elle  n'a  pu  détruire  tous  les  maux  qu'avaient  faits  les 
conspirateurs.  Dans  la  grande  majorité  des  départemens  ils  avaient, 
soit  par  leurs  écrits,  soii  par  leurs  émissaires,  répandu  leurs  prin- 
cipes destruceurs  de  toute  liberté  ;  les  actes  les  plus  illégaux,  les 
mesures  les  plus  arbitraires  ont  été  prises  dans  beaucoup  d'assem- 
blées primaires  ;  la  loi  a  été  chaque  jour  violée  par  ces  hommes 
qui  ne  voulaient  reconnaître  aucune  autorité;  les  auteurs  de  tous 
ces  excès,  les  provocateurs  de  toutes  ces  mesures  liberticides  ont 
commandé  les  choix  des  assemblées  électorales  ;  les  ennemis  les 
plus  prononcés  de  la  République,  des  parens  d'émigrés,  dt  s  émi- 
grés n)ême,  tous  les  anciens  valets  de  la  cour  ont  été  nommés  élec- 
teurs. La  voix  des  patriotes  réclamant  les  principes  a  éiééiouffée 
par  les  vociféraiions,  les  insultes  et  les  menaces  de  l'aristocratie; 
presque  partout  non-seuhment  l'intrigue,  mais  encore  la  mauvaise 
foi,  ont  présidé  aux  nominations. 

»  Dans  plusit^urs  sections  de  Paris  il  n'a  point  été  dressé  pro- 
cès-verbal de  leurs  opérations,  et  plusieurs  électeurs  se  sont  pré- 
sentés à  l'assemblée  électorale  de  la  Seine  avec  de  sin)ples  certi- 
ficats des  comités  civils  qui  attestent  qu'ils  ont  été  nommés. 
T.  xxxvii.  6 


fe  CONVENTION   NATIONALE. 

1  La  tenue  des  assemblées  électorales  a  prouvé  que  tes  élémens 
dont  elles  étaient  composées  avaient  «^lé  tissus  par  l'ititrigue  et  non 
par  le  républicanisme. 

>  Dans  plusieurs  départemens  elles  ont  été  obligées  de  se 
diviser  :  je  citerai  celles  du  Lot ,  du  Doubs ,  du  Tarn  ,  de  la  Lo- 
zère. 

>  Les  courriers  envoyés  par  le  gouvernement  pour  annoncer  la 

victoire  du  13  ont  été  partout  retardés.  Les  corps  administratifs 
de  plusieurs  départemens  ont  caché  aux  citoyens  cette  nouvelle 
importante  pendant  plusieurs  jours  ;  je  citerai  le  département  de 
la  Currèze,  Toulon  et  iMarseille. 

•  L'influence  du  comité  directorial  de  Paris  s'est  fait  partout 
sentir  ;  une  liste  circulaire  a  été  envoyée  à  toutes  les  assemltlëes 
électorales  sous  le  tiuibre  de  Paris  :  elle  a  été  admise  à  la  grande 
major  ité.  On  doit  cependant  distinguer  une  niinorilé  républicaine 
qui  a  su  résister  à  toutes  les  intrigues;  les  pays  dévastés  par  les 
chouans  et  les  Vendéens  sont  de  ce  nombre,  ainsi  que  les  déj-ar- 
temens  du  Nord,  delaCiiarenie-lnférieuie,  et  ceux  nouvellement 
réunis. 

«  Dans  un  des  scrutins  de  l'assemblée  de  Loir-et-Cher  on  a 
trouvé  cinquante  billets  écrits  de  la  même  main. 

»  Dans  le  département  d'Indre-et-Loire  on  avait  distribué  d'a- 
vance les  listes  de  toutes  les  nominations  à  faire.  Di^s  électeurs  des 
campagnes  se  trompèrent,  et  mirent  dans  le  scrutin  pour  la  no- 
mination des  députés  la  liste  des  administrateurs  ;  ils  dévoilèrent 
ainsi  le  secret  des  meneurs. 

•  Je  pourrais  vous  citer  une  foule  de  faits  de  cette  nature  ;  je 
pourrais  vous  dire  que  l'on  trouve  sur  la  li>te  des  élus,  lesdefenseurs 
officieux  (le  Capei,  les  écrivains  apologistes  de  la  royauté,  les  ai- 
des-de-camp de  Précy,  le  réducteur  du  fanieux  traite  de  Plnity. 
(Barbé-Marbois),  des  hommes  qui  ont  protesté  contre  les  d^'cr^ts 
de  l'assc  mblée  constituante,  les  auteurs  des  arrêtés  de  section  les 
plus  incendiaires.  Des  voix  ont  même  été  donnc'es  à  de-)  hommes 
condamnés  à  mort  par  les  conseils  militaires  ;Vaub!ane  <  tQuaire- 
mère  de  Quincy.)  Dans  le  département  d'Eure-et-Loir  des  hom- 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  83 

mes  sous  le  coup  d'un  mandat  d'arrêt  iancé  par  notre  collègue 
Bourdon  de  l'Oise  ontéié  élus...  Mais  je  m'arrête. 

>  Votre  commission  des  Cinq,  après  avoir  pris  connaissance  de 
tous  ces  faits,  après  les  avoir  rapprochés,  après  avoir  comparé  les 
temps,  les  évënemens,  les  circonstances,  s'était  convaincue  que  le 
principal  but  de  la  conspiration  royaliste  dont  vous  avez  failli  être 
les  victimes  avait  été  de  préparer  par  les  élections  la  contre-révo- 
lution, et  de  la  rendre  sinon  très-prochaine,  au  moins  inévitable. 
Vos  décrets  des  5  et  15  fructidor  obvienneni  bien  à  une  partie  de 
ces  inconvéniens;  mais  ils  n'empêcheront  pas  que  les  administra- 
lions,  les  tribunaux  des  départemens  où  la  faction  royaliste  a  in- 
fluencé les  choix  ne  soient  en  grande  partie  composés  d'hommes 
ennemis  par  goiit ,  par  principes  et  par  intérêt  du  régime  répu- 
blicain. 

>  Vos  décrets  n'empêcheront  pas  que  les  jurés  de  la  haute-cour 
nationale  ne  soient  choisis  dans  beaucoup  de  départemens  parmi 
les  hommes  qui  n'ont  pas  pris  de  part  à  la  révolution ,  ou  qui  ne 
l'ont  fait  que  pour  concourir,  soit  par  leurs  écrits,  soit  par  leurs 
actions,  à  la  renverser.  Ce  sont  cependant  là  les  juges  des  patriotes 
que  nos  ennemis  voudront  immoler! 

»  Toutes  ces  considérations  avaient  frappé  les  membres  de  votre 
commission;  ils  s'étaient  associés  à  votie  pensée  intime;  ils  s'é- 
taient rappelé  le  serment  que  vous  avez  tant  de  fois  renouvelé  de 
sauver  la  République,  et  de  conduire  le  vaisseau  de  l'état  au  port; 
ils  s'occupaient  des  moyens  d'y  parvenir;  ils  étaient  tout  entiers 
livrés  à  celte  idée  consolante  qu'il  pouvait  exister  un  moyen  sau- 
veur pour  terminer  la  révolution  au  profit  du  patriotisme,  pour 
détruire  les  dernières  espérances  des  royalistes  ;  déjà  nous  avions 
arrêté  les  bases  du  plan  que  nous  avions  conçu,  plan  qui  s'accor- 
dait avec  le  religieux  respect  que  l'on  doit  aux  volontés  du  peuple, 
plan  qui  ne  retardait  point  l'époque  de  la  réunion  du  corps  légis- 
latif... Mais  votre  séance  d'hier  a  eu  lieu;  et  nous  a>ons  cru  qu'il 
était  de  notre  délicaiose,  qu'il  importait  même  aux  intérêts  du 
peuple  que  nous  gardassions  le  silence  sur  ce  point. 

>  Puisse  le  génie  de  la  liberté  seconder  de  nouveau  les  efforts 


84  CONVENTION   NATIONALE. 

de?  républicains  !  Puissent  les  nouveaux  élus  se  pénétrer  des  de- 
voirs que  leur  imposent  leurs  nouvelles  fonctions!  Puissent  des 
pressentimens  sinistres  ne  passe  léaliser  !  car, citoyens  collègues, 
ce  serait  en  vain  que  nous  voudrions  nous  dissimuler  les  dangers 
de  la  patrie  :  «  Croyez  que  le  gouvernement  républicain  ne  pourra 
jamais  s'établir  d'une  munie'  e  durable  tant  qu'il  existera  dans  les 
fonctions  importantes  des  hommes  plus  attachés  à  l'idole  de  la 
royauté  qu'au  bonheur  public;  et  malheureusement  le  nombre  de 
ces  derniers  est  encore  bien  grand  !  » 

»  Mais,  citoyens,  s'il  est  vrai,  comme  on  Ta  dit,  que  des  cir- 
constances impérieuses  commandent  à  la  Convention  de  laisser  au 
corps  législatif  seul  le  soin  de  statuer  sur  la  validité  des  élections 
faites  dans  les  assemblées  où  les  droits  des  citoyens  ont  été  ou- 
vertement violés,  on  ne  disconviendra  pas  au  moins  qu'il  est  de 
noire  devoir  de  sonder  les  autres  plaies  de  l'état,  et  d'employer 
les  derniers  momens  de  notre  session  à  y  porter  remède. 

>  Voici  les  objets  qui  ont  principalement  fixé  notre  attention  : 

»  La  rentrée  des  prêtres  connus  sous  le  nom  de  réfractaires ; 
aucun  de  vous  ne  peut  se  dissimuler  les  maux  que  font  dans  les 
départemens  ces  fanatiques,  qui  sans  cesse  prêchent  la  désobéis- 
sance à  la  loi  :  le  retour  de  beaucoup  d'émigrés  ^  principalement 
dans  les  départemens  n)éridionaux,  résultat  inévitable  de  lois  trop 
généralisées,  et  dont  l'exécution  est  confiée  dans  beaucoup  de  dé- 
partemens aux  parens  ,  aux  agens  de  ces  mêmes  émigrés  :  les 
moyens  de  purger  enfin  la  République  des  infâmes  royalistes , 
sans  cependant  relever  les  échafauds  à  jamjs  proscrits. 

»  Enfin,  pour  satifaire  à  votre  décret  d'hier,  nous  présenterons 
quelques  mesures  que  nous  croyons  propres  à  réprimer  la  vora- 
cité de  l'odieux  agiotage.  « 

Le  projet  présenté  par  Ta!lien  fut  décrété  dans  la  même  séince. 
Mais  parce  que  la  rédaction  définitive  n'en  fut  adoptée  que  le 
lendemain,  la  loi  a  été  datée  du  25  octobre  (3  brumaire).  Cette 
loi ,  qui  renouvelait  en  quelque  sorte  toutes  les  mesures  prises 
avant  le  9  thermidor  contre  les  ennemis  de  la  révolution .  fut  le 
dernier  acte  important  de  la  Convention  ;  en  voici  le  texte  : 


REACTION   THERMIDORIENNE.  85 

«  La  Convention  nationale ,  après  avoir  entendu  la  commission 
des  Cinq ,  décrète  : 

>  Art.  i^r  Les  individus  qui,  dans  les  assemblées  primaires  ou 
dans  les  assemblées  électorales ,  auront  provoqué  ou  signé  des 
mesures  séditieuses  contraires  aux  lois,  ne  pourront,  jusqu'à  la 
paix  générale,  exercer  aucune  fonction  législative,  municipale 
et  judiciaire ,  ainsi  que  celle  de  haut-jury  près  la  haute-cour  na- 
tionale ,  et  de  jury  près  les  autres  tribunaux. 

»  2.  Tout  individu  qui  a  été  porté  sur  une  liste  d'émigrés,  et 
napas  obtenu  sa  radiation  définitive;  les  pères,  fils  et  petits-fils, 
frères  et  beaux-frères,  les  alliés  au  même  degré,  ainsi  que  les  on- 
cles et  neveux  des  individus  compris  dans  la  liste  d'émigrés ,  et 
non  définitivement  rayés ,  sont  exclus ,  jusqu'à  la  paix  générale  , 
de  toute  fonction  législative  ,  administrative ,  municipale  et  judi- 
ciaire ,  ainsi  que  de  celle  de  haut-jury  près  la  haute-cour  natio- 
nale ,  et  de  juré  près  les  autres  tribunaux. 

>  5.  Quiconque  se  trouvant  dans  le  cas  porté  aux  précédens 
articles  accepterait  ou  aurait  accepté  une  fonction  publique  de 
la  nature  de  celles  ci-dessus  désignées  ,  et  ne  s'en  démettrait  pas 
dans  les  vingt-quatre  heures  de  la  publication  de  la  loi ,  sera 
puni  de  la  peine  de  bannissement  à  perpétuité;  et  tous  les  actes 
qu'il  aurait  pu  faire  depuis  la  publicaûon  de  la  loi  sont  déclarés 
nuls  et  non-avenus. 

»  4.  Sont  exceptés  des  dispositions  des  articles  2  et  5  les  ci- 
toyens qui  ont  été  membres  des  trois  Assemblées  nationales,  ceux 
qui ,  depuis  l'époque  de  la  révolution,  ont  i  empli  sans  interrup- 
tion des  fonctions  publiques  au  choix  du  peuple,  et  ceux  qui  ob- 
tiendraient leur  radiation  définitive ,  ou  celle  de  leurs  parens  ou 
alliés. 

»  5.  Le  directoire  exécutif  pourvoira ,  sans  aucun  délai ,  en  ce 
qui  les  concerne ,  au  remplacement  de  ceux  qui  seront  dans  le  cas 
de  se  retirer. 

»  6.  Pour  l'exécution  des  précédens  articles,  les  membres  du 
corps  législatif  et  des  autorités  administratives ,  municipales,  ju- 
diciaires et  du  haut-juré ,  avant  que  d'entrer  en  fonctions ,  dé- 


g6  CONVENTION    NATIONALE. 

clarpront,  par  écrit,  les  premiers,  aux  archives  du  corps  légis- 
latif, et  les  autres,  sur  les  registres  des  délibérations  de  rautorilé 
dont  i!s  sont  ou  seront  appelés  à  être  membres,  qu'ils  n'ont  pro- 
voqué ni  signé  aucun  arrêté  sédiiieux  et  contraire  aux  lois,  et 
qu'i's  ne  sont  point  parens  ou  alliés  d'émigrés  aux  degrés  déter- 
minés par  l'article  2.  Ceux  qui  feraient  une  fausse  déclaration , 
seront  punis  de  la  peine  portée  en  l'ar  ticle  3. 

9  7.  Tous  ceux  qui  ne  voudraient  pas  vivre  sous  les  lois  de  la 
République,  et  s'y  conformer,  sont  autorisés,  danslts  trois  mois 
qui  suivront  la  publication  du  présent  décret,  à  quitter  le  terri- 
toire franc  .is ,  à  la  char  ge  d'en  faire  la  déclaration  à  la  municipa- 
lité du  lieu  de  leur  domicile ,  dans  le  délai  d'un  mois. 

»8.  Ils  pourront  toucher  leurs  revenus,  même  réaliser  leur  for- 
tune, mais  de  manière  cependant  qu'ils  n'emportent  ni  numé- 
raire, ni  métaux,  ni  marchandises  dont  l'exportation  est  prohi- 
bée par  les  lois,  et  sauf  l'indemnité  qui  pourra  être  déterminée 
par  le  corps  législatif  au  profit  de  la  République. 

»  9.  Ceux  qui  se  seront  ainsi  bannis  volontairement  ne  pour- 
ront plus  rentrer  en  France;  s'ils  y  rentraient,  ils  seraient  con- 
sidérés comme  émigrés,  et  punis  comme  tels. 

»  10.  Les  lois  de  1792  et  1795,  contre  les  prêtres  sujets  à  la 
déportation  ou  à  la  réclusion  ,  seront  exécutées  dans  les  vingt- 
quatre  heures  de  la  promulgation  du  présent  décret ,  et  les  fonc- 
tionnaires pubhcs  qui  seront  convaincus  d'en  avoir  négligé  l'exé- 
cution seront  condamnés  à  deux  années  de  détention. 

»  Les  arrêtés  des  coniités  de  la  Convention  et  des  représentans 
du  peuple  en  mission ,  contraires  à  des  IoÎn  ,  sont  annules. 

»  i  1.  Il  n'est  rien  innové  à  la  loi  du  i2  fructidor  dernier,  qui  a 
levé  lu  confiscation  des  biens  des  prêtres  déportés. 

»  12  Les  femines  d'émigrés,  même  divorcées  et  non  rema- 
riées à  léj  oque  de  la  publication  de  la  loi;  les  mères,  belles- 
mères  ,  filles  et  b^-lles-filles  d'émigrés ,  non  remariées  ,  et  âgées 
de  plus  de  vingt  et  un  ans,  seront  tenues  de  se  retirer,  dans  la 
huitaine  de  la  publication  du  présent  décret,  et  jusqu'à  la  paix 
générale,  dans  la  commune  de  leur  domicile  habituel  en  1792. 


RÉACTION   THERMIDORIENNE.  8^ 

»  Elles  y  resteront  sous  la  surveillance  de  leur  municipalité ,  et 
ce  à  peine  de  deux  années  de  détenlion. 

»  Sont  exceptées  celles  dont  les  communes  sont  au  pouvoir  des 
rebelles  dans  les  départemens  de  l'Ouest. 

»  i5.  Toutes  les  dispositions  de  l'article  ci-dessus  seront  e'gale- 
ment  applicables  à  tout  citoyen  dont  la  femme  sera  émigrée  ;  ou 
qui  sera  parent  d*émigré  aux  degrés  de  père ,  beau-père ,  gendre 
et  petit-fils.  La  contravention  sera  également  punie  de  deux  an- 
nées de  détenlion. 

>  14.  Tout  officier  de  terre  et  de  mer,  commissaire  des  guer- 
res ou  employé  dans  les  administrations  militaires,  qui,  étant 
en  activité  de  service  au  iO  août  1792,  a ,  depuis  cette  époque , 
donné  sa  démission,  et  qui  a  été  réintégré  dans  un  service  quel- 
conque, est  desiiiué  de  ses  fonctions,  et  ne  pourra  être  réemployé 
au  service  de  la  République. 

»  15.  Tout  officier  ou  commissaire  des  guerres  qui  n'était  pas 
en  activité  de  service  le  15  germinal  an  3 ,  et  qui  a  été  pbcé  depuis 
cette  époque  jusqu'au  15  thermidor  même  année,  est  suspendu 
de  ses  fondions,  et  ne  pourra  être  réintégré  que  par  ordre  ex- 
près du  directoire  exécutif,  sur  les  preuves  authentiques  de  bons 
services  antérieurement  rendus  à  la  République. 

>  16.  La  Convention  nationale  recommande  paternellement  à 
tous  les  républicains ,  à  tous  les  amis  de  la  liberté  et  des  lois ,  la 
surveillance  de  l'exécution  du  présent  décret. 

»  17.  L'insertion  du  présent  décret  au  bulletin  tiendra  lieu  de 
publication.  H  sera  envoyé,  ainsi  que  le  rapport  de  la  commission 
des  Cinq,  par  des  courritrs  exiraoï'ciinaires,  dans  les  départemens 
et  aux  armées  ». 

La  séunce  du  lendemain  (26  octobre,  4  brumaire)  fut  la  der- 
nière d»î  la  Convention.  Barras,  après  avoir  assure  l'assemblée 
du  réiablissement  parfait  du  calnje  à  Paris,  donna  sa  démission 
dejjéncrai  en  chef  de  l'année  de  l'iniérieur.  Plusieurs  membres 
voulaient  qu'il  conservât  ce  pos'e;  mais  Barras  iusisia,  invoqua 
la  constitution,  et  sa  démis5i(m  fui  accej  tée.  Lor.-que  l'on  eut 
achevé  de  ré^jler  toutes  its  aflairts  pendant»  s ,  Charlier  repro- 


88  t.ONVEMiON    MAIIONALE. 

duisit  la  demande  de  la  mise  en  liberté  des  députés  décrétés  d'ar- 
rt  sialion.  —  Philippe  Delitville  :  «  Avant  d'ouvi  ir  une  discussion, 
>  qu'elle  heure  e>l  il?  >  Un  membre  :  e  L'heure  de  la  justice.  » 
Pliilippe  DeilevUle  :  «  L'heure  de  la  consiiluiion.  »  —  Boudin  et 
Determont  réclamèrent  une  mesure  générale,  et  exprimèrent  le 
désir  que  l'on  s'occupât  d'un  projet  présenté  par  Baudin  des  Ar- 
denues  sur  Tamnisiie.  Celui-ci  en  donna  lecture,  ei  la  discussion 
s'ouvrit.  Après  des  débats  sur  l'uboliiion  de  la  peine  de  mort ,  la 
Convention  décréta  qu'elle  serait  aboie  lors  de  la  paix  générale. 
On  discuta  Tariicle  relaiif  à  l'amnistie  générale,  où  éiaieni  ex- 
cept^^s  les  délits  relatifs  au  15  vendémiaire.  Philippe  Delleville 
et  Villers  voulaient  faire  également  excepter  les  révolutionnaires; 
accusés  par  suite  des  journées  dé  prairial;  Chénier,  Boudin  et 
Thibaudeau  parlèrent  en  leur  faveur,  et  l'article  fut  adopté, 
ainsi  que  le  surplus  du  projet  dont  voici  la  teneur  : 

«  Art.  1".  A  dater  du  jour  de  la  publication  de  la  poix  géné- 
rale, la  peine  de  mort  sera  abolie  dans  toute  la  république  fran- 
çaise. 

2.  La  place  de  la  Révolution  portera  désormais  le  nom  de 
place  de  la  Concorde.  La  rue  qui  conduit  du  boulevart  à  cette 
p'ace  portera  le  nom  de  rue  de  la  Révolution. 

3.  La  Convention  abolit,  à  compter  de  ce  jour,  tout  décret 
d'accusation  ou  d'arrestation  ,  tout  mandat  d'arrêt  mis  ou  non  à 
exécution,  toutes  procédures,  poursuites  et  jugemens  portant 
sur  des  faits  purement  relatifs  à  la  révolution.  Tous  détenus  ,  à 
l'occasion  de  ces  mêmes  événemens,  seront  immédiatement  élar- 
gis, s'il  n'existe  point  contre  eux  des  charges  relatives  à  la  cons- 
piration du  15  vendémiaire  dernier. 

4.  Les  délits  commis  pendant  la  révolution  ,  et  prévus  par  le 
code  pénal ,  seront  punis  de  la  peine  qui  s'y  trouve  prononcée 
contre  chacun  d'eux. 

ri.  Dans  toute  accusation  mixte,  où  il  s'agirait  à  la  fois  de  faits 
relatifs  à  la  révolution  et  de  délits  prétus  par  le  code  pénal ,  l'in- 
struction et  le  jugement  ne  porteront  que  sur  ces  délits  seuls. 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  89 

6.  Tous  ceux  qui  sont  ou  seront  accusés  de  dilapidations  de  la 
fortune  pub'ique,  concussions,  taxes  et  levées  de  deniers  avec 
retenue  de  tout  ou  partie  au  profit  de  ceux  qui  les  auront  impo- 
sées, ou  de  tout  autre  fait  semblable  survenu  pendant  le  cours  et 
à  Toccasion  de  la  révolution,  pourront  être  poursuivis,  soit  au 
nom  de  la  nation ,  soit  par  les  citoyens  qui  prouveront  qu'ils  ont 
été  lésés;  mais  les  poursuites  se  feront  seulement  par  action  ci- 
vile et  à  fin  de  restitution  ,  sans  aucune  autre  peine. 

7.  Le  directoire  exécutif  pourra  différer  la  publicuion  de  la 
présente  loi  dans  les  départemens  insurgés,  ou  présentement  in- 
surgés par  des  troubles,  à  la  charge  de  rendre  compte  au  corps 
léjjislaiif,  tant  du  nombre  des  dépariemens,  où  la  publication 
sera  suspendue,  que  du  moment  où  elle  y  sera  faite,  aussitôt 
que  les  circonstances  le  permettront. 

8.  Sont  formellement  exceptés  de  l'amnistie  : 

io  Ceux  qui  ont  été  condamnés  par  contumace  pour  les  faits  de 
la  conspiration  de  vendémiaire  ; 

2o  Ceux  à  l'égard  desquels  il  y  a  une  instruction  commencée 
ou  des  preuves  acquises  relativement  à  la  même  conspiration ,  ou 
contre  lesquels  il  en  sera  acquis  par  la  suite; 

5o  Les  prêtres  déportés  ou  sujets  à  la  déportation  ; 

4°  Les  fabricateurs  de  faux  assignats  ou  de  fausse  monnaie; 

o*'  Les  émigrés  rentrés  ou  non  sur  le  territoire  de  la  Républi- 
que. 

9.  Il  n'est  dérogé  par  la  présente  loi  à  aucune  des  dispositions 
de  celle  du  3  de  ce  mois.  » 

Après  l'adoption  de  ce  décret  fameux  ,  connu  depuis  sous  le 
nom  de  loi  du  4  brumaire  de  l'an  4,  un  grand  nombre  de  mem- 
bres firent  observer  qu'il  était  deux  heures  et  demie,  et  qu'aux 
termes  d'un  décret  la  séance  devrait  être  levée  depuis  une  heure. 

Le  président  Génissieux,  «  Je  déclare  que  la  séance  est  levée. 
Union,  amitié ,  concorde  entre  tous  les  Frauçais  ;  c'est  le  moyen 
de  sauver  la  République.  » 

Thibaudeau,  «  Président,  déclare  donc  que  la  Convention  a 
rempli  sa  raisbion,  et  qu'en  conséquence  sa  session  est  terminée.» 


99  CONVENTION    NATIONALE. 

Le  président,  «  La  Convention  nationale  déclare  que  sa  mission 
est  remp'ie  et  que  sa  session  Cî^t  terminée.  » 

Des  cris  de  vive  la  République  se  firent  entendre  de  tous  côtés. 
—  La  séance  fut  levée  à  deux  heures  et  demie. 


ARMEES. 


Pour  achever  l'histoire  de  la  Convention  nationale,  il  nous 
reste  à  donner  une  rapide  analyse  des  principales  opérations  mi- 
litaires à  pa»  tir  de  Tépoque  où  nous  avons  arréié  notre  récit 
(voir  le  xxxiii*  vol.,  p.  271  et  suivantes ),  et  à  faire  connaître 
les  diverses  positions  occupées  par  les  armées  au  moment  de  la 
clôture  de  l'assemblée. 

IVous  avons  laissé  l'armée  des  Pyrénées-Orientales  maîtresse 
de  Bellrgarde  (18  septembre  1794).  Elle  continua  ses  succès 
par  la  fameuse  bataille  de  la  Montaf^ne-iVoire  qui  commença  le 
17  novembre  et  ne  finit  que  le  ^0.  Le  f;énéial  en  chef  Dugom- 
mier  y  fut  tué  le  second  jour  ;  Perignon  prit  sa  place.  Les  avan- 
tages successifs  de  nos  troupes  se  tenrwnèrent  (>ar  l'entière  dé- 
route des  Espagnols  et  par  la  capitulation  de  Figuières.  L'hon- 
neur de  ces  journées,  où  les  Espagnols  perdirent  dix  mille  hom- 
mes el  le  général  en  chef  La  Union,  appai tient  en  irès-grande 
partie  au  général  de  division  Augereau.  Perignon  se  porta  im- 
médiatement sur  Koses;  quoique  dépourvu  de  tout,  il  investit 
cette  place ,  l'assiégea  et  réussit  à  l'enlever.  H  ne  tarda  pas  à  être 
remplacé  dans  son  commandement  pi\>visoire  par  le  général 
Scherer  qui  s'était  illu^lré  à  l'armée  de  Sa'i.bre-ei  Meuse.  Les 
Esf)agnols  avaient  pii.>  posiiion  derrière  la  Flavia  ;  Siherer  les 
battit  et  les  eût  poursuivis  ^i  le  comité,  déjà  en  pourparlers  avec 
le  cabinet  de  Mulrid,  ne  l'eût  contenu.  L'Espa};ne  sentait  l'mu- 
tiHté  de  ses  elforts  ;  l'armée  des  Pyréaét'S-Occidt n'aies  avait 
aussi  fait  des  progrès  depuis  roccupmiimde  la  vallée  du  Basi-n 
(2()jijillet-4août  ).  Le  général  Moncey  av;.it  pris  Bilbao,  as>ié,'}é 
P.inipelune  et  biittu  leimemi  à  Viitoiia.  11  se  disposait  à  passer 
l'Ébre  lorsque  les  hostilités  furent  saspendues.  Le  projet  de 


REACTION   TUERMlUORILiMMË.  91 

traité  de  paix  avec  l'Espagne  fut  présenté  à  la  Convention  et  ra- 
tifié par  elle  le  51  juilkt  (  13  thermidor)  1795. 

Après  que  rarmée  des  Alpes  et  celle  d'Italie  eurent  réuni  leurs 
lignes  par  l'enlèvement  du  poste  des  Barricade  s  et  du  camp  de  l'As- 
siette, elles  restèrent  long-temps  inactives.  A  la  fin  de  l'été,  les 
impériaux  dirigèrent  une  division  sur  Dego  afin  de  communiquer 
par  Vado  avec  les  flottes  anglaises.  Masséna  prépara  uneafaque 
générale  ;  il  marcha  contre  l'ennemi  avec  dix-huit  mille  hommes 
par  la  vallée  de  Bormida,  atte-gnit  les  Austro-Sardes  à  Caire ,  et 
les  replia  dans  la  plaine  du  Piémont.  Mais  les  Français  n'étaient 
pas  en  mesure  de  pousser  plus  avant  ;  ils  revinrent  à  Savone  et 
fortifièrent  le  sommet  des  monts.  Au  commencement  de  la  cam- 
pagne de  1795,  les  impériaux  reprirent  l'offensive.  L'armée  fran- 
çaise occupait  à  droite  Vado  ;  sa  gauche  s'appuyait  sur  les  A'pes, 
depuis  le  Col-de-Tende  jusqu'à  l'Argenlière.  On  en  avait  détaché 
dix  mille  hommes  que  l'on  desdnait  à  un  débarquement  à  Civita- 
Vecchia  pour  attaquer  Rome;  elle  était  réduite  à  trente  mille 
et  commandée  en  chef  par  Kellerman.  Les  coalisés  avaient  réuni 
des  forces  considérables.  Colli ,  à  la  tête  de  vingt-cinq  mi  le  Pié- 
montais,  occupait  Coni  et  Mondovi,  et  couvrait  Turin.  Cinquante 
mille  impériaux,  Napolitains  et  Italiens,  commandés  par  Dervins, 
campaient  à  Dego  et  à  Ava.  Le  projet  de  l'ennemi  était  de  replier 
notre  droite  en  l'attaquant  par  son  extrémité  et  d'en  compromet- 
tre la  retraite  en  la  séparant  d'avec  le  centre  de  nos  positions. 
Les  Français,  successivement  repousses  aux  combats  du  Tanaro, 
de  Mjlaj^no  et  de  Vado  (22,  24.  25,  26  juin  ),  se  décidèrent  à  la 
retraite  (30  juin  et  5  juillet).  Kellerm:jnn  fil  reconni^ître  et  assu- 
rer une  po>ition  en  arrière,  et  maintint  la  droite  de  son  armée  à 
Albinga  et  à  Borgheio.  Pendant  deux  muis,  les  opérations  de 
cette  campagne  ne  furent  que  des  surprises  ou  des  attaques  de 
postes  avec  des  succès  variés  ;  mais  le  but  fut  atteint  en  couvrant 
le  comté  de  Nice  et  la  Savoie ,  en  conservant  les  pays  conquis  et 
des  passages  pour  reprendre  l'offensive.  Dans  ces  coinbats  de 
détail,  il  y  eut  des  faits  d'armes  par  leiquels  nos  troupes  p» élu- 
daient aux  prodiges  qu'elles  devaient  bientôt  opérer  en  Italie. 


Îh5  COiNVENTION  NATIONAL£. 

Un  sous-officier,  nommé  Janeira ,  délivra  seul  vingt-trois  volon- 
taires que  les  Piémoniais  conduisais  nt  prisonniers  ;  s'éiant  em- 
busqué sur  leur  passajje ,  il  cria  dès  qu'il  les  vit  :  A  moi ,  chas- 
seurSj  délivrons  nos  camarades!  Les  Piémontais  s'élonnèrent  et 
furent  désarmés  par  les  prisonniers.  Un  véiéran,  nommé  Bala- 
son ,  ayant  près  de  cinquante  ans  de  service ,  avait  été  élevé  au 
commandement  d'un  bataillon  :  avec  dix  hommes  ,  il  arrêta,  au 
pas>age  d'un  défilé  étroit ,  une  colonne  de  six  cenis  hommes,  et 
réussit  à  la  contenir  jusqu'à  l'arrivée  d'un  renfort  sulfisant  qui 
la  força  à  rétroj^rader.  Le  25  septembre  (4  vendémiaire),  Sché- 
rer  vint  prendre  le  commandement  de  larmée  d'Italie,  amenant 
avec  lui  une  partie  de  celle  qu'il  avait  commandée  en  Espagne. 
Le  résultat  de  l'arrivée  de  Schérer  avec  les  bataillons  de  l'armée 
d'Espagne  fut  un  retour  offensif  qui  remit  en  notre  possession 
Sa  voue  et  la  rivière  de  Gènes  ;  ce  succès  ouvrit  l'entrée  du  Pié- 
mont et  prépara  les  grands  événe.nens  qui  signalèrent  la  campagne 
suivante.  La  paix  avec  la  Toscane  avait  été  ratifiée  par  la  Con- 
vention le  15  février  (2o  pluviôse)  179o. 

Au  commencement  d'octobre  1795,  l'armée  de  Sambre-et- 
Meuse  et  celle  du  Nord  sous  le  commandement  de  Pichegru  et  de 
Moreau  occupaient  la  rive  gauche  de  la  Meuse  et  du  Rhin.  Il  y 
avait  dans  son  sein  un  grand  nombre  de  patriotes  hollandais  qui 
pressaient  les  généraux  français  de  dclivrer  leur  pays  de  l'oppres- 
sion où  il  gémissait  depuis  la  révolution  de  1787.  Une  campagne 
d'hiver  fut  résolue;  on  attendit  que  les  glaces  eussent  rendu  pra- 
ticables les  canaux  et  les  inondations  qui  couvraient  cette  contrée. 
Le  9decen)bre  (7  nivôse)  1794,  Pichegru  Ht  commencer  le  mou- 
vement. Les  corps  hollandais,  (;eux  des  Autrichiens  et  des  Anglais 
furent  repoussés  dans  toutes  les  directions  ;  les  unsrejeiéssurla 
droite  et  isolés  de  leurs  communications  avec  la  Hollande ,  les 
autres  poursuivis  et  mis  dans  une  entière  déroule.  A  celle  nou- 
velle, les  états  provinciaux  de  la  Hollande  se  rassemblèrent  et  se 
préparèrent  à  traiter  avec  la  république  française.  Une  révolution 
s'opéra  à  Amsterdam.  Le  gouvernement  du  sthatouder  fut  ren- 
versé Cl  le  drapeau  tricolore  arboré,  Les  Français  furent  partout 


RÉACTION    THERMIDORIENNE.  95 

reçus  en  libérateurs  ;  l'armée  se  répandit  dans  toutes  les  provin- 
ces ;  laZélande,  Rotterdam,  La  Haye,  Utrecht,  Amsterdam,  fu- 
rent rapidement  occupés ,  et  quelques  escadrons  lancés  jusqu'au 
Heldpr  semparèrent  de  la  flotte  en^jagée  dans  les  glaces  au  mouil" 
lage  du  Texel.  Alors  les  états-généraux  de  la  Hollande  se  réuni- 
rent ,  et  quatre  commissaires  rommés  par  eux  signèrent  avec 
Sieyes  et  Rewbell ,  agissant  au  nom  de  la  France,  un  iraiié  de 
paix  et  d'aliiance  que  la  Convention  ratifia  le 21  mai  (2 prairial). 
L'armée  du  Rhin-et-Moselle  à  la  fin  de  la  campagne  de  17^5  ne 
se  trouvait  point  dans  une  position  aussi  avantageuse  que  l'armée 
qui  venait  de  s'emparer  de  la  Hollande.  Après  des  combats  meur- 
triers mêlés  de  succès  et  de  revers ,  elle  n'avait  pas  entièrement 
conquis  la  rive  gauche  du  Rhin.  Mayence  était  encore  aux  mains 
des  alliés  qui  couvraient  cette  ville  avec  une  armée  nombreuse  ; 
mais  les  Français  occupaient  un  point  sur  la  rive  droite  du  Rhin 
qui  leur  assurait  le  passage  de  ce  fleuve.  L'armée  de  Sambre-et- 
Meuse  avait  pris  possession  de  Dusseldorf.  La  résistance  des  en- 
nemis était  d'autant  plus  inatendu^  que  les  forces  des  coalisés 
semblaient  devoir  êire  affaiblies  par  l'absence  des  coniingens  de 
la  Prusse  ;  car  cette  puissance  avait  fait  avec  la  République  un 
traité  de  paix  qui  était  déjà  définitivement  ratifié  le  50  avril  (  1 1  flo- 
réal) 1795. 

NOMS    DES    PRÉSIDENS    DE   LA   CONVENTION   NATIONALE   DEPUIS   LE 

24  JANVIER  1795  jusqu'au   26  octobre  1795,  jour  de  sa 

CLOTURE. 

{Nous  avons  donné  la  liste  desprcsidens,  depuis  le  21  septembre  {192,  jour 
d'ouverture  de  la  Convention  nationale  ,  jusqu'au  24  janvier  1795,  dans 
MU  de  nos  précédens  volumes.  ) 

1793.  —  An  7"  et  an  II  de  la  République. 

Rabaut  Saint-Kiienne ,  du  24  janvier  au  9  février  1793;  Bréard  ,  du  9  au  22 
février  ;  Dubois-Crancé ,  du  22  février  au  8  mars  ;  Gensonoc ,  du  8  au  24  mars  ; 
Jean  Debry,  du  24  mars  au  5  avril;  Delmas,  du  5  au  18  avril;  Lasnurce,  du 
18  avril  au  2  mai;  Boyer-Foofrède,  du  2  au  17  mai;  Isnard  ,  du  17  au  30  mai; 
Mallarmé ,  du  50  mai  au  1  '<  juin  ;  Gollot-d  Herbois ,  du  1 4  au  28  juin  ;  Thiriot, 
du  28  juin  au  12  juillet;  Jean-Bon  Siint-André,  du  12  nu  2G  juillet;  Danton, 
du  26  juillet  au  9  août  ;  Hérault-Séchelles  ,  du  9  au  23  août  ;  Robespierre ,  du 


94  k.ONVENTION    NATIONALE.    —    PRESIDKNS  , 

23  août  au  6  septembre;  Billaud-Vareones,  du  6  au  1 9  septembre  ;  Camboo,  du 
19  septenibie  au  4  octobre  ;  Charlier,  du  4  au'iô  octobre;  Ba^le,  du  25  octobre 
au  7  novembre;  Laloi ,  du  7  au  22  novembre;  Romme,  du  22  novembre  au 
7  déctmbie;  Voulaud,  dj  7  au  22  décembre;  Coutbon  ,  du  22  décembre  au 
6  janvier  1794  (  17  nivôse  an  II.). 

1794.  —  Jn  II  et  an  III  de  la  Republique. 

David,  du  17  nivôse  au  2  pluviôse,  an  II;  Vadier,  du  2  au  17  pluviôse;  Du- 
barran,  du  17  pluvidse  au  2  venlose;  Saint-Jusl,  du  2  au  17  ventôse;  Ruhl, 
du  17  venlose  au  2  germinal  ;  TaUien,  du  2  au  18  germinal  ;  Amar ,  du  18  ger- 
minal au  2  Uoréal  ;  Roberl  Lindet ,  du  2  au  18  floréal,  Carnot,  du  18  floréal  au 
2  prairial;  Prieur  (de  la  Côte-dOr),  du  2  au  18  prairial;  Robespierre,  du  18 
prairial  au  2  messidor;  Llie  Lacoste,  du  2  au  18  messidor;  Louis  (du  Bas- 
Rbin).  du  18  messidor  au  2  thermidor;  Collot-d'Uerbois,  du  2  au  17  tbejmi- 
dor;  Merlin  (de  Douai),  du  17  thtrmidor  au  2  fructidor;  Merlin  (de  ThioQ- 
villei,  du  2  au  17  fruct  dor;  Bernard  (de  Suintes),  du  17  fructidor  au  2  vendé- 
miùre,  an  III;  André  Dumont,  du  2  au  17  vendémiaire;  Cambacérès,  du  17 
vendémiaire  au  2  brumaire;  Prieur  (de  la  Marne),  du  2  au  17  brumaire;  Le- 
gendre,  du  17  brumaire  au  4  frima  re;  Clauzel ,  du  4  au  17  frimaire;  Rev^bel, 
du  17  frimaire  au  2  nivôse;  Bentabole ,  du  2  au  20  nivôse  (9  janvier  i795). 

1795.  —  An  III  et  an  IV  de  la  Hépubllque. 

Letourncur,  du  20  oivose  au  2  pluviôse ,  an  II  ;  Rovère ,  du  2  au  17  pluviôse  ; 
Barras,  du  17  pluviôse  au  2  \entose;  Bourdon  (de  l'Oise),  du  2  au  17  ventôse; 
Thibaudeau,  du  17  ventôse  au  5  germinal;  Pelet,  du  5 au  17  germinal  ;  Boissy- 
d'AngUs,  du  17  germinal  au  2  floréal;  S.>eyes,du  2  au  17  floréal;  Vernier, 
du  17  floréal  au  7  prairia';  Mathieu  ,  du  7  au  17  prairial  ;  Lanjuinais,  du  17  prai- 
rial au  2  messidor;  Louvet,  du  2  au  17  messidor;  Doulcet,  du  17  messidor  au 
2  thermidor;  Laiéveillère-Lcpeaux.do  2au  17  thermidor;  Daunou.  du  17  iher- 
m-d or  au  2  fructidor  ;  Hr-nri  Larivière  ,  du  2  au  17  fructidor;  B-  Hier,  du  17 
fruciidjr  au  2  vendémiaire  au  IV  ;  Baudiu  (  de»  Ardenn&»),  du  2  au  17  vendé- 
miaire ;  Geni>s  eux  ,  du  17  vendémiaire  au  4  brumaire  ,  dernier  jour  de  la  Con- 
Teotion  (26  octobre  1795).  ^ 


TABLEAU  DES  MEMBRES  DE  L4  CONVENTION  NATIONALE  QUI  ONT 
COMPOSÉ  LES  COMITÉS  DE  SALUT  PUBLIC  ET  DE  SÛRETÉ  GÉNÉ- 
RALE. 

1793. 

Comité  de  salut  'public. 

Le  7  avril.  Barri're,  Deimns,  Breard,  Danton,  R.  Lindet,  Treilhard, Guy ton- 
Morveaux,  Lacroix  (d'Enre-et  Loir),  Gambon. 

il  mai.  Les  mèuies  membres. 

12  jui»».  Les  mêmes  ;  ma  s  on  a  adjoint  Josn-Bon  Saint-André  ctGasparin. 

Barrèrc,  Delm  s,  Bréard,  Camlion,  Hlsaïué,  D.mton,  Guyton-Moneaux,  La- 
croix. (d'Eure-et-Loir),  Jean- Bon  Sa  nt  André,  Gasparin. 

1  i  juHUl.  Décrété  qu'il  n'y  aurait  que  neuf  membres. 


£T    MEMBRES   DES    DEUX    COMITÉS.  9^ 

Barrère,  Gasparin,  Couihon,  Thuriol,  Saiot-Just,  Prieur  (de  la  Marne),  Hé- 
rault-SéchelIts,  R.  Liudet,  Jean -Bon  Saiiit-Audré,  Robespierre. 
13  août.  Les  mêmes  meoibres. 
Septembre.  Les  mêmes  membres. 
H  octobre  (20  vendémiaire,  an  2).  Les  mêmes  membres. 

22  brumaire  (  novembre).  Les  mém  s  membres. 

23  frimaire  ^décembre).  Barrère,  Biilaud-Vareones,  Carnot,  Collot-d'Herbois, 
C.  A.  Prieur,  R.  Liodet,  Robespierre,  Couthoo,  Saint-Just,  Jeaa-boa siaint- 
Aodré. 

IS'ivose  {janvier  1794).  Les  mêmes  membres. 

Pluviôse  {février)  Les  mêmes  membres. 

Ventôse  {mars).  Les  mêmes  membres. 

Germinal  (  avril  .  Les  mêmes  membres. 

Floréal  (mai).  Les  mêmes  mepibres. 

Prairial  {juin  )  Les  mêmes  membres. 

Messidor  (juilUt).  Les  mêmes  membres. 

Thermidor  jusqu'au  9  juillet.  Les  mêmes  membres. 

U  thermidor  {août).  Caroot,  Banère,  Collot-d'Herbois,  Billaud-Varennes, 
Prieur  (de  la  Côte-d'Or),  Lindet,  Escbassériaux  l'aîné,  Bréard,  Laluy,  Thurijt, 
Trei  hard,  Tal  ien. 

io  fructidor  (août).  Fourcroi,  Cochon,  Delmas,  Merlin  (de Douai),  Eschassé- 
riaux  r.iiaé,  Bréard,  Laloy,  Thuriot,  Treilhard ,  Prieur  (de  la  Côte-d'Or), 
Carnot,  Lindet. 

An  111. 

15  Vendémiaire  {sep\emhre).  Prieur  (de  la  Marne),  Guy ton-Morveaux,  Ri- 
chard,  Fourcroi,  Cochon,  Delmas,  Merlin  (de  Douay  ),  Eschasiériaux  aîné, 
Bréard,  Laloy,  Th  uriol  elTreiihard. 

15  brumaire.  Cambacérès,  Pelet  (de  la  Lozère),  Carnot,  Prieur  (  de  la  Marne), 
Guyton-Morveaux,  Richard,  Fourcroi ,  Cochon ,  Delmas ,  Merlin  (de  Douai), 
Bréard,  Thuriot. 

15  frimaire.  Buissy-d'Auglas,  André  Dumont,  Dubois-Craacé,  Cambacérès, 
Pelet  (je  la  Lozèit) ,  Carnot,  Prieur  (de  la  Marne),  Guyiou-Morveaux,  Richard, 
Fourcrui,  Delmaj»,  M  rlm  (de  Douii). 

<5  nivôse.  Bréard,  M.r^c,  Cliasal,  Boissy-d'Anglas ,  André  Dumonl,  Dubois- 
Craucé,  Cambacérès,  Pelei  (de  la  Lozère),  Caruol,  Pr,eur  (de  la  Marne),  Guy- 
too  Morveaux,  Richard. 

i5 pluviôse.  Merlin  (de  Douai  ),  Fourcroi,  Lacombe  (du  Tarn),  Bréard,  Marée, 
Chasal,  Boissy-d  Anglas,  Audre  Dumonl,  Du^oisCrancé,  Cambacéiès,  Pelet  (de 
la  Lozère),  Caraot. 

15  vtnioie.  Sieyès,  Laporte,  Rewbel,  Merlin  (de  Douai  ),  Fourcroi,  Lacombe 
(du  T.rn) ,  Bréard,  Marec,  Chasal,  Boissy-d'Auglas ,  André  Dumoni,  Dubjii- 
Craucé. 

Le  comité,  ce  mois-ci,  sera  composé  de  seize  membres. 

15  germinal.  Cambacérès,  Aui  ry,  Tallieu,  Creuzé-Lalouclie,  Gillet ,  Roux 
ide  la  Uaule-Mrije,,  Siexès,  Lapor.e,  Rewb.ll,  Merlm  (du  Doua}),  Fuurcroi , 
Laconib  ,  du  Tarn,  Bréard,  Miirec,  C:iasal. 

15  floréal.  Treilliard,  Fermuui,  Vtruicr,  Rabaud-Poniniier,  Doulcet,  Cam- 
ba.éiè»,  Au  >ry,  Tallieu,  GiiIct,  R  ux  (do  la  Hiuie-Marm) ,  Siojèi,  Lapuric, 
Rewbeil,  Merhu  (de  Douai),  Fourcroi,  Lacombe  (du  Taru). 

io  prairial.  Marec ,  Gdiuon ,  Larivière  ,  Blad ,  Treilhurd,  Fermant,  Vernier, 


96  CONVENTION   NATIONALE.    —   MEMBRES 

RabauU-Pommier,  Doiilcet ,  Cambacérès ,  Aubry,  Tallien ,  Gillet,  Roux  (de  la 
Haute-Marne),  Sieyès,  Rewbel. 

<5mfSsidor. Boissy-d  Anglas,  Louvel,  Jean-de-Bry, Lesage  (d'Eure-et-Loir), 
Marec,  Gamon ,  Larivière,  Blad,  Treilhard,  Ferment,  Vernier,  Rabault-Pom- 
mltr,  Doulcei,  Canibarérès,  Aiibry,  Tallien. 

io  thermidor.  Merlin  (de  Douay),  Letourneur  (de  la  Manche),  Sieyès,  Rewbel, 
Boissy  -  d'Atiglas ,  Louvet ,  Jean-de-Bry  ,  Lesage  (d'Eure-et-Loir),  Marec,  Ga- 
mon, Larivière,  Blad,  Ferm  »nt,  Vernier,  Bibaull-Pommier,  Doulcet. 

io  fructidor.  Laréveillère-Lépaux,  Cunibacérès,  Daunou,  Beriier,  Merlin  (de 
Douai),  Letourneur  d»;  la  Manche,  Sieyèi ,  Rewbel ,  Boissy-d'Anglas,  Louvet  ^ 
Jean-de  Bry,  Lesage  (d'Eure-et-Loir),  Marec,  Gamon,  Larivière, Blad. 

An  IV. 

i5  vendémiaire.  Chénier,  Eschassériaux  aîné  ,  Gourdan,  Thibaudeau,  Liré- 
veillère-Lépaux,  Cambacérès,  Daunou,  Beriier,  Merlin  (de  Douai  ),  Letourneur 
(de  la  Manche),  Sieyès,  Rewbel,  Boissy-d'Anglas,  Louvet,  Jean-de-Bry,  Lesage 
d'Eure-el-Loir). 

Comité  de  sûreté  générale. 

1795. 

2(  janvier.  Bazire ,  Laraarque,  Chabot,  Legendre  (de  Paris),  Bernard 
(de  Samtes) ,  Rovère,  Ruamps,  Maribon-Montaut ,  Tallien,  Ingrand,  Jean-de- 
Bry,  Duhem.  —  Suppléans  :  Lasource,  Grangeneuvo,  Quinète,  Drouet,  Bréard, 
Karvelégao. 

i\  septembre.  Panis,  Lavicomterie,  Guffroy,  Chabot,  Alquier,  Lejeune,  Ba- 
zire, Garnier  (de  Saintes),  Julien  (de  Toulouse). 

An  II. 

5  vendémiaire  (26  septembre).  Rulh,  Joseph  Lebon,  Lavicomterie,  Amar, 
Vonlland,  Panis,  A.  Benoit,  GulTroy,  Moïse  Bayle,  Lebas,  Vadier,  David. 

22  rnidé»niaire  (14  Octobre).  >4djoiiif5.— Laloy,  Dubarrao,  Jagot,  Louis  (du 
Bas-Rhin.) 

Brumaire.  Panis,  Lavicomterie,  Guffroy  Chabot,  Lejeune,  Garnier  (de  Sain- 
tes), Laloy,  Dubarran,  Jagot,  Louis  (du  Bas  Rhin),  Amar,  Vadier,  Voallaad, 
David,  Moïse  Bayle. 

Frimaire.  Panis,  Lavicomterie,  Guffroy.  Lejeune.  Garnier  (de  Saintes),  La- 
loy,  Dubarran,  Jagut,  Louis  (da  Bas-Rhin) ,  Amar,  Vadier,  Voulland,  David, 
Moïse  B:  yle. 

ISivosr.  Voulland,  Louis  (du  Bas  Rhin),  Mosïe  Bayle,  Laloy,  Lavicomterie, 
V^adier, Dubarran.  Élie  Lacoste,  Jagot,  Guffroy,  Aaiar,Cambon,  David,  Lebas, 
Panis. 

Pluviôse.  Lavicomterie,  Vadier,  Amar,  Vonlland,  Élie  Lacoste,  Guffroy.  Du- 
barran ,  Louis  (du  Bas-Rhin\  David,  Moïse  Bayle,  Lebas,  Jagot,  Rulh,  Laloy» 
Panis. 

Ventôse.  Vadier,Voulland ,  Louis  (du Bas-Rhin),  Jagot,  Âmar,  Rulh,  Dubar- 
ran, David,  Moïse  Bayle,  La\icomlerie,  Lebas,  Elie  Lacoste,  Guffroy,  Laloy. 
Panis. 

Germinal.  Les  mêmes. 

Floréal.  Voulland,  Vadier,  Amar,  Elie  Lacoste,  Dubarran  Jagot,  Louis  (du 
Bas-Rhin),  Lavicomterie,  Moïse  Bayle,  Philippe  Rulh,  David,  Panis. 


.DES   DEUX   COMItKS.  97 

Prairial.  Vadier,  Amar,  YouUand,  Elie  Lacoste,  Dubarran,  Jagot,  Louis  (du 
Bas-Rhin),  Lavicomterie,  Moïse  Bayle,  Philippe  Ruih,  David,  Panis. 

Messidor.  Vadier,  Amar,  Voulland,  Philippe  RuIh,  Moïse  Bayle,  Lavicom- 
terie, Elie  Lacoste,  Jagot,  David,  Guffroy,  Dubarran,  Louis  (du  Bas-Rhin), 
Panis. 

Thermidor,  jusqu'au  13.  Dubarran,  Amar,  Louis  (du  Bas-Rhin),  Voulland, 
Vadier,  Philippe  Rulh,  Moïse  Bayle,  Lavicomterie,  Élie  Lacoste,  Jagot,  David, 
Guffroy,  Laloy,  Panis- 

15  Thermidor.  Vadier,  Moïse  Bayle,  Voulland,  Elie  Lacoste,  Dubarran, 
Amar,  Guffroy,  Philippe  Rulh,  Legendre  (de  Paris),  Goupilleau  (de  Fonte- 
nay),  Merlin  ^de  Thionville  ),  André  Dumont,  Bernard  (de  Saintes),  Louis  (du 
Bas-Rhin). 

Fructidor.  Colombe],  Meauld,  Clausel;  Mathieu,  Montmayou,  Lesage-Sé- 
naut,  Bourdon  (de  l'Oise),  Amar,  Dubarran,  Guffroy,  Philippe  Rulh,  Legen- 
dre (de  Paris),  Goupilleau  (de  Fontenay),  Merhn  (de  Thionville),  André  Du- 
mont, Bernard  (de  Saintes),  Louis  (du  Bas-Rhin). 

An  m. 

.  15  Vendémiaire.  Bentabolle,  Rewbell,  Laporte ,  Reverchon ,  Colombe], 
Meauld,  Clausel,  Mathieu,  Montmayou,  Lesage-Sénaut,  Bourdon  (de  l'Oise), 
Guffroy,  Legendre  (de  Paris),  Goupilleau  (de  Fontenay),  Merlin  (de  Thion- 
ville), André  Dumont. 

15  Brumaire.  Garnier  (de  l'Aube),  Barras,  Armand  (de  la  Meuse),  Laigne- 
lot,  Bentabolle,  Rewbell,  Laporte,  Reverchon,  Colombe],  Meauld,  Clausel,  Ma- 
thieu, Montmayou,  Lesage-Sénaut,  Bourdon  (de  l'Oise),  Levasseur  (de  la 
Meurtne  ) . 

15  Frimaire.  Legendre  (de  Paris),  Goupilleau  (de  Montaigu),  Lomont, 
Boudio  (de  l'Indre),  Garoier  (de  l'Aube),  Barras,  Armand  (de  la  Meuse),  Lai- 
gnelol,  Bentabolle,  R^vbelJ,  Laporte,  Revefchon,  Meauld,  Mathieu,  Mont- 
mayou, Bourdon  (de  l'Oise). 

15  Muose. Clausel,  Rovère,  Guffroy,  Vardon,  Legendre  (de  Paris),  Goupil- 
leau de  Montaigu,  Boudm  (de  l'Indre),  Garnier  (de  l'Aube),  Barras,  Armand 
(de  la  Meuse),  Laignelot,  Bentabolle,  Rewbell,  Laporte,  Reverchon. 

15  Pfuvioie.  Mathieu,  Augu's,  Perrin  (des  Vosges),  Bourdon  (de  l'Oise), 
Clausel,  Rovère,  Guffroy,  Vardon,  Legendre  (de  Paris),  Goupilleau  (de  Mon- 
taigu), Lomont,  Boudio  (de  ITndre),  Garnier  (de l'Aube),  Barras,  Armand  (de 
la  Meuse),  Laignelot,  Philippe  Rulh. 

15  Ventôse.  Isabeau,  Calés,  Gauthier  (de  l'Ain),  Delecloy,  Pémartin,  Mont- 
mayou, Mathieu,  Auguis,  Perrin  (des  Vosges),  Clausel,  Rovère,  Guffroy,  Le- 
gendre (de  Paris),  Goupilleau  (de Montaigu),  Lomont,  Boudin  (de  l'Indre). 

15  Germinal.  Courtois,  Thib  udeau,  Seveslre,  Chénier,  Isabeau,  Calés,  Gau- 
thier (de  l'Ain),  Delecloy,  Pémartin,  Montmayou,  Mathieu,  Auguis,  I*errin  (des 
Vosges),  Clausel,  Rovère  (  Thibaudeau  a  donné  sa  démission). 

15i'7or^a/.  Gi)yoraar,  Picrrtt,  Kervelé^^an,  Bergoing,  Courtois,  Seveslre, 
Chénier,  Isabeau,  Calés,  Gauthier  (  de  l'Ain  ),  Delecloy,  Pémartin,  Monlmayou, 
Ma.hieu,  Auguis,  Perrin  (des  Vosges),  Calés. 

15Prairù(/.  Genevois,  Lomout,  Boudin,  Kervelégan,  Montmayou,  Courtois, 
Pémartin,  Piirret,  Guyomar,  Isabeau,  Calés,  Gauthier,  Bergoing,  Sève stre 
Chénier.  • 

i^)  Messidor,  Delaunay  (d'Angers),  Mariette,  Perrin  (des  Vosges),  Bailly, 
T.    X\XY/I,  7 


$J8  CONVENTION   NATIONALE. 

Bailleul,  Chéuier,  Sevestre,  Courtois,  Genevois,  KervelégaUj  Pémartio,  Pier- 
rot, Giiyomar,  Calés.  Bergoing,  Lomont,  Rovère,  Boudin. 

io  Thermidor.  Calés,  Pémartio,  Gauthier  (de  l'Ain),  Isabean,  Bergoing, 
Kervelégan,  Guyomar,  Pierret,  Perrin  {des  Vosges),  Rovère,  Mariette,  Bailly, 
Bailleul,  Lomont,  Delaunay,  Boudin, 

15  Fructidor.  Quirot,  Montmayou,  Colombel,  Hardy,  Barras,  Lcmopt,  Ro- 
vère, Mariette,  Boudiu,  Calés,  Pémartin,  Gauthier  (de  l'Ain),  Isabeau,  3aiily» 
Bailleul,  Delaunay. 

An  IV. 

♦  5  Vendémiaire.  Bordas,  Guvomar,  Roberjot,  Kervelégan,  Quirot,  Mont- 
mayou, Colombel,  Hardy,  Barras,  Calés,  Pémartin,  Gauthier ^de  l'Ain),  Isa- 
beau,  Bailly,  BaiUeul,  Delaunay. 


FIN    DE   l'histoire    DE   1-A  CONVENTION   NATIONALE. 


HISTOIRE  DU  DIRECTOIRE. 


m  4  pRUMAiRE,  AN  IV  (26  octobre  1795)  au  r50  floréa  l 
AN  v{  19  mai  1797). 


■rnière  séance  de  la  Convention  eut  lieu  le  4  brumaire 
an  IV  (26  octobre  1795).  Il  y  avait  alors  à  peine  six  ans  que  la 
révolution  était  commencée,  et  ce  temps  avait  été  trop  court 
pour  avoir  fait  oublier  les  sentimens  et  les  habitudes  de  la  mo- 
narchie. La  plupart  de  ceux  dont  la  révolution  avait  froissé  les 
intérêts  vivaient  encore  et  habitaient  le  sol  de  la  France.  Il  n'y 
avait  guère  que  la  noblesse ,  et  une  partie  du  clergé  qui  eussent 
pris  part  à  l'émigration;  encore  beaucoup  de  nobles,  beaucoup 
de  prêtres  avaient  mieux  aimé  courir  les  chances  de  lu  suspicion 
qui  s  attachait  à  eux,  que  de  s'expatrier.  Parmi  les  possesseurs 
de  ces  milliers  de  privilèges  obscurs ,  dont  l'assemblée  consti- 
tuante avait  prononcé  l'abolition  dans  les  mille  carrières  de  l'in- 
dustrie,  des  finances,  de  la  robe ,  on  pouvait  compter  ceux  aux- 
quels leur  zèle  pour  la  royauté  avait  fait  passer  la  frontière ,  ceux 
que  le  régime  de  la  terreur  avait  frappés.  Or,  ces  hommes  for- 
maient une  poriion  considérable  de  la  population  ,  la  portion  la 
plus  riche,  la  plus  influente  et  la  plus  instruite.  Ils  avaient  pris 
la  moindre  part  aux  dévouemens  des  trois  dernières  années ,  et 
aussi  leur  nombre  n'était  guère  diminué.  D'un  autre  côté,  la 
vie  de  trouble,  d'agitation  et  de  sacrifice,  que  la  révolution  avait 
imposée  à  toute  la  France,  contrastait  trop  violemment  avec  le 
régime  de  quiétude  individuelle  dont  on  jouissait  sous  le  gouver- 
nement absohi  des  derniers  rois,  poui-  qu'il  n'en  resuitàt  p.Ks 
chez  eux  quelques  regrets  d'une  époque  où  chacun  d'eux  était 
au  moins  assuré  de  son  lendemain,  et  de  l'exploitation  p.iisibîe 


100  DIRECTOIRE.    —    Dl    4   BRUM.    AN    IT 

(l'une  position  exceptionnelle.  La  masse  de  la  population  était 
sans  doute  encore  composée  des  générations  qui  avaient  assisté  à 
l'ouverture  des  éiats-généraux ,  et  applaudi  à  la  constitution 
de  1791  ;  mais  ce  qu'elle  renfermait  de  plus)  énergique  et  de 
plus  dévoué  avait  péri  dans  les  tourmentes  civiles  et  sur  les  pre- 
miers champs  de  bataille,  ou  se  dissipait,  en  ce  moment,  aux  ar- 
mées. 

La  nation  avait  en  quelque  sorte  consommé ,  en  quelques  an- 
nées ,  toutes  ses  richesses  en  volonté  et  en  spontanéité  révolu- 
tionnaires. Les  hommes  des  premiers  jours  n'existaient  plus ,  ou 
étaient  fatigués.  Il  ne  restait  plus  guère  que  cette  partie  pacifique 
du  peuple  qui ,  plus  préoccupée  des  intérêts  personnels  que  des 
questions  sociales  du  présent  que  de  l'avenir,  demande  toujours, 
avant  tout,. de  la  sécurité  et  du  repos. 

Dans  les  années  qui  précèdent  celles  dont  nous  allons  nous  oc- 
cuper, le  dévouement  révolutionnaire  était  représenté  par  deux 
institutions,  celle  des  Jacobins  et  celle  des  armées.  C'était  là  que 
s'étaient  groupés  tous  les  hommes  animés  des  plus  vifs  désirs  et 
des  plus  fermes  volontés.  Les  Jacobins  gardaient  et  gouvernaient 
Ja  révolution  dans  l'intérieur;  l'armée  la  défendait  contre  les  at- 
taques de  l'étranger,  et  la  propageait  au  dehors.  De  ces  deux  in- 
stitutions il  n'en  subsistait  plus  qu'une  seule.  Les  Jacobins  avaient 
disparu  ;  l'échafaud ,  la  guerre  civile,  la  réaction  et  la  haine  publi- 
que les  avait  tués  ou  dispersés.  L'armée  était  le  seul  corps  où  le 
dévouement  révolutionnaire  des  masses  fût  encore  représenté. 
Aussi,  dans  l'histoire  qui  va  suivre,  nous  lui  verrons  jouer  un 
rôle  politique,  et  venir  dénouer  des  difficultés  qui  étaient  au- 
dessus  de  la  puissance  des  pouvoirs  institués  par  la  Consiiuilion. 

Cependant ,  au  moment  où  la  Constitution  de  l'an  m  fut  mise 
en  vigueur,  l'armée  ne  s'occupait  pas  encore  des  événemens  inté- 
rieurs de  la  République.  Bien  que  l'on  eût  déjà  provoqué  son  at- 
tention en  soumettant  à  son  vote  cette  Constitution  elle-même, 
elle  obéissait  néanmoins  encore  à  l'impulsion  que  lui  avait  donnée 
le  comité  de  salut  public.  Elle  ne  détournait  point  les  yeux  de  l'en- 
nemi  qu'elle  combaitait  ;  ellemarch.iit  en  avant  sans  penser  à  s'in- 


AU  30  ïLOR.  AN  V  (  1790-1797  |.  101 

tbrmer  de  ce  qui  se  passait  sur  ses  derrières.  Or,  que  se  passait-il? 

Nous  avons  vu ,  dans  le  précédent  volume ,  quelles  étaient  les 
tendances  réactionnaires.  Elles  étaient  évidentes  depuis  long- 
temps, et  caractérisées  par  des  excès  qui  avaient  dépassé,  dans 
les  contrées  du  Midi ,  les  violences  mêmes  de  la  terreur.  D'après 
les  documens  que  nous  avons  recueillis  là-dessus ,  et  que  nous 
avons  emprunté  à  des  hommes  que  Ton  ne  peut  pas  soupçonner 
d'opinions  favorables  au  régime  du  comité  de  salut  public,  il  est 
prouvé  que  cette  réaction  versa  autant  de  sang  qu'il  en  avait  été 
répandu  auparavant  par  les  commissions,  les  tribunaux  et  les  di- 
verses exécutions  révolutionnaires.  Il  esfcertain,  en  effet,  que  le 
parti  de  la  réaction  était  plein  de  jeunesse  et  de  force  ;  il  s'était 
tenu  à  l'écart,  et  comme  caché  pendant  les  temps  de  tourmente; 
il  ne  s'était  point  épuisé,  comme  ses  adversaires,  dans  les  tra- 
vaux civils  et  militaires;  aussi,  dès  qu'il  eut  jour,  il  parut  plein 
de  vie  et  puissant  en  nombre.  Il  se  signala  partout  où  le  pouvoir 
n'avait  pas  d'armées  par  d'étranges  excès. 

Cependant  les  masses  ne  surent  pas  à  quel  point  il  portait  ses 
violences:  celles-ci  en  effet  se  composaient  d'aCtes  partiels ,  qui 
étaient  loin  d'avoir  la  publicité  que  possède  toujours  l'action  ré- 
gulière des  commissions  et  des  tribunaux  institués  par  un  gou- 
vernement. En  conséquence  le  peuple  ne  vit  dans  ces  violences 
rien  de  plus  que  des  crimes  individuels  qu'il  désapprouvait, 
mais  non  pas  un  parti  qu'il  eût  à  craindre.  Il  n'en  fut  pas  de 
même ,  ainsi  que  nous  l'avons  vu ,  des  membres  de  la  Convention. 
Us  virent  dans  les  dispositions  réactionnaires  une  double  tendance. 
Tune  qui  les  menaçait  personnellement ,  l'autre  qui  allait  à  ren- 
verser leur  œuvre  politique  en  ramenant  la  royauté.  Rien  n'é- 
tait plus  facile  en  effet  pour  les  hommes  habiles  de  Topinion  mo- 
narchique, que  de  s'emparer  de  la  direction  de  toute  cette  jeu- 
nesse contre-révolutionnaire.  Aussi  la  Convention ,  mue  par  le 
double  intérêt  de  la  sécurité  individuelle  de  ses  membres  et  de  la 
conservation  de  la  République,  prit  des  mesures  pour  que  le  pou- 
voir ne  sortît  pas  complètement  de  ses  mains.  Elle  avait  décrète, 
ainsi  qu'on  l'a  lu  dans  recommencement  de  ce  volume,  que  les  dé- 


10^  MRECTOmE.    —    1)C    4   BRUM.    AN   IV 

partemens  devraient  choisir  les  deux  tiers  de  leurs  députes  au 
corps  législatif  parmi  les  conventionnels.  Les  o  et  13  fructidor, 
elle  avait  décrétéque,  si  ce  noD)bre  n'était  pas  complété  par  les 
sections  départementales,  les  conventionnels  réélus  se  formeraient 
en  corps  électoral,  pour  choisir,  parmi  leurs  ancif  ns  collègues,  le 
nombre  nécessaire  pour  former  les  deux  tiers  exif»és.  Or,  il  se 
trouva  que  les  départemens  n'avaient  réélu  parmi  les  conven- 
tionnels que  trois  cent  soixante-dix-neuf  députés.  En  ajou- 
tant à  ce  nombre  celui  des  députés  des  colonies  ,  qui ,  conformé- 
ment aux  décrets  des  5  et  io  fructidor,  devaient  provisoirement 
continuer  leurs  fonctions,  il  restait  à  choisir  encore  cent  quatre 
membres  pour  compléter  les  deux  tiers  qui  ,*de  la  Convention, 
devaient  passer  dans  le  corps  lé{jislatif.  Celui-ci  en  effet  devait  être 
composé  de  sept  cent  cin(\uante  membres;  cinq  cents  au  conseil 
des  cinq  cents,  deux  cent  c\Lquanie  au  conseil  des  anciens. 

En  conséquence ,  aussitôt  que  la  Convention  eut  déclaré,  par 
l'orgnne  de  son  président,  que  sa  cession  était  terminée,  les  trois 
cent  soixante-dix-upuf  membres  réélus  se  formèrent  en  assemblée 
électorale ,  sous  la  présidence  de  Dussault ,  doyen  d'âge.  Tallien , 
comme  l'un  des  plus  jeunes,  était  un  des  secrétaires.  On  procéda 
de  suite  à  l'élection  des  cent  quatre  raanquans. 

Le  5  à  neuf  heures  du  soir,  les  opérations  de  l'assemblée  élec- 
torale étant  terminées,  le  corps  législatif  se  forme  sous  la  prési- 
dence du  citoyen  Rudel ,  doyen  d'âge.  Les  citoyens  Penieres , 
Gamon ,  Gauch^ry,  Duauli ,  Tallien  et  Guillemardet  font  les  fonc- 
tions de  secrétaires. 

Le  citoyen  Baudin,  des  Ardennes,  faisant  les  fonctions  d'archi- 
viste, donne  lecture  des  procès- verbaux  et  extraits  des  procès- 
verbaux  parvenus  aux  archives  pour  la  vérification  des  pouvoirs. 

A  mesure  que chaïue député  est  appelé,  il  déclare,  conformé- 
ment à  la  loi  du  I^»"  vendémiaire  ,  son  âge,  s'il  est  marié  ou  veuf, 
et  dépose  dans  un  canon  un  billet  contenant  cette  déclaration. 

Les  secrétaires  ayant  fait  le  relevé  de  ces  déclarations ,  on  met 
daiig  un  vase  les  noms  des  >lépute^  qui  oiji  plus  de  quarante  ans, 
cl  boni  mai  iés  ou  veufs. 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  105 

On  en  lire  cent  soixante-sept  pour  composer  les  deux  tiers  du 
conseil  des.  anciens. 

On  fait  le  même  tirage  parmi  les  députés  nouveaux  élus ,  et 
soixante-trois  sont  choisis  pour  compléter  le  conseil. 

On  se  sépare  à  quatre  heures  du  matin. 

Le  6,  à  deux  heures,  l'assemblée  générale  des  députés  se 
forme  de  nouveau. 

On  lit  la  liste  des  membres  que  le  sort  a  désignés  pour  chacun 
des  conseils. 

Aussitôt  l'assemblée  se  sépare  en  deux  conseils. 

Le,  conseil  des  cinq-cents  alla  prendre  possession  du  Manège 
où^ar  la  suite  il  tint  s^s  séances  ;  le  conseil  des  anciens  resta 
dans  la  salle  occupée  aux  Tuileries  par  la  Convention.  Le  6  bru- 
maire (28  octobre  1795),  les  deux  conseils  élurent  leurs  bu- 
reaux :  Daunou  fut  élu  président  des  cinq-cents ,  et  Réveillère- 
Lepaux  des  anciens.  Pour  achever  l'institution  du  gouvernement 
décrété  par  la  constitution  de  l'an  5 ,  il  n'y  avait  plus  qu'à  élire 
le  directoire.  Dans  la  situation  des  affaires ,  c'était  une  question 
capitale  ;  il  était  important  que  le  pouvoir  suprême  appartînt  à 
des  hommes  liés  à  celui  qui  venait  de  finir,  par  une  même  res- 
ponsabilité. Aussi  rien  ne  fut  laissé  au  hasard  dans  celte  élection, 
et  tout  fut  arrangé  d'avance.  Tout  le  monde,  au  reste,  dans  le 
temps ,  accusa  les  conventionnels  de  s'être  entendus,  et  aucun 
d'cHx  ne  s'en  défendit ,  et  l'opposition  s'en  fit  un  grief  considé- 
rable contre  eux.  En  effets,  la  veille  de  l'élection  ,  les  mrneurs 
du  parti  conventionnel  se  réunirent  chez  Villetard  ;  ils  convinrent 
d'une  liste  composée  de  telle  manière  que  le  choix  des  directeurs 
fût  en  quelque  sorte  forcé  ,  et  se  promirent  de  n'y  rien  changer, 
lors  du  vote,  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût.  D'après  la  con- 
stitution ,  le  conseil  des  cinq-cents  devait  présenter  au  conseil 
des  anciens  une  liste  de  cinquante  candidats,  sur  laquelle  le  der- 
nier devait  choisir  les  cinq  directeurs.  Le  résultait  du  scrut-n  ou- 
vert le  8  brumaire  aux  cinq-cents  ,  fut  connu  le  9.  La  liste ,  sur 
cinquante  noms,  n'en  présentait  que  six  de  connus.  Les  qua- 
rante quatre  autres  étaient  ceux  des  hommes  les  plus  obscurs , 


104  DlRECTOIRt.    •—   DU   4   BKLM.    AN   IV 

d'hommes  qui,  selon  l'expression  des  journaux  de  l'époque, 
n'avaient  jamais  eu  d'autres  titres  que  ceux  d'administrateurs 
ou  de  juges  dans  les  départemeus.  Kéveillère-Lepaux  avait  ob- 
tenu 517  voix;  Rewbell  246;  Siëyes  259;  Letourneur  de  la 
Manche,  214;  Barras,  206;  Cambacérès ,  145.  Tels  étaient  les 
hommes  désignés  et  qu'adoptait  la  majorité  du  parti  conven- 
tionnel. Lorsque  celte  liste  fut  reçue  au  conseil  des  anciens ,  il 
s'éleva  une  légère  discussion  :  Dupont  de  Nemours,  ex-consti- 
tuant, demanda  un  délai  de  quelques  jours,  afin  d'avoir  le  temps 
de  prendre  quelques  renseignemens  sur  les  candidats  ;  on  ré- 
pondit qu'il  ne  s'agissait  pas  de  savoir  si  la  liste  était  composée 
d'hommes  célèbres  ou  d'hommes  inconnus ,  mais  de  satisfaire 
aux  besoins  pressans  de  la  République  en  lui  donnant  un  gou- 
vernement. L'assemblée  passa  à  l'ordre  du  jour  sur  la  proposi- 
tion de  Dupont  de  Kemours,  et  sur  toutes  les  autres  semblables. 
Le  scrutin  fut  ouvert;  et  le  même  jour  10  brumaire  (l*^'"  no- 
vembre) ,  le  résultat  fut  proclamé.  Reveillère-Lepaux  ,  Siéyes, 
Rewbell ,  Letourneur  de  la  Manche  ,  et  Barras ,  étaient  nommés 
directeurs.  Quatre  des  nouveaux  élus  s'empressèrent  d'écrire 
aux  deux  conseils  qu'ils  acceptaient;  Siéyes  refusa,  se  fondant 
sur  ce  que  la  destinte  du  pouvoir  nouveau  étant  une  œuvre  de 
cODciiiaiion  ,  il  se  croyait  l'un  des  hommes  les  moins  propres  à 
en  faire  partie,  moins  à  cause  de  ses  opinions  réelles  que  pour 
celles  qu'on  lui  prèiait.  Cette  démission  étonna  ;  mais  elle  fut 
acceptée.  On  s'occupa  aussitôt,  au  conseil  des  cinq  cents,  de 
former  une  nouvelle  liste  de  dix  membres.  Comme  la  première 
fois,  on  arrêta  la  liste  d'avance  :  puis  on  passa  outie  aux  récla- 
mations et  l'on  précipita  li'  scrutin.  On  s'arrangea  pour  qu'il  ne 
s'y  trouvât ,  parmi  les  noms  inscrits ,  que  deux  noms  connus , 
ceux  de  Carnot  et  de  Cambaccrès.  Le  premier  réunit  181  voix  ; 
le  second  157.  Carnot  lut  choisi  le  15  brumaire ,  par  le  conseil 
des  anciens,  et  fut  proclamé  directeur. 

Le  directoire  exécutif  détinitivement  composé,  crut  devoir 
faire  connaitre  quelle  ligne  politique  il  se  proposait  de  suivre  ; 
en  conséquence  il  fit  publier  la  proclamation  suivante  : 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  179a-1797  ).  105 

Du  14  brumaire ,  l'an  4. 

«Le  directoire  exécutif  arrête  que,  pour  faire  connaître  sou  in- 
stallation, il  sera  fait  au  peuple  français  une  proclamation  dont 
la  teneur  suit  : 

Le  directoire  exécutif  au  peuple  français, 

»  Français ,  le  directoire  exécutif  vient  de  s'installer. 

»  Résolu  à  maintenir  la  liberié  ou  à  périr,  sa  ferme  volonté  est 
de  ccnsolider  la  République,  et  de  donner  à  la  constitution  toute 
son  activité  et  toute  sa  force. 

»  Républicains,  comptez  sur  lui,  son  sort  ne  sera  jamais  séparé 
du  vôtre  ;  l'inflexible  justice  et  l'observation;  la  plus  stricte  des 
lois  seront  sa  règle.  Livrer  une  guerre  active  au  royalisme ,  ra- 
viver le  patriotisme,  réprimer  d'une  main  vigoureuse  toutes  les 
factions,  éteindre  tout  esprit  de  parti,  anéantir  tout  désir  de 
vengeance ,  faire  régner  la  concorde ,  ramener  la  paix ,  régéné- 
rer les  mœurs. ,  rouvrir  les  sources  de  la  reproduction ,  ranimer 
l'industrie  et  le  commerce ,  étouffer  l'agiotage,  donner  une  nou- 
velle vie  aux  arts  et  aux  sciences ,  rétablir  l'abondance  et  le  cré- 
dit public,  remettre  l'ordre  social  à  la  place  du  chaos  inséparable 
des  révolutions,  procurer  enfin  à  la  République  Française  le 
bonheur  et  la  gloire  qu'elle  attend  ,  voilà  la  tâche  de  vos  législa- 
teurs et  celle  du  directoire  exécutif  :  eile  sera  l'objet  de  la  con- 
stante méditation  ,  et  de  la  sollicitude  des  uns  et  des  autres. 

»  De  sages  lois,  secondées  pac  les  mesures  d'exécution  les  plus 
promptes  et  les  plus  énergiques ,  amèneront  bientôt  l'oubli  de 
nos  longues  souffrances. 

»  Mais  tant  de  maux  à  réparer,  et  tant  de  bien  à  faire,  ne  peu- 
vent être  l'ouvrage  d'un  jour.  Le  peuple  français  est  juste  et 
loyal  :  il  sentira  que ,  dans  la  confusion  ou  se  trouve  l'état ,  au 
moment  où  son  gouvernement  nous  est  confié,  nous  avons  be- 
soin du  temps ,  du  calme  et  de  la  patience,  et  d'une  confiance 
proportionnée  aux  efforts  que  nous  avons  à  faire.  Elle  ne  sera 
pas  trompée  cette  confiance,  si  le  peuple  ne  se  laisse  plus  entrai- 


106  DIRECTOIUE.    —    DU    4    BRUM.    AN    IV 

ner  aux  suggestions  perfides  des  royalistes  qui  renouent  leurs  tra- 
mes, des  fanatiques  qui  embrasent  sans  cesse  les  imaginations,  et 
d<.*s  sangsues  publiques  qui  calculent  toujours  sur  nos  misères. 

»  EUe  ne  sera  pas  trompée,  si  le  peuple  n'attribue  pas  aux  au- 
lorilés  nouvelles  des  désordres  amenés  par  six  ans  de  révolution, 
qui  ne  peuvent  se  réparer  qu'avec  le  temps  ;  elle  ne  sera  pas 
trompée  ,  si  le  peuple  se  j  appelle  que ,  depuis  plus  de  trois  ans , 
ch:ique  fois  que  les  ennemis  de  la  République ,  profitant  du  sen- 
timent de  nos  maux,  ont  exaspéré  les  esprits,  et  occasionné  des 
mouvemens,  sous  prétexte  d'en  diminuer  le  poids,  ces  agitations 
n'ont  eu  d'autre  elïei  que  d'augmenter  le  discrédit ,  et  d'éloigner 
la  reproduction  et  l'abondance,  qui  ne  peuvent  être  que  le  fruit 
de  l'ordr-e  et  de  la  tranquillité  publique. 

»  Français ,  vous  n*£ntraverez  pas  un  gouvernement  naissant  ; 
vous  n'exi{;erez  pas  de  lui ,  dès  son  berceau ,  tout  ce  qu'il  peut 
Taire  quand  il  aura  acquis  toute  la  vigueur  dont  il  est  suscepti- 
ble :  mais  vous  seconderez  avec  sagesse  les  elforts  toujours  ac- 
tifs et  la  marche  imperturbable  du  directoire  exécutif  vers  le 
prompt  établissement  du  bonheur  pubfic;  et  bientôt  vous  vous 
assurerez  irrévocablement,  avec  le  titre  glorieux  de  républicains, 
la  paix  et  la  prospérité  nationale. 

'    i>  La  présente  proclamation  sera  insérée  au  bulletin  avec  l'ar- 
rêté qui  la  précède. 

»  Les  membres  du  directoire  exécutif  : 

»  Signé  à  la  minute  ,  Rewbell,  président;  Letolrneur  de  la 

m 

Manche;  P.  Barras,  L.-M.  Reveillère-Lepaux  ,  Carnot.  » 

Cette  proclamation  ,  destinée  comme  tous  les  programmes  de 
la  même  espèce  ,  à  rnarcjuer  la  iigne  que  l'on  voulait  suivre,  à 
imprimer  une  direclion  à  l'administration  ,  et  à  s'attirer  la  faveur 
publique,  est  une  pièce  historique  dr  quelque  v;deur.  Elle  nous 
apprend ,  en  efiéi ,  quelh:  était  alors  l'opinion  et  les  (îrnintes  de 
la  majorité  républicaine.  Cellf-ci  vouhiit  loidro,  la  paix  et  la  sé- 
curité intérieure,  le  rétabliN8«^m»ni  des  md'Hrs,  du  trarail ,  du 
commerce;  mais  en  ce  nif^nîcut  cUf  i'«'doutait  les  f^arfis  actifîi  en 


AU  30  FLOR.  Ai^  V  (  1795-1797  ).  107 

politique  ;  elle  ne  voulait  point  des  royalistes  ;  elle  avait  peur  des 
Jacobins  ou  de  ceux  qui  prétendraient  les  représenter. 

Cependant  on  devait  prévoir  que  lorsque  les  circonstances  se- 
raient moins  fâcheuses,  lorsque  chacun  aurait  reconquis  assez  de 
bien-être  personnel  pour  ne  plus  taîit  se  préocciïper  de  lui-même 
et  recommencer  à  jeter  les  yeux  sur  les  al'laires  publiques ,  lorà 
enfin  que  de  nouvelles  générations  auraient  rendu  de  la  jeunesse 
aux  masses,  il  arriverait  que  cette  même  majorité  redeviendrait 
sensible  aux  passions  politiques.il  devait  éire  évident  que  la  Con- 
stitution de  l'an  5  n'était  point  un  terme  digne  de  la  révolution,  et 
Tipi'elle  n'était  qu'une  loi  passagère  pmpre  tout  au  plus  à  donner 
une  sanction  à  une  époque  de  transition  et  de  repos  rendue  né- 
cessaire par  les  efforts  des  années  précédentes.  Il  eût  fallu  donc 
que  le  pouvoir  dans  la  direction  qu'il  imprimerait  aux  affaires  fît 
plutôt  l'œuvre  de  l'avenir  que  l'œuvre  du  présent  ;  il  eût  fallu 
qu'il  conçût  son  action  présente  seulement  comme  une  prépara- 
tion à  un  état  de  choses  futur  ;  il  eût  fallu  en  un  mot  qu'il  se  dé- 
vouât au  pouvoir  qui  di^vait  Ini  succéder.  C'était  l'unique  moyen 
d'assurer  à  la  république  un  gouvernement  digne  de  ses  desti- 
nées et  surtout  de  ses  espérances.  Or,  l-^  directoire  ne  raisonna 
point  ainsi;  il  crut  à  la  Constitution  de  l'an  5,  ou  plutôt  à  lui 
même,  c'est-à-dire  à  l'autorité  qu'il  recevait  ;  il  prit  sa  proclama- 
lion  à  la  lettre  ;  il  voulut  l'exécuter  et  il  se  trouva  par  suite  jeté 
dans  une  voie  de  résistance  où  il  devait  périr. 

Les  difficultés  étaient  grandes  en  effet.  Le  nouveau  tiers  que 
H?s  élections  départementales  avaient  amené  était  en  général  com- 
posé de  personnages  très-persuadés  sans  doute  de  l'excellence 
des  gouvernemens  représentatifs  en  général ,  mais  fort  peu  pré- 
occupés de  la  forme,  et  inclinant  presque  tous  vers  la  forme  mo- 
narchique. Plusieurs  d'entre  eux  étaient  royalistes  et  conspiraient 
pour  la  famille  déchue.  On  verra  plus  lard  la  restauration  récom 
penser  leur  zelr».  On  parlait  aussi  d'un  parti  orléanisle  ;  maison 
ne  nommait  encore  aucun  des  partisans  ée  celte  branche  <  adette 
des  Bourbons.  Toutes  ces  opinions ,  ffs  imes  purement  royalis- 
tes, les  autres  orléanistes,  les  autres  seulement  antirépublicaines, 


108  DlKtClOIKE.    —    DU    4    BKUM.    AN    IV 

toutes  ces  opinions  formaient  sans  doute  en  ce  moment  la  mino- 
rité dans  les  deux  conseils  d  u  coi  ps  législatif  ;  mais  les  élections  fu- 
tures devaient  leur  donner  la  majorité.  Il  suffisait  pour  assurer  ce 
dernier  résultat  que  ces  opinions  eussent  i'habileté  de  dissimuler 
leurs  espérances,  et  se  réunissent  en  une  opposition  qui  sût  pro- 
fiter de  toutes  les  fautes  du  pouvoir,  revenir  incessamment  sur 
un  passé  révolutionnaire  dont  il  ne  pouvait  se  séparer  complète- 
ment ,  critiquer  ses  mesures  et  embarrasser  sa  marche.  Soit  ac- 
cord volontaire,  soit  tendance  naturelle  d'esprits  mus  par  une 
analogie  de  croyance ,  c'est  en  effet  ce  que  fit  la  minorité.  La 
majorité  composée  des  ex-conventionnels  avait  adopté  un  sys- 
tème qui  ne  lui  permettait  pas  de  s'opposer  à  cette  naarche  de 
manière  à  la  rendre  impossible  ,  qui  ne  lui  permettait  pas  d'en 
dévoiler  le  but.  Elle  répudiait  le  passé,  et  les  txois  cent  soixanie- 
dix-neuf  membres  réélus  par  les  dépariemens  qui  en  faisaient  la 
plus  grande  pai  lie  n'avaient  pas  été  tous  choiîsis  parmi  ceux  qui 
avaient  montré  le  plus  d'énergie  révolutionnaire.  Ainsi,  indépen- 
damment des  obstacles  que  le  directoiie  devait  rencontrer  dans 
toutes  les  parties  de  son  administration ,  il  était  assuré  d'une  op- 
position puissante  dans  le  sein  même  dçs  conseils,  dans  le  sein 
même  du  gouvernement  :  rien  d'ailleurs  ne  recommandait  parti- 
culièrement les  hommes  qu'on  y  avait  appelés,  ni  leurs  vertus,  ni 
leur  caractère,  ni  leurs  actions.  Caruot  seul  faisait  exception; 
mais  s'il  avait  pour  lui,  aux  yeux  du  peuple,  le  mérite  d'avoir, 
selon  l'expression  de  l'époque,  organisé  la  victoire,  il  avait  aux 
yeux  de  beaucoup  d'autres  le  tort  d'avoir  fait  partie  du  comité 
de  salut  public.  Barras,  le  plus  connu  des  trois  autres  directeurs, 
était  un  gentilhomme  provençal ,  fameux  par  plus  d'une  aven- 
ture de  jeunesse.  Élu  à  la  Conveniioîi ,  il  avait  été  montagnard  ; 
il  avait  assisté,  comme  représentant  du  peuple,  au  siège  et  aux 
massacres  de  Toulon;  il  avait  éié  menacé  par  Robespierre  pour 
ce  dernier  fait,  et  par  suite  avait  pris  part  au  9  thermidor.  Chan- 
geant de  parti  selon  ^s  intérêts  et  ses  passions,  on  l'avait  vu  di- 
riger et  prôner  la  jeunesse  réactionnaire,  persécuter  les  Jacobins 
et  enfin  s'appuyer  sur  ceux-ci  au  !">  vendémiaire.  C'était  un 


AU  30  FLOR.  AN  V  ^1795-1797).  109 

homme  sans  mœurs ,  sans  principes  et  ayant  de  grands  besoins 
d'argent.  La  Reveillère-Lepaux  était  un  ci-devant  gentilhomme 
angevin  ;  il  avait  appartenu  au  côié  gauche  de  la  constituante. 
Appelé  à  la  Convention ,  il  avait  volé  contre  la  mort  du  roi  et 
avait  élé  proscrit  comme  girondin.  11  avait  été  l'un  des  rédacteurs 
de  la  Constitution  de  Tan  3  ;  rien  ne  le  recommandait  dans  son 
passé  politique,  et  beaucoup  de  choses  dans  sa  vie  nouvelle  prê- 
tèrent au  ridicule ,  arme  puissante  dont  les  partis  ne  pouvaient 
manquer  de  se  servir.  La  Reveillère-Lepaux  affichait  un  goût 
extrême  pour  la  botanique  ;  il  allait  passer  beaucoup  de  temps 
au  Jardin-des-Plantes  à  étudier  les  fleurs  ;  il  fonda  la  secte  des 
Théophilanihropes,  secte  dont  lesj'eprésentations  amusèrent  tout 
Paris  ;  enfin  il  était  contrefait.  Rewbel ,  ex-procureur  fiscal  en 
Alsace,  avait  aussi  appartenu  à  la  Conslituante  et  à  la  Conven- 
tion. Il  avait  été,  avec  Merlin  de  Thionville,  repiésentant  du  peu- 
ple à  l'armée  qui  défendait  Mayence,  et  accusé  de  n'y  avoir  pas 
fait  son  devoir.  On  le  soupçonnait  de  s'être  laissé  séduire  par  l'or 
de  la  Prusse. Quant  à  Letourneur,  tout  ce  que  l'on  savait  de  lui, 
c'est  qu'il  avait  appartenu  à  l'assemblée  législative  et  à  la  Conven- 
tion. Certes ,  une  pareille  réunion  d'hommes  n'était  pas  capable 
d'en  imposer  à  l'opinion  en  aucune  manière. 

Le  ministère  que  se  donna  le  directoire  n'était  pas  fait  non 
plus  pour  le  fortifier  dans  l'opinion.  Les  ministres  nommés  fu- 
rent :  pour  la  justice ,  Merlin  de  Douai  ;  pour  les  relations  exté- 
rieures, Ch.  Delacroix;  pour  les  finances,  Gaudin;  pour  la 
guerre ,  Aubert-Dubayet  qui  avait  commandé  à  Mayence  lorsque 
Rewbell  y  était  i  epréseniant  ;  pour  l'intérieur,  Benezech  ;  pour  la 
marine,  l'^imiralTruguet.  Ce ministèreétait formé  le  15  brumaire, 
Ledijectoire  venait  à  peine  de  s'installer  et  de  nommer  ses 
ministres  ,  qu'il  eut  besoin  du  concours  des  conseils  pour  satis- 
faire aux  nécessités  pressantes  du  gouvernement.  Le  15  bru- 
maire, il  demanda  par  un  message  au  conseil  des  cinq-cents , 
une  somme  de  5,000,000,000  en  assignats  pour  le  service  des 
diverses  parties  de  l'administration. 
L'urgence  était  tellement  évidente  que  la  demande  fut  accordée 


I|(J  DIRECTOIBE.    —    DU   4    BRl'M.    AN    IV 

de  suite.  Mais  il  n  en  fut  pas  de  même  le  lendemain  au  conseil 
des  anciens,  où  elle  devait  passeï'  pour  recevoir  une  sanction  com- 
plète. Sur  les  observations  de  plusieurs  membres,  qui  plus  tard 
furent  comptés  dans  l'opposition  royaliste,  sur  les  observations 
de Lafond-Ladebat ,  de  Dupontde Nemours,  de  Lanjuinais,  etc., 
elle  fut  rejetée.  Ces  législaieurs  se  Ibudaient  sur  quelques  irré- 
gularités qu'ils  trouvaient  daiis  la  résolution  du  conseil  des  cinq- 
cents.  C'était  le  prenTier  signe  de  celte  critique  rigoriste ,  de  cette 
hostilité  qui  profiterait  des  moindres  choses  pour  embarrasser 
la  marche  du  gouvernement.  Cependant  le  directoire,  qui  avait 
la  raison  et  la  nécessité  pour  lui ,  ne  recula  point.  11  attendit  à 
peine  vingt-quutre  heures  pouç  renouveler  son  premier  message 
au  couseil  des  cinq-cents.  H  fut  encore  approuvé  de  suite  ;  et  le 
conseil  des  anciens  sanctionna  celte  fois  sans  difficultés  celle  ap- 
probation. Les  deux  conseils  furent  éf];alement  unanimes  sur  une 
mesure  que  commandait  la  situation  fâcheuse  de  Paris.  Si  nous 
en  croyons  un  journal  du  temps ,  on  y  manquait  littéralement  de 
pain.  Les  variations  dans  le  prix  des  assignats  étaient ,  en  outre, 
si  rapides ,  que  l'on  ne  pouvait  rien  prévoir  la  veille  sur  le  mon- 
tant de  la  somme  nécessaire  pour  se  procurer  la  nourriture  du 
lendemain.  Le  jour  même,  â2  brumaire,  où  les  directeurs  de- 
mandèrent au  corps  législatif  un  moyen  de  parer  à  la  famine  qui 
désolait  la  capitale,  le  cours  du  louis  d'or  varia  de  5,180  livres 
en  assignats  à  5,000  iivr.  Les  conseils  autorisèrent  le  gouverne- 
ment à  percevoir  de  suite  deux  cent  cinquante  mille  quintaux  de 
blé  dans  les  départemens  voisins ,  a  valoir  sur  la  partie  de  l'inipôl 
payable  en  nature. 

Toute  opposition  sur  un  pareil  sujet  eût  été  malvenue  ;  mais  les 
besoins  de  l'administration  en  présenlèrem  un  sur  lequel  elle 
eut  l'occasion  de  s'exercer.  La  plupart  des  assemblées  électorales 
n'avaient  pas  eu  le  temps,  dans  les  dix  jours  assignés  pour  leur 
réunion ,  de  nommer  tous  les  fonctionnaires  dont  la  constitution 
leur  attribuait  l'oleclion.  H  y  avait  un  grand  liombre  de  places 
vacantes  dans  les  tribunaux  ,  dans  ks  jusiices-de-paix  et  les  mu- 
nicipalités; ces  places  ne  pouvaient  rester  inoccupées  sans  que 


AU   ?>0   FLOR.    AN   V    (  17^^-1797  ).  4i1 

le  service  en  souffrît  grandement.  Il  fallait  donc  y  pourvoir,  mais 
comment?  Devait-on  réunir  de  nouveau  les  électeurs?  fallait-il 
remettre  les  nominations  au  directoire?  C'est  ainsi  que  la  ques- 
tion fut  présentée,  Ce  dernier,  au  reste,  ne  manifesta  aucun 
«tlésir  à  cet  égard  ;  il  se  borna  dans  son  premier  message , 
le  14  brumaire,  à  faire  observer  qu'à  Paris  le  corps  électoral 
du  département  avait  employé  le  délai  fixé  pour  sa  session, 
sans  avoir  terminé  ses  élections.  Giibert-Desmolières  proposa 
aux  cinq-cents  d'autoriser  l'assemblée  électorale  à  se  réunir 
pendant  cinq  jours.  Dumolard  proposa  au  contraire,  et  en  se 
fondant  sur  la  constitution ,  que  les  choix  fussent  faif«  par  le  di- 
rectoire, La  question  ainsi  posée  amena  des  débats  qui  se  pro- 
longèrent pendant  deux  séances.  Yillers ,  Pastoret ,  Hardy  ,  ap- 
puyèrent l'avis  de  Gilbert-Desmolières.  Enfin  ,  la  majorité  décida 
que  le  directoire  exécutif  serait  chargé  de  nommer  provisoire- 
mentaux  places  vacantes  à  Paris.  La  même  discussion  et  la  même 
opposition  se  reproduisit  au  conseil  des  anciens.  Dupont  de  Ne- 
mours, Larmagnac,  Portalis,   Lanjuinais,  Tronehet ,  Barbé- 
Marbois,  prireiit  successivement  la  parole  en  faveur  des  assem- 
blées électorales.  Enfin ,  après  trois  jours ,  les  débats  furent 
fermés,  et  la  résolution  du  conseil  des  cinq-cents  adoptée.  Le  but 
de  l'opposition,  dans  cette  circonstance,  n'était  point  difficile  à  de- 
viner ;  c'était  de  se  faire  bien  venir  des  électeurs  dont  elledélèn- 
dait  les  droits;  c'était  de  rendre  odieuse  la  majorité  composée 
des  ex-conventionnels ,  en  la  présentant  comme  usurpatrice  du 
pouvoir  populaire;  c'était  enfin,  si  par  hasard  elle  eût  triom- 
phé, de  s'assurer  une  administration  en  grande  partie  composée 
d'hommes  de  son  opinion. 

Ce  ne  furent  pas  au  reste  les  seules  tentatives  du  même  genre 
qui  signalèrent,  dès  les  premiers  jours  du  corps  législatif,  la 
présence  d'une  opposition.  Barbé-Marbois  proposa  le  127  bru- 
maire, au  conseil  des  anciens ,  de  nommer  une  commission  d'en- 
quête chargée  de  liiire  connaître  la  siti.aiioii  de  la  Uépubliquc 
sur  toutes  If  s  parties  de  l'administiation  et  de  la  iegisiaiion.  Cfiie 
proposition, appuyée  par  Dupont  de  iNeinours  ei  par  plusieurs 


i1^  DIRFXÏOIRE.    —    Dl    4   BRUM.    AN   IV 

autres  membres,  fut  cependant  rejetée.  Le  parti  conventionnel 
n'y  pouvait  voir,  en  elïet,  qu'un  moyen  de  faire  la  critique  du 
passé  et  d'embarrasser  le  (gouvernement.  L'auteur  de  la  propo- 
sition lui  était  justement  suspect  :  en  effet ,  Barbë-Marbois  avait 
été  dénoncé  par  Tallien  à  la  Conveniion ,  dans  ses  dernières  séafl^ 
ces  ,  comme  ayant  travaillé  au  traité  de  Pilnitz.  Il  avait ,  dès  les 
premiers  jours ,  demandé  à  se  justifier  au  conseil  des  anciens , 
mais  celui-ci  avait  passé  à  l'ordre  du  jour.  En  outre,  le  parti 
conventionnel  était  déjà  averti  par  quelques  motions  précédentes. 
Un  député  des  cinq-cents  avait  demandé  le  rapport  de  la  loi  du 
5  brumaire  qui  excluait  des  fonctions  publiques  les  parens  d'é- 
migrés et  autres.  Siméon ,  au  même  conseil ,  avait  attaqué  vive- 
ment la  conduite  de  Fréron ,  alors  représentant  du  peuple  à  Mar- 
seille ,  et  envoyé  pour  s'opposer  aux  violences  des  réactionnaires 
(lu  Midi.  On  dési}j;nait  déjà  certains  membres  comme  des  roya- 
listes caches.  C'étaient  aux  cinq-cents,  Lemerer,  Lejourdan  {des 
Bouches-du-Rliône),  Noailles,  André,  3Iersan,  Delarue,  Cou- 
chery,  Aymé,  Pastoret,  Gilberi-Desmolières ,  Siméon,  Lanjui- 
nais;  c'éiaiL^nt  aux  anciens,  Barbé-Marbois ,  Dupont  de  Ne- 
mours, Pcrialis,  dont  nous  avons  parlé,  Mathieu-Dumas,  Le- 
brun. La  suite  montra  qu'il  y  en  avait  un  plus  grand  nombre  et 
surtout  de  plus  fervens. 

Les  royalistes  d'ailleurs  se  cachaient  moins  que  les  patriotes , 
non  qu'ils  osassent  s'entretenir  en  public  de  leurs  désirs  et  de 
leurs  espérances  ,  mais  en  ce  qu'ils  ne  craignaient  point  de  cri- 
tiquer le  passé  et  le  présent ,  et  de  ramener  incessamment  les 
esprits  à  des  comparaisons  avec  une  situation  d'ordre,  de  calme 
et  de  sécurité  qu'ils  indiquaient  comme  inconciliable  avec  l'état 
républicain.  On  comptait  un  grand  nombre  de  journaux  de  celte 
couleur,  et  dont  les  opinions  monarchi'iues  n'étaient  un  secret 
pour  personne.  C'était  la  Quotidienne,  l'Éclair ,  le  Véridique , 
le  Posùllon,  le  Messager^  la  Feuille  du  jour ,  Paris  pendant  Can- 
née 179o  ,  etc.  Quant  au  peuple  de  Paris  ,  dit  Buonarroti ,  (His- 
loire  de  la  conspiration  de  Babeuf)  y  trompé  dans  les  espérances 
que  lès  premiers  jours  de  la  révolution  lui  avaieot  données,  égaré 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  i795-1797).  il3 

par  la  calomnie  et  par  les  menées  du  royalisme  et  du  pouvoir, 
affemé,  sans  travail,  occupé  chaque  jour  du  soin  de  vivre  le  len- 
demain, il  languissait  dans  une  profonde  indifférence  ;  une  partie 
même  accusait  la  révolution  des  maux  sans  nombre  qui  pesaient 
sur  lui.  Le  parti  qui  s'appelait  démocratique ,  et  auquel  nous 
donnerons  ce  nom ,  le  parti  que,  dans  l'époque  où  nous  sommes, 
on  désignait  par  le  mot  de  Jacobin,  parce  qu'il  se  prétendait  le  con- 
tinuateur de  cette  société  fameuse ,  le  parti  démocratique  était 
peu  nombreux,  et,  dit  Baonarotti,  la  masse  des  patriotes  fai- 
bles ,  à  peine  revenue  de  son  effroi ,  était  prête  à  se  laisser  encore 
intimider  à  la  moindre  apparence  d'une  nouvelle  persécution. 
Cependant  il  publiait  plusieurs  journaux  :  c'était  le  Tribun  du 
peuple,  par  Babeuf,  l'Ami  du  peuple  y  l'Éclaireur  du  peuple  y 
L'Orateur  plébéien ,  le  Journal  des  hommes  libres,  etc. ;  mais  11 
avait  bien  moins  de  lecteurs  que  ses  adversaires,  et  il  parlait  un 
langage  dont,  de  jour  en  jour,  on  perdait  Tintelligence.  Cepen- 
dant la  recrudescence  du  royalisme,  même  dans  le  sein  des  as- 
semblées ,  donna  à  penser  à  quelques  démocrates  que  le  gouver- 
nement serait  disposé  à  ne  point  persécuter  des  manifestations 
dans  un  esprit  contraire.  Ils  crurent  que  les  chefs  du  pouvoir  exé- 
cutif ,  auxquels  ils  ne  prêtaient  d'autre  volonté  que  de  se  con- 
server l'autorité  et  d'acquérir  la  fortune  par  ce  moyen  ,  verraient 
sans  peine  quelques  efforts  qui  les  mettraient  à  même  de  com- 
battre les  royalistes  par  les  démocrates,  et  réciproquement.  En 
conséquence  ils  jetèrent  les  bases  d'une  société  populaire.  Un 
homme  qui  avait  loué  une  partie  de  l'ancien  couvent  de  Sainte- 
Geneviève,  mit  gratuitement  à  leur  disposition  l'ancien  réfectoire 
des  génovefains.  Dès  l'ouverture  du  club,  on  vit  accourir  un  grand 
nombre  de  personnes  convoquées  ou  amenées  par  l'attrait  de  la 
curiosité.  On  recevait  facilement.  Il  suffisait  d'être  présenté  par 
deux  personnes  pour  être  admis,  en  sorte  que  bientôt  la  société 
compta  plus  de  deux  mille  membres.  On  y  faisait  des  discours 
patriotiques  ;  on  y  discutait  ;  il  y  avait  deux  partis ,  celui  du  gou- 
vernement et  celui  des  patriotes  mécontens.  On  rédigeait  quel- 
quefois des  adresses  au  penplo,  ([u'on  publiait  par  voie  d'alïi- 

T.  XXXVII.  8 


114  DIRECTOIRE.    —   DU  4  BRUM.    AN   IV 

ches.  Ces  réunions ,  dans  les  premiers  temps ,  ne  furent  pas  mal 
vurs  du  directoire.  Il  écouta  plusieurs  fois  et  accueillit  ses  solli- 
citations j  il  accorda queKjues  places  à  sts  recommandations.  Mais 
ces  réunions  nombreuses  et  publiques  cachaient  d'autres  réu- 
nions secrètes  où  n'éiaient  admis  qu'un  petit  nombre  d'élus,  où 
présidait  Babeuf,  et  où  l'on  poursuivait  un  but  que  nous  verrons 
dévoiler  plus  tard.  Comme  le  lieu  où  se  tenaient  ces  assemblées 
était  voisin  ûu  Paniliéon  ,  on  les  appela  club  du  Panthéon.  Les 
royalistes  avaient  de  leur  côté  des  centres  de  communication,  mais 
moins  publics,  peu  connus,  dont  Thistoire  a  peine  à  recueillir 
les  traces.  Au  moment  où  nous  tommes,  c'était  lu  société  de 
Noailles  et  celle  qui  plus  laid  fut  connue  sous  le  nom  de  club 
de  Clichy. 

Cependaut  les  chicanes  qu'on  opposait  au  {gouvernement  dans 
les  conseils,  étaient  presque  journalières.  Le  9  frimaire  (50  no- 
vembre ) ,  Pénières ,  Bion ,  et  Andi  é  Dunioni  demandaient  aux 
cin(|-cenls  que  le  gouvernement  c<^Sbût  de  faire  distribuer,  à  ses 
frais,  des  journaux  qui ,  comme  le  Journal  des  patriotes  de  1789, 
iiiSuliaient  les  conseils  et  disaient ,  à  propos  de  leurs  délibérations 
sur  les  finances ,  que  ce  n'était  pas  la  peine  pour  si  peu,  de  s'eti' 
fermer  pendant  dix  jours;  que  ce  n'était  pas  là  du  pain ,  etc.  Ea 
effet,  les  conseils  s'étaient  réunis ,  pendant  tout  ce  temps ,  en  co- 
mités, puur  aviser  à  une  reforme  financière.  i\ous  eu  traiterons 
daijs  un  chapitre  à  part.  La  motion  de  Pénières,  Bion  et  André 
Dumout,  fut  I  ejeiée  sur  les  observalions  de  Tallien  et  de  Colonj- 
bel.  — Le  12  IVimaire,  ou  remettait  eu  délibération  l'autorisation 
donnée  au  directoire  délire  aux  places  vacantes  dans  les  tribu- 
naux, les  jusiices-de-paix  et  les  adminiî>irations  municipales. 
Comme  dans  les  premières  rcsolutions  il  ne  s'était  agi  que  de  Pa- 
ris,la  (juestion  revenait  tout  entière  quant  aux  dépai  temens  ;  les 
dt  bals,  plusieurs  fois  inter/  ompus  il  est  vrai,  se  prolongèrent  dans 
les  deux  conseils  jusqu'au  t2o  li  imaire ,  où  la  majoriié  accoida  au 
pouvoir  exécutif  ce  droit  d'élection  si  contesté. 

Le  directoire  des  ait  s'iuqui»;ter  de  celte  démarche  de  la  mino- 
rité, rs'éanmoins  il  cheichait  à  s'attirer  la  faveur  des  diverses  opi- 


AU   50  FLOR.    AN    V    (1790-1797).  iiti 

nions  par  des  mesures  capables  de  les  satisfaire  en  même  temps  ^ 
mais  non  pas  de  les  encourager.  li  n'y  avait  qu'un  cri  dans  Paris 
contre  la  rage  des  agioteurs  et  l'influence  qu'oa  leur  attribuait 
dans  la  variation  du  prix.d(  s  assignats  et  des  denrées  :  le  dircx- 
loire  fit  fermer  la  bourbe.  En  même  lemps  il  exécutait  une  riégo- 
ciation  poursuivie  secrètement  avec  l'Autriche ,  et  qui  avait  pour 
but  d'échanger  la  fille  de  Louis  XVI  contre  les  députés  Quinetle, 
Bancal ,  Lamarque ,  Camus  le  ministre  Beurnonville,  livrés  tous 
cinq  par  Dumourier  et  le  député  Drouet  fait  prisonnier  à  l'armée 
du  Nord ,  ainsi  que  Maret  et  Sémonville  arrêtés  par  les  impériaux 
au  mépris  du  droit  des  gens.  Il  espérait  ainsi  satisfaire  les  royalis- 
tes en  rendant  la  liberté  à  un  membre  d'une  famille  qu'ils  respec- 
taient, et  aux  patriotes  en  leur  rendant  quelques  victimes  de  leur 
opinion.  La  jeune  princesse  partit  le  28  frimaire.  Le  ir^inistrede 
fintérieur  alla  la  prendre  au  Temple  et  la  conduisit  aux  voitures 
qui  l'attendaient  pour  la  transporter  à  Baie  où  devait  s'opérer  Té- 
change.  Cette  négociation  donna  lieu  à  un  incident  diplomatique 
qui  mérite  d'être  rapporté,  non  parce  qu'il  est  important,  mais 
parce  qu'il  peint  fétat  des  espérances  monarchiques.  Le  comte 
Carletti,  ministre  de  Toscane,  le  premier  de  tous  les  ré^idens 
étrangers  accrédités  auprès  de  la  République,  demanda,  tcomme 
seul  ministre  étranger  qui  représentait  un  souverain  parent  de  la 
lilie  de  Louis  XVI,  à  aller  lui  présenter  ses  honiaiages  avant  son 
départ.  »  Celte  demande  fut  mal  reçue;  le  directoire  vit  qu'on  pou- 
vait lui  attribuer  des  inieniions  auxquelles  il  n'avait  pas  songé  j 
et  par  une  mesure  violente  il  essaya  de  donner  une  direction  dif- 
férente à  f  opinion  que  sa  négociation  avait  fait  naître.  II  rompit 
toute  communication  officielle  avec  le  conite  Carletti ,  et  demanda 
publiquement  au  duc  de  Toscane  le  remplacement  de  cet  agent 
diplomatique.  Celui-ci  lut  en  effet  aussitôt  rappelé  et  la  cour  de 
Florence  désavoua  mêii.e  sa  démarche. 

Si  le  directoire  avait  voulu  imposer  complètement  siience  au 
royalisme,  rien  ne  lui  eût  été  plus  facile.  11  lui  suffisait  d  accor- 
der aux  ex-Jacobins  une  faveur  qui  n'eût  été,  dans  le  moment  oii 
nous  sommes,  qu'une  simple  justice.  Mais,  il  semblait  vouloir 


11(>  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BRUM.    AN   IV 

uniquement  metlre  en  pratique  l'ancien  axiome  :  divifser  pour  rc^ 
gner.  Quant  au  parii  conventionnel  qui  formait  la  majorité  des 
conseils,  il  craif^^nait  les  Jacobins  autant  que  les  royalistes.  La 
plupart  de  ceux  qui  la  composaient- se  croyaient  même  per- 
sonnellement plus  menacés  par  les  premiers.  Elle  ne  tarda  pas 
en  effet  à  manifester  des  sentimens  qui  étaient  en  conformité 
avec  la  politique  adoptée  par  les  chefs  du  pouvoir  exécutif.  Ce 
fut  au  conseil  des  cinq-cents,  à  l'occasion  d'une  pétition  des  Mar- 
seillais ,  qu'elle  en  donna  la  preuve.  Nous  insérons  ici  la  séance 
du  conseil. 

CONSEIL  DES   CINQ-CENTS.  —  PRÉSIDENCE   DE   CHENlER. 

Séance  du  M  {rimaïrey  an  7F  (8  décembre  i795  ). 

Cndroij.  <  Citoyens  représentans,  le  IG  de  ce  mois,  il  a  été  lu 
au  conseil  des  anciens  une  dénonciation  qui  inculpe  trois  repré- 
sentans du  peuplade  la  manière  la  plus  grave.  Celte  dénonciation 
a  été  renvoyée  au  conseil  des  cinq-cents.  Je  demande  qu'elle  soit 
lue  dans  ce  moment.  » 

Villers.  «  Je  sais  que  le  sort  de  la  République  est  indépendant  de 
relui  de  quelques  individus.  Cependant  il  est  des  circonstances 
où  ces  deux  intérêts  semblent  liés ,  et  je  crois  pouvoir  dire  (jue  si 
vous  adoptez  la  proposition  qui  vous  est  faite  par  Cadroy  ,  elle 
peut  avoir  la  plus  funeste  conséquence.  Elle  peut  encourager 
ceux  qui,  ne  pouvant  renverser  la  République  en  l'attaquant  à 
force  ouverte,  cherchent  à  la  renverser  en  attaquant  successive- 
ment les  représentans  du  peuple. 

•  La  Convention  nationale  n'a  échappé  que  par  miracle  à  la  dis- 
solution qu'on  a  si  souvent  tentée  ;  et  cette  dissolution  pouvait 
être  la  suite  du  système  d'avilissement  (ju'on  avait  adopté  contre 
elle.  Aujourd'hui  je  vois  se  renouveler  ce  système  avec  la  même 
fureur  ;  craignons  qu'on  ne  le  fasse  revivre  dans  cette  enceinte. 
Je  connais  à  peine  les  trois  collègues  dont  il  est  question  ;  mais 
s'ils  eussent  été  des  hommes  sanguinaires,  des  ennemis  de  l'hu- 
maniié  sous  le  régime  de  la  terreur,  ils  eussent  flatté  les  décem- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (1795-1797).  117 

virs  ;  ils  se  fussent  assis  parmi  les  hommes  de  sang;  ils  auraient 
olïertleur  ministère,  et  flatte  la  cruauté  de  nos  tyrans  ;  sous  leurs 
ordres ,  ils  auraient  parcouru  nos  départemens ,  et  y  auraient  pro- 
mené ,  comme  tant  d'autres,  la  dévastation  et  la  mort.  Bien  loin 
de  là  ,  ils  ont  toujours  manifesté  au  milieu  de  nous  les  principes 
de  l'honneur  ;  ils  se  sont  assis  constamment  parmi  les  amis  de  la 
justice  et  de  l'humanité,  et  plus  d'une  fois  leur  courage  a  été 
utile  à  la  cause  de  la  liberté  luttant  contre  la  férocité  de  nos  ty- 
rans. 

»  Je  demande  Tordre  du  jour.  » 

Cadroy  monte  rapidement  à  la  tribune. 

Mariette.  «Je  suis  un  des représentans inculpés;  il  vous  importe, 
il  importe  à  la  République  entière  que  vous  entendiez  notre  jus- 
tification. Je  demande  que  la  dénonciation  soit  lue.  > 

Cadroîj.  «Représentans,  on  vous  propose  de  passer  àl  'ordre  du 
jour,  quand  il  s'agit  de  venger  la  Convention  nationale ,  dont  nous 
avons  suivi  les  principes  de  justice  et  d'humanité  dans  le  Midi.  11 
est  dans  l'âme  de  chacun  de  vous  de  faire  punir  les  coupables , 
ou  de  venger  des  représentans  indignement  calomniés.  Si  nous 
avons  dépassé  nos  pouvoirs ,  si  nous  en  avons  abusé,  nous  devons 
être  punis  ;  si  au  contraire  nous  n'avons  fait  que  suivre  vos  prin- 
cipes, nous  avons  droit  à  une  justice  entière. 

»  Je  suis  accusé  ;  eh  bien  î  je  le  déclare,  c'est  moi  qui  me  porte 
accusateur  ;  je  ferai  connaître  les  brigands  chargés  d'or  et  cou- 
verts de  sang  qui  osent  invoquer  l'ombre  de  ces  grands  hommes , 
de  ces  victimes  illustres,  arrachées  du  sein  de  la  Convention  na- 
tionale ,  tandis  que  leurs  propres  noms  sont  inscrits  sur  la  péti- 
tion exécrable  qui  demandait  leurs  têtes.  Voilà  mes  accusateurs, 
représentans ,  voilà  les  hommes  que  je  traîneaux  pieds  des  tribu- 
naux ,  si  dans  votre  justice  vous  ne  prenez  un  parti.  » 

iV...  «  Aux  termes  de  la  constitution,  la  dénonciation  aurait  dû 
être  envoyée  directement  au  conseil  des  cinq-cents  ;  elle  ne  l'a 
pas  été,  nous  ne  pouvons  prononcer. 

>  Je  demande  l'ordre  du  jour.  * 

Lesuge-Senault,  Laloi,  lienlabolle,  n'clamcut  l'ordre  du  jour. 


\\H  DIRECTOIRK.    —    DU    4    BRIM.    AN    IV 

Hardy.  «Les  si{}naiaire:-dela  dononciaiion  ont  cru  pouvoir  ren- 
voyer au  conseil  des  anciens ,  ils  se  sont  irompés ,  cl  je  pense  que 
le  conseil  des  anciens  lui-même  n'eût  pas  dû  nous  la  nnvover  ;  et 
je  ne  puis  diss  muler  que  je  crois  voir  dans  ce  renvoi ,  qui  n*est 
point  officiel ,  le  trait  de  quelque  malveillance  particulière  ;  mais 
comme  l'accusation  porte  sur  des  collcfjîu s  estimables  dont  le  ci- 
visme et  la  probité  nous  sont  bien  connus  ,  j'en  demande  la  kc- 
lii^e  i  afin  qu'elle  soit  couverte  du  mépris  qui  lui  est  dû  ,  et  qu'elle 
rentre  dans  le  néant.  Si  je  ne  me  trompe,  cette  accusation  tient 
aux  menées  de  riniri{}ant  qui  nous  a  conduits  à  la  catastrophe  de 
vendémi-lire.  Je  demande  la  lecture.  > 

N...  «J'appuie  la  proposition.  Aux  termes  de  la  constitution,  la 
dénonciation  doit  être  portée  au  conseil  des  cinq-cents;  si  elle  n'y 
a  pas  été  adressée 'd'abord,  elle  y  est  en  ce  moment;  elle  est  donc 
où  elle  doit  être  :  je  demande  la  lecture.  » 

Lesafje  Senault  et  Bentabolle  rcVlamenl  l'ordre  du  jour. 
Lnloi.  «L'artic'e  de  h  constitution,  relatif  aux  représentans  du 
peuple,  devrait  suffire  pour  déterminer  le  conseil  dans  cette  cir- 
constance. Je  demande  de  qui  nous  tenons  cette  dénonciation  ; 
quelles  pièces,  quelles  lettres  d'envoi  raccompafjnent.  S'il  y  en 
avait,  je  mettrais  encore  en  question  si  on  devrait  en  prendre 
lecture.  Si  le  législateur  voulait  répondre  à  tou'es  les  calomnies, 
tous  ses  momens  seraient  perdus  pour  la  chose  publique. 
«  Je  demande  l'ordre  du  jour.  » 

KnjnbunU.  Ce  n*est  point  un  temps  perdu ,  que  cvlui  qui  est 
employé  à  rendre  une  justice  éclatante  à  des  représentans  qui  la 
luéritent.  Examinons  (jurî  motif  on  donne  pour  supposer  à  la 
ïecture.  La  dénonciation,  dit-on,  n'est  pas  renvoyée  officielle- 
ment ou  n'a  ptiS  dû  l'être  ;  quel'c  chicane  î  quelle  vaine  subtilité  î 
Maisne  siiil-on  pasquecitte  dénonciation  est  publullie ,  qu'elle 
est  partout  colportée  ,  qu'on  est  parvenu  à  la  faire  insérer  dans 
plusieurs  journaux?  On  sait  tout  Ctia  ,  et  on  vient  nous  dire  que 
la  noiificaiion  n'est  pas  suffisante  î  Refif^sentans,  l'accusation  a 
été  publique,  ri  pandue  avec  affectation  ;  il  faut  que  la  ripara- 
tion  soit  éclatante.  Parmi  les  accusés,  je  ne  connais  particulière- 


AU  50  FLOR.   AN  V   (1790-1797).  119 

ment  que  Mariette  ;  mais  je  l'ai  suivi  depuis  le  commencement  de 
sa  carrière  politique ,  et  je  réponds  sur  ma  tête  qu'il  ne  s* est  ja- 
mais écarté  des  sentimens  d'honneur  et  de  justice  qu'un  républi- 
cain sincère  doit  professer.  > 

L'ordre  du  jour  est  de  nouveau  réclamé  ;  le  conseil  rejette 
l'ordre  du  jour  à  une  forte  majorité ,  et  ordonne  la  lecture  des  dé- 
nonciations. 

Les  Marseillais  au  conseil  des  cinq-cents. 

<(  Citoyens  législateurs ,  les  Républicains  ne  connaissent  que  la 
vérité;  en  ces  momens d'orage  et  de  dangers,  elle  peut  sauver 
la  chose  publique;  ils  vous  la  doivent  ;  la  voici  : 

»  Le  Midi,  la  commune  de  Marseille  surtout,  a  gémi  long- 
temps sous  le  poids  accablant  de  l'oppression  la  plus  monstrueuse 
et  la  plus  horrible. 

»  Le  croiriez^vous ,  législateurs  ?  des  hommes  chargés  de  sau- 
ver le  peuple,  de  l'arracher  à  la  tyrannie  des  factions,  des  re- 
présentans  qui  avaient  reçu  du  peuple  la  mission  expresse  de 
consolider  la  liberté,  l'ont  assassiné ,  détruit,  égorgé;  et  si  quel- 
ques républicains  énergiques  ont  échappé  aux  massacres  qu'on 
avait  si  bien  organisés ,  rendons-en  grûce  au  génie  de  la  Répu- 
blique. 

»  Vous  peindrons-nous  ici,  législateurs,  le  tableau  effrayant 
qu'a  offert  Marseille  pendant  p'us  de  six  mois?  Des  cadavres  mu- 
tilés à  chaque  pas ,  les  rues  teintes  du  sang  humain  ,  les  voûtes 
du  Fort-Jean  empreintes  encore  des  cervelles  des  plus  courageux, 
républicains,  le  sang  sortant  à  gros  bouiilons  de  cet  antre  de 
mort ,  et  rougissant  les  eaux  de  la  Méditerranée ,  le  fer,  la  soit', 
la  faim  dévorante ,  le  feu,  la  flamme....  Épar{]nons  à  votre  sen- 
sibilité le  récit  de  ces  horribles  forfaits.  Les  massacres  du  Midi 
ne  sont  point  un  problème  ;  et  quel  monstre  assez  audacieux  ten- 
terait aujourd'hui  de  les  justifier,  ou  d'en  atténuer  l'atrocité? 

»  Serait-ce  vous ,  Cadroy  ,  Chambon  et  Mariette ,  vous  qui  les 
avez  fait  commettre? 
»  Lé|»islateurs ,  nous  vous  dénonçons  ces  trois  bourreaux  du 


120  DIREGTÙIHE.    —    DU   4   BULM.    A>    IV 

Midi  :  el  qu'on  ne  révoque  pas  en  doule  l'exisience  de  lanl  de 
crimes  ;  nous  allons  en  administrer  la  preuve. 

»  Un  verbal  des  juges-de-paix  Rebec,  Kicbaud  etCamaud,  at- 
teste l'horrible  massacre  du  Fort-Jean  ;  par  ce  verbal,  dont  nous 
joignons  ici  une  expédition  en  forme  :  1 11  constate  qu'il  s'est 
trouvé  sur  la  place,  où  est  une  treille ,  un  grand  nombre  de  ca- 
davres étendus  morts,  paraissant  avoir  été  tués  avec  des  armes 
tranchantes,  tous  défigurés  et  méconnaissables....  Que  le  long 
de  la  voûte,  en  montant  à  la  grande  place,  il  y  avait  une  infinité 
de  cadavres  morts  de  la  même  manière ,  et  qu'il  paraissait  qu'on 
avait  mis  le  feu  dans  deux  cachots  à  gauche ,  où  on  a  trouvé 
trente-huit  cadavres,  moitié  brûlés  et  presque  tous  méconnais- 
sables. »  Enfin,  les  juges  de  paix  déclarent  avoir  aperçu  quinze 
hommes  encore  vivans  et  respirant  à  peine ,  mais  ne  pouvant 
parler.  (  Voir  le  précédent  volume.  ) 

>  Cette  boucherie  eut  lieu  le  17  prairial  ;  et  le  18 ,  les  juges-de- 
paix  trouvent  encore  des  malheureux  mutilés,  ayant  à  peine  un 
souffle  de  vie!.... 

>  Quelle  horreur  !  Ainsi  ces  martyrs  de  la  liberté,  tourmentés 
par  une  agonie  convulsive,  n'ont  eu  pour  ht,  pendant  plus  de 
vingt-quatre  heures,  que  les  cadavres  de  leurs  frères,  et  pour 
consolation  que  le  témoignage  de  leur  conscience. 

»  Dis-nous  donc,  Cadroy,  qui  a  occasionné  ces  actes  d'une 
barbarie  sans  exemple?  Nesonl-ce  pas  tes  provocations  au  meur- 
tre.^ ïu  as  dit,  et  vainement  voudrais-tu  le  nier,  tu  as  dit  au 
peuple,  dans  cette  société  d'émigrés  que  tu  avais  organisée,  et 
(jui  se  disait  populaire  :  •  Si  vous  rencontrez  des  terroristes, 
frappez-les  ;  si  vous  n'avez  pas  des  aimes,  vous  avez  des  bâtons; 
si  vous  n'avez  pas  de  bâtons ,  déterrez  vos  parens ,  vos  amis ,  et 
de  leurs  ossemcns  assommez  qui  osera  vous  regarder  en  face.  » 

»  Ce  fait,  législateurs,  est  attesté  par  tous  les  partis.  Les  égor- 
geurs disent  pubhquement:  si  nous  avons  assassiné,  c'est  parce 
(]ue  Cadroy  nous  l'a  dit  ;  il  nous  a  dit ,  frappez  :  et  nous  l'avons 
fait. 

»  INous  accusons  Cadrov  de  n'avoir  été  au  i^ccours  des  victimes 


AU  50  iLOR.  AN  V  (171)0-1797).  121 

du  Forl-Jean ,  que  six  heures  après  que  le  canon ,  tonnant  sur 
les  cachots ,  avait  annoncé  le  massacre  dans  toute  la  commune  , 
et  jeté  l'épouvante  et  le  désespoir  dans  les  l^umilles  inforiunées 
des  détenus  ;  et  quand  il  feignit  de  reprocher  aux  assassins  tant 
d'épouvantables  homicides ,  pourquoi  souffrit-il  que  les  chefs  des 
égorgeurs  lui  reprochassent  en  face  d'avoir  ordonné  les  mas- 
sacres ? 

i)  Quatorze  égorgeurs  furent  pris  en  flagrant  délit  dans  le  fort, 
et  arrêtés  par  les  troupes  de  la  garnison;  trois  jours  après,  l'or- 
dre de  leur  élargissement  est  donné  ;  ils  sortent  en  triomphe ,  et 
en  présence  de  Cadroy  ;  ils  reçoivent  au  spectacle ,  et  à  la  société 
populaire ,  une  couronne  digne  des  émigrés  qui  la  donnent ,  et 
des  anthropophages  qui  la  reçoivent. 

»  Tous  ces  faits,  et  bien  d'autres  non  moins  graves ,  nous  sont 
connus ,  nous  les  attestons,  et  nous  les  déposerons  en  justice. 

>  Écoutez,  législateurs,  ce  que  dit ,  à  Cadroy,  Gabriel,  agent 
national  du  district ,  dans  sa  lettre  du  22  prairial ,  dont  nous  joi- 
gnons ici  copie  :  «  J'avais ,  dit-il,  recueilli  dans  la  ville  des  choses 
fâcheuses  ;  j'avais  entendu  des  propos  alarmans  ;  les  esprits  m'a- 
vaient paru  dans  une  exaltation  effrayante.,..  Je  vous  fis  une  as- 
sez longue  lettre ,  dans  laquelle  je  suis  bien  mémoratif  de  m'étrc 
servi  de  ces  expressions-ci  :  L'effervescence  du  peuple  est  à  son 
comble....  Le  peuple  s'indigne  de  la  lenteur  d'une  justice,  tou- 
jours si  vainement  promise....  Votre  éloquence  peut  beaucoup 
sur  le  peuple  :  on  vous  chérit  à  Marseille ,  on  vous  y  adore  ;  pro- 
fitez d'un  si  glorieux  ascendant.  » 

»  Eh  quoi  !  représentant  Cadroy,  vous  étiez  instruit  que  des 
massacres  se  projetaient,  et  vous  n'avez  pris  aucune  mesure  pour 
les  prévenir  ;  vous  aviez  de  Tascendant  sur  le  peuple ,  et  cette  élo- 
quence ,  que  vous  déployiez  avec  tant  d'énergie  pour  provoquer 
au  meurtre,  vous  l'avez  perdue  lorsqu'il  s'agit  de  mettre  un 
terme  à  tant  d'atrocités?  Ah ,  citoyen  Cadroy,  ou  Gabriel  est  un 
grand  imposteur,  ou  vous  êtes  un  grand  coupable. 

»  Cette  lettre  précieuse  mérite  d'être  lue  en  entier;  elle  prouve 
évidemment  le  désir  des  représentans  de  laisser  continuer  les 


i'^^2  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRUM.    AN    IV 

massacres,  en  empêchant  la  publicité  et  l'exécution  des  actes  des 
autorités  qui  auraient  pu  les  entraver. 

»  Nous  vous  déaunçoDs  Chanibon  pour  avoir  organisé  ,  armé 
et  protégé  ouvertement  Jacompaj^nie  du  Soldl  qui  a  commis  tous 
les  massacres  ;  i!  avait  à  sa  tabîe,dans  ses  bureaux  ,  dans  sa  voi- 
ture, le  nommé  Rolland,  un  des  chefs  des  égorgeurs,  el  il  n'i- 
gnorait pas  que  ce  Rolland  avait  dirigé  les  massa<M*es  des  prisons 
d*Aix. 

>  Nierait-il  avoir  connu  l'existence  de  la  compagnie  du  Soleil? 
Lisez,  législateurs,  l'ordre  qu'il  a  joigne  pour  faire  diNtribuer  à 
celte  compagnie  cent  dix  sabres.  Cet  ordre  porte  que  les  sabres 
seront  livrés  au  nommé  Bon  ,  reconnu  pour  avoir  été  le  lieute- 
nant des  Enfans  du  Soleil  ;  et  observez  que  cette  livraison  d'ar- 
mes est  faite  après  l'événement  du  Foi  t-Jean  ;  c'était ,  sans  douic, 
une  récompense  de  cet  icte  civique,  et  un  encouragement  à  de 
nouveaux  massacres. 

•  On  a»  il  est  vrai,  tiré  dans  cet  ordre  un  trait  de  plume  sur 
les  mots  du  Soleil ,  pour  ne  laisser  subsister  que  le  litre  de  com- 
pagnie franche  ;  mais  le  piège  est  grossier,  et  ce  bàionnement , 
fait  après  coup ,  ne  laisse  pas  moins  subsister  la  preuve  écrite 
de  l'existence  de  la  compagnie  du  Soleil ,  el  de  la  protection  ou- 
verte que  lui  accordait  Chambon  ,  en  l'armaut  de  sabres  aux  dé- 
pens de  la  Républi'iue.  Ainsi,  les  républicains  payaient  leurs 
bourreaux ,  (|uc  des  représeniaus  du  peuple  eucourageaienl  au 
crime. 

»  Chambon  a  encore  encouragé  les  assassinats  après  le  massacre 
des  prisons  d'iAix.  Il  osa,  dans  Une  proclamation  que  nous  joigoon» 
également  ici,  con.Mdérer  cet  acte  de  barbarie  comme  un  juste 
resscniiment,  comme  l'effet  d'une  tri>p  excusable  impatience. 

»  Après  les  mas.<acrei,  Chtmb;  n  les  excuse  ;  avant  les  massa- 
cres, il  connîtîi  1rs  ppojefs  des  égorge urs ,  et  ne  prend  aucun 
moyen  pour  les  dévouer.  Nous  invcx^uons  ici  le  ténw'gnage  de 
>olrr  digtir  collègue  Poultipr  il  dr  son  épouje  ;  ils  vous  diront 
(lu'ih  avnicnt  aviîé  Chambon  du  massacre  des  prisons  d'Aix, 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797).  123 

lro:s  jours  avant  qu'il  n  eût  été  exécuté,  et  Chambon  resta  im- 
mobile. 

»  11  y  a  plus ,  l'administraiion  du  district  prend  des  arrêtés 
pour  mettre  un  frein  aux  assassinats,  et  rendre  la  municipalité 
et  le  comité  de  surveillance  responsables  des  événemcns. 

I  Chambon  empêche  la  publication  dé  ces  arrêtés  que  nous 
joignons  ici ,  et  la  preuve  de  ce  l'ait  est  consignée  dans  la  lettre 
de  Gabriel  à  Cadroy. 

»  Cadroy  destitue  la  munidpalité  nommée  par  les  représen- 
tans  Auguis  et  Serrés ,  après  le  9  thermidor;  il  en  voue  les  mem,- 
bres  aux  malédictions  du  peuple  ;  et  ces  fonctionnaires  ,  injuste- 
ment destitués ,  sont  les  uns  jetés  dans  les  cachots,  et  les  autres 
réduits  à  prendre  la  fuite  pour  se  soustraire  à  la  fureur  des  En- 
fans  du  Soleil. 

Chambon  renchérit  sur  Cadroy  ;  il  destitue  encore  une  partie 
de  la  municipalité,  et  ne  place  enfin  que  ceux  qui  arrivent  de 
Livourne  ou  de  Gênes. 

»  Mariette,  digne  acolyte  de  ses  deux  collègues,  est  p'iis  ré- 
^rvé,  plus  adroit  sans  doute;  son  extérieur  le  décèle  moins  ; 
mais  il  lui  est  échappé  un  propos  que  les  amis  de  Thumaniié  et 
de  la  patrie  n'oublieront  jamais. 

»  Au  moment  où  Cadroy ,  à  la  tribune  de  la  société  dite  popu- 
lane,  provoquait  au  meurtre,  Mariette  osa  dire  :  «  C'est  la  guerre 
des  hommes  contre  les  loups  ;  du  courage  ;  laissez  entrer  les  émi- 
{p^h  \  il  faut  qu'ils  noUs  renforcent.  • 

»  Législateurs,  Voilà  une  bien  faible  esquisse  des  maux  qui 
nous  ont  désolés  ;  bientôt  des  preuves ,  toujours  plus  victorieuses, 
jetteront  un  grand  jour  sur  le  but  de  tant  de  massacres;  bientôt 
Vérrons-n6uS  les  ramifications  de  la  conpiraiion  du  15  vendé- 
miaire s'étendre  dans  tout  le  Midi  ;  bientôt  aurez-vous  encore  à 
frémir,  en  apprenant  qite  U  royalisme  renoue  le  fil  de  ses  tra- 
mes, et  prépure  de  nouveaux  et  de  plus  épouvantables  mas- 
sacres. 

»  Des  périls  sans  nombre  menacent  encore  la  liberté  pubîi(|ue. 
Avec  vous,  nous  les  braverons;  avec  vous,  avec  Celte  saine  ma- 


124  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BRCM.    AN   IV 

jorité  qui  a  fondé  la  République,  nous  combaiirons  encore  une 
fois  s'il  le  faut ,  et  encore  une  fois  les  vaincrons. 

»  3Iais,  législateurs,  la  sûreté,  l'existence  de  la  République 
tiennent  à  la  punition  de  ces  crimes  abominables ,  dont  le  roya- 
lisme et  le  fanatisme  ont  souillé  le  3Iidu  Nous  vous  demandons 
justice,  moins  contre  nos  assassins  ,  que  contre  les  assassins  de 
la  République;  nous  avons  droit  de  l'attendre  de  vous,  et  notre 
attente  ne  sera  point  déçue. 

>  Nous  ne  désirons  ni  vengeance  ni  réaction  ;  loin  de  nous 
toute  idée  subversive  des  principes  de  justice.  Nous  serions 
prêts  à  livrer  nous-mêmes  au  glaive  des  lois  ceux  d'entre  nous 
qui  oseraient  nourrir  de  coupables  espérances. 

»  S'il  a  été  cruel  pour  nous  de  vous  retracer  des  horreurs 
dont  ridée  seule  glace  nos  âmes,  il  nous  est  bien  doux  d'avoir  à 
vous  annoncer  les  changemens  subits ,  occasionnés  par  l'arrivée 
du  citoyen  Fréron.  Grâces  à  son  énergie  et  à  vos  lois,  les  autori- 
tés provisoires ,  qui  avaient  organisé  et  protégé  le  crime ,  sont 
remplacées  ;  elles  le  sont  par  des  citoyens  toujours  dignes  de  la 
confiance  publique;  par  des  hommes  dont  le  cœur  et  les  mains 
sont  purs  d'or  et  de  sang;  par  les  ennemis  prononcés  de  l'anar- 
chie et  du  royalisme;  par  ceux  qui  toujours  ont  montré  la  même 
énergie  et  le  même  zèle  pour  la  République. 

»  Fréron ,  qu'on  a  eu  l'impudeur  de  vous  présenter  comme  or- 
ganisant la  terreur  dans  ces  contrées,  n'y  prêche  que  l'amour 
des  lois,  l'oubli  des  offenses  et  le  bonheur  de  tous.  Strict  ob- 
servateur des  principes ,  il  est  bien  éloigné  d'user  de  tous  les  pou- 
voirs dont  il  est  revêtu;  et  si  un  reproche  peut  lui  être  fait,  c'est 
d'invoquer  avec  trop  de  rigueur  la  lenteur  des  formes ,  au  point 
qu'une  foule  de  vrais  émigrés  et  de  meurtriers  souillent  encore 
la  terre  de  la  liberté,  et  par  leur  re^^ard  farouche,  menacent  le 
républicain  échappé  à  leur  fer  homicide. 

»  Paix  aux  hommes  égarés  ;  mais  justice  contre  leség[orgeurs, 
les  émigrés,  les  fanatiques,  et  puisse  le  glaive  de  la  loi  atteindre 
les  grands  coupables!  » 

Cadroif,  «  Je  demande  la  parole.» 


AU  30  FLOR.  AN  V  (179^-1797  ).  i^H 

Lesage-Sénault.  c  Aux  termes  de  la  Constitution ,  Cadroy  ne 
peut  être  entendu  qu'après  un  ajournement.  » 

Cadroy.  c  Avez- vous  invoqué  la  Constitution  contre  les  ca- 
lomniateurs? > 

Hardy»  a  II  n'est  pas  même  au  pouvoir  du  président  de  refuser 
la  parole  à  un  membre  inculpé.  » 

Le  président,  t  Sur  quel  indice  Hardy  me  soupçonne-t-il  cette 
intention?  Cadroy  a  la  parole.  > 

Cadroy,  «  11  est  douloureux  pour  moi ,  représentans ,  d'avoir 
à  soulever  le  poids  de  la  prévention  que  des  calomniateurs  trop 
long-temps  impunis  ont  voulu  faire  tomber  sur  moi;  cependant  je 
ne  récriminerai  point  contre  eux,  je  mécontenterai  de  chercher  à 
soulager  vos  âmes  oppressées ,  et  de  satisfaire  ce  besoin  d'une  es- 
time réciproque  que  doivent  éprouver  tous  les  membres  de  cette 
assemblée. 

•  Une  dénonciation  grave  est  portée  contre  nous  ;  nous  venons 
demander  justice,  offrir  notre  tête ,  si  nous  sommes  coupables, 
et  réclamer  la  punition  exemplaire  de  nos  calomniateurs. 

>  Vous  avez  remarqué  sans  doute,  représentans,  et  je  ne  dis 
point  cela  pour  éluder,  que  les  dates  sont  confusément  citées , 
que  les  faits  ne  sont  point  précisés ,  que  des  propos  isolés ,  des 
bruits  vagues  servent  de  fondement  à  une  dénonciation,  plus  va- 
gue encore.  Cependant  j'ai  saisi  un  propos  que  l'on  assure  avoir 
été  tenu  par  moi  dans  la  société  populaire  ;  on  m'accuse  d'avoir 
dit  :  Si  vous  n'avez  ni  armes  ni  bâtons,  déterrez  les  ossemens  de 
vos  pères. 

*  Citoyens ,  cette  image  ne  m'appartient  pas,  elle  est  à  Isnard, 
excitant  les  Marseillais  à  marcher  contre  les  rebelles  dé  Toulon, 
contre  les  assassins  de  Brunel  ;  Isnard  lui-même  la  réclame ,  et  il 
n'aura  pas  de  peine  à  la  justifier  devant  vous. 

»  J*ai  ordonné  moi-même  d'égorger  les  prisonniers!  Ici,  quelle 
que  puisse  être  la  prévention  ,  on  dépasse  les  bornes  de  la  crédu- 
lité, A  quelle  époque  ai-je  donné  ces  ordres ,  où  ,  à  qui  les  ai  je 
donnés?  Est-il  dans  l'ordre  des  probabilités  qu'un  homme ,  assez 


i^  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRUM.    AN   IV 

leroce  pour  désirer  des  assassinais,  soii  assez  siupide  pour  ics 
ordonner  ouverfemcntï 

))  KsL-cedu  massacre  du  fort  Sainl-Jean  qu'on  entend  parler? 
Je  citerai  le  lémoijjnage  de  mon  collègue  Isnard,  témoin  de  tou- 
tes mes  actions,  confident  de'toutesmes  pensées;  sa  déclaration 
ne  sera  pas  suspecte ,  elle  sf  ra  victorieuse  pour  moi. 

»  J'étais  à  Marseille  non  comme  représentant,  mais  comme 
i.liar{îé  d'une  mission  pour  l'approvisionna  ment  de  Paris  ;  mis- 
sion sur  laquelle  j'invite  les  anciens  membres  du  comité  de  gou- 
vernement à  me  rendre  la  justice  qui  m'est  due.  J'étais  donc  à 
Marseille  dans  un  moment  ou  les  échafauds  de  la  terreur  étaient 
à  peine  brisés.  Les  plus  affreux  scélérats  étaient  accourus  de  tou- 
tes les  parties  du  Midi  dans  Toulon. 

Granet, qui ,  par  une  correspondai  ce  infernale,  liait  les  com- 
plots de  ces  factieux  avec  ceux  des  assassins  de  prairial  ;  Granet , 
(jui  fut  frappé  par  la  Convention  nationale,  venait  d'exciter  une 
sédition  à  Toulon  ;  et  Brunet,  notre  infortuné  collègue,  s'était 
donné  la  mort  à  la  vue  des  attentats  des  rebelles.  Le  peuple  en- 
tier avait  mai  elle  contre  crS  derniers,  et  les  avait  vaincus.  J'étais 
avec  Isnard,  dans  la  maison  des  représenians;  on  nous  aniionce 
(lu'on  égorge  au  fort  Saini-Jtan;  j'atteste  que  nous  n'avions  rien 
eiiteudu  qui  put  faire  soupçjuner  l'exépuiioD  de  ces  scènes  sau- 
{;lanies.  f^ous  couroijs  au  fort ,  noqj»  nous  exposons  ijous-mèmes 
au  fer  des  assassins  ;  à  notre  voix ,  le  pont-levis  du  fort  est  baissé, 
(  t  nous  parvenons,  après  des  efforts  iuouïs,  à  f^iire  cesser  le  car- 
n'd{]e,  Les.ass^Sùins  fuient  par  des  issues  opposées  et  pendant 
cette  nuit  fatale,  nuit  dan^  laquelle  nous  au?  ions  dé^iiré  voir  noire 
vie  ICI  mince,  piii^que  la  loi  avait  été  méconnue. 

•  Aucune  victime  n'a  succombé  depuis  nplre  entrée  aq  fort  ; 
nous  avons  fait  notre  devoir,  nous  avons  sauvé  huit  cents  prison- 
niers ;  et  ici  j'interpeilerais  la  ville  entière  de  Marseille ,  si  les  vic- 
times du  51  mai,  auxquelles  j'ai  donné  des  consolations  et  la  li- 
berté, n'éinieni  pas  du  nouveau  dans  les  fers;  si  les  prisons 
ne  s'éiaient  pas  rouvertes  pour  les  hommes  de  bien  ;  si  la  terreur 
ne  planait  pas  sur  Marseille  ;  et  à  cet  égard  je  vous  ferai  reniar- 


AU  30  FLOR.  AN  Y  (i79M797).  J27 

^uer  que  c  est  après  le  15  vendémiaire,  six  mois  après  que  les 
faits  dont  il  s'agit  se  sont  passés ,  que  l'on  porte  une  accusation 
contre  moi. 

»  On  m'accuse  etcore  d'un  fait  grave;  on  dit  que  des  assas- 
sins ont  été  élargis  par  mes  ordres,  et  couronnés  en  plein  théâ- 
tre. Ce  fait,  je  le  déclare,  m'est  absolument  inconnu  ;  j'i^jnore 
quand  et  où  il  a  eu  lieu.  Je  répète  d'ail  eurs  qne  j'étais  à  Mar- 
seille, sans  pouvoirs,  après  l'époque  dont  on  parle;  que  dans  le 
moment  du  danger  je  m'étais  réuni  à  Isnard ,  mais  seulement 
comme  le  premier  soldat  qui  devait  lui  prêter  le  secours  de  ses 
armes. 

>  J'ai ,  dit-on  ,  destitué  lor^ique  j'en  avais  le  pouvoir,  des  pa- 
triotes mis  en  place  par  Auguis  et  Serres.  Voulez-vous  savoir 
quels  étaient  ces  patriotes?  Ecoutez  Auguis  lui-même  me  dire  : 
i  J'ai  nommé  ce  que  j'ai  pu  trouver  dans  le  moment ,  n^ais  destin 
»  tuez  le  plus  tôt  pos^^ible  les  fonctionnaires  de  mon  choix ,  et 
>  nommez  à  leur  place  de  plus  honnêtes  gens.  >  Auguis  me  par- 
lait ainsi  quelques  mois  après  le  9  thermidor,  c'est  à-dire ,  après 
la  première  épuration  des  fonciionnaires  du  Midi. 

>  Si  un  fait  particulier  peut  vous  éclairer  sur  le  mérite  de  la 
dénonciation  ariiculée  contre  nous,  voici  ce  qu'on  lui  érit: 

€  Les  terroristes  réunis  ont  signé  une  pétition  dans  laquelle  ils 
i)  dénoncent  Chambon ,  Mariette  et  vous.  Les  scélérats  courent 
»  en  foule  la  couvrir  de  signatures;  et  on  en  obtient  un  plus 
i)  grand  nombre ,  en  di  ant  que  l'objet  de  la  péiiiion  est  d'avoir 
»  le  pain  et  la  viande  à  bon  marché.  » 

»  Ainsi ,  représentans ,  au  10  mars  et  au  51  mai  on  égarait  le 
peuple  par  le  sentiment  de  ses  besoins ,  et  on  l'amenait  à  vos  por- 
tes demander  la  tète  de  vos  plus  courageux  collègues;  que  dis- 
je  !  lisez  les  signatures  de  la  dénonciation  actuelle,  et  faites-vous 
représenter  celte  sacrilège  adresse  du  17  mars,  dans  laquelle  ces 
souverains  du  Midi  invoquaient  la  Momagne  et  ordonnaient  aux 
apptlans  au  peuple  de  quitter  leur  poste,  vous  retrouverez  les 
mèints  noms  ;  vous  reconnuîirez  ces  épouvaniabks  Marseil  ais , 
l'opprobre  de  leur  pays  et  la  lie  de  l'humanité,  devant  lesqm  Is 


1;^  DIRECTOIRE.    —   DU   4  BRUM.    AN   IV 

Paris  iremLIa,  au  nom  desquels  la  Convenlion  nationale  fut  as- 
servie. 

»  Les  pervers  î  et  ils  invoquent  l'ombre  de  Vergniaud  qu'ils 
ont  traîné  à  la  mort ,  dont  ils  avaient  commandé  le  supplice;  de 
Vergniaud,  dont  la  lé  te  tomba  pendant  que  les  airs  retentissaient 
de  leurs  chants  de  cannibales.  Représentans ,  non ,  vous  n'y  serez 
pas  trompés,  et  quoiqu'après  le  15  vendémiaire,  il  sera  permis 
de  verser  des  larmes  sincères  sur  la  tombe  de  ces  généreux  mar- 
tyrs de  la  liberté,  d'embrasser  leur  statue  ,  d'imiter  leur  exem- 
ple ou  de  périr  comme  eux. 

>  Je  demande  d'être  mis  en  jugement  avec  mes  calomniateurs,  d 
f  Isnard.  •  Citoyens  représentans  ,  on  me  demande  la  vérité  ;  je 
vais  lui  rendre  un  sincère  hommage. 

»  On  avance  dans  la  dénonciation  qui  a  été  lue,  que  Cadroy  ex- 
citant les  Marseillais  à  se  venger  des  terroristes ,  leur  a  dit  : 

«  Si  vous  n'avez  pas  des  armes,  déterrez  les  ossemens  de  vos 
»  pères,  et  vengez  leur  mort.  > 

»  Citoyens  ,*ce  n'est  point  Cadroy  qui  a  employé  cette  figure  ; 
c'est  moi  qui  m'en  suis  servi ,  et  j'ose  le  dire ,  d'une  manière  utile 
à  ma  patrie.  Vous  allez  en  juger. 

»  Sans  doute  l'on  n'a  pas  encore  oublié  les  affreuses  journées  de 
prairial.  Cette  conspiration  anarchique  avait  des  ramifications 
dans  le  Midi  ;  tous  les  brigands  de  ces  contrées  s'étaient  réunis  à 
cette  époque  dans  les  murs  de  Toulon  ;  et  au  même  instant  que 
leurs  complices  insurgèrent  à  Paris,  ils  arborèrent  l'étendard  de 
la  révolte,  révolte  la  plus  criminelle  qui  fût  jamais,  et  dont  les 
chefs  tombés  depuis  sous  le  glaive  des  lois ,  étaient  les  scélérats 
les  plus  atroces  dont  le  Midi  ait  eu  à  rougir.  On  remarquait  à 
leur  tête  les  Portai ,  les  Paillon  ,  les  Vidal ,  et  ces  mêmes  canni- 
bales qui ,  dans  d'autres  temps,  après  avoir  massacré  tous  les  ad- 
ministrateurs du  déparlement ,  en  avaient  placé  les  tètes  sur  leur 
table  de  banquet,  et  se  les  repassaient  de  main  en  main  pour  en 
sucer  le  sang... 

•  Ces  révoltés  forcent  l'arsenal,  en  pillent  toutes  les  armes  ;  ils 
foulent  aux  pieds  l'autorité  légitime  de  la  Convention ,  et  ne  veu- 


AU  50  FLOU.  AN  V  (  17vi5-i797  ),  129 

lent  plus  reconnaître  que  leur  sainte  Monia^jne  ;  ils  violentent  les 
représenians  du  peuple  qui  se  trouvent  dans  leurs  murs;  Guérin 
et  Poultier,  qui  s'y  rendent  pour  arrêter  la  révolte ,  y  sont  rete- 
nus prisonniers  ;  Brunel ,  à  qui  ils  arrachent  un  arrêté  par  la 
force ,  se  tue  de  désespoir  ;  son  collègue  Niou  est  traîné  dans  les 
rues  par  les  cheveux  ;  ils  empêchent  l'escadre  de  mettre  à  la  voile 
ma'gré  l'ordre  qu'elle  en  avait ,  et  cela  dans  un  moment  où  les 
deux  divisions  de  l'escadre  ennemie  n'avaient  point  encore  effec- 
tué leur  jonction.  Ils  font  plus ,  ils  s'enrégimentent ,  et  marchent 
contre  Marseille  pour  s'y  livrer  au  pillage  et  à  l'assassinat.  Déjà 
ils  se  sont  emparés  des  gorges  d'Ollioules  ;  Chambon  fait  marcher 
contre  eux  les  troupes  de  ligne  en  garnison  à  Marseille ,  comman- 
dées par  le  général  Pacihod  et  quelques  gardes  nationales  mar- 
seillaises. Des  combats  s'engagent ,  la  consternation  se  répand 
dans  toutes  ces  contrées,  et  mon  collègue  éprouve  les  plus  gran- 
des difficultés  pour  organiser  des  bataillons ,  et  les  foire  mar- 
clier  contre  les  brigands. 

1  J'étais  alors  en  route  pour  me  rendre  dans  le  Midi  par  ordre 
de  la  Convention.  Arrivé  à  Tarascon,  un  courrier  de  Chambon 
m'avise  de  tout  ce  qui  se  passe;  je  pars  à  l'instant  et  cours  sans 
relâche;  Cadroy  qui  était  à  Avignon ,  et  qui  reçoit  le  même  avis, 
s'empresse  aussi;  nous  nous  rencontrons  dans  la  nuit  sur  la  roule 
d'Aix.  Nous  arrivons  ensemble  le  6  prairial  matin  dans  ce  chel^ 
lieu  de  département.  La  consternation  y  était  à  son  comble;  il  fal- 
lait y  électriser  les  esprits  et  créer  sur-le-champ  des  bataillons. 
Nous  n'avions ,  pour  réussir,  d'autre  ressource  que  la  parole. 
Nous  décidons  d'haranguer  le  peuple ,  déjà  rassemblé  dans  la 
place  publique ,  sous  nos  fenêtres.  Je  parais  le  premier  au  bal. 
con  ;  mon  cœur  et  mon  imagination  guident  ma  voix;  l'auditoire 
s'émeut,  la  jeunesse  s'enflamme,  mais  elle  hésite  parle  défaut 
d'armes  :  alors  pour  achever  de  tout  entraîner,  je  m*écrie  :  Bra- 
ves amis,  vous  manquez  d'armes...  eh  bien  !  fouillez  dans  cette 
terre  qui  ensevelit  les  victimes  de  la  terreur,  armez-vous  des  os- 
semens  de  vos  pères,  ei  marchons  contre  leurs  bourreaux...  Au 
même  instant,  tout  crie  à  la  fois  :  Auxarmex!  nur  armes!...  On 
T.  xxvnr,  9 


130  DIRECTOIRE.   —   DU  4  BRUM.    AN  IV 

y  vole;  dans  quelques  heures,  deux  bataillons  de  douze  cents 
hommes  armés ,  équipés  et  munis  de  quatre  pièces  de  canon,  sont 
en  marche  contre  les  rebelles  qui,  vaincus,  luient  dans  Toulon  , 
où  nous  entrons  victorieux  quelques  jours  après. 

»  Voilà  ,  leprésentins ,  dans  quelle  circonstance  j'ai  prononcé 
la  phrase  que  l'on  rappel'e  aujourd'hui,  et  dont  je  m'honore , 
parce  que  c'est  l'enthousiasme  de  la  liberté  qui  me  l'a  inspirée, 
et  qu'elle  a  été  utile  à  mon  pays.  Ju{fez  à  présent  de  l'absurdité 
des  calomnies  répandues  contre  nos  collègues. 

»  On  a  reproché  à  Cadroy  de  ne  s'être  porté  au  fort  Jean  que 
six  heures  après  que  le  massacre  qui  y  eut  lieu  le  17  prairial  avait 
commencé.  Voici  les  laits  : 

«  Lorsque  nous  fûmes  entrés  dans  Toulon,  Cadroy,  qui  était 
envoyé  dans  le  Midi  pour  les  approvisionnemens  de  Paris ,  re- 
tourna à  Marseille  pour  s'occuper  de  cet  objet  d'autant  plus  pres- 
sant que  la  di.vtribuiion  de  pain  était  réduite  alors  à  deux  onces. 
J.a  position  de  Toulon  exigea  queChambon,  Guérinet  moi  res- 
tassions encore  quelques  jours  dans  ses  murs.  C'est  dans  cet  in- 
tervalle (|ue  nous  apprîmes  le  triomphe  de  la  Convention  sur  les 
assassins  de  Féraud.  Cotte  nouvelle  acheva  de  terrasser  les  fac- 
tieux de  Toulon.  Chambon  et  moi  laissâmes  Guérin  dans  cette 
commune,  et  revînmes  à  Marseille  à  la  tête  des  troupes  qui  avaient 
vaincu.  Les  Marseillais,  qui  devaient  leur  salut  à  la  bravoure  des 
troupes  et  à  la  conduite  des  représeniaus,  voulurent  les  recevoir 
avec  solennité.  Toutes  les  auiorisés  constituées  en  corps  et  tout 
le  peuple  de  Marseille  s'avancèrent  à  notre  rencontre  sur  la  route 
de  Toulon. 

»  Cadroy  vint  nous  joindre  à  clieval  pour  entrer  avec  nous  : 
c<Hte  cérémonie  de  l'entrée  triomphante  des  troupes  lut  d  autant 
plus  longue  qu'elles  se  rangèrent  toutes  en  ordre  de  bataille,  traî- 
nant leur  arlilk'rie;  qu'il  y  eut  des  discours  prononcés;  que  la 
foule  était  prodigieuse,  et  que  la  commune  de  Marseille  offrit  une 
armure  au  brave  général  Patthod  qui,  en  récompense  d'avoir  à 
c<tt(î  épo(|ue  sauvé  le  Midi,  vient  aujourd'hui  d'être  destitué  du 
commandement  delà  place. 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1 795-1 797  ).  131 

C'est  dans  ce  nivment,  où  la  ville  eniière  se  trouvait  presque 
déserte  et  dépourvue  à  la  fois  de  garnison  et  de  représentans  que 
des  homoies  féroces  commencèrent  d'assassiner  da«s  le  fort  Jean. 
Nous  fûmes  conduits  par  le  corlége  à  lu  maison  des  représen- 
tans, aux  acclamations  d'un  peuple  immense  qui  ignorait,  tout 
comme  nous,  ce  qui  se  passait  dans  le  fort.  Ce  ne  fut  qu'un  quart 
d'heure  après  notre  entrée  dans  nos  appartemens,  que  le  frère 
d'un  prisonnier,  informé  des  massacres,  vint  nous  en  avertir  eti 
criant  :  Représentans ,  courez  cm  fortf  on  assassine  mon  frère.  A 
l'instant  même,  Cadroy  et  moi  saisissons  nos  costumes  et  nos 
armes,  et  nous  nous  précipitons  vers  le  fort. 

Cbamboa,  qui  n'était  pas  'dans  le  même  appartement,  'si 
bientôt  instruit  ;  il  ne  prend  que  le  temps  de  donner  des  ordres  à 
la  force  armée,  et  vient  nous  joindre  aussitôt.  Il  élaii  nuit  ;  nous 
arrivons  avec  Cadroy  à  l'enceinte  extérieure  du  fort  ;  nous  en  bri- 
sons la  première  barrière;  au  nom  de  la  représentation  nationale, 
nous  faisons  baisser  le  pont-levis;  nous  entrons,  le  sabre  et  la 
torche  à  la  main ,  sous  ces  voûtes  ténébreuses  déjà  jonchées  de 
cadavres. 

>  Certes ,  il  n'était  pas  en  notre  pouvoir  de  ressusciter  les 
moris;  mais  nous  parvînmes,  par  des  efforts  inouïs ,  à  arrêter  le 
cours  du  massacre  qui ,  sans  r;ous ,  eut  été  complet ,  et  peut-être 
que  les  dénonciateurs  sont  du  nombre  des  neuf  cents  piison- 
niers  à  qui  nous  sauvâmes  la  vie  au  péril  de  la  nôtre. 

»  Ici ,  repjésentaijs  ,  je  puis  attester,  par  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  sacré,  que  j'ai  fait  dans  cette  nuit  affreuse ,  pour  désarmer 
le  crime,  au-deh^  même  de  ce  que  peut  la  force  humaine.  Si  la 
vie  de  mon  père,  de  ma  femme,  de  mes  enfans  eût  été  menacée , 
il  m'eût  été  impossible  de  faire  davantage  ;  et  c'est  là  une  justice 
que  les  terroristes  eux-mêmes  m'ont  rendue  dans  le  (emps.  Je 
puis  atiesîer  aussi  que  Cadroy  et  Chambon  se  sont  comportt's  de 
la  mèine  manière.  Oui,  tout  ce  qui  dépendait  d'eux  pour  arrêter 
les  massacres,  ils  l'ont  lv»it,  et  ils  ne  pouvaient  pns  en  avoir  plus  tôt 
connaissance ,  puisque  Cliambon  arrivait  avec  moi  de  Toulon ,  et 
que  Gviroy  était  venu  nous  joindiesurle  chemin  plusieurs  heures 


1Ô2  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BRUM.    AN   IV 

avant  la  iiuil.  Ah  !  s'il  était  un  moment  où  nous  étions  loin  de  soup- 
çonner (le  pareils  forfaits,  c'était  celui  où  toute  une  ville,  debout 
devant  nous,  célébrait  une  féie  brillante  au  milieu  des  transports 
d'allégresse. 

»  La  dénonciation  porte  encore  qu'un  des  assassins  dit  à  Ca- 
droy  :  Tu  nous  reproches  aujourd'hui  des  actions  auxquelles  lu 
710US  as  loi-même  engagés.  Je  puis  certifier  que  je  n'ai  pas  quitté 
Cadroy  dans  le  fort ,  et  que  je  n'ai  entendu  aucun  propos  sem- 
blable. 

»  Quant  à  mon  collègue  Cliambon ,  je  dois  lui  rendre  aussi  une 
justice  éclatante.  On  lui  reproche  divers  arrêtés ,  mais  il  avait 
droit  de  les  prendre  ;  le  gouvernement  les  a  approuvés,  et  j'ose 
(lire  que  ce  sont  les  fortes  mesures  qu'il  a  prises ,  à  l'époque  de 
la  révolte  de  Toulon,  qui  ont  sauvé  le  Midi.  Il  a,  dans  celte  occa- 
sion ,  ainsi  que  mon  collègue  Guérin,  déployé  un  grand  caractère 
et  bien  mérité  de  la  patrie. 

M  Les  inculpations  portées  contre  Mariette  ne  valent  pas  la  peine 
d'être  relevées. 

>  Voil5,  représentans,  les  éclaircissemens  que  l'on  m'a  deman- 
dés. S'il  en  était  d'autres  qui  fussent  défavorables  à  mes  collè- 
gues, je  les  donnerais  avec  la  même  franchise  ;  car  ce  n'est  pas 
pour  défendre  tels  ou  tels  individus  que  j'ai  paru  à  cette  tri- 
bune ,  mais ,  comme  je  l'ai  dit ,  pour  y  rendre  hommage  à  la  vé- 
rité. » 

Mariette,  <  Il  serait  peut-être  intéressant  de  vous  montrer,  ci- 
toyens, par  quel  circuit  la  dénonciation  fabriquée  à  Marseille  est 
parvenue  au  conseil  des  cinq-cents;  mais  je  ne  m'arrêterai  point 
à  rechercher  toutes  les  ramifications  de  cette  intrigue  ;  les  faits 
(|ui  sont  reprochés  à  mes  collègues  et  à  moi ,  voilà  ce  qui  m'im- 
porte, et  ce  dont  je  veux  vous  entretenir. 

»  La  plupart  de  ces  faits  me  sont  étrangers  ;  j'étais  déjà  rentré 
dans  le  sein  de  la  Convention  nationale  aux  époques  qu'on  leur  as- 
signe. Ils  ne  concernent  donc  que  mes  collègues  Chambon  et  Ca- 
droy; mais  Isnard,  connu  par  sa  franchise  et  son  amour  pour  la 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1 795-1797  ).  155 

vérité ,  vient  de  rendre  un  témoignage  éclatant  à  leur  irrépro- 
chabilité. 

»  Quanta  moi ,  depuis  mon  arrivée  à  Marseille  jusqu'au  8  flo- 
réal ,  époque  où  j'ai  quitté  ce  pays ,  on  ne  me  reproche  qu'un 
seul  propos  ;  on  ose  avancer  que  j'ai  dit  dans  la  société  populaire 
qu'il  fallait  faire  la  guerre  aux  terroristes  comme  à  des  loups,  et 
laisser  rentrer  les  émigrés  pour  nous  renforcer;  on  ajoute  que  si 
l'on  n'a  que  ce  propos  à  rapporter  sur  mon  compte ,  c'est  que  j'é- 
tais plus  adroit  et  plus  réservé  que  mes  collègues.  Vous  remar- 
querez, citoyens,  que  ce  propos  même  que  l'on  me  prête,  ne  prou- 
verait guère  que  j'eusse  été  le  plus  réservé  ;  car  certes,  un  homme 
qui  dit  en  pleine  société  populaire  qu'il  faut  laisser  rentrer  les 
émigrés,  n'est  pas  très-habile  à  dissimuler  sa  pensée  et  à  cacher 
ses  desseins  ;  mais  tout  cela  n'est  qu'un  tissu  de  ridicules  calom- 
nies. On  m'oppose  que  la  dénonciation  de  ce  fait  est  signée  de 
huit  cents  personnes,  je  le  sais;  mais  ce  que  je  puis  affirmer  en 
même  temps,  c'est  que  certainement  ces  huit  cents  personnes  n'é- 
taient pas  à  la  société  populaire  lorsque  j'y  parlai ,  et  qu'en  sup- 
posant que  j'y  eusse  tenu  le  propos  qu'on  m'attribue ,  il  est  un 
grand  nombre  de  ces  signataires  qui  ne  l'auraient  affirmé  que  de 
confiance. 

j)  Pendant  ma  mission,  citoyens,  je  n'ai  cessé  de  calmer  l'esprit 
de  vengeance ,  de  ramener  les  hommes  de  tous  les  partis  à  la  sou- 
mission aux  lois,  de  leur  recommander  la  concorde,  l'union ,  l'a- 
mour de  la  patrie,  le  respect  de  l'humanité.  Mes  exhortations  n'ont 
pas  été  sans  succès ,  le  pays  est  demeuré  tranquille  ;  et  je  puis 
attester  que ,  pendant  le  cours  de  ma  mission ,  il  n'a  pas  été  versé 
une  seule  goutte  de  sang.  C'en  est  assez ,  je  pense ,  pour  mettre 
le  conseil  à  portée  d'apprécier  les*calomnies  dirigées  contre 
nous.  » 

Quelques  voix.  «  L'ordre  du  jour!  > 

Guér'in.  c  Le  témoignage  que  j'ai  à  rendre  à  mes  collègues  ne 
peut  pas  être  indifférent  :  j'ai  rempli  deux  missions  successives 
dans  les  déparlemens  méridionaux  ,  et  je  puis  affirmer  (|u'en  par- 
courant le  Var  et  les  Bouch'  s-du-lUiône,  j'iû  vu  tous  les  habitans 


134  DIRECrOIRE.    —   DU    4    BRltf.    AN    IV 

se  réunir  pour  rendre  rhonnna^'e  le  plus  flajieur  :i  la  conduite 
sa{je  el  civique  de  nos  col!è{jues.  1  ani  que  je  fus  dans  ces  con- 
irces,  elles  demeurèrent  tranquilles  ;  les  citoyens  y  jouissaient  de 
la  liberté  la  plus  entière  ;  les  lois  y  étaient  observées  ,  la  repre'- 
seniation  nationale  respectée  ,  les  bri{}ands  comprimés ,  les  maî- 
veillans  réduits  au  silence  :  mais  aussitôt  ({ue  j'eus  quitté  ce  pays , 
aussiiôtqu'il  fut  privéde  la  présence  des  représenians  du  peuple, 
les  scélérats  qui  s'étaient  contenus  jusqu'alors  ranimèrent  les  an- 
ciennes dissensions,  excitèrent  de  nouveaux  troubles,  et  répan- 
daient les  colomnies  par  torr'ens  contre  des  hommes  irréprocha- 
bles qui  n'avaient  été  les  ennemis  que  des  véritables  terroristes  , 
non  de  ceux  contre  lesquels  on  s'est  si  injuslemeDtservidecemot 
mais  des  assassins,  des  brigands,  des  meurtriers  de  l 'urs  conci- 
toyens. Telle  fut,  telle  sera  long-temps  encore  la  position  de  ces 
contrées  où  germent  les  passions  les  plus  funestes; 

•  Il  est  une  observation  qui  n'échappera  pas  sans  doute  à  la  sa- 
gacité du  conseil ,  c'est  que  l'instant  que  l'on  a  choisi  pour  faire 
cette  dénonciation,  est  l'instant  où  Marseille  commence  à  perdre 
la  tranquillité  dont  elle  jouissait  depuis  (juelque  temps.  Il  faut  que 
vous  sachiz,  citoyens,  que  celle  dénonciation  n'a  été  signée  de 
tant  d'individus  que  par  suite  d'un  a|»pel  fait  publiquement , 
el  auquel  beaucoup  de  citoyens  n'ont  pas  osé  se  soustraire. 

