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Full text of "Histoire speciale et pittoresque de Bagnères-de-Luchon, et des vallées environnantes; avec un itinéraire à l'usage des bagneurs. Suivi de notices sur les établissements des bains de Siradan, d'Encausse et de Ganties"

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I 


.1 


1 


HISTOIRE 


SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 


M  BAOERES-DE-LIJCHON. 


HISTOIRE 

SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

ET  DES  VALLÉES  ENVIRONNANTES, 

AVEC  UN  ITINÉRAIRE  A  L'USAGE  DES  BAIGNEUNS. 


mmm% 


^*^> 


SIM  LES  ETABLISSEMENTS  DES  BAINS 
DE  SIRADAN,  D'ENCAUSSE  ET  DE  GANTIES. 


H.  CASTIS.S.OM  (daspkt), 
Auteur  de  plusieurs  ouvrages  historiques  sur  les  Pyrénées. 


SE  VEND  : 


TOULOUSE, 
Gimet,  lib..  lue  des  Balances, 


SAINT-GAUDENN. 
J.-M.  Tajan,  imprimeur-libi 


1 85  i 


OUVRAGES  DU  MÊME  AUTEUR 


Histoire  des  Populations  Pyrénéennes,  du  Nébouzan  ei  du  pays 
du  Comminges,  1  gros  vol.  in-8. 

Histoire  d'Ax  et  de  la  vallée  d'Andorre,  avec  des  détails  sur 
les  établissements  des  bains  d'Ussat  et  d'Audinac;  1  vol.  in-t>. 

Deux  ans  d'exil,  ou  relation  des  événements  survenus  en  Italie 
depuis  le  départ  jusqu'à  la  rentrée  de  Pie  IX,  1  vol.  in-8. 

Dk  la  réforme  et  bu  système  pénitentiaire,  un  vol.  in-8. 

Comparaison  de  la  Littérature  Latine  et  de  la  Littérature  Française, 
ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  sciences  de  Toulouse  , 
brochure  de  300  pages  d'impression. 

L'Impôt  sur  le  Sel;  brochure  in-8. 

Clémence  Isaure,  roman  historique  ;  1  fort  vol. 

Histoire  spéciale  de  là  Vallée  et  République  d'Andorre  ; 
I  vol.  in-8. 

Notices   sur  les  Bains  de  Siradan,  d'Encausse   fet  d*  Ganties 
brochures  in-8. 


SOUS-PRESSE  : 

Histoire  Générale  du  pays  et  du  Comte  de  l'ois,  2  vol.  in-S. 

Histoire  de  l'Albigeois  et  du  pays  Castrais,  avec  chartes,  titres. 
documents  divers,  elc,  l  gros  vol.  in-  i  de  600  page». 


A  Monsieur  Ch.  TRON,  maire  de  Ihnjnèrts-de- 
l.uchon,  Membre  du  Conseil-Général  et  Représenl'ivi 
de  la  Haute-Garonne  à  l'Assemblée  législative. 


Monsieur. 


Permettez  que  cette  3°  édition  de  ['Histoire  de  Bagnères- 
de-Luchon,  paraisse  sous  vos  auspices. 

A.  qui  pourrai-je  mieux  la  dédier  qu'à  celui  qui,  comme 
premier  Magistrat  de  la  cité,  a  tout  fait  pour  la  prospérité 
de  sa  ville  natale  ;  qui  a  contribué  de  tous  ses  efforts  et 
avec  la  persévérance  la  plus  énergique,  à  la  fondation  d'un 
établissement  thermal  digne  de  la  réputation  et  de  la  valeur 
des  eaux  de  Luchon  ;  et  qui,  soit  aux  sessions  du  Conseil- 
général,  soit  au  sein  de  l'Assemblée  législative,  a  su  défendre, 
dans  toutes  les  circonstances,  les  intérêts  du  département  et 
ceux  du  pays,  avec  un  dévouement  sans  bornes. 

Si  j'ai  un  regret  à  exprimer,  Monsieur,  en  ce  moment, 
c'est  que  l'ouvrage  que  j'ai  l'honneur  de  vous  offrir,  ne  soit 
qu'un  faible  souvenir  et  une  expression  bien  passagère  des 


sentiments  de  reconnaissance  que  vos  concitoyens  conserve- 
ront long-temps  dans  leur  cœur.  Il  me  suffira,  au  reste,  de 
les  consigner  au  frontispice  de  mon  livre  pour  avoir  mérité 
leur  approbation.  A  ce  titre,  et  par  réciprocité,  la  recon- 
naissance que  vous  ont  vouée  vos  compatriotes,  fera  excuser, 
je  l'espère,  la  faiblesse  de  l'ouvrage,  en  faveur  de  l'intention 
généreuse  de  l'auteur. 


Agréez,  Monsieur,  l'expression  de  mes  sentiments 
respectueux,  avec  lesquels, 


j'ai  l'honneur  d'être 


VOTRE  DEVOI  E  SERVITEUR  , 


H    CASTILLON  (d'aspeï). 


Toulouse,  le  10  mai  1851. 


De  toutes  les  vallées  qui  s'ouvrent ,  dans  tous  les 
sens ,  au  centre  des  Pyrénées,  du  côté  de  notre 
versant,  il  n'en  est  aucune  qui  résume  en  elle  un 
plus  grand  intérêt  historique  et  pittoresque  à  la 
fois  que  celle  qui  porte  le  nom  de  Bagnères-de- 
Luchon.  Depuis  les  sources  mystérieuses  de  la 
Pique,  aux  pieds  du  port  de  Yenasque,  jusqu'aux 
premières  lignes  du  bassin  de  Cierp,  c'est-à-dire 
dans  une  longueur  d'environ  vingt-cinq  kilomètres 
(cinq  lieues),  la  vallée  de  Ludion  renferme  tout 
ce  que  la  nature  a  pu  réunir  de  plus  original,  de 
plus  grandiose  et  de  plus  étrange  en  même  temps  : 
montagnes  bizarrement  escarpées,  lacs  immenses, 
sites  pittoresques,  cascades  nombreuses,  végétation 


rj  INTRODUCTION. 

riche  et  féconde,  rochers  sauvages,  enfin  ,  mille 
accidents  deterrein  capricieusement  dessinés  com- 
posent un  vaste  panorama  qui  se  déroule  insensi- 
blement aux  regards  étonnés  du  voyageur  qui 
traverse  cette  magnifique  valiée.  Tout  est  riant, 
varié  et  sublime  dans  ce  coin  isolé  et  caché  de  nos 
montagnes,  sur  lequel  la  Providence  semble  avoir 
voulu  épuiser ,  exprès ,  toutes  ses  faveurs  comme 
pour  en  imposer  à  l'orgueil  et  à  l'incrédulité  des 
siècles. 

Mais,  si,  de  rénumération  des  faits  matériels 
qui  composent  ce  que  nous  appelons  la  nature 
inerte,  nous  passons  à  l'appréciation  des  faits 
moraux  qui  constituent  la  vie  intelligente  qui  a 
animé  cette  vallée,  aux  différentes  époques  histo- 
riques, quel  plus  vaste  sujet  ne  s'offrira -t- il  point 
à  notre  curieuse  admiration?  Là,  des  populations 
primitives  se  sont  agitées  à  une  époque  bien  anté- 
rieure à  la  formation  des  gouvernements  modernes  ; 
là,  des  peuples  libres  et  fiers  ont  vécu  en  dehors  de 
toute  influence  étrangère,  et  se  sont  administrés 
par  eux-mêmes  sous  l'action  des  chefs  de  leurs 
tribus  ;  là,  une  religion  topique,  un  idiome  distinct, 
des  mœurs  particulières,  ont  caractérisé  ces  peu- 
plades par  des  traits  uniformes  qui  ont  servi  à  les 
isoler  de  celles  qui  les  avoisinaient.  Aussi,  mœurs, 
langage,  croyances,  tels  sont  les  premiers  faits 
humanitaires  que  nous  distinguerons  dans  l'cxis- 


INTRODUCTION.  vij 

tenee  historique  des  habitants  qui  ont  occupé  pri- 
mitivement  la  vallée  de  Luchon. 

Au  reste,  afin  de  mettre  un  ordre  simple  et 
méthodique  dans  notre  récit,  nous  diviserons  tout 
ce  que  nous  avons  à  dire  sur  cette  contrée  en  deux 
grandes  parties:  la  première  renfermera  ce  quia 
rapport  à  son  histoire  considérée  soit  dans  les  faits 
moraux,  législatifs  ou  sociaux;  soit  dans  les  faits 
qui  touchent  à  la  science  géologique  spécialement 
et  aux  sciences  naturelles  en  général,  telles  que 
la  botanique,  l'ornithologie,  etc.  :  ainsi  l'homme, 
les  animaux,  les  plantes  et  le  sol  lui-même  feront 
d'abord  la  principale  matière  de  nos  études  histo- 
riques sur  Ludion.  Cette  partie  est  purement 
historique.  La  seconde  partie,  que  nous  appellerons 
dramatique,  se  composera  de  plusieurs  récits  coor- 
donnés sous  la  forme  d'action,  et  qui  serviront  à 
expliquer  les  mœurs  de  ces  localités,  en  leur  don- 
nant des  personnages  pour  les  représenter.  Cette 
espèce  de  mise  en  scène  offrira  cet  avantage  au 
lecteur  qui  pourra  d'autant  plus  facilement  s'i- 
dentifier avec  les  beautés  physiques  du  pays  et 
avec  le  caractère  de  ses  habitants  qu'il  les  verra 
lui-même  dans  toutes  les  conditions  de  leur  nature. 
C'est  en  dramatisant  les  passions,  en  leur  donnant 
des  acteurs  et  une  scène,  qu'on  peut  parvenir  à 
les  rendre  plus  saisissants  dans  l'esprit  de  ceux 
qui  veulent  les  étudier. 


Viij  INTRODUCTION. 

Ainsi,  emprunter  à  l'histoire  ses  récits,  mettre 
le  cœur  humain  en  action  avec  la  couleur  locale 
et  les  personnages  qui  peuvent  avoir  rapport  au 
sujet,  tels  sont  les  deux  moyens  employés  pour 
écrire  l'histoire,  et  que  nous  allons  appliquer  à 
notre  étude  sur  la  vallée  de  Bagnères-de-Luchon. 
Instruire  et  plaire,  être  utile  et  agréable  à  la  fois, 
tel  est  le  double  but  que  nous  nous  proposons 
d'atteindre  ! 

Afin  de  rendre  encore  notre  ouvrage  plus  com- 
plet et  plus  utile,  nous  avons  réuni,  dans  cette 
troisième  édition,  tous  les  travaux  qui  ont  été 
entrepris,  depuis  quelques  années,  à  Bagnères- 
de-Luchon.  Aux  recherches  de  M.  François,  ingé- 
nieur en  chef  des  mines,  aux  observations  chimiques 
du  savant  M.  Filfaol;  aux  constructions  architec- 
turales de  M.  Chambert  qui  fait  de  cet  établissement 
thermal  le  plus  remarquable  et  le  plus  beau  de 
tous  ceux  qui  existent  dans  les  Pyrénées,  nous 
avons  voulu  joindre  la  connaissance  des  autres 
travaux  accomplis  soit  par  M.  Loupot,  l'architecte 
habile  à  qui  on  a  confié  la  reconstruction  de  l'église 
de  Luchon;  soit  par  Romain  Gazes  auquel  les  peintu- 
res murales  exécutées  à  la  petite  église  de  Saint- 
Mamet  ont  acquis  une  réputation  justement  méritée. 
Cette  édition,  en  un  mot,  forme  l'histoire  la  plus 
complète  et  la  plus  détaillée  de  l'établissement 
thermal   de   Bagnères-de-Luchon   et   des   vallées 


INTRODUCTION.  JX 

environnantes,  depuis  les  temps  les  plus  reculés 
jusqu'à  nos  jours.  Sous  le  rapport  des  détails,  elle 
ne  laisse  rien  à  désirer.  Nous  pensons  que  nos 
lecteurs  seront  aussi  de  cet  avis. 


HISTOIRE 


SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 


wê  mmàmm^mmm 


PREMIÈRE  PARTIE 


RENFERMANT   LES   FAITS    PUREMENT  HISTORIQUES  CONCERNANT 
LA  VALLÉE  DE  LUCHON. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Situation  géographique  et  géologique  de  Bagnères-de-Luchon.  — 
Populations  primitives  qui  occupaient  ces  vallées.  —  Garumni, 
Arevaci  Onebuzales.  —  Mœurs,  Langage  et  Religion  de  ces 
peuplades. 

La  vallée  de  Bagnéres-de-Luchon,  placée  au  centre 
de  toutes  les  Pyrénées,  et  sans  contredit  la  plus  belle 
de  toutes  celles  qui  s'ouvrent  dans  ces  montagnes,  est 
située  environ  entre  le  1°  13'  de  longitude  et  le  42o  52' 
sud.  —  Elle  est  élevée  au-dessus  du  niveau  de  la  mer 
à  314  toises  (611  mètres  986  millimètres),  selon 
les  calculs  les  plus  exacts  du  savant  Charpentier.  Sa 
forme,  depuis  le  petit  village  de  Gierp,  qui  est  le  point 


12  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

le  moins  avancé  dans  les  montagnes  et  qui  lui  sert  de 
premières  limites,  jusqu'au  pied  de  Vllospice,  qui  est 
son  point  le  plus  extrême,  ressemble  assez  à  la  forme 
d'un  C  très  ovale.  Aussi,  à  partir  de Cierp  jusqu'à  l'Hos- 
pice, sa  longueur  est  d'environ  cinq  lieues  (25  kilomè- 
tres). Il  n'existe  aucune  vallée  parmi  les  vingt-neuf  qui 
appartiennent  à  la  France  qui  ait  celte  longueur  '.  Sa 
largeur  varie  considérablement  dans  toute  son  étendue. 
Étranglée  d'abord  à  son  origine,  c'est-à-dire  au-dessus 
du  viliage  de  Cierp,  elle  s'élargit  insensiblement,  puis 
elle  se  resserre  et  s'élargit  ensuite,  en  dessinant  une 
série  de  bassins  plus  ou  moins  grands  qui  forment 
comme  autant  d'anneaux  naturels  dont  se  compose 
celte  ligne  de  vingt-cinq  kilomètres  de  longueur. 

Si,  dans  cet  espace  tortueux  qui  serpente  du  nord  au 
midi,  et  qu'on  nomme  vallée  de  Luchon,  nous  cher- 
chons à  asseoir  des  observations  géologiques,  nous 
trouvons  à  constater  les  faits  suivants.  Ainsi  que  toutes 
les  vallées  les  plus  importantes  de  la  chaîne  des  Pyré- 
nées, celle  de  Luchon  est  transversale;  comme  ces  val- 
lées, elle  prend  naissance  à  l'extrémité  d'un  col  ou  port, 
celui  de  Venasque,  et  va  se  perdre,  comme  elles^  dans 
un  vallon  qui   sert  de   base  aux  montagues,  celui  de 

1  Noms  des  vingt-neuf  vallées  qui  appartiennent  à  la  France  : 
Vallées  de  la  Tel,  du  Tech,  de  l'Aude,  de  l'Ariège,  de  Vic-dessos, 
d'Ern,  d'Ustou,  de  Salât,  de  Castillon,  d'Aspet  ou  Ger,  de  la  Ga- 
ronne, de  Ludion,  d'Aure,  de  Larboust,  de  Louron,  de  Campan,. 
d'Hcas,  de  Lavedan,  de  Cauterets,  d'Aspe,  de  Bidassoa,  d'Ossun, 
d'Azun,  de  Bareton,  de  Soûle,  de  Size,  de  Louzaide,  de  Baigorri, 
de  Baslan. 


DE    BAGNÈBES-DE-LUCHON.  10 

Cierp.  Les  bassins  dont  se  compose  la  vallée  de  Luchon, 
dans  toute  sa  longueur,  sont  superposés  graduellement 
l'un  sur  l'autre  en  forme  d'assises  ou  échelons;  chaque 
bassin  supérieur  communique  avec  le  bassin  inférieur 
par  un  étranglement  ou  barrage  de  rochers  brisés  en 
forme  d'écluses;  ce  qui  établit  comme  un  fait  positif 
que  primitivement  les  eaux  ont  séjourné  long-temps 
daus  cette  vallée,  et  que,  rompant  enfin  les  digues  de 
rochers  que  la  nature  leur  opposait,  elles  se  sont  ou- 
vert un  passage  forcé.  Ces  bassins  ont  été  livrés  alors  a 
la  culture  des  hommes,  les  eaux  en  se  retirant  ayant 
fait  place  à  un  sol  labourable. 

Parmi  les  bassins  ou  anneaux  naturels  dont  se  forme 
la  chaîne  que  trace  la  vallée  de  Luchon  nous  ne  distin- 
guerons que  celui  qui  est  le  plus  élevé,  c'est-à-dire 
celui  qui  s'arrondit  autour  de  la  ville  de  Bagnères.  ïl 
est  le  plus  étendu,  le  plus  vaste,  de  tous  ceux  des  Pyré- 
nées; il  le  dispute  aux  bassins  d'Argelez  et  de  Bedon, 
les  plus  renommés  dans  les  vallées  de  Lavedan  et 
d'Àspe.  11  se  compose  d'un  terrain  plat  dont  la  fertilité 
pourrait  servir  au  besoin  de  proverbe  pour  désigner  un 
sol  très  productif.  Ces  bassins  sont  traversés  par  des 
rivières  et  par  de  nombreux  ruisseaux  qui  descendent 
dans  la  vallée  soit  mystérieusement  et  sans  bruit,  soit 
en  cascades.  Notre  but  n'est  pas  de  les  énumérer  tous 
dans  ce  chapitre;  nous  les  désignerons  dans  le  cours  de 
cet  ouvrage. 

Les  principales  rivières  qui  traversent  la  vallée  de 
Luchon  sont  l^One  et  la  Pique.  La  première  est  formée 
par  la  réunion  des  rivières  d'Oo  et  cPOueilj   qui  font 


!  4  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

jonction  au-dessous  de  Saint-Aventin.  La  seconde  prend 
sa  source  dans  les  gorges  qui  conduisent  au  Port  de 
Venasque.  L'One  et  la  Pique  se  joignent  à  un  quart  de 
lieu  environ  (1  kilomètre)  au  dessous  de  Luchon.  La 
rivière  ne  prend  alors  que  le  nom  de  la  Pique  jusqu'à 
sa  jonction  à  la  Garonne,  au-dessous  de  Cierp  et  de 
Saint-Béat. 

Tel  est,  sous  le  point  de  vue  géographique  et  géolo- 
gique, l'aspect  général  sous  lequel  s'offre  d'abord, 
dans  sa  construction  physique,  ce  que  nous  appelons 
la  vallée  de  Luchon.  Mais,  si  nous  l'étudions  sous  le 
point  de  vue  humanitaire  et  dans  ses  rapports  histori- 
ques, combien  cet  étroit  espace,  orné  de  tout  ce  que 
la  nature  semble  avoir  prodigué  de  grand,  de  beau  et 
de  riche  pour  le  revêtir  de  cette  forme  géologique,  ne 
nous  paraitra-t-il  point  encore  plus  étonnant? 

En  effet,  si,  pour  nous  expliquer  le  rôle  qu'à  joué 
la  vallée  de  Luchon  dans  les  temps  anciens,  nous  vou- 
lons étendre  nos  études  jusqu'à  caractériser  les  popu- 
lations qui  Pavoisinaient,  que  trouvons-nou .;?  D'un 
côté  nous  voyons  les  Ibères  qui,  plusieurs  siècles 
avant  notre  ère,  sont  venus  peupler  l'intérieur  de  ces 
montagnes1;  de  l'autre  ce  sont  les  Celtes  qui,  faisant 
fusion  avec  les  Ibères  au  centre  de  la  Péninsule,  ré- 
sistèrent long-temps  aux  armes  des  envahisseurs  de  la 
Grèce  et  de  Rome,  jusqu'à  ce  que,  forcés  à  céder  au 
nombre  et  à  la  ruse,  ils   quittèrent  leur   patrie  pour 

1  Voir  notre  Histoire  des  Population*  pyrénéennes,  du  Ixébouzan 
et  du  Pays  de  Commingcs,  tome  I,  partie  I,  chapitre  I,  page  1 3. 


DE    BACiNÈHES-lUî-UT.IIO.N.  1 -') 

venir  conserver  au  centre  des  Pyrénées  leur  liberté  et 
leur  indépendance.  De  ce  nombre  furent  les  Vêtions^ 
les  Arevacci  et  les  Celtibériens3  qui,  joints  aux  Ga- 
rinnniet  à  d'autres  tribus  Hispaniques  venues  du  versant 
méridional  des  Pyrénées,  s'établirent  dans  l'enceinte 
géographique  qui  porta  plus  tard,  sous  la  domination 
romaine,  le  nom  de  Convcnœ  l. 

Mais,  avant  d'établir  quel  était  le  rang  qu'occupaient 
parmi  ces  peuplades,  pendant  la  période  ancienne  ,  les 
habitants  des  vallées  de  Luchon,  disons  d'abord  ce  que 
c'étaient  que  les  Convenez  eux-mêmes,  en  combien  de 
tribus  ils  se  divisaient,  et  quelle  enceinte  géographique 
ils  occupaient  au  milieu  de  ces  montagnes. 

D'après  les  témoignages  historiques  les  plus  authen- 
tiques, il  faut  reconnaître  qu'au  centre  des  Pyrénées, 
entre  les  Celtes  et  les  Ibères,  il  a  existé,  depuis  les  temps 
les  plus  anciens,  des  populations  qui  ont  dû  participer 
du  caractère  de  ces  deux  grandes  familles  voisines 
avec  lesquelles  devaient  se  continuer  indubitablement 
leurs  relations  nombreuses  ;  car  les  écrivains  qui  ont 
cherché  à  établir  leurs  ressemblances,  ont  trouvé 
qu'elles  portaient,  empreintes  dans  leurlangage  comme 
dans  uleurs  mœurs  et  leur  religion,  les  traces"des  in- 
fluences ibériennes  et  celtiques  très-prononcées.  On 
doit  donc  en  conclure  qu'elles  ont  participé  de  cette 
double  nature  2. 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  I,  p.  2i. 

2  Hist.  des  Popul.  pyr.,  etc:,  t   1,  inlrod.,  p.  8. 


I(>  HISTOIRE    SPÉCIALE    FT    PITTORESQUE 

Or,  les  principales  de  ces  populations  ou  tribus, 
qu'on  doit  appeler  interna  -pyrénéennes >}  et  qui,  im- 
plantées dans  le  pays  des  Convènes,  sortent  primitive- 
ment des  deux  grandes  races  hispaniques  et  gauloises, 
sont  les  Convenœ,  les  Averaeci  et  les  Garumnij  au- 
tour desquelles  se  groupèrent  différentes  autres  tribus 
indépendantes,  entr'autres  les  Onebuzates. 

Les  Convenœ  occupent  sans  contredit  un  rang  si- 
gnalé parmi  les' tribus  mterno-pyrénéennes  :  Car  ces 
ConvenŒj  dont  le  nom  désigne  une  origine  latine, 
n'étaient  d'abord,  avant  l'invasion  romaine,  que  des 
peuplades  de  brigands  dispersés  dans  l'intérieur  des 
Pyrénées,  ou  plutôt  que  des  tribus  indépendantes  qui 
fuyaient  le  despotisme  brutal  des  envahisseurs  de  l'Es- 
pagne '.  C'est  en  effet  une  chose  étrange  que  la  fa- 
cilité avec  laquelle  on  a  prodigué  le  mot  de  brigand , 
dans  les  temps  anciens  et  modernes,  pour  désigner  des 
populations  fières  de  leur  liberté  et  qui  ne  voulaient 
point  courber  leur  front  sous  le  joug  des  conquérants 
et  des  envahisseurs.  Ainsi,  selon  certains  auteurs  ex- 
clusifs, les  montagnes  des  Asturies  comme  celles  de 
l'Ecosse  n'auraient  renfermé  que  des  scélérats  qui,  sous 
la  conduite  des  Viriatus  et  des  Wallace,  éloignaient 
de  leur  patrie,  les  armes  à  la  main,  un  esclavage  qu'ils 
auraient  dû,  sans  doute,  selon  eux,  accepter  par  sou- 
mission. On  sent  maintenant  qu'on  ne  pouvait  être  plus 
injuste  envers   des  hommes  qui  n'étaient   autre  chose 

1  S.  Hier  on.  adv.  Vigil.,  I.  IV,  lib.  H.  —  Histoire  des  Popula- 
tions pyrénéennes,  etc.,  1. 1.  p.  28. 


DE    BAGNÈRE-DE-LUCHON.  17 

tjiic  les  courageux  défenseurs  de  leurs  droits  naturels. 
Selon  saint  lîiéronime,  auquel  on  ne  peut  faire  un 
crime  d'avoir  ignoré  le  véritable  nom  des  martyrs  de 
la  liberté  lusitanienne,  qu'il  n'avait  peut-être  pas  bien 
étudié  dans  ses  causes,  les  tribus  indépendantes  de 
l'Ibérie  qui  furent  connues  sous  le  nom  de  Convenez 
auraient  été  formées  des  \'ettons,  des  CeUibèrcs  et  des 
Arevâcci.  Mais  si  les  Convenœ  furent  primitivement 
des  brigands  répandus  dans  les  Pyrénées,  si  c'est  d'eux 
que  M.  de  Valois  prétend  qu'il  faut  entendre  ces  mots 
du  livre  De  bello  civili:  «  Fugitivis  ab  sallu  Pyre- 
nœo  prœdonibus  ;  »  certainement  ils  n'y  furent  point 
appelés  par  un  instinct  de  pillage.  Rien  n'autorise,  au 
reste,  à  faire  une  supposition  aussi  étrange.  Ce  nom, 
qui  dans  son  étymoiogie  latine,  co?wenire}  signifie  se 
réunir ,  se  liguer _,  prouverait  seulement  que  les  Con- 
vènes  doivent  être  considérés  plutôt  comme  désignant 
une  confédération,  que  comme  un  nom  d'un  peuple 
particulier  *.  Cette  confédération  se  composait  de  plu- 
sieurs tribus  interno-pyrénéennes.  Et  d'abord  parmi 
la  grande  peuplade  des  Convenœ  se  trouvait  la  tribu 
des  Arevâcci.  Cette  dernière  qui  diffère  peu  des  Vaccœi 
avait  une  origine  celtibérienue  et  faisait  partie  de  la 
ligue  des  Convènes.  Ainsi  les  Arevâcci  ne  seraient 
autres  que  les  Vaccœi ,  sauf  la  seule  ditférence  de  leur 
situation  topique  dans  la  Péninsule,  marquée  parla 
préposition   are.  Les  Àrevacces  seuls  se   sont   main- 

1  Histoire  des  Populatons  pyrénéennes,  du  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  I,  p.  25. 


18  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

tenus  de  nos  jours  encore,  dans  les  contrées  des  Con- 
vènes,  sous  leur  véritable  dénomination.  C'est  la  petite 
contrée  (TArbas  qui  a  conservé  leur  souvenir  .  Outre 
la  similitude  des  deux  noms,  qui  est  incontestable,  plu- 
sieurs motifs,  pris  dans  la  nature  et  dans  la  situation 
des  lieux,  dans  les  mœurs  et  les  habitudes  des  peuples 
du  pays  A'ÀrbaSj  nous  portent  à  formuler  cette  opi- 
nion ;  des  découvertes  récentes,  une  étude  spéciale  des 
localités,  nous  déterminent  encore  à  donner  au  pays 
qu'occupaient  les  A revacci,  dans  la  circonscription  or- 
dinaire de  la  contrée  û'Arbas,  tout  l'espace  qui,  sur 
la  rive  droite  de  la  Garonne,  n'est  borné  que  par  les 
cantons  de  Saint-Béat  et  de  Salies,  c'est-à-dire  le  canton 
d'Aspet.  Quelque  chose  d'original  et  d'étrange  revit,  en 
effet,  dans  cette  contrée  si  singulière  à  tant  de  titres. 
Le  langage  ibérien,  les  traditions  les  plus  antiques, 
les  croyances  les  plus  extraordinaires,  un  type  parti- 
culier dans  la  physionomie  et  dans  le  caractère  des 
habitants,  témoignent  jusqu'à  l'évidence  de  la  distinc- 
tion exceptionnelle  dans  laquelle  nous  classons  cette 
portion  du  pays  des  Convènes. 

L'origine  des  Garumni  est  plus  facile  à  caractériser 
encore  que  celle  des  Arevacci;  leur  dénomination  mê- 
me indique  un  nom  graphique  qui  aurait  été  donné  par 
les  Romains  aux  peuplades  qui  habitaient  les  bords  de 
la  Garonne.  Or,  si  l'on  s  arrête  à  l'étymologie  même 
du  mot  Garonne,  qui  varie  entre  Garumna,  Garima, 

1  Mon.  Rel.—  Not.  sur  l'Hist.  de  l.iny.—  Hist.  dos  POpul. 
pyr.'  etc  ,  t. 1,  p.  ô5. 


DE    BÀGNÈRES-DE'-LUCHON.  19 

Garunna  dans  César,  Strabon  et  Pline,  il  est  évident 
que  l'origine  de  ce  peuple  est  entièrement  celtique. 
Les  Galls,  faisant  usage  fréquemment,  comme  on  sait, 
des  divisions  physiques  du  sol  pour  déterminer  les  bor- 
nes de  leurs  lignes,  se  servaient  des  mots  et  des  termi- 
naisons umij  penrij  dann,  çjar,  dans  les  désignations 
des  lieux  qu'ils  habitaient  '  :  aussi  l'emploi  de  ces 
mots  est  très-fréquent  dans  les  Pyrénées  et  à  l'endroit 
même  occupé  par  les  Garumni  :  d'ailleurs  cette  déno- 
mination des  peuples  par  le  lieu  qu'ils  occupent  paraît 
être  assez  par  elle-même  antérieure  à  toute  époque 
historique  classée  par  les  gouvernements.  On  est  con- 
venu au  reste  de  cela  ;  mais  ce  qui  devenait  plus  difficile, 
c'était  d'assigner  d'une  manière  positive  le  lieu  qu'oc- 
cupaient ces  peuplades.,  malgré  leur  désignation  en 
apparence  assez  déterminée,  surlesbordsdela  Garonne. 

Parmi  les  opinions  incertaines  de  plusieurs  géographes 
ou  historiens  qui  leur  donnaient  plus  ou  moins  d'éten- 
due, celle  qui  place  ces  peuples  sur  la  rive  gauche  de 
ce  fleuve  depuis  sa  source  jusqu'au  dessus  du  petit  pays 
de  Rivière,  paraît  la  plus  naturelle. 

Les  Garumni  seraient  donc  au  pied  des  Pyrénées 
une  tribu  celtique  assez  étendue  qui,  avant  l'invasion 
romaine,  aurait  occupé  le  pays  enclavé  entre  les  mon- 
tagnes et  la  rive  gauche  de  la  Garonne  jusqu'à  une  dis- 
tance assez  éloignée  de  Lugditnum^  capitale  des  Con- 
vènes,  aujourd'hui  Saint-Bertrand  de  Comminges, 

1  Thierry,  Introd.  à  l'Hist.  dos  Gaules.-  Histoire  des  Popula- 
tions pyrénéennes,  etc.,  t.  I,  p.  57. 


20  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Après  les  Garumni  mous  devons  désigner  les  Ono 
basâtes  ou  Onebrizates  de  Pline  comme  appartenant 
aussi  à  la  grande  confédération  des  Convenu'  ;  quoique 
<:es  tribus  n'aient  pas  joué  un  grand  rôle  historique 
dans  les  temps  anciens,  elles  ne  méritent  pas  moins 
une  distinction  signalée,  soit  parce  qu'elles  ont  eu  une 
langue  et  une  mylholohie  pyrénéennes  bien  prononcées. 
Le  pays  qu'occupaient  les  Onebuzatcs  s'étend  sur  tout 
l'espace  compris  entre  Lannemezan  et  Martres,  l'ancien- 
ne Calagorris.  Voici  au  reste  l'enceinte  géographique 
qu'occupaient  les  Arevacci,  les  Garumni  et  les  One- 
buzateSj  c'est-à-dire  les  populations  convéniennes,  cha- 
cune dans  la  circonscription  tracée  par  le  pays  des 
Convenœ  ;  désignons  d'abord  les  lignes  qui  servaient  de 
démarcation  à  la  contrée  de  ces  derniers. 

Le  territoire  des  Convenœ^  qui  forme  un  véritable 
parallélogramme,  comprenait  selon  nous  : 

Au  midi,  à  partir  des  sources  de  la  Garonne,  toute 
la  vallée  d'Aran  jusqu'à  l'entrée  du  territoire  de 
France,  au  lieu  appelé  aujourd'hui  le  Pont  du  RoL 
De  cet  endroit,  et  en  s'éloignant  de  la  rive  droite  du 
fleuve,  il  suivait  le  haut  des  Pyrénées,  embrassant  d'un 
côté  les  montagnes  de  Melles^  et  servant  de  l'autre  de 
limites  à  la  vallée  d'Aran  et  à  l'Espagne  jusqu'à  la 
jonction  du  Couserans,  c'est-à-dire  entre  le  1°  3'  de 
longitude  et  le  42<>  52'  de  latitude  sud. 

A  l'est,  en  prenant  pour  départ  le  point  de  jonction 
du  Couserans  et  du  Corn  min  ges  sur  la  frontière  espa- 
gnole, il  trace  une  ligne  droite  au-dessus  des  montagnes 
jusqu'à  la  source  du   Ger  et   Couledouœ.  Là  il  se  dé- 


DE  BAGNÈRES-nE-LUCIION.  21 

tourne  à  droite,  borne  la  Bellonguc  dans  toute  son 
étendue,  et  enclave,  en  les  longeant,  les  montagnes  de 
Kagirej  de  Mîlhas  et  (TArbas.  A  la  petite  ville  de 
Castillon,  qui  est  le  point  le  plus  extrême  de  la  Bel- 
longue,  il  se  détourne  un  peu  à  gauche,  en  suivant  la 
montagne  de  Saleichj  entre  ce  dernier  village,  qui  lui 
appartenait,  et  celui  de  Prat,  qui  se  trouve  à  l'opposé 
dans  le  Couserans,  et  va  rejoindre  la  rivière  du  Salât 
au-dessous  du  village  de  la  Cave.  A  partir  de  ce  point 
le  Salât  lui  sert  de  limites  jusqu'à  sa  jonction  à  la 
Garonne,  auprès  de  Roquefort.  La  Garonne  le  borne 
ensuite  jusqu'à  une  petite  distance  au-dessous  de 
Martres j  l'ancienne  Caligorris.  De  ce  point  on  doit 
tirer  une  ligne  droite  vers  le  nord  jusqu'au  village  de 
LescunSj  près  de  la  rivière  de  la  Nère. 

Au  nord  le  territoire  des  Convenœ  s'étendait  en 
ligne  directe  depuis  le  village  de  Lescuns}  enclavant 
Bâchas,  Boussan,  Saman,  Anezan,  jusqu'au  village  de 
Nizan,  sur  la  rivière  de  la  Gesse. 

A  l'ouest,  à  partir  de  Nizan,  on  suit  une  ligne 
droite  qui  enferme  dans  le  pays  des  Convènes  les  villa- 
ges de  Sarrecavc,  Capbem,  Saint- Blancalj  Franque- 
vielle,  AnèreS;  Halaguet,  jusqu'aux  montagnes  qui  sé- 
parent Hechettes  et  St-Bertrand _,  autrefois  Lugdunwn. 
Il  faut  longer  ensuite  ces  montagnes  jusqu'au-dessus 
de  Bagnères -de-  Ludion^  en  renfermant  les  vallées 
à'Oueil  et  de  Larboust  dans  le  territoire  de  Convènes. 
De  Bagnères-de-  Luchon  nous  suivons  les  grandes  mon- 
tagnes de   l'Espagne  qui,  vers  le  midi,  se  joignent  à 

l'origine  de  la  Garonne,  lieu  de  notre  départ. 

9 


22  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Maintenant,  si,  dans  cette  enceinte  géographique  que 
nous  venons  de  tracer  du  pays  de  Convènes,  nous 
voulions  distinguer  encore  les  différences  signalées  pri- 
mitivement qui  distinguent  les  diverses  populations  qui 
la  composent,  nous  en  trouverions  de  trois  sortes.  Ainsi 
le  caractère  celtique  des  Garumni  semble  revivre  dans 
les  mots,  l'idiome  et  les  croyances  des  habitants  des 
vallées  qui  s'étendent  des  sources  de  la  Garonne  et  de 
la  Pique  jusqu'à  Montréjeau  et  Yalentine.  La  conquête 
romaine  etson  influence  purement  civilisatrice  semblent 
avoir  respecté  principalement  ia  vieille  originalité  de 
leurs  ancêtres  parmi  les  populations  de  Bagnères-de- 
Luchoiij  du  val  d'Aran,de  Saint-Béat,  de  Saint-Bertrand 
et  du  pays  de  Rivière. 

La  partie  qui  s'étend  depuis  la  rive  droite  de  la  Ga- 
ronne jusqu'aux  limites  de  sa  circonscription,  formée 
par  les  villages  de  Montcaup,  Regades,  Rieucazé, 
Montespaiij  Montsaunés,  Saleich,  Arbas  etjuzet,  com- 
prend dans  cette  circonférence  des  populations  qui  por- 
tent empreintes  dans  leur  langage,  dans  les  noms  des 
lieux,  des  traces  Ibériennes  empruntées  aux  Àrevacci, 
qui  semblent  les  avoir  produites  exclusivement. 

Tandis  que  le  reste  du  territcire  de  Convènes,  la 
portion  qui  se  prolonge  depuis  le  Nébouzan,  pris  à  la 
frontière  du  Bigorre,  jusqu'à  Martres^  c'est-à-dire  le 
long  des  Auscii  et  des  Tolozates,  conserve  le  caractère 
particulier  et  uniforme,  le  type  d'une  troisième  popula- 
tion très-distincte  des  deux  autres,  et  que  nous  avons 
appelée  Onebusates  avec  Pline.  Quoique  nous  main- 
tenions ce  nom  géographique  spécialement  pour  cette 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  23 

partie  du  pays  des  Gonvenœ,  nous  ne  prétendons  point 
pour  cela  lui  reconnaître  une  identité  de  position  que 
Pline  lui-même  n'a  pas  bien  déterminée;  mais,  en  pré- 
sumant que  le  Nébouzan  ait  occupé  la  contrée  où  se 
trouvaient  les  Oncbuzates,  ainsi  que  les  rapports  des 
deux  noms  sembleraient  autoriser  à  le  faire  croire,  le 
bas  Comrninges  paraîtrait  être  celui  qu'ilsdevaient  avoir 
occupé  de  préférence  :  c'est  du  moins  ce  qu'on  pourrait 
inférer  de  la  multitude  des  noms  de  localités  qu'on  y 
rencontre,  dont  la  terminaison,  comme  ceux  de  Lan- 
nemezan,  Sarremezan,  Lécussan,  Anezarij  Boussan^ 
etc.,  se  rapproche  de  celle  des  Onebuzates^  qui  semble- 
rait n'être  qu'une  désignation  euphonique  de  certains 
uoms  de  localités  usités  peut  être  daus  ces  contrées  du 
temps  des  Romains.  f. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  est  donc  évi- 
dent que  la  vallée  de  Luchon  appartenait  au  district 
des  Garumnij  et  que  les  populations  qui  l'habitaient 
faisaient  partie  de  cette  tribu  celtique. 

Or,  si  nous  étudions  l'histoire  des  Garumni  sous 
les  trois  périodes  gauloise,  romaine  et  barbare,  dans 
leurs  rapports  avec  les  mœurs,  la  religion,  le  langage 
et  la  législation,  nous  trouverons  que  la  vallée  de  Lu- 
chon a  conservé  daus  l'esprit  de  ses  habitants  quelque 
chose  de  son  antique  origine. 

En  effet,  chez  les  Garumnij  nous  remarquons  une 
langue  particulière  et  une  mythologie  celtique  ou  théo- 

»  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  I,  p.  71  seq. 


M  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

gonie  pyrénéenne  bien  prononcées;  elles  constituent, 
sous  le  point  de  vue  de  la  philosophie  et  de  l'histoire, 
tout  un  système  languistique  et  religieux  digne  d^tre 
approfondi.  Ainsi,  dans  l'intérieur  des  Pyrénées,  au 
centre  de  la  contrée  des  Garumni  et  par  suite  dans 
la  vallée  de  Luchon,  on  observe  le  plus  souvent  dans 
le  langage  les  radicaux  galliques  mêlés  à  des  expres- 
sions rudes,  sévères  et  qui  se  ressentent  d'une  origine 
plus  conservée  là  que  partout  ailleurs.  En  outre  la 
conjugaison  est  sèche,  dépourvue  de  transitions  prono- 
minales et  sans  régime  ;  elle  se  réduit  le  plus  souvent 
aux  articulations  harmoniques,  aux  affirmations  du 
langage  prononcées  isolément  :  aussi,  en  nous  servant 
d'un  terme  de  comparaison,  dirons-nous  que  le  dialecte 
en  usage  dans  l'intérieur  des  Pyrénées  et  chez  les 
Garumni  est  analogue  au  langage  d'un  peuple  enfant 
et  dont  la  constitution  est  encore  informe  '. 

Mais,  si,  à  ces  preuves  purement  linguistiques,  nous 
ajoutons  encore  celles  qui  sont  religieuses,  tradition- 
nelles et  monumentales,  nous  reconnaîtrons  d'une  ma- 
nière plus  particulière  quel  dût  être  le  culte  particulier 
des  Garumni.  Il  est  incontestable  qu'à  l'exemple  des 
Celtes  et  des  Ibères  leurs  aïeux,  ces  derniers  bornèrent 
d'abord  leur  religion  aux  objets  physiques  qui  frap- 
paient leurs  regards,  où  bien  à  ceux  qui  intéressaient 
leur  conservation,  le  barbare  personifiant  tous  les  êtres 
qui  s'attachent  de  près  ou  de  loin  à  son   existence. 


1  Voir  les  chartes  en  patois  de  Luchon,  etc.,  dans  les  Notes  et 
Preuves  de  l'Hist.  des  Popul.  pyr.,  etc.,  t.  I,  p  425  seq. 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  25 

Ne  trouvaient-ils  point  au  reste  dans  les  Pyrénées 
de  quoi  satisfaire,  dans  ce  sens,  leurs  instincts  reli- 
gieux ?  Possesseurs  du  revers  septentrional  de  ces 
monts  et  voyant  devant  eux  un  sol  recouvert  par  des 
rochers  couronnés  au  loin  de  glaces,  il  leur  fut  facile 
de  retrouver  dans  cette  sublime  nature  tout  ce  qui 
pouvait  commander  à  leur  imagination  religieuse  et 
druidique.  11  faut  reconnaître  néanmoins  que  l'influence 
du  druidisme  n'a  pas  été  aussi  puissante  dans  les  Py- 
rénées que  dans  le  reste  de  la  Gaule;  car  les  prêtres 
de  cette  religion  basaient  leur  culte  sur  un  intérêt  com- 
mun, c'est-à-dire  qu'on  attribuait  à  Esus  leur  dieu 
les  grands  travaux  de  défrichement  et  l'enseignement 
de  l'agriculture  pratiquée  par  le  peuple  gaulois.  Le 
druidisme  avec  ses  dogmes  eut  ainsi  de  fervents  secta- 
teurs dans  les  régions  du  nord  et  de  l'est,  dont  les  ha- 
bitants froids  et  mélancoliques  trouvaient  des  charmes 
dans  ces  mystérieuses  croyances.  Le  midi  de  la  Gaule, 
sans  les  repousser  entièrement,  ne  montra  pas  le  même 
empressement  à  déserter  le  polythéisme  qui  parlait  da- 
vantage à  l'imagination.  D'ailleurs  le  même  motif  qui 
créait  des  adorateurs  à  lisus  dans  les  forêts  des  Carnu- 
tes  ou  dans  la  sauvage  Àrmorique  ne  pouvait  point 
exister  aux  pieds  des  Pyrénées  où  l'agriculture  était 
nulle  et  où  l'imagination  des  habitants  contribuait  si 
facilement  à  se  créer  des  génies  dans  les  êtres,  les  phé- 
nomènes et  les  agents  de  la  nature  brute  qui  les  envi- 
ronnait l. 

1  Voir  ces  détails  dans  l'histoire  des  populations  pyrénéennes, 
du  JNébouzan  et  du  Pays  de  Comminges,  1. 1,  p.  48  seq. 


26  HISTOIRE  SPECIALE  ET  PITTORESQUE 

Aussi  le  culte  seul  de  la  nature  trouva  d'abord  par 
mi  ces  populations  de  nombreux  adorateurs,  la  con- 
naissance de  la  divinité  ne  pouvant  être  perdue  parmi 
les  hommes.  Dans  leur  ferveur  religieuse  ils  invoquè- 
rent la  nature  protectrice  qui  les  environnait.  Ainsi  le 
pic  de  Nethon,  sous  la  forme  du  sommet  couvert  de 
neige  qui  porte  son  nom,  reçut  les  adorations  des  Ga- 
ï'umni^  qui  l'implorèrent  comme  le  génie  bienfaisant 
des  vallées  qu'il  domine  :  chaque  cîme  de  rocher,  cha- 
que pierre  qui  pouvait  frapper  les  regards  étonnés, 
devenait,  par  ce  seul  fait  de  construction  ou  de  posi- 
tion, une  divinité  à  laquelle  on  consacrait  des  sacrifies 
et  des  cérémonies  ;  il  n'était  pas  jusqu'aux  arbres  qui 
ne  reçussent  une  adoration  particulière,  des  vœux  et 
des  offrandes.  Bientôt  ils  associèrent  à  cette  commu- 
ne vénération  celle  des  lacs  à  la  bleuâtre  transparence, 
des  fleuves  majestueux  et  des  précipices  profonds  qui 
s'ouvraient  dans  l'intérieur  des  montagnes;  en  un  mot 
<;elle  de  toutes  les  parties  de  la  nature  qui  présentaient 
à  leurs  yeux  ou  à  leur  active  imagination  un  intérêt  ou 
une  merveille.  Ainsi  tout  servait  à  former  une  religion 
primitive  dans  l'esprit  de  ces  peuplades  qui  n'avaient 
que  des  idées  très-imparfaites  sur  la  divinité. 

Plus  tard  à  ce  culte  général  de  la  nature,  qu'on 
peut  regarder  comme  primordial,  et  par  suite  de  la  ci- 
vilisation générale,  fruit  du  temps  et  de  la  raison,  suc- 
céda dans  le  pays  des  Convènes  l'adoration  ou  plutôt 
la  déification  de  certaines  divinités  topiques  qui  inté- 
ressaient particulièrement  les  localités.  Ainsi  Barça 
présida  à  Barsous,  le  dieu  Boccus  à  Boccou,   Avéra- 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON. 

nus  au  pied  du  mont  Averan ,  Isaurnosi  à  la  valiée 
d'Izaourt  et  le  dieu  Bœzert  au  lieu  appelé  encore  Ba- 
zert,  selon  qu'on  peut  le  voir  par  l'étymologie  de  leurs 
noms  et  la  découverte  des  nombreux  autels  votifs  qui 
leur  furent  consacrés.  C'est  encore  parmi  ces  génies 
protecteurs  ou  ces  DU  locales  qu'il  faut  compter  les 
divinités  Andli,  Lixoni,  Tutele,  Iscitus,  Leherenus, 
Armastioni,  Bopienus,  Aceoni,  Abellion,  dont  l'im- 
portance comme  dieu  topiques  était  incontestable  s'il 
faut  eu  juger  les  monuments  qui  leur  ont  été  érigés. 
Jl  n'est  pas  en  un  mot  jusqu'aux  cultes  des  nymphes 
dont  les  autels  ont  été  nombreux  à  Bagnères-de-Luchon, 
qui  n'aient  mêlé  leurs  influences  religieuses  romaines 
avec  celles  des  divinités  indigènes  honorées  par  les 
populations  des  Garumni  *. 

1  Voici  les  divers  monuments  ou  autels  votifs  trouvés  chez  les 
Garumni,  dans  la  vallée  de  Ludion  ou  aux  environs: 


ABELIONI 
DEO  TAURI 

NVS  BONEC 
OMIS  VS-LM 

Larboust. 


DEO 
ABELLIO 

NI 

MINVCIA 

JVSTA 

VSLM 


ABELLIONNlj 
CISONTEM 

ÏSSOBON 
NIS       FIL  - 

LarbousK 


ISCITO  DEO  S 
SABINVS      I 
MANDATIL1BI 
Y-S-L-M- 


Garni. 


Larboust. 


MONTIBV8 
Q.  G.  AMOB 

NVS 

S.  V.  L.  M. 


LIXIONI 
DEO 

FAB  FESTÀ 
V.S.  L.  M. 


NYMPHIS 
CRVFONI 
DIEXIEV 
V.  S.  L.  M. 


IXONl 

DEO 

FABESTA 

V.  S.  L.  M. 


Luchon. 

NYMPHIS 

AVG 
VALERIA 
HELLAS 


Luchon. 


NYMPHIS 

MONTAN 

MONTAN 


Luchon.  Luchon. 

Nous  avons  un  grand  nombre 
d'autres   inscriptions  trouvées  à 
Luchon,  que  nous  croyons  inutile 
Luchon.  de  reproduire,  ici.  On  peut  les  voir 

dans  les  Notes  de  l'Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Né- 
bouzan  et  du  Pays  de  Comminges,  tome  I. 


Luchon. 


28  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Plus  tard,  lorsque  les  Romains  eurent  conquis  les 
Gaules,  les  Garumni  furent  de  tous  les  peuples  ceux 
qui  se  soumirent  les  derniers  à  l'obéissance  du  peuple- 
roi.  Car,  dans  notre  opinion,  les  populations  errantes 
dnns  les  mystérieuses  vallées  des  Pyrénées  ou  sur  les 
deux  versants  échappèrent  toujours  jusque  dans  l'in- 
térieur de  l'Aquitaine,  un  peu  en  deçà  de  la  rive  gauche 
de  la  Garonne,  aux  circonscriptions  d'une  conquête 
qui  n'était  que  passagère,  dans  ce  sens  qu'elle  ne 
circonscrivait  qu'un  terrein  souvent  peu  connu,  et 
jamais  des  peuples  qui  échappaient  toujours  à  toutes 
limites.  Aussi  Crassus  ne  crut  pouvoir  mieux  désigner 
les  populations  qui  longeaient  les  Pyrénées  qu'en  les 
appelant  de  cette  périphrase  vague  :  «  Civitales  quœ 
»  sunt  citer ior es  Hispaniœ^  fînitimœ  Aquitaniœ.  »  Ce 
ne  fut  donc  que  sous  Auguste,  qui  joignit  à  l'Aquitaine 
quatorze  autres  peuples  aux  anciens  qu'y  s'y  trouvaient 
déjà,  alors  que  ce  prince  eut  déterminé  les  limites  des 
provinces  delà  Gaule  et  qu'il  eut  soumis  les  Cantabres, 
que  les  Garumni  commencèrent  à  éprouver  les  bienfaits 
de  la  civilisation  romaine.  Dès  lors,  dépendants  de 
Lugdunum  leur  métropole,  ces  peuples,  qui  des  sources 
de  la  Garonne  s'étendaient  jusqu'au  dessousdu  pays  de 
Rivière j  et  plus  bas  encore,  composèrent  de  nombreuses 
populations  qui  se  réglaient  selon  les  lois  et  les  exigences 
de  leur  nouvelle  capitale.  Leur  administration  fut  tout 
entière  dans  des  lois  spéciales  et  dans  des  magistrat  par- 
ticuliers qui  formaient  toute  son  existence  el  toute  son 
organisation.  L'autorité  de  ces  derniers  se  bornait,  dans 
la  ville,  à  celle  d'un  eonseil  municipal  appelé  Cvria  et 


DE  BAGNÈKES-DE-LUCHON.  29 

dont  les  membres  fdecunonesj  étaient  choisis  parmi  les 
principaux  habitants  de  la  cité.  Cette  forme  d'adminis- 
tration, si  naturelle  à  des  peuples  qui  ont  vécu  toujours 
dans  l'indépendance  des  Clans  et  qui  commencent  une 
nouvelle  vie  civile,  parait  d'autant  plus  être  celle  qui 
fut  en  vigueur  chez  les  Garumni  qu'on  a  trouvé  chez 
eux  d'anciennes  libérations  municipales,  antérieures 
au  Xlïe  siècle,  qui  prouvent  que  cette  forme  d'adminis  • 
trer  était  m  se  en  usage  depuis  un  temps  immémorial  *. 
La  vallée  de  Luchon  participa  surtout  d'une  manière 
large  aux  bienfaits  de  la  civilisation  romaine,  ainsi  que 
nous  le  constaterons  bientôt  dans  le  cours  de  cette 
histoire. 

1  Hist.  des  Popul.  pyr.,  etc.,  1. 1,  p.  79. 


CHAPITRE  DEUXIÈME. 


Lieux  importants  dans  le  canton  des  Garumni.—  Origine  du  mot 
Luchon.—  Ses  thermes.—  Leur  importance  sous  l'époque  féo- 
dale. —  Premiers  droitsdont  jouit  la  vallée  de  Luchon.—  Irrup- 
tion des  Sarrasins.—  Domination  des  comtes  de  Comminges. 


Si  maintenant,  sur  la  foi  de  l'histoire  et  en  nous 
autorisant  des  découvertes  qu'a  faites  la  science  archéo- 
logique, nous  cherchons  à  déterminer  d'une  manière 
spéciale  l'importance  relative  des  lieux  situés  dans  le 
canton  des  Garumni^  nous  trouverons  à  les  constater 
dans  l'ordre  suivant. 

Lugdunum  (Saint-Bertrand)  doit  occuper,  comme 
métropole,  un  rang  distingué  parmi  les  autres  cités  ou 
les  lieux  célèbres  de  la  contrée,  soit  par  son  étendue, 
présumée  des  plus  vastes,  soit  par  les  privilèges  dont 


02  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

elle  jouissait  comme  ville  laline.  Tout  concourait  en- 
core à  réhausser  l'éclat  de  cette  grandeur  qui  la  ren- 
dait la  première  cité  du  pays  des  Gouvènes  :  des  temples 
magnifiques,  tels  que  celui  de  Valcabrère  dont  les  or- 
nements du  plein-ceintre  de  la  porte  témoignent  de  sa 
richesse  passée  en  architecture;  des  acqueducs  qui, 
selon  Grégoire  de  Tours,  partaient  du  centre  de  la 
ville,  et,  en  la  sillonnant  en  tous  les  sens,  allaient  se 
perdre  ensuite  dans  la  plaine  ;  des  édifices  vastes  ; 
des  magasins  et  autres  ouvrages  publics  dont  les  débris 
et  les  fondements  subsistaient  encore  il  y  a  environ 
un  demi-siècle  ;  enfin  des  bas -reliefs  représentant  des 
sacrifices,  des  autels  votifs  et  de  nombreuses  inscrip- 
tions ;  tous  ces  travaux  d'art  et  ces  monuments  du  génie 
parlent  assez  haut  en  faveur  de  son  antique  splendeur 
et  de  sa  gloire  passée  H 

Après  Lugilunurrij  la  superbe  métropole,  les  lieux 
où  se  trouvent  les  petits  villages  de  Cier,  Martres  et 
Ardiége  paraissaient  avoir  occupé  encore  dans  le  canton 
des  Garumni  une  place  historique  des  plus  importan- 
tes. La  tradition  conserve  de  nos  jours  le  souvenir  de 
l'ancienne  renommée  d'une  ville  florissante  qui  aurait 
existé  sur  leurs  fondements  dans  ce  vieux  proverbe, 
rendu  populaire  par  les  habilans  de  ces  localités  : 
«  Qu'un  chat  passait  de  Saint-Bertrand  à  Valentine  en 
ne  suivant  que  les  toits.  »  On  trouve  au  reste  autour 
d'une  table  sacrée  superposée  sur  un  autel  découvert 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  I,  p.  80  scq. 


DE    RAGNÈRES-DE-LUCHON.  53 

à  Saint-Béat,  et  qui  devait  être  placée  dans  l'enceinte 
de  LiKjdunum,  une  inscription  ainsi  conçue  : 

TIB.  PVB.  SABINVS  YICANIS  YICI  FLORENÏINI 
MENSAS  CVM  BAS1BVS  •  S  •  P  •  F  •  G  • 

Ce  qui  signi6e  que  «  Tiberius  Publius  Sabinius  fit 
«  construire,  à  ses  dépens,  ces  tables  avec  leurs  sup- 
«  ports  pour  les  habitants  du  bourg  Florentin.  »  Or 
ne  pourrait-on  point  supporter  que  ce  bourg  était  celui 
désigné  par  la  tradition  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  les  monu- 
ments antiques  et  les  autels  votifs  qu'on  a  trouvés  en 
grand  nombre  à  Yalenùne,  à  Labarthe,  à  Cier- 
dz-Rimère,  à  Huos,  à  Ardiége^  au  Bazert,  à  La- 
broquère,  c'est-à-dire  dans  toute  la  plaine  que  nous 
avons  désignée,  prouveraient  au  moins  que  le  pro- 
verbe populaire  n'est  pas  entièrement  imaginaire.  Plus 
tard  encore  le  petit  pays  de  Rivière  substitua  sa  cir- 
conscription féodale  à  l'ancienne  circonscription  de  ces 
mêmes  lieux  où  l'on  trouve  tous  les  jours  des  fonda- 
tions et  des  mosaïques  précieuses.  Or  on  sait  que  la 
contrée  de  Rivière  a  été  remarquable  comme  pays  in- 
dépendant, soit  par  le  siège  de  sa  justice  seigneuriale 
dont  la  juridiction  s'étendait  sur  plusieurs  comtés,  soit 
par  la  gentilhommerie  d'Ardiége  et  de  Labarthe  qui 
avait  la  prétention  de  s'attacher  une  justice  particulière. 
Evidemment  ces  titres  à  tant  de  faveurs  exceptionnelles 
devaient  reposer  sur  de  hautes  considérations  d'étendue 
de  territoire  comme  sur  une  puissante  autorité  histo- 
rique ,  puisque  ce  pays  s'est  soustrait  ainsi  à  la  dévorante 
absorption  de  la  féodalité.  Il  faut  donc  conclure  que  le 


54  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

petit  pays  de  Hivière  a  eu  dans  les  temps  ancieus  une 
importance  au  moins  inductive  de  celle  que  nous  lui 
verrons  s'arroger  pendant  la  période  du  moyen-âge.  On 
ne  saurait  avoir  de  plus  justes  présomptions. 

La  vallée  de  Ludion  ou  Liœoni  n'a  pas  été  moins 
remarquable  sous  la  domination  romaine  que  Lug- 
dunum  et  le  pays  de  Rivière.  Elle  a  dû  cette  distinction 
favorable  soit  h  sa  position  exceptionnelle  dans  un 
vallon  riche  et  pittoresque,  l'un  des  plus  vaste  de  la 
chaîne  des  Pyrénées,  soit  à  ses  eaux  thermales  dont 
les  vertus  bienfaisantes  et  salutaires  ont  été  reconnues 
par  de  nombreux  monuments  qui  sont  d'irrécusables 
témoignages.  En  effet  la  quantité  d?autels  votifs  qu'on 
a  découverts  à  Ludion,  les  nombreuses  inscriptions 
consacrées  aux  nymphes  qui  ont  été  trouvées  auprès 
de  ses  sources,  prouvent  que  ces  divinités  des  eaux 
recevaient  en  ce  lieu  l'encens  et  les  hommages  d'un 
grand  nombre  d'adorateurs  C'est  peut-être  à  la  bienfai- 
sance de  ses  thermes  qu'il  faut  attribuer  la  prodigieuse 
quantité  de  familles  romaines  qui  vinrent  s'établir  dans 
ces  montagnes,  et  dont  on  retrouve  tous  les  jours,  sur 
divers  monuments,  les  différentes  souscriptions.  Une 
telle  hypothèse  serait  extraordinaire  dans  l'étal  de  notre 
civilisation  et  comparativement  à  nos  mœurs  modernes. 
Il  serait  donc  impossible  avec  notre  régime  social  d'ex- 
pliquer l'importance  que  pouvaient  avoir  les  sources 
thermales  découvertes  par  les  conquérants  dans  la  partie 
du  haut  Comminges. 

il  n'en  est  pas  ainsi  avec  le  régime  de  l'antique  société 
romaine  dont  l'usage  des  ablutions  et  des  bains  faisait 


DE  BAGIS'ÈRES-DE-LUCHON.  35 

partie  des  mœurs  publiques.  Eu  cela  ils  n'imitaient 
que  les  Orientaux,  les  Egyptiens  et  les  Grecs,  qui  leur 
transmirent  une  mode  dont  ils  abusèrent  étrangement, 
car  on  sait  que  les  Romains,  faisant  un  usage  immo- 
déré des  bains,  ne  négligèrent  point  de  les  établir  dans 
tous  les  lieux  de  la  conquête,  dès  qu'ils  furent  les 
maîtres  du  monde.  C'était  au  reste  un  goût  inné  chez 
eux.  Les  anciens  Romains  se  baignaient  dans  le  Tibre 
après  les  exercices  du  Champ-de-Mars.  L'eau  fortifiait 
ainsi  les  corps  des  soldats  de  la  république,  qui  n'en 
faisaient  qu'un  usage  purement  militaire.  Plus  tard  ce 
moyen  hygiénique  dégénéra  en  un  pur  objet  de  luxe  ; 
et  tandis  que  les  empereurs  en  gratifiaient  le  peuple 
dans  les  grandes  solennités,  les  bains  se  transformaient 
par  l'orgueil  des  maîtres  de  l'empire  en  des  monuments 
somptueux  bâtis  aux  frais  soit  de  César  et  de  Néron, 
soit  d'Alexandre-Sévère,  et  qui  portaient  les  noms  de 
leurs  fondateurs.  ïl  est  inutile  de  déclarer  à  combien 
d'immoralités  publiques  donnèrent  lieu  ces  monuments 
de  la  munificence  des  Césars;  il  nous  suffit  seulement 
de  dire  que  le  même  luxe  devint  chez  les  débauchés, 
et  même  chez  le  peuple,  selon  la  progression  croissante 
de  la  dégradation  sociale,  une  passion  effrénée;  tandis 
qu'il  se  conserva  dans  l'usage  modéré  qi^en  fil  la  partie 
la  plus  saine  de  l'empire  romain  comme  un  pur  instru- 
ment de  santé.  C'est  surtout  à  cette  dernière  considération 
qu'il  faut  attribuer  la  renommée  dont  jouissaient  sous 
cette  période  les  bains  de  Luchon,  et  la  quantité  d'autels 
votifs  dédiés  aux  nymphes  qu'on  a  trouvés  dans  ses 
sources  et  auprès  de  ses  thermes. 


56  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Si  nous  recherchons  maintenant  l'origine  du  mot 
Ludion  qui  adonné  son  nom  à  la  vallée  et  aux  thermes 
qui  se  trouvent  placés  à  l'extrémité  de  la  même  vallée, 
nous  trouvons  pour  l'établir  deux  inscriptions  romaines 
que  nous  avons  déjà  rapportées.  L'une  ainsi  conçue  : 

L1XON1 

DEC 

FABÏA    FESTA 

VSLM. 

et  qui  fut  découverte  à  Bagnères-de-Luchon  par 
M.  d'Orbessan,  signifie  qu'une  dame  romaine  du  nom 
de  Fabia  Fesla  éleva  un  autel  en  l'honneur  du  dieu 
Liœon.  L'autre,  qu'on  trouva  auprès  de  la  première, 
porte  l'inscription  suivante  : 

1XONI 

DEO 

FABESTA 

VSLM. 

Ainsi  que  la  précédente,  elle  témoigne  qu'une  nommée 
Fabesta  éleva  ce  monument  pieux  au  dieu  Ixon.  Il 
est  donc  évident  que  dans  ces  mêmes  lieux  il  a  existé 
pendant  la  période  romaine  une  divinité  du  nom  de 
Liœon  ou  Ixon  qui  recevait  un  culte  particulier  des 
habitants  de  ces  contrées.  Or  l'étymologie  de  Ludion 


DE   BAGNÈRES-DE-LUCHON.  57 

peut  bien  être,  sans  difficulté  aucune,  le  mot  Lixon  ; 
ce  qui  démontre  d'une  manière  certaine  l'ancienneté 
historique  de  cette  vallée. 

Mais,  si,  à  ces  preuves  déjà  assez  importantes,  nous 
ajoutons  encore  celles  que  nous  fournissent  les  monu- 
ments archéologiques  trouvés  dans  ses  thermes,  la  haute 
antiquité  de  ces  lieux  ne  saurait  être  révoquée  en  doute . 
Il  est  certain  que  de  nombreux  autels  votifs  ont  été 
recueillis  dans  les  environs  des  sources  thermales  ;  la 
plupart  d'entr'eux  ont  été  trouvés  dans  les  eaux  des 
sources.  Ainsi  tous  ces  autels  sont  dédiés  aux  nymphes, 
comme  on  peut  s'en  couvaincre  par  les  inscriptions  qui 
les  distinguent,  et  dont  voici  quelques-unes  : 


NYMPHIS 

AYG 

VALERIA 

HELLAS 

V  •  S  •  L  •  M. 


NYMPHIS 

T  •  CLAYDIYS 

RYFVS 

V  •  S  •  L  •  M. 

NYMPHIS 

AVG 
SACRYM. 


NYMPHIS 

c 

•  RVFONIYS 

DEXTER 

Y 

•  S  •  L  •  M. 

D'après  ces  inscriptions,  Augusla  Valeria  Hellas, 
Claudius  RufuS;  Auguste^  Rufonius  Dexter^  personna- 
ges sans  doute  très  importants  de  Rome,  avaient  élevés 
des  autels  aux  nymphes.  Ces  divinités,  comme  on  sait, 

3 


58  HISTOIRE    SPECIALE    Éï    PITTORESQUE 

présidaient  aux  fontaines,  aux  sources;  et,  si  les  nym- 
phes des  eaux  de  Lixon  ou  Luchon  recevaient  de  tels 
hommages  de  la  part  d'un  si  grand  nombre  d'adora- 
teurs, il  fallait  certainement  qu'elles  leur  fussent  à  leur 
tour  favorables.  On  peut  donc  présumer,  ajuste  titre, 
que  les  guérisons  qu'elles  procuraient  devaient  être  le 
seul  motif  déterminant  de  l'hommage  religieux  qu'on 
leur  rendait.  Ainsi  l'ancienneté  des  eaux  de  Ëagnéres- 
de-Luchon  ne  saurait  donc  être  révoquée  en  doute. 

Mais  si,  à  ces  preuves  archéologiques,  nous  voulons 
en  ajouter  d'autres  empruntées  à  l'histoire,  nous  trou- 
vons l'existence  de  ces  bains  constatée  sous  le  règne  de 
Seplime-Sévère.  Cet  empereur  aurait  fait  réparer  une 
ancienne  voie  romaine  qui  communiquait  de  Ltigdu- 
mim  (Saint-Bertrand)  aux  bains  de  Luchon  ;  il  fit  des 
constructions  aux  environs  des  sources  et  les  éleva  en 
forme  de  thermes.  Les  fondements  de  ces  constructions 
existent  encore  en  partie  au-dessous  des  constructions 
nouvelles  Nous  verrons,  au  reste,  dans  la  suite  de 
cette  histoire,  combien  les  fouilles  qui  furent  faites 
sous  le  règne  de  Louis  XV,  produisirent  des  richesses 
monumentales  en  ce  genre.  11  nous  suffit  seulement 
de  les  énoncer  d'hors  et  déjà  pour  constater  le  respect 
et  la  vénération  dont  ces  thermes  ont  été  entourés  par 
les  Romains. 

Plus  tard,  au  milieu  des  révolutions  qui  troublèrent 
les  Gaules ,  et  dont  les  Goths,  les  Franks  et  les  Sarra- 
sins furent  les  principaux  instruments,  la  coutrée  de 
Luchon  ainsi  que  le  pays  des  Convenœ  ou  du  Commin- 
ges,  restèrent  plongés  dans  un  oubli  complet.  La  vallée 


DE    BAGNÈflES-DE-LUCHON.  59 

suivit  alors  la  destinée  de  toutes  les  vallées  qui  avoisi- 
naîent  l'Espagne,  c'est-à-dire  qu'elle  fut  sous  la  dé- 
pendance des  différents  maîtres  qui  se  disputèrent  la 
Péninsule. 

Ainsi  ii  est  certain  qu'avant  la  constitution  des  comtes 
de  Comminges,  qui  eut  lieu  en  l'an  900,  dans  la  per- 
sonne d'Asnarius  '  ,  la  vallée  de  Luchon  se  trouvait 
sous  le  pouvoir  des  Maures,  qui  la  ravagèrent.  Nous 
allons  au  reste  en  fournir  bientôt  la  preuve  ;  mais 
d'abord  établissons,  comme  induction  historique,  que 
depuis  la  destruction  de  Lucjdunum  (Saint-Bertrand)  par 
l'armée  de  Contran,  eu  58o,  les  vallées  environnan- 
tes s'affranchirent  de  toute  administration  étrangère. 
Si  elles  eurent  à  souffrir  quelque  fois  dans  leur  admi- 
nistration intérieure,  ce  ne  fut  toujours  que  de  la  part 
des  Maures,  qui  faisaient  de  fréquentes  irruptions  dans 
ces  montagnes. 

Aussi  avons-nous  eu  raison  d'établir  ailleurs,  comme 
appréciation  exacte  des  faits  que,  depuis  la  destruc- 
tion de  la  métropole  des  Convenœ  comme  pendant  tout 
le  cours  de  la  période  barbare,  le  pays  resta  ce  qu'il 
avait  été  administrativement  pendant  l'époque  romaine, 
c'est-à-dire  une  contrée  qui  se  gouvernait  avec  des  formes 
municipales  :  seulement,  sous  la  seconde  période,  il  se 
rattachait  à  Lugdunum  par  des  liens  de  civilisation  et 
des  relations  ordinaires  qui  existent  entre  les  populations 
des  campagnes  et  celles  d'une  grande  ville,  siège  d'un 
pouvoir   central.   Tant   que   l'empire  subsista  dans  sa 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Sébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  I,  p.  ?10. 


40  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

vigoureuse  organisation,  les  choses  se  passèrent  ainsi  ; 
mais,  lorsque  les  barbares  se  furent  substitués  à  la  place 
du  peuple-roi,  forcés  par  les  exigences  de  la  conquête 
brutale  qui  transformait  tout  sur  son  passage ,  les 
Convènes  cessèrent  d'être  unis  moralement  à  leur  mé- 
tropole qui,  par  le  fait  de  l'invasion,  perdait  d'ailleurs 
toute  son  ancienne  importance.  Lugdunwn  vécut  donc 
sous  la  domination  wisigothe  comme  une  cité  dépouillée 
de  son  antique  splendeur.  La  conquête  ne  lui  avait-elle 
point  enlevé,  avec  les  bénéfices  de  sa  gloire,  tout  l'éclat 
de  sa  grandeur  passée?  Ses  communications  immédiates 
avec  Rome  ;  ce  mouvement  régulier  des  troupes  qui 
sillonnaient  les  voies  qui  conduisaient  à  sa  citadelle;  ces 
voyages  des  riches  patriciens  qui  allaient  respirer  Pair 
pur  de  ses  montagnes  ;  en  un  mot  cette  vie  si  agitée 
et  si  diverse  qui  animait  son  existence  latine,  tout  cela 
était  suspendu.  Désormais  elle  ne  se  renfermait  plus,  elle 
autrefois  si  fière,  que  dans  le  cercle  étroit  d'une  orga- 
nisation administrative  on  apparence  en  vigueur,  mais 
dont  les  ressorts  intérieurs  n'avaient  plus  la  force  et 
l'énergie  qui  les  faisaientmouvoir.  Par  une  conséquence 
semblable,  chaque  ville  et  chaque  communauté  s'enve- 
loppèrent dans  leur  propre  individualité;  s'isolant  ainsi 
du  foyer  qui  ne  les  réchauffait  plus,  elles  ne  conservè- 
rent du  passé  que  quelques  institutions  traditionnelles, 
qui,  basées  sur  l'usage  et  les  coutumes,  composèrent 
une  espèce  de  droit  commun  qu'on  ne  prit  pas  même 
la  peine  d'écrire  l. 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  1,  p.  110. 


DE    BAtilS'ÈHE-bË-LUClIOK.  41 

Ce  fut  dans  cet  état  d'isolement  que  vécut  la  vallée 
de  Luchon  jusqu'à  l'invasion  des  Sarrasins,  qui  eut  lieu 
un  siècle  et  demi  après  la  destruction  de  la  capitale  des 
Convenœ.  A  ce  sujet  la  Chronique  d'Auch  rapporte  ces 
seuls  mots  qui  renferment  une  grande  plainte  :  «  Vers 
»  721  et  724  les  cités  et  les  églises  de  Gascogne  furent 
d  détruites  par  les  Sarrasins.  »  Environ  cette  époque  en 
effet,  et  pendant  près  d'un  siècle,  les  fanatiques  adora- 
teurs duKorannc  cessèrent  d'infester  les  belles  contrées 
de  la  Novempopulanie  et  de  la  Gascogne.  La  tradition 
conserve  encore  de  nos  jours  le  souvenir  des  massacres 
qu'ils  commirent  dansle  Commingeset  notammentdans 
la  vallée  de  Luchon.  Ainsi  saint  Aventin,  jeune  ber- 
ger, né  dans  la  vallée  de  Larboust,  en  778,  fut  marty- 
risé par  les  féroces  soldats  du  prophète.  Dans  le  cours 
de  cette  histoire  nous  rapporterons  la  légende  qui  con- 
sacre la  mémoire  de  ce  martyr. 

Ainsi  il  est  constant  que  déjà  vers  la  fin  du  huitième 
siècle,  les  Maures  avaient  pénétré  dans  les  vallées  de 
Larboust  et  de  Luchon.  Nous  trouvons  encore  dans 
de  vieilles  coutumes,  consignées  dans  notre  Histoire 
des  Populations  pyrénéennes!  du  Nébouzan  et  du  Pays 
de  Comminges  ',  que  les  quatres  vallées,  Neste,  Aure, 
Barousse  et  Magnoac,  renouvelèrent  «  les  privilèges 
»  que  don  Sanche  Abarca,  roi  d'Aragon,  avait  accor- 
»  dés,  en  90 1 ,  au  comté  a" Aure  et  terre  dï  Aure,  lorsque 
»  les  habitants  se  soumirent  volontairement  à  lui,  en 
»   reconnaissance  de  ce  qu'il  les  avait  délivrés  de  l'op- 

1  Hist.  des  Popul.  pyr.,  etc.,  t.  I,  p.  2_>l , 


42  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

»  pression  des  Maures  qui  avaient  constamment  régi  les 
»  habitants  de  toutes  ces  vallées.  »  Il  est  donc  certain 
qu'elles  faisaient  partie  du  comté  d'Aragon*.  Plus  tard 
elles  devinrent  la  propriété  des  comtes  de  Comminges, 
ainsi  que  nous  le  trouvons  dans  divers  historiens2.  Voici 
à  quels  titres:  Bernard,  fils  de  Roger  1,  comte  de 
Carcassonne  et  en  partie  du  Gomminges,  avait  deux  fil- 
les nommées  l'une  Stéphanie  ou  Estiennette  et  l'autre 
Gilberge;  cette  dernière  qui  épousa,  en  1036,  Ramirï, 
roi  d'Aragon,  lui  apporta  en  dot  les  quatre  vallées;  il 
est  donc  àprésumerqu'elles  étaient  dans  la  dépendance 
du  comte  de  Comminges  où  elle  se  trouvaient  déjà  à 
cette  époque,  1036.  Nous  verrons  encore  qu'un  siècle 
et  demi  plus  tard  la  vallée  d'Aran  passa  de  la  posses- 
sisn  des  comtes  de  Comminges  dans  celle  d'Alphonse, 
roi  d'Aragon,  par  une  semblable  convention  matrimo- 
niale. 

Il  faut  donc  conclure  qu'après  Abarca,  les  comtes 
du  pays  possédèrent  la  vallée  de  Ludion,  qui  appartint 
successivement,  tantôt  à  l'Aragon,  tantôt  aux  comtes 
de  Comminges,  au  pouvoir  desquels  elle  finit  par  rester 
entièrement.  Ce  fut  là  un  bonheur  pour  elle  ;  car  de- 
puis cette  époque  l'histoire  de  cette  contrée  se  recom- 
pose, et  le  caractère  de  ses  habitants  se  constitue  en 
quelque  sorte  dans  sa  nature  primitive.  Tandis  que  d'un 
côté  s'ouvre  cette  ère  nouvelle  du  moyen-âge,  pendant 

*  Don  Brugelle  :  «  Les  vallées  d'Aure,  Aran,  Aragonet  appelée 
»  parcorruption  Aragnouet,  Bannisse  et  autres  adjacentes  faisaient 
»  anciennement  partie  de  l'Aragon.  » 

-  Hist.  dt'sPopul.  pyr.,  etc.,  t.  I,  p.  210. 


])E    BACNÈRES-»BE-LUCHON.  43 

laquelle  va  s'illustrer  le  pays  du  Comminges  avec  ses 
comtes  et  ses  evèqucs,  de  l'autre  nous  allons  voir  les 
peuplades  des  montagnes  se  fixer  de  nouveau  sur  un 
sol  presque  désert,  auquel  les  attache  forcément  la 
conquête  de  Charlemagne  par  son  régime  féodal.  Mais 
en  cédant  à  la  violence  du  roi  Frank,  les  tribus  mon- 
tagnardes furent  loin  de  répudier  leurs  litres  à  la  liberté 
et  leurs  droits  à  la  conservation  de  leur  antique  natio- 
nalité. Elles  firent  valoir,  en  présence  même  des  vain- 
queurs, la  force  de  leurs  institutions,  en  inscrivant 
dans  des  chartes  leurs  droits  et  leurs  devoirs  politiques; 
monuments  précieux  qui  témoignent  combien  ces  races 
ont  été  persistantes  dans  leur  esprit  patriotique,  puis- 
qu'on retrouve  encore  dans  les  débris  de  leur  constitu- 
tion municipale  quelque  chose  du  caractère  fier  et  in- 
dépendant du  vieil  Ibère,  exprimée  dans  un  langage 
qui  porte  les  traces  de  l'idiome  hispanique!  Ce  qui 
est  digne  de  remarque,  c'est  que  le  cantons  qui  se 
montrèrent  les  plus  ardents  à  reconnaître  leur  indépen- 
dance civile,  politique  et  administrative,  furent  préci- 
sément  ceux  qui  occupaient  le  haut  Comminges,  c'est- 
à-dire  la  région  des  montagnes.  Avec  la  féodalité  s'ef- 
faça néanmoins  insensiblement  le  caractère  des  vieux 
ConvèneSj  qui  perdit  sa  primitive  énergie.  Mais  qui 
conserva  partout  assez  de  son  originalité  pour  ne  pas 
rester  méconnaissable  même  après  des  siècles  :  car 
aujourd'hui  encore  nous  retrouvons  dans  les  habitants 
du  haut  Comminges  quelques  traits  delà  physionomie 
de  leurs  ancêtres.  Ainsi  les  races  ne  périssent  jomais 
tout  entières! 


44  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Nous  verrons  au  reste  dans  un  prochain  chapitre  ce 
que  la  vallée  de  Luchon  a  conservé  de  sa  physionomie 
primitive  et  ce  qu'elle  doit  à  l'influence  de  l'autorité 
comtale.  Sa  double  position  de  pays  frontière  et  de  pays 
féodal  l'a  maintenue  dans  une  de  ces  positions  excep- 
tionnelles qui  lui  ont  imprimé  un  caractère  étrange 
d'originalité.  Au  surplus  c'est  ce  qui  ressortira  des 
droits  et  des  privilèges  dont  la  plupart  des  localités 
qu'elle  renferme  ont  joui  pendant  la  période  du  moyen- 


CHAPITRE  TROISIEME 


Etat  politique  et  administratif  de  la  vallée  de  Luchon  sous  le  régne 
des  comtes.—  Charte  de  Bagnères.—  Principales  localités  qui  se 
distinguent  dans  cette  vallée.—  Castel-Viel,  Moustajon,  Cier, 
Antignac,  Salles,  Castel-Blancat,  Saint-Aventin,  etc.  —  Commen- 
cement de  la  réputation  dont  jouissent,  dans  les  temps  moder- 
nes, les  bains  de  Bagnères. 


La  situation  du  comté  de  Comminges,  dans  l'intérieur 
et  aux  pieds  des  Pyrénées,  l'exposait  au  commencement 
du  onzième  siècle  à  de  grands  dangers.  Les  irruptions 
des  Maures,  d'un  côté,  qui  menaçaient  d'envahir  les 
frontières  ;  l'ambition  démesurée  et  toujours  croissante 
d'Alphonse,  roi  d'Aragon,  qui  ayant  mis  un  pied  dans 
le  Bigorre  par  ses  alliances,  possédait  une  partie  des 
vallées,  et  prétendait  établir  sa  suzeraineté  sur  tout  le 
versant  de  nos  montagnes;  d'un  autre  côté  les  guerres 
qui  éclatèrent,  environ  cette  époque,  entre  Alphonse, 


A6  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET   l'ITORESQUE 

roi  de  Castille _,  et  le  roi  d'Angleterre,  Henri  II,  au 
sujet  de  la  donation  de  la  Gascogne ,  faite  par  ce 
dernier  au  roi  de  Castille,  en  lui  concédant  sa  fille 
Eléonore  en  mariage:  tout  cela  forçait  les  comtes  de 
Comminges  à  se  tenir  dans  un  état  de  vigilance  conti- 
nuelle. La  vallée  de  Bagnêres-de-Luchon  participa  à 
ce  mouvement  général  qui  agitait  les  montagnes.  L'in- 
fluence anglaise,  ou  plutôt  la  haine  des  Anglais,  trou- 
bla plus  d'une  fois  le  calme  de  ses  retraites.  Plus  d'un 
château-fort,  plus  d'une  église,  eurent  à  souffrir  de 
leurs  dépradations  el  de  leurs  guerres  incessantes  et 
cruelles. 

Plus  tard  les  vallées  eurent  à  subir  les  empiétements 
de  l'autorité  royale,  ce  qui  contribua  beaucoup  à  nuire 
au  bien-être  de  leurs  habitants.  Cependant,  malgré 
cette  absorption  de  l'autorité  royale,  qui  cherchait  à 
tout  attirer  vers  son  centre,  soit  en  affranchissant  les 
serfs,  soit  en  ennoblissant  les  bourgeois,  les  comtes 
ne  laissaient  point  d'agir  par  contre-coup  dans  leurs 
domaines  en  rendant  des  services  signalés  à  leurs 
sujets  ou  vassaux ,  en  leur  accordant  des  privilèges 
nombreux.  Ainsi  nous  voyons  d'abord  les  privilèges 
que  Bernard  IX  octroya  au  lieu  de  Saccourvielle,  sis 
dans  le  comté  de  Comminges,  en  la  vallée  d'Outil,  en 
1315.  D'après  ce  litre  la  puissance  des  comtes  de 
Comminges  se  serait  étendue  dans  loute  cette  vallée. 
Ensuite  nous  possédons  un  autre  titre,  renfermant  les 
privilèges  de  la  vallée  de  Luchon,  qui  est  d'une  très- 
grande  importance.  Il  est  dit  dans  cet  acte,  donné  à 
Fronsae,sous  le  sceau  delà  main  de  Bernard ,  eomirdc 


DE  BAGNÈRES-DÉ-LirCHOff.  47 

Comminyes  et  vicomte  de  Touron,  en  1315,  qu'on  faisait 
de  nombreuses  extorsions  sur  ses  frontières  et  notam- 
ment dans  le  Port  de  Bagnères  fin  porlu  BagneriisJ. 
Après  avoir  fait  un  exposé  des  droits  à  percevoir  pour 
Pentrée  des  mules,  vaches,  chèvres,  etc.,  il  donne 
pouvoir  aux  consuls  et  habitants  du  lieu  de  Bagnères 
de  punir  les  contrebandiers  ou  traficants  de  juments  ; 
et  pour  cela  il  ne  les  oblige  qu'à  tenir  en  bon  état  le 
port  de  Coum.  Pour  favoriser  ses  sujets  de  la  chatelle- 
nie  de  Frontigues  il  ne  leur  fixe  seulement,  pour  la 
taxe  de  chaque  mule,  bœuf  ou  vache  nourri  dans  les 
chàteaux-forts,  villes  villages  et  fortifications  de  Fron- 
sac,  de  Blancat,  Gaux  et  Bordères,  avec  les  dépendan- 
ces des  seigneuries  de  Larboust^,  que  six  sous  de  Tours 
fsex  soldi  TurenscsJ,  pour  l'entrée  des  bestiaux  en 
temps  de  paix  et  quand  il  n' existe  point  de  guerre  avec 
les  Espagnols.  Ensuite  il  établit  d'autres  droits  sur  le 
sel  et  détermine  les  obligations  que  doivent  contracter 
les  habitants  de  Bagnères  et  ceux  de  la  vallée  ;  à  savoir  : 
de  fournir  à  l'entretien  des  soldats  qui  occupent  les 
châteaux  et  les  places  fortes  de  la  chatellenie  de  Fron- 
tigues. Il  ordonne  à  ses  châtelains ,  capitaines ,  baillifs, 
juges  ordinaires  et  à  son  sénéchal  de  maintenir  l'exé- 
cution des  dits  privilèges  et  droits. 

Cet  acte  est  un  des  plus  anciens  de  tous  ceux  qui  font 
mention  de  l'existence  des  chatellenies  et  des  dignités 
de  bailli  et  de  sénéchal.  Voici  au  reste  quelques  articles 
des  coutumes  et  privilèges  de  la  vallée  de  Luchon  que 
nous  offrons  à  nos  lecteurs  comme  renfermant  un  haut 
intérêt  historique.  On  peut  au  surplus  consulter  dans 


48  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

noire  Histoire  du  Comminges  l    ce  titre  en  entier,  et 
dont  nous  ne  donnons  ici  qu'en  partie  la  traduction  : 

Privilèges  accordés  par  Bernard,  comte  de  Comminges, 
aux  vallées  de  luchon  :  an.    1315. 

«  Nous  Bernard,  comte  de  Comminges,  ayant  appris 
qu'on  faisait  sur  nos  frontières  et  notamment  in  portu 
BagneriiSj  de  nombreuses  extorsions;  à  savoir  que  nos 
officiers  (mandatoresj  font  payer  de  chaque  mulet  et 
de  chaque  mule  quarante  sols  ;  de  chaque  verrat,  brebis, 
chèvre,  bouc  dix  sols  tholozains  ;  de  chaque  bœuf  et 
vache  vingt  sols  tholozains,  et  autres  injustices,  con- 
traires à  notre  volonté,  avons  arrêté  ce  qui  suit  : 

«  Les  habitants  du  dit  lieu  de  Bagnèfes  floci  de  Ba- 
gneriisj  sont  autorisé  à  punir  les  traficants  qui  feront 
paître  leurs  juments  dans  les  forêts;  et  pour  cela  ils 
tiendront  en  bon  état  le  port  de  Coum. 

«  De  plus,  voici  le  tarif  qu'adopteront  désormais  nos 
officiers  pour  le  droit  de  péage,  sauf  à  eux  s'ils  ne  l'exé" 
cutaient  point  ou  qu'en  le  faisant  exécuter  ce  fût  au 
détriment  de  nos  sujets,  de  payer  une  amende  de  dix 
pièces  d'or  fdecem  aureorum  nummorumj. 

«  A  l'avenir  nos  sujets  de  la  Chatellennie  de  Fron- 
tigues  payeront  pour  chaque  mule,  bœuf,  vache  com- 
me droit  de  passage  en  Espagne,  en  temps  de  paix  et 
quand  la  guerre  n'existera  pas  entre  nous  et  les  Espa- 
gnols, à  savoir  :  les  mules  bœufs  et  vaches  qui  auront 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  I,  p.  71  seq.,  not.  et  pièc.  justifie. 


DF.  BAGNÊRES-DE-LUCHON.  \\) 

été  nourris  dans  nos  châteaux,  villes  ou  villages  de 
Fronsac,  Blaneat,  Gouaux  (Gauœii),  Bordère  et  nos  dé- 
pendances de  Larboust  (Larbusto),  seize  sols  de  Tours. 

«  Les  mules,  bœufs  et  vaches  qui  viendront  de  l'Au- 
vergne payeront  double,  le  droit  de  passage  ;  quant  aux 
autres  animaux  de  peu  de  valeur,  on  ne  payera  qu'un 
liard  funum  arditumj;  il  en  sera  ainsi  des  volailles. 
Moyennant  ce,  nos  sujets  seront  tenus  de  défendre  ces 
passages,  de  prendre  les  armes,  de  protéger  nos  fron- 
tières, comme  aussi  de  nous  avertir  si  on  tramait  quel- 
que chosedemalcontrenous.  Les  habitants  de  Larboust, 
de  leur  côté,  sont  tenus  à  garder  nos  passages  contre 
les  excursions  de  nos  ennemis. 

t  De  plus,  les  habitants  de  notre  chatellenie  de 
Frontigues  pourront  vendre  ou  échanger  toutes  sortes 
de  marchandises  avec  les  Espagnols,  par  le  passage  de 
l'hospice  (ab  altimo  de  hospitalyj  et  jusqu'à  la  croix  du 
champ,  sans  qu'on  puisse  les  troubler  en  aucune  sorte. 

«  Ils  pourront  encore  acheter  du  sel  et  autres  comes- 
tibles en  payant  pour  l'entrée,  dans  notre  château  de 
Bagnèves,  un  liard  pour  chaque  charge;  et  pour  le  vin 
qu'on  apporte  de  l'Espagne,  le  droit  sera  d'un  quart 
pour  chaque  charge  ;  il  n'en  sera  pas  ainsi  si  le  vin  est 
de  France  ou  s'il  vient  de  notre  comté  de  Comminges. 

a  En  outre,  les  traficants  de  notre  chatellenie  de 
Frontigues  pourront  faire  paître  leurs  animaux  dans 
toute  l'étendue  du  territoire  de  Bagnères,  même  dans 
les  champs  et  dans  les  prés,  lorsque  la  première  récolte 
sera  faite,  sans  être  sujets  à  une  amende. 

«  Item,  les  consuls  et  la  communauté  (tmiversitasj 


50  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

île  notre  ville  Je  Bagnères(oE  Bagneriis  nostrjï  urbis), 
ne  pourront  exiger  pour  le  droit  de  pariage  que  deux 
sols.  Moyennant  ce,  ils  seront  obligés  de  tenir  en  bon 
état  le  port  de  l'Hospice. 

«  Item ^  les  susdits  consuls  et  la  communauté  de 
Bagnères  auront  le  droit  de  casser,  de  prendre,  d'incar- 
cérer, de  punir,  de  condamner  et  de  relaxer,  si  justice 
l'exigeait,  tous  les  coupables,  malfaiteurs,  voleurs, 
escrocs,  larrons  et  autres;  de  les  attacher  au  pilori, 
dons  toute  justice  haute,  basse  et  moyenne,  depuis  le 
territoire  de  Moustajon  jusqu'au  haut  du  port  et  dans 
toute  son  étendue,  et  cela  dans  le  but  d'avoir  le  passage 
libre  de  toute  entrave  mauvaise.  Même,  nous  les  auto- 
risons à  incar-cérer  nos  officiers  s'ils  s'opposaient  à 
l'exécution  des  présentes  constitutions. 

«  Item,  les  susdits  consuls  pourront  prendre  pour 
eux  du  bois,  des  fruits  et  tout  ce  que  produisent  les 
montagnes;  et  même  se  les  approprier,  en  conservant 
néanmoins  les  chênes  nécessaires  pour  la  réparation 
de  nos  chàteanx  et  de  nos  ponts;  les  dits  consuls  ne 
pourront  encore  échanger  le  prix  du  vin,  du  pain,  de 
la  viande  et  autres  choses,  pendant  le  temps  des  mar- 
chés et  des  foires,  et  moins  encore  le  prix  du  dernier 
passage,  au  détriment  des  consuls  de  Gier  ÇCierrioJ, 
sous  peine  d'une  grosse  amende 

«  Fait  àFronsae,  et  signé  de  notre  main,  l'an  1315, 
Bernard,  comte  de  Commincjes  et  vicomte  de  Tour  on,  » 

Cette  charte,  qui  est  un  des  monuments  le  plus 
curieux  que  nous  connaissons  dans  ce  genre,  établit 
plusieurs  faits  bien  importants  et  que  nous  allons  énu- 


DE  RA<;.\KIlES-I>E-LUCnON.  .v)  I 

mércr.  D'abord  il  est  constant  que  la  vallée  de  Luchon 
appartenait  à  cette  époque,  c'est-à  dire  en  1315,  aux 
comtes  de  Comminges,  et  que  par  suite  elle  était  sortie 
du  domaine  de  la  maison  d'Aragon,  si  jamais  elle  y 
était  entrée  ;  ensuite  le  nom  de  Bagnères  était  alors 
déjà  connu  ;  et  cette  connaissance  fait  supposera  juste 
titre  que  ce  nom  servait  depuis  longtemps  pour  dési- 
gner la  ville  qui  était  regardée  comme  la  capitale  de 
la  vallée. 

Or,  le  mot  de  Bagnères,  dont  l'étymologie  latine, 
Balnearia,  est  incontestable,  indique  suffisamment  que 
ce  sont  les  bains  qui  lui  ont  fait  donner  cette  dénomi- 
nation. Il  faut  donc  conclure  que  de  même  que  le  mot 
Luchon,  soit  qu'il  tire  son  origne  du  mot  Louck  qui  en 
langue  celtique  signifie  lac,  marais,  etc.,  soit  qu'il  lui 
ait  été  imposé  à  cause  de  l'adoration  du  dieu  Lixon  qui 
avait  des  autels  dans  ces  lieux,  désigne  une  origine 
celtique;  le  mot  Bagnères  ou  Balncaria  indique  une 
dénomination  postérieure  à  la  conquête  romaine.  Dans 
ce  dernier  cas,  le  nom  de  Bagnères  pourrait  toujours 
lui  avoir  été  donné  vers  les  commencements  du  règne 
des  comtes  ou  quelque  temps  auparavant.  Mais  dans 
toutes  les  hypothèses,  il  est  évident  que  ce  nom  fait 
supposer  de  la  part  de  ceux  qui  l'employaient,  la  con- 
naissance de  l'existence  des  bains. 

Ainsi,  les  sources  de  Baguères-de-Luchon  antérieu- 
rement à  Bernard  iX,  comme  postérieurement  étaient 
connues.  Si  elles  n'étaient  pas  aussi  fréquentées  qu'elles 
l'avaient  été  sous  la  période  romaine  et  peut-être  même 
sous  la  période  barbare,  il  faut  l'attribuer  aux  temps  de 


52  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

troubles  et  de  guerres,  au  milieu  desquels  vivaient  et 
s'agitaient  les  comtes  de  ces  pays  et  qui  ne  laissaient 
aucun  repos  à  leurs  sujets. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  ainsi  que  nous  le  verrons  dans 
le  cours  de  cet  ouvrage,  les  thermes  de  Luchon  n'ont 
cessé  d'être,  sinon  fréquentés  comme  ils  le  sont  de  nos 
jours,  du  moins  connus  et  appréciés  dans  leur  antique 
et  véritable  réputation. 

Maintenant,  si  nous  cherchons  à  constater  quels  sont 
les  lieux  qui,  dans  la  vallée  de  Luchon,  se  sont  distin- 
gués pendant  le  règne  des  comtes  du  pays  de  Comminges, 
nous  trouvons  d'abord  le  petit  village  de  Moustajon  qui 
se  trouve  distant  de  Bagnères  d'environ  six  kilomètres 
{1  h.  'A.)  Son  château,  qui  existe  encore  aujourd'hui, 
est  le  même  que  cite  le  comte  Bernard  dans  la  charte 
de  1315  dont  nous  venons  de  donner  quelques  extraits. 
Le  petit  village  de  Cier  est  aussi  mentionné  dans  ce  titre 
par  le  même  comte.  Les  consuls  de  ce  lieu  jouissaient 
de  droits  assez  importants  puisqu'ils  furent  maintenus 
dans  cette  charte,  au  préjudice  des  privilèges  de  la  ville 
de  Bagnères.  Le  château  de  Blancat,  aujourd'hui  Cas- 
tel-Blancat,  était  la  demeure  seigneuriale  des  comtes  de 
ce  pays  lorsqu'ils  visitaient  cette  vallée.  Castel-Blancat, 
pendant  les  temps  des  guerres  féodales,  servait  à  domi- 
ner les  vallées  d'Oùeil  et  de  Larboust,  comme  le  châ- 
teau de  Moustajon  servait  de  sentinelle  avancée  pour 
commander  la  plaine  de  Luchon.  De  son  côté  Castel- 
Viel  était  placé  vers  les  gorges  espagnoles  pour  dé- 
fendre l'accès  des  ports  contre  les  attaques  des  ennemis 
qui  viendraient  des  vallées  aragonaises. 


DE  BAGNÈRÈS-DÈ-LUCHON.  30 

Parmi  les  autres  localités  qui  ont  eu  une  importance 
historique,  sous  la  période  du  moyen-âge,  nous  citerons 
Antignac  et  Salles.  Un  titre  de  1325,  donné  à  Muret 
par  le  comte  Bernard,  octroie  à  ces  deux  villages 
plusieurs  privilèges  ».  A  la  suite  de  ces  chartes  nous 
trouvons  de  nombreuses  concessions  faites  à  la  vallée 
de  Luchon  par  Charles  VIII,  Louis  XII,  François  ler, 
Henri  IV  et  Louis  XIII,  et  qui  prouvent  toute  l'impor- 
tance qu'elle  avait  aux  yeux  de  ces  monarques.  De  tous 
ces  titres  nous  ne  citerons  que  celui  qui  fut  accordé  par 
Louis  XIII,  et  qui  résume  tous  les  autres  dont  il  n'est 
qu'une  espèce  de  confirmation  renouvelée  par  ses  pré- 
décesseurs 

Le  voici  dans  toute  sa  teneur  : 

«  Nos  amez  les  consuls,  manants  et  habitants  de  la 
ville  de  Saint-Béat  et  de  celle  de  Baghères,  en  notre 
comté  de  Comminges,  nous  ayant  fait-  remontrer  que  le 
dit  pays  est  en  partie  institué  du  Loung  et  dans  les 
Pourpps  des  monts  Pyrénées  limistroffe  des  vallées 
d'Aran,  Paillas,  val  d'Andorre  et  autres  dépendances 
du  pays  d'Aragon  au  royaume  d'Espagne,  accordons 
les  fréquentations  et  commerce  des  articles  et  passe- 
ries,  autorisées  par  nos  prédécesseurs  en  ce  qui  regarde 
les  sujets  de  notre  comté  de  Comminge  ;  et  par  les  rois 
d'Espagne  à  l'égard  des  habitants  des  dites  vallées  ; 
mais  d'autant  que  ce  négoce  se  fait  principalement  aux 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  du    Néhouzan  e(  du 
Pays  de  Comminges,  t.  Il,  notes. 


ïii  HISTOIRE    SPÉCIALE    FT    PITTORESQUE 

dites  vallées  les  plus  voisines  des  dits  étraugers  fron- 
taliers comme  celle  de  Baguères  et  celle  de  Saint-Béat 
qui  se  joint  avec  les  dites  vallées  d^ran,  aucune  saisie, 
ni  obligations,  ni  payemens  de  dettes  ne  peuvent  être 
forcés  à  faire  pendant  les  foires,  ce  qui  serait  enfreindre 
les  dites  passeries. 

