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1
HISTOIRE
SPÉCIALE ET PITTORESQUE
M BAOERES-DE-LIJCHON.
HISTOIRE
SPÉCIALE ET PITTORESQUE
ET DES VALLÉES ENVIRONNANTES,
AVEC UN ITINÉRAIRE A L'USAGE DES BAIGNEUNS.
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^*^>
SIM LES ETABLISSEMENTS DES BAINS
DE SIRADAN, D'ENCAUSSE ET DE GANTIES.
H. CASTIS.S.OM (daspkt),
Auteur de plusieurs ouvrages historiques sur les Pyrénées.
SE VEND :
TOULOUSE,
Gimet, lib.. lue des Balances,
SAINT-GAUDENN.
J.-M. Tajan, imprimeur-libi
1 85 i
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
Histoire des Populations Pyrénéennes, du Nébouzan ei du pays
du Comminges, 1 gros vol. in-8.
Histoire d'Ax et de la vallée d'Andorre, avec des détails sur
les établissements des bains d'Ussat et d'Audinac; 1 vol. in-t>.
Deux ans d'exil, ou relation des événements survenus en Italie
depuis le départ jusqu'à la rentrée de Pie IX, 1 vol. in-8.
Dk la réforme et bu système pénitentiaire, un vol. in-8.
Comparaison de la Littérature Latine et de la Littérature Française,
ouvrage couronné par l'Académie des sciences de Toulouse ,
brochure de 300 pages d'impression.
L'Impôt sur le Sel; brochure in-8.
Clémence Isaure, roman historique ; 1 fort vol.
Histoire spéciale de là Vallée et République d'Andorre ;
I vol. in-8.
Notices sur les Bains de Siradan, d'Encausse fet d* Ganties
brochures in-8.
SOUS-PRESSE :
Histoire Générale du pays et du Comte de l'ois, 2 vol. in-S.
Histoire de l'Albigeois et du pays Castrais, avec chartes, titres.
documents divers, elc, l gros vol. in- i de 600 page».
A Monsieur Ch. TRON, maire de Ihnjnèrts-de-
l.uchon, Membre du Conseil-Général et Représenl'ivi
de la Haute-Garonne à l'Assemblée législative.
Monsieur.
Permettez que cette 3° édition de ['Histoire de Bagnères-
de-Luchon, paraisse sous vos auspices.
A. qui pourrai-je mieux la dédier qu'à celui qui, comme
premier Magistrat de la cité, a tout fait pour la prospérité
de sa ville natale ; qui a contribué de tous ses efforts et
avec la persévérance la plus énergique, à la fondation d'un
établissement thermal digne de la réputation et de la valeur
des eaux de Luchon ; et qui, soit aux sessions du Conseil-
général, soit au sein de l'Assemblée législative, a su défendre,
dans toutes les circonstances, les intérêts du département et
ceux du pays, avec un dévouement sans bornes.
Si j'ai un regret à exprimer, Monsieur, en ce moment,
c'est que l'ouvrage que j'ai l'honneur de vous offrir, ne soit
qu'un faible souvenir et une expression bien passagère des
sentiments de reconnaissance que vos concitoyens conserve-
ront long-temps dans leur cœur. Il me suffira, au reste, de
les consigner au frontispice de mon livre pour avoir mérité
leur approbation. A ce titre, et par réciprocité, la recon-
naissance que vous ont vouée vos compatriotes, fera excuser,
je l'espère, la faiblesse de l'ouvrage, en faveur de l'intention
généreuse de l'auteur.
Agréez, Monsieur, l'expression de mes sentiments
respectueux, avec lesquels,
j'ai l'honneur d'être
VOTRE DEVOI E SERVITEUR ,
H CASTILLON (d'aspeï).
Toulouse, le 10 mai 1851.
De toutes les vallées qui s'ouvrent , dans tous les
sens , au centre des Pyrénées, du côté de notre
versant, il n'en est aucune qui résume en elle un
plus grand intérêt historique et pittoresque à la
fois que celle qui porte le nom de Bagnères-de-
Luchon. Depuis les sources mystérieuses de la
Pique, aux pieds du port de Yenasque, jusqu'aux
premières lignes du bassin de Cierp, c'est-à-dire
dans une longueur d'environ vingt-cinq kilomètres
(cinq lieues), la vallée de Ludion renferme tout
ce que la nature a pu réunir de plus original, de
plus grandiose et de plus étrange en même temps :
montagnes bizarrement escarpées, lacs immenses,
sites pittoresques, cascades nombreuses, végétation
rj INTRODUCTION.
riche et féconde, rochers sauvages, enfin , mille
accidents deterrein capricieusement dessinés com-
posent un vaste panorama qui se déroule insensi-
blement aux regards étonnés du voyageur qui
traverse cette magnifique valiée. Tout est riant,
varié et sublime dans ce coin isolé et caché de nos
montagnes, sur lequel la Providence semble avoir
voulu épuiser , exprès , toutes ses faveurs comme
pour en imposer à l'orgueil et à l'incrédulité des
siècles.
Mais, si, de rénumération des faits matériels
qui composent ce que nous appelons la nature
inerte, nous passons à l'appréciation des faits
moraux qui constituent la vie intelligente qui a
animé cette vallée, aux différentes époques histo-
riques, quel plus vaste sujet ne s'offrira -t- il point
à notre curieuse admiration? Là, des populations
primitives se sont agitées à une époque bien anté-
rieure à la formation des gouvernements modernes ;
là, des peuples libres et fiers ont vécu en dehors de
toute influence étrangère, et se sont administrés
par eux-mêmes sous l'action des chefs de leurs
tribus ; là, une religion topique, un idiome distinct,
des mœurs particulières, ont caractérisé ces peu-
plades par des traits uniformes qui ont servi à les
isoler de celles qui les avoisinaient. Aussi, mœurs,
langage, croyances, tels sont les premiers faits
humanitaires que nous distinguerons dans l'cxis-
INTRODUCTION. vij
tenee historique des habitants qui ont occupé pri-
mitivement la vallée de Luchon.
Au reste, afin de mettre un ordre simple et
méthodique dans notre récit, nous diviserons tout
ce que nous avons à dire sur cette contrée en deux
grandes parties: la première renfermera ce quia
rapport à son histoire considérée soit dans les faits
moraux, législatifs ou sociaux; soit dans les faits
qui touchent à la science géologique spécialement
et aux sciences naturelles en général, telles que
la botanique, l'ornithologie, etc. : ainsi l'homme,
les animaux, les plantes et le sol lui-même feront
d'abord la principale matière de nos études histo-
riques sur Ludion. Cette partie est purement
historique. La seconde partie, que nous appellerons
dramatique, se composera de plusieurs récits coor-
donnés sous la forme d'action, et qui serviront à
expliquer les mœurs de ces localités, en leur don-
nant des personnages pour les représenter. Cette
espèce de mise en scène offrira cet avantage au
lecteur qui pourra d'autant plus facilement s'i-
dentifier avec les beautés physiques du pays et
avec le caractère de ses habitants qu'il les verra
lui-même dans toutes les conditions de leur nature.
C'est en dramatisant les passions, en leur donnant
des acteurs et une scène, qu'on peut parvenir à
les rendre plus saisissants dans l'esprit de ceux
qui veulent les étudier.
Viij INTRODUCTION.
Ainsi, emprunter à l'histoire ses récits, mettre
le cœur humain en action avec la couleur locale
et les personnages qui peuvent avoir rapport au
sujet, tels sont les deux moyens employés pour
écrire l'histoire, et que nous allons appliquer à
notre étude sur la vallée de Bagnères-de-Luchon.
Instruire et plaire, être utile et agréable à la fois,
tel est le double but que nous nous proposons
d'atteindre !
Afin de rendre encore notre ouvrage plus com-
plet et plus utile, nous avons réuni, dans cette
troisième édition, tous les travaux qui ont été
entrepris, depuis quelques années, à Bagnères-
de-Luchon. Aux recherches de M. François, ingé-
nieur en chef des mines, aux observations chimiques
du savant M. Filfaol; aux constructions architec-
turales de M. Chambert qui fait de cet établissement
thermal le plus remarquable et le plus beau de
tous ceux qui existent dans les Pyrénées, nous
avons voulu joindre la connaissance des autres
travaux accomplis soit par M. Loupot, l'architecte
habile à qui on a confié la reconstruction de l'église
de Luchon; soit par Romain Gazes auquel les peintu-
res murales exécutées à la petite église de Saint-
Mamet ont acquis une réputation justement méritée.
Cette édition, en un mot, forme l'histoire la plus
complète et la plus détaillée de l'établissement
thermal de Bagnères-de-Luchon et des vallées
INTRODUCTION. JX
environnantes, depuis les temps les plus reculés
jusqu'à nos jours. Sous le rapport des détails, elle
ne laisse rien à désirer. Nous pensons que nos
lecteurs seront aussi de cet avis.
HISTOIRE
SPÉCIALE ET PITTORESQUE
wê mmàmm^mmm
PREMIÈRE PARTIE
RENFERMANT LES FAITS PUREMENT HISTORIQUES CONCERNANT
LA VALLÉE DE LUCHON.
CHAPITRE PREMIER.
Situation géographique et géologique de Bagnères-de-Luchon. —
Populations primitives qui occupaient ces vallées. — Garumni,
Arevaci Onebuzales. — Mœurs, Langage et Religion de ces
peuplades.
La vallée de Bagnéres-de-Luchon, placée au centre
de toutes les Pyrénées, et sans contredit la plus belle
de toutes celles qui s'ouvrent dans ces montagnes, est
située environ entre le 1° 13' de longitude et le 42o 52'
sud. — Elle est élevée au-dessus du niveau de la mer
à 314 toises (611 mètres 986 millimètres), selon
les calculs les plus exacts du savant Charpentier. Sa
forme, depuis le petit village de Gierp, qui est le point
12 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
le moins avancé dans les montagnes et qui lui sert de
premières limites, jusqu'au pied de Vllospice, qui est
son point le plus extrême, ressemble assez à la forme
d'un C très ovale. Aussi, à partir de Cierp jusqu'à l'Hos-
pice, sa longueur est d'environ cinq lieues (25 kilomè-
tres). Il n'existe aucune vallée parmi les vingt-neuf qui
appartiennent à la France qui ait celte longueur '. Sa
largeur varie considérablement dans toute son étendue.
Étranglée d'abord à son origine, c'est-à-dire au-dessus
du viliage de Cierp, elle s'élargit insensiblement, puis
elle se resserre et s'élargit ensuite, en dessinant une
série de bassins plus ou moins grands qui forment
comme autant d'anneaux naturels dont se compose
celte ligne de vingt-cinq kilomètres de longueur.
Si, dans cet espace tortueux qui serpente du nord au
midi, et qu'on nomme vallée de Luchon, nous cher-
chons à asseoir des observations géologiques, nous
trouvons à constater les faits suivants. Ainsi que toutes
les vallées les plus importantes de la chaîne des Pyré-
nées, celle de Luchon est transversale; comme ces val-
lées, elle prend naissance à l'extrémité d'un col ou port,
celui de Venasque, et va se perdre, comme elles^ dans
un vallon qui sert de base aux montagues, celui de
1 Noms des vingt-neuf vallées qui appartiennent à la France :
Vallées de la Tel, du Tech, de l'Aude, de l'Ariège, de Vic-dessos,
d'Ern, d'Ustou, de Salât, de Castillon, d'Aspet ou Ger, de la Ga-
ronne, de Ludion, d'Aure, de Larboust, de Louron, de Campan,.
d'Hcas, de Lavedan, de Cauterets, d'Aspe, de Bidassoa, d'Ossun,
d'Azun, de Bareton, de Soûle, de Size, de Louzaide, de Baigorri,
de Baslan.
DE BAGNÈBES-DE-LUCHON. 10
Cierp. Les bassins dont se compose la vallée de Luchon,
dans toute sa longueur, sont superposés graduellement
l'un sur l'autre en forme d'assises ou échelons; chaque
bassin supérieur communique avec le bassin inférieur
par un étranglement ou barrage de rochers brisés en
forme d'écluses; ce qui établit comme un fait positif
que primitivement les eaux ont séjourné long-temps
daus cette vallée, et que, rompant enfin les digues de
rochers que la nature leur opposait, elles se sont ou-
vert un passage forcé. Ces bassins ont été livrés alors a
la culture des hommes, les eaux en se retirant ayant
fait place à un sol labourable.
Parmi les bassins ou anneaux naturels dont se forme
la chaîne que trace la vallée de Luchon nous ne distin-
guerons que celui qui est le plus élevé, c'est-à-dire
celui qui s'arrondit autour de la ville de Bagnères. ïl
est le plus étendu, le plus vaste, de tous ceux des Pyré-
nées; il le dispute aux bassins d'Argelez et de Bedon,
les plus renommés dans les vallées de Lavedan et
d'Àspe. 11 se compose d'un terrain plat dont la fertilité
pourrait servir au besoin de proverbe pour désigner un
sol très productif. Ces bassins sont traversés par des
rivières et par de nombreux ruisseaux qui descendent
dans la vallée soit mystérieusement et sans bruit, soit
en cascades. Notre but n'est pas de les énumérer tous
dans ce chapitre; nous les désignerons dans le cours de
cet ouvrage.
Les principales rivières qui traversent la vallée de
Luchon sont l^One et la Pique. La première est formée
par la réunion des rivières d'Oo et cPOueilj qui font
! 4 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
jonction au-dessous de Saint-Aventin. La seconde prend
sa source dans les gorges qui conduisent au Port de
Venasque. L'One et la Pique se joignent à un quart de
lieu environ (1 kilomètre) au dessous de Luchon. La
rivière ne prend alors que le nom de la Pique jusqu'à
sa jonction à la Garonne, au-dessous de Cierp et de
Saint-Béat.
Tel est, sous le point de vue géographique et géolo-
gique, l'aspect général sous lequel s'offre d'abord,
dans sa construction physique, ce que nous appelons
la vallée de Luchon. Mais, si nous l'étudions sous le
point de vue humanitaire et dans ses rapports histori-
ques, combien cet étroit espace, orné de tout ce que
la nature semble avoir prodigué de grand, de beau et
de riche pour le revêtir de cette forme géologique, ne
nous paraitra-t-il point encore plus étonnant?
En effet, si, pour nous expliquer le rôle qu'à joué
la vallée de Luchon dans les temps anciens, nous vou-
lons étendre nos études jusqu'à caractériser les popu-
lations qui Pavoisinaient, que trouvons-nou .;? D'un
côté nous voyons les Ibères qui, plusieurs siècles
avant notre ère, sont venus peupler l'intérieur de ces
montagnes1; de l'autre ce sont les Celtes qui, faisant
fusion avec les Ibères au centre de la Péninsule, ré-
sistèrent long-temps aux armes des envahisseurs de la
Grèce et de Rome, jusqu'à ce que, forcés à céder au
nombre et à la ruse, ils quittèrent leur patrie pour
1 Voir notre Histoire des Population* pyrénéennes, du Ixébouzan
et du Pays de Commingcs, tome I, partie I, chapitre I, page 1 3.
DE BACiNÈHES-lUî-UT.IIO.N. 1 -')
venir conserver au centre des Pyrénées leur liberté et
leur indépendance. De ce nombre furent les Vêtions^
les Arevacci et les Celtibériens3 qui, joints aux Ga-
rinnniet à d'autres tribus Hispaniques venues du versant
méridional des Pyrénées, s'établirent dans l'enceinte
géographique qui porta plus tard, sous la domination
romaine, le nom de Convcnœ l.
Mais, avant d'établir quel était le rang qu'occupaient
parmi ces peuplades, pendant la période ancienne , les
habitants des vallées de Luchon, disons d'abord ce que
c'étaient que les Convenez eux-mêmes, en combien de
tribus ils se divisaient, et quelle enceinte géographique
ils occupaient au milieu de ces montagnes.
D'après les témoignages historiques les plus authen-
tiques, il faut reconnaître qu'au centre des Pyrénées,
entre les Celtes et les Ibères, il a existé, depuis les temps
les plus anciens, des populations qui ont dû participer
du caractère de ces deux grandes familles voisines
avec lesquelles devaient se continuer indubitablement
leurs relations nombreuses ; car les écrivains qui ont
cherché à établir leurs ressemblances, ont trouvé
qu'elles portaient, empreintes dans leurlangage comme
dans uleurs mœurs et leur religion, les traces"des in-
fluences ibériennes et celtiques très-prononcées. On
doit donc en conclure qu'elles ont participé de cette
double nature 2.
1 Histoire des Populations pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. I, p. 2i.
2 Hist. des Popul. pyr., etc:, t 1, inlrod., p. 8.
I(> HISTOIRE SPÉCIALE FT PITTORESQUE
Or, les principales de ces populations ou tribus,
qu'on doit appeler interna -pyrénéennes >} et qui, im-
plantées dans le pays des Convènes, sortent primitive-
ment des deux grandes races hispaniques et gauloises,
sont les Convenœ, les Averaeci et les Garumnij au-
tour desquelles se groupèrent différentes autres tribus
indépendantes, entr'autres les Onebuzates.
Les Convenœ occupent sans contredit un rang si-
gnalé parmi les' tribus mterno-pyrénéennes : Car ces
ConvenŒj dont le nom désigne une origine latine,
n'étaient d'abord, avant l'invasion romaine, que des
peuplades de brigands dispersés dans l'intérieur des
Pyrénées, ou plutôt que des tribus indépendantes qui
fuyaient le despotisme brutal des envahisseurs de l'Es-
pagne '. C'est en effet une chose étrange que la fa-
cilité avec laquelle on a prodigué le mot de brigand ,
dans les temps anciens et modernes, pour désigner des
populations fières de leur liberté et qui ne voulaient
point courber leur front sous le joug des conquérants
et des envahisseurs. Ainsi, selon certains auteurs ex-
clusifs, les montagnes des Asturies comme celles de
l'Ecosse n'auraient renfermé que des scélérats qui, sous
la conduite des Viriatus et des Wallace, éloignaient
de leur patrie, les armes à la main, un esclavage qu'ils
auraient dû, sans doute, selon eux, accepter par sou-
mission. On sent maintenant qu'on ne pouvait être plus
injuste envers des hommes qui n'étaient autre chose
1 S. Hier on. adv. Vigil., I. IV, lib. H. — Histoire des Popula-
tions pyrénéennes, etc., 1. 1. p. 28.
DE BAGNÈRE-DE-LUCHON. 17
tjiic les courageux défenseurs de leurs droits naturels.
Selon saint lîiéronime, auquel on ne peut faire un
crime d'avoir ignoré le véritable nom des martyrs de
la liberté lusitanienne, qu'il n'avait peut-être pas bien
étudié dans ses causes, les tribus indépendantes de
l'Ibérie qui furent connues sous le nom de Convenez
auraient été formées des \'ettons, des CeUibèrcs et des
Arevâcci. Mais si les Convenœ furent primitivement
des brigands répandus dans les Pyrénées, si c'est d'eux
que M. de Valois prétend qu'il faut entendre ces mots
du livre De bello civili: « Fugitivis ab sallu Pyre-
nœo prœdonibus ; » certainement ils n'y furent point
appelés par un instinct de pillage. Rien n'autorise, au
reste, à faire une supposition aussi étrange. Ce nom,
qui dans son étymoiogie latine, co?wenire} signifie se
réunir , se liguer _, prouverait seulement que les Con-
vènes doivent être considérés plutôt comme désignant
une confédération, que comme un nom d'un peuple
particulier *. Cette confédération se composait de plu-
sieurs tribus interno-pyrénéennes. Et d'abord parmi
la grande peuplade des Convenœ se trouvait la tribu
des Arevâcci. Cette dernière qui diffère peu des Vaccœi
avait une origine celtibérienue et faisait partie de la
ligue des Convènes. Ainsi les Arevâcci ne seraient
autres que les Vaccœi , sauf la seule ditférence de leur
situation topique dans la Péninsule, marquée parla
préposition are. Les Àrevacces seuls se sont main-
1 Histoire des Populatons pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. I, p. 25.
18 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
tenus de nos jours encore, dans les contrées des Con-
vènes, sous leur véritable dénomination. C'est la petite
contrée (TArbas qui a conservé leur souvenir . Outre
la similitude des deux noms, qui est incontestable, plu-
sieurs motifs, pris dans la nature et dans la situation
des lieux, dans les mœurs et les habitudes des peuples
du pays A'ÀrbaSj nous portent à formuler cette opi-
nion ; des découvertes récentes, une étude spéciale des
localités, nous déterminent encore à donner au pays
qu'occupaient les A revacci, dans la circonscription or-
dinaire de la contrée û'Arbas, tout l'espace qui, sur
la rive droite de la Garonne, n'est borné que par les
cantons de Saint-Béat et de Salies, c'est-à-dire le canton
d'Aspet. Quelque chose d'original et d'étrange revit, en
effet, dans cette contrée si singulière à tant de titres.
Le langage ibérien, les traditions les plus antiques,
les croyances les plus extraordinaires, un type parti-
culier dans la physionomie et dans le caractère des
habitants, témoignent jusqu'à l'évidence de la distinc-
tion exceptionnelle dans laquelle nous classons cette
portion du pays des Convènes.
L'origine des Garumni est plus facile à caractériser
encore que celle des Arevacci; leur dénomination mê-
me indique un nom graphique qui aurait été donné par
les Romains aux peuplades qui habitaient les bords de
la Garonne. Or, si l'on s arrête à l'étymologie même
du mot Garonne, qui varie entre Garumna, Garima,
1 Mon. Rel.— Not. sur l'Hist. de l.iny.— Hist. dos POpul.
pyr.' etc , t. 1, p. ô5.
DE BÀGNÈRES-DE'-LUCHON. 19
Garunna dans César, Strabon et Pline, il est évident
que l'origine de ce peuple est entièrement celtique.
Les Galls, faisant usage fréquemment, comme on sait,
des divisions physiques du sol pour déterminer les bor-
nes de leurs lignes, se servaient des mots et des termi-
naisons umij penrij dann, çjar, dans les désignations
des lieux qu'ils habitaient ' : aussi l'emploi de ces
mots est très-fréquent dans les Pyrénées et à l'endroit
même occupé par les Garumni : d'ailleurs cette déno-
mination des peuples par le lieu qu'ils occupent paraît
être assez par elle-même antérieure à toute époque
historique classée par les gouvernements. On est con-
venu au reste de cela ; mais ce qui devenait plus difficile,
c'était d'assigner d'une manière positive le lieu qu'oc-
cupaient ces peuplades., malgré leur désignation en
apparence assez déterminée, surlesbordsdela Garonne.
Parmi les opinions incertaines de plusieurs géographes
ou historiens qui leur donnaient plus ou moins d'éten-
due, celle qui place ces peuples sur la rive gauche de
ce fleuve depuis sa source jusqu'au dessus du petit pays
de Rivière, paraît la plus naturelle.
Les Garumni seraient donc au pied des Pyrénées
une tribu celtique assez étendue qui, avant l'invasion
romaine, aurait occupé le pays enclavé entre les mon-
tagnes et la rive gauche de la Garonne jusqu'à une dis-
tance assez éloignée de Lugditnum^ capitale des Con-
vènes, aujourd'hui Saint-Bertrand de Comminges,
1 Thierry, Introd. à l'Hist. dos Gaules.- Histoire des Popula-
tions pyrénéennes, etc., t. I, p. 57.
20 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Après les Garumni mous devons désigner les Ono
basâtes ou Onebrizates de Pline comme appartenant
aussi à la grande confédération des Convenu' ; quoique
<:es tribus n'aient pas joué un grand rôle historique
dans les temps anciens, elles ne méritent pas moins
une distinction signalée, soit parce qu'elles ont eu une
langue et une mylholohie pyrénéennes bien prononcées.
Le pays qu'occupaient les Onebuzatcs s'étend sur tout
l'espace compris entre Lannemezan et Martres, l'ancien-
ne Calagorris. Voici au reste l'enceinte géographique
qu'occupaient les Arevacci, les Garumni et les One-
buzateSj c'est-à-dire les populations convéniennes, cha-
cune dans la circonscription tracée par le pays des
Convenœ ; désignons d'abord les lignes qui servaient de
démarcation à la contrée de ces derniers.
Le territoire des Convenœ^ qui forme un véritable
parallélogramme, comprenait selon nous :
Au midi, à partir des sources de la Garonne, toute
la vallée d'Aran jusqu'à l'entrée du territoire de
France, au lieu appelé aujourd'hui le Pont du RoL
De cet endroit, et en s'éloignant de la rive droite du
fleuve, il suivait le haut des Pyrénées, embrassant d'un
côté les montagnes de Melles^ et servant de l'autre de
limites à la vallée d'Aran et à l'Espagne jusqu'à la
jonction du Couserans, c'est-à-dire entre le 1° 3' de
longitude et le 42<> 52' de latitude sud.
A l'est, en prenant pour départ le point de jonction
du Couserans et du Corn min ges sur la frontière espa-
gnole, il trace une ligne droite au-dessus des montagnes
jusqu'à la source du Ger et Couledouœ. Là il se dé-
DE BAGNÈRES-nE-LUCIION. 21
tourne à droite, borne la Bellonguc dans toute son
étendue, et enclave, en les longeant, les montagnes de
Kagirej de Mîlhas et (TArbas. A la petite ville de
Castillon, qui est le point le plus extrême de la Bel-
longue, il se détourne un peu à gauche, en suivant la
montagne de Saleichj entre ce dernier village, qui lui
appartenait, et celui de Prat, qui se trouve à l'opposé
dans le Couserans, et va rejoindre la rivière du Salât
au-dessous du village de la Cave. A partir de ce point
le Salât lui sert de limites jusqu'à sa jonction à la
Garonne, auprès de Roquefort. La Garonne le borne
ensuite jusqu'à une petite distance au-dessous de
Martres j l'ancienne Caligorris. De ce point on doit
tirer une ligne droite vers le nord jusqu'au village de
LescunSj près de la rivière de la Nère.
Au nord le territoire des Convenœ s'étendait en
ligne directe depuis le village de Lescuns} enclavant
Bâchas, Boussan, Saman, Anezan, jusqu'au village de
Nizan, sur la rivière de la Gesse.
A l'ouest, à partir de Nizan, on suit une ligne
droite qui enferme dans le pays des Convènes les villa-
ges de Sarrecavc, Capbem, Saint- Blancalj Franque-
vielle, AnèreS; Halaguet, jusqu'aux montagnes qui sé-
parent Hechettes et St-Bertrand _, autrefois Lugdunwn.
Il faut longer ensuite ces montagnes jusqu'au-dessus
de Bagnères -de- Ludion^ en renfermant les vallées
à'Oueil et de Larboust dans le territoire de Convènes.
De Bagnères-de- Luchon nous suivons les grandes mon-
tagnes de l'Espagne qui, vers le midi, se joignent à
l'origine de la Garonne, lieu de notre départ.
9
22 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Maintenant, si, dans cette enceinte géographique que
nous venons de tracer du pays de Convènes, nous
voulions distinguer encore les différences signalées pri-
mitivement qui distinguent les diverses populations qui
la composent, nous en trouverions de trois sortes. Ainsi
le caractère celtique des Garumni semble revivre dans
les mots, l'idiome et les croyances des habitants des
vallées qui s'étendent des sources de la Garonne et de
la Pique jusqu'à Montréjeau et Yalentine. La conquête
romaine etson influence purement civilisatrice semblent
avoir respecté principalement ia vieille originalité de
leurs ancêtres parmi les populations de Bagnères-de-
Luchoiij du val d'Aran,de Saint-Béat, de Saint-Bertrand
et du pays de Rivière.
La partie qui s'étend depuis la rive droite de la Ga-
ronne jusqu'aux limites de sa circonscription, formée
par les villages de Montcaup, Regades, Rieucazé,
Montespaiij Montsaunés, Saleich, Arbas etjuzet, com-
prend dans cette circonférence des populations qui por-
tent empreintes dans leur langage, dans les noms des
lieux, des traces Ibériennes empruntées aux Àrevacci,
qui semblent les avoir produites exclusivement.
Tandis que le reste du territcire de Convènes, la
portion qui se prolonge depuis le Nébouzan, pris à la
frontière du Bigorre, jusqu'à Martres^ c'est-à-dire le
long des Auscii et des Tolozates, conserve le caractère
particulier et uniforme, le type d'une troisième popula-
tion très-distincte des deux autres, et que nous avons
appelée Onebusates avec Pline. Quoique nous main-
tenions ce nom géographique spécialement pour cette
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 23
partie du pays des Gonvenœ, nous ne prétendons point
pour cela lui reconnaître une identité de position que
Pline lui-même n'a pas bien déterminée; mais, en pré-
sumant que le Nébouzan ait occupé la contrée où se
trouvaient les Oncbuzates, ainsi que les rapports des
deux noms sembleraient autoriser à le faire croire, le
bas Comrninges paraîtrait être celui qu'ilsdevaient avoir
occupé de préférence : c'est du moins ce qu'on pourrait
inférer de la multitude des noms de localités qu'on y
rencontre, dont la terminaison, comme ceux de Lan-
nemezan, Sarremezan, Lécussan, Anezarij Boussan^
etc., se rapproche de celle des Onebuzates^ qui semble-
rait n'être qu'une désignation euphonique de certains
uoms de localités usités peut être daus ces contrées du
temps des Romains. f.
D'après ce que nous venons de dire, il est donc évi-
dent que la vallée de Luchon appartenait au district
des Garumnij et que les populations qui l'habitaient
faisaient partie de cette tribu celtique.
Or, si nous étudions l'histoire des Garumni sous
les trois périodes gauloise, romaine et barbare, dans
leurs rapports avec les mœurs, la religion, le langage
et la législation, nous trouverons que la vallée de Lu-
chon a conservé daus l'esprit de ses habitants quelque
chose de son antique origine.
En effet, chez les Garumnij nous remarquons une
langue particulière et une mythologie celtique ou théo-
» Histoire des Populations pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. I, p. 71 seq.
M HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
gonie pyrénéenne bien prononcées; elles constituent,
sous le point de vue de la philosophie et de l'histoire,
tout un système languistique et religieux digne d^tre
approfondi. Ainsi, dans l'intérieur des Pyrénées, au
centre de la contrée des Garumni et par suite dans
la vallée de Luchon, on observe le plus souvent dans
le langage les radicaux galliques mêlés à des expres-
sions rudes, sévères et qui se ressentent d'une origine
plus conservée là que partout ailleurs. En outre la
conjugaison est sèche, dépourvue de transitions prono-
minales et sans régime ; elle se réduit le plus souvent
aux articulations harmoniques, aux affirmations du
langage prononcées isolément : aussi, en nous servant
d'un terme de comparaison, dirons-nous que le dialecte
en usage dans l'intérieur des Pyrénées et chez les
Garumni est analogue au langage d'un peuple enfant
et dont la constitution est encore informe '.
Mais, si, à ces preuves purement linguistiques, nous
ajoutons encore celles qui sont religieuses, tradition-
nelles et monumentales, nous reconnaîtrons d'une ma-
nière plus particulière quel dût être le culte particulier
des Garumni. Il est incontestable qu'à l'exemple des
Celtes et des Ibères leurs aïeux, ces derniers bornèrent
d'abord leur religion aux objets physiques qui frap-
paient leurs regards, où bien à ceux qui intéressaient
leur conservation, le barbare personifiant tous les êtres
qui s'attachent de près ou de loin à son existence.
1 Voir les chartes en patois de Luchon, etc., dans les Notes et
Preuves de l'Hist. des Popul. pyr., etc., t. I, p 425 seq.
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 25
Ne trouvaient-ils point au reste dans les Pyrénées
de quoi satisfaire, dans ce sens, leurs instincts reli-
gieux ? Possesseurs du revers septentrional de ces
monts et voyant devant eux un sol recouvert par des
rochers couronnés au loin de glaces, il leur fut facile
de retrouver dans cette sublime nature tout ce qui
pouvait commander à leur imagination religieuse et
druidique. 11 faut reconnaître néanmoins que l'influence
du druidisme n'a pas été aussi puissante dans les Py-
rénées que dans le reste de la Gaule; car les prêtres
de cette religion basaient leur culte sur un intérêt com-
mun, c'est-à-dire qu'on attribuait à Esus leur dieu
les grands travaux de défrichement et l'enseignement
de l'agriculture pratiquée par le peuple gaulois. Le
druidisme avec ses dogmes eut ainsi de fervents secta-
teurs dans les régions du nord et de l'est, dont les ha-
bitants froids et mélancoliques trouvaient des charmes
dans ces mystérieuses croyances. Le midi de la Gaule,
sans les repousser entièrement, ne montra pas le même
empressement à déserter le polythéisme qui parlait da-
vantage à l'imagination. D'ailleurs le même motif qui
créait des adorateurs à lisus dans les forêts des Carnu-
tes ou dans la sauvage Àrmorique ne pouvait point
exister aux pieds des Pyrénées où l'agriculture était
nulle et où l'imagination des habitants contribuait si
facilement à se créer des génies dans les êtres, les phé-
nomènes et les agents de la nature brute qui les envi-
ronnait l.
1 Voir ces détails dans l'histoire des populations pyrénéennes,
du JNébouzan et du Pays de Comminges, 1. 1, p. 48 seq.
26 HISTOIRE SPECIALE ET PITTORESQUE
Aussi le culte seul de la nature trouva d'abord par
mi ces populations de nombreux adorateurs, la con-
naissance de la divinité ne pouvant être perdue parmi
les hommes. Dans leur ferveur religieuse ils invoquè-
rent la nature protectrice qui les environnait. Ainsi le
pic de Nethon, sous la forme du sommet couvert de
neige qui porte son nom, reçut les adorations des Ga-
ï'umni^ qui l'implorèrent comme le génie bienfaisant
des vallées qu'il domine : chaque cîme de rocher, cha-
que pierre qui pouvait frapper les regards étonnés,
devenait, par ce seul fait de construction ou de posi-
tion, une divinité à laquelle on consacrait des sacrifies
et des cérémonies ; il n'était pas jusqu'aux arbres qui
ne reçussent une adoration particulière, des vœux et
des offrandes. Bientôt ils associèrent à cette commu-
ne vénération celle des lacs à la bleuâtre transparence,
des fleuves majestueux et des précipices profonds qui
s'ouvraient dans l'intérieur des montagnes; en un mot
<;elle de toutes les parties de la nature qui présentaient
à leurs yeux ou à leur active imagination un intérêt ou
une merveille. Ainsi tout servait à former une religion
primitive dans l'esprit de ces peuplades qui n'avaient
que des idées très-imparfaites sur la divinité.
Plus tard à ce culte général de la nature, qu'on
peut regarder comme primordial, et par suite de la ci-
vilisation générale, fruit du temps et de la raison, suc-
céda dans le pays des Convènes l'adoration ou plutôt
la déification de certaines divinités topiques qui inté-
ressaient particulièrement les localités. Ainsi Barça
présida à Barsous, le dieu Boccus à Boccou, Avéra-
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON.
nus au pied du mont Averan , Isaurnosi à la valiée
d'Izaourt et le dieu Bœzert au lieu appelé encore Ba-
zert, selon qu'on peut le voir par l'étymologie de leurs
noms et la découverte des nombreux autels votifs qui
leur furent consacrés. C'est encore parmi ces génies
protecteurs ou ces DU locales qu'il faut compter les
divinités Andli, Lixoni, Tutele, Iscitus, Leherenus,
Armastioni, Bopienus, Aceoni, Abellion, dont l'im-
portance comme dieu topiques était incontestable s'il
faut eu juger les monuments qui leur ont été érigés.
Jl n'est pas en un mot jusqu'aux cultes des nymphes
dont les autels ont été nombreux à Bagnères-de-Luchon,
qui n'aient mêlé leurs influences religieuses romaines
avec celles des divinités indigènes honorées par les
populations des Garumni *.
1 Voici les divers monuments ou autels votifs trouvés chez les
Garumni, dans la vallée de Ludion ou aux environs:
ABELIONI
DEO TAURI
NVS BONEC
OMIS VS-LM
Larboust.
DEO
ABELLIO
NI
MINVCIA
JVSTA
VSLM
ABELLIONNlj
CISONTEM
ÏSSOBON
NIS FIL -
LarbousK
ISCITO DEO S
SABINVS I
MANDATIL1BI
Y-S-L-M-
Garni.
Larboust.
MONTIBV8
Q. G. AMOB
NVS
S. V. L. M.
LIXIONI
DEO
FAB FESTÀ
V.S. L. M.
NYMPHIS
CRVFONI
DIEXIEV
V. S. L. M.
IXONl
DEO
FABESTA
V. S. L. M.
Luchon.
NYMPHIS
AVG
VALERIA
HELLAS
Luchon.
NYMPHIS
MONTAN
MONTAN
Luchon. Luchon.
Nous avons un grand nombre
d'autres inscriptions trouvées à
Luchon, que nous croyons inutile
Luchon. de reproduire, ici. On peut les voir
dans les Notes de l'Histoire des Populations pyrénéennes, du Né-
bouzan et du Pays de Comminges, tome I.
Luchon.
28 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Plus tard, lorsque les Romains eurent conquis les
Gaules, les Garumni furent de tous les peuples ceux
qui se soumirent les derniers à l'obéissance du peuple-
roi. Car, dans notre opinion, les populations errantes
dnns les mystérieuses vallées des Pyrénées ou sur les
deux versants échappèrent toujours jusque dans l'in-
térieur de l'Aquitaine, un peu en deçà de la rive gauche
de la Garonne, aux circonscriptions d'une conquête
qui n'était que passagère, dans ce sens qu'elle ne
circonscrivait qu'un terrein souvent peu connu, et
jamais des peuples qui échappaient toujours à toutes
limites. Aussi Crassus ne crut pouvoir mieux désigner
les populations qui longeaient les Pyrénées qu'en les
appelant de cette périphrase vague : « Civitales quœ
» sunt citer ior es Hispaniœ^ fînitimœ Aquitaniœ. » Ce
ne fut donc que sous Auguste, qui joignit à l'Aquitaine
quatorze autres peuples aux anciens qu'y s'y trouvaient
déjà, alors que ce prince eut déterminé les limites des
provinces delà Gaule et qu'il eut soumis les Cantabres,
que les Garumni commencèrent à éprouver les bienfaits
de la civilisation romaine. Dès lors, dépendants de
Lugdunum leur métropole, ces peuples, qui des sources
de la Garonne s'étendaient jusqu'au dessousdu pays de
Rivière j et plus bas encore, composèrent de nombreuses
populations qui se réglaient selon les lois et les exigences
de leur nouvelle capitale. Leur administration fut tout
entière dans des lois spéciales et dans des magistrat par-
ticuliers qui formaient toute son existence el toute son
organisation. L'autorité de ces derniers se bornait, dans
la ville, à celle d'un eonseil municipal appelé Cvria et
DE BAGNÈKES-DE-LUCHON. 29
dont les membres fdecunonesj étaient choisis parmi les
principaux habitants de la cité. Cette forme d'adminis-
tration, si naturelle à des peuples qui ont vécu toujours
dans l'indépendance des Clans et qui commencent une
nouvelle vie civile, parait d'autant plus être celle qui
fut en vigueur chez les Garumni qu'on a trouvé chez
eux d'anciennes libérations municipales, antérieures
au Xlïe siècle, qui prouvent que cette forme d'adminis •
trer était m se en usage depuis un temps immémorial *.
La vallée de Luchon participa surtout d'une manière
large aux bienfaits de la civilisation romaine, ainsi que
nous le constaterons bientôt dans le cours de cette
histoire.
1 Hist. des Popul. pyr., etc., 1. 1, p. 79.
CHAPITRE DEUXIÈME.
Lieux importants dans le canton des Garumni.— Origine du mot
Luchon.— Ses thermes.— Leur importance sous l'époque féo-
dale. — Premiers droitsdont jouit la vallée de Luchon.— Irrup-
tion des Sarrasins.— Domination des comtes de Comminges.
Si maintenant, sur la foi de l'histoire et en nous
autorisant des découvertes qu'a faites la science archéo-
logique, nous cherchons à déterminer d'une manière
spéciale l'importance relative des lieux situés dans le
canton des Garumni^ nous trouverons à les constater
dans l'ordre suivant.
Lugdunum (Saint-Bertrand) doit occuper, comme
métropole, un rang distingué parmi les autres cités ou
les lieux célèbres de la contrée, soit par son étendue,
présumée des plus vastes, soit par les privilèges dont
02 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
elle jouissait comme ville laline. Tout concourait en-
core à réhausser l'éclat de cette grandeur qui la ren-
dait la première cité du pays des Gouvènes : des temples
magnifiques, tels que celui de Valcabrère dont les or-
nements du plein-ceintre de la porte témoignent de sa
richesse passée en architecture; des acqueducs qui,
selon Grégoire de Tours, partaient du centre de la
ville, et, en la sillonnant en tous les sens, allaient se
perdre ensuite dans la plaine ; des édifices vastes ;
des magasins et autres ouvrages publics dont les débris
et les fondements subsistaient encore il y a environ
un demi-siècle ; enfin des bas -reliefs représentant des
sacrifices, des autels votifs et de nombreuses inscrip-
tions ; tous ces travaux d'art et ces monuments du génie
parlent assez haut en faveur de son antique splendeur
et de sa gloire passée H
Après Lugilunurrij la superbe métropole, les lieux
où se trouvent les petits villages de Cier, Martres et
Ardiége paraissaient avoir occupé encore dans le canton
des Garumni une place historique des plus importan-
tes. La tradition conserve de nos jours le souvenir de
l'ancienne renommée d'une ville florissante qui aurait
existé sur leurs fondements dans ce vieux proverbe,
rendu populaire par les habilans de ces localités :
« Qu'un chat passait de Saint-Bertrand à Valentine en
ne suivant que les toits. » On trouve au reste autour
d'une table sacrée superposée sur un autel découvert
1 Histoire des Populations pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. I, p. 80 scq.
DE RAGNÈRES-DE-LUCHON. 53
à Saint-Béat, et qui devait être placée dans l'enceinte
de LiKjdunum, une inscription ainsi conçue :
TIB. PVB. SABINVS YICANIS YICI FLORENÏINI
MENSAS CVM BAS1BVS • S • P • F • G •
Ce qui signi6e que « Tiberius Publius Sabinius fit
« construire, à ses dépens, ces tables avec leurs sup-
« ports pour les habitants du bourg Florentin. » Or
ne pourrait-on point supporter que ce bourg était celui
désigné par la tradition ? Quoi qu'il en soit, les monu-
ments antiques et les autels votifs qu'on a trouvés en
grand nombre à Yalenùne, à Labarthe, à Cier-
dz-Rimère, à Huos, à Ardiége^ au Bazert, à La-
broquère, c'est-à-dire dans toute la plaine que nous
avons désignée, prouveraient au moins que le pro-
verbe populaire n'est pas entièrement imaginaire. Plus
tard encore le petit pays de Rivière substitua sa cir-
conscription féodale à l'ancienne circonscription de ces
mêmes lieux où l'on trouve tous les jours des fonda-
tions et des mosaïques précieuses. Or on sait que la
contrée de Rivière a été remarquable comme pays in-
dépendant, soit par le siège de sa justice seigneuriale
dont la juridiction s'étendait sur plusieurs comtés, soit
par la gentilhommerie d'Ardiége et de Labarthe qui
avait la prétention de s'attacher une justice particulière.
Evidemment ces titres à tant de faveurs exceptionnelles
devaient reposer sur de hautes considérations d'étendue
de territoire comme sur une puissante autorité histo-
rique , puisque ce pays s'est soustrait ainsi à la dévorante
absorption de la féodalité. Il faut donc conclure que le
54 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
petit pays de Hivière a eu dans les temps ancieus une
importance au moins inductive de celle que nous lui
verrons s'arroger pendant la période du moyen-âge. On
ne saurait avoir de plus justes présomptions.
La vallée de Ludion ou Liœoni n'a pas été moins
remarquable sous la domination romaine que Lug-
dunum et le pays de Rivière. Elle a dû cette distinction
favorable soit h sa position exceptionnelle dans un
vallon riche et pittoresque, l'un des plus vaste de la
chaîne des Pyrénées, soit à ses eaux thermales dont
les vertus bienfaisantes et salutaires ont été reconnues
par de nombreux monuments qui sont d'irrécusables
témoignages. En effet la quantité d?autels votifs qu'on
a découverts à Ludion, les nombreuses inscriptions
consacrées aux nymphes qui ont été trouvées auprès
de ses sources, prouvent que ces divinités des eaux
recevaient en ce lieu l'encens et les hommages d'un
grand nombre d'adorateurs C'est peut-être à la bienfai-
sance de ses thermes qu'il faut attribuer la prodigieuse
quantité de familles romaines qui vinrent s'établir dans
ces montagnes, et dont on retrouve tous les jours, sur
divers monuments, les différentes souscriptions. Une
telle hypothèse serait extraordinaire dans l'étal de notre
civilisation et comparativement à nos mœurs modernes.
Il serait donc impossible avec notre régime social d'ex-
pliquer l'importance que pouvaient avoir les sources
thermales découvertes par les conquérants dans la partie
du haut Comminges.
il n'en est pas ainsi avec le régime de l'antique société
romaine dont l'usage des ablutions et des bains faisait
DE BAGIS'ÈRES-DE-LUCHON. 35
partie des mœurs publiques. Eu cela ils n'imitaient
que les Orientaux, les Egyptiens et les Grecs, qui leur
transmirent une mode dont ils abusèrent étrangement,
car on sait que les Romains, faisant un usage immo-
déré des bains, ne négligèrent point de les établir dans
tous les lieux de la conquête, dès qu'ils furent les
maîtres du monde. C'était au reste un goût inné chez
eux. Les anciens Romains se baignaient dans le Tibre
après les exercices du Champ-de-Mars. L'eau fortifiait
ainsi les corps des soldats de la république, qui n'en
faisaient qu'un usage purement militaire. Plus tard ce
moyen hygiénique dégénéra en un pur objet de luxe ;
et tandis que les empereurs en gratifiaient le peuple
dans les grandes solennités, les bains se transformaient
par l'orgueil des maîtres de l'empire en des monuments
somptueux bâtis aux frais soit de César et de Néron,
soit d'Alexandre-Sévère, et qui portaient les noms de
leurs fondateurs. ïl est inutile de déclarer à combien
d'immoralités publiques donnèrent lieu ces monuments
de la munificence des Césars; il nous suffit seulement
de dire que le même luxe devint chez les débauchés,
et même chez le peuple, selon la progression croissante
de la dégradation sociale, une passion effrénée; tandis
qu'il se conserva dans l'usage modéré qi^en fil la partie
la plus saine de l'empire romain comme un pur instru-
ment de santé. C'est surtout à cette dernière considération
qu'il faut attribuer la renommée dont jouissaient sous
cette période les bains de Luchon, et la quantité d'autels
votifs dédiés aux nymphes qu'on a trouvés dans ses
sources et auprès de ses thermes.
56 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Si nous recherchons maintenant l'origine du mot
Ludion qui adonné son nom à la vallée et aux thermes
qui se trouvent placés à l'extrémité de la même vallée,
nous trouvons pour l'établir deux inscriptions romaines
que nous avons déjà rapportées. L'une ainsi conçue :
L1XON1
DEC
FABÏA FESTA
VSLM.
et qui fut découverte à Bagnères-de-Luchon par
M. d'Orbessan, signifie qu'une dame romaine du nom
de Fabia Fesla éleva un autel en l'honneur du dieu
Liœon. L'autre, qu'on trouva auprès de la première,
porte l'inscription suivante :
1XONI
DEO
FABESTA
VSLM.
Ainsi que la précédente, elle témoigne qu'une nommée
Fabesta éleva ce monument pieux au dieu Ixon. Il
est donc évident que dans ces mêmes lieux il a existé
pendant la période romaine une divinité du nom de
Liœon ou Ixon qui recevait un culte particulier des
habitants de ces contrées. Or l'étymologie de Ludion
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 57
peut bien être, sans difficulté aucune, le mot Lixon ;
ce qui démontre d'une manière certaine l'ancienneté
historique de cette vallée.
Mais, si, à ces preuves déjà assez importantes, nous
ajoutons encore celles que nous fournissent les monu-
ments archéologiques trouvés dans ses thermes, la haute
antiquité de ces lieux ne saurait être révoquée en doute .
Il est certain que de nombreux autels votifs ont été
recueillis dans les environs des sources thermales ; la
plupart d'entr'eux ont été trouvés dans les eaux des
sources. Ainsi tous ces autels sont dédiés aux nymphes,
comme on peut s'en couvaincre par les inscriptions qui
les distinguent, et dont voici quelques-unes :
NYMPHIS
AYG
VALERIA
HELLAS
V • S • L • M.
NYMPHIS
T • CLAYDIYS
RYFVS
V • S • L • M.
NYMPHIS
AVG
SACRYM.
NYMPHIS
c
• RVFONIYS
DEXTER
Y
• S • L • M.
D'après ces inscriptions, Augusla Valeria Hellas,
Claudius RufuS; Auguste^ Rufonius Dexter^ personna-
ges sans doute très importants de Rome, avaient élevés
des autels aux nymphes. Ces divinités, comme on sait,
3
58 HISTOIRE SPECIALE Éï PITTORESQUE
présidaient aux fontaines, aux sources; et, si les nym-
phes des eaux de Lixon ou Luchon recevaient de tels
hommages de la part d'un si grand nombre d'adora-
teurs, il fallait certainement qu'elles leur fussent à leur
tour favorables. On peut donc présumer, ajuste titre,
que les guérisons qu'elles procuraient devaient être le
seul motif déterminant de l'hommage religieux qu'on
leur rendait. Ainsi l'ancienneté des eaux de Ëagnéres-
de-Luchon ne saurait donc être révoquée en doute.
Mais si, à ces preuves archéologiques, nous voulons
en ajouter d'autres empruntées à l'histoire, nous trou-
vons l'existence de ces bains constatée sous le règne de
Seplime-Sévère. Cet empereur aurait fait réparer une
ancienne voie romaine qui communiquait de Ltigdu-
mim (Saint-Bertrand) aux bains de Luchon ; il fit des
constructions aux environs des sources et les éleva en
forme de thermes. Les fondements de ces constructions
existent encore en partie au-dessous des constructions
nouvelles Nous verrons, au reste, dans la suite de
cette histoire, combien les fouilles qui furent faites
sous le règne de Louis XV, produisirent des richesses
monumentales en ce genre. 11 nous suffit seulement
de les énoncer d'hors et déjà pour constater le respect
et la vénération dont ces thermes ont été entourés par
les Romains.
Plus tard, au milieu des révolutions qui troublèrent
les Gaules , et dont les Goths, les Franks et les Sarra-
sins furent les principaux instruments, la coutrée de
Luchon ainsi que le pays des Convenœ ou du Commin-
ges, restèrent plongés dans un oubli complet. La vallée
DE BAGNÈflES-DE-LUCHON. 59
suivit alors la destinée de toutes les vallées qui avoisi-
naîent l'Espagne, c'est-à-dire qu'elle fut sous la dé-
pendance des différents maîtres qui se disputèrent la
Péninsule.
Ainsi ii est certain qu'avant la constitution des comtes
de Comminges, qui eut lieu en l'an 900, dans la per-
sonne d'Asnarius ' , la vallée de Luchon se trouvait
sous le pouvoir des Maures, qui la ravagèrent. Nous
allons au reste en fournir bientôt la preuve ; mais
d'abord établissons, comme induction historique, que
depuis la destruction de Lucjdunum (Saint-Bertrand) par
l'armée de Contran, eu 58o, les vallées environnan-
tes s'affranchirent de toute administration étrangère.
Si elles eurent à souffrir quelque fois dans leur admi-
nistration intérieure, ce ne fut toujours que de la part
des Maures, qui faisaient de fréquentes irruptions dans
ces montagnes.
Aussi avons-nous eu raison d'établir ailleurs, comme
appréciation exacte des faits que, depuis la destruc-
tion de la métropole des Convenœ comme pendant tout
le cours de la période barbare, le pays resta ce qu'il
avait été administrativement pendant l'époque romaine,
c'est-à-dire une contrée qui se gouvernait avec des formes
municipales : seulement, sous la seconde période, il se
rattachait à Lugdunum par des liens de civilisation et
des relations ordinaires qui existent entre les populations
des campagnes et celles d'une grande ville, siège d'un
pouvoir central. Tant que l'empire subsista dans sa
1 Histoire des Populations pyrénéennes, du Sébouzan et du
Pays de Comminges, t. I, p. ?10.
40 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
vigoureuse organisation, les choses se passèrent ainsi ;
mais, lorsque les barbares se furent substitués à la place
du peuple-roi, forcés par les exigences de la conquête
brutale qui transformait tout sur son passage , les
Convènes cessèrent d'être unis moralement à leur mé-
tropole qui, par le fait de l'invasion, perdait d'ailleurs
toute son ancienne importance. Lugdunwn vécut donc
sous la domination wisigothe comme une cité dépouillée
de son antique splendeur. La conquête ne lui avait-elle
point enlevé, avec les bénéfices de sa gloire, tout l'éclat
de sa grandeur passée? Ses communications immédiates
avec Rome ; ce mouvement régulier des troupes qui
sillonnaient les voies qui conduisaient à sa citadelle; ces
voyages des riches patriciens qui allaient respirer Pair
pur de ses montagnes ; en un mot cette vie si agitée
et si diverse qui animait son existence latine, tout cela
était suspendu. Désormais elle ne se renfermait plus, elle
autrefois si fière, que dans le cercle étroit d'une orga-
nisation administrative on apparence en vigueur, mais
dont les ressorts intérieurs n'avaient plus la force et
l'énergie qui les faisaientmouvoir. Par une conséquence
semblable, chaque ville et chaque communauté s'enve-
loppèrent dans leur propre individualité; s'isolant ainsi
du foyer qui ne les réchauffait plus, elles ne conservè-
rent du passé que quelques institutions traditionnelles,
qui, basées sur l'usage et les coutumes, composèrent
une espèce de droit commun qu'on ne prit pas même
la peine d'écrire l.
1 Histoire des Populations pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. 1, p. 110.
DE BAtilS'ÈHE-bË-LUClIOK. 41
Ce fut dans cet état d'isolement que vécut la vallée
de Luchon jusqu'à l'invasion des Sarrasins, qui eut lieu
un siècle et demi après la destruction de la capitale des
Convenœ. A ce sujet la Chronique d'Auch rapporte ces
seuls mots qui renferment une grande plainte : « Vers
» 721 et 724 les cités et les églises de Gascogne furent
d détruites par les Sarrasins. » Environ cette époque en
effet, et pendant près d'un siècle, les fanatiques adora-
teurs duKorannc cessèrent d'infester les belles contrées
de la Novempopulanie et de la Gascogne. La tradition
conserve encore de nos jours le souvenir des massacres
qu'ils commirent dansle Commingeset notammentdans
la vallée de Luchon. Ainsi saint Aventin, jeune ber-
ger, né dans la vallée de Larboust, en 778, fut marty-
risé par les féroces soldats du prophète. Dans le cours
de cette histoire nous rapporterons la légende qui con-
sacre la mémoire de ce martyr.
Ainsi il est constant que déjà vers la fin du huitième
siècle, les Maures avaient pénétré dans les vallées de
Larboust et de Luchon. Nous trouvons encore dans
de vieilles coutumes, consignées dans notre Histoire
des Populations pyrénéennes! du Nébouzan et du Pays
de Comminges ', que les quatres vallées, Neste, Aure,
Barousse et Magnoac, renouvelèrent « les privilèges
» que don Sanche Abarca, roi d'Aragon, avait accor-
» dés, en 90 1 , au comté a" Aure et terre dï Aure, lorsque
» les habitants se soumirent volontairement à lui, en
» reconnaissance de ce qu'il les avait délivrés de l'op-
1 Hist. des Popul. pyr., etc., t. I, p. 2_>l ,
42 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
» pression des Maures qui avaient constamment régi les
» habitants de toutes ces vallées. » Il est donc certain
qu'elles faisaient partie du comté d'Aragon*. Plus tard
elles devinrent la propriété des comtes de Comminges,
ainsi que nous le trouvons dans divers historiens2. Voici
à quels titres: Bernard, fils de Roger 1, comte de
Carcassonne et en partie du Gomminges, avait deux fil-
les nommées l'une Stéphanie ou Estiennette et l'autre
Gilberge; cette dernière qui épousa, en 1036, Ramirï,
roi d'Aragon, lui apporta en dot les quatre vallées; il
est donc àprésumerqu'elles étaient dans la dépendance
du comte de Comminges où elle se trouvaient déjà à
cette époque, 1036. Nous verrons encore qu'un siècle
et demi plus tard la vallée d'Aran passa de la posses-
sisn des comtes de Comminges dans celle d'Alphonse,
roi d'Aragon, par une semblable convention matrimo-
niale.
Il faut donc conclure qu'après Abarca, les comtes
du pays possédèrent la vallée de Ludion, qui appartint
successivement, tantôt à l'Aragon, tantôt aux comtes
de Comminges, au pouvoir desquels elle finit par rester
entièrement. Ce fut là un bonheur pour elle ; car de-
puis cette époque l'histoire de cette contrée se recom-
pose, et le caractère de ses habitants se constitue en
quelque sorte dans sa nature primitive. Tandis que d'un
côté s'ouvre cette ère nouvelle du moyen-âge, pendant
* Don Brugelle : « Les vallées d'Aure, Aran, Aragonet appelée
» parcorruption Aragnouet, Bannisse et autres adjacentes faisaient
» anciennement partie de l'Aragon. »
- Hist. dt'sPopul. pyr., etc., t. I, p. 210.
])E BACNÈRES-»BE-LUCHON. 43
laquelle va s'illustrer le pays du Comminges avec ses
comtes et ses evèqucs, de l'autre nous allons voir les
peuplades des montagnes se fixer de nouveau sur un
sol presque désert, auquel les attache forcément la
conquête de Charlemagne par son régime féodal. Mais
en cédant à la violence du roi Frank, les tribus mon-
tagnardes furent loin de répudier leurs litres à la liberté
et leurs droits à la conservation de leur antique natio-
nalité. Elles firent valoir, en présence même des vain-
queurs, la force de leurs institutions, en inscrivant
dans des chartes leurs droits et leurs devoirs politiques;
monuments précieux qui témoignent combien ces races
ont été persistantes dans leur esprit patriotique, puis-
qu'on retrouve encore dans les débris de leur constitu-
tion municipale quelque chose du caractère fier et in-
dépendant du vieil Ibère, exprimée dans un langage
qui porte les traces de l'idiome hispanique! Ce qui
est digne de remarque, c'est que le cantons qui se
montrèrent les plus ardents à reconnaître leur indépen-
dance civile, politique et administrative, furent préci-
sément ceux qui occupaient le haut Comminges, c'est-
à-dire la région des montagnes. Avec la féodalité s'ef-
faça néanmoins insensiblement le caractère des vieux
ConvèneSj qui perdit sa primitive énergie. Mais qui
conserva partout assez de son originalité pour ne pas
rester méconnaissable même après des siècles : car
aujourd'hui encore nous retrouvons dans les habitants
du haut Comminges quelques traits delà physionomie
de leurs ancêtres. Ainsi les races ne périssent jomais
tout entières!
44 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Nous verrons au reste dans un prochain chapitre ce
que la vallée de Luchon a conservé de sa physionomie
primitive et ce qu'elle doit à l'influence de l'autorité
comtale. Sa double position de pays frontière et de pays
féodal l'a maintenue dans une de ces positions excep-
tionnelles qui lui ont imprimé un caractère étrange
d'originalité. Au surplus c'est ce qui ressortira des
droits et des privilèges dont la plupart des localités
qu'elle renferme ont joui pendant la période du moyen-
CHAPITRE TROISIEME
Etat politique et administratif de la vallée de Luchon sous le régne
des comtes.— Charte de Bagnères.— Principales localités qui se
distinguent dans cette vallée.— Castel-Viel, Moustajon, Cier,
Antignac, Salles, Castel-Blancat, Saint-Aventin, etc. — Commen-
cement de la réputation dont jouissent, dans les temps moder-
nes, les bains de Bagnères.
La situation du comté de Comminges, dans l'intérieur
et aux pieds des Pyrénées, l'exposait au commencement
du onzième siècle à de grands dangers. Les irruptions
des Maures, d'un côté, qui menaçaient d'envahir les
frontières ; l'ambition démesurée et toujours croissante
d'Alphonse, roi d'Aragon, qui ayant mis un pied dans
le Bigorre par ses alliances, possédait une partie des
vallées, et prétendait établir sa suzeraineté sur tout le
versant de nos montagnes; d'un autre côté les guerres
qui éclatèrent, environ cette époque, entre Alphonse,
A6 HISTOIRE SPÉCIALE ET l'ITORESQUE
roi de Castille _, et le roi d'Angleterre, Henri II, au
sujet de la donation de la Gascogne , faite par ce
dernier au roi de Castille, en lui concédant sa fille
Eléonore en mariage: tout cela forçait les comtes de
Comminges à se tenir dans un état de vigilance conti-
nuelle. La vallée de Bagnêres-de-Luchon participa à
ce mouvement général qui agitait les montagnes. L'in-
fluence anglaise, ou plutôt la haine des Anglais, trou-
bla plus d'une fois le calme de ses retraites. Plus d'un
château-fort, plus d'une église, eurent à souffrir de
leurs dépradations el de leurs guerres incessantes et
cruelles.
Plus tard les vallées eurent à subir les empiétements
de l'autorité royale, ce qui contribua beaucoup à nuire
au bien-être de leurs habitants. Cependant, malgré
cette absorption de l'autorité royale, qui cherchait à
tout attirer vers son centre, soit en affranchissant les
serfs, soit en ennoblissant les bourgeois, les comtes
ne laissaient point d'agir par contre-coup dans leurs
domaines en rendant des services signalés à leurs
sujets ou vassaux , en leur accordant des privilèges
nombreux. Ainsi nous voyons d'abord les privilèges
que Bernard IX octroya au lieu de Saccourvielle, sis
dans le comté de Comminges, en la vallée d'Outil, en
1315. D'après ce litre la puissance des comtes de
Comminges se serait étendue dans loute cette vallée.
Ensuite nous possédons un autre titre, renfermant les
privilèges de la vallée de Luchon, qui est d'une très-
grande importance. Il est dit dans cet acte, donné à
Fronsae,sous le sceau delà main de Bernard , eomirdc
DE BAGNÈRES-DÉ-LirCHOff. 47
Comminyes et vicomte de Touron, en 1315, qu'on faisait
de nombreuses extorsions sur ses frontières et notam-
ment dans le Port de Bagnères fin porlu BagneriisJ.
Après avoir fait un exposé des droits à percevoir pour
Pentrée des mules, vaches, chèvres, etc., il donne
pouvoir aux consuls et habitants du lieu de Bagnères
de punir les contrebandiers ou traficants de juments ;
et pour cela il ne les oblige qu'à tenir en bon état le
port de Coum. Pour favoriser ses sujets de la chatelle-
nie de Frontigues il ne leur fixe seulement, pour la
taxe de chaque mule, bœuf ou vache nourri dans les
chàteaux-forts, villes villages et fortifications de Fron-
sac, de Blancat, Gaux et Bordères, avec les dépendan-
ces des seigneuries de Larboust^, que six sous de Tours
fsex soldi TurenscsJ, pour l'entrée des bestiaux en
temps de paix et quand il n' existe point de guerre avec
les Espagnols. Ensuite il établit d'autres droits sur le
sel et détermine les obligations que doivent contracter
les habitants de Bagnères et ceux de la vallée ; à savoir :
de fournir à l'entretien des soldats qui occupent les
châteaux et les places fortes de la chatellenie de Fron-
tigues. Il ordonne à ses châtelains , capitaines , baillifs,
juges ordinaires et à son sénéchal de maintenir l'exé-
cution des dits privilèges et droits.
Cet acte est un des plus anciens de tous ceux qui font
mention de l'existence des chatellenies et des dignités
de bailli et de sénéchal. Voici au reste quelques articles
des coutumes et privilèges de la vallée de Luchon que
nous offrons à nos lecteurs comme renfermant un haut
intérêt historique. On peut au surplus consulter dans
48 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
noire Histoire du Comminges l ce titre en entier, et
dont nous ne donnons ici qu'en partie la traduction :
Privilèges accordés par Bernard, comte de Comminges,
aux vallées de luchon : an. 1315.
« Nous Bernard, comte de Comminges, ayant appris
qu'on faisait sur nos frontières et notamment in portu
BagneriiSj de nombreuses extorsions; à savoir que nos
officiers (mandatoresj font payer de chaque mulet et
de chaque mule quarante sols ; de chaque verrat, brebis,
chèvre, bouc dix sols tholozains ; de chaque bœuf et
vache vingt sols tholozains, et autres injustices, con-
traires à notre volonté, avons arrêté ce qui suit :
« Les habitants du dit lieu de Bagnèfes floci de Ba-
gneriisj sont autorisé à punir les traficants qui feront
paître leurs juments dans les forêts; et pour cela ils
tiendront en bon état le port de Coum.
« De plus, voici le tarif qu'adopteront désormais nos
officiers pour le droit de péage, sauf à eux s'ils ne l'exé"
cutaient point ou qu'en le faisant exécuter ce fût au
détriment de nos sujets, de payer une amende de dix
pièces d'or fdecem aureorum nummorumj.
« A l'avenir nos sujets de la Chatellennie de Fron-
tigues payeront pour chaque mule, bœuf, vache com-
me droit de passage en Espagne, en temps de paix et
quand la guerre n'existera pas entre nous et les Espa-
gnols, à savoir : les mules bœufs et vaches qui auront
1 Histoire des Populations pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. I, p. 71 seq., not. et pièc. justifie.
DF. BAGNÊRES-DE-LUCHON. \\)
été nourris dans nos châteaux, villes ou villages de
Fronsac, Blaneat, Gouaux (Gauœii), Bordère et nos dé-
pendances de Larboust (Larbusto), seize sols de Tours.
« Les mules, bœufs et vaches qui viendront de l'Au-
vergne payeront double, le droit de passage ; quant aux
autres animaux de peu de valeur, on ne payera qu'un
liard funum arditumj; il en sera ainsi des volailles.
Moyennant ce, nos sujets seront tenus de défendre ces
passages, de prendre les armes, de protéger nos fron-
tières, comme aussi de nous avertir si on tramait quel-
que chosedemalcontrenous. Les habitants de Larboust,
de leur côté, sont tenus à garder nos passages contre
les excursions de nos ennemis.
t De plus, les habitants de notre chatellenie de
Frontigues pourront vendre ou échanger toutes sortes
de marchandises avec les Espagnols, par le passage de
l'hospice (ab altimo de hospitalyj et jusqu'à la croix du
champ, sans qu'on puisse les troubler en aucune sorte.
« Ils pourront encore acheter du sel et autres comes-
tibles en payant pour l'entrée, dans notre château de
Bagnèves, un liard pour chaque charge; et pour le vin
qu'on apporte de l'Espagne, le droit sera d'un quart
pour chaque charge ; il n'en sera pas ainsi si le vin est
de France ou s'il vient de notre comté de Comminges.
a En outre, les traficants de notre chatellenie de
Frontigues pourront faire paître leurs animaux dans
toute l'étendue du territoire de Bagnères, même dans
les champs et dans les prés, lorsque la première récolte
sera faite, sans être sujets à une amende.
« Item, les consuls et la communauté (tmiversitasj
50 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
île notre ville Je Bagnères(oE Bagneriis nostrjï urbis),
ne pourront exiger pour le droit de pariage que deux
sols. Moyennant ce, ils seront obligés de tenir en bon
état le port de l'Hospice.
« Item ^ les susdits consuls et la communauté de
Bagnères auront le droit de casser, de prendre, d'incar-
cérer, de punir, de condamner et de relaxer, si justice
l'exigeait, tous les coupables, malfaiteurs, voleurs,
escrocs, larrons et autres; de les attacher au pilori,
dons toute justice haute, basse et moyenne, depuis le
territoire de Moustajon jusqu'au haut du port et dans
toute son étendue, et cela dans le but d'avoir le passage
libre de toute entrave mauvaise. Même, nous les auto-
risons à incar-cérer nos officiers s'ils s'opposaient à
l'exécution des présentes constitutions.
« Item, les susdits consuls pourront prendre pour
eux du bois, des fruits et tout ce que produisent les
montagnes; et même se les approprier, en conservant
néanmoins les chênes nécessaires pour la réparation
de nos chàteanx et de nos ponts; les dits consuls ne
pourront encore échanger le prix du vin, du pain, de
la viande et autres choses, pendant le temps des mar-
chés et des foires, et moins encore le prix du dernier
passage, au détriment des consuls de Gier ÇCierrioJ,
sous peine d'une grosse amende
« Fait àFronsae, et signé de notre main, l'an 1315,
Bernard, comte de Commincjes et vicomte de Tour on, »
Cette charte, qui est un des monuments le plus
curieux que nous connaissons dans ce genre, établit
plusieurs faits bien importants et que nous allons énu-
DE RA<;.\KIlES-I>E-LUCnON. .v) I
mércr. D'abord il est constant que la vallée de Luchon
appartenait à cette époque, c'est-à dire en 1315, aux
comtes de Comminges, et que par suite elle était sortie
du domaine de la maison d'Aragon, si jamais elle y
était entrée ; ensuite le nom de Bagnères était alors
déjà connu ; et cette connaissance fait supposera juste
titre que ce nom servait depuis longtemps pour dési-
gner la ville qui était regardée comme la capitale de
la vallée.
Or, le mot de Bagnères, dont l'étymologie latine,
Balnearia, est incontestable, indique suffisamment que
ce sont les bains qui lui ont fait donner cette dénomi-
nation. Il faut donc conclure que de même que le mot
Luchon, soit qu'il tire son origne du mot Louck qui en
langue celtique signifie lac, marais, etc., soit qu'il lui
ait été imposé à cause de l'adoration du dieu Lixon qui
avait des autels dans ces lieux, désigne une origine
celtique; le mot Bagnères ou Balncaria indique une
dénomination postérieure à la conquête romaine. Dans
ce dernier cas, le nom de Bagnères pourrait toujours
lui avoir été donné vers les commencements du règne
des comtes ou quelque temps auparavant. Mais dans
toutes les hypothèses, il est évident que ce nom fait
supposer de la part de ceux qui l'employaient, la con-
naissance de l'existence des bains.
Ainsi, les sources de Baguères-de-Luchon antérieu-
rement à Bernard iX, comme postérieurement étaient
connues. Si elles n'étaient pas aussi fréquentées qu'elles
l'avaient été sous la période romaine et peut-être même
sous la période barbare, il faut l'attribuer aux temps de
52 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
troubles et de guerres, au milieu desquels vivaient et
s'agitaient les comtes de ces pays et qui ne laissaient
aucun repos à leurs sujets.
Quoi qu'il en soit, et ainsi que nous le verrons dans
le cours de cet ouvrage, les thermes de Luchon n'ont
cessé d'être, sinon fréquentés comme ils le sont de nos
jours, du moins connus et appréciés dans leur antique
et véritable réputation.
Maintenant, si nous cherchons à constater quels sont
les lieux qui, dans la vallée de Luchon, se sont distin-
gués pendant le règne des comtes du pays de Comminges,
nous trouvons d'abord le petit village de Moustajon qui
se trouve distant de Bagnères d'environ six kilomètres
{1 h. 'A.) Son château, qui existe encore aujourd'hui,
est le même que cite le comte Bernard dans la charte
de 1315 dont nous venons de donner quelques extraits.
Le petit village de Cier est aussi mentionné dans ce titre
par le même comte. Les consuls de ce lieu jouissaient
de droits assez importants puisqu'ils furent maintenus
dans cette charte, au préjudice des privilèges de la ville
de Bagnères. Le château de Blancat, aujourd'hui Cas-
tel-Blancat, était la demeure seigneuriale des comtes de
ce pays lorsqu'ils visitaient cette vallée. Castel-Blancat,
pendant les temps des guerres féodales, servait à domi-
ner les vallées d'Oùeil et de Larboust, comme le châ-
teau de Moustajon servait de sentinelle avancée pour
commander la plaine de Luchon. De son côté Castel-
Viel était placé vers les gorges espagnoles pour dé-
fendre l'accès des ports contre les attaques des ennemis
qui viendraient des vallées aragonaises.
DE BAGNÈRÈS-DÈ-LUCHON. 30
Parmi les autres localités qui ont eu une importance
historique, sous la période du moyen-âge, nous citerons
Antignac et Salles. Un titre de 1325, donné à Muret
par le comte Bernard, octroie à ces deux villages
plusieurs privilèges ». A la suite de ces chartes nous
trouvons de nombreuses concessions faites à la vallée
de Luchon par Charles VIII, Louis XII, François ler,
Henri IV et Louis XIII, et qui prouvent toute l'impor-
tance qu'elle avait aux yeux de ces monarques. De tous
ces titres nous ne citerons que celui qui fut accordé par
Louis XIII, et qui résume tous les autres dont il n'est
qu'une espèce de confirmation renouvelée par ses pré-
décesseurs
Le voici dans toute sa teneur :
« Nos amez les consuls, manants et habitants de la
ville de Saint-Béat et de celle de Baghères, en notre
comté de Comminges, nous ayant fait- remontrer que le
dit pays est en partie institué du Loung et dans les
Pourpps des monts Pyrénées limistroffe des vallées
d'Aran, Paillas, val d'Andorre et autres dépendances
du pays d'Aragon au royaume d'Espagne, accordons
les fréquentations et commerce des articles et passe-
ries, autorisées par nos prédécesseurs en ce qui regarde
les sujets de notre comté de Comminge ; et par les rois
d'Espagne à l'égard des habitants des dites vallées ;
mais d'autant que ce négoce se fait principalement aux
1 Histoire des Populations pyrénéennes, du Néhouzan e( du
Pays de Comminges, t. Il, notes.