•  Non,  représenians  du  peuple,  Marseille  n'est  plus  tranquille 
en  ce  moment  ;  Marseille  e^l  encore  agitée  par  des  hommes  déjà 
couverts  de  forfaits,  et  inléessés  à  troubler  cette  parlie  de  la  llé^ 
publique;  Marseille  appelle  toute  votre  attention  ,  c^r  elle  n'est 
pas  encore  ce  qu'elle  doit  être,  ce  que  vous  désirez  qu'elle  soit. 
Je  vous  prie  de  ne  pas  oublier  cette  ol-servation.  Cependant ,  je 
dois  le  dire,  j'y  ai  vu  se  défilopper  beaucoup  de  passions  terri- 
bles, et  jamais  s'élo\er  un  parti  directement  contraire  au  gou- 
vernement républicain.  » 

Bion,  t  Je  demande  à  faire  une  motion  d'ordre.  Il  s'agit  ici , 
citoyens,  de  faire  éclater  l'innocence  de  nos  respectables  collè- 
gues, compris  dans  la  dénonciati  -n  téméraire  qui  a  été  portée  de- 
vant vous.  Sans  doute  il  n'est  aucun  de  ceux  qui  les  ont  connus 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1790-1797).  135 

dans  la  Convention  nationale,  qui  ne  rende  une  entière  justice  à 
leurs  principes  ;  mais  il  ne  faut  pas  que,  mal  justifiés  par  une  dé- 
libéiaiion  précipitée,  le  soupçon  puisse  p!aner  encore  sur  leurs 
létes.  Une  amnistie  ne  plaît  qu'au  coupable,  l'innocent  la  rejeite 
avec  dédain.  La  dénonciation  a  été  faite  rég^ulièrement  ;  jo  de- 
mande que  l'examen  de  cette  dénonciation  soit  fait  selon  toutes 
les  règles  prescrites  par  l'article  117  de  la  Constitution,  afin  (jue 
la  justification  de  nos  collègues  soit  plus  complète.  » 

N €  J'observe  que  d'après  l'article  77,  le  conseil  peut, 

après  la  première  ou  la  seconde  lecture  de  la  dénonciation  ,  dé- 
clarer qu'il  y  a  lieu  à  l'ajournement,  ou  qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  dé- 
libérer. Eh  bien!  comme  i!  paraît,  d'après  les  éclaircissemens 
donnés ,  que  la  dénonciation  porte  sur  des  faits  faux  ;  comme  il 
est  hors  de  doute  que  nos  collègues  non-seulement  sont  à  l'abri 
de  toute  accusation,  mais  même  qu'ils  doivent  s'honorer  de  leur 
conduite,  je  demande  que  le  conseil  déclare  à  l'instant  qu'il  n'y  a 
pas  lieu  à  délibérer  sur  la  dénonciation ,  sauf  aux  représenlans 
inculpés  a  se  pourvoir  devant  les  tribunaux  contre  les  calomnia- 
leurs.  » 

Bentabolle  «  Est-il  du  devoir  du  conseil  et  de  l'inlérêt  de  nos 
collègues  inculpés,  de  prendre  dès  aujourd'hui  celte  détermina- 
tion? Je  suis  monté  à  la  tribune  pour  soutenir  la  négative  et 
pour  démontrer  qu'avant  de  rejeter  une  dénonciation  aussi  gra'  e, 
le  conseil  devait  prendre  le  temps  de  réfléchir  et  de  s'assurer  des 
faits  ou  de  leur  fausseté,  afin  qu'on  ne  puisse  pas  reprocher  aux 
membres  dénoncés,  d'avoir  été  justifiés  par  surfrise  ou  par  fa- 
veur. 

»  Il  me  semble  qu'il  serait  très-làcheux  pour  eux  de  ne  trou- 
ver leur  justification  que  dans  les  journaux  qui,  avant  le  13  ven- 
démiaire, provoquaient  au  massacre  de  la  Convention  nationale. 
(11  s'élève  des  murmures.)  Oui,  citoyens,  nous  devons  examiner 
plus  mûrement  celte  affaire;  cir  enfin  il  est  très-vrai  que  nos 
collègues,  revêtus  de  la  puissance  nationale  dans  le  Midi,  ont 
laissé  commettre  de  nombreux  assassinats;  qu'ils  n'en  ont  i^as 
poursuivi  l.  s  auteurs  avec  le  zè'e  et  l'activité  qu'ils  pouvaient  y 


150  MKECTOIUE.    —    DL    4   BhtM.    AN    IV 

meure;  qu  ils  n'en  ont  Fait  arrê'.cr  aucun  ;  qu'ils  ont  laissé  en 
place  (les  adminidrateurs  qui  s'étaient  rendus  complices  de  ces 
lorfoils;  qu'enfin  ils  n'en  ont  pas  même  averti,  en  temps  oppor- 
tun ,  la  Convention  nationale  ou  ses  comités  de  gouvernement. 
(Les  murmures  continuent.) 

»  Je  pense  que  dans  un  moment  oii  les  assassins  lèvent  en- 
core la  léte,  il  serait  très-impolitique  de  rejeter  si  légèrement 
la  dénonciation  qui  vonsa  été  faite.  Je  demande  l'ajournement.) 

André  Dumont.  t  S'il  ne  s'agissait  ici  que  de  l'intérêt  personnel  - 
des  membres  dénoncés,  je  demanderais  aussi  que  la  dénonciation 
ïùi  plus  long-temps  examinée  ;  que  la  discussion  se  prolongeât  ; 
que  l'on  imprimât  de  part  et  d'autre  toutes  les  pièces  de  celte  af- 
faire ;  que  l'on  mît  ce  tableau  sous  les  yeux  du  conseil,  alin  de  lui 
faire  apercevoir  plus  clairement  encore  les  contradictions  des  dé- 
nonciateurs, et  les  calomnies  qu'ils  oui  voulu  accréditer  parmi 
nous...  0 

Cadroy.  <  Ce  tableau,  je  le  ferai.  » 

André  Dumont.  e  Mais  il  s'agit  de  terminer  une  discussion,  et 
de  prévenir  des  personnalités  qui  ne  peuvent  qu'exciter  les  dis- 
sensions et  le  trouble  dans  le  corps  législatif.  Je  sais  bien  que  l'on 
voudrait  nous  diviser  pour  parvenir  à  nous  opprimer  encore  ;  je 
sais  qae  Ton  recommence  à  persécuter  aujourd'hui  comme  avant 
le  î)  thermidor  ;  ce  sont  des  vérités  qu'un  jour  il  faudra  dire  ;  mais  • 
avant  tout,  occupons-nous  dts  finances,  du  bonheur  du  peuple, 
du  salut  de  la  patrie,  et  opposons  un  obstacle  insurmontable  aux 
hommes  pervers  qui  voudraient  empêcher  le  corps  législatif  de 
marcher  au  véritable  but  de  sa  mission. 

»  Puisqu'il  est  piouvé  que  la  dénonciation  porte  sur  des  faits 
reconnus  faux  ;  puisqu'on  y  attribue  à  un  représentant  du  peuple 
des  paroles  qui  appartiennent  à  un  autre  représentant  qui  s'en 
honore  ;  puisqu'on  n'a  pas  pris  soin  d'en  effacer  des  contradic- 
tions grossières,  nous  n'avons  autre  chose  à  faire  qu'à  déclarer 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer  sur  cette  dénonciation,  et  qu'à  or- 
donner l'impression  du  discours  d'bnard.  > 

J^oinjcr.  €  Jt'  partage  ro|)inion  du  préopinanl  ;  et  moi  aussi  j'ai 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  157 

rempli ,  avec  mon  collègue  Beflroy,  une  mission  dans  les  dëpar- 
temens  méridionaux,  et  je  puis  direiqu'il  n'est  personne,  pas  même 
dans  la  fange  de  Marseille ,  qui  ose  se  lever  pour  dénoncer  notre 
conduite  ;  nous  aurions,  pour  le  confondre  à  l'instant,  des  preuves 
écrites,  des  preuves  convaincantes.  Eh  bien!  je  déclare  que,  pen- 
dant notre  séjour  dans  ces  contrées ,  nous  n'avons  jamais  entendu 
dire  que  nos  collègues  aient  fait  aucun  acte  de  leur  autorité  qui 
n'ait  été  marqué  au  coin  de  la  justice  et  du  patriotisme  le  plus 
pur. 

»  Serait-il  donc  vrai  que  les  Républiques  sont  toujours  ingrates? 
Ne  se  souvient-on  pas  que,  dans  un  temps  où  Marseille  manquait 
de  subsistances,  Cadroy  eut  le  courage  d'aller  exposer  sa  tête,  en 
faisant  enlever  de  celte  ville  un  approvisionnement  considérable 
de  grains,  pour  alimenter  Paris?  Lorsque  les  hommes  de  prairial 
assiégeaient  la  Convention,  et  qu'après  en  avoir  brisé  les  portes , 
ils  osèrent,  jusque  dans  son  enceinte,  attenter  à  la  vie  de  notre 
collègue  Féraud ,  le  même  mouvement  se  fit  sentir  à  Toulon. 

«  Notre  escadre  avait  reçu  l'ordre  de  livrer  combat  à  la  flotte 
anglaise,  moins  forte  que  la  nôtre  de  quatre  vaisseaux  de  ligne  ; 
la  victoire  était  certaine;  chacun  connaît  les  suites  heureuses  qui 
en  eussent  résulté.  Eh  bien  !  lorsque  la  flotte  était  sur  le  point  de 
mettre  h  la  voile,  les  séditieux  de  Toulon  s'insurgent,  ils  marchent 
contre  Marseille  ;  ce  mouvement  empêche  le  départ  de  la  flotte  ; 
celle  des  Anglais  reçoit  des  renforts,  de  là  nos  désastres  dans  la  Mé- 
diterranée. Or,  citoyens ,  remarquez-le  avec  moi ,  les  chefs  des 
séditieux  d'alors  sont  les  mêmes  qui  vous  dénoncent  aujourd'hui 
la  conduite  de  Cadroy.  Jugez  d'après  cela  quel  fondement  vous 
devez  faire  sur  de  pareilles  accusations.  Je  deniande  que  celle-ci 
soit  rejetée  comme  calomnieuse,  et  que  le  conseil  déclare  qu'il  n'y 
a  pas  lieu  à  délibérer.  » 

La  proposition  est  adoptée. 

Le  conseil  ordonne  l'impression  du  discours  d'isnard. 

—  On  se  figurera  sans  peine  quel  était  l'effet  d'une  pareille 
séance  dans  le  public.  11  était  évident  que  c'était  un  parti  (|ui 
triomphait  de  ses  adversaires,  qui  jamais  ne  leur  ferait  grâce  , 


158  DIRECTOIRE.     —   DU   4   BRUM.    AN   IV 

et  qui  n'en  atlendaii  pas  d'eux.  On  se  rappelait  la  li{)ne  suivie  par 
(|uelquos-uns  des  membres  de^couaeils,  hier  ex-Girondins,  soup- 
ronnés  de  fédéralisme  ou  accusés  de  senlimens  monarchiques, 
aujourd'hui  coryphées  de  la  mnjorilé  du  parti  des  ex-conven- 
tionnels. L'on  ne  doit  pas  s'étonner  que  les  plus  zélés  démocra- 
tes se  prissent  à  désespérer  de  l'avenir  lé[]al  de  la  France  et 
missent  leurs  espérances  dans  le  succès  d'une  conspiration. 
D'un  autre  côté,  l'audace  des  royalistes  éiaii  extrême;  ils  im- 
primaient sans  crainte  que  la  mort  de  Louis  XVI  éiail  un  crime  ; 
ils  lui  donnaient  déjà  le  titre  de  royale  victime,  et  ne  dissimu- 
laient pas  leur  sympathie  pour  la  Vendée  même  quoit|ue  la  {juerre 
civile  fût  à  peine  éteinte.  Dans  les  ihéàues  d^^  Paris  on  chantait 
le  Héveit  du  Peuple;  c'était  le  chant  qui,  dans  le  Midi,  servait 
de  ralhement  et  de  signal  aux  réactionnaires.  Les  iéuilles  démo- 
ciaiiques  et  entre  autres  le  Tribun  du  Peuple ,  de  Bibeuf ,  répon- 
daient par  des  élofjes  de  la  Moniafîne  et  particulièrement  de  ce 
Kobi  spierre  dont  l'auteur  avait  été  l'un  des  plus  ardens  ennemis  ; 
on  disait  qu'en  s'insur^^^eant  contre  Ilobespierre  au  1)  thermidor, 
on  avait  été  indignement  trompé.  On  demandait  une  réaction 
révolutionnaire.  Le  directoire,  de  son  côté,  dtfendait  déchanter 
IcHéueUdu  Peuple  aux  ihéiUres,  et  ordonnait  d'y  chanter  tous 
les  soirs  la  Marseillaise  ci  le  poëme  lyrique  Veillons  au  salut  de 
l'empire.  Il  luisait  détendre  de  transporter  que!(jues-uns  dci» 
journaux  royalistes  les  plus  imprudtus.  Il  trouvait  le  moyen 
de  faire  suspecter  la  probité  de  Babeuf ,  en  faisant  publier  l'arrêté 
suivant*  relatif  à  un  faux  matériel  qu'il  avait  commis  dans  la 
vente  des  biens  nationaux,  lorsqu'il  était  administrateur  du  di- 
strict de  Mont-Didier,  laii  pour  lequel  il  avait  été  condamné  aux 
fers  et  enlevé  par  une  décision  du  comité  de  sûreté  générale. 

Extrait  des  registres  des  délibcraiions  du  direetoire  exécutif,  du 
iiO  frimaire  j  C(in  IV  de  lu  république  française. 

Le  directoire  exécutif,  sur  le  compte  qni  Itti  a  été  rendu  par  le 
ministre  de  la  justice  des  procédures  laites  contre  Camille  Ba- 
beuf, pour  raison  d'un  faux  par  lui  commis  dans  l'exeicice  de 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  179o-1797  ).  159 

ses  fonctions  d'administrateur  du  district  de  Montdidier,  et  en 
réparation  duquel  il  a  é(é  par  contumace  condamné  à  vingt  ans 
de  fers,  par  un  jugement  du  tribunal  criminel  du  département 
de  la  Somme,  du  25  août  4795,  annulé  par  défaut  de  forme, 
par  un  jugement  du  tribunal  de  cassation  ,  qui  a  renvoyé  le  fond 
du  procès  devant  le  tribunal  criminel  du  département  de  l'Aisne  ; 

Considérant  que  le  tribunal  criminel  du  déparlement  de  l'Aisne 
a  manifestement  excédé  ses  pouvoirs  par  son  jugement  du  50  mes- 
sidor de  l'an  II,  en  ce  que,  contre  le  texte  précis  de  la  loi ,  il  a 
accordé  |£|  liberté  provisoire  à  Camille  Babeuf,  prévenu  d'un 
crime  qui ,  par  sa  nature,  emporte  peineafilictive  et  infamante  ; 

Considérant  que  d'ailleurs ,  dans  l'état  actuel  de  la  législation , 
ce  tribunal  ne  peut  plus  connaître  immédiatement  et  sans  décla- 
ration préalable  d'un  jury  d'accusation ,  du  crime  imputé  à  Ca- 
mille Babeuf; 

Arrête  que  le  ministre  de  la  justice  est  chargé  de  dénoncer  au 
commissaire  du  pouvoir  exécutif  près  le  tribunal  de  cassation , 
l'état  où  se  trouvent  les  procédures  dont  il  s'agit ,  afin  que  sur  les 
réquisitions  de  ce  commissaire  le  tribunal  de  cassation  puisse  les 
envoyer  devant  un  directeur  du  jury  d'accusation,  à  qui  la  con- 
naissance en  sera  attribuée  conformément  à  la  loi. 

Pour  expédition  conforme ,         Signé  Rewbell  ,  présideni, 

—  Babeuf  répondit  à  cette  accusation  en  ces  termes  ; 

«   Babeuf,  au  rédacteur  du  Moniteur. 

Paris,  50  frimaire. 

»  Vous  avez  jugé  à  propos,  citoyen,  d'insérer  dans  votre 
feuille  n»  LXXXV,  un  arrêté  du  directoire  exécutif,  du  20  de  ce 
mois, qui  me  concerne. 

»  J'espère ,  en  conséquence,  que  vous  ne  ferez  difliculté  d'in- 
sérer ma  réponse  suivante,  à  l'arrêté  du  directoire. 

»  Je  n'attribue  qu'à  Merlin  ,  ministre  de  la  justice,  l'invention 
et  la  fabrication  de  cet  arrêté,  qui,  comme  l'ont  déjà  observé 
plusieurs  pnblicistes,  n'est  qu'une  misérable  chicane  d'avocat. 


iiO  DIRECTOIRE.    "—    DU   4   BRUM.    AN    IV 

»  Ne  voulant  point  abuser  de  l'espace  de  votre  feuille ,  je  ren- 
verrai ceux,  qui  voudront  avoir  des  preuves  complètes  de  celle 
assertion ,  à  des  détails  plus  amples  dans  le  n"  XXXVU  du  Tribun 
du  Peuple,  Je  me  contenterai  ici  d'exposer  des  masses. 

»  Lorsque,  l'année  dernière,  mes  écrits  contrariaient  encore 
les  puissances  d'alors,  on  ne  voulut  pas,  de  même  qu'aujour- 
d'hui ,  avoir  l'air  d'attaquer  en  moi  la  liberté  de  la  presse  :  on  nie 
fit  une  première  mauvaise  querelle,  dans  les  journaux,  sur  cet 
ancien  procès  dont  parle  l'arrêté  du  20  de  ce  mois. 

»)  On  alla  jusqu'à  afficher  dans  Paris ,  poursuite  et  dilijjence  de 
Fréron ,  le  jugement  qui  m'avait  condamné.  Je  répondis  à  celte 
méchante  querelle  d'une  manière  apparemment  si  convaincante, 
qu'ayant  été  arrêté  depuis ,  et  emprisonné  huit  à  neuf  mois  comme 
apôtre  du  terrorisme,  on  ne  m'inquiéta  nullement  pour  l'autre 
affaire ,  et  l'on  me  rendit  la  liberté  quelques  jours  après  le  15  ven- 
démiaire, non  pas  par  amnistie,  en  vertu  de  la  loi  qui  l'a  accor- 
dée à  tous  les  détenus  pour  faits  relatifs  à  la  révolution.  On  pour- 
rait croire  alors  que  je  suis  passé  à  la  faveur  de  la  foule. 

•  Un  arrêté  particulier  du  comité  de  sûreté  générale ,  précédé 
d'un  rapport ,  d'un  examen  de  toutes  les  charges  portées  sur 
mon  compte ,  a  brisé  mes  fers. 

»  Depuis,  on  ne  pensa  de  nouveau  à  m'inquiéter,  que  quand 
je  me  montrai  inébranlable  dans  la  fidélité  à  mon  engagement 
pris  avec  le  peuple,  d'écrire  uniquement  pour  lui,  et  dans  une 
absolue  indépendance. 

»  Voici  maintenant  le  motif  que  je  présume  exister  chez  Mer- 
lin ,  pour  n'attribuer  qu'à  lui  ce  ressouvenir  par  lequel  il  a  cal- 
culé qu'il  parviendrait  tout  au  moins  à  entacher  ma  probité,  et  à 
m'enlever  la  confiance.  "^ 

»Ce  fut  Merlin  lui-même  qui,  avant  le  9  thermidor,  comme 
membre  du  comité  de  législation  ,  sollicita  et  obtint  pour  moi  le 
décret  de  la  Convention  nationale,  (|ui  cassa,  non-seulement  pour 
défaut  de  forme ,  comme  le  dit  aujourd  hui  l'arrèlé  du  directoire, 
mais  pour  défaut  d'équité,  une  condaiiinaiion  atroce,  qui  était 


AU  50  fLoR.  AN  V  (  1795-Î797  ).  U\ 

peui-êlre  le  premier  alternat  audacieux  porté  par  la  chouannerie 
contre  le  franc  et  ardent  républicanisme. 

»  Cette  affaire,  terminée  définitivement,  quoi  qu'en  dise  l'ar- 
rêté ,  tant  au  tribunal  de  l'Aisne ,  en  messidor,  l'an  II ,  qu'à  la 
commission  des  administrations  civiles ,  police  et  tribunaux ,  en 
thermidor,  Merlin  put  être  mécontent  de  moi,  de  ce  qu'ayant  em- 
brassé de  suite  la  carrière  périodique ,  je  n'avais  point  sacrifié  la 
reconnaissance  au  devoir.  Parce  qu'il  avait  pu  être  juste  à  mon 
égard ,  je  ne  crus  pas  devoir,  plus  qu'à  un  autre ,  passer  sous  si- 
lence ce  qui  vint  à  me  paraître  répréhensible  dans  sa  conduite 
politique.  Je  m'élevai  souvent  contre,  son  Projet  de  loi  sur  la  ca- 
lomnie,  qu'il  essaya  tant  de  fois  de  faire  passer.  C'est  là,  j'ima- 
gine bien ,  le  principe  de  la  petite  escobarderie  de  l'arrêté  du  20. 

»  Elle  ne  fit  point  fortune  l'an  passé  ;  elle  ne  m'aliéna  point  le 
cœur  des  patriotes.  Elle  le  fera  bien  encore  moins  cette  fois , 
quand  on  verra  que  c'est  un  moyen  usé. 

»  Salut  et  fraternité.  G.  Babeuf.  > 

Cependant  les  nouveaux  membres  du  corps  législatif  es- 
sayaient leur  pouvoir  dans  les  conseils  et  tàtaient  la  majorité.  On 
avait  formé  dans  chaque  conseil  une  commission  pour  la  vérifica- 
tion des  pouvoirs;  de  ses  rapports  devaient,  jusqu'à  un  certain 
point,  dépendre  la  composition  des  assemblées.  Les  nouveaux 
membres  pouvaient  être  accusés  vis-à-vis  des  ex-conventionnels, 
et  comme  ceux-ci  avaient  la  majorité,  la  sécurité  des  premiers 
n'était  pas  complète.  Il  devenait  important  pour  eux  de  faire  ces- 
ser un  état  d'incertitude  dans  lequel  ils  pouvaient  croire  qu'on 
les  maintenait  avec  intention  ;  il  importait  surtout  de  connaître 
les  dispositions  de  la  majorité. 

A  la  séance  du  29  frimaire  (  20  décembre  1795  ) ,  Dumolard  , 
ex-membre  de  la  législative,  et  qui  y  avait  marqué  comme  La- 
fayéiiste,  monte  à  la  tribune,  et  demande  qu'on  fasse  cesser  cet 
état  provisoire. 

«  La  fatalité  des  circonstances ,  dit-il ,  nous  place  entre  deux 
partis  qui ,  par  une  marche  rétrograde  et  progressive,  mais  sur 


142  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRUM.    AN   IV 

ia  même  circonlérence,  lendenl  ëvidemment  au   même  Lui, 

•  Eh  bien!  voulez- vous  servir  leurs  coupables  desseins?  La 
riiëthode  la  plus  sûre  est  d'entretenir  avec  soin  une  incertitude 
quelconque  sur  le  caractère  politique  des  représenians.  Je  ne 
suis  pas  homme  à  m'(  Ifrayer  facilement.  Je  ne  crois  pas  néan- 
moins qu'il  Taille  négliger  toute  précaution  contre  les  intenliocs 
assez  manifestées  de  certains  individus,  qui  peut-être ,  pour  me 
servir  des  expressions  d'un  grand  homme ,  prennent  leurs  désirs 
pour  leurs  espérances.  Mais  aucun  denoas  ne  peut  se  dissimuler 
que  des  bruits  soujds,  des  placards  >  des  journaux  inceiKliaires. 
(  On  murmure.  ) 

Une  voix.  «  Iloyalisles.  > 

Un  autre  membre.  «  Maratisles.  » 

l/opinant  continue  :  t  Et  des  conciliabules  léûébreux  ont  fixé 
l'attention  du  public  et  celle  du  directoire. 

»  J  ai  \u  même  des  personnes  de  irès-bonne  loi ,  mais  trop 
crédules  sans  doute,  s'ima{;iner  reconnaître  quelques-uos  des 
symptômes  qui  présagèrent  le  51  mai.  (  On  murmure.  )  » 

Delbrel,  «  Dites  le  13  vendémiaire  !  » 

»  Il  est  permis,  dit  l'oraltur  en  terminant,  de  se  mettre  en 
mesure  pour  qu'on  ne  décime  pas  le  corps  législatif,  comme  on 
a  d.  cime  la  Convention  naliouaU'.  >  11  tern/me  par  demander  : 
r  que  la  commission  nomme  les  individus  qu'elle  croit  devoir  at- 
taquer; i2"  qu'elle  fasse  un  rapport,  non  sur  les  procès-verbaux, 
mais  sur  la  c(>paciié  politique  des  représenians  élus.  —  Génissieu 
voit  dans  cette  motion  une  attaque  dirigée  contre  la  loi  du  5  bru- 
maire :  il  appelle  à  la  tribune  Goupil  eau  qui  arrive  du  Midi,  et 
qui  signalera  un  des  membres  du  conseil ,  accusé  d'avoir  été  l'un 
(U-s  princip:»ux  compagnons  de  Jésus.  A  ces  mots,  J.  Aymé  de- 
mande la  parole.  Génissieu  continue,  et  dit  qu'il  ne  voit  point 
dans  ce  qui  se  passe  les  symptômes  qui  ont  précédé  le  51  mai, 
ainsi  que  l'a  prétendu  Dimiolard,  mais  bien  ceux  qui  ont  précédé 
le  15  vtndémiaire  :  il  s'élève  avic  force  contre  la  corruption  de^ 
l'esprit  public,  ei  Içs libelles  royaiisl'^s  répandus  de  tous  côtés; 
il  invite  ses  nouveaux  collègues  a  se  défier  des  insinuations  {\^s 


AL  30  FLOU.  AN  V  (  179o.l79()  ).  m 

ennemis  de  la  patrie,  et  conciut  en  demandant  Tordre  du  jour. 
Un  grand  nombre  d'oraieurs  demandent  îa  parole.  —  Les  débats 
sont  interrompus  par  Siéyes,  qui  propose  et  fait  adopter  la  no- 
mination d'une  nouvelle  commission  des  finances,  pour  recueillir 
tous  les  renseignemens  possibles  sur  cet  important  objet.  —  Ra- 
me!, dans  une  motion  d  ordre,  invite  tous  les  citoyens  instruits 
en  matière  de  finances ,  à  aider  le  gouvernement  de  leurs  lu- 
mières. (Impression.) 

Séance  du  50  frimaire. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  sur  le  projet  présenté 
par  Génissieu,  au  nom  de  la  commission  <ie  vérification  des  pou- 
voirs. Goupilleau  de  Montaigu,  J.  Aymé  et  Duplantier  deman- 
dent la  parole ,  chacun  pour  une  motion  d'ordre.  Goupilleau  l'ob- 
tient le  premier  :  il  dénorice  J.  Aymé  comme  ayant  perverti  le 
département  de  la  Drôme,  jusque-là  resté  fidèle  aux  principes 
républicains;  il  l'accuse  d'avoir  protégé  les  prêtres  insermentés, 
et  un  entre  autres  nommé  Hurie,  trouvé  porteur  d'une  bulle  du 
pape  ;  d'avoir  été  l'ami  de  Ltstang ,  le  Charette  du  Midi  ;  d'a- 
voir présidé  une  fé  Jération  de  vingt  mille  hommes  ,  dont  le  but 
était  d'exterminer  les  républicains  de  celte  partie  de  la  Franr'e , 
et  dont  Lestang  s'est  bientôt  déclaré  le  chef,  pour  commettre 
tous  les  genres  d'excès  et  de  crimes  contre  la  République;  d'a- 
voir fait  imprimer  des  placards  séditieux  et  contre-révolution- 
naires ,  dont  lui ,  J.  Ayn)é ,  a  écrit  la  minute  de  sa  main ,  et  d'a- 
voir tenu ,  à  Montélimart ,  la  conduite  d*un  chef  de  parti  roya- 
liste ,  d'après  plus  de  irenîe  attestations  qui  sont  entie  les  mains 
de  Goupilleau.  L'orateur  termine  par  une  déclaration  énergique 
de  ses  senlimens  républicains,  et  remet  ensuite  une  foule  de 
pièces  à  Génissieu,  comme  rapporteur.  Génissieu   se  récuse, 
parce  que  sa  famille  est  l'objet  des  persécutions  de  Job  Aymé  ; 
il  ajoute  de  nouvelles  charges  contre  ce  dernier,  et  le  peint  comme 
inspirant  la  terreur  aux  bons  eiioyens  des  dépaitemcns  méridio- 
naux, par  l'inlluefice  dont  ils  craignent  qu'il  ne  jouisse  au  corps 
éjjislatifjOÙ  ifs  le  voient  siéger.  Hardy  atteste  qu'un  mandat 


144  DIRECTOIRE.    —    DD   4    BRLM.    AN    IV 

«l'arrêt  a  déjà  été  dirifjë  contre  J.  Aymé ,  qui  s'y  est  soustrait  ;  il 
demande  l'examen  de  sa  conduite,  et  annonce  qu'il  votera  |x>ur 
son  exclusion  du  corps  léf][islaiif.  Guyoniard  aliesle  l'exaciitude 
du  fait  avancé  par  Hardy,  et  s'étonne  que  J.  Aymé  ne  soit  pas  en 
prison. 

J.  Aymé  a  la  parole.  11  débute  par  reprocher  à  Génissieu  de 
s'être  refusé  à  une  explication  avec  lui  :  il  nie  avoir  protégé  le 
prêtre  Hurie,  et  dit  que  les  réclamations  faites  en  sa  faveur  sont 
Touvrage  de  toutes  les  autorités  constituées  de  Montélimart  :  il 
déclare  n'avoir  fait  que  seconder  Jean  Debry  dans  ses  efforts 
pour  la  destruction  du  terrorisme.  Quant  aux  réunions,  elles 
n'avaient  pour  but  que  de  s'opposer  aux  attaques  du  parti  abattu 
le  9  thermidor.  11  nie  les  liaisons  qu'on  lui  a  supposées  avec  Les- 
tang ,  et  dénonce  Goupilleau  lui-même  pour  avoir  protégé  les 
assassins  d'un  habitant  du  département  de  la  Drôme.  Enfin , 
quant  à  sa  conduite  à  Montélimart,  elle  a ,  dit-il ,  été  conforme 
aux  lois.  Il  termine  par  ces  mots  :  «  J'aime  sincèrement  la  Ré- 
»  publique,  et,  quel  que  soit  le  résultat  de  cette  affaire,  je  ferai 
»  des  vœux  pour  sa  prospérité.  •  Lorsqu'Aymé  vient  reprendre 
sa  place  dans  le  conseil ,  la  plus  vive  agitation  se  manifeste  au 
lieu  où  il  siège.  Après  quelques  altercations,  le  calme  renaît. 
Tallien  ramène  la  question  à  son  objet  principal ,  la  loi  du  5  bru- 
maire :  il  demande  si  l'on  veut  faire  le  procès  à  la  journée  du 
-15  vendémiaire  :  il  dit  que  la  journée  du  9  thermidor,  si  belle 
dans  son  principe,  a  été  dégradée  par  des  hommes  qui  n'avaient 
rien  fait  pour  la  liberté;  enlin,  il  arrive  aux  accusations  dirigées 
contre  Aymé.  «Cet  homme,  s'écrie  l'orateur,  n'eût  jamais  dû 
»  entrer  dans  cette  enceinte  :  son  premier  acte  fut  un  faux  ;  ses 
»  premières  paroles,  un  mensonge.  »  La  protestation,  par  lui 
signée  le  8  vendémiaire  ,  le  place  sous  le  coup  de  la  loi  du  (i  bru- 
maire :  il  demande  qu'il  soit  à  l'instant  expulsé  du  conseil,  i  Aux 
voix  !  »  s'écrie  une  foule  de  membres.  J.  Aymé  répond  que  s'il 
est  dans  le  cas  de  la  loi  du  5  brumaire,  il  doit  être  jugé  d'après 
les  formes  consiitulionnclles  :  il  demande  à  cet  effet  que  la  haule- 
cour  nationale  soit  convoquée.  J.-l».  Louvet  prétend  qu'Aymé 


AU  30  FLOR.  AN  V  (17954797).  14f> 

doit  être  traité  comme  Charrette,  ou  le  ci-devant  comte  d'Ariois, 
s'ils  eussent  été  nommés  députes  par  des  chouans;  on  doit  lui 
appliquer  la  loi  du  5  brumaire.  Il  termine  par  la  demande  de 
Texamen  des  pièces  qui  le  concernent.  —  Un  message  du  direc- 
toire sur  les  finances  interrompt  la  discussion,  et  le  conseil  se 
forme  en  comité  secrer ,  pour  en  prendre  connaissaîice. 

Séance  du  4  nivôse. 

Voussen  ,  au  nom  -de  la  commission  de  vérification  des  pou- 
voirs, t'ait  un  rapport  sur  l'examen  des  pièces  concernant.!.  Aymé. 
Le  rapport  en  cite  particulièrement  deux  :  l'une,  signée  et 
avouée  par  Aymé,  servant  de  réponse  à  l'ex-représentant  Bour- 
sault  qui  avait  ordonné  son  arrestation  ,  lui  paraît  un  acte  sédi- 
tieux; la  seconde  est  un  arrêté  de  l'assemblée  primaire  de  Mon- 
télimart ,  présidée  par  Aymé,  et  en  date  du  8  vendémiaire  ,  par 
lequel  la  Conveniion  est  accusée  d'avoir  voulu  se  perpétuer,  et 
où  l'on  donne  aux  électeurs  le  maftJat  impératif  de  ne  pas  re(  oii- 
naîire  les  décrets  des  5  et  15  fructidor,  quoique  la  Converiiion 
eût,  dès  le  1^"^  vendémiaire,  déclaré  leur  acceptation  par  le  peu- 
ple français.  Voussen  pœsenle  un  piojet  de  résolution  qui,  iuix 
termes  de  la  loi  du  5  bru-naire,  exclut  J.  Aymé  de  toutes  fonc- 
tions publiques  jusqu'à  la  paix.  Bornes,  dans  un  discours  suu- 
vent  interrompu  par  des  murmures  et 'des  interpelîaiions: ,  de- 
mande qu'on  ne  laisse  pas  davnniage  le  consrildans  l'incertitude, 
à  l'égard  des  députés  de  la  î:omination  desquels  on  veut  attaquer 
la  vadilif.é.  Hardy  annonce  qu'un  député  nouveiiement  élu  s'est 
poignardé  :  c'est  Chapelain,  qui  a  déposé  dans  Taffaire  du  géné- 
ral Turreau.  Chénier,  après  avoir  essuyé  des  murmures  et  des 
interruptions  ,  vote  rex|)nlsion  d'Aymé.  Crasfous  de  rilernult, 
sans  défendre  Aymé,  pense  que  la  loi  du  5  brumaire  ne  déiruit 
pas  son  élection  ;  et  i!  pose  ainsi  la  question  :  «  J.  Aymé  a-t  il,  ou 
»  non,  reçu  le  caracitr;^  de  représeniant  du  peuple?  Dans  le 
*  premier  cas,  les  forines  coîistiiuiir.nnelles  lu*  sont-elles  appli- 
»  cables?  »  Bourdon  la  réduit  à  ce  point  unique  :  «  ,î.  Ayméa-t-il, 
»  oui  ou  non,  signé  l'acte  qui  lui  en  impute?»  Madi^^r  dit  que  c'est 

T.    NXWII.  10 


146  DIRECTOIRE.    ~    bC   4   BRCM.    AN   IV 

la  question  de  garantie  qu'il  faut  franchement  aborder.  Bentabole, 
interrompu  souvent  par  d^^s  murmures,  fait  observer  que,  n'osant 
point  attaquer  la  loi  du  5  brumaire,  on  veut  l'éluder.  Ces  mots 
l^rononcés  par  lui  :  si  le  nouveau  tiers  est  de  bonne  foi,  excitent  du 
trouble  dans  le  conseil  :  Toi  ateur  conclut  au  rejet  de  la  propo- 
sition de  Crassous.  Buissy  soutient  que  les  observations  de  Cras- 
sous  sontl^s  seules  justes,  et  demande  que  J.  Aymé  soit  accusé 
suivant  les  formes  voulues  par  la  ronstiiuiion.  Pastoiet  s'élève 
contre  la  distinction  d'anciens  et  do  nouveaux  reprév<entans;  nous 
sommes  tous,  s'écrie-t-il ,  les  erfans  d;>  h  consiilution  ;  il  voue 
à  rexécration  celui  qui  pourrait  rejjrcjtier  un  maître  et  la  tyran- 
nie, et  termine.par  demander  l'impression  iies  pièces  et  l'ajour- 
nement de  la  discussion.  —  Cette  proposition  fut  adoptée. 

La  même  tentative,  pour  faire  prononcer  la  CŒimiission  le  vé- 
riliiaiiondi  s  pouvoirs,  avait  éié  faite,  quelques  jours  au  para- 
vant,  au  cons*  il  des  anciens  ;  muistlle  avait  été  éoariée  par  l'or- 
dre i-u  jour.  Les  commi>sions  terminèrent  leur  travail  au  com- 
mencomenldv^  janvier  i79G.  Le  rapport  de  celle  des  Cinq  Cents 
fut  fait  par  Genissiéux.  Il  proposa  d'exclure  quelques  membres, 
les  un»comme  parents  d'émigrés,  les  autres  comme  inscrits  sur 
les  listés  de  rémigration,  etc.  Ce  ne  fut  pas  sans  de  longs  et  vifs 
débats  que  quelques  ex-conventionnels  parvinrent  à  faire  exclure 
J.  Aymé  ,  Mersau  du  Loiret ,  et  en  suspendre  plusieurs  autres. 
Cet'e  discussion  employa  (eut  le  mois  de  janvier  et  une  partie  de 
relui  de  février.  La  majorité  se  montra  très-indulgente;  il  suffit, 
pour  en  donner  ù  juger,  de  dire  que  le  passa  à  l'ordre  du  jour  à 
l'oecasion  du  député  Vaublanc,  qui  avait  été  condamné  à  mort 
par  l'une  dos  com'uissions  militaires  établies  à  Paris  par  suiie  du 
15  vendémiaire;  cependant  Vaublanc  ne  vint  prendre  séance  et 
prêter  serment  t\ue  le  2  septentbre  suivant.  L'ordre  du  jour  fut 
<^or:ilf.ment  pr-moncé  à  l'occasion  d'ime  dénonciation  des  citoyens 
(le  Toulon  contre  le  depuié  Siiuéon,  qu'i  s  accusaient  d'être  l'un 
(les  traîtres  qui  Ibrèrent  ce  port  aux  Anglais.  Simeoii  nia  le  fait, 
attencu  qu'il  n'était  pas  à  Tou'on  ,  mais  il  coflviut  qu'il  eut,  de 
?ïF»rs»Mlle,  où  il  séjournait,  do^  pourparh^rs  avrc  les  ennemis. 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  147 

Ainsi,  pour  n'être  pas  repoussé,  c'était  assez  d'avoir  un  prétexte, 
c'était  assez  de  n'être  pas  rifjoureusement  dans  les  cas  spécifiés 
par  la  loi  du  5  brumaire.  Au  conseil  des  anciens,  les  choses  se 
passèrent  plus  tranquillement  encore.  La  vérification  fut  terminée 
en  quelques  jours. 

Les  résultats  des  débats ,  auxquels  donrièreat  lieu  la  vérifica- 
tion des  pouvoirs,  étaient  de  nature  à  attirer  l'attention  d'un  gou- 
veriïement  qui  se  fût  préoccupé  de  l'avenir.  Ils  prouvaient  que  les 
tendances  monarchiques  étaient  loin  d'avoir  disparu  en  France. 
Elles  se  manifestèrent  encore  à  l'occasion  de  la  célébration  du 
21  janvier,  anniversaire  de  la  mort  du  Louis  X  VL  Le  public,  à  celte 
occasion,  put  être  étonné  de  l'audace  de  l'opposition.  Dans  les 
conseils  on  osa  parler  contre  la  célébration  d'un  tel  anniversaire. 
Un  {jrand  nombre  de  journaux  osèrent  plus  encore  ;  ils  allèrent 
jusqu'à  déplorer  cet  événement  ;  ils  plaignirent  la  victime  et  flé- 
trirent les  bourreaux.  Cependant  on  décida  qu'une  cérémonie 
commémorative  aurait  lieu.  Le  décret  était  rédigé  en  ces  termes  : 

Résolution  du  22  nivôse,  an  IF,  adoptée  auocl  cinq -cents  sur  les 
propositions  réunies  de  Duhot  et  de  Hardy;  approuvée  le  25  par 
les  anciens. 

«  Le  conseil  des  cinq-cents,  considérant  que  le  premier  besoin 
d'un  peuple  libre  est  Je  célébrer  l'époque  où  il  s'est  affranchi  de 
la  tyrannie ,  déclare  qu'il  y  a  urgence ,  etc. 

»  Art.  ler.  Le  1er  pluviôse  prochain,  jour  correspondant  au 
21  janvier,  le  directoire  exécutif  fera  célébrer,  par  toutes  les 
communes  de  la  République  et  par  les  armées  de  terre  et  de 
mer,  l'anniversaire  de  la  juste  punition  du  dernier  roi  des  Fran- 
çais. 

»  2.  Ce  jour,  à  midi  précis,  le  président  de  chaque  conseil  du 
corps  légij,laiif  prononcera  un  discours  relatif  à  cette  époque  mé- 
morable, fcl  recevra  le  serment  des  représenians  du  peuple,  qui, 
individuellement  et  à  la  tribune,  jureront  haine  à  la  royauté.  * 

Cette  cérémonie  eut  lieu,  en  effet,  avec  un  éclat  qui  rappelait 


148  DIRECTOIRE.    —    Di:   4   BRUM.    AN    IV 

la  magnificence  déployée,  dans  de  pareilles  circonsiances,  sous 
le  régime  conventionnel.  Mais,  ces  apparences  ne  changeaient 
point  la  situaiiou. 

Le  directoire  avait  obtenu  quelques  jours  avant  l'approbation 
d'un  message  dans  lequel  il  demandait  la  création  d'un  septième 
ministère ,  le  mini^lère  de  la  police  de  Paris.  Cette  demande  faite 
le  5  nivôse,  fui  approuvée  après  une  légère  opposition  dans  les 
deux  conseils  ;  elle  reçut  force  de  loi  par  l'acceptation  du  conseil 
des  anciens,  le  1:2  nivôse.  Le  directoire  confia  l'organisation  ^e 
ce  ministère  à  Merlin  (de  Douai) et  il  appela  Genissieux  pour  le 
remplacer  à  la  justice.  Chaque  jour  qui  s'écoulait  démontrait 
de  plus  en  plus  la  nécessité  d'une  surveillance  spéciale.  La  Con- 
stitution éiait  en  vigueur  depuis  quelques  mois  seulement  et  per- 
sonne ne  croyait  qu'elle  dut  durer,  tant  le  peuple  s'y   montrait 
peu  attaché;  tunt  l'exaspération  des  represenians  des  partis 
extrêmes  de  la  révolution,  placés  en  dehors  de  la  Convention, 
paraissait  {jrande;  tant  le  pouvoir  seujblait  faible.  Ce  n'était 
point  l'éclat  des  maniFtslatioriS  publiques ,  ni  la  répétition  des 
sermens  qui  eussent  pu   ranimer  ou  rassurer  l'opinion  à  cet 
(•p-ard.  Le  grand  nombre  était  préoccupé  de  ses  embarras  indu- 
striels. On  vit  avec  indifférence  le  retour  des  prisonniers  remis 
f  n  libellé  par  l'AutriclK^  en  échange  de  cette  fille  d*^  Louis  \VT 
(|ui  s'appela  plus  tard  la  duchesse  d'Angoulème.  La  réception 
que  leur  firent  les  conseils  fut  cep  -ndant  brillanic.  Dans  une  pre- 
mière séance  des  cinq-cents  (le  î2-2  nivôse).  Camus  fit,  en  leur 
nom  ,  le  récit  de  sa  captivité  e*.  de  celle  de  Beurnonville,  Maret 
et  Semonville.  La  séance  du  î25  fut  consacrée  presque  tout  en- 
tière à  entendre   le  récit  de  l'ex-représentant  Drouet  ;  en  voici 
l'analyse  : 

11  était  repn-sentant  du  peuple  à  Maubeuge  alors  assiégée 
par  les  Autrichiens;  il  fallait,  pour  sauver  la  ville,  traverser  le 
camp  ennemi  et  se  rendre  à  Paris;  Drouet  se  chai gea  de  celte 
mission  dangereuse  ,  avec  cent  dragon  d'élite.  Il  s'égare  dans  la 
ténèbres  de  la  nuit,  et  tombe  dans  un  fossé  ,  où  il  e>l  taillé  à  coups 
de  sabre  par  les  Autrichiens.  Revenu  à  lui ,  il  rst  arrêté  et  cen- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  149 

diiitau  camp  ennemi.  Il  se  dorme  pour  un  officier  français;  mais 
ayant  ensuite  déclaré  sa  qualité  de  représentant  du  peuple ,  et 
étant  connu  pour  l'arrestateur  de  Louis  XYl ,  il  fut  accablé  de 
mauvais  trailemens.  Amené  devant  le  général  Latour,  celui-ci 
eut  la  barbarie  de  le  frapper  ù  plusieurs  reprises,  quoiqu'en- 
chaîné ,  désarmé  et  couvert  de  blessures  ouvertes.  Drouet  ren- 
contra cependant,  parmi  les  Allemands,  des  ûmes  compatissan- 
tes. Jeté  dans  un  cachot  infect  à  Luxerabourg  ,  puis  irunsferé  en 
Moravie ,  dans  la  forter^'sse  de  Spiltzberg ,  il  ne  songea  qu'à  son 
évasion.  L'amour  et  le  désir  de  la  liberté  lui  font  briser  ses  bar- 
reaux ,  se  créer  une  espèce  de  parachute ,  et  enfin,  le(3  juillet  1794, 
il  s'élance  avec  sa  frêle  machine  dans  un  abiine  de  deux  cents 
pieds  d'élévation...  Il  se  casse  un  pied  en  atteignant  la  terre:  il 
veut  se  rf  lever,  il  ne  peut,  eî  la  douleur  le  fait  bientôt  découvrir. 
Resserré  plus  que  jamais  dans  sa  prison  ,  elle  (ût  été  son  tom- 
beau-, si  sa  patrie  n'en  eût  enfin  ouvert  les  portes.  Dans  une 
déclaration  laissée  par  Drouet  à  Tinilant  de  l'essai  de  son  éva- 
sion ,  on  lisait  :  «  Si  je  dois  périr  tout  à  l'heure,  avant  d'expirer, 
je  demanderai  vengeance  des  insulies  faites  à  un  représentant  du 
peuple  français  ;  je  la  demanderai  à  mes  amis ,  à  mes  parens ,  à 
mon  Dieu,  à  mon  pays,  je  pars...  »  On  voia  l'impression  de  ce 
rapport  et  la  traduction  dans  toutes  les  langues. 

Après  la  vérification  des  pouvoirs  ,  après  toutes  ces  conces- 
sions que  Ton  pouvait  considérer  de  la  part  du  nouveau  tiers 
comme  faites  aux  exigences  révolutionnaires,  et  de  la  pari  des 
ex-conveniionnils  coiimie  faites  à  un  patsé  qui  leur  était  person- 
nel ,  la  majorité  des  conseils  s'niiachu  particulièiCment  à  obtenir 
(rois  résultats,  qu'elio  poursuivit  simulianément,  cl, ,  en  quelque 
sorte,  sans  désemparer.  L'un  était  de  rétablir  l'ordre  dans  l'ad- 
ministration ;  l'autre  éia'l  de  imprimer  les  opinions  qui  ten- 
daient à  chanjjer  le  siaïuquo  ;  la  troisième  de  funifi^r  le  gouver- 
nement. Pour  atteindre  le  premier  de  ces  buis  ,  il  fallait  d'abord 
rétablir  les  finances;  aussi  fut-on  presque  constamment  occupé 
de  ce  sujet  qui  forma  en  (juehiue  sorte  la  base  el  la  conti- 
nuité desotcupaiions  des  conseils.  Nous  en  parlerons,  ainsi  i|uc 


IM)  DIRECTOIRE.    —    DL    4    BRLM.    AN    IV 

nous  l'avons  déjà  annoncé ,  dans  un  chapitre  à  part.  11  iallait  de 
plus  l'aire  exécuter  les  lois,  ei  pour  cela  en  expliquer  quelques- 
iint's  ,  en  corriger  qu.^lques  aulios  qu'on  trouvait  trop  sévères, 
particulièrement  celles  relatives  aux  émigrés,  effacer  le  provi- 
soire, combler  les  lacunes.  Il  nous  serait  impossible  de  meuiion- 
uer  les  nombreuses  décisions  qui  furent  rendues  dans  ces  di- 
verses directions.  Les  conseils  votèrent  une  loi  sur  la  désertion, 
et  afin  de  faire  rejoindre  tous  les  hommes  qui  n'avaient  pas  obéi 
aux  réquisitions  précédentes;  ils  tirent  un  règlement  pour  la  ma- 
rine ;  ils  oî  ganisèrent  l'Instiiut  ;  la  garde  nationale  de  Paris.  Dans 
l'intéréi  de  comprimer  les  opinions  hostiles  au  gouvernement  ;  il 
fallait  arrêter  ce  que  l'on  appelait  les  excès  de  la  presse ,  et  sup- 
primer les  réunions  populaires  ou  de  toute  aiitre  espèce  consa- 
crées à  la  politique  ;  en  un  mot,  réduire  au  silence  et  au  repos 
toute  manifestation  des  partis  qui  voudrait  se  faii  e  jour  aulre- 
ujent  que  par  les  voies  légales  ;  de  nombreuses  séances  farent 
consacrées  à  examiner  îa  question  de  la  presse.  Ce  fut  aux  cinq- 
cents  qu'elle  fut  soulevée.  Delaunay,  dans  une  motion  d'ordre, 
s'éleva  contre  la  licence  des  écrivains  ;  il  désigna  comme  égale- 
ment dangereux  et  ceux  qui  atttjquaient  le  9  thermidor,  et  ceux 
qui  reproduisaient  les  cpinions  vaincues  au  15  vendémiaire.  Il 
demanda  en(in  qu'on  s'occupât  de  rechercher  si  les  circonstances 
ne  rendaient  pas  néce^^sairc  une  loi  prohibitive  tie  la  lil^crté  de  la 
pressa.  On  nomma  une  commission,  puis,  sur  la  motion  de  Tal- 
lien,  on  déiida  que  le  onseil-n'atteiidrait  point  son  rapport  et 
passerait  outre.  Lu  discussion  fut  ouverte.  Cadroy,  Darracq, 
Doulcet;  se  piononcèreut  pour  la  hberié  indéfinie. 

Bois>y-d'An(;las,  Lemerer,  demandèrent  une  loi  qui  réprimât 
les  (iclits  commis  par  la  voie  de  la  presse.  Enfin,  Louvet,  Jean 
Debry,  1> upuis,  demandèrent  un  décret  restrictif  de  cette  li- 
bellé. Le  conseil  passa  à  l'ordre  du  jour.  On  était  loin  en  effet 
d'être  d'accord.  L'opposition  ne  pouvait  vouloir  se  priver  d'un 
nuiven  dont  les  excè^,  njème  ceux  qui  partaient  de  l'opinion  qui 
lui  était  le  plus  contraire ,  tendaient  à  la  lortitier.  Enfin  ,  les  prin- 
cipes et  les  croyances  du  plus  grand  nombre  répugnaient  à  des 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  151 

restrictions  qui,  pour  valoir,  devaieni  être  entières.  L'opposition, 
dans  cette  circonstance ,  vota  cori«me  elle  le  fit  toutes  les  fois  qu'il 
s'a-yissait  d'accroître  la  force  du  directoire.  Elle  vit  un  moyen  de 
cet  ordre,  dans  le  pouvoir  d'opérer  les  radiations  sur  les  listes 
d'émi<jrés  qui ,  rnal^^ré  elle,  fut  accordé  aux  directeurs;  dans  les 
tonds  sollicités  par  le  ministre  de  la  police  pour  dépenses  secrè- 
tes. Mais,  la  majoriié ,  dans  ces  cas ,  terminait  toujours  eu  faveur 
de  ceux-ci  une  discussion  plus  ou  moins  vive.  La  police  d'ailleurs 
se  hâta  de  donner  des  preuves  de  son  existence. 

Le  9  nivôse  (4  mars-),  le  directoire  adressa  aux  cinq-cents  ua 
message,  par  lequel  il  annonçait  qu'il  venait  de  faire  «  fermer  les 
réunions  politiques  du  Scdon  dit  des  Princes,  à  Paris  ;  la  Réurdonde 
la  maison  Séritlij ;  la- Société  dite  des  Echecs,  au  Pa'.ais-E^aiité ; 
la  Société  du  Panthéon  ;  la  Réunion  dite  des  Patriotes  ^  rue  Ta- 
ranne;  ensemble  le  théâtre  de  la  rue  Feydeau  et  l'église  Saint- 
André-dci-Arls.  Dans  plusieurs  de  ces  réunions,  lu  dictature, 
la  royauté,  la  Constitution  de  1791 ,  celle  de  1795 ,  l'esclavage 
et  la  loi  agraire  avaient,  disaii-il,  trouvé  des  partisans;- et  les 
orateurs  les  plus  fougueux  éîaient  entendus  avec  faveur  dans 
leors  provocations  contre  le  gouvernement.  Chénier,  en  donnant 
des  éloges  à  la  conduite  du  directoire,  demanda  la  formation 
d'ujje  commission  qui  examinerait  la  partie  du  mess;ige  qui  sol- 
licitait une  loi  pour  déterminer  les  Lornes  dans  lesquelles  les  as- 
sociations devaient  se  renfermer.  Lamarque  déclara  qu'il  regar- 
dait comme  un  ennemi  delà  République  quicouque  provoquait 
la  suppression  des  associations  formées  par  les  citoyeos  :  II-  roya- 
lisme, selon  lui ,  était  un  système  qui  avait  de  la  réalité,  que  l'on 
pouvait  mettre  en  pratique  ;  mais  il  ne  pouvait  exister  de  système 
d'anarchie  :  il  déclara  que  ceux  qui  proposaient  une  commission , 
avaient  en  vue  qu'il  en  résultât  une  loi,  la  moins  populaire  possi- 
ble ;  mais  que  de  tels  efforts  seraient  vains.  Celte  opinion  excita 
de  fréquois  murmures.  La  proposition  do  Chenier  fut  adoptée, 
et  le  conseil  ordonna  en  outre  l'impression  du  uies.NUge.  >  {Moni- 
teur. ) 

La  proposition  de  Chénier  n'eut  point  de  suites  c  les  cvéne- 


152  DlKtCrOIRE.    —    Dt    4   liRlM.    AN    iV 

iMcnsqui  survinrent  la  firent  mettre  ien  oubli.  L'oxaspération  de 
)a  presse  était  extièmc  ;  on  parlait  vn^uement  de  conspiration. 
«  P;>rlout ,  disait  l-ecointe-Puyravaux  aux  cinq-cents  (  séance  du 
iiSj^erminuI —  17  avril),  on  rencontreles  symptômes  avanl-cou- 
reurs  des  niouve^ens  séditieux  ;  partout  se  forment  des  {jroupes, 
où  des  orateurs  effrécés  prêchent  ;  ici,  la  Constitution  de  1)1  ;  là , 
celle  dP:  1)3;  ailleurs,  l'auarchie  avec  toutes  ses  horreurs.  Mais 
tous  ces  motionneurs,  si  divergens  en  apf^'arence,  n'ont  dans  la 
vérité  cju'un  but,  c'est  l'anéantisseuient  de  la  République  et  du 
{{ouvernement  actuel.»  {Journal de  Paris..)  La  majorité  accueillit 
doue  avec  laveur  un  nouveau  messao^e  du  directoire,  qui  sol- 
licitait une  loi  propre  à  mettre  la  police  à  même  d'éloigner  de 
Paris  une  toulo  d'étrangers  et  dinconnus  qui  s'y  étaient  réunis, 
d'en  bannir,  en  un  mot,  les  suspects.  Celle  autorisation  lui  fut 
donnée. 

Le  lendemain  (  î27  germinal  ) ,  ou  vola  ,  encore  sur  la  demande 
i\u  directoire,  uueloi  pénale  très-sévère,  contre  les  provocateurs 
à  la  royauté,  à  )a  coustilulion  de  1795,  au  pillage  des  propriétés, 
au  massacre  du  corps  législatif,  et  contre  ceux  qui  se  trouve- 
raient dans  les  rassemblemens  «cai  se  commettraient  ces  délits. 
Celle  lui  passa  sjls  que  l'opposition  y  lîi  la  uioindre  objection  ; 
elle  commençait  eu  effet  à  .savoir  qu'on  ne  la  ferait  pas  servir 
contre  e\h'. 

L'agitation  de  la  ville  détermina  le  directoire  à  faire  afficher 
une  proclamaiiou,  dans  laquelle  il  désignait  sous  le  nom  de  ma- 
nœuvres rovalistes  les  tentatives  qu'il  redoutait.  En  même  temps, 
le  uiinistrede  la  police,  qui  était  alors  Cochon  ,  déployait  la  plus 
.jjrande  surveillance.  H  connaissait  déjà  la  nature  du  danger  qui 
menaçait  le  gouvernemeni.  Un  dénonciateur  le  lui  avait  fait  con- 
naître; et,  en  elïet ,  à  peine  une  quinzaine  de  jours  s'étaient 
écoulés,  qu'un  message  du  directoire  apprit  aux  conseils  et  au 
public  qu'on  venait  de  découvrir  la  conjuration  dont  on  soupçon- 
nait depuis  quelque  temps  l'existence. 

>.  Citoyens  législateurs,  disait  le  mcjsagc,  un  horrible  com- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  179o-1797  ).  455 

plot  devait  éclater  demain  dès  la  pointe  du  jour  (^  )  ;  son  objet  était 
de  renverser  la  Constitution  française ,  d'égorger  le  corps  légis- 
latif y  tous  les  membres  du  gouvernement ,  l'éiat-major  de  l armée 
de  l'intérieur  ,  toutes  les  aulorflés  constiiuées  de  Paris ,  de  livrer 
celte  grande  commune  à  un  piliage  général  et  aux  plus  affreux 
massacres.  Le  directoire  exécutif,  infornié  du  lieu  où  les  chefs  de 
celte  afiVouse  conspiration  étaient  assemblés  et  tenaiôiit  leur  co- 
mité de  révolte ,  a  donné  des  ordres  pour  les  foire  arrêter.  Plu- 
sieurs d'entre  eux  l'ont  été  en  effei;  et  c'est  avec  douleur  que  nous 
vous  apprenons  que  parmi  eux  se  trouve  l'un  de  vos  collègues , 
le  citoyen  Drouet,  pris  en  fla^^rant  délit....»  Le  reste  du  mes- 
sage était  relatif  à  diverses  autorisations  que  le  gouvernement 
demandait  pour  poursuivre  la  découverte  du  complot.  Cette  com- 
munication était  signé  Carnot ,  président,  et  datée  du  20  floréal 
(9  mai). 

Tout  ce  que  le  direcioire  deaiandait  lui  fut  accordé.  On  dé- 
créta que  tous  les  ex-convenlionnels,  tous  les  fonctionnaires  des- 
tilués,  tous  les  militaires  .-ans  emploi,  elç.,  seraient  tenus  de 
quitter  Paris  dans  trois  fois  vingt-quatre  heures ,  et  de  se  retirer 
à  dix  lieues  de  cette  ville,  sous  peine  de  déportation.  Cette  me- 
sure violente  fui  volée  en  deux  séances  aux  cinq-cents.  Quelques 
ex-conventionnels  prirent  en  vain  la  parole  pour  en  défendre  leurs 
anciens  collègues;  leurs  voix  furent  étouffées.  Aux  anciens,  on 
vola  ijprès  la  lecture;  c'est  que  l'on  s'effrayait  au  fur  et  à  mesure 
(jue  l'on  recevait  des  détails  sur  la  conjuration  et  sur  les  projets 
des  conjurés.  L'histoire  de  cette  aih'ive  a  été  publiée,  en  i82S, 
à  Bruxelles,  par  l'un  des  principaux  acteurs,  Ph.  Buonarotti. 
IN'ous  nous  servons  de  ce  iravaii  pour  en  faire  Tesquisse. 

Le  prejî.ier  noyau  de  celle  conspiration  fut  formé  dans  les 
prisons  où  avaient  été  accumulés  les  patriotes  incarcérés  par  suiie 
de  la  réaction  de  thermidor  et  de  prairial.  11  se  forma  là  une  secte 
dont  les  membres  s'appelaient  entre  eux  les  Égaux.  Remis  en  li- 
berté après  les  journées  de  vendémiaire,  quelques-uns  d'entre 

(J)  Unis  les  luols  soulignés  Ictaieul  égalcmetil  daus  l'original. 


154  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRUM.    AK    IV 

eux  pensèrent  à  former  un  centre  de  direction  ;  c'étaient  Babeul', 
{jiîonarotii,  Fontenellp  ,  fMc.  On  s'occupa  d'abord  de  former  une 
société  pybliqiTe  qui  fut  propre  à  servir  de  pépinière  pour  recru- 
ter une  àociéié  secrète  ,  de  moyen  pour  ranimer  f  opinion  publi- 
que, et  pour  couvrir  des  pruj(  tb  pius  sérieux.  Ce  fut  dans  co  but 
que  l'on  ouvrit  le  club  du  Panthéon.  Babeuf  y  parut  pcu,  et  bien- 
tôt cessa  lout-à-fait  d'y  paraître.  Poursuivi  par  ordre  du  direc- 
toire.' qu'il  attaquait  dans  ion  Tribun  du  peuple ^  il  fut  obligé  de 
sj  cacher,  mais  n'en  continua  pas  raoins  à  faire  paraître  son 
journal  et  à  coiiimuniqucr  avecles comités  secretîi.  Le  but  défini- 
tif de  ces  réunions  était  de  préparer  un  mouvement  et  d'anéantir 
la  Coni^tilution  de  Tan  111.  Mais,  on  pensa  qu'il  fallait  d'abord 
tomber  d'ac -ord  sur  le  système  à  substituer  au  système  que  l'on 
voulait  renverser.  C'est  ici  que  Babeuf  prit  la  principale  influence  ; 
on  adopta  sa  doctrine  ,  et  ce  fut  à  cuuse  de  ceîa  mêfi.e  (jue  cette 
con^pi^ation  prit  le  nom  de  conspiration  Babeuf.  Du  moment, 
en  effet,  où  le  système  de  Baleuf  eut  été  accepté  par  les  conju- 
res ,  il  ne  s'ajjissait  plus  seulement  de  chasser  un  gouvernement , 
de  remplacer  uneforaippo^itiquopar  une  autre,  mais  de  renverser 
l'organisation  sociale  piésente,  et  de  lui  en  substituer  une  autre 
t{>ule  nouvelle  ,  fondir  siir  le  principe  premier,  que  la  propriété 
individuelle  est  la  cause  de  l'esclavage,  <]ue  la  société  doit  être 
conçue  comme  une  communaulé  do  biens  et  de  travaux ,  que 
le  but  de  cette  société  est  le{]^  lié  de  s  tra\aux  et  d^s  jouissan- 
ces, etc. 

Cependaijt  le  cou)ité  secret ,  quis'ocupait  de  prépanr  l'appli- 
cation de  ces  principes,  ne  fut  pas  toujours  composé  des  mêmes 
personnages.  11  fut  modifié  plusieurs  fois  ;  quelques-uns  des  mem- 
bres no  purent  consentir  à  délibérer  en>emble  par  suite  de  haines 
personnelle •  ;  quelfiues  autres,  parce  qu'ils  n'accordaient  pas 
l'ensemble  des  pi  incipes.  On  s'arrêta  enfin  5  la  Constitution  de  95, 
comme  point  de  ralle  r.rnî  pour  les  patriotes,  et  comme  moyen 
de  transition  vers  le  li.'.t  délinitif  f|ue  l'on  si'  proposait.  Pendant 
ce  temps,  on  essayait  l'opinion  publique;  on  développait  des 
parlit^s  du  système  dans  des  écrits,  des  brochures,  et  'dans  le 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  155 

journal  de  Babeuf.  On  en  était  là ,  lorsque  le  club  du  Panthéon 
fut  fermé  par  ordre  de  l'autorité.  Ce  fut  Bonaparte  lui-même , 
alors  commandant  de  Tarmée  de  l'intérieur,  qui  vint  présider  à 
la  dissolution  de  la  société  et  prendre  les  clefs  de  la  salle.  La  dis- 
persion de  la  réunion  publique  n'empêcha  pas  celles  qui  avaient 
lieu  secrètement.  Au  commencement  de  germinal ,  Babeuf ,  An- 
tonelle,  Sylvain  Maréchal,  Buonarotti  et  quelques  autres,  con- 
stituèrent un  directoire  secret  de  salut  public ,  dans  le  but  de 
rallier  les  patriotes ,  et  de  leur  donner  une  impulsion  commune. 
Le  premier  soin  de  ce  directoire  fut  de  faire  publier  une  analyse 
de  la  doctrine  de  Babeuf.  Ensuite,  douze  agens révolutionnaires 
furent  chargés  d'organiser  les  douze  arrondissemens  de  Paris. 
D'auires  aijcns ,  dits  militaires,  furent  chargés  de  former  une 
oaganisaiioii  dans  la  i'orce  armée.  On  s^occupa  pariiculièrement 
de  la  lëgiuu  dite  de  police,  et  des  iroupes  réunies  au  camp  de 
Grenelle.  Le  soin  de  former  un  noyau  d'insurrection  parmi  ces 
dernières,  fut  confié  à  un  ceriain  Georges  Grisel.  Quant  à  lu  lé- 
gion de  police ,  composée  d'hommes  qui  avaient  long-temps  servi 
le  tribunal  révolutionnaire  et  la  corniviune  de  Paris,  elle  fut  tel- 
lement remuée  par  ces  tenîatives ,  que  le  gouvernement  en  prit 
des  soupçons ,  obtint  des' conseils  de  l'envoyer  aux  frontières ,  et 
en  définitive  lui  ôta  son  nom.  D'autres  agens  furent  destinés  à 
parcourir  les  cafés,  les  lieux  publics,  à  y  prendre  la  parole,  à 
exciter  des  aiiroupemens  qui  s'occupassent  de  politique.  Un 
journal  ayant  pour  titre  i'Êclaireur,  se  chargea  de  répandre  la 
doctrine  dans  les  classes  pauvres.  La  publicité  de  ces  écrits,  et 
particulièrement  des  plus  audacieux,  était  favorisée  par  les  jour- 
naux royalistes  et  ministériels  eux-mêmes  ;  on  les  transcrivait 
comme  des  chefs-d'œuvrcs  d'extravagance  et  d'audace,  et  l'on 
ne  se  doutait  pas  que  l'on  servait  ainsi  les  intentions  secrètes  d'un 
parti.  Coifut  de  celte  manière  que  plusieurs  écrits  acquirent 
une  publicité  que  ce  dernier  n'aurait  pu  leur  donner,  et  entre 
plusieurs  autres  :  Lettre  d'un  franc  libre  soldat  de  l'armée  CïrcO' 
Parisienne ,  à  son  ami  la  Terreur,  soldat  de  l'armée  du  Rhin  , 
lettre  écrite  dans  le  style  du  père  Duchfsne.  Tous  ces  efforts,  non 


i56  DIRECTOIRE.    —   DU    4   BRL'M.    AN   IV 

moins  que  la  marche  des  conseils,  commençaient  à  agiter  le  pu- 
blic. Le  directoire  secret  aussi  commença  à  s'occuper  directement 
de  l'insur  reciion.  Il  arrêta  un  acie  iusunecteur  dont  la  publica- 
tion devait  être  le  signal  de  la  nouvelle  révolution. 

Outre  les  di^^positions  directement  relatives  à  la  destruction 
des  autorités  consiituéps,  cet  acte  renfermait  plusieurs  mesures 
législatives  destinées  à  justifier  aux  yeux  du  peuple  les  inten- 
tions du  directoire  secret ,  et  à  Tintéresser  à  son  entreprise.  Les 
voici  : 

Distribution  ,  aux  défenseuis  de  la  patrie  et  aux  malheureux, 
des  biens  des  émigrés ,  des  conspirateurs  et  de»  ennemis  du 
peuple  ; 

Logement  immédiat  des  malheureux  dans  les  maisons  des  fau- 
teurs du  pouvoir  actuel  ; 

fifestitution  des  effets  du  peuple  déposés  au  Mont-de-Piété  ; 

Adoption  par  le  peuple  des  épouses,  enfans,  pères,  mères, 
frères  cl  sœurs,  des  citoyens  morts  dans  l'insurrection,  qui 
étaient  nécessaires  à  leur  existence. 

Cet  acte  propre  à  mettre  en  mouvement  tous  les  bandits  que 
j enfermait  Pat  is ,  étant  rédi^jé  ,  le  comité  central  se  mit  en  rap- 
port avec  un  comité  militaire  dont  faisaient  partie  Fyon,  Germain, 
Mosjïart,  lîossignol  et  Grisel.  Par  Rossignol  et  Fyon,  on  entra  en 
pourparlers  avec  quelques  ex-conventionnels  montagnards  qui 
s'occupaient  aussi  de  préparer  un  mouvement.  INous  ignorons 
les  noms  des  membres  de  ce  comité  montagnard;  nous  voyons 
seulement  (ju'Amar,  Javugues  ,  Uobert-Lindet,  Ricord,  et  peut- 
être  Drouel,  en  faisaient  partie.  La  position  de  Drouet  était  par- 
iculière.  A  sou  retour  des  prisons  autrichiennes,  il  s'était  trouvé 
({ue  six  places  étaient  vides  aux  cinq -cents  ;  après  bien  des  dis- 
cussions, on  venait  de  décider  qu'elles  seraient  remplies  par  des 
r\-conveniionnrls  que  le  conseil  choisirait.  Drouet  avait  été  du 
au  mojnenl  même  où  il  conspirait .  comme  nous  le  voyons.  11 
|)jraît  aussi  (|uc  Barrrrc  et  Vadiei  n'i{jnoraieut  rien  du  complot. 
Quoiqu'il  en  fut,  les  deux  comités  se  réunirent.  Babeuf,  Buona- 


,  AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  157 

roui,  Darlhé,  Fyon,  Massait,  Rossignol,  Roberl-Lindel,  Droiiet, 
Ricord,  Javogiies,  Grisel  et  quelques  autres  s'y  trouvaient.  On 
convint  des  faits  et  l'on  se  sépara.  A  peine  les  conjurés  étaient'ils 
sortis ,  que  la  police  se  présenta  ;  mais  elle  ne  trouva  plus  que 
Drouet  et  Darlhé ,  auprès  desquels  eiie  s'excusa,  et  qu'elle  laissa 
en  liberté.  Déjà  ,  quelques  jours  auparavant ,  elle  avait  fait  une 
descente  chez  Ricord ,  où  devait  avoir  lieu  une  réunion  qui  plus 
tar.d  avait  été  remise  à  un  autre  moment.  Ces  mouvemens  de  la 
police  ne  firent  point  soupçonner  aux  conjurés  qu'il  y  eût  un  traî- 
tre parmi  eux;  ils  continuèrent  à  se  voir.  Déjà  ils  préparaient 
l'insurrection  ;  ils  avaient  compté  leurs  forces.  Voici  l'éiat  que 
nous  en  trouvons  dans  l'histoire  de  Buonarotti. 

Révolutionnaires .  4,000 

Membres  des  anciennes  aatorilés 1,500 

Canonniers 1,000 

Officiers  destitués 500 

Révolutionnaires  des  départemens, 1,000 

Grenadiers  du  corps  législatif 1,500 

Militaires  détenus 500 

Légion  de  police  (I). 0,000 

Invalides 1,000 

Total.     17,000 

Les  conjurés  étaier^t  ainsi  occupés  à  calculer  les  chances  ,  et  à 
disposer  leurs  moyens,  lorsque  ie  minisire  de  la  police,  fatigué 
(le  ne  pouvoir  les  saisir  réunis,  les  fit  arrêter  séparément  ie  ma- 
tin du  21  floréal.  Babeuf  et  Ruonaroîti  furent  trouvés  ensemble; 
Darthé,  Germain,  Drouet,  etc.,  furent  pris  chez  un  nommé  Du- 
four,  occupés  à  fixer  le  jour  du  mouvement.  Depuis  le  15  Horéal^ 
le  gouvernement  était  averti  des  démarches  des  conjuri-s  par 
Georges  Grisel ,  l'un  d'eux. 

On  se  hàla  de  faire  le  dépouillement  des  papiers  saisis  dans  les 

(l)  La  Ij^gion  <le  police  nVlail  plu»  :i  Paris,  rommo  nnns  l'nvons  vu. 


158  DIRECTOIRE..—    DU    4    BRLM.    AN    IV 

deux  réunions,  et  au  fur  et  à  mesure,  on  en  donnait  connaissance 
au  conseil  des  cinq-cents,  et  laies  journaux  en  recueillaient  l'ana- 
lyse. Si  Ton  doit  en  croire  les  souvenirs  contemporains,  ces  dé- 
tails irritèrent  vivement  la  population.  La  réprobation  qui  ac- 
cueillit ces  projets  fut  presque  unanime. 

Qu'y  trouvait-on  ?en  effet,  un  système,  une  doctrine  qu'avaient- 
repoussé ,  sous  le  nom  d'Hébertisme ,  les  fauteurs  même  du  ré- 
gime de  la  terreur,  c'est-ù-dire  quelque  chose  qui  avait  effrayé 
les  hommes  mêmes  que,  depuis  dix-huit  mois ,  on  ne  cessait  de 
présenter  comme  des  scélérats ,  auteurs  de  toutes  les  misères  de 
la  France. 

L'horreur  qu'inspirèrent  les  conjurés  ,  fut  en  quelque  sorte 
proporiionnelle  aux  chances  de  succès  que  présentait  leur  plan 
d'insurrection.  L^s  dispositions  qu'ils  avaient  pi  ises  rappelaient 
celles  de  tant  de  mouvemens  qu'on  avait  vu  si  souvent  réussir  à 
Paris.  Elles  sont  très-bien  décrites  dans  l'acte  d'insurrection  saisi 
chez  Babeuf.  Voici  cette  pièce  : 

«  Des  démocrates  français,  considérant  que  l'oppression  et  la 
misère  du  peuple  sont  à  leur  coaible,  que  cet  état  de  tyrannie  et 
de  malheur  est  du  fait  du  gouvernem<înt  actuel  ;  considérant 
que  les  nombreux  forfaits  des  gouvernans  ont  excité  contre 
eux  les  plaintes  journalières  et  toujours  inutiles  des  (gouver- 
nés; 

•>  Considérant  que  la  Constitution  du  peuple ,  jurée  en  1795  , 
fut  remise  par  lui  sous  la  {^arde  de  toutes  les  vertus ,  qu'ea  consé- 
quence, lorsque  le  peuple  entier  a  perdu  tous  ses  moyens  de  ga- 
rantie contre  le  despotisîue,  c'e'si  aux  vertus  les  plus  courageu- 
ses, les  plus  intrépides,  à  prendre  l'initiative  de  l'insurrection 
et  à  diriger  l'affranchissenieni  de  la  niasse  ;* 

»  Considénmt  que  hs  droits  do  l'homme ,  reconnus  à  la  même 
('poque  1795,  tracent  au  peuple  entier  ou  à  chacune  de  ses  por- 
tions, coni'i.e  le  plus  sacré  et  le  plus  indispensable  de  ses  de- 
voirs ,  celui  dt^  s'ibsurgcr  contre  ib  gouvt  mènent  <|ui  viole  ses 
droits,  et  qu'ils  prescrivent  à  chaque  hosame  libre  de  îî^elire  ù 
l'Instant  à  mort  ceux  qui  usurpent  sa  souveraineté; 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  179o-1797  ).  '  159 

»  Considérant  qu'une  faction  conspiratrice  a  usurpé  sa  souve- 
raineté en  substituant  sa  volonté  particulière  à  la  volonté  géné- 
rale librement  et  légalement  exprimée  dans  les  assemblées  pri- 
maires de  1793,  en  imposant  au  peuple  français  ,  sous  les  aus- 
pices des  persécutions  et  de  lassassinat  de  tous  !es amis  de  la  li- 
berté, un  code  exécrable  appelé  constitution  de  l'an  1795,  ou 
de  l'an  5,  à  la  place  du  pacte  déaiocratique  qui  avait  été  accepté 
avec  tant  d'enlliousiasjiie.; 

ï  Considérant  que  la  Convention  nationale  n'a  jarfiâis  été  dis- 
soute, qu  elie  ne  fut  que  dispersée  par  la  violence  d'une  faction 
contre-révolutionnaire;  qu'elle  existe  toujours  de  droit,  qu'elle 
n'aurait  pu  être  remplacée  que  par  un  corps  législatif  librement 
élu  par  le  peuple,  suivant  le  mode  de  la  coiistitulion  dém.ocratique; 

">  Considérant  que  le  code  tyrannique  de  l'an  5  viole  le  plus 
précieux  des  droits ,  en  ce  qu'il  éîablit  des  disiinctions  entre  les 
citoyens,  leur  interdit  la  faculté  de  sanctionner  les  lois,  Je  chan- 
ger la  Constitution ,  de  s'assembler,  limiîe  leur  liberté  dans  le 
choix  des  agens  publics ,  et  ne  leur  laisse  aucune  garantie  contre 
l'usurpation  des  gouvernans. 

>  Considérant  que  les  auteurs  oe  cet  affreux  code  se  sont  main- 
tenus en  état  de  rébellion  permanente  contre  le  peuple,  qu'ils  se 
sont  arrogé ,  au  mépris  de  sa  voloiité  suprêma ,  l'autorité  que  la 
nation  seule  pouvait  leur  confier  ;  qu'ils  se  sont  créés,  soit  eux- 
uiêmes ,  soit  à  l'aide  d'une  poignée  d'ennemis  du  peuple,  les 
uns,  rois,  sous  un  nom  dégoisé,  le.s  autres,  législateurs  indé- 
pendans ; 

>  Considérant  que  ces  oppresseurs,  après  avoir  tout  fait  pour 
démoraliser  le  peuple,  après  avoir  outragé,  avili  et  fait  dispa- 
raître les  attributs  et  les  institutions  de  la  liberté  de  la  démocra- 
tie ;  ^près  avoir  fait  égorger  les  meilleurs  amis  de  la  République, 
rappelé  et  proiégé  ses  plus  atroces  ennemis,  pillé  et  épuisé  le 
trésor  public,  pompé  totitt-s  les  ressources naiionales,  totalement 
discrédité  la  nj0!(naie  répubrcvne.,  effeclué  la  phis  infâme  ban- 


160  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BROM.    AN   IV 

qiieroute,  livré  à  l'aviditë  des  riches  jusqu'aux  derniers  lambeaux 
des  malheureux,  viennent ,  par  un  raffinement  de  tyrannie,  ravir 
au  peuple  jusqu'au  droit  de  se  plaindre  ; 

»  Considérant  ({ue  tout  récemment  encore  ils  ont  appelé  a  eux 
une  foule  d'étran{3[ers  ,  et  que  tous  les  principaux  conspirateurs 
de  l'Europe  sont  en  ce  moment  a  Paris ,  pour  consommer  le  der- 
nier acte  de  la  c jntre-révoiuiion  ;  qu'ils  viennent  de  licencier  et 
de  traiter  indi^fnemeni  ceux  des  bataillons  qui  ont  eu  la  vertu  de 
se  reluser  à  les  seconder  dans  leurs  atroces  desseins  contre  le 
peuple  ;  qu'ils  ont  osé  mettre  en  jugeaient  ceux  des  braves  sol- 
dats qui  ont  déployé  le  plus  d'énerj^ie  contre  l'oppression ,  et 
qu'ils  joifjnent  à  cette  infamie  celle  de  qualifier  d'inspiration 
royaliste  leur  p^énéreuse  résistance  à  la  volonté  des  tyrans  ; 

»  Considérant  qu'il  serait  difficile  et  trop  long  de  suivre  com- 
plètement la  marche  populicide  de  ce  gouvernement  ciiminel 
dont  chaque  acte  est  un  délit  national  ;  que  les  preuves  de  ces 
forfaits  sont  tracées  en  caractères  de  sang  par  toute  la  Républi- 
que ;  que  de  tous  les  dépariemens  ,  les  cris  qui  appellent  sa  ré- 
pression sont  unanimes  ;  qu'il  appartient  à  la  portion  des  ci- 
toyens la  plus  voisine  des  oppresseurs  d'attaquer  l'oppression  ; 
que  cette  jortion  est  comptable  du  dépôt  de  la  liberté  envers 
l'état  entier,  et  qu'un  long  silence  le  rendrait  complice  de  la  ty- 
rannie; 

»  Considérant  enfin  que  tous  les  défenseuis  de  la  liber!»'-  sont 
prêts,  après  s'être  institués  en  comité  insurrecteur  de  salut  pu- 
blic, de  rendre  au  peuple  son  .lutorité,  ils  prennent  sur  leurs 
têtes  la  responsabilité  et  l'initiative  de  l'insurrection,  el  arrêtent 
ce  qui  suit  : 

»  Art.  1^'.  Le  peuple  est  en  insurrection  contio  la  ivrannie. 

»  2.  Le  but  de  l'insurrection  est  le  rétablissement  de  la  con- 
stitution de  1795,  de  la  lihrrh',  de  l'égalité  et  du  bonheur  de 
tous.  • 

»  ô.  Aujonril'hui ,  dés  l'heure  même ,  1rs  citoyens  ei  les  ci- 
loyenne!^  partiront  en  désordre  de  tous  les  points  et  sans  atlendre 


AU  ÔO  Fi.oR.  AN  V  (  17951797).  i61 

le  mouvement  des  quartiers  voisins  qu'ils  feront  marcher  avec 
eux.  Ils  se  rallieront  au  son  di!  tocsin  et  des  trompettes ,  sous  la 
conduite  des  patriotes  auxquels  le  comité  insurrecteur  aura  confié 
des  guidons  portant  l'inscr^plion  suivante  :  Consîuution  de  1795; 
égalité,  liberté,  bonheur  comwnn.  D'autrrs  (jnidons  porteront 
ces  mots  :  Quand  le  cfouvernemetit  viole  les  droits  du  peuple ,  l'in- 
surrection  est  pour  le  peuple  et  pour  chaque  portion  du  peuple ,  le 
plus  sacré  et  le  plus  indispensable  des  devoirs  ;  ceux  qui  usurpent 
la  liberté ,  doivent  être  mis  à  mort  par  les  hommes  libres.  Les  gé- 
néraux du  peuple  seront  distin^^^ués  par  des  rubans  tricolores 
flottant  trèi-visiblement  autour  de  leurs  chapeaux. 

»  4.  Tous  les  citoyens  se  rendront  avec  leurs  armes ,  ou ,  à  dé- 
faut d'armes,  avec  d'cutres  instrumens  offensifs,  sous  la  seule di* 
rection  des  patriotes  ci-dessus,  au  chef-lieu  de  leurs  arrondisse- 
mens  respectifs. 

>  5.  Les  armes  de  (oaie  espèce  seront  enlevées  par  les  insur- 
gés ,  partout  où  elles  se  trouvent. 

»  6.  Les  barrières  et  le  cours  de  la  rivière  seront  soigneuse- 
ment gardés.  Nul  ne  pourra  sortir  de  Paris  sans  un  ordre  formel 
et  spécial  du  comité  insuu  ecleur.  Il  n'entrera  que  les  courriers , 
les  porteurs  (  t  conducteurs  de  comestibles ,  auxquels  il  sera  donné 
protection  et  sûreté. 

»  7.  Le  peuple  s'emparera  de  la  trésorerie  nationale,  de  la 
monnaie,  de  la  poste  aux  lettres,  des  maisons  des  ministres  et 
de  tout  magasin  public  ou  pri\é  contenant  des  vivres  ou  des  mu- 
nitions de  guerre. 

»  8.  Le  comité  insurrecteur  de  salut  public  donne  aux  légions  . 
sacrées  des  camps  environnantParis,qiiiont  juréde  mourir  pour 
l'égalité,  l'ordre  de  soutenir  partout  les  efforts  du  peuple. 

»  9.  Les  pairiotes  des  df  partemens  réfugiés  à  Paris,  et  les  bra- 
ves officiers  destitués ,  sont  appelés  à  ie  distinguer  dans  celte 
lutte  sacrée. 

»  10.  La  Convention  se  réunira  à  l'instan  let  reprendra  ses 
fonctions. 

»  11.  Les  deux  confieils  et  le  directoire  usurpateur  seront  dis- 

T,    XXKVU.  11 


16:2  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRLM.    AN   IV 

sous;  lous  les  rneuibres  qui  les  composent  seront  immédiatement 
jugés  par  le  peuple. 

»  12.  Tout  pouvoir  cessant  devant  celui  du  peuple,  nul  pré- 
tendu député,  membre  de  l'autorité  usurpatrice,  directeur,  ad- 
ministrateur, juge,  officier,  sous-officier  de  garde  nationale,  ou 
quelque  fonctionnaire  public  que  ce  soit,  ne  pourront  y  exercer 
aucun  acte  d'auioriié ,  ni  donner  aucun  ordre.  Ceux  qui  y  con- 
treviendrout  seront  à  l'instant  mis  à  mort.  Tout  membre  du  pré- 
tendu corps  législatif  ou  directeur  trouvé  dans  les  rues  sera  ar- 
rêté et  conduit  sur-le-champ  à  son  poste  ordinaire.  Les  membres 
de  la  Convention  seront  reconnus  à  un  signe  particulier,  ce  sera 
celui  d'une  enveloppe  en  couleur  rouge,  autour  de  la  forme  du 
chapeau. 

13.  Toute  opposition  sera  vaincue  sur-le-champ  par  la  force. 
Les  opposans  seront  exterminés.  Seront  également  mis  à  mort 
ceux  qui  battront  ou  feront  battre  la  générale;  les  étrangers,  de 
quelque  nation  qu'ils  soient,  qui  se;  ont  trouvés  dans  les  rues  , 
lous  les  présidons,  secrétaire.-^  et  commandans  de  la  Cv-nspiiatioii 
1  oyale  de  vendémiaire  qui  oseraient  aussi  se  mettre  en  évidence. 

li.  Il  est  ordonné  à  tous  envoyée  dts  puissances  étrangères  do 
rester  dans  leur  domicile  durant  l'insurrection;  ils  sont  mis  sous 
la  sauve-garde  du  peunle. 

15.  Des  vivres  de  touie  espèce  seront  portés  au  peuple  sur  les 
places  ,>ubliques. 

10.  Tous  les  boulangers  sont  en  réquisilioL  pour  faire  conti- 
nuellement du  pi'in.qui  sera  distribue  gratis  au  peuple;  ils  se- 
ront payés  sur  leur  déclaration. 

17.  Le  peuple  ne  prendra  de  repos  qu'après  la  destruction  du 
gouvernement  tyrannique. 

18.  Tous  les  biens  des  émigrés  ,  des  conspirateurs  et  de  lous 
les  ennemis  du  peuple  ,  seront  distribués  sans  délai  aux  défen- 
seurs de  h  patrie  et  aux  indigons.  Les  indigens  de  toute  la  Ré- 
publique seront  imiiiéjiatement  loj<s  et  meublés  dans  loutvsLs 
maisons  des  conspirateui  s.  Les  effets  appartenant  au  peuple,  dé- 
posés au  Mont-de-PIété,  seront  sur-le-champ  graïuiteuiout  ren- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  16> 

dus.  Le  peuple  fraùçais  adopte  les  épouses  »  les  enfans  des  bra- 
ves qui  auront  succombé  daus  cette  sainte  entreprise  ;  il  les  nour- 
rira et  entretiendra  ;  il  en  sera  de  même  à  l'égard  de  leur  pères 
et  mères,  frères  et  sœurs,  ù  l'existence  desquels  ils  étaient  né- 
cessaires. Les  patriotes  proscrits  et  erraas  dans  toute  la  Républi- 
que recevront  tous  les  secours  conve<jabies  pour  retourner  daus 
le  sein  de  leurs  familles.  Ils  seront  indemnisés  des  pertes  qu'ils 
auront  souffertes.  La  guerre  contre  la  tyrannie  intérieure  étant 
celle  qui  s'oppose  le  plus  à  h  paix  générale,  ceux  des  braves  dé- 
fenseurs de  la  liberté  qui  prouveront  avoir  concouru  à  la  termi- 
ner seront  libres  de  retourner  avec  armes  et  bagages  dans  kurs 
foyers;  ils  y  jouiront  en  outre  des  récompenses  depuis  si  long- 
temps promises.  Ceux  d'entre  eux  qui  voudront  continuer  de  ser- 
vir la  République  seront  aussi  sur-le-champ  récompensés  d'une 
manière  digne  de  la  générosité  d'une  grande  nation  libre. 

19.  Les  propriétés  publiques  et  particulières  sont  mises  sous 
la  sauve-garde  du  peuple. 

20.  Attendu  le  vide  dans  le  seiu  de  la  représentation  qui  résul- 
tera de  l'extraction  des  usurpateurs  de  l'autorité  naiionale,  et  à 
raison  de  l'impossibilité  actuelle  de  faire  par  la  voie  des  assem- 
blées primaires  des  choix  dignes  de  la  confiance  du  peuple  ,  la 
Convention  s'adjoindra  sur-lechamp  un  membre  par  départe- 
ment, pris  parmi  les  démocrates  les  plus  prononces  et  surtout 
parmi  ceux  qui  auront  le  plus  activement  concouru  au  renverse- 
ment de  la  tyrannie.  La  liste  en  sera  présentée  par  des  délègues 
de  la  portion  du  peuple  qui  a  pris  l'initiative  de  l'insurrection. 

21.  Le  comité  insurrecteur  de  salut  public  r*  stera  en  perma- 
nence jusqu'à  l'accomplissement  total  de  l'insurrection. 

Babeuf,  interrogé  au  ministère  de  la  police,  avoua  tous  les  pa- 
piers qui  lui  furent  représentés  ;  il  refusa  de  nommer  aucun  des 
conjurés  et  lorsqu'on  lui  demanda  quels  moyens  il  comptait  em- 
ployer pour  rcnvericr  le  gouvernement,  il  répondit  :  «  Tous  les 
moyens  légitimes  çoutre  les  tyrans.  »  Son  arrestation  ne  parais- 
sait pas  avoir  abattu  sa  fierté.  Il  écrivit  presque  aussiiôi  au  di- 


Ifli  DIRECTOIRE.    —    DU   4    BftUM.    AN    IV 

rectoire  une  lettre  où  il  traitait  en  quelque  sorte  avec  lui  de  puis- 
sance à  puissance.  Voici  celte  lettre  : 

«  Regarderiez-vous  au-dessous  de  vous ,  citoyens  directeurs  , 
de  traiter  avec  moi  de  puissance  à  puissance?  Vous  avez  vu  de 
quelle  vaste  confiance  je  suis  le  centre.  Vous  avez  vu  que  mon 
parii  peut  bien  balancer  le  vôtre,  vous  avez  vu  quelles  immen- 
ses ramifications  y  tiennent,  je  suis  convaincu  que  cet  aperçu 
vous  a  fait  trembler. 

»  Est-il  de  votre  intérêt,  est-il  de  l'intérêt  de  la  patrie  de  don- 
ner de  l'éclat  à  la  conjuration  que  vous  avez  découverte?  je  ne  le 
pense  pas.  Qu'ariverait-il  si  celte  affaire  paraissait  au  grand  jour; 
que  j'y  jouerais  le  plus  glorieux  de  tous  les  rôles;  j'y  démon- 
trerais avec  la  grandeur  d'ûme  et  l'énergie  que  vous  me  connais- 
sez ,  la  sainteté  de  la  conspiraiion  dont  je  n'ai  jamais  nié  d'être 
membre  ;  sortant  de  cette  route  lâche  et  frayée  des  dénégations  , 
j'osen^is  développer  les  grands  principes  et  plaider  la  cause  éter- 
nelle du  peuple,  avec  l'avantage  que  donne  l'intime  pénéiraiion 
de  la  beauté  du  sujet  ;  je  démonirerais  que  ce  procès  ne  serait  pas 
celui  de  la  justice,  mais  celui  des  oppresseurs  contre  les  op- 
primés et  leurs  magnanimes  délenseurs.  On  pourrait  me  con- 
damner ,  mais  mon  écliafaud  figurerait  gloriensomrnt  h  rôle  de 
ceux  de  Barnevelt  et  de  Sidney. 

»  Vous  avez  vu ,  citoyens  directeurs,  que  vous  ne  tenez  rien 
lorsque  je  suis  sous  votre  main  ;  je  ne  suis  qu'un  pjint  de  la  longue 
chaîne  dont  la  conspiraiion  se  compose  ;  vous  avez  à  redouter 
toutes  les  autres  parties;  cependant  vous  avez  la  preuve  de  tout 
rintérêi  qu'elles  prennent  à  moi  ;  vous  les  frapperiez  toutes  en 
me  frappant,  et  vous  les  irriteiiez. 

»  Vous  irriteriez  toute  la  démocratie  de  îa  république  française 
et  vous  savez  encore  que  ce  n'est  pas  aussi  peu  de  chose  que  vous 
aviez  pu  d'abord  l'imaginer.  Vous  la  jugeriez  bien  mieux  si  vos 
captureurs  avaient  saisi  la  grande  correspondance  qui  a  formé 
des  nomenclatures  dont  vous  n'avez  que  des  fragmens. 

>  On  r)  bpnii  vnuMir  romprimer  le  feu  sacré,  il  brûle  et  il  brû- 


AU  30  FLOR.  AS  Y  {  179o-1797  ).  ]6d 

lera  ;  plus  il  paraît  dans  certains  instans  anëanii ,  plus  sa  flamme 
menace  de  se  réveiller  subitement ,  forte  et  explosive. 

»  Entreprendriez-vous  de  vous  délivrer  de  cette  \aste  secte 
sans-culotide  qui  n'est  pas  vaincue?  il  faudrait  d'abord  en  sup- 
poser la  possibilité.  Mais  où  vous  trouveriez-vous  ensuite?  Vous 
n'êtes  pas  (out-à-fail  dans  la  même  position  que  celui  qui  dé- 
porta ,  après  la  mort  de  Cromwel,  quelques  millieis  de  républi- 
cains anglais.  Charles  II  était  roi,  et,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  vous  ne 
l'êtes  pas  encore.  Vous  avez  besoin  d'un  parti  pour  vous  soutenir; 
vous  ne  pouvez  détruire  les  patriotes  sans  être  vis-à-vis  du  roya- 
lisme; quel  chemin  croyez-vous  qu'il  vous  ferait  voir,  si  vous 
étiez  seuls  contre  lui  ? 

»  Les  patriotes ,  direz-vous ,  sont  aussi,  dangereux  que  les 
royalistes  ;  vous  vous  trompf  z ,  ils  ne  voulaient  point  de  sang , 
mais  seulement  vous  forcer  à  confesser  que  vous  avez  fait  du 
pouvoir  un  usage  oppressif,  et  le  reprendre. 

»  Moi-même,  j'avais  expliqué  commeni  il  me  paiaissait  possi- 
ble que  vous  fissiez  disparaître  tout  ce  que  le  caractère  constiiu- 
lionnel  de  votre  gouvernement  offre  de  contraste  avec  ies  prin- 
cipes républicains.  Et  bien!  il  en  est  temps  encore,  la  tou^^nure 
de  ce  dernier  événement  peut  devenir  salvatrice  pour  vous-mê- 
mes et  pour  la  chose  publique.  Mes  conclusions  sont  que  votre 
intérêt  et  celui  de  la  patrie  sont  de  ne  point  donner  de  célébrité  à 
l'affaire  présente;  ne  croyez  pas  intéressée  la  démarche  que  je 
fais ,  la  mort  ou  l'exil  serait  pour  moi  le  chemin  de  l'immorialité  ; 
mais  ma  proscription  n'avancerait  pas  vos  afl^ireset  n'assurerait 
pas  le  salut  de  la  République. 

»  J'ai  réfléchi  que  vous  ne  fûtes  pas  constamment  les  ennemis 
de  la  République  ;  vous  êtes  égarés  par  l'effet  assez  inévitable 
d'exaspérations  différentes  des  nôtres;  pourquoi  ne  revien- 
drions-nous pas  tous  de  notre  état  extrême  pour  embrasser  un 
terme  raisonnable  ^  la  masse  du  peuple  a  le  cœur  ulcéré  ;  faut-il 
le  déchirer  encore  plus?  Vous  aurez,  quand  il  vous  plaira,  l'ini- 
tiative du  bien ,  parce  qu'eu  vous  ié>iu\o  toute  la  lor<;e  de  l'admi- 
nistration publique. 


1()G  DIRECTOIRE.    —   I>D   4   BRDM.    AN   IV 

»  Citoyens  directeurs,  gouvernez  populairement,  voilà  tout 
co  fiup  les  patriotes  vous  r<e!oandpnt.  En  parbnt  ainsi  pour  eux , 
j  •  suis  sûr  qu'ils  n'inierro!:>pront  point  ma  voix,  je  suis  sûr 
de  n'être  pas  démenti  par  eux.  Cinq  hommes,  en  se  montrant 
grands  et  généreux ,  peuvent  aujourd'hui  sauver  la  patrie. 

>  Je  vous  réponds  encore  que  les  patriotes  vous  couvriront  de 
leurs  corps ,  et  vous  n'aurez  plus  besoin  d'armée  entière  pour  vous 
défendre.  Les  patriotes  ne  vous  haïssent  pas ,  ils  n'ont  haï  que 
vos  actes  impopulaires,  je  vous  donnerai  aussi  alors,  pour  mon 
propre  compte,  une  garantie  aussi  étendue  que  l'est  ma  franchise 
perpétuelle.  Vous  savez  quelle  mesure  d'influence  j'ai  sur  cette 
classe  d'hommes;  jevpuxdiie  les  patriotes;  je  l'emploierai  à  les  con- 
vaincre que  si  vous  êtes  peuple,  ils  doivent  ne  faire  qu'un  avec  vous. 

»  11  ne  serait  pas  si  malheureux  que  l'effet  de  celte  simple 
lettre  fût  de  pacifier  l'intérieur  de  la  France;  en  prévenant  l'éclat 
de  l'affaire  dont  elle  est  le  sujet,  ne  préviendrait-on  pas  en  mêaie 
temps  ce  qui  ^.'opposerait  au  calme  de  l'Europe.  » 

Signé  Gracchus  Babeuf. 

Lo  public  vit  dans  cette  lettre  moins  un  signe  de  courage 
qu'une  espèce  d'amende  honorable,  une  forme  pour  demander 
grâce.  Le  directoire  n'y  répondit  pas  autrement  qu'en  la  rendant 
publique.  Elle  figurait  dans  tous  les  journaux  de  Paris  dès  le 
^5  mai. 

C-  tte  alïaire  occupa  presque  complètement  les  deux  conseils 
pondant  plusieurs  séances.  D'abord,  on  autorisa  le  bureau  cen- 
II  ai  de  la  police  de  Paris  à  lancer  des  mandats  d'arrêt.  Les  pre- 
mières arrestations  avaient  été  faites  sur  un  arrêté  du  directoire 
remis  entre  les  mains  de  Cochon.  Les  membres  du  corps  législa- 
tif furent  les  premières  victimes  de  cotte  LiCsu.  e  exceptionnelle , 
on  se  présenta  chez  quelques-uns  d'entre  eux  avec  des  mandats 
d'arrêt  :  de  là  des  plaintes  très-vives,  une  séance  fort  animée; 
message  au  directoire;  réponse  de  colui-ci;  dénonciation  au  tri- 
bunal de  cassation.  Enfin  les  employés  du  burei'u  central  furent 
cités  à  la  barre  du  conseil  des  cinq-cents ,  et  ils  y  furent  inter- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1 7954797  ).  167 

rogés;  ils  prouvèrent  que  c'était  le  fait  d'une  simple  inadver- 
tance ;  les  membres  chez  lesquels  on  s'était  présenté  étant  dé- 
signés comme  députés ,  mais  n'éianl  pas  portés  sur  les  liôes 
imprimées  du  corps  législatif.  Cet  incident  terminé,  il  fallut 
juger  une  autre  difficulté.  Le  prévenu  Drouet  était  membre  des 
cinq-cents  ;  il  fallait  prendre  une  décision  sur  la  marche  qu'on 
suivrait  à  son  égard.  La  question  était  importante  :  elle  intéres- 
sait tous  les  députés,  car  la  conduite  qu'on  tiendrait  dans  celte 
circonstances  établirait    un  précédent  dont  plus  tard  chacun 
pourrait  être  ou  protégé  ou  victime  ;  qui  savait ,  en  effet,  dans  ce 
temps  de  brusques  révolutions,  quel  sort  l'attendait?  La  question 
fut  donc  longuement  délibérée  ;  on  y  consacra  plusieurs  comités 
secrets  ;  on  décida  enfin  que  la  dénonciation  contre  Drouet  était 
admise ,  que  notification  de  celte  décision  lui  serait  faite  par  le 
directoire  ,  et  que  Drouet  serait  entendu  dans  le  sein  même  du 
conseil.  Il  y  fut  amené  le  28  prairial  (16  mai).  Il  se  borna  à  nier 
toute  participation  à  la  conjuration;  il  donna  des  explications  sur 
les  faits  à  sa  charge  ;  il  attaqua  vivement  le  ministre  de  la  police 
Cochon,  mais  il  ne  convainquit  personne.  Le  2  messidor  suivant 
(20  juin),  le  conseil  décida  qu'il  y  avait  lieu  à  examiner  la  con- 
duite de  ce  député,  et  le 20  du  même  mois  (8  juillet),  les  anciens 
approuvèrent  cette  résolution  ;  il  en  résultait  que  Droutt  était  mis 
en  accusation.  On  remarqua  qu'aux  cinq-cents,  soixante-douze 
voix  avaient  été  contre  la  résolution,  et  quarante-une  aux  anciens, 
d'où  l'on  conclut  que  les  projets  de  Babeuf  avaient  ce  nombre  de 
partisans  dans  le  corps  législatif. 

Les  conseils  eurent  ensuite  à  s'occupf^r  de  l'organisation  de  la 
haute  cour  de  justice  qui  devait  prononcer  sur  cette  accusation , 
puis  à  examiner  si  le  ju^^ement  serait  sujet  à  la  révision  du  tribu- 
nal de  cassation,  ce  qui  fut  décidé  par  la  négative.  Il  fut  décrété 
enfin  que  les  complices  de  Drouet  suivraient  son  sort  et  seraient, 
comme  lui,  jugés  devant  cette  haute-cour,  dont  In  siég<'  fut  fixé 
à  Vendôme;  mais  Drouet,  plus  heureux  qu'en  Autriche,  parvint 
ù  s'échapper  delà  prison  de  l'Abbaye,  où  il  était  détenu.  On 
trouva  scié  l'un  des  barreaux  de  la  fenêtre  de  la  chambre  qu'd 


i(>8  DlRECTOJUii.    —    Dt    4   liRUM.    AN    IV 

occupait;  plusieurs  cordes  étaient  dans  celte  chambre;  mais  il  ne 
parut  pas  qu'elles  eussent  servi  à  l'évasion,  dont,  au  reste ,  on  ne 
voyait  aucune  trace,  ni  sur  le  mur  qu'il  lallait  descendre  pour 
arriver  sur  la  terre,  ni  sur  un  autre  mur  de  quarante-cinq 
pieds  de  haut  qu'il  eût  encore  fallu  escalader.  On  an  ètu  le  con- 
cierge et  le  guichetier;  ils  furent  traduits  devant  le  tribunal  cri- 
minel; mais,  les  charges  étant  nulles,  ils  furent  acquiiiés.  On 
soupçonna  le  directoire  d'avoir  fait  évader  Drouet.  Cet  événement 
ne  changea  point  la  destination  des  autres  accusés  ;  on  prit  des 
mesures  pour  les  transférer  à  Vendôme;  ils  étaient  nombreux. 
On  remarquait  parmi  eux  Vadier,  Amjr,  Choudieu,  Ricord  ex- 
conveniioimel,  Antouelle  qui  avait  a()partenu  à  la  législative,  Par- 
rein,  Rossignol,  Lamy,  ex-généraux;  Jarry  et,  Mansard,  ex-ad- 
judans  généraux  ;   enlin  Babeul,   le  chef  de  la  conspiration, 
Buonarotii,  Félix  Lepelîetier,  Didier;  ex -juré  du  iribiinal  révolu- 
tionnaire', etc. 

Dans  la  nuit  même  ou  h'.s  prisonniers  devaient  partir,  c'est-à- 
dire  dans  ((Ile  du  10  au  11  iVuciidor  (du  i27  ai  t28  août),  pour 
Vendôme,  des  boites  et  des  pétards  furent  lues  dans  diverses 
I ues de  Paris.  ()a  y  sema  des  cocardes  blaGches  et  des  proclama-  * 
lions  manuscrites  invitant  au  rétablissement  de  la  royauté  et  au 
HjassHcre  dt-s  républicains.  On  y  trouva  encore  le  matin  cinq  dra- 
peaux blancs,  portant  pour  inscription:  «  Mort auxrcpubiicains! 
vive  le  roi!  »  Le  lendemain  matin  quelques  groupes  essayèrent 
de  se  former;  mais  ils  furent  prompiemenl  dissipé:».  Cet  événe- 
ment fil  peu  de  bruit  dans  Paris;  plusieurs  journaux  n'en  firent 
pas  même  meniion.  On  supposa  ijue  les  amis  de  Babtuf  avaient 
youlu  tenter  d'exciler  une  emeuie  à  l'aide  de  laquelle  ils  pusseut 
le  délivrer  ;  on  en  conclut  qu'ils  veillaient  toujours  et  qu'ils  étaient 
encore  à  craindre.  Le  ministre  de  la  police  générale ,  au  con- 
traire ,  accusa  ks  royalistes  de  ce  mouvement  ;  il  prétendit  que 
ces  derniers  s'étaient  unis  aux  démocrates,  ajoutant  qu'il  avait 
re<;u  des  avis  de  l'éiranjier,  qui  lui  annonçaient  que  les  chefs  ja- 
cobins étaient  entrés  en  composition  avec  le  ci-devant  duc  de  La 
Vauguyon,  minislredu  prétendant.  C'était  un  mensonge  du  nom- 


AU  50  FLOK.  AN  V  (  1795-1797).  169 

bre  de  ceux  qui  ne  trompent  jamais  personne ,  et  par  lesquels  on 
essaie  toujours  vainement  de  déshonorer  deux  ennemis  à  la  fois. 

Peu  de  jours  après,  un  mouvement  plus  caractérisé  vint  ap- 
prendre à  quel  parti  appartena^ient  les  auteurs  de  la  tentative 
dont  nous  venons  de  parler.  Le  Î25  fructidor  (9  septembre)  un  at- 
troupement de  six  ou  sept  cents  hommes,  armés  de  pistolets,  de 
sabres,  de  cannes  à  épées,  se  forma  à  Vaugirard,  et  se  porta  sur 
les  troupes  du  camp  de  Grenelle  dans  l'intention  de  les  soulever. 
En  entrant  dans  le  camp,  on  cria  :  Vive  la  République!  vive  la 
Constitution  de  1795!  à  bas  les  conseils!  à  bas  les  nouveaux  ty- 
rans! L'aitroupement  ne  trouva  pas  les  troupes  disposées  ainsi 
qu'il  s'y  attendait.  Les  conamancJans  avaient  été  prévenus.  Les  in- 
surgés furent  chargés ,  quelques-uns  furent  tués,  plusieurs  fu- 
rent blessés  et  d'autres  furent  pris.  Parmi  ces  derniers,  se  trou- 
vèrent des  hommes  que  la  police  cherchait  depuis  long-temps, 
et  entre  autres  l'ex-général  Fyon  décrété  d'accusation  dans  Taf- 
laire  de  Babeuf. 

Le  corps  législatif  instruit  de  cet  événement,  déclara  que  tous 
les  corps  de  l'armée  de  l'intérieur  avaient  bien  mérité  de  la  pa- 
trie. Le  lendemain ,  le  directoire  fit  parvenir  aux  cinq-cents  un 
message  par  lequel  il  demandaii  que  lespiisonniers  fussent  jugés 
par  une  commission  militaire.  Il  faisait  valoir  en  faveur  de  celte 
mesure  exceptionnelle  les  inconvéniens  que  présenterait  un  pro- 
cès poursuivi  selon  les  formes  ordinaires  contre  cent  trente-deux 
accusés ,  car  tel  était  leur  nombre  ;  ei  il  faut  ajouter  qu'ils  étaient 
presque  tous  blessés.  Par  un  second  message,  le  gouvernement 
sollicitait  encore  l'autorisation  de  fa-re  dus  visites  domiciliaires 
dans  Paris.  Ces  deux  demandes  lui  furent  accordées.  Seulement 
les  visites  domiciliaires  ne  furent  autorisées  que  pendant  le  jour 
et  jusqu'à  la  fin  du  mois.  Le  cons-il  exécntif  avait  sollicité  plus 
encore  de  la  complaisance  du  corps  législatif.  Il  avait  proposé 
aux  cinq-cents  de  décréter  que  les  accusés  n'eussent  qu'un  seul 
défenseur  pour  tous,  et  cela  afin  d'aiiréjjer  les  débats.  On  passa 
à  l'ordre  du  jour  sur  cette  d'.niande  ni'jnstrueuse. 

La  première  séance  de  la  commission  militaire  eut  lieu  le 


170  DIRECTOIRE.    —    DU    4   BRUM.    AN   IV 

27  fructidor  (13  septembre).  Elle  fit  comparaître  d'abord  cin- 
quante-deux prévenus.  Les  débats  furent  très-tumultueux;  les 
accusés  commencèrent  par  récuser  leurs  jugées ,  par  protester  con- 
tre la  mesure  excepiionneile  qui  leur  était  appliqi  ée  ;  ils  pri- 
rent ù  partie  ies  témoins;  ils  embarrassèrent  l'accusation  par  l'é- 
nergie de  leur  défense.  L'un  d  eux  parvint  à  s'échapper  la  veille 
du  jugement  qui  le  condamna  à  mort  ainsi  que  douze  autres  ac- 
cusés, et  en  acquitta  dix-neuf.  Les  condamnés  en  appelèrent  au 
coni^eil  de  révision  ;  mais  celui-ci  confirma  le  premier  arrêt.  En 
conséijuence  ils  furent  extraits  du  Temple,  et  conduits  au  camp  de 
Grenelle ,  où  ils  furent  fusillés. 

Le  G  vendémiaire  an  V  (  27  septembre  I79G  ) ,  intervint  un  se- 
cond jugement  qui  condamna  quatre  des  accusés  à  mort,  six  à  la 
déportation  et  trois  à  la  réclusion.  Neuf  autres  furent  mis  en  li- 
berté. Fyon  ,  ex-général  de  brigade,  fut  renvoyé  devant  la  cour 
de  Vendôme ,  comme  complice  de  Babeuf.  Les  quatre  condamnes 
furent,  le  8,  au  camp  de  Grenelle,  après  la  révision  du  conseil 
militaire. 

Le  troisième  jugement  condamna  à  mort  neuf  accusés ,  parmi 
lesquels  se  trouvèrent  Hugues,  Gusset  et  Javogues,  tous  trois 
ex-conventionnels  ;  Bertrand  pcinire,  ex-secrétuire  de  Drouet, 
ex-maire  de  Lyon  ;  Gugnant ,  ex-hebertiste ,  Bonbon  ,  etc.  Deux 
accusés  furent  condamnés  à  la  déportation ,  quatre  à  la  détention, 
et  cinq  lurent  acquittés.  Ceux  contre  lesquels  fut  portée  la  peine 
de  mort,  furent  exécutes  le  19  vendémiaire.  Bonbon  évita  le  sup- 
plice en  se  précipitant  du  haut  de  l'escalier  du  Temple.  Gagnant, 
étant  p-irvenu  à  délier  ses  mains  pendant  le  chemin  ,  s'élança  lout- 
à-coup  hors  de  la  charr(  ttc  ,  dans  !e  dessin  de  s'évader.  Mais 
bientôt  atteint  d'un  coup  de  baïonneitt  et  d'un  coup  de  sabre,  il 
lut  reporté  sur  la  voilure  et  fusillé  comme  les  autres. 

La  commission  miliiMÏ'O  termina  avec  les  accusés  du  camp  de 
Grenelle  par  deux  derniers  jugrnipns.  Dans  l'un  elle  condamna 
six  accusés  à  mort ,  huit  a  ia  déporta  ion ,  trois  à  la  délenlior» ,  vi 
en  acquitta  quatre  ;  par  l'autre  ,  elle  condanma  quatre  necusr^  à 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  171 

la  déportation,  cinq  à  la  détention;  dix  furent  acquittés.  Tout 
était  fini  le  6  brumaire  (27  octobre). 

Pendant  toute  cette  période,  les  conseils  présentèrent  l'uspect 
d'une  unanimité  apparente  de  sentimens ,  rarement  interrompue; 
la  plupart  des  membres  étaient  en  etlet  momeptanémeni  réunis 
dans  une  même  pensée,  la  crainte  des  terroristes,  dont  l'énergie, 
au  reste ,  parut  définitivement  vaincue  après  l'affaire  du  camp  de 
Grenelle.  On  s'occupa  des  affaires  de  finances,  de  question  d'ad- 
ministration ,  de  quelques  réparations  individuelles.  On  releva 
de  la  déchéance  toutes  les  réclamations  contre  les  arrêtés  du  co- 
mité de  la  Convention.  On  releva  aussi  de  la  déchéance  les  mili- 
taires suisses  ayant  droit  à  une  pension.  Il  y  avait  dans  ces  déci- 
sions une  disposition  manifeste  de  réaction  ;  mais  une  circonstance 
rendit  encore  celle-ci  plus  évidente.  On  avait  déjà ,  dès  les  pre- 
miers jours  du  corps  législatif,  proposé  le  rapport  de  la  loi  votée 
par  la  Convention  le  5  brumaire,  loi  qui  excluait  des  charges  et 
des  fonctions  publiques  ,  comme  nous  l'avons  vu  ,  les  païens  d'é- 
migrés et  ceux  qui ,  dans  les  dernières  assemblées  primaires , 
avaient  provoqué  ou  signé  des  mesures  contre-révolutionnaires. 
Cette  première  motipn  avait  été  rejetée  sans  discussion.  Le 28  fruc- 
tidor (14  septembre),  Couchery  après  un  long  discours,  inter- 
rompu cependant  quelquefois  par  des  murmures ,  demanda  le 
rapport  de  cette  loi.  On  ordonna  1  impression  de  son  discours ,  et 
l'on  traita  la  question  sérieusement,  tant  il  y  avait  de  doutes  sur 
les  dispositions  de  la  majorité.  Une  commission  fut  nommée  :  Riou, 
le  rapporteur,  conclut  au  maintien  de  la  loi,  sauf  lepremier  arti- 
cle qu'il  proposa  de  rapporter.  Une  discussion  grave  et  calme  fut 
ouverte.  Il  semblait  qu'il  s'agît,  non  pas  d'un  règlement  de  police 
transitoire  et  déjà  presque  tombé  en  désuétude,  mais  d'un  pro- 
blème consiimtionnel.  Les  débats  occupèrent  un  grand  nombre 
de  séances.  Chaque  parti  doutait  de  ses  forces  et  n'avait  pas 
hàie  de  conclure.  Enfin ,  les  ex-conventionnels  s'étant  comptés , 
lérmèrent  la  discussion.  Alors,  nouveaux  débats  sur  la  manière 
de  poser  les  questions.  Mailhe  veut  qu'on  demande  si  la  loi  du 
5  brumaire  est  ou  non  contraire  à  la  Constitution.  Des  murmures 


17i  blHtClOlRE.     —    DU    4   BRtM.    AN    IV 

violens accueillent  celle  proposition;  mais,  d'un  autre  côté,  on 
crie  avec  non  moins  de  cha'eur  qu'elle  est  appuyée.  On  se  dispute 
la  tribune;  une  vive  altercation  a  lieu  enire  Le^ot,  Henri  Lari- 
vière  et  André  de  la  Lozère.  Madier  s  élance  au  milieu  d'eux.  Le 
tumulte  e^t  à  son  comble.  Les  ci is  :  A  i  AOOaiie !  sclèvent  de 
toutes  parts.  Le  président  se  couvre.  Li  priorité  est  refusée  au 
projet  de  Jaid-Panvilliers,  après  deux  épreuves  turaulinouses, 
pendant  lesquelles  on  a  demandé  la  parole  «contre  le  président,  et 
menacé  de  nouveau  Madier  de  l'Abbaye.  La  priorité  est  donnée, 
par  appei  nominal,  au  projet  de  la  commission. 

On  avait ,  dans  le  public,  pet  du  i'habilude  de  voit  des  séances 
aussi  tumultueuses;  aussi  on  y  disait  que  l'on  s  était  baitu  aux 
cinq-cents. 

A  la  séance  du  lendemain,  Itibrumaireun  V  (tinoveinbre  179(3), 
on  commença  à  discuter  de  nouveau  le  projet  de  Kioii.  Bergier 
demanda  comnient  il  se  taisait  qu'on  pi  opu.àl  de  rapporter  le  pre- 
mier article  qui  excluait  dta  lonctions  publiques  les  provocateurs 
et  signataires  de  mesures  liber  livides  ci  contraires  aux  lois  ,  et  de 
maintenii' contre lespaitns  d'émigrés  seuis  rexclusiun  pi ononcée 
par  l'article  deuxième  ?  Veut-on  donc  oiivrjr  là  porte  des  tonc- 
tions  publiques  à  de  véritables  amnisîiés,  et  leur  faciliter  les. 
movens  de  réaliser  les  projets  séditieux  qu'on  leur  a  pardonnes? 
11  demande  que  l'article  l^'"  de  la  loi  du  ô  brumaire  soit  maintenu 
et  déclaré  commun  ù  ceux  que  la  loi  du  i  bruuiaife  a  amnistiés. 
Lama rque  combat  cette  proposition  ,  etdiKjue  rapporter  ce  pre- 
mier article,  cest  compléter  l'amnislie  dont  le  principe  a  été 
adopté.  Mailhe  s'étonne  de  la  diflérenic  que  la  comuiissiou  met 
entre  les  parensdes  émigrés  et  l<:s  amnistiés  :  les  uns  et  les  autres 
ne  peuvent-ils  pas  être  égalem'.'nl  juges  dans  leur  propn;  cause? 
c  Les  parens  des  émigrés  ,  dit-il ,  ne  vous  sont  que  suspects;  et 

>  des  hommes  dont  les  mains  sont  teintes  du  sang  innocent 

(  Quelques  murmures  sont  etoulles  par  les  cris  ;  Cest  vrai  j  c'est 
vrai.)  «  Kt  des  spoliateurs  régiraient  la  fortune  publique!  et  des 

>  brigands  veilleraient  au  maintien  des  propriétés  individuelles! 
»  Où  serait  donc  cette  profession  de  foi  tant  répétée  :  Haine  aux 


AU  50  FLOR*  AN  V  (  Î795-1797).  175 

>  royalistes  et  aux  anarchistes  ?  Si  le  salut  public  est  dans  le  main- 
»  tien  de  la  loi  du  3  brumaire ,  comme  vous  le  dites ,  il  est ,  à  plus 
0  forte  raison ,  dans  l'application  de  cetie  loi  aux  amnistiés.  » 
Bjilleul  s'étonne  à  son  tour  du  changement  qui  s'est  manifesté 
dans  les  opinions  de  certains  membres,  depuis  la  dernière  séance. 
En  effet,  le  nouveau  tiers  et  leurs  amis  voyant  qu'ils  ne  pou- 
vaient obtenir  le  retrait  de  ceite  loi  du  5  brumaire  de  vive  force 
en  qutlque  sorte,  c'esi- à-dire  par  la  supériorité  des  voix  dans  le 
vole  définitif ,  se  décidèrent  à  demander  une  exagération  dans 
l'applicaiionde  cette  loi ,  qui  lui  donnai  effet  sur  ceux  que  les  ex- 
conventionnels  étaient  disposés  à  pn)téger,  c'est-à-dire  sisr  ceux 
qui  avaient  été  arrêtés,  prévenus  ou  accusés,  soit  après  le  9  ther- 
midor, soit  après  les  journées  de  prairial ,  de  délits  ou  de  crimes 
révolutionoalres.  Bailleul ,  acceptant  celte  nouvelle  direction  de 
la  discussion,  crut  donc  devoir  demander  si ,  par  lei^amnisiiés , 
on  entendait  soit  tous  1<:S  fonctionnaires  depuis  !e  31  mai  jusqu'au 
9  iheruiidor,  soiî  tous  les  membres  des  comités  révolutionnaires; 
ou  bien  ,  si  l'on  irait ,  comme  Rouyer,  déclaser  amnistiés  tous 
ceux  qui  avaient  été  mis  f-n  arrestation  par  des  représentans  en 
mission?  tVous  voyez,  ajoutait-il,  où  peut  entraîner  Tapplication 
»  d'un  faux  principe.  Il  n'y  a  aucune  comparaison  à  faire  entre 

*  la  suspicion  que  méritent  les  parens  d'hommes  qui  ont  armé 

>  l'Kurope  contre  nous ,  et  des  hommes  qui  ont  coinmis  des  délits 
»  couver;s  par  l'amnistie.  »  Il  demande  l'adopiion  du  projet. 
Uouyer  insiste  pour  la  proposition  qu'il  a  faite  au  commencement 
de  la  discussion.  Quirot  demande  qu'elle  soit  écartée  par  la 
question  préilable,  et  qu'on  adopte  le  premier  article  du  projet. 
€  Voulez-vous ,  dit-il ,  répandre  l'alarme  parmi  des  citoyens  plus 
t  égarén  que  coupables?  Non,  vous  n'irriterez  pas  une  popula- 

>  tion  jalouse  de  ses  droits,  essentiellement  amie  de  la  liberté; 
I  mais  que  de  perfides  meneui  s ,  des  émigrés  connus  étaient  par- 

*  venus  à  é;;arer.  n  Henri  Larivière  s'oppose  aussi  au  rapport 
de  l'article  l^f  de  la  loi  qui  exclut  des  fonctions  publiques  les  si- 
gnataires d'arrêtés  liberticides.  «  J'avoue ,  dit-il ,  que  je  remarque 
»  aussi  du  changement  ;  mais  il  est  dans  la  conduite  de  ceux  qui, 


174  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRUM,    AN   IV 

»  soutenant  hier  la  loi  du  5  brumaire ,  soutenaient  son  applica- 
»  tien  irès-justeàunecla^-se  d'individus,  et  aujourd'hui  repoussent 
»)  une  autre  application  comme  une  souveraine  injustice.  On  vous 
»  dit  aujourd'hui  :  C'est  une  mesure  générale ,  arbitraire  ,  et  qui 
>  frappe  en  masse....  Hier,  nous  vous  le  disions  à  l'égard  des 
»  parens  d'émigrés,  et  vous  ne  vouliez  pas  nous  entendre.  Les 
»  principes,  hier,  ont  éié  méconnus  par  vous;  il  faut  en  admettre 
»  la  conséquence.  Je  dis  donc  qu'hier  vous  avez  frappé  en  masse 
»  une  classe  présumée  innocente,  et  que  vous  ne  pouvez  vous 
»  refuser  à  omettre  le  même  vœu  contre  des  hommes  surpris  se 
»  baignant  dans  le  sang  et  segorgeantde  rapines....  Je  demande 
»  que  la  loi  du  5  brumaire  s'applique  à  tous  les  hommes  mis  en  ju- 
»  gement  pour  délits  révolutionnaires.  »  Lecointe-Puyraveau 
propose  une  série  de  questions ,  et  demande  qu'on  s'accorde  bien 
sur  la  définition  des  amnistiés.  Boissy-d' Anglas  demande  que  ceux 
des  amnistiés  qui  n'ont  pas  été  mis  en  jugement  profitent  de 
l'amnistie ,  et  que  ceux  d'eni  »  e  eux  qui ,  appelés  à  des  places ,  vou- 
dront les  occuper,  soient  tenus  de  se  mettre  en  jugement  et  de  se 
présenter  devant  les  tribunaux.  Clôture  de  la  discussion.  Cras- 
sous  de  l'Hérault  combat  la  série  de  questions  présentée  par  Le- 
cointe-Puyraveau et  en  soumet  une  nouvelle  :  \^  l'amnistie  s'é- 
tendra-t-elle  aux  délits  commis  jusqu'au  4  brumaire ,  et ,  par  con- 
séquent ,  aux  signataires  d'arrêtés?  2^  La  loi  du  5  brumaire  s'ap- 
pliquer a-t-el  le  aux  amnistiés ,  c'est-à-dire  à  ceux  qui,  mis  en  ju- 
gement, n'ont  recouvré  leur  liberté  qu'à  la  faveur  de  l'amnistie, 
et  aux  individus  déclarés  inéligibles  par  la  Convention  nationale? 
Ces  qu(  siions  sont  résolues  par  l'affirmative.  Savary  fait  adopter 
un  amend(  ment  à  la  seconde  concernant  les  chefs  de  clK)uans  et 
rebelles  amnistiés.  Cra^sOus  propose  eiisuiie  de  déclarer  qu'il  n'y 
a  lieu  à  délibérersur  le  rapport  de  la  loi  du  3  brumaire.  Adoption 
de  la  proposition  de  Dcfermont  pour  le  maintien  de  la  loi  du  5  bru- 
maire, seulement  «n  ce  qui  concerne  les  prévenus  d'émigraiion, 
les  émigrés  et  leurs  parens.  Pkisieurs  voix  :  t  Et  Ks  préiiesî  les 
»  prêtres!  »  —  Celte  demande  n\  ut  pas  de  suite. 
Le  1i  brumaire,  Crassous,  au  noui  de  la  commission  «hargée 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797).  175 

de  rédiger  les  résolutions  dont  nous  venons  de  parler,  lit  son  rap- 
port et  proposa  des  articles.  Après  quelques  objections  nouvelles 
on  remit  la  discussion  afin  que  le  projet  pût  être  imprimé  et  dis- 
tribué. Enfin  ,  le  16  brumaire  (6  novembre) ,  s'ouvrit  la  séance 
qui  paraissait  devoir  être  définitive.  Grassous  commença  par  re- 
lire le  projet  de  la  commission.  Le  voici  : 

Art.  I.  Les  dispositions  de  la  loi  d'amnistie  du  4  brumaire, 
an  4,  seront  appliquées  à  tous  les  délits  purement  relatifs  à  la  ré- 
volution, antérieurs  au  dit  jour,  4  brumaire.  (Ce  qui  voulait  dire 
même  aux  conspirateurs  du  15  vendémiaire.) 

Sont  exceptés  les  individus  contre  lesquels  la  déportation  a  été 
nominativement  prononcée  par  les  décrets  des  12  germinal,  an  3 
et  20  vendémiaire,  an  4. 

Art  IL  Les  dispositions  des  articles  1,  2,  5,  4,  5  et  6  de  la  loi 
du  3  brumaire,  sur  la  suspension  de  l'exercice  des  fonctions  pu- 
bliques, seront  appliquées  à  toutes  les  personnes  qui,  pour  délits 
révolutionnaires ,  condamnées  ou  mises  en  accusation ,  soit  par 
décret  de  la  Convention  nationale,  soit  par  les  directeurs  du  jury 
ou  accusateurs  publics ,  n'ont  été  garanties  des  poursuites  que 
par  l'effet  de  l'amnistie. 

Art.  III.  Les  mêmes  dispositions  sont  applicables  à  ceux  qui 
ont  été  déclarés  inéligibles  par  l'article  3  de  la  loi  du  5  fructidor, 
an  3. 

Art.  IV.  Elles  seront  également  appliquées  à  ceux  qui ,  dans 
les  révoltes  delà  Vendée  et  des  chouans,  auront  occupé  un  grade 
de  lieutenant  ou  un  grade  supérieur,  et  ceux  qui ,  dans  chaque 
canton  ou  commune ,  auront  été  chargés  en  chef  de  r*exécution 
des  ordres  civils  et  militaires,  au  nom  des  chefs  des  révoitéi  (1). 
An.  V.  Lesariicles7,  8,  9,10, 11,12, 13,  14, 15eiU)dela 
loi  précitée  du  3  brumaire  an  4  sont  rapportés. 

(t)  La  rédaction  de  cet  article  éprouva  plusieurs  modiflciilions  successives.  On 
y  revint  encore  même  hnsque  la  loi  eut  clé  volée  délinilivcmcnt.  Ainsi,  le  20  l)rn- 
luaire,  le  rapporteur  Grassous  proposa  aux  cioq-cenls  on  changement  de  ré- 
daction qui  lut  le  dernier  et  qui  lui  adupié  en  ces  tenues  ;  «  La  suspeusiou  de 
»  l'excrcic;;  des  fonctions  publiques  aura  lieu  à  l'égard  de  tous  ceux  qui  ont  olé 
•>  déclarés  inéligibles  par  l'urt.  3  de  la  loi  du  5  friiciflor  an  4.  »      (A.  rf^v  aut: 


17(i  niRKCTOIRK.    —    nt    4   BRUM.    AN    IV 

Plusieurs  membres.  •  Aux  voix  la  réduction.  » 

L<?  président,  a  11  y  a  une  liste  de  parole.  > 

Kn  effet,  plusieurs  orateurs  preanent  successivement  la  parole, 
et  les  objections  se  multiplient. 

Bailleul  demande  si  Texceplion  comprise  dans  l'article  1  porte 
sur  Collot-dHerbois  et  Billaud-Varennes  ,  que  sans  doute  on  ne 
veut  pas  laisser  leparaîlre.  Une  voix  unanime  :  «  Non  ,  non  ,  ja- 
D  mais.  •>  Motion  d'ordîc  de  Lamarque,  en  faveur  de  l'un  des 
condamnés  par  la  loi  du  12  germinal,  dont  la  déportation  n'a  pas 
été  effectuée,  et  quia  sauvé  la  vie  à  plusieurs  membres  des  deux 
conseils.  Il  demande  que  les  individus  contre  lesquels  la  déporta- 
tion a  été  prononcée,  et  qui  se  trouvent  effectivement  déportés , 
soient  seuls  exceptes  de  l'amnistie.  Plusieurs  membres  :  t  Parlez 

>  donc  franchement  ;  nommez  Barrer  e.  »  Grassows  demande  qu'on 
supprime  les  mots  du  20  vendémiaire,  an  4.  L'article!  est  adopté 
avec  cet  amendemeni.  Dnprat  parle  sur  l'article  qui  maintient 
rexcUision  des  fonctions  publiques  contre  les  individus  (Jéclarés 
inélifïibles  par  la  Convention  nationale:  il  demande  que  l'exclusion 
s'étende  aux  fonction <  à  la  nomination  du  gouvernement.  Vive 
agitation.  Uouyer  appuie  l'amendement,  «  afin  ,  dit-il,  que  le 
1  gouverurnunt  raclie  bien  que  si  le  peuple  a  trouvé  des  hom- 

>  mes  indignes  d'être  administrateurs  ou  municipaux,  legouver- 
»  nement  ne  peut  penser  qu'ils  soient  plus  dignes  d'être  com- 
»  missaires  près  les  armées,  ou  ambassadeurs.  »  Riou  pense  que 
le  directoire  étant  responsable,  ses  choix  doivent  être  libres  et 
sans  entraves.  Murmurts.  Boissy-d'Anglas  déclare  qu'il  y  a  tout  à 
craindre  en  limitant  les  choix  du  peuple;  mais  qu'il  n'y  a  aucun 
danger  à  limiter  ceux  du  gouvernement  :  «  Votre  intention,  drt- 
»  il,  i.e  peut  être  que  ceux  qui  ont  ensanglanté  et  ruiné  Bordeaux, 
»  y  soient  envoyés  comme  commissaires  ;  et  que  les  mitrailleurs 
»  de  Lyon,  revêtus  d'un  grand  pouvoir,  puissent  rentrer  dans 

>  cette  ville ,  y  compter  leurs  victimes,  et  contempler  les  débris 
*  de  ses  monumens.  »>  Après  une  vive  a^jitation  ,  l'amendement 
est  adopté.  Berlier  combat  le  rapport  de  l'article  10  de  la  loi  du 
r>  brumaire,  relatif  aux  prêtres  insermentés.  Defermont  et  Cbé- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  179o-179T).  177 

nier  pensent  qu'il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  le  rapporter ,  puis- 
qu'il ne  contient  aucune  disposition  législative.  Adopté,  et  injonc- 
tion à  la  commission  chargée  de  présenter  un  plan  de  législation 
générale  à  l'égard  des  prêtres ,  de  le  faire  dans  l'espace  le  plus 
court. 

Ainsi  le  projet  entier  de  la  commission  fut  adopté. 

Cette  résolution  ,  quoique  bien  au-dessous  de  ce  que  désirait 
la  minorité,  apportait  cependant  des  amendemens  considérables  à 
la  législation  révolutionnaire,  des  amendemens  tels  que  l'on  n'au- 
rait pu  espérer  les  obtenir  avant  l'affaire  de  Babeuf.  La  résolu- 
lion  fut  soumise  au  conseil  des  anciens  ;  celui-ci  consacra  plusieurs 
séances  à  l'examen  de  la  question,  les  membres  du  nouveau  tiers 
y  suivirent  la  même  tactique  que  leurs  collègues  de  l'autre  con-, 
seil.  Enfin,  le  14  frimaire  (4  décembre) ,  le  voté  des  cinq-cents 
fut  approuvé  à  une  majorité  de  cent  six  voix  contre  soixante- 
huit. 

Ce  succès  et  surtout  le  langage  tenu  dans  les  deux  conseils  prou- 
vent combien  était  grande  la  modification  qui  existait  dans  l'opi- 
nion publique.  Les  journaux  s'occupèrent  de  la  mêajc  question  , 
et  la  traitèrent  dans  le  même  style,  on  prévoyait  déjà  que  le  parti 
qui  formait  l'opposition  dans  les  conseils  en  formerait  bientôt  la 
majorité.  C'était  même  pour  s'assurer ,  sans  aucune  espèce  de 
doute,  cette  majorité,  que  le  nouveau  tiers  avait  poursuivi  avec 
tant  d'ardeur  la  suppression  d'une  loi  qui  le  privait  d'un  grand 
nombre  d'électeurs  et  d'un  grand  nombre  d'éligibles;  tout  d'ail- 
leurs aidait  ses  espérances.  Le  directoire  que  l'on  pouvait  consi- 
dérer comme  le  représentant  des  ex-conventionnels ,  ne  s'était 
point  élevé  au-dessus  de  ce  que  l'on  attendait  de  lui ,  il  était  en- 
touré d'une  multitude  d'intrigons  éliontés,  auxquels  il  livrait  trop 
souvent  les  places  et  les  emplois  de  la  Rép  iblque.  La  présence 
de  Barras  dont  l'entourage* et  la  conduite  prêtaient  à  tous  les 
genres  de  scandales,  suffisait  pour  avilir  ce  pouvoir  dans  l'opinion. 
D'un  autre  côté  ,  on  ne  manquait  point  de  répandi  e  des  doutes 
sur  ses  intentions  administratives.  Un  disait  que  certains  membres 
du  directoire  n'ignoraient  point  la  conspiration  de  Babeuf  :  c'était 
T.  xxxvii.  I- 


I7«S  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRUM.    AN    IV 

une  ca'cmnie  ;  mais  il  y  avait  des  gens  qui  n'en  doutaient  pas.  On 
attaquiiitia  probitëdequeKjues-unselentreauirescil  edeBjlTas. 
Dans  les  conseils,  on  réclamait  contre  les  repré^enlans  qu'il  en- 
voyait dùns  le  Midi.  Plusieurs  séances  avaient  été  employées  même 
à  des  dénonciations  soutenues  avec  une  grande  énergie  de  pen- 
sées et  de  style  contre  la  mission  deFréron.  Une  motion  faite  aux 
cinq-cents  (  10  vendémiaire,  7  octobre),  mettait  en  doute  la  bien- 
veillance des  directeurs  pour  les  conseils.  On  créa  une  commission 
pour  examiner  si  l'on  pourrait  suspendre  leurs  actes,  lorsqu'ils 
mettraient  en  danger  la  liberté  du  corps  législatif.  La  presse  était 
un  autre  ennemi  qui  poursuivait  le  gouvernement.  Les  démocrates 
ne  le  défendaient  pas;  ils  l'insuliai^-nt  chaque  jour,  et  les  roya- 
listes déguisés,  ainsi  que  les  constitutionnels ,  entretenaient  sou- 
vent le  public ,  d'anecdotes  qui  lui  étaient  peu  favorables.  Enfin, 
quelquefois,  on  faisait  retentir  la  tribune,  de  plaintes  trop  justes 
sur  le  débordement  de  mauvaises  mœurs  dont  quelqi:es-uns 
de  ses  membres  donnaient  l'exemple.  Le  conseil  des  cinq-cents 
entendit,  entre  autres,  très-souvent  des  propositions  sur  la  néces- 
sité de  changer  la  loi  du  divorce  qui,  disait-on,  ne  faisait  du  ma- 
riage qu'un  concubinage  déguisé,  et  même  sur  l'uiilité  qu'il  y  au- 
rait à  la  rapporter.  Une  commission  fut  nommée.  Elle  fit  son 
rapport  qui  donna  lieu  à  une  lougue  ei  vive  discussion. 

C'était  dans  ces  quts  ions  que  s'exerçait  la  verve  politique  des 
deux  punis  qui  parijgoaieni  le  corps  législatif.  On  revenait  à 
une  discussion  plus  calme,  lor.Nqu'il  s'agissait  des  nombreuses 
questions  que  l'exigeuce  des  temps  posait  chaque  jour,  lorsqu'il 
s'agissait,  par  exemple,  de  finances,  d'organisation  des  divers  ser- 
vices adujinisiraiil^,  d'agiotage,  etc.,  ou  lorsque  l'on  s'occupait  de 
résoudre  quelques  problèmes  relatifs  à  la  iWmaiion  d'un  code  civil 
dont  le  plan  avait  été  présenté  par  Gaaibacérès  (!). 

On  ne  peut  douter  que  la  marche  de  l'opposition  dans  les  con- 
seils ne  fût  suspecte  au  directoire ,  et  qu'il  n'eiît  des  craintes  pour 
l'avenir;  mais  la  Constitution  l'obligeait  à  les  ménager  et  il  ne 

(t)  Ce  projet  nVut  d'autres  suites  que  de  fournir  la  mati^^e de  rombreot  dis- 
cours. On  en  adopta  trois  arlicles,  et  ce  fut  tout.  (.\ote  des  nutturs.) 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  179o-4797  ).  479 

semblait  rien  voir  et  rien  prévoir.  Il  ri'etait  pas  obligé  de  garder 
les  mêoies  ménagemens  avec  la  pi  esse.  Il  aurait  préféré  ,  sans 
doute,  laisser  aux  conseils  l'odieux  d'une  proposition  Res- 
trictive de  cette  liberté;  mais,  comme  nous  l'avocs  vu,  une 
première  tentative  avait  été  repoussée.  Le  directoire  en  fit  une  se- 
conde. 

Le  9  brumaire  (  30  octobre  1796) ,  le  directoire  adresse  deux 
messages  aux  cinq-cents.  Le  premier  est  destiné  à  racheter,  par 
un  semblant  de  philantrhopje ,  ce  que  te  second  pourra  avoir  de 
repoussant.*Il  demande  donc  d'abord  l'autorisation  de  percevoir 
un  prélèvement  sur  une  augmentation  du  prix  des  billets  de  spec- 
tacles, pour  venir  au  secours  des  indigens. 

On  lit  ensuite  son  message  sur  les  journaux  en  général ,  et  sur 
la  répression  de  la  calomnie  écrite.  Vive  agitation  dans  le  conseiL 
Talot  s'indigne  contre  les  journalistes  :  il  dit  que  chacun  d'eux 
est  un  club  ambulant,  prêchait  la  révolte  et  la  désobéissance  aux 
lois,  et  demande  le  renvoi  à  une  commission.  Chazal ,  Chassey  et 
Hardy  demandent  qu'il  soit  formé  \ine  commission   spéciale. 
Mailhe  pense  que  ce  serait  anéantir  la  liberté  française  que  de 
consacrer  ce  principe,  que  la  conduite  et  les  actes  des  fonction- 
naires ne  peuvent  être  censurés  :  il  vote  pour  le  renvoi  à  la  com- 
mission existante.  (Murmures.)  Boissy-d'Anglas  partage  le  même 
avis  :  il  trouve  étrange  que  le  gouvernement  s'élève  contre  les 
joinrnaux,  tandis  qu'il  a  donné  lui-même  l'exemple  de  ces  abus, 
en  faisant  distribuer,  pendant  six  mois,  des  journaux  détestables, 
ott  chacun  des  représentans  du  peuple  était  calomnié  de  la  ma- 
nière la  plus  indécente.  Pastoret  s'écrie  qu'on  veut,  à  l'approche 
des  élections,  enchaîner  lu  voix  des  écrivains  qui  pourraient  éclai- 
rer le  peuple  sur  ses  vrais  amis,  et  qu'on  veut  comprimer  l'opi- 
nion nationale  :  il  demande  l'ordre  du  jour  sur  le  message.  Le- 
coinle-Puyraveau  dit  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  la  liberté ,  mais 
bien  de  la  licence  de  la  presse  :  il  appuie  la  formation  d'une 
commission  spéciale.  Cette  dernière  proposition  fut  ailoptée. 

L'hostilité  contre  la  hberlé  de  la  pressé  ne  se  borna  pas  ù  pn^n- 
dre  les  voies  directes;  on  cherchait  à  y  apporter  des  empêche- 


1S()  DIRECTOIRE.    —    1)L    4    HRUM.    AN    IV 

mens  par  tous  les  moyens.  On  s'occupait  d'un  nouveau  projet  d»* 
tarif  pour  la  poste  aux  lettres.  Fabre  de  l'Aude  avait  proposé 
d'auigrnenter  le  prix  du  port  des  journaux.  Boissy-d'Anglas  ob- 
jecta le  danger  d'anéantir  la  circulation  de  la  pensée.  Héaldil  que 
ce  n'était  pas  la  question,  et  qu'il  s'agissait  uniquement  de  savoir 
si  la  taxe  à  payer  ne  devait  pas  être  telle  qu'elle  couvrît  au  moins 
les  dépenses  du  transport  :  il  proposa  de  doubler  la  taxe  actuelle. 
Rouzet  pense  que  si  le  gouvernement  avait  regardé  le  transport 
des  journaux  comme  onéreux  à  l'état,  il  n'aurait  pas  refusé  de 
s'en  dessaisir  et  de  le  confier  à  des  entreprises  partftulières  :  il 
vote  pour  le  maintien  de  la  loi  existante.  Bion  convient  que  les 
frais  ne  sont  pas  couverts  ;  mais  il  ajoute  que  c'est  parce  que  le 
directoire  charge  tous  les  jours  la  poste  de  mille  trois  cent  huit 
livres  pesant  de  journaux  qui  ne  paient  pas  un  sou.  Delahaye 
s'attache  à  prouver  que,  si  l'amendenient  de  Fabre  est  adopté  , 
non-seulement  la  circulation  des  journaux  est  arrêtée ,  mais  en- 
core  !e  coup  le  plus  funeste  est  porté  à  l'esprit  public.  Villetard 
dit  que  ces  considérations  peuvent  être  puissantes  ;  mais  que  l'in- 
térêt public  fait  un  devoir,  dans  les  circonstances  présentes,  de 
ne  pas  prodiguer  les  trésors  de  l'état  :  il  appuie  l'amendement. 
Pelet  de  la  Lozère  ne  peut  voir  dans  des  mesures  telles  que  celles 
qu'on  présente,  qu'un  moyen  indirect,  mais  sûr,  d'enchaîner  la 
liberté  de  la  presse  :  t  Ceux  qui  ont  conçu  depuis  long-temps  ce 
»  projet,  dit-il,  en  connaissent-ils  toutes  les  conséquences?  et  peu- 
»  vent-ils  oublier  que  la  France  fut  asservie,  le  jour  où  la  liberté 
»  d'écrire  fui  anéaniie?  >  Thibault  vote  pour  l'amendement  de 
Real,  et  déclare  que  nous  ne  sommes  point  assez  riches  pour  être 
généreux.  Couchery  annonce  qu'il  va  proclamer  une  vérité  dure, 
ma'S  nécessaire  :   «  C'est  que ,  par  ces  propositions  astucieuses 

>  contre  les  journaux,  on  cherche  à  rétablir  une  nouvelle  tyran- 

>  nie,  et  l'on  veut  l'amener  par  le  silence  de  la  terreur.  On  redoute 
»  l'indépendance  des  journaux,  parce  qu'on  n'a  pu  acheter  leur 
»  silence;  on  veut,  par  des  impôts,  arrêter  cette  explosion  que  , 

>  de  toutes  parts,  ils  provoquent  contre  les  entreprises  du  pou- 
»  voir  arbitraire.  »  Bourdon  traite  ces  craintes  de  chimériques  : 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  181 

il  appuie  ramendement  de  Real,  qui  est  adopté,  ainsi  qu'un  auire 
de  Gilbert-Desmolières,  pour  que  les  journaux  ne  puissent  partir 
que  sous  bande,  et  qu'ils  soient  tous  taxés,  à  l'exception  du  jour- 
nal des  Défenseurs  de  la  Patrie,  lorsqu'il  sera  envoyé  aux  armées 
seulement. 

Dès  l'inslant  où  le  directoire  manifesta  des  intentions  contre  la 
liberté  de  la  presse,  l'opposition  saisit  toutes  les  occasions  de  pré- 
parer l'opinion  des  conseils,  de  manière  à  faire  éprouver  un  échec 
au  gouvernement  ou  plutôt  aux  doctrines  qu'il  représentait.  Ainsi 
Pastoret ,  dans  un  rapport  sur  le  code  pénal ,  article  calomnie , 
s'écriait  :  «  Le  mal  qu'un  individu  pourrait  ressentir  de  la  ci^lom- 

>  nie,  nous  fera-t-il  oublier  le  droit  garanii  par  la  Constitution  , 
»  d'examiner,  déjuger,  de  blâmer  les  opinions  et  les  actions  po- 
»  litiques  des  mandataires  du  peuple  et  de  ses  magistrats?  En en- 

>  tendant  quelquefois  des  hommes  puissans  se  livrer  »de  terribles 
»  imprécations,  vouloir  tout  renverser  et  tout  détruire,  parce 
»  qu'un  journaliste  les  a  outragés,  je  me  rappelle  involontairement 

>  Charles  II  déclarant  la  guerre  à  la  Hollande ,  sur  le  prétexte 
»  qu'un  tableau  de  la  commune  de  Dort ,  qui  représentait  cette 
»  fameuse  victoire  de  Chatam,  où  Corneille  de  Wit  brûla  les  vais- 

»  seaux  anglais,  était  un  libelle  contre  l'Angleterre La  vigi- 

»  lance,  dans  un  pays  libre,  est  le  devoir  universel  des  amis  de  la 

>  patrie  ;  son  exagération  même  est  préférable  à  la  stupide  indo- 

>  lence  des  esclaves.  Et  où  en  serions-nous  si ,  pour  dévoiler  les 
»  périls  dont  nous  menaceraient  des  actions  ou  des  systèmes  po- 
»  litiques ,  il  fallait  paisiblement  attendre  le  triomphe  des  conspi- 
»  rateurs?  » 

Néanmoin'fe,  le  5  frimaire  (25  novembre) ,  la  commission  de  la 
presse  fit  son  l^pport.  Daunou,  en  son  nom,  proposa  trois  réso- 
lutions, (If  une  pour  défendre  d'annoncer  les  journaux  ou  écrits 
périodiques  autrement  que  par  leur  titre  général  et  habituel;  le 
second  ,  pour  l'établissement  d'un  journal  officiel  :  le  troisième 
contenant  des  dispositions  contre  la  calomnie.  La  discussion  com- 
mença huit  jours  après,  l'opposition  fut  vive  et  ne  s'épargna  pas 
les  récriminations.  INoaillcs  parla  le  premier;  il  demanda  com- 


182  DIRECTOIRE.    —   DD   4   BRUM.    AN   IV 

ment  il  se  faisin't  que  ceux  qui  étaient  autrefois  les  plus  ardens 
défeLseurs  de  cette  liberté,  en  étaient  aujourd'hui  les  plus  achar- 
nés adversaires  ;  il  opposa  le  langage  du  jour  à  celui  qu'on  tenait 
aulrefds.  L'opposition  avait  beau  jeu.  Néanmoins  les  résolutions 
passèrent  aux  cinq-cents,  bien  qu'à  une  faible  majorité;  on  dé- 
cida même  qu'un  crédit  de  1  ,GOO,000  francs ,  serait  ouvert  pour 
les  frais  d'un  jouinal  tachygraphique  officiel.  Mais  le  conseil  des 
anciens ,  sur  le  rapport  de  Baudin  des  Ardennes ,  refusa  son  ap- 
probation ,  et  le  projet  fut  comme  non  avenu. 

Cet  échec  était  d'autant  plus  fâcheux  que  les  amis  du  gouver- 
nement n'avaient  pas  eu  le  beau  rôle  ;  l'esprit  de  réaction  profilait 
de  tous  les  avantages  qu'on  lui  donnait;  le  directoire,  au  lieu 
de  le  dompter,  lui  avait  donné  des  prétextes,  c'est-à-dire  de  la 
force,  et  lui-ny}me  perdait  chaque  jour  son  influence  sur  les  con- 
seils. 11  avait  besoin  de  ressaisir  une  autorité  qui  menaçait  encore 
de  lui  échapper»  l'imprudence  de  quelques  agens  royalistes  vint  lui 
en  offrir  l'occasion  ;  et ,  selon  l'expression  de  Thibaudeau  dans 
ses  mémoires,  il  y  avait  une  centaine  de  députes,  qui  attendaient, 
avec  autant  d'impatience  que  les  directeurs,  que  le  royalisme  vou- 
lût bien  se  compromettre  et  leur  offrir  les  moyens  de  prendre 
leur  revanche. 

Le  il  pluviôse ,  an  V  (50  janvier  1797),  la  nouvelle  se  répan- 
dit dans  les  conseils ,  qu'on  venait  de  découvrir  une  troisième 
conspiration.  Chaque  parti ,  ignorant  les  détails,  observait  ses 
adversaires  :  les  députés  royalistes  disaient  que  c'était  une  con- 
spiration feinte ,  imaginée  pour  depopulariser  les  amis  de  l'ordre 
et  de  la  paix  publique.        *  • 

Le  lendemain  12,  les  cinq-cents  reçurent  un  message  du  di- 
rectoire accompagné  d'un  i  apport  du  ministre  delà  p^ice  géné- 
rale ,  Cochon.  Les  conspirateurs  étaient  des  royalistes.  C'étaient 
un  abbé  Broiier,  mathématicien  ei  littérateur;  un  sieur  Duverne 
de  Presie,  ex-officicr  de  marine,  ex-émigré,  qui,  sous  le  nom  de 
Dussau  ,  conduisait  depuis  long-temps  des  intrigues  royalistes  ; 
un  ancitn  maître  tles  requêtes ,  Bertholot-lu-Villeurnoy,  et  un 
agent  subalterne  nommé  l*oiy. 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  17Ho-1797  ).  183 

Ils  s'étaient  adressés ,  disait  le  rapport ,  au  citoyen  Maîo ,  com- 
mandant du  vingt-unième  régiQïent  de  dragons,  et  au  citoyen 
Ramel ,  commandant  des  grenadiers  du  corps  législatif ,  pour  les 
engager  à  faire  servir  les  troupes  sous  leurs  ordres  à  leur  pro- 
jet. Ceux-ci,  d'après  l'avis  du  ministre  de  la  police,  feignirent  de 
se  prêter  aux  vues  des  conspirateurs ,  demandèrent  à  voir  le 
plan  des  opérations  et  le»  pouvoirs  qu'ils  disaient  avoir  de 
Louis  XVIII.  Ils  leur  donnèrent  à  cet  effet  rendez-vous  chez 
jyialo,  et  les  firent  saisir,  ainsi  que  leurs  papiers,  par  des  gens 
aposlés  d'avance  chez  cet  officier.  On  arrêta  aussi ,  mais  à  do- 
micile, l'agent  Poly,  nommé  plus  haut.  Ces  commissaires, 
ajoutait  le  ministre,  soudoyaient  les  anarchistes,  et  se^ropo- 
baient  de  les  mettre  en  avant,  pour  réveiller  la  haine  des  Fran- 
çais contre  les  excès  du  règne  de  la  terreur  ;  ils  auraient  profité 
de  cette  haine  pour  ramener  la  royauté.  Louis  XVIII,  à  son  avè- 
nement au  trône,  devait  accorder  une  amnistie  générale;  mais 
le  parlement. aurait  déclaré  que  le  roi  n'avait  pu  accorder  un  pa- 
reil  pardon,  et  l'on  aurait  poursuivi  tous  ceux  qui  avaient  parti- 
cipé au  progrès  de  la  révolution  et  à  l'affermissement  de  la  Ré- 
publique.— A  la  suite  de  ce  rapport,  Defermont  demanda  que  le 
conseil  donnât  <  aux  citoyens  Malo,  Ramel  et  autres  braves  mili- 
taires qui  les  avaient  secondés ,  un  témoignage  de  reconnaissance, 
en  déclarant  qu'ils  avaient  bien  mérité  de  la  patrie.  Cette  motion 
fut  adoptée  unanimement.  > 

A  la  séance  du  16  pluviôse  (4  février),  le  directoire.  CGima 
communication  des  pièces  relatives  à  la  nouvelle  conspiration. 
Un  secrétaire  eu  fit  lecture.  Voici  quelques-unes  de  ces  pièces  : 
nous  y  joignons  les  premiers  interrogatoires  subis  par  les  pré- 
venus. 

Plan  d'exécution. 

€  Poser  des  corps  de  garde  de  fjenssûrs  à  toutes  les  barrières, 
même  aux  brè'hes  des  murs  de  h  clôture  de  Paris  ;  ne  laisser  en- 
trer que  les  approvisionnemens  et  \es  fidèles  atten  lus , desquels 
seront  en  étal  d^  répondre  à  un  mot  d'ordre  convenu  H  tenu 


184  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRUil.    AN   IV 

secret;  ne  laisser  sortir  personne  dans  les  premières  vingt-quatre 
heures  ,  exce[)té  les  porteurs  d'ordres  expédiés  par  les  déposi- 
taires de  l'autorité  royale. 

>  S'empaier  au  même  instant  des  Invalides,  de  l'École  3Iili- 
taire,  de  l'Arsenal,  de  la  Monnaie,  de  la  trésorerie,  de  toutes  les 
caisses  publiques  ,  des  Tuileries,  de  tous  les  magasins  qui  sont 
aux  Feuillans,  du  Palais-Royal,  du  Temple,  des  postes  aux  let- 
très  et  aux  chevaux,  des  voitures  publiques,  des  télégraphes,  du 
Luxembourg,  des  maisons  des  ministres,  et  s'assurer  du  cours 
de  la  riviâ'e,  tant  au-dessus  qu'au-dessous  de  Paris. 

>  M^^udon  est  un  poste  très-impoitant  à  occuper  sans  délai. 
C'est  le  dépôt  des  munitions ,  des  pièces  d'artillerie  qui  sont  à 
Paris.  i)e  plus ,  il  y  existe  trois  cents  chevaux;  trois  cents  hom- 
mes suffiront  pour  cette  expediiion.  Il  faut  s'emparer  des  maga- 
sins de  poudre  d'Essonne  et  des  magasins  de  farine  de  Corbeil. 

»  On  peui  compter  sur  les  habiaus  du  village  de  Vincennes; 
il  faut  s'emparer  du  donjon,  qui  servirait  pour  y  renfermer  les 
prisonniers  intëressans,  ou  de  retraite  momenlané^en  cas  de  be- 
soin. Le  Temple  étant  une  enceinte  isolée ,  facile  à  défendre, 
il  serait  convenable  de  le  choisir  pour  le  quariier-général  des  re- 
présentans  du  roi. 

>  Intercepter  tous  les  ponts;  contenir  les  faubourgs  Saint-An- 
toine et  Saint-Marce.tu  par  tous  les  moyens  possibles.  Une  bat- 
terieà  Monimarlre,  en  contenant  Paris,  éclairerait  et  assurerait 
les  routes  du  Nord. 

»  S'il  échappe  un  des  directeurs,  et  que  la  promesse  de  l'am- 
nisiie  ne  le  ramène  pas ,  mettre  ^  tète  à  prix,  et  déclarer,  par 
une  proclamation,  traîire  au  roi  et  à  la  patrie  quiconque  le  recè- 
lera ;  il  serait  bon,  par  une  autre  proclamation,  de  consigner  les 
membres  des  deux  c<ir,seils  à  la  garde  des  propriétaires,  princi- 
paux locataires  et  portiers  de  leur  domicile,  jusqu'à  nouvel  ordre. 

»  11  faut  s'assurer  des  principaux  Jacobins  et  terroristes,  ré- 
tablir la  jurisdiction  prévôiale  et  les  ancierft  supplices,  ordonner 
aux  aérninislrations  municipales  de  surveiller  exactement  les 
agitateurs,  et,  aux  premiers  propos  incendiaires,  les  faire  juger 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  185 

prévôlalement  ;  brûler  sur-le-champ  les  presses  des  journaux 
jacobins,  et  arrêier  leurs  auteurs. 

»  Pour  faire  place  dans  les  pi  isons ,  y  envoyer  un  magistrat 
probe  et  actif  qui  vérifierait  les  écrous  et  mettrait  en  liberté  ceux 
qui  ne  seraient  pas  détenus  pour  crimes.  Il  faudra  surtout  s'oc- 
cuper de  Bicétre.  Les  habitans  de  Paris  auront  un  intérêt  pres- 
sant à  contenir  efficacement  les  assassins,  les  voleurs  et  les  ter- 
roristes. 

•  »  11  faut  proclamer  une  amnistie  générale  au  nom  du  roi;  con- 
server provisoirement  tous  les  tribunaux,  et  publier  une  déclara- 
tion honorable  pour  les  armées ,  et  amicale  pour  les  puissances 
étrangères. 

»  Faire  garder  a^ec  honneur,  mais  avec  vigilance,  les  en- 
voyés des  puissances  étrangères  ;  ordonner  à  tous  les  fournisseurs 
et  agens  de  continuer  le  service  chacun  dans  sa  partie  ;  faire  cir- 
culer de  nombreuses  patrouilles  dans  les  rues  ;  ordonner  l'ouver- 
ture des  boutiques;  avoir  un  approvisionnement  de  grenades  pour 
dissiper  les  attroupemens,  c'est  le  moven  le  plus  efficace  ;  ordon- 
ner d'illuminer  les  premiers  étages  une  ou  deux  nuits;  nommer 
un  chef  à  la  gendarmerie,  laquelle  reprendra  sur-le-champ  le 
nom  de  maréchaussée  ;  annoncer,  par  des  proclamations  dans 
les  provinces,  le  roi  comme  un  père  tendre  appelé  par  ses  enfans. 

»  Déployer  une  grande  sévérité  contre  tout  royahste  qui  se  li- 
vrerait à  des  vengeances  personnelles  ;  envoyer  des  commissaiies 
dans  les  campagnes,  pour  faire  lès  approvisionnemens  néces- 
saires ;  donner  sur-le-champ  à  M.  de  Vauvilliers,  la  commission 
de  directeur- général  des  approvisionnemens  de  Paris  ;  réunir 
les  anciens  agens  de  la  police  ,  et  les  charger  de  remonter  cette 
partie  si  essentielle  de  l'ordre  public  ;  abolir  sur-le-champ  les 
décades  et  le  comput  républicain  ;  ordonner  à  tous  les  iatendans 
de  se  rendre  dans  les  provinces  qui  leur  étaient  confit:es  avant 
la  révolution ,  et  nommer  des  magistrats  pour  se  transporter 
dans  les  provinces  dont  les  intendans  n'existeraient  plus  :  ces 
administrateurs  auraient  le  titre  de  préfets  royaux,  du  com- 
merce et  des  maoufactures. 


186  DIRECTOIRE.    —    DU    4   BRUM.    AN    IV 

»  Tous  ces  pouvoirs  seraient  déclarés  n'être  que  provisoires , 
jusqu'à  l'arrivée  de  sa  majesté,  etc. 

Première  proclamation. 

>  La  Providence,  toujours  impénétrable  dans  ses  décrets,  a 
pernjis,  pour  l'instruciion  des  rois  et  la  punition  des  peuples,  que 
le  royaume  de  France  fut  bouleversé  par  des  factieux,  que  son 
culte,  ses  lois,  son  gouvernement  fussent  anéantis  ;  que  son 
cler^jé,  sa  noblesse,  ses  magistrats,  ses  meilleurs  habitans  fussent 
persécutés,  expatriés  ou  massacrés;  qu'enfin  notre  très-hom)ré 
seigneur  et  fr.ère ,  et  une  partie  de  son  auguste  famille ,  lussent 
victimes  de  la  tyrannie  qui  remplaçait  le  gouvernement  légitime. 

»  Celte  mêrtie  Providence  a  daigné  jeter  un  regard  de  commi- 
séraiion  sur  un  empire  successivement  augmenté  pendant  qua- 
torze siècles  de  prospérité,  gouverné  par  une  maison  qu'une  des- 
cendance de  huit  cents  ans  rendait  assez  illustre  pour  lui  faire 
espérer  un  meilleur  sort ,  eu  égard  surtout  aux  nombreux  bien- 
faits qu'elle  s'est  plu  dans  tous  les  temps  de  verser  sur  les  Fran- 
çais. Leurs  yeux  se  sont  ouverts,  leurs  cœurs  se  sont  attendris,  ils 
sont  revenus  aux  senlimens  d'amour  pour  i^ur  légitime  souverain, 
sentimens  qui  les  distinguaient  parmi  toutes  les  naiions.  Ils  ont 
rassemblé  les  débris  dispersés  de  notre  trône  ,  et,  reconnaissant 
nos  droits  aussi  sacrés  qu'imprescriptibles  à  la  couronne  hérédi- 
taire d.jns  notre  maison,  ils  nous  l'ont  rendue  par  esprit  de  jus- 
tice ,  et  dans  la  persuasion  sans  doute  que  nous  ne  la  laisserions 
ni  vaciller,  ni  flétrir  sur  notre  front. 

»  Nous  en  prenons  l'engagement  solemnel  en  présence  du 
Très -Haut,  qui  seul  dispose  des  empires  et  du  cœur  des  sujets. 
Plus  cette  couronne  fut  souillée  par  des  mains  impures  et  sacri- 
lèges qui  osèrent  la  briser,  plus  nous  ferons  d'etïorts  pour  lui 
rendre  son  éclat  et  sa  dignité,  persuadé  que  les  Français  nous 
seconderont ,  et  par  un  redoublement  de  fidélité  effaceront  la 
tache  que  la  fureur  révolutionnaire  a  in)primée  à  ce  nom  qu'ils 
avaient  porté  jusqu'alors  avec  un  légitime  orgueil. 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  187 

>  De  notre  côlé ,  mettant  en  oubli  l'égarement  d'un  peuple 
entraîné  par  le  torrent  des  factieux,  séduit  et  trompé  par  des  am- 
bitieux qui  ont  osé  porter  leurs  attentats  jusqu'à  la  Divinité,  n'é- 
coutant que  l'affection  qui  nous  a  été  transmise  par  nos  ancêtres 
pour  df^s  sujets  toujours  dignes  de  ces  senlimens  quand  ils  sont 
rendus  à  eux-mêmes,  loin  de  signaler  notre  avènement  par  l'appa- 
reil des  vengeances  en  monarque  irrité,  nous  ne  voulons  leur 
montrer  que  le  père  tendre  et  indulgent,  qui,  satisfait  du  repen- 
tir de  ses  enfans ,  impose  silence  à  sa  justice  pour  répandre  sur 
eux  tous  les  trésors  de  la  clémence. 

»  Oui ,  Français ,  nous  vous  pardonnons  avec  autant  de  plaisir 
que  vos  tyrans  en  éprouvaient  à  vous  immoler.  Que  ce  soit  ici  le 
dernier  souvenir  qui  nous  reste  d'eux.  Abandonnons-les  à  la 
main  invisible  et  toute-puissante  qui  a  déconcerté  leurs  horribles 
projets.  La  justice  du  Dieu  vivant  ne  ressemble  pas  à  celle  des 
hommes ,  abandonnons-lui  les  coupables  ;  seul  il  pftit  lire  dans 
leurs  cœurs,  apprécier  le  repentir  et  punir  l'endurcissement. 

»  Pleins  pouvoirs.  —  Le  roi  donne  pouvoir  aux  sieurs  Brottier 
et  Duverne-de-Presle ,  ses  agens  à  Paris ,  d'agir  et  de  parler  en 
son  nom ,  en  tout  ce  qui  concerne  le  rétablissement  de  la  monar- 
chie. Ils  pourront  se  donner  un  adjoint  à  leur  choix  qui  parta- 
gera leurs  fonctions  et  leurs  pouvoirs.  lis  devront  faire  en  com- 
mun tous  les  actes  relatifs  à  leur  mission,  à  moins  que  l'un  d'en- 
tre euî^ne  soit  autorisé  par  les  deux  autres  à  agir  séparément 
dans  les  cas  dont  ils  seront  convenus.  Ils  courront  choisir  les 
agens  secondaires  dont  ils  croiront  devoir  se  servir,  et  en  tel  nom- 
bre qu'ils  jugeront  nécessaire  ,  le  tout  à  la  charge  par  eux  de  se 
conformer  aux  instructions  annexées  au  présent  pouvoir. 

Fait  à  Véronoe,  le  25  du  mois  de  février,  l'an  de  grâce,  i  796,  et  de 
Dotre  règne  le  premier.  „     ^ 

Signé ,  Loujs. 

»  Instructions. — Je  suis  bien  aise,  messieurs,  que  les  circonstan- 
ces, en  vous  mettant  à  portée  derendre  votre  zèle  de  plus  en  plus 
utile  à  mon  service ,  me  donnent  aussi  le  moyen  de  vous  prou- 
ver davantage  ma  confiance.  Vous  trouverez  l'ensemble  et  les  dé- 


188  DIRECTOIRE.    —    DU    4   BRUM.    AN    IV 

tails  de  rimporiante  mission  que  je  vous  confie,  dans  les  plans , 
instructions  et  pouvoirs  que  je  vous  envoie.  Mais  il  y  a  d'autres 
points  sur  lesquels  vous  pouvez  me  servir  utilement,  et  que  je  me 
suis  réservé  de  vous  expliquer  moi-même  daos  cette  lettre.  La 
division  qui  s'est  glissée  entre  les  chefs  de  l'armée  catholique  et 
royale  est  la  chose  la  plus  pernicieuse  qui  puisse  exister.  Cette  di- 
vision cessera  bientôt,  j'espère ,  par  l'arrivée  de  mon  frère,  mais 
en  attendant  il  peut  en  résulter  bien  des  maux.  Les  ordres  que  je 
vous  donnerais  pour  que  tous  ces  chefs  en  reconnaissent  un  d'en- 
tre eux  pour  leur  chef  suprême,  loin  d'y  porter  remède ,  ne  fe- 
raient qu'aggraver  le  mal.  C'est  en  engageant  M.  de  Charette  à 
ne  pas  prétendre  au  commandement  suprême ,  et  en  amenant  les 
autres  chefs  ,  non  pas  précisément  à  lui  obéir,  mais  à  se  confor- 
mer à  ses  avis  qu'on  peut  faire  de  ces  différentes  parties  un  tout 
vraiment  utile.  J'écris  à  MM.  de  Charette  et  Slofflet  que  j'attends 
de  leur  at||ichement  à   ma  personne,  qu'ils  se  prêteront  aux 
arrangemens  (\ue  le  bien  de  l'état  exigera  d'eux. 

*  C'est  à  vous  et  à  M.  Mousiier  avec  lequel  vous  vous  enten- 
drez à  vous  conduire  de  manière  à  ne  pas  blesser  cet  amour-pro- 
pre, et  cependant  à  parvenir  au  but  que  je  me  propose;  cette 
mission  est  délicate,  mais  je  suis  sur  que  vous  la  remplirez  par- 
faitement. J'approuve  que  M.  d'Antraigues  continue  à  être  le  ca- 
nal de  votre  correspondance  avec  nioi  ;  il  conservera  vos  origi- 
naux. Je  vous  autorise  à  donner  aux  autres  chefs  la  même  auto- 
risation que  je  donne  à  M.  de  Charette  pour  les  croix  ûe  Saint- 
Louis,  plaques  de  soldats  et  commandemens. 

»  Mémoire.  —  Le  roi  a  appris  avec  la  plus  grande  satisfaction 
que  ses  aj^ens  à  Paris,  en  s'occupaut  efficacement  des  moyens  de 
rallier  à  lui  les  membres  des  deux  conseils,  n'ont  jamais  cessé 
d'avoir  en  vue  l^rajid  but  vers  lequel  doivent  se  réunir  tous  les 
intérêts  bien  entendus. 

»  C'ett  vers  un  régime  destructif  des  anciens  abus  qu'il  fautdi" 
riger  tous  les  efforts  en  donnant  les  assurances  les  plus  tranquil- 
lisantes des  intentions  invariables  du  roi.  Il  est  trois  principaux 
moyens  d'accroître  l'influence  du  parti  royal  ;  écarter  des  admi- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (1790-1797).  im^ 

nistrations  les  chefs  des  régicides  et  des  Jacobins ,  travailler  à  as- 
surer le  succès  des  nouvelles  élections,  gagner  ie  plus  grand  nom- 
bre qu'il  sera  possible  des  membres  du  parti  connu  sous  la  déno- 
mination du  Ventre. 