«  Ainsi,  aucun  emprisonnement  ni  saisie  de  bestiaux 
ne  sera  faite  pendant  les  dites  foires,  toute  sentence, 
jugements  et  autres  actes  de  justice  restent  en  surséance 
pendant  le  dit  temps » 

A  côté  de  la  vallée  de  Ludion  et  presque  parallèle 
à  cette  dernière,  existe  la  vallée  de  Larboust,  une  des 
gracieuses  et  des  plus  fertiles  des  Pyrénées.  Placée  à 
l'extrême  frontière  de  la  France,  environnée  de  hautes 
montagnes,  elle  a  dû  être  primitivement  d'un  accès  dif- 
ficile ;  la  gorge  de  Paysas  qui  y  conduit  aujourd'hui, 
ayant  été,  dans  les  temps  anciens,  impraticable;  de 
nombreux  arbustes,  des  bois  et  des  bruyères  qui  parais- 
sent avoir  autrefois  occupé  tout  le  terrain,  aujourd'hui 
la  culture,  ont  servi  à  lui  donner  le  nom  de  Larboust 
(Arbusti)  qu'elle  porte. 

Au  surplus,  cette  vallée  se  divise  en  trois  parties  : 
le  Haut-Larboust,  ainsi  appelé  parce  qu'il  domine  le 
reste  de  la  vallée,  forme  un  plateau  délicieux,  couvert 
de  plusieurs  villages  qu'entourent  des  prairies  fertiles. 
C'est  là  que  l'on  découvre  encore  les  ruines  des  pre- 
mières habitations  des  gens  du  pays.  C'est  aussi_,  dans 
cette  partie  de  la  vallée,  qu'ont  existé  le  château  d'Au- 
.  bespin,  si  célèbre  dans  les  chroniques  du  Béarn,  et  un 
couvent  de  Bénédictins  qui  ont  légué  leur  nom  à  une 


>;■>; 


NE  BAGNERES-DE-LDCHON.  :>:> 

fontaine  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  fontaine  des 
Moines.  (Hount  moungeaon). 

La  seconde  partie  de  la  vallée  de  Larboustse  nomme 
la  Terre-basse.  Elle  comprend  les  villages  de  Saint- 
Aventin,  autrefois  appelé  Sainte-Marie,  de  Castillon  et 
de  Cazeaux.  Enfin,  la  troisième  partie  de  la  vallée  se 
prolonge,  depuis  le  village  d'Où,  jusqu'au  port  d'Espa- 
gne, formant  à  elle  seule  une  seconde  vallée  qui  s'étend 
du  nord  au  midi,  et  prend  le  nom  de  Val-d'Aslo;  la  par- 
tie inférieure  est  charmante  et  admirablement  acciden- 
tée. Mais  à  mesure  que  l'on  s'avance  vers  son  extrémité, 
la  végétation  cesse  peu  à  peu,  une  nature  plus  sévère 
apparaît  aussitôt  et,  avec  elle,  le  silence  du  désert. 

La  vallée  de  Larboust  possède  plusieurs  églises  re- 
marquables par  leur  antiquité,  par  la  simplicité  et 
l'élégance  de  leur  architecture  ;  ainsi,  l'église  de  Ca- 
zeaux fixe  l'attention  du  Touriste  par  sa  forme  antique 
et  dans  le  style  gothique,  et  surtout  par  les  peintures 
qui  décorent  sa  voûte.  Ces  peintures  paraissent  dater 
du  XIVc  siècle  et  ressemblent  assez  au  genre  des  fres- 
ques. Elles  se  divisent  en  plusieurs  sujets  ou  tableau 
représentant  :  La  création  du  premier  homme  ;  —  Le 
paradis  terrestre  où  Adam  et  Eve  furent  placés;-— 
L'expulsion  du  premier  homme  de  ce  lieu  de  délices  ; 
—  Enfin  plusieurs  autres  sujets  tirés  soit  de  l'ancien, 
soit  du  nouveau  Testament. 

On  voit  encore  au  village  d'Oo,  une  petite  église 
dont  le  sanctuaire  est  du  style  roman  le  plus  pur.  Cha- 
que croisée  sculptée  avec  goût  repose  sur  des  colonnettes 
surmontées  de  chapiteaux;  les  corniches  en  sont  fouillées 
avec  goût  et  une  finesse  admirables. 


06  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

La  vallée  d'Oueil  qui  semble  avoir  pris  son  nom  de 
sa  forme  topographique  et  qui  était  connue,  dans  les 
anciens  titres  ,  sous  le  nom  de  vallée  de  l'Oeil,  (Valus 
OclliJ  a  aussi  ses  monuments  religieux  et  ses  antiquités. 
On  y  remarque  surtout  le  clocher  du  petit  village  de 
Sacourvielle  qui  est  fort  ancien  et  d'une  forme  très 
originale.  Mayrègne  possède  une  petite  chapelle  romane. 
L'église  de  Cirés  se  distingue  par  une  voûte  gothique 
dont  la  pureté  des  lignes  et  la  distribution  des  arêtes  qui 
la  supportent  sont  d'une  perfection  artistique  fort  rare. 
Bourg,  dernier  village  de  la  vallée,  acculé  en  quelque 
sorte  aux  pieds  du  Mont-Né,  a  encore  une  église  digne 
de  fixer  l'attention  de  l'artiste.  Toutes  ces  églises  parais- 
sent avoir  été  bâties  par  les  soins  du  Chapitre  de  Com- 
minges  et  aussi  par  le  zèle  des  moines  Bénédictins,  qui 
s'étaient  établis  dans  le  Larboust,  dès  le  Xe  siècle. 

Quoiqu'il  en  soit  l'église  et  le  village  deSaint-Aventin 
jouissent,  dans  la  vallée  de  Larboust,  d'une  réputation 
bien  méritée,  soit  à  cause  de  leur  antiquité,  soit  parce 
que  la  légende  populaire  est  venue  ajouter  à  l'histoire 
tout  ce  que  la  poétique  peut  lui  donner  de  relief.  Saint 
Aventin,  qui  a  donné  le  nom  à  l'église,  était  né  dans 
la  vallée  de  Larboust,  vers  l'an  77 8>  sous  le  règne  de 
Charlemagne,  et  sous  l'épiscopat  d'Abraham,  évèque 
de  Comminges.  Ce  saint  naquit  au  milieu  des  douleurs 
d'un  enfantement  laborieux;  car,  selon  la  légende,  sa 
mère  ne  le  mit  au  monde  qu'avec  le  secours  d'une  eau 
miraculeuse. 

«  Or,  en  conservant  le  récit  de  la  légende,  saint  Aven- 
lin  ayant  grandi,  se  retira  dans   un  ermitage  appelé 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  57 

Saint-Julien.  Là,  revelu  de  l'habit  et  du  capuchon  de 
moine,  il  se  livra  à  l'étude  et  à  la  pratique  de  toutes  les 
vertus.  Sa  sainteté  fut  bientôt  reconnue  par  de  nombreux 
miracles. 

«  Et  d'abord  il  ôta,  sans  difficulté  aucune,  du  pied 
d'un  ours  une  épine  qui  le  faisait  horriblement  souffrir. 
L'animal  était  venu  lui-même  implorer  le  secours  de 
saint  Aventin.  Les  Maures  ayant  franchi  à  la  môme 
époque  les  Pyrénées,  et  s'étant  répandus  dans  les  vallées 
voisines,  l'ermite  de  Saint-Julien  s'opposa  à  la  propaga- 
tion de  leurs  doctrines,  il  résista  môme  à  leurs  attaques. 

«  Mais  un  jour  les  Maures,  qui  étaient  jaloux  de  la 
puissance  du  saint,  le  saisirent,  le  garrotèrent  et  l'en- 
fermèrent dans  la  tour  de  Castel-Blancat.  Saint  Aventin 
n'y  resta  pas  longtemps,  car  il  prit  le  vol  à  travers  les 
airs  et  s'échappa  de  sa  prison  :  il  se  fit  cheoir  dans  le 
territoire  de  Pons,  où  en  posant  son  pied  sur  une  pierre, 
il  y  laissa  l'empreinte  de  ses  doigts.  Celte  pierre  est 
la  môme  qui  se  trouve  à  la  porte  de  la  chapelle  des 
Miracles. 

«  Depuis  ce  moment,  il  se  livra  à  Ta  prédication  de 
l'évangile,  et  combattait  avec  ardeur  les  croyances  de 
Mahomet,  que  les  Maures  commençaient  à  répandre 
dans  ces  vallées.  Ceux-ci,  qui  le  voyaient  d'un  mauvais 
œil,  le  poursuivirent  jusques  dans  la  vallée  d'Oueil,  où 
ils  lui  tranchèrent  la  tôle. 

«  Mais  aussitôt  et  sans  perdre  du  temps,  saint  Aventin 
prit  sa  lète  avec  ses  deux  mains,  gravit  une  montagne, 
et,  à  peu  de  distance  de  la  vallée  de  Larboust,  il  déposa 
sa  tête  et  mourut.  Il  fut  enterré  dans  ce  môme  lieu. 


58  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

«  Trois  cents  ans  après  sa  mort,  un  troupeau  de  tau- 
reaux paissant  sur  les  bords  d'une  rivière,  ces  derniers 
s'arrêtaient  toujours  à  un  endroit  où,  sans  prendre  de 
la  nourriture,  ils  se  contentaient  de  gratter  la  terre  en 
mugissant.  Les  taureaux  n'en  étaient  pas  moins  gras 
pour  cela,  ce  qui  fit  croire  au  prodige. 

«  Alors  les  populations  voisines  accoururent  vers  cet 
endroit;  et  tandis  que  la  foule  se  pressait  au  lieu  où 
niugissaientles taureaux,  une  voix  inconnue  fit  entendre 
ces  mots  :  C'est  ici  que  repose  le  corps  du  bienheureux 
saint  Avenlin  !  On  s'empressa  religieusement  de  l'exhu- 
mer. Mais  tout  à  coup  un  essaim  d'abeilles  obscurcit 
l'air  et  s'opposa  à  cette  exhumation.  On  écrivit  au 
pape  le  résultat  de  ces  prodiges.  Le  pape  déclara  qu'il 
fallait  un  ordre  de  sa  part  pour  exhumer  le  corps  du 
bienheureux. 

«  En  effet,  l'ordre  pontifical  transmis,  l'essaim  dis- 
parut, et  on  exhuma  le  corps  de  saint  Aventin  sans  au- 
cune difficulté.  Saint  Bertrand,  évêque  de  Comminges, 
voulant  lui  élever  une  chapelle,  fit  atteler  deux  vaches 
à  un  traîneau  et  les  laissa  marcher  toutes  seules.  Elles 
s'arrêtèremt  au  lieu  de  l'ermitage  de  Saint-Julien,  où 
l'on  éleva  une  chapelle  en  l'honneur  de  saint  Aventin.  » 

Tel  est  le  récit  de  la  légende,  que  nous  avons  rap- 
portée en  entier  parce  qu'elle  nous  a  paru  renfermer 
quelque  chose  de  naïf  et  d'original.  Quoi  qu'il  soit  de 
ce  récit,  il  est  évident  que  l'église  de  Saint-Aventin, 
soit  par  son  architecture,  soit  par  son  antiquité,  est  une 
des  plus  remarquables  du  pays  de  Comminges  '. 

s  M.  de  Castellanne,  Mém.  archéol.,  p.  215. 


DE    BACNÉRES-DE-l/UÇHÔN.  59 

11  nous  suffira  de  donner  les  détails  suivants  à  nos 
lecteurs  pour  leur  en  faire  connaître  tout  le  mérite  ar- 
chitectural. Le  corps  de  l'édifice  en  lui-même  a  environ 
trente  mètres  de  longueur  sur  quinze  de  largeur.  Ainsi 
que  les  basiliques  du  IXe  siècle,  la  voûte  se  courbe  en 
plein  cintre  ;  la  nef,  qui  est  magnifique,  est  divisée  par 
une  double  rangée  de  piliers  massifs  ou  colonnes  i\\\ 
style  roman  ;  une  galerie  supportée  par  ces  colonnes 
s'ouvre  sur  la  nef  du  milieu,  elle  communique  avec 
l'intérieur  de  l'édifice  par  une  rangée  de  petites  fenêtres 
caractérisées  par  leur  style  presque  ogival;  une  grille 
d'un  travail  rare,  et  qui  par  sa  forme  parait  assez  an- 
cienne, sépare  le  sanctuaire  du  reste  de  l'église. 

En  visitant  le  tombeau  de  saint  Aventin,  qui  se 
trouve  placé  derrière  le  maître-autel,  on  voit  que  la 
légende  a  fourni  les  sujets  d'ornementation  qui  sont 
dessinés  sur  la  façade  et  sur  les  contours  du  maître-au- 
tel. Ainsi  on  voit  d'abord  un  sujet  religieux,  c'est  un 
ange  descendant  sur  la  terre  portant  un  message  extra- 
ordinaire, sans  doute  pour  annoncer  la  naissance  de 
saint  Aventin  ;  on  remarque  ensuite  une  femme  qui 
n'est  autre  que  la  mère  du  saint  qui  rend  grâces  au  ciel 
de  sa  délivrance  douloureuse  ;  auprès  de  ces  deux  sujets 
se  montre  un  troisième  tableau  qui  nous  offre  un  ours 
présentant  son  pied  à  saint  Aventin,  qui  lui  en  ôte  une 
épine  qui  l'empêchait  de  marcher;  enfin  on  voit  saint 
Aventin  décapité  portant  lui-même  sa  tète  entre  ses 
deux  mains. 

Si  l'intérieur  de  cet  édifice  religieux  cemme  œuvre 
d'art  offre  tant  de  beautés,   l'extérieur  ne  lui  cède  en 


60  HISTOIRE  SPÉCIALE  £T  PITTORESQUE 

rien;  car  le  monument  est  surmonté  de  deux  tours  iné- 
gales et  qui  lui  servent  de  clochers.  L'une,  la  plus 
élevée  ,  est  couronnée  d'une  flèche  jetée  avec  une  élé- 
gance rare  ;  l'autre  est  écrasée.  Un  porche  ou  péristyle 
précède  la  porte  d'entrée.  Ce  porche  est  formé  par  un 
couvert  qui  ropose  sur  huit  colonnes  de  marbre  veiné 
de  rouge  et  de  vert.  Trois  colonnes  ont  été  enlevées. 
Des  sculptures ',  fouillées  avec  une  grande  habilité , 
ornent  les  chapiteaux  de  ces  colonnes.  Sur  un  de  ces 
chapiteaux  on  voit  représentée  la  mort  de  saint  Àventin 
et  son  martyre  lorsqu'il  fut  fait  prisonnier  par  un  sol- 
dat maure.  Mais  le  sujet  le  plus  remarquable  de  tous 
est  celui  qui  conpose  un  groupe  de  deux  personnages 
qui  poussent  le  saint  vers  le  même  soldat  maure,  qui 
lui  coupe  la  tète.  Il  n'est  pas  jusqu'à  l'ours  de  la  lé- 
gende qui  ne  trouve  sa  place  sur  ces  chapiteaux.  En  ef- 
fet, on  voit  un  animal  informe  qui  n'est  autre  que  l'ours, 
qui  se  montre  empressé  à  vouloir  parler  au  bourreau. 

On  peut  admirer  encore  au-dessus  de  la  porte  des 
bas  reliefs  qui  rappellent  plusieurs  sujets  de  l1  Ancien 
et  du  Nouveau  Testament.  On  y  reconnaît  des  anges 
qui,  en  soutenant  ces  bas  reliefs,  sont  distingués  par 
des  emblèmes  religieux.  Les  douze  Apôtres  sont  sculp- 
tés sur  d'autres  bas-reliefs,  mais  tellement  frustes  qu'il 
est  difficile  de  distinguer  les  lignes  et  le  dessin  qui  com- 
posent les  sujets  qu'ils  représentent. 

Mais  le  motif  de  ces  sculptures  qui  mérite  le  plus 
d'être  remarqué  est  sans  contredit  celui  qu'on  aperçoit 
sur  le  pilier  de  droite  de  la  porte.  Outre  le  sujet  de  la 
Vierge,  tenant  l'enfant  Jésus,  qui  fait  le  principal  motif 


DE  BAGISÉKES-DE-LUCHON.  61 

de  cette  sculpture,  on  peut  encore  admirer,  au-dessous 
de  la  Vierge,  une  scène  grotesque  en  harmonie  avec  les 
croyances  du  moyen-àge  représentant  des  tètes  mons- 
trueuses. Ces  différentes  figures,  laides,  hideuses  et 
grimaçantes,  servaient  aux  artistes  sculpteurs  de  l'épo- 
que de  types  pour  désigner  les  péchés  qu'ils  personni- 
fiaient bizarrement.  Ainsi  la  luxure,  l'avarice,  la 
prodigalité,  etc.,  avaient  des  traits  particuliers  sous  les- 
quels on  les  reproduisait.  En  cela,  l'artiste  sculpteur 
imitait  les  écrivains  de  son  époque  qui,  dans  les  repré- 
sentations des  mystères^  revêtaient  sur  la  scène  les  di- 
verses physionomies  de  leurs  pe  rsonnages .  Il  suffit  pour 
se  convaincre  de  cette  vérité  d'avoir  lu  Pierre  Gringoire. 
L'architecte  qui  a  présidé  à  la  construction  de 
l'église  de  Saint-Aventin  n'a  rien  oublié  du  sujet  de  la 
légende  ;  il  l'a  épuisé,  car  il  a  même  reproduit  sur  un 
des  murs  extérieurs  de  l'église  le  taureau  qui  gratte  la 
terre  pour  indiquer  le  lieu  où  reposait  le  corps  du  saint. 
Il  a  prodigué  au  reste  la  sculpture  sur  toutes  les  autres 
faces  du  monument  religieux. 

C'est  encore  sur  les  murs  de  l'église  de  Saint-Aven- 
tin que  se  trouvent  les  deux  inscriptions  suivantes., 
que  nous  avons  reproduites  dans  notre  Histoire  des 
Populations  pyrénéennes ,  du  Nébouzan  et  du  pays  de 
Comminges  l  • 

ABELLIONI  ABELLIONl 

DEO  TAVR1NIS  BONE 

TAVR1NIS  BONE  CONIS  • 

CONIS  •  V  •  S  •  L  •  M. 

1  Tome  I,  Inscriptions,  série  II,  planche  IX. 


62  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Il  est  donc  évident  que  le  culte  d'Abellion  était  en  hon- 
neur dans  ces  montagnes  ;  nous  avons  dit  comment 
cette  religion  pyrénéenne  avait  pris  naissance  dans  ces 
vallées. 

Après  le  village  de  Saint-Âventin,  celui  de  Gouaux, 
dont  il  est  parlé  dans  la  charte  de  Bagnères-de-Luchon, 
et  celui  de  Garin,  dont  l'archéologie  a  su  profiter  pour 
recueillir  des  monuments  qu'il  renfermait,  sont  deux 
localités  d'une  haute  importance  historique.  Il  est  à  re- 
gretter que  le  temps,  l'ignorance  et  les  guerres  qui  ont 
infesté  ces  contrées  aient  détruit  tous  les  rertes  d'anti- 
quités dont  elles  étaient  si  riches.  Aussi,  en  voyant 
tous  ces  châteaux-forts  en  ruines,  ces  églises  à  moitié 
démolies,  ces  débris  de  villages  s'élevant  au  milieu  de 
sculptures,  d'objet  d'art  et  d'inscriptions  romaines,  on 
ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  que  de  nombreuses 
populations  ont  occupé  ces  vallées. 

Ainsi  non  loin  de  Garin,  à  quelques  pas  de  distance 
de  la  petite  église  de  Saint-Pied,  existait  le  fameux 
château-fort  de  Dauberwn,  dont  de  Marca,  en  1594,  ne 
put  mieux  faire  l'éloge  qu'en  disant  que  la  puissance 
de  sa  garnison  était  telle  qu'elle  dominait  tout  le  pays 
aune  immense  distance.  Bernard  IX,  en  parlant  du 
château  de  Bagnères,  qui  commandait  le  port  de  Bénas- 
que,  le  regardait  comme  imprenable.  Qui  aurait  pu 
donc  porter  les  comtes  du  pays  à  bâtir  de  semblables 
forteresses  ,  si  la  défense  des  vallées  ne  l'eût  exigé 
impérieusement? 

Il  faut  donc  conclure,  ainsi  que  nous  pourrons  bien- 
tôt nous  en    convaincre  nous-mème,   que  les  frontières 


DE  BAGISÈ1\ES-DE-LUCU0N.  05 

du  coté  de  ces  montagnes  étaient  habitées  dans  les. 
temps  anciens  par  de  nombreuses  populations,  avec 
lesquelles  celles  de  nos  jours  n'offrent  qu'une  faible 
proportion. 

Mais  arrivons  enfin  à  parler  des  bains  dans  ce  qu'on 
doit  appeler  leur  réputation  moderne,  et  établissons 
d'abord  l'époque  précise  à  laquelle  leur  renommée 
pendant  le  moyen-àge  a  commencé  d'être  popularisée. 
C'est  une  chose  étonnante  que  depuis  l'expulsion  des 
Romains  de  l'intérieur  de  ces  montagnes  on  n'ait  plus 
fait  mention  des  thermes  de  Ludion.  Parmi  tous  les 
historiens  qui  peuvent  nous  rappeler  leur  ancienne  ré- 
putation, nous  ne  trouvons  qn'Ausone  seul  qui  nous 
en  parle  d'une  manière  assez  positive.  Ces  thermes, 
dit-il,  ont  des  eaux  qui  jouissent  d'une  grande  faveur. 
Mais  il  ne  dit  point  si  de  son  temps  cette  faveur  était 
encore  en  crédit,  ou  bien  si  elle  était  mise  à  profit.  Les 
troubles  et  les  invasions  qui  agitèrent  en  tous  sens  le 
pays  des  vallées,  pendant  les  neuf  premiers  siècles  de 
notre  ère,  c'est-à-dire  jusqu'après  le  règne  de  Charle- 
magne,  ont  dû  sans  doute  empêcher  les  bains  de  Lu- 
chon  de  reprendre  le  crédit  que  leur  avait  acquis  une 
vieille  réputation  conquise  à  justes  titres. 

Aussi,  de  tous  les  monuments  historiques  que  nous 
avons  consultés,  afin  de  nous  fixer  sur  l'époque  moderne 
à  laquelle  ces  thermes  ont  repris  leur  ancienne  renom- 
mée, nous  n'avons  trouvé  que  celui-ci  qui  est  de  l'an- 
née 1375.  C'est  un  vieux  titre  concernant  Bagnères- 
de-Luchon  dans  lequel  on  lit  :  «  Les  passeries  de 
»   Baicgnières  tant  en  <.;a  qu'en  delà  du  port  sont  fran- 


64  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

»  ches  de  tout  droict;  pour  ce  que  les  ravages  de  la 
»  peste  appélent  quantité  de  malades  dans  ses  taux, 
»  qui'y  viennent  se  baicgnier.  Les  consuls  et  manants 
»  de  Baicgnières  sont  tenus  à  exécuter  ces  droits  de 
»  passeries  franches.  »  — Tel  est  le  seul  titre  que  nous 
connaissions,  et  dans  lequel  il  soit  parlé  des  eaux  de 
Bagnères-de-Luchon  pendant  le  moyen-àge  '. 

Mais,  si,  en  nous  autorisant  de  ce  passage  et  de 
la  charte  que  Bernard  IX  octroya,  dont  nous  avons 
donné  des  extraits,  nous  voulions  tirer  une  induction 
historique,  il  nous  serait  facile  d'établir,  par  le  mot 
même  de  Bagnères  que  ce  comte  emploie  dans  sa  char 
te  fin  villa  de  BagneriisJ,  en  1306,  et  par  la  même 
dénomination  de  Baicgnières  dont  se  sert  l'auteur  de 
l'acte  de  1375  que  nous  venons  de  rapporter,  quel'exis- 
tence  des  bains  et  leur  renommée  étaient  reconnues  par 
l'usage  qu'on  devait  en  faire  plusieurs  siècles  antérieurs 
à  ces  actes. 

En  effet  le  nom  de  Baignères  dérive  du  mot  baigner 3 
c'est-à-dire  faire  usage  des  bains.  Or  comment  aurait-on 
donné  ce  nom  à  une  localité  si  réellement  elle  n'avait 
renfermé  des  eaux  thermales  dans  sa  circonscription? 
D'un  autre  côté,  le  nom  même  de  Bagnères  ou  Baic- 
gnières ne  peut  lui  avoir  été  donné  antérieurement  au 
YIC  siècle.  On  est  donc  en  droit  de  conclure  que  depuis 
celte  époque  et  celle  de  1305,  leseauxdeLuchon  étaient 
en  telle  vénération,  qu'elles  servaient  à  Tusage  des  bains 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  etc.,  not.,  pièc.  just., 
chartes,  etc. 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  G5 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  date  certaine  qu'on  doive  assi 
gner  à  la  réputation  de  ces  thermes,  il  est  hors  de  doute 
que  plus  tard  de  nombreux  personnages  sont  venus  la 
faire  revivre,  et  cela  sans  de  grands  efforts  comme  sans 
employer  des  moyens  extrêmes.  Pour  opérer  une  sem- 
blable régénération  il  fallait  quelque  chose  de  plus  que 
le  crédit  et  la  puissance  des  prùneurs.  Ce  quelque 
chose  était  les  faits  antérieurs,  transmis  par  une  con- 
stante et  perpétuelle  tradition,  depuis  les  Romains  jus- 
qu'à nos  jours.  Les  bains  de  Bagnères-de-Luchon  ont 
eu  leur  réputation  établie,  soit  dans  les  prodigieux  ef- 
fets de  ses  eaux,  soit  dans  la  mémoire  des  populations 
environnantes.  Avec  ces  deux  éléments  de  conservation 
leur  souvenir  pouvait-il  périr?  Évidemment  non. 


CHAPITRE  QUATRIÈME 


Bains  de  Bagnères-de-Luchon.  —  Personnages  importants  qui  ont 
visité  ces  thermes.  —  Epoque  de  leur  nouvelle  restauration.  — 
Fondation  de  la  ville  et  divers  droits  dont  elle  a  joui.  —  Mœurs 
des  habitants  de  la  vallée  de  Luchon. 


De  toutes  les  vallées  qui  se  trouvent  dans  l'intérieur 
des  Pyrénées,  il  n'en  est  aucune  qui  abonde  plus  en 
eaux  thermales  que  celle  du  Commiuges.  îl  suffit  pour 
nous  convaincre  de  cette  vérité  d'indiquer  celles  qui 
sont  connues  de  nos  jours,  et  dont  la  plupart  ont  une 
réputation  très-étendue.  Ainsi  nous  nommerons  les 
bains  d'EncaussC;  de  Labarthe,  de  Barbazan,  bourg  et 
gentilhommerie  importante1,  de  Luchon,  de  Lez  dans 

1  «  Barbazan  a  une  source  un  peu  tiède  et  purge  beaucoup, 
laquelle  M.  le  Marquis  de  S.  Luc,  Lieutenant  général  pour  le  Roi 
au  gouvernement  de  Guienne,  a  mis  en  réputation,  ayant  ac- 
coutumé d'y  aller  toutes  les  années.  » 


68  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

la  gorge  de  la  vallée  (TAran ,  de  Sainte-Marie^  du 
Capbern  et  des  Bagnis  près  de  Ganties^  qui  tous  ont 
joui  d'une  réputation  antique  qu'ils  conservent  encore 
aujourd'hui.  Des  restes  de  construction  et  des  monu- 
ments établissent  que  la  plupart  d'entr'eux  ont  été 
connus  des  Romains.  Ici  se  présente  naturellement  une 
question  géographique  à  propos  des  Thermes  Onésiens 
dont  parle  Strabon,  et  qui  sont  placés,  selon  ce  géo- 
graphe, chez  les  Convenœ.  Plusieurs  écrivains  ont 
cherché  à  déterminer  la  véritable  position  de  ces  ther- 
mes. M.  de  Valois  leur  a  assigné  la  position  des  Aquœ 
Convcnarum ,  qui  est  fixée  comme  suit  par  l'itinéraire 
d'Antonin  sur  la  voie  ah  aquis  Tarbellicis  Tolosam  : 


Beneharnum.  .  :  . 
Oppidum  novum.  . 
Aquas  Convenarum 
Lugdunum.  . 
Calagorgim.  . 
Aquas  siccas. 
Vernosolem.  . 
Tolosam.    .   . 


.  M.  P.  XIX. 
.  M.  P.  XVIII. 
.  M.  P.  VIII. 
.  M.  P.  XVI. 
.  M.  P.  XXVI. 
.  M.  P.  XVI. 
.  M.  P.  XV, 
.  M.  P.  XV. 


Ainsi  deux  erreurs  naissent  de  la  position  des  Ther- 
mes Onésiens  aux  Aquœ  Convenarum,.  La  première 
consiste  dans  la  confusion  de  ces  deux  désignations  par 
certains  auteurs ,  et  entr'autres  par  Mentelle  ' ,  qui 
les  appelle  indifféremment  les  Aquœ  Convenarum  ou 


1  Encycl.  Méth.  Geog.  An.  pag.  172. 


DE    BAGJSÈRES-DE-LUCHON.  69 

Onesiorum.  La  seconde  repose  dans  l'indétermination 
géographique  des  Aquœ  Convenarum  d'Antonin  et  des 
Thermes  Onésiens  de  Strabon.  Ce  qui  a  fait  placer  les 
unes  au  lieu  où  se  trouvent  aujourd'hui  les  bains  d'En- 
causse,  tandis  que  Vosgien  au  contraire  semble  les  fixer 
à  Bagnères-de-Luchon  ;  mais  aucune  de  ces  deux  dé- 
signations ne  saurait  être  exacte  puisqu'elles  sont  en 
contradiction  avec  la  distance  fixée  par  l'itinéraire  de 
Beneharnum  jusqu'à  Lvgdunum,  et  qu'en  outre  elles 
sont  en  dehors  de  la  ligne  suivie  par  la  voie  romaine. 
M.  Du  Mège  seul  a  très  bien  déterminé  la  position  des 
Aquœ  Convernarvm  d'Antonin  en  la  fixant  au  Cap- 
bem  qui  possède  des  eaux  thermales  très  renommées, 
quoiqu'il  semble  douter  que  ces  dernières  aient  jamais 
appartenu  auxGonvènes;  mais  le  rapprochement  sur 
les  frontières  de  Lugdvnvm  a  pu,  selon  ce  savant,  faire 
croire  que  ces  bains  leur  appartenaient  '.  Nous  ne  par- 
tageons point  le  doute  de  M.  Du  Mège;  nous  croyons 
au  contraire  que  le  Cap-bern  a  toujours  appartenu  aux 
Convenœ.  Sans  nous  arrêter  à  l'indication  même  de  la 
voie  romaine,  qui  est  une  preuve  formelle  de  sa  situa- 
tion dans  leur  pays,  ni  à  la  régularité  de  la  distance 
entre  ce  dernier  lieu,  connu  sous  le  nom  de  Aquœ  Con- 
venarum et  Lvgdunum  ;  sans  nous  prévaloir  de  cette 
station  qui  se  trouve  placée  sur  la  frontière  que  nous 
avons  cru  devoir  fixer  au  pays  des  Convènes,  nous  re- 
marquerons que  le  Cap-bei'n  a  appartenu  toujours,  sous 
l'époque  féodale  ,   à  la  châtellenie   de    Mauvezin  ,    qui 

1  M.  Du  Mège,  Mon.  Rel.,  pag.  102. 


70  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

était  enclavée  dans  le  Nébouzan.  Or,  nous  avons  re- 
connu que  la  plus  grande  partie  des  Onebuzales  de  Pline 
se  trouvaient  renfermés  dans  les  limites  de  cette  con- 
trée ;  les  Aquce  Convenarum  ont  pu  donc  être  de  nom 
et  de  fait  une  dépendance  des  anciens  Convènes. 

Quant  aux  Thermes  Onésiens  il  n'a  pas  été  facile  de 
déterminer  aussi  exactement  leur  position.  Ainsi  que 
nous  l'avons  vu,  en  les  confondant  avec  les  Aquœ  Con- 
venarum ,  on  s'est  exposé,  avec  Casaubon  et  M.  de 
Valois  i,  à  leur  donner  les  différentes  positions  fixées 
si  arbitrairement  à  ces  derniers.  Aussi  les  Thermes 
Onésiens  de  Strabon  ont-ils  été  successivement  marqués 
à  Encausse  par  ceux  qui  les  confondaient  avec  les  aquœ 
Convenarum  de  l'itinéraire  d'Antonin^,  et  à  Bagnères- 
de-Luchon  par  M.  Du  Mège2.  Ce  savant,  qui  distingue 
à  bon  droite  contre  l'opinion  de  Cazaubon  et  de  Valois^ 
ces  deux  thermes,  ne  se  détermine  à  fixer  la  position 
des  bains  Onésiens  à  Luchon  que  par  la  similitude  de 
célébrité  qu'ils  auraient  eu  d'après  Strabon,  et  la  répu- 
tation que  Bagnères  de-Luchon  avait,  sous  la  période 
romaine,  à  en  juger  par  les  nombreux  monuments 
découverts  auprès  de  ses  sources.  Ainsi,  selon  M.  Du 
Mège,  les  Thermes  Onésiens  devraient  être  placés  à 
Luchon,  comme  les  Aquœ  Convenarum  doivent  l'être 
au  Capbern. 

Mais  nous  ne  partageons  point  l'opinion  de  notre 
savant  quant  à  la  fixation  des  Thermes  Onésiens,  non 

4  Vales.  pag.  159. 

2  M.  Dumège,  Mon,  Rel.  pag.  102  seq. 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  71 

plus  que  relies  des  autres  géographes  qui  ont  voulu 
commenter  la  leçon  de  Strabon.  I^indécision  dans  la- 
quelle tous  se  sont  trouvés  pour  reconnaître  une  posi- 
tion fixe  à  ces  Thermes  Onésiens,  une  étude  spéciale 
des  lieux  et  le  texte  de  Pline  nous  ont  fait  soupçonner 
que  Casaubon,  M.  de  Valois  et  les  autres  avaient  trans- 
formé, par  erreur,  une  dénomination  générique,  un  ad- 
jectif, en  un  nom  propre.  Ainsi  les  Thermes  Onésiens, 
qu'ont  doit  traduire  selon  la  racine  du  mot  grec  onesis, 
oneseos  _,  qui  signifie  aide, secours ,  salutaire,  bienfai- 
sant, etc. ,  par  bains  de  santé y  ne  désigneraient,  dans 
la  pensée  de  Strabon,  autre  chose  sinon  que  la  contrée 
de  Lugdunum  possédait  un  grand  nombre  d'eaux  ther- 
males excellentes  pour  la  guérison  des  malades.  En 
effet,  c'est  ce  qui  ressort  de  la  construction  même  de 
la  phrase  de  ce  géographe.  Le  texte  grec  au  reste  est 
formel  là-dessus.  La  traduction  de  cette  phrase  en  latin 
par  Casaubon  et  sa  construction  ne  permettent  point 
encore  de  donner  d'autre  interprétation  à  la  leçon  de 
Strabon.  On  conçoit  maintenant  comment  un  contre- 
sens a  pu  tromper  les  auteurs  qui  ont  voulu  faire  un 
nom  propre  de  ce  qui  n'était  qu'un  adjectif.  Les  ther- 
mes Onésiens  signifieraient  donc,  dans  la  pensée  du 
géographe  des  Gaules,  que  le  pays  des  Convènes  ren- 
fermait un  grand  nombre  de  sources  thermales  très-sa- 
lutaires, et  dont  nous  avons  réellement  constaté  l'exis- 
tence par  la  nomenclature  de  celles  qui  sont  connues 
encore  aujourd'hui. 

Dans  tous  les  cas,  de  la  fausse  interprétation  du  texte 
de  Strabon,  il  est  évident  que  l'existence  des  bains  de 


72  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Bagnères-de-Luchon  remonte  à  une  très-haute  antiqui- 
té. Parmi  les  preuves  monumentales  que  nous  pouvons 
rapportera  ce  sujet,  nous  ne  parlerons  que  des  résultats 
produits  par  des  fouilles  qui  lurent  faites  sous  Louis  XIV 
par  les  soins   de   M.  d'Orbessan.    On  trouva  d'abord 
soixante-deux  monumentsantiques,  dontles inscriptions 
sont  rapportées  dans   notre  Histoire  des    Populations 
■pyrénéennes.  Ces  monuments  étaient  pour  la  plupart 
des  autels   votifs  de  diverses  formes  et  de  différentes 
grandeurs.    Plus  tard   on  recueillit  des  piscines  d'un 
travail  gracieux,  un  grand  bassin  revêtu  intérieurement 
de  marbre  blanc,  des  statues,  des  petites  baignoires 
incrustées  dans  le  mur  sous  la  forme  de  niches,  des 
conduits  ou  tuyaux  en  briques;  tous  ces  objets  d'art, 
trouvés  dans  des  soulerreins,  témoignent  suffisamment 
de  la  haute  antiquité  dont  jouissent  les  thermes  de 
Luchon.  Dans  les  derniers  temps  encore,  en  construisant 
les  bains  Ferras,  on  trouva  des  piscines;    tandis   qu'à 
côté  du  grand  bâtiment  on   découvrit  trois  baignoires 
qui  se   communiquaient   graduellement   entr'elles  au 
moyen  de  tuyaux  ou  conduits  souterreins.  La  première 
avait  1  mètre  33  centimètres  carrés,  la  seconde  2  mètres 
70  centimètres,  et  la  troisième  en  avait  h.  S'il  faut  juger 
par  leur  disposition  de  l'usage  auquel  elles  servaient, 
il  est  à  présumer  qu'on   les  avait  destinées  à  recevoir 
les    eaux  des  sources  pour  aider   leur   infiltration,    la 
troisième    baignoire  étant   la   seule  qu'on   employait 
pour  prendre  le  bain. 

Tous  ces  objets  d'art,  trouvés  dans  une  espace  aussi 
resserré,  prouvent  hautement  que  les  thermes  de  Lu- 


DE    BAGNÊBE-DE-LUCHON.  73 

chon  ont  joui  du  temps  des  Romains  d'une  réputation 
incontestable.  Ces  restes  d'antiquités  ne  laissent  aucun 
doute  sur  l'existence  d'un  édifice  somptueux  et  immen- 
se qui  s'est  élevé  aux  environs  des  sources.  Mais  à 
quelle  époque  faut-il  faire  remonter  sa  destruction'.' 
C'est  là  une  de  ces  questions  qu'il  faudrait  adresser  aux 
Vendales,  aux  Goths ,  aux  Franks,  aux  Sarrasins, 
c'est-a-dire  à  tous  ces  destructeurs  de  ville  et  de  royau- 
mes qui,  passant  comme  un  torrent  à  travers  de  nom- 
breuses populations,  ne  laissaient  après  eux  que  le 
ravage  et  la  mort.  Peut-être  les  prescriptions  de  l'église 
contre  l'usage  des  bains  contribuèrent-elles  encore  à 
les  laisser  dans  l'oubli  où  nous  les  avons  vu  plongées 
pendant  plusieurs  siècles. 

Sans  nous  arrêter  tout-à-fait  à  cette  dernière  considé- 
ration, il  est  évident  que  les  malades  des  environs  fai- 
saient usage  des  bains.  Selon  le  récit  de  la  tradition, 
confirmé  d'ailleurs  par  le  savant  Campardon,  les  gens 
des  montagucs  voisines,  connaissant  les  vertus  de  ces 
eaux,  creusèrent  un  réservoir  déforme  carrée  d'environ 
buit  mètres  de  longueur,  et  construisirent  en  maçonne- 
rie une  baignoire  commune.  L'eau  sortant  de  la  grotte 
était  conduite  dans  ce  bassin  au  moyen  d'un  tuyau.  Là, 
les  malades  allaieut  pèle-mèle  prendre  leurs  bains. 
Cette  manière  originale  de  se  baigner  était  encore  en 
usage  aux  bains  de  Ganties  il  y  a  environ  quinze  ans. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  moyen,  on  ne  peut  douter 
que  les  cures  nombreuses  qu'opéraient  ces  eaux,  com- 
mencèrent à  fixer  l'attention  des  hommes  influents  qui, 
sous  les  gouvernements  absolus,   disposaient  de  la  for 


74  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

tune  publique.  M.  De  Saint-Luc,  lieutenant-généraï 
de  la  Guienne,  donna  une  certaine  réputation  aux  bains 
de  Barbazan  ;  les  courtisans  et  les  maîtresses  de  Louis 
XV  aidèrent  puissamment  à  faire  la  fortune  de  ceux 
de  Luchon.  Si  la  vallée  avait  pu  disposer  de  sommes 
assez  considérables;  si  les  manants  et  les  consuls  de 
Luchon,  comme  les  appelaient  autrefois  les  comtes, 
avaient  eu  le  budget  d'un  roi  de  France,  depuis  long- 
temps leurs  thermes  auraient  reconquis  leur  vieille 
réputation  :  mais  avant  1789  le  peuple  n'était  pas  sou- 
verain, et  il  ne  faisait  rien  par  lui-même.  Il  est  vrai 
qu'aujourd'hui  on  lui  reconnaît  une  souveraineté  sans 
qu'il  soit  plus  maître  pour  cela. 

Aussi  c'est  aux  instances  seules  des  hommes  de  l'art, 
qui  voyaient  les  guérisous  sans  nombre  qu'opéraient  les 
eaux  de  Luchon,  et  à  la  générosité  de  M.  D'Etigny, 
intendant  de  la  province  en  1759,  qu'il  faut  attribuer 
la  nouvelle  restauration  de  ces  thermes.  En  effet,  cet 
officier  supérieur  du  roi  se  transporta  lui-même  sur  les 
lieux,  prit  connaissance  de  la  liste  nombreuse  des  cures 
opérées  par  ces  eaux,  les  fit  analyser,  et  se  détermina 
enfin  à  allouer  des  fonds  pour  leur  reconstruction. 

C'est  en  l'année  1761  que  le  célèbre  Campardon 
fut  attaché  comme  médecin  à  la  surveillance  des  ther- 
mes de  Luhon.  Ce  savant  ne  négligea  rien  pour  con- 
firmer M.  D'Etigny  dans  le  projet  qu'il  avait  conçu  de 
relever  ces  thermes.  M.  De  Richelieu,  qui  était  gouver- 
neur de  la  haute  et  basse  Guienne,  seconda  les  vues 
sages  et  réformatrices  de  M.  d'Etigny.  Un  mémoire 
adressé  au  médecin  du  roi  Louis  XV,  décida  de  la  des- 


DE  BAGflÈRES-DE-LUCHCKN.  75 

tinée  heureuse  de  cette  vallée;  car  son  mémoire,  qui 
renfermait  |ces  lignes  :  «  La  jalousie  peut  bien  s'irriter 
»  contre  l'idée  de  voir  revivre  ces  bains  antiques,  mais 
»  l'humanité  plus  forte  que  la  jalousie,  l'emportera 
»  devant  sa  majesté,  etc.,  etc.  »,  fut  accueilli  favora- 
blement malgré  la  flatterie,  où  plutôt  à  cause  de  la 
flatterie,  qui  perçait  à  travers  toutes  les  lignes.  Les  en- 
nemis de  Luchon  furent  vaincus! 

Dès  ce  moment,  le  maréchal  de  Richelieu  fit  tracer 
une  route  magnifique  qui  sillonna  la  vallée,  afin  de 
rendre  ses  communications  plus  faciles.  De  son  côté, 
M.  D'Etigny  fit  planter  et  entretenir  avec  un  soin  tout 
particulier,  la  fameuse  promenade  qui  porte  son  nom. 
La  bâtisse  des  bains  de  la  Reine  s'éleva  aussitôt,  sous 
l'action  puissante,  des  munificences  du  gouverneur  de  la 
province.  Alors  aussi,  les  thermes  de  Luchon,  furent 
visités  par  M.  le  duc  d'Aiguillon,  par  la  célèbre  Pom- 
padour,  par  M^e  Joséphine  de  Lorraine,  par  la  comtesse 
de  Bride,  par  le  prince  de  Rohan,  M1Ie  Louise  de 
Rohan,  la  princesse  de  Lorraine,  le  dur  de  Choiseul 
et  par  un  grand  nombre  d'autres  personnages.  Dès  ce 
moment j  la  fortune  de  ces  bains  fut  faite }  dit  un  écrivain 
courtisan.  A  notre  tour  nous  dirons  que  cette  fortune 
fut  augmentée  encore  par  le  travail  et  l'industrie  des 
habitants  de  Luchon,  et  surtout  par  la  sagesse  et  l'ha- 
bileté de  son  administration  municipale. 

Au  reste,  nous  dirons  les  travaux  qui  furent  entrepris 
et  continués  par  les  soins  du  pouvoir  municipal,  et 
nous  verrons  s'ils  ne  l'emportent  point  sur  tous  ceux 
que   la  faveur  aristocratique  et  la  vanité  nobiliaire  oc- 


76  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

troyèrent  après  de  nembreuses  et  de  continuelles  in- 
stances. 

Mais  auparavant,  établissons  notre  opinion  sur  l'ori- 
gine de  Bagnères  et  sur  l'époque  de  sa  fondation.  Il  est 
un  fait  étonnant  concernant  la  vallée  de  Luchon,  c'est 
que  dans  l'histoire  des  quatres  vallées,  Aure,  Nesle, 
Barousse  et  Magnoac,  comme  dans  les  notices  qu'on  a 
écrites  sur  le  Val  d'Aran,  il  ne  soit  jamais  fait  mention 
de  cette  vallée. 

Ainsi,  nous  voyons  Abarca  bâtir  le  château  de  Valca- 
brère  vers  le  commencement  du  Xe  siècle  ;  il  est  maî- 
tre de  la  Barousse  et  de  la  terre  d'Aure  ;  et  parmi  les 
détails  historiques  qui  ont  rapport  à  lui  ou  à  ses  posses- 
sions, nous  ne  trouvons  rien  qui  concerne  la  vallée  de 
Luchon.  Le  Larboust,  la  vallée  d'Aran,  la  vallée  d'Oueil, 
occupent  l'esprit  des  historiens,  qui  nous  donnent  dans 
les  moindres  détails  tous  les  documents  qui  intéressent 
ces  contrées;  et  aucun  des  écrivaius  ne  nous  parle  delà 
vallée  voisine,  et  pourtant  on  ne  peut  s'empêcher  de 
reconnaître  qu'elle  a  eu  une  importance  historique  aussi 
grande  que  celle  de  ces  rivales:  car,  pour  nous  borner 
seulement  à  la  ville,  il  est  constant  que  Bagnères  existe 
depuis  bien  des  siècles.  Depuis  bien  des  siècles  au  fond 
de  ce  magnifique  vallon,  où  domine  la  ville  nouvelle, 
aux  environs  des  sources  thermales,  une  autre  ville  s'est 
élevée  dans  les  temps  anciens.  L'opinion  de  ceux  qui 
prétendent  qu'avant  la  reconstruction  des  bains  par  les 
soins  de  M.  D'Etigny,  il  n'existait  que  quelques  cabanes 
en  chaume  mal  bâties,  composant  un  simple  hameau, 
est  erronée. 


DE    BAGNÉRES -DE -LUCHON.  77 

En  efïet,  dans  la  charte  que  Bernard  IX  octroya,  en 
1305,  aux  habitants  de  Luchon,  il  est  dit  que  les  ma- 
nants, consuls  et  autres  de  la  dite  communauté  et 
ville  de  Bagnéres  (villa  de  Bagneriis)  sont  tenus  à 
défendre  les  passages  des  ports,  à  veiller  à  la  défense 
des  frontières,  en  tenant  garnison  dans  les  châteaux  ; 
en  un  mot,  à  se  montrer  les  serviteurs  dévoués  du  comte. 
Certes,  on  ne  s'adresserait  pas  en  pareils  termes  aux 
habitants  d'un  simple  hameau  ;  on  ne  leur  imposerait 
point  un  tarif  pour  la  perception  des  droits  de  péage  ; 
enfin,  on  ne  leur  accorderait  point  des  privilèges  aussi 
nombreux  que  ceux  qui  sont  mentionnés  dans  la  charte, 
si  ceux  auxquels  s'adressait  le  comte,  n'avaient  pas 
formé  une  communauté  importante. 

D'un  autre  côté,  dans  un  titre  de  987  concernant 
une  fondation  faite  en  faveur  de  Péglise  de  Saint-Béat, 
il  est  dit  que  l'église  de  Bagnéres  aurait  en  pariage, 
c'est-à-dire  en  partage,  les  revenus  de  cette  fondation, 
qui  consistaient  en  dîmes  et  en  biens  fonds.  On  y  lit 
ensuite  «  qu'attendu  la  prospérité  croissante  et  les  nom- 
»  breux  revenus  qui  distinguent  Péglise  de  Bagnéres, 
»  les  offrandes  nombreuses  dont  les  habitants  du  lieu 
»  l'enrichissent,  la  fondation  ne  sera  que  temporaire 
»  pour  ce  qui  concerne  la  part  dévolue  à  l'église  de 
»  Bagnéres  (pro  parte  devoluta  ecclesiœ  de  Bagneriis).» 
D'après  ces  faits  il  est  impossible  de  révoquer  en  doute 
l'existence  de  la  ville  de  Luchon,  au  moins  au  com- 
mencement du  Xe  siècle  ;  on  ne  peut  nier  non  plus 
qu'au  XIIIe  siècle,  elle  n'ait  eu  une  certaine  importance. 
Dr  tout  cela  que  conclure,  sinon  que  la  ville  de  Luchon 


78  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

a  non  seulemeinent  une  origine  ancienne,  mais  encore 
qu'elle  a  eu  une  population  nombreuse? 

Nous  allons  encore  plus  loin  :  parmi  les  nombreuses 
confirmations  des  privilèges  dont  jouissait  cette  ville,  et 
que  les  rois  de  France  lui  ont  octroyés,  nous  remarquons 
l'acte  de  confirmation  de  Louis  XIII.  Dans  cette  pièce 
il  est  dit  que,  «  voulant  maintenir  les  frontaliers  de  la 
»  vallée  de  Luchon  et  notammeDt  la  ville  de  Bagnères 
»  dans  la  jouissance  de  ses  anciens  droits,  sans  trou- 
»  blés  ni  empeschements,  confirme  tous  ses  droits  et 
»  principalement  ceux  d'avoir  des  foires,  lesquelles  sont 
»  les  plus  considérables  avec  celles  de  Saint-Béat^  de 
»  toutes  les  vallées.»  Il  est  donc  évident  que  déjà  sous 
Louis  XIII  une  localité  qui  jouit  du  privilège  d'avoir 
des  foires  était  loin  de  n'être  qu'un  hameau,  deux  rè- 
gnes plus  tard.  Il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître 
que  depuis  le  IXe  siècle  la  ville  de  Bagnères  a  eu  une 
existence  honorable;  et  si  l'accroissement  naturel 
qu'elle  devait  prendre  semble  s'être  arrêté  devant  quel- 
ques maisous  de  chétive  apparence,  il  faut  attribuer  cet 
état  stationnaire  à  la  destruction  et  au  pillage  qui  doi- 
vent l'avoir  comprimé  dans  les  développements  de  sa 
circonscription.  Antiquité  et  importance  historique, 
tels  sont  les  deux  caractères  qui  signalent  l'existence  de 
Bagnères-de-Luchon,  depuis  sa  fondation,  fixée  environ 
vers  le  Xe  siècle. 

Mais,  si,  de  ces  hautes  considérations  historiques, 
nous  descendons  jusqu'à  la  peinture  des  mœurs  qui 
distinguent  les  habitants  de  la  vallée  de  Luchon,  nous 
trouvons  à  leur  faire  l'application  suivante,  qui  est  une 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  79 

juste  appréciation  morale  de  leur  caractère.  «  Ils  sont 
en  général  vifs,  laborieux,  actifs,  sobres  et  tempérants. 
Le  rétrécissement  de  leur  sol,  comparativement  à  l'ex- 
trême population,  leur  fait  un  besoin  de  ces  différentes 
vertus  pour  pouvoir  fournir  à  leur  subsistance.  C'est  un 
spectacle  vraiment  intéressant,  que  celui  de  voir  une 
population  nombreuse,  vivre  sur  un  terrain  dont  la 
partie  cultivable  est  presque  nulle;  et  que  des  travaux 
continuels  et  assidus  peuvent  seuls  rendre  fertile.  Dans 
les  vallées  tout  est  en  quelque  sorte  le  produit  de  Pin- 
dustrie  ;  c'est  l'homme  qui  fait  presque  tous  les  frais  des 
productions  qui  y  croissent.  Le  patriotisme,  ou  plutôt 
cet  instinct  qui  attache  l'homme  au  sol  qui  l'a  vu  naître 
et  qui  a  nourri  son  enfance,  est  porté  au  dernier  degré 
chez  ces  cultivateurs,  qui  ne  sont  riches  que  de  leur 
sobriété.  Si  plusieurs  d'entr'eux  s'expatrient  dans  leur 
jeunesse  pour  aller  tenter  la  fortune  ailleurs,  ce  n'est 
que  dans  le  dessein  de  revenir  au  lieu  natal.  Aussi  la 
valeur  des  terres,  dans  un  pays  si  rétréci  et  privé  de  tout 
débouché,  est  vraiment  une  chose  étonnante  et  qui  ne 
s'explique  que  par  cet  attachement  extraordinaire  au 
toit  de  ses  pères. 

«  Ces  montagnards  se  nourrissent  presqu'entière- 
ment  de  légumes,  de  farine  et  de  laitage.  Ils  ne  boi- 
vent que  très-peu  de  vin  ;  leurs  travaux  sont  presque 
tous  relatifs  à  la  culture  et  à  l'économie  rurale.  Le 
commerce  est  peu  connu  dans  toutes  ces  parties,  sinon 
dans  la  saison  des  bains.  Les  objets  d'une  nécessité  in- 
dispensable qu'on  ne  fabrique  pas  sur  les  lieux  y  sont 
importés,  et  on  donne  en  échange  les  produits  des  bes 


80  HISTOIRE  SPÉCIAL!*  ET   PITORESQUE 

tiaux  et  du  lait  qu'où  transforme  en  beurre  et  en  fro- 
mage. Du  reste,  chacun  vit  des  productions  du  sol  qu'il 
cultive;  et  s'ils  font  des  échanges,  ils  ont  lieu  de  voisin 
à  voisin,  ou  dans  un  cercle  très-rétréci. 

«  Le  caractère  général  des  habitants  de  ces  vallées 
est  d'être  simples,  bons  et  généreux;  ils  aiment  l'indé- 
pendance ;  ils  ont  du  courage  et  de  la  fierté.  Ils  partagent 
la  gaîté  vive  de  tous  les  peuples  du  midi  de  la  France  ; 
et  ils  mettent  dans  leur  démonstration  cette  chaleur,  cet 
empressement  que  caractérise  la  vivacité,  et  qu'anime 
un  langage  passionné,  rapide  et  métaphorique  '.  » 

1  Histoire  des  Populatons   pyrénéennes,   du  Nébouzan   et  du 
Pays  de  Gomminges,  t.  II,  notes. 


CHAPITRE  CIQUIÈME 


tpoque  de  la  fondation  de  l'Établissement  actuel  de  Bagnères-de- 
Luchon.  —  Différents  travaux  qui  ont  été  exécutés  successive- 
vement.  —  Constructions  monumentales  de  M.  Chambert.  — 
Église  de  Bagnères  exécutée  sur  [les  plans  de  M.  I.oupof.— 
Travaux  d'aménagement  de  M.  François.  —  Divers  autres  éta- 
blissements de  Bains.  —  Causes  principales  de  la  prospérité 
de  la  ville. 


Quoique  nous  ayons  attribue  à  M.  d'Eligny  la  nou- 
velle restauration  des  bains  de  Luchon  et  leur  réta- 
blissement comme  création  thermale,  il  est  évident 
que,  sans  nuire  à  la  recounaissance  qu'on  doit  à  cet 
intendant,  les  principaux  travaux  exécutés  à  Luchon  ne 
font  été  qu'en  1805,  sous  l'Empire,  et  de  nos  jours. 

A  cette  époque  on  creusa  les  fondements  de  l'établis- 
sement actuel,  et  c'est  en  partie  au  gouvernement  et 
en  partie  au  département  qu'on  est  redevable  des  fonds 
qui  furent  employés  à  cette  œuvre  de  reconstruction, 


82  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  P1TTORESQUF. 

Si,  d'après  cette  inscription  : 

NYMPH1S. 

AVG 
SACRVM. 


c'est  Auguste  qui,   étant  venu   à   Luchon,  sacrifia  le 
premier  aux  nymphes  de  ces  sources,  c'est  encore  sous 
un  autre  Auguste,  sous  l'empereur  des  Français,  que 
les  nymphes  de  ces  eaux  ont  vu  s'élever  l'édifice  prin- 
cipal, sous  lequel  elles  s'abritent  de  nos  jours;  tant  il 
est  vrai  que  tout  ce  qui  s'est  fait  sous  le  grand  homme 
semble  être  marqué  d'un  cachet  particulier  à  son  génie! 
Aussi  est-ce  le  style  de  l'époque  qui  a  présidé  à  la  cons- 
truction de  ce  monument  thermal,  style  sévère,  simple 
et  grandiose  en  même  temps.  La  façade  se  dessine  sous 
la  forme  d'un  péristyle  académique  :  on  dirait  le  Par- 
thénon  ;  trois  issues  différentes  et  régulières  conduisent 
dans  l'intérieur  du  bâtiment,  qui  présente  d'abord  aux 
regards,  une  vaste  salle  en  communication,  des  deux 
côtés  avec  les  cabinets  des  bains  ;  une  cour  de  forme 
carrée  s'ouvre  en  face  de  la  grande  salle,  et  sert  de  li- 
mite aux  corridors  qui  l'entourent  ;  cette  cour  et  les 
corridors  qui  ouvrent  un  passage  pour  conduire  aux 
cabinets  des  bains,  composent,  dans  leur  ensemble,  le 
plan  des  cloîtres  du  moyen-âge,  mais  en  diminutif;  à 
l'extrémité  de  la  cour,  et  par  suite  sur  le  derrière  du 
bâtiment,  qui  s'élève  au  pied  de  la  montagne  et  en 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  •  85 

s'adossant  sur  ses  flancs,  se  touvent  les  diverses  sources 
thermales  qui  fournissent  les  eaux  nécessaires  aux  bai- 
gneurs; de  nombreux  cabinets  sont  rangés  des  deux 
côtés,  de  la  cour  intérieure;  l'édifice  est  isolé  et  abrite 
les  seules  sources  thermales  primitivement  connues,  les 
seules  peut-être  qui  existeut  dans  ces  lieux- 
Tel  est  remplacement,  la  forme  et  la  destination  de 
l'établissement  appelé  Le  Bain  de  la  Reine,  qui  fut 
élevé  en  1805.  Mais  depuis  cette  époque,  de  grandes 
amélioracions  ont  été  faites  dans  ce  bâtiment,  soit  par 
l'appropriation  des  cabinets  et  des  baignoires,  qu'on  a 
plusieurs  fois  renouvelés,  soit  par  les  travaux  nom- 
breux que  M.  François,  ingénieur  en  chef,  a  exécutés 
pour  l'aménagement  des  eaux  qui  jaillissent  des  sour- 
ces thermales. 

Et  d'abord,  parlons  des  galeries  et  du  but  principal 
que  M.  François  s'était  promis  d'atteindre  en  les  con- 
struisant. 

Avant  l'exécution  des  travaux  entrepris  par  cet  habile 
ingénieur,  les  eaux  des  sources  présentaient  deux  pro- 
blêmes difficiles  à  résoudre  :  le  premier,  â  savoir  si  les 
eaux  venaient  à  leur  source  par  le  haut  de  la  montagne 
ou  par  le  bas  ;  le  second  consistait  à  éviter  que  les  eaux 
des  diverses  sources  ne  se  mélangeassent  avant  d'arriver 
à  l'établissement,  toutefois  cependant,  après  s'être  bien 
assuré  que  ces  sources  ne  communiquaint  point  entre 
elles  souterrainement. 

Afin  de  parvenir  à  la  solution  de  ces  deux  problêmes 
géologiques  et  hydrauliques,  M.  François  a  fait  percer 
la  montagne  dans  la  direction  des  sources.  Il  a  établi 


Ni  Histoire  spéciale  et  pittoresque 

ainsi  quatre  galeries  souterraines  qui  aboutissent  à  qua- 
tre ouvertures  extérieures.  Chaque  galerie  conduit  à 
une  source  particulière.  Outre  ces  souterrains  parallè- 
les, il  existe  encore  des  galeries  transversales  qui  com- 
muniquent entr'elles.  Ces  travaux  sont  ingénieusement 
conduits  et  exécutés  avec  les  précisons  géométriques 
les  plus  exactes;  ils  ont  eu  cela  d'avantageux,  qu'ils 
ont  servi  à  constater  que  l'eau  des  sources  venait  du 
bas  de  la  montagne,  et  que  ces  sources  étaient  parfaite- 
ment distinctes  entr'elles  :  c'était  la  solution  du  pre- 
mier problème  que  s'était  proposé  l'habile  ingénieur. 

A  part  ces  galeries,  qui  ont  été  les  travaux  prépara- 
ratoires  pour  arriver  à  un  second  résultat,  c'est-à-dire  à 
empêcher  que  les  eaiix  froides  de  la  montagne  com- 
muniquassent intérieurement  avec  les  eaux  thermales, 
tout  en  conservant  leur  température  à  ces  dernières, 
M.  François  a  exécuté  encore  d'autres  travaux.  A  l'ex- 
trémité de  chaque  galerie,  au  fond  de  la  montagne,  ou 
voit  sourdre  de  bas  en  haut  sur  le  sol,  l'eau  thermale  de 
chaque  source.  Afin  d'éviter  la  dispersion  de  cette  eau, 
ou  son  mélange  avec  les  eaux  froides  de  la  montagne, 
l'ingénieur  a  fait  un  barrage  carré  tout  autour  de  la 
source.  Au-dessous  de  ce  barrage,  et  sur  un  plan  légè- 
rement incliné,  il  a  exécuté  des  auges  souterraines,  dans 
lesquelles  les  eaux  thermales  se  déversent  successive- 
ment de  l'une  dans  l'autre;  la  destination  de  ces  auges 
consiste  à  aider  la  clarification  de  l'eau,  qui,  sortant  du 
troisième  réservoir,  est  dirigée  par  un  conduit  vers  les 
cabinets  des  bains. 

Ce  barrage  et  la  construction  de  ces  réservoirs  ou 


DE  BAGNÈRES-Dfc-LUCHON.  85 

bassins  ont  l'avantage  de  conserver  à  l'eau  toute  sa 
température,  et  quelquefois  même  de  l'augmenter.  Ces 
travaux,  exécutés  par  des  ouvriers  de  la  localité  sous 
la  direction  de  M.  François,  ont  été  évalués  à  une 
dépense  de  deux  cent  mille  francs.  Les  galeries,  qui  sont 
de  petits  chefs-d'œuvre  dans  leur  genre)  varient  de 
longueur  depuis  soixante  jusqu'à  quarante  mètres. 
Jusqu'à  ce  jour,  dans  les  Pyrénées,  on  n'avait  point  en- 
core perforé  une  montagne  à  ce  degré  de  profondeur. 
A  ces  travaux  déjà  si  importants  et  qui  intéressent 
à  un  si  haut  degré  l'avenir  de  Bagnères-de-Luchon,  le 
conseil  municipal  de  la  ville,  aidé  du  gouvernement,  fait 
construire,  par  les  soins  et  sur  les  plans  de  M.Chambert, 
habile  architecte  de  Toulouse,  un  nouvel  établissement 
thermal  dont  nous  devons  entretenir  nos  lecteurs. 


NOUVEL  ÉTABLISSEMENT  THERMAL. 

On  sait  que  l'administration  municipale  de  ï»agnères- 
de-Luchon,  après  avoir  provoqué  pendant  plusieurs 
années  des  études  sérieuses  de  la  part  des  Architectes, 
a  confié  à  M.  Chambert,  architecte  du  département,  ta 
construction  d'un  établissement  thermal  qui  sera,  sans 
aucun  doute,  le  plus  remarquable  et  le  plus  complet  de 
tous  ceux  qui  existent  dans  les  Pyrénées.  Quoique  les 
ouvrages  entrepris  sur  les  plans  de  M.  Chambert  ne 
soient  pas  encore  assez  avancés,  on  peut  néanmoins  se 
faire  une  idée,  dès  aujourd'hui,  des  proportions  colos- 
sales de  l'édifice  et  de  l'exécution  parfaite  de  ses  détails  . 


86  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Pour  concevoir  son  importance,  il  suffira  de  savoir 
que  sa  façade  a  un  développement  de  95  mètres,  sur 
une  largeur  de  44  ;  qu'elle  sera  décorée  d'un  fronton  et 
d'une  galerie  couverte,  supportée  par  32  colonnes  de 
marbre  statuaire  de  Saint-Béat.  Elle  doit,  en  outre, 
être  surmontée  de  huit  énormes  pavillons,  et,  sauf  les 
murailles,  le  marbre,  seul,  est  admis  dans  toutes  les 
parties  nobles  de  l'édifice. 

Ce  ne  sera  plus  ces  modestes  constructions  auxquelles 
nos  yeux  étaient  habitués  depuis  tant  d'années  ;  mais 
bien  rétablissement  thermal  le  plus  magnifique,  non 
seulement  de  la  France,  mais  encore  des  pays  étrangers. 
Si  pour  les  dispositions  intérieures,  M.  Chambert  a 
emprunté  à  nos  voisins  de  la  Suisse  et  de  l'Allemagne, 
plus  avancés  que  nous  dans  ce  genre  de  construction, 
pour  la  partie  monumentale,  il  a  puisé  ses  inspirations 
dans  les  thermes  gigantesques  de  Néron  et  de  Caracalla, 
dont  les  proportions  et  la  magnificence  résument  les 
grandeurs  de  l'ancienne  Rome. 

A  lui  maintenant  d'exécuter  une  œuvre  qui  désarme 
la  critique  !  jamais  artiste  n'a  eu  de  plus  grands  avan- 
tages que  lui  :  larges  allocations  municipales  ;  les  Pyré- 
nées lui  offrant  à  bas  prix  leurs  marbres,  leurs  granits 
et  leurs  différentes  productions;  deux  cents  ouvriers  se 
pressant  chaque  jour,  à  l'envie,  dans  ses  chantiers,  rien 
ne  lui  manque  pour  élever  un  superbe  moDument. 

Après  toutes  les  magnificences  du  grand  établisse- 
ment, toutes  les  faveurs  qui  l'entourent,  comment 
parler  d'un  édifice  modeste,  dont  l'existence  a  été  mise, 
depuis  bientôt  trente  ans  en  contestation,  auquel  toutes 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  87 

les  conditions  de  vie  ont  été  si  souvent  enlevées  qu'on  a 
peine  à  comprendre  comment  il  est  parvenu  au  point 
où  on  le  voit.  C'est  de  l'église  dont  nous  voulons  par- 
ler; c'est  sur  elle  que  nous  allons  appeler  l'attention 
qu'elle  mérite.  On  ne  saurait  la  lui  refuser,  ne  serait-ce 
qu'en  vue  des  traverses  qu'elle  a  subies,  et  de  celles  qui 
peut-être  l'attendent  encore. 


NOUVELLE  EGLISE  DE  LUCHOK. 

On  se  rappelle  sans  doute,  l'ancienne  église  de  Lu- 
<hon,  si  petite,  si  écrasée,  si  obstruée  par  de  monstrueux 
piliers,  qu'elle  semblait  renfermer  autant  de  plein  que 
de  vide,  et  dans  laquelle  personne  ne  pouvait  ni  voir  ni 
être  vu. 

Depuis  longtemps,  l'opinion  publique  réclamait  con- 
tre cet  édifice;  les  étrangers  surtout  ne  comprenaient 
point  comment  il  était  possible,  lorsqu'ils  voulaient 
assister  aux  offices  religieux,  de  leur  imposer  la  néces- 
sité de  se  ranger  pèle  et  mêle  sur  une  place  publique, 
exposés  à  toutes  les  intempéries  de  l'atmosphère,  n'ayant 
d'autre  perspective  qu'une  porte  surbaissée,  obstruée  et 
impénétrable. 

Il  fallait  faire  cesser  cet  état  de  choses.  Dans  ce  but, 
M.  Tron,  premier  magistrat  de  la  cité,  joint  à  M.  le 
Curé  et  aux  habitants  zélés,  parviDt  à  réaliser  des 
fonds  pour  entreprendre  la  construction  d'une  nouvelle 
église.  La  direction  des  travaux  fut  confiée  à  M.  Loupot, 
connu  depuis  quelques  années  dans  la  ville,  estimé  de 


88  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

tous  et  exerçant  les  fonctions  d'ingénieur  civil  des  mines 
de  l'arrondissement.  Aussi  tout  le  monde  le  vit-il  avec 
plaisir  à  la  tête  de  la  nouvelle  entreprise. 

Dès  ce  jour,  il  se  mit  à  l'œuvre,  et  sans  ressources 
assurées,  il  se  lança  avec  courage  dans  les  hasards  d'une 
construction  monumentale,  dont  le  chiffre  eut  certai- 
nement découragé  les  mieux  disposés,  s'il  eut  été  connu 
d'avance.  Sachant  bien  le  but  qu'il  voulait  atteindre, 
mais  ne  voulant  effrayer  personne,  ce  n'était  d'abord 
qu'une  simple  reconstruction,  analogue  à  celle  qui  exis- 
tait déjà,  mais  il  multipliait  ses  études,  et  chaque  plan 
apportait  une  amélioration  nouvelle.  Ainsi  après  deux 
années  de  travaux,  à  la  suite  d'améliorations  successives, 
à  côté  de  cette  ancienne  église  si  informe,  si  écrasée,  on 
voit  s'élever  aujourd'hui  les  deux  tiers  de  l'église  nou- 
velle, véritable  monument,  remarquable  par  la  beauté 
de  ses  proportions,  par  la  sévérité  de  son  caractère  et 
par  la  richesse  de  ses  matériaux  :  dans  la  soirée  du  1 2 
octobre  1850,  la  grande  croix  romane  fut  hissée  sur  le 
pignon  de  l'édifice,  les  cloches  saluèrent  l'érection  de 
cette  pierre  angulaire  et  portèrent  à  tous  les  habitants 
la  nouvelle  de  cet  événement. 

Tels  ont  été  les  moyens  pour  arriver  à  l'exécution  ; 
parlons  maintenant  de  l'exécution  elle-même. 

Dès  les  premiers  moments  où,  chargé  d'un  projet 
nouveau,  M.  Loupot  eut  à  se  préoccuper  de  la  forme 
de  sa  pensée,  il  jeta  les  yeux  autour  de  lui  et  vit  s'élever 
de  tous  côtés  ces  églises  primitives  des  villages  Pyré- 
néens, précieux  spécimen  du  genre  byzantin,  témoi- 
gnages incontestables  de  l'antiquité  de  la  foi  dans  nos 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHOW.  89 

contrées.  11  comprit  avec  raison  qu'une  question  de 
convenance  et  d'harmonie  lui  imposait  l'adoption  d'un 
style  qui  résume  de  la  manière  la  plus  complète,  le 
caractère  religieux  et  le  caractère  artistique  :  c'était 
ménager  à  son  édifice  l'apparence  d'une  métropole,  au 
milieu  de  toutes  les  églises  disséminées  autour  d'elle. 

Si  nous  cherchons  maintenant  à  porter  un  jugement 
sur  la  partie  achevée  du  monument  religieux,  nous 
trouvons  qu'elle  a  de  belles  proportions.  Ce  ne  sont  pas 
les  lignes  gracieuses,  les  colonnes,  les  chapitaux,  les 
riches  sculptures  et  les  ornemens  multipliés  des  églises 
modernes,  telles,  par  exemple,  que  celle  de  Saint- 
Martin  du  Touch.  Mais  l'édifice  chrétien  de  Luchon 
aura  son  genre  de  beauté,  résultant  de  la  gravité  et  de 
la  sévérité  de  ses  formes.  Il  sert  de  milieu,  en  quelque 
sorte,  entre  le  byzantin  primitif  aux  proportions  lourdes 
et  écrasées,  et  le  byzantin  des  dernières  époques,  où  !a 
pierre  disparaissait  sous  la  multiplicité  des  ornemens 
qui  la  couvraient. 

Afin  de  se  faire  une  idée  exacte  de  la  différence  de 
proportion  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  église,  nous 
dirons  que  cette  dernière  aura  42  mètres  de  longueur 
sur  22  de  largeur;  que  la  hauteur  de  la  voûte  est  de 
18  mètres,  et  la  largeur  de  sa  nef  de  14.  L'ancienne 
église  avait  2 1  mètres  de  largeur,  la  hauteur  de  sa  voûte 
était  de  10  mètres  50  centimètres,  et  la  largeur  de  sa 
nef  principale  de  4  mètres  30  centimètres. 

Quant  aux  détails  de  construction,  ils  sont  étudiés 
avec  un  soin  particulier,  et  reproduisent  avec  bonheur 
les  caractères  distinctifs  de  cette  architecture  transmise 


90  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

à  notre  admiration  par  les  monuments  si  rares  des  XIc 
et  XIIe  siècles.  La  corniche  extérieure  de  la  nef,  formée 
de  petites  arcades  juxtaposées  reposant  sur  des  modil- 
lons,  est  d'un  excellent  effet.  La  partie  externe  du 
chevet,  formé  d'un  groupe  de  cinq  absides  d'inégale 
hauteur,  l'arcature  rampante  le  long  du  pignon,  jus- 
ques  à  Une  double  fenêtre,  ornée  de  coïonnettes  ;  les 
chapiteaux  à  damier,  à  billettes,  à  dents  de  loup,  tous 
ces  modillons  à  boule,  à  triangle,  à  pointe  de  diamant, 
à  croix  romane,  à  croix  de  Saint  André,  présentent  une 
richesse  de  décoration  qui  charme  le  regard  et  se  prête 
merveilleusement  au  jeu  de  la  lumière. 

La  voûte  de  l'église  formant  un  cintre  à  arête  légè- 
rement accusée,  est  composée  de  poteries  hexagones, 
vides,  de  forme  conique,  réunies  entr'elles  à  l'aide  du 
ciment  de  Vassy .  Mais  ce  qui  mérite  une  attention  spé- 
ciale, c'est  la  manière  ingénieuse  employée  par  M.  Lou- 
pot  pour  recouvrir  les  bas-côtés  extérieurs  de  la  nef  et 
les  coupoles  de  son  abside.  Toutes  ces  parties  saillantes 
sont  formées  d'une  voûte  légère,  à  arc-boutant  et  cintre 
perdu,  recouverte  seulement  d'une  épaisse  couche  de 
ciment  de  Vassy,  terminée  à  la  naissance  de  l'arc  par 
un  large  cheneau  également  en  ciment  de  Vassy.  Le 
cheneau  repose  sur  les  corniches  le  long  de  tous  les 
versants  et  conduit  les  eaux  à  des  tuyaux  de  descente, 
a33e2  habilement  ménagés  pour  ne  détruire  aucune  ligne 
architecturale. 

L'application  d'un  pareil  système  à  une  construction 
aussi  importante  est  une  innovation  qu'aucun  architecte 
n'avait  osé  tenter  dans  nos  contrées  sujettes  aux  inclé- 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHOiV  91 

niences  de  l'atmosphère.  Si,  comme  l'expérience  nous 
l'apprendra,  le  système  si  simple,  si  peu  dispendieux, 
essayé  par  M.  Loupot,  réunit  toutes  les  conditions  de 
solidité  et  d'imperméabilité,  on  n'hésitera  pas,  sans 
doute,  à  en  faire  l'application  aux  plus  augustes  de  nos 
monuments, 

Ainsi  l'achèvement  de  l'église  de  Ludion  ne  peut 
tarder  d'arriver  à  sa  fin.  M.  le  Ministre  de  l'in- 
térieur a  fait  don  à  la  ville,  de  deux  tableaux  confiés  au 
pinceau  des  premiers  artistes  de  la  capitale  ;  et  il  a  laissé 
au  Conseil  municipal  la  faculté  de  déterminer  le  sujet 
et  la  dimension.  D'un  autre  côté,  M.  de  Nauzan  a 
déjà  exécuté  les  vitraux  destinés  à  décorer  les  parties 
achevées  de  l'édifice,  et  l'on  attend  tous  les  jours,  les 
autels,  la  balustrade  et  la  chaire,  magnifiques  ouvrages 
de  sculpture  byzantine,  en  marbre  de  Saint-Béat,  sor- 
tant des  ateliers  de  Geruzet,  de  Bagnères-de-Bigorre. 

Au  reste,  de  l'achèvement  de  l'église  dépend  la  réa- 
lisation de  l'embellissement  le  plus  désirable  que  puisse 
recevoir  la  ville  de  Ludion.  Tôt  ou  tard,  lorsque  le 
beau  monument  religieux  sera  terminé,  il  se  dégagera 
des  maisons  informes  qui  l'environnent,  et  les  tours  de 
sa  belle  façade  serviront  de  point  de  rectification  aux 
alignements  des  allées  de  Barcugnas,  aux  allées  d'Eti- 
gny  et  des  Soupirs. 

Outre  les  bains  de  la  Reine,  qui  sont  ceux  qui  ont 
fait  la  réputation  ancienne  et  moderne  de  Bagnères,  il 
existe  encore  d'autres  établissements  qui  se  sont  formés 
dans  la  suite  à  côté  des  anciens.  Ainsi,  d'abord  nous 
nommerons  celui  de  M.  Soulerat,  qui  se  trouve  placé 


92  HISTOIRE    SPÉCIALE    FT    PITTORESQUE 

sur  le  premier  plan  de  la  montagne  :  on  y  arrive  par 
une  pente  douce.  Il  est  destiné  pour  les  bains  émollients 
et  domestiques.  La  forme  de  cet  établissement  ressemble 
assez  à  celle  d'un  pavillon  polygone.  Les  vingt  cabinets, 
qui  renferment  autant  de  baignoires,  sont  rangés  au- 
tour d'un  hémicycle.  Une  galerie  soutenue  par  des 
colonnes  sveltes,  compose  un  genre  d'architecture  dans 
le  style  ionien.  Entre  les  bains  Soulcrat  et  les  bains  de 
la  Heine  contigus  à  ces  derniers  se  trouvent  les  bains 
Richard,  nom  d'un  célèbre  savant  qu'a  vu  naître  cette 
ville.  Cet  établissement  renferme  onze  cabinets  et  qua- 
torze baignoires.  Les  bains  Ferras,  qui  sont  placés  à 
gauche  des  bains  de  la  Reine,  ont  été  bâtis  par  le  pro- 
priétaire qui  leur  a  donné  son  nom. 

Ces  trois  établissements  dont  nous  avons  parlé,  n'ont 
rien  de  remarquable,  si  ce  n'est  qu'ils  n'ont  été  construits 
que  comme  succursales  des  grands  bains  de  la  Reine, 
ce  dernier  établissement  ne  pouvant  suffire  à  la  grande 
quantité  de  bains  qu'il  fallait  servir  pendant  la  saison. 
Au  reste,  ils  avaient  un  grand  inconvénient  :  c'est  qu'ils 
n'étaient  pas  alimentés  par  les  eaux  des  sources  ther- 
males. La  ville  a  fait  aujourd'hui  l'achat  de  ces  trois 
établissements  qu'elle  va  pourvoir  des  eaux  de  la  Reine 
au  moyen  de  conduits  souterrains.  Les  étrangers  comme 
la  ville  n'auront  qu'à  gagner  à  cette  combinaison. 

Enfin  il  existe  plusieurs  autres  établissements  de 
bains  émollients  et  domestiques  dans  la  ville,  à  l'ex- 
trémité de  la  rue  qui  conduit  à  l'allée  des  Soupirs.  Ces 
établissements  sont  connus  chacun  sous  les  noms  de 
Maurelte,  Verdalle  et  Laeau. 


DE  BAGNÉRES-DE-LUCHON.  95 

Si  maintenant  dous  récapitulons  le  nombre  des  ca- 
binets et  des  baignoires  que  renferment  ces  différents 
établissements,  nous  trouvons  le  résultat  suivant  : 

La  Reine  28  cabints,  35  baignoires,  3  cabinets  de  douche. 

—  I  — 


Soulerat   20 

— 

20 

Richard    1 1 

— 

14 

Ferras         5 

— 

6 

Maurelte    » 

— 

G 

Verdalle     » 

— 

7 

Lacau        » 

— 

G 

Le  prix  des  bains  varie  suivant  les  heures  auxquelles 
ou  les  prend  :  il  est  coté  entre  60  centimes  et  1  franc 
20  centimes  ;  celui  des  douches  est  de  40  à  50  centimes. 
Le  terme  moyen  des  bains  qui  se  donnent  à  Bagnères- 
de-Luchon,daus  la  belle  saison,  est  d'environ  sept  cents 
à  sept  cent  cinquante  par  jour.  Qu'on  juge  maintenant 
de  la  quantité  d'étrangers  que  la  ville  doit  renfermer 
à  cette  époque  ! 

Comme  on  le  pense  bien,  la  source  de  la  prospérité 
et  de  la  richesse  de  Bagnères-de-Luchon  est  toute  dans 
ses  thermes.  Il  est  évident  que,  si  le  commerce  des 
vins,  des  laines,  des  moutons,  etc.,  que  celte  ville  fai- 
sait autrefois  avec  l'Espagne  servait  à  compenser  l'in- 
suffisance des  productions  du  sol,  c'est  que  les  thermes 
n'étaient  pas  encore  sortis  de  l'obscurité  dans  laquelle 
ils  restèrent  plongés  pendant  plusieurs  siècles.  Mais 
aujourd'hui  la  richesse  du  pays  se  trouve  tout  entière 
dans  ses  eaux  thermales. 

dépendant  il   faut   avouer  que,    si  les  thermes  de 


94  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Luchon  sont  la  cause  principale  de  la  fortune  du  pays, 
il  en  est  d'autres  encore  que  l'historien  impartial  doit 
constater.  Ainsi  l'aménité  des  habitants  de  Luchon, 
leur  exquise  politesse,  l'industrie  sage  et  progressive 
qui  distingue  leur  intelligence,  leurs  mœurs  franches, 
mais  sans  trivialité,  vives  sans  légèreté,  sont  des  causes 
générales  de  la  prospérité  de  ces  thermes.  Nous  ajou- 
terons encore  que  la  bonne  administration  municipale 
dont  l'activité  croissante  tend  tous  les  jours  à  l'embel- 
lissement de  la  ville  ;  que  le  bon  goût  des  habitants  qui 
les  porte  à  s1imposer  de  nombreux  sacrifices  pour  éle- 
ver des  édifices  qui  le  disputent  à  des  palais;  enfin,  que 
la  bonne  harmonie  qui  existe  entre  les  Luchonnais, 
jointe  aux  règlements  sages  d'une  police  prévoyanle, 
sont  encore  des  causes  déterminantes  qui  préparent  ce 
bel  avenir  de  fortune  et  de  renommée  qui  est  réservé  à 
la  ville  de  Bagnères. 

Ainsi  chez  un  peuple,  dont  le  territoire  est  borné, 
l'industrie  vient  toujours  suppléer  à  l'insuffisance  du 
sol  ! 


CHAPITRE  SIXIÈME. 


Température  des  eaux  de  Bagnères-de-Luchon.  —  Quantité  d'eau 
fournie  par  les  sources.  —  Analyse  chimique  des  eaux  Therma- 
les par  plusieurs  savants  et  notamment  par  M.  Filhol.  —  Gen- 
res de  maladies  qu'elles  guérissent.  —  Nombre  de  guérisons 
pendant  une  période  de  cinq  années. 


Les  détails  historiques  que  nous  avons  donnés  sur 
Bagnères  de-Luchon  seraient  incomplets,  si  nous  ne  les 
faisions  suivre  de  ceux  qui  concernent  spécialement  ses 
thermes.  Aussi  allons-nous  rapporter  textuellement  les 
divers  degrés  de  température  auxquels  se  sont  élevées 
les  eaux  de  Ludion.  Pour  cela  nous  n'avons  rien  de 
mieux  à  faire  qu'à  reproduire  les  nombreuses  expé- 
riences qui  ont  été  faites  aux  différentes  époques  sui- 
vantes : 


%  HISTOIRE    SPECIALE    ET    PITTORESQUE 

TEMPÉRATURE  DES  EAUX  DE  BAGNE RES-DE-LUCHOlN 

AU    20    SEPTEMBRE    1839. 

(Thermomètre  centigrade,  air  extérieur  à  '20  dégrés  J 

Source  Bayen 65°  25 

Grolte   supérieure 00 

Reine 55 

Grolte  inférieure 55 

Chauffoir 48     25 

Ancienne  Richard 43 

Source  blanche  reine. ..  .  38 

Source  Ferras 35 

Nouvelle  Richard 35     50 

Source  froide 17 

Le  résultat  des  expériences  consignées  dans  ce  ta- 
bleau est  différent  de  celui  obtenu  par  M.  le  docteur 
Fontan,  que  l'étude  et  d'émineutes  qualités  placent  si 
honorablement  dans  les  premiers  rangs  du  monde  sa- 
vant. Voici  les  résultats  de  ses  expériences  faites  à  des 
époques  différentes  : 

En   1833. 

Grotte  supérieure 61"  50 

Grotte  inférieure 55 

Reine   ancienne 45 

Yeux 43     50 

Richard  ancienne 43     25 

Forte  Soulerat. 34 

Faible  Soulerat 3g     50 

Blanche 20 

Froide.  ..    19 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  97 

l.x  1836. 

Grotle  inférieure 56°     0 

Richard  ancienne 54 

Reine  nouvelle 52 

Chauflbir 46     90 

Grotte  supérieure 47 

Richard  nouvelle 38     50 

Faible  Soulerat 32     50 

Forte  Sou lerat 20 

Reine  ancienne 25 

Yeux 23 

Froide 47 

En  mai  1841. 
(Air  extérieur  à  20  degrés,  et  des  grottes  à  10. 

Bayen,  source s . .     67°  80 

Reine,  source 59  80 

Grotte  supérieure,  source     56  50 

Grotle  inférieure 53 

Chauflbir,   source 53 

Richard  nouvelle 48  50 

Richard  ancienne 40  50 

Blanche,  source 37  10 

Soulerat,  grand  puits. . .      33  50 
Soulerat,  petit  puits. ...     30 

En  octobbe  1841. 
(Air  extérieur  à  10  degrés,  et  des  grottes  12.  ' 

Bayen 67»  80 

Reine 59    70 

Chauflbir 49 

Richard ,..      44     70 


ï)8  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Blanche 37 

Enceinte 31 

Ferras 29     20 

Source  froide 17     50 

Si,  de  ces  expériences  sur  la  température  des  sour- 
ces thermales  de  Bagnères-de-Luchon,  nous  voulons 
parvenir  à  constater  la  quantité  d'eau  qu'elles  fournis- 
sent en  un  temps  donné,  nous  trouverons  à  inscrire  les 
résultats  suivants.  Nous  ferons  observer  toutefois  que 
ces  tableaux  ont  été  dressés  en  1841,  dans  l'ordre  qui 
suit: 

Nouvelle  Reine. 

1  litre  186  millilitres  en  1  seconde. 
71  litres  en  I  minute. 
4260  litres  en  1  heure. 
101024  litres  en  24  heures. 

L'eau  de  cette  source  mélangée  avec  l'eau  de  la  source 
froide  peut  donner  770  bains,  un  bain  se  composant  cfô 
220  litres  d'eau  à  36  degrés. 

Grotte  inférieure,  n°  17. 

1 9  litres  en  72  secondes. 
950  litresen  I  heure. 
21800  litres  en  24  heures. 

Même  Grotte,  n«  15. 

19  litres  en  4  minutes. 
285  litres  en  l  heure. 
68i0  litres  en  24  heures- 
Total  des  deux  sources,  286i0  litres. 


DE  UAGNÈRES-DE-Ll'CHChN.  !J(J 

Chaque  bain  étant  toujours  de  220  litres  d'eau  à  36 
degrés,  les  deux  sources  peuvent  donner  273  bains. 

Source  Richard.,  premier  robinet. 

19  litres  en  3  minutes  15  secondes. 
350  litres  1  heure. 
8400  litres  en  24  heures. 

Même  Source,  second  robinet, 

19  litres  en  2  minutes  40  secondes. 
427  litres  en  1  heure. 
10248  litres  en  24  heures. 

Total  des  deux  robinets,  18648  litres. 

En  gardant  la  température  ordinaire  pour  le  bain  et 
la  quantité  d'eau  de  220  litres,  le  mélange  fait  avec  l'eau 
froide,  cette  source  peut  fournir  175  bains. 

Chauffoir  à  son  plus  haut  degré. 

19  litres  en  60  secondes. 
1036  litres  en  1  heure. 
24810  litres  en  24  heures. 

Toutes  proportions  gardées  et  le  mélange  étant  opéré 
celle  source  peut  donner  187  bains. 

Nouvelle  Richard. 

20020  litres  en  24  heures. 

Cette  source  se  trouvant  à  la  température  voulue,  peut 
donner  sans  mélange  91  bains. 


400  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

RÉSUMÉ  TOTAL. 

BU     NOMBRE     DES     BAINS     QUE   PEUVENT    FOURNIR    CES    DIFFERENTES 
SOURCES. 

Reine  nouvelle. . .« 770 

Grolle  inférieure 279 

Chauffoir 187 

Richard 175 

Richard  nouvelle 91 

Total 1 502 

De  nouveaux  calculs  ayant  établi,  contradicloirenient 
à  ces  derniers,  une  différence  prise  soit  dans  une  plus 
grande  quantité  d'eau  que  fournissent  certaines  sources, 
soit  dans  la  proportion  faite  pour  le  mélange,  nous  en 
donnons  les  résultats  dans  le  tableau  qui  suit  : 

Reine  nouvelle 1709  bains 

Grolle  inférieure ïl'-\ 

Source  Richard  ancienne 171 

Chauffoir ï-vl 

Nouvelle  Richard 91 

Total. 2476 

Il  est  facile  de  voir  par  ce  double  calcul  que  les  ther- 
mes de  Luchon  peuvent  fournir  dans  une  journée  des 
bains  à  un  nombre  considérable  d'étrangers.  Aussi, 
malgré  le  grand  nombre  des  visiteurs  qui  s'y  rendent 
tous  les  ans,  à  l'époque  de  la  saison,  jamais  on  n'a  pu 
constater  un  seul  cas  où  le  bain  ait  fait  défaut.  Aujour- 
d'hui encore  que  les  établissements  seront  mieux  ad- 
ministrés, les  personnes  qui  fréquenteront  les  thermes 
auront  à  se  louer  de  plus  en  plus  du  service,  qui  sera 


DE  bagnèhes-iie-luchon.  101 

et  plus  actif  et  plus  régulier  que  par  le  passé.  De  la 
quantité  d'eau  à  la  qualité,  la  transition  ne  doit  pas  pa- 
raître étrange  ;  aussi  allons-nous  réunir fà  la  première 
ce  qu'on  a  dit  sur  la  dernière. 

On  a  fait  un  grand  nombre  d'expériences  pour  ana- 
lyser les  éléments  chimiques  que  renfermaient  les  eaux 
de  Bagnères-de-Luchon  ;  on  a  même  constaté  à  diffé- 
rentes époques  et  par  plusieurs  analyses  souvent  renou- 
velées quels  étaient  les  nombreux  agents  chimiques  qui 
entraient  dans  leur  composition.  Nous  ne  les  citerons 
pas  toutes,  mais  nous  choisirons  de  préférence  les 
expériences  Gintrac. 

EXPÉRIENCES  GINTRAC. 

GRAND  ÉTABLISSEMENT,  FERRAS  ET   RICHARD. 

Température  Sulfure  de 

centigrade-,         sodium  par  litre 

Source  Ferras,  au  griffon 34°  Os  0 1 79 

Source  Blanche,  au  griffon 40  0  0210 

à  la  buvette 33  0  0008 

Grotte  Supérieure,   griffon  destiné 

aux  douches 51-  50  0  0390 

Grotte  inférieure,  bain  n°  21 .....  50  0  0409 

bain  ^  10.....  51    50  0  0427 

La  Reine,  griffon,   buvette 57  70  0  0538 

Bayen,  grilfon 07  0  0793 

Bayen,    mêlée  à  la  Grotte  supérieu- 
re pour  douches  et  buvette 58  50  0  0508 

Source  Chauffoir,  au  griffon 48  60  0  0396 

Richard  nouvelle,  au grïifon 47  50  0  0421 

à  labilfetle....  43  0  0328 

Richard  ancienne,  à  la  buvette.. .  •  47  •">()  0  0328 


102  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Établissement  soulerat. 

Grand  Puits 37  0  0272 

Petit  Puits 30  0  0179 

Afin  que  le  lecteur  puisse  établir  un  système  de 
comparaison  entre  les  effets  de  l'analyse  chimique  des 
eaux  de  Bagnères-de-Luchon,  avec  ceux  des  eaux  d'un 
autre  établissement  thermal ,  nous  allons  reproduire 
les  expériences  Gintrac  faites  à  Bagnères-de-Bigorre, 
avec  cette  observation  toutefois  que  le  sulfure  de  so- 
dium abonde  plus  dans  les  eaux  qui  se  trouvent  au 
centre  des  Pyrénées  que  dans  celles  qui  sont  placées  à 
l'extrémité  de  ces  montagnes. 

BAGNÈRES-DE-BIGOBKE. 

Température  Sulfure 

centigrade.  de  sodium 

par  litre. 

Source  de  la  Bassère '1 2°  30«      0  0i27 

CADKAC  (ÉTABLISSEMENT  DE  LA  FUTE 
GACCBE  DE  LA  NESTe). 

Source  de  la  buvette 16  0  0687 

Source  où  est  le  réservoir  léger.  16  0  0223 

Petite  Source  extérieure 1 3  50       0  0768 

CADÉAC  (ÉTABLISSEMENT^  LA  RIVE 
DROITE   DE  LA  NESïe). 

Source  principale,  buvette 13  50       0  0768 

réservoir 13  50       0  0520 

chauflbir 13  50       0  ©483 


DE    RAGNBRESrDE-LUCHON.  103 

4 

ANALYSE  CHIMIQUE 

DES   EAUX  .MINERALES  DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON, 

I-A1T!-:    PAR    M.    PILHOL.    (18o0;. 


Toutes  les  analyses  ou  expériences  faites  aux  eaux  miné- 
rales de  Bagnères-de-Luchon,  se  trouvent  complétées  par  les 
travaux  du  savant  M.  Filhol,  dont  nous  allons  faire  connaitre 
les  résultats,  en  reproduisant  le  rapport  qu'il  a  rédigé  lui- 
même  et  qu'il  a  lu  à  l'académie  des  sciences  de  Toulouse. 

«  Désirant  que  la  composition  chimique  des  eaux  minérales 
de  cette  localité  fût  bien  connue  et  que  les  questions  relatives 
à  la  conservation  des  propriétés  de  ces  eaux  fussent  l'objet 
d'un  examen  approfondi,  la  commune  de  Luehon  m'a  fait, 
dans  le  courant  de  Tannée  1850,  l'honneur  de  me  charger  de 
faire  l'analyse  des  sources  qu'elle  possède. 

«  J'ai  consacré  près  d'une  année  à  l'examen  de  ces  sources, 
et  je  suis  encore  bien  loin  de  pouvoir  disposer  d'un  travail 
complet  et  d'avoir  traité  toutes  les  questions  dont  la  solution 
me  parait  nécessaire.  Cependant  j'ai  été  assez  heureux  pour 
découvrir  quelques  faits  nouveaux  dont  je  vais  entretenir  nos 
lecteurs. 

«  Les  sources  minérales  que  possède  la  commune  de  Ba- 
gnères-de-Luchon sont  fort  nombreuses;  on  peut  les  diviser 
comme  suit  : 

1  °  Eaux  sulfureuses  ; 

2<>  Eaux  salines  (sulfureuses  dégénérées)  ; 

3°  Eaux  ferrugineuses  ;  • 

«  Les  sources  sulfureuses  sont  actuellement  au  nombre  de 
trente  six,  dont  vingt-deux  ont  été  découvertes  par  M.  Fran- 
çois, depuis  4848.  Ces  trente  six  sources  constituent  la  série 
d'eaux  sulfureuses  la  plus  belle  et  la  plus  complète  qui  soit 
.connue   La  richesse  de  certaines  sources  est  télïè  qu'aucun/:- 


101  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

autre  localité  des  Pyrénées  ne  peut  être  comparée,  sous  ce 
rapport,  à  Bagnères-de-Luclion. 

«  Le  débit  des  nouvelles  sources  s'élève  à  environ  168,000 
litres  en  24  heures;  presque  toutes  ces  sources  ont  sur  les 
anciennes  l'avantage  d'être  très  sulfureuses,  quoique  moins 
chaudes. 

«  L'établissement  de  Bagnères-de-Luchon  pourra  disposer, 
cette  année  1851,  d'environ  400,000  litres  d'eau  minérale  par 
jour.  Pour  donner  une  idée  de  l'importance  des  travaux  qui 
ont  été  exécutés  par  M.  François,  je  dirai  seulement  que  la 
longueur  des  galeries  souterraines,  actuellement  achevées, 
dépasse  520  mètres  courants. 

«  Mes  recherches  ont  porté  principalement  sur  les  eaux 
sulfureuses  ;  j'ai  beaucoup  moins  étudié  les  eaux  ferrugineuses, 
dont  je  dirai  pourtant  nn  mot  k  la  fin  de  cette  notice. 

«  Aidé  du  concours  de  M.  François,  j'ai  pu  faire  sur  les  eaux 
sulfureuses  des  observations  plus  suivies  que  toutes  celles  qui 
avaient  été  faites  jusqu'à  ce  jour.  C'est  ainsi  que  j'ai  pu  réas- 
surer, par  une  série  d'observations  dont  le  nombre  s'élève  à 
près  de  quatre  cents,  que  la  température  des  sources,  même 
les  mieux  aménagées  et  les  plus  indépendantes  de  l'action  des 
eaux  froides,  éprouve  des  variations  légères  dont  j'espère 
pouvoir  faire  connaître  un  peu  plus  tard  la  cause.  Ce  fait 
n'est  certainement  pas  particulier  aux  eaux  de  Bagnères-de- 
Luchon,  tout  porte  à  penser  qu'il  est  général. 

«  J'ai  pu  constater  aussi  par  des  essais  sulfhydromatiques, 
dont  le  nombre  s'élève  à  plus  de  huit  cents,  que  la  proportion 
de  sulfure  de  sodium  contenue  dans  ces  eaux  varie  d'un  jour 
à  l'autre  ;  les  sources  sont  plus  sulfureuses  en  hiver  qu'au 
printemps  ou^en  été,  et  le.maximum  de  richesse  correspond 
aux  temps  les  plus  froids  de  l'année. 

«  L'analyse  qualitative  de  ces  eaux  m'a  permis  d'y  découvrir 
quelques  principes  actifs  dont  les  analyses  antérieures  n'y 
indiquaient  pas  l'existence  ;  je  citerai  comme  exemple  l'iode 
et  quelques  traces  de  phosphates. 


DE    BAGNÈRE-DE-LUOHON.  I()i> 

«  J'ai  constaté  en  outre  que  toutes  les  sources  sulfureuses 
do  Ludion  tiennent  en  dissolution  une  quantité  sensible 
d'oxygène  qui  contribue  à  produire  le  phénomène  du  blan- 
chiment. La  proportion  d'oxygène  tenue  en  dissolution  dans 
chaque  source  variant  d'un  jour  à  l'autre,  on  s'explique  aisé- 
ment pourquoi  l'eau  blanchit  si  facilement  certains  jours 
tandis  qu'il  arrive  d'autres  fois  qu'elle  conserve  sa  limpidité, 
au  grand  déplaisir  des  baigneurs  qui  se  persuadent  qu'on  a 
refusé  de  leur  donner  de  l'eau  blanche. 