ïii HISTOIRE SPÉCIALE FT PITTORESQUE
dites vallées les plus voisines des dits étraugers fron-
taliers comme celle de Baguères et celle de Saint-Béat
qui se joint avec les dites vallées d^ran, aucune saisie,
ni obligations, ni payemens de dettes ne peuvent être
forcés à faire pendant les foires, ce qui serait enfreindre
les dites passeries.
« Ainsi, aucun emprisonnement ni saisie de bestiaux
ne sera faite pendant les dites foires, toute sentence,
jugements et autres actes de justice restent en surséance
pendant le dit temps »
A côté de la vallée de Ludion et presque parallèle
à cette dernière, existe la vallée de Larboust, une des
gracieuses et des plus fertiles des Pyrénées. Placée à
l'extrême frontière de la France, environnée de hautes
montagnes, elle a dû être primitivement d'un accès dif-
ficile ; la gorge de Paysas qui y conduit aujourd'hui,
ayant été, dans les temps anciens, impraticable; de
nombreux arbustes, des bois et des bruyères qui parais-
sent avoir autrefois occupé tout le terrain, aujourd'hui
la culture, ont servi à lui donner le nom de Larboust
(Arbusti) qu'elle porte.
Au surplus, cette vallée se divise en trois parties :
le Haut-Larboust, ainsi appelé parce qu'il domine le
reste de la vallée, forme un plateau délicieux, couvert
de plusieurs villages qu'entourent des prairies fertiles.
C'est là que l'on découvre encore les ruines des pre-
mières habitations des gens du pays. C'est aussi_, dans
cette partie de la vallée, qu'ont existé le château d'Au-
. bespin, si célèbre dans les chroniques du Béarn, et un
couvent de Bénédictins qui ont légué leur nom à une
>;■>;
NE BAGNERES-DE-LDCHON. :>:>
fontaine qu'on désigne sous le nom de fontaine des
Moines. (Hount moungeaon).
La seconde partie de la vallée de Larboustse nomme
la Terre-basse. Elle comprend les villages de Saint-
Aventin, autrefois appelé Sainte-Marie, de Castillon et
de Cazeaux. Enfin, la troisième partie de la vallée se
prolonge, depuis le village d'Où, jusqu'au port d'Espa-
gne, formant à elle seule une seconde vallée qui s'étend
du nord au midi, et prend le nom de Val-d'Aslo; la par-
tie inférieure est charmante et admirablement acciden-
tée. Mais à mesure que l'on s'avance vers son extrémité,
la végétation cesse peu à peu, une nature plus sévère
apparaît aussitôt et, avec elle, le silence du désert.
La vallée de Larboust possède plusieurs églises re-
marquables par leur antiquité, par la simplicité et
l'élégance de leur architecture ; ainsi, l'église de Ca-
zeaux fixe l'attention du Touriste par sa forme antique
et dans le style gothique, et surtout par les peintures
qui décorent sa voûte. Ces peintures paraissent dater
du XIVc siècle et ressemblent assez au genre des fres-
ques. Elles se divisent en plusieurs sujets ou tableau
représentant : La création du premier homme ; — Le
paradis terrestre où Adam et Eve furent placés;-—
L'expulsion du premier homme de ce lieu de délices ;
— Enfin plusieurs autres sujets tirés soit de l'ancien,
soit du nouveau Testament.
On voit encore au village d'Oo, une petite église
dont le sanctuaire est du style roman le plus pur. Cha-
que croisée sculptée avec goût repose sur des colonnettes
surmontées de chapiteaux; les corniches en sont fouillées
avec goût et une finesse admirables.
06 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
La vallée d'Oueil qui semble avoir pris son nom de
sa forme topographique et qui était connue, dans les
anciens titres , sous le nom de vallée de l'Oeil, (Valus
OclliJ a aussi ses monuments religieux et ses antiquités.
On y remarque surtout le clocher du petit village de
Sacourvielle qui est fort ancien et d'une forme très
originale. Mayrègne possède une petite chapelle romane.
L'église de Cirés se distingue par une voûte gothique
dont la pureté des lignes et la distribution des arêtes qui
la supportent sont d'une perfection artistique fort rare.
Bourg, dernier village de la vallée, acculé en quelque
sorte aux pieds du Mont-Né, a encore une église digne
de fixer l'attention de l'artiste. Toutes ces églises parais-
sent avoir été bâties par les soins du Chapitre de Com-
minges et aussi par le zèle des moines Bénédictins, qui
s'étaient établis dans le Larboust, dès le Xe siècle.
Quoiqu'il en soit l'église et le village deSaint-Aventin
jouissent, dans la vallée de Larboust, d'une réputation
bien méritée, soit à cause de leur antiquité, soit parce
que la légende populaire est venue ajouter à l'histoire
tout ce que la poétique peut lui donner de relief. Saint
Aventin, qui a donné le nom à l'église, était né dans
la vallée de Larboust, vers l'an 77 8> sous le règne de
Charlemagne, et sous l'épiscopat d'Abraham, évèque
de Comminges. Ce saint naquit au milieu des douleurs
d'un enfantement laborieux; car, selon la légende, sa
mère ne le mit au monde qu'avec le secours d'une eau
miraculeuse.
« Or, en conservant le récit de la légende, saint Aven-
lin ayant grandi, se retira dans un ermitage appelé
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 57
Saint-Julien. Là, revelu de l'habit et du capuchon de
moine, il se livra à l'étude et à la pratique de toutes les
vertus. Sa sainteté fut bientôt reconnue par de nombreux
miracles.
« Et d'abord il ôta, sans difficulté aucune, du pied
d'un ours une épine qui le faisait horriblement souffrir.
L'animal était venu lui-même implorer le secours de
saint Aventin. Les Maures ayant franchi à la môme
époque les Pyrénées, et s'étant répandus dans les vallées
voisines, l'ermite de Saint-Julien s'opposa à la propaga-
tion de leurs doctrines, il résista môme à leurs attaques.
« Mais un jour les Maures, qui étaient jaloux de la
puissance du saint, le saisirent, le garrotèrent et l'en-
fermèrent dans la tour de Castel-Blancat. Saint Aventin
n'y resta pas longtemps, car il prit le vol à travers les
airs et s'échappa de sa prison : il se fit cheoir dans le
territoire de Pons, où en posant son pied sur une pierre,
il y laissa l'empreinte de ses doigts. Celte pierre est
la môme qui se trouve à la porte de la chapelle des
Miracles.
« Depuis ce moment, il se livra à Ta prédication de
l'évangile, et combattait avec ardeur les croyances de
Mahomet, que les Maures commençaient à répandre
dans ces vallées. Ceux-ci, qui le voyaient d'un mauvais
œil, le poursuivirent jusques dans la vallée d'Oueil, où
ils lui tranchèrent la tôle.
« Mais aussitôt et sans perdre du temps, saint Aventin
prit sa lète avec ses deux mains, gravit une montagne,
et, à peu de distance de la vallée de Larboust, il déposa
sa tête et mourut. Il fut enterré dans ce môme lieu.
58 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
« Trois cents ans après sa mort, un troupeau de tau-
reaux paissant sur les bords d'une rivière, ces derniers
s'arrêtaient toujours à un endroit où, sans prendre de
la nourriture, ils se contentaient de gratter la terre en
mugissant. Les taureaux n'en étaient pas moins gras
pour cela, ce qui fit croire au prodige.
« Alors les populations voisines accoururent vers cet
endroit; et tandis que la foule se pressait au lieu où
niugissaientles taureaux, une voix inconnue fit entendre
ces mots : C'est ici que repose le corps du bienheureux
saint Avenlin ! On s'empressa religieusement de l'exhu-
mer. Mais tout à coup un essaim d'abeilles obscurcit
l'air et s'opposa à cette exhumation. On écrivit au
pape le résultat de ces prodiges. Le pape déclara qu'il
fallait un ordre de sa part pour exhumer le corps du
bienheureux.
« En effet, l'ordre pontifical transmis, l'essaim dis-
parut, et on exhuma le corps de saint Aventin sans au-
cune difficulté. Saint Bertrand, évêque de Comminges,
voulant lui élever une chapelle, fit atteler deux vaches
à un traîneau et les laissa marcher toutes seules. Elles
s'arrêtèremt au lieu de l'ermitage de Saint-Julien, où
l'on éleva une chapelle en l'honneur de saint Aventin. »
Tel est le récit de la légende, que nous avons rap-
portée en entier parce qu'elle nous a paru renfermer
quelque chose de naïf et d'original. Quoi qu'il soit de
ce récit, il est évident que l'église de Saint-Aventin,
soit par son architecture, soit par son antiquité, est une
des plus remarquables du pays de Comminges '.
s M. de Castellanne, Mém. archéol., p. 215.
DE BACNÉRES-DE-l/UÇHÔN. 59
11 nous suffira de donner les détails suivants à nos
lecteurs pour leur en faire connaître tout le mérite ar-
chitectural. Le corps de l'édifice en lui-même a environ
trente mètres de longueur sur quinze de largeur. Ainsi
que les basiliques du IXe siècle, la voûte se courbe en
plein cintre ; la nef, qui est magnifique, est divisée par
une double rangée de piliers massifs ou colonnes i\\\
style roman ; une galerie supportée par ces colonnes
s'ouvre sur la nef du milieu, elle communique avec
l'intérieur de l'édifice par une rangée de petites fenêtres
caractérisées par leur style presque ogival; une grille
d'un travail rare, et qui par sa forme parait assez an-
cienne, sépare le sanctuaire du reste de l'église.
En visitant le tombeau de saint Aventin, qui se
trouve placé derrière le maître-autel, on voit que la
légende a fourni les sujets d'ornementation qui sont
dessinés sur la façade et sur les contours du maître-au-
tel. Ainsi on voit d'abord un sujet religieux, c'est un
ange descendant sur la terre portant un message extra-
ordinaire, sans doute pour annoncer la naissance de
saint Aventin ; on remarque ensuite une femme qui
n'est autre que la mère du saint qui rend grâces au ciel
de sa délivrance douloureuse ; auprès de ces deux sujets
se montre un troisième tableau qui nous offre un ours
présentant son pied à saint Aventin, qui lui en ôte une
épine qui l'empêchait de marcher; enfin on voit saint
Aventin décapité portant lui-même sa tète entre ses
deux mains.
Si l'intérieur de cet édifice religieux cemme œuvre
d'art offre tant de beautés, l'extérieur ne lui cède en
60 HISTOIRE SPÉCIALE £T PITTORESQUE
rien; car le monument est surmonté de deux tours iné-
gales et qui lui servent de clochers. L'une, la plus
élevée , est couronnée d'une flèche jetée avec une élé-
gance rare ; l'autre est écrasée. Un porche ou péristyle
précède la porte d'entrée. Ce porche est formé par un
couvert qui ropose sur huit colonnes de marbre veiné
de rouge et de vert. Trois colonnes ont été enlevées.
Des sculptures ', fouillées avec une grande habilité ,
ornent les chapiteaux de ces colonnes. Sur un de ces
chapiteaux on voit représentée la mort de saint Àventin
et son martyre lorsqu'il fut fait prisonnier par un sol-
dat maure. Mais le sujet le plus remarquable de tous
est celui qui conpose un groupe de deux personnages
qui poussent le saint vers le même soldat maure, qui
lui coupe la tète. Il n'est pas jusqu'à l'ours de la lé-
gende qui ne trouve sa place sur ces chapiteaux. En ef-
fet, on voit un animal informe qui n'est autre que l'ours,
qui se montre empressé à vouloir parler au bourreau.
On peut admirer encore au-dessus de la porte des
bas reliefs qui rappellent plusieurs sujets de l1 Ancien
et du Nouveau Testament. On y reconnaît des anges
qui, en soutenant ces bas reliefs, sont distingués par
des emblèmes religieux. Les douze Apôtres sont sculp-
tés sur d'autres bas-reliefs, mais tellement frustes qu'il
est difficile de distinguer les lignes et le dessin qui com-
posent les sujets qu'ils représentent.
Mais le motif de ces sculptures qui mérite le plus
d'être remarqué est sans contredit celui qu'on aperçoit
sur le pilier de droite de la porte. Outre le sujet de la
Vierge, tenant l'enfant Jésus, qui fait le principal motif
DE BAGISÉKES-DE-LUCHON. 61
de cette sculpture, on peut encore admirer, au-dessous
de la Vierge, une scène grotesque en harmonie avec les
croyances du moyen-àge représentant des tètes mons-
trueuses. Ces différentes figures, laides, hideuses et
grimaçantes, servaient aux artistes sculpteurs de l'épo-
que de types pour désigner les péchés qu'ils personni-
fiaient bizarrement. Ainsi la luxure, l'avarice, la
prodigalité, etc., avaient des traits particuliers sous les-
quels on les reproduisait. En cela, l'artiste sculpteur
imitait les écrivains de son époque qui, dans les repré-
sentations des mystères^ revêtaient sur la scène les di-
verses physionomies de leurs pe rsonnages . Il suffit pour
se convaincre de cette vérité d'avoir lu Pierre Gringoire.
L'architecte qui a présidé à la construction de
l'église de Saint-Aventin n'a rien oublié du sujet de la
légende ; il l'a épuisé, car il a même reproduit sur un
des murs extérieurs de l'église le taureau qui gratte la
terre pour indiquer le lieu où reposait le corps du saint.
Il a prodigué au reste la sculpture sur toutes les autres
faces du monument religieux.
C'est encore sur les murs de l'église de Saint-Aven-
tin que se trouvent les deux inscriptions suivantes.,
que nous avons reproduites dans notre Histoire des
Populations pyrénéennes , du Nébouzan et du pays de
Comminges l •
ABELLIONI ABELLIONl
DEO TAVR1NIS BONE
TAVR1NIS BONE CONIS •
CONIS • V • S • L • M.
1 Tome I, Inscriptions, série II, planche IX.
62 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Il est donc évident que le culte d'Abellion était en hon-
neur dans ces montagnes ; nous avons dit comment
cette religion pyrénéenne avait pris naissance dans ces
vallées.
Après le village de Saint-Âventin, celui de Gouaux,
dont il est parlé dans la charte de Bagnères-de-Luchon,
et celui de Garin, dont l'archéologie a su profiter pour
recueillir des monuments qu'il renfermait, sont deux
localités d'une haute importance historique. Il est à re-
gretter que le temps, l'ignorance et les guerres qui ont
infesté ces contrées aient détruit tous les rertes d'anti-
quités dont elles étaient si riches. Aussi, en voyant
tous ces châteaux-forts en ruines, ces églises à moitié
démolies, ces débris de villages s'élevant au milieu de
sculptures, d'objet d'art et d'inscriptions romaines, on
ne peut s'empêcher de reconnaître que de nombreuses
populations ont occupé ces vallées.
Ainsi non loin de Garin, à quelques pas de distance
de la petite église de Saint-Pied, existait le fameux
château-fort de Dauberwn, dont de Marca, en 1594, ne
put mieux faire l'éloge qu'en disant que la puissance
de sa garnison était telle qu'elle dominait tout le pays
aune immense distance. Bernard IX, en parlant du
château de Bagnères, qui commandait le port de Bénas-
que, le regardait comme imprenable. Qui aurait pu
donc porter les comtes du pays à bâtir de semblables
forteresses , si la défense des vallées ne l'eût exigé
impérieusement?
Il faut donc conclure, ainsi que nous pourrons bien-
tôt nous en convaincre nous-mème, que les frontières
DE BAGISÈ1\ES-DE-LUCU0N. 05
du coté de ces montagnes étaient habitées dans les.
temps anciens par de nombreuses populations, avec
lesquelles celles de nos jours n'offrent qu'une faible
proportion.
Mais arrivons enfin à parler des bains dans ce qu'on
doit appeler leur réputation moderne, et établissons
d'abord l'époque précise à laquelle leur renommée
pendant le moyen-àge a commencé d'être popularisée.
C'est une chose étonnante que depuis l'expulsion des
Romains de l'intérieur de ces montagnes on n'ait plus
fait mention des thermes de Ludion. Parmi tous les
historiens qui peuvent nous rappeler leur ancienne ré-
putation, nous ne trouvons qn'Ausone seul qui nous
en parle d'une manière assez positive. Ces thermes,
dit-il, ont des eaux qui jouissent d'une grande faveur.
Mais il ne dit point si de son temps cette faveur était
encore en crédit, ou bien si elle était mise à profit. Les
troubles et les invasions qui agitèrent en tous sens le
pays des vallées, pendant les neuf premiers siècles de
notre ère, c'est-à-dire jusqu'après le règne de Charle-
magne, ont dû sans doute empêcher les bains de Lu-
chon de reprendre le crédit que leur avait acquis une
vieille réputation conquise à justes titres.
Aussi, de tous les monuments historiques que nous
avons consultés, afin de nous fixer sur l'époque moderne
à laquelle ces thermes ont repris leur ancienne renom-
mée, nous n'avons trouvé que celui-ci qui est de l'an-
née 1375. C'est un vieux titre concernant Bagnères-
de-Luchon dans lequel on lit : « Les passeries de
» Baicgnières tant en <.;a qu'en delà du port sont fran-
64 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
» ches de tout droict; pour ce que les ravages de la
» peste appélent quantité de malades dans ses taux,
» qui'y viennent se baicgnier. Les consuls et manants
» de Baicgnières sont tenus à exécuter ces droits de
» passeries franches. » — Tel est le seul titre que nous
connaissions, et dans lequel il soit parlé des eaux de
Bagnères-de-Luchon pendant le moyen-àge '.
Mais, si, en nous autorisant de ce passage et de
la charte que Bernard IX octroya, dont nous avons
donné des extraits, nous voulions tirer une induction
historique, il nous serait facile d'établir, par le mot
même de Bagnères que ce comte emploie dans sa char
te fin villa de BagneriisJ, en 1306, et par la même
dénomination de Baicgnières dont se sert l'auteur de
l'acte de 1375 que nous venons de rapporter, quel'exis-
tence des bains et leur renommée étaient reconnues par
l'usage qu'on devait en faire plusieurs siècles antérieurs
à ces actes.
En effet le nom de Baignères dérive du mot baigner 3
c'est-à-dire faire usage des bains. Or comment aurait-on
donné ce nom à une localité si réellement elle n'avait
renfermé des eaux thermales dans sa circonscription?
D'un autre côté, le nom même de Bagnères ou Baic-
gnières ne peut lui avoir été donné antérieurement au
YIC siècle. On est donc en droit de conclure que depuis
celte époque et celle de 1305, leseauxdeLuchon étaient
en telle vénération, qu'elles servaient à Tusage des bains
1 Histoire des Populations pyrénéennes, etc., not., pièc. just.,
chartes, etc.
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. G5
Quoi qu'il en soit de la date certaine qu'on doive assi
gner à la réputation de ces thermes, il est hors de doute
que plus tard de nombreux personnages sont venus la
faire revivre, et cela sans de grands efforts comme sans
employer des moyens extrêmes. Pour opérer une sem-
blable régénération il fallait quelque chose de plus que
le crédit et la puissance des prùneurs. Ce quelque
chose était les faits antérieurs, transmis par une con-
stante et perpétuelle tradition, depuis les Romains jus-
qu'à nos jours. Les bains de Bagnères-de-Luchon ont
eu leur réputation établie, soit dans les prodigieux ef-
fets de ses eaux, soit dans la mémoire des populations
environnantes. Avec ces deux éléments de conservation
leur souvenir pouvait-il périr? Évidemment non.
CHAPITRE QUATRIÈME
Bains de Bagnères-de-Luchon. — Personnages importants qui ont
visité ces thermes. — Epoque de leur nouvelle restauration. —
Fondation de la ville et divers droits dont elle a joui. — Mœurs
des habitants de la vallée de Luchon.
De toutes les vallées qui se trouvent dans l'intérieur
des Pyrénées, il n'en est aucune qui abonde plus en
eaux thermales que celle du Commiuges. îl suffit pour
nous convaincre de cette vérité d'indiquer celles qui
sont connues de nos jours, et dont la plupart ont une
réputation très-étendue. Ainsi nous nommerons les
bains d'EncaussC; de Labarthe, de Barbazan, bourg et
gentilhommerie importante1, de Luchon, de Lez dans
1 « Barbazan a une source un peu tiède et purge beaucoup,
laquelle M. le Marquis de S. Luc, Lieutenant général pour le Roi
au gouvernement de Guienne, a mis en réputation, ayant ac-
coutumé d'y aller toutes les années. »
68 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
la gorge de la vallée (TAran , de Sainte-Marie^ du
Capbern et des Bagnis près de Ganties^ qui tous ont
joui d'une réputation antique qu'ils conservent encore
aujourd'hui. Des restes de construction et des monu-
ments établissent que la plupart d'entr'eux ont été
connus des Romains. Ici se présente naturellement une
question géographique à propos des Thermes Onésiens
dont parle Strabon, et qui sont placés, selon ce géo-
graphe, chez les Convenœ. Plusieurs écrivains ont
cherché à déterminer la véritable position de ces ther-
mes. M. de Valois leur a assigné la position des Aquœ
Convcnarum , qui est fixée comme suit par l'itinéraire
d'Antonin sur la voie ah aquis Tarbellicis Tolosam :
Beneharnum. . : .
Oppidum novum. .
Aquas Convenarum
Lugdunum. .
Calagorgim. .
Aquas siccas.
Vernosolem. .
Tolosam. . .
. M. P. XIX.
. M. P. XVIII.
. M. P. VIII.
. M. P. XVI.
. M. P. XXVI.
. M. P. XVI.
. M. P. XV,
. M. P. XV.
Ainsi deux erreurs naissent de la position des Ther-
mes Onésiens aux Aquœ Convenarum,. La première
consiste dans la confusion de ces deux désignations par
certains auteurs , et entr'autres par Mentelle ' , qui
les appelle indifféremment les Aquœ Convenarum ou
1 Encycl. Méth. Geog. An. pag. 172.
DE BAGJSÈRES-DE-LUCHON. 69
Onesiorum. La seconde repose dans l'indétermination
géographique des Aquœ Convenarum d'Antonin et des
Thermes Onésiens de Strabon. Ce qui a fait placer les
unes au lieu où se trouvent aujourd'hui les bains d'En-
causse, tandis que Vosgien au contraire semble les fixer
à Bagnères-de-Luchon ; mais aucune de ces deux dé-
signations ne saurait être exacte puisqu'elles sont en
contradiction avec la distance fixée par l'itinéraire de
Beneharnum jusqu'à Lvgdunum, et qu'en outre elles
sont en dehors de la ligne suivie par la voie romaine.
M. Du Mège seul a très bien déterminé la position des
Aquœ Convernarvm d'Antonin en la fixant au Cap-
bem qui possède des eaux thermales très renommées,
quoiqu'il semble douter que ces dernières aient jamais
appartenu auxGonvènes; mais le rapprochement sur
les frontières de Lugdvnvm a pu, selon ce savant, faire
croire que ces bains leur appartenaient '. Nous ne par-
tageons point le doute de M. Du Mège; nous croyons
au contraire que le Cap-bern a toujours appartenu aux
Convenœ. Sans nous arrêter à l'indication même de la
voie romaine, qui est une preuve formelle de sa situa-
tion dans leur pays, ni à la régularité de la distance
entre ce dernier lieu, connu sous le nom de Aquœ Con-
venarum et Lvgdunum ; sans nous prévaloir de cette
station qui se trouve placée sur la frontière que nous
avons cru devoir fixer au pays des Convènes, nous re-
marquerons que le Cap-bei'n a appartenu toujours, sous
l'époque féodale , à la châtellenie de Mauvezin , qui
1 M. Du Mège, Mon. Rel., pag. 102.
70 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
était enclavée dans le Nébouzan. Or, nous avons re-
connu que la plus grande partie des Onebuzales de Pline
se trouvaient renfermés dans les limites de cette con-
trée ; les Aquce Convenarum ont pu donc être de nom
et de fait une dépendance des anciens Convènes.
Quant aux Thermes Onésiens il n'a pas été facile de
déterminer aussi exactement leur position. Ainsi que
nous l'avons vu, en les confondant avec les Aquœ Con-
venarum , on s'est exposé, avec Casaubon et M. de
Valois i, à leur donner les différentes positions fixées
si arbitrairement à ces derniers. Aussi les Thermes
Onésiens de Strabon ont-ils été successivement marqués
à Encausse par ceux qui les confondaient avec les aquœ
Convenarum de l'itinéraire d'Antonin^, et à Bagnères-
de-Luchon par M. Du Mège2. Ce savant, qui distingue
à bon droite contre l'opinion de Cazaubon et de Valois^
ces deux thermes, ne se détermine à fixer la position
des bains Onésiens à Luchon que par la similitude de
célébrité qu'ils auraient eu d'après Strabon, et la répu-
tation que Bagnères de-Luchon avait, sous la période
romaine, à en juger par les nombreux monuments
découverts auprès de ses sources. Ainsi, selon M. Du
Mège, les Thermes Onésiens devraient être placés à
Luchon, comme les Aquœ Convenarum doivent l'être
au Capbern.
Mais nous ne partageons point l'opinion de notre
savant quant à la fixation des Thermes Onésiens, non
4 Vales. pag. 159.
2 M. Dumège, Mon, Rel. pag. 102 seq.
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 71
plus que relies des autres géographes qui ont voulu
commenter la leçon de Strabon. I^indécision dans la-
quelle tous se sont trouvés pour reconnaître une posi-
tion fixe à ces Thermes Onésiens, une étude spéciale
des lieux et le texte de Pline nous ont fait soupçonner
que Casaubon, M. de Valois et les autres avaient trans-
formé, par erreur, une dénomination générique, un ad-
jectif, en un nom propre. Ainsi les Thermes Onésiens,
qu'ont doit traduire selon la racine du mot grec onesis,
oneseos _, qui signifie aide, secours , salutaire, bienfai-
sant, etc. , par bains de santé y ne désigneraient, dans
la pensée de Strabon, autre chose sinon que la contrée
de Lugdunum possédait un grand nombre d'eaux ther-
males excellentes pour la guérison des malades. En
effet, c'est ce qui ressort de la construction même de
la phrase de ce géographe. Le texte grec au reste est
formel là-dessus. La traduction de cette phrase en latin
par Casaubon et sa construction ne permettent point
encore de donner d'autre interprétation à la leçon de
Strabon. On conçoit maintenant comment un contre-
sens a pu tromper les auteurs qui ont voulu faire un
nom propre de ce qui n'était qu'un adjectif. Les ther-
mes Onésiens signifieraient donc, dans la pensée du
géographe des Gaules, que le pays des Convènes ren-
fermait un grand nombre de sources thermales très-sa-
lutaires, et dont nous avons réellement constaté l'exis-
tence par la nomenclature de celles qui sont connues
encore aujourd'hui.
Dans tous les cas, de la fausse interprétation du texte
de Strabon, il est évident que l'existence des bains de
72 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Bagnères-de-Luchon remonte à une très-haute antiqui-
té. Parmi les preuves monumentales que nous pouvons
rapportera ce sujet, nous ne parlerons que des résultats
produits par des fouilles qui lurent faites sous Louis XIV
par les soins de M. d'Orbessan. On trouva d'abord
soixante-deux monumentsantiques, dontles inscriptions
sont rapportées dans notre Histoire des Populations
■pyrénéennes. Ces monuments étaient pour la plupart
des autels votifs de diverses formes et de différentes
grandeurs. Plus tard on recueillit des piscines d'un
travail gracieux, un grand bassin revêtu intérieurement
de marbre blanc, des statues, des petites baignoires
incrustées dans le mur sous la forme de niches, des
conduits ou tuyaux en briques; tous ces objets d'art,
trouvés dans des soulerreins, témoignent suffisamment
de la haute antiquité dont jouissent les thermes de
Luchon. Dans les derniers temps encore, en construisant
les bains Ferras, on trouva des piscines; tandis qu'à
côté du grand bâtiment on découvrit trois baignoires
qui se communiquaient graduellement entr'elles au
moyen de tuyaux ou conduits souterreins. La première
avait 1 mètre 33 centimètres carrés, la seconde 2 mètres
70 centimètres, et la troisième en avait h. S'il faut juger
par leur disposition de l'usage auquel elles servaient,
il est à présumer qu'on les avait destinées à recevoir
les eaux des sources pour aider leur infiltration, la
troisième baignoire étant la seule qu'on employait
pour prendre le bain.
Tous ces objets d'art, trouvés dans une espace aussi
resserré, prouvent hautement que les thermes de Lu-
DE BAGNÊBE-DE-LUCHON. 73
chon ont joui du temps des Romains d'une réputation
incontestable. Ces restes d'antiquités ne laissent aucun
doute sur l'existence d'un édifice somptueux et immen-
se qui s'est élevé aux environs des sources. Mais à
quelle époque faut-il faire remonter sa destruction'.'
C'est là une de ces questions qu'il faudrait adresser aux
Vendales, aux Goths , aux Franks, aux Sarrasins,
c'est-a-dire à tous ces destructeurs de ville et de royau-
mes qui, passant comme un torrent à travers de nom-
breuses populations, ne laissaient après eux que le
ravage et la mort. Peut-être les prescriptions de l'église
contre l'usage des bains contribuèrent-elles encore à
les laisser dans l'oubli où nous les avons vu plongées
pendant plusieurs siècles.
Sans nous arrêter tout-à-fait à cette dernière considé-
ration, il est évident que les malades des environs fai-
saient usage des bains. Selon le récit de la tradition,
confirmé d'ailleurs par le savant Campardon, les gens
des montagucs voisines, connaissant les vertus de ces
eaux, creusèrent un réservoir déforme carrée d'environ
buit mètres de longueur, et construisirent en maçonne-
rie une baignoire commune. L'eau sortant de la grotte
était conduite dans ce bassin au moyen d'un tuyau. Là,
les malades allaieut pèle-mèle prendre leurs bains.
Cette manière originale de se baigner était encore en
usage aux bains de Ganties il y a environ quinze ans.
Quoi qu'il en soit de ce moyen, on ne peut douter
que les cures nombreuses qu'opéraient ces eaux, com-
mencèrent à fixer l'attention des hommes influents qui,
sous les gouvernements absolus, disposaient de la for
74 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
tune publique. M. De Saint-Luc, lieutenant-généraï
de la Guienne, donna une certaine réputation aux bains
de Barbazan ; les courtisans et les maîtresses de Louis
XV aidèrent puissamment à faire la fortune de ceux
de Luchon. Si la vallée avait pu disposer de sommes
assez considérables; si les manants et les consuls de
Luchon, comme les appelaient autrefois les comtes,
avaient eu le budget d'un roi de France, depuis long-
temps leurs thermes auraient reconquis leur vieille
réputation : mais avant 1789 le peuple n'était pas sou-
verain, et il ne faisait rien par lui-même. Il est vrai
qu'aujourd'hui on lui reconnaît une souveraineté sans
qu'il soit plus maître pour cela.
Aussi c'est aux instances seules des hommes de l'art,
qui voyaient les guérisous sans nombre qu'opéraient les
eaux de Luchon, et à la générosité de M. D'Etigny,
intendant de la province en 1759, qu'il faut attribuer
la nouvelle restauration de ces thermes. En effet, cet
officier supérieur du roi se transporta lui-même sur les
lieux, prit connaissance de la liste nombreuse des cures
opérées par ces eaux, les fit analyser, et se détermina
enfin à allouer des fonds pour leur reconstruction.
C'est en l'année 1761 que le célèbre Campardon
fut attaché comme médecin à la surveillance des ther-
mes de Luhon. Ce savant ne négligea rien pour con-
firmer M. D'Etigny dans le projet qu'il avait conçu de
relever ces thermes. M. De Richelieu, qui était gouver-
neur de la haute et basse Guienne, seconda les vues
sages et réformatrices de M. d'Etigny. Un mémoire
adressé au médecin du roi Louis XV, décida de la des-
DE BAGflÈRES-DE-LUCHCKN. 75
tinée heureuse de cette vallée; car son mémoire, qui
renfermait |ces lignes : « La jalousie peut bien s'irriter
» contre l'idée de voir revivre ces bains antiques, mais
» l'humanité plus forte que la jalousie, l'emportera
» devant sa majesté, etc., etc. », fut accueilli favora-
blement malgré la flatterie, où plutôt à cause de la
flatterie, qui perçait à travers toutes les lignes. Les en-
nemis de Luchon furent vaincus!
Dès ce moment, le maréchal de Richelieu fit tracer
une route magnifique qui sillonna la vallée, afin de
rendre ses communications plus faciles. De son côté,
M. D'Etigny fit planter et entretenir avec un soin tout
particulier, la fameuse promenade qui porte son nom.
La bâtisse des bains de la Reine s'éleva aussitôt, sous
l'action puissante, des munificences du gouverneur de la
province. Alors aussi, les thermes de Luchon, furent
visités par M. le duc d'Aiguillon, par la célèbre Pom-
padour, par M^e Joséphine de Lorraine, par la comtesse
de Bride, par le prince de Rohan, M1Ie Louise de
Rohan, la princesse de Lorraine, le dur de Choiseul
et par un grand nombre d'autres personnages. Dès ce
moment j la fortune de ces bains fut faite } dit un écrivain
courtisan. A notre tour nous dirons que cette fortune
fut augmentée encore par le travail et l'industrie des
habitants de Luchon, et surtout par la sagesse et l'ha-
bileté de son administration municipale.
Au reste, nous dirons les travaux qui furent entrepris
et continués par les soins du pouvoir municipal, et
nous verrons s'ils ne l'emportent point sur tous ceux
que la faveur aristocratique et la vanité nobiliaire oc-
76 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
troyèrent après de nembreuses et de continuelles in-
stances.
Mais auparavant, établissons notre opinion sur l'ori-
gine de Bagnères et sur l'époque de sa fondation. Il est
un fait étonnant concernant la vallée de Luchon, c'est
que dans l'histoire des quatres vallées, Aure, Nesle,
Barousse et Magnoac, comme dans les notices qu'on a
écrites sur le Val d'Aran, il ne soit jamais fait mention
de cette vallée.
Ainsi, nous voyons Abarca bâtir le château de Valca-
brère vers le commencement du Xe siècle ; il est maî-
tre de la Barousse et de la terre d'Aure ; et parmi les
détails historiques qui ont rapport à lui ou à ses posses-
sions, nous ne trouvons rien qui concerne la vallée de
Luchon. Le Larboust, la vallée d'Aran, la vallée d'Oueil,
occupent l'esprit des historiens, qui nous donnent dans
les moindres détails tous les documents qui intéressent
ces contrées; et aucun des écrivaius ne nous parle delà
vallée voisine, et pourtant on ne peut s'empêcher de
reconnaître qu'elle a eu une importance historique aussi
grande que celle de ces rivales: car, pour nous borner
seulement à la ville, il est constant que Bagnères existe
depuis bien des siècles. Depuis bien des siècles au fond
de ce magnifique vallon, où domine la ville nouvelle,
aux environs des sources thermales, une autre ville s'est
élevée dans les temps anciens. L'opinion de ceux qui
prétendent qu'avant la reconstruction des bains par les
soins de M. D'Etigny, il n'existait que quelques cabanes
en chaume mal bâties, composant un simple hameau,
est erronée.
DE BAGNÉRES -DE -LUCHON. 77
En efïet, dans la charte que Bernard IX octroya, en
1305, aux habitants de Luchon, il est dit que les ma-
nants, consuls et autres de la dite communauté et
ville de Bagnéres (villa de Bagneriis) sont tenus à
défendre les passages des ports, à veiller à la défense
des frontières, en tenant garnison dans les châteaux ;
en un mot, à se montrer les serviteurs dévoués du comte.
Certes, on ne s'adresserait pas en pareils termes aux
habitants d'un simple hameau ; on ne leur imposerait
point un tarif pour la perception des droits de péage ;
enfin, on ne leur accorderait point des privilèges aussi
nombreux que ceux qui sont mentionnés dans la charte,
si ceux auxquels s'adressait le comte, n'avaient pas
formé une communauté importante.
D'un autre côté, dans un titre de 987 concernant
une fondation faite en faveur de Péglise de Saint-Béat,
il est dit que l'église de Bagnéres aurait en pariage,
c'est-à-dire en partage, les revenus de cette fondation,
qui consistaient en dîmes et en biens fonds. On y lit
ensuite « qu'attendu la prospérité croissante et les nom-
» breux revenus qui distinguent Péglise de Bagnéres,
» les offrandes nombreuses dont les habitants du lieu
» l'enrichissent, la fondation ne sera que temporaire
» pour ce qui concerne la part dévolue à l'église de
» Bagnéres (pro parte devoluta ecclesiœ de Bagneriis).»
D'après ces faits il est impossible de révoquer en doute
l'existence de la ville de Luchon, au moins au com-
mencement du Xe siècle ; on ne peut nier non plus
qu'au XIIIe siècle, elle n'ait eu une certaine importance.
Dr tout cela que conclure, sinon que la ville de Luchon
78 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
a non seulemeinent une origine ancienne, mais encore
qu'elle a eu une population nombreuse?
Nous allons encore plus loin : parmi les nombreuses
confirmations des privilèges dont jouissait cette ville, et
que les rois de France lui ont octroyés, nous remarquons
l'acte de confirmation de Louis XIII. Dans cette pièce
il est dit que, « voulant maintenir les frontaliers de la
» vallée de Luchon et notammeDt la ville de Bagnères
» dans la jouissance de ses anciens droits, sans trou-
» blés ni empeschements, confirme tous ses droits et
» principalement ceux d'avoir des foires, lesquelles sont
» les plus considérables avec celles de Saint-Béat^ de
» toutes les vallées.» Il est donc évident que déjà sous
Louis XIII une localité qui jouit du privilège d'avoir
des foires était loin de n'être qu'un hameau, deux rè-
gnes plus tard. Il est impossible de ne pas reconnaître
que depuis le IXe siècle la ville de Bagnères a eu une
existence honorable; et si l'accroissement naturel
qu'elle devait prendre semble s'être arrêté devant quel-
ques maisous de chétive apparence, il faut attribuer cet
état stationnaire à la destruction et au pillage qui doi-
vent l'avoir comprimé dans les développements de sa
circonscription. Antiquité et importance historique,
tels sont les deux caractères qui signalent l'existence de
Bagnères-de-Luchon, depuis sa fondation, fixée environ
vers le Xe siècle.
Mais, si, de ces hautes considérations historiques,
nous descendons jusqu'à la peinture des mœurs qui
distinguent les habitants de la vallée de Luchon, nous
trouvons à leur faire l'application suivante, qui est une
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 79
juste appréciation morale de leur caractère. « Ils sont
en général vifs, laborieux, actifs, sobres et tempérants.
Le rétrécissement de leur sol, comparativement à l'ex-
trême population, leur fait un besoin de ces différentes
vertus pour pouvoir fournir à leur subsistance. C'est un
spectacle vraiment intéressant, que celui de voir une
population nombreuse, vivre sur un terrain dont la
partie cultivable est presque nulle; et que des travaux
continuels et assidus peuvent seuls rendre fertile. Dans
les vallées tout est en quelque sorte le produit de Pin-
dustrie ; c'est l'homme qui fait presque tous les frais des
productions qui y croissent. Le patriotisme, ou plutôt
cet instinct qui attache l'homme au sol qui l'a vu naître
et qui a nourri son enfance, est porté au dernier degré
chez ces cultivateurs, qui ne sont riches que de leur
sobriété. Si plusieurs d'entr'eux s'expatrient dans leur
jeunesse pour aller tenter la fortune ailleurs, ce n'est
que dans le dessein de revenir au lieu natal. Aussi la
valeur des terres, dans un pays si rétréci et privé de tout
débouché, est vraiment une chose étonnante et qui ne
s'explique que par cet attachement extraordinaire au
toit de ses pères.
« Ces montagnards se nourrissent presqu'entière-
ment de légumes, de farine et de laitage. Ils ne boi-
vent que très-peu de vin ; leurs travaux sont presque
tous relatifs à la culture et à l'économie rurale. Le
commerce est peu connu dans toutes ces parties, sinon
dans la saison des bains. Les objets d'une nécessité in-
dispensable qu'on ne fabrique pas sur les lieux y sont
importés, et on donne en échange les produits des bes
80 HISTOIRE SPÉCIAL!* ET PITORESQUE
tiaux et du lait qu'où transforme en beurre et en fro-
mage. Du reste, chacun vit des productions du sol qu'il
cultive; et s'ils font des échanges, ils ont lieu de voisin
à voisin, ou dans un cercle très-rétréci.
« Le caractère général des habitants de ces vallées
est d'être simples, bons et généreux; ils aiment l'indé-
pendance ; ils ont du courage et de la fierté. Ils partagent
la gaîté vive de tous les peuples du midi de la France ;
et ils mettent dans leur démonstration cette chaleur, cet
empressement que caractérise la vivacité, et qu'anime
un langage passionné, rapide et métaphorique '. »
1 Histoire des Populatons pyrénéennes, du Nébouzan et du
Pays de Gomminges, t. II, notes.
CHAPITRE CIQUIÈME
tpoque de la fondation de l'Établissement actuel de Bagnères-de-
Luchon. — Différents travaux qui ont été exécutés successive-
vement. — Constructions monumentales de M. Chambert. —
Église de Bagnères exécutée sur [les plans de M. I.oupof.—
Travaux d'aménagement de M. François. — Divers autres éta-
blissements de Bains. — Causes principales de la prospérité
de la ville.
Quoique nous ayons attribue à M. d'Eligny la nou-
velle restauration des bains de Luchon et leur réta-
blissement comme création thermale, il est évident
que, sans nuire à la recounaissance qu'on doit à cet
intendant, les principaux travaux exécutés à Luchon ne
font été qu'en 1805, sous l'Empire, et de nos jours.
A cette époque on creusa les fondements de l'établis-
sement actuel, et c'est en partie au gouvernement et
en partie au département qu'on est redevable des fonds
qui furent employés à cette œuvre de reconstruction,
82 HISTOIRE SPÉCIALE ET P1TTORESQUF.
Si, d'après cette inscription :
NYMPH1S.
AVG
SACRVM.
c'est Auguste qui, étant venu à Luchon, sacrifia le
premier aux nymphes de ces sources, c'est encore sous
un autre Auguste, sous l'empereur des Français, que
les nymphes de ces eaux ont vu s'élever l'édifice prin-
cipal, sous lequel elles s'abritent de nos jours; tant il
est vrai que tout ce qui s'est fait sous le grand homme
semble être marqué d'un cachet particulier à son génie!
Aussi est-ce le style de l'époque qui a présidé à la cons-
truction de ce monument thermal, style sévère, simple
et grandiose en même temps. La façade se dessine sous
la forme d'un péristyle académique : on dirait le Par-
thénon ; trois issues différentes et régulières conduisent
dans l'intérieur du bâtiment, qui présente d'abord aux
regards, une vaste salle en communication, des deux
côtés avec les cabinets des bains ; une cour de forme
carrée s'ouvre en face de la grande salle, et sert de li-
mite aux corridors qui l'entourent ; cette cour et les
corridors qui ouvrent un passage pour conduire aux
cabinets des bains, composent, dans leur ensemble, le
plan des cloîtres du moyen-âge, mais en diminutif; à
l'extrémité de la cour, et par suite sur le derrière du
bâtiment, qui s'élève au pied de la montagne et en
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. • 85
s'adossant sur ses flancs, se touvent les diverses sources
thermales qui fournissent les eaux nécessaires aux bai-
gneurs; de nombreux cabinets sont rangés des deux
côtés, de la cour intérieure; l'édifice est isolé et abrite
les seules sources thermales primitivement connues, les
seules peut-être qui existeut dans ces lieux-
Tel est remplacement, la forme et la destination de
l'établissement appelé Le Bain de la Reine, qui fut
élevé en 1805. Mais depuis cette époque, de grandes
amélioracions ont été faites dans ce bâtiment, soit par
l'appropriation des cabinets et des baignoires, qu'on a
plusieurs fois renouvelés, soit par les travaux nom-
breux que M. François, ingénieur en chef, a exécutés
pour l'aménagement des eaux qui jaillissent des sour-
ces thermales.
Et d'abord, parlons des galeries et du but principal
que M. François s'était promis d'atteindre en les con-
struisant.
Avant l'exécution des travaux entrepris par cet habile
ingénieur, les eaux des sources présentaient deux pro-
blêmes difficiles à résoudre : le premier, â savoir si les
eaux venaient à leur source par le haut de la montagne
ou par le bas ; le second consistait à éviter que les eaux
des diverses sources ne se mélangeassent avant d'arriver
à l'établissement, toutefois cependant, après s'être bien
assuré que ces sources ne communiquaint point entre
elles souterrainement.
Afin de parvenir à la solution de ces deux problêmes
géologiques et hydrauliques, M. François a fait percer
la montagne dans la direction des sources. Il a établi
Ni Histoire spéciale et pittoresque
ainsi quatre galeries souterraines qui aboutissent à qua-
tre ouvertures extérieures. Chaque galerie conduit à
une source particulière. Outre ces souterrains parallè-
les, il existe encore des galeries transversales qui com-
muniquent entr'elles. Ces travaux sont ingénieusement
conduits et exécutés avec les précisons géométriques
les plus exactes; ils ont eu cela d'avantageux, qu'ils
ont servi à constater que l'eau des sources venait du
bas de la montagne, et que ces sources étaient parfaite-
ment distinctes entr'elles : c'était la solution du pre-
mier problème que s'était proposé l'habile ingénieur.
A part ces galeries, qui ont été les travaux prépara-
ratoires pour arriver à un second résultat, c'est-à-dire à
empêcher que les eaiix froides de la montagne com-
muniquassent intérieurement avec les eaux thermales,
tout en conservant leur température à ces dernières,
M. François a exécuté encore d'autres travaux. A l'ex-
trémité de chaque galerie, au fond de la montagne, ou
voit sourdre de bas en haut sur le sol, l'eau thermale de
chaque source. Afin d'éviter la dispersion de cette eau,
ou son mélange avec les eaux froides de la montagne,
l'ingénieur a fait un barrage carré tout autour de la
source. Au-dessous de ce barrage, et sur un plan légè-
rement incliné, il a exécuté des auges souterraines, dans
lesquelles les eaux thermales se déversent successive-
ment de l'une dans l'autre; la destination de ces auges
consiste à aider la clarification de l'eau, qui, sortant du
troisième réservoir, est dirigée par un conduit vers les
cabinets des bains.
Ce barrage et la construction de ces réservoirs ou
DE BAGNÈRES-Dfc-LUCHON. 85
bassins ont l'avantage de conserver à l'eau toute sa
température, et quelquefois même de l'augmenter. Ces
travaux, exécutés par des ouvriers de la localité sous
la direction de M. François, ont été évalués à une
dépense de deux cent mille francs. Les galeries, qui sont
de petits chefs-d'œuvre dans leur genre) varient de
longueur depuis soixante jusqu'à quarante mètres.
Jusqu'à ce jour, dans les Pyrénées, on n'avait point en-
core perforé une montagne à ce degré de profondeur.
A ces travaux déjà si importants et qui intéressent
à un si haut degré l'avenir de Bagnères-de-Luchon, le
conseil municipal de la ville, aidé du gouvernement, fait
construire, par les soins et sur les plans de M.Chambert,
habile architecte de Toulouse, un nouvel établissement
thermal dont nous devons entretenir nos lecteurs.
NOUVEL ÉTABLISSEMENT THERMAL.
On sait que l'administration municipale de ï»agnères-
de-Luchon, après avoir provoqué pendant plusieurs
années des études sérieuses de la part des Architectes,
a confié à M. Chambert, architecte du département, ta
construction d'un établissement thermal qui sera, sans
aucun doute, le plus remarquable et le plus complet de
tous ceux qui existent dans les Pyrénées. Quoique les
ouvrages entrepris sur les plans de M. Chambert ne
soient pas encore assez avancés, on peut néanmoins se
faire une idée, dès aujourd'hui, des proportions colos-
sales de l'édifice et de l'exécution parfaite de ses détails .
86 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Pour concevoir son importance, il suffira de savoir
que sa façade a un développement de 95 mètres, sur
une largeur de 44 ; qu'elle sera décorée d'un fronton et
d'une galerie couverte, supportée par 32 colonnes de
marbre statuaire de Saint-Béat. Elle doit, en outre,
être surmontée de huit énormes pavillons, et, sauf les
murailles, le marbre, seul, est admis dans toutes les
parties nobles de l'édifice.
Ce ne sera plus ces modestes constructions auxquelles
nos yeux étaient habitués depuis tant d'années ; mais
bien rétablissement thermal le plus magnifique, non
seulement de la France, mais encore des pays étrangers.
Si pour les dispositions intérieures, M. Chambert a
emprunté à nos voisins de la Suisse et de l'Allemagne,
plus avancés que nous dans ce genre de construction,
pour la partie monumentale, il a puisé ses inspirations
dans les thermes gigantesques de Néron et de Caracalla,
dont les proportions et la magnificence résument les
grandeurs de l'ancienne Rome.
A lui maintenant d'exécuter une œuvre qui désarme
la critique ! jamais artiste n'a eu de plus grands avan-
tages que lui : larges allocations municipales ; les Pyré-
nées lui offrant à bas prix leurs marbres, leurs granits
et leurs différentes productions; deux cents ouvriers se
pressant chaque jour, à l'envie, dans ses chantiers, rien
ne lui manque pour élever un superbe moDument.
Après toutes les magnificences du grand établisse-
ment, toutes les faveurs qui l'entourent, comment
parler d'un édifice modeste, dont l'existence a été mise,
depuis bientôt trente ans en contestation, auquel toutes
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 87
les conditions de vie ont été si souvent enlevées qu'on a
peine à comprendre comment il est parvenu au point
où on le voit. C'est de l'église dont nous voulons par-
ler; c'est sur elle que nous allons appeler l'attention
qu'elle mérite. On ne saurait la lui refuser, ne serait-ce
qu'en vue des traverses qu'elle a subies, et de celles qui
peut-être l'attendent encore.
NOUVELLE EGLISE DE LUCHOK.
On se rappelle sans doute, l'ancienne église de Lu-
<hon, si petite, si écrasée, si obstruée par de monstrueux
piliers, qu'elle semblait renfermer autant de plein que
de vide, et dans laquelle personne ne pouvait ni voir ni
être vu.
Depuis longtemps, l'opinion publique réclamait con-
tre cet édifice; les étrangers surtout ne comprenaient
point comment il était possible, lorsqu'ils voulaient
assister aux offices religieux, de leur imposer la néces-
sité de se ranger pèle et mêle sur une place publique,
exposés à toutes les intempéries de l'atmosphère, n'ayant
d'autre perspective qu'une porte surbaissée, obstruée et
impénétrable.
Il fallait faire cesser cet état de choses. Dans ce but,
M. Tron, premier magistrat de la cité, joint à M. le
Curé et aux habitants zélés, parviDt à réaliser des
fonds pour entreprendre la construction d'une nouvelle
église. La direction des travaux fut confiée à M. Loupot,
connu depuis quelques années dans la ville, estimé de
88 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
tous et exerçant les fonctions d'ingénieur civil des mines
de l'arrondissement. Aussi tout le monde le vit-il avec
plaisir à la tête de la nouvelle entreprise.
Dès ce jour, il se mit à l'œuvre, et sans ressources
assurées, il se lança avec courage dans les hasards d'une
construction monumentale, dont le chiffre eut certai-
nement découragé les mieux disposés, s'il eut été connu
d'avance. Sachant bien le but qu'il voulait atteindre,
mais ne voulant effrayer personne, ce n'était d'abord
qu'une simple reconstruction, analogue à celle qui exis-
tait déjà, mais il multipliait ses études, et chaque plan
apportait une amélioration nouvelle. Ainsi après deux
années de travaux, à la suite d'améliorations successives,
à côté de cette ancienne église si informe, si écrasée, on
voit s'élever aujourd'hui les deux tiers de l'église nou-
velle, véritable monument, remarquable par la beauté
de ses proportions, par la sévérité de son caractère et
par la richesse de ses matériaux : dans la soirée du 1 2
octobre 1850, la grande croix romane fut hissée sur le
pignon de l'édifice, les cloches saluèrent l'érection de
cette pierre angulaire et portèrent à tous les habitants
la nouvelle de cet événement.
Tels ont été les moyens pour arriver à l'exécution ;
parlons maintenant de l'exécution elle-même.
Dès les premiers moments où, chargé d'un projet
nouveau, M. Loupot eut à se préoccuper de la forme
de sa pensée, il jeta les yeux autour de lui et vit s'élever
de tous côtés ces églises primitives des villages Pyré-
néens, précieux spécimen du genre byzantin, témoi-
gnages incontestables de l'antiquité de la foi dans nos
DE BAGNÈRES-DE-LUCHOW. 89
contrées. 11 comprit avec raison qu'une question de
convenance et d'harmonie lui imposait l'adoption d'un
style qui résume de la manière la plus complète, le
caractère religieux et le caractère artistique : c'était
ménager à son édifice l'apparence d'une métropole, au
milieu de toutes les églises disséminées autour d'elle.
Si nous cherchons maintenant à porter un jugement
sur la partie achevée du monument religieux, nous
trouvons qu'elle a de belles proportions. Ce ne sont pas
les lignes gracieuses, les colonnes, les chapitaux, les
riches sculptures et les ornemens multipliés des églises
modernes, telles, par exemple, que celle de Saint-
Martin du Touch. Mais l'édifice chrétien de Luchon
aura son genre de beauté, résultant de la gravité et de
la sévérité de ses formes. Il sert de milieu, en quelque
sorte, entre le byzantin primitif aux proportions lourdes
et écrasées, et le byzantin des dernières époques, où !a
pierre disparaissait sous la multiplicité des ornemens
qui la couvraient.
Afin de se faire une idée exacte de la différence de
proportion de l'ancienne et de la nouvelle église, nous
dirons que cette dernière aura 42 mètres de longueur
sur 22 de largeur; que la hauteur de la voûte est de
18 mètres, et la largeur de sa nef de 14. L'ancienne
église avait 2 1 mètres de largeur, la hauteur de sa voûte
était de 10 mètres 50 centimètres, et la largeur de sa
nef principale de 4 mètres 30 centimètres.
Quant aux détails de construction, ils sont étudiés
avec un soin particulier, et reproduisent avec bonheur
les caractères distinctifs de cette architecture transmise
90 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
à notre admiration par les monuments si rares des XIc
et XIIe siècles. La corniche extérieure de la nef, formée
de petites arcades juxtaposées reposant sur des modil-
lons, est d'un excellent effet. La partie externe du
chevet, formé d'un groupe de cinq absides d'inégale
hauteur, l'arcature rampante le long du pignon, jus-
ques à Une double fenêtre, ornée de coïonnettes ; les
chapiteaux à damier, à billettes, à dents de loup, tous
ces modillons à boule, à triangle, à pointe de diamant,
à croix romane, à croix de Saint André, présentent une
richesse de décoration qui charme le regard et se prête
merveilleusement au jeu de la lumière.
La voûte de l'église formant un cintre à arête légè-
rement accusée, est composée de poteries hexagones,
vides, de forme conique, réunies entr'elles à l'aide du
ciment de Vassy . Mais ce qui mérite une attention spé-
ciale, c'est la manière ingénieuse employée par M. Lou-
pot pour recouvrir les bas-côtés extérieurs de la nef et
les coupoles de son abside. Toutes ces parties saillantes
sont formées d'une voûte légère, à arc-boutant et cintre
perdu, recouverte seulement d'une épaisse couche de
ciment de Vassy, terminée à la naissance de l'arc par
un large cheneau également en ciment de Vassy. Le
cheneau repose sur les corniches le long de tous les
versants et conduit les eaux à des tuyaux de descente,
a33e2 habilement ménagés pour ne détruire aucune ligne
architecturale.
L'application d'un pareil système à une construction
aussi importante est une innovation qu'aucun architecte
n'avait osé tenter dans nos contrées sujettes aux inclé-
DE BAGNÈRES-DE-LUCHOiV 91
niences de l'atmosphère. Si, comme l'expérience nous
l'apprendra, le système si simple, si peu dispendieux,
essayé par M. Loupot, réunit toutes les conditions de
solidité et d'imperméabilité, on n'hésitera pas, sans
doute, à en faire l'application aux plus augustes de nos
monuments,
Ainsi l'achèvement de l'église de Ludion ne peut
tarder d'arriver à sa fin. M. le Ministre de l'in-
térieur a fait don à la ville, de deux tableaux confiés au
pinceau des premiers artistes de la capitale ; et il a laissé
au Conseil municipal la faculté de déterminer le sujet
et la dimension. D'un autre côté, M. de Nauzan a
déjà exécuté les vitraux destinés à décorer les parties
achevées de l'édifice, et l'on attend tous les jours, les
autels, la balustrade et la chaire, magnifiques ouvrages
de sculpture byzantine, en marbre de Saint-Béat, sor-
tant des ateliers de Geruzet, de Bagnères-de-Bigorre.
Au reste, de l'achèvement de l'église dépend la réa-
lisation de l'embellissement le plus désirable que puisse
recevoir la ville de Ludion. Tôt ou tard, lorsque le
beau monument religieux sera terminé, il se dégagera
des maisons informes qui l'environnent, et les tours de
sa belle façade serviront de point de rectification aux
alignements des allées de Barcugnas, aux allées d'Eti-
gny et des Soupirs.
Outre les bains de la Reine, qui sont ceux qui ont
fait la réputation ancienne et moderne de Bagnères, il
existe encore d'autres établissements qui se sont formés
dans la suite à côté des anciens. Ainsi, d'abord nous
nommerons celui de M. Soulerat, qui se trouve placé
92 HISTOIRE SPÉCIALE FT PITTORESQUE
sur le premier plan de la montagne : on y arrive par
une pente douce. Il est destiné pour les bains émollients
et domestiques. La forme de cet établissement ressemble
assez à celle d'un pavillon polygone. Les vingt cabinets,
qui renferment autant de baignoires, sont rangés au-
tour d'un hémicycle. Une galerie soutenue par des
colonnes sveltes, compose un genre d'architecture dans
le style ionien. Entre les bains Soulcrat et les bains de
la Heine contigus à ces derniers se trouvent les bains
Richard, nom d'un célèbre savant qu'a vu naître cette
ville. Cet établissement renferme onze cabinets et qua-
torze baignoires. Les bains Ferras, qui sont placés à
gauche des bains de la Reine, ont été bâtis par le pro-
priétaire qui leur a donné son nom.
Ces trois établissements dont nous avons parlé, n'ont
rien de remarquable, si ce n'est qu'ils n'ont été construits
que comme succursales des grands bains de la Reine,
ce dernier établissement ne pouvant suffire à la grande
quantité de bains qu'il fallait servir pendant la saison.
Au reste, ils avaient un grand inconvénient : c'est qu'ils
n'étaient pas alimentés par les eaux des sources ther-
males. La ville a fait aujourd'hui l'achat de ces trois
établissements qu'elle va pourvoir des eaux de la Reine
au moyen de conduits souterrains. Les étrangers comme
la ville n'auront qu'à gagner à cette combinaison.
Enfin il existe plusieurs autres établissements de
bains émollients et domestiques dans la ville, à l'ex-
trémité de la rue qui conduit à l'allée des Soupirs. Ces
établissements sont connus chacun sous les noms de
Maurelte, Verdalle et Laeau.
DE BAGNÉRES-DE-LUCHON. 95
Si maintenant dous récapitulons le nombre des ca-
binets et des baignoires que renferment ces différents
établissements, nous trouvons le résultat suivant :
La Reine 28 cabints, 35 baignoires, 3 cabinets de douche.
— I —
Soulerat 20
—
20
Richard 1 1
—
14
Ferras 5
—
6
Maurelte »
—
G
Verdalle »
—
7
Lacau »
—
G
Le prix des bains varie suivant les heures auxquelles
ou les prend : il est coté entre 60 centimes et 1 franc
20 centimes ; celui des douches est de 40 à 50 centimes.
Le terme moyen des bains qui se donnent à Bagnères-
de-Luchon,daus la belle saison, est d'environ sept cents
à sept cent cinquante par jour. Qu'on juge maintenant
de la quantité d'étrangers que la ville doit renfermer
à cette époque !
Comme on le pense bien, la source de la prospérité
et de la richesse de Bagnères-de-Luchon est toute dans
ses thermes. Il est évident que, si le commerce des
vins, des laines, des moutons, etc., que celte ville fai-
sait autrefois avec l'Espagne servait à compenser l'in-
suffisance des productions du sol, c'est que les thermes
n'étaient pas encore sortis de l'obscurité dans laquelle
ils restèrent plongés pendant plusieurs siècles. Mais
aujourd'hui la richesse du pays se trouve tout entière
dans ses eaux thermales.
dépendant il faut avouer que, si les thermes de
94 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Luchon sont la cause principale de la fortune du pays,
il en est d'autres encore que l'historien impartial doit
constater. Ainsi l'aménité des habitants de Luchon,
leur exquise politesse, l'industrie sage et progressive
qui distingue leur intelligence, leurs mœurs franches,
mais sans trivialité, vives sans légèreté, sont des causes
générales de la prospérité de ces thermes. Nous ajou-
terons encore que la bonne administration municipale
dont l'activité croissante tend tous les jours à l'embel-
lissement de la ville ; que le bon goût des habitants qui
les porte à s1imposer de nombreux sacrifices pour éle-
ver des édifices qui le disputent à des palais; enfin, que
la bonne harmonie qui existe entre les Luchonnais,
jointe aux règlements sages d'une police prévoyanle,
sont encore des causes déterminantes qui préparent ce
bel avenir de fortune et de renommée qui est réservé à
la ville de Bagnères.
Ainsi chez un peuple, dont le territoire est borné,
l'industrie vient toujours suppléer à l'insuffisance du
sol !
CHAPITRE SIXIÈME.
Température des eaux de Bagnères-de-Luchon. — Quantité d'eau
fournie par les sources. — Analyse chimique des eaux Therma-
les par plusieurs savants et notamment par M. Filhol. — Gen-
res de maladies qu'elles guérissent. — Nombre de guérisons
pendant une période de cinq années.
Les détails historiques que nous avons donnés sur
Bagnères de-Luchon seraient incomplets, si nous ne les
faisions suivre de ceux qui concernent spécialement ses
thermes. Aussi allons-nous rapporter textuellement les
divers degrés de température auxquels se sont élevées
les eaux de Ludion. Pour cela nous n'avons rien de
mieux à faire qu'à reproduire les nombreuses expé-
riences qui ont été faites aux différentes époques sui-
vantes :
% HISTOIRE SPECIALE ET PITTORESQUE
TEMPÉRATURE DES EAUX DE BAGNE RES-DE-LUCHOlN
AU 20 SEPTEMBRE 1839.
(Thermomètre centigrade, air extérieur à '20 dégrés J
Source Bayen 65° 25
Grolte supérieure 00
Reine 55
Grolte inférieure 55
Chauffoir 48 25
Ancienne Richard 43
Source blanche reine. .. . 38
Source Ferras 35
Nouvelle Richard 35 50
Source froide 17
Le résultat des expériences consignées dans ce ta-
bleau est différent de celui obtenu par M. le docteur
Fontan, que l'étude et d'émineutes qualités placent si
honorablement dans les premiers rangs du monde sa-
vant. Voici les résultats de ses expériences faites à des
époques différentes :
En 1833.
Grotte supérieure 61" 50
Grotte inférieure 55
Reine ancienne 45
Yeux 43 50
Richard ancienne 43 25
Forte Soulerat. 34
Faible Soulerat 3g 50
Blanche 20
Froide. .. 19
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 97
l.x 1836.
Grotle inférieure 56° 0
Richard ancienne 54
Reine nouvelle 52
Chauflbir 46 90
Grotte supérieure 47
Richard nouvelle 38 50
Faible Soulerat 32 50
Forte Sou lerat 20
Reine ancienne 25
Yeux 23
Froide 47
En mai 1841.
(Air extérieur à 20 degrés, et des grottes à 10.
Bayen, source s . . 67° 80
Reine, source 59 80
Grotte supérieure, source 56 50
Grotle inférieure 53
Chauflbir, source 53
Richard nouvelle 48 50
Richard ancienne 40 50
Blanche, source 37 10
Soulerat, grand puits. . . 33 50
Soulerat, petit puits. ... 30
En octobbe 1841.
(Air extérieur à 10 degrés, et des grottes 12. '
Bayen 67» 80
Reine 59 70
Chauflbir 49
Richard ,.. 44 70
ï)8 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Blanche 37
Enceinte 31
Ferras 29 20
Source froide 17 50
Si, de ces expériences sur la température des sour-
ces thermales de Bagnères-de-Luchon, nous voulons
parvenir à constater la quantité d'eau qu'elles fournis-
sent en un temps donné, nous trouverons à inscrire les
résultats suivants. Nous ferons observer toutefois que
ces tableaux ont été dressés en 1841, dans l'ordre qui
suit:
Nouvelle Reine.
1 litre 186 millilitres en 1 seconde.
71 litres en I minute.
4260 litres en 1 heure.
101024 litres en 24 heures.
L'eau de cette source mélangée avec l'eau de la source
froide peut donner 770 bains, un bain se composant cfô
220 litres d'eau à 36 degrés.
Grotte inférieure, n° 17.
1 9 litres en 72 secondes.
950 litresen I heure.
21800 litres en 24 heures.
Même Grotte, n« 15.
19 litres en 4 minutes.
285 litres en l heure.
68i0 litres en 24 heures-
Total des deux sources, 286i0 litres.
DE UAGNÈRES-DE-Ll'CHChN. !J(J
Chaque bain étant toujours de 220 litres d'eau à 36
degrés, les deux sources peuvent donner 273 bains.
Source Richard., premier robinet.
19 litres en 3 minutes 15 secondes.
350 litres 1 heure.
8400 litres en 24 heures.
Même Source, second robinet,
19 litres en 2 minutes 40 secondes.
427 litres en 1 heure.
10248 litres en 24 heures.
Total des deux robinets, 18648 litres.
En gardant la température ordinaire pour le bain et
la quantité d'eau de 220 litres, le mélange fait avec l'eau
froide, cette source peut fournir 175 bains.
Chauffoir à son plus haut degré.
19 litres en 60 secondes.
1036 litres en 1 heure.
24810 litres en 24 heures.
Toutes proportions gardées et le mélange étant opéré
celle source peut donner 187 bains.
Nouvelle Richard.
20020 litres en 24 heures.
Cette source se trouvant à la température voulue, peut
donner sans mélange 91 bains.
400 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
RÉSUMÉ TOTAL.
BU NOMBRE DES BAINS QUE PEUVENT FOURNIR CES DIFFERENTES
SOURCES.
Reine nouvelle. . .« 770
Grolle inférieure 279
Chauffoir 187
Richard 175
Richard nouvelle 91
Total 1 502
De nouveaux calculs ayant établi, contradicloirenient
à ces derniers, une différence prise soit dans une plus
grande quantité d'eau que fournissent certaines sources,
soit dans la proportion faite pour le mélange, nous en
donnons les résultats dans le tableau qui suit :
Reine nouvelle 1709 bains
Grolle inférieure ïl'-\
Source Richard ancienne 171
Chauffoir ï-vl
Nouvelle Richard 91
Total. 2476
Il est facile de voir par ce double calcul que les ther-
mes de Luchon peuvent fournir dans une journée des
bains à un nombre considérable d'étrangers. Aussi,
malgré le grand nombre des visiteurs qui s'y rendent
tous les ans, à l'époque de la saison, jamais on n'a pu
constater un seul cas où le bain ait fait défaut. Aujour-
d'hui encore que les établissements seront mieux ad-
ministrés, les personnes qui fréquenteront les thermes
auront à se louer de plus en plus du service, qui sera
DE bagnèhes-iie-luchon. 101
et plus actif et plus régulier que par le passé. De la
quantité d'eau à la qualité, la transition ne doit pas pa-
raître étrange ; aussi allons-nous réunir fà la première
ce qu'on a dit sur la dernière.
On a fait un grand nombre d'expériences pour ana-
lyser les éléments chimiques que renfermaient les eaux
de Bagnères-de-Luchon ; on a même constaté à diffé-
rentes époques et par plusieurs analyses souvent renou-
velées quels étaient les nombreux agents chimiques qui
entraient dans leur composition. Nous ne les citerons
pas toutes, mais nous choisirons de préférence les
expériences Gintrac.
EXPÉRIENCES GINTRAC.
GRAND ÉTABLISSEMENT, FERRAS ET RICHARD.
Température Sulfure de
centigrade-, sodium par litre
Source Ferras, au griffon 34° Os 0 1 79
Source Blanche, au griffon 40 0 0210
à la buvette 33 0 0008
Grotte Supérieure, griffon destiné
aux douches 51- 50 0 0390
Grotte inférieure, bain n° 21 ..... 50 0 0409
bain ^ 10..... 51 50 0 0427
La Reine, griffon, buvette 57 70 0 0538
Bayen, grilfon 07 0 0793
Bayen, mêlée à la Grotte supérieu-
re pour douches et buvette 58 50 0 0508
Source Chauffoir, au griffon 48 60 0 0396
Richard nouvelle, au grïifon 47 50 0 0421
à labilfetle.... 43 0 0328
Richard ancienne, à la buvette.. . • 47 •">() 0 0328
102 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Établissement soulerat.
Grand Puits 37 0 0272
Petit Puits 30 0 0179
Afin que le lecteur puisse établir un système de
comparaison entre les effets de l'analyse chimique des
eaux de Bagnères-de-Luchon, avec ceux des eaux d'un
autre établissement thermal , nous allons reproduire
les expériences Gintrac faites à Bagnères-de-Bigorre,
avec cette observation toutefois que le sulfure de so-
dium abonde plus dans les eaux qui se trouvent au
centre des Pyrénées que dans celles qui sont placées à
l'extrémité de ces montagnes.
BAGNÈRES-DE-BIGOBKE.
Température Sulfure
centigrade. de sodium
par litre.
Source de la Bassère '1 2° 30« 0 0i27
CADKAC (ÉTABLISSEMENT DE LA FUTE
GACCBE DE LA NESTe).
Source de la buvette 16 0 0687
Source où est le réservoir léger. 16 0 0223
Petite Source extérieure 1 3 50 0 0768
CADÉAC (ÉTABLISSEMENT^ LA RIVE
DROITE DE LA NESïe).
Source principale, buvette 13 50 0 0768
réservoir 13 50 0 0520
chauflbir 13 50 0 ©483
DE RAGNBRESrDE-LUCHON. 103
4
ANALYSE CHIMIQUE
DES EAUX .MINERALES DE BAGNÈRES-DE-LUCHON,
I-A1T!-: PAR M. PILHOL. (18o0;.
Toutes les analyses ou expériences faites aux eaux miné-
rales de Bagnères-de-Luchon, se trouvent complétées par les
travaux du savant M. Filhol, dont nous allons faire connaitre
les résultats, en reproduisant le rapport qu'il a rédigé lui-
même et qu'il a lu à l'académie des sciences de Toulouse.
« Désirant que la composition chimique des eaux minérales
de cette localité fût bien connue et que les questions relatives
à la conservation des propriétés de ces eaux fussent l'objet
d'un examen approfondi, la commune de Luehon m'a fait,
dans le courant de Tannée 1850, l'honneur de me charger de
faire l'analyse des sources qu'elle possède.
« J'ai consacré près d'une année à l'examen de ces sources,
et je suis encore bien loin de pouvoir disposer d'un travail
complet et d'avoir traité toutes les questions dont la solution
me parait nécessaire. Cependant j'ai été assez heureux pour
découvrir quelques faits nouveaux dont je vais entretenir nos
lecteurs.
« Les sources minérales que possède la commune de Ba-
gnères-de-Luchon sont fort nombreuses; on peut les diviser
comme suit :
1 ° Eaux sulfureuses ;
2<> Eaux salines (sulfureuses dégénérées) ;
3° Eaux ferrugineuses ; •
« Les sources sulfureuses sont actuellement au nombre de
trente six, dont vingt-deux ont été découvertes par M. Fran-
çois, depuis 4848. Ces trente six sources constituent la série
d'eaux sulfureuses la plus belle et la plus complète qui soit
.connue La richesse de certaines sources est télïè qu'aucun/:-
101 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
autre localité des Pyrénées ne peut être comparée, sous ce
rapport, à Bagnères-de-Luclion.
« Le débit des nouvelles sources s'élève à environ 168,000
litres en 24 heures; presque toutes ces sources ont sur les
anciennes l'avantage d'être très sulfureuses, quoique moins
chaudes.
« L'établissement de Bagnères-de-Luchon pourra disposer,
cette année 1851, d'environ 400,000 litres d'eau minérale par
jour. Pour donner une idée de l'importance des travaux qui
ont été exécutés par M. François, je dirai seulement que la
longueur des galeries souterraines, actuellement achevées,
dépasse 520 mètres courants.
« Mes recherches ont porté principalement sur les eaux
sulfureuses ; j'ai beaucoup moins étudié les eaux ferrugineuses,
dont je dirai pourtant nn mot k la fin de cette notice.
« Aidé du concours de M. François, j'ai pu faire sur les eaux
sulfureuses des observations plus suivies que toutes celles qui
avaient été faites jusqu'à ce jour. C'est ainsi que j'ai pu réas-
surer, par une série d'observations dont le nombre s'élève à
près de quatre cents, que la température des sources, même
les mieux aménagées et les plus indépendantes de l'action des
eaux froides, éprouve des variations légères dont j'espère
pouvoir faire connaître un peu plus tard la cause. Ce fait
n'est certainement pas particulier aux eaux de Bagnères-de-
Luchon, tout porte à penser qu'il est général.