»  Les  plus  récentes  notions  sur  la  situation  actuelle  des  deux 
conseils  rendent  ce  troisième  point  bien  important.  Le  roi  vou- 
drait que  vous  lui  fissiez  parvenir  des  éclaircissemens  sur  la  con- 
sistance du  parti  dont  vous  lui  annoncez  les  intentions ,  et  sur  sa 
connexion  avec  une  des  deux  armées  principales. 

»  Le  roi  approuve  les  tentatives  faites  pour  ramener  K  c ,  V  a, 
A  c,  D  1 ,  B.  D  B. ,  T  D,  A  h ,  E  r,  A  f.  Si  les  provinces  dans  les- 
quelles ils  se  trouvent  ne  présentent  pas  les  moyens  de  fournir  à 
l'entretien  du  corps  des  troupes  qui  s,e  sera  déclaré,  vous  les  ré- 
clamerez du  ministre  britanniquei,  mais  sans  vous  écarter  des 
instructions  que  vous  avez  déjà. 

>  Sa  majesté  approuve  la  commission  que  vous  avez  donnée  à 
M.  de  Rochecot,  mais  il  importe  de  faire  en  sorte  qu'on  ne  prenne 
à  regard  de  M.  Puysaye  qu'un  parti  tellement  justifié  par  la  né- 
cessité ,  qu'il  n'indispose  pas  ceux  des  ministres  anglais  qui  se 
sont  déclarés  ses  protecteurs.  Elle  approuve  aussi  tous  les  chan- 
gemens  que  ses  agens  croiront  nécessaires  pour  l'exécution  du 
plan  général  dont  lenchaînement  leur  a  été  tracé. 

>  Quant  à  l'envoi  d'un  prince  de  son  sang  dans  la  Vendée ,  sa 

majesté  va  s'occuper  de  cet  objet  si  important  ;  mais  avant  que  de 

donner  à  M.  le  duc  de  Bourbon,  comme  précurseur  de  Monsieur, 

ses  ordres  définiiif^  ;  elle  veut  que  vous  lui  développiez  les  moyens 

de  prudence  qui  seront  employés  pour  ne  pas  se  compromettre 

inutilement. 

A  Blankembourg,  le  24  novembre  i  796. 

»  Signé ,  le  duc  de  la  Vauguyon. 
Observations  pour  remplir  ie  gouvernement  provisoire. 

»  Affaires  étrangères,  M.  Henin ,  ancien  premier  commis. 
»  L'intérieur,  laisser  Bénézech. 
»  La  marine,  M.  de  Fienrieu. 


191)  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRLM.    AN   IV 

»  La  justice,  M.  Siméon  ou  Baresseux. 

»  Les  finances ,  M.  Bénignoi  de  la  Grange,  rue  St.  Florentin, 
vis  à  vis  i'hôiel  de  l'infamado  ou  M.  Barbé-Marbois  qui  a  été  in- 
tendant  à  Saint-Domingue  et  qui  passe  pour  honnête  homme. 

»  Ponts-et-chaussées ,  Th.  de  la  3Iillière. 

>  Subsistances,  M.  de  Yauvilliers. 

*  Commissaire-général  des  prisons,  M.  Sourdas. 

»  Police,  laisser  Cochon.  On  y  mettra  Portalis  ou  Siméon  ,  si 
Baresseux  est  à  la  justice.  Cochon  ayant  voté  la  mort  du  roi  effa- 
roucherait trop  les  royalistes  et  n'attirerait  pas  leur  confiance.  > 

Inteirogatoires  de  la  Vîlleiirnois, 

f  Nous ,  administrateur^  du  bureau  central ,  etc. 

Demande.  Vos  nom  ,  prénoms,  pays  de  naissance,  demeure 
et  profession. 

Réponse.  Charles-Honorine  Berthelot  de  la  Villeurnois,  âgé 
de  quarante-sept  ans  ,  natif  de  Toulon ,  ci-devant  maître  des  re- 
quêtes, à  présent  sans  étal,  demeurant  rue  Culture-Sainte-Ca- 
therine ,  n.  520. 

D.  En  quel  endroit  avez-vous  été  arrêté  et  à*quelle  heure? 

R.  A  l'École-Mifitaire ,  à  onze  heures  du  matin. 

D.  Pourquoi  y  éliez-vous? 

R.  Pour  y  faire  une  visite  au  C.  Malo  qui  m'en  avait  prié. 

D.  Quelle  était  la  nature  d'affaire  qui  avait  déterminé  le  C.  3Ialo 
à  vous  donner  ce  rendez-vous,  et  l'avez-vous  trouvé  à  l'École-Mi- 
fitaire? 

R.  J'ai  trouvé  le  C.  Malo ,  et  j'ai  resté  chez  lui  environ  une 

demi-heure. 

D.  Savez-vous  pour  quel  motif  vous  avez  été  arrêté? 

R.  On  m'a  lu  le  mandai  d'amener  en  vertu  duquel  j'ai  été  mis 
en  arrestation ,  mais  je  ne  m'en  rapp*  lie  pas  les  causes. 

D.  Lors  de  voire  airestalion,  a-t-on  saisi  sur  vous  quelques 

pa[)itTs? 

R.  On  en  a  saisi  une  certaine  qiianliié  que  j'ai  signés  et  que  je 
reconnaîtrai  lorsqu'on  me  les  représentera. 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  i79o-1797  ).  191 

D.  Reconnaissez -vous  les  pièces  que  nous  vous  représentons  ;  la 
première  commençant  par  ces  mots  ;  «Poser  des  corps-de-gai  de» 
et  finissant  par  ceux-ci  :  «  Les  puiisancts  étrangères.  >  La  se- 
conde portant  en  tête  ces  mots  :  «  Ordonner  à  tous  les  fournis- 
seurs, »  terminée  par  ceux-ci  ;  «  Ceux  qu'on  ne  peut  conserver 
sans  danger.  »  La  troisième  ayant  pour  titre  :  «  Première  pro- 
clamation » ,  commençant  par  ces  mots  :  <  Louis  et  la  Provi- 
dence ,  »  et  finissant  par  ceux-ci^  «  Punir  l'endure  ssement.  >  La 
quatrième  commençant  :  «  Faites  garder  avec  honneur,  »  et  fi- 
nissant :  «  D'envoyer  sans  délai  à  sa  cour.  >  La  cinquième ,  da- 
tée du  25  janvier  1797,  d'un  endroit  dont  on  a  déchiré  le  mor- 
ceau, adressée  à  M.  Eiienne.  La  sixième  commençant  :  «  Les  af- 
faires étrangères,  »  finissant  :  «N'attirerait  pâs  leur  confiance.  » 
La  septième  qui  est  une  lettre  datée  de  Calais  dont  la  suscripiion 
a  été  effacée.  La  huitième  qui  est  une  lettre  ailrej^sée  au  C.  La- 
villeurnois.  Lï  neuvième  qui  est  une  lettre  adressée  à  mademoi- 
selle  3Iore.  La  dixième ,  une  autre  lettre  contenant  des  détails 
de  ménage.  La  onzième  portant  pour  titre  :  «  Portrait  de 
Louis  XVI ,  »  commençant  par  ce  vers  : 

Ce  prince  infortuné  qu'une  sévère  loi. 
et  finissant  par  ceki-ci  : 

S'il  ne  parut  réguer,  au  moins  il  sut  mou  rir, 

R.  Je  reconnais  toutes  ces  pièces. 

D.  Voulez-vous  nous  dire,  citoyen,  quel  a  été  l'objet  de  la 
première  pièce  que  vous  venez  de  reconnaîire,  et  dans  quelles 
intentions  a  été  conçu  le  plan  qu'elle  renferme? 

R.  Comme  on  parlait  beaucoup  de  mouvemens  jacobins  et  de 
ceux  de  lu  faction  d'Orléans  qui  paraissaient  coïncider  pour  dé- 
iruiie  le  gouvernement  de  France,  j'ai  pensé  que,  si  ce  boule- 
versement avait  lieu,  l'anarchie  qui  lo  suivrait  serait  pire  que  ia 
commotion  mé.iie,  et  que  tous  l^s  bons  citoyens  devaie- 1  s'oc- 
cuper des  moyens  de  substituer  un  gouvernement  sige  à  celui 
qui  ne  subsisterait  p!us.  Dans  ces  vues,  j';ii  e  sayé  de  réunir, 
dans  un  table  »u  général ,  les  grandes  masses  ue  l'aJminislr.ition 


1V):2  niRECTOlRK.    —    DL    4    BRUM.    AN    IV 

dont  il  est  essentiel  de  ne  pas  hiisser  briser  les  ressorts.  J'ob- 
serve que  je  n'ai  pas  tracé  un  plan  de  contre-révolution  ;  mais  que 
la  rédaction  de  mes  idées  part  du  moment  où  cette  contre-révo- 
lution aurait  lieu  d'une  manière  quelconque. 

D.  La  proclamation  a-t-elle  été  rédigée  dans  les  mêmes  prin- 
cipes ? 

R.  C'est  un  canevas  de  ce  que  je  crois  êire  la  voie  la  plus  sage 
pour  rallier  autour  de  l'aîné  desfrères  de  Louis  XVI  les  Français 
dans  un  moment  où  une  faction  quelconque  serait  parvenue  à 
changer  le  système  du  gouvernement  actuel. 

D.  Il  paraît  cependant  que  ces  pièces  caraclérisent  un  plan 
combiné  de  manière  que  vos  mesures  étaient  prises  pour  en  ame- 
ner l'exécution. 

R.  Ces  dilïérentes  idées  sans  liaison  entre  elles  m'ont  été  sug- 
gérées par  une  conversation  que  j'ai  eue  précédemment  avec  le 
C.  Malo  qui^me  parlait  du  danger  de  rester  sp'ectateur  pure- 
ment passif  des  mouvemens  extrêmement  alarmans  des  anar- 
chistes et  des  orh'anis!es.  Il  me  disait  «que  si  le  gouvernement  ac- 
tuel était  détruii  la  France  serait  de  nouveau  inondée  de  sang  , 
saturée  de  crimes  et  finirait  peut-être  par  tomber  en  dissolution.» 

D.  Avez-vojjs  soumis  votre  plan  au  C.  Malo  J 

R.  Hier,  il  m'avait  indiqué  un  rendez-vous  pour  lui  communi- 
quer mes  idées.  C'est  hier  malin  que  je  les  ai  écrites  à  cinq 
heures. 

D.  Assurez-vous  n'avoir  vu  le  C.  Malo  que  deux  fois? 

R.  Oui. 

D.  Comment  avec  les  talens  que  vous  paraissez  avoir  avez- 
vous  pu  confier  un  projet  de  cette  importance  a  un  homme  que 
vous  ne  connaissez  presque  pas? 

R.  La  conduite  tenue  par  le  C.  3Ialo,  lors  de  l'attaque  du 
camp  de  Grenelle,  a  dû  donner  une  haute  idée  de  lui  à  tout  ce 
qui  n'était  pas  jacobin. 

1).  Pourquoi  dans  votre  projet  annoncez-vous  qu'on  peut 
compter  sur  les  habiians  de  Vincennes? 

R.  Cet  article,  comme  tous  les  autres,  ne  sont  que  des  idées 


AV  e'SO  FLOR.  AN  V  (  1795-1797).  195 

jetées  en  masse,  et  qu'il  aurait  été  nécessaire  de  dégrossir.  Mes 
assertions  sont  le  résultat  de  ce  que  j'ai  entendu  dire  dans  le  pu- 
blic, je  n'ai  rien  vérifié  sur  les  lieux. 

D.  Si  vous  n'avez  jamais  eu  d'autre  idr'e  que  de  substituer  un 
gouvernement  dans  un  cas  de  contre-révolution  antérieure  , 
pourquoi  l'ariicle  onze  de  votre  projet  est-i!  ainsi  conçu  :  *  S'il 
échappe  un  des  directeurs,  et  que  la  promesse  de  l'amnistie  ne  le 
ramène  pas,  il  faut  mettre  sa  tête  à  prix? 

R.  Mon  canevas  ne  présente  que  des  masses  à  élaborer  pour 
remplacer  un  gouvernement  qui  n'existerait  plus. 

D.  Comment,  n'ayant  que  des  inienlions  non  hostiles,  avez- 
vous  annoncé  qu'il  serait  bon  de  consigner  les  membres  des  deux 
conseils  à  la  garde  des  propriétaires,  principaux  locataires  et 
portiers  de  leur  domicile,  d'empêcher  la  réunion  de  ces  mem- 
bres et  de  leur  inspirer  de  la  terreur? 

R.  La  désunion  existante,  non-seulement  dans  les  deux  con- 
seils ,  mais  dans  ^intérieur  du  conseil  des  cinq-cents ,  où  les 
Montagnards  ont  pris  un  ascendant  fait  pour  effrayer  les  amis  de 
l'ordre,  m'a  fait  penser  qu'il  serait  essiniiel  de  trouver  une  me-, 
sure  pour  empêcher  les  effets  terribles  de  cette  scission  dans  un 
moment  d'explosion.  Quant  au  mot  «erreur,  je  n'ai  prétendu  l'ap- 
pliquer qu'à  ceux  entre  les  nains  desquels  elle  a  été  une  arme  si 
terrible  pour  nous. 

D.  Quel  est  le  C.  Débard  dont  vous  parlez  dans  un  article  de 
votre  plan? 

R.  Je  Tai  connu,  il  y  a  vingt-trois  ans ,  major  du  guet  à  che- 
val; je  l'ai  perdu  de  vue ,  je  l'ai  vu  citer  dans  les  journaux ,  il  y  a 
trois  semaines ,  comme  &  ynnl  proposé  au  ministre  de  la  pi  lice  un 
plan  relatif  à  rorgani>>îaiio;i  économiqut'  de  la  garde  de  Paris,  .le 
sais  qu'il  demeure  dans  le  faubonrfi;Saint-IIonoré;  mais  j'ignore 
sa  demeure  précis^. 

D.  Connaissez-vous  particulièrement  les  individus  désignés 
dans  la  pièce  numéro  0,  ei  quel  est  le  citoyen  Etienne  qui  a  reçu 
ou  doit  recevoir  des  lettres  sous  le  couvert  des  citoyens  Ber- 
trand et  Lachaussée,  marchands  de  chevaux  ? 

T.   xxwii.  15 


194  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRUM.    AN    IV 

R.  Je  ne  connais  ces  citoyens  que  de  réputation.  Ëiienne  est 
un  nom  qu'on  me  donne  dans  certaines  sociëlës. 

D.  Quels  sont  les  deux  citoyens  qui  ont  été  arrêtés  en  même 
temps  que  vous? 

R.  L'un  s'appelle  Brotiier,  je  le  crois  ecclésiastique,  l'autre  se 
nomme  Dunan,  je  le  crois  né^fociani. 

D.  Ces  deux  citoyens  vous  ont-ils  accompagné  chez  le  C.  Malo 
dans  les  deux  entrevues  ? 

R.  Le  C.  Brottier  était  avec  moi  à  ma  première  entrevue  avec 
le  G.  Malo  ;  hier  les  citoyens  Dunan  et  Brottier  étaient  également 
avec  moi. 

D.  Ces  deux  citoyens  sont  sans  doute  instruits  de  votre  projet? 

R.  Le  C.  Brottier  en  est  instruit. 

D.  Connaissez-vous  le  C.  Laborrière?  Quel'e  est  sa  qualité  ? 

R.  11  est  chef-de-brigade,  commandant  l'artillerie  àTÉcole-Mi- 
litaire  ;  je  l'ai  vu  deux  ou  trois  fois  et  ne  lui  ai  donné  aucune  con- 
naissance de  mes  idées. 

D.  Ce  n'est  donc  pas  vous  qui  avez  désigna  ce  citoyen  comme 
devant  être  un  instrument  actif  pour  Texécution  de  votre piqjet? 
K.  Non,  citoyen. 

D.  Reconnaissez-vous  ce  paquet  sous  euveloppe,  ainsi  que  le 
caclkCt  du  commissaire  de  police  de  1^  section  du  Muséum ,  H  le 
vôtre  pour  être  le  même  qui  a  été  fait  en  votre  présence  au  mo- 
ment (le  la  perquisition  f  tiie  chez  vous  ,  et  les  cachets  pour  être 
sains  et  entiers,  elles  diflérenies  pièces  qu'ils  coniienneut? 
R.  Oui ,  citoyen. 

D.  Connaissez-vous  le  rédacteur  des  observations  faisant  partie 
de  ces  pièces? 

R.  C'est  le  C.  Renaud,  ancien  avocat  ;  j'ignore  sa  demeure  ac- 
tuel le. 

1).  De  quelle  nature  sont  vos  liaisons  avec  les  citoyens  Jîroitier 
et  Dunan?  Vous  ont-ils  fait  des  ouvertures  qui  se  rapprochent 
de  votre  projet  ? 

R.  Je  connais  le  C.  Brottier  depuis  dix  mois;  j'ai  vu  chez  lui 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  4795-1797  ).  195 

,    le  C.  Dunan  il  y  a  quatre  mois.  Broitier  m'a  communiqué  ses 
idées  qui  se  rapprochent  des  miennes. 

D.  Ce  citoyen  vous  a-t-il  communiqué  pour  la  première  fois  la 
pièce  finissant  par  ces  mots  :  <  Le  duc  de  La  Vauguyon,»  Blankem- 
bourg,  le  24  novembre  1796,  au  pied  de  laquelle  sont  ces  expres- 
sions :  €  J'approuve  le  contenu  que  M.  le  chevalier  Duvernet  trans- 
mettra à  ses  collègues.  » 

  Blankembourg,  ce  24  novembre  1796. 

Signé,  Louis. 

R.  Elle  a  été  lue  chez  le  C.  Malo  par  extrait. 

D.  Le  G.  Brottier  vous  a-t-il  communiqué  la  pièce  commen- 
çant par  ces  mots  :  «Le  roi  donne  pouvoir,»  et  finissant  par  ceux- 
ci  ;  «  De  notre  règne  le  premier,  signé  Louis  ?  » 

R.  Elle  a  été  lue  chez  le  C.  Malo. 

D.  Connaissez-vous  l'écriture  de  cette  pièce? 

R.  Elle  est  d'une  écriture  sembable  à  celle  que  j'ai  vu  ancien- 
nement et  qu'on  m'a  dit  être  du  comte  de  Provence. 

D.  Le  C.  Brottier  vous  a-t-il  communiqué  une  lettre  datée  de 
Véronne  commençant  par  ces  mois  :  «  Je  suis  bien  aise,  mes- 
sieurs, >  et  finissant  par  ceux-ci  :  t  Tous  mes  autres  sentimens 
pour  vous.  Signé  Louis?  » 

R.  Il  en  a  été  lu  hier  une  partie  chez  le  C.  Malo. 

D.  Connaissez-vous  le  comte  de  Rochecot? 

R.  Je  le  connais  pour  avoir  été  chef  d'une  armée  insurgée. 

D.  Comment  pouvez-vous  assurer  que  vous  n'avez  jeté  des 
idées  au  hasard  que  pour  substituer  un  meilleur  ordre  au  gou- 
vernement actuel  s'il  venait  à  être  renversé  par  une  ou  plusieurs 
factions,  puisqu'il  résulte  des  pièces  que  voire  projet  était  orga- 
nisé de  manière  à  placer  sur  le  trône  le  ci-devant  comte  de  Pro- 
vence ,  et  que  vous  avouez  avoir  une  connaissance  particulière 
des  pièces  sij^nées  de  lui ,  contenant  les  ordres  qu'il  a  donnés 
pour  mettre  ce  plan  à  exécution  dans  le  plus  court  délai? 

R.  Le  développement  de  mon  projet  ne  pouvant  s'opérer  que 
dans  I9  destruciion  du  gouvernement  actuel,  j'ai  désiré  de  savoir 
s'il  y  avait  des  pouvoirs  de  celui  que  les  royalistes  appellent 


i^^  blREi.TôlRE.  •-   l»t   4   B1ll>r.   AN   l^ 

Louis  XVill ,  parce  qu'alors  je  me  serais  dévoué  pour  hïrv    , 
triompher  ses  droits  légitimes ,  de  préférence  aux  prétentions  de 
tout  usurpateur. 

D.  Avez-vous  connaissance  que  le  C.  Broliier  ait  été  lié  avec  le 
C.  Malo  avant  votre  entrevue  commune  chez  ce  dernier  ? 

R.  Non,  mais  je  sais  que  le  C.  Dunan  avait  eu  une  entrevue 
avec  le  C.  Malo  la  surveille  de  notre  arrestation. 

Interrogatoire  d'André-Charles  Brottier,  mathématicien  ^  ex-prê- 
tre, âgé  de  quarante-six  ans,  natif  de  Tannay,  département  de 
la  Nièvre,  demeurant  à  Paris  ,  rue  de  l'Egalité ,  n.  4,  division 
du,  Luxembourg. 

D.  Où  et  pour  quel  motif  avez-vous  été  arrêté,  et  chez  qui 
éliez-vous  alors  ? 

R.  J'ai  été  arrêté  hier  après-midi  ù  l'École  militaire  soi  rant  de 
chez  le  C.  Malo,  parce  qu'on  me  supposait  porteur  de  papiers 
qui  ont  été  trouvés  sur  moi. 

D.  Pourquoi  vous  étiez-vous  rendu  chez  le  C.  Malo? 

R.  Parce  qu'on  m'avait  dit  qu'il  serait  bien  aise  de  m'entendre 
sur  les  moyens  de  réconciliation  et  de  rapprochement  du  gou- 
vernement actuel  avec  le  roi. 

D.  Reconnaissez-vous  une  pièce  numérotée  5,  finissant  par  ces 
mots  :  «  J'approuve  le  contenu  de  cette  instruction  que  M.  le 
chevalier  Duvernet  iransmetira  à  ses  collègues.  Signé  Louis?  » 
Ètes-vous  en  éiat  d'expliquer  ce  que  signifient  ces  mots  Ke.  Va,  Ac, 
Dl,  Tf ,  Ak,  Dr,  et  Af;  connaissez- vous  l'écriiurc  qui  se  trouve 
au  bas  de  la  pièce  dans  laquelle  sont  les  mois  ci-dessus  cités? 

R.  Je  connais  cette  pièce  comme  ayaol  été  trouvée  sur  moi  ; 
je  ne  connais  pas  la  si^jnifiraiion  des  mois  placés  dans  la  pièce; 
l'écriture  qui  se  trouve  au  pied  C(>rWvn.iiu  l'approbaiioii  de  l'in- 
struction est  de  la  main  du  roi. 

l).  Connaissez- vous  la  pièce  commençant  par  ces  mots  :  €  Le 
roi  donne  pouvoir,  »  ei  finissant  par  ceux-ci  :  t  De  notre  règne 
le  premier,  signé  Louis,  »  ainsi  qu'une  lettre  datée  de  Véronne? 

R.  Je  connais  ces  deux  f  jèces  pour  être  en  eriier  ('criies  de  la 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  179ol797  ).  197 

maio  du  ci-devant  comte  de  Provence,  et  être  signées  par  lui. 

D.  Est-ce  à  vous  que  ces  pièces  ont  été  adressées? 

R.  Oui,  citoyen. 

D.  Vous  vous  déclarez  donc  l'agent  du  prétendant  à  la  cou- 
ronne ? 

R.  Je  ne  me  déclare  point  cet  agent,  mais  les  pièces  trouvées 
sur  moi  me  déclarent  cet  agent. 

D.  Reconnaissez-vous  Je  reçu  de  25  louis  signé  Kochecoi?  Quel 
est  le  C.  Zozime  dont  un  reçu  de  loO  louis  a  été  trouvé  sur  vous? 

R.  Je  reconnais  ces  reçus ,  mais  je  ne  sais  comment  ils  se  sont 
trouvés  dans  ma  poche. 

D.  Y  a-t-il  long-temps  que  vous  connaissez  le  C.  Malo? 

R.  Je  ne  l'ai  vu  que  le  jour  de  mon  arrestation. 

D.  Comment,  ne  connaissant  pas  ce  citoyen,  lui  avez-vous 
l'ait  confidence  de  vos  projets? 

R.  Parce  qu'il  m'a  assuré  qu'il  était  dans  des  dispositions  pro- 
pres à  en  accélérer  ie  succès. 

D.  Avez-vous  connaissance  d'un  plan  proposé  par  le  C.  Lavil- 
leurnois? 

R.  11  m'a  été  communiqué  chez  le  C.  Malo;  j'en  ai  donné  lec- 
ture, le  C.  Malo  a  paru  le  goûter  ;  pour  moi ,  je  ne  pouvais  l'ap- 
prouver, les  instructions  qui  m'ont  été  données  par  Louis  XVII l 
y  étant  contraires. 

D.  Quelle  est  la  troisième  personne  qui  s'est  trouvée  avec  vous 
chez  le  C.  Malo. ^ 

R.  Le  C.  Dunan  sur  lequel  je  ne  peux  ni  ne  veux  donner  des 
renseignemens. 

D.  Avez-vous  connaissance  de  la  liste  des  dilïérenles  person- 
nes désignées  dans  la  note  comme  devant  être  employées  en  qua- 
lité de  ministres  dans  le  nouvel  ordre  de  choses  ? 

R.  Elle  a  été  lue  en  ma  présence. 

D.  Y  a-l-il  long-temps  (|ue  vous  êtes  en  oorrespoudance  avec 

Louis  xvm? 

R.  Depuis  le  H^y  février  179(3. 

I).  N'avez-vous  pas  été  impliqué  dans  l'affaire  do  Lemaîtro  ? 


198  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRtM.    AN   IV 

R.  Ce  dernier  m'a  dénoncé,  mais  j'ai  été  acquitté  et  mis  en 
liberté. 

Inlerrogaloire  de  Théodore  Dunan ,  âgé  de  trente-trois  ans ,  épi' 
cier  en  gros  ,  natif  de  Saint-Saulges ,  département  de  la  Niè- 
vre ^  demeurant  à  Paris,  comme  citoyen,  rue  de  l'Oursine, 
n,  %  et  comme  épicier ,  rue  Notre-Dame-des-Cliamps,  n,  1481. 

D.  Où  avez-vous  été  arrêté ,  pour  quels  motifs ,  d'où  sorliez- 
vous  alors? 

R.  Dans  une  des  cours  de  l'ÉcoIe-^Iiliiaire,  en  sortant  de  l'ap- 
partement d'une  personne  que  je  ne  connais  pas. 

D.  Connaissez- vous  les  deux  citoyens  qui  étaient  avec  vous? 

R.  Je  connais  le  C.  Brottier  ;  à  l'é^jard  du  C.  Lavilleurnois , 
c'est  la  seconde  fois  que  je  l'ai  vu. 

D.  Pour  quel  motif  vous  êtes-vous  rendu  à  l'École  militaire? 

R.  On  m'a  demandé  si  je  pouvais  faire  une  fourniture  d'eau- 
de-vie. 

D.  N'y  a-t-il  pas  été  question  d'autre  chose  en  votre  présence? 

R.  Non. 

D.  Quelle  était  la  destination  de  celte  fourniture  ? 

R.  Je  l'ignore. 

D.  S'agissait-il  d'une  quantité  considérable  à  fournir? 

R.  On  m'a  demandé  si  j'en  avais  sans  m'annoncer  la  quantité. 

D.  Êtes-vous  arrivé  à  l'École-Militaire  avec  les  citoyens  Brot- 
tier et  Lavilleuroois  ? 

R.  Je  suis  arrivé  stul. 

D.  Avez-vuus  entendu  la  conversation  qui  a  eu  lieu  entre  les 
citovens  Brottier,  Lavilleurnois  et  Malo'^ 

R.  Non. 

D.  Connaissez-vous  le  C.  Malo  ? 

K.  Je  ne  le  connais  pas. 

D.  Il  est  bien  étonnant  que  vous  vous  soyez  rendu  avec  les 
citoyens  Lavilleurnois  et  Brottier  chez  le  citoyen  Malo  ,  sans  sa- 
voir chez  qui  devait  avoir  Wn  le  rendez-vous  ? 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795.1797  ).  199 

R.  J'avais  fourni  quelques  bouteilles  d'eau-de-vie  au  citoyen 
Brottier,  je  cherchais  l'occasion  d'en  vendre  par  son  entremise 
une  plus  grande  quaniité. 

D.  Vous  n'avez  donc  aucune  connaissance  des  pièces  lues  chez 
le  citoyen  Malo  ? 

R.  Non.  Je  me  suis  tenu  dans  un  heu  écarté  pendant  la  durée 
de  cette  conférence  à  laquelle  je  n'ai  été  admis  que  pour  raison 
de  la  fourniture  d'eau-de-vie  qui  m'avait  été  proposée. 

D.  Ètes-vous  resté  dans  la  chambre  où  étaient  réunis  les  ci- 
toyens Lavilleurnois,  Brottier  et  Malo,  pendant  que  le  citoyen  Brot- 
tier y  a  fait  lecture  du  plan  rédigé  par  le  citoyen  Lavilleurnois? 

R.  J'étais  dans  cette  chambre ,  mais  je  n'ai  point  écouté  la  lec- 
ture de  ces  pièces. 

D.  Qu'avez-vous  à  répondre  aux  citoyens  Brottier  et  Lavil- 
leurnois qui  assurent  l'un  et  l'autjre  que  la  lecture  de  cette  pièce 
a  été  faite  en  votre  présence  ? 

R.  Je  conviens  que  ces  citoyens  et  le  citoyen  dans  la  chambre 
duquel  nous  étions  ont  eu  ensemble  une  longue  conférence,  mais 
je  n'y  ai  point  pris  part. 

D.  A  quel  endroit  avez-vous  vu  le  citoyen  Lavilleurnois  la  pre- 
mière fois  ? 

R.  Au  jardin  du  Luxembourg.  Je  ne  répondrais  pas  que^je  ne 
l'eusse  vu  avant  chez  le  citoyen  Brottier,  mais  je  l'ai  vu  au  Luxem- 
bourg sans  le  connaître  positivement. 

D.  Votre  entrevue  au  Luxembourg  avec  le  citoyen  Lavilleur- 
nois était-elle  concertée? 

R.  Elle  était  l'effot  du  hasard.  Le  citoyen  Brottier  m'a  de- 
mandé, en  présence  du  citoyen  Lavilleurnois,  si  je  croyais  pou- 
voir faire  une  fourniture  d'eau-de-vie ,  je  lui  ai  répondu  que  je  la 
ferais  quand  il  voudrait. 

D.  Connaissez- vous  le  paquet  que  nous  vous  représentons, 
ainsi  que  trois  cachets  ponant  votre  empreinte  gravée  de  la  let- 
tre D  pour  être  celui  qui  a  été  fait  dans  votre  ;)ppartement  aM 
momet  de  la  perquisition  ? 

R.  Oui,  citoyen. 


tiOO  DIRECrOlRt.    —    DL    4    KKLM.     A.N    IV 

D.  Y  a-l-il  long-temps  que  vous  éies  de  retour  de  !a  Suisse?  y 
avez-vous  emmené  votre  famille?  et  qu'éiiez-vous  ailé  faire  dans 
ce  pays  ? 

R.  J'étais  allé  en  Suisse  pour  affaires  de  coinmercp;  j'avais  em- 
mené ma  femme  ,  j'en  suis  revenu  au  mois  d'août  1796. 

D.  Quel  est  le  citoyen  Audebert?  e^i-il  dans  une  situation  aisée? 
connaît-il  le  citoyen  Brottier? 

R.  C'est  un  jaidiuier  fleuriste  ,  rue  de  l'Oursine,  il  n'e^t  pas  à 
son  aise.  Le  citoyen  Brotfier  le  connaît  cl  a  pu  lui  prêter  quelque 
argent.  ^ 

D.  Quels  sont  les  pariiculiers  qui  se  sont  présentés  chez  vous 
au  moment  de  votre  arrestation,  qui  étaient  armés  d  pistolets 
et  qui  ont  désarmé  le  factionnaire? 

R.  Je  ne  les  connais  pas. 

Interrogatoire  t/e  .Frédéric  Poly,  âgé  de  vingt-six  a«s,  négociant 
fabricant,  natif  de  Guntcrblum  ,  domicilié  à  Sainte-Mamelle , 
département  de  la  Haute-Garonne  ^demeurant  à  PariSy  faubourg 
Saint'Denis ,  rue  des  Petites-Ecuries. 

D.  De  quelle  espèce  est  votre  fabrique?  y  a-t-ii  long-temps 
que  vous  êtes  à  Paris,  avez-vous  un  pasî^e-port? 

R.  C'est  une  verrerie;  je  suis  à  Paris  depuis  cinq  semaines  ; 
j'ai  un  passe-port. 

D.  Pour  quel  motif  avez-vous  éié  arrêté,  et  qu  avez-vous  à 
répondre  aux  inculpations  qui  motivent  votre  mandat  d'amener? 

R,  Je  n'ai  aucune  connaissance  de  ces  inculpations. 

D.  Connaissez-vous  le  citoyen  Clerget,  rédacteur  du  journal 
des  Élections?  savez-vous  sa  demeure?  avez-vous  avec  lai  des 
liaisons  particulières? 

R.  Je  le  connais  jour  l'avoir  vu  une  ou  deux  fois  chez  moi  ;  je 
crois  qu'd  demeure  rue  Saint-Lazare ,  au  coin  de  celle  des  Trois- 
Frères. 

D.  Connaissez-vous  le  citoyen  Gavaux,  ancien  militaire? 

R.  11  est  possible  que  je  l'aie  vu ,  mais  je  ne  sais  pas  son  nom. 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  179o-1797  ).  iai 

D.  Ne  s'est-il  pas  présenté  chez  vous  avec  une  lettre  du  ci- 
toyen Clerget  qu'il  vous  a  remise? 

K.  Je  n'en  ai  aucune  connaissance. 

D.  Nbus  vous  déclarons  cependant  que  ie  citoyen  Gavaux  at- 
teste formellement  avoir  été  chez  vous  le  6  de  ce  mois,  à  midi, 
et  vous  avoir  remis  une  lettre  du -citoyen  Clerget. 

R.  Je  persiste  dans  la  denéi^aiion  que  j'ai  faite  ci-dessus. 

D.  Ne  luiavez-vous  pas  proposé  de  ses  vir  la  cause  de  i.ouisXVllI 
moyennant  la  somme  de  4  louis  par  mois  ,  lui  donnant  l'espoir, 
si  vous  réussissiez,  de  le  récompenser  amplement?  n'avez- vous 
pas  ajouté  que,  moyennant  une  somme  de  24,000  louis  qui  devait 
arriver  le  même  jour  ou  le  lendemain,  vous  comptiez  gagner  les 
grenadiers  du  corps  législatif  et  les  troupes  cantonnées  à  Paris? 

R.  Je  nie  absolument  d'avoir  dit  rien  de  tout  cela  au  citoyeD 
Gavaux  et  j'assure  qu'il  n'est  jamais  venu  chez  moi. 

D.  Où  et  comment  avf  z-vous  passé  la  journée  du  4  de  ce  mois? 

R.  Je  vais  souvent  chez  le  citoyen  MaiHane  ;  il  est  possible  que 
j'aie  passé  chez  ce  citoyen  une  partie  de  cette  journée,  mais  je 
ne  me  le  rappelle  pas. 

D.  Vous  souvenez-vous  des  personnes  qui  y  sont  venues,  tant 
en  cabriolet  qu'en  carrosse  ? 

R.  Je  ne  me  le  rappelle  point. 

D.  Où  avez^vous  passé  la  journée  du  o  de  ce  mois? 

R.  Je  ne  m'en  souviens  pas. 

D.  Savez-vous  ce  que  vous  avez  fait  le  6? 

R.  Je  vais  presque  tous  les  jours  chez  le  citoyen  Maillane. 

D.  Avez-vous  dîné  chez  ce  citoyen  le  6  janvier  dernier  { vieux 
stvle),  avez-vous  tiré  le  roi  de  la  fève  et  crié  vive  le  roi?  n'v 
avait-il  pas  au  nombre  des  convives  un  représentant  du  peuple  ? 

R.  On  a  mangé  un  gâteau ,  tiré  la  fève,  on  a  dit  :  le  roi  boit  ; 

mais  je  n'ai  point  entendu  crier  vive  le  roi  ;  il  est  possible  qu'il  y 
ait  eu  un  représentant  du  peuple  parmi  les  convives ,  je  ne  sau- 
rais l'assurer. 

D.  N'avez-vous  pas  été  voir,  le  7  nivôse,  le  citoyen  Ramel , 
commandant  des  grenadiers  du  corps  législatif?  lui  avez-vous 


^2  DlRECTOlRIi.    —    DU    4    BRUM.    AN    IV 

tait  une  seconde  visite  le  li2,  ne  lui  avez-vous  pas  écrit  pour  l'en- 
gager à  venir  dîner  chez  vous? 

R.  Oui ,  citoyen  ;  il  n'a  pas  pu  venir  dîner  chez  moi  ;  mais  il 
m'a  invité  à  manger  sa  soupe ,  ce  que  j'ai  accepté.  * 

D.  Quel  a  été  l'objet  de  voire  conversation  ?  Ne  lui  avez-vous 
pas  parlé  des  cinq  Sires ,  de  Louis  XVI II ,  d'un  projet  de  le  réta- 
blir sur  le  trône  ? 

R.  Je  ne  m'en  rappelle  pas. 

D.  Par  suite  de  votre  conversation ,  n'avez-vous  pas  annoncé 
que  les  premiers  actes  de  Louis  XVllI  seraient  une  amnistie  gé- 
Dérale ,  mais  que  le  parlement  installé ,  prétendant  que  le  roi  n'a 
pas  le  droit  de  taire  grâce ,  décréterait  de  prise  de  corps  tous  les 
hommes  qui  ont  sacrifié  leur  vie  et  leur  liberté  pour  marcher 
sous  les  étendards  de  la  liberté? 
R.  Je  m'en  rappelle  pas. 

D.  Connaissez-vous  les  citoyens  Lavilleurnois,  Dunan  ,  ancien 
mousquetaire,  et  Brottier,  mathématicien? 
R.  Je  n'en  connais  aucun, 

D.  Quel  motif  vous  avait  déterminé  à  vous  rapprocher  du  ci- 
toyen Ramel  ? 

R.  Je  voulais  lui  rendre  compte  de  quelques  propos  qu'on  te- 
nait sur  lui. 

D.  Connaissez-vous  le  citoyen  Malo,  vous  êtes- vous  trouvé 
avec  lui  ? 

R.  Oui ,  je  me  suis  trouvé  avec  lui  chez  ie  citoyen  Ramel.  R 
est  venu  chez  le  citoyen  Rauiel  le  jour  où  j'y  ai  dîne. 

D.  Connaissez- vous  quelqu'un  au  directoire  executif,  ne  vous 
êtes-vous  jamais  vaulo  dans  la  société  que  vous  avez  un  accès  fa- 
cile au  dii  ectoire  et  (|ue  vous  obtenez  aisément  des  radiations  de 
liste  des  émigrés? 

R.  iN'on  ,  mais  j'avais  une  lettre  de  recoinmandalioii  pour  le  ci- 
toyen Carnoi  ;  je  ne  l'ai  jamais  remise. 

D.  N'étes-vous  pas  aile,  le  8  pliiMos?*,  dans  une  fnaison  ,  rue 
des  Saints-Pères?  quel  est  le  nom  de  la  pe; sonne  que  vous  y  alli(  z 
voir,  cl  (|u<'l  était  le  sujet  de  vos  conversations  ? 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  203 

R.  J'ai  été  chez  le  citoyen  Garnier,  de  l'Aube  ;  on  y  pailait  du 
fort  de  Kehl;  j'ai  observe  qu'il  était  étonnant  que  ce  lortse  fût 
rendu,  à  raison  du  rafraîchissement  de  troupes  qu'on  pouvait  lui 
fournir. 

D.  Gonnais>ez-vous  un  nommé  Labarrière,  chef  d<i  brigade, 
commandant  l'artillerie  à  rÉcole-Militaire  ? 

R.  Je  ne  le  connais  pas.  • 

D.  Pourquoi  ne  prenez-vous  pas  la  qualité  de  baron  de  Poly, 
que  vous  paraissez  avoir  d'après  le  consentement  qui  vous  a  été 
donné  le  16  juillet  1791  (vieux  stylej,  par  Fréderic-Louis ,  ba- 
ron de  Poly,  votre  père,  et  Caroline,  née  baronne  de  Nimptel, 
votre  mère? 

R.  Parce  que,  quoique  étant  né  dans  le  Palatinat ,  étant  natu- 
ralisé Français  par  mes  services  militaires,  je  me  suis  conformé  à 
la  Constitution. 

D.  En  quel  temps  avez-vous  quitté  le  régiment  de  Hesse-Darms- 
stad,  où  vous  étiez  employé  comme  officier  ? 

R.  Je  suis  entré  en  1792  dans  le  régiment  ci-  devant  Conii ,  in- 
fanterie, en  qualité  de  heutenant. 

Interrogatoire  de  Jean-François  Debar,  général  de  brigade ,  ci- 
devant  chef  de  la  légion  de  police ,  demeurant  rue  de  la  Ville- 
l'Èvêque,  n°  1056. 

D.  S'il  connaît  le  citoyen  Lavilleurnois ,  et  s'il  l'a  été  voir  de- 
puis la  révolution  ? 

R.  Qu'il  le  connaît  depuis  trente  ans,  qu'il  l'a  été  voir  depuis 
la  révolution ,  à  l'occasion  d'ua  ci-devant  gendarme  que  le  ci- 
toyen Lavilleurnois  désirait  placer  dans  la  légion  de  police. 

D.  Si  le  citoyen  Lavilleurnois  ne  iui  a  pas  communiqué  son  plan 
de  contre-révolution? 

R.  Qu'il  ne  lui  en  a  jamais  dit  un  mot. 

D.  S'il  connaît  les  citoyens  Labarrière,  Po'y  et  Rrottier? 

R.  Qu'il  ne  les  connaît  pas. 

l).  S'il  connaît  un  nomaié  Duvernes-Depresle ? 

R.  Qu'il  a  connu,  mais  fort  peu,  un  ancien  mousquetaire  qui 


"204  DJRtCTUIRt.    —   DU    4    BRlAl.    AN    IV 

se  nommait  Depresie,  mais  qu'il  ne  siit  pas  ce  qu'il  est  devenu. 

D.  Si  Lavilleurnois  ou  Broitier  ne  lui  ont  point  communiqué  le 
plein  pouvoir  qu'ils  avaient  reçu  du  prétendu  Louis  XVIIÏ,  par 
lequel  celui-ci  les  autorisait  d'agir  et  de  parler  en  son  nom,  en  ce 
qui  concernait  le  réiablissemenl  de  la  monanhie,  et  de  s'adjoindre 
à  ce  sujet  qui  bon  leur  semblerait? 

R.  Qu'aucun  de  ces  individus  ne  lui  a  rien  communiqué  de  re- 
latif ù  cette  affaire,  et  qu'il  atteste  qu'il  n'a  pas  vu  de  leur  part  la 
plus  petite  parcelle  de  papier.  » 

—  Indépen(iammeni  de  ces  pièces ,  on  lut ,  en  outre  ,  à  la  tri- 
bune des  cinq-cents,  les  rapports  des  commandans  Malo  et  Ra- 
mel.  Dans  une  lettre  de  Ramel  au  ministre  de  la  police  ,  on  re- 
marque ce  passage  : 

«  Je  vous  ai  aussi  rendu  compte,  citoyen  ministre,  que  dans 
le  moment  où  ces  propo.^iiions  me  lurent  faites  par  Proly,  j'éiais 
vivement  sollicité  de  me  rendre  chez  M.  del  Campo,  ambassa- 
deur d'Espagne ,  ou  chezTallien  ,  député.  La  IVmme  qui  me  fai- 
sait ces  propositions  a  beaucoup  insisté  ;  je  n'ai  vu  là  que  quelque 
basse  intrigue  à  laquelle  j'ai  toujours  cru  et  je  crois  toujours  que 

MM.  del  Campo  et  Tallien  sont  étrangers »  {Moniteur, 

noCXLVIll,  an  V.) 

—  Li  lecture  de  ces  pièces  provoqua  l'une  des  séances  les  plus 
orageuses  que  l'on  eût  vues  depuis  le  conmiencement  de  la  session  ; 
mais  dont  les  résultais  furent  tout  à  l'avantage  du  parti  qui  agis- 
sait selon  les  tendances  royalistes  dans  le  conseil. —  Siméon  monta 
le  premier  à  la  tribune;  il  s'étonna  de  voir  son  nom  compromis 
dans  une  affaire  de  ce  genre  ;  il  remarqua  que  cela  ne  fût  pas  ar- 
rivé, si  quelques-uns  de  ses  collègues  avaient  été  plus  sobres  de 
calomnies,  et  n'avaient  point  ainsi  donné  à  plusieurs  députés  une 
réputation  de  royalisme  qu'ils  ne  méritaient  pas.  Justice,  dit-il  en 
terminant,  si  je  suis  accusé;  mais ,  jusque-là ,  estime ,  et  je  dirai 
plus,  confiance  et  amitié.  C'est  un  dédommagement  qui  m'est 
nécessaire  pour  un  pareil  outrage  ;  et  je  le  réclame  de  vous.  — 
Siméon  fut  applaudi  ;  on  proposa  de  lui  accorder  une  marque  de 
confiance  irrécusable  et  en  conséquence  de  voler  l'impression  de 


AK  30  FUOR.  AN  V  (J795-1797).  505 

son  discours  à  six  exemplaires»  La  majorité  approuva  celle 
mesure. 

Après  Siméon,  vintTallien.  Celui-ci  se  borna  à  nier  qu'il 
eût  jamais  eu  les  moindres  rapports  avec  l'ambassadeur  d'Espa- 
gne. On  lui  cria  qu'il  ne  s'agissait  pas  de  cela  ;  il  n'en  continua 
pas  moins  et  descendit  de  la  tribune  sans  avoir  dit  autre  chose, 
ïallien ,  était,  depuis  quelque  lemps,  très-suspect  aux  républi* 
cains.  La  surveillance  que  l'on  avait  exercée  à  son  égard  à  l'oc- 
casion delà  conspiration  de  Babeuf,  avait  prouvé  qu'il  avait  des 
relations  plutôt  avec  les  hommes  soupçonnés  d'être  agens  des 
royalistes,  qu'avec  ceux  qui  représentaient  le  parii  jacobin.  On 
ignorait  ces  choses  dans  lepublfc  ;  mais  on  les  savait  dans  le  con- 
seil. Ce  fut  peut-être  à  cause  de  cela  qu'on  lui  accorda  une  fa- 
veur semblable  à  celle  qu'avait  reçue  Siméon.  On  vota  aussi  l'im- 
pression de  son  discours. 

Alors  vinrent  les  réclamations.  Le  parti  républicain  voulut  res- 
saisir la  majoriié.  —  Gliazal  court  à  la  tribune;  il  s'écrie  qu'on 
ne  peut  plus  douter  de  l'existence  d'un  parti  royaliste;  que  les 
royalistes  conspirent  même  sous  les  couleurs  anarchiques;  il  de- 
mande la  formation  d'une  commission  spéciale  pour  examiner  le 
message  du  directoire ,  les  pièces  de  la  conspiration ,  et  proposer 
des  mesures.  Adopté.  Lamarque  pense  que  le  corps  législatif  doit 
faire  servir  celte  circonstance  à  lanimer  la  confiarice  des  républi- 
cains :  il  ne  veut,  dit-il ,  se  permettre,  en  ce  moment,  aucune  ré- 
flexion sur  les  rapports  qui  ont  été  lus  :  il  fait  observer  seulement 
que  ce  n'est  ni  sur  les  conjectures ,  ni  sur  les  réflexions  politiques 
de  tel  ou  tel  citoyen,  mais  sur  les  pièces  originales  qu'on  doit 
juger  et  caractériser  la  conspiration  :  or,  elles  constatent  que  les 
conspirateurs  ne  sont  pas  ce  qu'on  appelle  des  hommes  aliachés 
à  la  faction  d'Orléans  ,  mais  bien  des  émissaires  de  Louis  XVIIl, 
des  agens  des  émigrés,  des  Anglais,  Autrichiens,  etc.  :  il  vote 
pour  que  les  pièces  soient  publiées  avec  la  plus  grande  auiheuti- 
cité,  et  envoyées  aux  dé^pjiiemens  et  aux  orniécs.  Leoinle  de- 
mande l'impression  du  discouîsde  Ln marque,  et  que  sa  propo- 
sition soit  rédigée  en  forme  de  résolnî-orr.  Hf^nri  Larivièro  s'v 


'MÏG  DIRECTOIRE.    7-    DU    4    BRUM.    AN    IV 

oppose:  il  veut  que  les  rapports  seuls  soient  imprimés,  parce 
quec'tst  sur  eux  seuls  que  doit  porter  rinsiruction.  t  Révoquez 
en  doute  les  rapports,  dit-il,  et  des-lors  la  conspiration  ne  sera 
plus  regaidée  que  comme  un  jeu.  Quelque  vaste  que  soit  cette 
conspira'ion  ,  elle  ne  serait  rien  par  elle-Fiiéme,  si  elle  ne  s'éta- 
blissait sur  l'appui  d'une  foule  d'agens  secondaires.  Sans  cette 
horde  de  faciieux  anarchistes  que  les  conjurés  déclarent  eux- 
mêmes  avoir  voulu  mettre  en  avant,  je  déclare  et  je  proclame, 
devant  la  France  entière,  que  cette  royauté  si  redoutable  et  si 
redouiée ,  serait  sans  force  et  sans  moyens...  »  A  ce  moment  un 
tumulte  violent  interrompt  l'orateur;  on  s'interpelle,  on  se  dis- 
pute ;  cent  membres  sont  levés ,  et  gesticulent  :  d'un  côté  on  de- 
mande que  l'opinant  soit  rappelé  à  l'ordre  ;  de  l'autre  on  le  dé- 
fend. Le  président,  Riou ,  se  couvre  par  deux  fois ,  et  augmente 
le  trouble  par  la  maniète  dont  il  essaie  de  relevef  les  expressions 
de  Henri  Larivière;  ondemaude  la  parole  contre  lui.  Enfin  ,  Ca- 
mus obtint  qu'on  passai  à  l'ordre  du  jour. 

Telle  fut  la  tin  d'uue  séance  qui  promettait  d'avoir  des  consé- 
quences plus  favorables  a  l'opinion  républicaine.  La  crainte  que 
les  ex-conventionneis  avaient  de  voir  entraîner  encore  une  fois  la 
représentation  nationale,  leur  désir  de  rendre  inviolable  le  carac- 
tère dout  ils  étaient  revêtus,  donna  la  majorité  au  parti  monar- 
chique. 

Cependant,  que  pensaii-ou ,  en  général ,  dans  le  public  de  cette 
conspiiaiiou  ?  Si  nous  de\ons  en  cioire  des  écrivains  contempo- 
rains, la  majorité  plaignait  les  conspirateurs;  les  uns  parce  qu'ils 
pienaitnt  leur  faiblesse  en  pitié,  les  autres  parce  qu'ils  les  consi- 
déraient couime  victimes  de  quelque  intrigue  de  police.  Les  élec- 
tions éiaieut  piochaines;  tout  annonçait  qu'elles  seraient  dans 
le  sens  de  l'opposition  ;  on  croyait  donc  que  le  gouvernement , 
pour  ranimer  l'opinion  en  sa  faveur,  avait  bien  pu  pousser  quel- 
ques malheureux  à  un  acte  dout  l'absurdité  n'échappait  à  per- 
sonne. 

Le  direcîohe ,  au  contiaire ,  prenait  Taffaire  au  siTieux  ;  con- 
sidérant les  prévenus  comme  coupables  d'embauchage,  il  les  ren- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  â07 

voya  par  un  arrêté  devaot  une  commission  militaire.  Cette  me- 
sure donna  lieu  à  de  vives  réclamations  au  conseil  des  cinq-cenis. 
Pastoret  l'attaqua  comme  un  abusde  pouvoir,  comme  une  injus- 
tice ,  comme  un  précédent  que  l'on  ne  pouvait  permettre  au  di- 
rectoire d'établir.  Dumolard  y  vit  un  moyen  de  diminuer  la  pu- 
blicité du  procès.  «  Il  faut ,  dit-il ,  que  tous  ks  conspirateurs 
»  soient  connus ,  et  qu'il  soit  démontré  que  cette  conspiration 
»  n'est  point  simple,  unique  ;  qu'elle  est  composée  de  divers  élé- 
>  mens,  que  plusieurs  factioift  la  secondaient  :  il  faut  prouver, 
»  enfin,  que  vous  punirez  les  royalistes  de  Louis  XYIII,  mais  que 
»  vous  ne  lai.^serez  point  échapper  ceux  de  d'Orléans.  Pour  ma 
»  part,  je  veux  découvrir  la  vérité.  »  —  Malgré  ces  observations, 
le  conseil  passa  à  l'ordre  du  jour;  niais  tout  n'éiait  pas  fini. 

Les  accusés  traduits  le  28  ventôse  (48  mars  ) ,  au  nombre  de 
vingt-deux,  dont  ^x  femmes,  devant  le  tribunal  militaire,  décli- 
nèi^nt  sa  juridiction  et  refusèrent  de  répondre  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
été  statué  sur  leur  déclinatoirepar-  le  corps  législatif  et  le  tribunal 
de  cassation ,  auxquels  ils  avaient  adressé  une  pétition.  Le  tribu- 
nal voulut  passer  outre;  mais  alors  les  défenseuis  se  retirèrent. 
La  séance  fut  suspendue  ;  le  président  écrivit  au  ministre  de  la 
justice  Merlin  de  Tbionville;  celui-ci  répondit  aussitôt  que  le  tri- 
bunal militaire  étant  sans  appel ,  n'en  pouvait  aussi  reconnaître 
aucun  ;  que  quant  aux  défenseurs  ,  te  vœu  de  la  loi  était  satisfait 
dès  qu'ils  avaient  été  choisis,  et  fait  un  seul  acte  de  défense,  qu'il 
importait  peu  enfin  qu'ils  fissent  de  longs  ou  de  courts  plai- 
doyers. En  conséquence ,  la  commission  s'autorisant  de  ceift  Itt- 
tre ,  voulut  {.rocéder  à  l'interrogatoire  des  accusés  ;  mais  ceux-ci 
refusèrent  encore  de  répondre.  «Nous  avons  sacrifié  notre  vie,  di- 
saient-ils; nous  savons  que  nous  périrons;. mais  nous  devons  à 
nos  en  fans  et  à  nos  concitoyens  l'exemple  de  la  fermeté  en  l^ce 
de  l'injustice.  » 

LcMr  refus  eut  de  nombreux  défenseurs  aux  cinq-cents.  (Jm 
avait  nommé  une  commission  pour  examiner  leur  déclinatoire. 
JiC  rapporteur  conclut  à  l'ordre  du  jour  ;  mais  ce  ne  fut  qu'après 
une  vive  discussion  et  après  plusieurs  séances  de  débats,  qu'il  fut 


:208  »>iRECTOlRK.    -—    1>C    4    BRti\l.    AN    IV 

'  enfin  adopté.  Ainsi ,  au  nom  de  la  justice ,  par  l'eflel  de  la  mal- 
adresse du  gouvernement ,  on  plaidait  pour  les  accusés  au  corps 
législatif  aussi  bien  qu'au  tribunal.  Il  semblait  que  cette  affaire 
ne  dût  point  finir.  En  effet,  le  tribunal  de  cassation,  décidant 
sur  la  pétition  des  accusés,  avait  ordonné  que  le  jugement  de' la 
commission  militaire  par  lequel  elle  passait  outre,  fût  apporté  à 
son  greffe.  Le  directi  ire  répondit  à  cette  décision  par  un  arrêté 
dans  lequel  il  défendait  à  tout  dépositaire  de  la  force  ou  de  l'au- 
torité d'obéir  au  tribunal  decassattun  ;  et  il  instruisit  les  cinq-cents 
de  cette  démarche.  Aussitôt  Dumolard  et  Pastoret  s'élevèrent 
contre  ce  nouvel  abus  de  pouvoir  ;  ils  demandèrent  la  censure  et 
l'annulation  de  l'arrêté;  d'autres  membres  le  défendirent.  La 
discussion  se  termina  par  un  ordi  e  du  jour.  11  en  en  fut  de  même, 
quelques  jours  après ,  d'un  long  mémoire  envoyé  par  le  tribunal 
de  cassation  contre  l'arrêté  du  directoire  exécutif.  • 

La  conspiration  royaliste  était  ainsi  devenue  un  moyen  «ntre 
les  mains  des  partis.  Le  directoire  s'efforçait  de  montrer  que  cette 
conspiration  était  importante  ;  ro|)position  qu'elle  était  ridicule 
et  sans  fondement.  Presqu'à  chaque  séance,  le  gouvernement 
communiquait  quelque  nouvelle  pièce;  ilenvoya,  entre  autres,  une 
proclamation  de  Puisaye,  qui  invitait  les  Vendéens  à  tenter  une 
nouvelle  insurrection.  De  son  côté ,  l'opposition  faisait  grand  bruit 
d'une  émeute  arrivée  à  Toîilouse  et  d'une  pétition  des  habiians 
de  cette  ville.  Des  républicains,  à  la  sortiedu  spectacle,  avaient 
insulté  et  battu  quelques  personnages  suspectés  de  roya'isme  et 
mèifie  un  membre  du  corps  législatif  qui  s'y  trouvait.  Le  parti 
conventionnel  voulut  profiter  de  l'occasion  pour  attaquer  la  presse 
anti-républicaine;  \\  vint  citer  des  articles  à  la  tribune,  et  entre 
autres  un  passage  des  Actes  des  apôtres  ,  où  Bonaparte,  le  vain- 
queur de  l'Italie,  était  mis  en  paiallèle  avec  Sanson ,  l'exécuteur 
des  hautes-œuvres.  I/opposition  répondit  en  citant  les  excès  des 
journaux  qu'elle  appelait  anarchistes.  Il  s'ensuivit,  non  pas  une 
longue  discussion  ,  m.MS  une  longue  dispute  qui  occupa  plusieurs 
séances.  Il  est  certain  que  le  directoire  eût  tiré  un  meilleur  parti 
de  la  conspiration,  si,  par  n^aladresse ,  i)  n'en  eût  fait  l'orrasion 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  209 

de  débats  qui  devaient  tourner  contre  lui.  On  se  demande  pour- 
quoi il  crut  utile  de  renvoyer  les  accusés  devant  une  cour  mar- 
tiale ,  au  lieu  de  les  laisser  à  leurs  juges  naturels ,  ou  de  les  faire 
citer  devant  la  haute  cour  de  Vendôme.  Il  créa,  de  cette  manière, 
à  l'opposition ,  une  occasion  dont  elle  profita,  comme  nous  l'avons 
vu.  Il  donna  une  mauvaise  opinion  de  son  habileté,  car  il  n'é- 
chappa à  personne  que,  par  sa  faute,  une  simple  question  de  com- 
pjBtence  avait  amené,  entre  les  premiers  pouvoirs  de  l'état,  un  con- 
flit qui  pouvait  être  très-grave,  puisqu'il  n'y  avait  pas  d'autre 
issue  légale  que  la  question  de  forfaiture  à  l'égard  du  tribunal  de 
cassation  ou  celle  de  l'accusation  du  directoire.  «  Il  avait  en  effet , 
ainsi  que  le  remarque  Thibaudeau  dans  ses  mémoires,  évidemment 
excédé  ses  pouvoirs;  caria  Constitution,  qui  portait  (art.  264^,  que 
le  corps  législatif  ne  peut  annuler  un  jugement  du  tribunal  de 
cassation ,  l'interdisait  à  plus  forte  raison  au  directoire  ;  c'est  ce- 
pendant ce  qu'il  avait  osé  se  permettre  ;  car  défendre  l'exécution 
d'un  jugement,  c'est  tout  autant  que  l'annuler.»  Personne  ne 
releva  ce  fait ,  parce  que  personne  n'avait  alors  intérêt  à  le  faire. 
Cependant  les  fautes  du  directoire  en  cette  affaire  allèrent  encore 
plus  loin. 

Le  conseil  de  guerre,  influencé  sans  doute  par  les  débats  de 
rassemblée,  influencé  par  l'opinion  publique  que  la  publication 
d'un  plaidoyer  fait  par  un  défenseur  habile  avait  prévenue  en  fa- 
veur des  accusés,  cédant  peut-être  au  système  que  la  défense  avait 
adopté  et  qui  avait  cherché  à  présenter  les  dénonciateurs  eux- 
mêmes  comme  les  premiers  embaucheurs,  le  conseil  de  guerre 
fut  très-indulgent.  Sur  vingt-deux  accusés,  il  en  renvoya  trois 
devant  le  tribunal  criminel  de  Versailles  et  il  n'en  condamna  que 
quatre  à  mort;  et  encore,  faisant  application  d'un  artic'e qui  per- 
mettait de  commuer  la  peine,  il  condamna  Brosset  et  Duverne  de 
Presle  dit  Dunan  à  dix  ans  de  réclusioïî,  le  baron  de  Poly  à  cinq, 
et  Lavilleurnoi  à  un.  —  Ce  jugement  fut  rendu  le  18  germinal 
(7  avril  1797). 

Le  directoire,  irrité,  rendit  le  lendemain  un  arrêté  par  lequel 

il  ordonnait  de  conduire  au  Temple,  et  renvoyait  devant  les  tri- 
T.  xxxvn.  14 


:2fO  mrrCtoire.  —  du  4  bbum.  an  it 

bunaux  <  pour  y  être  poursuivis  et  juffés,  comme  prévenus  de 
*  conspir^iiion  contre  la  sûreté  de  h  Piépiiblique,  conformément 
»  à  la  loi,  en  faisant  abstraction  du  crime  d'embauchage  ,  pour 
»  raison  duquel  ils  ne  peuvent  plus  être  poursuivis ,  »  trois  des 
condamnés  de  la  veille,  Brottier,  Duverne  de  Presle,  Poly ,  et 
l'nn  des  acquittés  ,  Sourdas.  Celte  mesure  ne  fut  point  relevée 
dans  les  conseils,  mais  elle  choqua  l'opinion  publique;  l'argu- 
ment de  jurisprudence,  non  bis  in  idem,  devint  le  texte  des  con- 
versations et  des  observations  de  la  presse  réactionnaire.  On  n'en- 
trait point  dans  les  motifs  du  directoire  ;  cependant  les  républi- 
cains auraient  pu  lui  tenir  compte  de  l'embarras  où  le  mettait  une 
opposition  évidente,  qu'il  rencontrait  partout,  et  dont  voici  on 
nouvel  exemple.  Dans  le  cours  du  procès  royaliste,  il  avait  de- 
mandé, par  un  message  aux  cinq-cents ,  une  loi  qui  remît  la  peine 
encourue  à  tout  accusé  ou  condamné  qui  ferait  des  révélations 
utiles  à  l'état.  La  discussion  fut  ouverte  au  conseil  sur  cette  ques- 
tion ;  mais  après  quelques  jours  de  délibération ,  elle  fut  ajournée 
par  une  majorité  composée  et  de  ceux  qui  habituellement  vo- 
taient contre  le  gouvernement,  et  de  ceux  qui  ne  comprenaient 
pas  le  but  de  celte  mesure.  La  vérité  est  que  la  demande  du  di- 
rectoire avait  été  déterminée  par  Toffre  faite  par  l'un  des  con- 
spirateurs de  dénoncer,  non-seulement  les  députés  qui  corres- 
pondaient avec  Louis  XVIII,  mais  encore  le  trésor  des  conjurés 
et  tous  leurs  moyens.  En  effet ,  après  le  message  qui  sollicitait 
la  loi  dont  il  s'agit ,  ce  même  conspirateur  avait  déclaré  qu'il  y 
avait  dans  la  conspiration  des  députés  des  deux  conseils ,  et  no- 
tamment toute  la  société  de  Clichy  ,  et  que  cent  quatre-vingt- 
quatre  députés  avaient  traité  avec  Louis  XVIIT  ;  mais  il  n'avait 
voulu  nommer  que  Lemerer  et  Mersan.  (  Mémoires  de  Th/hav- 
dean,  ch.  9,  t.  2.  )  —  La  connaissance  de  ce  fait  finit  par  se  ré- 
pandre dans  les  cons«  ils.  Lanjuinais  en  parla  à  Carnot  ;  celui-ci 
lui  répondit  que  la  chose  était  vraie,  que  le  directoire  avait  la 
li^te,  et  qu'il  pourrait  bien  en  faire  usage  si  on  le  poussait  ù  bout. 
Cependant,  quelques  jours  après,  le  gouvernement  lii  démentir  ce 
bruit  dans  son  journal  ofliciel  (  le  Rédacteur  du  12  germinal  ),  et 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  2ii 

Duverne  de  Presle ,  auquel  on  attribuait  cette  révélation ,  la  dénia 
également  dans  une  lettre  qu'il  fit  insérer  dans  les  journaux. 

Le  public  ne  vit  dans  toutes  ces  choses,  qu'un  moyen  employé 
par  le  directoire  pour  jeter  des  soupçons  sur  ceux  qui  lui  fai- 
saient de  l'opposition  dans  les  conseils ,  qu'un  moyen  d'influencer 
les  élections. 

Elles  commençaient  en  effet  en  ce  moment.  Elles  devaient  re- 
nouveler le  tiers  des  conseils  et  ce  premier  tiers  qui  allait  être 
renouvelé  était  précisément  composé  tout  entier  d'une  partie  des 
hommes  sur  lesquels  le  gouvernement  comptait  le  plus,  c'est-à- 
dire  d'ex-conventionnels.  On  le  croyait  donc ,  non  sans  raisoii , 
très-intéressé  à  exciter  parmi  les  électeurs  des  méfiances  qui  les 
déterminassent  à  choisir  leurs  députés  parmi  les  partisans  du 
pouvoir. 

Mais  avant  de  nous  occuper  d'élections ,  nous  avons  à  complé- 
ter nos  renseignemens  sur  la  conspiration  royaliste.  On  se  rap- 
pelle que  dans  la  séance  du  14  pfuviose ,  il  fut  décidé  qu'une 
commission  serait  nommée  pour  examiner  et  le  message  et  les 
pièces  relatives  à  cette  conspiration.  Le  rapport  eut  lieu  le  28  fé- 
vrier (10  ventôse)  1797.  On  verra  qu'il  y  est  fait  mention  d'une 
faction  orléaniste.  Nous  avons  remarqué ,  qu'il  en  fut  plusieurs 
lois  question  à  la  tribune  ;  mais  nous  n'avons  trouvé  aucune  i  n- 
dicalion  positive  à  ce  sujet.  Nous  en  avons  conclu,  qu'au  milieu 
de  tendances  monai;chiques  qui  surgissaient  de  partout ,  le  nom 
d'Orléans  avait  été  jeté  non  comme  expression  d'un  parti  orga- 
nisé, mais  comme  celui  d'une  famille  qui  offrirait  à  la  révolution 
plus  de  garanties  que  la  branche  aînée  des  Bourbons.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  voici  le  rapport  : 


^12  DIRECTOIRE.    —    DU    4   RRUM.    AN    IV 

Bapport  au  conseil  des  cinq-cents  par  Jean  Debry^  organe  (funa 
commission  spéciale  (i),  sur  la  conspiration  découverte  le  i^ plu- 
viôse an  V,  tendante  au  renversement  du  gouvernement  répu- 
blicain et  au  rétablissement  de  la  royauté  ;  prononcé  le  iO  ven- 
tôse an  F  (  28  février  1797  ). 

<  Représentans  du  peuple,  un  arrêté  du  conseil,  en  date  du 
14  pluviôse,  a  renvoyé  à  une  commission  spéciale  le  message  du 
directoire  et  les  pièces  relatives  à  la  dernière  conspiration  décou- 
verte ,  et  J'a  char^jée  de  vous  faire  un  rapport  à  ce  sujet.  C'est 
pour  exécuter  cet  arrêté  que  je  me  présente  à  cette  tribune  au 
nom  de  votre  commission. 

»  Elle  doit  vous  dire  avant  de  commencer  que  cette  unanimité 
qui  a  caractérisé  le  conseil  chaque  fois  qu'il  a  fallu  se  montrer 
contre  les  factions  est  un  sentiment  qu'elle  n'a  jamais  perdu  de 
vue  en  parlant  de  chacune  d'elles.  Ainsi  donc ,  que  les  bqns  ci- 
toyens, que  les  amis  de  l'ordre  se  rassurent,  puisqu'il  leur  est 
prouvé  que  la  différence  dans  les  opinions  législatives  n'est  point 
chez  nous  le  dissentiment  dans  les  principes  républicains,  et  que 
chaque  fois  qu'il  faudra  lutter  contre  les  crimes  éversifs  de  notre 
gouvernement  on  nous  trouvera  réunis  de  volonté  et  d'action 
pour  les  rechercher  et  les  punir.  Que  les  méchans  cessent  d'es- 
pérer, puisque  nous  savons  qu'appelés  à  faire  des  lois  comme  lé- 
gislateurs, notre  mission  est  aussi ,  comme  représentans  du  peu- 
ple, de  veiller  sans  relâche  au  maintien  et  à  la  défense  de  la 
République  et  de  la  Constitution  qui  nous  régit  ;  qu'ils  appren- 
nent que,  connaissant  nos  devoirs,  nos  droits  et  notre  dignité, 
nous  nous  honorerons  tous  de  déployer,  s'il  le  fallait,  ce  carac- 
tère d'élévation  et  de  fermeté  qui  dans  les  occasions  critiques  a 
signalé  les  assemblées  nationales  de  France  qui  nous  ont  précé- 
dés ;  qu'ils  viennent  interroger  je  ne  dis  pas  seulement  nos  prin- 


(1)  Les  autres  membres  de  la  commission  dtaient  Rogcr-Martio,  Dubois  (des 
Vosges),  Cbatal,  Daunon. 


AU  50  FLOR.  A.N  V  (1795-1797  ).  215 

cipes,  notre  loyauté,  notre  amour  pour  la  République ,  mais  en- 
core notre  respect  pour  nous-mêmes  !  Ils  verront ,  à  la  honte  de 
leurs  projets ,  que  l'opinion  à  cet  égard  ne  sera  jamais  contredite 
dans  le  corps  législatif. 

>  Vous  avez  donné  un  grand  et  utile  exemple  de  la  sagesse  él 
de  la  prudence  qui  dans  les  occasions  les  plus  critiques  doivent 
caractériser  des  législateurs  constitutionnels ,  lorsqu'au  récit  de 
la  conspiration  qui  menaçait  de  renverser  la  République  vous 
avez  attendu  avec  calme  le  fruit  des  recherches  du  gouverne- 
nement.  Cette  conduite  se  trouve  pleinement  conforme  et  à  l'in- 
térêt de  l'état  et  au  vôtre ,  qui  n'en  peut  être  séparé.  En  effet , 
non-seulement  la  précipitation  aurait  pu  embarrasser  la  marche 
du  directoire ,  rompre  le  fil  de  ses  mesures  ou  éventer  le  secret 
qui  leur  était  nécessaire;  mais  qui  sait  s'il  n'entrait  pas  dans  le 
calcul  des  conspirateurs  de  supposer  que  k  découverte  d'une 
partie  de  leurs  complots  opérerait  une  réaction  d'indignation  dont 
ils  se  seraient  servi  pour  accuser  les  républicains  de  vouloir  ré- 
tablir ce  Tégime  auquel  on  feint  d'attacher  leur  nom ,  quoique 
l'on  n'ignore  pas  qu'ils  en  étaient  les  victimes  les  moins  épargnées? 
qui  sait  si  alors  vous  n'eussiez  pas  vu  surgir  une  nouvelle  bande 
affectant  le  langage  de  la  pitié  et  de  la  raison ,  en  disant  au  peu> 
pie  :  «  Vous  le  voyez ,  cette  Constitution  n'est  pas  en  force  suffi- 
sante pour  se  garantir  elle-même  ;  elle  nous  entraîne  sans  cesse 
d'une  extrémité  à  l'autre;  il  faut  l'accommoder  à  nos  mœurs ,  la 
régulariser...  »  Vous  apercevez  sans  doute  quel  vaste  champ 
Texécution  d'un  pareil  plan  ouvrait  à  l'intrigue ,  à  l'ambition ,  et 
à  l'éternelle  ennemie  de  toutes  les  vertus,  la  calomnie.  Grâces  en 
soient  rendues  à  votre  attitude  calme  et  tranquille  !  vous  l'avez 
déjoué. 

>  Mais  aujourd'hui ,  que  ces  considérations  ne  subsistent  plus, 
vous  devez  au  peuple,  vous  vous  devez  à  vous-mêmes  de  porter 
la  lumière  sur  ces  trames  sans  cesse  renaissantes,  d'en  signaler 
le  caractère  immuable  malgré  les  travestissemens  qu'on  leur 
donne ,  d'éveiller  l'horreur  des  familles  sur  les  moyens  dont  ces 
conspirateurs  ont  besoin,  et  sur  le  but  vers  lequel  ils  tendent. 


214  DIRECTOIRE.    —    DU    4   BRUM.    AN    lY 

Oh!  s'il  était  possible  qu'oubliant  un  instant  et  des  ressentimens 
qui  ne  remédient  point  aux  maux  passés,  et  cet  appétit  désor- 
donné (i.i  chanjjement  qui  empêche  le  bien  actuel  de  prendre  ra- 
cine, les  citoyens  ouvrissent  les  yeux  sur  leui*s  véritables  inté- 
rêts, leur  volonté  manifestée  mettrait  bientôt  la  Constitution  à 
l'abri  de  toute  atteinte ,  et  ces  révolutions  qu'on  leur  l'ait  craindre 
deviendraient  impossibles  :  ils  se  convaincraient  que  ceux  qui  les 
tiennent  dans  une  anxiété ,  dans  une  agitation  continuelles  n'ont 
d'autre  but  que  de  les  avoir  sous  leur  main  pour  les  faire  servir 
d'instrumens,  pour  les  déplacer  à  leur  gr.é  ,  et  que  le  succès  de 
1  eurs  atroces  espérances ,  loin  d'être  la  réparation  des  malheurs 
qu'ils  ont  soufferts ,  n'en  serait  que  l'excès ,  et  le  complément  de 
leur  ruine.  3Ialheureusement  tel  est  l'effet  d'une  révolution,  que 
le  souvenir  des  maux  qu'elle  a  pu  causer  étouffe  le  sentiment  du 
bien  qu'elle  amèn^  :  ne  nous  lassons  donc  point ,  magistrats  du 
peuple,  de  l'adoucir  ce  peuple,  de  l'instruire,  de  le  rallier  vers 
la  Constitution  ;  si  les  intrigans  profitent  de  ses  désastres  pour  la 
lui  taire  haïr,  profitons-en  aussi  pour  l'y  attacher  davantage  en 
1  ui  montrant  que  s'il  pouvait  l'abandonner  un  iustant^'ces  mêmes 
désastres  se  renouvelleraient  avec  plus  de  violence,  et  que  sa 
perte ,  sa  destruction  seraient  inévitables.  Quand  on  a  long-temps 
len.i  la  mer,  les  dangers  mêmes  de  la  traversée  sont  un  motif  de 
plus  pour  rester  au  port.  Posons  des  fanaux  sur  les  écueils  que 
nou^  avons  passés,  et  dont  plusieurs  sont  encore  couverts  de  nos 
propres  débris  ;  c'est  un  service  à  rendre  à  ceux  qui  doivent  nous 
succéder  :  souvent  l'inexpérience  dans  la  carrière  politique  en- 
gage dans  de  fausses  routes  ceux  qui  eussent  suivi  la  bonne  si  on 
la  leur  eût  montrée  ;  et  une  fois  engagés  ,  l'amour-propre  empê- 
che de  rétrograder.  Les  chefs  des  factions  n'ignorent  point  cette 
disposition  du  cœur  humain. 

»  Je  vous  ai  exposé  dans  quel  esprit  et  pour  quelle  fin  nous  al- 
lions vous  faire  le  rap|K)rt  sur  les  pièces  de  la  conspiration  dé- 
couverte. C'est  parce  que  nous  l'avons  jugé  de  plus  haut  intérêt 
pour  le  peuple ,  qu'à  l'époque  où  il  va  choisir  ses  magistrats ,  la 
crainte  d'une  imputation  injuste  ne  nous  a  point  arrêtés,  et  que 


AU  50  FLOR.  AN.v  (1795-1797).  215 

nous  avons  préfère  essuyer  une  calomnie  de  plus  au  danger  de  le 
laisser  incertain  sur  ce  qu'il  doit  croire  de  sa  situation  actuelle. 
Après  six  ans  de  vie  pubiique,  ce  que  l'on  brigue  ce  ne  sont  plus 
les  places  ;  c'est  le  succès  et  la  durée  de  l'œuvre  auquel  on  a  tra- 
vaillé, ^aiu 

»  Les  individus  prévenus  de  la  conspiration  appartiennent  aux 
tribunaux;  ce  n'est  point  d'eux  que  nous  vous  parlerons.  L'exa- 
men de  la  conspiration  est  du  ressort  du  législateur  ;  c'est  d'elle 
que  nous  allons  vous  entretenir.  Lorsque  de  toutes  parts  on  cher- 
che à  obscurcir  ce  que  des  symptômes  trop  alarmans  faisaient 
prévoir  À  l'avance,  lorsque  les  faiîs  les  plus  positifs  soot  contes- 
tés ou  même  niés  avec  le  sang-froid  de  la  conviction ,  quelle 
croyez-vous  que  doive  être  l'opinion  dans  un  tel  renversement 
d'idées  et  de  principes?  et  cependant,  législateurs ,  l'opinion 
aussi  crée  les  révolutions  et  change  la  surface  des  états.  Qu'il 
sera  beau  le  jour  où,  certains  que  l'opinion  publique  en  France 
est  fixée,  et  que  son  flambeau  pourra  faire  disparaître  toutes  ces 
fausses  lueurs  avec  lesquelles  on  veut  l'effacer ,  nous  pourrons 
dire  aux  citoyens  réunis  :  Dormez  en  paix;  nous  veillons! 

»  Il  est  incontestable  qu'un  parti  puissant,  organisé,  habile  à 
prendre  toutes  sortes  de  couleurs  et  de  masques,  à  employer  la 
force ,  la  corruption ,  la  ruse ,  l'assassinat  et  la  calomnie ,  tra- 
vaille en  France  avec  une  barbare  persévérance  à  détruire  le  gou- 
vernement républicain  et  à  rendre  la  liberté  fatigante  ou  odieuse. 
Oui ,  ce  parti  existe  depuis  la  révolution  ;  il  se  compose  de  tout 
ce  qui  regrette  les  abus  et  les  privilèges,  parce  qu'il  sent  que 
l'effet  immanquab'e  de  la  révolution  doit  être  de  chasser  ces 
abus,  d'extirper  ces  privilèges,  et  de  donner  à  chacun  ces  moyens 
de  prospérité  commune  qui  font  la  véritable  force  d'un  état ,  et 
que  peut  produire  seule  l'égalité  politique.  Ce  parti  veut-il  réta- 
blir un  trône,  une  domination  autre  que  celle  de  la  loi?  Ceci  ne 
fait  plus  de  doute.  Est-il  payé  par  l'étranger?  Je  le  crois,  et  je 
l'en  hais  davantage.  En  effet,  puisque  l'on  a  hautement  propoiié 
dans  la  chambre  des  pairs  d'Angleterre  de  faire  aux  Français 
une  guerre  i\' extennination  ^  celle  indiscrétion  ministérielle  ne 


216  DIKECTOJKE.    —   DU   4   BRUM.    AN  IV 

nous  dit-elle  pas  suffisamment  que  tous  les  moyens  sont  bons  à 
qui  peut  concevoir  un  pareil  plan?  Et  s'il  faut  que  les  faits  con- 
firment ici  ce  que  la  raison  vous  indique,  ce  qui  s'est  passé  dans 
la  Vendée,  dans  la  guerre  des  chouans;  ce  qui  est  contenu  dans 
les  pièces  de  la  conspiration  ;  ces  rapides  correspondances  de 
Paris  à  Calais ,  et  de  Calais  à  Londres  ;  ces  demandes  de  fonds 
pour  entretenir  la  manufacture  y  pour  sauver  les  entrepreneurs  y 
pour  les  remplacer,  ne  vous  démontrent-ils  pas  que  l'or  des  na- 
tions dépouillées  paie  ici  tous  les  vices  et  tous  les  crimes  pour 
nous  punir  d'avoir  osé  être  libres?  Ils  manquent  d'hommes  pour 
détruire  les  Français ,  et  ce  sont  des  Français  qui  les  servent  ! 

»  Donnez  à  ce  parti  le  nom  que  vous  voudrez,  toujours  est-il 
constant  qu'il  est  anti-républ^ain ,  anti-constitutionnel  :  jugez 
donc  eomme  étant  de  ce  parti  tout  ce  qui  agit  et  travaille  contre 
la  République.  Royalistes  pour  les  Capets  de  Blankenbourg , 
royalistes  pour  les  Capets  d'Hambourg  ,  amis  de  la  Constitution 
de  17^'5,  partisans  de  celle  de  171)1 ,  tous  ces  hommes  n'ont  d'a- 
bord qu'un  même  but,  le  renversement  du  gouvernement  actuel; 
et  comme  je  suis  conyaincu  que  toute  atteinte  qui  lui  serait  por- 
tée avec  efficacité  nous  mènerait  rapidement  à  la  tyrannie  royale, 
rien  ne  m'empêchera  de  croire  que  les  meneurs  de  toutes  les  fac- 
tions ne  travaillent  sciemment  pour  la  royauté.  On  avait  donc 
mille  fois  raison  lorsque  l'on  combattait  dans  cette  enceinte  avec 
constance  pour  le  maintien  de  tous  les  principes  qui  ont  fondé  et 
qui  maintiendront  la  République  contre  les  coups  que  Taristo- 
cratie ,  le  fanatisme  ,  la  soif  des  vengeances  et  même  la  folie  des 
passions  irritées  tentaient  de  leur  porter.  L'extravagance  n'est 
pas  plus  la  liberté  que  1j  servitude  n'est  le  bonheur.  S'il  faut  de 
la  sagesse  pour  combiner  les  lois,  il  faut  de  l'énergie  pour  main- 
tenir une  constitution  républicaine  dans  son  enfance,  et  l'une 
n'exclut  pas  l'autre.  On  avait  donc  mille  fois  raison  de  ne  pas 
ajouter   une  foi  implicite  à  ces  hommes  qui ,  voyant  des  anar- 
chistes partout  où  se  trouvaient  des  républicains,  ne  voyaient  de 
royalistes  nulle  part;  trouvaient  tout  simple  que  l'on  détruisît 
tout  ce  qui  avait  servi  à  la  révolution ,  à  peu  près  comme  lors- 


AU  50  F LOR.  AN  V  (  1790-1797  ).  217 

qu'un  bâtiment  est  construit  on  en  retire  l'échafaudage ,  et  qui 
enfin,  condamnant  successivement  tout  ce  qui  portait  le  carac- 
tère du  républicanisme,  à  l'instar  de  l'axiome  des  papistes,  qui 
disent  :  Hors  de  L'Église  point  de  salut,  nous  auraient  bientôt  for- 
cés de  crier  :  Hors  du  royaume  point  de  République. 

>  Passons  aux  autres  inductions  à  tirer  des  pièces.  Mais  préa- 
lablement gardez-vous  de  présumer,  ô  nos  collègues  !  que  votre 
commission  tente  ici  de  grossir  une  des  parties  de  la  conspiration 
pour  empêcher  que  les  autres  ne  soient  aperçues  :  nous  vous  par- 
lons du  royalisme  parce  que  c'est  lui  qui  se  présente  aujourd'hui 
en  première  ligne.  Si  l'on  a  droit  d'être  affecté  qu'en  prêchant 
fordre  on  soit  accusé  de  tendance  à  la  domination  arbitraire ,  le 
même  droit  existe  pour  ceux  qui ,  attaquant  le  despotisme  abattu, 
sont  suspectés  de  favoriser  l'anarchie,  ou  à  qui  l'on  prête  des 
vues  ultérieures  pour  tel  ou  tel  chef,  comme  si  t©us  ne  devaient 
point  être  également  odieux.  En  serions-nous  donc  venus  à  ce 
point  de  dégradation  que  nous  ne  soyons  divisés  que  pour  le 
choix  du  maître?  Non,  citoyens,  il  existe  une  majorité  immense 
d'honlmes  purs  qui  n'ont  besoin  que  d'être  éclairés  pour  défen- 
dre, au  péril  de  leur  vie ,  cette  constitution  républicaine  que  tant 
de  sang  a  payée ,  et  dont  la  moindre  altération  exposerait  et  leurs 
biens  et  leur  existence! 

»  Ce  ne  sera  donc  point  par  une  prétermission  oratoire  que 
nous  parlerons  de  la  faction  désignée  sous  le  nom  de  faction  d'Or- 
léans. Elle  existe.  Si  le  gouvernement  peut  en  avoir  les  pièces 
convictives ,  dès  l'instant  où  il  croira  pouvoir  nous  les  faire  con- 
naître on  verra  si  ce  sont  les  républicains  qui  mettent  lenteurs , 
retardemens  ou  subterfuges  à  la  poursuivre.  Elle  existe,  disons- 
nous  ,  parce  que  dès  l'instant  où  dans  une  République  le  fol  espoir 
de  la  domination  peut  persuader  à  quelques-uns  qu'ils  ont  le 
droit  de  renverser  la  liberté,  il  est  dans  la  nature  que  tous  ceux 
qui  croient  avoir  reçu  de  la  naissance  ce  même  prétendu  droit 
travaillent  pour  arriver  au  même  but ,  ou  que  l'on  travaille  pour 
les  y  amener.  Et  remarquez ,  représentans ,  que  tant  que  ce  pré- 
jugé subsiste,  c'est  moins  par  la  difliculté  des  moyens  qu'il  faut 


218  DIRECTOIRE.    —   DU    4  RRUM.    AN    IV 

juger  la  possibilité  de  la  conspiration  que  par  l'opinion  à  laquelle 
le  préjugé  a  donné  lieu.  Marai  disait  :  Où  sont  mes  troupes?  EUts 
ont  paru  le  2  juin.  Mais  inférer  de  là  que  tout  ce  qui  lutte  con- 
tre les  autres  factions  apparentes  et  imminentes  est  nécessaire- 
ment de  cette  dernière,  ce  serait  raisonner  comme  ceux  qui, 
ayant  vu  qu'un  plan  de  diviser  la  France  en  républiques  pour  F  af- 
faiblir pouvait  exister  dans  quelques  têtes ,  se  sont  servi  de  ce  chi- 
mérique prétexte  pour  faire  planer  le  soupçon  et  le  glaive  sur 
tous  les  citoyens  qui  s'opposaient  à  leurs  vues  ambitieuses  et  dé- 
vastatrices ,  et  sont  parvenus  au  point  ou  de  disperser  ou  de  con- 
duire à  l'échafaud,  comme  coupables  de  ce  crime  prétendu,  les 
plus  courageux  défenseurs  de  la  liberté  et  de  la  République;  at* 
tentât  inouï,  dont  l'histoire  sans  doute  fera  honneur  au  machia- 
vélisme des  cabinets  de  Londres  et  de  Vienne,  à  qui  en  dernière 
analyse  il  appartient ,  puisqu'il  n'a  profité  qu'à  eux  seuls.  Kete- 
nons-le  bien ,  il  n'est  point  de  faction  dont  le  premier  intérêt  ne 
soit  découvrir  de  l'odieux  qui  lui  appartient  tout  ce  qui  ne  veut 
pas  servir  sous  ses  bannières  :  ainsi ,  et  ceci  nous  le  disons  autant 
pour  le  parti  d'Orléans  que  pour  celui  de  Louis  XVIII  uu  cfc  tout 
autre,  il  n'est  pas  aussi  contraire  à  leurs  vues  qu'on  pourrait  le 
croire  de  se  laisser  nommer  impies,  détestables,  liberiicides, 
pourvu  que  ces  qualifications  retombent  sur  les  républicains  dés- 
intéressés et  purs  que  l'on  désespère  de  séduire.  Il  existe  entin 
ce  système  de  factions  diverses;  mais  vouloir  que  nous  fixions 
exclusivement  nos  regards  sur  l'une  d'elles  à  l'instant  où ,  par  des 
preuves  acquises ,  la  vigilan/e  du  gouverut  ment  a  découvert  que 
Ton  travaillait  pour  un  autre,  ne  serait-ce  pas  nous  faire  prendre 
le  change,  et  détourner  nos  yeux  vers  un  ennemi  moins  rappro- 
ché pour  nous  faire  perdre  de  vue  celui  qui  campe  sur  les  glacis 
de  la  place? 

»  Au  surplus,  l'essentiel  conslste-t-il  à  donner  plus  ou  moins 
de  créance  à  l'importance  de  tel  ou  ttl  pai  li  ?  PS'on  ;  l'essentiel  est 
de  les  signaler,  de  les  poursuivre  tous.  C'est  les  comprimer  tous 
que  de  les  dévoiler,  et  c'est  dejuuer  celui  qui  doit  se  montrer 
qu'attaquer,  renverser  et  punir  celui  qui  se  montre. 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  17954797  ).  219 

»  J'ai  dit  que  c'était  les  comprimer  que  les  dévoiler,  et  que 
tous  tendaient  au  même  but  ;  cette  asseï  tion  deviendra  plus  claire 
si  vous  vous  rappelez  et  si  vous  publiez  que  tous  ont  constam- 
iiîent  la  mécie  marche  :  seulement,  instruits  par  leurs  défaites, 
et  profitant  de  cette  inconcevable  situation  défensive  où  ils  ont 
eu  Tart  de  placer  les  républicains,  les  conspirateurs  ont  per- 
fectionné leurs  dispositions  ;  mais  le  fond  est  toujours  resté  le 
même. 

»  Un  plan  combiné  au  château  fut  connu  et  imprimé  sous  l'as- 
semblée législative.  Que  portait-il?  <  Gagner  les  autorités,  pla- 
»  cer  des  agens ,  former  des  arrondissomens ,  établir  des  cor- 
»  respondances,  répandre  des  imprimés,  irriter  le  peuple ,  user 
»  l'opinion,  et  attendre  te  signal.  »  On  connaît  les  hommes  qui 
étaient  à  la  tête  de  cette  manufacture  :  je  n'en  parlerai  point  f'  la 
plupart  ont  péri. 

»  Dans  la  conspiration  du  21  floréal  an  IV,  qu'a-t-on  trouvé? 
Mêmes  élémens,  mêmes  moyens;  seulement  un  résultat  diffé- 
rent ,  mais  tellement  insensé  dans  son  atrocité  même ,  qu'il  est 
•impossible  de  ne  pas  voir  que  la  dissolution  totale  du  corps  so- 
cial ,  qui  en  était  l'effet  direct ,  aurait  fait  recevoir  comme  un 
bienfak  le  despotisme  le  plus  absolu  ;  et  assurément ,  lorsqu'aux 
horreurs  qui  ont  malheureusement  souillé  la  révolution,  l'ima- 
gination aurait  joint  les  scènes  épouvantables  que  l'on  devait  don- 
ner pour  le  bonheur  commun,  on  n'eût  point  été  tenté  de  recou- 
vrer une  hberté  qu'on  n'aurait  plus  vue  qu'à  travers  les  torches , 
les  poignards ,  les  incendies  et  les  échafauds. 

»  Enfin,  dans  la  conspiration  du  12  pluviôse,  quel  est  le  plan 
de  conduite?  Absolument  le  même  :  des  agens  sont  établis,  des 
autorités  gagnées ,  d'autres  que  l'on  se  propose  de  corrompre  ; 
empêcher  votre  réunion,  comme  Babeuf  l'avait  recommandé; 
laisser  entrer  dans  Paris  les  fidèles  attendus ,  s'emparer  de  tous 
les  postes,  rétablir  l'ancien  régime  ,  sbolir  tout  ce  qui  peut  re- 
tracer l'existence  de  la  République,  rétablir  les  anciens  suppli- 
ces, et  généralement  tout  ce  qui  devai  résulter  d'un  ordre  de 
choses  dont  il  y  a  long-iemps  les  premiers  succès  ont  été  la  disse- 


±20  DlRiiClOlKE.    —    DU   4   URUM.   AN    1¥ 

mination  de  la  haine  dans  le  sein  du  corps-législaiif ,  le  déverse» 
ment  de  l'opprobre  sur  tout  ce  qui  chérissait  la  République , 
l'iniposlure  sur  les  intentions  ou  les  actes  les  plus  purs  ,  le  dé- 
chaînement de  l'envie  contre  toute  espèce  de  talent  qui  ne  vou- 
lait pas  se  vendre,  la  honte  pour  récompenser  la  vertu,  l'exé- 
cration pour  prix  des  sacrifices ,  enfin  la  calomnie  ouvrant  dans 
voire  retraite  la  voie  à  l'assassinat  !  Avez-vous  été  frappés  I  Non  ; 
rnais  les  cicatrices  de  Bollet  sont  elles  effacées?  Anytus  a  subi  la 
peine  due  à  son  crime...  Mais  quoi!  Socrate  avait  bu  la  ciguë. 

*  Oui,  citoyens  représentans,  il  est  bon  de  le  redire,  quand  on 
espère  renverser  un  parti,  chaque  faction  s'arrange  pour  profiter 
du  changement  dans  l'ordre  de  choses  établi  ;  mais  aussi  quelque- 
fois leur  marche  s'embarrasse ,  leurs  intrigues  se  croisent ,  les 
conspirateurs  se  heurtent,  et  c'est  là  l'avantage  que  conserve  une 
Constitution  fondée ,  contre  laquelle  tous  les  traits  se  dirigent , 
mais  qui  peut  aussi  espérer  sur  la  division  de  ses  ennemis.  La 
comparaison  des  pièces ,  et  surtout  la  lettre  de  Puisaye ,  con- 
firment ce  que  j'avance,  et  sûrement  l'observation  ne  vous  sera  pas 
échappée. 

•  0  vous  qui  le  14  juillet  retrouvâtes  la  table  des  droits  du  peu- 
ple français  sous  les  fondemens  de  la  Bastille  ;  vous  qui  le  10  août 
vîtes  tomber  l'association  monstrueuse  de  la  tyrannie  et  de  la  li- 
berté; vous  qui,  en  luttant  contre  un  roi  parjure,  fondiez  déjà  la 
République  ;  vous  dont  les  sentimens  généreux  et  purs  vous  unis- 
saient d'avance  et  à  la  profonde  douleur  que  les  crimes  devaient 
'fexciter,  et  aux  actions  héroïques  qui.ont  illustré  les  plus  belles 
époques  du  régime  républicain,  quel  était  le  sort  que  vous  réser- 
vaient tous  ces  augustes  réformateurs  et  modificateurs?  Vous 
eussent-ils  envoyés  aux  supplices  rétablis,  ou  vous  auraient-ils 
condamnés  au  tourment  plus  grand  d'être  les  témoins  de  leurs 
triomphes  ,  et  d'entendre  blasphémer  chaque  jour  ce  qui  vous 
avait  coûté  tant  de  sang  et  de  larmes?  Ainsi  le  15  pluviôse  Man- 
toue  tombe  au  pouvoir  de  l'armée  victorieuse  d'Italie,  et  le  12  on 
conspirait  pour  faire  tomber  la  République  au  pouvoir  de  l'Au- 
irichc.  Quedis-je!  on  conspire  encore  ;  la  preuve  en  est  dans  les 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  2i2I 

papiers  des  coDJurés.  Ils  ont  une  opinion  à  eux;  ils  la  forment, 
ils  l'entretiennent  ;  la  manufacture  est  toujours  en  activité  :  horri- 
ble atelier  de  brigandages  et  de  crimes ,  unique  espoir  des  préju- 
gés passés  et  de  nos  ennemis  vaincus  !  Quelles  larmes  amères 
n'ont  point  à  verser  ceux  qui ,  les  regards  toujours  fixés  sur  un 
passé  qui  doit  nous  instruire ,  mais  qu'on  ne  peut  plus  rappeler, 
encouragent,  à  leur  insu  sans  doute,  les  entreprises  de  toutes  ces 
bandes  que  la  division  seule  peut  enhardir!  Ne  semble-t-il  pas  que 
l'on  voie  autant  de  mineurs ,  chacun  dans  son  boyau ,  travaillant 
chacun  pour  son  compte  à  faire  sauter,  qui,  un  pan  de  muraille , 
qui,  une  tour,  qui,  la  place  entière*qu'îls  assiègent!...  Hommes 
coupables ,  cette  place  est  votre  patrie  !  Est-ce  avec  le  sang  que 
vous  laverez  ses  décombres? 

»  Il  estdonc  bien  avéré  que  l'on  travaille  sans  relâche  pour  ren- 
verser le  gouvernement  républicain ,  pour  rétablir  un  trône.  Vou- 
drait-on y  placer  d'Orléans  ?  Je  ne  doute  pas  qu'il  n'y  ait  des  hom- 
mes qui  le  désirent.  A-t-on  voulu  y  mettre  celui  qui  se  nomme 
Louis  XVIII  ?  Cela  est  évident.  Ses  pouvoirs  sont  donnés  :  l'un 
de  ceux  qui  les  ont  reçus  les  a  reconnus,  avoués,  et  n'a  pu  en  nier 
l'objet;  il  n'apas  même  laisséentrevoir que leplan  fût  hypothétique, 
comme  Berihelot  l'a  dit  pour  sa  défense  :  enfin,  le  plan  lui-même 
n'existerait  point ,  que  ces  pouvoirs ,  donnés  à  Blankenbourg  le 
2o  février  \  796,  démontrent  que  l'ordre  de  conspirer  a  été  conçu, 
envoyé,  accueilli,  et  nous  font  voir  dans  quelle  fausse  sécurité  on 
veut  nous  envelopper  lorsque  chaque  fois  que  le  fil  de  ces  trames 
se  découvre,  l'existence  en  est  toujours  contestée.  Ah  !  c'est  tou- 
jours la  reprise  du  grand  plan  manqué  en  vendémiaire ,  et  dont 
Lemaîire  et  Geslin  furent  les  artisans  et  les  victimes.  Laconnexité 
de  tous  ces  faits  est  plus  claire  que  le  jour  :  les  complices  secon- 
daires les  nient;  je  le  crois  :  la  fabrique  n'est  point  détruite;  elle 
ne  le  sera  point  tant  que  nous  ne  généraliserons  point  nos  consi- 
dérations ,  et  que  nous  ne  voudrons  pas  voir  que ,  depuis  1789 
jusqu'à  nous,  le  projet  de  nous  réasservir  n'a  jamais  été  aban- 
donné un  instant;  qu'il  a  fallu  ,  au  défaut  de  l'esprit  de  suite  qui 
nous  manquait,  un  bonheur  non  interrompu  pour  en  faire  succès- 


DIRECTOIRE.    —    nu   4    BRUM.    AN    IV 

sivement  avorter  les  parties  apparentes  ;  mais  qu'enfin  un  gou- 
vern»^nient  est  peu  sûr  lorsqu'il  faut  une  série  de  prodiges  pour 
le  maintenir.  Si  d'une  main  ferme  nous  n'aidons  point  au  gouver- 
nement pour  empêcher  que  les  élémens  des  troubles  ne  se  glissent 
dans  i'eiat,  ils  y  reflueront  continuellement;  si  les  égards  de  l'hu- 
manité sont  dus  à  tout  individu  ,  même  coupable ,  il  ne  faut  pas 
que  ces  sentimens  l'emportent  sur  l'intérêt  pressant ,  sur  la  vive 
sollicitude ,  sur  la  véritable  pitié  qui  est  due  à  une  nation  entière 
qu'on  voudrait  replonger  dans  les  flots  de  sang  d'une  nouvelle  ré- 
volution. On  n'est  pas  bon,  disait  un  Spartiate,  quand  on  ne  sai^ 
pas  être  sévère  aux  méchans?  Notre  mission  ,  notre  intérêt  per- 
sonnel n'ont  ici  qu'une  seule  et  même  voix  ;  lorsque  nous  avons 
voulu  la  liberté  comme  représentans  ,  nous  l'avons  voulue  pour 
le  peuple;  mais  comme  hommes  ,  comme  citoyens,  nous  l'avons 
voulue  aussi  pour  nous. 

>  Je  sais  comment ,  se  fiant  sur  cette  effrayante  dépravation 
de  la  morale  publique ,  dépravation  dont  ils  sont  les  auteurs , 
et  comptant  sur  la  légèreté  et  l'irréflexion  du  public  qui  lit ,  les 
complices  dont  je  parle  dénaturent  les  faits  et  cherchent  à  faire 
dévier  l'opinion  dans  cette  affaire.  Il  ne  sera  pas  difficile  de  les 
rétablir. 

•Vous  avez  pu  voir  depuis  un  mois  avec  quelle  ^onne/b/,  quelle 
impartialité  l'on  a  rendu  compte  de  cette  dernière  et  royale  con- 
spiration ;  vous  vous  serez  étonnés  peut-être  des  efforts  généreux 
que  l'on  fait  pour  en  pallier  l'odieux,  et  même  pour  le  rejeter  en- 
tièrement sur  c€aixà  qui  l'on  voudrait  pouvoir  attribuer  toute  es- 
p^e  de  malveillance  pour  les  écraser  plus  sûrement  :  mais  il  vous 
aura  semblé  très-conséquent  que  les  hommes  de  qui  l'on  peut  de- 
mander qnei  est  te  crime  qu'ils  n'aient  pas  conseillé  tentent  d'ex- 
cuser un  forfait  qui  seul  les  comprenait  tous,  et  vous  saurez  alors 
comment  tant  de  personnes  abusées ,  dont  l'unique  intérêt  est  le 
mainlion  de  la  République ,  paraissent  à  l'extérieur  insouciantes 
pour  sa  conservation.  Comme  autrefois  le  mot  de  roi  en  France, 
au  gré  des  courtisans,  emportait  presque  l'idée  de  la  perfection 
divine,  ainsi  aujourd'hui  l'on  apprend  aux  faibles  à  lier  toujour 


AU  50  FLOR.  AM  V  (17951797).  2^ 

ridée  de  crime  au  mot  de  liberté.  Une  conspiration  éclate  :  ce  sont 
les  républicains  qui  l'ont  tramée.  Mais  elle  a  pour  objet  h  restau- 
ration du  trône  :  nïmiporte,  ce  sont  eux^  car  les  anarchistes  enau^ 
raient  été  les  instrumens.  Certes  on  n'a  jamais  nié,  on  a  pu  voir 
même  en  lisant  les  pièces  imprimées  du  procès  de  Babeuf,  que 
cette  foule  d'individus  que  l'ignorance  affaisse,  et  que  tourmente 
la  fainéantise  ou  le  besoin  de  la  débauche ,  est  toujours  à  qui  la 
paie,  et  sert  tous  les  partis  sans  en  connaître  ni  la  fin,  ni  le  secret 
des  chefs.  Mais,  de  grâce,  qu'ont  donc  de  commun  avec  les  répu- 
blicains des  hommes  qui,  s'ils  dominaient  comme  on  le  prétend , 
demain  renverseraient  la  République  ?  Tout  un  ou  tout  autre. 
Qu'est-ce  à  dire?  Et  moi  aussi  je  répéterai  tout  républicain  ou 
tout  autre  que  républicain,  tout  consfi^tionnel  ou  tout  autre  que 
constitutionnel.  Ces  deux  cercles,  je  crois,  sont  fort  distincts  ,  et 
ne  peuvent  se  confondre.  Si  l'homme  de  bien,  si  le  vrai  patriote 
est  dans  le  premier,  on  voit  que  le  second  enferiiie  véritablement 
les  factieux  et  les  dupes  de  toutes  les  classes  et  de  tous  les  cos- 
tumes, et  que  si  l'on  a  besoin  de  troubles ,  d'agitations ,  de  com- 
plots, de  calomnies,  c'est  là  qu'il  laut  les  aller  chercher. 

»  Mais ,  ajoute-t-on,  n'est-il  pas  avéré  que  Poly,  l'un  des  hom- 
mes impliqués  dans  celte  affaire  ,  était  un  terroriste  forcené ,  un 
agent  de  l'odieuse  tyrannie  décemvirale  ,  un  orateur  de  clubs ,  et 
qu'il  a  long-temps  porté  et  fait  porter  le  bonnet  rouge  à  Troyes, 
dans  le  département  de  l'Àube  ? 

»  Il'n' est  que  trop  certain  que  beaucoup  d'hommes  qui  se  sont 
signalés  de  la  manière  la  plus  vile  et  souvent  la  plus  atroce,  au  mi- 
lieu des  extravagances  et  des  cruautés  commandées  pour  rendre 
la  République  ridicule  et  odieuse,  ont  reparu  depuis  sous  d'autres 
formes,  professant  une  religion  poHtique  différeFite,  et  prêts  à 
déchirer  de  nouveau  le  sein  de  leur  patrie.  Mais  que  s'ensuit-il  de 
là?  Ce  que  les  écrivains  éclairés  ont  souvent  répété,  ce  que  les  ci- 
toyens clairvoyans  ont  long-temps  soupçonné ,  savoir,  que  tous 
les  mouvemens  de  l'anarchie  se  rattachaient  au  royalisme,  et  que 
tel  patriotissime  de  1795  n'était  qu'un  royaliste  déguisé  qui  s'est 
démasqué  en  17!)7  ;  que  l'on  trouvera  dans  les  complots  des  Ca- 


:224  DIRECTOIRE.    —   DU    4   BRUM.   AN   IV 

pets  des  hommes  qui  ont  figuré  dans  ceux  de  Marat  et  d'Henriot, 
et  que  certains  salons  se  sont  plus  réjouis  de  la  mort  de  Ver- 
gniaud,  deCondorcet,  de  Bailly,  que  les  tavernes.  Enfin  qu'est  ce 
que  ce  M.  Poly  (l),  qui  en  1793,  affublé  du  bonnet  rouge ,  de  la 
carmagnole  et  de  la  plaque  maratiste ,  pérorait  dans  les  clubs  du 
département  de  l'Aube ,  et  peut-éire  proscrivait  ou  faisait  pro- 
scrire en  criant  l'iyeMara/  ?  Est-ce  un  négociant  français,  un  savant 
épris  d'amour  pour  la  liberté  et  le  bonheur  de  son  pays?  Est-ce 
un  artisan ,  un  homme  ignare,  à  qui  le  défaut  d'instruction  sert 
d'excuse?  Non,  c'est  un  baron  allemand;  mais  au  moins  cet 
homme,  que  son  respect  pour  la  liberté  et  l'égalité  avait  porté  à 
se  dépouiller  de  son  litre  de  baron  ,  et  enivré  au  point  de  le  pous- 
ser dans  l'exagération,  va-^C,  ne  fut-ce  que  par  pudeur,  demeu- 
rer sur  la  ligne  constitutionnelle,  et  se  contenter  de  notre  Répu- 
blique, lui  qui  peut-être  voulut  la  Republique  des  égaux?  Point 
du  tout  ;  il  jette  feu  et  flammes  contre  la  République  et  la  Consti- 
tution; il  conspire  pour  faire  égorger  ces  scélérats  républicains 
qu'il  poursuivit  sans  doute  comme  modérés  en  1793.  C'est  la  rè- 
gle; elle  est  parfaitement  suivie  par  ceux  qui,  avec  la  même  ^onne 
foi  y  ont  couru  la  même  carrière.  Vous  n'avez  point  oublié,  j'es- 
père, que  3DI.  Proly,  Ptreyra,  Guzman,  Frey,  Clootz,  étaient 
non  pas  de  malheureux  ouvriers  français  à  qui  la  révolution  avait 
fait  tourner  la  tête ,  mais  bien  des  seigneurs  autrichiens,  espa- 
gnols ,  portugais  et  prussiens  ;  vous  vous  souvenez  que  leur  in- 
fluence était  telle  que  lorsque  nous,  bien  moins  Français  sans 
doute  que  ces  fils  adoptifs  sans  lesquels  la  République  se  serait 
perdue,  que  lorsque,  dis-je,  effrayés  de  leur  patriotisme  du 
dO  mars,  nous  proposâmes,  au  nom  du  comité  de  défense  géné- 
rale, dont  moi,  modéré^  j'étais  alors  l'organe  des  comités  de  sur- 
veillance à  l'égard  drs  étrangers,  ils  se  jouèrent  de  nos  précau- 
tions, s'emparèrent  des  comités  qui  devaient  les  surveiller,  s'y 
placèrent  d'emblée  comme  ils  auraient  fait  chez  eux,  et  définiti- 


(n  Po/y  n'est  pa«  le  même  que  Protij  cité  plas  bas;  mais  tous  deux  sont  barons 
allemands,  tous  deux  instrumens  de  factions , 


AU  50  FLOR.  AN  V  {  179o-1797  ).  225 

vement  s'en  servirent  comme  un  voleur  se  sert  de  la  barre  d'une 
porte  qu'il  a  enfoncée  pour  assommer  le  maître  de  la  maison. 
Qu'importe  qui  donne  le  mot  d'ordre;  il  est  toujours  le  même  : 
touillions  contre  leur  gouvernement  tout  ce  qu'ils  feront  'pour  sa 
défense  ,  et  faisons  qu  ils  se  déchirent  de  leurs  propres  mains. 

»  Qu'il  serait  bien  temps  cependant  d'ouvrir  les  yeux  sur  tous 
ces  pièges,  semés  à  dessein  sous  nos  pas!  Et  pour  ramener  ces 
exemples  et  ces  considérations  au  sujet  de  ce  discours ,  tandis 
que  chaque  jour  dans  i'un  où  l'autre  conseil  on  discutait,  on 
pressait  toutes  les  déierminaiions  relatives  soit  au  tirage  au  sort 
du  tiers  d'entre  vous,  soit  à  l'instruction  des  assemblées  pri- 
maires, chaque  matin  Ton  imprimait  que  ces  exécrables  con- 
ventionnels ,  odieux  à  tout  le  genre  humain  y  voulaient  se  perpé" 
tuer;  d'auire  part ,  les  conjurés  prenaient  tous  les  moyens  pour 
empêcher  les  assemblées  pria^aires  d'avoir  lieu  :  lés  pièces  prou- 
vent qu'ils  en  redoutaient  les  choix.  Et  qui  acccusait-on  de  s'op- 
poser aux  droits  du  peuple?  C'est  vous. 

i)  Permettez-moi  de  placer  ici  un  trait  de  l'histoire  d'Angle- 
terre plus  instructif  qu'aucun  raisonnement,  et  dont  chacun  de 
nous  fera  facilement  l'application  à  notre  situation  actuelle. 

»  Les  cavaliers,  au  commencement  de  la  révolutiou  anglaise, 
étaient  les  partisans  du  pouvoir  absolu;  tout  à  coup  ils  devinrent 
les  plus  effrénés  champions  de  la  démagogie.  —  Nous  avons  été 
trompés,  disaient-ils;  mais  aujourd  hui  nous  reconnaissons  les 
avantages  de  la  liberté;  aussi  nous  la  voulons  dans  toute  sa  plé- 
nitude et  sans  la  moindre  altération.  —  Au  retour  de  Charles  II, 
les  ca^'a/icrs  changèrent  encore  subitement.  —  L'autorité  précé- 
dente, dirent-iis  pour  raison,  nous  a  paru  illégitime;  c'est  pour 
cela  que  nous  en  forcions  les  lessorts ,  que  nous  en  outrions  les 
maximes.  Maintenant  nous  avons  un  chef  légal  ;  nous  le  défen- 
drons, et  nous  écraserons  sans  pitié  tout  ce  qui  sera  soupçonné 
d'attenter  ù  son  autorité  illimitée. 

>  Les  mômes  circonstances  et  les  mêmes  passions  donnent  tou- 
jours, à  quelques  nuances  près,  lesmêmts  résultats.  En  France, 
nos  ennemis  au-dedans  se  sont  dit  :  —  Profitons  des  malheurs 

T.    XXXVJI.  15 


236  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BRUM.    AN    IV 

que  la  révolution  a  répandus;  aityrissons  les  plaies  qu'elle  a  ou- 
vertes; ne  montrons  la  liberié  qu'à  travers  le  voile  sanj^lant  de 
la  terreur,  et  cachons  derrière  la  paix  et  le  silence  de  la  sei  vitude 
tous  les  attentats,  tous  les  crimes  de  la  tyrannie.  Que  les  quinze 
mois  de  la  domination  passagère  qui  a  pesé  sur  la  République 
soient  tellement  in-leniifiés  avec  le  régime  républicain  qu'on  ne 
puisse  séparer  ce  régime  de  ceîie  domination  ;  qu'ils  effacent  la 
somme  rlfcayame  des  atrocités  antérieures;  que  le  titre  de  ci- 
toyen rappelle  l'idée  d'un  égorgeur,  et  que  les  plaintes  arrachées 
par  nos  dernières  calamités  éiouflent  ces  longs  gémissemens 
*que  pendant  des  siècles  le  despjii.^me  royal,  les  exactions  arbi- 
traires et  la  barbarie  féodale  ont  excités  chez  nous  !  Usons  la 
liberté  par  la  fièvre  de  la  licence  que  nous  avons  allumée,  et  ce 
peuple,  imprévoyant  et  déchiré,  sera  ramemé  par  l'habitude 
dans  h  s  chaînes  qu'il  a  brisées;  la  fièvre  générale  sera  notre  ex- 
cuse à  nous ,  et  le  mérite  d'avoii-  rétabli  le  privilège  sera  le  gage 
de  ceux  qui  nous  seront  accordés. 

>  Au  dehors  ils  ont  dit  :  —  Fiattons  leurs  passions  et  leui- 
orgueil  ;  la  force  seul^  ne  peut  nous  réussir  ;  stiinu!ons-!es  et  par 
ïa  crainte  et  par  l'espérance,  jusqu'à  ce  que,  parvenus  à  saisir 
le  pouvoir,  nous  puissions  briser  Sans  péril  ces  vils  instrumens  de 
noire  réintégration,  et  les  livrer  ou  comme  victimes  ou  comme 
serfs  à  ceux  qui  n'ont  poini  abandon-  é  notre  cause!  —  Déplora- 
ble cause ,  qui ,  depuis  Favras  jusqu'à  nos  jours ,  a  sans  cesse 
conduit  à  l'échafaud  et  au  crime  ceux  qui  s'y  sont  livrés  ! 

»  De  son  côié ,  la  coalition  armée  a  senti  que  l'existence  ti  an- 
qui  le  d'un  gouvernement  qui  assuraità  tous  des  droits  égaux  était 
le  sif^nal  ou  do  sa  perle  ou  de  sa  honte  ,  tawdis  iiué^i  elle  parve- 
nait à  le  renverser,  non-senlemeni  e'ie  ôtait  aux  nations  le  dange- 
reux spectacle  d'un  peuple  qui  s'était  rendu  libre,  mais  que  de 
plus  elle  pouvait  espér-^r  d'en  diviser  le  territoire  et  d'en  partager 
les  dépouillas. 

»  C'est  sur  ces  différens  patrons  que  se  sont  modelées  toutes 
les  factions  qui  nous  ont  dévorés  él  qui  nous  dévorent  encore  ; 
et  vous  voyez  déjà  à  quel  d'entre  eux  il  faut  rapporter  celles  que 


AU  OO  FLOR.  AN  V  (  179o-1797  ).  2-27 

le  fjouvernement  a  découvertes  :  les  unes  ont  porté  nuement  ou 
la  couleur  de  l'étranger,  ou  celles  des  prélendans  français  à  l'au- 
torité arbitraire  en  France  :  les  autres,  dupes  grossières  de  leur 
frayeur  ou  de  leur  vanité,  n'ont  vu  de  ressource  pour  elles  qu'en 
enchaînant  leurs  égaux ,  et  les  remettant,  pieds  et  poings  liés,  à 
des  matures;  ils  ont  ambitionné  l'honneur  d'être  bourreaux  pour 
s'éviter  le  danger  d'êire  victimes.  Les  membres  de  ces  différens 
corps  ont,  tour  à  tour,  arboré  l'étendard  et  les  principes  qui 
pouvaient  le  mieux  les  servir;  jacobins,  feuillans,  cordeliers, 
royalistes,  suivant  les  temps  et  l'opinion  régnante;  tandis  qu'au 
milieu  de  ces  agitations  le  peuple  criait  liberté  ^  égalité,  sûreté, 
et  que  les  véritables  amis  de  son  bonheur  étaient  successivement 
proscrits  on  pour  leur  modération  ou  pour  leur  énergie.  Serait- 
il  donc  vrai  qu'accommoder  au  temps  sa  conscience  et  sa  volonté 
serait  la  première  des  vertus  sociales,  et  que  la  vieillesse  igno- 
m^inieuse  des  flatteurs  du  premier  des  Césars  serait  préférable 
à  la  mort  prématurée  de  Caton?  Ce  n'est  point  sur  de  telles 
maximes  que  peut  reposer  une  république;  ce  ne  sont  point  elles 
que  suivent  nos  armées,  nos  armées  victorieuses  de  l'ennemi,  des 
privations  et  des  saisons  ! 

»  Au  sein  de  cette  agrégation  de  désordres  et  de  bassesses  pa- 
rut, à  la  honte  des  lettre^,  l'organisation  avouée  de  la  calomnie. 
Des  hommes,  que  le  plus  éhonlé  apologiste  n'oserait  défendre 
aujourd'hui ,  sans  préalablement  passer  condamnation  sur  leur 
infamie,  se  sont  érigés  je  ne  sais  quel  tribunal  d'où  la  vérité  est 
soigneusement  bannie ,  et  où  tout  ce  qu'il  y  a  de  l^uxet  d'impur 
est  accueilli  M  payé;  c'est  là  qu'on  rencontre  toutes  les  conira- 
dîitions  et  toutes  les  absurdités  :o.î  y  parle  de.  patrie,  et  l'on 
invite  à  la  noyer  dans  le  sang  ;  on  y  parle  de  constitution ,  et 
l'on  y  fait  les  vœux  les  plus  afdens  pour  le  régime  royal  au- 
quel celte  constitution  succède;  on  y  parle  de  paix,  et  l'on  y 
agite  les  torches,  de  la  guerre  civile  ;  on  y  parle  de  républi- 
que ,  et  tout  ce  qui  est  républicain  et  patriote  s'y  trouve  dif- 
famé et  proscrit;  les  Voleurs  y  sont  honorés,  et  le  mépiis  qui 
leur  est  dû  on  l'applique  à  l'indigence  honnête;  les  assassinés  y 


2^  DIRECTOIRE.    —    DU    4   BRUM.    AN   IT 

sont  iosuUës ,  et  les  meurtriers  ponés  en  triomphe  ;  chaque  jour, 
impunément,  ils  ont  le  privilège  de  troubler  les  familles,  de  flé- 
trir le  citoyen  irréprochable;  la  femme  ou  la  fille  vertueuse; 
d'hisulier  le  Jéfenseur  de  la  pairie ,  ou  d'avilir  ses  lauriers  :  que 
d  s-je  !  c'est  au  sun  même  du  sénat  qu'ils  ont  le  droit  d'arranger 
leurs  utiles  itnpostures;  il  ne  s'élève  pas  un  seul  représentant 
dont  leurs  valets  n'attaquent  la  réputation  ou  les  mœurs,  ici,  au 
milieu  de  vous  ,  à  haute  voix  ,  bravaut  toute  pudeur,  toute  dé- 
cence, bravant  et  l'indignation  des  étrangers  qu'ils  fatiguent,  et 
la  vengeance  personnelle  que  s^Mublent  autoriser  l'impunité  et  le 
silence  de  la  loi!  I!s m'entendent  ;  qu'ils  écrivent! 

>Écrivains  courageux  qui  avez  réveilléla  voix  de  la  nature  dans 
le  cœur  de  1  homme  asservi,  vous,  dont  la  raison  lumineuse  a  dé- 
voilé la  laideur  du  despotisme  et  de  la  superstition,  Bacon,  Loke, 
Voltaire,  Buffon,  Montesquieu,  Rousseau,  3Iably,  vous  tous 
enfin,  premiers  pères  de  notre  liberté,  sont-ce  donc  vos  héri- 
tiers! ' 

»  Méprisez  les  principes  de  servitude  et  de  domination  de  vos 
ennemis,  représenians  du  peuple;  î.  ais,  je  vols  en  conjure,  ne 
méprisez  pas  leurs  desseins  et  hur  ambition  sanguinaire.  Voyez 
si  ces  iroujpeltes  de  l'imposture  qui  sont  à  leurs  ordres  et  qui 
depuis  un  an  ne  cessaient  de  nous  dire  :  «  Les  conspirations 
royalistes  sont  des  chimères ,  le  royalsme  un  facîôme  ;  il  n'y  a  à 
redouter  que  l'anarchie  cl  ses  suppôt?  ;  il  faut  les  exterminer 
pour  que  la  France  recouvre  son  antique  bonheur.  >  Voyez,  dis- 
je,  si  malgré  l'évidence  et  l'atrociié  du  dernier  complot  ils  ont 
changé  de  langage  et  d'attitude!  Au  contraire,  leur  impudeiîce 
s'en  est  accrue  au  point  que  l'on  pourrait  se  demaiider  si  le  ma- 
chiavélisme des  con.spii-ateurs  n'a  pas  eu  réserve  quelque  coup 
caché  dont  ils  se  croient  sûrs,  ou  plutôt  si  leur  délire  ne  regarde 
pas  comme  extrêmement  naturel  de  conjurer  pour  remettre  sur 
ce  qu'ils  appellent  le  tiône  de  se»  pcrcs  un  chef  débonnaire  que 
le  supplice  d'un  million  d'hommes  rassurerait  à  peine.  Aies  en- 
tendre dans  leur  atroce  démence,  tout  ce  qui  se  fait  pour  ren- 
verser la  Képublique  est  légitime  ;  tout  ce  qui  se  combine  pour 


AU  30  FLott*  AN  V  (  1790-1797  ). 

nous  rendre  ce  régime  chéri ,  où  les  ordres  d'un  homme  ivre  ou 
insensé  ,  d'un  vieillard  imbécile  ou  d'un  enfant,  d'un  Claude  ou 
d'un  Galigula ,  sont  des  lois  sacrées,  tout  est  honorable  et  digne 
d'éloges  ;  il  est  inconvenant  de  déranger  ces  plans  d'humanité ,  et 
affreux  d'en  persécuter  les  auteurs  ;  il  n'y  a ,  selon  eux ,  que  le 
crime  en  haillons  qui  soit  crime.  Keprésenians  ,  pour  bien  juger 
des  choses  il  faut  se  mettre  dans  la  position  même  des  acteurs. 
Or,  imaginez-vous  que  vous  assistez  aux  colloques  secrets  de  ces 
apôtres  de  la  tyrannie  :  l'un  travaille  pour  la  ligne  directe,  l'au- 
tre pour  la  hgne  collatérale  ;  celui-ci  pour  l'étranger,  celui-là 
pour  le  plan  mitoyen.  Chaque  projet  a  ses  divisions  et  subdi- 
visions ;  puis,  après  avoir  fait  sa  part ,  on  fait  celle  de  ses  amis  ; 
on  garde  in  petto  les  articles  secrets  ,  et  dans  tous  ces  calculs  ce 
([ui  est  compté  pour  rien  c'est ,  comme  jadis ,  la  nation  ,  le  peu- 
ple, le  tiers-état...  Pardon  si  je  me  sers  d'une  expression  qui  ho- 
nora le  berceau  de  la-  révolution ,  mais  que  le  titre  de  citoyen  a 
du  remplacer  ;  c'est  parce  que  je  vois  les  efforts  des  factions  ten- 
ter de  nous  ramener  au-delà  de  la  première  époque  de  notre  li- 
berté, que  je  voudrais  nous  voir  bien  convaincus  qu'il  s'agit 
pour  nous  aujourd'hui,  comme  alors,  de  l'asservissement  com- 
plet, de  l'anéantissement  de  nos  droits  et  de  nos  lumières,  de 
l'envahissement  de  nos  fortunes  ou  de  la  tranquillité,  du  bonheur 
et  de  la  liberté ,  si  nous  avons  le  courage  de  les  vouloir  en 
maintenant  la  constitution  et  les  principes  qui  l'ont  fondée ,  si 
nous  ne  perdons  jamais  de  vue  celte  mayiufacture  dont  on  espère 
sauver  les  entrepreneurs  et  rallier  les  fils  et  les  ouvriers. 

»  Ne  nous  le  dissinmlons  point,  il  est  dans  l'ordre  des  choses 
(jue  la  tyrannie  conspire  sans  cesse  contre  la  liberté.  Les  faits 
vous  prouvent  celte  assertion,  puisque,  malgré  tanl  de  projets 
échoués,  le  plan  formé  n'est  point  abandonné,  et  que  ch.ique 
défaite  ne  semble  qu'un  avis  pour  le  rectifier.  Aideroub-nous  à 
son  succès  en  en  détournant  nos  yeux?  Et  le  danger  existera- 
t-il  moins  quand  nous  refuserons  d'en  apprécier  l'étendue? 
Oh  !  certes  nous  n'en  serions  point  à  ce  degré  de  péril  si  dès  le 
commencement  de  l'établissement  conslilulionnel  on  eût  opposé 


250  DIRECTOIRE.    —    DU  4   B|IUM.    AN   IV 

une  digue  à  la  dépravation  de  l'esprit  public.  Le  royalisme,  ti- 
mide, craignait  encore  a:or«  de  se  faire  soupçonner  ;  insensible- 
liwnt  il  s'tst  avancé,  a  sédui'  ,  soit  par  la  terreur,  soit  par  l'ap- 
pât de  la  vengeance,  et  fiiaintenant,  vous  le  voyez,  il  ne  dissi- 
mule m  ses  projets,  ni  ses  espérances;  que  dis-je  !  lisez  les 
pièces  Saisies ,  il  espère  même  amener  des  fonctionnaires  publics 
à  se  parjurer  et  à  le  seconder  ;  non  pas  que  nous  donnions  la 
moindre  créance  à  son  calonmieux  espcir,  mais  tant  il  est  vrai 
«  que,  dans  le  gouvernement  des  états  comme  dans  la  conduite 
de  la  vie,  les  effets  d'une  négligence  habituelle  ne  se  font  pas 
sentir  à  mesure  qn'on  néglige  quelques  objets  particuliers,  mais 
présentent  à  la  fin  un  total  effrayant.  » 

»  Que  ne  mettons-nous  donc  pour  nous  défendre  la  même  at- 
tention ,  le  même  courage  que  depuis  sept  ans  mettent  nos  irré- 
conciliables ennemis  pour  nous  perdre? 

»  i\on,  quelle  que  soit  la  perversité  du  cœur  humain,  je  ne 
puis  le  croire  ;  si  ceux  que  la  haine  égare  ou  que  des  souvenirs 
douloureux  irritent  étaient  persuades  qu'il  n'eîjt  point  de  transac- 
tion possible  entre  les  prmcipes  delà  liberté  et  de  la  tyrannie,  ils 
ne  sont  point  assez  ennemis  d'eux-mêmes  pour  vouloir  s'asservir 
eux  et  leur  patrie  sur  les  promesses  d'un  tyran,  qui  se  réserve 
toujours  de  n'en  tenir  aucune ,  et  qui  n'ignore  pas  celle  maxime  : 
«  Ce  n'est  point  pour  l'intérêt  du  traître  que  l'on  dépense  son  ar- 
gent, et  l'on  n'a  garde  de  le  consulter  quand  on  est  le  maître  de 
ee  qu'il  a  vendu.  »  Hé  bien!  qu'ils  se  convainquent  que  tout 
moyen  d'arrêt  e>i  impossible,  et  que  si  jamais  il  a  été  vrai  de 
dire  la  Constitution  on  lu  mort ,  c'est  dans  cette  occasion  !  11 
n'y  a  point  de  milieu ,  il  faut  que  celte  Constitution  triomphe, 
ou  que  la  France  redesceuie  dans  la  barbarie.  Qu'ils  songent  à  ce 
plan  de  représ^ntation  législiiivn  où  l'on  tente  de  démontrer  l'im- 
possibilité, la  folie,  le  ja(ofri??7.vme  df  toute  espèce  de  représenta- 
tion nationale;  qu'ils  évaluent  sans  frémir  le  nombre  d'hommes 
voués  à  la  première  proscription  ,  (  ommandée  pour  la  moindre 
liansaciion  inconstitutionnelle  ;  qu'ils  n'oublient  pas  et  le  retour 
des  anciens  supplices ,  et  l'établissement  de  ce  rapide  expédition- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797).  .251 

naire ,  de  ce  grand  prévôt  dont  tous  les  conspirateurs  ont  toujours 
eu  l'idée;  surtout  qu'ils  aient  sans  cesse  devant  les  yeux  cette 
odieuse  duplicité  qui  tend  à  prendie  la  multitude  de  citoyens 
craintifs  dans  le  filet  d'une  fausse  amnistie,  pour  les  livrer  en- 
suite à.  des  pai  lumens  qui  .laisseraient  au  gracieux  souverain  le 
mérite  de  la  bonté,  et  lui  donneraient  à  la  fois  le  plaisir  de  la 
vengeance!  Et  ce  sont  de  pareils  misérables  qui  se  disent  créés 
pour  nous  commander  de  droit  !^i  ce  seraii  j^ur  ces  chefs  armés 
contre  vous  qu'exhumant  des  respects  idolâtres  on  préparerait 
les  esprits  ou  à  l'apathie  ou  à  une  meurtrière  indul^^ence  !  Le 
sang  d'un  seul  soldat  français  ne  vaut-il  pas  mille  fois  celui  de  ce 
coupable  deBlankenbourg,  qui,  pour  la  satisfaction  de  son  or- 
gueil, projette  froidement  le  massacre  des'  parens  dont  depuis 
quatre  ans  il  fait  tuer  lesenfans  aux  frontières  ?  Parque!  étrange 
raisonnement  s'est-il  constitué  mon  ennemi  sans  que  je  puisse  me 
constituer  le  sien!  Et  quelle  est  cet' e  imbécillité  humaine  qui  fait 
porter  une  juste  horreur  à  l'auteur  d'un  seul  forfait ,  et  qui  veut 
des  égards  et  de  la  considération  pour  celui  qui  en  ordonne  des 
milliers  ?  Aveuglez ,  égarez ,  séduisez,  divisez  pour  régner  ;  tel  est 
le  secret  de  la  tyrannie.  Alors  chacun  s'imagine  que  forage  ne 
peut  arriver  jusqu'à  lui  ,-et  l'on  se  flawe  de  pouvoir  échapper  tan- 
dis que  les  autres  seront  en  péril. 

>  La  Constitution  ou  la  mort  !  Nous  en  sommes  venus  à  ce  point 
que  ce  n'est  plus  maintenant  pour  le  maintien  de  Itur  Miuation 
politique,  mais  que  c'est  pour  leur  vie  même  que  les  républicains 
résistent ,  et  qu'ils  peuvent  dire  aes  aspirans  de  la  tyrannie  ce  que 
l'orateur  grec  disait  de  Philippe  :  «Ajoutez,  Athéniens,  que  vous 
»  avez  de  plus  grands  risques  a  courir  que  d'autres  peuples.  Phi- 
»  lippe  ne  veut  pas  seulement  asservir  \otre  iiépublique  ,  non, 
»  mais  la  détruire.  Il  conçoit  que  vous  ne  voulez  pas  obéir,  f  tque 
•  vous  ne  le  pourriez  plus  quand  vous  ie  voudriez,  eitani  accou- 

>  tumés  à  être  libres  ;  aussi  ne  vous  épargner a-t-il  pas  î^i  une  fois 

>  il  devient  le  maître  ;  atfendf  z-vous  donc  de  sa  part  aux  der;)Jè-. 
»  res  extrémités.  Détestez  et  punisses?  les  ministres  qui  lui  sont 
»  vendus  :  il  n'est  pas  possible ,  non ,  il  ne  l'est  pas  que  vous 


252*  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRUM.    AN    IV 

i  triomphiez  des  ennemis  étrangers  avant  que  d'avoir  puni 
>  vos  ennemis  domestiques  qui  sont  à  leurs  {jages.  »  (  Dixième 
Philip.  ) 

»  Le  parallèle  est  frappant  pour  tout  homme  qui  a  sn ,  soit 
dans  un  temps ,  soit  dans  un  autre,  apprécier  sa  digniié,  et  qui 
a  donné  quelque  {jage  à  la  République  ei  à  la  liberté  de  son  pays  ; 
il  n'est  pas  une  seule  ligne  dans  les  pièces  des  différentes  conspi- 
rations découverit  s  qui  ne  lui  apprenne  quel  sort  on  lui  réserve. 
Le  rapprochement  est  plus  sensible  encore  si  on  le  suit  sous  le 
rapport  politique,  comme  citoyen,  comme  faisant  partie  inté- 
grante du  souverain  ;  c'est  alors  que  l'onconsidère  avec  effroi  le 
démen»bf  ement  de  la  France  dans  le  cas  où  le  moindre  de  ces 
complots  pourrait  réussir,  si  la  volonté  des  hommes  éc'airés  ,  si 
la  fermeté  des  représenians  du  peuph*  et  du  gouvernement,  si 
l'intérêt  des  citoyens  n'étaient  point  réuni  pour  les  faire  avor- 
ter. Toutes  les  places  qui  pouvaient  garantir  Athènes  de  la  servi- 
tude (1)  furent  le  prix  de  l'argent  semé  parmi  des  orateurs  et  des 
ministres  corrompus  :  tout  ce  qui  serait  en  France  à  la  bien- 
séance de  la  coalition,  indépendamment  du  pillage  des  proprié- 
taires, qui  seul  pourrait  suffire  aux  moyens  qu'd  faudrait  pren- 
dre pour  l'affermissement  de  ia  tyrannie;  tout,  dis-je,  serait 
remis  comme  iudemfiilé  à  des  chers  alliés ^  dont  les  avances,  les 
pertes  et  l'opiniâtreté  ne  peuvent  être  trop  honorablement  ac- 
quittées; et  c'est  alors  vraiment  que  l'on  donnerait  toute  son  ex- 
tension à  ce  terme  mystérieux  de  compensation  ,  si  solennellement 
apporté  de  Londres.  —  Ainsi ,  vous  ,  puissance  dAulriche ,  qui 
aviez  si  bien  opéré  pour  la  dévastation  de  cette  République  avant 
que  la  victoire  deFleurus  et  les  savantes  manœuvres  de  Picliegru 
dans  la  Wesi-Flandre  vous  arrachassent  les  places  fortes  du  nord, 
vous  qui  avez  fait  en  France  cent  mille  veuves  ,  et  privé  cent  mille 
pères  de  leurs  fi's,  ce  n'est  pas  trop,  outre  la  Relgique ,  de  la  ci- 
devant  Alsace  et  de  la  Lorraine  pour  payer  tant  de  bontés;  re- 
cevez-les en  toute  propriété ,  terres ,  Cétes  et  gens.  Vous ,  irès- 

{\)  Seerie ,  Dorisque,  Pathmos,  renvahissement  de  l'Eubée ,  etc. 

>  Motedc  Jean  Debry.) 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  233 

saint  père,  ministre  charitable  d'une  religion  de  paix,  je  vous 
rends  les  comtats  d'Avignon  et  Venaissin  ,  plus  le  comlé  de  Pro- 
vence ;  et  la  rive  gauche  du  Rhône  jusqu'à  Valence  ;  c'est  le  moins 
qu'on  doive  au  zèle  apostolique  qui  vous  fit  entretenir  les  torches 
du  fanatisme  et  attiser  l'incendie  de  la  Vendée.  Enfin ,  vous,  roi 
d'Angleterre,  dont  l'argent  a  ji  puissamment  servi  la  ccaiiiion, 
ne  fût-ce  que  pour  légitimer  votre  litre  de  roi  de  France,  prenez 
la  Bretagne  et  la  Guienne;  ces  provinces  sont  remplies  d'hommes 
robustes  et  infatigables  ;  vous  vous  épargnerez,  en  les  transpor- 
tant à  la  Jamaïque,  beaucoup  de  têtes  de  nègres  ;  et  surtout  que 
vos  ministres  ne  craignent  plus  le  spectacle  d'un  peuple  libre  en 
Europe  ;  je  vais  m'occupera  ramener  ce  qui  restera  de  la  France 
au  onzième  siècle  dans  toute  sa  sp/ent/eu)';  j'anéantirai  succes- 
sivement jusqu'au  tiers'état.  Je  ne  veux  plus  que  des  serfs  et  des 
nobles.    . 

>  Quelle  honte  que  l'on  méprise  assez  une  nation  puissante  et 
victorieuse  pour  oser  parler  ainsi  de  lui  rendre  ses  fers  et  d'en 
partager  les  dépouilles,  comme  on  parlerait  de  partager  les  fruits 
d'une  métairie!  Royalistes,  anarchistes,  orléanistes,  partisans 
diffamés  d'York  ou  de  Charles ,  nos  femmes,  nos  enfans,  nos 
biens,  tous  les  républicains  ,  nos  braves  armées  sont-elles  donc 
votre  propriété  pour  que  vous  puissiez  en  disposer  comme  d'un 
troupeau  de  bêtes  ! 

i  II  n'en  sera  point  ainsi,  si,  usant  contre  vos  ennemis  de  tous 
les  moyens  légitimes,  mais  n'en  négligeant  aucun  ,  les  citoyens 
aperçoivent  partout  dans  l'intérieur  l'action  et  l'image  de  la  loi 
dont  ils  vous  ont  fait  les  organes  ;  si  la  liberté  n'est  pas  pour  eux 
un  vain  nom ,  et  qu'au  contraire  elle  ajoute,  comme  elle  le  doit , 
à  la  prospérité  individuelle;  si  les  institutions  républicaines  sont 
mises  en  activité,  sont  respectées,  soutenues,  et  que  les  mœurs 
du  citoyen  remplacent  celles  du  sujet!  Il  n'en  sera  point  ainsi 
enfin  ,  et  tout  cet  appareil  de  complots,  que  notre  irjsouciancc  , 
notre  faiblesse  ou  notre  division  rendent  formidable ,  tombera 
de  lui-même  lorsque  vous  aurez  appris  aux  Français  à  se  re- 
garder comme  plus  heureux  du  bien  (ju'ils  possèdent  actuelle- 


234  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRUM.    AN    IV 

ment  que  comme  malheureux  par  la  privation  de  ceux  qui  leur 
manquent  encore. 

»  Après  tant  de  leçons  et  de  dësisJres,  une  simple  hypothèse 
que  chacun  peut  faire,  et  dontrexpëri^nce  et  les  faits  passés  con- 
firmeront la  conclusion,  peut  démontrer  ce  que  uous  avançons; 
je  vous  prie  de  m'en  pei  mtttre  la  supposition  :  je  regrette  d'a- 
voir autant  pris  sur  des  momens  que  réi  lameni  sans  doute  des 
objets  de  détermination  ur^^ente  ;  mais  puisque  votre  commission 
a  réuni  toutes  les  probabilités  qui  indiquent  clairement  vers  quelle 
efrVoyable  catastrophe  les  conspirations  quelconques  entraîue- 
raient  inéviiabletnent  la  majorité  de  la  République,  il  est  bon  de 
se  convaincre  que  si  la  fin  est  atroce ,  les  -moyens ,  quelle  que  soit 
cette  fin  ,  ne  le  sont  pas  moins,  ne  peuvent  pas  l'être  moins;  il 
faut  savoir  entendre  des  vérités  dures  lorsqu'elles  peuvent  nous 
éviter  l'excès  des  calamités. 

»  Je  suppose  que  le  chef  de  chacune  de  ces  conspirations  se 
trouve  placé  là,  en  présence  des  représentirs  du  peuple  et  des 
citoyens  a>sistans  ;  je  les  interroge.  Vous,  tribun  populaire,  que 
prétendez- vous?  —  Etre  le  chef,  ét:d)lir  le  bonheur  commun  , 
l'égalité  parfaite,  et  la  communauté  de  tous  les  biena.  —  Bon , 
nous  connaissons  toute  la  so'idité  d'un  tel  plan  ;  mais  quHs  seront 
vos  premiers  moyens  d'exécution?  —  Le  suppli-'c  de  tout  ce 
qui  compose  les  autorhés  consliiuee>  actuelles,  et  l'aneaniisse- 
ment  de  tout  ce  que  je  nomme  aristocrate  en  France,  pour  qu'il 
n'y  reste  que  des  démocrates  purs  et  leséj^aux  de  fa»tet  (ie  droit. 
—  El  vous,  royalistes,  n'ir»!porte  powr  quelle  branche,  quel  est 
votre  but?  — De  rendre  :»  la  France  le  bonheur  dont  elle  jouis- 
sait autrefois.  — J  entends  :  uous  connaissons  ce  bonheur;  nous 
n'avon-  pas  encore  oublie  les  tortures,  les  droits  féodaux  ,  les  ga- 
belles, les  privilèges,  !♦•>  dîmes,  les  chasses,  et  généralement 
toutes  ces  inventions  heureuses  qui  sacriHaieni  le  grard  nombre 
aux  menus  ploi.sirs  de  <|uelques  hommes,  lesquels  trouvaient  si 
dur  de  souffrir  et  de  mourir  commn  nous  !  Mais  quels  moyens 
emploierez-vous?  —  Oh!  il  est  indispensable  de  se  défaire  de 
tout  ce  qui  a  tenu  à  la  révolution ,  fonctionnaires  ,  écrivains,  gar- 


AD  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  235 

des  nationales,  défenseurs;  le  venin  de  la  sédition  a  corrompu 
toutes  cesaoïes  ;  il  faut  l'extirper  :  il  ne  faut  pas  risquer,  par  une 
pitié  mal  entendue,  le  saUit  du  prince  et  la  sûreté  du  trône.  S'ils 
n'eus- ent  pas  regardé  leur  roi  comme  un  homme ,  jamais  ils 
n'auraient  osé  le  juger  :  tous  sont  coupables  ou  complices;  ils 
ont  fait,  ou  laissé  faire,  ou  encouragé  à  faire,  et  c'est  la  journée 
du  Jeu  de  Paume  qui  a  enfanté  celle  du  21  janvier. 

))  Et  vous ,  que  je  ne  sais  comment  qualifier,  qui  voulez  asso- 
cier un  fantôme  de  royauté  avec  les  principes  répiiblicains  d'une 
des  éphémères  constittiiions  (1),  quels  sont  aussi  vos  premiers 
moyens  de  réussi tt*?  —  c  L'égorgement  des  républicains ,  l'écla- 
»  tante  punition  de  l'affreuse  journée  du  10  août,  où  l'on  a  osé 
»  renverser  le  trône ,  et  le  juste  châtiment  de  cette  assemblée  lé- 
»  gislative  dont  le  devoir  était  de  prononcer  non  pas  la  suspens 
»  sion ,  mais  la  déchéance ,  comme  le  lui  demandait  la  commune 
»  de  Paris,  puisque  par  là  le  trône  restait  constiiutionnellement 
»  debout,  et  que  ronstitutionnellement  on  eût  pu  y  placer  pour 
»  régent  tel  mannequin  qui  nous  eût  convenu.  » 

»  Ainsi  donc  il  n'est  aucun  projet  de  révolte  contre  la  Consti- 
tution républicaine  dont  la  base  ne  porte  sur  de  vastes  Saint- 
Barihélemy,  sur  des  incendies,  des  meurtres,  et  sur  le  ravage 
des  propriétés!  Ainsi  c'est  le  poignard  et  la  torche  à  la  main  que 
ces  prétendus  restaurateurs  de  leur  patrie  ramènent  ce  bonheur 
suprême  qu'ils  nuus  promettent  !  C'est  pour  l'exécution  de  tels 
plans,  c'est  avec  de  tels  moyens  qu'ils  cherchent  des  complices  et 
des  dupes,  et  i^s  en  trouvent  I  Insensés,  qui  croyez ,  sur  la  foi  de 
ces  perfides,  que  vous  pourriez  changer  ce  gouvernement,  qui 
ne  vous  déplaît  que  parce  qu'il  est  le  vôtre,  comme  on  change 
une  décoration  théâtrale,  calculez  au  moins;  sachez  qu'il  faut 
mille  fois  inoins  d'efforts  aujourd'hui  pour  conserver  voire  Con- 
slitinion  ,  pour  l'améliorer,  pour  en  tirer  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon 
et  de  désirable  parmi  les  hommes  ,  qu'il  ne  faudrait  de  saorilices, 
de  sang ,  de  larmes ,  de  crimes  et  de  ravages  pour  en  établir  une 

(<)  Lettre  de  Paisaye 


^56  DIRECTOIRE.    —    DU    4  BRUM.    AN    IV 

autre  !  Et  puis  maintenant  dénigrez  la  République,  appelez  la 
guerre  civile,  et  applaudissez  aux  conspirateurs! 

>  Quelle  cause  a  perdu  le  trône?  Pensez- vous  que ,  fières  d'une 
longue  et  antique  usurpation ,  ces  famill^.s  qui  regardaient  le  pou- 
voir comme  un  bien  héréditaire  aFent  manqué  de  volonté, de  pro- 
jets et  même  de  moyens  pour  s'opposer  aux  efforts  de  la  Iii)erté? 
Non  sans  doute  ;  le  contraire  est  démontré  chaque  jour.  Sont-ce 
les  lâches  courtisans ,  dont  la  cupidité  calculait  sur  un  change- 
ment de  dynastie,  qui  tenaient  les  fils  moteursdela  révolution,  ou 
qui  en  ont  favorisé  les  élans?  Non;  mais  l'indignation  réagissait 
sans  cesse  contre  une  cour  avilie,  à  qui  l'excès  de  la  corruption 
n'avait  rien  lai  se  de  sain  et  d'honnéie.  Le  peuple  n'était  rien 
pour  elle;  elle  ne  fut  rien  pour  lui.  Oui,  c'e-t  cette  coupable  in- 
différence qui  a  précipité  la  chute  d'un  régime  étranger  à  la  na- 
tion, et  souvent  l'ennemi  le  plus  cruel  de  ceux  qu'd  gouvernait. 
C'est  par  les  vices,  les  cruautés,  l'isolement  que  les  états  et  les 
gouvernemens  périssent,  beaucoup  plus  que  par  les  ijruplions 
hostiles.  Un  complot  est  découvert  :  eh  !  qu'importe,  si  votre  in- 
souciance encourage  à  en  former  de  nouveaux  tous  les  jours,  si 
vous  regardez  passer  la  conspiration  comme  jadis  la  cour  voyait 
pcLsser  la  misère  du  peuple  !  J'entends  :  renihousiasme  est  épuisé  ; 
les  malheurs  d'une  révolution  qui  a  remué  tous  les  élémens  du 
corps  social  ne  laissent  de  sentiment  que  celui  d'une  fatigue  dou- 
loureuse, de  désir  que  celui  de  réparer  ses  pertes,  comme  un 
malade  brisé  par  ks  accès  d'une  fièvre  aiguë  se  rétablit  lente- 
ment, traîne  une  lonp,ue  convalescence,  concentre  vers  soi  tou- 
tes ses  affections,  et  ne  soupire  qu'après  le  repos.  Mais  au  moins, 
citoyens  français,  ce  repos  que  vos  vœux  appellent  faites  donc  ce 
qu'il  faut  pour  l'obtenir!  Vous  voulez  la  paix,  vous  voulez,  la 
restauration  d(  s  finances  :  eh  bien  !  l'un  et  l'autre  point  dépendent 
de  vous  ;  dans  un  mois  peut-être  vous  donneriez  la  paix  et  vous 
recevriez  les  indemnités  de  la  guerre  .m  votre  volonté,  d'accord 
avec  votre  intérêt,  vous  serrait  autour  du  gouvernement  répu- 
blicain ,  si  l'ennemi  n'espérait  pas  qu'au  lieu  de  le  soutenir  vous 
êtes  prêts  à  le  laisser  tomber,  ou  même  à  l'attaquer.  La  suppo- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  179o-1797  ).  237 

sition  est  fausse,  je  le  sais;  mais  c'est  la  conviction  du  contraire 
qu'il  faudrait  lui  donner.  Tous  ces  hommes  qui  ne  songent  qu'à 
vous  faire  prendre  en  haine  la  République,  qui  vous  invitent  à 
dédaigner,  à  fouler  aux  pieds  tout  ce  qui  en  porte  le  caractèr.e  , 
et  qui  vous  en  donnent  si  impudemment  l'exemple,  tous  ces  fer* 
vens  apôtres  des  distinctions  et  des  abus,  qui  s'annoncent  en 
tous  lieux  pour  n'avoir  rien  de  {.'lus  cher  que  votre  félicité ,  eux 
seuls  en  reculent  l'époque.  Plus  i!s  parviennent  à  atténuer  l'es- 
prit public  et  à  vous  faire  haïr  les  principes  de  la  liberté ,  plus  ils 
semblent  dire  à  la  coalition  (  ce  qui  se  trouve  encore  dans  les  piè- 
ces saisies,  lettre  de  cCEntraigues)  :  <  Patientez,  ne  vous  pressez 
point,  np  faites  point  la  paix;  si  vous  êtes  battus  au-dehors, 
vos  fidèles  alliés  triomphent  dans  l'intérieur;  nous  lasserons  le. 
peuple,  nous  le  fatiguerons ,  nous  lui  parlerons  sans  cesse  de 
paix  ,  afin  de  lui  en  accroître  le  désir  et  le  besoin  ;  mais  gardez- 
vous  d'y  accéder,  pour  que  l'odieux  de  la  guerre  retombe  sur 
»  les  républicains  exclusivement.  » 

»  Français  de  tous  états,  et  j'ose  dire  de  toute  opinion,  qui  ne 
voulez  plus  de  révolutions ,  qui  voulez  la  paix  et  le  retour  de  l'a- 
bondance , oui,  la  simple  manifesiation  de  votre  attachement  au 
régime  actuel  et  aux  institutions  qui  le  rendent  immuable  suffit 
pour  écarter  les  malheurs  dont  chaque  parti  vous  rendrait  la  vie* 
time ,  pour  étouffer  toute  conspiration  dès  sa  naissance ,  par  l'im- 
possibilité d'avoir  l'ombre  d'un  succès ,  et  enfin  pour  faire  cesser 
les  horreurs  de  la  guerre. 

»  Certes,  quoi  qu'en  pubhent  les  calomniateurs,  ce  n'a  point 
été  dans  l'un  ou  l'autre  conseil ,  ce  n'a  point  éié  dans  le  gouver- 
nement républicain  que  l'olivier  a  jamais  été  repoussé  ;  mais  puis- 
que à  chaque  victoire  nous  avons  énoncé  le  vœu  formel  de  la 
puix ,  puisque  nos  combats  n'ont  pour  objet  que  de  la  donner  ou 
de  la  conquérir,  je  crois  que  c'est  assez  avoir  publié  nos  sonti- 
mens  à  cet  é^jard,  et  qu'il  est  inutile,  quand  nous  en  gémissons 
chaque  jour,  de  relever  continuellement  avec  une  sorte  d'affecta- 
tion les  malheurs  dune  guerre  que  l'ennemi  a  commencée ,  que 
l'ennemi  seul  prolonge.  Oui,  que  toute  l'horreur  des  nations  re- 


238  DIRECTOJRE.    —    DU    4   BRUM.    AN    IV 

tombe  sur  ceux- qui  se  refusent  à  la  paix  !  Ce  langage,  ce  me  sem- 
ble, n'est  point  usité  parn-'i  les  vainqueurs.  Qaand  le  principe 
des  compensations  a  éié  posé ,  a  i-il  été  rejeté  par  le  gouverne- 
ment? Non;  il  a  été  adopté.  Mais,  quand,  à  l'explication,  l'on  a 
vu  qu'il  s'agiosait  de  déshonorer  la  République  ,  de  la  démante- 
ler, d'en  ouvrir  et  d'en  confier  les  issues  à  nos  ennemis ,  de  vio- 
ler des  traités  sacrés ,  des  promesses  solennelles ,  le  gouverne- 
ment a  senti  la  dignité  et  l'intérêt  de  la  nation  ;  il  ne  s'est  point 
modelé  sur  ce  cabintt  d'une  cour  corrompue,  qui  en  1787  reçut 
\rt  prix  de  l'iuvasion  de  la  Hollande;  il  a  .^enti  que  si  l'intérêt  des 
contracians  fornait  les  alliances  entre  les  peuples,  la  loyauté  !a 
plus  sévère  les  garantissait  et  en  acquéra't  de  nouvelles  ;  il  a  senti 
qu'il  ne  devait  point ,  par  unecondocendance  criminelle ,  encou- 
rager à  des  demandes  plus  absurdes  eixore,  demandes  que  les 
affidésde  l'intérieur,  qiii  comptaient  sur  la  conspiration  du  jî2plu- 
viose ,  annonçaient  assez  nalvf  ment.  Tels  sont  les  principes  qui 
ont  dû  diriger  votre  gouverninient  :  t» Is  sont  ceux  qui  servi- 
ront de  iè,jle  aux  représenians  de  la  nation;  elle  en  a  pour  ga- 
rans  leur  caractère  et  leurs  sermens. 

»  Au  reste ,  veuillez  encore  sur  ce  point  écouter  la  leçon  de 
l'histoire.  C'est  là  seuienient  que  les  législateurs  des  nations  peu- 
vent espérer  4e  trouver  les  conseils  de  la  sagesse,  de  l'impartia- 
lité et  de  Texperieiice  ;  vous  verrez  jusqu'à  quel  point  il  peut 
éclairer  votre  situation  pohlique  actue  le. 

»  Rome  avait  vaincu  à  Z  mia ,  et  avait  donné  à  sa  rivale ,  fati- 
guée de  la  guerre ,  la  paix  meurtrière  qui  lui  présageait  sa  de- 
struction ;  elle  lui  avait  interdit  la  guerre  sans  l'aveu  du  sénat 
romain,  enlevé  armes,  vaisseaux,  éléphans,  et  imposé  un  tri- 
but. Les  pieuiières  conditions  s'exé'utèrent  sans  murmure. 
Quand  on  en  vint  à  la  demie:  e  1 1  désolation  fut  universf^He  ;  An- 
nibal  seul  pai  ui  riaht  à  .la  p'ace  publi']UO  :  on  le  lui  rc;  rocha;  il 
répondit  : 

<  Si  riu:érieui  d  un  honmie  pouvait  se  voir  comme  h  s  traits 
»  de  son  voyage  ,  celte  joie  (jue  vous  me  reprochez  vous  vous 
>  convaincriez  bientôt  qu'elle  part  moins  d'un  véritable  r^jnten- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (1795-1797).  239 

>  lement  que  d'un  cœur  rendu  insensé  par  le  malheur  ;  mais  au 
»  reste,  fût-elle  vraie,  elle  serait  moins  déplacée  que  ne  l'est 
»  aujourd'hui  voire  intempestive  douleur.  Il  fallait  pleurer  lors- 
»  que ,  sous  l'apparence  de  la  paix ,  on  vous  ôlait  vos  armes,  vos 

>  vaisseaux,  vos  munitions,  vos  places,  vot  alliés,  et  tous  vos 
»  moyens  de  défense;  il  fallait  pleurer  quand,  au  nom  de  la 
»  paix ,  on  vous  laissait  nus  et  désarmés  au  milieu  des  nations 
»  armées  de  T  Afrique  !  Mais  alors  personne  n'a  gémi ,  tant  il  est 
»*  vrai  que  nous  ne  sentons  des  maux  de  l'état  que  ce  qui  touche 
»  nos  intérêts  particuliers!  Et  mainten.jnt  qu'il  vous  faut  payer 

>  le  tribut  auquel  vous  vous  êtes  soumis ,  vous  pleurez  comme 
»  dans  un  deuiî  pubic!  Ah!  que  je  crains  que  vous  ne  semiez 
»  bientôt  que  ces  larmes  que  vous  versez  vous  les  donnez  au  plus 
»  léger  de  vos  maux  !  »  (  Tite-Live ,  Liv.  52.  ) 

»  Je  n'ajoute  aucunes  rétle.xions;  chacun  de  vous  les  a  faites. 

»  Repiésentans  du  peuple,  les  agitations  ^ont  inévitiibles  dans 
les  états  libres;  elles  sont  le  résultat  de  cette  inquiétude  indivi- 
duelle qui  Laît  du  sentiment  de  ses  forces  et  de  sa  liberté;  mais 
il  dépend  de  la  sagesse  et  de  la  fermeté  des  législateurs  d'empê- 
cher qu'elles  ne  dégénèrent  en  commotions  violentes,  en  sédi- 
tions. Depuis  sept  ans  on  croirait  voir  en  France  la  lutte  du  bon 
et  du  mauvais  principe  ;  la  liberté  n'a  rien  gagné  que  de  vivefurce 
sur  le  despotisme  :  il  est  temps  de  faire  cesser  ce  grand  scandale 
politique,  ef.  de  substituer  le  culte  aug'.;ste  de  la  loi  à  ces  super- 
stitions ej)hemères  que  les  partis  érigent  pour  les  idoles  qu'ils 
élèvent.  Hçlas  !  il  me  semble  entendre  le  bruit  de  leur  chute  suc- 
cessive, et  les  gemisseniens  tardifs  des  info/ lunés  qui  leur  ont 
pro  titn^  leur  encens  et  leurs  hommages  !  C'est  au  eoi  ps  légis- 
latif,  c'est  au  gouvernement  républicain  à  présenter  ^ans  cesse  à 
ceux  que  les  dangers  et  l'expérience  ont  insiruits  un  point  de  ral- 
liement dont  aucune  fjction  ne  puisse  appr  cher. 'Prcuégé  par 
la  loi ,  rassuré  par  son  impei  lurbable  énergie,  on  ne  sera  pi»int 
t^nté  de  rechercher  un  au're  abri,  ni  de  courir  les  chances  ha- 
sardeuse des  conspirateurs;  on  ne  voudra  (jue  la  Constitulou 
lorsqu'il  sera  bien  évident  que  la  sûreté  est  là,  et  n'est  nulle  part 


^0  DIRECTOIRE.    —   DU  4  BRCM.   AN  IV 

ailleurs.  La  conspiration  dont  nous  vous  avons  entretenus  avait , 
comme  toutes  les  autres,  l'esclavage  pour  but,  et  regorgement 
et  la  rapine  pour  moyens  :  c'est  toujours  l'ambition  du  pouvoir 
et  le  mépris  des  hommes  qui  veulent  exploiter  à  leur  profil  la  cré- 
dulité, la  faiblesse,  et  jusqu'à  leur  ressefltiment.  On  se  presse- 
rail  moins  sans  doute  d'entrer  dans  ces  ligues  honteuses  si  leur 
détestable  objet  n'était  point  caché  sous  des  prétextes  que  l'ha- 
bitude ancienne  nous  rend  encore  familiers.  Hé  bien  !  ce  sont  ces 
voiles olficieux  qu'il  faut  arracher;  il  faut  que  cet  antique  mons- 
tre du  despotisme,  n'importe  qu'il  se  couvre  des  livrées  féodales 
ou  des  guenilles  de  l'anarchie,  soit  produit  à  tous  les  yeux  dans 
sa  nudité;  qu'on  le  voie  engloutissant  les  biens  et  la  substance 
des  esclaves  qui  rampent  sous  son  empire,  corrompant  les 
mœurs,  pioscrivant  les  vertus ,  les  talens,  la  force ,  le  courage , 
l'émulation ,  et  brisant  dans  ses  sombres  défiances  jusqu'aux  liens 
des  familles!  il  l^ut  qu'à  ces  sinistres  images  vous  opposiez  le 
tableau  des  bienfoits  d'une  consiiiuiion  libre,  adaptée  à  nos 
mœurs,  qui  porte  en  elle  ses  moyens  de  perfectionnement  et  d'a- 
mélioration, qui  déjà  a  pour  elle  d'avoir  reposé  la  France  pen- 
dant les  dix-huit  mois  ue  son  activité,  d'avoir  raffeimi  le  terrain 
mouvant  sur  lequel  nous  marchons  ,  d'y  avoir  fait  croître  h  douce 
espérance  et  la  consolation  ,  d'avoir  arrêté  les  divers  complots, 
et  dont  le  succès  peut-être  surpasserait  noire  attente  si  les  affec- 
tions éclairées  des  citoyens  lui  portaient  dès  à  présent  le  tribut 
de  sentiment  qu'elle  obtiendra  un  jour!  11  faut  que  vous  rappel- 
liez  à  sa  dignité  première  la  fonction  d'homme  de  lettres,  que 
son  utilité  faisait  nommer  une  magistrature  de  morale  publique , 
et  dont  les  principes  de  sagesse  et  de  liberté ,  la  philosophie ,  l'in- 
dépendance, l'élévation  et  la  reciitude  des  idées  ont  i^i  puissam- 
ment concouru  à  notre  affranchissement  ! 

>  Je  ne  dis  plus  qu'un  mot  ;  il  entre  dans  ce  que  vous  a  dit  eu 
commençant  votre  commission  :  les  conspirateurs  comptaient  sur 
nos  divisions.  Non,  Français,  qui  ne  connaissez  que  l'ennemi  de 
votre  patrie,  ce  ne  sera  point  au  milieu  de  nous  que  se  nourriront 
les  germes  des  déchiremens  intérieurs,  et  que  viendront  se  per- 


AD  30  FLOR,  AN  V  (1790-1797  ).  241 

dre  les  fruits  de  vos  victoires  !  Nous  courons  tous  la  mêaie  car- 
rière ;  nous  avons  brûlé  nos  vaisseaux  !  Et  qui  de  nous  voudrait 
survivre  à  la  perte  de  la  liberté ,  à  la  ruine  de  sa  pairie?  Les  fem- 
mes des  barbares  les  arrêtent  dans  leur'  fuite  et  les  repoussent  au 
combat  :  de  quel  front  un  Français  lâche  ou  perfide  retournei  aits 
il  dans  ses  foyers  pour  ne  porter  à  sa  femme  et  à  ses  enfans  que 
la  honte  et  l'esclavage?  Ahî  c'est  alors  que  les  reproches,  les  re- 
mords, l'aspect  des  tourmens  de  ce  qui  nous  est  cher,  et  les 
jjrands  souvenirs  de  la  révolution ,  nous  feraient  trouver  des  for- 
ces dans  noire  désespoir  même!  Heureusement,  quelle  que  soit 
la  gêne  momentanée  où  se  trouve  la  République ,  un  plus  doux 
avenir  s'ouvre  devant  elle;  ses  ennemis  au-dehors  sont  vaincus, 
ses  ennemis  au-dedans  sont  arrêtés;  peu  à  peu  les  plaies  se  fer- 
ment et  la  confiance  renaît.  Que  tous  les  moyens  d'énergie ,  d'u- 
nion, d'instruction  ,  soient  employés  pour  revivifier  l'esprit  pu- 
blic, et  nous  lui  verrons  produire  avec  moins  d'eff'oris  pour  le 
mainiien  de  la  Gonsiituiion  ce  qu'il  a  fait  pour  le  succès  et  la  pro- 
gression de  la  révoUiion.  Nos  armées,  éternel  objet  de  {>loire  et 
d'admiration,  combatient  pour  la  gloire  et  vainquent  pour  la 
paix.  Près  do  la  fin  de  notre  carrière  législative,  après  avoir  vu 
la  Bastille  et  le  trône  renversés,  les  factions  enchaînées ,  la  Con- 
stitution républicaine  fondée .  les  discordes  intestines  apaisées , 
que  nous  reste-t-il  à  désirer?  De  pousoir  bientôt,  donnant  l'exem- 
ple, comme  hommes  privés,  de  la  plus  entière  soumission  à  la  loi , 
du  respect  pour  ses  magistrats ,  du  dévouement  à  la  République, 
reporter  dans  nos  retraites  l'olivier  d'une  paix  solide  et  honora- 
ble :  il  sera,  quoi  qu'en  disent  les  médians',  le  plus  doux  de  nos 
travaux,  et  le  dernier  lermede  Tambiiionqu'ils  nous  reprochent!  > 
On  regarda  généralement  «:e  rapport  comme  rédigé  dans  le 
but  d'influencer  les  élections.  Voici  une  autre  pièce  qui  fut  pu- 
bliée d'abord  dans  le  Rédacteur, ']ourïia\  officiel,  pendant  le  temps 
même  où  elles  avaient  lieu,  et  qui  fut  insérée  ensuite  dans  tous 
les  journaux.  Nous  la  trouvons ,  dans  le  Journal  de  Paris ,  du 
23  germinal  (12  avril  1797),  à  côté  d'un  compte  rendu  des  opé- 
rations du  corps  électoral  de  la  Seine. 

1.  xxxvii.  m 


242  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BRUM.    AN   IV 

«  Louis  XVIII  aux  Français. 

>  Une  douleur  profonde  pénèire  notre  ame  toutes  les  fois  que 
nous  voyons  des  Français  génfiir  dans  les  fers  pour  prix  de  leur 
dévouement  au  salut  de  la  France.  Mais  sulfira-t-il  à  vos  tyrans 
de  s'être  procuré  de  nouvelles  victime^?  Dans  cette  conspiration 
qu'ils  leur  imputent,  dans  ces  papiers  qu'ils  publient  avec  tant 
d'éclat ,  ne  chercheront-ils  pas  des  prétextes  pour  calomnier 
nos  intentions?  N'est-il  pas  à  craindre  entin  que,  supposant 
des  pièces,  ou  se  permettant  de  frauduleuses  insinuations,  ils 
ne  s'efforcent  de  nous  peindre  à  vos  yeux  sons  des  couleurs  men- 
songères ? 

»  C'estundevoirpournousdevousprémunirontre  une  perfidie 
que  l'expérience  du  passé  nous  autorise  à  prévoir,  c'est  un  besoin 
pour  notre  cœur  de  vous  manifester  les  seniimens  qui  le  remplis- 
sent :  les  tyrans  s'enveloppent  dts  ombres  du  mystère  ;  un  père 
ne  craint  pas  les  regards  de  ses  enfans.  Ceux  de  nos  sujrts  fidèles 
que  nous  avons  chargés  de  vous  éclairer  sur  vos  véritables  inté- 
rêts retrouveront  dans  cet  écrit  les  instructions  (]u'ils  ont  reçues  ; 
ceux  que  la  pureté  de  bur  zèle  et  la  sajjesse  de  leurs  principes 
rendront  dignes  à  l'avenir  de  notre  confi  mcey  lir  oit  d'avance  les 
instructions  qui  leur  seront  données  ;  tous  les  Français  enfin  qui , 
partageant  notre  amour  pour  la  patrie,  voudront  conrourir  à  la 
sauver,  s'y  instruiront  des  règles  qu'ils  doivent  suivre,  et  la  France 
entière,  connaissant  le  but  auquel  ils  tendront  de  concert,  et  les 
moyensqu'ils  mettront  en  œuvre,  jugera  elle-même  du  bit  n  qu'elle 
doit  en  espérer. 

»  Nous  avons  dit  à  nos  agens,  nous  leur  répéterons  sans 
cesse  : 

«  Ramenez  notre  peupb»  h  la  sainte  religion  de  ses  pèies  et  au 
»  gouvernement  paternel  q»)i  fit  si  long-temps  !a  gloire  et  le  bon- 
»  beur  de  la  France;  expliquez-lui  la  constitution  de  l'étal,  qui 
»  n'est  calomniée  que  parce  quelle  est  méconnue;  instruisez-le 
»  ù  la  distinguer  du  régime  qui  s'était  introduit  depuis  trop  long- 
>  temps  ;  montrez-lui  qu'elle  est  également  opposée  à  l'anarchie 


AU  30  PLOR.  AN  V  (479,^-1797  ).  245 

>  et  au  despotisme,  deux  fléaux  qui  nous  sont  odieux  autant  qu'à 
»  lui-même  ,  mais  qui  pèsent  tour  à  tour  sur  la  France  depuis 
»  qu'elle  n'a  plus  son  roi.  Consultez  des  hommes  sages  et  éclairés 

>  sur  les  nouveaux  degrés  de  perfection  dont  elle  peut  être  sus- 
f  ceptible,  et  faites  connaître  les  formes  qu'elle  a  prescrites  pour 
»  travailler  à  son  amélioration  ;  affirmez  que  nous  prendrons  les 
»  mesures  les  plus  efficaces  pour  la  préserver  des  injures  du  temps 
»  et  des  attaques  de  l'autorité  même.  Garantissez  de  nouveau  Fou- 
»  bli  des  erreurs,  des  torts,  même  des  crimes  ;  étouffez  dans  tous 
»  les  cœurs  jusqu'au  moindre  désir  de  vengeance  particulière  , 
»  que  nous  sommes  résolu  de  réprimer  sévèrement.  Transmeitez- 
j>  nous  le  vœu  public  sur  les  réglemens  propres  à  corriger  les 
»  abus,  dont  la  réforme  sera  l'objet  constant  de  notre  sollicitude. 
»  Donnez  tous  vos  soins  à  prévenir  le  retour  de  ce  régime  de  sang 
>  qui  nous  a  coûté  tant  de  larmes,  et  dont  nos  malheureux  sujets 
*  sont  encore  menacés. 

»  Dirigez  les  choix  qui  vont  se  faij  e ,  sur  des  gens  de  bien , 
»  amis  de  l'ordre  et  de  la  paix  ,  mais  incapables  de  trahir  la 
j»  dignité  du  nom  français ,  et  dont  les  vertus ,  les  lumières ,  le 
»  courage  puissent  nous  aid(  r  à  ramener  notre  peuple  au  bonheur. 

>  Assurez  des  récompenses  proportionnées  à  leurs  services , 
»  aux  militaires  de  tous  les  grades,  aux  membres  de  toutes  lesad- 
»  minisirations  qui  coopéreront  au  rétablissement  de  la  religion, 
»  des  lois  et  de  l'autorité  légitime;  mais  gardez-vous  d'employer 
>  pour  les  rétablir  les  moyer-s  atroces  qui  ont  été  mis  en  usage 
»  pour  les  renverser  :  attendez  de  Topinion  publique  un  succès 
»  qu'elle  seule  peut  rendre  solide  et  durable  ;  ou,  s'il  fallait  recou- 
»  rir  à  la  force  des  armes,  ne  vous  servez  du  moins  de  cette  cruelle 
»  ressource  qu'à  la  dernière  extrémité,  et  pour  lui  donner  un  ap- 
»  pui  juste  et  nécessaire.  » 

»  Français,  tons  les  écrits  que  vous  trouverez  conformes  à  ces 
sentimens  nous  nous  ferons  gloire  de  l^r^s  avouei  :  si  l'on  vous  en 
présente  où  vous  ne  reconnaissiez  pas  ces  caractères  ;  rt^jetez-les 
comme  des  œuvres  de  mensonge  ;  ils  ne  seraient  pas  selon  t-ôtrfe 
cœur. 