«  Des  recherches  faites  en  commun  avec  M.  François  m'ont 
permis  d'établir  que  l'eau  sulfureuse  éprouve  une  altération 
notable  toutes  les  fois  qu'elle  circule  dans  les  tuyaux  qu'elle 
ne  remplit  pas  en  entier,  tandis  qu'elle  se  conserve  parfaite- 
ment dans  des  tuyaux  bien  pleins.  Des  dispositons  particu- 
lières ont  été  adoptées  par  M.  François,  pour  mettre  toutes 
les  sources  à  l'abri  de  l'altération  rapide  qu'elles  éprouvent 
toutes  les  fois  qu'elles  ont  le  contact  de  l'air. 

»  Je  me  suis  assuré  que  lorsque  l'eau  chaude  et  l'eau  froide 
qui  servent  à  préparer  un  bain  sont  versées  par  des  robinets 
placés  à  la  partie  supérieure  de  la  baignoire,  le  mélange  ana- 
lysé immédiatement  a  perdu  une  portion  notable  de  son  titre, 
ce  qui  est  dû  tant  à  l'action  de  l'air  que  l'eau  froide  tient  en 
dissolution  qu'à  celle  de  l'air  que  l'eau  entraîne  avec  elle  en 
tombant. 

«  II  faut  que  l'eau  arrive  dans  les  baignoires  sans  chute  si 
l'on  veut  diminuer  cette  altération  ;  il  serait  aussi  très-utile 
que  l'eau  sulfureuse  qui  s'écoule  parfois  du  trop  plein  des 
réservoirs  ne  fût  pas  perdue  :  en  la  déversant  dans  le  réservoir 
de  l'eau  froide,  on  absorberait  l'oxygène  de  cette  dernière  et 
on  neutraliserait  son  action  sur  l'eau  du  bain. 

«  On  croit  généralement  que  l'eau  de  Luchon  est  plus  pro- 
fondément altérée  par  le  transport  que  celle  des  autres  sources 
des  Pyrénées,  j'ai  constaté  qu'il  n'en  est  rien,  et  qu'elle  se 
conserve  aussi  bien  que  celle  de  Baroges,  Cauterets,  etc. 

«  Je  dois  faire  observer  ;i  ce  propos  qu'il  n'est  pas  indif- 


106  HISTOIRE     SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

férent  de  mettre  l'eau  en  bouteille  un  jour  quelconque.  II 
faut  que  l'eau  qui  doit  être  emportée  soit,  autant  que  possible, 
recueillie  lorsque  la  marche  du  baromètre  est  ascendante. 
Alors  elle  est  généralement  moins  chargée  d'air,  moins  alté- 
rable et  plus  sulfureuse. 

«  Le  tableau  joint  à  cette  note  peut  donner  une  idée  de  la 
richesse  et  de  la  variété  des  eaux  de  Ludion. 

«  Les  sources  ferrugineuses  de  Bagnères-de-Luchon  sont 
fort  remarquables.  Il  existe  dans  les  galeries  même  où  jail- 
lissent les  eaux  sulfureuses,  une  source  ferrugineuse  qui  est 
fournie  par  des  infiltrations  qui,  agissant  sur  une  roche  schis- 
teuse très  riche  en  fer,  la  désagrègent  et  dissolvent  une 
proportion  notable  de  ce  métal. 

«  Cette  source  est  surtout  remarquable  par  l'énorme  pro- 
portion de  silice  qu'elle  tient  en  dissolution,  j'ai  de  fortes 
raisons  pour  croire  que  le  fer  s'y  trouve  en  partie  à  l'état  de 
silicate,  ledépôtqu'elle  abandonne  est  sensiblement  arsénieux. 

«  La  source  ferrugineuse  de  Barcugnas  est  une  source 
sulfo-crénatée,  comme  les  précédentes.  Elle  contient  un  peu 
d'arsenic.  La  source  de  Castel-Viel  est  sulfatée;  elle  est  aussi 
arsenicale.  Au  reste,  la  présence  de  l'arsenic  dans  les  eaux 
ferrugineuses  de  cette  localité  me  paraît  un  fait  assez  général. 
J'ai  pu  constater  la  présence  de  ce  corps  dans  toutes  les  sources 
ferrugineuses  des  environs  de  Bagnéres-de-Luchon  que  j'ai 
examinées. 

«  La  présence  de  l'arsenic  dans  ces  eaux  ne  doit  effrayer 
personne.  Ce  corps  peut  contribuer  à  les  rendre  plus  actives. 
Mais  il  ne  s'en  trouve  jamais  en  proportion  suffisante  pour 
provoquer  des  accidents.  J'ai  constaté,  en  outre,  la  présence 
de  l'iode  sur  des  incrustations  qui  existent  sur  des  roches 
situées  aux  eaux  thermales. 


TABLEAU  DES  OPÉRATIONS  CHIMIQUES 

FAITES  SUT  LES  EAUX  DE  BAGNEBES-DE-LTJCHON   (Années   1  850-1  8ô|) 


NOMS 


l'Es   soinCEs. 


Bayen  

iii-IHU 

(îrotle  supérieure  .  .  . 

Ferras  n"   I 

Idem  2 

Etigny   nu  l , 

Idem  2 

Blanche 

Ricliaid  supérieure  .   , 

AzemaT.' 

Lachapclle 

Ferras  inférieure  .  .  . 

Bosquet  n°    1 

Idem  2 

Richard  tempérée  n°  1. 
Idem  2. 

Richard  inférieure.  .  . 
Grotte  inférieure.  .  .  . 
Source  des  Romains.  . 
Source   du   pré  n"  1.   . 

Idem  2.    . 

Source  Senger  n"   I.  . 

Idem  2.   . 

Idem  3.   . 

Idem  4 .   . 

Source  Bordeu    fi*  I.  , 

Idem  2.    . 

Idem  3.   , 

Idem  4 .    . 

Idem  5.    . 

Source  de  l'enceinte.    . 

Source  de  l'étuve  .  .  . 

Source    innommée,  au 

S.  delà  s.  Richard  inf. 

Source   innommée,  au 

Sud  de  la  précédente. 

Source   innommée,   au 

S.  de  lasourcel'Etuve. 


TEMPE 

RATURE 

des 

SOIHCS  S. 


08,00 

37,08 

58,44 

39,96 

34,34 

48,34 

30  07 

47J21 

50.04 

53,17 

40,00 

37,80 

44,00 

34,50 

3S,00 

32,00 

46,40 

56,50 

49,20 

33,20 

24,30 

39,75 

31,50 

3(1,50 

29,50 

33,80 

37,00 

44,50 

49,30 

33,50 

39,32 

36,42 

39,25 

37,20 

70,70 


NOIYIBR. 

des 
observa- 
tions de 
tempéra 
turc. 


20 
55 

îa 

27 

32 

15 

8 

16 

24 

25 

10 

8 

3 

5 

*4 

3 

3 


QUANTITÉ 

lit   Sl'I.Fl  Ht 

de  sodium 

contenue 

dans   1  litre 


0,0773 
0,0539 
0,0361 
0,0237 
0,0079 
0,0356 
0.009S 
0,0349 
0,0518 
0,0523 
0,0554 
.  0,0499 
0,0740 
0,0234 
0,0330 
0,0155 
0,0599 
O.OOU 
0,0583 
0,0780 
0,0178 
0,0586 
0,0178 
0,0114 
0,0212 
0,0098 
0,0393 
0,0625 
0,0692 
0,0365 
0,0508 
0,0350 

0,0479 

0,0433 

0,0577 


NOIYIBR. 
des 

ESSUS 

sulfhy- 

dromé- 
trii|iies. 


158 

114 

142 

136 

10 

14 

IU 

12 

44 

5 

4 

5 

3 

3 

3 

3 

6 


QUANTITÉ 

I)B    SllFl'BE 

contenue 
dans  un  bain 
de  250  lit. 


gr- 
(*)<5.569 

0,200 

3,468 

4,358 

1,981 

5,640 

2,450 

5,'Ul 

6.896 

6,330 

10,640 

10,589 

12,067 

5.885 

7,005 

3,886 

9,045' 

8,536 

8,073 

(1) 

(2) 

10,796 

4,454 

2,813 

5,299 

2  457 

«;768 

10,189 

10,647 

9,139 

(3) 


(5) 
(fi) 

(') 


OBSERVATIONS. 

(")  Les  données  du  calcul  sont  les  suivantes  . 

La  température  de  l'eau  froide  est  de  -}-  18°.  On  suppose  que  le  bain  contient  250 
litres  d'eau  et  que  la  température  est  portée  à  -j;  35"  par  l'addition  d'une  quantité 
suffisante  d'eau  froide.  Quand  la  température  de  l'eau  minérale  est  inférieure  à 
35°,  ou   suppose  que  le  bain  est  donné  avee  l'eau  minérale  pure. 

(0  Cette  source  est  peu  abondante  et  ne  peut  fournir  qu'une  buvette. 

(ij  La  tempér.  de  cette  source  est  trop  basse  pour  qu'on  puisse  l'employé:-  seule. 

(3)  Cette   source   n'est  pas  assez  abondante  pour   être  employée: en  bains. 

(4)  Idem.  (5)      Idem.  (fi)      Idem.  (7)      Idem. 


Les  sources  dont  j'ai  indique  la  richesse  ne  sont  pas  toutes  employées 
isolément;  plusieurs  d'entre  elles  sont  mélangées  avant  d'arriver  a  réta- 
blissement. Ce  tableau  a  pour  but  de  montrer  ce  qu'on  pourrai!  faire  en 
les  employant  isolément. 


108  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Comme  conséquence  des  qualités  intrinsèques  que 
renferment  les  eaux  de  Luchon,  un  des  premiers  et  des 
principaux  avantages  de  ces  thermes,  consiste  à  soula- 
ger les  souffrances  de  l'humanité  ;  les  plaisirs  et  les 
agréments  qu^offre  une  société  d'étrangers  qui  les  fré- 
quentent, ne  doivent  être  comptés  que  comme  des 
avantages  accessoires.  Aussi  les  thermes  qui  réunissent 
au  soulagement  des  maux  dont  l'espèce  humaine  est 
affligée,  les  jouissances  naturelles  qu'offrent  %t beau 
site,  un  climat  heureux  et  une  réunion  nombreuse  et 
bien  composée,  sont  ceux  qui   voient  tous  les  ans,  se 

«jr  autour  d'eux  un  plus  grand  concours  de  visi- 
s.  Les  bains  de  Luchon  possèdent  ce  double  avan- 
tage. Mais,  pour  nous  occuper  seulement  de  ce  qui  est 
utile,  voici  sur  qu'elles  maladies  ces  eaux  exercent  une 
efficacité  toute  particulière.  En  cela  la  réputation 
qu'elles  ont  de  guérir  les  infirmités  humaines,  n'est 
nullement  usurpée. 

Les  hommes  de  l'art  reconnaissant  que  les  eaux  ther- 
males de  Luchon  agissent  efficacement  sur  un  grand 
nombre  de  tempéraments  et  guérissent  les  rhumatis- 
mes et  leurs  divers   modes   dans  leur  état  chronique. 

Les  affections  de  la  peau,  surtout  celles  qui  ont  un 
caractère  hépatique;  pour  ces  maladies  elles  ont  une 
supériorité  marquée  sur  toutes  les  eaux  des  Pyrénées. 

Les  névralgies  et  leurs  nombreuses  variétés. 

Les  chorées  ou  danses  de  Saint-Guy,  maladies  qui 
généralement  ne  se  font  sentir  chez  les  femmes  qu'avant 
Page  de  puberté. 

Les  maladies  scrofuleuses. 


DE    BÀGNÈRÊS-DE-JLUCHON.  109 

Les  engorgements  glanduleux,  avec  abcès,  trajet-lis- 
tuleux.  Les  ulcères  cutanés  de  même  nature. 

Les  caries  de  la  colonne  vertébrale,  mais  rarement. 

Les  tumeurs  blanches  des  articulations. 

Les  douleurs,  suites  de  luxations. 

Dans  diverses  maladies  de  poitrine,  telles  que  bron- 
chite chronique,  les  diverses  affections  asthmatiques 
avec  sécrétion  abondante  de  mucosités. 

L%s  laryngites  chroniques. 

Dansquelquescas,  l'hémiplégie  cérébrale;  celaarrive 
rarement.  Pour  cette  maladie  il  faut  avoir  recours  aux 
bains  Sainte-Marie,  principalement  dans  les  paralysies 
partielles  résultant  de  rhumatismes,  quelquefois  dans 
les  paralysies  partielles  de  la  vessie,  résultant  de  la  pa- 
ralysie de  la  moële  épinière,  suites  de  rhumatismes. 

Dans  les  leucorrhées  vaginales. 

Dans  les  ménorrhagies  atoniques,. 

Dans  les  engorgements  chroniques  du  corps  de  l'u- 
térus. Dans  les  irrégularités  des  menstrues. 

Dans  les  affections  syphilitiques,  suites  d'une  vie 
déréglée;  etc,  etc. 

Il  nous  suffît  de  ce  simple  énoncé  pour  constater  un 
fait  important,  à  savoir,  que  les  eaux  de  Bagnères-de- 
Luchon  ont  sur  un  grand  nombre  de  maladies  une  effi- 
cacité généralement  reconnue.  Mais  là  ne  doivent  point 
s'arrêter  seulement  nos  assertions  ;  nous  pouvons  invo- 
quer encore  à  l'appui,  les  résultats  obtenus  sur  les  ma- 
ladies elles-mêmes,  pendant  une  période  de  cinq  années. 
Le  tableau  suivant  a  été  dressé  officiellement  sur  un 
registre  destiné  à  cet  effet.  Si  un  grand  nombre  d'autres 


110  HISTOIRE   SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

affections  qui  ont  été  guéries  ne  s'y  trouvent  point  con- 
signées., c'est  qu'il  a  été  impossible  de  constater  leurs 
genres  de  maladies.  La  note  suivante  ne  peut  donc 
être  défectueuses  que  parce  qu'elle  manquerait  d'être 
complète  : 

Indications  des  maladies.  Guéries,     Soulagées.     Non-guér. 

Affections  rhumatismales 378       210        1 80 

Affections  darlreuscs,  ou   maladies 

chroniques  de  la  peau 295       115       415 

Paralysies  diverses  de  la  vessie,  des 

membranes  intérieures 12         24         55 

Engorgements  scrofuleux,    ulcères 

scrofuleux,  tumeur  blanche  avec 

gonflement  osseux 285  \ GO  1 30 

Névralgies 55  10  75 

Catarrhes  pulmonaires  de  la  vessie.  83  22  20 

La  leucorrhée,  chlorose,  aménorrhée  47  20  90 

Entorses  chroniques,  ankyioscs,  rai- 
deurs, contracture  des  membres  à 
la  suite  des  fraelureset  luxations.      1  '20         82         45 

Accidents  consécutifs  aux  plaies  d'ar- 
mes à  feu,  ulcères  fistuleux,  carie 
aux  os 22         18         4  i- 

Maladies  syphilitiques,    svphilides, 

blennorrhée 77         46         34 

Total 1371       707       818 

Ainsi,  sur  289G  malades  qui  sont  venus  àLuchon  avec  des  ma- 
ladies graves,  1371  ont  été  guéris,  707  se  sont  trouvés  soulagés, 
818  seulement  ont  résisté  aux  effets  salutaires  des  eaux. 

Tous  ces  différents  détails  n'étant  que  les  produits  mathéma- 
tiques des  chiffres,  nous  n'avons  pas  besoin  de  les  faire  suivre 
d'aucun  commentaire  ;  c'est  au  lecteur  à  les  apprécier  mainte- 
nant dans  toute  la  sincérité  de  sa  conviction  d'homme. 


CHAPITRE  SEPTIÈME 


Vallée  de  Luclion.—  Sa  position  géologique.—  Flore  du  bassin  de 
Bagnères.—  Ornithologie  et  histoire  naturelle  de  cette  vallée. 


La  vallée  de  Luchon  offre  cela  de  particulier  qu'elle 
se  trouve  daDS  la  plus  belle  situation  géographique  de 
toutes  celles  qui  s'ouvrent  dans  l'intérieur  des  pyrénées. 
Elle  est,  en  cela,  dans  une  position  exceptionnelle. 
Encadrée  par  de  hautes  montagnes,  elle  voit  se  dresser, 
autour  d'elle,  comme  d'énormes  géants,  le  pic  de 
Cabrioulsqui  s'élève,  à  l'extrémité  de  la  vallée  de  Lys, 
à  1658  toises  (3215  mètres  850  millimètres)  au 
dessus  du  niveau  de  la  mer;  celui  de  la  Tuque  de 
Maupas,  dans  la  même  vallée  du  Lys^,  dont  la  hauteur 
est  de  1615  toises  (3147  mètres  850  millimètres). 
A  ces  deux  derniers  nous  ajouterons  ceux  qui  dominent 
la  vallée  à  une  distance  plus  ou  moins  rapprochée  et 
dont  nous  donnons  ici  la  nomenclature,  avec  la  mesure 
de  leur  élévation,  tant  en  toises  qu'en  mètres  : 


112  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITORESQUE 

Maladetta,  pic  dWnéthon  ou  Nclto,  près  de  Bagnères- 
de-Luchou,  1787  t.  (3432,863).  Son  arête,  accessible 
seulement  à  l'ouest,  a  de  1621  à  1671  t.,  et  au  pied  de 
son  glacier,  1*37  1  t.,  (2622,079). 

Port  d'Oo,  vallée  de  Larboust,  1540  t.,  (3001,460). 

Lac  glacé  du  port  d'Oo,  vallée  de  Larboust,  1381  t, 
(2652,589). 

Pic  Quairal,  vallée  de  Larboust  et  vallée  du  Lys, 
1585  t.,  (3089,165) 

Pic  de  Hermitans,  vallées  de  Larboust  et  de  Louron, 
1554  t.,  (3027,746;. 

A  ces  pics,  dont  les  rochers  bizarrement  découpés, 
prennent  des  formes  plus  ou  moins  fantastiques,  nous 
devons  ajouter  les  glaciers  qui,  au  lieu  de  se  trouver 
dans  une  position  ascendante,  s'étendent  dans  une 
position  longitudinale  sur  les  flancs  des  montagnes. 
Ainsi,  le  glacier  de  la  Maladetta,  sur  le  versant 
méridional  de  l'Espagne,  à  cinq  lieues  (25  kilomètres) 
de  Luchon,  est  un  des  plus  beaux  de  tous  ceux  des 
Pyrénées;  ses  eaux  vont  se  perdre  dans  le  gouffre  ou 
trou  du  Toro;  sa  longueur  est  d'environ  6,000  toises 
(11,684  mètres),  et  pourtant  sa  hauteur  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer  n'est  que  de  1,172  toises  (2,672  m.) 
Après  le  glacier  de  la  Maladetta,  celui  de  Cabrioules  , 
qui  est  au  fond  de  la  vallée  du  Lys,  s'étant  sur  la  mon- 
tagne du  même  nom  ;  il  se  joint  à  celui  du  Portillon 
d'Oo,  et  de  ce  dernier  communique  à  celui  du  port 
d'Oo.  Les  eaux  du  glacier  de  Cabrioules  servent  à  for- 
mer la  cascade  d'Enfer  et  celle  du  Cœur,  dans  la  vallée 
du  Lys.   Les  lacs  d'Oo,  de  la  Maladetta,  du  Portillon 


DE  -BAGiNKUES-DE-Ll'CHO.N .  115 

d'Oo  etde  quelques  autres  dont  nous  parlerons  plus  tard 
complètent,  avec  les  cascades  de  Montauban,  de  Juzet, 
des  Demoiselles,  des  Parisiens  et  du  Cœur,  l'énoncé 
que  nous  avions  à  faire  sur  les  beautés  physiques  et 
géologiques  qui  existent,  comme  des  plis  gracieux  d'une 
riche  ceinture,  aux  environs  de  la  vallée  de  Luchon. 
Partout,  dans  ces  montagnes,  la  nature  végétale  est 
sublime  ! 

Mais  notre  œuvre  de  description  serait  imparfaite, 
si  nous  ne  faisions  connaître  à  nos  lecteurs  ce  que  la 
nature  organique  et  animée,  compte  de  richesses  et  de 
productions  dans  le  bassin  de  Bagnères.  Nous  allons 
entreprendre  nos  explorations,  en  commençant  par  dé- 
crire la  Flore  des  différentes  vallées  qui  sont  contiguës 
à  celle  de  Luchon,  et  qui  par  ce  seul  fait  sont  situées 
sous  la  même  zone  floride. 

Plusieurs  savants  naturalistes  se  sont  occupés  avec 
un  rare  talent  à  décrire  les  diverses  plantes  qui  croissent 
dans  les  Pyrénées.  M.  de  Lapeyrouse  surtout  s'est  livré  à 
cette  étude  avec  un  soin  et  une  distinction  remarquables. 

Voici  la  nomenclature  des  différentes  plantes  classées 
par  les  naturalistes  qui  ont  exploré  seulement  les  mon- 
tagnes et  les  vallées  de  Luchon.  Nous  suivrons  un  ordre 
méthodique  dans  leur  énumération  : 

VALLÉE  DU  LYS. 

1   Le  sureau  à  grappes,  Sambucus  racemosus. 

Les  feuilles  qui  composent retle  plante  sont  très-variées, 
tandis  que  les  pétales  de  ces  fleurs  sont  d'une  couleur  riche 
et  vive  à  la  fois 


114  HISTOIRE  SPÉCIALE   ET  PITTORESQUE 

2  Atrops  belladone,  Atropa  beUadona. 

3.  Lunaire  vivace.,  Lunaria  rediviva. 

4.  impatiente  n'y  touche  pas.,  Impatiens  noli  tangere. 

5.  Gentiane  jaune,  Gentianahitea. 

La  Gentiane  jaune  est  la  seule  espèce  qu'on  trouve  dans 
la  vallée  du  Lys,  tandis  qu'elle  abonde  dans  les  autres  val- 
lées. Ces  diverses  espèces  ont  des  fleurs  jaunes  ou  bleues, 
et  sont  remarquables  par  l'éclat  de  leurs  couleurs  et  par  le 
dessin  de  leurs  formes. 

6.  Lys  des  Pyrénées  Lilium  Pyrenaicum. 

7.  Lys  Martagon  Lilium  Martagon. 

8.  Lys  de  Saint-Bruueau,  Anthericum  liliago. 

Ces  trois  sortes  de  Lys,  qui  sont  communs  dans  celle  val- 
lée, ont  un  peu  de  ressemblance  avec  les  lys  de  nosjardins, 
mais  sous  une  forme  plus  petite.  La  couleur  de  leur  co- 
rolle est  rose  sombre,  marquetée  de  noir;  leur  anthère  est 
purpurine  el  produit  dans  tout  l'ensemble  de  la  (leur  un 
effet  brillant. 

9.  Ellébore  à  fleurs  vertes,  Elleborus  viridis. 

10.  Primevère  à  feuilles  entières,  Primula  integrifolia. 

La  première  à  feuille  entière  tapisse  les  rochers  sur  les- 
quels elle  s'élève.  Sa  couleur  est  d'un  violet  tendre;  ses 
feuilles  sont  très-petites,  et  ses  fleurs  sont  en  nombre 
aussi  considérable  que  ses  feuilles,  ce  qui  distingue  celle 
plante  d'une  manière  toute  particulière. 

11 .  Groseillier  des  Alpes,  Ribcs  Alpina. 

12.  Violette  à  long  éperon,  Viola  comuta. 

13.  Campanule  à  larges  feuilles,  Campanula  latifolia . 

14.  OEillet  superbe,  Dianthus  superbus. 

15.  Prenanthe  pourprée,  Prenathus  purpurea. 

16.  Eryhrone,  dent  de  chien,  Erylironium  denscanis. 

17.  Frilillaire  pinlade,  Frilillaria  meleagris. 


DE    BAGJNÈRES-DE-LUCHON.  11') 

18.  Asphodèle  blanc,  Asphodelus  albus. 

19.  Scille  fausse  hyacinthe.  Sctlla  lilio  hyacinthus. 

20.  Astrancie  à  grandes  feuilles,  Astrancia  Major. 

21.  Silène  des  rochers,  Silène  rupeslis. 

L'astrancie  à  grandes  feuilles  est  remarquable  par  sa 
fleur  d'un  bleu  jaune,  ses  pétales,  dont  le  nombre  n'est  pas 
fixe,  sont  disposées  comme  celles  de  la  fleur  du  soleil  de 
nos  potagers;  elle  abonde  dans  les  prairies  et  porte  sur  sa 
tige  plusieurs  feuilles  d'inégale  grandeur. 

22.  Renoncule  à  feuille  d'Aconit,  Renunculus  Aconit i  folii. 

23.  Anémone  renoncule,  Anémone  renonculoides. 
2i.  Aconit  tue  loup,  Aconitum  lycothonum. 

25.  Epiaire  des  Alpes,  Stachi  Alpina. 

Cette  plante  a  des  feuilles  grandes,  quoique  sa  tige  soit 
petite;  ses  fleurs,  qui  prennent  naissance  à  sa  lige  à  l'en- 
droit où  se  développe  le  pétiole,  sont  d'un  violet  rose. 

26.  Digitale  pourprée,  Digitalis  purpurea. 
27  Digitale  jaune. 

28.  Saxifrage  hirsu  Saxifraga  autumnales. 

29.  Graselle  vulgaire,  Pingincula  vulgaris. 
.30.  Epilobe  en  épie,  Epihbium  spicalum. 
31.  Lysimachia. 

Les  feuilles  de  la  lysimachia  sont  en  forme  de  trèfle-, 
elle  se  trouve  dans  les  bois;  sa  fleur  est  remarquable  par 
sa  belle  couleur  de  jaune  foncé  ;  elle  est  une  des  plus  jolies 
plantes  de  la  vallée  du  Lys. 

VALLÉE  D'OO  ET  SES  ENVIRONS. 

Cette  vallée,  qui  embrasse  les  lacs  deSéculéjo,  du  Por- 
tillon d'Oo,  d'Espiga  et  du  lac  glacé,  y  compris  le  vallon 
de  Midasol,  la  gorge  d'Esquery,   et  les  alentours  du  lac 


116  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

d'Esquery,  a  été  appelée  le  jardin  des  Pyrénées  par  les  bo- 
tanistes; ces  lieux,  en  effet,  ont  enrichi  la  flore  des  Pyré- 
nées par  la  grande  quantité  des  plantes  rares  et  précieuses 
qu'ils  ont  fournis  à  la  science.  Voici  le  détail  de  celles  qu'on 
y  trouve: 

1 .  Primule  farineuse,  Primula  farinosa. 

2.  Pavot  du  pays  des  Galles,  Papaver  camprienus. 

3.  Primevère  à  feuille  entière,  Primula  iniegrifolia. 

4.  Violette  à  long  éperon,  viola  cornula. 

5.  Violette  à  deux  Heurs,  viola  biflora. 

6.  Aconite  nappes,  Aconitum  napelus. 

7.  Aconit  anthorre;  Aconilum  anthorra* 

8.  Rododendrum  ferrugineux. 

9.  Ramondie  des  Pyrénées,  Ptamondia  Pyrenaica. 

La  feuille  de  cette  plante  est  veloutée  et  laineuse  à  son 
revers;  ses  fleurs  violettes  se  détachent  sur  une  tige  très- 
faible  et  a  cinq  pétales  presque  égales;  elle  se  trouve  au 
lac  d'Ooet  tapisse  la  Cascade  des  Demoiselles. 

10.  Chèvrefeuille  des  Pyrénées,  Leonicera  Pyrenaica. 
1  I .  Saxifrage  pyramidal,  Saxifraga'pyramidalis. 

12.  Saxifrage  étoile,  Saxifragd  stellaris. 

13.  Androsace  des  Pyrénées,  Androsace  Pyrenaica- 

14.  Androsace  des  Alpses,  Androsace  Alpina. 

15.  Géranium  des  Pyrénées,  Géranium  Pyrenaica. 

16.  Véronique  pons,  Veronica  ponce. 

17.  Véronique  des  Alpes,  Veronica  Alpina. 

18.  Véronique  à  feuilles  de  pâquerettes,  Veronica  Bell 
dione. 

19.  Véronique  des  rochers,  Veronica  saxosa. 

20.  Mufflier  toujours  vert,   Anthirrinum  semper  virens 
2\ .  Pédiculaire  courbée,  Pedicularis  giroflexq . 


DF.  BAfiiNÈRES-DE-LUCIION.  117 

^2.  Tozzi  des  Alpes,  Tozzia  Alpina. 

23.  Campanule  agglomérée,  Cumpanvla  glomerata. 

24.  Campanule  en  gazon,  Cœspilosa. 

25.  Buplèvre  des  Pyrénées,  Buplevrum  Pyrenaicum. 

26.  Statice  armérie,  Statice  armeria. 

27.  Soldanelle  des  Alpes,  Soldanella  Alpina. 

28.  Tussilage  des  Alpes.  Tussilago  Alpino. 

29.  Bartsi  des  Alpes,  Burpsia  Alpina. 

30.  Erine  des  Alpes,  Erinus  Alpînus, 

31.  Liodent  écailleux,  Leontodon  squanusum. 

32.  Cardamine  des  Alpes,  Cardatnina  Alpina. 

33.  Gypsophillc  rampante,  Cysophilla  repens. 

34.  Silène  sans  tige,  Silenê  acaulis. 

35.  Silène  saxifrage,  Silène  saxifraga. 

36.  Anémone  des  Alpes,  Anémone  Alpina. 

37.  Anémone  narcissiflore,  Anémone  narcissiflora. 

38.  Renoncule  des  Pyrénées,  Rennnculus  Pyrenaica. 

39.  Renoncule  thors,  Renuncule  thora. 

40.  Renoncule  glaciale,  Renoncule  glacialis. 

41.  Ancolie  des  Alpes,  Ancolia  Alpina. 

42.  Aster  des  Alpes,  Aster  Alpina. 

43.  Tourmenlille  droite,  Tourmentilla  ererta 

44.  Potentille  alcbcmille,  Polentille  alchemiloides. 

45.  Potentille  des  neiges,  Potentille  nivalis. 

46.  Geum  ou  Becoîte  des  montagnes,   Geum  monlanum. 

47.  Alchemille  des  Alpes,  Alchemilla  Alpina, 

48.  Nerprun  des  Alpes,  Rhamnns  Alpinus. 

49.  Saule ^)es  Pjrénées,  Salix  Pyrenaica. 

50.  Saule  herbacée,  Salix  herbacea. 

51.  Cardamine  des  Alpes,  Cardamine  Alpina. 

Nous  terminons  tout  ce  que  nous  avons  à  dire  sur  la 
flore  du  bassin  de  Ludion,  par  la  nomenclature  «les  plantes 

8 


1  18  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET   PITTORESQUE 

que  renferment  les  vallées  de  Barca  et  du  portillon  de 
Bossost.  On  verra  que  ces  deux  dernières  vallées  ne  le  cèdent 
point  aux  premiers. 

VALLÉE  DU  PORTILLON  DE  BOSSOST. 

1.  Spirée  ou  barbe  de  bouc,  Spirea  Aurunea. 

2.  Campanule  large-feuille,  Campanula  latifolia. 

3.  Thalictrom  à  feuilles  d'Ancolie,  Thaliclron  ancolifo 

lium. 

4.  Balsamine  n'y  touche  pas,  Impatiens  nolli  langere. 

5.  Pyrole  à  feuille  ronde,  Pyrole  rotundifolia. 

6.  Muguet  des  bois,  Asperula  odorata- 

7.  Scille  fausse  jacinthe,  Scilla  litio  hiacinthus. 

8.  Asphodèle  blanc  Asphodèlus  Albus. 

9.  Saxifrage  de  Clusi,  Saocifraga  Clussi. 

10.  Atropa  Belladone,  Atropa  Belladona. 

11.  Actes  en  épi,  Actea  spicata. 

12.  Valériane  des  Pyrénées,  ValertanaPyrenaica. 

13.  Narcisse  des  poètes,  Narcissus poeticus. 

14.  Pavot  du  Pays  de  Galles,  Papaver  Cambrienus . 

15.  Euphorbe  d'hiver,  Euphorbia  hyemalis. 

16.  Lis  Martagon,  Lilium  Martagon. 

17.  Digitale  pourprée,  Digitalis  purpurea. 

18.  Digitale  jaune,  Digitalis  lutea. 

19.  Astrance  à  grandes  feuilles,  Astrancia  major. 

20.  Sureau  à  grappes,  Sambucus  racemosus. 

21 .  Groseiller  des  Alpes,  Ribes  Alpina.  ^ 

22.  Phytème  en  épi,  Phytema  spicata. 

Nous  pourrions  citer  encore  un  nombre  considérable  de 
plantes  qui  se  trouvent  dans  la  vallée  de  l'hospice  du  port 
de  Venasque,  au  Port  de  la  Picade,  au  trou  de  Toro,  dans 


DE    HACNKKES-DE-UCHON.  I  1  1J 

les  pâturages  de  Capsaure,  à  la  cascade  des  Demoiselles  éi 
à  ceiledes  Parisiens,  et  qui  sont  toutes  fort  remarquables: 
mais  ce  serait  fatiguer  l'attention  de  nos  lecteurs  ;  d'ailleurs 
on  peut  trouver  une  partie  de  ces  détails  qui  concernent 
les  plantes  de  ces  localités  dans  la  flore  de  M.  Lapeyrouse. 

Maintenant  que  nous  venons  de  faire  connaître  les  dif- 
férentes plantes  qui  croissent  sous  la  zone  lloride  de  Bagnè- 
res-de-Luchon,  il  ne  sera  pas  inutile,  sans  doute,  de  nous 
élever  plus  haut  dans  l'échelle  de  la  nature,  en  passant  de 
la  plante  aux  oiseaux.  L'étranger  qui  visite  ces  montagnes 
voudrait  tout  apprendre  et  souvent,  en  arrivant  au  sein 
des  Pyrénées,  son  avidité  est  telle  qu'il  désirerait  déjà  se 
mettre  en  rapport  d'intelligence  avec  tout  ce  qui  l'environne 

Aussi,  pour  satisfaire  celte  curiosité  bien  naturelle,  nou 
allons  entrer  dans  quelques  détails  sur  l'ornithologie  de  ce< 
montagnes;   et  quoique  la   nomenclature  semble   devoir 
paraître  fatigante  au  lecteur,  nous  l'emploieronsencore,  afin 
de  mettre  plus  d'ordre  et  plus  de  méthode  dans  notre  récit. 

Parmi  l'espèce  d'oiseaux  les  plus  connus  aux  environs  de 
Bagnères-de-Luchon,  nous  citerons  : 

Le  caille,  qui  est  très  commune  toute  l'année,  excepté  en 
hiver,  où  le  froid  la  force  h  quitter  ces  vallées. 

La  petite  et  la  grande  bécasse  abondent  dans  ces  contrées, 
depuis  le  mois  de  mai  jusqu'au  mois  d'octobre. 

L'orlolan,  au  contraire,  est  très-rare  dans  cette  partie 
des  Pyrénées,  tandis  qu'il  est  commun  dans  les  Pyrénées 
orientales. 

Le  coq  (le  bruyère  se  fait  remarquer  dans  les  bois  de 
sapins  qui  couvrent  les  flancs  de  ces  montagnes-,  sa  ressem- 
blance se  rapproche  beaucoup  de  celle  du  faisan.  La  femelle 
du  coq  de  bruyère  est  entièrement  noire. 

La  tourterelle  et  le  faisan  sont  inconnus  dans  ces  parages. 

L'aigle  surnommé  arian  est  le  plus  grand  de  tous  )c- 


1  20  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

oiseaux  qui  existent  dans  les  Pyrénées.  Il  est  vraiment 
monstrueux  ;  il  a  environ  quatorze  pieds  (3  mètres  70 
centimètres)  d'envergure;  il  est  surtout  remarquable  par 
ses  griffes  redoutables,  son  bec  crochu  et  tranchant,  ses 
yeux  perçants  et  avides,  enfin  par  son  plumage  d'un  roux 
sale,  mélangé,  dans  diverses  parties  du  corps,  de  noir  et  de 
blanc.  Le  dessous  de  son  ventre  est  d'un  jaune  très-clair, 
à  leurs  extrémités  les  plumes  de  ses  ailes  sont  noires,  elles 
sont  blanches  au  milieu  ;  un  collier  blanc-cendré,  tacheté 
de  jaune-roux,  entoure  son  cou.  Celte  espèce  d'aigle  habile 
les  hautes  régions  danscetle  parlie  des  Pyrénées;  il  descend 
dans  les  plaines  pour  assouvir  sa  voracité,  lorsque  les 
rochers  ne  peuvent  plus  le  nourrir  :  alors  il  lutte  avec  les 
animaux  les  plus  vigoureux  et  souvent  même  avec  l'homme, 
dont  il  est  un  ennemi  dangereux. 

Il  existe  encore  trois  espèces  d'aigles  :  le  griffon,  legypaële 
et  l'alimoche,  tous  plus  petits  que  l'arian.  Ils  sont  assez 
connus,  ce  qui  nous  dispense  de  les  décrire  ici. 

Le  Pégo  accenteur  est  un  oiseau  qui  se  perche  sur  les 
rochers.  Il  a  la  poitrine  et  le  cou  d'un  gris  cendré,  le  dos 
marqué  de  grandes  taches  brunes;  sa  gorge  est  blanche,  et 
forme  des  espèces  d'écaillés,  son  ventre  et  ses  plumes  sont 
d'un  ton  roussâlro,  mêlé  de  blanc  et  de  gris  ;  ses  ailes  et  sa 
queue  d'un  brun  noirâtre;  toutes  ses  plumes  sont  liserées 
de  cendre,  souvent  elles  se  terminent  par  une  tache  blanche; 
son  bec  est  noir  à  la  pointe  et  jaune  à  la  racine,  ses  pattes 
jaunâtres;  ses  ongles  sont  bruns;  sa  longueur  est  d'environ 
vingt  centimètres  La  femelle  diffère  du  mâle  par  des  cou- 
leurs un  peu  moins  variées.  Cet  oiseau  habite  généralement 
les  Alpes,  et  se  tient  le  long  des  rochers  :  dans  la  belle  saison 
il  gagne  successivement  la  cîme  des  plus  hautes  montagnes; 
dans  l'hiver  il  descend  dans  les  régions  moyennes  On  le 
voit  dans  les  plus  hautes  montagnes  de  France.  Sa  nourri- 


DE    BAGKÈKES-DE-LUCUUiN.  Izl 

turc  en  éle*  se  compose  de  hannclons  et  d'insectes;  en  hiver, 
il  vit  de  semences  et  de  plantes.  Le  Pégo-accenteur  fait  son 
nid  dans  les  fentes  des  rochers,  sur  les  pics  des  montagnes, 
et  pond  cinq  œufs  de  couleur  verdâtre.  Il  existeencore  deux 
espèces  d'accenteur  :  Paccenteur-mouche  et  l'accenlcur- 
montagnard. 

L'accenleurmontagnard,  qui  est  leseul  dontnous  voulons 
parler,  a  une  espèce  de  capuchon  noir  à  la  tête  ;  ce  capu- 
chon, assez  épais,  la  lui  couvre  toute  entière-,  il  a  une 
bande  noire  qui  lui  passe  au-dessus  des  yeux,  et  qui  va 
couvrir  une  partie  de  l'orifice  de  ses  oreilles-,  on  lui  remar- 
que un  large  sourcil  jaune  qui  prend  son  origine  à  la  racine 
de  son  bec  et  aboutit  à  sa  nuque;  les  parties  inférieures  de 
son  corps  sont  d'un  cemlré  rougeâlre,  marquées  de  grandes 
lâches  longitudinales  d'un  rouge  assez  vif,  ses  ailes  sont 
d'un  brun  cendré  rougeâlre,  bordées  de  deux  rangées  de 
petits  points  jaunes  qui  forment  sur  ses  ailes  une  double 
bande-,  sa  queue  est  d'une  seule  teinte  brune,  ses  baguettes 
sont  cependant  d'un  brun  rougeâlre  -,  toules  les  parties  infé- 
rieures de  son  corps  sont  couleur  isabelle  jaune,  variéos 
sur  la  poitrine  de  taches  brunes  et  sur  les  flancs  de  taches 
longitudinales  cendrées  rougeâlre  ;  la  ba><e  de  son  bec  est 
jaune,  la  pointe  est  brune;  ses  pattes  sont  jaunes  ;  sa  lon- 
gueur est  de  vingt  à  vingt-cinq  centimètres  ;  il  habile  la 
partie  orientale  du  midi  de  l'Europe,  et  se  nourrit  comme 
ceux  de  son  espèce;  mais  on  n'a  pu  encore  découvrir  com- 
ment il  se  propage. 

Le  tichodrome-écbelètre  est  rare  dans  les  Pyrénées  ;  on 
le  trouve  néanmoins  quelquefois  dans  celle  partie  de  nos 
montagnes.  Il  a  la  têle  d'une  couleur  cendré-foncée;  la 
gorge,  le  sommet  de  son  cou  sont  d'un  beau  noir;  la  barbe 
inférieure  de  sa  queue,  qui  estfloire,  est  terminée  par  uu 
blanc  un  peu  cendré.  11  est  très-pelit;  sa  longueur  est  de 


122  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

seize  à  vingt  centimètres  ;  il  se  nourrit  d'insectes,  de  sa  larve, 
de  ses  cocons,  et  plus  particulièrement  d'araignées  ;  quel- 
quefois de  ses  œufs  et  des  œufs  des  autres  oiseaux  dont  il 
est  très-friand  ;  il  fait  son  nid  dans  les  fentes  des  rochers 
les  plus  escarpés,  dans  leurs  crevasses,  daus  les  ruines  des 
masures,  situées  à  une  grande  élévation. 

Le  pyrocorax  à  les  mêmes  formes,  les  mêmes  mœurs  que 
le  corbeau.  Celte  espèce  de  volatiles  vit  en  troupe,  le  pyro- 
corax se  perche  sur  les  hêtres  de  ces  montagnes  ou  s'abat 
aux  pieds  des  rochers  ;  les  individus  de  cette  espèce  se  dis- 
putent les  animaux  morts;  leurs  cris,  leurs  mouvements, 
leur  vol  et  leurs  habitudes  sont  les  mêmes  que  ceux  du 
choucas  :  ils  peuvent  en  être  regardés  comme  les  repré- 
sentants dans  les  hautes  montagnes.  Ils  quittent  rarement 
les  régions  couvertes  de  neige  et  de  glace,  à  moins  qu'ils 
n'y  soient  forcés  par  la  faim;  ils  font  leurs  nids  dans  les 
fentes  des  rochers  les  plus  escarpés  ;  toute  espèce  de  nour- 
riture leur  est  bonne  :  graines,  semences,  charognes  ;  leur 
plumage  est  d'un  noir  brillant,  avec  un  reilet  pourpré  vert. 

La  perdrix  blanche  de  la  famlle  des  tétras  abonde  dans 
celle  partie  des  montagnes  de  Luchon  :  en  hiver  ses  plumes 
sont  blanches,  en  été  elles  deviennent  grises  :  cette  méta- 
morphose dans  sa  robe  est  un  avantage  réel  pour  ce  volatile 
qui  échappe  ainsi  facilement  à  la  poursuite  de  ses  ennemis. 
Les  perdrix  de  cette  espèce  ont  les  patles  couvertes  d'un 
fort  duvet  qui  les  garantit  du  froid;  ce  duvet  est  moins 
louiïu  en  été  qu'en  hiver.  Il  existe  encore  d'autres  espèces 
de  perdrix;  elles  n'habitent  que  les  plaines  :  ce  sont  les 
perdrix  rouges,  grises  et  bartavelles.  Cette  dernière  espèce 
a  un  brillant  plumage,  assez  semblable  à  celui  des  beaux 
coqs  de  nos  basse-cours  ;  on  la  trouve  principalement  dans 
les  bruyères.  Toutes  ces  espèces  pondent  de  douze  a  quinze 
œufs  d'un  rouge  clair  ;  cependant  ceux  des  perdrix  rouges 


DE  BAGISÉRES-DE-LUCIION.  125 

sont  d'un  roux  foncé  ;  elles  font  leur  nid  par  terre,  dans 
les  buissons  et  les  bruyères. 

Le  hibou,  grand-duc,  quoique  rare  en  France,  se  trouve 
pourtant  dans  les  Pyrénées  et  surtout  dans  les  montagnes 
qui  avoisinent  la  vallée  de  Luchon.  11  a  le  dessus  du  corps 
de  couleur  variée  et  onde  de  noir  et  ocre  jaune  -,  à  la  partie 
inférieure  de  cette  dernière  couleur  sont  des  taches  noires 
longitudinales  ;  sa  gorge  est  blanche  ;  ses  pattes  jusques  sur 
ses  ongles  sont  couvertes  de  plumes  d'un  rouge  jaunâtre  ; 
sou  bec  et  ses  ongles  sont  couleur  de  corne;  son  iris  est 
orange  vif;  sa  longueur  est  de  soixante-cinq  à  soixante-dix 
centimètres;  il  est  très-carnassier,  se  nourrit  de  jeunes 
chevreuils,  de  cerfs  venant  de  naître,  de  lièvres,  taupes, 
rats,  souris,  grenouilles  et  de  lézards.  Il  fait  son  nid  dans 
le  creux  des  rochers,  dans  les  ruines  de  vieux  châteaux  ; 
il  pond  deux  ou  trois  œufs  très-arrondis  et  blancs. 

Outre  cette  espèce  de  hibou,  on  voit  le  hibou  moyen  duc, 
le  hibou  ecops  :  ce  dernier  a  deux  petites  cornes  formées 
par  des  lames  et  deux  petites  plumes  réunies  formant  une 
toulîe  ;  il  n'a  que  vingt-cinq  centimètres  de  longueur  ;  il  est 
commun  en  France. 

Le  tëroëland,  buger-meisler,  (Larus  GlaucusJ,  habite 
ordinairement  les  contrées  septentrionales;  aussi,  est-il 
très-rare  dans  notre  midi  :  il  existe  pourtant  dans  nos 
montagnes  où  plusieurs  naturalistes  ont  pu  l'étudier.  11  fait 
son  nid  dans  le  creux  des  rochers,  pond  six  à  huit  œufs 
couleur  verdâtre,  allongés  vers  le  bout  et  marqués  de  quel- 
ques taches  noires  ;  son  dos,  le  manteau  de  ses  ailes  sont 
d'un  cendré  bleuâtre-clair;  son  bec  d'un  beau  jaune; 
l'angle  de  sa  mâchoire  inférieure,  que  l'on  appelle  mandi- 
bule, d'un  rouge  vif,  le  cercle  nu  de  ses  yeux,  rouge,  iris 
jaune;  ses  pieds  livides;  sa  longueur  en  général  est  de 
soixante-dix  à  quatre-vingt:-  ccnlimèlres. 


124  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Le  merle  blanc  ou  merle à-plastron  est  très-commun  dans 
la  vallée  de  l'Hospice  du  port  de  Venasque.  Ses  plumes 
noirâtres  sont  bordées  de  gris-blanc  ;  son  bec  est  jaune  et 
son  plumage  varie  étrangement;  on  en  voit  qui  sont  entiè- 
rement blancs.  Cet  oiseau  habile  les  pays  boisés  et  mon- 
tagneux ;  il  se  nourrit  dinsecles,  fait  son  nid  par  terre, 
au  pied  des  buissons;  il  pond  de  cinq  à  six  œufs  d'un  vert 
blanchâtre  tacheté  de  points  rouges  ou  rougeâlres. 

Il  existe  plusieurs  autres  espèces  de  merles;  entr'aulres, 
le  merle  tordu,  le  merle  draine,  le  merle  grive,  le  merle 
lilorne,  le  merle  gorge  noire,  le  merle  mauvis,  le  merle  de 
roche,  le  merle  naumann,  et  le  merle  bleu.  Il  est  inutile 
d'entrer  dans  le  détail  de  ces  divers  oiseaux  dont  la  plupart 
sont  étrangers  à  nos  montagnes. 

Nous  terminerons  ce  chapitre,  ou  plutôt  nous  le  com- 
pléterons, en  rapportant  les  noms  des  quadrupèdes  connus 
dans  celle  partie  des  Pyrénées.  Le  lecteur  aura  ainsi  une 
idée  générale  des  productions  si  variées,  des  êtres  qui  peu- 
plent les  vallées  de  Luchon.  Dans  un  ouvrage  de  la  nature 
de  celui-ci,  la  curiosité  naturelle  ne  saurait  être  essez 
satisfaite.  Or,  voici  une  nomenclature  des  quadrupèdes 
connus  dans  ces  montagnes. 

Eu  commençant  ce  détail,  par  les  premiers  degrés  dans 
l'échelle  des  animaux,  nous  trouvons  que  le  lapin,  le  lièvre 
et  le  renard  y  sont  très  communs. 

L'écureuil,  la  belette,  la  fouine  et  les  rats  d'eau,  abondent 
dans  les  fonds  des  vallées  et  au  pied  des  ports  et  des  passa- 
ges- 

D'après  les  anciennes  chartes,  les  cerfs  et  les  sangliers  se 
trouvaient  en  errand  nombre  aux  environs  de  Luchon, 
puisque  le  comte  de  Goraminges  s'était  réservé  de  ces  ani- 
maux ez  paris  qui  lui  compétent,  à  sçavoir  :  la  hure  du 
sanglier  et  la  jambe  gauche  du  cerf,  sur  tous  ceux  qui 


DE  BAGNERES-DE-LUCHlhN.  125 

seraient  occis  à  Bagnères  et  autres  lieux.  Mais  depuis 
longues  aimées,  ni  les  cerfs  ni  les  sangliers  ne  paraissent 
les  vallées  de  Luchon. 

Le  chai  sauvage  est  très-commun  dans  les  bois  qui  domi- 
nent la  vallée  du  Lys;  on  en  compte  de  plusieurs  espèces, 
mais  on  a  distingué  principalement  : 

Le  chat  noir; 

Léchai  gris, 

Le  chat  noir,  collier  blanc. 
Ce  que  ces  animaux  oui  de   plus  précieux  en  eux  c'est  la 
fourrure;  quant    a  leur  chair,    elle    n'a  pas  été  reconnue 
encore  mangeable. 

Le  desmans,  qui  vit  toujours  dans  l'eau  et  qui  a  quelque 
ressemblance  avec  la  souris,  se  trouve  parfois  dans  le« 
rivières  de  l'One  et  de  la  Pique.  Cet  animal  a  cela  de  parti- 
culier, que  sa  peau  exhale  une  forte  odeur  de  musc  qui  se 
conserve  longtemps.  Le  desmans  que  Buffon  n'avait  rencon- 
tré que  dans  la  Sibérie,  existe  pourtant  dans  nos  Pyrénées. 

Le  bouquetin,  qui  se  trouve  communément  sur  le  ver- 
sant méridional,  vient  quelquefois  habiter  les  montagnes 
de  Luchon,  qu'il  traverse  pendant  les  mois  d'été. 

L'Izard,  cet  animal  si  joli  el  dont  la  légèreté  et  la  vitesse 
sont  étonnantes,  est  Irès-comrnun  dans  ces  contrées.  Il  ha- 
bite indifféremment  le  sommet  des  rochers  les  plus  élevés 
el  descend  dans  les  vallons  où  il  se  mêle  souvent  à  des 
troupeaux  de  moulons.  Le  moindre  bruit  l'épouvante  et 
lui  fait  prendre  la  fuite  avec  la  rapidité  d'une  ombre  qui 
passe.  Il  ressemble  beaucoup  au  chevreuil  ;  sa  couleur  est 
d'un  brun  clair  jaunâtre;  son  poil  est  lisse,  ses  pieds  très- 
fins  ;  il  porte  la  tête  élevée,  elle  est  ornée  de  petites  cornes; 
ses  yeux  sont  vifs,  remplis  d'expression. 

Le  loup  n'est  pas  rare  dans  ces  vallées,  on  pourrait 
même   affirmer  que    ces    dernières  sont  ses  demeures  de 


v26  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

prédilection.  En  été,  il  habile  les  bois  d'où  il  nesort  pres- 
que jamais;  il  n'en  est  pas  ainsi  en  hiver,  à  1  époque  des 
jeiges  :  alors,  il  descend  dans  les  plaines  et  jusque  dans 
'intérieur  des  villages,  qu'il  parcourt  de  nuit  et  souvent  de 
jour.  Son  audace,  à  cette  époque  de  l'année  le  porte  à 
commettre  des  méfaits  de  toute  espèce  ,  il  attaque  les  ani- 
maux et  quelquefois  l'homme. 

L'ours  est  le  plus  grand  et  le  plus  gros  de  tous  les 
animaux  qu'on  rencontre  dans  cette  partie  des  monta- 
gnes :  sa  couleur  est  d'un  brun  fauve,  et  son  volume 
d'une  énorme  dimension.  La  chasse  qu'on  en  fait  dans  le 
pays  est  très  productive,  car  la  peau,  la  graisse  et  même  la 
viande  se  vendent  à  un  très-haut  prix.  Cet  animal  se  lient 
ordinairement  sur  les  points  les  plus  élevés  et  les  plus 
inaccessibles  des  montagnes. 

On  trouve  encore  d'autres  quadrupèdes  dans  ces  con- 
trées -,  mais  leur  peu  d'importance  nous  force  à  ne  pas 
même  les  énumérer.  D'ailleurs,  ils  sont  communs  dans 
toutes  les  autres  parties  de  la  France. 


CHAPITRE  HUITIÈME 


Itinéraire  dans  la  vallée  de  Luchon.  — Division  éii  quatre  districts 
des  lieux  à  explorer. 


S'il  est  une  contrée  qui,  par  ses  souveuirs  histori- 
ques qu'elle  renferme,  mérite  d'être  distinguée  d'une 
manière  toute  particulère,  c'est  évidemment,  celle, 
au  milieu  de  laquelle  s'élargit  la  vallée  de  Luchon. 
D'un  côté,  se  trouvent  la  vallée  d'Aran  et  la  ville  de 
Saint-Béat,  dont  l'importance,  comme  pays  et  comme 
ville,  est  incontestable  ;  de  l'autre,  s'étendent  les  val- 
lées de  Larboust  et  d'Aure,  qui  ont  fourni  à  la  science 
archéologique  et  à  l'historien  tant  de  monuments, 
souvenirs  de  leur  gloire  et  de  leur  ancienne  splendeur; 
à  l'entrée  de  la  vallée  de  Luchon,  la  cité  de  Cornrnin- 
ges,  (Saint-Bertand),  autrefois  Lugdunum-Convena- 
rurrij  commande  à  ces  populations  qui  viennent  s'abri- 
ter jusques  sous  les  rochers  deCierp;  enfin,  on  trouve 
ça  et  là  empreints  sur  de  vieux  monuments,  les  noms 
des  Celtes  ou  des  Romains. 


128  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Aussi,  avant  les  admirables  travaux  de  M.  d'Eti- 
gny,  intendant  d'Auch  et  de  Pau,  on  ne  parvenait  à 
Luchon  qu'en  suivant  les  traces  d'une  voie  romaine 
qui,  de  Lugdmium-  Convenarum,  s'étendait  jusqu'à  ses 
thermes,  aujourd'hui  si  célèbres.  Des  restes  de  colon- 
nes railliaires,  épars  ça  et  là,  indiquaient,  il  n'y  a  pas 
encore  vingt  ans,  cet  ancien  chemin  ;  il  en  existait  un 
fragment  dans  la  chapelle  à  demi-ruinéc  de  Burgalays, 
à  la  droite  de  la  route  actuelle,  on  lisait  sur  ce  marbre 

le  mot  abrégé  LWP un  autre    fragment  existait  à 

Barcugnas  avec  les  mots  1TER  RESTITV1T. 

Ce  chemin  était  un  des  nombreux  rameaux  qui 
jetaient,  dans  toute  la  Novempulanie,  la  voie  ab  Aquis 
Tarbellicis  Tolosâ.  »  Plus  tard,  à  celte  voie  romaine 
a  succédé  la  route  départementale  que  vous  suivez, 
que  nous  suivons  tous,  en  allant  visiter  cette  vallée 
mystérieuse.  Aussi,  en  sillonnant  ce  long  ruban  de 
chemin  qui  aboutit  aux  thermes  de  Luchon  que  de 
souvenirs  de  toute  sorte  se  pressent-ils  dans  notre  esprit! 
Là,  une  route  romaine  a  servi  à  des  armées  qui  allaient 
porter  la  mort  et  la  destruction  dans  la  Péninsule;  là, 
des  généraux  de  la  ville  éternelle,  des  libertins  de 
familles  consulaire?,  des  courtisans,  des  décemvirs,  des 
édiles  peut-être,  sont  passés  avec  leurs  charriots  sur  la 
voie  qui  conduisait  aux  thermes  de  Luchon  ;  là  encore, 
le  moyen  âge  avec  ses  comtes,  ses  suzerains,  est  venu 
effacer  les  traces  du  passage  qu'avaient  laissé,  dix  siècles 
auparavant,  les  seigneurs  et  les  dames  romaines.  A  la 
gauche  du  voyageur,  c'est  Burgalays,  où  se  trouvait 
placé  la  pierre  milliaire  qui  marquait  les  dislances  fixées 
par  Home;  à  sa  droite,  en  face,  c'est  le  château  de  Guran, 


DE  BAGISÈHES-DE-IXCHON.  129 

personnificalion  de  pierre,  sur  lequel  la  féodalité  a 
laissé  son  nom.  Burgalays  et  Guran,  tels  sont  le  deux 
monuments  qui  résument  eu  eux  la  plus  grande  partie 
historique  de  la  vallée  de  Luchon. 

Aussi,  en  arrivant  à  Bagnères,  lorsque  dans  l'angle 
de  deux  montagnes,  l'étranger  voit  s'élever  cette  ville 
de  3,000  âmes  qui  domine  le  bassin  qui  porte  son  nom ,, 
un  sentiment  de  respect  et  de  vénération  s'empare  de 
lui  ;  le  sol  qu'il  foule  sous  ses  pieds  est  un  sol  historique; 
la  nature  qui  l'entoure  est  sublime;  tout  réveille  dans 
son  ame  le  besoin  de  sacrifier  à  une  croyance,  à  un 
culte;  ce  culte,  c'est  la  religion  sainte  du  passé. 

Pour  satisfaire,  en  quelque  sorte,  à  cet  instinct  reli- 
gieux, à  ce  besoin  de  tout  connaître,  pour  tout  honorer 
et  pour  tout  vénérer,  nous  allons  tracer  un  itinéraire 
qui  servira  de  guide  à  l'étranger  qui  voudra  explorer  les 
environs  de  Bagnères-de-Luchon.  Afin  de  mettre  de  l'or- 
dre dans  le  pèlerinage  que  nous  devons  entreprendre, 
nous  diviserons  la  contrée  de  Luchon  que  nous  voulons 
visiter,  en  quatre  districts;  ainsi  en  prenant  pourpoint 
de  notre  départ  et  pour  centre  commun  la  ville  de  Ba- 
gnères ;  nous  étudierons,  en  nous  transportant  sur  les 
lieux  :  1°  toute  la  partie  qui  se  trouve  à  la  droite  delà 
Picque,  depuis  le  port  de  Venasque  jusqu'à  Juzet: 
2°  toute  la  partie  qui  s'étend  sur  la  gauche  de  la  Picque, 
depuis  le  même  port  de  Venasque  jusqu'à  Luchon  ; 
3°  à  partir  de  Luchon  et  en  remontant  l'allée  des  Sou- 
pirs par  l'allée  d'Oueil,  toute  la  contrée  qui  se  trouvera 
à  notre  droite;  4°  enfin  suivant  la  même  direction,  tout 
le  pays  qui  s'étendra  à  notre  gauche. 


150  HISTOIRE    SPÉCIALE    FT    PITTORESQUE 


I. 


CASCADE  DE  JUZET. 

Nous  commençons  notre  promenade  par  descendre  la  Pic- 
que,  à  une  distance  environ  de  demi-heure  (2  kilomètres  et 
demi)  de  Bagnères.  Arrivé  à  cette  station,  on  trouve  le  petit 
village  de  Juzet,  remarquable  par  son  église  et  par  sa  cascade. 
Pour  visiter  cette  dernière,  qui  est  placée  entre  deux  rochers 
à  pic,  il  faut  traverser  un. arbre  creusé  qui  sert  cV aqueduc  au 
moulin.  La  coupe  sévère  et  gracieuse  des  rochers,  la  belle 
forme  du  bloc  isolé,  les  sommets  couverts  d'une  forte  végé- 
tation, tout  cela  forme  un  coup  d'œil  magnifique.  L'élévation 
de  la  chute  de  la  cascade  est  de  la  hauteur  d'environ  cent 
vingt-cinq  pieds  (40  mètres)  ;  elle  produit  un  effet  admirable. 

CASCADE  DE  MONTAUBAN. 

En  remontant  la  Picque,  et  à  quelques  minutes  de  distance 
du  village  de  Juzet,  on  rencontre  celui  de  Montauban,  en 
suivant  un  beau  chemin  qui  longe  les  montagnes.  En  arrivant 
au  village  qui  s'élève  en  amphithéâtre,  on  se  trouve  en  face 
de  la  petite  église,  simple  et  modeste,  située  dans  une  prairie 
entourée  d'arbres  et  au  pied  de  hautes  montagnes  qui  lui  font 
un  encadrement.  Le  jardin  du  curé  est  ce  qu'il  y  a  de  plus 
remarquable  à  Montauban.  A  côté  du  jardin,  qu'on  a  formé 
sur  la  pente  des  rochers,  on  peut  admirer  la  cascade.  Une 
enceinte  de  rochers  démolis  par  les  eaux  est  ce  qui  la  carac- 
térise. 

SAINT-IYIAMEÏ. 

Saint- Mamet,  qui  est  le  dernier  village  de  France,  n'est 
distant  de  Luchon  que  de  vingt  minutes.  L'espace  à  franchir 
entre  Montauban  et  Saint-Mamet,  est  d'environ  demi-heure 


DE  BAGNÈT1ES-DE-LUCH0N.  451 

(2  kilomètres  et  demi).  La  population  de  ce  village  se  compose 
de  500  âmes  ;  le  clocher  de  l'église,  dont  la  forme  se  rapproche 
de  celui  de  Ludion,  est  d'un  fort  beau  style.  Une  belle  fon- 
taine, quelques  maisons  d'un  assez  joli  aspect  et  une  ancienne 
fabrique  d'azur  qui  existait  autrefois  dans  Saint-Mamet,  sont 
ce  qu'il  renferme  de  plus  intéressant.  11  est  une  remarque 
essentielle  à  faire  sur  ce  village,  c'est  que  sa  population,  com- 
posée presque  en  entier  de  bergers,  a  un  type  particulier. 
Ainsi  les  habitants  de  Saint-Mamet  sont  vifs,  polis4  pleins 
d'une  urbanité  exquise  ;  ce  qu'on  ne  rencontre  point  dans 
toutes  les  vallées  environnantes.  Les  scieries  de  Saint-Mamet, 
situées  sur  les  rives  de  la  Picque,  offrent  au  peintre  le  sujet 
d'un  magnifique  tableau. 

Puisque  nous  voilà  arrivés  aux  pieds  de  l'église  de  Saint- 
Mamet,  disons  un  mot  des  peintures  murales  de  M.  Romain 
Cazes  que  nous  allons  admirer  sous  les  voûtes  du  petit  monu- 
ment religieux. 

La  peinture  murale  était  presque  uniquement  employée, 
comme  on  le  sait,  dans  les  églises  des  XIe  et  XIIe  siècles. 
C'était  ainsi  que  les  vitraux,  dans  les  temps  d'ignorance,  ser- 
vaient de  livre  dont  les  pages  restaient  ouvertes  à  la  pieuse 
curiosité  des  fidèles.  Les  découvertes  faites  à  la  Sainte-Chapelle, 
à  Paris,  et  les  rares  fragments  échappés  à  l'injure  des  temps, 
nous  font  comprendre  combien  elle  était  appropriée  à  la  déco- 
ration des  monuments  religieux,  et  quel  était  le  mérité  des 
artistes  qui  s'y  consacraient. 

En  Italie,  les  grands  maitres  ne  pouvaient  se  résoudre  à 
abandonner  ce  genre  de  peinture.  Michel-Ange,  Léonard  de 
Vinci  méprisaient,  en  quelque  sorte,  les  proportions  de  la  toile, 
et  ne  se  trouvaient  véritablement  dans  leur  génie,  que  lors- 
qu'ils exécutaient  ces  grands  travaux,  où  leur  imagination, 
embrassant  les  vastes  proportions  d'un  édifice,  pouvait  en 
toute  sûreté  calculer  de  grands  effets  et  se  livrer  en  liberté 
aux  inspirations  de  leur  art. 

Aujourd'hui,  plusieurs  de  nos  artistes,  en  étudiant  le  passé, 


132  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

ont  compris  toutes  les  ressources  que  leur  assurait  ce  genre, 
depuis  longtemps  abaudonné.  Les  belles  peintures  de  Flandrin 
à  l'église  de  Saint-Germain  l'Auxerrois,  celles  de  Saint-Paul  de 
Nîmes,  celles  qui  s'exécutent  en  ce  moment  à  Saint  Vincent 
de  Paule  de  Paris,  ont  enlevé  tous  les  suffrages  et  ouvert  au 
talent  une  nouvelle  et  large  carrière. 

Les  habitants  de  Saint-Mamet  n'ont  reculé  devant  aucun 
sacrifice  pour  ajouter  à  leur  église,  nouvellement  restaurée, 
cette  belle  décoration,  que  l'on  préférerait  retrouver  dans  nos 
grandes  basiliques  et  dont  la  coupole  de  l'église  de  Saint-Sernin 
de  Toulouse,  offre  une  heureuse  exception.  M.  Romain  Cazes 
a  déjà  terminé  la  petite  coupole  de  l'église  modeste  de  Saint- 
Mamet.  On  y  voit  se  détacher,  sur  un  fond  d'or,  la  ligure  du 
Sauveur  du  monde,  assis  sur  des  nuages,  bénissant  de  la  main 
droite,  et  tenant  de  la  main  gauche  les  saints  évangiles.  A  sa 
droite,  la  Sainte-Vierge  est  dans  l'attitude  de  l'adoration,  à 
sa  gauche  saint  Jean-Baptiste  dans  la  position  de  précurseur. 

Au-dessous  de  cette  coupole,  et  autour  du  cintre  de  l'abside, 
se  développent,  dans  leurs  diverses  attitudes,  les  douze  apôtres 
se  détachant  sur  un  fond  bleu.  Sur  les  deux  côtés  du  sanc- 
tuaire apparaissent  les  ligures  de  Saint  Mamet,  patron  de 
l'église,  et  de  Saint  Bertrand,  évèque  de  Comminges.  Les 
ligures  du  Christ  et  de  la  Vierge  sont  traitées  de  main  de 
maître  et  empreintes  surtout  de  ce  caractère  mystique,  de  ce 
cachet  d'époque  que  rappellent  les  bons  modèles  des  grands 
maîtres  de  la  première  partie  du  XIIe  siècle.  Le  choix  exquis 
des  arabesques  qui  encadrent  les  ligures,  prouvent  des  études 
consciencieuses  de  l'art  chrétien  au  moyen,  et  l'habileté  de 
leur  exécution  fait  honneur  au  talent  de  M.  Abeillon,  artiste 
décorateur  de  Toulouse,  connu  déjà  par  plusieurs  ouvrages, 
et  surtout  par  les  peintures  de  la  nouvelle  église  de  Saint- 
Martin  du  Touch. 

VALLEE  DE  L'HOSPICE. 

Si  vous  continuez  à  remonter  la  rive  droite  de  la  Picque, 
en  vous  dirigeant  toujours  vers  sa  source,  vous  vous  trouve/ 


DE    BAGKÈHES-DE-LUCIIOK.  155 

tout-à-coup  dans  la  vallée  de  l'Hospice.  L'entrée  de  cette  val- 
lée, qui  commence  au  pont  de  la  Padé,  est  distante  de  Ludion 
d'environ  2  lieues  (10  kilom.).  Cette  vallée,  plus  ombreuse 
que  celle  du  Lys  et  plus  boisée  le  long  des  chemins,  est  une 
des  plus  agréables  de  toutes  celles  qui  entourent  le  bassin  de 
Luchon.  Dès  l'entrée  de  la  vallée,  et  après  Castel-Viel  qu'on 
laisse  à  sa  droite,  en  suivant  la  route  d'Espagne,  on  trouve  un 
chemin  qui  se  bifurque  :  l'un  monte  à  gauche  et  l'autre  des- 
cend à  droite  ;  c'est  ce  dernier  que  nous  allons  prendre. 

CASCADE  DES  DEMOISELLES. 
Or,  en  le  suivant,  on  trouve  la  cascade  des  Demoiselles.  Un 
petit  pont  s'offre  d'abord  à  nos  regards  ;  en  le  traversant  on 
est  conduit  jusqu'à  la  belle  pelouse  de  Jouéou,  où  un  tas  de 
pierres  indique  un  ancien  hospice,  lorsque  le  port  de  la  Glère, 
qu'on  voit  en  face,  était  fréquenté.  Après  avoir  traversé  la 
pelouse,  et  en  remontant  le  gave,  on  arrive  par  un  sentier 
facile  jusques  sous  une  grotte  ténébreuse,  au  fond  de  laquelle 
tombe  une  cascade  entre  des  rochers  perpendiculaires,  cou- 
verts d'une  végétation  luxuriante. 

CASCADE  DES  PARISIENS. 

En  redescendant  le  chemin  qu'on  a  déjà  pris,  on  trouve  un 
petit  sentier  qui  passe  sur  un  pont  jeté  sur  le  gave;  après1 
quelques  minutes  de  distance  on  admire  la  cascade  des  Pari- 
siens. C'est  une  chute  d'eau  des  plus  pittoresques  ;  elle  tombe 
par  étages  sur  des  roches  qu'ombragent  des  sapins  magnifi- 
ques et  que  protègent  des  débris  d'arbres.  Encaissée  dans  le 
sein  de  la  montagne,  la  cascade  des  Parisiens  semble  vouloir 
se  dérober  aux  regards  curieux  des  mortels. 

Si  de  la  cascade  des  Parisiens,  vous  suivez  un  petit  sentier 
boueux,  vous  rencontrez  un  petit  ruisseau  ou  gave  de  Pesson. 
En  le  traversant,  vous  vous  trouvez,  après  quelques  pas  de 
distance,  en  face  de  l'Hospice.  Sa  situation  est  ravissante. 
Cette  demeure  est  un  fermage  de  la  commune  de  Luchon,  qui 

9 


434  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

sert  d'auberge  et  de  bergerie  à  la  fois.  Le  bail  en  est  passé 
moyennant  une  somme  de  3,000  francs.  L'éducation  et  la 
vente  du  bétail  servent  à  couvrir  celte  somme  plus  que  les 
bénélices  de  l'auberge.  Cependant  primitivement  l'Hospice  a 
été  destiné  à  donner  des  secours  aux  voyageurs  qui  traver- 
sent la  frontière  ;  ainsi,  d'après  les  termes  du  bail,  les  fermiers 
sont  tenus  d'avoir,  pendant  la  belle  saison,  toutes  les  provi- 
sions nécessaires  à  la  nourriture  des  passagers.  La  propreté 
dans  le  bâtiment  comme  dans  les  meubles,  est  ce  qui  distingue 
principalement  cette  hôtellerie  qui  reste  inhabitable  depuis  la 
mi-décembre  jusqu'à  moitié  mars. 

PORT  DE  VÉNASQUE. 

La  pente-rapide  qui  s'élève  vis-à-vis  l'hospice  est  celle  par 
où  l'on  gravit  pour  atteindre  le  port  de  Vénasque.  On  traverse 
le  ruisseau  ou  gave  qui  descend  du  Pesson  ;  on  monte  un  sen- 
tier couvert  de  gazon  ;  puis  on  passe  encore  un  second  torrent 
qui,  descendant  de  la  Picque,  va  former  la  cascade  dite  du 
Parisien.  Alors,  la  solitude  devient  un  véritable  désert,  quoi- 
que l'œil  reste  encore  charmé  par  la  vue  de  l'hospice  qu'on 
a  quitté  et  qui  domine  les  pâturages  et  les  pelouses  de  Kansor 
semées  de  troupeaux.  Tout  ce  qui  entoure  le  passant,  tout  ce 
qui  se  présente  devant  lui,  contraste  avec  ce  qu'il  laisse  en 
arrière  ;  le  cri  seul  de  la  corneille  donne  encore  signe  de  vie 
dans  ce  désert. 

On  arrive  au  Culet,  où  la  roche  perpendiculaire  laisse  glis- 
ser, par  une  fente,  plusieurs  cascades  disparaissant  sous  les 
masses  de  neige  que  son  ombre  conserve  ;  c'est  un  lieu  terrible 
pour  l'imagination  montagnarde.  Les  avalanches  y  descendent 
habituellement  du  plateau  supérieur,  et  l'histoire  des  victimes 
serait  déchirante  à  raconter.  Le  frère  de  l'hospitalier  actuel 
y  périt  en  1827  ;  on  voit  aussi  à  gauche  le  trou  dit  des  Chau- 
dronniers, où  neuf  malheureux  de  cette  profession  furent 
engloutis  ensemble  sous  la  neige,  etc.,  etc. 

On  passe  tantôt  sur  la  neige,  tantôt  sur  le  ruisseau  qui  en 


DE    BÀGiNÈRES-DE-LUCHON.  1ÔS 

sort,  et  on  tourne  à  gauche  pour  monter  à  travers  des  sen- 
tiers rapides  et  pierreux  ;  c'est  le  rail  du  Culet.  Les  difficultés 
continuent  sans  relâche  pour  les  yeux  et  s'amoindrissent  en 
approchant,  tant  on  a  bien  pris  les  sinuosités,  serpentements 
ou  lacets,  termes  qui  reçoivent  en  cette  occasion  leur  meil- 
leure démonstration  pratique. 

Au  sommet  du  rail,  toute  difficulté  semble  finie.  On  entre 
dans  une  sorte  de  vallon  sauvage  qu'annonce  YHommê,  mo- 
nument simple  comme  les  lieux  et  leurs  habitants:  c'est  une 
pierre  chisteuse  posée  perpendiculairement,  soutenue  à  sa 
base  par  d'autres  pierres;  une  source  ou  gave  souterrain 
apparaît  en  ces  lieux  entouré  d'herbes  vivaces  et  de  rhodo- 
dendron. 

Les  roches  brusquement  taillées  au  pied  desquelles  nous 
cheminons,  vues  d'ici  avec  leurs  cimes  déchirées,  et  les  som- 
mets de  Barousse  pour  horizon,  offrent  un  tableau  grandiose 
qu'on  ne  cesse  d'admirer.  En  suivant  le  sentier  tracé  dans  le 
de  la  montagne,  après  trois  heures  de  marche,  on  se  trouve 
sur  une  plate- forme  située  au  pied  du  pic  delà  Fraîche,  élevé 
flanc  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  d'environ  540  toises 
(  1052  mètres).  La  nature  est  sévère  dans  ce  lieu  ;  la  mon- 
tagne, déchirée  en  plusieurs  endroits,  présente  une  physiono- 
mie de  deuil  ;  quelques  lacs  s'étendent  sur  son  sommet. 
Depuis  le  pic  de  la  Fraîche  jusqu'au  port  de  Venasque,  le 
voyageur  doit  encore  monter  trois  heures.  Ce  n'est  qu'en 
gravissant  toujours  qu'on  arrive  au  sommet  du  rail.  Alors 
s'offre  une  fente  de  rochers,  résultat  du  hasard  et  du  travail 
de  l'homme.  Nous  sommes  au  port.  Une  petite  croix  en  fer 
marque  la  ligne  de  démarcation  qui  sépare  l'Espagne  de  la 
France. 

LA  MALADETTA. 

Au  milieu  des  déchirures  des  rochers  apparaît  la  Maladetta. 
Sa  hauteur  est  d'environ  1 173 1.  (2286  m.).  C'est  leMont-Blanc 
des  Pyrénées;    c'est  la  "montagne  maudite  et  redoutée,  fatale 


1  56  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

aux  chasseurs  et  aux  curieux.  Le  plus  récent  de  ses  griefs  est 
la  mort  du  guide  Barrau,  en  1824,  le  1 1  août;   il  conduisait 
deux  élèves  ingénieurs  des  mines.   Partis  à  cinq  heures  du 
matin  du  plan  des  étangs,  où  ils  avaient  couché,  ils  atteigni- 
rent la  moraine  du  glacier  à  huit  heures  ;    arrivés  à  peu  de 
distance  de  la  crête,  aux  deux  tiers  de  la  hauteur  totale,  ils 
furent  arrêtés  par  une  énorme  crevasse.  Barrau  sonda,  crut 
reconnaître  la  direction  de  la  crevasse  et  s'élança;  mais  la 
crevasse  formait  un  coude  brusque,  et  le  malheureux  disparut 
en  gémissant  sans  qu'aucun  secours  pût  lui  être  apporté. 

Depuis  ce  temps,  l'ascension  n'a  plus  été  tentée.  Du  port 
de  Venasque  on  peut  aller  visiter  Venasque,   petite  ville  es- 
pagnole, ou  bien   se  rendre  au  port  de  la    Picade  qui  est  à 
l'est;  de  là  se  diriger  vers  le  trou  du  Toro.  Ce  gouffre  a  dix 
mètres  de  largeur  sur  dix- sept  de  profondeur;  il  reçoit  une 
partie  des  eaux  du  Pic,  de  la  Fourcanado  et  du  mail  d'Epony, 
qui  est  à  1569  toises  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Du  trou 
du  Toro,  on  descend  droit  à  Artigues-Tellin  ;   de  là  on   peut 
se  rendre  ensuite  à  Lasbordes,  ancien  Castcl-Léon,  et,  sans, 
arriver  àBosost,  gagner  le  Portillon  si  fréquenté  par  les  con- 
trebandiers Aranais  ;  et  de  ce  lieu  se  diriger  vers  Luchon,  en 
passant  par  la  jolie  cascade  de  la  vallée  de  Burbi. 

Le  temps  que  l'on  dépense  à  cette  excursion,  depuis  le  port 
delà  Picade  jusqu'à  Luchon,  peut  être  ainsi  divisé  : 
Du  port  de  Picade  au  flux  d' Artigues-Tellin.     2  h. 
Du  flux  à  l'hospice  d'Artigues-Tellin.     .     .  '/., 

De  l'hospice  à  Lasbordes.     ......     1       '/2 

De  Lasbordes  au  Portillon.   ......     1       '/•-> 

Du  Portillon   à  Luchon .1       » 


Total.     .     .     .     G  h.  '/ 


Mais  ayant  entrepris  le  retour  de  la  Picade  à  l'hospice 
de  Bagnères,  suivons  cette  direction.  Après  avoir  descendu 
vingt  minutes  environ  vers  le  nord,  le  chemin  se  bifurque, 
l'un  descendant  droit  à  Artigues-Tèllin,  l'autre  tournant  à 


DE  BAGrSÈRES-DE-LUCHON.  137 

gauche,  c'est  le  nôtre.  Nous  cheminons  sur  une  crête  de  roches 
taillées  à  coups  de  pic,  d'où  l'origine  du  mot  Picade,  et,  incli- 
nant plus  à  droite,  nous  semblons  perchés  sur  la  crête  d'un 
toit  d'où  l'on  domine  les  sommets  catalans  et  les  cîmes  de 
tout  le  Comminge. 

C'est,  en  descendant  des  sentiers  faciles  et  qui  déroulent  à 
nos  regards  de  belles  pelouses  et  de  sublimes  montagnes, 
qu'on  arrive  enfin  à  l'Hospice.  De  cet  endroit,  on  suit  la  route 
tortueuse  qui  longe  la  Picque  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  Lu- 
dion, qui  est  le  point  de  départ  de  notre  première  excursion. 


H. 


Le  second  district,  selon  la  division  géographique 
que  nous  avons  faite  du  bassin  de  Luchou,  comprend 
toute  la  partie  qui  se  trouve  sur  la  gauche  de  la  Picque; 
dirigeons  donc  nos  excursions  de  ce  côté. 

CASTEL-VIEIL. 

Au  fond  du  bassin  de  Luchon,  dans  la  direction  de  la 
vallée  de  l'Hospice,  on  aperçoit  une  vieille  tour  qui  s'élève 
comme  un  géant  debout  sur  le  flanc  de  la  montagne  ;  c'est 
Castel-Vieil,  chkteau-fort  qui  appartenait  aux  comtes  de 
Comminges,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  vu  dans  le  cours  de 
cette  histoire.  La  distance  qui  se  trouve  entre  Luchon  et 
Castel-Vieil  est  une  véritable  promenade.  Sur  la  route  qui 
nous  y  conduit,  on  rencontre  d'abord  le  poste  des  douaniers. 
Du  poste  à  la  tour,  on  peut  franchir  l'espace  dans  cinq  minutes. 
Arrivé  aux  pieds  de  ces  ruines,  si  l'on  désire  visiter  la  fontaine 
ferrugineuse,  on  suit  une  pente  abrupte  et  tout  près  du  gave, 
on  trouve  cette  source  abondante  qui  coule  à  travers  une 
tissure  de  rocher.    Ce    site   est    admirable     En   remontant 


138  HISTOIRE  SPECIALE  ET  PITTORESQUE 

la  vallée,  et  presque  à  vingt  minutes  de  distance,  on  rencontre 
le  pont  de  la  Padé,  dont  les  alentours  sont  séduisants  de 
beauté  et  de  fraîcheur.  Enfin,  en  continuant  toujours  son 
ascension,  on  se  trouve  à  l'entrée  de  la  vallée  du  Lys. 

Voir  Castel-Vieil,  passer  au-dessus  du  bocage  de  la  source 
ferrugineuse,  traverser  le  pont  de  la  Padé,  puis  le  premier 
pont  situé  à  droite,  lorsque  le  chemin  se  bifurque,  laissant 
sur  la  gauche  le  chemin  par  lequel  on  se  rendra  une  autrefois 
à  l'hospice  :  tel  est  le  début  de  la  promenade.  Après  cela,  on  a 
toujours  le  torrent  à  sa  gauche  et  on  chemine  sous  des  buissons; 
des  noisetiers  et  des  tilleuls  ;  puis  c'est  le  torrent  du  Lys 
qu'une  autre  inclinaison  du  chemin  fait  suivre  sous  l'ombrage 
d'arbres  pittoresques:  trois  ponts  espacés,  jetés  aux  endroits 
où  la  roche  resserre  le  torrent,  présentent  un  ensemble  d'ac- 
cidents poétiques,  parmi  lesquels  on  distingue  surtout  celui 
du  milieu, 

VALLEE  DU  LYS. 

Le  nom  que  porte  cette  vallée  lui  vient  du  grand  nombre 
de  lys  qui  croissent  dans  son  sein,  et  dont  nous  avons  fait  la 
description  dans  le  chapitre  précédent.  En  s'enfonçant  dans 
l'intérieur  de  la  vallée,  on  rencontre  sur  la  gauche,  la  cascade 
Richard,  qui  porte  le  nom  du  savant  distingué  qui  a  honoré 
la  ville  de  Bagnères;  plus  loin,  sur  la  droite,  on  admire  le 
pic  Quaïrat  ou  Carre  auquel  les  archéologues  ont  donné  plus 
dune  distinction  religieuse,  monumentale  et  druidique;  enfin, 
plus  on  avance  dans  l'intérieur,  plus  la  nature  estbelle  et  riante: 
la  vallée  s'élargit,  les  montagnes  sont  plus  boisées  et  la  vé- 
gétation plus  forte  et  plus  abondante.  Le  site  change  d'aspect, 
lorsqu'on  est  à  son  centre  :  alors,  au  fond  de  la  vallée,  on  voit 
s'élever  les  monts  Cabriouls  qui  s'étendent  comme  un  rideau 
immense  de  verdure.  La  hauteur  de  ces  monts  est  3215  mètres; 
leur  sommet  domine  toutes  les  montagnes  environnantes.  On 
rencontre  dans  leur  sein  un  grand  nombre  de  glaciers.  La 


DE  BAGNÉRES-DE-LUCHON.  159 

longueur  do  la  vallée  du  Lys  peut  être  de  quatre  kilomètres 
sur  deux  environ  de  largeur. 

Mais  ce  qui  est  remarquable  dans  cette  vallée,  c'est  qu'elle 
est,  toute  proportion  établie,  une  des  plus  peuplées  de  toutes 
celles  qui  avoisinent  Ludion.  Ainsi,  on  y  compte  une  centaine 
d'habitations,  ce  qui  suppose  à  peu  près  une  population  de 
trois  cents  âmes.  Le  nombre  des  chevaux,  des  vaches  et  des 
bœufs  qui  paissent  dans  la  vallée  du  Lys  peut  être  évalué  à 
deux  mille.  C'est  ce  qui  fait  la  principale  richesse  de  ses  habi- 
tants, qui  comptent  encore  un  plus  grand  nombre  de  chèvres 
et  de  moutons:  on  parque  ces  bestiaux  pendant  le  jour,  tan- 
dis que  la  nuit  on  les  fait  paître  dans  les  montagnes. 

CASCADE  D'ENFER. 

Si  vous  continuez  votre  excursion  plus  avant  dans  la  vallée, 
et  si  vous  arrivez  à  son  extrémité,  admirez  la  cascade  d'Enfer. 
Elle  se  présente  de  loin  à  la  vue  par  un  simple  filet  d'eau 
dont  l'importance  augmente  en  approchant.  Des  sapins 
élevés  qui  l'entourent,  des  touffes  de  hêtres  qui  l'ombragent 
et  qui  se  groupent  autour  des  rochers,  l'étroit  espace  à  travers 
lequel  l'eau  impétueuse  et  bruyante  s'échappe,  la  solitude 
sombre  du  lieu,  tout  cela  lui  a  fait  donner  le  nom  d'Enfer 
qu'elle  porte. 

CASCADE  DU  CŒUR. 

A  gauche,  on  peut  admirer  un  autre  torrent  qui  forme  la 
cascade  du  Cœur.  Il  faut  d'abord  traverser  à  gué  le  torrent 
près  la  réunion  des  deux  eaux.  Voici,  au  reste,  la  description 
qu'en  a  faite  un  Touriste  : 

«  D'abord  les  eaux  d'Enfer,  puis  les  eaux  du  Cœur,  et,  lon- 
geant la  rive  droite  du  dernier  gave,  on  arrive  en  dix  minutes 
au  sentier  tracé  de  cette  cascade  ;  ses  eaux  tournant  un  rocher 
d'une  part,  tandis  qu'elles  se  joignent  d'autres  part  à  celles 
versées  par  un  autre  gave,  se  trouvent  au  point  de  jonction 
tonner  l'angle  aigu  d'un  Cœur,  et  comme  au  dessus  du  ma- 


140  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

melon  entouré  d'eau  se  trouve  une  pente  échancrée  ;  comme 
c'est  dans  la  direction  de  cette  échancrure  que  tombe  la  cas- 
cade, placée  là  comme  la  flamme  sur  un  cœur,  de  là  cette 
dénomination. 

«  Cette  chute  est  plus  remarquable  que  celle  d'Enfer,  parce 
qu'elle  est  plus  entourée  de  sapins,  de  débris  et  désordres  de 
toute  espèce;  son  site  est  un  assemblage  gracieux  et  sauvage. 

«  Ses  eaux  dérivent  de  trois  cascades  superposées  qui  déri- 
vent elles-mêmes  d'un  petit  lac  ;  tout  cela  est  très-intéressant 
pour  le  dessinateur  et  le  naturaliste,  mais  ne  convient  pas  à  la 
grande  majorité,  qui  regretterait  la  fatigue.  C'est  une  excur- 
sion pour  ceux  qui  séjournent  longtemps  à  Ludion.  » 

Du  fond  de  la  vallée  du  Lys  on  pourrait  gravir  la  montagne 
pour  aller  visiter  le  lac  de  Cabrioules.  Les  rives  de  ce  lac 
sont  délicieuses;  elles,  ont  fourni  au  célèbre  paysagiste, 
M.  Latour,  notre  compatriote  toulousain,  de  magnifiques 
tableaux.  Du  lac  de  Cabrioules,  si  l'on  continue  son  ascension, 
on  atteint  un  col  étroit,  resserré,  qu'on  nomme  le  Tue  de 
Maupas.  De  ce  point,  le  voyageur  intrépide  suit  la  crête  des 
montagnes  jusqu'au  port  de  la  Glère  et  même  jusqu'à  celui 
de  Venasque,  et  rentre  ensuite  à  Ludion  par  le  chemin  que 
nous  avons  déjà  parcouru. 

Mais  si  de  la  cascade  du  Cœur,  on  songe  au  contraire  au 
départ,  au  lieu  du  détour  indiqué,  on  passe  le  torrent  sept  ou 
huit  cent  pas  plus  bas  que  la  petite  auberge,  sur  un  point  où 
il  est  très-guéable  ;  on  traverse  les  prairies  jusqu'au  groupe 
de  granges  où  l'on  rencontre  un  abreuvoir,  et  l'on  se  retrouve 
sur  ses  pas.  Cette  excursion  est  une  des  plus  agréables  que 
puisse  faire  l'étranger  qui  vient  visiter  ces  montagnes. 

III. 

Après  quelques  jours  de  repos,  le  baigneur  qui  veut 
continuer  ses  excursions,  doit  parcourir  le  troisième 


DE    BAGSÉRES-DE-LUCIIOIV.  141 

district,  celui  qui  s'étend  sur  la  gauche  de  l'One  jus- 
ques  dans  la  vallée  d'Oueil,  en  réservant  la  vallée  de 
Larboust  pour  la  quatrième  exploration.  En  consé- 
quence_,  le  jour  déterminé  pour  cette  excursion,  il 
traverse  la  ville  de  Luchon,  se  rend  à  Tallée  des  Sou- 
pirs et  prend  le  chemin  qui  s'ouvre  en  face  de  lui. 
Après  quelques  kilomètres  de  marche,  il  rencontre   le 

PONT  DE  TRÉBONS. 

On  peut  alors  admirer  parfaitement  à  son  aise  des  précipi- 
ces, de  hautes  forêts  de  sapins,  les  magnifiques  prairies  de 
Gouron  et  jusqu'à  la  montagne  aride  de  Cazaril.  De  quelque 
côté  qu'on  considère  les  alentours  de  ce  pont,  a  dit  un  Tou- 
riste, le  site  est  délicieux  de  grâce  et  de  vie  :  ombrage,  ver- 
dure, eaux  bouillonnantes,  etc,.  En  descendant  sur  les  bords 
du  gave,  un  peu  avant  d'arriver  au  pont,  l'aspect  du  rocher, 
aux  fentes  duquel  les  tilleuls  et  noisetiers  se  sont  accrochés, 
présente  avec  le  pont  le  motif  d'un  beau  paysage.  Lorsqu'on 
a  assez  contemplé,  on  passe  le  torrent,  et  aussitôt  se  trouva 
;i  gauche  un  petit  sentier  accessible  aux  chèvres  ;  ou  quelque 
pas  plus  en  avant,  près  du  deuxième  pont  de  Trébons,  un 
sentier  meilleur  qui  amène  sur  le  rocher  admiré,  puis  se 
rapproche  du  torrent  et  continue  à  le  dominer,  en  suivant 
son  cours  sur  le  versant  opposé. 

Ce  sentier,  ombragé  de  feuillages  et  d'arbres,  conduit  à 
un  site  où  l'on  peut  admirer  les  lignes  perpendiculaires  des 
rochers  qui  dominent  le  torrent  et  sur  lesquels  on  a  passé  en 
venant,  puis  il  se  dirige  vers  la  carrière  de  marbre  gris. 

RENQUE. 

A  cinq  minutes  du  deuxième  pont  de  Trébons  est  le  char- 
mant petit  pont  de  Saint-Aventin,  et  cinq  minutes  après  on 
arrive  à  la  chapelle  miraculeuse  qu'on  laisse  à  sa  gauche  ;  et 


14-2  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

puis,  en  suivant  le  cours  de  l'One,  on  rencontre  les  villages 
de  Benque-Dessus  et  Benque-Dessous,  célèbres  par  une  charte 
que  leur  octroya  Bernard  VIII,  comte  de  Comminses  '.  Les 
communautés  de  Mayrègne,  Maylin  et  Saint-Paul,  qu'on  trouve 
ensuite  sont  connues  dans  l'histoire  par  un  compromis  qu'el- 
les passèrent  avec  Bernard  VII,  comte  de  Comminges.  Dans 
cet  acte,  il  est  dit  que  le  seigneur  Os,  du  Comminge,  l'un  des 
arbitrateurs,  Guillaume  Gardias  de  Fronsac,  chevalier,  et 
Jacques  de  Saint-Paul,  clerc,  aussi  arbitres,  prononcèrent 
touchant  les  prétentions  communes  qui  s'élevaient  entre  les 
habitants  de  ces  trois  localités.  Le  notaire  Bernet  a  retenu  cet 
acte  qui  porte  la  date  de  1 292,  régnant  Philippe,  roi  de  France, 
et  Os,  comte  du  Comminges.  Cette  dernière  suscription  est 
évidemment  une  erreur  du  copiste,  puisque  ce  même  Os  est 
regardé  dans  le  corps  de  l'acte  comme  chevalier  et  connu 
sous  le  titre  d'arbitrateur  2. 

M&YREGNE. 

Le  lieu  de  Mayrègne,  en  particulier,  offre  cela  de  remar- 
quable que  les  armoiries  des  seigneurs  de  cette  localité  se 
"composaient  de  deux  corneilles  appuyées  chacune  sur  une 
des  branches  d'une  croix  épatée.  Or,  les  seigneurs  de  Bossost, 
village  situé  auprès  du  Portillon,  étaient  sortis  de  la  même 
maison  de  Mayrègne. 

SACCOURVIEUE. 
En  suivant  cette  vallée,  on  pourrait  arriver  jusqu'au  port 
de  Pierrefitte,  mais  lorsqu'on  est  parvenu  au  petit  village  du 
Bourg,  il  est  bon  de  revenir  sur  ses  pas.  Alors,  sur  la  gauche 
de  l'One,  on  peut  visiter  le  lieu  de  Saccourvielle.  L'histoire  a 
recueilli  une  charte  octroyé  par  Bernard  VIII,  en  1315,  con- 
cernant ce  village  et  dont  voici  les  principales  dispositions. 

1  Histoire  des  Populations  pyrénéennes,  etc.,  not.,  pièc.  just.r 
chartes,  etc.,  t.  Il,  p.  348  seq. 

5  Hist.  des  Populations  pyrénéennes,  etc.,  t.  I,  p.  313. 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCIION.  143 

«  Les  habitants  dndit  lieu  ont  la  faculté  de  chasser  aux 
béfes  rousses  et  noires,  comme  sangliers,  cerfs,  ours,  dans  les 
forets,  montagnes  et  vacans  qui  sont  dans  leur  consulat; 

«  De  faire  paître  bestiaux  et  d'y  prendre  toute  espèce  de  bois; 

«  Il  est  dit  que  ledit  lieu  a  pour  limites,  bornes  et  confron- 
tations certaines  du  levant  avec  Antignac;  du  midi  Cazaril  et 
Trébon6:  du  couchant  avec  le  lieu  de  Benque,  et  du  nord 
avec  celui  de  Saint-Paul  ; 

«  Lesdits  habitants  ont  la  faculté  de  prohiber  la  chasse  et 
la  pêche  dans  le  district  de  leur  juridiction  à  toutes  sortes  de 
personnes  et  d'y  mener  paître  le  bétail,  etc.,  etc  » 

CftSTEL-BUNCAT. 

En  quittant  Saccourvielle,  vous  passez  devant  les  ruines  de 
Castel-Blancat  ;  saluez  ce  vieux  château,  celte  tour  antique 
qui  a  vu,  dans  son  sein,  une  grande  partie  de  la  race  des 
comtes  du  Comminges.  En  descendant  de  la  tour,  on  suit  un 
petit  sentier  qui  nous  conduit  au  village  de  Trébons,  remar- 
quable par  sa  petite  église 

CAZARIL. 

De  Trébons,  on  peut  monter  à  Cazaril,  en  longeant  un 
rocher  d'où  la  vue  s'étend  au  loin  dans  le  cercle  d'un  horizon 
magnifique,  borné  par  des  montagnes.  La  petite  église  est  ce 
que  ce  village  renferme  de  plus  remarquable  :  on  trouve  dans 
les  murs  de  cet  édifice  religieux,  extérieurement,  plusieurs 
inscriptions  et  quelques  fragments  antiques.  Nous  citerons  les 
deux  inscriptions  suivantes  : 


....  DM 
ECLLAET 
ETERESE 
...  CONIS 


HOTAR.  RIORCO 
LARRISE  SENATI 
ELOM  FILIA  RE 
BONI  A  11  HOTAR 
RISE  EXIES  LA 
MEMO. 


iïi  IHSTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

La  première  de  ces  deux  inscriptions  est  surmontée  de  deux 
bustes  dont  l'un  représente  un  homme  et  l'autre  une  femme. 
On  trouve  encore  sur  le  comble  de  l'église  une  tète  qui  est 
sans  inscription.  Ce  sont  des  monuments  auxquels  on  doit 
assigner  une  date  romaine.  De  Cazaril,  on  peut  admirer  le 
château  de  Moustajon  qui,  selon  la  description  pittoresque 
d'un  Touriste,  est  singulièrement  construit  sur  la  crête  aigué 
d'une  fraction  de  rocher  ;  ce  modeste  rocher  semble  un  fac- 
tionnaire du  manoir  dont  il  fut  sans  doute  la  sentinelle  avan- 
cée, comme  Castel-Vieil  vers  les  ports  espagnols  et  Castei- 
Bhmcat  sur  les  vallées  d'Oueil  et  de  Larboust.  Il  disparaît 
dans  la  couleur  des  rochers,  lorsque  le  soleil  ne  l'éclairé  pas 
ou  l'éclairé  trop  ;  mais,  depuis  une  heure  jusqu'à  trois,  le 
soleil  tourne  derrière  et  le  détache  dans  son  ensemble. 

SALLES  ET  ANTIGNAC. 

Salles  et  Àntignac,  comme  anciennes  communautés  féodales 
appelleraient  notre  attention.  Mais  il  est  mieux,  arrivés  à  ce 
point,  de  rentrer  à  Bagnères-de-Luchon,  par  le  pont  de 
Mousquérès. 

IV 

VALLÉE  DE  LARBOUST. 

En  suivant  l'allée  des  Soupirs,  et  laissant  le  pont  de  Mous- 
quérès à  droite,  si  l'on  continue  sa  marche,  on  arrive  à  un 
petit  pont  sur  le  Gouéou  ou  gave  de  Gourou.  Un  petit  sen- 
tier en  zig-zag,  bordé  de  prairies  et  de  noisetiers,  indique 
qu'on  a  pris  le  véritable  chemin. 

En  vingt-cinq  minutes,  dit  le  Touriste  auquel  nous  emprun- 
tons cette  indication,  nous  arrivons  aux  premières  granges  où 
plusieurs  chemins  se  croisent.  Tournons  le  premier  sentier  à 
droite  sur  la  même  prairie.  Ce  sentier  va  nous  mettre  dans  le 
chemin  creux,  espèce  d'aqueduc,  qui  atteint  directement  en 


DE    BAGISÈRE-DE-LUCHON.  H5 

vingt  minutes  te  petit  hameau  ou  assemblement  de  granges 
de  Gourou,  dépendance  de  Saint-Aventin. 

Passons  le  pont  d'arrivée,  montons  aux  maisons  et  repas- 
sons un  peu  au-dessus,  à  gauche,  un  autre  pont  sur  le  môme 
cours  d'eau.  Lorsque  le  chemin  se  bifurque,  prenons. à  gauche 
et  montons  bien  attentivement  les  lacets  à  travers  les  sapins, 
car  plusieurs  sentiers  d'exploitation  pourraient  ici  nous  trom- 
per; restons  long-temps  sur  la  même  hauteur,  en  vue  du  ravin 
i  notre  droite  :  elle  doit  nous  mener  droit  au  sommet. 