« J'ai pu constater aussi par des essais sulfhydromatiques,
dont le nombre s'élève à plus de huit cents, que la proportion
de sulfure de sodium contenue dans ces eaux varie d'un jour
à l'autre ; les sources sont plus sulfureuses en hiver qu'au
printemps ou^en été, et le.maximum de richesse correspond
aux temps les plus froids de l'année.
« L'analyse qualitative de ces eaux m'a permis d'y découvrir
quelques principes actifs dont les analyses antérieures n'y
indiquaient pas l'existence ; je citerai comme exemple l'iode
et quelques traces de phosphates.
DE BAGNÈRE-DE-LUOHON. I()i>
« J'ai constaté en outre que toutes les sources sulfureuses
do Ludion tiennent en dissolution une quantité sensible
d'oxygène qui contribue à produire le phénomène du blan-
chiment. La proportion d'oxygène tenue en dissolution dans
chaque source variant d'un jour à l'autre, on s'explique aisé-
ment pourquoi l'eau blanchit si facilement certains jours
tandis qu'il arrive d'autres fois qu'elle conserve sa limpidité,
au grand déplaisir des baigneurs qui se persuadent qu'on a
refusé de leur donner de l'eau blanche.
« Des recherches faites en commun avec M. François m'ont
permis d'établir que l'eau sulfureuse éprouve une altération
notable toutes les fois qu'elle circule dans les tuyaux qu'elle
ne remplit pas en entier, tandis qu'elle se conserve parfaite-
ment dans des tuyaux bien pleins. Des dispositons particu-
lières ont été adoptées par M. François, pour mettre toutes
les sources à l'abri de l'altération rapide qu'elles éprouvent
toutes les fois qu'elles ont le contact de l'air.
» Je me suis assuré que lorsque l'eau chaude et l'eau froide
qui servent à préparer un bain sont versées par des robinets
placés à la partie supérieure de la baignoire, le mélange ana-
lysé immédiatement a perdu une portion notable de son titre,
ce qui est dû tant à l'action de l'air que l'eau froide tient en
dissolution qu'à celle de l'air que l'eau entraîne avec elle en
tombant.
« II faut que l'eau arrive dans les baignoires sans chute si
l'on veut diminuer cette altération ; il serait aussi très-utile
que l'eau sulfureuse qui s'écoule parfois du trop plein des
réservoirs ne fût pas perdue : en la déversant dans le réservoir
de l'eau froide, on absorberait l'oxygène de cette dernière et
on neutraliserait son action sur l'eau du bain.
« On croit généralement que l'eau de Luchon est plus pro-
fondément altérée par le transport que celle des autres sources
des Pyrénées, j'ai constaté qu'il n'en est rien, et qu'elle se
conserve aussi bien que celle de Baroges, Cauterets, etc.
« Je dois faire observer ;i ce propos qu'il n'est pas indif-
106 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
férent de mettre l'eau en bouteille un jour quelconque. II
faut que l'eau qui doit être emportée soit, autant que possible,
recueillie lorsque la marche du baromètre est ascendante.
Alors elle est généralement moins chargée d'air, moins alté-
rable et plus sulfureuse.
« Le tableau joint à cette note peut donner une idée de la
richesse et de la variété des eaux de Ludion.
« Les sources ferrugineuses de Bagnères-de-Luchon sont
fort remarquables. Il existe dans les galeries même où jail-
lissent les eaux sulfureuses, une source ferrugineuse qui est
fournie par des infiltrations qui, agissant sur une roche schis-
teuse très riche en fer, la désagrègent et dissolvent une
proportion notable de ce métal.
« Cette source est surtout remarquable par l'énorme pro-
portion de silice qu'elle tient en dissolution, j'ai de fortes
raisons pour croire que le fer s'y trouve en partie à l'état de
silicate, ledépôtqu'elle abandonne est sensiblement arsénieux.
« La source ferrugineuse de Barcugnas est une source
sulfo-crénatée, comme les précédentes. Elle contient un peu
d'arsenic. La source de Castel-Viel est sulfatée; elle est aussi
arsenicale. Au reste, la présence de l'arsenic dans les eaux
ferrugineuses de cette localité me paraît un fait assez général.
J'ai pu constater la présence de ce corps dans toutes les sources
ferrugineuses des environs de Bagnéres-de-Luchon que j'ai
examinées.
« La présence de l'arsenic dans ces eaux ne doit effrayer
personne. Ce corps peut contribuer à les rendre plus actives.
Mais il ne s'en trouve jamais en proportion suffisante pour
provoquer des accidents. J'ai constaté, en outre, la présence
de l'iode sur des incrustations qui existent sur des roches
situées aux eaux thermales.
TABLEAU DES OPÉRATIONS CHIMIQUES
FAITES SUT LES EAUX DE BAGNEBES-DE-LTJCHON (Années 1 850-1 8ô|)
NOMS
l'Es soinCEs.
Bayen
iii-IHU
(îrotle supérieure . . .
Ferras n" I
Idem 2
Etigny nu l ,
Idem 2
Blanche
Ricliaid supérieure . ,
AzemaT.'
Lachapclle
Ferras inférieure . . .
Bosquet n° 1
Idem 2
Richard tempérée n° 1.
Idem 2.
Richard inférieure. . .
Grotte inférieure. . . .
Source des Romains. .
Source du pré n" 1. .
Idem 2. .
Source Senger n" I. .
Idem 2. .
Idem 3. .
Idem 4 . .
Source Bordeu fi* I. ,
Idem 2. .
Idem 3. ,
Idem 4 . .
Idem 5. .
Source de l'enceinte. .
Source de l'étuve . . .
Source innommée, au
S. delà s. Richard inf.
Source innommée, au
Sud de la précédente.
Source innommée, au
S. de lasourcel'Etuve.
TEMPE
RATURE
des
SOIHCS S.
08,00
37,08
58,44
39,96
34,34
48,34
30 07
47J21
50.04
53,17
40,00
37,80
44,00
34,50
3S,00
32,00
46,40
56,50
49,20
33,20
24,30
39,75
31,50
3(1,50
29,50
33,80
37,00
44,50
49,30
33,50
39,32
36,42
39,25
37,20
70,70
NOIYIBR.
des
observa-
tions de
tempéra
turc.
20
55
îa
27
32
15
8
16
24
25
10
8
3
5
*4
3
3
QUANTITÉ
lit Sl'I.Fl Ht
de sodium
contenue
dans 1 litre
0,0773
0,0539
0,0361
0,0237
0,0079
0,0356
0.009S
0,0349
0,0518
0,0523
0,0554
. 0,0499
0,0740
0,0234
0,0330
0,0155
0,0599
O.OOU
0,0583
0,0780
0,0178
0,0586
0,0178
0,0114
0,0212
0,0098
0,0393
0,0625
0,0692
0,0365
0,0508
0,0350
0,0479
0,0433
0,0577
NOIYIBR.
des
ESSUS
sulfhy-
dromé-
trii|iies.
158
114
142
136
10
14
IU
12
44
5
4
5
3
3
3
3
6
QUANTITÉ
I)B SllFl'BE
contenue
dans un bain
de 250 lit.
gr-
(*)<5.569
0,200
3,468
4,358
1,981
5,640
2,450
5,'Ul
6.896
6,330
10,640
10,589
12,067
5.885
7,005
3,886
9,045'
8,536
8,073
(1)
(2)
10,796
4,454
2,813
5,299
2 457
«;768
10,189
10,647
9,139
(3)
(5)
(fi)
(')
OBSERVATIONS.
(") Les données du calcul sont les suivantes .
La température de l'eau froide est de -}- 18°. On suppose que le bain contient 250
litres d'eau et que la température est portée à -j; 35" par l'addition d'une quantité
suffisante d'eau froide. Quand la température de l'eau minérale est inférieure à
35°, ou suppose que le bain est donné avee l'eau minérale pure.
(0 Cette source est peu abondante et ne peut fournir qu'une buvette.
(ij La tempér. de cette source est trop basse pour qu'on puisse l'employé:- seule.
(3) Cette source n'est pas assez abondante pour être employée: en bains.
(4) Idem. (5) Idem. (fi) Idem. (7) Idem.
Les sources dont j'ai indique la richesse ne sont pas toutes employées
isolément; plusieurs d'entre elles sont mélangées avant d'arriver a réta-
blissement. Ce tableau a pour but de montrer ce qu'on pourrai! faire en
les employant isolément.
108 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Comme conséquence des qualités intrinsèques que
renferment les eaux de Luchon, un des premiers et des
principaux avantages de ces thermes, consiste à soula-
ger les souffrances de l'humanité ; les plaisirs et les
agréments qu^offre une société d'étrangers qui les fré-
quentent, ne doivent être comptés que comme des
avantages accessoires. Aussi les thermes qui réunissent
au soulagement des maux dont l'espèce humaine est
affligée, les jouissances naturelles qu'offrent %t beau
site, un climat heureux et une réunion nombreuse et
bien composée, sont ceux qui voient tous les ans, se
«jr autour d'eux un plus grand concours de visi-
s. Les bains de Luchon possèdent ce double avan-
tage. Mais, pour nous occuper seulement de ce qui est
utile, voici sur qu'elles maladies ces eaux exercent une
efficacité toute particulière. En cela la réputation
qu'elles ont de guérir les infirmités humaines, n'est
nullement usurpée.
Les hommes de l'art reconnaissant que les eaux ther-
males de Luchon agissent efficacement sur un grand
nombre de tempéraments et guérissent les rhumatis-
mes et leurs divers modes dans leur état chronique.
Les affections de la peau, surtout celles qui ont un
caractère hépatique; pour ces maladies elles ont une
supériorité marquée sur toutes les eaux des Pyrénées.
Les névralgies et leurs nombreuses variétés.
Les chorées ou danses de Saint-Guy, maladies qui
généralement ne se font sentir chez les femmes qu'avant
Page de puberté.
Les maladies scrofuleuses.
DE BÀGNÈRÊS-DE-JLUCHON. 109
Les engorgements glanduleux, avec abcès, trajet-lis-
tuleux. Les ulcères cutanés de même nature.
Les caries de la colonne vertébrale, mais rarement.
Les tumeurs blanches des articulations.
Les douleurs, suites de luxations.
Dans diverses maladies de poitrine, telles que bron-
chite chronique, les diverses affections asthmatiques
avec sécrétion abondante de mucosités.
L%s laryngites chroniques.
Dansquelquescas, l'hémiplégie cérébrale; celaarrive
rarement. Pour cette maladie il faut avoir recours aux
bains Sainte-Marie, principalement dans les paralysies
partielles résultant de rhumatismes, quelquefois dans
les paralysies partielles de la vessie, résultant de la pa-
ralysie de la moële épinière, suites de rhumatismes.
Dans les leucorrhées vaginales.
Dans les ménorrhagies atoniques,.
Dans les engorgements chroniques du corps de l'u-
térus. Dans les irrégularités des menstrues.
Dans les affections syphilitiques, suites d'une vie
déréglée; etc, etc.
Il nous suffît de ce simple énoncé pour constater un
fait important, à savoir, que les eaux de Bagnères-de-
Luchon ont sur un grand nombre de maladies une effi-
cacité généralement reconnue. Mais là ne doivent point
s'arrêter seulement nos assertions ; nous pouvons invo-
quer encore à l'appui, les résultats obtenus sur les ma-
ladies elles-mêmes, pendant une période de cinq années.
Le tableau suivant a été dressé officiellement sur un
registre destiné à cet effet. Si un grand nombre d'autres
110 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
affections qui ont été guéries ne s'y trouvent point con-
signées., c'est qu'il a été impossible de constater leurs
genres de maladies. La note suivante ne peut donc
être défectueuses que parce qu'elle manquerait d'être
complète :
Indications des maladies. Guéries, Soulagées. Non-guér.
Affections rhumatismales 378 210 1 80
Affections darlreuscs, ou maladies
chroniques de la peau 295 115 415
Paralysies diverses de la vessie, des
membranes intérieures 12 24 55
Engorgements scrofuleux, ulcères
scrofuleux, tumeur blanche avec
gonflement osseux 285 \ GO 1 30
Névralgies 55 10 75
Catarrhes pulmonaires de la vessie. 83 22 20
La leucorrhée, chlorose, aménorrhée 47 20 90
Entorses chroniques, ankyioscs, rai-
deurs, contracture des membres à
la suite des fraelureset luxations. 1 '20 82 45
Accidents consécutifs aux plaies d'ar-
mes à feu, ulcères fistuleux, carie
aux os 22 18 4 i-
Maladies syphilitiques, svphilides,
blennorrhée 77 46 34
Total 1371 707 818
Ainsi, sur 289G malades qui sont venus àLuchon avec des ma-
ladies graves, 1371 ont été guéris, 707 se sont trouvés soulagés,
818 seulement ont résisté aux effets salutaires des eaux.
Tous ces différents détails n'étant que les produits mathéma-
tiques des chiffres, nous n'avons pas besoin de les faire suivre
d'aucun commentaire ; c'est au lecteur à les apprécier mainte-
nant dans toute la sincérité de sa conviction d'homme.
CHAPITRE SEPTIÈME
Vallée de Luclion.— Sa position géologique.— Flore du bassin de
Bagnères.— Ornithologie et histoire naturelle de cette vallée.
La vallée de Luchon offre cela de particulier qu'elle
se trouve daDS la plus belle situation géographique de
toutes celles qui s'ouvrent dans l'intérieur des pyrénées.
Elle est, en cela, dans une position exceptionnelle.
Encadrée par de hautes montagnes, elle voit se dresser,
autour d'elle, comme d'énormes géants, le pic de
Cabrioulsqui s'élève, à l'extrémité de la vallée de Lys,
à 1658 toises (3215 mètres 850 millimètres) au
dessus du niveau de la mer; celui de la Tuque de
Maupas, dans la même vallée du Lys^, dont la hauteur
est de 1615 toises (3147 mètres 850 millimètres).
A ces deux derniers nous ajouterons ceux qui dominent
la vallée à une distance plus ou moins rapprochée et
dont nous donnons ici la nomenclature, avec la mesure
de leur élévation, tant en toises qu'en mètres :
112 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITORESQUE
Maladetta, pic dWnéthon ou Nclto, près de Bagnères-
de-Luchou, 1787 t. (3432,863). Son arête, accessible
seulement à l'ouest, a de 1621 à 1671 t., et au pied de
son glacier, 1*37 1 t., (2622,079).
Port d'Oo, vallée de Larboust, 1540 t., (3001,460).
Lac glacé du port d'Oo, vallée de Larboust, 1381 t,
(2652,589).
Pic Quairal, vallée de Larboust et vallée du Lys,
1585 t., (3089,165)
Pic de Hermitans, vallées de Larboust et de Louron,
1554 t., (3027,746;.
A ces pics, dont les rochers bizarrement découpés,
prennent des formes plus ou moins fantastiques, nous
devons ajouter les glaciers qui, au lieu de se trouver
dans une position ascendante, s'étendent dans une
position longitudinale sur les flancs des montagnes.
Ainsi, le glacier de la Maladetta, sur le versant
méridional de l'Espagne, à cinq lieues (25 kilomètres)
de Luchon, est un des plus beaux de tous ceux des
Pyrénées; ses eaux vont se perdre dans le gouffre ou
trou du Toro; sa longueur est d'environ 6,000 toises
(11,684 mètres), et pourtant sa hauteur au-dessus du
niveau de la mer n'est que de 1,172 toises (2,672 m.)
Après le glacier de la Maladetta, celui de Cabrioules ,
qui est au fond de la vallée du Lys, s'étant sur la mon-
tagne du même nom ; il se joint à celui du Portillon
d'Oo, et de ce dernier communique à celui du port
d'Oo. Les eaux du glacier de Cabrioules servent à for-
mer la cascade d'Enfer et celle du Cœur, dans la vallée
du Lys. Les lacs d'Oo, de la Maladetta, du Portillon
DE -BAGiNKUES-DE-Ll'CHO.N . 115
d'Oo etde quelques autres dont nous parlerons plus tard
complètent, avec les cascades de Montauban, de Juzet,
des Demoiselles, des Parisiens et du Cœur, l'énoncé
que nous avions à faire sur les beautés physiques et
géologiques qui existent, comme des plis gracieux d'une
riche ceinture, aux environs de la vallée de Luchon.
Partout, dans ces montagnes, la nature végétale est
sublime !
Mais notre œuvre de description serait imparfaite,
si nous ne faisions connaître à nos lecteurs ce que la
nature organique et animée, compte de richesses et de
productions dans le bassin de Bagnères. Nous allons
entreprendre nos explorations, en commençant par dé-
crire la Flore des différentes vallées qui sont contiguës
à celle de Luchon, et qui par ce seul fait sont situées
sous la même zone floride.
Plusieurs savants naturalistes se sont occupés avec
un rare talent à décrire les diverses plantes qui croissent
dans les Pyrénées. M. de Lapeyrouse surtout s'est livré à
cette étude avec un soin et une distinction remarquables.
Voici la nomenclature des différentes plantes classées
par les naturalistes qui ont exploré seulement les mon-
tagnes et les vallées de Luchon. Nous suivrons un ordre
méthodique dans leur énumération :
VALLÉE DU LYS.
1 Le sureau à grappes, Sambucus racemosus.
Les feuilles qui composent retle plante sont très-variées,
tandis que les pétales de ces fleurs sont d'une couleur riche
et vive à la fois
114 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
2 Atrops belladone, Atropa beUadona.
3. Lunaire vivace., Lunaria rediviva.
4. impatiente n'y touche pas., Impatiens noli tangere.
5. Gentiane jaune, Gentianahitea.
La Gentiane jaune est la seule espèce qu'on trouve dans
la vallée du Lys, tandis qu'elle abonde dans les autres val-
lées. Ces diverses espèces ont des fleurs jaunes ou bleues,
et sont remarquables par l'éclat de leurs couleurs et par le
dessin de leurs formes.
6. Lys des Pyrénées Lilium Pyrenaicum.
7. Lys Martagon Lilium Martagon.
8. Lys de Saint-Bruueau, Anthericum liliago.
Ces trois sortes de Lys, qui sont communs dans celle val-
lée, ont un peu de ressemblance avec les lys de nosjardins,
mais sous une forme plus petite. La couleur de leur co-
rolle est rose sombre, marquetée de noir; leur anthère est
purpurine el produit dans tout l'ensemble de la (leur un
effet brillant.
9. Ellébore à fleurs vertes, Elleborus viridis.
10. Primevère à feuilles entières, Primula integrifolia.
La première à feuille entière tapisse les rochers sur les-
quels elle s'élève. Sa couleur est d'un violet tendre; ses
feuilles sont très-petites, et ses fleurs sont en nombre
aussi considérable que ses feuilles, ce qui distingue celle
plante d'une manière toute particulière.
11 . Groseillier des Alpes, Ribcs Alpina.
12. Violette à long éperon, Viola comuta.
13. Campanule à larges feuilles, Campanula latifolia .
14. OEillet superbe, Dianthus superbus.
15. Prenanthe pourprée, Prenathus purpurea.
16. Eryhrone, dent de chien, Erylironium denscanis.
17. Frilillaire pinlade, Frilillaria meleagris.
DE BAGJNÈRES-DE-LUCHON. 11')
18. Asphodèle blanc, Asphodelus albus.
19. Scille fausse hyacinthe. Sctlla lilio hyacinthus.
20. Astrancie à grandes feuilles, Astrancia Major.
21. Silène des rochers, Silène rupeslis.
L'astrancie à grandes feuilles est remarquable par sa
fleur d'un bleu jaune, ses pétales, dont le nombre n'est pas
fixe, sont disposées comme celles de la fleur du soleil de
nos potagers; elle abonde dans les prairies et porte sur sa
tige plusieurs feuilles d'inégale grandeur.
22. Renoncule à feuille d'Aconit, Renunculus Aconit i folii.
23. Anémone renoncule, Anémone renonculoides.
2i. Aconit tue loup, Aconitum lycothonum.
25. Epiaire des Alpes, Stachi Alpina.
Cette plante a des feuilles grandes, quoique sa tige soit
petite; ses fleurs, qui prennent naissance à sa lige à l'en-
droit où se développe le pétiole, sont d'un violet rose.
26. Digitale pourprée, Digitalis purpurea.
27 Digitale jaune.
28. Saxifrage hirsu Saxifraga autumnales.
29. Graselle vulgaire, Pingincula vulgaris.
.30. Epilobe en épie, Epihbium spicalum.
31. Lysimachia.
Les feuilles de la lysimachia sont en forme de trèfle-,
elle se trouve dans les bois; sa fleur est remarquable par
sa belle couleur de jaune foncé ; elle est une des plus jolies
plantes de la vallée du Lys.
VALLÉE D'OO ET SES ENVIRONS.
Cette vallée, qui embrasse les lacs deSéculéjo, du Por-
tillon d'Oo, d'Espiga et du lac glacé, y compris le vallon
de Midasol, la gorge d'Esquery, et les alentours du lac
116 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
d'Esquery, a été appelée le jardin des Pyrénées par les bo-
tanistes; ces lieux, en effet, ont enrichi la flore des Pyré-
nées par la grande quantité des plantes rares et précieuses
qu'ils ont fournis à la science. Voici le détail de celles qu'on
y trouve:
1 . Primule farineuse, Primula farinosa.
2. Pavot du pays des Galles, Papaver camprienus.
3. Primevère à feuille entière, Primula iniegrifolia.
4. Violette à long éperon, viola cornula.
5. Violette à deux Heurs, viola biflora.
6. Aconite nappes, Aconitum napelus.
7. Aconit anthorre; Aconilum anthorra*
8. Rododendrum ferrugineux.
9. Ramondie des Pyrénées, Ptamondia Pyrenaica.
La feuille de cette plante est veloutée et laineuse à son
revers; ses fleurs violettes se détachent sur une tige très-
faible et a cinq pétales presque égales; elle se trouve au
lac d'Ooet tapisse la Cascade des Demoiselles.
10. Chèvrefeuille des Pyrénées, Leonicera Pyrenaica.
1 I . Saxifrage pyramidal, Saxifraga'pyramidalis.
12. Saxifrage étoile, Saxifragd stellaris.
13. Androsace des Pyrénées, Androsace Pyrenaica-
14. Androsace des Alpses, Androsace Alpina.
15. Géranium des Pyrénées, Géranium Pyrenaica.
16. Véronique pons, Veronica ponce.
17. Véronique des Alpes, Veronica Alpina.
18. Véronique à feuilles de pâquerettes, Veronica Bell
dione.
19. Véronique des rochers, Veronica saxosa.
20. Mufflier toujours vert, Anthirrinum semper virens
2\ . Pédiculaire courbée, Pedicularis giroflexq .
DF. BAfiiNÈRES-DE-LUCIION. 117
^2. Tozzi des Alpes, Tozzia Alpina.
23. Campanule agglomérée, Cumpanvla glomerata.
24. Campanule en gazon, Cœspilosa.
25. Buplèvre des Pyrénées, Buplevrum Pyrenaicum.
26. Statice armérie, Statice armeria.
27. Soldanelle des Alpes, Soldanella Alpina.
28. Tussilage des Alpes. Tussilago Alpino.
29. Bartsi des Alpes, Burpsia Alpina.
30. Erine des Alpes, Erinus Alpînus,
31. Liodent écailleux, Leontodon squanusum.
32. Cardamine des Alpes, Cardatnina Alpina.
33. Gypsophillc rampante, Cysophilla repens.
34. Silène sans tige, Silenê acaulis.
35. Silène saxifrage, Silène saxifraga.
36. Anémone des Alpes, Anémone Alpina.
37. Anémone narcissiflore, Anémone narcissiflora.
38. Renoncule des Pyrénées, Rennnculus Pyrenaica.
39. Renoncule thors, Renuncule thora.
40. Renoncule glaciale, Renoncule glacialis.
41. Ancolie des Alpes, Ancolia Alpina.
42. Aster des Alpes, Aster Alpina.
43. Tourmenlille droite, Tourmentilla ererta
44. Potentille alcbcmille, Polentille alchemiloides.
45. Potentille des neiges, Potentille nivalis.
46. Geum ou Becoîte des montagnes, Geum monlanum.
47. Alchemille des Alpes, Alchemilla Alpina,
48. Nerprun des Alpes, Rhamnns Alpinus.
49. Saule ^)es Pjrénées, Salix Pyrenaica.
50. Saule herbacée, Salix herbacea.
51. Cardamine des Alpes, Cardamine Alpina.
Nous terminons tout ce que nous avons à dire sur la
flore du bassin de Ludion, par la nomenclature «les plantes
8
1 18 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
que renferment les vallées de Barca et du portillon de
Bossost. On verra que ces deux dernières vallées ne le cèdent
point aux premiers.
VALLÉE DU PORTILLON DE BOSSOST.
1. Spirée ou barbe de bouc, Spirea Aurunea.
2. Campanule large-feuille, Campanula latifolia.
3. Thalictrom à feuilles d'Ancolie, Thaliclron ancolifo
lium.
4. Balsamine n'y touche pas, Impatiens nolli langere.
5. Pyrole à feuille ronde, Pyrole rotundifolia.
6. Muguet des bois, Asperula odorata-
7. Scille fausse jacinthe, Scilla litio hiacinthus.
8. Asphodèle blanc Asphodèlus Albus.
9. Saxifrage de Clusi, Saocifraga Clussi.
10. Atropa Belladone, Atropa Belladona.
11. Actes en épi, Actea spicata.
12. Valériane des Pyrénées, ValertanaPyrenaica.
13. Narcisse des poètes, Narcissus poeticus.
14. Pavot du Pays de Galles, Papaver Cambrienus .
15. Euphorbe d'hiver, Euphorbia hyemalis.
16. Lis Martagon, Lilium Martagon.
17. Digitale pourprée, Digitalis purpurea.
18. Digitale jaune, Digitalis lutea.
19. Astrance à grandes feuilles, Astrancia major.
20. Sureau à grappes, Sambucus racemosus.
21 . Groseiller des Alpes, Ribes Alpina. ^
22. Phytème en épi, Phytema spicata.
Nous pourrions citer encore un nombre considérable de
plantes qui se trouvent dans la vallée de l'hospice du port
de Venasque, au Port de la Picade, au trou de Toro, dans
DE HACNKKES-DE-UCHON. I 1 1J
les pâturages de Capsaure, à la cascade des Demoiselles éi
à ceiledes Parisiens, et qui sont toutes fort remarquables:
mais ce serait fatiguer l'attention de nos lecteurs ; d'ailleurs
on peut trouver une partie de ces détails qui concernent
les plantes de ces localités dans la flore de M. Lapeyrouse.
Maintenant que nous venons de faire connaître les dif-
férentes plantes qui croissent sous la zone lloride de Bagnè-
res-de-Luchon, il ne sera pas inutile, sans doute, de nous
élever plus haut dans l'échelle de la nature, en passant de
la plante aux oiseaux. L'étranger qui visite ces montagnes
voudrait tout apprendre et souvent, en arrivant au sein
des Pyrénées, son avidité est telle qu'il désirerait déjà se
mettre en rapport d'intelligence avec tout ce qui l'environne
Aussi, pour satisfaire celte curiosité bien naturelle, nou
allons entrer dans quelques détails sur l'ornithologie de ce<
montagnes; et quoique la nomenclature semble devoir
paraître fatigante au lecteur, nous l'emploieronsencore, afin
de mettre plus d'ordre et plus de méthode dans notre récit.
Parmi l'espèce d'oiseaux les plus connus aux environs de
Bagnères-de-Luchon, nous citerons :
Le caille, qui est très commune toute l'année, excepté en
hiver, où le froid la force h quitter ces vallées.
La petite et la grande bécasse abondent dans ces contrées,
depuis le mois de mai jusqu'au mois d'octobre.
L'orlolan, au contraire, est très-rare dans cette partie
des Pyrénées, tandis qu'il est commun dans les Pyrénées
orientales.
Le coq (le bruyère se fait remarquer dans les bois de
sapins qui couvrent les flancs de ces montagnes-, sa ressem-
blance se rapproche beaucoup de celle du faisan. La femelle
du coq de bruyère est entièrement noire.
La tourterelle et le faisan sont inconnus dans ces parages.
L'aigle surnommé arian est le plus grand de tous )c-
1 20 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
oiseaux qui existent dans les Pyrénées. Il est vraiment
monstrueux ; il a environ quatorze pieds (3 mètres 70
centimètres) d'envergure; il est surtout remarquable par
ses griffes redoutables, son bec crochu et tranchant, ses
yeux perçants et avides, enfin par son plumage d'un roux
sale, mélangé, dans diverses parties du corps, de noir et de
blanc. Le dessous de son ventre est d'un jaune très-clair,
à leurs extrémités les plumes de ses ailes sont noires, elles
sont blanches au milieu ; un collier blanc-cendré, tacheté
de jaune-roux, entoure son cou. Celte espèce d'aigle habile
les hautes régions danscetle parlie des Pyrénées; il descend
dans les plaines pour assouvir sa voracité, lorsque les
rochers ne peuvent plus le nourrir : alors il lutte avec les
animaux les plus vigoureux et souvent même avec l'homme,
dont il est un ennemi dangereux.
Il existe encore trois espèces d'aigles : le griffon, legypaële
et l'alimoche, tous plus petits que l'arian. Ils sont assez
connus, ce qui nous dispense de les décrire ici.
Le Pégo accenteur est un oiseau qui se perche sur les
rochers. Il a la poitrine et le cou d'un gris cendré, le dos
marqué de grandes taches brunes; sa gorge est blanche, et
forme des espèces d'écaillés, son ventre et ses plumes sont
d'un ton roussâlro, mêlé de blanc et de gris ; ses ailes et sa
queue d'un brun noirâtre; toutes ses plumes sont liserées
de cendre, souvent elles se terminent par une tache blanche;
son bec est noir à la pointe et jaune à la racine, ses pattes
jaunâtres; ses ongles sont bruns; sa longueur est d'environ
vingt centimètres La femelle diffère du mâle par des cou-
leurs un peu moins variées. Cet oiseau habite généralement
les Alpes, et se tient le long des rochers : dans la belle saison
il gagne successivement la cîme des plus hautes montagnes;
dans l'hiver il descend dans les régions moyennes On le
voit dans les plus hautes montagnes de France. Sa nourri-
DE BAGKÈKES-DE-LUCUUiN. Izl
turc en éle* se compose de hannclons et d'insectes; en hiver,
il vit de semences et de plantes. Le Pégo-accenteur fait son
nid dans les fentes des rochers, sur les pics des montagnes,
et pond cinq œufs de couleur verdâtre. Il existeencore deux
espèces d'accenteur : Paccenteur-mouche et l'accenlcur-
montagnard.
L'accenleurmontagnard, qui est leseul dontnous voulons
parler, a une espèce de capuchon noir à la tête ; ce capu-
chon, assez épais, la lui couvre toute entière-, il a une
bande noire qui lui passe au-dessus des yeux, et qui va
couvrir une partie de l'orifice de ses oreilles-, on lui remar-
que un large sourcil jaune qui prend son origine à la racine
de son bec et aboutit à sa nuque; les parties inférieures de
son corps sont d'un cemlré rougeâlre, marquées de grandes
lâches longitudinales d'un rouge assez vif, ses ailes sont
d'un brun cendré rougeâlre, bordées de deux rangées de
petits points jaunes qui forment sur ses ailes une double
bande-, sa queue est d'une seule teinte brune, ses baguettes
sont cependant d'un brun rougeâlre -, toules les parties infé-
rieures de son corps sont couleur isabelle jaune, variéos
sur la poitrine de taches brunes et sur les flancs de taches
longitudinales cendrées rougeâlre ; la ba><e de son bec est
jaune, la pointe est brune; ses pattes sont jaunes ; sa lon-
gueur est de vingt à vingt-cinq centimètres ; il habile la
partie orientale du midi de l'Europe, et se nourrit comme
ceux de son espèce; mais on n'a pu encore découvrir com-
ment il se propage.
Le tichodrome-écbelètre est rare dans les Pyrénées ; on
le trouve néanmoins quelquefois dans celle partie de nos
montagnes. Il a la têle d'une couleur cendré-foncée; la
gorge, le sommet de son cou sont d'un beau noir; la barbe
inférieure de sa queue, qui estfloire, est terminée par uu
blanc un peu cendré. 11 est très-pelit; sa longueur est de
122 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
seize à vingt centimètres ; il se nourrit d'insectes, de sa larve,
de ses cocons, et plus particulièrement d'araignées ; quel-
quefois de ses œufs et des œufs des autres oiseaux dont il
est très-friand ; il fait son nid dans les fentes des rochers
les plus escarpés, dans leurs crevasses, daus les ruines des
masures, situées à une grande élévation.
Le pyrocorax à les mêmes formes, les mêmes mœurs que
le corbeau. Celte espèce de volatiles vit en troupe, le pyro-
corax se perche sur les hêtres de ces montagnes ou s'abat
aux pieds des rochers ; les individus de cette espèce se dis-
putent les animaux morts; leurs cris, leurs mouvements,
leur vol et leurs habitudes sont les mêmes que ceux du
choucas : ils peuvent en être regardés comme les repré-
sentants dans les hautes montagnes. Ils quittent rarement
les régions couvertes de neige et de glace, à moins qu'ils
n'y soient forcés par la faim; ils font leurs nids dans les
fentes des rochers les plus escarpés ; toute espèce de nour-
riture leur est bonne : graines, semences, charognes ; leur
plumage est d'un noir brillant, avec un reilet pourpré vert.
La perdrix blanche de la famlle des tétras abonde dans
celle partie des montagnes de Luchon : en hiver ses plumes
sont blanches, en été elles deviennent grises : cette méta-
morphose dans sa robe est un avantage réel pour ce volatile
qui échappe ainsi facilement à la poursuite de ses ennemis.
Les perdrix de cette espèce ont les patles couvertes d'un
fort duvet qui les garantit du froid; ce duvet est moins
louiïu en été qu'en hiver. Il existe encore d'autres espèces
de perdrix; elles n'habitent que les plaines : ce sont les
perdrix rouges, grises et bartavelles. Cette dernière espèce
a un brillant plumage, assez semblable à celui des beaux
coqs de nos basse-cours ; on la trouve principalement dans
les bruyères. Toutes ces espèces pondent de douze a quinze
œufs d'un rouge clair ; cependant ceux des perdrix rouges
DE BAGISÉRES-DE-LUCIION. 125
sont d'un roux foncé ; elles font leur nid par terre, dans
les buissons et les bruyères.
Le hibou, grand-duc, quoique rare en France, se trouve
pourtant dans les Pyrénées et surtout dans les montagnes
qui avoisinent la vallée de Luchon. 11 a le dessus du corps
de couleur variée et onde de noir et ocre jaune -, à la partie
inférieure de cette dernière couleur sont des taches noires
longitudinales ; sa gorge est blanche ; ses pattes jusques sur
ses ongles sont couvertes de plumes d'un rouge jaunâtre ;
sou bec et ses ongles sont couleur de corne; son iris est
orange vif; sa longueur est de soixante-cinq à soixante-dix
centimètres; il est très-carnassier, se nourrit de jeunes
chevreuils, de cerfs venant de naître, de lièvres, taupes,
rats, souris, grenouilles et de lézards. Il fait son nid dans
le creux des rochers, dans les ruines de vieux châteaux ;
il pond deux ou trois œufs très-arrondis et blancs.
Outre cette espèce de hibou, on voit le hibou moyen duc,
le hibou ecops : ce dernier a deux petites cornes formées
par des lames et deux petites plumes réunies formant une
toulîe ; il n'a que vingt-cinq centimètres de longueur ; il est
commun en France.
Le tëroëland, buger-meisler, (Larus GlaucusJ, habite
ordinairement les contrées septentrionales; aussi, est-il
très-rare dans notre midi : il existe pourtant dans nos
montagnes où plusieurs naturalistes ont pu l'étudier. 11 fait
son nid dans le creux des rochers, pond six à huit œufs
couleur verdâtre, allongés vers le bout et marqués de quel-
ques taches noires ; son dos, le manteau de ses ailes sont
d'un cendré bleuâtre-clair; son bec d'un beau jaune;
l'angle de sa mâchoire inférieure, que l'on appelle mandi-
bule, d'un rouge vif, le cercle nu de ses yeux, rouge, iris
jaune; ses pieds livides; sa longueur en général est de
soixante-dix à quatre-vingt:- ccnlimèlres.
124 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Le merle blanc ou merle à-plastron est très-commun dans
la vallée de l'Hospice du port de Venasque. Ses plumes
noirâtres sont bordées de gris-blanc ; son bec est jaune et
son plumage varie étrangement; on en voit qui sont entiè-
rement blancs. Cet oiseau habile les pays boisés et mon-
tagneux ; il se nourrit dinsecles, fait son nid par terre,
au pied des buissons; il pond de cinq à six œufs d'un vert
blanchâtre tacheté de points rouges ou rougeâlres.
Il existe plusieurs autres espèces de merles; entr'aulres,
le merle tordu, le merle draine, le merle grive, le merle
lilorne, le merle gorge noire, le merle mauvis, le merle de
roche, le merle naumann, et le merle bleu. Il est inutile
d'entrer dans le détail de ces divers oiseaux dont la plupart
sont étrangers à nos montagnes.
Nous terminerons ce chapitre, ou plutôt nous le com-
pléterons, en rapportant les noms des quadrupèdes connus
dans celle partie des Pyrénées. Le lecteur aura ainsi une
idée générale des productions si variées, des êtres qui peu-
plent les vallées de Luchon. Dans un ouvrage de la nature
de celui-ci, la curiosité naturelle ne saurait être essez
satisfaite. Or, voici une nomenclature des quadrupèdes
connus dans ces montagnes.
Eu commençant ce détail, par les premiers degrés dans
l'échelle des animaux, nous trouvons que le lapin, le lièvre
et le renard y sont très communs.
L'écureuil, la belette, la fouine et les rats d'eau, abondent
dans les fonds des vallées et au pied des ports et des passa-
ges-
D'après les anciennes chartes, les cerfs et les sangliers se
trouvaient en errand nombre aux environs de Luchon,
puisque le comte de Goraminges s'était réservé de ces ani-
maux ez paris qui lui compétent, à sçavoir : la hure du
sanglier et la jambe gauche du cerf, sur tous ceux qui
DE BAGNERES-DE-LUCHlhN. 125
seraient occis à Bagnères et autres lieux. Mais depuis
longues aimées, ni les cerfs ni les sangliers ne paraissent
les vallées de Luchon.
Le chai sauvage est très-commun dans les bois qui domi-
nent la vallée du Lys; on en compte de plusieurs espèces,
mais on a distingué principalement :
Le chat noir;
Léchai gris,
Le chat noir, collier blanc.
Ce que ces animaux oui de plus précieux en eux c'est la
fourrure; quant a leur chair, elle n'a pas été reconnue
encore mangeable.
Le desmans, qui vit toujours dans l'eau et qui a quelque
ressemblance avec la souris, se trouve parfois dans le«
rivières de l'One et de la Pique. Cet animal a cela de parti-
culier, que sa peau exhale une forte odeur de musc qui se
conserve longtemps. Le desmans que Buffon n'avait rencon-
tré que dans la Sibérie, existe pourtant dans nos Pyrénées.
Le bouquetin, qui se trouve communément sur le ver-
sant méridional, vient quelquefois habiter les montagnes
de Luchon, qu'il traverse pendant les mois d'été.
L'Izard, cet animal si joli el dont la légèreté et la vitesse
sont étonnantes, est Irès-comrnun dans ces contrées. Il ha-
bite indifféremment le sommet des rochers les plus élevés
el descend dans les vallons où il se mêle souvent à des
troupeaux de moulons. Le moindre bruit l'épouvante et
lui fait prendre la fuite avec la rapidité d'une ombre qui
passe. Il ressemble beaucoup au chevreuil ; sa couleur est
d'un brun clair jaunâtre; son poil est lisse, ses pieds très-
fins ; il porte la tête élevée, elle est ornée de petites cornes;
ses yeux sont vifs, remplis d'expression.
Le loup n'est pas rare dans ces vallées, on pourrait
même affirmer que ces dernières sont ses demeures de
v26 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
prédilection. En été, il habile les bois d'où il nesort pres-
que jamais; il n'en est pas ainsi en hiver, à 1 époque des
jeiges : alors, il descend dans les plaines et jusque dans
'intérieur des villages, qu'il parcourt de nuit et souvent de
jour. Son audace, à cette époque de l'année le porte à
commettre des méfaits de toute espèce , il attaque les ani-
maux et quelquefois l'homme.
L'ours est le plus grand et le plus gros de tous les
animaux qu'on rencontre dans cette partie des monta-
gnes : sa couleur est d'un brun fauve, et son volume
d'une énorme dimension. La chasse qu'on en fait dans le
pays est très productive, car la peau, la graisse et même la
viande se vendent à un très-haut prix. Cet animal se lient
ordinairement sur les points les plus élevés et les plus
inaccessibles des montagnes.
On trouve encore d'autres quadrupèdes dans ces con-
trées -, mais leur peu d'importance nous force à ne pas
même les énumérer. D'ailleurs, ils sont communs dans
toutes les autres parties de la France.
CHAPITRE HUITIÈME
Itinéraire dans la vallée de Luchon. — Division éii quatre districts
des lieux à explorer.
S'il est une contrée qui, par ses souveuirs histori-
ques qu'elle renferme, mérite d'être distinguée d'une
manière toute particulère, c'est évidemment, celle,
au milieu de laquelle s'élargit la vallée de Luchon.
D'un côté, se trouvent la vallée d'Aran et la ville de
Saint-Béat, dont l'importance, comme pays et comme
ville, est incontestable ; de l'autre, s'étendent les val-
lées de Larboust et d'Aure, qui ont fourni à la science
archéologique et à l'historien tant de monuments,
souvenirs de leur gloire et de leur ancienne splendeur;
à l'entrée de la vallée de Luchon, la cité de Cornrnin-
ges, (Saint-Bertand), autrefois Lugdunum-Convena-
rurrij commande à ces populations qui viennent s'abri-
ter jusques sous les rochers deCierp; enfin, on trouve
ça et là empreints sur de vieux monuments, les noms
des Celtes ou des Romains.
128 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Aussi, avant les admirables travaux de M. d'Eti-
gny, intendant d'Auch et de Pau, on ne parvenait à
Luchon qu'en suivant les traces d'une voie romaine
qui, de Lugdmium- Convenarum, s'étendait jusqu'à ses
thermes, aujourd'hui si célèbres. Des restes de colon-
nes railliaires, épars ça et là, indiquaient, il n'y a pas
encore vingt ans, cet ancien chemin ; il en existait un
fragment dans la chapelle à demi-ruinéc de Burgalays,
à la droite de la route actuelle, on lisait sur ce marbre
le mot abrégé LWP un autre fragment existait à
Barcugnas avec les mots 1TER RESTITV1T.
Ce chemin était un des nombreux rameaux qui
jetaient, dans toute la Novempulanie, la voie ab Aquis
Tarbellicis Tolosâ. » Plus tard, à celte voie romaine
a succédé la route départementale que vous suivez,
que nous suivons tous, en allant visiter cette vallée
mystérieuse. Aussi, en sillonnant ce long ruban de
chemin qui aboutit aux thermes de Luchon que de
souvenirs de toute sorte se pressent-ils dans notre esprit!
Là, une route romaine a servi à des armées qui allaient
porter la mort et la destruction dans la Péninsule; là,
des généraux de la ville éternelle, des libertins de
familles consulaire?, des courtisans, des décemvirs, des
édiles peut-être, sont passés avec leurs charriots sur la
voie qui conduisait aux thermes de Luchon ; là encore,
le moyen âge avec ses comtes, ses suzerains, est venu
effacer les traces du passage qu'avaient laissé, dix siècles
auparavant, les seigneurs et les dames romaines. A la
gauche du voyageur, c'est Burgalays, où se trouvait
placé la pierre milliaire qui marquait les dislances fixées
par Home; à sa droite, en face, c'est le château de Guran,
DE BAGISÈHES-DE-IXCHON. 129
personnificalion de pierre, sur lequel la féodalité a
laissé son nom. Burgalays et Guran, tels sont le deux
monuments qui résument eu eux la plus grande partie
historique de la vallée de Luchon.
Aussi, en arrivant à Bagnères, lorsque dans l'angle
de deux montagnes, l'étranger voit s'élever cette ville
de 3,000 âmes qui domine le bassin qui porte son nom ,,
un sentiment de respect et de vénération s'empare de
lui ; le sol qu'il foule sous ses pieds est un sol historique;
la nature qui l'entoure est sublime; tout réveille dans
son ame le besoin de sacrifier à une croyance, à un
culte; ce culte, c'est la religion sainte du passé.
Pour satisfaire, en quelque sorte, à cet instinct reli-
gieux, à ce besoin de tout connaître, pour tout honorer
et pour tout vénérer, nous allons tracer un itinéraire
qui servira de guide à l'étranger qui voudra explorer les
environs de Bagnères-de-Luchon. Afin de mettre de l'or-
dre dans le pèlerinage que nous devons entreprendre,
nous diviserons la contrée de Luchon que nous voulons
visiter, en quatre districts; ainsi en prenant pourpoint
de notre départ et pour centre commun la ville de Ba-
gnères ; nous étudierons, en nous transportant sur les
lieux : 1° toute la partie qui se trouve à la droite delà
Picque, depuis le port de Venasque jusqu'à Juzet:
2° toute la partie qui s'étend sur la gauche de la Picque,
depuis le même port de Venasque jusqu'à Luchon ;
3° à partir de Luchon et en remontant l'allée des Sou-
pirs par l'allée d'Oueil, toute la contrée qui se trouvera
à notre droite; 4° enfin suivant la même direction, tout
le pays qui s'étendra à notre gauche.
150 HISTOIRE SPÉCIALE FT PITTORESQUE
I.
CASCADE DE JUZET.
Nous commençons notre promenade par descendre la Pic-
que, à une distance environ de demi-heure (2 kilomètres et
demi) de Bagnères. Arrivé à cette station, on trouve le petit
village de Juzet, remarquable par son église et par sa cascade.
Pour visiter cette dernière, qui est placée entre deux rochers
à pic, il faut traverser un. arbre creusé qui sert cV aqueduc au
moulin. La coupe sévère et gracieuse des rochers, la belle
forme du bloc isolé, les sommets couverts d'une forte végé-
tation, tout cela forme un coup d'œil magnifique. L'élévation
de la chute de la cascade est de la hauteur d'environ cent
vingt-cinq pieds (40 mètres) ; elle produit un effet admirable.
CASCADE DE MONTAUBAN.
En remontant la Picque, et à quelques minutes de distance
du village de Juzet, on rencontre celui de Montauban, en
suivant un beau chemin qui longe les montagnes. En arrivant
au village qui s'élève en amphithéâtre, on se trouve en face
de la petite église, simple et modeste, située dans une prairie
entourée d'arbres et au pied de hautes montagnes qui lui font
un encadrement. Le jardin du curé est ce qu'il y a de plus
remarquable à Montauban. A côté du jardin, qu'on a formé
sur la pente des rochers, on peut admirer la cascade. Une
enceinte de rochers démolis par les eaux est ce qui la carac-
térise.
SAINT-IYIAMEÏ.
Saint- Mamet, qui est le dernier village de France, n'est
distant de Luchon que de vingt minutes. L'espace à franchir
entre Montauban et Saint-Mamet, est d'environ demi-heure
DE BAGNÈT1ES-DE-LUCH0N. 451
(2 kilomètres et demi). La population de ce village se compose
de 500 âmes ; le clocher de l'église, dont la forme se rapproche
de celui de Ludion, est d'un fort beau style. Une belle fon-
taine, quelques maisons d'un assez joli aspect et une ancienne
fabrique d'azur qui existait autrefois dans Saint-Mamet, sont
ce qu'il renferme de plus intéressant. 11 est une remarque
essentielle à faire sur ce village, c'est que sa population, com-
posée presque en entier de bergers, a un type particulier.
Ainsi les habitants de Saint-Mamet sont vifs, polis4 pleins
d'une urbanité exquise ; ce qu'on ne rencontre point dans
toutes les vallées environnantes. Les scieries de Saint-Mamet,
situées sur les rives de la Picque, offrent au peintre le sujet
d'un magnifique tableau.
Puisque nous voilà arrivés aux pieds de l'église de Saint-
Mamet, disons un mot des peintures murales de M. Romain
Cazes que nous allons admirer sous les voûtes du petit monu-
ment religieux.
La peinture murale était presque uniquement employée,
comme on le sait, dans les églises des XIe et XIIe siècles.
C'était ainsi que les vitraux, dans les temps d'ignorance, ser-
vaient de livre dont les pages restaient ouvertes à la pieuse
curiosité des fidèles. Les découvertes faites à la Sainte-Chapelle,
à Paris, et les rares fragments échappés à l'injure des temps,
nous font comprendre combien elle était appropriée à la déco-
ration des monuments religieux, et quel était le mérité des
artistes qui s'y consacraient.
En Italie, les grands maitres ne pouvaient se résoudre à
abandonner ce genre de peinture. Michel-Ange, Léonard de
Vinci méprisaient, en quelque sorte, les proportions de la toile,
et ne se trouvaient véritablement dans leur génie, que lors-
qu'ils exécutaient ces grands travaux, où leur imagination,
embrassant les vastes proportions d'un édifice, pouvait en
toute sûreté calculer de grands effets et se livrer en liberté
aux inspirations de leur art.
Aujourd'hui, plusieurs de nos artistes, en étudiant le passé,
132 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
ont compris toutes les ressources que leur assurait ce genre,
depuis longtemps abaudonné. Les belles peintures de Flandrin
à l'église de Saint-Germain l'Auxerrois, celles de Saint-Paul de
Nîmes, celles qui s'exécutent en ce moment à Saint Vincent
de Paule de Paris, ont enlevé tous les suffrages et ouvert au
talent une nouvelle et large carrière.
Les habitants de Saint-Mamet n'ont reculé devant aucun
sacrifice pour ajouter à leur église, nouvellement restaurée,
cette belle décoration, que l'on préférerait retrouver dans nos
grandes basiliques et dont la coupole de l'église de Saint-Sernin
de Toulouse, offre une heureuse exception. M. Romain Cazes
a déjà terminé la petite coupole de l'église modeste de Saint-
Mamet. On y voit se détacher, sur un fond d'or, la ligure du
Sauveur du monde, assis sur des nuages, bénissant de la main
droite, et tenant de la main gauche les saints évangiles. A sa
droite, la Sainte-Vierge est dans l'attitude de l'adoration, à
sa gauche saint Jean-Baptiste dans la position de précurseur.
Au-dessous de cette coupole, et autour du cintre de l'abside,
se développent, dans leurs diverses attitudes, les douze apôtres
se détachant sur un fond bleu. Sur les deux côtés du sanc-
tuaire apparaissent les ligures de Saint Mamet, patron de
l'église, et de Saint Bertrand, évèque de Comminges. Les
ligures du Christ et de la Vierge sont traitées de main de
maître et empreintes surtout de ce caractère mystique, de ce
cachet d'époque que rappellent les bons modèles des grands
maîtres de la première partie du XIIe siècle. Le choix exquis
des arabesques qui encadrent les ligures, prouvent des études
consciencieuses de l'art chrétien au moyen, et l'habileté de
leur exécution fait honneur au talent de M. Abeillon, artiste
décorateur de Toulouse, connu déjà par plusieurs ouvrages,
et surtout par les peintures de la nouvelle église de Saint-
Martin du Touch.
VALLEE DE L'HOSPICE.
Si vous continuez à remonter la rive droite de la Picque,
en vous dirigeant toujours vers sa source, vous vous trouve/
DE BAGKÈHES-DE-LUCIIOK. 155
tout-à-coup dans la vallée de l'Hospice. L'entrée de cette val-
lée, qui commence au pont de la Padé, est distante de Ludion
d'environ 2 lieues (10 kilom.). Cette vallée, plus ombreuse
que celle du Lys et plus boisée le long des chemins, est une
des plus agréables de toutes celles qui entourent le bassin de
Luchon. Dès l'entrée de la vallée, et après Castel-Viel qu'on
laisse à sa droite, en suivant la route d'Espagne, on trouve un
chemin qui se bifurque : l'un monte à gauche et l'autre des-
cend à droite ; c'est ce dernier que nous allons prendre.
CASCADE DES DEMOISELLES.
Or, en le suivant, on trouve la cascade des Demoiselles. Un
petit pont s'offre d'abord à nos regards ; en le traversant on
est conduit jusqu'à la belle pelouse de Jouéou, où un tas de
pierres indique un ancien hospice, lorsque le port de la Glère,
qu'on voit en face, était fréquenté. Après avoir traversé la
pelouse, et en remontant le gave, on arrive par un sentier
facile jusques sous une grotte ténébreuse, au fond de laquelle
tombe une cascade entre des rochers perpendiculaires, cou-
verts d'une végétation luxuriante.
CASCADE DES PARISIENS.
En redescendant le chemin qu'on a déjà pris, on trouve un
petit sentier qui passe sur un pont jeté sur le gave; après1
quelques minutes de distance on admire la cascade des Pari-
siens. C'est une chute d'eau des plus pittoresques ; elle tombe
par étages sur des roches qu'ombragent des sapins magnifi-
ques et que protègent des débris d'arbres. Encaissée dans le
sein de la montagne, la cascade des Parisiens semble vouloir
se dérober aux regards curieux des mortels.
Si de la cascade des Parisiens, vous suivez un petit sentier
boueux, vous rencontrez un petit ruisseau ou gave de Pesson.
En le traversant, vous vous trouvez, après quelques pas de
distance, en face de l'Hospice. Sa situation est ravissante.
Cette demeure est un fermage de la commune de Luchon, qui
9
434 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
sert d'auberge et de bergerie à la fois. Le bail en est passé
moyennant une somme de 3,000 francs. L'éducation et la
vente du bétail servent à couvrir celte somme plus que les
bénélices de l'auberge. Cependant primitivement l'Hospice a
été destiné à donner des secours aux voyageurs qui traver-
sent la frontière ; ainsi, d'après les termes du bail, les fermiers
sont tenus d'avoir, pendant la belle saison, toutes les provi-
sions nécessaires à la nourriture des passagers. La propreté
dans le bâtiment comme dans les meubles, est ce qui distingue
principalement cette hôtellerie qui reste inhabitable depuis la
mi-décembre jusqu'à moitié mars.
PORT DE VÉNASQUE.
La pente-rapide qui s'élève vis-à-vis l'hospice est celle par
où l'on gravit pour atteindre le port de Vénasque. On traverse
le ruisseau ou gave qui descend du Pesson ; on monte un sen-
tier couvert de gazon ; puis on passe encore un second torrent
qui, descendant de la Picque, va former la cascade dite du
Parisien. Alors, la solitude devient un véritable désert, quoi-
que l'œil reste encore charmé par la vue de l'hospice qu'on
a quitté et qui domine les pâturages et les pelouses de Kansor
semées de troupeaux. Tout ce qui entoure le passant, tout ce
qui se présente devant lui, contraste avec ce qu'il laisse en
arrière ; le cri seul de la corneille donne encore signe de vie
dans ce désert.
On arrive au Culet, où la roche perpendiculaire laisse glis-
ser, par une fente, plusieurs cascades disparaissant sous les
masses de neige que son ombre conserve ; c'est un lieu terrible
pour l'imagination montagnarde. Les avalanches y descendent
habituellement du plateau supérieur, et l'histoire des victimes
serait déchirante à raconter. Le frère de l'hospitalier actuel
y périt en 1827 ; on voit aussi à gauche le trou dit des Chau-
dronniers, où neuf malheureux de cette profession furent
engloutis ensemble sous la neige, etc., etc.
On passe tantôt sur la neige, tantôt sur le ruisseau qui en
DE BÀGiNÈRES-DE-LUCHON. 1ÔS
sort, et on tourne à gauche pour monter à travers des sen-
tiers rapides et pierreux ; c'est le rail du Culet. Les difficultés
continuent sans relâche pour les yeux et s'amoindrissent en
approchant, tant on a bien pris les sinuosités, serpentements
ou lacets, termes qui reçoivent en cette occasion leur meil-
leure démonstration pratique.
Au sommet du rail, toute difficulté semble finie. On entre
dans une sorte de vallon sauvage qu'annonce YHommê, mo-
nument simple comme les lieux et leurs habitants: c'est une
pierre chisteuse posée perpendiculairement, soutenue à sa
base par d'autres pierres; une source ou gave souterrain
apparaît en ces lieux entouré d'herbes vivaces et de rhodo-
dendron.
Les roches brusquement taillées au pied desquelles nous
cheminons, vues d'ici avec leurs cimes déchirées, et les som-
mets de Barousse pour horizon, offrent un tableau grandiose
qu'on ne cesse d'admirer. En suivant le sentier tracé dans le
de la montagne, après trois heures de marche, on se trouve
sur une plate- forme située au pied du pic delà Fraîche, élevé
flanc au-dessus du niveau de la mer, d'environ 540 toises
( 1052 mètres). La nature est sévère dans ce lieu ; la mon-
tagne, déchirée en plusieurs endroits, présente une physiono-
mie de deuil ; quelques lacs s'étendent sur son sommet.
Depuis le pic de la Fraîche jusqu'au port de Venasque, le
voyageur doit encore monter trois heures. Ce n'est qu'en
gravissant toujours qu'on arrive au sommet du rail. Alors
s'offre une fente de rochers, résultat du hasard et du travail
de l'homme. Nous sommes au port. Une petite croix en fer
marque la ligne de démarcation qui sépare l'Espagne de la
France.
LA MALADETTA.
Au milieu des déchirures des rochers apparaît la Maladetta.
Sa hauteur est d'environ 1 173 1. (2286 m.). C'est leMont-Blanc
des Pyrénées; c'est la "montagne maudite et redoutée, fatale
1 56 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
aux chasseurs et aux curieux. Le plus récent de ses griefs est
la mort du guide Barrau, en 1824, le 1 1 août; il conduisait
deux élèves ingénieurs des mines. Partis à cinq heures du
matin du plan des étangs, où ils avaient couché, ils atteigni-
rent la moraine du glacier à huit heures ; arrivés à peu de
distance de la crête, aux deux tiers de la hauteur totale, ils
furent arrêtés par une énorme crevasse. Barrau sonda, crut
reconnaître la direction de la crevasse et s'élança; mais la
crevasse formait un coude brusque, et le malheureux disparut
en gémissant sans qu'aucun secours pût lui être apporté.
Depuis ce temps, l'ascension n'a plus été tentée. Du port
de Venasque on peut aller visiter Venasque, petite ville es-
pagnole, ou bien se rendre au port de la Picade qui est à
l'est; de là se diriger vers le trou du Toro. Ce gouffre a dix
mètres de largeur sur dix- sept de profondeur; il reçoit une
partie des eaux du Pic, de la Fourcanado et du mail d'Epony,
qui est à 1569 toises au-dessus du niveau de la mer. Du trou
du Toro, on descend droit à Artigues-Tellin ; de là on peut
se rendre ensuite à Lasbordes, ancien Castcl-Léon, et, sans,
arriver àBosost, gagner le Portillon si fréquenté par les con-
trebandiers Aranais ; et de ce lieu se diriger vers Luchon, en
passant par la jolie cascade de la vallée de Burbi.
Le temps que l'on dépense à cette excursion, depuis le port
delà Picade jusqu'à Luchon, peut être ainsi divisé :
Du port de Picade au flux d' Artigues-Tellin. 2 h.
Du flux à l'hospice d'Artigues-Tellin. . . '/.,
De l'hospice à Lasbordes. ...... 1 '/2
De Lasbordes au Portillon. ...... 1 '/•->
Du Portillon à Luchon .1 »
Total. . . . G h. '/
Mais ayant entrepris le retour de la Picade à l'hospice
de Bagnères, suivons cette direction. Après avoir descendu
vingt minutes environ vers le nord, le chemin se bifurque,
l'un descendant droit à Artigues-Tèllin, l'autre tournant à
DE BAGrSÈRES-DE-LUCHON. 137
gauche, c'est le nôtre. Nous cheminons sur une crête de roches
taillées à coups de pic, d'où l'origine du mot Picade, et, incli-
nant plus à droite, nous semblons perchés sur la crête d'un
toit d'où l'on domine les sommets catalans et les cîmes de
tout le Comminge.
C'est, en descendant des sentiers faciles et qui déroulent à
nos regards de belles pelouses et de sublimes montagnes,
qu'on arrive enfin à l'Hospice. De cet endroit, on suit la route
tortueuse qui longe la Picque jusqu'à ce qu'on arrive à Lu-
dion, qui est le point de départ de notre première excursion.
H.
Le second district, selon la division géographique
que nous avons faite du bassin de Luchou, comprend
toute la partie qui se trouve sur la gauche de la Picque;
dirigeons donc nos excursions de ce côté.
CASTEL-VIEIL.
Au fond du bassin de Luchon, dans la direction de la
vallée de l'Hospice, on aperçoit une vieille tour qui s'élève
comme un géant debout sur le flanc de la montagne ; c'est
Castel-Vieil, chkteau-fort qui appartenait aux comtes de
Comminges, ainsi que nous l'avons déjà vu dans le cours de
cette histoire. La distance qui se trouve entre Luchon et
Castel-Vieil est une véritable promenade. Sur la route qui
nous y conduit, on rencontre d'abord le poste des douaniers.
Du poste à la tour, on peut franchir l'espace dans cinq minutes.
Arrivé aux pieds de ces ruines, si l'on désire visiter la fontaine
ferrugineuse, on suit une pente abrupte et tout près du gave,
on trouve cette source abondante qui coule à travers une
tissure de rocher. Ce site est admirable En remontant
138 HISTOIRE SPECIALE ET PITTORESQUE
la vallée, et presque à vingt minutes de distance, on rencontre
le pont de la Padé, dont les alentours sont séduisants de
beauté et de fraîcheur. Enfin, en continuant toujours son
ascension, on se trouve à l'entrée de la vallée du Lys.
Voir Castel-Vieil, passer au-dessus du bocage de la source
ferrugineuse, traverser le pont de la Padé, puis le premier
pont situé à droite, lorsque le chemin se bifurque, laissant
sur la gauche le chemin par lequel on se rendra une autrefois
à l'hospice : tel est le début de la promenade. Après cela, on a
toujours le torrent à sa gauche et on chemine sous des buissons;
des noisetiers et des tilleuls ; puis c'est le torrent du Lys
qu'une autre inclinaison du chemin fait suivre sous l'ombrage
d'arbres pittoresques: trois ponts espacés, jetés aux endroits
où la roche resserre le torrent, présentent un ensemble d'ac-
cidents poétiques, parmi lesquels on distingue surtout celui
du milieu,
VALLEE DU LYS.
Le nom que porte cette vallée lui vient du grand nombre
de lys qui croissent dans son sein, et dont nous avons fait la
description dans le chapitre précédent. En s'enfonçant dans
l'intérieur de la vallée, on rencontre sur la gauche, la cascade
Richard, qui porte le nom du savant distingué qui a honoré
la ville de Bagnères; plus loin, sur la droite, on admire le
pic Quaïrat ou Carre auquel les archéologues ont donné plus
dune distinction religieuse, monumentale et druidique; enfin,
plus on avance dans l'intérieur, plus la nature estbelle et riante:
la vallée s'élargit, les montagnes sont plus boisées et la vé-
gétation plus forte et plus abondante. Le site change d'aspect,
lorsqu'on est à son centre : alors, au fond de la vallée, on voit
s'élever les monts Cabriouls qui s'étendent comme un rideau
immense de verdure. La hauteur de ces monts est 3215 mètres;
leur sommet domine toutes les montagnes environnantes. On
rencontre dans leur sein un grand nombre de glaciers. La
DE BAGNÉRES-DE-LUCHON. 159
longueur do la vallée du Lys peut être de quatre kilomètres
sur deux environ de largeur.
Mais ce qui est remarquable dans cette vallée, c'est qu'elle
est, toute proportion établie, une des plus peuplées de toutes
celles qui avoisinent Ludion. Ainsi, on y compte une centaine
d'habitations, ce qui suppose à peu près une population de
trois cents âmes. Le nombre des chevaux, des vaches et des
bœufs qui paissent dans la vallée du Lys peut être évalué à
deux mille. C'est ce qui fait la principale richesse de ses habi-
tants, qui comptent encore un plus grand nombre de chèvres
et de moutons: on parque ces bestiaux pendant le jour, tan-
dis que la nuit on les fait paître dans les montagnes.
CASCADE D'ENFER.
Si vous continuez votre excursion plus avant dans la vallée,
et si vous arrivez à son extrémité, admirez la cascade d'Enfer.
Elle se présente de loin à la vue par un simple filet d'eau
dont l'importance augmente en approchant. Des sapins
élevés qui l'entourent, des touffes de hêtres qui l'ombragent
et qui se groupent autour des rochers, l'étroit espace à travers
lequel l'eau impétueuse et bruyante s'échappe, la solitude
sombre du lieu, tout cela lui a fait donner le nom d'Enfer
qu'elle porte.
CASCADE DU CŒUR.
A gauche, on peut admirer un autre torrent qui forme la
cascade du Cœur. Il faut d'abord traverser à gué le torrent
près la réunion des deux eaux. Voici, au reste, la description
qu'en a faite un Touriste :
« D'abord les eaux d'Enfer, puis les eaux du Cœur, et, lon-
geant la rive droite du dernier gave, on arrive en dix minutes
au sentier tracé de cette cascade ; ses eaux tournant un rocher
d'une part, tandis qu'elles se joignent d'autres part à celles
versées par un autre gave, se trouvent au point de jonction
tonner l'angle aigu d'un Cœur, et comme au dessus du ma-
140 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
melon entouré d'eau se trouve une pente échancrée ; comme
c'est dans la direction de cette échancrure que tombe la cas-
cade, placée là comme la flamme sur un cœur, de là cette
dénomination.
« Cette chute est plus remarquable que celle d'Enfer, parce
qu'elle est plus entourée de sapins, de débris et désordres de
toute espèce; son site est un assemblage gracieux et sauvage.
« Ses eaux dérivent de trois cascades superposées qui déri-
vent elles-mêmes d'un petit lac ; tout cela est très-intéressant
pour le dessinateur et le naturaliste, mais ne convient pas à la
grande majorité, qui regretterait la fatigue. C'est une excur-
sion pour ceux qui séjournent longtemps à Ludion. »
Du fond de la vallée du Lys on pourrait gravir la montagne
pour aller visiter le lac de Cabrioules. Les rives de ce lac
sont délicieuses; elles, ont fourni au célèbre paysagiste,
M. Latour, notre compatriote toulousain, de magnifiques
tableaux. Du lac de Cabrioules, si l'on continue son ascension,
on atteint un col étroit, resserré, qu'on nomme le Tue de
Maupas. De ce point, le voyageur intrépide suit la crête des
montagnes jusqu'au port de la Glère et même jusqu'à celui
de Venasque, et rentre ensuite à Ludion par le chemin que
nous avons déjà parcouru.
Mais si de la cascade du Cœur, on songe au contraire au
départ, au lieu du détour indiqué, on passe le torrent sept ou
huit cent pas plus bas que la petite auberge, sur un point où
il est très-guéable ; on traverse les prairies jusqu'au groupe
de granges où l'on rencontre un abreuvoir, et l'on se retrouve
sur ses pas. Cette excursion est une des plus agréables que
puisse faire l'étranger qui vient visiter ces montagnes.
III.
Après quelques jours de repos, le baigneur qui veut
continuer ses excursions, doit parcourir le troisième
DE BAGSÉRES-DE-LUCIIOIV. 141
district, celui qui s'étend sur la gauche de l'One jus-
ques dans la vallée d'Oueil, en réservant la vallée de
Larboust pour la quatrième exploration. En consé-
quence_, le jour déterminé pour cette excursion, il
traverse la ville de Luchon, se rend à Tallée des Sou-
pirs et prend le chemin qui s'ouvre en face de lui.
Après quelques kilomètres de marche, il rencontre le
PONT DE TRÉBONS.
On peut alors admirer parfaitement à son aise des précipi-
ces, de hautes forêts de sapins, les magnifiques prairies de
Gouron et jusqu'à la montagne aride de Cazaril. De quelque
côté qu'on considère les alentours de ce pont, a dit un Tou-
riste, le site est délicieux de grâce et de vie : ombrage, ver-
dure, eaux bouillonnantes, etc,. En descendant sur les bords
du gave, un peu avant d'arriver au pont, l'aspect du rocher,
aux fentes duquel les tilleuls et noisetiers se sont accrochés,
présente avec le pont le motif d'un beau paysage. Lorsqu'on
a assez contemplé, on passe le torrent, et aussitôt se trouva
;i gauche un petit sentier accessible aux chèvres ; ou quelque
pas plus en avant, près du deuxième pont de Trébons, un
sentier meilleur qui amène sur le rocher admiré, puis se
rapproche du torrent et continue à le dominer, en suivant
son cours sur le versant opposé.
Ce sentier, ombragé de feuillages et d'arbres, conduit à
un site où l'on peut admirer les lignes perpendiculaires des
rochers qui dominent le torrent et sur lesquels on a passé en
venant, puis il se dirige vers la carrière de marbre gris.
RENQUE.
A cinq minutes du deuxième pont de Trébons est le char-
mant petit pont de Saint-Aventin, et cinq minutes après on
arrive à la chapelle miraculeuse qu'on laisse à sa gauche ; et
14-2 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
puis, en suivant le cours de l'One, on rencontre les villages
de Benque-Dessus et Benque-Dessous, célèbres par une charte
que leur octroya Bernard VIII, comte de Comminses '. Les
communautés de Mayrègne, Maylin et Saint-Paul, qu'on trouve
ensuite sont connues dans l'histoire par un compromis qu'el-
les passèrent avec Bernard VII, comte de Comminges. Dans
cet acte, il est dit que le seigneur Os, du Comminge, l'un des
arbitrateurs, Guillaume Gardias de Fronsac, chevalier, et
Jacques de Saint-Paul, clerc, aussi arbitres, prononcèrent
touchant les prétentions communes qui s'élevaient entre les
habitants de ces trois localités. Le notaire Bernet a retenu cet
acte qui porte la date de 1 292, régnant Philippe, roi de France,
et Os, comte du Comminges. Cette dernière suscription est
évidemment une erreur du copiste, puisque ce même Os est
regardé dans le corps de l'acte comme chevalier et connu
sous le titre d'arbitrateur 2.
M&YREGNE.
Le lieu de Mayrègne, en particulier, offre cela de remar-
quable que les armoiries des seigneurs de cette localité se
"composaient de deux corneilles appuyées chacune sur une
des branches d'une croix épatée. Or, les seigneurs de Bossost,
village situé auprès du Portillon, étaient sortis de la même
maison de Mayrègne.
SACCOURVIEUE.
En suivant cette vallée, on pourrait arriver jusqu'au port
de Pierrefitte, mais lorsqu'on est parvenu au petit village du
Bourg, il est bon de revenir sur ses pas. Alors, sur la gauche
de l'One, on peut visiter le lieu de Saccourvielle. L'histoire a
recueilli une charte octroyé par Bernard VIII, en 1315, con-
cernant ce village et dont voici les principales dispositions.
1 Histoire des Populations pyrénéennes, etc., not., pièc. just.r
chartes, etc., t. Il, p. 348 seq.
5 Hist. des Populations pyrénéennes, etc., t. I, p. 313.
DE BAGNÈRES-DE-LUCIION. 143
« Les habitants dndit lieu ont la faculté de chasser aux
béfes rousses et noires, comme sangliers, cerfs, ours, dans les
forets, montagnes et vacans qui sont dans leur consulat;
« De faire paître bestiaux et d'y prendre toute espèce de bois;
« Il est dit que ledit lieu a pour limites, bornes et confron-
tations certaines du levant avec Antignac; du midi Cazaril et
Trébon6: du couchant avec le lieu de Benque, et du nord
avec celui de Saint-Paul ;
« Lesdits habitants ont la faculté de prohiber la chasse et
la pêche dans le district de leur juridiction à toutes sortes de
personnes et d'y mener paître le bétail, etc., etc »
CftSTEL-BUNCAT.
En quittant Saccourvielle, vous passez devant les ruines de
Castel-Blancat ; saluez ce vieux château, celte tour antique
qui a vu, dans son sein, une grande partie de la race des
comtes du Comminges. En descendant de la tour, on suit un
petit sentier qui nous conduit au village de Trébons, remar-
quable par sa petite église
CAZARIL.
De Trébons, on peut monter à Cazaril, en longeant un
rocher d'où la vue s'étend au loin dans le cercle d'un horizon
magnifique, borné par des montagnes. La petite église est ce
que ce village renferme de plus remarquable : on trouve dans
les murs de cet édifice religieux, extérieurement, plusieurs
inscriptions et quelques fragments antiques. Nous citerons les
deux inscriptions suivantes :
.... DM
ECLLAET
ETERESE
... CONIS
HOTAR. RIORCO
LARRISE SENATI
ELOM FILIA RE
BONI A 11 HOTAR
RISE EXIES LA
MEMO.
iïi IHSTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
La première de ces deux inscriptions est surmontée de deux
bustes dont l'un représente un homme et l'autre une femme.