à44  DIRECTOIRE.    —   DU   4   BRUM.    AN  IV 

»  Donné  le  10  mars  de  l'an  de  grâce  mil  sept  cent  quatre-vingt 
dix-sept,  et  de  notre  lègne  le  deuxième.  Signé,  Louis. •  (20  ven- 
tôse an  5  de  la  Republique.  ) 

Cette  pièce  était  précédée  de  cet  avis,  dans  le  Rédacteur  : 

«  Le  directoire  exécutif  vient  de  recevoir  un  exemplaire  d'une 
proclamation  du  soi-disant  Louis  XVIIÏ  aux  Français.  On  ne  peut 
donner  trop  de  publicité  à  cette  pièce,  qui  ne  laisse  pas  de  doute 
sur  le  projet  insensé  de  renverser  la  République  et  la  Constitu- 
tion adoptée  par  le  peuple  français,  sur  l'existence  d'agens  royaux, 
et  sur  les  conspirations  ourdies  par  les  soins  de  ces  derniers.  Per- 
suadé de  l'inJigaation  qu'elle  excitera  dans  l'ame  de  tous  les  Fi  an- 
çais,  le  directoire  exécutif  croit  ne  pouvoir  mieux  les  prémunir 
contre  les  pièges  tendus  sous  leurs  pas  qu'en  faisant  connaître  à 
toute  la  F/ance  cet  odieux  manifeste.  » 

Cette  publicité  n'eut  pas  l'effet  qu'eu  attendait  le  directoire  : 
la  proclamation  royale  n'excita  chez  les  républicains  qu'un  sou- 
rire dédaigneux  ;  elle  fut  un  attrait,  un  gage  pour  les  gens  faibles 
ou  déjà  séduits. 

Ce  n'était  pas  à  ces  publications  que  s'était  borné  le  directoire, 
il  avait  pris  des  mesures  plus  directes  ;  il  commença  dans  un  ar- 
rêté qui  fut  inséré  au  Bulletin  des  Lois^  par  déclarer  que  les  pré- 
venus d'émigration  n'étaient  point  admissibles  dans  les  assemblées 
primaires.  Le  lendemain  ,  î20  ventôse  (11  mars),  Dumolard  ré- 
clama contre  un  tel  abus  de  pouvoir;  sareclamation,  vivement  ap- 
puyée, fut  renvoyée  à  une  commission  qui  lit  son  rapport,  le  21, 
et  proposa  une  mesure  qui  pût  concilier  les  partis  qui  se  trou- 
vaient aux  prises  sur  celte  question,  savoir  que  Ics  prévenus  d'e- 
migration  ne  seraient  point  exclus  des  assemblées  primaires,  s'ils 
avaient  obtenu  leur  radiation  provisoire.  Or,  le  nombre  des  indi- 
vidus portés  sur  les  listes  d'émigration,  d'après  un  ra^-port  du  di- 
rectoire fait  à  la  séance  du  5  ventôse ,  était  alors  par  aperçu  de 
cent  vingt  mille,  sur  lesquels  il  y  en  avait  plus  de  soixante  mille 
vivant  publiquement  en  France;  encore  tous  lesdépartemens  n'a- 
vaient pas  transmis  leurs  listes.  Le  nombre  des  réclamations  en 
radiation  était  de  dix-sept  mille.  Le  directoire  avait  prononcé  sur 


AU  50  FLOR.  AN  V  (1795- 1797  ).  â4o 

quinze  cents ,  et,  sur  cette  quantité  ,  il  en  avait  rejeté  seulement 
cent  soixante-dix;  on  voit  donc  que  le  projet  de  la  commission 
n'était  pas  très-contraire  à  l'arréié  du  directoire  :  seulement  c'é- 
tait lui  faire  éprouver  l'apparence  d'uo  échec.  Ce  projet  fut  adopté 
parle  conseil. 

Le  directoire  fut  moins  imprudent  dans  la  seconde  mesure  qu'il 
voulait  prendre  pour  les  élections;  il  eut  recours  aux  conseils. 
Il  adressa  le  25  ventôse  (15  mars  1797^ ,  un  message  aux  c^nq- 
cents;  oii,  après  avoir  fait  observer  que  l'audace  des  royalistes 
s'accroissait  à  proportion  des  efforts  qu'il  faisait  pour  les  compri- 
mer; que  les  fonctionnaires  publics  entravaient  sa  marche  au  lieu 
de  le  servir,  etc.;  il  demandait  que  les  électeurs,  nommés  par  les 
assemblées  primaires,  fussent  assujettis  au  serment  que  la  loi  im- 
posait aux  fonctionnaires  publics.  Ce  serait,  ajoutait-il,  un  moyen 
de  s'assurer  de  leur  fidélité  à  bien  remplir  leur  mission ,  et  un 
hommage  au  moins  extérieur  qu'ils  donr.eraient  à  la  République. 

A  peine  ce  message  était-il  lu,  que  Fabre  ,  de  l'Aude ,  parut 
à  la  tribune,  avec  un  discours  écrit  à  la  main;  il  proposa,  au 
milieu  des  interruptions  ,  que  la  formule  de  ce  serment  fut  : 
«  Je  jure  de  choisir  en  mon  ame  et  conscience  et  de  ne  me  lais- 
ser influencer  ni  par  promesses  ,  ni  par  menaces.  >  La  pro- 
position de  Fabre  fut  appuyée  par  les  républicains,  attaquée 
par  les  royalistes.  Ceux-ci  soutenaient  que  celte  demande  était 
inconstitutionnelle,  que  nul  corps  de  l'étal  n'avait  le  droit  de  li- 
miter le  choix  du  peuple  ,  que  demander  ainsi  des  sermens  à  tout 
propos,  c'était  en  avilir  la  valeur,  etc.  La  discussion  fut  longue 
et  irès-orageuse;  elle  employa  deux  séances.  Dans  la  seconle, 
elle  fut  fermée  lorsqu'il  restait  encore  plus  de  soixante  orateurs 
inscrits,  après  un  discours  de  Jean  Debry  qui,  profitant  de  la  pré- 
sence du  général  Augereau  et  de  celle  de  son  état  major  à  la  séance, 
s'écria  :  e  La  mesure  proposée  réunit  tous  les  citoyens  au  pacte 
social,  la  mesure  contraire  permet  à  chacun  de  crier  à  son  gré  : 
vive  Capet!  vive  Maratf  quelle  que  soit  la  liberté  des  cultes,  la 
connaissance  d'un  Être  suprême  en  fait  la  base,  et  la  religion  du 
serment  en  est  une  conséquence.  Pourquoi  donc  la  rejeter?  faut- 


^46  DIRECTOIRE.    —    DU    4    BRU  M.    AN    IV 

il  loiijours  coniraindre  la  miin  par  les  lois  ,  et  ne  jamais  lier  la 
(  (>nscience?  les  armée ->  de  urr^'  ei  de  mer  ont  prêté  le  serment  de 
liaiiHi  à  la  royauté,  de  tidéiité  à  la  ilépublique,  et  chaque  jour 
elles  îe  so' lient  ue  leur  sang  ;  ils  l'avaient  prêté,  les  braves  guer- 
riers qui,  sur  le  pont  d'Arcole,  plantaient  le  drapeau  de  la  Répu- 
blique. »  A  ces  mots,  tous  les  yeux  se  tournèrent  vers  Augereau, 
on  applaudit,  on  cria  aux  voix;  Noailles,  Delville,  Delarue,  de- 
mandèrent en  vain  ia  parole,  la  discussion  fut  fermée.  «  C'est,  dit 
Lesage-Senault,  une  nouvelle  Montagne  qui  se  forme.  »  Après 
quelques  débats  sur  la  rédaction ,  la  demande  du  directoire  fut 
adoptée  à  la  séance  suivante,  dans  une  résolution  ainsi  formulée: 
«  Lorsque  les  assemblées  électorales  seront  provisoirement  con- 
stituées, chaque  électeur  fera,  à  haute  et  intelligible  voix,  la  dé- 
claration suivante  :  «  Je  promets  attachement  et  fidélité  à  la  Ré- 
»  publique,  et  à  la  Constitution  de  Tan  5.  Je  m'engage  à  les  dé- 
»  fendre  de  tout  mon  pouvoir,  contre  les  attaques  de  la  royauté  et 
»  de  l'anarchie.  > 

Nous  n'avons  point  trouve  j  quelle  majorité  cette  décision 
passa;  elle  ne  fut  pas  sans  doute  plus  considéiable  qu'au  conseil 
des  anciens,  où  après  plusieurs  séances  et  des  débats  tumultueux, 
elle  ne  passa  qu  à  une  majorité  de  cent  quatorze  voix  contre  qua- 
tre-vingt quatorze. 

Le  gouvernement  ne  se  borija  pas  à  ces  mesures  ;  le  ministre 
Merlin  écrivit  aux  autorités  de  la  Belgique,  pour  leur  désigner 
les  ex-conventionnels  dont  le  choix  serait  agréable  au  directoire. 
Le  minisire  de  la  police,  adressa  une  circulaire  semblable  aux  au- 
torités des  <lépanemons  ;  on  envoya  des  commissaires  chargés 
d'iutluncer  le>  élections  d>nt  on  s(î  d^fiail  le  plus.  Le  ministre 
de  riîitérieur  demand  i  a  la  trésorerie  une  somme  de  sept  cent 
rinquante  mille  francs,  pour  assurti-  le  calme  des  eieclions ,  etc.  ; 
ma  s,  <iuu  uirecôté,  les  députés  de  l'oppositiou  ne  s'abstenaient 
pa>.  Ln  grand  nombre  d'entre  eux  rédigèrent  des  adresses  à  leurs 
concitoyens,  et  n  >  se  firent  pas  faute  de  recommander  leurs  amis 
poliii'jues. 

L?s  élections  comme,  ci^i eut  le  ti()  germioal  (  9  avril  ),  en  beau- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  J.  247 

coup  de  lieux,  elles  furent  très-tumultueuses;  il  y  eut  des  rixes  et 
des  violences  graves  ,  qui  donnèrent  lieu  à  de  nombreuses  récla- 
maiions  près  le  corps  légisiatif  ;  eu  général ,  elles  s'annonçaient 
comme  devant  être  peu  favorables  aux  répub 'icains.  Le  directoire 
délibérait  déjà  s'il  ne  demanderait  pas  aux  conseils,  une  loi  pour 
ajourner  les  élections ,  lorsque  le  hasard  lui  fournit  une  circon- 
stanca  dont  il  espéra  pouvoir  tirer  parti. 

Siéyes  fut  attaqué  par  un  prêtre  nommé  Ponle,  son  compa- 
triote ,  et  blessé  par  lui  d'un  coup  de  pistolet  à  la  main  et  au  côté. 
Siéyes  eut  plus  de  peur  que  de  mal  ;  car  la  peau  était  à  peine  ef- 
fleurée. Néanmoins  on  fit  grand  bruit  de  cette  affaire  aux  cinq- 
cents  ;  on  assura  que  Poule  était  un  envoyé  de  Louis  XVIÎI;  qu'il 
y  avait  une  conspiration  pour  mettre  à  mort  les  hommes  qui 
avaient  renversé  la  monarchie  ;  qu'on  avait  saisi ,  à  Rouen  ,  une 
fabrique  de  poignards  :  on  occupa  deux  séances  de  cet  incident. 
Mais  tout  ce  bruit  n'aboutit  à  rien;  il  se  trouva  que  Poule  était 
une  espèce  de  fou  qui  avait  été  successivement  moine  et  soldat,  et 
qui,  se  trouvant  dans  la  misère ,  avait  été  demander  une  aumône 
chez  son  compatriote.  IVLjI  accueilH  par  celui-ci,  irrité  par  ses 
réponses,  il  l'avait  fraj)pé  d'un  coup  de  pistolet.  Poule  fut  condamné 
à  vingt  ansdefer,  et  Siéyes  fut  bientôt  réiahli  de  ses  blessures. 

L'effet  de  celte  comédie  ainsi  que  des  pièces  royalistes  que 
l'on  avait  imprimées  était  détruit  par  le  souvenir  des  violences  des 
hébertistes  que  le  parti  réactionnaire  exploitait  avec  habileté  et 
par  la  lecture  des  débats  du  procès  de  Babeuf,  à  la  haute  (  ;  r  de 
Vendôme,  débats  dout  les  journaux  entretenaient  alors  chaque 
jour  le  pubhc.  Les  principaux  acciisés  s'occupaient  moins  de  se 
défendr-^  que  d  développer  un  système  que  tout  le  motule  re- 
poussait et  que  Robespierre  lui-même,  .i  la  counaissance  de  tous, 
avait  poursuivi  pen  iaut  le  règne  de  la  terreur,  dans  le  parti  de 
CliauineU'*,  (i'ilébeit ,  et  de  leurs  amis.  Des  détails  grotesques 
étaient  mêlés  parfois  au  sérieux  et  à  la  violence  de  ces  débats. 
Ces  détails ,  comme  on  va  le  voir  par  un  exemple  ,  n'étaient  rien 
moins  que  propres  à  donner  une  haute  idée  du  bon  sens  des  der- 
niers soi-disaut  deix^nseurs  de  la  révolution.  —  L'un  d'eux  crut 


248  DIRECTOIRE.    —   DU    4    BKLM.    AN    IV 

bien  se  défendre  en  déclarant  qu'il  croyait  aux  génies  et  aux 
mauvais  esprits;  son  mauvais  génie  l'avait  engagé  à  se  faire  co- 
piste chez  Lepelletier-Saint-Fargeau,  chez  lequel  il  avait  vu  Du- 
play  père  ei  fils  ,  Antonelle  et  Didier,  sous  le  nom  de  Dmel;  ces 
citoyens  portaient  les  pièces  qu'il  copiait;  le  même  mauvais  gé- 
nie, qui  le  faisait  copier  chez  Lepelletier,  l'avait  transporté  chez 
Babeuf,  ou  la  crainte  que  lui  inspirait  son  démon  lui  avait  faii  co- 
pier tout  ce  qui  lui  était  présenté.  — Alors  les  accusés  et  Babeuf 
crièrent  que  Pillé  était  fou.  —  «  S'il  y  a  ici  un  fou  ,  c'est  loi ,  ré- 
»  pliqua  Piîlé.  Pendantque  je  copiais  dans  ton  appartement,  tu 
»  courais,  tu  renversais  leschaiees ,  tu  .vauiais ,  tu  criais  de  toutes 
»  les  forces  :  Il  y  a  insurrection!  l'insurrection  commence!  »  — 
Babeuf  convint  de  ces  mouvemens  ;  mais  il  ajouta  qu'il  ne  les 
employait  «  que  pour  s'animer  à  un  style  mâle,  à  l'exemple  des 
grands  écrivains.  »  [Moniteur,  n.  lî)7.) 

En  définitive,  les  élections  furent  en  général  dans  le  sens  de 
l'opposition  réactionnaire  ou  royaliste,  comme  on  le  disait  dans 
les  salons  du  directoire.  Paris,  entre  autres,  nomma  aux  anciens 
Fleurieux  et  Murinais;  pour  les  cinq-cents ,  Dufresne,  Quatre- 
mère  ,  Desbonnières  ;  les  uns  et  les  autres  déjà  désignés  comme 
royalistes  ,  et  Emmery  et  Boissy-d'Anglas  ,  que  l'on  considérait 
alors  comme  des  républicains. 

Long-temps  avant  les  élections ,  le  15  nivôse  (  5  mars  1707) , 
on  avait ,  dans  les  deux  conseils ,  établi  un  tirage  au  sort  pour  dé- 
cider qiiel'e  serait  la  moitié  des  ex-conveniionnels  qui  devait 
sortir,  au  l''»"  prairial,  pour  faire  place  au  tiers  nouveau.  C'était 
désigner  dts  candidats  aux  électeurs  :  cependant  un  petit  nombre 
furent  nommés. 

Enfin  ,  les  élections  étant  terminées,  les  membres  du  directoire 
se  réunirent  en  séance  secièle  ,  le  50  floréal,  et  procédèrent  à 
un  tirage  au  sort  pour  c-nn.JÎtrr  «jufl  serait  celui  qui  devait  sortir. 
Ce  fut  Lelourneur. 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  i249 

SITUATION   MILITAIRE   ET   DIPLOMATIQUE   DE   LA   REPUBLIQUE 
AU   30   FLORÉAL    AN    O.    {M)   MAI    1797.) 

Le  peu  d'espace  qui  nous  reste  pour  satisfaire  aux  engagemens 
que  nous  avons  pris  avec  notre  éditeur  ne  nous  permet  point  de 
traiter  ce  sujet  d'une  manière  étendue.  Il  a  d'ailleurs  été  exposé 
fort  longuement  dans  des  ouvrafjes  qui  se  trouvent  entre  les  mains 
de  tous  ceux  pour  lesquels  les  faits  de  cet  ordre  sont  l'objet  d'une 
étude  spéciale.  Quant  à  nous,  nous  ne  devons  pas  oublier  que 
nous  nous  sommes  chargés  d'écrire  la  partie  jusqu'à  ce  jour  la 
plus  négligée ,  bien  que  la  plus  importante  de  l'histoire  de  la  ré- 
volution ,  celle  de  son  gouvernement ,  celle  des  assemblées  na- 
tionales et  de  l'esprit  public.  Nous  nous  adressons  particulière- 
ment aux  hommes  qui  font  leur  étude  de  l'art  de  gouverner  les' 
nations.  Nous  n'avons  donc  à  nous  occuper  des  questions  militai- 
res et  diplomatiques,  qu'au  point  de  vue  de  l'influence  qu'elles 
peuvent  exercer  sur  les  affaires  intérieures.  C'est  dans  cette  vue 
que  nous  allons  exposer  d'abord  quelle  était  la  situation  militaire 
de  la  République. 

Parmi  les  membres  du  directoire,  il  se  trouvait  un  homme 
exercé,  de  longue  main ,  aux  mesures  de  salut  public.  Il  avait  fait 
partie,  avec  Robespierre,  du  redoutable  comité  qui  avait  eu  à  ré- 
sister en  même  temps  à  l'invasion  armée,  à  la  guerre  civile,  au 
fédérahsme  et  à  l'anarchie;  là  ,  il  était  spécialement  chargé  du 
soin  des  affaires  militaires ,  et ,  selon  une  expression  exagérée  si 
on  l'applique  à  lui  seul ,  mais  qui  peint  très-exacteiiieni  k  nature 
des  services  rendus  par  le  comité,  il  avait  organisé  la  victoire. 
Cet  homme  était  Carnot.  11  fut  encore  chargé  par  ses  collègues 
des  mouvemens  miliiaires  et  de  la  direction  des  armées.  C'est  à 
lui,  sans  doute,  qu'il  faut  attribuer  l'esprit  d'ordre  et  de  pré- 
voyance qui  présida  à  la  direction  générale  des  armées. 

11  fut  décidé  que,  dans  la  campagne  de  1796  (an  IV)  qui  allait 
s'ouvrir,  on  porterait  la  guerre  sur  le  territoire  étranger,  c'est-à- 
dire  en  Allemagne  et  en  Italie.  C'était  le  moyen  le  plus  sûr  d'é- 
loigner la  guerre  de  nos  frontières,  de  forcer  les  ennemis  à  la 


250  DIRECTOIRE.    —   DU    4  BRLM.    AN    IV 

paix ,  et  de  soulager  les  finances  de  la  République  en  entretenant 
les  troupes  aux  dépens  des  contrées  conquises.  Pour  faire  avec 
avantage  une  telle  campiigne,  il  iallait  des  généraux  actifs, 
pleins  d'ardeur,  entreprenons ,  ayant  leur  rëj»ut;«tiou  a  laire , 
jeunes  par  conséquent.  On  appela  Bonaparte  au  commnndement 
de  l'armée  d'Italie;  Moreau,  à  celui  de  l'une  des  armées  qui  de- 
vaient opérer  en  Allemagne  ;  et  enfin  Jourdan ,  à  l'armée  de  Sam- 
bre-et'Meuse.  L'armée  manquait  de  chevaux,  de  vivres  et  d'e- 
quipemens.  Mais  on  éiait  autorisé  à  lever  une  partie  des  contri- 
butions en  nature  ;  on  décréta  une  réquisition  qui  prit  tous  les 
chevaux  de  luxe ,  et  un  trentième  des  chevaux  de  labeur.  On  fit , 
avec  divers  particuliers ,  des  marchés  pour  trois  cent  cinquante 
mille  equipemenscompleis.  Il  est  vrai  que  cette  dernière  fourni- 
ture n'arriva  point  eriièrement  à  farmée;  elle  fut  l'occasion  de 
dilapidations  considérables ,  dont  Barras  et  ses  amis  furent  les  au- 
teurs ou  les  complices.  Les  cadres  des  régimeus  étaient  incom- 
plets; la  loi  sur  la  désertion  dont  nous  avons  i^it  mention  ei  des 
ordres  très-sévères  pour  bire  rejoindre  (ousles  léquisiiionnaires 
réfractaires  ,  réussirent  à  les  ivmplir.  Ou  avait  d'ailh  urs  réduit 
le  nombre  de  ces  cadres  en  meltunt  à  la  i  éfoi  me  quelques  vieux 
officiers,  et  à  la  suite  un  grand  nombre  des  plus  jeunes.  Si  ces 
mesures  .:e  mirent  pas  farinée  dans  une  situation  parfaite,  au 
moins  elles  la  préparèrent  à  agi  •. 

Armée  d'Italie.  —  L'aruiée  françaiiC  e  ail  sur  la  déltnsive,  oc- 
cupant des  postes  sur  !a  rivière  de  Géne.s,  depuis  Savone  jusqu'à 
Finestre.  Elic  était  forie  de  quarante  deux  mille  quatre  cents 
hon)mes  et  >oixanie  canons.  Kl'e  ai  tendait ,  dans  l'immobilité  et 
le  dénuement ,  des  secours  e;  des  îenforis  que  l'on  réunissait  dans 
le  département  du  Var  et  le  pays  de  JNict'.  tlle  avait  devant  elle 
le  {général  autrichien  Boaulieu,  à  la  lèie  de  tr«  nie  nulle  hommes 
et  de  quaraiili'  pi -ces  d;  canon ,  et  ii;  {jt^uéi  al  GoUi  à  la  lèle  de 
vingt-deux  mille  Austro-Sardes  et  soixante  pièces. 

Bonaparte ,  nommé  général  en  chef  de  l'armée  d'Italie  ,  arriva 
à  INice  le  7  germinal  an  A  (  27  mars  1 79G  ).  Il  s'occupa  aussitôt  de 
ravitailler  l'armée;  il  lui  lit  payer  une  partie  de  la  solde  qui  lui 


AU  50  FLOR.  AN  V  (1795-1797  ).  251 

était  dae^  et,  soulageant  ainsi  la  misère  de  l'officier  et  du  soldat, 
dissipa  en  u«  instant  cette  méfiance  qui  accueille  toujours  un 
ho'nme  nouveau. 

Beiiuiieu  fitie  premier  un  mouvement  offensif;  il  se  porta  avec 
la  plus  grande  partie  de  ses  forces  vers  la  côte ,  ot  chassa  devant 
lui  une  de  nos  brigades.  Aussitôt  Bonaparte  commanda  un  mou- 
vement général  à  toute  l'armée  républicaine,  dirigeant  la  plus 
grande  partie  de  ses  forces  sur  le  centre ,  afin  ne  séparer  les  im- 
périaux des  Austro-Sardes  commandés  par  Colli.  Le  général  au- 
trichien Argenteau  était  là  avec  dix  mille  hommes ,  occupant  le 
centre  des  communications  entre  Beaulieu  et  Colli.  11  fut  écrasé  à 
Montenolte.  Ce  revers  fut  le  commencement  d'une  suite  rapide 
d'échecs.  Beauiieu  essaya  vainement  de  reprendre  la  position  qu'il 
venait  de  perdre.  H  fut  battu  successivement  à  Millé»imo  et  à  Dego, 
en  sorte  que  Bonaparte ,  après  six  jours  de  combats ,  se  trouva 
maître  des  crêtes  des  Apennins,  ayant  opéré  la  séparation  entre 
l'armée  sarde  et  l'armée  autrichienne.  11  avait  de  plus  pris  à  l'en- 
nemi quarante  pièces  de  canon  et  lui  avait  tué  dix  mille  hommes. 
Le  général  français  profitant  de  ce  premier  scccès,  laisse  une  di- 
vision pour  observer  et  contenir  Beaulieu ,  et  dirige  la  plus  grande 
partie  de  ses  forces  contre  les  Piémontais  qu'il  force  à  se  replier, 
après  plusieurs  combats,  jusqu'à  Mondovi,  où  après  un  vif  enga- 
gement les  Piémontais  abandonnèrent  la  ville  et  le  champ  de  ba- 
taille, laissant  entre  les  mains  des  républicains  huit  canons  et  onze 
drapeaux.  La  cour  de  Turin,  effrayée  de  ces  progiès  rapides  qui 
meoaçaient  sa  capitale ,  fit  faire  des  ouvertures  de  paix.  Le 
28  avril  (9  floréal),  Bonaparie  conclut  un  armistice  avec  le  roi  de 
Sardaigut^,  pariequ*  Ion  remettait entro  ses  mains  les  forteresses 
de  Coni,  d'Alexandrie,  de  Ceva  et  de  Tortone,  dont  Us  Français 
pr'i'ent  en  effet  possession.  Ces  préliminaires  turent  le  signal  de 
la  paix  qui  fut  signie  à  Paris  le  15  mai  suivant  (26  flon-al). 

Cependant,  Bonaparte  débarrassé  des  Sardes,  se  jeta  alors 
avec  toutes  ses  forces  sur  Beaulieu  qui  venait  d'être  rejoint  par 
deux  mille  hommes  de  cavalerie  najiolitaineet  que  la  nouvelle  du 
Il  ailé  avait  tiré  de  sonjmmobilité.  Beaulieu  partit  de  Acqui ,  où 


"262  DIRKCTOIKE.    —    DU    4   BRUM.    AN    IV 

il  avait  pris  position  quelques  jours  auparavant ,  et  après  avoir 
îenlë  vainement  un  coup  de  main  pour  reprendre  Alexandrie  et 
Tortone,  il  se  hâta  de  repasser  le  Pô.  L'armée  française  passe  à 
son  tour  le  Pô  à  Plaisance,  le  7  mai  (18  floréal  ),  bat  les  A'jti  ichiens 
à  Fonibio ,  et  les  force  à  se  retirer  sur  l'AdJa.  Le  duc  de  Parme 
effrayé  de  l'approche  des  Français,  si,;ne  un  traité  par  lequel  il 
s'engagea  livrer  aux  républicains  2,000,000  de  francs  et  dix-sept 
cents  chevaux.  Pendant  qu'on  achevait  celte  conveniioii,  on  se 
précipitait  sur  les  pas  des  impériaux ,  et  l'on  passait  l'Adda  à 
Lodi,  sous  le  feu  de  vingt  pièces  de  canon  et  de  neuf  ou  dix  mille 
hommes.  Si  les  Fiançais  eussent  eu  de  la  cavalerie,  le  corps  au- 
trichien,  complètement  démoralisé,  eût  été  anéanti.  Beaulieu, 
après  celte  affaire,  se  relira  derrière  le  Mincio.  Là,  il  n'avait 
plus  de  refuge  que  vers  Mantoue  ou  dans  les  gorges  du  Tyrol. 
Pour  attaquer  Milan  il  suffisait  donc  de  se  couvrir  du  côlé  de 
Mantoue;  c'est  ce  qu'où  Ht  en  s'emparani  de  Crémone  qui,  sur 
une  simple  menace,  ouvrit  ses  portes  à  Masséna.  Bonaparte  alors 
dirigea  l'armée  sur  Milan,  où  elle  entra  le  15  mai  (i26  floréal). 

Cette  suite  de  succès  merveilleux  jeta  réionuement  et  la  ter- 
reur en  Italie.  Tous  les  petits  princes  se  hâtèrent  pour  se  garantir 
d'une  invasion  dont  la  rapidité  tenait  du  miracle,  et  qui  suppo- 
sait des  forces  auxquelles  rien  ne  pouvait  résister.  Les  envoyés 
du  duc  de  Modène  signèrent  avec  le  général  une  convention  par 
laquelle  il  devait  verser  dans  la  caisse  de  l'armée  7,500,000  fr., 
fournir  2,500,01)0  fr.  en  munitions,  et  vingt  tableaux. 

Cependant ,  comme  Bonaparte  l  •  disait  à  ses  soldats  dtms  une 
proclamation,  rien  n'était  fait,  tant  qu'il  restait  encore  quelque 
chose  à  faire.  En  conséquence ,  après  avoir  apaisé  une  révolte 
qui  menaçait  de  mettre  toute  la  Lombardie  contre  lui ,  il  passe  le 
Mincio  à  Bor^jhetio,  s'empare  de  Vcronne  sur  l'Adige,  el  rejette 
d(^finitivement  dans  le  Tyrol  les  Autrichiens  affaiblis  dans  une 
suite  de  petits  combats  désastreux,  et  les  quitte  là,  incapables  de 
reprendre  l'ofiensive.  Alors ,  laissant  la  division  Masséna  en  ob- 
servation sur  l'Adige,  et  celle  de  Serrurier  autour  de  Mantoue  , 
où  Beaulieu  avait  mis  une  forte  garnison ,  il  peusa  à  prendre  les 


AU  r>0  FLOU.  AN  V  (  1795-1797  ).  285 

mesures  nécessaires  pour  forcer  le  reste  de  rilaîie  à  la  paix  et 
assurer  ainsi  ses  derrières,  dans  le  cas  où  il  faudrait  porter  la 
guerre  par  le  Tyrol  jusqu'en  Allemagne.  La  division  Augereau 
fut  chargée  de  marcher  sur  Rome  ;  et  pendant  ce  temps  une  autre 
coloune  commandée  par  Vaubois  partait  de  Plaisance  et  devait 
traverser  la  Toscane ,  et  se  rendre  également  dans  les  états  ro- 
mains. La  cour  de  Naples ,  avertie  de  ce  mouvement ,  ou  effrayée, 
envoya  un  plénipotentiaire  qui  signa,  le  o  juin  1796  (17  prairial 
an  4),  un  armistice.  Cependant  Augereau  prit  Bologne  le  19  ; 
cette  démonstration  suffit  pour  déterminer  le  saint  père  à  trai- 
ter; l'armistice  fut  signé  le  24.  En  même  temps,  la  division 
Vaubois  occupait  Livourne,  et  nous  assurait  les  bonnes  disposi- 
tions du  grand-duc  de  Toscane.  Il  ne  restait  plus  pour  être  com- 
plètement maître  de  l'Italie,  qu'à  prendre  la  ville  de  Mantoue.  On 
s'occupa  donc  activement  de  convertir  le  blocus  de  cette  place  en 
un  siège  régulier.  Mais  elle  était  très-forte  et  pourvue  d'une  gar- 
nison considérable  ;  elle  ne  pouvait  être  emportée  par  un  coup  de 
main  ;  et  les  Français  furent  bientôt  rappelés  de  ce  siège ,  pour 
défendre  leurs  conquêtes  qu'une  nouvelle  armée  autrichienne 
venait  leur  disputer. 

L'empereur  avait  remplacé  Beaulieu ,  par  un  général  dont  l'ha- 
bileté et  l'énergie  étaient  depuis  long-temps  éprouvées,  le  feld- 
maréclial  Wurmser  ;  il  lui  avait  remis  une  nouvelle  armée  com- 
posée en  partie  de  divisions  tirées  de  l'armée  du  Rhin ,  en  partit 
de  nouvelles  troupes. 

Plus  de  soixante  mille  hommes  se  trouvaient  réunis  sous  son 


commandement. 


Le  total  de  l'armée  française  en  Italie  ne  s'élevait  alors  qu'à 
cinquanie-deux  mille  cent  soixante -neuf  hommes,  dont  dix 
mille  cent  vingt  étaient  dispersés  en  diverses  garnisons.  Il  fallait 
en  laisser  quinze  mille  trois  cent  quatre-vingt-treize  pour  conii- 
nuer  le  blocus.  Ainsi  i'arméfi  active,  en  retirant  toutes  les  troupes 
assiégeantes ,  ne  montait  qu'à  vingt-six  mille  sept  cent  cin- 
quante-six hommes. 

Pendant  que  Bonaparte  massait  toutes  sps  forces  disponibles. 


254  DIRECTOIRE.    —    DU   4   BRUM.    AN    IV 

Wurmser  descendait  le  Tyroi  en  trois  colonnes  de  vingt  mille 
hommes  chacune,  sa  droite  commandée  par  Quesdanowich  , 
tournant  îe  lac  Guarda ,  sa  gijuche  <  i  son  centre  suivant  les  deux 
rives  de  i'Adige.  Le  mouvenient  de  (  es  trois  colonnes  aboutissait 
évidemment  à  Manîoue  ;  celte  ville ,  en  effet ,  était  le  but  concen- 
trique de  la  maiche  des  impériaux.  Les  avant-gardes  françaises 
commanijées  par  Sauretet  Masséna  furent  obligées  de  se  replier, 
après  une'  vive  défense,  à  i>aIo  et  à  Peschiera.  Mais  Bonuparie, 
profilant  de  Ja  séparation  des  corps  ennemis,  se  jette  au  milieu 
d'eux  avec  toutes  ses  forces  tt  les  attaque  séparément.  Il  bat 
Quesnadowich  à  Salo  et  à  Lona:o,  puis  il  délait  Wurmser  lui- 
même  à  Casiiglione.  Ce  feld-maréchal,  voyant  ses  troupes  désor- 
ganisées,   ùC  relire  dans  le  Tyrol  j)OUi'  se  refaire;  au  com- 
mencement  d'août  (  ihei  midor  ) ,    nos   troupes  avaient   repris 
leurs  positions  .^  ur  le  lac  et  sur  I'Adige.  Wurmser  ne  les  laissa 
pas  long-temps  tranquilles  ;  il  se  mit  de  tiouveaii  en  marche 
sur  Mantoue,  laissant  Davidowich  pour  garder  l'entrée  du  Ty- 
rol. Il  descendai!  la  vallée  de  la  Brtnta;  Bonaparie  le  lai:>se  s'a- 
vancer, ei  s'élance  contre  Davidowith  qu'il  écrase  et  poursuit 
de  poste  en  poste;  il  s'empare  de  Tr^eiUe  et  de  Koveredo.  Il  re- 
vient ensuite  sur  ses  pas,  marche  sur  Wurmser,  et  le  rejette  de 
l'autre  côté  de  la  Bienia.  Le  feld-maréchal ,  coupé,  n*eui  plus 
d'autres  ressources  que  de  se  jeter  dans  Manloue  avec  quelques 
millier'S  d'hommes,  débris  de  la  grande  armét  qu'il  commandait  ; 
encore  il  ne  parvint  à  les  sauver  que  par  une  march  •  forcée  de 
nuit  et  de  jour,  dans  laquelle  il  ht  monter  ses  fantassins  derrière 
ses  cavaliers.  Cttte  bataille  lie  plusieur-s  jours  commença  et  finit 
dans  le  cours  du  mois  de  se^itembre  1796. 

Cependant,  dans  le  courant  du  mois  suivant ,  par  une  fécon- 
dité ou  une  ténacité  aussi  inépuisable  que  le  courage  frai  cars , 
l'Auti  icho  avait  formé  une  iroisièmp  armée  de  soixante  mille  hom- 
mes doni  tile  avaii  donne  le  cori  mai.dement  au  géncr'al  Alvinzy. 
Elle  fut  en  état  de  recommencer  les  hosiiliiés  au  commencement 
de  noveuibrc. 

Bonaparte  n'avait  reçu  aucun  renfort  ;  Serrurier  bloquait  lou- 


AU  50  FLOR.  AN  V  (  1790-1797  ).  'àn^ 

jours  Mantoue  ;  Vaubois  gardait  les  débouchés  du  Tyrol  ;  Mas- 
séna  et  Augereau  occupaient  Yéronne  et  Legnano  ;  les  réserves 
couvraient  le  Mincio. 

Les  impériaux  forment  encore  deux  colour  es  ;  mais  cette  l'ois 
l'une  et  l'autre  opèrent  offensivement  :  Alvînzy  s'avance  par  la 
roule  du  Frioul,  etDavidowich  descend  la  chaussée  du  Tyrol. 

Bonaparte  marche  avec  Augereau  et  Mâsséna  a  la  rencontre 
d'Alvinzy  quia  déjà  passé  la  Brenta ,  et  le  rejette  dans  Bassano; 
mais  Davidowich  a  deposté  Vaubois  et  l'a  repi  é  depuis  Trente 
jusqu'à  Rivoli.  (2-12  novembre.)  Napoléon  est  contraint  à  re- 
noncer auK  conséquences  de  son  premier  succès  pour  se  rappro- 
cher de  Véronne;  il  fait  donc  rétrograder  son  armée  victorieuse, 
court  lui-mêfiie  raffermir  Vaubois  surle  plateau  de  Rivoli ,  et,  se 
retournaat  contre  Alvinzy  qui  a  suivi  ses  pas  ,  il  cherche  à  lui 
enlever  ses  positions  de  Galdiero  ;  mais ,  pour  la  première  fois  , 
il  n'est  pas  vainqueur.  L'armée  n'ayant  pu  réussir  à  ébranler  les 
impériaux,  rentre  dans  Véronne;  cependant  Vaubois  contient 
Davidowich. 

On  fcste  une  journée  dans  i'inaciion,  puis  une  autre  journée; 
enfin ,  à  l'entrée  de  la  nuit ,  nous  sortons  de  Véronne  par  la  rive 
droite  de  l'Adige.  A  peine  hors  de  Véronne,  Bonaparte  fait  faire 
un  à-gauche  à  l'aimée,  la  dirige  le  long  de  l'Adige  jusqu'à 
Ronco ,  où  il  a  fait  établir  un  pont ,  après  quoi  il  la  lance  sur 
l'autre  rive. 

Cette  partie  le  la  rive  jjauche  est  un  terrain  marécageux,  pra- 
ticable seulement  par  deux  chaussées  ,  dont  l'une  aboutit  à  Gal- 
diero, où  elle  rejoint  la  grande  route  de  Vicence  à  Véronne;  et 
l'autre,  en  longeant  l'Alpon,  conduit  d'abord  à  Arcole,  puis,  se 
divisant ,  tombe  aussi  par  les  deux  rives  de  cette  petite  rivière 
sur  la  grarwie  communication  de  Véronne  eu  traversant  le  bourg 
deVillano\a. 

Le  gros  de  l'armée  impériale  est  en  bataille  à  Caîdiero ,  faisant 
fac^;  à  Véronne  ;  srs  parcs  et  réserves  sont  restés  à  Villanova  :  d'où 
il  suit  que  nos  colonnes,  en  s'en^ageant  au  débouché  de  Ronco 
sur  les  digues  que  nous  venons  de  décrire ,  menacent  à  la  ibis  à 


256  DIRECTOIRE.   —  DU   4  BRUM.   AN    IV 

revers  toutes  les  positions  de  Tennemi.  Le  plan  de  Bonaparte  est 
de  faire  enlever  à  Villanova,  par  la  colonne  de  droite ,  les  con- 
vois d'Alvinzy  et  ses  réserves,  puis  de  se  rabattre  par  la  route 
de  Vicence  sur  Caldieroque  doit  attaquer  en  même  temps  la  co- 
lonne de  gauche. 

Mais  un  obstacle  imprévu  liiit  échouer  celle  belle  combinaison 
dont  la  réussite  eût  amené  l'entière  destruction  d'Alvinzy.  Auge- 
leau,  à  la  lètede  la  colonne  de  droite  ,  éprouve,  au  passage  du 
pont  d' Aréole ,  une  vive  résistance  (  1.V17  novembre)  ;  Bonaparte 
fait  alors,  mais  trop  tard,  un  détachement  pour  tourner  l'Alpon 
par  Albaredo  et  seconder  l'attaque  d'Arcole.  Cependant  tous  les 
efforts  d'Augereau  échouent  devant  la  défense  opiniâtre  de  l'en- 
nemi :  Alvinzy  averti  quille  Caldiero,faccourt  a  Villanova,  fait  ré- 
trograder ses  réserveset  renforce  les  troupes  engagéesdansArcole. 

Le  lendemain,  le  combat  s'en^jage  de  nouveau  sur  les  deux  di- 
gues; Augereau  à  droite,  Masséna  à  gauche. 

Nous  revenons  encore  bivouaquer  à  Konco  ,  et  la  situation  de 
Vaubois  commence  à  devenir  inquiétante  :  aussi  Bonaparte  est-il 
déterminé  à  en  iinir  avec  Alvinzy  et  à  le  combattre  en  plaine.  Il 
forme  trois  colonnes  ;  Masséna  conduit  encore  celle  de  gauche  ; 
Robert,  au  centr<' ,  marche  par  la  digue  d'Arcole  ;  Augereau  re- 
monte la  rive  gauche  de  l'Alpon  :  ce  dernier  général  arrive  vers 
Arcole  pendant  qu'on  se  bat  sur  les  deux  digues.  L'ennemi  re- 
passe alors  l'Alpon  et  forme  sa  ligne  en  arrière ,  paralièlement  à 
la  rivière.  L'armée  entière  rejoint  Augereau  par  le  pont  d'Arcole 
et  se  range  en  bataille  à  mesure  qu'elle  débouche;  au  moment 
où  elle  attaque  sur  toui  son  Iront ,  la  garnison  de  Legnago  ,  pa- 
raissant sur  les  derrières  des  Impériaux,  les  décide  à  la  retraite; 
ils  se  replient  à  Vicence. 

Bonaparte  rentre  à  Véronne  par  la  route  de  Caldiero,  traverse 
la  ville,  (  l  va  refouler  dans  le  Tyrol  Davidowich  qui  a  poussé  Vau- 
bois jusqu'aux  g'acisde  la  place. 

Il  faut  quelque  temps  aux  impériaux  pour  se  réorganiser  et 
recevoir  des  renforts.  Lorsque  leur  armée  est  en  état  de  tenter 
une  nouvelle  attaque,  Alvinzy  la  divise,  comme  précédemment,  en 


AU  50  FLOR.  AN  V  (1790-1797).  257 

deux  colonnes  ;  mais  cette  fois  il  descend  avec  quarante-cinq  milie 
hommes  les  routes  qui  longent  l'Ad'ge  et  le  lac  de  Garde  ,  tandis 
que  Provera,  à  la  tête  de  vingt  mille ,  marche  droit  sur  Mantoue 
par  la  chaussée  de  Yicence. 

Nos  positions  sont  toujours  les  mêmes  ;  la  division  Vaubois , 
commandée  maintenant  par  Joubert,  occupe  la  Gorona  et  Rivoli  ; 
Masséna  et  Augereau  couvrent  l' Adige  ;  la  réserve,  sous  les  ordres 
de  Rey,  est  concentrée  autour  de  Peschiera  ;  Serrurier  n'a  point 
quitté  le  blocus  de  Mantoue. 

Les  deux  généraux  ennemis  tombent  sur  nous  simultanément. 
Joubert ,  accablé  par  le  nombre ,  est  replié  jusqu'à  Rivoli  ;  Mas- 
séna rejetie  Provera  loin  de  Vércnne,  tandis  que,  vers  Legnago, 
une  fusillade  insi^juifiante  s'ouvre  de  l'une  à  l'autre  rive. 

Ces  indications  démontrent  à  Bonaparte  que  l'attaque  princi- 
pale est  dirigée  contre  Joubert  ;  il  cour  ta  Rivoli,  emmenant  Mas- 
séna qui  a  Ole  à  Provera  l'envie  d'inquiéter  Véronne,  et  donnant  à 
Rey  l'ordre  de  les  rejoindre. 

Alvinzy  a  conçu  le  projet  d'envelopper  Joubert  :  tandis  qu'il 
l'attaque  de  front,  il  fait  filer  le  long  du  lac  la  division  Lusignan 
qui  doit  le  prendre  par  derrière,  et  le  fait  canonner  à  revers  par 
une  autre  division  jetée  sur  la  rive  gauche  de  l'Adige. 

Cette  manœuvre  se  dessine  lorsque  Bonaparte  arrive  avec  les 
têles  de  colonnes  de  Masséna  ;  il  lance  aussitôt  contre  le  corps 
principal  d' Alvinzy  tout  ce  qu'il  a  de  disponible  sur  le  charrp  de 
bataille;  et  lorsque  la  ligne  ennemie  ,  rompue  par  ce  grand  ef- 
fort, se  met  en  déi  oute,  il  revient  sur  Lusignan  ;  à  ce  même  instant, 
Rey  commence  à  débouher;  Lusignan  pris  entre  deuxîeux, 
dépose  les  armes.  Le  corps  pîa'é  au  delà  de  l'Adige  a  été  inutile. 
(12  —  15  janvier  1797. 25  —  26  nivôse  an  5.) 

Sans  s'arrêter  un  instant ,  Bonaparte  se  rabat  contre  Provera 
qui  a  surpris  le  passage  entre  Véronne  et  Legnago,  et  qu'Auge- 
reau  poursuit  à  outrance. 

Arrivé  sous  nos  lignes  de  Mantoue,  Provera  ne  peut  réussir  à 
les  percer  ;  il  fait  demander  à  Wurmser  de  le  seconder  le  lende- 
main par  une  sortie  ;  mais  ,  le  lendemain  ,  il  a  sur  les  bras  Bona- 

T.  XXXVII.  1^  17 


:2o8  DIRECTOIRE.    —    DL    4   BRUM.    AN    IV 

parte  et  ses  deux  infatifiabi  s  lieuteniins.  Pendant  que  Serrurier 
fait  face  à  Wunnser  et  le  refoule  dans  la  place,  Provera,  attaqué 
à  Revers  par  Masséna  et  en  queue  par  Augereau,  est  obligé  de  se 
rendre. 

L'armée  impériale  est  encore  une  fois  détruite  ;  Mantoue  enfin 
capitule. 

Bonaparte  marche  aussitôt  contre  le  pape  qui  n'exécute  point 
la  convention  de  Tannée  précédente;  il  rencontre  l'armée  pa- 
pale en  avant  de  Faenza,  la  pousse  en  désordre  jusqu'à  Ancône, 
où  elle  arrive  réduite  à  moitié,  et  où  il  achève  de  la  détruire;  après 
quoi  il  s'avance  jusqu'à  Tolentino,  où  un  noijveau  traité  est  con- 
clu. (9-18  Février.  —  Pluviôse  an  5.  ) 

La  campagne  de  1797  n'est  plus  qu'une  marcIie  rapide  doni 
l'idée  est  aussi  simple  que  féconde  en  résultats  brillans. 

Après  les  derniers  désastres  d'Alvirzy,  les  Impériaux,  réduits 
à  la  défensive,  se  sont  étendus  de  manière  à  couvrir  les  trois 
routes  du  Tyrol ,  de  la  Carniole  et  de  la  Carinthie,  en  aitendanc 
les  renforts  que  leur  fournissent  les  armées  du  Rhin,  ij'nn  divisions 
se  rendent  d'Allemagne  en  Italie,  les  deux  premières  par  Inspruck 
pour  opérer  dans  le  Tyrol,  les  quatre  autres  par  Silzbourg  et  Vil- 
lach  pour  déboucher  de  la  Carinthie. 

L'archiduc  Charles ,  appelé  au  commandement  de  toutes  ces 
forces,  dans  la  confiance  que  la  campague  ne  p»  ut  être  ouverte 
avant  qu'elles  soient  entrées  en  li;;ne  ,  a  réparti  celles  qu'il  a  sous 
la  main  en  raison  des  difficultés  que  présentent  le  terrain  et  la 
saison.  Sa  principale  colonne  garde  la  roule  la  plus  accessible, 
celle  de  la  Carniole;  la  moindre  est  en  position  en  avant  du  défil<î 
de  Tarvis  et  de  Ponteba;  la  troisième  occupe  le  Tyrol.  L'arrivée 
des  secours  en  marche  doit  rétablir  féquilibre  entre  ces  subdivi- 
sions ;  c'est  le  moment  attendu  par  le  prince  pour  attaquer  à  la 
fois  par  les  trois  communications. 

Mais  Bonaparte  a  résolu  de  prévenir  cette  agression  et  de  pren- 
dre finitiative;  il  a  été  aussi  renforcé,  et  le  Directoire,  mieux  avisé 
que  le  cabinet  aulique,  a  fait  filer  à  travers  les  Alpes,  au  milieu  de 
l'hiver,  trois  belles  divisions  tirées  de  l'inlérieur,  des  armées  de 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  ^259 

Sambre-et-Meuse  et  de  Rhin-et-Moselle  ;  elles  sont  parvenues  sur 
TAdige  à  l'insu  de  l'ennemi. 

Bonaparte  a  pour  la  première  fois ,  et  pour  un  instant  bien 
court ,  la  supériorité  du  nombre  :  l'occasion  est  précieuse,  il  ne 
peut  la  négliger.  Un  mouvement  général  en  avant  est  prescrit  à 
l'armée,  combiné  de  relie  sorte  que  ,  le  centre  ayant  pénétré  en 
Carinthie,  elle  doit  se  grouper  autour  de  ce  noyau  et  accabler  par 
sa  masse  les  corps  disséminés  de  l'ennemi. 

Masséna  est  chargé  de  se  jeter  sur  le  centre  de  l'archiduc,  de 
le  mener  battant  jusqu'à  Tarvis ,  et  de  s'y  établir.  Pendant  ce 
temps,  Joubert  à  gauche ,  Bonaparte  à  droite,  poussent  les  ailes 
dans  le  Tyrol  et  la  Carniole,  afin  de  dégager  les  chemins  transver- 
saux, communiquant  de  ces  deux  provinces  à  la  Carinthie,  par 
lesquels  ils  doivent  se  rabattre  sur  Masséna. 

Kilmaine  reste  sur  l'Adige,  à  la  tête  de  quinze  mille  hommes , 
pour  tenir  en  respect  les  Vénitiens  et  assurer  notre  retraite. 

Sur  tous  les  points  le  succès  est  complet  :  Masséna  renverse  les 
Impériaux  à  Bellune,  à  Cadore,  tourne  la  Piave  et  s'empare  des 
cols  de  Pdnteba  à  TarVis;  en  même  temps,  Joubert  chasse  du 
Tyrol  Laudon  et  Kerpeô  ,  les  bat  à  Saint-Michel ,  à  Clausen  ,  à 
Mittenwald ,  écrase  les  renforts  qui  commencent  à  se  présenter, 
rejette  Laudon  près  des  sources  de  l'Adige,  etKerpen  au-deià  du 
Brenner;  après  quoi  il  quitte  à  Brixen  la  route  d'Inspruck,  et  se 
porte  par  Lienz  à  Villach.  Enfin,  Bonaparte,  refoulant  devant  lui 
l'archiduc  Charles,  traverse  la  Piave ,  passe  cLe  vive  force  le  Ta- 
gliamento  à  Valvasone  et  occupe  Palma-Nova. 

Cependant  l'aichiduc  essaie  d'arrêter  cet  élan  dont  les  consé- 
quences sont  trop  évidentes;  il  tente  un  grand  effort  pour  rompre 
notre  centre.  Bayalitsch  est  dirigé  sur  1  arvis  par  la  vallée  de  i'I- 
sonso,  tandis  q»e  le  prince,  abandonnant  i\  une  division  la  défense 
de  la  Carniole,  se  transporte  par  Layb;:ich  à  Clag^nfurtli  d'où 
il  se  rabat  aussi  sur  Tarvis. 

C'est  le  moment  décisif:  Masséna  va  se  trouver  enveloppé  dans 
les  cols  qu'il  a  téniérairement  franchis,  ou  se  maintenir  dass  ces 
positions  qui  sont  la  clef  de  toute  notre  opération. 


î^nO  DIRFXTOIRE.    —   DU   4   BRUM.    AN  lY 

L'archiduc  réussit  à  enlever  Tarvis  et  se  déploie  en  attendant 
Bayalitsch  qui  doit  prendre  Mas^ëna  entre  deux  feux  ;  mais  Mas- 
séna  ne  le  laisse  point  s'affermir,  il  tombe  sur  sa  ligne  avec  toute 
son  impétuosité,  et  finit  par  la  rompre. 

Pendant  ce  temps,  Bayalitsch  s'avance  suivi  de  près  par  Guyeux 
et  Serrurier,  que  Napoléon  a  lancés  à  sa  jpoursuiie  ;  le  premier, 
par  Udine,  le  second  par  Gorice;  lorsqu'il  débouche  près  de  Tar- 
vis, il  se  heurte  contre  Masséna  vainqueur ,  et  dépose  les  armes. 
{25  mars  1797.  —  5  germinal  an  5.  ) 

L'archiduc  se  retire  à  Clagenfurth  où  il  rappelle  sa  gauche  que 
Bernadotte  a  suivie  jusqu'à  Laybach,  et  qu'il  poursuit  encore  dans 
la  Carinlhie.  Bientôt  Bonaparte,  après  avoir  fait  capituler  Trieste, 
se  porte  sur  cette  province  où  toute  l'armée  est  concentrée;  il  se 
met  à  la  suite  de  l'archiduc,  le  bat  à  Neumarkt,  malgré  l'arrivée 
de  ses  renforts,  et  pénètre  jusqu'à  Leoben. 

Ce  fut  là  que  les  conditions  d'une  suspension  d'armes,  furent 
arrêtées  le  7  avril  17D7  (19  germinal  an  5)  ;  les  préliminaires  de 
la  paix  furent  signés  dix  jours  après,  le 29  germinal  (  17  avril). 
L'empereur  cédait  la  Belgique  à  la  France ,  reconnais^it  ses  U- 
mites  telles  qu'elles  avaient  été  décrétée^  par  la  Convention  ,  et 
accepiaii  l'établissement  d'une  république  en  Lombardie.  Ce 
traité  fut  connu  à  Paris,  le  G  floréal,  et  le  i  à  l'armée  du  Rhin  où 
il  arrêta  Hoche  et  Moreau  qui  venaient  de  passer  ce  fleuve. 

Un  seul  état  en  Italie  n'avait  pas  reconnu  la  puissance  des 
armes  de  la  Répubjique  ;  c'était  l'état  de  Venise.  Il  avait  des  griefs  * 
à  expier.  Il  avait  livré  passage  à  Alvinzy  ;  il  avait  fait  une  procla- 
mation aux  peuples  de  son  obéissance,  qu'il  concluait  par  ces 
mots  :  Mort  aux  Français  ;  il  avait  prépaie  une  armée  que  les 
succès  seuls  de  nos  armes  avaient  paralysée.  Bonaparte,  autorisé 
par  ces  actes,  inspiré  par  l'intérêt  de  ne  pas  laisser  un  ami  à  l'Au- 
triche, dans  la  Haute-Italie,  déclara,  avec  l'autorisation  du  direc- 
toire et  des  deux  conseis ,  la  guerre  à  la  République  de  Venise, 
et  envahit  son  territoire.  Le  général  Baraguay-d'Hilliers,àIa  tête 
d'un  corps  de  troupes  françaises,  occupa  la  ville  de  Venise,  le 
13  mai  1797  (24  floréal  an  5).  En  même  temps,  une  révolution 


AU  50  FLOR.  AIN  V  (  179o-1797).  mi 

avait  lieu  à  Gênes,  et  cet  état  prenait  librement  le  nom  de  Répu- 
blique Ligurienne, 

Armées  d'Allemagne.  Les  armées  des  deux  nations  se  trou- 
vaient à  peu  près  égales  après  le  départ  des  divisions  envoyées 
avec  Wurmser,  pour  défendre  l'Italie,  seulement  les  Autrichiens 
avaient  la  supériorité  en  cavalerie,  et  un  seul  commaDdimt,  l'ar- 
chiduc Charles  dirigeait  les  forces  impériales ,  tandis  que  deux 
généraux ,  Jourdan  et  Moreau  ,  commandaient  les  armées  répu- 
blicaines. 

Ce  fut  Jourdan  qui  commença,  le  1^^  juin  4796,  les  opérations» 
à  la  tête  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse ,  sur  la  rive  droite  du 
Rhin.  Après  avoir  battu  les  Wurtemburgeois  et  les  Autrichiens, 
à  Altenkirchen ,  il  s'avança  sur  la  Lahn.  Alors  l'archiduc  dirigea  le 
gros  de  ses  forces  contre  lui,  et  le  força  à  la  retraite.  Kleber  sou- 
tint à  Wetzlar  un  combat  honorable,  mais  sans  résultat.  Jourdan 
recula  devant  des  forces  supérieures ,  et  repassa  le  Rhin  à  Neu- 
Avied. 

Cependant  Moreau ,  à  la  tête  de  l'armée  du  Rhin-et- Moselle , 
surprend  le  fort  de  Kehl,  fait  passer  le  Rhin  à  son  armée,  et  s'em- 
pare de  Biberach ,  de  Fribourg ,  de  Radstadt ,  de  Gernsbech  ;  il 
attire  ainsi  l'archiduc,  mais  celui-ci  est  obligé  à  la  retraite,  et 
se  relire  sur  le  Danube,  suivi  par  l'armée  de  Moreau. 

Jourdan ,  n'ayant  plus  en  tête  un  ennemi  supérieur,  passe  en- 
core une  fois  le  Rhin  et  se  met  à  la  poursuite  du  corps  autrichien 
qui  est  devant  lui.  Il  le  bat  à  Friedberg  et  occupe  Francfort, 
Wurtzbourg,  Nuremberg  et  marche  sur  la  Rohême.  Ce  furent 
sans  doute  ces  succès  qui  déterminèrent  les  princes  de  Souabe  et 
de  Saxe  à  faire  la  paix  avec  la  République.  Les  troupes  autri- 
chiennes s'étant  affaibhes  par  la  perte  de  leurs  contingens,  l'ar- 
chiduc vit  occuper  une  forte  position  vers  Ulm ,  comme  uni- 
quement occupé  de  défendre  les  états  héréditaires.  Bloreau  le 
suivait.  C'est  alors  (|ue  le  prince  Charles  s'apej  cevant  de  la  po- 
sition aventurée  de  l'année  de  Jourdan  pense  à  en  profiter  ;  il  passe 
brusquement  le  Danube  çi  laissant  un  corps  d'observation  ca- 
pable d'en  imposer  à  Moreau ,  marche  rapidement  vers  Jourdan 


26:2  DIRECTOIRE.    —   DU   4  BRUM.    AN   IV 

et  le  force  à  rétrograder  après  plusieurs  engagemens  très-vifs , 
dans  lesquels  les  Français,  attaqués  par  des  forces  supérieures, 
résistèrent  jusqu'à  forcer  l'admiration  de  leurs  ennemis. 

Moreau  fiit  quelque  temps  avant  de  s'apercevoir  qu'il  n'avait 
plus  devant  lui  le  gros  des  forces  autrichiennes.  Enfin  par  divers 
mouvemens  ii  essaya  de  les  attirer  de  son  côté  ;  mais  ayant  appris 
la  retraite  de  l'armée  d^'  Sambre-et-Meuse,  il  se  décida  à  la  retraite 
volontairement,  c  est-a-dire  après  être  sorti  victorieux  de  tous 
les  combats  qu'il  avait  livrés  à  l'ennemi.  Dans  sa  marche  vers  le 
Rhin,  il  trouve  l'occasion  d'écraser  l'ennemi  près  du  lac  de 
Féder  ;  il  lui  fait  essuyer  une  défaite  complète,  et  ensuite  repasse 
tranquillement  le  Rhin ,  pendant  que  Jourdan  de  son  côté  venait 
aussi  reprendre  position  sur  la  rive  gauche  de  ce  lleuve.  La  cam- 
pagne des  deux  armées  se  trouva  terminée  à  la  fin  d'octo- 
bre 1796  (  brumaire  an  IV  ).  On  se  préparait  à  en  tenter  une  dou- 
velle,  lorsque  le  traiié  de  Campo-Formio  vint  suspendre  les  ho- 
stilités. 

Guerre  civile, —  Hoche  avait  été  chargé  d'en  finir  avec  la  Ven- 
dée. 11  n'employa  pas  seulement  les  moyens  militaires ,  mais  en- 
core toutes  les  séductions  qui  pouvaient  agir  sur  les  populations 
rebelles.  11  proniettaii  et  û  donnait  sécurité  aux  officiers  roya- 
listes qui  (h^posuienl  les  armes  ;  il  protégeait  le  clergé  ;  enfin  ,  il 
faisait  incessamineni  p.*rcuiirir  !e  pays  par  des  colonnes  mobiles, 
et  se  montrait  fort  en  même  temps  que  clément. 

Charrette  tenta  un  dernier  ellbrt.  llréuiiit,  le  28  décembre 
1795  (7  nivôse  an  l  V  ),  à  la  Rouillière  environ  cinq  mille  hommes. 
11  fut  écvâté  p:«r  une  colonne  comuiandoe  par  le  général  Travot. 
Stoftlet  chrTchuil,en  même  temps,  à  reprendre  les  armes  en 
Anjou.  Mais,  après  quelques  succès  saris  importance,  poursuivi 
par  Hoche  lui-même,  il  fut  livré  par  les  siens  et  fusillé.  Charrette 
ne  fut  \y.\s  plus  heureux;  baitu  de  nouveau  et  i.oursuivi  par  le  géné- 
ral Travot,  cerné,  il  fut  pris  les  armes  à  la  main  et  fusillé  à  Nantes, 
le  27  mars  1796  ^7  germinal  an  IV  ).  Après  avoir  détruit  le  parti 
Vendéen  en  lui  ôtant  ses  derniers  chefs.  Hoche  dirigea  &oi;  atten- 
tion sur  les  chouans.  Puisave  avait  réussi  à  réunir  quelques  ban- 


AU  30  FLOR.  AN  V  (1795-1797).  265 

des.  Les.  républicains  combinèrent  leurs  mouvemensde  manière 
à  les  acculer  dans  le  Morbihan  et  dans  les  côtes  du  Nord.  Eiles 
furent  facilement  dispersées  et  anéanties  après  des  engagemens 
plus  meurtriers  qu'importans.  Cette  opération  était  à  peine  ter- 
minée, qu'âne  nouvelle  tentative  de  guerre  civile  appela  les  trou- 
pes de  la  Vendée  dans  le  Berri.  Un  jeune  noble ,  le  comte  de 
Rochecolte,  conçut  l'idée  d'insurger  le  Berry,  le  Bourbonnais, 
l'Auvergne,  la  Touraine  et  l'Orléanais.  On  lança  une  proclama- 
tion de  Louis  XVIII,  et  deux  éangrés,  Phéîippeaux  et  Dupin , 
organisèrent  des  rassemblemens.  Le  premier  réunit  environ 
quinze  cents  hommes  avec  lesquels  il  s'empara  de  la  petite  ville 
de  Sury  en  Vaux;  puis  ensuite  de  Sancerre.  En  même  temps, 
il  ramassait  environ  trois  mille  paysans  aux  environs  de  Château- 
roux.  —  Hoche  dirigea  des  forces  contre  ces  deux  rassemble- 
mens. Chacun  d'eux  fut  attaqué  et  détruit  en  un  seul  combat. 
Les  chefs  furent  pris  njais  le  directoire  usa  d'indulgence  envers 
eux.  Le  comte  de  Rochecotie  parvint  à  s'échapper.  Cette  affaire 
fut  si  rapidement  menée  qu'elle  fut  terminée  presqu'aussifôt  que 
commencée.  Tout  était  en  paix  dès  le  mois  de  mai  1796  (floréal 
an  IV),  au  moment  oii  l'armée  d'Italie  remportait  ses  premières 
victoires. 

Les  victoires  remportées  par  les  armées  de  la  République  lui 
conquirent  soit  la  paix ,  soit  les  préliminaires  de  la  paix,  partout 
où  elle  put  porter  ses  pas.  Ainsi  qiiC  nous  lavons  vu,  on  pou- 
vait se  considérer  comme  assuré  du  eôté  de  l'Italie  et  de  i' Alle- 
magne. Depuis  long-temps  lEspagne  ne  nous  faisait  plus  la 
guerre.  Le  directoire  contracta  avecede  une  alliance  offeu^ve  et 
défensive.  Ut  1:2  liuciidor  an  IV  (29  août  1796).  L'Auglt-ierre 
elle-uiême  fit  des  ouvertures  de  paix;  le  directoire  vn  instruisit 
les  con.>ei!s  par  wa  inessuge  le  25  vendémiaire  an  V  (16  octo- 
bre 1796).  Lord  Alauneabary  lut  envoyé  à  Paris  en  qualité  de 
ministre  plénipotentiaire;  il  y  arriva  le  i*^^'  brumaire  an  V  (22  oc- 
tobre 171)6).  iMais  l'Angleterre  demandait  trop;  elle  voulait  trai- 
ter pour  tous  ses  alliés ,  saui  avoir  d'ailleurs  reçu  leurs  pouvoirs  ; 
elle  voulait  que  ia  France  évacuât  l'itahc  et  restituât  sei  cou- 


ii64  DlKttiT01R£.    —    DU   4   BULM.    AN    IV 

quêtes.  Lesnégociaiions  furent  donc  rompues.  Lord  Malmesbury 
quitta  Paris  le  l^r  nivôse  an  V  (:21  décembre  179(3).  Au  resie, 
pendant  ce  temps  la  guerre  n'avait  pas  discoi:iinué.  On  avait  re- 
pris la  Corse  sur  les  Anglais  et  l'on  préparait  une  expédition  en 
Irlande.   Quelques  jours  avant  la  rupture,  le 2o  frimaire,  une 
escadre  composée  de  dix  huit  vaisseaux ,  treize  frégates  et  cinq 
corvettes,  dirigée  par  l'amiral  Villarei- Joyeuse,  était  sortie  de 
Brest  en  trois  divisions.  Elle  avait  à  bord  le  général  Hoche  et  des 
troupes  de  débarquement.  Des  trois  divisions  qui  la  composaient , 
une  seule  arriva  sur  les  côtes  d'Irlande,  dans  la  baie  de  Gal- 
loway  près  de  Cork.  On  se  disposait  à  débarquer  les  six  mille 
hommes  qu'elle  portait ,  lorsqu'un  coup  de  vent  força  les  vais- 
seaux à  reprendre  le  large.   Les  deux  autres  divisions  appro- 
chaient des  côtes  d'Irlande ,  mais  la  violence  de  la  mer  et  du  vent 
les  empêcha  d'en  approcher,  en  sorte  qu'elles  furent  contraintes 
de  revenir  à  Bf  e^t.  Un  seul  bâtiment  jeta  à  terre  l^^s  hommes  qu'il 
portait.  Ce  petit  corps,  attaqué  par  des  forces  supérieures  ,  fut 
bientôt  obligé  de  se  rendre. 

FINANCES. 

Depuis  le  commenccaient  de  la  révolution,  les  linances  étaient 
dans  une  situation  désastreuse.  Les  lois  sur  les  contributions 
étaient  sans  force;  les  impôts  ne  produisaient  à  peu  près  rien  ,  et 
lors  même  qu'ils  seraient  rentrés  complètement  dans  le  trésor, 
ils  eussent  étéinsulfisaus  pour  couvrir  les  dépenses  publiques.  On 
lit  face,  au  défaut  de  paiement  des  coniribuiions,  et  à  l'excès  des 
besoins ,  par  la  création  des  assignats.  Ce  fut  à  l'aide  de  ce  papier 
monnaie  qae  la  révolution  résista  à  la  guerre  étrangère  qui  l'en- 
tourait de  toute  part,  à  la  guerre  civile  et  à  la  famine.  Mais  c'é- 
tait un  moyen  dont  la  force  diminuait,  au  fur  et  à  mesure  que  l'on 
en  faisait  usaj'.e.  Au  commencemenl  du  directoire,  la  valeur  des 
assignats  était  tombée  à  ce  point,  (ju'un  louis  d'or  de  vingt-qua- 
tre francs  valait  deux  et  trois  mille  fi  ancs  eu  papier.  L'agiotage 
s'exerçait  ù  cette  occasion  de  telle  sorte  que  les  variations  du 
change  produisaient  des  perturbations  dans  le  pr\\  <lu  travail  et 


AU  30  FLOR.  AN  V  (  1795-179(i  ).  i265 

des  objets  de  consommation,  aussi  instantanées  qu'elle-même, 
et  dont  le  résultat  était  de  frapper  la  production  et  le  commerce 
de  défiance,  et  par  suite  de  stérilité. 

Voici  quelle  était  la  situation  de  la  fortune  publique  à  la  fin 
de  1795.  Nous  l'extrayons  d'un  rapport  fait  par  Eschsssériaux , 
au  nom  d'une  commission  nommée  par  le  conseil  des  cinq-cents 
pour  examiner  la  position  de  la  République  à  cet  égard.  Ce 
rapport  fut  lu  en  comité  secret ,  le  22  brumaire  an  5  (12  novem- 
bre 1796). 

>  Total  des  assignats  émis  par  décrets ,  et  fabriqués  par  arrêtés  du 

comité  des  finances. 

»  Émis  par  de'crets  à  diverses  époques.      9,978,056,625  liv» 

>  Fabriqués  par  arrêtés  du  comité  des 
finances  et  émis  depuis  le  6  vendémiaire 

an  3,  jusqu'au  8  brumaire  an  4.     .     .     .    19,452,425,000  liv. 

Total.     .     .     29,430,481,623  liv. 

>  Sur  quoi  il  faut  déduire  : 

»  Assignats  brûlés 5,352,683,000  liv. 

»  Assignats  à  brûler 73,014,727 

»  Assignats  démonétisés  qui  ne  sont  pas 
rentrés 992,531,804 

»  Valeurs  mortes  qui  ne  doivent  plus 
rentrer  en  circulation 353,152,172 

»  Valeurs  en  suspens  dans  les  caisses.     .         216,317,686 

>  Dans  les  caisses  des  dépariemens  et 

armées 400,000,000 

»  Reste  à  fabriquer  sur  les  émissions 

ordonnées. 5,101,110,000 

*  Dans  les  serres  de  la  l^bricaiion.     .  8,207,76.5 


Total.     .     .     10,497,017,159  liv. 

»  D'après  ces  déductions ,  la  circulation  réelle  se  trouve  ré- 
duite, au  15  brumaire  (6  novembre),  à  18,953,461,464  liv. 


266  DIRECTOIRIS.    —    DU    4   BRLM.    AN    IV 

»  Etats  des  biens  nationaux  vendus  et  des  biens  qui  restent 

à  vendre. 

»  Première  origine,  vendus d'esiiaiution  ,  un  milliard  oiO  mil- 
lions 158,556  liv. 

»  Adjugés,  pour  trois  milliards,  194,828,290. 

>  Reste  sur  les  biens  nationaux  de  premièrt;  origine ,  au  prix 
d'estimatiou ,  six  cent  cinq  millions  enécus,que  Ton  peut  évaluer 
dans  la  vente  à  un  milliard. 

»  Reste  dû  à  la  nation ,  en  assignats,  de  la  vente  des  biens  de 
première  origine ,  456,670,996  liv. 

>  Biens  d'émigrés,  estimes,  valeur  de  1790,  deux  milliards 
cinquante-sepi  millions  804,511  liv. 

»  Dû  par  les  acquéreurs  de  biens  d'émigrés  vendus  eu  assi- 
gnats 52,0(X),000  liv. 

»  Forets  nationales ,  estimées  valeur  écus,  deux  milliards. 

»  Biens  nationaux  de  la  Belgique ,  estimés  par  aperçu ,  deux 
milliards. 

»  Contributions  publiques.  ISayant  point  placé  dans  celle  si- 
tuation des  linauces  la  dette  consolidée,  nous  n'y  placerons  point 
aussi  les  contributions  publiques ,  avec  lesquelles  elle  se  balance 
naturellement  ;  nous  ne  parlerons  point  d  autres  parties  acces- 
soires des  finances,  doul  les  comptes  ne  sont  point  encore  arrêtés 
à  la  trésorerie  nationale. 

»  Il  s'ensuit  d'après  le  tableau  que  nous  venons  d'otrVir,  que  le 
reste  des  biens  de  première  origine,  les  biens  des  émigrés,  les 
forêts  nationales,  les  biei.s  nationaux  de  la  Belgique,  réunis  en- 
semble ,  forment  un  total  de  sept  milliards. 

>  Je  ne  mets  point  en  ligne  décompte  les  ressources  secon- 
daires que  la  natiou  a  entre  ses  mains ,  comme  :  les  lingots  et 
l'argent  (iéposé  à  la  trésorerie  ;  les  ciiamaus  et  le  mobilier  natio- 
nal ;  les  sommes  dues  par  la  Hollande;  le  papier  on  marchandises 
sur  l'étranger;  le  cuivie  pour  la  labricatiuri  ;  Ut  parti  à  tirer  des 
prises;  celui  que  la  natiou  peut  tirer  encore  de  ses  nouvelles  pos- 
sessions do  Saint-Domingue. 


AO  30  FLOR.  AN  V  (  1795-1797  ).  267 

»  Il  résulte  néanmoins  de  cet  état  comparatif  de  h  dette  de  la 
nation  et  de  ses  ressources,  que  l'hypothèque  affeciét;  au  rem- 
boursement des  assignats  s'élève  à  plus  de  sept  milliards,  valeur 
métallique.  » 

Ce  rapport  n'était  rien  moins  que  rassurant;  il  présageait  une 
banqueroute.  En  effet ,  si  comme  on  l'avait  promis  à  i'éjioque  de 
la  création  ,  on  échangeait  contre  des  assignats  les  sept  milliards 
de  biens  nationaux ,  on  ne  faisait  pas  disparaître  ce  papier  de  la 
circulation.  La  concurrence,  même  entre  les  propriétaires  d'as- 
signats pour  l'achat  de  ces  biens ,  ne  pouvait  en  faire  monter  le 
prix  de  manière  à  ce  qu'il  égalât  celui  des  dix,-huit  miUiards  de 
papier.  Pour  cela ,  il  eut  l^llu  que  ce  papier ,  nécessaire  aux 
échanges ,  eût  été  remplacé  par  un  autre  monnaie ,  etc. ,  il  fal- 
lait d'ailleurs  penser  aux  dépenses  pubhques  qui  étaient  pres- 
santes. On  aima  donc  mieux  faire  perdre  quelque  chose  à  tout 
le  monde. 

On  commença  par  décréter  un  emprunt  forcé  de  six  cent  mil- 
lions. Ensuite ,  on  créa  pour 2, 400,000, 000  de  mandats  territo- 
riaux qu'on  échangeait  contre  des  assignats. 

On  pensa  à  un  autre  moyen  de  former  un  papier  monnaie , 
ayant  une  valeur  immuable.  Le  ministre  de  TiniérieurBenezech, 
réunit  à  Paris  des  députés  de  commerce,  venus  de  toutes  les  par- 
ties de  la  France  ;  il  leur  proposa  la  création  d'une  banque  géné- 
rale de  l'industrie.  Ceux-ci  y  consentirent  à  la  condition  que  le 
gouvernement  s'engagerait  à  ne  point  s'immiscer  dans*  les  af- 
faires de  cette  caisse  de  crédit  public,  à  la  condition  qu'on  re- 
mettrait à  la  banque  des  biens  et  valeurs  réelles  facilement  échan- 
geables et  complètement  à  ^a  dis|)osiiion.  Ces  conditions  furent 
refusées  et  l'assemblée  se  sépara. 

Cependant  les  conseils  arrêtèrent  le  budget  de  l'an  5  et  déci- 
dèrent que  les  contributions  seraient  payées  en  argent  ou  en  na- 
ture. La  planche  des  assignats  fut  brisée.  Les  dépenses  ordinai- 
res pour  l'an  5  furent  fixées  à  4o0  milhons,  et  les  dépenses  ex- 
traordinaires, qui  étaient  celles  de  la  guerre,  à  SoOjnillions.  11 
était  pourvu  aux  premières  par  le  produit  des  contributions  dites 


^ijS      DIR.  —  DD4BRtM.  AN  IV  AU  50  FLOR.  AS  V  (1795-1797). 

ordinaires,  et  aux  secondes  par  des  receltes  extraordinrires  ré- 
sultant, soit  de  l'excédant  des  contributions,  soit  des  taxes  de 
guerre,  soit  de  la  vente  des  biens  nationaux,  qui  devaient  être 
payables  seulement  en  Luniéraire.  Par  l'effet  de  ces  mesures, 
l'argent  ne  tarda  pas  à  reparaître,  et  vint  remplacer  l'assignat. 


HISTOIRE  DU  DIRECTOIRE, 


DU    !«'    PRAIRIAL    AN   V   (20  MAI  i797)   AU   18   FRUCTIDOR  AN  V 

(4  SEPTEMBRE    1797). 


Le  nouveau  tiers  prit  séance  dans  les  conseils  le  1^"^  prairial. 
L'esprit  qu'il  y  apporta  ne  fut  pas  un  instant  douteux.  Aux  an- 
ciens ,  tout  se  passa  avec  calme  et  avec  mesure  ;  mais  aux  cinq- 
cents,  dès  l'appel  nominal ,  l'opinion  de  la  majorité  fut  manifeste. 
Le  nom  de  Bertrand  Barrère^  absent,  excita  des  murmures.  On 
proposa  d'annuler  cette  élection  et  cela  fut  fait.  On  proposa  d'an- 
nuler une  décision  de  la  session  précédente  qui  avait  écarté  plu- 
sieurs députés  comme  suspects  de  royalisme,  et  entre  autres  Job 
Aymé,  plus  que  suspect,  puisqu'il  avait  été  convaincu  d'avoir 
provoqué  même  des  rassemblemens.  Ces  députés  furent  rappe- 
lés. Hardy ,  pour  tater  la  majorité,  vint  leur  demander  à  son  tour 
le  rapport  de  la  loi  du  21  floréal ,  qui  bannissait  de  Paris  cent 
quatre-vingt-dix-huit  membres  de  la  Convention.  On  hésita  un 
moment ,  et  comme  on  ne  pouvait  refuser  sans  se  dévoiler  trop 
hautement,  on  finit  par  accepter  la  demande  de  Hardy.  Lorsque 
l'on  fut  constitué,  on  élut  pour  président  le  général  Pichegru, 
que  tout  le  monde  savait  détesté  du  directoire,  et  pour  secrétai- 
res Siméon,  Vaublanc,  Henri  Larivière,  Parisot.  Le  rôle  qu'ont 
joué  les  deux  premiers  de  ces  secrétaires  après  1814,  sous  la  res- 
tauration,  les  hommages  rendus,  à  la  même  époque,  à  la  mé- 
moire du  général  Pichegru ,  nous  disent  d'avance  quel  parti  ils 
représentaient  dans  le  corps  législatif.  Il  était  évident  que  l'oppo- 
sition allait  suivre  des  tendances  royalistes.  Cette  direction  ,  en 
effet ,  domina  le  conseil  des  cinq-cents. 

ISous  lisons  dans  les  Mémoires  de  Thibaudeau ,  que  les  mem- 


^0  DIRECT.    —   DU   i^^   PRAIR.    AN   V   {20   MAI   1797) 

bres  des  conseils  étaient  divisés  en  trois  partis,  les  directoriaux, 
les  coDs  itutionnels,  et  les  royalistes.  Ceux-ci  étaient  assez  nom- 
breux pour  être  à  peu  près  maîtres  des  délibérations  aux  cinq- 
cents.  Dans  le  conseil  des  anciens ,  c'était  au  contraire  les  consti- 
tutionnels qui  formaient  la  majorité.  Mais  il  faut  remarquer  que 
ces  derniers  devaient  voter  avec  Ls  premiers  dans  la  plupart  des 
cas,  ce?t-b-dire  toutes  les  fois  qu'il  s'agirait  de  l^ire  simplement 
de  l'opposiiion.  Ainsi ,  sur  quatre  cent  quaranie-quaire  votans, 
Pichegru  obi int  trois  cent  quatre-vingt-sept  suffrages,  c'est-à-dire 
ceux  des  royalistes  et  des  constitutionnels.  La  présence  de  ceux-ci 
pouvait  tout  au  plus  modérer  l'ardeur  des  royalistes,  lui  donner 
uneapp-^enie  républicaine,  'a  maintenir  dans  dos  limites  accep- 
tées par  l'opinion ,  la  servir  en  un  mot.  Les  royalistes  se  concer- 
taient dans  \^  club  de  Clichy  ;  ce  fut  là  que  fut  préparé'  l'élec- 
tion des  candidats  pour  la  place  vacante  au  directoire,  et  qu'il 
fut  décide  que  la  majorité  des  voix  serait  portée  sur  Birthélemy, 
alors  ambassaileur  de  la  République  en  Suisse. 

En  effet,  Biribéleniy,  sur  quatre  cent  trente-huit  voix,  en 
réunit  trois  cent  neuf.  Les  autres  candidats  furent  Bougainville, 
Vieillard ,  Redon  ,  Tarbé ,  Germain  Garnier,  Borda ,  Desmeu- 
niers, Cochon  et  Beurnonville.  Le  conseil  des  anciens  choisit  Bar- 
thélémy, qui  fut  en  conséquence  proclamé  directeur,  et  rappelé 
de  Suisse  pour  venir  siéger  au  Luxembourg. 

Cependant,  le  conseil  des  cinq-cents  nommait,  sur  la  proposi- 
tion de  Dumolard,  une  commission  pour  reviser  les  lois  rendues 
par  la  Convention  sur  la  police  des  cultes.  Bergier  demandait  que 
la  loi  du  5  brumaire  an  4  fût  déclarée  inconstitutionnelle,  et  que 
les  citoyens  élus  à  des  fonctions  publiques ,  qu'en  avait  écartés 
l'application  de  cette  loi ,  fussent  autorisés  à  rentrer  dans  leurs 
places.  3ladier  demandait  la  mise  en  liberté  des  prêtres  dé- 
tenus et  l'envoi  d'un  message  au  directoire  sur  ce  sujet ,  ce  qui 
fut  décréié.  Toutes  ces  mesures  précédèrent  l'élf^ction  de  B  ir- 
thélemy;  elles  étaient  le  fait  de  la  majorité  qui  le  nomma  ;  elles 
devaient  donc  jeter  des  soupçons  sur  le  c^iraclère  politique  de  ce 
nouveau  directeur. 


AU  48  FRUCTIDOR   AN   V    (4  SEPTEMBRE   i797),  271 

Lorsque  le  directoire  fut  constiltsë,  l'opposition  ne  fut  pas  moins 
violente.  II  sembla  qu'elle  cherchât  to«ites  les  occasions  de  dépo- 
pulariser ce  pouvoir,  en  l'attaquant  dans  son  administration.  La 
situation  des  colonies,  et  particulièrement  de  Saint  Domingue, 
et  celle  des  finances,  furent  les  principaux  sujeis  qu,?  sp  pi  opo- 
sèrent  les  opposans;  le  dernier  surtout  était  excellent.  Le  public 
avait  conçu  l'opinion  très-fondée  que  les  richessi  sde  l'état  étaient, 
surtout  de  la  part  de  Barras,  l'objet  de  gaspillages  odieux.  Le 
conseil  des  cinq-cents  décida  que  le  directoire  serait  privé  du 
droit  de  régler  les  négociations  de  la  trésorerie  nationale,  et  qu'à 
elle  seule  appartiendrait  ce  soin.  C'était  montrer  une  méfiance 
peut-être  juste,  mais  insultante  pour  quelques-uns  des  directeurs; 
c'était  indijuer  au  public,  que  l'on  avait  les  preuves  de  quelques 
infidélités  dans  les  transactions.  L'attaque  fut  trouvée  irop  vive. 
Le  conseil  des  anciens  rejeta  la  résolution.  A  cette  occasion  ,  les 
journaux  du  pouvoir  prodiguèrent  les  éloges  à  ce  dernier ,  en 
même  temps  qu'ilscritiquajent  le  conseil  des  cinq-cents.  Ces  éloges 
donnés  à  l'un,  ces  critiques  adressées  à  l'autre,  ne  firent  qu'ex- 
citer ce  dernier.  Vaublanc  fit  un  rapport  sur  la  colonie  de  Saint- 
Domingue  ;  il  fit  un  tableau  effrayant  du  régime  de  terreur  au- 
quel on  l'avait  soumise,  et  sous  lequel  on  la  maintenait.  Pendant 
une  suite  de  séances  ,  les  députés  du  même  parti  occupèrent  la 
tribune,  effrayant  leurs  auditeurs,  par  les  détails  qu'ils  ajoutaient 
à  l'acte  d'accusation  porté  par  leur  collègue,  ma'sse  servant  d'un 
langage  qui,  en  même  temps  ,  dénonçait  clairement  leur  ht)î  reur 
pour  le  nom  républicain. 

Le  dire/^toire  était  lui-même  peu  unanime.  Il  était  divisé  contre 
lui-mê^ne.  Carnot  et  Barthélémy  ne  pouvaient  fraterniser  avec  un 
homme  te!  que  Barras,  ni  avec  un  esprit  aussi  étroit  que  le  chef 
des  ihéophil  imhropps,  Lareveillère.  Cependant,  il  prenait  des 
mesures  pour  combattre  ses  antagonistes  du  corps  législatif,  par 
leurs  piopres  armes.  En  opposition  au  club  de  Ciichy,  il  avait 
fait  ouyrir  le  club  constitutionnel  et  l'avait  rempli  de  ses  amis.  Il 
le  faisait  protéger  par  ses  journaux  ;  car  ceux  de  l'opposition 
étaient  si  nombreux  et  si  hardis,  qu'ils  faisaient  presqu'un  crime 


î27î2  bIRFXT.    —    DU   !«»•   PRAin.    AN   V   (20   MAI   1797  ) 

à  des  gens  de  se  réunir  pour  défendre  le  directoire,  et  quelques- 
uns  même  pour  défendre  des  révolutionnaires.  En  même  temps, 
le  gouvernement  tourmentait  la  commission  des  finances  du  con- 
seil des  cinq-cents;  il  lui  adressait  messages  sur  messages;  ils  fu- 
rent au  nombre  de  trente  ou  quarante.  Dans  les  uns ,  il  montrait 
que  les  services  souffraient  faute  d'argent  ;  dans  les  autres,  il  lui 
prouvait  que  ses  calculs  étaient  faux  ;  par  exemple ,  que  l'impôt 
du  timbre  compté  pour  un  revenu  de  cent  millions,  n'en  rappor- 
tait que  cinquante-quatre.  On  lui  répondait  en  mettant  en  cause 
des  compagnies  de  fournisseurs,  lui  demandant  compte  de  l'u- 
sage des  réquisitions,  dont  l'emploi  n'était  pas  suffisamment  jus- 
tifié. 

L'opposition  avait  toute  l'apparence  de  la  raison  dans  ces  sortes 
de  questions  ;  les  républicains  eussent  accueilli  sans  peine]  des 
accusations  dont  ils  étaient  eux-mêmes  convaincus,  mais  ils  étaient 
moins  préoccupés  de  la  justice  de  cette  opposition  que  de  son 
but.  Us  s'étaient  généralement  attendus  que,  les  Jacobins  détruits, 
on  aurait  affaire  aux  Jacobins  blancs  ;  les  événemens  du  Midi,  les 
excès  des  compagnies  du  Soleil,  de  Jehu,  ceux  des  chouans,  ceux 
des  chauffeurs  dans  lesquels  on  ne  voyait  que  débris  des  ban- 
des royales,  tout  leur  démontrait  qu'il  existait  un  parti  puissant. 
Lors  de  l'élection  du  nouveau  tiers ,  partout  on  s'était  disputé  , 
quelquefois  battu.  Les  électeurs  n'avaient  été  divisés  qu'en  deux 
couleurs ,  les  républicains  ou  constitutionnels  ,  et  les  royalistes. 
Tout  le  monde  savait  cela  ,  et  tout  le  monde  aussi  savait  que  les 
élections  avaient  produit,  en  majorité  ,  des  hommes  à  tendances 
monarchiques.  Qu'on  juge  donc  de  l'effet  des  premières  séances 
du  cons(  il  des  cinq-cents,  et  surtout  de  l'effet  du  nouveau  langage 
des  orateurs ,  de  leur  style  anti-révoluiionnaire  outré  contre  la 
révolution,  comme  celui  des  Jacobins  l'était  cx)ntreles  royalistes! 
11  fut  tel,  que  tout  le  monde  jugeait  que  la  réaction  l'emporterait, 
ou  qu'il  y  aurait  un  mouvement  dans  le  sens  républicain.  Ainsi,  le 
signal  donné  par  l'ouverture  du  club  constitutionnel ,  fut  suivi 
dans  beaucoup  de  villes  ,  et  même  à  Paris.  Les  républicains  se 
réunirent  de  nouveau  en  divers  clubs ,  sous  diverses  dénomina- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     275 

lions.  Mais,  en  quelques  lieux ,  des  ex-membres  des  comités  ré- 
volutionnaires vinrent  y  prendre  place;  des  municipalités  mal 
disposées,  en  prirent  prétexte,  provoquèrent  des  rassemblemens 
armés,  et  dissipèrent  les  sociétés  populaires  par  la  force;  il  en 
fut  ainsi  à  Auxerre.  Les  opprimés,  au  lieu  de  se  taire,  se  plaigni- 
rent aux  cinq-cer,ts.  Leur  réclamation  fut  écartée  avec  des  phrases 
de  blâme  et  même  de  haine. 

Les  armées,  que  la  guerre  n'occupait  plus,  partagèrent  les  ap- 
préhensions dont  nous  venons  de  parler;  elles  avaient  combattu 
pour  la  République,  avec  l'esprit  et  le  dévouement  républicains; 
elles  avaient  vaincu  l'Europe,* pdbr  vaincre  la  monarchie  ;  et  elles 
apprirent  que  l'enremi  qu'elles  avaient  combattu,  qui  leur  avait 
valu  tant  de  misères  ,  tant  de  peine  ,  et  fait  verser  tant  de  sang , 
que  le  parti  royaliste  reparaissait  derrière  elles  plus  puissant  que 
jamais,  pour  détruire  tout  ce  que  l'on  avait  fait.  Les  armées,  de- 
puis le  simple  soldat  jusqu'au  général,  s'indignèrent.  Chez  le  pre- 
mier, c'était  l'effet  du  pur  sentiment;  chez  le  second,  les  habi- 
tudes républicaines,  l'intérêt  personnel,  l'amour  d'une  belle  po- 
sition acquise,  l'espérance  d'une  plus  belle  à  acquérir,  tout  con- 
tribuait à  exciter  ui.e  violente  colère,  et  unt;  haine  implacable  con- 
tre des  hommes  qui ,  sans  risques ,  avec  de  simples  discours , 
osaient  juger  leurs  efforts  et  attaquer  ieurs  œuvres.  Aussi ,  dans 
toutes  les  réunion?  militaires  que  permettait  la  paix,  dans  tous  les 
repas  de  corps,  on  portait  des  toasis  menaçans  pour  les  conseils; 
bientôt  même,  des  adresses  plus  menaçantes  encore  furent  ré- 
digées et  envoyées  au  direcioirf'. 

Quelques  homnits  du  corps  législatif  voyaient  bien  qu'on  al- 
lait trop  i^e ,  que  pour  vaincre  ia  révolution ,  ii  no  suffisait  ï>as 
de  dé(ruire  les  Jacobins,  qu'il  tiùt  fallu  avoir  les  armées.  Ce  lut 
peut-être  cette  réflexion  qui  maintint  tant  de  calme  uai.s  les  dé- 
libérations des  anciens  :  mais  k s  meneurs  des  partis  sont  ton- 
jours  les  hommes  à  motion-,  violentes.  Ce  furent  ceux  là  qui  don- 
nèrent aux  délibérations  do  club  de  Glichy  et  à  cel  es  des  cinq- 
cents,  une  couUor  si  tranchante,  si  visible  ,  que  pe? sonne  ne 
pouvait  s'y  tromper.  . 

T.  xxxvii.  •        '^  '18 


274  DIRECT.    —   DD  1«   PRAIR.   AN   V    (20   MAI    1797  ) 

Les  journaux  firent  aux  royalistes  encore  plus  de  mal  que  l'ar- 
deur de  leurs  jeunes  partisans  dans  le  corps  lëgislaiif.  Ils  s'étaient 
considérablement  multipliés  à  Paris  et  dans  les  dépariemens.  Ils 
étaient  bien  plus  nombreux  que  ceux  de  toute  autre  couleur,  et 
n'étant  retenus  par  aucune  règle  parlementaire,  ils  ne  dissimu- 
laient point  leur  haine  contre  les  faits  révolutionnaires  ;  presque 
tous  les  jours  ils  révélaient  le  secret  de  leur  parti. 

Telle  fut  la  tournure  fâcheuse  que  prirent  les  affaires  après 
moins  de  six  semaines  de  la  nouvelle  session.  La  situation  se  des- 
sina si  nettement  qu'il  ne  fut  permis  à  personne  d'en  ignorer.  Un 
directoire  cpmposé  d'hommes  knposans  par  leur  prol^ité ,  leur 
mérite  et  leur  caractère ,  aurait  pu  la  prévenir  ,  aurait  pu  déter- 
miner des  élections  plus  favorables  ;  et  lors  même  qu'elles  eus- 
sent eu  lieu  ,  après  avoir  supporté  une  année  de  discours  anti- 
révolutionnaires  et  de  mauvaises  chicanes,  déterminer  des  élec- 
tions républicaines.  3Iais  que  pouvait  un  pouvoir  dont  la  majorité 
était  composée  d'hommes  ou  larés ,  ou  ridicules ,  ou  peu  estimés? 
II  ne  pouvait  que  succomber,  ou  tenter  un  coup  d'état.  C'est  ce 
dernier  parti  qu'il  choisit.  Mais,  avant  de  raconter  la  journée  du 
18  fructidor,  nous  allons  tracer  une  esquisse  des  travaux  par- 
lementaires. 

Nous  commencerons  par  donner  un  aperçu  de  la  situation  des 
finances  :  ce  fut  le  sujet  des  premières  ei  des  justes  attaques  que 
subit  le  directoire.  Nous  nous  occuperons  d'abord  de  quelques- 
unes  des  révélations  que  Bai  bé-Maiboi<i  fit  au  conseil  des  an- 
ciens dans  un  rapport  sur  les  (inances,  dont  la  lecture  occupa 
trois  séances.  Ce  rapport  étai  fait  à  l'occusion  du  compte  que  le 
gouvernement,  aux  termes  de  la  Constitution,  devait  rcmdre  des 
fonds  mis  à  sa  disposition ,  et  qu'il  avait  envoyé  en  effet  le  [^^  ni- 
vôse an  5.  On  remarquait  d'abord  que  les  comptes  rendus  par 
chaque  minisire  manquaient  d'ordre  et  de  clarté,  excepté  ceux 
du  ministre  de  la  police.  Cochon.  Le  compte  du  ministre  de  la 
guerre  n'éiait  «  qu'une  page  succinctement  informe,  signée  de 
lui ,  et  dans  laquelle  les  quatre  chapitres  de  ses  dépenses  étaient 
arrangés  conune  au  hasard.  »  Aussi  ce  ministre  s'empressa-t-il 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V   (4  SEPTEMBRE  1797).  275 

d*envoyer  uif  autre  état  plus  clair  et  mieux  détaillé.  Malgré  le 
défaut  d'ordre  qui  régnait  dans  ces  comptes,  on  avait  noté 
que  l'on  n'y  rappelait  point  l'emploi  de  cent  millions  en  mandats, 
mis,  en  l'an  IV,  à  la  disposition  du  pouvoir  exécutif  pour  dé- 
penses secrètes.  —  Le  public  conclut  de  celte  observation,  que 
ces  cent  millions  avaient  éié  mal  employés.  —  La  subsistance  des 
départemens  et  de  Paris ,  dans  le  cours  de  l'an  IV,  avait  coûté 
3,500,000,000  en  assignats,  152,000,000  en  mandats,  et  près 
de  5,000,000  en  numéraire.  Paris  était  compris  dans  îes  som- 
mes pour  76,000,000  en  assignats ,  120,000,000  en  mandats , 
et  près  de  1,400,000  liv.  en  argent.  —  Les  journaux  avaient 
coûté ,  en  l'an  IV,  près  de  15,000,000  en  assignats ,  1,300,000 1. 
en  mandats,  et  61,000  liv.  en  argent.  —  Gilbert-Desmolières, 
rapporteur  aux  cinq-cents,  le  grand  antagoniste  du  directoire 
en  matière  de  finances ,  évaluait  les  dépenses  effectives  de  Tan  IV, 
à  1,500,000,000.  Sur  cette  somme,  546,000,000  seulement 
avaient  été  donnés  en  assignats  ou  en  valeur  nominale  pour  un 
année  de  rentes ,  pensions ,  secours ,  indemnités  ;  120,000,000 
mandats  avaient  fait  le  service  de  100,000,000  numéraire.  La 
dépense  restante  avait  été  acquittée  en  papiers  au  cours;  par  le 
produit  de  la  vente  des  meubles,  argenterie,  bijoux,  évaluée  à 
15,000,000  (  le  diamant  le  Régent  en  avait  donné  sept);  par  les 
prises,  20,000,000;  par  les  contributions  en  pays  ennemis, 
240,000,000  ;  par  la  vente  des  denrées  et  marchandises  en  maga- 
sin, 60,000,000;  et  par  les  réquisitions  en  nature.  Gttte  situa- 
lion  des  finances, fut  leîexte  de  nombreux  commentaires  dans  le 
public.  On  y  voyait  que  le  maniement  des  richesses  de  l'état  n'é- 
tait pas  suffisamment  garanti.  On  s'expliquait  par  là  le  luxe 
étalé  par  la  plupart  de  ceux  qui  approchaient  le  pouvoir.  On 
croyait  voir  comment  Barras  et  ses  amis  payaient  leurs  scanda- 
leus'is  orgies.  * 

Ce  fut  à  peu  près  à  cette  époque  que  l'on  apprit  à  Paris  le  ré- 
sulta^u  procès  suivi  devant  la  haute  cour  de  Vendôme,  contre 
Babeuf  et'ses  coaccusés.  Le  jugement  fut  prononcé  le  7  prairial. 
Babeuf  et  Darthé  furent  condamnés  à  mort.  Bnonarotli,  Ger- 


276  DIRECT.    —    DU    1^    PRAIR.    AN   V    ('20    MAI    1797) 

main ,  Moroy,  Cazin,  Blondeaii ,  Bouin  (  t  Menessitr  furent  con- 
damnés à  la  déportation.  Vadierfat  condamné  à  la  détention,  et 
cinquante-cinq  autres  accuses  préseos  ou  contumaces,  acquittés. 
—  Babeuf  et  Danhé  se  frappèrent  chacun  d'un  coup  de  poi- 
gnard; mais,  nous  apprend  Buonarotti,  l'historien  de  cette  con- 
spiration ,  les  armes  étaient  trop  faibles  ;  elles  se  brisèrent  dans 
leurs  mains.  Babeuf  se  blessa  cependant ,  et  il  garda  un  morceau 
de  stylet  dans  la  poitrine.  Le  rapport  du  concierge  de  la  prison 
n'est  pas  d'accord  avec  le  récit  de  Buonarotti  ;  il  dit  qu'ils  se  frap- 
pèrent, mais  ne  se  blessèrent  pas.  Quoi  qu'il  en  soit,  Darthé  et 
Babeuf  furent  exécutés  le  lendemain.  Ce  dernier,  arrivé  sur  la 
guillotine,  protesta  de  son  amour  pour  le  peuple ,  et  lui  recom- 
manda sa  famille.  —  Ce  procès  se  termina  plus  tristement  que 
ne  l'espéraient  beaucoup  de  gens.  En  effet,  en  a^iit  laissé  aux 
accusés  tout  le  temps  de  se  défendre.  On  n'avait  pas  depuis  long- 
temps l'exemple  de  débats  aussi  prolongés,  et  cependant  plus  ani- 
més. 11  faut  croire  que  l'on  avait  un  but,  en  laissant  aux  accusés 
tant  de  hberié  de  parole,  et  tant  de  jours  pour  en  user.  On  vou- 
lait sans  doute  leur  donner  complètement  le  loisir  de  développer 
une  doctrine  qui  était  odieuse  à  la  grande  majorité  de  la  nation  ; 
les  foire  servir  ainsi  à  enlever  aux  Jacobins  le  peu  de  popularité 
qui  s'attachait  encore  à  leur  nom.  Mais  revenons  a  l'histoire  par- 
lementaire. 

Le  10  pniirial ,  Vaublanc  fît  son  rapport  sur  Saint-Domingue. 
On  y  remarquait  ces  phrases ,  après  une  longue  diatr  ibe  contre 
les  autorités  de  cette  colonie  :  «  A  ces  traits  jjous  reconnaissez 
sans  peine  ces  patriotes  du  jour,  ces  pliilanihropes,  partisans  du 
bonheur  commun.  Tels  vous  les  voyez  ici,  tels  il^'sont  tous  les 
JQurs.  Misérables  affamés  de  pillage  auiaat  qu'avides  de  meur- 
tres ,  ils  ont  fait  de  la  révolution  une  spéculation  de  fortune  ;  de 
la  Uépubhque,  une  ferme  à  l'encan;  des  biens  des  autres,  une 
proie  sur  laquelle  ils  s'élancent  de  toutes  parts ,  sous  toutes  les 
formes.  »  Puis  ensuite  l'orateur  s'indignait  contre  le  dir^oire , 
qui  instruit,  des  infâmes  arrêtés  de  ses  agens,  de  leurs  lois  de 
sang  si  audacieusement  promulguées ,  les  approuvait,  les  louait. 


AU   18   FRUCTIDOR  AN    V    (4  SEPTEMBRE   1797).  277 

les  déclarait  conformes  à  la  Constitution,  à  la  justice  et  à  l'hu- 
manité. 

Nous  avons  déjà  dit  que  ce  rapport  fut  suivi  d'une  longue  suite 
de  discours  qui  occupèrent  l'assemblée  de  déclamations  sembla- 
bles, non- seulement  sur  Saint-Domingue,  mais  sur  toutes  nos 
autres  colonies ,  discours  qui  n'allaient  à  rien  moins  qu'à  flétrir, 
sous  le  nom  des  administrateurs  de  ces  contrées,  tous  les  agens 
de  la  République,  quels  qu'ils  fussent,  soit  dans  l'armée  soit  dans 
Tordre  civil.  Le  directoire  ne  sut  répondre  à  ces  discours  qu'en 
destituant  les  administrateurs  de  Saint-Domingue,  Santhonax, 
Raymond  et  Saint-Laurent. 

Le  14  prairial ,  Baraillon  demanda  que  les  militaires  ne  pus- 
sent être  promus  à  des  fonctions  à  la  no||^mation  du  peuple. 
Cette  proposition, accueillie  par  la  majorité,  fut  renvoyée  à  une 
commission  que  l'on  avait  chargée  de  la  révision  des  lois  mili- 
taires. 

A  la  séance  du  lo  prairial,  Dauchet  d'Arras  vint  rappeler  que, 
sous  le  régime  révolutionnaire,  beaucoup  de  parens  s'étaient  re- 
fusés à  présenter  leurs  enfans  nouveau-nés  devant  les  officiers 
civils ,  parce  que  ceux-ci  les  contraignaient  à  donner  à  ces  enfans 
les  noms  odieux  de  Marat ,  de  Robespierre,  ou  d'autres  chefs  de 
la  tyrannie  :  il  demanda  en  conséquence  quelles  enfans  non  pré- 
sentés ,  pussent  l'être  ;  que  ceux  qui  l'avaient  été,  et  qui  portaient 
des  noms  odieux  ,  pussent  être  représentés ,  et  recevoir  le  nom 
que  leur  famille  désignerait. —Savary  s'élève  contre  le  considérant 
du  projet ,  portant  qu'il  est  instant  de  venir  au  secours  des  en- 
fans qui  ont  reçu  en  naissait  les  noms  de  Marat ,  Robespierre  et 
autres  scélérats.  «  Si  dans  le  temps ,  dit-il ,  dont  on  parle  si  sou- 
»  venf ,  il  s'est  commis  des  fautes ,  des  erreurs ,  des  crimes  même, 
»  si  vous  le  voulez,  ce  n'est  pas  à  nous  à  les  juger.  >  Il  demande 
l'ordre  du  jour.  Dumolard  s'étonne  que  Savary  veuille  laisser  por- 
ter à  des  enfans  un  nom  infâme  qu'ils  n'ont  pas  mérité,  t  N'a-t^il 
»  donc  pas  en  horreur  les  noms  de  ces  monstres  altérés  de  san/j, 
»  qui  ont  tour  à  tour  égorgé  leurs  amis  ,  leurs  partisans  et  leurs 
»  ennemis;  qui  ont  couvert  la  France  de  ruines,  de  cadavres , 


278  DIRECT.    —    DU    dci    PRAIR.    AN    V    (^1   MAI    1797) 

>  d'ëchafauds  ?  Nous  saurons ,  dit-il ,  pardonner  à  l'erreur,  à  la 

>  passion  même;  mais  les  hommes  de  sanfj  ne  trouveront  jamais 

>  grâce  devant  nous.  »  Savary  se  récrie  contre  la  tactique  qui 
consiste  à  faire  dire  à  un  opitiant  ce  qu'il  n'a  pas  dit,  à  effrayer 
le  reste  de  l'assemi  ilée  pardes  déclamations  usées ,  et  à  présenter 
sans  cesse  les  noms  de  Marat  et  de  Robespierre,  comme  des 
têtes  de  Méduse.  La  discussion  est  fermée,  et  la  motion  de 
Daucbet  renvoyée  à  la  commission. —  Aceite  même  séance, 
Tarbé ,  chargé  de  résumer  toutes  les  propositions  relatives  aux 
colonies,  fit  un  rapport,  dans  lequel  il  traitait  d'inlames  tous  les 
décrets  rendus  depuis  cinq  années,  et  qui  avaient  été  enlevés, 
disait-il ,  par  les  mêmes  hommes  qui  demandaient  aujourd'hui 
des  ajournemens  ;  ii^ce  nombre  est  le  décret  du  o  pluviôse  an  4; 
il  reproche  à  Marec,  ancien  rapporteur  de  la  commk^sion  des  co- 
lonies, de  n'avoir  point  eu  le  courage  de  poursuivre  le  crime.  A 
ces  mots,  de  violens  murmures  éclafèrentde  toutes  parts.  Thi- 
baudeau,  Pasloret ,  Bailleul ,  Merlin  de  Thionville ,  et  beaucoup 
d'autres,  demandèrent  que  la  parole  fût  ôtée  à  Tarbé.  Thibau- 
deau  s'é  eva  avec  chaleur  contre  l'indécence  et  l'injustice  qu'il  y 
avait  à  accuser  un  absent,  par  cela  même  qu'on  ne  voyait  pas 
comme  lui  :  il  déclara  à  ceux  qui  aurai.ent  le  projet  de  ren- 
verser laConsiiiuiiijn,  qu'ils  le  trouvaient  toujours  sur  leur  pas- 
sage, et  qu'il  ne  parviendraient  à  ce  but ,  qu'en  passant  sur  son 
corps  et  sur  ceux  de  tous  les  vrais  républicains.  Merlin  de 
Thionville  et  Pasloret  parlèrent  dans  le  même  sens.  Tarbé  désa- 
voua ses  expressions  ;  il  fut  défendu  par  Henry  Larivi^e  et 
Vaublanc.  Le  rapport  fut  renvoyé  à  la  commission.  Ainsi  les 
constitutionnels  s'indignaient  qu'on  pensât  mal  d'un  individu, 
lorsqu'ils  laissaient  tous  les  jours  attaquer  impunément  la«Répu- 
blique. 

Le  2i  prairial  (9  juin  1797  ) ,  le  conseil  des  cinq-cents  lermiua 
en  une  seule  séance  une  question  qui,  dans  la  session  précédente, 
avait  été  incessamment  représentée  par  l'opposition,  et  autant  de 
fois  écartée  par  la  majorité  des  ex-conventionnels^  il  annula  la 


AU   18  FRUCTIDOR   AN   V   (  4  SEPTEMBRE  179^*).  279 

loi  de  garantie  contre  les  royalistes,  décrétée  par  la  Convention. 
Il  décida  textuellement  que  «  la  loi  du  5  brumaire  an  4  était  re- 
>  gardée  comme  non  avenue ,  en  ce  qui  concernait  l'exclusion  des 
»  fonctions  publiques;  que  les  articles  2,5,4,  5  et  6  de  la  loi 
»  du  14  frimaire  an  5,  étaient  pareillement  regardés  comme  non 
»  avenus;  que  nul  ne  serait  recherché ,  pour  ne  s'être  point  con- 
»  formé  auxdites  lois  ;  que  les  membres  du  corps  législatif,  et 
»  tous  les  fonctionnaires  suspendus  par  ces  lois,  exerceraient 
»  leurs  fonctions ,  et  que  ceux  qui  s'en  seraient  abstenus ,  les  re- 
»  prendraient.  » 

L'esprit  contre-révolutionnaire  de'  cette  résolution  ne  pouvait 
échapper  à  personne;  cependant  le  conseil  des  anciens  l'approuva 
quelques  jours  après  ;  en  sorte  qu'elle  devint  une  loi  de  la  Répu- 
blique. C'était,  pour  ainsi  dire,  la  livrer  à  ses  ennemis. 

Le  29  prairial  (  17  juin  ) ,  Camille  Jordan  fit  son  rapport  sur  la 
police  des  cultes.  Le  conseil ,  depuis  l'arrivée  du  nouveau  tiers , 
avait  reçu  un  grand  nombre  de  pétitions  sur  ce  sujet.  Le  clergé 
de  la  Belgique  avait  demandé  un  sursis  pour  le  serment.  Un 
grand  nombre  de  communes  avaient  réclamé,  les  unes  leurs  égli- 
ses ,  les  autres  leurs  presbytères ,  les  autres  pour  l'usage  des  clo- 
ches. Il  y  avait  de  ces  pétitions  qui  étaient  revêtues  des  signatu- 
res de  plus  de  deux  cents  communes.  Le  projet  présenté  par 
C.  Jordan  donnait  satisfaction  à  toutes  ces  demandes.  Parmi  les 
républicains,  ceux  que  l'on  nommait  les  immoraux,  les  danto- 
nistes  et  les  hébertistes  ,  qui  formaient  la  cour  et  l'appui  du  di- 
rectoire, s'étonnèrent  du  langage  de  l'orateur,  encore  plus  que 
de  ses  propositions.  Ils  le  surnommèrent  Camille  Carillon  et  Jour- 
dan-leS'Cloches,  Le  jeune  député  des  cinq-cents  ne  recueillit  pas 
de  sa  démarche  seulement  des  sobriquets;  il  s'attira  quelque 
chose  de  cette  haine  qui  avait  poursuivi  Robespierre ,  et  que  le 
philosophisme  intolérant  réservait  à  tous  ceux  qui  ne  l'acceptaient 
point.  Cependant  quelques  jours  après,  le  8  messidor  (26  juin), 
Dubruel  fit  un  second  rapport  sur  les  affaires  du  clergé.  11  pro- 
posa de  rapporter  les  lois  qui  prononçaient  les  peines  de  la  réclu- 


280  DII^CT.    —    DU    1"    PRAIR.    A.N    V    (^0   MAI    1797) 

sion  ou  de  la  déportation  contre  les  prêtres  insermentés  ou  accusés 
d'incivisme,  ainsi  que  rontre  ceux  qui  les  avaient  cachés ,  et  de 
déclarer  enfin  que  les  individus  frappés  par  ces  lois  rentraient 
dans  la  classe  des  citoyens.  —  Ces  projets  attaquaient  les  préju- 
gés révolutionnaires  que  le  parti  des  immoraux  avait  entretenus 
et  propagés  avec  le  plus  de  soin  ,  des  préjugés  contre  lesquels  les 
volontés  de  la  majorité  du  comité  de  salut  public  avaient  échoué. 
Cependant ,  le  27  messidor,  le  conseil  des  cinq-cents  adopta  le 
projet  de  Dubruel.  Quant  à  celui  de  C.  Jordan,  une  seule  ques- 
tion parut  importante;  c'était  celle-ci  :  e  Exigera-t-on  une  décla- 
•  ration  des  ministres  des  cultes?  >  Après  plusieurs  épreuves 
douteuses*,  on  en  vint ,  le  28,  à  l'appel  nominal.  Deux  cent  dix 
voix  se  prononcèrent  pour  la  négative  ;  deux  cent  quatre  pour 
l'aflirmaiive.  Ce  résultat  fut  proclamé  aux  applaudissemens  des 
tribuues,  et  aux  cris  de  vive  la  République  !  poussés  par  les  in- 
croijables ,  dont  l'importance  de  la  question  avait  appelé  un  grand 
nombre  à  la  séance.  Le  conseil  des  anciens  adopta  le  projet  de 
Dubruel  le  5  fructidor. 

Le  o  messidor,  l'un  des  plus  ardens  orateurs  de  l'opposition 
roya'iste,  Du:nolard  fit  une  motion  qui  indigna  généralement, 
p.ipce  que  tout  le  monde  crut  y  voir  une  attaque  contre  l'un  des 
généraux  dont  la  République  avait  re^u  le  plus  de  services.  Du- 
molard  (lemanda  comment  d  refaisait  que  le  conseil,  n'eût  pas  été 
instn.K  des  événemens  qui  venaient  de  changer  la  situation  des 
états  de  Venise  et  de  Gènes  ;  suivant  lui ,  le  directoire  avait  com- 
mis une  usurpation  de  pouvoir,  en  réglant  celte  affiiire  sans  con- 
sulter le  corps  législatif  :  enfin,  il  demanda  dans  quel  Code  était 
écrit  le  droit  que  s'était  arrogé  le  corps  législatif  de  s'immiscer 
dans  lu  constitution  politique  d'un  peuple?  •  Outragés  par  les  Vé- 
»  niiiens,  s'écria-t-il ,  eiait-ce  à  leurs  institutions  politiques  que 
»  nous  avions  le  droit  de  d^^clar^r  la  guerre?  Vainqueurs  et  con- 
»  quérans,  nous  appartenait-il  de  prendre  une  part  active  à  leur 

9  révolution    en  apparence  inopinée ?  On  s'est  essayé  sur 

>  Venise,  et ,  Ir-ri  de  votre  indulgence ,  on  a  fait ,  dit-on  ,  sur  la 


AU   48   FRUCTIDOR  AN   V   (  4   SEPTEMBRE   1797  ).  281 

»  république  de  Gênes  une  tentative  du  même  genre ,  et  non 
»  moins  heureuse  î  X 

Dumolard  termina  son  discours  en  proposant  d'adresser,  à  ce 
sujet,  un  îriessage  au  directoire.  Cette  moiion  donna  lieu  à  une 
discussiou  assez  vive.  Garran  de  Cpulon ,  Bailleul ,  Guillemardet, 
soutinrent  que  la  conduite  de  l'autorité  executive  était  constitu- 
tionnelle. Boissy-d'Anglas ,  Bornes ,  appuyèrent  l'avis  de  Dumo- 
lard. Enfin  on  renvoya  la  proposition  à  l'examen  d'une  commis- 
sion.—C'était  un  acte  très-irnprudent ;  carie  général  Bonaparte 
et  ses  amis  devaient  la  considérer  comme  une  menace  qui  leur 
était  indirectement  adressée;  le  directoire,  comme  l'intention 
d'accaparer  sa  propre  autorité  ;  les  républicains,  comme  le  projet 
d'arrêter  les  progrès  delà  révolution. 

Toutes  ces  motions  successives  donna  ent  lieu  à  des  bruits  qui 
acquéraient  de  jour  en  jour  plus  de  crédit.  On  disait  hautement 
que  les  conseils  voulaient  renverser  le  directoire ,'  les  commen- 
taires des  journaux  et  des  clubs,  les  nombreuses  réunions  du  club 
de  Clichy,  les  imprudences  et  la  hardiesse  des  conversations  ou 
des  délibérations  qui  y  avaient  lieu  ,  donnaient  à  ces  bruits  une 
probabilité  considérable.  On  répétait  que  Gilbert-Desmolières,le 
rapporteur  perpétuel  de  la  commission  des  finances  aux  cinq- 
cents,  le  grand  calculateur  de  l'assemblée,  avait  dit  qu'il  affamerait 
le  directoire.  Quelques  discours  des  députés  défenseurs  du  gou- 
vernement, confirmaient  la  rumeur  publique;  ils  argumentaient 
vulgairement  de  la  lutte  scandaleuse  que  les  commissions  des  fi- 
nances soutenaient  contre  lui  ;  ils  demandaient  si  l'on  voulait  l'em- 
pêcher d'agir.  Dans  des  articles  de  journaux,  dans  des  brochures, 
on  faisait  remarquer  que  c'çtait  sous  de  telles  attaques ,  que 
Louis  XVI  avait  succoîiibé.  Aussi,  l'opposition  crut  devoir  se  dé- 
fendre des  intentions  qu'on  lui  prêtait,  en  prouvant  que  le  direc- 
toire avait  tort ,  qu'elle  était  dans  son  droit,  que  le  défaut  d'ar-  . 
};enl  dont  se  plaignait  celui-ci  dans  ses  messages  quotidiens,  que 
la  souffrance  des  services ,  étaient  ou  de  sa  faute,  ou  un  effet  de  sa 
voioiilé.  Ainsi ,  le  !2(»  prairial ,  Gilbert-Desmolières  apporta  ses 


282  DIRECT.    —  DU  i«r  PRAIR.   AN   V    (  20  MAI   1797  ) 

chiffres  à  la  tribune  ;  il  évaluait  le  total  des  recettes  de  l'an  5 , 

à  422,100,000,  les  dépenses  à  595,000,000.  En  voici  le  détail  : 

Revenus   des   forêts 30,000,000 

Contribution  foncière.     .     .     .     .     .     .  240,000,000 

Contribution  personnelle 60,000,000 

Régie  de  Tenregistrement ,  timbre ,  etc.  f)o,000,000 

Patentes 15,000,000 

Postes  et  messageries 5,500,000 

Douanes G.600,000 

Total  des  recettes  ordinaires.       422,100,000 
Dépenses  ordinaires  .     .     .       595,000,000 

Excédant.        27,100,000 

Tel  était  le  thème ,  tels  étaient  les  chitïres  sur  lesquels  s'ap- 
puyait le  rapporteur.  Nous  ne  parlons  pas  de  la  critique  de  dé- 
tail dont  les  opérations  du  gouvernement  lui  offraient  à  chaque 
instant  l'occasion. 

Le  9  messidor  (4  juillet),  l'opposition  s'expliqua  et  répondit  di- 
rectement aux  calomnies  qu'on  répandait ,  disait-elle ,  sur.  son 
compte,  et  dont  on  prenait  le  motif  clans  sa  conduite  en  matière 
de  finances.  Vaublanc  vint  s'indigner  contre  les  accusations  qu'on 
portait  contre  le  conseil  :  il  n'était  pas  vrai,  selon  lui.  que  le  conseil 
voulût  refuser  des  fonds  au  gouvernement,  et  l'empêcher  de  faire 
la  guerre  :  rien  de  plus  faux  que  les  imputations  dirigées  contre 
une  partie  des  membres  du  conseil,  qu'on  accusait  de  feindre  du 
respect  pour  la  Constitution,  mais  de  vouloir  la  détruire.  <  Croyez, 
»  dit-il  en  terminant,  que,  quelles  qu'aient  été  les  opinions  de 
>  ceux  qu'on  inculpe,  la  Constitution  n'a  pas  de  plus  zélés  défen- 
»  seurs.  >  (Moniteur,] 

Le  même  jour,  le  conseil  des  anciens  rejeta  la  résolution  des 
cinq-cents,  qui  remettait  à  la  trésorerie  seule,  le  soin  de  ces  négo- 
ciations. Dupont  de  Nemours  profita  de  cette  circonstance ,  pour 
défendre  l'opposition  qui  avait  lieu  aux  cinq-cents,  et  pour  lui 
donner,  en  même  temps,  une  leçon  de  prudence. 


AU  i8  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     285 

«  Le  conseil  des  cinq-cents  a  vu  avec  douleur,  disait-il,  l'arriéré 
D  déplorable  d'une  multitude  de  dépenses  extrêmement  pressantes; 
»  les  fonctionnaires  publics  non  payés  à  Paris  et  dans  les  dépar- 
»  temens ,  depuis  trois  ou  quatre  mois  ;  les  prisons ,  les  hospices 
*  civils,  dans  un  état  de  dénûment  affreux.  Cependant  le  direc- 
»  toire  a  eu  à  sa  disposition,  dans  les  trois  derniers  mois,  quatre- 
j  vingt-dix-sept  millions  de  recettes  effectives  ea  ecus,  sans  comp- 
»  ter  les  contributions  levées  dans  les  pays  étrangers  par  nos  ar- 
»  mées,  qui''se  montent  à  vingt  millions  au  moins  ,  peut-être  au 
»  double.  D'autre  part,  l'armée  dlîaîie,  au  lieu  de  coûter,  rap- 

>  porte;  celle  du  nord  est  presque  entièrement  défrayée  par  la 

>  République  batave ,  et  celles  de  Hoche  et  de  Moreau  vivent  en 
»  partie  sur  le  pays  ennemi.  C'est  au  milieu  de  cetîe  richesse 

>  très-réelle,  de  ces  positions  militaires,  si  propres  à  ménager  les 
»  dépenses,  que  Ton  a  sans  cesse  parlé  de  la  pénurie  des  finances; 

>  que  l'on  a  tout  laissé  périr  de  misère,  rentiers,  employés ,  hô- 
»  pitaux ,  prisons.*Le  conseil  des  cinq-cents  a  vu ,  et  l'on  peut 
»  voir  comme  lui,  qiïe  le  mal  vient  d'un  gaspillage  ruineux  dans 

>  les  dépenses  qui  se  font,  et  d'une  distribution  imparfaite  dans 
»  celles  qui  se  paient.  »  L'orateur  cherche  ensuite  à  établir  cette 
double  vérité  :  il  rappelle  un  message  effrayant  du  25  prairial  sur 
le  dénûment  des  hôpitaux ,  dans  lequel  on  disait  que  les  enfans 
manquaient  de  lait!  Pour  rendre  le  fait  plus  véritable ,  le  26,  la 
distribution  des  fonds  qui  leur  étaient  destinés  avaient  été  suspen- 
due, et  l'argent  donné  auxbâtimens.  t  Le  but  manifeste  du  direc- 
»  toire  était  d'entraîner  le  corps  législatif,  par  lei  cris  des  em- 

>  ployés,  par  les  larmes  des  indigens  et  des  malades ,  dénués  de 
ï  secours,  a  décréter  beaucoup  d'impositions  nouvelles  ,  qui  au- 

>  raient  mis  beaucoup  de  places  à  sa  disposition.  11  est  donc  im- 
»  possible  de  désapprouver  le  motif  de  la  résolution  du  conseil 
/des  cinq-cents  :  mais  ce  motif  ne  peut  faire  approuver  une  ré- 

>  solution,  dont  les  dispositions  obscures  et  imprudentes,  se- 
rt raient  subversives  de  tous  les  principes  d'administration.  i> 
(Moniteur,) 

Les  avis  de  Dupont  de  Nemours  ne  rendirent  pas  plus  sages 


284  DIRECT.    —    DU   1^^    PRAIR.   AN    V    (  20   MAI  1797  ) 

ceux  auxquels  il  les  adressait,  car,  le  lendemain,  un  membre  pro- 
posa aux  cinq-cents,  de  suspendre  la  vente  des  biens  nationaux  en 
Belgique,  ou  en  d'autres  termes,  d'éteindre  la  source  avec  laquelle 
on  satifaisait  aux  dépenses  extraordinaires.  iNéanmoins  cette  mo- 
tion fut  appuyée  et  prise  en  considération. 

L'opinion  publique  aurait  pu  ne  voir,  dans  celte  marche  du 
conseil,  que  l'effet  de  l'indignation  éprouvée  par  d'honnêtes  gens 
contre  les  malversations  de  quelques  membres  du  pouvoir  exé- 
cutif, ou  de  justes  représailles  contre  un  gouvernement  qui  lui 
faisait  la  guerre.  Peut-être  beaucoup  de  gens  pensaient  ainsi  ^ 
mais  la  conduite  de  la  même  opposition  sur  d'autres  questions,  ne 
permettait  pas  de  croire  raisonnablement  que  tels  fussent  ses  mo- 
tifs. Nous  allons  transcrire  ici  une  séance  qui  donnera  une  idée  du 
langage  des  deux  partis  à  la  tribune  des  cinq-cents;  il  s'agissait 
d'abord  d'une  motion  ayant  pour  but  de  régler  la  position  des 
émigrés  d'Alsace  qui  étaient  rentrés.  • 

CONSEIL  DES  CINQ-CENTS.  —  Séaiice  du  16  messidor. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion  sur  les  émigrés 
du  Haut  et  du  Bas-Rhin. 

Bailleul  soutient  que  le  projet  est  contraire  à  la  constitution , 
en  ce  qu'il  introduit ,  en  faveur  de  ces  individus ,  des  exceptions 
qui  ne  sont  pas  exprimées  dans  les  lois  anciennes;  il  envisage  en- 
suite la  qucsiioii  sous  le  rapport  des  conséquences  funestes 
qu'elle  pourrait  avoir  dans  les  circonstances  actuelles. 

»  Dans  quel  moment,  s'éciie  l'orateur,  vient-on  vous  proposer 
un  prdjet  pareil?  c'est  lorsque  les  émigrés,  reutraLt  cl  rentrés 
enfouie,  mettent  tout  en  œuvre  pour  opérer  la  contre-révolu- 
tion (murmures);  c'est  lorsque  les  prêtres  déportes  prêchent 
partout  le  massacre  et  la  révolte  (murmures);  c'est  lorsque  les 
acquéreurs  des  bi^ns  nationaux  sont  intimidés,  insultés,  assas- 
sinés ;  c'est  lorsijue  plus  dt*  trois  cenîs  républicains ,  dans  un  seul 
département,  viennent  de  tomber  sous  le  fer  des  égorgeurs. 
(  Murmures.  Plusieurs  voix  :  Nommez  le  département.  Doulcet  : 
Je  demande  la  parole.)  Ce  n'est 'pas  que  je  dise  qu'on  veuille, 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797).     285 

dans  celte  enceinte,  systématiser  un  plan  de  contre-révolution; 
mais  je  soutiens  qu'elle  sera  fe  résultat  nécessaire  de  tout  ce 
que  l'on  vous  propose  de  décréter.  (  Murmures.  )  Vous  pouvez 
bien  mepfiser  mes  assertions  ;  mais  vous  ne  serez  pas  les  maîtres 
d'arrêter  le  torrent  des  maux  qui  nous  menaceni.  On  invoque 
ici  la  justice,  l'humanité!  Barbare  humanité!  justice  cruelle! 
qui  tend  à  faire  peser  une  terreur  nouvelle  sur  les  républicains 

dans  toute  la  France.  > 

Dumolard,  «  Je  demande  la  parole.  » 

>  Je  mets  sous  vos  yeux  les  cadavres  expiraps  des  administra- 
teurs ,  des  acquéreurs  de  biens  nationaux ,  impitoyablement 
massacrés  ;  tous  ces  crimes  sont  impunis  ,  et  l'on  vous  propose 
d'attiser  le  feu  qui  nous  dévore,  et  de  sonner  les  cloches.  (Ris 
et  murmures.)  Loin  d'appeler  sur  la  France  tant  de  fléaux ,  votre 
soin  devrait  être  de  les  repousser. 

»  Je  demande  1°  la  question  préalable  sur  le  projet; 

i  2°  Le  renvoi  de  la  pétition  des  administrateurs  du  Bas-Rhin 
au  directoire,  pour  y  avoir  égard ,  dans  le  cas  où  il  y  serait  au- 
torisé par  les  lois  existantes  ; 

»  3°  Un  message  pour  demander  au  directoire  des  renseigne- 
mens  sur  la  rentrée  des  émigrés.  (  Quelques  membres  du  bureau 
insultent  l'opinant  :  celui-ci,  se  tournant  vers  eux,  s'écrie  :  Je 
demande  si  ceux  qui  sont  au  bureau  y  ont  été  placés  pour  dire 
des  insultes  à  l'orateur.  ) 

»  4"  Un  rriessage  pour  demander  au  directoire  un  compte  de 
la  situation  de  la  République ,  quant  à  la  sûreté  des  personnes  , 
et  au  respect  pour  les  propriétés.  » 

On  réclame  l'impression. 

Le  président,  t  On  réclame  l'impression  du  discours  ;  mais 
j'observe  ([ue  Doulcet  et  Dumolard  ont  demandé  la  parole.  Je 
raccorde  à  Doulcet.  i» 

DoiUcet,  «  Je  m'oppose  à  l'impression ,  et  cela  par  deux  motifs  : 
1  celui  de  l'économie.  (On  rit.)  Quoiqu'on  ait  ri ,  quand  j'ai 
parlé  économie,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  n'est  pas  une  seule 
dépense  qui  ne  pèse  sur  le  peuple,  et  que  nous  devons  en  être 


286        DIRECT.   —  DU  1er  pRAlR.   AN  V   (  20  MAI  1797) 

avares.  2"  Celui  de  la  paix  publique.  Nous  avons  tous  été  frappes 
des  digressions  dans  lesquelles  l'orateur  est  entré  ,  et  qui  ne  sont 
propres  qu'à  exciter  des  troubles  dans  cette  enceinte,  et  par 
suite  dans  la  République.  (3Iurmures.)  Il  n'est  point  ici  ques- 
tion de  cloches  ,  ni  de  presbytères ,  mais  des  émigrés  du  Bas- 
Rhin.  Plus  les  circonstances  où  nous  nous  trouvons  sont  graves  , 
plus  la  tranquillité  intérieure  est  menacée  ,  plus  on  doit  écarter 
du  sein  de  cette  assemblée  les  brandons  de  la  discorde.  Yoilù 
pourquoi  je  m'oppose  à  l'impression  d'un  discours  qui  contient 
des  assertions  effrayantes,  mais  non  prouvées,  jiur  la  situation 
actuelle  de  la  République.  > 
On  réclame  la  clôture  de  la  discussion.  Elle  est  refusée. 
Villers,  «  Je  réponds  au  préopinant  que  dans  une  matière 
aussi  importante,  l'économie  n'est  pas  un  motif  à  mettre  en  avant. 
Quand,  dans  une  question  semblable,  cet  orateur  vo'us  prononça 
un  discours  de  deux  heures  et  demie,  et  qui ,  il  faut  le  dire ,  ne 
fut  pas  d'un  grand  intérêt  pour  la  chose  publique ,  on  ne  fit  pas 
valoir  un  pareil  motif.  ^ 

»  Bailleul  vous  a  dit  que  les  acquéreurs  des  domaines  natio- 
naux  sont  assassinés  dans  les  dépariemens  ;  mais  il  y  a  ici  des 
représenians  qui  peuvent  attester  les  faits.  (Quelques  voix  :  Oui, 
oui.)  S'ils  sont  vrais  ,  quel  danger  y  aurait-il  donc  à  les  impri- 
mer? Ne  devriez- vous  pas  le  faire,  afin  d'écarter  de  vous  le  re- 
proche que  l'on  pourrait  vous  faire  d'approuver  des  atrocités 
pareilles?  (Violens  murmures.  )  En  effet ,  quels  sont  les  hommes 
en  faveur  desquels  on  cherche  à  vous  intéresser?  (Plusieurs 
voix  :  Président ,  rappelez  l'orateur  à  la  question.  )  d 
Le  président,  t  J'invite  l'orateur  à  se  renfermer  dans  la  question .  » 
«  Villers.  «  Si  vous  voulez  prononcer  en  connaissance  de  cau§e, 
vous  ne  pouvez  ne  pas  ordonner  l'impression  du  discours.  » 

Dumoiard.  «  Au  nom  de  la  tranquillité  publique,  je  demande 
l'ordre  du  jour.  Je  ne  m'arrête  pas  aux  raisons  d'économie ,  bien 
qu'elles  ne  soient  pas  à  négliger.  Mais. dos  motifs  d'une  plus  haute 
importance  commandent  ici  votre  attention  :  si  Bailleul  eût  exa- 
miné seulement  la  question  dans  ses  rapports  avec  l'acte  consti- 


AU  i8  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).  28? 

lutionel,  j'aurais,  de  grand  cœur,  voté  pour  l'impression  de  son 
discours,  car,  dans  une  matière  aussi  délicate,  et  qui  tient  d'aussi 
près  aux  dispositions  du  pacte  social ,  il  faut  se  conduire  avec 
réserve,  et  ne  se  décider  qu'après  un  mûr  examen. 

j  Mais  Bailleul  s'est  jeté  dans  des  digressions  qui  forment  les 
trois  quarts  de  son  travail.  Il  ne  vous  a  point  parlé  du  Bas-Rhin  ; 
mais  du  système  qu'il  nous  suppose,  de  rappeler  les  émigrés  et 
de  renverser  la  République.  Oui,  il  existe  un  système,  mais  de 
diffamation  et  de  calomnies  contre  les  représentansdu  peuple.  11 
n'est  pas  un  des  membres  du  conseil  qui  ait  l'intention  de  ren- 
verser la  Constitution,  et  de  rappeler  les  émigrés.  Ces  bruits  sont 
répandus  pour  tromper  nos  collègues ,  et  semer  la  division  dans 
cette  enceinte.  Il  est  des  hommes  intéressés  à  les  répandre ,  ce 
sont  ceux  qui ,  désespérés  de  voir  la  constitution  affermie  sur  ses 
bases,  le  règne  de  la  justice  à  l'ordre  du  jour,  redoutent  le  jour 
qui  éclairera  leurs  dilapidations ,  qui  punira  leurs  friponneries. 
»  Je  demande  l'ordre  du  jour  sur  l'impression  de  l'opinion  de 
Bailleul;  l**  comme  calomnieuse^  car  il  n'a  fait  que  des  dénon- 
ciations vagues  et  sans  preuves,  et  il  n'est  pas  un  de  nous  qui , 
par  sa  correspondance  particulière ,  ne  soit  en  état  de  le  démen- 
tir; 2^  comme  injurieuse  au  gouvernement.  A-t-on  entendu  les 
membres  du  conseil  que  l'on  inculpe  dans  certains  journaux  ,  en- 
courager ici  les  assassinats  ?  Mort  aux  assassins  de  toutes  les  cou- 
leurs ;  nous  ne  voulons  ni  action  ,  ni  réaciion.  Mais  est-ce  nous 
qui  avons  les  moyens  de  maintenir  la  tranquillité  publique  ?  Ne 
sont-ils  pas  tous  à  la  disposition  du  directoire  ?  IN'a-l-il  pas  sous 
sa  main  les  administrations,  les  tribunaux ,  la  force  armée ?^S'il 
craint  que  la  tranquillité  publique  ne  soit  troublée,  en  envoyant 
un  prévenu  au  tribunal  du  lieu,  ne  peut-il  pas,  par  le  recours  au 
tribunal  de  cassation  le  renvoyer  à  un  autre?  N'a-t-il  pas  le  droit  de 
décerner  des  mandats  d'arrêt?  Le  directoire  a  tous  les  moyens 
légaux  de  maintenir  l'ordre  ;  et  dire  ici  que  cet  ordre  est  trou- 
blé, c'est  dire  en  d'autres  termes  que  le  directoire  l'a  voulu,  ou 
qu'il  l'a  laissé  faire.    L'opinion  de  Bailleul  est  donc  injurieuse 
pour  le  gouvernement. 


î288  DIRECT.    —   DU    1er   praIR.   AN    V    (i20  MAI   1797). 

y  Vous  êtes  truDipés  par  des  hommes  qui  ont  joué  lofis  les 
rôles ,  qui  ne  sont  point  acquéreurs  de  domaines  nationaux , 
mais  spoliateurs  de  biens  parâculiers ,  et  qui  craignent  que  le 
jour  de  la  justice  n'éclaire  leur  turpitude,  et  n'imprime  sur  leur 
front  le  cachet  de  l  infamie.  Au  reste ,  je  fais  ici  hautement  ma 
profession  de  foi ,  et  je  déclare  qu'il  faut  être  ou  bien  inepte,  ou 
bien  scélérat ,  pour  tenter  de  renverser  le  gouvernement.  Le 
gouvernement  peut  marcher,  il  a  en  main  toute  la  force  néces- 
saire pour  fa  re  exécuter  les  lois.  La  constitution  est  sage,  elle 
sera  respect»  e.  Les  acquéreurs  léj';ilimes  de  biens  nationaux  se- 
ront maintenus.  Aux  yeux  de  la  loi ,  lous  les  cultes  sont  égaux  ; 
aucun  ùe  sera  piivilégié;  enfin  la  justice  est  à  l'crdre  du  jour,  la 
justice  qui  est  la  première  base  et  la  plus  solide  garantie  de  la 
Constitutiou.  Je  de-nande  l'ordre  du  jour.  —  Adopte  à  la  majo- 
rité. > 

On  fait  lecture  a  un  message  du  directoire  sur  la  situation  de 
la  commune  de  Lyon.  Cette  cité  intéressante  par  sa  population  et 
par  son  commerce ,  y  e^t-il  dit ,  recèle  dans  son  sein  une  fou'e  de 
brigands  qui  y  commettent  des  vols,  des  voies  de  fait,  des  as- 
sassinats. (Plusieurs  voix  :  C'tst  faux.)  Des  r^nseignemens  précis 
apprennent  que  les  brigands  ,  connus  sous  le  nom  de  chauffeurs 
et  de  Jésus ,  y  sont  organisés  en  compagnies.  (Mêmes  voi^.  :  C'est 
faux.)  Leur  nombre  s'augmente  chaque  jour  parles  dëicrteurs, 
les  réquisiiionnaires  et  les  émigrés  rentrés.  (Murmures.)  Leur 
haine  connue  pour  le  gouvernement  républicain  y  fomente  tous  les 
désordres  ;  les  acquéreurs  de  domaines  nationaux  y  sont  assas- 
sinés. (Murmures.  Quelques  voix  :  Ah  !  voilà  Bailleul.  )  Ces  excès 
se  commettent  également  dans  les  départemens  voisins.  Le  5  de 
ce  mois,  un  n*aréchal-des-logis  a  été  poignardé  ;  le  27  prairial , 
un  capitainedeg.  n  iarmerie  a  été  tué,  dans  larue  Écorchebœuf. 
Le  directoire:»,  employé  tous  les  moyens  pour  la  [)oursuitodeces 
délits,  ils  ont  été  inutiles.  Le  zèle  des  autorités  est  sans  succès  ;  la 
gendarmerit%  mal  équipée,  mal  payée,  ne  fait  pas  son  devoir.  LeS^ 
coupables,  traduits  devant  les  tribunaux,  sont  acquittés  soit  par 
terreur;  ou  pour  tout  autre  motif;  on  ne  trouve  point  de  lé- 


AU  18  FRUCTIDOR   AN   V    (4   SEPTEMBRE  1797  ).  289 

moins,  point  de  jurés  :  il  résuite  de  cette  impunité,  que  le  peu- 
ple se  fait  justice. 

*  Ainsi,  le  25  floréal,  trois  voleurs  ont  été  jetés  dans  la  Saône  ; 
d'autres ,  qui  étaient  exposés  sur  l'échafaud ,  ont  été  massacrés. 
Le  !«>*  de  ce  mois ,  un  homme ,  prévenu  d'être  chauffeur,  a  été 
pris  sur  le  pont  Saint-Vincent ,  et  jeté  à  la  Saône.  Le  directoire 
annonce  néanmoins  qu'il  est  bien  éloigné  de  rejeter  l'odieux  de 
tous  ces  crimes  sur  les  autorités  constituées  et  sur  la  masse  des 
citoyens;  il  déclare  qu'il  a  épuisé  tous  les  moyens  constitutionnels, 
et  il  demande  que  le  corps  législatif  prenne  incessamment  les  me- 
sures qui  sont  en  son  pouvoir.  Tels  que  ceux  d'assurer  les  fonds 
pour  le  paiement  des  fonctionnaires ,  de  la  gendarmerie  et  de  la 
police  ;  de  suppléer  à  l'insuffisance  des  lois  constitutionnelles  et 
pénales.  » 

On  réclame  l'impression. 

Camille  Jordan,  a  Vous  avez  tous  remarqué  le  rapport  intime 
qui  existe  entre  ce  message  et  l'opinion  de  notre  collègue.  (Vio- 
lens  murmures.)  Bien  loin  de  reprocher  au  directoire  son  mes- 
sage, je  lui  en  rends  des  actions  de  grâces,  puisqu'il  me  fournit 
l'occasion  de  prendre  à  cette  tribune  la  défense  de  ma  malheu- 
reuse patrie,  et  de  jepousser  loin  d'elle  les  inculpations  calom- 
nieuses dont  on  s'est  plu  si  souvent  à  la  noircir. 

»  Si  le  directoire  vous  montrait  sa  correspondance  officielle, 
vous  verriez  que  les  voies  de  fait  dont  il  est  ici  question  ,  sont 
étrangères  aux  opinions  politiques;  la  plupart  n'ont  eu  Heu  que 
sur  des  voleurs  pris  en  flagrant  délit.  (Murmures.  )  C'est  du  sein 
de  la  misère,  et  de  l'insuffisance  des  lois  que  naissent  ces  crimes, 
et  non  d'un  système  d'assassinat.  De  toutes  les  communes  de  la 
République,  il  n'en  est  aucune  où  la  rage  révolutionnaire  ait 
exercé  ses  fureurs  avec  plus  d'atrocité  qu'à  Lyon.  Il  n'y  a  pas  une 
famille  qui  n'ait  à  y  pleurer  la  perle  d'un  parent,  d'un  ami;  la 
réaction  dont  on  se  plaint  n'est-elle  donc  pas ,  jusqu'à  un  certain 
point,  naturelle?  (Violens  murmures. Trépignemens de  pied.  On 
s'écrie:  A  l'ordre,  à  l'ordre.)  Depuis  deux  mois  que  les  nou- 
veaux magistrats  ont  été  nommés,  les  assassinats  se  réduisent  à 
T.  XXX vn,  19 


^)  DIRECT.    —    DD   le''   PRAIR.    AN    V    {"20    MAI   1797) 

un  seul ,  celui  d'un  membre  du  tribunal  révolutionnaire,  qui  a  été 
poignardé  par  un  jeune  homme  dont  il  a  lui-même  assassiné 
le  père.  Mais  tous  ces  crimes  sont  désavoués  par  l'immense  ma- 
jorité des  citoyens  de  Lyon.  La  jeunesse  de  Lyon,  brave  et  fière, 
sait  se  battre  et  non  assassiner. 

»  Le  directoire  nous  dénonce  ces  faits  ;  mais  c'est  à  nous  à  les 
lui  dénoncer.  Il  n'y  a  pas  une  commune  dans  la  République  ,  où 
il  exerce  tant  de  pouvoir  ;  tout  y  est  soumis  à  l'autorité  militaire  ; 
six  mille  hommes  de  garnison  devraient  y  maintenir  la  police,  si 
elle  n'était  confiée  à  un  bureau  central ,  composé  d'hommes 
ineptes,  dont  l'un  sait  à  peine  lire  et  écrire.  Voilà  les  individus  à 
qui  le  directoire  remet  le  maintien  de  la  tranquillité  dans  une 
commune  aussi  populeuse  que  Lyon. 

»  Lorsqu'au  i9  mai ,  l'infâme  municipaliié  Ghalier ,  de  concert 
avec  de  féroces  proconsuls,  fit  mitrailler  nos  concitoyens  sur  la 
place  des  Terreaux  ;  lorsque  Lyon  ,  indigné,  se  leva  tout  entier 
dans  cette  journée  mémorable ,  renversa  la  tyrannie  municipale, 
au  même  instant  où  les  Parisiens  succombaient  sous  le  joug  de 
Robespierre,  est-ce  par  des  assassinats  que  les  Lyonnais  souillè- 
rent leurs  mains  victorieuses?  Non,  les  tyrans,  les  assassins  du 
peuple  furent  remis  aux  tribunaux;  on  laissa  à  la  justice  le  soin 
de  les  punir. 

»  Pendant  la  durée  de  ce  siège  mémorable,  où  Lyon  luttait 
contre  le  despotisme  et  le  faisait  trembler,  où  les  cadavres  en- 
tassés de  ses  concitoyens  attestaient  leur  amour  pour  la  liberté, 
leur  horreur  de  la  tyrannie,  lorsque  de  toutes  parts  nos  maisons 
étaient  renversées  ou  brûlées  par  la  foudre  prétendue  républi- 
caine, comment  se  comportèrent  les  Lyonnais  à  Fégard  des  pri- 
sonniers blessés?  ils  les  traitaient  en  frères,  ils  leur  prodiguaient 
tous  les  secours  de  l'art,  tous  les  soins  de  l'amitié.  Nous  avons 
tout  perdu.  Nos  édifices ,  écrasés  par  la  bombe ,  renversés  par 
le  boulet,  démolis  par  le  marteau  révolutionnaire,  n'offi  ent  dans 
toutes  les  rues  que  des  ruines.  Pendant  notre  longue  proscription, 
nos  biens  vendus  ,  notre  mobilier  pillé,  nous  ont  été  restitués  en 
assignats  dépréciés,  en  bons  de  nulle  valeur;  nous  avons  supporté 


AU  i8  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     ^91 

tous  ces  sacrifices,  nous  les  avons  déposés  sur  l'autel  de  la  patrie. 
Mais  qu'on  nous  arrache  aujourd'hui  la  dernière  consolation  qui 
nous  reste,  celle  d'être  de  bons  citoyens,  ah  !  c'est  ajouter  au 
sentiment  de  nos  maux  passés ,  un  mal  plus  insupportable  ;  c'est 
rouvrir  nos  plaies  ,  c'est  nous  donner  le  coup  mortel. 

»  Lyon  est  tranquille;  ses  citoyens  s'y  livrent  au  commerce 
et  aux  arts ,  ils  ont  besoin  du  calme ,  ils  le  désirent ,  ils  attendent 
que  le  gouvernement  les  en  fasse  jouir.  Les  assassinats  qui  s'y 
commettent  viennent  de  l'extinction  de  la  morale  et  des  prin- 
cipes religieux.  (D'un côté  l'on  murmure.  On  crie  de  l'autre  : 
oui ,  oui. .)  Oui ,  j'ose  espérer  que  vous  adopterez  le  projet  sur  la 
police  des  cultes  ;  il  n'est  aucune  de  ses  dispositions  qui  ne  soit 
conforme  aux  principes .  Les  prêtres  déportés  seront ,  au  milieu 
de  nous ,  les  officiers  de  la  morale  et  de  la  paix.  (  Violens  mur- 
mures.) Je  deralbde  l'ordre  du  jour  sur  l'impression  du  message, 
et  son  renvoi  auMicommissions  compétentes.  » 

Villers  appuie  l'impression  du  message,  et  il  mvoque  le  témoi- 
gnage du  général  Villot  sur  la  vérité  des  faits  qui  y  sont  con« 
tenus. 

Béraud  parle  dans  le  même  sens  que  Camille  Jordan  ;  et  Ram- 
baud ,  en  appuyant  l'impression  du  message  ,  ajoute  les  obser- 
vations suivantes  :  *^ 

>  Les  coupables  exposés  sur  l'échafaud  n'en  ont  point  été 
arrachés.  En  subissant  leur  peine  ,  ils  insultaient  aux  citoyens 
qui  se  pressaient  autour  d'eux;  ils  disaient  :  «  Ah!  si  la  sainte 
guillotine  eût  bien  fait  son  devoir,  nous  n'aurions  pas  en  ce  ïpo- 
ment  autant  de  curieux  autour  de  nous.  »  Ces  mots  excitent 
de  violens  murmures  parmi  les  spectateurs  ;  les  coupables  en 
sont  effrayés;  ils  cherchent  à  s'évader  :  on  les  poursuit.  Les  sol- 
dats tirent  sur  eux ,  les  mettent  à  mort  et  blessent  en  même 
temps  plusieurs  citoyens. 

»  On  parle  de  la  rentrée  des  émigrés  à  Lyon.  Mais  qui  doit  y 
veiller?  Le  bureau  central.  Les  moyens  de  police  sont  insuffi - 
sans  dans  cette  commune.  Après  le  siège ,  on  a  renversé  les  murs, 
démoli  les  maisons  ;  la  ville  est  ouverte  ,  et  les  déconibres  qu'on 


292  DIRECT.    —   DU   l^r   PRAIR.    AN   V    (  20  MAI    1797) 

y  rencontre  à  chaque  pas,  offrent  un  asile  aux  malfaiteurs  et  aux 
étrangers.  Que  le  gouvernem  nt  nous  présente  des  moyens  de  les 
écarier,  et  nous  en  serons  infiniment  reconna  ssans. 

>  On  dit  qu'on  y  assassine  les  acquéreurs  de  domaines  natio- 
naux. Je  ne  réponds  à  celte  assertion  que  par  le  fait  suivant  : 
J'étais  à  Paris  depuis  dix-huit  mois,  lorsque  j'ai  été  nommé  aux 
fonctions  législatives,  à  une  majorité  de  deux  (ent  soixame-huit 
suffrages  sur  trois  cents.  Eh  bien  !  je  suis  acquéreur  de  biens 
nationaux,  ils  forment  les  trois  quarts  de  ma  fortune.» 

>  Magenore  avait  la  parole  ;  mais  le  conseil  ferme  la  discussion, 
ordonne  l'impression  du  n)essage ,  et  le  renvoi  de  chacun  des  ob- 
jets y  contenus  aux  commissions  compétentes. 

>  La  suite  de  la  discussion  sur  les  émigrés  du  Bas-Rhin  est 
ajournée  à  demain.  —  {Journal  de  Paris ,  an  V,  h^  288.  | 

Pour  bien  fpprécier  le  style  des  deux  partis,  il  faut  savoir  que 
Cf  Ite  séance  est  l'une,  de  celles  où  la  discussion  lut  le  plus  calme. 

Le  :î4messil^  (12  juillet),  le  député  Duplaniier  vint  fuireun 
rapport  au  nom  d'une  commission  chargée  de  présenter  un  pro- 
jet sur  les  sociétés  populaies,  dont  le  nombre  se  multipliait  dans 
une  direction  plutôt  ré}  ublicùne  que  monarchique;  car  chacun 
alors,  ainsi  que  nous  le  hsons  dans  le  Journal  de  Paris^  se  deman- 
dait :  •  De  quél  club  seiai-je?  »  et  c'était  une  manie  qui  se  pro- 
pageait avec  toute  la  vitesiC  d'une  mode  nouvelle.  Dans  ce  rap- 
port, il  parlait  ainsi  :  ^ 

€  Des  arsemiux  de  révolte,  des  ateliers  d'insurrecti(»n  s'établis- 

>  sent  ;  des  sci  lérais  veulent  ressaisir  par  les  echafauds  le  sceptre 

>  de  la  terreur  ;  mais  leurs  fratricid(;s  projets  sont  connus.  Les 
•  Jacol  ins,  aux  crimes  desquels  le  {)  thermidor  a  mis  un  terme  , 

>  prétendent  encore  influer  sur  l^s  déiibéraiions  du  conseil,  diri- 
)  ger  sa  marche  :  il  a  applaudi  à  l'énergie  du  directoire  loisque 

>  le  Panthéon  fut  fermé;  il  ne  souffrir  a  pas  queseshabilues  réor- 

>  ganisent  leur  bande  tcelér.ite.  Des  sociétés  populaires  s'é  èvent 
»  dans  un  {;ran(l  nombre  de  depanemens,  et  y  menacent  la  iran- 

>  quilliié  publique.  Il  en  existe  dcjà  une  grande  quantité  de  ce 

>  genre  à  Paris.  Des  complots  se  forment  contre  le  corps  législa- 


AU  48   FftUCTltoOïl  AN    V   (4  SEPTEMBRE  1797).  295 

•»  tif  ;  des  bataillons  de  prétendus  patriotes  s'orfïaiiisent;  les  armes 
»  sont  prêtes ,  les  signaux  convenus ,  on  n'attend  que  celui  du 
>  combat.  Les  conciliabules  nocturnes  se  multiplient  ;  et  les  Ja- 
»  cobins  qui  ont  inondé  la  France  de  larmes  et  de  sarg,  affluent 
1  dans  Paris.  Ce  n'est  pas  qu'on  veuille  contester  aux  citoyens 
»  le  droit  de  se  réunir  en  sociétés  particulières;  maison  veut 
»  qu'el'es  ne  puissent  point  donner  de  l'inquiétude.  »  Duplantier 
termina  en  proposant  un  projet  de  résolution,  dont  voici  les  bases: 
Chaque  société  particulière  n'aurait  pu  admettre  plus  de  dix 
membres  dans  les  communes  de  cinq  mille  âmes  et  au-dessous  ; 
>ingt  dans  les  communes  de  dix  à  vingt  mille;  trente  dans  celles 
de  trente  à  quarante  mille  habitans;  et  enfin  quarante  à  Paris, 
Bordeaux,  Lyon,  Marseille.  Aucune  de  ces  sociétés  n'aurait  pu  se 
réunir  plus  de  deux  fois  par  mois  ;  ellrs  auraient  été  sous  la  sur- 
veillance des  officiers  municipaux.  L'ordre  du  jour,  la  question 
préalable,  l'impression  sont  successivement  demandes.  Cooppé 
s'oppose  à  l'impression ,  persifle  le  projet  et  demande  l'ordre  du 
jour.  Vaublanc  réclame  l'impression  ;  Rampi  Ion  et  Bérenger,  la 
question  préalable;  Dumoiard  blâme  Couppé  de  s'être  essayé  à 
ridiculariser  le  rapporteur.  Bailleul  interpelle  vivement  l'opinant. 
Dumoiard  déclare  que  la  tranquillité  publique  est  attachée  à  une 
loi  répressive  des  clubs  et  à  la  prompte  réorganisation  de  la  garde 
nationale;  que  les  menaces,  les  calomnies,  et  la  promesse  auda- 
cieuse d'assassiner  plusieurs  représentans  du  peuple,  ne  l'empê- 
cheront pas  de  dire  la  vérité  :  le  projet  des  monstres  avides  de 
carna{]e,  est  connu,  dit-il  ;  il  sera  déjoué.  (Vive  agitation.)  Bailleul 
s'élance  à  la  tribune.  Il  se  plaint  des  injures  et  des  outrages  dé- 
versés sur  une  classe  indéfinie  de  citoyens  ,  sans  désignation  de 
ceux  à  qui  les  épithètes  odieuses  qu'on  leur  donne  doivent  être 
appliquées  :  il  ne  voit  des  monstres,  que  dans  ceux  qui  sont  tou- 
jours prêts  à  favoriser  des  prêtres  rebelles,  d'odieux  émigrés  ,  à 
accuser  et  à  calomnier  le  gouvernement  actuel.  «  Voilà  ceux,  dir_ 
»  il,  que  je  signale  comme  des  monstres  ;  mais  ,  vous ,  qui  dési- 
>  gnez-vous  sous  celte  épiihète?  »  —  Une  foule  de  voix  :  <  Les 
»  Jacobins,  >  —  Bailleul  :  «  Sont-ce  les  Jacobins  qui  assassinent 


:294         DIRECT.    —    DU    l«i    PRAIR.    AN    V    (20   MÀÏ    1797) 

»  sur  toute  l'étendue  (Je  la  République?  »  —  Les  mêmes  voix: 
«  Oui,  oui.  >  —  Bailleid  :  c  Comment!  quand  le  sang  des  répu- 
»  bilcains  couie  partout  à  grands  Ilots.  > — Les  mêmes  voix  :  «  Où 
donc,  où  donc?  >  —  Bailleid  :  «  Il  coule  à  Lyon,  il  coule  à  Mar- 
»  seille,  il  coule  dans  le  Midi,  dans  l'Ouest,  dans  le  Calvados...  » 
Murmures  violens,  cris  furieux.  Doulcet  demande  la  parole.  Une 
foule  de  membres  se  lèvent  en  gesticulant  et  en  criant  avec  force 
contre  Bailieul  ;  enfin  on  ferme  la  discussion  ,  et  l'on  ordonne , 
néanmoins,  l'impression  du  rapport  et  du  projet. 

—  Ainsi  la  majorité  montrait  une  partialité  qui  ne  permet- 
tait point  de  méconnaître  le  but  de  son  opposition  et  de  ses  atta- 
ques contre  l'administration.  Lorsque  l'anniversaire  du  14  juillet 
arriva ,  le  26  messidor,  à  une  motion  d'ordre  de  Jean-Debry, 
pour  la  célébration  de  cette  journée,  un  député  vint  répondre  par 
ces  mots  :  «  Oui,  célébrons  le  renversement  du  despotisme  ;  mais 
souvenons-nous  qu'un  despotisme  mille  fois  plus  affreux,  s'éleva 
sur  les  débris  du  premier  ;  et,  pour  ne  pas  1  oublier,  unissons  dans 
une  même  fête,  la  mémoire  du  jour  où  le  despotisme  démagogi- 
que fut  anéanti.  »  Ce  langage,  ces  regrets  à  peine  dissimulés,  celte 
marche  calculée  de  la  majorité,  n'échappaient  point  à  la  presse. 
Déjà  on  prévoyait  une  nouvelle  révolution  ;  on  le  disait  haute- 
ment. Les  écrivains  du  gouvernement  ne  voyaient  de  ressource 
que  dans  un  coup  d'étal.  On  trouve ,  dans  le  n*^  289  du  Journal 
de  Paris  (19  messidor),  un  article  signé  Billecocq ,  sur  les  appro" 
ches  dune  révoLiuion  7ionveUe.  L'auteur  en  appelle  à  l'énergie  du 

directoire. 

Les  constitutionnels  des  conseils,  effrayés,  avaient  déjà  com- 
mencé des  démarches  auprès  du  directoire.  Ils  s'étaient  adressés 
à  Carnotet  à  Barthélémy.  Ces  directeurs,  aussi  tourmentés  qu'eux- 
mêmes  d'une  direction  où  la  Constitution  était  compromise, 
avaient  écouté  leurs  ouvertures.  Le  parti  constitutionnel  croyait 
en  se  réunissant  aux  directoriaux  ,  pouvoir  former  une  majorité. 
Mais  il  voulait  imposer  une  marche  sage  et  légale  au  directoire, 
et  pour  cela  il  proposait  d'en  renforcer  la  minorité,  composée  des 
deux  membres  auxquels  il  s'adressait ,  par  un  ministère  compact 


AO  48  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  4797).  29S 

et  doué  du  meilleur  vouloir  républicain.  Il  voulait  donc  qu'on 
renvoyât  Merlin ,  Truguet ,  Ramel  et  Gh.  Delacroix.  Carnot  et 
Barthélémy  accédèrent  complètement  à  ces  propositions.  On  fit 
sonder  Barras  par  Villaret- Joyeuse,  qui  avait  avec  lui  des  relations 
de  plaisir.  Il  objecta  qu'on  aurait  l'air  de  céder  aux  criailleries 
des  journaux  ;  enfin  il  donna  sa  parole.  Alors  Carnot  proposa  le 
changement  dans  une  séance  du  directoire.  Rewbel  et  Laréveillère 
s'y  opposèrent  ;  Barras  fut  de  leur  avis  ;  et  la  négociation  échoua. 
Cette  circonstance  opéra  dans  le  sein  du  directoire,  une  séparation 
qui  n'existait  encore  que  parles  mœurs  et  le  caractère  ;  elle  valut 
à  Barthélémy  et  à  Carnot  la  proscription  qui  les  frappa  deux  mois 
plus  tard.  La  majorité  du  directoire,  composée  de  Barras,  Rew- 
bel et  Laréveillère-Lepaux,  s'entendit  de  manière  à  apporter  dans 
les  séances  uûe  opinion  toujours  prise  d'avance,  et  à  cacher  la 
partie  la  plus  importante  de  leurs  projets.  La  haine  de  ces  direc- 
teurs contre  les  conseils  était  fondée  sur  les  motifs  les  plus  puis- 
sans  qui  puissent  mouvoir  les  hommes.  Tous  trois  aimaient  le 
pouvoir;  tous  trois  étaient  menacés  de  le  perdre.  Barras  voyait 
dans  toutes  les  dénonciations  sur  les  malversations  des  finances , 
une  attaque  qui  lui  était  personnelle  ;  Rewbel  n'était  peut-être  pas 
complètement  étranger  à  ce  sentiment  ;  de  plus ,  il  éiait  danto- 
niste,  chicanier,  personnel ,  vindicatif.  Laréveillère  était  athée, 
chef  de  secte  ;  il  détestait  la  religion  comme  on  hait  un  ennemi 
personnel.  Ainsi  ces  trois  hommes  se  trouvèrent,  par  un  même 
motif ,  réunis  dans  la  suite  des  mesures  qui  se  terminèrent  au 
18  fructidor.  Ils  commencèrent ,  contre  l'avis  de  leurs  deux  col- 
lègues, par  renvoyer  les  ministres  qui  plaisaient  aux  constitution- 
nels,et  entre  autres,  Cochon  l'Apparent,  PetietetBénézech,etles 
remplacèrent  par  des  hommes  dont  l'avis,  dans  les  circonstances 
présentes,  était  trop  connu.  Ils  nommèrent  à  la  pohce,  Lenoir  La- 
roche qui  avait ,  la  veille ,  tapissé  les  murs  de  Paris  d'un  placard 
en  faveur  des  cultes  ;  à  la  marine,  Préville  Pelet;  aux  relations 
extérieures,  Talleyrand;  à  l'intérieur,  François  de  Neufchàteau  , 
à  la  guerre ,  Hoche  ;  mais  celui-ci  étant  trop  jeune  fut  remplacé 
par  le  général  Schérer.  Ce  ministère  nouveau  était  évidemment 


296        DIRECT.    —  1)U  jei   prair.   AN  V   (  i20  MAI   i797  ) 

composé  dans  des  inlentions  hostiles.  On  ne  pouvait  en  douter 
d'après  ce  que  l'on  savait  des  conversations  tenues  dans  les  sa- 
lons où  ils  éiaient  habitués,  d'après  les  révélations  des  minis- 
tres destitués.  Peiiet  annonça  qu'il  avait  appris  indirectement 
que  des  troupes  faisant  partie  de  l'armée  de  Ilo^  he  étaient  ar- 
rivées auprès  de  Paris,  sans  que  lui,  ministre  de  la  guerre,  en 
eût  donné  ordre,  et  sans  ordre  connu  du  directoire.  D'un  auire 
côté,  on  disait  dans  les  salons  minisiériels,  dans  celui  de  ma- 
dame de  Staël,  queCarnol,  Barthélémy,  Peiiet,  Cochon  et  Bé- 
nézcch  étaient  des  royalistes.  Enfin  les  craintes  des  constitution- 
nels furent  portées  au  comble ,  lorsqu'ils  apprirent  que  Lacuée, 
ami  intime  de  Carnot,  disait  que  tout  était  perdu  si  l'on  ne  pre- 
nait pjs  des  mesures  décisives ,  telles  que  l'arrestation  de  Barras. 
Il  y  eut,  à  cette  occasion,  une  réunion  où  se  trouvaient  aussi  des 
membres  de  l'opposition  royaliste,  Siméon,  Pichegru,  etc.  Por- 
talis  apprit  à  ses  collègues  qu'il  était  cei  tain  que  le  directoire  avait 
le  projet  de  faire  arrêter  les  députés  qui  lui  déplaisaient  ;  qu'il 
avait  eu  celui  d'empêcher  l'entrée  du  nouveau  tiers  dans  les  con- 
seils ;  que  Rewbel  ne  cessait  de  dire  t  que  les  choses  changeraient 
ou  qu'il  y  perdrait  la  têie  ;  >  et  Laréveillère ,  «  que  tout  cela  ne 
pouvait  finir  que  par  l'épée  et  le  canon.  »  On  tenait  ces  renseigne- 
mens  de  Cochon  et  de  Carnot.  Ils  étaient  certains  ;  on  se  demanda 
ce  qu'il  fallait  faire.  Portalis  et  Tronçon-Ducoudray  proposèrent 
de  mettre  hors  de  la  loi  les  directeurs  qui  conspiraient.  Cette  opi- 
nion énergique  ne  fut  ni  adoptée  ni  rej«tée.  Elle  fut  combattue; 
on  fit  le  dénombrement  de  ses  forces  ;  Dumas  dit  que  l'on  pouvait 
compter  sur  les  grenadiers  du  corps  législatif  et  sur  le  21  ^^  de 
chasseurs;  on  proposa  de  réorganiser  la  garde  nationale.  Enfin  l'on 
se  sépara  sans  avoir  rien  décidé.  Il  en  fut  ainsi  de  plusieurs  réu- 
nions. Cela  suffit  néanmoins  pour  que  le  bruit  se  répandit  que  les 
conseils  voulaient  suspendre  ou  mettre  en  accusation  le  directoire. 
Les  journaux  en  parlèrent,  et  quelques-uns  discutèrent  sur  l'op- 
portunité de  cette  mesure. 

Barras,  Rewbel  et  Laréveillère  avaient  déjà  fait  confidence  de 
leurs  projets  au  général  Hoche;  voici  ù  quelle  occasion  ce  fait 


AU  ^18  FRUCtIDÔR  AN  V   (4  SEPTEMiJkE  i797  ).  297 

fut  révélé.  La  commission  des  finances  ,  en  examinant  les  récla- 
mations d'une  compagnie  chargée  des  fournitures  auprès  de  l'ar- 
mée de  Sambre-et-Meuse ,  avait  reconnu  une  grave  inexactitude 
dans  ses  comptes. 

Elle  avait  trouvé  que  cette  compagnie  demandait  à  être  payée 
pour  p^^s  d'un  cinquième  de  rations  qu'elle  n'avait  pas  livrées. 
Son  attention  excitée  sans  doute  par  ce  fait,  lui  avait  fait  décou- 
vrir que  le  général  Hoche  avait  imposé  une  contribution,  dans 
les  pays  du  Rhin,  de  5,725,000  fr.,  et  que  l'emploi  de  celte 
somme  n'était  point  entièrement  justifié.  Un  député  vintdénoncer 
ce  fait  à  la  tribune  et  demander  compte  de  736,600  fr.,  qui 
avaient,  disait-il ,  disparu  de  l'éîat-major.  Le  général  parut  vive- 
ment ilessé  de  cette  inculpation  ;  il  s'en  justifia  par  une  lettre  qui 
fut  insérée  dans  tous  les  journaux ,  dans  laquelle  il  se  plaignait  à 
son  tour  que  la  solde  était  arriérée;  il  s'indignait  qu'on  osât  accu- 
ser des  hommes  qui  manquaient  de  tout  et  qui  étaient  réduits  à 
faire  des  dettes  pour  servir  une  patrie  ingrate;  dans  laquelle  il 
promettait  enfin  que  les  comptes  allaient  être  imprimés.  En 
même  temps ,  il  avouait  au  payeur  de  l'armée  de  Sambre-et- 
Meuse  qu'une  partie  de  ces  fonds  était  en  route  pour  Paris ,  et 
qu'il  avait  reçu  des  directeurs  l'ordre  de  verser  le  moins  de  fonds 
possibles  à  la  trésorerie  nationale.  Le  payeur  communiqua  en 
thermidor  ces  renseignemens  à  un  député ,  qui  lui-même  les  fit 
connaître  à  ses  collègues. 

Cependant  le  renvoi  des  anciens  ministres ,  l'appel  des  nou- 
veaux dont  l'opinion  était  connue  par  celle  même  des  salons  dont 
ils  étaient  les  habitués,  déterminèrent  aussitôt  les  conseils  à  pren- 
dre des  mesures  pour  acquérir  des  moyens  de  garantie  et  d'ac- 
tion. Il  avait  déjà  été  question  de  réorganiser  la  garde  natio- 
nale sur  les  bases  adoptées  en  89,  et  avec  les  exclusions  appli- 
quées après  les  journées  de  prairial.  Oa  savait,  par  ce  qui  s'é- 
tait passé  en  vendémiaire,  quel  esprit  régnait  dans  la  partie  de 
la  population  de  Paris  qui  se  trouverait  armée  dans  un  jsystème 
ainsi  calculé;  on  espérait,  sans  doute  ,  et  l'on  avait  tout  lieu  de 
croire ,  d'après  ce  que  l'on  avait  vu  aux  élections ,  que  cet  esprit 


298        DIRECT.  —  DU   ier  praIR.   AN  V   (  20  MAT  1797  ) 

n'était  point  changé ,  et  par  conséquent  était  acquis  à  l'opposition 
réactionnaire.  On  s'occupa  de  ceiie  question  au  50  thermidor, 
ainsi  que  l'on  va  le  voir. 

CONSEIL  DES  CINQ-CENTS.  —  Séance  du  50  messidor  anb, 
(iS  juillet  1797.) 