Ainsi,  lorsque  le  sentier  semble  nous  diriger  dans  ce  ravin, 
après  un  quart  d'heure  environ,  continuons  à  monter  à  gau- 
che :  le  chemin  nous  conduira  alors  vers  le  versant  de  Lu- 
chon,  et  nous  pourrons  ensu'te  monter  tranquilles,  suivant 
toujours  le  sentier  le  plus  rapide.  En  quarante-cinq  minutes 
depuis  le  gave  de  Gouron,  nous  devons  arriver  aux  pâturages 
de  Superbagnères. 

Au  sortir  des  sapins,  l'œil  est  surpris  par  de  magnifiques 
pelouses  qu'il  domine  et  qu'on  ne  présume  pas  du  fond  de  la 
vallée  ;  les  crêtes  des  frontières  et  la  Maladetta  terminent  l'ho- 
rizon d'un  tableau  riant  et  pastoral;  mais  quinze  minutes 
encore,  gravissons  à  notre  droite  ces  pentes  rapides  qui  nous 
promettent  une  vue  plus  vaste;  l'extrême  cîme  domine  la 
croupe  qui  nous  a  guidés,  et  là,  sur  un  plateau  encore  assez 
étendu,  l'admiration  sera  provoquée  autour  de  nous. 

Luchon  sous  nos  pieds,  sa  vallée,  ses  villages;  la  vallée  d'A- 
ran  vue  par-dessus  le  Portillon  et  son  village  d'Arres;  Eoca- 
ner  et  toutes  les  pentes  que  nous  avons  gravies  ;  lesports  de 
Picade,  de  Yénasque,  de  la  Glère,  de  Maupas,  de  Toas  et  les 
neiges  de  Cabrioules ,  séjour  des  Crabes  ou  Isards ,  puis  la 
cîme  blanche  de  la  Maladetta  ;  l'Arbizon,  dominateur  des  val- 
lées d'Aure  et  de  Campan;  la  vallée  d'Oueil,  développée  sous 
notre  vue  jusqu'à  la  cime  de  Moulné,  voilà  ce  qui  s'offre  à 
nos  regards. 

Près  de  nous  est  ce  pic  Quaïrat  ou  carré  dont  la  forme 
facilite  la  reconnaissance,  suivons  la  crête  devant  nous,  à 


446  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITORESQUE 

droite,  qui  nous  conduit  à  sa  base.  On  domine  alors  la  vallée 
du  Lys  et  celle  de  Gouron  ;  de  là  se  distinguent  les  cascades 
dont  nous  avons  parlé.  De  ce  point,  suivons  le  sentier  de 
Larboust  et  par  la  vallée  de  Cazaux,  arrivons  à  Saint-Aventin. 
Nous  avons  déjà  dit  quelle  était  l'origine  de  son  église  et  son 
antiquité;  nous  ne  devons  donc  nous  arrêter  que  peu  d'ins- 
tants dans  cette-  localité  avec  laquelle  nous  avons  déjà  fait 
ample  connaissance. 

SAINT-AVENTIN,  CASTILLON  ET  CAZAUX. 

De  Saint-Aventin  on  se  dirige  vers  Castillon,  petit  village 
qui  tire  son  nom  du  fameux  Casicllum  ou  château  fort  que 
Bernard  VI,  comte  de  Comminges,  fit  bâtir  et  dans  lequel  il 
se  retira  lors  de  la  guerre  contre  les  Aragonais.  En  suivant 
un  petit  sentier  tracé  sur  la  droite  de  la  montagne,  on  arrive 
à  Cazaux  dont  l'église  est  remarquable  par  sa  forme  architec- 
turale et  par  les  peintures  qui  décorent  la  voûte.  Ces  dessins 
qui  se  rapprochent  beaucoup  pour  le  faire  du  genre  des 
fresques,  sont  du  XIV  siècle.  Ils  se  composent  de  huit  tableaux 
qui  représentent  la  création  du  premier  homme,  le  paradis 
terrestre  où  Adam  et  Eve  furent  placés,  l'expulsion  du  premier 
homme  et  de  la  première  femme  de  ce  lieu  de  délices,  selon 
la  Bible.  Les  autres  sujets  sont  empruntés  aux  cérémonies 
monastiques  de  l'église  ou  bien  au  nouveau  testament.  La 
date  de  ces  peintures  et  l'originalité  des  figures  rappellent 
l'époque  des  représentations,  connues  sons  le  nom  des  Mys- 
tères. 

GARIN. 

En  quittant  le  village  de  Cazeaux  et  à  une  distance  environ 
de  demi-heure  (5  kilomètres) ,  on  arrive  à  celui  de  Garin.  Une 
tour  en  ruines  et  dont  il  est  fait  mention  dans  une  charte  que 
Bernard  IX,  comte  de  Comminges,  donna  à  cette  localité  '  , 

*  Histoire  dos  Populations  pyrénéennes,  «lu  Nébouzan  et  du 
Pays  de  Comminges,  t.  II,    pièces  justificatives. 


DE    BÀGNERES-DE-LUCHON. 


147 


en  -IÎ98;  et  les  inscriptions  suivantes  qu'on  a  trouvées  dans 
ses  ruines,  sont  ce  que  ce  village  renferme  de  plus  remar- 
quable : 


ISCITTO  DEO 

SABENVS 

MAÎs D ATI  LIB 

V.  S.  L.  M. 


ISCITTO  DEO 

SABIÎSVS 

VLOHOXIS 

FIL. 
V.  S.  L.  M. 


GOUAUX  ET  PORTET. 

Si  vous  continuez  votre  excursion  dans  la  valléede  Larboust, 
en  sortant  de  Garin  vous  pourrez  voir  le  village  dé  Gouaux 
ou  Gaux  dont  il  est  fait  mention  dans  la  charte  de  Bagnères- 
de-Luchon,  ce  qui  prouve  en  faveur  de  son  antiquité.  Le  lieu 
de  Portet  a  peu  de  renommée,  si  ce  n'est  qu'il  servait  de  ligne 
de  démarcation  pour  la  perception  des  droits  d'entrée  pour  les 
denrées  ou  autres  objets  qui  venaient  de  l'Aragon  par  cette 
vallée.  Son  nom  lui  vient  du  mot  Port  ou  Porte,  endroit  par 
où  l'on  passe.  Aussi,  Portet  est-il  le  dernier  village  de  la 
vallée  de  Larboust.  Il  est  environ  à  850  toises  (1656  mètres) 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 


00. 

Quand  on  a  quitté  Portet,  pour  se  rendre  à  Oo,  il  faut  des- 
cendre une  haute  montagne,  franchir  des  ravins  et  de  là  gagner 
la  vallée  d'Asto,  dominée  par  une  tour  bâtie  par  les  comtes  de 
Comminges.  On  est  enfin  au  lieu  d'Oo. 

«  Ce  village,  dit  un  touriste,  que  précède  et  domine  une 
tour  carrée  en  ruines,  comme  Castel-Viel,  semble  acculé  aux 
montagnes  qui  s'éloignent  à  mesure  qu'on  approche.  Le  chemin 
longe  le  torrent,  nous  amène  sur  une  espèce  de  plage  devant 
une  petite  croix  en  pierre  qui  apparaît  avec  'e  pont  et  les 
cimes  neigeuses. 


14-8  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

«  Franchissons  ce  petit  pont  gracieusement  construit  sur 
un  gave  paisible;  nous  entrons  dans  le  val  d'Asto,  dont  ceite 
partie  inférieure  est  charmante.  Nous  passons  sur  des  chemins 
ombragés  de  frênes,  cernés  de  pelouses  bien  arrosées  et  incli- 
nant jusqu'au  gave  où  les  digues  de  plusieurs  petits  moulins 
motivent  de  bruyantes  cataractes.  Pendant  trente-cinq  minu- 
tes, nous  sommes  sous  l'influence  d'une  nature  riante  que 
dominent,  il  est  vrai,  quelques  sommets  âpres.  Tout-à-coup, 
la  végétation  cesse;  une  nature  plus  sévère  s'offre  avec  le 
silence  du  désert;  le  gave  est  redevenu  silencieux,  parce  que 
son  cours  est  plus  libre.  De  gros  blocs,  épars  dans  ce  vallon, 
témoignent  des  catastrophes  passées  et  font  craindre  pour 
l'avenir.  » 

LftC  DE-  StCULÉJO. 

Après  trois  quarts  d'heure  de  marche  et  en  tournant  un 
rocher,  on  voit  le  gave  gronder  à  votre  gauche  ;  ce  gave  porte 
le  nom  de  Go  ;  il  est  formé  par  l'écoulement  des  eaux  qui 
proviennent  de  la  fonte  des  neiges.  Bientôt  on  admire  l'eau 
s'échappant  avec  violence  du  lac  qu'on  n'aperçoit  point  enco- 
re. Au-dessus  est  un  ruban  de  vapeur  produit  par  la  cascade. 
Enfin,  ayant  traversé  un  petit  pont,  on  se  trouve  en  face  du 
lac  de  Sécnléjo.  Sa  forme  intérieure  est  supposé  être  celle  d'un 
entonnoir  incliné  relativement  aux  pentes  qui  se  voient.  Sa 
profondeur  est  ds  80  mètres,  sa  surface  rond-ovale  est  de 
24,000  mètres  ;  sa  chute  a  320  mètres  de  hauteur,  depuis  les 
pierres  sur  lesquelles  elle  achève  de  glisser  vers  le  lac.  Il  est, 
en  outre,  élevé  à  sept  cent  dix-huit  toises  (1397  mètres)  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer. 

LAC  D'ESPINGO. 

Du  lac  de  Séculéjo  au  lac  d'Espingo,  il  faut  gravir  la  mon- 
tagne, environ  pendant  deux  heures.  On  passe  près  de  filets 
d'eau  et  l'on  gagne  un  chemin  taillé  dans  le  roc.  On  arrive 
enfin  au  lac  d'Espingo  dont  la  circonférence  est  moindre  que 


* 


DE    BAGNÉRES-DE-LUCHON.  149 

celle  du  lac  de  Séculéjo.  Il  n'a  que  585  mètres  de  diamètre  et 
environ  1754  mètres  de  circonférence.  H  s'alimente  parles 
eaux  du  lac  Glacé  qui  est  situé  au-dessus.  Ces  mêmes  eaux 
se  déversent  dans  les  creux  des  rochers  et  vont  former  la 
cascade  du  lac  de  Séculéjo. 

Arrivés  au  lac  d'Espingo  on  est  à  932  toises  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  En  face,  sur  le  haut  de  la  montagne,  on 
admire  des  pics,  des  rochers,  des  monceaux  de  neige  et  d'im- 
menses glaciers.  Si  on  désire  les  voir  de  plus  près,  il  faut 
s'armer  de  courage  et  de  résolution,  car,  a  dit  un  auteur  mo- 
derne qui  a  écrit  sur  ces  montagnes,  pour  franchir  la  distance 
qui  existe  du  lac  d'Espingo  à  la  plus  haute  cime  des  mon- 
tagnes du  port  d'Oo,  qui  s'élève  en  face,  il  faut  toujours 
gravir  sur  la  neige,  la  glace  et  les  rochers,  et  souvent  avec  le 
plus  grand  danger.  Ce  n'est  qu'en  se  cramponant  avec  force, 
dans  divers  endroits ,  que  l'on  parvient  a  surmonter  tous 
les  obstacles  qui  se  présentent. 

LAC  GLACÉ. 

Pour  arriver  du  lac  d'Espingo  au  lac  Glacé,  qui  est  un  de 
ceux  des  Pyrénées  qui  ne  dégèlent  jamais,  il  faut  monter 
429  toises  (835  mètres  191  mil.), puisque  le  lac  d'Espingo  n'est 
qu'à  932  toises  (816  mètres  486  mil.),  et  que  le  lac  Glacé  est 
a  1361  toises  (2652  mètres  085  millim .)  Il  faut  environ  une 
heure  pour  franchir  cette  distance.  On  ne  connaît  point  par- 
faitement l'épaisseur  de  la  glace  du  lac  Glacé. 

Quand  on  est  au  lac  on  voit  dominer  autour  de  soi  plusieurs 
pics  ;  parmi  lesquels  on  distingue  facilement  :  le  Pic  Quaïrat 
ou  carré,  entre  la  vallée  de  Larboust  et  celle  du  Lys,  a  1586 
toises  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  ;  auprès  de  ce  dernier, 
le  pic  de  Montarouge,  1438  toises;  enfin  plusieurs  autres  qui 
tous  sont  couverts  de  glaciers.  Le  Pic  d'Oo  est  le  plus  remar- 
quable parce  qu'il  se  réunit,  par  des  ramifications  à  ceux 
de  Cabrioules,  de  la  vallée  dir  Lys  et  du  Portillon  d'Ocj 
Réunis  enseipble,   l'étendue  de  ces  trois   glaciers  est  plus 


\ÏA)  HISTOMffl    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

considérable  que  celle  du  glacier  de  la  Maladetla,  qui  est 
pourtant  le  plus  grand  de  tous  ceux  des  Pyrénées. 

PORT  D'OO 

Du  lac  glacé  d'Oo,  pour  atteindre  le  Port  d'Oo,  il  faut  monter 
encore  179  toises  par  le  sentier  tracé  dans  les  rochers.  Alors 
on  a  atteint  la  limite  qui  sépare  l'Espagne  de  la  France.  Arrivé 
là,  le  voyageur  peut  aller  visiter  la  petite  ville  de  Venasque 
ou  revenir  sur  ses  pas.  S'il  prend  celte  dernière  détermination, 
il  retourne  sur  ses  pas  jusqu'au  lac  d'Oo,  sur  lequel  il  peut 
faire  une  promenade  à  bateau  ;  puis,  il  suit  le  chemin  qui 
passe  près  l'église  et  il  remonte  directement  sur  le  plateau  de 
Cazaux.  De  là,  il  parcourt  le  chemin  que  nous  avons  déjà  fait 
et  il  arrive  à  Bagnères-de-Luchon,  satisfait  de  cet  itinéraire. 

En  bornant  ainsi  notre  promenade  géographique  dans  la 
vallée  de  Ludion  et  ses  environs,  à  ces  quatre  districts,  nous 
n'avons  qu'indiqué  par  cette  division  tout  ce  que  cette  contrée 
renfermait  d'important  et  d'historique.  Il  nous  aurait  été  facile 
d'entrer  dans  de  longs  détails,  soit  de  descriptions,  soit  d'ob- 
servations à  propos  de  toutes  ces  merveilles  delà  nature  que 
nous  venons  de  désigner  seulement  d'une  manière  rapide  et 
très  sommaire  ;  mais  comme  nous  sommes  persuadés  que  le 
lecteur  aimera  mieux  éprouver  par  lui-même  les  sensations 
que  ces  objets  merveilleux  peuvent  faire  naître  dans  l'ame, 
nous  n'avons  tracé  qu'un  simple  itinéraire  qui  lui  servira  de 
guide  dans  les  excursions  qu'il  entreprendra.  Dans  de  circons- 
tances semblables,  il  vaut  mieux  voir  par  soi-même  que  par 
les  yeux  des  écrivains  les  plus  exacts.  Notre  tâche  s'est  donc 
bornée  à  une  simple  indication  de  lieux. 


CHAPITRE  NEUVIÈME. 

Promenades  de  Luchon.—  Ses  eaux  thermales.—  Ses  différentes 
propriétés.  — Conseils  aux  baigneurs. 


Jusqu'à  présent,  noire  itinéraire  a  clé  tracé  en  dehors 
des  bornes  de  Bagnères-de-Luchon  ;  nous  devons  rentrer 
maintenant  dans  ses  limites.  C'est  ce  que  nous  allons  faire, 
en  indiquant  les  promenades  qui  forment  la  topographie 
de  la  ville.  Parmi  ces  dernières,  nous  en  désignerons  trois  : 
le  Petit  bois  des  bains,  la  Promenade  de  Piqué  et  celle  de 
la  Casseyde. 

La  promenade  du  Petit  bois  des  bains  s'élève  derrière 
l'établissement  thermal.  Pour  parvenir  à  l'atteindre,  il  faut 
suivre  de  petits  sentiers  qui  se  croisent  à  l'ombre  de  tilleuls 
et  de  hêtres;  et,  arrivés  à  une  certaine  hauteur  de  la  mon- 
tagne, dans  la  direction  du  Midi,  on  trouve  une  petite  plate 
forme.  Sur  cette  terrasse  naturelle  au  milieu  de  peupliers 
et  de  saules  pleureurs,  on  rencoutre  une  source  mysté- 
rieuse, entourée  de  gazon  et  de  sièges.  On  la  nomme  Fon- 
taine d'amour.  Celte  promenade,  la  plus  ombragée,  est 
une  des  plus  agréables  des  environs  de  la  ville. 


152  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  NTTORESQUE 

La  promenade  de  Picqué,  qui  est  la  plus  fréquentée  d« 
toutes,  se  compose  de  la  belle  allée  d'Etigny,  bordée  d'or- 
mes et  de  magnifiques  constructions;  à  l'extrémité  de  celte 
allée,  en  face  de  l'établissement  des  bains,  on  prend  la 
gauebe  en  se  dirigeant  vers  le  torrent  ou  la  rivière  de  la 
Picque.  Arrivé  à  ce  point,  on  longe  la  Picquc  jusqu'au  pont 
de  Montauban  et  l'on  rentre  dans  la  ville  par  l'avenue  de 
ce  même  nom.  Encore  quelques  années,  et  celle  promenade 
ne  laissera  rien  à  envier  aux  plus  jolies  de  toutes  celles 
qu'on  connaît  en  France. 

La  promenade  de  la  Casscydc  est  la  plus  longue  des  trois. 
Vers  l'allée  de  Barcugnas,  en  sortant  de  la  ville,  on  arrive 
à  une  petite  place.  On  passe  alors,  près  d'un  moulin ,  sur 
un  pont  qui  se  trouve  à  la  gauche,  non  loin  du  cimetière  ; 
on  tourne  à  gauche  et  l'on  va  rejoindre  le  gave  dont  on 
est  quelque  peu  écarté.  Près  de  l'endroit  où  l'on  est  le  plus 
voisin  du  torrent,  il  faut  gravir  un  senlier  qui  serpente 
dans  le  rocher.  Du  haut  de  ce  petit  observatoire,  on  peut 
admirer  les  allées  de  Barcugnas,  des  Soupirs  et  des  Bains. 
Castel-Viel,  Saint-Mamet,  Montauban  et  Luchon  se  dessi- 
nent aux  pieds  du  visiteur. 

En  revenant  au  chemin  qui  longe  le  Gave,  on  le  suit 
jusqu'au  pont  de  Mousquères  et  l'on  rentre  dans  la  ville  par 
l'allée  des  Soupirs. 

Au  sein  de  la  ville  où  l'agréable,  l'utile  et  le  conforlable 
se  trouvent  réunis,  un  des  premiers  soins  de  l'étranger  qui 
vient  la  visiter,  consiste  à  utiliser  son  séjour,  dans  l'intérêt 
de  sa  sanlé.  Or,  les  bains  doivent  être  une  de  ses  principales 
préoccupations.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  les  thermes 
de  Luchon  offrent,  dans  leur  antiquité,  une  garantie  de  la 
bienfaisance  de  ses  eaux.  C'est  un  contrôle  de  plus  que  le 
passé  ajoute  à  l'expérience  du  présent. 

En  effet,  en  donnant  au  mot   Luchon   l'étymologie  de 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  155 

Lixon  ou  Lixo,  comme  on  lit  dans  diverses  inscriptions, 
ou  trouve  que  toutes  ces  dénominations  tirent  leur  nom  do 
Li  et  Lis  qui,  en  langue  celtique  ',  signifie  eau  ;  d'où  s'est 
formé  Lixo  2  eau  chaude.  De  ce  terme,  dit  Ducange,  sont 
tirés  les  mots  latins  :  Lix,  LCseive  et  Lixivia,  cendres 
lescivées.  L'ancienneté  des  eaux  de  Luchon  ne  peut  donc, 
être  révoquée  en  doute,  en  ne  sortant  point  de  termes  de 
son  étvmologie  ;  mais  elles  renferment  encore  d'autre»  qua- 
lités, prises  dans  leur  composition  intrinsèque. 

L'une  des  principales  est  leur  légèreté.  «  En  général, 
dit  un  savant  médecin  anglais,  toutes  les  eaux  légères  et 
qui  ne  sont  pas  imprégnées  d'aucun  mauvais  principe,  sont 
des  remèdes  très-efficaces  pour  un  grand  nombre  de  mala- 
dies. Or,  rien  n'est  plus  propre  à  rendre  au  sang  et  aux  sucs 
leur  fluidité  naturelle,  lorsqu'ils  sont  devenus  trop  épais  et 
visqueux,  que  la  bonne  eau  prise  dans  la  mesure  et  avec  les 
précautions  nécessaires.  »  Les  eaux  thermales  de  Luchon 
jouissent  de  ces  propriétés,  car,  l'effet  de  la  chaleur  étant 
en  général  d'augmenter  l'activité  et  la  force  de  l'eau,  elle 
en  augmente  le  mouvement  de  ses  parties. 

On  prend  les  eaux  thermales  de  Luchon  de  plusieurs 
manières,  mais  le  plus  communément,  c'est  en  boisson,  dans 
les  bains  et  en  douches.  Quoique  ces  détails  semblent* s'éloi- 
gner quelque  peu  des  récits  de  l'histoire,  nous  ne  les  abor- 
derons pas  moins,  persuadés  que  dans  les  bornes  de  cet 
ouvrage,  leur  utilité  doit  nous  faire  un  devoir  de  les  admet- 
tre. Instruire,  plaire  et  être  utile  à  la  fois,  telle  est  notre 
devise.  Nous  ne  voulons  pas  lui  donner  un  démenti  dans 
celte  circonstance. 


1    Dictionnaire  celtique.  —  Essai  historique   sur  les  eaux  de 
Luxeuil,  p.  3. 


-  Ducange.  Gloss.,  ad  verbum  Lixo, 


154  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

DE  LA  BOISSON 

«  La  quantité  d'eau  minérale  ou  thermale  que  les  médecins 
ordonnent  en  boisson,  a  dit  un  savant  docteur,  a  pour  prin- 
cipal effet  le  nettoiement  des  viscères;  cet  effet  est  considérable 
dans  la  plupart  des  maladies  chroniques.  C'est  aux  auteurs 
modernes  que  nous  sommes  redevables  du  premier  usage  d'un 
si  grand  remède.  » 

Le  temps  le  plus  propre  pour  boire  les  eaux,  est  celui  où 
les  chaleurs  sont  à  un  degré  soutenu,  sans  néanmoins  être 
assez  fortes  pout  causer  de  grandes  sueurs.  On  les  boit  à  jeun, 
de  grand  matin  et  après  le  soleil  levé.  Pour  ne  point  contra- 
rier leur  action,  il  ne  faut  point  devancer  le  lever  du  soleil. 
Une  remarque  essentielle  à  faire  encore,  c'est  qu'on  ne  doit 
les  prendre  que  longtemps  après  le  repas,  parce  que  leur  effet 
est  bien  plus  efficace  lorsque  la  digestion  est  achevée.  La: 
quantité  a  prendre  est  réglée  d'après  le  tempérament,  la  force 
et  le  genre  de  maladie  des  individus. 

DES  BAINS. 

Après  l'usage  intérieur  des  eaux  chaudes,  l'effet  qui  se 
produit  de  leur  usage  extérieur  est  le  plus  salutaire.  Au  moyen 
des  bains,  les  eaux  thermales  facilitent  la  transpiration,' rani- 
ment îes  parties  engourdies,  soit  par  le  froid,  soit  par  les 
humeurs  épaisses,  soit  par  d'autres  causes.  On  doit  suivre 
dans  l'usage  des  bains,  une  progression  de  temps  régulière. 
Ainsi,  on  ne  reste  dans  les  premiers  bains  qu'un  temps  moral 
qu'on  augmente  tous  les  jours,  jusqu'à  ce  qu'on  a  complété 
une  heure.  Le  corps  accoutumé  à  cet  espace  de  temps,  doit 
s'accoutumer,  d'un  autre  côté,  aux  différents  degrés  de  cha- 
leur. Il  faut  suivre  rigoureusement  cette  dernière  méthode. 
Le  matin,  depuis  sept  à  huit  heures,  paraît  être  le  temps 
le  plus  commode  pour  prendre  le  bain.  Néanmoins,  en  suivant 
un  régime  convenable,  on  peut  le  prendre  avant  le  repas  du 
soir;  et  son  efftt  n'en  est  pas  moins  salutaire.  Au  sortir  du 


DE    HAGKÈllES-DE-LUCIION.  ['61) 

bain,  il  faut  avoir  bien  garde  de  s'exposer  à  l'air  trais;  il  est 
bon  au  contraire  de  passer  dans  un  lit  chaud  pour  se  reposer 
et  pour  suer  légèrement,  s'il  est  possible. 

DE  LA  DOUCHE. 

On  emploie  la  douche  pour  surmonter  la  maladie  lorsque 
l'action  du  bain  est  trop  faible.  Son  usage  est  très-ancien.  Les 
Grecs  l'appelaient  gouttière  (stillicidium);  les  Arabes  goutte 
{guttam);  enfin,  les  Italiens  douches  (de  ducia).  Les  douches 
dout  on  se  sert  ordinairement  sont  des  caveaux  plus  ou  moins 
élevés,  remplis  d'eau  chaude,  percés  à  leur  extrémité,  où  est 
attaché  un  robinet  qui  s'ouvre  et  se  ferme  à  sa  volonté.  L'eau 
qui  tombe  est  reçue  sur  la  partie  malade  et  dans  toute  son 
étendue  ;  pendant  qu'on  prend  la  douche  et  même  après-,  on 
fait  des  frictions  sur  les  parties  de  bas  en  haut.  On  ne  doit 
point  prendre  la  douche  sans  user  des  précautions  indiquées 
à  l'article  des  bains.  Le  matin  est  le  temps  le  plus  propre  pour 
la  douche  ;  on  peut  aussi  la  prendre  le  soir  :  les  effets  qu'elle 
produit  s'expliquent  par  cet  axiome  de  physique  qui  établit 
que  les  liquides,  selon  la  loi  de  pesanteur,  sont  en  raison  com- 
pensée de  leur  hauteur  et  de  leur  volume. 

Voici,  au  reste,  qu'elle  est  l'opinion  émise  par  un  savant 
docteur  sur  la  manière  de  prendre  la  douche  et  sur  ses  effets. 
«  On  se  baigne  d'abord,  dit-il,  le  premier  jour  pendant  une 
demi-heure.  Ensuite  on  reçoit  la  douche  l'espace  de  quinze 
ou  vingt  minutes.  Le  second  jour  on  prolonge  le  temps  jus- 
qu'à vingt- cinq  et  trente  minutes,  et  successivement  jusqu'à 
trois  quarts  d'heure. 

«  Jamais  on  ne  doit  recevoir  la  douche  sur  la  tête,  quoi 
qu'en  aient  dit  quelques  auteurs,  ni  sur  la  poitrine,  ni  sur  le 
ventre,  ni  sur  aucun  viscère,  parce  que  ces  parties  sont  trop 
délicates  pour  soutenir  son  impression. 

«  On  se  sert  de  la  douche  avec  succès  dans  toutes  les  ma- 
ladies où  les  humeurs  sont  en  stase,  lorsque  les  vaisseaux 
lymphatiques  et  sanguins  sont  engorgés,   lorsque  les  pores 


1156  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

secrétaires  ou  excrétoires  sont  obstrués,  comme  dans  le  rhu- 
matlrisme,  etc.,  etc.  dans  toutes  les  douleurs  fixes,  dans  les 
douleurs  des  articulations,  tumeurs  œdémateuses,  squirreuses, 
les  ankiloses  ;  dans  tous  les  mouvements  spasmodiques,  cram- 
pes, tremblements,  et  dans  tous  les  cas  où  le  sang  circule  trop 
lentement  et  avec  inégalité,  et  sur  les  parties  qui  ont  perdu 
le  ressort  naturel,  et  jamais,  dans  tous  les  cas,  où  il  y  a 
inflammation  ou  disposition  inflammatoire,  occasionnée  par 
la  partie  rouge  du  sang.  » 

Pour  profiter  de  la  vertu  des  eaux  thermales  de  Ludion, 
il  y  a  bien  des  choses  à  observer  encore,  soit  avant  de  prendre 
les  eaux  et  en  les  prenant,  soit  en  gardant  un  régime  sévère, 
réglé  sur  les  aliments,  sur  les  liquides,  sur  l'action  de  l'air, 
sur  l'exercice,  sur  le  repos,  etc.  Mais  on  trouvera  à  Bagnères 
pour  se  fixer,  à  ce  sujet,  tout  ce  qui  est  nécessaire,  c'est-à-dire 
d'excellents  médecins,  et  entr'autres  M.  Fontan,  à  la  science 
duquel  l'art  et  la  ville  de  Luchon  sont  redevables  de  tant  de 
progrès  qu'ils  ont  faits.  Que  ceux  qui  fréquentent  les  bains  de 
Bagnères  s'adressent  à  ces  hommes  de  la  science;  leurs  con- 
seils sur  la  manière  de  vivre  et  de  se  conduire  hygiéniquement 
aux  eaux,  leur  en  diront  plus  que  nos  écrits.  Ils  compléteront 
ainsi,  dans  ce  que  nous  n'avons  pu  qu'indiquer,  YHistoire  de 
£ag}ièrc.s-de-Luchon,  considérée  dans  sa  partie  purement 
historique. 


FI3  DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE. 


HISTOIRE 

SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 


M  iMRlMH)lHil(MH 


SECONDE  PARTIE. 

RENFERMANT  DES  FAITS  PUREMENT  DRAMATIQUES. 


LE  CONTREBANDIER  DU  PORT  DE  VENASQUE. 

ÉPISODE  HISTORIQUE. 

Quand,  les  yeux  fixés  vers  l'Espagne  où  la  liberté,  en  ce 
moment,  joue  le  drame  sanglant  de  la  révolution,  on  arrête 
sa  vue  sur  cette  longue  chaîne  de  montagnes  qui  brillent, 
capricieuses,  au  midi  de  notre  belle  France,  comme  les  mille 
replis  du  serpent  déroulant,  au  soleil  du  désert,  ses  écailles 
étincelantesj  qui,  à  ce  spectacle  imposant,  n'a  pressenti 
d'avance  que  de  grandes  destinées  ont  dû  être  attachées 
invinciblement  à  ces  hautes  barrières  de  granit?  qui  n'a  vu, 
dans  la  position  géographique  des  Pyrénées,  un  de  ces  acci- 
dents sublimes  delà  nature  que  la  providence  semble,  exprès, 
avoir  fait  jaillir  du  sein  de  la  terre,  soit  pour  servir  à  varier, 
comme  ligne  de  démarcation,  l'espèce  humaine  dans  les  mo- 
des nombreux  de  la  civilisation,  soit  pour  tracer  des  limites 
politiques  à  des  peuples  voisins,  de  mœurs  et  de  races  oppo- 
sés ;   soit,  enfin,    pour  mieux  accentuer,  dans  ses  clïets  in 


158  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

nornbrables,  le  grand  travail  de  la  créatioa?  Toutes  ces 
considérations  sont  vraies,  et  pourtant  la  science  n'a  pu 
soupçonner,  jusqu'ici,  dans  ces  masses  de  structure  colos- 
sale, que  de  couches  géologiques  plus  ou  moins  concentriques, 
et  le  botaniste  qu'un  champ  vaste  à  herboriser.  La  nature 
inerte  de  ces  montagnes  a  été  étudiée  jusques  dans  ses  secrets 
les  plus  profonds,  et  la  nature  intelligente  reste  encore  in- 
connue. 

Or,  dans  l'intérieur  des  Pyrénées,  au  versant  des  montagnes 
qui  servent  d'extrême   limite  au  département  de  la  Haute- 
Garonne  et  au  royaume  de  l'Aragon,  se  dessine,  creusé  dans 
le  roc,  un  sentier  étroit,  scabreux,  qui  sert  de  ligne 'de  com- 
munication entre  la  France  et  l'Espagne  ;  on  le  nomme  le 
passage  de    Venasque.   En  gravissant  ce  sentier  et  vers  le 
milieu  de  sa  ligne  aériennne  tracée,  le  plus  souvent,  par  le 
pas  hardi  du  mulet  des  vallées  d'Aran  et  de  Montgarry,   on 
arrive  à  une  plate-forme  couverte   d'une  pelouse  longue  et 
soyeuse,  cemme  la  chevelure  d'une  belle  andalouse  ;  c'est  la 
halte  du  voyageur.  De  ce  point  élevé,  le   regard  domine  le 
bassin  de  Luchon  avec  l'immense  amphithéâtre  de  monta- 
gnes qui  lui  servent  de  ceinture.  D'un  côté,  se  tient  debout 
et  menaçant  comme  un  géant,  le  pic  de  la  Maladetta  dont  la 
cime  se  perd  dans  les  bruines  du  ciel  ;  de  l'autre,  apparais- 
sent, à  droite,  les  sommets  du  Portillon,  ceux  du  Bocaner 
et  les  montagnes  des  vallées  d'Oueil  ;  à  gauche,  se  dessinent 
%  ports  de  la  Picade,  les  rochers  du  Caïrat  et  ceux  qui  dû- 
ment les  vallées  de  Larboust;  enfin,  au  fond  de  ce  tableau 
dont  tous  les  détails  sont  gigantesques   et  les   proportions 
colossales,  s'arrondit,  en  forme  de  coupe  orientale,-  le  joli 
bassin  de  Luchon,  orné  de  ses  vallons,  de  ses  bois  et  de  ses 
cascades  qui  composent  autour  de  lui  autant  d'arabesques 
capricieusement  découpées.  Ce  plateau  que  nous  décrivons 
est  un  des   plus  beaux  de  tous  ceux  qui  se  trouvent  sur 
toute  la  chaîne  des  Pyrénées. 

Mais,  comme  au  milieu  de  la  joie  et  des  plaisirs,  la  pro- 
vidence semble  se  plaire  toujours   à   mêler  le  chagrin  et  la 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCIIOxN.  159 

Iristessse;  ce  lieu  de  délices  renferme  aussi  des  souvenirs 
de  deuil.  Car,  au  centre  de  la  plate  forme,  s'élève  un  mon- 
ceau de  pierres  noircies  par  le  temps  et  par  les  orages. 
Chaque  muletier  arrivé  là,  s'arrête,  recueilli  par  des  pensées 
pieuses  et,  ôtant  religieusement  sa  berrctie  rouge,  murmure 
à  haute  voix  la  prière  des  morts.  Ces  pierres  sont  un  tom- 
beau ;  Voici  leur  histoire: 


LE  DOUANIER. 

Eu  1"823,  pendant  la  guerre  de  l'insurrection  espagnole,  le 
gouvernement  français  avait  ordonné  une  surveillance  active 
sur  toute  la  longueur  des  Pyrénées.  Un  poste  de  douaniers 
fut  établi  au  port  de  Venasque.  Au  pied  d'une  gorge  profonde, 
dominée  par  deux  hautes  montagnes  perpendiculaires,  on 
voyait,  seule,  isolée,  la  dernière  maison  française.  C'était 
alors  le  bureau  provisoire  de  la  douane.  Une  chambre  basse 
obscure,  enfumée,  servait  de  retraite  à  un  brigadier  et  à 
quatre  hommes,  lorsqu'ils  revenaient  de  donner  la  chasse 
au  contrebandier.  Pendant  une  nuit  orageuse  du  mois  de 
mars,  les  quatre  verts,  exacts  au  rendez-vous,  se  pressaient 
autour  de  l'âtre  où  pétillait  un  grand  feu  et  fesaienl  sécher, 
silencieusement  leurs  carabines.  Après  une  longue  pause  et 
un  silence  non  moins  long  :  —  Pied-de-fer,  s'écria  une  voix 
fortement  accentuée,  qu'as-tu  fait  du  brigadier?  C'est,  par- 
dieu,  étonnant  qu'il  ne  soit  point  ici  ;  car,  par  Saint-Roch  ! 
ce  n'est  point  lui  qui  est  le  dernier  au  rendez-vous  du  poste. 

—  Pas  plus  qu'il  n'est  le  dernier  à  gravir  le  pic  de  l'Izard 
ou  à  braver  le  bâton  noueux  des  noirs,  répondit,  sans- 
détourner  la  tête,  Pied-de-fer,  occupé  à  faire  sécher  sa  capote. 
Mais  le  brigadier  sait  ce  qu'il  sait,  poursuivit-il  encore 
mystérieusement.  Ignores-tu,  Crampon,  que  dans  le  service 
de  la  douane,  tout  le  mot  d'ordre  est  celui-ci  :  obéir  et  savoir 


160  HISTOIRE    SPECIALE    ET    PITTORESQUE 

5e  taire?  mais,  si  tu  veux  être  mieux  informé  ;  je  l'ai  laissé 
aux  limites  espagnoles,  près  de  la  caverne  du  loup,  tu  sais 
Crampon  ? 

—  Oui-dà,  caverne  du  loup!  dis  plutôt  caverne  du  sang; 
puisque  les  noirs  m'y  laissèrent  mort  vingt-quatre  heures. 
Que  la  Vierge  des  Pyrénées  préserve  donc  notre  brigadier 
de  leur  rencontre!  Car,  par  ce  temps  d'averse  si  favorable 
aux  noirs,  Crampon,  mon  ami  Crampon,  ce  n'est  pas  toi  qui 
volerais  l'arracher  à  leurs  coups  ! 

—  C'est  qu'un  mauvais  conscrit  n'a  jamais  su  faire  un 
bon  soldat  de  la  douane,  repartirent,  en  chœur,  les  voix  de 
ses  trois  compagnons. 

—  Ah  dam!  répliqua  aussitôt  Crampon,  le  conscrit  a  fait 
aussi  son  feu  de  file,  et  si  son  pied  glisse  parfois  sur  vos 
rochers  savonnés  par  la  glace,  sa  main  n'en  est  pas  moins 
solide  pour  cela.  Qu'en  dis-tu,  Rudon? 

Cette  espèce  d'apostrophe  que  signifiait,  en  ce  moment, 
Crampon  à  un  de  ses  camarades,  n'était  pas  sans  avoir  un 
grand  sens.  Rudon,  vieux  douanier  et  rigide  comme  un 
grognard,  n'aimait  pas  les  conscrits,  parce  que  le  service 
souffrait  toujours  avec  eux  et  que  d'ailleurs,  leur  inexpé- 
rience était  pour  les  anciens  des  motifs  de  surchage  de  la 
part  des  chefs.  Mais  il  aimait  encore  moins  Crampon  qui 
avait  eu  la  maladresse  de  ne  pas  comprendre  le  caractère 
du  douanier;  ce  qui  l'avait  exposé  à  de  nombreuses  voies 
défait,  auxquelles  il  ripostait  par  des  représailles;  ce  h 
quoi  il  venait  de  faire  allusion. 

Aussi,  la  conversation  ne  pouvait  pas  en  rester  là,  entre 
ces  quatre  hommes  et,  Rudon,  le  premier,  répondant  à 
l'allusion  de  Crampon  : 

—  Toi,  Crampon,  dit-il,  tu  n'es  qu'une  poule  mouillée; 
au  régiment  comme  à  la  douane,  tu  n'as  servi  que  dans 
l'arrière  garde,  et  pour  preuve 

11  se  tut. 

—  Parle,   Rudon,   parle,  répliqua   avec   animation    son 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHO.N.  161 

interlocuteur;  esl-ce  que  le  courage   te  manque?  je  suis 
disposé  à  te  répondre.  Car,  me  voici  debout,  continua-t-il 
avec  un  ton  moitié  solennel,  moitié  comique  ;  Crampon,  rf 
jamais  craint  son  adversaire  :  Marchons!... 

Mais  pendant  que  ces  derniers  mots  se  faisaient  entendre, 
la  porte  s'ouvrit  précipitamment  et  parut,  au  milieu  des 
sareasmes,  des  rires  moqueurs  des  douaniers  et  des  bruits 
de  l'orage,  le  brigadier  Lebrun. 

—  C'est  lui,  s'écria  instinctivement  Crampon,  au  premier 
ébranlement  de  la  porte.  C'est  lui..  .  et  le  calme  le  plu> 
respectueux  s'établit  instantanément. 

Lebrun  était  un  jeune  homme  de  vingt-deux;  ans.  11  avait 
la  taille  haute  et  bien  proportionnée;  son  teint  éla\l  fonde- 
rement  brun  et  des  cheveux  noirs  ombrageaient  un  œil 
ardent  et  plein  de  feu.  On  voyait  sur  son  front  éclater  les 
passions  que  nourissait  un  cœur  chaud  et  impétueux.  Lebrun 
était,  en  un  mot,  le  type  vivant  de  ces  hommes  à  qui  il  ne 
faut,  pour  grandir  à  la  hauteur  d'un  héros,  que  les  mille 
fureurs  d'une  guerre  continentale  ou  les  orages  d'une  révo- 
lution. Sous  l'empire,  il  eut  été  maréchal  de  France,  93  en 
eût  fait  un  fougueux  Jacobin.  C'était  trop  pour  un  brigadier 
de  la  douane.  Un  tel  homme  devait  donc  inspirer  la  crainte 
et  le  respect.  Aussi,  au  moindre  de  ses  ordres,  les  verts 
obéissaient-ils  en  aveugles.  Sa  présence  était  un  ordre. 

Use  posa,  un  instant,  autour  de  l'âtre,  l'esprit  profondé- 
ment préoccupé  ;  regarda  fixement  ses  subordonnés  comme 
pour  les  interroger.  Mais  rien  de  ce  qui  venait  de  se  passer 
ne  paraissait  sur  leurs  physionomies  humblement  et  sévère- 
ment composées  dans  tous  leurs  traits.  Et  puis,  par  un 
mouvement  brusque  et  qui  marquait  une  forte  détermina- 
tion, s'adressant  au  plus  brave  de  ses  compagnons  : 

—  «  Pied-de-fer,  ta  carabine,  ton  sabre  et  en  route.  » 
Il  avait  dit,  etdéjà  les  deux  douaniers  s'éloignaient  du  poste, 
affrontant  une  pluie  battante,  franchissant  des  ravins  pro- 
fonds, gravissant  des  sentiers  glissants  et  rocailleux,  et,  au 


1  ()2  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

milieu  de  l'obscurité  d'une  nuit  infernale,  atteignaient,  dans 
la  direction  ascendante  du  port  de  Venasque,  un  rocher 
creux  qui  dominait  le  sentier  étroit  de  la  contrebande. 

—  Halte-là,  Pied-de-fer.  C'est  ici,  dans  cette  grotte  qu'il 
nous  faut  passer  la  nuit  ou  plutôt,  qu'il  faut  veiller  jusqu'à 
l'aurore. 

Mais  s'interrompant  tout-à-coup  : 

—  Dors,  Pied-de-fer,  dit-il  $  c'esl  à  moi  dé  veiller, 
dors Pauvre  enfant!... 

—Brigadier,  je  vais  veiller  aussi  ;  car  c'est  l'heure  de  la 
contrebande. 

—  Seule,  elle  est  passée  sur  ces  rochers,  leste  comme  une 
gazelle,  rapide copime  un  chevreuil  et  portant  dans  son  cœur 
l'amour  ardent  d'une  Andalousc 

—  Qui  ?  brigadier  ;  la  contrebande  ? 

—  Seule,  la  pauvre  enfant  !  elle  a  bravé,  pour  moi,  la  nuit, 
l'orage  et  la  fureur  du  vieux  contrebandier  ;  et  pourtant  de 
cruels  pressentiments  torturent  mon  ame. 

—  Paix!  ce  n'est  point  des  noirs  qu'il  s'agit,  murmura 
doucement  Pied-de-fer;  obéir  et  se  taire,  c'est  la  devise  de  la 
douane,  se  dit-il  à  lui-même  intérieurement. 

—  Pied-de-fer,  s'écria  alors  Lebrun,  interrompant  son 
monologue  qui  exaltait  déjà  ses  idées  jusqu'au  plus  haut  degré 
de  la  passion  ;  Pied-de-fer,  la  contrebande  est  ton  rêve,  à  toi; 
enfant  de  la  douane,  jeune,  tu  as  appris  à  déjouer  le  bâton 
ferré  du  noir,  à  vivre  de  ruses  et  de  sang,  et  ton  élément  à 
toi,  l'élément  de  ton  ame,  ton  existence,  ce  sont  les  rochers, 
les  nuits  orageuses  des  Pyrénées  et  ta  carabine.  Tu  es  heu- 
reux, Pied-de-fer,  parce  que  tu  suis  ta  destinée!  et  ma  vie, 
à  moi,  vois-tu,  c'est  l'enfer  sur  la  terre.  Aimer  par  tous  les 
feux  d'une  passion  noble,  une  femme,  un  ange,  qui  vous 
adore  ;  être  séparé  d'elle  par  toute  la  distance  qui  se  trouve 
entre  la  haine  espagnole  et  le  nom  français,  entre  la  fureur 
du  contrebandier  et  celle  du  douanier;  et,  par-dessus  tout, 
suivre  par  amour  d'abord  et  par  devoir  ensuite  une  position 


I>E   BA<;.NKKES-DE-Ll'CHON.  165 

que  l'on  condamne  soi-même  ;  dis,  Pied-de-Fer,  si  lu  as 
éprouvé  une  torlure  de  l'ame  pareille  à  celle  où  me  jette  ma 
situation? 

—  Brigadier,  vous  (Hes  jeune. 

—  Ajoute  encore,  dit  Lebrun,  que  j'aime  d'amour,  comme 
toi  qui  ne  vis  que  de  douane.  Mais  tu  ne  comprends  point 
l'un  et  lu  rêves  l'autre.  Eh  bien  !  Pied-de-fer,  avant  que  le 
soleil  éclaire  le  sommet  de  la  Maladetta,  nous  n'aurons  rien 
à  nous  envier  5  toi,  tu  auras  la  contrebande  el  moi  la  fille 
du  contrebandier  :  chacun  son  lot.  Ecoute  : 

Connais-tu  la  fille  de  Piétro,  le  vieux  contrebandier? 

—  llitta,  la  plus  jolie  vierge  de  la  vallée  de  Montgarry  ? 
Connue  avant  vous,  brigadier  ;  elle  a  seize  ans.  Sauf  erreur, 
je  l'ai  vue,  pour  la  première  fois,  lorsqu'elle  entrait  à  peine 
dans  sa  douzième  année  :  c'était  à  la  chapelle  de  Montgarry. 
De  toutes  les  filles  de  la  vallée  on  la  disait  la  plus  belle.  Je 
le  crois  bien-  avec  des  cheveux  d'ébène  retenus  dans  un 
réseau  mauresque  ;  de  gros  yeux  noirs  sous  des  sourcils  épais 
et  une  taille  élancée  à  le  disputer  en  souplesse  au  plus  fluet 
de  nos  Izards,  avec  tout  ça  on  pouvait  dire  que  la  fille  de 
Piétro  était  la  plus  belle*des  Espagnoles.  Je  la  connais,  bri- 
gadier ;  mais  je  la  hais  :  elle  est  la  fille  du  vieux  contreban- 
dier, le  meurtrier  de  mon  père. 

—  Pourquoi  la  maudire,  Pied-de-fer?  L'agneau  renie  la 
paternité  du  lion  ;  et  Rilta  désavoue  son  père.  Apprends  donc 
à  mieux  la  connaître,  sévère  douanier?  Ecoute  :  Celte  nuit, 
pendant  l'orage,  j'étais  à  la  caverne  du  Loup.  J'attendais, 
seul,  au  rendez-vous  de  nos  amours.  Elle  est  venue,  malgré 
l'horreur  de  la  nuit,  les  difficultés  de  la  montagne  el  la  tem- 
pête ;  pâle,  les  cheveux  épars  et  se  jetant  dans  mes  bras  : 
«  Fuis,  m'a-t-elle  dit,  car  ta  mort  est  certaine  5  pour  moi,  je 
suis  sacrifiée  à  la  vengeance  d'un  père!  »  A  ces  mots,  les 
larmes,  les  sanglots  ont  étouffé  sa  voix.  Je  sais,  Pied-de-fer, 
que  le  vieux  contrebandier  veut  tenter  son  dernier  coup  de 
main.  Cette  nuil,  il   veut   frauder  la  douane,  se  défaire. de 


1G4  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

l'amant  de  sa  fille,  et  donner  la  main  de  Ilitta  a  un  Picaro 
d'Espagnol.  Tu  vois  :  l'amour  et  le  devoir  nous  commandent 
une  exacte  et  fidèle  garde.  La  bande  ne  tardera  point  h  se 
mettre  en  marche;  reste  à  cette  place,  Pied-de-fer  ;  tandis  que 
je  ferai  le  guet  à  la  halte  du  muletier. 


LA  VENGEANCE  DU  CONTREBANDIER. 


Tandis  que  le  brigadier,  ayant  donné  ses  ordres  à  Pied- 
de-fer,  gravissait  des  rochers  escarpés,  franchissait  des  pré- 
cipices, tournait  des  pics,  à  travers  des  sentiers,  connus 
seulement  des  verts,  pour  arriver  au  poste  de  l'honneur,  une 
autre  scène  se  passait  à  l'opposé  du  versant,  sur  le  territoire 
espagnol.  Au  pied  du  passage  deVenasque,  à  l'extrémité  de 
ce  ruban  de  chemin  qu'on  appelle  sentier  et  qui  touche  à  la 
vallée  espagnole,  s'élève  une  demeure  toute  aragonnaise. 
Qu'on  s'imagine  un  bâtiment  immense,  d'une  couleur  sombre 
et  terne;  de  vastes  salles  éclairées  par  un  jour  qui  pénètre 
dans  l'intérieur  de  l'édifice  à  travers  des  ouvertures  colossales, 
protégées  par  quelques  barres  de  fer  ;  un  toit  bas  et  écrasé 
abritant  des  murailles  qui  se  cachent  à  moitié  sous  les  feuil- 
lages du  pied  de  la  montagne;  et  l'on  aura  une  idée  à  peu 
près  exacte  de  la  forme  de  la  demeure  dont  nous  parlons.  Là, 
dans  une  salle  reculée  qui  communiquait  avec  le  parquet  des 
chèvres,  deux  hommes  se  tenaient  debout,  dans  un  état 
moral  de  profonde  préoccupation.  L'un  avait  des  formes  sé- 
vères; sa  taille  était  haute;  ses  bras  et  ses  jambes  à  mi-nus 
laissaient  apercevoir  sur  toute  leur  étendue  les  signes  d'une 
force  et  d'une  vigueur  peu  communes.  Malgré  ce  caractère 


DE  BACNÈRES-DE-LUCHON.  16;) 

extérieur,  la  figure  de  cet  homme  était  vieillie.  De  longues 
rides  sillonnaient  tous  ses  traits  rudes  et  féroces.  Sa  tête  seule 
avait  quelque  chose  de  gracieux,  soit  à  cause  de  l'ornement 
de  ses  cheveux  blancs  comme  la  neige,  qui  tombaient  on- 
doyants sur  ses  épaules  ;  soit  à  cause  de  sa  forme  haute,  sur 
laquelle  dominait  un  front  modèle.  Cet  homme  s'appelait 
Piétro. 

L'autre,  sans  être  distingué  par  cette  sévérité  de  lignes  qui 
composent  la  correction  des  formes  et  du  dessin,  dans  la  char- 
pente humaine,  et  dont  la  nature  s'était  montrée  prodigue 
envers  le  vieillard,  avait  pour  lui  la  jeunesse  et  la  force.  A 
voir  leurs  regards  furieux,  l'agitation  fébrile  de  leurs  corps, 
on  devinait  facilement  qu'ils  méditaient  quelque  grand, 
quelque  infâme  projet.  Néanmoins,  un  silence  profond  était 
observé  entre  ces  deux  hommes,  depuis  environ  dix  minu- 
tes, sans  avoir  suspendu,  pour  cela ,  un  langage  terrible: 
celui  des  signes  de  la  colère,  de  la  fureur  et  de  la  rage  ;  lors- 
que le  vieillard  interrompant  le  premier  ce  silence  infernal  : 

—  Tu  hésites  encore,  José,  s'écria-t-il,  en  s'adressant  au 
jeune  homme,  en  donnant  à  sa  voix  un  volume  sourd  et 
creux  ;  tu  hésites  !  la  veux-tu  ?  prends-la.  Mais  prends-la 
telle  que  l'ennemi  te  la  donne,  comme  un  présent  de  boue 
et  de  prostitution  ! 

—  Que  dites-vous,  Piétro?  murmura  à  l'instant  le  jeune 
homme  en  faisant  crier  les  dents,  sous  le  mouvement  invo- 
lontaire de  ses  mâchoires.  Mais  elle  est  toujours  la  Vierge 
pure  de  la  vallée  ! 

—  Elle  !...■  mais  ignores-tu  donc,  José,  que  hier,  sur  le 
haut  de  la  montagne,  pendant  que  tout  dormait,  ici,  elle, 
J'infâme!  gravissait  les  rochers  du  port.  Je  l'ai  vue,  moi  ; 
lorsqu'elle  revenait  de  la  caverne;  j'ai  tout  soupçonné;  j'ai 
tout  deviné,  et  puis... 

Le  vieillard  se  penchant  aussitôt  vers  l'oreille  du  jeune 
homme;  lui   dit  quelques  mots  mystérieux  qui  semblèrent 

II 


166  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

réveiller,  on  lui,  un  ressenti  mon  l  mal  éteint  ;  ear,  sans  hé- 
siter un  soûl  moment  : 

—  Puisqu'il  en  est  ainsi,  Piétro;  je  suis  5  vos  ordres  ! 

Il  ne  prononça  que  ces  paroles.  Le  vieillard  le  saisit  spon- 
tanément par  le  bras  ;  et  d'un  geste  convulsif,  qu'il  accom- 
pagna d'un  éclat  de  rire  diabolique  : 

—  Viens,  s'écria-t-il,  suis  moi. 

-  Ces  deux  hommes  se  rendirent  dans  un  endroit  reculé  de 
cette  vaste  demeure  où  ils  se  trouvaient  ;  et  quelques  minutes 
à  peine  s'étaient  écoulées,  qu'ils  en  sortirent  par  un  passage 
caché  qui  donnait  sur  la  montagne.  Ils  disparurent  au  milieu 
de  l'obscurité  d'une  nuit  profonde.  Qui  pouvait  deviner  ce 
que  ces  deux  hommes  venaient  de  faire?  Dieu  seul  le  savait. 

Néanmoins,  le  brigadier  Lebrun,  impassible  comme  un 
homme  résolu  dans  sa  profession,  attendait  en  faisant  le 
guet,  sur  le  haut  du  passage  de  Venasque.  Enveloppé  dans 
sa  capote,  sa  carabine  sous  le  bras  et  l'oreille  au  vent,  il 
était  immobile  comme  une  statue  de  marbre.  Une  révolution 
intérieure  absorbait  tous  ses  sens;  des  réflexions  affreuses 
naissaient  et  se  produisaient  dans  son  esprit.  Trois  heures 
venaient  de  sonner  à  l'horloge  de  la  petite  ville  de  Venasque; 
ce  son  répété  par  l'écho  des  vallées,  arrivait  mystérieusement 
à  ses  oreilles,  comme  le  dernier  soupir  d'une  ame  qui  aban- 
donne la  terre  pour  s'envoler  au  ciel.  Le  brigadier  espérait 
toujours  avec  cette  patience  naturelle  au  soldat  de  la  douane. 

Déjà  une  teinte  pâle  semblait  colorer  l'Orient,  lorsque  deux 
ombres  allongées  comme  deux  fantômes,  se  dessinaient  mys- 
térieusement sur  le  sommet  le  plus  élevé  du  Port.  L'œil 
vigilant  de  Lebrun  ne  fut  pas  en  défaut,  car  il  reconnut 
d'abord  les  gens  qu'il  attendait.  Cependant,  pour  la  première 
fois,  tout  son  corps  fut  saisi  d'un  frisson  involontaire,  et  le 
nom  de  Ritta  fut  prononcé  avec  effroi. 

Mais  tandis  que  le  brigadier  prenait  son  poste  derrière  la 
ligne  d'une  roche  en  saillie,  le  vieux  contrebandier,  silencieux, 
le  regard  sombre  et  féroce,  descendait  brusquement  et  à 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  167 

grands  pas,  le  sentier  dont  il  paraissait  bien  connaître  les 
moindres  lacets.  Un  jeune  homme  à  la  stature  haute,  aux 
membres  vigoureux,  portant  sur-  ses  épaules  un  fardeau 
qu'enveloppait  une  large  mante  brune,  marchait  derrière  lui 
à  une  certaine  distance.  Ils  allaient  franchir  le  dernier  rocher 
qui  les  séparait  de  la  halte  des  voyageurs  lorsque  le  contre- 
bandier immobile  et  avançant  de  quelques  pas  .- 

—  Arrête,  José,  s'écria-t-il  d'une  voix  impérative,  en  s'a- 
dressant  au  jeune  homme,  arrête-  c'est  ici  le  charnier  du 

loup; 

—  Et  la  relraitedudouanier,  repartit  aussitôt  Lebrun,  qui, 
ayant  entendu  les  paroles  dé  l'iétro,  s'élance  de  son  rocher 
et  se  trouve  en  face  de  ses  adversaires. 

- — Je  savais  que  tu  étais  ici,  répondit  sans  se  déconcerter, 
le  vieux  contrebandier  ;  et,  après  avoir  jeté  sur  lui  un  regard 
indicible  de  fureur  :  Penses-tu,  continua-t-il,  nous  disputer 
le  passage  ? 

—  Oui,  au  nom  du  devoir  et  de  la  douane;  l'inspection  do 
ton  fardeau,  jeune  homme,  ou  gare  à  ma  carabine?  S'adres- 
sa nt  en  même  temps  à  José  qui  se  tenait  immobile  sur  un 
rocher,  et  lui  ajustant  son  arrhe. 

—  Tu  te  ris  de  nous,  douanier,1  dit  encore  Piétro,  dont  les 
yeux  étincellaient  de  fureur,  tandis  que  la  main  s'agitait 
convulsivement  sous  son  vieux  manteau  déchiré;  pendant 
quarante  ans  les  verts  n'ont  jamais  eu  de  droits  à  me  de- 
mander. Mais  je  veux  aujourd'hui  me  reconcilier  pour  la 
dernière  fois  avec  la  douane.  Brigadier,  tu  seras  plus  heureux 
que  tes  camarades  morts  ou  vivants?  S'adressant  au  jeune: 

—  «  José,  l'inspection  !  » 

A  ces  mots,  le  fardeau  est  jeté  aux  pieds  du  douanier, 
entre  lui  et  Piétro.  «  Brigadier,  la  taxe  des  droits  !  » 

Le  douanier  s'abaissant,  soulevait  déjà  un  plis  de  la  mante: 

—  Dieu  !  Ritta  assassinée?  monstres!...  et  sa  main  se  diri- 
geait sur  son  arme. 


1  H8  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

A  l'instant  le  jeune  homme  s'élance  sur  le  brigadier  ;  le 
poignard  de  Piétro  frappait  d'un  coup  sûr.  Le  malheureux 
douanier  se  lève  à  demi,  chancelle  et  retombe  expirant  sur 
le  corps  ensanglanté  de  son  amante. 

—  Tu  vois  s'ils  s'aimaient  !  Ton  rival,  notre  ennemi  est 
mort,  partons,  José;  l'espagnol  est  vengé! 

Sur  les  corps  de  ces  infortunés,  la  douane  éleva  un  mau- 
solée de  pierres,  on  lui  donna  le  nom  de  Y  Homme,  nom  qu'il 
porte  encore  de  nos  jours.  La  piété  du  passant  a  fait  le  reste. 


LES  BAINS  DE  BAGNÊRES-DE-LUOHON* 
1812 

I 

LE  DÉFI. 

C'était  en  1642. 

Amaury  de  Fronsac  et  Raymond  d'Aure,  tous  deux  jeunes 
seigneurs  des  plus  puissants  du  comté  de  Comminges,  tous 
deux  amis  des  plaisirs  et  de  la  débauche,  usaient  des  droits 
despotiques  inhérens  à  leur  pouvoir  féodal.  Ils  se  fesaient 
remarquer  surtout,  dans  les  environs  de  leurs  terres,  par  de 
folles  excursions  et  par  des  enlèvemens  nocturnes.  C'étaient 
des  Louvetaux  ravisseurs  de  jeunes  filles.  Le  château  de 
Fronsac  qui  dominait  la  vallée  de  la  Barousse,  s'élevait  sur 
les  bords  de  la  Garonne,  à  peu  de  distance  de  la  ville  de 
Saint-Bertrand  (Lugdunum)  ancienne  capitale  de  la  contrée. 
Ce  magnifique  manoir,  aux  tours  et  aux  crénaux  gothiques, 
était  l'œil-de-bœuf,  le  rendez-vous  scandaleux  de  tous  les 
mauvais  sujets  de  race  seigneuriale,  qui  se  trouvaient  dans 
le  pays  du  Comminges. 

Or,  au  mois  de  juillet  da  l'année  1612,  joyeux  ébats  et 
grande  réunion  étaient  au  château  de  Fronsac.  La  salle  dorée 
retentissait  de  rires  moqueurs,  de  propos  obcènes  et  de  cla- 
meurs bruyantes  ainsi  qu'on  les  entend  dans  une  orgie.  Déjà 
le  vin  du  Roussillon  et  de  la  Conque  fermentait  dans  toutes 
les  têtes,  lorsque  les  mignons  féodaux  engagèrent  ainsi  utie 
discussion  erotique. 

—  «A  la  plus  belle  du  comté  de  Comminges  !»  s'écrie  avec 
intention  Amaury  de  Fronsac  qui,  dans  sa  pose  bouffonne  , 


170  DE  BAGISÈRES-DE-LUCIION. 

caressait  d'une  main  sa  fraise,  et  de  l'autre,  élevait  comme 
par  défi,  un  rouge-bord  d'argent,  au-dessus  de  son  tricorne 
à  gland  d'or. 

—  «  S'il  en  est  une,  sans  doute,  c'est  Clotilde  de  Binos,  » 
répondit  fièrement  Jacques  de  Levy,  dont  l'air  prétentieux 
et  fanfaron  relevait  le  ridicule  de  ses  manières  grotesques. 
«  Honneur  donc  à  Clotilde  de  Binos,  ma  divine  cousine  !  » 

—  «  Halte-là,  beau  cousin  !  vociféra  alors  le  jeune  seigneur 
deGuran;  je  tiens  pour  honni  quiconque  de  vous,  messei- 
gneurs,  ne  déclarera  point  à  la  face  du  ciel,  qu'Anne  de 
St.-Jgnan,  est  la  plus  belle  damoiselle  du  comté  de  Foix. 

—  Tu  en  as  menti,  deGuran,  repartit  insolemment  Pierre 
d'Orthez:  il  en  est  une  dont  le  caslel  est  baigné  par  la  Ga- 
ronne, à  quelques  milles  des  Tours.  Celle-là  est  la  plus  belle 
des  belles  de  l'Aquitaine,  du  Languedoc  et  de  la  Gascogne. 
A  elle  seule  l'honneur  de  la  fête  !  » 

De  bruyantes  dénégations  suivirent  ces  différentes  protes- 
tations. Chacun  élevait  jusqu'aux  astres  la  beauté  et  la  vertu 
de  la  dame  de  son  cœur.  Les  défis  se  jetaient  en  face  ;  et  dans 
ce  pêle-et-mêle  de  cris,  d'enthousiasme  sentimental  et  de 
provocations  chevaleresques  qui  ébranlaient  les  voûtes  du 
château,  on  était  parvenu  à  ne  plus  s'entendre.  Les  rapières 
même  commençaient  à  être  mises  au  vent,  lorsque  Amaury 
de  Fronsac ,  s'écrie  avec  toute  l'énergique  étendue  d'une  voix 
accoutumée  à  dominer,  dans  les  montagnes,  les  cors  des 
piqueurs  : 

—  «  Tout  beau,  mes  mignons,  paix  et  silence!  quel  diable 
cherche  ainsi  à  jeter  au  milieu  de  vous,  la  pomme  de  la  dis- 
corde? ne  savez-vous  point  qu'on  n'a  ici  que  les  droits  de 
s'ébaudir?et  vous,  infâmes  lurons,  vous  alliez  frapper  d'estoc 
et  de  taille.  Patience,  preux  chevaliers  !  c'est  moi  qui  veux 
terminer  le  différend  que  j'ai  provoqué  le  premier.  Juges  et 
parties,  écoutez  !  » 

—  «  Ecoutez  de  Fronsac!  »  fut  le  cri  que  murmurèrent, 
nos  fringans  mauvais  sujets,  en  gagnant  tranquillement  leurs 
sièges  autour -d'une  table  dressée. 


DE    BAGNÈRE S-DE-LUCHON.  I  171 

iNi  Clotilde  de  Binos,  ,Tac({ues  de  Lévy  ;  ni  Anne  de  St. - 
Ignan,  de  Guran  ;  ni  la  belle  nayade  de  la  Garonne,  Pierre 
d'Orthez;  ni  aucune  de  toutes  vos  darnes,  mes  beaux  mignons; 
non,  aucune  d'elles  n'est  la  plus  belle,  repartit  Amaury  de 
Fronsac.  »  Il  en  est  une  autre  plus  modeste  qui  les  efface 
toutes  en  beauté,  en  vertu  et  en  esprit,  savez-vous  laquelle, 
jeunes  roués  ?  » 

«  Laquelle?»  répondirent  tous  spontanément  et  d'une 
voix  unanime. 

—  «  Laquelle  ?  humiliez-vous,  fiers  suzerains,  héritiers  de 
tanlde  manoirs  !  la  plus  belle,  c'est  Joséphine  de  Montespan.» 

—  «  Joséphine  de  Montespan  ?  s'écria  ironiquement  Ray- 
mond de  Navarre.  Oui,  la  plus  belle  ;  mais  c'est  la  tille  d'un 
pauvre  gentilhomme.  » 

—  «  Non  .-  celle  d'une  pauvre  et  jeune  veuve,  poursuivit 
froidement  de  Fronsac,  mais  dont  l'exaltation  du  cœur  tra- 
hissait sur  son  visage  une  terrible  émotion. 

—  «  Oui,  fille  et  mère  en  veuvage  :  c'est  là  sans  doute,  ce 
que  tu  veux  nous  avouer  mystérieusement,  n'est-ce  pas,  che- 
valier de  la  belle  Joséphine?  »   répondit  Raymond  d'Aure. 

—  «  Ta -bouche  en  a  menti  Raymond?»-  s'écria  d'un  air 
furieux,  de  Fronsac  ;  «  la  calomnie  d'un  mignon  ne  saurait 
flétrir  la  vertu  d'une  vierge.  Joséphine  est  la  dame  de  mes 
pensées  ;  mais  elle  a  toujours  dédaigné  mes  faveurs.  Je  suis 
le  petit  roi  des  montagnes  ;  eh  bien  !  je  jure,  par  ma  couronne 
Pyrénéenne,  que  je  lui  donnerai  la  moitié  de  mes  terres,  mon 
manoir  de  Fronsac,  que  tout  manant  salue  à  deux:  lieues  de 
distance,  et  ma  main,  pour  obtenir  de  sa  bouche  de  vierge 
une  parole  d'amour.  » 

—  «  A  d'autres  tes  serments,  Amaury  !  la  fille  d'un  ma- 
nant doit  avoir  trop  d'honneur,  en  acceptant  les  hommages 
d'un  seigneur.  Les  femmes,  sur  nos  terres,  ne  sont  elles  point 
notre  corvée?  sans  doute,  Joséphine  de  Montespan  est  fîère; 
mais  elle  céderait  à  mes  vœux.  Raymond  d'Aure  n'a  su 
jamais  trouver  des  cruelles  à  la  cour  ;  en  trouverait-il  dans 
son  comté?  qu'en  dites-vous,  messe igm îUEà  ?  « 


172  HISTOIRE  SPECIALE  ET  P1TOUESQUE 

—  «  Raymond  d'Ame  a  dit  vrai  :  »  s'écrièrent  en  applau- 
dissant, tous  nos  jeunes  libertins  ;  «  respect  à  nos  droits 
seigneuriaux  '.  » 

—  «  Honte  à  nos  droits  de  violence,  messires  !  et  toi  Ray- 
mond, je  le  jure  par  le  nom  de  Fronsac,  tu  trouveras  une 
cruelle  dans  Joséphine  de  Montespan.  Vous  riez,  mes  beaux 
cousins  ?  mais,  vous  semble-t-il   bon  de  tenter  l'épreuve  ? 

Allons  mettre  fin  à  vos  froides  plaisanteries Varlets,  » 

«'adressant  à  des  écuyers  de  service  placés  à  l'angle  de  la 
grande  salle,  m  nos  palefrois,  et  soyez  prestes!  Quant  à  vous, 
gentils  galans  »  se  tournant  du  côté  de  la  joyeuse  troupe, 
«  soyez  prêts  à  vous  rendre  aux  bains  de  Luchon.  Mous  trou- 
verons là  nombreuse  compagnie,  et  de  plus,  vous  y  verrez 
Joséphine  de  Montespan...» 

A  ces  mots,  chacun  empressé  se  dispose  au  départ.  Déjà 
le  cor  a  retenti  trois  fois  dans  la  vaste  cour  du  château  ;  et 
tous  nos  cavaliers  étaient  montés  sur  leurs  dextriers.  Le 
pont-levis  franchi,  on  se  dirigeait  à  courses  forcées  sur  la 
route  des  bains.  La  vallée  de  Luchon  ouvrait  déjà  son  passage 
à  la  troupe  joyeuse.  On  dépassait  Cierp  .-  elle  s'élargissait 
ensuite:  et  dans  toute  sa  longueur,  nos  jeunes  seigneurs 
n'avaient  pas  le  temps  d'admirer  leurs  belles  seigneuries  qui 
se  trouvaient  sur  leur  passage,  tant  ils  avaient  hâte  d'arriver 
au  but  de  leur  voyage  !  Déjà  le  château  deGuran  était  loin, 
bien  loin  derrière  eux  ;  le  dernier  bassin  de  la  vallée,  arrosé 
par  la  Picque,  s'offrait  à  leurs  regards  curieux  lorsqu'ils 
arrivèrent  à  la  ville.  Bagnères,  bâtie  entre  deux  montagnes; 
au  sein  des  Pyrénées,  n'était  composé  à  cette  époque,  que 
de  quelques  maisons  d'assez  triste  apparence;  de  chaumières 
recouvertes  de  paille,  d'une  cour  de  judicature  dont  l'édifice 
assez  régulier  domiuait,  au  centre,  toutes  ces  masures  et, 
enfin,  de  trois  vastes  hangards  qui  abritaient  les  sources  des 
eaux  thermales  et  qu'on  appelait  les  bains.  Malgré  cette 
pauvreté  de  construction,  la  foule  des  étrangers  abondait  à 
Luchon  pendant  la  saison  des  eaux.  Des  familles  riches  de 
'«'Aragon  et  de  la  Catalogne  ;  les  Capitouls  de  Toulouse,  les 


DE    BAG>ÈRES-DE-LUCHON.  175 

seigneurs  de  Mirepoix,  du  Comminges  et  du  Béarn  s'y  don- 
naient un  rendez-vous  annuel  de  fêtes  et  de  plaisirs.  Ce  même 
mois  de  juillet  de  l'année  1612  était  surtout  remarquable 
par  l'affluenoe  des  étrangers  réunis  eux  bains  de  Luchon. 

Nos  jeunes  seigneurs  ne  furent  donc  point  trompés  dans 
leur  attente.  A  l'entrée  de  la  ville,  leur  bienvenue  fut  saluée 
par  les  acclamations  des  nobles  châtelaines,  des  chevaliers, 
des  troubadours  réunis  autour  de  la  maison  du  Bailli,  et 
dont  l'air  retentissait  de  ces  mots  :  «  salut  et  joie  au  seigneur 
de  Fronsac  !  »  Le  Bailly  mit  à  leur  disposition  la  plus  belle 
salle  du  palais  de  justice  dont  la  troupe  joyeuse  prit  à  l'ins- 
tant même  possession. 

—  «  Raymond  d'Aure,  dit  alors  Ainaury  de  Fronsac,  au 
milieu  de  ses  compagnons  ébahis  de  la  réception  qu'on  venait 
de  leur  faire,  souviens-toi  de  ta  promesse,  car  ton  honneur 
est  engagé.  Ici  tu  pourras  surveiller  Joséphine  de  Montespan 
lorsque  tous  les  soirs  elle  revient  du  bain  :  l'heure  va  bientôt 
sonner  où  tu  la  verras  passer.  Et  vous,  mes  beaux  sires, 
s'adressant  aux  autres  seigneurs,  soyez  les  juges  dans  cette 
lutte  de  la  beauté.» 

Il  avait  à  peine  prononcé  ces  dernisrs  mots,  qu'on  vit  sous 
la  fenêtre  de  la  grande  salle,  s'écouler  légèrement  une  jeune 
vierge  qu'accompagnait  ces  paroles  flatteuses  des  assistants: 
Quelle  est  belle  !  Sa  taille  fine  et  élancée  était  serrée  par  une 
robe  de  couleur  sombre.  Des  cheveux  d'ébène  s'échappaient 
en  boucles  dessous  un  petit  bonnet  en  velours  de  jais,  et  de 
gros  yeux  noirs  fortement  arqués  se  dessinaient  sur  une 
figure  brune  dont  les  traits,  mélangés  de  douceur  et  de  pas- 
sions nobles,  exprimaient  la  bonté  d'un  caractère  franche- 
ment prononcé.  Un  jeune  Clerc,  au  manteau  court,  la  suivait 
à  peu  de  distance. 

—  «  C'est  elle  !  »  S'écrièrent  alors  nos  gentils  damoiseaux. 

—  «  Oui,  c'est  elle  ;  »  répondit  de  Fronsac,  «  et  le  pour- 
suivant, c'est  Pierre  de  Castelnau,  le  troubadour,  le  galant 
avoué  de  Joséphine  de  Montespan.  A  l'œuvre  maintenant 
beau  cousin  d'Aure  ;  joie  et  bonheur,  sires  de  Guran,  de  Lévy 


174  HISTOIRE  SPECIALE  ET  PITTORESQUE 

et  d'OrtbeZj  car  ce  n'est  plus  avec  Clotilde  de  Binos,  avec 
Anne  de  St.-Aignan,  ni  avec  la  belle  inconnue  des  bords  de 
la  Garonne  que  vous  allez  engager  la  partie.  Faites  donc 
valoir  vos  droits,  messeigneurs,  où  je  vous  tiens  pour  vain- 
cus. »  11  le  dit  avec  un  rire  moqueur,  et  dirigeant  ses  pas 
vers  une  porte,  il  disparut,  en  jetant  sur  ses  compagnons  un 
regard  de  mépris. 

Un  long  silence  se  fit  alors  dans  la  grand'  salle.  ISos  che- 
valiers galants,  stupéfaits  en  apparence,  restaient  immobiles. 
Mais  des  sentiments  divers  se  croisaient  dans  les  têtes  de  ces 
jeunes  esprits  froissés  par  les  dernières  parohs  de  Fronsac. 
L'exaltation  des  passions,  l'amour  propre  blessé,  leur  inspi- 
rèrent bientôt  un  parti  décisif.  Un  seigneur  qui  ne  pardon- 
nait jamais  une  offense,  interrompit  le  premier  ce  silence  : 

—  «  Que  tardez-vous,  sires,  de  vous  prononcer?»  dit  alors 
le  fougueux  marquis  de  Mirepoix  qui,  jusqu'à  ce  moment, 
avait  suivi  d'un  air  impassible  les  rôles  de  la  soirée.  «Is'avez- 
vous  point  souci  de  votre  honneur,  lorsque  l'insulte  tombe 
aussi  lourde  et  pesante  sur  nos  fronts?  Messires  courtois,  ne 
savez-vous  plus  agir?  cependant  Amaury  adore  Joséphine 
de  Montespan;  Joséphine  de  Montespan  est  la  plus  belle 
damoiselledu  comté  ;  elle  est  encore  trop  fière  pour  répondre 
à  vos  vœux,  et  pourtant  vous  devez  vous  venger  de  l'un  et 
de  l'autre  par  un  triomphe  sur  la  vertu.  Qu'hésitez-vous 
encore,  en  présence  d'une  gageure  d'honneur  ?  îs'avez-vous 
point  la  force  en  votre  pouvoir  ?  Un  enlèvement  violent  épou- 
vanterait-il de  si  braves  aînés  de  tant  d'illustres  maisons?  » 

A  ce  mot  magique  d'enlèvement,  tous  nos  libertins  tres- 
saillirent de  joie  ;  pas  un  seul  ne  refusa  de  se  prêter  à  un 
coup  de  main  si  friant  pour  des  Lovelaces. 

—  «  Que  de  Fronsac  meure  de  dépit  !  »  s'écria  alors  Ray- 
mond d'Aure  :  «  Je  le  jure  par  mes  tours  de  Valcabrère; 
dans  moins  d'ue  heure,  la  belle  Joséphine  de  Montespan 
sera  bâillonnée  et  livrée  à  notre  bon  plaisir,  messeigneurs. 
Maintenant  à  nous,  beaux  cousins  de  Guran,  de  Lévy  et 
d'Orlhcz.  l'appui  de  vos  bras  puissants  et  habiles  !  » 


DE    BAfiNÈnK-DK-U'CllO^.  175 


L'ENLÈVEMENT. 

La  nuit  était  sombre.  La  brise  du  soir,  soufflant  des 
Pyrénées,  apportait  un  vent  frais  qui  fesait  oublier  la  cha- 
leur d'une  journée  orageuse.  La  place  du  bailli ,  le  sentier 
des  sources,  les  avenues  des  maisons  étaient  encombrées 
d'hommes  et  de  femmes  qui  venaient  respirer,  à  l'envi,  avec 
d'un  libre  abandon,  l'air  délicieux  de  la  nuit.  Là,  c'é- 
taient des  chants,  d'aimables  causeries  qui  égayaient  une 
foule  attentive,  se  pressant  en  cercle  sur  des  sièges  de 
bois;  plus  loin  des  groupes  de  promeneurs  traversaient 
comme  des  ombres  rapides,  à  la  faveur  des  ténèbres,  un 
long  espace  qui  s'étendait  aux  deux  extrémités  de  la  ville. 
Le  marquis,  la  comtesse,  le  manant,  le  capitoul,  le  trouba- 
dour se  trouvaient  ainsi,  pour  la  première  fois,  confondus 
par  hasard  dans  ce  pèle  et  mêle  de  gens  de  toute  condition. 
A  cette  heure  de  bonheur,  Bagnères  ofTrait  l'image  riante 
d'une  fête  de  famille. 

Du  côté  de  l'Espagne,  au  bout  d'une  rue  isolée  et  sur  le 
penchant  du  coteau  où  's'élèvent  les  bains,  disparaissait 
dans  le  lointain  une  petite  maison,  seule,  de  forme  presque 
carrée  et  au  toit  brillant  d'ardoise.  Un  bosquet,  bordé  d'une 
large  prairie,  l'entourait  de  toutes  parts  comme  une  cein- 
ture mystérieuse.  Là,  deux  êtres,  aux  formes  capricieuses 
et  aux  contours  gracieux',  révélaient  ainsi ,  à  leurs  cœurs 
amoureux,  des  secrets  inconnus  à  la  foule  du  vulgaire. 

—  «  Joséphine,  disait  une  voix  tendre  qu'une  crainte  pu- 
dique semblait  voiler  à  demi  ;  après  une  longue  absence, 
qu'une  soirée  d'été  devient  ravissante  auprès  de  l'objet 
qu'on  adore!  Hier,  deux  ans  se  sont  écoulés  depuis  que  je 
te  laissai,  là,  toujours  belle,  toujours  aimante,  dans  les  bras 
d'une  mère  chérie.  Aujourd'hui,  je  te  revois  jolie  et  plus 
aimante  encore.  Sais-tu  pourtant,  tout  ce  que  l'éloignement 


176  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

a  de  cruel,  et  tout  ce  que  le  retour  apporte  avet  lui  de  délices? 
Que  de  tourments!  que  de  joies  !  » 

—  «  Mais  aussi,  Pierre,  que  de  souvenirs  agréables,  la  pré- 
sence de  l'être  qu'on  adore,  ne  dérobe-t-il  point  au  bonheur? 
Le  rêve  le  plus  enivrant  et  le  plus  suave  est  enfant  du  cœur 
et  del'absence.  Aussi  ne  me  suis-je  jamais  senti  plus  heureuse 
que  lorsque,  loin  de  toi,  je  berçais  mon  ame  de  tout  ce  que 
le  passé  et  l'avenir  me  promettaient  de  félicités  partagées 
ensemble.  Alors  ma  pensée  brûlante  s'attachait  à  ton  nom, 
comme  une  esclave,  et  te  poursuivait  aventureuse  dans  tes 
voyages  de  Trouvère.  Mon  cœur,  toujours  avec  toi,  Pierre, 
savourait  avec  orgueil  ta  gloire  et  ta  renommée  de  poète.  Le 
ciel  m'en  est  témoin  ;  j'étais  folle  d'espérance  et  d'amour.» 

—  «  Ange  de  ma  vie!  et  moi,. je  devais  à  ton  souvenir 
seul,  l'inspiration  de  mes  chants.  Dans  la  cour  du  Roi 
Philippe  comme  dans  celle  du  roi  de  France,  PierreCastelnau, 
le  dernier  des  troubadours,  ne  soupirait  qu'après  Joséphine 
de  Montespan  ;  et  ma  voix  libre  et  indépendante  n'essaya 
que  pour  elle  des  chants  d'amour.  Si  je  voyais  dans  les 
jardins  de  l'Alhambra  ou  dans  les  palais  des  souverains  de 
Madrid,  quelque  belle  Andalouse,  l'orgueil  des  beautés  espa- 
gnoles 5  oh,  me  disais-jc  alors,  les  montagnes  de  la  Garonne 
renferment  une  vierge  au  teint  plus  chaud,  aux  cheveux 
plus  soyeux  et  aux  traits  plus  divins  encore;  et  mon  cœur 
sans  hésiter  murmurait  doucement  ton  nom.  Si  dans  la  cour 
illustre  de  France,  si  dans  les  riches  manoirs,  de  nobles  da- 
mes, de  belles  châtelaines  offraient  au  troubadour  les  fa- 
veurs de  It  beauté;  merci,  gentes  demoiselles,  répondai-je 
alors,  je  ne  puis  être  votre  galant  avoué  en  tournée  d'amour; 
une  belle  a  reçu  déjà  ma  foi;  à  elle  j'appartiens,  elle  seule 
aura  ma  main  et  mon  cœnr;  et  j'essuyais  alors  une  larme  de 
souvenir.  Heureux  retour  !  tu  as  fait  cesser  mes  peines.  Au- 
jourd'hui et  pour  toujours  le  bonheur  doit  unir  et  confondre 
nos  destinées  sympathiques;  n'est-ce  pas  fille  de  mes  vœux? 

—  «Oui, Pierre,  répondit, tremblante  d'effroi  Joséphinede 
Montespan.  Car  une  ombre  venait  de  répou vanter.  Elle  avait 


DE    BAGNÈBES-DE-U'CIION.  1/7 

vu  s'agiter,  à  ses  côtés  les  arbres  du  bosquet,  et  dans  l'épais 
fourré  du  bois,  elle  avait  cru  distinguer  un  bruit  de  pas  et  de 
voix  humaines.  Tandis  que  son  oreille  attentive  la  confirmait 
dans  ce  pressentiment:  fuyons,  s'écria-elle,  entraînant  avec 
violonce  son  amant  vers  la  modeste  demeure  •  fuyons,  car 
nous  ne  sommes  point  en  sûreté  dans  ces  lieux.» 

Mais  à  peine  avaient-ils  fait  un  pas  de  retour,  que  tout-à- 
coup  quatre  spadassins  masqués  sortirent  précipitamment 
des  massifs  du  bois  et  se  jetèrent  avec  violence  sur  les  jeunes 
amants.  Deux  se  saisirent  de  Pierre  Castelnau,  qu'ils  retin- 
rent immobile  à  la  même  place,  sans  défense  et  comme  bâil- 
lonné par  une  puissance  invisible.  Les  deux  autres  empor- 
tèrent Joséphine  malgré  ses  convulsions,  sa  résistance  et  les 
cris  étouffés  qu'elle  s'efforçait  de  faire  entendre;  et  disparu- 
rent dans  le  bois.  Mais  suivant  un  sentier  détourné  qui  se 
perdait  derièrre  la  ville,  ils  s'arrêtèrent  devant  une  porte 
masquée,  basse  et  fort  étroite.  A  un  signal  convenu,  elle 
s'ouvrit,  et  nos  deux  spadassins,  réunis  aux  deux  compa- 
gnons, pénétrèrent  ensemble,  par  un  escalier  dérobé,  dans 
une  vaste  salle  élégamment  décorée,  et  toute  étincelante 
d'ornements  d'or,  déglaces  et  de  lumières. 

a  Triomphe  î  s'écrièrent-ils  alors,  voici  la  victime  :  et  ils 
déposèrent,  sur  un  lit  de  parade,  l'infortunée  amante,  pôle 
et  évanouie  » 

—  «  Hôtes  mystiques  de  ce  palais  enchanteur,  murmura 
alors,  avec  un  rire  satanique,  le  plus  vigoureux  des  masques, 
accourez  à  ma  voix  infernale,  et  venez  contempler  votre 
reine.» 

Il  dit,  et  la  tapisserie  s'ondule  comme  agitée  par  un 
léger  frôlement.  A  l'instant,  on  voit  entrer  lentement,  dans 
la  salle  d'honneur,  la  troupe  de  nos  libertins  dans  tout  le 
désordre  de  l'orgie.  Avinés  et  chancelants,  ces  nobles  héri- 
tiers de  tant  de  châteaux  accompagnent  leur  marehe  bachi- 
que de  cris,  de  jurons  et  de  sarcasmes. 

—  «Vive  Raymond  d'Aure  !  dit  alors  le  masque  à  la  haute 
stature;  il  a  gagné  cette  nuit  ses  éperons  en  véritable cheva- 


178  HISTOIRE    SPÉCULE    ET    PITTORESQUE 

lier.  Car  c'est  lui,  messeigncurs,  qui  a  su  ravir  cet  adorable 
fardeau;  »  et  il  accompagnait  ces  paroles  d'un  signe  indicatif 
de  sa  main  gigantesque  qui  montrait,  à  la  troupe  ébahie  , 
la  victime  innocente  de  leurs  passe-temps  seigneuriaux. 

—  «Honneur  plutôt  au  sire  de  Mirepoix,  qui  a  su,  en 
habile  ravisseur,  étouffer  les  cris  de  détresse  et  d'alarme  ;  » 
répliquèrent  en  cœur  les  trois  autres  masques  qui  dé- 
pouillant leurs  déguisements  ,  laissèrent  voir  les  traits  des 
seigneurs  d'Aure,  de  Lévy  et  d'Orthez  se  pressant  en  cercle 
autour  de  l'infortunée damoiselle. 

—  «  Oh  !  messire  de  Fronsac  ;  vous  êtes  maître  passé 
en  fait  d'expertise  d'amour;  »  dit  alors  Raymond  d'Aure, 
avec  un  accent  marqué  d'admiration  :  «  vous  aviez  raison, 
sur  mon  aine  !  de  déclarer  Joséphine  de  Montespan  la  plus 
belle  dame  de  notre  comté;  qu'en  pensez -vous,  mes  cousins  ?  » 
et  chacun  d'admirer,  dans  ce  libre  désordre  de  l'évanouis- 
sement, les  longues  tresses  de  ses  noirs  cheveux,  les  traits 
nobles  et  réguliers  de  son  visage  et  les  formes  ravissantes  de 
sa  taille  ployée  en  saillie  sur  son  litdeparade.  «Tout  beau!  » 
continua-t-il;  ne  vous  semblc-t-il  point,  au  mouvement  de 
ses  lèvres,  que  la  jolie  prisonnière  veut  reprendre  ses  sens 
pour  bazarder  un  aveu  d'amour.  Courage,  réveillez-vous, 
beile  dame?»  s'écria-t-il  alors  avec  une  voix  faussement 
adoucie.  «  Montrez-nous  vos  charmes  dans  toute  leur  ani- 
mation, et  surtout ne  soyez  point  cruelle  envers   un 

cavalier...  qui  vous  donne  sa  foi.  » 

En  prononçant  ces  derniers  mots,  il  penchait  sa  tête  sur 
le  front  de  la  vierge;  mais  elle  fit  un  mouvement  brusque, 
et  se  levant  tout-à-coup  ,  elle  s'établit  dans  une  pose  immo- 
bile. Ses  regards  se  portèrent  de  tout  côté,  comme  préocupés 
par  un  rêve  pénible.  A  la  vue.de  cette  troupe  curieuse  qui 
l'entourait,  le  nom  de  son  amant,  la  scène  du  bosquet,  le 
souvenir  de  l'enlèvement  lui  vinrent  à  l'esprit.  A  cette  pen- 
sée, des  larmes  de  désespoir  tombèrent  de  ses  beaux  yeux, 
et  se  jetant,  par  instinct,  aux  pieds  de  Raymond. 

—  «  Pitié  !  »   S'éeria-t-elle;    «  Pitié  pour  la  vertu  d'une 


1)F    HACNKRES-DF.-l.rCFlOX.  179 

pauvre  fetorae^  seule  en  votre  pouvoir.  «  Et  les  sanglots 
étouffaient  sa  voix  suppliante. 

—  «  Rassurez-vous,  belle  Joséphine;  o  répondit  alors  Ray- 
mond avec  .l'accent  d'une  feinte  douceur;  «  Nous  sommes 
des  fils  de  bonne  maison;  jamais  nous  n'abuserons  de  votre 
position  de  femme.  Pardonnez  plutôt  à  un  acte  désespéré  qui 
n'a  pour  but  qu'un  aveu  libre  de  votre  cœur.  » 

La  vierge  rassurée  par  ces  dernières  paroles  ; 

—  «  Que  voulez-vous  de  moi,  Messeigneurs  ?»  dit-ellealors 
en  se  relevant  avec  fierté  :  M  pensez-vous  que  la  violence  soit 
plus  forte  que  ma  volonté  ?  Si  vous  désiriez  de  moi  un  aveu 
libre,  pourquoi  me  ravir  brutalement  à  ma  mère  et  à  celui 
qui  m'est  le  plus  cher  après  elle  ?» 

—  «  Dame  de  mon  cœur,  »  poursuivit  Raymond  d'un  air 
plus  humble  que  la  dernière  fois  :  »  le  comte  d'Aure  votre 
souverain,  vous  adore  :  il  se  jette  à  vos  genoux,  mais  en 
demandant  sa  grâce,  il  implore  votre  amour.  Ma  courtoisie, 
gentilLe  dame,  trouvera,  sans  doute,  faveur  auprès  de  votre 
beauté-  » 

—  «  Partout  ailleurs,  seigneur,  j'aurais  donné  une  réponse 
à  votre  galanterie;  ici,  seule,  sans  appui,  livrée  aux  caprices 
de  mes  maîtres,  mon  devoir  est  de  me  taire.  » 

—  «  Il  nous  faut  pourtant  une  réponse  favorable,  ma  jolie 
dame,  »  vociféra  de  Guran,  impatient  de  voir  leur  rôle  de 
ravisseurs  transformés  en  celui  de  suppliants  par  Raymond; 
«  votre  main  et  votre  cœur  doivent  en  être  les  garants,  car 
le  seigneur  d'Aure  les  revendique  comme  sa  propriété.  » 

—  «  Il  le  faut,  »  répondirent  aussitôt  tous  les  nobles  gens 
du  complot;  «  il  le  faut,  pour  l'honneur  de  la  gageure;  il 
le  faut  pour  la  honte  de  messire  de  Fronsac  !  » 

—  «  Je  le  vois,  messeigneurs,  vos  supplcations  sont  des 
ordres.  Gens  de  noble  race,  vous  n'êtes  point  habitués  au 
refus  d'une  pauvre  fille.  Eh  bien  !  la  pauvre  fille  se  redres- 
sera et,  sans  crainte  comme  sans  prière,  elle  osera  vous  dire 
qu'elle  ne  donnera  jamais  sa  main  à  un  seigneur.  Je  suis,  il 
est  vrai,  en  vos  mains;  mais  le  désespoir  saura  me  servir  de 


180  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

défense.  Arrière  ?  »  Et  par  une  force  surhumaine,  elle  s'ouvre 
un  passage  à  travers  la  foule  de  nos  libertins  qui  la  voient 
se  diriger  vers  l'angle  de  la  salle. 

A  ces  paroles  violentes,  à  ces  actes  de  mépris,  la  troupe 
se  portait  à  des  menaces  brutales,  lorsqu'un  bruit  se  fait 
entendre.  La  porte  s'ébranle  et  cède  avec  violence.  Appa- 
raissent alors  à  tous  les  yeux  étonnés,  deux  cavaliers  :  l'un, 
enveloppé  d'un  large  manteau  noir  qui  cache  entièrement 
son  visage,  s'arrête  au  fond  de  la  salle  comme  pour  en  inter- 
dire l'entrée.  L'autre,  armé  d'une  épée,  se  jette  furieux  dans 
la  mêlée  :  c'était  Castelnau. 

—  «  Lâches,  s'écrie-t-il,  vils  ravisseurs  de  femmes,  à  moi 
maintenant  !  »  Ses  yeux  étincelants  de  rage,  en  cherchant 
une  victime,  trouve  son  amante;  il  vole  dans  ses  bras,  la 
presse  d'une  main,  lui  fait  un  rempart  de  son  corps  et  s'ani- 
mant  de  son  danger  :  «  Lâches,  dit-il,  venez  maintenant  me 
la  ravir  !  » 

-—  «  C'est  trop  d'insolence,  »  s'écria  de  Mirepoix,  <>  un  ma- 
nant, un  clerc  ose  nous  défier  !  Allons  ;  qu'il  cède  à  la  force  !» 

—  «  Arrêtez,  dit  l'hcmme  déguisé  qui,  se  découvrant, 
laissa  voir  sous  son  large  manteau  les  traits  d'Amaury  de 
Fronsac,  «  arrêtez,  mignons,  car  vous  êtes  vaincus  !  »  A  cette 
voix,  l'effervescence  s'apaise.  «  La  violence,  poursuivit-il, 
ne  serait  point  ici  loyale  et  vons  n'êtes  point  félons.  De  Gu- 
ran,  d'Orthez  et  de  Levy,  vous  devez  maintenant  tenir  José- 
phine de  Mon  tespan  pour  la  plus  belle  du  comté  de  Comminges, 
et  plus  encore  pour  la  plus  vertueuse;  et  toi,  Raymond 
d'Aure,  tu  poux  avouer  aujourd'hui  que  tu  as  trouvé  une 
eruelle.  Pour  preuve,  seigneurs  que  ces-sentiments  sont  les 
miens,  funis  Pierre  Castelnau  à  Joséphine  de  Monlespan  ;  je 
les  tiens  pour  les  plus  heureux  de  ma  suzeraineté  et  je  leur 
donne  mes  terres  de  Montespan  en  vasselage,  entendez-vous, 
seigneurs?  Et  vous  maintenant,  s'adressant  auM  amants, 
soyez  fortunés  !  Quant  à  nous,  joyeux  convives,  la  nuit  est 
sombre,  allons  continuer  l'orgie  au  château  de  Fronsac.  Mi 
prions,  vite  sur  vos  destriers  !  — 


LES  AVENTURES  D'll.\E  DANSEUSE, 


LA   FILLE  DES  PYRÉNÉES. 

Le  1 1  juillet  de  l'année  1804,  à  l'extrémité  de  la  vallée  si 
riante  et  si  pittoresque  de  Bagnères-de-Luchon,  dans  une 
modeste  chaumière,  isolée  au  pied  d'une  haute  montagne  qui 
l'abritait  de  ses  vastes  flancs  boisés,  une  jeune  et  pauvre  fille 
de  seize  ans,  seule,  sans  parents,  sans  amis,  éprouvait  les 
horribles  et  saintes  souffrances  d'un  premier  enfantement. 
Nulle  voix  tendre  et  charitable  ne  répondait,  là,  sous  le  toit 
de  sa  frêle  cabane,  aux  cris  déchirants  qui  brisaient  les  en- 
trailles de  cette  infortunée.  Louise  (c'était  son  nom),  n'avait 
que  Dieu  et  ses  remords  pour  témoins  de  la  naissance  d'un 
enfant  qu'elle  appela  Marie,  nom  suave  et  consolant  pour 
son  cœur  de  mère. 

Cependant  la  pauvre  fille  ne  lésait  que  commencer  une 
longue  existence  de  douleurs  et  de  déceptions,  dont  les  illu- 
sions si  douces  et  si  tendres  delà  maternité,  pouvaient  à  peine 
dérober  à  son  imagination  les  premières  angoisses.  Dans  le 
village,  Louise  était  méprisée  par  toutes  ses  compagnes;  les 
mères  la  montraient  à  leurs  filles  comme  un  objet  d'horreur, 
et  les  vieilles  femmes  l'offraient  dans  la  vallée,  comme  l'uni- 
que exemple  de  la  corruption  du  siècle.  11  était  bien  difficile 
a  la  jeune  mère  de  soutenir  une  existence  de  besoins  et  de 
nécessités  qui  la  rendaient  tributaire  de  sessembla^leç,  avec 

.  12 


18:2  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

une  telle  réputation  <[ui  la  flétrissait  ainsi  à  leurs  yeux,  tous 
les  jours  et  à  toute  heure.  Si  la  séduction  fut  un  grand  crime 
pour  l'homme  qui  lui  avait  ravi  l'honneur,  de  son  côté,  elle 
eut  plusieurs  lois  l'occasion  de  se  repentir  d'avoir  été  son 
innocente  victime.  Aussi,  dans  cet  état  de  continuels  mépris 
qu'on  lui  jetait  à  la  face,  comme  des  remords  sur  une  faute 
impardonnable,  s'était-elle  arrêtée  souvent  à  des  idées  de 
désespoir  et  de  suicide.  Mais  le  souvenir  de  son  enfant,  ainsi 
qu'une  inspiration  du  bon  ange,  effaçait  de  son  esprit  de  si 
sombres  pensées.  Elle  vécut  donc  pour  sa  tendre  fille,  et  tra- 
versa, avec  elle,  tous  les  obstacles  qui  l'arrêtait  au  début 
d'une  carrière  si  malheureusement  commencée. 

Marie  grandissait  néanmoins,  tous  les  jours,  au  milieu  des 
soins  ingénieux  et  des  travaux  continuels  que  sa  mère  savait 
se  créer  pour  soutenir  sa  frêle  existence;  car  Louise,  jeune 
encore,  et  jolie,  douce,  sage  et  prévenante,  malgré  le  souvenir 
de  sa  faute  qui  l'avait  d'abord  frappée  de  réprobation,  forçait, 
par  toutes  ses  vertus  privées,  le  respect  et  la  bonté  des  habi- 
tants de  la  vallée.  Elle  ne  vivait  plus  que  pour  sa  fille  qui, 
déjà  à  huit  ans,  fesait  l'admiration  de  tous  ceux  qu'elle  appro- 
chait. Quoique  née  dans  l'obscurité  de  la  chaumière,  les  traits 
de  Marie  se  développaient  avec  grâce  et  régularité  ;  sa  petite 
taille  était  admirable  dans  ses  contours  naissants,  et  sous  des 
habits  simples  et  propres,  on  ne  reconnaissait  point  en  elle 
la  fille  d'une  paysanne.  D'ailleurs  à  ces  grâces  du  corps  se 
joignaient  encore  celles  de  l'esprit;  car  sa  mère  ne  s'épargnait 
aucuns  sacrifices  pour  former  son  intelligence.  Aussi,  sa  fille, 
avait-elle,  à  son  âge,  des  connaissances  qu'on  peut  à  peine 
espérer  dans  les  autres  enfants. 