On trouve encore sur le comble de l'église une tète qui est
sans inscription. Ce sont des monuments auxquels on doit
assigner une date romaine. De Cazaril, on peut admirer le
château de Moustajon qui, selon la description pittoresque
d'un Touriste, est singulièrement construit sur la crête aigué
d'une fraction de rocher ; ce modeste rocher semble un fac-
tionnaire du manoir dont il fut sans doute la sentinelle avan-
cée, comme Castel-Vieil vers les ports espagnols et Castei-
Bhmcat sur les vallées d'Oueil et de Larboust. Il disparaît
dans la couleur des rochers, lorsque le soleil ne l'éclairé pas
ou l'éclairé trop ; mais, depuis une heure jusqu'à trois, le
soleil tourne derrière et le détache dans son ensemble.
SALLES ET ANTIGNAC.
Salles et Àntignac, comme anciennes communautés féodales
appelleraient notre attention. Mais il est mieux, arrivés à ce
point, de rentrer à Bagnères-de-Luchon, par le pont de
Mousquérès.
IV
VALLÉE DE LARBOUST.
En suivant l'allée des Soupirs, et laissant le pont de Mous-
quérès à droite, si l'on continue sa marche, on arrive à un
petit pont sur le Gouéou ou gave de Gourou. Un petit sen-
tier en zig-zag, bordé de prairies et de noisetiers, indique
qu'on a pris le véritable chemin.
En vingt-cinq minutes, dit le Touriste auquel nous emprun-
tons cette indication, nous arrivons aux premières granges où
plusieurs chemins se croisent. Tournons le premier sentier à
droite sur la même prairie. Ce sentier va nous mettre dans le
chemin creux, espèce d'aqueduc, qui atteint directement en
DE BAGISÈRE-DE-LUCHON. H5
vingt minutes te petit hameau ou assemblement de granges
de Gourou, dépendance de Saint-Aventin.
Passons le pont d'arrivée, montons aux maisons et repas-
sons un peu au-dessus, à gauche, un autre pont sur le môme
cours d'eau. Lorsque le chemin se bifurque, prenons. à gauche
et montons bien attentivement les lacets à travers les sapins,
car plusieurs sentiers d'exploitation pourraient ici nous trom-
per; restons long-temps sur la même hauteur, en vue du ravin
i notre droite : elle doit nous mener droit au sommet.
Ainsi, lorsque le sentier semble nous diriger dans ce ravin,
après un quart d'heure environ, continuons à monter à gau-
che : le chemin nous conduira alors vers le versant de Lu-
chon, et nous pourrons ensu'te monter tranquilles, suivant
toujours le sentier le plus rapide. En quarante-cinq minutes
depuis le gave de Gouron, nous devons arriver aux pâturages
de Superbagnères.
Au sortir des sapins, l'œil est surpris par de magnifiques
pelouses qu'il domine et qu'on ne présume pas du fond de la
vallée ; les crêtes des frontières et la Maladetta terminent l'ho-
rizon d'un tableau riant et pastoral; mais quinze minutes
encore, gravissons à notre droite ces pentes rapides qui nous
promettent une vue plus vaste; l'extrême cîme domine la
croupe qui nous a guidés, et là, sur un plateau encore assez
étendu, l'admiration sera provoquée autour de nous.
Luchon sous nos pieds, sa vallée, ses villages; la vallée d'A-
ran vue par-dessus le Portillon et son village d'Arres; Eoca-
ner et toutes les pentes que nous avons gravies ; lesports de
Picade, de Yénasque, de la Glère, de Maupas, de Toas et les
neiges de Cabrioules , séjour des Crabes ou Isards , puis la
cîme blanche de la Maladetta ; l'Arbizon, dominateur des val-
lées d'Aure et de Campan; la vallée d'Oueil, développée sous
notre vue jusqu'à la cime de Moulné, voilà ce qui s'offre à
nos regards.
Près de nous est ce pic Quaïrat ou carré dont la forme
facilite la reconnaissance, suivons la crête devant nous, à
446 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITORESQUE
droite, qui nous conduit à sa base. On domine alors la vallée
du Lys et celle de Gouron ; de là se distinguent les cascades
dont nous avons parlé. De ce point, suivons le sentier de
Larboust et par la vallée de Cazaux, arrivons à Saint-Aventin.
Nous avons déjà dit quelle était l'origine de son église et son
antiquité; nous ne devons donc nous arrêter que peu d'ins-
tants dans cette- localité avec laquelle nous avons déjà fait
ample connaissance.
SAINT-AVENTIN, CASTILLON ET CAZAUX.
De Saint-Aventin on se dirige vers Castillon, petit village
qui tire son nom du fameux Casicllum ou château fort que
Bernard VI, comte de Comminges, fit bâtir et dans lequel il
se retira lors de la guerre contre les Aragonais. En suivant
un petit sentier tracé sur la droite de la montagne, on arrive
à Cazaux dont l'église est remarquable par sa forme architec-
turale et par les peintures qui décorent la voûte. Ces dessins
qui se rapprochent beaucoup pour le faire du genre des
fresques, sont du XIV siècle. Ils se composent de huit tableaux
qui représentent la création du premier homme, le paradis
terrestre où Adam et Eve furent placés, l'expulsion du premier
homme et de la première femme de ce lieu de délices, selon
la Bible. Les autres sujets sont empruntés aux cérémonies
monastiques de l'église ou bien au nouveau testament. La
date de ces peintures et l'originalité des figures rappellent
l'époque des représentations, connues sons le nom des Mys-
tères.
GARIN.
En quittant le village de Cazeaux et à une distance environ
de demi-heure (5 kilomètres) , on arrive à celui de Garin. Une
tour en ruines et dont il est fait mention dans une charte que
Bernard IX, comte de Comminges, donna à cette localité ' ,
* Histoire dos Populations pyrénéennes, «lu Nébouzan et du
Pays de Comminges, t. II, pièces justificatives.
DE BÀGNERES-DE-LUCHON.
147
en -IÎ98; et les inscriptions suivantes qu'on a trouvées dans
ses ruines, sont ce que ce village renferme de plus remar-
quable :
ISCITTO DEO
SABENVS
MAÎs D ATI LIB
V. S. L. M.
ISCITTO DEO
SABIÎSVS
VLOHOXIS
FIL.
V. S. L. M.
GOUAUX ET PORTET.
Si vous continuez votre excursion dans la valléede Larboust,
en sortant de Garin vous pourrez voir le village dé Gouaux
ou Gaux dont il est fait mention dans la charte de Bagnères-
de-Luchon, ce qui prouve en faveur de son antiquité. Le lieu
de Portet a peu de renommée, si ce n'est qu'il servait de ligne
de démarcation pour la perception des droits d'entrée pour les
denrées ou autres objets qui venaient de l'Aragon par cette
vallée. Son nom lui vient du mot Port ou Porte, endroit par
où l'on passe. Aussi, Portet est-il le dernier village de la
vallée de Larboust. Il est environ à 850 toises (1656 mètres)
au-dessus du niveau de la mer.
00.
Quand on a quitté Portet, pour se rendre à Oo, il faut des-
cendre une haute montagne, franchir des ravins et de là gagner
la vallée d'Asto, dominée par une tour bâtie par les comtes de
Comminges. On est enfin au lieu d'Oo.
« Ce village, dit un touriste, que précède et domine une
tour carrée en ruines, comme Castel-Viel, semble acculé aux
montagnes qui s'éloignent à mesure qu'on approche. Le chemin
longe le torrent, nous amène sur une espèce de plage devant
une petite croix en pierre qui apparaît avec 'e pont et les
cimes neigeuses.
14-8 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
« Franchissons ce petit pont gracieusement construit sur
un gave paisible; nous entrons dans le val d'Asto, dont ceite
partie inférieure est charmante. Nous passons sur des chemins
ombragés de frênes, cernés de pelouses bien arrosées et incli-
nant jusqu'au gave où les digues de plusieurs petits moulins
motivent de bruyantes cataractes. Pendant trente-cinq minu-
tes, nous sommes sous l'influence d'une nature riante que
dominent, il est vrai, quelques sommets âpres. Tout-à-coup,
la végétation cesse; une nature plus sévère s'offre avec le
silence du désert; le gave est redevenu silencieux, parce que
son cours est plus libre. De gros blocs, épars dans ce vallon,
témoignent des catastrophes passées et font craindre pour
l'avenir. »
LftC DE- StCULÉJO.
Après trois quarts d'heure de marche et en tournant un
rocher, on voit le gave gronder à votre gauche ; ce gave porte
le nom de Go ; il est formé par l'écoulement des eaux qui
proviennent de la fonte des neiges. Bientôt on admire l'eau
s'échappant avec violence du lac qu'on n'aperçoit point enco-
re. Au-dessus est un ruban de vapeur produit par la cascade.
Enfin, ayant traversé un petit pont, on se trouve en face du
lac de Sécnléjo. Sa forme intérieure est supposé être celle d'un
entonnoir incliné relativement aux pentes qui se voient. Sa
profondeur est ds 80 mètres, sa surface rond-ovale est de
24,000 mètres ; sa chute a 320 mètres de hauteur, depuis les
pierres sur lesquelles elle achève de glisser vers le lac. Il est,
en outre, élevé à sept cent dix-huit toises (1397 mètres) au-
dessus du niveau de la mer.
LAC D'ESPINGO.
Du lac de Séculéjo au lac d'Espingo, il faut gravir la mon-
tagne, environ pendant deux heures. On passe près de filets
d'eau et l'on gagne un chemin taillé dans le roc. On arrive
enfin au lac d'Espingo dont la circonférence est moindre que
*
DE BAGNÉRES-DE-LUCHON. 149
celle du lac de Séculéjo. Il n'a que 585 mètres de diamètre et
environ 1754 mètres de circonférence. H s'alimente parles
eaux du lac Glacé qui est situé au-dessus. Ces mêmes eaux
se déversent dans les creux des rochers et vont former la
cascade du lac de Séculéjo.
Arrivés au lac d'Espingo on est à 932 toises au-dessus du
niveau de la mer. En face, sur le haut de la montagne, on
admire des pics, des rochers, des monceaux de neige et d'im-
menses glaciers. Si on désire les voir de plus près, il faut
s'armer de courage et de résolution, car, a dit un auteur mo-
derne qui a écrit sur ces montagnes, pour franchir la distance
qui existe du lac d'Espingo à la plus haute cime des mon-
tagnes du port d'Oo, qui s'élève en face, il faut toujours
gravir sur la neige, la glace et les rochers, et souvent avec le
plus grand danger. Ce n'est qu'en se cramponant avec force,
dans divers endroits , que l'on parvient a surmonter tous
les obstacles qui se présentent.
LAC GLACÉ.
Pour arriver du lac d'Espingo au lac Glacé, qui est un de
ceux des Pyrénées qui ne dégèlent jamais, il faut monter
429 toises (835 mètres 191 mil.), puisque le lac d'Espingo n'est
qu'à 932 toises (816 mètres 486 mil.), et que le lac Glacé est
a 1361 toises (2652 mètres 085 millim .) Il faut environ une
heure pour franchir cette distance. On ne connaît point par-
faitement l'épaisseur de la glace du lac Glacé.
Quand on est au lac on voit dominer autour de soi plusieurs
pics ; parmi lesquels on distingue facilement : le Pic Quaïrat
ou carré, entre la vallée de Larboust et celle du Lys, a 1586
toises au-dessus du niveau de la mer ; auprès de ce dernier,
le pic de Montarouge, 1438 toises; enfin plusieurs autres qui
tous sont couverts de glaciers. Le Pic d'Oo est le plus remar-
quable parce qu'il se réunit, par des ramifications à ceux
de Cabrioules, de la vallée dir Lys et du Portillon d'Ocj
Réunis enseipble, l'étendue de ces trois glaciers est plus
\ÏA) HISTOMffl SPÉCIALE ET PITTORESQUE
considérable que celle du glacier de la Maladetla, qui est
pourtant le plus grand de tous ceux des Pyrénées.
PORT D'OO
Du lac glacé d'Oo, pour atteindre le Port d'Oo, il faut monter
encore 179 toises par le sentier tracé dans les rochers. Alors
on a atteint la limite qui sépare l'Espagne de la France. Arrivé
là, le voyageur peut aller visiter la petite ville de Venasque
ou revenir sur ses pas. S'il prend celte dernière détermination,
il retourne sur ses pas jusqu'au lac d'Oo, sur lequel il peut
faire une promenade à bateau ; puis, il suit le chemin qui
passe près l'église et il remonte directement sur le plateau de
Cazaux. De là, il parcourt le chemin que nous avons déjà fait
et il arrive à Bagnères-de-Luchon, satisfait de cet itinéraire.
En bornant ainsi notre promenade géographique dans la
vallée de Ludion et ses environs, à ces quatre districts, nous
n'avons qu'indiqué par cette division tout ce que cette contrée
renfermait d'important et d'historique. Il nous aurait été facile
d'entrer dans de longs détails, soit de descriptions, soit d'ob-
servations à propos de toutes ces merveilles delà nature que
nous venons de désigner seulement d'une manière rapide et
très sommaire ; mais comme nous sommes persuadés que le
lecteur aimera mieux éprouver par lui-même les sensations
que ces objets merveilleux peuvent faire naître dans l'ame,
nous n'avons tracé qu'un simple itinéraire qui lui servira de
guide dans les excursions qu'il entreprendra. Dans de circons-
tances semblables, il vaut mieux voir par soi-même que par
les yeux des écrivains les plus exacts. Notre tâche s'est donc
bornée à une simple indication de lieux.
CHAPITRE NEUVIÈME.
Promenades de Luchon.— Ses eaux thermales.— Ses différentes
propriétés. — Conseils aux baigneurs.
Jusqu'à présent, noire itinéraire a clé tracé en dehors
des bornes de Bagnères-de-Luchon ; nous devons rentrer
maintenant dans ses limites. C'est ce que nous allons faire,
en indiquant les promenades qui forment la topographie
de la ville. Parmi ces dernières, nous en désignerons trois :
le Petit bois des bains, la Promenade de Piqué et celle de
la Casseyde.
La promenade du Petit bois des bains s'élève derrière
l'établissement thermal. Pour parvenir à l'atteindre, il faut
suivre de petits sentiers qui se croisent à l'ombre de tilleuls
et de hêtres; et, arrivés à une certaine hauteur de la mon-
tagne, dans la direction du Midi, on trouve une petite plate
forme. Sur cette terrasse naturelle au milieu de peupliers
et de saules pleureurs, on rencoutre une source mysté-
rieuse, entourée de gazon et de sièges. On la nomme Fon-
taine d'amour. Celte promenade, la plus ombragée, est
une des plus agréables des environs de la ville.
152 HISTOIRE SPÉCIALE ET NTTORESQUE
La promenade de Picqué, qui est la plus fréquentée d«
toutes, se compose de la belle allée d'Etigny, bordée d'or-
mes et de magnifiques constructions; à l'extrémité de celte
allée, en face de l'établissement des bains, on prend la
gauebe en se dirigeant vers le torrent ou la rivière de la
Picque. Arrivé à ce point, on longe la Picquc jusqu'au pont
de Montauban et l'on rentre dans la ville par l'avenue de
ce même nom. Encore quelques années, et celle promenade
ne laissera rien à envier aux plus jolies de toutes celles
qu'on connaît en France.
La promenade de la Casscydc est la plus longue des trois.
Vers l'allée de Barcugnas, en sortant de la ville, on arrive
à une petite place. On passe alors, près d'un moulin , sur
un pont qui se trouve à la gauche, non loin du cimetière ;
on tourne à gauche et l'on va rejoindre le gave dont on
est quelque peu écarté. Près de l'endroit où l'on est le plus
voisin du torrent, il faut gravir un senlier qui serpente
dans le rocher. Du haut de ce petit observatoire, on peut
admirer les allées de Barcugnas, des Soupirs et des Bains.
Castel-Viel, Saint-Mamet, Montauban et Luchon se dessi-
nent aux pieds du visiteur.
En revenant au chemin qui longe le Gave, on le suit
jusqu'au pont de Mousquères et l'on rentre dans la ville par
l'allée des Soupirs.
Au sein de la ville où l'agréable, l'utile et le conforlable
se trouvent réunis, un des premiers soins de l'étranger qui
vient la visiter, consiste à utiliser son séjour, dans l'intérêt
de sa sanlé. Or, les bains doivent être une de ses principales
préoccupations. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les thermes
de Luchon offrent, dans leur antiquité, une garantie de la
bienfaisance de ses eaux. C'est un contrôle de plus que le
passé ajoute à l'expérience du présent.
En effet, en donnant au mot Luchon l'étymologie de
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 155
Lixon ou Lixo, comme on lit dans diverses inscriptions,
ou trouve que toutes ces dénominations tirent leur nom do
Li et Lis qui, en langue celtique ', signifie eau ; d'où s'est
formé Lixo 2 eau chaude. De ce terme, dit Ducange, sont
tirés les mots latins : Lix, LCseive et Lixivia, cendres
lescivées. L'ancienneté des eaux de Luchon ne peut donc,
être révoquée en doute, en ne sortant point de termes de
son étvmologie ; mais elles renferment encore d'autre» qua-
lités, prises dans leur composition intrinsèque.
L'une des principales est leur légèreté. « En général,
dit un savant médecin anglais, toutes les eaux légères et
qui ne sont pas imprégnées d'aucun mauvais principe, sont
des remèdes très-efficaces pour un grand nombre de mala-
dies. Or, rien n'est plus propre à rendre au sang et aux sucs
leur fluidité naturelle, lorsqu'ils sont devenus trop épais et
visqueux, que la bonne eau prise dans la mesure et avec les
précautions nécessaires. » Les eaux thermales de Luchon
jouissent de ces propriétés, car, l'effet de la chaleur étant
en général d'augmenter l'activité et la force de l'eau, elle
en augmente le mouvement de ses parties.
On prend les eaux thermales de Luchon de plusieurs
manières, mais le plus communément, c'est en boisson, dans
les bains et en douches. Quoique ces détails semblent* s'éloi-
gner quelque peu des récits de l'histoire, nous ne les abor-
derons pas moins, persuadés que dans les bornes de cet
ouvrage, leur utilité doit nous faire un devoir de les admet-
tre. Instruire, plaire et être utile à la fois, telle est notre
devise. Nous ne voulons pas lui donner un démenti dans
celte circonstance.
1 Dictionnaire celtique. — Essai historique sur les eaux de
Luxeuil, p. 3.
- Ducange. Gloss., ad verbum Lixo,
154 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
DE LA BOISSON
« La quantité d'eau minérale ou thermale que les médecins
ordonnent en boisson, a dit un savant docteur, a pour prin-
cipal effet le nettoiement des viscères; cet effet est considérable
dans la plupart des maladies chroniques. C'est aux auteurs
modernes que nous sommes redevables du premier usage d'un
si grand remède. »
Le temps le plus propre pour boire les eaux, est celui où
les chaleurs sont à un degré soutenu, sans néanmoins être
assez fortes pout causer de grandes sueurs. On les boit à jeun,
de grand matin et après le soleil levé. Pour ne point contra-
rier leur action, il ne faut point devancer le lever du soleil.
Une remarque essentielle à faire encore, c'est qu'on ne doit
les prendre que longtemps après le repas, parce que leur effet
est bien plus efficace lorsque la digestion est achevée. La:
quantité a prendre est réglée d'après le tempérament, la force
et le genre de maladie des individus.
DES BAINS.
Après l'usage intérieur des eaux chaudes, l'effet qui se
produit de leur usage extérieur est le plus salutaire. Au moyen
des bains, les eaux thermales facilitent la transpiration,' rani-
ment îes parties engourdies, soit par le froid, soit par les
humeurs épaisses, soit par d'autres causes. On doit suivre
dans l'usage des bains, une progression de temps régulière.
Ainsi, on ne reste dans les premiers bains qu'un temps moral
qu'on augmente tous les jours, jusqu'à ce qu'on a complété
une heure. Le corps accoutumé à cet espace de temps, doit
s'accoutumer, d'un autre côté, aux différents degrés de cha-
leur. Il faut suivre rigoureusement cette dernière méthode.
Le matin, depuis sept à huit heures, paraît être le temps
le plus commode pour prendre le bain. Néanmoins, en suivant
un régime convenable, on peut le prendre avant le repas du
soir; et son efftt n'en est pas moins salutaire. Au sortir du
DE HAGKÈllES-DE-LUCIION. ['61)
bain, il faut avoir bien garde de s'exposer à l'air trais; il est
bon au contraire de passer dans un lit chaud pour se reposer
et pour suer légèrement, s'il est possible.
DE LA DOUCHE.
On emploie la douche pour surmonter la maladie lorsque
l'action du bain est trop faible. Son usage est très-ancien. Les
Grecs l'appelaient gouttière (stillicidium); les Arabes goutte
{guttam); enfin, les Italiens douches (de ducia). Les douches
dout on se sert ordinairement sont des caveaux plus ou moins
élevés, remplis d'eau chaude, percés à leur extrémité, où est
attaché un robinet qui s'ouvre et se ferme à sa volonté. L'eau
qui tombe est reçue sur la partie malade et dans toute son
étendue ; pendant qu'on prend la douche et même après-, on
fait des frictions sur les parties de bas en haut. On ne doit
point prendre la douche sans user des précautions indiquées
à l'article des bains. Le matin est le temps le plus propre pour
la douche ; on peut aussi la prendre le soir : les effets qu'elle
produit s'expliquent par cet axiome de physique qui établit
que les liquides, selon la loi de pesanteur, sont en raison com-
pensée de leur hauteur et de leur volume.
Voici, au reste, qu'elle est l'opinion émise par un savant
docteur sur la manière de prendre la douche et sur ses effets.
« On se baigne d'abord, dit-il, le premier jour pendant une
demi-heure. Ensuite on reçoit la douche l'espace de quinze
ou vingt minutes. Le second jour on prolonge le temps jus-
qu'à vingt- cinq et trente minutes, et successivement jusqu'à
trois quarts d'heure.
« Jamais on ne doit recevoir la douche sur la tête, quoi
qu'en aient dit quelques auteurs, ni sur la poitrine, ni sur le
ventre, ni sur aucun viscère, parce que ces parties sont trop
délicates pour soutenir son impression.
« On se sert de la douche avec succès dans toutes les ma-
ladies où les humeurs sont en stase, lorsque les vaisseaux
lymphatiques et sanguins sont engorgés, lorsque les pores
1156 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
secrétaires ou excrétoires sont obstrués, comme dans le rhu-
matlrisme, etc., etc. dans toutes les douleurs fixes, dans les
douleurs des articulations, tumeurs œdémateuses, squirreuses,
les ankiloses ; dans tous les mouvements spasmodiques, cram-
pes, tremblements, et dans tous les cas où le sang circule trop
lentement et avec inégalité, et sur les parties qui ont perdu
le ressort naturel, et jamais, dans tous les cas, où il y a
inflammation ou disposition inflammatoire, occasionnée par
la partie rouge du sang. »
Pour profiter de la vertu des eaux thermales de Ludion,
il y a bien des choses à observer encore, soit avant de prendre
les eaux et en les prenant, soit en gardant un régime sévère,
réglé sur les aliments, sur les liquides, sur l'action de l'air,
sur l'exercice, sur le repos, etc. Mais on trouvera à Bagnères
pour se fixer, à ce sujet, tout ce qui est nécessaire, c'est-à-dire
d'excellents médecins, et entr'autres M. Fontan, à la science
duquel l'art et la ville de Luchon sont redevables de tant de
progrès qu'ils ont faits. Que ceux qui fréquentent les bains de
Bagnères s'adressent à ces hommes de la science; leurs con-
seils sur la manière de vivre et de se conduire hygiéniquement
aux eaux, leur en diront plus que nos écrits. Ils compléteront
ainsi, dans ce que nous n'avons pu qu'indiquer, YHistoire de
£ag}ièrc.s-de-Luchon, considérée dans sa partie purement
historique.
FI3 DE LA PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE
SPÉCIALE ET PITTORESQUE
M iMRlMH)lHil(MH
SECONDE PARTIE.
RENFERMANT DES FAITS PUREMENT DRAMATIQUES.
LE CONTREBANDIER DU PORT DE VENASQUE.
ÉPISODE HISTORIQUE.
Quand, les yeux fixés vers l'Espagne où la liberté, en ce
moment, joue le drame sanglant de la révolution, on arrête
sa vue sur cette longue chaîne de montagnes qui brillent,
capricieuses, au midi de notre belle France, comme les mille
replis du serpent déroulant, au soleil du désert, ses écailles
étincelantesj qui, à ce spectacle imposant, n'a pressenti
d'avance que de grandes destinées ont dû être attachées
invinciblement à ces hautes barrières de granit? qui n'a vu,
dans la position géographique des Pyrénées, un de ces acci-
dents sublimes delà nature que la providence semble, exprès,
avoir fait jaillir du sein de la terre, soit pour servir à varier,
comme ligne de démarcation, l'espèce humaine dans les mo-
des nombreux de la civilisation, soit pour tracer des limites
politiques à des peuples voisins, de mœurs et de races oppo-
sés ; soit, enfin, pour mieux accentuer, dans ses clïets in
158 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
nornbrables, le grand travail de la créatioa? Toutes ces
considérations sont vraies, et pourtant la science n'a pu
soupçonner, jusqu'ici, dans ces masses de structure colos-
sale, que de couches géologiques plus ou moins concentriques,
et le botaniste qu'un champ vaste à herboriser. La nature
inerte de ces montagnes a été étudiée jusques dans ses secrets
les plus profonds, et la nature intelligente reste encore in-
connue.
Or, dans l'intérieur des Pyrénées, au versant des montagnes
qui servent d'extrême limite au département de la Haute-
Garonne et au royaume de l'Aragon, se dessine, creusé dans
le roc, un sentier étroit, scabreux, qui sert de ligne 'de com-
munication entre la France et l'Espagne ; on le nomme le
passage de Venasque. En gravissant ce sentier et vers le
milieu de sa ligne aériennne tracée, le plus souvent, par le
pas hardi du mulet des vallées d'Aran et de Montgarry, on
arrive à une plate-forme couverte d'une pelouse longue et
soyeuse, cemme la chevelure d'une belle andalouse ; c'est la
halte du voyageur. De ce point élevé, le regard domine le
bassin de Luchon avec l'immense amphithéâtre de monta-
gnes qui lui servent de ceinture. D'un côté, se tient debout
et menaçant comme un géant, le pic de la Maladetta dont la
cime se perd dans les bruines du ciel ; de l'autre, apparais-
sent, à droite, les sommets du Portillon, ceux du Bocaner
et les montagnes des vallées d'Oueil ; à gauche, se dessinent
% ports de la Picade, les rochers du Caïrat et ceux qui dû-
ment les vallées de Larboust; enfin, au fond de ce tableau
dont tous les détails sont gigantesques et les proportions
colossales, s'arrondit, en forme de coupe orientale,- le joli
bassin de Luchon, orné de ses vallons, de ses bois et de ses
cascades qui composent autour de lui autant d'arabesques
capricieusement découpées. Ce plateau que nous décrivons
est un des plus beaux de tous ceux qui se trouvent sur
toute la chaîne des Pyrénées.
Mais, comme au milieu de la joie et des plaisirs, la pro-
vidence semble se plaire toujours à mêler le chagrin et la
DE BAGNÈRES-DE-LUCIIOxN. 159
Iristessse; ce lieu de délices renferme aussi des souvenirs
de deuil. Car, au centre de la plate forme, s'élève un mon-
ceau de pierres noircies par le temps et par les orages.
Chaque muletier arrivé là, s'arrête, recueilli par des pensées
pieuses et, ôtant religieusement sa berrctie rouge, murmure
à haute voix la prière des morts. Ces pierres sont un tom-
beau ; Voici leur histoire:
LE DOUANIER.
Eu 1"823, pendant la guerre de l'insurrection espagnole, le
gouvernement français avait ordonné une surveillance active
sur toute la longueur des Pyrénées. Un poste de douaniers
fut établi au port de Venasque. Au pied d'une gorge profonde,
dominée par deux hautes montagnes perpendiculaires, on
voyait, seule, isolée, la dernière maison française. C'était
alors le bureau provisoire de la douane. Une chambre basse
obscure, enfumée, servait de retraite à un brigadier et à
quatre hommes, lorsqu'ils revenaient de donner la chasse
au contrebandier. Pendant une nuit orageuse du mois de
mars, les quatre verts, exacts au rendez-vous, se pressaient
autour de l'âtre où pétillait un grand feu et fesaienl sécher,
silencieusement leurs carabines. Après une longue pause et
un silence non moins long : — Pied-de-fer, s'écria une voix
fortement accentuée, qu'as-tu fait du brigadier? C'est, par-
dieu, étonnant qu'il ne soit point ici ; car, par Saint-Roch !
ce n'est point lui qui est le dernier au rendez-vous du poste.
— Pas plus qu'il n'est le dernier à gravir le pic de l'Izard
ou à braver le bâton noueux des noirs, répondit, sans-
détourner la tête, Pied-de-fer, occupé à faire sécher sa capote.
Mais le brigadier sait ce qu'il sait, poursuivit-il encore
mystérieusement. Ignores-tu, Crampon, que dans le service
de la douane, tout le mot d'ordre est celui-ci : obéir et savoir
160 HISTOIRE SPECIALE ET PITTORESQUE
5e taire? mais, si tu veux être mieux informé ; je l'ai laissé
aux limites espagnoles, près de la caverne du loup, tu sais
Crampon ?
— Oui-dà, caverne du loup! dis plutôt caverne du sang;
puisque les noirs m'y laissèrent mort vingt-quatre heures.
Que la Vierge des Pyrénées préserve donc notre brigadier
de leur rencontre! Car, par ce temps d'averse si favorable
aux noirs, Crampon, mon ami Crampon, ce n'est pas toi qui
volerais l'arracher à leurs coups !
— C'est qu'un mauvais conscrit n'a jamais su faire un
bon soldat de la douane, repartirent, en chœur, les voix de
ses trois compagnons.
— Ah dam! répliqua aussitôt Crampon, le conscrit a fait
aussi son feu de file, et si son pied glisse parfois sur vos
rochers savonnés par la glace, sa main n'en est pas moins
solide pour cela. Qu'en dis-tu, Rudon?
Cette espèce d'apostrophe que signifiait, en ce moment,
Crampon à un de ses camarades, n'était pas sans avoir un
grand sens. Rudon, vieux douanier et rigide comme un
grognard, n'aimait pas les conscrits, parce que le service
souffrait toujours avec eux et que d'ailleurs, leur inexpé-
rience était pour les anciens des motifs de surchage de la
part des chefs. Mais il aimait encore moins Crampon qui
avait eu la maladresse de ne pas comprendre le caractère
du douanier; ce qui l'avait exposé à de nombreuses voies
défait, auxquelles il ripostait par des représailles; ce h
quoi il venait de faire allusion.
Aussi, la conversation ne pouvait pas en rester là, entre
ces quatre hommes et, Rudon, le premier, répondant à
l'allusion de Crampon :
— Toi, Crampon, dit-il, tu n'es qu'une poule mouillée;
au régiment comme à la douane, tu n'as servi que dans
l'arrière garde, et pour preuve
11 se tut.
— Parle, Rudon, parle, répliqua avec animation son
DE BAGNÈRES-DE-LUCHO.N. 161
interlocuteur; esl-ce que le courage te manque? je suis
disposé à te répondre. Car, me voici debout, continua-t-il
avec un ton moitié solennel, moitié comique ; Crampon, rf
jamais craint son adversaire : Marchons!...
Mais pendant que ces derniers mots se faisaient entendre,
la porte s'ouvrit précipitamment et parut, au milieu des
sareasmes, des rires moqueurs des douaniers et des bruits
de l'orage, le brigadier Lebrun.
— C'est lui, s'écria instinctivement Crampon, au premier
ébranlement de la porte. C'est lui.. . et le calme le plu>
respectueux s'établit instantanément.
Lebrun était un jeune homme de vingt-deux; ans. 11 avait
la taille haute et bien proportionnée; son teint éla\l fonde-
rement brun et des cheveux noirs ombrageaient un œil
ardent et plein de feu. On voyait sur son front éclater les
passions que nourissait un cœur chaud et impétueux. Lebrun
était, en un mot, le type vivant de ces hommes à qui il ne
faut, pour grandir à la hauteur d'un héros, que les mille
fureurs d'une guerre continentale ou les orages d'une révo-
lution. Sous l'empire, il eut été maréchal de France, 93 en
eût fait un fougueux Jacobin. C'était trop pour un brigadier
de la douane. Un tel homme devait donc inspirer la crainte
et le respect. Aussi, au moindre de ses ordres, les verts
obéissaient-ils en aveugles. Sa présence était un ordre.
Use posa, un instant, autour de l'âtre, l'esprit profondé-
ment préoccupé ; regarda fixement ses subordonnés comme
pour les interroger. Mais rien de ce qui venait de se passer
ne paraissait sur leurs physionomies humblement et sévère-
ment composées dans tous leurs traits. Et puis, par un
mouvement brusque et qui marquait une forte détermina-
tion, s'adressant au plus brave de ses compagnons :
— « Pied-de-fer, ta carabine, ton sabre et en route. »
Il avait dit, etdéjà les deux douaniers s'éloignaient du poste,
affrontant une pluie battante, franchissant des ravins pro-
fonds, gravissant des sentiers glissants et rocailleux, et, au
1 ()2 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
milieu de l'obscurité d'une nuit infernale, atteignaient, dans
la direction ascendante du port de Venasque, un rocher
creux qui dominait le sentier étroit de la contrebande.
— Halte-là, Pied-de-fer. C'est ici, dans cette grotte qu'il
nous faut passer la nuit ou plutôt, qu'il faut veiller jusqu'à
l'aurore.
Mais s'interrompant tout-à-coup :
— Dors, Pied-de-fer, dit-il $ c'esl à moi dé veiller,
dors Pauvre enfant!...
—Brigadier, je vais veiller aussi ; car c'est l'heure de la
contrebande.
— Seule, elle est passée sur ces rochers, leste comme une
gazelle, rapide copime un chevreuil et portant dans son cœur
l'amour ardent d'une Andalousc
— Qui ? brigadier ; la contrebande ?
— Seule, la pauvre enfant ! elle a bravé, pour moi, la nuit,
l'orage et la fureur du vieux contrebandier ; et pourtant de
cruels pressentiments torturent mon ame.
— Paix! ce n'est point des noirs qu'il s'agit, murmura
doucement Pied-de-fer; obéir et se taire, c'est la devise de la
douane, se dit-il à lui-même intérieurement.
— Pied-de-fer, s'écria alors Lebrun, interrompant son
monologue qui exaltait déjà ses idées jusqu'au plus haut degré
de la passion ; Pied-de-fer, la contrebande est ton rêve, à toi;
enfant de la douane, jeune, tu as appris à déjouer le bâton
ferré du noir, à vivre de ruses et de sang, et ton élément à
toi, l'élément de ton ame, ton existence, ce sont les rochers,
les nuits orageuses des Pyrénées et ta carabine. Tu es heu-
reux, Pied-de-fer, parce que tu suis ta destinée! et ma vie,
à moi, vois-tu, c'est l'enfer sur la terre. Aimer par tous les
feux d'une passion noble, une femme, un ange, qui vous
adore ; être séparé d'elle par toute la distance qui se trouve
entre la haine espagnole et le nom français, entre la fureur
du contrebandier et celle du douanier; et, par-dessus tout,
suivre par amour d'abord et par devoir ensuite une position
I>E BA<;.NKKES-DE-Ll'CHON. 165
que l'on condamne soi-même ; dis, Pied-de-Fer, si lu as
éprouvé une torlure de l'ame pareille à celle où me jette ma
situation?
— Brigadier, vous (Hes jeune.
— Ajoute encore, dit Lebrun, que j'aime d'amour, comme
toi qui ne vis que de douane. Mais tu ne comprends point
l'un et lu rêves l'autre. Eh bien ! Pied-de-fer, avant que le
soleil éclaire le sommet de la Maladetta, nous n'aurons rien
à nous envier 5 toi, tu auras la contrebande el moi la fille
du contrebandier : chacun son lot. Ecoute :
Connais-tu la fille de Piétro, le vieux contrebandier?
— llitta, la plus jolie vierge de la vallée de Montgarry ?
Connue avant vous, brigadier ; elle a seize ans. Sauf erreur,
je l'ai vue, pour la première fois, lorsqu'elle entrait à peine
dans sa douzième année : c'était à la chapelle de Montgarry.
De toutes les filles de la vallée on la disait la plus belle. Je
le crois bien- avec des cheveux d'ébène retenus dans un
réseau mauresque ; de gros yeux noirs sous des sourcils épais
et une taille élancée à le disputer en souplesse au plus fluet
de nos Izards, avec tout ça on pouvait dire que la fille de
Piétro était la plus belle*des Espagnoles. Je la connais, bri-
gadier ; mais je la hais : elle est la fille du vieux contreban-
dier, le meurtrier de mon père.
— Pourquoi la maudire, Pied-de-fer? L'agneau renie la
paternité du lion ; et Rilta désavoue son père. Apprends donc
à mieux la connaître, sévère douanier? Ecoute : Celte nuit,
pendant l'orage, j'étais à la caverne du Loup. J'attendais,
seul, au rendez-vous de nos amours. Elle est venue, malgré
l'horreur de la nuit, les difficultés de la montagne el la tem-
pête ; pâle, les cheveux épars et se jetant dans mes bras :
« Fuis, m'a-t-elle dit, car ta mort est certaine 5 pour moi, je
suis sacrifiée à la vengeance d'un père! » A ces mots, les
larmes, les sanglots ont étouffé sa voix. Je sais, Pied-de-fer,
que le vieux contrebandier veut tenter son dernier coup de
main. Cette nuil, il veut frauder la douane, se défaire. de
1G4 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
l'amant de sa fille, et donner la main de Ilitta a un Picaro
d'Espagnol. Tu vois : l'amour et le devoir nous commandent
une exacte et fidèle garde. La bande ne tardera point h se
mettre en marche; reste à cette place, Pied-de-fer ; tandis que
je ferai le guet à la halte du muletier.
LA VENGEANCE DU CONTREBANDIER.
Tandis que le brigadier, ayant donné ses ordres à Pied-
de-fer, gravissait des rochers escarpés, franchissait des pré-
cipices, tournait des pics, à travers des sentiers, connus
seulement des verts, pour arriver au poste de l'honneur, une
autre scène se passait à l'opposé du versant, sur le territoire
espagnol. Au pied du passage deVenasque, à l'extrémité de
ce ruban de chemin qu'on appelle sentier et qui touche à la
vallée espagnole, s'élève une demeure toute aragonnaise.
Qu'on s'imagine un bâtiment immense, d'une couleur sombre
et terne; de vastes salles éclairées par un jour qui pénètre
dans l'intérieur de l'édifice à travers des ouvertures colossales,
protégées par quelques barres de fer ; un toit bas et écrasé
abritant des murailles qui se cachent à moitié sous les feuil-
lages du pied de la montagne; et l'on aura une idée à peu
près exacte de la forme de la demeure dont nous parlons. Là,
dans une salle reculée qui communiquait avec le parquet des
chèvres, deux hommes se tenaient debout, dans un état
moral de profonde préoccupation. L'un avait des formes sé-
vères; sa taille était haute; ses bras et ses jambes à mi-nus
laissaient apercevoir sur toute leur étendue les signes d'une
force et d'une vigueur peu communes. Malgré ce caractère
DE BACNÈRES-DE-LUCHON. 16;)
extérieur, la figure de cet homme était vieillie. De longues
rides sillonnaient tous ses traits rudes et féroces. Sa tête seule
avait quelque chose de gracieux, soit à cause de l'ornement
de ses cheveux blancs comme la neige, qui tombaient on-
doyants sur ses épaules ; soit à cause de sa forme haute, sur
laquelle dominait un front modèle. Cet homme s'appelait
Piétro.
L'autre, sans être distingué par cette sévérité de lignes qui
composent la correction des formes et du dessin, dans la char-
pente humaine, et dont la nature s'était montrée prodigue
envers le vieillard, avait pour lui la jeunesse et la force. A
voir leurs regards furieux, l'agitation fébrile de leurs corps,
on devinait facilement qu'ils méditaient quelque grand,
quelque infâme projet. Néanmoins, un silence profond était
observé entre ces deux hommes, depuis environ dix minu-
tes, sans avoir suspendu, pour cela , un langage terrible:
celui des signes de la colère, de la fureur et de la rage ; lors-
que le vieillard interrompant le premier ce silence infernal :
— Tu hésites encore, José, s'écria-t-il, en s'adressant au
jeune homme, en donnant à sa voix un volume sourd et
creux ; tu hésites ! la veux-tu ? prends-la. Mais prends-la
telle que l'ennemi te la donne, comme un présent de boue
et de prostitution !
— Que dites-vous, Piétro? murmura à l'instant le jeune
homme en faisant crier les dents, sous le mouvement invo-
lontaire de ses mâchoires. Mais elle est toujours la Vierge
pure de la vallée !
— Elle !...■ mais ignores-tu donc, José, que hier, sur le
haut de la montagne, pendant que tout dormait, ici, elle,
J'infâme! gravissait les rochers du port. Je l'ai vue, moi ;
lorsqu'elle revenait de la caverne; j'ai tout soupçonné; j'ai
tout deviné, et puis...
Le vieillard se penchant aussitôt vers l'oreille du jeune
homme; lui dit quelques mots mystérieux qui semblèrent
II
166 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
réveiller, on lui, un ressenti mon l mal éteint ; ear, sans hé-
siter un soûl moment :
— Puisqu'il en est ainsi, Piétro; je suis 5 vos ordres !
Il ne prononça que ces paroles. Le vieillard le saisit spon-
tanément par le bras ; et d'un geste convulsif, qu'il accom-
pagna d'un éclat de rire diabolique :
— Viens, s'écria-t-il, suis moi.
- Ces deux hommes se rendirent dans un endroit reculé de
cette vaste demeure où ils se trouvaient ; et quelques minutes
à peine s'étaient écoulées, qu'ils en sortirent par un passage
caché qui donnait sur la montagne. Ils disparurent au milieu
de l'obscurité d'une nuit profonde. Qui pouvait deviner ce
que ces deux hommes venaient de faire? Dieu seul le savait.
Néanmoins, le brigadier Lebrun, impassible comme un
homme résolu dans sa profession, attendait en faisant le
guet, sur le haut du passage de Venasque. Enveloppé dans
sa capote, sa carabine sous le bras et l'oreille au vent, il
était immobile comme une statue de marbre. Une révolution
intérieure absorbait tous ses sens; des réflexions affreuses
naissaient et se produisaient dans son esprit. Trois heures
venaient de sonner à l'horloge de la petite ville de Venasque;
ce son répété par l'écho des vallées, arrivait mystérieusement
à ses oreilles, comme le dernier soupir d'une ame qui aban-
donne la terre pour s'envoler au ciel. Le brigadier espérait
toujours avec cette patience naturelle au soldat de la douane.
Déjà une teinte pâle semblait colorer l'Orient, lorsque deux
ombres allongées comme deux fantômes, se dessinaient mys-
térieusement sur le sommet le plus élevé du Port. L'œil
vigilant de Lebrun ne fut pas en défaut, car il reconnut
d'abord les gens qu'il attendait. Cependant, pour la première
fois, tout son corps fut saisi d'un frisson involontaire, et le
nom de Ritta fut prononcé avec effroi.
Mais tandis que le brigadier prenait son poste derrière la
ligne d'une roche en saillie, le vieux contrebandier, silencieux,
le regard sombre et féroce, descendait brusquement et à
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 167
grands pas, le sentier dont il paraissait bien connaître les
moindres lacets. Un jeune homme à la stature haute, aux
membres vigoureux, portant sur- ses épaules un fardeau
qu'enveloppait une large mante brune, marchait derrière lui
à une certaine distance. Ils allaient franchir le dernier rocher
qui les séparait de la halte des voyageurs lorsque le contre-
bandier immobile et avançant de quelques pas .-
— Arrête, José, s'écria-t-il d'une voix impérative, en s'a-
dressant au jeune homme, arrête- c'est ici le charnier du
loup;
— Et la relraitedudouanier, repartit aussitôt Lebrun, qui,
ayant entendu les paroles dé l'iétro, s'élance de son rocher
et se trouve en face de ses adversaires.
- — Je savais que tu étais ici, répondit sans se déconcerter,
le vieux contrebandier ; et, après avoir jeté sur lui un regard
indicible de fureur : Penses-tu, continua-t-il, nous disputer
le passage ?
— Oui, au nom du devoir et de la douane; l'inspection do
ton fardeau, jeune homme, ou gare à ma carabine? S'adres-
sa nt en même temps à José qui se tenait immobile sur un
rocher, et lui ajustant son arrhe.
— Tu te ris de nous, douanier,1 dit encore Piétro, dont les
yeux étincellaient de fureur, tandis que la main s'agitait
convulsivement sous son vieux manteau déchiré; pendant
quarante ans les verts n'ont jamais eu de droits à me de-
mander. Mais je veux aujourd'hui me reconcilier pour la
dernière fois avec la douane. Brigadier, tu seras plus heureux
que tes camarades morts ou vivants? S'adressant au jeune:
— « José, l'inspection ! »
A ces mots, le fardeau est jeté aux pieds du douanier,
entre lui et Piétro. « Brigadier, la taxe des droits ! »
Le douanier s'abaissant, soulevait déjà un plis de la mante:
— Dieu ! Ritta assassinée? monstres!... et sa main se diri-
geait sur son arme.
1 H8 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
A l'instant le jeune homme s'élance sur le brigadier ; le
poignard de Piétro frappait d'un coup sûr. Le malheureux
douanier se lève à demi, chancelle et retombe expirant sur
le corps ensanglanté de son amante.
— Tu vois s'ils s'aimaient ! Ton rival, notre ennemi est
mort, partons, José; l'espagnol est vengé!
Sur les corps de ces infortunés, la douane éleva un mau-
solée de pierres, on lui donna le nom de Y Homme, nom qu'il
porte encore de nos jours. La piété du passant a fait le reste.
LES BAINS DE BAGNÊRES-DE-LUOHON*
1812
I
LE DÉFI.
C'était en 1642.
Amaury de Fronsac et Raymond d'Aure, tous deux jeunes
seigneurs des plus puissants du comté de Comminges, tous
deux amis des plaisirs et de la débauche, usaient des droits
despotiques inhérens à leur pouvoir féodal. Ils se fesaient
remarquer surtout, dans les environs de leurs terres, par de
folles excursions et par des enlèvemens nocturnes. C'étaient
des Louvetaux ravisseurs de jeunes filles. Le château de
Fronsac qui dominait la vallée de la Barousse, s'élevait sur
les bords de la Garonne, à peu de distance de la ville de
Saint-Bertrand (Lugdunum) ancienne capitale de la contrée.
Ce magnifique manoir, aux tours et aux crénaux gothiques,
était l'œil-de-bœuf, le rendez-vous scandaleux de tous les
mauvais sujets de race seigneuriale, qui se trouvaient dans
le pays du Comminges.
Or, au mois de juillet da l'année 1612, joyeux ébats et
grande réunion étaient au château de Fronsac. La salle dorée
retentissait de rires moqueurs, de propos obcènes et de cla-
meurs bruyantes ainsi qu'on les entend dans une orgie. Déjà
le vin du Roussillon et de la Conque fermentait dans toutes
les têtes, lorsque les mignons féodaux engagèrent ainsi utie
discussion erotique.
— «A la plus belle du comté de Comminges !» s'écrie avec
intention Amaury de Fronsac qui, dans sa pose bouffonne ,
170 DE BAGISÈRES-DE-LUCIION.
caressait d'une main sa fraise, et de l'autre, élevait comme
par défi, un rouge-bord d'argent, au-dessus de son tricorne
à gland d'or.
— « S'il en est une, sans doute, c'est Clotilde de Binos, »
répondit fièrement Jacques de Levy, dont l'air prétentieux
et fanfaron relevait le ridicule de ses manières grotesques.
« Honneur donc à Clotilde de Binos, ma divine cousine ! »
— « Halte-là, beau cousin ! vociféra alors le jeune seigneur
deGuran; je tiens pour honni quiconque de vous, messei-
gneurs, ne déclarera point à la face du ciel, qu'Anne de
St.-Jgnan, est la plus belle damoiselle du comté de Foix.
— Tu en as menti, deGuran, repartit insolemment Pierre
d'Orthez: il en est une dont le caslel est baigné par la Ga-
ronne, à quelques milles des Tours. Celle-là est la plus belle
des belles de l'Aquitaine, du Languedoc et de la Gascogne.
A elle seule l'honneur de la fête ! »
De bruyantes dénégations suivirent ces différentes protes-
tations. Chacun élevait jusqu'aux astres la beauté et la vertu
de la dame de son cœur. Les défis se jetaient en face ; et dans
ce pêle-et-mêle de cris, d'enthousiasme sentimental et de
provocations chevaleresques qui ébranlaient les voûtes du
château, on était parvenu à ne plus s'entendre. Les rapières
même commençaient à être mises au vent, lorsque Amaury
de Fronsac , s'écrie avec toute l'énergique étendue d'une voix
accoutumée à dominer, dans les montagnes, les cors des
piqueurs :
— « Tout beau, mes mignons, paix et silence! quel diable
cherche ainsi à jeter au milieu de vous, la pomme de la dis-
corde? ne savez-vous point qu'on n'a ici que les droits de
s'ébaudir?et vous, infâmes lurons, vous alliez frapper d'estoc
et de taille. Patience, preux chevaliers ! c'est moi qui veux
terminer le différend que j'ai provoqué le premier. Juges et
parties, écoutez ! »
— « Ecoutez de Fronsac! » fut le cri que murmurèrent,
nos fringans mauvais sujets, en gagnant tranquillement leurs
sièges autour -d'une table dressée.
DE BAGNÈRE S-DE-LUCHON. I 171
iNi Clotilde de Binos, ,Tac({ues de Lévy ; ni Anne de St. -
Ignan, de Guran ; ni la belle nayade de la Garonne, Pierre
d'Orthez; ni aucune de toutes vos darnes, mes beaux mignons;
non, aucune d'elles n'est la plus belle, repartit Amaury de
Fronsac. » Il en est une autre plus modeste qui les efface
toutes en beauté, en vertu et en esprit, savez-vous laquelle,
jeunes roués ? »
« Laquelle?» répondirent tous spontanément et d'une
voix unanime.
— « Laquelle ? humiliez-vous, fiers suzerains, héritiers de
tanlde manoirs ! la plus belle, c'est Joséphine de Montespan.»
— « Joséphine de Montespan ? s'écria ironiquement Ray-
mond de Navarre. Oui, la plus belle ; mais c'est la tille d'un
pauvre gentilhomme. »
— « Non .- celle d'une pauvre et jeune veuve, poursuivit
froidement de Fronsac, mais dont l'exaltation du cœur tra-
hissait sur son visage une terrible émotion.
— « Oui, fille et mère en veuvage : c'est là sans doute, ce
que tu veux nous avouer mystérieusement, n'est-ce pas, che-
valier de la belle Joséphine? » répondit Raymond d'Aure.
— « Ta -bouche en a menti Raymond?»- s'écria d'un air
furieux, de Fronsac ; « la calomnie d'un mignon ne saurait
flétrir la vertu d'une vierge. Joséphine est la dame de mes
pensées ; mais elle a toujours dédaigné mes faveurs. Je suis
le petit roi des montagnes ; eh bien ! je jure, par ma couronne
Pyrénéenne, que je lui donnerai la moitié de mes terres, mon
manoir de Fronsac, que tout manant salue à deux: lieues de
distance, et ma main, pour obtenir de sa bouche de vierge
une parole d'amour. »
— « A d'autres tes serments, Amaury ! la fille d'un ma-
nant doit avoir trop d'honneur, en acceptant les hommages
d'un seigneur. Les femmes, sur nos terres, ne sont elles point
notre corvée? sans doute, Joséphine de Montespan est fîère;
mais elle céderait à mes vœux. Raymond d'Aure n'a su
jamais trouver des cruelles à la cour ; en trouverait-il dans
son comté? qu'en dites-vous, messe igm îUEà ? «
172 HISTOIRE SPECIALE ET P1TOUESQUE
— « Raymond d'Ame a dit vrai : » s'écrièrent en applau-
dissant, tous nos jeunes libertins ; « respect à nos droits
seigneuriaux '. »
— « Honte à nos droits de violence, messires ! et toi Ray-
mond, je le jure par le nom de Fronsac, tu trouveras une
cruelle dans Joséphine de Montespan. Vous riez, mes beaux
cousins ? mais, vous semble-t-il bon de tenter l'épreuve ?
Allons mettre fin à vos froides plaisanteries Varlets, »
«'adressant à des écuyers de service placés à l'angle de la
grande salle, m nos palefrois, et soyez prestes! Quant à vous,
gentils galans » se tournant du côté de la joyeuse troupe,
« soyez prêts à vous rendre aux bains de Luchon. Mous trou-
verons là nombreuse compagnie, et de plus, vous y verrez
Joséphine de Montespan...»
A ces mots, chacun empressé se dispose au départ. Déjà
le cor a retenti trois fois dans la vaste cour du château ; et
tous nos cavaliers étaient montés sur leurs dextriers. Le
pont-levis franchi, on se dirigeait à courses forcées sur la
route des bains. La vallée de Luchon ouvrait déjà son passage
à la troupe joyeuse. On dépassait Cierp .- elle s'élargissait
ensuite: et dans toute sa longueur, nos jeunes seigneurs
n'avaient pas le temps d'admirer leurs belles seigneuries qui
se trouvaient sur leur passage, tant ils avaient hâte d'arriver
au but de leur voyage ! Déjà le château deGuran était loin,
bien loin derrière eux ; le dernier bassin de la vallée, arrosé
par la Picque, s'offrait à leurs regards curieux lorsqu'ils
arrivèrent à la ville. Bagnères, bâtie entre deux montagnes;
au sein des Pyrénées, n'était composé à cette époque, que
de quelques maisons d'assez triste apparence; de chaumières
recouvertes de paille, d'une cour de judicature dont l'édifice
assez régulier domiuait, au centre, toutes ces masures et,
enfin, de trois vastes hangards qui abritaient les sources des
eaux thermales et qu'on appelait les bains. Malgré cette
pauvreté de construction, la foule des étrangers abondait à
Luchon pendant la saison des eaux. Des familles riches de
'«'Aragon et de la Catalogne ; les Capitouls de Toulouse, les
DE BAG>ÈRES-DE-LUCHON. 175
seigneurs de Mirepoix, du Comminges et du Béarn s'y don-
naient un rendez-vous annuel de fêtes et de plaisirs. Ce même
mois de juillet de l'année 1612 était surtout remarquable
par l'affluenoe des étrangers réunis eux bains de Luchon.
Nos jeunes seigneurs ne furent donc point trompés dans
leur attente. A l'entrée de la ville, leur bienvenue fut saluée
par les acclamations des nobles châtelaines, des chevaliers,
des troubadours réunis autour de la maison du Bailli, et
dont l'air retentissait de ces mots : « salut et joie au seigneur
de Fronsac ! » Le Bailly mit à leur disposition la plus belle
salle du palais de justice dont la troupe joyeuse prit à l'ins-
tant même possession.
— « Raymond d'Aure, dit alors Ainaury de Fronsac, au
milieu de ses compagnons ébahis de la réception qu'on venait
de leur faire, souviens-toi de ta promesse, car ton honneur
est engagé. Ici tu pourras surveiller Joséphine de Montespan
lorsque tous les soirs elle revient du bain : l'heure va bientôt
sonner où tu la verras passer. Et vous, mes beaux sires,
s'adressant aux autres seigneurs, soyez les juges dans cette
lutte de la beauté.»
Il avait à peine prononcé ces dernisrs mots, qu'on vit sous
la fenêtre de la grande salle, s'écouler légèrement une jeune
vierge qu'accompagnait ces paroles flatteuses des assistants:
Quelle est belle ! Sa taille fine et élancée était serrée par une
robe de couleur sombre. Des cheveux d'ébène s'échappaient
en boucles dessous un petit bonnet en velours de jais, et de
gros yeux noirs fortement arqués se dessinaient sur une
figure brune dont les traits, mélangés de douceur et de pas-
sions nobles, exprimaient la bonté d'un caractère franche-
ment prononcé. Un jeune Clerc, au manteau court, la suivait
à peu de distance.
— « C'est elle ! » S'écrièrent alors nos gentils damoiseaux.
— « Oui, c'est elle ; » répondit de Fronsac, « et le pour-
suivant, c'est Pierre de Castelnau, le troubadour, le galant
avoué de Joséphine de Montespan. A l'œuvre maintenant
beau cousin d'Aure ; joie et bonheur, sires de Guran, de Lévy
174 HISTOIRE SPECIALE ET PITTORESQUE
et d'OrtbeZj car ce n'est plus avec Clotilde de Binos, avec
Anne de St.-Aignan, ni avec la belle inconnue des bords de
la Garonne que vous allez engager la partie. Faites donc
valoir vos droits, messeigneurs, où je vous tiens pour vain-
cus. » 11 le dit avec un rire moqueur, et dirigeant ses pas
vers une porte, il disparut, en jetant sur ses compagnons un
regard de mépris.
Un long silence se fit alors dans la grand' salle. ISos che-
valiers galants, stupéfaits en apparence, restaient immobiles.
Mais des sentiments divers se croisaient dans les têtes de ces
jeunes esprits froissés par les dernières parohs de Fronsac.
L'exaltation des passions, l'amour propre blessé, leur inspi-
rèrent bientôt un parti décisif. Un seigneur qui ne pardon-
nait jamais une offense, interrompit le premier ce silence :
— « Que tardez-vous, sires, de vous prononcer?» dit alors
le fougueux marquis de Mirepoix qui, jusqu'à ce moment,
avait suivi d'un air impassible les rôles de la soirée. «Is'avez-
vous point souci de votre honneur, lorsque l'insulte tombe
aussi lourde et pesante sur nos fronts? Messires courtois, ne
savez-vous plus agir? cependant Amaury adore Joséphine
de Montespan; Joséphine de Montespan est la plus belle
damoiselledu comté ; elle est encore trop fière pour répondre
à vos vœux, et pourtant vous devez vous venger de l'un et
de l'autre par un triomphe sur la vertu. Qu'hésitez-vous
encore, en présence d'une gageure d'honneur ? îs'avez-vous
point la force en votre pouvoir ? Un enlèvement violent épou-
vanterait-il de si braves aînés de tant d'illustres maisons? »
A ce mot magique d'enlèvement, tous nos libertins tres-
saillirent de joie ; pas un seul ne refusa de se prêter à un
coup de main si friant pour des Lovelaces.
— « Que de Fronsac meure de dépit ! » s'écria alors Ray-
mond d'Aure : « Je le jure par mes tours de Valcabrère;
dans moins d'ue heure, la belle Joséphine de Montespan
sera bâillonnée et livrée à notre bon plaisir, messeigneurs.
Maintenant à nous, beaux cousins de Guran, de Lévy et
d'Orlhcz. l'appui de vos bras puissants et habiles ! »
DE BAfiNÈnK-DK-U'CllO^. 175
L'ENLÈVEMENT.
La nuit était sombre. La brise du soir, soufflant des
Pyrénées, apportait un vent frais qui fesait oublier la cha-
leur d'une journée orageuse. La place du bailli , le sentier
des sources, les avenues des maisons étaient encombrées
d'hommes et de femmes qui venaient respirer, à l'envi, avec
d'un libre abandon, l'air délicieux de la nuit. Là, c'é-
taient des chants, d'aimables causeries qui égayaient une
foule attentive, se pressant en cercle sur des sièges de
bois; plus loin des groupes de promeneurs traversaient
comme des ombres rapides, à la faveur des ténèbres, un
long espace qui s'étendait aux deux extrémités de la ville.
Le marquis, la comtesse, le manant, le capitoul, le trouba-
dour se trouvaient ainsi, pour la première fois, confondus
par hasard dans ce pèle et mêle de gens de toute condition.
A cette heure de bonheur, Bagnères ofTrait l'image riante
d'une fête de famille.
Du côté de l'Espagne, au bout d'une rue isolée et sur le
penchant du coteau où 's'élèvent les bains, disparaissait
dans le lointain une petite maison, seule, de forme presque
carrée et au toit brillant d'ardoise. Un bosquet, bordé d'une
large prairie, l'entourait de toutes parts comme une cein-
ture mystérieuse. Là, deux êtres, aux formes capricieuses
et aux contours gracieux', révélaient ainsi , à leurs cœurs
amoureux, des secrets inconnus à la foule du vulgaire.
— « Joséphine, disait une voix tendre qu'une crainte pu-
dique semblait voiler à demi ; après une longue absence,
qu'une soirée d'été devient ravissante auprès de l'objet
qu'on adore! Hier, deux ans se sont écoulés depuis que je
te laissai, là, toujours belle, toujours aimante, dans les bras
d'une mère chérie. Aujourd'hui, je te revois jolie et plus
aimante encore. Sais-tu pourtant, tout ce que l'éloignement
176 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
a de cruel, et tout ce que le retour apporte avet lui de délices?
Que de tourments! que de joies ! »
— « Mais aussi, Pierre, que de souvenirs agréables, la pré-
sence de l'être qu'on adore, ne dérobe-t-il point au bonheur?
Le rêve le plus enivrant et le plus suave est enfant du cœur
et del'absence. Aussi ne me suis-je jamais senti plus heureuse
que lorsque, loin de toi, je berçais mon ame de tout ce que
le passé et l'avenir me promettaient de félicités partagées
ensemble. Alors ma pensée brûlante s'attachait à ton nom,
comme une esclave, et te poursuivait aventureuse dans tes
voyages de Trouvère. Mon cœur, toujours avec toi, Pierre,
savourait avec orgueil ta gloire et ta renommée de poète. Le
ciel m'en est témoin ; j'étais folle d'espérance et d'amour.»
— « Ange de ma vie! et moi,. je devais à ton souvenir
seul, l'inspiration de mes chants. Dans la cour du Roi
Philippe comme dans celle du roi de France, PierreCastelnau,
le dernier des troubadours, ne soupirait qu'après Joséphine
de Montespan ; et ma voix libre et indépendante n'essaya
que pour elle des chants d'amour. Si je voyais dans les
jardins de l'Alhambra ou dans les palais des souverains de
Madrid, quelque belle Andalouse, l'orgueil des beautés espa-
gnoles 5 oh, me disais-jc alors, les montagnes de la Garonne
renferment une vierge au teint plus chaud, aux cheveux
plus soyeux et aux traits plus divins encore; et mon cœur
sans hésiter murmurait doucement ton nom. Si dans la cour
illustre de France, si dans les riches manoirs, de nobles da-
mes, de belles châtelaines offraient au troubadour les fa-
veurs de It beauté; merci, gentes demoiselles, répondai-je
alors, je ne puis être votre galant avoué en tournée d'amour;
une belle a reçu déjà ma foi; à elle j'appartiens, elle seule
aura ma main et mon cœnr; et j'essuyais alors une larme de
souvenir. Heureux retour ! tu as fait cesser mes peines. Au-
jourd'hui et pour toujours le bonheur doit unir et confondre
nos destinées sympathiques; n'est-ce pas fille de mes vœux?
— «Oui, Pierre, répondit, tremblante d'effroi Joséphinede
Montespan. Car une ombre venait de répou vanter. Elle avait
DE BAGNÈBES-DE-U'CIION. 1/7
vu s'agiter, à ses côtés les arbres du bosquet, et dans l'épais
fourré du bois, elle avait cru distinguer un bruit de pas et de
voix humaines. Tandis que son oreille attentive la confirmait
dans ce pressentiment: fuyons, s'écria-elle, entraînant avec
violonce son amant vers la modeste demeure • fuyons, car
nous ne sommes point en sûreté dans ces lieux.»
Mais à peine avaient-ils fait un pas de retour, que tout-à-
coup quatre spadassins masqués sortirent précipitamment
des massifs du bois et se jetèrent avec violence sur les jeunes
amants. Deux se saisirent de Pierre Castelnau, qu'ils retin-
rent immobile à la même place, sans défense et comme bâil-
lonné par une puissance invisible. Les deux autres empor-
tèrent Joséphine malgré ses convulsions, sa résistance et les
cris étouffés qu'elle s'efforçait de faire entendre; et disparu-
rent dans le bois. Mais suivant un sentier détourné qui se
perdait derièrre la ville, ils s'arrêtèrent devant une porte
masquée, basse et fort étroite. A un signal convenu, elle
s'ouvrit, et nos deux spadassins, réunis aux deux compa-
gnons, pénétrèrent ensemble, par un escalier dérobé, dans
une vaste salle élégamment décorée, et toute étincelante
d'ornements d'or, déglaces et de lumières.
a Triomphe î s'écrièrent-ils alors, voici la victime : et ils
déposèrent, sur un lit de parade, l'infortunée amante, pôle
et évanouie »
— « Hôtes mystiques de ce palais enchanteur, murmura
alors, avec un rire satanique, le plus vigoureux des masques,
accourez à ma voix infernale, et venez contempler votre
reine.»
Il dit, et la tapisserie s'ondule comme agitée par un
léger frôlement. A l'instant, on voit entrer lentement, dans
la salle d'honneur, la troupe de nos libertins dans tout le
désordre de l'orgie. Avinés et chancelants, ces nobles héri-
tiers de tant de châteaux accompagnent leur marehe bachi-
que de cris, de jurons et de sarcasmes.
— «Vive Raymond d'Aure ! dit alors le masque à la haute
stature; il a gagné cette nuit ses éperons en véritable cheva-
178 HISTOIRE SPÉCULE ET PITTORESQUE
lier. Car c'est lui, messeigncurs, qui a su ravir cet adorable
fardeau; » et il accompagnait ces paroles d'un signe indicatif
de sa main gigantesque qui montrait, à la troupe ébahie ,
la victime innocente de leurs passe-temps seigneuriaux.
— «Honneur plutôt au sire de Mirepoix, qui a su, en
habile ravisseur, étouffer les cris de détresse et d'alarme ; »
répliquèrent en cœur les trois autres masques qui dé-
pouillant leurs déguisements , laissèrent voir les traits des
seigneurs d'Aure, de Lévy et d'Orthez se pressant en cercle
autour de l'infortunée damoiselle.
— « Oh ! messire de Fronsac ; vous êtes maître passé
en fait d'expertise d'amour; » dit alors Raymond d'Aure,
avec un accent marqué d'admiration : « vous aviez raison,
sur mon aine ! de déclarer Joséphine de Montespan la plus
belle dame de notre comté; qu'en pensez -vous, mes cousins ? »
et chacun d'admirer, dans ce libre désordre de l'évanouis-
sement, les longues tresses de ses noirs cheveux, les traits
nobles et réguliers de son visage et les formes ravissantes de
sa taille ployée en saillie sur son litdeparade. «Tout beau! »
continua-t-il; ne vous semblc-t-il point, au mouvement de
ses lèvres, que la jolie prisonnière veut reprendre ses sens
pour bazarder un aveu d'amour. Courage, réveillez-vous,
beile dame?» s'écria-t-il alors avec une voix faussement
adoucie. « Montrez-nous vos charmes dans toute leur ani-
mation, et surtout ne soyez point cruelle envers un
cavalier... qui vous donne sa foi. »
En prononçant ces derniers mots, il penchait sa tête sur
le front de la vierge; mais elle fit un mouvement brusque,
et se levant tout-à-coup , elle s'établit dans une pose immo-
bile. Ses regards se portèrent de tout côté, comme préocupés
par un rêve pénible. A la vue.de cette troupe curieuse qui
l'entourait, le nom de son amant, la scène du bosquet, le
souvenir de l'enlèvement lui vinrent à l'esprit. A cette pen-
sée, des larmes de désespoir tombèrent de ses beaux yeux,
et se jetant, par instinct, aux pieds de Raymond.
— « Pitié ! » S'éeria-t-elle; « Pitié pour la vertu d'une
1)F HACNKRES-DF.-l.rCFlOX. 179
pauvre fetorae^ seule en votre pouvoir. « Et les sanglots
étouffaient sa voix suppliante.
— « Rassurez-vous, belle Joséphine; o répondit alors Ray-
mond avec .l'accent d'une feinte douceur; « Nous sommes
des fils de bonne maison; jamais nous n'abuserons de votre
position de femme. Pardonnez plutôt à un acte désespéré qui
n'a pour but qu'un aveu libre de votre cœur. »
La vierge rassurée par ces dernières paroles ;
— « Que voulez-vous de moi, Messeigneurs ?» dit-ellealors
en se relevant avec fierté : M pensez-vous que la violence soit
plus forte que ma volonté ? Si vous désiriez de moi un aveu
libre, pourquoi me ravir brutalement à ma mère et à celui
qui m'est le plus cher après elle ?»
— « Dame de mon cœur, » poursuivit Raymond d'un air
plus humble que la dernière fois : » le comte d'Aure votre
souverain, vous adore : il se jette à vos genoux, mais en
demandant sa grâce, il implore votre amour. Ma courtoisie,
gentilLe dame, trouvera, sans doute, faveur auprès de votre
beauté- »
— « Partout ailleurs, seigneur, j'aurais donné une réponse
à votre galanterie; ici, seule, sans appui, livrée aux caprices
de mes maîtres, mon devoir est de me taire. »
— « Il nous faut pourtant une réponse favorable, ma jolie
dame, » vociféra de Guran, impatient de voir leur rôle de
ravisseurs transformés en celui de suppliants par Raymond;
« votre main et votre cœur doivent en être les garants, car
le seigneur d'Aure les revendique comme sa propriété. »
— « Il le faut, » répondirent aussitôt tous les nobles gens
du complot; « il le faut, pour l'honneur de la gageure; il
le faut pour la honte de messire de Fronsac ! »
— « Je le vois, messeigneurs, vos supplcations sont des
ordres. Gens de noble race, vous n'êtes point habitués au
refus d'une pauvre fille. Eh bien ! la pauvre fille se redres-
sera et, sans crainte comme sans prière, elle osera vous dire
qu'elle ne donnera jamais sa main à un seigneur. Je suis, il
est vrai, en vos mains; mais le désespoir saura me servir de
180 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
défense. Arrière ? » Et par une force surhumaine, elle s'ouvre
un passage à travers la foule de nos libertins qui la voient
se diriger vers l'angle de la salle.
A ces paroles violentes, à ces actes de mépris, la troupe
se portait à des menaces brutales, lorsqu'un bruit se fait
entendre. La porte s'ébranle et cède avec violence. Appa-
raissent alors à tous les yeux étonnés, deux cavaliers : l'un,
enveloppé d'un large manteau noir qui cache entièrement
son visage, s'arrête au fond de la salle comme pour en inter-
dire l'entrée. L'autre, armé d'une épée, se jette furieux dans
la mêlée : c'était Castelnau.
— « Lâches, s'écrie-t-il, vils ravisseurs de femmes, à moi
maintenant ! » Ses yeux étincelants de rage, en cherchant
une victime, trouve son amante; il vole dans ses bras, la
presse d'une main, lui fait un rempart de son corps et s'ani-
mant de son danger : « Lâches, dit-il, venez maintenant me
la ravir ! »
-— « C'est trop d'insolence, » s'écria de Mirepoix, <> un ma-
nant, un clerc ose nous défier ! Allons ; qu'il cède à la force !»
— « Arrêtez, dit l'hcmme déguisé qui, se découvrant,
laissa voir sous son large manteau les traits d'Amaury de
Fronsac, « arrêtez, mignons, car vous êtes vaincus ! » A cette
voix, l'effervescence s'apaise. « La violence, poursuivit-il,
ne serait point ici loyale et vons n'êtes point félons. De Gu-
ran, d'Orthez et de Levy, vous devez maintenant tenir José-
phine de Mon tespan pour la plus belle du comté de Comminges,
et plus encore pour la plus vertueuse; et toi, Raymond
d'Aure, tu poux avouer aujourd'hui que tu as trouvé une
eruelle. Pour preuve, seigneurs que ces-sentiments sont les
miens, funis Pierre Castelnau à Joséphine de Monlespan ; je
les tiens pour les plus heureux de ma suzeraineté et je leur
donne mes terres de Montespan en vasselage, entendez-vous,
seigneurs? Et vous maintenant, s'adressant auM amants,
soyez fortunés ! Quant à nous, joyeux convives, la nuit est
sombre, allons continuer l'orgie au château de Fronsac. Mi
prions, vite sur vos destriers ! —
LES AVENTURES D'll.\E DANSEUSE,
LA FILLE DES PYRÉNÉES.
Le 1 1 juillet de l'année 1804, à l'extrémité de la vallée si
riante et si pittoresque de Bagnères-de-Luchon, dans une
modeste chaumière, isolée au pied d'une haute montagne qui
l'abritait de ses vastes flancs boisés, une jeune et pauvre fille
de seize ans, seule, sans parents, sans amis, éprouvait les
horribles et saintes souffrances d'un premier enfantement.
Nulle voix tendre et charitable ne répondait, là, sous le toit
de sa frêle cabane, aux cris déchirants qui brisaient les en-
trailles de cette infortunée. Louise (c'était son nom), n'avait
que Dieu et ses remords pour témoins de la naissance d'un
enfant qu'elle appela Marie, nom suave et consolant pour
son cœur de mère.