Delahaije.  Je  rappelle  au  conseil  qu'il  avait  arrêté  que  le  rap- 
port sur  l'organisation  de  la  garde  nationale  serait  fait  incessam- 
ment. Je  n'examinerai  point  les  motifs  de  ce  relard;  mais  je  crois 
que  ce  travail  doit  nous  être  soumis  le  plus  tôt  possible.  Je  me 
fonde  sur  les  bruits  que  l'on  répand  dans  le  public.  On  annonce 
qu'il  arrive  des  troupes  à  Paris,  et  le  corps  législatif  n'en  est  pas 
informé.  On  dit  qu'il  se  fait  dans  cette  commune  des  distribu- 
tions d'armes.  11  fimt  que  l'on  organise  promptement  cette  garde 
nationale,  qui,  au  14  juillet,  au  12  germinal ,  au  4  prairial  arendu 
de  si  grands  services  à  la  chose  publique.  Je  demande  que  le 
rapport  sur  lagarde  nationale  soit  fait  incessamment.  » — Adopté.  » 

Maillard,  c  Je  demande  qu'il  soit  nommé  une  commission  par- 
ticulière pour  prendre  des  renseignemens  sur  le  nombre  des 
troupes  qui  se  rendent  à  Paris.  »  (  Violens  murmures.  ) 

Un  membre  du  nouveau  tiers.  «Il  faut  que  nos  collègues  sa- 
chent qu'il  y  a  un  corps  de  huit  mille  hommes  actuellement  en 
marche  sur  Paris.  Je  demande  qu'il  soit  envoyé  un  message  au 
directoire  pour  s'en  informer.  > 

Camille  Jordan.  «  Et  raoi  aussi  j'appuie  le  message.  Et  moi 
aussi  je  viens  remplir  un  devoir,  un  devoir  sacré,  en  vous  faisant 
part  des  inquiétudes  dont  je  suis  ?  empli.  Je  sais  qu'il  appartient 
au  directoire  de  renvoyer  ses  ministres....  (Une  foule  de  voix  : 
Ah  !  ah  !  Oo  rit  d'un  côté  ;  de  l'autre  on  murmure.  )  Je  suis  loin 
de  contester  ce  droit,  que  la  constitution  accorde  au  directoire; 
mais  je  sais  aussi  que  nous  avons  le  droit  sacré  de  proclamer  à 
cette  tribune  les  dangers  de  la  patrie.  (Murmures.  ) 

>  Le*renvoi  de  certains  ministres  nous  remplit  d'inquiétudes  , 
(on  rit),  surtout  quand  on  songe  que  depuis  long-lemps  on  se 
plaît  à  calomnier  les  membres  les  plus  purs  du  conseil  des  cinq- 


AU   18  FRUCTIDOR  AN   V  (  4   SEPTEMBRE   1797).  299 

cents.  Partout  les  sociétés  populaires  se  réorganisent  ;  les  anar- 
chistes lèvent  la  tête ,  une  foule  de  scélérats  accourent  des  dépar- 
temens  à  Paris;  et  le  directoire  n'a  point  fait  son  devoir  en  dissol- 
vant ces  rassemblernens ,  et  c'est  dans  ces  circonstances  vraiment 
criiiqiies,  que  le  ministre  de  la  police ,  dont  la  vigilance  et  le  ré- 
publicanisme sont  connus,  est  renvoyé.  Un  pareil  renvoi  est  une 
calamité  publique.  iWI^ 
>  Je  crois  que  les  intentions  du  directoire  sont  pures  ;  mais  je 
suis  convaincu  que  les  ministres  ont  été  calomniés  à  ses  yeux.  Je 
suis  convaincu  que  l'on  prépare  un  mouvement  pour  nous  assas- 
siner  (D'une  part,  on  rit  ;  de  l'autre  on  s'écrie  :  Oui ,  oui, 

c'est  vrai.  )  Il  existe  une  conspiration  ostensible  de  terroristes , 
des  Jacobins ,  de  scélérats  subalternes  ;  mais  derrière  ces  hom- 
mes ,  se  trouve  une  faction  ambitieuse ,  qui  a  suivi  la  révolution 
dans  toutes  ses  phases,  qui,  en  parlant  sans  cesse  de  républica- 
nisme ,  veut  nous  conduire  au  royalisme ,  et  à  recevoir  de  sa  main 
un  roi  de  l'espèce  la  plus  vile. 

s  Je  connais  la  faiblesse  de  ces  hommes  ;  je  sais  que  leurs  con- 
vulsions sont  celles  d'une  rage  impuissante  ;  je  sais  que  si  nous 
succombions  sous  leurs  coups,  les  départemens  vengeraient  notre 
mort.  De  ces  données ,  il  résulte  qu'il  est  infiniment  urgent  d'or- 
ganiser la  garde  nationale.  Je  demande  que  le  rapport  soit  fait 
incessamment  :  et  qu'il  soit  envoyé  un  message  au  directoire  pour 
connaître  de  lui  la  situation  intérieure  de  la  Répubhque. 

Febvre,  <  Je  ne  m'oppose  point  au  rapport  sur  la  garde  natio- 
nale ;  mais  je  m'oppose  à  l'envoi  du  message.  Ce  n'est  pas  sur  des 
dénonciations  vagues  et  dénuées  de  faits ,  que  la  première  auto- 
rité de  la  République  doit  fonder  ses  délibérations.  Je  me  défie 
de  ces  imaginations  ardentes  qui  se  plaisent  à  créer  des  fantômes 
pour  avoir  le  plaisir  de  les  combattre.  Non ,  la  république  n'est 
point  en  danger;  s'il  y  a  des  scélérats  qui  veulent  en  saper  les 
fondemens ,  la  rpasse  des  Français  la  soutiendra.  Non  ,  il  ne  faut 
point  s'effrayer  de  ce  qu'on  vous  annonce  de  l'arrivée  d'un  corps 
de  huit  mille  hommes  armés  à  Paris,  P  parce  que  ce  fait  n'est 
point  constant  ;  2'^  parce  que  les  braves  défenseurs  de  la  patrie 


30(ï         DIRECT.    —   DU  i^i    PHAIR.    AN   V    (  20  MAI   !797  ) 

qui  le  composent,  après  avoir  cimenté  de  leur  sang  la  Républque, 
ne  viendront  jamais  en  attaquer  la  première  autorité  constituée. 
Je  demande  l'ordre  du  jour.  » 

Plusieurs  voix.  <  Appuyé.  > 

Dumolard.  t  Le  travail  de  la  commission  relatif  à  la  réorgani- 
sation de  la  garde  nationale  est  prêt;  et  Pichegru  fera  demain  son 
rapport.  Quant  au  message  demandé,  je  déclare  d'abord  que  je 
ne  partage  point  les  alarmes  de  quelques-uns  de  mes  collègues; 
je  crois  que  les  raalveillans  s'agitent  en  ce  moment;  mais  je  ne 
pense  pas  que  la  représentation  nationale  soit  dans  le  cas  de  se 
Jivrerà  des  inquiétudes. 

»  Et  en  effet ,  d'où  partiraient  ces  craintes?  Des  défenseurs  de 
la  patrie?  Ce  serait  les  calomnier,  ils  voient  en  vous  les  délégués 
du  peuple  ;  et  ^'ils  vous  savaient  en  danger,  bien  loin  de  se  réunir 
à  vos  ennemis,  ils  les  écraseraient.  Quels  sont  donc  les  hommes 
assez  puissans  pour  lutter  contre  le  corps  législatif,  contre  nos 
soldats  républicains? Serait-ce  ceux  qui  veulent  nous  ramener  à 
l'affreux  régime  de  1795  ?  Mais  ils  ont  donc  oublié  que  les  temps 
sont  chan^jés;  que  les  Français  ne  soumettront  plus  une  tète  ser- 
vile  à  un  joug  si  odieux. 

>  Quant  aux  ministres,  puisqu'on  a  profère  le  mot  à  cette  tri- 
bune ,  il  faut  s'entendre.  Le  directoire  a  le  droit  de  les  changer; 
mais  nous  n'avons  pas  celui  de  nous  immiscer  dans  ce  qui  les  con- 
cerne. Ils  n'ont  plus  à  nos  yeux  le  caractère  de  ceux  de  i  791  ;  ils 
sont  placés  dans  un  rang  inférieur,  qui  n'est  point  soumis  à  notre 
juridiction.  On  a  parlé  de  la  bonne  conduite  et  des  services  du 
dernier  ministre  de  la  police,  il  n'est  aucun  de  nous  qui  les  ait 
oubliés.  Leur  souvenir  est  gravé  daùs  nos  cœurs,  dans  ceux  de 
tous  les  Franchis.  [  Une  foule  de  voix  :  Oui ,  oui.  )  Il  est  un  autre 
ministre  renvoyé ,  dont  les  talens,  le  patriotisme  et  la  probité  nous 
sont  connus,  et  qui  a  donné  un  exemple  qui  n'a  été  suivi  d'aucun 
autre,  celui  de  rendre  ses  comptes,  je  parle  dp  Petiet.  Mais  la 
constitution,  mais  l'intérêt  de  la  République  vous  interdisent  de 
vous  occuper  de  ces  objets.  Le  directoire  est  responsable  de  notre 
tranquillité  et  de  notre  sûreté.  On  a  parlé  d'un  mouvement  à  Pa- 


AU  48  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     501 

ris  ;  mais,  je  l'ai  dit  il  n'y  a  pas  long-lemps  à  cette  tribune ,  et  je 
Je  répète  :  il  est  impossible  qu'il  y  ait  ici  un  mouvement,  sans 
que  le  gouvernement  ne  le  veuille  et  ne  le  protège.  Ceci  doit  vous 
rassurer. 

»  Il  importe  donc  à  la  tranquillité  publique,  que  le  corps  légis- 
latif ne  témoigne  aucune  inquiétude  dans  les  circonslances  pré- 
sentes. Si  elles  étaient  fondées  ,  nous  ferions  tous  à  la  liberté  le 
sacrifice  de  notre  vie;  mais  nous  n'en  viendrons  pas  là.  Je  pense 
donc  que  le  directoire,  frappé  des  alarmes  qui  ont  été  manifestées 
ici,  s'empressera  de  les  dissiper.  J'appuie  donc  le  message  de- 
mandé sur  la  situation  de  la  République  ,  et  je  demande  que  Pi- 
chegru  fasse  demain  son  rapport  sur  l'organisation  de  la  garde 
nationale.  >  —  Adopté. 

Maillard.  «  Sans  doute,  le  message  sur  la  situation  de  la  ré- 
publique est  intéressant.  Mais  il  en  est  un  autre  pour  lequel  j'in- 
siste, c'est  celui  relatif  à  l'arrivée  des  troupes.  (  On  rit ,  on  mur- 
mure. )  Je  suis  bien  loin  de  ressentir  aucune  crainte  ;  mais  la  pru- 
dence ne  doit  pas  être  défendue.  Quand  on  a  le  témoignage  de  sa 
bonne  conscience  ,  on  est  au-dessus  de  toutes  les  terreurs.  On  a 
dénoncé  ici ,  1°  l'arrivée  de  dix  mille  hommes  (on  rit)  ;  2»  celle 
d'une  foule  d'étrangers. 

>  Et  moi  aussi,  j'ai  reçu  de  mon  département  des  lettres  qui 
m'apprennent  que  les  buveurs  de  sang  sont  partis  sur  des  missi- 
ves adressées  de  Paris ,  et  ils  ont  fait  à  leurs  parens  et  à  leurs 
femmes  un  mystère  du  but  de  ce  voyage.  J'ai  fait  voir  une  de  ces 
lettres  à  la  commission  des  inspecteurs. 

•  Je  crois  donc  que  lorsque  les  anciens  ministres  quittent  les 
rênes  du  gouvernement,  le  corps  législatif  est  autorisé  à  deman- 
der au  directoire  des  renseignemens.  (Murmures.)  Quant  aux 
troupes ,  l'article  65  de  la  Constitution  est  formel.  (  Murmures.  ) 
11  est  bien  étonnant  que  l'on  croie  que  je  regarde  comme  con- 
stant, ce  qui  n'est  à  mes  yeux  qu'une  hypothèse.  Mais  il  faut,  à 
cet  égard ,  calmer  les  craintes  des  habiians  de  Paris.  (On  rit ,  on 
s'écrie  :  Personne  n'a  peur.  ) 

»  Je  me  résume  ;  et  je  demande  deux  messages,  l'un  sqr  l'étai 


502  DIRECT.    —    Dr    l^^r    PRAIR.    AN    V    (  î20   MAI   1797) 

de  Paris,  et  l'autre  sur  celui  des  dépanemens.  Je  n'ai  qu'un  mot 
à  dire ,  et  tous  mes  collègues  m'entendront  bien.  Je  demande 
qu'après-demain  l'on  fasse  le  rapport  sur  la  responsabilité  des 
ministres. 

Parisot,  c  La  crainte  est  une  faiblesse  ;  nous  n'en  éprouvons 
„  aucune,  du  moins  je  l'assure,  quant  à  moi  (on  rit);  il  sulfild'un 
message  sur  la  situation  de  Paris.  Si  Paris,  est  tranquille  les  dé- 
partemens  le  seront.  (Murmures.  )  Au  reste ,  les  inquiétudes  qui 
se  sont  manifestées  ici ,  prennent  leur  source  dans  la  renaissance 
^es  sociétés  populaires ,  quoique  la  Constitution  les  défende , 
elles  comuniquent  entre  elles ,  soit  par  la  voie  des  journaux,  soit 
autrement.  Je  demande  que  le  projet  relatif  aux  sociétés  popu- 
laires soit  à  l'ordre  du  jour  de  demain. 

Couppé.  <  Le  rapport  n'est  pas  encore  imprimé.  > 

Tatlicn.  «  La  question  incidente  qui  s'est  élevée  mérite  que  l'on 
prolonge  la  discussion  ;  celte  prolongation  est  peut-être  nécessaire 
pour  calmer  les  inquiétudes  qu'auraient  pu  concevoir  les  born- 
âmes de  bonne  foi ,  lesquels  pourraient ,  s'ils  n'étaient  éclairés ,  se 
porter  à  des  excès  ;  car  de  l'un  et  de  l'autre  côté ,  l'exaspération 
des  esprits  est  telle,  qu'il  est  du  devoir  de  tout  patriote,  et  j'en- 
tends par  là  un  homme  ami  de  son  pays ,  d'empêcher  qu'il  n'y 
ait  aucun  trouble.  Et  c'est  de  cette  tribune  que  l'on  doit  rappeler 
les  citoyens  au  maintien  de  l'ordre  et  de  la  tranquilHté  ;  et  c'est 
à  ceux  que  l'on  se  plaît  à  désigner  comme  les  chefs  des  conspira- 
teurs, à  faire  retentir  ici  les  accens  de  la  paix  et  de  la  con- 
corde. (  Légère  agitation  dans  le  coin  de  la  salle  voisin  de  la 
lr'd)une.  ) 

>  L'orotcur  se  tournant  vers  ses  interrupteurs  :  Je  ne  répon- 
drai point,  dit-il,  aux  personnalités  ;  je  fais  mon  devoir,  que  cha- 
cun y  soit  fidèle. 

>  On  a  parlé  de  la  réunion  des  sociétés  populaires.  Je  l'ignore. 
S'il  en  existe  ,  elles  sont  contraires  à  la  Constitution ,  elles  doivent 
être  dissoutes.  Mais  s'il  y  a  des  lieux  où  les  citoyens  se  rassem- 
blent pour  discuter,  et  non  pour  déhbérer  ;  si  ces  réunions  ne 


AU   18   FRUCTIDOR   AN   V    (  4   SEPTEMBRE  1797).  TiOo 

communiquent  point  ensemble,  je  dis  qu'aucune  autorité  ne  peut 
les  empêcher. 

*  J'ignore  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans  ce  que  Ton  a  dit ,  relative- 
ment au  renvoi  des  ministres.  Je  ne  suis  point  un  habitué  de  l'œil- 
de-bœuf  du  Luxembourg.  Mais  Dumolard  vous  a  développé  les 
vrais  principes  à  cet  égard.  Mais  on  a  parlé  de  l'arrivée  de  troupes 
à  Paris.  Je  vois  avec  peine,  que  depuis  quelque  temps  tout  tend  à 
rompre  l'union  qui  doit  exister  entre  le  directoire  et  le  corps  lé- 
gislatif. Dans  les  circonsfances  difficiles  où  nous  nous  trouvons , 
à  une  époque  où  les  négociations  de  paix  se  font  avec  deux  des 
plus  grandes  puissances  de  l'Europe ,  je  soutiens  qu'il  est  incon- 
venant à  tout  vrai  patriote,  de  chercher  à  rompre  ces  liens,  et  à 
faire  croire  à  nos  ennemis  que  cette  union  n'existe  plus ,  et  que 
demain  nous  aurons  un  autre  gouvernement.  Des  motions  incon- 
sidérées ont  été  faites  sur  la  conduite  de  nos  agens  diplomatiques, 
sur  celle  de  nos  généraux.  Ces  motions  ont  excité  des  alarmes  : 
les  deux  partis  contre  lesquels  la  république  a  à  se  défendre,  ont 
cru  qu'ils  pouvaient  profiler  de  ces  germes  de  division  semés  à 
dessein  ;  et  que  le  moment  était  venu  de  rétablir  le  sceptre  de 
l'anarchie  ou  celui  de  la  royauté.  Également  éloignés  de  ces  deux 
extrêmes ,  nous  voulons  la  constitution  de  l'an  5.  Notre  intention 
n'est  pas  de  flagorner  le  directoire;  une  pareille  èonduite  serait 
indigne  d'un  homme  libre,  plus  encore  d'un  représentant  du 
peuple.  Mais  je  soutiens  qu'il  n'est  pas  moins  indigne  d'un  Fran- 
çais jaloux  de  la  gloire  de  son  pays,  de  donner  à  entendre  à  cttle 
tribune ,  qu'il  existe  un  défaut  d'union  entre  le  corps  législatif  et 
le  directoire.  Quand  cette  union  sera  établie....  { Une  voix  :  C'est 
le  brigandage  oui  règne  qui  nous  indigne.  Murmures.)  11  me  sem- 
ble que  je  ne  dis  rien  qui  ne  soit  juste  et  raisonnable.  (  Plusieurs 
voix  :  Continuez.)  Ce  sera  alors  que  vous  serez  les  maîtres  de 
toutes  les  factions  ;  que  vous  en  tiendrez  le  fil  ;  qu'avec  des  lois 
sages  et  des  institutions  républicaines  ,  et  que  sans  sévérité,  mais 
en  usant  d'indulgence,  vous  ferez  jouir  tous  les  Français  du  bien- 
fait de  lu  Constitution .  Je  pense  que  le  conseil  doit  se  borner  à  l'en- 
voi d'un  message  relatif  à  U  situation  intérieure  de  laKépublique. 


304    DIRECT.  —  DU  l«r  PRAIR.  AN  V  (  20  MAI  1797) 

Pastoret,  «  J'aime  à  applaudir  aux  principes  d'union  manifestés 
par  le  préopinant.  Nous  débitons  tous  que  l'harmonie  la  plus  par- 
faite règne  entre  le  directoire  et  les  deux  conseils.  Quoi  qu'on  en 
dise ,  le  corps  législatif  a  donné  des  preuves  multipliées  du  désir 
qu'il  a  de  maintenir  celte  union.  Peut-être  a-t-il  poussé  sa  con- 
descendance trop  loin,  lorsqu'il  a  accordé  au  directoire  le  droit  de 
nommer  aux  places  qui  sont  à  la  nomination  du  peuple.  J'app'au- 
dis  à  ce  que  dans  cette  circonstance  nous  fassions  momentané- 
ment des  sacrifices.  Mais  au  moment  où  on  invoque  celte  union 
avec  le  directoire ,  comment  ne  veut-on  pas  que  le  corps  législa- 
tif, qui  est  aussi  dépositaire  de  la  tranquillité  publique,  ne  prenne 
pas  des  mesures  tendantes  à  l'assurer.  Je  suis  bien  convaincu  que 
toutes  les  tentatives  des  ennemis  de  la  liberté  seront  inutiles;  que 
les  sociétés  populaires  auront  beau  eniasser  montagnes  sur  mon- 
tagnes ,  elles  seront  foudroyées.  o 

Comment  vient-on  vous  dire  que  les  sociétés  populaires  sont 
autorisées  par  la  Constitution?...  (Violens  murmures.  Plusieurs 
voix  :  Tallien  n'a  pas  dit  cela.)  Je  passe  sur  l'arrivée  des  troupes 
et  sur  le  renvoi  des  ministres.  Je  déclare  que  celui  de  la  police 
emporte  les  regrets  de  tous  les  bons  ciloyens.  (  Quelques  voix  : 
Oui,  oui.  )  Je  rends  le  même  hommage  au  ministre  de  la  guerre, 
qui  a  fait  des  économies  et  qui  a  rendu  des  comptes. 

La  marche  de  nos  ennemis  est  l'audace,  la  notre  sera  la  fer- 
meté. Nous  ne  sommes  pas  ici  des  hommes  isolés,  mais  les  repré- 
sentans  du  peuple;  et  en  celte  qualité,  nous  saurons  mourir  à 
notre  poste  pour  la  patrie,  plutôt  que  de  souffrir  le  retour  du 
règne  de  l'anarchie  et  du  crime. 

L'orateur  conclut  en  demandant,  1®  qu'il  soit  fait  deux  mes- 
sages au  directoire,  l'un  sur  la  situation  de  Paris,  et  l'autre  sur 
celle  des  départe  mens  ;  2°  que  le  rapport  de  Pichegru  sur  la  garde 
nationale  soit  fait  demain.  > 

Ces  propositions  sont  adoptées. 

Quatremère  a  fait  un  rappoi  t  sur  la  responsabilité  des  mi- 
nistres. —  Impression  et  ajournement  dans  les  formes  constitu- 
tionnelles. 


AU  i8  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  i797  ).  505 

CONSEIL  DES  CINQ-CENTS.  —  Séance  (lu  2  thermidor  an  5 , 
(  20  juito  1797.) 

Le  président,  i  L'ordre  du  jour  appelle  le  rapport  de  Pichegru 
sur  la  réorganisation  de  la  garde  nationale;  mais  un  membre  des 
inspecteurs  de  la  salle  demande  la  parole  pour  communiquer  au 
conseil  un  fait  important.  »  (  Silence.  ) 

Aubry,  «  Je  réclame  l'attention  du  conseil  sur  un  fait  dont  je 
garantis  l'authenticité.  Un  détachement  de  plusieurs  régimens  de 
dragons  ,  avec  une  partie  de  l'état-major  de  Sambre-et-Meuse  , 
arrivent  les  13, 14  et  lo  du  présent  mois  à  la  Ferté-Alais,  près 
Corbeil,  et  par  des  chemins  détournés.  D'autres  troupes,  parmi 
lesquelles  est  une  légion  formée  à  Brest  pour  l'expédition  d'Ir- 
lande, doivent  également  arriver  à  Soissons.  L'alarme  s'est  ré- 
pandue dans  ces  cantons  où  les  troupes  n'ont  pas  coutume  de 
passer. 

>  Je  fais  observer  au  conseil  qu'il  n'y  a  que  sept  lieues  d'ici 
à  Corbeil,  et  que  l'article  de  la  Constitution  interdit  au  directoire 
de  faire  passer  des  troupes  à  vingt  lieues  de  distance  de  Paris , 
sans  y  être  autorisé  par  le  corps  législatif;  tout  membre  du  di- 
rectoire, tout  commandant  de  force  armée,  qui  aura  violé  cette 
défense,  qui  aura  donné  ou  signé  l'ordre  de  le  faire,  est,  aux 
termes  du  code  des  délits  et  des  peines ,  condamné  à  dix  ans 
de  fer. 

»  Le  directoire  ignore  peut-être  le  fait  que  je  vous  dénonce  ; 
il  est  de  notre  devoir  de  l'en  insiruii  e ,  afin  de  le  mettre  à  même 
de  vous  donner  des  renseignemens.  Je  demande  qu'il  lui  soit  fait 
un  message,  pour  qu'il  ait  à  vous  rendre  compte  demain  (foule 
de  roix  :  Aujourd'hui,  séance  tenante),  pour  qu'il  ait  à  vous 
rendre  compte ,  séance  tenante  ,  1^  s'il  est  vrai  que  quatre  régi- 
mens de  dragons  ont  reçu  l'ordre  de  se  rendre  à  la  Ferié-Alais  ; 
2o  par  quels  ordres  cette  marche  a  eu  lieu  ;  5*^  quelles  mesures  il 
a  prises  pour  en  poursuivre  les  auteurs.  » 

Delarue.  t  Votre  commission  apprit  hier  à  trois  heures  la 
marche  inconsiituiionnelh^  d'un  curps  de  trou[)es  sur  Paris.  Elle 
T.  xxxv/i.  20 


506    DIRECT.  —  DU  1^»'  PRAIR.  AN  V  (  20  MAI  1797  ) 

s'est  rendue  sur-le-champ  au  direcloire  pour  avoir  des  rensei^^ne- 
mens  sur  cet  objet.  Le  directoire,  par  l'orgune  de  son  président, 
nous  a  déclaré  qu'il  n'avait  aucune  connaissance  du  fait  dénoncé  ; 
qu'il  n'avait  donné  aucun  ordre;  qu'il  venait  de  i'apprendie  du 
ministre  de  la  (juer  re ,  lequel  ignorait  lui-même  l'ordre  et  ses 
auteurs.  Le  président  a  ajouté  qu'il  se  pouvait  que  cet  ordre  eût 
été  donné  par  le  général  Iloche,  et  qu'il  fût  relatif  à  l'expédition 
de  Brest  ;  et  qu'il  était  vraisemblable  que  ce  général  avait  voulu 
s'entourer  de  ses  troupes  pour  cette  expédiiion.  Qu'au  surplus , 
il  assurait  la  commission  que  le  courrier  qui  avait  apporté  l'ordre 
de  cette  marche  allait  être  réexpédié  pour  porter  l'ordre  de  ré- 
trograder. Ainsi,  il  est  probable  qu'en  ce  moment  le  courrier  est 
parti.  Néanmoins,  j'appuie  l'envoi  du  message,  et  je  demande 
que  le  conseil  en  attende  la  réponse  séance  tenante.  —  Adopté.  > 
Le  message  est  à  l'instant  envoyé  au  direcloire. 
Aubrij.  €  Je  demande  qu'il  soit  donné  connaissance  aux  anciens 
du  message  que  vous  venez  d'envoyer.  *  — Adopté. 

Pichegru  paraît  à  la  tribune,  c  II  ne  suffit  pas,  dit  le  rappor- 
teur, d'avoir  fait  recouvrer  à  la  nation  ses  droits,  il  faut  encore 
les  lui  conserver.  Les  moye.js  qu'elle  a  employés  pour  en  faire 
la  conquête  doivent  être  mis  en  usage  pour  lui  en  assurer  l'exer- 
cice. Il  sera  beau  de  voir  tous  les  citoyens ,  fidèles  à  la  voix  de 
leurs  représentans,  se  rendre  à  l'appel  qu'ils  leur  font  par  mon 
organe,  de  se  réorganiser  en  gardes  nationales.  » 

Le  rapporteur  développe  les  services  rendus  par  les  gardes 
nationales  depuis  le  commencement  de  la  révolution,  puis  il  pro- 
pose un  projet  en  six  titres. 

Plusieurs  membres.  «  L'impression.  » 
Plusiairs  antres.  «  Aux  voix  !  aux  voix  !  » 
Henri  Lariviere.  «  Je  demande  la  parole  pour  inviter  le  con- 
seil à  discuter  sur-le-champ  le  projet  présenté.  (  Plusieurs  voix  : 
Nous  ne  le  connaissons  pas.  )  Cette  discussion  est  d'autant  plus 
pressée  que  le  projet  est  plus  urgent.  Les  circonstances  où  nous 
nous  trouvons  sont  infiniment  ciitiques.  Il  y  a  trois  jours  qu'on 
annonçait  le  renvoi  des  ministres  qui  ont  mérité  la  confiance  na- 


AU   18  FRUCTIDOR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE   ]797  ).  307 

tionale.  (  Murmures.  )  Hier  encore  on  lisait  à  cette  tribune  les  cri- 
tiques amères',  les  calomnies  atroces  dirigées  dans  un  papier  mi- 
nistériel contre  le  conseil  des  cinq-cents.  Aujourd'hui  enfin  j'ai 
entendu  annoncer  à  cette  tribune  qu'un  corps  de  troupes  marche 
sur  Paris ,  et  vient  de  renverser  la  barrière  sacrée  que  la  Consti- 
tution établit  entre  le  corps  législatif  et  la  force  armée.  Si  dans 
trois  jours  des  nouvelles  aussi  surprenantes  ont  été  données  au 
conseil,  qu'apprendrez-vous  demain?  Je  ne  sais  si  mes  alarmes 
sont  vaines  ;  mais  je  vois  autour  de  nous  tous  les  symptômes 
du  51  mai. 

»  Nous  touchons  au  9  thermidor,  je  le  sais ,  et  ce  jour  doit  être 
pour  nous  d'un  bon  augure;  mais  il  est  impossible  de  rester  spec« 
tateurs  indifférens  desévéneraens  qui  se  pressent  autour  de  nous. 
Mais  le  ministre  de  la  police  est  renvoyé  au  moment  où  il  allait 
dénoncer  les  complots  qui  commencent  à  éclater;  il  est  remplacé 
par  un  homme  qui  n'a  pas  craint  de  salir  les  murs  de  Paris  par 
des  placards  calomnieux  contre  la  représentation  nationale.  Je 
suis  bien  éloigné  d'imputer  au  directoire  les  manœuvres  que  je 
dénonce.  Je  sais  qu'il  lui  appartient  de  renvoyer  ses  ministres ,  et 
de  les  remplacer  par  des  hommes  de  son  choix.  Mais  c'est  pour 
nous  un  devoir  sacré  d'éclairer  les  citoyens  sur  les  nouveaux 
malheurs  qui  les  menacent,  de  frapper  l'opinion  publique,  et  de 
prendre  les  mesures  propres  à  sauver  la  patrie. 

»  Je  sais  avec  tout  Paris ,  que  le  directoire  est  en  ce  moment  en 
proie  aux  divisions  les  plus  funestes.  (Violens  murmures.  Longue 
agitation.  Le  président  rappelle  à  l'ordre;  les  huissiers  invitent 
au  silence.  Le  calme  se  rétablit.  )  J'ai  dit  que  tout  Paris  est  in- 
struit des  divisions  qui  déchirent  le  directoire  ;  des  protestations 
motivées  que  deux  de  ses  membres  ont  consigaées  sur  le  registre 
de  ses  délibérations.  Quant  à  l'arrivée  des  troupes,  on  vous  a  dit 
que  Garnoi  lui-même  et  le  ministre  de  la  guerre  n'en  étaient  pas 
instruits....  (  De  nouveaux  murmures  se  font  entendre.  Le  prési- 
dent :  J'invite  au  silence;  on  répondra  à  l'opicani.)  Oui ,  je  le 
reflète  :  Carnot  n'était  pas  instruit  do  l'arrivée  des  troupes  ;  le 
ministre  de  la  guerre  n'en  avait  aucune  connaissance  ;  et  c'est  à 


508         DIRECT.    —   DU   i^r   PRAIR.    AN   V   (20   MAI   1797  ) 

cet  instant  que  ce  ministre  est  renvoyé.  Hé  bienl  dansées  circon- 
stances critiques  ,  deux  directeurs  ont  prolesté  contre  ce  renvoi  ; 
je  les  sépare  du  directoire,  comme  ayant  bien  mériié  de  la  pa- 
irie; je  leur  voie  d>^s  reaierciemeus  pour  la  courageuse  énergie 
qu'ils  ont  développée. 

>  Je  le  répète,  les  circonstances  où  nous  nous  trouvons  sont 
critiques.  Nous  sommes  entourés  d'échappés  de  galères,  d'am- 
nistiés, de  la  horde  affreuse  des  hommes  de  Vendôme.  Dans  la 
rue  Thionville ,  un  club  médite  le  massacre  ;  des  armes  sont  dis- 
tribuées ;  un  ministre  qui  a  dévoilé  tous  les  complots  est  renvoyé  j 
des  troupes  arrivent  à  Chartres,  à  la  Ferlé- Alais;  cette  nuit 
même  il  en  est  entré  dans  Paris  ;  deux  membres  du  directoire 
protestent  contre  ces  mesures,  ils  déclarent  hautement  que  leurs 
jours  sont  menacés;  et  nous  resterions  indifl'érens  !  et  nous  ne 
prendrions  aucune  mesure!  et  infidèles  à  notre  mission,  nous 
laisserions  de  nouveau  planer  sur  nos  têtes  un  régime  à  jamais 
exécré  ! 

»  J'en  ai  dit  assez  pour  vous  faire  sentir  la  nécessité  d'orga- 
niser promptement  les  gardes  nationales.  Je  demande  qu'on  dis- 
cute le  projet  à  l'instant  même,  et  que  les  anciens  soient  invités 
par  un  message ,  à  ne  pas  désemparer  avant  d'avoir  reçu  la  réso- 
lution. » 

Plusieurs  voix,  «  Appuyé.  » 

Thibaiideau.  «  Je  ne  viens  point  me  dissimuler  les  justes  inquié- 
tudes manifesiees  à  la  tribune  ;  je  ne  viens  point  endormir  le 
conseil  sur  le  bord  du  danger,  ni  lui  con.sciller  une  sécurité  trom- 
peuse dans  un  moment  critique  ;  car  il  n'en  est  pas  de  plus  péril- 
leux que  celui  où  il  existe ,  entriî  les  pouvoirs  et  les  meuibres  de 
ces  pouvoirs,  des  divisions  funestes.  iMaisje  suis  bien  loin  de  son- 
ner le  tocsin  de  l'alarme  aux  yeux  de  l'Europe  qui  nous  contem- 
ple, et  à  une  époque  où  les  plus  importantes  negocijtions  soni 
ouveries.  Je  ne  crois  point  nécessaire  de  tirer  l'épée,  et  du  haut 
de  celte  tribune ,  de  faire  éclater  les  dangers  plus  ou  moins  fondés 
que  le  corps  légisutif  peut  courir.  11  a  des  moyens  puissans  de 
s'en  mettre  à  couvert.  Celle  puissance  n'est  point  dans  loi  gani- 


I 


AU  18  FRCCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     309 

satîon  de  la  garde  nationale;  quelque  imponanle  que  soit  celte 
mesure,  elle  sei ait  trop  tardive.  Celte  puissance  est  toute  mo- 
rale :  elle  est  dans  l'accusation  même  que  vous  prononcerez  con- 
tre les  hommes  assez  audacieux  pour  comploter  le  renversement 
de  la  Constitution ,  et  des  mesures  violentes  contre  le  corps  légis- 
latif. Oui,  la  représentation  nationale  a  la  force  défaire  exécuter 
le  pacte  social ,  et  de  f(  apper  les  magistrats  qui  conspirent.  Mais 
pour  cela ,  il  faut  sonder  nos  maux ,  et  y  appliquer  les  reaièdes 
constitutionnels  et  efficaces. 

>  J'aime  à  mêler  mes  regrets  à  ceux  qui  ont  été  exprimés  sur 
le  renvoi  des  ministres ,  la  patrie  reconnaissante  n'oubliera  jamais 
les  services  qu'ils  lui  ont  rendus  {Foules  de  voix  :  Oui,  oui.); 
mais  je  respecte  les  droits  du  directoire ,  et  jusqu'à  l'abus  qu'il 
en  peut  faire.  Cet  article  doit  donn  êîre  mis  à  l'écart. 

»  Mais  croyez-vous  que  le  directoire  se  constitue  en  étal  hostile 
contre  vous  ?  Dans  ce  cas-là,  je  demande ,  non  qu'on  le  fas^e  ren- 
trer dans  le  devoir  par  une  insurrection  violente,  indigne  du  corps 
législatif,  mais,  qu'à  la  suite  d'une  dénonciation  éclatante  et  si- 
gnée, on  frappe  de  la  foudre  nationale  ceux  de  ses  membres  qui 
seraient  coupables  des  attentats  denoiicés.  L'arrivée  des  troupes 
dans  les  environs  de  Paris  est  un  de  ces  faits  qui  appellent  sur  eux 
la  vengeance  des  lois.  La  Constitution  a  posé  une  barrière  entre 
le  corps  législatif  et  la  force  armée  ;  si  le  directoire  a  rompu  cette 
barrière  ,  il  doit  être  frappé ,  et  sur-le-champ.  Vous  venez  à  cet 
égard  de  prendre  une  mesure  ,  vous  avez  adressé  au  directoire 
un  message;  toute  délibération  doit  être  suspendue  jiisqu'à  ce  que 
vous  ayez  reçu  une  réponse. 

>  Q'iant  à  la  garde  nationale,  quoique  sa  réorganisation  soit 
très-urgente,  elle  ne  peut  être  as^ez  tôt  prête  pour  nous  mettre 
à  l'abri  des  attaques,  si  tant  est  qu'on  en  médite  C(>nt'e  nous.. 
J'aime  à  le  dire,  le  corps  législatif,  fort  de  la  confiance  de  la  na- 
tion, saura,  avec  cette  seule  arme,  déjouer  tous  les  comp'ots 
ourdis  contre  sa  liberté.  C'est  la  confiance  dans  nos  propres  for- 
ces qui  fait  notre  véritable  force.  (  Foules  de  voix  :  Oui ,  oui.) 


5i0         DIRECT.    —    DU    l^»"   PRAIR.    AU   \    ("20  MAI   1797). 

»  Je  demande  l'impressioadu  projet  et  du  rapport,  et  l'ajour- 
ncment  vingt-quatre  heurfs  après  la  distribution.  » 

Boîssij'd'Anglas.  «  Je  pense  comme  Thibaudeau,  que  la  force 
des  représenians  du  peuple  est  dans  la  confiance  publique.  Mais 
nous  ne  pouvons  nous  dissimuler  les  inquiétudes  et  les  justes  alar- 
mes qu'a  fait  naître  le  renvoi  d'un  ministre,  qui,  pendant  la 
session  dernière ,  a  déjoué  trois  complots ,  et  qui ,  dans  le  mo- 
ment actuel ,  tenait  tous  les  fils  de  ceux  qui  se  trament  encore. 

*  Au  moment  où  je  parle ,  les  Tuileries  sont  remplies  d'hommes 
féroces  qui  ont  joué  un  rôle  dans  les  fureurs  révolutionnaires.  On 
y  voit  Léonard  Bourdon  et  Fournier  l'Américain ,  qui  a  égorgé 
à  Versailles  les  prisonniers  d'Orléans.  Je  n'accuse  point  le  direc- 
toire ;  mais  je  dis  que  comme  tous  les  hommes  investis  du  pouvoir 
suprême ,  il  est  trompé  par  les  gens  qui  l'entourent  ;  ce  sont  ses 
ennemis  et  les  vôtres  qui  l'ont  engagé  à  renvoyer  ses  ministres , 
et  à  faire  nommer  à  la  police  un  homme  qui  a  rempli  tout  Paris 
de  placards  injurieux  à  la  représentation  nationale.  > 

i  Je  pense  comme  Thibaudeau ,  que  nous  ne  pouvons  prendre 
de  détermination  sur  la  situation  de  Paris  avant  d'avoir  reçu  la 
réponse  à  votre  message.  Mais  je  ne  pense  pas  comme  lui  qu'il  ne 
faille  pas  discuter  à  l'instant  même  le  projet  relatif  à  la  garde  na- 
tionale. Cette  force  est  nécessaire  pour  en  imposer  aux  méchans, 
sinon  comme  moyen  actuel  de  répression ,  du  moins  comme 
moyen  de  punir  le  crime.  La  matière  est  connue;  elle  nous  est  fa- 
milière. Je  demande  qu'on  ouvre  la  discussion.  » 

Après  quelques  débats,  le  conseil  accorde  la  priorité  à  la 
proposition  de  Tliibaudeau ,  et  il  arrête  l'impression  du  projet 
de  Pichegru ,  et  son  ajournement  vingt-quatre  heures  après  la 
distribution.  * 

Le  conseil  des  anciens  annonce  qu'il  reprendra  sa  séance  à 
sept  heures  pour  recevoir  communication  de  la  réponse  du  di- 
rectoire. 

Gilbert- Desmolières,  aprè^  une  longue  discussion,  fait  adop- 
ter un  nouveau  projet  sur  les  négociations  à  faire  par  la  trésore- 
rie ,  à  la  place  de  celui  que  les  anciens  avaient  rejeté. 


AU   18   FRUCTIDOR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE    1797).  311 

Le  pi'ësident  annonce  l'arrivée  du  message  du  directoire.  Un 
secrétaire  en  donne  lecture,  il  est  conçu  en  ces  termes  : 

t  11  est  vrai  que  quatre  régimens  de  chasseurs  de  l'armée  de 
Sambre-et-Meuse  devaient  passer  à  la  Ferté,  située  à  onze  lieues 
de  Paris,  les  13,  14,  13  et  16  du  présent  mois ,  pour  se  rendre 
à  une  destination  éloignée.  Le  directoire  en  fut  averii  hier  par  le 
minisire  de  la  guerre ,  et  sur-le-champ  il  a  été  donné  des  ordres 
pour  changer  cette  route.  Le  directoire  ne  croit  pas  que  la  mal- 
veillance ait  eu  la  moindre  part  dans  la  direction  donnée  à  cette 
marche.  Il  croit  qu'elle  est  l'effet  de  l'erreur  d'un  commissaire 
des  guerres.  Il  fera  punir  les  auteurs ,  s'il  les  découvre.  Il  est 
faux  qu'il  y  ait  des  troupes  à  Soissons. 

»  Signé  y  Carnot,  président.  » 

Doulcet.  «  Il  n'est  pas  ici  question  de  jeux  d'enfans  ;  il  faut  sa- 
voir pourquoi  ces  troupes  ont  eu  ordre  de  se  détacher  de  l'armée 
de  Sambre-et-Meuse  pour  se  rendre  à  une  autre  destination  ; 
pourquoi  il  leur  a  été  enjoint  de  passer  à  onze  lieues  de  Paris, 
tandis  que  la  Constitution  interdit  ce  passage  à  douze  lieues,  ll^ie 
s'agit  pas  ici  de  commissaires  des  guerres;  mais  il  faut  suivre  la 
responsabilité  dans  tous  ses  fils ,  afin  de  la  faire  tomber  sur  celui 
qui  a  donné  le  premier  ordre.  Il  est  bien  étonnant  que  le  direc- 
toire dise  qu'il  ne  sait  que  d  hier  la  marche  de  ces  troupes  ;  il  est 
bien  étonnant  que  les  papiers  publics  nous  aient  appris  ce  que  le 
gouvernement  ignore.  Sommes-nous  donc  encore  dans  ce  régime 
où  régnait  l'anarchie,  et  où  le  gouvernement  privé  d'unité  se 
disséminait  dans  une  foule  de  commissions  et  de  comii.éi?  Oa 
nous  dit  que  le  m'nisire  de  la  guerre  ignorait  cette  marche  ;  et 
pourquoi  la  lui  avait-on  cachée  ?  Je  le  dis  fianchement,  c'est 
parce  qu'on  redoutait  sa  probité  intacte  ,  et  son  imperturbable 
fermeté. 

»  Je  demande  l'impression  du  mes>age ,  et  le  renvoi  à  une  com- 
mission de  cinq  membres,  qui  sera  chai gée  d'examiner  celte  af- 
faire, et  de  ramener  la  responsabilité  à  son  dernier  anneau.  »  — 
Adopté. 


312         DIRECT.    —   DU   le»*   PRAIR.    AN   V    (  î20   MAI  1797) 

La  commission  sera  composée  de  Pichegru ,  Villot ,  Doulcet , 
Gau  et  Normand. 

CONSEIL  DES  ciNQ-CEMS.  —  Séauce  du  5  thermidor   an  V 

(^\  juillet  il97). 

Le  président.  *  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  sur  les 
sociétés  s'occupant  de  questions  politiques  ;  mais  Guillemardet  a 
demandé  la  parole  pour  une  motion  d'ordre,  relative  au  message 
d'hier.  Je  la  lui  accorde.  » 

GtnUemardet.  c  Après  les  inquiétudes  et  les  alarmes  jetée» 
hier  dans  cette  enceinte ,  on  a  demandé  au  directoire  des  rensei- 
gnemens  sur  les  faits  qui  paraissent  les  motiver.  Les  éclaircis- 
semens  exigés  vous  ont  été  transmis  ;  une  commission  a  été 
chargée  de  vous  présenter  un  rapport  ;  il  importe  à  la  paix  inté- 
rieure, à  la  considéraiion  dont  la  Kéjjublique  doit  jouir  au-de- 
hors,  au  moment  où  elle  traite  avec  les  ennemis ,  de  fdire  cesser 
les  inijuiéiudes  ;  si  la  commission  e^t  prête,  je  demande  qu'elle 
fasse  son  rapport  ;  si  elle  ne  l'est  pas ,  je  demande  à  parler.  » 

"Diiplanlier.  «  La  demande  du  préopinant  est  un  peu  précipitée. 
Comment  veut-on  qu'une  commission,  qui  a  des  renseignemens 
un  peu  longs  à  prendre  ,  soit  en  état,  du  jour  au  lendemain ,  de 
vous  présenter  des  mesures  d'autant  plus  importantes  que  le  dan- 
ger est  plus  pressant.  Car  il  est  bon  de  vous  dire  que,  sans  doute 
par  l'inadvertance  d'un  autre  commissaire  des  guerres,  un  régi- 
ment de  chasseurs  et  une  demi-brigade  d'infjnlerie  sont  arrivés  à 
Etampes.  D'après  cela  ,  je  pense  qu'd  importe  de  laisser  à  votre 
commi;*sion  le  temps  de  méditer  le  projet  qu'elle  a  à  vous  pro- 
poser. » 

Guillemardet.  «  Je  demande  la  parole.  » 

Leprcsidtui.  «  J'ai  vu  ce  malin  le  rapporteur  de  la  commis- 
sion ;  il  m'a  assuré  qu'elle  s'occupait  constamment  de  sou  tra- 
vail. » 

Guillemardet.  «  Je  demande  la  parole.  » 

Plusieurs  voix,  c  L'ordre  du  jour.  » 

Plusieurs  autres,  «  La  parole  à  Guillemardet.  » 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     513 

Guîilemardet,  «  On  n'a  pas  craint  de  jeter  dans  le  sein  de  la 
République  un  serment  de...  »  {Violentes  clameurs.  ) 

Le  président.  <i  Je  consulte  le  conseil,  pour  savoir  si  Guillemar- 
det  sera  entendu.  > 

Une  première  épreuve  est  faite.  Le  président  prononce  la  né- 
gative. Des  murmures  se  font  entendre;  l'épreuve  est  renouvelée, 
le  président  prononce  de  nouveau  que  Guillemardet  ne  sera  pas 
entendu. 

A  l'instant,  organe  de  la  commission  chargée  de  l'examen  du 
message ,  Doulcet  paraît  à  la  tribune.  «  J'apprends,  dit-il,  qu'un 
membre  vient  de  sommer  la  commission  nommée  hier,  de  faire 
son  rapport.  (Murmures.)  J'annonce  au  conseil  que  la  commission 
s'est  réunie  ce  matin;  elle  s'occupe,  soit  d'examiner  le  message , 
soit  de  recueillir  les  renseignemens  qu'une  foule  de  citoyens  s'em- 
pressent de  lui  apporter  sur  la  marche  des  troupes.  Elle  s'occupe 
en  ce  moment,  de  rédiger  un  projet  d'arrêté,  afin  d'obtenir  du 
direcioire  une  réponse  plus  catégorique  que  celle  d'hier.  Je  ne 
sais  si  la  formation  de  la  commission  a  jeté  l'alarme  dans  les  es- 
priis,  mais  je  vous  jure  qu'elle  ne  vous  présentera  que  des  me- 
sures grandes,  consiiluîionnelles ,  dignes  de  vous,  dignes  du 
peuple  français.  Je  demande  l'adjonction  de  Pichegru  et  de  Vil- 
lot  à  la  commission  des  inspecteurs  de  la  salle  ;  c'est  à  quoi  je  con- 
clus. > 

Une  foule  de  voix.  «  Oui,  oui.  » 

Grand  nombre  d'autres.  «  L'ordre  du  joufr.  > 

Lamarque.  «  J'ai  entendu  avec  étonnement  que  la  commission 
nommée  pour  l'examen  du  message  se  croyait  autorisée  à  vous 
foire  un  rapport  sur  des  informations  qu'elle  prendait  de  son  chef. 
(  Une  foule  de  voix.  Oui,  oui.  Murmures,  clameurs.)  Si  le  conseil 
a  chargé  sa  commission  de  prendre  des  informations,  de  faire  des 
recherches ,  je  n'ai  rien  à  dire.  (Foule  de  voix.  Oui,  oui.)  J'entends 
dire  à  mes  oreilles  que,  quand  même  la  commission  n'en  serait 
J)as  chargée,  elle  eo  aurait  le  droit.  Si  le  conseil  l'en  a  chargée,  je 
n'ai  rien  à  dire.  Au  resle,jj'appuiela  proposition  faite  d'adjoiridre 


314        DIRECT.    —   DU    l<^r   PRAIR.    AN    V   (  20  MAI    1797  ) 

Pichegru  et  Villot  à  la  commission,  je  demande  qu'on  y  adjoigae 
aussi  Jourdan  de  la  Haule-Vienne,  le  général.  » 

Quelques  voix.  «  Et  aussi  Talot.  > 

Bourdon,  «  Plus  les  circonstances  sont  difficiles,  moins  il  faut 
s'écarter  de  la  Constitution.  Le'nombre  des  inspecteurs  est  fixé 
par  elle....  >  (Murmures.) 

Le  président,  t  La  parole  est  à  Larivière.  » 

Lariviere.  «  Si  le  nombre  des  inspecteurs  n'est  pas  suffisant 
pour  veiller  à  la  sûreté  du  corps  lé{;islatif ,  il  faut  l'augmenter, 
mais  non  pas  au  point  de  rompre  l'ensemble,  l'unité  ,  l'harmonie 
qui  doivent  régner  dans  les  mesures  à  prendre.  Trois  membres 
de  plus  à  la  commission  en  porteraient  le  nombre  à  huit  ;  en  cas 
de  pariage  dans  les  opinions,  une  délibération  serait  alors  impos- 
sible. Je  demande  que  Pichegru  et  Villot  soient  seuls  adjoints  à 
la  commission.  »  (Plusieurs  voix.  Ah  !  ah  I) 

Madier  s'écrie  de  sa  place.  «  Je  demande  la  question  préa- 
lable. » 

Jourdan  de  La  Haute- Vienyie.  c  Votre  commission  a  cru  devoir 
vous  proposer  l'adjonction  de  deux  membres  à  celle  des  inspec- 
teurs. Je  ne  vois  là  rien  que  de  juste  et  de  naturel.  Mais  je  le  dis 
avec  franchise ,  je  ne  conçois  pas  comment  Lamarque  a  pu  deman- 
der que  j'y  fusse  adjoint.  Cette  demande  est  indécente.  Je  réclame 
l'ordre  du  jour  sur  celle  proposition.  » 

Guillcmardet.  «  Je  demande  lu  parole.  » 

Plusieurs  voix,  c  Fermez  la  discussion.  » 

Le  président,  t  Je  rappelle  Madier  à  Tordre.  » 

Madier.  «  Je  demande  la  parole  contre  le  projet.  » 

Guillemardet,  c  Je  demande  la  jarole  contre  l'adjonction  de  Pi- 
chegru à  la  commission.  (  De  violens  mui  mures  inirrrompent  l'o- 
rateur; il  les  brave,  il  s'écrie  :)  Peu  m'importe  les  iudividus,  je 
ne  vois  que  les  principes.  Le  règlement  fixe  à  cinq  ,  le  nombre 
des  inspecteurs;  et  ce  règlement  est  une  loi.  »  (Foule  de  voix.  Non, 

non.) 

»)  Quoi  !  le  règlement  n'est  pas  une  loi  rendue  par  la  Conven- 
tion naiionale!  (On  rit.  L'orateur,  tenant  à  la  main  le  règlement, 


AD   18   FRUCTIDOR   AN   V   (  4   SEPTEMBRE   1797  ).  315 

lit  à  haute  voix  :  Loi  concernant  la  police  des  séances  et  des  dé- 
libérations du  corps  législatif.)  C'est  donc  une  loi  rendue  par  la 
Convention  nationale.  (On  rit.)  Nous  n'avons  pas  la  faculté  d'en 
rapporter  aucun  article  nous  seuls ,  sans  soumettre  ce  rapport  à 
la  sanction  des  anciens.  Mais  si  nos  inspecteurs  croient  avoir  besoin 
de  s'entourer  des  conseils,  des  lumières,  des  taiens  de  Pichegru, 
ils  peuvent  le  consulter,  sans  pour  cela  qu'on  l'adjoigne  à  la  com- 
mission; autrement  ce  serait  violer  la  loi.  Quoiqu'on  en  dise,  les 
dangers  dont  on  nous  menace  ne  sont  pas  aussi  fondés  qu'on  se 
plaît  à  le  répéter.  (Murmures,  clameurs.  )  Oui,  je  le  dis  haute- 
ment on  veut  nous  forcer  à  adopter  précipitamment  des  mesures 
violentes ,  que  la  tranquillité  de  la  République  nous  fait  un  de- 
voir de  peser  dans  le  calme  et  la  sagesse  d  une  mûre  délibé- 
ration. 

»  Et  quand  je  songe  que  les  motifs  du  danger  qu'on  suppose . 
sont  tirés  de  la  destitution  de  quelques  ministres  {Foule  de 
voix.  Oui .  oui.  Clameurs.),  du  passage  de  quelques  troupes  à  de- 
mi-lieue plus  près  que  la  distance  de  la  Constitution  exige.»  {Foule 
de  voix.  Ce  n'est  pas  la  question.)  » 

GuiUemardet.  a  Je  suis  dans  la  question.  » 

Le  président.  «  La  question  est  de  savoir  si  Ton  augmentera  le 
nombre  des  inspecteurs  de  la  salle.  » 

GuiUemardet.  «  Les  motifs  de  cette  adjonction  sont  fondés  sur 
les  dangers  prétendus  que  court  le  corps  législatif  ;  en  réfutant 
ces  motifs ,  je  suis  dans  la  question.  (Les  clameurs  recommencent, 
l'orateur  s'écrie  :)  S'il  n'y  avait  pas  ici  tyrannie  et  oppression 
exercée  sur  les  opinions  ,  je  pourrais  continuer  à  développer  la 
mienne;  mais  le  président  a  commencé  à  me  refuser  la  parole , 
et  depuis  que  je  parle,  je  suis  interrompu  par  des  clameurs 
continuelles.  Je  demande  qu'on  me  laisse  achever  en  silence. 
(Calme.) 

»  Oui ,  les  motifs  d'adjoindre  à  la  commission  des  inspecteurs, 
des  membres marquans  (Nouvellesclameurs.),  oui,  oui,marquans, 
sont  dénués  tle  fondement.  Il  en  est  des  dangers  que  court  en  ce 
moment  le.corps  législatif,  comme  de  ceux  que  Dumolai  d  vin^,  avec 


316  DIRECT.   —  DU  ier   PRAIR.    AN   V   (  20  MAI  1797) 

tant  d'emphase,  vous  dénoncer  à  cette  tribune ,  à  la  fin  de  la  der- 
nière session  :  le  tout  se  réduisit ,  comme  chacun  sait,  à  des  or- 
dres donnés  par  le  min-stre  de  la  police  pour  arrêter  quelques  gens 
ivres. 

»  Je  ne  sais  pourquoi  on  fait  tant  de  bruit  de  ce  que  la  majoi  ilé 
du  directoire  est  en  dissidence  avec  la  minorité.  Je  ne  vois  pas 
qu'il  y  ail  là  un  motif  suffisant  d'établir  dans  notre  sein  un  comité 
des  recherches ,  et  de  prendre  nous-mêmes  les  rênes  du  gouver- 
nement. Je  demande  Tordre  du  jour.  > 

Bornes.  <  J'ai  entendu  avec  étonnement  l'orateur  se  demander 
quels  étaient  donc  les  dangers  de  la  patrie,  pour  adjoindre  aux 
inspecteurs  deux  membres  marquan?.  {Quelques voix.  Deux  gé- 
néraux.) Je  ne  connais  point  ici  de  généraux  ,  je  ne  vois  que  des 
représentans  du  peuple,  revêtus  par  lui  du  sacerd(  ce  civil. 

»  On  demande  quels  sont  nos  justes  motifs  d'inquiétudes;  je 
répondrai  :  jetez  les  ytux  sur  cette  nuée  de  sociétés  populaires  , 
sorties  comme  par  enchantement  de  tous  les  points  de  la  Répu- 
blique. (D'une  part  on  s' écrie.  Bah,  bi.h.  Del  autre  on  répond.  Oui, 
oui.)  Voyez  ce  qui  se  passe  à  Toulouse,  à  Bordeaux  ;  et  sans  al- 
ler si  loin,  jetez  les  yeux  autour  de  vous,  vous  verrez  les  murs  ta- 
pissés d*un  placard  signé  Lenoir  Laroche,  membre  du  club  consti' 
luiionnelf  dans  lequel  on  accuse ,  non  quelques  membres ,  mais  la 
majorité  du  conseil  des  cinq-cents  d'être  des  contre-révolution- 
naires. On  y  sonne  le  tocsin  de  l'alarme  ;  on  y  invite  les  patriotes 
à  se  rallier ,  et  c'est  contre  vous ,  citoyens  représentans,  qu'on 
excite  le  peuple  et  que  l'on  prépare  un  nouveau  5^  mai. 

>  Je  pourrais  ajouter  d'autres  renseignemens ,  vous  dévoiler 
d'autres  faits  qui  prouveraient  jusqu'à  l'évidence  que  vos  craintes 
sont  fondées  ;  mais  Paris  sera  calme;  le  danger  est  prévu ,  c'en 
cstasspz  pour  le  déjouer.  Les  hommes  qui  s'étaient  mis  en  avant 
ont  précédemment  soustrait  tout  ce  qui  pouvait  les  compromrttr  e. 
L'adjonction  demandée  n'annonce  pas  que  nous  allons  attaquer 
le  directoire,  elle  annonce  au  peuple  que  nous  veillons  à  sa  sû- 
reté comme  à  la  nôtre.  Je  demande  qu'en  coaformilé  de  la  loi,  les 
dcux#  nouveaux  adjoints  soient  nommes  au  scrutin.  > 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  )     517 

Thibaudeau,  t  Je  demande  la  parole.  » 

Le  président,  t  La  parole  est  à  Pastoret,  > 

Thibaudeau,  «  Je  demande  à  parler  contre  la  proposition.  » 

Boissy-d'Anglas,  «  Et  moi  aussi.  » 

Thibaudeau.  t  Je  ne  prends  pas  pour  motifs  de  l'adjonction  de- 
mandée, ces  moiifs  de  chacun  en  particulier,  mais  ceux  de  la  com- 
mission ;  mais  comme  eile  n'en  a  donné  aucun ,  cela  seul  ne  sulfi- 
rait pas  pour  rejeter  le  projet,  quand  d'ailleurs  il  n'offrirait  pas 
de  dangers. 

»  Je  dis  que  là  proposition  qui  vous  est  faite  est  inconvenante. 
S'il  y  a  quelques  mesures  à  prendre,  ce  n'est  pas  dans  le  sein  obs- 
cur d'un  comité ,  c'est  dans  celui  de  l'assemblée,  c'est  en  présence 
du  peuple  qu'elles  doivent  être  prises.  Un  corps  législatif  qui  re- 
mettrait ses  pouvoirs  à  une  commission,  qui  lui  donnerait  une 
confiance  aveug'e ,  s'exposerait  à  compromettre  le  salut  de  la  pa- 
trie. S'il  y  a  des  mesures  à  prendre  leur  responsabilité  doit  peser 
sur  ma  tète,  sur  celle  de  vous  tous.  Je  suis  vivement  pénétré,  je 
suis  douloureusement  affecté  de  la  marche  de  nos  délibérations. 
11  est  temps  enfin  qu'elles  prennent  ce  caractère  de  dignité  et  de 
grandeur  qui  convient  à  la  première  autorité  constituée  de  la  Ré- 
publique. Qu'on  laisse  de  côté  toutes  ces  petites  attaques  qui  ne 
mènent  à  rien,  et  frappons  le  coup  décisif;  s'il  y  a  lieu,  nous  le 
porterons  tous.  (Foule  de  voix.  Oui,  oui.)  Abstenons- nous  de  ce 
ton  d'aigreur  toujours  déplacé  dans  la  bouche  d'un  représentant 
du  peuple.  Si  la  division  entre  les  pouvoirs  et  les  meiiibres  de  ces 
pouvoirs,  a  pour  cause  un  attentat  à  la  Constitution,  une  usurpa- 
tion à  la  souveraineté,  ce  n'est  pas  par  de  petites  attaques  que 

nous  réprimerons  ce  délit,  mais  par  des  moyens  larges  et  grands, 

et  nous  serons  tous  d'accord.  Je  demande  Fujournement  de  l'ad- 
jonction de  nouveaux  membres  à  la  commission  des  inspecteurs, 

jusqu'à  ce  que  la  commission  elle-même  vous  ait  fait  un  rapport 

motivé.  » 

Pastoret,  <  Je  rappelle  la  discussion  à  son  véritable  point.  Je 

pense  que  les  dangers  dont  on  nous  menace  sont  exagérés;  mais 

je  pense  aussi  que  cette  exagération  est  excusable,  quand  le  patrie- 


318         DIRECT.   —  DU   1^''   PRAIR.    AN   V  (  20  M-4I  i797j) 

tisme  l'inspire.  Oui,  ies  entreprises  de  l'anarchie  et  du  crime, 
viendront  échouer  contre  la  sage  impariialiié  du  corps  législa- 
tif, comme  le  flot  écumeux  se  brise  contre  le  rocher  qui  en  est 
baitu. 

»  Je  pense  aussi  que  c'est  au  corps  législatif  à  prendre  les  me- 
sures propres  à  maintenir  la  tranquillité  publique;  sur  lui  pèse 
une  grande  responsabilité.  Devez-vous  augmenter  le  nombre  des 
inspecteurs.  On  dit  que  la  loi  le  fixe  à  cinq  ;  mais  cette  loi  est  pu- 
rement réglementaire,  il  n'est  pas  besoin  d'une  loi  nouvelle  pour 
la  rapporter ,  un  simple  arrêté  suffit.  (Murmures.)  Ce  que  je  dis 
a  eu  lieu  plusieurs  fois.  Au  reste,  comme  la  proposition  ne  vous 
a  point  été  faite  par  la  commission  des  inspecteurs ,  je  demande 
l'ajournement  jusqu'à  ce  qu'elle  vous  fasse  un  rapport  à  ce  sujet.» 

Après  deux  épreuves,  le  conseil  prononce  l'ajournement. 

Normand.  «  Votre  commission  a  examiné  le  message  du  direc- 
toire, relatif  à  l'ordre  donné  aux  troupes  de  se  rendre  à  la  Ferté, 
à  dix  lieues  de  Paris  et  à  trois  lieues  deux  tiers  de  la  grande  roule. 
Le  message  ne  répond  pas  à  la  question  qu'il  vous  importait  le 
plus  de  connaître.  Le  directoire  n'attribue  point  cette  marche  ù 
la  malveillance  ,  mais  à  l'erreur  du  commissaire  des  guerres.  Il 
déclare  que  s'il  trouve  des  coupables  il  les  fera  punir.  La  commis- 
sion a  pensé  que  cette  réponse  était  évasive.  Vous  désiriez  con- 
naître quel  est  celui  qui  a  donné  l'ordre  de  la  marche,  et  il  a  paru 
à  la  commission  qu'il  était  impossible  que  le  directoire  ne  pût 
vous  donner  là-dessus  une  réponse  catégorique. 

9  En  effet,  un  mouvement  de  troupes  ne  peut  avoir  lieu  en  vertu 
des  ordres  d'un  général ,  que  dans  l'étendue  de  son  commande- 
ment ;  hors  de  là ,  les  ordres  sont  donnés  par  le  ministre  de  la 
guerre ,  qui  les  reçoit  lui-môme  du  directoire  exécutif.  Ainsi , 
comme  la  Ferté  est  hors  du  commandement  de  l'armée  de  Sambre- 
et-3Ieuse,  il  faut  nécessairement  que  l'ordre  donné  aux  troupes 
pour  s'y  rendre  soit  émané  de  quelqu'un,  autre  que  le  général 
de  celte  armée ,  et  c'est  ce  quelqu'un  qu'il  faut  connaître. 

»  La  commission  a  pensé  encore  qu'il  importait  de  savoir  dans 
quelle  latitude  le  directoire  avait  usé  de  la  permission  que  luiavait 


AU   18  FRUCTIDOR   AN   V   (  4  SEPTEMBRE   1797).  319 

accordée  le  corps  législatif,  d'avoir  à  sa  disposition  un  corps  de 
troupes  dans  le  rayon  de  dix  lieues  autour  de  Paris. 

t  Elle  vous  propose  donc  d'adresser  au  directoire  deux  nou- 
veaux messages.  Par  le  premier,  vous  lui  demanderez  qu'il  vous 
fasse  connaître  le  nom  de  celui  qui  a  donné  l'ordre  de  marche  au 
détachement  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse  ,  et  par  le  second, 
vous  exigerez  qu'il  vous  donne  le  nombre  des  troupes,  et  le  nom 
des  corps  qui  existaient  au  1^^^  messidor,  dans  le  rayon  de  dix 
lieues  de  Paris  ;  le  nombre  et  le  nom  de  ceux  qui  s'y  trouvent 
aujourd'hui.  >  —  Adopté. 

Le  directoire  a  fait  passer  un  message  sur  la  situation  de  Paris, 
qui  n'offre  rien  d'alarmant. 

—  Le  conseil  des  anciens  approuva  par  une  délibération  spé- 
ciale la  conduite  des  cinq-cents,  ainsi  que  l'activité  de  sa  sur- 
veillance. 

A  cette  époque  les  journaux  du  gouvernement  commencèrent 
à  insérer  les  proclamations  des  généraux  à  leurs  armées,  à  l'oc- 
casion de  l'anniversaire  du  14  juillet.  Ils  publièrent  ensuite  les 
vœux  plus  significatifs  émis  dans  les  réunions  et  les  banquets 
qui  avaient  eu  lieu  dans  la  même  circonstance.  L'armée  s'y  mon- 
trait disposée  à  s'insurger  contre  les  conseils  pour  en  chasser  le 
royalisme.  Beaucoup  de  gens  supposèrent  que  ces  manifestations 
avaient  été  provoquées  par  les  ordres  du  directoire;  beaucoup 
d'autres  crurent  qu'elles  étaient  l'effet  d'un  mouvement  spontané. 
Quoi  qu'il  en  soit,  voici  la  proclamation  de  Bonaparte. 

Bonaparte  ,  général  en  chef  de  l'armée  d  Italie, 

Soldats  !  C'est  aujourd'hui  l'anniversaire  du  14  juillet.  Vous 
voyez  devant  vous  les  noms  de  nos  compagnons  d'armes  morts  au 
champ  d  honneur,  pour  la  liberté  de  la  patrie.  Ils  vous  ont 
donne  l'exemple;  vous  vous  devez  tout  entiers  à  la  République  ; 
vous  vous  devez  tout  entiers  au  bonheur  de  trente  millions  de 
Français  ;  vous  vous  devez  tout  entiers  à  la  gloire  de  ce  nom,  qui 
a  reçu  un  nouvel  éclat  par  vos  victoires. 

Soldast!  je  sais  que  vous  êtes  profondément  affectés  des  maN 


520         DIRECT.   —  DU  ier  PRAIR.   AN  V   (  20  MAI  1797) 

heurs  qui  menacent  la  patrie  ;  mais  la  patrie  ne  peut  courir  de  dan- 
{rers  réels.  Les  mêmes  hommes,  qui  l'ont  fait  triompher  de  l'Eu- 
rope coalisée,  sont  là.  Des  montagnes  nous  séparent  de  la  France: 
vous  les  franchirez  avec  la  rapidité  de  l'aigle,  s'il  le  fallait,  pour 
maintenir  la  Constitution,  défendre  la  liberté,  protéger  le  gou- 
vernement et  les  républicains. 

Soldats!  le  gouvernement  veille  sur  le  dépôt  des  lois  qui  lui  est 
confié.  Les  royalistes,  dès  l'instant  qu'ils  se  montreront,  auront 
vécu.  Soyez  sans  inquiétude,  et  jurons  par  les  miines  des  héros 
qui  sont  morts  à  côié  de  nous  pour  la  liberté ,  jurons  sur  nos  nou- 
veaux drapeaux  :  Guerre  implacable  aux  ennemis  de  la  République 
et  de  la  Constitution  de  ian  III.  —  Signé ,  Bonaparte. 

Dans  les  toasts  des  banquets  on  remarquait  celui  du  général 
Lannes:  t  A  la  destruction  du  club  de  Clichy.  Les  infâmes!  ils 
veulent  encore  des  révolutions  :  que  le  sang  des  patriotes  qu'ils 
font  assassiner  retombe  sur  eux  !  » 

Enfin,  Berihier,  le  chef  de  létat-major  de  l'armée  d'Italie, 
envoyait  à  toutes  les  administrations  de  département  une  circu- 
laire imprimée,  ornée  d'une  vignette  à  la  gloire  des  armées,  où 
l'on  lisait  que  le  cri  unanime  de  l'armé'^  était  :  <  Guerre  im- 
placable aux  royalistes  et  fidélité  inviolable  au  gouvernement  ré- 
publicain et  à  la  Constitution  de  l'an  III!  » 

Les  commentaires  de  la  presse  quotidienne  sur  ces  manifesta- 
lions  militaires,  les  placards  qui  chaque  jour  couvraient  les  murs, 
l'agitation  des  séances,  avaient  remué  quelque  parties  de  la  po- 
pulation. Des  groupes  commençaient  à  se  former  autour  des 
lieux  des  séances  des  conseils.  Pendaut  ce  temps ,  les  cinq-cents 
avaient  l'imprudence  de  grossir  le  nombre  de  leurs  ennemis  en 
s' occupant  de  fermer  les  clubs  républicains  ou  directoriaux  et  en 
décrétant  leur  dissolution.  Que  Ton  juge  de  l'effet  que  devaient 
produire  sur  les  ho.mmes  qui  les  composaient  des  déclamations 
dans  le  genre  de  celle-ci  :  a  Quels  sont  donc  ces  hommes,  s'é- 
criait Pastoret  avec  un  historien  célèbre  (  séance  du  4  thf^rmidor), 
qui  veulent  dominer?  Leurs  mains  dé^joultent  de  sang:  ils  sont 
couverts  d'impiétés  et  de  crimrs.  Tout  est  trafic  pour  eux ,  Thon- 


AU   18   FRUCTIDOR   AN   V  (  4  SEPTEMBRE   1797  ),  521 

neur,  la  bonne  foi,  l'humanité ,  la  justice.  L'esprit  de  faction 
est  le  seul  lien  des  méchans;  les  forfaits  qu'ils  commirent  ensem- 
ble ne  leur  permettent  plus  d'avoir  aujourd'hui  que  les  mêmes 
désirs,  les  mêmes  haines ,  les  mêmes  terreurs.  Romains ,  mettez 
à  défendre  la  liberté  l'ardeur  qu'ils  mettent  à  la  domination ,  et 
bientôt  la  République  ne  craindra  plus  leurs  fureurs,  i 

Il  semblait  que  l'opposition  en  ce  moment ,  chaque  fois  qu'elle 
ne  s'occupait  pas  des  mesures  applicables  à  la  nécessité  des  cir- 
constances, eût  à  cœur  de  se  montrer  digne  de  toutes  les  colères 
qui  la  menaçaient ,  en  excitant  contre  elle  les  intérêts  comme  les 
préjugés.  Elle  s'occupait  de  rendre  les  presbytères  aux  commu- 
nes; elle  discutait  sur  la  forme  du  serment  que  Ton  devait  exiger 
du  clergé  ;  on  proposait  de  réduire  le  serment  à  ces  mots  :  «  Je 
déclare  que  je  suis  soumis  au  gouvernement  de  la  République.  » 
Elle  se  montrait  maladroite  en  chicanant  Barras  sur  son  âge,  qui, 
disait-elle ,  n'était  point  de  quarante  ans  ainsi  que  l'ordonnait  la 
Constitution,  au  moment  où  il  était  entré  dans  le  directoire;  et 
celui-ci  répondait  par  un  message,  que  Barras  avait  alors  qua- 
rante ans  et  trois  mois.  Enfin  ,  elle  profitait  de  l'anniversaire  du 
9  thermidor  pour  rappeler  tout  ce  que  l'on  avait  déjà  mille  fois 
redit  des  journées  de  septembre,  de  la  terreur,  et  l'horreur  que 
lui  inspiraient  ceux  qui  y  avaient  participé.  De  là  des  lettres  écri- 
tes aux  journaux ,  une  polémique  à  laquelle  tous  ceux  qui  avaient 
joué  un  rôle  à  ces  époques  étaient  intéressés  et  souvent  prenaient 
part.  Quant  au  direcîoire,  il  sollicitait  incessamment  des  fonds, 
en  exposant  le  vide  des  caisses;  il  répondait  aux  quesiions  par 
des  messages  évasifs.  Cependant  il  destitua  le  général  Hache , 
d'après  les  observations  faites  dans  les  conseils  qu'il  était  trop 
jeune,  et  le  remplaça  au  ministère  de  la  guerre  par  le  général 
Schérer.  11  destitua  Lenoir- Laroche  et  le  remplaça  à  la  police 
par  Sorin.  Le  premier  avait  été  dénoncé  pour  un  placaid ,  signé 
de  lui ,  et  peu  favorable  au  corps  législatif,  placard  affiché  avec 
c^tre  :  Leminisire  de  la  police  à  ses  concitoyens,  et  dans  lequel 
on  soutenait  l'utilité  des  clubs.  Le  conseil  des  anciens  agissait 
presque  comme  en  un  temps  ordinaire;  il  parlait  moins;  néau- 

T.    XXXVII.  21 


322         DIRECT.    —   DU   l^r   PRAIR.    AN    V    (  20   MAI    1797) 

moins  il  approuvait  la  mesure  contre  îes  clubs,  ainsi  que  tontes 
celles  qui  pouvaient  fortifier  le  corps  législatif  contre  le  gouver- 
nement. Telle  fut  enire  autres  la  résolution  qui  ordonnait  la  re- 
organisation de  la  garde  nationale.  Cette  loi  adoptée  par  les  cinq- 
cents,  dans  les  séances  des  9  et  12  thermidor,  fut  sanctionnée, 
le  2o ,  par  les  anciens.  On  remarqua  que  le  directoire  ne  publiait 
pas  cette  loi  ;  bien  plus ,  il  avait  fait  menacer  et  arrêter,  disait- 
on  ,  quelques  habitan§  de  Paris  qui  s'occupaient  à  l'avance  de 
préparer  les  moyens  d'une  prompte  réorganisation.  Ce  retard 
inconstitutionnel  dans  la  publication  d'une  loi  importante  fut  dé- 
noncé 5  la  tribune  des  cinq-cents.  Le  directoire  s'empressa  de 
rendre  la  dénonciation  nulle,  en  faisant  la  publication  prescrite. 
11  importait ,  en  effet,  aux  membres  de  ce  pouvoir  de  paraître 
craindre  les  conseils,  jusqu'au  moment  où  il  pourrait  agir;  car 
une  mise  hors  la  loi  pouvait ,  en  un  instant,  paralyser  tous  ses 
projets,  lis  firent  si  bien  qu'ils  leur  rendirent  une  sécurité  mo- 
mentanée; peut-être  aussi  les  habiles  de  l'opposition  jugèrent-ils 
à  propos  de  faire  semblant  d'être  dupes  afin  de  gagner  du  temps. 
Dans  son  rapport  sur  le  mouvement  des  troupes  ,  Pichegru  de- 
manda qu'on  ne  poussât  pas  l'instruction  de  cette  affaire  ,  qu'on 
fermât  les  yeux  sur  les  coupables,  et  proposa  une  résolution  qui 
ne  permit  plus  à  personne  d'ignorer  quel  était  le  rayon  que  la 
présence  du  corps  législatif  rendait  sacré.  On  délibéra ,  on  von' 
une  résolution  dans  ce  sens  qui  fut  approuvée  par  les  anciens. 

Le  20  thermidor,  un  message  du  directoire  annonça  aux  cin(j'- 
cents  qu'il  avait  fait  exécuter  cette  loi.  La  veille ,  un  député 
leur  avait  appris  que  le  président  du  directoire,  Carnot,  avait 
témoigné  à  la  commission  qui  l'avait  proposée  son  regret  de  voir 
les  armées  égarées  par  des  écrits  exagérés;  et  le  même  jour  on 
avait  reçu  une  adresse  du  régiment  d'artillerie  en  garnison  à 
Auxonne,  protestant  de  son  dévouement  au  corps  législatif.  Les 
journaux  modérés,  tels  que  le  Journal  de  Paris ^  annonçaJÊnt 
qu'il  y  avait  eu  un  rapprochement  entre  la  majorité  des  conseils 
et  le  pouvoir  exécutif. 

Mais  la  sécurité  ne  fut  pas  longue  :  le  23,  les  directeurs  crai- 


AU   18   FRUCTIDOR   AN   V   (  4  SEPTEMBRE   1797).  525 

gnant  peut-êlre  que  les  troupes  eussent  plus  de  •confiance  à  leurs 
démarches  officielles  qu'à  leurs  ordres  secrets,  envoyèrent  un 
message  aux  cinq-cents  qui  fut  considéré  comme  un  manifeste. 
Dans  la  première  partie ,  il  reproduisait  les  justifications  qu'il 
avait  déjà  données  sur  la  marche  des  troupes  ;  rejetant  ce  fait 
sur  une  erreur  de  subalternes  ignorant  la  loi  ;  et  donnant  pour 
raison ,  au  passage  de  tant  de  régimens  à  travers  le  sol  français , 
la  formation  d'un  corps  d'armée  à  Brest.  Dans  la  seconde  partie 
il  continuait  ainsi  : 

<  Le  directoire  exécutif  n'a  reçu  qu'avant-hier  en  original  les 
adresses  des  défenseurs  de  la  patrie  des  différentes  divisions  qui 
composent  l'armée  d'Italie.  Toutes  étaient  destinées  pour  le  di- 
rectoire exécutif,  à  l'exception  de  deux  seulement  destinées  e» 
outre  aux  défenseurs  de  la  patrie  dans  les  autres  armées. 

9  Quoique  le  mot  délibérer  n'ait  pas  un  sens  assez  déterminé 
pour  pouvoir  s'appliquer  clairement  à  l'acte  par  lequel,  après 
avoir  épanché  leur  craintes  et  leurs  espérances  dans  le  sein  du 
directoire  exécutif  et  de  leurs  frères  d'armes ,  les  défenseurs  de 
la  patrie  n'ont  fait  qu'exprimer  le  vœu  qu'ils  forment  et  le  sen- 
timent qui  les  anime ,  le  directoire  exécutif  n'en  avait  pas  moins 
résolu  d'en  arrêter  la  circulation.  Il  avait  également  arrêté  d'é- 
crire au  général  en  chef  qu'il  déplorait  les  circonstances  qui 
avaient  porté  les  braves  soldats  républicains  à  des  actes  qui  pou- 
vaient paraître  irréguliers,  en  l'invitant  à  prévenir  soigneuse- 
ment tout  ce  qui  pourrait  porter  atteinte  à  la  Constitution. 

»  Le  directoire  exécutif  ne  s'en  est  pas  tenu  là  ;  il  a  dû  remon- 
ter aux  causes ,  et  vous  les  indiquer ,  persuadé  que  vous  trouve- 
rez dans  votre  sagesse  les  moyens  de  les  l^ire  cesser. 

>  La  cause  cj^  la  démarche  des  défenseurs  de  la  patrie ,  ci- 
toyens représentans ,  est  dans  l'inquiétude  générale  qui  depuis 
quelque  mois,  s'étant  emparé  de  tous  les  esprits,  a  succédé  à  la 
tranquillité  profonde  qui  régnait  et  à  la  confiance'qui  s'établissait 
de  toutes  parts  ;  elle  est  dans  le  (léfaut  de  revenus  publics ,  qui 
laisse  toutes  les  parties  de  l'administration  dans  la  situation  la 
plus  déplorable,  et  prive  souvent  de  leur  solde  et  de  leur  subsi- 


524        DIRFXT.    —   DU   1^>'   PRAIR.    AN  V    (20   MAI   1797  ) 

stance  les  hommes  qui,  depuis  des  années,  ont  versé  leur  sang  et 
ruiné  leur  santé  pour  servir  la  République  ;  elle  est  dans  la  per- 
sécution et  les  assassinats  exercés  sur  les  acquéreurs  des  biens 
nationaux,  sur  les  fonciionnaires  publics,  sur  les  défenseurs  de 
la  patrie,  et  pour  mieux  dire  sur  tous  ceux  qui  ont  osé  se  mon- 
trer amis  de  la  République;  elle  est  dans  l'impunité  du  crime  et 
dans  la  partialité  de  ceriains  tribunaux  ;  elle  est  dans  l'insolence 
des  émigrés  et  des  prêtres  réfractaires ,  qui ,  rappelés  et  favorisés 
ouvertement ,  débordent  de  toutes  parts ,  soulflent  le  feu  de  la 
discorde  et  inspirent  le  mépris  des  lois  ;  elle  est  dans  cette  foule 
de  journaux  dont  les  armées  sont  inondées  comme  l'intérieur, 
dans  ces  feuilles  qui  ne  prêchent  que  le  meurtre  des  soutiens  de 
la  liberté,  qui  avilissent  toutes  les  institutions  républicaines ,  qui 
rappellent  sans  méf.agem.ent  et  sans  pudeur  la  royauté  et  toutes 
les  institutions  oppressiveset  vexatoires  qui  tourmentaient  et  hu- 
miliaient à  un  égal  point  le  laboureur,  l'artisan ,  le  marchand,  etc., 
et  même  l'iioiiime  riche  qui  n'était  pas  titré  ;  elle  est  dans  l'inté- 
rêt, toujours  mal  dissimulé  et  souvent  manifesté  hautement,  que 
Ton  prend  à  la  prospérité  et  à  la  gloire  du  gouvernement  anglais 
et  de  la  cour  autrichienne,  loisqu'on  essaie  au  contraire  d'atté- 
nuer la  juste  renommée  de  nos  guerriers ,  lorsqu'on  ne  parle 
qu'avec  un  dépit  mal  déguisé  de  hautes  destinées  promises  à  la 
France,  et  de  ce  degré  éniinenl  de  gloire  et  de  bonheur  auquel 
elle  était  sur  le  point  d'atteindre;  elle  est  dans  les  sinistres  pro- 
jets qu'annoncent  des  hommes  plus  ou  moins  influcns  sur  le  sort 
de  l'étal  ;  elle  est  dans  le  blàine  qui  a  été  jeté  sur  les  résultats  tout 
à  la  fois  les  plus  glorieux  et  les  plus  utiles  des  victoires  de  nos 
défenseurs;  elle  est  dans  ce  projet  clairement  énoncé  de  calom- 
nier et  de  perdre  nos  généraux  répub  icaiift.  et  non;mément 
ceux  qui,  à  la  gloire  des  triomphes  bs  plus  éclatans  et  des  plus 
savantes  campajines,  ont  ajouté,  l'un  dans  l'ouest  delà  France  , 
et  l autre  en  Italie,  l'immortel  honneur  d'une  conduite  politique 
qui  fait  autant  l'éloge  de  leur  philoj^ophie  et  de  leur  humanité 
que  celui  de  leur  génie  ;  enfin  cette  cause  est  dans  le  désespoir  où 
sont  tous  Us  vrais  citoyens ,  et  particulièrement  les  défenseurs 


AU  18   FRUCtïDOR   AN   V   (4   SEPTEMBRE    1797).  525 

de  la  patrie ,  de  voir  s'éloigner  au  moment  même  de  sa  conclu- 
sion ,  et  après  l'avoir  achetée  par  tant  de  sang  et  de  souffrances  ,* 
une  paix  définitive  que  sollicitaient  enfin  avec  empressement  les 
chefs  de  la  coalition  vaincue,  et  qu'un  gouvernement  ami  de  l'hu- 
manité cherchait  à  conclure  avec  plus  d'empressement  encore , 
lorsque  tout  à  coup,  ranimant  leurs  espérances,  comptant  sur 
une  dissolution  générale  par  le  défaut  des  finances ,  sur  la  de- 
struction du  gouvernement,  sur  la  mort  ou  l'exil  d'^s  plus  braves 
généraux ,  et  sur  la  dispersion  et  la  perte  des  armées ,  ces  mêmes 
puissances  coalisées  ont  mis  autant  de  lemeur  dans  les  négocia- 
tions qu'elles  avaient  montré  d'ardeur  pour  terminer. 

>  Telles  sont,  citoyens  représentans ,  les  causes  qui  ont  agité 
les  esprits ,  et  qui  ont  porté  les  soldats  de  la  patrie  à  exprimer 
leurs  craintes  et  leurs  résolutions.  Le  directoire  exécutif  le  ré- 
pète ,  il  fera  ce  qu'il  doit  en  leur  recommandant  d'éviter  toutes 
démarches  irrégulières  ,  contraires  à  la  discipline ,  qui  fait  l'ame 
des  armées,  et  aux  lois,  qui  sont  le  soutient  de  l'état;  mais  il 
•  vous  doit  en  même  temps  une  déclaration  franche  et  loyale  de 
ses  sentimens. 

»  Il  espère  bien  certes  sauver  la  France  de  la  dissolution  à  la- 
quelle on  l'entraîne  avec  précipitation ,  éteindre  les  torches  de  la 
guerre  civile  qu'on  allume  avec  fureur,  et  sauver  les  personnes 
et  les  propriétés  des  dangers  d'un  nouveau  bouleversement;  c'est 
une  résolution  qu'il  suivra  avec  persévérance  et  avec  courage, 
sans  être  détourné  par  aucune  crainte  ou  par  aucune  séduction  : 
mais  aussi  il  ne  consentira  jamais  à  inspirer  une  fausse  sécurité , 
soit  à  ses  concitoyeijs  de  l'intérieur,  soit  à  ceux  qui  défendent  la 
patrie  au-dehors;  il  se  croirait  lui-même  coupable  de  trahison  en- 
vers son  pays  s'il  leur  dissimulait  les  funestes  tentatives  que  l'on 
ne  cesse  de  faire  pour  nous  jeier  dans  les  horreurs  d'une  i évolu- 
tion nouvelle  en  renversant  l'ordre  de  choses  actuel,  soit  par  la 
trahison  ,  soit  par  la  force.  » 

—  A  la  suite  de  ce  message ,  était  un  rapport  qu'on  avait  de- 
mandé  au  dirtctoii  e  sur  les  adresses  des  armées.  En  voici  quel- 

■'     4 

ques-unes  : 


326  DIRECT.    —-    DU    i^f   PRAIR.    AN    V    (20   MAI   1797) 

«  .....  Qu'ils  tremblent  les  conspirateurs  !  Nous  le  tiendrons  ce 
serment  redoutable!  Les  glaives  qui  ont  exterminé  les  armées 
des  rois  sont  encore  dans  Jes  mains  de  celles  du  Rhin,  de  Sambre- 
et-Meuse  et  de  l'Italie. 

»  La  route  de  Paris  offre-t-elle  plus  d'obstacles  que  celle  de 
Vienne?  Non  ;  elle  nous  sera  ouverte  par  les  républicains  restés 
fidèles  à  la  liberté  :  réunis ,  nous  la  défendrons ,  et  nos  ennemis 
auront  vécu  !  » 

€ Des  hommes  couverts  d'ignominie,  avides  de  vengean- 
ces ,  saturés  de  crimes ,  s^agitent  et  complotent  au  milieu  de  Paris, 
quand  nous  avons  triomphé  aux  portes  de  Vienne  ;  ils  veulent 
inonder  la  patrie  de  sang  et  de  larmes ,  sacrifier  encore  au  dé- 
mon de  la  guerre  civile ,  et ,  marchant  à  la  lueur  funèbre  du  flam- 
beau de  la  discorde  et  du  fanatisme ,  arriver  à  travers  des  mon- 
ceaux de  cendres  et  de  cadavres,  jusqu'à  la  liberté  qu'ils  pré- 
tendent immoler  !  Et  nous  pourrions,  nous  qu'ils  abhorrent  parce 
que  nous  en  sommes  les  défenseurs,  voir  de  sang-froid  le  progrès 
de  leurs  trames  criminelles  ! . . . 

»  Vous  enfin ,  qui  avez  fait  du  mépris,  de  l'infamie,  de  l'ou- 
trage et  de  la  mort ,  le  partage  des  défenseurs  de  la  République, 
tremblez!  De  l'Adige  au  Rhin  et  à  la  Seine  il  n'y  a  qu'un  pas. 
Tremblez  !  vos  iniquités  sont  comptées,  et  te  prix  en  est  au  bout 
de  nos  baïonnettes.  » 

« Les  horreurs  qui  se  commettent  depuis  long-temps  en 

France  ont  excité  en  nous  la  plus  vive  et  la  plus  juste  indigna- 
tion :  nous  savons  que  chaque  jour  est  marqué  par  l'assassinat 
des  républicains  les  plus  purs;  nous  savons  que  les  auteurs  de 
ces  assassinats  sont  les  émigrés  et  les  prêtres  réfractaires  ren- 
trés. Il  est  temps  de  mettre  fin  à  tant  de  crimes ,  et  de  convain- 
cre ces  monstres  qu'ils  se  flattent  en  vain  de  nous  donner  de  nou- 
velles chaînes!... 

»  Parlez,  citoijens  directeurs  ;  parlez  ,  et  aussitôt  les  scélérats 
qui  souillent  le  sol  de  la  liberté  n  existeront  plus!  Il  vous  suffira 
sans  doute  pour  les  anéantir  de  détacher  quelques-uns  de  nos 
braves  frères  d'armes  des  armées  de  Rhin-ct-Moselle  et  de  Sam- 


\U    18   FRUCTIDOR   AN    V    (4  SEPTEMBRE   1797  ).  527 

bre-et-Meuse  :  cous  désirons  partager  avec  eux  T  honneur  de 
purger  la  France  de  ses  plus  cruels  ennemis.  > 

€  On  suit  ouvertement  dans  la  législature  l'exécution  cCun 

plan  combiné  pour  rétablir  le  trône;  une  loi  liberticide  est  à  peine 
passée  f  qu  une  autre  est  proposée;  on  accuse  sans  pudeur  le  di- 
rectoire, dans  lequel  repose  le  dépôt  de  notre  Constitution ,  ac- 
ceptée par  nos  armées ,  et  reconnue  par  tous  les  Français  ;  on 
accuse  le  citoyen  qui  a  rendu  les  services  les  plus  signalés ,  et  qui 
dans  cet  instant  se  trouve  chargé  des  intérêts  les  plus  grands 
pour  couronner  les  travaux  de  toutes  les  armées  par  une  paix 
glorieuse ,  qui  affermirait  la  République  et  anéantirait  toutes  les 
factions,  tous  les  partis,  pour  ne  laisser  survivre  que  celui  des 
amis  du  gouvernement.  Ajoutez  à  cet  aperçu  rapide  la  rentrée  en 
masse  des  émigrés ,  dont  on  se  félicite  officiellement  dans  les  dis- 
cours des  conseils ,  les  cris  de  mort ,  les  harlemens  effroyables 
desjournalistes  de  Louis  XYIII ,  et  vous  aurez  le  tableau. lugu- 
bre de  la  contre-révolution  naissante  !  » 

t  Quoi!  après  avoir  forcé  nos  ennemis  extérieurs  à  nous 

demander  une  paix  qui  nous  couvre  de  gloire ,  toutes  les  lois  con- 
stitutionnelles ,  pour  lesquelles  nous  avons  versé  tant  de  sang ,  se* 
raient  anéanties  !  > 

<  .....  Nous  apprenons  avec  indignation  que  notre  mère  com- 
mune est  déchirée  par  les  monstres  qu'elle  avait  pour  toujours 
rejetés  de  son  sein  ;  que  le  royalisme  en  un  mot  avait  levé  sa  tête 
audacieuse ,  et  lançait  partout  des  regards  furieux  et  menaçans. 
Qu'espèrent-ils  donc  ces  hommes  avides  de  sang,  en  promenant 
leurs  poignards  sur  la  tête  des  patriotes ,  et  en  assassinant  nos 
braves  frères  d'armes  rentrant  dans  leurs  foyers?  Le  sol  de  la 
liberté  n'est  donc  plus  qu'un  champ  de  carnage!  Pensent-ils  que 
nous  n'avons  si  lonçj-temps  combattu  que  pour  leur  assurer  des 
triomphes?  »  % 

a  .....  Ordonnez;  les  soldats  de  U  liberté  sont  là  pour  faire 
triompher  les  lois  de  la  République  et  venger  les  répubiicairtB  ou- 
tragés !  » 

« Tous  les  émigrés  rentrent ,  plus  audacieux  qu'ils  furent 


5î^  DIKECT.    —    DU    le»    PRÀIK.    AN    V    (  î20   MAll/OT  ) 

lâches  en  fuyant;  la  horde  impie  des  prêtres  organise  la  guerre 
civile  :  leur  arsenal  est  dans  le  sein  du  corps  législatif. 

>  Les  poignards  immolent  les  patriotes  ;  les  lois ,  impuissantes, 
frémissent;  les  tribunaux  gardent  le  plus  profond  silence... 

))  Tous  ils  ont  demandé  la  paix;  terminez-!a,  directeurs,  et 
criez-nous  :  aux  armes  contre  les  enîiemis  de  L'intérieur!... 

»  Vous  avez  déshonoré  l'humanité;  nous  vous  avons  jugés  à 
mort  /...Le  ciel  présidait  ;  il  protège  la  cause  sainte  de  la  liberté, 
et  il  nous  encourage. 

»  Et  vous,  gardiens  fidèles,  amis  constans  des  lois;  vous ,  nos 
parens  persécutés ,  proscrits  ;  vous ,  artistes  paisibles  ;  vous  aussi, 
habilans  égarés  des  campagnes ,  rassurez-vous  !  Nous  vous  em- 
brasserons; mais  reprenez  courage;  c'est  une  heure  de  justice 
épouvantable  qui  sonnera!...  Le  déluge  universel  fut  nécessaire 
pour  purger  la  terre  ;  il  faut  que  les  armées  purifient  la  France!  » 
«  ......  Plus  les  cris  contre-révoluîionnaires  se  font  entendre 

dans  l'intérieui-  de  l'état,  plus  la  liberté  publique  et  la  Constitu- 
tion républicaine  que  nous  avons  tous  juré  de  défendre  sont  me- 
nacées ,  plus  le  devoir  sacré  de  tous  les  bons  citoyens  est  de  se 
montrer  au  grand  jour,  et  de  manifester  aux  premiers  dépositai- 
res de  l'autoi  ité  publique  leurs  sentmiens  et  leur  confiance. 

>  C'est  dans  cette  intention  ,  citoyens  directeurs ,  que  nous  re- 
nouvelons ici  entre  vos  mains  le  serment  solennel  de  haine  aux 
factieux  ,  de  guerre  à  mort  aux  royalistes ,  de  respect  et  de  fidé- 
lité à  la  Constitution  (le  l'an  111.  Conservez  par  votre  sagesse  ce 
dépôt  sacré  que  les  lois  vous  confient  :  comptez  toujours  sur 
notre  zèle  ;  nos  baïonnettes  en  tout  temps  sjnt  et  seront  prêtes  à 
le  défendre  contre  ses  ennemis  du  dehors  et  du  d(?dans.  > 

«  De  toutes  parts  on  nous  annonce  que  les  ennemis  de  la 

chose  publique  se  sont  enfin  réunis  pour  porter  le  dernier  coup 
au  gouvernement  répuWicain,  et  qu'ils  pocssent  leurs  préten- 
tions jusqu'à  vouloir  attentif  à  notre  liberté. 

»  Purenient  militaires ,  nous  ne  connaissons  de  style  que  celui 
de  la  franchise,  et,  persuadés  que  des  républicains  vertueux  qui 
purleut  à  des  hommes  qui  partagent  leurs  seuliinens  sout  tou- 


AU  i8  FnCCTlDOR  AN   V    (4  SKPTEMBRK   1797).  529 

jours  assez  éloquens ,  nous  allons  nous  borner  à  vous  rappeler 
que  nous  avons  juré  la  Consîiiuiion  de  l'an  III,  et  que  nous  avons 
juré  de  défendre  jusqu'à  extinction  de  chaleur  naturelle  la  li- 
berté de  notre  pays  ! 

>  Nous  ne  serons  pas  parjures. 

>  Si  les  conspirateurs  prennent  notre  patience  à  endurer  les 
maux  qui  déchirent  depuis  long-temps  notre  patrie  pour  de  la 
faiblesse ,  qu'ils  tremblent  d'avance  de  l'erreur  ! 

>  Directeurs,  attestez  à  «tous  les  pariis  que  nous  ne  capitule- 
rons point ,  et  que ,  s'il  était  possible  que  jamais  !a  liberté  pérît, 
nous  sommes  tous  déterminés  à  nous  ensevelir  sous  ses  ruines  !  » 

CONSEIL   DES    ciis'Q-CENTS.  —  Séatice  du   25  thermidor  ^  an  V 

{iO  août  il97), 

A  peine  ce  message  était-il  lu,  que  Baiily  demanda  qu'il  fût 
renvoyé  à  une  commission  et  adressé,  par  un  message,  au  con- 
seil des  anciens. 

Lamarque.  e  Jem'oppose  au  renvoi,  comme  étant  icconstiiuiion- 

nel.  Sans  doute  vous  avez  le  droit  de  vous  immiscer  dans  les  mou- 
vemens  de  troupes  qui  se  font  dans  le  rayon  de  douze  lieues  con- 
stitutionnelles ;  mais  vous  ne  pouvez  vous  occuper  des  mouve- 
mens  qui  ont  lieu  au-delà  de  cette  limite;  et  le  dernier  rapport 
de  votre  commission  des  inspecteurs  sur  cet  objet  ^  m'a  paru 
contraire  aux  principes  de  la  division  des  pouvoirs;  car  au  direc- 
toire seul  appariient  la  disposition  de  la  force  armée,  et  le  corps 
législatif  ne  peut  ni  par  lui-même ,  ni  par  des  délégués,  exercer 
le  pouvoir  exécutif.  La  Constitution  accorde,  il  est  vrai,  à  cha- 
que conseil ,  le  droit  de  police  dans  le  lieu  de  ses  séances ,  et  dans 
l'enceinte  qu'il  aura  déterminée;  hors  de  là  il  ne  peut  faire  au- 
cun acte  exécutif  sans  vioîer  la  Constitution.  Le  directoire  est 
chargé  de  veiller  à  la  sûreté  générale  de  la  République  et  à  celle 
de  la  représentation  nationale;  et  il  y  aurait  un  grand  danger  à 
supposer  deux  forces  armées ,  l'une  dirigée  par  le  corps  législa- 
tif, et  l'autre  par  le  directoire,  une  telle  distinction  serait  inju- 
rieuse aux  défenseurs  de  la  pairie,  qui  be  sont  armés  non  pour 


330  DIRECT.    —  DD    l<^r   PRAIR.    AN    V   ("20  MAI  17^7) 

soutenir  des  factions  opposées ,  mais  pour  le  maintien  de  la  Con- 
stitution. 

•  Examinons  maintenant  les  graves  motifs  qui  ont  engagé  à  vio- 
ler ces  principes.  On  s'est  plaint  des  calomnies  dirigées  contre  le 
conseil  des  cinq-cents  ;  delà  division  qui  régnait ,  disait-on,  dans 
le  directoire ,  et  dont  le  renvoi  des  ministres  a  été  le  résultat; 
enfin ,  on  a  dit  que  la  commission  des  inspecteurs  était  instruite 
qu'il  se  faisait  des  mouvemens  de  troupes;  et  on  a  conclu  de  ces 
données ,  que  la  sûreté  du  corps  législatif  était  menacée ,  et  qu'il 
fallait  prendre  des  mesures  vigoureuses  pour  la  maintenir.  On  a 
chargé  la  commission  de  les  présenter,  et  on  ne  s'est  pas  aperçu 
que  l'on  substituait  au  gouvernement  établi  un  gouvernement 
provisoire ,  que  l'on  renouvelait  le  régime  arbitraire  des  anciens 
comités;  régime  sage  aujourd'hui ,  je  veux  bien  le  croire,  mais 
qui  demain  serait  funeste,  et  qui  en  principe  est  opposé  à  l'acte 
constitutionnel. 

On  a  parlé  de  calomnies  :  hé  bien  !  faites  exécuter  les  lois  qui 
punissent  les  calomniateurs,  mais  ne  violez  pas  la  Constitution. 
Qui  ignore  que  depuis  la  première  assemblée  nationale  jusque  au- 
jourd'hui ,  il  y  a  eu  un  parti  anarchique ,  lequel  se  révélant  de 
toutes  les  formes,  a  constamment  versé  le  mépris  et  la  calomnie 
8ur  les  autorités  constituées,  et  qui  encore  aujourd'hui  attaque 
sans  ménagement  la  représ  ntaiion  nationale  et  le  directoire;  on 
a  donné  à  ce  dernier  des  qualilications  criminelles;  on  a  parlé  de 
scission  entre  la  minorité  et  la  majorité  de  ses  membres;  on  a 
souffert  que  des  vils  folliculaires  appelassent  le  directoir«  un 
triumvirat ,  et  jamais  à  celle  tribune  on  n'a  dénoncé  ces  attentats  ; 
on  a  l^iit  plus ,  dans  le  temps  oîi  l'on  réclamait  dans  celte  enceinte 
le  respect  pour  la  représentation  nationale,  on  a  commandé  l'in- 
dignation et  le  mépris  contre  ledirectein» ,  on  a  parlé  d'attentats, 
de  conspiration  contre  le  corps  législatif  :  ainsi ,  on  a  violé  l'ar- 
licle  110  de  la  Coflsti:ution  qui ,  voulant  que  les  autorités  consti- 
tuées se  respectassent  mutuellement,  afin  de  se  faire  respecter  el- 
les-mêmes, a  prescrit  un  mode  régulier  de  dénonciation.  On  a 
osé  parler  à  cette  iribnne,  d'indulgence  et  de  générosité  pour  le 


AU  18  f  RUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     331 

directoire,  comme  si  le  directoire  était  subordonné  au  conseil  !... 
( Violens  murmures.  Bailly  s'écrie  :  A  l'ordre  l'orateur!  ) 

Lamarque,  *  J'observe  à  ceux  qui  sont  mes  collègues...  (Les 
murmures  recommencent.  Talot  s'écrie  du  fond  de  la  salle  :  Pré- 
sident, dites  aux  députés  qui  sont  près  de  vous  de  faire  taire  leurs 
crieurs;  on  ne  s'entend  pas  ici.) 

Le  président.  «  Je  rappelle  l'interrupteur  ^  l'ordre.  » 

Un  membre  nouveau,  c  Rappelez-le  nominativement.  » 

Le  président.  «Je  rappelle  Talot  à  l'ordre.  » 

Ici ,  des  altercations  violentes  ont  lieu  dans  divers  points  de  la 
salle;  une  vive  agitation  en  est  la  suite;  le  président  rappelle  à 
l'ordre  ;  le  calme  se  rétablit ,  et  Lamarque  continue.  - 

Lamarque.  *  Je  sais  que  le  conseil  a  le  droit  d'examiner  la  con- 
duite du  directoire,  pour  le  mettre  en  état  d'accusation.  Mais  ce 
n'est  qu'en  ce  sens  qu'il  est  soumis  au  conseil ,  et  non  dans  le 
sens  qu'on  lui  fasse  des  indulgences  généreuses.  Non ,  il  n'est  pas 
permis  d'être  indulgent  et  généreux  pour  le  directoire ,  parce 
qu'il  n'est  jamais  permis  de  l'être  pour  faire  plier  en  sa  faveur  la 
Constitution  et  la  loi. 

>  C'est  à  la  suite  de  ces  dénonciations  vagues  qui  ont  porté  at- 
teinte au  crédit  public ,  et  reculé  la  conclusion  de  la  paix ,  qu'on 
est  venu  vous  parler  de  la  marche  des  troupes  au-delà  des  limites 
constitutionnelles;  qu'^n  a  voulu  créer  un  troisième  pouvoir 
chargé  d'inspecter  la  force  armée  ;  élever  autorité  contre  auto- 
rité ,  armer  les  citoyens  contre  les  citoyens ,  sans  songer  que  les 
citoyens,  les  armées  et  les  autorités  constituées  n'ont  d'autre  but 
que  le  maintien  de  la  Constitution. 

>  Les  membres  du  directoire  ont-ils  mérité  de  perdre  l'exercice 
de  leurs  pouvoirs?  Hé  bien  !  qu'il  y  ait  contre  eux  une  dénoncia- 
tion écrite,  aux  termes  de  l'article  116  de  la  Constitution  ;  alors  il  y 
aura  un  objet  qui  fixera  l'attention  publique ,  la  vérité  sera  l'objet 
de  nos  recherches,  et  chacun  saura  à  quoi  s'en  tenir.  Jusque  là 
les  droits  du  directoire  restent  dans  toute  leur  plénitude,  et  il 
n'appartient  ni  à  une  commission ,  ni  au  corps  législatif  lui-même, 
de  s'iuimiscer  dans  les  naouvcmens  des  troupes  qui  se  font  hors 


552  DIRECT.    —   DU    4*^^'   PRAlk.   AN   V   (20   MAI   1797) 

des  limites  constitutionnelles  ;  les  suites  de  ces  empiétemens  se- 
raient incalculables. 

»  Voilà  ce  que  le  directoire  aurait  pu  vous  dire,  lorsqu'il  a  ap- 
pris que  la  commission  faisait  des  informations  sur  la  marche  de 
ces  troupes.  11  ne  l'a  pas  lait;  i!  a  gardé  le  silence  sur  cette  at- 
teinte portée  à  son  pouvoir  ;  sur  les  soupçons  injurieux  qui  en 
étaient  le  prétexte  fil  s'est  montré  conciliant  et  sage  ,  et  en  cela  il 
a  donné  des  gages  certains  de  son  amour  pour  la  paix. 

»  Quant  aux  délibérations  des  armées,  la  Constitution  est  for- 
melle ;  elle  veut  que  la  force  armée  soit  obéissante  ;  et  je  suis  as- 
suré que  le  directoire  prendra  des  mesures  promptes  et  efficaces 
pour  la  rappeler  à  son  devoir,  si  elle  t>'en  était  écartée.  Mais  les 
adresses  dénoncées  sont-elles  de  véritables  délibérations  ;  ne  sont- 
elles  pas  plutôt  l'explosion  spontanée  des  sentimens  patriotiques 
qui  animent  les  défenseurs  de  la  République?  et  ici  je  citerai  les 
principes  développés  par  Picbegru  dans  son  rapport  :  t  Les  sol- 
dats fiançais  savent  obéir  à  leurs  chefs  ;  mais  il  est  des  cas  où  ils 
doivent  mettre  des  bornes  à  celte  obéissance.  Comme  soldats , 
ils  obéissent  aux  chefs;  mais  comme  citoyens,  ils  doivent  main- 
tenir les  institutions  sociales  et  rintégralité  de  la  Constitution.  > 
Ces  principes  sont  ceux  du  conseil,  car  il  se  les  est  appropriés 
par  l'impression. 

»  Je  me  résume.  Le  corps  législatifuFpeut  s'immiscer  dans  la 
marche  des  troupes  hors  des  limites  constitutionnelles,  si  ce 
n'est  par  voie  de  dénonciation  écrite.  Mais  continuer  à  renvoyer 
à  des  commissions  des  objets  (jui  sont  dans  les  attributions  du  di- 
rectoire, c'est  violer  l'acte  constitutionnel.  Je  demande  la  ques- 
tion préalable  sur  le  renvoi.  »  ^ 

D'une  part  on  demande  l'impression  du  discours,  de  l'autre 
on  réclame  l'ordre  du  jour. 

Le  président.  «  Vaublanc  s'oppose  à  l'impression  ;  il  a  la  parole.  » 

Vaublanc.  «  Je  ne  repondrais  point  sans  préparation  à  un  dis- 
cours préparé,  si  je  ne  comptais  sur  l'attention  de  mes  collègues; 
car  notre  devoir  à  tous  n'est  pas  seulement  d'écouter  ceux  qui 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V   (  4  SEPTEMBRE  1797).  555 

pensent  comme  nous ,  mais  encore  ceux  qui  sont  d'un  avi|  dif- 
férent. 

«  L'opinant  a  regarde  l'attention  que  le  conseil  a  donnée  à  la 
marche  des  troupes  sur  Paris,  comme  inconstitulionnelle ,  et  con- 
traire aux  droits  du  directoire.  Sans  doute  le  directoire  dispose 
de  la  force  armée ,  il  en  dirige  les  mouvemens  ;  mais  il  est  faux 
de  dire  que  vous  ne  devez  pas  vous  en  occuper  aussi,  lorsque 
cette  force  est  dirigée  sur  un  point  vers  lequel  elle  ne  peut  mar- 
cher sans  une  autorisation  spéciale  du  corps  législatif. 

On  a  parlé  d'élever  un  troisième  pouvoir ,  qui  rivalise  avec  le 
directoire.  Mais  pourquoi  la  Constitution  veut-elle  que  tous  les 
renseignemens  demandés  au  directoire  par  le  corps  législatif  se- 
ront donnés  par  écrit?  si  ce  n'est  pour  que  ces  réponses  soient 
examinées;dans  des  commissions?  Le  directoire  n'est-il  pas  entré 
dans  votre  sollicitude?  n'a-t-il  pas  promis  de  poursuivre  les  cou- 
pables? Gomment ,  après  cet  accord ,  un  représenîant  peut-il  ac- 
cuser le  conseil  d'avoir  agi  inconstitutionnellement?  Oui,  vous 
auriez  manqué  à  voire  devoir,  si  vous  n'eussiez  porté  un  œil  sé- 
vère sur  les  événemens  qui  se  sont  passés  autour  de  vous. 

^»  Je  m'aperçois  avec  douleur  d'un  système  nouveau  qu'on  veut 
DoUs  faire  adopter,  et  qui  tend  à  borner  les  pouvoirs  du  corps 
législatif,  et  à  étendre  outre  mesure  ceux  du  directoire.  Naguè- 
reson  disait  que  le  corps  législatif  n'avait  pas  le  droit  de  fermer 
les  clubs,  de  faire  des  proclamations;  aujourd'hui  on  lui  refuse 
celui  de  se  procurer  des  renseignemens  par  ses  commissions. 
Ainsi,  le  corps  législatif  se  bornerait  uniquement  à  faire  des 
lois!...  (On  rit.)  et  il  renoncerait  à  son  devoir  le  plus  sacré,  ce- 
lui de  cette  surveillance  administrative  continuelle,  qui  ne  peut 
être  exercée  sans  demander  des  renseignemens  au  directoire,  et 
sans  faire  des  rapports  sur  ces  renseignemens.  En  Angleterre, 
le  parlement  n'interroge-l-il  pas  et  les  ministres  et  l'autorité 
royale?  Au  reste,  s'il  n'a  existé  aucun  complot,  j'en  suis  bien 
aise  ;  s'il  en  a  existé  un ,  nous  l'avons  déjoué  par  notre  énergie. 

»  On  a  parlé  de  calomnies  contre  le  corps  législatii".  Peu  vous 
importe  que  d'infâmes  calomniateurs  travestissent  vos  opinions. 


354  DIRECT.    —    DU   i^^   PRAIR.    AN   V   (20   MAI   1797) 

La  vérité  est  une  puissance  qui  lot  ou  lard  recouvre  tous  ses 
droits;  vos  lois  vous  justifieront.  Celle  sur  les  prêtres  déportés 
n'a-t-elle  pas  été  rendue  à  runanimilé? 

»  Le  directoire,  dans  son  message,  vous  parle  de  la  rentréedes 
émigrés.  J'avoue  que  quand  on  me  dépeint  l'audace  de  ces  indi- 
vidus, je  ne  puis  m'empécher  de  jeter  les  yeux  sur  le  directoire. 
11  n'est  pas  au  monde  de  pouvoir  plus  grand  que  celui  dont  il  est 
investi  contre  eux.  Nous  avons ,  pour  le  fui  accorder,  violé  tous 
les  principes.  Quel  pouvoir  plus  terrible  que  celui  de  dépouiller 
un  homme  de  ses  biens ,  de  sa  patrie  ,  de  le  traîner  à  l'échafaud  ? 
Que  voulez-vous  donc  de  plus?  Je  ne  vois  rien  au-dessus  de  cela. 
Quel  pouvoir  veut-il  donc?  Pour  moi  je  voterais  pour  qu'il  lui 
fût  ôté  (Une  foule  de  voix  :  Oui  !  oui!)  ;  et  c'est  quand  ce  pou- 
voir terrible  réside  dans  la  main  du  directoire,  qu'Ai  nous  re- 
proche la  rentrée  des  émigrés. 

»  Le  directoire  vous  parle  encore  des  acquéreurs  de  biens  natio- 
naux. Mais  que  faites-vous  tous  les  jours?  si  ce  n'est  de  décréter 
des  ventes  de  ces  biens  pour  faire  face  aux  frais  de  la  guerre. 
Comment  le  gouvernement,  qui  trouve  des  ressources  extraor- 
dinaires dans  le  produit  de  ces  ventes ,  ne  couvre-t-il  pas  les  ac- 
quéreurs de  son  égide?  On  dit  qu'ils  sont  persécutés,  assassinés. 
Mais,  par  qui?  En  quel  temps?  En  quel  lieu?  Quelle  est  l'auto- 
rité qui  les  a  abandonnés ,  qui  a  laissé  ces  crimes  impunis?  Il 
faut  le  savoir.  Il  est  temps  que  la  vérité  jaillisse.  Mais,  si  tous  ces 
faits  sont  conlrouvés ,  s'ils  ne  sont  répétés  que  par  des  journaux 
démagogues,  comment  le  directoire  vient-il  en  faire  l'objet  d'un 
message? 

•  Quant  aux  adresses  des  armées,  il  en  est  plusieurs  dans  lés- 
quelles  brille  un  patrioiisnie  pur,  sage,  éclairé,  et  oîi  elles  pro- 
mettent de  combattre  le  royalisme  et  l'anarchie ,  et  tous  les  en- 
nemis de  la  CuLblitution  de  l'an  111.  Mais  elles  sont  irrégulières; 
il  en  est  deux  encore  qui  ne  sont  point  adressées  au  directoire  ; 
mais  aux  années  de  l'intérieur,  et  qui  sont  un  manifeste  violent 
contre  le  corps  législatif,  et  le  conseil  des  cinq-cents  en  particu- 
lier. Leur  lecture ,  je  l'avoue ,  m'a  inspiré  une  indignation  pro- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).    555 

fonde.  Mais  vous  êtes  justes ,  et  vous  ne  meitrez  pas  dans  la  ba- 
lance, à  côté  d'une  faute  qui  ne  doit  point  être  attribuée  aux  sol- 
dats et  aux  chefs,  mais  bien  à  quelques  inîrigans  ,  les  victoires 
brillantes  qui  sont  l'ouvrage  des  armées  et  de  leurs  généraux. 

»  Sur  tous  les  objets  contenus  au  message,  il  faut  que  vous  pre- 
niez des  mesures  législatives ,  et  que  vous  leurs  donniez  ce  ca- 
ractère de  sagesse  et  de  sîiodéraiion  que  vous  imprimez  depuis 
quelque  temps  à  vos  délibérations  ;  modération  dont  vous  ne  vous 
écarterez  jamais.  Mais,  pour  atteindre  ce  but,  il  faut  que  ces  me- 
sures soient  méditées  dans  le  sein  d'une  commission.  Je  conclus 
1®  à  ce  que  le  message  lui  soit  renvoyé  ;  2<*  à  ce  que  copie  en  soit 
transmise  aux  anciens  par  un  message;  5°  à  l'ordre  du  jour  sur 
l'impression  du  discours  de  Lamarque.  » 

Ces  trois  propositions  sont  adoptées. 

•  —  Le  message  dont  il  s'agit  fut  aux  anciens  l'objet  d'un  rap- 
port. Tronçon-Ducoudray  en  avait  été  chargé.  11  ne  fut  ni  moins 
violent ,  ni  moins  positif  que  le  directoire ,  mais  dans  l'opinion 
opposée.  Il  défendit,  avec  chaleur,  l'esprit  du  conseil  des  cinq- 
cents.  Ses  collègues  craignirent  de  donner  à  ce  discours  le  ca- 
ractère d'un  manifeste;  en  conséquence  ils  ajournèrent  la  dis- 
cussion. 

Depuis  ce  moment  jusqu'à  la  séance  du  15  fructidor  (50  août  ) 
les  séances  des  deux  conseils  reprirent  leur  physionomie  ordi- 
naire. On  décréta  une  loi  sur  les  ayans-droit  aux  biens  des  émi- 
grés qui  était  favorable  à  ceux-ci;  on  réforma  l'organisation  de 
la  gendarmerie ,  et  l'on  proposa  d'ôter  au  directoire  la  nomina- 
tion des  officiers  de  ce  corps.  Le  conseil  des  anciens  refusa  sa 
sanction  à  cette  dernière  mesure.  On  discuta  sur  le  divorce,  sur 
les  finances ,  sur  la  presse.  Le  12  fructidor,  Thibeaudeau  fit  un 
rapport  sur  les  adresses  des  armées  et  présenta  un  projet  ayant 
pour  but  de  les  empêcher  de  délibérer.  11  semblait  que  les  partis 
fussent  rentrés  dans  le  calme;  et  cependant  les  journaux  se  dis- 
putaient avec  violence. 

Cette  tranquillité  n'était  qu'apparente.  Il  y  avait,  dans  le  lieu 


336         DIRECT.    —   DU   i<?»'   PRAIR.   AN   V   (  20   MAI   1797) 

même  des  séances  du  conseil  des  cinq-cenls ,  une  réunion  extra- 
parlementaire  où  l'on  délibérait  sur  la  situation.  La  commission 
des  inspecteurs  du  conseil  était  le  centre  de  celte  réunion.  Cha- 
cun y  venait  apporter  ses  avis  et  ses  nouvelles.  Talleyrand ,  as- 
surait-on, avait  dit  c  que  l'attaque  était  résolue,  le  succès  infailli- 
ble et  que  le  corps  léjjislatif  n'avait  plus  d'autre  ressource  que  de 
se  rendre  à  discrétion  au  directoire.  »  On  remarquait  que  la  gar- 
nison avait  été  renforcée  ;  qu'on  lui  avait  fait  faire  l'exercice  à 
feu  ;  on  se  communiquait  les  lettres  menaçantes  ou  les  avis  anony- 
mes que  l'on  recevait  ;  le  10,  on  disait  que  le  directoire  avait  le 
projet  d'arrêter  soixante-quinze  députés  qu'il  supposerait  pris  en 
flagrant  délit  de  conspiration;  madame  de  Staël  avait  fait  avertir 
Boissy-d'Anglas  de  prendre  garde  à  lui;  madame  Tallien  était 
partie  de  Paris  tout  éplorée  ;  le  général  Augereau  avait  donné 
un  grand  dîner  où  se  trouvait  Siéyfset  Jean  Debry  ;  on  y  avait 
bu  à  la  minorité  des  conseils.  On  annonçait  des  mouvemens  de 
troupes  dans  Paiis  ;  des  rassemblemens  ;  mais  il  se  trouvait  que 
ces  derniers  bruitsponvaicntêtre  vérifiés.  On  allait  donc  voir,  et 
l'on  ne  trouvait  rien.  Cela  seul  suffisait  pour  infirmer  toutes  les 
autres  nouvelles.  Aussi  les  Clichyens  étaieni-ils  assez  rassurés 
pour  s'occuper  principalement  d'organiser  une  police  qui  fut 
uniquement  au  service  du  corps  législatif. 

Celte  agitation  réelle  était  ignorée  du  public;  elle  fit  explosion 
le  13  thermidor.  Duprat  vint  dénoncer  en  séance  qu'on  vendait  à 
la  porte  de  la  salle  un  écrit  dans  lequel  on  lisait  :  «  Que  le  corps 
législatif,  et  notamment  le  conseil  (h-s  cinq-cents,  sont  en  exécra- 
lion  à  la  nation  ,  sauf  quelques  exceptions;  que  les  derniers  élus 
ne  sont  en  partie  que  des  royalistes  déhoniés,  des  chefs  de 
chouans ,  des  émigrés ,  des  protecteurs  de  l'assassinat ,  d(  s  con- 
spirateurs; que  les  tribunaux,  celui  de  cassation  surtout,  qui 
s'est  rendu  leur  vil  instrument,  autorisent  l'assassinat  en  lacquit- 
tant;  que  les  administrations  favorisent  les  émigrés,  les  prêtres 
insoumis;  que  l'on  a  eu  l'audace  ti'excuser  à  la  tribune  nationale 
la  révolte,  l'assassinat;  qu'on  y  a  donné  le  signal  du  bouleverse- 
ment et  du  carnage;  qu'il  n'y  a  pas  un  mot  dans  le  texte  des  pi  o- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797).    337 

cès-verbaux  de  leurs  séances,  qui  ne  soit  un  motif  d'alarme  pour 
les  républicains,  et  d'encouragement  pour  les  royalistes.  »  Quoi- 
que cet  écrit  soit  signé  BaïUeul ,  Duprat  ne  peut  se  persuader 
qu'il  soit  Touvrage  d'un  représentant  du  peuple;  qu'il  puisse  se 
trouver  dans  le  sein  du  corps  législatif  un  homme  assez  lâche 
pour  dénoncer  à  la  France ,  à  l'Europe,  une  partie  de  ses  collè- 
gues ,  pour  tromper  la  nation ,  provoquer  la  dissolution  de  la  re- 
présentation nationale ,  et  sonner  la  première  heure  de  l'anar- 
chie. Comme  il  importe  néanmoins  d'éclaircir  ce  fait,  Duprat 
demande  que  l'ouvrage  qu'il  dépose  sur  le  bureau  soit  renvoyé 
à  une  commission  de  sept  membres ,  pour  présenter  les  mesures 
convenables.  Hardy  appuie  et  défend  l'écrit  dénoncé  :  il  soutient 
qu'il  existe  dans  le  sein  du  corps  législatif  une  faction  qui  veut 
renverser  le  gouvernement.  Violens  murmures,  c  Nommez  les 
factieux  >,  s'écrient  plusieurs  membres,  c  A  bas  les  brigands!  » 
s'écrie  une  voix  des  tribunes.  Tallien ,  Bentabolle,  Villetard, 
menacent  du  geste  celui  qui  s'est  permis  un  tel  propos  ;  un  huis- 
sier le  fait  sortir.  Hardy  déclare  qu'il  n'attribue  le  projet  de  ren- 
verser le  gouvernement ,  qu'à  des  membres  de  la  Convention 
nationale,  qu'il  nommera  lorsqu'il  en  sera  temps  :  il  revient  à 
Bailleul ,  ne  veut  pas  qu'on  lui  ferme  la  bouche,  lorsqu'il  éclaire 
la  France  sur  des  projets  désastreux  dont  l'existence  est  démon- 
trée, et  s'oppose  à  ce  qu'on  forme  une  commission ,  dont  l'opi- 
nion est  connue  d'avance.  Dumolard  croit  à  l'existence  du  com- 
plot tramé  pour  ramènera  la  royauté  ;  mais  qu'on  veuille  associer 
les  membres  du  conseil  à  ce  projet  chimérique,  c'est  le  comble 
de  l'audace;  c'est  la  calomnie  la  plus  atroce,  t  Oui ,  poursuit-il, 
il  existe  un  parti  pour  relever  le  trône  ;  c'est  le  parti  d'Orléans. 
Les  divisions  qui  régnent  parmi  nous,  sont  l'ouvrage  de  ces  fac- 
tieux... Français,  ou  veut  vous  égarer  ;  on  vous  trompe.  Au  lieu 
de  vous  arrêter  aux  calomnies  de  ces  hommes  ,  jugez  leur  mora- 
lité. On  voit  ces  misérables  gorgés  d'or  et  d'argent ,   s'apitoyer 
avec  hypocrisie  sur  le  sort  malheureux  des  rentiers,  des  pension- 
naires de  l'état,  et  afficher  cependant  un  luxe  insolent,  eux  qui 
naguère  encore  ne  possédaient  pas  un  sou.  (Quelques  voix  :  C/est 
T.  XXXVII.  i2ii 


55S        DIRECT.    —   DU   i^   PRAIR.    AN    V    (20   MAI    1797) 

TalUen.)  Et  où  donc  les  ont-ils  prises,  ces  richesses  qui  déposenl 
sans  cesse  contre  eux?  Où  ils  les  ont  prises?  Kappelez-vous  les  temps 
désjslreux  où  la  guillotine  enrichissait  les  exécrables  suppôts  de 
la  terreur  ;  c'est  là  où  ces  monstres ,  heureux  par  les  massacres 
de  septembre  et  les  échafauds  qu'ils  ont  fait  dresser  à  Bordeaux 
ont  trouvé  la  source  de  leurs  jouissances  et  du  luxe  qu'ils  étalent 
aujourd'hui:  Voilà  les  véritables  ennemis  delà  République ,  etc.  » 
Dumolard  répond  ensuite  à  quelques  calomnies  particulières  di- 
rigées contre  lui ,  et  conclut  en  s'opposant  à  la  formation  de  la 
commission  proposée  :  il  croit  qu'on  doit  se  borner  à  demander 
des  renseignemens  à  Bailleul ,  absent  pur  congé,  sur  l'écrit  qu'on 
lui  attribue.  Thibaudeau,  après  avoir  observé  qu'il  n'y  a  qu'un 
lâche  qui  puisse  dénoncer  dans  un  pamphlet ,  ce  qu'il  n'a  pas  le 
courage  de  dire  à  la  tribune,  demande  la  question  préalable. 
Tallien  réclame  contre  les  inculpations  de  Dumolard ,  qui  Ta  dé- 
signé, dit-il,  de  la  manière  la  plus  outrageante  :  il  espère  con- 
vaincre le  conseil  de  la  fausseté  des  calomnies  débitées  contre  lui  : 
c  A  l'époque  du  10  août  il  fut  appelé  à  la  commune  de  Paris,  où 
il  remplit  les  fonctions  de  secrétaire-greffier  ;  les  actes  de  celte 
autorité  lui  sont  étrangers.  Le  2  septembre ,  il  est  éveillé  par  le 
tocsin  de  cette  journée  à  jamais  déplorable;  il  se  rend  à  son 
poste  :  le  conseil  était  séparé  ;  les  actes  faiis  par  lui  dans  la  ma- 
tinée de  ce  jour  ne  portent  pas  sa  signature.  Il  apprend ,  par  la 
voix  publique,  le  massacre  des  prisons,  et  demande  qu'on  prenne 
des  mesures  pour  les  arrêter.  Une  compagnie  de  grenadiers  vient 
au  même  instant  demander  a  grands  cris  la  lêie  de  Louis  XVï, 
détenu  au  Temple  :  il  parle  à  ces  furieux,  et  parvient  à  épargner 
ce  crime  atroce.  Il  apprend  que  des  brigands  se  portent  à  Or- 
léans pour  y  massacrer  les  prisonniers  :  il  court  après  eux ,  et 
s'efforce  en  vain  de  les  faire  renoncer  à  leur  projet.  C'est  lui  qui 
a  invité  plusieurs  membres  du  conseil  à  se  rendre  dans  les  pri- 
sons où  les  massacres  se  continuaient  ;  il  a  ainsi  arraché  à  la  mort 
plusieurs  individus,  parmi  lesquels  il  cite  mesdames  de  Saini- 
Brice,  de  Tourzel ,  le  notaire  Guillaume  et  Hue,  valet  de  cham- 
bre de  Louis  XVL  Quelque  temps  après,  il  remplace  Manuel 


AD   i8  FRUCTIDOR   AN   V   (  4   SEPTEMBRE   i79T  ).  339 

dans  les  fonctions  de  procureur-généra].  Le  bruit  d'un  nouveau 
massacre  se  répand  :  il  parcourt  ks  diverses  prisons ,  et  en  fait 
sortir  une  foule  de  citoyens ,  parmi  lesquels  il  en  est  un  qui  siège 
au  conseil.  »  Debonnières  déclare  que  c'est  lui.  ïallien  justifie 
ensuite  la  pétition  qu'il  a  lue  à  la  barre  de  l'assemblée  législative , 
et  cite  de  nouveaux  traits  en  sa  faveur.  Quant  à  la  fortune  qu'on 
lui  reproche ,  elle  est  toute  à  sa  femme.  Venant  ensuite  à  sa  mis- 
sion de  Bordeaux,  il  convient  que  ses  premières  démarches  fu- 
rent le  résultat  des  séductions  des  hommes  pervers  dont  il  était 
entouré  ;  mais,  éclairé  enfin ,  il  se  hâta  de  mettre  un  terme  à  ce 
système  dévastateur  :  il  fit  arrêter  le  Marat  de  Bordeaux ,  desti- 
tua et  fit  incarcérer  le  comité  révolutionnaire ,  la  commission  mi- 
litaire ;  rendit  la  liberté  à  une  foule  de  citoyens ,  et  accourut  à 
Paris  pour  éclairer  le  gouvernement  auquel  dès-lors  il  devint 
suspect,  qui  cassa  ses  arrêtés,  rétabht  le  comité  révolutionnaire 
et  la  commission  militaire.  Sa  conduite ,  dit-il  en  terminant ,  n'est 
pas  exempte  d'erreurs  ;  mais  elles  sont  expiées  peut-être  par 
l'aveu  qu'il  en  fait ,  et  qui  doit  lui  mériter  l'indulgence  qu'il  ré- 
clame. Le  conseil  passe  à  l'ordre  du  jour  sur  toutes  les  proposi- 
tions. 

—  Nous  lisons  dans  les  mémoires  de  Thibaudeau  qu'en  sor- 
tant de  cette  séance ,  Royer-Collard  dit  à  Emmery  :  •  Vous  de- 
vez être  content  ;  le  conseil  a  été  assez  plat  aujourd'hui  ;  mais 
laissez  faire ,  cela  ne  durera  pas  toujours.  »  On  disait  en  effet 
que  les  clichyens  ou  les  royalistes  avaient  à  Paris  une  armée 
grise  qu'ils  avaient  recrutée  en  Vendée ,  et  qu'ils  tenaient  en 
réserve. 

—  Cette  séance  orageuse  n'eut  cependant  pas  de  suile;  on 
parlait,  mais  on  n'agissait  pas.  Les  14, 15  et  16,  on  discuta  les 
projets  de  Thibaudeau  sur  les  moyens  d'interdire  aux  armées  le 
droit  de  délibérer. 

Ce  sujet ,  tout  rempli  de  l'intérêt  présent ,  ne  donna  point  heu 
à  des  débats  aussi  vifs  que  Ton  devait  s'y  attendre.  Chaque  opi- 
nion était  alors  attentive  sur  elle-même;  mais  le  calme  qui  ré- 
gnait dans  la  délibération  était  seulement  apparent.  Cette  paix  si- 


540        DIRECT.   —  DU  ier   PRAIR.   AN   V   (  20   MAI   1797) 

mulée  ne  fut  interrompue  qu'un  moment  à  la  séance  du  15.  Voici 
l'analyse  de  la  partie  intéressante  de  cette  séance,  qui  fut  Tune 
des  dernières  de  la  liberté  des  cinq-cents. 

CONSEIL  DES  CINQ-CENTS.  —  Séance  du  15  fructidor  an  5. 
(1er  septembre  1797.) 

L'ordre  du  jour  ramène  la  suite  de  la  discussion  sur  les  projets 
de  Thibaudeaù.  Le  premier,  comme  l'on  sait,  tend  à  remettre  à 
l'accusateur  public  de  la  Seine  le  droit  terrible  de  lancer  des 
mandats  d'amener  contre  les  citoyens  dans  toute  l'étendue  de  la 
République ,  et  de  les  faire  poursuivre  au  tribunal  de  Paris  en 
cas  de  conspiration  contre  le  corps  législatif,  le  directoire,  etc. 

Bovis  ,  en  appuyant  le  projet ,  se  livre  à  des  déclamations  con- 
tre le  discours  du  président  Laréveillère-Lépaux ,  en  réponse  à 
celui  de  l'ambassadeur  de  la  république  Cisalpine.  L'orateur  est 
entendu  en  silence.  On  demande  l'impression  de  son  discours; 
elle  est  ordonnée. 

Dubois-Dubay  combat  les  projets,  mais  sans  entrer,  pas  plus 
que  le  précédent  orateur,  dans  le  fond  de  la  question  ;  il  critique 
à  son  tour  la  conduite  du  corps  législatif,  et  surtout  du  conseil  ; 
il  l'accuse  d'avoir,  en  accueillant  des  motions  perfides  ,  en  pre- 
nant des  résolutions  funestes ,  attaqué  la  prérogative  du  direc- 
toire, lié  ses  mains,  et  empêché  la  conclusion  de  la  paix;  il  a 
traité  de  chimériques  les  craintes  qu'on  cherchait  à  inspirer 
contre  le  directoire  et  contie  les  armées  ;  et  il  a  déclaré  que  le 
projf^t  était  principalement  dirigé  conti^e  les  défenseurs  de  la 
liberté. 

Ce  discours  a  été  plusieurs  fois  interrompu  par  de  violens  mur- 
mures. Pastoret ,  Boissy  et  plusieurs  autres  ont  fait  entendre  de 
vives  réclamations  contre  les  assertions  de  l'orateur. 

On  réclame  l'impression. 

Dumolard.  i  Si  l'orateur  s'était  borné  à  traiter  la  question  ,  je 
ne  m'opposerais  pointa  l'impression  de  son  discours  ;  mais  comme 
il  s'est  livré  li  une  critique  amère  des  opérations  du  conseil,  et 
qu'il  a  supposé  que,  dans  plusieurs  de  ses  résolutions,  celui-ci 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797).     541 

avait  attaqué  les  droits  du  directoire....  {Plusieurs  voix  :  Ce  n'est 
pas  une  supposition ,  c'est  une  vérité.  )  Les  autorités  constitution- 
nelles sont  le  patrimoine  du  peuple,  et  toutes  les  fois  qu'elles  se- 
ront attaquées ,  on  les  défendra  ici  avec  courage.  C'est  sur  ce 
principe  que  vous  avez  écarté  tout  ce  qui  pouvait  porter  atteinte 
aux  droits  du  directoire.  (  Plusieurs  voix  :  Et  le  projet  sur  la  gen- 
darmerie; et  les  résolutions  sur  les  finances;  et  les  distitutions 
militaires.  )  L'orateur  a  dit  que  le  conseil  craignait  les  armées. 
(  Dubois'Dubay  :  Je  n'ai  pas  dit  cela,  c'est  faux.  )  Non ,  nous  ne 
craignons  point  les  défenseurs  de  la  patrie  ;  si  nous  avions  un 
vœu  à  former,  c'est  qu'ils  fussent  présens  à  nos  séances,  ils  ver- 
raient combien  sont  atroces  les  calomnies  dont  on  se  plaît  à 
nous  noircir  à  leurs  yeux.  Il  n'y  a  pas  dans  le  sein  de  la  repré- 
sentation nationale ,  un  homme  assez  vil  pour  accuser  les  défen- 
seurs de  la  patrie;  nous  sommes  pénétrés  pour  eux  de  la  plus 
vive  reconnaissance,  et  nous  la  prouverons,  non  par  des  paroles, 
mais  par  des  faits.  Voilà  pourquoi  nous  désirons  si  vivement  ia 
paix  extérieure  et  intérieure. 

>  L'orateur  a  prétendu  que  nous  prenons  des  mesures  par 
crainte  des  défenseurs  delà  patrie.  Ils  savent  bien  qu'il  faut  dans 
les  armées  une  discipline  tutélaire ,  qui  y  maintienne  la  force  et 
la  subordination  ;  voilà  les  seuls  motifs  du  projet.  Au  reste,  je 
déclare  que  je  le  combattrai  moi-même  dans  quelques  articles , 
comme  ouvrant  ia  porte  à  un  arbitraire  effrayant,  car  je  n'aime 
pas  plus  qu'un  autre  les  tribunaux  révolutionnaires. 

>  Le  préopiuant  vous  a  parlé  de  dangers  chimériques;  je  suis 
que  devant  votre  fermeté,  ils  s'évanouiront.  Il  a  parlé  des  roya- 
listes ,  il  a  eu  raison  ;  car  si  les  royalistes  venaient  jamais  à  triom- 
pher, les  massacres  seraient  organisés  partout,  et  le  sang  ruissel- 
lerait dans  toute  la  République.  Mais  il  est  deux  sortes  de  roya- 
listes :  ceux  de  Blankembourg  ;  ceux-là  que  le  gouvernement  les 
dénonce ,  qu'il  les  poursuive.  Les  autres  sont  la  faction  d'Orléans. 
C'est  elle  qui  divise  le  directoire  et  le  corps  législatif;  c'est  elle 
qui ,  après  avoir  jeté  ici  des  soupçons,  inspire  des  alarmes  contre 
le  directoire  ;  court  au  Luxembourg  jeter  des  soupçons,  inspi- 


542         DIRECT.   —    DU   ier   PRAIR.    AN   V    (20  MAI  1797  ) 

rer  des  alarmes  contre  nous;  et  c'est  ainsi  qu'elle  entretient, 
qu'elle  fomente  des  dissensions  dont  elle  se  propose  de  tirer  parti. 
Oui ,  dans  le  moment  actuel ,  celte  faction  existe ,  elle  relève  sa 
tête  dégouttante  de  sang,  elle  est  la  plus  dangereuse  de  toutes.  Le 
ministre  de  la  police  a  reçu  sur  elle  des  renseignemens  précieux. 
Le  chef  de  cette  faction  n'est  pas  loin;  il  n'est  qu'à  quelques  lieues 
de  Paris;  ce  chef,  c'est  d'Orléans.  (  On  rit.) 

»  On  a  parlé  d'un  acte  d'accusation  machiné  dans  l'ombre  con- 
tre le  directoire  :  ces  faits  sont  faux ,  ils  ont  été  inventés  par  des 
hommes  qui  veulent  nous  perdre  en  nous  divisant.  Enfin ,  on  nous 
a  reproché  un  défaut  de  modération.» 

(  Quelques  voix  :  Oui ,  depuis  quinze  jours  cela  va  bien  ;  mais 
en  prairial!  mais  en  messidor  !  ) 

Après  avoir  donné  les  plus  longs  développemens  aux  idées 
dont  nous  n'avons  fait  que  présenter  l'aperçu,  Dumolard  conclut 
à  l'ordre  du  jour  sur  l'impression. 

Hardy.  «  Dumolard  vient  de  vous  dire  qu'il  n'appuyait  point 
le  projet ,  qu'il  le  combattrait  même ,  parce  qu'il  n'aime  pas  les 
tribunaux  révolutionnaires;  et  il  a  entendu  sans  murmures,  et 
avec  la  résignation  la  plus  parfaite ,  un  discours  où ,  au  milieu  de 
mille  accessoires  insultans  pour  le  directoire ,  on  prend  la  défense 
de  ce  projet  ;  et  dans  sa  longue  réponse  à  Dubois-Dubay ,  il  n'a 
pas  dit  un  seul  mot  pour  relever  les  assertions  de  Bovis  ;  certes, 
il  y  a  dans  cette  conduite  un  caractère  d'impartialité  qu'il  était 
bon  de  faire  remarquer. 

»  Je  partage  l'opinion  de  Dumolard  sur  le  projet,  et  je  m'en- 
gage à  prouver  qu'il  est  plus  sanguinaire  que  celui  que  je  com- 
battis, jusqu'à  trois  heures,  dans  la  fameuse  nuit  du  10  mars. — 
Depuis  trois  mois  on  ne  cesse  d'attaquer  le  directoire....  mais 
une  autre  fois  je  prouverai  cette  assertion.  (Plusieurs  voix  :  Ah  ! 
ah  !  )  lié  bien  !  puisque  vous  le  voulez,  je  vais  le  faire.  Dumolard 

a  dit  que  la  prérogative  du  directoire  était  le  patrimoine  de  tous 

• 

les  Fiançais  ;  il  a  dit  une  vérité,  mais  il  faut  avouer  que  ce  pa- 
trimoine a  été  singulièrement  dilapidé  par  ceux-mêmes  qui  sont 
le  pius  intéressés  à  sa  conseï  vaiion.  Oui ,  on  attaque  de  toute 


AU  i8   FRUCTIDOR   AN   V   (  4  SEPTEMBRE  4797  ).  543 

les  manières  les  droits  du  directoire ,  on  les  a  sapés ,  anéantis  ; 
rappelez-vous  ces  motions  perfides  accueillies  avec  plaisir ,  et 
renvoyées  à  des  commissions  ;  ces  résolutions  sur  les  finances 
tendant  à  faire  manquer  le  service  ;  ces  projets  sur  les  destitu- 
tions dont  le  but  évident  était  de  paralyser  le  directoire,  de  lui 
enlever  la  suprême  direction  de  la  force  armée  et  de  l'adminis- 
tration générale.  On  veut  affaiblir  le  gouvernement,  on  veut  le 
rendre  odieux  aux  yeux  de  la  nation ,  et  l'on  ne  songe  pas  que 
c'est  le  moyen  de  nous  amener  à  la  contre-révolution...  ou  plutôt 
l'on  y  songe,  voilà  pourquoi...  (  Longs  et  violens  murmures.  — 
Une  foule  de  voix  :  Ce  n'est  pas  la  question.  ) 

1  Je  suis  bien  étonné  des  murmures  qui  se  font  entendre.  Dumo- 
lard  a  parlé  longuement  sur  divers  objets  qui  n'avaient  point  trait. 
à  la  question ,  et  il  a  été  écouté  en  silence.  Dumolard  a  divagué 
sur  la  faction  d'Orléans,  et  on  ne  l'a  pas  interrompu.  Je  réclame 
la  même  faveur.  Oui ,  cette  faction  d'Orléans  est  une  lubie,  ima- 
ginée pour  détourner  l'attention  de  dessus  les  véritables  conspi- 
rateurs ,  et  nous  donner  le  change.  (  On  rit.  )  On  a  beau  rire  ;  le 
siège  de  la  conspiration  que  Dumolard  vous  a  dénoncée,  et  à  la- 
quelle je  crois  comme  lui ,  n'est  pas  dans  la  faction  d'Orléans  ,- 
mais  il  est  dans  le  sein  du  corps  législatif.  (Murmures.  ) 

»  Au  reste ,  je  reviens  à  la  question.  Élevés  par  la  nation  à  une 
dignité  éminente ,  montrez-vous  dignes  de  cet  honneurpar  le 
silence  que  vous  imposerez  à  vos  passions ,  et  par  une  sévère  im- 
partialité. Donnez-en  un  exemple  dans  la  question  qui  nous  oc- 
cupe. Et  puisque  vous  avez  ordonné  l'impression  d'un  discours 
en  faveur  du  projet,  faites  également  imprimer  celui  qui  est  con- 
tre :  sans  cela ,  vous  aurez  deux  poids  et  deux  mesures  ;  il  faut 
tout  imprimer,  ou  ne  rien  imprimer  du  tout.  [Dumolard,  Rien 
du  tout.  )  Hé  bien ,  je  me  range  à  cet  avis.  Je  demande  qu'aucun 
des  discours  prononcés  ou  à  prononcer  sur  ces  projets  ne  soient 
imprimés,  et  que  l'on  rapporte  l'arrêté  qui  ordonne  l'impression 
de  celui  de  Bovis.  » 

Dumolard.  «  Tout  ce  qui  peut  ramener  le  calme  dans  cette  en- 
ceinte doit  être  adopte.  Et  puisque  Hardy  pense  que  le  rapport 


544         DIRECT.    —   DU    i^^   PRAIR.    AN    V    (  20   MAI   4797  ) 

de  l'arrêté  qui  ordonne  l'impression  du  discours  de  Bovis  serait 
un  calmant ,  je  demande  que  cet  arrêté  soit  rapporté.  > 

Quirot.  «  Je  propose  un  amendement.  Hier,  vous  avez  entendu 
avec  calme  le  discours  de  Mersan  ,  où  le  dir'ictoire  et  son  prési- 
dent sont  inculpés  de  la  manière  la  plus  forte.  D'après  les  princi- 
pes de  paix  et  de  conciliation  qui  ont  été  mis  en  avant  à  cette  tri- 
bune, je  demande  (longs  murmures)  si  l'on  ne  veut  entendre  ici 
que  Dumolard  ,  on  n'a  qu'à  me  le  dire,  je  descendrai  de  la  tri- 
bune. (  Les  murmures  recommencent.  )  Hé  bien  î  j'appuie  la  pro- 
position de  Dumolard ,  et  j'espère  qu'on  me  laissera  parler.  Ainsi , 
je  demande  qu'on  généralise  la  proposition  ,  et  qu'aucun  discours 
ne  soit  imprimé,  parce  qu'aucun  n'a  traité  la  question.  (Mur- 
mures. ) 

>  On  a  parlé  de  la  faction  d'Orléans.  Je  suis  certain  quelle  a 
existé  à  l'époque  où  le  fils  d'Orléans  était  au  camp  de  Dumou- 
rier.  Mais,  puisque  celte  faction  existe  encore,  que  Dumolard 
vous  a  parlé  iur  elle  avec  beaucoup  de  véhémence,  qu'il  lui  at- 
tribue toutes  les  divisions  qui  nous  déchirent,  eique  son  discours 
a  paru  foire  quelque  impression  sur  l'esprit  du  conseil,  je  dis  qu'on 
a  fort  mal  fait  de  restituer  les  biens  à  la  famille  d'Orléans.  Et  sans 
doute  les  membres  de  la  commission  qui  en  ont  présenté  le  pro- 
jet ne  sont  pas  de  cette  faction.  Je  demande  donc  le  rapport  de 
cette  loi,  afin  de  faire  cesser  les  mortelles  inquiétudes  de  ceux 
qui  tremblent  sur  celle  faction.  {On  rit.  *  —  Plusieurs  voix  : 
Appuyé.) 

Le  président  rappelle  les  diverses  propositions  qui  ont  été  fai- 
tes. Il  met  aux  voix  celle  de  n'imprimer  aucun  des  discours  qui 
ont  été  prononcés;  elle  est  rejetée.  H  met  aux  voix  l'impression 
du  discours  de  Dubois-Dubay  ;  l'impression  est  rejetée. 

Le  président  invile  ensuite  Quirot  à  reproduire  sa  proposition 
re'aiive  à  la  famille  d'Orléans. 

Quirot.  «  La  loi  du  '22  prairial  exceptait  de  la  reslitulion  les 
biens  appartenant  à  la  famille  d'Orléans;  or,  il  est  possible  que 
parmi  les  biens  rendus  il  y  en  ait  quelques-uns  qui  aient  fait  par- 
lie  des  apanages.  (Plusiçurs  voix  :  INpn ,  non.  )  Ainsi  je  demande 


AU   18  FRUCTIDOR  AN   V    (  4  SEPTEMBRE  1797),  545 

qu'il  soit  nommé  une  commission  pour  examiner  cet  objet  ;  car 
je  le  déclare,  le  montant  des  biens  restitués  est  de  seize  millions. 
[Plusieurs  voix  :  L'ordre  du  jour;  fermez  la  discussion.  ) 

Rouzet,  «  Les  faits  sont  simples ,  et  l'opinant  s'est  trompé.  Le 
décret  du  22  prairial  prononçait ,  il  est  vrai,  la  confiscation  des 
biens  appartenant  à  Capet ,  à  sa  femme ,  à  Elisabeth  et  à  Philippe 
d'Orléans  ;  mais  il  ne  statuait  rien  sur  le  séquestre  de  ceux  qui 
appartenaient  aux  autres  Bourbons ,  lesquels  sont  au  nombre  de 
trois  individus ,  savoir:  Louise-Adélaïde  Penihièvre  ,  LouisBour- 
bon  Conti  et  la  sœur  de  Bourbon  ;  or,  les  résolutions  prises  par 
vous ,  et  converties  en  lois  par  le  conseil  des  anciens ,  ne  regar- 
dent que  ces  trois  individus.  Quant  aux  apanages ,  ils  n'existent 
plus  ;  l'assemblée  constituante  les  avait  supprimés  et  remplacés 
par  des  pensions.  Ainsi ,  il  n'est  pas  ici  question  de  d'Orléans. 
(  Quirot  :  Mais  celle  dont  vous  parlez  est  la  mère  de  celui  qu'on 
voudrait  nous  donner  pour  roi.  )  La  mère  de  celui  qu'on  craint 
d'avoir  pour  roi ,  n'est  pas  une  d'Orléans,  mais  une  Penihièvre. 
(On  rit.  )  Je  demande  la  question  préalable.  »] —  Adopté. 

JOURNÉE   DU    18   FRUCTIDOR   AN   O    (  4   SEPTEMBRE    1797). 

Sur  les  trois  heures  du  matin ,  le  canon  d'alarme  fut  tiré  ;  le 
lieu  des  séances  des  deux  conseils  investi  et  occupé.  La  commis- 
sion des  inspecteurs  des  deux  conseils  et  Pichegru  furent  arrê- 
tés. Ramel,  commandant  des  grenadiers  du  corps  législatif,  fut 
arrêté  à  la  tète  de^a  troupe ,  qui  ne  fit  aucune  résistance.  Le  gé- 
néral Augereau,  qui  présidait  à  ces  actes,  fit  en  même  temps  oc- 
cuper les  principaux  ponts  de  Paris.  Les  soldats  paraissaient 
pleins  d'enthousiasme  ;  ils  criaient  avec  fureur  vive  la  Républi- 
que! ils  parlaient  au  peuple;  ils  lui  témoignaient  leur  haine  con- 
tre les  royalistes.  On  lisait  sur  les  murs  de  Paris  une  proclama- 
tion du  directoire  qui  donnait  le  motif  de  ces  moiivemens  de 
troupes.  Elle  annonçait  la  découverte  d'une  conspiration  en  fa- 
veur de  Louis  XVIII.  On  avait  aussi  affiché  un  arrêté  du  direc- 
toire qui  portait  que  tout  individu  qui  rappellerait  la  royauté,  la 
constitution  de  1795 ,  ou  parlerait  de  d'Orléans ,  serait  fusillé  sur- 


346         DIRECT.   —  DU   1er  prair.   AN  V   {  20  MAI   i797  ) 

le-champ.  L'administration  centrale  de  la  Seine  et  les  douze  mu- 
nicipalités étaient  suspendues.  Le  bureau  central  de  police  était 
seul  maintenu.  Le  directeur  Barthélémy  était  arrêté.  Carnot  était 
en  fuite. 

De  nombreux  placards ,  exposés  à  la  curiosité  publique ,  con- 
tenait les  pièces  suivantes  : 

Offres  faites  par  Condé  à  Pichegru ,  au  nom  du  rou 

Nota.  (  Picheg^ru  veut  livrer  les  places  fortes  aux  Allemands. 
Condé  s'y  refuse.  —  Trahison  manquée.  ) 

c  Maréchal  de  France.  Gouverneur  d'Alsace.  Cordon  rouge. 
Le  château  de  Chambord  avec  son  parc ,  et  douze  pièces  de  canon 
enlevées  aux  Autrichiens.  Un  million  d'argent  comptant.  Deux 
cent  mille  livres  de  rente.  Un  hôtel  à  Paris. 

»  La  terre  d'Arbois,  patrie  du  général  Pichegru,  porterait  le 
nom  de  Pichegru. 

>  La  pension  de  200,000  liv.  réversible  par  moitié  à  sa  femme, 
et  50,000  liv.  à  ses  enfans,  à  perpétuité,  jusqu'à  extinction  de 
sa  race. 

»  M.  le  prince  de  Condé  désirait  qu'il  proclamât  le  roi  dans  ses 
camps ,  lui  livrât  la  ville  de  Huningue,  se  réunît  à  lui  pour  mar- 
cher sur  Paris.  » 

Réponse  de  Pichegru,  écrite  de  sa  main ,  et  trouvée  dans  le  porte- 
feuille  de  d'Antraigucs. 

t  Je  ne  ferai  rien  d'incomplet.  Je  neveux  pas  être  le  troisième 
tome  de  La  Fayette  et  de  Dumourier.  Je  connais  mes  moyens; 
ils  sont  aussi  surs  que  vastes  ;  ils  ont  leurs  racines  non-seulement 
dans  mon  armée ,  mais  à  Paris ,  dans  la  Convention ,  dans  les 
déparlemens ,  dans  les  armées  de  ceux  des  généraux  mes  collè- 
gues qui  pensent  comme  moi.  Je  neveux  rien  faire  de  partie!.  ïl 
faut  en  finir.  La  France  ne  peut  exister  République.  Il  faut 
un  roi.  11  faut  Louis  XVIÏl  ;  mais  il  ne  faut  commencer  la  contre- 
révolution  que  lorsqu'on  sera  sûr  de  l'opérer;  sûrement  et 
promptemcnt,  voilà  quelle  est  ma  devise. 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  i797  ).  547 

»  Le  plan  du  prince  ne  mène  à  rien.  Il  serait  chassé  de  Hu- 
ningue  en  quatre  jours.  Mon  armée  est  composée  de  braves  gens 
et  de  coquins  ;  il  faut  séparer  les  uns  des  autres ,  et  aider  telle- 
ment les  premiers ,  par  une  grande  démarche ,  qu'ils  n'aient  plus 
possibilité  de  reculer,  et  ne  voient  plus  leur  salut  que  dans  le 
succès. 

Pour  y  parvenir,  j'offre  de  passer  le  Rhin  où  Ton  me  dési- 
gnera le  jour  et  à  l'heure  fixée ,  et  avec  la  quantité  de  soldats  et 
de  toutes  les  armes  qu'on  me  désignera.  Avant ,  je  placerai  dans 
les  places  fortes  des  officiers  sûrs,  pensant  comme  moi;  j'éloi- 
gnerai les  coquins  et  les  placerai  dans  des  lieux  où  ils  ne  peuvent 
nuire ,  et  où  leur  position  sera  telle  qu'ils  ne  pourront  se  réunir. 
Cela  fait,  dès  que  je  serai  de  l'autre  côté  du  Rhin,  je  proclame 
le  roi ,  j'arbore  le  drapeau  blanc  :  le  corps  de  Gondé  et  Tarmée 
de  l'empereur  s'unit  à  nous.  Aussitôt  je  repasse  le  Rhin  et  je 
rentre  en  France.  Les  places  fortes  seront  livrées  et  gardées,  au 
nom  du  roi ,  par  les  troupes  impériales. 

»  Réuni  à  l'armée  de  Condé ,  je  marche  sur-le-champ  en  avant. 
Tous  mes  moyens  se  déploieront  alors  de  toutes  parts,  et  nous 
marcherons  sur  Paris,  et  nous  y  serons  en  quatorze  jours. 

>  Mais  il  faut  que  vous  sachiez  que  pour  le  soldat  français  la 
royauté  est  au  fond  du  gosier.  Il  faut,  en  criant  vive  le  Roi  !  lui 
donner  du  vin  et  un  écu  dans  la  main.  Il  faut  solder  mon  armée 
jusqu'à  sa  quatrième  ou  cinquième  marche  sur  le  territoire  fran- 
çais. 

»  Allez  rapporter  tout  cela  au  prince ,  écrit  de  ma  main ,  et 
donnez-moi  ses  réponses.  » 

M.  le  prince  de  Condé  en  lisant  le  plan ,  le  rejeta  en  totalité. 
II  fallait,  pour  son  succès,  en  faire  part  aux  Autrichiens.  Pi- 
chegru  l'exigeait  ;  M.  le  prince  de  Condé  ne  le  voulait  pas  abso- 
lument ,  pour  avoir  à  lui  seul  la  gloire  de  faire  la  contre-révo- 
lution. 

Il  répondit  à  Pichegru  par  des  observations ,  et  la  conclusion 
de  sa  réponse  était  de  revenir  à  son  premier  plan  : 

Que  Pichegru  proclamât  le  roi  sans  passer  le  Rhin.  Qu'il  remît 


548         DIRECT.    —   DU   1er   paAlR.  AN  V    (  20  MAI  1797) 

Huningue.  Et  qu'alors  rarmée  de  Condé  seule ,  et  sans  en  rien 
participer  aux  Allemands ,  irait  le  rejoindre  ;  qu'en  ce  cas  il  pou- 
vait promettre  cent  mille  écus  en  louis,  qu'il  avait  à  Bàle,  et 
quatorze  cent  mille  livres  en  lettres  de  change ,  payables  sur- 
le-champ. 

Aucun  moyen ,  aucun  raisonnement  n'eut  de  prise  sur  31.  de 
Condé.  L'idée  de  communiquer  son  plan  à  Wurmser,  d'en  par- 
tager la  gloire  avec  lui ,  le  rendait  aveugle  et  sourd.  Il  fallut  rap- 
porter ces  observations  à  Pichegru  ,  et  M.  Gourant  en  fut  chargé. 

De  là ,  trahison  raanquée. 

Le  prince  de  Condé  à  M.  Imbert-Colomès,  ancien  échevin  de 
Lyon,  principal  agent  de  Louis  XVUl  à  Lyon,  rayé  de  la  liste 
des  émigrés  par  un  décret  du  i^^'  prairial  an  5,  et  se  disant  en 
conséquence  membre  du  conseil  des  cinq-cents  : 

<  Le  roi  a  jugé  à  propos  d'envoyer  M.  de  Bésignan  à  Lyon  ;  je 
vous  invite,  monsieur,  aie  recevoir  avec  tous  les  égards  dus  à  un 
homme  honoré  de  la  confiance  de  sa  majesté.  Je  profite  de  cette 
occasion  pour  vous  renouveler  les  assurances  de  la  satisfaction 
de  sa  majesté ,  et  de  mon  sincère  attachement.  • 

Il  résulte  de  cette  lettre  : 

1°  Que  M.  Imbert-Colomès  était  l'agent  du  roi  à  Lyon  ; 

2*^  Que  sa  majesté  Louis  XVII 1  était  très-contente  de  ses  ser- 
vices ; 

3®  Que  M.  Imbert-Colomès  jouissait  du  plus  grand  crédit  au- 
près de  son  maître,  puisque  M.  de  Bésiguan  mettait  tant  d'im- 
portance à  obtenir  cette  lettre. 

Cependant  les  directoriaux  des  deux  conseils  se  réunissaient  : 
ceux  du  conseil  des  anciens  dans  l'aniphithéàtre  de  l'école  de 
santé,  ceux  du  conseil  des  cinq- cents  à  l'Odéon.  De  là  ils  en- 
voyèrent avenir  ceux  de  leurs  collègues  qu'ils  savaient  n'être  pas 
portés  sur  les  listes  de  proscription,  et  lorsqu'ils  se  trouvèrent 
en  nombre  ils  commencèrent  à  délibérer.  L'un  et  l'autre  se  dé- 
clarèrent en  permanence.  Le  conseil  des  anciens,  vers  trois  heu- 
res de  l'après-midi ,  autorisa ,  par  un  arrêté ,  le  directoire  à 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     549 

prendre  les  mesures  ne'cessaires  pour  assurer  la  sécurité  pu- 
blique. 

Nous  allons  donner  Tanalyse  de  la  séance  permanente  du  con- 
seil des  cinq-cents.  C'est  celle  qui  offre  le  plus  d'intérêt ,  parce 
que  c'était  à  eux ,  d'après  la  Constitution ,  qu'appartenait  l'initia- 
tive ,  et  que  par  suite ,  on  y  \oit  encore  une  ombre  de  délibéra- 
tion. Les  anciens  se  bornèrent  en  général  à  approuver  purement 
et  simplement  les  résolutions  que  les  cinq-cents  leur  transmet- 
taient. 

La  séance  s'ouvre  à  l'Odéon ,  sous  la  présidence  de  Lamarque  ; 
Cholet  et  Duhot  sont  secrétaires. 

Poulain' Grandpré,  c  Les  mesures  qui  ont  été  prises,  le  local 
que  nous  occupons ,  tout  annonce  que  la  patrie  a  couru  de  grands 
dangers,  et  que  nous  en  courons  encore.  Rendons-en  grâce  au 
directoire,  c'est  à  lui  que  nous  devons  le  salut  de  la  chose  pu- 
blique. Mais  il  ne  suffit  pas  que  le  directoire  veille ,  il  est  aussi  de 
notre  devoir  de  prendre  des  mesures  capables  d'assurer  le  salut 
public ,  et  la  conservation  de  la  Constitution  de  l'an  5.  Je  de- 
mande qu'il  soit  formé  une  commission  de  cinq  membres  pour 
s'occuper  de  cet  objet.  » 

Celte  proposition  est  adoptée  ;  les  membres  de  la  commission 
sont  Siéyes ,  Poulain-Grandpré ,  Hardy  ,  Cliasal ,  Boulay  de  la 
Meuithe. 

Chasal.  «  Je  propose  d'adresser  un  message  au  conseil  des 
anciens ,  et  un  au  directoire  pour  les  instruire  de  notre  réunion 
à  l'Odéon.  » 

Cholei.  t  Je  pense  qu'avant  tout  il  faut  envoyer  un  message  au 
directoire  pour  lui  demander  les  motifs  de  notre  réunion  dans 
ce  local  ;  pour  moi ,  je  ne  sais  rien  encore,  j'ignore  pourquoi 
nous  avons  quitté  notre  ancienne  salle  pour  nous  réunir  dans 
celle-ci.  » 

Chasal  et  Salicetti  répondent  qu'aussitôt  que  le  directoire  sera 
informé  de  la  réunion  des  représenlans  du  peuple  à  l'Odéon,  il 
ne  manquera  pas  de  rendre  compte  au  conseil  de  la  situation  de 
Paris,  et  de  ce  qui  s'est  passé. 


550  DIRECT.    —    DU    1^»    PRAIR.    AN   V    (  20   MAI   1797  ) 

Boiday,  «  Le  conseil  ne  peut  adresser  de  message  au  ccpseil 
des  anciens  sans  avoir  été  informé  par  le  directoire  de  la  réunion 
de  ce  conseil.  » 

Un  membre»  «  Vous  êtes  ici  en  vertu  d'un  arrêté  du  direc- 
toire; il  faut  que  vous  preniez  connaissance  des  motifs  qui  ont 
nécessité  votre  sortie  de  l'ancienne  salle.  » 

Le  conseil  adopte  les  deux  messages. 

Porte,  c  Les  circonstances  actuelles  exigent  que  nous  accor- 
dions au  directoire  la  faculté  de  faire  entrer  dans  le  ravon  con- 
stitutionnel  les  troupes  nécessaires  pour  assurer  votre  liberté  et 
sa  sûreté  personnelle.  Je  demande  cette  autorisation,  afin  de 
préserver  le  corps  législatif  et  le  directoire  des  attaques  du  roya- 
lisme. » 

Boulay.  <r  Je  demande  le  renvoi  de  la  proposition  à  la  com- 
mission chargée  de  vous  présenter  des  mesures.  > 

Merlin  de  Thionvïllc.  «  Le  renvoi  serait  sage  dans  un  temps 
ordinaire  ;  mais  dans  les  circonstances  où  nous  sommes ,  tout 
délai  serait  nuisible.  Je  suis  vieux  en  révolution.  Vous  n'avez 
qu'un  moyen  à  prendre ,  c'est  de  frapper  sur-le-champ  vos  en- 
nemis ,  ou  demain  vous  n'existerez  plus.  Je  demande  que  la  me- 
sure soit  sur-le-champ  adoptée.  » 

Cliolet.  «  Nous  ne  pouvons  prendre  de  mesures  sans  avoir 
des  renseignemens  certains  sur  ce  qui  s'est  passé.  Je  demande 
qu'on  attende  ceux  qui  ont  été  demandés  au  directoire.  > 

Merlin,  c  Les  pièces  sont  dans  le  public  et  dans  ce  qui  se  passe  ; 
elles  sont  affichées  dans  tous  les  coins  des  rues.  N'oublions  pas 
que  nous  avons  à  nous  défendre ,  non-seulement  contre  les  roya- 
listes, mais  encore  contre  les  agens  d'une  autre  faction.  (  Une 
foule  de  voix  :  Oui,  oui.)  Il  faut  empêcher  cette  seconde  faction 
de  profiter  de  la  victoire  que  nous  venons  de  remporter.  Je  de- 
mande que  la  rédaction  de  la  résolution  porte  également  contre 
tous  les  ennemis  de  la  Constitution  de  l'an  IH. 

La  proposition  de  Porte  ainsi  amendée ,  est  adoptée  à  l'instant. 

Porte.  «  Nous  avons  un  grand  nombre  de  nos  collègues  en 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEJUBRE   1797).  oM 

congé.  Rien  ne  peut  en  ce  moment  légitimer  leur  absence.  Je 
demande  qu'ils  soient  rappelés  sans  délai.  —  Adopté. 

Sur  la  proposition  de  Duhot,  le  conseil  nomme,  pour  former 
la  commission  provisoire  des  inspecteurs,  les  citoyens  Talot,  Ja- 
comin ,  Martinet ,  Laa  et  Calés. 

Villers,  «  La  commission  des  cinq  s'est  occupée  du  grand  tra- 
vail dont  vous  l'avez  chargée ,  elle  ne  peut  vous  présenter  des 
mesures  sans  avoir  reçu  le  message  du  directoire.  Mais  elle  pro- 
pose au  conseil  de  déclarer  sa  séance  permanente.  >  — Adopté. 

La  séance  s'ouvre ,  à  sept  heures,  par  la  lecture  d'un  message 
du  directoire ,  conçu  en  ces  termes  : 

«  Citoyens  représenians ,  le  directoire  s'empresse  de  vous 
faire  part  des  mesures  qu'il  a  prises  pour  assurer  le  salut  de  la  pa- 
trie elle  maintien  de  la  Constitution,*  il  vous  transmet  les  pièces 
qu'il  a  réunies ,  et  celles  qu'il  a  publiées  avant  que  vous  fussiez 
rassemblés.  S'il  eût  tardé  un  jour  de  plus ,  la  République  était  li- 
vrée à  ses  plus  mortels  ennemis.  Le  lieu  de  vos  séances  était  celui 
que  les  conjurés  avaient  choisi  pour  être  le  foyer  de  la  conspira- 
tion. Là,  ils  délivraient  des  cartes  d'enrôlement;  de  là,  ils  corres- 
pondaient avec  leurs  complices;  de  là,  ils  fomentaient  des  ras- 
semblemens  clandestins ,  que  la  police  est  occupée  en  ce  moment 
à  dissiper.  C'eût  été  compromettre  le  salut  de  la  patrie ,  la  tran- 
quillité publique,  la  vie  des  représentans  restés  fidèles,  que  de  ne 
pas  prendre  des  mesures  promptes,  vigoureuses,  efficaces;  le 
directoire  l'a  fait.  Sa  conduite,  en  cette  occasion  à  jamais  mémo- 
rable, était  nécessitée  par  les  circonstances,  par  l'audace  des 
conspirateurs,  qui  ayant  jeté  le  masque,  marchaient  à  leur  but, 
et  qui  voulaient  courber  la  tête  des  Français  sous  le  joug  des 
rois. 

En  matière  d'état ,  les  mesures  extrêmes  doivent  être  appré- 
ciées par  les  circonstances.  C'est  ainsi  que  vous  devez  juger  de 
celle  qu'a  prise  le  directoire  ;  il  en  espère  les  plus  grands  résul- 
tats. Le  18  fructidor  sera  un  jour  heureux  dans  les  annales  de  la 
France.  Saisissez  celte  occasion  pour  ramener  la  paix  intérieure, 
raviver  l'amour  de  la  liberté  et  de  la  République ,  et  fermer  l'a- 


35î2         DIRECT.   —  DD  l^r  PRAIR.    AN  V  (  t20  MAI  1797) 

bîme  affreux  dans  lequel  les  amis  des  rois  voulaient  nous  préci- 
piter. 

»  Le  directoire  vous  transmettra  d'autres  pièces.  Vous  y  ver- 
rez qu'Imberi-Colomès  a  été  le  principal  agent  du  soi-disant 
Louis  XVIII  à  Lyon.  » 

Le  conseil  ordonne  l'impression  du  message  au  nombre  de  six 
exemplaires. 

On  fait  lecture  ensuite  d'une  proclamation  du  directoire  aux 
Français.  Après  y  avoir  rappelé  la  réalité  de  la  conjuration  de 
vendémiaire,  le  directoire  s'exprime  ainsi  :  A  l'époque  où  cette 
conspiration  fut  dévoilée,  un  homme  qui  a  conduit  nos  défenseurs 
à  la  vicioire,  correspondait  au  Rhin  avec  nos  ennemis  par  des  pro- 
positions de  royahsme.  Si  nos  places  de  guerre  n'ont  pas  été  li- 
vrées, siPichegru  n'est  pas  venu  en  quatorze  jours  à  Paris,  c'est 
la  faute  de  Condé.  Voilà  pourquoi  Pichegru  a  été  élu  le  premier 
président  du  conseil  des  cinq-cents.  Voilà  les  moiifs  des  calom- 
nies versées  sur  le  directoire,  pour  avoir  destitué  Pichegru.  Le 
royalisme,  vaincu  en  vendémiaire,  ne  renonça  pas  à  ses  projets  ; 
mais  il  prit  une  marche  plus  tortueuse;  il  embrassa  un  plan  plus 
vaste ,  et  qui  enlaçait  toute  la  surface  de  la  République  ;  les  dé- 
tails de  ce  plan  sont  consignés  dans  la  révélation  faite  au  direc- 
toire par  Duverne-de-Presle,  dit  Dunan.  On  y  voit  que  Lemérer 
et  Mersan  étaient  les  agens  du  roi.  Aussi,  fidèle  à  sa  mission,  Le- 
mérer osa-t-il  à  la  tribune  républicaine ,  présenter  la  Coui-titu- 
tion  de  1791,  comme  un  objet  de  respect,  et  insulter  au  10  août. 
Depuis  cette  époque ,  ils  ont  continué  de  prendre  toutes  les  me- 
sures contre-révolutionnaires.  On  acréédans  toute  la  Rrpubhque, 
des  centurions,  des  commissaires  royaux,  qui  organisaient  la  con- 
tre-révolution dans  chaque  département,  dans  chaque  canton,  dans 
chaque  commune  ;  et  qui  y  disposaient  une  force  armée,  afin  qu'à 
l'instant  convenu,  une  insurrection  générale  eût  plongé  la  France 
dans  un  nouveau  déluge  de  sang.  La  découverte  de  la  conspira- 
tion Broltier,  Lavilleurnois,  etc. ,  ne  fit  qu'augmenter  la  chaleur 
des  parti^ans  de  la  royauté.  Les  élections  dernières  ont  été  l'ou- 
vrage de  l'esprit  de  parti ,  les  dépositions  de  Broltier  en  font  foi. 


AU    18    FRUCTIDOR    AN    Y    t  4   SEPTEMBRE    1797).  555 

ici  le  directoire  présente  le  tableau  de  la  siuiaiion  de  la  Rép^j- 
hliquc,  depuis  les  dernières  éloclions  :  Puis  il  s'écrie  :  «  Ciloyen,>, 
vous  n'avez  pas  pour  tant  d  opprobres  iraversë  la  lévoUiîuK?. 
Quelques  factieux  ne  feront  point  rétrograder  sa  marche  ;  des  élus 
de  Blankembourg  ne  l'emporteront  point  sur  !es  élus  du  peuple. 
Les  hommes  du  corps  législatif  sauront  en  faire  le  discernement. 
N'oubliez  jamais  que  les  mesures  prises  étaient  nécessaires  pour 
prévenir  les  plus  horribles  secousses ,  et  que  l'excès  des  maux , 
appelait  l'excès  du  remède.  » 

A  la  suite  de  cette  proclamation,  on  lit  les  pièces  trouvées  dans 
le  portefeuille  de  d'Antraigues  à  Venise,  et  envoyées  par  le  gé- 
néral Bonaparte  ;  elles  sont  relatives  à  la  trahison  de  Pichegru  ; 
les  détails  en  sont  fort  étendus. 