C'est  au  milieu  de  ces  soins  continuels  que  Marie  avait 
atteint  l'âge  de  qatorze  ans,  sans  avoir  jamais  connu  les  pri- 
vations et  les  besoins  de  la  vie,  lorsque  sa  mère  résolut  de  la 
conduire,  pour  la  première  fois,  à  Bagnères-de-Luchon. 
C'était  en  1818.  La  saison  des  bains  s'offrait  cette  année,  sous 
les  plus  heureux  auspices.  La  beauté  d'un  été  radieux,  les 
fatigues,  et,  par  suite,  les  délassements  d'une  politique  brû- 


DE  BAGNKKES-DE-LIXHON.  lMÔ 

lante  de  fureurs,  la  vogue  avaient  attiré  à  Hagnères  une  foule 
nombreuse  de  gens  de  toute  condition.  Des  marquis,  des 
comtes,  des  généraux  de  l'empire,  des  pairs  de  France,  des 
ministres,  des  dandys  et  des  femmes  galantes,  se  pressaient 
autour  de  ces  Thermes  bienfaisants,  et  venaient  respirer  dans 
les  montagnes,  l'air  pur  des  Pyrénées.  Au  sein  de  ce  monde 
élégant;  et  parmi  les  fêtes  et  les  plaisirs  bruyants  qui  nais- 
saient sous  les  pas  de  ces  riches  étrangers,  Louise  et  sa  fille 
admiraient,  en  silence,  tant  de  bonheur  et  de  félicités.  D'un 
autre  côté,  l'air  noble  et  distingué  de  la  jeune  Marie,  la  faisait 
remarquer  par  tout  ce  que  la  petite  ville  renfermait  d'élégants 
et  de  riches  personnages  Sa  taille  élancée,  ses  beaux  cheveux 
noirs  et  sa  ligure,  dont  les  traits  nobles  et  gracieux  étaient 
fortement  accentués  lui  avaient  mérité,  auprès  de  tous  ces 
admirateurs,  le  surnom  de  jeune  Romaine 

Mais  cette  admiration  générale  avait  frappé  plus  particu- 
lièrement l'imagination  vive  et  poétique  de  la  jeune  comtesse 
d'Harcourt  qui  demanda  à  voir  la  jeune  et  belle  personne. 
Soit  bienveillance  de  sa  part,  soit  orgueil,  vanité  ou  amour- 
propre  de  coquette,  la  comtesse  offrit  a  la  mère  de  prendre 
sa  fille,  avec  elle,  sous  sa  protection. 

—  «  Elle  sera  heureuse,  dit-elle,  avec  moi;  j'en  ferai  ma 
compagne.  »  Une  telle  proposition  convenait  admirablement 
aux  rêves  de  bonheur  et  de  félicité  que  Louise  avait  formés, 
plus  d'une  fois,  sur  le  berceau  de  sa  fille.  Mais  se  séparer  de 
son  enfant!  cette  idée  torturait  son  ame,  Marie  au  contraire, 
se  réjouissait  de  la  faveur  que  le  hasard  lui  offrait;  elle  se 
voyait,  enfin,  dans  un  bien  être  et  dans  une  de  ces  positions 
brillantes  qu'elle  ambitionnait  depuis  longtemps.  La  fortune 
et  le  bonheur  avaient  souri,  plus  d'une  fois,  dans  la  chaumière 
de  sa  mère,  à  sa  jeune  et  vive  imagination.  Elle  accueillit  donc 
avec  une  secrète  joie  la  proposition  de  la  comtesse  d'Harcourt 
et,  se  séparant  enfin  de  sa  mère  qui  ne  pouvait  l'arracher  de 
son  sein,  elle  partit  en  poste  pour  la  capitale.  Une  autre  Vie 
et  des  mœurs  nouvelles,  commencèrent  alors  à  s'offrir  à  son 
imagination  impressionnable;    elle  oublia  bientôt  les  lieux  de 


Î84  H1STQIRB    .SPÉCIALE    £1     PITTORESQUE 

sa  naissance,  et  la  cliaumii-requi  la  vit  naître.  Aussi,  le  pre- 
mier changement  qu'elle  opéra  dans  ses  habitudes  pyrénéen- 
nes, fut  de  quitter  le  costume  de  son  pays  et  de  transformer 
(sacrilège  profanation!)  son  nom  de  Marie,  que  sa  mère  lui 
donna  en  venant  au  monde,  en  celui  iïErnestine .  Alors  com- 
mença, pour  elle,  cette  vie  d'aventures  et  de  travestissements 
dont  nous  allons  esquisser  quelques  traits. 


LES  SALLONS  ET  LE  BALLET. 

La  fortune  de  Mme  d'Harcourt ,  et  la  réputation  de  beauté, 
d'esprit  et  de  bon  ton  dont  elle  jouissait  dans  la  capitale, 
faisaient  de  ses  salons  un  des  plus  brillants  et  des  plus  suivis 
de  Paris.  Des  maréchaux  de  France  aux  manières  impéria- 
listes, des  fils  de  riches  émigrés,  chargés  d'or  et  de  dignités, 
à  la  suite  des  Bourbons  ;  d'élégantes  baronnes  d'autant  plus 
ennivrées  de  plaisirs  et  de  toilettes  qu'elles  avaient  connu  de 
plus  près  les  dénuement  de  l'exil,  des  généraux  ennoblis  par 
la  cour,  des  marquis  de  bonne  souche,  des  jeunes  conseillers 
d'état  connus  par  leur  dandysme,  en  un  mot,  tous  les  régimes 
répandus  à  la  cour,  comme  à  la  ville,  étaient  représentés  dans 
l'hôtel  de  la  comtesse  d'Harcourt.  Aussi,  l'hiver  de  cette  année, 
1818,  est-fc-il  mémorable  dans  l'Histoire  de  la  Fashion  pari- 
sienne, soit  par  les  plaisirs  dont  se  montraient  prodigues  les 
nobles  parvenus,  soit  par  les  fêtes  brillantes  dont  la  jeune 
comtesse  se  déclarait  la  reine.  Mais  ce  qui  réhaussait  encore 
l'éclat  de  ces  soirées  si  délicates,  par  leur  exquise  urbanité, 
c'étaient  les  grâces  du  corps  et  de  l'esprit  de  celle  qui  en  faisait 
les  honneurs.  Vive,  enjouée  comme  une  coquette,  sévère 
comme  une  prude,  spirituelle  et  gaie  comme  un  vaudevil- 
liste, Mme  d'Harcourt,  selon  les  circonstances  et  l'exigence  du 
moment,  savait  prendre  tour  à  tour  les  formes  et  les  allures 
convenables  à  cette  société  si  variée,  d'ailleurs,  de  mœurs,  d« 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  185 

goùls  et  de  caprices.  Cette  souplesse  d'esprit  n'était  pas  le 
moindre  triomphe  qu'elle  put  remporter  ;  les  nombreux  ado- 
rateurs qui  se  pressaient  encore,  tous  les  jours,  dans  son 
boudoir,  prouvaient  suffisamment  qu'elle  avait  d'autres  titres 
à  cette  idolâtre  préférence. 

Ainsi  s'écoulèrent,  joyeusement  pendant  plusieurs  années, 
les  soirées  d'hiver  des  salons  de  la  jeune  comtesse  d'Hareourl. 
qu'on  plaçait  au-dessus  de  tous  cmix  qui  s'ouvrirent  dans  1h 
capitale,  pendant  la  première  époque  de  la  restauration.  Er- 
nehïntt,  la  pauvre  fille  des  Pyrénées,  parut  d'abord  s'étonner 
de  cette  nouvelle  vie,  entièrement  excentrique  pour  ses  goûts 
modestes.  Elle  semblait  devoir  s'abituer  difficilement  aux 
exigences  de  sa  nouvelle  position,  tant  l'éclat  de  la  grandeur 
de  sa  protectrice  éblouissait  ses  yeux  novices  et  peu  faits  à  ce 
luxe  et  à  ces  profusions  de  la  fortune.  Mais  accoutumée  à  voir, 
tous  les  jours,  de  plus  près  ce  qui  d'abord  avait  frappé  singu- 
lièrement son  imagination,  elle  se  familiarisa  peu  à  peu  avec 
les  hochets  du  grand  monde.  La  jeune  comtesse,  qui  lui  avait 
paru  d'abord  comme  un  être  mystérieux,  d'une  nature  diffé- 
rente à  la  sienne,  étudiée  dans  son  boudoir,  où  elle  était  sa 
confidente,  perdit  à  ses  yeux  insensiblement  de  son  prestige. 
Les  faiblesses  de  la  coquette,  ses  caprices,  ses  fantaisies,  nui 
sirent  considérablement  encore  a  la  considération  quEr/u-stmr 
aurait  dû  conserver  dans  son  cœur,  pour  sa  protectrice.  Enfin., 
l'éducation  futile  qu'elle  recevait  aux  dépens  de  la  comtesse 
d'Harcourt,  qui  voulait,  selon  son  expression,  rehausser  les 
grâces  matérielles  de  la  paysanne,  par  tons  les  agréments  d<* 
la  société.  Unirent  par  lui  tourner  la  tête.  Il  n'en  fallait  pas 
autant.  Aussi,  à  dix-sept  ans,  c'est-à-dire  après  trois  ans  de 
séjour  à  Paris,  elle  était  parvenue  à  ce  degré  d'imitation  tel- 
lement perfectionné  qu'on  n'aurait  su  dire  s'il  était  au-dessus 
ou  au-dessous  de  la  coquette.  L'antichambre  et  les  secrets  du 
boudoir  avaient  changé  le  cœur  de  la  fille  simple  et  naïve  des 
montagnes  ;  l'orgueil  et  la  passion  devaient  le  pervertir,  en  le 
rendant  ingrat. 

Parmi  les  habitués  des  salons  de  la  comtesse  iVHarcourt.  on 


486  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

remarquait  principalement  le  jeune  marquis  d'Orval.  Fier  de 
sa  naissance  et  d'une  fortune  considérable,  épris  de  ses  belles 
formes  physiques  qui  le  faisaient  regarder  comme  le  plus  beau 
cavalier  de  Paris,  le  marquis  cherchait  à  jouer  le  rôle  du 
Love  lace  de  l'époque.  La  plupart  des  femmes  de  distinction, 
comme  les  petites  bourgeoises,  étaient  asservies  à  ses  lois;  et 
il  comptait  ses  bonnes  fortunes  par  centaines,  lorsqu'il  porta 
ses  hommages  aux  pieds  de  la  jeune  comtesse  d'Harcourt. 
Déjà  leur  intimité  n'était  plus  un  mystère  pour  personne.  On 
en  répandait  la  nouvelle  aux  théâtres,  à  l'Opéra,  sur  les  Bou- 
levards, lorsqu'un  incident  en  rendit  la  rupture,  éclatante  et 
scandaleuse. 

Dans  une  soirée  de  l'année  1821,  une  foule  nombreuse  et 
des  plus  brillantes  se  trouvait  réunie  dans  les  salons  de  la 
comtesse,  qui,  assise;  sur  une  bergère,  présidait  un  cercle  richo 
et  élégant.  Jamais  on  ne  l'avait  vu  plus  belle;  ses  beaux  che- 
veux, blonds  retombaient  en  boucles  ondoyantes  sur  ses 
planches  épaules  ;  une  couronne  de  roses  et  de  rubis  pressaient 
sa  belle  tête  grecque,  et  une  robe  de  brocart  et  d'or  se  des- 
sinait en  larges  replis  au  dessons  d'une  taille  de  déesse.  A  ses 
côtés,  sur  le  derrière  de  son  trône,  Ernesiine  dont  les  cheveux 
noirs  d'ébène,  négligemment  rattachés  et  une  simple  robe 
blanche  formaient  toute  la  parure,  se  tenait  à  l'écart,  les  yeux 
modestement  baissés,  comme  pour  obéir  aux  ordres  delà 
reine  de  la  fête.  Il  était  difficile  de  dire  laquelle  des  deux 
pouvait  être  la  plus  belle,  de  la  comtesse  ou  de  la  jeune  sui- 
vante. Cependant  tous  les  yeux  se  portaient  avides  sur  la  belle 
fU'iir  des  Pyrénées.  Ses  yeux  noirs  fortement  dessinés  ;  son 
front  large  où  deux  bandeaux  noirs  glissaient  sur  une  peau 
d'albâtre,  une  taille  divine  et  une  jeunesse  de  dix-sept  ans 
faisaient  donner  la  préférence  à  la  jeune  fille.  Ce  fut  au  milieu 
de  cette  attention  générale  et  au  moment  où  la  comtesse 
d'Harcourt  se  promettait  un  triomphe  assuré  pour  sa  vanité, 
qu'on  demanda,  de  toutes  parts,  une  walse.  On  applaudit  a 
cette  proposition.  Tandis  que  les  premières  notes  d'un  piano 
cl  d'une  harpe  résonnaient  un  accord  et  que  déjà  l'on  se 


m    JJ.Ui^LBES-Dfc-LtJCHOiN.  187 

disposait  au  plaisir  de  la  danse,  les  cavalrers  par  le  choix  de 
leurs  dames,  et  les  dames  en  rajustant  les  plis  capricieux  de 
leurs  robes;  l'acomtesscd'Harcourt,  se  retournant  vers  le  jeune 
marquis  d'Orval  qui  n'avait  pas  encore  engagé  sa  danseuse  : 

—  Marquis,  lui  dit-elle,  votre  galanterie  est  eu  défaut;  re- 
nonceriez-vons  ainsi  à  la  walse?  Allons,  voyons,  un  peu  de 
complaisance. 

—  Vous  trouveriez,  sans  doute  étrange,  comtesse,  que  je 
tusse  le  seul  à  ne  pas  répondre  à  votre  aimable  invitation  ? 
répartit  le  marquis  un  peu  déconcerté;  mais  il  est  des  exi- 
gences que  je  ne  puis  surmonter  et  je  crains- .  .  . 

—  Allons,  marquis,  répondit  la  comtesse,  en  lui  tendant 
une  main  obligeante,  la  musique  commence,  sacrifiez*  vous 
avec  grâce  ? 

—  Nous  le  voulez,  madame?  Eh  bien  !  je  vous  obéis. 
Aussitôt  le  marquis,  distrait  et  fougueux,  «s'avance  de  trois 

pas  et  va  prendre  la  main  d  Ernestine,  au  moment  où  la  walse* 
était  déjà  commencée;  et  se  plaçant  à  son  rang,  il  entraîne 
dans  le  tourbillon  la  jeune  fille  qui  s'y  prête  avec  orgueil.  Ce 
mouvement  singulier  de  prédilection  fut  aperçu  d'une  partie 
de  l'assemblée  qui,  les  yeux  iixés  sur  le  marquis  et  sur  sa 
dame,  suivent  tous  leurs  pas.  Une  autre  partie  des  danseurs 
se  retire  du  cercle,  afin  d'admirer  mieux  à  leur  aise  cette 
nouvelle  et  singulière  intronisation.  Enfin,  le  marquis  seul  et 
Ernestine  emportés  par  le  mouvement  de  la  musique,  exécu- 
tent les  mesures  vives  et  rapides  de  la  walse.  On  admire  la 
souplesse,  la  légèreté  et  les  poses  ravissantes  de  la  jeune  lille; 
cette  grâce  d'action  et  d'élasticité  provoque,  dans  l'assemblée, 
de  vives  comparaisons  :  «  Veslris  ne  danserait  pas  mieux  »  , 
disait  un  maréchal  de  France  :  »  Je  doute,  disait  un  due,  que 
Mlle  Dorival  eût  autant  de  grâces  et  de  noblesse.  Ce  fut  au 
milieu  de  toutes  ces  flatteuses  comparaisons,  que  le  marquis 
d'Orval  ramena  sa  belle  Ernestine  sur  le  siège  de  sa  domes- 
ticité. 

Un  silence  morue  succéda  aussitôt  à  la  folle  vivacité  de  la 
danse,   ou  murmurait  néanmoins,   par   intervalle     quelque*. 


188  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

mots  entrecoupés;  la  comtesse,  gênée  sur  son  trône,  prétexta 
une  migraine  qui  la  forçait,  malgré  elle,  de  se  retirer  un 
instant  dans  son  boudoir;  ses  salons  furent  fermés  depuis  ce 
moment,  et  ils  ne  s'ouvrirent  plus  dans  la  suite.  Le  lendemain 
tout  Paris  apprit  la  déconvenue  de  Mme  la  comtesse  d'Harcourt 
et  l'enlèvement  de  sa  jeune  suivante  qui  vint  habiter  dans  la 
rue  Richelieu,  l'hôtel  fameux  du  marquis  d'Orval.  Le  fau- 
bourg Saint-Germain  s'entretint  longtemps  de  ce  double 
scandale  qui  fut  oublié,  à  son  tour,  au  milieu  de  tant  d'autres. 
Ainsi  vont  les  choses  à  Paris. 

Trois  ans  après  cette  aventure  qui  était  passée  du  souvenir 
des  contemporains,  peu  soucieux,  sans  doute,  de  se  rappeler 
les  noms  de  la  comtesse  d'Harcourt,  du  marquis  d'Orval  et 
d'Ernestine,  une  affiche  du  théâtre  de  Toulouse  annonçait 
une  représentation  extraordinaire,  donnée  par  une  première 
danseuse  en  passage  et  qui  était  de  grand  renom  sur  les  théâ- 
tres de  Rouen,  de  Bordeaux,  de  Marseille  et  de  Lyon;  elle 
devait  figurer  dans  le  ballet  intitulé  :  Les  amours  de  Vénus, 
en  trois  actes,  de  D anche t  et  Campra.  Ce  genre  de  spectacle 
était  nouveau  pour  les  Toulousains,  toujours  avides  de  musi- 
que: aussi  le  directeur  se  promettait-il  bonne  recette;  il  ne 
se  trompait  pas. 

C'était  le  14  juin  de  l'année  1824  que  la  première  danseuse 
en  passage  s'annonçait  sur  le  théâtre  du  Capitole.  Le  spectacle 
devait  commencer  à  sept  heures  du  soir  et  la  salle  était  déjà 
comble  à  cinq  heures.  Les  balcons,  les  loges  avaient  été 
envahis  par  tout  ce  que  la  cité  comptait  de  plus  élégant.  Les 
trépignements  du  parterre,  l'impatience  des  premières  que 
composait  un  flot  mouvant  de  riches  toilettes  témoignaient 
de  l'avide  attente  des  spectateurs  dont  tous  les  yeux  étaient 
lixés  sur  l'avant-seène.  Tout-à-coup  le  rideau  est  levé,  des 
applaudissements  frénétiques  éclatent  de  toutes  parts,  à  la 
vue  de  la  première  danseuse  qui  s'avance  sur  la  scène  sous  le 
costume  de  la  déesse  des  amours.  Un  voile  léger  couvrait  ses 
formes  délicates  et  suaves;  les  grâces  d'une  immortelle  as- 
sortaient de  toute»  ses  poses.  Mais  ce  n'était  là  que  le  prélude 


I»E  BAGNERLS-DK-UUlOiV  189 

d'un  triomphe;  car  tout-a-coup,  et  au  moment  où  l'orchestre 
annonce  la  rentrée  des  deux  compagnes  de  la  déesse,  les  trois 
Grâces,  les  pas  sublimes  et  gracieux  de  la  danseuse  ravirent 
d'admiration  les  spectateurs.  Des  applaudissements  nombreux 
retentirent  avec  fureur:  des  couronnes  jonchèrent  les  planches 
et,  depuis  ce  moment,  la  danseuse  qui  n'était  autre  qu'Ernes- 
tine,  ne  cessa  d'enlever  les  suffrages  de  l'assemblée. 

—  «  Jamais,  depuis  la  création  du  monde  un  semblable 
talent  n'avait  paru  sur  la  terre.  »  Telles  étaient  les  expressions 
dont  se  servait  un  journaliste  de  l'époque,  en  pariant  de  cette 
soirée  et  de  celle  qui  en  avait  l'ait  les  honneurs. 


INTRIGUES  ET  DENOUEMENT, 

I^es  représentations  suivantes  qu'Ernestine  donna  sur  h* 
théâtre  de  Toulouse  finirent  par  lui  acquérir  la  bienveil 
lance  générale  d'un  public  admirateur,  avide  de  son  talent. 
Mais  si,  comme  artiste,  elle  avait  remporté  le  triomphe  le 
plus  complet  et  le  plus  flatteur  pour  son  amour-propre,  sa 
beauté  séduisante,  ses  bonnes  manières  et  surtout  la  finesse 
de  son  esprit,  qui  avait  franchi  les  secrets  de  la  coulisse, 
pour  servir  de  thèse  aux  conversations  des  salons  de  la  ville, 
lui  avaient  fait  éclore  un  grand  nombre  d'adorateurs.  A  vingt 
ans,  quand  on  est  belle,  spirituelle  et  première  danseuse,  on 
peut  se  promettre  des  conquêtes.  Ernestine  avait,  au  reste, 
depuis  long-temps  l'habitude  de  ces  sortes  de  victoires,  et  la 
vertu  n'était  plus  pour  elle  un  obstacle  pour  arriver  à  lu 
fortune  par  la  voiedes  sentiments  et  des  passions. 

Parmi  les  lions  de  l'époque,  Toulouse  comptait  alors  Iroâs 
loustics  de  première  race  :  l'un,  fils  d'un  riche  émigré  qut 
jouissait,  en  propre,  d'une  fortune  de  soixante  mille  livres 
de  rente  et  d'une  habileté  plus  rare  encore  à   les  dépenser  ; 


\ 


190  HISTOIRE  SPÉCULE  ET  PITTORESQUE 

un  célèbre  avocat,  très-célèbre  aussi  par  ses  aventures 
scandaleuses,  et  un  célibataire,  ex-banquier,  vieux  rentier 
alors  et  que  l'on  disait  cousa  d'or  comme  un  Crésus.  Ces 
trois  notabilités  de  la  chronique  scandaleuse  s'étaient  pro- 
mis en  secret  d'emporter,  d'assaut  les  faveurs  de  la  belle 
danseuse.  Les  compétiteurs  avaient  tous  ,  comme  on  dit, 
une  position  sociale  bien  assise  ,  c'est-à-dire  qu'ils  étaient 
riches.  Mais  ils  différaient  considérablement  dans  l'ordre 
de  la  naissance  et  de  l'âge.  Le  premier  était  jeune-,  libre  de 
corps,  d'esprit  et  de  tuteur  ;  le  second,  d'un  âge  mur,  se 
trouvait  enchaîné  dans  les  liens  de  l'hyménée;  le  troisième, 
vieux  célibataire,  cacochyme,  se  ressentait  des  primitives 
{tassions  de  sa  jeunesse,  par  habitude  et  par  caprice.  L'or 
et  la  séduction,  qu'ils  jetèrent  avec  profusion  aux  pieds  de 
la  danseuse,  la  trouvèrent  insensible. 

Toutes  les  tentatives  individuelles  étaient  devenues  inu- 
tiles, lorsque  le  vieux  célibataire,  M.  Rustan ,  résolut  de 
frapper  un  dernier  coup  à  la  porte  de  la  cruelle  qui  refusait 
son  cœur,  ses  hommages  et  ses  présents.  11  demanda  donc 
une  audience  particulière  à  la  jolie  déesse,  pour  expliquer 
en  sa  présence  ses  dernières  volontés.  Il  est  refusé  dans  ce 
simple  désir. 

—  Parbleu,  dit-il,  fatigué  de  tant  d'instances,  nous  ver- 
rons bien  si  un  homme  d'honneur  comme  moi  peut  être 
ainsi  impunément  méprisé. 

Il  faisait  en  lui-même  ces  réflexions  au  sortir  du  spec- 
tacle, où  son  imagination  exaltée  par  tant  de  séductions, 
venait  d'être  frappée  par  un  refus  formel  que  son  valet  de 
pied  lui  avait  signifié  dans  sa  loge,  par  ordre  de  la  danseuse. 
N'écoulant  alors  qua  sa  passion,  M.  Rustan  qui  se  sentait 
rajeunir  sous  le  poids  de  ses  soixante-dix  ans,  se  dirige  vers 
la  rue  Matabiau,  et  pénétrant  dans  le  logement  de  Mlle 
Ernestine  il  attend  sa  rentrée  du  théâtre  avec  la  fierté  d'un 
romain.  Une  secrète  jalousie  le  portait  encore  à  cet  excès  de 
bravoure  ridicule.  Il  attendit  avec  calme  mais  non  sans 
anxiété,  le  retour  de  la  sylphide  qui,  en  ce  moment,  entrait 


DE    BAGNKUES-DE-LUCHON.  191 

dans   ses   appartements,  accompagnée  d'une  duègne. 

—  Mademoiselle,  dit  alors  M.  Rustan,  en  suivant  ses  pas 
jusques  dans  le  sanctuaire  des  amours;  mademoiselle,  par- 
donnez à  mon  audace,  si  j'ose  violer  ainsi  le  secret  de  votre 
demeure.  Mais  désespéréde  vos  refus,  je  viens  apprendre  de 
votre  bouche  même  l'arrêt  qui  me  force  de  m'éloigner  de 

vous.  Parlez »  en  prononçant  ces  mots,  il  disposait  sans 

trop  de  façon  d'un  siège  pour  s'asseoir. 

—  Ma  conduite,  monsieur,  répondit  avec  gravité  et  mo- 
destie, l'aimable  danseuse,  n'a  pas  besoin  d'explications. 
Vous  vous  êtes  mépris  en  m'adressant  vos  billets  et  vos 
offres,  je  vous  pardonne,  M.  Rustan  ,  mais  c'est  à  cause  de 
votre  erreur.  Je  suis  fâchée  que  mes  pareilles  ne  vous  aient 
pas  habitué  à  tant  de  rigueur. 


-  Mais  cette  rigueur. 


—  Est  sans  capitulation,  Monsieur  Rustan,  répartit  avec 
vivacité  l'interlocutrice;  on  ne  transige  jamais  avec  sa 
conscience.  La  vertu  ne  connaît  point  de  semblables  conces- 
sions. 

Ces  dernières  paroles,  prononcées  avec  un  ton  grave  et 
solennel  déconcertèrent  le  vieux  séducteur.  Il  balbutia  quel- 
ques mots  et  demanda  la  faveur  de  voir  la  belle  déesse  ;  non 
plus  en  termes  de  visites  équivoques,  mais  comme  ami. 

Des  relations  établies  d'une  manière  si  brusque  et  habile- 
ment conduites  par  la  jolie  déesse,  finirent  parètre  sérieuses 
par  la  suite.  Car,  à  la  veille  d'une  dernière  représentation 
qui  devait  clôturer  d'une  manière  brillante  l'engagement  de 
Mlle  Ernestine,  comme  première  danseuse,  en  passage  à 
Toulouse,  la  ville  apprit  avec  douleur,  mais  non  sans  force 
quolibets,  son  mariage  avec  M.  Rustan,  le  riche  célibataire. 
Ce  désapointement  général  fut  suivi  du  départ  précipité  des 
deux  époux  qui  allèrent  ensevelir  les  joies  de  leur  hy menée 
dans  le  bruit  et  le  mouvement  de  la  capitale.  Nous  ne  trou 
blerons  point  les  instants  de  leur  repos  et  de  leur  bonheur 
en  dévoilant  un  à  un  les  secrets  de  leur  vie  intime.  Nous 
dirons  seulement  que  le  vénérable  mari  ne  vécut  que  peu 


192  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

d'aimées  avec  son  augusle  épouse,  qui  en  fut  délivrée  heu- 
reusement, le  10  du  mois  d'octobre  1829,  par  suite  d'un 
asthme  humide.  Cette  mort  laissa  à  la  veuve  de  M.  Rustan, 
pour  la  consoler  de  cette  perte,  une  fortune  d'environ  qua- 
rante mille  livres  de  rente. 

C'est  dans  cette  haute  position  sociale  que  la  révolution  de 
1830  trouva  Mme  de  Rustan  ,  qui  s'était  ennoblie  pendant 
son  veuvage  et  qui,  pour  se  mettre  à  la  hauteur  de  sa  posi- 
tion; occupait  le  même  hôtel  de  Mme  la  comtesse  d'Harcourt 
que  des  malheurs  de  famille  et  de  fausses  spéculations  avaient 
forcée  de  se  retirer  à  la  campagne-.  Mme  de  Rustan  se  trouva 
plus  à  son  aise,  dans  cet  hôtel  où  douze  ans  auparavant,  elle 
avait  été  en  domesticité.  Cette  dernière  circonstance  ne  se 
réveilla  pas  dans  son  imagination  qui  trouvait,  dans  les 
souvenirs  de  M.  d'Orval,  d'autres  motifs  d'illusions.  Aussi, 
comme  si  elle  eût  voulu  faire  revivre,  dans  ce  magnifique 
séjour,  toutes  les  joies  et  les  plaisirs  qui  l'avit  rempli,  à  l'é- 
poque des  soirées  de  la  comtesse  d'Harcourt,  elle  ouvrit  ces 
mêmes  salons.  Mais  cette  fois  ce  fut  sous  son  unique  patro- 
nage et  en  faveur  de  la  nouvelle  aristocratie,  née  des  bar- 
ricades. Là,  on  vit  tel  avocat  et  tel  journaliste  qui,  après 
avoir  défendu  les  principes  républicains,  à  une  époque  où 
ils  n'étaient  que  citoyens,  s'annoncèrent  avec  la  morgue  des 
marquis  de  l'ancien  régime.  En  un  mot ,  les  salons  de 
Mme  de  Rustan  n'étaient  fréquentés  que  par  des  ministres, 
des  députés,  des  conseillers-d'état,  des  receveurs  aux  gages 
de  la  nouvelle  révolution.  Un  autre  ordre  de  choses  et  de 
récents  personnages  s'étaient  naturellement  substitués,  sous 
ces  mêmes  lambris,  au  régime  et  aux  nobles  de  la  restaura- 
tion. Ainsi  vont  les  destinées  des  hommes. 

La  réputation  de  Mme  de  Rustan  et  son  influence  politi- 
que étaient  proverbiales  dans  Taris  comme  en  province. 
Tout  le  monde  connaissait  son  intimité  plus  que  particulière 
avec  un  des  ministres  de  l'époque  ;  c'est  ce  qui  alimentait 
ta  chronique  scandaleuse  des  journaux  grands  et  petits, 
lorsque  le  hasard,  le  désœuvrement  et  plus  que  tout   cela 


DE  B.VfiNKIlKS-nF-U'UlON.  105 

l'ambition  de  parvenir  conduisit  à  la  capitule  Auguste 
d'Hauteville,  jeune  avocat  d'une  petite  ville  de  province. 
Des  lettres  de  recommandation  lui  avaient  été  données  en 
grand  nombre,  comme  c'est  l'usage  en  pareille  occurrence, 
lorsqu'il  partit  pour  Paris  en  1832.  Mais  ces  missives  de 
complaisance  lui  furent  moins  utiles  que  la  présentation 
d'un  ami  de  son  pèreàMmc  de  Rustanqui,  selon  l'expression 
originale  de  ce  protecteur,  tenait  le  haut  bout  dans  la  saeièlê 
parisienne.  En  effet  la  jeune  veuve  se  prit  d'affection  pour 
ce  jeune  homme  qui  voulait,  disait-elle  avec  raison,  l'aire 
son  chemin.  Elle  le  prit  sous  sa  sauvegarde  ;  et  lorsque  le 
moment  fut  venu  de  le  produire  : 

—  Auguste  d'Hauteville,  lui  dit-elle,  votre  avenir  est  près 
de  se  réaliser.  Vous  saurez  bientôt  à  quelle  condition. 

—  Ma  reconnaissance  pour  vous,  Madame  ..  . 

—  Ne  parlons  pas  de  reconnaissance,  Auguste,  inter- 
rompit-elle; entre  vous  et  moi  ce  mot  doit  être  rayé  de  la 
conversation.  Il  y  a  plus  que  cela  encore,  entendez-vous, 
Auguste?  Elle  accompagna  ces  dernières  paroles  d'un  sourire 
plus  qu'affectueux. 

—  Je  suis  pénétré,  Madame Mais  je  n'ose...  serait-il 

vrai? 

Eh  oui,  certainement,  répondit  la  jeune  veuve  ;  vous 
m'avez  fait,  depuis  trois  mois  que  vous  habitez  dans  mon 
hôtel,  des  déclarations  que  j'accepte.  Jusqu'alors  j'avais 
feint  de  ne  pas  vous  comprendre.  Mais  le  temps  est  enfin 
venu  de  s'expliquer.  Voilà  ma  main  et  votre  nomination  de 
président  dans  votre  chef-lieu  de  département- 

—  Oh!  Madame,  que  vous  me  ravissez  ;  c'est  deux  bon- 
heurs à  la  fois  que  vous  m'accordez. 

—  Oui,  Auguste,  voilà  où  conduit  le  mérite  d'un  jeune 
homme.  Quant  à  moi,- je  serai  fière  d'être  appelée  désormais 
Mme  la  présidente  d'Hauteville. 


194  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

IV" 
INGRATITUDE  ET  MALÉDICTION. 

Deux  maris  en  moins  de  six  mois,  une  immense  fortune 
et  une  présidence  avaient  fait  oublier  à  Mme  d'IIauteville  ses 
premiers  débuts  dans  !a  carrière  des  amours  et  du  théâtre. 

La  considération  et  les  flatteries  dont  l'entourèrent  encore 
les  notabilité  du  chef-lieu,  opérèrent  en  elle  une  de  ces 
transformations  morales  qui  ne  laissent  plus  le  souvenir  du 
passé.  Elle  ne  voyait  autour  d'elle  que  le  rêve  des  grandeurs 
et  l'orgueil  de  sa  position,  dans  ce  bien-être  d'une  existence 
toute  d'honneurs  et  de  fortune.  Elle  vivait  ainsi ,  depuis 
quatre  ans  dans  cet  atmosfphère  de  félicités  et  d'illusions, 
lorsque  M.  le  président  d'IIauteville  résolut  de  faire  une 
partie  aux  bains  de  Bagnères-de-Luchon.  Les  graves  préoc- 
cupations de  la  magistrature  avaient  ruiné,  en  quelque  sorte, 
la  santé  robuste  de  ce  jeune  d'Aguesseau  ;  les  thermes  bien- 
faisants devaient  la  réparer.  M.  le  Préfet  et  Mme  la  Préfète 
devaient  l'accompagner;  il  n'était  pas  fâché  de  cette  cir- 
constance pour  faire  briller,  au  pied  des  Pyrénées  et  au 
milieu  du  cercle  d'étrangers  qui  fréquentaient  Luchon,  l'es- 
prit et  les  grâces  de  JVlm«  la  présidente.  C'était  là  le  secret 
amour-propre  que  se  promettait  de  satisfaire  M.  d'Hauteville. 

En  conséquence,  le  8  juillet  de  l'année  4837,  une  voiture, 
de  poste  à  quatre  chevaux  partait  de  l'hôtel  de  la  présidence 
et  se  dirigeait  en  toute  hète  vers  les  Pyrénées.  Un  beau  ciel 
d'azur  s'étendait  sur  la  tête  des  voyageurs.  Le  soleil  était 
rayonnant  dans  l'espace  et  la  nature  s'épanouissait  riche  de 
tout  l'éclat  d'un  printemps  radieux  Le  lendemain  du  départ 
une  élégante  calèche  louchait  les  premières  lignes,  de  la 
riante  vallée  de  Luchon  ,  lorsque  pour  monter  un  petit 
coteau  qui  était  le  dernier  terme  de  la  roule  ,  les  voyageurs 
mirent  pied  à  terre. 


DE  BAGNÈftES-M-LUCHOtf.  193 

—  Que  la  nature  est,  belle!  s'écria  M.  le  Président  d'Hau- 

leville,  en  portant  do  tous  cotes  ses  regards  admirateurs. 
Ni  les  montagnes  de  la  Suisse,  ni  les  Alpes,  continua-t-il, 
ne  sauraient  égaler  les  Pyrénées. 

—  Oh  la  délicieuse  vallée  !  exclama  M.  le  Préfet,  en  voyant 
dérouler  tout-à-coup  à  ses  yeux  cette  large  pelouse,  au  mi- 
lieu de  laquelle  s'élevait  comme  une  reine,  la  villa  de  Luchon. 

Chacun  des  interlocuteurs  exprimait  alternativement  son 
admiration  sur  chaque  objet  qui  frappait  leurs  regards; 
Mme  la  Préfète  et  Mme  la  présidente  partageaient  l'étonne- 
mentde  leurs  augustes  époux.  Arrivés  au  sommet  du  coteau, 
les  voyageurs  se  disposaient  à  monter  dans  leurs  voilures, 
lorsqu'une  pauvre  femme,  courbée  par  le  malheur  et  la 
misère,  plus  que  par  l'âge,  s'approche  de  ces  heureux  du 
siècle,  en  leur  tendant  une  main  suppliante. 

—  Donnez,  disait-elle  avec  une  voix  tremblante,  donnez 
quelque  chose  à  la  pauvre  infortunée? 

Elle  répétait  souvent  avec  importunité  cette  même  prière, 
en  suivant,  les  yeux  baissés,  les  deux  couples  heureux  qui 
rejoignaient  à  pas  forcés  les  voitures  qui  les  attendaient.  La 
figure  hâve  et  amaigrie,  haletante  de  fatigue,  la  pauvre  femme 
agitait  péniblement  ses  haillons  sur  ses  faibles  jambes,  afin 
de  n'être  pas  en  arrière  de  tous  ces  riches  étrangers  .- 

—  Donnez,  répétait-elle  plusieurs  fois,  donnez  donc  quel- 
que chose  à  la  pauvre  infortunée? 

Mais  on  était  sourd  à  la  prière  que  la  pauvre  femme  fesait 
retentir,  pour  la  dernière  fois,  à  leurs  oreilles,  alors  que  les 
couples  voyageurs  s'arrêtaient  devant  leurs  voitures.  L'infor- 
tunée, debout,  immobile,  en  face  de  la  portière,  les  regardait 
monter  sur  le  marche-pied  du  carrosse  élégant,  quand  lout- 
à-coup  et  au  moment  où  Mmc  la  présidente  se  détournait 
pour  prendre  la  main  de  son  époux,  elle  a  reconnu  des  traits 
qui  sont  familiers  à  son  cœur.  A  cette  vue,  la  pauvre  femme 
pousse  un  cri  de  surprise  qui  frappe  d'étonnement  les  augus- 
tes étrangers  ;  elle  chancelle  et  tombe.  Un  instant,  la  pitié 
semble  avoir  pénétré  dans  leurs  cœurs.  M.  le  président  lui 


196  HISTOIRE    SPÉCULE    ET    PITTORESQUE 

môme  allait  relever  l'infortunée.  Lorsque  Mme  la  Préskjente, 
d'abord  un  peu  embarrassé,  reprenant  toul-a-coup  sou  air 
naturel .- 

—  Qu'on  fouette  les  chevaux  dit-elle;  j'ai  hâte  de  voir 
ces  délicieux  vallons  qui  s'élargissent  devant  nous.  M.  d'Hau- 
te ville,  fermez  la  portière? 

Le  lendemain,  aux  premiers  rayons  de  l'aurore,  la  pauvre 
femmequ'on  avait  laissée  évanouie  sur  la  voie  publique,  vint 
s'asseoir  sur  le  seuil  de  l'hôtel  où  M.  le  président  d'Haule- 
ville  était  descendu  la  veille.  Chaque  domestique,  valet  de 
pied  ou  bonne  qui  descendaient  des  appartements  du  pre- 
mier, trouvaient  cette  infortunée  leur  tendant  la  main  ,  en 
murmurant  ces  mots  : 

—  Dites  à  votre  bonne  dame  que  Louise,  la  pauvre  mère 
de  Marie  lui  demande  un  peu  de  pain. 

Cette  manière  assez  originale  d'invoquer  la  charité  des 
personnes  fut  rapportée  à  Mme  la  présidente  qui  envoya  une 
pièce  de  dix  sous  à  la  mendiante.  Elle  accompagna  la  géné- 
rosité de  ce  don  par  ces  paroles  ; 

—  Allez  porter  cela  à  cette  vieille  folle  ;  et  surtout  qu'on 
la  chasse  des  abords  de  mon  logement.  Qu'elle  ne  s'offre 
point  à  ma  vue  ! 

Lorsque  la  mendiante  eut  appris  les  ordres  de  la  prési- 
dente, de  la  bouche  même  de  son  laquais  qui  lui  remettait 
l'aumône  de  sa  maîtresse,  elle  se  releva  convulsivement  et. 
reprenant  le  reste  de  vigueur  qui  s'échappait  de  son  corps 
amaigri  : 

—  Allez  porter  cette  aumône  à  celle  qui  me  l'envoie,  s'é- 
cria-t-elle  en  jetant  la  pièce  de  monnaie  à  ses  pieds,  dites-lui 
que  j'estimais  sa  vie  à  un  plus  haut  prix,  demain  fera  trente- 
trois  ans,  Ah  !  continua-t-elle,  la  grande  dame  ne  veut  pas 
voir  mes  haillons  qui  la  font  rougir.  Eh  bien!  je  reste  ici, 
moi,  et  je  publierai  devant  tout  le  monde  le  déshonneur  de 
sa  naissance.  Dites-lui  que  le  ciel 

Elle  ne  put  continuer,  tant  l'émotion  et  la  colère  se  pres- 
saient dans  son  sein.  Elle  se  roula  sur  les  dalles  des  mon  Vif 


DE  BAGNÈRÉS-DÉ-LUCHON.  197 

de  l'hôtel  et  tomba  dans  une  espèce  d'engourdissement  moral 
et  de  prostration  intellectuelle. 

Le  soir  de  la  môme  journée,  la  voiture  de  M.  le  président 
d'Hautevilleet  son  équipage  reprenaient  la  routede  Toulouse. 
Mme  la  présidente  avait  éprouvé  des  maux  de  nerfs  et  une 
langueur  qui  exigeaient  un  changement  subit  d'air  et  de  cli- 
mat. Le  déménagement  et  le  départ  s'exécutèrent  le  plus 
promptement  possible.  La  nuit  fut  calme.  La  mendiante  re- 
vint le  matin,  et  on  lui  apprit  que  la  grande  dame  avait 
quitté  Bagnéres-de-Luchon. 

—  Elle  est  partie!  s'écria  alors  la  pauvre  femme.  Elle  est 
partie!  oh!  c'était  bien  elle.  Pauvre  mère!  plus  rien  pour 
toi  que  la  honte,  le  mépris  et  la  misère...  oui,  le  mépris  ! 
le  mépris  de  sa  fille.  Malédiction  sur  elle  et  sur  sa  race! 
maintenant,  je  suis  libre,  s'écria-t-elle,  après  quelques  ins- 
tants de  silence;  rien  ne  m'attache  plus  sur  cette  terre  in- 
grate. A  pareil  jour,  le  11  juillet,  il  y  a  déjà  trente  trois 
ans  j'aurais  dû  cesser  de  vivre  :  la  pauvre  femme  se  tût. 

La  mendiante  triste  et  pensive  prit  alors  le  chemin  de  sa 
cabane;  elle  se  renferma  sous  le  modeste  toit  de  chaume  et 
vingt-quatre  heures  après  un  cadavre  desséché  fut  porté  en 
terre  sans  prêtre,  sans  parents,  sans  amis.  C'était,  dieait-on, 
dans  le  village,  le  corps  d'une  damnée. 

Maintenant,  la  prostituée  du  marquis  d'Orval,  la  danseu- 
se d'Opéra,  la  veuve  de  Rustan,  la  présidente  d'Hauteville 
pourra  désormais  venir  respirer  l'air  pur  des  Pyrénées, 
dans  la  belle  vallée  de  Luchon.  Elle  ne  verra  plus  la  men- 
diante, assise  à  la  porte  de  son  hôtel,  comme  un  remords 
au  fond  de  la  conscience  d'uucoupable.  Mais  elle  y  trouvera 
quelque  chose  de  plus  terrible  :  la  malédiction  d'une  merc 
et  un  suicide  ! 


\:\ 


MARGUERITE,  LA  FILLE  DU  DOUANIER 


ou 


LA  VALLÉE  D'ASTO. 


Le  1 5  août,  solennité  de  l'Assomption  de  la  Vierge,  le  bruit 
et  le  mouvement  des  étrangers  qui  emplissaient  la  petite  ville 
de  Luchon,  se  communiquaient  aux  vallées  environnantes. 
Bagnères,  cette  reine  de  nos  montagnes,  transmet,  tous  les 
ans,  à  la  saison  des  bains,  quelque  chose  de  sa  grandeur  et  de 
sa  fortune  à  toute  la  contrée  qui  se  presse  autour  d'elle.  Mais, 
ce  mois  et  cette  année  qui  servent  de  date  à  notre  récit, 
Bagnères-de-Luchon  avait  effeuillée  sa  couronne  de  reine  des 
montagnes  pour  épandre  çà  et  là,  les  mille  joyaux  qui  lui 
servaient  de  fleurons.  En  d'autres  termes  et  pour  parler  sans 
figure,  les  eaux  de  Luchon,  cette  année,  avaient  attiré  une 
foule  si  considérable  d'étrangers  qu'il  était  impossible  de  les 
contenir  dans  l'enceinte  de  la  ville. 

Aussi  qu'arrivait-il?  C'est  que  ceux  qui  n'étaient  appelés 
auprès  de  ces  Thermes  que  pour  des  motifs  d'agréments  et  de 
plaisirs,  profitaient  de  leur  séjour  dans  les  Pyrénées  pour 
visiter  les  riantes  vallées  qui  s'étendent  autour  de  la  ville  des 
bains.  Les  vallées  du  Lys,  de  l'Hospice,  de  Larboust,  d'Oueil 
étaient  sillonnées,  dans  tous  les  sens,  par  déjeunes  et  de  belles 
dames  ou  par  d'intrépides  Touristes,  avides  de  tout  admirer. 
Quel  mouvement  ?  quelle  vie  ?  surtout  après  le  silence  et  le 
repos  si  solennels  de  l'hiver  ! 


DE    BÀGxNÈHES-DE-LlXHOiX.  199 

Néanmoins,  une  seule  vallée  restait  plongée  dans  le  mystère 
du  calme  et  de  la  paix  que  ne  troublaient  point  les  courses 
bruyantes  des  turbulents  visiteurs  des  Pyrénées.  Cette  vallée 
était  celle  d'Asto  qui  se  prolonge  à  l'extrémité  de  la  vallée  de 
Larboust,  autour  des  flancs  de  laquelle  on  la  voit  se  dérober, 
comme  un  enfant  épouvanté  et  craintif,  se  cache  et  se  dérobe 
dans  le  sein  de  sa  mère. 

Or,  ce  môme  jour  du  mois  d'août,  fête  de  l'Assomption  de 
la  Vierge,  le  soleil  se  levait  pur  et  brillant  dans  un  ciel  bleu 
et  sans  nuages.  Ses  rayons  étincelants  de  lumière,  bornés  dans 
l'horizon  des  Pyrénées  par  de  hautes  montagnes,  n'éclairaient 
pas  encore  la  riante  vallée  d'Asto,  assise  comme  un  oasis  du 
désert,  au  milieu  des  prairies,  des  bois  et  des  ombres  fugitives 
de  la  nuit.  Tout  dormait  dans  ce  frais  et  sublime  paysage 
de  la  belle  nature.  Bergers,  troupeaux,  femmes,  enfants, 
aucun  de  ces  êtres  de  la  création  ne  semblait  de  long-temps 
vouloir  donner,  ce  jour-là,  signe  de  vie.  Tout  était  plongé 
dans  le  repos.  Silence  solennel  qui  ravissait  l'âme  de  tendres 
émotions;  bonheur  indicible  qu'il  n'est  permis  de  goûter  seu- 
lement qu'au  sein  des  Pyrénées  ;  repos  des  bonnes  gens  qu'on 
ne  retrouve  plus  que  dans  ces  vallons  perdus,  ignorés  des 
montagnes  ;  malheur  à  qui, dans  la  pureté  de  son  cœur,  n'a  pu 
jamais  s'inspirer  des  charmes  de  votre  délicieuse  poésie  ! 

Cependant  le  village  d'Oo,  situé  à  l'extrémité  auguleuse 
de  la  vallée,  sur  un  plateau  de  verdure,  entouré  de  forêts,  de 
sources  jaillissantes  et  de  pics  gigantesques,  sortait  du  calme 
de  la  nuit  et  avait  secoué,  seul,  parmi  tant  d'autres  village?, 
les  voiles  du  sommeil.  Car,  dès  les  premières  clartés  de  l'aube 
naissante,  la  cloche  de  la  modeste  chapelle  avait  réveillé  les 
échos  endormis  de  ces  lieux  solitaires,  et  à  ses  sons  religieux, 
s'était  marié  déjà  le  bruissement  domestique  des  habitants. 
Or,  ce  mouvement,  ce  réveil  matinal  du  village  au  fond  de 
la  vallée  ombreuse,  annonçaient  de  grands  préparatifs,  de 
joies  ineffables.  Plus  d'un  cœur  de  jeune  fille  s'était  laissé 
surprendre,  pendant  les  rêves  de  la  nuit,  aux  tendres  espé- 
rances qui  devaient  l'agiter  dans  la  journée.  Car  ce  jour  étail 


200  HlSTOffiE  SPÉCIALE  ET  PITORESQUE 

celui  de  la  fête  patronale  d'Oo.  Tous  les  ans  la  solennité  de 
l'Assomption  est,  pour  les  montagnards  de  ce  coin  des  Pyré- 
nées, le  seul  jour  d'oubli  qu'ils  se  permettent  dans  le  cercle 
perpétuel  de  leurs  travaux  annuels  ;  c'est  la  halte  la  plus  douce 
dans  le  cercle  de  leur  vie  laborieuse,  le  sentiment  le  plus 
exquis  de  leur  existence  au  milieu  des  absorbantes  occupations 
de  la  brute.  Il  ne  faut  donc  point  s'étonner,  si  ce  jour  de  fête 
excitait  tant  d'empressement  à  l'heure  où  le  soleil  commençait 
à  peine  à  paraître  sur  l'horizon. 

—  M.  Charles,  dit  alors  un  hôte  de  ces  lieux  qui  avait  de- 
vancé le  réveil  de  l'aurore,  à  un  jeune  étranger  arrivé  de  la 
veille,  et  que  le  trop-plein  de  Luchon  avait  engagé  à  visiter 
ces  lieux  ;  M.  Charles,  levez-vous,  l'aubade  va  commencer  ; 
la  musique  patronale  ne  doit  point  vous  surprendre  endormi. 
Entendez-vous  déjà  les  chants  de  notre  jeunesse?  c'est  le 
signal  du  réveil.  Qu'on  vous  trouve  donc  sur  pied  comme  tous 
les  autres  ;  il  faut  ça  dans  nos  montagnes. 

En  effet,  quelques  instants  après,  quatre  commissaires,  au- 
trement nommés  compagnons,  bariolés  de  rubans  de  mille 
couleurs  et  ornés  de  bouquets,  suivis  de  trois  ménétriers,  se 
présentèrent  devant  la  demeure  de  l'hôte  de  Charles  qui  fut 
gratifié,  à  son  tour,  d'un  concert  matinal.  Chaque  habitant 
avait  été  déjà  honoré  d'une  pareille  sérénade.  C'était  pour  le 
jeune  étranger  le  commencement  d'une  fête  qui  promettait 
devoir  être  bien  agréable.  Ses  espérances  ne  furent  point 
déçues.  Car,  il  put  admirer  successivement,  avec  son  regard 
observateur,  le  naïf  empressement  des  habitants  de  tous  les 
points  de  la  vallée  qui  se  rendirent  en  foule  à  l'invitation  de 
leurs  parents  et  de  leurs  amis  du  village  d'Oo  ;  leur  tenue 
simple  et  religieuse  aux  offices  de  la  samte  chapelle,  décorée 
avec  une  simplicité  élégante  et  rustique;  enfin,  les  mœurs 
patriarchales,  les  usages  antiques  gardés  pendant  les  repas 
dont  une  joie  franche  et  cordiale,  telle  qu'on  n'en  voit  plus, 
faisait  tout  l'ornement.  Il  n'est  point  jusqu'à  la  parure  des 
jeunes  tilles,  à  la  familiarité  de  leur  langage  et  au  laisser-aller 
sans  prétention  de  la  danse  qui  ne  fissent  l'admiration  de 
Charles. 


DE    BA6NÈBES-DE-LUCH0N.  201 

—  «  C'est  bien  là,  disait-il  souvent  en  lui-même,  le  bonheur 
que  l'on  cherche  dans  les  villes  et  qu'on  ne  retrouve  qu'ici  !» 

Et  clans  ces  moments  d'observation,  il  pouvait  à  peine  con- 
tenir l'enthousiasme  qui  absorbait  entièrement  toute  son 
existence. 

—  Que  la  méditation  est  douce  dans  ces  heures  si  rares 
de  satisfaction  intérieure!  Que  la  solitude  a  des  charmes, 
disait-il,  lorsque  l'àme  vient  de  contempler  de  semblables  ta- 
bleaux tracés  par  la  main  de  la  providence  !  on  est  jaloux  de 
partager  seul  ce  bonheur ,  tant  on  voudrait  le  communi- 
quer si  p8u  au  reste  des  humains. 

Sous  l'influence  de  ces  pensées  généreuses,  Charles  tom- 
bait insensiblement  dans  de  mélancoliques  rêveries. 

—  «  Pourquoi  Dieu,  s'écriait- il  alors,  ne  nous  a-t-il  point 
fait  n'aître  avec  la  même  destinée  !  Pourquoi  ce  bonheur 
n'est-il  point  celui  de  tous  les  jours  de  notre  vie?»  Et  pendant 
qu'il  donnait  ainsi  dans  son  esprit  un  libre  cours  à  ces  ré- 
flexions philantropiques,  il  venait  d'être  le  spectateur  obligé 
de  toutes  les  félicités  de  ces  bonnes  gens  du  village.  Leurs 
joies,  leur  éclatante  allégresse  arrivaient  encore  par  inter- 
valles à  son  oreille,  comme  le  bruit  lointain  d'une  vague  ex- 
pirante ;  tandis  qu'échappé  pour  un  moment  à  cette  atmos- 
phère de  délicieux  plaisirs ,  il  contemplait  non  loin  du  lieu 
de  la  fête,  l'horizon,  les  paysages  et  les  accidents  si  variés 
de  la  montagne  qui  encadrait  la  scène. 

D'un  côté,  c'était  le  port  de  Venasque  qui  semblait  se  per- 
dre dans  la  brume  du  ciel,  ainsi  qu'un  sillon  fantastique  tracé 
dans  les  nuages;  c'était  le  pic  Quaïrat  qui,  semblable  à  un 
vieillard  brisé  par  les  années ,  ne  montrait  que  ses  ossements 
décharnés  de  granit  ;  c'était,  enfin  Super-Bagnères,  le  château 
de  Castel- Vieil ,  Bocaner  dans  le  lointain  qui  apparaissaient  à 
sa  vu  enchantée,  comme  des  hôtes  gigantesques,  dignes  d'a- 
voir ces  vallons  et  ces  montagnes  pour  demeures.  Dans  ces 
moments  d'absorbante  contemplation  : 

—  Jacques,  disait-il  souvent  avec  une  curidSïté  toujour- 


202  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

nouvelle,  à  son  guide  montagnard,  quel  est  ce  pic  qui  s'é- 
lève si  majestueusement  devant  nous? 

—  C'est  le  pic  de  la  Picade,  monsieur;  répondait  sans  trop 
de  façon,  le  cicérone  du  pays. 

—  Et  ce  passage  étroit  qui  se  dessine  entre  ces  deux  mon- 
tagnes couvertes  de  sapins,  qui  s'étend  sur  de  riches  pelou- 
ses, s'évase,  s'alonge  et  se  perd  aux  pieds  de  ce  rocher  sour- 
cilleux? 

—  C'est  le  col  du  Lys ,  le  rendez-vous  de  tous  les  bergers 

de  la  vallée  qui  se  réunissent  là  pour  garder  les  troupeaux. 
Demain  je  dois  y  conduire  mes  vaches. 

—  Et  ce  site,  au  milieu  de  la  montagne,  ombragé  par  une 
touffe  d'arbres  groupés  autour  d'un  toit  de  chaume? 

—  Oh  !  pour  celui-là  il  n'a  pas  de  nom  dans  la  contrée; 
depuis  deux  ans  seulement ,  on  appelle  ce  lieu  la  cabane  du 
douanier.  Hem!  c'est  là  qu'est....  Mais  il  vous  importe  peu  à 
vous  qui  n'aimez  que  le  paysage,  comme  vous  dites  souvent. 

—  Voyons  Jacques, que  renferme  de  mystérieux  cette  ca- 
bane? répliqua  Charles  étonné  de  cette  réserve;  un  tueur  de 
contrebandiers,  sans  doute:  quelque  sorcier  peut  être?  que 
dis-tu,  Jacques? 

—  Oh  !  non  monsieur;  c'est  la  demeure  de  Marguerite,  la 
tille  du  douanier;  voilà  tout. 

Et  puis 

Il  fut  impossible  d'arracher  d'autres  explications  de  la 
bouche  du  guide  qui  gardait  un  silence  obstiné.  Le  jeune 
étranger  sentit  redoubler  encore  plus  sa  curiosité  par  la  dif- 
ficulté môme  qu'on  opposait  à  la  satisfaire.  Et  prenant  un  ton 
d'impatience  naturel  à  son  âge: 

—  Eh  bien,  dit-il,  puisque  tu  me  fais  des  mystères  sur 
cette  Marguerite,  je  veux  la  voir.  Est-elle  dans  sa  cabane? 

—  Toujours. 

—  M'accompagneras-tu  sur  la  montagne? 

—  Je  suis  à  vos  ordres. 

A  peine  ces  derniers  mots  furent-ils  prononcés  que  Charles  et 
son  guide  gravirent  la  montagne  dans  cette  direction  :  et  se 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  205 

perdirent  à  travers  des  sentiers  détournés,  couverts  de  gazon 
et  d'ombrage.  Le  voyage  fut  silencieux  de  part  et  d'autre. 
Après  une  ascension  d'environ  trois  quarts-d'heure,  ils  arri- 
vèrent sur  un  plateau  désert,  resserré  entre  deux  pics  rap- 
prochés par  leurs  sommets  qui  l'abritaient  de  tous  les  côtés. 
Ils  dirigeaient  leurs  pas  vers  l'enfoncement  d'un  petit  bois, 
lorsque  Jacques  s'arrêta  tout-à-coup  et  désignant  de  sa  main 
droite  un  toit  de  chaume  qu'on  entrevoyait  à  peine  à  travers 
le  feuillage  des  arbres,  il  accompagna  ce  signe  de  ces  deux 
syllabes  indicatives. 

—  C'est  là  ! 

Le  jeune  homme  à  l'instant,  sans  aucune  autre  information 
s'avance  seul,  lentement,  tourne  en  tout  sens  le  bosquet,  et 
n'aperçoit  d'abord  rien  qui  frappe  sa  vue ,  quand  se  glissant 
mystérieusement  derrière  la  cabane,  il  vit,  assise  sur  un  ar- 
bre renversé  et  à  l'ombre  d'un  pommier,  une  jeune  fille  les 
yeux  alternativement  fixés  sur  un  livre.  Sa  beauté  était  ra- 
vissante; un  air  de  mélancolique  tristesse  était  empreint  sur 
tous  ses  traits  légèrement  dessinés.  Le  délicieux  ornement  de 
sa  parure  et  de  ses  cheveux  négligement  noués,  l'attention 
qu'elle  prêtait  à  sa  lecture,  tout  faisait  bien  soupçonner  qu'elle 
ne  s'attendait  point  à  recevoir  des  visites.  Ce  jour,  comme 
tous  les  autres,  la  pauvre  enfant  se  croyait  seule  dans  la  soli- 
tude. Néanmoins,  le  jeune  étranger,  immobile,  à  une  certaine 
distance,  contemplait  à  son  aise  cet  ange  de  la  montagne.  Un 
mouvement  brusque  de  la  fille  le  détermina  cependant  à  faire 
quelque  pas  vers  elle.  A  ce  bruit,  elle  lève  la  tête  et,  pouvant 
à  peine  contenir  sa  snrprise,  elle  voit  l'étranger  qui  se  dirige 
vers  elle. 

—  Pardon  !  belle  enfant,  dit-il  un  peu  confus  lui-même 
d'une  entrevue  si  subite  ;  pardon  !  en  parcourant  ces  lieux, 
je  ne  croyais  pas  avoir  une  si  agréable  rencontre. 

—  Il  est  vrai,  monsieur,  lui  dit  la  jeune  tille  revenue  à  peine 
de  sa  frayeur,  que  ces  lieux  sont  peu  faits  pour  y  appeler  des 
habitants. 

—  Et  pourtant  vous  lesjiabitez  bien  vous-même,   répartit 


*M)l  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

Charles,  surpris  d'abord  de  l'accent  et  du  bon  ton  de  la  tille 
du  douanier.  Car,  il  ne  doutait  plus  que  ce  ne  fût  la  mysté- 
rieuse Marguerite.  Et  prenant  aussitôt  un  air  d'intérêt  et 
d'affection  tendre:  que  faites-vous  donc  ici,  seule,  dans  cette 
chaumière? 

—  Je  vis  ici  avec  mon  père,  en  attendant  de  mourir  seule. 

—  Vivre  à  dix-huit  ans,  c'est  ce  qui  vou9  convient,  mais 
mourir,  n'est  pas  encore  de  votre  âge.  Il  me  semble  cependant, 
si  je  ne  me  trompe,  que  la  lecture  fait  votre  unique  passion, 
car  je  vois  un  ouvrage  entre  vos  mains.  Il  est  vrai  qu'il  faut 
avoir  au  moins  une  passion  sur  la  terre. 

—  Celle-là,  au  reste,  murmura  la  jeune  fille,  en  soupirant, 
ne  laisse  point  de  regrets  après  elle. 

Cette  dernière  réflexion  échappée  d'une  bouche  qui  parais- 
sait devoir  ignorer  encoie  le  malheur,  affligea  singulièrement 
le  cœur  de  Charles  qui  craignit  d'être  trop  indiscret  dans  ses 
questions  Néanmoins  il  se  permit  de  lui  demander  encore  le 
nom  de  l'ouvrage  qui  l'intéressait  lorsqu'il  l'avait  distraite  de 
sa  lecture  si  mal  à  propos. 

—  Les  Nouvelles  de  Florian,  dit-elle,  avec  timidité. 

—  Joli  ouvrage  ;  laquelle  des  nouvelles,  je  vous  prie? 

La  jeune  fille,  hésitant  un  instant  à  cette  demande,  répondit 
enfin,  mais  cette  fois  avec  des  larmes  dans  les  yeux  :  Claudine, 
l'infortunée  savoyarde. 

Un  silence  craintif  succéda  un  moment  à  cette  réponse  De 
part  et  d'autre  on  n'osait  point  l'interrompre  comme  si  l'on 
eût  craint  des  explications  fatales  Mais  soit  bienveillance,  soit 
curiosité  forcée,  Charles  se  hasarda  le  premier  à  manifester 
un  sentiment  sur  le  choix  de  cette  nouvelle. 

—  Claudine,  dit-il,  pour  un  cœur  sensible,  a  le  mérite,  dans 
son  action  dramatique,  d'être  une  lecture  touchante. 

—  Et  consolante,  répartit  la  jeune  fille,  surtout  pour  celle 
à  qui  elle  n'a  pu  être  instructive.  Oui,  monsieur,  je  suis  Mar- 
guerite, la  fille  du  douanier  dit-elle  un  instant  après  ;  il  n'est 
pas  qu'au  village  on  ne  vous  ait  dit  mon  nom  ;  je  suis  cette 
infortunée  Marguerite  qui,   comme  Claudine,   déplore  ici, 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  205 

exilée  de  mes  compagnes,  la  faiblesse  d'avoir  cru  à  un  séduc- 
teur. C'est  vous  faire  assez  connaître  ma  prédilection  pour  cette 
nouvelle  de  Florian.  Encore  si  je  pouvais  espérer  de  trouver 
comme  elle  mon  enfant  et  un  Belton,  mais  non. 

Les  sanglots  étouffèrent  sa  voix-  Dès  ce  moment,  le  mystère 
fut  dévoilé,  et  le  silence  de  Jacques  expliqué.  Le  sensible 
jeune  homme  ne  put,  lui  aussi,  retenir  ses  pleurs  en  voyant 
ceux  que  versait  la  belle  Marguerite.  Profitant  de  l'identité  de 
sa  position  avec  celle  de  Claudine,  il  lui  fit  espérer  que  le 
séducteur  reviendrait  à  de  plus  nobles  sentiments  ;  surtout 
s'il  était  bien  né. 

—  Lui  !  répliqua-t-elle  avec  vivacité;  lui  !  connaître  les 
sentiments  nobles?  Non  jamais.  On  ne  cherche  point  à  égarer 
une  jeune  personne  de  seize  ans,  arrachée  au  couvent  pour  se 
jouer  de  son  honneur;  ou  si  on  a  le  cœur  assez  bas  pour  cela, 
il  faut  avoir  l'àme  assez  élevée  pour  réparer  cet  outrage.  C'est 
ce  qu'il  ne  fera  jamais,  précisément  parce  qu'il  se  dit  bien  né. 
Vous  ne  connaissez  donc  point,  monsieur,  Auguste  L  ..,  fils 
du  maire  de  notre  chef-lieu  ;  membre  du  conseil-général  du 
département,  et  plus  encore  électeur? 

—  Quoi  !  Auguste  L....  serait  le  séducteur,  le  lâche  séduc- 
teur, lui,  mon  ami  ? 

—  Lui-même  ;  puisque  c'est  votre  ami  (vous  ne  lui  ressem- 
blez pas,  sans  doute  !  )  vous  savez  bien  qu'avec  tous  les  nou- 
veaux titres  que  vous  lui  connaissez,  de  propriétaire,  de  docteur 
et  de  futur  député,  il  ne  peut  descendre  à  épouser  la  fille  d'un 
douanier  en  retraite,  qu'il  a  déshonorée.  «  Quand  on  a  flétri 
une  temme?  on  ne  se  mésallie  point  pour  s'unir  à  elle.  C'est 
du  bon  genre  d'en  agir  ainsi.  »  Ce  sont  ses  propres  paroles. 

La  foudre  qui  renverse  ne  frappe  pas  aussi  terriblement 
que  ces  derniers  mots  tirent  sur  l'imagination  de  Charles.  Il 
resta  quelques  minutes  muet  et  pensif,  et  cette  révélation,  si 
franche,  si  naïve,  pénétra  son  cœur  d'une  forte  résolution, 

—  Je  le  verrai  !  s'écria-t-il  ;  il  cédera  ou  je  le  flétrirai  comme 
un  lâche  aux  yeux  de  tous  ceux  qui  le  connaissent.  Consolez- 
vous,  Marguerite,  vous  aurez  un  vengeur. 


206  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

—  Inutile,  généreux  jeune  homme,  inutile  !  fit  la  pauvre 
Marguerite,  en  agitant  sa  tête  avec  un  signe  d'incrédulité.  Je 
suis  destinée  h  subir  toujours  les  justes  et  les  légitimes  repro- 
ches d'un  père  dont  j'ai  souillé  les  cheveux  blancs.  Heureuse 
encore  d'avoir  vu  ma  mère  descendre  dans  la  tombe,  quand 
j'étais  digne  encore  de  porter  le  nom  de  sa  fille.  Ici  voyez- vous, 
mon  sort  est  de  vivre  encore  quelques  jours  tourmentée  par 
trois  tyrans  :  ma  conscience,  le  ressentiment  d'un  père  et  le 
mépris  de  tout  le  village.  Voilà  mes  espérances  et  mon  avenir, 
à  moi. 

—  Permettez-moi,  Marguerite,  de  prendre  la  défense  de 
vos  intérêts  trop  légitimes.  Je  reviendrai  ici  plusieurs  fois 
encore  avant  mon  départ  de  ces  montagnes.  Je  verrai  votre 
père  au  village,  car  je  pense  qu'il  est  en  ce  moment  à  la  fête. 
Je  l'informerai  de  mes  projets.  Le  séducteur,  par  mon  entre- 
mise, reviendra,  je  l'espère,  à  des  sentiments  dignes  de  l'hon- 
neur. Adieu,  intéressante  Marguerite,  comptez  sur  moi  ! 

Si  la  volonté  et  les  intentions  droites  suffisaient  seules  pour 
réussir  dans  une  bonne  action,  il  est  évident  que  Charles  les 
possédait  toutes  les  deux.  Mais  les  hommes  de  la  classe  moyenne 
sont  encore  plus  difficiles  à  convertir  que  ceux  qu'on  appelait 
les  privilégiés.  Aussi,  la  mission  honorable  de  Charles  échoua- 
t-elle  devant  l'homme  le  plus  renforcé  de  la  bourgeoisie.  Car 
Auguste  L...  était  un  des  croupiers  les  plus  superbes  de  cette 
caste.  De  son  côté,  Marguerite,  la  pauvre  Marguerite,  si  belle, 
d'une  ame  si  magnanime,  ne  s'étonna  point  quand  elle  apprit 
l'insuccès  des  démarches  de  son  généreux  protecteur. 

—  Je  le  savais,  dit-elle.  Je  connaissais  depuis  long-temps 
cet  homme.  Mais  venez  me  voir  encore  quelques  fois  avant 
votre  départ,  si  .cette  solitude,  ce  désert  qui  me  séparent  d'une 
société  qui  m'abhorre,  ne  sont  pas  capables  de  vous  effrayer. 
Ce  sera  peut-être  la  dernière  consolation  que  je  recevrai  sur 
la  terre. 

Charles  se  garda  bien  de  manquer  à  une  invitation  qui  devait 
lui  procurer  tant  de  charmes.  Car  il  trouvait  dans  la  tille  du 
douanier  plus  déraison,  de  bon  sens  et  d'instruction  que  dans 


2U7  DE  NAGNÈRES-DE-LUCHON. 

beaucoup  de  grandes  dames  qui  passent  pour  avoir  de  l'esprit. 
D'ailleurs,  la  méditation,  la  solitude  et  le  malheur  l'avaient 
ornée  d'une  certaine  mélancolie  qu'on  pouvait  appeler  de  la 
grâce.  Une  exquise  sensibilité  rendait  surtout  ses  discours 
attachants  ;  et  si  parfois  elle  mêlait  à  ses  souvenirs  du  passé 
quelque  particularité  qui  l'intéressât,  elle  en  relevait  les  détails 
avec  tant  de  simplicité  et  de  modestie  qu'on  ne  pouvait  cesser 
de  l'admirer. 

Les  entretiens  se  soutenaient  toujours  avec  un  nouveau 
charme  depuis  un  mois,  lorsqu'un  matin,  en  se  rendant  du 
village  à  la  cabane,  Charles  trouva  Marguerite  plus  triste  et 
plus  pensive  qu'à  l'ordinaire.  Une  idée  fixe  semblait  l'occuper 
fortement.  D'ailleurs  les  mauvais  traitements  du  douanier 
envers  sa  tille  étaient  arrivés  ce  jour-la  jusqu'à  la  brutalité. 
Le  jeune  homme  avait  même  entendu,  en  se  rendant  au  bois, 
jeter  à  la  face  de  Marguerite  ces  paroles  déchirantes  :  «  Je  suis 
fatigué  de  nourrir  avec  mes  250  fr.  de  retraite,  une  fainéante 
comme  toi  qui  m'a  déshonoré.  » 

Ces  mots  avaient  meurtri  le  cœur  de  sa  fille  ;  elle  parla 
très-peu  et  se  retira  un  moment  dans  la  chaumière.  Elle  revint 
quelques  minutes  après  et  remit  au  jeune  homme  un  papier 
le  priant  de  ne  l'ouvrir  que  dans  trois  jours.  Prétextant  ensuite 
une  indisposition,  elle  l'engagea  à  différer  sa  visite  jusqu'à 
cette  époque.  Les  trois  jours  expirés,  Charles  se  disposait  à 
gravir  le  sentier  qu'il  connaissait  si  bien,  lorsqu'il  rencontra 
le  vieux  douanier,  les  ypux  mouillés  de  larmes  qui  lui  pro- 
nonça ces  paroles  :  elle  est  mortel  Le  jeune  homme  consterné 
à  cette  nouvelle  inattendue,  ouvre  l'écrit  cacheté,  brise  le 
sceau  et  voit  tracées  les  lignes  suivantes  :  «  Intéressant  jeune 
»  homme,  quand  vous  lirez  ces  mots,  je  ne  serai  plus.  Vous 
»  connaîtrez  seul  le  secret  de  ma  mort,  car  vous  seul  saurez 
»  la  plaindre.  J'ai  mis  fin  à  mes  jours.  Que  pouvais-je  faire 
»  sur  une  terre  où  j'étais  pour  tout  le  monde  un  sujet  d'hor- 
»  reur  ?  détestée  d'un  père,  méprisée  de  mes  amies,  ne  pouvant 
»  gagner  ma  vie  qu'en  exposant  une  seconde  fois  mon  hon- 
»  neur  aux  outrages  d'une  grande  ville,  pouvais-je  balancer? 


208  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

»  Le  Ciel  me  pardonnera  comme  je  pardonne  à  l'auteur  de 
»  tous  mes  maux.  Une  seule  grâce  de  vous.  Mon  enfant  vit 
»>  encore;  des  tigres  me  l'ont  enlevé.  Si  jamais  vous  parvenez 
»  à  découvrir  sa  retraite,  ayez  pitié  de  mon  enfant.  » 

A  cette  lecture  le  jeune  homme  versa  des  larmes.  Si  jeune 
suicidée  !  Il  revint  au  village  sans  pouvoir  prononcer  d'autres 
paroles.  Le  lendemain  deux  hommes  descendirent  une  bière 
qu'ils  portèrent  sans  cortège,  sans  suite  à  l'église-  Une  tombe 
fut  creusée  dans  un  lieu  d'infâme  distinction  :  nul  ne  vint 
prier,  si  ce  n'est  le  sensible  jeune  homme  qui  visita  pendant 
deux  jours  la  terre  nouvellement  fouillée  ;  et  il  quitta  le  vil- 
lage avec  la  ferme  résolution  d'exécuter  les  dernières  inten- 
tions de  la  pauvre  Marguerite,  la  fille  du  douanier. 

Cette  triste  nouvelle  se  répandit  bientôt  dans  les  environs 
et  servit  de  commentaires  à  différentes  versions  plus  étranges 
les  unes  que  les  autres.  Le  lendemain  de  cet  événement,  tout 
Ludion  retentit  de  la  mort  de  cette  jeune  fille.  Parmi  le  grand 
nombre  d'étrangers  qui  affluaient  autour  des  thermes  de 
Bagnères ,  les  uns  furent  émus  du  tragique  récit  que  leur  fit 
Charles,  le  dernier  confident  de  l'infortunée  Marguerite;  les 
autres  au  contraire  n'y  prêtèrent  qn'une  attention  éphémère, 
tant  le  malheur  a  peu  d'empire  sur  certaines  âmes!  de  ce 
nombre,  (qui  oserait  le  croire?)  était  un  jeune  homme  bien 
fait,  riche,  élégant,  aux  manières  prétentieuses,  qui,  appre- 
nant la  nouvelle  de  cette  mort  avec  un  sourire  ironique,  ré- 
pondit ces  mots  : 

—  On  meurt  à  tout  âge  et  de  tant  de  façon»;  sa  mort  n'est 
pas  étrange,  c'était  sa  destinée  ! 

Cet  homme  sans  entrailles  était  le  séducteur  de  la  fille  du 
douanier. 


LA  CHAPELLE  DE  MOXTGARRY. 


xNOLIVELLr:  ESPAGNOLE. 


Sur  le  versant  septentrional  des  Pyrénées,  dans  l'inté- 
rieur de  ces  montagnes  si  riches  en  végétation  et  si  pitto- 
resques, se  dessinent  des  vallées  sombres  et  mystérieuses 
qui,  dans  leurs  capricieuses  sinuosités,  renferment  de  nom- 
breuses populations,  vierges  encore  du  contact  mondain  de 
notre  civilisation.  Là  ,  on  retrouve  parfois  la  simplicité  des 
mœurs  primitives,  l'originalité  des  caractères ,  le  langage 
naïf  du  cœur  et  la  pureté  des  formes ,  toutes  choses,  hélas  ! 
fort  rares  dans  notre  siècle  de  progrès  et  qui  bientôt,  grâce 
à  ce  même  progrès ,  ne  seront  plus  connues  que  dans  les 
Romans. 

Aussi  engageons-nous  l'étranger  qui  vient  passer  la  sai- 
son des  bains  à  Luchon,  de  ne  pas  quitter  ces  montagnes 
sans  aller  visiter  ce  qu'elles  renferment  de  curieux  et  do 
pittoresque.  Surtout  qu'ils  n'attendent  point  que  la  civilisa- 
tion ou  ce  qui  en  porte  le  nom,  ait  pénétré  dans  leurs  mys- 
térieuses retraites  ;  car  cette  civilisation  corrompt  les  mœurs 
les  plus  pures  et  efface  tout  ce  que  la  nature  a  pu  laisser 
d'original  dans  le  caractère  des  habitants  de  ces  montagnes. 
Encore  quelques  années  et  la  simplicité  des  mœurs  sera 
exilée  des  Pyrénées  ! 

Or,  à  l'extrémité  espagnole  du  val  d'Aran  qu'arrosent, 
dans  son  étroite  longueur,  les  flots  limpides  de  la  Garonne, 
et  depuis  la  source  de  ce  fleuve,  on  voit  une  vallée  solitaire 
qui  s'ouvre  entre  deux  rochers  gigantesques,  s'élargit  insen- 
siblement ,  s'étend  et  se  perd  jusques  dans  les  montagnes 
de  i'Ariége.  Elle   n'a  point  de  nom.  Des  bois  touffus  de  sa- 


240  HISTOIRE  SPECIALE  ET  PITTORESQUE 

pins,  de  pelouses  épaisses,  des  sources  jaillissantes  d'eau 
pure,  partout  l'ombre  et  la  solitude,  tels  sont  les  ornements 
de  cette  retraite  que  la  nature  semble  avoir  dérobée  jusqu'à 
ce  jour  aux  regards  scrutateurs  de  l'avide  exploiteur  et 
que  la  guerre  civile  d'Espagne  n'a  pas  osé  souiller  encore  de 
sa  présence.  La  religion  seule  a  pris  possession,  depuis  long- 
temps, de  cet  oasis  des  montagnes. 

Car,  au  centre  de  cette  vallée  mystérieuse  s'élève  un  mo- 
nument chrétien.  Ainsi  l'œuvre  du  créateur  trouve  toujours 
à  exprimer,  même  dans  la  solitude,  une  pensée  de  foi  et 
d'amour.  Isolée,  loin  de  toute  habitation  humaine  et  au  sein 
des  forêts  et  des  hautes  montagnes,  la  chapelle  de  Monigarry 
domine  tous  les  riants  paysages  qui  l'environnent  :  rien 
n'égale,  au  reste,  son  élégante  simplicité;  car  il  faut  con- 
naître ce  qu'à  d'énergie  le  culte  de  la  Madone  dans  le  cœur 
d'un  espagnol,  pour  se  faire  une  idée  de  cette  chapelle  consa- 
crée à  la  Vierge.  L'édifice  modeste  mais  régulier  qui  se  dis- 
tingue à  l'extérieur  par  une  flèche  hardie,  et  à  l'intérieur 
par  une  disposition  parfaite  du  plan ,  qui  n'est  pas  sans 
goût,  éclate  surtout  par  la  richesse  des  ornements  dont  les 
restes  merveilleux  témoignent  de  sa  richesse  passée.  Deux 
prêtres  de  la  vallée  d'Aran  la  desservent  tous  les  mois  et 
sont  attachés  successivement  à  une  résidence  continuelle. 
C'est  une  véritable  chapellenie  du  moyen-âge  avec  droits  de 
dîmes,  dotations  et  offrandes,  constitution  pieuse  de  la  jeune 
marquise  dona  Balmasèda  ,  en  l'honneur  et  pour  la  déli- 
vrance de  son  amant  fait  prisonnier  par  les  Maures;  vœu 
d'une  ardente  castillane  qui,  pour  être  conforme  à  son  cœur 
passionné,  ne  pouvait  se  réaliser  que  dans  un  sublime  dé- 
sert. Aussi,  la  chapelle,  un  presbytère  et  une  grange,  telles 
sont  les  seules  constructions  qu'on  retrouve  dans  la  solitude 
de  ces  lieux. 

Cependant,  cet  isolement  que  Montgarry  partage  avec  la 
vallée,  ce  calme  de  tous  les  jours,  cessent  à  deux  époques 
de  l'année  :  le  15  août  et  le  8  septembre. 

Si  vous  tenez  à  connaître  ce  qu'on  appelle  l'esprit  reli- 


DE    BAGNÈRE-DE-LUCHON.  211 

gieux  des  Espagnols  ,  vous  qui  fréquentez  les  thermes  de 
Ludion,  choisissez  de  préférence  ces  jours  de  fête  pour  votre 
excursion  au-delà  des  frontières.  Partez  de  Luchon,  gravis- 
sez le  port  do  Venasque  et,  arrivé  dans  la  vallée  d'Aran, 
dirigez  vos  pas  vers  la  source  ou  VOueil  de  Garonne.  Der- 
rière le  rocher  d'où  s'épand,  en  prenant  naissance,  l'eau  du 
ileuve,  vous  verrez  une  vallée  étroite  ;  suivez-la  dans  toute 
sa  longueur,  et,  après  deux  heures  de  marche,  vous  trouverez 
la  petite  chapelle  de  Montgarry  qui  se  cache  derrière  un  bois 
de  sapins.  Choisissez  de  préférence  le  15  août  ou  le  8  septem- 
bre pour  la  visiter. 

La  foule  qui  s'y  rend  alors  du  fond  de  l'Aragon,  de  Sterry, 
de  la  Conque  et  de  la  Cerdagne  pour  célébrer  la  fête  de  la 
Vierge  est  immense  ;  il  faut  voir  ces  populations  différentes 
de  mœurs,  de  costume  et  de  langage  se  presser  autour  de  la 
chapelle  et  attirées  par  des  sentiments  divers,  n'avoir  ce- 
pendant qu'une  idée  fixe  :  l'adoration  de  la  madone  et  une 
grâce  à  demander.  Quel  spectacle  !  quel  sublime  fanatisme  ! 
On  peut  préjuger  d'avance,  au  zèle  que  font  éclater  ces  hom- 
mes et  ces  femmes,  qu'ils  sont  tous  sous  l'impression  d'une 
de  ces  prières  du  cœur  qui  remplissent  l'âme  d'espérance  et 
d'amour.  Comment  pourrait-il  en  être  d'impures?  Le  crime 
et  le  vice  n'oseraient  les  hasarder  sans  témérité.  Aussi,  la 
Vierge  de  Montgarry  n'est-elle  connue  que  par  sa  miraculeuse 
protection.  Néanmoins,  un  événement  récent  a  jeté  la  con- 
sternation parmi  les  dévots  espagnols  de  la  sainte  chapelle. 

C'était  en  1834,  le  8  septembre,  fête  de  la  Nativité  de  la 
Vierge.  La  vallée  de  Montgarry  réunissait  à  cette  époque, 
une  multitude  plus  nombreuse  que  les  années  précédentes. 
Mais  aussi  une  plus  grande  agitation  semblait  se  faire  remar- 
quer sur  toutes  les  physionomies  mobiles  de  ces  fiers  Catalans 
à  la  berrette  rouge  ;  des  jolies  Aragonaises  à  la  taille  amincie; 
du  muletier  insouciant  de  Sterry  et  des  jeunes  filles  de  Vielle, 
venus  là  pour  prier.  La  révolution  espagnole  préoccupait 
alors  vivement  tous  les  esprits,  sur-excités  par  les  récits  des 
meurtres  commis  par  les  bandes  christinos  et  carlistes  qui 


°212  histoire  Spéciale  et  pittoresque 

sillonnaient,  en  tous  sens,  ces  montagnes.  Malgré  la  crainte 
naturelle  que  devaient  inspirer  les  événements  politiques 
qui  grandissaient  encore  dans  leur  imagination  exaltée,  une 
satisfaction  personnelle,  un  air  indicible  de  gaîté  éclatait 
pourtant  sur  tous  les  visages.  Jamais  un  jour  de  fête  n'avait 
étalé  autant  de  luxe,  ni  plus  de  beautés  de  formes. 

Etait-ce  l'effet  d'une  joie  religieuse,  d'un  sentiment  pa- 
triotique ou  d'une  espérance  dans  un  avenir  meilleur,  qui 
provoquaient,  cette  année,  une  animation  nouvelle  dans  les 
personnes  et  dans  les  choses?  Je  ne  sais;  mais  on  peut  dire 
que  si  la  dévotion  avait  trouvé  son  compte,  les  grâces  n'avaient 
point  perdu,  en  cela,  leurs  charmes* 

Parmi  toutes  ces  femmes  si  belles,  si  espagnoles,  une  sur- 
tout se  faisait  remarquer,  au  milieu  de  ces  compagnes,  par 
tous  les  dons  de  la  nature;  c'était  la  fille  du.  vieux  Padillos, 
Alcalde  de  la  petite  ville  de  Huesca.  Homme  dur  et  sévère, 
dévoué  corps  et  biens  au  parti  du  prétendant,  il  vivait,  retiré 
de  la  politique  et  du  monde,  dans  une  habitation  isolée  de 
la  vallée  d'Aran.  Ce  jour  de  fête,  la  jeune  Padilla,  accompa- 
gnée d'Ulrique,  sa  nourrice,  s'était  soustraite  un  instant  à 
la  surveillance  paternelle  pour  se  rendre  à  Montgarry,  où  elle 
attirait  tous  les  regards  de  ses  compatriotes.  Cependant,  un 
air  de  langueur  se  peignait  sur  tous  ses  traits  arabes.  Ses 
beaux  yeux  noirs  se  portaient  distraits  de  tout  côté;  ses  longs 
cheveux  d'ébène étaient  retenus  négligemment  dans  un  rézeau 
de  soie,  et  son  front,  préoccupé  par  une  idée  fixe  et  incliné 
vers  la  terre,  semblait  être  à  la  poursuite  d'une  résolution. 
Padilla  suivait  ainsi  soucieuse  le  sentier  qui  se  perdait  dans 
un  petit  bois  éloigné  de  la  chapelle,  lorsqu'un  jeune  homme, 
un  français,  l'interrompt  tout-à-coup  dans  sa  méditation. 

—  Quoi  !  vous  ici,  Padilla  ?  Quel  bonheur  ! 

La  jeune  fille,  relevant  alors  sa  tête  penchée,  reconnaît, 
après  un  mouvement  spontané  de  surprise,  celui  quecherchait 
sa  pensée.  Mais  répondant  sans  hésitation  à  cette  demande 
toute  naturelle,  selon  elle  : 

—  Est-ce  étonnant,  Roger,  de  me  voir  à  Montgarry  ?  Ne 
m'aviez-vous  pas  dit  que  vous  y  viendriez? 


DE  BAGNÈRES-DE-LUCHON.  213 

—  Oui,  mais  pouvais-je  espérer  que  le  vieux  Padillos  aurait 
retranché  un  peu  en  voire  faveur,  de  sa  sévérité  ordinaire? 

—  Mon  père  ignore  mon  départ;  car  Ulrique  et  moi,  nous 
nous  sommes  dérobés  un  instant  à  sa  vigilance.  Il  m'a  été 
je  vous  assure,  bien  pénible  d'user  ainsi  de  ruse.  Mais  il  le 
fallait,  Roger. 

—  Quoi!  toujours  des  entraves,  pauvre  enfant!  et  c'est  moi, 
c'est  mon  amour  qui  te  ferme  la  route  du  bonheur  que  le 
ciel  ouvrait  à  ton  innocence.  Pourquoi  t'ai-je  vu,  Padilla  ? 
Pourquoi  faut-i!  que  la  politique  française,  en  me  forçant  à 
chercher  un  refuge  sur  le  sol  espagnol,  m'ait  conduit  par 
hasard,  dans  la  demeure  de  l'alcade  de  Huesca  ? 

—  Ne  maudis  point  ee  jour,  Roger;  ce  fut  le  plus  beau  de 
ma  vie  ;  car  j'aimais  pour  la  première  fois  et  pour  toujours  ; 
je  viens  d'en  faire  le  serment  aux  pieds  de  la  sainte  madone. 
Mais  écoute: 

«  Tu  sais  que  mon  père,  cédant  plutôt  à  ses  idées  politi- 
ques qu'aux  goûts  de  sa  fille,  a  promis  ma  main  au  féroce 
Hiéronimo  ;  demain  Hiéroniino  sera  dans  la  vallée  avec  la 
troupe  carliste  qu'il  commande  et  c'est  pour  m'épouser.  Cet 
homme  qui  de  moine  s'est  fait  chef  de  bande,  n'a  pu  jamais 
m'inspirer  que  du  dégoût.  Je  ne  l'aimais  point  avant  de  te 
connaître,  je  l'abhorre  depuis.  Roger,  dis  à  Padilla  ce  qu'elle 
doit  faire  dans  cette  circonstance?  » 

—  Nous  jeter  ensemble  aux  pieds  de  ton  père. 

—  Et  puis... 

—  Avouer  notre  amour  secret,  et  lui  demander  qu'il  le 
sanctionne  par  notre  union. 

—  Malheureux  !  tu  ne  connais  donc  point  l'alcade  de 
Huesca?  Lui  faire  un  aveu  semblable,  c'est  appeler  la  mort 
sur  ma  tête  ;  que  dis-je  ?  sur  la  tienne  aussi  peut-être.  Mon 
père  a  eu  toujours  les  Français  en  horreur.  La  révolution 
qui  vient  d'éclater  à  Madrid  a  mis  encore  le  comble  à  cette 
haine.  Ah  !  Roger,  s'il  t'a  reçu  quelquefois  chez  lui,  toi, 
pauvre  fugitif  de  France,  c'est  qu'il  a  cru  que  tu  étais  victi- 
me d'une  cause  semblable  à  la  sienne.  S'il  avait  vu  dans 

14 


214  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

Roger  ce  qu'il  apppelleun  révolutionnaire  ;  si,  par  une  frau- 
de d'amour,  je  ne  t'avais  dépeint  à  ses  yeux  comme  un 
défenseur  de  ses  opinions  en  France,  jamais  ton  pied 
n'eut  touché  le  seuil  de  la  porte  de  Padillos  ;  jamais  tes  yeux 
n'eussent  vu  sa  fille  hors  do  sa  présence.  Saches  seulement 
que  je  ne  suis  promise  à  Hiéronimo  que  parce  qu'il  est  chef 
de  bande.  Veux-tu  que  j'appartienne  demain  à  ce  monstre  ? 
—  Non,  ma  chère  Padilla  j  mourons  plutôt  ensemble.  Ce  fer... 
—  Mourir  ainsi,  Roger;  c'est  jeter  mon  nom  au  déshonneur. 
Fuyons  plutôt  ces  lieux  de  malheur  et  vivons  heureux  ail- 
leurs; nous  le  pouvons  :  la  France  n'est-elle  point  là? 

—  Oh!  la  France...  oui,  mais  jusque-là,  tu  seras  toujours 
la  fille  de  Padillos. 

—  Non,  je  serai  l'épouse  de  Roger  ;  l'épouse  de  Roger 
m  tends-tu  ?  Adieu,  à  ce  soir,  dans  ces  lieux. 

Et  sans  attendre  d'autre  réponse,  la  jeune  Padilla  quitte 
brusquement  son  amant  pour  lequel  ses  dernières  paroles 
devenaient  un  mystère.  Être  exilée  d'une  patrie  adorée, 
aimer  comme  l'on  aime  à  vingt  ans  et  ne  pouvoir  posséder 
l'objet  de  son  amour  ;  tels  étaient  les  secrets  tourments  qui 
torturaient  le  cœur  du  jeune  homme  et  le  laissaient  dans 
une  indécision  affreuse  sur  le  parti  qu'il  devait  prendre. 
Cependant  une  craint»  mêlée  d'espérance  lui  faisait  désirer 
le  prompt  retour  de  la  nuit.  Aussi,  dès  que  nul  bruit  ne  se 
fit  plus  entendre  autour  de  la  sainte  chapelle  et  que  la  foule 
s'était  retirée,  laissant  Montgarry  désert,  Roger  se  rendit 
aussitôt  au  lieu  du  rendez- vous. 

L'espoir  et  l'attente  absorbaient  toutes  ses  facultés! 

—  A  ce  soir  ;  dans  ces  lieux!  m'a-t-elle  dit:  mais  qu'elle 
résolution  peut  avoir  prise  cette  enfant?  me  présenter  à  son 
père  ;  et  lui  demander  sa  main  pour  moi  ?  ce  serait  là  s'ex- 
poser à  quelque  chose  de  plus  qu'à  un  refus.  Veut-elle  fuir 
avec  moi  en  France?  pauvre  exilé,  je  ne  puis  revoir  ma 
patrie  d'où  m'a  chassé  une  odieuse  proscription .  Ces  frontières 
qui  me  séparent  de  ma  mère,  de  mes  frères  en  politique, 
doivent  être  encore  pour  moi  et  peut-être,  pendant  long- 


1)L    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  *2\l) 

temps,  des  barrières  de  fer  qui  me  retiendront  loin  de  mon 
pays.  Ah  !  je  dois  porter  malheur  a  tout  ce  qui  m'approche. 

Roger,  dont  la  fierté  naturelle  composait  le  .fond  de  son 
caractère,  ne  put  résister  néanmoins  à  tous  les  sentiments 
généreux  qui  se  pressaient  dans  son  aine,  en  rappelant  toutes 
ces  idées,  tous  ces  souvenirs.  Malgré  lui,  il  resta  plongé 
dans  une  profonde  méditation,  conséquence  inévitable  de  la 
fatigue  de  son  esprit. 

Cependant  Padilla  ne  se  fit  pas  longtemps  attendre  •  elle 
parut  bientôt,  enveloppée  de  sa  longue  mantille  noire  et 
prenant  la  main  de  son  amant  livré  à  toutes  ces  diverses 
réflexions  : 

—  Suis-moi,  Roger,  dit-elle  avec  un  accent  de  ferme  réso- 
lution; suis-moi:  tu  verras  si  la  volonté  a  jamais  manqué 
à  une  femme  qui  aime  d'un  amour  sincère. 

Et  sans  prononcer  d'autres  paroles,  elle  suit  un  sentier 
dérobé  à  travers  le  bois  de  sapins  qui  entourent  Montgarry  ; 
et,  quoique  la  nuit  fut  très-obscure,  en  prend  tous  les  détours 
les  plus  cachés  avec  une  connaissance  admirable  des  lieux. 
Enfin,  après  une  demi-heure  environ  de  marche  à  travers 
l'épais  fourré  du  bois,  les  deux  amants  arrivèi'ent  ainsi  au 
presbytère},  et  montant  un  escalier  obscur,  ils  pénètrent 
tous  deux  dans  une  vaste  chambre,  éclairée  par  la  flamme 
que  projetait  sur  les  murs  quelques  fragments  de  résine 
suspendus  dans  le  foyer. 

—  PèreLopez,  dit  alors  la  jeune  fille,  nous  voici.  Le  père 
Lopez  était  un  prêtre  vénérable  et  par  son  âge  et  par  l'aus- 
térité de  ses  mœurs.  Arrivé  à  l'âge  de  soixante-dix  ans,  il 
n'avait  pas  encore  souillé  ses  cheveux  blancs  par  une  pensée 
mauvaise.  Moine  d'abord,  au  couvent  de  saint  Ildefonse; 
il  avait  quittté  la  défroque  monastique  pour  se  livrer  à  la 
conduite  des  âmes  chrétiennes.  L'archevêque  de  Barcelonne 
l'avait  nommé  à  une  partie  de  la  cure  d'un  village  de  la 
valléequ'il  administrait  avec  trois  autres  ecclésiastiques,  ses 
confrères.  Cette  année  1834,  il  desservait,  à  son  tour,  pen- 
dant le  mois  d'août,  la  chapelle  de  Montgarry.   La  bonté  de 


216  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

son  caractère  faisait  du  père  Lopez  un  ecclésiastique  respec- 
table et  tolérant  à  la  fois  ;  aussi,  reçut-il  dans  ses  bras  la 
jeune  fille  de  Huesca,  avec  laquelle,  au  resté,  il  semblait 
être  en  secrète  intelligence. 

Car,  dès  que  le  vénérable  ecclésiastique  eut  fait  un  accueil 
bienveillant  aux  deux  jeunes  gens: 

—  Ma  fille,  dit-il,  en  s'adressant  à  Padilla,  persistez-vous 
dans  votre  première  résolution  ? 

—  Oui,  mon  père,  répondit  la  jeune  vierge. 

—  Il  est  écrit  dans  le  saint  Evangile  ces  mots  .-  tes  père 
et  mère  honoreras.  Dans  la  résolution  que  vous  avez  prise, 
mon  enfant,   ce  commandement  de  Dieu  sera-t-il  respecté? 

—  Oui,  mon  père;  ce  commandement  est  grand  dans  mon 
cœur  ;  mais  en  unissant  ma  main  à  celui  pour  lequel  l'Evan- 
gile a  dit  :  tu  quitteras  ton  père  et  ta  mère  pour  le  suivre; 
je  suis  loin  de  manquer  aux  prescriptions  des  lois  divines 
et  humaines.  Mon  père  continua-t-elle  avec  exaltation,  voici 
mon  époux  !  et  aussitôt,  prenant  Roger  par  la  main,  elle 
le  présente  au  vénérable  ecclésiastique. 

—  Puisqu'il  en  est  ainsi,  murmura  le  père  Lopez,  en 
levant  les  yeux  et  les  mains  au  ciel  :  «  prosternez-vous,  mes 
enfants,  que  le  ciel  vous  bénisse  comme  je  vous  bénis  ;  qu'il 
unisse  vos  deux  cœurs  comme  ils  sont  unis  :  Padilla  et  Roger, 
vivez  heureux  !  »  Il  dit,  ses  mains  s'étaient  posées  sur  la 
tête  des  deux  amants.  La  jeune  fille  se  relevant  alors  avec  un 
air  d'énergique  fierté  : 

—  Partons,  Roger,  je  ne  suis  plus  à  Hiéronimo  ;  et  vous, 
père  Lopez,  vous  direz  à  l'alcade  de  Huesca,  que  sa  fille  s'est 
adresssée  au  ciel  quand  la  terre  n'a  plus  voulu  écouter  ses 
prières.  Aujourd'hui  pour  toujours  je  quitte  l'Espagne  1 

L'heure  de  la  nuit  était  très  avancée.  Les  deux  époux  en 
sortant  du  presbytère  suivirent  un  sentier  étroit  tracé  au 
milieu  d'un  bois  fourré  de  pins.  Ils  dirigeaient  leurs  courses 
vers  la  France;  la  marche  de  Roger  était  lente  et  irrésolue. 
Epoux  de  la  jeune  espagnole,  il  n'avait  pas  eu  le  courage  de 
résister  à  une  uniou  qu'il  aurait  lui-même  demandé  le  pre- 


DE  b.v<;.\ kiiks-de-luchon.  2  1  7 

niier  dans  toute  autre  circonstance  ;  mais,  cette  fois,  il 
désapprouvait  par  amour  des  liens  qu'il  voyait  malheureux. 
Aussi,  la  force  lui  manquait;  à  peine  pouvait-il  faire  mou- 
voir ses  pieds;  il  savait  qu'à  quelques  pas  de  là  se  trouvaient 
les  frontières  et  la  douane  ;  pour  lui ,  ces  deux  mots  étaient 
la  perte  de  sa  liberté;  et  il  n'osait  pas  confier  ses  craintes  à 
Padilla  qui,  intrépide  comme  une  Espagnole,  hâtait  ses  pas 
pour  atteindre  plutôt  la  limite  française. 