Cependant la pauvre fille ne lésait que commencer une
longue existence de douleurs et de déceptions, dont les illu-
sions si douces et si tendres delà maternité, pouvaient à peine
dérober à son imagination les premières angoisses. Dans le
village, Louise était méprisée par toutes ses compagnes; les
mères la montraient à leurs filles comme un objet d'horreur,
et les vieilles femmes l'offraient dans la vallée, comme l'uni-
que exemple de la corruption du siècle. 11 était bien difficile
a la jeune mère de soutenir une existence de besoins et de
nécessités qui la rendaient tributaire de sessembla^leç, avec
. 12
18:2 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
une telle réputation <[ui la flétrissait ainsi à leurs yeux, tous
les jours et à toute heure. Si la séduction fut un grand crime
pour l'homme qui lui avait ravi l'honneur, de son côté, elle
eut plusieurs lois l'occasion de se repentir d'avoir été son
innocente victime. Aussi, dans cet état de continuels mépris
qu'on lui jetait à la face, comme des remords sur une faute
impardonnable, s'était-elle arrêtée souvent à des idées de
désespoir et de suicide. Mais le souvenir de son enfant, ainsi
qu'une inspiration du bon ange, effaçait de son esprit de si
sombres pensées. Elle vécut donc pour sa tendre fille, et tra-
versa, avec elle, tous les obstacles qui l'arrêtait au début
d'une carrière si malheureusement commencée.
Marie grandissait néanmoins, tous les jours, au milieu des
soins ingénieux et des travaux continuels que sa mère savait
se créer pour soutenir sa frêle existence; car Louise, jeune
encore, et jolie, douce, sage et prévenante, malgré le souvenir
de sa faute qui l'avait d'abord frappée de réprobation, forçait,
par toutes ses vertus privées, le respect et la bonté des habi-
tants de la vallée. Elle ne vivait plus que pour sa fille qui,
déjà à huit ans, fesait l'admiration de tous ceux qu'elle appro-
chait. Quoique née dans l'obscurité de la chaumière, les traits
de Marie se développaient avec grâce et régularité ; sa petite
taille était admirable dans ses contours naissants, et sous des
habits simples et propres, on ne reconnaissait point en elle
la fille d'une paysanne. D'ailleurs à ces grâces du corps se
joignaient encore celles de l'esprit; car sa mère ne s'épargnait
aucuns sacrifices pour former son intelligence. Aussi, sa fille,
avait-elle, à son âge, des connaissances qu'on peut à peine
espérer dans les autres enfants.
C'est au milieu de ces soins continuels que Marie avait
atteint l'âge de qatorze ans, sans avoir jamais connu les pri-
vations et les besoins de la vie, lorsque sa mère résolut de la
conduire, pour la première fois, à Bagnères-de-Luchon.
C'était en 1818. La saison des bains s'offrait cette année, sous
les plus heureux auspices. La beauté d'un été radieux, les
fatigues, et, par suite, les délassements d'une politique brû-
DE BAGNKKES-DE-LIXHON. lMÔ
lante de fureurs, la vogue avaient attiré à Hagnères une foule
nombreuse de gens de toute condition. Des marquis, des
comtes, des généraux de l'empire, des pairs de France, des
ministres, des dandys et des femmes galantes, se pressaient
autour de ces Thermes bienfaisants, et venaient respirer dans
les montagnes, l'air pur des Pyrénées. Au sein de ce monde
élégant; et parmi les fêtes et les plaisirs bruyants qui nais-
saient sous les pas de ces riches étrangers, Louise et sa fille
admiraient, en silence, tant de bonheur et de félicités. D'un
autre côté, l'air noble et distingué de la jeune Marie, la faisait
remarquer par tout ce que la petite ville renfermait d'élégants
et de riches personnages Sa taille élancée, ses beaux cheveux
noirs et sa ligure, dont les traits nobles et gracieux étaient
fortement accentués lui avaient mérité, auprès de tous ces
admirateurs, le surnom de jeune Romaine
Mais cette admiration générale avait frappé plus particu-
lièrement l'imagination vive et poétique de la jeune comtesse
d'Harcourt qui demanda à voir la jeune et belle personne.
Soit bienveillance de sa part, soit orgueil, vanité ou amour-
propre de coquette, la comtesse offrit a la mère de prendre
sa fille, avec elle, sous sa protection.
— « Elle sera heureuse, dit-elle, avec moi; j'en ferai ma
compagne. » Une telle proposition convenait admirablement
aux rêves de bonheur et de félicité que Louise avait formés,
plus d'une fois, sur le berceau de sa fille. Mais se séparer de
son enfant! cette idée torturait son ame, Marie au contraire,
se réjouissait de la faveur que le hasard lui offrait; elle se
voyait, enfin, dans un bien être et dans une de ces positions
brillantes qu'elle ambitionnait depuis longtemps. La fortune
et le bonheur avaient souri, plus d'une fois, dans la chaumière
de sa mère, à sa jeune et vive imagination. Elle accueillit donc
avec une secrète joie la proposition de la comtesse d'Harcourt
et, se séparant enfin de sa mère qui ne pouvait l'arracher de
son sein, elle partit en poste pour la capitale. Une autre Vie
et des mœurs nouvelles, commencèrent alors à s'offrir à son
imagination impressionnable; elle oublia bientôt les lieux de
Î84 H1STQIRB .SPÉCIALE £1 PITTORESQUE
sa naissance, et la cliaumii-requi la vit naître. Aussi, le pre-
mier changement qu'elle opéra dans ses habitudes pyrénéen-
nes, fut de quitter le costume de son pays et de transformer
(sacrilège profanation!) son nom de Marie, que sa mère lui
donna en venant au monde, en celui iïErnestine . Alors com-
mença, pour elle, cette vie d'aventures et de travestissements
dont nous allons esquisser quelques traits.
LES SALLONS ET LE BALLET.
La fortune de Mme d'Harcourt , et la réputation de beauté,
d'esprit et de bon ton dont elle jouissait dans la capitale,
faisaient de ses salons un des plus brillants et des plus suivis
de Paris. Des maréchaux de France aux manières impéria-
listes, des fils de riches émigrés, chargés d'or et de dignités,
à la suite des Bourbons ; d'élégantes baronnes d'autant plus
ennivrées de plaisirs et de toilettes qu'elles avaient connu de
plus près les dénuement de l'exil, des généraux ennoblis par
la cour, des marquis de bonne souche, des jeunes conseillers
d'état connus par leur dandysme, en un mot, tous les régimes
répandus à la cour, comme à la ville, étaient représentés dans
l'hôtel de la comtesse d'Harcourt. Aussi, l'hiver de cette année,
1818, est-fc-il mémorable dans l'Histoire de la Fashion pari-
sienne, soit par les plaisirs dont se montraient prodigues les
nobles parvenus, soit par les fêtes brillantes dont la jeune
comtesse se déclarait la reine. Mais ce qui réhaussait encore
l'éclat de ces soirées si délicates, par leur exquise urbanité,
c'étaient les grâces du corps et de l'esprit de celle qui en faisait
les honneurs. Vive, enjouée comme une coquette, sévère
comme une prude, spirituelle et gaie comme un vaudevil-
liste, Mme d'Harcourt, selon les circonstances et l'exigence du
moment, savait prendre tour à tour les formes et les allures
convenables à cette société si variée, d'ailleurs, de mœurs, d«
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 185
goùls et de caprices. Cette souplesse d'esprit n'était pas le
moindre triomphe qu'elle put remporter ; les nombreux ado-
rateurs qui se pressaient encore, tous les jours, dans son
boudoir, prouvaient suffisamment qu'elle avait d'autres titres
à cette idolâtre préférence.
Ainsi s'écoulèrent, joyeusement pendant plusieurs années,
les soirées d'hiver des salons de la jeune comtesse d'Hareourl.
qu'on plaçait au-dessus de tous cmix qui s'ouvrirent dans 1h
capitale, pendant la première époque de la restauration. Er-
nehïntt, la pauvre fille des Pyrénées, parut d'abord s'étonner
de cette nouvelle vie, entièrement excentrique pour ses goûts
modestes. Elle semblait devoir s'abituer difficilement aux
exigences de sa nouvelle position, tant l'éclat de la grandeur
de sa protectrice éblouissait ses yeux novices et peu faits à ce
luxe et à ces profusions de la fortune. Mais accoutumée à voir,
tous les jours, de plus près ce qui d'abord avait frappé singu-
lièrement son imagination, elle se familiarisa peu à peu avec
les hochets du grand monde. La jeune comtesse, qui lui avait
paru d'abord comme un être mystérieux, d'une nature diffé-
rente à la sienne, étudiée dans son boudoir, où elle était sa
confidente, perdit à ses yeux insensiblement de son prestige.
Les faiblesses de la coquette, ses caprices, ses fantaisies, nui
sirent considérablement encore a la considération quEr/u-stmr
aurait dû conserver dans son cœur, pour sa protectrice. Enfin.,
l'éducation futile qu'elle recevait aux dépens de la comtesse
d'Harcourt, qui voulait, selon son expression, rehausser les
grâces matérielles de la paysanne, par tons les agréments d<*
la société. Unirent par lui tourner la tête. Il n'en fallait pas
autant. Aussi, à dix-sept ans, c'est-à-dire après trois ans de
séjour à Paris, elle était parvenue à ce degré d'imitation tel-
lement perfectionné qu'on n'aurait su dire s'il était au-dessus
ou au-dessous de la coquette. L'antichambre et les secrets du
boudoir avaient changé le cœur de la fille simple et naïve des
montagnes ; l'orgueil et la passion devaient le pervertir, en le
rendant ingrat.
Parmi les habitués des salons de la comtesse iVHarcourt. on
486 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
remarquait principalement le jeune marquis d'Orval. Fier de
sa naissance et d'une fortune considérable, épris de ses belles
formes physiques qui le faisaient regarder comme le plus beau
cavalier de Paris, le marquis cherchait à jouer le rôle du
Love lace de l'époque. La plupart des femmes de distinction,
comme les petites bourgeoises, étaient asservies à ses lois; et
il comptait ses bonnes fortunes par centaines, lorsqu'il porta
ses hommages aux pieds de la jeune comtesse d'Harcourt.
Déjà leur intimité n'était plus un mystère pour personne. On
en répandait la nouvelle aux théâtres, à l'Opéra, sur les Bou-
levards, lorsqu'un incident en rendit la rupture, éclatante et
scandaleuse.
Dans une soirée de l'année 1821, une foule nombreuse et
des plus brillantes se trouvait réunie dans les salons de la
comtesse, qui, assise; sur une bergère, présidait un cercle richo
et élégant. Jamais on ne l'avait vu plus belle; ses beaux che-
veux, blonds retombaient en boucles ondoyantes sur ses
planches épaules ; une couronne de roses et de rubis pressaient
sa belle tête grecque, et une robe de brocart et d'or se des-
sinait en larges replis au dessons d'une taille de déesse. A ses
côtés, sur le derrière de son trône, Ernesiine dont les cheveux
noirs d'ébène, négligemment rattachés et une simple robe
blanche formaient toute la parure, se tenait à l'écart, les yeux
modestement baissés, comme pour obéir aux ordres delà
reine de la fête. Il était difficile de dire laquelle des deux
pouvait être la plus belle, de la comtesse ou de la jeune sui-
vante. Cependant tous les yeux se portaient avides sur la belle
fU'iir des Pyrénées. Ses yeux noirs fortement dessinés ; son
front large où deux bandeaux noirs glissaient sur une peau
d'albâtre, une taille divine et une jeunesse de dix-sept ans
faisaient donner la préférence à la jeune fille. Ce fut au milieu
de cette attention générale et au moment où la comtesse
d'Harcourt se promettait un triomphe assuré pour sa vanité,
qu'on demanda, de toutes parts, une walse. On applaudit a
cette proposition. Tandis que les premières notes d'un piano
cl d'une harpe résonnaient un accord et que déjà l'on se
m JJ.Ui^LBES-Dfc-LtJCHOiN. 187
disposait au plaisir de la danse, les cavalrers par le choix de
leurs dames, et les dames en rajustant les plis capricieux de
leurs robes; l'acomtesscd'Harcourt, se retournant vers le jeune
marquis d'Orval qui n'avait pas encore engagé sa danseuse :
— Marquis, lui dit-elle, votre galanterie est eu défaut; re-
nonceriez-vons ainsi à la walse? Allons, voyons, un peu de
complaisance.
— Vous trouveriez, sans doute étrange, comtesse, que je
tusse le seul à ne pas répondre à votre aimable invitation ?
répartit le marquis un peu déconcerté; mais il est des exi-
gences que je ne puis surmonter et je crains- . . .
— Allons, marquis, répondit la comtesse, en lui tendant
une main obligeante, la musique commence, sacrifiez* vous
avec grâce ?
— Nous le voulez, madame? Eh bien ! je vous obéis.
Aussitôt le marquis, distrait et fougueux, «s'avance de trois
pas et va prendre la main d Ernestine, au moment où la walse*
était déjà commencée; et se plaçant à son rang, il entraîne
dans le tourbillon la jeune fille qui s'y prête avec orgueil. Ce
mouvement singulier de prédilection fut aperçu d'une partie
de l'assemblée qui, les yeux iixés sur le marquis et sur sa
dame, suivent tous leurs pas. Une autre partie des danseurs
se retire du cercle, afin d'admirer mieux à leur aise cette
nouvelle et singulière intronisation. Enfin, le marquis seul et
Ernestine emportés par le mouvement de la musique, exécu-
tent les mesures vives et rapides de la walse. On admire la
souplesse, la légèreté et les poses ravissantes de la jeune lille;
cette grâce d'action et d'élasticité provoque, dans l'assemblée,
de vives comparaisons : « Veslris ne danserait pas mieux » ,
disait un maréchal de France : » Je doute, disait un due, que
Mlle Dorival eût autant de grâces et de noblesse. Ce fut au
milieu de toutes ces flatteuses comparaisons, que le marquis
d'Orval ramena sa belle Ernestine sur le siège de sa domes-
ticité.
Un silence morue succéda aussitôt à la folle vivacité de la
danse, ou murmurait néanmoins, par intervalle quelque*.
188 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
mots entrecoupés; la comtesse, gênée sur son trône, prétexta
une migraine qui la forçait, malgré elle, de se retirer un
instant dans son boudoir; ses salons furent fermés depuis ce
moment, et ils ne s'ouvrirent plus dans la suite. Le lendemain
tout Paris apprit la déconvenue de Mme la comtesse d'Harcourt
et l'enlèvement de sa jeune suivante qui vint habiter dans la
rue Richelieu, l'hôtel fameux du marquis d'Orval. Le fau-
bourg Saint-Germain s'entretint longtemps de ce double
scandale qui fut oublié, à son tour, au milieu de tant d'autres.
Ainsi vont les choses à Paris.
Trois ans après cette aventure qui était passée du souvenir
des contemporains, peu soucieux, sans doute, de se rappeler
les noms de la comtesse d'Harcourt, du marquis d'Orval et
d'Ernestine, une affiche du théâtre de Toulouse annonçait
une représentation extraordinaire, donnée par une première
danseuse en passage et qui était de grand renom sur les théâ-
tres de Rouen, de Bordeaux, de Marseille et de Lyon; elle
devait figurer dans le ballet intitulé : Les amours de Vénus,
en trois actes, de D anche t et Campra. Ce genre de spectacle
était nouveau pour les Toulousains, toujours avides de musi-
que: aussi le directeur se promettait-il bonne recette; il ne
se trompait pas.
C'était le 14 juin de l'année 1824 que la première danseuse
en passage s'annonçait sur le théâtre du Capitole. Le spectacle
devait commencer à sept heures du soir et la salle était déjà
comble à cinq heures. Les balcons, les loges avaient été
envahis par tout ce que la cité comptait de plus élégant. Les
trépignements du parterre, l'impatience des premières que
composait un flot mouvant de riches toilettes témoignaient
de l'avide attente des spectateurs dont tous les yeux étaient
lixés sur l'avant-seène. Tout-à-coup le rideau est levé, des
applaudissements frénétiques éclatent de toutes parts, à la
vue de la première danseuse qui s'avance sur la scène sous le
costume de la déesse des amours. Un voile léger couvrait ses
formes délicates et suaves; les grâces d'une immortelle as-
sortaient de toute» ses poses. Mais ce n'était là que le prélude
I»E BAGNERLS-DK-UUlOiV 189
d'un triomphe; car tout-a-coup, et au moment où l'orchestre
annonce la rentrée des deux compagnes de la déesse, les trois
Grâces, les pas sublimes et gracieux de la danseuse ravirent
d'admiration les spectateurs. Des applaudissements nombreux
retentirent avec fureur: des couronnes jonchèrent les planches
et, depuis ce moment, la danseuse qui n'était autre qu'Ernes-
tine, ne cessa d'enlever les suffrages de l'assemblée.
— « Jamais, depuis la création du monde un semblable
talent n'avait paru sur la terre. » Telles étaient les expressions
dont se servait un journaliste de l'époque, en pariant de cette
soirée et de celle qui en avait l'ait les honneurs.
INTRIGUES ET DENOUEMENT,
I^es représentations suivantes qu'Ernestine donna sur h*
théâtre de Toulouse finirent par lui acquérir la bienveil
lance générale d'un public admirateur, avide de son talent.
Mais si, comme artiste, elle avait remporté le triomphe le
plus complet et le plus flatteur pour son amour-propre, sa
beauté séduisante, ses bonnes manières et surtout la finesse
de son esprit, qui avait franchi les secrets de la coulisse,
pour servir de thèse aux conversations des salons de la ville,
lui avaient fait éclore un grand nombre d'adorateurs. A vingt
ans, quand on est belle, spirituelle et première danseuse, on
peut se promettre des conquêtes. Ernestine avait, au reste,
depuis long-temps l'habitude de ces sortes de victoires, et la
vertu n'était plus pour elle un obstacle pour arriver à lu
fortune par la voiedes sentiments et des passions.
Parmi les lions de l'époque, Toulouse comptait alors Iroâs
loustics de première race : l'un, fils d'un riche émigré qut
jouissait, en propre, d'une fortune de soixante mille livres
de rente et d'une habileté plus rare encore à les dépenser ;
\
190 HISTOIRE SPÉCULE ET PITTORESQUE
un célèbre avocat, très-célèbre aussi par ses aventures
scandaleuses, et un célibataire, ex-banquier, vieux rentier
alors et que l'on disait cousa d'or comme un Crésus. Ces
trois notabilités de la chronique scandaleuse s'étaient pro-
mis en secret d'emporter, d'assaut les faveurs de la belle
danseuse. Les compétiteurs avaient tous , comme on dit,
une position sociale bien assise , c'est-à-dire qu'ils étaient
riches. Mais ils différaient considérablement dans l'ordre
de la naissance et de l'âge. Le premier était jeune-, libre de
corps, d'esprit et de tuteur ; le second, d'un âge mur, se
trouvait enchaîné dans les liens de l'hyménée; le troisième,
vieux célibataire, cacochyme, se ressentait des primitives
{tassions de sa jeunesse, par habitude et par caprice. L'or
et la séduction, qu'ils jetèrent avec profusion aux pieds de
la danseuse, la trouvèrent insensible.
Toutes les tentatives individuelles étaient devenues inu-
tiles, lorsque le vieux célibataire, M. Rustan , résolut de
frapper un dernier coup à la porte de la cruelle qui refusait
son cœur, ses hommages et ses présents. 11 demanda donc
une audience particulière à la jolie déesse, pour expliquer
en sa présence ses dernières volontés. Il est refusé dans ce
simple désir.
— Parbleu, dit-il, fatigué de tant d'instances, nous ver-
rons bien si un homme d'honneur comme moi peut être
ainsi impunément méprisé.
Il faisait en lui-même ces réflexions au sortir du spec-
tacle, où son imagination exaltée par tant de séductions,
venait d'être frappée par un refus formel que son valet de
pied lui avait signifié dans sa loge, par ordre de la danseuse.
N'écoulant alors qua sa passion, M. Rustan qui se sentait
rajeunir sous le poids de ses soixante-dix ans, se dirige vers
la rue Matabiau, et pénétrant dans le logement de Mlle
Ernestine il attend sa rentrée du théâtre avec la fierté d'un
romain. Une secrète jalousie le portait encore à cet excès de
bravoure ridicule. Il attendit avec calme mais non sans
anxiété, le retour de la sylphide qui, en ce moment, entrait
DE BAGNKUES-DE-LUCHON. 191
dans ses appartements, accompagnée d'une duègne.
— Mademoiselle, dit alors M. Rustan, en suivant ses pas
jusques dans le sanctuaire des amours; mademoiselle, par-
donnez à mon audace, si j'ose violer ainsi le secret de votre
demeure. Mais désespéréde vos refus, je viens apprendre de
votre bouche même l'arrêt qui me force de m'éloigner de
vous. Parlez » en prononçant ces mots, il disposait sans
trop de façon d'un siège pour s'asseoir.
— Ma conduite, monsieur, répondit avec gravité et mo-
destie, l'aimable danseuse, n'a pas besoin d'explications.
Vous vous êtes mépris en m'adressant vos billets et vos
offres, je vous pardonne, M. Rustan , mais c'est à cause de
votre erreur. Je suis fâchée que mes pareilles ne vous aient
pas habitué à tant de rigueur.
- Mais cette rigueur.
— Est sans capitulation, Monsieur Rustan, répartit avec
vivacité l'interlocutrice; on ne transige jamais avec sa
conscience. La vertu ne connaît point de semblables conces-
sions.
Ces dernières paroles, prononcées avec un ton grave et
solennel déconcertèrent le vieux séducteur. Il balbutia quel-
ques mots et demanda la faveur de voir la belle déesse ; non
plus en termes de visites équivoques, mais comme ami.
Des relations établies d'une manière si brusque et habile-
ment conduites par la jolie déesse, finirent parètre sérieuses
par la suite. Car, à la veille d'une dernière représentation
qui devait clôturer d'une manière brillante l'engagement de
Mlle Ernestine, comme première danseuse, en passage à
Toulouse, la ville apprit avec douleur, mais non sans force
quolibets, son mariage avec M. Rustan, le riche célibataire.
Ce désapointement général fut suivi du départ précipité des
deux époux qui allèrent ensevelir les joies de leur hy menée
dans le bruit et le mouvement de la capitale. Nous ne trou
blerons point les instants de leur repos et de leur bonheur
en dévoilant un à un les secrets de leur vie intime. Nous
dirons seulement que le vénérable mari ne vécut que peu
192 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
d'aimées avec son augusle épouse, qui en fut délivrée heu-
reusement, le 10 du mois d'octobre 1829, par suite d'un
asthme humide. Cette mort laissa à la veuve de M. Rustan,
pour la consoler de cette perte, une fortune d'environ qua-
rante mille livres de rente.
C'est dans cette haute position sociale que la révolution de
1830 trouva Mme de Rustan , qui s'était ennoblie pendant
son veuvage et qui, pour se mettre à la hauteur de sa posi-
tion; occupait le même hôtel de Mme la comtesse d'Harcourt
que des malheurs de famille et de fausses spéculations avaient
forcée de se retirer à la campagne-. Mme de Rustan se trouva
plus à son aise, dans cet hôtel où douze ans auparavant, elle
avait été en domesticité. Cette dernière circonstance ne se
réveilla pas dans son imagination qui trouvait, dans les
souvenirs de M. d'Orval, d'autres motifs d'illusions. Aussi,
comme si elle eût voulu faire revivre, dans ce magnifique
séjour, toutes les joies et les plaisirs qui l'avit rempli, à l'é-
poque des soirées de la comtesse d'Harcourt, elle ouvrit ces
mêmes salons. Mais cette fois ce fut sous son unique patro-
nage et en faveur de la nouvelle aristocratie, née des bar-
ricades. Là, on vit tel avocat et tel journaliste qui, après
avoir défendu les principes républicains, à une époque où
ils n'étaient que citoyens, s'annoncèrent avec la morgue des
marquis de l'ancien régime. En un mot , les salons de
Mme de Rustan n'étaient fréquentés que par des ministres,
des députés, des conseillers-d'état, des receveurs aux gages
de la nouvelle révolution. Un autre ordre de choses et de
récents personnages s'étaient naturellement substitués, sous
ces mêmes lambris, au régime et aux nobles de la restaura-
tion. Ainsi vont les destinées des hommes.
La réputation de Mme de Rustan et son influence politi-
que étaient proverbiales dans Taris comme en province.
Tout le monde connaissait son intimité plus que particulière
avec un des ministres de l'époque ; c'est ce qui alimentait
ta chronique scandaleuse des journaux grands et petits,
lorsque le hasard, le désœuvrement et plus que tout cela
DE B.VfiNKIlKS-nF-U'UlON. 105
l'ambition de parvenir conduisit à la capitule Auguste
d'Hauteville, jeune avocat d'une petite ville de province.
Des lettres de recommandation lui avaient été données en
grand nombre, comme c'est l'usage en pareille occurrence,
lorsqu'il partit pour Paris en 1832. Mais ces missives de
complaisance lui furent moins utiles que la présentation
d'un ami de son pèreàMmc de Rustanqui, selon l'expression
originale de ce protecteur, tenait le haut bout dans la saeièlê
parisienne. En effet la jeune veuve se prit d'affection pour
ce jeune homme qui voulait, disait-elle avec raison, l'aire
son chemin. Elle le prit sous sa sauvegarde ; et lorsque le
moment fut venu de le produire :
— Auguste d'Hauteville, lui dit-elle, votre avenir est près
de se réaliser. Vous saurez bientôt à quelle condition.
— Ma reconnaissance pour vous, Madame .. .
— Ne parlons pas de reconnaissance, Auguste, inter-
rompit-elle; entre vous et moi ce mot doit être rayé de la
conversation. Il y a plus que cela encore, entendez-vous,
Auguste? Elle accompagna ces dernières paroles d'un sourire
plus qu'affectueux.
— Je suis pénétré, Madame Mais je n'ose... serait-il
vrai?
Eh oui, certainement, répondit la jeune veuve ; vous
m'avez fait, depuis trois mois que vous habitez dans mon
hôtel, des déclarations que j'accepte. Jusqu'alors j'avais
feint de ne pas vous comprendre. Mais le temps est enfin
venu de s'expliquer. Voilà ma main et votre nomination de
président dans votre chef-lieu de département-
— Oh! Madame, que vous me ravissez ; c'est deux bon-
heurs à la fois que vous m'accordez.
— Oui, Auguste, voilà où conduit le mérite d'un jeune
homme. Quant à moi,- je serai fière d'être appelée désormais
Mme la présidente d'Hauteville.
194 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
IV"
INGRATITUDE ET MALÉDICTION.
Deux maris en moins de six mois, une immense fortune
et une présidence avaient fait oublier à Mme d'IIauteville ses
premiers débuts dans !a carrière des amours et du théâtre.
La considération et les flatteries dont l'entourèrent encore
les notabilité du chef-lieu, opérèrent en elle une de ces
transformations morales qui ne laissent plus le souvenir du
passé. Elle ne voyait autour d'elle que le rêve des grandeurs
et l'orgueil de sa position, dans ce bien-être d'une existence
toute d'honneurs et de fortune. Elle vivait ainsi , depuis
quatre ans dans cet atmosfphère de félicités et d'illusions,
lorsque M. le président d'IIauteville résolut de faire une
partie aux bains de Bagnères-de-Luchon. Les graves préoc-
cupations de la magistrature avaient ruiné, en quelque sorte,
la santé robuste de ce jeune d'Aguesseau ; les thermes bien-
faisants devaient la réparer. M. le Préfet et Mme la Préfète
devaient l'accompagner; il n'était pas fâché de cette cir-
constance pour faire briller, au pied des Pyrénées et au
milieu du cercle d'étrangers qui fréquentaient Luchon, l'es-
prit et les grâces de JVlm« la présidente. C'était là le secret
amour-propre que se promettait de satisfaire M. d'Hauteville.
En conséquence, le 8 juillet de l'année 4837, une voiture,
de poste à quatre chevaux partait de l'hôtel de la présidence
et se dirigeait en toute hète vers les Pyrénées. Un beau ciel
d'azur s'étendait sur la tête des voyageurs. Le soleil était
rayonnant dans l'espace et la nature s'épanouissait riche de
tout l'éclat d'un printemps radieux Le lendemain du départ
une élégante calèche louchait les premières lignes, de la
riante vallée de Luchon , lorsque pour monter un petit
coteau qui était le dernier terme de la roule , les voyageurs
mirent pied à terre.
DE BAGNÈftES-M-LUCHOtf. 193
— Que la nature est, belle! s'écria M. le Président d'Hau-
leville, en portant do tous cotes ses regards admirateurs.
Ni les montagnes de la Suisse, ni les Alpes, continua-t-il,
ne sauraient égaler les Pyrénées.
— Oh la délicieuse vallée ! exclama M. le Préfet, en voyant
dérouler tout-à-coup à ses yeux cette large pelouse, au mi-
lieu de laquelle s'élevait comme une reine, la villa de Luchon.
Chacun des interlocuteurs exprimait alternativement son
admiration sur chaque objet qui frappait leurs regards;
Mme la Préfète et Mme la présidente partageaient l'étonne-
mentde leurs augustes époux. Arrivés au sommet du coteau,
les voyageurs se disposaient à monter dans leurs voilures,
lorsqu'une pauvre femme, courbée par le malheur et la
misère, plus que par l'âge, s'approche de ces heureux du
siècle, en leur tendant une main suppliante.
— Donnez, disait-elle avec une voix tremblante, donnez
quelque chose à la pauvre infortunée?
Elle répétait souvent avec importunité cette même prière,
en suivant, les yeux baissés, les deux couples heureux qui
rejoignaient à pas forcés les voitures qui les attendaient. La
figure hâve et amaigrie, haletante de fatigue, la pauvre femme
agitait péniblement ses haillons sur ses faibles jambes, afin
de n'être pas en arrière de tous ces riches étrangers .-
— Donnez, répétait-elle plusieurs fois, donnez donc quel-
que chose à la pauvre infortunée?
Mais on était sourd à la prière que la pauvre femme fesait
retentir, pour la dernière fois, à leurs oreilles, alors que les
couples voyageurs s'arrêtaient devant leurs voitures. L'infor-
tunée, debout, immobile, en face de la portière, les regardait
monter sur le marche-pied du carrosse élégant, quand lout-
à-coup et au moment où Mmc la présidente se détournait
pour prendre la main de son époux, elle a reconnu des traits
qui sont familiers à son cœur. A cette vue, la pauvre femme
pousse un cri de surprise qui frappe d'étonnement les augus-
tes étrangers ; elle chancelle et tombe. Un instant, la pitié
semble avoir pénétré dans leurs cœurs. M. le président lui
196 HISTOIRE SPÉCULE ET PITTORESQUE
môme allait relever l'infortunée. Lorsque Mme la Préskjente,
d'abord un peu embarrassé, reprenant toul-a-coup sou air
naturel .-
— Qu'on fouette les chevaux dit-elle; j'ai hâte de voir
ces délicieux vallons qui s'élargissent devant nous. M. d'Hau-
te ville, fermez la portière?
Le lendemain, aux premiers rayons de l'aurore, la pauvre
femmequ'on avait laissée évanouie sur la voie publique, vint
s'asseoir sur le seuil de l'hôtel où M. le président d'Haule-
ville était descendu la veille. Chaque domestique, valet de
pied ou bonne qui descendaient des appartements du pre-
mier, trouvaient cette infortunée leur tendant la main , en
murmurant ces mots :
— Dites à votre bonne dame que Louise, la pauvre mère
de Marie lui demande un peu de pain.
Cette manière assez originale d'invoquer la charité des
personnes fut rapportée à Mme la présidente qui envoya une
pièce de dix sous à la mendiante. Elle accompagna la géné-
rosité de ce don par ces paroles ;
— Allez porter cela à cette vieille folle ; et surtout qu'on
la chasse des abords de mon logement. Qu'elle ne s'offre
point à ma vue !
Lorsque la mendiante eut appris les ordres de la prési-
dente, de la bouche même de son laquais qui lui remettait
l'aumône de sa maîtresse, elle se releva convulsivement et.
reprenant le reste de vigueur qui s'échappait de son corps
amaigri :
— Allez porter cette aumône à celle qui me l'envoie, s'é-
cria-t-elle en jetant la pièce de monnaie à ses pieds, dites-lui
que j'estimais sa vie à un plus haut prix, demain fera trente-
trois ans, Ah ! continua-t-elle, la grande dame ne veut pas
voir mes haillons qui la font rougir. Eh bien! je reste ici,
moi, et je publierai devant tout le monde le déshonneur de
sa naissance. Dites-lui que le ciel
Elle ne put continuer, tant l'émotion et la colère se pres-
saient dans son sein. Elle se roula sur les dalles des mon Vif
DE BAGNÈRÉS-DÉ-LUCHON. 197
de l'hôtel et tomba dans une espèce d'engourdissement moral
et de prostration intellectuelle.
Le soir de la môme journée, la voiture de M. le président
d'Hautevilleet son équipage reprenaient la routede Toulouse.
Mme la présidente avait éprouvé des maux de nerfs et une
langueur qui exigeaient un changement subit d'air et de cli-
mat. Le déménagement et le départ s'exécutèrent le plus
promptement possible. La nuit fut calme. La mendiante re-
vint le matin, et on lui apprit que la grande dame avait
quitté Bagnéres-de-Luchon.
— Elle est partie! s'écria alors la pauvre femme. Elle est
partie! oh! c'était bien elle. Pauvre mère! plus rien pour
toi que la honte, le mépris et la misère... oui, le mépris !
le mépris de sa fille. Malédiction sur elle et sur sa race!
maintenant, je suis libre, s'écria-t-elle, après quelques ins-
tants de silence; rien ne m'attache plus sur cette terre in-
grate. A pareil jour, le 11 juillet, il y a déjà trente trois
ans j'aurais dû cesser de vivre : la pauvre femme se tût.
La mendiante triste et pensive prit alors le chemin de sa
cabane; elle se renferma sous le modeste toit de chaume et
vingt-quatre heures après un cadavre desséché fut porté en
terre sans prêtre, sans parents, sans amis. C'était, dieait-on,
dans le village, le corps d'une damnée.
Maintenant, la prostituée du marquis d'Orval, la danseu-
se d'Opéra, la veuve de Rustan, la présidente d'Hauteville
pourra désormais venir respirer l'air pur des Pyrénées,
dans la belle vallée de Luchon. Elle ne verra plus la men-
diante, assise à la porte de son hôtel, comme un remords
au fond de la conscience d'uucoupable. Mais elle y trouvera
quelque chose de plus terrible : la malédiction d'une merc
et un suicide !
\:\
MARGUERITE, LA FILLE DU DOUANIER
ou
LA VALLÉE D'ASTO.
Le 1 5 août, solennité de l'Assomption de la Vierge, le bruit
et le mouvement des étrangers qui emplissaient la petite ville
de Luchon, se communiquaient aux vallées environnantes.
Bagnères, cette reine de nos montagnes, transmet, tous les
ans, à la saison des bains, quelque chose de sa grandeur et de
sa fortune à toute la contrée qui se presse autour d'elle. Mais,
ce mois et cette année qui servent de date à notre récit,
Bagnères-de-Luchon avait effeuillée sa couronne de reine des
montagnes pour épandre çà et là, les mille joyaux qui lui
servaient de fleurons. En d'autres termes et pour parler sans
figure, les eaux de Luchon, cette année, avaient attiré une
foule si considérable d'étrangers qu'il était impossible de les
contenir dans l'enceinte de la ville.
Aussi qu'arrivait-il? C'est que ceux qui n'étaient appelés
auprès de ces Thermes que pour des motifs d'agréments et de
plaisirs, profitaient de leur séjour dans les Pyrénées pour
visiter les riantes vallées qui s'étendent autour de la ville des
bains. Les vallées du Lys, de l'Hospice, de Larboust, d'Oueil
étaient sillonnées, dans tous les sens, par déjeunes et de belles
dames ou par d'intrépides Touristes, avides de tout admirer.
Quel mouvement ? quelle vie ? surtout après le silence et le
repos si solennels de l'hiver !
DE BÀGxNÈHES-DE-LlXHOiX. 199
Néanmoins, une seule vallée restait plongée dans le mystère
du calme et de la paix que ne troublaient point les courses
bruyantes des turbulents visiteurs des Pyrénées. Cette vallée
était celle d'Asto qui se prolonge à l'extrémité de la vallée de
Larboust, autour des flancs de laquelle on la voit se dérober,
comme un enfant épouvanté et craintif, se cache et se dérobe
dans le sein de sa mère.
Or, ce môme jour du mois d'août, fête de l'Assomption de
la Vierge, le soleil se levait pur et brillant dans un ciel bleu
et sans nuages. Ses rayons étincelants de lumière, bornés dans
l'horizon des Pyrénées par de hautes montagnes, n'éclairaient
pas encore la riante vallée d'Asto, assise comme un oasis du
désert, au milieu des prairies, des bois et des ombres fugitives
de la nuit. Tout dormait dans ce frais et sublime paysage
de la belle nature. Bergers, troupeaux, femmes, enfants,
aucun de ces êtres de la création ne semblait de long-temps
vouloir donner, ce jour-là, signe de vie. Tout était plongé
dans le repos. Silence solennel qui ravissait l'âme de tendres
émotions; bonheur indicible qu'il n'est permis de goûter seu-
lement qu'au sein des Pyrénées ; repos des bonnes gens qu'on
ne retrouve plus que dans ces vallons perdus, ignorés des
montagnes ; malheur à qui, dans la pureté de son cœur, n'a pu
jamais s'inspirer des charmes de votre délicieuse poésie !
Cependant le village d'Oo, situé à l'extrémité auguleuse
de la vallée, sur un plateau de verdure, entouré de forêts, de
sources jaillissantes et de pics gigantesques, sortait du calme
de la nuit et avait secoué, seul, parmi tant d'autres village?,
les voiles du sommeil. Car, dès les premières clartés de l'aube
naissante, la cloche de la modeste chapelle avait réveillé les
échos endormis de ces lieux solitaires, et à ses sons religieux,
s'était marié déjà le bruissement domestique des habitants.
Or, ce mouvement, ce réveil matinal du village au fond de
la vallée ombreuse, annonçaient de grands préparatifs, de
joies ineffables. Plus d'un cœur de jeune fille s'était laissé
surprendre, pendant les rêves de la nuit, aux tendres espé-
rances qui devaient l'agiter dans la journée. Car ce jour étail
200 HlSTOffiE SPÉCIALE ET PITORESQUE
celui de la fête patronale d'Oo. Tous les ans la solennité de
l'Assomption est, pour les montagnards de ce coin des Pyré-
nées, le seul jour d'oubli qu'ils se permettent dans le cercle
perpétuel de leurs travaux annuels ; c'est la halte la plus douce
dans le cercle de leur vie laborieuse, le sentiment le plus
exquis de leur existence au milieu des absorbantes occupations
de la brute. Il ne faut donc point s'étonner, si ce jour de fête
excitait tant d'empressement à l'heure où le soleil commençait
à peine à paraître sur l'horizon.
— M. Charles, dit alors un hôte de ces lieux qui avait de-
vancé le réveil de l'aurore, à un jeune étranger arrivé de la
veille, et que le trop-plein de Luchon avait engagé à visiter
ces lieux ; M. Charles, levez-vous, l'aubade va commencer ;
la musique patronale ne doit point vous surprendre endormi.
Entendez-vous déjà les chants de notre jeunesse? c'est le
signal du réveil. Qu'on vous trouve donc sur pied comme tous
les autres ; il faut ça dans nos montagnes.
En effet, quelques instants après, quatre commissaires, au-
trement nommés compagnons, bariolés de rubans de mille
couleurs et ornés de bouquets, suivis de trois ménétriers, se
présentèrent devant la demeure de l'hôte de Charles qui fut
gratifié, à son tour, d'un concert matinal. Chaque habitant
avait été déjà honoré d'une pareille sérénade. C'était pour le
jeune étranger le commencement d'une fête qui promettait
devoir être bien agréable. Ses espérances ne furent point
déçues. Car, il put admirer successivement, avec son regard
observateur, le naïf empressement des habitants de tous les
points de la vallée qui se rendirent en foule à l'invitation de
leurs parents et de leurs amis du village d'Oo ; leur tenue
simple et religieuse aux offices de la samte chapelle, décorée
avec une simplicité élégante et rustique; enfin, les mœurs
patriarchales, les usages antiques gardés pendant les repas
dont une joie franche et cordiale, telle qu'on n'en voit plus,
faisait tout l'ornement. Il n'est point jusqu'à la parure des
jeunes tilles, à la familiarité de leur langage et au laisser-aller
sans prétention de la danse qui ne fissent l'admiration de
Charles.
DE BA6NÈBES-DE-LUCH0N. 201
— « C'est bien là, disait-il souvent en lui-même, le bonheur
que l'on cherche dans les villes et qu'on ne retrouve qu'ici !»
Et clans ces moments d'observation, il pouvait à peine con-
tenir l'enthousiasme qui absorbait entièrement toute son
existence.
— Que la méditation est douce dans ces heures si rares
de satisfaction intérieure! Que la solitude a des charmes,
disait-il, lorsque l'àme vient de contempler de semblables ta-
bleaux tracés par la main de la providence ! on est jaloux de
partager seul ce bonheur , tant on voudrait le communi-
quer si p8u au reste des humains.
Sous l'influence de ces pensées généreuses, Charles tom-
bait insensiblement dans de mélancoliques rêveries.
— « Pourquoi Dieu, s'écriait- il alors, ne nous a-t-il point
fait n'aître avec la même destinée ! Pourquoi ce bonheur
n'est-il point celui de tous les jours de notre vie?» Et pendant
qu'il donnait ainsi dans son esprit un libre cours à ces ré-
flexions philantropiques, il venait d'être le spectateur obligé
de toutes les félicités de ces bonnes gens du village. Leurs
joies, leur éclatante allégresse arrivaient encore par inter-
valles à son oreille, comme le bruit lointain d'une vague ex-
pirante ; tandis qu'échappé pour un moment à cette atmos-
phère de délicieux plaisirs , il contemplait non loin du lieu
de la fête, l'horizon, les paysages et les accidents si variés
de la montagne qui encadrait la scène.
D'un côté, c'était le port de Venasque qui semblait se per-
dre dans la brume du ciel, ainsi qu'un sillon fantastique tracé
dans les nuages; c'était le pic Quaïrat qui, semblable à un
vieillard brisé par les années , ne montrait que ses ossements
décharnés de granit ; c'était, enfin Super-Bagnères, le château
de Castel- Vieil , Bocaner dans le lointain qui apparaissaient à
sa vu enchantée, comme des hôtes gigantesques, dignes d'a-
voir ces vallons et ces montagnes pour demeures. Dans ces
moments d'absorbante contemplation :
— Jacques, disait-il souvent avec une curidSïté toujour-
202 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
nouvelle, à son guide montagnard, quel est ce pic qui s'é-
lève si majestueusement devant nous?
— C'est le pic de la Picade, monsieur; répondait sans trop
de façon, le cicérone du pays.
— Et ce passage étroit qui se dessine entre ces deux mon-
tagnes couvertes de sapins, qui s'étend sur de riches pelou-
ses, s'évase, s'alonge et se perd aux pieds de ce rocher sour-
cilleux?
— C'est le col du Lys , le rendez-vous de tous les bergers
de la vallée qui se réunissent là pour garder les troupeaux.
Demain je dois y conduire mes vaches.
— Et ce site, au milieu de la montagne, ombragé par une
touffe d'arbres groupés autour d'un toit de chaume?
— Oh ! pour celui-là il n'a pas de nom dans la contrée;
depuis deux ans seulement , on appelle ce lieu la cabane du
douanier. Hem! c'est là qu'est.... Mais il vous importe peu à
vous qui n'aimez que le paysage, comme vous dites souvent.
— Voyons Jacques, que renferme de mystérieux cette ca-
bane? répliqua Charles étonné de cette réserve; un tueur de
contrebandiers, sans doute: quelque sorcier peut être? que
dis-tu, Jacques?
— Oh ! non monsieur; c'est la demeure de Marguerite, la
tille du douanier; voilà tout.
Et puis
Il fut impossible d'arracher d'autres explications de la
bouche du guide qui gardait un silence obstiné. Le jeune
étranger sentit redoubler encore plus sa curiosité par la dif-
ficulté môme qu'on opposait à la satisfaire. Et prenant un ton
d'impatience naturel à son âge:
— Eh bien, dit-il, puisque tu me fais des mystères sur
cette Marguerite, je veux la voir. Est-elle dans sa cabane?
— Toujours.
— M'accompagneras-tu sur la montagne?
— Je suis à vos ordres.
A peine ces derniers mots furent-ils prononcés que Charles et
son guide gravirent la montagne dans cette direction : et se
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 205
perdirent à travers des sentiers détournés, couverts de gazon
et d'ombrage. Le voyage fut silencieux de part et d'autre.
Après une ascension d'environ trois quarts-d'heure, ils arri-
vèrent sur un plateau désert, resserré entre deux pics rap-
prochés par leurs sommets qui l'abritaient de tous les côtés.
Ils dirigeaient leurs pas vers l'enfoncement d'un petit bois,
lorsque Jacques s'arrêta tout-à-coup et désignant de sa main
droite un toit de chaume qu'on entrevoyait à peine à travers
le feuillage des arbres, il accompagna ce signe de ces deux
syllabes indicatives.
— C'est là !
Le jeune homme à l'instant, sans aucune autre information
s'avance seul, lentement, tourne en tout sens le bosquet, et
n'aperçoit d'abord rien qui frappe sa vue , quand se glissant
mystérieusement derrière la cabane, il vit, assise sur un ar-
bre renversé et à l'ombre d'un pommier, une jeune fille les
yeux alternativement fixés sur un livre. Sa beauté était ra-
vissante; un air de mélancolique tristesse était empreint sur
tous ses traits légèrement dessinés. Le délicieux ornement de
sa parure et de ses cheveux négligement noués, l'attention
qu'elle prêtait à sa lecture, tout faisait bien soupçonner qu'elle
ne s'attendait point à recevoir des visites. Ce jour, comme
tous les autres, la pauvre enfant se croyait seule dans la soli-
tude. Néanmoins, le jeune étranger, immobile, à une certaine
distance, contemplait à son aise cet ange de la montagne. Un
mouvement brusque de la fille le détermina cependant à faire
quelque pas vers elle. A ce bruit, elle lève la tête et, pouvant
à peine contenir sa snrprise, elle voit l'étranger qui se dirige
vers elle.
— Pardon ! belle enfant, dit-il un peu confus lui-même
d'une entrevue si subite ; pardon ! en parcourant ces lieux,
je ne croyais pas avoir une si agréable rencontre.
— Il est vrai, monsieur, lui dit la jeune tille revenue à peine
de sa frayeur, que ces lieux sont peu faits pour y appeler des
habitants.
— Et pourtant vous lesjiabitez bien vous-même, répartit
*M)l HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Charles, surpris d'abord de l'accent et du bon ton de la tille
du douanier. Car, il ne doutait plus que ce ne fût la mysté-
rieuse Marguerite. Et prenant aussitôt un air d'intérêt et
d'affection tendre: que faites-vous donc ici, seule, dans cette
chaumière?
— Je vis ici avec mon père, en attendant de mourir seule.
— Vivre à dix-huit ans, c'est ce qui vou9 convient, mais
mourir, n'est pas encore de votre âge. Il me semble cependant,
si je ne me trompe, que la lecture fait votre unique passion,
car je vois un ouvrage entre vos mains. Il est vrai qu'il faut
avoir au moins une passion sur la terre.
— Celle-là, au reste, murmura la jeune fille, en soupirant,
ne laisse point de regrets après elle.
Cette dernière réflexion échappée d'une bouche qui parais-
sait devoir ignorer encoie le malheur, affligea singulièrement
le cœur de Charles qui craignit d'être trop indiscret dans ses
questions Néanmoins il se permit de lui demander encore le
nom de l'ouvrage qui l'intéressait lorsqu'il l'avait distraite de
sa lecture si mal à propos.
— Les Nouvelles de Florian, dit-elle, avec timidité.
— Joli ouvrage ; laquelle des nouvelles, je vous prie?
La jeune fille, hésitant un instant à cette demande, répondit
enfin, mais cette fois avec des larmes dans les yeux : Claudine,
l'infortunée savoyarde.
Un silence craintif succéda un moment à cette réponse De
part et d'autre on n'osait point l'interrompre comme si l'on
eût craint des explications fatales Mais soit bienveillance, soit
curiosité forcée, Charles se hasarda le premier à manifester
un sentiment sur le choix de cette nouvelle.
— Claudine, dit-il, pour un cœur sensible, a le mérite, dans
son action dramatique, d'être une lecture touchante.
— Et consolante, répartit la jeune fille, surtout pour celle
à qui elle n'a pu être instructive. Oui, monsieur, je suis Mar-
guerite, la fille du douanier dit-elle un instant après ; il n'est
pas qu'au village on ne vous ait dit mon nom ; je suis cette
infortunée Marguerite qui, comme Claudine, déplore ici,
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 205
exilée de mes compagnes, la faiblesse d'avoir cru à un séduc-
teur. C'est vous faire assez connaître ma prédilection pour cette
nouvelle de Florian. Encore si je pouvais espérer de trouver
comme elle mon enfant et un Belton, mais non.
Les sanglots étouffèrent sa voix- Dès ce moment, le mystère
fut dévoilé, et le silence de Jacques expliqué. Le sensible
jeune homme ne put, lui aussi, retenir ses pleurs en voyant
ceux que versait la belle Marguerite. Profitant de l'identité de
sa position avec celle de Claudine, il lui fit espérer que le
séducteur reviendrait à de plus nobles sentiments ; surtout
s'il était bien né.
— Lui ! répliqua-t-elle avec vivacité; lui ! connaître les
sentiments nobles? Non jamais. On ne cherche point à égarer
une jeune personne de seize ans, arrachée au couvent pour se
jouer de son honneur; ou si on a le cœur assez bas pour cela,
il faut avoir l'àme assez élevée pour réparer cet outrage. C'est
ce qu'il ne fera jamais, précisément parce qu'il se dit bien né.
Vous ne connaissez donc point, monsieur, Auguste L .., fils
du maire de notre chef-lieu ; membre du conseil-général du
département, et plus encore électeur?
— Quoi ! Auguste L.... serait le séducteur, le lâche séduc-
teur, lui, mon ami ?
— Lui-même ; puisque c'est votre ami (vous ne lui ressem-
blez pas, sans doute ! ) vous savez bien qu'avec tous les nou-
veaux titres que vous lui connaissez, de propriétaire, de docteur
et de futur député, il ne peut descendre à épouser la fille d'un
douanier en retraite, qu'il a déshonorée. « Quand on a flétri
une temme? on ne se mésallie point pour s'unir à elle. C'est
du bon genre d'en agir ainsi. » Ce sont ses propres paroles.
La foudre qui renverse ne frappe pas aussi terriblement
que ces derniers mots tirent sur l'imagination de Charles. Il
resta quelques minutes muet et pensif, et cette révélation, si
franche, si naïve, pénétra son cœur d'une forte résolution,
— Je le verrai ! s'écria-t-il ; il cédera ou je le flétrirai comme
un lâche aux yeux de tous ceux qui le connaissent. Consolez-
vous, Marguerite, vous aurez un vengeur.
206 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
— Inutile, généreux jeune homme, inutile ! fit la pauvre
Marguerite, en agitant sa tête avec un signe d'incrédulité. Je
suis destinée h subir toujours les justes et les légitimes repro-
ches d'un père dont j'ai souillé les cheveux blancs. Heureuse
encore d'avoir vu ma mère descendre dans la tombe, quand
j'étais digne encore de porter le nom de sa fille. Ici voyez- vous,
mon sort est de vivre encore quelques jours tourmentée par
trois tyrans : ma conscience, le ressentiment d'un père et le
mépris de tout le village. Voilà mes espérances et mon avenir,
à moi.
— Permettez-moi, Marguerite, de prendre la défense de
vos intérêts trop légitimes. Je reviendrai ici plusieurs fois
encore avant mon départ de ces montagnes. Je verrai votre
père au village, car je pense qu'il est en ce moment à la fête.
Je l'informerai de mes projets. Le séducteur, par mon entre-
mise, reviendra, je l'espère, à des sentiments dignes de l'hon-
neur. Adieu, intéressante Marguerite, comptez sur moi !
Si la volonté et les intentions droites suffisaient seules pour
réussir dans une bonne action, il est évident que Charles les
possédait toutes les deux. Mais les hommes de la classe moyenne
sont encore plus difficiles à convertir que ceux qu'on appelait
les privilégiés. Aussi, la mission honorable de Charles échoua-
t-elle devant l'homme le plus renforcé de la bourgeoisie. Car
Auguste L... était un des croupiers les plus superbes de cette
caste. De son côté, Marguerite, la pauvre Marguerite, si belle,
d'une ame si magnanime, ne s'étonna point quand elle apprit
l'insuccès des démarches de son généreux protecteur.
— Je le savais, dit-elle. Je connaissais depuis long-temps
cet homme. Mais venez me voir encore quelques fois avant
votre départ, si .cette solitude, ce désert qui me séparent d'une
société qui m'abhorre, ne sont pas capables de vous effrayer.
Ce sera peut-être la dernière consolation que je recevrai sur
la terre.
Charles se garda bien de manquer à une invitation qui devait
lui procurer tant de charmes. Car il trouvait dans la tille du
douanier plus déraison, de bon sens et d'instruction que dans
2U7 DE NAGNÈRES-DE-LUCHON.
beaucoup de grandes dames qui passent pour avoir de l'esprit.
D'ailleurs, la méditation, la solitude et le malheur l'avaient
ornée d'une certaine mélancolie qu'on pouvait appeler de la
grâce. Une exquise sensibilité rendait surtout ses discours
attachants ; et si parfois elle mêlait à ses souvenirs du passé
quelque particularité qui l'intéressât, elle en relevait les détails
avec tant de simplicité et de modestie qu'on ne pouvait cesser
de l'admirer.
Les entretiens se soutenaient toujours avec un nouveau
charme depuis un mois, lorsqu'un matin, en se rendant du
village à la cabane, Charles trouva Marguerite plus triste et
plus pensive qu'à l'ordinaire. Une idée fixe semblait l'occuper
fortement. D'ailleurs les mauvais traitements du douanier
envers sa tille étaient arrivés ce jour-la jusqu'à la brutalité.
Le jeune homme avait même entendu, en se rendant au bois,
jeter à la face de Marguerite ces paroles déchirantes : « Je suis
fatigué de nourrir avec mes 250 fr. de retraite, une fainéante
comme toi qui m'a déshonoré. »
Ces mots avaient meurtri le cœur de sa fille ; elle parla
très-peu et se retira un moment dans la chaumière. Elle revint
quelques minutes après et remit au jeune homme un papier
le priant de ne l'ouvrir que dans trois jours. Prétextant ensuite
une indisposition, elle l'engagea à différer sa visite jusqu'à
cette époque. Les trois jours expirés, Charles se disposait à
gravir le sentier qu'il connaissait si bien, lorsqu'il rencontra
le vieux douanier, les ypux mouillés de larmes qui lui pro-
nonça ces paroles : elle est mortel Le jeune homme consterné
à cette nouvelle inattendue, ouvre l'écrit cacheté, brise le
sceau et voit tracées les lignes suivantes : « Intéressant jeune
» homme, quand vous lirez ces mots, je ne serai plus. Vous
» connaîtrez seul le secret de ma mort, car vous seul saurez
» la plaindre. J'ai mis fin à mes jours. Que pouvais-je faire
» sur une terre où j'étais pour tout le monde un sujet d'hor-
» reur ? détestée d'un père, méprisée de mes amies, ne pouvant
» gagner ma vie qu'en exposant une seconde fois mon hon-
» neur aux outrages d'une grande ville, pouvais-je balancer?
208 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
» Le Ciel me pardonnera comme je pardonne à l'auteur de
» tous mes maux. Une seule grâce de vous. Mon enfant vit
»> encore; des tigres me l'ont enlevé. Si jamais vous parvenez
» à découvrir sa retraite, ayez pitié de mon enfant. »
A cette lecture le jeune homme versa des larmes. Si jeune
suicidée ! Il revint au village sans pouvoir prononcer d'autres
paroles. Le lendemain deux hommes descendirent une bière
qu'ils portèrent sans cortège, sans suite à l'église- Une tombe
fut creusée dans un lieu d'infâme distinction : nul ne vint
prier, si ce n'est le sensible jeune homme qui visita pendant
deux jours la terre nouvellement fouillée ; et il quitta le vil-
lage avec la ferme résolution d'exécuter les dernières inten-
tions de la pauvre Marguerite, la fille du douanier.
Cette triste nouvelle se répandit bientôt dans les environs
et servit de commentaires à différentes versions plus étranges
les unes que les autres. Le lendemain de cet événement, tout
Ludion retentit de la mort de cette jeune fille. Parmi le grand
nombre d'étrangers qui affluaient autour des thermes de
Bagnères , les uns furent émus du tragique récit que leur fit
Charles, le dernier confident de l'infortunée Marguerite; les
autres au contraire n'y prêtèrent qn'une attention éphémère,
tant le malheur a peu d'empire sur certaines âmes! de ce
nombre, (qui oserait le croire?) était un jeune homme bien
fait, riche, élégant, aux manières prétentieuses, qui, appre-
nant la nouvelle de cette mort avec un sourire ironique, ré-
pondit ces mots :
— On meurt à tout âge et de tant de façon»; sa mort n'est
pas étrange, c'était sa destinée !
Cet homme sans entrailles était le séducteur de la fille du
douanier.
LA CHAPELLE DE MOXTGARRY.
xNOLIVELLr: ESPAGNOLE.
Sur le versant septentrional des Pyrénées, dans l'inté-
rieur de ces montagnes si riches en végétation et si pitto-
resques, se dessinent des vallées sombres et mystérieuses
qui, dans leurs capricieuses sinuosités, renferment de nom-
breuses populations, vierges encore du contact mondain de
notre civilisation. Là , on retrouve parfois la simplicité des
mœurs primitives, l'originalité des caractères , le langage
naïf du cœur et la pureté des formes , toutes choses, hélas !
fort rares dans notre siècle de progrès et qui bientôt, grâce
à ce même progrès , ne seront plus connues que dans les
Romans.
Aussi engageons-nous l'étranger qui vient passer la sai-
son des bains à Luchon, de ne pas quitter ces montagnes
sans aller visiter ce qu'elles renferment de curieux et do
pittoresque. Surtout qu'ils n'attendent point que la civilisa-
tion ou ce qui en porte le nom, ait pénétré dans leurs mys-
térieuses retraites ; car cette civilisation corrompt les mœurs
les plus pures et efface tout ce que la nature a pu laisser
d'original dans le caractère des habitants de ces montagnes.
Encore quelques années et la simplicité des mœurs sera
exilée des Pyrénées !
Or, à l'extrémité espagnole du val d'Aran qu'arrosent,
dans son étroite longueur, les flots limpides de la Garonne,
et depuis la source de ce fleuve, on voit une vallée solitaire
qui s'ouvre entre deux rochers gigantesques, s'élargit insen-
siblement , s'étend et se perd jusques dans les montagnes
de i'Ariége. Elle n'a point de nom. Des bois touffus de sa-
240 HISTOIRE SPECIALE ET PITTORESQUE
pins, de pelouses épaisses, des sources jaillissantes d'eau
pure, partout l'ombre et la solitude, tels sont les ornements
de cette retraite que la nature semble avoir dérobée jusqu'à
ce jour aux regards scrutateurs de l'avide exploiteur et
que la guerre civile d'Espagne n'a pas osé souiller encore de
sa présence. La religion seule a pris possession, depuis long-
temps, de cet oasis des montagnes.
Car, au centre de cette vallée mystérieuse s'élève un mo-
nument chrétien. Ainsi l'œuvre du créateur trouve toujours
à exprimer, même dans la solitude, une pensée de foi et
d'amour. Isolée, loin de toute habitation humaine et au sein
des forêts et des hautes montagnes, la chapelle de Monigarry
domine tous les riants paysages qui l'environnent : rien
n'égale, au reste, son élégante simplicité; car il faut con-
naître ce qu'à d'énergie le culte de la Madone dans le cœur
d'un espagnol, pour se faire une idée de cette chapelle consa-
crée à la Vierge. L'édifice modeste mais régulier qui se dis-
tingue à l'extérieur par une flèche hardie, et à l'intérieur
par une disposition parfaite du plan , qui n'est pas sans
goût, éclate surtout par la richesse des ornements dont les
restes merveilleux témoignent de sa richesse passée. Deux
prêtres de la vallée d'Aran la desservent tous les mois et
sont attachés successivement à une résidence continuelle.
C'est une véritable chapellenie du moyen-âge avec droits de
dîmes, dotations et offrandes, constitution pieuse de la jeune
marquise dona Balmasèda , en l'honneur et pour la déli-
vrance de son amant fait prisonnier par les Maures; vœu
d'une ardente castillane qui, pour être conforme à son cœur
passionné, ne pouvait se réaliser que dans un sublime dé-
sert. Aussi, la chapelle, un presbytère et une grange, telles
sont les seules constructions qu'on retrouve dans la solitude
de ces lieux.
Cependant, cet isolement que Montgarry partage avec la
vallée, ce calme de tous les jours, cessent à deux époques
de l'année : le 15 août et le 8 septembre.
Si vous tenez à connaître ce qu'on appelle l'esprit reli-
DE BAGNÈRE-DE-LUCHON. 211
gieux des Espagnols , vous qui fréquentez les thermes de
Ludion, choisissez de préférence ces jours de fête pour votre
excursion au-delà des frontières. Partez de Luchon, gravis-
sez le port do Venasque et, arrivé dans la vallée d'Aran,
dirigez vos pas vers la source ou VOueil de Garonne. Der-
rière le rocher d'où s'épand, en prenant naissance, l'eau du
ileuve, vous verrez une vallée étroite ; suivez-la dans toute
sa longueur, et, après deux heures de marche, vous trouverez
la petite chapelle de Montgarry qui se cache derrière un bois
de sapins. Choisissez de préférence le 15 août ou le 8 septem-
bre pour la visiter.
La foule qui s'y rend alors du fond de l'Aragon, de Sterry,
de la Conque et de la Cerdagne pour célébrer la fête de la
Vierge est immense ; il faut voir ces populations différentes
de mœurs, de costume et de langage se presser autour de la
chapelle et attirées par des sentiments divers, n'avoir ce-
pendant qu'une idée fixe : l'adoration de la madone et une
grâce à demander. Quel spectacle ! quel sublime fanatisme !
On peut préjuger d'avance, au zèle que font éclater ces hom-
mes et ces femmes, qu'ils sont tous sous l'impression d'une
de ces prières du cœur qui remplissent l'âme d'espérance et
d'amour. Comment pourrait-il en être d'impures? Le crime
et le vice n'oseraient les hasarder sans témérité. Aussi, la
Vierge de Montgarry n'est-elle connue que par sa miraculeuse
protection. Néanmoins, un événement récent a jeté la con-
sternation parmi les dévots espagnols de la sainte chapelle.
C'était en 1834, le 8 septembre, fête de la Nativité de la
Vierge. La vallée de Montgarry réunissait à cette époque,
une multitude plus nombreuse que les années précédentes.
Mais aussi une plus grande agitation semblait se faire remar-
quer sur toutes les physionomies mobiles de ces fiers Catalans
à la berrette rouge ; des jolies Aragonaises à la taille amincie;
du muletier insouciant de Sterry et des jeunes filles de Vielle,
venus là pour prier. La révolution espagnole préoccupait
alors vivement tous les esprits, sur-excités par les récits des
meurtres commis par les bandes christinos et carlistes qui
°212 histoire Spéciale et pittoresque
sillonnaient, en tous sens, ces montagnes. Malgré la crainte
naturelle que devaient inspirer les événements politiques
qui grandissaient encore dans leur imagination exaltée, une
satisfaction personnelle, un air indicible de gaîté éclatait
pourtant sur tous les visages. Jamais un jour de fête n'avait
étalé autant de luxe, ni plus de beautés de formes.
Etait-ce l'effet d'une joie religieuse, d'un sentiment pa-
triotique ou d'une espérance dans un avenir meilleur, qui
provoquaient, cette année, une animation nouvelle dans les
personnes et dans les choses? Je ne sais; mais on peut dire
que si la dévotion avait trouvé son compte, les grâces n'avaient
point perdu, en cela, leurs charmes*
Parmi toutes ces femmes si belles, si espagnoles, une sur-
tout se faisait remarquer, au milieu de ces compagnes, par
tous les dons de la nature; c'était la fille du. vieux Padillos,
Alcalde de la petite ville de Huesca. Homme dur et sévère,
dévoué corps et biens au parti du prétendant, il vivait, retiré
de la politique et du monde, dans une habitation isolée de
la vallée d'Aran. Ce jour de fête, la jeune Padilla, accompa-
gnée d'Ulrique, sa nourrice, s'était soustraite un instant à
la surveillance paternelle pour se rendre à Montgarry, où elle
attirait tous les regards de ses compatriotes. Cependant, un
air de langueur se peignait sur tous ses traits arabes. Ses
beaux yeux noirs se portaient distraits de tout côté; ses longs
cheveux d'ébène étaient retenus négligemment dans un rézeau
de soie, et son front, préoccupé par une idée fixe et incliné
vers la terre, semblait être à la poursuite d'une résolution.
Padilla suivait ainsi soucieuse le sentier qui se perdait dans
un petit bois éloigné de la chapelle, lorsqu'un jeune homme,
un français, l'interrompt tout-à-coup dans sa méditation.
— Quoi ! vous ici, Padilla ? Quel bonheur !
La jeune fille, relevant alors sa tête penchée, reconnaît,
après un mouvement spontané de surprise, celui quecherchait
sa pensée. Mais répondant sans hésitation à cette demande
toute naturelle, selon elle :
— Est-ce étonnant, Roger, de me voir à Montgarry ? Ne
m'aviez-vous pas dit que vous y viendriez?
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. 213
— Oui, mais pouvais-je espérer que le vieux Padillos aurait
retranché un peu en voire faveur, de sa sévérité ordinaire?
— Mon père ignore mon départ; car Ulrique et moi, nous
nous sommes dérobés un instant à sa vigilance. Il m'a été
je vous assure, bien pénible d'user ainsi de ruse. Mais il le
fallait, Roger.
— Quoi! toujours des entraves, pauvre enfant! et c'est moi,
c'est mon amour qui te ferme la route du bonheur que le
ciel ouvrait à ton innocence. Pourquoi t'ai-je vu, Padilla ?
Pourquoi faut-i! que la politique française, en me forçant à
chercher un refuge sur le sol espagnol, m'ait conduit par
hasard, dans la demeure de l'alcade de Huesca ?
— Ne maudis point ee jour, Roger; ce fut le plus beau de
ma vie ; car j'aimais pour la première fois et pour toujours ;
je viens d'en faire le serment aux pieds de la sainte madone.
Mais écoute:
« Tu sais que mon père, cédant plutôt à ses idées politi-
ques qu'aux goûts de sa fille, a promis ma main au féroce
Hiéronimo ; demain Hiéroniino sera dans la vallée avec la
troupe carliste qu'il commande et c'est pour m'épouser. Cet
homme qui de moine s'est fait chef de bande, n'a pu jamais
m'inspirer que du dégoût. Je ne l'aimais point avant de te
connaître, je l'abhorre depuis. Roger, dis à Padilla ce qu'elle
doit faire dans cette circonstance? »
— Nous jeter ensemble aux pieds de ton père.
— Et puis...
— Avouer notre amour secret, et lui demander qu'il le
sanctionne par notre union.
— Malheureux ! tu ne connais donc point l'alcade de
Huesca? Lui faire un aveu semblable, c'est appeler la mort
sur ma tête ; que dis-je ? sur la tienne aussi peut-être. Mon
père a eu toujours les Français en horreur. La révolution
qui vient d'éclater à Madrid a mis encore le comble à cette
haine. Ah ! Roger, s'il t'a reçu quelquefois chez lui, toi,
pauvre fugitif de France, c'est qu'il a cru que tu étais victi-
me d'une cause semblable à la sienne. S'il avait vu dans
14
214 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
Roger ce qu'il apppelleun révolutionnaire ; si, par une frau-
de d'amour, je ne t'avais dépeint à ses yeux comme un
défenseur de ses opinions en France, jamais ton pied
n'eut touché le seuil de la porte de Padillos ; jamais tes yeux
n'eussent vu sa fille hors do sa présence. Saches seulement
que je ne suis promise à Hiéronimo que parce qu'il est chef
de bande. Veux-tu que j'appartienne demain à ce monstre ?
— Non, ma chère Padilla j mourons plutôt ensemble. Ce fer...
— Mourir ainsi, Roger; c'est jeter mon nom au déshonneur.
Fuyons plutôt ces lieux de malheur et vivons heureux ail-
leurs; nous le pouvons : la France n'est-elle point là?
— Oh! la France... oui, mais jusque-là, tu seras toujours
la fille de Padillos.
— Non, je serai l'épouse de Roger ; l'épouse de Roger
m tends-tu ? Adieu, à ce soir, dans ces lieux.
Et sans attendre d'autre réponse, la jeune Padilla quitte
brusquement son amant pour lequel ses dernières paroles
devenaient un mystère. Être exilée d'une patrie adorée,
aimer comme l'on aime à vingt ans et ne pouvoir posséder
l'objet de son amour ; tels étaient les secrets tourments qui
torturaient le cœur du jeune homme et le laissaient dans
une indécision affreuse sur le parti qu'il devait prendre.
Cependant une craint» mêlée d'espérance lui faisait désirer
le prompt retour de la nuit. Aussi, dès que nul bruit ne se
fit plus entendre autour de la sainte chapelle et que la foule
s'était retirée, laissant Montgarry désert, Roger se rendit
aussitôt au lieu du rendez- vous.
L'espoir et l'attente absorbaient toutes ses facultés!
— A ce soir ; dans ces lieux! m'a-t-elle dit: mais qu'elle
résolution peut avoir prise cette enfant? me présenter à son
père ; et lui demander sa main pour moi ? ce serait là s'ex-
poser à quelque chose de plus qu'à un refus. Veut-elle fuir
avec moi en France? pauvre exilé, je ne puis revoir ma
patrie d'où m'a chassé une odieuse proscription . Ces frontières
qui me séparent de ma mère, de mes frères en politique,
doivent être encore pour moi et peut-être, pendant long-
1)L BAGNÈRES-DE-LUCHON. *2\l)
temps, des barrières de fer qui me retiendront loin de mon
pays. Ah ! je dois porter malheur a tout ce qui m'approche.
Roger, dont la fierté naturelle composait le .fond de son
caractère, ne put résister néanmoins à tous les sentiments
généreux qui se pressaient dans son aine, en rappelant toutes
ces idées, tous ces souvenirs. Malgré lui, il resta plongé
dans une profonde méditation, conséquence inévitable de la
fatigue de son esprit.
Cependant Padilla ne se fit pas longtemps attendre • elle
parut bientôt, enveloppée de sa longue mantille noire et
prenant la main de son amant livré à toutes ces diverses
réflexions :
— Suis-moi, Roger, dit-elle avec un accent de ferme réso-
lution; suis-moi: tu verras si la volonté a jamais manqué
à une femme qui aime d'un amour sincère.
Et sans prononcer d'autres paroles, elle suit un sentier
dérobé à travers le bois de sapins qui entourent Montgarry ;
et, quoique la nuit fut très-obscure, en prend tous les détours
les plus cachés avec une connaissance admirable des lieux.
Enfin, après une demi-heure environ de marche à travers
l'épais fourré du bois, les deux amants arrivèi'ent ainsi au
presbytère}, et montant un escalier obscur, ils pénètrent
tous deux dans une vaste chambre, éclairée par la flamme
que projetait sur les murs quelques fragments de résine
suspendus dans le foyer.
— PèreLopez, dit alors la jeune fille, nous voici. Le père
Lopez était un prêtre vénérable et par son âge et par l'aus-
térité de ses mœurs. Arrivé à l'âge de soixante-dix ans, il
n'avait pas encore souillé ses cheveux blancs par une pensée
mauvaise. Moine d'abord, au couvent de saint Ildefonse;
il avait quittté la défroque monastique pour se livrer à la
conduite des âmes chrétiennes. L'archevêque de Barcelonne
l'avait nommé à une partie de la cure d'un village de la
valléequ'il administrait avec trois autres ecclésiastiques, ses
confrères. Cette année 1834, il desservait, à son tour, pen-
dant le mois d'août, la chapelle de Montgarry. La bonté de
216 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
son caractère faisait du père Lopez un ecclésiastique respec-
table et tolérant à la fois ; aussi, reçut-il dans ses bras la
jeune fille de Huesca, avec laquelle, au resté, il semblait
être en secrète intelligence.
Car, dès que le vénérable ecclésiastique eut fait un accueil
bienveillant aux deux jeunes gens:
— Ma fille, dit-il, en s'adressant à Padilla, persistez-vous
dans votre première résolution ?
— Oui, mon père, répondit la jeune vierge.
— Il est écrit dans le saint Evangile ces mots .- tes père
et mère honoreras. Dans la résolution que vous avez prise,
mon enfant, ce commandement de Dieu sera-t-il respecté?
— Oui, mon père; ce commandement est grand dans mon
cœur ; mais en unissant ma main à celui pour lequel l'Evan-
gile a dit : tu quitteras ton père et ta mère pour le suivre;
je suis loin de manquer aux prescriptions des lois divines
et humaines. Mon père continua-t-elle avec exaltation, voici
mon époux ! et aussitôt, prenant Roger par la main, elle
le présente au vénérable ecclésiastique.
— Puisqu'il en est ainsi, murmura le père Lopez, en
levant les yeux et les mains au ciel : « prosternez-vous, mes
enfants, que le ciel vous bénisse comme je vous bénis ; qu'il
unisse vos deux cœurs comme ils sont unis : Padilla et Roger,
vivez heureux ! » Il dit, ses mains s'étaient posées sur la
tête des deux amants. La jeune fille se relevant alors avec un
air d'énergique fierté :
— Partons, Roger, je ne suis plus à Hiéronimo ; et vous,
père Lopez, vous direz à l'alcade de Huesca, que sa fille s'est
adresssée au ciel quand la terre n'a plus voulu écouter ses
prières. Aujourd'hui pour toujours je quitte l'Espagne 1
L'heure de la nuit était très avancée. Les deux époux en
sortant du presbytère suivirent un sentier étroit tracé au
milieu d'un bois fourré de pins. Ils dirigeaient leurs courses
vers la France; la marche de Roger était lente et irrésolue.