Vient  ensuite  la  déclaration  faite  au  directoire  par  Duverne  de 
Presle,  connu  sous  le  nom  de  Dunan,  et  qui  a  été  consignée  dans 
son  registre  secret..  Il  paraît  que  c'est  à  l'occasion  de  cette  décla- 
ration ,  que  le  directoire  avait  demandé  l'année  dernière  au  con- 
seil la  faculté  de  commuer  la  peine  prononcée  contre  les  condam- 
nés qui  feraient  des  révélations  utiles  à  l'état.  Cette  pièce,  qui  est 
fort  longue,  contient  les  détails  du  vaste  plan  qui  avait  été  conçu 
et  exécuté  par  les  royalistes  pour  amener  la  contre  révolution  ;  on 
y  voitquelesagens  du  soi-disant  Louis XVIII,  comptaientsurcent 
quatre-vingt-quatre  membres  du  corps  législatif;  et  que  le  projet 
était  de  renverser  le  directoire  et  de  mettre  un  roi  à  sa  place ,  en 
laissant  subsister  les  deux  conseils.  La  faction  d'Orléans ,  contre 
laquelle  onp  Umtcrié,  n'y  était  pour  rien,  car  les  agens  de 
Blarkembourg  y  déclarent  que  le  duc  d'Orléans  a  renoncé  au 
trône. 

On  réclame  l'impression  de  toutes  ces  pièces,  au  nombre  de  six 
exemplaires  :  elle  est  ordonnée. 

Roulay  de  la  Meurihe  au  nom  de  la  commission  des  cinq. «Dans 
une  po^ilion  aussi  grave  que  la  nôtre ,  il  ne  faut  pas  de  lon-'^.s  dis- 
cours; il  faut  agir  promptcment,  vigoureusement,  sagement.  [In 
grand  mouvement  s'est  opéré.  Le  directoire  a  été  (<.rrp  de  vo!'-; 

T.   XXXVII.  "JZ 


354  DIRECT.  —  DD  1er   praIR.    AN   V   (  20   MAI   1797  ) 

indiquer  un  local  auire  que  celui  où  vous  aviez  coutume  de  vous 
réunir.  La  (orce  armée,  dans  tout  son  appareil,  a  été  dfplojée; 
le  peuple  enlier  fst  debout,  il  demande ,  il  attend  le  résultat  de 
celle  g'  ande  journée. 

»  Considérez  la  siluaiion  delà  chose  publique.  11  y  a  six  mois, 
la  paix  était  assurée,  et  aujourd'hui  tout  est  chanf^é,  la  paix  est 
éloiffnée  au-dohors,  la  guerre  civile  est  sur  le  point  de  nous  dé- 
chirer au-dédans  ;  le  nom  de  républicain^  prononcé  avec  respect , 
avec  admiration  ,  avec  efiroi  dans  IVtrangpr,  est  chez  nous  un 
terme  de  mépris,  un  titre  de  proscription.  Cet  état  ^ésasireux 
est  une  suite  de  la  va>t^  conspiration  ,  tendant  à  nous  ramener  un 
roi,  un  clergé,  une  noblesse ,  laquelle  est  matériellement  prouvée 
par  les  pièces  qui  ont  été  remises  sous  vos  yeux. 

j  Un  (les  grands  foyers  delà  conspiration  était  dans  le  corps  lé- 
gislatif, non  dans  la  majorité;  elle  est  bonre,  elle  est  républicaine, 
elle  VHut  le  salut  du  peuple,  mais  dans  un  certain  nombr  e  de  me- 
neurs et  d'inlri{;ans,  qui  avaient  obtenu  la  mnjoriié.  Vous  con- 
naissez les  moyens  qu'ils  employaient  pour  se  l'assurer.  \U  con- 
certaient ensemble  les  mesures;  ils  It^s  proposaient  avec  un  ion 
lyrannique;  ils  enlevaient  les  délibérations  ,  sans* permettre  que 
les  orateurs  fussent  entendus.  Ceux  qui  nef)ensa  ent  pas  comme 
eux ,  étaient  interrompus  et  conspués ,  la  tribune  n'était  pas 
libre. 

»  Le  (gouvernement ,  il  faut  le  dire,  ne  peut  marcher  qu'avec  la 
bienveillance  du  corps  législatif.  Le  parti  s'appliquait  à  le  décon- 
sidérer, 5  le  garroier,  à  le  faire  périr.  Le  moui^  ^uit  venu  ;  le 
grand  coup  allait  être  porté,  quand  la  sagesse  et  l'énergie  du  di- 
rectoire or.t  déjoué  leurs  complots.  Nous  sommes  dans  un  état  de 
guerre ,  les  ennemis  de  la  République  et  ses  amis  sont  en  pré- 
sence. 11  n'y  a  pas  de  temps  à  perdre;  il  faut  sauver  la  pairie,  dé- 
sarmer ses  ti^niis  elles  éloigner  du  sein  delà  République  dont 
ils  avaient  jure  la  perte.  Il  faut  proclamer  la  vérité  :  le  triomphe 
des  républicains  ne  sera  souillé  paraucune  gouite  de  sang,  {Foule 
de  voix.  Bravo.)  Malheur  à  celui  qui  voudrait  rétablir  les  écha- 
fauds,  violer  les  personnes  et  les  propriétés  !  (Mêmes  applaudis- 


'  AU   18  FRUCTIDOR   AN   V  (  4  SEPTEMBRE   1797).  55S 

semens.)  Il  ne  faut  point  de  vengeances  ;  il  faut  assurer  le  salui 
public.  Le  mouvement  s'est  fait  paisiblement,  il  faut  le  terminer 
de  même.  Songez  que  bientôt  il  eût  fallu  en  venir  aux  mains ,  et 
que  la  France  eût  été  une  Vendée  générale.  Vos  ennemis  ont  été 
surpris  au  moment  où  ils  allaient  exécuter  leurs  projets.  Il  faut  les 
ëluigner  du  corps  législatif ,  des  autorités  constituées;  il  faut  les 
déporter,  il  faut  réaliser  ce  but  le  plus  tôt  possible;  c'est  le  seul 
moyen  de  nous  débarrasser  des  émigrés  et  des  prêtres  réfi  ac- 
taires. 

»  Les  premiers  seront  transporté»  dans  le  lieu  que  le  gouver- 
nement désignera  ;  là  aus^i  il  y  fera  transférer  les  prêtres  qui  rie 
voudront  point  franchement  se  soumettre  aux  lois.  Néanmoîûs, 
la  commission  ne  vous  propose  point  de  les  condamner  en  masse  ; 
mais  ceux  qui  refuseront  la  déclaration  devront  quitter  un  pays 
où  ils  refusent  d'être  soumis  aux  lois  qui  le  gouvernent.  Il  faut 
prendre  ce  parti,  ou  bien  se  résoudre  à  être  dans  un  état  de 
guerre  coniinuelle.  Élevez-vous  à  des  senlimens  courageux  et  à 
des  idées  grandes.  Les  formes  lentes  et  judi>  iaires  ne  peuvent  être 
adoptées  envers  des  conspirateurs.  Vouséles  vainqueurs  aujour- 
d'hui ;  mais  si  vous  ne  profitez  de  la  victoire ,  demain  vous  serez 
vaincus.  Frappez  les  coups  qui  sont  nécessaires,  rasseyez  là  Con- 
stitution sur  ses  bases;  après  cela  nous  reprendrons  notre  car- 
rière législative.  > 

Impression  au  nombre  de  six  exemplaires. 

Au  nom  de  la  même  commission,  Villers  présente  les  deux  pro- 
jets qu'elle  propose  ;  ils  sont  adoptés  avec  urgence.  En  voici  !ès 
dispoïîi lions  : 

Première  résolution. 

Art.  1er.  Les  opérations  des  assemblées  primaires ,  comnVû- 
nales,  électorales  de  cinquante-trois  déparlomcns,  pirmi  lesquels 
on  remarque  ceux  delà  Seine,  du  Rhône,  du  HautetBa<i-l»hin,  etc., 
sont  déclarées  illéfjitimes  et  nulles. 

2.  Les  opérations  de  l'assemblée  électorale  du  Gers  sont  dépa- 
rées légitimes  et  valables. 


356  DIRECT.  —  DU   i^^  PRAIR*    AN    V  (20   MAI   1797  ) 

3.  La  loi  du  22  prairial,  relative  à  la  double  élection  du  Lot , 
est  rapportée;  en  conséquence,  les  opérations  faites  à  la  maison 
de  la  Palonie,  sont  nulles,  et  celles  faites  à  l'église  de  Caliors  sont 
valables. 

4.  Les  individus  nomniés  par  les  assemblées  primaires ,  com- 
munales et  électorales  des  départemens  ci-dessus  désignés, 
sans  en  excepter  les  membres  du  corps  législatif,  cesseront  tou- 
tes fonctions,  sous  les  peines  portées  en  l'article du  Code 

pénal. 

5.  Le  directoire  nommera  aux  places  vacantes  des  tribunaux  , 

et  à  celles  qui  viendraient  à  vaquer  avant  le  i^^  germinal  an  6. 

6.  Ses  nominations  auront  la  même  durée  que  si  elles  eussent 
été  faites  par  les  assemblées  primaires ,  communales  et  éleclo- 
ralâs. 

7.  Les  lois  qui,  en  contravention  à  l'article  573  de  l'acte  con- 
stitutionnel, rappellent  au  corps  législatif  J.-J.  Aymé  ,  Mersan, 
Gau,  Polissart  et  Ferrant-Vaillant,  sont  rapportées. 

8.  Les  articles  de  la  loi  du  5  brumaire,  relatifs  aux  parens  des 
émigrés,  seront  et  resteront  en  vigueur  pendant  les  quatre  années 
qui  suivront  la  paix  générale. 

9.  Pendant  cet  intervalle,  aucun  parent  d'émigrés  ne  pourra 
voter  dans  les  assemblées  primaires,  ni  être  nommé  électeur. 

iO.  Nul  ne  sera  admis  à  voter  sans  avoir  au  préalable  prêté , 
entre  les  mains  du  président,  le  serment  individuel  de  haine  -h 
la  royauté  et  à  l'anarchie,  d'attachement  et  de  fidélité  ù  la  Répu- 
blique et  à  la  Constitution  de  l'an  5. 

il.  La  loi  relative  aux  chefs  de  la  Vendée  est  rapportée.  Sont 
réputés  tels,  les  individus  désignés  par  la  loi  du  21  juillet  1791. 

12.  Aubry,  J.-J.  Aymé,  André  de  la  Lozère,  Boissy  d'Anglas, 
Bornes,  Bourdon  de  l'Oise,  Cadroy,  Couchery,  Clercmonieau, 
Delahaye  de  la  Seine  Inférieure,  Delarue,  Doumerc,  Dumolard  , 
Duplantier,  Dupral,  Gilberi-Desmolières,  Henry  Larivière,  Im- 
beri  Colonies,  Camille  Jordan,  Jourdan  des  Bouches-du- Rhône, 
Gau,  Lacarrière,  Lemarchant-Gomicouri,  Lemérer,Mersaii,  Ma- 
dier.  Maillard,  Noailles,  Marc-Curiin,  Pavie.  Pastoret,  Pichegru, 


AU   18  FRUCI'IDOK   AN    V    (4  SEPTE31BReM797  ).  357 

Polissarr,  Quat remère  de  Quincy,  Saladin,  Siméon,  Vauvilliers, 
Vaublanc,  Villaret-Joyeuse,  Willot,  membres  du  conseil  des  cinq- 
cents; 

Et  Barbé- Marbois,  Detorcy,  Dumas,  Ferrant-Vaillant,  Laffon- 
Ladebai,L'HomoDt,  Muraire,  Murinais,  Paradis,  Portails,  Rovère, 
Tronçon-Ducoudray,  Belin  des  Bouches-dq-Rhône,  membres  du 
conseil  des  anciens  ; 

Carnot  et  Barthélémy,  membres  du  directoire  ; 

Brotiier,  Lavilleurnois,  Duverne-de-Presle,  dit  Dunan  ; 

Cochon ,  ex-ministre  ;  Dossonville ,  ex-employé  de  la  police  ; 
Miranda,  ex-général;  Morgan,  ex-général;  Suard,  journaliste  ; 
Mailhe, ex-législateur;  etRamel,  commandant  de  la  garde  du 
corps  législatif,  seront  dëporlés  dans  les  lieux  que  le  directoire 
désignera.  Leurs  biens  seront  séquestrés,  et  il  ne  leur  en  sera  ac- 
cordé main-levée  qu'après  la  preuve  authentique  de  leur  arrivée 
au  lieu  de  leur  déportation.  Néanmoins,  le  directoire  est  autorisé 
à  faire  prélever  sur  les  revenus  de  ces  biens  des  secours  à  leurs 
familles. 

15.  Tous  individus  non  rayésde  la  liste  des  émigrés  sont  tenus 
de  sortir  dans  les  vingt-quatre  heures  de  Paris,  et  de  toutesles  com- 
munes, au-d£*sus  de  vingt  mille  âmes,  et  des  autres  communes, 
dans  les  quinze  jours  après  la  publication  de  la  loi. 

14.  Passé  ce  délai,  tout  émigré  non  rayé  sera  arrêté  et  traduit 
par  devant  une  commission  militaire  de  sept  membres,  laquelle 
sera  nommée  par  le  général,  commandant  la  division  militaire,  et 
le  jugement  sera  exécuté  dans  les  vingt-quatre  heures. 

15.  Les  émigrés  actuellement  détenus  seront  déportés,  et  ceux 
qui  rentreront  seront  punis  de  mort. 

16.  Les  loisqui  prononcent  la  radiation  deGrtîgoire  Derumare, 
et  d'Imbert  Colomès,  sont  rapportées. 

Seconde  résolution. 

Art.  i^'^,  La  loi  du  7  de  ce  mois,  qui  rappelle  les  prêtres  dépor- 
tés, est  abrogée. 
2,  Le  directoire  est  investi  du  droit  de  déporter,  par  arrêtes 


358        DIRECT.  —  liv  4er  pkair.  ajn  V  (  20  mai  1797  ) 
ludividuels  et  motives,  les  prêti  es  qui  troubleraient  la  tranquillité 
publique. 

5.  La  loi  du  7  vendémiaire,  an  4,  sur  la  police  des  cultes,  sera 
exécutée;  mais  au  lieu  d'une  s:mpïe  déclaraiion,  lès  prêtres  se- 
ront tenus  de  piéler  le  serment  de  haine  à  la  royauté  et  à  l'anar- 
chie, d'attachement  et  de  fidélité  à  lu  République  et  à  la  Consti- 
tution de  l'an  5. 

4.  Tout  administrateur,  officier  de  police,  juge,  accusateur  pu- 
blic, officier  de  gendarmerie,  qui  ne  fera  pas  exécuter  lesarti- 
des  Relatifs  aux  émigrés  et  aux  prêtres,  sera  puni  de  deux  ans 
de  fers.  Le  directoire  est  autorisé  à  délivrer  tous  mandats  d'arrêt 
nécessaires. 

5.  Aucun  haut  juré,  juré  ordinaire  ou  spéci:il,  ne  pourra  exer- 
cer ses  fonctions,  sans  avoir  au  préalable  prêté  serment  de  haine 
à  la  royauté,  etc. 

6.  Les  jurés  seront  tenus  de  voter  à  l'unanimité.  Ils  n'auront 
aucune  communication  au-dehors  ;  s'il  ne  peuvent  prononcer  una- 
nimement, ils  se  reuniront  de  nouveau;  mais  alors,  ils  prononce- 
ront à  la  simple  majorité: 

7.  La  loi  concernant  l'expulsion  des  Bourbons  sera  appliquée 
à  tous  les  individus  de  cette  famille ,  ainsi  qu'à  la  veuve  d'Or- 
léans. 

8.  Les  lois  qui  prononcent  la  restitution  des  biens  à  ces  individus 
sont  rapportées  ;  le  directoire  Itur  assignera  une  pension  sur  leurs 
biens. 

9.  Les  journaux  et  bs  presses  qui  les  impriment,  seront  pen- 
dant un  an  sous  l'inspection  de  la  police,  qui  pourra  les  pro- 
hiber, en  conlttiiniié  de  l'article  555  de  l'acte  constitutionnel. 

10.  La  loi  relative  aux  sociétés,  s'occupant  de  questions  politi- 
ques, est  rapportée.  * 

il.  Toute  société  susdite,  dan»  laquelle  on  professera  des  prin- 
cipes contraires  à  la  Constitution  de  l'an  5,  sera  fermée,  et  les 
membres  qui  aui  ont  émis  ces  opinions  seront  poursuivis  aux  ter- 
mes de  la  loi  du  27  germinal  an  4. 


AD   48  FRUCTIDOR   AN   Y   (  4  SEPTEMBRE   i797).  5â9 

i2.  Les  lois  du  25  thermidor,  an  5,  relatives  à  la  garde  natio- 
nale, sont  rai  portées. 

13.  Le  pouvoir  de  mettre  les  cooimunes  eu  état  de  siège ,  est 
rendu  au  directoire. 

Cliolet,  €  Quelque  grands  que  soient  les  dangers  que  nous 
courons,  je  ne  crois  pas  que  douze  heures  d'intervalle  puissent  les 
augmenter.  Je  demande  que  l'on  fasse  une  seconde  lecture  des 
projets,  qu'on  les  imprime  celle  nuit,  et  demain  on  les  discutera, 
quand  ils  auront  été  distribués.  »  (Murmures.) 

Le  président,  «  La  proposition  est-elle  appuyée.  »  {Plusieun 
voix.  Non,  non.) 

Les  deux  projets  sont  mis  aux  voix  article  par  arlicle  et 
adoptés. 

Dans  la  liste  des  citoyens  à  déporter,  la  commission  avait  com- 
pris Bailly,  Bovis,  No,^uier-Maiijai,  Normand, Doulcet,  Tlûbau- 
deau ,  des  cinq  cents  ;  Decrécy,  Maillard,  Personne ,  Kichoux  et 
Renusat0  des  anciens.  '  ^ . 

Sur  les  observations  de  plusieurs  membres ,  ils  ont  été  effacés 
de  la  liste.  —  A  demain  la  discussion  qui  a  eu  lieu  à  cet  égard. 

On  venait  de  faire  une  prejnière  lecture  de  la  liste  des  députés 
à  déporter.  Savary  demande  la  parole. 

Savarij.  tt  Les  militaires  qui  ont  servi  dans  la  Vendée  savent 
que  Normand  s'est  distingué  dans  cette  guerre,  par  sa  bravoure 
et  sa  bonne  conduite.  C'est  un  jeune  homme  qui  a  du  zèle  et  de 
l'amour  propre  ,  mais  sans  expérience;  à  son  arrivée  ici ,  il  a  été 
circonvenu  et  séduit  par  des  hoïumes  perHdes.  {  Murmui  es.  )  Je 
dema'ide  que  son  nom  soit  effacé  de  la  liste ,  car  vo^s  ne  pouvez 
Ty  laisser  sans  injustice.  * 

Boulay.  a  J'appuie  la  proposition;  Normand  était  le  rappor- 
teur ordinaire  de  la  commission  militaire,  parce  qu'il  avait  une 
bonne  voix,  et  plus  d'us  ige  de  la  tribune  q-ie  ses  collègues;  mais 
il  a  souvent  fait  des  rapports  qui  n  tlaient  pas  dans  sou  opinion  , 
il  me  l'a  lui-même  plusieurs  ix)is  avoué.  Je  demande  qu  on  l'ef- 
face. > 

Tallien,  t  Si  mon  témoignage  est  de  quelque  poids  ,  j'atteste 


Ô6(l  DIRECT.  —  DU    1^1    PRAIK.    AN    V    (20    MAJ    1797) 

que  Normand  s'est  parfaitement  batlu  à  Quiberon,  et  qu'il  a  mé- 
rité l'estime  du  général  Hoche,  par  sa  bonne  conduite  à  la  Ven- 
dée.»—  Normand  est  etlacé  de  la  liste. 

Boulai).  «  A  la  vue  de  la  liste  que  l'on  vous  présente,  vous  de- 
vez être  frappé  d'une  idée,  c'est  qu'elle  doit  être  courte  et  ne  ren; 
fermer  que  les  chefs  du  parti;  or,  ils  sont  en  très-petit  nombre , 
et  les  autres  n*ont  été  qu'égarés  ou  séduits.  (Murmures.)  Tous  les 
membres  de  l'assemblée  doivent  proposer  des  exceptions  en  fa- 
veur de  ceux  de  leurs  collègues  qu'ils  jugeront  à  propos.  Quant 
à  moi ,  j'en  demande  une  en  faveur  de  Thibaudeau.  (Agitation. 
Quelques  voix.  Oui ,  oui.)  On  ne  peut  reprocher  à  Thibaudeau 
que  quelques  erreurs  dans  son  dernier  rapport.  (Murmures.) 
Dans  les  circonstances  graves  où  nous  nous  trouvons,  lorsqu'ils'a- 
git de  prononcer  sur  le  sort  de  nos  collègues,  il  faut  qu'il  règne 
ici  une  entière  liberté.  Je  ne  connais  point  individuellement  Thi- 
baudeau ,  mj^  je  l'ai  suivi  dans  sa  carrière  poHiique ,  et  je  sais 
([u'il  a  rendu  dans  tous  les  teajps  les  plus  grands  service  à  la  ré- 
volution, et  qu'il  a  donné  de  fortes  preuves  de  son  attachement  à 
la  liberté  et  à  la  Constitution.  Et  ici  je  ne  parlerai  que  de  ce  dont 
j'ai. été  témoin  depuis  la  présente  session.  Rappelez-vous  avec 
quelle  énergie  il  arrêta,  au  15  prairial,  la  fougue  contre-révolu- 
tionnaire qui  commençait  alors  à  se  manifester,  et  comme  il  ré- 
pondit au  rapport  de  Taibé  sur  les  colonies,  et  aux  déclamations 
de  Dumolard.  Rappelez-vous  avec  quelle  force  il  parla  contre  les 
émigrés,  dans  la  résolution  qui  fut  piise  à  l'égard  des  émigrés  du 
Bas-Rhin  ;  chacun  sait  qu'il  s'opposa  vigoureusement  à  l'adoption 
du  second  article.  Dans  son  dernier  rapport ,  au  nom  de  la  com- 
mission des  sept,  Thibaudeau  n'a  pas  exprimé  ses  véritables  opi- 
nions. Ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  ce  rapport  est  de  lui  ;  j'y  ai 
vu  les  principes  d'un  vrai  républicain  ;  mais  les  projets  sont  d'un 
autre.  Je  demande  que  Thibaudeau  soit  rayé  de  la  liste.» 

Plusiékrs  voix.  «  Appuyé,  o 

Hardy.  «  Je  ne  veux  parler ,  ni  pour  ni  contre  Thibaudeau  , 
mais  je  dois  observer  qu'il  ne  s'agit  point  ici  des  opinions  qu'un 
député  a  émises,  elles  sont  libres;  mais  bien  d'une  vaste  conspira- 


AU    18  FRUCTIDOR   AN   V    (  4   SEPTEMBRE    1797).  361 

liou  OÙ  il  a  pu  tremper.  Dans  une  circonstance  pareille ,  la  Con- 
veniion  ne  votait  pas  la  réclusion  en  masse,  mais  iodividuellement. 
Je  demande  qu'il  en  soit  usé  de  même,  et  que  le  conseil  prononce 
-individuellement  sur  le  sort  de  chacun  de  ceux  qui  sont  portés  sur 
la  liste,  après  avoir  entendu  tous  les  membres  qui  voudront  par- 
ier  pour  et  contre.» 

Celte  proposition  est  adoptée  :  l'on  donne  une  seconde  lec- 
ture de  la  liste,  et  le  conseil,  sans  aucune  réclamation,  pro- 
nonce la  déponaiion  de  tous  ceux  qui  y  sont  inscrits ,  jusqu'à 

Doulcet.  *f 

« 

Duynont  du  Calvados.  t-Oe  n'est  point  aux  opinions  que  [l'on 
veut  faire  le  procès  dans  celte  enceinte  ;  sans  cela  on  détruirait  la 
liberté,  on  n'aurait  ici  qu'un  vain  fantôme  de  représentation  na- 
tionale. Doulcet,  par  sa  conduite,  a  mérité  depuis  six  ans  l'es- 
time des  vrais  patriotes.  Je  le  connais ,  j'ai  été  constamment  avec 
lui  ;  avec  lui  j'ai  partagé  les  persécutions  de  l'aristocratie  ;  et  cha- 
cun de  nous  sait  que  pendant  la  Convention ,  il  a  montré  un  atta- 
chement inviolable  au  gouvernement  républicain.  Dans  mon  dé- 
partement on  ne  lui  pardonnera  jamais  d'y  avoir,  le  premier,  levé 
l'étendard  de  la  révolution.  Les  royalistes  se  réjouiraient  de  sa 
proscription.  On  ne  peut  lui  reprocher  d'avoir  fréquenté  aucuns 
lieux  de  rassemblement;  il  n'a  jamais  été  à  Clichy  ;  il  vous  l'a 
dit  à  la  tribune ,  et  ce  qu'il  vous  a  4it  est  vrai.  Il  est  resté  isolé 
chez  lui.  Je  le  connais ,  voilà  pourquoi  je  prends  sa  défense ,  et 
je  lui  dois  ce  témoignage;  et  si  vous  le  maintenez  sur  la  liste ,  je 
vous  déclare  qu'il  emportera  mon  estime.  » 

Hardy  :  «  Le  nom  de  Doulcet  se  trouve  consigné  dans  les 
pièces  de  Lemaître.  Mais  rappelez-vous  que,  lorsque  dans  le 
temps  on  en  lit  lecture  à  la  Convention,  Doulcet  se  justiha  par- 
faitement. D'ailleurs ,  mes  collègues ,  je  n'ai  qu'un  mot  à  vous 
dire,  Doulcet  est  un  des  vingt-deux  proscrits  du  51  mai.  Je  ré- 
clame sa  radiation.  » 

Dubois-Dubai  :  «  Comme  Dumont,  j'atteste  le  républicanisme 
de  Doulcet.  Il  est  bien  vrai  que  j'ai  blâmé  la  conduite  qu'il  a  le- 


562  DlKECT.  —  DU    1er    prair.    AN    V   (  20   MAI    1797) 

nue  dans  ces  derniers  t^ips;  je  le  lui  ai  dit  à  lui-même;  néan- 
moins je  vole  pour  sa  radiation.  > 

Dumont,  «  A  la  {grande  époque  de  la  révolution ,  à  la  journée 
du  10  août  et  au  20  juin,  toutes  les  aiministraiions  départemen- 
tales firent  des  adresses  au  roi.  Celle  du  Calvados,  dont  j'étais 
membre  avec  Douicet  ,  imita  cet  exemple  :  lui  et  moi ,  nous  pro- 
testâmes seuls  contre  cette  adresse,  et  nous  en  fîmes  une  autre 
en  sens  contraire.  Dès  lors  nous  fûmes  voués  aux  poignards  des 
aristocrates  du  temps.  >  |§ 

Bellegarde,  «  J'ai  été  cinq  mois  en  mission  avec  Douicet ,  pen- 
dant le  s\é{',e  de  Lille,  et  j'atteste  qu'il  s'est  parfaitement  com- 
porté, et  que  ses  principes  ont  toujours  été  ceux  d'un  bon  et 
loyal  républicain.  J'appuie  sa  radiation.  »  .    ' 

Douicet  est  effacé. 

Le  président  met  aux  voix  la  radiation  de  Thibaudeau  :  elle  est 
ordonnée.  .       s 

Maies.  €  On  a  voulu  écarter  les  meneurs ,  mais  non  les  menés. 
Bailly  est  de  cette  dernière  classe.  On  n'a  aucun  fait  à  lui  opposer. 
Il  a  prononcé  sur  les  ém  grés  duBas-Uhin  une  opinion  qu'on  lui 
a  donnée.  Dailleurs,  et  cette  considération  doit  être  ici  d'un 
grand  poids,  Bailly  est  un  ti-devant  prêtre  assermenté,  qui  n'a 
jamais  voulu  rétracter  son  serment,  et  en  conséquence,  il  a  été 
insulté,  vilipendé,  comme  c'était  le  bon  ton  de  le  faire,  il  y  a 
deux  jours.  Je  demandé  sa  radiation.  »  — Adopté. 

Le  tour  de  Decrécy  arrive. 

TalUtn.  «  Nous  ne  connaissons  point  ce  membre.  Je  demandé 
qu'on  le  fasse  connaître.  > 

Personne  ne  prenj|nt  la  parole,  Decrécy  est  effacé.  On  lit  le 
nom  de  Uichoux. 

Eudes,  c  Je  réclame  en  faveur  de  ce  membre,  comme  moi 
député  de  1  Eure.  Riclioux ,  dès  8i),  s'est  livré  avec  zèle  à  la  ré- 
volution ;  il  a  été  nommé  à  la  Convention  ;  et  c'est  moins  à  moi 
qu'à  ceux  qui  ont  été  membres  de  cette  célèbre  assemblée,  de 
prononcer  sur  son  compte.  Je  demande  l'ordre  du  jour  sur 'son 
inscription.  »  —  Adopté. 


AU   18   FRUCTIDOR   AN   V  (  4   SEPTEMBRE   1797).  365 

,  Labrouste  demande  une  exception  en  faveur  de  Duprat.  (Mur- 
mures. ) 

Bergoëng.  «Je  tiens  du  ministre  de  la  police,  Cochon  ,  qui 
sans  doute  n'est  pas  suspect ,  que  ce  petit  coquin  était  le  plus  dan- 
gereux du  corps  législatif,  et  que  la  correspondance  qu'il  entre- 
tenait avec  les  prêtres  réfractaires  de  son  département  causait 
les  plus  grands  embarras  à  la  police.  » 

Duprat  est  maintenu. 

On  lit  le  nom  de  Tarbé. 

Eardy.  n  Je  connais  Tarbé  depuis  le  commencement  de  la  ré- 
volution; je  sais  qu'il  était  très-patriote  ;  j'ignore  jusqu'à  que^ 
point  il  a  trempé  dans  les  projets  de  Clichy  ;  mais  j'observe  que 
Tarbé  est  du  département  de  l'Yonne ,  et  qu'aux  termes  de  votre 
résolution  qui  annule  les  élections  de  ce  département ,  la  sienne 
est  annulée  ;  et  je  crois  que  son-exclusion  du  corps  législatif  se- 
rait une  peine  suffisante.  » 

Unmembre,  «  J'ai  eu  occasion  de  connaître  Tarbé  dans  plusieurs 
circonstances,  et  notamment  à  la  commission  des  poudres  et  sal- 
pêtres dont  j'étais  membre  et  à  laquelle  il  avait  été  adjoint.  Je 
vous  assure  que  dans  toutes  les  discussions  qui  y  ont  eu  lieu ,  il  a 
professé  des  principes  propres  à  faire  aimer  la  révolution  et  la 
répubique. 

c 

La  radiation  de  Tarbé  est  mise  aux  voix  et  adoptée. 

Un  membre  réclame  en  faveur  de  Siméon.  Je  ne  le  connais  pas, 
dit-il ,  personnellement;  mais  ayant  eu  occasion  de  travailler  avec 
lui  dans  diverses  commissions  ,  je  lui  ai  vu  professer  des  prin- 
cipes et  des  sentiments  vraiment  républicains  ;  d'ailleurs  je  sais 
*qu'il  a  acquis  des  domaines  nationaux.  » 

Le  président,  cje  mets  aux  voix  la  radiation  de  Siméon.»  (Quel- 
(jues  membres  se  lèvent.  )  On  ne  prend  pas  part  à  la  délibération. 

Bergoëng,  <Les  mesures  présentées  par  la  commission  ont  été 
concertées  avec  le  gouvernement,  qui  a  des  pièces  où  Siméon  est 
inculpe.  > 

Salii^cui,  Après  la  prise  de  Toulon ,  Siméon  a  émigré ,  et  il  a 
resté  quatorze  mois  à  Livourne.  » 


5bi  OIKECT.  —  DU    1"    fKAIK.    AN    V    (20    MAI    1797) 

Le  président  met  de  nouveau  aux  voix  la  radiation  de  Simëo»  : 
elle  est  rejetée. 

Bonloux  réclame  en  faveur  de  Boviset  Paiihier;  «Tous  deux, 
dil-il ,  sont  imbéciiies  ;  mais  tous  deux  sont  patriotes  ;  le  premier 
est  père  de  quatorze  enl^us  ;  le  second  a  cinquante  ans  passés.  — 
Ces  deux  membres  sont  rayés. 

Un  membre  observe  que  Noguier-Malijai  est  un  vieillard  in- 
firme ,  qui  ne  supporterait  pas  le§  fatigues  du  voyage.  —  Son 
nom  est  retranché  de  la  liste. 

Poula'm-Grandpré.  c  C'est  sans  doute  par  oubli  que  l'on  n'a 
pas  parlé  de  Kamel.  Mais  il  est  impossible  de  ne  pas  le  com- 
prendre dans  la  liste  ;  car  il  est  infiniment  plus  dangereux  que 
plusieurs  de  ceux  qui  y  sont.  —  Je  demande  que  son  nom  y  soit 
inscrit.  >   —  Adopté. 

On  donne  une  troisième  et  quatrième  lecture  de  la  liste  ;  elle 
est  adoptée ,  comme  nous  l'avons  donnée  p.  536. 

Jean  Debnj.  «Sans  doute,  toutes  les  propositions  de  clémence 
sont  dans  votre  cœur  comme  dans  le  mien  ,  et  j'ai  voté  pour  plu- 
sieurs des.exceptions  qui  ont  été  proposées.  Mais,  dans  les  cir- 
constances actuelles ,  il  importe  de  considérer  moins  rinléréi 
particulier  que  l'intérêt  général  ;  vous  ne  devez  pas  vous  exposer 
à  courir  les  chances  d'une  révolution  n(^uvelle ,  ni  à  retomber 
dans  l'abîme  d'où  la  sagesse  du  directoire  et  le  dévouement  de 
la  force  armce  vous  ont  tirés.  Ainsi ,  comme  en  vous  présentant 
la  liste  ,  la  commission  a  eu  sans  doute  des  motifs  d'éloigner  de 
France  ceux  qui  y  étaient  portés,  je  demande  que  ceux  que  vous 
avez  rayés  de  celte  liste  restent  dans  la  république ,  mais  non 
pas  au  corps  législatif.  > 

On  réclame  l'ordre  du  jour.  —  Il  est  adopté. 
Garnier  de  Saintes.  «  Tout  le  monde  sait  (jue  la  classe 
d'hommes  qui  a  causé  le  plus  de  maux  est  celle  des  mauvais 
journalistes.  Ce  sont  eux  qui  ont  fomenté  les  haines ,  exaspéré 
les  esprits,  excité  aux  vengeances,  fait  couler  à  grands  flots  le 
sang  des  républicains,  versé  l'ironie,  le  mépris,  l'avilissement 
sur  le  gouvernement  actuel.  —  Je  demande  le  renvoi  à  la  commis- 


AU  i8  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     S65 

sion  des  Cinq  pour  nous  présenter  contre  eux  des  mesures  ef- 
ficaces de  répression.  »  —  Adopté. 

Villers  :  Je  déclare  que  le  renvoi  demandé  ne  peut  être  fait  a 
la  commission  des  Cinq,  car  elle  a  fini  son  travail,  et  elle  est 
dissoute.»  —Le  conseil  ordonne  le  renvoi  à  une  commission  spé- 
ciale. . 

Merlin  de  Thionville.  <  En  combattant  avec  courage  les  amis 
de  la  royauté ,  vous  devez  frapper  également  ceux  de  l'anarchie. 
Félix  Lepellelier,  Antonelle  et  Amar  s'occupent,  en  ce  moment, 
à  renouer  les  fils  de  leurs  intrigues.  Ainsi,  puisque  vous  dépor- 
tez  les  meneurs  de  la  royauté,  vous  devez  en  faire  de  même  à 
l'égard  de  ceux  de  l'anarchie,  —  Je  demande  le  renvoi  à  la  com- 
mission. 

On  réclame  l'ordre  du  jour*.  —  Adopté. 

BentaboUe,  «  Je  ne  connais  pas  les  renseignemens  sur  les- 
quels le  préopinant  a  fondé  son  opinion  sur  Antonelle...  »  (Plu- 
sieurs voix  :  On  a  passé  à  L'ordre  du  jour.  ) 

Il  est  minuit,  la  séance  est  suspendue.  Le  conseil  s'ajourne  au 
lendemain  à  neuf  heures.  • 

Suite  de  la  séance  permanente  du  19. 

Le  bruit  se  répand  que  les  anciens  ont  adopté  les  deux  résolu- 
lions  prises  cette  nuit  ;  des  acclamations  et  des  bravos  partent  de 
toutes  les  tribunes  ;  le  président  les  rappelle  au  respect  qu  elles 
doivent  à  l'assemblée. 

Sur  la  proposition  de  Chasal,  le  conseil  déclare  que  le  général 
en  chef,  les  généraux  sous  ses  ordres,  les  soldais  citoyens  ,  et 
les  citoyens  soldats  ont  bien  mérité  de  la  patrie. 

Chasal.  «  Toutes  les  armées  de  la  république  l'ont  appelée, 
cette  belle  journée  du  IH  fructidor;  elle  leur  appartient,  car  de- 
puis longtemps  elles  se  sont  prononcées  contre  les  conspirateurs. 
—  Je  demande  que  le  conseil  déclare  que  dans  cette  circonstance 
elles  ont  bien  mérité  de  la  patrie,  et  qu'î\  la  suite  de  relie  réso- 
lution on  imprime  leurs  adresses,  o  —  Adopté. 


366    DIRECT.  —  DU  !«»•  PRAIR.  AN  V  (  20  MAI  i797) 

Chénier.  «  Je  demande  l'impression  au  nombre  de  si;^  exem- 
plaires. >  —  Adopié. 

BailleuL  «Vous  n*avez  point  oublié  votre  arrêté  d'hier  relatif 
aux  journalistes.  Vous  n'ignorez  pas  combien  ils  ont  fait  de  mal  ; 
vous  savez  qu'ils  étaient  d'accord  avec  les  conspirateurs  et  payés 
par  eux.  Dunan  le  dit  formellement  dans  sa  déclaration.  — Je 
demande  qu'il  soit  envoyé  un  message  au  directoire  pour  l'in- 
viter à  vous  transmettre  l€s  noms  des  propriétaires,  impiimeurs 
et  rédacteurs  des  journaux  ;  vous  les  ferez  passer  à  une  com- 
mission spéciale ,  yui  voiis  présentera  las  mesures  convenables.» 
— Adopté. 

La  commission  sera  composée  de  Bailleul ,  Tallot  et  Garnier 
de  Saintes. 

Bailleul.  t  La  loi  d'hier  exclut,  pendant  quatre  ans,  les  pa- 
rens  d'émigrés,  des  fonctions  publiques.  Il  est  une  autre  me- 
sure à  prendre,  également  forte,  et  dont  l'expérience  vous  a 
prouvé  la  nécessité.  Conire  qui  a  été  faite  la  révolution?  Contre 
les  privilé(]es.  H  faut  donc  garantir  la  révolution  de  l'influence 
des  privilégiés.  Dans  les  beaurf  jours  de  89,  lorsque  le  peuple 
français  en  masse  s'élevait  contre  le  despotisme,  et  conquérait  sa 
liberté,  on  a  vu  bs  ci-devant  comtes  et  marquis  se  tenir  cois,  et 
bien  se  donner  de  gai  de  de  favoriser  ce  mouvement.  II  est  bien 
étonnant  de  voir  aujourd'hui  ces  mêmes  hommes  occuper  par- 
tout les  fonctions  administratives.  Pourquoi  s'y  sont-ils  g  issés? 
pour  reconquérir  leurs  privilèges,  et  rejeter  le  peuple  dans  la 
serNitude.  Il  faut  que  tout  privihgié  qui  n'a  pas  abjuré  ses  pré- 
tentions ,  abandonné  ses  privilèges,  qui  n'en  a  pas  fait  amende 
honorable ,  soit  exclus  des  fonctions  publiques.  Ne  s*étaieni-ils 
pas  dontié  le  mot  pour  assister  aux  assemblées  primaires,  et  in- 
fluencer les  électioris?  On  les  a  vus,  au  sortir  des  assemblées  ,  se 
tenir  sous  le  bras,  le  visage  rayonnant  de  joie,  et  se  traiter  de 
M.  le  comte ,  M.  le  marquis.  Je  demande  que  ma  proposition  soit 
renvoyée  à  une  commission.»  —  Adopté. 

Les  membres  nommés  sont  Villetard ,  Quirot  et  Portes. 


AU   i8   FRUCTIDOR  AN   V   (  4   SEPTEMBRE   1797)*  367 

Villetard,  c  J'ai  le  malheur  d'apparlenir  à  la  caste  privilégiée. 
Je  me  récuse.  » 

Duhot,  «  Barras  a  appartenu  à  cette  c^te,  et  il  a  sauvé  la  pa- 
trie. Je  demande  le  maintien  de  Villetard  à  ia commission.»  — 
Adopté. 

Le  directoire  fait  passer  le  message  suivant  : 

«La  journée  du  18  fructidor  a  dû  sauver  la  république  et  vous. 
Le  peup'e  s'y  attend.  Hier  vous  avez  vu  sa  tranquillité  et  sa  joie. 
11  demande  aujourd'hui  où  en  est  la  république ,  et  ce  que  vous 
avez  fait  pour  la  consolider?  Le  moment  est  décisif.  Si  vous  tar- 
dez une  minute ,  vous  vous  perdez  avec  la  Hépublique  :  les  cons- 
pirateurs ont  veillé  la  nuit  dernière  •  votre  silence  a  réveillé  leur 
audace.  Les  journalistes  de  Blabkembourg  distribuent  encore- 
leurs  poisons;  les  murs  sont  encore  tapissés  de  leurs  placards  iû- 
cendftires  ;  déjà  i!s  parlent  de  punir  les  républicains  du  commen- 
cement de  triomphe  qu'ils  ont  obtenu.  Et  l'on  hésite  encore  à  pur- 
ger le  sot  de  la  liberté  du  petit  nombre  de  meneurs  royiux  qui 
la  souillant.  Vous  êtes  au  bord  du  précipice,  vous  délibérez  pour 
le  combler  ;  demain  il  ne  s^ra  plus  temps.  On  vous  parlera  des 
principes ,  on  invoquera  la  justice  et  l'humanité  ;  c'est  avec  ces 
mots  que  les  conspirateurs  cherchaient  à  vous  endormir,  etqu'ils^ 
ont  jeté  dans  votre  sein  tous  les  brandons  de  la  discorde.  Peut-on; 
balancer  entre  le  sort  de  quf^lques  individus,  et  celui  de  la  Ré- 
publique? Le  directoire  s'e^t  dévoué  pour  elle,  et  il  a  cru  que 
vous  marcheriez  sur  ses  traces.  Il  vous  a  dit  que  vous  étiez  placés 
dans  des  circonstances  critiques,  et  que  vous  ne  pouviez  appli- 
quer les  règles  ordinaires  à  des  cas  extr  aordinaires.  Si  vous  at- 
tendez un  seul  instant ,  il  faut  dési-spérer  du  salut  de  la  patrie, 
^ais  si,  comme  le  directoire  l'espère,  celte  idée  affreuse  vous 
contfisteel  vous  frappe,  saisssez  le  prix  du  moment,  et  faites 
tout  pour  assurer  le  bonheur  et  la  gloire  de  la  patrie.  » 

Le  conseil  ordonne  l'impress  on. 

Le  président.  <  On  m'annonce  que  les  anciens  ont  adopté  (a 
ré>olution  d'hier.  » 

Portes,  €  Vous  venez  d'entendre  le  message  ;  au  moment  où  le 


568  DIRECT.  —DU   4^'    PRAIR.    AN    V  (^0   MAI   1797  ) 

directoire  s'occupait  à  le  rédi^^er  ,  il  i^ynorait  que  les  anciens 
avaient  adopté  la  résolution  d'hier.  Je  demande  qu'il  lui  soit  faii 
im  message  pour  l'inviter  à  faire  exécuter  \\  loi  dans  les  vinf^i- 
quatre  heures.  »  (Murmures.  > 

Poulain- Grandpré.  c  ,]e  demande  la  parole.  > 

Plusieurs  voix,  t  Ce  n'est  pas  appuyé.  » 

La  proposilion  n'a  pas  de  suite. 

BailleuL((  Je  suis  loin  decourir  après  une  vaine  popularité  ;  mais 
comme  personne  ne  monte  à  la  tribune,  je  vais  faire  des  proposi- 
tions nouvelles.  Vous  devez  aux  braves  défenseurs  de  la  patr  ie  des 
récompenses  et  des  honneurs.  Les  premières  doivent  être  hypothé- 
quées sur  les  biens  des  parens  d'émigrés  à  qui  on  a  rendu  les  biens. 
Les  seconds  consistent  dans'les  monuraens  à  ériger  à  leur  valeur. 
Le  marbre  et  l'airain  doivent  transmettre  à  nos  derniers  neveux 
le  témoignage  éclatant  de  la  reconnaissance  nationale.  La  n\e  de 
ces  monumens  rappellera  les  hauts  faits  d'armes  de  nos  guer- 
riers ,  elle  ravivera  le  patriotisme  qui  en  a  été  le  mobile,  elle  en- 
flammera la  jeunesse  du  désir  de  marcher  sur  leurs  traces. 

«Je  demande  qu'il  soit  nommé  deux  commissions:  la  première 
%  chargée  de  présenter  un  projet  sur  les  monumens  à  élever  à  nos 
guerriers;  la  seconde  présentera  le  mode  de  liquidation  du  mil- 
liard promis  à  nos  défenseurs.  Je  ne  serai  content  que  quand 
j'aurai  vu  l'invalide  qui  se  promène  sur  le  boulevard,  installé  dans 
sa  petite  propriété.  »  —  Applaudi  et  adopté. 

La  première  commission  sera  composée  de  Tallien ,  Guille- 
mardcl  et  Pons  ( de  Verdun  ) . 

La  seconde,  de  Borgoéng,  Jourdan  (de  la  llaule-Vienne)  et 
Martin. 

Jacomin  annonce  qu'il  a  été  remis  a  la  commission  des  inspej 
teurs  plusieurs  lettres  adressées  aux  députés  à  déporter. —  Elles 
sont  renvoyées  au  directoire. 

Boulmf.  «  Leprinripal  ol»j<^tqui  doit  exciter  votie  sollicitude 
c'est  la  restauration  dos  finnices  :  l'ancieniîe  commission  e.a  dés- 
organisée ;  je  demande  qu'elh»  soit  r^ nouveh  e.  > 

Plusicui's  voir.  «  Que  1«'  bureau  la  noutH.e.  u 


Aij   18  FRUCTIDOR   AN   V   (  4  SEPTEMBRE   1797).  369 

Guïllemardet,  «  Depuis  lorij^-lemps  la  commission  des  finances 
ne  cherchait  qu'à  vous  endormir  sur  les  bords  du  gouffre,  qui  a 
lailli  vous  engloutir.  Chaque  jour  elle  venait  vous  faire  des 
jérémiades,  sur  le  malheureux  sort  des  rentiers,  des  fonciion- 
naires,  des  troupes;  et  que  vous  proposait-elle?  rien,  absolu- 
ment rien.  Elle  voulait  jeter  sur  le  gouvernement  tout  TodieuK 
de  la  détresse  publique.  J'appuie  la  demande  faite  d'une  com- 
mission nouvelle,  qui  vous  proposera  les  moyens  d'assurer  la 
solde  des  troupes  et  le  paiement  des  rentiers  et  des  fonclion- 
naires.  »     Plusieurs  voix.  Appuyé. 

Prieur  de  la  Côte-dOr.  «  J'appuie  le  renouvellement  de  la 
commission  des  finances;  mais  j'observe  que  c'est  une  chose 
étrange  que  d'avoir,  comme  on  a  fait  jusqu'ici ,  séparé  celte  com- 
mission de  celle  des  dépenses  :  les  finances  se  composent  de  re- 
cettes et  de  dépeases ,  et  il  est  absurde  de  les  séparer  ;  il  n'y  a 
pas  un  ministre  des  recettes  et  un  autre  des  dépenses.  Il  faut  en 
(aire  une  seule.  >  — Adopté.  Le  bureau  désignera  les  membres 
de  la  nouvelle  commission. 

Jourdande  la  Haute-Vienne.  «  Dans  les  circonstances  acluel- 
les  tout  devient  intéressant.  Le  général  Augereau  qui  a  commandé 
les  troupes ,  et  dont  la  bonne  conduite  a  sauvé  hier  la  Républi- 
que, m'a  fait  passer  une  lettre  du  commandant  des  Invalides ,  oii 
le  conseil  trouvera  des  sentimeus  de  républicanisme  et  d'huma- 
niié  qui  honorent  les  braves  vétérans.  —  L'orateur  en  donne  lec- 
ture. Le  commandant  écrit  qu'au  premier  bruit  des  dangers  que 
courait  le  directoire,  les  invalides  étaient  accourus  en  armes  à 
sa  défense  ;  et  que,  comme  on  avait  pas  eu  le  temps  de  fournir  à 
leur  subsistance,  on  leur  avail  distribué  une  somme  de  Wl  livres 
pour  y  pourvoir,  mais  que  ces  braves  militaires  faisaient  hom- 
mage de  cette  somme  à  la  patrie  ;  en  déclarant  qu'ds  trouvjient 
leur  récompense  dans  le  bonheur  qu'ils  avaient  eu  de  contribuer 
à  la  journée  du  18.  »  —  Impression  et  menlion  honorable. 

Bellegarde,  «  Je  demande  que  la  commission  des  inspecteurs 
fosse  rentrer  les  braves  grena  ii(  rs  que  le  tyran  Hamel  a  chassés 
(le  ce  corps.  » 

T.    XXXVII,  -^1 


570  DIRECT. —  DU   i^r   pRAIR.  AN   V    (20  MAI   1797) 

Pomme.*  Toutes  les  troupes  de  la  Bépublique,ious  les  bons  ci- 
toyens doivent  être  instruits  de  la  manière  dont  Rarhel  a  sacrifié 
le  brave  grenadier  Leclerc.  Je  denaande  que  ce  qui  s'est  passé  à 
cette  occasion  soit  connu ,  et  que  ce  brave  homme  soit  fait  officier.  » 
Quirot,  «Il  ne  faut  point  garder  le  silence  sur  la  scélératesse  de 
ces  hommes  que  vous  venez  de  frapper.  11  faut  que  l'on  sache  que 
l'ancienne  commission  voulait  s'arroger  le  droit  de  deslituiion  sur 
les  grenadiers  du  corps  legislaiif ,  rétablir  les  cartouches  jaunes, 
%i  renvoyer  ainsi  les  soldats  patriotes ,  tandis  qu'elle  appelait  les 
«migres  et  les  égorgeurs.  Je  demande  que  la  commission  des 
inspecteurs  vous  fasse,  sur  tous  ces  objets ,  un  prompt  rapport, 
afin  que  la  France  entière  sache  avec  quels  moyens  les  conspira- 
teurs voulaient  nous  ramener  à  la  royauté  de  1792.  » —  Toutes  ces 
propositions  sont  renvoyées  à  la  commission. 

Chasal,  fU  existe  une  loi  de  suspicion  et  de  sang,  qui  expulse 
de  Paris  les  braves  militaires  qui  nous  ont  sauvés  hier.  J'en  de- 
mande le  rapport.  » 

Jourdan  de  la  Haute-  Vienne.  <  J'aj'puie  le  rapport  de  l'art.  0, 
que  j'ai  combattu,  car  c'est  celui  qui  expulse  les  olficiers  réfor- 
més. Quant  aux  autres  articles  qui  ont  pour  objet  d'assurer  leur 
solde,  je  pense  que  l'inleniion  du  conseil  n'est  pas  de  les  rap- 
porter. » 

Qiùrot.  €  La  résolution  dont  il  s'agit  est  en  ce  moment  aux  an- 
ciens. Il  suffit,  sans  doute,  que  le  vœu  de  ce  conseil  et  des  bons 
citoyens  ail  été  manifesté,  pour  qu'il  soit  fait  justice  de  celte  ré- 
solution incoLSiiiulionnelle.  Attendons  la  décision  des  anciens.  » 

—  Adopté. 

Fi//tv  s.  «  Vous  vous  empressez  d'effacer  jusqu'aux  moindres 
traces  de  la  conspiration.  Les  conspirateurs  ne  négligeaient  au- 
cun moyen  de  pervertir  l'opinion  publique.  C'étaient  des  motions 
perfides,  des  propositions  astucieuses  et  i^con^litutionne!les, 
dont  le  renvoi  à  d^s  commissions  était  ordonné.  Vous  ne  les  avez 
point  oubliées,  et  vous  vous  rappelez  que  les  ré|;)ublic;iins  du 
conseil  ne  pouvaient  les  combattre  sans  être  interrompus  par  des 
murmures  et  des  clameurs. 


AU   18   FRUCTIDOR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE  1797).  37! 

>  Parmi  les  projets  qui  vous  ont  été  présenfés,  en  conséquence 
de  ces  pétitions  mensongères ,  il  en  est  deux  qui  doivent  particu- 
lièrement fixer  toute  l'alteniion  du  conseil.  Le  premier  est  celui 
de  Pavie ,  qui  étoit  un  chef  de  brigands,  et  qui ,  à  la  faveur  des 
dernières  élections,  s'est  introduit  dans  le  sein  de  la  représen- 
tation nationale.  Ce  projet  ne  tendait  à  rien  moins  qu'à  faire  ren- 
trer tous  les  émigrés  de  la  Vendée,  qui  ont,  dans  ces  malheu- 
reuses contrées,  assassiné,  égorgé,  pillé,  incendié,  et  à  leur 
accorder  une  faveur  qu'on  ne  donnait  pas  à  un  émigré  resté 
tranquille  à  Londres  ou  à  Véronne. 

»  Le  second  projet  est  celui  deCardonnel,  dont  le  but  était  de 
faire  rentrer  un  émigré ,  que  l'on  présentait  comme  un  artiste 
célèbre ,  qui  n'était  sorti  de  Fiance  que  pour  se  perfectionner 
dans  l'art  de  la  peinture.  Hé  bien  !  cet  individu  est  le  fils  d'un  ci- 
devant  conseiller  au  parlement  de  Toulouse  qui  jouissait  de 
60,000  livres  de  rente. 

€  Je  demande  l*'  la  question  préalable  sur  ces  deux  projets; 
'2P  qu'il  soit  créé  une  commission  pour  réviser  les  arrêtés  qui 
ont  ordonné  l'examen  de  toutes  les  propositions  inconstitution- 
nelles qui  ont  été  faites  avant  la  journée  du  18  fructidor.  » 

Pluaieurs  voix.  «  Appuyé.  » 

Poulain- Grandpré,  «  J'appuie  les  deux  propositions  de  Villers, 
et  pour  vous  faire  sentir  lu  nécessité  de  la  mesure  qu'il  vous  pro- 
pose, je  vous  rappellerai  encore  celte  pétition  perfide  de  Dumas, 
et  si  vivement  appuyée  par  Dumolard,  et  dont  la  conséquence 
évidente  eût  été  de  rappeler  Louis  XVI II  lui-même;  elle  avait 
pour  objet  de  demander  la  radiation  de  Duporiail ,  sous  prétexte 
qu'il  était  contumace.  Mais  La  Fayette  était  contumace,  mais  les 
princes  l'étaient  également  ;  aussi  Dumolard demanda-t-il  que  la 
commission  nommée  fût  chargée  d'étendre  la  mesure  demandée 
par  Dumas  à  tous  les  contumaces.  > 

Guillemardet  donne  ensuite  les  plus  grands  développemens 
aux  observations  de  ViUers  relatives  au  projet  de  Pavie. 

Les  propositions  de  Villers  sont  adoptées. 


Ol'l  DIRECT. —  DU   l^r    PUAIR.    AN   V   (±i)   MAI   1797) 

Séance  permanente  de  la  nuit  du  19  au  20. 

Jo«rrf«î2.((  Le  peuple  français  veut  la  République.  Le  gouverne- 
ment la  veut ,  les  armées  la  veulent ,  vous  la  voulez ,  et  votre  ré- 
solution d'hier  annonce  aux  républicains  le  triomphe  de  la  li- 
berté ,  aux  royalistes  la  lin  de  leurs  complots.  Vos  ennemis 
chercheront  à  effarer  le  peuple,  à  noircir  la  glorieuse  journée 
du  18  ;  ils  diront  que  vous  n'êtes  pas  libres ,  et  que  votre  résolu- 
lion  vous  a  été  arrachée.  Il  faulque  par  une  adresse  au  peuple  vous 
vous  attribuiez  la  portion  de  gloire  qui  vous  revient  de  celle  mé- 
morablti  journée,  et  que  vous  fassiez  connaître  aux  Français 
les  perfides  complots  dcs  conspirateurs.  Peut-être  les  ennemis 
les  plus  acharnés  de  la  Constitution  vous  accuseront  de  la  violer. 
Votre  réponse  est  toute  prête,  la  voilà  :  Vous  et  vos  amis  vous 
conspiriez  contie  la  liberté,  vous  vouliez  renverser  la  Républi- 
que; vous  nous  avez  forcés  de  prendre  les  armes,  vous  avez  été 
vaincus  sans  combat,  et  vous  nous  reprochez  d'avoir  été  démens 
dans  (p  victoire,  et  de  vous  avoir  laissé  la  vie.  —  Je  demande 
qu'une  commission  soit  chargée  de  présenter  dans  trois  jours  un 
projet  d'adresse  au  peuple.  » 

Plusieurs  voix.  «  Dans  les  vingl-qualre  heures.  »   —   Adopté. 

La  commission  sera  composée  de  Jourdan,  Riou,  Jean  Debry, 
Syèyes  et  Laloi. 

Dentabolle.  «  Vous  avez  une  grande  lâche  à  remplir.  11  faut  rani- 
mer dans  les  cœurs  le  feu  du  patriotisme,  rétablir  la  conHance 
(ju'on  avait  enlevée  aux  patriotes  en  les  traitant  de  buveurs  de 
sang;  il  faut  leur  rendre  justice,  ainsi  qu'à  toute  la  nation.  11 
faut  que  cette  epocjuc  soit  celle  du  bonheur  de  tous  les  citoyens. 
Depuis  long  temps  il  existe  dans  l'arnede  tous  les  hommes  hon- 
nêtes de  tous  h\s  partis  le  flésir  de  faire  rendre  compte  à  tous 
los  agens  de  la  Republique ,  à  tous  ceux  qui  ont  été  en  mission  et 
à  tous  ceux  qui  ont  eu  le  maniement  des  deniers  publics.  Il  faut 
connaître  la  source  de  ces  fortunes  scandaleuses  qui  éclaboussent 
li's  républicains.  Loin  de  moi,  néanmoins,  la  pensée  de  porter 
aiieinle  aux  propriétés.  3Iais,  je  le  d(Mnande,  les  deniers  de  \:\ 


AU   48   FRUCTIDOR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE    1797).  575 

nation  sont-ils  le  patrimoine  de  ceux  qui  les  ont  volés?  Voyez 
dans  quel  état  de  misère  se  trouvent  les  rentiers ,  les  foncûonnai- 
res,  les  soldats  depuis  la  destruction  du  pi'pier-monnaie,  qui, 
certes ,  il  faut  le  dire,  aurait  fait  encore  le  service,  si  la  malveil- 
lance ne  l'avait  déiruit.  Mais ,  en  cela ,  on  savait  bien  ce  que  l'on 
faisait.  Ce  n'est  pas  que  je  veuille  qu'on  le  rétablisse,  mais  je  de- 
mande qu'une  commission  soit  chargée  de  présenter  un  moyen 
légal  de  faire  rendre  des  comptes  à  tous  les  ogens  de  la  Répu- 
blique. > 

Poulain-Grandpré  observe  qu'il  existe  une  commission  chargée 
d'organiser  la  comptabilité  intermédiaire  et  arriérée.  11  demande 
le  renvoi  de  la  motion  de  Benlabolle  à  celte  commission. 

Bentabolle.  «  Gela  ne  suffit  pas.  Il  faut  faire  rendre  compte  aux 
fournisseurs  et  aux  divers  agens.  Tous  les  comptes  qui  ont  été 
rendus  sont  fallacieux.  Les  commis  chargés  de  les  recevoir  ont 
partagé  les  vols  des  fournisseurs.  > 

Le  président.  «  La  motion  est-elle  appuyée?  » 

Plusieurs  voïx.  «Non.  > 

Bergoëng.  «  Si  je  voulais  paralyser  le  service,  jeler  l'alarme 
dans  les  esprits,  et  chasser  jusqu'au  dernier  écu  de  la  Républi- 
que, j'appuierais  la  motion  de  Benlabolle.  » 

Portier  (de  l'Oise)  rappelle  les  divers  projets  présentés  sur  la 
comptabilité  arriérée ,  et  il  assure  que  les  vues  de  Bentabolle  se- 
ront remplies  ,  puisque  l'objet  du  travail  de  la  commission  est  de 
faire  rendre  les  comptes.  II  deinande  l'ordre  du  jour  sur  la  pro- 
position de  Bentabolle. 

Adopté. 

Aiidouiiî,  I  II  ne  suffit  pas  d'avoir  sauvé  la  liberté  dans  la  jour- 
née du  18  fructidor  ;  il  ne  suffit  pas  d'avoir  expulsé  du  sol  répu- 
blicain les  ennemis  de  la  République  ;  il  ne  suffit  pas  de  rappor- 
ter des  lois  grosses  de  contre-révolution;  il  ne  suffit  pas  de  chasser 
des  administrations  les  royalistes  hypocrites  ;  il  ne  suffit  pas  d'ê- 
tre forts  quelques  jours,  pour  retomber  en.suilc  dans  l'apathie  : 
il  faut  former  une  véritable  opinion  publique,  et  la  substituer  à 
cette  opinion  factice,  dont  on  a  cherché  depuis  trois  mois  à  nous 


574  DlKECl.  —  DU    lei    l'RAlK.    AN    V   (  i20   MAI    1797) 

(tiuuvdiv  ;  sans  cela  vous  aurez  fait  du  bien  pendant  quelques 
heures,  et  votre  ouvrage,  fondé  sur  le  sable,  s'écroulera  au  pre- 
mier clioc  :  or,  on  la  formera  cette  opinion,  en  fixant  les  choix 
du  peuple  sur  de  vrais  républicains,  et  en  propageant  partout  des 
institutions  républicaines.  Je  demande  qu'une  commission  pré- 
sente un  travail  sur  les  institutions  sociales  qui  doivent  garantir 
Ja  durée  de  la  République ,  en  faisant  sanctionner  son  existence 
par  la  venu.  »  —  Adopté  et  impression. 

Les  membres  de  la  commission   sont:  Grégoire,  Syèyes, 
Roger  Martin ,  Villers  et  Jean  Debry. 

Le  président  annonce  l'arrivée  d'un  message  du  directoire. 
Un  secrétaire  en  donne  lecture  : 

«  La  plaie  mortelle  de  l'état ,  y  est-il  dit,  c'était  l'embarras  des 
finances;  les  conspirateurs  royaux  avaient  travaillé  à  la  rendre 
incurable.  La  résistance  ouverte,  ou  l'ineptie  qu'ils  opposaient 
sans  cesse  aux  demandes  du  directoire ,  a  décelé  surtout  leur  pro- 
jet d'anéantir  le  gouvernement  républicain,  et  de  rétablir  la 
royauté.  Voulez-vous  guérir  tous  les  maux,  ranimer  le  crédit 
public,  assurer  la  paix  intérieure  et  extérieure?  Prouvez  à  la 
France,  au  monde  entier,  que  vous  voulez  la  République,  en 
donnant  au  gouvernement  les  ressources  nécessaires  pour  faire 
face  à  tous  les  besoins  du  service.  Prenez  des  mesures  sages  en 
finances ,  et  laissez  les  détails  au  directoire.  Ce  n'est  pas  un  ac- 
croissement d'iiifluence  et  d'autorité  qu'il  demande;  il  ne  veut 
que  pouvoir  activer  le  service.  Il  ose  insister  sur  ce  point;  c'est 
qu'on  ne  pourra  croire  à  la  République,  c'est  que  la  Républi- 
que ne  sera  véritablement  sauvée  ,  que  lorsque  le  corps  législatif 
aura  régénéré  les  finances. 

»  Pour  y  parvenir  le  directoire  propose  :  1<>  de  régler  sur-le- 
champ  les  contributions  de  l'an  VI  ;  2»  d'exiger  des  receveurs  de 
département,  des  soumissions  sur  les  revenus  à  percevoir; 
5^  de  modifier  les  droits  d'enregistrement  sur  les  mutations,  de 
les  augmenter  sur  les  successions  collatérales  ;  4<*  de  rétabfir  la 
loterie  nationale  ;  5<*  d'adopter  un  droit  de  passe  sur  les  grandes 
roules;  6<»  d'établir  un  droit  d'un  centime  sur  chaque  feuille  de 


AL    18   FRUCTIDOR   AN    V    (4   bEPTEMBRE    1797).  575 

papier,  ou  carton  fabriqué  en  France ,  et  du  double  en  cas  d*ex- 
portaiion  ;  7^  de  mobiliser  la  dette  publique  en  biliets  au  por- 
teur, lesquels  seraient  reçus  comme  numéraire,  en  paiement  des 
domaines  nationaux.  » 

Renvoyé  à  la  commission  des  finances ,  qui  sera  composée  de 
Lamarque ,  Bertrand ,  Fabre  (  de  l'Aude),  Martin ,  Viilers ,  Mon- 
not  et  Dubois  (des  Vosges). 

Suite  de  la  séance  permanente  du  20. 

L'on  fait  lecture  d'un  message  du  directoire  conçu  en  ces  ter- 
mes :  <  D'après  les  mesures  grandes  et  énergiques  que  vous  avez 
adoptées  pour  sauver  la  République  et  assurer  son  repos,  deux 
places  se  trouvent  vacantes  dans  le  directoire  exécutif.  Nous  vous 
invitons  à  pourvoir  au  remplacement  des  deux  membres  qui  ont 
cessé  d'en  faire  partie.  La  Constitution  le  commande,  et  tout 
doit  prouver  qu'ici  le  corps  législatif  et  le  directoire  n'ont  rien 
fait  et  ne  feront  rien  que  pour  la  sauver. 

»  Nous  n'avons  pas  besoin  de  plus  longues  observations.  Déjà 
vous  avez  senti  combien  il  importe  que  vous  vous  occupiez 
promptem^nt  de  cet  objet,  pour  maintenir  le  repos  de  la  Répu- 
blique ,  inspirer  la  confiance  à  tous  les  citoyens,  et  fermer  la  bou- 
che à  tous  les  partis.  Nous  le  demandons  avec*  empressement, 
parce  que,  incapables  d'être  aveuglés  par  les  égaremens  d'une 
ambition  qui  nous  fut  toujours  étrangère,  nous  sentons  tout  le 
poids  du  fardeau  dont  nous  sommes  chargés.  » 

Poulain- Grandpré.  t  Je  ne  vous  rappellerai  point  les  causes  qui 
ont  fait  vaquer  des  places  dans  le  directoire  exécutif;  je  vous  in- 
viterai seulement  à  vousoccuper  incessamment  de  l'objet  du  mes- 
sage. L'un  des  deux  membres  que  vous  avez  à  remplacer,  Carnot, 
pouvait  sortir  du  directoire  l'année  prochaine;  Barthélémy,  au 
contraire,  a  été  nommé  pour  cinq  ans.  Il  f^iut  donc  d'abord  pré- 
senter aux  anciens  une  liste  décuple  pour  la  nomination  du  suc- 
cesseur de  Carnot.  Ensuite  vous  vous  occuperez  du  remplace- 
ment de  Barthélémy.  » 


576  DIRECT. —  r)U   l<^i    I»RAIR.   AN   V   (  î20  MAI   1797) 

Le  conseil  adopte  la  proposiiion ,  et  il  arrête  que  demain  il  sera 
procédé  par  liste  dé;:uple  au  ''emplacement  de  Carnot. 

La  discussion  s'ouvre  sur  l«  projet  anciennement  présenté  par 
Lamarque  sur  les  suspensions  et  annulations  de  ventes  de  biens 
nationaux  ,  prononcées  par  le  ministre  et  le  directoire. 

La'.oi  examine  ci'une  manière  particulière  ce  qui  concerne  les 
cbevaliets  de  Ma'te.  Ces  individus  ne  doivent  point  être  considé- 
rés comme  étrangers  et  traités  comme  tels,  mais  ils  sont  Français, 
et  en  celte  qualité  on  doit  les  regarder  comme  émigrés,  s'ils  ne 
se  sont  pas  conformés  aux  lois  qui  leur  sont  relatives.  L'oraieur 
en  conclut  que  les  ventes  laites  de  leurs  biens  sont  valides.  11  de- 
mande la  question  préalable  sur  toutes  les  pétitions  tendant  à 
exempter  les  biens  de  l'ordre  de  Malte,  de  la  vente  ordonnée  par 
la  loi.  —  Impression. 

Bentabolle  demande  la  réunion  des  deux  commissions  de  l'an- 
nulation des  ventes  des  domaines  nationaux,  et  de  celle  relative 
aux  chevaliers  de  Malle,  et  le  renvoi  des  observations  de  Laloi  à 
celte  commission.  —  Adopté.  V 

Un  secrétaire  donne  lecture  du  message  suivant  : 
«  Le  directoire  exécutif  vous  transmet  les  pièces  qu'il  vous  a 
annoncées  dans  son  message  d'hier,  comme  prouvant  qu'Imbert- 
Colomèsa  été  à  Lyon  le  principal  agent  de  celui  que  les  émigsés 
et  leurs  infâmes. partisans  qualifient  de  roi. 

»  Ces  pièces  font  partie  de  celles  qui  ont  été  saisies  en  bru- 
maire ,  an  IV,  sur  les  frontières  du  département  de  l'Ain ,  et  (juc 
le  marquis  de  Bési;;nan  faisail  introduire  on  France  par  un  en- 
fant qu'il  suivait  à  cinquante  pas. 

»  Vous  remarquerez  qu'Imbert-Colomès  n'y  est  désigné  que 
par  le  simple  nom  de  M.  Imbcrt.  Mais  la  preuve  que  le  nom  s'ap- 
plique à  Imbert-Colomès  lui-même,  c'est  qu'il  s'est  trouvé  dans 
le  portefeuille  qui  contenait  ces  pièces,  une  note  qui  qualilie 
d'awtie»  échevm  de  Lijou ,  ce  M.  Imbcrt  avec  lequel  Bési{[nnn 
cherchait  à  établir  ses  relationj^.  Imberi-Colomès  a  été,  en  effet, 
échevindc  Lyon,  et  l'on  ne  connaît  aucun  autre  individu  de  ce 
nom  qui  l'ait  été. 


AO  18  FRUCTIDOR  AN   V  (4  SEPTEMBRE  1797).  577 

«Le  directoire  exécutif  croit  devoir  joindre  à  ces  pièces  une  let- 
tre écrite  à  Bésignan ,  et  dans  laquelle  en  est  insérée  une  autre  de 
l'émigré  Flachlanden ,  adressée  au  même  ,  le  10  août  1795.  Cette 
pièce  est  remarquable  en  ce  quelle  manifestele  plan  qu'avaient 
dès-lors  conçu  les  chefs  des  royalistes,  de  diriger  toutes  leurs 
manœuvres  vers  la  corruption  de  l'esprit  public,  en  la  préférant 
même  à  la  force  ouverte  que  Bésignan  avait  cherché  à  déployer 
dans  les  départemens  qui  environnent  Lyon.  * 

Le  président  annonce  que  la  lecture  des  pièces  durera  deux  ou 
trois  heures  ;  en  conséquence ,  elle  est  renvoyée  à  la  séance  de  ce 
soir  qui  s'ouvrira  à  six  heures. 

Jean  Debry  fait  lecture  de  l'adresse  aux  Français ,  sur  la  jour- 
née du  18  fructidor.  Elle  est  adoptée  au  milieu  des  plus  grands 
applaudissemens.  —  Elle  sera  imprimée  au  nombre  de  duuze 
exemplaires. 

Séance  permanente  de  la  nuit  du  20  au  21. 

Bailleuly  au  nom  de  la  commission  des  journalistes:  «Lorsque 
la  France ,  constituée  et  couverte  de  gloire ,  marchait  au  calme 
et  au  bonheur ,  détruire  ces  espérances  et  chercher  à  !a  replonger 
dans  de  nouveaux  malheurs,  c'est  un  crime  horrible,  qui  exige 
une  punition  é.latante.  Les  chei^  de  cette  infâme  complot  sont 
coupables  ;  ceux  dont  ils  se  sont  servis  ne  le  sont  pas  moins. 
Leur  existence  accuse  la  nature;  elle  compromet  le  salut  et  le 
bonheur  de  plusieurs  millions  d  hommes.  Vous  entendez  que  je 
vous  parle  ici  des  journalistes  conspirateurs,  lis  ont  été  le  fléau  de 
la  république;  ils  ont  prêché ,  soufflé  dans  tous  l'es  cœurs  l'insu- 
bordination aux  lois,  la  destruction  de  toute  morale  et  des  répu- 
tations les  mieux  établies  ,  la  soif  des  vengeances,  l'exaspération 
d^s  haines*,  l'horreur  pour  la  république,  le  désir  criminel  de  la 
royauté;  ils  ont  constamment  travaillé  à  la  dissolution  du  corps 
social.  Voilà  leurs  crimes;  leur  audace  a  été  poussée  à  un  tel  ex- 
cès, qu'ils  ont  osé  s'en  faire  gloire.  Aux  preuves  de  ce  que  j'a- 
vance et  qui  fourmillent  dans  leurs  écrits,  j'ajoute  !e  téuioigna{;c 
du  chef  des  conspirateurs  royaux ,  de  Du vcrnc-Depreslc.  «  Vous 


578  DIRECT.  —  DU   1er   praIR.    AN   V   (  20  MAI  1797) 

•)  sentez ,  dit-il  âans  sa  déclaraiion  au  directoire ,  que  nous  avons 
»  payé  plus  d'une  brochure,  fait  insérer  plus  d'un  article  dans  les 
»  journaux,  et  payé  plus  d'un  journaliste.  >  Ce  crime ,  je  le  ré- 
pète, mérite  un  châtiment  prompt.  Quel  sera-t-il?  Qui  le  pro- 
noncera? Ces  quesiions  ne  doivent  souffrir  aucune  difficulté.  11 
faut  purf][er ,  avec  la  rapidité  de  l'éclair,  le  sol  de  la  République, 
des  ennemis  qui  ont  conspiré  sa  ruine.  Depuis  trois  mois  la  cons- 
titution est  violée  ;  tous  les  actts  de  ces  malheureux  l'attestent  : 
ils  al'aient  anéantir  jusqu'au  nom  et  l'apparence  de  républicain; 
en  les  frappant ,  vous  ne  violez  point  la  constitution  ,  vous  l'af- 
fermissez. Nous  ne  devons  reconnaître  de  principes  que  ceux 
qui  conservent.  Or,  ici  h  constitution  a  été  attaquée.  Il  n'y  a  de 
moyens  légitimes  pour  la  défendre  que  ceux  qui  anéantissent  les 
conspirateurs.  Tout  paraît  tranquille  autour  de  vous;  mais  le 
crime  s'agite  duns  l'ombre.  Frappez  les  criminels ,  et  rendtz  aux 
républicains  le  repos  et  le  bonheur. 

<  V'oicile  projet  que  je  suis  chargé  de  vous  présenter  : 

»  Art  .l^"*.  Les  propriétaires  entrepreneurs,  les  directeurs,  au- 
teurs ,  rédacteurs  et  collaborateurs  des  journaux  dont  les  noms 
suivent  (il  y  en  a  cinquante-quatre) ,  seront  déportés  dans  le  lieu 
qui  sera  désigné  par  le  directoire; 

»2.  Leurs  biens  seront  séquestrés,  et  la  main  levée  du  séquestre 
ne  leur  sera  accordée  qu'àla  nouvelle  authentique  de  leur  arrivée 
au  lieu  de  leur  destination  ; 

«  5.  Le  directoire  est  autorisé  à  leur  fournir  des  secours.  > 

Plusieurs  ïnembres  :  Aux  voix ,  aux  voix. 

Salicetù.  «  La  mesure  qu'on  vous  propose  serait  incomplète  et 
inutile,  si  le  gouvernement  n'a  pas  le  droit  de  faire  des  visites 
domicilijtires,  pour  atteindre  les  coupables.  Je  demande  que  ce 
droit  lui  soit  accordé.  » 

Poulain'Grnndprc.  «  La  proposition  de  Salicetti  est  juste  ;  je 
l'appuie,  et  je  demande  que  les  visites  domiciliaires  se  fassent 
aux  termes  de  la  constitution.  > 

Julien  Souhait.  «  La  question  est  importante,  puisqu'il  s'agit , 
par  des  visites  domiciliaires ,  de  jeter  l'alarme  parmi  les  citoyens» 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     579 

Le  conseil  peut  adopter  celte  mesure ,  mais  je  pense  qu'il  ne  doit 
pas  le  f  jire  sans  connaître  les  dispositions  prises  par  le  gouverne- 
ment. (Murmures.  )  Si  lui-même  vous  demandait  cette  mesure  , 
vous  pourriez  la  décréter.  Mais  puisqu'il  ne  le  fait  pas ,  je  crois 
que  c'est  le  cas  de  passer  à  l'ordre  du  jour.» 

TaLot,  «Je  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  des  représentans  que  le 
gouvernement  doit  mener  par  la  main.  Est-ce  que,  pour  prendre 
des  mesures,  vous  avez  besoin  qu'il  vous  trace  votre  marche? 
Celle  qu'on  vous  propose  est  nécessaire.  Les  journalistes  ont  fait 
tant  de  maux  ,  que  le  jour  est  enfin  venu  de  les  en  punir.  Prêtez, 
l'oreille  ;  écoutez  les  mânes  plaintives  de  tant  de  patriotes  égorgés 
par  les  journaux.  Est-ce  bien  ici  le  lieu  de  raisonner  comme  un 
juge  de  paix  le  fait  dans  les  cas  ordinaires?  Pour  qui  vous  pro- 
pose-t-on  des  ménagemens?  Pour  des  scélérats  qui  n'avaient  dans 
le  cœur  que  haine  pour  la  République ,  et  dans  la  bouche  que  ces 
mots  :  «  Mort  aux  républicains.  »  Quoi  !  parce  qu'un  homme  se 
cachera ,  l'homme  de  la  loi  ne  pourra  le  prendre  dans  le  lieu  de 
sa  retraite?  Votre  mesure  serait  ridicule. 

»  Je  l'ai  dit,  et  je  le  répète,  nous  marchions  entre  la  potence  et 
la  guillotine.  Si  nos  ennemis  eussent  triomphé,  ils  n'eussent  pas 
suivi  à  notre  égard  toutes  ces  formes  qu'ils  réclament  eux-mêmes; 
tous  nous  eussions  péri  par  la  corde  ou  sur  l'échafaud.  Moins 
cruels,  nous  ne  voulons  pas  de  leur  sang  ;  mais  au  moins  faisons 
en  sorte  que  la  peine  qu'ils  ont  méritée  leur  soit  infailHblement 
appliquée.  Je  demande  que  la  proposition  soit  adoptée.  > 

Mille  applaudisseraens  parlent  des  irib mes. 

Le  conseil  arrête  que  ,  pour  l'exécution  du  premier  article,  il 
sera  fait  des  visites  domiciliaires,  aux  termes  de  la  constitution. 

Gandin.  «  La  série  des  journalistes  à  déporter,  qu'on  nous  pré- 
sente, me  paraît  un  peu  forte.  11  est  impossible  d'en  retenir  les 
noms  à  une  première  lecture  j  je  demande  qu'on  en  fasse  une  se- 
conde, et  qu'on  aille  ensuite  aux  voix  sur  chacun  d'eux.  >  — 
Adopté. 

On  fait  lecture  de  la  liste. 

Un  membre^  «  Je  ne  fais  point  l'apologie  de  tous  les  journa- 


580         DIRECT.    —   DU   ler   pr^jr.   AN   V   (  20  MAI   1797  ) 

listes ,  mais  il  en  est  quelques-uns  qui  sont  bons,  et  qu'il  est  de 
la  justice  de  ne  pas  proscrire.  Dans  ce  nombre ,  je  range  le  jour- 
nal du  soir  des  frères  Chaigneau.  Je  demande  qu'il  soit  efface 
de  la  liste.» 

BailleuL  «  J'y  consens. Le  nom  de  ce  jour  nal  est  effacé,  » 
Desmolin.  <  Je  trouve  un  vafjue  singulier  dans  le  premier  ar- 
ticle. Qu'enlend-on  par  le  terme  de  collaborateurs?  Veut-on  par 
là  condamner  à  la  déportation,  pêle-mêle,  tous  ceux  qui  con- 
courent à  un  journal ,  comme  le  prote,  les  ouvriers  imprimeurs, 
etc.  (Une  voix  des  tribunes  :  Tant  mieux.)  Une  voix  dit  tant 
mieux ,  et  moi  je  dis  tant  pis.  De  plus,  je  vois  ici  une  longue  sé- 
rie  de  journaux.  Cela  jsuppose  que  tous  ont  été  payés,  que  tous 
étaient  contre-révolutionnaires;  la  commission  sans  doute  le  sait. 
Quant  à  moi,  je  n'en  ai  aucune  preuve,  et  je  ne  peux  prendre 
part  à  tout  cela.  Je  dis  donc  que  cette  définition  est  trop  vague  ; 
que  l'on  frappera  l'innocent  avec  le  coupable.  Je  demande  le 
renvoi  du  projet  à  la  commission.»  (Murmures.  ) 

Bourshi.  <  Si  vous  adoptez  le  mot  de  collaborateur,  vous  allez 
comprendre  dans  la  peine  terrible  de  la  déportation  une  foule  de 
citoyens;  on  l'appliquera  aux  marchands  de  papier.  (Murmures.) 
Je  ne  vous  ai  cité  cet  extrême  que  pour  vous  faire  sentir  le  ridi- 
cule et  l'arbitraire  du  terme  employé.  Je  vais  plus  loin  ,  les  pre- 
neurs de  notes  qui  assistent  à  nos  séances,  et  qui  n'ont  aucune 
part  aux  autres  articles,  voulez-vous  aussi  les  déporter?  {Vne 
voix.  Oui,  ce  sont  des  coquins.)  Je  demande  qu'on  ôte  le  vague 
qui  règne  dans  cette  rédaction.  » 

Engcrranci.  c  Pour  simplifier  h  rédaction  ,  je  pense  qu'il  faut 
retrancher  le  mot  de  collaborateurs.  Ceux  qui  ont  fourni  de  mau- 
vais articles,  sont  coupables,  et  doivent  être  punis  ;  mais  punirez- 
vous  ceux  qui  en  ont  fourni  de  bons?  Quant  aux  rédacteurs,  il 
n'en  est  pas  de  même,  ils  ont  reçu  les  articles  bons  et  mauvais... 
(  Une  voix.  Dites ,  et  l'argent  aussi.  )  et  ils  sont  coupables  d'avoir 
inséré  les  derniers.  Je  demande  la  radiation  du  mot  collabora- 
teur. » 
Plu^^ieurs  voix.  «  Appuyé.  > 


AtJ  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).  581 

Bailleul,  «  La  commission  n'a  point  entendu  comprendre  les  ci- 
toyens qui  ont  fourni  des  articles  aux  journaux.  Il  faut  supposer 
à  ceux  qui  exécutent  les  lois ,  un  peu  de  bons  sens.  (Murmures. 
Une  voix.  Il  faut  que  les  lois  soient  claires.)  Au  reste,  on  ôtera  le 
mot  collaborateur.  » 
Le  mot  est  retranché. 

On  discute  les  journaux  les  uns  après  les  autres. 
Maies,  t  J'ai  entendu  nommer  dans  la  liste  de  déportation  ,  le 
Républicain  français.  Je  demande  quel  est  ce  journal?  Est-ce  ce- 
lui qui  est  signé  Cliazot^  Emmanuel  BrosselarU  ?  (  Une  voix.  Oui.) 
Dans  ce  cas-là,  j'en  demande  le  renvoi  à  la  commission.  > 

Talot.  €  Autant  j'ai  mis  de  chaleur  à  poursuivre  les  mauvais 
journalistes,  autant  je  montrerai  d'empressement  à  défendre  les 
bons.  Je  demande  l'ordre  du  jour  sur  ce  journal,  car  enfin  il  n'est 
pas  mauvais.  » 

Le  Républicain  français  est  effacé  de  la  liste. 
Gomaire.  <  Le  Mercure  est  dans  la  liste ,  mais  j'observe  qu'il 
s'imprime  chezCussac^  qui  ne  sait  pas  lire,  et  qui  certes  n'est  pas 
un  contre-révolutionnaire.  Si  on  a  inséré  dans  ce  journal  quelques 
mauvais  articles,  il  n'y  a  aucune  part.  Je  demande  l'ordre  du 
jour.  » 

Quirot.  t  J'ai  à  citer  un  fait  bien  extraordinaire ,  qui  jettera 
un  grand  jour  sur  les  journalistes.  Jamais  il  n'y  a  eu  deux  jour- 
naux plus  opposés  en  principes,  que  le  Mercuraet  le  Révélateur. 
Eh  bien!  lisez  leurs  séances ,  elles  sont  exactement  les  mêmes.  » 
Pomme.  «  Il  n'y  a  là  rien  d'extraordinaire.  Les  preneurs  de 
notes  en  fournissent  à  plusieurs  journaux  à  la  fois  ;  ensuite  le  ré- 
dacteur en  chef  les  adapte  à  son  journal.  Au  reste ,  je  connais 
Cussac,  c'est  un  imbécille,  mais  un  hoanéte  homme.  Je  demande 
l'ordre  du  jour.  —  Adopté. 

Le  Mercure  est  effacé  de  la  liste.  On  continue  la  lecture. 
Tallien.  «  Je  viens  d'entendre  nommer  le  Journal  des  Specia' 
des.  Je  ne  le  connais  pas.  Mais  renfeimel-:l  des  articles  conire- 
révolutionnaires?  [Bailleul.  Je  ne  l'ai  pas  lu.)  Dans  ce  cas-h\  j'en 
demande  le  renvoi  à  la  commission.  > —  Adopté. 


382  DIRECT. —  DU   l^f   PRAIR.    AN   V    (20  MAI   1797) 

Quirot,  €  Si  je  ne  consultais  que  les  senlimens  d'indignation  si 
naturels  à  un  homme  qui  a  été  violemment  froissé  parles  journa- 
listes, certes,  il  n'est  personne  ici  qui  fût  p'us  que  moi  porté  à 
voter  contre  eux  des  mesures  rij^oureuses.  Mais  il  est  évident  que 
celles  que  Ton  vous  propose  sont  injustes  et  forcées.  Comment 
se  décider  à  proscrire  en  masse  quatre-vingts  journalistes,  tandis 
qu'il  suffisait  d'en  frapper  dix  ou  douze?  Et  je  suis  bien  convaincu 
que  parmi  ces  derniers  U  en  est  quelques-uns  que  les  Anglais  sa- 
larient, tels  que  Suard.  Quanta  celte  foule  de  folliculaires  qui 
exercent  ce  métier  pour  vivje,  ce  serait  en  vérité  leur  faire  trop 
d'honneur,  que  de  les  comprendre  dans  une  mesure  générale.  La 
mesure  paraîtra  inju^te  aux  yeux  de  tous  les  bons  citoyens  ;  elle 
ne  frappera  que  sur  les  hommes  ignorans  et  bornés,  les  autres 
se  sauveront.  Je  demande  que  l'on  se  réduise  à  une  douzaine.» 

Gandin  et  Boulay  appuient  ces  observations ,  et  ils  demandent 
le  renvoi  de  la  liste  à  la  commission ,  afin  qu'elle  ait  à  faire  un 
triage. 

Bailleul.  c  La  commission  a  pris  connaissance  de  tous  les  jour- 
naux dont  elle  vous  a  présenté  la  liste.  Elle  les  trouve  tous  mau- 
vais, et  elle  n'a  aucun  triage  à  faire.  >  (Une  voix.  Tenons-nous-en 
à  ceux  désignés  dans  l'arrêté  du  directoire.) 

Le  conseil  consulté  passe  à  l'ordre  du  jour  sur  le  renvoi  de  la 
liste  à  la  commission. 

Blad.  <  Beaucoup  de  nos  collègues  ne  veulent  pas  voter  sans 
conn:iissance  de  cause.  Je  demande  que  la  liîste  soit  imprimée  et 
discutée  vingt-quatre  heures  après  la  distribution.  Pendant  ce 
délai,  les  journalistes  ne  feront  pas  grand  mal,  et  la  peine  qu'on 
propose  de  leur  infliger  est  assez  grave  pour  y  réfléchir  sérieu- 
sement. »  —  Uejeté  par  l'ordre  du  jour. 

On  continue  la  lecture  de  la  liste  ;  le  secrétaire  nomme  l'His- 
torien. 

Plusieurs  membres.  <  Aux  voix,  aux  voix.  » 

Quelques  voix.  «  Le  renvoi  à  la  commission.  » 

Beilegarde,  «  Si  l'on  renvoie  celui-là  ,  il  faut  les  renvoyer 
tous.  > 


AU   i8  FRUCTIDOR   AN   V  (  4  SEPTEMBRE  4797).  385 

Boulay,  c  II  est  possible  que  jesoisdansl'erreur;  mais  j'aides  ob- 
servations importantes  à  faire  au  conseil  sur  t' Historien.  Jt  lepriede 
vouloir  bien  les  entendre.  J'ai  lu  ce  journal,  et  j'y  ai  trouvé  d'excel- 
lensarliclessurles  clubs,  sur  les  prêtres.  Quelquefois,  il  est  vrai,  la 
tournure  de  l'auteur  est  épigrammatique  ;  mais  je  ne  crois  pas  que 
ce  soit  un  motif  de  le  déporter.  J'y  ai  vu  encore  un  grand  nombre 
de  morceaux  relatifs  aux  divisions  qui  s'étaient  élevées  entre  les 
autorités  constituées,  et  ils  m'ont  paru  fdits  dans  les  bons  prin- 
cipes ,  et  dictés  par  un  très-bon  esprit  ;  il  en  est  même  plusieurs 
qui  étaient  dans  le  sens  du  directoire.  Ce  n'est  pas  par  quelques 
traits  epars  qu'il  faut  juger  les  hommes ,  mais  par  l'ensemble  de 
leur  vie.  Ce  sont  les  lumières  qui  ont  amené  la  révolution,  et  Du- 
pont (le  INemours  a  contribué  à  les  répandre  par  son  excellent 
ouvrage  des  Éphémérides  du  citoyen.  D'ailleurs,  il  s'agit  ici  de  la 
peine  de  déporiation  :  voudriez-vous  en  frapper  un  vieillard  de 
soixante-dix  ans?  Je  demande  que  L'Historien  soit  rayé  de  la 
liste.  1 

Plusieurs  voix.  «  Appuyé.  » 

Tallien.  «  S'il  ne  s'agissait  ici  que  d'un  journal  insi^.nifiant,  je 
ne  prendrais  pas  la  parole.  On  connaît  mon  opinion  sur  les  jour- 
nalistes; je  veux  leur  liberté  entière,  quoique  je. n'aie  pas  à  me 
louer  d'eux,  et  que  je  ne  sois  pas  leur  enfant  jjâié.  Q  ant  à  CHis- 
torien^  il  ne  doit  pas  êire  rangé  dans  la  classe  des  journalistes  vul- 
gaires; son  influence  a  été  prodigieuse;  lui  seul  a  causé  plus  de 
mal  queles  auires,  parcequ'àl'iijfluence  du  talent  pour  la  discus- 
sion, il  joignait  les  sarcasmes  sur  les  personnes  et  les  insiii  niions, 
et  les  tournait  en  ridicule.  C'est  cet  homme  dont  Turgot  disait 
qu'il  avait  beaucoup  d'esprit,  mais  point  de  jugement;  c'est  cet 
homme  qui  vou'ait  rétablir  l'ancien  régime,  et  qui,  en  ce  moment 
proteste  le  plus  contre  la  révolution  actuelle  ;  c'est  lui  qu'on  veut 
excepter  !  Je  ne  parle  pas  du  compte  qui  est  rendu  des  séances 
dans  l'Historien;  cet  ouvrage  est  celui  de  citoyens  estimables  à 
tous  égards  que  je  me  garderai  bien  de  confondre  avec  Dupont. 
Au  reste,  puisque  vous  adoptez  une  mesure  aussi  rigoureuse  con- 
tre une  foule  de  journaux  insignilians,  je  ne  conçois  pas  comment 


584         DIRECT.    —   DU  !«•*   PRAIR.    AN   V   (  520   MAI    1797  ) 

VOUS  pouvez  pas  faire  grâce  à  celui-là,  qui  est  inlinimeni  plus  dan- 
gereux. Je  demande  l'ordre  du  jour  sur  la  radiation  de  la  liste.» 

Cliénier.  c  J'appuie  les  observations  de  Boulay;  je  suis  loin 
d'atténuer  les  torts  de  niïstorien.  Quelques-unes  de  ses  opinions 
ont  contristé  les  vrais  républicains.  Mais  celles  qu'il  a  émises  bur 
certaines  matières  sont  parfaitement  conformes  aux  principes;  je 
n'en  citerai  pour  exemple  que  ce  qu'il  a  écrit. sur  les  opinions  re- 
ligieuses; il  a,  à  cet  égard,  proi^ssé  les  leçons  de  la  plus  saine 
philosophie.  Devons-noas  traiter  avec  la  même  rigueur  des  hom- 
mes qui  ont  lait  des  fautes,  commis  des  erreurs  ,  et  ceux  qui  ont 
commis  des  crimes.  Sans  doute,  vous  devez  avoir  des  égards  pour 
un  vieillard  de  près  de  quatre-vingts  ans,  amideTurgot,etqui, 
dans  l'assemblée  constituante,  a  constamment  soutenu  la  cause  de 
la  liberté.  —  Je  demande  au  moins  le  renvoi  à  la  commission.  » 

Taiiieyi.  c  Je  demande  à  citer  un  fait,  chacun  sait  que  Dupont 
a  dit  au  conseil  des  anciens  :  Nous  sommes  ici  le  coupe-téte  du 
directoire.  » 

On  réclame  le  renvoi  à  la  commission.  —  Adopté. 

Le  secrétaire  continue  la  lecture  :  Il  nomme  la  Tribune  pu- 
blique. 

Quelques  voix.t  Renvoyez  a  la  commission.  » 

Chamborre.  c  II  ne  faut  pas  connaître  la  Tribune  publique  \)Ouv 
en  demander  le  renvoi;  mais  je  pense  (jue  sou  maintien  sur  la 
liste  ne  fera  pas  de  difficulté,  quand  on  ï>aura  (jue  ce  journal  a 
fait  les  dernières  élections.  » 

Une  fouit  de  voir.  «  Appuyé.  > 

La  Tribune  publique  est  conservée  sur  la  liste. 

Vient  ensuite  le  Messager  du  soir. 

Tallien.  <  Je  ne  veux  pas  prendre  ici  la  défense  du  Messager 
du  soir.  Mais  j'observe  seulement  (]ue  ce  journal  porte  deux  si- 
gnatures; celle  de  Langlois  pour  la  partie  des  variétés,  (t  celle  de 
Lunier  pour  la  rédaction  des  séances.  Je  demande  si  rinleniion 
de  la  conmiission  est  de  les  renfermer  tous  deux  sur  la  liste  ;  je 
crois  qu'il  serait  injuste  defrapjier  de  la  p'-ino  de  déporiaiion  le 
signataire  d'une  séance.  » 


AU    18  FRUCTIDOR  AN   V    (  4   SEPTEMBRE   1797  ),  385 

BailleuL  a  La  commission  n'a  pas  entendu  comprendre  lespre- 
neurs  de  notes,  à  moins  qu'ils  ne  soient  rédacieurs  de  tout  le  jour- 
nal. Ce!a  ne  peut  souffrir  de  difficuité.  > 

Il  sera  fait  mention  de  cette  déclaration  au  procès- verbal ,  et  le 
Messager  du  soir  est  conservé  sur  ia  liste,  sans  néanmoins  que  la 
peine  de  déportation  frappe  sur  le  sif^naiaire  de  la  séance. 

Après  quelques  débats,  la  liste  est  adoptée  comme  il  suit  : 

Lhte  des  Journaux  dont  les  propriétaires ,  auteurs ,  etc, ,  seront 

déportés. 

• 
Le  Gardien  de  la  Constitution  ;  le  Journal  général  de  France; 

celui  des  Colonies;  le  Journal  des  Journaux  y  à  Bordeaux;  llnva* 
riable;  i Impartial,  qui  s'imprime  à  Bruxelles  ;  l'Impartial  bruxel- 
lois; le  Grondeur;  la  Gazette  universelle;  la  Gazette  française; 
l'Europe  littéraire;  VEclair;  iÉclio;  le  Déjeuner;  le  Défenseur 
des  vieilles  institutions  ;  le  Cri  public  ou  le  Journal  des  Frères  et 
AmiSj  par  Vasselin  ;  le  Courrier  républicain;  le  Courrier  extraor- 
dinaire ;  le  Courrier  de  Lyon ,  par  Pékin  ;  le  Censeur  des  Jour- 
naux; l'Aurore;  l'Anti'terrorisle, 'd  Toulouse;  l'Accusateur  pu- 
blic; les  Actes  des  Apôires;  les  Annales  ca  hoUques;  C Argus;  le 
Véridique;  la  Tribune  publique;  le  Thé;  le  TableaM  de  Paris;  le 
Spectateur  dulSqrd;  les  Rapsodies;  la  Quotidienne  ;  le  Précurseur  ; 
le  Postillon  des  armées;  le  Petit  Gautier;  Perlet  ;  l'Observateur  de 
l Europe ,  à  Rouen;  les  Nouvelles  politiques^  nationales  et  étran- 
gères ;  le  Miroir  ;  le  Messager  du  soir  ;  le  Mémorial. 

:\oms  des  Journaux  mis  sur  la  liste  par  la  commissiouy  et  dont  la 
radiation  ou  le  renvoi  a  été  prononcé. 

.inalifse  des  Journaux;  Journal  des  Dames;  l'Historien;  le  Hé' 
publicain  français;  le  Mercure  universel;  Journal  des  spectacles  ; 
Courrier  des  départemens;  Correspondance  poUtique  et  Ultéraire , 
rue  AlontO'guel;  le  Belge  français;  l'Auditeur  national;  l'A- 
bnile  ;  Annales  universelles  ;  Gazette  des  départemens;  I^orte- 
fruill^;  De  Tout  un  peu;  Tahlean  du  la  France  et  de  Œuro}if  . 
t     XXWÎÎ.  2'» 


386  DIRECT.   —   DU   i»   PïlAIR.    AN    V    (20   MAI    i797). 

Journal  du  soir  y  des  frères  Chaig^neau  ;  Journal  de  France  poli- 
tique et  littéiaire,  rue  de  Cliariiv  s. 

Bail  eul.  i  J'observe  qu'en  rendant  compte  des  projets  de  fi- 
nance contenus  au  message  d'hier,  les  journaux  ont  dit  que  Ton 
voulait  mobiliser  la  deite  publi(]ue.  Celle  nouvelle  a  j«'té  l'alarme 
dans  Us  esprits,  les  fonds  [.ublics  ont  baissé.  On  a  cru  que  par  ce 
mol  l'on  voula  t  faire  entendre  que  le  but  était  de  ftiire  un  nou- 
veau pa  îer-monnaip,  il  n'en  est  rien  ;  et  je  crois  qu'il  suffit,  pour 
tranquilliser  le  public,  que  les  journaux  répètent  celte  déclara- 
tion. » 

La  Séance  est  levée. 

Séance  permanente  du  21. 

Sur  la  proposition  de  Ron;er-Martin,  le  conseil  nomme,  pour 
compléter  la  commi^sion  d'instruciion  publique,  Moriier-Duparc, 
Go  iiaire  (tSainth^rent;  et  pour  former  la  coinnii^sion  miliiaire, 
Savary,  Talot,  Portes,  Joseph  Martin,  Jourdau,  Ludol,  E6cllas^é- 
riaux. 

On  lait  lecture  des  pièces  relatives  à  la  conspiration.  11  résulte 
de  trois  leires  adrosées  au  marquis  de*Moniesson,au  prince  de 
Cojdn,  que  31.  Imuert-Goloinè^  était  le  principal  agent  d« 
Lou  s  XV 111  a  Lvon. 

On  procè  le  au  scrutin  ,  par  liste  décuple ,  pour  le  remplace- 
ment de  Bai  iliélemy  au  directoire. 

Adresse  du  corps  législatif  aux  Français. 

«  Nous  vous  devons  la  vérité,  nous  allons  vous  la  dire.  Une  cou- 
spiration,  toujours  dév<»i!eeei  jamais  déiruiie,  avait  ai. eue  1  gou- 
vcriieirient  sur  le  bord  de  labî-ne.  Encore  une  nuit,  et  une  nuit 
é^erntlle  couvrait  la  pnlrie,  et  le  trône  était  relevé  sur  le  cada-  • 

Yre  des  rcpubli.  ains.  Les  pièces  saisies  sur  les  principaux  ag'ns       M 
du  royali&m^  prouvent  l'élt-ndue  de  la  conspiration.  Ils  cojnp-       " 
laient  aur  la  misère  du  rentier  et  du  soldat,  sur  des  tribunaux 
vendus  à  la  royauté. 

>  C'e^i  telle  sociclé  cachée  qui  a  peuplé  les  adminislratioBS  ei 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  {  4  SEPTEMBRE  1797).     387 

les  fonctions  publiques  d'émigrés  et  de  fanaiiques.  S'établissani 
eux-mêmes  juj^es  de  leurs  propres  élections,  ils  ne  pouvaièal 
qu'arrach^-r  toutes  les  pbces  aux  amis  de  la  liberié. 

>  En  floréal ,  la  puix  souriait  à  la  France,  le  rentier  voyait  le 
terme  de  ses  maux  ;  mais  les  machinations  des  monstres  qui  vou- 
lurent renverser  la  Républiiiue  ont  bientôt  déiruit  ces  douées 
espérances.  On  s'honore  U'étre  royaliste,  ime  séparation  s'éta- 
blit entre  les  royalistes  et  les  républicains;  les  seconds  sont  irai* 
lés  de  séditieux ,  tt  les  premiers  se  disent  seuls  les  représemans 
du  peuple. 

•Une  j'iie  féroce  trahit  le  secret  des  conspirateurs  ;  mais  l'évé- 
uement  trompa  leurs  espérances.  Vous  connaissez,  Fançiis,  le 
résuliat  de  1  immoitelle  journée  du  18  fructidor.  Mjîs  en  fiap- 
pant  des  conspirateurs ,  le  corps  lé{jislatif  n'a  pas  oublié  qu'il  re- 
présentait un  peuple  généreux  ;  aucune  trace  de  sang  n'a  souillé 
celte  journct^.  La  conduite  sage  de  l'ai  mée  prouve  combien  était 
coupable  la  horJe  de  leurs  calomniateurs. 

»  Citoyens  de  toutes  U  s  classes,  la  méchanceté  cherchera  a  vous 
égarer,  mais  serrons-nous  tous  autour  de  la  Constitution ,  sou 
esprit  et  sa  lettre  ne  doivent  pas  éire  sépares.  Le  corps  légi>latif 
va  s'occuper  de  la  restauration  des  finances,  des  récompenses 
promises  aux  défenseurs  de  la  patrie.  La  paix  surtout,  la  ptix 
sera  le  premier  objVt  de  ses  soins.  L'unité  d'aci^on  e>t  rétablie 
entre  les  deux  grands  pouvoirs  :  notre  vie  tout  entière  est  dé- 
vouée au  triomphe  de  la  K«  publique  :  nous  ne  vous  jurons  point 
delà  perdre  en  combattant  toutts  les  faciions^  mais  notts  nou& 
jurerons  de  les  vaincre.  » 

Liste  des  départemens  dont  Les  élecùons  sont  déclarées  nulles. 

Les  opér.itionsdes  assemb  ée<  primaires,  communales  et  é'ec- 
loraes  d^'^  dépai  temens  de  l'Ain  ,  l  Arde.  he,  l'Arriége  ,  l'Aube, 
rAveyroi«,Buucnes-du-Rhùnp,  Calvados,  Chai  ente.  Cher,  Côte- 
d'Or,  Côles-du-Nord,  Dordogne,  l  E  «re,  Eure-ei-Loir, Gif  onde, 
Hérault,  lUe-ei- Vilaine,  Indre-et-Loire,  Loire,  Haute  Loire, 
l^oirelnféiieure,  Loiret,  Manche,   3]arne,   Mayeune,    Mont- 


m 


588  DIRECT.  —   DU   1"*   PRAIR.    AN    V  (  20   MAI   1797) 

Blanc ,  Morbihan ,  Moselle,  les  Deiix-Nèthes ,  Nord ,  Oise ,  Orne, 
Pas-de  Calais,  Puy-de-Dôme,  Bas-Rliin,  IlauiRhin,  Rhône, 
Haute-Saône,  Saône-ei-Loire,  Sarthe,  Seine-et-Marne,  Seine- 
et-Oise,  Somme,  Tarn,  Var,  Vaucluse,  Yonne,  Seine-Infé- 
rieure, Seine,  sont  déclarées  illégitimes  et  nulles. 

—  La  séance  se  terniina  par  l'élection  de  deux  nouveaux  di- 
recteurs destinés  à  remplacer  Barthélémy  et  Carnol.  Ce  furent 
xMerlin  de  Douai  et  François  de  Neufchâteau. 

Nous  compléterons  ce  compte-rendu  par  un  rapport  de  Bailleul 
sur  la  conspiration  royaliste,  rapport  qui  ne  fut  lu  que  six  mois 
après,  mais  que  rien  cependant  ne  rattache  au  récit  qui  doit 
suivre. 

Rapport  au  conseil  des  cinq-cents  sur  la  conjuration  du  \H  fruc- 
tidor an  V,  fait  par  J.-Cli.  Bailleul  au  nom  d'une  commission 
spéciale.  — Séance  du  26  ventôse  an  VI  (  \6  mars  1798).  — 
Membres  de  la  commis\ion  :  Chazal,  Poullain-Grandprey,  Lu- 
minay,  Gay-Vernon ,  Jean  Debry,  Hardy,  Bailleul. 

«  Beaucoup  de  tentatives  ont  été  faites  pour  rétiibiir 
»  le  tiône  ;  rien  n'a  découragé  les  royalistes.  » 

Déclaration  de  Duverne  de  Preste,  agent  du 
prétendu  roi. 

€  Citoyens  représentans ,  vous  avez  chargé  une  commission  de 
faire  un  rapport  sur  la  journée  du  18  fructidor  an  V.  Je  viens 
en  son  nom  vous  présenter  le  résultat  de  son  travail  et  de  ses  re- 
cherches. 

»  L'historique  des  faits  qui  ont  précéJé  et  accompagné  celle 
journée  prouver.iit  la  né  essité  des  mesures  qui  furent  prises 
alors;  mais  votie  commission  croirait  avoir  mal  saisi  votre  inten- 
tion si  elle  so  présent.iit  pour  apporter  des  preuves,  pour  fournir 
des  justifications.  Vos  résolutions  n^^  furent  pas  provisoires ,  et 
l'incertiiudc  n'accompagna  point  ces  act^s,  bin  plus  indulgens 
qu'ds  ne  furent  se  ères,  dins  une  catnstrcphe  où  les  \iciimes 
désignées  prévinrent  parleur  courage  cl  leur  dévouement  les 
oitaques  des  conspirateurs,  et  déjouèicnt  la  conjuration. 

V  On  ne  cherche. point  à  prouver  la  lumière,  on  analyse  les 


m 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (4  SEPTEMBRE  1797).     389 

parties  dont  elle  se  compose  ;  on  observe  ses  accidens ,  on  dé- 
montre ses  propriétés.  C'est  ainsi  que  nous  remonterons  aux 
premiers  mobiles  de  la  conjuration  ,  que  nous  suivrons  sa  mar- 
che, ses  dcveloppemens ,  et  que  nous  apprécierons  s^-s  effets. 
L'expérience  du  passé  est  la  plus  puissante  Uçon  pour  l'avenir, 
et  vous  avez  voulu  présenter  à  la  réflexion  tous  les  faits  épars 
qui  constituent,  sous  le  rapport  de  l'attaque  et  de  la  défense, 
un  événement  sur  lequel  est  irrévocablement  fondée  l'existence 
de  la  République. 

»  Votre  commission  se  fût  acquittée  plus  tôt  du  devoir  que 
vous  lui  avez  impo^^é;  mais  de  nouvelles  pièces  successivement 
découvertes,  et  dont  des  mesures  de  police  einpêcliaient  l'entière 
communicaiion,  nous  ont  anéiés  jusqu'à  ce  moment.  Nous 
n'eussions  pas  fait  en  quelques  jours  un  travail  qui  eût  exigé  un 
temps  bien  plus  considérable  pour  être  di^^ne  de  son  objet,  si 
l'approche  des  assemblées  primaires  et  électorales  ne  nous  eût 
fait  sentir  l'indispensable  nî|essité  de  mettre  sous  les  yeux  des 
citoyens  le  tableau  des  intrigues  qui  préparèrent  les  opérations 
des  dernières  assemb'ées,  et  d^s  crimes  qu'ont  enfantés  de  mau- 
vais choix,  afin  de  les  prémunir  contre  de  nouvelles  trames. 

>  Si  votre  commission  n'a  pu  donner  à  son  travail  le  degré  de 
perfeciion  dont  il  était  susceptible,  et  que  son  imftoriance  exi- 
geait, au  moins  elle  a  recueilli  tous  les  faits  connus  jusqu'ici ,  en 
n'admettant  toutefois  que  ceux  dont  elle  pouvait  garantir  l'au- 
thenticité. 

»  Beaucoup  de  tentatives  ont  été  faites  pour  rétablir  le  trône; 
rien  n'a  découragé  Us  royalistes  ,  a  dit  un  agent  du  prétendu 
roi.  ♦ 

i  Ce  témoignage  devrait  être  le  texte  de  toutes  nos  pensées , 
la  mesure  de  toutes  nos  observations.  On  concevra  mal  les  évé- 
nemens  de  la  révolution,  quels  qu'ils  soient,  tant  qu'on  n'aura 
pas  fait  la  p^rt  des  royalistes  ;  plus  ou  moins ,  ils  ne  sont  étran- 
gers à  aucun.  Auteurs  sans  réserve  de  tous  les  maux  de  l'inté- 
rieur, ils  le  sont  encore  de  la  guerre  étrangère  ;  guerre  cruelle , 
terrible,  mais  qui  a  valu  aux   républicains  la  gloire  et  la   puis- 


390  DIRECT.    —    DU   1^    PR.AIR.    A^    V    (  2U   MAI    1797) 

sance,  tandis  qu'elle  n'a  laUsé  à  ses  provocateurs  que  l'infamie 
fit  la  dispersion. 

1  Ils  conspiraient  ouvertement  avant  le  10  août;  mais  qui 
peut  dëierminer  jusqu'à  quel  point,  souples  à  prendre  tous  les 
masques  ,  ils  se  sont  mêlés  à  l'exao^ëraiion  qui  a  caractérisé  1  es- 
prit public  avant  le  9  thermidor,  en  faisant  dégénérer  cet  en- 
thousiasme, cette  exaliation  mêjne,  si  nécessaires  dans  de  telles 
ci'constuncs,  en  un  délire  atroce,  dont  les  excès  allaient  bientôt 
leur  fournir  de  nouvel  es  armes. 

>  Malheureusement  nous  n'avons  jamais  bien  connu  le  foyer 
de  ces  machinations,  et  la  main  qui  leur  imprimait  le  mouve- 
ment; tout  ce  qu^  nous  savons  de  positif  ,  c'est  que  le  gouverne- 
ment anglais  a  constamment  payé  des  agens  de  désoidfes  et  de 
crimes. 

>  Au  moins  le  royalisme  n'osa  se  montrer  sons  ses  couleurs 
(Jepu  s  le  iO  ajùt  jusqu'au  9  ihermid  .r,  et  ceux  de  ses  vils  sec- 
taires qui,  dans  des  temjis  malh^reux,  ne  s'éaient  pas  coiffés 
d'un  bonnet  rouge  pour  faire  du  patriotisme  sur  les  plices  publi- 
ques, donnèrent  partout,  et  surtout  dans  les  prisons  ,  l'exemple 
de  la  plus  rampante  bassesse. 

•  Le  9  thermidor  sauva  la  République;  il  est  une  des  époques 
les  plus  glorieuses  de  la  Convention  naiioniile. 

»  D;ins  cette  journée  mémorable  tomba  un  gouvernement 
atroce  :  maiheureusem^^pt  rien  ne  lui  fut  substitué,  que  le  désir 
de  ftrmer  toutes  les  plains;  sentiment  bien  louable,  mais  qui, 
n'a^aut  pas  été  régularisé,  limite  dans  ses  effets,  a  été  le  germe 
de  tous  nos  maux  ultéi  ieurs. 

»  Des  souvenirs  trop  recens,  des  craintes,  dea-soupçons ;  la 
fqrce  des  choses ,  plus  puissante  que  celle  des  hommes  ;  des  pré- 
tentions même  de  la  part  de  gens  qui  n'en  devaient  plus  avoir 
et  di^vaient  éire  satisfaits,  la  dissémination  dis  pouvoirs,  que 
l'on  crut  nécessaire  après  une  concentration  si  funeste;  tant 
de  passions  diverses  furent  cause  qu'on  ne  s'arrêta  à  aucun  plan, 
et  qu'fin  marcha  à  laventure. 

9  L'ombre  terrible  du  gouvernement  révolutionnaire  planait 


AV  18  FEUCTlDOft  AN   V  (  4  SEPTEMBRE   1797).  591 

encore  sur  la  France;  mais,  à  mesiire  qu'elle  sediss'pair,  comme 
onD'avaii  pié  enlé  aux  esprits  aucun  point  fixe  de  réunion,  tous 
les  éîémens  se  confondirent ,  toutes  les  volontés  voulurem  pré- 
valoir, et  prévalurent  en  effet.  Le  gouvernement  était  parioui  et 
nulle  paii  ;  alors  il  exista  une  véritable  et  grande  anarchie,  car 
Taibitraire  constitue  le  despotisme,  et  l'anarchie  naît  de  ia  con- 
trariété dans  les  volontés  et  les  principes.  Dans  un  tel  chaos  d'i- 
dées, de  préieniions  et  d'intrigues,  le  royalisme  ne  s'iublia 
point.  Avant  praiiial  il  ourdissait  des  trames  et  provoquait  des 
vengeances  :  tel  cifoyen  qui,  dans  ces  journées  de  deuil,  en 
mar.  haut  au  secours  de  la  Gunven'ion  nationale,  osa  s'élever 
conire  tout  sentiment  de  réaction  et  de  vengeance,  fut  traifé  de 
Joxobïn;  on  préludait  déjà  à  l'usage  affreux  que  l^tn  devait  faire 
par  la  suite  de  celte  dénomination. 

»  Les  malheurs  de  prairial  déterminèrent  la  direction  que 
depuis  un  cenain  temps  les  royalistes  essiiyaient  de  donner  à  l'es- 
prit public  :  inspirer  une  luine  profonde  conire  les  Jacobins, 
comprendre  sous  ce  nom  tous  les  citoyens  qui  ont  montré  des 
seniimens  républicains,  et  dont  le  dévouement  a  éié  et  peut  être 
utile  au  peuple  ,  voilà  le  sysième  dont  jusqu'à  présent  ils  ne  se 
soni  point  départis. 

1)  Li  Répubhque  succombait  sousMeurs  efforts  :  la  victoire  de 
vendémiaire  arrêta,  suspendit  pour  quelques  instans  les  éireiutes 
perfides  qui  devaient  l'étouffer. 

»  Nous  ne  retracerons  pointa  vos  yeux  tout  ce  qui  précéda 
cette  journée  fameuse,  et  nous  ne  ferons  pas  aux  royalistes  l'hon- 
neur de  dise  uier  leurs  dénégations,  que  d'ailleurs  ils  n'ont  jamais 
soutenues  av^c  trop  d'opiniâireié. 

B  Nous  ferons  seulement  quelques  observations  qu'on  ne  peut 
trop  répéter. 

»  Les  hommes  qui  figurèrent  dans  la  conjuration  de  vendé- 
miaire, r*  p  ésentans  du  peuple,  membres  des  tribunaux  et  des 
administrations,  meneurs  de  sections,  journalisies, sont  les  mê- 
mes qui  conjuraient  en  fructidor  dynier. 

>  Le  mensonge,  l'outrage,  la  calomnie  furent  les  moyens  des 


392  DIRECT.    —   DU   !«''  PRAIU.    AN    V    (20  MAI   1797  ) 

royalistes,  et  leurs  orjjanes  furent  ces  inFàmes  journaux  que  nous 
retrouverons  à  toutes  les  époques  malheureuses  de  la  révolution. 

»  Le  crime  de  celte  révolte  ne  lut  point  dans  l'intention  d'un 
[jrand  nombre  de  citoyens  qui  y  prirent  pûrl,  et  même  qui  furent 
vi<jtim-s;  ils  furent  armés,  et  on  les  Ht  marcher  sous  prétexte 
qu'ils  étaient  perdus  s'ils  ne  se  détendaient  comre  ce  qu'on  aope- 
lait  les  Jacobins. 

t»  Cette  journée  épouvanta  les  royalistes,  et  ne  les  terrassa 
point,  parce  qi'un  malentendu,  des  bruiis  et  des  défiances 
adroitement  semés  détournèrent  l'attention  des  républiia-ns, 
paralysèrent  la  Convention  nationale,  et  laissèrent  entrer  dans 
le  corps  léjjslatif  les  principaux  conjurés. 

»  Le  sysiènfl^  de  celte  conjiiration  était  d'agir  par  le  massacre  : 
une  correspondance  et  des  émis^aiIes  avaient  préparé  sur  les 
points  principaux  de  la  République  tous  les  moyens  d'action  qui 
devaient  être  employés  après  rexiermiration  de  la  Convention 
nationale  et  des  plus  zélt^s  républicains. 

>  Nous  ne  sommes  point  entrés  dans  des  détails  connus  de 
celte  conjuration,  que  nous  ne  devions  rappe'er  au  conseil  que 
pour  conserver  le  fd  des  événemens  ;  mais  nous  allons  mainte- 
nant dévoiler  l'un  des  plus  puissans  ressorts  des  conjurés , 
ignore  jusqu'à  ce  jour  ;  l'exposé  que  nous  allons  faire  nous  con- 
duira ,  par  une  suite  de  trahisons  non  interrompues ,  jusqu'au 
18  fruclidor. 

»  Vous  avez  vu  celte  assertion  dans  les  pièces  du  procès  de 
Lavilleheurnois  : 

«  Le  roi  désire  avoir  des  etlaircii.semens  plus  étendus  sur  la 
»  connexion  que  ses  agens ,  dans  une  lettre  du  2o  mai  179(i ,  lui 
»  ont  annoncée  avec  une  des  deux  principales  armées,  et  dans 
»  fiissoiiaiioH  <{(ii   paraît  formée  depuis  peu  ,  et  que  vous  ne 

>  faites  qu'indiquer  dans  votre  nouvelle  lettre.  Sa  majesté  désiie 

►  l'envoi  du  député  qui  paraît  être  en  njesure  de  se  rendre  auprès 
»  ou  à  portée  d'elle.  » 

«  Lloigné  des  armées  ,  pi%;iic  d'admiration  pour  lant  de  faits 
héroïques  et  de  reconnaissance  pour  leurs  auteurs  ,  hors  d'étal 


AU   18  FRUCTIDOR  AN  V   (4  SEPTEMBRE  1797).  593 

d'observer  ces  petites  fndiscrélions  ,  ces  précautions  soutenues 
dont  roubli  momentané  décèle  les  projets  d'un  homme  qui  médite 
un  grand  crime,  on  n'oserait  supposer  quelque  réalité  à  une 
telle  assertion  ;  oa  écartait  jusqu'au  soupçon,  de  peur  d'être  in- 
ju^îte  et  tout  à  la  fois  coupable  de  la  plus  noire  ingratitude. 

>  Cependant  ie  temps,  nui  révèle  tout,  a  enfin  levé  le  voile  qui 
couvrait  ce  mystère. 

»  Un  homme ,  qui  devait  toute  sa  forîune  à  la  révolution  ,  ser- 
gent d'artillerie,  puis  commis  dans  les  bureaux  de  la  guerre  sous 
Tancien  régime,  place qu  il  fut  oblijjé  d'abandonner  par  les  dé- 
dains qu'il  essuya:  commandant  de  bataillon,  puis  général  d'ar- 
mée dans  la  guerre  de  k- 1 évolution,  Pichegru  fut  consiamment 
un  traître  :  il  n'emp'oya  de  ses  talens  que  ce  qu'il  en  fallut  pour 
conserver  son  crédit  et  tromper  les  regards  ;  il  ne  conservait  son 
crédit  que  pour  être  utile  au  parti  des  émigrés,  et  se  rendre  fa- 
meux en  exécutant  un  projet  qu'il  n'a  jamais  perdu  de  vue  (1). 

»  11  n'entra  dans  la  Hotliftide  que  parce  qu'il  y  fut  forcé  par 
les  représeniansdu  peuple.  Dès  celle  époque,  des  officiers  dis- 
tingués le  pénétrèrent,  et  n'ont  depuis  cessé  de  le  legarder 
comme  un  hom:ne  indigne  de  toute  confinnce.  En  effet,  un 
nommé  3/o«f^ai//arrf,  aventurier ,  agent  de  contre-révolution, 
annonça,  dès  le  moment  de  celte  invasion,  aux  généraux  Clair- 
tayt  et  3îack ,  les  dispusiiions  où  éiait  Pichegru  de  les  servir.  Un 
jeûner  homme  de  Bordeaux ,  aide-de-camp  du  f>énéral  Thierri,  se 
fit  prendre  dans  une  petite  affaire  auprès  deTournay,  et  fit  les 
mêmes  ouvertures  à  deux  officiers  de  l'éiat-major,  Frossard  et 
Ondonnell. 

»  Votre  commission  ne  s  est  point  dissimulé  quelles  objections 
on  pouvait  tirer  des  vraisemblances  contre  ce  premier  fait;  mais 
toutes  les  vraisemblances  doivent  céder  à  des  fajts  posidfs  at- 
testés par  des  hommes  dont  h  s  témoignages  ne  peuvent  être  dé- 
cemment révoqués  en  doute,  5ui  tout  lorsque,  donnés  à  des  épo- 

(I)  Il  n'est  pas  indiffèrent  do  savoir  que  Piclicgru ,  lors  de  la  levée  des  ba- 
taillons, était  un  enragé  patriote,  portant  bonnet  rouge.  (Crtle  note  et  toutes 
relies  qui  suivent  sont  du  rapporteur.) 


394  DIRECT.    —   pu   l^»*   PRAIR.    AN   V    (20   MAI   1797) 

(|ues  ei  dans  des  lieux  diff^ens,  ils  se  trouvent  parfaitement  con 
formes  (1). 


(<)  Le  30  fructidor  an  2,  à  la  bataille  de  Boxtel,  les  républicains  mirent  telle- 
raenl  eu  déiou  e  les  troupes  coilisées,  qi  e  trenie  hussards  du  huiiième  régi- 
menL  firent  pris  nuiers  deni  régimens  ennemis.  Après  l'action,  le  c  t 'ven  Dan- 
dels,  général  de  division,  d  ta  Picbegih:  •  Si  je  neconoa  ssais  to  le  zèle  pour 
»  1j  gloire  d  *  vo  re  pays,  je  croirais  que  vous  vous  entendez  avecl'eunemi ,  car 
»  si  vous  aviez  fiit  uiaMicr  une  colonne  sur  la  place  de  Grave,  vous  lui  auriez 
»  coupé  la  retraite,  puisqu'il  n'av.iit  que  ce  seul  point  où  il  pût  se  retirer.  — 
»  Taisez-vous,  lui  lépondit  Pichegru ;  vous  êtes  un  enfan',et  vou^  mériteriez 
»  que  je  vous  foul-sse  au  c  ithot  p.)ur  vous  apprendre  à  parler.  » 

«Tous  Us  m  litaires  conviennent  en  effet  qu'après  une  Nictoire aussi  complète 
que  ce  le  reniportée  à  Baxtel ,  si  Pichegru  se  fut  hàé  de  f  Jire  marcher  sur  Grave 
une  Colonne  que  r  en  ne  pouvait  plus  arrêter,  l'année  «  nnemie  tùi  é  é  c  »upée 
et  forcée  de  mi-ltr  e  b  s  li  s  ai  mes  :  mais,  au  lieu  de  poursuivre  l'ennemi  avec  celte 
activité  sans  lai^uelle  les  vie. oires  Its  plus  brillantes  deviennent  iuu.iles,  il  I0 
laissa  tranquillement  employer  huit  jours  à  >e  retirer  à  Grave,  quoique  celte 
place  ne  fût  qu'i'J  c  nq  lieues  du  champ  de  bal;  ille. 

■  Depuis  ce  mo  nent ,  Pichegru  devint  l'ennemi  irréconciliable  du  général 
Dande's,  qui  eut  éié  vict'me  du  ressentiment  qu'l  lui  avnit  inspiré  ,  si  des  re- 
préseiit  ns  du  peuple  ne  l'eussent  vivement  soutenu  auprès  du  gou\ernement.  Il 
commande  aduellcmenl  les  iroup  sbataves.  •  • 

B  Le  7  ni\ôse,  le  même  gen(Mal  D  mdels  s'empara  à  'a  bînnnelle  de  l'i'e  de 
Bnmmel ,  du  fori  Saint-André,  de  quatre  pos  es  en>!rounaus,de  so  xan  e  l'icces 
de  canon,  et  fit  prison nèrt'  une  partie  de  l'armée  ennemie.  Après  cette  victoire 
rien  ne  |)ouvait  empèilier  de  pénéirtr  au  lœurde  la  Hollande;  cependant ,  mal- 
gré les  pressan  es  sollicitatio  s  du  représentant  Belîegarde,  Pichegru,  prétex- 
tant des  obstacles  qne  personne  ne  voyait ,  s'ob.tiuait  à  ne  point  marcher  en 
avant.  11  attendait  sans  doute  deux  ambassadeurs  du  sladthouder,  qui  arriver»  ni 
le  15.  Belîegarde  se  crut  alors  obi  gé  de  vt  nir  à  Paiis  pour  avertir  le  comi.é  de 
salut  public,  et  en  obtenir  un  ordre  de  poursuivre  la  c  «nquèle  le  plus  vivement 
possible.  Cet  ordre  fut  donné  le  10  ni\o>e  ,  et  penlant  toute  l'expé  litioa,  dont 
les  succès  ne  sont  dus  qu;'>  la  \al.  ur  des  ^oldats  et  aux  la'cns  «les  odicieis  de 
l'a? mt^,  qui  eurent  à  va  ncre  les  armres  ennemies,  1  s  ligueurs  de  l'hiver  ft  la 
mauvaise  volonté  de  leur  général ,  l'humeur  noire  q  ic  celui-ci  montra  constam- 
ment,  son  air  xiveux  et  taciliirne,  prouvèrent  combien  il  e  ail  peu  liai  e  des 
succès  des  soldats  qu'il  commaudait ,  et  combien  il  a\  ait  peu  de  part  h  U  ur  gloire. 
»  Lrs  repre^enlàns  en  mission  i»  l'année  du  Nord  ont  toujours  é:é  persuadés 
que  Piihegiu  elail  en  rel.ition  a\ec  le  stadlhoudt  r.  Pendant  lont  le  lemps  qu'il 
resta  en  Hollande  il  fut  ronst  iminent  entoure  des  offic-ers  de  sa  garde,  »ux- 
que's  il  avait  même  permis  de  porter  Icirs  ccharpes  oranges.  A  la  Haye,  l'in- 
tendanl  de  la  ma.sou  de  ce  prince  faisait  un  j  lur  1  éloge  de  sou  m«ilre  au  repré- 
"^  senlan:  Belîegarde;  il  lui  vantait  wn  humaniié  ,  sou  cœur  eicellent ,  1  amour 
des  Hollandais  ptur  lui .  et  il  ajnua  •  que  >i  t  us  les  généraux  français  entsenf 

»  été  c-  mme  M.  Pichej^ni ,  le  sladthouder  n'iùljaina<8  quiite  la  Ho  land»*;  que 

»  le  prince  le  connaissait  bien  ;  qu'ils  é>aient  très-bons  amis.  >•  B*  lie  .arde  appela 
son  collègue  Fresaine  ,  et  fit  répéter  à  cet  intendant  le  même  propos  en  sa  pré- 
sence. » 


AD    18   FRUeiIDOR   AN    V    (  4   SEPTJIMBRE   1797).  39o 

»  La  irace  de  ces  premères  ouvertures  se  perd,  et  ne  se  re- 
trouve qu'en  floréal  de  l'an  III,  qui  repond  au  mois  de  mai  179o; 
alors  de  nouvelles  proposiiions  furent  faites.  Au  mois  d'août  de 
lu  même  apnée,  Ccndé  liuiorisa  ce  Mont^aillard  dont  nous  ve- 
nons de  parler  a  continuer  les  démarches  auprès  de  Piche- 
gru  (1);  en  conséquence,  il  jeta  pour  cette  mission  les  yeux  sur 
deux  individus  nommés  Fauche-Borel  et  Courant, 

»  Le  premier,  prenant  le  titre  d'imprimeur  du  roi  à  Neuf- 
cbâ'el,  homme  fanatique  de  la  royauté,  ayant  peu  d'esprit,  mais 
plein  de  zèle  et  d'enthousiasme. 

1  Courant,  aussi  de  Neufchâtel,  homme  à  ressources ,  jadis 
pendant  quatorze  ans  au  service  de  Frédéric  en  qualité  d'es- 
pion. 

>  Ces  deux  ambassadeurs  de  la  trahison  arrivent  à  Altkrch , 
où  é'ait  le  quartier-général  de  Pichegru,  le  26  thermidor,  ré- 
pondant au  13  août.  Après  toutes  les  préca  itions  nécessaires 
pour  parvenir  à  ^'entendre,  après  avoir  fait  à  Pichegru  les  pro  - 
messes  les  plus  brillantes,  ils  lui  demandent  de  livrer  à  Condéla 
ville  d'Huningue,  d'arborer  le  drapeau  blanc,  de  proclamer  le 
roi  dans  son  camp,  et  que,  réuni  à  l'armée  de  Condé,  il  marche 
sur  Paiis. 

»  Pichegru  ne  {]0Ûta  point  ce  plan  :  «  Je  ne  ferai  rien  d'ircom- 
n  plet,  d't-il;  je  ne  veux  pas  être  le  troisième  tome  de  Lafayelte 
»  et  de  Dumouriez.  Je  connais  mes  moyens  ;  ils  ont  leur  racine 
«>  non-  seulement  dans  mon  armée,  mais  à  Paris,  dans  la  Con- 
»  vention ,  dans  les  départemens,  dans  ceux  d«sgénéiaux  qui 
»  pensent  comme  moi.  (Et  c'était  environ  trente-six  jours  avant 
»  la  journée  de  vendémi;iire  qu'il  parlait  ainsi.)  La  France  qe 
»  peut  exister  en  République,  cqntinue-t-il;  mais  il  ne  faut  com- 
»  mencer  la  contre-ré\o'bi  on  que  lorsqu'on  sera  certain  de  l'o- 
»  pérer  sûrement  et  jïrompiement.  Voilà  ma  devise. 

»  Le  plan  du  prmce  (c'ett  toujours  Pich^^gru  qui  parle),  le 
»  plan  du  prince  ne  mène  à  rien  ;  il  serait  chassé  il'fluningue  en 

M)  Pièces  trouvées  dans  le  portefeuille  d'Eqtrai^uef . 


596  DIRECT.    —   DU    l*"'    PRAIR.    AN    V    (20   MAI   1797) 

»  quatre  jours,  et  je  me  perdrais  en  quinze.  Mon  armée  est  coni- 
»  posée  de  braves  {jens  et  de  coquins;  il  Faut  les  séparer,  et  lier 
»)  te  kmentles  premiers  par  une  {jrande  démarche,  qu'ils  n'aient 
»  plus  la  possibiliîé  de  reculer,  et  ne  voient  plus  leur  salut  que 

>  dans  le  succès. 

»  Pour  y  parvenir,  jolïre  de  passer  le  Kbin  ou  l'ou  medësi- 

>  gnera,  le  jour  et  a  i'heure  que  l'on  voudra  me  fixer,  avec  la 
»  quaritiié  de  soldats  de  toutes  armes  que  l'on  déterminera. 

n  Avant  de  marcht  r  je  melirai  dans  les  places  fortes  des  offi- 
*  ciers  sûrs  et  pen  ant  comme  moi;  f  écarterai  les  coquins  y  et 
•>  leur  position  sera  telle  qu'ils  ne  pourront  se  reunir. 

»)  Une  fois  au-delà  du  Uhin,  je  proclame  le  roi;  j'arbore  le 

>  drapeau  bljnc.  Le  corps  de  Gondé,  l'armée  de  l'empereur  s'u- 

>  nisstnt  à  moi;  nous  repassons  le  Rhin,  nous  marchons  en 
»  avant;  tous  mes  moyens  se  développent,  et  en  quatorze  jours 

>  nous  sommes  à  Paris.  » 

»  E^»  !  combien  le  crime  de  ce  traître  inspirera  plus  d'horreur 
quund,  avec  la  plus  atroce  persévérance,  nous  allons  le  voir 
jusqu'à  sa  déporiaiion  coopérer  à  tons  nos  malheurs  avec  une 
peifidie  sans  exemple  î 

»  II  un  usemerit,  ce  plan,  qui  n'eut  pas  réussi ,  mais  qui  sû- 
rement eût  amené  de  grands  maux ,  tomba  dans  l'oredle  de 
ce  qu'on  appelle  un  prince,  ei  un  prince  de  Condé  ,  c'e^l-à-dire 
d'un  éire  qui ,  selon  ses  propres  créatures,  lesagens  et  les  ado- 
rateurs de  la  royauté  ,  «  n'a  de  Gondé  que  le  nom  ,  mais  qui ,  sur 
»  tout  le  resie,  esile  plus  petit  des  hom.ues,  sans  moyens  comme 
»  sans  caracière  ,  environné  ,  dominé  par  des  hommes  les  plus 
»  médiocres,  les  pius  vils,  quelques-uns  les  plus  pervers.  » 

»  Gondé  voulait  avoir  à  lui  seul  la  {];4oire  de  la  contre-révolu- 
tion; d'après  le  plan  de  Picliej^ru  ,  il  fallait  la  partager  avec  les 
Autrichiens;  en  conséquence,  Gondé  rejeta  complélement  ces 
offres  ;  msih  ses  partisans  en  fun  nt  indignés.  Plus  de  neuf  mois 
après,  une  baronne  de  Keich,  aulre  intrigante  qui  tenait  à  l'é- 
tranger la  correspondance  des  émigrés ,  écrivait  à  l'émigré 
Klinglin  ;  «  li  ^sl  fâcheux  «pie  Gondé  n'ait  pas  voulu  au  18  août 


AU   18  FRUCTIDOR   AN   V    (  4  SEPTEMBRE  1797  ).  397 

»  ce  qui  était  si  facile  pour  lors,  et  qu'il  n'ait  pas  même  pesé  une 
»  si  {jrande  responsabilité,  qui,  j'en  suis  fâchée  pour  lui,  peut 
»  lui  bisser  de  cruels  soucis  tout  le  temps  de  sa  vie,  si  nous  ne 
j  perçons  pas....  »  c'est-à-dire,  si  les  Autrichiens  n'entrent  pas 
en  France. 

»  C'était,  comme  je  l'ai  déjà  observé,  environ  trente-six  jours 
avant  vendénnaii  e  que  ces  moyens  de  Pichegru  avaient  leur  racine 
à  Paris,  dans  la  Convention  y  dans  les  départemens;  il  est  donc 
évident  qu'il  était  lié  à  tous  ces  mouvemens,  et  que  cette  trame 
dut  être  un  encouragement  puissant,  et  même  une  raison  ab- 
solue de  déierminalion. 

»  La  République  ayant  été  victorieuse,  il  est  probable  que  Ja 
correspondance  et  les  pourparlers  furent  interrompus  quelques 
instans;  mais,  dès  le  mois  de  novembre,  la -trame  avait  repris 
toute  son  activité  (1). 

»  Des  communications  très-suivies  existaient  de  l'intérieur 
avec  les  émigrés,  Condé  et  les  généraux  autrichiens,  coîam- 
ment  Wurmser,  la  Tour,  le  prince  Charles,  et  Kiinglin,  éiuly.é, 
général-major  de  l'urmée  auirichienne,  chargé  de  la  correspon- 
dance secrète. 

>  Plusieurs  points  sur  le  Khin  servaient  habituellement  à  ces 
communications  ,  tels  que  Barlenheim  ,  Hi»bi.heim,  Gersheim, 
Eschau ,  eic. 

»  Elles  étaient  envisagées  sous  deux  rapports ,  la  correspon- 
dance militaire  et  la  correspondance  poliiique. 

»  La  cor<  espondance  militaire  comprenait  tout  ce  qui  était 
espionnage  relaiità  la  position  de  nos  armées  :  les  Autrichiens 
en  faisaient  les  frais. 

»  La  coi re&por;dance  politique  compî».'nail  tout  ce  (|ui  tient 
aux  moyens  d'intrigue,  aux  soulèvemens  inléjieurs,  en  un 
UiOt,  à  la conlre-i évolution  :  Wi(-kam  faisait  les  fonils  de  celte 
pariie. 

(1)  «  Tous  les  faits  relatifs  â  Pichegni  sont  extraits  du  la  corrcspondaiiiP  trou- 
M''e,  le  2  tlorcal  an  5,  dans  les  fourgons  de  Kiinglin  ,  {rtnëral-ninjor  de  l'année 
aiilrictiienne ,  et  cliargé  de  la  correspondanco  set  ri'îe  de  cette  .nrmée.  » 


398  DIRECT.   —   DU   1"   PRAIR.    AN   V   (  20   MAI   i797  ) 

»  Les  principaux  agens  dans  l'iniërieur  étaient  un  nommé  De- 
mougé ,  de  Strasbourg,  ami  intime  de  Pichegru  :  il  lenait  la 
corresponiJance  et  l'espionnage  :  Fauche-Borel  ei  Coûtant,  ces 
deuxIVeufchàlelois,  les  mêmes  qui,  huit  mois  auparavant,  avaient 
été  envoyés  à  Pich-giu  par  Monigaillaid.  Fauche  était  à  la  fois 
ageM  de  Conde  et  de  Wicka«n  ;  tous  deux  ëiaieni  les  voyageurs 
intermédiaires.  Un  nommé  Che/nbé,  de  Colmar,  le  même  qui 
fut  député  au  corps  légslatif ,  en  germinal  de  l'an  V,  était  spé- 
tialement  changé  de  donner  des  renst^ignemens  sur  Teiat  detj 
magasins,  sur  la  position  et  le  mouvement  des  troupes  républi- 
caiiies.  <, 

»  Les  agens  extérieurs  étaient  l'émigré  Klingliu,  une  baronne 
de  Reich ,  Montgaillard ,  et  un  baron  de  Witersbach. 

»)  Condé  tenait  toujours  à  la  gloire  de  faire  seul  h  contre- 
révoluiion  ,  ainsi  qu'à  son  plan,  avec  cette  différence  qu'il  de- 
mandait qu'on  lui  livrât  Strasbourg  au  lieu  d'Huningue,  qu'il 
avait  désigné  d'abord  ;  et  il  y  tenait  si  opiniiurément ,  que  De- 
mougé ,  dans  une  lettre  au  général  K'inglin ,  dit  :  «  Je  sens 
9  coirmie  vous  qu'il  est  impossible  que  CondéaillesansWurmser; 
»  par  conséquent,  il  faut  que  vous  soyez  instruit  de  tout;  mais 
t  jVxige  que  tout  ce  que  je  vous  dirai  reste  inviolableménl  entre  ' 
»  vous,  Wurmser  et  Latour.  » 

»  Deu.ougé  craignait  de  déplaire  à  son  pnnce. 
»  Pichr-gru  ne  cède  point,  et  trouve  toujours  le  plan  mou\'ais; 
il  persiste  dans  le  sien  ,  ou  plutôt  il  n'en  a  plus.  Il  est  prêt  à  pre- 
filer  des  circonstances;  seulement  il  travaille  avec  ardeur 5  les 
faire  naître  telles  qu'il  les  désire. 

»  Il  se  réunit  fré(iu"mmei.l  aux  conspirateurs  ;  il  va  chez  eux  , 
il  y  njarge,  il  les  r(ç««itchez  lui,  il  est  précautionneux,  adroit, 
pour  éviter  le  soupçon  ;  tantôt  c'est  à  la  ville,  tantôt  à  la  campa- 
gne, et  le  temps  le  pins  affreux  ne  l'arrête  point  quand  il  s'agit 
de  conférer  avec  les  agens  des  émigiés  ei  de  la  royauté. 

»  H  fonde  ses  espérances  sur  le  mécontentement  de  l'armée , 
sur  son  dénijment,  sur  rimpossilûiiie  oîi  est  le  gouvernement 
de  venir  à  son  secours  d'après  la  péuuj  ie  des  finances.  Pour  af- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN   V    (4  SEPTEMBRE   i797).  599 

fermirses  idées  et  celles  de  ses  amis,  il  passe  en  revue  les  moyens 
et  les  opérations  du  gouvernement.  L'emprunt  forcé  ne  rentre 
poii'ii  ;  même  il  donne  lieu  à  un  méconieniement  ei  à  des  scènes 
qui  lui  paraissent  utiles  et  d'un  bon  augure  :  !es  biens  de  la  Bel- 
gique ne  produiront  rien  ;  les  contributions  ne  sont  pas  payées  ; 
les  in.>cr  plions  perdant  quarante  pour  cent;  le  crédit  est  anéanti; 
il  es!  dû  deux  milliards  aux  fourni>5seurs  ;  les  soldats  ne  veulent 
jilus  recevoir  de  papier... 

»  L'armi^lice  fournira  de  nouveaux  moyens  pour  ce  qu'il  ap- 
jpèlle  la  bonne  cause;  il  désorganisera  les  armées,  il  donnera  le 
temps  de  travailler  1  esprit  des  officiers  et  des  soldats  :  la  trêve 
expirant,  nouv( au  sujet  de  mécontentement  pour  le  soldat ,  à 
qui  l'on  fera  entendre  que  si  le  gouvernement  n'a  pas  fait  la  paix 
c'est  qu'il  ne  l'a  piS  voulu... 

»  La  première  réquisition  fera  d'abord  volte-face;  les  canon- 
niers dépaitemtutair es,  redevenant  simples  volontaires  ,  maudi- 
ront la  nation ,  et,  cela  fait,  selon  le  calcul  de  Pithegru,  quinze 
mille  hommes  aliér  es  de  la  Répub'ique....  Par  la  nouvelle  com- 
position qui  devait  se  faire  au  mois  de  février  179o,  (pluvôse 
de  l'an  III),  quantité  d'officiers  devaient  être  réformés;  autant 
de  méconiens,  et,  nouveau  Monck,  il  comptait  sur  le  choix  de 
ceux  que  l'on  devait  conserver,  et  que  pendant  la  trêve  on  au- 
rait le  temps  de  travailler...  (1). 

»  11  indique  à  l'ennemi,  notamment  a  Condé,  les  positions 
qu'il  doit  lenir  ;  il  approuve,  il  critique  celles  qu'il  prend  ;  si  quel- 
que événen.ent  obligea  plus  de  cinonspeciion,  il  lui  défund  de 
se  rappro(  her,  pour  ne  pas  éveiller  le  soupçon ,  et  termine  les 
placemens  convenables  de  sea  troupes.  Il  annonce  la  force  de  sou 
armée,  et  promet  de  donner  toutes  les  notions  de  ce  genre.  II 

(1)  «  Monck ,  pour  préparer  le  retour  de  Charles  II ,  avait  écarté  tous  les  ot- 
flcitTs  de  la  révo'ulion,  et  replacé  tous  les  partisans  du  roi.  Il  esl  remarquitble 
qu'environné  des  ageos  du  roi ,  il  n'ouvrit  la  bouche  sur  ses  iuleu'io.is  que  lors- 
que tout  f.it  disposé  pour  l'exécuiioii  de  snn  projet.  C'est  une  chose  piquante 
que  le  rapprocbemeiit  des  de>8eins  de  Pichegiu  avec  la  conduite  du  Mènerai 
écos.Nais.  Wiliut  a?ail  «ujsi  suivi  ce  syslèuie  dans  son  projet  de  loi  sur  la  gendar 
merie.  » 


400  DIRECT.    —    DU    l*'i    PRAIR.    AN    V    (20   MAI   4797  ) 

désigne  lui-même ,  à  Condé ,  Demouf^é  comme  l'intermédiaire 
(jui  lui  est  le  plus  agréuble.  11  revient  sans  cesse  à  sa  première 
idée;  il  ne  veut  point  de  tentative  partielle  sur  Strasbourg,  et  il 
donne  ordre  à  Fauclie-Borel,  qui  devait  être  auprès  de  Condé 
le  13  janvier  1705  (  24  nivôse  an  IV  ),  de  détourner  tous  ces  cou- 
seils  biscornus  dont  on  lui  remplit  la  tête.  Il  veut  toujours  que  les 
choses  en  soient  au  point  qu'il  puisse  meure  son  armée  à  la  dis- 
position du  prétendu  roi.  Il  n'est  point  d'avis  d'aventurer  un 
éclat  qu'il  ne  soil  plus  sûr  encore  des  autres  chefs  et  des  offii^iers  ; 
«  car  sans  cela,  dit-il,  les  soldats,  quoique  dégoûtés,  lergiver- 
»  seraient.  Du  reste,  ajouie-t-il,  on  ne  peut  croirequejene  fasse 
»  pas  ce  qu'on  désire  de  moi  :  le  gouvernement  me  déteste;  je 
»  me  prononce  tous  les  jours,  et  même  trop,  contre  ces  gueux  ;  je 
»  ne  dois  attendre  que  des  persécuiions,  et  peut-être  pis  encore. 
p  Vous  voyez  donc  que  je  suis  personnellement  intéressé  à  une 
»  chose  que  mon  opinion  prescrit,  et  que  mon  cœur  désire; 
»  qu'ayant  conduit  l'eulreprise  aus>i  loin  quelle  l'est,  je  saurai 
»  sans  doute  aussi  saisir  le  moment  favorable  tel  qu'il  le  faut  pom* 
»  ne  pas  manquer  le  coup.  * 

»  Il  acceptait  des  agfns  de  la  main  des  émijjrés,  parce  que 
lenx-là  ('ia\e)ii  sûrs.  Demougé,  Fauche-Borel  et  autres,  pla- 
çaient, disent-ils  ,  sous  ses  auspices  ,  dans  l'armée ,  de^  nu  npurs 
<{iii  travaillaient  de  leur  mieii.r. 

»  Il  conii'îeait  de  sa  main  les  écrits  corrupteurs  (|ue  les  agens 
rovalisies  se  proposaient  de  distribuer  6  l'armée  ;  i!  indiquait  ceux 
qu'il  convenait  d»^  faire:  et  lorscpie  des  soldats  ,  dans  la  bonne 
foi  de  leur  Civisme ,  venaient  lui  dénoncer  ces  écrits  contre-révo- 
lutionnaires qu'on  ne  c  ssaii  de  jeter  aux  avant-postes ,  et  notam- 
ment un  (lialQCjue  entre  trois  grenadiers ,  il  en  plaisauiait  avej  les 
agens  du  prétendu  loi,  et  recommandait  de  renvoyer  la  balle  à 
ces  braves  militaires  en  faisant  de  nouvelles  di^tril)utions. 

>  Ce  futPichegiu  qui  approa%a  que  l'on  mî(  au  bas  de  Tua 
de  ces  écrits,  intiti-lé  deuxume  enirctien  des  grenadiers,  celte 
note  :  «  Citoyens,  je  vous  envoit^  un  échantillon  de  l'écu  du  rr»i 


AU  18  FRUCTiDOn   AN  V   (  4  SEPTEMBRE  1797  ).  401 

>  donné  au  prisonnier  :  quoique  ci-devant,  il  n'est  mal  veau  nul!e 

>  part.  » 

»  En  effet,  des  anciens  ëcus  de  six  livres  devairnt  ncc^ompa- 
{jner  ces  paquets ,  adresses  à  des  militaires  et  à  des  corps-de- 
garde  de  cantonnement  :  un  maître  des  postes  de  l'armée,  très- 
bon,  et  quelques  affidés,  s'étaient  chargés  d'aider  cette  opéra- 
lion.  Une  autre  fois  c'étaient  des  pièces  de  vingt-quatre  sous  en- 
veloppées dans  des  bandes  d'assignats. 

»  11  ne  se  contente  point  de  se  lier,  de  conspirer  avec  les  espions 
de  la  royauté  ;  il  les  prend  sous  sa  sauve  garde ,  et  promet  d'a- 
vouer, au  besoin,  Demougé  pour  son  agent  général ,  au  moyen 
d*une  correspondance  simulée  ;  d'où  il  résultait  que ,  par  ses  re- 
lations avec  les  ennemis ,  il  servait  les  intérêts  de  la  République. 

>  En  même  temps  qu'il  fait  faire  des  compUmens  à  Wurmser, 
il  s'éloigne  de  l'armée  pour  ne  pas  prêter  le  serment  de  haine  à 
la  royauté;  il  attend  l'effet  que  produira  ce  scandale  pour  juger 
de  son  influence  et  du  progrès  de  ses  trames  sur  l'esprit  des  sol- 
dais, ce  qui  lui  vaut  l" estime  de  la  baronne  de  Reich. 

>  Enfin ,  quand  ce  traître  parle  des  républicains,  il  ne  les  nomme 
jamais  que  des  noms  les  plus  odieux  ;  il  fait  son  possible  pour  être 
détestédu  gouvernement,  qui  ne  pourra  l'inculper,  et  qui  n'agirait 
pas  contre  lui  sans  qu'il  sût  l'en  faire  repentir;  il  pense  que  sa 
destitution ,  qu'il  désire,  ne  saurait  produire  qu'un  bon  eftet,. 
parce  que  l'armée  lui  est  eniièreiïjent  dévouée,  et  que  ce  serait 
le  moment  de  la  crise. 

I  ïl  reçoit  des  lettres  de  Wickam ,  qui  lui  en  écrit  de  fort  po- 
lies ,  et  qui  lui  envoie  deux  mille  louis  dont  il  a  besoin  pour  de 
hauts  projets  qu'on  ne  confie  pas  à  tout  le  monde. 

»  Quelq!:e  profondément  dissimulé  qu'on  soit,  il  n'est  cepen- 
dant f)as  possible  de  faire  constamment  bien  une  chose  avec  l'in- 
tention  déterminée  d'arriver  précisément  à  ce  qui  lui  est  con- 
traire. Il  s'éleva  des  nuages  sur  la  conduite  de  Pichegru.  Il  sentit 
que  l'un  des  plus  sûrs- moyens  pourlui  était  de  payer  d'effron- 
terie. Les  émijorés  en  frémirent  ;  ils  firent  des  observations  :  Pi- 
rhegru  n'en  fut  que  plus  convaincu  de  la  nécessité  d'un  voyage  A 
T.  xxxvii.  26 


402  DIRECT.    — ■    DL    !«'    PRAIR.    AN    V   (  î2U   MAI    1797  ) 

Paris ,  sans  quoi  les  soupçoos  allaient  se  convertir  en  preuve  ;  el 
dès  qu'il  se  fut  assuré  qu'il  n'y  avait  pas  encore  de  danger  à  se 
rendre  auprès  du  gouvernement ,  sa  résolution  fut  prise  ;  il  fit  en- 
tendre même  qu'il  parlerait  à  ce  qu'il  appelait  sots  gouvernans  si 
haut,  qu'il  leur  en  imposerait. 

>  Demoufjé  lui  offrit  des  fonds  pour  ce  voyage.  Pichegru  en 
lui  répondant  salua  cordialement  M.  de  Précy,  présenta  ses  res- 
pects au  prince  de  Gondé ,  et  accepta  1rs  fonds  que  Fauciie  Bo- 
rel,  attendu  avec  impatience ,  devait  apporter.  D'ailleurs  l'inten- 
tion de  Pichegr  u ,  disent  ses  confi Jens ,  était  de  se  mettre  en  me- 
sure avec  la  capitale  pour  que  l'expUision  se  fi!  au  même  instant; 
il  devait  conjmuniquer  aux  meneurs  les  dispositions  de  son  armée, 
el  se  faire  rendre  compte  des  leurs. 

»  Ce  voyage  inspira  de  cruelles  inquiétudes,  mais  Demougé, 
après  une  nouvelle  entrevue  dans  son  cabinet  avec  Pichegru,  as- 
sure à  Wurmser  qui  craint,  à  Condé  qui  désespère  du  succès 
de  l'entreprise,!  à  la  baronne  de  Reicii  qui  implore  l'assistance 
divine,  qu'ils  ne  doivent  point  s'alarmer  sur  la  démarclie  de  Pi- 
chegru, qui  est  un  homme  Lien  extraordinaire  par  sa  prudence; 
il  leur  annonce  n»éme  que  lui,  Demougé ,  est  ravi,  parce  que  Pi- 
chegru a  accepté  des  fonds;  que  Pichegru  est  probe,  et  que  ce 
n'est  pas  pour  rien  faire  qu'on  ose  accepter  ainsi. 

>  Cependant  il  ne  partit  po  nt  sans  l.dsser  à  ses  fidèles  des  pa- 
roles de  consolation  ei  des  conseils;  il  les  rassura  d'abord  sur  son 
voyage;  ensuite  :  c  Je  n'écris  à  personne,  dit-il,  miilgié  le  déiir 
1  que  j'en  ai  et  la  saiisfavtion  que  cela  medonnerail  ;  mais  je  suis 

homme  d'honneur;  jt^  cherche  le  plus  grand  bien  sjns  pouvoir 
nom  naiiven.eni  m'engagera  telle  ou  telle  opération,  puisque 
tout  dépend  des  circonstances  que  je  calcule.  Si  dans  la  minute 

>  je  pouvais  faire  changer  les  choses  à  l'avantage  du  roi,  que  je 

>  révère,  et  des  infortunés  qui  défendent  une  cause  si  sacrée,  je 
»  n'hésiterais  pas  un  moment.  Diies-leur  que  si  les  Auiricliiens 
*  épau'aient  b.en  Conde  je  ne  vois  pas  comment  alors,  dans  tous 
»  les  cas,  les  succès  peuvent  être  douteux.  A  Paris  je  verrai  les 
i>  Cinq  ;  la  je  saurai  de  quoi  il  tourne.  Je  ne  leur  mâcherai  pas  le 


AU  18   FRUCTIDOR  AN  V    (4   SEPTEMBRE  1797).  405 

>  mot ,  et  les  différentes  conférences  où  j'apprendrai  leurs  vues 
»  et  leurs  ressources  m'éclaireront  probablement  sur  la  véri- 
»  table  déiermination  de  ma  conduite  pour  le  plus  grand  bien  de 

>  la  chose. 

»  Mais  ce  que  je  réitère  bien  positivement ,  c'est  qu'il  est  du 
»  plus  grand  intérêt  pour  les  Autrichiens  et  Condé  de  ne  pas  le- 

>  ver  cette  trêve  arbitraire  et  illimitée,  qui  a  déjà  fait  le  plus 
9  grand  mal  aux  Français,  qui  a  épuisé  leurs  magasins  de  siège, 

>  augmenté  la  pénurie,  et  qui  met  chaque  jour  le  comble  au  dé- 
»  goût  du  soldat. 

>  Le  gouverneqjent  f-rançais  lèvera  nécessairement  la  trêve  le 
»  premier.  Ne  perdez  pas  une  minute;  après  les  dix  jours  de  grâce 

>  tombez  sur  les  nôtres  le  plus  rmlement  possible;  comme  aussi 
»  sur  Jourdan  :  nous  ne  soutiendrons  qu'un  échec. 

>  Si  je  suis  destitué ,  alors  peut-être  il  sera  bon  que  les  Au- 
»  trichiens  lèvent  la  trêve  les  premiers,  et  que,  de  concert  avec 
»  Condé,  ils  nous  attaquent.  Le  plus  petit  échec,  avec  le  mé- 
»  contentement  de  l'armée,  et  un  petit  pamphlet  analogue, 
»  produiraient  l'effet  désiré  d'une  réunion ,  ou  une  désertion  to- 
»  taie.  > 

»  Et  ensuite,  répète  Demougé,  il  a  accepté  des  fonds;  et  tou- 
tes les  fois  qu'on  veut  é'ever  des  doutes  sur  le  dévouement  et  le 
zèle  de  Pichegru,  parce  les  choses  n'allaient  pas  assez  vite,  il 
répond  toujours  :  mais  il  a  accepté  des  fonds,  et  Pichegru  est 
probe. 

»  Fauche-Borel  deson  côté  écrivait  à  Wurmser,  lei4avril  1796: 
€  S'il  était  possible  de  le  déshonorer  (Pi(hegru  )  au  point  de  le 
»  supposer  capable  dt' partir  pour  la  Suède,  il  r.e  suffirait  pas  de 

>  le  croire  scélérai  ;  il  faudrait  encore  le  cioire  le  plus  fou  des 
»  insensés,  puisque  cet  homme  ne  se  dibfcimuleraii  pas  que ,  s'é- 
»  tant  joué  de  la  parole  et  de  la  confiance  du  roi .  de  Mgr.  le  prince 

>  de  Condé,  de  Voire  Excellence,  des  généraux  de  S.  M.  Impé' 
»  riale  et  du  cabinet  britannique ,  et  ayant  laissé  partout  des  preu- 
•  ves  et  den  traces  irrécusables  de  ses  manœuvres  contre  le  directoire^ 
t  il  sufhrait,  pour  le  faire  ai  rètor  avant  son  arrivée  u  Siockboîm, 


404         DIRECT.   —  DU  1^»'  PRAm.   AN  V   (20  MAI   1797) 

>  ei  faire  tomber  sa  tête,  d'îm  seul  mot  d'une  des  seules  personnes 
>*  qui  ont  été  en  rapport  avec  lui  à  Strasbourg^. 

»  Je  supplie  Votre  Excellence  de  me  permettre  de  l'assurer 

>  qu'avant  irès-peu  de  jours  Picheg;ru  lui  fera  passer  le  projet  dé- 
»  finiiify  ainsi  que  les  derniers  arrangemens  à  prendre;  et  je  ne 
»  doute  point  que  si  Votre  Excellence  daigne  continuer  à  les  fa- 
»  voriser,  S.  A.  R.  Mg^r.  l'archiduc  Charles  ne  soit  conduit  par 
»  Votre  Excellence  dans  le  sein  de  la  France  avant  la  fin  du  mois 
»  prochain.  > 

»  Pendant  le  temps  de  son  absence  trois  ou  quatre  travail- 
leurs ,  connus  pour  lui  appartenir ,  redôublèr*ent  d'aciivité  pour 
attirer  à  eux  et  pour  s'attacher  le  plus  d'officiers  possibles.  Ba- 
donville,  son  adjudant-général,  traite  les  généraux,  et  leur  prête; 
Tugnot,  autre  officier,  en  fait  de  même;  Demougé  avait  aussi  table 
ouverte. 

»  Les  affaires  vont  très-bien  à  Paris,  qui  a  reçu  son  impulsion; 
Demougé  est  même  persuadé  que  tous  ces  mouvemens  combinés 
sont  en  partie  l'ouvrage  de  Pichegru,  dont  l'idée  ne  pouvait  être 
que  de  confondre  les  élémens  à  la  source  de  tous  les  maux,  et  de 
déterminer  par  là  nos  armées. 

»  Une  circulaire  de  Demougé  ,  du  2  mai  1796 ,  au  13  floréal , 
an  4,  annonce  le  retour  de  Pic^hegru  vers  le  Rhin  ;  il  avait  obtenu 
un  congé  sous  prétexte  d'affaires. 

>  Quoiqu'il  n'ait  pas  trouvé  à  J^aris  les  esprits  aussi  favorable- 
ment disposés  qu'il  l'espdrait,  et  que  l'opinion  fut  encore  bien 
erronée  y  cependant  on  pouvait,  à  son  avis,  compter  sur  tout  ce 
qui  n'est  pas  Jacobin ^  et  cet  homme  extraordinaire  a  formé, 
à  Paris,  des  relations  importantes ,  et  a  décidément  fixé  les  opé- 
rations à  entamer. 

>  Il  faut,  daprès  ses  conseils,  que  le  prétendu  roi  ne  paraisse 
pas  tenir  à  ses  anciennes  prétentions;  il  faut  qu'il  se  soumette  à 
des  palliatifs,  s'il  veut  éviter  de  faire  couler  des  flots  de  sang  :  la 
perversité  du  siècle  rendait  cei  ménagemens  nécessaires,  car  le 
général  des  armées  républicaines  ne  voyait  la  perfection  des 
gouvernemens  que  dans  une  tyrannie  complète;  et  en  même 


AU   18  FRUCTIDOR  AN   V   (  4*  SE^IEMBRE  1797  ).  405 

temps  qu'il  impose  au  prétendu  roi  des  conditions  aussi  rigou- 
reuses, il  ajoute  :  sauf  à  ne  rien  tenir  une  fois  qu'il  pourra  tout. 

»  11  faut  ensuite ,  et  c'éiait  probablement  le  point  le  plus  dif- 
ficile ,  il  faut  que  ce  prétendu  roi  se  montre  à  la  tête  des  siens  ; 
la  grande  sensation  qu'a  faite  sa  présence  prouve  la  nécessité  de 
ne  pas  quitter  le  poste. 

»  Ces  choses  convenues,  les  Autrichiens  lèveront  la  trêve; 
Pichegru  leur  donnera  tous  les  renseignemens  qui  sont  en  son 
pouvoir.  L'erreur  où  l'on  était  sur  son  compte,  la  confiance 
qu'inspirait  sa  réputation ,  et  les  conseils  que  ses  connaissances 
militaires  faisaient  rechercher,  lui  avaient  jusqu'à  un  certain 
point  valu  le  secret  de  nos  généraux.  Il  savait  que  Moreau  faisait 
son  rassemblement  le 28  floréal,  pour  agir  le  8  prairial  (27  mai). 
Il  en  avertit  les  ennemis  ;  il  leur  recommande  de  se  mettre  en  me- 
sure pour  attaquer  les  premiers  sur  tous  les  points  possibles  ;  il 
leur  recommande  de  battre  le  fer  bien  dru,  afin  de  tout  épouvanter. 
Ils  n'éprouveront  qu'une  faible  résistance  ;  alors  on  fera  crier 
par  l'armée  :  Point  de  paix ,  point  de  succès  sans  Pichegru  !  Si  le 
gouvernement  cède  à  ces  mouvemens ,  Pichegru  est  maître  ;  il 
est  DICTATEUR  ;  si  le  gouvernement  s'y  refuse,  les  généraux  au- 
trichiens, vainqueurs,  déclareront  qu'ils  ne  veulent  pas  traiter 
avec  Moreau,  et  qu'ils  entendent  que  ce  soit  avec  Pichegru. 

»  En  attendant  des  succès  qui  ne  peuvent  manquer,  Pichegru 
se  rendra  dans  le  département  du  Jiira,  sur  lequel  Demougé  lui 
a  donné  des  renseignemens  dont  il  est  s^itisfait.  11  dirigera  les 
me^jures  convenables  qui  doivent  harmoniser  avec  ce  qui  se  pas- 
sera sur  les  bords  du  Rhin.  Peut-être  ira-t-il  aussi  dans  le  Lyon- 
nais. Il  se  fera  précéder  par  un  jeune  homme  nommé  Holbang, 
dont  le  frère ,  émigré,  rentré  et  caché,  agit  activement  pour  la 
contre-révolution.  Ce  jeune  homtne  recueillera  des  renseigne- 
mens ,  ce  qui  le  mettra  à  même  d'opérer  utilement,  surtout  lors- 
que Condé  lui  aura  lait  passer  les  noms  des  agehs  royalistes  qu'il 
a  dans  la  ci-devant  Franche-Comté,  ainsi  qu'il  la  promis. 

»  Il  fait,  avant  son  départ,  présent  d'un  très-beau  cheval  à 
Oemougé ,  et ,  pour  donner  un  gage  de  sa  foi  au  prétendu  roi , 


406  DIRECT.    —   DU    l«f    PKAIR.    AN    V    (  20   MAI   4797  ) 

à  Condé,  aux  généraux  autrichiens,  il  ëcril  un  billet,  annoncé 
depuis  lonjjteinps  ,  ainsi  conçu  :  f  Plus  de  projets  partiels  et 
»  isolés,  dont  l'exécution,  toujours  arrêtée  ,  empêchée  ,  opère 
»»  une  diîiiinution  réelle  de  forces  et  de  moyens,  sans  produire 
»  d'autres  effets.que  la  crainte  et  le  découragement  dans  les  es- 
»  prits  réunis,  et  réloi^nement  dans  ceux  dispo^és  à  se  nippro- 
»  cher.  De  g^rands  événeinens  militaires  peuvent  amener  le  mcK 
*  ment  favorable  ;  je  le  saisirai,  et  le  descendant  d'Henri  IV  peut 
»  compter  sur  mon  dévouement.  » 

>  Au  lieu  d'éire  battues,  les  armées  républicaines  furent  vic- 
torieuses ;  myisl(^s  projets  conlre-révoluiionnaires  ne  furent  qu'a- 
journés. Aussiiôi  les  revers  que  nous  éprouvâmes  à  la  fin  de  ceitt 
campag^ne,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  vendémiaire  an  IV,  ou  octo- 
bre, les  correspondances  furent  renouées. 

»  Pirhpjjru  recommande  au  prince  Charles  et  au  général  La 
Tour  de  continuer  à  bien  travailler,  de  frapper  vigoureusement, 
et  de  ne  pas  laisser  le  temps  aux  républicains  de  recourir  à  des 
moyens  extrêmes^  s'ils  veulent  qu'il  soit  rappelé. 

•  Il  conseil'e  à  l'archiduc  de  faire  publier  en  France  une  dé- 
claration par  laquelle  il  annoncera  qu'il  ne  veut  que  reconquérir 
la  Belgique;  il  répète  tous  les  motifs  qui  doivent  encourager  l'en- 
nenii;  il  médite  un  nouveau  voyage  à  Paris.  Wikham  a  déjà 
fourni  les  fonds  nécessaires;  Demongé  doit  l'accompa'gner.  De- 
mou{>é  n'a  reçu  que  oe  qu'il  lui  fiiut  pour  la  dispense  à  Paris  ; 
mais  Piche^iru  est  cave  pleinement  pour  les  grands  cas. 

)•  Pirhegru  a  donné  des  conseils  perfides  au  gouvernement; 
il  en  rit  aux  églals  en  serrant  la  main  de  son  digne  ami  Demougé  : 
celui-ci  et  ses  Infâmes  complices,  sous  les  auspices  de  Pichegru» 
npprlleiii  le  ftu  et  le  carnage  sur  notre  patrie.  Tandis  que  leur 
|)atron  Pichegru  indique  à  l'enneni  les  défauts  qui  se  trouvent 
aux  reiranchemens  df  Kehl ,  ils  font  dresser  par  la  corruption 
des  plans  de  ce  fort  et  de  nos  camps  retranchés;  ils  lui  marquent 
si  leu''  fnU  a  bieii  ôu  mal  réussi;  ils  indiquent  s'ils  tirent  trop 
haut  ou  trop  bas,  et  où  ils  doivent  porter  leurs  coups;  ils  dési- 
rent snrjouî  que  Ton  jette  des  bombes  sur  une  voûte  où  ^  reti- 


Au  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).     407 

rent  nos  généraux;  ils  désignent  la  situation  de  cette  voûte ,  que 
l'on  pourra  reconnaître  à  la  fumée  qui  en  sort. 

»  Badonvillp,  qui,  en  sa  qualité  dadjudant-général ,  peut  aller 
partout ,  fournil  des  renseignemens  précieux.  Cliembé ,  le  re- 
préseniant  du  peuple  Cliembé  (de  Colmar),  ne  fait  jamais  at- 
tendre les  siens ,  et ,  doublement  utile  par  sa  qualité  d'espion  et 
de  juge,  en  même  temps  qu'il  livre  le  secret  de  la  situation  de 
nos  armées  et  de  l'état  de  nos  places,  il  se  dispose  à  faire  acquit- 
ter des  émigrés,  parce  que  cela  fera  plaisir  à  Kimglin.  Tugnot 
<X)mmande  la  ligne  de  Guermersheim  à  Limersheim  ;  il  lève  aus- 
sitôt la  consigne  sur  les  correspondances,  et  diminue  Ie>  postes 
au  point  qu'il  n'y  laisse  presque  personne.  Demougé  fait  passer 
aux  ennemis  devant  Kehl  le  mot  d'ordre,  et  il  raconte  très- 
tranquillement  le  matin  qu'un  poste  des  républicains  a  été  égorgé 
pendant  la  nuit  par  ce  moyen. 

»  Ces  hommes  affreux  ne  sont  rien  moins  qu'étrangers  à  ce 
qui  se  passe  dans  l'intérieur  :  on  a  pu  déjà  remarquer  les  im- 
menses relations  de  Pichegru.  Lyon,  la  Vendée,  les  chouans, 
les  inirigans  de  Paris,  les  journalistes,  leurs  dignes  échos,  les 
réquisitionnaires,  les  émigrés  rentrés,  les  as^a  sins,  les  prêtres 
surtout,  venaient  tour  à  tour  augmenter  leur  espoir,  comme  ils 
faisaient  l'objet  de  leur  plus  vive  sollicitude.  Il  n'y  a  pas  jusqu'à 
l'affaire  de  Bjbeuf  qui  ne  les  réjoui>se;  en  effet ,  la  folie  de  l'exa- 
gération ne  travaillera  jamais  qu'au  profit  du  royalisme.  D'ail- 
leurs il  ne  pouvait  être  différent  pour  eux  qu'un  magistr  at  indi- 
gne de  ses  foriciions,  Vjellart,  eût  l'impudence  de  dire  dans  un 
discours  qu'il  n'y  avait  point  eu  de  conjuration  en  vendémiaire. 