—  Marchons,  Roger  :  répétait-elle  souvent,  fuyons  celte 
terre  brûlante  ;  jene  respirerais  à  mon  aise  que  lorsque  je 
ne  la  foulerai  plus  sous  mes  pieds;  allons,  Roger,  il  me  senir 
blc  que  la  fatigue  arrête  tes  pieds  paresseux. 

Le  pauvre  jeune  homme  se  laissait  entraîner  machinale- 
ment; il  n'avait  point  de  craintes,  lui;  car  le  sol  espagnol 
et  la  colère  de  Padillos  étaient  moins  à  craindre  pour  lui, 
que  les  lois  politiques  de  la  France  qui  l'avaient  condamné. 
Déjà  ilsélaientéloignésdela  vallée  mystérieuse  de Montgarry 
et,  suivant  leur  marche  à  droite,  ils  portaient  leurs  pas  vers 
le  port  d'Orle,  lorsqu'un  bruit  se  lit  entendre  dans  la  direc- 
tion de  la  limite  française. 

—  Roger,  j'ai  peur,  s'écria  la  jeune  fille,  hâtons  nos  pas. 
Si  c'était.. .et  sans  oser  exprimer  entièrement  sa  pensée,  elle 
se  pressait  aux  côtés  de  son  amant,  comme  pour  lui  servir 
de  rempart. 

—  Que  crains-tu,  Padilla  ?  dit  le  jeune  homme  dont  l'ir- 
résolution tenait  alors  tous  ses  mouvements  en  suspends  ; 
que  crains-tu  ?  la  mort... 

—  Pour  moi,  non,  mais...  c'est  le  vent,  Sans  doute,  qui 
agite  le  feuillage  ;  ce  bruit,  n'est-ce  pas,  Roger,  n'a  rien  qui 
doive  nous  alarmer  ? 

—  Pauvre  enfant  !  que  crains-tu,  Padilla  ?  viens  te  jeter 
dans  mes  bras,  ce  bruit  n'a  rien  qui  puisse  t'effrayer. 

Et  ils  marchaient  plus  lentement;  mais  à  peine  avaient-ils 
faits  quelques  pas  et  au  détour  du  sentier  qui  pénétrait  plus 
avant  dans  le  bois,  le  même  bruit  semblable  à  celui  des  pas 
que  font  des  hommes  qui  traversent  une  forêt,  se  lit  entendre 


218  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

de  nouveau,  mais  plus  fort  que  la  première  fois.  Alors  se 
serrait  auprès  de  Roger,  l'adilla  qui,  comme  par  instinct,  fit 
entendre  spontanément  ces  mots  : 

—  Dieu!  ils  sont  là  ! 

Au  même  instant,  quatre  assassins  s'élancent  du  bois  dans 
l'étroit  sentier  et,  armés  de  poignards,  tombent  sur  Roger 
qui  sans  défense  aucune  ne  cherche  même  pas  à  repousser 
ses  assassins.  Frappé  au  cœur,  il  chancelle  et  tombe.  Aussitôt 
ils  le  percent  de  coups  avec  une. frénésie  qui  tenait  de  la 
rage.  A  la  fureur  qui  attache  les  meurtriers  sur  le  corps  de 
leur  victime,  Padilla  a  reconnu  l'alcade  de  Huesca  et  le  féroce 
Hiéronimo. 

—  Grâces  pour  lui  !  s'écria-t-elle,  c'est  mon  époux  •  épar- 
gnez-le !  c'est  moi,  moi  seule  qui  suis  coupable  !  Mais  une 
main  de  fer  la  retient  immobile,  comme  pour  lui  faire  assister, 
malgré  elle,  à  la  dernière  agonie  de  la  victime. 

Mais  à  peine  lui  a-t-elle  entendu  murmurer  ces  dernières 
paroles  :  «  ici  ou  là,  en  montrant  la  frontière  française,  je 
devais  être  \  ictime  de  la  tyrannie  ;  j'aime  mieux  encore  avoir 
Hiéronimo  pour  bourreau  ;  adieu  France!  »  qu'elle  se  jette 
furieuse  sur  les  meurtriers  ;  ses  mains  cherchent  un  fer  et, 
dans  le  désordre  de  ses  sens,  elle  roule  dans  un  abyme  creusé 
par  un  torrent. 

Le  voyageur  français  qui,  dans  le  mois  d'août  et  de  sep- 
tembre, se  rend  par  le  -passage  d'Orle,  au  pèlerinage  de 
Montgarry,  peut  voir  au  pied  du  port  Espagnol,  uue  jeune 
fille,  belle  encore,  malgré  le  désordre  de  sa  parure,  assise  sur 
un  rocher,  dans  l'attitude  d'une  personne  qui  attend.  Ses 
mouvements  sont  vifs  et  semblent  annoncer  l'impatience  ; 
ses  regards  sont  tournés  vers  la  France  ;  on  dirait  une  Gitana 
en  quête.  Mais  au  désordre  de  ses  paroles,  au  rire  immodéré 
qui  s'exprime  sur  ses  lèvres,  aux  pleurs  qu'on  lui  voit  répan- 
dre presque  dans  le  même  temps,  on  reconnaît  un  de  ces 
êtres  privés  de  raison  par  une  grande  commotion  morale. 
On  l'appelle  depuis  long-temps  la  folle  de  Montgarry. 


m  vnuma 


A  LA  CHAPELLE  DE  SAINT-AVENTIN. 


—  Senonta  liiez,  le  ciel  est  beau,  la  neige  a  disparu  des 
sommets  des  montagnes,  et  le  portde  Venasque  ouvre,  devant 
nous  un  passage  de  verdure  et  de  tleurs;  qu'il  serait  agréable 
le  pèlerinage  de  la  chapelle  de  Saint-Aventin. 

—  Agréable!  ob,  oui,  Estève.  Car,  moi,  aussi,  j'aimerais  a 
fouler  sous  mes  pieds  la  pelouse  de  ces  vallées  ombreuses  qui 
nous  éloignent  de  la  France;  à  suivre  mes  compagnes  d'Ara- 
guéz  qui  vont  adorer  le  saint  reliquaire  et  d'aller  avec  elles, 
offrir  au  miraculeux  martyr  les  prières  de  mon  cœur.  Mais.  • . . . 

—  Je  le  sais,  liiez  ;  une  barrière  de  1er  s'élève  entre  ton 
amour  et  le  mien.  Ces  inimitiés  de  famille  finiront  par  nous 
tuer,  nous,  qui  avons  été  toujours  étrangers  aux  querelles  de 
nos  parents.  Ainsi,  ta  mère  te  refuse  à  mon  amour,  elle  t'or- 
donne de  nie  fuir  ;  et  pourtant  je  t'aime,  liiez  :  car,  si  lu 
devenais  la  femme  d'Estève,  tu  sais  combien  nous  serions 
heureux. 

—  Et  nous  ferions  le  pèlerinage  de  la  chapelle  de  Saint- 
Aventin  ! 

—  Oui,  et  demain,  avant  que  les  premières  clartés  du  jour 
n'eussent  blanchi  le  pic  de  la  Maladetta,  nous  aurions  gravi 
ces  monts  qui  110113  séparent  du  val  d'Aran;  nous  marcherions 


220  HISTOIRE    SPÉCIALE    ET    PITTORESQUE 

avec  les  joyeuses  troupes  des  amoureux  de  notre  village,  et 
nous  irions  visiter  la  chapelle  miraculeuse,  pleins  d'amour  et 
de  joie.  Au  lieu  de  tout  cela,  honte,  mépris  et  désespoir  pour 
mon  cœur.  Inez,  tes  parents  sont  bien  injustes. 

—  Ecoule,  Estève,  une  pensée  me  vient  à  l'esprit.  Carvajal 
le  viel  ami  de  mon  père,  doit  accompagner  à  Saint-Aventin  la 
Nina  de  l'Alcade.  Quesais-je?  peut-être  ma  mère  cèdera-t-elle 
à  ses  prières.  Il  ne  faut  qu'un  prétexte,  Estève  ;  je  sens  que 
je  le  trouverai.  A  ce  soir  au  bois  d'Arrocha  ;  car  la  sainte  Ma- 
donne  m'inspire  de  la  confiance. 

Ainsi,  s'entretenaient  ensemble,  le  27  juin  de  l'année  1832, 
l'héritière  d'une  riche  veuve  de  la  vallée  d'Araguès  et  le  fils 
du  plus  hardi  contrebandier  de  ces  montagnes.  La  dévotion 
des  Espagnols  de  cette  frontière  est  proverbiale  et  celle  qu'ils 
dévouent  à  Saint  Aventin  ne  se  caractérise  chez  eux,  que  par 
l'enthousiasme  du  fanatisme.  Aussi  le  pèlerinage  qu'ils  font, 
tous  les  ans,  en  son  honneur,  en  France,  est-il  une  véritable 
fête  générale.  On  ne  doit  pas  s'étonner  que  les  deux  amants 
partageassent  le  goût  de  leurs  compatriotes.  Car,  l'amour  et 
la  dévotion  sont  les  mobiles  les  plus  agissants  des  cœurs  ara- 
gonais.  Avec  cela,  on  pense  bien  qu'il  est  difficile  de  résister 
à  leurs  résolutions.  Aussi,  les  dernières  paroles  d'Inez,  annon- 
çaient d'avance  le  triomphe  de  ce  vieil  adage  :  ce  que  femme 
veut,  Dieu  le  veut . 

En  effet,  à  peine  la  nuit  commença-t-elle  à  voiler  de  son 
ombre  prolongée  l'étroite  et  mystérieuse  vallée  d'Araguès  que 
la  jeune  fille  se  dirigea  précipitamment-au  rendez-vous  qu'elle 
avait  fixé  au  bois  d'Arrocha  ;  et  dès  qu'elle  fut  auprès  de  son 
amant: 

—  Par  notre  dame  de  Montgarry  !  Estève  !  s'écria-t-elle, 
haletante  de  joie,  nous  irons  enfin  à  Saint-Aventin.  Hâte  donc 
tes  préparatifs,  car  à  deux  heures  du  matin,  las  ninas  et  los 
guapos,  doivent  se  mettre  en  voyage,  sous  la  conduite  du 
vieux  Carvajal.  Quedelarmes!  qucdeprières!  que  de  caresses 
et  de  soins  n'a-t-il  point  fallu  prodiguer  à  la  madré  pour 
obtenir  le  consentement  de  mon  départ. 


DE  BAGNÉHES-DE-LUCHON.  2:21 

—  «  Prends  garde  !  surtout,  m'a-t-elle  dit,  de  te  rencontrer 
avec  le  fils  du  contrebandier,  car  son  père  a  été  toujours  le 
mortel  ennemi  de  ta  famille.  À  cette  condition  seulement,  je 
te  permets  le  saint  pèlerinage.  » 

Ces  dernières  paroles  ont  jeté  d'abord  quelque  trouble  dans 
mon  ame  et  je  n'ai  pu  me  défendre  d'une  certaine  méfiance. 
Mais,  pardonne-moi,  Estève  ;  bientôt  j'ai  rendu  justice  à  ta 
loyauté.  Pourquoi  ma  mère  ne  peut-elle  te  connaître  comme 
moi  ? 

—  Oh,  ta  mère  !  répondit  le  lier  Àragonais  avec  un  air  de 
dédain  et  d'hésitation  sur  ses  lèvres  ;  ta  mère,  liiez,  a  maudit 
toute  ma  race,  depuis  le  jour  ou  la  légitime  défense  du  con- 
trebandier et  le  droit  naturel  qu'a  chaque  individu  de  protéger 
sa  vie,  lui  firent  verser  des  pleurs  sur  un  corps  ensanglanté. 
Depuis  ce  moment,  je  ne  suis  à  ses  yeux  que  le  iils  d'un  )  eur- 
trier.  Sais-tu  bien,  Inez,  tout  ce  que  ce  mot  emporte  avec  lui 
de  mépris,  de  honte  et  de  sacrifices?  Moi,  le  fils  d'un  meurtrier, 
je  dois  te  fuir,  renoncer  à  ta  main  ;  m'enfonçer  dans  les  bois, 
et  si  je  ne  puis  supporter  encore  l'idée  de  ta  séparation,  je 
devrais  m'arracher  la  vie.  Alors,  peut-être,  ta  mère  ne  te 
commanderait  plus  de  fuir  le  fils  d'un  contrebandier;  et  toi, 
Inez,  tu  serais  libre  et  heureuse,  parce  que  le  fils  du  contre- 
bandier ne  te  dirait  plus,  sans  cesse  :  Je  t'aime  ! 

—  De  grâce,  Estève,  ne  m'afflige  point  par  de  semblables 
discours.  N'avons-nous  pas  oublié,  tous  deux,  le  passé?  le 
présent  nous  appartient  pour  en  jouir  et  l'aveifir  ne  dépendra 
que  de  nos  cœurs.  Seulement,  souviens-  toi  maintenant  que 
nous  allons  faire  ensemble  le  pèlerinage  de  Saint-Aventin. 
Plus  tard,  le  ciel  nous  viendra  en  aide. 

—  Oui,  le  pèlerinage;  je  l'oubliais Inez,  dit-il  après 

quelques  instants  de  réflexion,  le  pèlerinage  sera  des  plus 
heureux  ;  car  la  nuit  est  belle,  les  étoiles  brillent  au  ciel,  et 
j'entends  déjà  le  chant  des  Caballeros  qui  se  disposent  au 
départ.  Allons  aussi,  de  notre  côté,  nous  préparer  pour  nous 
mêler  à  la  troupe  joyeuse. 

A  ces  mots,  ils  se  séparèrent,  se  promettant  tous  deux,  de 


222  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

retirer  bonheur  et  joie  du  saint  pèlerinage.  Cependant,  les 
premières  clartés  de  l'aube  naissante  commençaient  à  blanchir 
les  sommets  des  montagnes,  lorsque  le  cortège  des  garçons  et 
des  filles  de  la  vallée  d'Araguès  annonça  sa  marche  par  les 
chants  du  boléro  et  par  de  gais  refrains  que  l'écho  répétait  à 
l'envi.  Le  vieux  Carvajal,  comme  un  général  d'armée,  dirigeait 
leur  course  et  taisait  respecter  son  commandement  parmi  cette 
bande  dévote,  divisée  en  groupes  Déjà,  aux  premiers  rayons 
du  soleil,  les  avant-postes  avaient  atteint  le  sommet  du  port 
qu'ils  descendaient  du  côté  de  la  France.  Alors  se  dessinèrent 
devant  eux  les  vallées  du  Lys  et  de  Bagnères  qui  forment  un 
angle  par  leur  réunion  au  petit  village  de  Montauban,  sur  les 
bords  de  la  Picque. 

Cette  fois,  Inez  et  Estève  ouvraient  la  marche  des  premiers 
groupes,  lorsqu'ils  arrivèrent  aux  dernières  limites  delà  douane 
de  Ludion. 

Parmi  cette  foule  animée  de  sentiments  si  divers,  et  dont 
chaque  individu  portait  sur  ses  traits  un  type  caractérisé  par 
quelque  forte  passion,  on  distinguait  surtout  les  deux  amans 
du  bois  d'Arrocha.  Inez  était  digne,  en  effet,  de  l'admiration 
qu'elle  inspirait  sur  son  passage;  car  jamais  les  formes  de  la 
femme  ne  se  sont  développées  par  des  signes  plus  suaves  que 
dans  cette  jeune  aragonaise.  Elle  avait  seize  ans  :  sa  mantille 
noire,  parsemée  de  simples  dentelles,  faisait  ressortir  l'écla- 
tante blancheur  de  son  sein  ;  l'admirable  finesse  de  ses  cheveux 
d'ébène,  dont  les  boucles  soyeuses  s'échappaient  d'une  rezille 
de  soie,  ses  grands  yeux  vifs,  que  voilait,  sur  un  teint  chaud, 
un  rideau  de  cils  noirs,  et  dont  le  regard  était  modeste,  don- 
naient à  sa  physionomie  une  expression  de  timidité  et  de  douce 
tristesse.  Tous  ses  traits,  en  un  mot,  portaient  l'empreinte 
de  la  passion  et  de  l'enthousiasme. 

Estève  ne  le  cédait  en  rien  à  sa  belle  maîtresse.  D'une  taille 
élancée,  comme  celle  des  catalans  ;  il  avait  toutes  les  formes 
attiques  d'un  homme  robuste  et  vigoureux.  Sous  sa  longue 
berrette  rouge  qui  retombait  sur  ses  épaules  nerveuses,  on 
voyait  se  dessiner  un  grand  air  de  tête  et  une  noble  figure  pâle 


DE  BAGKÙRES-DE-LUCHON.  223 

qu'éclairait  la  flamme  d'un  regard  de  feu.  Sa  démarche  était 
hère,  et  sa  pose  castillane  que  rehaussaient  les  rubans  de  ses 
cspardilles  enlacés  autour  d'une  jambe  académique,  en  fai- 
saient le  modèle  d'une  véritable  statue  antique. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  ces  deux  êtres,  si  bien  faits,  l'un 
pour  l'autre,  fussent  les  héros  de  la  troupe.  Aussi,  les  jeunes 
receveurs  et  les  brigadiers  de  la  douane,  ces  louveteaux  ravis- 
seurs des  jolies  espagnoles  de  la  frontière,  se  disaient-ils  avec 
regret,  en  voyant  ce  couple  si  parfait  : 

—  «  C'est  dommage  que  ce  soient  là  deux  amoureux  !  » 

Néanmoins,  après  une  halte  de  deux  heures  sur  les  bords 
de  la  Pique,  les  pèlerins  d'Araguès  continuèrent,  vers  le  milieu 
du  jour  qu'échauffait  un  soleil  ardent  du  mois  de  juin,  leur 
course  sainte.  Sous  leurs  pas  infatigables,  se  dérobèrent  insen- 
siblement le  col  de  l'Hospice  si  renommé  parmi  les  chasseurs 
de  l'Izard,  la  montagne  féerique  de  la  Picade  qu'ils  tournèrent 
à  sa  base,  la  glorieuse  vallé  du  Lys  arrosée  par  le  Go  aux 
rives  mystérieuses ,  Ludion  la  cité  consulaire,  libre  et  indé- 
pendante du  moyen-âge  ;  enfin ,  ils  arrivèrent  au  terme  de 
leur  pèlerinage  à  l'heure  où  le  soleil  commençait  à  peine 
à  se  dérober  derrière  les  sommets  des  montagnes. 

Saint-Aventin,  peu  éloigné  de  Ludion,  est  un  groupe  de 
maisons ,  assises  sur  le  plateau  d'un  monticule ,  traversé 
lui-même  par  une  fort  belle  route.  A  quelques  pas  de  distance 
de  ces  habitations,  et,  au  centre  d'un  bassin  circulaire  formé 
par  des  collines' boisées,  s'élève  une  petite  chapelle  antique. 
A  ses  pieds  s'étend  une  grotte  profonde,  taillée  dans  le  roc  et 
d'où  s'épand  un  ruisseau  d'eau  limpide.  La  grotte,  la  chapelle 
et  la  statue  du  saint,  attirent,  depuis  un  temps  immémorial, 
une  foule  immense  de  dévots,  venus  la  veille  de  la  fête,  de 
toutes  les  vallées  des  Pyrénées.  Aussi  la  troupe  d'Araguès  se 
trouva-t-elle  en  nombreuse  compagnie  quand  elle  aborda  la 
plate-forme  que  domine  la  chapelle. 

— Estève,  dit  alors  Inez,  sans  chercher,  comme  ses  compa- 
gnes, à  se  reposer  des  fatigues  du  voyage,  Estève,  reste  ici  en 
paix  ;  pour  moi,  je  vais  offrir  au  ciel  mes  vœux  et  mes  prières. 


224  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

—  Que  Dieu  t'accompagne!  répondit  l'Espagnol,  en  ôtant 
sa  berrette  et  se  signant  au  front.  Il  se  jeta  ensuite  sur  la  pe- 
louse, plongé  dans  une  profonde  rêverie. 

Aussitôt  la  jolie  Aragonuise  descendit  seule  un  petit  sentier 
rocailleux  et  alla  se  perdre  dans  la  profondeur  de  la  grotte. 
Comme  la  malade  de  Siloé,  elle  se  baigna  dans  cette  onde 
miraculeuse  de  Saint-Aventin  qui',  tous  les  ans,  opère  tant  de 
prodiges.  La  pauvre  enfant  !  elle  y  cherchait  un  remède  aux 
maladies  du  cœur.  Puis,  elle  gravit  la  pente  abrupte  qui  con- 
duit à  la  chapelle.  Ainsi  que  plusieurs  autres  jeunes  filles,  elle 
se  prosterna,  à  leur  exemple,  devant  le  buste  richement  orné 
du  saint,  et  ses  mains  se  portèrent  religieusement  sur  les  dra- 
peries ondoyantes  qui  ornent  l'image dubienheureux  martyr, 
comme  pour  obtenir  plus  facilement  la  transmission  du  baume 
des  affligés.  On  vit  même  des  larmes  couler  de  ses  beaux  yeux 
et  l'on  entendit  par  intervalles,  des  soupirs  mêlés  aux  noms 
de  sa  mère  et  d'Estève  s'échapper  de  ses  lèvres  de  roses.  Que 
les  heures  de  la  prière  sont  sublimes  !  Quelle  expansion  n'a 
point  alors  le  cœur  d'une  amante!  Inez  éprouva  ces  divers 
sentiments  de  l'amour  et  de  la  religion;  et  trouva,  en  eux,  une 
indicible  consolation.  Aussi,  lorsqu'elle  revint  vers  Estève, 
une  douce  gaîté  éclatait  sur  toute  sa  figure. 

—  Père  Carvajal,  dit-elle  au  chef  de  la  troupe  qui  alors 
paraissait  s'entretenir  en  secret  avec  son  amant,  les  droits  de 
la  religion  sont  accomplis  pour  moi  en  ce  moment. 

—  Et  ceux  de  notre  union,  répondit  Estève,  d'une  voix 
fortement  accentuée,  n'ont  pas  encore  commencé. 

—  La  vierge  et  les  anges  viendront  au  secours  de  nos  vœux, 
murmura  doucement  la  frêle  fille,  effrayée  du  ton  menaçant 
des  dernières  paroles  du  fils  du  contrebandier. 

Cependant  une  partie  de  la  nuit  se  passa  en  fêtes;  car, 
après  les  devoirs  religieux,  viennent  les  exigences  des  fai- 
blesses humaines  Ainsi,  sur  la  terre  le  mal  marche  toujours 
côte-à  côte  du  bien.  Saint  Aventin  est  un  exemple  bizarre 
qui  caractérise  parfaitement  la  fragilité  naturelle  de  noire 
espèce.  Là,  où  tant  de  prières  sont  adrssces  au  ciel,  là  aussi 


DE   HAfiNÈKES-DE-LUCHON.  225 

on  fait  (les  promesses  d'amour,  l'on  danse  et  l'on  s'égaie  avec 
la  joie  la  plus  mondaine  possible.  Les  Espagnoles  surtout  se 
t'ont  remarquer  par  cet  excès  de  mobilité  qui  les  l'ait  tourbil- 
lonner dans  un  cercle  perpétuel  de  plaisirs  et  de  passions.  Ce 
qui  fait  de  ce  lieu  de  pèlerinage,  la  veille  et  le  jour  de  la  fête, 
un  véritable  rendez -vous  universel  qui  ne  trouve  son  expres- 
sion que  dans  les  mystères  du  paganisme.  Ici,  comme  dans 
les  temples  d'Eleusis  ou  de  l'impudique  Déesse,  la  nuit  est  un 
voile  qui  couvre  bien  des  crimes,  et  les  bois  de  la  vallée  sont 
des  ombres  ténébreuses  qui  protègent  d'autres  saturnales 
La  nuit  du  28  juin  de  lannée  1833  eut  tous  ces  caractères  de 
haute  démoralisation. 

Aussi,  lorsque  le  jour  commença  à  poindre,  le  spectacle 
qu'offrait  tous  ces  étrangers  épars  dans  les  clairières  et  ces 
nombreux  visiteurs  qui  affluaient  de  toutes  parts,  n'était 
point  sans  quelque  enseignement.  Mais  avant  que  la  nouvelle 
foule  n'encombrât  les  avenues  du  Plateau  de  Saint-Aventin  : 

—  Carvajal,  dit  Estève  avec  un  rire  sardonique,  revenons 
à  la  vallée  d'Araguéz.  Le  pèlerinage  de  Saint-Aventin  sera 
des  plus  heureux  ;  car,  à  dater  de  ce  jour,  la  mère  d'Inez  ne 
dédaignera  plus  le  fils  d'un  contrebandier.  Partons. 

Au  signal  du  départ,  las  Ninas  et  los  Guapos  se  réunirent 
en  foule  autour  du  vieux  Caballero  qu'ils  pressèrent  inutile- 
ment de  différer  leur  retour.  Inaccessible  aux  plaisirs  du 
cœur,  il  se  montrait  inexorable  dans  ses  résolutions,  com- 
me un  vétéran  dans  l'exécution  de  sa  consigne.  Il  fallut  reve- 
nir dans  la  vallée.  Ce  n'était  plus,  hélas  !  la  même  gaieté  du 
départ.  La  belle  Inez  surtout  était  triste  et  sombre,  comme 
si  un  remord  eût  oppressé  ce  cœur  de  vierge.  Ses  yeux  mo- 
destes s'élevaient  par  intervalles  vers  le  ciel  et  sa  bouche  ne 
proférait  que  des  paroles  d'amour  et  de  religion.  Pour  la 
première  fois,  elle  voyait,  tous  les  jours,  s'envoler  les  illusions 
et  les  enchantements  de  la  vie  ;  et  la  nature  perdait  à  chaque 
instant,  en  elle,  quelques-uns  de  ses  charmes,  Pendant  huit 
mois,  elle  dépérissait  ainsi  aux  yeux  de  sa  mère  comme  une 
fleur  qui  se  dessèche;  lorsque  le  vieux  Carvajal   fut  envoyé 


;226  HISTOIRE  SPÉCIALE  ET  PITTORESQUE 

en  mission  à  l'extrémité  de  la  vallée,  dans  une  mauvaise 
chaumière  habitée  par  un  jeune  homme. 

—  Qui  vous  amène  ici,  à  cette  heure,  père  Carvajal,  dit 
d'un  ton  ironique,  un  jeune  contrebandier  occupé  à  polir  une 
escopette  à  demi  rouillée? 

—  Qui  mieux  que  toi,  Estève  ,  peut  soupçonner  l'objet  de 
ma  mission,  dit  le  vieillard,  en  branlant  sa  tête,  en  signe  de 
de  tristesse? 

—  Moi!...  mais  vous  savez  que  je  ne  suis  pas  habitué  à  de 
semblables  visites  de  la  part  de  vous,  père  Carvajal,  et  de 
ceux  de  la  vallée.  Car,  vous  tous,  vous  insultez  à  mon  nom 
et  à  ma  pauvreté.  Depuis  tantôt  huit  mois,  je  n'avais  eu  le 
plaisir  de  vous  voir,  père  Carvajal  ;  la  date  est,  je  crois,  cer- 
taine, n'est-il  pas  vrai? 

—  Oui,  depuis  huit  mois,  c'est-à-dire  depuis  le  pèlerinage 
de  la  chapelle  de  Saint-Aventin.  Plût  au  ciel!  que  Carvajal 
fut  tombé  raide  mort,  le  jour  qu'il  franchit  cette  frontière 
pour  entreprendre  un  tel  voyage;  mais  il  suffît,  Estève; 
laissons-la  mes  plaintes;  je  viens  aujourd'hui  pour  une  autre 
motif. 

—  Parlez,  père  Carvajal,  parlez  toujours,  répondit  avec 
intention  le  jeune  contrebandier. 

—  Eh  bien,  écoute,  Estève,  dit  le  vieillard  consterné, 
Inez  demande  ta  main  en  mariage.  Tu  le  sais  elle  a  droit 
de  l'exiger. 

—  Est-ce  la  fille  seule  qui  vous  a  chargé  de  me  faire  cette 
proposition?  répondit  d'un  ton  sévère  le  jeune  homme. 

—  La  mère,  par  ma  voix,  t'en  fait  encore  une  prière. 

—  A  cette  dernière  condition,  j'accorde  ma  main. 

—  Demain,  tout  sera  disposé  pour  la  cérémonie  ;  je  t'atten- 
drai pour  te  prendre  au  fond  du  bois;  Adieu,  Estève! 

—  Je  savais  bien,  murmura  doucement  le  jeune  homme,  je 
savais  bien  qu'elle  descendrait  envers  moi  jusqu'à  la  prière  ! 

En  effet  la  nuit  du  lendemain  ,  le  mariage  fut  célébré  en 
secret  et  sans  pompes,  dans  une  modeste  chapelle. 

Nul,   dans  le  village  ne  se  douta  de  l'heure  de  la  cérémonie 


DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON.  "2*27 

qui  fut  un  véritable  sacrifice.  !nez,  pâle  et  tremblante,  la 
figure  hâve,  se  présenta  devant  le  prêtre  comme  une  victime 
qu'on  allait  immoler.  Dieu  l'avait  déjà  choisie  pour  une  terre 
meilleure  et  surtout  pour  une  plus  belle  destinée.  Car,  un 
mois  après,  deux  anges  s'envolèrent  au  ciel,  la  mère  et  un 
enfant.  Quant  au  contrebandier,  il  reprit  ses  crampons,  et  la 
mère  vint  pleurer  sur  un  tombeau,  en  maudissant  le  pèlerinage 
de  Saint-Aventin  et  le  fils  du  meurtrier  de  son  époux. 


1  IN   nr  L  HISTOIRE  1)1"   LUCHON. 


ÉTABLISSEMENT  DE  BAI\S 


DE 


SIRADA1 


Situation  et  origne  de  Siradan.  —  Itinéraire  et  promenades  aux 
environs  des  bains.  —  Saint-Béat  et  la  vallée  d'Aran.  —  Col-du- 
Haut  ou  la  chasse  aux  Bisets.  —  Saint-Bertrand  de  Comminges.  — 
Divers  détails  historiques. 

Le  voyageur  qui  se  dirige  de  Toulouse  à  Bagnères-de- 
Luchon,  trouve  sur  son  passage  ,  entre  Saint-Gaudcns  et 
Saint-Béat,  une  jolie  vallée  qui  s'arrondità  sa  droite  en  forme 
de  demi-cerele.  Au  fond  de  cette  vallée  et  à  quelques  minutes 
de  la  route  nationale,  il  aperçoit,  aux  pieds  des  montagnes, 
un  groupe  de  petites  maisons  coquettes,  dominées  par  un 
clocher  et  par  un  établissement  qui  se  dessine  majestueux 
au  milieu  des  prairies  verdoyantes;  ces  maisons  et  cet  éta- 
blissement composent  le  village  et  les  bains  de  Siradan. 
Jamais  site  pyrénéen  ne  s'est  montré  plus  gai,  plus  majes- 
tueux et  surtout  plus  agréable  que  celui  qui  s'offre  à  ses 
regards  ! 

Aussi,  avons-nous  l'intention  de  faire  connaître  ce  petit 
coin  des  montagnes  qui  n'est  pas  sans  avoir  son  intérêt 
historique. 

15 


250  NOTICE 

Le  village  de  Siradan  est  situé  dans  le  centre  du  pays 
appelé  par  les  anciens  écrivains,  le  pays  des  Convenoe.  Ces 
derniers  étaient  des  peuplades  que  Pompée,  allant  combattre 
Sartorius  en  Espagne  (l'an  676  de  Rome),  contraignit 
d'habiter  cette  partie  des  montagnes  où  elles  fondèrent  une 
ville  nommée  Lugdunum  convcnarum ,  aujourd'hui  Saint- 
Bertrai  d  de  Comminges. 

Voici,  au  reste,  ce  que  disent  à  ce  sujet,  Pline,  Strabon  , 
Grégoire  de  Tours,  Saint- Jérôme,  etc  . 

«  Pompée,  avant  de  retourner  à  Rome  pour  jouir  de  son 
triomphe,  revenant.  d'Espagne,  franchit  les  montagnes  qui 
séparent  l'Ibérie  delà  Gaule  INarbonnaise  et  se  dirigea  vers 
le  pays  des  Convenœ. 

«  Ce  qui  l'engagea  à  prendre  cette  route,  fut  le  motifs  de 
connaître  une  population  dont  il  avait  eu  l'occasion  d'appré- 
cier la  bravoure,  les  mœurs  et  les  usages. 

«  Arrivé  dans  le  pays,  il  trouva  une  population  sans  ordre, 
ayant  dos  habitudes  grossières,  mais  des  mœurs  pures.  En 
conséquence  et  pour  les  civiliser,  il  les  contraignit  de  se 
réunir  sur  un  monticule,  où  ils  fondèrent  une  ville.  D'où  le 
nom  de  convenœ  (se  réunir);  la  ville  prit  le  nom  de  Lugdu- 
num. » 

Siradan,  qui  est  situé  dans  la  contrée  qu'habitaient  les 
convenœ ,  a  conservé  des  traces  de  cette  antique  origine. 
Ainsi,  on  a  trouvé  des  inscriptions  qui  témoignent  que  la 
domination  romaine  a  exercé,  dans  l'époque  ancienne,  une 
grande  influence  sur  les  populations  de  ces  montagnes. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  antiquité,  Siradan  occuppe  au- 
jourd'hui par  ses  eaux  et  sou.  établissement  de  bains,  une 
position  toute  exceptionnelle.  Avant  d'entrer  dans  les  détails 
de  ses  eaux  et  des  avantages  thérapeutiques  qu'on  peut  en 
retirer,  nous  voulons  nous  attacher  à  bien  faire  connaître  , 
sous  le  rapport  topographique,  ses  agréments  et  surtout  les 
plaisirs  que  peuvent  y  retrouver  les  étrangers  qui  viennent 
y  passer  la  saison  des  bains. 

Un  des  premiers  agrémentsest,  sans  contredit,  les  prenne- 


SUR  LE  BAINS  DE  SIRADAN.  251 

nades  ou  courses  aux  environs.  Siradan  est  admirablement 
situé  pour  les  entreprendre.  Nous  nous  dirigerons  donc  vers 
Saint-Béat  et  la  vallée  d'Aran.  En  parlant,  le  matin,  de  l'é- 
tablissement Dosset,  on  arrive  en  quelques  minutes  sur  la 
route  nationale  qui  nous  conduit,  en  moins  d'une  heure  ,  à 
la  petite  ville  de  Saint-Béat. 

Saint-Béat,  situé  entre  deux  rochers,  est  à  421  mètres  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer.  Cette  petite  ville,  chef  lieu  de 
canton  est  renommée  par  son  commerce  et  par  ses  carrières 
de  marbre  blanc  que  l'on  rencontre  sur  la  route.  Ces  mar- 
bres sont  aussi  beaux  que  ceux  d'Italie.  Le  château  de  Saint- 
Béat,  actuellement  en  ruines,  servait'de  défense,  au  XVI 
siècle,  et  protégeait  la  ville  contre  les  excursions  des  enne- 
mis du  dehors. 

En  traversant  la  ville, et  en  suivant  le  cours  delà  Garonne, 
on  arrive  au  Pont  du  roi  qui  sert  de  limite  entre  la  France  et 
l'Espagne,  à  travers  de  riantes  prairies  bordées  de  tous  côtés 
par  de  hautes  montagnes.  Là,  commence  la  vallée  d'Aran 
dont  l'étendue  est  de  sept  lieues  de  long.  Sa  population 
se  compose  de  20  à  21,000  habitants,  repartis  dans  trente- 
deux  petites  villes,  bourgs,  villages  et  hameaux.  Sous  le 
rapport  religieux,  elle  compte  soixante  neuf  églises,  chapel- 
les ou  ermitages. 

L'aspect  général  de  cette  vallée  offre,  à  la  vue ,  de  gras 
pâturages,  des  bois,  des  sites  variés  et  une  belle  culture.  Le 
pic  de  la  Maladetta  et  la  source  de  la  Garonne  se  trouvent  à 
son  extrémité  du  côté  de  l'Espagne.  Les  villes  de  Bossost,  de 
Vieille  ;  les  ermitages  d'Artigue-Telin  et  de  Saint- Jean-d'Ar- 
ros,  l'église  et  le  couvent  gothique  de  Metg-d'Aran,  sont  des 
lieux  dignes  d'être  visités,  et  que  nous  recommandons  aux 
poètes,  aux  peintres  et  aux  touristes. 

Ainsi,  la  vallée  d'Aran,  sous  le  rapport  historique,  est-elle 
située  à  l'extrémité  de  l'ancien  pays  du  Comminges,  d'où 
elle  dépendait  sous  le  rapport  du  spirituel.  Car  le  diocèse 
du  Comminges  l'enclavait  |dans  ses  limites.  Mais  dans  les 
temps  reculés,  elle  fut  successivement  sous  la  domination 


252  NOTICE 

des  Gaulois,  des  Romains,  des  Visigoths  et  des  Maures.  Les 
tribus  celtes,  nommées  Garumni,  l'habitaient  primitivement. 
Les  comtes  du  Comminges  devinrent  ses  derniers  suzerains. 

Ce  ne  fut  qu'en  1198,  que  Bernard,  comte  de  ce  pays,  la 
donna  à  Alphonse  II,  roi  d'Aragon,  qui  épousa  sa  fille.  De- 
puis cette  époque,  elle  ne  cessa  d'être  sous  la  dépendance 
des  rois  d'Aragon,  excepté  sous  l'Empire  auquel  la  réunit 
Napoléon.  Mais  par  une  étrange  concession,  l'Empereur  con- 
sentit, après  le  concordat  de  1802,  que  la  vallée  d'Aran,  qui 
avait  été  sous  la  domination  des  évoques  du  Comminges , 
quant  au  spirituel ,  fût  soumise  à  celle  de  l'évêque  d'Urgel. 
Les  traités  de  1815,  la  détachèrent  de  nouveau  de  la  France 
pour  la  remettre  encore  une  fois  sous  la  puissance  espagnole, 
sous  laquelle  nous  la  voyons  aujourd'hui. 

Les  mœurs,  les  costumes  et  les  usages  des  Aranais  méri- 
tent d'être  connus  sur  les  lieux.  Aussi  laissons-nous  à  la 
curiosité  des  baigneurs  le  soin  d'aller  eux-mêmes  les  y 
étudier. 

Lorsqu'on  a  consacré  une  journée  à  explorer  la  vallée 
d'Aran,  on  peut  rentrer  à  Siradan  satisfaits  d'une  telle  ex- 
cursion. 

La  seconde  course  qu'on  doit  entreprendre  dans  l'explora- 
tion de  ces  montagnes,  doit  être  consacrée  à  visiter  Saint- 
Bertrand  ,  l'ancienne  cité  romaine,  connue  sous  le  nom  de 
Lugdunumconvenarum.  De  Siradan  à  Saint-Bertrand  le  trajet 
n'est  pas  long.  Il  suffit  de  prendre  la  direction  delà  route  de 
Saint-Gaudens  jusques  avant  d'arriver  au  pont  de  Labro- 
quère.  On  se  détourne  à  gauche,  en  suivant  une  jolie  routo 
qui  vous  conduit  en  quelques  minutes  en  face  d'un  monti- 
cule sur  lequel  s'élèvent  des  remparts  et  des  maisons  aux 
teintes  grisâtres.  C'est  la  ville  de  Saint-Bertrand,  à  laquelle 
on  arrive  en  gravissant  un  sentier  tracé  en  forme  de  rue. 

Sans  nous  préoccuper  ici  de  son  antiquité  romaine,  ni  du 
siège  qu'elle  soutint  en  584  contre  Contran,  en  faveur  de 
Gondewal  prétendant  à  la  couronne  ;  ni  de  tous  les  autres 
événements  qui  s'attachèrent  à  cette  révolte,  nous  dirons 


SUR  LES  BAINS  DE  SIRADÂN.  23-"> 

seulement  ce  qui  a  rapport  aux  monuments  et  aux  faits  qui 
concernent  la  ville  moderne. 

Le  premier  édifice  digne  de  notre  attention  est  l'église  dont 
la  fondation  remonte  à  l'an  500,  sous  le  règne  de  Clovisl., 
Le  premier  évêquede  Lyon  de  Commingcs,  ainsi  qu'on  appel- 
lait  cette  cité,  avant  le  XI  siècle,  fut  Suavis  qui  assista  au 
concile  d'Agde  en  505.  Mais  en  examinant ,  dans  tous  ses 
détails,  les  diverses  parties  de  ce  monument  religieux,  on 
peut  se  convaincre  avec  raison  qu'il  avait  été  détruit,  lors- 
que St. -Bertrand  le  recontruisit  en  1086,  époque  à  la  quelle, 
cette  cité  changea  son  nom  de  Lyon  de  Comminges,  contre 
celui  de  Saint-Bertrand,  nom  du  saint  évêque  qui  la  releva 
de  ses  ruines. 

Ainsi  Téglise  est-elle  remarquable  par  la  hardiesse  de  sa 
voûte  et  par  les  seize  contre-forts  qui  soutiennent  son  vais- 
seau. On  admire,  dans  l'intérieur  le  buffet  de  l'orgue  et  des 
boiseries  qui  sont  d'un  travail  rare.  Le  tombeau  de  saint 
Bertrand,  érigé  derrière  l'autel  par  ordre  du  Pape  Clément  V, 
quoique  dégradé  en  partie,  conserve  néanmoins  quelques  uns 
de  ses  anciens  ornements.  Celui  de  Hugues  de  Chatillon, 
placé  dans  la  chapelle  de  INolre-Dame-de-Pitié,  et  formé  de 
marbre  blanc,  mérite  d'attirer  notre  attention.  On  lit  sur  le 
mur,  en  face  du  mausolée,  une  inscription  latine  dont  voici 
la  traduction  .- 

«  L'an  1352.  le  4  octobre,  mourut  le  seigneur  Hugues  de 
»  Chatillon,  par  la  grâce  de  Pieu  évèque  du  Commingcs,  qui 
«  fit  construire  cette  chapelle  et  qui  termina  l'église  cathé- 
<c  drale.  Que  son  aine  repose  en  paix'.  Ainsi-soit-il.  » 

Sur  le  côlédroit,  en  entrant  dans  l'église,  on  se  dirige  vers 
l'ancien  cloître  qui  était  fort  beau.  Des  colonnes  très  bien 
sculptées  l'ornent  encore,  et  ces  colonnes  se  distinguent  par 
des  bas-reliefs  fort  remarquables.  Des  tombeaux  incrustés 
dans  les  murs  de  l'église  et  du  cloître,  des  inscriptions  et  un 
caveau  qui  servait  de  sépulture  aux  membres  du  Chapitre, 
aujourd'hui  hermétiquement  fermé,  sont  tout  ce  qui  reste 
de  l'ancienne  splendeur  de  ce  cloître  qu'on  disait  fort  beau. 


254  NOTICE 

Aussi,  après  l'avoir  visité  dans  ses  détails,  on  revient  dans 
l'église  pour  monter  à  la  tour  d'où  se  déroule  un  panorama 
magnifique,  ou  bien  l'on  s'arrête  devant  les  voussures  du 
portail  formé  de  marbre  blanc  avec  des  colonnettes  dont  les 
chapiteaux  sont  très  bien  sculptés  et  représentant  des  sujets 
religieux.  On  peut  voir  au-dessus  de  l'arc-boutantde  la  porte, 
l'adoration  des  mages,  sculptée  sur  marbre  blanc  en  demi- 
grandeur  naturelle. 

Nous  dirons  un  mot,  avant  de  quitter  l'église,  sur  les  boi- 
series qui  entourent  le  chœur,  sur  celles  de  la  chaire  et  du 
confessionnal.  Ce  sont  des  chef-d'œuvres  de  l'époque  de  la 
renaissance.  Les  principales  sculptures  que  l'on  voit  sur  les 
stalles,  sont  la  foi,  l'espérance,  la  justice  et  la  force  repré- 
sentées sous  la  figure  de  femmes.  Celles  du  confessionnal  et 
de  la  chaire  ne  le  cèdent  en  rien,  à  ces  dernières, soit  par  le 
fini  du  modèle,  la  hardiesse  du  ciseau  et  la  vérité  du  dessin, 
unie  à  la  science  du  sculpteur.  Le  crocodile  appendu  à  la 
voûte  de  l'église  et  qui,  dit-on,  ravageait  le  pays,  lorsque 
saint  Bertrand  le  fit  mourir,  est  la  dernière  curiosité  qui 
doive  fixer  l'attention  du  visiteur  qui  tient  à  admirer  le 
monument  religieux. 

Dans  l'enceinte  de  la  ville,  ce  qui  fixe  d'abord  l'attention, 
ce  sont  les  murailles  qui  font  le  tour  du  monticule  sur  lequel 
est  située  la  ville.  On  remarque,  en  les  parcourant,  le  rocher 
hitsorique  d'où  Gondewald,  le  prétendant  royal  de  la  pre- 
mière race,  fut  précipité.  Ce  rocher  est  à  vingt  pas  des  mu- 
railles, il  se  nomme  Malacan  {tuer  un  chien).  Son  élévation 
est  de  1 17  mètres  environ  au-dessus  du  sol  des  précipices  qui 
entourent  la -cité. 

En  faisant  le  tour  des  murailles  de  Saint-Bertrand,  on  voit 
sur  une  pierre  incrustée  dans  une  muraille,  près  la  porte 
de  Valcabrère,  l'inscription  suivante  : 

Taxe  du  poisson  pendant  le  Carême  166 1  .- 

Truites,  trois  deniers.  Loches,  trois  deniers. 

Sièges,  trois  deniers.  Cabillas.,  deux  deniers. 


SUR  LES  BAINS  DE  SIR  A  DAN.  235 

Au  dessus  de  lu  porte  principale  on  lit  une  partie  de  ectle 
inseription  incomplète: 

IM1\  XXVI. 

COS  •  VPP. 

CIV1TA  COVENEVM. 

On  voit  la  figure  d'une  louve  à  la  suite  de  cette  inseription. 

La  visite  faite  à  Saint-Bertrand  doit  se  terminer  par  une 
exeursion  de  quelques  minutes  qu'on  doit  tenter  vers  ïibiran 
et  Valcabrèrc.  Selon  la  traduction,  ces  deux  localités  n'au- 
raient été,  dans  les  temps  anciens,  que  des  faubourgs  de 
Lugdunum  Convenarum.  Ainsi,  la  première,  fondée  par 
Tibère,  remonterait  vers  l'an  37  de  l'ère  chrétienne;  et  la 
seconde,  dont  le  nom  signifie  vallée  des  chèvres,  aurait  servi 
de  quartier  général  à  Leudegesile,  lieutenant  de  Contran, 
en  585,  époque  où  la  cité  romaine  soutint  un  siège  mémo- 
rable qui  se  termina  par  sa  ruine. 

Sans. apprécier  au  fond  l'étymologie  de  ces  localités,  il  est 
évident  qu'elles  renferment  des  restes  d'antiquité  qui  sont 
dignes  d'attirer  l'attention.  Les  nombreuses  inscriptions 
qu'on  a  trouvées  à  Valcabrère  et  à  Tibiran  sont  des  argu- 
ments puissants  en  faveur  de  son  ancienneté. 

Dès  qu'on  a  vu  Saint-Bertrand  et  ses  deux  anciens  fau- 
bourgs, selon  la  tradition,  on  peut  jeter  un  coup-d'ceil  sur 
le  château  de  Barbazan,  situé  sur  un  coteau  qui  domine  la 
Garonne,  en  face  la  route ,  non  loin  du  pont  de  Labroquère. 
Le  château  et  le  lac  qui  est  aux  environs  sont  deux  choses 
à  voir  dans  une  autre  journée;  puis,  on  rentre  à  Siradan 
par  la  route  de  Bagnères-de-Luchon. 

La  troisième  excursion  que  les  baigneurs  peuvent  faire 
aux  environs  des  bains  de, Siradan  ,  après  celle  qui  a  pour 
objet  les  chalets  Saint-Nerée  où  se  rendent  de  nombreuses 
cavalcades  des  environs,  la  plus  agréable  et  la  plus  impor- 
tante de  toutes  ,  est ,  sans  contredit ,  l'excursion  qui  a  pour 
but  les  panthières  du  Col-du-Haut. 


256  NOTICE 

On  appelle  panlhières,  dans  les  Pyrénées,  des  montagnes 
hifurquées  qui  servent  de  passage  aux  bisets  ou  pigeons 
sauvages.  Celles  du  Col-du-Haut  ont  une  réputation  juste- 
ment méritée.  Pour  l'amateur  de  la  chasse  comme  pour  le 
chasseur  de  profession,  une  visite  aux  pantbières  dont  nous 
parlons  est  plus  qu'un  délassement,  c'est  un  plaisir  de  tous 
les  mois  de  la  saison  des  bains. 

Pourcela,  lacoursen'est  pasdifficile,  ni  longue.  Lorsqu'on 
quitte  Siradan,  il  suffit  de  traverser  la  Garonne  à  deux 
kilomètres  et  demi  de  l'établissement  et  l'on  se  dirige  vers 
la  route  nouvellement  tracée  qui  conduit  de  Saint-Béat  à 
Aspet.  Au  sommet  de  la  montagne  on  arrive  au  but  de  la 
promenade.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire  connaître  les  agré- 
ments de  cette  course  qu'en  rapportant  lesdétails  qui  concer- 
nent la  chasse  aux  bisets. 


LES  PANTIHERES  DU  COL-DU-HAIT 

OU 

LA  CHASSE  AUX  BISETS. 

Au  versant  septentrional  des  Pyrénées,  entre  les  petites  vil- 
les d' Aspet  et  de  Saint-Béat,  s'élève,  en  forme  de  cône  empa- 
naché de  majestueuses  forêts,  une  montagne  gigantesque, 
ombreuse  et  solitaire,  nommée  Kagire.  A  ses  pieds,  moitié 
français,  moitié  espagnols  s'abritent,  bizarrement  groupés, 
d'innombrables  villages  ;  se  dessinent  en  tout  sens,  comme 
les  rayons  d'un  cercle  de  riantes  vallées;  et  sur  ses  flancs 
veloutés,  disputés  en  partie  par  le  Val-d'Aran ,  d'autres 
montagnes  plus  modestes  s'épanouissent,  à  la  faveur  de  sa 
haute  protection  aërienne.  Or,  un  de  ces  monts,  le  plus  voisin 
de  Kagire  et  que  distingue  le  petit  village  de  Moncaut  assis 
sur  la  pelouse,  est  surtout  en  réputation ,  sous  le  nom  du 


SUR  LES  BAINS  DE  SIRADAN.  257 

Col-du-Haut,  pour  la  chasse  aux  bisets  et  pour  les  rendez- 
vous  annuels  d'étrangers  que  les  panlhières  appellent  de 
toutes  parts  :  de  Saint-Gaudens,  de  Vielle,  de  Saint-Béat, 
deMontrejeau,  de  Bagnères-de-Luchon  et  même  de  Toulouse. 
Mais  la  grande  réunion  a  lieu  principalement  le  16  octobre, 
fête  de  Saint-Bertrand.  Avant  ce  jour,  marqué  par  de  joyeux 
plaisirs,  des  festins,  des  divertissements  et  de  nombreuses 
cavalcades,  les  chasseurs  montagnards  sont  rarement  trou- 
blés dans  leurs  ingénieuses  opérations.  Pour  eux,  les  grands 
travaux,  les  travaux  importants,  indispensables  à  leur  ac- 
tivité turbulente,  commencent  au  9  septembre.  A  cette  épo- 
que, les  fdets  sont  radoubés,  les  chaînons  tendus,  les  pieux 
aiguisés  etles  arbres  à  mats,  à  échelons  et  à  guérites,  coupés, 
travaillés ,  façonnés  pour  servir  à  élever  une  charpente 
aérienne.  Le  mouvement  est  alors  général  parmi  les  habi- 
tants du  Col-du-Haut.  La  chasse  va  commencer. 

On  sait  que  l'émigration  des  bisets  s'oppère  à  l'approche 
de  l'hiver.  Déjà  le  refroidissement  de  la  température,  la  fraî- 
cheur des  nuits  d'automne,  la  font  devancer,  par  les  plus 
prévoyants  et  par  ceux  qui  sont  les  plus  voisins  des  Pyré- 
nées, vers  les  derniers  jours  de  septembre.  Alors  des  troupes 
innombrables  de  bisets  s'élèvent  dans  les  airs,  apparaissent 
dans  la  direction  du  nord  et  s'avancent  en  serre-hle  pour 
effectuer  le  fatal  passage  des  montagnes,  L'instinct  guide  ces 
bataillons  allés  mais  la  ruse  des  homme ,  plus  puissante 
encore,  se  joue  de  leur  instinct.  A  la  volonté  de  l'homme  , 
leur  vol  hardi  s'abaissera  ;  leur  marche  à  tire  d'aîle  s'arrê- 
tera tout-à-coup  et  les  engins  du  chasseur  les  forcera,  mal- 
gré leur  prévoyance,  à  tomber  dans  une  gorge  meurtrière. 

Il  faut  le  dire  aussi,  le  Col-du-Haut  est  favorable  à  cette 
coupable  industrie  de  l'homme  contre  l'oiseau.  Deux  pics 
surgissent  parallèlement  et  forment  des  deux  côtés,  dans  la 
longueur  d'une  demi  heure,  une  palissade  de  rochers  chargés 
de  bois  en  amphitéàtre  et  ornés  d'une  riche  végétation.  Au 
milieu,  s'allonge  un  vallon  étroit  dont  l'extrémité  forme  un 
défilé  qui  détache  son  bleu-clair  dans  l'horizon  espagnol. 


258  NOTICE 

Là,  un  filet  aux  jours  infinis  et  aux  mailles  imperceptibles, 
barre  transversalement  et  dans  toute  son  étendue  le  passage 
du  col,  à  la  hauteur  d'environ  vingt  pieds.  On  ne  se  douterait 
point  de  sa  tension,  si,  une  guérite  isolée  au  milieu  des  filets, 
ne  laissait  flotter,  dans  le  vague  des  airs,  une  ligne  de  cor- 
dages. Or,  cette  guérite,  en  termes  de  l'art  du  chasseur 
pyrénéen,  n'est  composée  que  de  trois  longs  mâts  fichés 
perpendiculairement  en  triangle  par  le  bas  et  réunis  en 
faisceaux  par  le  sommet.  Des  échelons,  grossièrement  tracés 
s'élèvent  jusqu'au  plus  haut  de  la  guérite  où  se  balance  un 
vaste,  profond  et  large  nid,  bâti  de  branches  de  feuillage  et 
de  gazon.  Ce  nid  devient  indispensable  pour  la  chasse  ;  car 
il  sert  de  retraite  et  de  cachette  à  un  adroit  bisetier,  connu 
sous  le  nom  d'arbaletier,  et  dont  la  fonction,  comme  on  le 
verra  bientôt,  est  d'une  haute  importance.  En  attendant  son 
rôle',  balancé  dans  sa  demeure  aérienne  où  il  se  blottit,  il 
prête  une  oreille  exercée  au  signal  convenu. 

Mais  sur  les  deux  penchants  des  collines  qui  aboutissent 
face-à-face  au  Col-du-Haut  et  dans  toute  leur  longueur  du 
nord  au  midi,  s'élèvent,  à  égales  distances,  ainsi  que  des 
avant-postes  croisés,  huit  guérites  semblables  à  celles  de 
l'arbaletier.  Elles  servent  de  réduit  aux  vedettes  de  la  chasse. 
Une  seule,  placéeà  l'extrémité  du  nord  et  suspendue  sur  un 
sommet  très  élevé,  est  destinée  à  former  un  observatoire.  La 
sentinelle,  ainsi  haut  perchée  dans  son  nid,  découvre  facile- 
ment au  loin,  par  dessus  les  monts,  l'immensité  du  ciel  qui 
se  déploie,  à  sa  vue,  dans  toute  sa  majestueuse  étendue. 
Chacun  alors  esta  son  poste.  Viennent  maintenant  les  bisets. 

Cependant,  au  milieu  du  vaguedesairs,  apparaissentdans 
un  ciel  d'azur,  des  points  noirs  qui  se  meuvent  impercepti- 
bles. Chassés  par  le  vent  d'est,  ces  points  noirs  se  rappro- 
chent, grossissent,  se  multiplient  en  raison  inverse  de  leur 
distance.  Ils  présentent  alors  aux  yeux  attentifs,  des  myria- 
des de  volatilles  se  dirigeant  vers  les  Pyrénées.  «  Bonne  cu- 
rée! »  s'est  écrié,  en  ce  moment,  un  chasseur  transporté  de 
joie.  «  Vent  Je  Perpignan:  biset  en  gibecière.  »    En  effet,  du 


SUR  LES  NAINS  DE  SIRADÀN  239 

haut  de  son  observatoire,  la  sentinelle  de  l'avant-poste  a 
fait  retentir  par  trois  fois  le  son  aigu  et  perçant  de  sa  cor- 
ne. A  ce  signal  de  reconnaissance  que  l'écho  transmet  de 
guérite  en  guérito  ,  les  têtes  des  biseliers  sortent  en  obser- 
vation de  leurs  nids.  La  colonne  aérienne  se  découvre  alors 
à  leurs  regards  curieux.  Déjà  elle  plane  immobile  à  l'entrée 
du  vallon  ;  un  instant  on  la  voit  hésiter  dans  sa  marche, 
mais  les  sons  redoublés  de  la  corne  retentissant  à  l'arrière  de 
plus  fort  encore,  la  commotion  de  l'air  hâte,  en  avant  le  vol 
douteux  des  bisets  épouvantés  et  une  fois  engagés  dans  le 
vallon,  on  les  voit,  en  biaisant,  tantôt  se  porter  à  la  droite, 
tantôt  se  jeter  sur  la  gauche.  Mais  repoussés  alternativement 
vers  le  centre  par  les  hurlements,  les  clameurs  et  les  bruis- 
sements des  hommes  des  postes  qu'ils  approchent,  ils  arrivent 
forcément  et  en  losange  à  quelque  distance,  des  filets.  Ils 
semblent  alors  se  poser  un  instant  indécis  ;  ils  s'exhaussent 
toul-à-coup  comme  pour  franchir  la  gorge  qui  se  trouve 
béante  devant  eux.  L'adroit  biselier  de  la  guérite  du  centre 
a  su  déjà  contre-mander  leur  marche.  Armé  d'une  forte 
arbalète,  au  ressort  vigoureux,  il  projette,  bien  haut  au- 
dessus  de  la  troupe,  le  mail,  morceau  de  bois  adhérant  à 
deux  aîles  de  faucon.  À  cette  ombre  de  l'oiseau  de  proie  qui 
semble  les  poursuivre,  les  bisets  par  un  vol  spontané,  plon- 
gent, en  traçant  un  arc  de  cercle  dont  la  tangente  est  le  val- 
lon, jusqu'au  pied  des  filets.  Ils  se  relèvent  instantanément 
pour  fuir:  aussitôt  la  corde  de  l'arbaletier  agite  une  forte 
détente,  et  cette  large  et  haute  masse  de  filets,  cédant  à  la 
pesanteur  d'énormes  rochers  qui  hâtent  sa  chute  par  le 
sommet,  tombe  sur  toute  la  vaste  étendue  du  col  et  enveloppe 
le  gibier  qui  bat  encore  de  l'aîle.  Un  appel  de  loup,  hurlé 
par  l'arbaletier  et  transmis  de  poste  en  poste,  est  le  signal 
joyeux  d'une  abondante  capture. 

Alors  on  voit  déboucher,  par  tous  les  angles  des  rochers, 
du  milieu  des  troncs  d'arbres  et  dans  toutes  les  directions, 
une  foule  de  gais  chasseurs  dont  on  n'avait  point  encore  soup- 
çonné l'existence.  Les  uns,  armés  de  fusils,  rappellent,  mou- 


24-0  NOTICE 

ranls  du  haut  des  airs,  les  quelques  bisets  qui  ça  et  là  veulent 
regagner  leur  sauvage  liberté  ;  les  autres,  se  saisissent  un  à 
un  des  prisonniers  qui  s'agitent  eneore  sous  les  filets  et  leur 
tournent  impitoyablement  la  gorge.  Le  massacre  terminé,  les 
vastes  corbeilles  d'osiers  se  remplissent  des  victimes  gisantes 
sur  la  pelouse.  Alors  tout  redevient  calme;  les  filets  se  relè- 
vent majestueusement  ;  le  Col-du-Ilaui  semble  un  instant 
désert;  chacun  à  son  poste,  attend  impatiemment  l'instant 
d'une  nouvelle  fortune. 

Mais  si  la  chasse  aux  bisets  présente  pendant  sa  durée  pas- 
sagère d'un  mois  quelques  uns  de  ces  tableaux  plus  ou  moins 
variés  et  dont  nous  venons  de  hasarder  une  esquisse,  elle 
offre  encore,  le  jour  de  la  fête  de  Saint-Bertrand,  un  spectacle 
autrement  pittoresque  et  intéressant. 

Le  16  octobre,  à  peine  l'aurore  commence-l-elle  à  poindre, 
que  le  calme  de  la  nuit  des  Pyrénées  et  le  silence  imposant 
et  gigantesque  des  montagnes,  sont  troublés  par  la  foule 
immense  d'étrangers  qui  stationnent  depuis  la  veille  ou  qui 
vont  et  viennent  se  réunir  aux  pieds  du  Col-du-Haut.  Lors- 
que le  soleil  commence  à  briller  au  sommet  de  Kagire,  c'est 
déjà  un  grand  jour  de  fête.  La  musique  des  Pyrénées  jette 
alors  ses  sons  rapides,  lents  ou  saccadés  à  l'écho  qui  les  répète 
à  l'infini  avec  ses  différentes  fioritures.  Les  danses  sont  en 
train.  Les  broches  du  bon  vieux  temps  des  héros  d'Homère 
tournent  le  gibier,  en  plein  vent,  sur  leurs  fourches  de  bois. 
La  fumée  de  la  cabane,  la  seule  cuisine  de  ce  vaste  hôtel  qu'on 
appelle  les  Panibiéres,  est  d'un  bon  augure  à  l'appétit  des 
convives;  et  le  Vatel  de  ce  Louvre  de  Gascon,  la  gentille  et 
proprette  montagnarde  offre  déjà  avec  le  sourire  du  laisser 
aller  et  de  l'aisance,  ses  services  reconfortants  au  mylord,  à 
la  dame  élégante,  au  bourgeois,  à  la  duchesse  ,  au  député, 
à  l'industriel,  au  ministre  passé  ou  futur,  à  l'homme  de  let- 
tres, que  Bagnères-de-Luchon  cède  pour  un  jour  au  grand 
banquet  du  Col-du-Haut.  Certes,  si  l'égalité  des  rangs  est 
quelque  part,  elle  est  aux  Panthihres.  Point  de  distinction. 
Le  gazon  et  la  pelouse  servent  également  de  siège  et  de  table 


SUR  LES  BAINS  DE  SIKADA.N.  %&i 

dressée  pour  tuut  le  monde.  On  ne  dispute  la  que  du  bon 
appétit. 

Aussi,  quel  spectacle  plus  beau,  pour  l'observateur,  que 
ces  groupes  nombreux  de  gens  de  toute  fortune,  de  tout  sexe 
et  de  toute  considération,  assis  pèle  et  mêle  sur  le  penchant 
d'une  montagne  ignorée  des  Pyrénées  !  que  ces  toilettes 
riches,  modestes,  négligées,  contrastent  bien  ensemble  dans 
leurs  confusions  !  que  les  plaisirs  bruyants  du  festin  et  de  la 
danse  inspirent  alorsde  tendres  sentiments  à  l'ameianocente! 
une  seule  pensée,  celle  du  bonheur  se  déploie  vive  et  brillante 
à  l'imagination  de  tous  les  assistants.  Mais  la  joie  commune 
va  être  plus  complète  encore,  car  ce  jour  de  fête  est  aussi  un 
jour  de  chasse.  Le  son  de  la  corne  vient  de  retentir  par  trois 
fois  du  haut  de  l'observatoire.  Aussitôt  le  bruit  des  instru- 
ments est  suspendu.  Les  cris,  les  joyeux  ébats  cessent  ins- 
tantanément. Chaque  convive  emporte  à  la  main  les  restes 
de  son  repas  interrompu  et  tout  le  monde  fuit  se  cacher 
derrière  les  rochers  où  se  dérober,  à  la  vue  de  l'oiseau  de 
passage,  dans  les  bois.  Le  vallon  du  col  est  maintenant  désert. 
Quel  silence!  on  craint  le  bruit  de  son  souffle;  on  comprime 
les  pulsations  du  cœur,  et  chacun,  dans  une  attente  impa- 
tiente, suit  des  yeux  et  des  oreilles  tous  les  mouvements 
et  les  signaux  des  bizetiers.  &  chaque  rapprochement  des 
bisets  attirés  adroitement  dans  le  passage  et  dont  la  troupe 
plane,  comme  un  brouillard  épais  au  dessus  de  toutes  les 
têtes,  on  trépigne  des  pieds,  on  craint,  on  espère  dans  une 
indicible  attente. 

Ce  tourment  de  la  foule  curieuse  ne  cesse  que  lorsqu'un 
bruit  s'est  fait  entendre,  et  que  le  cri  de  l'arbaletiera  frappé 
les  nues  en  annonçant  la  chute  des  filets.  En  présence  de  tant 
d'innocents  captifs,  que  de  sentiments  divers  s'échappent  des 
cœurs  des  spectateurs  !  Une  main  douce  et  blanche  soulève 
lentement  la  maille  et  caresse  le  biset  prisonnier;  tandis 
qu'une  main  dure  et  impitoyable  le  tue.  Ici  des  voix  pape- 
lardes se  jouent  du  sort  malheureux  de  l'oiseau  sauvage;  là, 
des  voix  féminines  répandent  sur  lui  de  tendres  regrets  ;  et 


242  NOTICE  SUR  LES  BAINS  DE  SIRADAN. 

souvent  on  a  vu  la  beauté  sensible  laisser  tomber  une  larme 
d'amour  en  présence  de  la  victime  mourante  du  chasseur. 
Le  plus  grand  nombre  enfin  se  réjouit  de  l'abondante  cap- 
ture. Les  plaisirs,  la  danse  et  les  festins  recommencent  alors 
de  plus  belle,  pour  ne  finir  qu'à  la  veillée.  A  l'heure  du  soir, 
la  foule  s'écoule  lentement,  et  le  lendemain  tout  redevient 
triste  et  sublime.  Le  berger  et  le  bruit  du  torrent  troubleront 
seuls  pendant  un  an  le  silence  de  ces  montagnes. 

Parmi  les  Panthïeres  que  compte  le  département  de  îa 
Haute-Garonne  dans  les  Pyrénées,  on  distingue  encore  celles 
du  Col-de- Lazare,  de  Couledous  et  de  Portet  ;  mais  les  Pan- 
thières  du  Col-du-Haut  ont  une  plus  grande  réputation  que 
ses  trois  rivales,  soit  par  l'affluence  d'étrangers  qu'elles  atti- 
rent dans  leur  site  enchanteur,  soit  par  la  quantité  des  bisets 
et  l'adresse  des  chasseurs  qui  les  distinguent.  Le  Col-du-Haut 
est  le  Longchamp  de  la  chasse  dans  les  Pyrénées. 


Analyse  des  eaux  de  Siradan,  par  M.  Filhol. —  Source  saline  (du 
lac).—  Comparaison  des  eaux  de  Sainte-Marie  avec  celles  de 
Siradan.—  Eaux  minérales  ferrugineuses.—  Eau  de  la  source 
du  chemin.—  Analyse  de  M.  Save,  comparée  avec  celle  de 
M.  Filhol.—  Différence  des  deux  analyses. 


Ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  la  situation  de  Sira- 
dan joint  au  nombre  des  étrangers  qui  vont  faire  usage  de 
ses  eaux,  en  fait  un  séjour  assez  vivant  et  assez  agréable 
pendant  la  saison  des  bains.  D'ailleurs  ce  petit  village  n'est 
pas  déplaisant  par  lui-même,  surtout  au  printemps  et  en  été. 

Alors,  en  effet,  on  aime  à  voir  ses  jardins,  ses  vergers 
entourés  de  haies  vives,  et  entremêlés  de  touffes  d'arbres  et 
de  vignes,  dont  l'agréable  verdure  contraste  avec  les  toits  de 
chaume  répandus  ça  et  là,  qui  en  font  ressortir  la  fraîcheur. 
Ajoutez  que  sa  position,  à  la  base  des  Pyrénées,  offre  une 
perspective  charmante.  Car  si  l'on  porte  ses  regards  du  côté 
de  l'orient,  on  découvre  un  vaste  amphitéâtre  auquel  la 
nature  et  la  main  des  hommes  concourent  à  donner  l'aspect 
le  plus  diversifié. 

Mais  sans  insister  davantage  sur  sa  position  si  favorable 
pour  la  santé,  nous  devons  dire  que  sa  température  y  est 
des  plus  saines  et  des  plus  agréables.  Ce  qui  joint  à  la  bonté 
et  à  l'excellence  des  eaux  doit  attirer  l'attention  des  ma- 
lades et  de  ceux  dont  la  santé  est  délabrée. 

Avantde  connaître  les  effets  salutaires  des  eaux  de  Siradan, 
nous  devons  rapporter  l'analyse  qui  en  a  été  faite  par  le 
savant  M.  Filhol,    professeur   à  l'école  de   médecine  et  de 


244  2S0TICE 

pharmacie  de  Toulouse.  Nul  n'est  plus  compétent  en  pareille 

matière. 

Siradan  possède  des  eaux  minérales  de  deux  sortes  : 

1°  Une  eau  minérale  saline  dont  l'analyse  n'avait  pas 
encore  été  faite  et  qui  constitue  le  lac  de  Siradan. 

2°  Plu  sieurs  sources  ferrugineuses  dont  une  a  été  analysée 
en  1812,  par  M.  Save. 

M.  Filhol  a  analysé,  1°  l'eau  du  lac-  2»  une  source  ferru- 
gineuse qui  s'écoule  sur  un  chemin  situé  au-dessus  de  Siradan  ; 
3o  il  a  répété  l'analyse  de  l'eau  ferrugineuse  déjà  analysée 
par  M.  Save  et  appartenant  à  M.  de  Sarrieu. 

SOURCE  SALINE  (Lac  de  Siradan). 

L'eau  du  lac  de  Siradan  est  d'une  limpidité  parfaite  ;  elle 
est  sans  odeur,  sa  saveur  est  légèrement  amèrej  sa  densité 
prise  à  la  température  du  16e  centigrade  est  de  10,024. 

Un  thermomètre  centigrade  plongé  dans  l'eau  du  lac  à 
une  profondeur  de  plus  d'un  mètre  marquait,  après  un 
quart  d'heure  de  séjour  dans  l'eau,  18° 

Un  thermomètre  tout  pareil  placé  dans  l'air  marquait  14<>. 

Cette  eau  exposée  à  l'air  conserve  sa  limpidité  ;  chauffée 
elle  se  trouble  légèrement  et  laisse  déposer  une  très-faible 
quantité  de  carbonate  de  chaux,  de  magnésie  et  d'oxide  de 
fer. 

Elle  ramène  lentement  au  bleu  le  papier  de  Tournesol 
rougi  parles  acides. 

La  potasse  y  produit  un  précipité  blanc. 

L'action  des  divers  réactifs  employés  prouve  que  l'eau 
renfermait  : 

Des  Sulfates, 

Une  trace  de  Chlorures, 

Des  Carbonates, 

De  la  Chaux, 

De  la  Magnésie, 

De  l'Acide  carbonique. 


SUR  LES  BAINS  DE  SIRADAN.  245 

En  résumant  les  données  que  fournit  l'analyse  précédente, 
on  constate  que  10  litres  d'eau  minérale  de  Siradan  renfer- 
ment : 


Acide  carbonique.     ......  0,066  çr 

Sulfate  de  chaux  anhydre     ...  I  i,828 

Sulfate  de  Magnésie  anhydre.     .     .  2,780 

Sulfate  de  soude 0,100 

Chlorure  de  Calcium 0,0^0 

Chlorure  de  Magnésium  ....  traces 

Chlorure  de  Potassium     ....  traces 

Carbonate  de  Chaux 1,072 

Carbonate  de  Magnésie 0,200 

Oxide  de  fer traces 

Silice traces 

Matières  organiques traces 

20,000 

Perte 0,100 


Si  l'on  compare  les  résultats  de  cette  analyse  avec  ceux 
que  M.  Save  a  obtenus  dans  l'analyse  de  l'eau  minérale 
de  Sainte-Marie,  on  sera  tenté  de  considérer  ces  deux  eaux 
comme  essentiellement  différentes,  tandis  que  l'inspection 
des  lieux  dans  lesquels,  elles  se  trouvent  situées,  porterait 
au  contraire  à  penser  qu'elles  ont  une  origine  commune - 
cependant  cette  différence  énorme  n'est  qu'apparente;  et 
l'eau  minérale  de  Siradan  qui,  d'après  les  chiffres  que  je 
viens  de  donner,  serait  plus  pauvre  en  matière  saline  que 
celle  de  Sainte-Mario,  renferme  au  contraire,  ainsi  que  je 
vais  le  démontrer,  une  quantité  plus  considérable  de  sels 
que  cette  dernière:  peut-être  une  nouvelle  analyse  des  eaux 
de  Sainte-Marie  faite  par  des  procédés  susceptibles  de  plus 
de  précision  que  ceux   qui   étaient  on  usage  à  l'époque  o,'i 


MC> 


.NOTICE 


celle    de    M.    Save    fut   faite,   conduirait-elle  à    démon Irer 
l'identité  de  ces  sources. 

Quoiqu'il  en  soit  je  vais  tout  d'abord  placer  en  regard  les 
résultats  obtenus  par  M.  Save  dans  l'analyse  de  l'eau  miné- 
rale de  S.iinte-Marie  avec  ceux  que  j'ai  obtenus  dans  celle 
de  l'eau  minérale  de  Siradan. 


QUANTITÉ  D'EAU  ANALYSÉE  :   DIX  LITRES 


SAINTE-MARIE. 


Sulfate  de  chaux.  .. .  14,15»»  g. 

—  de  magnésie.  3/i2C> 
Carbonate  de  chaux. .  3,;>88 

—  de  magnésie .  0,21fi 
Acide  carbonique. . .  3,25ij 


27,341 


SIRADAN. 


Sulfate  de  chaux 

—  de  magnésie. . . 

—  de  soude 
Chlorure  de  calcium. . 

—  de  magnésium. . 

—  de  potassium.  . 
Carbonate  de  chaux. . 

—  de  magnésie.  . . 

Silice 

Oxide  de  fer.. . 

Mat.  organi.  et  perte. 
Acide  carbonique. .  .  . 


828  g. 

750 

100 

,0o0 

Irare. 

trace 

072 

200 

,100 

,6G0 


20,760 


Il  ressort  en  apparence  de  cette  comparaison  que  10  litres 
d'eau  minérale  de  Sainte-Marie  auraient  fourni  3,255  gram- 
mes d'acide  carbonique,  tandis  que  je  n'en  ai  trouvé  que 
0,G60  grammes,  c'est-à-dire  environ  5  fois  moins  que  dans 
celle  de  Siradan.  Mais  en  examinant  le  mémoire  de  M.  Save 
j'ai  vu  que  ce  chiffre  était  purement  arbitraire,  que  M.  Save 
n'avait  pas  dosé  directement  l'acide  carbonique  et  que  sa 
quantité  ayant  été  déduite  de  celle  du  carbonate  de  chaux 
que  ce  chimiste  avait  trouvé  dans  l'eau,  une  erreur  dans  la 
détermination  de  ce  sel  pouvait  en  entraîner  une  très-grande 
dans  celle  de  l'acide  carbonique. 


SUR  LES  BAINS    DE  SIRADAN 


247 


On  remarquera  aussi  que  j'ai  trouvé  dans  l'analyse  de 
Siradan  un  peu  de  sulfate  de  soude  qui  n'a  pas  été  signalé 
dans  celle  des  eaux,  de  Sainte-Marie,  mais  rien  ne  prouve 
qu'il  n'en  existe  pas  aussi  dans  cette  dernière.  Car  M.  Save  ne 
l'y  a  pas  cherché  :  j'en  dirai  autant  d'une  trace  d'oxide  de  fer 
et  d'une  trace  de  matière  organique;  d'après  M.  Save,  en  effet, 
les  source  de  Sainte-Marie  ont  toutes  la  même  composition, 
et  l'une  d'elles,  dite  Source-Noire,  repose  sur  un  fond  formé 
par  une  boue  noirâtre  répandant  une  odeur  légèrement  sul- 
fureuse. I.'eau  du  lac  de  Siradan  se  trouve  exactement  dans 
1rs  mêmëes  conditions.  Je  dois  dire,  au  reste,  que  j'ai  été 
étonné  de  trouver  si  peu  de  matière  organique  dans  une  eau 
stagnante  en  apparence,  mais  qui  se  renouvelle  cependant 
d'une  manière  fort  rapide,  ainsi  que  le  démontre  la  cons- 
tance de  -on  niveau  dans  toutes  les  saisons  de  l'année,  même 
lorsqu'on  en  retire  pour  les  bains  une  énorme  quantité 
d'eau. 

Si  nous  comparons  maintenant  les  résultats  des  deux  ana- 
lyses, nous  trouverons  que  10  litres  de  chacune  de  ces  eaux 

contiennent  : 


PRINCIPES  MINERAUX. 


Sulfate  de  chaux  cristallisé.    . 

—     de  magnésie  cristallisée 
Carbonate  de  magnésie.    . 

—  de  chaux .... 
Sulfate  de  soude  .... 
Chlorure  de  calcium   . 

(JxiJe  de  fer 

Chlorure  de  magnésium.  . 

—  de  nolassiurn. 
Perte 


Sl?rMarie. 


14,756  gr 
5,420 
0,216 
3,688 


24,080 


Siradan. 


18,404  gr. 
5,66a 

o.îco 

1,072 
0,100 
0,050 

traces. 

traces. 
0,100 

20,548 


248  NOTICE 

EAUX  MINÉRALES  FERRUGINEUSES. 

EAU  DE  LA  SOURCE  QUI  s'ÉCOULE  SUR  LE  CHEMIN  DE  SIRADAN. 


Cette  source  s'écoule  sur  un  petit  chemin  situé  sur  la 
montagne  au  pied  de  laquelle  se  trouve  l'établissement  de 
Siradan,  et  à  une  très  petite  distance  de  ce  dernier.  L'eau 
qui  se  répand  sur  le  chemin  se  recouvre  presque  immédia- 
tement d'une  pellicule  irisée,  et  ne  tarde  pas  à  laisser  dépo- 
ser de  petits  flocons  d'oxide  de  fer  hydraté.  Ses  propriétés 
sont  les  suivantes  : 

Elle  est  parfaitement  limpide  ,  mais  elle  ne  tarde  pas  à  se 
troubler  au  contact  de  l'air;  elle  laisse  déposer  alors  un 
mélange  de  carbonate!  de  chaux  et  d'oxide  de  fer 

Sa  densité  diffère  bien  peu  de  celle  de  l'eau  distillée  :  cette 
dernière  étant  1,0000,  celle  de  l'eau  ferrugineuse  est  1,0004. 

Elle  a  une  légère  odeur  ferrugineuse. 

Sa  saveur  est  styptique. 

Dix  litres  de  cette  eau,  évaporée  à  siccité  dans  une  capsule 
de  porcelaine  à  une  très  douce  chaleur,  ont  donné,  1562  gr. 
de  résidu.  Ce  résidu  a  été  successivement  épuisé  par  l'alcool, 
l'eau  distillée  et  l'eau  régale. 

La  partie  soluble  dans  l'eau  renfermait  donc  : 

Sulfate  de  chaux, 

—  de  magnésie, 

—  de  soude. 

La  portion  de  sel  qui  avait  résistée  l'action  dissolvante  de 
l'alcool  et  de  l'eau  fut  épuisée  par  l'eau  régale  bien  pure;  il 
se  produisit  une  vive  effervescence  et  il  resta  0,0*25  grammes 
d'une  matière  insoluble  grisâtre,  rude  au  toucher  et  formée 
de  silice. 


SLR  LES  BAINS  DE  S1RADAN.  249 

résumé 
donné 


En  résumé  10  litres  d'eau  ferrugineuse  de  Siradan  ont 


Acide  carbonique 0,289  gr. 

Chlorure  de  magnésium 0,120 

—  de  calcium traces 

Sulfate  de  magnésie  (anhydre).      .      .  0,108 

Sulfate  de  chaux 0,1  GO 

—  de  soude 0,030 

Carbonate  de  chaux 0,f>02 

—        de  magnésie 0,200 

Oxide  de  fer 0,200 

Manganèse traces 

Silice,  matière  organique  et  perte.      .  0,0 i& 

Ij753 


EAU  MINÉRALE  DE  SIRADAN, 

ANALYSÉE  PAR  M.   SAVE. 


Les  propriétés  de  cette  eau  sont  absolument  les  mêmes 
que  celles  de  l'eau  de  la  source  précédente. 

J'ai  versé  deux  litres  d'eau,  un  peu  d'ammoniaque  et  un 
excès  de  chlorure  de  barium.  La  bouteille  fut  bien  bouchée 
et  agitée.  Le  liquide  filtré  24  heures  après  laissa  sur  le  filtre 
un  résidu  qui  pesait  après  avoir  été  rougi  0,914-  en  faisant 
toutes  les  déductions  convenables,  ou  trouve  que  les  deux 
litres  d'eau  renfermaient  d'acide  carbonique  0,17*2  grammes, 


"21)0  NOTICE 

En  résumant  les  données  précédentes,  on  trouve  que  10 
litres  d'eau  ferrugineuse  de  Siradan  renfermaient  : 

Acide  carbonique 0,633  gr. 

Chlorure  de  magnésium 0,102 

—  de  calcium traces 

Sulfate  de  chaux 0,102 

—  de  magnésie 0,I0S 

—  de  soude 0,017 

Carbonate  de  chaux 0,i&9 

—  de  magnésie 0,0ô5 

Silice 0,0.^0 

Oxide  de  fer 0,106 

—  de  manganèse traces 

Matière  organique  et  perte.     .     .     .     0,034 

1,833 

Cette  analyse  diffère  beaucoup  de  celle  de  M.  Save.  Elle  en 
diffère  surtout  par  la  quantité  de  fer  qui  est  environ  le  quart 
de  celle  que  M.  Save  avait  trouvée  dans  l'eau  de  la  môme 
source.  Je  puis  cependant  garantir  l'exactitude  du  chiffre  que 
je  donne  ;  car  j'ai  apporté  un  soin  scrupuleux  dans  le  dosage 
du  fer.  La  différence  qu'on  remarque  sur  les  quantités  de 
sulfates  de  magnésie  et  de  chaux  est  plutôt  apparente  que 
réelle,  car,  dans  les  analyses,  ces  sels  ont  été  dosés  à  l'état 
anhydre,  tandis  que  M.  Save  a  pesé  des  sels  renfermant  leur 
eau  de  cristalisation.  Si  l'on  fait  des  calculs  nécessaires  pour 
rendre  le  résultat  des  deux  analyses  comparable,  on  trouve 
que  la  différence  est  moins  considérable  qu'elle  ne  le  paraît 
sans  cette  précaution. 

Le  sulfate  de  soude,  le  carbonate  de  magnésie  et  le  man- 
ganèse ne  sont  pas  indiqués  dans  l'analyse  de  M.  Save;  mais 
il  faut  dire  aussi  que  ces  sels  n'ont  pas  été  cherchés  par  ce 
chimiste. 

Quoiqu'il  en  soit,  je  vais  mettre  en  regard  le  résultat  dès 
deux,  a nal v m. s. 


SUR  LES  UAINS  DE  SIRABAN, 


251 


QUANTITÉ  D'EAU  ANALYSÉE  :   DIX  LITTRES. 


PRINCIPES  MINERAUX. 


ANALYSE 
DE    M-     SAVE. 


Acide   carbonique. 
Chlorure    de   calcium. 
Chlorure   de   magnésium. 
Sulfate    de    magnésie. 

—  de  ohaux . 

—  de   soude. 
Carbonate    de    chaux . 

—  de    magnésie. 

Oxide  de  fer 

Manganèse 

Silice 


2,245 


ANALYSE 
DEM.FILIIOL. 


0,833  gr. 

0,633  gr. 

» 

traces 

0,023 

0,102 

0,296 

0,214 

0,197 

0  350 

» 

0.017 

0.394 

0.449 

traces 

0,055 

0,420 

0,101) 

)) 

traces 

0,025 

0,040 

2,199 


L'eau  de  la  source  qui  s'écoule  sur  le  chemin  à  Siradan, 
est  évidemment  plus  riche  en  fer  que  celle  qui  s'écoule  sut- 
la  propriété  de  M.  deSarrieu-;  c'est  ce  qui  ressort  clairement 
de  la  comparaison  suivante. 

QUANTITÉ  D'EAU  ANALYSÉE  :   DIX  LITRES. 


PRINCIPES  MINÉRAUX. 


Acide  caibonique.     .     - 
Chlorure  de  calcium. 

—  de  magnésium 
Sulfate  de  magnésie.     . 

—  de  chaux.     .     . 

—  de  soude. 
Carbonate  de  chaux. 

—  de  magnésie. 
Oxide   de   fer.     .     .     . 

—  de  manganèse.   . 
Silice 


EAU 

DE  LA  SOUftCE 

de  M.  de  2arrieu. 


0,633  gr. 

trace-; 

0,-102 

0  214 

0,340 

0,017 

0,449 

0,053 

0,106 

traces 

0,050 

2,119 


EAU 

du 
CHEMIN 


289  gr 
aces 

120 

10S 

160 
,030 
,(•.(>•> 
,■200 
,200 
aces 

042 


2,149 


252 


NOTICE  SUR  LES  BAINSD  EN  CAUSSE. 


Il  résulte  évidemment  de  ces  analyses  que  les  trois  sources 
dont  je  viens  d'indiquer  la  composition  chimique,  sont  riches 
en  matière  saline,  et  tout  porte  à  penser  quecelledu  lac  doit 
jouir  de  propriétés  médicamenteuses,  analogues  à  celles  des 
eaux  minérales  salines  de  Sainte-Marie,  Capvern. 

Quant  aux  sources  ferrugineuses  l'expérience  a  déjà  dé- 
montré leur  incontestable  efficacité. 


III 


Propriétés  médicinales  dos  eaux  de  Siradan.  —  Guérison  de  diver- 
ses maladies.  —  Description  du  nouvel  établissement.  —  Avan- 
tages qu'on  y  retrouve.  —  Fin  de  la  notice. 


«  Les  eaux  de  Siradan,  a  dit  un  célèbre  médecin  moderne, 
sont  bien  évidemment  toniques  et  purgatives.  Elles  augmen- 
tent les  forces  radicales  de  chaque  organe  affaibli  en  particu- 
lier, et  de  toute  l'économie  en  général. 

«  Elles  jouissent  d'une  spécificité  d'action  b'en  marquée  sur 
les  organes  abdominaux,  et  possèdent  la  propriété  d'activer 
la  circulation  de  ces  organes,  et  surtout  celle  des  vaisseaux 
hémoroïdaux  et  de  la  matrice. 

«  Leur  spécificité  d'action  sur  le  système  abdominal  est 
prouvé  par  la  circonstance  d'agir  sur  ce  système,  lorsénême 
qu'on  n'en  fait  usage  qu'en  bains.  Car  alors  encore,  elles 
purgent  et  poussent  par  urines,  longtemps  après  qu'on  est 
sorti  du  bain.  » 

Ainsi,  d'après  l'opinion  de  notre  docteur  et  par  les  faits  de 
l'expérience,  les  eaux  de  Siradan  prises  dans  l'état  de  santé 
donnent  plus  d'appétit,  de  force  et  d'agilité  sans  produire 
aucun  symptôme  de  surexcitation.  Outre  leur  propriété 
tonique,  ces  eaux  possèdent  encore  une  vertu,  en  quelque 
sorte  spécifique,  pour  ramener  faction  vitale  de  la  matrice 
à  son  type  naturel.  Ainsi,  elles  réussissent  à  faire  reparaître 
les  menstrues  supprimées,  à  les  modérer  quand  elles  sont  trop 
abondantes  et  à  les  régulariser  quand  elles  s'écartent  de  for- 


254 


NOTICE 


dre  naturel  dans  leurs  retours.  Ce  qui  se  réduit  à  dire  que  la 
propriété  de  ces  eaux  ramène  la  matrice  à  son  état  normal  et 
à  la  condition  vitale  qui  préside  à  l'exercice  régulier  de  ses 
fonctions. 

Les  eaux  de  Siradan  sont  encore  efficaces  contre  les  oph- 
talmies dont  le  fond  est  la  faiblesse,  ou  qui  sont  entretenues 
par  le  mauvais  état  des  premières  voies.  Aussi,  cette  propriété 
tonique  les  rend- elle  très  utiles  dans  les  catharres  les  plus 
aigus  ;  contre  des  toux  invétérées  ;  contre  l'asthme  humide  et 
l'état  glaireux.  Mais  c'est  surtout  contre  le  calharre  de  la 
vessie  que  ces  eaux  sont  efficaces;  elles  agissent  également 
par  une  véritable  action  de  spécialité  ou  plutôt  de  spécification 
sur  le  système  abdominal. 

Il  n'est  pas  rare,  en  effet,  de  voir  des  malades  qui  ont  fait 
usages  de  remèdes  pharmaceutiques,  contre  ce  qu'on  appelle 
faiblesse,  relâchement  de  l'estomac  ou  des  intestins,  et  n'en 
tirer  aucun  avantage;  tandisque  souvent,  après  quinze  jours 
de  boissons  des  eaux  de  Siradan,  l'appétit  revenait,  les  diges- 
tions s'amélioraient  et  les  forces  reprenaient  leur  cours.  Nous 
pourrions  citer  plusieurs  exemples  en  faveur  de  cette  vérité. 
Les  affections  du  foie,  des  reins  et  la  jaunisse  ont  cédé  et 
cèdent  tous  les  jours  à  l'usage  de  ces  eaux. 

Les  eaux  de  Siradan  agissent  sur  l'estomac,,  comme  nous 
l'avonsfcvu,  etsympathiquement  sur  le  foie,  ne  pourraient-elles 
pas  être  eflicaces,  dans  certainscas.de  constipation,  dépendant 
d'un  défaut  de  sécrétion  de  la  bile,  par  l'inertie  de  l'organe 
hépatique?  N'est-ce  pas  là  une  présomption  favorable  relati- 
vement aux  bons  effets  de  ces  eaux  dans  divers  cas?  Quant 
à  leurs  effets  sur  le  sang  hémorroïdal  et  à  leur  efficacité  sur 
les  dérangements  menstruels;  cela  est  incontestable.  Pas  de 
femme,  en  effet,  dans  le  pays,  qui,  venant  à  éprouver  une 
suppression,  ne  sp  mette  à  leur  usage,  et  n'obtienne  une 
guérison  certaine. 

Avant  d'en  finir  sur  les  propriétés  des  eaux  de  Siradan, 
nous  devons  dire  que  le  nombre  des  malades  qui  ont  été 
guérie  parleur  emploi,  augmente  tous  les  jours.  11  esta  espérer 


SUB  LKS   HA1NS   DE   SIliADAN.  255 

(p'avant  peu  d'années,  ces  eaux  auront  toute  la  réputation  à 
laquelle  elles  ont  tant  de  droits  à  prétendre. 

Il  faut  dire,  au  reste,  que  le  propriétaire  du  nouveau  éta- 
blissement n'a  pas  peu  "contribué  à  leur  renommée.  Avant 
que  M.  Dosset,  maire  de  Siradan,  n'eut  contribué  à  l'embellis- 
sement de  ces  eaux,  le  village  n'offrait  que  peu  de  logements 
aux  étrangers,  aux  visiteurs  et  aux  malades.  Le  besoin 
d'exercice  et  le  défaut  des  promenades  sur  les  lieux,  faisaient 
que  les  baigneurs  ne  fréquentaient  que  rarement  ces  eaux 
qui,  comme  on  voit,  se  recommandent  à  l'intérêt  public  par 
tant  de  titres. 

Aujourd'hui,  par  les  soins  ingénieux  et  les  dépenses  sage- 
ment calculées  de  M  Dosset.,  un  élégant  édifice  est  venu  se 
substituer  aux  vieilles  maisons  qui  servaient  de  retraite  et  de 
domicile  aux  baigneurs.  Le  nouvel  établissement  est  un  carré 
long  de  vingt  pas  de  façade  environ  sur  une  huitaine  de  pro- 
fondeur. Il  est  bâti  tout  près  de  la  source  minérale  et  à  quel- 
ques mètres  de  l'église  communale.  Un  jardin  anglais,  disposé 
pour  le  plaisir  et  l'agrément  des  promeneurs,  s'étend  contigu 
a  l'établissement ,  qui  d'ailleurs  ne  laisse  rien  autre  chose  à 
désirer. 

Dans  l'intérieur  de  l'édifice  et  sous  un  vestibule  se  trouvent 
rangés  des  cabinets  destinés  pour  prendre  des  bains ,  garnis 
de  baignoires  élégantes  et  commodes.  Chaque  baignoire  a 
deux  robinets  :  l'un  pour  l'eau  froide,  et  l'autre  pour  l'eau 
chaude ,  dont  on  prend  à  volonté.  Chaque  cabinet  est  spa- 
cieux pour  contenir  deux  chaises  et  une  table.  Les  murs , 
extérieurement  et  intérieurement,  sont  recouverts  d'une  cou- 
che de  chaux  qui  donne  à  tout  l'édifice  un  aspect  qui  flatte 
agréablement  la  vue.  Un  toit  d'ardoise ,  symétriquement 
arrangé ,  ajoute  encore  à  cet  effet. 

Telles  sont  les  parties  qui  constituent  aujourd'hui  l'établis- 
sement de  Siradan.  Mais  ce  n'est  la  qu'une  partie  de  ses 
avantages  et  de  ses  agréments.  Le  propriétaire  a  voulu  ,  en 
outre,  que  le  service  particulier  des  étrangers  qui  viennent 
prendre  les  eaux  ne  laissât  encore  rien  à  désirer.  A  cet  effet  . 


256  NOTICE  SUR  LES  BAINS  DE  S1RADAN 

il  tient  à  leur  disposition ,  dans  le  nouveau  bâtiment ,  des 
chambres  meublées  ,  les  unes  avec  propreté  ,  les  autres  avec 
élégance ,  et  dont  le  prix  varie  selon  leur  impatience ,  afin 
d'être  mises  à  la  portée  de  toutes  les  fortunes. 

Un  médecin  distingué  du  pays  attaché  au  service  médical 
de  l'établissement ,  un  traiteur  qui  y  tient  table  d'hôte  dans 
une  salle  spécialement  affectée  à  cette  destination ,  sont  des 
avantages  qui  seront  appréciés  par  les  baigneurs  ;  une  salle 
de  billard  avec  café,  une  bibliothèque  assortie  au  goût  de  tous 
les  habitués  des  bains ,  des  journaux  avec  un  salon  pour  la 
lecture,  des  chevaux  de  course  en  nombre  suffisant  pour  les 
promenades  aux  environs,  sont  des  améliorations  opérées  par 
les  soins  de  M.  Dosset,  qui  a  voulu  donner  à  son  établisse- 
ment une  incontestable  réputation  de  bien-être  jointe  à  l'efli 
cacité  déjà  bien  reconnue  des  eaux  de  Siradan.  Ce  confort  et 
ce  bien-être  rivalisent ,  au  reste  ,  avec  le  conjori  et  le  bien- 
être  qu'on  est  accoutumé  à  trouver  dans  les  villes  populeuses 
qui  depuis  longtemps  ont  le  privilège  d'attirer   toutes  les 
classes  de  la  société. 


FliN  DE  LA  NOTICE  SUK  SIRADAN. 


LES  BAINS  D'ENCAISSE 


ET 


LE  PAYS  DU  NÉBOUZAN. 


-  -îtf»D- 


Situation  du  lieu  d'Encausse.  —  Pays  des  Onebuzales  ou  Xébou- 
zan.  —  Sa  position  géographique.  —  Historique  de  ce  pays. 
—  Ancienne  réputation  des  eaux  de  ces  contrées.  —  Saint- 
Gaudens,  Aspet,  Izaut,  Malvesie,  etc.  —  Opinion  des  auteurs 
anciens  sur  cette  contrée. 

» 

Le  village  d'Encausse  est  situé  sur  la  petite  rivière  appelée 
le  Jops,  à  deux  kilomètres  environ  de  la  route  qui  conduit  de 
Saint-Gaudens  à  Aspet,  dans  un  vallon  délicieux  qui  s'étend 
aux  pieds  des  montagnes  de  Sauveterre,  de  Malvesis  et  de 
Kagire.  C'était  autrefois  une  des  plus  importantes  chatellenies 
du  comté  du  Comminges.  Il  formait  sous  le  rapport  du  spi- 
rituel un  Archiprêtre  des  mieux  rentes  du  diocèse. 

Il  est  peu  de  contrées  qui ,  dans  un  espace  aussi  resserré, 
soient  aussi  remarquables,  au  point  de  vue  historique,  que 
celle  qui  comprend  l'ancien  territoire  de  la  baronnied'Aspet. 
On  y  retrouve  à  chaque  pas,  les  traces  de  monuments  d'une 
haute  antiquité.  Enclavée  dans  le  petit  pays  du  Nébouzan, 
la  vallée  d' Aspet  était  distinguée  par  la  fertilité  du  sol,  par 
l'industrie  et  surtout  par  la  bravoure  de  ses  habitants. 

Quelques  détails  suffiront  pour  faire  bien  apprécier  l'im- 
portance historique  du  pays  d'où  dépendait  le  village  d'En- 
causse. 

Les  auteurs  qui  nous  ont  fait  connaître  la  grandie  ligue 


258  NOTICE 

des  Convenœ,  anciens  fondatenrs  de  Eiigdutiutn  Convenant»!, 
aujourd'hui  Saint-Bertrand  de  Comminges,  ont  divisé  ces 
peuplades  en  trois  tril>us  ainsi  désignées:  les  Garumni,  les 
Àrcvacci  et  les  Onebuz*iles.  Les  premiers  auraient  habité  tout 
l'espace  compris  sur  la  rive  gauche  de  la  Garonne  entre  sa 
source  et  le  petit  pays  de  Rivière,  c'est-à-dire,  depuis  l'extré- 
mité de  la  vallée  d'Aran  jusqu'à  Valentine.  Les  Garumni 
auraient  été  donc,  aux  pieds  des  Pyrénées,  une  tribu  celtique 
assez  répandue  avant  l'invasion  romaine. 

Les  Arevacci  dont  parle  saint  Jérôme  à  propos  de  la  fonda- 
tion de  Lugdunum  Convenant?»  par  des  tribus  errantes  que 
Pompée  contraignit  à  se  réunir  en  communauté,  d'où  l'origine 
de  saint  Bertrand,  se  maintinrent,  sous  la  domination  romai- 
ne, dans  ces  montagnes  en  conservant  leur  nom.  La  petite- 
contrée  d'Arbas  leur  aurait  emprunté  sa  dénomination.  De 
sorte  que  quelques  historiens,  en  conformité  de  la  similitude 
qui  existe  entre  ces  deux  noms,  Arevacci  et  Arbas,  et  s'au- 
torisant  d'ailleurs,  de  plusieurs  découvertes  récentes,  ont 
supposé  que  cette  tribu  occupait  tout  l'espace  compris,  sur 
la  rive  droite  de  la  Garonne,  entre  les  cantons  de  Saint- Béat 
et  de  Salies;  c'est-à-dire  le  territoire  du  canton  d'Aspet. 