Epoux de la jeune espagnole, il n'avait pas eu le courage de
résister à une uniou qu'il aurait lui-même demandé le pre-
DE b.v<;.\ kiiks-de-luchon. 2 1 7
niier dans toute autre circonstance ; mais, cette fois, il
désapprouvait par amour des liens qu'il voyait malheureux.
Aussi, la force lui manquait; à peine pouvait-il faire mou-
voir ses pieds; il savait qu'à quelques pas de là se trouvaient
les frontières et la douane ; pour lui , ces deux mots étaient
la perte de sa liberté; et il n'osait pas confier ses craintes à
Padilla qui, intrépide comme une Espagnole, hâtait ses pas
pour atteindre plutôt la limite française.
— Marchons, Roger : répétait-elle souvent, fuyons celte
terre brûlante ; jene respirerais à mon aise que lorsque je
ne la foulerai plus sous mes pieds; allons, Roger, il me senir
blc que la fatigue arrête tes pieds paresseux.
Le pauvre jeune homme se laissait entraîner machinale-
ment; il n'avait point de craintes, lui; car le sol espagnol
et la colère de Padillos étaient moins à craindre pour lui,
que les lois politiques de la France qui l'avaient condamné.
Déjà ilsélaientéloignésdela vallée mystérieuse de Montgarry
et, suivant leur marche à droite, ils portaient leurs pas vers
le port d'Orle, lorsqu'un bruit se lit entendre dans la direc-
tion de la limite française.
— Roger, j'ai peur, s'écria la jeune fille, hâtons nos pas.
Si c'était.. .et sans oser exprimer entièrement sa pensée, elle
se pressait aux côtés de son amant, comme pour lui servir
de rempart.
— Que crains-tu, Padilla ? dit le jeune homme dont l'ir-
résolution tenait alors tous ses mouvements en suspends ;
que crains-tu ? la mort...
— Pour moi, non, mais... c'est le vent, Sans doute, qui
agite le feuillage ; ce bruit, n'est-ce pas, Roger, n'a rien qui
doive nous alarmer ?
— Pauvre enfant ! que crains-tu, Padilla ? viens te jeter
dans mes bras, ce bruit n'a rien qui puisse t'effrayer.
Et ils marchaient plus lentement; mais à peine avaient-ils
faits quelques pas et au détour du sentier qui pénétrait plus
avant dans le bois, le même bruit semblable à celui des pas
que font des hommes qui traversent une forêt, se lit entendre
218 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
de nouveau, mais plus fort que la première fois. Alors se
serrait auprès de Roger, l'adilla qui, comme par instinct, fit
entendre spontanément ces mots :
— Dieu! ils sont là !
Au même instant, quatre assassins s'élancent du bois dans
l'étroit sentier et, armés de poignards, tombent sur Roger
qui sans défense aucune ne cherche même pas à repousser
ses assassins. Frappé au cœur, il chancelle et tombe. Aussitôt
ils le percent de coups avec une. frénésie qui tenait de la
rage. A la fureur qui attache les meurtriers sur le corps de
leur victime, Padilla a reconnu l'alcade de Huesca et le féroce
Hiéronimo.
— Grâces pour lui ! s'écria-t-elle, c'est mon époux • épar-
gnez-le ! c'est moi, moi seule qui suis coupable ! Mais une
main de fer la retient immobile, comme pour lui faire assister,
malgré elle, à la dernière agonie de la victime.
Mais à peine lui a-t-elle entendu murmurer ces dernières
paroles : « ici ou là, en montrant la frontière française, je
devais être \ ictime de la tyrannie ; j'aime mieux encore avoir
Hiéronimo pour bourreau ; adieu France! » qu'elle se jette
furieuse sur les meurtriers ; ses mains cherchent un fer et,
dans le désordre de ses sens, elle roule dans un abyme creusé
par un torrent.
Le voyageur français qui, dans le mois d'août et de sep-
tembre, se rend par le -passage d'Orle, au pèlerinage de
Montgarry, peut voir au pied du port Espagnol, uue jeune
fille, belle encore, malgré le désordre de sa parure, assise sur
un rocher, dans l'attitude d'une personne qui attend. Ses
mouvements sont vifs et semblent annoncer l'impatience ;
ses regards sont tournés vers la France ; on dirait une Gitana
en quête. Mais au désordre de ses paroles, au rire immodéré
qui s'exprime sur ses lèvres, aux pleurs qu'on lui voit répan-
dre presque dans le même temps, on reconnaît un de ces
êtres privés de raison par une grande commotion morale.
On l'appelle depuis long-temps la folle de Montgarry.
m vnuma
A LA CHAPELLE DE SAINT-AVENTIN.
— Senonta liiez, le ciel est beau, la neige a disparu des
sommets des montagnes, et le portde Venasque ouvre, devant
nous un passage de verdure et de tleurs; qu'il serait agréable
le pèlerinage de la chapelle de Saint-Aventin.
— Agréable! ob, oui, Estève. Car, moi, aussi, j'aimerais a
fouler sous mes pieds la pelouse de ces vallées ombreuses qui
nous éloignent de la France; à suivre mes compagnes d'Ara-
guéz qui vont adorer le saint reliquaire et d'aller avec elles,
offrir au miraculeux martyr les prières de mon cœur. Mais. • . . .
— Je le sais, liiez ; une barrière de 1er s'élève entre ton
amour et le mien. Ces inimitiés de famille finiront par nous
tuer, nous, qui avons été toujours étrangers aux querelles de
nos parents. Ainsi, ta mère te refuse à mon amour, elle t'or-
donne de nie fuir ; et pourtant je t'aime, liiez : car, si lu
devenais la femme d'Estève, tu sais combien nous serions
heureux.
— Et nous ferions le pèlerinage de la chapelle de Saint-
Aventin !
— Oui, et demain, avant que les premières clartés du jour
n'eussent blanchi le pic de la Maladetta, nous aurions gravi
ces monts qui 110113 séparent du val d'Aran; nous marcherions
220 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
avec les joyeuses troupes des amoureux de notre village, et
nous irions visiter la chapelle miraculeuse, pleins d'amour et
de joie. Au lieu de tout cela, honte, mépris et désespoir pour
mon cœur. Inez, tes parents sont bien injustes.
— Ecoule, Estève, une pensée me vient à l'esprit. Carvajal
le viel ami de mon père, doit accompagner à Saint-Aventin la
Nina de l'Alcade. Quesais-je? peut-être ma mère cèdera-t-elle
à ses prières. Il ne faut qu'un prétexte, Estève ; je sens que
je le trouverai. A ce soir au bois d'Arrocha ; car la sainte Ma-
donne m'inspire de la confiance.
Ainsi, s'entretenaient ensemble, le 27 juin de l'année 1832,
l'héritière d'une riche veuve de la vallée d'Araguès et le fils
du plus hardi contrebandier de ces montagnes. La dévotion
des Espagnols de cette frontière est proverbiale et celle qu'ils
dévouent à Saint Aventin ne se caractérise chez eux, que par
l'enthousiasme du fanatisme. Aussi le pèlerinage qu'ils font,
tous les ans, en son honneur, en France, est-il une véritable
fête générale. On ne doit pas s'étonner que les deux amants
partageassent le goût de leurs compatriotes. Car, l'amour et
la dévotion sont les mobiles les plus agissants des cœurs ara-
gonais. Avec cela, on pense bien qu'il est difficile de résister
à leurs résolutions. Aussi, les dernières paroles d'Inez, annon-
çaient d'avance le triomphe de ce vieil adage : ce que femme
veut, Dieu le veut .
En effet, à peine la nuit commença-t-elle à voiler de son
ombre prolongée l'étroite et mystérieuse vallée d'Araguès que
la jeune fille se dirigea précipitamment-au rendez-vous qu'elle
avait fixé au bois d'Arrocha ; et dès qu'elle fut auprès de son
amant:
— Par notre dame de Montgarry ! Estève ! s'écria-t-elle,
haletante de joie, nous irons enfin à Saint-Aventin. Hâte donc
tes préparatifs, car à deux heures du matin, las ninas et los
guapos, doivent se mettre en voyage, sous la conduite du
vieux Carvajal. Quedelarmes! qucdeprières! que de caresses
et de soins n'a-t-il point fallu prodiguer à la madré pour
obtenir le consentement de mon départ.
DE BAGNÉHES-DE-LUCHON. 2:21
— « Prends garde ! surtout, m'a-t-elle dit, de te rencontrer
avec le fils du contrebandier, car son père a été toujours le
mortel ennemi de ta famille. À cette condition seulement, je
te permets le saint pèlerinage. »
Ces dernières paroles ont jeté d'abord quelque trouble dans
mon ame et je n'ai pu me défendre d'une certaine méfiance.
Mais, pardonne-moi, Estève ; bientôt j'ai rendu justice à ta
loyauté. Pourquoi ma mère ne peut-elle te connaître comme
moi ?
— Oh, ta mère ! répondit le lier Àragonais avec un air de
dédain et d'hésitation sur ses lèvres ; ta mère, liiez, a maudit
toute ma race, depuis le jour ou la légitime défense du con-
trebandier et le droit naturel qu'a chaque individu de protéger
sa vie, lui firent verser des pleurs sur un corps ensanglanté.
Depuis ce moment, je ne suis à ses yeux que le iils d'un ) eur-
trier. Sais-tu bien, Inez, tout ce que ce mot emporte avec lui
de mépris, de honte et de sacrifices? Moi, le fils d'un meurtrier,
je dois te fuir, renoncer à ta main ; m'enfonçer dans les bois,
et si je ne puis supporter encore l'idée de ta séparation, je
devrais m'arracher la vie. Alors, peut-être, ta mère ne te
commanderait plus de fuir le fils d'un contrebandier; et toi,
Inez, tu serais libre et heureuse, parce que le fils du contre-
bandier ne te dirait plus, sans cesse : Je t'aime !
— De grâce, Estève, ne m'afflige point par de semblables
discours. N'avons-nous pas oublié, tous deux, le passé? le
présent nous appartient pour en jouir et l'aveifir ne dépendra
que de nos cœurs. Seulement, souviens- toi maintenant que
nous allons faire ensemble le pèlerinage de Saint-Aventin.
Plus tard, le ciel nous viendra en aide.
— Oui, le pèlerinage; je l'oubliais Inez, dit-il après
quelques instants de réflexion, le pèlerinage sera des plus
heureux ; car la nuit est belle, les étoiles brillent au ciel, et
j'entends déjà le chant des Caballeros qui se disposent au
départ. Allons aussi, de notre côté, nous préparer pour nous
mêler à la troupe joyeuse.
A ces mots, ils se séparèrent, se promettant tous deux, de
222 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
retirer bonheur et joie du saint pèlerinage. Cependant, les
premières clartés de l'aube naissante commençaient à blanchir
les sommets des montagnes, lorsque le cortège des garçons et
des filles de la vallée d'Araguès annonça sa marche par les
chants du boléro et par de gais refrains que l'écho répétait à
l'envi. Le vieux Carvajal, comme un général d'armée, dirigeait
leur course et taisait respecter son commandement parmi cette
bande dévote, divisée en groupes Déjà, aux premiers rayons
du soleil, les avant-postes avaient atteint le sommet du port
qu'ils descendaient du côté de la France. Alors se dessinèrent
devant eux les vallées du Lys et de Bagnères qui forment un
angle par leur réunion au petit village de Montauban, sur les
bords de la Picque.
Cette fois, Inez et Estève ouvraient la marche des premiers
groupes, lorsqu'ils arrivèrent aux dernières limites delà douane
de Ludion.
Parmi cette foule animée de sentiments si divers, et dont
chaque individu portait sur ses traits un type caractérisé par
quelque forte passion, on distinguait surtout les deux amans
du bois d'Arrocha. Inez était digne, en effet, de l'admiration
qu'elle inspirait sur son passage; car jamais les formes de la
femme ne se sont développées par des signes plus suaves que
dans cette jeune aragonaise. Elle avait seize ans : sa mantille
noire, parsemée de simples dentelles, faisait ressortir l'écla-
tante blancheur de son sein ; l'admirable finesse de ses cheveux
d'ébène, dont les boucles soyeuses s'échappaient d'une rezille
de soie, ses grands yeux vifs, que voilait, sur un teint chaud,
un rideau de cils noirs, et dont le regard était modeste, don-
naient à sa physionomie une expression de timidité et de douce
tristesse. Tous ses traits, en un mot, portaient l'empreinte
de la passion et de l'enthousiasme.
Estève ne le cédait en rien à sa belle maîtresse. D'une taille
élancée, comme celle des catalans ; il avait toutes les formes
attiques d'un homme robuste et vigoureux. Sous sa longue
berrette rouge qui retombait sur ses épaules nerveuses, on
voyait se dessiner un grand air de tête et une noble figure pâle
DE BAGKÙRES-DE-LUCHON. 223
qu'éclairait la flamme d'un regard de feu. Sa démarche était
hère, et sa pose castillane que rehaussaient les rubans de ses
cspardilles enlacés autour d'une jambe académique, en fai-
saient le modèle d'une véritable statue antique.
Il n'est pas étonnant que ces deux êtres, si bien faits, l'un
pour l'autre, fussent les héros de la troupe. Aussi, les jeunes
receveurs et les brigadiers de la douane, ces louveteaux ravis-
seurs des jolies espagnoles de la frontière, se disaient-ils avec
regret, en voyant ce couple si parfait :
— « C'est dommage que ce soient là deux amoureux ! »
Néanmoins, après une halte de deux heures sur les bords
de la Pique, les pèlerins d'Araguès continuèrent, vers le milieu
du jour qu'échauffait un soleil ardent du mois de juin, leur
course sainte. Sous leurs pas infatigables, se dérobèrent insen-
siblement le col de l'Hospice si renommé parmi les chasseurs
de l'Izard, la montagne féerique de la Picade qu'ils tournèrent
à sa base, la glorieuse vallé du Lys arrosée par le Go aux
rives mystérieuses , Ludion la cité consulaire, libre et indé-
pendante du moyen-âge ; enfin , ils arrivèrent au terme de
leur pèlerinage à l'heure où le soleil commençait à peine
à se dérober derrière les sommets des montagnes.
Saint-Aventin, peu éloigné de Ludion, est un groupe de
maisons , assises sur le plateau d'un monticule , traversé
lui-même par une fort belle route. A quelques pas de distance
de ces habitations, et, au centre d'un bassin circulaire formé
par des collines' boisées, s'élève une petite chapelle antique.
A ses pieds s'étend une grotte profonde, taillée dans le roc et
d'où s'épand un ruisseau d'eau limpide. La grotte, la chapelle
et la statue du saint, attirent, depuis un temps immémorial,
une foule immense de dévots, venus la veille de la fête, de
toutes les vallées des Pyrénées. Aussi la troupe d'Araguès se
trouva-t-elle en nombreuse compagnie quand elle aborda la
plate-forme que domine la chapelle.
— Estève, dit alors Inez, sans chercher, comme ses compa-
gnes, à se reposer des fatigues du voyage, Estève, reste ici en
paix ; pour moi, je vais offrir au ciel mes vœux et mes prières.
224 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
— Que Dieu t'accompagne! répondit l'Espagnol, en ôtant
sa berrette et se signant au front. Il se jeta ensuite sur la pe-
louse, plongé dans une profonde rêverie.
Aussitôt la jolie Aragonuise descendit seule un petit sentier
rocailleux et alla se perdre dans la profondeur de la grotte.
Comme la malade de Siloé, elle se baigna dans cette onde
miraculeuse de Saint-Aventin qui', tous les ans, opère tant de
prodiges. La pauvre enfant ! elle y cherchait un remède aux
maladies du cœur. Puis, elle gravit la pente abrupte qui con-
duit à la chapelle. Ainsi que plusieurs autres jeunes filles, elle
se prosterna, à leur exemple, devant le buste richement orné
du saint, et ses mains se portèrent religieusement sur les dra-
peries ondoyantes qui ornent l'image dubienheureux martyr,
comme pour obtenir plus facilement la transmission du baume
des affligés. On vit même des larmes couler de ses beaux yeux
et l'on entendit par intervalles, des soupirs mêlés aux noms
de sa mère et d'Estève s'échapper de ses lèvres de roses. Que
les heures de la prière sont sublimes ! Quelle expansion n'a
point alors le cœur d'une amante! Inez éprouva ces divers
sentiments de l'amour et de la religion; et trouva, en eux, une
indicible consolation. Aussi, lorsqu'elle revint vers Estève,
une douce gaîté éclatait sur toute sa figure.
— Père Carvajal, dit-elle au chef de la troupe qui alors
paraissait s'entretenir en secret avec son amant, les droits de
la religion sont accomplis pour moi en ce moment.
— Et ceux de notre union, répondit Estève, d'une voix
fortement accentuée, n'ont pas encore commencé.
— La vierge et les anges viendront au secours de nos vœux,
murmura doucement la frêle fille, effrayée du ton menaçant
des dernières paroles du fils du contrebandier.
Cependant une partie de la nuit se passa en fêtes; car,
après les devoirs religieux, viennent les exigences des fai-
blesses humaines Ainsi, sur la terre le mal marche toujours
côte-à côte du bien. Saint Aventin est un exemple bizarre
qui caractérise parfaitement la fragilité naturelle de noire
espèce. Là, où tant de prières sont adrssces au ciel, là aussi
DE HAfiNÈKES-DE-LUCHON. 225
on fait (les promesses d'amour, l'on danse et l'on s'égaie avec
la joie la plus mondaine possible. Les Espagnoles surtout se
t'ont remarquer par cet excès de mobilité qui les l'ait tourbil-
lonner dans un cercle perpétuel de plaisirs et de passions. Ce
qui fait de ce lieu de pèlerinage, la veille et le jour de la fête,
un véritable rendez -vous universel qui ne trouve son expres-
sion que dans les mystères du paganisme. Ici, comme dans
les temples d'Eleusis ou de l'impudique Déesse, la nuit est un
voile qui couvre bien des crimes, et les bois de la vallée sont
des ombres ténébreuses qui protègent d'autres saturnales
La nuit du 28 juin de lannée 1833 eut tous ces caractères de
haute démoralisation.
Aussi, lorsque le jour commença à poindre, le spectacle
qu'offrait tous ces étrangers épars dans les clairières et ces
nombreux visiteurs qui affluaient de toutes parts, n'était
point sans quelque enseignement. Mais avant que la nouvelle
foule n'encombrât les avenues du Plateau de Saint-Aventin :
— Carvajal, dit Estève avec un rire sardonique, revenons
à la vallée d'Araguéz. Le pèlerinage de Saint-Aventin sera
des plus heureux ; car, à dater de ce jour, la mère d'Inez ne
dédaignera plus le fils d'un contrebandier. Partons.
Au signal du départ, las Ninas et los Guapos se réunirent
en foule autour du vieux Caballero qu'ils pressèrent inutile-
ment de différer leur retour. Inaccessible aux plaisirs du
cœur, il se montrait inexorable dans ses résolutions, com-
me un vétéran dans l'exécution de sa consigne. Il fallut reve-
nir dans la vallée. Ce n'était plus, hélas ! la même gaieté du
départ. La belle Inez surtout était triste et sombre, comme
si un remord eût oppressé ce cœur de vierge. Ses yeux mo-
destes s'élevaient par intervalles vers le ciel et sa bouche ne
proférait que des paroles d'amour et de religion. Pour la
première fois, elle voyait, tous les jours, s'envoler les illusions
et les enchantements de la vie ; et la nature perdait à chaque
instant, en elle, quelques-uns de ses charmes, Pendant huit
mois, elle dépérissait ainsi aux yeux de sa mère comme une
fleur qui se dessèche; lorsque le vieux Carvajal fut envoyé
;226 HISTOIRE SPÉCIALE ET PITTORESQUE
en mission à l'extrémité de la vallée, dans une mauvaise
chaumière habitée par un jeune homme.
— Qui vous amène ici, à cette heure, père Carvajal, dit
d'un ton ironique, un jeune contrebandier occupé à polir une
escopette à demi rouillée?
— Qui mieux que toi, Estève , peut soupçonner l'objet de
ma mission, dit le vieillard, en branlant sa tête, en signe de
de tristesse?
— Moi!... mais vous savez que je ne suis pas habitué à de
semblables visites de la part de vous, père Carvajal, et de
ceux de la vallée. Car, vous tous, vous insultez à mon nom
et à ma pauvreté. Depuis tantôt huit mois, je n'avais eu le
plaisir de vous voir, père Carvajal ; la date est, je crois, cer-
taine, n'est-il pas vrai?
— Oui, depuis huit mois, c'est-à-dire depuis le pèlerinage
de la chapelle de Saint-Aventin. Plût au ciel! que Carvajal
fut tombé raide mort, le jour qu'il franchit cette frontière
pour entreprendre un tel voyage; mais il suffît, Estève;
laissons-la mes plaintes; je viens aujourd'hui pour une autre
motif.
— Parlez, père Carvajal, parlez toujours, répondit avec
intention le jeune contrebandier.
— Eh bien, écoute, Estève, dit le vieillard consterné,
Inez demande ta main en mariage. Tu le sais elle a droit
de l'exiger.
— Est-ce la fille seule qui vous a chargé de me faire cette
proposition? répondit d'un ton sévère le jeune homme.
— La mère, par ma voix, t'en fait encore une prière.
— A cette dernière condition, j'accorde ma main.
— Demain, tout sera disposé pour la cérémonie ; je t'atten-
drai pour te prendre au fond du bois; Adieu, Estève!
— Je savais bien, murmura doucement le jeune homme, je
savais bien qu'elle descendrait envers moi jusqu'à la prière !
En effet la nuit du lendemain , le mariage fut célébré en
secret et sans pompes, dans une modeste chapelle.
Nul, dans le village ne se douta de l'heure de la cérémonie
DE BAGNÈRES-DE-LUCHON. "2*27
qui fut un véritable sacrifice. !nez, pâle et tremblante, la
figure hâve, se présenta devant le prêtre comme une victime
qu'on allait immoler. Dieu l'avait déjà choisie pour une terre
meilleure et surtout pour une plus belle destinée. Car, un
mois après, deux anges s'envolèrent au ciel, la mère et un
enfant. Quant au contrebandier, il reprit ses crampons, et la
mère vint pleurer sur un tombeau, en maudissant le pèlerinage
de Saint-Aventin et le fils du meurtrier de son époux.
1 IN nr L HISTOIRE 1)1" LUCHON.
ÉTABLISSEMENT DE BAI\S
DE
SIRADA1
Situation et origne de Siradan. — Itinéraire et promenades aux
environs des bains. — Saint-Béat et la vallée d'Aran. — Col-du-
Haut ou la chasse aux Bisets. — Saint-Bertrand de Comminges. —
Divers détails historiques.
Le voyageur qui se dirige de Toulouse à Bagnères-de-
Luchon, trouve sur son passage , entre Saint-Gaudcns et
Saint-Béat, une jolie vallée qui s'arrondità sa droite en forme
de demi-cerele. Au fond de cette vallée et à quelques minutes
de la route nationale, il aperçoit, aux pieds des montagnes,
un groupe de petites maisons coquettes, dominées par un
clocher et par un établissement qui se dessine majestueux
au milieu des prairies verdoyantes; ces maisons et cet éta-
blissement composent le village et les bains de Siradan.
Jamais site pyrénéen ne s'est montré plus gai, plus majes-
tueux et surtout plus agréable que celui qui s'offre à ses
regards !
Aussi, avons-nous l'intention de faire connaître ce petit
coin des montagnes qui n'est pas sans avoir son intérêt
historique.
15
250 NOTICE
Le village de Siradan est situé dans le centre du pays
appelé par les anciens écrivains, le pays des Convenoe. Ces
derniers étaient des peuplades que Pompée, allant combattre
Sartorius en Espagne (l'an 676 de Rome), contraignit
d'habiter cette partie des montagnes où elles fondèrent une
ville nommée Lugdunum convcnarum , aujourd'hui Saint-
Bertrai d de Comminges.
Voici, au reste, ce que disent à ce sujet, Pline, Strabon ,
Grégoire de Tours, Saint- Jérôme, etc .
« Pompée, avant de retourner à Rome pour jouir de son
triomphe, revenant. d'Espagne, franchit les montagnes qui
séparent l'Ibérie delà Gaule INarbonnaise et se dirigea vers
le pays des Convenœ.
« Ce qui l'engagea à prendre cette route, fut le motifs de
connaître une population dont il avait eu l'occasion d'appré-
cier la bravoure, les mœurs et les usages.
« Arrivé dans le pays, il trouva une population sans ordre,
ayant dos habitudes grossières, mais des mœurs pures. En
conséquence et pour les civiliser, il les contraignit de se
réunir sur un monticule, où ils fondèrent une ville. D'où le
nom de convenœ (se réunir); la ville prit le nom de Lugdu-
num. »
Siradan, qui est situé dans la contrée qu'habitaient les
convenœ , a conservé des traces de cette antique origine.
Ainsi, on a trouvé des inscriptions qui témoignent que la
domination romaine a exercé, dans l'époque ancienne, une
grande influence sur les populations de ces montagnes.
Quoi qu'il en soit de cette antiquité, Siradan occuppe au-
jourd'hui par ses eaux et sou. établissement de bains, une
position toute exceptionnelle. Avant d'entrer dans les détails
de ses eaux et des avantages thérapeutiques qu'on peut en
retirer, nous voulons nous attacher à bien faire connaître ,
sous le rapport topographique, ses agréments et surtout les
plaisirs que peuvent y retrouver les étrangers qui viennent
y passer la saison des bains.
Un des premiers agrémentsest, sans contredit, les prenne-
SUR LE BAINS DE SIRADAN. 251
nades ou courses aux environs. Siradan est admirablement
situé pour les entreprendre. Nous nous dirigerons donc vers
Saint-Béat et la vallée d'Aran. En parlant, le matin, de l'é-
tablissement Dosset, on arrive en quelques minutes sur la
route nationale qui nous conduit, en moins d'une heure , à
la petite ville de Saint-Béat.
Saint-Béat, situé entre deux rochers, est à 421 mètres au-
dessus du niveau de la mer. Cette petite ville, chef lieu de
canton est renommée par son commerce et par ses carrières
de marbre blanc que l'on rencontre sur la route. Ces mar-
bres sont aussi beaux que ceux d'Italie. Le château de Saint-
Béat, actuellement en ruines, servait'de défense, au XVI
siècle, et protégeait la ville contre les excursions des enne-
mis du dehors.
En traversant la ville, et en suivant le cours delà Garonne,
on arrive au Pont du roi qui sert de limite entre la France et
l'Espagne, à travers de riantes prairies bordées de tous côtés
par de hautes montagnes. Là, commence la vallée d'Aran
dont l'étendue est de sept lieues de long. Sa population
se compose de 20 à 21,000 habitants, repartis dans trente-
deux petites villes, bourgs, villages et hameaux. Sous le
rapport religieux, elle compte soixante neuf églises, chapel-
les ou ermitages.
L'aspect général de cette vallée offre, à la vue , de gras
pâturages, des bois, des sites variés et une belle culture. Le
pic de la Maladetta et la source de la Garonne se trouvent à
son extrémité du côté de l'Espagne. Les villes de Bossost, de
Vieille ; les ermitages d'Artigue-Telin et de Saint- Jean-d'Ar-
ros, l'église et le couvent gothique de Metg-d'Aran, sont des
lieux dignes d'être visités, et que nous recommandons aux
poètes, aux peintres et aux touristes.
Ainsi, la vallée d'Aran, sous le rapport historique, est-elle
située à l'extrémité de l'ancien pays du Comminges, d'où
elle dépendait sous le rapport du spirituel. Car le diocèse
du Comminges l'enclavait |dans ses limites. Mais dans les
temps reculés, elle fut successivement sous la domination
252 NOTICE
des Gaulois, des Romains, des Visigoths et des Maures. Les
tribus celtes, nommées Garumni, l'habitaient primitivement.
Les comtes du Comminges devinrent ses derniers suzerains.
Ce ne fut qu'en 1198, que Bernard, comte de ce pays, la
donna à Alphonse II, roi d'Aragon, qui épousa sa fille. De-
puis cette époque, elle ne cessa d'être sous la dépendance
des rois d'Aragon, excepté sous l'Empire auquel la réunit
Napoléon. Mais par une étrange concession, l'Empereur con-
sentit, après le concordat de 1802, que la vallée d'Aran, qui
avait été sous la domination des évoques du Comminges ,
quant au spirituel , fût soumise à celle de l'évêque d'Urgel.
Les traités de 1815, la détachèrent de nouveau de la France
pour la remettre encore une fois sous la puissance espagnole,
sous laquelle nous la voyons aujourd'hui.
Les mœurs, les costumes et les usages des Aranais méri-
tent d'être connus sur les lieux. Aussi laissons-nous à la
curiosité des baigneurs le soin d'aller eux-mêmes les y
étudier.
Lorsqu'on a consacré une journée à explorer la vallée
d'Aran, on peut rentrer à Siradan satisfaits d'une telle ex-
cursion.
La seconde course qu'on doit entreprendre dans l'explora-
tion de ces montagnes, doit être consacrée à visiter Saint-
Bertrand , l'ancienne cité romaine, connue sous le nom de
Lugdunumconvenarum. De Siradan à Saint-Bertrand le trajet
n'est pas long. Il suffit de prendre la direction delà route de
Saint-Gaudens jusques avant d'arriver au pont de Labro-
quère. On se détourne à gauche, en suivant une jolie routo
qui vous conduit en quelques minutes en face d'un monti-
cule sur lequel s'élèvent des remparts et des maisons aux
teintes grisâtres. C'est la ville de Saint-Bertrand, à laquelle
on arrive en gravissant un sentier tracé en forme de rue.
Sans nous préoccuper ici de son antiquité romaine, ni du
siège qu'elle soutint en 584 contre Contran, en faveur de
Gondewal prétendant à la couronne ; ni de tous les autres
événements qui s'attachèrent à cette révolte, nous dirons
SUR LES BAINS DE SIRADÂN. 23-">
seulement ce qui a rapport aux monuments et aux faits qui
concernent la ville moderne.
Le premier édifice digne de notre attention est l'église dont
la fondation remonte à l'an 500, sous le règne de Clovisl.,
Le premier évêquede Lyon de Commingcs, ainsi qu'on appel-
lait cette cité, avant le XI siècle, fut Suavis qui assista au
concile d'Agde en 505. Mais en examinant , dans tous ses
détails, les diverses parties de ce monument religieux, on
peut se convaincre avec raison qu'il avait été détruit, lors-
que St. -Bertrand le recontruisit en 1086, époque à la quelle,
cette cité changea son nom de Lyon de Comminges, contre
celui de Saint-Bertrand, nom du saint évêque qui la releva
de ses ruines.
Ainsi Téglise est-elle remarquable par la hardiesse de sa
voûte et par les seize contre-forts qui soutiennent son vais-
seau. On admire, dans l'intérieur le buffet de l'orgue et des
boiseries qui sont d'un travail rare. Le tombeau de saint
Bertrand, érigé derrière l'autel par ordre du Pape Clément V,
quoique dégradé en partie, conserve néanmoins quelques uns
de ses anciens ornements. Celui de Hugues de Chatillon,
placé dans la chapelle de INolre-Dame-de-Pitié, et formé de
marbre blanc, mérite d'attirer notre attention. On lit sur le
mur, en face du mausolée, une inscription latine dont voici
la traduction .-
« L'an 1352. le 4 octobre, mourut le seigneur Hugues de
» Chatillon, par la grâce de Pieu évèque du Commingcs, qui
« fit construire cette chapelle et qui termina l'église cathé-
<c drale. Que son aine repose en paix'. Ainsi-soit-il. »
Sur le côlédroit, en entrant dans l'église, on se dirige vers
l'ancien cloître qui était fort beau. Des colonnes très bien
sculptées l'ornent encore, et ces colonnes se distinguent par
des bas-reliefs fort remarquables. Des tombeaux incrustés
dans les murs de l'église et du cloître, des inscriptions et un
caveau qui servait de sépulture aux membres du Chapitre,
aujourd'hui hermétiquement fermé, sont tout ce qui reste
de l'ancienne splendeur de ce cloître qu'on disait fort beau.
254 NOTICE
Aussi, après l'avoir visité dans ses détails, on revient dans
l'église pour monter à la tour d'où se déroule un panorama
magnifique, ou bien l'on s'arrête devant les voussures du
portail formé de marbre blanc avec des colonnettes dont les
chapiteaux sont très bien sculptés et représentant des sujets
religieux. On peut voir au-dessus de l'arc-boutantde la porte,
l'adoration des mages, sculptée sur marbre blanc en demi-
grandeur naturelle.
Nous dirons un mot, avant de quitter l'église, sur les boi-
series qui entourent le chœur, sur celles de la chaire et du
confessionnal. Ce sont des chef-d'œuvres de l'époque de la
renaissance. Les principales sculptures que l'on voit sur les
stalles, sont la foi, l'espérance, la justice et la force repré-
sentées sous la figure de femmes. Celles du confessionnal et
de la chaire ne le cèdent en rien, à ces dernières, soit par le
fini du modèle, la hardiesse du ciseau et la vérité du dessin,
unie à la science du sculpteur. Le crocodile appendu à la
voûte de l'église et qui, dit-on, ravageait le pays, lorsque
saint Bertrand le fit mourir, est la dernière curiosité qui
doive fixer l'attention du visiteur qui tient à admirer le
monument religieux.
Dans l'enceinte de la ville, ce qui fixe d'abord l'attention,
ce sont les murailles qui font le tour du monticule sur lequel
est située la ville. On remarque, en les parcourant, le rocher
hitsorique d'où Gondewald, le prétendant royal de la pre-
mière race, fut précipité. Ce rocher est à vingt pas des mu-
railles, il se nomme Malacan {tuer un chien). Son élévation
est de 1 17 mètres environ au-dessus du sol des précipices qui
entourent la -cité.
En faisant le tour des murailles de Saint-Bertrand, on voit
sur une pierre incrustée dans une muraille, près la porte
de Valcabrère, l'inscription suivante :
Taxe du poisson pendant le Carême 166 1 .-
Truites, trois deniers. Loches, trois deniers.
Sièges, trois deniers. Cabillas., deux deniers.
SUR LES BAINS DE SIR A DAN. 235
Au dessus de lu porte principale on lit une partie de ectle
inseription incomplète:
IM1\ XXVI.
COS • VPP.
CIV1TA COVENEVM.
On voit la figure d'une louve à la suite de cette inseription.
La visite faite à Saint-Bertrand doit se terminer par une
exeursion de quelques minutes qu'on doit tenter vers ïibiran
et Valcabrèrc. Selon la traduction, ces deux localités n'au-
raient été, dans les temps anciens, que des faubourgs de
Lugdunum Convenarum. Ainsi, la première, fondée par
Tibère, remonterait vers l'an 37 de l'ère chrétienne; et la
seconde, dont le nom signifie vallée des chèvres, aurait servi
de quartier général à Leudegesile, lieutenant de Contran,
en 585, époque où la cité romaine soutint un siège mémo-
rable qui se termina par sa ruine.
Sans. apprécier au fond l'étymologie de ces localités, il est
évident qu'elles renferment des restes d'antiquité qui sont
dignes d'attirer l'attention. Les nombreuses inscriptions
qu'on a trouvées à Valcabrère et à Tibiran sont des argu-
ments puissants en faveur de son ancienneté.
Dès qu'on a vu Saint-Bertrand et ses deux anciens fau-
bourgs, selon la tradition, on peut jeter un coup-d'ceil sur
le château de Barbazan, situé sur un coteau qui domine la
Garonne, en face la route , non loin du pont de Labroquère.
Le château et le lac qui est aux environs sont deux choses
à voir dans une autre journée; puis, on rentre à Siradan
par la route de Bagnères-de-Luchon.
La troisième excursion que les baigneurs peuvent faire
aux environs des bains de, Siradan , après celle qui a pour
objet les chalets Saint-Nerée où se rendent de nombreuses
cavalcades des environs, la plus agréable et la plus impor-
tante de toutes , est , sans contredit , l'excursion qui a pour
but les panthières du Col-du-Haut.
256 NOTICE
On appelle panlhières, dans les Pyrénées, des montagnes
hifurquées qui servent de passage aux bisets ou pigeons
sauvages. Celles du Col-du-Haut ont une réputation juste-
ment méritée. Pour l'amateur de la chasse comme pour le
chasseur de profession, une visite aux pantbières dont nous
parlons est plus qu'un délassement, c'est un plaisir de tous
les mois de la saison des bains.
Pourcela, lacoursen'est pasdifficile, ni longue. Lorsqu'on
quitte Siradan, il suffit de traverser la Garonne à deux
kilomètres et demi de l'établissement et l'on se dirige vers
la route nouvellement tracée qui conduit de Saint-Béat à
Aspet. Au sommet de la montagne on arrive au but de la
promenade. Nous ne pouvons mieux faire connaître les agré-
ments de cette course qu'en rapportant lesdétails qui concer-
nent la chasse aux bisets.
LES PANTIHERES DU COL-DU-HAIT
OU
LA CHASSE AUX BISETS.
Au versant septentrional des Pyrénées, entre les petites vil-
les d' Aspet et de Saint-Béat, s'élève, en forme de cône empa-
naché de majestueuses forêts, une montagne gigantesque,
ombreuse et solitaire, nommée Kagire. A ses pieds, moitié
français, moitié espagnols s'abritent, bizarrement groupés,
d'innombrables villages ; se dessinent en tout sens, comme
les rayons d'un cercle de riantes vallées; et sur ses flancs
veloutés, disputés en partie par le Val-d'Aran , d'autres
montagnes plus modestes s'épanouissent, à la faveur de sa
haute protection aërienne. Or, un de ces monts, le plus voisin
de Kagire et que distingue le petit village de Moncaut assis
sur la pelouse, est surtout en réputation , sous le nom du
SUR LES BAINS DE SIRADAN. 257
Col-du-Haut, pour la chasse aux bisets et pour les rendez-
vous annuels d'étrangers que les panlhières appellent de
toutes parts : de Saint-Gaudens, de Vielle, de Saint-Béat,
deMontrejeau, de Bagnères-de-Luchon et même de Toulouse.
Mais la grande réunion a lieu principalement le 16 octobre,
fête de Saint-Bertrand. Avant ce jour, marqué par de joyeux
plaisirs, des festins, des divertissements et de nombreuses
cavalcades, les chasseurs montagnards sont rarement trou-
blés dans leurs ingénieuses opérations. Pour eux, les grands
travaux, les travaux importants, indispensables à leur ac-
tivité turbulente, commencent au 9 septembre. A cette épo-
que, les fdets sont radoubés, les chaînons tendus, les pieux
aiguisés etles arbres à mats, à échelons et à guérites, coupés,
travaillés , façonnés pour servir à élever une charpente
aérienne. Le mouvement est alors général parmi les habi-
tants du Col-du-Haut. La chasse va commencer.
On sait que l'émigration des bisets s'oppère à l'approche
de l'hiver. Déjà le refroidissement de la température, la fraî-
cheur des nuits d'automne, la font devancer, par les plus
prévoyants et par ceux qui sont les plus voisins des Pyré-
nées, vers les derniers jours de septembre. Alors des troupes
innombrables de bisets s'élèvent dans les airs, apparaissent
dans la direction du nord et s'avancent en serre-hle pour
effectuer le fatal passage des montagnes, L'instinct guide ces
bataillons allés mais la ruse des homme , plus puissante
encore, se joue de leur instinct. A la volonté de l'homme ,
leur vol hardi s'abaissera ; leur marche à tire d'aîle s'arrê-
tera tout-à-coup et les engins du chasseur les forcera, mal-
gré leur prévoyance, à tomber dans une gorge meurtrière.
Il faut le dire aussi, le Col-du-Haut est favorable à cette
coupable industrie de l'homme contre l'oiseau. Deux pics
surgissent parallèlement et forment des deux côtés, dans la
longueur d'une demi heure, une palissade de rochers chargés
de bois en amphitéàtre et ornés d'une riche végétation. Au
milieu, s'allonge un vallon étroit dont l'extrémité forme un
défilé qui détache son bleu-clair dans l'horizon espagnol.
258 NOTICE
Là, un filet aux jours infinis et aux mailles imperceptibles,
barre transversalement et dans toute son étendue le passage
du col, à la hauteur d'environ vingt pieds. On ne se douterait
point de sa tension, si, une guérite isolée au milieu des filets,
ne laissait flotter, dans le vague des airs, une ligne de cor-
dages. Or, cette guérite, en termes de l'art du chasseur
pyrénéen, n'est composée que de trois longs mâts fichés
perpendiculairement en triangle par le bas et réunis en
faisceaux par le sommet. Des échelons, grossièrement tracés
s'élèvent jusqu'au plus haut de la guérite où se balance un
vaste, profond et large nid, bâti de branches de feuillage et
de gazon. Ce nid devient indispensable pour la chasse ; car
il sert de retraite et de cachette à un adroit bisetier, connu
sous le nom d'arbaletier, et dont la fonction, comme on le
verra bientôt, est d'une haute importance. En attendant son
rôle', balancé dans sa demeure aérienne où il se blottit, il
prête une oreille exercée au signal convenu.
Mais sur les deux penchants des collines qui aboutissent
face-à-face au Col-du-Haut et dans toute leur longueur du
nord au midi, s'élèvent, à égales distances, ainsi que des
avant-postes croisés, huit guérites semblables à celles de
l'arbaletier. Elles servent de réduit aux vedettes de la chasse.
Une seule, placéeà l'extrémité du nord et suspendue sur un
sommet très élevé, est destinée à former un observatoire. La
sentinelle, ainsi haut perchée dans son nid, découvre facile-
ment au loin, par dessus les monts, l'immensité du ciel qui
se déploie, à sa vue, dans toute sa majestueuse étendue.
Chacun alors esta son poste. Viennent maintenant les bisets.
Cependant, au milieu du vaguedesairs, apparaissentdans
un ciel d'azur, des points noirs qui se meuvent impercepti-
bles. Chassés par le vent d'est, ces points noirs se rappro-
chent, grossissent, se multiplient en raison inverse de leur
distance. Ils présentent alors aux yeux attentifs, des myria-
des de volatilles se dirigeant vers les Pyrénées. « Bonne cu-
rée! » s'est écrié, en ce moment, un chasseur transporté de
joie. « Vent Je Perpignan: biset en gibecière. » En effet, du
SUR LES NAINS DE SIRADÀN 239
haut de son observatoire, la sentinelle de l'avant-poste a
fait retentir par trois fois le son aigu et perçant de sa cor-
ne. A ce signal de reconnaissance que l'écho transmet de
guérite en guérito , les têtes des biseliers sortent en obser-
vation de leurs nids. La colonne aérienne se découvre alors
à leurs regards curieux. Déjà elle plane immobile à l'entrée
du vallon ; un instant on la voit hésiter dans sa marche,
mais les sons redoublés de la corne retentissant à l'arrière de
plus fort encore, la commotion de l'air hâte, en avant le vol
douteux des bisets épouvantés et une fois engagés dans le
vallon, on les voit, en biaisant, tantôt se porter à la droite,
tantôt se jeter sur la gauche. Mais repoussés alternativement
vers le centre par les hurlements, les clameurs et les bruis-
sements des hommes des postes qu'ils approchent, ils arrivent
forcément et en losange à quelque distance, des filets. Ils
semblent alors se poser un instant indécis ; ils s'exhaussent
toul-à-coup comme pour franchir la gorge qui se trouve
béante devant eux. L'adroit biselier de la guérite du centre
a su déjà contre-mander leur marche. Armé d'une forte
arbalète, au ressort vigoureux, il projette, bien haut au-
dessus de la troupe, le mail, morceau de bois adhérant à
deux aîles de faucon. À cette ombre de l'oiseau de proie qui
semble les poursuivre, les bisets par un vol spontané, plon-
gent, en traçant un arc de cercle dont la tangente est le val-
lon, jusqu'au pied des filets. Ils se relèvent instantanément
pour fuir: aussitôt la corde de l'arbaletier agite une forte
détente, et cette large et haute masse de filets, cédant à la
pesanteur d'énormes rochers qui hâtent sa chute par le
sommet, tombe sur toute la vaste étendue du col et enveloppe
le gibier qui bat encore de l'aîle. Un appel de loup, hurlé
par l'arbaletier et transmis de poste en poste, est le signal
joyeux d'une abondante capture.
Alors on voit déboucher, par tous les angles des rochers,
du milieu des troncs d'arbres et dans toutes les directions,
une foule de gais chasseurs dont on n'avait point encore soup-
çonné l'existence. Les uns, armés de fusils, rappellent, mou-
24-0 NOTICE
ranls du haut des airs, les quelques bisets qui ça et là veulent
regagner leur sauvage liberté ; les autres, se saisissent un à
un des prisonniers qui s'agitent eneore sous les filets et leur
tournent impitoyablement la gorge. Le massacre terminé, les
vastes corbeilles d'osiers se remplissent des victimes gisantes
sur la pelouse. Alors tout redevient calme; les filets se relè-
vent majestueusement ; le Col-du-Ilaui semble un instant
désert; chacun à son poste, attend impatiemment l'instant
d'une nouvelle fortune.
Mais si la chasse aux bisets présente pendant sa durée pas-
sagère d'un mois quelques uns de ces tableaux plus ou moins
variés et dont nous venons de hasarder une esquisse, elle
offre encore, le jour de la fête de Saint-Bertrand, un spectacle
autrement pittoresque et intéressant.
Le 16 octobre, à peine l'aurore commence-l-elle à poindre,
que le calme de la nuit des Pyrénées et le silence imposant
et gigantesque des montagnes, sont troublés par la foule
immense d'étrangers qui stationnent depuis la veille ou qui
vont et viennent se réunir aux pieds du Col-du-Haut. Lors-
que le soleil commence à briller au sommet de Kagire, c'est
déjà un grand jour de fête. La musique des Pyrénées jette
alors ses sons rapides, lents ou saccadés à l'écho qui les répète
à l'infini avec ses différentes fioritures. Les danses sont en
train. Les broches du bon vieux temps des héros d'Homère
tournent le gibier, en plein vent, sur leurs fourches de bois.
La fumée de la cabane, la seule cuisine de ce vaste hôtel qu'on
appelle les Panibiéres, est d'un bon augure à l'appétit des
convives; et le Vatel de ce Louvre de Gascon, la gentille et
proprette montagnarde offre déjà avec le sourire du laisser
aller et de l'aisance, ses services reconfortants au mylord, à
la dame élégante, au bourgeois, à la duchesse , au député,
à l'industriel, au ministre passé ou futur, à l'homme de let-
tres, que Bagnères-de-Luchon cède pour un jour au grand
banquet du Col-du-Haut. Certes, si l'égalité des rangs est
quelque part, elle est aux Panthihres. Point de distinction.
Le gazon et la pelouse servent également de siège et de table
SUR LES BAINS DE SIKADA.N. %&i
dressée pour tuut le monde. On ne dispute la que du bon
appétit.
Aussi, quel spectacle plus beau, pour l'observateur, que
ces groupes nombreux de gens de toute fortune, de tout sexe
et de toute considération, assis pèle et mêle sur le penchant
d'une montagne ignorée des Pyrénées ! que ces toilettes
riches, modestes, négligées, contrastent bien ensemble dans
leurs confusions ! que les plaisirs bruyants du festin et de la
danse inspirent alorsde tendres sentiments à l'ameianocente!
une seule pensée, celle du bonheur se déploie vive et brillante
à l'imagination de tous les assistants. Mais la joie commune
va être plus complète encore, car ce jour de fête est aussi un
jour de chasse. Le son de la corne vient de retentir par trois
fois du haut de l'observatoire. Aussitôt le bruit des instru-
ments est suspendu. Les cris, les joyeux ébats cessent ins-
tantanément. Chaque convive emporte à la main les restes
de son repas interrompu et tout le monde fuit se cacher
derrière les rochers où se dérober, à la vue de l'oiseau de
passage, dans les bois. Le vallon du col est maintenant désert.
Quel silence! on craint le bruit de son souffle; on comprime
les pulsations du cœur, et chacun, dans une attente impa-
tiente, suit des yeux et des oreilles tous les mouvements
et les signaux des bizetiers. & chaque rapprochement des
bisets attirés adroitement dans le passage et dont la troupe
plane, comme un brouillard épais au dessus de toutes les
têtes, on trépigne des pieds, on craint, on espère dans une
indicible attente.
Ce tourment de la foule curieuse ne cesse que lorsqu'un
bruit s'est fait entendre, et que le cri de l'arbaletiera frappé
les nues en annonçant la chute des filets. En présence de tant
d'innocents captifs, que de sentiments divers s'échappent des
cœurs des spectateurs ! Une main douce et blanche soulève
lentement la maille et caresse le biset prisonnier; tandis
qu'une main dure et impitoyable le tue. Ici des voix pape-
lardes se jouent du sort malheureux de l'oiseau sauvage; là,
des voix féminines répandent sur lui de tendres regrets ; et
242 NOTICE SUR LES BAINS DE SIRADAN.
souvent on a vu la beauté sensible laisser tomber une larme
d'amour en présence de la victime mourante du chasseur.
Le plus grand nombre enfin se réjouit de l'abondante cap-
ture. Les plaisirs, la danse et les festins recommencent alors
de plus belle, pour ne finir qu'à la veillée. A l'heure du soir,
la foule s'écoule lentement, et le lendemain tout redevient
triste et sublime. Le berger et le bruit du torrent troubleront
seuls pendant un an le silence de ces montagnes.
Parmi les Panthïeres que compte le département de îa
Haute-Garonne dans les Pyrénées, on distingue encore celles
du Col-de- Lazare, de Couledous et de Portet ; mais les Pan-
thières du Col-du-Haut ont une plus grande réputation que
ses trois rivales, soit par l'affluence d'étrangers qu'elles atti-
rent dans leur site enchanteur, soit par la quantité des bisets
et l'adresse des chasseurs qui les distinguent. Le Col-du-Haut
est le Longchamp de la chasse dans les Pyrénées.
Analyse des eaux de Siradan, par M. Filhol. — Source saline (du
lac).— Comparaison des eaux de Sainte-Marie avec celles de
Siradan.— Eaux minérales ferrugineuses.— Eau de la source
du chemin.— Analyse de M. Save, comparée avec celle de
M. Filhol.— Différence des deux analyses.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut, la situation de Sira-
dan joint au nombre des étrangers qui vont faire usage de
ses eaux, en fait un séjour assez vivant et assez agréable
pendant la saison des bains. D'ailleurs ce petit village n'est
pas déplaisant par lui-même, surtout au printemps et en été.
Alors, en effet, on aime à voir ses jardins, ses vergers
entourés de haies vives, et entremêlés de touffes d'arbres et
de vignes, dont l'agréable verdure contraste avec les toits de
chaume répandus ça et là, qui en font ressortir la fraîcheur.
Ajoutez que sa position, à la base des Pyrénées, offre une
perspective charmante. Car si l'on porte ses regards du côté
de l'orient, on découvre un vaste amphitéâtre auquel la
nature et la main des hommes concourent à donner l'aspect
le plus diversifié.
Mais sans insister davantage sur sa position si favorable
pour la santé, nous devons dire que sa température y est
des plus saines et des plus agréables. Ce qui joint à la bonté
et à l'excellence des eaux doit attirer l'attention des ma-
lades et de ceux dont la santé est délabrée.
Avantde connaître les effets salutaires des eaux de Siradan,
nous devons rapporter l'analyse qui en a été faite par le
savant M. Filhol, professeur à l'école de médecine et de
244 2S0TICE
pharmacie de Toulouse. Nul n'est plus compétent en pareille
matière.
Siradan possède des eaux minérales de deux sortes :
1° Une eau minérale saline dont l'analyse n'avait pas
encore été faite et qui constitue le lac de Siradan.
2° Plu sieurs sources ferrugineuses dont une a été analysée
en 1812, par M. Save.
M. Filhol a analysé, 1° l'eau du lac- 2» une source ferru-
gineuse qui s'écoule sur un chemin situé au-dessus de Siradan ;
3o il a répété l'analyse de l'eau ferrugineuse déjà analysée
par M. Save et appartenant à M. de Sarrieu.
SOURCE SALINE (Lac de Siradan).
L'eau du lac de Siradan est d'une limpidité parfaite ; elle
est sans odeur, sa saveur est légèrement amèrej sa densité
prise à la température du 16e centigrade est de 10,024.
Un thermomètre centigrade plongé dans l'eau du lac à
une profondeur de plus d'un mètre marquait, après un
quart d'heure de séjour dans l'eau, 18°
Un thermomètre tout pareil placé dans l'air marquait 14<>.
Cette eau exposée à l'air conserve sa limpidité ; chauffée
elle se trouble légèrement et laisse déposer une très-faible
quantité de carbonate de chaux, de magnésie et d'oxide de
fer.
Elle ramène lentement au bleu le papier de Tournesol
rougi parles acides.
La potasse y produit un précipité blanc.
L'action des divers réactifs employés prouve que l'eau
renfermait :
Des Sulfates,
Une trace de Chlorures,
Des Carbonates,
De la Chaux,
De la Magnésie,
De l'Acide carbonique.
SUR LES BAINS DE SIRADAN. 245
En résumant les données que fournit l'analyse précédente,
on constate que 10 litres d'eau minérale de Siradan renfer-
ment :
Acide carbonique. ...... 0,066 çr
Sulfate de chaux anhydre ... I i,828
Sulfate de Magnésie anhydre. . . 2,780
Sulfate de soude 0,100
Chlorure de Calcium 0,0^0
Chlorure de Magnésium .... traces
Chlorure de Potassium .... traces
Carbonate de Chaux 1,072
Carbonate de Magnésie 0,200
Oxide de fer traces
Silice traces
Matières organiques traces
20,000
Perte 0,100
Si l'on compare les résultats de cette analyse avec ceux
que M. Save a obtenus dans l'analyse de l'eau minérale
de Sainte-Marie, on sera tenté de considérer ces deux eaux
comme essentiellement différentes, tandis que l'inspection
des lieux dans lesquels, elles se trouvent situées, porterait
au contraire à penser qu'elles ont une origine commune -
cependant cette différence énorme n'est qu'apparente; et
l'eau minérale de Siradan qui, d'après les chiffres que je
viens de donner, serait plus pauvre en matière saline que
celle de Sainte-Mario, renferme au contraire, ainsi que je
vais le démontrer, une quantité plus considérable de sels
que cette dernière: peut-être une nouvelle analyse des eaux
de Sainte-Marie faite par des procédés susceptibles de plus
de précision que ceux qui étaient on usage à l'époque o,'i
MC>
.NOTICE
celle de M. Save fut faite, conduirait-elle à démon Irer
l'identité de ces sources.
Quoiqu'il en soit je vais tout d'abord placer en regard les
résultats obtenus par M. Save dans l'analyse de l'eau miné-
rale de S.iinte-Marie avec ceux que j'ai obtenus dans celle
de l'eau minérale de Siradan.
QUANTITÉ D'EAU ANALYSÉE : DIX LITRES
SAINTE-MARIE.
Sulfate de chaux. .. . 14,15»» g.
— de magnésie. 3/i2C>
Carbonate de chaux. . 3,;>88
— de magnésie . 0,21fi
Acide carbonique. . . 3,25ij
27,341
SIRADAN.
Sulfate de chaux
— de magnésie. . .
— de soude
Chlorure de calcium. .
— de magnésium. .
— de potassium. .
Carbonate de chaux. .
— de magnésie. . .
Silice
Oxide de fer.. .
Mat. organi. et perte.
Acide carbonique. . . .
828 g.
750
100
,0o0
Irare.
trace
072
200
,100
,6G0
20,760
Il ressort en apparence de cette comparaison que 10 litres
d'eau minérale de Sainte-Marie auraient fourni 3,255 gram-
mes d'acide carbonique, tandis que je n'en ai trouvé que
0,G60 grammes, c'est-à-dire environ 5 fois moins que dans
celle de Siradan. Mais en examinant le mémoire de M. Save
j'ai vu que ce chiffre était purement arbitraire, que M. Save
n'avait pas dosé directement l'acide carbonique et que sa
quantité ayant été déduite de celle du carbonate de chaux
que ce chimiste avait trouvé dans l'eau, une erreur dans la
détermination de ce sel pouvait en entraîner une très-grande
dans celle de l'acide carbonique.
SUR LES BAINS DE SIRADAN
247
On remarquera aussi que j'ai trouvé dans l'analyse de
Siradan un peu de sulfate de soude qui n'a pas été signalé
dans celle des eaux, de Sainte-Marie, mais rien ne prouve
qu'il n'en existe pas aussi dans cette dernière. Car M. Save ne
l'y a pas cherché : j'en dirai autant d'une trace d'oxide de fer
et d'une trace de matière organique; d'après M. Save, en effet,
les source de Sainte-Marie ont toutes la même composition,
et l'une d'elles, dite Source-Noire, repose sur un fond formé
par une boue noirâtre répandant une odeur légèrement sul-
fureuse. I.'eau du lac de Siradan se trouve exactement dans
1rs mêmëes conditions. Je dois dire, au reste, que j'ai été
étonné de trouver si peu de matière organique dans une eau
stagnante en apparence, mais qui se renouvelle cependant
d'une manière fort rapide, ainsi que le démontre la cons-
tance de -on niveau dans toutes les saisons de l'année, même
lorsqu'on en retire pour les bains une énorme quantité
d'eau.
Si nous comparons maintenant les résultats des deux ana-
lyses, nous trouverons que 10 litres de chacune de ces eaux
contiennent :
PRINCIPES MINERAUX.
Sulfate de chaux cristallisé. .
— de magnésie cristallisée
Carbonate de magnésie. .
— de chaux ....
Sulfate de soude ....
Chlorure de calcium .
(JxiJe de fer
Chlorure de magnésium. .
— de nolassiurn.
Perte
Sl?rMarie.
14,756 gr
5,420
0,216
3,688
24,080
Siradan.
18,404 gr.
5,66a
o.îco
1,072
0,100
0,050
traces.
traces.
0,100
20,548
248 NOTICE
EAUX MINÉRALES FERRUGINEUSES.
EAU DE LA SOURCE QUI s'ÉCOULE SUR LE CHEMIN DE SIRADAN.
Cette source s'écoule sur un petit chemin situé sur la
montagne au pied de laquelle se trouve l'établissement de
Siradan, et à une très petite distance de ce dernier. L'eau
qui se répand sur le chemin se recouvre presque immédia-
tement d'une pellicule irisée, et ne tarde pas à laisser dépo-
ser de petits flocons d'oxide de fer hydraté. Ses propriétés
sont les suivantes :
Elle est parfaitement limpide , mais elle ne tarde pas à se
troubler au contact de l'air; elle laisse déposer alors un
mélange de carbonate! de chaux et d'oxide de fer
Sa densité diffère bien peu de celle de l'eau distillée : cette
dernière étant 1,0000, celle de l'eau ferrugineuse est 1,0004.
Elle a une légère odeur ferrugineuse.
Sa saveur est styptique.
Dix litres de cette eau, évaporée à siccité dans une capsule
de porcelaine à une très douce chaleur, ont donné, 1562 gr.
de résidu. Ce résidu a été successivement épuisé par l'alcool,
l'eau distillée et l'eau régale.
La partie soluble dans l'eau renfermait donc :
Sulfate de chaux,
— de magnésie,
— de soude.
La portion de sel qui avait résistée l'action dissolvante de
l'alcool et de l'eau fut épuisée par l'eau régale bien pure; il
se produisit une vive effervescence et il resta 0,0*25 grammes
d'une matière insoluble grisâtre, rude au toucher et formée
de silice.
SLR LES BAINS DE S1RADAN. 249
résumé
donné
En résumé 10 litres d'eau ferrugineuse de Siradan ont
Acide carbonique 0,289 gr.
Chlorure de magnésium 0,120
— de calcium traces
Sulfate de magnésie (anhydre). . . 0,108
Sulfate de chaux 0,1 GO
— de soude 0,030
Carbonate de chaux 0,f>02
— de magnésie 0,200
Oxide de fer 0,200
Manganèse traces
Silice, matière organique et perte. . 0,0 i&
Ij753
EAU MINÉRALE DE SIRADAN,
ANALYSÉE PAR M. SAVE.
Les propriétés de cette eau sont absolument les mêmes
que celles de l'eau de la source précédente.
J'ai versé deux litres d'eau, un peu d'ammoniaque et un
excès de chlorure de barium. La bouteille fut bien bouchée
et agitée. Le liquide filtré 24 heures après laissa sur le filtre
un résidu qui pesait après avoir été rougi 0,914- en faisant
toutes les déductions convenables, ou trouve que les deux
litres d'eau renfermaient d'acide carbonique 0,17*2 grammes,
"21)0 NOTICE
En résumant les données précédentes, on trouve que 10
litres d'eau ferrugineuse de Siradan renfermaient :
Acide carbonique 0,633 gr.
Chlorure de magnésium 0,102
— de calcium traces
Sulfate de chaux 0,102
— de magnésie 0,I0S
— de soude 0,017
Carbonate de chaux 0,i&9
— de magnésie 0,0ô5
Silice 0,0.^0
Oxide de fer 0,106
— de manganèse traces
Matière organique et perte. . . . 0,034
1,833
Cette analyse diffère beaucoup de celle de M. Save. Elle en
diffère surtout par la quantité de fer qui est environ le quart
de celle que M. Save avait trouvée dans l'eau de la môme
source. Je puis cependant garantir l'exactitude du chiffre que
je donne ; car j'ai apporté un soin scrupuleux dans le dosage
du fer. La différence qu'on remarque sur les quantités de
sulfates de magnésie et de chaux est plutôt apparente que
réelle, car, dans les analyses, ces sels ont été dosés à l'état
anhydre, tandis que M. Save a pesé des sels renfermant leur
eau de cristalisation. Si l'on fait des calculs nécessaires pour
rendre le résultat des deux analyses comparable, on trouve
que la différence est moins considérable qu'elle ne le paraît
sans cette précaution.
Le sulfate de soude, le carbonate de magnésie et le man-
ganèse ne sont pas indiqués dans l'analyse de M. Save; mais
il faut dire aussi que ces sels n'ont pas été cherchés par ce
chimiste.
Quoiqu'il en soit, je vais mettre en regard le résultat dès
deux, a nal v m. s.
SUR LES UAINS DE SIRABAN,
251
QUANTITÉ D'EAU ANALYSÉE : DIX LITTRES.
PRINCIPES MINERAUX.
ANALYSE
DE M- SAVE.
Acide carbonique.
Chlorure de calcium.
Chlorure de magnésium.
Sulfate de magnésie.
— de ohaux .
— de soude.
Carbonate de chaux .
— de magnésie.
Oxide de fer
Manganèse
Silice
2,245
ANALYSE
DEM.FILIIOL.
0,833 gr.
0,633 gr.
»
traces
0,023
0,102
0,296
0,214
0,197
0 350
»
0.017
0.394
0.449
traces
0,055
0,420
0,101)
))
traces
0,025
0,040
2,199
L'eau de la source qui s'écoule sur le chemin à Siradan,
est évidemment plus riche en fer que celle qui s'écoule sut-
la propriété de M. deSarrieu-; c'est ce qui ressort clairement
de la comparaison suivante.
QUANTITÉ D'EAU ANALYSÉE : DIX LITRES.
PRINCIPES MINÉRAUX.
Acide caibonique. . -
Chlorure de calcium.
— de magnésium
Sulfate de magnésie. .
— de chaux. . .
— de soude.
Carbonate de chaux.
— de magnésie.
Oxide de fer. . . .
— de manganèse. .
Silice
EAU
DE LA SOUftCE
de M. de 2arrieu.
0,633 gr.
trace-;
0,-102
0 214
0,340
0,017
0,449
0,053
0,106
traces
0,050
2,119
EAU
du
CHEMIN
289 gr
aces
120
10S
160
,030
,(•.(>•>
,■200
,200
aces
042
2,149
252
NOTICE SUR LES BAINSD EN CAUSSE.
Il résulte évidemment de ces analyses que les trois sources
dont je viens d'indiquer la composition chimique, sont riches
en matière saline, et tout porte à penser quecelledu lac doit
jouir de propriétés médicamenteuses, analogues à celles des
eaux minérales salines de Sainte-Marie, Capvern.
Quant aux sources ferrugineuses l'expérience a déjà dé-
montré leur incontestable efficacité.
III
Propriétés médicinales dos eaux de Siradan. — Guérison de diver-
ses maladies. — Description du nouvel établissement. — Avan-
tages qu'on y retrouve. — Fin de la notice.
« Les eaux de Siradan, a dit un célèbre médecin moderne,
sont bien évidemment toniques et purgatives. Elles augmen-
tent les forces radicales de chaque organe affaibli en particu-
lier, et de toute l'économie en général.
« Elles jouissent d'une spécificité d'action b'en marquée sur
les organes abdominaux, et possèdent la propriété d'activer
la circulation de ces organes, et surtout celle des vaisseaux
hémoroïdaux et de la matrice.
« Leur spécificité d'action sur le système abdominal est
prouvé par la circonstance d'agir sur ce système, lorsénême
qu'on n'en fait usage qu'en bains. Car alors encore, elles
purgent et poussent par urines, longtemps après qu'on est
sorti du bain. »
Ainsi, d'après l'opinion de notre docteur et par les faits de
l'expérience, les eaux de Siradan prises dans l'état de santé
donnent plus d'appétit, de force et d'agilité sans produire
aucun symptôme de surexcitation. Outre leur propriété
tonique, ces eaux possèdent encore une vertu, en quelque
sorte spécifique, pour ramener faction vitale de la matrice
à son type naturel. Ainsi, elles réussissent à faire reparaître
les menstrues supprimées, à les modérer quand elles sont trop
abondantes et à les régulariser quand elles s'écartent de for-
254
NOTICE
dre naturel dans leurs retours. Ce qui se réduit à dire que la
propriété de ces eaux ramène la matrice à son état normal et
à la condition vitale qui préside à l'exercice régulier de ses
fonctions.
Les eaux de Siradan sont encore efficaces contre les oph-
talmies dont le fond est la faiblesse, ou qui sont entretenues
par le mauvais état des premières voies. Aussi, cette propriété
tonique les rend- elle très utiles dans les catharres les plus
aigus ; contre des toux invétérées ; contre l'asthme humide et
l'état glaireux. Mais c'est surtout contre le calharre de la
vessie que ces eaux sont efficaces; elles agissent également
par une véritable action de spécialité ou plutôt de spécification
sur le système abdominal.
Il n'est pas rare, en effet, de voir des malades qui ont fait
usages de remèdes pharmaceutiques, contre ce qu'on appelle
faiblesse, relâchement de l'estomac ou des intestins, et n'en
tirer aucun avantage; tandisque souvent, après quinze jours
de boissons des eaux de Siradan, l'appétit revenait, les diges-
tions s'amélioraient et les forces reprenaient leur cours. Nous
pourrions citer plusieurs exemples en faveur de cette vérité.
Les affections du foie, des reins et la jaunisse ont cédé et
cèdent tous les jours à l'usage de ces eaux.
Les eaux de Siradan agissent sur l'estomac,, comme nous
l'avonsfcvu, etsympathiquement sur le foie, ne pourraient-elles
pas être eflicaces, dans certainscas.de constipation, dépendant
d'un défaut de sécrétion de la bile, par l'inertie de l'organe
hépatique? N'est-ce pas là une présomption favorable relati-
vement aux bons effets de ces eaux dans divers cas? Quant
à leurs effets sur le sang hémorroïdal et à leur efficacité sur
les dérangements menstruels; cela est incontestable. Pas de
femme, en effet, dans le pays, qui, venant à éprouver une
suppression, ne sp mette à leur usage, et n'obtienne une
guérison certaine.
Avant d'en finir sur les propriétés des eaux de Siradan,
nous devons dire que le nombre des malades qui ont été
guérie parleur emploi, augmente tous les jours. 11 esta espérer
SUB LKS HA1NS DE SIliADAN. 255
(p'avant peu d'années, ces eaux auront toute la réputation à
laquelle elles ont tant de droits à prétendre.
Il faut dire, au reste, que le propriétaire du nouveau éta-
blissement n'a pas peu "contribué à leur renommée. Avant
que M. Dosset, maire de Siradan, n'eut contribué à l'embellis-
sement de ces eaux, le village n'offrait que peu de logements
aux étrangers, aux visiteurs et aux malades. Le besoin
d'exercice et le défaut des promenades sur les lieux, faisaient
que les baigneurs ne fréquentaient que rarement ces eaux
qui, comme on voit, se recommandent à l'intérêt public par
tant de titres.
Aujourd'hui, par les soins ingénieux et les dépenses sage-
ment calculées de M Dosset., un élégant édifice est venu se
substituer aux vieilles maisons qui servaient de retraite et de
domicile aux baigneurs. Le nouvel établissement est un carré
long de vingt pas de façade environ sur une huitaine de pro-
fondeur. Il est bâti tout près de la source minérale et à quel-
ques mètres de l'église communale. Un jardin anglais, disposé
pour le plaisir et l'agrément des promeneurs, s'étend contigu
a l'établissement , qui d'ailleurs ne laisse rien autre chose à
désirer.
Dans l'intérieur de l'édifice et sous un vestibule se trouvent
rangés des cabinets destinés pour prendre des bains , garnis
de baignoires élégantes et commodes. Chaque baignoire a
deux robinets : l'un pour l'eau froide, et l'autre pour l'eau
chaude , dont on prend à volonté. Chaque cabinet est spa-
cieux pour contenir deux chaises et une table. Les murs ,
extérieurement et intérieurement, sont recouverts d'une cou-
che de chaux qui donne à tout l'édifice un aspect qui flatte
agréablement la vue. Un toit d'ardoise , symétriquement
arrangé , ajoute encore à cet effet.
Telles sont les parties qui constituent aujourd'hui l'établis-
sement de Siradan. Mais ce n'est la qu'une partie de ses
avantages et de ses agréments. Le propriétaire a voulu , en
outre, que le service particulier des étrangers qui viennent
prendre les eaux ne laissât encore rien à désirer. A cet effet .
256 NOTICE SUR LES BAINS DE S1RADAN
il tient à leur disposition , dans le nouveau bâtiment , des
chambres meublées , les unes avec propreté , les autres avec
élégance , et dont le prix varie selon leur impatience , afin
d'être mises à la portée de toutes les fortunes.
Un médecin distingué du pays attaché au service médical
de l'établissement , un traiteur qui y tient table d'hôte dans
une salle spécialement affectée à cette destination , sont des
avantages qui seront appréciés par les baigneurs ; une salle
de billard avec café, une bibliothèque assortie au goût de tous
les habitués des bains , des journaux avec un salon pour la
lecture, des chevaux de course en nombre suffisant pour les
promenades aux environs, sont des améliorations opérées par
les soins de M. Dosset, qui a voulu donner à son établisse-
ment une incontestable réputation de bien-être jointe à l'efli
cacité déjà bien reconnue des eaux de Siradan. Ce confort et
ce bien-être rivalisent , au reste , avec le conjori et le bien-
être qu'on est accoutumé à trouver dans les villes populeuses
qui depuis longtemps ont le privilège d'attirer toutes les
classes de la société.
FliN DE LA NOTICE SUK SIRADAN.
LES BAINS D'ENCAISSE
ET
LE PAYS DU NÉBOUZAN.
- -îtf»D-
Situation du lieu d'Encausse. — Pays des Onebuzales ou Xébou-
zan. — Sa position géographique. — Historique de ce pays.
— Ancienne réputation des eaux de ces contrées. — Saint-
Gaudens, Aspet, Izaut, Malvesie, etc. — Opinion des auteurs
anciens sur cette contrée.
»
Le village d'Encausse est situé sur la petite rivière appelée
le Jops, à deux kilomètres environ de la route qui conduit de
Saint-Gaudens à Aspet, dans un vallon délicieux qui s'étend
aux pieds des montagnes de Sauveterre, de Malvesis et de
Kagire. C'était autrefois une des plus importantes chatellenies
du comté du Comminges. Il formait sous le rapport du spi-
rituel un Archiprêtre des mieux rentes du diocèse.
Il est peu de contrées qui , dans un espace aussi resserré,
soient aussi remarquables, au point de vue historique, que
celle qui comprend l'ancien territoire de la baronnied'Aspet.
On y retrouve à chaque pas, les traces de monuments d'une
haute antiquité. Enclavée dans le petit pays du Nébouzan,
la vallée d' Aspet était distinguée par la fertilité du sol, par
l'industrie et surtout par la bravoure de ses habitants.
Quelques détails suffiront pour faire bien apprécier l'im-
portance historique du pays d'où dépendait le village d'En-
causse.
Les auteurs qui nous ont fait connaître la grandie ligue
258 NOTICE
des Convenœ, anciens fondatenrs de Eiigdutiutn Convenant»!,
aujourd'hui Saint-Bertrand de Comminges, ont divisé ces
peuplades en trois tril>us ainsi désignées: les Garumni, les
Àrcvacci et les Onebuz*iles. Les premiers auraient habité tout
l'espace compris sur la rive gauche de la Garonne entre sa
source et le petit pays de Rivière, c'est-à-dire, depuis l'extré-
mité de la vallée d'Aran jusqu'à Valentine. Les Garumni
auraient été donc, aux pieds des Pyrénées, une tribu celtique
assez répandue avant l'invasion romaine.