»  Ils  annoncent  avec  jactance  que  Malmesbury  portp  avec 
lui,  pour  les  présenter  à  l'empereur,  des  écrits,  des  affiches  où 
le  gouvernement  républicain  est  déchiré  et  traîné  dans  la  boue. 
Pour  donner  une  idée  de  la  rage  qui  dévore  un  royaliste ,  indé- 
pendamment de  ce  que  plusieurs  se  sont  faits  assassins,  et  que 
la  doctrine  de  l'assassinat  est  leur  doctrine  familière,  je  ne  ci- 
terai qu*un  passage  d'une  lettre  écrite  par  un  individu  supplt^ant 
de  Demougé ,  en  date  du  12  novembre  1796  (22  brumaire  an  V.) 


ii08  DlllELl.    —    DU    J*^'     PKAIK.    A:\    V    (^^20    MAI    171)7) 

I  Les  soldats  allemands  ne  doivent  voir  dans  les  soldais  fran- 

>  çais  que  des  monstres  exécrables,  que  le  juste  sentiment  des 
»  vengeances  doit  leur  faire  désirer  d'exterminer  jusqu'à  extinc- 

>  tion  totale.  » 

»  Et  le  scélérat  forcené  qui  écrivait  ainsi  habitait  dans  la  Ce- 
publique  !  et  il  y  a  des  complices  et  des  approbateurs!  Et  c'était 
au  milieu  de  tels  hommes  que  vivait  cet  usurpateur  d'un  grade 
éminent  comme  d'une  grar-de  renommée!  c'est  avec  de  te's  scé- 
lérats qu'il  prépara  sa  nomination  au  corps  législatif,  où  un 
nouveau  plan  des  royalistes  lui  assignait  une  place  disiingnée  ! 
Mais  ne  nous  décourageons  point  ;  nous  ne  faisons  que  décou- 
viir  l'horizon  des  crimes,  et  notre  armée,  trahie,  n'est  que  le 
prélude  de  ce  vaste  forfait  dont  nous  allons  suivre  la  trame. 

>  Mais,  avant  de  passer  outre,  au  milieu  des  sentimens  d'hor- 
reur que  de  tels  monstres  doivent  inspirer,  ne  remarquerons- 
nous  point  combien  sont  admirables,  combien  sont  etannans  et 
doivent  être  chers  à  la  patrie,  ces  braves  soldats  qui ,  dans  lade- 
fcciion  de  leur  chel ,  trahis,  livrés  de  tous  côtés,  éprouvant 
réellement  un  dénùment  affreux ,  trouvent  dans  leur  cœur  un 
courage  assez  grand  ,  un  sentiment  assez  vif  de  patriotisme  et 
d'amf^^ur  de  leur  pays  pour  vaincre  leur  propre  mécontentement,, 
déjouer  les  pièges  de  la  trahison,  et  battre  l'ennemi?  C'est  qu'ils 
sont  citoyens  avant  d'être  soldais,  qu'ils  n'appartiennent  qu'à  la 
liberté,  et  non  à  un  général ,  qu'ils  reconnaissent  bien  pour  leur 
guide,  et  non  pour  leur  maître. 

»  Le  but  de  la  conjuration  de  vendémiaire  était  le  rétablisse- 
ment de  la  royauté  ;  les  moyens  étaient  le  massacre.  Exterminer 
les  hommes  qui  avaient  concouru  directement  ou  indirectement  a 
la  révolution,  retrouver  un  trône  en  assouvissant  sa  vengeance  , 
et  y  monter  sur  les  cadavres  des  républicains,  qui  ne  veulent  pas 
de  uiaitre,  sous  quelque  denominalion  que  ce  soit,  était  un  triom- 
phe digne  du  cœur  atroce  d'un  tyran,  d'un  roi  de  Blankembourg, 
d'un  Coude;  et  f  histoire  des  assassinats  commis  par  leurs  agens 
venait  soulager  le  chagrin  dévorant  de  leur  exil. 

•  Leur  entrée  en  France  toutefois  ne  se  décidant  point ,  leur 


AU  18  FRUOTIDUU  AN  V  (  4  SEPTEMBRE  1797  ).      409 

impatience  les  détermina  à  combiner  un  plan,  en  apparence  plus 
humain,  avec  les  anciennes  entreprises  :  ce  plan  embrassait  toute 
la  France  ,  et  excluait  tout  autre  mouvement  partiel  que  celui 
qui  les  aurait  rendus  maîtres  de  Paris  en  renversant  le  gouverne- 
menl. 

>  J'observerai  ici  que  Pichegru  ne  voulait  point  non  plus  d'en- 
treprises partielles,  et  qu'il  »e  vayait  d'efficace  que  de  grands  suc- 
cès militaires. 

>  On  a  cherché  dans  ce  plan  à  faire  marcher  de  concert  les  me- 
sures politiques  et  militaires. 

»  En  conséquence,  ces  aventuriers  divisent  la  France  en  deux 
agences  :  l'une,  qui  comprend  les  provinces  du  sud-est  et  du  midi, 
était  confiée  à  M.  de  Précy  ;  l'autre,  qui  comprenait  le  reste  du 
territoire,  était  dirigée  par  les  agens  de  Paris.  Une  correspondance 
active  existait  entre  ces  deux  agences. 

»  Elles  correspondaient  avec  le  prétendu  roi  et  le  gouvernement 
anglais. 

»  L'Angleterre  faisait  les  fonds,  et  soixante  mille  livres  sterling 
étaient  destinées  à  l'un  de  ces  agens,  en  nivôse  de  l'ano.  Puisaye 
étendait  ses  intelligences  depuis  Brest  jusqu'à  Laval.  Frotté,  en- 
core en  Angleterre,  était  chargé  de  ia  ci-devant  Basse-Norman- 
die. Rochecot  devait  préparer  le  Maine,  le  Perche  et  le  pays  Char- 
train;  il  avait  même  des  intelligences  à  Gaen.  Bourmont  com- 
mençait ses  fonctions  depuis  Lorient  jusqu'à  Paris.  Mallet 
commandait  dans  la  Haute-Normandie  et  l'Ile-de-France ,  aussi 
jusqu'à  Paris.  Tous  les  arrondissemens,  jusqu'à  cinquante  lieues, 
formaient  un  triangle  dont  un  angle  s'appuyait  sur  Paris.  Dans 
l'Orléanais  était  employé  un  Dujuglaiz.  Un  de  Palu-Duparc  avait 
copimence  une  organisation  dans  le  Haut-Poitou.  Un  Deîorge  ar- 
rivait d'Angleterre  pour  organiser  les  pays  qui  environnent  Ko- 
chefort  et  Bordeaux.  A  Paris,  foyer  de  toutes  ces  trames,  deux 
compagnies  étaient  formées,  dont  une  commandée  par  un  De- 
frainville. 

»  C'est  par  ces  mesures  militaires,  autant  que  par  la  Constitu- 
tion, queles  conspirateurs  espéraient  renverser  le  gouvernement  ; 


4i0         DIRECT.    —   DO   i«r   PRAIR.    AN   V   (  20   MAI   1797) 

ils  comptaient  profiter  surtout  de  la  fréquence  des  élections,  qui 
leur  donnait  le  moyen  de  porter  en  majorité  les  royalistes  aux  places 
du  gouvernement  et  de  l'administration.  Pour  parvenir  à  ce  but, 
il  fallait  i^  forcer  les  royalistes  d'aller  aux  assemblées  primaires; 
^  les  forcer  de  réunir  leurs  suffraf^es  sur  des  individus  dési(];nés; 
5°  faire  voter  dans  le  même  sens  qu'eux  ,  cette  classe  d'hommes 
qui,  sans  attachement  à  un  jjouvern'ement  plutôt  qu'à  un  autre , 
aiment  Tordre  qui  garantit  leurs  personnes  et  leurs  propriétés.  Il 
fut  formé  deux  associations  ;  l'une  composée  de  royaliNtes  éprou- 
vés; l'autre  des  roya'istes  timides,  des  égoïstes  ,  des  indiffcrens. 
La  dernière  de  ces  associations  portait  le  nom  de  Société  des  Amis 
de  l'ordre  et  ennemis  des  anarchistes  :  les  règlemens  de  cette  so- 
ciété sont  divisés  en  cinq  chapitres,  et  le  cinquième  chapitre  en 
six  sections. 

»  Le  prétexte  de  celte  société  est  d'opposer  une  digue  épaisse 
au  torrent  dévastateur  des  Jacobins.  C'est  avec  ces  mo's  qu'on 
fera  diverger  Popinion  des  ambitieux.  Tuutes  les  dénominations 
sont  bannies  de  cet  établissement,  et  tous  les  partis  y  sont  admis, 
afin  de  lutter  de  concert  contre  les  anarchistes,  qui  les  attaquent 
tous.  Dec^tte  manière  c*étjii  pour  les  dupes  une  ligue  offensive 
des  honnêtes  gens  contre  les  Jacobins. 

>  La  première  démarche  à  faire  pour  entrer  dans  cette  société 
était  un  serment  de  ne  jamais  faire  connaître  aux  non  initiés  les 
mots  et  signaux  de  reconnaissance ,  non  plus  que  les  personnes 
de  la  sociéié. 

»  La  société  ne  se  réunit  point  ;  les  membres  ne  communiquent 
que  par  le  moyen  des  affidés.  il  n'y  a  de  réunion  que  dans  le  cas 
où  il  faudrait  résister  à  un  mouvement  oppresseur. 

»  Les  membres  sont  tenus  de  se  rendre  aux  assemblées  primai- 
res pour  y  porter  le  vole  de  la  société. 

»  Les  présentations  se  font  par  des  parrains  à  des  affidés.  Le  ré- 
cipiendaire reçoit  de  ses  parrains  un  nom  qui  devient  le  moyen  se- 
cret de  communication. 

»  La  société  devait  porler  essentiellement  son  attention  vers  les 
assemblées  primaires,  qui  sont  un  moijen  constitutionnel  d'arra^ 


AU   48   FRUCTIDOR   AN   V   (  4  SEPTEMBRE  1797  ).  411 

cher  aux  Jacobins  les  places  y  et  de  les  remettre  à  des  mains  pures. 
Pour  s'assurer  de  l'unanimité  des  suffrages,  chaque  sociétaire 
donne  à  un  affidé  son  vote  cacheté.  Un  bureau  central  fait  le 
dépoui'lementdes  scrutins  ;  le  résuliat  en  est  communiqué  à  cha- 
que membre  de  la  société,  qui  sera  tenu  d'adopter  le  vœu  de  là 
majorité.  . 

»  Chaque  sociétaire  mettra  au  bas  de  son  billet  les  lettres 
initiale  et  finale  de  son  nom  de  société  :  on  en  verra  bientôt  le 
motif. 

,  »  Ils  seront  forcés  de  signer  des  adresses  contre  les  Jacobins , 
quand  on  leur  en  présentera. 

»  Cha  ]ue  membre  convoqué  sera  tenu  de  se  trouver  au  lieu  de 
réunion  indiqué.  On  combattra  l'ennemi  avec  la  vigueur  qui  as- 
sure le  succès,  s'il  attaque. 

»  Chaque  associé  préviendra  son  affidé  de  l'arrivée  dans  sa 
commune  d'un  ami  de  l'ordre  ,  d'un  faux  frère,  ou  d'un  Ja- 
cobin. 

»  La  première  de  ces  associations ,  désignée  par  Duverne  de 
Pre^le,  s'intitule  Coterie  des  fils  légitimes.  Cette  société  est  ex- 
traite de  celle  des  amis  de  l'ordre  et  ennemis  des  anarchistes.  Cha- 
que membre  jure  d'être  fidèle  à  son  roi  légitime  Louis  XVllï,  de 
se  conform*  r  en  tout  point  aux  règlemensde  U  coterie,  et  de  n'en 
jamais  révéler  aucun  des  articles.   Les  amis  de  l'ordre  doivent 
ignorer  jusqu'à  l'existence  de  cette  coterie.  Il  y  a  un  président 
par  canton.  Les  affidés  sont  nommés  par  le  président  de  canton, 
sur  la  présentation  d'un  secrétaire,  lis  votent  comme  les  secré- 
taires, et  ne  connaîtront  point  le  président  de  canton.  Les  secré- 
taires sont  nommés  par  le  président  de  canton,  et  acceptés  par  un 
président  {général  qu'ils  ne  connaîtront  pasj  davantage.  Ils  vote- 
ront conformément  au  désir  du  président. 

»  Voilv»  en  abrégé  quels  étaient  les  règlemensde  ces  instituts , 
ouvra^f;e,  à  ce  qu'il  paraît,  d'un  certain  Despomeiles,  ainsi  que 
les  divisions  militaires.  Mais  ce  qui  n'est  point  compris  dans  If  s 
règlent  ns,  c'est  que  les  coramandaus  militaires  avaient  ordre  de 
lurmer  des  compagnies  des  royalistes  les  plus  dévoués  et  les  plus 


\ 
M"!  DlKECl.    —    DU    l«r    P^AIK.  M*    V    (^20   MAI    1797 

courajjeux,  à  qui  on  devait  fournir  des  armes  et  des  munitions  : 
elles  étaient  destinées  à  assurer  les  mauœuvres  des  royalistes,  à 
forcer  parles  menaces  ou  aulreinent  les  membres  de  l'institut  phi- 
lanthropique à  se  rendre  aux  assemblées  primaires  ;  et  c'est  pour 
cela  que  chaque  membre  devait  mettre  sur  son  billet  les  lettres 
initiale  et  finale  de  son  nom  de  sociétaire ,  afin  que  l'on  pût  con- 
naître la  conduite  de  chacun  des  membres  :  elles  étaient  destinées 
en  outre  à  écarter  des  assemblées  tous  ceux  qui  ne  conveoaient 
pas  ;  ce  qui  a  été  exécuté,  ainsi  qu'on  le  verra  par  la  suite.  Il  y  a 
d'autt  es  détails  pour  le  cas  où  l'on  pourrait  se  passer  de  la  voie 
des  élections  et  agir  de  suite  à  force  ouverte  ;  mais,  comme  les  cir- 
constances n'ont  pas  permis  d'employer  ce  dernier  moyen,  nous 
ne  rappelons  que  la  partie  du  plan  qui  a  trait  à  l'événement  dont 
nous  sommes  chargés  de  vous  transmettre  les  détails. 

»  Vous  vous  rappelez  que  les  agens  du  prétendu  roi  devaient 
faire  tous  leurs  efforts  pour  gagner  les  membres  du  gouvernement 
et  de  l'administration.  Dès  le  mois  de  juin  i79()  (prairial  an  4)  un 
parti,  qui  sedisait  très-puissant,  leur  fil  faire  des  propositions.  (On 
se  souvient  (jue  des  conjurés  de  vendémiaire  étaient  entrés  dans 
le  corps  législatif.)  On  proposait  pour  tout  changement  la  con- 
centration du  pouvoir  exécutif.  Le  prétendu  roi  voulut  discuter 
la  condition;  il  demar;da  un  fondé  de  pouvoirs,  que  l'on  n'osa  en- 
voyer. Les  agens  ne  savaient  pas  au  juste  le  nombre  des  mem- 
bres du  corps  législatif  qui  désiraient  le  retour  de  la  monarchie  ; 
ilssupposaientqueces  membres  étaient  ceux,  ou  au  moins  en  par- 
tie, de  la  réunion  de  Clichy  :  ils  ne  connaissaient  que  les  seuls  in. 
lermédiaires  Lemerer  ci  Mersan.  Un  envoyé  d'Angleterre,  nommé 
JHardambert,  avait  des  rapports  directs  avec  Salin. 

»)  Voilà  quel  était  le  grand  plan  dont  il  est  question  dans  les  in- 
structions du  prétendent,  sur  l'existence  duquel  le  procès  de  La- 
villeheurnois  n'avait  laissé  aucun  doute,  mais  dont  il  n'avait  pas 
révélé  toutes  les  parties ,  quoiqu'il  fût  évident  que  les  moyens  les 
plus  importans  indi()ués  par  ce  plan  fussent  les  élections,  et  «pie 
le  but  fût  le  rétablissement  de  la  royauté. 

»  Je  dois  ajouter  (]ue,  dès  celle  époque,  il  existait  une  corres- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (4  SEPTEMBRE  1797).  415 

pondanceentre  un  agent  de  Louis  XVIII  à  Paris  et  un  autre  agent 
à  Londres.  Il  se  faisait  par  mois  uti  envoi  de  48,000  francs  pour 
payer  tous  les  renseignemens  que  Ton  pouvait  prendre  autour 
du  Directoire  et  des  ministres  ;  l'agent  secret  en  faisait  passer  à 
Londres  le  bulletin,  tous  les  quinze  jours,  par  un  nommé  Trion , 
émigré,  fusillé  depuis. 

>  Déjà  les  manœuvresdesPrécy,  des  Bessignan,  avaient  excité 
les  plus  affreux  désordres  depuis  le  Jura  jusqu'aux  Bouches-du- 
Rhône  (1j.  Lyon  était  le  point  central  de  toutes  les  espérances 
royales,  de  toutes  les  intrigues  contre-révolutionnaires.  Un  par- 
ticulier de  Vaux  a  fait  sa  fortune  en  transportant  seulement  à 
Lyon  des  émigrés  et  des  prêtres  déportés.  L'arrivée  de  Willot 
mit  dans  les  pays  soumis  à  son  commandement  tous  les  crimes  à 
Tordre  du  jour  (2).  La  Constitution,  les  lois,  la  justice,  l'huma- 
nité furent  foulées  aux  pieds  sans  pudeur  et  sans  déguisement , 
tandis  qu'un Lamothe,  un  Dominique  Allier  portaient  le  ravage  et 
la  mort  dans  ces  malheureux  départemens.  Bientôt  ces  exemples 
funestes,  à  l'approche  des  élections,  sont  propagés  avec  fureur  et 
suivis  avec  audace.  Les  fêtes  républicaines  ne  sont  point  célé- 
brées ,  les  airs  patriotiques  sont  proscrits.  Par  ordre  des  admi- 
nistrations ,  sous  leur  autorisation ,  on  donne  des  pièces  qui  rap- 
pellent la  royauté  ,  telles  que  Bichard  Cœur-de-Lion.  Les  arbres 
delà  hberié  sont  coupés;  les  républicains,  les  fonciionnaires  pu- 
blics patriotes  insultés,  menacés,  assassinés.  Des  troupes  d'é- 
gorgeurs  royaux  parcourent  nombre  de  communes,  criant  :  Vive 
le  roi  !  jurant  qu'ils  ne  déposeront  les  armes  que  quand  ils  se  se- 
ront défaits  de  tous  les  républicains.  Ces  premiers  alternats  sont 
suivis  de  vols ,  de  brigandnges  et  de  proscriptions.  Les  courriers 


(«)  «  CeBessignan,  émigré,  voyageait  en  France  sous  la  sauvegarde  d'une 
mise  en  liberlé  du  comité  de  su  été  générale  ,  signé  Rovere.  Il  éiait  à  Paris  le 
t"  germinal  an  .1;  il  fut  arrêté  dans  les  Tuileries  et  conduit  au  comité  de  sûreté 
générale,  qui  le  fît  conduire  en  piisoa;  mais,  deux  Jours  après,  il  Tut  mis  en  li- 
berté sur  le  rapport  de  ï.omont  appuyé  par  Ror'erc.  » 

(2)  «  Toute  la  suite  de  ce  rapport  est  appuyée  sur  des  pièces  officielles  dé()o- 
8ée«  cliez  les  ministres.  Ces  pièces  ont  été  cx)mmun!quéps  à  la  commission ,  qui 
en  a  extrait  tous  les  faits  qu'on  va  lire.  » 


414         DIRECT.    —    DU    1^'     PRllR.    AN    V    |^  20   MAI    1797) 

de  la  malle  sont  arrêtes, dépouillés,  assassinés. Des  malheureux 
sont  arrachés  à  leurs  assassins,  repris  et  massacrés.  Lesact;ué- 
reurs  de  biens  nationaux  éprouvent  plus  pariiculièremeni  tous 
les  genres  d'outrage  et  de  persécution.  Des  jeunes  gens,  dans  un 
déparlement,  sont  convaincus  d'avoir  tiré  des  coups  de  Tubil  sur 
ces  acquéreurs;  ils  sont  îibsous  par  le  jury  d'accusation,  parce 
que  tout  ce  qui  tend  à  détruire  le  gouvernement  est  bon.  Les 
émigrés,  les  prétrts  déportés  rentrent  en  foule,  et  provoquent 
tous  les  crimes.  La  plupart  des  autorités  constituées  non-seule- 
ment laissent  tant  de  forfaits  impunis,  mais  les  proié^^ent,  les 
provoquent,  et  sont  les  instrumens  des  agens  delà  royauté.  Ce 
n'est  qu'avec  des  soins  et  des  peines  incroyables  qu'on  est  parvenu 
à  empêcher  l'exécution  du  projet ,  constamment  suivi,  de  faire 
péiir  tous  les  républicains  depuis  Lyon  jusqu'à  Mar^eille,  afin 
de  pouvoir  communiquer  sans  obstacles  et  se  mettre  en  état  de 
rébellion  ouverte.  L'administration  centrale  du  département  de 
la  Drôme,  nommée  par  le  directoire  exécutif ,  et  heureusement 
conservée  par  les  patriotes  de  ce  dépaitement  aux  eleciioLsde 
l'an  5,  a  rendu  à  cet  égard  les  services  les  plus  signalés. 

«  Les  administrations  n'exécutent  aucune  des  lois  sur  les  pas- 
seports, sur  les  prêtres  et  sur  les  émigrés;  elles  éloignent  tout 
ce  qui  peut  être  avantageux  au  maintien  de  la  République.  Des 
représentans  du  peuple  même  encouragent  directement  ou  indi- 
rectement tous  ces  desordrrs;  Boissy  d'Anglas  fai^at  renvoyer 
des  iioup  ;>  républic^iines  du  département  de  l'Ardèche  et  de- 
mandait que  ce  département  fût  mis  sous  le  commandement  de 
Willot  (IJ. 

»  Ceux  des  tribunaux  qui  ne  sont  pas  ouvertement  conlre-ré- 

(I)  •  Un  liomnie  du  département  de  l'Ardèche,  qui,  en  l'an  5  prétendait  Te- 
nir au  corps  le^iislulii  gro:>sir  le  ntmiljre  des  conjurés,  publia  ses  ùires  à  cet 
houneur  dansun  inipnine  4ui  con  enait  léounuTHlion  des  s  rvice*  signales  qu'il 
a>dit  reudus  pir  >ou  lèle  a  défendre  le  iioue,  le  monarque,  ses  mu  sirjs,  lej 
énJigre-^  el  Its  pK'ir<s  lefracldirt-s.  Cel  écnl  \d\l  connai  re  1  l^p^ii  qui  dnigea 
les  op  râlions  de  lass»  mb!ec  éUc.i»r.le  de  ce  dép  .riement ,  cl  Ihonniie  qui  co 
est  l'auUur  es.  un  juge  du  Iribuual  cvil.  Faul-il  s'etouner  de  l'imp  .nile  que  les 
assassins  el  les  émigrés  oui  trouvée  d  ms  celle  couirée ,  et  des  crimes  aifreux  qu") 
a  commis  la  hande  de  Dominique  Allier?  " 


AU   i8  FRUCTIDOR  AN   V   (4   SEPTEMBRE   1797).  4ld 

volulionnaires  cèdent  à  la  crainte,  et  les  résultats  en  sont  égale- 
ment déplorables.  Les  républicains  innoctns  n'y  paraissent  ja- 
mais impunément  ;  les  assassins  royaîisies ,  les  émi  ;rés ,  les  prê- 
tres séditieux  y  trouvent  toujours  une  protection  déclarée  :  les 
victimes  y  prennent  la  place  des  agresseurs.  Des  jugfsdepaix 
sont  mis  en  jugement  pour  avoir  commencé  des  pouràuites  con- 
tre des  royalistes ,  et  le  moindre  crime  de  ces  autorités  est  de  ne 
pas  juger  quand  elles  n'ont  pas  l'impudence  d'absoudre. 

»  3]ais  peut-on  pailer  de  crimes  dans  la  révolution  sans  par- 
ler des  prêtres  réf;actaires,  avec  lesquels  nous  ne  confondrons 
jamais  ces  hommes  estimables  qui  ont  donné  l'exemple  de  la  sou- 
mission aux  lois ,  et  qui  ont  persisté  dans  leur  sage  résolution  ? 
Quand  donc  enfin  rendra-t-on  justice  à  cette  espèce  d'êtres  qui 
n'ont  ni  cité,  ni  famille  ;  qui  regardent  le  genre  humain  comme 
leur  domaine ,  et  égorgent  qui  ne  se  soumet  pas!  Feront-ils  en- 
core long-temps  des  dupes  ces  monstres  qui  n'ont  à  la  bouche  que 
Dieu  et  la  mort  ! 

>  Ils  ont  été  les  agens  les  plus  redoutables  de  la  contre-révolu- 
tion ,  et  à  peine  ose-t-on  en  parler  î  On  treiuble  devant  cette  poi- 
gnée de  misérables  qu'un  peu  de  feraieiéeiit  lait  pour  jamais  dis- 
paraître du  sol  français!  Ils  connaissaient  bien,  ces  prêtres,  ceux 
qui  les  appelaient  avec  tant  de  force  à  leur  secouiv  ! 

»  Dès  celle  époque,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  l'an  4  et  avant  les 
élections  de  l'an  5,  ils  elfraient  les  fonctionnaiies  publics  ;  ils  les 
empêchent  de  prêter  le  serment  de  haine  à  la  royauté  ;  i  s  provo- 
quent la  lébellion  ,  prêchent  le  pillage ,  et ,  un  crucifix  à  la  main, 
ils  appellent  la  mort  sur  h  s  républicains  ;  ils  publient  des  maxi- 
mes anli-civiiiues  ,  incendiaires,  et  des  dilfamations;  ils  pronon- 
cent une  formule  de  rétractation  de  tout  serment  à  la  liberté,  à 
l'égalité ,  de  soumission  aux  lois  ;  partout  ils  organiserii  la  guerre 
civi'e,  et  personne  n'ose  déposer  contre  eux  ! 

»  Un  individu,  se  disant  évê^ue  de  Castres,  recommande  à  ses 
subordonnés  d  être  prudens...  <11  exhorte,  au  nom  de  Jésus, 
»  tous  les  bons  catholiques  à  rétablir  la  croix  adorable...  Les 
»  catholiques  ne  doivent  prendre  aucune  part  aux  fêtes  païennes 


416         DIRECT.    —   DU  1*1    PRAIft.   AN  V    (20   MAI   1797) 

»  ni  adopter  ni  garder  chez  eux  le  nouveau  calendrier...  Le  nou- 
»  veau  calendrier  ne  doit  pas  même  souilîerla  poche  d'un  catholi- 
»  que.  Oa  a  voulu,  par  ce  nouveau  calendrier,  insulter  le  ciel... 
j  Un  catholique  ne  doit  adopter  le  langage  et  le  stylo  nouveau  ni 
»  dans  la  conversation  ,  ni_  dans  ses  lettres,  ni  dans  ses  actes.  » 

»  D'après  cela  n'est-il  pas  évident  que  les  ministres  réfractaires 
du  culte  catholique  ne  prêchent  que  la  soumission  aux  lois  et  au 
gouvernement  existant!  Impudens,  qui  le  disiez  à  cette  tribune, 
nous  savions  bien  que  vous  en  imposiez  ! 

»  Un  autre  prêtre  annonçait  qu'ils  avaient  des  jeunes  gens  sur 
diffërens  points  de  la  République,  qui  bientôt  l'auraient  assom- 
mée. Un  autre  prêche  une  croisade  dans  les  montagnes  des  Al- 
pes maritimes ,  se  met  à  la  tête  des  Barbets  et  coupe  l'arbre  de  la 
liberté,  tandis  que  les  émigrés  rentres  embauchaient  pour  une 
nouvelle  Vendée  dans  les  gorges  du  ci-devant  Vivarais. 

>  Ils  étaient  généralement  soutenus  par  les  administratious. 
Mais  c'est  surtout  les  élections  qui  attirent  leur  convoitise  et 
fixent  leur  attention  ;  déjà  ils  employaient  leur  influence  pour 
s'emparer  des  choix  ;  elles  arrivèrent  enfin ,  et  en  grande  partie 
furent  dignes  de  tels  préparatifs. 

>  Le  procès  de  Lavilleheurnois  avait  tout  révélé.  Lesageus  du 
prétendant  étaient  convenus  que  l'un  des  points  les  plus  impor- 
lans  de  leurs  instructions  était  de  travailler  à  assurer  le  succès 
des  élections.  Droitier,  l'un  d'eux,  convenait  qu'il  y  avait  mis 
tout  le  zèle  dont  il  était  capable.  On  écrivait  au  général  Malsei- 
gne,  à  Berne,  le  5  décembre  1796  :  «  Si  les  honnêtes  gens  sor- 
»  lent  enfin  de  leur  apathie...,  les  choix  seront  généralement 

>  bons  dans  tous  lesdépartemcns,  hors  neuf,  qui  sont  bien  con- 
»  nus,   et  où  l'on  cherche  en  ce  moiiient  à  éclairer  les   citoyens 

>  sur  leurs  vrais  intérêts.  D'après  ces  dispositions  on  calcule  que, 
»  deux  cent  cinquante  nouveaux  membres  renforçant  le  dernier 
»  tiers,  que  l'on  sait  être  bien  int^ntijuné,  mais  faible...,  on 

>  donnerait  un  (jouvcrnemcni  stable  à  la  France.  On  désigne 
•  déjà  à  Lyon  ies  individus  sur  lesqu<  1-.  doivent  tomber  les 
»  suffrages  :  un  M.  Mon! viol  qui   |  endant    le   i«'mps  du  siéf^e 


AU    18    FRUCTIDOR    AN    V    (4  SEPTEMBRE    1797).  417 

»  était  membre  de  la  commission  départemenlaie  ;  Camille  Jor- 
f  dan  ,  jeune  homme  d'un  méiiie  et  d'un  taient  distiogués  ;  Dei- 
»)  rieu ,  président  de  la  municipa'ité  du  Midi...  Les  départemens 
>  environnans  s'occupent  peut-être  avec  moins  d'éclat,  mais  non 
»  avec  de  moins  bonnes  intentions  de  ces  choix  importans.  » 

»  Déjà  nombre  des  élus  d'un  incivisme  bien  connu  attestaient 
qu'ils  n'avaient  pas  travaillé  en  vain.  Et  cependant  on  ne  prit 
aucune  mesure  pour  prévenir  de  si  dangereuses  entreprises!  En 
vain  éleva-t-on  la  voix;  les  républicains  étaient  comme  des  voya- 
geurs errans ,  sans  guides  et  sans  boussole;  ils  appelaient  à  leur 
secours  ;  on  ne  leur  répondait  rien,  ou,  si  l'on  faisait  semblant 
d'entendre  leurs  cris,  on  croyait  avoir  tout  fait  pour  la  Répu- 
blique avec  des  mots  qui  furent  terribles  sous  Robespierre,  qui 
ne  le  furent  pas  moins  depuis  ;  ces  mots  sont  ;  Les  principes  per- 
mettent, ou  tes  principes  ne  veulent  pas  :  com^me  si  les  faits  ne  de- 
vaient pas  toujours  déterminer  la  nature  et  l'application  des  prin- 
cipes !  comme  si  autre  chose,  pour  des  hommes  raisonnables, 
que  les  moyens  qui  conservent,  pouvait  être  appelé  principes! 
Insensés  qui ,  dans  leur  froideur  abstraite,  raisonnent  aussi  so- 
lidement que  ce  médecin  qui  regardait  comme  fort  indifférent 
que  le  malade  fût  mort,  pourvu  qu'il  fût  mort  dans  les  règles 
prescrites  par  la  médecine  ! 

»  Au  lieu  des  mesures  que  cette  conjuration  rendait  nécessai- 
res, on  lui  laissa  son  libre  cours.  Aussi  les  élections  de  l'an  V 
n'ont-elles  été  pour  la  plupart  qu'une  dérision  et  qu'un  jeu  cruel 
sous  les  auspices  de  tous  les  crimes.  Les  royalistes  avaient  tout 
préparé  pour  le  succès  ;  partout  on  remarquait  leur  sécurité,  leur 
joie,  leur  audace.  Ces  ci-devant,  si  dédaigneux,  veulent  bien 
être  présens  aux  assemblées  ;  des  émigrés  veillent  à  ce  que  tout 
s'y  passe  dans  l'ordre  qui  leur  convient,  à  ce  que  la  liberté  rè^'^ne, 
et  que  la  Constitution  soit  respectée...  Il  n'y  a  pas  de  séduction 
qu'on  n'emploie  auprès  des  habitans  des  caujpagnes  ,  qui  n'ont 
pas  le  bon  esprit  de  voir  que  cette  importance  même  qu'on  leur 
donne,  et  dont  ils  abusent  contre  la  révolution,  ils  la  doiveni 
a  celte  méffie  révolution,  et  que,  s'ils  ét^denl  repK»ngés  dans  l<'ur 
T.  xxxvii.  î27 


418         DIRECT.    —   DU    1«i  PRAIR.    ÀJ^    V    (20   MAI   1797) 

première  abjection,  ils  seraient  cent  fois  plus  humiliés  par  ces 
ci-devant  qui  It-s  caressent,  et  qui  leur  feraient  payera  usure  les 
démarches  qu'ils  consenteul  à  faire  auprès  d'eux! 

»  Les  royalistes  attirent  dans  les  assemblées  primaires  des 
étrangers,  des  stipendiés;  ils  y  font  enirer  des  domestiques  à 
gages,  des  déserteurs,  des  réfraciaires,  et  ils  font  déposer  plu- 
sieurs billeis  par  le  même  individu. 

»  On  trompait  la  bonne  foi  des  cultivateurs  qui  ne  savaient  pas 
lire  en  écrivant ,  par  le  moyen  d'hommes  aposiés ,  sur  leurs  bul- 
letins, d'autres  noms  que  ceux  qu'ils  désignaient.  Un  ci-devant 
noble  porte  l'audace  jusqu'à  mettre  ses  anciennes  qualités  sur  le 
procès-verbal,  et  son  nom  est  maintenu,  malgré  la  réclamation  du 
commissaire  du  directoire  exécutif. 

*  Les  républicains  sont  insultés,  chassés  et  traînés  dans  les  ca- 
chots. Des  massacres  avaient  préludé  à  ces  royales  machinations; 
ils  ne  faisaient  qu'annoncer  le  sang  qui  devait  couler  dans  des 
circonstances  bien  plus  graves,  au  milieu  des  assemblées  du  peu- 
ple. 

»  Des  rassemblemens  de  brigands  royalistes,  des  troupes  d'é- 
migrés, des  compagnies  de  Jésus  troublent  les  assemblées,  por- 
tent l'épouvante,  dispersent  les  républicains,  incendient  les  pro- 
priétés des  acquéreurs  de  biens  nationaux. 

»  Secondés  des  torches  du  fanatisme  ,  des  prêtres  parcourent 
les  cam|  agnes,  forcent  leurs  sectaires  d'aller  aux  assemblées,  et 
leur  donnent  des  bulletins;  d'autres  en  distribuent  au  confes- 
sionnal. Un  club  de  moines  exige  des  citoyens,  et  ensuite  des  élec- 
teurs, le  serment  de  ne  nommer  que  des  personnes  attachées  à  la 
royauté.  Croirait-on  qu'il  y  a  des  individus  assez  simples  pour  se 
persuader  qu'ils  sont  liés  par  un  tel  serment  ?  EnHn  des  njande- 
mens  d'evêques  viennent  mettre  le  sceau  à  toutes  ces  pratiques 
du  chailaianiime  et  de  la  fouiberie.  Un  accusateur  public  lance 
près  de  cent  mandats  d'arrêt  contre  les  meilleurs  républicains. 

>  Dans  une  assemblée  primaire  de  Moriagne,  deux  citoyens 
irréjjrochables  expiient  victimes  de  leur  civisme;  uu  grand  nom- 
bre sont  blessés.  On  refusa  d'entendre  des  témoins  sur  cette  hor- 


ÂÙ   iÈ  FàUCTIDOk   ÀlN   V    (4   SEPTEMBRE   1797).  4Î9 

riblè  affaire  ;  mais  on  reçût  lés  déclarations  dés  assassins ,  et  îê 
principal  moteur,  Berihelot ,  fut  dépuié  au  corps  législaiif. 

»  Avec  une  impudence  qui  n'avait  point  d'exemple ,  et  qui , 
au  moins,  nous  l'espérons,  ne  sera  pas  imitée  désormais ,  on 
porta  aux  assemblées  électorales  des  ci-devant  nobles,  des  pères, 
beaux-frères  d'émifjrés,  des  chouans,  et  en  général  des  hommes 
bien  connus  par  leur  haine  contre  là  révolution ,  et  leur  dévoile- 
ment à  la  royauté.  Le  scandale  de  ces  assemblées  électorales  fut 
porté  à  un  excès  dont  la  certitude  seule  de  la  contre-révolution 
peut  donner  la  raison,  et  tout  le  monde  a  su  que,  dans  plusieurs 
de  ces  as>emblëes,  on  n'accepta  le  litre  de <lépulé  que  d'après 
l'autorisation  et  les  ordres  des  commissaires  dii  prétendu  roi. 
Ainsi  les  noms  les  plus  fameux  parmi  les  côntre-révolulionnai- 
rés  vinrent  s'unir  à  ceux  d'entre  eux  que  vendémiaire  avait  déjà 
placés  dans  Cette  enceinte. 

»  À  peine  sont-ils  arrivés,  que,  sûrs  de  leur  triomphe,  ils  trai- 
tent les  républicains  avec  insolence;  ils  se  pelotonnant  dans  une 
partie  de  la  salle  qui  les  met  à  portée  d'avoir  une  influencé  mar- 
quée sur  le  bureau  et  sur  la  tribune.  La  fureur  est  dans  leurs 
yeux ,  et  l'outrage  dans  leur  bouche  :  i's  imitent  pour  la  royauté 
tous  les  excès  dont  des  hommes  violens  avaient  usé  pour  \x  Ré- 
publique ;  ils  apportent  à  la  tribune  le  langage  de  la  cour  du  pré- 
tendant et  de  la  cor/  espondance  des  émigrés. 

»  Dès  le  mois  fructidor  de  l'an  IV,  Lemèrer,  cet  internfîédiài^é 
des  agens  d^  Louis  XV 111  avec  le  club  de  Glichi,  expri.he  à  cette 
tribune  ses  regrets  sur  la  chute  du  tyran,  ei  insuke  au  10  août  \1J. 
Pasioiei  et  consoits  plaident  la  cause  des  agens  royaux,  Duuan, 
Brotiier,  Lavilleheurnois,  mis  en  jugement  devant  une  comu/ià- 
sion  militaire.  On  a  rimpudeme  de  combaiire  le  projet  de  réso- 
lution d'après  lequel  les  nouveaux  élus  devaient  prêter  le  serment 
de  haine  à  la  loyauié.  On  piopose  d'eniraver  l'exercice  du  droit 
que  la  Constitution  attribue  au  directoirîi  exécutif  de  &uspeDr> 

(I)  «  Ce  Lemercr  avait  tôtit  \usie  ta  figure  de  ftofcesV'érr^.  D^s  fciyàltsfes  di- 
saient 9ue,  parmi  tous  ces  coquins,  il  n'y  en  avait  qu'un  qui  ùhiti  droit  an  b'trf, 
c'était  Leniërér,  et  que  Diiraolàrd  n'élâii  aupr^s  de  lui  qu'iin  bavard  pcnrénx.  >/ 


42U  DIRECT.    -—    DU    1^1    PRAIR.    AN    V    (20    MAI    1797) 

(ire  el  de  destituer  les  adminislraiions.  Boissy  d'Anglas,  au  mé- 
pris de  la  Constitution  ,  propose  de  modifier  les  lois  sur  les  émi- 
grés en  changeant  le  mode  de  leur  jugement. 

>  Mais  à  peine  leur  horde  est-elle  fortifiée  des  royalistes  entrés 
en  prairial ,  qu'ils  ne  gardent  plus  aucune  mesure. 

*  Rappeler  les  députés  exclus  par  la  loi  du  3  brumaire ,  tels 
que  Job  Aimé,  dont  le  nom  est  lié  à  tous  les  crimes  du  Midi  ; 
Mersan ,  correspondant  des  agens  de  Louis  XVIII  ;  ne  reconnaî- 
tre de  validité  dans  les  nominations  qu'autant  qu'elles  sont  faites 
pour  la  royauté;porter  au  directoire  ce  Barthélémy,  signalé  dans 
la  correspondance  de  Lemaîire  ;  Barthélémy,  qui  correspondait 
avec  ce  Barthès,  auteur  de  la  tragédie  de  Louis  XV ly  émigré,  an- 
cien secrétaire  du  comte  d'Artois;  qui ,  par  les  ordres  de  celui- 
ci,  avait  fait  des  courses  dans  un  grand  nombre  de  provinces  du 
royaume  pour  faire  chérir  la  cause  auguste  de  la  maison  de 
France;  qui  ne  se  pardonnait  pas  de  ne  s'être  pas  fait  lier  der- 
rière la  voilure  de  monseigneur  depuis  qu'il  l'avait  laissé  à  Tu- 
rin; Barthélémy,  connu  dès  le  temps  de  la  Convention  nationale 
comme  protecteur  des  émigrés,  et  qui  écrivait  à  Barthès  que 
sa  radiation  qu'il  sollicitait  aurait  déjà  été  obtenue  si  Barthès  n'y 
avait  pas  lui-même  fait  obstacle;  qu'après  s'être  manifesté  comme 
il  l'a  fait,  il  ne  croit  pas  qu'il  puisse  mettre  le  pied  sur  le  terri- 
toire français  (1);  renouveler  les  inspecteurs;  ouvrir  toutes  les 
portes  aux  émigrés,  rappeler  les  prêtres  déportés ,  ôter  au  di- 
rectoire toutes  les  ressources  pécuniaires,  lui  enlever  toute  espèce 
de  confiance,  allumer  les  torches  du  fanatisme;  excuser  à  la 
tribune,  encourager  fassassinat ,  donner  des  éloges  à  la  tiahi- 
son  (2),  tels  sont  les  premiers  pas  qu'ils  font  dans  la  carrière  de 

(1)  «Lorsque la  faclinn  royale  a  porté  BarllicMemy  au  directOTO  ellr*,  lui  accola 
le  duc  d'Ursel.  Anpereau  ,  qui  venait  de  présenter  soixante  drapeaux  au  nom  de 
l'armée  d'Italie;  Ma&séna,qui  Tenait  d'apporter  les  préliminaires  de  la  paix, 
eurent  l'un  et  l'autre  qudre-vingl-sepl  ou  quatre-\inp:t-huil  voix  de  rejet.  Quelle 
dérision  I  En  (général ,  la  liste  des  Ctindidats  pour  la  nomination  d'un  membre  du 
direc  toire  est  un  monument  curieux.  » 

(2)  «  Le  représentuit  Gilberl-Desmoliéres  disait  souvent  qu'il  ferait  mourir  de 
faim  le  gouvernemcut  ci  les  dirertcurs. 

»  Vjllaret-.îoyeuse  soutint  à  la  tribune  que  la  trahison  de  Sercey  et  la  révolte 


AU    18   FRUCTIbOK    AN    V    (  4   SEPTEMBRE    1797).  1^1 

la  contre-révolution  (1).  Ils  colorient  ces  mesures  des  mots  im- 
posons de  justice  et  cC humanité;  mais  bientôt  ils  s'enhardissent. 
Ils  avaient  frappé  l'opinion  de  leurs  internions;  ils  avaient  con- 
firmé les  espérances  des  royalisies,  porté  le  désespoir  dans  l'ame 
des  républicains;  il  fallait  après  cela  créer  les  moyens  d'action. 
Des  {généraux  leur  en  imposaient  ;  il  fallait  paralyser  ces  terribles 
armées.  Un  Wiilot  se  charge  d'attaquer  Hoche  ;  un  Dumolard 
aiiaque  Bonaparte.  Pichegru,  que  ses  trames  ont  amené  au  corps 
législatif,  l'infâme  Pichegru  propose  son  organisation  de  garde 
nationale ,  et  compte  encore  au  nombre  de  ses  moyens  son  in- 
fluence sur  les  armées  (2).  Wiilot  propose  une  organisation  de 
la  gendarmerie  combinée  de  manière  qu'il  n'y  entrât  pas  un  offi- 
cier de  la  révolution.  Mais  comme  il  faut  encourager  tous  nos  en- 
nemis à  la  foi ,  Pastoret  plaide  la  cause  des  Anglo-Américains  ; 
Vaublanc  appelle  de  nouveaux  massacres  sur  les  plages  infortu- 
nées de  nos  colonies  ;  Imbert-Goîomès,  ce  confident,  cet  agent 
du  prétendant,  ce  complice  des  émigrés,  a  l'audace  de  monter  à 
la  tribune  pour  se  plaindre  qu'on  ne  peut  correspondre  en  toute 
liberté  avec  eux  (5). 

de  quelques  habitans  de  l'Ile-de-France  méritaient  les  honneurs  de  la  mention 
honorable.  » 

(\)  «  On  repoussait  toutes  les  pétitions  lues  à  la  tribune  dans  lesquelles  on 
déoooçaît  les  assassinats;  les  pétitionnaires  étaient  des  calomniateurs  ou  des  ex- 
closifs;  et  vite  Dumolard  faisait  passer  à  l'ordre  du  jour.  » 

(2)  «  L'organis'ition  des  grenadiers  et  chasseurs  mérite  d'être  remarquée  ,  et 
peut  servir  de  modèle  aux  coo  urés  à  venir.  » 

(5)  «  Lettre  adressée  à  Imberl-Colomès  par  Coudé.  —  iLe  roi  a  jugé  à  propos 
d'envoyer  à  Lyon  M.  de  Besignan,  etc.  »  Cette  lettre  est  citée  plus  haut  dans 
VHiktoire  pai'lementairc. 

»  —  J'ai  voulu,  dii  Imbert-Colomès ,  m'assurer  de  sa  réalité  (de  cette  lettre  à 
»  lui  adressée  par  Condé.  )  J'ai  cru  de  mon  devoir  d'écrire  à  M.  le  prince  de 
»  Condé,  qui  m'a  répondu  n'avoir  remis  aucun  écrit  à  Besignan-,  et  j'ai  sa  ré- 
»  ponse  dans  mes  mains.  Certes  je  ne  ferai  pas  l'honneur  à  Barras ,  Rewbell  et 
j»  Lepaux,  de  mettre  en  opposition  leur  témoignage  avec  celui  de  M.  le  prince 
n  de  Coude;  et  comment  ce  prince  aurait-il  pu  donner  une  telle  lettre,  tandis 
»  que,  d'un  autre  côté,  je  suis  parvenu  à  acquérir  la  certitude  que  le  roi  n'avait 
»  donné  aucun  témoignage  de  confiance  à  M.  Besignan  ? 

»  Je  ne  suis  pas,  dites-vous,  républicaiu.  Mou  opinion  est  à  moi  ;  je  n'ai  aucune 
«  espèce  de  comptée  vous  en  rendre.  Il  m'était  1  brc  de  ponscrtiuela  France  joui- 
I»  fait  de  plus  de  repos  et  de  vraie  liberté  sous  une  monarchie  sagement  tempérée. 

•'  Je  réponds,  dit-il,  que  cette  lettre  étant  écrite  par  une  tierce  personne, 


422  DIRtCT.  —  DV   1er  pRAlU.   AN    V   (  20  MAI  1797) 

»  Penx  membres  du  directoire  exécuiif  sont  dignes  en  tout  de 
semblables  législateurs;  ils  paralysent,  ils  déjouent  tous  ks  ef- 
forts (lu  gouvernemenî.  Carnot  nie  qu'il  se  commette  des  assas- 
sinats, et  s'oppose  constamment  à  la  drsitution  de  Willot.  En- 
nemi jadis  implacable  de  Pichegru ,  depuis  que  celui-ci  est  eniré 
au  corps  législatil",  il  le  voit  tous  les  jours  dans  le  secret  et  l'inti- 
mité.  Pioiecteur  déclaré  des  rois  ,  il  s'écrie  ,  lorsque  des  direc- 
teurs républicilins  faisaient  des  propositions  honorables  pour  la 
France  :  vous  voulez  donc  opprimer  l' empereur  !  Il  n'y  avait  pas 
jusqu'à  1  existence  politique  du  pape  qui  ne  lui  fut  chère.  11  pi  é- 
tendait  changer  en  auant  de  royaumes  toutes  nos  conquêtes,  et 
la  création  surtout  d'un  royaume  de  Lomhardie  flattait  singul  è- 
rementson  imap,ination.  Barthélémy  témoignait  par  de  graves  in- 
flexions de  tête  combien  cette  doctrine  lui  convenait  (1). 

»  quelque  grave  que  soit  son  autorité,  ne  peut  m'être  présentée  comme  pièce  de 
»  coiivict  on.  Quoi  !  pirce  que  M.  le  prince  de  Conlé  m'avait  recomnandé  nn 
•  homme  qu'il  dit  liouoré  d  •  la  coufiance  du  r>»i,  on  c  nclut  que  j'ai  con>piré! 
»  Croii-ciu  que  L<»uls  XVIII  a  ppr.iu  de  vue  la  France?  Et  parce  que  le  roi  au- 
^  rait  su  que  je  ii'étais  pas  un  scélérat,  parce  qu'il  lui  aurait  p'u  de  me  désigner 
»  comme  un  homme  qu  il  estimait ,  il  s'ensuit  que  j'ai  conspiré  1  » 

»  On  ne  commeute  pus  de  tels  écrits;  mais  leurs  auteurs  el  1  urs  complices, 
quand  ils  sont  décDuv»  ris,  doivent  avoir  une  haute  idée  del'humauité  de  ceux 
qui  se  cuuien  cnt  de  les  chasser.  » 

(i)  «  Ce  u'tst  pas  seulement  en  soutenant  l'Antriche  et  en  disant  qu'on  voulait 
l'opprimer  que  Carnot  déceiait  le  fcyslènxe  qu'il  suivait  secrètemtnt  pour  perdre 
la  Képubt  que. 

»  Lorsqu'on  traitait  les  affaires  de  la  Hollandp,  lorsqu'on  discutait  le  projet 
de  traite  dans  letjiiel  on  voulait  tenir  loy;)lemrnl  la  promc.»se  faite  à  celle  répu- 
b'iqu«  i»aissauie  de  ne  pas  séparer  nos  in  éféis  d(  s  si»  us;  lors  ;u'on  calculait  les 
moyens  durracher  ce  pays  aux  déchirem  us  d.>nl  les  sladlhoudériens  et  les  anar- 
chistes le  meuîtç  lient  également  ;  lorscju'on  cherchait  les  mesurera  prendre  pour 
y  constituer  nn  pouvcruenienl  et  assurer  la  liberié,  Cijrnoi  soutenait  qu'il  (allait 
saciifier  la  Il.tllan  lo,  que  son  sort  devait  nous  être  indilTérenl,  que  nous  ne  de- 
vions pas  nous  iiKiiiié.cr  si  lAnglclerre  gardait  (juelque  chose  de  ses  propriétés; 
«  Qu'ils  se  l'iillcnt  eu:rc  eux  au  surplus  tant  qu  iU  voudront ,  disait-il;  il  u'y  a 
1)  p^8  de  mal  h  ecta  pour  nous.  » 

j)  Lorsque  les  tronpt  s  de  la  Répnl)lique  dt  fendaient  Kohi  avec  tant  de  courage, 
Carnol  soutenaii  que,  ce  loit  ne  pouvant  pas  eirc  cnnst  r\é,  c'était  folie  de  le  dé- 
tendre. Cepcnd'nl  s^ms  la  longue  défense  qui  s*eu  fit,  l'arniéequi  était  retenue 
devant  ce  poste  eût  été  au  secours  des  troupes  im()ériales  en  Italie. 

n  Lorsqu'il  fut  quesli(m  du  dernier  passage  du  Khin,  Carnot  le  retardait  tou- 
jours, niaIpr(M[u'<-n  lui  représenl.U  ^ans  cesse  combien  cette  diversion  serait 
mite  ft  farinée  (l'iiallc.  Il  soutenait  toujours  que  le  passage  n'était  pas  pratica- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE  1797).  425 

>  Nonç  ne  savons  où  étaient  les  dupes  ;  mais  If  s  républicains  ni 
les  royalis  es  ne  se  trompaient  pas  sur  tant  et  de  si  criminelles 
entreprises. 

»  Cependant  l'effet  de  la foulre  n'est  pas  plus p^-ompt.  Toutes 
les  horreurs  dont  j'ai  déjà  tracé  l'effroyable  esquisse  redoublent; 
Taffluence  des  émigrés  et  des  prêtres  déportés  s'accroît  de  toutes 
parts  :  les  uns  s'arment,  se  mettent  par  bandes,  portent  partout 
l'effroi  et  l'assassinat,  tandis  que  les  autres,  forts  de  l'empire 
qu'ils  ont  sur  les  esprits  faibles,  sèment  les  divisions  et  la  guerre 
civile.  ^ 

>  Les  arbres  de  la  liberté  sont  coupés  avec  plus  de  fureur  ;  les 
chouans  sont  complètement  réorgan'sés;d<  s  compagnons  de  Jé-^ 
sus,  des  royalistes  organisés  en  colonnes  mobiles,  desréquisition- 
naires  déserteurs  ajoutent  encore  à  l'effroi.  Une  proclamation  de 
Louis  XVIll  circule  dans  plusieurs  départemens.  Il  semble  qu'il 
n'y  ait  plus  d'asile  pour  les  républicains. 

»  Lps  acquéreurs  de  biens  nationaux  sont  menacés  plus  que  ja- 
mais; les  attaques  qu'on  leur  porte ,  accueillies  dans  le  cor[.s  lé- 
gislatif, décident  leur  entière  proscription  :  ils  sont  de  nouveau 
insultés,  pill's,  chassés;  leurs  récoltes  sont  dévastées,  incendiées. 
Des  fonctionnaires  publics  sont  même  accusés  d'être  au  nombre 
despilards;  on  met  à  leur  porte  des  placards  terminés  par  les 


ble ,  que  tout  n'était  pas  prêt,  quoi.jue  toute  l'armée  puisse  attester  le  contraire. 
Il  ne  voulut  pas  seulement  feindre  la  tentative  du  passage,  ce  qui  eût  attiré  des 
lroupçaiiiipériaKsdececùié,eteùi  soulagé  et  encouragé  l'armée  d'Italie,  qui  était 
dans  une  pobiiion  fàcheu'^e.  Il  Jivail  même  écrit  à  l'armée  d'Italie  que  celle  du  llhin 
ne  pourrait  passer  ce  fleuve  que  dans  deux  mois  au  pins  lôt.  C'est  dans  cet  état 
de  ch  ses  qu'on  fit  le  traiié  de  Leobeu,  où  l'on  Ot  des  sacrifices  qu'on  a'«  ut  pas 
fai!s  si  l'ennemi  i  ùi  été  attaqué  de  deux  côé".  La  >ignature  de  ce  traité  transpire, 
et  Ca.  not  vient  tout  à  coup  avec  toutes  les  dispositions  prêtes  pour  le  possage  du 
Khin  ,  qui  fui  ordonne  le  même  jour. 

»  Sous  un  auti  e  rapport,  Caruol  arrêtait  les  progrès  de  la  considéralion  que 
la  République  acquérait  au  dehors.  Sons  prétexte  d'uue  écon.  mie  .res-maTen- 
teodue,  puisquelle  tendait  à  l'avilissem "nt  de  la  Répul»liqne,  il  proposa  de  ne 
nommer  aucu  i  ambdssadcur;  il  ue  >oulait  que  des  charges  d'affaires  :  de  là  se- 
rait résulté  que  les  envoyas  de  la  République  eussent  eu  partout  le  dernier  pas, 
lorsqu'au  contraire  les  ambassadeurs  de  France  l'ont  sur  tous  les  autres,  excepte 
sur  feux  de  la  Confédération  germanique.  » 


1^  DiKbCT.  —  l>i;    l*''     PhAlK.    AN    V    ^  :iU    MAI    1797). 

inofs  de  i'ive  le  rui,  périssent  les  rèjmbikaïnsl  L'impunité  conti- 
nue d'enhardir  tous  ces  briganda/^es. 

». Les  prêtres  dëporlés  sont  accueillis  avec  plus  d'empiesse- 
nient  que  jamais  par  les  adm  nistraiions.  lis  rentrèrent  avec  bien 
plus  d'empressement  quand  une  motion  d'ordre,  laite  au  conseil 
des  cinq-cen»s,  et  fort  bien  reçue,  leur  donna  la  mesure  de  leurs 
espérances;  et,  pour  faire  honneur  au  digne  membre  de  son  ou- 
vrage, ces  forcenés,  joignant  le  ridicule  à  l'atrocilé,  font  attacher 
par  des  imbéciles  une  croix  à  un  arbre  de  la  liberté,  avec  cette  in- 
scription :  Tremblez,,  infâmes  Jacobins,  et  reconnaissez  la  croix  de 
votre  maître! 

»  Ils  distribuent  des  catéchismes  contre-révolutionnaires  ;  pré- 
sident des  rassemblemens  séditieux ,  insultent ,  menacent  les  fonc- 
tionnaires publics  ;  prêchent  sans  cesse  contre  la  République  ; 
proscrivent  les  patriotes;  se  créent  une  garde  de  ceux  qu'ils  trom- 
pent et  corrompent,  au  moyen  de  laquelle  les  agens  de  l'auto- 
rité sont  méconnus,  repoussés,  assassinés;  ceux  d'entre  eux  qui 
sont  portés  sur  des  listes  d'émijjrés  obtiennent  avec  facilité  des 
certilicais  de  résidence;  en  un  mot, c'est  a  eux  que  l'on  doit  i)lus 
parliculièremenl  l'entière  corruption  de  l'esprit  public  (1). 

»  Mais  c'est  surtout  dans  les  départemens  de  la  ci-devant  Bel- 
{;i(iue  qu'une  main  cachée  les  excite  à  porter  leurs  ravages;  ils 
ont  l'activité  de  la  flamme  :  écrits  empoisonnés,  complots  contre 
la  tranquillité  publique,  miracles,  prédications  atroces,  à  la 
suite  desquelles  des  fonctionnaires  publics  et  des  citoyens  sont 
assassinés  ;  ils  emploient  tout  ce  que  l'ambition ,  la  rage  et  la 
fourberie  peuvent  fournir  de  moyens  ;  ils  refusent  de  reconnaître 
aucune  loi  ;  ils  empêchent  la  vente  des  biens  nationaux.  Des  roya- 
listes endoctrinés  par  des  moines  ourdissent  le  projet  d'assassiner 
les  républicains. 

(I)  "La  dernière  députalion  du  Pu> -dj-Doiiie  elail  l'œuvre  du  fanatisme  oi  dr 
la  corruption  ;  elle  rcnformail  un  Bovrot ,  le  premier  des  royalisies  de  lEurope , 
Bodnai.ex-évéque  de  Clermont,  président  des  fds  légitimes  du  département, 
avait  ordonne  à  ses  prêtres  de  refuser  lalisoluliun  et  de  déclarer  en  clat  dr  péché 
inorlcl  tous  crux  qui  ne  se  rendraient  pas  aux  assemblées  primaires,  commu- 
nales et  cJectorales,  et  qui  ne  Toléraient  pas  ainsi  «lu'il  leur  était  prescrit. 


AL    18   FKtCTlbOR    AN    V    (4   SEPlEilBRE    1797).  1^5 

>  lis  étaient  les  proté^jës  et  même  les  guides  des  membres  de 
plusieurs  autorités  constituées  ;  aussi  est-il  impossible  de  ne  pas 
présenter  en  même  temps  le  résuliat  de  leur  conduite.  Les  prê- 
tres priaient  pour  l'empereur  en  di^a^)t  leurs  messes ,  tandis  qu'on 
criait  :  Vive  C empereur  !  dans  les  rues. 

»  Lorsqu'on  apprit  la  confirmation  des  élections  faites  à  l'au- 
berge de  rOurse,  à  Anvers,  il  y  eut  à  Malines  une  réjouissance 
royale,  et  illumination  ,  dans  laquelle  on  aifecta  de  faire  paraître 
des  fleurs  de  lis. 

»  Une  municipalité  annonce  qu'on  peut  se  dispenser  déporter 
la  cocarde.  Des  municipaux  refusent  de  prêter  le  serment  de 
haine  à  la  royauté;  d'autres  de  faire  des  poursuites  contre  des 
prêtres  réfractaires.  Une  administration  chasse  les  patriotes  de 
ses  bureaux  ;  une  autre  fait  disparaître  du  lieu  où  elle  s'assemble 
tous  les  signes  de  la  liberté  ,  et  parcourt  plusieurs  cantons,  pré- 
cédée de  musiciens  qui  chantaient  le  Réveil  du  peuple;  une  autre 
administration  est  obligée  de  prendre  un  arrêté  pour  empêcher 
de  jouer  la  tragédie  de  la  Mort  de  Louis  XVI.  Notre  devoir  nous 
oblige  de  dire  que  ces  désordre^  datent  particuhèrement  du 
voyage  de  Bénézech. 

>  Ce  concours  des  fonctionnaires  publies  et  des  prêtres  à  por- 
ter le  découragement,  à  provoquer  le  desordre  et  le  meurtre  , 
l'impunité  dout  ils  jouissaient  tous,  avaient  tellement  enhardi  les 
mauvais  citoyens,  que,  dans  un  pays  conquis,  réuni  nouvellement 
à  la  France,  où  le  gouvernement  doit  être  plus  vigoureux  et  la 
circonspection  plus  grande,  on  chantait  cependant  publiquement 
des  hymnes  en  l'honneur  du  prince  Charles  ;  en  voici  une  stro- 
phe : 

Uux  Carole , 
Héros  invicibilis, 
Adeslo  nostris  prceliis  ; 

Dui  Carole, 
Pugna  pro  nobis  ! 

»  Ce  sont  Its  mêmes  souhaits  que  ceux  de  Pichegru  et  de  ses 
amis  de  Strasbourg. 

»  Les  émigrés  ne  fureut  ni  moins  assures  ni  moins  fui  ieux  i\uc 


fM 


t^Ô  DIRECT.  —  BU    1"   PRAIR.    AN    T   (  20   MAI    17î»7  ) 

les  prêtres  quand  ils  virent  leurs  députes  dans  le  corps  législatif, 
la  rentrée  de  ceux  exclus  par  la  loi  du  3  brumaire,  et  touies  les 
propositions  qui  se  succédaient  avec  tant  de  rapidité  pour  assu- 
rer leur  retour  et  !eur  réinlé^jfdtion  dans  leurs  biens. 

t  Des  énii(3['és  du  ci-devant  régiment  Royal  Allemand,  rentrés 
sur  de  simples  feuilles  de  route,  enrôlent,  en  messidor  et  iher- 
mifJor  an  V,  au  nom  de  Louis  XVIII,  dans  les  dépariemens  du 
Rhône,  IlIe-et-Vilaine,  Haut  et  Ras-Rliin.  Ils  se  vantaient  qu'ils 
forceraient  bientôt  les  républicains  à  courir  à  leur  tour  chez  l'é- 
tranger ;  ils  se  disaient  sûrs  des  monlagries  du  Jura,  du  Doubs, 
de  l'Ain,  de  l'Isère,  gngaées  à  leur  parti  par  des  prêtres  réfrac- 
laires  :  ce  qui  concoide  parfaitement  avec  les  faits  contenus  dans 
la  correspondance  de  Klinglin. 

»  Dt  s  compagnies  de  Jésus  répandues  dans  les  départemens  du 
Rhône,  de  l'Allier  et  del'Ardèche;  des  émigrés,  des  chouans, 
des  préires  dans  le  Calvados,  forment  des  tribunaux  qui  déci- 
dent de  la  vie  et  de  la  mort  des  républicains  ,  et  font  exécuter 
leurs  ju^emens  par  des  bandes  armées.  De  tous  les  moyens  de 
terreur  imaginés  par  les  royalistes  dans  ces  derniers  temps,  il 
est  le  plus  :iuducieux  et  le  plus  épouvantable. 

>  Ma'gré  que  la  terreur  fùi  grande  ,  que  les  officiers  publics 
n'osassent  poursuivre  aucun  des  scélérats  dévoues  à  la  cause 
royale,  et  qu'ils  craignissent  niéuie  d'envoyer  à  la  police  leur 
écriture  déguisée,  sans  signature,  cependant  la  liste  authentique 
des  assassinats  ,  parvenue  à  travers  tant  de  frayeurs,  offre  en- 
core le  tableau  le  plus  déchirant.  Plus  d^^  vingt-six  dépariemens 
sont  v^ouil  es  par  des  crimes  dont  les  détails  font  fi  émir  :  des  fem- 
mes mises  en  morceaux ,  des  enfans  tombant  à  côté  de  leui  s  mè- 
res, des  citoyens  massacrés  au  milieu  de  leurs  famifles  ;  telles 
sont  les  bon*'  urs  com-rnses  par  ces  hommes  qui  prennent  le  titre 
{Xhonnêtcs  gens,  qui  sont  du  parti  des  honnêtes  gens  ;  Irlles  sont 
les  honeurs  sur  lesquels  s  gémissait  et  que  voyait  avec  effroi 
ci'lte  baronne  de  Reich ,  corropoudante  des  émigrés,  tandis  que 
des  repré^entans  du  peuple  ,  <jue  dis-je  !  ils  ne  méf  itèrent  jamais 
ce  nom,  et  eux-iiêmes  disaient  (ju'ils  n'étaient  pas  nos  collé- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  y  (4  SEPTEMBRE  1797).  427 

gués ,  tandis  que  les  brigands  usurpateurs  qui  vinrent  ici  pren- 
dre place  au  nom  d'un  roi  excusaient  à  celte  irihune,  légiti- 
maient ces  meurtres ,  accabla  ent  d'outrages  et  d'injures  les 
membres  de  cette  assemblée  qui  osaient  demander  qu'on  ouvrît 
enfin  les  yeux  sur  tant  d'atieniais! 

»  Tandis  qu'on  répandait  ainsi  la  consternation,  on  organisait, 
on  régularisait  les  moyens  d'arriver  à  l'événement  qui  devait 
couronner  les  efforts  des  royalistes  :  des  eorrespondanci  s  d'hom- 
mes intéressés ,  et  des  usurpateurs  du  titre  de  représentant  du 
peuple,  indiquent  les  progrès  de  la  conjuration. 

»  Un  chef  de  chouans  bien  connu  éi^rivait  de  Londres  :  «  Cha- 
»  cun  de  nous  brûle  ici  du  désir  de  se  rendre  à  Paris  pour  com- 
»  poser  la  garde  nationale  et  défendre  les  législateurs...  Je  vous 
»  les  adresse  (les  émigrés)  par  douze  et  par  quinze,  suivant  vos 
»  instructions,  et  j'ai  la  précaution  de  ne  choisir  que  ceux  qui 
»  vont  pour  leurs  affaires,  et  qui  ont  là  leurs  familles ,  afin  qu'il 
»  n'en  coûte  rien  à  la  bourse  commune.  » 

»  Un  ém'gré  rentré  écrivait  de  Lyon  :  c  On  vient  d'afficher  la 
»  réorganisâiion  de  la  garde  naiionale;  il  faut  donc  mettre  de 

>  coté  toutes  les  petites  considéraiions  personnelles  pour  être 
»  utile  à  la  bonne  cause!  Me  voilà  à  la  veille  de  porter  1  uniforme 
»  national  ;  mais  je  n'en  imposerai  pas  avec  ccî^cosiume  à  quicon- 
»  que  me  connaîtra  comne  toi.  Qu'importe  sous  qnel  habit  on 

>  serve  son  pays  selon  son  cœur  î  Ce  sera  pour  toi  un  nouveau 
»  motif  de  m'e&timer,  car  ce  sera  un  violent  service ,  je  t'en  ré- 
i  ponds.  » 

»  Duiheil,  agent  de  Louis  XVHl  à  Londres,  le  même  désigné 
par  Duverne  de  Presle  comme  son  correspondant,  écrivait  à  un 
émigré  rentré  :  «  Je  ne  cor  çois  rien  à  vos  difficultés  sur  l'arme- 
»  ment  de  la  garde  nationale.  Est-ce  que  Piche^ru  n'a  pas  dit 
»  qu'elle  serait  armée  par  les  arsenaux  de  la  République?  » 

»  On  conn;«îi  les  démarches  de  (\eu\  administrateurs  du  dépar- 
tement de  la  Seine  auprès  des  municif)alités  de  Paris  pour  les  in- 
viter à  or()aniser  la  ganJe  niitionale,  et  à  en  éloigner  les  hom- 
mes connus  par  leur  républicanisme. 


428  DIRECT.  —  bU    1er    VKXitx.    AN    V    [20   MAI    1797) 

»  Saint-Ghristol ,  qui,  à  la  tête  d'u»  rassemblemenl  de  bri- 
gands, avait  pris  la  citadelle  du  Saint-Esprit  aux  cris  de  Vive  Le 
roi/ lit  une  proclamaiion  dans  laquelle  il  Invitait  le  peuple  à  se 
lever  contre  le  directoire  et  à  se  rallier  à  Willot  et  Piclie{;ru,  ^ui 
hienlôt  combattront  avec  lui  sous  les  étendards  de  La  vraie  liberté. 
L'attroupement  était  de  onze  à  douze  cents  hommes;  un  grand 
nombre  d'enrôlés  devaient  les  joindre...  Mais  le  48  fructidor  les 
arrêta. 

»  Plus  de  trois  mille  individus,  tant  émigrés  que  prêtres  ,  at- 
tendaient dans  le  pays  de  Nassau  que  kurs  bons  députés  portas- 
sent une  loi  pour  les  faire  rentrer. 

>  Des  royalistes  annonçaient  dans  le  midi,  peu  de  jours  avant 
le  18  fructidor,  qu'avant  une  décade,  Louis  XVIII  serait  proclamé 
roi.  Un  chef  de  correspondance  de  l'agent  royal,  dans  le  dépar- 
tement de  l'Ain,  avait  dit  que  le  coup  des  royalistes  devait  écla- 
ter avant  la  fin  de  sepleinbre ,  que  tout  était  prêt.  Une  kttre  de 
Paris,  dont  l'écriture  ressemblait  à  celle  d'un  député  qu'on  ne 
nommait  pas ,  portait  :  «  Nous  sommes  ici  sur  un  volcan  ;  Vérup- 
»  tion  ne  lardera  pas  à  se  faire,  et  je  puis  vous  assurer  qu'elle 
»  sera  terrible  pour  les  républicains  (1).  » 

>  A  l'étranjyer  on  s'attendait  à  un  changement  total,  et  dans 
un  bulletin  ministériel  on  ajoutait  :  C'est  pourquoi  notre  ministre 
ne  se  presse  pas  de  faire  la  paix. 

»  Les  correspondances  des  royalistes  annonçaient  le  même 
espoir  et  la  même  sécurité  sur  les  événemens.  Une  lettre  d'AI- 
tona  à  L.  Vii'ior  le  Français,  à  Gaen  ,  est  ainsi  conçue  :  «  Faites- 
»  moi  le  p'aisir,  mon  cher  voisin,  de  m'envoyer  un  passeport  de 

Tiniérieur.  Je  sais  qu'il  est  facile  d'en  obtenir  ;  je  sais  en  outre 
»  qu'ils  coulent  10  francs.  > 

»  Une  autre,  datée  de  Sainl-Eiieiine,  adressée  à  un  nommé 
Pujol  :  «  iMon  fils  aîné  ,  qui  est  auprès  do  moi,  se  chargera  avec 

(I)  -  Les  adininistralcurs  de  la  Dvàiue  ont  public  la  lellrr  d'un  rpprrstntanl 
«juiaanonvait,  au  comiueucemcnl  de  friK-lidor,  qu'il  >  aurait  bientôt  un  .")!  mai 
PU  faveur  des  hounéles  ffcn.<.  » 


Al)   18    FRUCTIDOR   AN    Y    (  4   SEPTEMBRE    1797).  4^9 

>  empressement  de  procurer  à  la  personne  en  question  des  passe- 
»  ports  nécessaires  et  des  certificais  de  résidence.  > 

»  Une  autre ,  de  Toulon ,  adressée  à  M.  Bares ,  à  Wiberlingen, 
sur  le  îac  de  Constance,  en  Souabe  :  «  J'arrive  de  la  grande 
»  ville  (Lyon);  j'y  ai  appris  que  dix  gardes-du-corps  y  étaient  ar- 
))  rivés  munis  de  passeports  et  de  certificats  de  résidence  de  l'île 

>  de  Corse  bien  authentiques.  > 

»  Une  autre  :  «  Nous  sommes  tous  dans  notre  bonne  ville 
»  (Lyon);  l'esprit  est  excellent  dans  tous  les  genres;  elle  est 
»  pleine  des  revenus  de  l'étranger.  » 

»  Autre  :  «  L'on  envoie  des  passeports  aux  officiers  de  l'ar- 
»  mée  de  Gondé  ;  des  individus,  venant  de  Paris,  ont  apporté  jus- 
»  qu'à  deux  cents  passeports;  le  colonel  Roland ,  de Romans- 
»  Moutier,  dans  le  pays  de  Vaud  ,  est  chargé  de  la  distribution  ; 
»  on  en  distribue  en  outre  à  Hambourg  ;  on  en  envoyait  aussi  en 
ï  Angleterre  (1). 

»  Ce  Dutheil,  dont  j'ai  déjà  parié,  tourne-broche  à  l'inten- 
dance de  Paris  ,  sous  Berthier,  ensuite  garçon  de  bureau,  petit 
commis,  puis  faisant  un  métier  indécent  et  révoltant  qui  lui 
valut  la  place  de  secrétaire  général  de  l'intendance,  agent  de 
Louis  XVIII  à  Londres  ,  écrivait  à  l'agent,  son  correspondant  à 
Paris  :  «  Je  vous  renvoie  vos  passeports;  je  ne  suis  pas  fait  pour 

>  rentrer  en  lâche;  je  rentrerai  au  jour  des  vengeances  en  che- 

>  valier  français.  » 

»  Après  avoir  fait  à  la  tribune  des  propositions  les  plus  con- 
tre-révolutionnaires, les  députés  conspirateurs  protégeaient  en- 
core spécialement  les  ennemis  de  la  République.  Jordan  corres- 
pondait avec  la  cour  de  Rome.  Un  Montier,  prêtre,  lui  écrit  de 
Londres  pour  le  féliciter  du  zèle  qu'il  montre  à  défendre  la  re- 
ligion ;  un  autre  fanatique  lui  écrit  do  Milan  :  «  Je  ne  vous  irai- 
»  lerai  pas,  monsieur,  de  d^07/en,  parce  que  celle  qualité,  qui 


(I)  «  Eq  fructidor  tous  les  royalistes  qui  étaient  à  Hambonig  aunouvaient, 
avec  une  joie  inexprimable ,  que  Clichij  allait  rappeler  Capet.  Ce  fait  est  attesté 
par  desnégocians  patriotes  qui  s'y  trouvaient,  et  à  qui  l'on  conseillait  de  ne  pas 
rentrer  en  France.  •> 


490     dIrÈcÎ-.  —  DU  le»  pÀàlR.  AN  V  (  ^20  MAI  1797) 

»  ne  fait  qu'une  avec  celle  6e  jacobin,  de  terromièy  né  peut  coD- 
i  venir  au  respectable  défenseur  de  la  religion  (1).  > 

»  Dumas,  membre  du  conseil  des  anciens,  émigré  lui-môme, 
écrivait  à  des  émigrés  qu'ils  rentreraient  amis  incessamment,  et 
que  les  lois  baibares  sur  l'émigration  seraient  rapportées  :  il  eut 
l'imprudence  de  vouloir  jusiifier  à  la  tribune  un  crime  que  la  loi 
punit  de  mort. 

*  Polissard  ,  membre  du  conseil  des  cinq-cents,  n'avait  pas  de 
moindres  espérances  :  un  émigré  était  caché  chez  lui  lors  de  sa 
dépôt  laiion. 

»  Nous  ne  pouvons  ici  ne  pas  rappeler  le  plus  puissant  mobile 
de  ces  coupables  trames,  les  journaux,  qui  chacjue  jour  por- 
taient aux  extrêmes  fronfières  les  conseils  de  rébellion  et  de 
mort;  et  c'est  encore  ici  que  nous  devons  nous  accuser.  Ne  sa- 
vions-nous pas  que  les  auteur  s  de  ces  affreux  libelles  éiaient  des 
royalistes  salariés,  des  échappés  de  séminaires,  ce  que  la  théo- 
logie et  la  perfidie  sacerdotale  ont  vomi  de  plus  impur?  ne  sa- 
vions-nous pas  qu'i's  avaient  fait  de  la  contre-révolution  leur  do- 
maine? ne  connaissions-nous  pas  la  rage  qui  les  dévorait,  et 
qu'après  avoir  provoqué  la  journée  de  vendémiaire  dans  leurs 
écrits,  ils  avaient  encore  éié  les  principaux  agens  de  la  royauté 
dans  les  sections?  Et  nous  ne  prenions  aucune  mesure  !  Il  fallait 
fructidor  pour  qu'ds  fussent  déportés!  Mais(|ue  dis-je,  sur  com- 
bien de  ces  élrts  atroces  a-t-on  exécuté  la  loi?  Ils  sont  encore 
dans  le  sein  de  la  Réjublitjue;  ils  se  promènent  librement,  ils 
écrivent,  ils  endoctrinent,  ils  m'écoulent  peut-être,  quand  un 
vaisseau  aurait  dû  les  porter  sur  la  terre  qu'habitent  les  tigres  ! 
Gouvernemeni ,  tu  réponds  de  l'exécution  des  lois  ! 

>  Maiila  mesure  était  comblée  ;  les  républicains,  relancés  par- 
tout par  des  soi-disant  représentans  du  peuple,  par  lesadminis- 


(!)  «  Un  autre  écrit  de  Si)lianpc  :  «  Caiiiille  Jordan  a  fait  un  brillant  rapport; 
j>  quoique  je  ue  m  attende  pas  i\  voir  un  décret  l»i  ii  axaniagcui  dans  le  cooi- 
»  meuceraent,  c'est  rependant  p;tÇiier  beaucoup  que  de  gagner  de  I  incrédullK' 
»  l'exercice  d'un  culte  qu'elle  abhorre.  Noire  culte  ne  tardera  pas  à  obtenir  la 
»  dofuioaiion  qu'on  ne  lui  donnerait  point  pitr  décret.  • 


AU  iS  FRLCtlDol  AN  V  (4  SEPTEMBRE  Al^l ').  431 

tràleurs,  par  les  tribunaux,  par  des  émigrés,  des  déserteurs, 
des  prêtres,  des  compagnons  de  Jésus  et  du  Soleil,  tous  assas- 
sins, et  toujours  impunis,  contemplèrent  eiifin  la  grandeur  du 
péril.  Tant  d'attentats  avaient  retenti  jusqu'au  milieu  des  armées  : 
du  Rhin  aux  bords  de  l'Adda ,  les  conjurés  sont  signalés  ;  géné- 
raux, officiers,  soldats,  depuis  l'entrée  des  royalistes  dans  le  corps 
législatif,  n'avaient  plus  perdu  de  vue  ses  délibérations  ;  ils  s'in- 
formaient de  la  situation  de  l'intérieur  ;  et  des  nouvelles  toujours 
de  plus  en  plus  désespérantes  leur  apprenaient  ce  qu'ils  avaient 
à  craindre  pour  leurs  camarades,  pour  leurs  familles  i  surtout 
pour  leur  patrie,  qu'ils  avaient  si  généreusement  défendue, 
qu'ils  avaient  tant  honorée  !  Las  enfin  de  tant  d'indignités  ,  ils 
élèvent  ce  cri  redoutable  qui  fit  trembler  à  leur  tour  les  ordon- 
nateurs de  conire-révoluiion  et  de  massacres.  Braves  guerriers , 
l'éloignement ,  l'habitude  des  armes,  vos  combats  journaliers 
ne  vous  empêchèrent  point  déjuger  sainement  les  choses  et  les 
hommes;  vous  ne  fûtes  pas  un  instant  dupes  des  scélérats;  vous 
trouvâtes  dans  votre  cœur  et  dans  votre  patriotisme  un  guidé 
qui  ne  vous  permit  même  pas  de  balancer.  Quelle  diiférence  en- 
tre vous  et  ces  hommes  qui  veulent  bien  persister  à  proscrire 
ceux  qui  ont  jugé  fructidor  nécessaire  î 

>  Les  conspirateurs,  effrayés,  sentent  qu'il  faut  presser  leurs 
dispositions.  Ils  se  sont  concentrés  dans  le  sein  des  dt^ux  com- 
missions d'inspection  :  Willoi ,  Pichegru  ,  Rovere  ,  l'anificieux 
et  souple  Dumas  en  étaient  membres  ;  les  autres  ne  méritent 
d'être  comptés  que  par  leur  haine  contre  la  République.  Ils 
organisent  une  police,  ils  étab'is>ent  des  correspondances  avec 
les  administrations ,  ils  pressent  l'organisation  de  la  gai  de  natio- 
nale; ils  font  pl.icarder  des  affiches  injurieuses  pour  tous  les 
républicains,  mais  plus  particulièrement  pour  les  membres  du 
gouvernement;  ils  essaient  de  corrompre  les  i:olJats,  et  Pi- 
chegru ,  dans  deux  alresses,  l'une  à  la  garde  nationale,  l'autre 
aux  armées,  acliève  de  se  dé(nasquer.  On  voit  à  leur  air  inquiet, 
agile,  qu'ils  méditent  quelque  grand  projei.  D\ibor(l,  ins  Jens  et 
assurés  du  succès,  sur  la  nouvelle  de  quelques  dispositions  itiili- 


432  DIRECT.  —  DU    !«'    PRAIR.    AN    ^  i /20    MAI    1797) 

taires  ils  sont  en  rumeur,  ils  se  troublent.  Ils  s'assurent  du  com- 
mandant des  grenadiers;  ils  cherchent  à  dénaturer,  à  dissoudre 
ce  corps  qui  avait  défen  lu  la  ref."ésenlaiioa  naiionule  en  vendé- 
miaire. Sur  leur  demande,  un  rapport  que  nous  ne  voulons  point 
caractériser  est  fait  au  conseil;  les  étranges  dispositions  du  pro- 
jet de  résolution  dont  il  est  suivi  annoncent  que  ce  n'est  qu'uLe 
préparaiion  à  des  dispositions  bien  autrement  importantes.  Ils 
distiibuent  des  armes,  des  signes  de  reconnaissance;  les  nuits 
suffisent  à  peine  au  temps  qu'exigent  leurs  déUbéralions.  La 
correspondance  des  contre-révolutionnaires  est  leur  guide,  car 
ils  en  conservent  avec  soin  toutes  les  pièces. 

>  Nous  ne  recueillerons  point  ici  les  bruits  que  l'on  a  répandus 
de  l'organisation  d'une  force  armée  royalfe  considérable ,  d'un 
repj^s ,  où  Miranda ,  ce  Péruvien  qui  se  trouve  en  France  au  mo- 
ment d'une  révolution  pour  y  commander  les  armées,  où  Mi- 
randa ,  disons-nous,  garantit  aux  conjurés  trois  cents  hommes 
par  section  ,  qui  seraient  prêts  au  premier  signal  ;  des  distribu- 
lions  des  rôles  pour  opérer  le  massacre  des  républicains  dans 
l'enceinte  des  conseils  ;  des  moyens  dont  on  devait  user  pour 
faire  occuper  les  postes  par  des  hommes  dévoués,  tandis  que  les 
grenadiers,  sous  prétexte  d'une  revue  générale,  auraient  été  en- 
voyés aux  Champs-Elysées;  de  cette  triple  organisation  de  la 
société  de  Clichy,  filière  par  laquelle  les  propositions  les  plus 
contre-révolutionnaires  arrivaient  jusqu'aux  oreilles  des  dupes. 
Quelque  confiance  que  méritent  les  hommes  qui  racontent  ce^ 
faits,  votre  commission  n'a  du  vous  les  présenter  que  comme  des 
bruits  de  conservation. 

»  Mais  un  fait  dont  les  indications  sont  de  la  plus  haute  impor- 
tance, et  que  nous  citerons  comme  positif,  parce  qu'il  est  constaté 
par  des  autorités  publiques ,  c'est  qu'il  existait  un  corps  organisé 
de  sept  cents  hommes,  commandé  par  un  chef  de  chouans  qup 
nous  ne  pouvons  nomuier,  destiné  à  agir  d'une  manière  plus  par- 
ticulière lors  de  l'événement  que  préparaiefjl  les  conjures.  Le 
17  fructidor  au  soir,  plusieurs  individus  faisant  partie  de  ce  corps 
se  prom<*naienî  aux    Tuilpries  ;  ils  <e  communiquèrenf  rérippo- 


AU  18  FRUCTIDOR  AN  V  (  4  SFPTEMPRR  1797  ).     435 

quemeDl  le  bruit  que  le  directoire  executif  faisa't  des  dispositions 
militaires;  ils  se  conHrmèr'eni  dans  l'idée  que  ce  bniit  éîâil  fondô. 
En  conséquence  ils  se  transportent  chez  leur  ciieF,  luiraconLeni 
ce  qu'ils  ont  eiaendu.  Le  chef  est  d'avis  qu'il  faut  sur-lc-cliamp 
en  rendre  compte  à  Pichf^gru  ;  il  monte  daî.'S  son  ciibriulet,  prend 
avec  loi  l'un  des  individus  qui  étuient  vcnu>  i'aveMir.  Arrivés 
chez  Piche^ru,  i!s  lui  font  part  de  leurs  inqu  études.  Pichegru 
répond  :  c  Us  ne  sont  pas ,  ils  ne  peuvent  pos  être  prêts ,  et  de- 
»  main  nous  leur...  demain  nous  leur  foutrons  le  tour,  i 

»  Les  républicains  des  deux  conseils,  les  membres  fidèles  du 
directoire  exécutif,  la  force  armée  renversèrent  en  un  insiani 
celle  horiible  cofijuration,  la  suite  et  le  perfectionnement  de  tou- 
tes les  entreprises  de  ce  genre.  La  déportation  fut  la  peine  des 
conjurés  ;  le  sang  ne  coula  point.  Les  barrières  de  Paris  ne  fu- 
rent réellement  fermées  que  quelques  heures  ;  les  communica- 
tions dans  Paris  ne  furent  poiut  interrompues.  On  s'était  couché 
la  veille,  le  cœur  navré,  l'ame  bourrelée  des  plus  cruelles  inquié- 
tudes :  le  calme  *qui  revint  dans  tous  les  cœurs  le  jour  même  de 
cet  événement  fameux^prouve  à  la  fois,  et  sa  nécessité,  et  la  sa- 
gesse qui  le  dirigea  (f). 

(1)  «  Daverne  de  Preste  ne  put  contenir  sa  joie  en  voyaqt  Pichegru  enfermé 
au  Tempie;  il  l'insulia  par  un  rire  iaamodéré  pendant  plus  de  deux  lieures: 
M  Le  \oilà  donc,  disailil,ce  gé  éral  si  prudent,  si  pr-3voyanl,si  §ag',si  éclairé, 
»  qui  devait  infailiibletiient  rétablir  le  Irône  et  l'aulel  !  Hé  bien  !  il  est  mainte- 
«  naiit  tout  aussi  sot,  tout  aussi  élourdi  que  ce  Duaan ,  que  cependant  il  blâmai 
»  avec  tantd'uigreur!  Adieu,  Chambjrd,  bonsoir  au  cordon  rouge!  »  (Promesses 
faites  à  Pich<gru.) 

fl  Pastoret  disait  sans  ccs^e  :  la  Constitution  est  bonne;  mais  il  faut  concentrer 
le  gouvernement  ..  Eh  !  qui  ignore  la  valeur  de  ce  mi? 

»  Le  représeniahl  Delarue  disait  sans  précaution  qu'il  n'était  au  conseil  que 
pour  le  roi. 

»Un  officier  de  marine,  oublié  dans  l'organisation,  priait,  en  messidor,  Tilla- 
ret-Joyeuse  de  s'.ntéresser  à  lui.  —  Ce  n'est  |)as  le  mouient,  lui  dit  Villaret;  al- 
tend(z:  dans  peu  nous  aun^ns  un  roi;  la  chose  ne  peut  mani|uer.  Je  suis  sûr 
d'être  amiral.  Paiici-tez  jusqu'alors,  et  je  vous  promels  tout  mon  appiii. 

y>  Les  administrateurs  du  département  de  lAilier  ont  dénoncé  au  corps  légis- 
latif le  lasseniblenietit  qui  cul  lieu  à  Moulins,  en  fructidor,  les  emmngasiuemeos 
d'arir.es  et  de  munilions  dont  on  s'y  occupait. 

»  L'î  \  I  fructidor,  au  coucher  du  so'eil ,  deux  violentes  explosions  furent  en- 
tendues à  dix  lieues  de  rayon ,  sur  les  confÎQs  du  Cher,  d' rAllier,  de  la  Creuse . 
T.    XXXVII.  28 


43i  DIRECT.  —  DU   1"   PRAÎR.    AN   V   (20  MAI   1797) 

»  Quf^l  |iie  douleur  que  puissent  inspir»r  à  l'hnmmiié  If  s  cri- 
mes «les  w)yali>t<s,  il  es\  cppen  lant  jpielijnes  oliscrvaiions  au^si 
rassurant»  s  pour  les  bons  ciioyens  (|ue  dé  ouf  ajj»^.»ntes  pour  eux. 
L»'ur  cause,  absurde  (n  elle-  nème,  est  désormais  concerte  d'in- 
fanfîic  et  de  T-  pprohre  du  crime  ;  royaliste  e§t  par  le  f a  t  syno- 
nyme d'assflwi/i ,  Cl  le  moment  nVst  pas  eloi{jné  où,  l«  us  les 
yrux  enfin  d^-ssiliés,  les  hommes  qui  auront  la  bass'^ssede  mon- 
inr  de  t»ls  seniimns,  où  hé  trouve  le  germe  de  l'assas^ihat, 
serontcouv»  rts  de  mépi'is. 

>  Insensés!  que  vous  demande-t-on ?  Veut-on  humilier  vos 


On  «î  persuada  d'iibard  qu'el'es  p^-ovenaient  d'un  volcan;  mais  on  ëi^couvril 
ensuite  que  c'était  un  aver  issemeiil  aux  fils  légiiiines  de  ces  truu  déparie.ueas 
de  se  leuir  \v  è  s  iMiur  nn  ^rnul  coup. 

»  A  Ih  nièiiie  époque  il  se  fit  i  n  grand  îassrml)l''ment  de  rliefs  royaIis!cs  au 
cbàleau  de  Viilem-  nliiis,  depjneinent  de  la  Creu>e;  il  s'agissait  de  piouoiicer 
sur  le  (h.)ix  d'un  r.»i.  Ce  ra  SHnililernent  élnii  ^trésid  '  par  un  é.ii  pr'é  ab  ulunient 
liico  nu  datis  ce  jtays;  pour  nneuï  se  déduise!*,  il  avait  laissé  croire  sa  brbe, 
faii  couper  ses  cheviux,  ft  pris  le  co^lunic  jacobin;  11  se  Faisaii  appeler  Donat. 
11  fc'empois  jnna  aussitôt  qi  il  eut  ap  lis  1 1  m  uvelle  du  18  rrnctidur. 

»  Les  my  liisles  d  Aifjneperse,  Hép  nciiienl  du  P'.iy-de-Dône  .  s'amusaient  à 
faire  des  ciri>  ucb  s,  peur  servir,  disaienl-ils,  les  republiciiius.  Diji  plusieurs 
fabl  s  en  «  t  lent  clinifié  s,  l.)rsqiie  le  ctiiinier  aniofiva  l«  18  fruciliiikr.  Au  si  ôl 
Ct>  nu'ssi  lira  abando  uièieut  1j  fabrication,  firenl  les  dt-rtiiers  adiiui  à  ji'ur  la- 
niilL' ,  et  priiciil  l'i  f.jite. 

»  On  sait  que  P.ir  s  léiiiiissnit,  au  moment  du  18  rruclidor,  tons  les  ex-nobles 
]es  plus  lirhs  de  chWjue  di-parlement  Lu  ci-devaul  diicaaour  i;  prussir  leur 
Douibrc  c.  c  tniribuer  aux  gnm  Is  evéïiemens  qui  s'y  prépara'»  ut  ;  il  reucoutra 
eu  s»' tant  d  Orénu  iiu  coiirri  r  qui  lui  ^^pprii  la  ou  vêle  «lece  le  jruni  e.  Il 
retourna  aussi  ô.  sur  ses  pis,  et  ^e  reudit  tristea.cut  eu  sou  cliàleau  de  Mei.lan, 
drparteni-  nt  du  Cher. 

»  C  1  iiii  iiibre  du  corps  législatif,  à  qui  l'on  fiisail  des  observations  sur  sa 
COi-diiit  ' ,  dit  tinm  une  socie.e  :  ISoiis  avons  jure  de  si  rvir  diiu  et  les  bummes , 
et  nous  li  n  Irons  ootre  si  nneitt.-  Un  li'  ninie  d'esprit  lui  ré|K)nditavcci.  digna- 
ti  »n  :  Piir /)ic'«j  vouseiiteujiz  lespié  res;  par  /louimr  vouscntoiuiez  l.séiii  grés; 
>otre  seriiieuie.st  un  ci  ini  ■  c  in're  les  ho. unies  raisouDaîtleset  lesl>uns  ci  oyens. 

s  Une  leniine  ,  ci-devant  du  plus  biiut  parrgc,  dcmeiiraot  fMuiiourgM  uceau , 
dptui  it,en  ib  rini  ior  dernier,  à  dim  r  à  deux  é\èi;ues  emipiés  et  à  deux  an- 
ciens seigneurs  aussi  <  niipn's.  H  y  avait  un  couvert  mis  pour  B  r.hel  uiy;  1  n'y 
put  venir;  miis  la  ci  devant  princesse  dit  :  —  Vous  n'aiiriz  pas  1-  bon  dir  cteur 
a<  j  util  hiii;  à  CvJiip  ùr  il  imu»  viendra  njercredi.  —  Le  propos  Us  |  lus  s  n- 
gui(^:iro^ ,  *e.>  plus  a.r^ces,  le>  pluttconlre-ré^ululiounaircs  lur^ut  tenus  pcudaut 
loul  ce  diner. 

»  Ou  eit  rail  de  c  s  anccdolcs  p.  r  mi  licrs,  tant  la  conD-ûce  djus  la  contre- 
révolu»iou  avait  mulJplie  les  iudisL\eiiun>.  . 


AU   18  FRUCTIDOR   AN   V    (  4   SEPTEMBRE  d797  ).  43^ 

personnes ?LV(;a'iié  est  la  base  de  noire  Conslituiion.  Porte  î-on 
aileinte  à  vos  lu^ns?  La  Consiiiu  j  «n  en  est  la  p'us  sûpt*  {ja'anlie. 

>  Ils  seront  bien  ridicules  ces  ci-devant  roiurers  qui  se  lassent 
de  n'être  pas  avilis,  et  qui  appellent  des  nobVs;i!s  seront  châtiés 
ces  amliiiieux  qui  cor  S|  ireni  p.jur  tenir  le  genre  lium  lin  dans  la 
déj>cndi»nce  et  l'ijliJKeiioii  !  Il  est  t''mf)S  que  tant  de  irani»  s  finis* 
sent  :  dles  finiront,  repré^^eutans  du  peuple,  quand  vous  le  vou- 
drez fortement. 

»  Vous  avez  remarqué  par  quelles  intriarues,  par  q  le Is  atten- 
tats les  royalistes  ont  obie.iu  leurs  électio.  s  ;  hé  bien,  U  cours  de 
la  justice  .NU  pendu  par  des  jng^  s  ini  jues ,  l'a  liuinisiraiion  pura- 
Ijsée  ptr  des  faiiati«|u^s  ou  dts  contre- lévoluiunnuires,  les  me- 
nace*, les  massacres ,  les  jongleries  d^s  prêtres  ne  leur  eussent 
point  eiicore  assuié  des  succès;  ils  n'eu  o  it  obtenu  que  par  le 
mensonge.  G  est  en  p.  omettant  la  paix,  en  invoipjant  la  Constitu- 
tion qu'iU  ont  obtenu  des  sufirages ,  et ,  pour  ceux  qui  ont  ob- 
servé. Celle  niajoriié  même  qui  les  porta  aux  paces  ne  votait 
poinl  pour  leur  .système,  mais  pour  la  Consiiiuiion,  pour  la  paix. 
11  tst  évidtnt  alors  que  si  tant  de  moyens 'de  con  upiion  n'eus- 
seni  point  éié  employés,  la  mas^e  des  citoyens  eut  volé  pour 
les  amis  de  la  liberté  et  de  l'egaJiié  ,  biens  sans  les  jutls  d  n'y  a 
point  pour  l'homme  d  existence  honoiable;  elle  eût  voie  pour 
Icd  amis  sincèrts  de  la  Con^tituiion,  qui  garantit  ia  durée  de  cet 
biens. 

»  Maintenant,  que  la  République  a  échappé  à  tant  de  perfid  C9 
et  de  trahisons ,  il  i  ous  tembie  que  r«/n  devrait  être  ii'un  con- 
vaincu d'une  chose,  c'est  (]u'en  politique  il  n'y  a  po  nt  <l*cvénemens 
nécessairs;  i!ssoni  l'elï.  tde  l'imprexoyauce,  et  se  comp  »senide 
toutes  les  entreprises  partielles  qui ,  n'étant  point  arrêtées  de* 
leur  commencrujtnt,  s'eieudent ,  opèrent  en  «quelque  ioite  leur 
jonction,  et  amènent  dt  s  caïastrophes. 

»  C  est  li  République  avait  tout  quM  faut  conserver.  I\ou$  sa- 
vons ()u  il  a  existé  une  vaste  conjuration  ;  nous  savons  que  iou# 
les  fila  n'en  sont  pas  détruits  :  dans  loijs  lesévéncmens,  dan>  ton^ 
les  actes  des  individus,  il  faut  apprécier  les  motifs  de  delermind* 


436  DIRECT.  —  DU   1<^»    PRAIR.    AN    V    (20   5IAI   1797) 

tion  ;  s'ils  prennent  leur  source  dans  le  royalisme ,  c'est-à-dire 
danslaconjuraiion  ,  il  faut  sur-le-champ  y  porier  remède.  Les 
royalistes  ont  créé  un  sysièine  pour  s'emparer  des  places  de  la 
République:  qu'ils  soient  observés,  quMs  soient  impitoyablement 
diassés;  les  emp'c's  de  la  République  ne  doivent  être  confiés 
qu'aux  républcairs.  Soyons  à  cet  égard  inexof;^lrs,  et  bannis- 
sons, je  le  répète,  ces  absurdes  théories  de  prétendus  pi  incipes , 
cesinvocaiions  stupiJes  de  la  Constitution  au  milieu  de>quelles, 
semblables  à  ce  phlosophe  qui,  en  re^jardant  les  étoiles  ,  tomba 
dans  un  pu  ts,  ces  raisonneurs  imperturbables  eussent  éié  égor- 
gés, et  la  République  anéaniie,  si  des  Iiomnrs  plus  sensés  n'eus- 
sent veil'é  à  leur  propre  conservation  ;  mni<  pour  avoir  le  droit 
d'être  sévère,  il  faut  être  juste  :  j^i  les  emplois  ne  doivent  être  con- 
fiés qu'au  républicanisme,  il  n'est  pas  d'une  moindre  iinportance 
qu'il  soit  uni  aux  talens,  aux  lumières  et  aux  vertus  ;  c't  si  le  seul 
mo>  en  de  porter  et  d'assurer  le  bonheur  dans  le  sein  des  fathilles, 
ce  qui  est  l'unique  but  d'un  gouvernement  sage. 

>  Nota.  De  ce  que  je  n'ai  pas  cifé  des  faits  personnels  à  chicun 
def  individus  compris  dans  la  loi  de  la  déponation,  on  en  con- 
clura peut  êirc  qu'au  moins  ceux  qui  ne  sont  pis  nominative- 
ment désignés  dans  les  fiièces  re  peuvent  pas  êire  considérés 
comme  coupab'es  :  ce  f^eriiit  une  très  grnnde  erreur.  Une  maison 
a  été  enfoncée  et  pillée  par  des  voleurs  ;  ils  ^e  retirent  ensemble; 
maisqi;e'qurs-uns  seulement. «-on^bliargés  des  effets  volés  :  peut- 
on  diie  pour  cela  que  les  autres  soient  innocens,  quand  il  n'y  au- 
rait d'autres  preuves  contre  eux  sinon  qu'ils  sorti  »  mrés  et  5oriis 
en  même  temps  de  la  maison  ,  et  (ju'ils  ne  se"  sont  pris  quiiiés? 
Le  ciime  est  d.ms  la  vi -laiion  du  domicile  d'un  citoyen,  et  non 
dans  la  put  ignoiée  que  chacun  a  pu  avoir  dans  les  actes 
purlesqueson  l'a  consommé.  Il  a  existé  une  vaste  conjuration 
pour  faii  e  lon.ber  les  choix  du  peuple  sur  de  mauvais  ciioyens;  il 
es(  constat. t  que  ces  muuvais  citoyens,  dans  les  diiférentej  fonc- 
tions qui  leur  ont  été  confices,  ont  ^uivi  la  marche  indiquée  par 
les  agens  de  la  conjuration  ;  qu'ils  ont  tenu  leur  langage  ;  qu'ils  se 


AU    18   FRUCTIDOIJ^N    V    (  4   SEPTEMBRE   1797  ).  437 

sont  trouves  dans  leurs  rasseuiblemens  ;  que  le  complot  était  sur 
le  point  d'éclater  :  il  est  donc  évident  qu'ils  soni  enveloppas  dans 
la  (onjuration,  iDaljjré  qu'on  ne  puisse  pas  dire  de  chacun  d'eux 
qu'il  a  fait  telle  ou  telle  chose ,  ni  designer  le  rôle  dont  il  était 
chargé.  > 

—  Bien  que  la  réalité  de  la  conspiration  soit  parfaitement  consta- 
tée depuis  que  le  retour  des  Bourbons  en  France  fît  un  titre  de 
gloire  et  de  fortune  de  ce  qui  avait  été  un  motif  «fe  proscripiion; 
bien  qu'il  soit  égalenientconstaié  aujourd'hui  qu'un  grand  nombre 
deconsfiitateurs  avaient  échappé  au  coup  d'elat  du  direcioii  e,  nous 
croyons  cependant  uti'e  d'imprimer  ici  toutes  bs  pièc  s  que  nous 
avons  retrouvées  parmi  le  grand  nombre  de  celles  qui  furent  ren- 
dui^s  publiques  après  le  18  fructidor.  La  lecture  de  cesdocumens 
expliquera  à  nos  lecteurs,  l'espèce  de  réaction  anti-royaliste,  qui 
va  avoir  lieu  dans  l'ooinion  publique. 

Déclaration  faite  par  Duverne  de  Preste,  dit  Dunan,  au  direc- 
toire, 

i  Je  ne  me  dissimule  point  en  commençant* cet  écrit,  ciioyens 
directeurs ,  que  c'est  l'acte  de  ma  condamnation  que  je  meis  en- 
tre vos  maias.  Mais  quoique  je  sois  loin  d'éire  insensible  à  mon 
intérêt  personnel ,  je  me  suis  tellement  persuadé  que  c'est  un 
tout  autre  moiif  qui  m'a  déterminé  à  une  démarche  bien  difficile 
à  mésinterpréier  ,  que  je  n'hésiterais  point  à  l'entreprendre,  lors 
même  que  je  n'aurais  pas  ,  pour  me  rassurer,  l'engagement  que 
vous  avez  pris  avec  moi. 

>  Beaucoup  de  tentatives  ont  été  faites  depuis  la  révolution 
pour  relever  le  trône  ;  toutes  ont  échoué,  mais  la  pLipart  ont' 
coûté  la  vie  à  un  grand  nombre  d'hommes  de  l'un  cidcranire 
parti.  Hien  n'a  découragé  les  royalistes,  et  il  y  a  eu  jusqu'à  pré- 
sent tant  de  rai>onsdeju  tilier  leurs  espérances,  qu'on  ne  doit 
pas  être  étonné  qu'a  côté  d'une  conspiraiion.eteinte,  ils'enrtlève 
une  nouvelle  d'autant  plus  dangereuse  qu'à  ses  propres  ressources 
elle  ajoute  l'expérience  des  fautes  qui  ont  entraîné  la  ruine  des 
autres. 


4S?  DIRECT.  —  DC    i^    PRAIR.    AN  «T    (20    MAI    1797^ 

>  I!  prut  s'en  funner  quclqii*une  qui  réunisse  assez  de  moyens 
pour  oser  ailaijuer  !e  jjouvernpmfnt  à  force  ou  ver  t^  ;  alors  lé 
san{j  frurçjis  ciiulcai  encore  à  (lois.  C'est  pour  empêcher  le  re- 
tour de  C(S  scènes  de  désolai  on  que  j'ai  formé  le  pr Djt^i  da  faire 
conn^îlre  tous  les  fils  de  la  conspiration  à  la  tête  de  laquelle  j«^  me 
trouve;  yt  iialiis  la  cause  de  la  royauté  ,  je  le  sais,  mais  je  crois 
sei  vir  ceux  d»  s  Frarîça's  qui  la  dé  ireni ,  en  déiruisani  les  fonde- 
mens  dt^  leu'S  rhimériques  f  spéiances. 

»  11  y  a  l'ientôt  deux  ans  que  je  me  suis  charj^é  des  intérêts  du 
roi  à  Paris.  Dès  cetie  époque  ,  je  semis  que  les  royîilisies  n'au- 
raient une  vérilable  co  «sistance  que  lorsque,  réunis  autour  d'ua 
C  ntre  commun,  ils  agiraient  ensemble.  Je  fis  tous  mes  el forts 
pour  1  amener  à  ce  c«  mre  d'uniié  lou*  les  chefs  de  la  Ven  lée  et 
de  la  Bretagne ,  et  les  ;igens  repanis  dans  It-s  dépar  lemcs,  les- 
quels imilai  nt  à  la  même  tin  par  des  moyens  contrudiriuires, 

B  J  alai  dans  la  Br(ia,;ne  ,  dans  la  Venilée  ,  en  Suisse  ,  où 
résilie  un  ministre  anglais  chargé  spécialemerit  de  seconder 
les  roy  loies  ;  j'allai  à  larmée  de  Coudé  ;  je  vis  le  roi  ;  ei.fin  ,  je 
viens  de  f  ire  un  voy:'{je  en  Angletore,  dans  lequel  je  me  suis 
expliqué  ovec  le  comte  d  Artois  et  les  ministres  ang'ai».  Il  ne  fal- 
lait pas  moins  que  louies  c^-s  courses  pour  faiie  renoncer  chacun 
de  ceux  nui-iès  de  qui  el!es  é'aient dirigées  au  pi  n  particulier 
qu'il  av.'iit  a  loptt* ,  ei  pour  faire  ajourner  Ici  divis-ons  qui  exis- 
tiîient.  Je  croi-»  que  je  n'ama-s  jaiM:ji>  eu  de  succès  dmable  dans 
la  Vendre  :  aussi  ai-je  né  loin  de  regarder  comme  un  événement 
m  Ihf-ureitx  la  >-oumi>siou  des  insurgés.  Elle  nous  servait,  en 
noiis  donnant  la  facili  c  «le  dévelopj)er  eniièremeni  un  \  I  m  plus 
8a[;e,  par  cette  seule  r.  i>on  qu  il  embrassait  toute  la  France,  et 
qu'i  excluait  tout  autre  mi)U>ement  parti»  1  q«ie  c«Liiqui  noui 
aurait  tendus  m:î  tes  de  Paris  en  renverrai  t  le  gouvernement. 

»  Voici  le  plan  approuvé  par  le  pr«lenilani,  qui  yeul  en  a  connu 
la  lotal  té;  le  n.iniitre  ang'ais  et  les  prin«es  franc lis  ont  adopté 
ce  qu'on  leur  a  montré  de  ce  plan;  on  a  cherché  a  f  lire  marcher 
deco:icert  les  mesures  politiques  et  les  mesures  nnliiairi  s. 

»  Lu  France  était  divisée  en  deux  agences  :  l'uue  qui  comprend 


AC   48  FRUCTIDOR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE    1797).  439 

les  provinces  de  Frani  he-Comté,  Lyonnais,  Forêt,  Auvergne 
et  tout  le  mi«li,  co!  fiée  à  M.  de  Pn^cy  ;  lauire  qui  s'él<  n;l  sur  1-0 
Notd  de  li  France,  dirigée  par  les  ageas  «le  Pa/is  :  ces  deux 
ajjences  unit  s  par  une  correspondance  aciive  ei  régulièie,  (J)a  ma- 
nière q  l'aucun  «îouvement  ne  î>oii  entrepris  par  i'uae,  sans  îû- 
voir  si  l'autre  e>t  en  ëialde  la  seconder. 

•  Leideux  agences  auront  une  correspondance  directe  avec  le 
roi  et  avec  les  miiii>ires  britarini(|ues  pour  les  secours  qi.e  \c$ 
agers  emploieroYit  indépencîamment  des  jn^tructipns  d'-nnées 
par  l'S  An{;l»is.  Le  >econd  oitjct  d-;  la  correspondance  ang'.  ise, 
sera  de  leur  dom.er  les  connais>ances  qui  tvndeni  au  s'^rvce  de  la 
caus^,  rria's  jam:iis  celles  dont  le  résuli.t  po  irra  t  être  de 'eur  fa-  • 
ciliier  la  pr  se  de  quel(|u  une  de  nos  places  maril  m^s  ;  le  ro"  et 
son  conseil  n'ayant  jam;iis  cessé  de  penser  que  les  services  d  s 
Anglais  s  )nt  des  bervices  perfides  qui  n'ont  pour  but  que  la  ruiae 
de  la  France. 

»  Les  aj^ens  municipaux  sub  aviseront  l'étendue  dont  la  direc- 
tion leur  e>t  donnée  en  auiant  de  commîndemens  miliiaiiçi 
qu'ils  le  jufjerontconvcnalile;  ils  soumettront  leur  tiavail  uu  roi, 
et  lui  proposeront  les  personnes  qu  ds  croiront  pouvoir  remplir 
avec  iiiîe  li,^ence  et  fidélité  les  places  de  comm  mdant  en  chef 
des  divers  ariondis^emeiis;  lescommandans  recevront  leurs  pou- 
voirs du  roi ,  mais  dsne  correspondront  din  clément  qu'avec  le* 
ao[tns  snpéi*  eurs. 

»  Les  î»gens  piincipiux ,  et  surtout  ceux  de  Paris,  nVpargne- 
ront^rien  pour  ramener  au  parti  d«i  roi  les  membres  des  auloi  iiés 
con^iiiué  s.  Ils  peuvent  promettre  à  tout  iiidividu  les  avamagrs 
personnels  que  son  inf>|jo  tance  peut  le  mettre  en  droit  de  dési- 
rer, sans  excej)iion  de  personi#,  pis  même  des  membres  de  la 
Convention  qui  ont  voté  la  mort  de  Louis  XVI  :  ma-s  ils  ne  pren- 
droi.tjaaiais  aucun  enga';em«-'ni  qui  pourrait  laiss^ei- croire  que 
rinieiition  du  roi  est  de  n  tab  ir  la  moDarcliie  >ur  des  bases  uou- 
vell  s.  Le  roi  fera  tout  pour  réformer  les  abus  qui  s'éiaiei.t  in- 
troduits dans  l'aiici'n  ré^jirrje,  mais  lien  ne  p)urra  1 .'  dé  i  1er  à 
changer  luCjasliiuiion  de  leiai.  Daus  le  cas  où  un  parti  puissant 


440  DIRECT.  —   DU    1er   praIR.    AN    V    (20  MAI   4797) 

dans  les  conseils  proposerait  de  reconnaître  le  roi  à  des  condi- 
tions, les  agensde  Paris  engn^jeraient  ce  parti  àdëpntfcr  auprès 
de  sa  inaiiesié  un  fon  lé  de  pouvoirs,  avec  lequel  elle  discuterait 
elie-qiéme  les  inlerèis  de  la  France. 

»  Le  but  qu'on  se  propose  esi  le  renverâenjent  du  gouverne- 
ment actuel. C'est dansIaConsiiluiiou  actuelle ,  elle-méine,  qu'on 
peut  trouver  les  moyens  de  la  détruire  sans  de  grandes  secous- 
sty,  \fS  fréquentes  éleciions  oflrent  des  facilités  déporter  on  ma- 
jorité Us  royalistes  aux  places  du  gouvernement  et  de  l'admi- 
nisiraiion. 

»  Jusqu'à  ce  moment,  les  royalistes  n'ont  su  tirer  aucun  parti 
de  leur  nombre;  la  pusillaiiiunté  les  a  éloi^'nés  des  assemblées 
primaires,  ou ,  s'ils  y  ont  porté  des  voles ,  ils  l'ont  f a  t  sans  con- 
cert prélab'e,  et  leurs  voix  se  sont  perdues  sur  les  sujt-ts  que  cha- 
cun préférait  en  particulier.  Pour  obtenir  la  majoi  iié  des  suffra- 
ges dans  les  assemblées  primaires,  il  faut  trois  choses  :  i^  Forcer 
les  royalistes  d'y  aller;  2"  Les  forcer  de  réunir  leurs  suffnjges 
sur  des  individus  désignés  ;  5*^  Faire  voter  dans  le  même  sens 
qu'eux  cette  casse  d'hommes  qui,  sans  at'achement  à  un  gou- 
vernement plutôt  qu'à  un  autre ,  aiment  l'ordre  qui  garantit  leurs 
pçrsonnt^s  et  leurs  propriétés.  Alin  de  parvenir  à  ce  triple  but , 
il  sera  formé  deux  aUiiiaiions,  l'une  composée  de  royalistes 
éprouvés,  l'autre,  des  royalistes  timides,  des  égoïstes,  des  in- 
différens.  Il  est  inutile  que  j'entre  à  cet  égard  dans  aucun  détail , 
puisque  vous  avez  les  règ!emens  de  ces  instituts. 

»  Us  choisiront  les  royalistes  les  plus  courageux  pour  en  for- 
mer des  compagnies ,  dont  le  nombre  sera  proportionné  aux 
moyens  [)écuniaires  que  les  agens  pourront  destiner  à  ce  service; 
ils  leur  fourniront  des  armes  et  w.s  munitions. 

»  Ces  compagnies  seront  prêtes  à  se  rassembler,  surtout  dans 
le  temps  des  assemblées  primaires.  Elles  auront,  à  cette  époque, 
pour  objet,  de  repous«^er  tout  autre  parti  armé  ou  non  armé, 
qui  s'opposerait  à  la  liberté  des  élections,  bien  entendu  qu'elles 
ne  prendront  jamais  les  armes  les  premières,  et  qu'elles  ne  se 
mettront  qu'avec  les  couleurs  républicaines.  Elles  s'occuperont 


AU    18   FRUCTIDOR  AN    V    (4   SEPTE3IBRE  1797).  441 

encore  à  forcer,  par  menaces  oir  autrement ,  les  égoïstes  et  les 
indifférens  à  se  rendre  aux  assembîéis  primaires. 

»  Les  agens  encourageront  et  faciliteront  la  désertion ,  sous 
prétexte  des  travaux  de  l'agriculiure.  On  préparera  les  pnysans 
à  un  nouveau  saulèveoienf ,  mais  nulle  part  on  n'en  excitera  qu'a- 
près les  ordres  des  agens  supérieurs. 

»  S'il  arrivait  que  le  succès  des  préparatifs  mi'itaircs  fût  tel 
qu'on  pût  raisonnablement  se  flatter  de  renverser  le  gouverne- 
ment, on  renoncerait  aux  moyens  des  assemblées  primaires,  et 
on  profiterait  du  moment  favorab'e  pour  arriver  directement  au 
rétablissement  pur  et  simple  de  la  monarchie.  Enfin,  dès  que  les 
agens  de  Paris  croiront  assuré  que  le  roi  ne  peut  tarder  d'être 
proclamé,  soit  par  suite  des  mesuras  que  prendront  les  deux 
conseils  où  ses  partisans  seraient  en  majorité,  eu  pir  des  moyens 
militaires,  ils  chargeront  sur-le-champ  un  royaliste  sûr  de  lui 
en  donner  avis,  ei  de  ramener  immédiatement  un  prince  du  sang 
dont  la  préîs'ence  fasse  taire  toutes  les  ambitions  particulières. 

»  Pour  développer  ce  plan  il  fallait  des  fonds  :  l'Angleterre 
seule  pouvait  les  fournir.  Précy  a  obtenu  ,  pour  lagence  dont  il 
était  chargé ,  la  permission  de  tirer  sur  M.  Wickam ,  ministre 
d'Angleterre  en  Suisse,  les  fonds  qui  lui  seraient  nécessaires, 
sauf  l'approbaiian  de  M.  Wickam.  J'ai  obienu  60,000  livres 
sterling  pour  les  dépenses  préparatoires;  50,000  livres  sterling 
qui  doivent  m'étre  payées  dans  le  mois  de  h  proclamation  du 
roi,  à  condition  pourtant  que  nous  n'agirions  pas  avant  les  élec- 
tions ;  lo,000  livres  steiling  pour  achat  d'habits  blancs  néces- 
saires 'a  l'habillement  de  quelques  corps. 

»  Enfin,  on  devait  faire  passer  par  nos  mains  des  fonds,  dont 
la  quantité  n'était  pas  déterminée,  pour  les  transmettre  à 
MM.  Puisaye  et  de  Frotté,  dont  la  position  exige  des  dépenses 
plus  considérables  que  celles  de  nos  autres  arrondiosemens. 

»  M.  de  Puisaye,  qui  se  croit  en  mesure  de  faire  seul  la  con- 
ire-révolution ,  veut  depuis  long-temps  se  déclarer;  nous  l'en 
avons  empêché  jusqu'à  ce  mom^t.  11  étend  ses  intelligences  de- 


448  DIRECT.  —  DU   !«•   PRAÏR.    AN  V   (20   MAT   1797) 

puis  Dresi  juv(|u'à  Laval  ;jecro^  qu'il  compie  sur  plusieurs  corps 
enij)!('yes  <lans  celte  partie. 

»  M.  de  Fioiié  éiaii  encore  à  Londres,  lors  de  mon  dp'part , 
mais  il  complait  se  rendre  immé  liaienifnl  en  N*rman'lie  ,  où  il 
a  la  s  é  les  olric  ers  qui  servaieni  jadis  sous  ses  ordns.  M.  de  Ro- 
cliecot  est  char  f^é  de  pré[)arer  le  Maii  e,  le  Perche  et  le  pays 
C^iai  irain.  M.  de  B  jurmoni  ne  fait  que  commencer  ses  fonctions , 
depuis  Lorient  jiisqu'à  Caën.  M.  Malier,  ancien  ai  ie-maj  )r  de 
Cliàiea'i-Vt'ux,  estch;jr(jé  de  la  haute  Normandie  et  de  1  le-de- 
Francejusq  i'à  Paris  ;  car  nos  an  oud  ssemens,  jusqu'à  cinquante 
lieues,  turment  un  tiianyle  dont  un  anyle  î>'appui^  sur  Paris. 

»  Dins  ro  leanais  est  un  eu»ployé  de  M.  Dug  aiz;  je  ne  con- 
nais pas  la  mesure  dans  lacfUt-Ufi  il  se  trouve.  La  Pitardie,  le  Se- 
nouais  et  la  Brie  sont  encore  sans  chrfs;  nous  anémiions  un 
nommé  M.  Buiies,  qui  nous  est  annon  é  comme  ayant  des  puis- 
santes iijt  licences  dans  la  premièiede  c  s  provinces. 

»  Nous  nous  occupions  à  renouer  les  iuielligenc^'S  dans  la  Ven- 
dée. A  Paris,  il  y  a  deux  coupagnies  de  formées:  l'une  d'elles 
est»  je  crois,  aux  ordres  <1e  M.  de  Frinville;  je  ne  connais  pas  le 
cominan  lant  <te  Kautre.  Paris  est  le  fo\er  de  nos  iniell  g*  ûces. 
Jusqu'à  piésent  nous  n'avions  pas  essayé  de  corrompre  à  pri.x 
d'a'(|ent ,  nous  l'aurions  tenié  maintenant ,  afin  de  nous  procurer 
des  d  »nné.;6SÙre^S'jr  lesprojels  du  (jiuvernemenl.  J'avais  entre 
les  mains  le  plan  de  descente  en  Irlande,  ou  plutôt  le  rapport  de 
Carnoi  relatif  à  ce  plan  ;  je  sais  bien  comment  on  me  Ta  procuré, 
mais  JH  ne  suis  pis  qui. 

f  Nous  mettions  beaucoup  d  importance  à  gag;ner  l'a  police, 
m  lis  nous  éii  ms  tiès-ppu  avancés  à  cet  ej^ard.  Nous  lirions  aussi 
toutes  les  semaines  un  extr-nii  du  rapport  des  commis>aires  du 
pouvoir  exéc  .tif,  sur  la  situuitm  de  I  opinion  publique  dans  les 
departemens.  Je  ne  siis  d'où  nous  venait  l'oi^nion  qtie  le  minis- 
tre de  1 1  police  ne  serait  p  ï>  élo'{Tné  lui  -  iiième  de  nous  servir, 
peut  -  être  uiiqnement  de  ce  qu'il  passe  pour  modéré,  et  de  la 
guerre  que  lui  faisaient  les  Jacobins;  nous  peuiii'ns  de  même 
du  miuisire  de  l'intérieur,  el^ais  doute  par  la  même  raison. 


AU   18   FRUCTIDOR   AN   V   (4   SEPTEMBRE   1797).  445 

»  Mais,  dans  les  conseiîs,  nous  avons  trouvé  plus  de  faciliié. 
Dès  le  mois  de  juin  de  l'année  dernière,  il  ooiis  fut  fai^l  des  pro- 
positions au  nom  du  par^i  qui  se  disait  puis>ant  :  nous  les  trans- 
mîmes au  roi.  On  oflia  tde  lest^rvir,  à  condition  qu'il  n'y  aurait 
d'autre  changement  à  la  Constiiulion  actuelle  que  îa  concentra- 
tion du  pouvo  r  exécutif  dans  sa  personne.  Le  roi  accepta  le  ser- 
vice, niais  voulut  discuter  la  condition.  Il  demanda  en  consé- 
quence qu'il  lui  fut  envoyé  un  fondé  de  pouvoir  ;  deptiis  lors  il 
n'a  cesiC  de  le  demunder,  mais  le  parti  éianl  beaucoup  plus  faible 
qu'il, ne  s'était  annoncé ,  a  relâche  de  ses  préieniions ,  sans  pour- 
tant y  renoncer  entièrement. 

»  De  notre  côté,  pensant  relever  le  trône  par  le  moyen  des 
deux  ton&t ils,  nous  avons  ju(îé  qu'ils  re^ttraient  les  miîres 
d'iuiposer  au  roi  leurs  condit  ons ,  et  nous  n'avons  pas  insisté  6ur 
l'envoi.  Il  est  parti,  il  y  a  environ  deux  mois,  quel  ju'un  qui ,  à 
€8  que  je  crois,  a  porté  au  roi  la  lis'e  des  membies  qui  d/siient 
la  monarchie ,  et  dont  le  noa»bre  s'élève  à  cent  qu.'itre-viogi-qua- 
tre;  je  n'affirme  rien  sur  ce  fait.  La  veille  ou  ravaul-veille  de 
notre  arrestation ,  une  personne  etc.it  encore  venu  i  nous  proposer 
de  donner  au  roi  ur  e  soixantaine  de  députes.  Elle  s'e.tg:i{jeait  à 
obtenir  une  déclaïaiion  foimell-  du  fils  du  duc  d'Orléans,  por- 
tant «ju'il  ne  préieud  null.-m'^nt  au  uôie;  on  p^opo^ail  mé.nè 
d'enxoytr  le  jeune  prince  aupîès  du  roi.  Nous  écjuiioLS  tout 
sans  prei.died  en^^rujjem^Dt  formel. 

»  L'importance  dont  il  pouvait  éire  pour  nous,  de  gagner  les 
corps  aiiachés  aux  differens  services  à  Paris  ,  ne  nous  avait  pas 
permis  de  négliger  ceue  mesure.  Nous  avions  quelques  suc  es, 
et  nous  nous  tlattions  de  plus  {grands,  puisque  c'est  à  l'occj  ion 
des  démaichis  où  ctt  espoir  nous  a  emraînés,  que  nous  avons 
été  arrété>.  P.u^ieurs  de  nos  agens  s'occupaifnt  des  administra- 
lions  particulièris;  un  d'tux  m'a  dit  être  syr  que  dix  piésiiiens 
d'adm  nisirations  mi.niiipales  étaient  ga^-^^nés;  mais  il  ne  faut  pas 
ajouter  foi  a  ce  dire;  les  roy.di^tes  se  sont  toujours  fait  illusion 
sur  le  nombre  de  leurs  pjrtisans. 

»  Nous  avons  payé  plus  d'une  brochure ,  nous  avons  inséré 


444  DIRECT.  —  DU    l«l    PRAIR.    AN    V    (20    MAI    4797  ) 

plus  d'un  article  dans  plus  d'un  journal ,  mais  il  est  desfa'ts  que 
je  ne  veux  dire  que  verbalement. 

»  L'agence  de  M.  de  Prec>^  était  dans  un  elat  bien  différent 
de  la  nôtre;  ses  préparatifs  n'ont  été  que  mi  iiaires  ju>qu"à  pré- 
sent. C^î  n'e^t  que  deruièrement  qu'il  vient  d'adopitr  nos  me- 
sures polili  {ues  :  il  est  dans  ce  moment  à  Berne,  où  il  leçoii  les 
compies  queluircnàentlesî'gtns  particuliers;  il  y  en  a  dans  tout 
le  31idi.  On  avait  beaucoup  de  peine,  dès  l'iiniiije  dernière,  à 
ariéier  l'ardeur  d'une  pLjrtie  d'entre  eux  qui  vou!a  tnià  toute 
force  se  soulever.  C'est  à  Lyotj  qu'il  a  le  plub  dj  j  ai  lisans  ;  son 
grand  objet  e^t  de  s'assurer  de  qulques  viilts  foi  les  ,  pour  mé- 
nager en  Fi  ance  l'entrée  de  l'armée  de  Condé.  11  a  des  intelli- 
gences à  Besançon. 

»  Vous  voilà  instiuiis  du  secret  de  la  conjuration  ;  je  suis  con- 
vaincu qu'il  snflirail,  pour  la  dijouer,  de  publier  ma  leitre  et  les 
règlemens  des  deux  aissociatious.  A  cette  lecluie,  vous  verriez 
tous  les  royalistes  rentrer  en  terre,  et  pour  ce  moment  vous  se- 
riez tranquilles  sur  leurs  entreprises  ;  mais  il  ne  suflii  pas  qu'ils 
y  renoncent  pour  le  n.oment ,  il  faut  leur  en  ôter  pour  toujours 
la  pensée. 

»  Il  va  arriver  deux  choses;  la  première,  que  les  royalistes 
qui  pensent  que  le  gouvc  niement  ne  tient  que  les  chefs  de  la  con- 
spiration,  et  rien  du  tout  de  la  conspiration  même,  voudiout 
coniinuer  le  même  p!an.  En  conséquence ,  ils  proposeront  au 
roi  tt  aux  An|]lais  d'envoyer  de  nouveaux  agens  pjur  nous  rem- 
placer, en  marchant  sur  nos  traces,  mais  avec  plus  de  précau- 
lioDs;  ia  seconde,  que  d'autres  royalistes  qur  veulent  renverser 
le  gouverne mint  par  des  excès,  forts  de  notre  mauvais  succès, 
proposeront  à  Londres  et  à  Blai.kembourg  de  j;a{ïner  les  Jaco- 
bins; ces  hommes  rnergi(jues  ramèneront  lu  terreur,  et  à  la  suite 
de  la  terreur  viefidra  la  royauté. 

>  Il  exi^te  encore  un  parii  royaliste  qui  compte  sur  l'appui  de 

l'Espagne;  à  sa  léte  sont  MM.  de  Lavauguyon  et  d'Aniraigues. 

»  La  personoe  qui  nous  est  connue  sous  le  nom  de  Thebaut 

est  M.  Despomelks,  maréchal  de  camp  avant  la  révolution.  Il 


AtJ  i8  FRtCTIDOR   AN   V   (  4  SEÎ^TJEiMBRK   1797).  44^ 

peut  s'être  chargé  de  nous  remplacer,  mais  provisoirement,  car 
il  est  trop  prudent  pour  prendre  sur  son  compte  une  si  périlleuse 
besogne. 

»  Je  n'ai  jamais  entendu  parler  de  la  veuve  Joye  avant  mon  in- 
terrogatoire; c'est  sûrement  un  nom  de  guerre.  La  personne  qui 
le  prend  n'a  pas  eu  de  correspondance  avec  nous,  mais  vrai- 
semblablemerit  avec  Dulheil,  mon  correspondant  à  Londres; 
DjvûI  est  le  nom  que  j'avais  pris  en  Angleterre,  ayant  continué 
d'en  prendre  un  nouveau  dans  chaque  voyage  que  j'y  faisais, 

»  Nous  ne  connaissons  pas  les  membres  du  corps  législatif  qui 
sont  de  notre  parti.  Lemei'er  et  Mersan  étaient  nos  seuls  inter- 
médiaires, mais  les  autres  sont  la  plus  grande  partie  de  ceux  qui 
forment  la  réunion  de  Clichy.  L'individu  qui  nous  a  procuré  le 
rapport  de  Carnot  sur  le  projVt  de  descente  en  Angleterre  doit 
être  employé  au  dépôt  des  places  et  cartes,  appelé  peut-être  bu- 
reau des  hydrographes  ou  typographes.  Je  crois  que  celte  pièce  a 
dû  être  enlevée  pendant  une  absence  que  fit  le  chef  du  bureau  , 
dans  le  cours  du  mois  de  frimaire. 

»  L'Angleterre  payait  ici  un  nommé  Hardambert  ;  il  avait  des 
repports  directs  avec  Saladin.  Elle  paie  également  un  nommé 
Vincent,  que  le  ministre  delà  police  doit  connaître. 

>  Une  correspondance  qui  ne  nous  est  pas  tout  à  fait  étran- 
gère est  celle  de  M.  ù'Anlraiguesavec  M.  S^urdatpère.  Sourdat 
écrit,  soit  à  un  abljé  nommé  An  ;ré,  qui  se  fait  nommer  La- 
marre, soii  à  M.  de  Val  iené;  ces  deux  messieurs  sont  à  Lausanne 
ou  à  Vevay.  Ce«ix-ci  transmettent  les  Itttrrs  à  un  abljé  Lareynie, 
à  BtîliinzMne,  sous  le  couvert,  je  crois,  du  directeur  dts  postes 
de  ces  endroits.  Ce  den-ier  envoie  à  Venise  où  se  tient  d'Ararai- 
gues.  De  Venise,  l'.sdéiails  vont  à  M.  do;  Lavaiiguyon.  Sourdat 
écrit  au.^si  directement  à'Belîinzonp ,  taniôià  l'abbé  de  Lorraine, 
sous  le  nom  de  Grégoire  Letony,  tan'ôt  *à  Marco  Pliilibcrii  ou 
même  à  d'autres.  II  y  a  encore  une  correspondatice  directe, 
adressée  à  Mai  co  Philib'jrti ,  banquier  de  Bavière  ;  la  correspon- 
dance de  l'intérieur  est  sans  intérêt  qtielconque.  » 


446  DIRECT.  —  DD   1"   PRAIR.    AN  V   (  20  MAI   1797) 

Proclamaiion  de  Louis  XVIll  aiiî  Français,  du  10  mars  1797 

(HO  venlàse  anô,) 

«  Une  douleur  profonde  peûètre  notre  ame  toutes  les  fois  que 
nous  voyons  les  Français  (îéniir  daris  les  frrs  ,  pour  prix  de  leur 
devoueMunt  au  salul  de  la  F<ance.  Mais  su!fira-t-il  à  vos  tyrans 
de  s'èlre  ptocuié  de  nouvelles  viclinn  s?  dans  celte  conspiralicn 
quMs  leur  imputent,  dansées  papiers  qu'ils  publiui.t  avec  tant 
d'éclat ,  ne  cli»  relit  roui  ils  pas  des  prétextes  pour  calomnier  nos 
inieniiun.>?  u'esi-il  pas  à  craindre,  enfin,  que,  supposant  des  piè- 
ces, ou  se  per/neiiant  de  fraudultuses  insinuations,  ils  ne  s'ef- 
forcent de  lious  peindre  à  vos  yeux  sous  des  couleurs  menson- 
gères ? 

»  C'est  un  devoir  pour  nous  de  vous  prémunir  contre  une  per- 
fidie que  Texpé/ience  du  passe  nous  autorise  à  prévoir  ;  c'est  un 
besoin  pour  notre  cœur  de  vous  miiufesier  les  sentimens  qni  le 
remp  isseni  ;  It-s  tyrans  s'enveloppent  dtsombies  du  myîjlèrc; 
un  père  n*^  craint  pas  les  re{;ards  de  ses  eufans.  Ceux  de  nos  fi- 
dèle s  sujets  que  nou^  avons  chargés  de  vous  eclairt  r  sur  vos  V(  ri- 
tables  inierèis  retrouveront  d^ns  cet  éoit  les  inî>truciions  q  -'ils 
oi.t  leçues;  ceux  que  la  |  ureié  de  leur  zèle  et  la  sag-  sse  de  leurs 
principes  rendront  dignes  à  l'avenir  de  notre  conHance  y  liront 
d'avai.ce  les  in>truciions  qui  leur  sont  données. Tous  e*  Français 
61  fin  qui ,  pai  tageani  noire  amour  pour  la  patrie ,  voudront  con- 
courir à  la  sauver,  s'y  icv^tiuironl  dts  rè;;lesqu'ds doivent  suivre; 
et  la  France^,  eut  ère  connaissant  le  but  auquel  ils  tendront  de 
conceii  ei  les  moyens  qu'ils  mettront  en  œuvre,  jugera  elle- 
même  du  bien  qu  elle  doit  en  espérer. 

n  Nous  avons  dit  à  nos  gens ,  nous  leup  répéterons  sans  cesse  : 
Ramenez  notre  p(  uple  à  la  .vainte  n  lijjion  de  ses  pères  cl  au  gou- 
veintment  paternel  qui  fit  si  l«  n{j-iern|>s  sa  {jloire  et  son  bon- 
heur ;  expliquez-liii  la  constitution  de  lé  ai ,  qui  n'est  calomniée 
que  parce  qu'<  llee*t  mrconnue;  instruisez-le  à  la  distin{juer  du 
régime  qui  s'était  introduit  depuis  trop  long-temps;  monlrez-lu. 


AU   18  FRUCTIDOR   AN   V   (  4   SEPTEMBRE   1797  ).  4î7 

qnVlle  est  p'gaîement  opposée  à  Tana»  cliie  et  a<i  despotisme ,  deux 
fléaux  qui  nous  som  odieux  aui..nt  qu'a  lui-njéiiie,  mais  qui  pè- 
sent tour  à  tour  sur  la  France  d^-juis  qu'elle  n'a  plus  scn  loi. 
Consuli»  z  les  hommes  sîges  <t  éclairés  jur  les  ifuuveaux  defjres 
du  perfection  do!;t  elle  peut  être  susceptible ,  et  faiies  connaître 
les  formes  qu'elle  a  pi  esci  ites ,  pour  travailler  à  son  améliora- 
tion. 

»  Affirmez  que  nous  prendrons  les  mesures  les  plus  efficaces 
pour  la  préserver  des  injures  du  temps  et  des  attaques  de  l'au- 
toiité  même.  Garantissez  de  nouveau  l'oibli  des  erreurs,  des 
torts,  même  des  ciiiues;  étouffez  dans  tous  les  cœurs ju  qu'aux 
m«  iiidres  désirs  des  \en;jfances  particulières,  que  nous  sommes 
résol  s  de  réprimer  tévèiement;  irarsmeitez-nous  le  vœu  pu- 
blic Si.r  les  rè^jlemens  propres  à  corri^œr  les  abus,  dont  la  ré- 
forjiie  sera  lobiet  constant  de  noire  soiliCilude ;  donnt  z  tous  vos 
soins  à  prévenir  le  i  etour  de  ce  réjjime  de  sang  qui  nous  a  coûté 
tant  de  larmes  et  dont  «nos  malheureux  sujets  sont  encore  me- 
nacés. 

»  Dir'gez  les  c  hoix  qui  vont  se  faire  sur  des  {^ens  de  bien , 
amis  de  l  ordre  et  de  la  paix  ;  mijis  incapibles  de  uahir  la  dignité 
du  nom  français,  et  donl  les  vtrius,  les  lum  ères,  le  courage, 
puissent  nous  aider  à  ramener  notre  pe  -pie  au  bonheur.  Ass'ji  ez 
des  recon  p  n.^es  piopottionr.ées  à  leur  service  aux  miiiiares 
de  tous  les  grales  ,  aux  membres  de  toutes  les  admi  JS!  rations 
qui  co'péi'frorit  au  rétablissiment  dt^  la  n  li{>ion ,  des  lois ,  et  de 
l'autorité  légiiiuie;  mais  gard^z-votis  d'employer,  pour  les  i^fa- 
Uir,  les  moyt  ns  atroces  qui  ont  été  mis  en  usagn  pour  les  n  n- 
vtrs«-r.  Attei  dez  de  l'opinion  pub!iq<ie  un  succès  qu'elle  beule 
peut  nndre  solide  et  duiaMe,  ou,  s'il  fa'Iait  recourir  à" la  force 
des  armes,  ne  vous  servez  du  moins  de  cette  cru-  l'e  ressource 
qu'à  la  dernière  extiemité,  et  pour  donner  à  l'auioiiié  légitime 
un  a[>pui  juste  et  nécessaire. 

»  Français ,  tous  l^-s  écris  que  vous  trouverez  conformes  à  ces 
beniinums,  nous  nous  ferons  gloire  de  les  avouer;  si  l'on  vous 
en  préienie  où  vous  ne  connaissez  pas  ces  caractères,  rejetez-les 


44^  DIRECT.  —  DU    l<^f   PRAIR.    AN    V   (20   MAI   4797) 

comme  des  œuvres  de  mensonge  :  ils  ne  seraient  pas  selon  noire 
cœur. 

»  Donné  le  iO  mars,  l'an  de  grâce  1707,  et  do  notre  règne  le 
deuxième.  —  Sfgué  Loiis,  » 

Observaùom  de  Caniot  sur  le  rapport  de  Bailleul. 

• 
Personne n'ignoreaujourd'hui  quecerapport,  dontK^xactitude 

historique  éiaii  en  général  inconlc.^iable,  était  calomnieux  eu  quel- 
ques poims,  et  rédigé  au  profil  de  liainrspariiculières.  Le  triumvi- 
rat du  du  ecioire  avait  profilé  de  l'occasion,  pour  éloigner  quelques 
hommes  dont  la  probité  le  gênait.  C'est  a  nsi  qu'ils  avaient  frappé 
Carnot.  Celui-ci  répondit  au  rapport  de  Bailleul,  dans  une  bro- 
chure particulièi  e,  fort  intéressante,  mais  trop  longue  pour  être 
insérée  ici  (J).  En  voici  un  extrait  : 

<  Après  six  mois  de  recherches ,  et  avec  le  recours  de  tous  ses 
faussaires  à  gages,  le  directoire  républicain  est  enfin  parvenu  à 
découvrir  : 

>  10  Que  j'ai  vie  qiCil  se  commit  des  assassinats.  Tandis  que 
tout  ce  que  j'ai  dit  et  écrit,  atteste  le  fait  diamétralement  opposé; 
tandis  que  le  directoire  a  entre  ses  mains  les  p  èces  que  j'ai  four- 
nies moi-même  pour  la  conviction  et  la  poursuite  des  assassins; 
tandis  que  c'est  lui,  directoire  rèpulflicairiy  qui  a  couvert  ces  assas- 
sins de  son  aile  protectrice,  et  s'est  constaunnenl  refusé  à  les  faire 
punir. 

»  2"  Que  je  me  suis  opposé  à  la  destitution  d>:  Willot.  Tandis 
que  ce  sont  4es  (//rrc/eNr.s  républicains  qui  formaient  la  majorité 
du  directoire,  et  qui  ont  par  con.*é  juent  maintenu  Willot  m  place 
malgré  la  pcrsna.sioii  où  ils  étaient,  assurent-ils,  que  "NVjllot  était 
un  égorgeur. 

(I)  Rc'ponsede  L.-N.-M.  Ornot,  citoyen  français,  l'un  des  fonditeurs  delà 
Ré,iibliqne,  et  inemb  e  constiJoiionoel  du  directoire  exécutif,  au  ra  por-  f  il 
sur  la  conjuration  du  tS  fructidor  par  J.-Cli.  Bailleul ,  <tc.  t  on  re- ,  1799. 
Vol.  in-12  de  259  paR<s.~On  (ail  que  Caruol  ei;t  le  l)OLtîeur  de  se  soustraire  à 
ses  ennemis.  C*e*t  en  Allemagoe  qo'il  composa  cet  écrit. 


ÀO   18   FRUCTIDOR    AN    V   (  4  SEPTEJfBHË   1797).  449 

»  S*'  Que  je  voyais  Pichegru  tous  les  jours  dans  le  secret  et  Vin- 
timilé;  tandis  que  je  n'ai  vu  Pichegru  qu'une  fois  par  convenance, 
ex  non  en  secret  ni  en  intimité,  et  une  autre  fois  parhasard,  deux 
minutes,  en  présence  de  dix  personnes  el'  sans  lui  parler;  tandis 
que  j'ai  fait  ce  que  j'ai  pu,  par  voie  indirecte,  pour  le  décider  à  se 
proîioncer  en  faveur  des  patriotes; 

»  40  Que  j'ai  protégé  les  rois  et  Cempereur;  tandis  que  j'ai  voté 
la  mort  d'un  roi,  fait  trembler  les  autres  rois ,  et  battu  en  brèche 
!e  trône  impérial  ;  tandis  que  ce  sont  nos  directeurs  républicains 
qui,  après  avcir  résisté  cinq  mois  à  ia  conclusion  d'un  traité 
avantangeux  pour  la  République ,  ont  fini  par  en  conclure  un  qui 
rend  l'empereur  plus  puissant  qu'il  ne  le  fut  jamais,  et  tel  qu'on 
aurait  pu  le  faire  si  l'empereur  avait  été  constamment  vainqueur 
en  Italie  ; 

»  5<*  Que  j'ai  soutenu  l'existence  politique  du  pape;  tandis  qu'en 
faisant  la  paix  avec  Naples,  malgré  les  directeurs  républicains,  j'ai 
ôté  au  p;jpe  le  ^eul  appui  qu'il  pût  avoir  pour  soutenir  son  exis- 
tence politique;  tandis  que  j'ai  proposé  aux  directeurs  républi- 
cains,  qui  ne  l'ont  pas  voulu,  de  dépouiller  le  pape  de  sa  puissance 
temporelle  pour  Ja  transférer  à  une  puissnnc^  (f^spagnole),  qui  eût 
été  un  contre-poids  pour  la  maison  d'Autriche;  qui  eût  anéanti 
ses  prétentions  à  la  qualité  d'er;»pereur  et  roi  des  Romains ,  qua- 
lité qui  sera  réalisée  de  fuit  avant  peu  dans  cette  maison ,  après 
avoir  coûté  beaucoup  de  îiang  aux  Français;  le  tout  par  les  me- 
sures pleines  de  sagesse  et  de  prévoyance  qu'ont  prises  en  Italie 
nos  directeurs  républitains; 

*  G**  Que  je  voulais  faire  des  royaumes  de  toutes  nos  conquêtes, 
el  surtout  créer  un  nouveau  royaume  de  Lomba'die;  tandis  qu'au 
contraire  je  proposais  à  nos  directeurs  républicains ^  qui  ne  l'ont 
pas  voulu,  de  mettre  à  profit  nus  conquêtes  pour  agr.mdir  la  Ké- 
piiLli(|u^*,  pour  cc^nveriir  en  République  une  grande  contiée  du 
monde  qui  e^t,  qui  languit  sous  la  domination  d'un  roi;  tandis 
que  ce  sont  nos  dirtcteurs  répub^icans  qui  ont  monarchisé  une  ré- 
publique qui  était  une  de  nos  conquêtes,  en  livrant  Veni>e  à  l'em- 

per(;ur; 

T.    xxxvii.  2.^ 


46'J        DIRECT.    —   DU   1"  PRAIR.    AN   V    (  20   MAI    1797) 

u  7°  Que  j'ai  vmlu  sacr'fier  la  Hollanle;  tandis  que  ce  sont 
nos  direi  teins  républicains,  *l  pU  itis  de  injauié  ^  qui  oui  votilu  la 
dép  )u  lier  ;  unlis  que  te  soi.t  eux  q-i  ont  cnireienu  1  ai  ardiie 
par  sysiciiie;  t;^nd  s  que  ce  soi  t  eux  qji  se  [)i.|ueni  de  ne  re- 
connaît e  aucun  druil  que  C(  lui  du  plus  fort;  land  s  quM  est 
certain  ,  :ii  si  que  le  fjil  le  prouvera  ,  que  le  projet  de  ces  ilirec- 
leurs  républicains^  et  pleins  «le  loijauié,  est  de  p:ii  l?{jer  avec  l'An- 
gl^l-rre  ,  av-  c  c«  lie  Angleterre  qui  est  un  royaume ,  a\ec  celle 
An{;ielerre  dont  ils  oui  juré  lexltruiinaiion  ,  les  possessions  de 
la  répul'li  |ue  baiave; 

»  8^  Que  je  me  suis  opposé  à  ce  quon  défendit  Kchl  aussi  long- 
temps quoii  pouvait  le  [aire;  tandis  que  le  dire  toire républicain  a 
entre  ses  inuins  les  ordres  nti  le  fo  s  rép^'iés  ,  donnés  par  moi , 
de  d*  fend  e  K  hl  jusqu'à  la  dernière  »xircmiic;  tar  dis  que  ce  sé- 
rail à  lui-iiièm^,  roim;)nt  njajoiiié, -qu'on  devrait  ini|  uier  le 
crime,  si  lulil  u'eùi  pas  été  delenuu  coiiiuie  on  aNa.t  droit  de  s'y 
attendre; 

»  Qo  Qtig  je  jifii  voulu  ordonner  le  dernier  passage  du  Bliin 
qu  après  av>nr  eu  cminnissancti  du  traité  de  Lèobtn;  tandis  que  le 
Rhin  a  été  pa.s^é  le  jour  uiCMie  du  traite  de  Leob»  n  (qui  esta 
troi5  ctnis  li«ux  de  Paiis  )  par  l'armée  de  Sambie-ei  31euse  ,  et 
deux  jours ;ipi es  pu*  l'armée  de  Rhin  et  Mustl.e;  tandis  que  lout 
Paiis  ^avait  le  pas>a{;e  du  Rhin  ûeu\  jours  avani  qu'on  [>ÙLy 
avuiraucunen  uvelle  du  tratéde  Leolien;  lauds<)ue  nos  direc- 
teurs républicains  b'accu.eni  eux-mêmes  du  double  crime  1*  d'a- 
voir, frux  (jui  elaieni  en  luajori  é,  ne(;li{;é  de  donner  l'ordre  de 
passer  l'j  lilim  l.»r>quela  chose  eiaii  possible  suivant  eux  et  néces- 
saire j  î2**  de  l'avoir  ordonne  lorsqu  il  ne  pouvait  plus  servir  qu'à 
faire  mas  aci  er  les  défenseurs  de  la  patrie,  qu'à  violer  le  droit  des 
gens,  qu'a  rallumer  la  guerre  au  niomenl  où  l'on  venait  de  la  ter- 
mine*. 

>  V  Que  pour  déconsidérer  /i  Piépubiiqueau  dehors  j'ai  proposé 
de  ne  point  cnvoijer  d'à»  ba  sadeurs  dans  les  cours  é.ranyères;  tan- 
dis (|ue  nos  direciturs  lépuuUcains  savent  que  c'éiuit  au  contraire 
afin  que  la  République  ne  peruîi  point  sa  coubiJeraiion  au  de- 


▲17  18  FRUCTIDOR   AN   Y  (  4  SEPTEMBRE  1797),  4^1 

hors  ;  tandis  que  ce  sont  eux  qui ,  par  leur  conduite  puprilemeci 
hautaine  en\ers  les  envoyés  é  rai. fiers ,  exposent  les  noues  à  des 
représailles  liurnilianus,  et  la  République  au  danger  perpé- 
tuel, ou  li'êire  avilie  ou  de  recommencer  la  guerre,  ei  que  mainte 
exeun^les  ont  déjà  jusiifié  mon  système  à  cet  égard.  > 

Pièces  relatuies  à  Moreau, 

L'armée  de  Rhin-el-Moseîle ,  dont  une  partie  avait  é'é  sôûs  lél 
ordres  de  Pichegru,  c  ui  de  la  peine  à  croire  à  (a  culpabilité  de  son 
ancien  général.  II  fallut  que  Moreau  ,  connu  pour  son  am»,  vînt 
lui  coi  ïiviMQv  ce  que  l'on  disait  de  lui.  On  fut  étonné  que  Moreau 
eût  pu  se  résoudre  à  dénoncer  Pichegru,  son  compagnon  d'armes. 
De  plus  celte  démarche  alfl'gea  tout  le  monde.  Pour  l'expliquer, 
on  préteniit  que  Pichrgru  et  Moreau  avaient  travaillé  de Ct>n- 
cert  au  plan  de  contre-révolution,  et  qu'ils  étaient  convenus, 
si  l'un  des  deux  venait  à  être  découvert,  que  Tau  ire  pourrait 
tout  sncrifier  à  sa  sûreté  peràonnelle.  La  condui'e  de  Moreau 
en  181."^,  la  part  qu'il  prit  alors  à  la  guerre  contre  la  France,  don- 
nent de  la  vrais»  mblur-ce  à  ces  conjectures  ;  mai>  ce  qui  les  ap- 
puie plus  direcleitient,  c'tst  que  Moreau,  arrivé  à  Paiis,  fui  dis- 
gracié [>ar  le  directo  re  ;  c'est  sur:oui  que  la  lettre  dans  laquelle 
il  dénonce  Pichegru,  étant  adressée  à  Bir  hélemy,  paraît  ainsi 
avoir  été  calculée  de  inan  èie  à  devenir  nulle  dans  un  cas,  et,  dans 
un  autre,  à  justifier  son  auteur.  Voici  les  révéla; ions  de  Moreau. 

Le  central  en  chef  au  citoyen  Bartliéiewy,  membre  du  directoire 
exécutif  de  la  Bépubliqae, 

Au  quartier-général  de  S'rasliourg,  le  19  fructidor 
au  o  de  la  repuLI  que  IrauçaLe. 

«  Citoyen  directeur,  vous  vous  rappellerez  sûrement  qu'à  noon 
dernier  voyage  à  Bâlr:  je  \oiX6  ins^rui^is  qu'au  pass.»gedu  lUiin 
nous  avions  pris  un  fourgon  au  général  Kluiglm,  conit^nanl  deux 
ou  trois  cents  lettres  de  correspondance  ;  celles  de  Willeisbâcîi 
en  faisaient  pat  tie;  mais  c'éiaiem  les  moins  ioiporiaïues.  Beaucoup 


432  DIRECT.    —    Dt    i'^^    PRAIR.    Alf    V    ^  20    MAI    1797  ) 

de  lettres  sont  en  chiffre  ;  mais  nous  l'avons  trouvé  :  on  s'occupe 
à  tout  déchiffrer  ;  ce  qui  est  très-lonj;. 

»  Personne  n'y  porte  son  vi  ai  nom  ;  de  sorte  que  beaucoup  de 
Français  qtii  correspondes  avPcKlinj^lin,  Condé,  Wickam,  d'Ea- 
f  hien  et  d  autres,  sont  diUiciles  à  découvrir  ;  cependant  nous 
avonsde  telles  imlica  ions,  que  plusieurs  sont  déjà  connus. 

I»  J'étais  décidé  à  ne  doni.er  aucune  pul  liciié  à  cène  corres- 
pondance, puisque,  la  paix  étant  pi  ésumable,  il  n'y  avait  plus  de 
dangt-r  puui-  la  RépubI  que,  d'autant  que  tout  cela  ne  ferait  preuve 
que  contre  peu  de  moi.de,  puisque  personne  n't  si  nommé. 

>  Mais  voyjnt  à  la  téie  des  paitis  qui  font  actuellement  tant 
de  mal  à  noire  pays,  et  jouissant  dans  une  p'ace  éminrntede  la 
plus  grande  confiance,  un  homme  très-compromis  dans  cette 
correspondance,  et  destiné  à  jouer  un  grand  rôle  dans  le  rappel 
du  préiendant,  qu'elle  av;.ii  pour  Lut,  j'ai  cru  devoir  vous  en 
instruire  ,  pour  que  vous  ne  soyez  pas  dupe  de  .^on  feii  l  républi- 
canisme ;  que  vous  puissiez  faiie  éclairer  sesdéuiarches,  et  vous 
opposer  aux  coups  fi-nestes  qu'il  peut  poritrà  notre  pays,  puis- 
que la  guerre  civile  ne  peut  qu'être  le  but  de  ses  prt)jeis. 

»  Je  vous  avoue,  ciioyen  directeur,  qu'il  mVn  loûle  infini- 
ment de  vous  instruite  d'une  telle  trahison,  d'autant  plus  que 
celui  que  je  vous  lais  coimaîtiea  éiémcnao»i,ei  le  serait  mûre- 
ment encore  s'il  ne  m'était  connu.  Je  veux  parler  du  représentant 
du  peUf.lePichegru. 

»  Il  a  été  assez  prudent  pour  ne  rien  écrire  ;  il  ne  communi- 
quait que  verb  ilemeni  avec  ceux  qui  étaient  chargés  de  la  corres- 
pondance, qui  faisaient  part  de  ses  projets  et  recevaient  ses  ré- 
ponses. Il  y  est  désigné  sous  plusituis  noms  ;  entre  autres  celui 
de  Bq)tisie.  Un  chef  de  brigade  nommé  Dailouvillelui  était  atta- 
ché, et ,  désigné  sous  celui  de  Coco,  était  un  des  courriers  dont 
il  se  ser\!iit ,  ain^i  que  les  autres  correspondans.  Vous  devez 
l'avoir  vu  assez  fi  équ»  minent  à  Bâ  e. 

>  Leur  grand  mouvement  devait  s'opérer  au  commencement 
de  la  campagne  de  l'an  iv.  On  comptait  sur  dts  levers  à  mon  ar- 
rivée à larmée,  qui ,  mécontente  d'être  battue,  devait  redeman- 


AU  18  PRDCTIDÔR  AN   V   (  4  SEPTEMBRE   1797  ),  455 

der  son  ancien  chef,  qui  alors  aurait  agi  d'après  les  instructions 
qu'il  auf  ait  reçues. 

>  Il  a  4ù'  recevoir  neuf  cents  louis  pour  le  voyage  qi'il  fit  à 
Pars  à  l'époque  de  sa  démission  ;  de  là  vient  na'.urellement  son 
refus  de  l'ambassade  de  Sjède.  Je  soupçonne  la  famille  Lajolais 
d'élredans  ceiie  inirigue. 

»  Il  n'y  a  que  la  grande  confiance  que  j'ai  en  votre  patriotisme, 
en  votre  sagesse ,  qui  m'a  déterminé  à  vous  donner  cet  avis.  Les 
preuves  en  sont  plus  claires  que  le  jour;  mais  je  doute  qu'elles 
puissent  être  judi  iairr^s. 

»  Je  vous  prie,  citoyen  directeur,  de  vouloir  bien  m'éclairer 
de  vos  avis  sur  une  affaire  aussi  épineuse.  Vous  me  (onnaiisez 
assez  pour  croire  coml^en  a  dû  me  coûter  celle  confilem-e;  il 
n'a  pas  moins  fallu  qtie  les  dangers  que  court  mon  pays  pouf  la 
faire.  Ce  stcret  est  C'.tre  cinq  personnes  ,  les  généraux  Dcsaix  , 
Reignier,  un  de  mes  aide^-de-camp  ,  et  un  oîficier  cha»géde  la 
pariitî  secrète  de  l'armée  ,  nui  bu'n  continuellement  lesrenseigne- 
mens  que  donnent  les  h  tires  qu'on  déchiffre. 

»  Recevez  la^surance  de  i'esiime  distinguée  et  de  mon  invio- 
lable atiachement.  •  —  Signé  Morkau. 

Le  général  en  chef  au  directoire  exécutif. 

Au  quartier-général  de  Strasbourg,  le  24  fructidor 
an  ô  de  la  République. 

€  Citoyens  directeurs,  je  n'ai  reçu  qjc  le  22 ,  très-tard  et  à  dix 
lieues  de  Strajjbourg,  votre  ordre  de  me  rendre  à  Paris. 

»  Il  m'a  la'lu  qijel<|ues  heures  pour  préparer  mon  départ ,  as- 
surer la  tranqi  llilé  de  1  armée ,  et  faire  arrêter  quelques  hommes 
compromis  dans  une  correspondance  in:éressanie  que  je  vous  re- 
mettrai moi-même. 

»  Je  vous  envoie  ci-joint  une  proclamation  que  j'ai  fa'te,  et 
dont  l'effet  a  été  de  convertir  beaucoup  d'incrédules;  et  je  vous 
avoue  qu'il  éiait  difficile  de  croire  que  l'homme  qui  avait  rendu 
de  grands  services  à  son  pays,  et  qui  n'avait  nul  intérêt  à  le  tra- 
hir ,  pût  se  porter  à  une  telle  infamie. 


45i       DIRECT.   —    DU   i«f  PRAIR.    AU   18   ÎFRUCTIbOR   AN  V. 

0  On  me  croyait  l'ami  de  Pichegru ,  et  dès  lonfj  V  mps  je  ne 
J 'estime  plus.  Vous  verrez  que  perionne  n'a  été  plus  compomis 
que  moi ,  que  tous  les  pjojVts  étaient  fondés  -sur  \^  revers  de 
l'armée  que  je  coininandois  ;  son  couruge  a  sauvé  la  République. 

»  Sulut  el  respect.»  Signé  Moiikau. 

Le  général  en  chef  à  l'armée  de  Rhin'Ct' Moselle. 

Au  quT'ier-général  de  Strasbourg,  le  23  fniçti- 
dtr  an  5  de  la  Képublique. 

4  Je  reçois  à  l'instant  la  proclamation  du  directoire  exécutif 
du  18  (le  ce  mois,  qui  apprend  à  la  France  que  Picbe^^ru  s'est 
re  du  in  iîfîne  de  la  confiance  qu'il  a  long-ttmps  inspirée  à  toute 
la  Uépuljlique ,  et  i>ui  tout  aux  arm<  es.  ^ 

»  Ou ui'a éQ  lemrnt insu u  tque  plusieurs  militaires , trop con- 
fiansdans  le  patiit*t  sme  de  ce  représentant ,  d'après  les  services 
qu'il  a  rendus,  doutaient  de  cette  assertion. 

>  Je  doi)  à  mes  fièrts  d'armes,  à  mes  concitoyens ,  de  les  in- 
struiiede  la  vérité. 

•  Il  û  est  que  trop  vrai  que  Piclïe{jru  a  trahi  la  confiance  de  la 
France  emière.  J'ai  instruit  un  des  membres  du  direcioire,  le  19 
de  ce  mois  ,  (|u'il  m'éiait  tou.bé  entre  les  mains  une  correspon- 
daiJCcavtcCoi  déét  d'auircs  ï)gens  du  prétendant  qui  ne  me  lais- 
sait i^u*  un  doute  2>ur  celte  trahison. 

>  Le  diiecioire  vi«  nt  dem';q>peltr  à  Paris,  <l  désire ^ûreinenl 
d&i  len-e  {;ncmt  ns  pluj»  étendus  sur  cette  corresponJance. 

»  Soldats,  sojez calmes  tt  sans  incpiiétude  sur  les  événemens 
deTiuiérifur;  iTuyez  (|ue  le  youverntment,  en  comprimant  les 
loyidistts,  veilera  au  maimitn  de  la  coustiiuiion  républicaine 
que  Vvjusav«.z  juiéde  deieudre.  »  —  Signa  MoiiE-\u,  général  en 
chef. 


HISTOIRE  DU  DIRECTOIRE. 

pu   18   FRUCTIDOR  AN  V  (1797),    ^U  22  FLORAL    AN  VI  (1798.) 


Après  Je  coup  d'rtat  de^  18  n  19  Fruciidor,  le  pani  triomphant 
nVut  d'aiiire  pensée  que  de  f^arantir  le  sys'ème  répuUicain  con- 
tre les  effons  des  roya'istt  s.  En  effet ,  en  chassant  du  corps  lé- 
gislatif quelques  partisans  de  la  monarchîe,  on  ne  se  flatiat  pas 
d'avoir  chan{îé  l'esprit  ni  les  it  nd.mces  de  la  masse  drs  ekdeurs; 
en  conséquence  les  hommes  ii.fluens  d^s  deux  conseiU  turent 
l'idée  d'investir  le direcioire  d'une  sorte  dediciaiure  lemporaire. 
On  proposa  aux  Cinq-Cents  ,  le  cinquième  jour  coniplenieniaire, 
an  o,  de  suspendre  l^-s  séames  du  corps  h^f^islaiif,  et  d'en  aiour- 
ner  la  réu'  lun  à  la  paix  j|éré»alo.  Celte  propo>ition  fut  le  eiée. 

La  majorté  n'y  vit  qu'une  nîesure  imprudente,  de  naïu'C  à 
provofpjer  une  explosion  immédiaie,  cl  laiiedims  i'intrrctd  Ir  m- 
mes  qui  noifraient  pis  eux-mêmes  des  {^[arafities  snflisanles. 
Celle  niolion  si  mal  accueillie  av.iit  été  p? écédée  de  démarches 
qui  n'éuient  un  secn  t  pour  personne.  On  avait  propos»^  de  pro- 
rofjer  jusqu'à  s  pi  ans  l^^s  pouvoirs  des  membres  actuels  du  corps 
lé{;isl.iiif,  et  jus  |u'à  dix  ans,  ceux  des  dire  leurs.  Ce  furent  ces 
dernier  s,  assu»  c  Merlin,  dans  une  b»  othure  (ju'il  publia  peu  après 
sa  sortie  du  directoire,  ce  furent  ces  deriiicra  qui  repoussèrent  le 
projet.  • 

Pendant  que  l'on  délil  é  ait  ain  i,  d'une  manière  exlra-'é(;ale  , 
dans  les  conseils,  les  mei  bres  des  clubs  consiituiioi.neb,  f-  rmcs 
par  ordre  des  Iructidoriscs  ,  se  reun"«s  aient  de  nouveau  et  «épre- 
naient leurs  ^éances.  Personne  n'usa  ou  ne  crut  devoir  s*y  op- 
po^er;  c'était  un  :ipf)ui  vuloituire  qui  venait  au  {j^ouvernenieni  ; 
il  croyait  en  avoir  be&oiu  ;  il  laissa  luire.  Il  ne  rcOéchil  pas  qu'il 


456  DIRECT.    —    DU   18   FRUCTIDOR    AN    V    (  1797  ) 

dornait  ain^i  le  moyen  aux  vrais  républicains  de  se  réunir  ,  de 
s'eniendre,  de  reprendre  coura{;e  ,  et  peut-étie  d'agir  conirelui. 

Le  din  cloii  e,  usant  du  pouvoir  que  lesconsei's  lui  avaient  don- 
né, renouvelait  les  administrations  dans  les  dépariemens  fruc- 
lidorisés,  etexciiait  lesconimis^io;  s  militaires  à  faire  vigouieuse- 
ment  leur  devoir  a  l'égard  des  émigrés  rentré-.  E  les  obcirent  ; 
des  exécutions  satg'anies  àouil  èrent  le  soi  de  la  France.  A  Paris 
même  il  y  en  eut  pusiems.  On  remarqua  que  ces  actes  de  ri- 
gueur outrée,  ou  plutôt  de  cruauté  atioce,  frappèrent  prt^sque 
toujours  des  hommes  obscurs ,  des  hudïmes  sans  valeur  politique. 
L'opinion  publique  fut  indignée.  On  accusa  même  les  membres 
des  tJ  ibunaux  militaires  ue  tenir  compte ,  dans  leur  zèle ,  surtout 
de  1  »  position  des  individus;  de  ménager  les  puissans  et  de  happer 
seulement  les  petits.  En  même  temps  on  mettait  à  execuiion  les 
lois  de  dépof  tilion,  non-seulement  celles  qui  avaient  été  rendues 
cjntre  les  membres  du  conseil  et  du  directoire,  maisencojecel.es 
qui  frappa  eni  les  pi  éires  insermentés.  Les  conseils  suivirent  dans 
les  preniiers  momens  la  voie  r« actionnaire  adoptée  par  le  gou- 
vernement; mais»  enfin  le  méconieniemeni  public  y  iiouva  quel- 
ques organes  ;  l'on  se  plaignit  des  excès  commis  par  les  commis- 
sions militaires,  tt  ces  plaini»6  sulûrentpour  y  mettre-  un  terme. 

On  proposa  aux  Cintj-C  nls  de  bannir  du  tenitoiredela  I^epu- 
bliqtic  tous  les  nobles,  tous  ceux  qui ,  dans  les  actes  publics , 
avaient  pris  les  titres  de  ducs ,  comtes ,  vicomtes,  bai  ons  ou  mar- 
quis, toute  li  noblesse  de  robe,  etc.  Le  député  Serres  s'éleva 
vivement  contre  celte  proposition];  des  journaux  firent  observer 
que  Bjrras  et  Bonaparte  étaient  des  ex-nobies  :  la  proposition 
fut  rejetée.  On  lui  en  substitua  une  autre  dans  laquelle  on  plaçait 
les  ex-noliles  dans  la  position  des  éfrau,jcrs ,  et  l'oa  déclarait 
que,  pour  exercer  les  droits  de  citoyen,  iU  devaient  se  conformer  * 
aux  dispositions  de  l'article  10  de  la  con^tiluLion,  relatif  aux 
étrangers  qui  veulent  devenir  Fraiiç^iis.  Ce  projet  fut  volé  aux 
Cinq-Cents  ,  etappiou\é  aux  Anciens  le  9  fiimaire. 

Comme  le  remarque  un  écrivain  de  l'époque,  tout  le  temps 
qu'occupa  celte  délibération  doil  être  considéré  comme  un  temps 


AO  î22  FLOKÉAL  AN  VI  (1798).  457 

de  crise  qui  jeta  Talarme  dans  un  grand  nombre  de  fanfiilîes. 

Le  corps  législaiit"  qui ,  dans  cette  affair  e  ,  n'avait  poursuivi 
qu'une  conséquence  du  18  fructidor  et  qu'une  pensée  de  réaciion 
contre  la  marcha  adoptée  précédemiiieut  par  les  conseils ,  se 
Lâia  également  de  montrer  qu'il  éiait  animé  d'un  tout  aulre  es- 
prit en  matière  de  finances.  D'abord ,  il  réduisit  la  rente  de  deux 
tiers,  en  ordijnnant  que  le  capital  de  ces  deux  tiers  supprimés 
serait  remboursé  en  bons  au  porieur,  admissibles  en  [)aiemeDt 
des  domaines  nationaux.  Puis  (14  brumaire)  il  fixa  le  buJget  des 
dépenses  de  l'an  vi  à  616  aiiliions  ainsi  répartis  : 

1°  Indemniiés  des  électiurs,  8^9,08J  fr.  ;— 2"*  Conseil  des  An- 
ciens, 2,545,591  fr.;  — 5oConoeiides(:inq-Cen<s,4,887,î6Jfr.; 
—4°  Archivistes  du  corps  légi&lat  f,  10o,o40  fr. ;— 5"*  Directoire, 
2,706,125  fr.  ;  —6"  Justice,  7,075  985  fr.;— 7*^  Intérieur, 
58;  154  000  fr.  ;  —  8*»  Finances  ,  4,î:66. 107  fr.  ;  —  9^  Gi^erre  , 
541,0o4,000  fr.;  —  10«  Marm^  85,500,010  fr,;  —  Ho  Relations 
exlériet.res,  3.501,688  f.;  —  12^  Po'ice  gén-rale,  1,96"),500  fr.; 
-—13*^  Trésorerie  liaiionale,  4,684,419  fr.  ;  14*"  —  Picnies  et  pen- 
sions,  85,353,355  fr.;— 15»  Gomptabiliié  nationale,  675,000  fr.  ; 
—  16°  Dt^penses  imprévues,  15,989,675.  —Total,  616  millions. 
— Les  dépenses  du  ministère  de  la  guerre  étaient  calculées  sur  un 
complet  de  cinq  cent  vingt-huit  mille  hommes  et  de  quahe-vingt- 
deux  mille  chevaux  ;  celles  de  la  marine,  sur  un  complet  de  vingt- 
trois  mille  hommes  d'anilierie,  cinquanie-cinq  mille  hommes 
d'équipoges,  et  vingt  mille  ouvriers. 

Les  impôts  précédemment  votés  ne  suffisant  pas  pour  couvrir 
cette  dépense,  on  étendit  le  droit  de  timbre;  ou  y  soumit  les 
feuilles  périodiques  ;  on  augmenta  l'impôt  sur  le  labac  étranger  ; 
on  rétaLlii  la  loie  rie  ;  on  créa  un  code  et  des  droits  hypothécaires; 
enfin  on  établit  une  laxe  des  roules. 