Quant  aux  Onebuzates  dont  parle  Pline,  selon  l'opinion  la 
plus  accréditée  parmi  les  historiens  modernes,  ils  auraient 
occupé  le  territoire  qui  fut  appelé  plus  tard  le  Nébouzan,  petit 
pays  dont  Saint-Gaudens  était  la  capitale.  Il  avait  cinq  lieues 
de  long  et  trois  lieues  de  large,  disent  les  anciens  géogiaphcs; 
il  était,  de  plus,  un  pays  d'états,  cest-a-dire  s'administrant. 
lui-même.  Quelques  détails  à  ce  sujet,  ne  seront  pas  inutiles 
et  pourront  avoir  quelque  intérêt  pour  nos  lecteurs  qui  vien- 
nent visiter  les  eaux  d'Encausse. 

Le  Nébouzan  dont  le  territoire  était  si  borné,  puisqu'il 
n'embrassait,  du  levant  au  couchant  que  l'espace  qui  s'étend 
depuis  Martres  jusqu'aux  bains  de  Capvern,  et  du  nord  au 
midi,  depuis  l'lle-en-Jourdain  jusqu'à  Pointis  et  Encausse, 
était  classé  au  nombre  des  pays  d'états.  On  appelait  de  ce  nom 
•eux  qui  votaient,   on   assemblée   générale,   composée   des 


si  R  les  n.u.N.s  h  km;ai  ssi:.  259 

membres  du  clergé,  de  la  noblesse  et  du  tiers,  les  subsides 
demandés  par  le  gouverneur  de  la  province;  au  nom  du  roi. 
Ces  états  se  réunissaient  tous  les  deux  ou  trois  ans  à  Saint- 
Gaudens,  eapitale  du  Néboiuan,  étaient  présidés  le  plus  sou- 
vent par  l'abbé  de  Bonnefond(-i).  Les  communes  fournissaient 
un  nombre  de  députés  tixe  d'après  leur  importance,  leur 
étendue  et  le  chiffre  de  la  population  évaluée  d'après  les  feux. 

Il  est  a  remarquer,  lorsqu'on  étudie  l'histoire  avec  soin,  que 
les  pays  qui  semblent  avoir  été  favorisés  de  ce  genre  d'admi- 
nistration particulière,  pendant  le  moyen-âge,  ne  devaient 
cette  distinction  signalée  ou  plutôt,  ce  privilège  qu'a  une  im- 
portance historique  déjà  bien  établie.  Le  régime  des  états 
n'était  donc  qu'un  reste  du  droit  municipal  qui  survivait  depuis 
l'époque  de  la  domination  romaine. 

Il  serait  facile  d'établir,  d'après  les  chartes  qui  nous  restent, 
un  système  de  comparaison  entre  l'administration  de  la  curie 
romaine  et  celle  qui  régissait  certaines  cités  des  Convènes,  au 
point  qu'on  pourrait  se  convaincre  que  ces  dernières  n'avaient 
conservé,  dans  leurs  organisations  politiques  et  civiles,  que 
les  traditions  latines. 

Ainsi,  la  Curie  représente  la  Cité.  La  première  avait  son 
conseil  municipal  dont  les  membres  ou  décurions  étaient  choisis 
parmi  les  principaux  habitants  du  lieu.  La  seconde  composait, 
par  la  voie  de  l'élection,  un  conseil  formé  des  plus  notables  de 
la  ville,  connus  sous  les  noms  de  Notables,  Cossols,  etc. 

Les  Décemvirs  dont  l'autorité  était  annuelle,  jouissaient 
d'une  grande  considération  dans  la  ville,  les  Cossols  du  Nébou- 
zan  et  du  Comminges  étaient  entourés  d'une  estime  signalée  : 
leur  autorité  s'élevait  de  pair  avec  l'autorité  seigneuriale  eî. 
dans  plusieurs  circonstances,  dominait  cette  dernière. 

C'est  ainsi  qu'aucun  conseiller  ni  consul  de  la  ville  ne 
pouvait  être  traîné  en  prison  ;  mais  s'il  était  reproché  des 
méfaits  à  quelqu'un  d'entr'eux,   il  se  constituait  lui-même 

(*j  Voir  notre  histoire  des  populations  Pyrénéennes,  du  Nébou- 
::rin  et  du  pays  de  Comminges,  tome  I,  aux  notes  p.  4M  ef  =eq. 


260  NOTICE 

prisonnier  dans  une  maison  de  la  ville,  en  attendant  d'être 
jugé  par  ses  pairs. 

Les  consuls  avaient  des  places  réservées,  soit  à  l'église,  soit 
dans  les  assemblées  publiques.  Dans  toutes  les  cérémonies  un 
banc  d'honneur  leur  était  préparé. 

Les  Décemvirs  composaient  un  tribunal  qui  avait  la  con- 
naissance de  toutes  les  affaires  de  la  curie  ;  ils  présidaient  à 
l'administration  au  nombre  de  quatre  magistrats.  Les  consuls 
étaient  aussi  au  nombre  de  quatre  ;  ceux  de  Saint-Gandens 
exerçaient  la  justice  haute,  basse  et  moyenne  et  ceux  d'Aspet 
étaient  «  juges  en  tolz  causa  civil  et  crirmnàl.n 

Ainsi  existe-t-il  une  parfaite  ressemblance,  sous  le  rapport 
politique;  administratif  et  même  financier,  entre  la  constitution 
intérieure  des  cités  du  Comminges  et  la  curie  romaine.  Il  faut 
donc  croire  que  les  traces  de  cette  civilisation  romaine  s'étaient 
empreintes  bien  profondément  dans  l'esprit  et  les  mœurs  des 
populations  de  ces  montagnes,  puisque  ni  les  Wisigoths,  ni 
les  Franks,  ni  la  féodalité,  ni  la  royauté,  en  un  mot,  tous  les 
maîtres  comme  tous  les  gouvernements  qui  se  sont  succédés 
les  uns  aux  autres,  jusqu'à  nos  jours,  n'ont  pu  les  effacer 
entièrement. 

Au  reste,  en  traçant  une  analyse  rapide  de  l'existence  his- 
torique des  localités  qui  environnent  Encausse,  nous  aurons 
une  idée  de  la  haute  importance  qui  s'est  attachée  aux  desti- 
nées de  cette  contrée,  dans  les  temps  anciens  Les  monuments 
du  passé  se  présentent  en  foule  à  nos  recherches.  Si  nous 
rortons  nos  pas  vers  la  capitale  du  Nébouzan,  nous  trouvons 
sur  notre  route  Lespiteau  dont  le  nom  indique  qu'autrefois  il 
avait  été  un  de  ces  lieux  de  refuge,  connus  sous  la  désignation 
d'hospices  qui  servaient  de  retraite  aux  voyageurs  et  aux  in- 
firmes, comme  on  en  trouvait  plusieurs  dans  les  Pyrénées.  Ce 
vallon  qui  de  YEspilaou  se  prolonge  vers  la  Garonne  jusqu'en 
face  Siancarbon  a  servi  de  passage  à  l'armée  de  Gondewald 
poursuivi  par  Gontran,  lorsqu'il  allait  s'enfermer  dans  Lug- 
dunum  Couvcnarum  pour  y  soutenir  un  siège  qui  devait  amener 
la  mort  dû  prétendant  de  la  première  race  et  la  destruction 


SUR  LES  BAINS  d'eNCAUSSE.  *JG  1 

de  la  cité  romaine.  De  l'autre  côté  de  la  Garonne,  s'élève  en 
forme  d'amphithéâtre,  une  autre  cité  qui  a  bien  aussi  ses 
titres  de  gloire  qu'il  ne  sera  pas  inutile  de  connaître. 

Saint-Gaudens,  selon  les  documents  les  plus  authentiques, 
date  sa  fondation  du  commencement  du  IXe  siècle.  A  cette 
époque  les  tribus  qui  composaient  les  populations  Interho- 
Pyrénéennes  n'avaient  point  perdu  encore  l'esprit  de  leur 
origine,  leur  caractère  primordial.  Jusqu'alors  aucune  trans- 
formation sérieuse  ne  s'était  opérée  dans  la  nationalité  des 
habitants  de  ces  montagnes.  Le  Vascon  et  l'Aquitain  étaient 
encore  purs  de  tout  contact  étranger,  de  toute  fusion  anti- 
originelle ;  ils  se  maintinrent  donc  tous  les  deux,  chacun 
dans  sa  nature  propre.  Saint-Gaudens ,  placé  comme  une 
bonne  fortune,  au  confluent  de  cette  double  population  , 
participa  également  à  leur  double  influence. 

D'après  le  texte  .lui-même  de  la  grande  charte  qui  fut  le 
code  politique  de  la  cité,  il  est  certain  que  la  ville  de  Saint- 
Gaudens  a  été  exclusivement  féodale.  Ainsi,  en  l'année  1203, 
Bernard  ,  comte  de  Comminges  ,  faisant  à  ses  habitants  de 
nombreuses  concessions  territoriales,  leur  rappelle  qu'ils  en 
étaient  redevables  aux  bons  et  fidèles  services  rendus  à  leurs 
maîtres. 

Si  Gaston  de  Foix  qui  les  réunit  à  son  domaine,  en  1334  , 
leur  octroya  des  franchises,  ce  ne  fut  que  comme  gardes  des 
limites  et  frontières  de  sa  suzeraineté  du  côté  de  l'Espagne. 
Toujours  des  motifs  de  servitude  rattachèrent  la  ville  à  ses 
seigneurs  et  maîtres.  «  Voulons  que  la  création  et  élection 
des  consuls  de  ladite  ville  soit  faite  suivant  les  règlements 
par  nous  faits;  »  Telle  est  la  première  pensée  qui  présida  à 
la  formation  des  institutions  qui  régissent  Saint-Gaudens.  En 
outre,  les  conseillers  de  la  ville  devaient  être  des  plus  qua- 
lifiés. Les  quatre  consuls  et  les  vingt-quatre  conseillers  étaient 
élus,  tous  les  ans,  par  les  bourgeois  des  quatre  quartiers. 
Ne  pouvaient  être  électeurs  :  les  charcutiers,  les  bouchers . 
les  maréchaux  et  les  corroyeurs,  comme  de  gens  de  vile  et 
abjecte  condition. 

i: 


2f)2  .NOTICE 

Les  règlements  étaient  plutôt  seigneuriaux  que  munici- 
paux. On  trouve,  au  reste,  dans  la  grande  charte,  les  dispo- 
sitions suivantes: 

«  Les  quatre  consuls  seront  nommés  pour  l'entretien  de  la 
«  justice,  le  service  de  leur  prince  et  seigneur  vicomte. 

«  En  la  cour  du  Sénéchal,  le  bâton  du  seigneur  sera  porté 
«  en  signe  d'une  juridiction  absolue. 

«  Le  juge  seigneurial  tiendra  la  droite  au  conseil  ;  il  sera 
«  assis  sur  une  chaire  en  lieu  émînent  et  honorable,  et  aura 
«  la  préséance  sur  les  consuls.  » 

Le  sceau  de  plomb  des  marchands  drapiers,  ingénieusement 
inventé  par  Gaston  de  Foix,  en  1448,  équivalait  au  droit  fis- 
cal du  timbre;  —  Les  enseignes  du  comte  seigneur  servaient 
de  lignes  d'octroi  pour  les  contributions  indirectes,  sur  toutes 
les  avenues  de  la  ville.  A  peine  la  cloche  .des  armoiries 
était-elle  tolérée,  comme  signe  légal,  sur  les  actes  purement 
civils.  Il  n'était  point,  en  un  mot,  jusqu'aux  constructions 
publiques,  telles  que  places,  bancs,  prisons  qu'on  ne  put 
établir  sans  les  soumettre  préalablement  au  contrôle  d'une 
autorité  supérieure. 

Lorsqu'on  1534.  Gaston  de  Foix,  commença  a  distraire 
Saint-Gaudens  du  comté  du  Comminges  pour  en  faire  la 
capitale  du  Nébouzan,  sa  destinée  politique  ne  fut  point,  en 
cela,  plus  améliorée.  Alors  s'ouvrit,  pour  la  ville,  une  ère  de 
malheurs  qui  la  tirent  tomber  successivement  de  la  maison 
de  Foix  au  pouvoir  de  la  couronne  de  Navarre  ;  et  de  celle-ci 
aux  mains  des  rois  de  France,  non  sans  avoir  éprouvé  au- 
paravant tous  les  désastres  qu'entraîne  avec  elle  la  guerre 
civile  et  les  guerres  de  religion.  Pillée  d'abord  par  les  Anglais 
sous  Jeanne,  reine  de  Navarre,  en  1563,  elle  éprouva  delà 
part  des  Huguenots  tous  les  malheurs  d'une  ville  prise  d'as- 
saut. 

Le  comte  de  Montgommery,  chef  du  parti  réformé  contre  les 
catholiques  qui  occupaient  presque  tout  le  pays  du  Béarn, 
«  partant  du  Quercy  vint  en  Rouergue,  passe  la  Save  et 
«  l'Ariège,  et  gaignant  les  monts  Pyrénées,  faict  passer  la 


SUR  LET  BAINS  D  ENCAISSE.  265 

»  Garenne  à  aes  trouppes  par  Saint-Godens  qu'il  saccagea  et 
»  pilla  (*).  »  Plus  tard,  sous  la  fronde,  le  marquis  de  Villars, 
en  haine  du  parti  du  roi  que  les  habitants  ont  toujours  em- 
brasse et  soutenu;  la  ville  fut  pleine  de  garnisons  étrangères. 
Il  n'est  point  jusqu'aux  guerres  malheureuses  de  Louis  XIVr 
qui  ne  lui  aient  fait  éprouver  des  charges  onéreuses  par  le 
cautionnement  forcé  qu'établissaient  à  Saint-Gaudens  plu- 
sieurs régiments  de  cavalerie,  et  notamment  la  compagnie 
du  duc  de  Noailles. 

En  dépit  de  ces  désastres,  la  ville  do-  Saint-Gaudens  n'en 
est  pas  moins  aujourd'hui  une  des  plus  jolies,  des  plus  belles 
et  des  plus  agréables  du  département. 

A  l'opposé  de  Saint-Gaudens  et  presque  à  égale  distance 
d'Encausse,  dans  le  fond  d'un  vallon,  existe  une  autre  cité 
qui  plus  heureuse  que  la  capitale  du  Nébouzan,  n'aliéna  ja- 
mais sa  liberté.  C'est  la  petite  ville  d'Aspet  dont  nous  voulons 
parler. 

Située  sur  un  plateau  qui  domine  deux  vallées  dont  il  semble 
en  défendre  l'entrée,  Aspet  remonte  par  sa  fondation  vers  le 
X'-  siècle.  Formé  d'une  de  ces  peuplades  errantes  qui,  à  cette 
époque,  sous  le  nom  de  bandouliers  servaient  la  cause  de 
l'indépendance  contre  les  Franks  et  Charlemagne,  Aspet  ne 
fui  primitivement  qu'une  bourgade  mobile  ou  un  camp  de 
refuge.  Mais  lorsque  l'Aquitaine  vit  régner  sur  elle  un  prince 
national,  la  bourgade  qui  vivait  d'abord  de  la  vie  de  famille, 
se  façonna  insensiblement  a  la  vie  civile.  Ses  habitants  élevè- 
rent des  remparts,  régularisèrent  une  garde  armée  et  créèrent 
des  magistrats  annuels. 

La  petite  république  s'agrandit  d'autant  plus  rapidement, 
qu'éloignée  du  centre  du  gouvernement  ducal,  elle  resta 
étrangère  aux  querelles  politiques  de  cette  époque.  D'ailleurs, 
dans  son  indépendance  native,  peu  lui  importait  un  roi 
Frank  ou  Aquitain,  à  elle,  qui  n'avait  à  faire  ni  de  l'un,  ni  de 
l'autre?  N'avait-elle  point  et  sa  langue  et  son  code  municipal? 

i     Mémoires  de  Mouline,  page  331. 


261  Nonci 

Avec  l'une,  elle  continuait  ses  relations  commerciales  dans 
les  vallées  espagnoles;  avec  Pautre,  elle  assurait  sa  tranquil- 
lité intérieure. 

Aspet  poursuit  ainsi  l'exercice  de  sa  liberté,  pendant  deux 
siècles,  se  formant  une  propriété  et  des  relations  extérieures 
que  nui  étranger  ne  s'avisa  jamais  de  contrarier.  Aussi  le 
pouvoir  seigneurial  en  élevant  son  château  en  face  de  la 
commune,  respecta,  malgré  lui,  sans  doute,  les  franchises  de 
la  municipalité,  et  se  vit  obligé  de  reconnaître,  sous  le  nom  de 
privilèges,  un  droit  ctlutumier  dont  les  habitants  jouissaient 
depuis  la  fondation  de  leur  ville. 

On  vit  alors  dans  l'espace  de  quelques  toises  se  développer, 
au  XIIIe  siècle,  le  germe  d'une  civilisation  qui  nous  étonne 
aujourd'hui  et  qui  était  commune  à  toutes  les  cités  interno- 
pyrénéennes.  Qu'on  imagine,  sous  l'empire  de  la  politique 
des  seigneurs,  une  ville  avec  ses  hauts  remparts,  ses  troupes 
bourgeoises  faisant  les  guet  et  une  administration  municipale 
fortement  organisée  ;  des  citoyens  nommant  en  assemblée 
publique  quatre  consuls  annuels  et  les  renouvelant  par  l'élec- 
tion; des  terres,  des  forêts  et  des  possessions  communales 
affranchies  de  tout  impôt,  et  exemptes  de  la  moindre  taxe 
féodale;  la  juridiction  du  seigneur  sans  action  sur  les  citoyens 
de  la  petite  république  ;  un  délit  commis  sur  les  terres  du 
château  ne  pouvant  être  reprimé  que  par  les  juges  de  la  cité; 
les  successions  sans  héritiers  acquises  a  la  commune;  en  un 
mot,  un  sol  respecté  comme  étant  la  propriété  de  l'homme, 
tandis  que  partout  ailleurs  l'homme  était  la  propriété  du  sol  ; 
qu'on  s'imagine  tout  cehà,  et  l'on  aura  l'idée  générale  d'une 
constitution  parfaite- 

On  conçoit  maintenant  toute  la  fierté  de  ces  citoyens  qui 
marchaient  de  pair  avec  le  baron  du  lieu  ;  qui  établissaient 
des  impôts  sur  les  étrangers  ;  qui  avaient  leurs  foires,  leurs 
marchés  et  leurs  revenus  ;  qui  parlaient  un  idiome  particu- 
lier clans  lequel  étaient  écrits,  sur  parchemin,  leur  charte  , 
leurs  lois  civiles  et  criminelles  et  leurs  règlements  de  police  ; 
et   qui    enfui,  osaient  déployer   aux  vents  leurs  bannières,  a 


:  TU  LE9  BAINS  L)  IÏNCAUSSE.  265 

l'emblème  du  soleil  à  sou  midi,  avec  cette  inscription  superbe  : 
\eioleil  regarde  Aspel  (1).  Image  sublime  de  la  puissance  et 
de  la  situation  topographique  de  la  ville. 

Ce  caractère  indépendant  de  la  cité  d'Aspet,  pris  à  son 
origine,  se  poursuivit  a  travers  le  moyen-âge,  affronta,  sous 
le  despotisme,  la  juridiction  du  parlement  et  se  posa  comme 
un  géant  aux.  états-généraux,  de  Toulouse  avec  son  Député- 
Consul.  Quelques  extraits  empruntés  à  ses  diverses  chartes, 
nous  feront  mieux  connaître  quel  était  l'esprit  de  ses  institu- 
tions. 

Dans  une  enquête  qui  fut  ordonnée,  en  1441,  nous  trouvons 
les  faits  suivants  par  lesquels  il  est  dit: 

«  Que  la  ville  d'Aspet,  sise  dans  les  monts  Pyrénées,  est  la 
capitale  et  la  seule  close  de  toute  la  baronnie,  où  se  tiennent 
les  marchés  et  lbires  le  long  de  l'année,  où-  trafiquent  et 
négotieht  tant  Français  qu'Espagnols,  comme  estant  ladite 
ville  dans  les  enclaves  du  pays  des  Passeries  convenues  entre 
les  dits  Français  et  Espagnols,  et  une  des  premières  villes 
qui  font  frontaux  Espaignes,  selon  l'entretien  de  la  fortifica- 
tion de  laquelle,  en  cas  de  trouble,  elle  pourrait  porter  quel- 
que avantage  aux  dits  Espagnols... 

«  ....  que  d'un  temps  immémorial  iis  sont  exempts  d'avoir 
et  recognoistredans  leur  ville,  chatellennieet  baronnie,  aucun 
gouvernement  particulier  et  qu'ils  sont  en  ceste  possession, 
immunité  et  exemption  de  garder  et  défendre  leur  cité  et  le 
pays  par  guets,  gardes  et  consuls....  » 

Nous  lisons  dans  un  autre  titre  rédigé  en  forme  d'articulat 
la  déclaration  suivante: 

«  Dit  le  syndic  que  par  cy-devant,  il  a  suffisamment  re- 
monstré  et  fait  voir  avec  quels  titres  et  causes  et  légitimes 
considérations,  la  dite  ville  et  consulat  d'Aspet  possède  et  a 
possédé,  et  jony  de  touttemps  immémorial,  tous  les  privilèges, 
franchises  libertés,  biens,  possessions  et  autres  droits  qu'elle  a. 

«^Met  en  fait  positif  et  véritable,  qu'en  la  baronnie  d'Aspet, 

(1    Vodci  la  devise  latine  Ispeeium. 


206  NOTICE 

qui  est  de  grande  estendue,  il  n'y  a  autre  ville  ni  place  forte 
autre  que  la  ville  d'Aspet,  en  laquelle  toute  justice  s'exerce, 
et  en  laquelle  les  Espagnols,  à  cause  de  l'accord  des  passeries, 
trafiquent  ordinairement. 

«  Soustient  que  conformément  a  leurs  titres  et  ce  en  con- 
sidération, les  habitants  de  la  dite  ville  et  Consulat  sont  tenus 
à  l'entretien  des  murs,  pavez,  chaussiès,  fontaines,  portes  et 
de  tenir  une  lampe  ardente  devant  la  chapelle  du  très  sainct 
Sacrement  de  l'autel  et  d'autres  charges,  de  tirer  les  droits 
de  gabelle,  etc.,  de  quoi  ils  ont  jouy  de  tout  temps  dont  ri est 
mémoire  de  contraire. 

«  Soustient  aussi  qu'estant  es-pays  montagneux,  désert  et 
stérile,  et  les  terres  qui  s'y  labourent  de  très  petit  rapport 
qu'en  cette  contemplation  par  concession  faicte  à  la  ville  de 
la  fondation  d'icelle,  par  le  Sr  baron  et  ses  successeurs,  la 
dite  ville  et  Consulat  a  esté  entretenue  et  a  jouy  de  toute 
mémoire  d'homme  de  l'usage  de  bois,  forêts,  etc.,  de  quoi  ils 
ont  fait  voir  leurs  titres.  » 

Il  était  difficile,  comme  on  voit,  de  trouver  une  contrée  qui 
eut  des  libertés  si  larges  et  qui  luttât  avec  autant  de  persistance 
pour  la  défense  de  ses  droits  contre  les  prétentions  insolentes 
de  la  féodalité.  Cet  esprit  de  résistance  ne  pouvait  certaine- 
ment qu'être  inné  chez  ces  courageux  descendants  des  Are- 
l'ncci,  dont  le  caractère  revit  encore,  dans  le  canton  d'Aspet, 
avec  tant  d'originalité. 

Après  Saint-Gaudens  et  Aspet,  Valentine  est  le  bourg  le 
plus  important  qui  avoisine  Encausse.  Ces  trois  localités  for- 
ment par  leur  situation  géographique,  un  espèce  de  triangle 
au  milieu  duquel  se  trouvent  situés  les  bains  d'Encausse.  On 
arrive,  au  reste,  à  Valentine,  en  suivant  la  route  qui  traverse 
le  village,  passe  à  côté  de  l'église  et  se  dirige  vers  le  lieu  de 
Aspret  assis  sur  le  penchant  du  coteau  qu'elle  coupe  en  deux. 
Arrivé  sur  le  plateau  qui  domine  le  vallon  d'Encausse,  on 
apperçoit  Valentine  au  fond  du  coteau  opposé  et  vers  laquelle 
on  se  dirige  en  descendant  un  chemin  entretenu  avec  soin. 

La   voie   romaine  qui   partait  de  Toulouse  pour  aller  ;>. 


SUR  LES  BAINS  DEM1AUSSE.  2G7 

Lugdunum  Convenarum  (Saint-Bertrand  de  Comminges)  pas- 
sait à  Valentine.  Voici  quel  était  son  tracé.  De  Toulouse  elle 
se  dirigeait  vers  Seysses  et  traversait  Lavernose.  De  ce  lieu, 
elle  s'approchait  des  bourgs  de  Saint-Julien,  arrivait  à  Cala- 
gorris  (Martres)  et  se  continuait  jusqu'à  l'Escalère  prèsSaint- 
Martory  et  touchait  à  l'Estelle. 

Sur  le  bord  de  l'ancienne  voie,  entre  ce  dernier  village  et 
Beauchalot,  on  remarque  encore  aujourd'hui  un  obélisque  ou 
niche  sacrée  très-bien  conservée. 

De  Beauchalot,  la  voie  se  dirigeait  vers  Stancarbon  où 
Gondewald,  poursuivi  par  l'armée  de  Gontran,  passa  le  fleuve. 
Elle  s'approchait  ensuite  du  lieu  où  est  Saint-Gaudens  à 
l'endroit  appelé  Pujament.  De  là,  elle  se  continuait  jusqu'à 
Valentine  d'où  elle  arrivait  à  Labarthe-de-Bivière  en  traçant 
une  ligne  droite.  On  voit  auprès  de  Labarthe  deux  obélisques  , 
entièrement  semblables  à  celui  de  Beauchalot. 

La  voie  romaine  se  continuait  ensuite  vers  Ardiège  et  Cier 
de-Bivière,  entre  le  premier  village  et  celui  de  Martres.  Ces 
lieux  sont  renommés  par  les  découvertes  qu'on  y  a  faites.  A 
Ardiège  on  voit  les  restes  d'un  aqueduc  romain  ;  et  M.  Sirmond 
y  trouva  les  premières  inscriptions  qui  ont  fait  coiinailre 
plusieurs  divinités  celtiques.  De  Cier-de-Bivière,  la  voie  obli- 
quait vers  la  gauche  et  traversait  ensuite  la  Garonne  au  point 
qui  porte  actuellement  le  nom  de  pont  de  Labroquère  ;  elle 
aboutissait  ensuite  à  l'extrémité  de  la  ville  basse  de  Lugdu- 
num. C'est  à  Labroquère  qu'on  trouve  une  colonne  millidire, 
érigée  avant  l'an  247  et  dédiée  à  l'empereur  Philippe  ,  à 
Marcia-Otacilia-Severa  ,  son  épouse,  et  au  jeune  Philippe 
leur  fils. 

On  ne  peut  donc  disconvenir  que  la  plaine  qui  s'étend 
depuis  Valentine  jusqu'au  Baïsert,  appellée  autrefois  te  payfe 
de  Bivière ,  et  que  Valentine  elle-même  n'aient  été  d'une 
grande  importance  historique,  dans  tous  les  temps  anciens. 
Selon  une  opinion  généralement  acréditée  Valentine  qui  n'est 
plus  qu'un  bourg  était  jadis  une  ancienne  ville.  Des  restes  de 
murs  d'enceinte  et  deux  portes  qui  existent  encore  semblent 


2r>K  NOTICE 

confirmer  cette  opinion.  Son  nom  lui  vient,  dit-on,  de  l'em- 
pereur Valentinien  qui  la  fonda  en  339.  Il  nous  suffira  donc 
pour  le  moment  de  constater  sa  haute  antiquité  et  de  recon- 
naître que  son  voisinage  d'Encausse  est  un  fait  acquis  en  fa- 
veur de  la  réputation  de  cette  dernière  localité. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  territoire  d'Encausse  est  situé  dans 
une  contrée  où  les  monuments  de  la  plus  haute  antiquité 
abondent  de  toutes  parts.  A  Izaut-de-1'Hôtel,  on  a  découvert 
une  statue  d'Isis,  déposée  au  Musée  de  Toulouse,  qui  témoigne 
que  cette  divinité  qui  a  donné  son  nom  à  ce  village  était 
adorée  dans  ce  coin  des  montagnes.  A  Malvésies,  on  remarque 
un  tombeau  avec  les  restes  d'une  inscription  romaine  (1). 
Partout,  aux  environs,  on  retrouve  quelques  débris  qui  rap- 
pellent le  ^souvenir  des  époques  celtiques  ou  romaines.  C'est 
ainsi  qu'on  rencontre  une  infinité  de  tours  Ibériennes  qui  ont 
survécu  aux  ravages  des  temps. 

Voici  les  noms  des  principales  qui  correspondaient  entr'elles 
et  qui  servaient  de  signaux  :  les  tours  d'Aspet,  d'Encausse. 
d'Izaut,  de  Montespan,  d'Estadens,  de  Saint  Martory,  d'Aus- 
sung,  etc.  11  est  à  remarquer  que  chacune  de  ces  tours  domine 
une  plaine  qui  a  été,  dans  les  temps  anciens,  un  centre  parti- 
culier de  population.  ïl  serait  même  facile  aujourd'hui  d'as- 
signer une  circonscription  de  villages  dépendants  de  leur 
centre  de  domination. 

Ainsi  les  vallées  du  Thou,  du  Gier  et  du  Soéil  étaient  situées 
clans  une  position  de  dépendance  aux  piedsde  la  tour  d'Aspet 
qui  leur  commandait.  Celle  d'Encausse  domine  la  plaine  où 
se  trouvent  ses  bains  et  le  territoire  de  l'Hespitaou  et  de  Souech . 
La  tour  d'Izaut  règne  sur  toute  la  vallée  qui  porte  son  nom 
et  qui  s'étend  depuis  Kagire,  jusqu'aux  bains  d'Encausse, 
d'un  côté,  et  jusqu'à  Arguénos,  de  l'autre.  Le  vallon  qui  do- 
mine la  rive  droite  de  la  Garonne,  aux  pieds  de  Montespan, 
comme  celui  qui,  vers  le  midi,  se  dessine  en  se  dirigeant  vers 

•  I)  Voir  notre  histoire  des  population?;  pyrénéennes;  etc.,  (.  H. 
aux  notes. 


SDR  LES  BAINS  D  ENCAUSSE.  2()9 

le  bassin  deSaint-Martory,  sont,  tousdeux,  sous  la  dépendance 
de  la  tour  qu'on  voit  s'élever  au-dessus  des  flots  de  la  Garon- 
ne. De  sorte  qu'il  semblerait  que  chaque  tour  a  été  placée 
spécialement  dans  ces  endroits  pour  servir  de  centre  à  un  certain 
nombre  de  tribus  ou  de  familles  qu'elles  étaient  destinées  à 
protéger  et  à  défendre. 

Il  faut  donc  conclure  qu'en  ces  lieux,  comme  dans  ceux  qui 
avoisinent  ces  tours,  s'élevaient  autrefois  des  maisons  et  des 
habitations  nombreuses. 


Faits  particuliers  concernant.  Encausse.  —  Son  existence  féodale. 

—  Château  des  Seigneurs  du  pays.  —  Découverte  de  ses  eaux. 

—  Écrivains  qui  en  ont  parlé.  —  Origine  de  la  réputation  des 
eaux  d'Encausse.  —Premiers  établissements.  —  Analyse  des 
eaux  par  M.  Filhol.  —  Leurs  vertus  Thérapeutiques.  —  État 
actuel  de  l'établissement  des  bains.  —  Divers  embellissements 
opérés  tout  récemment.  —  Avenir  des  bains  d'Encausse. 


Les  monuments  les  plus  anciens,  dans  lesquels  il  est  fait 
mention  du  lieu  d'Encausse,  sont  un  recensement  capitulaire 
des  paroisses  du  diocèse  deComminges,  de  l'année  1315;  un 
procès  concernant  la  dîme  des  foins  qui  a'éleyy,  entre  les  ha- 


270  NOTICE 

bitants  et  1'Archiprètre  d'Izaut,  en  1341  ;  et  la  fondation  du 
château  qui  remonte,  au  moins,  vers  le  XIe  siècle. 

Nous  dirons  quelques  mots  sur  les  deux  premiers  titres, 
après  être  entré  clans  quelques  détails  sur  ce  dernier  monu- 
ment. 

Le  château  d'Encausse  était  bâti  sur  un  monticule  très 
escarpé,  en  face  du  village  et  n'était  accessible  que  du  côté 
du  levant.  S'il  faut  en  juger  par  ses  ruines  et  surtout  par  les 
fondements  qui  en  dessinent  le  plan,  il  consistait  en  un  sol 
spacieux  et  en  une  tour  carrée  qui  subsiste  en  entier,  adossée 
à  la  partie  occidentale  de  l'édifice  qui  en  dépassait  les  murs 
de  la  moitié  de  la  hauteur  au  moins.  Au  côté  méridional  de 
cette  tour,  on  voit  les  restes  d'un  massif  en  maçonnerie,  qui 
servait  jadis  de  point  d'appui  au  pont-levis  qui  conduisait  à 
la  porte  d'entrée  du  château  Celle-ci  était  placée  bien  plus 
haut  que  les  fossés.  La  construction,  le  style  de  l'édifice  et 
son  ensemble  donnent  à  sa  fondation  une  date  fort  reculée. 

Nous  trouvons,  en  effet,  que  dans  la  guerre  qui  eut  lieu  en 
1080,  entre  Centule  Ier,  comte  de  Bigorre,  du  chef  de  sa  femme 
Béatrix,  etSanche,  vicomte  de  Labarthe,  son  vassal,  celui-ci, 
vaincu  par  son  suzerain,  se  soumet  à  subir  un  jugement  pour 
son  chef,  soit  au  château  d'Encausse,  soit  ailleurs.  En  1232, 
Bozon  de  Matas,  en  discussion  avec  Bernard  de  Comuiinges, 
au  sujet  des  droits  de  Pétronille,  femme  du  premier,  sur 
la  succession  du  Comminges,  livre  le  château  d'Encausse, 
pour  assurance  de  son  adhésion  au  jugement  des  arbitres 
choisis  par  les  par  Lies  intéressées. 

En  1360,  le  château  d'Encausse  renferme  une  garnison 
commandée  par  le  vicomte  Pierre-Arnaud  qui  pousse  fort 
loin  ses  expéditions  contre  les  troupes  du  roi  de  France. 
Ainsi,  sa  fondation  remonterait-elle  au  moins,  au  temps  de 
Bernard  1er,  comte  du  Comminges,  c'est-à-dire  au  XIe  siècle, 
peut-être  même  à  une  époque  plus  éloignée.  Il  est  à  présumer 
en  effet,  qu'ainsi  que  tous  les  autres  châteaux  dont  on  voit 
encore  aujourd'hui  les  ruines,  il  fut  le  résultat  de  l'organi- 
sation politique  du  pays,  et  qu'il  faut  en  fixer  l'origine  à 


SUR  LES  lîAINS  D'ENCAUSSE,  Ji~  1 

c-t-lle  de  la  féodalité,  ou  au  moins  à  l'érection  du  Commiriges 
en  comté  héréditaire,  au  IXe  siècle. 

Comment  se  passer  de  forteresses  dans  des  temps  où  on 
avait  à  se  prémunir  contre  les  irruptions  assez  fréquentes 
des  peuples  voisins  ;  dans  les  temps  où,  pour  prélever  des 
redevances  féodales,  les  soigneurs  étaient  forcés  de  stipen- 
dier des  gens  armés, -dans  des  temps,  enfin,  où  l'on  voyait 
souvent  éclater  des  guerres,  non  seulement  entre  suzerains 
mais  encore  entre  ceux-ci  et  les  feudataires  eux-mêmes  ? 
C'est  en  15G7,  c'est-à-dire  à  l'époque  des  guerres  de  religion 
auxquelles  Montluc  et  Montgommrie  donnèrent  un  carac- 
tère si  atroce,  que  le  château  d'Encause  après  avoir  soutenu 
un  siège  de  six  semaines,  pendant  lequel  l'eau  du  puits  qui 
était  au  dehors  du  chastel  et  les  citernes  qui  étaient  dedans 
sescherent,  contre  un  parti  protestant  commandé  par  Jean 
Cuilhem  de  la  vallée  d'Aure,  fut  démoli  de  fond  en  comble. 
La  tour",  seule ,  résista  aux  efforts  des  assiégés  et  subsiste 
encore  en  partie  comme  un  monument  digne  de  rappeler  de 
beaux  souvenirs. 

Le  chapitre  du  diocèse  du  Comminges  faisant,  en  1315,  le 
recensement  des  paroisses  dépendantes  de  l'évêché,  met  au 
premier  rang  des  églises  du  pays,  celle  d'Encausse  dont  la 
inanse  annuelle  s'élevait  à  la  somme  de  neuf  écus  six  sols 
tolosains.  Elle  était  placée  sur  la  même  ligne  que  celles  de 
Sauveterre,  de  Valentine  et  de  Cierp;  elle  était  dans  la  cir- 
conscription de  l'Archiprêtré  d'Izaut.  Mais  le  fait  le  plus 
curieux  qui  se  rapporte  à  l'histoire  de  cette  localité,  est  le 
procès  qui  eut  lieu,  en  1344,  entre  M.  de  Moncaut,  archi- 
prêtre  et  les  consuls  d'Encausse,  au  sujet  de  la  dîme. 

Voici  les  causes  de  ce  procès  étrange  .- 

Au  nombre  des  dîmes  rédimées  étaient  celles  des  foins 
qu'on  fauchait  dans  la  paroisse.  Depuis  un  temps  immémo- 
rial, les  habitants  en  avaient  été  exempts.  De  sorte  qu'ils 
pouvaient  faire,  à  leur  gré  leurs  foins,  sans  craindre  le 
moindre  empêchement  ni  troublé.  Mais  il  n;trait  que  l'archi- 
prètre   M.  de  Moncaut  entendait   autrement   les  droits  de 


272  .NOTICE 

l'Eglise.  Que  fit-il?  au  moment  ou  les  foins  étaient  coupés 
et  prêts  à  être  enfermés,  il  les  fait  saisir  sous  prétexte  qu'au 
préalable  ils  n'avaient  pas  fourni  leur  contingent  à  la  dîme 
comme  foin  sec  et  coupé. 

Grande  rumeur  s'éleva  aussitôt,  comme  on  le  pense  bien, 
dans  la  paroisse  ;  et  il  fallut  l'intervention  des  deux  consuls 
pour  qu'il  n'arrivât  malheur.  Les  deux  magistrats  forcè- 
rent les  gens  de  l'archiprêtre  à  se  retirer,  et  chaque  habi- 
tant pût  rentrer  ses  foins  à  son  aise.  La  question  de  fait 
ainsi  vidée;  restait  la  question  de  droit.  Celle-ci  exigea  plus 
de  temps  avant  qu'elle  fut  terminée.  Ce  n'est  que  dix  ans 
après  qu'il  intervint  une  décision  de  parlement  par  laquelle 
il  était  dit  :  «  Que  dorénavant  les  habitans  du  lieu  d'En- 
«  causse  jouiraient  sans  empêchement  ni  conteste  de  la  fa- 
«  culte  de  couper  les  foins  sans  être  tenus  à  payer  la  dime  ; 
«  attendu  que  de  tout  temps,  ils  en  avaient  été  affranchis 
«  par  privilège,  etc.  » 

Ce  singulier  procès  mit  en  relief  une  question  bien  ou- 
bliée de  nos  jours,  à  savoir  si  les  fruits  secs,  pendants  ou 
autres  étaient  sujets  à  la  dime  ;  et  dans  l'affirmative,  dans 
qu'elles  proportions  devait-elle  être  perçue?  il  fallut  dix 
années  pour  la  décider. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  lieu  d'Encausse  se  trouva  encore  re- 
présenté aux  états  généraux  du  Nébouzan,  tenus  en  1415  à 
Saint-Gaudens ,  par  deux  de  ses  délégués;  Les  consuls 
Bertrand  Lafont  et  Arnaud  Barès.  Dans  cette  assemblée  on 
discuta  le  chiffre  des  subsides  demandés  par  le  Sénéchal  au 
nom  du  gouverneur  de  la  province  du  Languedoc.  Nous  re- 
marquons, au  nombre  des  doléances  faites  par  les  députés, 
celles  des  consuls  d'Encausse  qui  disent  :  «  que  les  foules 
«  des  gens  de  guerre,  la  grêle  et  l'inondation  ont  mis  le 
«  pays  dans  un  piteux  estât,  au  point  que  la  misère  est 
«  grande  parmi  les  habitants.  Pour  ce  demandent  d'estre 
«  soulagés  dans  leur  cotisation.  »  On  eut  égard  à  leur  de- 
mande, puisque  les  53  feux  dont  se  composait  la  paroisse 
ri"  furent  taxés  qu'a  trois  sois  et  demi  tolzm  une  fois  pn 


SLll  LES  BAINS  D  ENCAISSE.  275 

Mais  la  principale  fortune  du  pays  et  qui  devait  un  jour 
faire  la  réputation  du  lieu  d'Encausse  était  la  source  d'eau 
minérale  qu'il  possède  et  dont  nous  voulons  faire  connaître 
la  renommée  et  les  vertus  sans  nombre. 

Scion  Strabon,  il  existait  déjà  de  son  temps,  dans  le  pays 
des  Convènes  plus  tard  lcComminges,  un  grand  nombre  de 
sources  minérales,  excellentes  pour  prendre  en  boisson,  aqI'a 
ad  potum  opïima,  dit  Casaubon  son  traducteur.  Pline  lui- 
même  dit  que  cette  contrée  abonde  en  eaux  thermales;  et 
Danville,  corroborant  l'opinion  de  ces  deux  auteurs  anciens, 
cite  les  sources  les  plus  connues  et  les  plus  en  réputation  qui 
se  trouvent  dans  la  direction  des  montagnes  du  Comrninges. 
Cette  nomenclature  est  longue,  surtout  si  l'on  en  juge  par 
les  eaux  minérales  qui  existent  de  nos  jours.  Ainsi,  nous 
citerons,  à  notre  tour,  les  eaux  de  Luchon,  du  Lez  dans  la 
vallée  d'Aran,  de  Siradan,  de  Sainte-Marie,  d'Encausse,  de 
Capbern,  de  Labarlhe-de-Pùvière,  de  Ganties,  de  Bugalel  aux 
pieds  de  Saint-Gaudens,  etc.  L'opinion  de  Tline  et  de  Strabon 
se  trouve,  comme  on  voit,  parfaitement  confirmée  et  suffi- 
samment établi. 

Mais  quant  à  ce  qui  concerne  les  eaux  d'Encausse, 
les  auteurs  modernes  font  remonter  à  1566,  sinon  la  dé- 
couverte, du  moins  l'usage  qu'on  en  fit.  M.  d'Orbessan, 
gouverneur  de  la  province,  a  été  le  premier  qui  les  a  mises 
en  réputation,  s'il  faut  en  juger  par  ce  qu'en  dit  le  chroni- 
queur Jean-Baptiste  Larcher.  «  M.  d'Orbessan  s'étant  rendu 
i<  àTarbes  tomba  gravement  malade  des  suites  d'une  maladie 
«  aiguë  qui  lui  torturait  les  reins.  Il  épuisa  toutes  les  res- 
»  sources  de  la  médecine •  lorsque  quelqu'un  du  bureau  de 
«  Tarbes,  lui  conseilla  d'aller  prendre  les  bains  d'Encausse, 
«  sis  dans  le  ISébouzan.  M.  le  Gouverneur,  quoique   très 

souffrant,  ne  fit  faute  de  suivre  ce  conseil,  étant  déjà  à  bout 
«  de  remèdes.  Il  se  rendit  donc  à  Encausse  et  en  peu  de  jours, 

il  rétablit  sa  santé  comme  par  miracle,  tant  les  eaux  de 
«  ce  pays  sont  salutaires.  » 

Le  poète  du  Barthas  rendit  lui-même,  à  celte  époque1,  un 


:274  notice 

hojnmage  public  aux  eaux  d'Encausse,  dans  une  pièce  de 
vers  dont  la  pensée  doit  faire  excuser  le  mauvais  goût  et  la 
pauvreté  du  style.  En  voici  un  extrait  : 

C'est  dons  ta  source  salutaire, 
Nymphe  d'Encausse,  que  l'on  voit 
Le  malade  qui  ton  eau  boit. 
Retrouve  sa  force  première. 
La  fdle  au  teint  pâle  et  mourant, 
Le  jeune  homme  au  regard  livide, 
La  femme  à  la  fièvre  morbide, 
En  toi  trouvent  soulagement. 
()  source  bienfaisante  et  bonne, 
Reçois  l'hommage  de  mes  vers. 
Etc 

L'auteur  de  l'ouvrage  latin  des  fleuves  et  des  rivières  de 
France,  en  parlant  de  la  petite  rivière  du  Gier,  ajoute  qu'elle 
est  peu  distante  du  lieu  d'Encausse  renommé  par  ses  eaux 
qui  guérissent  diverses  maladies,  entr'autres  la  jaunisse,  les 
fièvres,  l'apoplexie,  les  maladies  du  foie,  etc. 

Enfin,  Millin,  dans  son  Voyage  du  midi  de  la  France  ; 
Abadie,  dans  son  Itinéraire  des  Pyrénées-  Bayen,  Fa  bas  et 
Camus  ont  indiqué  les  vertus  médicales  et  déterminé  indi- 
rectement, il  est  vrai,  leur  application  thérapeutique.  C'est 
peut-être  à  l'un  de  ces  trois  savants  que  nous  devons  le 
résultat  d'une  analyse  fort  incomplète  assurément  des  eaux 
d'Encausse  et  que  nous  reproduisons  sous  toutes  réserves, 
plutôt  comme  document  historique  que  comme  résultat 
scientifique. 

Ainsi  l'on  a  trouvé  que  l'eau  d'Encausse  contenait  sur 
8  kilo  :  1°  sulfate  de  chaux,  1  gros  68  grains  ;  —  2<>  sulfate 
de  magnésie,  \  gros  20  grains  ;  — 2°  muriate  de  magnésie, 
2  grains;  4o  carbonate  de  magnésie,  l  grain  ;  5°  carbonate 
de  chaux,  25  grains  ;  —  plus  une  petite  quantité  de  matière 
insoluble. 

Quoiqu'il  en  soit  de  la  valeur  de  cette  analyse,  celle  que 


SLR   LES  BAINS  D  ENCAISSE. 


275 


nous  donnons  et  qui  a  été  faite  tout  récemment  par  un  de 

nos  chimistes  les  plus  distingués,  lèvera  tous  les  doutes  à  ce 
sujet,  et  fera  connaître  cette  source  dans  sa  véritable  na- 
ture. 

Qu'on  se  représente  une  petite  vallée  de  figure  triangulaire, 
entourée  de  montagnes  d'une  médiocre  élévation,  dont  les 
bois  avec  les  rochers  qui  se  montrent  ça  et  là,  donnent  l'idée 
d'un  séjour  solitaire  et  agreste,  en  relevant  l'aspect  riant 
d'un  sol  fertile  ;  des  prairies  très  fraiches,  plusieurs  ruisseaux 
dont  les  eaux  limpides  les  arrosent  et  les  sillonnent  de  toutes 
parts;  et  au  milieu  de  ce  tableau,  un  ruisseau  qui  se  délache 
et  le  parcourt  dans  toute  sa  longueur,  et  l'on  aura  une  idée 
exacte  du  site  où  se  trouvent  les  bains  d'Encausse.  Car  c'est 
dans  l'angle  Sud-Ouest  de  la  vallée  et  sur  le  .Tops  que  sont 
situés  les  eaux  et  le  petit  bourg  d'Encausse. 

Les  eaux  d'Encausse,  ainsi  que  l'a  observé  Carrère  dans 
son  Catalogue  raisonné  des  eaux  minérales,  avaient  été 
autrefois  examinées  par  quelques  médecins;  mais  leurs 
analyses  étaient  inexactes.  Celle  qu'en  a  fait  M.  Save  est  la 
seule  qui  jusqu'ici  avait  mérité  quelque  créance.  Mais  grâces 
aux  soins  et  au  talent  si  justement  célèbre  de  M.  Filhol, 
professeur  et  chimiste  d'un  mérite  incontestable,  l'analyse 
des  eaux  d'Encausse  ne  laisse  rien  à  désirer. 

ÎNous  la  transcrivons  telle  que  ce  savant  la  rédigée  en  la 
faisant  suivre  après  celle  de  M.  Save. 

ANALYSE  DE  M.  SAVE,  4811.  (un  litre  d'eau). 


Sulfate  de  chaux. 

—  de  soude. 

—  de  magnésie     . 
Chlorure  de  Magnésium. 
Carbonate  de  Magnésie. 

—         de  chaux. 
Acide  carbonique. 


>,e 

6204 

», 

5855 

o, 

5577 

o, 

0435 

o, 

21G9 

o, 

1210 

2,gr8839 


27(3  NOTICE 

ANALYSE  CHIMIQUE 
DES  EAUX  DENCAUSSE, 

Par  M.  FiLHOL.  (avril  1851.) 


L'eau  minérale  d'Encausse  est  limpide,  incolore,  sans  odeur; 
sa  saveur  est  légèrement  amère  ;  sa  densité ,  déterminée  à  la  tem- 
pérature de  16»,  est  de  1,0052. 

Un  thermomètre  centigrade  plongé  dans  l'eau  du  réservoir 
s'est  arrêté  à  22,20.  Cette  température  est  sensiblement  la  même 
que  celle  qui  avait  été  constatée  par  M.  le  docteur  Saint-André 
(22,20);  elle  diffère  très  peu  de  celle  qu'avait  observé  M.  Save. 

Si  l'on  examine  l'eau  d'Encausse  dans  son  réservoir,  on  voit  se 
dégager  constamment  du  fond  de  ce  dernier  une  multitude  de 
bulles  gazeuses  qui  viennent  crever  à  la  surface,  et  qui  pour- 
raient au  premier  abord  faire  considérer  cette  source  comme 
devant  faire  partie  de  la  classe  des  eaux  gazeuses  acidulés  ;  mais 
un  examen  plus  attentif  démontre  que  le  gaz  contenu  dans  l'eau 
est  formé  en  grande  partie  par  de  l'azote  et  de  l'oxygène,  et  que 
l'acide  carbonique  n'y  entre  que  pour  une  proportion  assez  fai- 
ble. L'eau  d'Encausse  ressemble,  sous  ce  rapport,  à  celle  d'Audi- 
nac,  qui  laisse  dégager  aussi  une  quantité  considérable  d'un  gaz 
composé  d'azote  et  d'oxygène  mêlés  d'un  peu  d'acide  carbonique. 

Un  litre  d'eau  d'Encausse ,  soumis  a  l'ébullition  dans  un  appa- 
reil convenable,  a  fourni  28,5  c.c.  de  gaz;  ce  gaz  étant  agité  avec 
une  dissolution  de  potasse  caustique  ,  s'est  dissous  en  partie  et 
s'est  réduit  à  2  3,5  c.c.  ;  le  mélange  gazeux  que  la  potasse  avait 
refusé  de  dissoudre  étant  soumis  à  l'action  du  phosphore  ,  s'est 
réduit  à  19,00  <v. 

L'eau  d'Encausse  ramène  légèrement  au  bleu  la  teinture  de 
tournesol  rougîe. 

Si  l'on   t'aii  bouillir  pendant  une  heure  cette  eau  minérale,  en 


sim  les  bains  d'encaisse.  277 

eyan!  le  soin  de  remplacer  l'eau  qui  s'évapore  par  une  quantité 
é|gàfe  d'eau  distillée,  on  s'aperçoit  qu'elle  laisse  déposer  une 
poudre  d'un  blanc  légèrement  grisAtre  que  les  acides  dissolvent 
en  produisant  une  vive  effervescence  ;  cinq  litres  d'eau  en  ont 
laissé  déposer  ainsi  0,2125  gr.  Ce  dépôt  a  été  dissous  dans  de 
l'acide  chlorhydrique  pur  et  en  excès  :  la  solution,  saturée  par  de 
l'ammoniaque  et  additionnée  ensuite  d'un  excès  d'oxalate  d'am- 
moniaque ,  a  donné  un  abondant  précipité  qui  a  é!e  recueilli 
sur  un  filtre,  lavé  et  chauffé  au  rouge  sombre;  il  pesait  alors 
0,1350  gr.  et  était  composé  de  carbonate  de  chaux.  la  solution 
séparée  du  précipité  précédent  étant  mêlée  avec  du  phosphate  de 
soude  et  un  excès  d'ammoniaque,  a  donné  un  nouveau  précipité 
qui  a  été  recueilli,  lavé  avec  de  l'eau  ammoniacale,  séché  et 
chauffé  au  rouge  dans  un  creuset;  ce  prépité  pesait  0/2040  gr.-, 
il  était  formé  de  pyrophosphate  de  magnésie;  il  correspondait  à 
0,0757  de  carbonate  de  cette  base. 

Cinq  litres  d'eau*  évaporée  à  siccité ,  après  avoir  été  mélangés 
avec  un  excès  d'acide  chlorhydrique  pur,  ont  fourni  un  résidu 
très  blanc  qui  a  été  repris  par  de  l'eau  distillée  bouillante ,  en 
grand  excès  :  la  majeure  partie  du  résidu  s'est  dissoute  dans. 
l'eau;  mais  il  est  resté  un  résidu  d'un  blanc  très  légèrement  gri- 
sâtre, insoluble  dans  l'eau  et  dans"  les  acides,  possédant  tous  les 
caractères  de  la  silice;  ce  résidu  pesait,  après  avoir  été  chauffé 
au  rouge ,  0,0500  gr.  Cinq  litres  d'eau  minérale  ont  été  portés  à 
Tébullition  ,  le  liquide  bouillant  a  été  acidulé  'par  de  l'acide  azo- 
tique  pur,  et  mêlé  ensuite  avec  un  excès  de  chlorure  de  barium  , 
il  s'y  est  formé  un  abondant  précipité  blanc,  très  lourd.  Ce  pré, 
cipité  a  été  recueilli  avec  soin ,  lavé ,  séché  et  chauffé  au  rouge  ; 
il  pesait  2 3 , -i ô -i ô  gr.;  il  était  composé  en  totalité  de  sulfate  de 
baryte  ,  et  correspondait  à  C,0(i00  gr.  d'acide  sulfurique. 

La  liqueur  séparée  du  précipité  précèdent  a  été  mélangée  avec 
de  ràcidJê  sulfurique  pur,  pour  en  séparer  l'excès  de  chlorure  de 
barium,  filtrée  de  nouveau,  saturée  par  l'ammoniaque  et  mêlée 
avec  de  l'oxalate  d'ammoniaque  en  excès  ;  il  s'y  est  formé  un  pré- 
cipité très  abondant.  Ce  précipité ,  lavé  ,  séché  et  chauffé  au  rouge 
sombre,  pesait  7,940  gr.;  il  était  composé  de  carbonate  de  chaux. 

L'eau  qui  avait  fourni  ce  dernier  précipité  ,  étant  mêlée  avec  de 
l'ammoniaque  en  excès  et  du  phosphate  de  soude,  a  donné  un 

1S 


i/8  m)tii:k 

nouveau  précipite  qui  pesait,  après  avoir  subi  des  lavages  conve- 
nables et  une  calcination  au  rouge,  2,6000  gr.  Ce  précipité  était, 
formé  de  pyrophosphate  de  magnésie. 

Deux  litres  d'eau  minérale  ont  été  acidulés  par  de  l'acide  azo- 
tique pur  et  mêlés  ensuite  avec  un  excès  d'azotate  d'argent  ;  le 
précipité  a  été  lavé  -,  séché  et  fondu  par  la  chaleur  ;  il  pesait 
1,4619,  et  consistait  en  chlorure  d'argent. 

Trois  litres  d'eau  d^Encausse  ont  été  portés  à  l'ébuliition ,  et 
mêlés  ensuite  avec  de  l'eau  de  baryte  en  excès;  il  s'y  est  produit 
un  abondant  précipité  qui  «  été  séparé  par  filtration  ;  le  liquide 
filtré  a  été  mêlé  avec  un  excès  de  carbonate  d'ammoniaque;  puis, 
filtrée  de  nouveau ,  la  liqueur  claire  a  été  saturée  par  de  l'acide 
chlorhychique  pur,  évaporée  à  siccité ;  le  résidu  sec  a  été  forte- 
ment calciné  ;  il  pesait  0,9  45  gr. 

Ce  résidu  a  été  dissous  dans  un  peu  d'eau  distillée  ;  la  solution , 
mêlée  avec  du  chlorure  de  platine  en  excès ,  a  été  évaporée  à  sic- 
cité  ,  et  le  résidu  a  été  repris  par  de  l'alcool  pur  ;  il  est  resté  une 
poudre  de  couleur  jaune  serin  ,  composée  de  chlorure  double  de 
platine  et  de  potassium.  La  quantité  en  était  si  faible,  qu'il  n'a 
pas  été  possible  de  la  déterminer  ;  le  reste  de  la  matière  saline 
était  formé  de  chlorure  de  sodium 

Dix  litres  d'eau  minérale  d'Encausse  ont  été  mêlés  avec  un 
excès  de  potasse  pure,  et  évaporés  à  siccité  ;  le  résidu  sec  repris 
par  l'alcool  s'y  est  dissous  en  partie  ;  la  dissolution  alcoolique  a  été 
évaporée  à  siccité  ;  le  résidu  repris  par  quelques  gouttes  d'eau 
distillée,  a  fourni  une  solution  dans  laquelle  il  a  été  facile  de  recon- 
naître l'existence  de  l'iode,  soit  à  l'aide  du  chlore  et  de  l'amidon  , 
soit  à  l'aide  du  chlorure  de  palladium. 

J'ajouterai  enfin  aux  faits  précédents  que  j'ai  trouvé  dans  le 
résidu  de  l'évaporation  de  ces  eaux  une  trace  de  fer  et  un  peu  de 
matière  organique  ,  et  que  les  sels  déposés  dans  la  chaudière 
m'ont  fourni  une  trace  d'arsenic.  La  discussion  des  données  précé- 
dentes conduit  à  assigner  à  l'eau  d'Encausse  la  composition  qui 
suit  : 


SUR  LE  BAINS  BENCAUSSK.  '2'^ 

i»  rkslltat  brut  dk  l'a.nalyse  (Eau,  1  litre), 

Acide  carbonkfue 0,0295  gr. 

silicique 0,0100 

—       sulfurique 1,2120 

Chlore 0,1807 

Pota'ssè. '.    '.'.'.'.'.'.['.     \      lraces 

Soude 0,1670 

Chaux 0,89ti0 

Magnésie ,     ,  0,1910 

Oxvde  de  fer ,     .     > 

Arsenic .,..(  fraces 

Matière  organique traces 

Oxygène hte.e,  flo 

Azote .     .     ,  19,         0-0 

COMPOSITION  RATIONNELLE. 

I.  GRANDE  SOURCE  (eau  :  1  litre). 

Oxygène 4,<\*.  50 

Azote .■ 19,         00 

Acide  carbonique. 5,         00 

Sulfate  de  chaux 2,1390  gr. 

—  de  potasse.  .......  traces 

—  de   soude -     .  0,0204 

—  de     magnésie 0,5420 

Chlorure  de  sodium 0,3202 

Carbonate  de  chaux 0,02*0 

—  de  magnésie 0,0155 

Oxyde   de    fer traces 

—  de  manganèse traces 

Silicate  de   soude traces 

Silice  en  excès 0,0100 

Matière  organique traces 

Arsenic traces 

3,0541   gr 


280 


NOTICE 


il.  grandi:  source, 

La  petite  source  a  une  température  de  22,6;  elle  fournit  avec 
les  réactifs  les  mêmes  précipités  que  la  grande.  La  source  du  pré 
de  M.  Lafon  ne  contient  que  des  traces  de  sulfate  de  chaux  et 
de  magnésie  ;  elle  tient  en  dissolution  un  peu  d'acide  carbonique 
libre,  et  un  peu  de  bicarbonate  de  chaux  et  de  magnésie;  les 
réactifs  n'y  indiquent  pas  l'existence  du  fer.  C'est  une  excellente 
eau  potable,  bien  préférable  à  celle  du  Jops. 

On  va  juger  de  la  différence  des  vertus  des  eaux  d'En- 
rausse  avec  celles  d'Aulus  par  exemple,  par  la  différence 
des  éléments  chimiques  qui  entrent  dans  la  composition  des 
eaux  de  ce  dernier  établissement. 


ANALYSE  FAITE  PAR  M.  FILHOL.  (Eau,  1  litre) 


Acide  carbonique  libre 

. 

0,0630  gr 

Chlorure  de  magnésium 

. 

.      0,0052 

—     de   sodium 

. 

0,0012 

1,8117 

—     de  magnésie  . 

. 

0,2093 

0,0120 

'".^rbonnate  de  chaux    . 

. 

0,1268 

—     de  magnésie   . 

. 

0,0347 

0,0046 
0,0076 

Acide  crénique  et  aprocrénique    . 

0,0064 

\ 

Cuivre 

>  traces. 

2,2845  gr 


Maintenant  que  nous  connaissons  les  éléments  chimiques 
qui  entrent  dans  la  composition  des  eaux  d'Encausse,  et  avant 
d'entrer  dans  les  détails  de  leurs  propriétés  médicales,  faisons 


SUR  LES  BAINS  D'ENCAUSSE.  281 

connaître  la  nature  du  lieu  où  elles  se  produisent,  dans  sei 
conditions  topographiques.  Observons  d'abord  qu'on  trouve 
peu  de  villages  dans  les  Pyrénées  qui  olfrent,  comme  celui 
d'Encausse,  une  position   aussi  avantageuse  pour  la  santé. 

Situé,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  au  centre  d'un  vallon 
ouvert  dans  tous  les  sens,  et  par  cela  même,  accessible  à 
des  courants  qui  y  agitent  et  renouvellent  l'atmosphère,  l'air 
y  est  constamment  pur  et  serein,  exempt  de  brouillards, 
d'émanations  et  de  miasmes  malfaisants.  La  température  y 
est  agréable  et  l'eau  qu'on  y  boit  excellente.  Aux  propriété:; 
éminemment  dissolvantes  dont  elle  jouit  par  elle-même, 
viennent  s'ajouter  les  propiétés  toniques,  que  lui  donne  enco- 
re l'usage  modéré  qu'on  y  l'ait  généralement  du  vin.  Aussi, 
remarque-t-on  peu  de  maladies  dans  ce  village  eompori 
environ  de  six  cents  habitants. 

Outre  ees  particularités,  la  position  d'Encausse  et  le  genre 
de  vie  qu'on  y  suit  et  qui  ne  contribue  pas  moins  à  donner 
à  l'habitant  une  constitution  robuste,  le  terrain  est  encore 
d'une  qualité  supérieure  autour  duvillage  et  principalement 
au  midi,  au  couchant  et  au  nord.  Aussi,  pendant  la  saison 
des  eaux,  la  plaine  d'Encausse  rejouil-elle  la  vue  par  la  force. 
la  fraicheur  et  la  variété  de  sa  végétation. 

Les  animaux  domestiques  à  Encausse,  sont  les  mêmes  que 
ceux  qu'on  trouve  dans  l'arrondissement  deSaiut-Gauden., 
dans  la  partie  des  montagnes.  Quant  aux  animaux  sauvages, 
on  ne  voit  plus  dans  ce  territoire  ni  le  sanglier,  ni  leblaireau; 
les  loups  s'y  montrent  quelquefois  pendant  la  saison  des 
neiges;  et  l'ours  n'y  descend  pas  de  Kagire.  f^e  lièvre  et  le 
renard  sont  les  seuls  qui  attirent  encore  les  chasseurs,  l'ar- 
mi  les  oiseaux  stationnaires,  on  dislingue  la  perdrix  rouge, 
le  lourde,  la  perdrix  grise,  le  merle,  la  grive,  la  pie  etum- 
infinité  de  petits  oiseaux  de  la  famille  des  passereaux.  Les 
oiseaux  de  proie,  sont  le  milan,  la  buse,  le  faucon,  l'épei  \  ier. 

On  y  trouve  aussi,  dans  les  différentes  saisons,  beaucoup 
d'oiseaux  de  passage.  Les  principaux  sont  le  canard,  le  bi<et„ 
Ut  bécasse,  le  vanneau,  le  pluvier,  le  courlis,  la  eanepetieiv  . 


282  NOTICE 

mais  surtout  la  caille  et  le  ramier.  Ces  deux  espèces  peuvent 
y  être  l'objet  de  chasses  aussi  amusantes  que  fructueuses. 
Si  le  règne  végétal,  dans  le  territoire  d'Encausse,  n'offre  que 
peu  d'intérêt  au  botaniste,  la  commune  possède,  en  compen- 
sation, de  belles  forêts  de  chênes;  le  village,  des  pommiers, 
des  noyers  et  des  cerisiers  qui  ombragent  le  toit  du  proprié- 
taire ;  et  le  potager  renferme,  quoique  dans  des  espaces  très 
resserrés,  des  fruits  qui  ne  sont  pas  sans  avoir  leur  mérite. 

Le  sommet  des  collines,  entre  lesquelles  se  trouve  l'établis- 
sement d'Encausse,  est  en  grande  partie  cultivé  ;  et  contribue 
par  cela  même,  à  répandre  dans  le  vallon,  une  agréable 
variété.  Ce  n'est  pas  sans  plaisir,  en  effet,  que  considérant 
les  productions  qui  l'embellissent,  on  porte  ses  regards  tan- 
tôt sur  des  arbres  touffus,  tantôtsur  des  moissons  ondoyantes, 
qui  sont  remplacés  plus  tard  par  la  pomme  de  terre,  le 
sarrazin,  etc.  ;  tantôt,  enfin,  sur  des  prés  couverts  d'une 
fraichc  verdure.  Mais  ce  sont  là  des  jouissances  que  l'étran- 
ger doit  à  la  seule  nature  et  que  l'art  embellira  encore  par 
suite  de  la  prospérité  de  l'établissement. 

La  source  d'Encausse  jaillit  au  pied  de  la  route,  sur  la- 
droite  du  voyageur  qui  vient  de  Saint-Gaudens,  presque  à 
l'entrée  du  village;  elle  est  tout  près  de  la  rivière  qui  coule 
dans  le  vallon.  Son  volume  est  tel,  qu'elle  pourrait  suffire 
à  l'entretien  de  vingt  baignoires  au  moins. 

L'eau  d'Encausse  est  d'une  limpidité  remarquable;  par- 
faitement inodore,  mais  un  peu  fade  au  goût.  Quelles  que 
soient  les  pluies  et  la  sécheresse,  son  volume  est  toujours  le 
même.  Depuis  la  construction  de  l'établissement,  les  eaux 
pluviales  n'ont  jamais  troublé  sa  transparance.  Elle  dissout 
parfaitement  le  savon  et  cuit  les  légumes.  De  plus,  elle  est 
thermale  quoique  à  un  faible  degré.  Ainsi  le  thermomètre 
de  Réaumur,  marquant  9U  pour  la  température  de  l'atmos- 
phère, plongé  dans  cette  eau,  s'éleva  à  20  degrés,  après  une 
heure  d'immersion.  Il  n'est  pas  étonnant  que  tous  les  bai- 
gneurs ne  puissent  pas  la  supporter  sans  lu  faire  chauffer. 

Ofï  ne  connaît  pas  précisément  l'époque  fixe  où  les  eaux 


SUR  LES  BAINS  DECAISSE.  283 

d'Encausse  commencèrent  à  être  fréquentées  par  les  étran- 
gers. Mais  il  est  certain  que  leur  réputation  était  déjà  répan- 
due, dans  la  contrée,  depuis  longues  années.  Dans  tous  les 
cas,  il  n'y  a  guère  que  80  ans  que  la  commune  fit  batir  près 
delà  source  une  maison  qui  servait  de  logement  et  de  salle 
de  bain  aux  habitants  du  pays  et  aux  rares  étrangers  qui 
venaient  faire  usage  de  celte  eau.  Alors  aussi  commcnea-l-on 
à  rendre  la  route  qui  conduisait  à  Saint-Gaudcns  plus  pra- 
ticable. Cène  fut  guère  que  lorsque  ces  eaux  eurent  acquis 
la  réputation  si  bien  méritée  que  lui  firent  des  personnages 
notables  tels  que  M.  Ricard,  ancien  Préfet;  M.  Larroque, 
grand-vicaire  du  diocèse  de  Toulouse  et  autres,  qu'on  com- 
mença à  voir  à  Encausse  des  étrangers  de  distinction,  et 
uneaffluence  plus  considérable.  Alors  quelques  particuliers, 
tel»  que  la  famille  DoQeil,  la  famille  Lafont  et  deux  ou  trois 
autres,  commencèrent  à  donner  l'hospitalité  aux  baigneurs 
qui  venaient  passer  la  saison  des  eaux  à  Encausse.  Depuis 
lors,  on  a  bèli  d'autres  maisons,  on  a  multiplié  les  logements, 
au  point  qu'on  pourrait  au  moins  recevoir  aujourd'hui  plus 
de  trois  cents  étrangers  à  la  fois. 

Parmi  les  édifices  ou  maisons  qui  reçoivent  les  étrangers 
pendant  la  saison  des  bains,  nous  devons  mentionner,  outre 
la  maison  de  M.  Doueil,  inspecteur  des  eaux  d'Encausse,  où 
l'on  trouve  la  simplicité  et  la  liberté  du  foyer  domestique, 
celle  de  M.  Lafont,  maire,  qui  vient  de  l'agrandir  et  de  la 
restaurer,  tant  les  demandes  de  logements  qu'on  lui  faisait, 
tous  les  ans,  étaient  abondantes;  celle  de  M.  Caillau  qui 
joint  à  l'avantage  du  confortable  de'la  famille,  celui  d'être 
un  hôtel  garni  et  un  café,  nous  devons  mentionner  encore, 
l'établissement  que  M.  Dargut,  enfant  du  pays,  vient  de 
faire  élever  avec  un  goût  exquis.  Il  est  venu  ainsi  remplir 
une  lacune  qui  existait  dans  la  manière  de  vivre  et  de  se 
loger  que  ne  pouvaient  avoir  les  visiteurs  ;  c'est-à-dired'ètre 
dans  un  véritable  hôtel  garni,  avec   table  d'hôte,  etc. 

Afin  d'atteindre  ce  but,  M.  Dargut  a  fait  construire  son 
édifier,  rie  manière  qu'il  ne  laissât  rien  à  âésirér  ;  l'arehitec- 


284  .NOTICE 

ture  est  des  plus  simples.  Situé  sur  la  route  départementale, 
à  l'entrée  du  village,  sa  maison  olïre,  derrière  une  grille  en 
fer,  une  rangée  de  fenêtres  qui  s'ouvrent  sur  la  voie  publique. 
Un  marbre  poli  de  premier  choix,  entre  dans  la  composition 
de  la  bâtisse,  une  galerie  s'étendant  sur  le  derrière  de  lu 
maison  et  offrant  à  la  vue  un  panorama  magnifique;  et 
vingt  chambres  très  bien  meublées,  telles  sont  les  améliora- 
tions apportées  par  M.  Dargut  à  la  manière  avec  laquelle 
pourront  désormais  se  loger  les  baigneurs.  Dans  l'intérieur 
de  l'édifice,  nous  avons  remarqué  un  salon  décoré  par 
M.  Astre,  jeune  peintre  plein  d'avenir  et  l'auteur  des  pein- 
tures si  justement  appréciées  de  l'église  de  Saint. Clar,  près 
Muret. 

La  forme  de  ce  salon  est  carrée  et  sur  les  murs  on  voit  les 
sujets  suivants  peints  avec  une  extrême  habileté  et  surtout 
avec  beaucoup  de  talent.  Du  côté  droit,  lorsqu'on  a  la  figure 
tournée  vers  la  rue,  on  admire  trois  tableaux,  peints  sur 
les  mursstucqués,  d'un  mètre  de  haut  sur  deux  de  large,  et 
représentant:  le  Cerf  lancé,  le  Cerf  à  l'eau  et  la  mort  du 
Cerf.  Du  côté  gauche,  on  voit  les  pendants  à  ces  trois  tableaux 
dontlessujetssont  :  un  aqueduc  romain  surmonté  du  temple 
de  Vesta;  une  marine  et  un  naufrage.  Aux  encoignures  de 
la  salle,  ce  sont  trois  sujets  qui  terminent  l'encadrement  de 
cette  page  de  peinture  en  six  tableaux:  une  élégie,  le  retour 
du  Troubadour,  le  Pont-du-Roi  et  deux  cascades.  Une  im- 
mense rosace  et  des  corbeilles  de  fleurs  aux  quatre  coins 
ornent  le  plafond  et  l'harmonisent  admirablement  bien  avec 
le  reste  des  décors. 

Cet  établissement  et  une  foule  d'autres  petites  maisons 
bourgeoises  où  l'on  retrouve  l'aisance  et  la  propreté  avec  le 
bien  être  et  les  autre  commodités  de  la  vie,  ouvrent  aux  bains 
d'Encausse  un  avenir  de  prospérité  qui  ne  tardera  pas  à  se 
réaliser. 

Aujourd'hui  la  source  d'Encausse,  elle  aussi,  n'a  rien  à 
regretter  du  passé.  Elle  coule  dans  un  bâtiment  simple  et 
propre  qui,  depuis  une  vingtaine   d'années  a  <ué  substitué 


sun  les  balns  d'encausse.  285 

à  une  petite  baraque  duut  les  deux  ou  trois  baignoires  qu'elle 
contenait  étaient  loin  de  suffire  aux  besoins  du  public  (»). 
L'établissement  d'aujourd'hui  est  un  carré  long  de  trente 
pas  de  façade  environ  une  douzaine  de  profondeur.  Il  est 
bilti  entre  la  route  qui  traverse  le  village  et  le  ruisseau  qui 
coule  dans  le  vallon.  Ce  bâtiment  consiste  en  un  petit  vesti- 
bule d'où  part  un  corridor  le  long  duquel  sont  les  cabinets 
des  bains.  Au  fond  s'ouvre  une  petite  chambre  carrée  servant 
à  chauffer,  dans  une  grande  chaudière,  d'où  partent  des 
tuyaux  pour  la  conduire  dans  les  différents  cabinets.  A  l'en- 
trée de  la  porte,  à  gauche,  est  la  buvette  ;  et  à  l'extrémité 
opposée  le  cabinet  de  la  douche.  * 

Les  cabinets  des  bains  sont  au  nombre  de  dix-huit,  neuf 
de  chaque  côté  du  corridor.  Chacun  de  ces  cabinets,  contient 
une  Baignoire  de  marbre  avec  deux  robinets,  l'un  pour  l'eau 
froide,  l'autre  pour  l'eau  chaude  dont  on  prend  à  volonté. 
Chaque  cabinet  est  assez  spacieux  pour  contenir  deux  chaises 
et  une  tablej  les  murs  en  sont  blanchis  avec  de  la  chaux  et 
les  plafonds  sont  en  voûte. 

Telles  sont  les  parties  qui  constituent  aujourd'hui  l'établis- 
sement d'Encausse  ;  mais  il  reste  à  construire  encore  une 
salle  de  repos  qui  lui  faira  attendre  le  degré  d'utilité  dont 
il  est  susceptible,  soit  dans  l'intérêt  de  la  commune,  soit 
dans  l'intérêt  du  publie. 

Ces  améliorations  jointes  aux  vertus  des  eaux  d'Encausse 
dont  nous  allons  donner  ici  une  rapide  analyse  suffiront 
pour  convaincre  nos  lecteurs  de  leur  efficacité  dans  plusieurs 
sortes  de  maladies  et  notamment  dans  les  fièvres,  dans  la 
jaunisse,  dans  les  affections  du  foie,  des  reins,  de  la  vessie, 

'i  Le  nouveau  bâtiment  a  été  construit  sous  l'administration 
municipale  de  :M.  Doueil,  inspecteur  des  eaux  et  maire  d'Encausse, 
et  dont  les  soins  et  le  zèle  ont  fait  beaucoup  pour  la  prospérité  de 
ces  bains.  Le  gouvernement  vient  de  récompenser,  au  reste,  tant 
de  dévouement  en  lui  donnant  la  décoration  de  la  Lésion  d'Hon- 
neur, don)  il  ri. h  il  digne  à  tant  d'autres  titres. 


286  NOTICE 

de  la  matrice  et  clans  plusieurs  autres  maladies.  On  va  en 
juger  par  l'exposé  des  faits  suivants  et  par  les  observations 
qui  les  accompagnent. 


PROPRIÉTÉS  DES  EAUX  D'EIN CAUSSE. 

Si  maintenant  nous  voulons  faire  connaître  quelles  sont 
les  propriétés  des  eaux  d'Encausse  et  leur  utilité  en  médecine, 
nous  pouvons  dire  que  l'usage  qu'on  en  a  fait  depuis  des  siècles, 
est  déjà  un  préjugé  en  leur  faveur,  surtout  si  l'on  considère 
que  cet  usage  n'a  jamais  été  interrompu.  Le  voyage  de 
Chapelle  et  de  Baclîaumont ,  entrepris  dans  la  vue  de  réta- 
blir leur  estomac  par  le  secours  des  eaux  d'Encausse,  a  at- 
taché à  ce  lieu,  un  souvenir  poétique,  ainsi  que  l'avait  fait 
du  Barthas  en  le  chantant  sur  sa  muse.  «  Liés  par  l'amitié 
«  et  par  leurs  talents,  Chapelle  et  Bachaumont,  ditDantigny, 
■<  dans  son  annuaire  de  1811,  poètes  aimables  qui  nous  ont 
«  donné  les  premiers  modèles  de  poésie  légère  d'une  poésie 
«  élégante  et  facile,  ont  confondu  leurs  sentiments  et  leurs 
«  compositions  dans  leur  voyage  en  vers  et  en  prose  ,  où  il 
«  est  longuement  parlé  des  bains  d'Encausse.  »  Reignol,  dans 
un  poëme  latin  intitulé  .-  Vertu  et  Noblesse  des  eaux  de.  la 
fontaine  d'Encausse  (11,  emprunta  également  le  langage  des 
muses  pour  les  célébrer. 

Mais  pour  mieux  déterminer  le  vrai  mérite  des  eaux 
d'Encausse,  il  faut  dire  qu'elles  agissent  comme  purgatives; 
que  les  doses  varient  depuis  deux  jusqu'à  cinq  verres,  sui- 
vant la  force  de  la  constitution,  par  trois  reprises  ;  qu'elles 
offrent  d'excellents  résultats  dans  toutes  les  convalescences 
avec  la  faiblesse  d'estomac,  marquée  par  des  embarras  gas- 
trites ;  enfin,  qu'elles  agissent  efficacement  sur  les  rhuma- 
tismes compliqués  d'affection  bilieuse. 

I     Virtus  et  uobihtas  lympharum  fontes  Encausse,  *&J9,  in-*. 


SUK  LES  BAINS  DEiNCAL'SSE.  287 

C'est  ainsi  que  Louis  Guyon  qui  écrivait,  en  1595,  a  dé- 
crit soixante -douze  observations  de  guérisons  opérées  par 
les  eaux  d'Encausse  et  qu'il  a  consignés  dans  le  XXe  Chapitre 
de  son  discours  sur  les  deux  fontaines  médicinales  d'Encausse, 
imprimé  à  Limoges.  Quelque  temps  après,  c'est-à-dire  en  181 1 
Gassen-de-Platin  publia  également  des  observations  sem- 
blables et  qu'il  réunit  dans  un  opuscule  qui  a  pour  titre  : 
Discours  en  abrégé  de  la  vertu  et  propriété  des  eaux  d'En- 
causse es-monts  Pyrénées,  dans  lecomlé  du  Comminges.  Enfin, 
le  célèbre  docteur  Dubernat,  le  père  de  la  médecine  pratique, 
dans  nos  contrées,  les  a  conseillées  à  tous  les  malades  qu'il 
traitait  dans  les  affections  bilieuses. 

Au  reste,  nous  ne  pouvons  mieux  terminer  cette  nomen- 
clature des  savants  qui  ont  constaté  les  propriétés  des  eaux 
d'Encausse,  qu'en  citant  la  note  suivante  que  nous  devons 
à  la  bienveillance  de  M.  Doueil,  inspecteur  de  ces  eaux  et 
auquel  le  canton  d'Aspet  et  les  nombreux  baigneurs  qui  y 
viennent  tous  les  ans,  doivent  tant  de  reconnaissance,  soil 
par  les  soins  empressés  qu'il  donne  avec  tant  de  dévoûment 
aux  malades,  soit  par  son  savoir  en  médecine  qui  égale  une 
pratique  de  cinquante  années  dans  l'art  de  guérir. 

«  Les  eaux  d'Encausse,  dit-il,  sont  très-efiicaces  pour 
assouplir  et  ramollir  les  fibres  ï  dans  les  cas  de  trop  de  tension 
et  de  contraction  de  muscles;  dans  la  rétraction  et  dessèche- 
ment des  membres;  dans  les  endurcissements  et  irritations 
de  ligaments  articulaires;  dans  les  rhumatismes,  dans  les 
coliques  bilieuses  et  néphrétiques  produites  par  du  gravier 
dont  elles  facilitent  la  sortie. 

«  Ainsi  M-  Bessegnié,  curé  à  (iassagnebère,  en  rendit  7*2 
pendant  la  saison  de  1825. —  M.  Guillardi,  boulanger  à  Saint- 
Lys  en  évacua  10,  en  1826. —  M.  Arjo,  propriétaire,  habitant 
à  Soueich,  en  rendit  plusieurs,  la  même  année,  et  le  plus 
gros  avait  la  forme  d'un  haricot.  En  1850,  M.  Lamelle,  curé 
à  Juzet  d'Izaut,  en  rendit  8  dont  le  plus  petit  était  de  la  forme 
d'une  lentille  et  le  plus  gros  de  celle  d'un  pois.  Depuis  lors, 
il  n'a  plus  éprouvé  la  moindre  indisposition. 


288  .NOTICE 

«  Les  bains  et  les  eaux  d'Eneausse  en  boisson,  sont  avan- 
tageusement employés  dans  les  maladies  de  la  peau,  telles 
que  la  gale,  la  teigne,  les  dartres  et  autres  exceptions. 

«  Les  femmes  y  trouvent  un  puissant  remède  contre  les 
Heurs  blanches,  occasionnées  par  trop  d'irritation  de  la  mem- 
brane muqueuse  qui  revêt  l'intérieur  de  la  matrice.  Ces  eaux 
rafraichissent  également,  calment  les  tempéraments  échauf- 
fés, irritables. 

»<  Leur  succès  éclate  principalement  dans  les  affections 
mélancoliques,  hypocondriaques,  dans  les  affections  hystéri- 
ques, attaques  de  nerfs  et  autres  de  ce  genre. 

«  On  voit  souvent  des  fièvres  intermittentes  quartes,  qui, 
après  avoir  résisté  à  tous  les  remèdes,  guérissent  comme  par 
enchantement,  par  le  seul  usage  de  l'eau  de  la  grande  source. 
249  cas  de  ces  fièvres  ont  été  radicalement  guéris,  en  1849, 
les  eaux  étant  seulement  prises  en  boisson. 

«  Enfin,  elles  opèrent  fréquemment  des  cures  inattendues 
chez  les  malades  atteints  de  l'ictère,  des  obstructions  des 
viscères  abdominaux.  Il  est  même  arrivé  souvent  que  le 
sentiment  et  les  forces  sont  quelquefois  rétablis  par  la  dou- 
che forte  sur  les  membres  frappés  de  paralysie.  » 

Nous  devons  conclure  de  tout  ce  qui  précède  que  l'effi- 
cacité des  eaux  d'Eneausse  dans  les  différentes  maladies  que 
nous  venons  d'énoncer,  est  un  fait  désormais  incontestable 
et  que  leurs  vertus  hérapeutiques  ne  sauraient  être  trop  et 
assez  généralement  appréciées. 


Courses  ou  promenades  aux  environs.  —  Itinéraire  de  la  pre- 
mière journée.  —  Souech,  Aspet,  Milhas.  —  Le  Noslradamus 
des  Pyrénées  ,  Nouvelle.  —  Kagire;  le  Pâtre  de  Kagire,  Nou- 
velle. —  Seconde  journée  :  Miramont ,  Saint-Gaudens,  Valen- 
tine.  —  Troisième journée  :  Sauveterre.Barbazan.  Mademoiselle 
de  Barbazan,  Nouvelle.  —  Fin  de  la  notice. 


Le  besoin  d'exercice  et  le  défaut  de  Promenades  sur  les 
lieux,  font  que  les  baigneurs  en  cherchent  quelquefois  de 
lointaines.  Nous  allons  leur  tracer  un  itinéraire  qui  sera 
pour  eux  un  sujet  d'excursions  curieuses  ;  si  toutefois  ils 
désirent  connaître  le  pays  qu'ils  habitent  momentanément. 

Les  étrangers  qui  veulent  consacrer  une  journée  à  explo- 
rer la  contrée,  peuvent  se  diriger  d'Encausse  sur  la  route  qui 
conduit  à  Souech,  premier  village  distant  des  bains  d'envi- 
ron trois  kilomètres.  Souech,  patrie  du  mécanicien  Aba^lie, 
auquel- la  ville  de  Toulouse  doit  la  création  de  ses  fontaines 
publiques,  est  un  village  très  peuplé  et  fort  riche  qui  s'étend 
sur  les  bords  du  Gier.  L'église  qui  est  située  à  l'extrémité 
de  la  localité,  parait  avoir,  quoique  simple  et  mesquine,  une 
haute  antiquité.  Son  portail  surtout  est  digne  de  remarque. 

De  Souech,  on  suit  la  route  de  Saint-Gaudens  à  Aspet  où 
l'on  arrive  après  quatre  kilomètres  environ  de  marche.  La 
vallée  du  Gier  offre  un  panorama  magnifique  borné  des  deux 
cotés  par  des  horizons  de  verdure.  A  l'extrémité  de  la  vallée 
sur  un  mamelon  pittoresque,  s'élève  la  petite  ville  d' Aspet, 
chef  lieu  de  canton.  Ceinte  de  deux  fauboures  situés  au  bas 


2iK)  NOTICE 

du  coteau,  la  ville  domine  les  environs  assise  qu'elle  est  sut- 
un  plateau  d'environ  cent  cinquante  mètres  d'élévation. 
L'intérieur  n'a  rien  de  remarquable,  si  ce  n'est  la  tour  du 
château  qui  le  domine  au  milieu  de  ses  ruines  ;  la  chapelle 
qu'on  voit  à  mi-côte  en  gravissant  le  coteau  qui  conduit  à  la 
tour,  et  la  fontaine  publique  qu'on  trouve  au  milieu  de  la 
ville.  L'origine  de  cette  fontaine  remonte  au  XVe  siècle, 
époque  où  Mme  deCoarase,  baronne  d'Aspet,  la  fit  construire 
à  ses  frais. 

Les  foires  et  les  marchés  d'Aspet  où  se  rendent  toutes  les 
populations  de  ces  montagnes,  sont  très  renommés.  Le  com- 
merce du  beurre,  la  fabrique  des  peignes  et  autres  articles 
en  bois  de  toute  sorte,  en  font  un  entrepôt  général  qui  étend 
au  loin  ses  relations. —  D'Aspet,  on  suit  la  route  de  Saint- 
Béat  jusqu'au  pont  de  Giret  où  se  trouve  une  vallée  déli- 
cieuse. Arrivé  au  pont  de  Giret,  on  prend  la  gauche  et 
suivant  un  chemin  de  petite  vicinalité,  on  rencontre  dans 
un  de  ces  angles  féeriques  qu'on  ne  trouve  que  dans  les 
Pyrénées,  les  maisons  pittoresques  de  Milhas,  groupées  sur 
un  tapis  de  verdure. 


BUG  DE  MILHAS 

ou 
LE  NOSTRADAMUS  DES  PYRÉNÉES. 

Là,  au  centre  de  ces  demeures  pyrénéennes,  s'abaisse  une 
maison  plus  que  modeste  et  qui  trahit  extérieurement  l'état 
peu  confortable  de  son  intérieur  ;  c'est  le  désert  de  Bug  de 
Milhas,  le  Nostradamus  des  Pyrénées,  le  Prophète  de  nos 
temps  modernes,  qui  comme  Osée,  Isaïe  et  Barucb,  vit  dans 
une  extrême  pauvreté.  Mais  si  le  ciel  est  beau  et  sans  nuages, 
si  la  clarté  du  soleil  rayonne  en  gerbes  d'or  à  travers  l'azur 
de  l'espace,  si  une  chaleur  bienfaisante  a  pénétré  à  travers 


SUR  LES  BAINS  d'eNC.U  SSF..  294 

les  millerain  sciures  do  la  modeste  toiture,  rendez  des  action? 
de  grâcef.^iSuTfreu  du  jour  ;  car,  plus  heureux  que  tant  d'au- 
tres, vous  allez  voir  le  Prophète. 

En  effet,  Bug  apparaît  alors  sur  le  seuil  de  sa  porte  et  vient 
prendre  sa  place  au  soleil,  à  l'exemple  des  patriarches,  sur 
un  vieux  tronc  d'arbre  équarri.  C'est  un  vieillard  presque 
séculaire,  un  véritable  Elie,  appuyé  sur  son  bâton  noueux. 
Son  front,  courbé  par  la  pensée  et  la  méditation,  porte  l'em- 
preinte de  rides  profondes  ;  ses  yeux  vifs  et  creusés  sont 
ombragés  par  des  sourcils  épais  qui  retombent  sur  sa  vue 
observatrice  ;  et  toutes  les  lignes  de  sa  figure  sont  par  leur 
reste  de  noblesse,  d'une  expression  indéfinissable...  Mais  si, 
de  celte  appréciation  matérielle  de  l'individu,  nous  passons 
à  sa  puissance  morale,  alors  Bug  grandit  dans  notre  estime 
et  l'homme  inspiré  se  révèle  à  nous  dans  toute  la  force  de 
ses  moyens.  Disons  d'abord,  en  forme  de  proposition,  que 
Bug,  longtemps  avant  la  révolution  de  83,  jusqu'à  nos  jours, 
a  prédit,  annoncé  d'une  manière  non  équivoque  tous  les 
événements,  toutes  lés  révolutions  qui  ont  remué  la  France 
et  l'Europe.  En  cela,  avec  le  titre  deNostradamus  politique, 
il  cumule  celui  de  Nestor  des  Pyrénées.  Qu'on  n'aille  point 
le  confondre  néanmoins  avec  ces  pieux  inspirés  des  temps 
modernes,  dont  on  a  imprimé  les  prétendues  prophéties, 
après  les  événements  pronostiqués?  Car,  on  s'exposerait  à 
recevoir  un  démenti  formel  de  la  part  d'une  immense  popu- 
lation. D'ailleurs,  les  faits  parlent  assez  haut  en  faveur  du 
passé;  et  celui  qui  aujourd'hui  vous  dit:  «enfants,  dans  deux 
ans  vous  aurez  une  révolution  ;  je  la  vois  comme  j'ai  vu  celles 
qui  se  sont  écoulées  ;  »  celui-là  mérite  une  certaine  créance; 
mais  devant  les  incrédules  qui  nient  la  prescience  de  l'homme, 
comme  la  cour  de  Charles  IX  niait  celle  du  prophète  de  la 
Provence,  expliquons  du  Nostradamue  Pyrénéen  les  prophé- 
ties qui  se  sont  réalisées,  et  contentons-nous  d'énoncer  celles 
qui  concernent  l'avenir. 

D'abord,  on  remarque  dans  l'énoncé  des  prédictions  de 
Rug,  une  de  ces  menaces  sentencieuses  qui  servent  de  préam- 


292  NOTICE 

bu  le  indispensable  aux  terribles  vérités  qu'il  Wu  e**%tlër  aux 
yeux  du  présent.  Il  partage  cette  forme  de  1;^  -d^vvec  tous 
les  grands  inspirés.  On  sait  que  cette  formule  .  Ecoutez, 
peuples,  et  vous,  terre,  tremblez!  servait  d'exorde  et  de  pré- 
paration aux  anciens  prophètes.  Bug  de  Millas  a  aussi  la 
sienne,  mais  moins  effrayante  et  surtout  plus  calme.  La  voici, 
dépouillée  de  son  énergique  expression  patoise  : 

Entre  écouter  et  ne  pas  comprendre. 
C'est  chasser  et  ne  rien  prendre. 

Après  ce  moyen  simple  de  disposer  les  esprits  à  entendre 
les  révélations  de  l'avenir,  il  faut  suivre,  selon  le  sujet  qui 
l'inspire,  une  application  fine,  logique  et  profonde  sur  l'apo- 
calypse. C'était  avec  toutes  ces  circonstances,  qu'en  1790,  les 
événements  futurs  se  révélaient  ainsi  à  sa  pensée  scrutatrice  .- 

Quatre-vingt-neuf  grand  changement  aura  ; 
Par  toi,  le  peuple  esclave  plus  ne  sera  ; 
Et  toi,  qui  né  dans  la  grande  cité, 
Roi,  lu  mourras  par  ta  crédulité. 

Comme  il  advient  à  tout  prophète,  on  se  prit  à  railler  Bug 
sur  son  quatrain,  et  le  seigneur  de  Save  se  moqua  plus  d'une 
fois  d'une  prédiction  dont  les  effets  devaient  lui  coûter  plus 
tard  la  vie.  Bug,  toujours  calme  au  milieu  de  l'orage  qui  se 
formait  à  cette  époque,  ne  suspendit  point  le  cours  de  ses  pré- 
dictions. Aussi,  en  93,  lorsque  le  peuple  se  lamentait,  il 
continua  de  plus  fort  encore  à  préparer  les  esprits  aux  évé- 
nements qui  menaçaient  l'Europe.  ÎSos  pères  se  rappellent 
aujourd'hui  ces  rime?  qui  résumaient  l'élévation  et  la  chute 
de  Bonaparte  : 

Us  seront  trois  au  pouvoir  disputé; 

De  ces  trois  un  seul  de  titré. 
Par  deux  fois  bas  et  deux  fois  haut  monté; 
Dé  gà'efrfridèur  il  choira  tourmenté. 


SUR  LES  BAINS  tf'ENCÀUSSE.  295 

Ce  quatrain  seul  fit  à  Bug,  avant  1815,  une  réputation  bien 
méritée.  Les  gens  de  tous  les  partis  s'empressèrent  d'aller 
écouter  ses  oracles.  Il  est  justice  de  dire  qu'il  n'en  flatta  ja- 
mais aucun.  Aussi,  lorsqu'en  1812,  il  annonça  l'envahisse- 
ment des  Anglais  et  la  bataille  de  Toulouse  livrée  par  les 
troupes  des  alliés,  il  excita  l'enthousiasme  des  uns  et  la 
tristesse  des  autres,  tant  ses  prédictions  étaient  regardées 
déjà  comme  infaillibles.  Voici,  au  reste,  les  formes  de  ses 
paroles  qui  sont  gravées  encore  aujourd'hui  dans  la  mémoire 
de  tout  le  peuple  du  Comminges  : 

Une  bande  rouge  et  blanche 

Par  Bayonne  entrera  ; 
Du  côté  du  Bazacle  grand  combat  y  aura, 
Mais  du  sang,  Toulouse  sera  franche. 

Ce  fut  pendant  quinze  ans,  le  dernier  cri  du  prophète. 
Bug  se  replia  dans  une  contemplation  intérieure,  dans  un 
espèce  de  sommeil  instinctif  d'où  il  ne  sortit  qu'en  1828, 
pour  efïrayer  son  pays  par  ces  terribles  paroles  qui  renfer- 
ment une  révolution  .- 

France  1  France  !  d'un  long  enfantement 
Dans  peu  de  temps  tu  seras  délivrée  ; 
Mais  ton  puîné  n'est  qu'un  avortement  ; 
Ta  joie  en  deuil  sera  bientôt  changée, 
L'Espagne,  comme  toi,  l'imitera 
Mais  que  de  sang  encore  elle  répandra  ! 

Par  trois  le  sceptre  disputé  ; 

En  trois  morceaux  sera  brisé; 

L'un  au  peuple  appartiendra; 

Les  deux  autres  nul  les  aura  : 

Dans  l'eau  la  mer  les  gardera. 

Bug  de  jYiilhas  n'arrêta  pas  là  seulement  le  cours  de  ses 
prophéties,  car  en  1831,  il  prédit  l'invasion  du  choléra,  les 
guerres  d'Afrique,  les  incendies  et  les  inondations  qui  ont 

19 


594  NOTICE 

jelé  la  désolation  dans  plusieurs  parties  de  la  France  et  de 
l'Etranger.  Voici  comment,  avec  sa  préscience  et  sa  seconde 
\ue  prophétique,  il  annonça  toutes  ces  catastrophes  : 

Peuples,  tremblez  pour  l'avenir! 
Les  plaies  du  ciel  me  font  horreur  ; 
Car  je  vois  la  terre  enfouir 
Des  cadavres  tombés  et  périr, 
Sous  le  fléau  exterminateur. 
Le  fer,  la  peste  et  le  feu 
A  l'eau  bientôt  se  réuniront  ; 
Tous  tes  enfants  leur  grande  part  auront. 
Car  plusieurs  fois  de  par  de  Dieu 
Les  cataractes  s'ouvriront. 

Nous  pouvons  juger,  tous  les  jours  ,  de  la  vérité  de  ces 
prophéties;  les  événements  sont  là  qui  témoignent  de  leur 
réalité.  Aussi,  ceux  qui  connaissent  le  Noslradamus  des  Py- 
rénéesonl-ils  foi  à  sa  prescience  politique.  Mais  à  ceux  qui 
seraient  tentés  de  s'en  rire,  nous  allons  dévoiler  le  dernier 
mot  de  Bug  sur  l'avenir.  Le  présent  servira  de  garant  pour  le 
passé,  surtout  si  ce  mot  est  suivi  des  événements  qui  auront 
été  indiqués,  précisés  avant  leur  accomplissement.  Voici  ce 
dernier  mot  qui  renferme  à  lui  seul  tout  le  secret  et  toute 
la  destinée  de  l'Europe  contemporaine  : 

En  mil  huit  cent  quarante-deux, 
De  l'Europe  grand  feux  s'allumeront  ; 
.Guerre  des  rois,  des  peuples  commenceront  ; 
Dans  ce  bisbi  Grande-Bretagne  ne  sera  plus  ; 
Et  toi  superbe  et  grande  citée 
En  petit  bourg  tu  seras  changée  ; 
Tu  pleureras  plus  d'une  fois, 
Les  débris  de  ta  ceinture  ; 
Que  la  tempête  des  grands  rois 
'     Aura  réduit  en  déchirures. 

Des  reines,  des  princes  mourront  ; 


SI  K  J.ES  BAINS  ft'ENCAltéS£.  '2^5 

Des  pères  se  désoleront  ; 

Des  grands  malheurs  lors  «'«dateront  : 

Le  sans  partout  ruissellera. 
Cornetle  blanche,  cornette  noire  s'éclipsera  ; 
Meurtres,  tyrans...  Paix  et  peuple  triomphera! 

Arrêtons  ici  les  détails  des  révélations  du  Prophète.  L'ave- 
nir nous  dira  s'il  fut  un  imposteur  ;  et  cet  avenir  n'est  pas 
éloigné  de  nous. 

«  Pour  moi,  dit-il,  mon  temps  est  passé  :  j'ai  vu,  pendant 
un  siècle,  bien  des  choses;  à  vous  maintenant,  mes  enfants, 
à  en  voir  de  plus  grandes  encore!  »  Tout  est  dit  sur  le  INos- 
tradamusdes  Pyrénées.  S'il  nous  reste  un  regret,  c'est  de 
n'avoir  pu  faire  suivre  ses  centuries  des  commentaires  pro- 
fonds etsavants  dont  il  les  accompagne.  C'est  une  perte  irré- 
parable; car  Bug  a  fermé  la  porte  de  sa  thaumière  qu'il 
n'ouvrira,  dit-il,  que  pour  aller  frappera  celle  de  l'éternité. 
Le  prophète  est  désormais  muet  ! 