Les Arevacci dont parle saint Jérôme à propos de la fonda-
tion de Lugdunum Convenant?» par des tribus errantes que
Pompée contraignit à se réunir en communauté, d'où l'origine
de saint Bertrand, se maintinrent, sous la domination romai-
ne, dans ces montagnes en conservant leur nom. La petite-
contrée d'Arbas leur aurait emprunté sa dénomination. De
sorte que quelques historiens, en conformité de la similitude
qui existe entre ces deux noms, Arevacci et Arbas, et s'au-
torisant d'ailleurs, de plusieurs découvertes récentes, ont
supposé que cette tribu occupait tout l'espace compris, sur
la rive droite de la Garonne, entre les cantons de Saint- Béat
et de Salies; c'est-à-dire le territoire du canton d'Aspet.
Quant aux Onebuzates dont parle Pline, selon l'opinion la
plus accréditée parmi les historiens modernes, ils auraient
occupé le territoire qui fut appelé plus tard le Nébouzan, petit
pays dont Saint-Gaudens était la capitale. Il avait cinq lieues
de long et trois lieues de large, disent les anciens géogiaphcs;
il était, de plus, un pays d'états, cest-a-dire s'administrant.
lui-même. Quelques détails à ce sujet, ne seront pas inutiles
et pourront avoir quelque intérêt pour nos lecteurs qui vien-
nent visiter les eaux d'Encausse.
Le Nébouzan dont le territoire était si borné, puisqu'il
n'embrassait, du levant au couchant que l'espace qui s'étend
depuis Martres jusqu'aux bains de Capvern, et du nord au
midi, depuis l'lle-en-Jourdain jusqu'à Pointis et Encausse,
était classé au nombre des pays d'états. On appelait de ce nom
•eux qui votaient, on assemblée générale, composée des
si R les n.u.N.s h km;ai ssi:. 259
membres du clergé, de la noblesse et du tiers, les subsides
demandés par le gouverneur de la province; au nom du roi.
Ces états se réunissaient tous les deux ou trois ans à Saint-
Gaudens, eapitale du Néboiuan, étaient présidés le plus sou-
vent par l'abbé de Bonnefond(-i). Les communes fournissaient
un nombre de députés tixe d'après leur importance, leur
étendue et le chiffre de la population évaluée d'après les feux.
Il est a remarquer, lorsqu'on étudie l'histoire avec soin, que
les pays qui semblent avoir été favorisés de ce genre d'admi-
nistration particulière, pendant le moyen-âge, ne devaient
cette distinction signalée ou plutôt, ce privilège qu'a une im-
portance historique déjà bien établie. Le régime des états
n'était donc qu'un reste du droit municipal qui survivait depuis
l'époque de la domination romaine.
Il serait facile d'établir, d'après les chartes qui nous restent,
un système de comparaison entre l'administration de la curie
romaine et celle qui régissait certaines cités des Convènes, au
point qu'on pourrait se convaincre que ces dernières n'avaient
conservé, dans leurs organisations politiques et civiles, que
les traditions latines.
Ainsi, la Curie représente la Cité. La première avait son
conseil municipal dont les membres ou décurions étaient choisis
parmi les principaux habitants du lieu. La seconde composait,
par la voie de l'élection, un conseil formé des plus notables de
la ville, connus sous les noms de Notables, Cossols, etc.
Les Décemvirs dont l'autorité était annuelle, jouissaient
d'une grande considération dans la ville, les Cossols du Nébou-
zan et du Comminges étaient entourés d'une estime signalée :
leur autorité s'élevait de pair avec l'autorité seigneuriale eî.
dans plusieurs circonstances, dominait cette dernière.
C'est ainsi qu'aucun conseiller ni consul de la ville ne
pouvait être traîné en prison ; mais s'il était reproché des
méfaits à quelqu'un d'entr'eux, il se constituait lui-même
(*j Voir notre histoire des populations Pyrénéennes, du Nébou-
::rin et du pays de Comminges, tome I, aux notes p. 4M ef =eq.
260 NOTICE
prisonnier dans une maison de la ville, en attendant d'être
jugé par ses pairs.
Les consuls avaient des places réservées, soit à l'église, soit
dans les assemblées publiques. Dans toutes les cérémonies un
banc d'honneur leur était préparé.
Les Décemvirs composaient un tribunal qui avait la con-
naissance de toutes les affaires de la curie ; ils présidaient à
l'administration au nombre de quatre magistrats. Les consuls
étaient aussi au nombre de quatre ; ceux de Saint-Gandens
exerçaient la justice haute, basse et moyenne et ceux d'Aspet
étaient « juges en tolz causa civil et crirmnàl.n
Ainsi existe-t-il une parfaite ressemblance, sous le rapport
politique; administratif et même financier, entre la constitution
intérieure des cités du Comminges et la curie romaine. Il faut
donc croire que les traces de cette civilisation romaine s'étaient
empreintes bien profondément dans l'esprit et les mœurs des
populations de ces montagnes, puisque ni les Wisigoths, ni
les Franks, ni la féodalité, ni la royauté, en un mot, tous les
maîtres comme tous les gouvernements qui se sont succédés
les uns aux autres, jusqu'à nos jours, n'ont pu les effacer
entièrement.
Au reste, en traçant une analyse rapide de l'existence his-
torique des localités qui environnent Encausse, nous aurons
une idée de la haute importance qui s'est attachée aux desti-
nées de cette contrée, dans les temps anciens Les monuments
du passé se présentent en foule à nos recherches. Si nous
rortons nos pas vers la capitale du Nébouzan, nous trouvons
sur notre route Lespiteau dont le nom indique qu'autrefois il
avait été un de ces lieux de refuge, connus sous la désignation
d'hospices qui servaient de retraite aux voyageurs et aux in-
firmes, comme on en trouvait plusieurs dans les Pyrénées. Ce
vallon qui de YEspilaou se prolonge vers la Garonne jusqu'en
face Siancarbon a servi de passage à l'armée de Gondewald
poursuivi par Gontran, lorsqu'il allait s'enfermer dans Lug-
dunum Couvcnarum pour y soutenir un siège qui devait amener
la mort dû prétendant de la première race et la destruction
SUR LES BAINS d'eNCAUSSE. *JG 1
de la cité romaine. De l'autre côté de la Garonne, s'élève en
forme d'amphithéâtre, une autre cité qui a bien aussi ses
titres de gloire qu'il ne sera pas inutile de connaître.
Saint-Gaudens, selon les documents les plus authentiques,
date sa fondation du commencement du IXe siècle. A cette
époque les tribus qui composaient les populations Interho-
Pyrénéennes n'avaient point perdu encore l'esprit de leur
origine, leur caractère primordial. Jusqu'alors aucune trans-
formation sérieuse ne s'était opérée dans la nationalité des
habitants de ces montagnes. Le Vascon et l'Aquitain étaient
encore purs de tout contact étranger, de toute fusion anti-
originelle ; ils se maintinrent donc tous les deux, chacun
dans sa nature propre. Saint-Gaudens , placé comme une
bonne fortune, au confluent de cette double population ,
participa également à leur double influence.
D'après le texte .lui-même de la grande charte qui fut le
code politique de la cité, il est certain que la ville de Saint-
Gaudens a été exclusivement féodale. Ainsi, en l'année 1203,
Bernard , comte de Comminges , faisant à ses habitants de
nombreuses concessions territoriales, leur rappelle qu'ils en
étaient redevables aux bons et fidèles services rendus à leurs
maîtres.
Si Gaston de Foix qui les réunit à son domaine, en 1334 ,
leur octroya des franchises, ce ne fut que comme gardes des
limites et frontières de sa suzeraineté du côté de l'Espagne.
Toujours des motifs de servitude rattachèrent la ville à ses
seigneurs et maîtres. « Voulons que la création et élection
des consuls de ladite ville soit faite suivant les règlements
par nous faits; » Telle est la première pensée qui présida à
la formation des institutions qui régissent Saint-Gaudens. En
outre, les conseillers de la ville devaient être des plus qua-
lifiés. Les quatre consuls et les vingt-quatre conseillers étaient
élus, tous les ans, par les bourgeois des quatre quartiers.
Ne pouvaient être électeurs : les charcutiers, les bouchers .
les maréchaux et les corroyeurs, comme de gens de vile et
abjecte condition.
i:
2f)2 .NOTICE
Les règlements étaient plutôt seigneuriaux que munici-
paux. On trouve, au reste, dans la grande charte, les dispo-
sitions suivantes:
« Les quatre consuls seront nommés pour l'entretien de la
« justice, le service de leur prince et seigneur vicomte.
« En la cour du Sénéchal, le bâton du seigneur sera porté
« en signe d'une juridiction absolue.
« Le juge seigneurial tiendra la droite au conseil ; il sera
« assis sur une chaire en lieu émînent et honorable, et aura
« la préséance sur les consuls. »
Le sceau de plomb des marchands drapiers, ingénieusement
inventé par Gaston de Foix, en 1448, équivalait au droit fis-
cal du timbre; — Les enseignes du comte seigneur servaient
de lignes d'octroi pour les contributions indirectes, sur toutes
les avenues de la ville. A peine la cloche .des armoiries
était-elle tolérée, comme signe légal, sur les actes purement
civils. Il n'était point, en un mot, jusqu'aux constructions
publiques, telles que places, bancs, prisons qu'on ne put
établir sans les soumettre préalablement au contrôle d'une
autorité supérieure.
Lorsqu'on 1534. Gaston de Foix, commença a distraire
Saint-Gaudens du comté du Comminges pour en faire la
capitale du Nébouzan, sa destinée politique ne fut point, en
cela, plus améliorée. Alors s'ouvrit, pour la ville, une ère de
malheurs qui la tirent tomber successivement de la maison
de Foix au pouvoir de la couronne de Navarre ; et de celle-ci
aux mains des rois de France, non sans avoir éprouvé au-
paravant tous les désastres qu'entraîne avec elle la guerre
civile et les guerres de religion. Pillée d'abord par les Anglais
sous Jeanne, reine de Navarre, en 1563, elle éprouva delà
part des Huguenots tous les malheurs d'une ville prise d'as-
saut.
Le comte de Montgommery, chef du parti réformé contre les
catholiques qui occupaient presque tout le pays du Béarn,
« partant du Quercy vint en Rouergue, passe la Save et
« l'Ariège, et gaignant les monts Pyrénées, faict passer la
SUR LET BAINS D ENCAISSE. 265
» Garenne à aes trouppes par Saint-Godens qu'il saccagea et
» pilla (*). » Plus tard, sous la fronde, le marquis de Villars,
en haine du parti du roi que les habitants ont toujours em-
brasse et soutenu; la ville fut pleine de garnisons étrangères.
Il n'est point jusqu'aux guerres malheureuses de Louis XIVr
qui ne lui aient fait éprouver des charges onéreuses par le
cautionnement forcé qu'établissaient à Saint-Gaudens plu-
sieurs régiments de cavalerie, et notamment la compagnie
du duc de Noailles.
En dépit de ces désastres, la ville do- Saint-Gaudens n'en
est pas moins aujourd'hui une des plus jolies, des plus belles
et des plus agréables du département.
A l'opposé de Saint-Gaudens et presque à égale distance
d'Encausse, dans le fond d'un vallon, existe une autre cité
qui plus heureuse que la capitale du Nébouzan, n'aliéna ja-
mais sa liberté. C'est la petite ville d'Aspet dont nous voulons
parler.
Située sur un plateau qui domine deux vallées dont il semble
en défendre l'entrée, Aspet remonte par sa fondation vers le
X'- siècle. Formé d'une de ces peuplades errantes qui, à cette
époque, sous le nom de bandouliers servaient la cause de
l'indépendance contre les Franks et Charlemagne, Aspet ne
fui primitivement qu'une bourgade mobile ou un camp de
refuge. Mais lorsque l'Aquitaine vit régner sur elle un prince
national, la bourgade qui vivait d'abord de la vie de famille,
se façonna insensiblement a la vie civile. Ses habitants élevè-
rent des remparts, régularisèrent une garde armée et créèrent
des magistrats annuels.
La petite république s'agrandit d'autant plus rapidement,
qu'éloignée du centre du gouvernement ducal, elle resta
étrangère aux querelles politiques de cette époque. D'ailleurs,
dans son indépendance native, peu lui importait un roi
Frank ou Aquitain, à elle, qui n'avait à faire ni de l'un, ni de
l'autre? N'avait-elle point et sa langue et son code municipal?
i Mémoires de Mouline, page 331.
261 Nonci
Avec l'une, elle continuait ses relations commerciales dans
les vallées espagnoles; avec Pautre, elle assurait sa tranquil-
lité intérieure.
Aspet poursuit ainsi l'exercice de sa liberté, pendant deux
siècles, se formant une propriété et des relations extérieures
que nui étranger ne s'avisa jamais de contrarier. Aussi le
pouvoir seigneurial en élevant son château en face de la
commune, respecta, malgré lui, sans doute, les franchises de
la municipalité, et se vit obligé de reconnaître, sous le nom de
privilèges, un droit ctlutumier dont les habitants jouissaient
depuis la fondation de leur ville.
On vit alors dans l'espace de quelques toises se développer,
au XIIIe siècle, le germe d'une civilisation qui nous étonne
aujourd'hui et qui était commune à toutes les cités interno-
pyrénéennes. Qu'on imagine, sous l'empire de la politique
des seigneurs, une ville avec ses hauts remparts, ses troupes
bourgeoises faisant les guet et une administration municipale
fortement organisée ; des citoyens nommant en assemblée
publique quatre consuls annuels et les renouvelant par l'élec-
tion; des terres, des forêts et des possessions communales
affranchies de tout impôt, et exemptes de la moindre taxe
féodale; la juridiction du seigneur sans action sur les citoyens
de la petite république ; un délit commis sur les terres du
château ne pouvant être reprimé que par les juges de la cité;
les successions sans héritiers acquises a la commune; en un
mot, un sol respecté comme étant la propriété de l'homme,
tandis que partout ailleurs l'homme était la propriété du sol ;
qu'on s'imagine tout cehà, et l'on aura l'idée générale d'une
constitution parfaite-
On conçoit maintenant toute la fierté de ces citoyens qui
marchaient de pair avec le baron du lieu ; qui établissaient
des impôts sur les étrangers ; qui avaient leurs foires, leurs
marchés et leurs revenus ; qui parlaient un idiome particu-
lier clans lequel étaient écrits, sur parchemin, leur charte ,
leurs lois civiles et criminelles et leurs règlements de police ;
et qui enfui, osaient déployer aux vents leurs bannières, a
: TU LE9 BAINS L) IÏNCAUSSE. 265
l'emblème du soleil à sou midi, avec cette inscription superbe :
\eioleil regarde Aspel (1). Image sublime de la puissance et
de la situation topographique de la ville.
Ce caractère indépendant de la cité d'Aspet, pris à son
origine, se poursuivit a travers le moyen-âge, affronta, sous
le despotisme, la juridiction du parlement et se posa comme
un géant aux. états-généraux, de Toulouse avec son Député-
Consul. Quelques extraits empruntés à ses diverses chartes,
nous feront mieux connaître quel était l'esprit de ses institu-
tions.
Dans une enquête qui fut ordonnée, en 1441, nous trouvons
les faits suivants par lesquels il est dit:
« Que la ville d'Aspet, sise dans les monts Pyrénées, est la
capitale et la seule close de toute la baronnie, où se tiennent
les marchés et lbires le long de l'année, où- trafiquent et
négotieht tant Français qu'Espagnols, comme estant ladite
ville dans les enclaves du pays des Passeries convenues entre
les dits Français et Espagnols, et une des premières villes
qui font frontaux Espaignes, selon l'entretien de la fortifica-
tion de laquelle, en cas de trouble, elle pourrait porter quel-
que avantage aux dits Espagnols...
« .... que d'un temps immémorial iis sont exempts d'avoir
et recognoistredans leur ville, chatellennieet baronnie, aucun
gouvernement particulier et qu'ils sont en ceste possession,
immunité et exemption de garder et défendre leur cité et le
pays par guets, gardes et consuls.... »
Nous lisons dans un autre titre rédigé en forme d'articulat
la déclaration suivante:
« Dit le syndic que par cy-devant, il a suffisamment re-
monstré et fait voir avec quels titres et causes et légitimes
considérations, la dite ville et consulat d'Aspet possède et a
possédé, et jony de touttemps immémorial, tous les privilèges,
franchises libertés, biens, possessions et autres droits qu'elle a.
«^Met en fait positif et véritable, qu'en la baronnie d'Aspet,
(1 Vodci la devise latine Ispeeium.
206 NOTICE
qui est de grande estendue, il n'y a autre ville ni place forte
autre que la ville d'Aspet, en laquelle toute justice s'exerce,
et en laquelle les Espagnols, à cause de l'accord des passeries,
trafiquent ordinairement.
« Soustient que conformément a leurs titres et ce en con-
sidération, les habitants de la dite ville et Consulat sont tenus
à l'entretien des murs, pavez, chaussiès, fontaines, portes et
de tenir une lampe ardente devant la chapelle du très sainct
Sacrement de l'autel et d'autres charges, de tirer les droits
de gabelle, etc., de quoi ils ont jouy de tout temps dont ri est
mémoire de contraire.
« Soustient aussi qu'estant es-pays montagneux, désert et
stérile, et les terres qui s'y labourent de très petit rapport
qu'en cette contemplation par concession faicte à la ville de
la fondation d'icelle, par le Sr baron et ses successeurs, la
dite ville et Consulat a esté entretenue et a jouy de toute
mémoire d'homme de l'usage de bois, forêts, etc., de quoi ils
ont fait voir leurs titres. »
Il était difficile, comme on voit, de trouver une contrée qui
eut des libertés si larges et qui luttât avec autant de persistance
pour la défense de ses droits contre les prétentions insolentes
de la féodalité. Cet esprit de résistance ne pouvait certaine-
ment qu'être inné chez ces courageux descendants des Are-
l'ncci, dont le caractère revit encore, dans le canton d'Aspet,
avec tant d'originalité.
Après Saint-Gaudens et Aspet, Valentine est le bourg le
plus important qui avoisine Encausse. Ces trois localités for-
ment par leur situation géographique, un espèce de triangle
au milieu duquel se trouvent situés les bains d'Encausse. On
arrive, au reste, à Valentine, en suivant la route qui traverse
le village, passe à côté de l'église et se dirige vers le lieu de
Aspret assis sur le penchant du coteau qu'elle coupe en deux.
Arrivé sur le plateau qui domine le vallon d'Encausse, on
apperçoit Valentine au fond du coteau opposé et vers laquelle
on se dirige en descendant un chemin entretenu avec soin.
La voie romaine qui partait de Toulouse pour aller ;>.
SUR LES BAINS DEM1AUSSE. 2G7
Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand de Comminges) pas-
sait à Valentine. Voici quel était son tracé. De Toulouse elle
se dirigeait vers Seysses et traversait Lavernose. De ce lieu,
elle s'approchait des bourgs de Saint-Julien, arrivait à Cala-
gorris (Martres) et se continuait jusqu'à l'Escalère prèsSaint-
Martory et touchait à l'Estelle.
Sur le bord de l'ancienne voie, entre ce dernier village et
Beauchalot, on remarque encore aujourd'hui un obélisque ou
niche sacrée très-bien conservée.
De Beauchalot, la voie se dirigeait vers Stancarbon où
Gondewald, poursuivi par l'armée de Gontran, passa le fleuve.
Elle s'approchait ensuite du lieu où est Saint-Gaudens à
l'endroit appelé Pujament. De là, elle se continuait jusqu'à
Valentine d'où elle arrivait à Labarthe-de-Bivière en traçant
une ligne droite. On voit auprès de Labarthe deux obélisques ,
entièrement semblables à celui de Beauchalot.
La voie romaine se continuait ensuite vers Ardiège et Cier
de-Bivière, entre le premier village et celui de Martres. Ces
lieux sont renommés par les découvertes qu'on y a faites. A
Ardiège on voit les restes d'un aqueduc romain ; et M. Sirmond
y trouva les premières inscriptions qui ont fait coiinailre
plusieurs divinités celtiques. De Cier-de-Bivière, la voie obli-
quait vers la gauche et traversait ensuite la Garonne au point
qui porte actuellement le nom de pont de Labroquère ; elle
aboutissait ensuite à l'extrémité de la ville basse de Lugdu-
num. C'est à Labroquère qu'on trouve une colonne millidire,
érigée avant l'an 247 et dédiée à l'empereur Philippe , à
Marcia-Otacilia-Severa , son épouse, et au jeune Philippe
leur fils.
On ne peut donc disconvenir que la plaine qui s'étend
depuis Valentine jusqu'au Baïsert, appellée autrefois te payfe
de Bivière , et que Valentine elle-même n'aient été d'une
grande importance historique, dans tous les temps anciens.
Selon une opinion généralement acréditée Valentine qui n'est
plus qu'un bourg était jadis une ancienne ville. Des restes de
murs d'enceinte et deux portes qui existent encore semblent
2r>K NOTICE
confirmer cette opinion. Son nom lui vient, dit-on, de l'em-
pereur Valentinien qui la fonda en 339. Il nous suffira donc
pour le moment de constater sa haute antiquité et de recon-
naître que son voisinage d'Encausse est un fait acquis en fa-
veur de la réputation de cette dernière localité.
Quoiqu'il en soit, le territoire d'Encausse est situé dans
une contrée où les monuments de la plus haute antiquité
abondent de toutes parts. A Izaut-de-1'Hôtel, on a découvert
une statue d'Isis, déposée au Musée de Toulouse, qui témoigne
que cette divinité qui a donné son nom à ce village était
adorée dans ce coin des montagnes. A Malvésies, on remarque
un tombeau avec les restes d'une inscription romaine (1).
Partout, aux environs, on retrouve quelques débris qui rap-
pellent le ^souvenir des époques celtiques ou romaines. C'est
ainsi qu'on rencontre une infinité de tours Ibériennes qui ont
survécu aux ravages des temps.
Voici les noms des principales qui correspondaient entr'elles
et qui servaient de signaux : les tours d'Aspet, d'Encausse.
d'Izaut, de Montespan, d'Estadens, de Saint Martory, d'Aus-
sung, etc. 11 est à remarquer que chacune de ces tours domine
une plaine qui a été, dans les temps anciens, un centre parti-
culier de population. ïl serait même facile aujourd'hui d'as-
signer une circonscription de villages dépendants de leur
centre de domination.
Ainsi les vallées du Thou, du Gier et du Soéil étaient situées
clans une position de dépendance aux piedsde la tour d'Aspet
qui leur commandait. Celle d'Encausse domine la plaine où
se trouvent ses bains et le territoire de l'Hespitaou et de Souech .
La tour d'Izaut règne sur toute la vallée qui porte son nom
et qui s'étend depuis Kagire, jusqu'aux bains d'Encausse,
d'un côté, et jusqu'à Arguénos, de l'autre. Le vallon qui do-
mine la rive droite de la Garonne, aux pieds de Montespan,
comme celui qui, vers le midi, se dessine en se dirigeant vers
• I) Voir notre histoire des population?; pyrénéennes; etc., (. H.
aux notes.
SDR LES BAINS D ENCAUSSE. 2()9
le bassin deSaint-Martory, sont, tousdeux, sous la dépendance
de la tour qu'on voit s'élever au-dessus des flots de la Garon-
ne. De sorte qu'il semblerait que chaque tour a été placée
spécialement dans ces endroits pour servir de centre à un certain
nombre de tribus ou de familles qu'elles étaient destinées à
protéger et à défendre.
Il faut donc conclure qu'en ces lieux, comme dans ceux qui
avoisinent ces tours, s'élevaient autrefois des maisons et des
habitations nombreuses.
Faits particuliers concernant. Encausse. — Son existence féodale.
— Château des Seigneurs du pays. — Découverte de ses eaux.
— Écrivains qui en ont parlé. — Origine de la réputation des
eaux d'Encausse. —Premiers établissements. — Analyse des
eaux par M. Filhol. — Leurs vertus Thérapeutiques. — État
actuel de l'établissement des bains. — Divers embellissements
opérés tout récemment. — Avenir des bains d'Encausse.
Les monuments les plus anciens, dans lesquels il est fait
mention du lieu d'Encausse, sont un recensement capitulaire
des paroisses du diocèse deComminges, de l'année 1315; un
procès concernant la dîme des foins qui a'éleyy, entre les ha-
270 NOTICE
bitants et 1'Archiprètre d'Izaut, en 1341 ; et la fondation du
château qui remonte, au moins, vers le XIe siècle.
Nous dirons quelques mots sur les deux premiers titres,
après être entré clans quelques détails sur ce dernier monu-
ment.
Le château d'Encausse était bâti sur un monticule très
escarpé, en face du village et n'était accessible que du côté
du levant. S'il faut en juger par ses ruines et surtout par les
fondements qui en dessinent le plan, il consistait en un sol
spacieux et en une tour carrée qui subsiste en entier, adossée
à la partie occidentale de l'édifice qui en dépassait les murs
de la moitié de la hauteur au moins. Au côté méridional de
cette tour, on voit les restes d'un massif en maçonnerie, qui
servait jadis de point d'appui au pont-levis qui conduisait à
la porte d'entrée du château Celle-ci était placée bien plus
haut que les fossés. La construction, le style de l'édifice et
son ensemble donnent à sa fondation une date fort reculée.
Nous trouvons, en effet, que dans la guerre qui eut lieu en
1080, entre Centule Ier, comte de Bigorre, du chef de sa femme
Béatrix, etSanche, vicomte de Labarthe, son vassal, celui-ci,
vaincu par son suzerain, se soumet à subir un jugement pour
son chef, soit au château d'Encausse, soit ailleurs. En 1232,
Bozon de Matas, en discussion avec Bernard de Comuiinges,
au sujet des droits de Pétronille, femme du premier, sur
la succession du Comminges, livre le château d'Encausse,
pour assurance de son adhésion au jugement des arbitres
choisis par les par Lies intéressées.
En 1360, le château d'Encausse renferme une garnison
commandée par le vicomte Pierre-Arnaud qui pousse fort
loin ses expéditions contre les troupes du roi de France.
Ainsi, sa fondation remonterait-elle au moins, au temps de
Bernard 1er, comte du Comminges, c'est-à-dire au XIe siècle,
peut-être même à une époque plus éloignée. Il est à présumer
en effet, qu'ainsi que tous les autres châteaux dont on voit
encore aujourd'hui les ruines, il fut le résultat de l'organi-
sation politique du pays, et qu'il faut en fixer l'origine à
SUR LES lîAINS D'ENCAUSSE, Ji~ 1
c-t-lle de la féodalité, ou au moins à l'érection du Commiriges
en comté héréditaire, au IXe siècle.
Comment se passer de forteresses dans des temps où on
avait à se prémunir contre les irruptions assez fréquentes
des peuples voisins ; dans les temps où, pour prélever des
redevances féodales, les soigneurs étaient forcés de stipen-
dier des gens armés, -dans des temps, enfin, où l'on voyait
souvent éclater des guerres, non seulement entre suzerains
mais encore entre ceux-ci et les feudataires eux-mêmes ?
C'est en 15G7, c'est-à-dire à l'époque des guerres de religion
auxquelles Montluc et Montgommrie donnèrent un carac-
tère si atroce, que le château d'Encause après avoir soutenu
un siège de six semaines, pendant lequel l'eau du puits qui
était au dehors du chastel et les citernes qui étaient dedans
sescherent, contre un parti protestant commandé par Jean
Cuilhem de la vallée d'Aure, fut démoli de fond en comble.
La tour", seule , résista aux efforts des assiégés et subsiste
encore en partie comme un monument digne de rappeler de
beaux souvenirs.
Le chapitre du diocèse du Comminges faisant, en 1315, le
recensement des paroisses dépendantes de l'évêché, met au
premier rang des églises du pays, celle d'Encausse dont la
inanse annuelle s'élevait à la somme de neuf écus six sols
tolosains. Elle était placée sur la même ligne que celles de
Sauveterre, de Valentine et de Cierp; elle était dans la cir-
conscription de l'Archiprêtré d'Izaut. Mais le fait le plus
curieux qui se rapporte à l'histoire de cette localité, est le
procès qui eut lieu, en 1344, entre M. de Moncaut, archi-
prêtre et les consuls d'Encausse, au sujet de la dîme.
Voici les causes de ce procès étrange .-
Au nombre des dîmes rédimées étaient celles des foins
qu'on fauchait dans la paroisse. Depuis un temps immémo-
rial, les habitants en avaient été exempts. De sorte qu'ils
pouvaient faire, à leur gré leurs foins, sans craindre le
moindre empêchement ni troublé. Mais il n;trait que l'archi-
prètre M. de Moncaut entendait autrement les droits de
272 .NOTICE
l'Eglise. Que fit-il? au moment ou les foins étaient coupés
et prêts à être enfermés, il les fait saisir sous prétexte qu'au
préalable ils n'avaient pas fourni leur contingent à la dîme
comme foin sec et coupé.
Grande rumeur s'éleva aussitôt, comme on le pense bien,
dans la paroisse ; et il fallut l'intervention des deux consuls
pour qu'il n'arrivât malheur. Les deux magistrats forcè-
rent les gens de l'archiprêtre à se retirer, et chaque habi-
tant pût rentrer ses foins à son aise. La question de fait
ainsi vidée; restait la question de droit. Celle-ci exigea plus
de temps avant qu'elle fut terminée. Ce n'est que dix ans
après qu'il intervint une décision de parlement par laquelle
il était dit : « Que dorénavant les habitans du lieu d'En-
« causse jouiraient sans empêchement ni conteste de la fa-
« culte de couper les foins sans être tenus à payer la dime ;
« attendu que de tout temps, ils en avaient été affranchis
« par privilège, etc. »
Ce singulier procès mit en relief une question bien ou-
bliée de nos jours, à savoir si les fruits secs, pendants ou
autres étaient sujets à la dime ; et dans l'affirmative, dans
qu'elles proportions devait-elle être perçue? il fallut dix
années pour la décider.
Quoiqu'il en soit, le lieu d'Encausse se trouva encore re-
présenté aux états généraux du Nébouzan, tenus en 1415 à
Saint-Gaudens , par deux de ses délégués; Les consuls
Bertrand Lafont et Arnaud Barès. Dans cette assemblée on
discuta le chiffre des subsides demandés par le Sénéchal au
nom du gouverneur de la province du Languedoc. Nous re-
marquons, au nombre des doléances faites par les députés,
celles des consuls d'Encausse qui disent : « que les foules
« des gens de guerre, la grêle et l'inondation ont mis le
« pays dans un piteux estât, au point que la misère est
« grande parmi les habitants. Pour ce demandent d'estre
« soulagés dans leur cotisation. » On eut égard à leur de-
mande, puisque les 53 feux dont se composait la paroisse
ri" furent taxés qu'a trois sois et demi tolzm une fois pn
SLll LES BAINS D ENCAISSE. 275
Mais la principale fortune du pays et qui devait un jour
faire la réputation du lieu d'Encausse était la source d'eau
minérale qu'il possède et dont nous voulons faire connaître
la renommée et les vertus sans nombre.
Scion Strabon, il existait déjà de son temps, dans le pays
des Convènes plus tard lcComminges, un grand nombre de
sources minérales, excellentes pour prendre en boisson, aqI'a
ad potum opïima, dit Casaubon son traducteur. Pline lui-
même dit que cette contrée abonde en eaux thermales; et
Danville, corroborant l'opinion de ces deux auteurs anciens,
cite les sources les plus connues et les plus en réputation qui
se trouvent dans la direction des montagnes du Comrninges.
Cette nomenclature est longue, surtout si l'on en juge par
les eaux minérales qui existent de nos jours. Ainsi, nous
citerons, à notre tour, les eaux de Luchon, du Lez dans la
vallée d'Aran, de Siradan, de Sainte-Marie, d'Encausse, de
Capbern, de Labarlhe-de-Pùvière, de Ganties, de Bugalel aux
pieds de Saint-Gaudens, etc. L'opinion de Tline et de Strabon
se trouve, comme on voit, parfaitement confirmée et suffi-
samment établi.
Mais quant à ce qui concerne les eaux d'Encausse,
les auteurs modernes font remonter à 1566, sinon la dé-
couverte, du moins l'usage qu'on en fit. M. d'Orbessan,
gouverneur de la province, a été le premier qui les a mises
en réputation, s'il faut en juger par ce qu'en dit le chroni-
queur Jean-Baptiste Larcher. « M. d'Orbessan s'étant rendu
i< àTarbes tomba gravement malade des suites d'une maladie
« aiguë qui lui torturait les reins. Il épuisa toutes les res-
» sources de la médecine • lorsque quelqu'un du bureau de
« Tarbes, lui conseilla d'aller prendre les bains d'Encausse,
« sis dans le ISébouzan. M. le Gouverneur, quoique très
souffrant, ne fit faute de suivre ce conseil, étant déjà à bout
« de remèdes. Il se rendit donc à Encausse et en peu de jours,
il rétablit sa santé comme par miracle, tant les eaux de
« ce pays sont salutaires. »
Le poète du Barthas rendit lui-même, à celte époque1, un
:274 notice
hojnmage public aux eaux d'Encausse, dans une pièce de
vers dont la pensée doit faire excuser le mauvais goût et la
pauvreté du style. En voici un extrait :
C'est dons ta source salutaire,
Nymphe d'Encausse, que l'on voit
Le malade qui ton eau boit.
Retrouve sa force première.
La fdle au teint pâle et mourant,
Le jeune homme au regard livide,
La femme à la fièvre morbide,
En toi trouvent soulagement.
() source bienfaisante et bonne,
Reçois l'hommage de mes vers.
Etc
L'auteur de l'ouvrage latin des fleuves et des rivières de
France, en parlant de la petite rivière du Gier, ajoute qu'elle
est peu distante du lieu d'Encausse renommé par ses eaux
qui guérissent diverses maladies, entr'autres la jaunisse, les
fièvres, l'apoplexie, les maladies du foie, etc.
Enfin, Millin, dans son Voyage du midi de la France ;
Abadie, dans son Itinéraire des Pyrénées- Bayen, Fa bas et
Camus ont indiqué les vertus médicales et déterminé indi-
rectement, il est vrai, leur application thérapeutique. C'est
peut-être à l'un de ces trois savants que nous devons le
résultat d'une analyse fort incomplète assurément des eaux
d'Encausse et que nous reproduisons sous toutes réserves,
plutôt comme document historique que comme résultat
scientifique.
Ainsi l'on a trouvé que l'eau d'Encausse contenait sur
8 kilo : 1° sulfate de chaux, 1 gros 68 grains ; — 2<> sulfate
de magnésie, \ gros 20 grains ; — 2° muriate de magnésie,
2 grains; 4o carbonate de magnésie, l grain ; 5° carbonate
de chaux, 25 grains ; — plus une petite quantité de matière
insoluble.
Quoiqu'il en soit de la valeur de cette analyse, celle que
SLR LES BAINS D ENCAISSE.
275
nous donnons et qui a été faite tout récemment par un de
nos chimistes les plus distingués, lèvera tous les doutes à ce
sujet, et fera connaître cette source dans sa véritable na-
ture.
Qu'on se représente une petite vallée de figure triangulaire,
entourée de montagnes d'une médiocre élévation, dont les
bois avec les rochers qui se montrent ça et là, donnent l'idée
d'un séjour solitaire et agreste, en relevant l'aspect riant
d'un sol fertile ; des prairies très fraiches, plusieurs ruisseaux
dont les eaux limpides les arrosent et les sillonnent de toutes
parts; et au milieu de ce tableau, un ruisseau qui se délache
et le parcourt dans toute sa longueur, et l'on aura une idée
exacte du site où se trouvent les bains d'Encausse. Car c'est
dans l'angle Sud-Ouest de la vallée et sur le .Tops que sont
situés les eaux et le petit bourg d'Encausse.
Les eaux d'Encausse, ainsi que l'a observé Carrère dans
son Catalogue raisonné des eaux minérales, avaient été
autrefois examinées par quelques médecins; mais leurs
analyses étaient inexactes. Celle qu'en a fait M. Save est la
seule qui jusqu'ici avait mérité quelque créance. Mais grâces
aux soins et au talent si justement célèbre de M. Filhol,
professeur et chimiste d'un mérite incontestable, l'analyse
des eaux d'Encausse ne laisse rien à désirer.
ÎNous la transcrivons telle que ce savant la rédigée en la
faisant suivre après celle de M. Save.
ANALYSE DE M. SAVE, 4811. (un litre d'eau).
Sulfate de chaux.
— de soude.
— de magnésie .
Chlorure de Magnésium.
Carbonate de Magnésie.
— de chaux.
Acide carbonique.
>,e
6204
»,
5855
o,
5577
o,
0435
o,
21G9
o,
1210
2,gr8839
27(3 NOTICE
ANALYSE CHIMIQUE
DES EAUX DENCAUSSE,
Par M. FiLHOL. (avril 1851.)
L'eau minérale d'Encausse est limpide, incolore, sans odeur;
sa saveur est légèrement amère ; sa densité , déterminée à la tem-
pérature de 16», est de 1,0052.
Un thermomètre centigrade plongé dans l'eau du réservoir
s'est arrêté à 22,20. Cette température est sensiblement la même
que celle qui avait été constatée par M. le docteur Saint-André
(22,20); elle diffère très peu de celle qu'avait observé M. Save.
Si l'on examine l'eau d'Encausse dans son réservoir, on voit se
dégager constamment du fond de ce dernier une multitude de
bulles gazeuses qui viennent crever à la surface, et qui pour-
raient au premier abord faire considérer cette source comme
devant faire partie de la classe des eaux gazeuses acidulés ; mais
un examen plus attentif démontre que le gaz contenu dans l'eau
est formé en grande partie par de l'azote et de l'oxygène, et que
l'acide carbonique n'y entre que pour une proportion assez fai-
ble. L'eau d'Encausse ressemble, sous ce rapport, à celle d'Audi-
nac, qui laisse dégager aussi une quantité considérable d'un gaz
composé d'azote et d'oxygène mêlés d'un peu d'acide carbonique.
Un litre d'eau d'Encausse , soumis a l'ébullition dans un appa-
reil convenable, a fourni 28,5 c.c. de gaz; ce gaz étant agité avec
une dissolution de potasse caustique , s'est dissous en partie et
s'est réduit à 2 3,5 c.c. ; le mélange gazeux que la potasse avait
refusé de dissoudre étant soumis à l'action du phosphore , s'est
réduit à 19,00 <v.
L'eau d'Encausse ramène légèrement au bleu la teinture de
tournesol rougîe.
Si l'on t'aii bouillir pendant une heure cette eau minérale, en
sim les bains d'encaisse. 277
eyan! le soin de remplacer l'eau qui s'évapore par une quantité
é|gàfe d'eau distillée, on s'aperçoit qu'elle laisse déposer une
poudre d'un blanc légèrement grisAtre que les acides dissolvent
en produisant une vive effervescence ; cinq litres d'eau en ont
laissé déposer ainsi 0,2125 gr. Ce dépôt a été dissous dans de
l'acide chlorhydrique pur et en excès : la solution, saturée par de
l'ammoniaque et additionnée ensuite d'un excès d'oxalate d'am-
moniaque , a donné un abondant précipité qui a é!e recueilli
sur un filtre, lavé et chauffé au rouge sombre; il pesait alors
0,1350 gr. et était composé de carbonate de chaux. la solution
séparée du précipité précédent étant mêlée avec du phosphate de
soude et un excès d'ammoniaque, a donné un nouveau précipité
qui a été recueilli, lavé avec de l'eau ammoniacale, séché et
chauffé au rouge dans un creuset; ce prépité pesait 0/2040 gr.-,
il était formé de pyrophosphate de magnésie; il correspondait à
0,0757 de carbonate de cette base.
Cinq litres d'eau* évaporée à siccité , après avoir été mélangés
avec un excès d'acide chlorhydrique pur, ont fourni un résidu
très blanc qui a été repris par de l'eau distillée bouillante , en
grand excès : la majeure partie du résidu s'est dissoute dans.
l'eau; mais il est resté un résidu d'un blanc très légèrement gri-
sâtre, insoluble dans l'eau et dans" les acides, possédant tous les
caractères de la silice; ce résidu pesait, après avoir été chauffé
au rouge , 0,0500 gr. Cinq litres d'eau minérale ont été portés à
Tébullition , le liquide bouillant a été acidulé 'par de l'acide azo-
tique pur, et mêlé ensuite avec un excès de chlorure de barium ,
il s'y est formé un abondant précipité blanc, très lourd. Ce pré,
cipité a été recueilli avec soin , lavé , séché et chauffé au rouge ;
il pesait 2 3 , -i ô -i ô gr.; il était composé en totalité de sulfate de
baryte , et correspondait à C,0(i00 gr. d'acide sulfurique.
La liqueur séparée du précipité précèdent a été mélangée avec
de ràcidJê sulfurique pur, pour en séparer l'excès de chlorure de
barium, filtrée de nouveau, saturée par l'ammoniaque et mêlée
avec de l'oxalate d'ammoniaque en excès ; il s'y est formé un pré-
cipité très abondant. Ce précipité , lavé , séché et chauffé au rouge
sombre, pesait 7,940 gr.; il était composé de carbonate de chaux.
L'eau qui avait fourni ce dernier précipité , étant mêlée avec de
l'ammoniaque en excès et du phosphate de soude, a donné un
1S
i/8 m)tii:k
nouveau précipite qui pesait, après avoir subi des lavages conve-
nables et une calcination au rouge, 2,6000 gr. Ce précipité était,
formé de pyrophosphate de magnésie.
Deux litres d'eau minérale ont été acidulés par de l'acide azo-
tique pur et mêlés ensuite avec un excès d'azotate d'argent ; le
précipité a été lavé -, séché et fondu par la chaleur ; il pesait
1,4619, et consistait en chlorure d'argent.
Trois litres d'eau d^Encausse ont été portés à l'ébuliition , et
mêlés ensuite avec de l'eau de baryte en excès; il s'y est produit
un abondant précipité qui « été séparé par filtration ; le liquide
filtré a été mêlé avec un excès de carbonate d'ammoniaque; puis,
filtrée de nouveau , la liqueur claire a été saturée par de l'acide
chlorhychique pur, évaporée à siccité ; le résidu sec a été forte-
ment calciné ; il pesait 0,9 45 gr.
Ce résidu a été dissous dans un peu d'eau distillée ; la solution ,
mêlée avec du chlorure de platine en excès , a été évaporée à sic-
cité , et le résidu a été repris par de l'alcool pur ; il est resté une
poudre de couleur jaune serin , composée de chlorure double de
platine et de potassium. La quantité en était si faible, qu'il n'a
pas été possible de la déterminer ; le reste de la matière saline
était formé de chlorure de sodium
Dix litres d'eau minérale d'Encausse ont été mêlés avec un
excès de potasse pure, et évaporés à siccité ; le résidu sec repris
par l'alcool s'y est dissous en partie ; la dissolution alcoolique a été
évaporée à siccité ; le résidu repris par quelques gouttes d'eau
distillée, a fourni une solution dans laquelle il a été facile de recon-
naître l'existence de l'iode, soit à l'aide du chlore et de l'amidon ,
soit à l'aide du chlorure de palladium.
J'ajouterai enfin aux faits précédents que j'ai trouvé dans le
résidu de l'évaporation de ces eaux une trace de fer et un peu de
matière organique , et que les sels déposés dans la chaudière
m'ont fourni une trace d'arsenic. La discussion des données précé-
dentes conduit à assigner à l'eau d'Encausse la composition qui
suit :
SUR LE BAINS BENCAUSSK. '2'^
i» rkslltat brut dk l'a.nalyse (Eau, 1 litre),
Acide carbonkfue 0,0295 gr.
silicique 0,0100
— sulfurique 1,2120
Chlore 0,1807
Pota'ssè. '. '.'.'.'.'.'.['. \ lraces
Soude 0,1670
Chaux 0,89ti0
Magnésie , , 0,1910
Oxvde de fer , . >
Arsenic .,..( fraces
Matière organique traces
Oxygène hte.e, flo
Azote . . , 19, 0-0
COMPOSITION RATIONNELLE.
I. GRANDE SOURCE (eau : 1 litre).
Oxygène 4,<\*. 50
Azote .■ 19, 00
Acide carbonique. 5, 00
Sulfate de chaux 2,1390 gr.
— de potasse. ....... traces
— de soude - . 0,0204
— de magnésie 0,5420
Chlorure de sodium 0,3202
Carbonate de chaux 0,02*0
— de magnésie 0,0155
Oxyde de fer traces
— de manganèse traces
Silicate de soude traces
Silice en excès 0,0100
Matière organique traces
Arsenic traces
3,0541 gr
280
NOTICE
il. grandi: source,
La petite source a une température de 22,6; elle fournit avec
les réactifs les mêmes précipités que la grande. La source du pré
de M. Lafon ne contient que des traces de sulfate de chaux et
de magnésie ; elle tient en dissolution un peu d'acide carbonique
libre, et un peu de bicarbonate de chaux et de magnésie; les
réactifs n'y indiquent pas l'existence du fer. C'est une excellente
eau potable, bien préférable à celle du Jops.
On va juger de la différence des vertus des eaux d'En-
rausse avec celles d'Aulus par exemple, par la différence
des éléments chimiques qui entrent dans la composition des
eaux de ce dernier établissement.
ANALYSE FAITE PAR M. FILHOL. (Eau, 1 litre)
Acide carbonique libre
.
0,0630 gr
Chlorure de magnésium
.
. 0,0052
— de sodium
.
0,0012
1,8117
— de magnésie .
.
0,2093
0,0120
'".^rbonnate de chaux .
.
0,1268
— de magnésie .
.
0,0347
0,0046
0,0076
Acide crénique et aprocrénique .
0,0064
\
Cuivre
> traces.
2,2845 gr
Maintenant que nous connaissons les éléments chimiques
qui entrent dans la composition des eaux d'Encausse, et avant
d'entrer dans les détails de leurs propriétés médicales, faisons
SUR LES BAINS D'ENCAUSSE. 281
connaître la nature du lieu où elles se produisent, dans sei
conditions topographiques. Observons d'abord qu'on trouve
peu de villages dans les Pyrénées qui olfrent, comme celui
d'Encausse, une position aussi avantageuse pour la santé.
Situé, ainsi que nous l'avons déjà dit, au centre d'un vallon
ouvert dans tous les sens, et par cela même, accessible à
des courants qui y agitent et renouvellent l'atmosphère, l'air
y est constamment pur et serein, exempt de brouillards,
d'émanations et de miasmes malfaisants. La température y
est agréable et l'eau qu'on y boit excellente. Aux propriété:;
éminemment dissolvantes dont elle jouit par elle-même,
viennent s'ajouter les propiétés toniques, que lui donne enco-
re l'usage modéré qu'on y l'ait généralement du vin. Aussi,
remarque-t-on peu de maladies dans ce village eompori
environ de six cents habitants.
Outre ees particularités, la position d'Encausse et le genre
de vie qu'on y suit et qui ne contribue pas moins à donner
à l'habitant une constitution robuste, le terrain est encore
d'une qualité supérieure autour duvillage et principalement
au midi, au couchant et au nord. Aussi, pendant la saison
des eaux, la plaine d'Encausse rejouil-elle la vue par la force.
la fraicheur et la variété de sa végétation.
Les animaux domestiques à Encausse, sont les mêmes que
ceux qu'on trouve dans l'arrondissement deSaiut-Gauden.,
dans la partie des montagnes. Quant aux animaux sauvages,
on ne voit plus dans ce territoire ni le sanglier, ni leblaireau;
les loups s'y montrent quelquefois pendant la saison des
neiges; et l'ours n'y descend pas de Kagire. f^e lièvre et le
renard sont les seuls qui attirent encore les chasseurs, l'ar-
mi les oiseaux stationnaires, on dislingue la perdrix rouge,
le lourde, la perdrix grise, le merle, la grive, la pie etum-
infinité de petits oiseaux de la famille des passereaux. Les
oiseaux de proie, sont le milan, la buse, le faucon, l'épei \ ier.
On y trouve aussi, dans les différentes saisons, beaucoup
d'oiseaux de passage. Les principaux sont le canard, le bi<et„
Ut bécasse, le vanneau, le pluvier, le courlis, la eanepetieiv .
282 NOTICE
mais surtout la caille et le ramier. Ces deux espèces peuvent
y être l'objet de chasses aussi amusantes que fructueuses.
Si le règne végétal, dans le territoire d'Encausse, n'offre que
peu d'intérêt au botaniste, la commune possède, en compen-
sation, de belles forêts de chênes; le village, des pommiers,
des noyers et des cerisiers qui ombragent le toit du proprié-
taire ; et le potager renferme, quoique dans des espaces très
resserrés, des fruits qui ne sont pas sans avoir leur mérite.
Le sommet des collines, entre lesquelles se trouve l'établis-
sement d'Encausse, est en grande partie cultivé ; et contribue
par cela même, à répandre dans le vallon, une agréable
variété. Ce n'est pas sans plaisir, en effet, que considérant
les productions qui l'embellissent, on porte ses regards tan-
tôt sur des arbres touffus, tantôtsur des moissons ondoyantes,
qui sont remplacés plus tard par la pomme de terre, le
sarrazin, etc. ; tantôt, enfin, sur des prés couverts d'une
fraichc verdure. Mais ce sont là des jouissances que l'étran-
ger doit à la seule nature et que l'art embellira encore par
suite de la prospérité de l'établissement.
La source d'Encausse jaillit au pied de la route, sur la-
droite du voyageur qui vient de Saint-Gaudens, presque à
l'entrée du village; elle est tout près de la rivière qui coule
dans le vallon. Son volume est tel, qu'elle pourrait suffire
à l'entretien de vingt baignoires au moins.
L'eau d'Encausse est d'une limpidité remarquable; par-
faitement inodore, mais un peu fade au goût. Quelles que
soient les pluies et la sécheresse, son volume est toujours le
même. Depuis la construction de l'établissement, les eaux
pluviales n'ont jamais troublé sa transparance. Elle dissout
parfaitement le savon et cuit les légumes. De plus, elle est
thermale quoique à un faible degré. Ainsi le thermomètre
de Réaumur, marquant 9U pour la température de l'atmos-
phère, plongé dans cette eau, s'éleva à 20 degrés, après une
heure d'immersion. Il n'est pas étonnant que tous les bai-
gneurs ne puissent pas la supporter sans lu faire chauffer.
Ofï ne connaît pas précisément l'époque fixe où les eaux
SUR LES BAINS DECAISSE. 283
d'Encausse commencèrent à être fréquentées par les étran-
gers. Mais il est certain que leur réputation était déjà répan-
due, dans la contrée, depuis longues années. Dans tous les
cas, il n'y a guère que 80 ans que la commune fit batir près
delà source une maison qui servait de logement et de salle
de bain aux habitants du pays et aux rares étrangers qui
venaient faire usage de celte eau. Alors aussi commcnea-l-on
à rendre la route qui conduisait à Saint-Gaudcns plus pra-
ticable. Cène fut guère que lorsque ces eaux eurent acquis
la réputation si bien méritée que lui firent des personnages
notables tels que M. Ricard, ancien Préfet; M. Larroque,
grand-vicaire du diocèse de Toulouse et autres, qu'on com-
mença à voir à Encausse des étrangers de distinction, et
uneaffluence plus considérable. Alors quelques particuliers,
tel» que la famille DoQeil, la famille Lafont et deux ou trois
autres, commencèrent à donner l'hospitalité aux baigneurs
qui venaient passer la saison des eaux à Encausse. Depuis
lors, on a bèli d'autres maisons, on a multiplié les logements,
au point qu'on pourrait au moins recevoir aujourd'hui plus
de trois cents étrangers à la fois.
Parmi les édifices ou maisons qui reçoivent les étrangers
pendant la saison des bains, nous devons mentionner, outre
la maison de M. Doueil, inspecteur des eaux d'Encausse, où
l'on trouve la simplicité et la liberté du foyer domestique,
celle de M. Lafont, maire, qui vient de l'agrandir et de la
restaurer, tant les demandes de logements qu'on lui faisait,
tous les ans, étaient abondantes; celle de M. Caillau qui
joint à l'avantage du confortable de'la famille, celui d'être
un hôtel garni et un café, nous devons mentionner encore,
l'établissement que M. Dargut, enfant du pays, vient de
faire élever avec un goût exquis. Il est venu ainsi remplir
une lacune qui existait dans la manière de vivre et de se
loger que ne pouvaient avoir les visiteurs ; c'est-à-dired'ètre
dans un véritable hôtel garni, avec table d'hôte, etc.
Afin d'atteindre ce but, M. Dargut a fait construire son
édifier, rie manière qu'il ne laissât rien à âésirér ; l'arehitec-
284 .NOTICE
ture est des plus simples. Situé sur la route départementale,
à l'entrée du village, sa maison olïre, derrière une grille en
fer, une rangée de fenêtres qui s'ouvrent sur la voie publique.
Un marbre poli de premier choix, entre dans la composition
de la bâtisse, une galerie s'étendant sur le derrière de lu
maison et offrant à la vue un panorama magnifique; et
vingt chambres très bien meublées, telles sont les améliora-
tions apportées par M. Dargut à la manière avec laquelle
pourront désormais se loger les baigneurs. Dans l'intérieur
de l'édifice, nous avons remarqué un salon décoré par
M. Astre, jeune peintre plein d'avenir et l'auteur des pein-
tures si justement appréciées de l'église de Saint. Clar, près
Muret.
La forme de ce salon est carrée et sur les murs on voit les
sujets suivants peints avec une extrême habileté et surtout
avec beaucoup de talent. Du côté droit, lorsqu'on a la figure
tournée vers la rue, on admire trois tableaux, peints sur
les mursstucqués, d'un mètre de haut sur deux de large, et
représentant: le Cerf lancé, le Cerf à l'eau et la mort du
Cerf. Du côté gauche, on voit les pendants à ces trois tableaux
dontlessujetssont : un aqueduc romain surmonté du temple
de Vesta; une marine et un naufrage. Aux encoignures de
la salle, ce sont trois sujets qui terminent l'encadrement de
cette page de peinture en six tableaux: une élégie, le retour
du Troubadour, le Pont-du-Roi et deux cascades. Une im-
mense rosace et des corbeilles de fleurs aux quatre coins
ornent le plafond et l'harmonisent admirablement bien avec
le reste des décors.
Cet établissement et une foule d'autres petites maisons
bourgeoises où l'on retrouve l'aisance et la propreté avec le
bien être et les autre commodités de la vie, ouvrent aux bains
d'Encausse un avenir de prospérité qui ne tardera pas à se
réaliser.
Aujourd'hui la source d'Encausse, elle aussi, n'a rien à
regretter du passé. Elle coule dans un bâtiment simple et
propre qui, depuis une vingtaine d'années a <ué substitué
sun les balns d'encausse. 285
à une petite baraque duut les deux ou trois baignoires qu'elle
contenait étaient loin de suffire aux besoins du public (»).
L'établissement d'aujourd'hui est un carré long de trente
pas de façade environ une douzaine de profondeur. Il est
bilti entre la route qui traverse le village et le ruisseau qui
coule dans le vallon. Ce bâtiment consiste en un petit vesti-
bule d'où part un corridor le long duquel sont les cabinets
des bains. Au fond s'ouvre une petite chambre carrée servant
à chauffer, dans une grande chaudière, d'où partent des
tuyaux pour la conduire dans les différents cabinets. A l'en-
trée de la porte, à gauche, est la buvette ; et à l'extrémité
opposée le cabinet de la douche. *
Les cabinets des bains sont au nombre de dix-huit, neuf
de chaque côté du corridor. Chacun de ces cabinets, contient
une Baignoire de marbre avec deux robinets, l'un pour l'eau
froide, l'autre pour l'eau chaude dont on prend à volonté.
Chaque cabinet est assez spacieux pour contenir deux chaises
et une tablej les murs en sont blanchis avec de la chaux et
les plafonds sont en voûte.
Telles sont les parties qui constituent aujourd'hui l'établis-
sement d'Encausse ; mais il reste à construire encore une
salle de repos qui lui faira attendre le degré d'utilité dont
il est susceptible, soit dans l'intérêt de la commune, soit
dans l'intérêt du publie.
Ces améliorations jointes aux vertus des eaux d'Encausse
dont nous allons donner ici une rapide analyse suffiront
pour convaincre nos lecteurs de leur efficacité dans plusieurs
sortes de maladies et notamment dans les fièvres, dans la
jaunisse, dans les affections du foie, des reins, de la vessie,
'i Le nouveau bâtiment a été construit sous l'administration
municipale de :M. Doueil, inspecteur des eaux et maire d'Encausse,
et dont les soins et le zèle ont fait beaucoup pour la prospérité de
ces bains. Le gouvernement vient de récompenser, au reste, tant
de dévouement en lui donnant la décoration de la Lésion d'Hon-
neur, don) il ri. h il digne à tant d'autres titres.
286 NOTICE
de la matrice et clans plusieurs autres maladies. On va en
juger par l'exposé des faits suivants et par les observations
qui les accompagnent.
PROPRIÉTÉS DES EAUX D'EIN CAUSSE.
Si maintenant nous voulons faire connaître quelles sont
les propriétés des eaux d'Encausse et leur utilité en médecine,
nous pouvons dire que l'usage qu'on en a fait depuis des siècles,
est déjà un préjugé en leur faveur, surtout si l'on considère
que cet usage n'a jamais été interrompu. Le voyage de
Chapelle et de Baclîaumont , entrepris dans la vue de réta-
blir leur estomac par le secours des eaux d'Encausse, a at-
taché à ce lieu, un souvenir poétique, ainsi que l'avait fait
du Barthas en le chantant sur sa muse. « Liés par l'amitié
« et par leurs talents, Chapelle et Bachaumont, ditDantigny,
■< dans son annuaire de 1811, poètes aimables qui nous ont
« donné les premiers modèles de poésie légère d'une poésie
« élégante et facile, ont confondu leurs sentiments et leurs
« compositions dans leur voyage en vers et en prose , où il
« est longuement parlé des bains d'Encausse. » Reignol, dans
un poëme latin intitulé .- Vertu et Noblesse des eaux de. la
fontaine d'Encausse (11, emprunta également le langage des
muses pour les célébrer.
Mais pour mieux déterminer le vrai mérite des eaux
d'Encausse, il faut dire qu'elles agissent comme purgatives;
que les doses varient depuis deux jusqu'à cinq verres, sui-
vant la force de la constitution, par trois reprises ; qu'elles
offrent d'excellents résultats dans toutes les convalescences
avec la faiblesse d'estomac, marquée par des embarras gas-
trites ; enfin, qu'elles agissent efficacement sur les rhuma-
tismes compliqués d'affection bilieuse.
I Virtus et uobihtas lympharum fontes Encausse, *&J9, in-*.
SUK LES BAINS DEiNCAL'SSE. 287
C'est ainsi que Louis Guyon qui écrivait, en 1595, a dé-
crit soixante -douze observations de guérisons opérées par
les eaux d'Encausse et qu'il a consignés dans le XXe Chapitre
de son discours sur les deux fontaines médicinales d'Encausse,
imprimé à Limoges. Quelque temps après, c'est-à-dire en 181 1
Gassen-de-Platin publia également des observations sem-
blables et qu'il réunit dans un opuscule qui a pour titre :
Discours en abrégé de la vertu et propriété des eaux d'En-
causse es-monts Pyrénées, dans lecomlé du Comminges. Enfin,
le célèbre docteur Dubernat, le père de la médecine pratique,
dans nos contrées, les a conseillées à tous les malades qu'il
traitait dans les affections bilieuses.
Au reste, nous ne pouvons mieux terminer cette nomen-
clature des savants qui ont constaté les propriétés des eaux
d'Encausse, qu'en citant la note suivante que nous devons
à la bienveillance de M. Doueil, inspecteur de ces eaux et
auquel le canton d'Aspet et les nombreux baigneurs qui y
viennent tous les ans, doivent tant de reconnaissance, soil
par les soins empressés qu'il donne avec tant de dévoûment
aux malades, soit par son savoir en médecine qui égale une
pratique de cinquante années dans l'art de guérir.
« Les eaux d'Encausse, dit-il, sont très-efiicaces pour
assouplir et ramollir les fibres ï dans les cas de trop de tension
et de contraction de muscles; dans la rétraction et dessèche-
ment des membres; dans les endurcissements et irritations
de ligaments articulaires; dans les rhumatismes, dans les
coliques bilieuses et néphrétiques produites par du gravier
dont elles facilitent la sortie.
« Ainsi M- Bessegnié, curé à (iassagnebère, en rendit 7*2
pendant la saison de 1825. — M. Guillardi, boulanger à Saint-
Lys en évacua 10, en 1826. — M. Arjo, propriétaire, habitant
à Soueich, en rendit plusieurs, la même année, et le plus
gros avait la forme d'un haricot. En 1850, M. Lamelle, curé
à Juzet d'Izaut, en rendit 8 dont le plus petit était de la forme
d'une lentille et le plus gros de celle d'un pois. Depuis lors,
il n'a plus éprouvé la moindre indisposition.
288 .NOTICE
« Les bains et les eaux d'Eneausse en boisson, sont avan-
tageusement employés dans les maladies de la peau, telles
que la gale, la teigne, les dartres et autres exceptions.
« Les femmes y trouvent un puissant remède contre les
Heurs blanches, occasionnées par trop d'irritation de la mem-
brane muqueuse qui revêt l'intérieur de la matrice. Ces eaux
rafraichissent également, calment les tempéraments échauf-
fés, irritables.
»< Leur succès éclate principalement dans les affections
mélancoliques, hypocondriaques, dans les affections hystéri-
ques, attaques de nerfs et autres de ce genre.
« On voit souvent des fièvres intermittentes quartes, qui,
après avoir résisté à tous les remèdes, guérissent comme par
enchantement, par le seul usage de l'eau de la grande source.
249 cas de ces fièvres ont été radicalement guéris, en 1849,
les eaux étant seulement prises en boisson.
« Enfin, elles opèrent fréquemment des cures inattendues
chez les malades atteints de l'ictère, des obstructions des
viscères abdominaux. Il est même arrivé souvent que le
sentiment et les forces sont quelquefois rétablis par la dou-
che forte sur les membres frappés de paralysie. »
Nous devons conclure de tout ce qui précède que l'effi-
cacité des eaux d'Eneausse dans les différentes maladies que
nous venons d'énoncer, est un fait désormais incontestable
et que leurs vertus hérapeutiques ne sauraient être trop et
assez généralement appréciées.
Courses ou promenades aux environs. — Itinéraire de la pre-
mière journée. — Souech, Aspet, Milhas. — Le Noslradamus
des Pyrénées , Nouvelle. — Kagire; le Pâtre de Kagire, Nou-
velle. — Seconde journée : Miramont , Saint-Gaudens, Valen-
tine. — Troisième journée : Sauveterre.Barbazan. Mademoiselle
de Barbazan, Nouvelle. — Fin de la notice.
Le besoin d'exercice et le défaut de Promenades sur les
lieux, font que les baigneurs en cherchent quelquefois de
lointaines. Nous allons leur tracer un itinéraire qui sera
pour eux un sujet d'excursions curieuses ; si toutefois ils
désirent connaître le pays qu'ils habitent momentanément.
Les étrangers qui veulent consacrer une journée à explo-
rer la contrée, peuvent se diriger d'Encausse sur la route qui
conduit à Souech, premier village distant des bains d'envi-
ron trois kilomètres. Souech, patrie du mécanicien Aba^lie,
auquel- la ville de Toulouse doit la création de ses fontaines
publiques, est un village très peuplé et fort riche qui s'étend
sur les bords du Gier. L'église qui est située à l'extrémité
de la localité, parait avoir, quoique simple et mesquine, une
haute antiquité. Son portail surtout est digne de remarque.
De Souech, on suit la route de Saint-Gaudens à Aspet où
l'on arrive après quatre kilomètres environ de marche. La
vallée du Gier offre un panorama magnifique borné des deux
cotés par des horizons de verdure. A l'extrémité de la vallée
sur un mamelon pittoresque, s'élève la petite ville d' Aspet,
chef lieu de canton. Ceinte de deux fauboures situés au bas
2iK) NOTICE
du coteau, la ville domine les environs assise qu'elle est sut-
un plateau d'environ cent cinquante mètres d'élévation.
L'intérieur n'a rien de remarquable, si ce n'est la tour du
château qui le domine au milieu de ses ruines ; la chapelle
qu'on voit à mi-côte en gravissant le coteau qui conduit à la
tour, et la fontaine publique qu'on trouve au milieu de la
ville. L'origine de cette fontaine remonte au XVe siècle,
époque où Mme deCoarase, baronne d'Aspet, la fit construire
à ses frais.
Les foires et les marchés d'Aspet où se rendent toutes les
populations de ces montagnes, sont très renommés. Le com-
merce du beurre, la fabrique des peignes et autres articles
en bois de toute sorte, en font un entrepôt général qui étend
au loin ses relations. — D'Aspet, on suit la route de Saint-
Béat jusqu'au pont de Giret où se trouve une vallée déli-
cieuse. Arrivé au pont de Giret, on prend la gauche et
suivant un chemin de petite vicinalité, on rencontre dans
un de ces angles féeriques qu'on ne trouve que dans les
Pyrénées, les maisons pittoresques de Milhas, groupées sur
un tapis de verdure.
BUG DE MILHAS
ou
LE NOSTRADAMUS DES PYRÉNÉES.
Là, au centre de ces demeures pyrénéennes, s'abaisse une
maison plus que modeste et qui trahit extérieurement l'état
peu confortable de son intérieur ; c'est le désert de Bug de
Milhas, le Nostradamus des Pyrénées, le Prophète de nos
temps modernes, qui comme Osée, Isaïe et Barucb, vit dans
une extrême pauvreté. Mais si le ciel est beau et sans nuages,
si la clarté du soleil rayonne en gerbes d'or à travers l'azur
de l'espace, si une chaleur bienfaisante a pénétré à travers
SUR LES BAINS d'eNC.U SSF.. 294
les millerain sciures do la modeste toiture, rendez des action?
de grâcef.^iSuTfreu du jour ; car, plus heureux que tant d'au-
tres, vous allez voir le Prophète.
En effet, Bug apparaît alors sur le seuil de sa porte et vient
prendre sa place au soleil, à l'exemple des patriarches, sur
un vieux tronc d'arbre équarri. C'est un vieillard presque
séculaire, un véritable Elie, appuyé sur son bâton noueux.
Son front, courbé par la pensée et la méditation, porte l'em-
preinte de rides profondes ; ses yeux vifs et creusés sont
ombragés par des sourcils épais qui retombent sur sa vue
observatrice ; et toutes les lignes de sa figure sont par leur
reste de noblesse, d'une expression indéfinissable... Mais si,
de celte appréciation matérielle de l'individu, nous passons
à sa puissance morale, alors Bug grandit dans notre estime
et l'homme inspiré se révèle à nous dans toute la force de
ses moyens. Disons d'abord, en forme de proposition, que
Bug, longtemps avant la révolution de 83, jusqu'à nos jours,
a prédit, annoncé d'une manière non équivoque tous les
événements, toutes lés révolutions qui ont remué la France
et l'Europe. En cela, avec le titre deNostradamus politique,
il cumule celui de Nestor des Pyrénées. Qu'on n'aille point
le confondre néanmoins avec ces pieux inspirés des temps
modernes, dont on a imprimé les prétendues prophéties,
après les événements pronostiqués? Car, on s'exposerait à
recevoir un démenti formel de la part d'une immense popu-
lation. D'ailleurs, les faits parlent assez haut en faveur du
passé; et celui qui aujourd'hui vous dit: «enfants, dans deux
ans vous aurez une révolution ; je la vois comme j'ai vu celles
qui se sont écoulées ; » celui-là mérite une certaine créance;
mais devant les incrédules qui nient la prescience de l'homme,
comme la cour de Charles IX niait celle du prophète de la
Provence, expliquons du Nostradamue Pyrénéen les prophé-
ties qui se sont réalisées, et contentons-nous d'énoncer celles
qui concernent l'avenir.
D'abord, on remarque dans l'énoncé des prédictions de
Rug, une de ces menaces sentencieuses qui servent de préam-
292 NOTICE
bu le indispensable aux terribles vérités qu'il Wu e**%tlër aux
yeux du présent. Il partage cette forme de 1;^ -d^vvec tous
les grands inspirés. On sait que cette formule . Ecoutez,
peuples, et vous, terre, tremblez! servait d'exorde et de pré-
paration aux anciens prophètes. Bug de Millas a aussi la
sienne, mais moins effrayante et surtout plus calme. La voici,
dépouillée de son énergique expression patoise :
Entre écouter et ne pas comprendre.
C'est chasser et ne rien prendre.
Après ce moyen simple de disposer les esprits à entendre
les révélations de l'avenir, il faut suivre, selon le sujet qui
l'inspire, une application fine, logique et profonde sur l'apo-
calypse. C'était avec toutes ces circonstances, qu'en 1790, les
événements futurs se révélaient ainsi à sa pensée scrutatrice .-
Quatre-vingt-neuf grand changement aura ;
Par toi, le peuple esclave plus ne sera ;
Et toi, qui né dans la grande cité,
Roi, lu mourras par ta crédulité.
Comme il advient à tout prophète, on se prit à railler Bug
sur son quatrain, et le seigneur de Save se moqua plus d'une
fois d'une prédiction dont les effets devaient lui coûter plus
tard la vie. Bug, toujours calme au milieu de l'orage qui se
formait à cette époque, ne suspendit point le cours de ses pré-
dictions. Aussi, en 93, lorsque le peuple se lamentait, il
continua de plus fort encore à préparer les esprits aux évé-
nements qui menaçaient l'Europe. ÎSos pères se rappellent
aujourd'hui ces rime? qui résumaient l'élévation et la chute
de Bonaparte :
Us seront trois au pouvoir disputé;
De ces trois un seul de titré.
Par deux fois bas et deux fois haut monté;
Dé gà'efrfridèur il choira tourmenté.
SUR LES BAINS tf'ENCÀUSSE. 295
Ce quatrain seul fit à Bug, avant 1815, une réputation bien
méritée. Les gens de tous les partis s'empressèrent d'aller
écouter ses oracles. Il est justice de dire qu'il n'en flatta ja-
mais aucun. Aussi, lorsqu'en 1812, il annonça l'envahisse-
ment des Anglais et la bataille de Toulouse livrée par les
troupes des alliés, il excita l'enthousiasme des uns et la
tristesse des autres, tant ses prédictions étaient regardées
déjà comme infaillibles. Voici, au reste, les formes de ses
paroles qui sont gravées encore aujourd'hui dans la mémoire
de tout le peuple du Comminges :
Une bande rouge et blanche
Par Bayonne entrera ;
Du côté du Bazacle grand combat y aura,
Mais du sang, Toulouse sera franche.
Ce fut pendant quinze ans, le dernier cri du prophète.
Bug se replia dans une contemplation intérieure, dans un
espèce de sommeil instinctif d'où il ne sortit qu'en 1828,
pour efïrayer son pays par ces terribles paroles qui renfer-
ment une révolution .-
France 1 France ! d'un long enfantement
Dans peu de temps tu seras délivrée ;
Mais ton puîné n'est qu'un avortement ;
Ta joie en deuil sera bientôt changée,
L'Espagne, comme toi, l'imitera
Mais que de sang encore elle répandra !
Par trois le sceptre disputé ;
En trois morceaux sera brisé;
L'un au peuple appartiendra;
Les deux autres nul les aura :
Dans l'eau la mer les gardera.
Bug de jYiilhas n'arrêta pas là seulement le cours de ses
prophéties, car en 1831, il prédit l'invasion du choléra, les
guerres d'Afrique, les incendies et les inondations qui ont
19
594 NOTICE
jelé la désolation dans plusieurs parties de la France et de
l'Etranger. Voici comment, avec sa préscience et sa seconde
\ue prophétique, il annonça toutes ces catastrophes :
Peuples, tremblez pour l'avenir!
Les plaies du ciel me font horreur ;
Car je vois la terre enfouir
Des cadavres tombés et périr,
Sous le fléau exterminateur.
Le fer, la peste et le feu
A l'eau bientôt se réuniront ;
Tous tes enfants leur grande part auront.
Car plusieurs fois de par de Dieu
Les cataractes s'ouvriront.
Nous pouvons juger, tous les jours , de la vérité de ces
prophéties; les événements sont là qui témoignent de leur
réalité. Aussi, ceux qui connaissent le Noslradamus des Py-
rénéesonl-ils foi à sa prescience politique. Mais à ceux qui
seraient tentés de s'en rire, nous allons dévoiler le dernier
mot de Bug sur l'avenir. Le présent servira de garant pour le
passé, surtout si ce mot est suivi des événements qui auront
été indiqués, précisés avant leur accomplissement. Voici ce
dernier mot qui renferme à lui seul tout le secret et toute
la destinée de l'Europe contemporaine :
En mil huit cent quarante-deux,
De l'Europe grand feux s'allumeront ;
.Guerre des rois, des peuples commenceront ;
Dans ce bisbi Grande-Bretagne ne sera plus ;
Et toi superbe et grande citée
En petit bourg tu seras changée ;
Tu pleureras plus d'une fois,
Les débris de ta ceinture ;
Que la tempête des grands rois
' Aura réduit en déchirures.
Des reines, des princes mourront ;
SI K J.ES BAINS ft'ENCAltéS£. '2^5
Des pères se désoleront ;
Des grands malheurs lors «'«dateront :
Le sans partout ruissellera.