Ces  actes  pouvaient  encore  êtve  coiisidérés  comme  un  produit 
du  mouvement  opéré  en  fructidor.  Lu  effet ,  ce  furent  les  der- 
niers éolairs  de  la  spontanéité  politique  de  la  législaïuie.  EJe  de. 
vint  ensuite  un  instrument  passif  entre  les  mains  du  directoire. 
Elle  ne  lut  plus  qu'un  rouage  du  mécanisme  administratif  que 


458  DIRECT.    —    DU    18   FRCDICTOR    AN   V  (  179T  ) 

celui-ci  faisait  mouvoir  par  des  messaf^ers.  Mais  comme  les  ques- 
tions adminisiraiiv'es  ne  suffisaient  pas  pour  occuper  quotidien- 
nement ses  séances,  elle  porta  son  attention  sur  divers  sujets  trop 
souvent  plutôt  propres  à  servir  de  matière  à  des  conversuiuns 
qu'à  des  débats.  On  réglementa  à  l'occasion  d'aflxiires  pariicu- 
lières;  ainsi  plusieurs  séances  furent  employées  à  délibérer  sur  le 
mariafjed'un  enfant  adopiif  de  la  République,  la  Gl!e  de  Lepelle- 
tier;  ondéli!  éraet  môme  on  s'échaufia  à  propos  de  costumes;  celui 
que  l'on  choisit  pour  les  députés  était  une  sorte  de  «'é-fuisenient 
imité  de  l'antique,  dont  l'usage  eut  pour  résultat  de  donner  à 
l'asseaibice  un  aspect  ridicule  ou  grotesque.  Enfin  l'on  discourut 
plutôt  que  l'on  ne  délibéra  sur  quelques  graves  sujets,  sur  les 
insiiluiions  civiles,  sur  l'éducation,  sur  l'ordre  judici.iire,  sur 
1  in.siitutitin  du  jury ,  etc.  On  régularisa  cependant  le  système  des 
poids  et  Hiesures;  mais  ce  fut  sur  un  njessagedu  directoire.  Les 
Cinq-Ct-Dts  semblaient  avoir  renoncé  à  reiidre  leur  iniiiative 
réelle. 

Pouvaenî-ils,  d'ail'eurs,  faire  autrement.  Le  coup  d'état  de 
fructidor  ne  les  avait  il  pas  t-ubalurnisés  au  pouvoir  ex»'cu'if? 
Ce  coup  d'éiat  n^  pouvait-d  pas  éire  renouvel  si,  par  l'elfei  de 
leur  activité^  ils  fusseil  arrivés  à  faire  de  l'opposilioii.  Lel8lruc- 
tidor  leur  avait  ôté  b  liberté;  il  avait  en  léalté,  aux  yeux  de 
tous  les  hommes  doués  de  quelque  pr 'voyante,  lue  l.t  tons  ilu- 
tir-n  et  pjrjlysé  !a  lé{jis! iture.  Aussi  be»uc(»up(legeMS  })ecisii»nt 
d?^jà  qu'il  falI;iiirérormer  celle consiituiian.  Les  m«  mbrrsdescon- 
sei's  ne  t;irdèieni  pas  à  être  méco  it^ns  et  humilias  de  leur  posi- 
tion ;  mais  ils  ne  pjuv.iicnt  en  sort  r  que  par  une  révolution  dont 
ils  ne  voyaient  ni  les  élémens,  ni  l'appui.  Nous  trouvons  une 
pn^uve  de  la  {;éMéraliié  de  cette  opinior»  dans  une  dénoiuiution  qui 
eut  lieu  à  la  .éance  du  1)  pluviôse  an  vi  (28  janvier  1798),  dénon- 
ciaiion  qui  prouve  que  le  profot  rénlisé  au  18  brumaire  existait 
déjà  dans  quelques  lôtes.  Voici  cette  téance  : 

Conseil  des  Cinq-Cem^.  —  Séance  du  0  pluviôse. 

Garnier^  de  Saintes,  par  mouon  d  ordre.  «  Ce  n  est  pas  une 


AO  22  FLORÉAL  AN  VI  (1798).  459 

dénonciation  qne  je  viens  faire  au  conseil,  je  viens  lui  lire  des 
pièces  qui  prouvent  que  Ion  veut  ëgaier  l'opinion  publiiiue,  et 
fair€  entendre,  par  la  plus  atroce  des  calomnies,  que  la  division 
règne  entre  le  directoir  e  et  les  conseils,  et  qu'ils  cherchent  à  ren- 
verser Tordre  actuel  des  choses. 

»  La  première  pièce  est  une  déclaration  du  représentant  du 
peuple  Dujardin  ,  contenue  dans  une  lettre  qui  a  été  écrite 
au  directoire;  insérée  dans  le  Rédacteur,  et  ceriilîée  confoime 
par  un  chef  de  bureau  de  la  police  ;  elle  est  conçue  en  ces  ter- 
mes : 

Châloni,  le  28  nivôse  an  6. 

«  Citoyens  directeurs,  je  ne  dois  pas  vous  taire  que  le  repré- 
sentant du  peuple  Duja/din,  du  conseil  des  Cinq-Cents ,  est 
airivé  à  Chàluns,  son  pays  natal,  depuis  quatre  àc  nq  jou  s  ; 
qu'ayant  aussitôt  été  visité  par  plusieurs  citoyens  de  la  com- 
mune, il  leur  a  donné  pour  nouvelle,  qu'actuellement  la  faction 
la  plus  puissante  qui  existât  dans  la  Uépub'ique  était  une  fac- 
tion qui  avait  dessein  de  réduire  la  représentation  nationale  à 
cent  membres,  qui  formeraient  un  seul  conseil,  sous  le  roj\  de 
séiiai  français,  à  la  tête  duquel  il  n'y  aurait  (ju'un  seul  chef.  11  a 
ajouté  que. la  p'usgran«Je  division ex'siait  parmi  les  men.b  esdu 
directoire  mêine  ;  que  cttte  division  était  au  point  q«ie  pas  un 
seul  n'était  d'accord  avec  aucun  autre.  C'est  en  présence  de  deux 
juges  du  tribunal  ciNÏl  de  ce  département ,  que  le  représentant 
du  peuple  Dujardin  s'est  ainsi  expliqué. 

>  Que  le  citoyen  Dujardin  ne  bo  t  que  l'écho  de  ce  qu'il  a  en- 
tendu ô'ie  lui-même  à  Paris,  c'est  ce  que  j'ijjnore;  mais  ce 
qu'il  y  a  de  cert  in  ,  c'est  que  semblables  nouvelles  n'avaient  pus 
encore  éié  débitées  en  cette  commune  et  qu'aucun  papier 
public  n'en  a,  depu  s  1  arrivée  du  citoyen  Dujafdin,  fait  .au- 
cune meniiun.  A  la  vedie  des  electons,  ces  biuits  peuvent  ré- 
veil er  hs  mal  veilla  ns;  et  comme  le  citoyen  Dijardin  tta  t  déjà  en 
congé  l'an  passé  dans  la  commune  de  Chàlons,  à  peu  près  à  celte 
époque  ;  qu'après  son  séjour,  il  en  est  résulté  d  s  élections  dé- 
favorables à  la  cause  de  la  révolution  ;  qu'il  a  répandu  des  écrits 


460  DIRECT.    —    DU   18   FRCCTIDÔR   >>    V   (1797; 

en  faveur  des  parens  des  ëm'jjrés  et  des  préin^s  insermentés  ; 
enfin,  qu'il  a  éié  soupçonné  d'avoir  apporië  en  c«  dëpai  lempoi  \v 
plan  de  ces  funestes  éleciiuns  ,  son  apparition  à  Ciiàlons,  qui  doit 
durer,  à  ce  que  l'on  prétend,  quatre  décudes,  inspire  de  nou- 
veaux soupçons.  Ces  soupçons  ont  pris  une  plus  g^rande  consis- 
tance depuis  que  l'on  sait  qu'il  a  refusé  de  prés»  nier  à  Tatlniinis- 
iration  municipa'e  de  Criie  commune  le  con(jé  en  venu  duquel 
il  est  venu  dans  sa  pilrie,  ainsi  que  le  passeport  dont  il  n'a  pas 
manqué  de  se  munir.  La  première  visite  qu'il  fit  l'an  fassi  fut 
celle  de  l'adminisiraiion  municipale  ;  mais  celte  année  il  a  jugé  à 
propos  de  s'en  dispenser.  » 

Garnier  continue  «  On  cherche  à  accréditer  ces  bruits  de  tou- 
tes les  manière^.  Des  lettres  qui  les  contiennent  ont  été  écrites  à 
nos  collègues  Dubois- Diiiiais,  Dumont  du  Calvados,  Bailleul. 
Le  but  de  ces  écrits  est  de  semer  la  défiance  dans,  les  eprits  et 
la  mésintelli(;ence  entre  les  premiers  pouvoirs.  Mais  toutes  ces 
manœuvres  seront  inutiles.  JNous  savons  que  le  maintien  de  la 
République  dépend  de  notre  union,  et  jamais  elle  ne  fut  plus 
étroite.  Un  seul  esprit ,  une mén;e  volonté  animent  les  conseils  et 
le  directoire.  Ces  vérités  sont  constantes  ;  it  si  je  les  énonce  à 
cette  tr  ibune  ,  ce  n'est  pas  pour  en  convaincre  le  conseil ,  mais 
pour  rassurer  les  citoyens  des  deparlemens  ,  que  ces  caloamiî^s 
pourraient  inquiéter,  surtout  à  la  veille  des  élections. 

>  Plusieurs  membres  oni  réclamé  des  proro{j:Uions  decongé;  je 
demande  qu'on  rs'en  accord'*  aucune  ,  que  tous  les  congés  accor- 
dés soient  annulés  ,  et  que  chaque  membre  absent  soit  tenu  de  se 
rendre  sur-h -champ  à  son  poste.  11  faut  laisser  la  plus  entière 
liberté  au  peuple  dans  ses  choix.» — Plusieurs  voix  :  Appuyé. 

Bailleul,*  J'appuie  les  propositions  de  mon  collègucetj  y  ajoute 
une  seul<3  observation.  C'CvSt  un  fait  certain  que  des  bruits  ca- 
lomnii  ux  circulent  et  sont  répandus  avec  une  affectation  coupa- 
ble. Il  n'est  pas  douteux  que  le  résultat  de  ce  nouveau  système 
est  de  jettT  le  désordre  dans  la  Réfmblique.  Ce  système  est  l'ou- 
vrage de  ces  hommes  qui  ont  rendu  le  18  fructidor  indispen- 
sable. C'est  par  eux  que  Cfs  bruits  s  nt  répandus. 


AU  22  FLORÉAL  AN  Vl  (  4 798»).  461 

»11  n'est  pas  douteux  que  les  aristocrates  et  les  royalistes  n'aient 
le  18  fructidor  en  horreur;  qu'ils  ne  le  regardent  comme  un  nou- 
veau 51  mai,  et  qu'ils  ne  cherchent  à  en  dëtruir<î  les  effets  par 
un  9  thermidor.  Il  n'est  pas  douteux  que  leur  but  ne  soit  de  dé- 
tacher les  amis  de  la  liberté  de  la  cause  de  la  République ,  de  di- 
viser les  Frarjçâis  en  deux  partis  et  de  tromper  les  hommes  qui 
sont  dépourvus  de  lumières  et  de  jugement.  I!s  disent  à  ces  der- 
niers :  Pourquoi  a-ton  fait  le  18  fi  uclitlor?  On  vous  fait  accroire 
que  c  est  pour  ia  République  ;  on  vous  trompe.  Le  but  secret 
des  meneurs  est  de  réduire  le  corps  législatif  à  la  nullité  et  de 
metire  ua  chef  ou  un  dictateur  à  la  place  du  directoire,  jusqu'à 
ce  qu'on  soit  parvenu  à  un  gouvernement  définitif.  Pour  accré- 
diter ces  bruits ,  on  y  mêle  les  noms  de  certains  ministres  et 
de  Bonaparte.  La  foule  crédule  prend  ces  propos  pour  argent 
comptant  ;  d'excellens  citoyens  en  sont  la  dupe,  et  plusieurs  sont 
venus  chez  moi  me  témoiguer  leursr  inquiétudes.  Je  lésai  tran- 
quillisés, et  je  crois  qu'd  suffit  d'avoir  publié  ces  calomnies  à  la 
tribune  nationa'e  pour  en  faire  sentir  aux  Français  tout  le  ridi- 
cule et  les  rassurer  sur  la  fornie  du  gouvernement  qu'ds  se  sont 
donné.  > 

Le  conseil  rapporte  tous  les  congés  accordés,  et  il  arrête  que 
tous  les  membî  es  absens  seront  tenus  de  se  rendre  à  leur  poste 
sur-le-champ.  La  commission  des  inspecteurs  est  chargée  de  no- 
tifier le  pi  ésent  arrêté  à  chacun  d'eux.  Les  discours  de  Bjilleul 
et  de  Garnier  seront  impriu.és. 

Quelles  que  lussent  les  pensées  des  députés ,  l'apparence  de 
.eurs  séances  n'en  éiait  pas  meil  eure.  Elles  étaient  sans  liberté 
et  sans  intérêt.  11  ré.'Ul(a  de  là  que  l'attention  pubiiijue  s'en  dé- 
tourna, et  s'aitacha  particulièrement  aux  actes  du  d:nctt>ire.  Il 
en  ré.>ulte  également,  pour  nous,  qu'afin  de  donner  une  idée  de 
l'importance  parlementaire  de  cette  époque,  il  est  nécessaire  de 
suivi  e  l'histoire  du  pouvoir  exécutif. 

Au  moment oii  le  directo  re  frappa  son  coup  d'état,  de  nou- 
velles négociations  avaient  été  ouvertes  avec  l'Angleterre.  Lord 
Malmesbury  était  à  Lille,  é(îhangeatit  des  notes  et  des  conversa- 


462  DIRECT.    —    DU    18   FRUCTIDOR   AN    V    (1797) 

lions  avec  les  plénipoienûaires  français.  La  Grande-Breiagne  ne 
dein;jn(lait  pl«  s  à  laTrance  d'abandonner  toutes  ses  con  juétes  ; 
ellenepouvai'  plus'ed-mander,  puisque  les  lég  tirnes  possesseurs 
y  ax  aient  renoncé;  ellr  ne  voulat  p'us  fpie  des  conlpen^alions  prises 
surles:dliésde  la  République;  elle  voulait  entre  autres  qu'onlui  cé- 
dât le  cap  de  Bonne-E  pérance  et  Ceylan,  qu'elle  avait  pris  sur  les 
ll(diandais.  Les  Franc  lis  ne  voulurent  point  consentir  à  dépouiller 
leurs  amis;  ils  e\i{;eaient  qu'on  rendît  à  l'Espagne  et  à  la  Hol- 
laiid  •  tout  ce  que  l'on  leur  avait  enlevé  ;  tls  deniandaieni  que  le  roi 
d'Angleierre  renonçât  au  titre  de  roi  de  France,  et  r^-inît  les  vais- 
seaux (('i  lui  avaient  élé  livrés  à  Touinn.  Le  ministère  anglais  ré- 
pondit à  ces  demandes  par  des  refus.  La  négociation  fui  rompue, 
eil  »rd  Malme>buryquiiia  Lille,  le  di-uxième  jour  compléinenia  re 
de  l'an  5.  Le  directoire  ordonna  aussiiôt  de  saisir  en  tous  lieux  les 
mardi  iiidisfcsijnglaises.  Ce  fut  le  premier  et  le  plus  Constant  de 
ses  acies  de  guerre. 

p.  ndant  <e  temps,  lempereur  d'Autriche  montrait  autant  de 
facilité  quel'Anjileiene  montrait  de  raideur.  H  signait  leiraitcde 
Campo-Foi'iiiio,  rendait  la  liberté  aux  pri  onniers  français,  et  re- 
m^tiail  à  la  France  les  détenus  d  Olmuiz,  M.  Lafayetie  ft  sa  fa- 
mille, M.  LatOiir-3ïaubi)urg  et  Bureau  de  Pusy.  Bonaj)arte  vint 
lui-même  apporter  le  traité;  il  fut  accu  ilii  a  Paris  ,  comme  per- 
sonne ne  1  avait  été  depuiN  bien  des  années;  son  nom  était  popu- 
lai<  e,  ses  suc-ès  avaient  ébloui ,  étonné  1«  s  imaginaiio  s.  Il  avait 
enrichi  le  mu.^ée  de  magnficpies  trop^iées,  que  l'on  ne  pouvait 
admirer,  .♦'ai.sse  souvenir  de  lui.  Il  fui  présenté  au  directoire  le 
20  fiimaiie  (10  décembre  17i)7),  en  une  audience  publique,  avec 
une  solennité  inu^iiée  en  pareilles  circ>onsiances ,  et  celte  pompe 
théâtrale  dont  on  ot  naii  les  grandes  féies  de  la  Ré|)ui)liqne.  La 
courdu  Luxeinbourg  forcnait  l'enceinte  de cetiescèm*;  au  milieu, 
on  avait  dressé  un  autel  de  la  patrie,  chargé  de  irophées  et  de  dra- 
peaux, qui  rappelaient  les  hauts  fjiis  de  l'armée  d'Italie;  des  gra- 
dins et  des  échafaudages  ei:dent  chargés  de  nombreux  sp«  ct.iteurs 

«  Citoyens  directeurs  ,  dit  le  général,  le  peuple  français  pour 
être  libre  avait  les  rois  à  combattre. 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI  (1798).  463 

»  Pour  obten'r  une  consiiiution  fondée  sur  la  raison  il  a\ ail 
dix-hu  t  siècles  de  p'fj"{;és  à  vaincre. 

»  La  coDiliiulion  de  l'an  III  ei  vous,  avez  triomphé  de  tous  ces 
oLs»ac!es. 

»  La  relijinn  ,  la  féodaliié  et  le  royalisme  ont  successivement, 
depuis  vin^jl  siècles,  jjouverné  1  Europe  ;  ma  s  de  la  paix  que  vous 
venez  de  conclure  da-e  l'ère  des  jjouvernemens  représeniaiifs. 

»  Vous  et- s  parvenus  à  orf][aniser  la  g^rande  nation  djnt  le 
vaste  lerriioi  e  n'(  si  cii'cunacriL  que  parce  que  la  nature  en  a  poaé 
elle  même  1  s  limitas. 

»  Vous  avez  f.it  plus. 

»  Les  deux  plus  belles  punies  de  l'Europe  ,  jadis  si  célèbres 
par  les  arts,  les  sciences  et  les  grands  hommies  dont  elles  furent 
le  berceau,  vuient,  avec  les  plus  grandes  espérances  ,  le  génie 
de  1j  liberté  .^ot  r  d»s  tombeaux  de  leurs  ancét'es. 

»  Ce  sont  deux  piedesiaux^ur  lesquels  les  destinées  vont  placer 
deux  puissinlcs  natons. 

»  J'ai  rhonnt'ur  de  vous  remettre  le  f-ailé  signé  à  Campo- 
Formio  et  ratifié  par  ^a  Majesté  l'Emppreur. 

»  La  paix  assure  la  liberté,  la  prospéiiié  et  la  gloire  de  la  Ré- 
publ  que. 

'•  Lo  sque  le  bonheur  du  peuple  françaîs  sera  assis  sur  les 
me  Heures  lois  orgarii|ues,  1  Europe  entière  deviendra  libre.  » 

On  rema'qua  le  dernier  paragraphe  de  ce  discours,  et  l'on  en 
conclut  que  ce  n'était  pas  sans  ini^-niion,  que  legénéial  avait  laissé 
échapper  celte  phrase  à  d<»ub!e  sens.    . 

B  rras  répondit  à  Bonaparie  dans  un  discours  diffus,  dans  le- 
quel il  reciijiiinaitcor.tr»' le  passé;  puisi;  lui  donna l'acco.'acJe  lé- 
publ  caiiie,  ce  qui  fyt  limié  par  ses  quatre  collègues.  Le  succès 
de  Boi.apaite  ne  finii  point  avec  la  cérémonie;  il  fut  salué ,  en 
touies  occaNions  ,  parle  peuple)  recherché,  loué  à  la  tribune;  les 
con>ei!s  lui  ofirireulde^  banquets;  on  frappa  des  niédadlesen  ton 
honn»  ur  ;  eidin,  pour  comble  de  succès,  le  bruit  courut  qu'on  vou- 
lait Tassassiner.i» 

La  veille  même  de  celte  fête,  le  directoire  nommait  Berihier 


464  DIRECT.    —   DU    18   FRCCTIDOR    AN    V    (i797) 

général  en  chef  de  Tarmée  d'Italie;  Hoche,  qui  venait  de  mourir, 
et  Moreau  furent  remplaces  sur  le  Rhin  par  Augereau  et  Ha- 
try  ;  Bon;»parie  fui  désigné  pour  commander  l'armée  d' Angieierre. 
En  effet,  le  {(ouvernement  parlait  hautement  d'un  projet  de  des- 
cente dans  la  Grande-Bretagne.  Quels  que  fussent  ses  desseins  , 
qu'il  couvrait  par  la  publicité  de  celte  ^nnonce,  ce  fut  au  moins 
un  prétexte  pour  obtenir  de  l'argent.  Les  conseils  décrétèrent  un 
emprunt  de  50,000,000.  Le  conseil  des  Cinq-Cents,  dans  son  zèle, 
se  proposa  d'ouvrir  une  souscription  pati  iotique  dans  le  même 
but.  Il  réJigea  une  résolution  dans  ce  sens  ;  mais  elle  fut  rejetée 
par  les  Anciens.  Néanmoins,  des  dons  patriotiques  nombreux 
furent  déposes  sur  le  bureau.  Us  éiaient  ordinaii émeut  ac- 
compagnés d'adresses  dont  rénerf;ie  était  digne  d'un  autre 

temps.  ^ 

On  a  dit  que  ce  projet  de  descente  en  Angleterre  n'avait  d'autre 
but  que  de  couvrir  les  préparatifs  de  l'expédition  d'Éjjypte,  et 
d'obtenir  des  fonds  pour  en  faire  les  fiais.  On  a  dit  que  l'expé- 
dition d'É{jypte  avait  été  choisie,  après  délibération,  comme  le 
meilleur  et  le  plus  sur  moyen  de  ruiner  la  puissance  ang'aise,en 
la  menaçant  dans  ses  possessions  des  Indes;  on  a  dit  enfin  que 
Cttte  expédition  n'avait  eu  pour  but  que  de  débarrasser  les  di- 
recteurs de  la  présence  d'un  général  qui  n'était  point  leur  ami 
et  dont  la  popularité  était  redoutable. 

}>  En  effet,  on  a^surait  que  les  conseils  étaient  fatigués  de  la  nul- 
lité à  laqut-lle  ils  étaient  réduits.  Leur  dignité  était  ofl'ensée  de 
la  siuiaiiun  où  le  18  fructidor  les  a\a't  placés.  H  y  avait  des  pour- 
parlers entre  les  personnages  ii.fluens;  on  s'entretenait  de  la  né- 
cessité de  reviser  la  Constitution  ,  de  centrali>er  le  pouvoir  exé- 
eu: if,  de  remplacer  le  conseil  d(  s  Amiens  par  le  sénat  :  on  mêlait 
le  nom  de  Bonajiarie  à  tous  ces  [>rojets.  Le  Journal  des  Hommes 
libres  donna  de  ia  publicité  à  ces  biuils.  Il  annonça  qu'il  exi>iait 
€  une  nouvtlle  faction  <|ui  voulait  une  chambre  perpéuelle,et 
un  piési  lent  perpétuel.  >  Il  reprocha  aux  journaiisie.s  thermido- 
riens de  menacer  toujours  de  leur  Bon^paite.  Ceîbi-ci ,  en  effet, 
était  fort  lié  avec  quelques  ihermidoiiens;  il  était  au  contraire 


AO  22  FLORÉAL  AN  VI  (1798).  46.^ 

un  objfct  de  haine  pour  les  homoîes  qui  avaient  encore  quelques 
inclinations  jacobines. 

On  lisait  dans  le  Rédacteur  du  10  pluviôse  (  28  janvier  1798) 
Tarlicle  suivant  :  . 

«  Si  on  veut  connaître  les  ressorts  que  fait  jouer  l'An^^leterre , 
on  n'a  qu'à  lire  l'anonyme  suivante  : 

De  Strasbourg ,  le  2  pluviôse. 
«Le  péril  pour  Bonaparte  et  Rewbell  est  des  plus  grands  ;  on  a 
préparé  de  fausses  pièces  de  conviction  contre  eux  d'attenter  à  la 
liberté  de  la  France.  On  a  fait  recevoir  des  déclarations  par  écrit 
de  plusieurs  individus  qu'on  a  apostés ,  pour  assurer  qu'ils  ont 
pleine  connaissance  du  complot  tramé  par  eux ,  de  s'emparer 
seuls  du  gouvernement,  et  faire  périr  les  membres  du  directoire 
et  des  conseils  qui  pourraient  s'opposer  à  leur  projet.  Plusieurs 
de  ces  faux  témoins  ont  été  cherchés  dans  l'étranger  ;  mais  il  n'y 
pas  d'Italien.  On  a  arrangé  toute  une  correspondancesemblable, 
à  celle  du  portefeuille  d'Antraigues ,  dans  laquelle  ces  deux  ma- 
gistrats sont  évidemment  inculpés.  Les  coups  doivent  être  portés 
dans  le  courant  de  pluviôse  et  même  dans  la  quinzaine.  On  fait  in- 
tercepter ici  et  dans  d'autres  endroits  des  lettres  à  leur  adresse. 
La  personne  qui  donne  cet  avis  a  vu  de  ses  yeux  les  pièces  fabri- 
quées dans  le  xabinet  d'un  des  chefs  de  ce  complot. 

»  Les.  meneurs,  ic> ,  sont  List,  pharmacien,  rue  de  la  Mésange, 
et  Wedeikind,  déjà  trop  renommé.  Ces  deux  Mayençais  sont  les 
principaux  agens  d'Augereau  au  nom  duquel  et  pour  lequel  tout 
se  fait;  Agut,  adjoint  aux  adjudans-généraux  ;  les  généraux 
Isar  et  Gross  travaillent  avec  eux  et  sont  chargés  de  préparer 
l'esprit  de  l'armée  à  cet  événement.  Les  chefs  ont  leur  affiliation 
dans  deux  assemblées  des  Frères  et  Amis  à  Strasbourg  ,  et  le 
nommé  Schwaun ,  chirurgien ,  est  le  messager  et  colporteur 
principal.  ', 

»  Il  ne  paraît  pas  qu'il  y  ait  quelqu'un  de  la  dépulalion  du  Bas- 
Pi  hin  dans  le  secret,  §i  ce  n'est  Bentaboile,  duquel  on  parle  assez 
souvent  et  avec  affliction.  Fn  (Irsafrpn-î  d'Augereau  doit  pintir 
T.  xxxvn.  .10 


46(5  DIRECT.   —  DU   18   FRUCTIDOR   AN   V   (1797) 

avec  toutes  ces  pièces  lorsqu'elles  seront  mûries ,  et  cela  ne  doit 
pas  tarder. 

»  Cet  avis,  quoique  donné  par  un  simple  particulier,  est  très- 
vrai  ;  et  lorsque  ceux  mêmes  que  cela  concerne  en  auront  des 
preuves  par  les  tentatives  des  conjurés ,  il  se  fera  connaître.  C'est 
Tamour  de  la  patrie ,  le  respect  et  l'intérêt  que  ces  deux  person- 
nages inspirent  qui  lui  ont  dicté  cette  démarche.  » 

A  la  séance  du  11  pluviôse,  Bentabolle  dénonça  cette  lettre 
aux  cinq-cents,  et  repoussa  avec  énergie  les  insinuations  dont  il 
était  Tolijet.  Il  s'étonna  qu'où  eût  imprimé,  dans  une  feuille  of- 
ficielle ,  un  écrit  anonyme  dans  lequel  des  généraux  et  des  repré- 
senians  du  peuple  étaient  attaqués.  «  Le  but  que  l'on  s'est  pro- 
posé, ajouia-t-il  en  terminant,  serait-il  de  semer  la  mésintelli- 
gence entre  les  premiers  pouvoirs  'de  l'état?  »  —  Le  conseil 
envoya  la  lettre  au  directoire. 

11  est  probab'e ,  en  effet,  que  cette  lettre  avait  été  publiée  par 
*l'ordre  du  d  rectoire  lui-même,  pour  arrêter  les  projets  dont 
nous  avons  parlé,  en  apprenant  aux  auteurs  que  leurs  intentions 
étaient  connues.  Le  directoire  ne  fil,  au  reste,  aucune  réponse  au 
message  du  conseil;  mais  il  plaça  Augereau  dans  la  position  de 
Bonaparte,  ilsupfiiima  l'armée  du  Rhin,  et  envoya  Augereau 
commander  une  d'visfon  miliiaireau  pied  des  Pyrénées.  H  était 
également  pressé  de  se  débarrasser  de  la  présence  du  vainqueur 
de  l'Italie;  mais  ce  n'eût  pasétéa>sez  de  l'éloigner  seul,  il  fallait 
qu'il  pariît  avec  une  partie  de  l'état-major  qui  lui  était  dévoué. 
Ausôi,  s'etant  déterminé  à  choisir  l'expédition  d'Egypte,  il  en 
hâtait  les  préparatifs  de  toutes  manières.  Maisl'argtnl  manquait 
encore;  et  ce  fut  l'espérance  de  ï>'tn  procurer,  dit  le  général  Jo- 
mini ,  qui  le  détermina  à  envahir  et  révolutionner  la  Suisse.  Il 
savait  en  effet  que  le  seul  canton  de  Berne  possédait  un  trésor 
de  quarante  millions;  depuis  long-temps  les  patriotes  suisses 
solliciiaient  l'intervention  de  la  France.  La  Suisse  n'était  pas  en 
effet  le  pays  de  l'égalité;  il  y  avait  des  pay^possédés  et  des  can- 
tons possesseurs  ;  dans  certains  cantons  le  pouvoir  appartenait  à 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI  (1798).  467 

une  aristocratie  souveraine ,  et  les  patriotes  demandaient  la  de- 
struction de  toutes  ces  inégalités  féodales.  Le  direcloire ,  bien  que 
poursuivant  seulement  un  étroit  intérêt,  aurait  donc  l'apparence 
de  poursuivre  au  contraire  un  but  révolutionnaire. 

Mais ,  en  adoptant  cette  marche,  il  commettait  une  imprudence 
politique  très-grave.  On  venait  de  signer  la  paix  avec  l'Autriche, 
c'était  le  succès  le  plus  populaire  de  l'époque,  celui  sur  lequel 
reposait  la  popularité  de  Bonaparte,  celui  qui  donnait  en  ce  mo- 
ment au  directoire  la  seule  force  qu'il  possédât  dans  l'opinion. 
Or,  on  devait  penser  que  l'invasion  de  la  Suisse  rendrait  cette 
paix  incertaine  et  douteuse.  Un  tel  acte  ne  pouvait  pas  être  en- 
visagé d'un  œil  indifférent  en  Allemagne.  Ajoutez  que  l'on  man- 
quait à  la  politique  constamment  suivie  par  la  France,  suivie  par 
le  comité  de  salut  public,  qui,  en  respectant  la  neutralité  suisse, 
s'était  débarrassé  de  la  nécessité  de  défendre,  en  temps  de  guerre, 
une  frontière  de  plus  de  cent  lieues  d'étendue.  Le  général  Jo- 
mini,  dans  son  Histoire  des  guerres  de  la  Révolution ,  remarque 
que  ce  fut  une  faute  grave. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  directoire  fit  approcher  une  armée  des 
frontières  de  la  Suisse.  Le  canton  de  Vaud ,  excité  par  un  comité 
organisé  à  Paris,  se  souleva  en  décembre  1797.  Les  troupes 
françaises  vinrent  pour  l'appuyer  contre  l'armée  du  canton  do 
Berne. 

Plusieurs  motifs  auraient  dû  faire  borner  l'invasion  à  ce  pre- 
mier mouvement.  On  savait,  et  c'était  un  fait  si  public,  que  les 
journaux  même  en  font  mention  ,  que  l'Autriche  organisait  une 
armée  de  soixante  mille  hommes  sur  les  fj  ornières  du  ïyrol, 
que,  loin  de  licencier  ses  troupes ,  elle  s'occupait  au  contraire  à 
en  compléter  les  cadres.  Enfin  le  27  décembre  la  paix  de  l'I- 
talie fut  troublée  par  un  événement  grave  qui  pouvait  la  remuer 
tout  entière.  A  Kome,  quelques  patriotes  italiens  arborèrent  la 
cocarde  tricolore  et  ceminencèreni  un  mouvement  insurreciiou- 
nel  ;  le  rassemblement  fut  rapidement  dispersé  par  If  s  iruupes  du 
pape,  et  par  le  peuple  qui  se  jolj^nità  ces  troupes.  Quelques-uns 
coururent  au  palais  de  l'ambiissarle  française  pour  s'y  n  fugif  r: 


i(i8  DlRbXT.    —    DU    iS    FBUCTIDOR    A\    V    (1797  ) 

on  refusa  de  leur  en  ouvrir  les  portes  ;  mais  l'ambassadeur  fran- 
çais, Joseph  Bonaparte,  et  le  général  Dupliot  se  placèrent  devant 
eux  pour  proléger  leur  vie,  et  peut-être  leur  fuiie;  leur  présence 
n'empêcha  point  la  troupe  papale  de  f^ire  feu.  Le  général  Du- 
phot  fut  tué  ,  et  quelques  autres  français  blessés,  la  cour  de  l'hô- 
tel fut  envahie  ;  mais  on  ne  poussa  pas  la  violence  au  delà  de  ces 
limites.  Joseph  Bonaparte  se  retira  et  écrivit  au  directoire.  Ce- 
lui-ci répondit  en  ordonnant  à  Berihier  d'entrer  dans  les  états 
romains.  Ce  fut  moins  une  conquête  qu'une  promenade  militaire. 
Les  Français  arrivèrent  à  Rome  sans  éprouver  de  résistance.  Ils 
campèrent  sous  les  murs  le  10  février,  ils  occupèrent  le  château 
Saint- Ange  ;  et  le  15  février,  la  bourgeoisie  romaine ,  que  dans 
ce  temps  on  appelait  le  peuple,  réunie  au  Campo-Vaccino,  pro- 
clama la  restauration  de  la  république  romaine.  Quant  au  véri- 
table peuple ,  ce  que ,  dans  les  écrits  du  temps ,  on  appelle  la  po- 
pulace ,  il  tenta ,  quelques  jours  après ,  une  insurrection  que  les 
troupes  françaises  dissipèrent  facilement.  Le  pape  fut  relégué 
en  Toscane. 

Ainsi,  le  terrain  que  nous  étions  obligés  d'occuper  devenait 
plus  grand,  tandis  que  l'armée,  dégoûtée  parle  défaut  de  solde 
et  la  misère  qui  en  est  la  suite,  Toyait  ses  cadres  seflépeypler. 
Il  y  eut,  en  divers  lieux,  des  émeutes  militaires  causées  par  le 
défaut  de  paie,  ou  parles  vols  des  fournisseurs.  L'af.aiblissement 
de  l'armée  avait  cependant  attiré  l'attention  des  conseils.  Unecom- 
mi.^sion  fut  nommée.  Jourdan  fit  (leO  vtniôse,  î2o février  1798), 
au  nom  de  cette  commission ,  la  proposition  de  créer  une  armée 
auxiliaire,  et  de  régler  les  enrôlemens  volontaires.  Ce  projet  fut 
discuté  ;  mais  il  n'eut  pas  d^  suites  en  ce  moment. 

Cependant  on  continuait  l'invasion  de  la  Suisse;  Berne  fut 
pris  le  15  mars  après  quelques  petits  engagemensi  les  cantons 
démocratiques  envahis,  après  quehjues  affaire^  très-sanglantes, 
dars  lesquelles  les  femmes  mêmes  prirent  part  aij^ combat,  et  l'on 
proclama  en  mai  une  constitution  nouvelle,  qui  fondait  l'unité  de 
la  république  helvétique. 

Le  défaut  de  prévoyance,  Timpéritie  du  directoire  n'est  nulle 


AU  2â  FLORÉAL   AN   VI   (  1798  ).  469 

part  plus  évidente  qu'en  cette  affaire.  11  dévia  complètement  de 
la  politique  nationale.  Ea  effet,  la  France,  comme  tout  grand 
état ,  doué  d'une  puissante  unité,  doit  se  proposer  de  multiplier 
autour  de  lui  les  fédérations  des  petits  états.  C'est  un  moyen  de 
s'assurer  une  irifluence  certaine  en  temps  de  paix ,  un  moyen  de 
succès  en  temps  de  guerre  ;  quel  est  celui  qui  ignore  que  la  force 
est  dans  l'uniié ,  et  que  créer  des  unités  autour  de  soi ,  c'est  se 
créer  à  plaisir  des  résistances. 

Cette  invasion  n'était  pas  terminée  que  nous  fûmes  sur  le  point 
de  nous  brouiller  avec  l'empereur.  Notre  ambassadeur  près  la 
cour  impériale,  Bernadotte,  imagina  de  célébrer,  le  15  avril,  une 
fête  en  commémoration  de  nos  victoires,  par  opposition  à  celle 
que  le  peuple  de  Vienne  célébrait  en  commémoration  de  l'arme- 
ment de  ses  volontaires,  en  1796.  11  arbora  le  drapeau  tricolore 
au-dessus  de  la  porte  de  son  hôiel.  Cet  acte  provoqua  une  émeute  ; 
les  portes  de  l'hôtel  furent  forcées ,  le  drapeau  brûlé ,  les  ap- 
partemens  envahis ,  les  meubles  brisés.  Bernadotte ,  indigné , 
quitta  Vienne.  Mais  le  directoire  dissimula  cet  affront.  Il  craignit 
trop  sans  doute  d'être  obligé  de  confier  le  soin  de  sa  vengeance  à 
Bonaparte. 

Ce  général  s'embarqua  enfin  le  19  mai  (  50  floréal  )  a  Toulon , 
pour  l'expédition  d'Egypte.  Nous  ne  ferons  pas  l'histoire  de  cette 
glorieuse  campagne.  Nous  n'en  avons  point  la  place.  Nous  re- 
marquerons la  haute  imprudence  qu'il  y  avait  à  éloigner  du  con- 
tinent et  à  exposer  sur  la  mer  trente-six  mille  hommes  d'élite , 
lorsque  Ton  voyait  l'armée  diminuer  tous  les  jours.  Nous  signa- 
lerons l'affreux  égoïsme  de  ces  directeurs  qui ,  pour  conserver  le 
pouvoir  et  éloigner  un  rival  dangereux  pour  leur  ambition, 
n'hésitaient  point  à  compromettre  des  milliers  d'hommes  et  la 
France  elle-même ,  que  leur  départ  affaiblissait.  Ils  ne  se  bornè- 
rent pas,  au  reste,  à  écarter  Bonaparte;  ils  en  firent  de  même  à 
l'égard  de  Siéyes  ;  ils  l'env.oyèreni  en  Prusse  remplir  les  fonc- 
tions d'ambassadeur. 

Le  directoire  n'était  pas  meilleur  administrateur  que  bon  poli- 
tique. Nous  ne  parlerons  point  ici  des  reproches  personnels 


170  LlRbCl .    —    DU    i8   FRUCTIDOR   AIS   V   (  1797  ) 

que  l'on  pouvait  adresser  à  chacun  de  ses  membres  ;  du  scan- 
dale de  leurs  amitiés,  de  leurs  mœurs,  de  leurs  faveurs  :  *du  grappil- 
lage public  que  l'on  faisait  des  ricliesses  de  l'état  et  qu'i  s  n'empê- 
chaient pas;nous  ne  faisons  point  ici  une  histoire  anecdolique  du 
directoire  ;  nous  ne  devons  tenir  compte  que  des  faits  généraux 
dont  l'accumulation  produisit  cette  haine  et  ce  mépris  sous  les- 
quels il  succomba. 

L'intérieur  de  la  France  n'était  pas  tranquille.  Quelques  ar- 
restations prouvèrent  que  les  intrigues  royalistes  n'avaient  pas 
cessé  après  le  18  fructidor,  et  que  l'Angleterre  s'y  prélait  en 
fournissant  abondamment  de  l'argent ,  principalement  par  Ten- 
iremise  d'un  sieur  Vilain  XIV,  banquier  à  Pjris,  chez  lequel  on 
saisit  près  de  2o0,000  francs.  Divers  mouvemens  révélèrent  la 
puissance  et  l'étendue  de  ces  intrigues. 

Immédiatement  après  le  18  fructidor,  il  y  eut  une  insurrec- 
tion dans  le  département  du  Gard  sous  la  conduite  de  Domini- 
que Allier.  Il  se  présenta  comme  le  vengeur  des  députés  fructi- 
dorisés  et  parvint  à  s'emparer  de  la  citadelle  du  pont  Saint-Es- 
prit. Cette  émeute  fut  dissipée  par  la  force  des  armes. 

A  Carpenîras,  il  y  eut  une  seconie  insurrection  qui  fut  dé- 
jouée par  la  garde  nationale  d'Orange  et  d'Avignon.  A  Tarascon, 
il  y  eut  un  engagement  ircs-vif  entre  une  colonne  mobi'e  et 
douze  cents  révoltés  au  nom  du  Roi.  Près  de  Lyon ,  un  rassem- 
blement fut  di^îsipé  par  lu  gendarmerie.  Une  insurrection  en 
Corse  fut  promptemeot  et  violeniment  répriaiée.  Mais  en  mém» 
temps  partout  recommen(;aieQl  le  vol  des  diligences  et  des  deniers 
publics,  les  assassinats  politiques.  Il  y  eut  des  rassemblemens  en 
Vendée.  Les  atteniais  des  chaufleurs  désolaient  les  campa- 
gnes. 

A  cet  occasion,  les  conseils,  provoqués  par  un  niessage,  aug- 
mentèrent le  personnel  de  la  gendarmerie;  ils  organisèrent  de 
plus  l'institution  des  vétéraîbs  ;  enfin  ,  ils  s'occupèrent  de  la  ré- 
organisation des  tribunaux,  dont  lindulgence  en  matière  poli- 
tique était  considérée  comme  un  effet  de  l'opinion. 


AU  ±J   FLORÉAL    AN    VI    (1798).  471 

t^our  donner  une  idée  de  la  situation  de  la  France,  il  suffit  de 
lirQ  l'arrêté  suivant  : 

DIRECTOIRE  EXÉCUTIF.  —  Arrêté  du  4  pluviôse  an  VI. 

» 

«Le  directoire  executif,  sur  le  rapport  du  ministre  de  la  police 
générale , 

«  Considérant  que  le  mauvais  esprit  qui  depuis  le  commencement 
de  la  révolution  a  existé  presque  sans  relâche  dans  la  commune 
de  Lyon  ,  et  qui  a  été,  à  diverses  époques ,  l'objet  des  plu*  vives 
inquiétudes  de  la  part  du  gouvernement ,  s'y  manifeste  encore  ; 

î>io  Par  l'influence  des  chefs  des  compagnies  de  Jésus  et  du  So- 
leil ,  des  assassins  du  Midi,  des  émigrés,  des  déserteurs  et  des 
voleurs  de  grandes  routes ,  lesquels  trouvent  dansj^  commune  de 
Lyon  et  ses  faubourgs  un  asile  assuré  et  comme  inviolable  à  l'abri 
des  recherches  de  l'autorité  et  sous  la  protection  des  hommes  pu- 
sillanimes ou  malintentionnés  qui  les  recèlent  ; 

»2<>  Par  l'impunité  jourialièpe  des  délits  de  tout  genre  qui  s'y 
commettent ,  impunité  résultante  du  silence  des  témoins  en  jus- 
tice ,  et  de  la  faiblesse  des  tribunaux  subjugés  les  uns  et  les  au- 
tres par  la  terreur  des  ressentimens  et  des  vengeances  qu'inspi- 
rent les  malfaiteurs  ; 

»  3<^  Pijr  le  refus  ob&liné  de  bons  ciioyens  à  y  accepter  les  em- 
plois publics  à  cause  des  excès  qui  s'y  sont  commis  impunément 
ou  à  peu  près  sur  la  personne  des  membres  des  autorités  consti- 
tuées ; 

"Considérant  encore  que  la  commune  de  Lyon  est  une  de  celles 
qui  se  sont  le  moins  ressenties  des  salutaires  effets  produits  par 
rimmorlelle  journée  du  18  fructidor  ,  puisque  ,  postérieurement 
à  cette  époque,  de  nouvelles  bandes  de  malfaiteurs  de  toute  es- 
pèce s'y  sont  rendus  pour  renouer  la  trame  de  leurs  complots 
liberticides,  bien  sûrs  d'y  trouver  de  nouveaux  moyens  de  trou- 
ble et  de  désordre,  puisque  des  provocations  meurtrières  y  ont 
eu  lieu  contre  des  militaires  de  la  pnrt  des  jeunes  gens,  et  que 
des  gageures  y  ont  été  faites  et  exécutées  de  désarmer  des  fac- 
tionnaires, etc.,  etc  ; 


^ft 


472  DiKtCT.  —  nu  18  frcctïdor  an  v  {ildl) 

"Considérant  enfin  que  dans  un  état  de  choses  aussi  alarmant 
ce  n'est  point  par'les  moyens  ordinaires  de  police  et  d'admipis- 
Iration  que  Texécution  des  lois  et  le  rétablissement  de  la  tran- 
quillité publique  peuvent  s'opérer  dan^la  commune  de  Lyon  ; 

"Arrête ,  en  vertu  de  l'ariicle  59  de  la  loi  du  i9  fructidor  der- 
nier, ce  qui  suit  : 

»Art.  l^''  La  commune  de  Lyon  et  les  trois  faubourgs  dits  de 
la  CfOix-Ro'-'sse,  de  la  Guillotière  et  de  Vaise  sont  mis  en  état  de 


sieffe. 


2.  Pour  l'exécution  de  cette  mesure ,  le  ministre  de  la  guerre 
y  fera  passer,  tant  en  infanterie  qu'en  cavalerie ,  le  nombre  de 
troupes  nécessaires. 

Le  ministre  de  la  police  générale  et  celui  de  la  guerre  sont 
.chargés,  chacun  en  ce  qui  le  concerne,  de  l'exécution  du  présent 
•arrêté. 

Beaucoup  d'autres  communes  lurent  mises  en  état  de  siège  et 
pour  les  mêmes  motifs  :  telles  fure^^t,  entre  autres ,  celles  de 
Montpellier,  Castres,  Sarlat ,  Bergerac,  Périgueux,  Limoges, 
Béziers ,  etc. 

Lesjournaux  negènaieat  pas  le  pouvoir.  Il  usait  largement  du 
droit  qu'il  avait  reçu  en  fructidor.  Au  moindre  mot  qui  lui  dé- 
plaisait en  quoi  que  ce  fût,  il  les  supprimait.  11  commença  par 
frapper  spécialement  sur  ceux  où  il  se  trouvait  des  insinuations 
royalistes  ;  ensuite  il  s'attaqua  à  toutes  espèces  d'opinions.  Nous 
n'en  avons  pas  compté  moins  de  vingt-deux  qui  furent  ainsi  sup- 
primés. Ainsi  il  réduisit  la  presse  quotidienne  à  un  mutisme  com- 
plet, et  commença  en  quelque  sorte  à  préparer  le  régime  de  cen- 
sure. Il  n'usa  pas  moins  brutalement  de  celte  autorité  absolue  à 
l'égard  des  clubs.  Il  les  avait  favoVisés  d'abord  ;  mais  l'ombre  de 
liberté  qu'il  leur  laissa ,  louriia  contre  lui.  On  commença  par  s'y 
colérer  contre  le  royalisme;  ensuite  on  étudia  le  pouvoir  ;  on  s'y 
entretint  des  bruits  qui  couraient  sur  les  projets  cachés  de  quel- 
(|ues  législateurs  ;  on  chercha  le  moyen  de  sauver  la  Constitution  ; 
on  ne  le  vit  pas  ailleurs  que  dans  les  élections  franchement  républi- 
caines ,  et  l'on  prépara  les  élections.  Le  directoire  fut  long-temps 


AU   ±2  FLORÉAL   AN   VI    (1798).  4/5 

avant  de  s'apercevoir  que  l'opinion  des  clubs  tournait  contre  lui  ; 
il  fit  fermer  ceux  où  on  avait  parlé  trop  haut  ;  mais  il  n'osa 
les  fermer  tous.  Il  se  borna  à  y  introduire  des  hommes  assez  dé- 
voué» pour  parler  pour  lui.  Benjamin-Constant  se  chargea  de 
cette  tâche  dans  l'un  des  clubs  les  plus  importans  de  Paris.  On 
publia  force  proclamations  et  force  adresses.  On  put  croire  que 
ces  efforts  ne  seraient  pas  sans  résultats  ;  on  ne  sut  en  effet  quel- 
les seraient  les  élections ,  que  lorsque  l'on  connut  quels  électeurs 
avaient  été  choisis  par  les  assemblées  primaires.  Le  choix  des  dé- 
putés succédait  si  promptement  au  choix  des  électeurs  »  que  par- 
tout le  pouvoir  exécutif  fut  en  quelque  sorte  détrompé  à  l'impro- 
viste. 

Quoi  qu'il  en  soit,  pendant  les  élections,  les  murs  de  Paris  fu- 
rent couverts  de  jurandes  affiches ,  oii  l'on  répétait ,  avec  des  for- 
mes plus  violentes ,  ce  que  les  adresses  avaient  déjà  indiqué  : 
que  pour  éviter  un  excès ,  il  ne  fallait  pas  tomber  dans  un  autre  ; 
qu'il  fallait  éloigner  les  anarchistes  avec  autant  de  soin  que  les 
royalistes;  que  (;eux-ci  conspiraient  sous  le  bonnet  rouge,  etc; 
en  un  mot,  la  police,  auteur  de  ces  adresses ,  se  montrait  très- 
effrayée  de  la  reaction  républicaine  qui  menaçait  d'envahir  les 
conseils. 

Les  élections  furent  très-dispulees,  tumultueuses.  Un  grand 
nombre  de  collèges  se  scindèrent ,  et  chaque  parti  nomma  des 
députés.  Les  réclamations  affluèrent  aussitôt  au  conseil  des  cinq- 
cents.  Les  directoriaux  étaient  effrayés  ;  les  républicains  qui  met- 
taient leurs  espérances  et  J'avenir  de  la  Constitution  de  l'an  lll 
dans  l'arrivée  du  nouveau  tiers  dans  la  législature ,  défendaient 
avec  énergie  le  choix  de  l'an  VI.  Lamarque  vint  révéler  à  la  tri- 
bune les  projets  que  l'on  formait  pour  se  débarrasser  par  un  se- 
cond coup  d'état  des  nouveaux  élus.  Voici  son  discours  : 

CONSEIL  DES  CINQ-CENTS. — Présidence  de  Poulain- Gramlprcy. — 

Séance  du ii  floréal. 

Laniarquey  par  motion  d'ordre.  «  11  vous  a  été  distribué  contre 
la  validité  des  élections  de  la  Dordogne  un  écrit  anonyme  qui 


474  DIRECT.    —    DU    18   FRUCTIDOR   AN    V   (  1797  | 

porte  l'empreinte  de  l'imposture ,  de  la  perfidie  et  de  la  lâcheté. 
Dans  un  temps  ordinaire  j'aurais  gardé  le  silence  ;  mais ,  d'après 
les  sages  avis  de  quelques-uns  de  mes  collègues,  j'ai  pensé  que 
de  pareilles  calomnies  ne  devaient  pas  rester  sans  réponse.'Et  ici 
l'intérêt  personnel  n'entre  pour  rien  dans  ma  délerminaiion,  car 
je  déclare  d'avance  que  je  n'accepte  de  nominations  que  celle  qui 
a  été  le  résultat  d'une  assemblée  unanime  et  sans  scission.  Telle 
est  celle  du  département  qui  m'a  vu  naître  ,  et  je  suis  bien  étonné 
qu'un  écrivain  anonyme,  que  je  poursuivrais  devant  les  tribu- 
naux, si  je  savais  son  nom,  se  soit  permis  de  calomnier  ainsi  l'as- 
semblée de  la  Dordogne  et  de  jeter  au  milieu  de  nous  ce  germe 
de  discorde. 

»Aous  convenons  tous,  que  le  système  que  l'on  veut  introduire 
de  dibculer  ici  la  moralité  des  individus  ferait  renaître  ces  diffa- 
mations odieuses  dont  aucun  de  nous  n'a  été  exempt.  Les  re- 
cueils de  calomnies  que  l'on  veut  puiser  dans  les  assemblées 
électorales  sont  des  monstruosités  enfantées  par  le  royalisme, 
pour  trouver  dans  les  élections  de  l'an  6  un  nouveau  prétexte  de 
déchirer  le  sein  de  la  République. 

"Chaque  jour,  les  murs  de  cette  immciise  commune  sont  tapis- 
sés de  placards  dans  lesquels  on  lit  ces  phrases  alarni'antes  :  «  Il 
ne  s'a{;it  point,  dans  le  jugement  de  la  val.diié  des  élections,  de 
s'attacher  minutieusement  aux  principes,  il  faut  prendre  des  dé- 
cisions que  commande  impérieusement  le  salut  public.  »  A  la  vue 
dé  ces  principes  destructeurs  de  l'ordre  social ,  le  bon  citoyen  , 
le  républicain  vertueux  gémissent,  eLne  peuvent  s'empêcher  de 
rcconnaîire,  dans  ces  affiches,  l^  main  perfide  des  royalistes 
réacteurs,  qui  savent  que  leur  succès  est  aiiachéànos  divisions. 
Avant  le  18  fructidor,  leur  projet  était  d'assassiner  le  directoire; 
aujourd'hui,  ils  veulent  diviser  le  corps  législatif  ;  mais  j'en  jure 
par  la  liberté,  leurs  efforts  seront  vains;  votre  zèle,  votre  cou- 
rage ,  votre  union  sauront  maintenir  la  liberté ,  la  Constitution  et 
la  République. 

»  Sans  examiner  ici  les  motifs  secrets  de  tous  ces  placards  incen- 
diaires et  diffamateurs  ,  je  demanderai  pourquoi  on  veut  jeter  un 


AU  :2a  FLORÉAL  AN  VI  (  1798  ;.  475 

voile  sur  la  Goostitutioa  et  frapper  de  nullité  la  majeure  partie 
des  élections  de  l'an  sixième.  Les  uns  ont  soutenu  qu'il  fallait  re- 
jeter tous  les  résultais  des  assemblées  scissionnairés  ;  les  autres 
ont  été  plus  loin,  et  ils  ont  prétendu  qu'il  fallait  rejeter  égale- 
ment ceux  des  assemblées  mères ,  lorsque  la  moralité  des  dépu- 
tés élus  par  elles  n'offrait  pas  une  {^^raatiê  suffisante,  comme  cela 
se  pratique  en  Amérique.  Enfin  les  autres  veulent  que  par  une 
mesure  forte  on  empêche  un  nouveau  18  fructidor.  J'invite  le 
conseil  à  repousser  tous  ces  systèmes  et  à  ne  s'attacher  qu'aux 
principes  qui  veulent  que  partout  la  majorité  fasse  la  loi.  Re- 
poussez loin  de  vous  ces  accusations  vagues  de  royalisme  et  d'a- 
narchie, et  déclarez  que  là  les  résultats  sont  bons  où  les  opéra- 
lioi^  se  sont  faites  d'une  manière  conforme  aux  lois  et  à  la  Con- 
stitution. 

»0n  a  dit  qu'il  fallait  par  une  mesure  générale  frapper  les  élec- 
tions de  l'an  6,  comme  on  a  fait  pour  celle  de  l'an  cinquième.  On 
a  fait  ce  raisonnement  :  les  élections  de  Tan  o  furent  l'esprit  de 
la  conspiration  royale  ,  celles  de  Tan  6  sont  le  résultat  de  la  dé- 
magogie. Le  directoire  et  le  corps  législatif  ont  fait  le  i8  fructi- 
dor contre  les  premières,  il  faut  empêcher  que  celles  de  l'an  6  ne 
néi^essilent  la  même  mesure.  Je  l'ai  dit,  et  je  necesserai  de  le 
répéter,  le  but  des  factions  est  de  nous  détruire  les  uns  par  les 
autres.  Après  avoir  vaincu  les  royalistes,  elles  veulent  que  le 
gouvernement  divise  les  républicains  et  qu'il  s'arme  contre  une 
partie  d'entre  eux  ;  si  le  gouvernement  cédait  ù  de  telles  sugges- 
tions, je  serais  un  des  plus  menacés  et  je  lâcherais  de  me  sous- 
traire à  la  persécution  ;  mais  je  le  déclare  hautement ,  si  je  ne 
pouvais  y  parvenir  qu'en  trahissant  mes  devoirs  et  en  violant  la 
Constitution,  je  serais  capable  de  me  dévouer  pour  la  libei^^é, 
certain  de  trouver  dans  l'estime  publique  la  récompense  de  ma 
proscription. 

•  L'expérience  du  passé  doit  nous  éclairer  pour  l'avenir  et  nous 
faire  sentir  l'énorme  différence  qui  se  trouve  entre  les  élections 
de  l'an  5  et  celles  de  l'an  6  :  les  premières  ont  été  préparées  par 
les  attroupemens,  les  prédications  du  fanatisme  ,  les  complots  des 


i7()  DIRECT.    —    bU    18   FRUCllbOn   AN   V   (  1797) 

ëmifjrés,  les  égorgemens  des  républicains  ;  partout  les  choix  ont 
été  dirigés  par  les  fils  légitimistes  ,  par  les  fougueux  agens  du  roi 
de  Bldnkenibourg  ;  aussi  leur  résultat  a-i-il  porté  les  caractères 
ianglans  du  royalisme.  TS'éanmoins  ,  citoyens  représentacs ,  ces 
ëleciions  ont  été  faites  à  lu  majorité  ;  et  si  elles  ont  été  attaquées, 
ce  n'est  point  à  cause  de  leur  illégalité  ,  mais  bien  à  cause  de  la 
conduite  contre-révolutionnairequelesélus  ont  tenue.  Le  grand 
acte  du  18  fructidor  .a  été  sanctionné  par  le  peuple,  parce  qu'il 
était  commandé  par  le  grand  intérêt  de  salut  public  ;  et  le  corps 
législatif  a  déclaré  illégales  les  élections  faites  dans  cinquante- 
trois  départemens,  parce  que  le  royalisme  les  avait  dictées. 

))A  ces  élections  contre-révolutionnaires,  comparons  celles  qui 
viennent  d'avoir  lieu.  Interrogez  les  républicains ,  ils  vous  dkont 
que  la  grande  majorité  des  élus  offrent  à  la  France  un  concours 
de  lumières ,  de  patriotisme  et  de  probité.  Le  fait  n'est  pas  con- 
testé ,  et  l'on  ose  nosis  dire  que  les  éleciions  sont  le  résultat  d'une 
conspiration.  Ah  !  sans  doute  ,  c'est  une  conspiration  ,  mais  en 
sens  inverse  de  la  dernière  ,  puisqu'elle  a  pour  but  de  maintenir 
la  République. 

"Mais  on  dit  :  Parmi  îes  élus  il  se  trouve  des  hommes  suspectés 
de  terrorisme  et  d*anarchio  ;  il  faut  les  écarter.  Loin  de  nous  une 
idée  pareille.  11  est  temps  de  mettre  un  terme  à  ces  dénomina- 
tions vagues ,  dictées  par  h  haine  et  la  vengeance;  gardons-nous 
de  gratifier  du  titr^  de  scé'érats,  des  hommes  absens,  qui  ne 
peuvent  se  défendre,  et  qui  ont  reçu  du  peupk»  une  mission  qu'il 
faut  respecter,  et  sans  laquelle  nous  ne  sommes  ri^n  nous-mê- 
mes? Y  a-t-il  une  seule  époque  où  tous  les  choix  du  peuple  soient 
excellens?  IN'e  sait-on  pas  que  l'intrigue  parvient  souvent  à  trom- 
pa la  conscience  des  citoyens?  mais  il  suffit  que  la  grande  majo- 
rité soit  saine.  Si  vous  consacrez  le  principe  que  le  corps  législatif 
doit  examiner  la  morali'é  des  élus,  craignez  les  conséquences  fu- 
nestes qui  pourront  en  résulter  par  la  suite;  craignez  que  chaque 
année  il  ne  s'érige  en  jury  de  jugement  ,  en  jury  de  révision ,  ce 
(jui  serait  le  renversement  de  toutes  les  idées  reçues  et  des  prin- 
cipes constitutionnels. 


AU   2^  FLORÉAL    AN   VI  (1798  ).  477 

»  On  répond ,  qu'à  l'avenir  la  révolution  sera  terminée,  la  Ré- 
publique affermie ,  mais  qu'elle  ne  l'est  pas  encore.  Mais  qui 
vous  assurera  que  l'année  prochaine,  la  suivante,  etc.,  on  ne 
tiendra  pas  un  pareil  langa^je  ;  que ,  sous  prétexte  de  sauver  la 
République,  on  ne  violera  pas  de  nouveau  la  Constitution,  et 
qii'enfin  ,  le  peuple  incertain  si  ses  choix  seront  sanctionnés ,  ne 
retombera  J)as  dans  l'apathie ,  signe  âvant-coureur  de  l'escla- 
vage? Ceux  qui  veulent  appliquer  ces  principes  aux  élus  de 
l'an  VI  se  les  verront  appliqués  à  eux-méaies  dans  l'an  VII  et 
l'an  Vllï  ;  alors ,  on  dira  d'eux  ce  que  l'on  dit  des  autres  ,  que  ce 
sont  des  brigands,  des  scélérats ,  des  bêtes  féroces ,  que  la  seule 
nouvelle  de  leur  élection  fera  déserter  la  France  et  fuir  les  riches 
propriétaires,  etc.  On  demandera  que  le  corps  législatif,  dont 
toute  la  force  est  dans  la  tribune,  soit  privé  des  orateurs,  des 
hommes  de  génie ,  afin  de  le  dominer  à  son  gré  ;  on  proposera 
d'exclure  les  uns  parce  qu'ils  ont  concouru  à  la  Constitution 
de  93^  les  autres,  parce  qu'ils  ont  contribué  à  celle  de  91.  Ceux- 
ci  ,  parce  qu'ils  ont  fait  le  14  juillet,  le  10  août,  et  qu'ils  ont  voté 
la  mort  du^tyran  roi.  Après  cette  exclusion  générale,  la  repré- 
sentation nationale  de  la  France  sera  composée,  ou  d'hommes 
nuls,  ou  d'ennemis  de  la  République.  Voilà  le  but  où  l'on  veut 
vous  mener.  Quant  à  moi,  je  le  déclare  hautement,  je  ne  trempe- 
rai jamais  dans  cette  manœuvre,  je  ne  prendrai  aucune  part  à  tout 
ce  qui  pourra.la  faire  réussir  ;  et  je  compte ,  mes  collègues,  que 
votre  patriotisme  et  votre  sagesse  sauront  bien ,  sans  ces  moyens 
dangereux  et  inconstitutionnels ,  sauver  la  RépubUque.  Qu'ils 
sachent ,  nos  ennemis  irréconcihables  ,  que  les  citoyens  qui  ont 
concouru  à  cet  acte  salutaire  du  18  fructidor  ont  pleuré  sur  la 
nécessité  qui  les  a  forcés  à  celte  mesure  violente."  Ils  ne  se  dissi- 
mulaient pas  l'atteinte  qu'ils  portaient  à  la  constitution ,  mais  dans 
l'alternative  affligeante  où  ils  étaient  de  la  violer,  ou  de  laisser  la 
France  en  proie  aux  horreurs  d'une  révolution  nouvelle,  pire  que 
la  première ,  ils  ont  préféré  sauver  la  chose  publique  en  violant 
transiioirement  le  pacte  social  ;  mais  ils  ont  senti  qu'un  acte  aussi 
extraordinaire  que  celui-là  devait  être  marqué  au  coin  de  la  mo- 


478  DIRECT.    —   DU   18  FRUCTIDOR   AN   V   (  1798). 

dération ,  et  il  l'a  été  !  mais  il  ne  faut  pas  nous  menacer  sans  cesse 
d'un  nouveau  18  fructidor,  comme,  en  95,  la  municipalité  de 
Paris  nous  menaçait  tous  les  jours  d'un  nouveau  14  juillet,  d'un 
nouveau  10  août.  De  pareilles  mesures  étant  extraordinaires  ne 
doivent  pas  se  renouveler  toutes  les  décades. 

»  Déclarons  formellement  que  nous  ne  repousserons  que  les 
élections  qui  seront  évidemment  le  fruit  de  la  violence/  et  de  la  ty- 
rannie ;  mais  on  se  trompe  quand  on  croit  que  nous  écarterons 
celles  qui  ont  été  faites  conformément  aux  lois. 

>  Je  demande,  l''  que  les  rapports  sur  les  élections  sur  lesquelles 
il  n'^  a  aucune  difficulté  soient  sur-le-champ  soumis  au  conseil , 
et  que  les  projets  relatifs  aux  doubles  élections  soient  à  l'ordre 
du  jour  de  deux  heures,  au  fur  et  à  mesure  que  le  travail  des 
commissions  sera  prêt  : 

»  2°  Que  les  dénonciations  diffamatoires  ne  soient  point  admises 
si  elles  ne  sont  signées,  et  que  les  commissions  n'aient  égard 
qu'aux  faits  de  notoriété  publique > 

Plusieurs  voix,  t  L'ordre  du  jour.  »  Tumulte.  Le  calme  re  ré- 
tablit; l'orateur  continue  :  ^ 

«  Ce  que  je  dis  ne  me  touche  en  aucune  manière.  Ce  sont  les 
autres  que  je  veux  défendre  et  non  pas  moi  ;  je  reprends  l'article 
où  j'ai  été  interrompu. 

»  5^. Je  demande  que  les  dénonciations  diffamatoires  ne  soient 
point  lues  si  elles  ne  sont  pas  signées.  (Quelques  vqix  :  «  Cela  est 
juste.  >)  Et  dans  le  cas  oii  elles  seraient  revêtues  de  signatures, 
les  commissions  n'auront  égard  qu'aux  faits  de  notoriété  publi- 
que ,  qui  constateront  l'illégalité  des  élections  ou  l'inéligibililé  des 
individus.» 

Plusieurs  membres,  c  Aux  voix  l'arrêté,  t 

Grand  nombre  d'autres,  t  L'ordre  du  jour.  » 

Plusieurs  membres,  t  L'impression.  » 

Grand  nombre  d'autres.  «  L'ordre  du  jour.  » 

Hardy.  «  Nous  avons  juré  haine  à  la  royauté  et  à  l'anarchie. 
Nous  avons  donné  des  preuves  indubitables  de  notre  haiue  pour 
la  royauté;  le  moment  est  arrivé  de  prouver  celle  que  nous  por- 


AU   22   FLOBÉÀL   AN   VI    (i798).  479 

tons  aux  anarchistes.  Personne  de  vous  ne  doule  que  ces  hom- 
mes infâmes,  exécrab'es ,  ne  se  disposent  à  s'introduire  dans  le 
corps  législatif,  à  la  faveur  des  principes  auxquels  ils  prétendent 
que  leurs  élections  sont  conformes.  Le  discours  préparé  que  vous 
venez  d'entendre  a  pour  but  de  vous  décider  à  admettre  au  nom- 
bre de  vos  collègues  les  hommes  de  Babeuf  et  de  Robespierre , 
si  leurs  élections  ne  sont  point  illégales.  Quant  à  moi ,  mon  opi- 
nion est  fortement  prononcée  à  cet  égard  ;  elle  est  que  vous  ne 
devez  point  les  admettre  ;  car  vous  avez  le  droit  de  chasser  les 
scélérats  d'ici,  quelle  qu'ait  été  leur  éleciion. 

))  Les  Américains  ont  été  quelque  temps  sans  exercer  ce  droit; 
ils  s'en  sont  si  mal  trouvésqu'ils  ont  été  obligés  d'y  revenir  ;  voici 
comment  est  conçu  l'article  o  de  leur  constitution  :  (  Quelques 
voix.  Ce  n'est  pas  ce  dont  il  s'agit.  Tumulte.  )  Chaque  chambre 
sera  juge  des  élections  et  des  qualités  des  membres  élus.  Chaque 
chambre  pourra  punir  ses  membres.  » 
Duhot.  c  Nous  n'avons  pas  ce  droit.  »  Tumulte. 
Hardy.  «  Voulez-vous  m'interrompre  à  chaque  mot,  venez 
ici.  > 
Duhot,  a  Parlez-nous  de  la  constitution  française.» 
Hardy,  <  Tel  est  l'article  de  la  constitution  américaine,  dont 
Ta  siricte  exécution  fait  le  bonheur  des  citoyens  de  ce  pays.  Hé 
bien  I  le  même  article  se  trouve  dans  notre  constitution.  On  y 
lit  cet  avertissement  que  le  peuple  français  donne  aux  fractions 
de  citoyens.  Rappelez-vous  que,  de  la  sagesse  de  vos  choix  dé- 
pend le  bonheur  de  la  République.  Si  donc  les  choix  sont  mau- 
vais ,  c'en  est  fuit  du  bonheur  et  du  salut  de  la  France  ;  mais  l'ad- 
mission et  le  rejet  de  ces  choix  n'esi-il  pas  dévolu  au  corps  légis- 
latif? IN'est-ce  pas  lui  qui ,  en  dernier  ressort  et  dans  tous,  les  cas, 
remarquez  bien  cette  expression  générique ,  qui  décide  de  la  va- 
lidité des  opérations  des  assemblées  primaires  et  électorales.  D'où 
il  suit  que  si  un  scélérat  se  présente  ici  comme  député,  vous  avez 
le  droit  de  le  repousser  ;  car  il  ne  s'agit  pas  seulement,  dans  cette 
disposition  constitutionnelle ,  de  la  validité  du  mécanisme  des 
élections,  mais  bien  des  résultats  qu'elles  présentent.  Telle  esj 


480  DIRECT.    —   DU    18   FRUCTIDOR    AN    V   (  i7î)7  ) 

mon  opinion.  L'intention  du  Iéf>islateur  constituant  a  été  que  lo 
corps  lë^^islatil-  eût  le  droit  d'empêcher  le  crime  de  sië^jer  dans 
son  enceinte  ;  et  je  ne  vois  pas  qu'il  y  ait  au  monde  aucune  loi  qui 
puisse  me  forcer  à  consentir  qu'un  scélérat  vienne  s'asseoir  à  côté 
de  moi. 

»  Au  reste,  la  motion  qui  vous  a  été  faite  avec  beaucoup  d'art 
et  de  délicatesse,  n'a  d'autre  but  que  de  vous  faire  consacrer  des 
principes  anarchiques.  Les  conjurés  ont  pris  une  autre  marche. 
Les  hommes  de  Robespierre  et  de  Babœuf,  disaient  hautement, 
il  y  a  dix-huit  mois  :  Il  faut  couper  la  tête  aux  cinq  ;  aujourd'hui 
ils  affectent  un  langage  plus  doux,  ils  se  couvrent  du  manteau  de 
la  régularité,  qui,  disent-ils,  a  présidé  à  leurs  élections,  et  cou- 
verts de  masques  ,  ils  s'imaginent  entrer  impunément  ici.  Us  se 
trompent;  je  le  répète ,  jamais  je  ne  consentirai  à  ce  qu'un  scélé- 
rat vienne  s'asseoir  à  côté  de  moi. 

»  Je  demande  l'ordre  du  jour.  » 

Bion  est  à  la  tribune  ;  il  réclame  la  parole.  Le  conseil  la  lui  re- 
fuse, et  il  ferme  la  discussion. 

On  réclame  l'impression  du  discours  de  Lamarque  ;  elle  est 
rejeiée  à  l'unanimité,  moins  cinq  à  six  membres. 

On  demande  Tordre  du  jour  sur  les  propositions  de  Lamarque. 
L'ordre  du  jour  est  adopté  à  la  même  unanimité.     • 

—  La  dénonciation  de  Lamarque  n'empêcha  rien  :  mais  elle  à 
montra  que  l'on  devait  s'attendre  à  une  critique  de  détail  dont 
on  se  tirerait  difficilement,  bi  l'on  procédait  partiellement  à  la  vé- 
riHcaiion  des  élections  et  si  on  ne  les  soumettait  pas  en  bloc  à  un 
Hiême  examen ,  pour  n'avoir  qu'une  seule  discussion.  Ln  mes- 
sage du  directoire  mit  ses  amis  sur  cette  voie. 

r.ONSEfL  DES  CINQ-CENTS.  —  Séntice  du  iôjloréal  an  G. 

Dubois-Dubay  a  la  parole  pour  faire  un  rapport  sur  les  dou- 
bles élections  de  Seine-el-Oise,  mais  on  réclame  la  lecture  d'un 
message  du  directoire  ;  elle  est  ordonnée. 

Le  directeur  s'exprime  ainsi  :  «  Le  11  de  ce  mois,  vous  avez 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI  (1798),  481 

iflvilé  le  directoire  à  vous  faire  part  des  circonstances  qui  ont  ac- 
compagné les  élections  de  l'an  VI ,  et  à  vous  donner  des  rensei- 
{^nemens  sur  les  entreprises  que  les  anarchistes  ont  faites  pour 
s'en  rendre  les  maîtres.  11  s'empresse  de  répondre  à  vos  vœux.  » 

Ici  le  directoire  rappelle  les  manœuvres  employées  depuis  la 
retraite  de  l'assemblée  constituante  par  les  ennemis  de  la  liberié, 
pour  influencer  les  élections  et  nous  ramener  par  elles  au  joug  de 
.l'esclavage.  Ils  portèrent  à  l'assemblée  législative  de  lâches  par- 
tisans de  la  royauté  ;  ils  jetèrent  dans  le  sein  de  cette  assemblée 
immortelle,  qui  a  fondé  la  République,  ces  hommes  justement 
exécrés,  qui  on  fait  peser  sur  la  France  un  sceptre  de  fer;  eu 
vendémiaire  an  IV,  en  germinal  an  V,  une  influence- funeste, 
dirigée  par  l'étranger,  peuple  le  corps  législatif'  et  les  administra- 
tions des  partisans  les  plus  prononcés  du  fantôme  de  roi.  Ainsi, 
leur  marche  est  la  même,  soit  qu'ils  suivent  Robespierre,  ou 
bien  Pastoret  et  Vaublanc ,  Pichegru  et  Willot. 

«  C'est  dans  ce  moment  où  la  République  triomphe  à  l'intérieur, 
où  toutes  ses  forces  réunies  contre  le  seul  ennemi  qui  lui  reste 
présagent  son  entière  défaite,  que,  victorieuse  de  l'Europe, 
elle  se  voit  obligée  de  se  défendre  contre  les  intrigues ,  les  ma- 
nœuvres que  l'on  emploie  pour  la  ruiner  et  la  détruire.  Rien  de 
plus  certain  que  cette  conjuration  vaste,  dont  votre  sagesse  a 
pressenti  les  fils,  et  sur  laquelle  vous  avez  demandé  des  rensei- 
gnemens  au  directoire.  Oui ,  il  a  existé  et  il  existe  une  conspira- 
tion anarchique ,  non  moins  dangereuse  que  celle  que  vous  avez 
déjouée  au  18  fi  uciidor.  C'est  dans  les  assemblées  primaires  ei 
électorales  que  devaient  éclore  ses  résultats. 

»  Sous  le  nom  (ïanarchistes ,  le  directoire  n'entend  point  con- 
fondre ces  républicains  énergiques,  amans  plutôt  qu'amis  de  la 
liberté  et  de  la  Constitution  de  l'an  111 ,  qui  savent  soumettre  à 
la  loi  le  sentiment  impérieux  de  la  liberté  :  muis,  par  ce  mot, 
il  entend  ces  hommes  couverts  de  sang  et  de  rapines,  prêchant  le 
bonheur  commun  pour  s'enrichir  sur  la  ruine  de  tous ,  ne  par- 
lant d'égalité  que  pour  èire  despotes  ;  capables  de  toutes  les 
bassesses  et  de  tous  les  crimes,  soupiranî  après  leurs  ancietis 
r.  \xxvji.  o\ 


48î2  DIRECT.    —   BD   18   FRUCTIDOR   AN   V    (1797  ) 

pouvoirs;  ces  hommes  enfla  qui,  au  8  thermidor,  étaient  les 
agens  de  Robespierre  et  occupaient  les  places  dans  toute  la 
République,  et  qui  depuis  le  9  thermidor  ont  figuré  dans  tous 
les  mouvemens ,  trempé  dans  toutes  les  machinations  ;  qui  étaient 
les  affidés  de  Babeuf,  et  les  conspirateurs  du  camp  de  Grenelle. 

»  Voilà  les  conspirateurs  que  le  directoire  vous  signale  ;  il  est 
temps  que  la  tribune  nationale  retentisse  du  récit  de  leurs  cri- 
mes ;  votre  sagesse  saura  leur  fermer  l'entrée  du  corps  législa- 
tif. . 

Ici  le  xlirectoire  trace  la  condiiite  tenue  pas  la  conspiration 
anarcliique  depuis  !e  18  fi  uciidor.  Avant  celle  époque,  le  direc- 
toire avait  cru  devoir,  pour  raviver  l'esprit  pub'ic,  permettre  ia 
tenue  des  clnbs  consiituiionnels.  Les  coni-pirateurs  en  fii  eut  le 
laboratoire  de  leurs  crimes.  De  nombreuses  associations  corres- 
pondirent entre  elles;  des  commissaires  lurent  envoyés  p:\ri0ut, 
propageant  les  principes  de  la  dérrugogie.  Les  communes  de 
Strasbourg,  Vezoul,  Metz,  Marseille, Bordeaux, Périgueux, etc. 
virent  se  former  dans  leur  sein  des  cercles  constitutionnels.  Tou- 
tes ces  branches  se  rattachaient  au  tronc  qui  était  à  Paris.  C'est 
dans  les  clubs  de  la  rue  du  Bac  et  de  la  rue  Antoine  que  se  pre- 
naient les  délibérations,  et  que  l'on  dictait  les  ordres,  lesquels 
étaient  partout  exécutés  avec  une  exactitude  scrupuleuse.  Et  de 
même  qu'en  l'an  V,  les  sociétés  des  fils  légitimes  influencèrent 
les  élections,  ainsi  celles  de  l'an  VI  l'ont  été  par  les  clubs  anar- 
chiques. 

»  Le  directoire  ordonne  leur  clôture;  ils  s'en  forme  d'autres. 
Des  journaux  incendiaires  soufflent  à  l'envi  le  feu  de  la  division , 
et  une  désorganisation  générale;  le  directoire,  en  vertu  du  pou- 
voir que  la  loi  lui  donne,  brise  ces  trompettes  du  terrorisme.  11 
est  hors  de  doute  que  les  conspirateurs  ne  veulent  rétablir  que 
ie  régime  exécré  de  1795;  à  Avignon  on  a  envoyé  de  Paris  trois 
mille  exemplaires  de  la  Constitution  de  95.  A  3Iarseille ,  à  Bor- 
deaux, etc.,  on  publiait  hautement  que  le  moment  était  venu  de 
se  débarrasser  des  cinq  et  des  deux  conseils. 

»  C'est  sous  ces  auspices  que  se  sont  tenues  les  assemblées  pri- 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI  (  1798  ).  485 

maires.  Partout  les  anarchistes  y  ont  exercé  des  violences ,  se 
sont  emparés  des  bureaux  par  la  force  ;  ont  exclu  des  séances  les 
citoyens  qui  refusaient  de  porter  le  joug  qu'ils  voulaient  leuh  im- 
poser. Ici,  des  réquisitionnaires  déserteurs  ont  dominé  les  élec- 
tions; là,  on  en  a  exclu  les  acquéreurs  des  domaines  nationaux. 
En  plusieurs  endroits ,  comme  dans  la  Corrèze,  les  proclamations 
du  directoire  ont  été  lacérées  et  foulées  au  pieds.  Dans  les  Hautes- 
Alpes  ,  un  homme  qui  fut  sous  Robespierre  le  plus  furieux  agent 
du  terrorisme,  et  qui,  sous  Camille  Jordan,  a  été  l'apôtre  le 
plus  zélé  du  fanatisme,  cet  homme  a  joué  le  plus  grand  rôle  dans 
les  élections. 

»  A  Paris,  sous  les  yeux  du  corps  législatif  et  du  gouverne- 
ment, avec  quelle  audace  les  anarchistes  ne  se  sont-ils  pas  con- 
duits dans  les  assemblées  primaires?  un  de  vos  anciens  collègues 
y  a  éié  attaqué,  son  habit  a  été  déchiré  et  son  corps  tout  couvert 
de  contusions;  il  a  été  chassé  de  son  assemblée.  Toutes  les  no- 
minations d'électeurs  se  sont  faites  sous  cette  influence.  N'a-t-on 
pas  vu  au  nombre  des  électeurs  un  septembriseur,  convaincu 
d'avoir  tué  trente-deux  personnes.  Dans  le  neuvième  bureau  du 
premier  arrondissement ,  un  membre  a  proposé  d'arracher  le 
cœur  à  un  citoyen  qu'il  désignait  sous  le  nom  de  chouan  ,  et  il 
s'est  offert  pour  faire  cette  opération. 

>  Le  directoire  ne  se  traînera  pas  péniblement  sur  tous  les  dé- 
tails; ils  sont  consignés  dans  les  pièces  jointes  au  message.  Vous 
y  apprendrez  encore  à  quels  excès  les  électeurs  se  sont  portés 
dans  plusieurs  departemens.  Dans  les  Landes,  plusieurs  élec- 
teurs ont  été  assaillis,  assassinés,  jetés  dans  les  prisons;  dans 
l'Arriége ,  l'intrigue  et  la  cabale  ont  d'Cté  les  choix  ;  dans  la  Cor- 
rèze ',  les  arrêtés  du  directoire  ont  été  déchirés ,  et  des  électeurs 
chassés  ;  dans  l'Ourihe ,  la  journée  du  18  fructidor  a  été  appelée 
la  journée  des  intrigans  ;  dans  l'Arriége ,  plus  qu'ailleurs,  l'a- 
narchie a  levé  sa  tète  sanglante  et  altière  ;  le  commissaire  du  gou- 
vernement a  été  insulté,  on  y  a  bu  des  loabt  à  !a  queue  de  fio- 
bespierre;  les  électeurs  ont  été  menacés,  fiappés  sur  la  place 
publique  et  poursuivis  à  coups  de  bnionneite,  jusque  dans  le 


484  DIRECT.    —   DL    48    FRUCTIUOU   AN    V    (1797) 

bureau  du  commissaire  du  directoire  près  radministration  cen- 
trale.* Dans  la  Dordogne,  un  comiié  de  cinquante  personnes  a 
dirigé  toulps  les  élections;  on  y  a  osé  accoler  un  de  vos  collèo^ues 
à  un  homme  couvert  de  crimes,  et  qui ,  n'étant  rentré  en  France 
qu'en  1791 ,  n'a  pas  acquis  la  résidence  qu'exige  la  Constitution 
pour  être  ciioyen  français.  Dans  l'Aube,  la  Loire,  la  Seine,  etc., 
les  illégalités  les  plus  nion>lrueuses  ont  accompagné  toutes  les 
opériitions;  là  ,  le  royalisme  et  l'anarchie  ont  marché  à  front  dé- 
couvert et  dans  le  même  sens. 

9  Tels  sont  les  traits  faiblement  esquissés  de  tout  ce  qui  s'est 
passé  dans  les  assemblées  électorales  ;  vous  en  trouverez  les  dé- 
tails dans  ks  pièces  jointes  au  message.  Il  en  résulte  qu'une  vaste 
conspiration  a  été  ourdie  contre  la  Con^ûiution  de  l'an  111;  que, 
si  elle  n'a  pas  entièrtment  réussi,  c'est  que  le  direcioire  l'a  dé- 
jouée en  partie  ;  le  but  des  conspiraieiirs  était  de  renverser  les  deux 
conseils  et  le  directoire,  et  a'inlroJuire  à  cet  effet,  dans  le  seiu 
du  corps  législatif,  des  hommes  propres  à  exécuter  cet  infâme 

projet. 

»  La  grandeur  des  mesures  que  vous  avez  prises  au  18  fructi- 
dor est  un  présage  assuré  qu'en  floréal  vous  prendrez  des  me- 
sures aussi  efficaces,  et  que  vous  ne  transigerez  pas  plus  avec  Ba- 
beuf qu'avec  les  partisans  d'un  fantôme  de  roi.  Et  royalistes  et 
anarchistes,  il  est  temps  que  le  bras  de  la  loi  les  frappe  égaiemeut, 
car  le  directoire  a  remarqué  que  le  royalisme  s'était  emoaié  de 
quelques  élections.  » 

On  réclame  l'impression  et  la  distribution  au  nombre  de  six 
exemplaires.  —  Adopté. 

Séance  du  14  floréal. 

Lenwine  par  motion  d'ordre.  «  Le  message  important  qui  vous 
fut  lu  hier  contenait  les  renseign^mens  les  plus  précieux  sur  ce 
qui  s'est  passé  dans  les  assemblées  électorales.  Vous  y  avez  vu 
les  preuves,  de  l'existence  d'une  conspiration  dangereuse,  ourdie 
pour  renverser  le  gouvernement  républicain.  Mais,  j'en  jure  par 
H  génie  de  la  liberté,  les  destinées  de  la  France  ne  sont  pas  de 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI  (17gS).  485 

lutter  sans  cesse  contre  les  conspirateurs,  et  d'avoir  toujours  à 
combattre  le  royaîisrne  et  l'anarchie.  Je  crois  que  le  message  est 
tellement  grave,  qu'il  mérite  d'être  renvoyé  à  rexanieu  d'une 
commission  particulière.  Il  faut  que  le  gouvernement  trouve 
dans  la  Irgislati-jn ,  des  moyens  de  comprimer  les  coupables  et  de 
prévenir  le  renouvellement  de  leurs  intrigues.  Il  vous  a  dénonce' 
des  crimes,  il  faut  les  punir.  Partout  Ids  citoyens  ont  éié  en 
butte  à  la  violence  et  à  la  persécution.  Les  uns  ont  été  expulsés 
des  assemblées,  les  autres  emprisonnés;  ceux-là  mis  à  tort  sur 
la  liste  des  émigrés;  ceux-ci  ont  été  maltraités.  Il  faut  empêcher 
que  l'on  ne  viole  impunément  les  lois  et  la  Constitution. 

»  Je  demande  que  le  message  soit  renvoyé  à  une  commission 
de  cinq  membres,  pour  vous  faire  un  rapport  sur  les  mesures 
applicables  aux  circonstances  qui  ont  accompagné  les  élections, 
et  aux  faits  dénoncés  par  le  directoire.  » —  Impression  et  adopté. 
La  commission  sera  nommée  au  scrutin. 

Séance  du  18  floréal. 

Bailleul,  au  nom  de  la  commission  des  cinq,  fait  un  rapport 
snr  les  mesures  à  prendre  relativement  au  message  du  directoire, 
concernant  les  élections  de  l'an  VI.  «  Combien ,  dit  l'orateur,  il 
a  été  consolant  pour  la  commission  de  voir  que,  du  moment  où 
elle  a  porté  ses  regards  sur  les  manœuvres  dont  les  citoyens 
avaient  d'abord  été  effrayés,  le  mal  lui  a  paru  facile  à  guérir,  et 
que  vous  aviez  en  main  la  puissance  nationale  pour  en  prévenir 
les  suites! 

>  La  détermination  que  vous  allez  prendre  marquera  dans  les 
fasff  s  de  la  révolution.  Chaque  fois  qu'on  a  répandu  qu'un  {jrand 
événement  se  préparait,  on  s'est  contenté  d'en  attendre  avec  ré- 
signation l'explosion  ;  on  ne  prenait  aucunes  mesures  ;  on  parlait 
quand  les  factieux  agissaient.  Vous  éviterez  celte  insouciance  et 
cette  apathie  ;  vous  ne  vous  endormirez  point  sur  le  bord  du  pré- 
cipice creusé  sous  vos  pas,  et  vous  n'abandonnerez  pas  le  sort  de 
la  République  à  un  heureux  hasard. 

>  C'est  dans  le  sentiment  de  vos  cœurs  que  vous  puiserez  les 


i8()  DlRECr.    —    DU    18   FRUCllDOK    AN    V    (1797) 

mesures  à  prendre  dans  la  circonstance  extraordinaire  où  se 
trouve  la  République.  11  nous  dit  qu'il  ne  faut  pas  s'attacher  à 
des  principes  contraires  à  la  raison ,  et  dont  l'application  aurait 
des  résultats  funestes  à  la  tranquillité  publique.  Lorsqu'on  passe 
d'un  régime  arbitraire  à  un  régime  théorique ,  on  s'expose  à  de 
grands  désordres  ;  entre  l'arbitraire  et  les  abstractions  il  y  a 
une  marche  intermédiaire  à  suivre,  c'est  celle  que  nous  vous 
proposons  de  prendre.  Un  peuple  ne  peut  exister  dans  des 
angoisses  et  des  convulsions  continuelles;  c'est  néanmoins  ce 
qui  arriverait  si  ceux  qui  le  gouvernent  ne  prenaient  des 
mesures  propres  à  les  prévenir  :  au  lieu  de  se  laisser  entraîner 
par  la  force  des  choses,  il  faut  les  diriger.  Ces  réflexions  nous 
ont  guidé  dans  l'examen  des  faits,  et  les  faits  nous  ont  dirigé 
dans  la  recherche  des  principes. 

»  Depuis  le  commencement  de  la  révolution ,  deux  conspira- 
tions se  sont  manifestées.  La  première  est  composée  de  royalis- 
tes et  de  tous  ceux  qui  regrettaient  leurs  privilèges  ;  la  seconde , 
née  des  excès  de  la  première,  se  compose  d'hypocrites  royalistes 
et  d'hommes  ignorans  et  pervers ,  avides  de  sang  et  de  rapines. 
L'une  et  l'autre  se  sont  disputé  le  terrain  de  la  liberté,  et  ont 
voué  une  égale  haine  aux  républicains  probes  et  éclairés.  Leur 
but  est  le  renversement  du  gouvernement  et  de  la  Constitution 
de  l'an  111.  Pour  y  parvenir,  toutes  deux  ont  employé  les  mêmes 
hommes  ot  les  mêmes  moyens,  et  ce  que  nous  voyons  aujour- 
d'hui n'est  pas  le  résultat  d'une  f.iciion  nouvelle.  » 

Ici  l'orateur  trace  à  grands  traits  les  manœuvres  employées 
depuis  le  18  fructidor  par  les  partisans  de  J'anarchie ,  pour  do- 
miner les  assemblées  primaires  et  électorales,  et  s'assurer  des 
élections.  Tous  ces  faits  sont  contenus  au  message. 

«  Mais ,  continue  l'orateur,  si  les  entreprises  de  l'anarchie  ont 
été  multifUiccs  partout,  elles  n'ont  pas  obtenu  partout  un  égal 
succès.  Dans  la  plus  grande  partie  des  départemens,  les  répu- 
blicains se  sont  garantis[^de  leur  influence;  de  là ,  les  assemblées 
élociorales  offrent  trois  caractères  principaux  : 

»  f' Celles  où  l'esprit  républicain  a  dominé;  2° celles  où  le 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI  (1798).  487 

triomphe  de  l'anarchie  a  été  complet  ;  5°  celles  où  il  y  a  eu  un 
mélange  d'anarchistes,  de  royalistes  et  de  républicains  ;  de  là  les 
élections  donnèrent  des  choix  bons,  ou  mauvais,  ou  mélangés. 
Quand  une  élection  de  députés  nous  a  présenté  un  mauvais  ré- 
sultat ,  nous  avons  cru  devoir  vous  proposer  de  l'annuler  ;  il  en 
a  été  de  même  de  celle  des  présidens ,  accusateurs  publics  et 
hautsjurés.  Ces  fonctionnaires  ont  une  trop  grande  influence  sur 
la  vie  des  citoyens,  pour  ne  pas  étendre  sur  eux  la  même  me- 
sure. Les  scissions  ont  été  admises  quand  elles  nous  oni  paru  ap- 
puyées sur  des  motifs  graves  ;  elles  ont  été  rejetées ,  quand  elles 
n'ont  été  que  le  fruit  du  caprice  et  de  la  cabale.  Les  royalistes 
ont  fait  des  efforts  dans  certains  départemens  pour  influencer  les 
choix  du  peuple;  ils  ont  eu  peu  de  succès  ;  et  les  hommes  qui  ont 
été  nommés  par  eux  ont  été  rangés  dans  la  classe  de  ceux  dont 
on  vous  proposera  d'annuler  les  nominations.  En  purgeant  ainsi 
la  masse  des  nouveaux  élus  de  tous  les  élémens  étrangers  à  la 
République,  nous  n'introduisons  dans  le  corps  législatif  que  des 
républicains  recommandabies  par  leur  patriotisme  et  leur  lumiè- 
res, et  par  là  nous  vous  proposons  une  mesure  qui  vous  sera 
agréable ,  et  qui  assurera  à  la  République  la  confiance  des  puis- 
sances étrangères. 

»)  On  dira  :  Cette  mesure  est  arbitraire ,  elle  est  contraire  aux 
principes.  Ciioyens,  prenez  garde  d'être  la  victime  d'une  fausse 
délicatesse.  C'est  avec  les  grands  mots  de  principes,  de  salut  de 
la  patrie,  que  l'on  a  conduit  si  souvent  la  représentation  natio- 
nale au  bord  de  l'abîme.  On  abuse  de  tout.  Il  faudra  donc ,  direz- 
vous,  abandonner  les  principes.  Non,  sans  doute;  mais  il  faut 
mieux  raisonner  de  leur  application.  Les  faits  et  la  bonne  foi  sont 
la  base  des  bonnes  résolutions.  Comment  accuser  d'arbitraire 
une  mesure  dictée  par  la  sagesse. 

»  On  dira  ;  Votre  projet  est  une  véritable  liste  de  proscripiion. 
—  Pas  plus  que  la  loi  du  19  fructidor  ne  l'a  été  poui-  les  déj)utés 
dont  les  élections  ont  clé  annuh^et,. 

»  On  a  dit  qu'il  valait  beaucoup  mieux  casser  toutes  les  élec- 
tions de  l'an  VL  Nous  ne  réfuterons  pas  un  pareil  projet,  il  suf- 


188  lHhECT.    —    Ï)C    18  FRUCTIDOR    AN    V    (1797^ 

fit  de  rannoncer  pour  faire  sentir  qu'il  est  le  produit  de  l'irté- 
flexion  .  de  lVxtrava,']ance  et  de  la  perfidie. 

»  On  craint  une  rëaciion  royaliste.  On  a  tort.  La  majorité  des 
républicains  est  immense  ;  la  petite  joie  que  le  royaliste  fait  écla- 
ter depuis  quelques  jours  s^ra  de  peu  de  durée. 

»  Tout  individu  qui  s'est  déclaré  contre  la  Consiitution  par  des 
actes  publics  et  par  sa  conduite,  doit  être  écarté  du  corps  légis- 
latif. Par  là  ,  vous  donnerez  un  fjrand  exemple ,  vous  comprime- 
rez les  factions,  quelque  bannière  qu'elles  arborent;  et  elles  n'o- 
seront  plus  remuer  quand  elles  seront  convaincues  que  tous  leurs 
efforts  sont  inutiles. 

»  Voici  le  projet  que  la  commission  vous  propose  : 

»  Art.  i^^.  L'article...  de  la  loi  du...  est  rapporté  ;  en  consé- 
quence, les  résolutions  partielles  approbaiives  des  élections  de 
députés ,  contraires  à  la  présente ,  sont  déclarées  comme  non  ave- 
nues. —  2.  Les  élections  de  l'Ain  sont  valables,  excepté  celle  du 
citoyen  Giraud  de  Thoiry,  qui  est  déclarée  nulle.  —  5.  Aisne, 
valable.  —  4.  Allier,  deux  assemblées  scissionnaires ,  nulles.  — 
o.  Basses-Alpes ,  valables ,  excepté  celle  de  l'accusateur  public. 
—  6.  Hautes-Alpes ,  valables,  excepté  celle  d'un  député  au  con- 
seil des  cinq-cents.  —  7.  Alpes-Maritimes,  valables,  excepté 
celle  du  haut  juré.  —  8.  Ardèche,  scission  ;  les  élections  de  l'as- 
semblée séante  dans  la  ci-devant  église  paroissiale  de  Privas 
sont  valables. —  0.  Ardennes,  valables.  — 10.  Arriére,  valables, 
excepté  celles  de  Gaston  et  d'un  autre  député ,  du  haut  juré  et  de 
l'accusateur  public.  —  11.  Aube,  l'élection  de  Sièyes  et  Liidot 
est  déclarée  valable  ;  celle  de  Sutil,  aux  anciens,  annulée.  — 
12.  Aude,  valable,  excepté  celle  de  Barthe,  nommé  aux  cinq- 
cents.  —  13.  Aveyron,  valables. 

»  14.  Bouches-du-Rhône ,  les  élections  faites  à  la  maison  com- 
mune d'Aix  sont  valables;  les  autres  faites  au  collège,  annulées. 

»  1o.  Calvados,  valables.  —  Ki. Gantai,  valables.  —  17.  Cha- 
rente, idem.  —  18.  Charante-lnférieure,  idem.  —  19.  Cher, 
idem.  — 20.  Corrèze,  les  élections  faites  dans  les  bûtimens  de 
l'administration  centrale  sont  déclarées  valables ,  celles  faites  au 


AU  22  FLORÉAL  AîV  VI  (1798).  489 

roiiége,  annulées.  —  i2i.  Côte-d'Or,  valables.  —  22.  Côtes-du- 
?^ord  ,  idem.  —  25.  Creuse  ,  idem. 

»24.  Dordogne,  annulées. — 25.  Doubs,  valables.— 2G.  Drôme, 
valables.  — 27.  Dyîe,  valables,  excepté  celle  d'un  député  aux 
anciens. 

»)  28.  Escaut,  valables. —  20.  Eure,  élections  valables ,  excepté 
celles  de  Thomas  et  Robert  Lindet,  qui  sont  annulées.  —  Eure- 
et-Loir,  valables. 

»  51.  Finistère,  élections  valables,  excepté  celles  de  deux  dé- 
putés au  conseil  des  cinq-cents ,  de  l'accusateur  public  et  du  pré- 
sident du  tribunal  criminel.  —  52.  Forest,  les  élections  de  l'as- 
semblée séante  à  la  bibliothèque  des  ci-devant  Récollets  sont  dé- 
clarées valables;  celles  de  l'assemblée  tenue  au  Palais-de- Justice, 
annulées. 

»  55.  Gard ,  les  élections  de  l'assemblée  séante  aux  ci-devant 
Récollets  de  INîmes  sont  déclarées  valables  ;  celles  faites  à  la  ci- 
devant  cathédrale ,  annulées. 

»)  34.  Haute-Garonne,  valables.  —  55.  Gers,  les  élections  sont 
déclarées  valables,  excepté  celle  du  président  du  tribunal  crimi- 
nel. —  56.  Gironde,  valables. 

»  37. Hérault, les  élections  sont  déclarées  valables,  excepté 
celles  de  Vasse aux- cinq-cents,  de  Lescuyer  et  Colombat  aux 
fonctions  déjugées. 

»  38.  llle-et -Vilaine ,  vaables. —  59.  Indre,  élections  valables, 
excepté  celle  de  Dubos  aux  cinq-cents.  -^  40.  Indre-et-Loire , 
valables.  —  41.  Isère,  valables. 

»  42.  Jemmapes,  élections  valables,  excepté  celles  des  haut  juré, 
accusateur  public  et  président  du  tribunal  criminel.  —  45.  Jura, 
les  élections  de  l'assemblée  séante  dans  l'église  de  Lons-le-Saul- 
nier,  valables  ;  celles  de  l'assemblée  tenue  à  l'auberg^e  de  l'Ours- 
Blanc,  annulées. 

»  44.  Les  Landes,  les  élections  des  trois  assemblées  annulées. 
—  45.  Loir-et-Cher,  annulées.  —  M).  Loire,  annulées.  —  47. 
Haute-Loire,  valables.  —  48.  Loire-Inférieure,  valables.  — 
49.  Loiret ,  valables.  —  50.  Lot,  valables. —  51.  Lot-et-Garonne, 


^0  DIRECT.    -—   DU   18   FRUCTIDOR   AN    V    (1797) 

les  élections  de  l'assemblée  séante  au  temple  décadaire  d'Agen , 
valables  ;  les  autres,  annulées. — 5â.  Lozère ,  valables.  —  o5.  Lys, 
les  élections  de  l'assemblée  séante  dans  la  salie  de  l'administra- 
lion  centrale  à  Bruges ,  valables ,  excepté  deux  députés  ;  les  au- 
tres, annulées. 

•  54.  Maine-et-Loire,  valables.  — ^>5.  Manche,  élections  vala- 
bles ,  excepté  celle  de  Guiédan  aux  cinq-cents.  —  56.  Marne  , 
les  élections  de  l'assemblée  séante  à  la  ci-devant  église  de  Ghâlons, 
nulles  ;  celles  de  l'assemblée  tenue  dans  la  salle  de  la  maison  com- 
mune, valables  quant  aux  nominations  des  députés;  les  élections 
des  autres  fonctionnaires,  nulles.  — 57.  Haute-Marne,  valables. 
—  58.  Marne,  élections  valables,  excepté  celle  de  Chariier 
nommé  député.  —  50.  Meurthe,  valables.  —  60.  Meuse,  vala- 
bles. —  61.  Meuse-Inférieure,  valables.  —  62.  Mont-Blanc, 
élections  valables ,  excepté  celle  de  Doppet,  nommé  député,  dé- 
clarée nulle.  —  63.  Mont-ïerrible ,  valables.  —  64.  Morbihan , 
valables.  —  65.  Moselle,  élections  valables ,  excepté  celle  du 
haut  juré  et  du  président  du  tribunal  criminel. 

•  66.  Deux-Nethes,  valables.  —  67.  Nièvre ,  les  élections  de 
l'assemblée  séante  à  la  ci-devant  église  de  Saint-Denis  sont  nulles  ; 
les  autres,  valables.  —  68.  Nord ,  élections  valables ,  excepté 
celles  de  Delahaye  et  de  Lequiniot ,  nommés  députés. 

»  69.  Oise,  valables.  —  70.  Orne,  valables.  —  71.  Ourthe, 
élections  valables,  excepté  celles  de  l'ex-genéral  Fiou,  nomme 
député,  et  du  président  du  tribunal  criminel. 

»  72.  Pas-de-Calais ,  élections  valables  ,  excepté  celles  de  qua- 
tre députés.  —  75.  Puy-de-Dôme,  élections  de  l'assemblée  séante 
aux  Ursulines,  v;tlablesj  les  autres,  nulles.  —  74.  Basses-Pyré- 
nées, nulles.  —  75.  Hautes-Pyrénées,  élections  de  l'assemblée 
séante  à  l'églis'.^  de  Saint-Jean  ,  valables  ;  les  antres,  nulles.  — 
76.  Pyrénées-Orientales,  valable^. 

»  77. Bas-Rhin,  valables.  — 7S.  ILmt-Khin,  irfm.  — 79.  Rhône, 
élections  de  l'assemblée  séante  aux  Ptnitens,  valables;  celles 
laites  à  l'église  paroissiale  de  Condricnx  et  aux  Visitandines, 


AU  2î2  FLORÉAL  AN  VI  (1798).  491 

nulles.  Députés  nommes ,  Chasscy,  Vitet,  Paul  Caire  et  P'res- 
savin. 

»  80.  Sambre-et-Meuse,  valables.—  81 .  Hante-Saône,  valables. 

—  82.  Saôue-et-Loire,  élections  valables,  excepté  cellé*s  du 
haut  juré  et  du  président  du  tribunal  criminel.  —  85.  Sarthe , 
élections  valables,  excepté  celles  de  trois  députés,  du  haut  juré, 
du  président  et  de  l'accusateur  public.  —  84.  Seine ,  élections  de 
l'assemblée  séante  à  l'Institut ,  valables.  —  85.  Seine-Inférieure, 
valables.  —  86.  Seine-et-Marne ,  les  élecjtions  de  l'assemblée 
séante  au  local  de  l'administration  centrale,  valables,  excepté 
celles  du  président  et  de  l'accusateur  public.  —  87.  Seine-et- 
Oise,  élections  valables,  excepté  celle  de  Germain  de  Viroflay, 
nomjné  député.  —  88.  Deux-Sèvres,  valables.  —  89.  Somme, 
idem. 

»  90.  Tarn,  valables. 

>  91.  Var,  élections  valables,  excepté  celle  de  l'accusateur  pu- 
blic; Barras,  directeur,  nommé  député.  —  92.  Vaucluse,  élec- 
tions de  l'assemblée  séante  au  local  de  l'administration  centrale  , 
valables  ;  les  autres,  nulles. —  93.  Vendée ,  valables. —  94.  Vienne, 
élections  de  l'assemblés  séante  dans  la  salle  du  tribunal  de  Poi- 
riers,  valables  ;  celles  faites  dans  la  salle  du  décadaire,  nulles. 

—  95.  Haute-Vienne  ,  élections  annulées.  (Guyvernon,  nommé 
par  ce  département ,  s'écrie  :  C'est  affreux  !  Tumulte).  —  96. 
Vosges,  valables. 

»  97.  Yonne,  valables. 

Jourdan  de  la  Haute-Vienne.  «  La  commission  vient  de  vous 
présenter  un  projet  tendant  à  admettre  au  corps  législatif  des  dé- 
putés, et  à  en  exclure  un  grand  nombre  d'autres.  Une  mesure 
pareille  ne  peut  être  fondée  que  sur  deux  motifs:  1°  parce  qu'il 
existe  une  conspiration  ;  2**  parce  que  les  individus  qu'on  veut  ex» 
dure  comme  dangereux,  en  sont  les  agens.  Je  ne  viens  point  com- 
battre le  projet;  mais  puisque  l'on  veut  transformer  le  conseil  en 
jury,  et  que  sans  égard  pour  les  formes  conservatrices  de  la  li- 
berté, on  méconnaît  la  Constitution  et  la  souveraineté  du  peuple, 
je  déclare  que  je  ne  prendrai  de  part  à  cette  délibération ,  (ju'au- 


^92  DIRECT.    —    DU    48   FRUCTIDOK    AN   V    (1797^ 

lant  que  l'on  me  prouvera  qi^e  les  soixaute  individus  proscrits 
ont  trempé  dans  la  corspiraiion.  Je  pourrais  citer  des  faits;  et 
sans  inculper  les  membres  de  la  commission ,  dont  je  connais  les 
principes,  et  dont  je  respecte  les  intentions,  je  pourrais  dire 
qu'elle  n'a  pas  fait  son  travail  ;  je  pourrais  indiquer  la  source  où 
elle  l'a  puisé;  je  pourrais  citer  les  erreurs  qui  s*y  trouvent,  et 
nommer,  en(re  autrt-s,  le  département  de  la  Haute A'ienne,  dont 
on  vous  propose  d'annuler  les  élections;  et  je  vous  prouverais  que 
le  directoire  et  la  commission  ont  été  induits  en  erreur.  Ainsi,  je 
demande  l'impression  du  rapport  et  des  pièces.  Januis  on  ne  me 
fera  poser  le  cachet  de  la  proscription  sur  tels  ou  tels  individus  , 
saus  avoir  dans  mon  cœur  la  conviction  qu'ils  la  méritent.  Je  l'a- 
vais au  18  fruciiilor  celte  conviction  intime;  une  expérience  de 
trois  mois,  dans  des  délibérations  journalières,  m'avait  appris  à 
connaître  les  inlrigans  elles  conspirateurs  royaux  :  mais  ici,  rien 
de  semblable;  je  ne  connais  aucun  des  individus  que  Ton  veut  pros- 
crire ;  voilà  pourquoi  je  demande  l'impression  du  rapport  et  des 
pièces,  afin  d'éclairer  ma  religion.  » 

Plusieurs  membres.  «  Appuyé.  > 

Une  voix,  e  L'ordre  du  jour.  > 

Ronchon.  <  Il  n'est  aucun  membre,  je  pense,  qui  ne  soit  con- 
vaincu que  le  projet  no  la  commission  est  contraire  à  tous  les  prin- 
cipes; et  si  on  l'adopte,  je  ne  sais  à  quel  degré  d'avilissement  on 
va  fjire  descendre  le  corps  léfjislaiif.  Quant  à  moi,  je  viens  l'atta- 
quer avec  tonte  la  force  dont  je  suis  capable  ;  et  vous  démontrer 
qu'en  l'adoptant  vous  creusez  le  tombeau  de  la  représentation  na- 
tionale. La  commission  avait  un  si  beau  moyen  de  s'immortaliser! 
pourquoi  a-t-elle  vu  du  danj^er,  là  où  il  n'y  en  a  point  ?  pourquoi 
ne  l'a-i-elle  pas  vu,  là  où  il  existe?  pourquoi  n'a-t-elle  pas  exa- 
miné si  ce  fantôme  de  lanarcbi? ,  que  l'on  nous  met  devant  les 
yeux,  n'est  pas  destiné  à  servir  le  despotisme?  Une  mesure  est 
nécessaire ,  j'en  conviens  ;  mais  elle  doit  être  telle,  que  le  corps 
législatif  ne  soit  point  enchaîné  au  char  du  despotisme;  et  qu'ainsi 
il  ne  devienne  pas  la  risée  du  peuple  français,  et  des  nations 


AU   22   FLORÉAL   AN   VI   (1798).  493 

étrangères.  (Léger  tumulte.)  J'invite  mes  collègues  à  m'écouter 
avec  calme. 

>  Trop  souvfP-t  occupés  de  nos  divisions  intestines,  et  des  pas- 
sions qui  s'agitent  dans  notre  sein,  nous  n  avons  pas  fait  assez 
d'attention  sur  ce  qui  se  passait  au-dehors  ;  nous  sommes  sembla- 
bles à  ces  petits  oiseaux  de  proie,  qui  sont  attachés  h  leur  proie  ^ 
et  qui  n'aperçoivent  pas  les  aigles  et  les  vautours  qui  fondent  sur 
eux  pour  les  dévorer.  La  peur  nous  jttte  dans  la  stupeur.  II  ne 
m'est  pas  démontré  que  les  grandes  mesures  que  vous  avez  prises 
naguère  soient  là  preuve  de  votre  courage  ;  vous  avez ,  en  les 
adoptant,  suivi  les  conseils  de  la  peur.  La  jourPiée  du  18 fructidor 
eût  produit  de  salutaires  effets ,  si  le  19,  vous  eussiez  pris  une  ré- 
solution conservatrice  de  ia  Constitution,  et  qu'au  lieu  de  servir 
la  domination,  vous  euisiez  travaillé  pour  la  liberté.  Adoptez  le 
projet,  et  dans  la  session  prochaine  vous  aurez,  non  un  cofps  lé- 
gislatif, mais  un  parlement  de  Paris.  Il  ne  faut  servir  ici  ni  Ma- 
rias, ni  Scylia,  mais  la  liberté.  Et  les  terroristes  que  l'on  met  en 
avant  comme  un  épouvantail ,  pourquoi,  depuis  le  18  fructidor^ 
ont-ils  été  si  puit^sans?  n'est-il  pas  évident  que  dès-lors  on  s'ap- 
prêtait à  nous  préparer  un  nouveau  coup  de  foudre,  pour  la  veille 
des  élections,  afin  de  n'introduire  au  sein  du  corps  législaiif  que 
des  hommes  docilts.  La  politique  est  claire. 

»  Ilappelez-vous  le  coursier  ds  la  fable  ;  à  peine  eut-il  assouvi 
sa  vengeance  sur  son  ennemi ,  qu'il  voulut  secouer  le  joug  de 
l'homme  qu'il  avait  appelé  à  son  secours  ;  ses  efforts  furent  inu- 
tiles; et  ie  mord  qu'il  avait  consenti  de  prendre  ne  servit  qu'à 
consolider  son  esclavage. 

»  Je  ne  fais  que  vous  jeter  des  idées  sans  ordre  et  sans  suite; 
pressé  par  le  temps,  j'aurais  désiré  pouvoir  les  mCirir  davantage. 
Quoi/  sur  des  questions  inutiles,  sur  des  objets  minutieux,  vous 
vous  livrez  à  des  discussions  interminables;  et  quand  11  s'agit  du 
salut  de  la  patrie,  on  vient  vous  proposer  l'urgence.  Comment  la 
conspiration  n'a-t-elie  été  découverte  (jue  leio  de  ce  mois?  pour- 
quoi deSkélcctions  qui  se  sont  faites  sans  scission  soni-elles  annu- 
lées? 


\^i  DIRECT.   —  DU  18  FRUCTIDOR  AN  V   (1797  ) 

>  Je  demande  que  la  commission  vous  présente  des  lois  poli- 
tiques pour  assurer  le'maintien  de  la  Constitution  ,  l'inviolabilité 
et  la  garantie  des  membres  du  directoire,  et  des  représentans  du 
peuple.  Je  réclame  la  question  préalable  sur  le  projet.» 

On  réclame  l'impression.  Elle  est  ordonnée. 

Lamarque ,  dont  l'élection  se  trouve  annulée  dans  celles  de  la 
Dordogne,  paraît  à  la  tribune;  il  prononce,  avec  des  gestes  très- 
expressifs,  mais  d'un  ton  de  voix  altéré ,  une  opinion  dont  nous 
n'avons  pu  saisir  que  les  traits  suivans  :  «  Je  ne  me  sens  pas  le 
même  courage  pour  défendre  ma  cause,  que  j'en  ai  constamment 
montré  pour  soutenir  celle  des  autres  ;  que  ceux  de  mes  collègues 
qui  ont  été  les  témoins  de  mon  courage  et  de  mes  travaux,  que 
ceux  qui  m'ont  connu  énergique  et  ferme,  viennent  faire  ce  que 
je  ferais  pour  eux,  s'ils  se  trouvaient  à  uia  place  ;  je  leur  fournirai 
des  matériaux,  je  leur  démontrerai  que  le  royalisme,  la  calomnie 
et  l'imposture  ont  créé  des  dénonciations.  Mais  non,  puisque  le 
sort  en  est  jeté,  et  que  le  projet  me  paraît  devoir  ol)ienir  l'assen- 
timent du  conseil,  je  désire  qu'il  soit  utile  à  ma  pairie.  Seulement 
je  prie  mes  collègues  d'être  bien  convaincus  que  je  conserverai , 
dans  mon  obscure  retraite,  la  même  énergie,  le  même  amour  de  la 
liberté  et  de  la  République,  la  même  haine  de  la  tyrannie,  que 
j'ai  su  conserver  dans  les  cachots  dudepotisme,et  dont  j'ai  donné 
des  preuves  dans  toutes  les  circonstances  de  ma  vie  politique; 
j'invite  donc  mes  collègues  à  n'opposer  aucune  résistance  au  pro- 
jet ;  nouveau  Curlius  ,  je  me  dévoue,  et  je  donne  ma  démission. 
Wous  devons  préférer  à  tout,  la  paix  et  la  tranquillité  publique. 
Cette  détermination  n'est  pas  dictée  par  l'esprit  de  servitude;  elle 
est  sagesse  et  prudence.  Je  donne  ma  démission.  » 

Boursin.  «  Comment  exprimer  au  conseil  l'impression  terrible 
qu'a  faite  sur  moi  la  lecture  de  ce  projet?  J'y  trouve  des  injustices 
criantes.  Je  citerai,  entre  autres,  mon  département,  la  Manche. 
Nulle  part  les  élections  ne  se  sont  faites  avec  plus  d'ordre  et 
de  tranquillité  ;  et  cependant  je  vois  qu'on  en  exclut  un  citoyen 
contre  lequel  il  ne  m'est  jamais  parvenu  aucune  note  qui  puisse 
l'inculper.  Je  demande  l'impression.  » 


AU  22  FLORéAL  AN  VI  (1798).  495 

Gay-Vemon  «  Quand  je  vois  qu'un  département  (  la  Haute- 
Vienne  )  qui  s'est  montré  toujours  fidèle  à  la  liberté  et  à  la  Con- 
stitution de  l'an  3 ,  est  ici  traité  comme  étant  le  foyer  de  l'anar- 
chie, et  que  sa  députation  est  anéantie ,  sans  que  l'on  ait  daigné 
consulter  aucun  de  nous ,  pas  même  ceux  des  anciens,  je  ne  puis 
contenir  mon  indignation.  Dans  ce  département  il  n'y  a  eu  aucune 
scission  ;  l'unanimité  la  plus  parfaite  a  régné  dans  l'assemblée 
électorale  ;  les  députés  et  les  autres  fonctionnaires  y  ont  été  élus 
'^une  immense  majorité.  Comment  donc  est-il  possible  de  comet- 
ire  une  pareille  injustice?  N'est-ce  pas  saper  la  souveraineté  du 
peuple  par  ses  fondemens  ?  11  n'y  a  pas  de  département  dont  les 
élections  soient  plus  sages  ;  je  ne  parle  pas  de  moi.  (On  rit.)  Je  de- 
mande l'irâpression  et  l'ajournement.  > 

Quirot.  €  Il  ne  faut  pas  que  cette  journée  soit  perdue  pour  la 
République.  Il  est  inconcevable  ce  système ,  avec  lequel  depuis 
quinze  jours  on  traîne  dans  la  boue  ceux  qui  s'attachent  aux  prin- 
cipes ;  comme  si  les  principes  n'étaient  pas  le  plus  ferme  appui  de 
la  liberté  et  de  la  République.  Ce  qui  se  passe  sous  nos  yeux  ex- 
cite en  moi  la  plus  vive  indignation  ;  et  quel  que  puisse  être  le  ré- 
sultat de  ma  franchise,  il  m'est  impossible  de  ne  pas  exprimer 
ici  tout  ce  que  je  pense,  tout  ce  que  je  sens. 

»  Vous  avez  fait  le  18  fructidor,  et  la  France  entière  y  a  ap- 
plaudi. Dans  les  assemblées  primaires,  électorales,  il  ne  s'est  élevé 
aucune  voix,  pour  rappeler  ceux  que  la  loi  a  frappé  dans  cette 
journée  mémorable;  bien  au  contraire,  un  grand  nombre  de  ceux 
qui  ont  concouru  à  son  succès,  ont  été  réélus.  Un  assentiment 
aussi  unanime  vous  prouve  la  réalité  de  la  conjuration  royale. 
Mais  ici,  quelle  différence!  On  suppose  qu'une  conspiration  gé- 
nérale a  éclaté,  qu'elle  a  dominé,  même  dans  les  départemens 
qui  ont  donné  des  gages  consians  de  leur  amour  pour  la  révolu- 
tion, témoin  celui  de  la  Haute-Vienne.  Je  iiq  suis  point  surpris  de 
cette  manœuvre.  Il  y  a  long-temps  que  l'on  parle  de  faire  un 
9  thermidor  à  la  journée  du  18  fructidor  ;  et  je  me  rappelle  que 
notr'e  collègue  Villers  nous  communiquaàce  sujet,  dans  le  temps, 
des  réflexions  et  des  craintes  dont  nous  fûmes  tous  frappés.  Ma 


496  DIRECT.    —    DU    18   FKLCÎJDOR    AN    V    (  1797  ) 

surprise  augmente,  quand  je  songe  que  la  commission  qui  nous 
propose  un  pareil  projet,  est  composée  de  membres  aussi  recom- 
maodables  par  leur  républicanisme  que  par  leurs  lalens.  Com- 
ment n'ont-ils  pas  vu  qu'au  moyen  d'un  projet  aussi  vague ,  on 
enveloppe  dans  la  proscription  des  hommes  qui  ne  le  méritent 
pas?  Et  voilà  comme  on  b'égare,  quand  on  s'écarte  des  principes. 
»  Kouchon  a  laissé  entendre  que  le  directoire... (/îowc/ion.  Je 
l'ai  dit.)  hé  bien  î  Rouchon  a  dit  que  le  directoire,  dont  je  connais 
la  moralité  et  les  principes,  a  rassemblé  depuis  le  18  fructidor  les  * 
matériaux  du  nouveau  coup  que  l'on  veut  frapper.  Sans  doute  , 
depuis  celle  époque,  le  directoire  a  donné  la  principale  influence 
à  des  hommes  égarés  qui  ont  dépassé  le  but  ;  mais  peut-on  en  con- 
clure que  les  élections  qui  ont  applaudi  au  18  fructidor*  soient  le 
résultat  d'une  conspiration.  Je  demande  l'impression  et  lajour- 
nement.  » 

Jean  Debry  parle  en  faveur  du  projet.  Il  s'aiiache  à  prouver 
que  la  loi  dul!2  pluviôse,  qui  confie  au  corps  législatif,  non  encore 
renouvelé,  la  faculté  de  vérifier  les  pouvoirs  des  nouveaux  élus  , 
est  une  loi  sage  et  politique,  dont  le  but  est  de  fermer  l'entrée  de 
la  représentation  nationale  aiix  royalistes  et  aux  anarchistes,  afin 
de  perpétuer  ainsi  dans  les  premiers  pouvoirs  une  suite  d'hommes 
amis  de  la  révolution  et  intéreàaés  au  maintien  de  la  République, 
t Vouloir, dit-il ,  qu'aucune  autorité  conservatrice  n'examine  les 
choix,  c'est  vouloir  nous  mener  de  réactions  en  réactions,  de  dé- 
chiremens  en  déchiremens;  c'est  vouloir  encore  introduire  ici  des 
Robespierre  et  des  Marat.  Ne  vaut-il  pas  mieux  les  empêcher 
d'entrer,  que  de  faire  conirc  eux  iin  nouveau  thermidor.  Une 
seule  exclusion  prononcée  par  le  corps  législatif  donnera  un 
f;rand  exemple  ;  elle  apprendra  aux  assemblées  électorales  à  être 
sages  dans  leurs  choix,  et  à  n'envoyer  ni  des  royalistes  ,  ni  des 
anarchistes,  mais  des  hommes  amis  de  la  République  tt  de  la 
Consiitution  de  l'an  ô. 

»  Je  croisa  l'orgunisaiion  du  plan  de  conspiration,  lequel  5'esi 
maniiesie  par  les  nominations  de  certains  députes,  par  celles*de& 
bauis- jurés,  etpar.les  rëvelaiions  indiscrètes,  qui  m'onlTaitcraiu- 


AU  22  FLORÉAL  AN  Vï  (1798).  497 

dre  le  retour  de  la  lerreu»'.  Lorsque  effrayés  de  Tenir  'p  s-^udaine 
de  quatre  cmt  irenie-neuf  noiive;jux  déiiiiiësau  c  >»ps  législatif, 
vous  avez  rendu  la  loi  du  12  fduviose,  voire  inienlion  n*eiaii-elle 
pas  de  frapper  d'exclusion  le  royalisme,  s'il  05«aii  s'introduire  en- 
core ici?  Pourquoi  ne  porteriez  vous  pas  le  même  coup  à  Tanar- 
cliie,  pu'squ'ele  a  eu  l'audace  de  le  faire?  Si  vous  aviez  fu  des 
DomiDatit.ns  royales  ei  des  scissions  républicaines,  au'iez-vous 
balancé  dans  le  choix  ?  Si  le  dir-  cu»ire,  dans  son  mes-a,7*^,  ne  vous 
eût  dénoncé  que  des  élections  royales,  auricz-vous  hésite?  Nous 
sommes  le  jury  cent  al,  fait  pour  pro'  oncer  la  validité  des  élec- 
tions ;  mon  opinion  est  (jue  vous  ne  devez  pas  Vous  borner  au  mé- 
cani.^me  des  procès-verbaux,  mais  que  vous  devez  ex.jmin<  r  la 
moralité  des  individus,  les  violences,  les  iilég;alilésquioni  présidé 
a  leur  electon.  » 

On  réclame  l'impression  :  elle  est  ordonnée. 

Cliénîer.  i  Je  ne  viens  point  combattre  les  réclamations  qui  ont 
été  faites  en  faveur  d<  s  individus,  dont  je  fais  profession  de  re- 
connaît e  les  ptii  cipes  et  le  réjujbiica»  isme;  cet  objet  sera  irailé 
dans  la  discussion.  Je  parle  en  faveur  du  système  adoj)té  par  la 
commission,  comme  étant  le  .«^eul  adnn^sibl^'dans  les  circonstances. 
Il  ne  fiut  point  se  traîner  péniblement  sur  les  procès-verbaux; 
laissons  aux  tribunaux  le  soin  de  discuter  h  s  formes  :  ici,  des  cir- 
constances urgentes  nous  pressent,  nous  devons  y  puiser  notre 
déi^rminuiion. 

»  A-il  existé  une  faction  royaliste?  Oui.  Une  foule  de  journées 
insurrectionnelles  attestent  ses  teniatives  pour  reprendre  Ic^jouver- 
Bail  de  li  France  :  A-l-il  existé  une  faoïion  anarch  qie?  Oui.  Son 
histoire  est  écrite  en  le- très  de  sang;  et  sa  défaite  a  été  le  triom- 
phe de  la  Convention.  Ces  deux  factions  ont-elles  cessé  d'exister? 
Non.  Elles  se  disputent  la  puissance  ;  et  pour  l'obtenir,  elles  em- 
ploient les  mêmes  moyens.  Une  partie  des  élections  dp  l'an  5  est 
l'ouvrage  de  la  faction  royaliste.  Celles  de  l'an  6  offrent  un  mé- 
lange des  deux  factions. 

*  La  faction  anarchique  a  habilement  profité  des  circonstances 
actuelles  pour  reprendre  sa  première  domination.  Sans  parler 
T.  xxxvii.  32 


498  DIRECT.    —    DU   18   FRUCTiDOh   AN   V   (1797) 

des  intrigues  odieuses  dévoilées  dans  le  message  du  directoire, 
des  vio'ences  qui  ont  souillé  une  partie  des  asseuiblées  primaires 
et  électorales,  on  n  a  qu'à  jeter  les  yeux  sur  le  résultat  des  élec- 
tions pour  se  conTaincre  de  cette  vérité.  Parmi  les  élus  de  Tan  G, 

* 
ne  voit-on  pas  ces  hommes  de  93,  dont  le  génie  féroce  a  désho- 
noré la  révolution  et  a  couvert  la  France  de  deuil  et  de  ruines? 
Ne  voit-on  pas  au  nombre  des  députés  et  des  hauisjurés,  Tincen- 
diaire  de  Bédouin,  le  rapporteur  de  la  loi  atroce  qui  traduisait  à 
TéchaPaud,  comme  fédéralistes,  les  amis  de  la  liberté  et  delà  Ré- 
publique? Resterez-vous  spectateurs  oisifs  de  ces  odieuses  ma- 
nœuvres? ne  séparerez-vous  pas  du  grand  nombre  d'excellens  ci- 
toyens nommés ,  le  petit  nombre  dont  le  choix  est  dû  à  la  vio- 
lence. 

>  Ou  a  dit  :  Qu'avez-vous  à  craindre  d'une  poignée  d'hommes? 
Je  réponds  que  la  majorité  composée  d'hommes  probes  et  éclai- 
Irés  est  presque  toujours  vaincue  par  un  petit  nombre  d'hommes 
liés  par  la  constance  du  crime  ;  car  la  constance  du  crime  est  aussi 
une  puissance.  Discours  insidieux,  motions  d'ordre,  intrigues, 
calomnies,  tout  serait  par  eux  employé;  et  ils  vous  entraîneraient 
sur  le  bord  du  précipice  :  oui,  la  victoire  vous  resteitiit,  j'ensuis 
sûr;  mais  le  combat  à  leur  livrer  serait  une  calamité  publique; 
mais  les  clameurs  indécentes,  les  discussions  orageusi^s  feraient 
perdre  au  corps  législatif  un  temps  irioparabîe  ;  elles  dénote- 
raient sa  faiblesse ,  et  lui  attireraient  la  déconsidération  des 
citoyens. 

>  On  invoque  la  Constitution  et  les  principes.  Mais  quand  lo 
couragoux  Louvet  réclamait  une  loi  répressive  de  la  liberté  illi- 
mitée de  la  presse  ,  on  réclamait  aussi  la  Constitution  et  ses  prin- 
cipes. Mais  quand  la  faction  royaliste,  introduite  en  force  dans 
le  sein  du  corps  législatif,  prenait  hautement  à  la  tribune  la  dé- 
fense des.éinigrés,  des  prêtres  rélVaciaires,  des  chefs  de  rebelles, 
des  sicaires  royaux  ,  elle  invoquait  aussi  les  principes";  et  si  h; 
18  fructidor  n'en  eût  fait  justice,  je  vous  le  demande,  seriez-vons 
encore  ici  à  discuter  tranquillement  sî  la  RépubHque  peut  être 
sauvée  pa^*  des  mesures  ordinaires  ? 


AL    22    FLORÉAL    AN    VF    (1798).  499 

>  Le  premier  de  tous  les  priacipes,  c'est,  pour  l'individu,  la 
défense  de  soi-même  ;  c'est  le  premier  encore  pour  les  sociétés  ci- 
viles. DaiiS'l'état  naturel,  cette  défense  est  un  droit;  dans  l'état 
civil,  c'est  un  devoir  pour  chacun  et  pour  tous,  et  surtout  pour  le 
pouvoir  à  qui  est  confiée  la  sûreté  publique.  D'après  cela,  je  pense 
qu'il  faut  adopter  la  mesure  qui  vous  est  proposée.  Elle  est  la 
seule  qui  lève  toutes  les  difficultés;  si  vous  la  rejetez,  qui  vous  as- 
surera  que  dans  trois  mois  vous  ne  serez  pas  obligés  de  recourir 
à  une  autre  plus  rigoureuse  et  plus  étendue  ;  mais  alors ,  quels 
décliiremens  n'aaiènerait  pas  la  découverte  d'une  conspiration 
nouvelle  ourdie  dans  votre  sein  ?  Un  long  ajournement  serait  fu- 
neste. Faites  taire  toutes  les  considérations  particulières,  devant 
les  hautes  considérations  de  l'intérêt  général.  Je  demande  que  le 
projet  soit  discuté  séance  tenante.  » 
Plusieurs  voix.  «  Appuyé.  » 

Dherbelot.  «  De  ma  vie  je  n'ai  parlé  en  public;  mais  j'ai  l'ame 
républicaine,  et  il  n'y  a  point  de  ri|wiblicain  à  qui  les  étran^jes  as- 
sertions que  vous  venez  d'entendre  ne  fasse  monter  le  feu  à  la 
tête.  Ètes-vous  assez-dépourvus  de  lumière  en  conspiration  pour 
ne  pas  être  convaincus  de  la  conspiration  éternelle  des  gouver- 
nans  contre  les  gouvernés?  Jamais  un  peuple  n'a  été  libre  parles 
gouvernans.  Le  salut  de  la  République  est  dans  les  mains  de  ses 
représentans.  Citoyens,  défendez  vos  têtes,  la  République  est  en 
danger. 

»  Je  parle  ici  en  villageois  ;  je  ne  connais  pas  l'art  de  faire  de 
beaux  discours.  Je  vous  le  d?s  franchement,  je  regarde  le  direc- 
toire comme  le  défe/'seur  de  la  liberté;  mais  je  vous  le  dis  aussi 
franchenient,  il  n'en  est  pas  moins  vr;ii  que  par  Taciion  du  gou- 
vernement, la  liberté  est  enchaînée,  et  que  la  liberté  des  citoyens 
consiste  dans  celle  de  la  n  présen  aiion  nationale.  Celle-ci  détruite 
le  peuple  n'est  plus  rien.  Ces  principes  sont  certains,  et  je  ne  crois 
pas  que  les  doctrines  nouvelles  puissent  les  détruire.  Ainsi,  comme 
l'action  du  gouvernement  tend  toujours  à  restreindre  les  droits 
du  peuple ,  il  est  nécessaire  que  cette  action  soit  elle-même  cir- 
conscrite dans  de  justes  bornes  par  les  représentans  de  la  nation. 


500  DIRECT.    —   DU   18   FRUCTIDOR  AN   V    (1797) 

Ainsi,  vous  devez  repousser  un  projet  qui,  sous  prétexte  de  sau- 
ver le  peuple,  ne  tend  à  rien  moins  qu'à  fare  de  la  reprëseniaiiùn 
nal  onale  un  v;iin  faniôme,  un  manr  e<|uin  qu^*  les  {^ouvernans  fe- 
rai» ni  mouvoir  à  vo'onlé.  Je  l*  s  défie  de  me  prouver  que  les  for- 
mes ne  sont  pas  le  retranchement  de  notre  liberté,  le  plus  ferme 
rempart  de  noire  garantie.  (Quelques  murmures.  Uorateur,  Ci- 
toyens, je  va's  descendre  de  la  tribune.  Plusieurs  voix.  Non,  non, 
continuez  )  Je  soutiens  que,  par  fe  projet  de  la  commission  ,  où 
met  la  représentation  nationale  au  creuset  du  directoire;  et 
qu'ainsi  on  enlève  au  peuple  l'exercice  de  son  droit  de  souve- 
raineté, pour  le  transférer  au  gouvernement  ;  or,  dès  qu'il  n'existe 
plus  de  garantie  pour  la  r»  préseniation  nationale,  il  n'y  en  a  plus 
pour  le  peuple,  et  vous  le  livrez,  pieds  et  poings  liés ,  aux  mains 
des  gouvernans.  Je  demande  l'ajournement  du  projet,  afin  qu'on 
puisse  l'examineF  à  loisir.  » 

Crassous,  t  Jamais  question  pîus  importante  n'a  été  soumise 
aux  délibérations  du  conseil  ;;^j;jniais  aus  i  les  membres  qui  le  com- 
posent n'ont  apporté  à  la  discussion  p!us  de  digniié,  plus  de  res- 
pect pour  eux-mêmes,  pour  les  opinans  qui  èoni  d'un  avis  opposé, 
et  pour  le  public,  témoin  de  ce  débat.  Je  garderai  la  même  ré- 
serve, ei  j'analyserai  les  mesures  pi  oposées,  et  les  motifs  qui  ont 
dirigé  la  comm  ssion. 

I»  Le  directoire  vous  a  dénoncé  une  vaste  con.<:pira!ion ,  dont  le 
but  était  de  porter  au  corps  législatif,  par  des  moyens  ill  gaux  et 
violens,  des  hommes  dont  les  uns  sont  chefs  d'un  pa.'ti  justement 
exécré.  Vous  avez  renvoyé  son  messige  à  une  commission  pour 
vous  présenter  les  mesures  nécessitées  par  les  circonstances.  Que 
devait  fjire  votre  comn)is>ion?  Persuadée  que  votre  intention  n'é- 
tait pas  de  laisser  entrer  ici  tous  les  élus,  elle  a  du  vous  proposer 
un  moyen  d'en  faire  le  triage.  Pour  y  parvenir ,  elle  vous  a  sou- 
mis le  projet  dont  vous  ven(  z  d'entendre  la  lecture  ;  ce  n'était  pas 
d'abord  mon  avis,  mais  je  me  suis  rendu  à  celui  de  mes  collègues, 
d'après  les  considérations  suivantes. 

<  Nous  sommes  aujourd'hui  au  18  floréal  ;  si  vous  suivez  la 
marche  adoptée  jusqu'ici,  et  que  vous  ne  preniez  que  des  résolu- 


I 


AU  22  FLORÉAL   AN  VI   (  1798  ).  501 

lions  partielles ,  il  est  impossible  qu'au  l^r  prairial,  Jes  poiivoirs 
des  nouveaux  élus  soient  vérifiés;  et  d'après  des  renseignemens 
certains ,  le  directoire  nous  a  déclaré  que  s'ils  ne  le  sont  pas,  la 
chose  publique  court,  à  celte  époque,  le  plus  grand  danger.  Il 
faut  donc  vous  déterminera  prendre  une  résolution  générale,  à 
choisir  en  masse  les  individus,  et  pour  cela  à  scinder  les  procès- 
verbaux.  En  vain  dirat-on  qu'un  procès-verbal  est  indivisible , 
car  il  y  a  autant  de  nominations  que  d'individus.  D'ailleurs,  dans 
les  assemblées  électorales,  la  saine  mnjoriié  des  républicains  s'est 
réunie  d'abord,  et  elle  a  voté  pour  les  premières  élections;  mais 
ensuite,  découragée,  fatiguée  par  les  inirijjues  et  les  violences, 
elle  a  cédé  le  champ  de  bataille  (  ii  elle  s'e^t  lais.>é  ii.fluencer;  de 
là  les  mauvais  choix,  que  Ton  voit  accolés  aux  bons.  Ainsi  il  est 
visible  que  les  choix  n'étant  pas  l'ouvrage  d'une  opération  une  et 
indivisible,  les  procès-verbaux  qui  les  constaieni  peuvent  être 
scindés.  Quant  à  l'exclusion  que  nous  avons  proposée  pour  cer- 
tains individus,  nous  ne  l'avons  fait  que  d'après  des  riote>  qui  prou- 
vent quils  seraient  des  hommes  dangereux;  au  reste,  ils  ne  sont 
qu'au  nombre  de  quarante. 

»  Ainsi,  nous  avons  rejeté  le  premier  moyen  que  nous  avions 
d*abord  eu  en  vue,  celui  d'annuler  toutes  les  el  étions.  En  pre- 
nant ce  moyen  violent,  nous  eussions  confondu  les  bons  avec  les 
mauvais,  et  nous  nous  fussions  attiré  le  juste  reproche  de  vouloir 
nous  perpétuer  dans  nos  fonctions. 

>  Lorsque  d'après  les  renseignemens  positifs  qui  nous  sont  par 
venus,  il  nous  a  été  clairement  démontré  que  les  opérations  des 
assemblées  primaires  et  électorales  à  la  Babeuf  portaient  un  ca- 
ractère de  violence  incontestable ,  nous  n'avons  pu  nous  décider 
autrement  qu'en  les  annulant.  Là  où  nous  avons  pu  ne  consulter 
que  la  moralité  des  individus,  nous  l'avons  fait  ;  et  certes,  si  nous 
avions  pu  le  faire,  dans  les  élections  de  la  Doidogne,  nous  eus- 
sions excepté  notre  collègue  réélu  dans  ce  déj);»rienj('nt,  elnous 
l'eussions  fait  avec  d'autant  pîus  d'empressement  et  de  plai >ir, 
que  chacun  de  nous  connaît  .>a  moralité,  ses  principes,  son  éner- 
gie, son  ardent  amour  pour  la  IlépuLlique ,  et  les  souffiauccs 


502  DIRECT.    —    DU    18    FRUCTIDOR    AN    V  (1797) 

qu'il  *  enduises  pour  elle.  Il  f  n  est  de  même  des  élections  de  la 
Ilauie-Vienne.  >  {Gayicrnon,  II  n'y  a  rien  eu,  tout  s'y  est  passé 
tranquillement.) 

>  Je  me  bornerai  à  vous  observer  que  la  mesure  proposée  a 
pour  base  ce  principe  que  vous  avez  consacré  dans  la  loi  du 
12  pluviôse,  savoir:  que  vous  vous  réserviez  le  droit  de  valdcr  les 
éleciions.  En  rendant  celle  loi,  voire  inteniion  n'a  pas  clé,  sans 
doute,  de  ne  vous  occuper  que  de  la  forme,  mais  du  fond  i\>ème 
des  élections  ;  et  dès  que  vous  avez  sur  quelques-unes  des  rensei- 
gneaiens  certains,  vous  avez  le  droit  incontestable  de  les  frapper 
de  nullité. 

»  Il  faut  répondre  a  un  mot  qui  a  été  lâché  sur  le  directoire. 
Dans  les  cii  coni»iances  actuelles,  ce  n'est  que  par  lui  seul  que  vous 
pouvez  connaître  les  fails  et  avoir  des  renseignemens  sur  les  indi- 
vidus, il  V0U5  les  a  communiqués;  il  vous  assure  que  si  les  pou- 
voirs ne  sont  |jas  vérifies  au  1^^  prairial,  la  chose  publique  court 
les  plus  grands  «langers  ;  il  est  au  centre  du  gouvernement,  mieux 
que  vous  il  connaît  ce  qui  se  passe  et  ce  q-.i  se  trame.  La  mesure 
proposée  prévient  tous  les  dangers. 

»  Si  vous  n'ajoutez  pas  foi  aux  i*enseignemens  transmis  par  le 
directoire ,  il  faut  donc  discuter  les  individus  les  uns  après  les  au- 
tres ;  le  temps  s'écoulera,  vous  arriverez  au  1^"^  prairial,  tous  les 
élus  entreront  au  corpus  législatif,  et  vous  serez  forcés  de  lutter 
corps  à  corps -avec  ceux  dont  la  commission  vous  propose  l'exclu- 
sion. Ainsi,  il  est  infiniment  urgent  que  le  conseil  adopte  la  me- 
sure présentée,  et  si  l'on  ajourne,  je  'demande  que  ce  soit  à  un 
terme  très-courl.  » 

Plmieurs  voix,  e  A  demain.  » 

Le  conseil  ajourne  à  demain,  et  il  ordonne  l'impression  du  rap- 
port et  du  projet. 

Séance  du  1!)  floréal. 

L'ordre  nu  jour  ramèr  e  la  discussion  sur  le  projet  de  la  com- 
mission des  cinq. 

Leclerc  de  Alainr-cl-Loire,  demande,  par  motion  d'ordre,  que 


AU  22  FLORÉAL  AN  VI   (1798).  o05 

le  projet  ne  soit  point  discuté  article  par  article,  n^ais  adopté  en 
masse.  «  Il  suffira,  dit-il,  que  vous  discutiez  la  moralité  des  person- 
nes, pour  que  les  résultats  de  votre  délibération  soient  mauvais; 
car  les  orateurs  préféreront  leurs  liaisons  paniculières  aux  inté- 
rêts de  la  patrie.  Il  est-à  craindre  que  les  individus  que  Ton  a  pro- 
posé d'exclure,  n'apportent  ici  des  fermens  de  discorde,  et  une 
haiue  implacable  contre  ceux  qui  auraient  ou  proposé  ou  soutenu 
leur  exclusion.  Les  leçons  du  passé  seront-elles  donc  toujours 
perdues  pour  v^^ws?  pensez-vous  mieux  juger  que  votre  commission 
dont  tous  les  membres  méritent  votre  confiance?  pouvcz-vous 
vous  flatter  de  commettre  moins  d'erreurs?  sortez  de  ces  irréso- 
lutions qui  vous  fatiguent  ;  lirez  la  République  des  anxiétés  qui  la 
tourmentent  ;  ôtez  aux  royalistes  et  aux  anarchistes  tout  espoir 
pour  l'aven'r.  Il  est  triste  sans  doute  d'avoir  à  propo>er  des  me- 
sures de  rigueur  ;  mais  il  l'est  bien  davantage  d'ébranler  l'édifice 
de  la  liberté.  S'il  s'agissait  d'une  proscription  qui  menaçât  'a  li- 
berté, la  vie,  l'honneur  des  ciioyens,  je  me  garderais  bien  de  vous 
pousser  à  la  précipitation  ;  mais  ici  il  n'est  que^iion  que  de  fonc- 
tions qui  ne  sont  la  propriétéde  personne.  Je  dei-iande  que  le  pro- 
jet soit  admis  en  masse  et  sans  discussion.  » 

Jourdan  de  la  Haute-Vienne.  «  Hier,  je  demandai  au  conseil  l'a- 
journement du  projet  présenté,  aujourd'hui  je  viens  le  co  abattre. 
Je  n'invo.|uerai  pas  les  principes,  puisque  l'on  prétend  que  c'est 
avec  les  pi*incipes,  que  l'on  veut  renverser  ia  République,  étrange 
assertion,  à  laquelle  je  dédaigne  de  répondre;  mais  puisqu'un  n'a 
rien  à  opposer  aux  principes,  et  que.  tous  les  motifs  mis  en  avant 
se  tirent  des  circonstances,  hé  bien!  je  demande  d'être  admis  à 
prouver  que  le  projet  est  dangereux.  * 

»  On  a  parié  de  conspiration.  A  ce  mot  d'alarmes,  on  a  dit  : 
Écartons  les  principes  et  sauvons  la  patrie.  La  commission  n'a 
suivi  aucune  base  dans  son  travail.  Elle  propose  de  déclartr  nulles 
des  élections  faites  par  une  assemblée  unanime.  Là  où  il  y  a  eu 
scission,  tantôt  elle  propose  de  sanctionner  le  vœu  de  la  majorité, 
tantôt  celui  do  la  minorité  ;  quelle  inconséquence!  quel  renverse- 
ment du  système  représentatif!  Devait-on  doi'ner  le  liire  de  con- 


504  DIRECT.  —  DU  18  FRUCTIDOR  AN   V  (  1797  ) 

spiraiion  à  des  intrigues  et  ù  des  agitations ,  qui  se  manifestent 
toujours  dans  les  assemblées  politiques?  Le  caractère  et  la  répu- 
tation de  certains  élus  ont  frappé  l'imagination  de  quelques  hom- 
mes. On  s'est  livré  à  des  craintes  chimériques  ;  on  s'est  créé  des 
fantômes,  pour  avoir  le  plaisir  de  les  combattre;  on  a  cru  voir  re- 
naîliele  régime  exécré  de  la  terreur.  On  a  cité  la  minoriié  de 
la  Convention  nationale,  qui  pendant  si  long -temps  a  exercé  son 
despotisme  sur  la  majorité.  Mais  quelle  différence!  Cette  minorité 
de  la  Convention  était  soutenue  par  la  société  des  Jacobins ,  qui 
fut  le  foyer  du  patriotisme  en  89,  et  qui  devint  celui  de  tous  les 
crimes  en  95;  elle  l'était  encore  par  la  commune  de  Paris,  qui  avait 
en  main  la  force  armée.  Ici  celte  minorité  que  l'on  redoute  tant 
serait  comprimée  par  la  grande  majorité  du  corps  législat  f,  par 
la  force  de  l'opinion  publique,  et  par  l'action  du  gouvernement. 
Ainsi,  nulle  parité. 

»  Mais  prouvons  que  le  projet  est  injuste  et  dangereux  dans  ses 
consé  ^uences.  Le  travail  de  la  commission  est  le  résultat  des  ren- 
seignemens  du  directoire,  ou  plutôt,  il  est  le  travail  du  directoire. 
Ainsi  les  choix  du  peuple  souverain  ont  été  soumis  à  la  sanction 
du  directoire.  Si  un  pareil  usage  s'introduisait  en  France ,  il  n'y 
aurait  aucune  liberté ,  nulle  garantie  pour  les  représentans  du 
peuple,  on  commencerait  par  exclure  les  hommes  dangereux,  et 
l'on  finirait  par  écarter  ceux  qui ,  doués  d'un  caractère  éner- 
gique ,  exprimeraient  dans  leurs  discours  les  seniimens  d'un 
homme  libre, 

>  Je  sais  que  le  directoire  est  plus  à  portée  que  nous ,  d'avoir 
des  renseignemens  certains  par  sa  correspondance  avec  ses  com- 
missaires dans  les  départemens  ;  mais  il  serait  trop  dangereux  de 
renfermer  ces  renseignemens  dans  un  petit  nombre  d'individus  ; 
ils  doivent  être  discutés  à  la  tribune,  car  les  députés  aussi ,  ont 
des  renseignemens  sur  ce  qui  se  passe  dans  leur  pays;  et  du  ré- 
sultat de  la  discussion,  il  en  sortira  des  traits  de  lumière  qui 
éclaireront  les  déci^ions  du  conseil. 

»  Je  n'ai  que  deux  exemples  ù  citer  pour  prouver  que  le  di- 
rectoire peut  être  trompé ,  et  que  vous  devez  examiner  les  ren- 


AU   22  FLORÉAL  AN   VI   (1798).  oOo 

seîgnemens  qu'il  vous  a  transmis.  On  propose  de  casser  les  élec- 
tions de  la  Haute- Vienne  ;  cependant  le  nom  de  ce  di^pariement 
n*a  jama  s  figuré  parmi  ceux  qui  ont  été  les  ennemis  de  la  Répu- 
blique ;  parmi  les  députes  qu'il  a  elu^,,  l'un  est  un  de  nos  collè- 
gues, estimé  de  nous  tous  par  sa  probité  et  son  patriotisme, 
Tauire  est  connu  par  ses  talens  ;  iong-i^mps  il  a  gémi,  victime 
du  régime  révolutionnaire.  Y  aurait-il  donc  des  motifs  secrets 
de  déconsidérer  un  département ,  qui  s>st  constamment  montré 
l'ami  de  la  révolution?  Non  ,  je  nejsaurais  me  le  persuader;  et 
j'aime  mieux  croire  que  le  directoire  a  éié  trompé.  Ainsi ,  je  de- 
mande que  1«  s  pièces  me  soient  communiquées ,  et  alors  je  répon- 
drai directement. 

»  On  a  cassé  les  élections  de  la  Dordogne.  N'aurait-on  pas  pu 
appliquer  à  celte  assemblée  la  même  mesure  qui  a  été  employée 
pour  quelques  autres ,  et  faire  un  choix  parmi  les  élus  de  ce  dé- 
partement ?  Il  en  est  un  qui  siège  honorablement  dans  cettp  en- 
ceinte, qui  dans  tous  les  temps  s  est  montré  l'ami  de  la  Rppubli- 
que  et  des  principes  de  !a  liberté,  qui  a  été  la  victime  du  roya- 
lisme, ei  qui  le  premier  a  combattu  avec  éner{»ie  au  18  fructidor. 
A-t-il  donc  comiiiis  quelque  crime?  Si  cela  est,  qu'on  l'accuse, 
sans  quoi  je  dirai  qu'il  est  exclu  pour  avoir  librement  dit  sou 
opinion  dans  le  sein  du  corps  législatif;  ce  qui  me  ferait  douter 
delà  liberté  de  l:i  représentation  nationale. 

>  Je  demande  la  question  préalable  sur  le  prrjet  ;  je  prie  le 
conseil  de  me  permettre  de  lui  soumettre,  en  finissant,  les  obser- 
vations suivar;tes. 

>  Les  uns  diront  que  je  suis  le  défenseur  des  anarchistes  ;  les 
autres  m'accuseront  d'être  l'ennemi  du  gouvernement;  d'autres 
enfin  publieront  que  je  suis  un  chef  de  parti.  Je  déclare  que  je 
déteste  les  vrais  anarchistes,  comme  les  royalistes;  que  je  suis 
attaché  au  gouvernement,  que  j'estime  les  gouvernans;  que  je 
soutiendrai  leur  prérogative  et  leur  indépendance ,  comme  celle 
du  corps  législatif;  et  qu'au  surplus,  quelle  que  soit  votre  réso- 
lution, je  la  défendrai,  quand  elle  aura  reçu  le  caractère  de  loi.» 

On  réclame  l'impression.  —  Adopté, 


f>06  DlREC'f.    —    DU    18   FRUCTIDOR    AN    V   (1797) 

Audouin.  *  Ce  n'est  pas  en  vain  qu'on  a  l'ait  le  18  fructidor; 
quand  on  a  fait  et  approuvé  cette  journée,  on  ne  doit  plus  voir 
seulement  les  principes ,  mais  aussi  les  faits.  En  rendant  la  loi 
du  1:2  pluviôse,  vous  ne  w)us  ètfs  pas  réservés  un  travail  méca- 
nique. Vous  êtes  ici  jury  national  d'équiié  ;  éloignez  de  vous  les 
factieux ,  si  vous  ne  voulez  pas  que  dans  trois  mois  la  force  des 
choses  vous  mette  sous  la  dépendance  du  directoire.  Les  factieux 
ne  pardonneraient  p:is,  même  à  ceux  qui  les  ont  défendus,  d'avoir 
siéf^é  dans  un  sénat  constitirtionne'.  Ces  hommes  n'abandonne- 
ront jamais  leur  système.  Choisissez  donc  entre  la  patrie  et  quel- 
ques hommes.  En  parlant  à  cette  tribune  pour  la  dernière  fois, 
je  désire  emporter  la  certitude  que  je  laisse  un  corps  lé^'jislatif 
constitué  de  manière  à  maintenir  la  Constitution,  à  garantir  ma 
tranquillité  personnelle. 

>  L'Angleterre  compte  plus  sur  les  élections  que  sur  les  vais- 
seaux. L'opposition  s'est  réunie  au  ministère,  parce  qu'e'le  a  vu 
ou  pressenii  votre  harmonie  avec  le  gouverneoient  ;  e!le  a  vu  le 
gouvernement  anglais  menicé,  et  elle  s'est  empressée  de  la  sou- 
tenir. Je  hais  l'Anglais,  mais  j'admire  son  orgueil  national.  Ké- 
présenlans  français ,  vous  soutiendrez  la  Constitution ,  comme  les 
sénateurs  anglais  défendent  le  trône.  —  Je  vole  pour  le  projet.» 

Portes  et  Guran-Coulon  parlent,  le  premier  contre,  le  second 
pour  le  projet. 

Gauran  prononce  un  discours  contre  le  projet  ;  il  demande  que 
réieciion  de  Lamarque  soit  déclarée  valable;  il  fait  l'éloge  de  ce 
repréj^niant;  puis  passant  aux  el-  ciions  de  Seine-et-Marne  il  s'ex- 
P'ime  en  ces  termes  :  «  Quoi!  on  propose  de  casser  les  opéra- 
tions de  l'as  emblée  qui  a  nommé  trois  excellens  citoyens,  et  on 
veut  vous  faire  déclarer  viilal)les celles  de  l'autre!  Ignorez-vous 
que  dans  celle  ci  le  royalisme  a  dominé,  que  les  Pichcgru,  les 
AVillc't,  les  Gilbert-Desmolièies  y  ont*  obtenu  un  grand  nombre 
de  suffrages,  et  que  là  enlin  on  a  réélu  un  de.  nos  collè.'jues, 
compris,  au  18  fruciidor,  sur  la  lî^te  des  représenlans  à  dépor- 
ter ;  je  parle  de  Bailîy  qu'à  tort  on  a  mis  au  nombre  des  conspi- 
rateurs ;  car  ce  n'est  qu'un  lâche.  « 


AU   22   FLORÉAL    AN    VI    (  1798  ).  507 

A  ces  mots,  des  murmures  violens  éclatent  dans  toute  la  salle; 
les  cris  :  A  l'ordre!  se  font  entendre  de  toutes  pans.  On  réclame 
la  clôture  de  la  diôcassion.  L'orateur  descead'de  la  tribune,  et  le 
conseil  ferme  la  discussion. 

Une  foule  de  membres  s'écrient  :  t  Aux  voix  le  projet  !  » 

Bai//eu/,  rapporteur.  «  Je  déclare  que  le  projet  que  je  vous 
ai  présenté  est  le  travail  de  la  commission ,  et  non  celui  du  direc- 
toire. » 

Hardy,  c  C'est  la  vérité.  > 

Le  conseil  déclare  l'ur^j^ence ,  et  après  quelques  débats  sur  les 
élections  de  l'Ardèche,  de  la  Dordogne  et  de  la  Haute- Vienne, 
le  projet  est  alopté,  article  par  article. 

Cette  résolution  fut  approuvés  le  22  floréal  par  le  conseil 

des  anciens  ;  c*est  ce  qui  lui  fit  donner  le  nom  de  loi  ou  de  coup 
d'état  du  2:2  floréal. 

Le  •irajîe  au  sort  entre  les  membres  du  directoire  eut  lieu  le 
20  floréal.  Le  billet  sortant  échut  à  François  de  Neuf-Château. 
Treilhard  fut  élu  par  les  anciens  pour  le  remplacer. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


JouBxÉES  DB  VENDÉMIAIRE.  —  Histoire dcs  actes  parlementaires  et  des  faits  extra-par- 
lementatrtis ,  antt'rieius  à  ces  journées,  p.  1-32.  —  Rapport  de  Merlin  de  Douai,  sur 
ces  journées,  p.  32-43.  —  Kapp.irt  de  B  trras  sur  les  opéraiions  militaires  aux  iuelles 
ces  joi;ruéPS  onttlouné  lieu,  p.  4fi-r)t.— Tallien  et  ses  amis  changent  de  tacti(|iic;  tpul 
p.irti  ils  e^îtendai-nt  lir.r  des  jouiuées  de  vetidé^naire;  fuisses  e-pérauces  des  .laco- 
bins,  p.  01  65.  —  Tallien  dénonce  Boissy  d  Angiis,  Linjiiinais  Henri-Lar  vièro  et 
L^sage  d'i:ure-et  Loir  ;  conspiration  royaliste  de  Leniaîde  d«'oouvt  rt«  ,  p.  6(i-72.  — 
Aî'restatioii  de  plusieurs  dépuié-*;  nomination  d'une  comrnissiou  de  Cinq  memlnes  , 
ponr  présenter  des  mrsiircs  de  ^alnl  public,  p.  72.  —  Th  bandent  aitatiue  Taili-u, 
p.  7').  —  Rapport  d'j  Tallii  n  au  nom  de  Ij  coimnissiori  oes  cuiq .  1 1  décrei  à  la  suite  , 
p.  74>7-  —  Dernièi-e  ^é  n -e  de  l^  Convenlion  ;  ami.istie  dit"  >  ai  bruniair»  de  l"a  i  4 
(2r»  octobre  179j  ,  p  87  90.  —  lli-.tnri(pip  des  cpérations  milit  ires,  p  90-93.  — N.ms. 
des  prési'ifii»  ilr  la  Co  .v<nt  on  uatu)nali; ,  aepui^  le  2-4  jauvier  179.1,  jusqu'au  2;i  oc- 
to))re  1795  p.  93.  —  1  ablean  des  nietnl)res  de  la  Convention  (pu  ont  composé  le  co- 
rn lé  de  salut  piib'i  '  et  le  comité  de  .sûreté  générale,  p.  94  98. 

Hl.sTtiiliK  DU  niiJECTOinc:  du  à  brumaire  an  i  au  30  ftoreal  an  S,  179.^.  1797.  — 
li.lioduclion,  v  99-lli2.  —  Les  duseils  se  constituent,  p.  103.  —  No  inat'on  de-;  di- 
recteurs ,  p.  104. —  l'rmlimatioi  un  directoire  exécut.f  auiieupl'î  fr.inç;ns,  p.  ft)3. 
—  Héli  xions  si;r  la  l'Kue  poliiique,  tracée  iians  ce  manifeste,  p.  10  î.  —  EU'nieiis  de 
la  majorité  et  <le  la  minorité  dans  les  cons"il<,  |i.  107.  —  Obstrcles  que  le  direetoire 
d>  vait  I  eue  )iitrer  dHn>  les  consejN.  iians  l'adin  ni-tration,  et  en  Ini-nième.  p.  ICS.  — 
H  nomme;  un  m  ni-itère  et  'lem  lude  troi»  mill  ous  en  assignat-. ,  pour  le-  divers  «scr- 
\ice,H  admirtivtr.iiif' ,  p.  1ii9.  —  l'remieis  act<s  'i'oppo-ition  ;iiu  .luciens  et  a;;x  c\iu\- 
cents;  rov.  lisle<  d.iiis  l  s  deux  ('(ium  ils.  p.  1 10-112.  —  Notice  sur  !•  sjourn.iiK  «e  iV-p- 
posilion  roy.iliste  ei  de  l'opp' sili  ii  j.icoltijie,  p.  H2-II3.  —  Ouver.ure  du  club  d-s 
PanihHitiusies  .  ibid-  —  Le  directoire  lait  fermer  la  Bourse;  il  éi  iiau:;e  la  tille  de 
Louis  XVl, contre  les  dépntés  Quinelle ,  Bancal ,  Lamarque,  Camus,  Beurnouville , 


508  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Dronet,  M^ret  et  S«'monville,  prisonnïTS  de  l'Autr  che,  p.  H5.  —  Conseil  des  cinq' 
C'jjt*.  St'aiic»*  du  17  fiiiiaire  (8d  cmiTc  ).  —  l'éliiioii  des  uar  eillais.  cuiiire  1$ 

<«gi»  g-nrs  (Jii  Midi;  débats,  p,  HG-136.  —  Laccusti diii^«*e  p-r  I»  s  pé  ilioi.iia'rt-s, 

conir  Ctiiroy,  et  rjei«'e  comm  cdi»"  nit-us  .  p.  r'7.— Effrisde  ceiie  decisnu  sur 
le  uiiii  r'»y  l  Me  t-t  S'u- 1  -  .  ani  deniocranqiie  ;  !♦*  direcloii  e  i  ésisi»-  à  ions  l's  deui  ;  d 
deffiid  d-  chaut*  ri    He'veil  du  peuple,  ci  eu  méuie  uinps  il  dllfam-  Babt-uf,  p.  «38. 

—  Babeuf  se  dflpijd.  p.  1."9.  —  Drbao  daus  le  (Oi  seil  desciii(|-ceui.s:  J.  Ayiueet  M^v 
siii  du  L'ir.  t,  sont  ex(  lus  de  I  as^ernl)l«e,  p.  Hl  146.  —  i  e  co.  sf*!!  d  s  ciiit|-CfMls  cé- 
lèbre l'iiuiiiv.  rsiir-'  de  la  cno.  l  d^^  Loms  X  VI.  p  U7.  —  Crration  du  mini>tèr  de  la 
police,  p.  148.  •  -  D<*tail«  sur  la  odptivit  de  Dnmei,  ibid.  —  La  m  ij  •!  i  é  des  cu'St'ds 
s'atiache  pai  liculirp  ineiii  à  otte-  ir  tr>»i<  lésultatt  :  onlre  «laus  rauninisi  at'oo;  la 
cornpressinii  de»  i.pinious  qui  tetid^-iit  a  cbiuger  le  stniu  qiio,  la  force  du  f^ouverne- 
m^ui,  p.  148  —  Déliais  sur  la  pr^-s^e.  p  149.  —  Le  dire -loire  fait  fermer  I*-."-  réuMioas 
(Ie>  club-)  loya  i.st' s  et 'émociati'pie»  p.  1j1.—  D«'n  nnialon  de  »a  coiispir^tion 
diledeBibeul  p  152-168.— Affaie  du  cauip  de  (Jrenel'f.  p.  «69170— Vifs. fé.ats  aux 
ciuq-  nus,  p  171.  —  i-a  coi'pirat'on  de  Bdieuf  un.fîte  à  la  niiuonié  roy.»  isie:  ré- 
vi-i'ude  Ll.»  du  3  e  decelle  du  4  tiruuia  r^  p.  172-177. — Mauvai>ef  niœiir  ;  plaimes 
COi'Ireli  loi  iJu  divurce,  p.  178  —  .Me  sa^^-du  dir-i:ioire  coutre  la  Hlierlédela  ,  rese, 
p.  179.  ^  Il  iléuoitCK  1.»  cou  piratiou  loy.ll•^t•',  our.iie  par  Inhi.*»  Brotii  r,  Duvt-rue 
de  l'resie  .  Livdich'iiruo -,  f-tc.  :  pifc^f  jii>liHcdtives  .  p.  l82--2n4.  —  tffets  »!»•  c^^te 
couspir.'iMU  >ur  les  prii*.  da  s  li  s  cous  i  s  t-i  au  d  hois,  p.  231-2  1— K^pporiJe 
Jeau  Debry  sur  cette  conspirai  o. t.  p  2i:^i4l.—  L  tire  de  L(»u.>XVIll  au\i  rmcus, 
p.  242.  —  Mt-sure-  pris<  s  par  le  liirect  ir.*,  po  ir  as-ur-  r  les  cl-ciio  .•»  d»-  I  lu  5,  p.  2.4 

—  i/a  bé  si«7es  esi  as-a«  iii*'  pir  i  ;d»bt^  P.iuif,  p.  247.  —  Situatio^j  miliiaihe  et 
DIPL0M4T  Qi  E  'le  la  Répi.bliijue,  au  30  floréal,  an  5;  histoire  de  la  guerre,  p.  249  264. 

—  Finances   p  264-. 68. 

J)ii  i*"^  piurnii  an  6  (20  m<ii  1797).  an  18  fruriidor.  an  5  (4  septembre  i797). — 
Espiit  tJu  ..onveau  ii'i>;  l-s  conseils  soni  divi<ié>fu  iros  pj.r"is,  esdiricio.  ia  x.  Itîs 
couslirntioi.neiseï  les  royaliste-;  ceux-,  i  pr<  domi  e  .1  au»  c  nq-cenls  \).  269-  70. — 
Divisii.n  tlaiis  le  uirrcloir^-,  p.  271.  —  Aperçu  -ur  1*  siluaiitn  des  tinaïu-es.  p.  27\.  — 
liésul  al  di.  proie'  dr  B.b  ul,  p.  275  —  1  é>  ieiid..nc' s  royalisies  s-  m  .lif  s;'  ni  de 
plus  eu  plu  aux  cinq-  eui>-,  p.  ;i76-28i.  —  Cou.^eil  des  cmi^-cents.  S  auoe  di.  16  mes- 
sidor —  Déi-ats  sur  les  éiidiçrés  du  Haut  e»  du  B-s-Kida  ;  luotiop  de  B.illci.l  cui.tre 
les  royalistrs;  nus  a:;-  di  direcoire.  sur  la  '^■tuitio  i  <ie  1  yoi .  p.  281  232.  —  Los 
ro>aises  >ul  a  >i  ajo  ilé  aux  ri  iij-centv  p.  •i;94  —  Le  dire  loin  a<  hèv  lu  se  divi- 
sei*  ;  preiui  r«  syiii).  ôin  >  diM8  fructidor,  p.  293  —  C'oh.mH  </<•*  cinq--  c'A^  Se  uces 
du  30  ines-idor.  dd  2  ei  d  i  3  lier  ■  idor.  —  O.j  annonce  que  oes  tronpi  s  ni.ucliei  t 
sur  Palis  "eiaude  i  our  la  réoitrai  isi  ion  delà  par  .e  natio  aie;  débit-,  p.  29K-.'I8. 

—  i/aruié'î  s*  m  nue  di-posee  à  s  ius  rser  ro  tre  les  c.ns-iN.  jx.ur.  <n  Cias  or  le 
roy.ilisuit-  ;  proci-miatio  •  de  Bonap.irie  à  l'artnéed  Ita  i'',  p.  319-329  —  Conn  il  des 
ciiiq-ieuly  —  Séniict' du  IS  Ihemiidor ,  p.  *3"29-33  >.  —  Se  uce  <ui  13  riucidor. 
p.  340  .'43  —  Ji  i;k>ée  DU  18  FKLCTiDOR  —  Co  ■^[lira»ion  de  piches  «i  ;  se  i:ce  per- 
niau<nie-  u  coUMi!  -le^  ci  q-c ms,  m  sur  S'Onire  les  r.'y-lises  d  s  deux  co  .«eis, 
et  C'hire  un  si"''"d  nombre  de  j"urn  listes,  p.  34j-j8.i<.  — Rapport  d--  B^iHt.il  sur  la 
coitsi  irai  on  du  18  'mcidur.  p.  388-43<).  —  D.  cl  ra  ion  f  iii  pu-  t»  verue  de  Pres'e  , 
dn  Dunai;.  p.  437-413.  —  Proclamaiinu  df  Lm  is  W  111  aui  Kranoai  .  p.  446  —  Ob- 
servation i  de  CaiTJol  sur  le  ra[)pori  de  Badleul ,  p.  448.  —  Pièce» 'lelalives  à  Moreau, 
p.  431. 

Du  \S  Irvcidor.anSd'^T^,  fiu22fiorrnl.an  6  (1798).- Le  parti  trif  mphantcher  ne 

à  g  raulir  1>' >y^  èin«- lépiilil  cain.  p.  2  3,  —  Bu  ig- 1  tie>  det.ensesd^*  lan  6,  p.  4'.7 

Conseil  (les  cinq-cint.s.  ^é^uce  «lu  9  .  Imi»»».-.  --  uén()iici<.ti"n-,  p.  43K  —  Négocia- 
tiitns  ouv'frlis  avrc  lAigleierre.  p.  461,  —  Bonap  rie  pie>euie  au  iliretioir»- .  »n 
séance  piibl'ipie,  le  tr^né  de  (.ampi»-F..iin  o,  j».  46.'.  —  Le  d  r- ci<»  rc  fau  mxabirh 
Suisse,  p.  467.  —  Le  géuér  il  Dupli.ii  est,  ué  a  Ron-c  dans  iiue  éiu-uie.  p.  4(  8.  —  Bo- 
naparte s  embarque  ptmr  iVxpéd  lio'i  uÉgypte,  p.  àhO.  —  Etai  iutéri  ur  u»  1 1  Prancf; 
troubles  la  «s  le  Midi,  p.  4  0.  —  Le  dincioii  e  m- 1 1  «  vdle  de  Lym  eu  état  de  siège , 

ti.  471.  -    Consril  des  ri>iq-e'ils.  Sé-nce  du  H  H  ré«l.  —  M.<liou  de  Lanianpie  sur 
e>éleOli'»m*  de  l'an  6;  deba's   p  473.  —  Séance  du  13  fl   réai  ;  iiie»Hg'  uu  directoir'* , 
C'»  tre  ime  con.spuation  annicln<ji(*',  à  lavju  W*-  il  aitr  bi.e  une  gran  le  pan  d  ui.s  les 
I.    éleiiinn».  p     80.  — .S<aiic    dn14iloéal,  p.  48i. — Séanc- du  1>»  ;  ll.ipport  d    B.il- 
'   leul.sur les  mesures  à  prendre  r<l.tiv«m  ni  au  me. sage  du  directoire;  >ifs  déuais; 
un  gran  l  uoiubie déleciioi.s  sont  aunuiées,  p.  485-507. 


FIN   DU  TOLiJHE  TRENTE-SEPTIÈME. 


^^^!^ 


?riv> 


*  ^       il*  J 


^  >-<  '     / 


M^,-i.-  ^- 


>■       '^    > 


-■•■VI  ><''  /  ^     'W^ 


.^.-'-"•-. 


"■'^':2^--:."-'  Vii' 


'•    iZ  '•■.-■: 


>  .-v'- "^S^- 


Varf 


.     t^' 


^^k 


r..wi 


,'J 


^  /^ 


^  r 


^:  •*^-  'k^ 


>W 


/*•- 


v« 


♦s. 


«»  ■*■ 


i-  " 


^'\