De  Milhas,  on  se  dirige  vers  Juzet  sis  au  pied  de  Kagire, 
en  traversant  le  village  de  Sengouagnet.  Ces  deux  derniers 
villages  n'offrent  rien  de  remarquable,  si  ce  n'est  leurs  sites 
qui  sont  des  plus  pittoresques.  Mais  la  montagne  de  Kagire 
vaut  à  elle  seule  toutes  les  merveilles  des  arts.  Assise  en  pre- 
mière ligne,  au  bas  du  versant  méridional  des  Pyrénées,  sa 
construction  élevée  sur  un  large  et  gracieux  plateau,  offre, 
parsa  forme  conique  ornée  de  pelouses  et  de  sapins,  le  tableau 
le  plus  riant  et  le  plus  mobile  possible.  Vu  par  un  jour  de 
printemps,  alors  que  les  rayons  étinceiants  du  soleil  et  1er. 
flots  de  lumière  inondent  toute  sa  circonférence,  Kagire  s'ar- 
rondit, s'évase,  se  déploie  et  s'élance,  dans  son  isolement, 
comme  un  immense  obélisque  égyptien.  La  nuit,  au  contraire, 
c'est  un  géant  féerique  dessinant  sur  le  fond  vaporeux  de 
l'horizon  sa  tête  et  son  corps  fantastiques  qui  se  perdent  dans 
l'espace  brumeux.  A  chaque  époque  de  Tannée,  sa  physio- 
nomie change  et  revêt  un  caractère  particulier;  soit  que  la 
neige  qui   brille  sur  la  cîme  aieue  frappe  les  regards,  soit 


296  NOTICE 

qu'un  manteau  de  nuages  couvre  ses  larges  épaules,  le  mont 
ravit  et  pénètre  l'esprit  d'une  admiration  toujours  nouvelle. 
Parmi  les  villages  qui  aujourd'hui  se  pressent,  comme  une 
longue  ceinture,  autour  de  sa  large  base,  Juzet  est  un  de 
ceux  qui  a  hérité,  par  droit  de  voisinage,  du  bénéfice  de 
son  antique  réputation.  Mais  dans  Juzet  un  homme  se  lie  plus 
particulièrement  encore  au  souvenir  de  sa  gloire  passée,  c'est 
le  Pâtre  de  la  commune,  autrement  appelé  le  Général  de 
Pennalongue. 


<$«*© 


LE  PATRE  DE  K4GIRE. 


Lorsque  le  soleil  du  mois  de  juin  a  fondu  les  dernières 
nappes  de  neige  qui  s'étendent  sur  les  flancs-nord  de  Kagire 
et  que  les  pelouses  verdoyantes  reluisent  sur  sa  cîme  brillante, 
la  mission  du  Pâtre  de  Juzet  va  commencer.  Alors  finit  pour 
lui,  cette  solitude  du  village  et  de  la  chaumière  enfumée. 
La  fête  de  Saint- Jean  est  ordinairement  l'époque  de  son  dé- 
part pour  son  monde  aérien. 

Or,  ce  jour  est  aussi  un  véritable  triomphe  pour  son  or- 
gueil de  berger.  Il  faut  surtout  l'admirer,  lorsque  à  la  tête 
d'un  immense  troupeau  de  vaches,  aux  sonnettes  retentis- 
santes, il  se  dirige  vers  le  sommet  de  la  montagne,  plus  fier 
qu'un  triomphateur  romain  qui  monte  au  Capitole.  Il  sem- 
ble grandir  alors  dans  son  amour  propre,  de  toute  la  hau- 
teur qui  va  le  séparer  du  reste  des  humains.  Car  il  se  voit 
honoré  d'une  immense  confiance,  et  il  sait  qu'à  sa  garde 
sout  confiés  la  fortune,  l'espérance  le  bonheur  de  plusieurs 


SUR  LF.S  BÀÎNS  DBNCAUSSE.  "297 

villages.  Aussi  sous  l'impression  de  ces  pensées  généreuses, 
son  ascension  à  travers  des  sentiers  étroits,  perdus,  difficiles, 
abruptes  qui  seraient  pour  tout  autre  une  route  de  l'enfer, 
ne  sont  pour  lui  que  de  larges  chemins,  couverts  de  fleurs 
qui  conduisent  à  la  gloire,  à  l'immortalité.  Car  les  pâtres 
comme  les  rois  ont  aussi  quelquefois  de  ces  rêves  d'ambition- 
Mais  c'est  surtout  dans  son  département  forestier  qu'il 
faut  étudier  les  mœurs  et  les  habitudes  du  pâtre  de  Juzet. 
Là,  dans  son  isolement,  qui  ne  lui  offre  d'autres  spectacles 
qu'un  ciel  bleu  et  chargé  de  nuages ,  de  bois  épais  et  touf- 
fus, un  silence  du  désert  interrompu  seulement  par  le  cri 
des  aigles,  des  paons  sauvages  ou  le  braiment  des  vaches, 
le  berger  dévient  un  tout  autre  homme.  Les  grands  objets 
de  la  nature,  l'immensité  de  l'espace  qui  se  déroule  autour 
de  son  horizon  semblent  exalter  son  imagination  solitaire. 
Alors  il  n'est  plus  un  pâtre  modeste,  il  s'intitule  le  général 
de  Pennalongue.  Sa  cabane  assise  sur  une  riante  pelousse, 
dans  la  sinuosité  d'une  gorge  ombreuse,  s'élève  et  prend  les 
formes  d'un  palais  fantastiques  ;  la  montagne  si  riche,  si 
belle  par  ses  pâturages  et  ses  forêts  de  sapins,  devient  son 
royaume  et  le  troupeau  dispersé  ça  et  là  se  transforme  dans 
son  esprit  en  d'innombrables  sujets.  Allez  le  visiter  alors 
dans  ses  appartenances.  Mais  ne  croyez  point  dépasser  li- 
brement les  premières  frontières  do  ses  états,  sans  vous  être 
soumis  préalablement  aux  formalités  légales.  Dans  tout  paye 
bien  civilisé,  la  circulation  n'est  tolérée  qu'à  certaines  con- 
ditions. Ceci  est  un  principe  de  droit  international.  Aussi  un 
permis  en  bonne  forme,  ou  à  son  défaut,  une  valable  cau- 
tion peuvent  vous  faire  espérer  seulement  de  franchir  les 
limites  de  ce  singulier  royaume.  Une  fois  soumis  à  ces  rè- 
glements indispensables  de  police  extérieure,  vous  serez  am- 
plement dédommagé  de  toutes  ces  mesures  gênantes,  mais 
moins  arbitraires  pourtant  que  celles  de  plusieurs  pays  que 
vous  connaissez.  Car  le  général  de  Pennalongue  vous  fait 
ensuite  lui- même  en  personne  ni  plus  ni  moins  qu'un  ci- 
rrronc,  les  honneurs  de  la  rtëoepifon  dan:-  son  propre   gOu 


298  .NOTIΠ

reniement  ;  lui-même  vous  fera  admirer  sans  frais  et  avee 
économie  de  jambes,  les  monumens  curieux,  les  prodiges  de 
la  nature  que  renferment  ses  états  ;  ce  qui  est  d'un  avan- 
tage inappréciable  dans  un  pays  surtout  où  les  seuls 
moyens  de  transport  sont  les  tibias  des  visiteurs,  et  où  l'on 
ignore  encore  l'existence  possible  de  la  petite  et  grande 
voirie.  Aussi  par  compensation  ,  s'il  n'existe  point  de  légis- 
lation sur  les  chemins  vicinaux,  le  budget  n'est  pas  rui- 
neux On  connaît  encore  inoins  les  droits  de  consommation, 
et  pour  cause.  Le  seul  tribut  ou  impôt  auquel  on  doive  se 
soumettre,  est  celui  d'offrir  au  noble  général  un  banquet 
avec  les  provisions  du  village,  non  sans  force  libations  de 
\in.  A  qui  mène  une  vie  patriarchale  et  toute  homérique, 
la  bonne  chère  est  un  présent  fort  rare  qui  ne  saurait  être 
dédaigné.  Car,  si  le  laitage  a  pu  être  exclusivement  la  nour- 
riture favorite  des  bergers  de  Virgile,  il  n'est  pas  entière- 
ment celle  du  général  de  Pennalongue.  Les  siècles  sont 
bien  changés  ! 

Félieitez-vous  cependant  de  ce  revirement  de  mœurs  et  de 
goût:  car  vous  devrez  à  lui  et  à  la  magie  de  la  boisson  eni- 
vrante, ce  que  l'onde  pure  et  le  lait  frais  des  bergers  de 
Théociïte  n'auraient  jamais  pu  vous  révéler:  la  connais- 
sance des  mystérieuses  impressions  du  pâtre  de  Kagire  La 
gai  té  du  repas  excite  en  effet  chez  cet  homme  d'une  vie  ex- 
ceptionnelle, le  sentiment  des  souvenirs  à  un  degré  extra- 
ordinaire -,  Dieu  sait  encore  quels  souvenirs!  Quarnte-trois 
ans  d'une  existence  pastorale  qu'on  appellerait  service,  en 
termes  communs,  composent  un  long  drame  intime  qui  a 
eu  pour  scène  la  montagne.  Savez-vous  toute  la  période  his- 
torique qu'embrassent  ces  quarnte-trois  années?  Eh  bien  ! 
vous  en  retrouverez  quelque  chose  dans  la  mémoire  et  sous 
la  cabane  du  général  de  Pennalongue.  Il  vous  dira  que,  tan- 
dis que  l'Empereur  poussait  ses  armées  vers  le  nord  ,  lui, 
gravissait  lentement  pour  la  première  fois,  avec  son  immense 
troupeau  le  sommet  de  Kagire,  et  allait  établir  son  camp 
isolé  loin  du  monde,  au  milieu  de  sapins  qui  devait  l'abriter 


SUN  LKS  BALNS  D  ENCAISSE.  299 

pendant  cinq  mois.  lJlus  lard,  quand  l'aigle  des  batailles 
s'envola  du  nord  au  midi  pour  aller  se  reposer  sur  les  som- 
mets de  la  Granja,  assis  là  haut  sur  cette  crête,  il  suivit  des 
yeux;  son  vol  rapide  à  travers  la  frontière  et  entendit,  calme 
et  sans  effroi,  le  battement  de  ses  ailes  mêlé  au  bruit  du 
eanon.  Celait,  sans  doute,  un  profond  sujet  de  méditation, 
pour  lui,  indépendant,  libre  de  corps  et  d'esprit  et  isolé  dans 
la  solitude,  que  celte  guerre  d'Espagne  retentissant  à  quel- 
ques pas  de  sa  cabane  et  dont  les  bruyantes  fureurs  venaient 
expirer  à  ses  pieds  comme  les  flots  irrités  sur  les  rivages  d'une 
mer  orageuse.  Il  s'élevait  alors  à  la  hauteur  des  événement* 
de  l'Europe  que  la  rumeur  lui  apportait  confusément  et  par 
intervalle,  ainsi  que  les  échos  d'une  tempête  dans  les  profon- 
deurs de  la  vallée.  Une  ardente  imagination  suppléait  à  leur 
stérile  concision  et  provoquait  ainsi  d'immenses  développe- 
ments dans  son  esprit.  Il  n'est  point  jusqu'aux  tourmentes 
révolutionnaires  dont  il  n'éprouvât  les  secousses,  n'en  prévit 
les  oscillations,  leur  nombre  et  leur  durée;  tant  l'intuition 
du  génie  est  active  dans  l'homme  privilégié  de  la  nature!  Il 
entendit  le  dernier  cri  de  Waterloo  et,  ôtant  sa  berrelte  de 
laine,  il  salua  le  triste  départ  du  grand  exilé.  L'air  lui- monté 
imprégné  de  révolutions,  semblait  lui  transmettre  lous  le* 
mouvements  politique^  de  la  France.  Les  sourds  murmures 
de  la  restauration,  le  trépignement  des  pas  du  soldat  de  l'ex- 
pédition espagnole,  le  premier  cri  de  l'insurrection  des  demoi- 
selles, le  bruit  du  canon  des  Barricades,  tout  cela  frappai  t* 
d'un  murmure  effrayant,  ses  oreilles  attentives.  Souvenirs 
terribles  !  moments  sublimes  !  ces  grandes  choses  se  résument 
et  passent,  ainsi  qu'un  éclair,  à  travers  son  énergique  récit 
avec  une  simplicité,  une  force  qu'on  trouve  mêlé  avec  la  plus 
étonnante  naïveté. 

Et  puis,  par  un  retour  d'amour-propre  naturel  à  son  or- 
ganisation, le  pâtre  de  Kagire  se  prend  à  s'exalter  lui-même 
dans  des  pensées  d'orgueil  et  de  vanité.  Témoin  de  tout  ce 
passé  historique ,  que  son  imagination  semble  maîtriser 
encore,  paixi'  qu'en  effet,  il  a  pu  seul  le  commander,  le  dis- 


300  NOTICE  4 

cuter  sans  contradicteurs,  il  se  fait  un  royaume  chimérique. 
On  l'écoute  alors,  halluciné  par  ses  paroles  qui  révèlent  les 
grandes  époques  contemporaines  sous  l'ornement  du  plus 
pittoresque  et  du  plus  poétique  récit.  Dans  ses  moments 
d'extase,  Kagire  s'abaisse,  la  scène  s'agrandit  et  le  pâtre 
devient  un  peintre  sublime  de  patriotisme.  Mais  comme 
tout  sujet  dramatique  finit  toujours  par  un  événement 
triste,  le  général  de  Pennalongue  baisse  insensiblement  sa 
voix  et  murmure  ces  mots  :  «  J'ai  vécu  seul  au  milieu  de 
toutes  ces-grandes  choses  ;  j'ai  quarante-trois  ans  de  service 
et  pourtant  l'on  ne  m'a  point  gratifié  encore  d'une  pension.» 
Cette  plainte  du  pâtre  est  juste.  Car,  bon  nombre  de  gens 
reçoivent  des  rentes  sur  1  état,  qui  l'ont  bien  moins  mérité 
que  lui.  Si  l'on  payait  les  services  rendus  ù  la  chose  publi- 
que, depuis  long-temps  le  pâtre  de  Kdgire  ne  serait  plus 
réduit,  pour  vivre,  à  son  royaume  de  Pennalongue. 

Après  avoir  visité  Kagire  on  peut  rentrer  à  Encausse  par 
la  vallée  qui  conduit  à  Izaut  et  suivre  les  vallons  qui  se  di- 
rigent dans  le  sens  de  l'établissement  des  bains.  On  traverse 
des  prairies  magnifiques  et  des  paysages  de  toute  beauté;  et 
l'on  arrive  enchanté,  à  la  fin  de  la  course. 

La  seconde  excursion  que  l'on  peut  faire  avec  agrément, 
est  celle  qui  consiste  à  aller  âSaint-Gaudens  et  à  rentrer  par 
Valentine.  Pour  cela,  on  suit  la  route  départementale  jusqu'à 
Miramont,  petite  villeoù  l'industrie  manufacturière  a  fait  de 
grands  progrès  ;  et  après  l'avoir  visité  dans  ses  détails,  on 
traverse  la  Garonne  pour  monter  à  Saint-Gaudens,  qui  s'offre 
à  la  vue  comme  un  immense  amphithéâtre  de  maisons. 

A  peine  arrivé  sur  la  hauteur  où  est  situé  Saint-Gaudens? 
on  peut  admirer  un  magnifique  panorama  formé  par  toute 
la  ligne  des  Pyrénées.  La  ville  est  jolie  et  bien  bâtie  •  ses 
marchés  y  sont  très  fréquentés  et  les  habitants  fort  indus- 
trieux. Parmi  les  monuments  à  visiter,  nous  citerons  l'église 
.'lie  nouveau  tribunal.  L'église  est  d'une  origine  antique;  elle 
remonte  au  commencement  du  XIe  siècle  et  fut  fondée  par 
i'.ernard,  évèquc  du  Comminges.  La  petite  porte  de  1 '.église 


SUR  LKS  BAINS  d'eNC.UISSE.  501 

est  d'une  haute  antiquité.,  s'il  faut  en  juger  par  ses  sculptures 
et  par  son  style.  L'intérieur  du  monument  ofire  quelque 
chose  de  majestueux  ;  la  voûte  en  est  élevée  et  hardie  ;  ses 
arceaux  parfaitement  établis  et  les  piliers,  ornés  de  sculp- 
tures, sont  d'une  légèreté  et  d'une  élégance  admirables  On 
remarquera,  en  face  de  la  chaire  une  toile  d'une  grande  di- 
mension, représentant  Jésus-Christ  crucifié.  Ce  tableau  qui 
n'est  pas  sans  avoir  quelque  mérite  a  été  donné  à  l'église  et 
peint  par  M.  Monta lègre  de  Saint-Gaudens.  Le  Palais  du 
tribunal,  quoique  moderne,  a  été  exécuté  sur  un  plan  régu- 
lier \  il  est  digne  d'être  visité.  L'ancien  couvent  des  Cordeliers, 
la  Sous-Préfecture  et  l'Hôpital  situé  à  l'extrémité  de  la  ville, 
sur  la  route  de  Montréjeau,  sont  trois  édifices  qu'il  faut  voir. 

De  Saint-Gaudens,  on  arrive  5  Valentine  en  quelques  mi- 
nutes. Des  restes  de  murailles,  une  tour  carrée  et  une  maison 
qui  porte  la  date  de  1550,  sont  les  premiers  objets  qui  frap- 
pent la  vue  en  entrant  dans  la  ville,  et  lorsqu'on  a  franchi  le 
magnifique  pont  de  pierre  jeté  sur  la  Garonne.  L'église  est 
dans  un  style  moderne;  l'intérieur  forme  une  large  nef  au 
fond  de  laquelle  s'élève  un  très  bel  autel.  Quatre  tableaux 
qui  ornent  deux  chapelles  et  qui  représentent  la  naissance 
de  Jésus-Christ,  la  descente  de  la  Croix,  l'adoration  des  Ma- 
ges et  l'Ascension,  ne  manquent  pasd' expression  et  d'art.  Le 
reste  de  la  ville  est  fort  bien  bâti. 

Mais  ce  que  l'on  voyait  naguère  avec  plaisir  et  ce  que  l'on 
peut  voir  encore  aujourd'hui,  sans  doute,  c'est  la  magnifique 
fabrique  de  porcelaine  de  M.  Fouque,  qui  fait  vivre  tant  d'ou- 
vriers. Ses  produits  rivalisent  avec  ceux  de  Limoges  et  de 
Chois y-le-Roi.  Après  avoir  fait  une  visite  minutieuse  à  cet 
établissement,  on  revient  aux  bains  par  le  chemin  d'Aspel, 
et  on  entre  dans  le  bassin  d'Encausse  avec  la  satisfaction 
d'avoir  bien  employé  sa  journée. 

11  reste  une  troisième  et  dernière  course  a  faire  :  celle  qui 
consisterait  à  visiter  le  village  de  Sauveterre  d'où  fût  ex- 
trait, sous  le  règne  de  Louis  XIII,  le  marbre  qui  a  servi  à 
l'aire  la  colonnade  du  Louvre;  et  le  château  de  Barbazan. 


502  NOTICE  SUR  LES  BAINS   D  ENCAUSSE. 

situé  au-delà  de  Malvézie,  près  du  pont  de  Labroquère.  Mais 
comme  cette  excursion  pourrait  paraître  trop  longue  à  nos 
baigneurs,  nous  la  laissons  à  faire  à  ceux  que  les  longues 
courses  à  pied  n'effraient  point.  Les  impressions  qu'ils  en 
rapporteront  les  compenseront  de  leurs  fatigues.  A  eux  main- 
tenant le  soin  de  se  les  procurer  à  peu  de  frais  ! 


FIN  DE  LA.  NOTICE  SLR   ENC.ALSSE. 


LES 

BAINS  DE  GANTIES. 


I 


Situation  des  bains  de  (Nanties.  —  Ancienne  réputation  de  ce» 
eaux.  —  Premières  améliorations  faites  à  ces  bains.  —  Histo- 
rique des  lieux  circonvoisins.  —  Pointis,  Montespan,  Bonne- 
fond,  Saint-Martory,  Montsaunés,  Arbas,  Estadens  et  Pujos.  — 
Etablissement,  hôtel  et  logements.  —  Saison  des  bains  et  agré- 
ments divers. 


Les  bains  de  Ganties  sont  situés  dans  le  canton  d'Aspet, 
arrondissement  de  Saint-Gaudens,  non  loin  de  la  route  qui 
conduit  de  Saint-Martory  à  Aspet.  Placés  à  l'origine  d'un 
bassin  magnifique  borné  à  son  extrémité  par  la  commune 
de  Pointis,  et  tout-autour  par  des  riants  coteaux,  ils  sont 
alimentés  par  des  eaux  qui  sortent  d'un  monticule  et  vont 
former  un  lac  voisin  de  l'établissement. 

Avant  la  création  des  bains,  ce  lac  était  tout  ce  qui  exis- 
tait de  la  production  de  cette  eau  minérale  ;  et  encore  était- 
il  dans  un  état  déplorable  :  des  joncs,  des  plantes  sauvages, 
des  broussailles  le  couvraient  de  toutes  parts.  Le  hasard,  se- 
lon les  uns,  la  tradition,  selon  les  autres,  mit  en  réputation 
les  eaux  de  Ganties.  Voici  dans  quelles  circonstances  :  une 
vache  atteinte  d'une  maladie  cutanée  se  trouvant  dans  la 
prairie,  allait  boire  dans  le  lac  où  elle  pénétrait  à  travers 


304  NOTICE 

les  broussailles.  On  remarque  que  pour  se  désaltérer  elle 
était  forcée  d'entrer  dans  l'eau  et  que  ce  bain  de  circonstance 
renouvelé  souvent  produisit  la  guérison  radicale  de  l'animal. 
Depuis  ce  moment,  et  à  la  suite  de  ce  récit  répandu  dans 
le  public,  on  vit  accourir  au  lac  des  malingres,  des  ulcéreux, 
des  estropiés  dont  les  plaies  étaient  malignes  qui  venaient 
y  chercher  leurs  guérisons.  La  nouvelle  de  ces  cures  repro- 
duites si  souvent,  s'étant  répandue  dans  les  environs,  il 
vint  à  la  pensée  des  propriétaires  du  sol  d'y  former  un  éta- 
blissement et  d'y  créer  des  bains.  Depuis  ce  moment  la  foule 
des  baigneurs  n'a  cessé  d'y  venir  des  différentes  parties  du 
midi  de  la  France. 

L'établissement  dont  nous  aurons  bientôt  l'occasion  de 
parler,  se  trouve  bâti  dans  la  partie  Est  d'une  petite  plaine 
oblongue,  circonscrite  par  un  cercle  de  montagnes  couvertes 
d'une  végétation  luxuriante.  Dans  ce  vallon,  la  vue  s'y 
trouve  agréablement  recrée  par  des  tapis  de  verdure  qui  se 
déroulent  sur  des  prairies  qui  bordent  les  chemins  qui  con- 
duisent vers  la  source. 

Mais  si  les  eaux  de  Ganties  ont  par  elles-mêmes  des  ver- 
tus thérapeutiques  inappréciables,  ainsi  que  nous  le  cons- 
taterons, le  pays  qui  les  avoisine  n'est  pas  moins  important 
et  mérite  d'être  mieux  connu  sous  le  rapport  historique.  De- 
quelque  côté  qu'en  tourne  ses  pas,  on  est  certain  de  retrou- 
ver une  contrée  qui  rappelle  de  beaux  souvenirs. 

Vers  le  nord  et  à  l'extrémité  du  vallon  de  Ganties,  on 
trouve  le  village  de  Pointis  dont  la  fondation  remonte  au 
XIIe  siècle.  Situé  sur  la  rive  gauche  du  Gier ,  il  occupe  un 
sol  dont  la  richesse  et  la  fécondité  sont  proverbiales.  Les 
seigneurs  de  ce  pays  ont  joué  un  rôle  important  dans  l'his- 
toire de  la  maison  deComminges,  et  notamment  le  chevalier 
Arnaud  de  Pointis  qui  figura  comme  témoin  dans  le  mariage 
de  Pétronille  de  Comminges  avec  le  comte  de  Bigorre.  Mais 
l'événement  le  plus  terrible  pour  cette  localité,  fut  le  pas- 
sage de  i'arméede  Montgommery,  à  l'époque  des  guerres  de 
religion  qui  remplirent  une  partie  du  XIVe   siècle  de  tmu- 


SUB  LES  BAINS  DE  GAKTIES.  SOS 

bles  et  de  révolutions.  On  sait  que  le  chef  des  Huguenots 
fut  appelé  par  les  protestants  du  rîéarn  assiégés  alors  par 
les  troupes  de  Monlluc,  et  qu'il  vint  du  fond  du  Rouergue. 
Son  armée  avait  passé  l'Ariège,  elle  se  dirigeait  vers  Saint- 
Gaudens,  lorsque  l'avant-garde  se  trouvait  tout-à-coup  ar- 
rêtée devant  Pointis  par  une  troupe  de  catholiques  qui  y 
tenait  garnison.  La  résistance  ne  fut  pas  longue  •  car  Mont- 
gommery  ordonna  à  son  corps  d'armée  d'assiéger  la  ville 
et  de  la  prendre,  d'assaut.  Cet  ordre  fut  exécuté  immé- 
diatement, et  comme  les  habitants  étaient  soupçonnés  do 
soutenir  le  parti  catholique,  le  féroce  Montgommery  fit 
incendier  la  ville.  Ce  ne  fut  qu'un  demi  siècle  après  qu'elle 
sortit  de  ses  ruines  par  les  soins  d'Isnard  de  Pointis  et  avec 
les  secours  demandés  à  la  cour  par  ce  seigneur.  Louis  XIV 
accorda  des  franchises  et  des  libertés  aux  habitants  de  cette 
localité,  parmi  lesquelles  nous  trouvons  celles  d'a%oir  deux 
consuls  et  de  partager  la  justice  avec  celle  du  seigneur. 

En  suivant  la  base  des  coteaux  qui,  de  Pointis,  se  diri- 
gent le  long  des  rives  de  la  Garonne,  on  arrive  au  village  de 
Montespan  dont  le  château  domine  sur  un  vaste  horizon.  Le 
voyageur  qui  porte  ses  pas  sur  la  route  de  Saint-Gaudens, 
peut  contempler,  à  son  aise,  les  pittoresques  débris  du  châ- 
teau au  milieu  desquels  surgit  la  vieille  tour  féodale  qui, 
seule,  à  échappé  encore  aux  ravages  du  temps,  ainsi  qu'un 
génie  protecteur,  elle  domine  le  riant  et  fertile  bassin  de 
Pointis  et  de  l'Estelle. 

Voici  l'origine  du  château  de  Montespan  :  En  1405,  brillait 
à  la  cour  du  roi  de  Navarre,  une  jeune  espagnole,  fameuse 
par  son  excessive  galanterie.  Si  bien  que,  quoique  demoiselle, 
le  ciel  lui  donna  progéniture.  Roger,  c'était  le  nom  de  son 
enfant,  devenu  grand,  bâtard  de  naissance,  mais  chevalier 
de  cœur,  se  distingua  par  ses  courses  avantureuses  à  la  ma- 
nière des  Paladins.  Il  promettait  même  de  les  supasser  tous 
in  prouesses,  lorsqu'il  lui  advint,  delà  succession  de  sa 
mère  la  propriété  de  grandes  terres  dans  le  ISébouzan.  Sei- 
gneur riche  et  puissant,  mais  sans  nom  qu'il  pût  avouer  au 


506  NOTICE 

grand  jour,  le  bâtard  voulut  s'en  créer  un  qui  fut  à  lui  ;  et 
il  s'appela  Roger  d'Espagne 

Mais  pour  attacher  à  ce  nom  d'origine  nouvelle,  une  du- 
rée plus  authentique  que  ceile  des  parchemins,  il  fit  bâtir 
sur  la  crête  d'un  mont,  en  face  des  flots  de  la  Garonne,  une 
demeure  de  haut  baron.  Monte-Hispania  auquel  il  inféoda 
son  nom  fut,  dit  la  chronique,  le  premier  titre  de  noblesse 
de  messire  Roger  jusqu'alors  inconnu.  Des  serfs  dispersés 
dans  ses  domaines,  vinrent  s'établir  autour  du  nouveau 
donjon,  et  leur  nombre  forma  la  circonscriprion  du  manoir. 
Plus  tard  le  mont  d'Espagne  se  convertit,  à  son  tour  dans 
le  langage  du  pays,  en  Montespan. 

Sous  le  règne  de  Louis  XIV,  le  seigneur  de  Montespan, 
voulant  partager  ce  qu'on  appelait  les  faveurs  delà  cour, 
se  rendit  à  Paris  où  il  épousa  Mllp  Atheuaisde  Rochechouart 
qui  ne  se  faisait  appeler  que  Mlle  Tonnay  Charente,  laquelle 
devint  la  célèbre  maîtresse  du  roi  dont  on  rapporte  l'his- 
toire suivante  : 


LE  CH&TE&ii  DE  MONTESP&N. 

On  sait  qu'elle  était  la  versabilité  du  cœur  de  Louis  XIV  en 
amours,  et  avec  quelle  facilité  il  usait  les  sentiments  de  ses  ma- 
lheureuses victimes.  II  eut  été  donc  impossible  à  Mme  deMon. 
tespan,  malgré  sa  bonne  volonté  de  captiver  un  amant  très 
volage.  Aussi,  toutes  ses  grâces  et  ses  charmes  s'éclipsèrent- 
ils  devant  les  beaux  yeux  de  3In'e  de  Fontanges;  et,  chose 
extraordinaire  !  son  crédit  à  la  cour  se  perdit  entièrement 
par  lesintrigues  de  Mme  de  Maintenon,  la  gouvernante  de  ses 
enfants..-,  royaux.  Quelle  trahison!  Oui,  la  femme  du  cul- 
de-jatte  Scarron,  précieuse  et  adroite  bigotte,  se  hissa  sur  les 
brisées  de  toutes  les  prostituées  à  titre,  voire  même  sur  celles 
de  la  pauvre  reine,  lorsqu'elle  n'était  encore  qu'en  service,  en 


SUU  LES  BAINS   DE  GANTIES.  307 

condition  chez  M"1C  de  Montespan.  Ce  coup  si  bizarre  de  la 
faveur  atterra  cette  dernière  qui  comprit  enfin,  qu'entre  la 
maîtresse  et  la  servante,  il  ne  saurait  exister  aucun  rappro- 
chement sur  les  degrés  d'un  trône,  où  elle  s'était  assise  si 
longtemps.  Aussi,  depuis  ce  moment,  commença-t-elle  à 
se  retirer  de  la  cour,  n'emportant  pour  tout  gage  de  l'amour 
royal  que  quatre  ou  cinq  nobles  rejetons  princiers. 

Ce  fut  quelques  jours  avant  de  prendre  celte  détermination, 
commandée  par  l'amour-propre  outragé,  que  sortant  d'assister 
au  peiii  levef  de  la  reine,  elle  rencontra  sur  les  marches  du 
grand  escalier  M.  de  Montespan,  qu'elle  n'avait  pas  vu  depuis 
longtemps  : 

—  l'arbleu!  Monsieur  de  Montespan,  dit-elle,  avec  cet  air 
de  franchise  et  degaîté  qu'elle  savait  si  bien  prendre,  je  vous 
vois  fort  à  propos.  Savez-vousque  j'allais  à  votre  hôtel  vous 
faire  un  reproche  que  vous  méritez  ! 

—  Lequel,  Madame,  répondit  en  s'inclinant  le  respectueux 
mari? 

—  Celui  de  votre  indifférence  à  mon  égard.  Car,  difficile- 
ment on  a  le  plaisir  de  vous  voir  dans  mes  salons.  D'où 
viennent  ces  absences? 

—  Le  nombre  de  vos  visiteurs  était  si  empressé,  madame, 
que  je  nie  perdais  dans  leur  foule.  J'ai  renoncé  à  faire  anti- 
chambre. 

—  Allons  donc!  vos  droits  à  mon  estime  étaient  trop  bien 
acquis  pour  vous  supposer  un  peu  plus  d'audace.  Au  reste, 
allez-vous  souvent  dans  vos  terres,  M.  de  Montespan? 

—  Plus  souvent  que  je  ne  reste  à  Paris,  Madame  En  ce 
moment,  j'allais  encore  chez  le  Ministre  prendre  le  congé 
d'un  départ  définitif  pour  mon  château. 

—  Eu  ce  cas,  j'aurai  l'honneur  de  vous  accompagner  en 
province;  car  je  veux  admirer  vos  domaines,  où  plutôt  // os 
domaines  de  Montespan.  Ces  dernières  paroles  furent  accom- 
pagnées d'un  sourire  si  gracieux,  qu'elles  auraient  désarmé 
la  colère  d'un  homme  plus  susceptible  que  le  seigneur  de 
Montespan.    On  conçoit  donc  tout   le   bon   accueil   qu'elles 


508  NOTICE 

trouvèrent  dans  le  cœur  d'un  mari  si  complaisant  et  de  mœurs 
si  faciles. 

En  effet,  trois  jours  après  cette  entrevue,  un  magnifique 
équipage  se  dirigeait  sur  la  route  du  Languedoc,  annonçant 
toute  l'importance  d'un  voyage  royal.  Ce  fut  le  30  juin  de 
l'année  1679  qu'il  s'arrêta  sur  les^  frontières  du  Comminges, 
devant  le  donjon  du  château  du  sire  deMontespan.  Tout  était 
calme  dans  le  manoir.  A  peine  se  douta-t-on  de  l'honneur 
que  la  grande  dame  faisait  à  son  époux,  le  noble  seigneur 
du  lieu.  Les  bois,  les  forêts  étaient  calmes  et  paisibles;  et  la 
Garonne  roulait  tranquillement  ses  ondes,  au  dessous  du 
rocher  sur  lequel  s'élevait  le  château. 

Quelques  jours  s'étaient  à  peine  écoulés  depuis  l'arrivée  de 
Mme  de  Montespan  au  château  de  son  auguste  époux,  lorsque 
elle  voulut  visiter  la  merveilles  de  la  contrée,  ainsi  qu'elle  le 
disait  dans  son  langage  et  avec  sa  morgue  accoutumée  de 
grande  dame  Aussi,  profitant  d'une  magnifique  journée  du 
mois  de  juillet  et  d'une  disposition  d'esprit  favorable  à  ses 
instincts  voyageurs,  elle  fit  appeler,  dans  son  appartement, 
M.  de  Montespan  qui,  sans  cet  ordre,  n'aurait  eu  garde  de  se 
présenter  devant  son  épouse  : 

—  Voyons,  M.  de  Montespan,  lui  dit-elle,  prenez  un  siège 
et  causons  ensemble  Qu'avez-vous  de  merveilleux  dans  vos 
contrées?  Car,  enfin,  je  dois  finir  parfaire  connaissance  avec 
vos  alentours.  Soyez  une  fois  galant  dans  votre  vie,  si  vous 
voulez  me  faire  prendre  goût  à  votre  résidence? 

—  Madame,  répondit  très-humblement  le  sire  de  Montes- 
pan, cette  contrée  est  riche  en  souvenirs  historiques.  Les 
Romains,  à  ce  que  dit  M.  Mezerai,  ont  occupé  ce  pays;  il 
faut,  sans  doute  qu'il  ait  eu  quelques  agréments,  puisqu'ils 
sont  venus  de  si  loin  habiter  ces  montagnes. 

—  C'est  juste,  répliqua  avec  un  sourire  moqueur,  lamaîtres. 
se  du  grand  roi,  en  admirant  la  naïveté  de  son  époux.  Mais 
encore,  M.  de  Montespan,  les  Romains  onf  dû  laisser  des 
monuments  de  leur  passage-  Vous  voyez  que  Louis  XIV  a  fait 
bâtir   Versailles ,    les  Tuileries,    les   portes   triomphales   de 


SUR  LES  BAhNS  DE  GANTIES.  309 

Saint-Denis  et  tant  d'autres  édifices  qui  porteront  sa  gloire 
jusques  dans  les  générations  futures  les  plus  reculées.  On 
parlera,  plusieurs  siècles  après  celui-ci,  des  merveilles  du 
grand  roi!  N'auriez-vous  rien  à  nous  dire  des  Romains? 

—  Ah  !  Madame,  ces  peuples  conquérants  ne  s'occupaient 
le  plus  souvent  qu'à  démolir  et  bâtissaient  quelquefois;  Saint- 
Bertrand  était  la  capitale  de  la  contrée.  Dès  que  la  marquise 
eut  passé  quelques  jours  à  visiter  les  curiosités  des  environs, 
M.  de  Montespan  voulut  lui  donner  la  surprise  d'un  spectacle 
singulier  qu'il  lui  avait  ménagé.  Il  fallait  bien  payer  ses 
gracieuses  bontés  par  quelques  complaisances  maritales. 

Or  donc,  il  disposa  un  fort  beau  pavillon  au  sommet  de  la 
tour,  où  il  fit  servir  un  repas  magnifique,  honoré  de  la  pré- 
sence de  tous  les  seigneurs  du  voisinage.  Pendant  que  les 
convives  étaient  en  grande  liesse,  un  rideau  s'ouvrit  tout-à- 
coup  et  mit  à  découvert  tout  l'horizon  des  montagnes.  Le 
ciel  était  beau,  le  paysage  dessinait  le  moindre  de  ses  acci- 
dents, et  la  vue  embrassait  tout  un  espace  magnifique, 

—  Madame,  dit  alors  avec  une  intime  satisfaction,  M.  de 
3Iontespan,  vous  voyez  se  dérouler  à  vos  pieds  le  tableau 
enchanteur  des  Pyrénées.  Ce  cadre  seul,  dont  mon  château 
est  le  point  le  plus  élevé,  vaut  bien  sans  doute  les  montagnes 
mouvantes  et  les  palais  peints  des  fêtes  du  Carrousel. 

—  Il  est  vrai,  M.  le  Marquis,  tout  est  beau,  tout  est  grand, 
dans  ce  spectacle  de  la  nature;  trop  grand!  car  devant  lui 
nous  sommes  petits.  Mais,  au  moins  les  frais  de  représentation 
ne  vous  ont  point  coûté  fort  cher,  faisant  ainsi  allusion  aux 
dépenses  folles  de  Louis  XIV.  Par  compensation,  Marquis, 
tout  ceci  est  bien  désert. 

—  Votre  présence,  Madame,  peut  animer  ces  lieux,  si  vous 
daignez  y  commander  en  reine.  La  cour.... 

—  Ne  parions  point  de  cela,  interrompit  brusquement  la 
belle  dame;  il  ne  peut  y  avoir  des  reines,  M  de  Montespan, 
que  là  où  sont  les  rois  ;  ici  l'on  n'est  que  modeste  châtelaine  ; 
au  surplus,  j'approuve  de  tout  mon  cœur  votre  prédilection 

3Q 


r>  1  (  )  NOTICE 

pour  vos  domaines.  Aussi,  aurez-vous  bientôt  un  gage  certain 
qu'ils  seront  toujours  conservés  dans  votre  famille. 

Cependant  Madame  de  Montespan  se  désenchantait  tous  les 
jours  de  son  exil  dans  la  Province,  malgré  les  soins  qu'on  se 
donnait  pour  le  lui  rendre  supportable.  D'ailleurs  son  voyage 
avait  été  entrepris  avec  intention  ;  elle  allait  atteindre  son 
but:  une  indisposition  qui  n'avait  aucune  gravité  sérieuse 
retenait,  depuis  quelques  jours,  la  belle  dame  dans  son  ap- 
partement, lorsque  le  1 ei  septembre  elle  mit  au  monde  un 
enfant  qu'elle  voulut  appeler  Roger.  On  sait  que  ce  fut  sous 
ce  nom  que  Louis  XIV  se  présentait  dans  les  fameux  tournois 
donnés  à  la  noblesse  en  4664.  Tandis  que  M.  le  marquis  se 
pressait  autour  du  berceau  du  nouveau-né,  M»»  de  Montespan 
lui  dit  avec  cette  affection  expansive  que  les  courtisans  savent 
si  bien  singer  : 

—  Au  moins,  marquis  celui-là  sera  votre  héritier  en  ligne 
directe. 

—  Il  est  permis  d'en  douter,  madame,  car  il  n'y  a  que  six 
mois  que  vous  êtes  sur  mes  terres. 

—  Fi  donc  !  le  doute  en  pareille  circonstance  est  une  insul- 
te. Certainement,  sa  majesté  ne  dotera  point  celui-ci.  Il  sera 
le  seigneur  de  Montespan,  et  son  apanage  est  le  château  où  il 
a  reçu  le  jour. 

En  effet,  l'innocente  créature  fut  élevée  dans  le  manoir  de 
Montespan,  tandis  que  sa  mère,  la  grande  dame,  se  rendit  à 
Paris  pour  aller  ensuite  mourir  aux  bains  de  Bourbon  en  1 707. 
C'était  bien  là  la  femme  à  qui  les  sacrilèges  ne  coûtaient  rien 
pour  tromper  la  crédulité  de  la  reine,  et  de  laquelle  la 
Baumelle  a  dit,  à  propos  de  ses  entrailles  qu'un  capucin  jeta 
aux  chiens,  à  cause  de  leur  infection  :  est-ce  qu'elle  en  avait  ? 
Le  sire  de  Montespan,  son  digne  époux,  mourut  aussi,  en 
laissant  le  jeune  Pioger  seul  possesseur  de  ses  domaines.  Mais 
comme  la  fatalité  avait  dû  s'attacher  constamment  à  cette 
malheureuse  famille,  Roger  s'éteignit  sans  postérité.  Ce  qui 
a  fait  dire  à  un  chroniqueur:  «  un  bâtard  commença  la  race 
des  seigneurs  deMontespan,  un  bâtard  y  mit  fin.  »  Aujourd'hui 


SUR    LES  BAINS  DE  GANTIES.  311 

les  ruines  du  château  gisent  éparses  sous  le  sceau  de  cette 
double  infamie  ;  car,  pour  l'instruction  des  grands  et  du  siècle, 
Dieu  a  voulu  aussi  que  le  crime  eût  son  immortalité  ! 

Sur  les  bords  opposés  de  la  Garonne  que  l'on  traverse  sur 
un  bac,  on  trouve  le  lieu  de  Beauchalot  situé  à  peu  de  distance 
de  l'ancienne  voie  romaine  qui  se  dirigeait  de  Toulouse  à 
Lugdunum  Convenarum  (Saint-Bertrand).  Non  loin  de  Beau- 
chalot s'élève  un  monument  romain,  espèce  de  niche  consa- 
crée à  une  divinité  payenne.  Au  delà,  sur  le  versant  opposé 
des  coteaux  qui  avoisinent  la  route,  on  peut  aller  visiter  les 
ruines  de  l'ancien  couvent  de  Bonnelbnd  dont  l'histoire  est 
digne  d'être  connue. 

L'Abbaye  de  Bonnefond  fut  fondée  vers  le  commencement 
du  XIIe  siècle,  en  1137;  elle  était  de  l'ordre  de  citeaux.  Le 
lieu  ne  pouvait  pas  être  mieux  choisi.  D'un  côté,  un  plateau 
assez  fertile,  arrosé  par  des  eaux  limpides,  s'élève  en  amphi- 
téàtre;  de  l'autre,  des  prairies  d'une  fraîcheur  admirable, 
situées  le  long  d'un  petit  ruisseau;  des  bois  magnifiques 
servant  d'abri  contre  les  vents  du  nord  et  du  couchant  faisaient 
de  Bonnefond  un  séjour  agréable. 

Ce  qu'on  voit  aujourd'hui  est  loin  de  donner  une  idée  de 
ce  que  ce  monastère  fut  autrefois,  le  propriétaire  qui  en  fit 
l'acquisition,  en  ayant  démoli  un«  grande  partie  et  notamment 
le  portail,  les  ouvertures  et  tout  ce  qui  composait  le  travail 
de  l'architecte  et  du  sculpteur.  Une  auberge  nouvellement, 
construite  à  Saint-Martory  avec  ses  débris  peut  nous  donner 
une  idée  de  la  splendeur  artistique  de  ce  monastère. 

Le  couvent  de  Bonnefond  a  joui  pendant  la  féodalité  de 
beaucoup  de  considération,  non  seulement  parmi  les  peuples 
mais  encore  parmi  les  souverains  du  Comminges.  Bernard- 
Boger  comte  du  pays,  l'enrichit  de  biens  considérables  ; 
Bernard  Iï,  y  choisit  sa  sépulture  ;  après  lui  avoir  fait  dona- 
tion de  divers  domaines,  de  tous  ses  reliquaires,  vêtements, 
bijoux  et  meubles  précieux.  A  toutes  ces  faveurs  particulières, 
les  suzerains  en  ajoutèrent  encore  bien  d'autres  et  qui  avaient 
une  plus  haute  importance. 


312  NOTICE 

Ainsi,  l'abbaye  de  Bonnefond  faisait  partie  des  états  du 
Nébouzan  ;  et  on  voit  que  l'abbé  présidait  aux  états  de  la 
vicomte  qui  se  tinrent  à  Saint-Gaudens  en  1441.  Dans  toutes 
les  transactions  et  assemblées  publiques  ;  dans  tous  les  actes, 
les  synodes  des  évêques  qui  remplissent  cette  époque,  on  voit 
figurer  les  abbés  de  ce  couvent  et  exercer  une  grande  influence 
sur  les  destinées  du  pays. 

Mais  la  date  désastreuse  pour  ce  monastère,  fut  celle  qui 
se  rapporte  aux  guerres  de  religion.  En  1568,  des  troupes  de 
protestants  s'en  emparèrent  et  le  pillèrent,  après  avoir  porté 
le  ravage  et  la  destruction  dans  les  environs.  En  1591 ,  il  fut 
encore  saccagé,  en  même  temps  que  le  village  de  Pointis  par 
les  soldats  de  Montgommery.  L'opposition  que  les  religieux 
faisaient  à  la  réfoime  de  Luther  et  les  richesses  qu'ils  possé- 
daient contribuèrent  beaucoup  à  leur  attirer  l'animosité  de 
ce  chef  assez  indifférent  en  fait  de  sentiments  humains.  Ce 
qui  reste,  de  nos  jours,  de  ce  couvent  peut  encore  donner 
une  idée  de  sa  grandeur  passée.  Au  surplus,  il  est  question  en 
ce  moment  de  l'achat  de  ces  vieux  débris  et  de  son  sol  pour 
le  consacrer  à  un  autre  ordre  religieux  :  celui  des  Chartreux 
ou  des  Trapistes. 

De  Bonnefond  à  Saint-Martory,  la  distance  n'est  que  de 
deux  ou  trois  kilomètres.  Saint-Martory  n'a  que  son  nom  qui 
remonte,  selon  les  annales  religieuses,  au  IXe  siècle,  époque 
où  la  persécution  sarrazine  ayant  fait  des  Martyrs,  on  donna 
à  ce  lieu  le  nom  de  Saint-Martory  (saints  martyrs).  Il  existe 
même,  à  ce  sujet,  une  légende  assez  curieuse  et  qu'il  est 
inutile  de  consigner  ici.  Quant  aux  monuments  anciens,  il 
n'en  existe  point  de  bien  authentiques.  On  voit  seulement 
que  cette  petite  ville  a  été  fortifiée;  car  on  admire  encore  des 
restes  de  murs  qui  témoignent  en  faveur  de  son  antiquité.  On 
peut  compulser  à  la  mairie  un  manuscrit  renfermant  le  dénom- 
brement des  habitants  de  Saint-Martory  avec  leurs  cotisations, 
au  XV  siècle,  qui  n'est  pas  sans  avoir  un  certain  mérite, 
comme  document  historique. 

Après  Saint-Martory ,  on  doit  visiter  Montsaunés  situé  sur 


SUR  LKS  li.VliNS  DE  GANTIES.  513 

la  route  de  Saint-Girons  à  quatre  kilomètres  environ  de  dis- 
tance. Ce  village  appartenait  anx  Templiers  qui  le  regardaient 
comme  une  de  leurs  meilleures  eommanderies.  Les  droits  et 
privilèges  dont  jouissaient  les  habitants  de  ce  lieu,  vers  le 
XIXe  siècle,  sont  tous  conformes  à  des  règlements  militaires. 
Cet  ordre  apportait  dans  toutes  ses  concessions,  un  cachet 
particulier  de  despotisme  qui  revit  dans  la  charte  octroyée 
aux  manants  de  Alontsaunés,  en  1341,  à  un  suprême  degré. 

Quoiqu'il  en  soit,  l'église  de  Montsaunés  qui  paraissait  être 
contigùe  à  la  cominanderie,  s'd  faut  en  juger  par  les  traces 
architecturales  que  l'on  remarque  du  côté  du  levant,  est  un 
monument  très  curieux  et  qui  parait  remonter  au  IXe  siècle. 
Les  voussures  du  portail  en  pleins-ceintre,  sont  d'un  travail 
exquis,  et  les  colonnettes  de  la  porte  qui  communiquait  avec 
le  couvent  sont  digues  de  fixer  l'attention  d'un  artiste.  Il  était 
question  au  reste,  de  réparer  l'église  au  frais  de  l'état,  comme 
monument  classé  parmi  ceux  qui  méritent  d'être  conservés. 

En  suivant  la  route  jusqu'à  Ma  ne,  il  faut  la  quitter  à  cet 
endroit  et  se  diriger  vers  les  profondeurs  de  la  montagne 
jusqu'au  bourg  d'Arbas.  Une  montagne  taillée  perpendiculai- 
rement et  qui  semble  arrêter  tout  court  les  pas  du  voyageur; 
des  maisons  bâties  à  ses  pieds  et  protégées,  de  tous  côtés, 
contre  tous  les  vents  comme  si  elles  étaient  assises  sur  l'arène 
d'un  amphitéàtre,  telle  est  la  situation  géographique  de  cette 
localité.  Les  veaux  de  cette  contrée  lui  ont  acquis  une  grande 
réputation  dans  nos  départements  ;  mais  le  nom  qu'elle  porte; 
a  une  renommée  bien  autrement  grande  dans  l'histoire.  Car 
on  est  généralement  d'accord  aujourd'hui  que  ce  nom  d'Ar- 
bas tire  son  origine  des  anciens  Arevacci  peuplades  réunies 
aux  Convenœ  et  aux  Vêtions  que  Pompée  contraignit  de  bâtir 
la  ville  de  Lugdunum  Convenarum,  (Saint-Bertrand  de  Com- 
minges).  Il  faut  donc  supposer  que  ce  coin  de  montagne  et 
les  environs  servaient  primitivement  de  retraite  à  ces  tribus 
errantes. 

En  quittant  Arbas,  on  gravit  des  coteaux  qui  séparent  cette 
dernière  localité  du  village  d'Estadens,  si  renommé,  avant  la 


Ô14  NOTICE 

révolution  do  89,  par  la  cruauté  et  les  manies  tyranniques 
du  seigneur  de  ce  nom.  Estadens  est  un  village  bâti  dans  un 
joli  bassin  bien  cultivé  et  très  fertile.  En  sortant  d'Estadens 
on  peut  aller  visiter  l'église  de  Pujos  qui  chaque  année,  à  la 
fête  de  saint  Jean ,  sert  de  pèlerinage  aux  espagnols  et  aux 
habitants  des  vallées  frontières.  La  statue  du  saint  et  la  grotte 
ou  fontaine  qui  sert  aux  ablutions  des  malades  et  des  infirmes 
qui  y  vont  chercher  leurs  guérisons,  sont  les  deux  merveilles 
du  lieu. 

Comme  touses  les  fêtes  religieuses  de  ce  genre ,  la  fête  de 
la  saint  Jean  à  Pujos  sert  de  motif  à  des  repas  champêtres 
qu'on  y  fait  en  même  temps  qu'à  des  prétextes  de  dévotion. 
Ce  pèlerinage  offre,  au  reste ,  un  spectacle  fort  curieux  et 
qu'on  ne  doit  point  dédaigner.  La  distance  qui  sépare  Pujos 
de  Ganties  étant  très  rapprochée,  on  rentre  à  l'établissement 
de  Bagnis  par  des  coteaux  délicieux. 

Si  les  environs  de  ces  bains  ont,  comme  on  voit,  une  cer- 
taine importance  historique ,  l'établissement  en  lui-même  ne 
laisse  rien  à  désirer.  Parlons  d'abord  de  la  source. 

Avant  1835,  le  lac  était  abandonné  à  tous  les  malades  qui 
venaient  y  chercher  leurs  guérisons  ;  il  se  trouvait  dans  un 
état  déplorable,  lorsque  les  propriétaires  du  terrain  se  déter- 
minèrent à  y  bâtir  des  bains  et  à  y  faire  des  logements.  A  cette 
époque,  nous  voyons ,  en  effet,  par  les  soins  de  M.  Ribet  et 
M.  Dencausse  propriétaires  actuels  de  ces  eaux ,  s'élever  un 
établissement  simple,  mais  commode  et  réunissant  toutes 
les  conditions  du  bien-être.  Des  baignoires  en  marbre,  en 
zinc ,  au  nombre  de  vingt-cinq  ;  quatre  douches  et  des  cabi- 
nets spacieux  et  bien  aérés  sont  les  premières  conditions  de 
bien  être,  remplies  par  les  propriétaires  de  l'établissement. 
De  nombreuses  améliorations  ont  été  encore  apportées  au  ser- 
vice des  bains  qui  ne  laisse  rien  à  désirer. 

Tout  près  des  deux  établissements  se  trouve  encore  une 
source  ferrugineuse  appartenant  à  M.  Dencausse  dont  la  va- 
leur thérapeutique  peut  être  tous  les  jours  mise  à  prolit  par 
les  malades  qui  ont  besoin  de  reconstituer  leur  sang  appauvri. 


SUR  LES  BAINS  DE  GANTIES.  31 S 

La  réputation  de  ces  eaux,  ayant  appelé  aux  environs  de  la 
source  un  grand  concours  de  baigneurs,  on  a  vu  s'élever,  en 
peu  d'années ,  de  nombreux  logements,  des  maisons  qui  of- 
frent aux  étrangers  toutes  les  commodités  désirables  pour  y 
passer  d'une  manière  confortable  la  saison  des  eaux.  Mais 
parmi  les  établissements  que  renferment  les  bains  de  Ganties, 
nous  devons  citer  principalement  l'hôtel  Hajau  qui  se  distin- 
gue entre  tous  les  autres. 

Situé  en  face  les  bains,  il  réunit  à  des  chambres  spacieuses 
et  très  bien  meublées,  un  salon  qui  sert  à  une  table  d'hôte 
très  bien  desservie  et  à  des  prix  fort  modérés. 

Tous  les  fruits  de  la  saisson  y  abondent  ;  le  veau  d'Arbas, 
le  gibier  et  la  volaille  n'y  manquent  jamais.  Ce  qui  joint  aux 
soins  empressés  et  à  la  bienveillance  dont  la  famille  de 
M.  Hajau  se  montre  pénétrée  envers  les  étrangers,  en  fait  un 
séjour  délicieux. 

L'auteur  de  la  Topographie  médicale  du  département  de. 
la  Haute-Garonne,  s'exprime  ainsi  au  sujet  des  eaux  de  Gan- 
ties ou  de  Gouret,  comme  il  les  appelle  : 

«  Couret,  dans  un  vallon  Irais  et  riant,  où  serpentent  plu- 
sieurs ruisseaux  à  travers  de  charmantes  prairies,  est  à  une 
élévation  médiocre  et  découvert,  soit  au  midi,  soit  au  levant. 
Entre  Rouôde  et  Couret,  au-dessous  du  château  qui  domine 
ce  dernier  village,  est  un  lac  formé  par  une  source  qui  sourd 
dans  un  pré.  Cette  eau  a  la  réputation  de  guérir  les  ulcères  ; 
il  s'en  dégage  sans  cesse  beaucoup  de  bulles  ;  elle  est  fade, 
sans  odeur  et  ne  forme  point  de  précipités.  Mais  les  gaz  qui 
s'en  exhalent  sans  cesse  concourent  effectivement  à  la  guéri  - 
son  des  ulcères.  » 

Ainsi  les  bains  de  Ganties  réunissent-ils  aujourd'hui  tous 
les  agréments  désirables,  joints  à  l'efficacité  des  eaux  dont 
nous  allons  décrire  les  effets. 


Eaux  de  Ganties  considérées  sous  le  rapport  thérapeutique,  par- 
le docteur  Castéra  (de  Pointis).—  Observations  sur  divers  cas 
de  maladies.—  Guérison  de  la  Carie.—  Cures  d'Ulcères  et  de 
plusieurs  Névralgies.—  Détails  sur  ces  diverses  maladies.— 
Efficacité  des  eaux  de  Ganties  contre  les  Névroses,  les  attaques 
Hystériques,  les  Fleurs  blanches,  les  Hémorrhagies  utérines,, 
etc.,  etc.,  etc. 


Lorsque  les  propriétés  chimiques  d'une  eau  minérale  ont 
été  déterminées,  dit  le  docteur  Castéra,  l'analogie  a  fait  con- 
naître bientôt  les  effets  curatifs  qu'elle  doit  produire  sur  les 
maladies,  et  le  médecin  se  trouve  avoir  à  sa  disposition  une 
donnée  précieuse  dont  il  se  sert  dans  l'intérêt  de  l'humanité. 

Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  la  connaissance  de  l'analyse 
chimique  d'une  eau  suffise  ou  soit  indispensable  au  praticien 
pour  en  diriger  sagement  l'administration,-  il  est  bien  plus 
important  et  plus  utile  encore  d'apprécier  sa  valeur  théra- 
peutique. Il  est  des  choses,  en  effet,  qui  échappent  néces- 
sairement à  l'analyse  et  qui  doivent  avoir  néanmoins  une 
grande  influence  sur  les  propriétés  médicales  de  cette  eau. 

C'est  donc  sur  une  bonne  méthode  expérimentale  et  par  des 
observations  assidues,  exactement  suivies,  tirées  des  effets 
obtenus  par  les  eaux  de  Ganties,  que  les  médecins  en  ont 
découvert  et  découvrent,   tous  les  jours,  les  véritables  pro- 


NOTICE  CUR  LES  BAINS  DE  GANT1ES.  527 

priétés,  bien  mieux  que  par  la  recherche  des  principes  qu'elles 
renferment.  Puisque  lors  même  que  ces  principes  se  décèlent 
et  s'offrent  à  l'investigation  des  hommes  de  l'art,  ils  leur 
cachent  néanmoins  l'action  et  le  pouvoir  qu'ils  exercent  sur 
les  organes. 

Pénétrés  de  ces  vérités,  MM.  Dencausse  etllibet,  proprié- 
taires des  deux  établissements,  ont  fait  choix  de  M.  Castéra, 
docteur-médecin,  plein  de  zèle,  de  talent  et  de  dévouaient 
qui  se  rend  régulièrement,  trois  fois  par  semaine,  pendant 
la  saison  des  eaux,  à  l'établissement  de  Gantiespour  diriger 
le  traitement  des  maladies,  donner  des  consultations  et  re- 
cueillir des  observations  qui  viennent  journellement  sanc- 
tionner l'efficacité  de  ces  eaux. 

Nous  désirerions  pouvoir  mettre  sous  les  yeux  du  public  le 
détail  du  nombre  considérable  des  cures  obtenues  par  l'usage 
des  eaux  de  Ganties  prises  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur, 
mais  nous  serions  forcés  d'entrer  dans  de  trop  longs  dévelop- 
pements. Aussi,  nous  bornerons  nous  à  citer  une  ou  deux 
observations  principales  de  chacune  des  maladies  qui  ont  été 
empruntées  à  M.  Castéra,  inspecteur  officieux  de  ces  eaux  et 
qu'il  a  bien  voulu  nous  communiquer  dans  la  forme  suivante: 

«  Ces  observations,  dit  M.  le  docteur  Castéra,  ont  pour  but 
de  fournir  aux  hommes  de  l'art  des  données  positives  sur 
l'efficacté  des  eaux  qui  font  l'objet  de  cette  relation,  et  d'offrir 
aux  malades  qui  nous  liront  des  cas  qui  pourront  avoir  une 
analogie  plus  ou  moins  complète  avec  leurs  affections,  et  leur 
procurer  ainsi  le  moyen  de  se  soulager. 

«  L'expérience  a  démontré,  depuis  long- temps,  que  les 
eaux  de  Gantiessont  infiniment  utiles,  soit  en  bains,  soit  en 
boissons,  ou  prises  des  deux  manières  à  la  fois  :  contre  les 
Névralgies,  telles  que  la  Coxalgie,  la  Sciatique  et  tout  ce  qu'on 
appelle  vulgairement  maux  de  nerfs,  l'Hystérie  et  l'Hypo- 
condrie. Elles  sont  encore  employées  avec  succès  contre  les 
affections  de  la  peau  que  le  printemps  ramène,  ou  même 
contre  celles  qui  sont  devenues  permanentes,  anciennes,  re- 
belles et  revêtant  la  forme  dartreusej  et  cela,  en  secondant 


518  NOTICE 

leur  action  à  l'intérieur  par  la  boisson  de  sues  d'herbes  dépu- 
ratives,  de  laxatifs  ou  de  purgatifs  doux. 

«  L'efficacité  de  ces  eaux  a  été  observée,  en  outre,  contre 
les  maladies  du  système  locomoteur,  le  Rhumatisme  muscu- 
laire, articulaire,  la  raideur  des  membres  ou  défaut  de  mo- 
bilité des  articulations.  Les  eaux  de  Ganties  ont  une  action 
très  marquée  contre  les  maladies  des  voies  urinai res  occasion- 
nées parla  dia  thèse  unique,  l'atonie  de  la  vessie,  le  calharrhe 
vesicalj  contre  la  Gravelle,  le  calcul  commençant  ;  en  aug- 
mentant la  quantité  des  urines  et  dissolvant  même  certains 
produits,  ces  eaux  expulsent  les  éléments  qui  existent  dans 
la  vessie  et  préviennent  ainsi  la  formation  de  la  pierre  ;  contre 
les  écoulements  blancs  anciens  et  rebelles,  désignés  sous  les 
noms  de  fleurs  blanches  ou  blennorrhées.  Elles  sont  d'une 
efficacité  reconnue  contre  les  hémorrhagies  résultant  d'un 
sang  appauvri,  peu  consistant,  mal  élaboré,  contre  les  chlo- 
roses ou  pâles  couleurs,  la  cachexie  commençante  contre  le 
défaut  ou  le  retard  de  la  menstruation,  dépendante  de  la- 
viscosité  des  liquides  qui  circulent  dans  l'économie,  le  défaut 
de  ressort,  l'engorgement  du  système  utérin  qui  n'a  point 
la  susceptibilité  nécessaire  pour  permettre  à  cette  fonction 
de  s'opérer. 

«  Dans  plusieurs  circonstances  l'usage  de  ces  eaux  ont  suffi 
contre  les  douleurs  nerveuses  de  l'estomac  et  du  tube  digestif 
en  général,  désignés  sous  les  noms  de  Crampes,  de  Gastral- 
gies et  Entéralgies.  Mais  c'est  surtout  contre  les  plaies  que 
les  eaux  de  Ganties  sont  réellement  héroïques,  elles  calment 
les  douleurs  et  l'inflammation,  empêchent  les  accidents  con- 
sécutifs et  le  travail  de  la  cicatrisation  s'opère  avec  une 
grande  rapidité  ■  elles  modifient  aussi  avec  promptitude  les 
diverses  ulcères  et  les  fistules  en  général,  mais  particulière- 
ment celles  entretenues  par  la  carie  des  os,  ces  derniers  efïèls 
sont  tellement  constatés,  si  parfaitement  établis  et  si  géné- 
ralement répandus  dans  tous  les  environs,  que  je  n'ai  pas 
besoin  de  donner  ni  deux  ni  quatre  observations,  attendu 
que  je  pourrais  en  fournir  par  milliers. 


SUlt  LET  BALNS  DE  GANTIES.  519 

«  Tels  sont  les  résultats  de  mes  observations  et  de  mon 
expérience  dans  le  rapport  thérapeutique  des  eaux  de  Ganties, 
auxquelles  des  malades  de  toutes  les  conditions  et  pour  ainsi 
dire  de  toutes  les  contrées  de  la  France,  viennent  chaque 
année  demander  du  soulagement  ou  des  guérisons  qu'aucun 
moyen  thérapeutique  n'a  pu  leur  donner. 

«  M.  !)..-,  de  Muret,  atteint  d'une  éruption  vesiculeuse 
aux  membres  inférieurs,  qui  était  venue  à  suite  d'une  gale 
très  rebelle,  se  trouvait  dans  l'impossibilité  presque  absolue 
de  marcher,  tant  le  gonflement  et  l'irritation  de  ses  jambes 
était  considérable.  Indépendemment  des  vives  douleurs  que 
cette  maladie  rebelle  lui  occasionnait,  un  suintement  conti- 
nuel dégageait  une  odeur  désagréable;  cet  écoulement  se 
coucretait  ensuite  pour  former  de  larges  croûtes  sèches  qui 
en  se  détachant  laissaient  à  nu  une  grande  surface  très 
sensible  et  très  douloureuse. 

Il  se  trouvait  dans  ce  fâcheux  état  qui  commençait  à  réagir 
sur  son  moral,  lorsqu'il  vint  en  1840,  en  désespoir  de  cause, 
demander  aux  eaux  de  Ganties  un  secours  qu'il  n'espérait 
plus.  L'usage  de  ces  eaux  en  bains  et  en  lotions  plusieurs 
fois  répétés  dans  la  journée  le  guérirent  radicalement,  et  tous 
les  ans,  jusqu'en  1848,  il  s'est  rendu  à  Ganties  pour  conso- 
lider sa  guéri  son. 

«  M.  N ,    de  Fousseret,  atteint  aussi  d'une  maladie 

semblable,  venue  sans  causes  connues,  quoique  n'ayant  pu 
être  amendée  par  aucune  espèce  de  médication,  sa  marche 
progressive  avait  mis  en  peu  de  temps  le  malade  dans  l'im- 
possibilité de  faire  le  moindre  exercice.  Indépendamment 
des  douleurs  vives  que  cette  maladie  occasionnait,  les  deux 
jambes  affectées  dégageaient  une  odeur  nauséabonde.  En  1 850 
M.  N.  se  rendit  aux  eaux  de  Ganties  et  au  bout  de  18  jour.-; 
à  l'aide  d'application  de  douches,  de  lotions  souvent  répétées 
dans  la  journée,  des  bains  généraux  et  plus  tard  d'une  com- 
pression méthodique,  il  put  marcher  librement  et  se  trouva 
tellement  soulagé,  qu'il  crut  pouvoir  remettre  sa  guérison 
radical-- à  l'année  prochaine. 


520  NOTICE 

«  M.  C...  de  Toulouse  était  alleelé  d'une  carie  de  l'omo- 
plate sur  laquelle  se  trouvait  un  trajet  fistuleux  qui  laissait 
suinter  depuis  dix  ans  un  pus  rougeâtre,  très  fétide.  Pour 
se  débarrasser  de  cette  maladie,  il  avait  eu  vainement  recours 
aux  sommités  de  la  science  et  avait  également  essayé  sans 
résultat  les  bains  de  Luchon,  deBigorreet  presque  de  toutes 
les  sources  das  Pyrénées,  lorsqu'en  1848,  il  se  rendit  à  Gan- 
ties  où  quelques  bains  et  des  injections  par  le  trajet  fistu- 
leux le  guérirent  radicalement.  Depuis  cette  époque,  M.  C... 
se  rend  annuellement  à  Ganties,  non  plus  à  cause  de  sa  ma- 
ladie dont  il  ne  reste  plus  de  traces,  mais  entraîné  par  un 
sentiment  de  reconnaissance  pour  ces  eaux  qui  lui  ont  donné 
la  santé. 

«  M.  B....  de  Montespan,  jeune  homme  renvoyé  du  ser- 
vice après  avoir  suvi  un  traitement  fort  long  à  l'hôpital  mi- 
litaire de  Paris  pour  une  carie  du  métatarse,  se  rendit  à 
notre  établissement  en  1844,  c'est-à-dire  quelques  mois  après 
son  retour  dans  ses  foyers.  A  peine  eut-il  pris  une  quinzaine 
de  bains  généraux  et  des  injections,  la  supuration  se  ralentit 
presque  immédiatement  ;  le  trajet  fistuleux  se  cicatrisa  et 
la  carie  disparût  comme  par  enchantement. 

«  Madame  S....  de  Toulouse,  tourmentée  depuis  plusieurs 
années  par  des  douleurs  qui  lui  causaient  une  névralgie 
dentaire,  se  rendit  à  Ganties,  en  1845.  Après  avoir  suivi 
une  infinité  de  traitements  qui  n'avaient  produit  aucun 
effet  salutaire,  à  peine  eut-elle  pris  quelques  bains  que  ses 
souffrances  diminuèrent  pour  disparaître  complètement.  Au 
bout  d'un  mois,  cependant,  le  froid  de  l'hiver  ayant  réveillé 
ses  douleurs,  elle  n'oublia  pas  le  soulagement  que  lui  avaient 
procuré  les  eaux  de  Ganties,  elle  revint  l'année  suivante  et 
se  retira,  cette  fois,  radicalement  guérie.  Depuis  eetteaépoquc 
Madame   S vient  tous  les  ans  faire  usage  de  nos  bains. 

«  Madame  C...  d'Auzas  atteinted'une  névralgie  faciale  qui 
s'étendait  jusqu'à  la  moitié  du  crâne,  souffrait  cruellement 
depuis  plusieurs  mois;  et  ses  douleurs  étaient  tellement 
fortes  et   tellement  persistantes,  malgré   tous  les  remèdes 


SUR  LES  BAINS  DE  GANTIES.  3âî 

qu'elle  leur  avait  opposés  qu'elle  ne  pouvait  se  procurer  un 
instant  de  repos. 

«  En  1844  elle  se  rendit  à  Ganties  ;  après  avoir  pris  une 
trentaine  de  bains  et  des  applications  de  douches  sur  tous 
les  points  douloureux  ;  elle  se  retira  à  peu  près  guérie  •  mais 
l'année  suivante  elle  vint  de  bonne  heure  compléter  sa  gué- 
rison,  et  depuis,  elle  se  fait  un  devoir  tous  les  ans  de  venir 
passer  quelques  jours  à  notre  établissement. 

«  M.  E....  et  ses  deux  demoiselles  de  Fousseret,  atteints 
tous  les  trois  à  des  degrés  différents,  d'une  névrose  caracté- 
risée par  des  douleurs  qui  quelquefois  se  fixant  au  cœur, 
déterminaient  des  palpitations  ;  d'autrefois  aux  poumons 
suffoquaient  les  malades  ;  tantôt,  c'était  l'estomac  et  les 
intestins  qui  étaientattaqués  et  immédiatement  des  crampes 
plus  ou  moins  vives,  se  faisaient  sentir  dans  ces  organes  ; 
d'autrefois,  c'était  la  tête  ou  tout  le  système  nerveux  qui 
était  envahi;  et  alors  la  céphalalgie,  des  bâillements,  des 
brisements  de  membres  se  faisaient  sentir,  en  même  temps 
que  toutes  les  autres  fonctions  de  l'organisme  se  trouvaient 
dérangées.  Cette  famille  se  rendit,  en  1842,  à  Ganties.  Dès 
celte  même  année,  elle  éprouva  un  grand  soulagement;  et 
tous  les  ans,  depuis  cette  époque,  elle  vient  prendre  des 
bains  afin  de  s'épagner  de  cruelles  souffrances  durant  la 
froide  saison;  et  dans  l'espoir  de  parvenir  à  une  guérison 
complète. 

«  Le  sieur  S.  M....  d'Aspet,  affecté  d'attaques  hystériques 
qui  venaient  le  frapper  tous  les  jours,  à  des  époques  indé- 
terminées, fut  obligé  de  quitter  son  état  de  tisserand,  tant 
cette  maladie  faisait,  en  lui,  des  progrès  rapides,  tandisque 
ses  attaques  devenaient  de  plus  en  plus  longues 

«  En  1848,  il  se  rendit  donc  à  Ganties  ;  et  après  y  avoir 
pris  quelques  bains  ;  il  se  retira  complètement  guéri.  Depuis 
cette  époque,  je  puis  certifier  qu'il  n'a  pas  eu  une  seule 
attaque. 

«  Mademoiselle  D....  de  Miramont  affectée  de  la  même 
maladie,  au  moyen  de  l'usage  qu'elle  fait,    tous  les  ans,  des 


522  NOTICE 

bains  de  Ganties,  sa  santé  se  trouve  améliorée  et  ses  atta- 
ques ne  viennent  plus  que  de  loin  en  loin.  Nous  pensons 
qu'en  continuant  ainsi  quelques  années  encore,  elle  se  dé- 
barrassera de  cette  affection  nerveuse  qui  n'a  pu  être  modi- 
fiée que  par  les  eaux  de  Ganties. 

«  Madame  A.  V.  de  Toulouse,  était  affectée  de  fleurs  blan- 
ches très  abondantes,  qui  avaient  épuisé  considérablement 
la  malade  et  déterminé  un  état  d'amaigrissement  prononcé 
qui  donnait  de  sérieuses  inquiétudes  à  toute  sa  famille.  La 
susceptibilité  nerveuse  chez  cette  dame  était  devenue  telle, 
qu'un  mouvement  brusque,  qu'un  cri  même  léger,  la  chute 
d'un  corps  peu  lourd  lui  occasionnait  des  attaques  de  nerfs, 
Vainement  elle  avait  eu  recours  aux  ressources  de  l'art, 
aucune  médication  n'avait  pu  ni  arrêter,  ni  diminuer 
même  cet  écoulement  qui  occasionnait  de  si  grands  ravages 
sur  sa  constitution.  En  1839,  elle  se  rendit  à  Ganties,  et  les 
bains  généraux  et  les  injections  vaginales  continuées  pendant 
un  mois,  supprimèrent  le  flux  vaginal,  l'affection  nerveuse 
qui  en  était  la  conséquence  disparut  et  Madame  A.  Y.  se  retira 
entièrement  guérie  au  grand  étonnement  des  médecins  qui 
l'avaient  soignée. 

«  Madame  E.  B.  de  l'Isle-en- Jourdain,  affectée  également 
de  fleurs  blanches,  suite  de  couches,  était  considérablement 
épuisée  par  les  pertes  abondantes  qu'aucun  moyen  n'avait 
pu  arrêter.  Elle  fit  usage  de  nos  eaux,  en  bains  et  injections 
vaginales  pendant  trent-cinq  jours,  et  au  bout  de  ce  temps, 
les  pertes  cessèrent,  l'appétit  revint,  et,  avec  lui,  la  santé 
dont  elle  n'avait  point  joui  jusqu'alors.  » 

Le  sieur  M.  R  ,  de  Soueich ,  fut  atteint,  en  1846,  d'un 
rhumatisme  général  avec  des  douleurs  vives,  déchirantes; 
ces  douleurs ,  que  le  malade  manifestait  à  chaque  instant 
par  des  cris,  augmentaient  par  la  pression  et  principalement 
par  les  mouvements  que  nécessitaient  les  muscles  affectés. 
Après  avoir  essayé  vainement  les  moyens  indiqués  par  la 
nature  et  la  gravité  de  cette  maladie,  le  sieur  M....  se  fit 
portera  Ganties:  il  arriva  dansunélat  vraiment  déplorable, 


SUR  LES  BA1INS  DE  GANTIES.  525 

car  indépendamment  des  douleurs  aiguës  que  j'ai  mention- 
nées et  qui  se  manifestaient  le  long  des  membres,  la  pluspart 
des  artieulationes  étaient  tuméfiées.  Le  lendemain  de  son 
arrivée  il  fut  mis  dans  une  baignoire  par  quatre  personnes 
qui  lui  firent  endurer  de  cruelles  souffrances  malgré  toutes 
les  précautions  qu'elles  prirent;  au  cinquième  bain  de  deux 
heures  chaque,  un  petit  soulagement  se  manifesta,  et  au 
douzième,  le  malade  n'eut  plus  besoin  d'aides.  Il  se  retira 
après  le  trentième  bain  à  pied  chez  lui  radicalement  guéri. 

Le  sieur  N.  M.  de  Saint-Martory  affecté  de  douleurs  rhu- 
matismales dans  tous  les  membres  et  principalement  dans 
les  membres  abdominaux,  n'avait  éprouvé  qu'un  faible  sou- 
lagement à  la  suite  d'un  long  traitement  qu'il  avait  suivi. 
Il  se  fit  porter  à  Ganties,  et  après  y  avoir  pris  vingt  bains 
il  put  quitter  ses  béquilles  dont  il  était  forcé  de  se  servir 
pour  marcher  et  se  retira  parfaitement  guéri. 

Madame  F.,  de  Toulouse,  affectée  depuis  plusieurs  années 
de  pertes  rougis  (hémorrhagies  utérines),  qui  arrivaient  à 
des  époques  indéterminées  dans  l'intervalle  des  (menstrues, 
se  trouvait  dans  un  tel  degré  dépuisement  que  les  médecins 
qui  lui  avaient  donné  des  soins  avaient  de  sérieuses  craintes 
sur  le  résultat  probable  d'une  maladie  si  rebelle.  Fatiguée  de 
tous  les  remèdes  que  des  médecins  très  habiles  de  Toulouse 
lui  avaient  administrés,  rebutée  d'ailleurs  par  le  long  usage 
qu'elle  avait  été  obligée  d'en  faire,  M.  F.  ne  sentait  plus  le 
courage  ni  la  force  de  recourir  à  de  nouveaux  moyens,  lors- 
qu'en  1845  une  de  ses  amies  l'engagea  d'aller  à  Ganties,  où 
elle-même  avait  trouvé  sa  guérison  pour  une  affection  pa- 
reille. A  cette  époque  la  maladie  avait  fait  beaucoup  de  rava- 
ges, les  lèvres,  le  reste  delà  face  et  même  de  toute  la  malade 
étaient  pâles,  les  yeux  ternes,  la  vue  affaiblie,  parfois  il 
survenait  des  tintements  d'oreilles,  des  défaillances  des  syn- 
copes et  l'affaiblissement  général  était  arrivé  presque  à  son 
comble.  Au  bout  d'un  mois  de  traitement,  de  bains,  d'injec- 
tions vaginales,  de  lotions  abdominales  et  des  lavements 
froids  avec  les  eaux  de  Ganties,  la  malade  éprouva  un  grand 


524  NOTICE  SUR  LES  BAÏNS  DE  GANTIES. 

soulagement  général  et  eut  le  bonheur  de  voir  son  hemor- 
rhagie  utérine  s'arrêter.  Tous  les  ans  depuis  cette  époque 
elle  vient  rendre  hommage  aux  sources  qui  lui  ont  procuré 
la  santé. 

M.  R.  de  Toulouse,  était  tourmentée  de  pertes  rouges  qui 
ne  discontinuaient  que  pour  être  remplacées  par  un  flux 
blanc  jaunâtre  (Fleurs  Blanches).  Cette  maladie  qui  datait 
depuis  assez  long-temps  et  qui  avait  résisté  à  toute  espèce 
de  médication  avait  épuisé  considérablement  la  malade.  Le 
système  nerveux  était  devenu  excessivement  irritable,  à  tel 
point  que  la  moindre  impression  la  jettait  dans  un  abattement 
et  dans  une  prostration  de  forces  qui  la  rendaient  incapable 
à  se  donner  le  moindre  mouvement.  L'organe  affecté  laissait 
fluer  le  sang  tantôt  d'une  manière  continue,  tantôt  sous  forme 
d'un  gros  caillot,  et  quand  l'un  et  l'autre  de  ces  deux  modes 
d'hémorrhagies  cessaient,  ils  étaient  immédiatement  suivis 
d'une  leucorrhée  abondante  (perte  blanche).  M.ll.  se  trouvait 
dans  cet  état  lorsqu'en  1845;  elle  vient  demander  un  soula- 
gement aux  eaux  de  Ganties,  un  séjour  d'un  mois  et  demi 
dans  l'établissement,  avec  l'usage,  pendant  ce  temps,  de 
bains,  lotions  abdominales,  injections  et  une  médication 
interne  appropriée,  la  guérirent  radicalement. 


Itinéraire  dans  les  environs.  —  Le  village  de  Pujos.  —  Course  au 
bourg  de  Pointis-Inard.  —  Ancienne  Charte  du  pays.  —  Village 
de  Montespan.  —  Source  médicinale.  —  Retour  à  Ganties. 

Non  loin  de  l'établissement  des  bains  de  Ganties,  dans  un 
vallon  fertile  qui  arrête  et  charme  les  regards  du  voyageur, 
se  présente  à  l'aspect  du  midi  et  du  levant,  en  face  de  la 
montagne  de  Kagire,  le  village  de  Pujos,  à  une  élévation 
médiocre  et  sur  un  plan  légèrement  incliné.  La  fertilité  du  sol, 
la  fraîcheur  des  prairies,  un  grand  nombre  d'arbres  fruitiers, 
la  crête  des  coteaux  couronnée  par  des  bois  de  chênes  et  de 
châtaigniers,  voila  à  peu  près  ce  qui  distingue  cette  petite, 
mais  délicieuse  enceinte  dont  la  culture  et  le  site  riant  con- 
trastent avec  l'admirable  perspective  de  Kagire. 

La  grotte  de  Pujos  est  renommée  par  les  pèlerinages  qu'on 
y  fait  le  jour  de  la  fête  de  Saint-Paul.  On  y  voit  arriver  de 
toutes  parts,  depuis  les  vallées  espagnoles  jusqu'aux  extré- 
mités de  l'arrondissement,  une  foule  compacte  qui  vient 
célébrer  par  la  prière,  par  des  repas  et  par  des  jeux  les  vertus 
curatives  de  l'eau  de  la  grotte  et  la  sainteté  du  Patron  du 
lieu.  Ce  genre  de  fêtes  sont  assez  communes  dans  les  Pyrénées. 

De  Pujos  on  peut  se  rendre  facilement  à  Aspet,  par  la  route 
départementale  qui  vient  de  Saint-Girons,  et  rentrer,  le  soir, 
aux  bains  de  Ganties.  Cette  première  promenade,  du  côté  du 
levant  de  l'établissement,  doit  être  suivie  d'une  course  qu'on 
peut  faire,  le  lendemain,  du  côté  opposé,  au  village  de  Pointis- 
Inard. 

C'est  à  l'embouchure  du  Ger  et  dans  une  presqu'île  formée 
par  cette  rivière  et  la  Garonne,   aux   approches  de  leur  con- 

21 


328  NOTICE 

Huent,  que  sont  situés  la  commune  et  le  village  de  Pointis- 
Inard,  à  l'exposition  du  nord  et  du  couchant.  Le  fonds  riche 
et  fertile  de  cette  commune  produit  beaucoup  de  blé,  du  maïs 
et  de  pommes  de  terre.  L'auteur  de  la  Topographie  médicale 
du  département  fait  la  description  suivante  des  habitants  de 
Pointis-Inard.  «  Les  hommes  et  les  femmes  y  sont  faiblement 
constitués  ;   ils  ont   le  teint  pale,    le  regard  languissant.  Ils 

sont  d'une  petite  stature  en  général Il  est  peu  de  femmes 

qui  n'aient  point  de  goitres  et  les  hommes  n'en  sont  pas  à 
beaucoup  près  exempts.  Enfin,  les  fièvres  ataxiques  etadina- 
miques  n'y  sont  pas  rares,  et  les  intermittentes  y  sont  fréquen- 
tes en  automne,  rebelles,  et  se  prolongent  quelquefois  tout 
l'hiver.  »  Nous  croyons  que  la  nature  du  terrain  et  celle  des 
habitants  s'est  amélioré  singulièrement  depuis  1814,  époque 
où  M.  de  Saint-André  écrivait  son  ouvrage. 

Aujourd'hui  le  bourg  de  Pointis-Inard  renferme  une  popu- 
lation belle  et  distinguée  sous  tous  les  rapports.  Ses  habi- 
tants se  firent  remarquer  pendant  l'époque  féodale,  par  leur 
excessif  amour  de  la  liberté.  Nous  trouvons  en  effet,  à  la  date 
de  1495,  une  charte  dans  laquelle  nous  lisons  les  dispositions 
suivantes. 

«  Chacun  habitant  de  Pointis-Inard  sera  en  franchise  et 
sûreté  en  son  hostal  ou  corty  (cour).... 

«  Deux  consuls  connoystront  de  toutes  causes,  tant  civiles 
que  criminelles;  lesqueles,  l'année  finie,  en  esliront  deux 
autres,  lesquels  signeront  en  présence  du  seigneur  ou  de  son 
procureur,  de  bien  exercer  leur  estât 

«  Les  Consuls  pourront  contraindre  les  particuliers  à  va- 
quer au  faict  de  la  chose  publique,  par  prinse  et  arrestation 
de  leurs  corps  et  biens. 

a  Le  Seigneur  ne  peut  contraindre  aulcun  habitant  à  faire 
rien,  sy  ce  n'est  de  son  consentement. 

«  Le  Seigneur  ne  peut  prendre  au  corps  aulcun  habitant 
sans  décret  des  consuls. 

«  Le  Seigneur  ne  contremandera  aux  délibérations  et  or- 
donnances du  conseil  delà  dite  ville. 


SUR  LES  BA1KS  DE  GANTIES.  320 

«  Qui  prendra  à  force  femme  puscelle,  sera  condamné  à 
avoir  le  fouet  par  la  ville  et  en  aultre  amende  à  la  rigueur 
du  droit;  toutefois  s'il  la  peult  marier,  la  peine  du  fouet  luy 
sera  remise  et  aussi  est  advi«è  par  les  consuls,  etc. 

«  Les  habitants  auront  la  jouyssauco  des  forets  vacants  et 
montaignes,  comme  en  ont  jouy  de  toute  ancienneté.  » 

Ces  libertés  furent  confirmées  par  Henry  II,  en  1547.  Il 
est  dit  dans  cette  demande  que  «  les  habitants  du  lieu  de 
'<■  Pointis  au  pays  du  Comminges,  remontrent  très  humble- 
«  ment  à  Sa  Majesté  que  ce  lieu  de  Pointis-Inard  est  fronta- 
le lier  des  Es-pagnes,  où  il  y  a  un  château  propre  à  se  défendre, 
«  depuis  surtout  que  la  guerre  a  été  déclarée  dans  le  pays,  etc. . . 
«  et  pour  ce  témoignent  à  Sa  Majesté  leur  zèle ,  respect  et 
«  obéissance  comme  vrais  fidèles  et  véritables  sujets.  » 

De  ce  bourg,  on  peut  se  diriger  facilement  versMontespau 
et  revenir,  le  soir,  aux  bains  deGantïes  sans  trop  se  fatiguer. 

Si  Pointis-Inard  est  situé  dans  un  bassin,  Montespan  au 
contraire  est  placé  à  une  assez  belle  hauteur,  parfaitement  à 
l'abri  du  nord  et  à  l'exposition  du  midi,  à  couvert,  enfin,  du 
côté  de  l'ouest  par  une  sorte  de  rempart  que  lui  forment  de 
petites  montagnes  calcaires  dont  la  blancheur  et  les  sommets 
régulièrement  coniques  sont  remarquables.  Des  terres  bien 
cultivées  avec  quelques  prairies,  d'assez  grands  bois  qui  re- 
vêtent les  principales  pentes,  seraient  des  objets  dignes  de 
quelque  attention,  si  l'on  n'avait  encore  à  remarquer  sur  un 
superbe  plateau  qui  domine  le  village,  les  ruines  de  son  an- 
tique château  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

L'eau  des  deux  sources  dont  on  fait  usage  pour  la  boisson 
à  Montespan  est  mauvaise,  et  répond  très  bien  à  l'idée  que 
l'on  se  fait  d'une  eau  qui  est  à  une  exposition  méridionale. 
D'ailleurs  elle  coule  faiblement  vers  un  pré  où  elle  se  ra- 
masse au  pied  de  la  montagne  qui  fournit  une  grande  quan- 
tité de  pierre  calcaire.  Elle  est  impropre  à  la  coction  des 
légumes  ;  elle  dissout  très  mal  le  savon,  elle  est  fade  et  dif- 
ficile à  digérer. 

Les  habitants  de  Montespan  sont  grands  et  vigoureux,  su  - 


032  NOTICE  SUR  LES  BAINS  DE  GANTIES. 

jets  à  fort  peu  de  maladies  et  vieillissent  beaucoup  Sur  une 
population  de  900  âmes,  on  comptait  en  1814,  deux  cente- 
naires, 8  individus  d'environ  90  ans  et  10  à  12  octogénaires. 
La  commune  de  Montespan  possède  une  source  d'eau  miné- 
rale. Elle  est  située  sur  le  bord  d'un  pré,  d'où  elle  coule  par 
une  gouttière  large  et  peu  profonde,  creusée  dans  une  pierre 
et  se  mêle  immédiatement  à  l'eau  d'un  ruisseau. 

Cette  eau  est  froide ,  très  limpide,  sans  odeur,  et  même 
sans  autre  saveur  d'abord  que  celle  des  eaux  fades  séléniteu- 
ses.  Elle  ne  pèse  pas  à  l'estomac  comme  les  eaux  qui  ne  con- 
tiennent que  du  sulfate  ou  du  carbonate  calcaire.  Elle  lâche 
le  ventre  quand  on  en  boit  plusieurs  verres.  Sa  pesanteur 
spécifique  est  considérable,  puisqu'elle  est  supérieure  d'un 
degré  et  quelques  fractions  à  celle  de  l'eau  distillée.  Plusieurs 
bases  terreuses,  un  peu  de  magnésie  et  de  soude  y  sont 
unies  avec  l'acide  sulfurique ,  l'acide  carbonique,  etc.  Ces 
eaux  sont  en  outre  purgatives. 

De  Montespan,  le  visiteur  peut  rejoindre  la  route  de  Saint- 
Martory  à  Aspet  et  rentrer  à  l'établissement  de  Ganties. 

Il  est  plusieurs  autres  courses  qu'on  peut  facilement  entre- 
prendre et  qui  ne  sont  pas  sans  avoir  certains  agréments. 
Ainsi,  une  visite  à  Saint-Gaudens  dont  le  marché  a  lieu,  tous 
les  jeudi,  s'effectue  sans  difficultés;  une  autre  à  Aspet,  offre 
des  variétés  aux  baigneurs  qui  cherchent  des  distractions. 

Nous  indiquerons  les  courses  qui  auraient  encore  pour  but 
Saint-Martory ,  Arbas  et  les  vallées  de  Kagire.  La  facilité  des 
transports,  le  bon  entretient-  des  routes  ,  la  complaisance  et 
l'affabilité  des  habitans  de  Ganties  faciliteront  aux  visiteurs 
ces  moyens  de  distractions  à  peu  de  frais. 

Sous  ces  divers  rapports,  les  bains  de  Ganties  ne  laissent 
point  que  d'avoir  aussi  leurs  agréments  qui  s'accroîtront  tous 
les  jours,  avec  l'avenir  de  prospérité  qui  se  révèle  de  plus  en 
plus  dans  les  bonnes  intentions  de  leurs  propriétaires. 

Fin  DE  LA  NOTICE  SUR  GANTIES. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


l.vrRODUCTIOK.  V 

PREMIÈRE   PARTIE. 

FAITS   HISTORIQUES» 

Chapitre  1er.  _  situation  géographique  et  géologique  deBagné- 
res-de-Luchon.  —  Populations  primitives  qui  occupaient  ces 
vallées.  —  Carumni,  Arevacci,  Oncbuzalcs.  —  Mœurs,  Lan- 
gage et  Religion  de  ces  peuplades.  1 1 

Chapitre  II.  — Lieux  importants  dans  le  canton  des  Garum- 
ni.  —  Origine  du  mot  Ludion.  —  Ses  thermes.  —  Leur  im- 
portance sous  l'époque  féodale.  —  Premiers  droits  dont  jouit 
la  vallée  de  Luchon.  —  Irruption  des  Sarrasins.  —  Domina- 
tion des  comtes  de  Comminges.  3} 

Chapitre  III.  —  Etal  politique  et  administratif  de  la  vailée  de 
Luchon  sous  le  règne  des  comtes.  —  Charte  de  Bagnères. 

—  Principales  localités  qui  se  distinguent  dans  cette  vallée. 

—  Castel-Viel,  Moustajon,  Cier,  Antignac,  Salles,  Castel- 
Blancat,  Saint-Aventin,  etc.  —  Commencement  de  la  répu- 
tation dont  jouissent,  dans  les  temps  modernes,  les  bains 

de  Bagnères.  &5 


Chapitre  IV.  — bains  de  Bagnères-de-Luchon.  —  Personna- 
ges importants  qui  ont  visité  ces  thermes.  —  Epoque  de 
leur  nouvelle  restauration.  —  Fondation  de  la  ville  et  divers 
droits  dont  elle  a  joui.  —  Mœurs  des  habitants  de  la  vallée 
do  Luchon.  67 

Chapitre  V.  —  Époque  de  la  fondation  de  rÉtablissement 
actuel  de  Bagnères-de-Luchon.  —  Différents  travaux,  qui 
ont  été  exécutés  successivevement.  —  Constructions  monu- 
mentales de  M.  Chambert.  —  Eglise  de  Bagnères  exécutée 
sur  les  plans  de  M.  Loupot. —  Travaux  d'aménagement 
do  M.  François.  —  Divers  autres  établissements  de  Bains. 

—  Causes  principales  de  la   prospérité.  81 

Chapitre  VI.  —  Température  des  eaux  de  Bagnères-de-Lu- 
chon. —  Quantité  d'eau  fournie  par  les  sources.  —  Analyse 
chimique  des  eaux  Thermales  par  plusieurs  savants  et 
notamment  par  M.  Filhol.  —  Genres  de  maladies  qu'elles 
guérissent.  —  Nombre  de  guérisons  pendant  une  période 
de  cinq  années.  95 

Chapitre  VII.  —  Vallée  de  Luchon.  —  Sa  position  géologique. 

—  Flore  du  bassin  de  Bagnères.  —Ornithologie  et  histoire 
naturelle  de  cette  vallée.  Il  I 

Chapitre  VIII.  —  Itinéraire  dans  la  valléo  de  Luchon.  —  Di- 
vision en  quatre  districts  des  lieux  à  explorer.  1 27 

Chapitre  IX.  —  Promenades  de  Luchon.  —  Ses  eaux  ther- 
maies.  —  Ses  différentes  propriété.  —  Conseils  aux  bai- 
gneurs. 151 


SECONDE  PABTIE. 

i  rV  l  —  .  ■<  u 

il 

FAITS    DRAMATIQUES. 

Le  contrebandier  du  port  de  Venasquc,  épisode  historique,  lîi? 

Les  bains  de  Bagnères-de-Luchon  ,(1612).  t  G1.) 

Les  aventures  d'une  danseuse.  tS  ! 

Marguerite,  la  fille  du  douanier,  ou  la  vallée  d'Àstn.  I'J8 

La  chapelle  de  Montgarry,  nouvelle  espagnole.  809 

Un  pèlerinage  à  la  chapelle  de  Saint-Aventin,  219 


NOTICE  SUR  fcÉS  BAINS  DE  SIRADAN. 

Chapitre  Ier.  —  Situation  et  origine  de  Siradan.  —Itinéraire 
et  promenades  aux  environs  des  bains.  —  Saint-Béat  et  la 
vallée  d'Aran.  —  Col-du-Haut  ou  la  chasse  aux  Bisets. 
Saint-Bertrand  de  Comminges.  —  Divers  détails  historiques.  22'J 

Chapitre  II.  —  Analyse  dos  eaux  de  Siradan,    par  M.  Filhol. 

—  Source  saline  (du  lac).  —  Comparaison  des  eaux  de 
Sainte-Marie  avec  celles  de  Siradan.  —  Eaux  minérales 
ferrugineuses.  —  Eau  de  la  source  du  chemin.  —  Analyse 
de  M.  Save,  comparée  avec  celle  de  M.  Filhol.  —  Différence 
des  deux  analyses.  **« 

Chapitre  III.  —  Propriétés  médicinales  des  eaux  de  Siradan. 

—  Guérison  de  diverses  maladies.  —  Description  du  nouvel 
établissement.  —  Avantages  qu'on   y  retrouve.  —  Fin  de 

la  notice.  233 

NOTICE  SLR  LES  BAINS  D'ENCAUSSE. 

Chapitre  Ier.  —  Situation  du  lieu  d'Encausse.  —  Pays  des 
Onebuzales  ou  Nébouzan.  —  Sa  position  géographique. 

—  Historique  de  ce  pays,  -r  Ancienne  réputation  des  eaux 
de  ces  contrées.  —  Saint-Gaudens,  Aspet,  Izaut,  Malvesie, 
etc.  —  Opinion  des  auteurs  anciens  sur  cette  contrée.  257 

Chapitre  II.  —  Faits  particuliers  concernant  Encaussc.  —  Son 
existence  féodale.  —  Château  des  Seigneurs  du  pays.  —  Dé- 
couverte de  ses  eaux.  —  Écrivains  qui  en  ont  parlé.  —  Ori- 
gine de  la  réputation  des  eaux  d'Encausse.  —  Premiers 
établissements.  —  Analyse  des  eaux  par  M.  Filhol.  —  Leurs 
vertus  Thérapeutiques.  —  État  actuel  de  l'établissement 
des  bains.  —  Divers  embellissements  opérés  tout  récem- 
ment. —  Avenir  des  bains  d'Encausse.  269 

Chapitre  III.  —  Courses  ou  promenades  aux  environs.  —  Iti- 
néraire de  la  première  journée.  —  Souech,  Aspet,  Milhas. 

—  Le  Nostradamus  des  Pyrénées.  —  Kagire,  le  Pâtre  de 
Kagire.  —  Seconde  journée:  Sauveterre,  Barbazàn,  Made- 
moiselle de  Barbazàn.  —  Fin  de  la  notice.  28<<) 


NOTICE  SUR  LES  BAINS  DE  GANTIES. 

Chapitre  1er.  —  Situation  des  bains  de  Ganties.  —  Ancienne 
réputation  de  ces  eaux.  —  Premières  améliorations  faites 
à  ces  bains.  —  Historique  des  lieux  circonvoisins.  —  Poin- 
tis,  Montespan,  Bonncfond,  Saint-Martory,  Montsaunés, 
Arbas,  Estadens  et  Pujos. —  Établissement,  hôtel  et  loge- 
ments. —  Saison  des  bains  et  agréments  divers.  303 

Chapitre  H.  —  Eaux  de  Ganties  considérées  sous  le  rapport 
thérapeutique,  par  le  docteur  Castéra  (de  Pointis).  —  Ob- 
servations sur  divers  cas  de  maladies.  —  Guérison  de  la 
Carie,  —  Cures  d'Ulcères  et  de  plusieurs  Névralgies.  —  Dé- 
tails sur  ces  diverses  maladies.  —  Efficacité  des  eaux  de 
Ganties  contre  les  Névroses,  les  attaques  Hystériques,  les 
Fleurs  blanches,  les  Hémorrhagies  utérines,  etc.,  etc.,  etc.  317 

Chapitre  III.  —  Itinéraire  dans  les  environs.  —  Le  village  de 
Pujos.  —  Course  au  bourg  de  Poinlis-Inard.  —  Ancienne 
Charte  du  pays.  —  Village  de  Montespan.  —  Source  médi- 
cinale. —  Retour  à  Ganties.  325 


Fl>     DE    LA    TABLE.. 


Saini-Gaudens,  imprimerie  de  .I.-M.  Tajan. 


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DC  Castillon,    H 
801  Histoire   spéciale  et 

B12C3  pittoresque  de  Bagnères-de- 

1851  Luchon