Cornetle blanche, cornette noire s'éclipsera ;
Meurtres, tyrans... Paix et peuple triomphera!
Arrêtons ici les détails des révélations du Prophète. L'ave-
nir nous dira s'il fut un imposteur ; et cet avenir n'est pas
éloigné de nous.
« Pour moi, dit-il, mon temps est passé : j'ai vu, pendant
un siècle, bien des choses; à vous maintenant, mes enfants,
à en voir de plus grandes encore! » Tout est dit sur le INos-
tradamusdes Pyrénées. S'il nous reste un regret, c'est de
n'avoir pu faire suivre ses centuries des commentaires pro-
fonds etsavants dont il les accompagne. C'est une perte irré-
parable; car Bug a fermé la porte de sa thaumière qu'il
n'ouvrira, dit-il, que pour aller frappera celle de l'éternité.
Le prophète est désormais muet !
De Milhas, on se dirige vers Juzet sis au pied de Kagire,
en traversant le village de Sengouagnet. Ces deux derniers
villages n'offrent rien de remarquable, si ce n'est leurs sites
qui sont des plus pittoresques. Mais la montagne de Kagire
vaut à elle seule toutes les merveilles des arts. Assise en pre-
mière ligne, au bas du versant méridional des Pyrénées, sa
construction élevée sur un large et gracieux plateau, offre,
parsa forme conique ornée de pelouses et de sapins, le tableau
le plus riant et le plus mobile possible. Vu par un jour de
printemps, alors que les rayons étinceiants du soleil et 1er.
flots de lumière inondent toute sa circonférence, Kagire s'ar-
rondit, s'évase, se déploie et s'élance, dans son isolement,
comme un immense obélisque égyptien. La nuit, au contraire,
c'est un géant féerique dessinant sur le fond vaporeux de
l'horizon sa tête et son corps fantastiques qui se perdent dans
l'espace brumeux. A chaque époque de Tannée, sa physio-
nomie change et revêt un caractère particulier; soit que la
neige qui brille sur la cîme aieue frappe les regards, soit
296 NOTICE
qu'un manteau de nuages couvre ses larges épaules, le mont
ravit et pénètre l'esprit d'une admiration toujours nouvelle.
Parmi les villages qui aujourd'hui se pressent, comme une
longue ceinture, autour de sa large base, Juzet est un de
ceux qui a hérité, par droit de voisinage, du bénéfice de
son antique réputation. Mais dans Juzet un homme se lie plus
particulièrement encore au souvenir de sa gloire passée, c'est
le Pâtre de la commune, autrement appelé le Général de
Pennalongue.
<$«*©
LE PATRE DE K4GIRE.
Lorsque le soleil du mois de juin a fondu les dernières
nappes de neige qui s'étendent sur les flancs-nord de Kagire
et que les pelouses verdoyantes reluisent sur sa cîme brillante,
la mission du Pâtre de Juzet va commencer. Alors finit pour
lui, cette solitude du village et de la chaumière enfumée.
La fête de Saint- Jean est ordinairement l'époque de son dé-
part pour son monde aérien.
Or, ce jour est aussi un véritable triomphe pour son or-
gueil de berger. Il faut surtout l'admirer, lorsque à la tête
d'un immense troupeau de vaches, aux sonnettes retentis-
santes, il se dirige vers le sommet de la montagne, plus fier
qu'un triomphateur romain qui monte au Capitole. Il sem-
ble grandir alors dans son amour propre, de toute la hau-
teur qui va le séparer du reste des humains. Car il se voit
honoré d'une immense confiance, et il sait qu'à sa garde
sout confiés la fortune, l'espérance le bonheur de plusieurs
SUR LF.S BÀÎNS DBNCAUSSE. "297
villages. Aussi sous l'impression de ces pensées généreuses,
son ascension à travers des sentiers étroits, perdus, difficiles,
abruptes qui seraient pour tout autre une route de l'enfer,
ne sont pour lui que de larges chemins, couverts de fleurs
qui conduisent à la gloire, à l'immortalité. Car les pâtres
comme les rois ont aussi quelquefois de ces rêves d'ambition-
Mais c'est surtout dans son département forestier qu'il
faut étudier les mœurs et les habitudes du pâtre de Juzet.
Là, dans son isolement, qui ne lui offre d'autres spectacles
qu'un ciel bleu et chargé de nuages , de bois épais et touf-
fus, un silence du désert interrompu seulement par le cri
des aigles, des paons sauvages ou le braiment des vaches,
le berger dévient un tout autre homme. Les grands objets
de la nature, l'immensité de l'espace qui se déroule autour
de son horizon semblent exalter son imagination solitaire.
Alors il n'est plus un pâtre modeste, il s'intitule le général
de Pennalongue. Sa cabane assise sur une riante pelousse,
dans la sinuosité d'une gorge ombreuse, s'élève et prend les
formes d'un palais fantastiques ; la montagne si riche, si
belle par ses pâturages et ses forêts de sapins, devient son
royaume et le troupeau dispersé ça et là se transforme dans
son esprit en d'innombrables sujets. Allez le visiter alors
dans ses appartenances. Mais ne croyez point dépasser li-
brement les premières frontières do ses états, sans vous être
soumis préalablement aux formalités légales. Dans tout paye
bien civilisé, la circulation n'est tolérée qu'à certaines con-
ditions. Ceci est un principe de droit international. Aussi un
permis en bonne forme, ou à son défaut, une valable cau-
tion peuvent vous faire espérer seulement de franchir les
limites de ce singulier royaume. Une fois soumis à ces rè-
glements indispensables de police extérieure, vous serez am-
plement dédommagé de toutes ces mesures gênantes, mais
moins arbitraires pourtant que celles de plusieurs pays que
vous connaissez. Car le général de Pennalongue vous fait
ensuite lui- même en personne ni plus ni moins qu'un ci-
rrronc, les honneurs de la rtëoepifon dan:- son propre gOu
298 .NOTIŒ
reniement ; lui-même vous fera admirer sans frais et avee
économie de jambes, les monumens curieux, les prodiges de
la nature que renferment ses états ; ce qui est d'un avan-
tage inappréciable dans un pays surtout où les seuls
moyens de transport sont les tibias des visiteurs, et où l'on
ignore encore l'existence possible de la petite et grande
voirie. Aussi par compensation , s'il n'existe point de légis-
lation sur les chemins vicinaux, le budget n'est pas rui-
neux On connaît encore inoins les droits de consommation,
et pour cause. Le seul tribut ou impôt auquel on doive se
soumettre, est celui d'offrir au noble général un banquet
avec les provisions du village, non sans force libations de
\in. A qui mène une vie patriarchale et toute homérique,
la bonne chère est un présent fort rare qui ne saurait être
dédaigné. Car, si le laitage a pu être exclusivement la nour-
riture favorite des bergers de Virgile, il n'est pas entière-
ment celle du général de Pennalongue. Les siècles sont
bien changés !
Félieitez-vous cependant de ce revirement de mœurs et de
goût: car vous devrez à lui et à la magie de la boisson eni-
vrante, ce que l'onde pure et le lait frais des bergers de
Théociïte n'auraient jamais pu vous révéler: la connais-
sance des mystérieuses impressions du pâtre de Kagire La
gai té du repas excite en effet chez cet homme d'une vie ex-
ceptionnelle, le sentiment des souvenirs à un degré extra-
ordinaire -, Dieu sait encore quels souvenirs! Quarnte-trois
ans d'une existence pastorale qu'on appellerait service, en
termes communs, composent un long drame intime qui a
eu pour scène la montagne. Savez-vous toute la période his-
torique qu'embrassent ces quarnte-trois années? Eh bien !
vous en retrouverez quelque chose dans la mémoire et sous
la cabane du général de Pennalongue. Il vous dira que, tan-
dis que l'Empereur poussait ses armées vers le nord , lui,
gravissait lentement pour la première fois, avec son immense
troupeau le sommet de Kagire, et allait établir son camp
isolé loin du monde, au milieu de sapins qui devait l'abriter
SUN LKS BALNS D ENCAISSE. 299
pendant cinq mois. lJlus lard, quand l'aigle des batailles
s'envola du nord au midi pour aller se reposer sur les som-
mets de la Granja, assis là haut sur cette crête, il suivit des
yeux; son vol rapide à travers la frontière et entendit, calme
et sans effroi, le battement de ses ailes mêlé au bruit du
eanon. Celait, sans doute, un profond sujet de méditation,
pour lui, indépendant, libre de corps et d'esprit et isolé dans
la solitude, que celte guerre d'Espagne retentissant à quel-
ques pas de sa cabane et dont les bruyantes fureurs venaient
expirer à ses pieds comme les flots irrités sur les rivages d'une
mer orageuse. Il s'élevait alors à la hauteur des événement*
de l'Europe que la rumeur lui apportait confusément et par
intervalle, ainsi que les échos d'une tempête dans les profon-
deurs de la vallée. Une ardente imagination suppléait à leur
stérile concision et provoquait ainsi d'immenses développe-
ments dans son esprit. Il n'est point jusqu'aux tourmentes
révolutionnaires dont il n'éprouvât les secousses, n'en prévit
les oscillations, leur nombre et leur durée; tant l'intuition
du génie est active dans l'homme privilégié de la nature! Il
entendit le dernier cri de Waterloo et, ôtant sa berrelte de
laine, il salua le triste départ du grand exilé. L'air lui- monté
imprégné de révolutions, semblait lui transmettre lous le*
mouvements politique^ de la France. Les sourds murmures
de la restauration, le trépignement des pas du soldat de l'ex-
pédition espagnole, le premier cri de l'insurrection des demoi-
selles, le bruit du canon des Barricades, tout cela frappai t*
d'un murmure effrayant, ses oreilles attentives. Souvenirs
terribles ! moments sublimes ! ces grandes choses se résument
et passent, ainsi qu'un éclair, à travers son énergique récit
avec une simplicité, une force qu'on trouve mêlé avec la plus
étonnante naïveté.
Et puis, par un retour d'amour-propre naturel à son or-
ganisation, le pâtre de Kagire se prend à s'exalter lui-même
dans des pensées d'orgueil et de vanité. Témoin de tout ce
passé historique , que son imagination semble maîtriser
encore, paixi' qu'en effet, il a pu seul le commander, le dis-
300 NOTICE 4
cuter sans contradicteurs, il se fait un royaume chimérique.
On l'écoute alors, halluciné par ses paroles qui révèlent les
grandes époques contemporaines sous l'ornement du plus
pittoresque et du plus poétique récit. Dans ses moments
d'extase, Kagire s'abaisse, la scène s'agrandit et le pâtre
devient un peintre sublime de patriotisme. Mais comme
tout sujet dramatique finit toujours par un événement
triste, le général de Pennalongue baisse insensiblement sa
voix et murmure ces mots : « J'ai vécu seul au milieu de
toutes ces-grandes choses ; j'ai quarante-trois ans de service
et pourtant l'on ne m'a point gratifié encore d'une pension.»
Cette plainte du pâtre est juste. Car, bon nombre de gens
reçoivent des rentes sur 1 état, qui l'ont bien moins mérité
que lui. Si l'on payait les services rendus ù la chose publi-
que, depuis long-temps le pâtre de Kdgire ne serait plus
réduit, pour vivre, à son royaume de Pennalongue.
Après avoir visité Kagire on peut rentrer à Encausse par
la vallée qui conduit à Izaut et suivre les vallons qui se di-
rigent dans le sens de l'établissement des bains. On traverse
des prairies magnifiques et des paysages de toute beauté; et
l'on arrive enchanté, à la fin de la course.
La seconde excursion que l'on peut faire avec agrément,
est celle qui consiste à aller âSaint-Gaudens et à rentrer par
Valentine. Pour cela, on suit la route départementale jusqu'à
Miramont, petite villeoù l'industrie manufacturière a fait de
grands progrès ; et après l'avoir visité dans ses détails, on
traverse la Garonne pour monter à Saint-Gaudens, qui s'offre
à la vue comme un immense amphithéâtre de maisons.
A peine arrivé sur la hauteur où est situé Saint-Gaudens?
on peut admirer un magnifique panorama formé par toute
la ligne des Pyrénées. La ville est jolie et bien bâtie • ses
marchés y sont très fréquentés et les habitants fort indus-
trieux. Parmi les monuments à visiter, nous citerons l'église
.'lie nouveau tribunal. L'église est d'une origine antique; elle
remonte au commencement du XIe siècle et fut fondée par
i'.ernard, évèquc du Comminges. La petite porte de 1 '.église
SUR LKS BAINS d'eNC.UISSE. 501
est d'une haute antiquité., s'il faut en juger par ses sculptures
et par son style. L'intérieur du monument ofire quelque
chose de majestueux ; la voûte en est élevée et hardie ; ses
arceaux parfaitement établis et les piliers, ornés de sculp-
tures, sont d'une légèreté et d'une élégance admirables On
remarquera, en face de la chaire une toile d'une grande di-
mension, représentant Jésus-Christ crucifié. Ce tableau qui
n'est pas sans avoir quelque mérite a été donné à l'église et
peint par M. Monta lègre de Saint-Gaudens. Le Palais du
tribunal, quoique moderne, a été exécuté sur un plan régu-
lier \ il est digne d'être visité. L'ancien couvent des Cordeliers,
la Sous-Préfecture et l'Hôpital situé à l'extrémité de la ville,
sur la route de Montréjeau, sont trois édifices qu'il faut voir.
De Saint-Gaudens, on arrive 5 Valentine en quelques mi-
nutes. Des restes de murailles, une tour carrée et une maison
qui porte la date de 1550, sont les premiers objets qui frap-
pent la vue en entrant dans la ville, et lorsqu'on a franchi le
magnifique pont de pierre jeté sur la Garonne. L'église est
dans un style moderne; l'intérieur forme une large nef au
fond de laquelle s'élève un très bel autel. Quatre tableaux
qui ornent deux chapelles et qui représentent la naissance
de Jésus-Christ, la descente de la Croix, l'adoration des Ma-
ges et l'Ascension, ne manquent pasd' expression et d'art. Le
reste de la ville est fort bien bâti.
Mais ce que l'on voyait naguère avec plaisir et ce que l'on
peut voir encore aujourd'hui, sans doute, c'est la magnifique
fabrique de porcelaine de M. Fouque, qui fait vivre tant d'ou-
vriers. Ses produits rivalisent avec ceux de Limoges et de
Chois y-le-Roi. Après avoir fait une visite minutieuse à cet
établissement, on revient aux bains par le chemin d'Aspel,
et on entre dans le bassin d'Encausse avec la satisfaction
d'avoir bien employé sa journée.
11 reste une troisième et dernière course a faire : celle qui
consisterait à visiter le village de Sauveterre d'où fût ex-
trait, sous le règne de Louis XIII, le marbre qui a servi à
l'aire la colonnade du Louvre; et le château de Barbazan.
502 NOTICE SUR LES BAINS D ENCAUSSE.
situé au-delà de Malvézie, près du pont de Labroquère. Mais
comme cette excursion pourrait paraître trop longue à nos
baigneurs, nous la laissons à faire à ceux que les longues
courses à pied n'effraient point. Les impressions qu'ils en
rapporteront les compenseront de leurs fatigues. A eux main-
tenant le soin de se les procurer à peu de frais !
FIN DE LA. NOTICE SLR ENC.ALSSE.
LES
BAINS DE GANTIES.
I
Situation des bains de (Nanties. — Ancienne réputation de ce»
eaux. — Premières améliorations faites à ces bains. — Histo-
rique des lieux circonvoisins. — Pointis, Montespan, Bonne-
fond, Saint-Martory, Montsaunés, Arbas, Estadens et Pujos. —
Etablissement, hôtel et logements. — Saison des bains et agré-
ments divers.
Les bains de Ganties sont situés dans le canton d'Aspet,
arrondissement de Saint-Gaudens, non loin de la route qui
conduit de Saint-Martory à Aspet. Placés à l'origine d'un
bassin magnifique borné à son extrémité par la commune
de Pointis, et tout-autour par des riants coteaux, ils sont
alimentés par des eaux qui sortent d'un monticule et vont
former un lac voisin de l'établissement.
Avant la création des bains, ce lac était tout ce qui exis-
tait de la production de cette eau minérale ; et encore était-
il dans un état déplorable : des joncs, des plantes sauvages,
des broussailles le couvraient de toutes parts. Le hasard, se-
lon les uns, la tradition, selon les autres, mit en réputation
les eaux de Ganties. Voici dans quelles circonstances : une
vache atteinte d'une maladie cutanée se trouvant dans la
prairie, allait boire dans le lac où elle pénétrait à travers
304 NOTICE
les broussailles. On remarque que pour se désaltérer elle
était forcée d'entrer dans l'eau et que ce bain de circonstance
renouvelé souvent produisit la guérison radicale de l'animal.
Depuis ce moment, et à la suite de ce récit répandu dans
le public, on vit accourir au lac des malingres, des ulcéreux,
des estropiés dont les plaies étaient malignes qui venaient
y chercher leurs guérisons. La nouvelle de ces cures repro-
duites si souvent, s'étant répandue dans les environs, il
vint à la pensée des propriétaires du sol d'y former un éta-
blissement et d'y créer des bains. Depuis ce moment la foule
des baigneurs n'a cessé d'y venir des différentes parties du
midi de la France.
L'établissement dont nous aurons bientôt l'occasion de
parler, se trouve bâti dans la partie Est d'une petite plaine
oblongue, circonscrite par un cercle de montagnes couvertes
d'une végétation luxuriante. Dans ce vallon, la vue s'y
trouve agréablement recrée par des tapis de verdure qui se
déroulent sur des prairies qui bordent les chemins qui con-
duisent vers la source.
Mais si les eaux de Ganties ont par elles-mêmes des ver-
tus thérapeutiques inappréciables, ainsi que nous le cons-
taterons, le pays qui les avoisine n'est pas moins important
et mérite d'être mieux connu sous le rapport historique. De-
quelque côté qu'en tourne ses pas, on est certain de retrou-
ver une contrée qui rappelle de beaux souvenirs.
Vers le nord et à l'extrémité du vallon de Ganties, on
trouve le village de Pointis dont la fondation remonte au
XIIe siècle. Situé sur la rive gauche du Gier , il occupe un
sol dont la richesse et la fécondité sont proverbiales. Les
seigneurs de ce pays ont joué un rôle important dans l'his-
toire de la maison deComminges, et notamment le chevalier
Arnaud de Pointis qui figura comme témoin dans le mariage
de Pétronille de Comminges avec le comte de Bigorre. Mais
l'événement le plus terrible pour cette localité, fut le pas-
sage de i'arméede Montgommery, à l'époque des guerres de
religion qui remplirent une partie du XIVe siècle de tmu-
SUB LES BAINS DE GAKTIES. SOS
bles et de révolutions. On sait que le chef des Huguenots
fut appelé par les protestants du rîéarn assiégés alors par
les troupes de Monlluc, et qu'il vint du fond du Rouergue.
Son armée avait passé l'Ariège, elle se dirigeait vers Saint-
Gaudens, lorsque l'avant-garde se trouvait tout-à-coup ar-
rêtée devant Pointis par une troupe de catholiques qui y
tenait garnison. La résistance ne fut pas longue • car Mont-
gommery ordonna à son corps d'armée d'assiéger la ville
et de la prendre, d'assaut. Cet ordre fut exécuté immé-
diatement, et comme les habitants étaient soupçonnés do
soutenir le parti catholique, le féroce Montgommery fit
incendier la ville. Ce ne fut qu'un demi siècle après qu'elle
sortit de ses ruines par les soins d'Isnard de Pointis et avec
les secours demandés à la cour par ce seigneur. Louis XIV
accorda des franchises et des libertés aux habitants de cette
localité, parmi lesquelles nous trouvons celles d'a%oir deux
consuls et de partager la justice avec celle du seigneur.
En suivant la base des coteaux qui, de Pointis, se diri-
gent le long des rives de la Garonne, on arrive au village de
Montespan dont le château domine sur un vaste horizon. Le
voyageur qui porte ses pas sur la route de Saint-Gaudens,
peut contempler, à son aise, les pittoresques débris du châ-
teau au milieu desquels surgit la vieille tour féodale qui,
seule, à échappé encore aux ravages du temps, ainsi qu'un
génie protecteur, elle domine le riant et fertile bassin de
Pointis et de l'Estelle.
Voici l'origine du château de Montespan : En 1405, brillait
à la cour du roi de Navarre, une jeune espagnole, fameuse
par son excessive galanterie. Si bien que, quoique demoiselle,
le ciel lui donna progéniture. Roger, c'était le nom de son
enfant, devenu grand, bâtard de naissance, mais chevalier
de cœur, se distingua par ses courses avantureuses à la ma-
nière des Paladins. Il promettait même de les supasser tous
in prouesses, lorsqu'il lui advint, delà succession de sa
mère la propriété de grandes terres dans le ISébouzan. Sei-
gneur riche et puissant, mais sans nom qu'il pût avouer au
506 NOTICE
grand jour, le bâtard voulut s'en créer un qui fut à lui ; et
il s'appela Roger d'Espagne
Mais pour attacher à ce nom d'origine nouvelle, une du-
rée plus authentique que ceile des parchemins, il fit bâtir
sur la crête d'un mont, en face des flots de la Garonne, une
demeure de haut baron. Monte-Hispania auquel il inféoda
son nom fut, dit la chronique, le premier titre de noblesse
de messire Roger jusqu'alors inconnu. Des serfs dispersés
dans ses domaines, vinrent s'établir autour du nouveau
donjon, et leur nombre forma la circonscriprion du manoir.
Plus tard le mont d'Espagne se convertit, à son tour dans
le langage du pays, en Montespan.
Sous le règne de Louis XIV, le seigneur de Montespan,
voulant partager ce qu'on appelait les faveurs delà cour,
se rendit à Paris où il épousa Mllp Atheuaisde Rochechouart
qui ne se faisait appeler que Mlle Tonnay Charente, laquelle
devint la célèbre maîtresse du roi dont on rapporte l'his-
toire suivante :
LE CH&TE&ii DE MONTESP&N.
On sait qu'elle était la versabilité du cœur de Louis XIV en
amours, et avec quelle facilité il usait les sentiments de ses ma-
lheureuses victimes. II eut été donc impossible à Mme deMon.
tespan, malgré sa bonne volonté de captiver un amant très
volage. Aussi, toutes ses grâces et ses charmes s'éclipsèrent-
ils devant les beaux yeux de 3In'e de Fontanges; et, chose
extraordinaire ! son crédit à la cour se perdit entièrement
par lesintrigues de Mme de Maintenon, la gouvernante de ses
enfants..-, royaux. Quelle trahison! Oui, la femme du cul-
de-jatte Scarron, précieuse et adroite bigotte, se hissa sur les
brisées de toutes les prostituées à titre, voire même sur celles
de la pauvre reine, lorsqu'elle n'était encore qu'en service, en
SUU LES BAINS DE GANTIES. 307
condition chez M"1C de Montespan. Ce coup si bizarre de la
faveur atterra cette dernière qui comprit enfin, qu'entre la
maîtresse et la servante, il ne saurait exister aucun rappro-
chement sur les degrés d'un trône, où elle s'était assise si
longtemps. Aussi, depuis ce moment, commença-t-elle à
se retirer de la cour, n'emportant pour tout gage de l'amour
royal que quatre ou cinq nobles rejetons princiers.
Ce fut quelques jours avant de prendre celte détermination,
commandée par l'amour-propre outragé, que sortant d'assister
au peiii levef de la reine, elle rencontra sur les marches du
grand escalier M. de Montespan, qu'elle n'avait pas vu depuis
longtemps :
— l'arbleu! Monsieur de Montespan, dit-elle, avec cet air
de franchise et degaîté qu'elle savait si bien prendre, je vous
vois fort à propos. Savez-vousque j'allais à votre hôtel vous
faire un reproche que vous méritez !
— Lequel, Madame, répondit en s'inclinant le respectueux
mari?
— Celui de votre indifférence à mon égard. Car, difficile-
ment on a le plaisir de vous voir dans mes salons. D'où
viennent ces absences?
— Le nombre de vos visiteurs était si empressé, madame,
que je nie perdais dans leur foule. J'ai renoncé à faire anti-
chambre.
— Allons donc! vos droits à mon estime étaient trop bien
acquis pour vous supposer un peu plus d'audace. Au reste,
allez-vous souvent dans vos terres, M. de Montespan?
— Plus souvent que je ne reste à Paris, Madame En ce
moment, j'allais encore chez le Ministre prendre le congé
d'un départ définitif pour mon château.
— Eu ce cas, j'aurai l'honneur de vous accompagner en
province; car je veux admirer vos domaines, où plutôt // os
domaines de Montespan. Ces dernières paroles furent accom-
pagnées d'un sourire si gracieux, qu'elles auraient désarmé
la colère d'un homme plus susceptible que le seigneur de
Montespan. On conçoit donc tout le bon accueil qu'elles
508 NOTICE
trouvèrent dans le cœur d'un mari si complaisant et de mœurs
si faciles.
En effet, trois jours après cette entrevue, un magnifique
équipage se dirigeait sur la route du Languedoc, annonçant
toute l'importance d'un voyage royal. Ce fut le 30 juin de
l'année 1679 qu'il s'arrêta sur les^ frontières du Comminges,
devant le donjon du château du sire deMontespan. Tout était
calme dans le manoir. A peine se douta-t-on de l'honneur
que la grande dame faisait à son époux, le noble seigneur
du lieu. Les bois, les forêts étaient calmes et paisibles; et la
Garonne roulait tranquillement ses ondes, au dessous du
rocher sur lequel s'élevait le château.
Quelques jours s'étaient à peine écoulés depuis l'arrivée de
Mme de Montespan au château de son auguste époux, lorsque
elle voulut visiter la merveilles de la contrée, ainsi qu'elle le
disait dans son langage et avec sa morgue accoutumée de
grande dame Aussi, profitant d'une magnifique journée du
mois de juillet et d'une disposition d'esprit favorable à ses
instincts voyageurs, elle fit appeler, dans son appartement,
M. de Montespan qui, sans cet ordre, n'aurait eu garde de se
présenter devant son épouse :
— Voyons, M. de Montespan, lui dit-elle, prenez un siège
et causons ensemble Qu'avez-vous de merveilleux dans vos
contrées? Car, enfin, je dois finir parfaire connaissance avec
vos alentours. Soyez une fois galant dans votre vie, si vous
voulez me faire prendre goût à votre résidence?
— Madame, répondit très-humblement le sire de Montes-
pan, cette contrée est riche en souvenirs historiques. Les
Romains, à ce que dit M. Mezerai, ont occupé ce pays; il
faut, sans doute qu'il ait eu quelques agréments, puisqu'ils
sont venus de si loin habiter ces montagnes.
— C'est juste, répliqua avec un sourire moqueur, lamaîtres.
se du grand roi, en admirant la naïveté de son époux. Mais
encore, M. de Montespan, les Romains onf dû laisser des
monuments de leur passage- Vous voyez que Louis XIV a fait
bâtir Versailles , les Tuileries, les portes triomphales de
SUR LES BAhNS DE GANTIES. 309
Saint-Denis et tant d'autres édifices qui porteront sa gloire
jusques dans les générations futures les plus reculées. On
parlera, plusieurs siècles après celui-ci, des merveilles du
grand roi! N'auriez-vous rien à nous dire des Romains?
— Ah ! Madame, ces peuples conquérants ne s'occupaient
le plus souvent qu'à démolir et bâtissaient quelquefois; Saint-
Bertrand était la capitale de la contrée. Dès que la marquise
eut passé quelques jours à visiter les curiosités des environs,
M. de Montespan voulut lui donner la surprise d'un spectacle
singulier qu'il lui avait ménagé. Il fallait bien payer ses
gracieuses bontés par quelques complaisances maritales.
Or donc, il disposa un fort beau pavillon au sommet de la
tour, où il fit servir un repas magnifique, honoré de la pré-
sence de tous les seigneurs du voisinage. Pendant que les
convives étaient en grande liesse, un rideau s'ouvrit tout-à-
coup et mit à découvert tout l'horizon des montagnes. Le
ciel était beau, le paysage dessinait le moindre de ses acci-
dents, et la vue embrassait tout un espace magnifique,
— Madame, dit alors avec une intime satisfaction, M. de
3Iontespan, vous voyez se dérouler à vos pieds le tableau
enchanteur des Pyrénées. Ce cadre seul, dont mon château
est le point le plus élevé, vaut bien sans doute les montagnes
mouvantes et les palais peints des fêtes du Carrousel.
— Il est vrai, M. le Marquis, tout est beau, tout est grand,
dans ce spectacle de la nature; trop grand! car devant lui
nous sommes petits. Mais, au moins les frais de représentation
ne vous ont point coûté fort cher, faisant ainsi allusion aux
dépenses folles de Louis XIV. Par compensation, Marquis,
tout ceci est bien désert.
— Votre présence, Madame, peut animer ces lieux, si vous
daignez y commander en reine. La cour....
— Ne parions point de cela, interrompit brusquement la
belle dame; il ne peut y avoir des reines, M de Montespan,
que là où sont les rois ; ici l'on n'est que modeste châtelaine ;
au surplus, j'approuve de tout mon cœur votre prédilection
3Q
r> 1 ( ) NOTICE
pour vos domaines. Aussi, aurez-vous bientôt un gage certain
qu'ils seront toujours conservés dans votre famille.
Cependant Madame de Montespan se désenchantait tous les
jours de son exil dans la Province, malgré les soins qu'on se
donnait pour le lui rendre supportable. D'ailleurs son voyage
avait été entrepris avec intention ; elle allait atteindre son
but: une indisposition qui n'avait aucune gravité sérieuse
retenait, depuis quelques jours, la belle dame dans son ap-
partement, lorsque le 1 ei septembre elle mit au monde un
enfant qu'elle voulut appeler Roger. On sait que ce fut sous
ce nom que Louis XIV se présentait dans les fameux tournois
donnés à la noblesse en 4664. Tandis que M. le marquis se
pressait autour du berceau du nouveau-né, M»» de Montespan
lui dit avec cette affection expansive que les courtisans savent
si bien singer :
— Au moins, marquis celui-là sera votre héritier en ligne
directe.
— Il est permis d'en douter, madame, car il n'y a que six
mois que vous êtes sur mes terres.
— Fi donc ! le doute en pareille circonstance est une insul-
te. Certainement, sa majesté ne dotera point celui-ci. Il sera
le seigneur de Montespan, et son apanage est le château où il
a reçu le jour.
En effet, l'innocente créature fut élevée dans le manoir de
Montespan, tandis que sa mère, la grande dame, se rendit à
Paris pour aller ensuite mourir aux bains de Bourbon en 1 707.
C'était bien là la femme à qui les sacrilèges ne coûtaient rien
pour tromper la crédulité de la reine, et de laquelle la
Baumelle a dit, à propos de ses entrailles qu'un capucin jeta
aux chiens, à cause de leur infection : est-ce qu'elle en avait ?
Le sire de Montespan, son digne époux, mourut aussi, en
laissant le jeune Pioger seul possesseur de ses domaines. Mais
comme la fatalité avait dû s'attacher constamment à cette
malheureuse famille, Roger s'éteignit sans postérité. Ce qui
a fait dire à un chroniqueur: « un bâtard commença la race
des seigneurs deMontespan, un bâtard y mit fin. » Aujourd'hui
SUR LES BAINS DE GANTIES. 311
les ruines du château gisent éparses sous le sceau de cette
double infamie ; car, pour l'instruction des grands et du siècle,
Dieu a voulu aussi que le crime eût son immortalité !
Sur les bords opposés de la Garonne que l'on traverse sur
un bac, on trouve le lieu de Beauchalot situé à peu de distance
de l'ancienne voie romaine qui se dirigeait de Toulouse à
Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand). Non loin de Beau-
chalot s'élève un monument romain, espèce de niche consa-
crée à une divinité payenne. Au delà, sur le versant opposé
des coteaux qui avoisinent la route, on peut aller visiter les
ruines de l'ancien couvent de Bonnelbnd dont l'histoire est
digne d'être connue.
L'Abbaye de Bonnefond fut fondée vers le commencement
du XIIe siècle, en 1137; elle était de l'ordre de citeaux. Le
lieu ne pouvait pas être mieux choisi. D'un côté, un plateau
assez fertile, arrosé par des eaux limpides, s'élève en amphi-
téàtre; de l'autre, des prairies d'une fraîcheur admirable,
situées le long d'un petit ruisseau; des bois magnifiques
servant d'abri contre les vents du nord et du couchant faisaient
de Bonnefond un séjour agréable.
Ce qu'on voit aujourd'hui est loin de donner une idée de
ce que ce monastère fut autrefois, le propriétaire qui en fit
l'acquisition, en ayant démoli un« grande partie et notamment
le portail, les ouvertures et tout ce qui composait le travail
de l'architecte et du sculpteur. Une auberge nouvellement,
construite à Saint-Martory avec ses débris peut nous donner
une idée de la splendeur artistique de ce monastère.
Le couvent de Bonnefond a joui pendant la féodalité de
beaucoup de considération, non seulement parmi les peuples
mais encore parmi les souverains du Comminges. Bernard-
Boger comte du pays, l'enrichit de biens considérables ;
Bernard Iï, y choisit sa sépulture ; après lui avoir fait dona-
tion de divers domaines, de tous ses reliquaires, vêtements,
bijoux et meubles précieux. A toutes ces faveurs particulières,
les suzerains en ajoutèrent encore bien d'autres et qui avaient
une plus haute importance.
312 NOTICE
Ainsi, l'abbaye de Bonnefond faisait partie des états du
Nébouzan ; et on voit que l'abbé présidait aux états de la
vicomte qui se tinrent à Saint-Gaudens en 1441. Dans toutes
les transactions et assemblées publiques ; dans tous les actes,
les synodes des évêques qui remplissent cette époque, on voit
figurer les abbés de ce couvent et exercer une grande influence
sur les destinées du pays.
Mais la date désastreuse pour ce monastère, fut celle qui
se rapporte aux guerres de religion. En 1568, des troupes de
protestants s'en emparèrent et le pillèrent, après avoir porté
le ravage et la destruction dans les environs. En 1591 , il fut
encore saccagé, en même temps que le village de Pointis par
les soldats de Montgommery. L'opposition que les religieux
faisaient à la réfoime de Luther et les richesses qu'ils possé-
daient contribuèrent beaucoup à leur attirer l'animosité de
ce chef assez indifférent en fait de sentiments humains. Ce
qui reste, de nos jours, de ce couvent peut encore donner
une idée de sa grandeur passée. Au surplus, il est question en
ce moment de l'achat de ces vieux débris et de son sol pour
le consacrer à un autre ordre religieux : celui des Chartreux
ou des Trapistes.
De Bonnefond à Saint-Martory, la distance n'est que de
deux ou trois kilomètres. Saint-Martory n'a que son nom qui
remonte, selon les annales religieuses, au IXe siècle, époque
où la persécution sarrazine ayant fait des Martyrs, on donna
à ce lieu le nom de Saint-Martory (saints martyrs). Il existe
même, à ce sujet, une légende assez curieuse et qu'il est
inutile de consigner ici. Quant aux monuments anciens, il
n'en existe point de bien authentiques. On voit seulement
que cette petite ville a été fortifiée; car on admire encore des
restes de murs qui témoignent en faveur de son antiquité. On
peut compulser à la mairie un manuscrit renfermant le dénom-
brement des habitants de Saint-Martory avec leurs cotisations,
au XV siècle, qui n'est pas sans avoir un certain mérite,
comme document historique.
Après Saint-Martory , on doit visiter Montsaunés situé sur
SUR LKS li.VliNS DE GANTIES. 513
la route de Saint-Girons à quatre kilomètres environ de dis-
tance. Ce village appartenait anx Templiers qui le regardaient
comme une de leurs meilleures eommanderies. Les droits et
privilèges dont jouissaient les habitants de ce lieu, vers le
XIXe siècle, sont tous conformes à des règlements militaires.
Cet ordre apportait dans toutes ses concessions, un cachet
particulier de despotisme qui revit dans la charte octroyée
aux manants de Alontsaunés, en 1341, à un suprême degré.
Quoiqu'il en soit, l'église de Montsaunés qui paraissait être
contigùe à la cominanderie, s'd faut en juger par les traces
architecturales que l'on remarque du côté du levant, est un
monument très curieux et qui parait remonter au IXe siècle.
Les voussures du portail en pleins-ceintre, sont d'un travail
exquis, et les colonnettes de la porte qui communiquait avec
le couvent sont digues de fixer l'attention d'un artiste. Il était
question au reste, de réparer l'église au frais de l'état, comme
monument classé parmi ceux qui méritent d'être conservés.
En suivant la route jusqu'à Ma ne, il faut la quitter à cet
endroit et se diriger vers les profondeurs de la montagne
jusqu'au bourg d'Arbas. Une montagne taillée perpendiculai-
rement et qui semble arrêter tout court les pas du voyageur;
des maisons bâties à ses pieds et protégées, de tous côtés,
contre tous les vents comme si elles étaient assises sur l'arène
d'un amphitéàtre, telle est la situation géographique de cette
localité. Les veaux de cette contrée lui ont acquis une grande
réputation dans nos départements ; mais le nom qu'elle porte;
a une renommée bien autrement grande dans l'histoire. Car
on est généralement d'accord aujourd'hui que ce nom d'Ar-
bas tire son origine des anciens Arevacci peuplades réunies
aux Convenœ et aux Vêtions que Pompée contraignit de bâtir
la ville de Lugdunum Convenarum, (Saint-Bertrand de Com-
minges). Il faut donc supposer que ce coin de montagne et
les environs servaient primitivement de retraite à ces tribus
errantes.
En quittant Arbas, on gravit des coteaux qui séparent cette
dernière localité du village d'Estadens, si renommé, avant la
Ô14 NOTICE
révolution do 89, par la cruauté et les manies tyranniques
du seigneur de ce nom. Estadens est un village bâti dans un
joli bassin bien cultivé et très fertile. En sortant d'Estadens
on peut aller visiter l'église de Pujos qui chaque année, à la
fête de saint Jean , sert de pèlerinage aux espagnols et aux
habitants des vallées frontières. La statue du saint et la grotte
ou fontaine qui sert aux ablutions des malades et des infirmes
qui y vont chercher leurs guérisons, sont les deux merveilles
du lieu.
Comme touses les fêtes religieuses de ce genre , la fête de
la saint Jean à Pujos sert de motif à des repas champêtres
qu'on y fait en même temps qu'à des prétextes de dévotion.
Ce pèlerinage offre, au reste , un spectacle fort curieux et
qu'on ne doit point dédaigner. La distance qui sépare Pujos
de Ganties étant très rapprochée, on rentre à l'établissement
de Bagnis par des coteaux délicieux.
Si les environs de ces bains ont, comme on voit, une cer-
taine importance historique , l'établissement en lui-même ne
laisse rien à désirer. Parlons d'abord de la source.
Avant 1835, le lac était abandonné à tous les malades qui
venaient y chercher leurs guérisons ; il se trouvait dans un
état déplorable, lorsque les propriétaires du terrain se déter-
minèrent à y bâtir des bains et à y faire des logements. A cette
époque, nous voyons , en effet, par les soins de M. Ribet et
M. Dencausse propriétaires actuels de ces eaux , s'élever un
établissement simple, mais commode et réunissant toutes
les conditions du bien-être. Des baignoires en marbre, en
zinc , au nombre de vingt-cinq ; quatre douches et des cabi-
nets spacieux et bien aérés sont les premières conditions de
bien être, remplies par les propriétaires de l'établissement.
De nombreuses améliorations ont été encore apportées au ser-
vice des bains qui ne laisse rien à désirer.
Tout près des deux établissements se trouve encore une
source ferrugineuse appartenant à M. Dencausse dont la va-
leur thérapeutique peut être tous les jours mise à prolit par
les malades qui ont besoin de reconstituer leur sang appauvri.
SUR LES BAINS DE GANTIES. 31 S
La réputation de ces eaux, ayant appelé aux environs de la
source un grand concours de baigneurs, on a vu s'élever, en
peu d'années , de nombreux logements, des maisons qui of-
frent aux étrangers toutes les commodités désirables pour y
passer d'une manière confortable la saison des eaux. Mais
parmi les établissements que renferment les bains de Ganties,
nous devons citer principalement l'hôtel Hajau qui se distin-
gue entre tous les autres.
Situé en face les bains, il réunit à des chambres spacieuses
et très bien meublées, un salon qui sert à une table d'hôte
très bien desservie et à des prix fort modérés.
Tous les fruits de la saisson y abondent ; le veau d'Arbas,
le gibier et la volaille n'y manquent jamais. Ce qui joint aux
soins empressés et à la bienveillance dont la famille de
M. Hajau se montre pénétrée envers les étrangers, en fait un
séjour délicieux.
L'auteur de la Topographie médicale du département de.
la Haute-Garonne, s'exprime ainsi au sujet des eaux de Gan-
ties ou de Gouret, comme il les appelle :
« Couret, dans un vallon Irais et riant, où serpentent plu-
sieurs ruisseaux à travers de charmantes prairies, est à une
élévation médiocre et découvert, soit au midi, soit au levant.
Entre Rouôde et Couret, au-dessous du château qui domine
ce dernier village, est un lac formé par une source qui sourd
dans un pré. Cette eau a la réputation de guérir les ulcères ;
il s'en dégage sans cesse beaucoup de bulles ; elle est fade,
sans odeur et ne forme point de précipités. Mais les gaz qui
s'en exhalent sans cesse concourent effectivement à la guéri -
son des ulcères. »
Ainsi les bains de Ganties réunissent-ils aujourd'hui tous
les agréments désirables, joints à l'efficacité des eaux dont
nous allons décrire les effets.
Eaux de Ganties considérées sous le rapport thérapeutique, par-
le docteur Castéra (de Pointis).— Observations sur divers cas
de maladies.— Guérison de la Carie.— Cures d'Ulcères et de
plusieurs Névralgies.— Détails sur ces diverses maladies.—
Efficacité des eaux de Ganties contre les Névroses, les attaques
Hystériques, les Fleurs blanches, les Hémorrhagies utérines,,
etc., etc., etc.
Lorsque les propriétés chimiques d'une eau minérale ont
été déterminées, dit le docteur Castéra, l'analogie a fait con-
naître bientôt les effets curatifs qu'elle doit produire sur les
maladies, et le médecin se trouve avoir à sa disposition une
donnée précieuse dont il se sert dans l'intérêt de l'humanité.
Mais il ne faut pas croire que la connaissance de l'analyse
chimique d'une eau suffise ou soit indispensable au praticien
pour en diriger sagement l'administration,- il est bien plus
important et plus utile encore d'apprécier sa valeur théra-
peutique. Il est des choses, en effet, qui échappent néces-
sairement à l'analyse et qui doivent avoir néanmoins une
grande influence sur les propriétés médicales de cette eau.
C'est donc sur une bonne méthode expérimentale et par des
observations assidues, exactement suivies, tirées des effets
obtenus par les eaux de Ganties, que les médecins en ont
découvert et découvrent, tous les jours, les véritables pro-
NOTICE CUR LES BAINS DE GANT1ES. 527
priétés, bien mieux que par la recherche des principes qu'elles
renferment. Puisque lors même que ces principes se décèlent
et s'offrent à l'investigation des hommes de l'art, ils leur
cachent néanmoins l'action et le pouvoir qu'ils exercent sur
les organes.
Pénétrés de ces vérités, MM. Dencausse etllibet, proprié-
taires des deux établissements, ont fait choix de M. Castéra,
docteur-médecin, plein de zèle, de talent et de dévouaient
qui se rend régulièrement, trois fois par semaine, pendant
la saison des eaux, à l'établissement de Gantiespour diriger
le traitement des maladies, donner des consultations et re-
cueillir des observations qui viennent journellement sanc-
tionner l'efficacité de ces eaux.
Nous désirerions pouvoir mettre sous les yeux du public le
détail du nombre considérable des cures obtenues par l'usage
des eaux de Ganties prises tant à l'intérieur qu'à l'extérieur,
mais nous serions forcés d'entrer dans de trop longs dévelop-
pements. Aussi, nous bornerons nous à citer une ou deux
observations principales de chacune des maladies qui ont été
empruntées à M. Castéra, inspecteur officieux de ces eaux et
qu'il a bien voulu nous communiquer dans la forme suivante:
« Ces observations, dit M. le docteur Castéra, ont pour but
de fournir aux hommes de l'art des données positives sur
l'efficacté des eaux qui font l'objet de cette relation, et d'offrir
aux malades qui nous liront des cas qui pourront avoir une
analogie plus ou moins complète avec leurs affections, et leur
procurer ainsi le moyen de se soulager.
« L'expérience a démontré, depuis long- temps, que les
eaux de Gantiessont infiniment utiles, soit en bains, soit en
boissons, ou prises des deux manières à la fois : contre les
Névralgies, telles que la Coxalgie, la Sciatique et tout ce qu'on
appelle vulgairement maux de nerfs, l'Hystérie et l'Hypo-
condrie. Elles sont encore employées avec succès contre les
affections de la peau que le printemps ramène, ou même
contre celles qui sont devenues permanentes, anciennes, re-
belles et revêtant la forme dartreusej et cela, en secondant
518 NOTICE
leur action à l'intérieur par la boisson de sues d'herbes dépu-
ratives, de laxatifs ou de purgatifs doux.
« L'efficacité de ces eaux a été observée, en outre, contre
les maladies du système locomoteur, le Rhumatisme muscu-
laire, articulaire, la raideur des membres ou défaut de mo-
bilité des articulations. Les eaux de Ganties ont une action
très marquée contre les maladies des voies urinai res occasion-
nées parla dia thèse unique, l'atonie de la vessie, le calharrhe
vesicalj contre la Gravelle, le calcul commençant ; en aug-
mentant la quantité des urines et dissolvant même certains
produits, ces eaux expulsent les éléments qui existent dans
la vessie et préviennent ainsi la formation de la pierre ; contre
les écoulements blancs anciens et rebelles, désignés sous les
noms de fleurs blanches ou blennorrhées. Elles sont d'une
efficacité reconnue contre les hémorrhagies résultant d'un
sang appauvri, peu consistant, mal élaboré, contre les chlo-
roses ou pâles couleurs, la cachexie commençante contre le
défaut ou le retard de la menstruation, dépendante de la-
viscosité des liquides qui circulent dans l'économie, le défaut
de ressort, l'engorgement du système utérin qui n'a point
la susceptibilité nécessaire pour permettre à cette fonction
de s'opérer.
« Dans plusieurs circonstances l'usage de ces eaux ont suffi
contre les douleurs nerveuses de l'estomac et du tube digestif
en général, désignés sous les noms de Crampes, de Gastral-
gies et Entéralgies. Mais c'est surtout contre les plaies que
les eaux de Ganties sont réellement héroïques, elles calment
les douleurs et l'inflammation, empêchent les accidents con-
sécutifs et le travail de la cicatrisation s'opère avec une
grande rapidité ■ elles modifient aussi avec promptitude les
diverses ulcères et les fistules en général, mais particulière-
ment celles entretenues par la carie des os, ces derniers efïèls
sont tellement constatés, si parfaitement établis et si géné-
ralement répandus dans tous les environs, que je n'ai pas
besoin de donner ni deux ni quatre observations, attendu
que je pourrais en fournir par milliers.
SUlt LET BALNS DE GANTIES. 519
« Tels sont les résultats de mes observations et de mon
expérience dans le rapport thérapeutique des eaux de Ganties,
auxquelles des malades de toutes les conditions et pour ainsi
dire de toutes les contrées de la France, viennent chaque
année demander du soulagement ou des guérisons qu'aucun
moyen thérapeutique n'a pu leur donner.
« M. !)..-, de Muret, atteint d'une éruption vesiculeuse
aux membres inférieurs, qui était venue à suite d'une gale
très rebelle, se trouvait dans l'impossibilité presque absolue
de marcher, tant le gonflement et l'irritation de ses jambes
était considérable. Indépendemment des vives douleurs que
cette maladie rebelle lui occasionnait, un suintement conti-
nuel dégageait une odeur désagréable; cet écoulement se
coucretait ensuite pour former de larges croûtes sèches qui
en se détachant laissaient à nu une grande surface très
sensible et très douloureuse.
Il se trouvait dans ce fâcheux état qui commençait à réagir
sur son moral, lorsqu'il vint en 1840, en désespoir de cause,
demander aux eaux de Ganties un secours qu'il n'espérait
plus. L'usage de ces eaux en bains et en lotions plusieurs
fois répétés dans la journée le guérirent radicalement, et tous
les ans, jusqu'en 1848, il s'est rendu à Ganties pour conso-
lider sa guéri son.
« M. N , de Fousseret, atteint aussi d'une maladie
semblable, venue sans causes connues, quoique n'ayant pu
être amendée par aucune espèce de médication, sa marche
progressive avait mis en peu de temps le malade dans l'im-
possibilité de faire le moindre exercice. Indépendamment
des douleurs vives que cette maladie occasionnait, les deux
jambes affectées dégageaient une odeur nauséabonde. En 1 850
M. N. se rendit aux eaux de Ganties et au bout de 18 jour.-;
à l'aide d'application de douches, de lotions souvent répétées
dans la journée, des bains généraux et plus tard d'une com-
pression méthodique, il put marcher librement et se trouva
tellement soulagé, qu'il crut pouvoir remettre sa guérison
radical-- à l'année prochaine.
520 NOTICE
« M. C... de Toulouse était alleelé d'une carie de l'omo-
plate sur laquelle se trouvait un trajet fistuleux qui laissait
suinter depuis dix ans un pus rougeâtre, très fétide. Pour
se débarrasser de cette maladie, il avait eu vainement recours
aux sommités de la science et avait également essayé sans
résultat les bains de Luchon, deBigorreet presque de toutes
les sources das Pyrénées, lorsqu'en 1848, il se rendit à Gan-
ties où quelques bains et des injections par le trajet fistu-
leux le guérirent radicalement. Depuis cette époque, M. C...
se rend annuellement à Ganties, non plus à cause de sa ma-
ladie dont il ne reste plus de traces, mais entraîné par un
sentiment de reconnaissance pour ces eaux qui lui ont donné
la santé.
« M. B.... de Montespan, jeune homme renvoyé du ser-
vice après avoir suvi un traitement fort long à l'hôpital mi-
litaire de Paris pour une carie du métatarse, se rendit à
notre établissement en 1844, c'est-à-dire quelques mois après
son retour dans ses foyers. A peine eut-il pris une quinzaine
de bains généraux et des injections, la supuration se ralentit
presque immédiatement ; le trajet fistuleux se cicatrisa et
la carie disparût comme par enchantement.
« Madame S.... de Toulouse, tourmentée depuis plusieurs
années par des douleurs qui lui causaient une névralgie
dentaire, se rendit à Ganties, en 1845. Après avoir suivi
une infinité de traitements qui n'avaient produit aucun
effet salutaire, à peine eut-elle pris quelques bains que ses
souffrances diminuèrent pour disparaître complètement. Au
bout d'un mois, cependant, le froid de l'hiver ayant réveillé
ses douleurs, elle n'oublia pas le soulagement que lui avaient
procuré les eaux de Ganties, elle revint l'année suivante et
se retira, cette fois, radicalement guérie. Depuis eetteaépoquc
Madame S vient tous les ans faire usage de nos bains.
« Madame C... d'Auzas atteinted'une névralgie faciale qui
s'étendait jusqu'à la moitié du crâne, souffrait cruellement
depuis plusieurs mois; et ses douleurs étaient tellement
fortes et tellement persistantes, malgré tous les remèdes
SUR LES BAINS DE GANTIES. 3âî
qu'elle leur avait opposés qu'elle ne pouvait se procurer un
instant de repos.
« En 1844 elle se rendit à Ganties ; après avoir pris une
trentaine de bains et des applications de douches sur tous
les points douloureux ; elle se retira à peu près guérie • mais
l'année suivante elle vint de bonne heure compléter sa gué-
rison, et depuis, elle se fait un devoir tous les ans de venir
passer quelques jours à notre établissement.
« M. E.... et ses deux demoiselles de Fousseret, atteints
tous les trois à des degrés différents, d'une névrose caracté-
risée par des douleurs qui quelquefois se fixant au cœur,
déterminaient des palpitations ; d'autrefois aux poumons
suffoquaient les malades ; tantôt, c'était l'estomac et les
intestins qui étaientattaqués et immédiatement des crampes
plus ou moins vives, se faisaient sentir dans ces organes ;
d'autrefois, c'était la tête ou tout le système nerveux qui
était envahi; et alors la céphalalgie, des bâillements, des
brisements de membres se faisaient sentir, en même temps
que toutes les autres fonctions de l'organisme se trouvaient
dérangées. Cette famille se rendit, en 1842, à Ganties. Dès
celte même année, elle éprouva un grand soulagement; et
tous les ans, depuis cette époque, elle vient prendre des
bains afin de s'épagner de cruelles souffrances durant la
froide saison; et dans l'espoir de parvenir à une guérison
complète.
« Le sieur S. M.... d'Aspet, affecté d'attaques hystériques
qui venaient le frapper tous les jours, à des époques indé-
terminées, fut obligé de quitter son état de tisserand, tant
cette maladie faisait, en lui, des progrès rapides, tandisque
ses attaques devenaient de plus en plus longues
« En 1848, il se rendit donc à Ganties ; et après y avoir
pris quelques bains ; il se retira complètement guéri. Depuis
cette époque, je puis certifier qu'il n'a pas eu une seule
attaque.
« Mademoiselle D.... de Miramont affectée de la même
maladie, au moyen de l'usage qu'elle fait, tous les ans, des
522 NOTICE
bains de Ganties, sa santé se trouve améliorée et ses atta-
ques ne viennent plus que de loin en loin. Nous pensons
qu'en continuant ainsi quelques années encore, elle se dé-
barrassera de cette affection nerveuse qui n'a pu être modi-
fiée que par les eaux de Ganties.
« Madame A. V. de Toulouse, était affectée de fleurs blan-
ches très abondantes, qui avaient épuisé considérablement
la malade et déterminé un état d'amaigrissement prononcé
qui donnait de sérieuses inquiétudes à toute sa famille. La
susceptibilité nerveuse chez cette dame était devenue telle,
qu'un mouvement brusque, qu'un cri même léger, la chute
d'un corps peu lourd lui occasionnait des attaques de nerfs,
Vainement elle avait eu recours aux ressources de l'art,
aucune médication n'avait pu ni arrêter, ni diminuer
même cet écoulement qui occasionnait de si grands ravages
sur sa constitution. En 1839, elle se rendit à Ganties, et les
bains généraux et les injections vaginales continuées pendant
un mois, supprimèrent le flux vaginal, l'affection nerveuse
qui en était la conséquence disparut et Madame A. Y. se retira
entièrement guérie au grand étonnement des médecins qui
l'avaient soignée.
« Madame E. B. de l'Isle-en- Jourdain, affectée également
de fleurs blanches, suite de couches, était considérablement
épuisée par les pertes abondantes qu'aucun moyen n'avait
pu arrêter. Elle fit usage de nos eaux, en bains et injections
vaginales pendant trent-cinq jours, et au bout de ce temps,
les pertes cessèrent, l'appétit revint, et, avec lui, la santé
dont elle n'avait point joui jusqu'alors. »
Le sieur M. R , de Soueich , fut atteint, en 1846, d'un
rhumatisme général avec des douleurs vives, déchirantes;
ces douleurs , que le malade manifestait à chaque instant
par des cris, augmentaient par la pression et principalement
par les mouvements que nécessitaient les muscles affectés.
Après avoir essayé vainement les moyens indiqués par la
nature et la gravité de cette maladie, le sieur M.... se fit
portera Ganties: il arriva dansunélat vraiment déplorable,
SUR LES BA1INS DE GANTIES. 525
car indépendamment des douleurs aiguës que j'ai mention-
nées et qui se manifestaient le long des membres, la pluspart
des artieulationes étaient tuméfiées. Le lendemain de son
arrivée il fut mis dans une baignoire par quatre personnes
qui lui firent endurer de cruelles souffrances malgré toutes
les précautions qu'elles prirent; au cinquième bain de deux
heures chaque, un petit soulagement se manifesta, et au
douzième, le malade n'eut plus besoin d'aides. Il se retira
après le trentième bain à pied chez lui radicalement guéri.
Le sieur N. M. de Saint-Martory affecté de douleurs rhu-
matismales dans tous les membres et principalement dans
les membres abdominaux, n'avait éprouvé qu'un faible sou-
lagement à la suite d'un long traitement qu'il avait suivi.
Il se fit porter à Ganties, et après y avoir pris vingt bains
il put quitter ses béquilles dont il était forcé de se servir
pour marcher et se retira parfaitement guéri.
Madame F., de Toulouse, affectée depuis plusieurs années
de pertes rougis (hémorrhagies utérines), qui arrivaient à
des époques indéterminées dans l'intervalle des (menstrues,
se trouvait dans un tel degré dépuisement que les médecins
qui lui avaient donné des soins avaient de sérieuses craintes
sur le résultat probable d'une maladie si rebelle. Fatiguée de
tous les remèdes que des médecins très habiles de Toulouse
lui avaient administrés, rebutée d'ailleurs par le long usage
qu'elle avait été obligée d'en faire, M. F. ne sentait plus le
courage ni la force de recourir à de nouveaux moyens, lors-
qu'en 1845 une de ses amies l'engagea d'aller à Ganties, où
elle-même avait trouvé sa guérison pour une affection pa-
reille. A cette époque la maladie avait fait beaucoup de rava-
ges, les lèvres, le reste delà face et même de toute la malade
étaient pâles, les yeux ternes, la vue affaiblie, parfois il
survenait des tintements d'oreilles, des défaillances des syn-
copes et l'affaiblissement général était arrivé presque à son
comble. Au bout d'un mois de traitement, de bains, d'injec-
tions vaginales, de lotions abdominales et des lavements
froids avec les eaux de Ganties, la malade éprouva un grand
524 NOTICE SUR LES BAÏNS DE GANTIES.
soulagement général et eut le bonheur de voir son hemor-
rhagie utérine s'arrêter. Tous les ans depuis cette époque
elle vient rendre hommage aux sources qui lui ont procuré
la santé.
M. R. de Toulouse, était tourmentée de pertes rouges qui
ne discontinuaient que pour être remplacées par un flux
blanc jaunâtre (Fleurs Blanches). Cette maladie qui datait
depuis assez long-temps et qui avait résisté à toute espèce
de médication avait épuisé considérablement la malade. Le
système nerveux était devenu excessivement irritable, à tel
point que la moindre impression la jettait dans un abattement
et dans une prostration de forces qui la rendaient incapable
à se donner le moindre mouvement. L'organe affecté laissait
fluer le sang tantôt d'une manière continue, tantôt sous forme
d'un gros caillot, et quand l'un et l'autre de ces deux modes
d'hémorrhagies cessaient, ils étaient immédiatement suivis
d'une leucorrhée abondante (perte blanche). M.ll. se trouvait
dans cet état lorsqu'en 1845; elle vient demander un soula-
gement aux eaux de Ganties, un séjour d'un mois et demi
dans l'établissement, avec l'usage, pendant ce temps, de
bains, lotions abdominales, injections et une médication
interne appropriée, la guérirent radicalement.
Itinéraire dans les environs. — Le village de Pujos. — Course au
bourg de Pointis-Inard. — Ancienne Charte du pays. — Village
de Montespan. — Source médicinale. — Retour à Ganties.
Non loin de l'établissement des bains de Ganties, dans un
vallon fertile qui arrête et charme les regards du voyageur,
se présente à l'aspect du midi et du levant, en face de la
montagne de Kagire, le village de Pujos, à une élévation
médiocre et sur un plan légèrement incliné. La fertilité du sol,
la fraîcheur des prairies, un grand nombre d'arbres fruitiers,
la crête des coteaux couronnée par des bois de chênes et de
châtaigniers, voila à peu près ce qui distingue cette petite,
mais délicieuse enceinte dont la culture et le site riant con-
trastent avec l'admirable perspective de Kagire.
La grotte de Pujos est renommée par les pèlerinages qu'on
y fait le jour de la fête de Saint-Paul. On y voit arriver de
toutes parts, depuis les vallées espagnoles jusqu'aux extré-
mités de l'arrondissement, une foule compacte qui vient
célébrer par la prière, par des repas et par des jeux les vertus
curatives de l'eau de la grotte et la sainteté du Patron du
lieu. Ce genre de fêtes sont assez communes dans les Pyrénées.
De Pujos on peut se rendre facilement à Aspet, par la route
départementale qui vient de Saint-Girons, et rentrer, le soir,
aux bains de Ganties. Cette première promenade, du côté du
levant de l'établissement, doit être suivie d'une course qu'on
peut faire, le lendemain, du côté opposé, au village de Pointis-
Inard.
C'est à l'embouchure du Ger et dans une presqu'île formée
par cette rivière et la Garonne, aux approches de leur con-
21
328 NOTICE
Huent, que sont situés la commune et le village de Pointis-
Inard, à l'exposition du nord et du couchant. Le fonds riche
et fertile de cette commune produit beaucoup de blé, du maïs
et de pommes de terre. L'auteur de la Topographie médicale
du département fait la description suivante des habitants de
Pointis-Inard. « Les hommes et les femmes y sont faiblement
constitués ; ils ont le teint pale, le regard languissant. Ils
sont d'une petite stature en général Il est peu de femmes
qui n'aient point de goitres et les hommes n'en sont pas à
beaucoup près exempts. Enfin, les fièvres ataxiques etadina-
miques n'y sont pas rares, et les intermittentes y sont fréquen-
tes en automne, rebelles, et se prolongent quelquefois tout
l'hiver. » Nous croyons que la nature du terrain et celle des
habitants s'est amélioré singulièrement depuis 1814, époque
où M. de Saint-André écrivait son ouvrage.
Aujourd'hui le bourg de Pointis-Inard renferme une popu-
lation belle et distinguée sous tous les rapports. Ses habi-
tants se firent remarquer pendant l'époque féodale, par leur
excessif amour de la liberté. Nous trouvons en effet, à la date
de 1495, une charte dans laquelle nous lisons les dispositions
suivantes.
« Chacun habitant de Pointis-Inard sera en franchise et
sûreté en son hostal ou corty (cour)....
« Deux consuls connoystront de toutes causes, tant civiles
que criminelles; lesqueles, l'année finie, en esliront deux
autres, lesquels signeront en présence du seigneur ou de son
procureur, de bien exercer leur estât
« Les Consuls pourront contraindre les particuliers à va-
quer au faict de la chose publique, par prinse et arrestation
de leurs corps et biens.
a Le Seigneur ne peut contraindre aulcun habitant à faire
rien, sy ce n'est de son consentement.
« Le Seigneur ne peut prendre au corps aulcun habitant
sans décret des consuls.
« Le Seigneur ne contremandera aux délibérations et or-
donnances du conseil delà dite ville.
SUR LES BA1KS DE GANTIES. 320
« Qui prendra à force femme puscelle, sera condamné à
avoir le fouet par la ville et en aultre amende à la rigueur
du droit; toutefois s'il la peult marier, la peine du fouet luy
sera remise et aussi est advi«è par les consuls, etc.
« Les habitants auront la jouyssauco des forets vacants et
montaignes, comme en ont jouy de toute ancienneté. »
Ces libertés furent confirmées par Henry II, en 1547. Il
est dit dans cette demande que « les habitants du lieu de
'<■ Pointis au pays du Comminges, remontrent très humble-
« ment à Sa Majesté que ce lieu de Pointis-Inard est fronta-
le lier des Es-pagnes, où il y a un château propre à se défendre,
« depuis surtout que la guerre a été déclarée dans le pays, etc. . .
« et pour ce témoignent à Sa Majesté leur zèle , respect et
« obéissance comme vrais fidèles et véritables sujets. »
De ce bourg, on peut se diriger facilement versMontespau
et revenir, le soir, aux bains deGantïes sans trop se fatiguer.
Si Pointis-Inard est situé dans un bassin, Montespan au
contraire est placé à une assez belle hauteur, parfaitement à
l'abri du nord et à l'exposition du midi, à couvert, enfin, du
côté de l'ouest par une sorte de rempart que lui forment de
petites montagnes calcaires dont la blancheur et les sommets
régulièrement coniques sont remarquables. Des terres bien
cultivées avec quelques prairies, d'assez grands bois qui re-
vêtent les principales pentes, seraient des objets dignes de
quelque attention, si l'on n'avait encore à remarquer sur un
superbe plateau qui domine le village, les ruines de son an-
tique château dont nous avons déjà parlé.
L'eau des deux sources dont on fait usage pour la boisson
à Montespan est mauvaise, et répond très bien à l'idée que
l'on se fait d'une eau qui est à une exposition méridionale.
D'ailleurs elle coule faiblement vers un pré où elle se ra-
masse au pied de la montagne qui fournit une grande quan-
tité de pierre calcaire. Elle est impropre à la coction des
légumes ; elle dissout très mal le savon, elle est fade et dif-
ficile à digérer.
Les habitants de Montespan sont grands et vigoureux, su -
032 NOTICE SUR LES BAINS DE GANTIES.
jets à fort peu de maladies et vieillissent beaucoup Sur une
population de 900 âmes, on comptait en 1814, deux cente-
naires, 8 individus d'environ 90 ans et 10 à 12 octogénaires.
La commune de Montespan possède une source d'eau miné-
rale. Elle est située sur le bord d'un pré, d'où elle coule par
une gouttière large et peu profonde, creusée dans une pierre
et se mêle immédiatement à l'eau d'un ruisseau.
Cette eau est froide , très limpide, sans odeur, et même
sans autre saveur d'abord que celle des eaux fades séléniteu-
ses. Elle ne pèse pas à l'estomac comme les eaux qui ne con-
tiennent que du sulfate ou du carbonate calcaire. Elle lâche
le ventre quand on en boit plusieurs verres. Sa pesanteur
spécifique est considérable, puisqu'elle est supérieure d'un
degré et quelques fractions à celle de l'eau distillée. Plusieurs
bases terreuses, un peu de magnésie et de soude y sont
unies avec l'acide sulfurique , l'acide carbonique, etc. Ces
eaux sont en outre purgatives.
De Montespan, le visiteur peut rejoindre la route de Saint-
Martory à Aspet et rentrer à l'établissement de Ganties.
Il est plusieurs autres courses qu'on peut facilement entre-
prendre et qui ne sont pas sans avoir certains agréments.
Ainsi, une visite à Saint-Gaudens dont le marché a lieu, tous
les jeudi, s'effectue sans difficultés; une autre à Aspet, offre
des variétés aux baigneurs qui cherchent des distractions.
Nous indiquerons les courses qui auraient encore pour but
Saint-Martory , Arbas et les vallées de Kagire. La facilité des
transports, le bon entretient- des routes , la complaisance et
l'affabilité des habitans de Ganties faciliteront aux visiteurs
ces moyens de distractions à peu de frais.
Sous ces divers rapports, les bains de Ganties ne laissent
point que d'avoir aussi leurs agréments qui s'accroîtront tous
les jours, avec l'avenir de prospérité qui se révèle de plus en
plus dans les bonnes intentions de leurs propriétaires.
Fin DE LA NOTICE SUR GANTIES.
TABLE DES MATIÈRES.
l.vrRODUCTIOK. V
PREMIÈRE PARTIE.
FAITS HISTORIQUES»
Chapitre 1er. _ situation géographique et géologique deBagné-
res-de-Luchon. — Populations primitives qui occupaient ces
vallées. — Carumni, Arevacci, Oncbuzalcs. — Mœurs, Lan-
gage et Religion de ces peuplades. 1 1
Chapitre II. — Lieux importants dans le canton des Garum-
ni. — Origine du mot Ludion. — Ses thermes. — Leur im-
portance sous l'époque féodale. — Premiers droits dont jouit
la vallée de Luchon. — Irruption des Sarrasins. — Domina-
tion des comtes de Comminges. 3}
Chapitre III. — Etal politique et administratif de la vailée de
Luchon sous le règne des comtes. — Charte de Bagnères.
— Principales localités qui se distinguent dans cette vallée.
— Castel-Viel, Moustajon, Cier, Antignac, Salles, Castel-
Blancat, Saint-Aventin, etc. — Commencement de la répu-
tation dont jouissent, dans les temps modernes, les bains
de Bagnères. &5
Chapitre IV. — bains de Bagnères-de-Luchon. — Personna-
ges importants qui ont visité ces thermes. — Epoque de
leur nouvelle restauration. — Fondation de la ville et divers
droits dont elle a joui. — Mœurs des habitants de la vallée
do Luchon. 67
Chapitre V. — Époque de la fondation de rÉtablissement
actuel de Bagnères-de-Luchon. — Différents travaux, qui
ont été exécutés successivevement. — Constructions monu-
mentales de M. Chambert. — Eglise de Bagnères exécutée
sur les plans de M. Loupot. — Travaux d'aménagement
do M. François. — Divers autres établissements de Bains.
— Causes principales de la prospérité. 81
Chapitre VI. — Température des eaux de Bagnères-de-Lu-
chon. — Quantité d'eau fournie par les sources. — Analyse
chimique des eaux Thermales par plusieurs savants et
notamment par M. Filhol. — Genres de maladies qu'elles
guérissent. — Nombre de guérisons pendant une période
de cinq années. 95
Chapitre VII. — Vallée de Luchon. — Sa position géologique.
— Flore du bassin de Bagnères. —Ornithologie et histoire
naturelle de cette vallée. Il I
Chapitre VIII. — Itinéraire dans la valléo de Luchon. — Di-
vision en quatre districts des lieux à explorer. 1 27
Chapitre IX. — Promenades de Luchon. — Ses eaux ther-
maies. — Ses différentes propriété. — Conseils aux bai-
gneurs. 151
SECONDE PABTIE.
i rV l — . ■< u
il
FAITS DRAMATIQUES.
Le contrebandier du port de Venasquc, épisode historique, lîi?
Les bains de Bagnères-de-Luchon ,(1612). t G1.)
Les aventures d'une danseuse. tS !
Marguerite, la fille du douanier, ou la vallée d'Àstn. I'J8
La chapelle de Montgarry, nouvelle espagnole. 809
Un pèlerinage à la chapelle de Saint-Aventin, 219
NOTICE SUR fcÉS BAINS DE SIRADAN.
Chapitre Ier. — Situation et origine de Siradan. —Itinéraire
et promenades aux environs des bains. — Saint-Béat et la
vallée d'Aran. — Col-du-Haut ou la chasse aux Bisets.
Saint-Bertrand de Comminges. — Divers détails historiques. 22'J
Chapitre II. — Analyse dos eaux de Siradan, par M. Filhol.
— Source saline (du lac). — Comparaison des eaux de
Sainte-Marie avec celles de Siradan. — Eaux minérales
ferrugineuses. — Eau de la source du chemin. — Analyse
de M. Save, comparée avec celle de M. Filhol. — Différence
des deux analyses. **«
Chapitre III. — Propriétés médicinales des eaux de Siradan.
— Guérison de diverses maladies. — Description du nouvel
établissement. — Avantages qu'on y retrouve. — Fin de
la notice. 233
NOTICE SLR LES BAINS D'ENCAUSSE.
Chapitre Ier. — Situation du lieu d'Encausse. — Pays des
Onebuzales ou Nébouzan. — Sa position géographique.
— Historique de ce pays, -r Ancienne réputation des eaux
de ces contrées. — Saint-Gaudens, Aspet, Izaut, Malvesie,
etc. — Opinion des auteurs anciens sur cette contrée. 257
Chapitre II. — Faits particuliers concernant Encaussc. — Son
existence féodale. — Château des Seigneurs du pays. — Dé-
couverte de ses eaux. — Écrivains qui en ont parlé. — Ori-
gine de la réputation des eaux d'Encausse. — Premiers
établissements. — Analyse des eaux par M. Filhol. — Leurs
vertus Thérapeutiques. — État actuel de l'établissement
des bains. — Divers embellissements opérés tout récem-
ment. — Avenir des bains d'Encausse. 269
Chapitre III. — Courses ou promenades aux environs. — Iti-
néraire de la première journée. — Souech, Aspet, Milhas.
— Le Nostradamus des Pyrénées. — Kagire, le Pâtre de
Kagire. — Seconde journée: Sauveterre, Barbazàn, Made-
moiselle de Barbazàn. — Fin de la notice. 28<<)
NOTICE SUR LES BAINS DE GANTIES.
Chapitre 1er. — Situation des bains de Ganties. — Ancienne
réputation de ces eaux. — Premières améliorations faites
à ces bains. — Historique des lieux circonvoisins. — Poin-
tis, Montespan, Bonncfond, Saint-Martory, Montsaunés,
Arbas, Estadens et Pujos. — Établissement, hôtel et loge-
ments. — Saison des bains et agréments divers. 303
Chapitre H. — Eaux de Ganties considérées sous le rapport
thérapeutique, par le docteur Castéra (de Pointis). — Ob-
servations sur divers cas de maladies. — Guérison de la
Carie, — Cures d'Ulcères et de plusieurs Névralgies. — Dé-
tails sur ces diverses maladies. — Efficacité des eaux de
Ganties contre les Névroses, les attaques Hystériques, les
Fleurs blanches, les Hémorrhagies utérines, etc., etc., etc. 317
Chapitre III. — Itinéraire dans les environs. — Le village de
Pujos. — Course au bourg de Poinlis-Inard. — Ancienne
Charte du pays. — Village de Montespan. — Source médi-
cinale. — Retour à Ganties. 325
Fl> DE LA TABLE..
Saini-Gaudens, imprimerie de .I.-M. Tajan.
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
DC Castillon, H
801 Histoire spéciale et
B12C3 pittoresque de Bagnères-de-
1851 Luchon